é Digitized by the Internet Archive in 2015 https://archive.org/details/b21922469 / LEÇONS SUr\ LES PHÉNOMÈNES DE LA VIE COMMUNS AUX ANJMAUX ET AUX VÉGÉTAUX TRAVAUX DU MÊME AUTEUR Cours de médecine du Collège de France. liCçoiiM de pliyMiologic uxpcrimoiitalc appli(|uéc à la iiicdocinc. Paris, 1854-1855, 2 vol. in-8°, avec figures. iU fr. liOçons sur les effets dos Hubstituces tosiqucH et uiédicaiiien- (euscs. Paris, 1857, 1 vol. in-8°, avec figures. 7 ir. liecons sur la pbyMiologic et lu pathologie du système nerveux. Paris, 1858, 2 vol. in-8°, avec figures. 14 f,-. Leçons sur les propriétés physiologiques et les altérations patho- logiques des liquides de Torganisme. Paris, 1859, 2 vol. in-S", avec 22 figures. 14 fr. liCçons de pathologie expérimentale. Paris, 1871, 1 vol. iii-8° de 600 pages. 7 fr. ticçons sur les anesthcsiques et sur l'asphyxie. Paris, 1875, 1 vol. in-8° de 600 pages, avec figures. 7 l'r. Leçons sur la chaleur animale, sur les effets de la chaleur et sur la fièvre, Paris, 1876, 1 vol. in-S", 372 pages, avec figures. 7 fr. Cours de physiologie générale du Muséum d'histoire naturelle. Leçons sur les phénomènes de la vie communs aux animaux et aux végétaux. Paris, 1878, 1 vol. ia-8, avec 1 pl. col. et 44 fîg. 7 fr. Leçons sur les combustions, la respiration et la morphologie, 1 vol. in-8. {Sous presse.) La science oxpcrimenlale. Le progrès des sciences physiologiques; les problèmes de la physiologie générale; définition de la vie, les théories anciennes et la science moderne; la chaleur animale; la sensibilité; le curare; le cœur; les fonctions du cerveau; discours de réception à l'Aca- démie l'ran(;aise. Paris, 1878, 1 vol. in-18 Jésus, avec 25 figures. h fr. Introduction li rétude de la médecine expérimentale. Paris, 1865, in-8% 400 pages. 7 fr. Fr. Itlagcndic. Paris, 1856, in-8. 1 fr. Précis iconograpriiquc de médecine opératoire et d'anatomie chi- rurgicale, par Claude Bernard et le docteur Huette. Paris, 1873, 1 vol. in-18 Jésus, 495 pag., avec 113 planches, figures noires, cart. 24 fr. — Le même, fig. col. , cart. 48 fr. pàrib. — iMPHiMEAti CI c. iiÀtiTlNiET, ttok iiianon,!. COUKS DE PHYSIOLOGIE GÉNÉIULE DU MUSÉUM D'HISTOIRE x\ATURELLE LEÇONS SUR LKS PHÉNOMÈNES DE LA VIE COMMUNS AUX ANIMAUX ET AUX VÉGÉTAUX PAU CLAUDE BERNARD Membre de l'Institut de France et de l'Académie de me'deciiie, Professem' de médecine au Collège de France, Professem- de physiologie générale au Muséum d'histoire naturelle, etc. / ^"^Ai^C UNE PLANCHE COLORIEE ET 45 FIGURES INTERCALEES ' .- ^ <^ p^j^g TEXTE PARIS LIBRAIRIE J.-B. BAILLIÈRE et FILS i9, IlUE HAUTEFEUILLE, 19 liOndrcM Baillièke, Tinoali. anu Cox. IHudriil G. Bailly-Baillièkm. 1878 'fous droits réservés. En commençant la publication du Cours de physiologie générale qu'il avait professé au Muséum d'histoire naturelle, M. Claude Ber- nard s'était proposé de donner une série paral- lèle au Cours de médecine professé au Collège de France. Dans l'un, il travaillait à fonder la médecine expérimentale ; dans l'autre, il posait les bases de la physiologie générale : c'était poursuivre, sous un autre aspect, un même objet, l'étude de la vie. La mort n'a pas permis à M. Claude Ber- nard de réaliser son projet; elle est venue le surprendre, le 10 février 1878, alors qu'en pleine possession de son sujet il corrigeait les dernières épreuves du présent volume. Le titre en a été fixé par lui : Leçons sur les phénomènes de la vie, communs aux ani- m,aux et aux végétaux; mais, en réalité, c'était plus que cela, c'était un Programme de la Physiologie générale. M. Claude Bernard a résumé dans ce VI volume l'ensemble de ses Doctrines, et c'est l'œuvre la plus complète et la plus métho- dique qu'il laisse au monde savant. Il avait déterminé lui-même la division des volumes qui devaient paraître ultérieurement; il se proposait de publier un volume sur les Fermentations, les Combustions et la Respira- tion; un deuxième sur ]r Nutrition et la Synthèse organique; un troisième sur la Sensibilité et V Irritabilité ; un dernier, enfin, sur la Mor- phologie. Les matériaux qu'il avait préparés et qu'il se proposait de coordonner et de développer ne seront pas entièrement perdus pour la science. M. Dastre, professeur suppléant de physio- logie à la Faculté des sciences, qui suivait depuis de longues années les expériences du laboratoire de Claude Bernard, et qui a été associé à ses travaux, recueillera les fragments disséminés, — et donnera ses soins à leur publication, ainsi, d'ailleurs, qu'il a fait pour la publication des Leçons sur les phénomènes de la vie. .1 -B. Baillière et Fils. 20 févrifir 1878. ACADÉMIE DES SCIENCES DISCOURS DE M. VULPIAN MEMnHK DR I.'Ar.AnKMIE DES SCIENCES AUX FUNÉRAILLES DK M. CLAUDE BERNARD I,E Ifi FKVUIEn 1878 Messieurs , L'Académie des sciences, si éprouvée, il y a quelques jours à peine, par le décès de deux de ses membres les plus célèbres, M. Antoine- César Becquerel et. M. Victor Regnault, vient encore d'être cruellement frappée. Le plus illustre physiologiste de notre époque , M. Claude Bernard, est mort dimanche der- nier, 10 février 1878, à l'âge de soixante- quatre ans. L'émotion qu'a provoquée cette mort dans tous les rangs de la société, l'empressement des pouvoirs publics à rendre un solennel hommage à la mémoire de M. Claude Bernard, l'unanimité avec laquelle cet hommage a été Vlll DISCOURS DE M. VULPIAN rendu, le concours d'une foule attristée à ces funérailles, tout atteste combien est grande la perte que nous venons de subir. L'Académie des sciences m'a désigné pour adresser en son nom un suprême adieu à M. Claude Bernard. Triste tâche que j'ai dû accepter et que je ne puis accomplir d'une façon digne du corps savant dont je suis l'interprète qu'après avoir essayé de mesurer la profondeur du vide que la mort vient de creuser parmi nous ! M. Claude Bernard, né à Saint- Julien, près Villefranche , le 12 juillet 1813, vint à Paris vers 1834 pour se livrer à l'étude de la méde- cine et de la chirurgie, et, nommé interne des hôpitaux en 1839, il retourna dans le service auquel il avait déjà été attaché comme externe, le service de Magendie, à l' Hôtel-Dieu. C'est en assistant aux leçons de ce célèbre physiolo- giste, au Collège de France, qu'il découvrit sa véritable vocation. Au lieu des cours didactiques de physio- logie qu'il avait suivis jusque-là, il voyait, au Collège de France un professeur faire des expériences devant ses auditeurs, non-seule- ment pour confirmer des données déjà acquises, AUX FUNÉRAILLES DE CLAUDE BERNARD. IX mais encore, et le plus souvent, pour étudier des problèmes restés sans solution. Au lieu de la physiologie racontée , c'était la physiologie animée, vivante, parlante; c'était l'expérience elle-même saisissant avec force l'attention des assistants et imposant à leur mémoire des sou- venirs ineffaçables ; c'était, en outre, une série de découvertes pleines d'intérêt, naissant pour ainsi dire sous les yeux des élèves. L'effet de telles leçons fut décisif. M. Claude Bernard se sentit expérimentateur. Il entra comme aide bénévole dans le laboratoire de Mao^endie. Dès la seconde année de son inter- nat, il devenait son préparateur attitré. A dater de cette époque, M. Claude Bernard se con- sacra tout entier aux recherches de physiologie, si ce n'est dans un moment de découragement, où la carrière scientifique lui parut ne jamais devoir s'ouvrir devant lui et où il revint à la chirurgie. Un mémoire publié en 1843, sous le titre de Recherches anatomiques et physiologiques sur la corde du tympan, et sa thèse inaugurale pour le doctorat en médecine, soutenue en 1843 et intitulée Du suc gastrique et de son rôle dans la nutrition, sont ses premières publications. De- X DISCOURS DE M. VULPIAN puis lors, M. Claude Bernard travaille sans relâche; les découvertes succèdent aux décou- vertes ; la célébrité ne tarde pas à s'attacher au nom d'un tel physiologiste. Il supplée d'abord son maître, Magendie, au Collège de France. En J 854, il est nommé professeur à la Faculté des sciences dans une chaire de physiologie créée pour lui; la même année, il est nommé membre de l'Académie des sciences à la place devenue vacante par suite du décès du chirur- gien Roux; l'année suivante, il est appelé à remplacer Magendie dans la chaire du Collège de France. En 1868, il quitte la Faculté des sciences pour occuper au Muséum la chaire de Flourens, et, la même année, il le remplace aussi à l'Académie française. La plupart des sociétés et des académies étrangères se hâtent de l'admettre au nombre de leurs associés. Il est nommé sénateur, commandeur de la Légion d'honneur, membre de divers ordres étran- gers ; mais je n'insiste pas sur ces titres extra- scientifiques : il a été de ceux qui honorent les distinctions honorifiques qu'ils consentent à accepter. Parvenu aux situations les plus enviées, il travaille avec la même ardeur que lors de ses AUX FUNÉRAILLES DE CLAUDE BERNARD. X[ débuts, et chaque année il fait connaître les résultats de ses infatigables expérimentations. Il y a quelques mois, il lisait à l'Académie des sciences une série de mémoires des plus inté- ressants sur la giycogénie animale, et, au mo- ment où la maladie est venue le surprendre, il poursuivait de nouvelles recherches. Il meurt donc, on peut le dire, en pleine activité de pro- duction scientifique, et, au milieu de notre tris- tesse et de nos regrets, nous sommes obsédés par la douloureuse pensée que la mort détruit probablement d'importantes découvertes qu'il n'eût pas tardé à nous communiquer. Ce n'est pas ici le Heu de rappeler tous les travaux de M. Claude Bernard. Il faut me borner à mettre en saillie ses découvertes principales et à marquer l'influence qu'il a exercée sur la physiologie et sur la médecine. Au premier rang de ses travaux se place la série de ses admirables investigations sur la formation du sucre chez les animaux. Ce sont là des recherches qui feront époque dans la science. Non-seulement elles nous ont dévoilé un phénomène absolument inconnu jusque-là, la production du sucre par le foie chez tous les animaux, mais encore elles ont éclairé d'une OISCOURS DE M. VULl'IAN vive lumière le mécanisme de l'influence qu'exerce le système nerveux sur la nutrition intime; en outre, elles ont été le point de départ d'une nouvelle théorie du diabète. Depuis l'époque (1849) où M. Claude Bernard faisait à la Société de biologie sa première communication sur la formation du sucre dans le foie, jusqu'à l'année dernière, pendant la- quelle il nous donnait lecture de nouvelles recherches sur la glycogénie, il n'a cessé de s'occuper de cette grande question ; et l'on peut dire que tout ce que nous connaissons d'im- portant sur elle, nous le lui devons entière- ment. Après avoir trouvé que le foie forme du sucre aux dépens du sang qui le traverse et quel que soit le régime de l'animal, il montre que ce sucre est le résultat de la métamor- phose d'une substance amyloïde dont il constate le premier la présence dans l'organe hépatique, substance qui se produit dans les cellules pro- pres du foie et à laquelle il donne le nom de matière glycogène. Il fait voir ensuite que la quantité de sucre fournie par le foie au sang des veines hépatiques varie suivant que l'ani- mal est en état de santé ou en état de maladie. Il découvre que la piqûre d'un point particulier AUX FUNÉRAILLES DE CLAUDE BERNARD. XIII du bulbe rachidien exerce une telle influence sur la formation du sucre par le foie, que le sang, chargé d'une trop grande quantité de ce principe, le laisse échapper par les reins et que l'animal devient diabétique. Cette découverte tout à fait imprévue excite dans le monde sa- vant un profond étonnement, qui fait bientôt place à l'admiration lorsque le fait annoncé par le physiologiste français est confirmé par tous les expérimentateurs. Par une suite de recher- ches d'une prodigieuse sagacité, il montre par quelles voies les lésions du bulbe rachidien dont il vient d'indiquer les effets vont agir sur la glycogénie hépatique. Jamais regard plus pénétrant n'avait plongé dans les profondeurs de la nutrition intime. Il va plus loin encore. Gomme je l'indiquais tout à l'heure, il tire lui-même de ses décou- vertes les conséquences qui s'appliquent à la médecine. Il édifie une nouvelle théorie du dia- bète. Pour lui, cette maladie est due essentiel- lement à un trouble des fonctions du foie, à une exagération de la production de matière glyco- gène et à une suractivité parallèle de la méta- morphose de cette matière en sucre. Ce trouble a le plus souvent pour cause une altération du XIV DISCOURS DE M. VULPIAN Ibnctionnemeni du système nerveux central. Cette théorie de M. Claude Bernard devient le point de départ de recherches pathologiques des plus intéressantes, et, aujourd'hui, après des discussions approfondies, elle semble sur le point de triompher de la résistance de ses contradicteurs. A côté de ce grand travail, et au même rang pour le moins, la postérité placera les recher- ches de M. Claude Bernard sur le grand sym- pathique et sur l'innervation des vaisseaux. Avant ces recherches, on ne connaissait presque rien de l'action du système nerveux sur la production de la chaleur animale. En 1851, M. Claude Bernard publie ses pre- mières expériences relatives à Yinfluence du grand sympathique sur la sensibilité et la calori- fication. Il fait voir que la section du cordon cervical du grand sympathique, d'un côté, dé- termine, en même temps qu'une congestion de toute la moitié correspondante de la face, une augmentation considérable de la chaleur dans cette même région. Dans aucun des travaux de M. Claude Bernard ne se montrent peut-être avec plus de netteté l'instinct de découverte) la sagacité AUX FUNÉRAILLES Dlî CLAUDK BERNARD. XV inventive dont il était si richement doué. De nombreux physiologistes n'avaient-ils pas sec- tionné le cordon cervical du grand sympathique, depuis l'époque où Pourfour du Petit avait montré que cette opération produit un resser- rement de la pupille du côté correspondant? Eh bien, aucun d'eux n'avait aperçu que cette section détermine aussi une élévation de tem- pérature dans les parties innervée par le cordon coupé. M. Claude Bernard a été le premier à démêler ce phénomène si remarquable. Il nous apprenait ainsi que le système nerveux influe d'une façon puissante sur la chaleur des diverses parties de l'organisme. Du même coup il dé- couvrait l'influence de ce système sur les vaisseaux. En montrant que la section du cordon cer- vical sympathique provoque une congestion de toutes les parties auxqueUes se distribuent les fibres nerveuses de ce cordon, il a ouvert la voie. Peu de mois après, pendant qu'il arrivait de son côté à trouver le véritable mécanisme de cette congestion, M. Brown-Séquard y parve- nait en Amérique et publiait, le premier, que les résultats de cette expérience , la congestion et l'augmentation de chaleur, sont dus à une pa- XVI DISCOURS Dli M. VULPIAN ralysie de la iuiii(|ue musculaire des vaisseaux. L'existence des nerfs vaso-moteurs était désor- mais hors de doute. M. Claude Bernard, pour- suivant, connne il l'a toujours fait, les consé- quences de cette découverte , enseignait aux physiologistes et aux médecins quel est le rôle physiologique dévolu à ces nerfs et l'importance de ce rôle. Le cœur, organe central de la cir- culation, lance le sang dans les artères, et ce sang, sans cesse poussé par de nouvelles ondées cardiaques, revient au cœur par les veines. Le mouvement du sangauraitles mêmes caractères dans tous les capillaires du corps si les vaisseaux qui le conduisent à ces capillaires étaient par- tout inertes. Mais il n'en est pas ainsi. Grâce aux nerfs vaso-moteurs, les vaisseaux munis d'une tunique musculaire peuvent se resserrer ou se paralyser ; ces modifications peuvent se produire ici et non là ; il peut y avoir congestion ou anémie dans un organe pendant que la cir- culation ne subit aucun changement dans les autres parties. La face peut rougir ou pâlir sous l'influence des émotions, sans que le reste de l'appareil circulatoire soit notablement affecté; la membrane muqueuse de l'estomac peut se congestionner d'une façon pour ainsi dire isolée, AUX FUNÉllAlLLliS Dli CLAUDli BERNAIU). XVll lors de la digestion, pour fournir aux besoins de la sécrétion du suc gastrique et revenir en- suite à l'état normal ; le cerveau lui-même, dans les moments d'activité intellectuelle, peut de- venir le siège d'une irrigation sanguine plus abondante, sans qu'il en résulte un trouble notable pour le reste de la circulation; il peut en être ainsi de tous les organes. Ce sont là des phénomènes dont le mécacisme n'a plus de secrets pour nous depuis les travaux de M. Claude Bernard. Mais ce n'est pas tout: il était réservé à M. Claude Bernard de faire encore, relative- ment à la physiologie des nerfs vaso-moteurs, une découverte sinon plus importante , assuré- ment plus inattendue que celle dont je viens de dire quelques mots. Les nerfs vaso-moteurs qui modifient le ca- libre des vaisseaux, en produisant un resserre- ment de leur tunique contractile ou en cessant d'agir sur cette tunique, ne sont point les seuls qui exercent une inlluence sur ces canaux. M. Claude Bernard a trouvé qu'il exis te d'autres nerfs qui, lorsqu'ils sont soumis à une excita- tion fonctionnelle ou expérimentale, agissent aussi sur les vaisseaux, mais y déterminent CL. BERNAIID. b XVIII DISCOURS DE M. VULPIÂN alors une dilatation. Ce sont des nerfs vaso- dilatateurs, comme on les a appelés, par oppo- sition aux nerfs dont l'excitation provoque une constriction vasculaire, et que l'on a nommés vaso-constricteurs . C'est en poursuivant des recherches du pkis haut intérêt sur la physiologie des glandes sali- vaires que M. Claude Bernard a été conduit à cette remarquable découverte. CommeM.Lud- v^ig et sans connaître ses travaux M. Claude Bernard avait constaté que l'électrisation de la corde du tympan détermine une exagération de la sécrétion de la glande sous-maxillaire ; mais il reconnut, ce qui avait échappé au physiolo- giste de Leipzig, que cette électrisation produit en même temps une dilatation considérable des vaisseaux de la glande. Ces nerfs vaso- dilatateurs, véritables nerfs d'arrêt, n'ont en- core été trouvés que dans un petit nombre de régions : peut-être, comme l'a pensé M. Claude Bernard , existent-ils partout et jouent-ils un rôle considérable dans l'état de santé et dans l'état de maladie. Les études de M. Claude Bernard sur les glandes salivaires ont été fructueuses pour la science ; je ne signalerai ici, parmi les autres AUX FUNÉRAILLES DE CLAUDE BEnNÂRD. XIX faits qu'il a découverts dans le cours de ces études, que les actions réflexes qui s'effectuent dans le ganglion sous-maxillaire séparé des centres nerveux céphalo-rachidiens. Il a donné ainsi, et pour la première fois, la démonstration de l'autonomie physiologique si contestée du système nerveux sympathique. Une autre glande, le pancréas, avait aussi attiré son attention au début de sa carrière. On n'avait alors que des idées fort incomplètes sur la physiologie du pancréas ; une des pro- priétés les plus remarquables du suc pancréa- tique avait échappé à peu près entièrement aux investigations des expérimentateurs, je veux parler de son action sur les matières grasses. M. Claude Bernard ht voir que, de tous les fluides qui entrent en contact avec les aliments dans le canal digestif, le suc pancréatique est celui qui exerce l'action la plus puissante sur les matières grasses, pour les émulsionner et les mettre à même d'être absorbées. Dans un ordre très-différent de recherches, M. Claude Bernard, bien que précédé par de célèbres pliysiologistes, par Magendle, par Flourens , a été encore un véritable initiateur. Je veux parler de ses belles recherches sur les XX DISCOURS DE M. YULPIAN substances toxiques et médicamenteuses. C'est à lui, en eifet, que nous devons les vraies mé- tiiodes à l'aide desquelles on étudie l'action physiologique de ces substances, et, par les dé- couvertes les plus l)ri liantes, il nous a lait voir tout le |)arti qu'on peut tirer de ces méthodes. Par une suite d'expériences décisives, il nous montre que le curare al)olit les mouvements volontaires, en paral^^sant les extrémités péri- phériques du nerf moteur, tout en respectant les centres nerveux, les muscles et les nerfs sensitifs. D'autre part, il nous apprend que l'oxyde de carbone tue les animaux vertébrés par asphyxie en se fixant dans les globules rouges du sang, en y prenant la place de l'oxy- gène et en les rendant impropi-es à toute ab- sorption nouvelle de ce gaz. Enlin, pour ne parler que desliiits principaux, je dois rappeler ses mémorables études sur les alcaloïdes de l'opium et sur les anesthésiques. J'ai cherché à mettre en saillie les décou- vertes les plus importantes de M. Claude Ber- nard ; mais que d'autres travaux ne faudrait-il pas analyser pour rappeler tous les services qu'il a rendus à la science! Je me borne à citer ses recherches sur le nerf pneumogastrique, AUX FUNÉRAILLES DE CLAUDE BERNARD. XXI sur le nerf spinal, sur le nerf trijumeau, sur le nerf oculo-moteur commun, sur la corde du tympan, sur le nerf facial, recherches dans le cours desquelles il imagine de nouveaux pro- cédés d'expérimentation, tels que l'arrache- ment des nerfs, la section de la corde du tympan dans la caisse tympanique, procédés qui por- tent aujourd'hui son nom. Je ne puis malheu- reusement "aussi mentionner ses études sur la sensibilité récurrente et sur les conditions, si intéressantes au point de vue de la physiologie générale, qui font varier ce phénomène. Je me contenterai encore d'énumérer ses recherches sur la pression du sang, sur les gaz du sang, sur les variations de couleur de ce fluide suivant l'état d'inertie ou d'activité fonctionnelle des organes qu'il traverse (glandes, muscles) ; sur les variations de la température des parties dans les mêmes conditions opposées de repos ou de fonctionnement, sur la différence de température entre le sang du ventricule droit du cœur et le sang du ventricule gauche chez les mammifères; sur l'élimination élective par les glandes des substances introduites dans l'économie, ou de celles qui s'accumulent dans le sang sous l'influence de certains états mor- XXII DISCOURS DE M. VULPIAN bides (sucre diabétique, matière colorante de la bile) ; sur les caractères spéciaux et le rôle par- ticulier de la salive de chaque glande salivaire ; sur Tinfluence des centres nerveux sur la sé- crétion de la salive ; sur la sécrétion et l'action du suc gastrique et du suc intestinal ; sur les modifications des sécrétions de l'estomac et de l'intestin, après l'ablation des reins; sur l'albu- minurie produite par les lésions du système nerveux; sur la composition de l'urine du fœ- tus ; sur les phénomènes électriques qui se ma- nifestent dans les nerfs et les muscles ; sur la comparaison des actes de la nutrition intime chez les animaux et les végétaux, etc. En un mot, il n'est presque aucune partie de la physiologie dans laquelle M. Claude Bernard n'ait profondément marqué sa trace par des découvertes du plus haut intérêt. Aussi l'influence de M. Claude Bernard sur la physiologie a-t-elle été immense. On peut dire, sans exagération, que, depuis près de trente années, la plupart des recherches physio- logiques qui ont été publiées dans le monde savant n'ont été que des développements ou des déductions plus ou moins directes de ses propres travaux. A ce titre, il a été véritable- AUX FUNÉRAILLES DE CLAUDE BERNARD. XXIll ment, dans le grand sens du mot, le maître de presque tous les physiologistes de son temps. Son influence sur la médecine n'a pas été moins grande. D'innombrables travaux de pa- thologie ont été inspirés par ses recherches physiologiques. Du reste, il avait encore, dans cette direction, montré lui-même le chemin. Par sa théorie du diabète, par ses recherches sur l'urémie, sur les congestions, sur l'inflam- mation, sur la fièvre, il indiquait comment les progrès de la physiologie peuvent servir à ceux de la médecine. Ses travaux ont réelle- ment transformé sur bien des points la partie scientifique de la médecine ; son nom se trouve invoqué dans l'histoire d' un grand nombre de maladies par les théories qui ont pour but, soit d'expHquer le mode d'action des causes mor- bides, soit de trouver la raison physiologique des symptômes. La thérapeutique elle-même a subi l'influence de ses travaux. Les médicaments ont été, pour la plupart, soumis à de nouvelles études, calquées sur ses propres recherches; la thérapeutique a pu enfin s'efforcer de mériter le titre de rationnelle auquel elle n'avait aucun droit jusque-là. De tels services ne sauraient être méconnus ; aussi la médecine, qui a tou- XXIV DISCOURS DK M. VULPIAN jours considéré M. Claude Bernard comme un des siens, comme une de ses lumières les plus éclatantes, regarde-t-ellesa mort comme le plus grand deuil qui puisse l'affliger. Parlerai-je des ouvrages de M. Claude Ber- nard, de ses livres, où se trouvent reproduites ses leçons du Collège de France et du Muséum d'histoire naturelle ; de son Rapport sur les pro- grès de la physiologie en France, publié en 1867, à l'occasion de l'Exposition universelle ? Que pourrais-je en dire que vous ne sachiez tous? Ces livres sont entre les mains de tous les phy- siologistes et de tous les médecins. Ce sont, dans leur genre, des modèles achevés. Outre les dé- couvertes originales dont ils contiennent la re- lation détaillée, on y trouve, presque à chaque page, des aperçus ingénieux, des vues nou- velles, d'importantes applications. On y assiste à l'évolution des recherches du maître, depuis leur premier germe jusqu'à leur complet déve- loppement et, tout en y puisant ainsi le goût des investigations personnelles, on y apprend à travailler par soi-même. Enfm, après avoir parlé du savant illustre, nedois-je pas dire un mot de l'homme ? N'est- ce pas un devoir, et le plus doux des devoirs,'de AUX FUNÉRAILLES DR CLAUnii BEUNARD. XXV rappeler que ce physiologiste de génie fut en même temps le meilleur des hommes ? La sim- plicité de ses manières, son affabilité, la sûreté de ses relations, tout attirait vers lui et le faisait aimer. Dépourvu de vanité, il savait mieux que personne rendre justice au mérite d'autrui, et il était toujours prêt à tendre la main aux jeunes savants pour les aider à gravir les degrés diffi- ciles qui mènent aux positions officielles. Tels sont les titres de M. Claude Bernard à l'admiration du monde savant et à la recon- naissance du pays. La postérité le placera au nombre des grands hommes auxquels la phy- siologie doit ses progrès les plus considérables, et son nom rayonnera ainsi à côté de ceux de Harvey, de Haller, de Lavoisier, de Bichat, de Charles Bell, de Flourens et de Magendie. Au nom de l'Académie des sciences, cher et illustre maître, je vous dis adieu ! FACULTÉ DES SCIENCES DE PARIS DISCOURS DE M. PAUL BEUT PROFESSEUR A LA FACULTÉ DES SCIENÛBS AUX FUNÉRAILLES DE M. CLAUDE BERNARD LE 46 FÉVRIER 1878 La Faculté des sciences de Paris, qui a eu l'honneur de compter pendant quatorze ans M. Claude Bernard au nombre de ses profes- seurs, ne pouvait, bien que ce maître illustre fût depuis dix années sorti de son sein, rester silencieuse aux bords de cette tombe. Elle vient, à son tour, exprimer ses regrets et revendiquer sa part légitime de gloire. C'est en 1854 que M. Claude Bernard entra dans notre compagnie. La grande découverte de la production du sucre par les êtres animés venait de frapper le monde savant de surprise et d'admiration. Pour permettre à son auteur de développer toutes les ressources de son fertile génie, une chaire fut alors créée, qui, sous le titre de Physiologie générale, vint agrandir et compléter le cadre de l'enseigne- ment dans notre Faculté. I DISCOURS DE M. PAUL BERT, ETC. XXVII Le vaillant lutteur n'avait cependant obtenu qu'une partie des conditions de la libre re- cherche. Aucun moyen matériel d'action n'était annexé à la chaire où il allait professer : ni budget, ni laboratoire, ni préparateur. Et c'est au milieu de cette pénurie accusatrice de l'in- différence des pouvoirs publics que, de 1854 à 1868, Claude Bernard dut faire son cours. Il n'y parvint qu'en utilisant les ressources de la chaire qu'il ne tarda pas à recueillir au Collège de France dans l'héritage de Magendie. Aussi, notre Faculté ne peut-elle prétendre à l'honneur d'avoir vu éclore ces découvertes, dont l'accumulation pressée porta rapidement au plus haut degré sa réputation scientifique. C'est du laboratoire du Collège de France, bien pauvre cependant lui-même, que sont sortis ces travaux innombrables dont chacun eût suffi à illustrer son auteur. Mais si c'est au Collège de France que se déploya, dans le domaine des recherches ex- périmentales, le génie créateur de M. Claude Bernard, il se manifesta avec non moins de puissance et d'utilité pour le développement général de la science dans l'enseignement de la Sorbonne. La fondation, au sein de la Faculté, d'une XXVIH DISCOURS Dlî M PAUL BERT chaire de physiologie générale, avait donné à cette science expérimentale droit de cité dans l'enseignement classique, à côté de ses sœurs aînées, la physique et la chimie. C'est à jus- tifier cet étahlissement nouveau, qui n'avait pas été universellement approuvé, que s'at- tacha dans ses leçons M. Claude Bernard. Jusqu'à lui, la physiologie n'avait guère été considérée que comme une annexe d'autres sciences, et son étude semblait revenir de droit, suivant le détail des problèmes, aux médecins ou aux zoologistes. Les uns décla- raient que la connaissance anatomique des organes suffit pour permettre d'en déduire le jeu de leurs fonctions, c'est-cà-dire la physio- logie ; les autres ne voyaient dans celle-ci qu'un ensemble de dissertations, propres à satisfaire l'esprit de système sur les causes, la nature et le siésre des diverses maladies. Presque tous n'attachaient à ses enseigne- ments qu'une valeur variable d'une espèce vivante à une autre, ou pour la même espèce, suivant des circonstances indéterminables, qu'une valeur subordonnée aux caprices d'une puissance mystérieuse et indomptable, déniant ainsi, en réalité, à la physiologie jusqu'au titre de science. Claude Bernard commença par le lui resti- AUX FUNÉRAILLKS DE CLAUDE BERNAUD. XXIX tuer. Il montra, prenant le plus souvent pour exemple ses propres découvertes, que si elle soulève des questions plus complexes que les autres sciences expérimentales, elle est, tout autant que celles-ci, sûre d'elle-même, lorsque, le problème posé, ses éléments réunis, ses va- riables éliminés, elle expérimente, raisonue et conclut. Il montra que de l'infniie variété des phéno- mènes fonctionnels, en rapport avec la diver- sité sans nombre des formes organiques, se dégagent des vérités fondamentales, univer- selles, qui relient en un faisceau commun tout ce qui a vie, sans distinction d'ordres, ni de classes, de vie animale, ni de vie végétale : le foie faisant du sucre comme le fruit, la levure de bière s' endormant comme l'homme sous l'influence de vapeurs éthérées. Il montra que, même pour la physiologie des mécanismes, la déduction anatomique est insuffisante et souvent trompeuse ; et que l'expérimentation seule peut conduire à la certitude. Il montra que les règles de cette expérimen- tation sont les mêmes dans les sciences de la vie que dans celles des corps bruts, et qu' « il n'y a pas deux natures contradictoires donnant lieu à deux ordres de sciences opposées. » XXX DISCOURS DE M. PAUL BERT Il montra que le physiologiste expérimen- tateur non-seulement analyse et démontre, mais domine et dirige, et qu'il peut espérer devenir, au même titre que le physicien ou le chimiste, un conquérant de la nature. Il montra que si le physiologiste doit sans cesse recourir aux notions que lui fournissent l'anatomie, l'histologie, la médecine, l'histoire naturelle, la chimie, la physique, il doit en rester le maître, les subordonner à ses propres visées ; si bien qu'il a besoin d'une éducation spéciale, de moyens spéciaux de recherches, de chaires spéciales, de laboratoires spéciaux. C'est ainsi que Claude Bernard assura les bases de la physiologie, délimita son domaine, en chassa les entités capricieuses, la débarrassa de l'empirisme, détermina son but, formula ses méthodes, perfectionna ses procédés, indiqua ses moyens d'action ; lui assigna son rang parmi les sciences expérimentales, ré- clama pour elle sa place légitime dans l'ensei- gnement public ; qu'en un mot il la mit en possession d'elle-même, l'individualisa et la caractérisa comme science, vivant en elle, s'identifiant avec elle, à un tel point qu'un savant étranger a pu dire : « Claude Bernard n'est pas seulement un physiologiste, c'est la Physiologie. » AUX FUNÉRAILLES DE CLAUDE BERNARD. XXXI Telle est la part, et elle n'est pas petite, que notre Faculté peut réclamer, pour s'en parer avec orgueil, dans l'œuvre de l'illustre physio- logiste. Telle fut, en effet, la matière de l'ensei- gnement qu'il y donna jusqu'en 1868, époque à laquelle il quitta la Sorbonnepour le Muséum d'histoire naturelle. C'est à celui de ses élèves qui fut appelé à lui succéder dans la chaire de Physiologie que la Faculté a confié aujourd'hui l'honneur de la représenter. Qu'il lui soit permis maintenant de dépouiller son rôle officiel et, au nom des élèves de Claude Bernard, d'adresser l'adieu filial au maître qui n'est plus. Aussi bien, celui qui lui doit le plus, puisqu'il lui doit tout, pour- rait presque revendiquer comme un droit ce douloureux privilège. Certes, la Science et .la Patrie ont sujet d'être en deuil. Mais quelle douleur profonde s'a- joute à ces sentiments universels, dans le cœur de ceux qui ont profité de ses leçons, reçu les marques de sa bonté, éprouvé les effets de sa protection paternelle ! Bienveillant et sympa- tique à tous, il fut, pour ceux qu'il appelait à son lit de mort sa famille scientifique, le plus affectueux et le plus dévoué des maîtres : non d'une affection sans ressort, car abondant en conseils et en encouragements, il se montrait XXXll DISCOURS DE PAUL BERT, ETC. critique aussi sévère poui' nos travaux que pour les siens ; non d'un dévouement sans sacrilice, car il souffrait en quittant spontané- ment cette chaire de la Sorbonne pour la laisser à l'un de ses élèves. Jamais, parmi les incidents quotidiens du laboratoire, un mot impatient ; jamais un mot amer, parmi tant de douleurs physiques et morales, si courageusement supportées ; jamais un reproche à ceux dont la reconnaissance s'est éteinte trop tôt ! Jusqu'aux derniers jours, aux dernières paroles, en face de cette mort inattendue, affection, conseils, sourires ; il nous remerciait de nos soins, nous quilui devioQS au centuple! Vous travaillerez, disait-il, et il parlait de cette science qui fut sa vie. Oui, maître, nous travaillerons; nous sentons tous, parmi notre douleur, le devoir qui o-randit. Nous serrerons nosran<:>-s. Nousmar- cherons, suivant votre trace lumineuse, dans le sillon inachevé. MUSÉUM D'HISTOIRE NATURELLE COURS DE PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE LEÇON D'OUVERTURE^'^ o Sommaire : Inauguration de lu pliysiologie générale au Muséum. — Raisons du transfert de ma chaire de la Sorbonne an Jardin des plantes. — La physiologie devient aujourd'hui une science autonome qui se sépare de l'anatomie. — Elle est une science expérimentale. — Définition du do- maine de la physiologie générale. — Initiation de la France. — Déve- loppement de la physiologie dans les pays voisins. — Les installations de laboratoires. — Ce n'est pas tout; il faut surtout une bonne méthode et une saine critique expérimentale. En comQiençant le cours de physiologie générale au Muséum d'histoire naturelle, je crois nécessaire d'indiquer les circonstances qui m'y ont amené. L'in- troduction de la physiologie générale dans l'établisse- ment célèbre qui abrite les sciences naturelles, la créa- tion d'un laboratoire annexé à la chaire marquent un progrès notable dans l'enseignement de la physiologie expérimentale. Celte science toute moderne, née en France sous l'impulsion féconde de Lavoisier, Bichat, Magendie, etc., était jusqu'à présent restée, il faut le dire, à peu près sans encouragements, tandis qu'elle en recevait, par contre, de considérables dans les pays voisins. La dotation de la physiologie se trouvait chez nous hors de proportion avec ses besoins; et je suis heureux de constater que les dispositions en vertu (1) Semestre dcLé 1870. Voy. lleme scicnUf., n" i7, 187L Cl.. BtR.N'AUt). -1 2 COURS DIÎ PlIYSIOLOGIl': GÉNIiRALK. desquelles j'ai été appelé au Muséum d'histoire natu- relle sont un commencement de satisfaction à des né- cessités devenues évidentes. C'est la seule considération de ces intérêts supérieurs qui m'a déterminé à transporter ici l'enseignement que je faisais à la Faculté des sciences depuis l'année 1854, époque à laquelle fut -créée la chaire de physiologie générale dont j'ai été le premier titulaire. En 1867, M. Duruy, ministre de l'instruction publi- que, me demanda d'exposer, dans un rapport, les pro- grès de la physiologie générale en France, et d'indiquer les améliorations qui pourraient contribuera son avan- cemenl. Quoique souffrant à celte époque, j'acceptai la tâche; je fis de mon mieux en comparant le déve- loppement de notre science en France et à l'étranger, et j'arrivai à cette conclusion, que la physiologie fran- çaise était mal pourvue, mais non pas insuffisante; c'est qu'en effet les moyens de travail seuls lui manquaient, le génie physiologique ne lui ayant jamais fait défaut. — Une conclusion de même nature pouvait, du reste, se généraliser pour la plupart des sciences physiques et naturelles, et les nombreux et excellents rapports publiés par mes collègues avaient mis cette situation en pleine évidence (1). Justement ému et désireux de remédier à cet état de choses, M. Duruy institua l'École pratique des hautes études; en même temps le ministre me proposa, dans cette création, la direction d'un laboratoire public de (1) Vojc£ la collection des rnpporis. Paris, Haclielte, 1867. l.A IMIYSIOLOGIE GiÎNÉUALlî AU MUSliUM. 3 physiologie. L'élat de ma santé et quelques considéra- tions me firent tout d'abord décliner cet honneur; mais au nom de la science le ministre insista, et je crus qu'il y avait devoir pour moi de céder à des instances aussi honorables. — Il fut convenu que ma chaire de la Sor- bonne serait transférée au Jardin des plantes à la place de la chaire de physiologie comparée qui sera sans doute rétablie plus tard. Le problème de la physiologie com- parée étant d'étudier les mécanismes de la vie dans les divers animaux, la place de celte science est marquée dans un établissement qui offre, à cet égard, des res- sources aussi complètes que le Muséum d'histoire natu- relle de Paris. Je n'ai donc pas à continuer ici les traditions d'un prédécesseur; j'inaugure en réalité l'enseignement de la physiologie générale que je professais depuis seize ans dans la Sorbonne. Nous aurons au Muséum un laboratoire spécial et une installation qui nous manquaient à la Faculté des sciences. Je me propose aujourd'hui de vous démontrer d'une manière rapide que ces moyens nouveaux d'étude ont été rendus indispensables par l'évolution même de b science physiologique qui réclame un perfectionnement expérimental croissant pour atteindre son but et ré- soudre le problème qui lui incombe. La physiologie est la science de la vie ; elle décrit et explique les phénomènes propres aux êtres vivants. Ainsi définie, la physiologie a un problème qui lui est spécial et qui n'appartient qu'à elle. Son point de vue, son but, ses méthodes, en font une science 4 COURS DE PIlYSIOLOGIli GÉNÉRALE. autonome et indépendanle : c'est pourquoi elle doit avoir des moyens propres de culture et de dévelop- pement. 11 sera nécessaire de faire bien comprendre le mouve- ment général qui s'accomplit sous nos yeux et qui tend à l'émancipation de la science physiologique et à sa constitution définitive. Cette évolution semble, il faut le dire, être restée inaperçue pour beaucoup de personnes qui prétendent faire de la physiologie une dépendance ou une partie de la zoologie et de la phytologie, sous prétexte que la zoologie embrasse toute l'histoire des animaux et que la phytologie comprend toute l'histoire des plantes. On ne voit pas cependant les minéralo- gisles contester l'indépendance de la physique ou de la chimie : et pourtant ils auraient autant de raisons de proclamer l'existence d'une science unique des corps r)ruts, que les naturalistes peuvent en avoir de proclamer rcxislence d'une science unique des animaux, qui serait la zoologie, ou d'une science unique des plantes, qui serait la botanique. Toutes les sciences, d'abord confon- dues, ne se sont point constituées seulement suivant les circonscriptions plus ou moins naturelles des objets étu- diés, mais aussi selon les idées qui président à cette élude. Elles se séparent non-seulement par leur objet, mais aussi par leur point de vue ou par leur problème. Au début, la physiologie était confondue avec l'ana- tomie et elle ne possédait pas d'autre laboratoire que l'amphithéâtre de dissection. Après avoir décrit les or- ganes, on tirait de leur description et do leurs rapports des inductions sur leurs usages. Peu à peu le problème ÉVOLUTION DE LA PIIYSIOLOGIR. 5 physiologique s'est dégagé de la question anatomique et les deux sciences ont dû se séparer définitivement, parce que chacune d'elles poursuit un but spécial. Bien que le développement de la physiologie, qui aboutit aujourd'hui à son autonomie, ait été successif et pour ainsi dire insensible, nous distinguerons cepen- dant deux périodes principales dans son évolution. La première commence dans l'antiquité à Galien, et finit à Haller. La seconde commence avec Haller, Lavoisier et Bichat, et se continue de notre temps. Dans la première période la physiologie n'existe pas à l'état de science propre; elle est associée à l'anatomie dont elle semble être un simple corollaire. On juge des fonctions et des usages par la topographie des organes, par leur forme, par leurs connexions et leurs rapports, et lorsque l'analomiste appelle à son secours la vivisec- tion, ce n'est point pour expliquer les fonctions, mais bien plutôt pour les localiser. On constate qu'une glande sécrète, qu'un muscle se contracte; le problème paraît résolu, on n'en demande pas l'explication ; on a un mot pour tout : c'est le résultat de la vie. On enlève des par- ties, on les lie, on les supprime, et on décide, d'après les modifications phénoménales qui surviennent, du rôle dévolu à ces parties. Depuis Galien jusqu'à nos jours celte méthode a été mise en pratique pour déterminer l'usage des organes. Cuvier a préféré à celte méthode les déductions de l'anatomie comparée (i). Avant la création de l'anatomie générale, on ne coii- (1) Voyez Lettre h Merlrwl ; Leçons (l'anatomie comparée, an VUI. 6 COURS DE PHYSIOLOGIIÎ Gl' NI'.R AI,I<:, naissait pas les éléaients microscopiques des organes et des tissus, et il ne pouvait être question de faire inter- venir comme agents des manifestations vitales les pro- priétés physico-chimiques de ces éléments. Une force vitale mystérieuse suffisait à tout expliquer : le nom seul changeait : suivant les temps on l'appelait ^vyjn, anima, archéc, principe vital, etc. Quoique des tentatives eussent été faites dans divers sens pour exphquer les phéno- mènes vitaux par des actions physico-chimiques, cepen- dant la méthode anatomique continuait à dominer. Haller, qui clôt la période dont nous parlons et qui ouvre l'ère nouvelle, a bien résumé, dans son immortel Traité de physiologie, les découvertes anatomiques, les idées et les acquisitions de ses prédécesseurs. La seconde période s'ouvre, avons-nous dit, à la fin du siècle dernier. A ce moment trois grands hommes, Lavoisier, ï^aplace etBichat, vinrent tirer la science de la vie de l'ornière anatomique où elle menaçait de lan- guir et lui imprimèrent une direction décisive et du- rable. Grâce à leurs travaux, la confusion primitive de l'anatomie et de la physiologie tendit à disparaître , et l'on commença de comprendre que la connaissance descriptive de l'organisation animale n'était pas suffi- sante pour expliquer les phénomènes qui s'y accomplis- sent. L'anatomie descriptive est à la physiologie ce qu'est la géographie à l'histoire, et de même qu'il ne suffit pas de connaître la topographie d'un pays pour en com- prendre l'histoire, de môme il ne suffit pas de connaître l'anatomie des organes pour comprendre leurs fonctions. Un vieux chirui'gicn, Méry, comparait familièrement ÉVOLUTION DE LA. PIIYSIOLOGIH. 7 les aiuitoiiiisles à ces courniissionnaires que l'on voit dans les grandes villes et qui connaissent le nom des rues et les numéros des maisons, mais ne savent pas ce qui se passe dedans. Il se passe en effet dans les tissus,, dans les organes, des phénomènes vitaux d'ordre physico- chimique dont l'anatomie ne saurait rendre compte. La découverte de la combustion respiratoire par Lavoisier a été, on peut le dire, plus féconde pour la physiologie que la plupart des découvertes anatomiques. Lavoisier etLaplace établirent celte vérité fondamentale, que les manifestations matérielles des êtres vivants ren- trent dans les lois ordinaires de la physique et de la chimie générales. Ce sont des actions chimiques (com- buslion, fermentation) qui président à la nutrition, qui produisent de la chaleur au dedans des organismes, qui entretiennent la température fixe des animaux supé- rieurs. Et à ce sujet l'anatomie ne pouvait rien nous apprendre ; elle pouvait tout au plus localiser ces ma- nifestations, mais non les expliquer. D'un autre côté, Bichat, en fondant l'anatomie géné- rale et en rapportant les phénomènes des corps vivants aux propriétés élémentaires des tissus, comme des effeis à leurs causes, vint établir la vraie base solide sur laquelle est assise la physiologie générale ; non pas que les propriétés vitales des tissus aient été considérées par Bichat comme des propriétés physico-chimiques spé- ciales qui ne laissaient plus de place aux agents mysté- rieux de l'animisme et du vitalisme; son œuvre a uni- quement consisté dans une décentralisation du principe vital. Il a localisé les phénomènes de la vie dans les 8 COURS Dlî PIlYSIOLOGin GÉNÉRALE. tissus; mais il n'est pas eiilré dans la voie de leur véri- table explication. Bichat a encore admis avec Stahl et les vitalistes l'opposition des phénomènes vitaux et des phénomènes physico-chimiques; les travaux et les découvertes de Lavoisier contenaient, ainsi que nous le verrons, la réfutation de ces idées erronées. En résumé, la physiologie a présenté deux phases successives : d'abord anatomique, elle est devenue phy- sico-chimique avec Lavoisier et Laplace. La vie était d'abord centralisée, ses manifestations considérées comme les modes d'un principe vital unique; Bichat Ta décentralisée, dispersée dans tous les tissus analo- miques. Toutefois ce n'est pas sans difficultés que les idées de cette décentralisation vitale ont pénétré dans la science. Dans ce siècle il est encore des expérimentateurs qui cherchaient le siège de la force vitale, le point où elle résidait et d'oiî elle étendait sa domination sur l'orga- nisme tout entier. Legallois expérimente pour saisir le siège de la vie, et il le place dans les centres nerveux, dans la moelle allongée. Flourens cantonne le principe vital dans un espace plus circonscrit qu'il appelle le nœud vital. D'après les idées de Bichat, au contraire, la vie est partout et nulle part en particulier. La vie n'est ni un être, ni un principe, ni une force, qui rési- derait dans une partie du corps, mais simplement le consensus général de toutes les propriétés des tissus. Après Lavoisier et Bichat, la physiologie s'est donc en quelque sorte constituée poussant deux racines puis- santes, l'une dans le terrain physico-chimique, et l'autre PHYSIOLOGIE MODEllNE. 9 dans le lermin analomiiiiie. Mais ces deux racines se développèrent séparément et isolément par les efforts des chimistes successeurs de Lavoisier, et des anatomistes continuateurs de Bichat. Je pense qu'elles doivent dé- sormais unir leur séve, alimenter un seul tronc et nourrir une science unique, la physiolos^ie nouvelle. Jusque-là la physiologie naissante manquait d'asile qui lui appartînt et demandait l'hospitalité à la fois aux chimistes et aux anatomistes. Pourtant, Magendie, poussé dans la voie physiolo- gique par les conseils de Laplace, continuait les saines traditions qu'il avait puisées dans la fréijuentation de ce célèbre savant. Il introduisait l'expérimentation dans les recherches physiologiques; il attendait d'elle seule, pour la science qu'il cultivait, les bénéfices que les sciences physiques et chimiques ont elles-mêmes retiré de cette méthode. Il y avait bien eu en France des expérimentateurs physiologistes; Petit (de Namur), Housset, Legallois, Bichat lui-môme. Mais par sa per- sévérance, en dépit de toutes les contradictions et des plus grandes difficultés, Magendie réussit à faire triom- pher la méthode qu'il préconisait. C'est à lui que revient l'honneur d'avoir exercé une infiuence décisive sur la marche de la physiologie et de l'avoir définitivement rendue ti ibutaire de l'expérimentation. Il n'est pas inutile de rappeler que, pendant que ce mouvement d'idées se produisait en Franco, les nations voisines, qui ont si bien su en profiter, n'apportaient aucun appui à cet essor. L'Allemagne sommeillait ou rêvait dans les nuages de la philosophie de la nature; iO COURS Dlî l'IIYSIOLO(;ili GÉNl'RALE. elle discutait la Icgitiinité des connaissances expérijnen- tales et se perdait dans les abstractions de la méthode a priori. L'Angleterre ne nous suivait que de loin. C'est donc de notre pays qu'est partie l'impulsion : et si le mouvement de rénovation ne s'y est point déve- loppé, tandis qu'il s'étendait en Allemagne et qu'il y portait tous ses fruits, nous pouvons au moins revendi- quer le rôle honorable d'en avoir été les initiateurs. Magendie, lui-même, n'avait à sa disposition que des moyens fort restreints. Il faisait des cours privés de phy- siologie expérimentale fondée sur les vivisections. Ce n'est qu'après 1830 que, nommé professeur de méde- cine au Collège de France, il y établit le laboratoire très-insuffisant qui y existe encore aujourd'hui et qui a été le seul laboratoire officiel qu'ait d'abord possédé la France. Cet enseignement expérimental de Magendie, à ses débuts, était d'ailleurs unique en Europe : des élèves nombreux le suivaient, et parmi eux beaucoup d'étran- gers qui s'y sont imbus des idées et des méthodes de la physiologie expérimentale. Par ses relations avec Laplace, Magendie, qui était anatomiste, se trouva engagé dans la voie de cette physiologie moderne qui tend à ramener les phéno- mènes de la vie à des explications physiques et chi- miques; aussi Magendie est-il le premier physiologiste qui ait écrit un livre sur, ks phénomènes physiques de la vie. Magendie ayant été mon maître, j'ai le droit de m'enorgueillir de ma descendance scientifique, et j'ai le devoir de chercher, dans la mesure de mes forces, à LARORATOIUF. Dlî PHYSIOLOGIE. 11 poursuivre l'œuvre à laquelle resteront attachés les noms des hommes illustres que j'ai cités. Devenu successeur de Magendie au Collège de France, j'ai lu lté comme lui contre le défaut de ressources; j'ai maintenu contre les difficultés le laboratoire de médecine du Collège de France qu'on voulait supprimer, sous ce prétexte erroné que la médecine n'était pas une science expérimentale. Malgré l'exiguïté des moyens dont je pouvais disposer, j'y ai reçu des élèves nombreux qui sont aujourd'hui professeurs de physiologie ou de mé- decine dans diverses Universités de l'Europe et du Nouveau Monde. A cette époque le laboratoire du Col- lège de France était le seul qui existât. Depuis, des in- slallalions spleudides ont été données à la physiologie et à la médecine expérimentale en Allemagne, en Russie, en Italie, en Hongrie, en Hollande, et le laboratoire du Collège de France, qui fut chez nous le berceau de la physiologie et de la médecine expérimentale n'a pas encore été l'objet de» améliorations auxquelles son passé lui donne tant de droits. En définitive la physiologie est une science devenue aujourd'hui distincte, autonome, et, pour se constituer et se développer, il faut qu'elle ait une installation à elle, séparée de celles des anatomisles et des chimistes. 11 faut, son problème particulier étant bien défini, qu'elle possède les moyens spéciaux d'en poursuivre l'étude. L'avancement de toutes les sciences se fait par deux voies distinctes : d'abord par l'impulsion des décou- vertes et des idées nouvelles; en second lieu, par la 1^2 COURS DR PHYSIOI.OGIK GIÎNit RAI.IÎ , puissance des moyens de travail et do développement scientifiques, en un mot, parla culture qui fait produire aux germes créés par le génie inventif les fruits qu'ils contiennent cachés. Au début, ainsi que nous l'avons déjà dit, lorsque la physiologie n'était qu'une dépen- dance de l'anatomie, l'ampliithéàtre de dissection était hUaboratoire conmmn à l'une et à l'autre. Avec Lavoisier et Laplace, la physique et la chimie ont pénétré dans Tétude des phénomènes de la vie, et les expérimenta- teurs ont dû fiiire usage des instruments et des appareils de la physique et de la chimie. A mesure que la science marche on sent de plus en plus la nécessité d'installa- tions particulières où scTit rassemblé l'outillage nécessaire aux expériences physiques, chimiques et aux vivisec- tions, à l'aide desquelles la physiologie pénètre dans les profondeurs de l'organisme. La méthode qui doit diriger la physiologie est la même que celle des sciences pîjysiques; c'est la méthode qui appartient à toutes les sciences expérimentales; elle est encore aujourd'hui ce qu'elle était au temps de Galilée. Finalement, la plupart des questions de science sont résolues par l'invention d'un outillage convenable : l'homme qui découvre un nouveau procédé, un nouvel instrument, fait souvent plus pour la physiologie expérimentale que le plus pro- fond philosophe ou le plus puissant esprit généralisa- teur. On a donc cherché à étendre de plus en plus la puissance des instruments de recherche. Pour obtenir ce résultat, les instituts physiologiques de l'étranger ont su s'imposer des sacrifices. L'utilité des laboraloii'es spéciaux de physiologie ne AUTONOMIlî DE L\ PHYSIOLOGIE. 13 se prouve plus par des raisonnements, elle s'établit par des faits. Elle est appréciée dans tout le monde savant, et il me suffira de faire ici l'énuméralion des établisse- ments de cette nature installés à l'étranger, où les chaires d anatomie et de physiologie, partout confondues il y a vingt ans, sont aujourd'hui partout séparées. Joh. Muellcr professait autrefois l'anatomie et la physiologie à Berlin : le régime de la dualité s'est depuis longlemps introduit et l'anatomie est actuelle- ment confiée à Reichert, la physiologie à Dubois- Reymond. A Wiirzburg, Kolliker enseignait au début l'anatomie microscopique et la physiologie; il a conservé l'anato- mie, et la physiologie a été donnée cà Ad. Fick. A Heidelberg, l'enseignement de l'anatomiste Arnold a été également scindé : Arnold resta anatomiste, et la physiologie fut confiée à l'illustre Helmholtz. Dans la petite Université de Halle, l'enseignement de Volkmann est encore resté indivis; c'est là une excep- tion qui ne tardera pas à disparaître (1). A Copenhague, la physiologie est représentée par Panum, bien connu par ses recherches sur le sang, par ses éludes d'embryogénie tératologique et par beaucoup d'autres travaux importants. L'Ecosse a suivi l'exemple du Danemark : à Edim- bourg, Bennett ne conservera au semestre prochain que sa chaire d'anatomie, la physiologie formera un enseignement séparé. (I) Aujourd'hui celle scpiiratiou est effijctuée. 14 COURS DE PIIYSIOLOGIli GÉNÉRALE. De tous côtés on se rend à l'évidence, et celle trans- formation est devenue un élément considérable de pro- grès. Dans mon rapport de 1867, j'avais insisté sur l'utilité de celte séparation, et fait voir que la France ayant élé le point de dépari de ce mouvement scienti- fique il y avait pour elle honneur et intérêt à ne pas rester en arrière. D'autre part, M. Wurtz, doyen de la Faculté de médecine, fut envoyé en Allemagne pour y visiter les laboratoires. En sa qualité de chimiste, il donna beaucoup à la chimie; son attention toutefois se porta sérieusement sur les instituts physiologiques. Il visita tour à tour l'institut d'Heidelberg que dirige Helmholtz, celui de Berlin confié à du Bois-Reymond, celui de Gœttingue oii travaillait autrefois Rodolph Wagner, et qui a aujourd'hui à sa tôte le physiologiste iMeissner. 11 ne pouvait oublier les établissements du môme genre situés à Leipzig et à Vierme, l'un placé sous la haute direction de Ludvvig, l'autre sous celle de Briicke. — L'institut physiologique de Munich, dirigé par Pet- tenkofer et Voit, attira son attention d'une manière spéciale; il put voir dans cet établissement un magni- fique appareil destiné à étudier les produits de la respiration, vaste et belle installation où l'on peut, heure par heure, jour par jour, mesurer la combustion et faire une statique exacte des phénomènes chimiques de la vie. L'Allemagne n'a pas seule marché dans cette voie; Saint-Pétersbourg possède de beaux instituts physio- logiques. — En Hollande, les villes d'Utrech et d'Am- PHYSIOLOGllî A l'ËTIUNGER. 15 slerdain ont dignement confié à Donders et à Kiihne (1) l'enseignement de la physiologie. — A Florence, à Turin, le même honneur a été réservé à Moritz Schiff (2), à Molescliolt, elc. Je mets sous vos yeux le plan d'un de ces laboratoires, c'est celui de Leipzig dirigé par Ludwig, qui est ici tracé dans le beau rapport de M. Wuriz : je veux que vous voyiez par cet exemple la richesse de ces installai ions scientifiques dont nous n'avons pas môme l'idée en France. Au sous-sol se trouvent des caves, des salles pour recherches à température constante, des appareils à distillation, une machine à vapeur qui entretient par- tout le mouvement, l'atelier d'un mécanicien attaché au laboratoire, un magasin pour les produits chimiques, un hôpital pour les chiens. — Au premier étage sont situés les laboratoires de vivisection, ceux de physique et de chimie biologique, les chambres où l'on emploie le mercure, les salles pour les microscopes, pour les études histologiques, pour le spectroscope, etc. (3). — La bibliothèque, la salle des cours, le logement du pro- fesseur, font partie du même bâtiment; joignons à cela une écurie, une volière, de nombreux aquariums, et (1) Aujourd'hui Kiihne est à Heidelberg dans h chaire occupée avant lui par Hchnhollz. (2) Schiir est actuellement à Genève. (3) il est très-important pour une bonne économie expérimentale d'avoir d>'S pièces séparées pour les expériences qui réclament une instrumentation spéciale. On évilc ainsi toutes les pertes de temps qu'exigerait une lum- vollc installation et la réunion de matériaux quelquefois très-difficiles à rassembler. Celle disposition qui n'est au fond qu'une bonne adminis- Iralion du lemps, pourrait d'ailleurs s'étendre à tous les travaux scicn- tifi(iues, 16 COURS DI' IMlYSIOLOGli; GÉNliRALE. nous aurons énuméré les parties essentielles de ce nia- cjnifique élablissement élevé à la science. Le professeur LuJwig a prononcé un discours à l'épo- que où il ouvrit son laboratoire, dans lequel il insistait sur l'ulilité des travaux pratiques d'expérimentation pour lesquels il est richement doté; du Bois-Reymond, Kiihne, Czermark, se sont tous exprimés dans le même sens, et moi-même je ne suis ici que l'écho du mouve- ment physiologique qui partout se produit (ij. Le laboratoire du physiologiste est nécessairement complexe, en raison de la complexité des phénomènes qui y sont étudiés. Il est disposé naturellement pour trois ordres de travaux différents : 1" les travaux de vivisection; 2° les travaux physico- chimiques; o° les travaux anatomo-histologiques. S'agit-il, par exemple, d'cludicr la digestion . il faudra d'abord faire uue vivisection pour établir une fistule stomacale ou pan- créatique, etc., puis procéder à une analyse chimique des sécrétions, et enfin se rendre compte de la structure intime des glandes qui sécrètent ces sucs digestifs. (I) Depuis répoque (1870-1871) à laquelle a été faite et publiée celle leçon, bc.iucoup de cliangcments sont cfl'cctucs, beaucoup de nouvelles in- slallalions physiologiques ont eu lieu. En Hongrie, on vient encore de bâtir dis laboratoires qui dépassent, dit-on, tout ce qu'on avait fait jusqu'alors. A Genève on a également de splendides instituts. La France seule, qui a eu cependant l'initiative dans cette science qui sera l'honneur du xii« siècle, reste attardée; quoique des améliorations aient clé introduites, elles sont encore bien insuffisantes. Nous ne voulons pas dire que la physiologie frau- çaisc ait décline pour cela; elle tient toujours sa place honorable dans le monde savant. S'il est utile d'avoir de grands cl beaux laboratoires, cela ne suffit pas pour faire de grandes découvertes; il faut encore fonder une saine critique physiologique, suivre une bonne mélhode, avoir de bons prin- cipes. 11 faut, en un mot, un bon instrument et un habile ouvrier. CRITIQUE EXPÉRIMENTALE. 17 11 laut, en un mot, descendre dans les profondeurs de rorganisme par une analyse de plus en plus intime, et arriver aux conditions organiques élémentaires dont la connaissance nous explique le mécanisme réel des phé- nomènes vitaux. Porter l'investigation physiologique et physico-chimi- que dans le corps vivant jusque dans ses particules les plus ténues, jusque dans ses replis les plus cachés^ tel est le problème que nous avons à résoudre. Vous voyez les difBcultés expérimentales qui se dressent devant nous et vous comprenez l'importance des procédés opératoires, l'utilité de l'outillage, la nécessité du laboratoire en un mot, dans cet ordre de recherches. La seule voie pour arriver à la vérité dans la science physiologique est la voie expérimentale; si nous ne pou- vons y avancer que lentement, nous ne devons pas nous décourager malgré les obstacles et les difficultés, nous rappelant toujours ces paroles de Bacon : « Un boiteux marche plus vite dans la bonne voie qu'un habile coureur dans la mauvaise. » Après avoir insisté sur la nécessité d'être convenable- ment installé pour suivre en physiologie la méthode ex- périmentale, nous devons terminer par une remarque générale. Grâce aux moyens nouveaux d'étude et aux progrès mômes de l'expérimentation, les recherches se sont infi- niment multipliées depuis quelques années ; aujourd'hui il importe moins d'augmenter le nombre des expériences physiologiques que de les réduire à une petite quantité d'épreuves décisives. Cl,. IIKHXAIIU. 2 18 COURS DE l'UYSlOLOGlE GÉNÉUALIi. La science des êtres vivants a trouvé sa voie; elle est définitivement expérimentale; c'est là un progrès consi- dérable : il s'agit de compléter la méthode, de lui donner toute la fécondité qui est en elle, de lui faire porter tous ses fruits en en réglant l'application. Cela ne peut se faire qu'en soumettant l'expérimentation à une discipline rigoureuse. Cette nécessité sera comprise par tous ceux qui sui- vent dans sa marche quotidienne le développement de la physiologie. Le terrain est déjà encombré d'une mul- titude de recherches qui prouvent souvent plus de zèle que do véritable intelligence de la méthode expérimen- tale. Il est urgent que la critique s'exerce sur ces maté- riaux incohérents et les ramène aux conditions d'exacti- tude que comportent les expériences physiologiques. Les éludes des phénomènes de la vie sont soumises à do grandes difficultés. 11 faut que le physiologiste puisse apprécier toutes les conditions d'une expérience afin de savoir s'il les réalise toutes et de dicerner celles qui ont varié d'une expérience à l'autre. Lorsque les conditions expérimentales sont identiques, en physiologie, comme en physique ou eu chimie, le résultat est univoque : si le résultat est différent, c'est que quelque condition a changé. Ce n'est donc point l'exactitude qui est moindre dans les phénomènes de la vie comparés aux phénomènes des corps bruts; ce sont les conditions expérimentales qui sont plus nombreuses, plus délicates, plus difficiles à connaître ou à maintenir. Ce nY'st pas la vie ou l'influence de quelque agent capricieux qui intervient : c'est la complexité seule des ClllTIQUIi: EXl'ÉUlMIiNTALE. 19 phénonièiios qui les rend plus difficiles à saisir et à préciser. Les principes de l'expérimentation appliquée aux êtres vivants ne pourront êli"e dévoilés que par de longues études el un travail opiniâtre. Pour aborder les difficultés do la critique expérimentale et arriver à connaître toutes les conditions d'un phénomène physio- logique, il faut avoir tâtonné longtemps, avoir été trompé mille et mille fois, avoir, en un mot, vieill dans la pratique expérimentale. LEÇONS SUR LES PHÉNOMÈNES DE LA VIE DANS LES ANIMAUX ET DANS LES VÉGÉTAUX PREMIÈRE LEÇON Sommaire : I. Définitions clans les sciences; Pascal. Les définitions de la vie : Aristote, Kant, Lordat, Elirard, Richerand, Tréviranus, Herbert Spencer, Bicliat. La uia et la mort sont deux étals qu'on ne comprend que par leur opposition. — Définition du \ Encyclopédie. — On peut caractériser la vie mais non la définir. — Caractères généraux de la vie : organisation, génération, nutrition, évolution, caducité, maladie, mort. — Essais de définitions tirées de ces caractères. — Dugcs, Béclard, Dczeimeris, Lamark, Rostan, de Blainville, Cuvier, Flourens, Tiedemann. — Le ca- ractère essentiel de la vie est la création organique. II. Hypothèses sur la vie : hypothèses spiritualiste et matérialiste; Pytlia- gorc, Platon, Aristote, Hippocrate, Paracelse, Van Helmont, Stahl ; Dcmocrite, Épicure; Descartes, Leibnilz, — École de Montpellier. — Bichat, etc. — Nous repoussons également hors de la physiologie les hypo- thèses matérialistes et spiritualistes, parce qu'elles sont insuffisantes et étrangères à la science expérimentale. — L'observation et l'expcrieiice nous apprennent que les manifestations de la vie ne sont l'œuvre ni de la matière ni d'une force indépendante; qu'elles résultent du conflit nécessaire entre des conditions oi'ganiques préétablies et des conditions physico-chimiques déterminées. — Nous ne pouvons saisir et connaître que les conditions matérielles de ce conflit, c'est-à-dire le déterminisme des manifestations vitales. — Le déterminisme physiologique contient le problème de la science de la vie; il nous permettra de maîtriser les phénomènes de la vie, comme nous maîtrisons les piiénomèncs des corps bruts dont les conditions nous sont connues. III. Du déterminisme en physiologie. — Il est absolu en physiologie comme dans toutes les sciences expérimentales. — On a voulu à tort exclure le déterminisme de la science de la vie. — Distinction du déterminisme l)hilo50phi(iue et du déterminisme physiologique. — HéponscF aux oltjcc- 22 LRÇONS SUR l.RS Plllt MOMKNKS DK I.A VIK. lions philosophiques; le déterminisme physiologique est une condition indispensahle de la liberté morale au lieu d'en être la négation. — Séparation nécessaire des questions physiologiques et des questions phi- losophiques ou théologiques. — Il n'y a pas de conciliation possible entre ces divers problèmes; ils dérivent de besoins différents de l'esprit et se résolvent par des méthodes opposées. — Les uns et les autres ne peuvent rien gagner à être rapprochéss 1. La physiologie étant la science des phénomènes de la vie, on a pensé que cotte définition en impli- quait une autre, celle de la vie elle-même. C'est pour- quoi l'on trouve dans les ouvrages des physiologistes de tous les temps un grand nombre de définitions de la vie. Devons-nous les imiter et croirons-nous nécessaire de débuter dans nos études par une entreprise de ce genre? Oui, nous commencerons comme eux, mais dans le but bien difFérent de prouver que la tentative est chimérique, étrangère et inutile à la science. Pascal, dans ses réflexions sur la géométrie, parlant de la méthode scientifique par excellence, dit qu'elle exigerait de n'employer aucun terme dont on n'eût préalablement expliqué nettement le sens : elle consis- terait à tout définir et à tout prouver. Mais il fait immédiatement remarquer que cela est impossible. Les vraies définitions ne sont en réalité, dit-il, que des définitions de noms^ c'est-à-dire l'imposi- tion d'un nom à des objets créés par l'esprit dans le but d'abréger le discours. Il n'y a pas de définition de choses que l'esprit n'a pas créées, et qu'il n'enferme pas tout entières; il n'y a pas, en un mot, de définition des choses 7int((rcllcs. Lorsque DÉFINITIONS DANS LlîS SCIENCES. ^,1 Platon, dit Pascal, définit \ homme: « un animal à deux jambes, sans plumes » , loin de nous en donner une connaissance plus claire qu'auparavant, il nous en four- nit une idée inutile et même ridicule, puisque, ajoute- t-il, «un homme ne perd pas l'humanité en perdant les deux jambes, et un chapon ne l'acquiert pas en perdant ses plumes » . La géométrie peut définir les objets de son étude, parce qu'ils sont une pure création de l'entendement : la définition est alors une convention que l'esprit est libre d'établir. Quand on définit le nombre pair : « un nombre divisible par deux » , on donne une définition géométrique selon Pascal, parce qu'on emploie un nom que l'on destitue de tout autre sens, s'il en a, pour lui donner celui de la chose désignée. On procède de même en philosophie, parce que l'on y traite surtout des conceptions de l'intelligence; et encore là y a-t-il des termes primitifs que l'on ne peut définir. La même chose arrive d'ailleurs en géométrie, oii les notions primitives cVespace, de temps^ de ?noiwement et autres semblables, ne sont pas définies. On les emploie sans confusion dans le discours, parce que les hommes en ont une intelligence suffisante et une idée assez claire pour ne pas se tromper sur la chose désignée, si obscure que puisse être l'idée de cette chose considérée dans son essence. Cela vient, dit encore Pascal, de ce que la na- ture a donné à tous les hommes les mômes idées primi- tives sur ces choses primitives. C'est ce que rappelait spirituellement le célèbre mathématicien Poinsot : « Si » quelqu'un me demandait de définir le temps, je lui 24 LEÇOXS SUR LKS PHÉNOMHNl'S DE LA VIE. » répondrais : « Savcz-vous do quoi vous parlez? » S'il » me disait : « Oui. — Eh bien, parlons-en. » S'il me » disait : « Non. — Eh bien, parlons d'autre chose. » Quand on veut définir ces notions primitives, on ne peut jamais les éclairer par rien de plus simple; on est toujours obligé d'introduire dans la définition le mot môme k définir. Le temps est une succession , disait Laplacc. Mais qu'est-ce qu'une succession, si l'on n'a déjà l'idée de temps? Ces définitions ue rap- pellent-elles pas colle dont se moquait Pascal : « La » lumière est un mouvement luminaire des corps » lumineux ? » On ne saurait rien définir dans les sciences de la nature; toute tentative de définition ne traduit qu'une simple hypothèse. On ne connaît les objets que successi- vement, sous des points de vue ditïérenls et divers; ce n'est pas au commencement de ces sciences que l'on en possède une connaissance intégrale et complète, telle qu'une définition la suppose; c'est à la fin, et comme terme idéal et inaccessible de l'étude. La méthode qui consiste à définir et à tout déduire d'une définition peut convenir aux sciences de l'esprit, mais elle est contraire à l'esprit même des sciences expérimentales. C'est pourquoi il n'y a pas à définir la vie en physio- logie. Lorsque l'on parle de la vie, on se comprend à ce sujet sans difficulté, et c'est assez pour justifier l'emploi du terme d'une manière exempte d'équivoques. Il suffit que l'on s'entende sur le mot vie, pour l'em- ployer; mais il faut surtout que nous sachions qu'il est DÉFINITIONS DE LA YIE. 25 illusoire et chimérique, contraire à l'esprit môme de la science, d'en chercher une définition absolue. Nous devons nous préoccuper seulement d'en fixer les carac- tères en les rangeant dans leur ordre naturel de subor- dination. Il importe aujourd'hui de nettement dégager la phy- siologie générale des illusions qui l'ont pendant long- temps agitée. Elle est une science expérimentale et n'a pas à donner des définitions a priori. Si, après ces préliminaires, nous rappelons néanmoins les principaux essais de définition de la vie, donnés à diverses époques, ce sera pour en montrer l'insuffisance ou l'erreur. Celte étude aura d'ailleurs pour nous un autre intérêt; elle nous aidera à chercher, par l'analyse de tous ces efforts de l'esprit, la meilleure conception que nous puissions avoir aujourd'hui des phénomènes de là vie. Arisiote dit : « La vie est la nutrition, l'accroissement » et le dépérissement, ayant pour cause un principe qui » a sa fin en soi, l'enléléchie. » Or, c'est ce principe qu'il faudrait saisir et connaître. Burdach rappelle que pour philosophie de l'absolu : « La vie est l'âme du monde, l'équation de l'univers. » Il dit encore que « dans la vie la matière n'est que l'accident, tandis que l'activité est sa substance » . Nous né nous arrêterons pas à des considérations si transcen- denlales qui n'ont rien de tangible pour le physiologiste. Kant a défini la vie « un principe intérieur d'action» . Dans son appendice sur la téléologie, ou science des causes finales, il dit : L organisme est un tout résultant 2() LKÇONS SUR Li:s Plll-ilVOIVlÈNlîS 1)1-1 I.A VIIÎ. d'une intelligence calculatrice qui réside dans son inté- rieur. Celte définition, qui rappelle celle d'Hippocratc, a été acceptée, sous une forme plus ou moins modifiée, par un grand nombre de physiologistes. Mais la raison qui l'a fait adopter n'est précisément au fond, ainsi que nous le verrons plus loin, que spécieuse ou apparente. Le principe d'action des corps vivants n'est pas intérieur : on ne saurait le séparer, l'isoler des conditions atmosphé- riques ou cosmiques extérieures, et il n'y a aucun phé- nomène que l'on puisse lui attribuer exclusivement. La spontanéité des manifestations vitales n'est qu'une fausse apparence bientôt démentie par l'étude des faits. 11 y a constamment des agents extérieurs, des stimulants étran- gers qui viennent provoquer la manifestation des pro- priétés d'une matière toujours également inerte par elle-même. Chez les Aires supérieurs, ces stimulants résident à la vérité dans ce que nous appelons un ?7iilieu intérieur; mais ce milieu, quoique profondément situé, est encore extérieur tà la partie élémentaire organisée, qui est la seule partie réellement vivante. Lordat admet un principe vital quand il dit : « La » vie est l'alliance temporaire du sens intime et de » l'agrégat matériel, cimentée par une evopixov ou cause » de mouvement qui nous est inconnue. » Trévircmus a eu en vue, comme Kant, l'indépen- dance apparente des manifestations vitales d'avec les conditions extérieures : « La vie est, pour lui, l'unifor- » mité constante des phénomènes sous la diversité des )) inHuences extérieures. » DÉFINITIONS m lA VIK. 27 3ïniler paraît adinollre une sorte de principe vital. Il y a, selon lui, deux choses dans le germe, la matière du germe, plus le principe vital. £'/irarfl? considère la vie comme un principe moteur : « la faculté du mouvement destinée au service de ce qui » est mû » . Richerand reconnaît implicitement l'existence d'un principe vital comme cause d'une succession limitée de phénomènes dans les êtres vivants : « La vie, dit-il, est » une collection de phénomènes qui se succèdent pen- » dant un temps limité dans les corps organisés. » Herbert Spencer a proposé plus récemment une défi- nition de la vie, que j'ai citée dans un article de la Revue des Deux-Mondes (t. IX, i875) d'une manière qui a provoqué les réclamations du philosophe anglais. A la page 709 de la traduction française de ses Principes de psychologie^ nous avons lu cette phrase : « Donc, sous sa forme dernière, nous énoncerons » comme étant notre définition de la vie, la combinaison » définie de changements hétérogènes à la fois simultanés » et successifs . » Cette définition que j'avais reproduite intégralement doit être complétée, à ce qu'il paraît, par l'addition de ces mots : en correspondance avec des coexistences et des séquences externes. D'après le traducteur d'Herhert Spencer, M. Gazelles, (jui a exprimé cette critique {Revue scientifique, n° 33, février 1876), la pensée du philosophe serait défigurée sans l'afljonclion du second m(;ml)re de phrase. La définition est ainsi faite en plusieurs temps, par degrés ^8 I.I'IÇONS SUR LUS PHIÎIVOMKNF.S DE I,A VI K. successifs, et cette façon de procéder, qui n'est pas hubi- tuelle, est bien capable d'égarer le lecteur. En résumé, ajoute le traducteur, le trait essentiel par lequel M. Herbert Spencer veut définir la vie, c'est l'accommodation continue des relations internes aux re- lations externes. Bichat nous propose une idée plus physiologiciue et plus saisissable. Sa définition de la vie a eu un grand retentissement : La vie est Fensemble des fonctions )) qui résistent à la mort. » La définition de Bichat comprend deux termes qui s'opposent l'un k l'autre : la vie., la mort. Il est impos- sible, en effet, de séparer ces deux idées; ce qui est vivant mourra, ce qui est mort a vécu. Mais Bichat a voulu être plus clair: il est descendu plus avant dans le problème et il y a rencontré l'erreur. Il a fait en quelque sorte de la vie et de la mort deux ôtres, deux principes continuellement présents et luttant dans l'organisme. Il a beau répudier principe vital, en tant que principe unique : il nous en donne l'équi- valent dans ses propriétés vitales. Ces principes vitaux subalternes, ces propriétés vitales, sont les agents do la vie ; au contraire, les propriété physiques qui les combattent sont pour ainsi dire les agents do la mort. Tous les contemporains de Bichat ont partagé sa façon de voir et paraphrasé sa formule. Un chirurgien de l'École de Paris, Pelletan, enseigne que la vie est la résistance opposée par la matière organisée aux causes qui tendent sans cesse à la détruire. Cuvier lui-même développe, dans un passage souvent cité, cette pensée IJliFINlTIONS DE LA VIli. 59 que la vio est une force qui résiste aux lois qui régissent la maliôre brute : la mort est la défaite de ce principe de résistance, et le cadavre n'est autre chose que le corps vivant retombé sous l'empire des forces physiques. Ainsi, non-seulement les propriétés physiques, suivant Bichat, sont étrangères aux manifestations vitales et doivent être négligées dans l'étude, mais il y a plus, elles leur sont opposées. Ces idées d'antagonisme entre les forces extérieures Générales et les forces intérieures ou vitales avaient déjà été exprimées par Stahl dans un langage obscur et presque barbare : exposées par Bichat avec une lumi- neuse netteté, elles séduisirent et entraînèrent tous les esprits. La science, il faut le dire, a condamné cette défini- tion, d'après laquelle il y aurait deux espèces de pro- priétés dans les corps vivants : les propriétés physiques et les propriétés vitales, constamment en lutte et tendant à prédominer les unes sur les autres. En effet, il résul- terait logiquement de cet antagonisme, que plus les propriétés vitales ont d'empire dans un organisme, plus les propriétés physico-chimiques y devraient être atténuées, et réciproquement que les propriétés vitales devraient se montrer d'autant plus afïiiiblies que les propriétés physiques acquerraient plus de puissance. Or, c'est l'inverse qui est vrai : les découvertes de la physique et de la chimie biologique ont établi au heu de cet antagonisme un accord intime, une harmonie parfaite entre l'activité vitale el l'intensité de phéno- mènes physico-chimiques. 30 Ll'ÇONS SUU LES l'UÉNOMÈNIîS Ul£ L\ ME. Eli somme, la conceplioii do Bichat renferme deux idées : la première établissant une relation nécessaire entre la vie et la mort; la seconde admettant une oppo- sition entre les phénomènes vitaux et les phénomènes physico-chimiques. La dernière partie est une erreur. Quant à la première, elle avait été exprimée déjà plus simplement sous une forme qui en fait presque une naï- veté dans la définition de X Encyclopédie : « La vie est le » contraire de la mort. » C'est qu'en effet nous ne distinguons la vie que par la mort et inversement. En comparant le corps vivant au même corps à l'état de cadavre, nous apercevons qu'il a disparu quoique chose que nous appelons la vie. Les citations que nous avons faites précédemment nous montrent une grande variété apparente dans les définitions de la vie; elles présentent toutes cependant un fond commun qui constitue précisément leur défaut. Presque tous les auteurs ont admis implicitement ou explicitement que les manifestations de la vie ont pour cause un principe qui leui' donne naissance et les dirige. Or, admettre que la vie dérive d'un principe vital, c'est définir la vie par la vie; c'est introduire le défini dans la définition. H est vrai que d'autres physiologistes ont admis, sans en donner de meilleures définitions, que la vie, au lieu d'être un principe recteur immatériel, n'est ({n une ré- sultante de l'activité de la matière organisée. C'est ainsi que pour Béclard: la vie est l'organisation en action. DÉFINITIONS Dlî LA Vlli. 31 Pour Dugès : la vie est l'activité spéciale des ôtrcs organisés. Pour Dezeimeris : la vie est la manière d'être des coi'ps organisés. Pour Lamarck : la vie est un état de choses qui permet le mouvement organique sous l'influence des excitants. Cet état de choses, c'est évidemment l'organisation, avec la condition de la sensibilité. Rostan, qui avait placé dans l'organisation la caracté- ristique de la vie et formulé l'organicisme, s'exprime dans les termes suivants : «Le créateur ne communique pas une force qu'il » ajoute à l'être organisé, ayant mis dans cet être avec » l'organisation la disposition moléculaire apte à la dé- » velopper. C'est l'horloger qui a construit l'horloge, » et en la montant lui a donné le pouvoir de parcourir » les phases successives, de marquer les heures, les » minutes, les secondes, les époques de la lune, les » mois de l'année, tout cela pendant un temps plus ou » moins long; mais ce pouvoir n'est autre que celui » qui résulte de sa structure; ce n'est pas une propriété »à part, une qualité surajoutée; c'est la machine » montée. » La vie c'est la machine montée : les propriétés déri- vent de la structure des organes. Tel est Corganicisme. Toutefois cette conception a quelque chose de vague : la structure n'est pas une propriété physico-chimique, ni une force qui puisse être la cause de rien par elle- même, car elle supposerait luie cause à son tour. 32 LI'ÇONS SUR LES PIll'NOMÈNKS Dlî LA Vlli. En définitive, toutes les vues a priori sur la vie, soit qu'on la considère comme un principe ou comme un résultat, n'ont fourni que des définitions insuffisantes, et cela devait être, puisque les phénomènes de la vie ne peuvent être connus qu'a posteriori, comme tous les phénomènes de la nature. La méthode a priori est ainsi frappée de stérilité, et ce serait temps perdu que de continuer à chercher le progrès de la science physiologique dans cette voie. Renonçant donc à déflnir l'indéfinissable, nous essaye- rons simplement de caractériser les êtres vivants par rapport aux corps bruts. Cette façon de comprendre le problème nous conduira à des formules qui exprime- ront des faits et non plus seulement des idées ou des hypothèses. Ce n'est pas que nous rejetions les hypothèses de la science; elles n'en sont dans tous les cas que les écha- faudages; la science se constitue par les faits; mais elle marche et s'édifie à l'aide des hypothèses. Examinons maintenant quels sont les caractères généraux des êtres vivants. On peut les ramener à cinq, savoir : L'organisation; La génération ; La nutrition : L'évolution ; La caducité, la maladie, la mort. A. L'organisation résulte d'un mélange de substances complexes réagissant les unes sur les autres. C'est pour CARACTÈRES DE LA VIE. 33 nous, rarraiigemeiit qui donne naissance aux propriétés immanentes de la matière vivante, arrangement qui est spécial et très-complexe, mais qui n'en obéit pas moins aux lois chimiques générales du groupement de la ma- tière. Les propriétés vitales, ne sont en réalité que les propriétés physico-chimiques de la matière organisée. B. La faculté de se reproduire ou la génération^ c'est- à-dire l'acte par lequel les êtres proviennent les uns des autres, les caractérise d'une manière à peu près ab- solue. Tout être vient de parents et à un certain moment il est capable d'être parent à son tour, c'est-à-dire de donner origine à d'autres êtres. C. dévolution est peut-être le trait le plus remar- quable des êtres vivants et par conséquent de la vie. L'être vivant apparaît, s'accroît, décline et meurt. Il est en voie de changement continuel : il est sujet à la mort. Il sort d'un germe, d'un œuf ou d'une graine, acquiert par des différencialions successives un certain degré de développemeni, il forme des organes, les uns passagers et transitoires, les autres ayant la même durée ([ue lui-même, puis il se détruit. L'être brut, minéral est immuable et incorruptible tant que les conditions extérieures ne changent point. Ce caractère d'évolution déterminée, de commence- ment et de fin, de marche continuelle dans une direc- tion dont le ternie est fixé, appartient en propre aux êtres vivants. A la vérité, les astronomes acceptent aujourd'hui CL. BEIINAUD. 3 34 LEÇONS SUR LES PHÉNOMÈNES DE LA VFE. l'idée d'une mobilité et d'une évolution continuelle du monde sidéral. Mais il y a dans cette évolution possible des corps sidéraux, comparée à l'évolution rapide des corps vivants, une différence de degré qui, au point de vue pratique, suffit à les distinguer. Relativement à nous, le monde, les astres n'ofTrent que des change- ments insensibles: les êtres vivants, au contraire, une évolution saisissable. La mort est également une nécessité à laquelle est fatalement soumis l'individu vivant, qui fait retour par là au monde minéral. 11 est sujet, en outre, à la maladie, et capable de rétablissement. Les philosophes médecins et naturalistes ont été frappés vivement de cette ten- dance de Vôtre organisé à se rétablir dans sa forme, à réparer ses mutilations, à cicatriser ses blessures, et à prouver ainsi son unité, son individualité morpho- logique. Cette tendance à réaliser et à réparer une sorte de plan architectural individuel ferait de l'être organisé, suivant certains physiologistes, un tout harmonique, une sorte de petit monde dans le grand; ce serait là un caractère exclusif aux corps doués de vie. « Les » corps inorganiques, dit Tiedemann, n'offrent abso- » lument aucun phénomène que l'on puisse considérer » comme effet de la régénération ou de la guérison. » Nul cristal ne reproduit les parties qu'il a perdues, » nul ne répare les solutions survenues dans sa con- » tinuité, nul ne revient de lui-même à son état » d'intégrité. » Cela n'est pas exact; les cristaux, comme les êlres CARÂCTÈRliS DE LA VIE. 35 ^vivantsontleurs formes, leur plan particulier, et lorsque lies actions perlurbatrices du milieu ambiant les en écar- ttenl, ils sont capables de les rétablir par une véritable icicainsation ou rédintégration cristalline. M. Pasteur a vu «que lorsqu'un cristal a été brisé sur l'une quelconque de 1» ses parties et qu'on le replace dans son eau mère, on )» voit, en même temps que le cristal s'agrandit dans tous ). les sens par un dépôt de particules ci'istallines, un : » travail très-actif avoir lieu sur la partie brisée ou défor- » mée; et en quelques heures il a satisfait, non-seule- » ment à la régularité du travail général sur toutes les » parties du cristal, mais au rétablissement de la régn- » larilé dans la partie mutilée... » De sorte que la force physique qui range les particules cristallines suivant les lois d'une savante géométrie, a des résultats analogues à celle qui range la substance organisée sous la forme d'un animal ou d'une plante. Ce caractère n'est donc pas aussi absolu que le croyait Tiedemann : toutefois, il a, tout au moins, un degré d'intensité et d'énergie qui spécialise l'être vivant. D'autre part, comme nous l'avons dit, il n'y a pas dans le cristal l'évolution qui caractérise l'animal ou la plante. D. Enfin, la nutrition a été considérée comme le trait (listiiictif, essentiel, de Fêlre vivant; comme la plus con- stante et la plus universelle de ses manifestations, celle par conséquent qui doit et peut suffire par elle seule à caractériser la vie. La nutrition est la continuelle mutation des particules qui constituent l'être vivant. L'édifice organique est le 3(3 LEÇONS SUR LES PUliNOMÈNES DE LA VIE. siège d'un perpétuel mouvement nutritif qui ne laisse de repos à aucune partie; chacune, sans cesse ni trêve, s'alimente dans le milieu qui l'entoure et y rejette ses déchets et ses produits. Celte rénovation moléculaire est insaisissable pour le regard; mais, comme nous en voyons le début et la fin, l'entrée et la sortie des sub- stances, nous en concevons les phases iiilermédiaires, et nous nous représentons un courant de matière qui traverse incessamment l'organisme et le renouvelle dans sa substance en le maintenant dans sa forme. L'universalité d'un tel phénomène chez la plante et chez l'animal et dans toutes leurs parties, sa constance, qui ne souffre pas d'arrêt, en font un signe général de la vie, que quelques physiologistes ont employé à sa définition. C'est ainsi que de Blainville a dit : « La vie est un double mouvement interne de compotii- ï- tion et de décomposition à la fois (jénéral et co?iti?m. » Cuvier s'exprime de la même manière : « L'être vivant, dit-il, est un tourbillon ù direction » constante dans lequel la matière est moins essentielle w que la forme. » Flourens a paraphrasé cette idée du tourbillon vital ou du circulus matériel, en disant : « La vie est une forme servie par la matière. » Enfin, Tiedemann, en admettant également le double mouvement de composition et de décomposition des êtres vivants, le rattache à un principe vital qui le gouverne. « Les corps vivants, dit-il, ont en eux leur principe » d action qui les empêche de tomber jamais en indi/fé- CARACTÈRES DE LA VIE. 37 •s> rcme chimique. y> La définition tirée de ce caractère mérite de nous arrêter un instant. Nous avons déjcà dit que les manifestations de la vie ne pouvaient êti'e considérées comme régies directement par un principe vital intérieur. L'activité des animaux et des plantes est cerlainement sous la dépendance des conditions extérieures. Cela est bien visible chez les végétaux et chez les animaux à sang froid qui s'en- gourdissent dans l'hiver et se réveillent pendant les cha- leurs de l'été. Nous verrons plus tard que si l'homme et les animaux à sang chaud paraissent hbres dans leurs actes, et indépendants des variations du milieu cosmi- que, cela tient à ce qu'il existe chez eux un mécanisme complexe qui entretient autour des particules vivantes, fibres et cellules, un milieu en réalité invariable, le sang, toujours également chaud et semblablement con- stitué. Ils sont indépendants du milieu extérieur parce que, grâce à cet artifice, le milieu intérieur ne change pas autour de leurs éléments actifs et vivants. En réalité il y a toujours chez l'être vivant, des agents extérieurs, des stimulants étrangers, extra-cellulaires, qui viennent provoquer la manifestation des propriétés d'une matière toujours également inactive et inerte par elle-même. Si un principe intérieur existait et était indépendant, pourquoi la vie serait-elle plus énergique l'été que l'hi- ver chez certains êtres vivants, plus vigoureuse en pré- sence de l'oxygène qu'en son absence, plus active en présence de l'eau qu'après dessiccation? Il n'est pas exact de dire, d'un autre côté, que les corps vivants sont incapables de tomber on état d'indif- 38 LEÇONS SUR LES PHÉNOMÈNES DE LA VIE. férence chimique. A la vérité, quel que soit dans les circonstances ordinaires l'engourdissement dans lequel soit plongé le végétal ou l'animal à sang froid, la vie n'a pas cessé en lui, l'organisme n'est pas tombé dans l'inertie absolue, dans l'étal réel d'indifférence chimi- que. Mais, nous prouverons que, ce cas est réalisé dans l'être en état de vie latente. Voici une graine; elle est inerte comme un corps minéral. Dans certaines condi- tions, sa constitution reste invariable et elle restera ainsi pendant des mois, des siècles. Vit-elle? Non, d'après la définition de Tiedemann, puisque cette graine est en complète indifférence chimique. Et cependant, qu'on lui fournisse les conditions extérieures de la germina- tion, la chaleur, l'humidité, l'air, et elle va germer et développer une plante nouvelle. Nous vous montrerons qu'il en est de même des animaux ressuscitants ou reviviscents, des rotifères et des anguillules, qui peu- vent revivre après avoir été plongés, pendant un temps théoriquement indétini, dans la plus complète inertie. Que conclure de là^ sinon que les phénomènes vitaux ne sont point les manifestations de Tactivité d'un prin- cipe vital intérieur, libre et indépendant. On ne peut saisir ce principe intérieur, l'isoler, agir sur lui. On voit au contraire les actes vitaux avoir constamment pour condition des circonstances physico-chimiques externes, parfaitement déterminées et capables ou d'empêcher ou de permettre leur apparition. En résumé le tourbillon vital n'est pas la manifestation unique d'un quid intùs, ni le seul effet de Conditions CABACTÈRES DE LA VIE. 39 physico-chimiques extérieures. La vie ne saurait en conséiiuence être caractérisée exclusivement par une conception vitaHste ou matérialiste. Les tentatives qu'on a faites à ce sujet de tout temps sont illusoires et n'ont pu aboutir qu'à l'erreur. Devons- nous rester sur cette négation ? Non. Une critique négative n'est pas une conclusion. 11 faut nous former à notre tour une idée, chercher un caractère, dont la valeur, bien qu'elle ne soit pas absolue, soit capable de nous éclairer dans noire roule sans jamais nous tromper. Les caractères que nous avons précédemment rap- pelés correspondent à des réalités; ils sont bons, utiles à connaître. Je dirai de mon côté la conception à laquelle m'a conduit mon expérience. Je considère qu'il y a nécessairement dans l'être vivant deux ordres de phénomènes : 1° Les phénomènes de création vitale ou de synthèse organisatrice ; 2° Les phénomènes de mort ou de destruction orga- nique. Il est nécessaire de nous expliquer en quelques mots surla signification que nous donnons à ces expressions création et destruction organiques. Si, au point de vue de la matière inorganique, on admet avec raison que rien ne se perd et que rien ne se crée; au point de vue de l'organisme, il n'en est pas de même. Chez un être vivant, tout se crée mor- phologiquement, s'organise et tout meurt, se détruit. Dans l'œuf en développement, les muscles, les os^ les 40 r.EÇONS SUR LES PHÉNOMÈNES DE LA VIE. nerfs apparaissent et prennent leur place en répétant une forme antérieure d'où l'œuf est sorti. La matière am- biante s'assimile aux tissus, soit comme principe nutritif, soit comme élément essentiel. L'organe est créé, il l'est au point de vue de sa structure, de sa forme, des pro- priétés qu'il manifeste. D'autre part, les organes se détruisent, se désorgani- sent à chaque moment et par leur jeu même ; cette désorganisation constitue la seconde phase du grand acte vital. Le premier de ces deux ordres de phénomènes est seul sans analogues directs; il est particulier, spécial à l'être vivant : cette synthèse évolutive est ce qu'il y a de véritablement vital. — Je rappellerai à ce sujet la formule que j'ai ex[)rimée dès longtemps : « La vie, cest la création » (1 ) . Le second, au contraire, la destruction vitale, est, d'ordre physico-chimique, le plus souvent le résultat d'une combustion, d'une fermentation, d'une putréfac- tion, d'une action, en un mot, comparable à un e^rand nombre de faits chimiques de décomposition ou de dé- doublement. Ce sont les véritables phénomènes de mort quand ils s'appliquent à l'être organisé. Et, chose digne de remarque, nous sommes ici vic- times d'une illusion habituelle, et quand nous voulons désigner les phénomènes de la vie, nous indiquons en réalité des phénomènes de mort. Nous ne sommes pas frappi'îs par les phénomènes de (1) Voyez Introduction à l'élude de In médecine expérimentale, p. 161. 1865, CBÉATION ET DESTRUTION ORGANIQUES. 41 la vie. La synthèse organisatrice reste intérieure, silen- cieuse, cachée dans son expression phénoménale, rassemblant sans bruit les matériaux qui seront dépensés. Nous ne voyons point directement ces phénomènes d'or- ganisation. Seul rhistologiste, l'embryogéniste, ensui- vant le développement de l'élément ou de l'être vivant, saisit des changements, des phases qui lui révèlent ce travail sourd : c'est ici un dépôt de matière; là, une formation d'enveloppe ou de noyau ; là, une division ou une multiplication, une rénovation. Au contraire, les phénomènes de destruction ou de mort vitale sont ceux qui nous sautent aux yeux, et par lesquels nous sommes amenés à caractériser la vie. Les signes en sont évidents, éclatants : quand le mouvement se produit, qu'un muscle se contracte, quand la volonté etla sensibilité se manifestent, quand la pensée s'exerce, quand la glande sécrète, la substance du muscle, des nerfs, du cerveau, du tissu glandulaire se désorganise, se détruit et se consume. De sorte que toute manifesta- tion d'un phénomène dans l'être vivant est nécessaire- ment liée à une destruction organique; et c'est ce que j'ai voulu exprimer lorsque, sous une forme paradoxale, j'ai dit ailleurs {lievue des Deux-Mondes^ t. IX, 1875) : la vie cesi la mort. L'existence de tous les êtres, animaux ou végétaux, se maintient par ces deux ordres d'actes nécessaires et inséparables i V organisation et la désorganisation. Notre science devra tendre, comme but pratique, à fixer les conditions et les circonstances de ces deux ordres de phénomènes. 42 LIÎÇONS SUR LES PHÉNOMÈNliS DE LA VIE. Celte division des manifestalions vitides que nous avons adoptée est, selon nous, l'expression même de la réalité; c'est le résultat de l'observation des phéno- mènes. A cet avantage d'être une vérité de fait, elle joint celui non moins appréciable d'être utile à l'intelli- gence des phénomènes, d'être profitable à l'étude, de projeter une vive clarté dans l'appréciation des modalités de la vie. C'est ce que nous nous efforcerons de démon- trer dans la suite de notre cours; ce sera Icà notre pro- gramme. Nous sommes ainsi arrivé, croyons-nous, aux deux faits généraux les plus caraclérisliques des êtres vivants; mais cela ne suffit pas, l'esprit a besoin de sortir du fait : il se sent entraîné au delà et il édifie des hypothèses auxquelles il demande Texplication des choses et le moyen de les pénétrer plus profondément. C'est pourquoi, à côté de l'observation des phéno- mènes, il y a toujours eu des hypothèses, des vues exprimées à propos de la vie par les philosophes, les naturalistes et les médecins depuis la plus haute an- tiquité jusqu'à notre époque. Ce sont ces hypothèses que nous allons maintenant examiner. II. Toutes les interprétations si variées dans leur forme et toutes les hypothèses qui ont été fournies sur la vie aux différentes époques peuvent rentrer dans deux types : elles se sont présentées sous deux formes, se sont inspirées de deux tendances : la forme ou la tendance spiritualiste, animiste ou vitaliste, la for nie ou la ten- dance mécanique ou matérialiste. En un inot, la vie a été considérée dans tous les temps à deux points de HYPOTHÈSliS SUR LA. VIE. 43 vue différents; ou comme l'expression d'une force spé- ciale, ou comme le résultat des forces générales de la nature. Nous devons nous hâter de déclarer que la science ne donne raison ni à l'un ni à l'autre de ces systèmes, et en tant que physiologiste nous devrons rejeter à la lois les hypothèses vitalistes et les hypothèses maté- rialistes. Les spiritualistes animistes ou vitalistes ne considèrent dans les phénomènes de la vie que l'action d'un principe supérieur et immatériel se manifestant dans la matière inerte et obéissante ; ils ne voient que l'entervention d'ime force extra-physique, spéciale, indépendante : 3Iefis agitât molem. Telle est la pensée de Pythagore, Platon, Aristote, Hippocrate, acceptée par les savants mystiques du moyen âge, Paracelse, Van Helmont ; soutenue par les scolastiques et formulée enfin dans son expression la plus outrée, de V animisme, par Stahl. D'autre part, l'école matérialiste de Démocrite et d'Épicure rapporte tout à la matière, qui par ses lois générales constitue à la fois les corps inorganiques et les corps vivants, sans l'intervention actuelle et toujours présente d'une force active, d'une intelligence motrice. L'être vivant, dans le grand ensemble de l'univers, va de soi-même par la structure, l'arrangement et l'activité même de la matière utiiverselle. 11 est remarquable d'autre part que des philosophes très-convaincus, en tant que philosophes, de la spiri- tualité de l'âme, aient été en tant que physiologistes profondément matérialistes. C'est ainsi que Descartes et 44 LliÇONS SUR LES PHIÎNOMÈNES DE LA VIE. Leibiiitz alli'ibuent neltemciil au jeu des forces phy- siques toutes les manifestations saisissables de l'activité vitale. La raison de cette apparente contradiction réside dans la séparation presque absolue qu'ils établirent entre l'âme et le corps, entre la métaphysique et la physique : l'âme est, pour Descartes, le principe supé- rieur qui se manifeste par la pensée; la vie n'est qu'un effet supérieur des lois de la mécanique. Il considère le corps comme une machine faite pour elle-même, que l'âme ne peut atteindre ni troubler dans son fonction- nement, mais qu'elle peut seulement contempler en simple spectatrice. Ce qui agit réellement, ce sont des rouages mécaniques, des ressorts, des leviers, des ca- naux, des tîltres, des cribles, des pressoirs, etc. De même, au point de vue physiologique, Leibnitz se montre matérialiste. Comme Descartes, il sépare l'âme du corps, et quoiqu'il admette entre eux une concor- dance préétablie, il leur refuse toute espèce d'action ré- ciproque. « Le corps, dit-il, se développe mécaniquement » et les lois mécaniques ne sont jamais violées dans les » mouvements naturels; tout se fait danslesâmes comme » s'il n'y avait pas de corps, et tout se fait dans le corps » comme s'il n'y avait pas d'âme. » En recourant ainsi alternativement aux deux hypo- thèses spiritualiste et matérialiste, Descartes et Leibnitz ont en quelque sorte implicitement reconnu l'insuffi- sance de l'une et de l'autre pour expliquer les phéno- mènes de la vie. Ces doctrines spiritualistes et matérialistes peuvent être agitées en philosophie : elles n'ont pas de place en HYPOTHÈSES SPIRITUALISTES ET aiATl^RIALlSTES. 45 physiologie expérimentale; elles n'ont aucun rôle utile à y remplir, parce que le critérium unique dérive de l'expérience. Les partisans de l'une et de Tautre de ces doctrines ont pu également faire des découvertes utiles; toutefois ce n'est pas en leur nom que les plus grands progrès se sont présentés dans la science. Personne ne sait ou ne s'occupe de savoir si Harvey, si Haller étaient spirilualislcs ou matérialistes; on sait seulement qu'ils étaient de grands physiologistes, et leurs observa- tions ou leurs expériences seules sont parvenues jusqu'à nous. Aujourd'hui la physiologie devient une science exacte ; elle doit se dégager des idées philosophiques et théolo- giques qui pendant longtemps s'y sont trouvées mêlées. On n'a pas plus à demander à un physiologiste s'il est spiritualiste ou matérialiste qu'à un mathématicien, à un physicien ou à un chimiste. Nous ne voulons pas, nous le répétons, nier pour cela l'importance de ces grands problèmes qui tourmentent l'esprit humain, mais nous voulons, les séparer de la physiologie, lesdistinguer, parce que leur élude relève de méthodes absolument différentes. La tendance, qui semble se raviver de nos jours, à vou- loir immiscer dans la physiologie les questions théo- logiques et philosophiques, à poursuivre leur prétendue conciliation, est à mon sens une tendance stérile et fu- neste, parce qu'elle môle le sentiment et le raisonne- ment, confond ce que l'on reconnaît et accepte sans démonstration physique avec ce que l'on ne doit ad- mettre qu'expérimentalement et après démonstration complète. ?]n réalité, on ne peut être spiritualiste ou 46 LliÇONS SUK LliS rHÉNOMÈNIiS UE L\ VIK. matérialiste que par scutiinent; on est physiologiste par démonstration scienliQiiue. La philosophie et la théologie ont la liberté de traiter les questions qui leur incombent par les méthodes qui leur appartiennent, et la physiologie n'intervient ni pour les soutenir, ni pour les attaquer. Elle aussi, elle a sa liberté d'action, ses problèmes particuliers et ses méthodes spéciales pour les résoudre. Ce sont donc des domaines séparés dans lesquels chaque chose doit rester en sa place; c'est la seule manière d'éviter la con- fusion et d'assurer le progrès dans l'ordre physique intellectuel, politique ou moral. Ici nous serons seulement physiologiste et à ce titre, nous ne pouvons nous placer ni dans le camp des vita- listes, ni dans celui des matérialistes. Nous nous séparons des vitalistes, parce que la force vitale^ quel que soit le nom qu'on lui donne, ne saurait rien faire par elle-même, qu'elle ne peut agir qu'en empruntant le ministère des forces générales de la nature et qu'elle est incapable de se manifester en dehors d'elles. Nous nous séparons également des matérialistes; car, bien que les manifestations vitales restent placées direc- tement sous l'influence de conditions physico-chimiques, ces conditions ne sauraient grouper, harmoniser les phé- nomènes dans l'ordre et la succession qu'ils affectent spécialement dans les êtres vivants. Nous resterons en face des phénomènes de la vie comme des hommes de science expérimentale : obser- vateurs des faits, sans idée systématique préconçue. Nous DOCTRINES VITALISTES ET MATÉRIALISTES. 47 chercherons à déterminer extactemenl les conditions de manifestation des phénomènes de la vie, afin de nous en rendre maîtres comme le physicien et le chimiste se rendent maîtres des phénomènes de la nature inor- ganique (i). Tel est le problème de la physiologie moderne, et nous ne saurions certainement arriver à sa solution ni au moyeu des doctrines spiritualistes ou vitalistes, ni à l'aide des doctrines matérialistes. Il y a au fond des doctrines vitalisles une erreur iri^é- médiable, qui consiste à considérer comme force une personnification trompeuse de l'arrangement des choses, à donner une existence réelle et une activité matérielle, efficace à quelque chose d'immatériel qui n'est en réa- lité qu'une notion de l'esprit, une direction nécessaire- ment in active. L'idée d'une cause qui préside à l'enchaînement des phénomènes vitaux est sans doute la première qui se pré- sente à l'espril, et elle paraît indéniable lorsque l'on con- sidère l'évolution rigoureusement fixée des phénomènes si nombreux et si bien concertés par lesquels l'animal et la plante soutiennent leur existence et parcourent leur carrière. En voyant l'animal sortir de l'œuf et acquérir successivement la forme et la constitution de l'être qui l'a précédé et de celui qui le suivra; en le voyant exé- cuter au même instant un nombre infini d'actes appa- rents ou cachés qui concourent, comme par un dessein calculé, à sa conservation et à son entretien, on a le (1) Voyez il ce sujet Revite des Deux-Mondes : Problème de la physiologie générale. — Mon Happort sur les progrès de la physiologie générale. 1867. 48 LEÇONS SUR LES PllI-NOMÈNKS DE LA VIE. seiitinienl qu'une cause dirige le concert de ses parties et guide dans leur voie les phénomènes isolés dont il est le théâtre. C'est à celte cause,, considérée comme force directrice, que l'on peut donner le nom d'âme physiologique ou de force vitale, et on peut l'accepter à la condition de la définir et de ne lui attribuer que ce qui lui revient. C'est par une fausse interprétation qu'on a pour ainsi dire personnifié le principe vital, et qu'on en a fuit comme l'ouvrier cV^ tout le travail organique. On l'a considéré comme l'agent exécutif de tous les phéno- mènes, l'acteur intelligent qui modèle le corps et manie la matière inerte et obéissante de l'être animé- La raison suffisante de chaque acte de la vie était pour les vitalistes dans cette force, qui n'avait aucunement besoin du se- cours étranger des forces physiques et chimiques ou qui luttait même contre elles pour accomplir sa tâche. Mais la science expérimentale contredit précisément celte vue : c'est par là qu'elle s'introduit dans le système pour en montrer la fausseté fondamentale. En effet, les recherches physiologiques nous apprennent que la force ou les forces vitales ne peuvent rien sans le concours des conditions physiques. Il y a un accord intime, une étroite liaison des phénomènes physiques et chimiques avec les phénomènes vitaux. C'est un parallélisme parfait, une union harmonique nécessaire. L'humidité, la chaleur, l'air créent des conditions indispensables au fonctionne- ment de la vie. Les manifestations vitales s'exaltent ou s'atténuent, en môme temps que les activités chimiques des tissus, et proportionnellement à cette action môme. DOCTRINES YITALISTES. 49 L'abaissement de la température entraîne un abaisse- ment de la sensibilité, de l'intelligence et produit un engourdissement de la vie. Par la dessiccation, certains êtres sont plongés dans un état de mort apparente qui ne cesse, ainsi que nous le verrons, que lorsque l'on vient à leur restituer l'eau et les conditions physico- chimiques qui leur sont nécessaires pour les manifesta- tions vitales. Dans ces cas faudra-t-il dire que la chaleur exalte la force vitale, que le froid l'engourdit, que la dessiccation l'anéantit et que l'humidité la ressuscite. Mais alors ce ne serait plus elle qui commanderait à la matière de l'organisme, ce serait bien plutôt l'état matériel de l'organisme qui la gouvernerait. C'est qu'en effet la force vitale ne peut rien produire sans les condi- tions physico-chimiques : elle reste absolument inerte, et le phénomène vital n'apparaît que lorsque les condi- tions physico-chimiques déterminées pour sa manifes- tation sont réunies. C'est là ce que n'ont point compris les vitalistes, ni Stahi, qui confondait et unifiait la fo?-ce vitale avec l'âme intelligente et raisonnable; ni Bichat, qui substi- tuait à ce principe unique les jwopriétés vitales^ c'est- à-dire une multitude de forces vitales résidant au sein de chaque tissu. Ces propriétés vitales, comme il les appelle, étaient opposées aux propriétés physiques, les premières changeantes et éphémères, les secondes constantes et permanentes, se rencontrant dans le corps animal comme sur un champ de bataille et luttant sans repos ni trêve, jusqu'au moment oi!i, la victoire restant aux agents physiques, l'être vivant mourait. CL. BlilINAUD. ti 50 LEÇONS SUR LES PHÉNOMÈNES DE LA VIE. Ainsi, que le vilalisme soit envisagé dans son expres- sion la plus outrée et tel que Slahl l'a développé ou dans la forme plus adoucie et plus scientifique que Bichat lui a donnée, il est également inacceptable, parce qu'il se trouve en contradiction avec l'expérience et avec les faits de la physiologie. Si, comme nous venons de le voir, les doctrines vita- listes ont méconnu la vraie nature des phénomènes vitaux, les doctrines matérialistes, d'un autre côté, ne sont pas moins dans l'erreur, quoique d'une manière opposée. En admettant que les phénomènes vitaux se rattachent à des manifestations physico-chimiques, ce qui est vrai, la question dans son essence n'est pas éclaircio pour cela; car ce n'est pas une rencontre fortuite de phéno- mènes physico-chimiques qui construit chaque être sur un plan et suivant un dessin fixes et prévus d'avance, et suscite l'admirable subordination et l'harmonieux con- cert des actes de la vie. Il y a, dans le corps animé un arrangement, une sorte d'ordonnance que l'on ne saurait laisser dans l'ombre, parce qu'elle est véritablement le trait le plus saillant des êtres vivants. Que l'idée de cet arrange- ment soit mal exprimée par le nom de force, nous le voulons bien : mais ici le mot importe peu, il suflit que la réalité du fait ne soit pas discutable. Les phénomènes vitaux ont bien leurs conditions physico-chimiques rigoureusement déterminées ; mais en même temps ils se subordonnent et se succèdent dans un enchaînement et suivant une loi fixés d'avance : ils se DOCTRINES MATÉRIALISTES. 51 répètent éternellement, avec ordre, régularité, constance, et s'harmonisent, en vu d'un résultat qui est l'organisa- tion et l'accroissement de l'individu, animal ou végétal. Il y a comme un dessin préétabli de chaque être et de chaque organe, en sorte que si, considéré isolément, chaque phénomène de l'économie est tributaire des for- ces générales de la nature, pris dans ses rapports avec les autres, il révèle un lien spécial, il semble dirigé par quelque guide invisible dans la route qu'il suit et amené dans la place qu'il occupe. La plus simple méditation nous fait apercevoir un caractère de premier ordre, un qiiid propriwn de l'être vivant dans cette ordonnance vitale préétablie. Toutefois l'observation ne nous apprend que cela : elle nous montre un plan organique, mais non uue intervention active d'un principe vital. La seule force vitale que nous pourrions admettre ne serait qu'une sorte de force législative, mais nullement exécutive. Pour résumer notre pensée, nous pourrions dire mé- taphoriquement : la force vitale dirige des phénomènes quelle ne produit pas; les agents physiques produisent des phénomènes qiiils ne dirigent pas. La force vitale n'étant pas une force active, exécutive, ne faisant rien par elle-même, alors que tout se mani- feste dans la vie par l'intervention des conditions physi- ques et chimiques, la considération de cette entité ne doit pas intervenir en physiologie expérimentale. Lors- que le physiologiste voudra connaître, provoquer les phénomènes de la vie, agir sur eux, les modifier, ce n'est pas à la force vitale^ entité insaisissable qu'il lui 52 LEÇONS SUR LES PIIliNOMÈNES DE LA VIE. faudra s'adresser, mais aux conditions physiques et chimiques qui entraînent et commandent la manifesta- tion vitale. Quel que soit le sujet qu'il étudie, le physiologiste ne trouve jamais devant lui que des agents mécaniques, physiques ou chimiques. Lorsque il examine, par exem- ple, l'action des substances anesthésiquos sur la sensi- bilité, sur l'intelligence, il constate que l'éther ou le chloroforme agissent matériellement et d'une manière physique ou chimique sur la substance nerveuse, et non point sur un principe vital, ni sur une fonction vitale, tellequela sensibilité, qui est insaisissable par elle-même. Comme il en est de même pour tous les phénomènes de la vie, les sciences physico-chimiques semblent com- prendre dans leurs lois l'apparition des phénomènes des organismes vivants; de là l'opinion matérialiste que la vie ne serait qu'une expression des phénomènes géné- raux de la nature. Quoi qu'il en soit, ce que nous savons, c'est que le principe vital n'exécute rien par lui-même et qu'il emprunte ses forces au monde extérieur dans les mille et mille manifestations qui apparaissent à nos yeux. De ce qui précède, il résulte que les conditions qui nous sont accessibles pour faire apparaître les phéno- mènes de la vie, sont toutes matérielles et physico- chimiques. H n'y a d'action possible que sur et par la matière. L'univers ne montre pas d'exception à cette loi. Toute manifestation phénoménale, qu'elle siège dans les êtres vivants ou en dehors d'eux, a pour substratum obhgé des conditions matérielles. Ce sont ces conditions « CONDITIONS DÉTERMINÉliS DES PHliNOMÈNES. 53 que nous appelons les conditions déterminées du phéno- mène. Nous ne pouvons connaître que les conditions ma- térielles et non la nature intime des phénomènes de la vie. Dès lors, nous n'avons affaire qu'à la matière, et non aux causes premières ou à la force vitale directrice qui en dérive. Ces causes nous sont inaccessibles. Croire autre chose, c'est commettre une erreur de fait et de doctrine; c'est être dupe de métaphores et prendre au réel un langage figuré. On entend dire en effet souvent que le physicien agit sur l'électricité ou sur la lumière; que le médecin agit sur la vie, la santé, la fièvre ou la maladie : ce sont là des façons de parler. La lumière, l'électricité, la vie, la santé, la maladie, la fièvre, sont des êtres abstraits qu'un agent quelconque ne saurait atteindre ; mais il y a des conditions maté- rielles qui font apparaître les phénomènes que l'on rap- porte à l'électricité : la chaleur, la lumière, la santé, la maladie ; nous pouvons agir sur elles et modifier par là ces différents états. La conception que nous nous formons du but de toute science expérimentale et de ses moyens d'action est donc générale ; elle appartient à la physique et à la chimie et s'applique à la physiologie. Elle revient à dire, en d'autres termes, qu'un phénomène vital a, comme tout autre phénomène, un déterminisme rigoureux, et que jamais ce déterminisme ne saurait être autre chose qu'un déterminisme physico-chimique. La force vitale, la vie, appartiennent au monde métaphysique; leur expression est une nécessité de l'esprit : nous ne pou- 54 LEÇONS SUR LES PHÉNOMÈNES DE LA. VIE. VOUS nous en servir que subjectivement. Notre esprit saisit l'unité et le lien, l'harmonie de-; phénomènes, et il la considère comme l'expression d'une force ; mais grande serait l'erreur de croire que cette force méta- physique est active. Il en est d'ailleurs de même de ce que nous appelons les forces physiques ; ce serait une pure illusion que de vouloir rien provoquer par elles. Ce sont là des conceptions métaphysiques nécessaires, mais qui ne sortent point du domaine intellectuel où elles sont nées, et ne viennent point réagir sur les phénomènes qui ont donné à l'esprit l'occasion de les créer. En un mot, cette faculté évolutive, directrice, mor- phologique ; par laquelle on caractérise la vie, est inutile à la physiologie expérimentale, parce que, étant en dehors du monde physique, elle ne peut exercer aucune action rétroactive sur lui. Il faut donc séparer le monde métaphysique du monde physique qui lui sert de base, mais qui n'a rien à lui emprunter, et conclure en para- phrasant le mot de Leibnitz : « Chaque chose s'exécute » dans le corps vivant comme s'il n'y avait pas de » force vitale. » III. Par ce qui précède se trouve fixé le champ et le rôle de la physiologie. Elle est une science de même ordre que les sciences physiques : elle étudie le déter- minisme physico-chimique correspondant aux manifes- tations vitales ; elle a les mêmes principes et les mômes méthodes. Dans aucune science expérimentale on ne connaît autre chose que les conditions phijsico- chimiques des phénomènes; on ne travaille à autre chose qu'à déter- DÉTERMINISME. 55 miner ces conditions. Nulle part on n'atteint les causes premières; les forces physiques sont tout aussi obscures que la force vitale et tout aussi en dehors de la prise directe de l'expérience. On n'agit point sur ces entités, mais seulement sur les conditions physiques ou chimi- ques qui entraînent les phénomènes. Le but de toute science de la nature, en un mot, est de fixer le déter- minisme des phénomènes. Le principe du déterminisme domine donc l'étude des phénomènes de la vie comme celle de tous les autres phénomènes de la nature. Depuis longtemps j'ai émis celte opinion, mais lors- que j'employai pour la première fois le mot de déter- minisme (i) pour introduire ce principe fondamental dans la science physiologique, je ne pensais pas qu'il pût être confondu avec le déterminisme philosophique de Leibnitz. Toutefois si le mot déterminisme^ que j'ai employé, n'est pas nouveau, l'acception que je lui ai donnée en physiologie expérimentale est nouvelle ; et cela devait être, puisque Leibnitz l'avait appliqué seulement à des objets purement, métaphysiques, tandis que je l'appli- quais au contraire à des objets physiques, pour carac- tériser la méthode de la science physiologique. Lorsque Leibnitz disait : « L'âme humaine est un au- » tomate spirituel, » il formulait le déterminisme philo- sophique. Cette doctrine soutient que les phénomènes de l'âme, comme tous les phénomènes de l'univers, sont (1) Voyez Introduclion à l'élude de la médecine expérimentale, p. 115. 1865. 56 LEÇONS SUR J.liS PHl-NOMÈNES DE L.\ VIK. rigoureiisenieiit déterminés par laséi'ie des phénomènes antécédents, inclinations, jugements, pensées, désirs, prévalence du plus fort motif, par lesquels l'âme est entraînée. C'est la négation de la libertcliumaine, rutfir- mation du fatalisme. Tout autre est le déterminisme physiologique. 11 est l'expression d'un fait physique. Il consiste dans ce prin- cipe que chaque phénomène vital, comme chaque phé- nomène physique, est invariablement déterminé par des conditions physico-chimiques qui, lui permettant ou l'empêchant d'apparaître, en deviennent les conditions ou les causes matérielles immédiates ou prochaines. L'en- semble des conditions déterminantes d'un phénomène entraîne nécessairement ce phénomène. Voilà ce (ju'il faut substituer à l'ancienne et obscure notion spiritua- liste ou matérialiste de cause. Ce principe est fondamental dans toutes les sciences physiques. Là il est hors de conteste ; il n'a pas même besoin d'être affirmé. Il en est autrement dans les sciences de la vie. Lorsque, en effet, il faut étendre le principe du déterminisme aux faits de la nature vi- vante, les médecins animistes et vitalistes et les philo- sophes se mettent à la traverse. Les vitalistes nient le déterminisme, parce que, selon eux, les manifestations vitales auraient pour cause l'ac- tion spontanée efficace et comme volontaire et libre d'un principe immatériel. Les conséquences de cette erreur sont considérables : le rôle de l'honmie en présence des faits vitaux devrait être celui d'un simple spectateur, non d'un acteur; les sciences physiologiques DÉTERMINISME. 57 ne seraient que conjecturales et non certaines. L'expé- rience ne saurait les atteindre ; l'observation ne saurait les prédire. C'est là par excellence, on le voit, une doctrine paresseuse : elle désarme l'homme. Elle relè- gue les causes hors des objets : elle transforme des mé- taphores en des entités substantielles; elle fait de la physiologie une sorte de métaphysiologie inaccessible. Ainsi, on le voit, la doctrine vitaliste conclut néces- sairement à l'indéterminisme. C'est précisément la conclusion nécessaire à laquelle Bichata été amené presque malgré lui. Quand il com- mence à exposer ses vues si nettes et si scientifiques dans l'introduction de son Anatomie générale^ on croit qu'il va s'attacher solidement à ces vues, devenues les bases de la science moderne, en répudiant les idées vitalistes qu'elles contiennent. Bichat émet en effet celte idée générale, lumineuse et féconde, qu'en physiologie comme en physique les phénomènes doivent être ratta- chés à des propriétés inhérentes à la matière vivante comme à leur cause. « Le rapport des propriétés comme » causes avec les phénomènes comme effets est, dit-il, » un axiome presque fastidieux à répéter aujourd'hui » en physique et en chimie; si mon livre établit un » axiome analogue dans les sciences physiologiques, il » aura rempli son but. » Mais voici qu'après ce début si clair il distingue les propriétés vitales des propriétés physiques, les unes agents.de la vie, les autres agents de la mort; il les met en lutte, les oppose. Ses propriétés vitales font la guerre aux propriétés physiques, comme faisait Y âme de Stahl. 58 LEÇONS SUR LES PHÉNOMÈNES DE LA. VIE. C'est une négalion tout aussi catégorique du détermi- nisme en physiologie (i). Voici en effet à quelles héré- sies scientifiques Bichat se trouve fatalement conduit : « Les propriétés physiques, dit-il, élant fixes, con- » stantes, les lois des sciences qui en traitent sont éga- » lement constantes et invariables; on peut les prévoir, » les calculer avec certitude. Les propriétés vitales » ayant pour caractère essentiel \ instabilité ^ toutes les » fonctions vitales étant susceptibles d'une foule de va- » riétés, on ne peut rien prévoir, rien calculer dans leurs » phénomènes. D'où il faut conclure, ajoute-t-il, que des » lois absolument différentes président à l'une et l'autre » classe de phénomènes. » Bichat dit ailleurs [Recherches physiologiques sur la vie fit la mort^ p. 84) : « La physique, la chimie se tou- » chent, parce que les mêmes lois président à leurs «phénomènes; mais un immense intervalle les sépare » de la science des corps organisés, parce qu'une énorme » différence existe entre ces lois et celles de la vie. Dire » (]ue la physiologie est la physique des animaux, c'est » en donner une idée extrêmement inexacte : j'aimerais » autant dire que l'astronomie est la physiologie des » astres. » Nous pourrions multipher les preuves de l'indétermi- nisme ou négation scientifique à laquelle, malgré son génie, Bichat s'est trouvé conduit par les doctrines vita- listes qui régnaient à son époque et dont il n'a pu se dégager; mais le temps a déjà commencé à séparer (1) Voyez mon article dans la Revue des Deux-Mondes, t. IX, 1875. INDÉTERMINISME. 59 l'erreur de la vérité, et, comme les hommes ne sont grands que par les services rendus, Bichat n'en vivra pas moins dans la postérité par les vérités qu'il a intro- duites dans les sciences de la vie. Il y a une trentaine d'années, l'École médicale de Paris était encore imbue de ces erreurs de doctrine. Je me souviens d'avoir été pris à partie à la Société philo- mathique, au début de ma carrière, par le professeur Gerdy, qui, invoquant son expérience chirurgicale, exprima son opinion dans les termes les plus catégo- riques. « Dire en physiologie que les phénomènes vitaux » sont constamment identiques dans des conditions » identiques, c'est énoncer une erreur, s'écria Gerdy; » cela n'est vrai que pour les corps bruts. » Les progrès de la science physiologique moderne et la pénétration de plus en plus profonde des sciences physico-chimiques dans sa culture ont à peu près dissipé aujourd'hui, il faut le dire, la plupart de ces idées erro- nées, et on ne peut contester que la physiologie actuelle marche dans une voie qui établit de plus en plus le déterminisme rigoureux des phénomènes de la vie. Il n'y a pour ainsi dire plus de divergence entre les physio- logistes à ce sujet. Mais il n'en est pas de même pour les philosophes; ils repoussent encore le déterminisme physiologique, et pensent que certains phénomènes de la vie lui échappent nécessairement : par exemple, les phénomènes moraux. Ils craignent que la liberté morale puisse être compro- mise si l'on admet le déterminisme physiologique absolu. Récemment même un mathématicien, voyant les pro- 60 LlîÇONS Sun LES PHÉNOMÈNES DE LA VIE, grès de celte doctrine, a cherché à établir une con- ciliation entre le déterminisme scientifique et lu hberté morale (i). Le malentendu entre les philosophes et les physio- logistes vient sans doute de ce que le mot déterminisme est pris par eux dans le sens de fatalisme^ c'est-à-dire dans le sens du déterminisme philosophique de Leibnitz. Les philosophes dont nous parlons ne refusent pas d'admettre que les phénomènes inférieurs de l'animalité pourraient être soumis au détt^rminisme ; que le mou- vement et le jeu des organes seraient réglés par lui ; mais ils exceptent de cette obligation les phénomènes supé- rieurs, les phénomènes psychiques. De sorte qu'il fau- drait distinguer dans l'homme les phénomènes de la vie soumis au déterminisme de ceux qui ne le sont pas. Pour nous, le déterminisme physiologique ne peut subir de restriclion : tous les phénomènes qui survien- nent dans les êtres vivants et dans Thomme, phéno- mènes supérieurs ou inférieurs, sont soumis à cette loi. « Toute manifestation de l'être vivant, disons-nous, est » un phénomène physiologique et se trouve lié à des » conditions physico-chimiciues déterminées, qui le per- » m.ettent quand elles sont réalisées, qui l'emiiêchent » quand elles font défaut. » C'est là le déterminisme absolu : il exprime que le monde psychique ne se passe point du monde physico- chimique; et c'est là un fait d'expérience toujours véri- fié. Les phénomènes de l'âme, pour se manifester, ont (1) Boussinesq, Cornpl. rend, de l'Académie. — Revue scientifique , t. XIX, p. 986, 1877. / DÉTEUMINISME. 61 besoin de conditions matérielles exactement détermi- nées; c'est pour cela qu'ils apparaissent toujours de la même façon suivant des lois, et non arbitrairement ou capricieusement, au hasard d'une spontanéité sans règles. Personne ne contestera qu'il y ait un déterminisme de la non-liberté morale. Certaines altérations de l'or- gane cérébral amènent la folie, font disparaître la li- berté morale comme l'intelligence et obscurcissent la conscience chez l'aliéné. Puisqu'il y a un déterminisme de la non-liberté mo- rale, il y a nécessairement un déterminisme de la libcrlé morale, c'est-à-dire un ensemble de conditions anato- miques et physico-chimiques qui lui permettent d'exister. Nous affirmons ce fait et nous disons : bien loin que les manifestations de l'âme échappent au déterminisme physico-chimique, elles s'y trouvent assujetties étroite- ment et ne s'en écartent jamais, quelle que soit l'appa- rence contraire. Le déterminisme, en un mot, loin d'être la négation de la liberté morale en est au contraire la condition nécessaire comme de toutes autres manifes- tations vitales (i). Que serait le monde s'il n'en était pas ainsi ! Les relations de ce que l'on appelle le physique avec le moral (1) La liberté ne saurait être l'indclerminisme. Dans la doctrine du déter- minisme physiologique l'iiomme est forcément\'\h\-&: voilà ce que l'on peut prévoir. Je ne veux pas traiter ici la question pliilosopliique. 11 me suflira de dire, au point de vue physiologi((uc, que le phénomène de la liberté morale doit être assimilé à tous les autres phénomènes de l'organisme vi- vant. — Si toutes les conditions anatomiques et physico- chimiques nor- males existent dans le bras, par exemple, et dans les organes nerveux cor- respondants, vous pouvez prédire que vous ferez mouvoir le membre que 62 LEÇONS SUR LES PHÉNOMÈNES DE LA VIE. ne seraient plus soumises à l'empire de lois précises, mais seraient clans un état de tiraillement anarchique, ou de caprice, dans un état contraire à l'harmonie de la nature, sans vérité et sans grandeur. Le déterminisme n'est donc que l'afûrmation de la loi, partout, toujours, et jusque dans les relations du physique avec le moral : c'est l'affirmation que, suivant le mot connu de l'antiquité : « Tout est fait avec ordre, poids et mesure. » La loiàu. déterminisme physiologique ne saurait gêner la liberté morale, tandis que tout au contraire, le fata- lisme c'est-à-dire le déterminisme philosophique, la conteste et la nie. En résumé, nous réclamerons l'universalité du prio- cipe du déterminisme physiologique dans Torganismo vivant, et nous exprimerons notre pensée en disant : 1° Il y a des conditions matérielles déterminées qui règlent Tapparition des phénomènes de la vie; 2" Il y a des lois préétablies qui en règlent Tordre et la forme. Conclusion. — Le but que nous nous sommes pro- vous le ferez mouvoir libremcnl dans tous les sens suivant \otre volonté. Seulement, le sens dans lequel vous le ferez mouvoir existe dans un futur coulingenL que vous ne pouvez prévoir, mais dans lequel vous êtes libre de vous déterminer plus tard, suivant les circonstances. De même, l'inté(^rilé analomique et pliysico-cliimique présumée de l'organe cérébral vous fait prédire que ses fonctions s'exerceront pleinement et que vous serez libre (l'agir volontairement; mais vous ne pouvez pas prévoir le sens dans lequel votre volonté s'exercera, parce que ce sens est, je le répète, donné par la contingence des événements que vous ignorez ou que vous ne pouvez pré- voiiv, C'est pour(|iioi vous restez libre d'agir ou de clioisir suivant les prin- cipes de morale ou autres qui vous animent. DÉTERMINISME. 63 posé en développant les considérations contenues dans les trois parties de cette leçon a été d'éliminer de la physiologie certains problèmes qu'on y a mêlés à tort, diverses questions qui lui sont étrangères, et par là d'en fixer l'étendue et le but. Dans la première partie, nous avons montré qu'en physiologie il faut renoncer à l'illusion d'une définition de la vie. Nous ne pouvons qu'en caractériser les phé- nomènes. Il en est d'ailleurs ainsi dans toute science. Les défini- tions sont illusoires ; les conditions des choses sont tout ce que nous en pouvons connaître. Dans aucun ordre de science nous n'allons au delà de cette limite, et c'est une pure illusion d'imaginer qu'on la dépasse et qu'on puisse saisir l'essence de quelque phénomène que ce soit. Dans la seconde partie, nous avons montré que les hypothèses matérialistes ou spiritualistes se ratta- chent à la recherche de causes premières que la science ne saurait atteindre. En rejetant la recherche des causes premièi'es, nous avons repoussé par cela même l'hypothèse matérialiste et l'hypothèse spiritualiste du" champ de la physiologie. Dans la troisième partie, nous avons admis le déter- minism.e comme un principe nécessaire de la phy- siologie. Le déterminisme fait connaître les conditions par lesquelles nous pouvons atteindre les phénomènes, les supprimer, les produire ou les modifier. Ce principe suffît à l'ambition de la science, car au fond il révèle les rapports entre les phénomènes et leurs conditions^ 64 LEÇONS SUK LES PHÉNOMÈNES DE LA VIE. c'est-à-dire la seule et la vraie causalité immédiate réelle et accessible. Nous avons ainsi écarté l'objection qu'on oppose aux physiologistes de ne pas savoir ce que c'est que la vie. On n'est pas plus avancé ailleurs. La vie n'est ni plus ni moins obscure que toutes les autres causes premières. En disant qu'on ne doit rechercher que les conditions de la vie, nous circonscrivons le champ de la science physiologique, nous fixons le but que nous lui assignons de conquérir et de maîtriser la nature vivante. Enfin en caractérisant la vie et la mort par les deux grands types de phénomènes de création organique et de destruction organique^ nous embrassons l'ensemble des conditions de l'existence de tous les êtres vivants et nous traçons le programme des études qui feront l'objet des leçons qui vont suivre. DEUXIÈME LEÇON liC» trois foriucs do la vie. SoMMAinE : La vie ne saurait s'expliquer par un principe intérieur d'action; elle est le résultat d'un conflit entre l'organisme et les conditions pliysico- chiinif]ues ambiantes. Ce conflit n'est point une lutte, mais une harmonie, — La vie se présente à nous sous trois aspects qui prouvent la nécessité des conditions pliysico-chimiques pour la manifestation de la vie. — Ces trois états de la vie sont : 1° la vie à l'état de non-manifestation ou latente ; 2° la vie à l'état de manifestation variable et dépendante; 3" la vie à l'état de manifestation libre et indépendante. I. Vie latente. — Organisme tombé à l'état d'indifférence chimique, — Exemples pris dans le règne végétal et dans le règne animal. — La vie la- tente est une vie ai-rêtée et non diminuée. — Conditions du retour de la vie latente à la vie manifestée. — Conditions extrinsèques: eau, air (oxygène), chaleur; intrinsèques : réserves de matériaux nutritifs. — Expériences sur l'influence de l'air (oxygène). — Expériences sur l'influence de la chaleur. — Expériences sur l'influence de l'eau. — Phénomènes de vie latente dans les animaux : infusoires, kérones, kolpodes, tardigrades, anguillules du blé niellé. — L'assimilation de la graine et de l'œuf n'est pas exacte au point de vue de la vie latente. — Existences des êtres à l'état de vie latente : Icvûre de bière, anguillules, tardigradcs, etc. — Explication du retour de la vie latente à la vie manifestée. — Expériences: de M. Chevreul sur la dessiccation des tissus. — Mécanisme du passage à la vie latente. — Mécanisme du retour à la vie manifestée. — Succession nécessaire des phénomènes de destruction et de création organique. H. Vie oscillante. — Appartient à tous les végétaux et là un grand nombre d'animaux. — L'œuf offre la vie engourdie. — Mécanisme de l'engour- dissement vital. — Influence du milieu extérieur sur le milieu intérieur. — Diminution des phénomènes chimiques pendant la vie engourdie, — Mécanisme de l'oscillation vitale dans l'engourdissement. — Nécessité de reserves pour la vie engourdie. — Mécanisme de l'oscillation vitale. — La cessation de la vie engourdie. — Influence de la chaleur; elle peut amener Tengourdissement comme le froid. — Résistance des êtres en- gourdis. — Les animaux réveillés pendant l'engourdissement usent rapi- dement leurs réserves et meurent. — Phénomènes de création et de CL. BEHNARD. 5 66 LES TROIS FORMIiS DE L\ deslruction pendant l'engourdissement. — L'engourdissement passager n'exige pas des réserves comme l'engourdissement prolongé. III. Vie constante ou libre. — Elle dépend d'un perfectionnement orga- nique. — Notre distinction du milieu intérieur et du milieu extérieur. — Indépendance des deux milieux chez les animaux à vie constante. — hi perfectionnement de l'organisme chez les animaux à vie constante con- siste à maintenir dans le milieu inléricur les conditions intrinsèques ou extrinsèques nécessaires à la vie des éléments. — Eau. — Chaleur ani- male. — Respiration. — Oxygène. — Réserves pour la nutrition. — C'est le système nerveux qui est l'agent de cette équilibration de toutes les conditions du milieu intérieur. — Conclusion relative à l'interprétation ■des trois formes de la vie. — Ou ne peut pas trouver une force, un principe vital indépendant. — Il n'y a là qu'un conflit vital dont nous ■devons chercher à connaître les conditions. La vie, avons-nous dit, ne saurait s'expliquer, comme ■onVaYaitcru, par l'existence d'un principe intérieur d'ac- tion s'exerçant indépendamment des forces physico- chimiques et surtout contrairement à elles. — La vie est un conflit. Ses manifestations résultent de l'inter- venlion de deux facteurs : 1" Les lois préétablies qui règlent les phénomènes dans Heur succession, leur concert, leur harmonie; 2° Les conditions physico-chimiques déterminées qui sont nécessaires à l'apparition des phénomènes. Sur les lois, nous n'avons aucune action, elles sont le résultat de ce que l'on peut appeler Xétat antérieur; elles dérivent par atavisme des organismes que l'être vivant continue et répète, et l'on peut ainsi les faire remonter jusqu'à l'origine même des êtres vivants. C'est pourquoi certains philosophes et physiologistes ont cru pouvoir dire que la vie n'est qu'un souvenir; moi-môme j'ai écrit que le germe semble j^aider la mémoiie de l'organisme dont il procède. LES TROIS FORMES DE LA VIE., 67 Les conditions seules des manifestations vitales nous sont accessibles. La connaissance des conditions exté- rieures qui déterminent l'apparition des pliénomènes vitaux suffisent, ainsi que nous l'avons déjà dit, au but de la science physiologique, puisqu'elle nous donne les moyens d'agir et de maîtriser ces phénomènes. Pour nous, en un mot, la vie résulte d'un conflit, d'une relation étroite et harmonique entre les condi- tions extérieures et la constitution préétabhe de l'orga- nisme. Ce n'est point par une lutte contre les conditions cosmiques que l'organisme se développe et se maintient; c'est, tout au contraire, par une adaptation, un accord avec celles-ci. Ainsi, l'être vivant ne constitue pas une exception à la grande harmonie naturelle qui fait que les choses s'adaptent les unes aux autres; il ne rompt aucun accord; il n'est ni en contradiction ni en lutte avec les forces cosmiques générales ; bien loin de là, il fait partie du concert universel des choses, et la vie de l'animal, par exemple, n'est qu'un fragment de la vie totale de l'univers. Le mode des relations entre l'être vivant et les con- ditions cosmiques ambiantes nous permet de considérer trois formes de la vie, suivant qu'elle est dans une dé- pendance tout à fait étroite des conditions extérieures, dans une dépendance moindre, ou dans une indépen- dance relative. Ces trois formes de la vie sont : 1° La vie latente; vie non manifestée. 2° La vie oscillante; vie à manifestations variables et dépendantes du milieu extérieur. 68 LES TROIS FORMES DE LA VIE. 3° f^a vie constante; vie à manifestations libres et indépendantes du milieu extérieur. I. Yie latente. — La vie latente, suivant nous, est offerte par les êtres dont l'organisme est tombé dans l'état ^'indifférence chimique. Tiedemann, ainsi que nous l'avons vu précédemment, croyait que la vie dérivait d'un principe intérieur d'ac- tion qui empêchait l'être de tomber jamais dans l'état d'indifférence chimique ; de sorte que le cours de ses manifestations vitales ne pouvait jamais être arrêté ou interrompu. L'observation et l'expérience ne permettent pas d'adopter cette proposition. Nous voyons des êtres qui ne vivent en quelque sorte que virtuellement, sans manifes- ter aucun caractère de la vie. Ces êtres se rencontrent à la fois dans le règne animal et dans le règne végétal. La vie active ou manifestée, quelque atténuée qu'elle puisse être, est caractérisée par les relations entre l'être vivant et le milieu; relations d'échange telles, que l'être emprunte et restitue à chaque instant des matériaux liquides ou gazeux au milieu cosmique. Ce qui carac- térise l'état d'indifférence chimique, c'est la sup- pression de cet échange, la rupture des relations entre l'être et le milieu, qui restent en face l'un de l'autre, inal- térables et inaltérés. C'est ainsi qu'un morceau de mar- bre, par exemple, dans les conditions ordinaires, reste sans changements appréciables dans l'atmosphère : il n'en reçoit nulle action, il n'en exerce aucune sur elle qui soit capable d'en modifier la constitution chimique. VIE LA.TENÏli. 69 Est-il possible que les êtres vivants loinbeiit à ce degré d'indifFérence chimique absolue? Quelques phy- siologistes ont répugné à le croire, mais il est des cas où l'expérience nous oblige à l'admettre. Dans le règne végétal, les graines, et dans le règne animal, certains animaux reviviscents, anguillules, tardigrades, rotifères, nous montrent cet état d'indifférence chimico-vitale. Nous connaissons déjà dans les animaux et les végétaux un assez grand nombre de cas de vie latente, mais outre ces exemples caractéristiques, on peut dire sans craindre de se tromper que la vie latente est répandue à pro- fusion dans la nature et qu'elle nous expliquera dans l'avenir un très-grand nombre de faits réputés mysté- rieux aujourd'hui. Les graines nous présentent les phénomènes de la vie latente. Si toutes ne se comportent pas d'une manière identique, ou peut comprendre pourquoi et par quelles conditions la vie latente se soutient moins facilement chez les unes que chez les autres. C'est en conséquence de l'altérabilité plus ou moins grande de leurs maté- riaux constituants par les agents atmosphériques. On peut dire que la vie de la graine à l'état latent est purement virtuelle : elle existe prête à se manifester, si on lui fournit les conditions extérieures convenables ; mais elle ne se manifeste aucunement si ces conditions font défaut. La graine a en elle, dans son organisation, tout ce qu'il faut pour vivre; mais elle ne vit pas, parce qu'illui manque les conditions physico-chimiques nécessaires. On aurait tort de penser que la graine dans ce cas 70 LES TROIS FORMES DE LA VIE. présente une vie tellement atténuée que ses manifesta- tions échappent à l'observation par le degré même de leur afTaiblissement. Cela n'est vrai, ni en principe, ni en fait. En principe, nous savons que la vie résulte du con- cours de deux facteurs, les uns extrinsèques, empruntés au monde cosmique; les autres intrinsèques, tirés de l'organisation. C'est une collaboration impossible à disjoindre et nous devons comprendre qu'en l'absence d'un des facteurs, l'être ne saurait vivre. Il ne vit pas davantage lorsque les conditions de milieu xiexisient pas que lorsqu'elles existent seules. La chaleur, l'humi- dité et l'air ne sont pas la vie : l'organisation seule ne la constitue pas davantage. En fait, nous voyons des graines qui sont conservées depuis des années et des siècles, et qui, après cette lon- gue inaction, peuvent germer et produire une végéta- tion nouvelle. Ces graines sont restées, pendant toute cette période si longue, aussi inertes que si elles eussent été définitivement mortes. Si atténuées que fussent les manifestations vitales, l'accumulation et la prolongation des échanges les multiplieraient en quelque sorte, et les rendraient sensibles. Cette vie réduite devrait s'user; or, dans les conditions convenables, elle ne s'use pas. Ainsi, la graine possède en elle, dans son organisa- tion intime, tout ce qu'il faut pour vivre; mais pour l'y déterminer il faut de plus un concours de circonstances extérieures. Ces circonstances sont au nombre de quatre. Trois conditions extrinsèques : L'air (oxygène). CONDITIONS DE LA YIE LATENTE. 71 La chaleur. L'humidité. Une condition intrinsèque : La réserve nutritive de la graine elle-même. Cette réserve est constituée par les matériaux chi- miques qui entrent dans la constitution de la graine et qui en font comme un réservoir de matière alimentaire que les manifestations vitales dépenseront plus tard. Mais ce n'est pas tout. Il faut encore que ces condi- tions existent à un degré, à une dose déterminée; alors la vie brillera de tout son éclat : en dehors de ces limites la vie tend à disparaître, et à mesure qu'on s'ap- proche de ces limites, l'éclat des manifestations vitales pâlit et s'atténue. A. Expériences sur la vie latente des graines. — Nous vous rendrons témoins d'expériences bien connues, mais qui ont ici un intérêt particulier; leur objet est de dé- montrer que l'on ne saurait admettre dans les êtres vivants un principe vital libre puisque toutes les mani- festations vitales sont étroitement liées aux conditions physico-chimiques dont l'énumération suit : 1° Eau. — Nous avons placé dans de la terre sèche des graines également desséchées qui sont à une tem- pérature et dans une atmosphère convenables pour la végélation. Il ne leur manque qu'une seule condition, l'humidité ; dès lors elles sont inertes. Les blés conservés dans des tombeaux des Égyptiens, appelés blés de momie ^ seraient, dit-on, dans ce même cas. Si on leur fournit l'humidité qui leur manque, bientôt la germination se J 2. LES TROIS FORMES DE LA VIE. produit. J'ai consulté cà cet égard mon savant collègue M. Decaisne, professeur de culture au Muséum. 11 m'a déclaré qu'il considère comme faux tous les exemples de germinations des graines trouvées dans les Hypogées, parce que le plus ordinairement (comine j'ai pu m'en convaincre sur un échantillon) ces graines sont impré- gnées de bitume ou carbonisées. La germination des espèces provenant des habitations lacustres serait également très-incertaine. Cependant, si l'on doit écarter de la science ces faits mal observés, on a constaté expérimentalement que des graines ont pu germer après plus d'un siècle. Parmi ces graines, il faudrait ciler celles du haricot, du tabac, du pavot, etc. Il faut en outre que l'humidité n'empêche pas l'accès de l'air. Les graines submergées ne germent pas, soit parce que l'oxygène dissous est bientôt consommé par la graine, soit parce qu'il n'agit pas à l'état convenable, c'est-à-dire libre. Toutefois la submersion ne détruit pas la faculté germinalive; il y a môme, d'après M. Martins, des graines qui peuvent traverser les mers et aller germer d'un continent à l'autre. L'appareil simple dont nous nous servons pour faire germer les plantes consiste en une éprouvette (fig. i), dans laquelle nous suspendons avec un fil des éponges humides auxquelles sont adhérentes les graines que l'on veut faire germer. Nous plaçons au fond de l'éprouvette un peu d'eau en b pour que l'éponge ne se dessèche pas; puis on bouche ou non les tubes cl, cV suivant les circonstances dans lesquelles on veut se placer, soit que Ylli L/VTENTE DES GRAINES. 73 l'on veuille confiner l'atmosphère de l'éprouvette ou y faire circuler un courant d'air. 2° Oxygène. — Voici des éprouvettes dans lesquelles des graines ont été disposées, sur des éponges, à l'humi- dité et à la chaleur convenables, mais dans une atmo- sphère impropre au développement. Dans l'une il y a une atmosphère d'azote; dans l'autre une atmosphère d'acide carbonique. FiG.l. — Dans cotlc cprouvcttc E, nous avons introchiit par l'ouverture supérieure deux éponges humilies (i et a' qui sont appendues ù des fils fixes par le boucliou en caoutchouc c. L'éponge a porto des graines de cresson alé- nois que l'on vient d'introduire dans l'appa- reil ; l'éponge a' porte des graines de cresson alénois au 4'= ou 5" jour de germination. Deux houchons en caoutchouc c, c' sont traversés jiar deux tubes rf, (i' ([ui font communiquer J'atmosphère intérieure de l'appareil avec l'atmosphère extérieure. Cela permet de faire passer des gaz différents dans l'appareil, si l'on veut, ou bien d'extraire les gaz qu'il renferme pour les analyser. Dans le fond de l'éprouvette, il y a une couche d'eau b pour que l'atmosphère intérieure reste toujours saturée d'humidité. Nous avons choisi pour ces expériences des graines de cresson alénois, qui ont l'avantage de germer très- vite. Sur une éponge humide, dans une éprouvette fermée et remplie d'azote, nous avons vu les graines se gonfler; elles se sont entourées d'une sorte de couche mucilagineuse; la température ambiante, de 21 à 25 degrés, était très-favorable à la germination, et cepen- 74 LES TROIS FORMES DE LA VIE. dant il n'y a pas eu germination depuis deux ou trois jours que l'expérience est commencée. Dans une autre éprouvette nous avons placé de même des graines de cresson alénois sur une éponge humide dans une atmosphère d'acide carbonique, et la germination n'a pas eu lieu non plus. Enfin, dans une troisième éprouvette nous avons mis semblablement des graines de cresson alénois dans une atmosphère humide avec de Tair ordinaire, et la germi- nation est déjà très-évidente après un jour. Toutefois les graines qui n'ont point encore germé dans l'atmosphère d'azote et d'acide carbonique ne sont point mortes; la germination n'a été que suspendue, car si nous faisons disparaître ces gaz en leur substituant l'air ordinaire ou l'oxygène, la végétation reprendra bientôt. Ces expériences démontrent que pour manifester la vitalité, la graine a besoin de toutes les conditions que nous avons énumérées précédemment; si l'une d'elles seulement vient à manquer, l'eau ou l'oxygène, par exemple, la germination n'a pas lieu. Mais cet air lui-môme doit être au degré convenable de richesse en oxygène. S'il en a trop peu, la germina- tion ne se manifestera pas; de même, s'il en contient trop, soit que l'atmosphère possède une composition centésimale trop riche en oxygène, soit qu'avec sa com- position ordinaire cet air soit comprimé. Alors, dans un volume donné, la proportion du gaz vital devient trop élevée, ainsi que l'ont démontre les recherches de M. Bert. VIE LATENTE DES GRAINES. 75 Nous avons observé en outre un fiiit important sur lequel nous aurons à revenir plus tard. Les graines de cresson alénois, par exemple, ne peuvent germer que dans un air relativement riche en oxygène ; en mélan- geant un volume d'air avec deux volumes d'un gaz inerte, de Thydrogène, par exemple, la germination n'a pas lieu. Chose singulière, tout l'oxygène est absorbé. Il paraît probable que si alors on ajoutait une nouvelle dose d'oxygène à celle qui a été insuffisante d'abord pour opérer la germination, elle serait suffisante la seconde fois. La respiration de la graine est donc Irès- active et elle paraît, jusqu'à un certain point, plus in- tense relativement que celle des animaux. Celte nécessité d'un air assez riche en oxygène pour opérer la germination nous explique comment il se fait que des graines longtemps enfouies dans la terre y restent à l'état de vie latente et viennent à germer quand on les remet à la surface du sol. On a vu souvent, à la suite de profonds terrassements, apparaître une végé- tation nouvelle qui ne pouvait s'expliquer que de cette façon. Je tiens d'un ingénieur que dans certains terras- sements exécutés lors de la création du chemin de fer du Nord, on a vu apparaître sur les talus une riche vé- gétation de moutarde blanche qu'on n'avait pas obser- vée auparavant. Il est probable que les mouvements de terrain avaient remis à l'air des graines de moutarde blanche enfouies dans le sol et restées à l'état de vie latente, à une profondeur qui ne permettait pas à la végétation d'avoir lieu à cause du manque d'oxygène. 3° Chaleur. — La température doit être contenue 76 LES TROIS FORMES DE LA. VIE. dans des limites déterminées, mais ces limites sont va- riables pour les diverses espèces de graines. M. de Can- doUe a publié à ce sujet, dans la Bibliothèque universelle et Revue suisse (nov. 1865, août et septembre 1875), des recherches très-intéressantes. Le fait qui nous inté- resse ici, c'est de démontrer que pour la môme espèce de graines la germination peut être ralentie ou suspen- due, non-seulement par une température trop basse, mais aussi par une température trop élevée. Avec les graines du cresson alénois qui ont servi à nos expérien- ces, la température qui semble la plus convenable pour une rapide germination est comprise entre 19 et 29 de- grés; au delà, le développement parait difficile. 1" expérience. — Dans des éprouvettes disposées comme il a été dit (voy. fig. 1) nous avons placé, ces jours derniers, des graines de cresson à la température ambiante du mois de juin, oscillant de 18 à 25 degrés. Dès le lendemain, au bout de vingt-quatre heures, la ger- mination était très-évidente, les radicelles étaient toutes poussées et les folioles commençaient à se dégager. 2° expérience. — Dans quatre éprouvettes disposées comme précédemment nous avons introduit des graines de cresson alénois sur des éponges humides. Nous avons modifié l'expérience en ce que dans les quatre éprou- vettes nous avions une atmosphère confinée. Au lieu de laisser les tubes d! ouverts, nous les avons fermés en adaptant à chacun d'eux un tube de caoutchouc que nous avons comprimé avec une serre-fine. Deux de ces éprouvettes ont été laissées à l'air ambiant du laboratoire (17 à 21 degrés). Les deux autres éprou- VIE LATENTE DES GRAINES. 77 vetles ont été plongées clans un bain d'eau chaufTée entre 38 et 39 degrés. Dès Je lendemain les graines avaient germé dans les deux éprouvettes laissées dans le labo- ratoire, tandis qu'aucun développement n'avait lieu dans les éprouvettes plongées dans le bain d'eau. Le troisième jour la germination était complète dans les éprouvettes du laboratoire, et celles plongées dans le bain d'eau étaient comme le premier jour, sans aucun indice de germina- tion. Alors, je retirai du bain d'eau une des deux éprou- vettes et je la plaçai sur la table à côté de celle dont les graines étaient en pleine végétation. Le lendemain on n'apercevait pas nettement des indices de germination, mais le deuxième et le troisième jour la germination se manifesta et marcha ensuite activement. Quant à l'autre éprouvette restée dans le bain de 38 à 39 degrés, le septième jour elle n'offrait encore aucune trace de ger- mination; les graines étaient altérées, entourées de moi- sissures. On retira cette éprouvette du bain et on la plaça sur la table à côté des autres. La germination se mani- festa, mais très-lentement, elle ne commença à être évidente que le troisième ou le quatrième jour. Dans d'autres expériences où j'ai laissé les éprouvettes plus de huit jours à la température de 38 à 39 degrés, la ger- mination n'a plus eu lieu. De sorte que j'ai lieu de croire que dans les conditions indiquées ce point marque la limite supérieure de la germination. 3" expérience. — J'ai placé d'autres éprouvettes conte- nant des graines de cresson alénois dans une étuve sèche à 32 degrés ; elles ont germé très-bien quoique peut- être un peu lentement. Puis j'ai élevé l'étuve à 34°, 5; 78 LES TROIS FORMES DE LA VIE. alors il arriva un arrôt de la germination. Quelquefois cependant deux ou trois graines poussaient bien, mais le plus souvent aucune ne germait. J'ai laissé ainsi pendant six à sept jours des graines dans 1 etuve sans résuUat. On les en retira, le lendemain même la germination mar- chait avec activité. En résumé, on voit que de 35 à 40 degrés la germi- nation du cresson alénois est ralentie ou suspendue mais non pas détruite sans retour. Il y a donc une sorte d'anes- thésie ou plutôt d'engourdissement produit par une tem- pérature trop élevée comme par une température trop basse. Ainsi la manifestation des phénomènes vitaux exige non-seulement le concours de la chaleur, mais d'un degré de chaleur fixé pour chaque être. Je rapprocherai de ces expériences un autre fait sin- guher que j'ai observé depuis longtemps, à savoir qu'on anesthésie les grenouilles à cette môme température de 38 degrés, qui est cependant la température de la vie normale des mammifères. Nous devons faire ici une remarque : la graine ne saurait être comparée physiologiquemeut à l'œuf, ainsi qu'on le fait trop souvent. Nous verrons plus loin que l'œuf ne tombe jamais en état de vie latente. La graine n'est pas l'ovule, le germe de la plante; elle en est l'em- bryon. La partie essentielle de la graine est en effet la miniature du végétal complet : on y trouve le rudiment de la racine ou radicule^ le rudiment de la tige ou tigelle, du bourgeon terminal ou gemmule^ des premières feuilles ou cotylédons. C'est donc \ embryon qui reste en état de vie latente VIE LATbNTE DES PLANTES. 79 tant que les conditions extérieures ne se prêtent pas à son développement. D'où il résulte que ce que nous avons dit précédemment de la vie latente ne s'applique pas à l'œuf du végétal, mais bien au végétal lui-même. L'eau et la chaleur sont pour l'embryon végétal des conditions indispensables du retour de la vie latente à la vie manifestée. La suppression de ces conditions fait cons- tamment disparaître la vie, leur retour la fait reparaître. Une curieuse expérience de Th. de Saussure montre que, lors même que l'embryon a commencé son évolution germinatrice, il peut encore s'arrêter et retomber en indifTérence chimique. On prend du blé germé, on le dessèche : à cet état, on peut le conserver pendant; très-longtemps, absolument inerte, comme on conservait la graine d'où cet embryon est sorti. L'air renfermé dans le vase qui contient l'embryon desséché n'éprouve plus de modifications et témoigne par là que l'échange est nul entre l'être rudimentaire et le milieu. En lui ren- dant l'humidité et la chaleur, c'est-à-dire les conditions propices, la vie reparaît. On peut renouveler ces alter- natives un assez grand nombre de fois, et le résultat se produira toujours de même. La faculté de vie latente ne disparaîtra que lorsque le développement sera assez avancé pour que la matière verte se montre dans les premières feuilles. Ces phénomènes de vie latente expliquent quelques circonstances naturelles très-remarquables et qui avaient vivement frappé l'imagination de ceux qui les obser- vaient pour la première fois. 80 LliS TROIS FORMES DE LA. VIE. Un grand nombre de graines véritables ou de spores (graines simples des acotylédonées) sont enfouies dans le sol ou disséminées à la surface à l'état d'inertie. Tout à coup, à la suite d'une ])luie abondante, ou d'un rema- niement de terrain, elles entrent en germination et le sol se couvre d'une végétation inattendue et comme spontanée. De même, on voit dans les allées des jardins, à la suite d'une pluie d'orage, des plaques vertes formées par le développement d'une espèce d'algues, le nos- toch . Toutes ces végétations ne sont pas apparues subite- ment et spontanément : les germes existaient dans la profondeur du sol, ou à l'état de dessiccation dans la poussière qui le recouvrait, et ils ne se sont manifestés en se développant que lorsqu'ils ont trouvé les conditions d'aération, d'bumidité et de chaleur qui sont les trois facteurs essentiels des manifestations vitales. B. Vie latente chez les animaux. — Les organismes animaux offrent aussi beaucoup d'exemplesdevieîatente. Un grand nombre d'êtres sont susceptibles de tomber, par la dessiccation, en état (ï indifférence chimique. Tels sont beaucoup d'infusoires, les kolpodes, entre autres, bien étudiés par MM. Coste, Balbiani et Gerbe. {Compt. rend, de ïAcad. des se, t. LIX, p. 44.) Mais les plus célèbres de ces animaux sont les rotifères, les tardigrades et les anguillules de blé niellé. Les Kolpodes sont des infusoires ciliés d'une assez grande taille, ayant la forme d'un haricot, armés de cils vibratiles sur toute leur surface (voy. fig. 2 e). On les voit Vlli LATIÎNTIÎ DES KOLPODES. 81 SOUS le microscope introduire par une bouche placée dans l'échancrure de leur corps les monades, les bacté- ries, les vibrions dans leur estomac, et expulser par une ouverture anale placée à la grosse extrémité du corps, le résidu de la digestion. Près de cette ouverture anale se trouve une vésicule contractile prise pour le cœur par certains micrographes et qui paraît être l'organe propulseur d'un appareil aquifère. Au centre du corps du kolpode apparaît un assez volumineux oi'gane de reproduction. FiG. 2. — EnkyslemeiU dos koIpoJas. a, b, c, kolpode so divisant dans rinlo'rieur de leurs kystes en doux, quatre ol plus grand nombre de kolpodes nouveaux. — d, kolpode sortant de son kyste. — e kolpode libre. — f, f, kolpode enkysté. ' Quand à la surface des infusions, il se forme une pelli- cule où se développent des monades, des vibrions, des bactéries, on voit les kolpodes répandus dans le récipient se diriger vers cette pellicule pour y assouvir leur faim sur les animalcules qui la composent ou bien pour s'y mettre en contact avec l'air. Puis, parmi ces kolpodes, ou en voit qui s'arrêtent tout à coup, se mettent à tour- ner sur place, se courbent en boule, et continuent cette giration jusqu'à ce qu'une sécrétion de leur corps se soif coagulée autour d'eux en une membrane envelop- CI.. REIINAIID. 6 82 LliS TROIS FORMES DR LA. VU-:. panle : ils s'enkystent, en un mot, et alors ils deviennent complètement immobiles dans leur enveloppe comme un insecte dans son cocon. Les plus petits à cette période de leur existence ont une grande ressemblance avec un ovule ; c'est ce qui a pu faire croire à un œuf spon- tané. Bienlôt les kolpodes enkystés et immobiles se séparent en deux, en quatre, et quelquefois en douze kolpodes plus petits (voy. fig. 2), qui une fois séparés et distincts entrent en giration chacun pour leur compte sous leur commune enveloppe. Les mouvements auxquels ils se livrent finissent par user le kyste en un point quelconque et dès qu'une fissure y est pratiquée, on les voit sortir de leur prison et se mêler à la population dont ils ac- croissent le nombre. Ce sont les kystes de multiplication par opposition à un autre enkystement qui se ratta- chera à la conservation de l'individu. Telle est l'explica- tion du peuplement des infusions. Quand dans les infusions les kolpodes ont épuisé leur pouvoir reproducteur et que l'évaporation menace de tarir leur récipient, ils s'enkystent pour se mettre à l'a- bri des causes de destruction. On peut alors les faire sécher sur des lames de verre et les conserver indéfini- ment en cet état ; ils reviennent à la vie dès qu'on leur rend l'humidité. M. Balbiani conserve de la sorte depuis sept ans des individus qu'il rend cà la vie active et qu'il dessèche chaque année. Ces kystes de kolpodes, graines animales impalpables s'attachent comme la poussière à la surface des corps, sur les feudies, les branches, les écorces des arbres, sur Mil I.ATIÎNÏIÎ DliS ROTIFlîUKS. 88 les herbes au fond des iiiai'eà laries, dans le sable ou la vase desséchée. Leur petitesse leur permet de passer à travers les fillres et l'on ne peut s'en débarrasser. Ils rompent leur enveloppe toutes les fois que les pluies ou la rosée leur rendent l'humidité, prennent la nourriture qui se trouve à leur portée et forment un nouveau cocon dès que l'eau vient à leur manquer. Ils passent donc tour à tour dans un état de mort apparente et de résurrection sous l'influence d'une condition physique qui existe ou fait défaut. Les rotifères ou rotateurs (fig". 3 et 4) sont des animaux d'organisation déjà élevée, classés soit parmi les vers FiG. 3. — riutifèro des loits ù l'ûUit tlu vie iiclivu. 1, organes ciliés. —2, liiho respiratoire. — 3, appnreil masliealeiir. — 4, iiiteslin. — 5, vésicule eoMlraclilc. — G, ovaire. — 7, canal d'excrélioii. (Gcgenbaur), soit comme gi'oupe à part entre les crus- tacés et les vers (Van Beneden). Ces animaux ont de 0""",05 à i millimètre : ils sont 84 LES TROIS FORMES DE LA VIE. donc loin d'être microscopiques. On les trouve dans les mousses et surtout dans celles (Brjjum) qui forment des touffes vertes sur les toitures. Leur organisation nous montre des appareils très- variés : ils possèdent des organes viscéraux et locomoteurs assez compliqués (voy. tig. 3). Ils peuvent ramper ou nager et, suivant qu'ils ont recours à l'un ou l'autre mode de locomotion, l'aspect sous lequel ils se présentent change. Dans l'état le plus ordinaire, leur corps est fusiforme, aminci à la partie antérieure et terminé par une sorte de ven- touse ciliée au moyen de laquelle ils se fixent aux corps solides pour progresser par reptation comme les sangsues. Ce prolongement d'autres fois est rétracté vers l'intérieur et alors on voit saillir deux lobes arron- dis en forme de disques bordés de cils. A l'état de vie latente ils sont immobiles et ramassés en boules comme on le voit dans la figure 4. KlG. hi. — Rolifèro à l'dlat de dessiccation. FiG. 5. — Ci'nf|iiis de tardigradc (Emydhm a o lesludo) uriiiipaiit sur un grain do sable. \ organe rotateur. — 2, yeux. — 3, appa- / 1> i s reil masticateur. — 4, intestin. Les tardigrades (tig. 5), bien étudiés au point de vue VIE LATIÎNTIi: DES TARDIGRADES. 85 de leur vie latente par M. Doyère (:!}, sont des animaux encore plus élevés en organisation que les précédents. Ils appartiennent à la classe des arachnides : c'est une famille ^acariens. Ils ont quatre paires de pattes courtes, articulées, munies d'ongles. Leur corps apointi en avant permet de distinguer 3 ou 4 articulatioiis. Exclusivement marcheurs, ces animaux vivent dans la poussière des toits ou sur les mousses qui y végètent. Exposés à des variations hygrométriques excessives, ils vivent tantôt dans l'eau qui baigne le sable des gout- tières, comme de véritables êtres aquatiques, tantôt comme des vers de terre. Lorsque l'eau vient à leur manquer, ils se rétractent, se racornissent, et se confondent avec la poussière voi- sine ; ils peuvent rester plusieurs mois, et on conçoit qu'ils puissent rester indéfiniment sans manifestations appréciables de la vie, dans cet état de dessiccation. Mais si, comme Leeuwenhœk le fit pour la première fois, le 27 septembre 1701, on humectecette poussière, on voit au bout d'une heure les animaux y fourmiller actifs et mobiles : leurs organes, muscles, nerfs, viscères digestifs, se rélabhssent dans leurs formes (voy. fig. 6 et 7) ; ils reprennent en un mot toute la plénitude de leur vitalitéjusqu'à ce que la sécheresse vienne l'interrompre encore une fois. Ces faits ont eu un très-grand retentissemenfet ont donné lieu autrefois à des discussions relatives à la ques- tion de savoir si véritablement la vie a été compléte- (1) Doyère, Ann. des se. nal., 18^0-18/il. I-l'-S TROIS lOHIVll'.S DE LA Vils. ment suspendue pendant la dessiccation, ou seulement atténuée comme cela a lieu par le froid chez les ani- FlG. G. — Syslùinc miispiilairo ol nerveux cl'iiii milncsium Inrdigraihun (fis'ni'o enipi'imtéo à Dnyère, Thèse de la Faculté dos sciences de Paris, 18i2). Systèmes musculaire et nerveux du lardig-rade. — A, modo do lenninaison des nei fs dans les niiisclos, — B, un ganglion nerveux de la chaîne sons-intestinale. FiG. 7. — Système digestif dn Milnesiwn lar- rf/V/rndîH» (Doyèrc, Thèse de la Faculté des sciences de Paris, i842). /), houclie. — g l s, {flandes salivaire. — ci, sac (1/geslif avec ses lobes extérieurs et sa cavité interne. — ov, l'ovaire rejeté sur le coté. — vs, vésicule séminale. maux hibernants. Après un débat porté devant la So- ciété de biologie par MM. Doyère, Davaine et Pouchet, VIE LATliNTIi DES ANGUILLULES. 87 il fut bien établi que : « i" il n'y a pas de vie appréciable » dans les corps inertes des animaux reviviscibles et » 2^' que ces corps conservent leur propriété de revivis- » ccnce dans des conditions (vide sec à 100° ) incompa- tibles avec toute espèce de vie manifestée. D'après ces faits, il paraît bien certain que la vie est complètement arrêtée malgré la complexité de l'orga- nisation de ces animaux. On y trouve en efTet des mus- cles, des nerfs, des ganglions nerveux, des glandes, des œufs, tous les tissus eu un mot qui constiluent les or- ganismes supérieurs (voy. fîg. 6 et 7). Cependant on n'a jamais à ma connaissance, fait l'expérience de les con- server pendant un très-long espace de temps à l'état de vie latente. Le vrai critérium qui permet de décider si la vie est réellement arrêtée d'une manière absolue, c'est la durée indéterminée de cet arrêt. FiG. 8. — Figure d'après M. le docteiir Davaino (Mémoires de la Société de biologie, 1850). A, grains de blc niellé de grandeur naturelle. B, coupe en travers du grain niellé contenant des anguillules adultes, grossi quatre fois. C, coupe longitudinale d'une jeune tige de blé, grossie cent fois; on n'a pu figurer (|u'uue portion de cette coupe sur laquelle on voit une anguillule (larve), sou attitude montre qu'elle n'est ni dans los vaisseaux ni dans le tissu de la fouille, niais à la surface. Anguilliiles de blé niellé (fig. 8). — Les faits observés sur les anguillules du blé niellé ne sont pas moins in- 88 LRS TROIS FORMES Dl- LA. Vllî, téressaiits que ceux que nous avons examinés précé- demment. Us conduisent d'ailleurs aux mêmes conclu- sions (1), La îiielle se manifeste dans le blé, par une déforma- lion du grain, après sa maturité et par un changement de couleur. Les grains sont petits, arrondis, noirâtres et consistent en une coque épaisse et dure dont la cavité est remplie d'une poudre blanche (fig. 8, A etB). Cette ma- ladie est provoquée par l'existence d'helminthes néma- toïdes très-petits, existant dans chaque grain au nombre de plusieurs milliers. Ces anguillules {anguillula tritici) n'ont point d'organes sexuels et ne peuvent se repro- duire : mais elles proviennent d'œufs déposés par d'au- tres anguillules pourvues d'organes génitaux qui avaient pénétré dans le grain avant sa maturité. Celles-ci s'é- taient introduites dans la jeune plante, développée par la germination, entre les gaines des feuilles, qui renfer- ment l'épi en voie de formation (fig. 8, C). Mais cette introduction n'est possible que si la plante est humide, car alors seulement l'anguillule est active et peut s'élever le long de la tige. Sinon l'anguillule restera dans le sol, au pied de l'épi nouveau, et le blé sera pré- servé de sou atteinte. Aussi est-ce dans les années hu- mides, où les pluies sont abondantes au temps de la for- mation de l'épi, que les blés sont sujets à la nielle. Les cultivateurs savaient cela, mais ils ne pouvaient com- prendre le rapport qu'il y a entre l'humidité de la saison et la nielle du blé. On voit que ce rapport n'a rien de (1) DavainCj Mémoires de la Société de biologie, 1856. vu; I.ATE.NTli DES A.VGUILLULES. 89 mystérieux; c'est une simple condition physique qui fait que le chemin est praticable ou non pour le parasite. 11 en est ainsi généralement, et toutes les harmonies natu- relles se ramènent à des conditions physico-chimiques quand nous en connaissons le mécanisme. Le grain de blé est, à cette époque, formé d'un paren- chyme jeune et mou, dans lequel les diverses parties, paléoles, étamines, ovaires ne sont point distinctes, et où l'anguillule peut pénétrer facilement. C'est là que l'ani- mal passe de l'état de larve à l'état parfait; ses organes sexuels, qui ne s'étaient point encore développés, appa- raissent et atteignent leur perfectionnement organique; la femelle pond des œufs qui arrivent à éclosion et vivent à l'étal de larve dans la cavité qui renferme les parents destinés à périr. Les anguillules larves ne tardent point à se dessécher avec le grain lui-même et attendent, dans un état de mort apparente, les conditions nécessaires à leurs manifestations vitales : l'humidité et l'air. Les larves d'anguillules se présentent sous forme de poussière blanche grossièrement semblable à de l'ami- don, ayant une longueur moyenne de 8 dixièmes de millimètre (fîg. 8, B). La respiration de ces animaux quand ils sant dans le grain de blé est nulle. M. Davaine a maintenu dans le vide pendant vingt-sept heures des anguillules enfermées dans des épis verts, sans que ces animaux fussent modi- fiés bien sensiblement dans leur activité par ce traite- ment. On conçoit donc qu'il serait possible de conserver des anguillules desséchées indéfiniment dans le vide. Mais on ne pourrait pas agir de même sur les larves vivantes 90 LKS TROIS FOUMKS DE LA VIK. dans l'eau, li^xposée dans le vide, elles tombent bientôt dans un état de mort apparente; elles reviennent à l'activité quand on laisse l'air arriver de nouveau. Je vous ai montré qu'il suffit d'empêcher le contact de l'air avec l'eau où elles vivent, en mettant de l'huile par exemple autour de la lamelle du porte-objet du micro- scope pour voir bientôt les anguillules tomber en état d'asphyxie. M. Davaine n'ayant trouvé dans l'intestin de ces ani- maux ni revêtement cellulaire auquel on pourrait attri- buer des fonctions digestives, ni particules solides, en conclut que vniisemblablement la nutrition de ces ani- maux, comme leur respiration, s'accomplit en partie par la peau. Je pense que la nutrition doit surtout s'o- pérer au moyen de réserves alimentaires que renferme le corps de l'animal et non par l'absorption de substan- ces venues du dehors. Ces animaux se meuvent sur place, sans progresser vé- ritablement tant que dure leur vie. Leurs mouvements ne subissent pas d'interruption à moinsque quelque con- dition extérieure n'intervienne. La dessiccation, la sous- traction de l'air sont les conditions ordinaires qui arrêtent ces mouvements ainsi que toutes les manifestations appa- rentes de la vie. Baker, en 1771, observa que des anguillules con- servées inertes depuis vingt-sept ans, reprenaient leur activité dès qu'on les humectait. Pour ma part j'ai vu des anguillules revenir à la vie après avoir été conser- vées pendant ([uatre années, dans un flacon très-sec et bien bouché. yiE LATliNTE DIÎS ANGUILLULIiS. 94 Spallanzani détermina leur revivificalion et leur en- gourdissement jusqu'à seize fois de suite. Ces animaux ne peuvent pas revenir tà la vie indéfiniment, parce que à chaque reviviscence, ils consomment une partie de leurs matériaux nutritifs sans pouvoir réparer cette perte puisqu'ils ne mangent pas. De sorte qu'à la fin la condition intrinsèque formée par la réserve des maté- riaux nutritifs, finit par disparaître et empêcher la vie de se manifester lors môme que subsistent les trois autres conditions extrinsèques : chaleur, eau, air. Si l'on abaisse progressivement la température de l'eau qui renferme les anguillules, elles conservent leurs mouvements jusqu'à zéro. Puis les mouvements s'étei- gnent. Lorsqu'ensuite on élève de nouveau la tem- pérature, c'est seulement vers 20 degrés qu'on les voit sortir de leur état de mort apparente. Elles renaissent ainsi lors même qu'elles ont subi un abaissement consi- dérable de température, jusqu'à 45 ou 20 degrés au- dessous de zéro. Elles résistent moins bien que les rotifères aux températures élevées, et à 70 degrés au- dessus de zéro elles périssent infailliblement. On a observé qu'il faut continuer l'action de l'hu- midité pendant des durées de temps très-inégales pour déterminer la reviviscence des anguillules. Mais on peut faire en sorte qu'une seule des autres conditions néces- saires fasse défaut, l'aération par exemple; si on la fait intervenir après humectalion prolongée, la reviviscence se produira dans des temps sensiblement égaux. Pour réaliser l'expérience, j'humecte les grains niellés pen- dant vingt-quatre heures; les ouvrant alors, on observe 92 IMS TIIOIS FOIIMICS DE I.\ ME. que le môme temps est à pcn près nécessaire pour ra- mener les animaux à la possession de leurs fonctions vilales. Toutefois si on laisse les grains de nielle entiers trop longtemps immergés dans l'eau, les anguillules finissent par perdre la faculté de reviviscence. Autres exemples de vie latente : œufs, ferments, levure de bière, etc. — Nous avons vu que la graine fournit un des exemples les plus nets de vie latente. Le subslra- tum de la vie existe bien dans la graine; mais si les conditions physico-chimiques externes font défaut, tout conflit, tout mouvement vital est suspendu. On a été tenté de chercher des phénomènes analo- gues dans les œufs de certains animaux, en les compa- rant aux graines. Cette assimilation est inexacte. La graine n'est pas un œuf, nous l'avons déjà dit; elle n'en a pas les propriétés : c'est un embryon. 11 ne faut pas s'étonner d'ailleurs que l'œuf ne puisse pas comme la graine tomber en état d'indifférence chimique, à l'état de vie latente. L'œuf est un corps en évolution, dont le développement ne saurait s'arrêter d'une manière complète. Il est seulement k l'état de vie engourdie ou oscillante, comme nous le verrons; il reste toujours en relation d'échange matériel avec le milieu. En un mot l'œuf respire; il prend de l'oxy- gène et restitue de l'acide carbonique; il ne reste pas inerte dans le milieu ambiant inaltéré. L'indifférence ou l'inertie apparente de l'œuf n'est qu'une illusion produite par la lenteur, l'atténuation ou l'obscurité des phénomènes qui s'y passent. Les œufs des vers à soie, par exemple, attendent pour éclore le APPARENCE DE VIE LATENTE DES OliUFS. 98 retour du prinlemps; mais on doit admettre que la vie n'y a pas été complètement suspendue. Des changements s'y accomplissent sous l'influence du froid, et le prin- temps revenant, la chaleur ne trouve plus l'œuf dans le même état, avec la même constitution qu'il avait à la fin de l'automne. On comprend dès lors que la chaleur qui, à cette époque, n'avait pu déterminer le déve- loppement de l'œuf le puisse faire maintenant. Ces phénomènes résultant de l'influence des condi- tions physiques du milieu sur la vie latente ou la vie engourdie des êtres nous expliquent certaines adapta- tions harmoniques de la nature. A quoi servirait, par exemple, que l'œuf du vers à soie puisse éclore au milieu de l'hiver, puisque l'animal ne trouverait point les feuilles dont il doit se nourrir. Il est donc naturel que cet œuf n'acquiert cette faculté qu'au printemps et qu'il sommeille pendant les froids de l'hiver en complétant lentement son développement. Des phéno- mènes analogues d'hibernation se passent sans doute dans les végétaux. Toutefois il ne faudrait pas attri- buer ces phénomènes à des causes surnaturelles ou merveilleuses. L'influence du cours des saisons, l'in- fluence de leur durée s'expliquent par le retour et les alternatives de conditions physico-chimiques détermi- nées. L'hiver n'a pas agi sur les œufs de vers à soie comme une condition particulière ou extra-physique; l'hiver a agi simplement comme condition physique, comme froid. C'est ce qu'ont démontré les expériences de M. Duclaux. L'œuf de vers à soie pondu à la fin de l'été ne doit éclore naturellement qu'au printemps 94 LHS TROIS FORMES Dli LA Vlli!. suivant parce que l'hiver et les froids apporleiil une condition physique favorable à un certain dévelop- pement insensible qui doit précéder son éclosion. Or on peut remplacer l'hiver naturel par un hiver arli- ficiel. Si l'on soumet ces œufs pendant vingt-quatre heures à l'action d'une température de zéro degré, puis, que l'on fasse intervenir la chaleur, le dévelop- pement se fait immédiatement et sans retard. Les ferments^ ces agents si importants de la vie et encore si peu connus, ont la faculté de tomber en étal de vie latente. Toutefois, nous devons faire ici une dis- dinction relativement aux ferments solubles et aux fer- ments figurés. Les premiers ne sont pas des être vivants, et la propriété qu'ils nous offrent de se dessécher puis de se redissoudre et de reprendre leur activité chimi- que, ne peut rappeler que de loin les phénomènes de vie latente. Les ferments figurés, au contraire, sont des êtres vivants qui se reproduisent; après avoir été desséchés, ils revivent sous l'influence de l'humidité et manifestent non-seulement leurs propriétés chi- miques, mais encore leur faculté de prolifération, de reproduction ; ce sont bien là de vrais phénomènes de vie latente. La levure de bière nous fournit un précieux exemple de cette double faculté. Que l'on prenne de la levûre en pleine activité et qu'on la soumette à une dessiccation graduelle, elle se trouvera réduite k l'état de vie latente, on pourra l'exposer à une température fort élevée ou à l'action de l'alcool prolongée, elle résistera à ces épreuves; et lorsqu'ensuile on la placera dans des con- VIlî LATENTK DES FLRMliNTS. 95 dilions convenables elle revivra et pourra se développer de nouveau. Voici un tube dans lequel nous avons mis en fermen- tation do la levûre de bière desséchée à 40 degrés et conservée depuis deux ans; elle s'est peu à peu imbibée d'eau et a produit la fermentation alcoolique quand on y a ajouté du sucre. Dans un autre tube, nous avons mis de la levûre de bière également desséchée et conservée dans de l'alcool absolu depuis un an et demi. Elle s'est également imbibée d'eau peu à peu et a très-bien produit ensuite la fcjr- mentation alcoolique. Dans une autre expérience, j'ai délayé de la levure de bière fraîche dans de l'alcool absolu 01,1 elle est restée immergée trois ou quatre jours. Après ce temps, j'ai recueilli cette levûre sur un filtre pour la dessécher ; mise de nouveau avec de l'eau sucrée, elle a donné lieu à une fermentalien alcoolique très-active. Je dois ajouter que dans tous les cas où la levûre a été préala- blement desséchée, qu'elle ait été soumise ou non à l'in- fluence de l'alcool, il faut qu'elle s'imbibe de nouveau par une macération préalable de vingt-quatre ou trente- six heures, avant que la fermentation alcoolique appa- raisse avec tous ses caractères : inversion de la saccha- rose en glycose, dédoublement de la glycoso en acide carbonique et alcool, etc. On voit ainsi que les deux fer- ments dont est constituée la levûre de bière : le ferment inversif ou ferment soluble, et le iorula cerevisiœ, ferment figuré, possèdent tous deux la faculté de reprendre leur propriété après dessiccation. 96 'les trois fokmi'S de la vie. Explication de la vie latente. — La dessiccation est une condition de protection pour les organismes qui doivent être exposés aux vicissitudes atmosphériques. Nous avons vu les kolpodes, les rotateurs, les tardi- grades, les anguillulcs s'enkysler, se segmenter, s'en- rouler, etc., dès que l'eau nécessaire à leurs manifesta- tions vitales vient à manquer. Si maintenant nous cherchons à nous rendre compte des mécanismes par lesquels se produit l'état de vie latente et se fait le retour à la vie manifestée, nous verrons avec la plus grande évidence l'influence des conditions extérieures se manifester sur les deux ordres de phénomènes auxquels nous avons rattaché la vie chez tous les êtres : la création et la destruction orga- niques. Occupons-nous d'abord du passage de la vie mani- festée à l'état de vie latente. La condition principale que doit remplir un organisme pour tomber dans cet état, c'est la dessiccation. Les autres circonstances, de température, de composition de l'atmosphère gazeuse, ne sauraient agir aussi efficacement que la dessiccation pour suspendre la vie. Une graine humide soumise au froid ou exposée dans un gaz inerte, finiroit probable- ment à la longue par s'altérer. Cependant on ne pour- rait pas conclure d'une manière absolue que le maintien illimité de la vie latente exige la dessiccation, car des graines enfouies dans la terre ou au fond de l'eau, se sont conservées en état de vie latente pendant des temps indéterminés mais certainement très-considé- rables (au moins un siècle). EXPLICATION DE LA VIE LATENTE. 97 La dessiccation a pour conséquence immédiate de faire disparaître, de rendre impossible les phénomènes de des- iruction organique^ c'est-à-dire les manifestations fonc- tionnelles de l'être vivant; il en est de même des autres conditions qui produisent la vie latente. Les propriétés physiques des tissus, leur élasticité, leur densité, leur ténacité, sont d'abord modifiées par un degré de dessic- cation de la substance organisée poussée trop loin. Viennent aussi les phénomènes chimiques de la destruc- tion vitale, dont l'action se trouve arrêtée par le fait même de la dessiccation ; car les agents de ces phéno- mènes, les ferments^ en se desséchant deviennent iner- tes. La dessiccation amène donc la suppression de la destruction vitale en faisant disparaître les propriété *. physiques et chimiques des tissus. La création vitale s'arrête alors, elle aussi, dans les cellules desséchées. En un mot, la vie, considérée sous ses deux faces, es suspendue : l'organisme est en état d'indifférence chimi- que, il est inerte. Il y a arrêt de la vie ou vie latente. L'influence de la dessiccation sur les propriétés phy- siques des tissus et des substances de l'organisme a été mise en évidence dans un travail fondamental publié en 1819 par M. Chevreul [Mémoires du Muséum^ t. XIII). Ces recherches, très-importantes pour la physiologie, ont porté sur les tendons, les tissus fibreux, le ligament jaune et diverses substances albuminoïdes. Les tendons ÎQvuïQni les tissus par lesquels les m-uscics s'attachentauxos; ils se présentent à l'état normal comme des cordons souples, élastiques, d'aspect nacré, ayant une CL. BERNARD. 7 98 LES TROIS FORMES DE LA VIE. grande ténacité. Lorsqu'ils sont secs, ils perdent 50 pour 400 d'eau environ, ils deviennent jaunâtres : leur élas- ticité a diminué au point que si on les courbe, il se pro duit des déchirures, des ruptures et le tissu est désor- ganisé. Mais qu'on remette le tendon dans l'eau, il absorbe de nouveau ce liquide jusqu'à en reprendre à peu prè sa teneur normale. La dessiccation lui avait fait perdre ses propriétés; l'humeclation les lui restitue. La fibrine du sang se trouve dans les mêmes condi- tions. Elle peut perdre par la dessiccation 80 pour iOO d'eau et avec cela disparaissent sa couleur, sa ténacité, son élasticité. Remise au contact de l'eau elle en re- prend environ la même quantité et recouvre ses pro- priétés perdues. La cornée transparente offre des phénomènes ana- logues. Desséchée, elle devient opaque : humectée de nouveau elle reprend sa transparence (4). On voit donc que pour les tissus, qu'on peut consi- dérer comme de simples matériaux physiques de l'oi ga- nisation, leurs propriétés n'interviennent dans les nia- (i) 11 n'y a pas que la dessiccation qui fasse perdre à la cornée sa transpa- rence. Quand on comprime entre les doigts l'oeil d'un chien ou d'un lapin récemment extrait de l'orbite, on voit lu cornée devenir opaque par la pression et reprendre sa transparence quand la compression cesse. J'ai, il y a bien longtemps, montré que ce phénomène se reproduit sur le vivant. Si avec l'extrémité du manche d'un scalpel on cxoplithalniisc les yeux sur un chien ou sur un lapin, les deux globes oculaires font saillie avec une cornée opaque à tel point que l'animal est devenu aveugle j mais dès qu'on fait rentrer l'œil dans l'orbite, la compression cessant, la cornée devient transparente et l'animal recouvre la vue. Ici l'opacité de la cornée doit être attribuée, non à la dessiccation de la cornée mais bien à un changement de la disposition moléculaire dans ses parties constituantes. DESSICCATION DES TISSUS. 99 nifestations de la vie, qu'en raison de l'eau qu'ils ren- ferment. ]] albumine d'œuf soluble présente des phénomènes très-analogues à ceux que nous avons précédemment signalés. Si on la dessèche lentement (au-dessous de 45 degrés) elle devient jaune, cassante, en perdant environ 90 pour iOO d'eau. Si ensuite on ajoute de l'eau, elle se redis- sout de nouveau. Quand l'albumine se trouve à cet état de dessiccation, on peut la soumettre à une tem- pérature sèche élevée, à 100 degrés par exemple, sans qu'elle perde la faculté de se redissoudre. L'albumine d'œuf coagulée par la chaleur se dessèche en laisant évaporer environ 90 pour 100 d'eau, mais si après dessiccation on l'humecte, on voit qu'elle a perdu sans retour la propriété de se redissoudre. Cette expé- rience sur la solubilité de l'albumine à ses divers états est un fait capital au point de vue du sujet qui nous occupe. Nous voyons comment la suppression de l'humidité et des conditions extrinsèques propices peut entraîner la disparition, tout au moins la suspension, des propriétés des tissus; toute manifestation vitale qui exige la mise en jeu de ces propriétés physiques et mécaniques se trouve par là même supprimée. Nous devons rapprocher de ces faits une expérience de M. Glénard, de Lyon, relative à la dessiccation du sang du cheval dans ses vaisseaux. Le sang de cheval se coagule lentement; on fait dessécher à une température inférieure à 45 degrés le sang contenu dans une veine 100 LES TROIS FORMES DE LA VIE. jugulaire, par exemple. Après dessiccalion, on constate que ce sang se redissout dans l'eau et que le plasma qui en résulte n'a pas perdu la propriété de se coaguler. Cela montre ce fait intéressant, que, chez un animal élevé, comme chez les êtres inférieurs, la fibrine soluble du plasma ne perd pas sa propriété coagulable par la dessiccation. Nous avons dit que la dessiccation, c'est-à-dire la disparition de l'humidité nécessaire aux organismes, supprime non-seulement les propriétés physiques des tissus mais aussi les 'phénomènes chimiques qui s'y pas- sent. Nous savons que ces phénomènes ont pour agents principaux des ferments et qu'il s'agit ici de fermenta- tion. Or, les expériences les plus simples nous montrent que ces fermentations, comme toutes les actions chimi- ques, ne sauraient s'accomplir qu'au sein d'un milieu liquide. Corpora non agiint nisi soluta. ■ Il faut donc, pour l'accomplissement des fermentations, à la fois une température et un degré d'humidité con- venables; faute de quoi l'action se suspend. J'ai depuis bien longtemps montré dans mes cours que les ferments ont la propriété de se dessécher et de reprendre leurs propriétés quand ils viennent à être humectés de nou- veau. Voici du ferment pancréatique à l'état sec : il peut être mis en contact avec l'amidon desséché sans qu'il se produise aucune action. Si l'on ajoute de l'eau, la trans- formation en sucre se produira rapidement à la tempé- rature convenable. Le ferment n'avait donc pas perdu le pouvoir d'agir : il était seulement dans l'impossibilité de manifester son action. RETOUR A LA VIE MANIFESTÉE. 101 Le suc gastrique desséché ue digère plus; il peut rester indéfiniment au contact de la viande également desséchée sans l'attaquer. L'addition de l'eau, à une température voisine de celle du corps, à 40 degrés, fera reparaître la digestion suspendue. On comprend par ces exemples que la dessiccation abolisse les deux ordres de phénomènes physiques et chimiques de l'organisme. Ces phénomènes caracté- risant la destruction vitale étant empêchés, la création organique s'interrompt à son tour; l'organisme perd les caractères de la vie. Le réveil de l'être plongé dans l'état de vie latente, son retour à la vie manifestée, s'explique tout aussi simplement. C'est d'abord la destruction vitale qui redevient pos- sible par le retour des phénomènes physiques et chimi- ques : puis, la vie créatrice reparaît à son tour, quand l'animal reprend des aliments. Dès que l'humidité et la chaleur sont restituées à l'or- ganisme, les tissus, ainsi que l'ont montré les recherches de M. Chevreul, reprennent la quantité d'eau qu'ils avaient avant leur dessiccation, et leurs propriétés méca- niques et physiques, de résistance, d'élasticité de trans- parence, de fluidité reparaissent. Le retour des phé- nomènes chimiques a lieu tout aussitôt : les ferments desséchés, en s'humectant de nouveau, récupèrent leur activité, les fermentations interrompues reprennent leur cours dans l'organisme vivant comme en dehors de lui, ainsi que l'expérience directe nous l'a montré. C'est donc par le rétablissement primitif des actes de 402 LES TROIS FORMES DE LA VIE. deslruclion vitale que se fait le retour à la vie. La vie créatrice ne se montre qu'en second lieu. C'est là une loi qu'il importe de faire ressortir. L'animal ou la plante en renaissant, commence tou- jours par détruire son organisme, par en dépenser les matériaux préalablement mis en réserve. Cette observa- tion nous fait comprendre la nécessité d'une nouvelle condition pour la réviviscence ou le retour à la vie ma- nifestée. Il faut que l'être possède des réserves, accumu- lées dans ses tissus, pour pouvoir se nourrir et parer à ses premières dépenses, jusqu'au moment où, com- plètement revenu à l'existence, il pourra puiser au dehors, par l'alimentation, les matériaux qui lui sont nécessaires pour faire de nouvelles réserves. Nous retrou- vons ici incidemment une application de cette grande loi sur laquelle nous ne cessons d'insister, à savoir que la nutrition est toujours indirecte au lieu d'être directe et immédiate. L'accumulation de réserves est donc une nécessité pour les êtres en vie latente : la reprise des manifestations vitales n'est possible qu'à ce prix. Dès que les phénomènes de destruction vitale ont recommencé dans l'être tout à l'heure inerte, la création vitale reprend aussi son cours, et la vie se rétablit dans son intégrité avec ses deux ordres de phénomènes carac- téristiques. IL Vie oscillante. — L'être vivant, considéré comme individu complexe, peut être lié au milieu extérieur dans une dépendance tellement étroite que ses manifestations vitales, sans s'éteindre jamais d'une manière complète VIE OSCILLANTE. 103 comme dans l'état de vie latente, s'atténuent ou s'exaltent néanmoins dans une très-large mesure, lorsque les conditions extérieures varient. Les êtres, dont les manifestations vitales peuvent varier dans des limites étendues sous l'influence des conditions cosmiques sont des êtres k vie oscillante ou dépendante du milieu extérieur. Ces êtres sont fort nombreux dans la nature. Tous les végétaux sont dans ce cas : ils sont engourdis pendant l'hiver. La vie n'est pas complètement éteinte en eux : les échanges matériels de l'assimilation et de la désassimilation ne sont pas supprimés absolument, mais ils sont réduits à un minimum. La végétation est obscure : le processus vital presque insensible. Au prin- temps, lorsque la chaleur reparaît, le mouvement vital s'exalte; la végétation engourdie prend une activité ex- trême; la sève se met en mouvement, les feuilles appa- raissent, les bourgeons s'entrouvrent et se développent, des parties nouvelles, racines, branches, s'étendent dans le sol ou dans l'air. Dans le règne animal, il se produit des phénomènes analogues. Tous les invertébrés et, parmi les vertébrés, tous les animaux à sang froid, possèdent une vie oscil- lante, dépendante du milieu cosmique. Le froid les en- gourdit, et si pendant l'hiver ils ne peuvent être soustraits à son influence, la vie s'atténue, la respiration se ralen- tit, la digestion se suspend, les mouvements deviennent faibles ou nuls. Chez les mammifères, cet état est appelé état d hibernation : la marmotte, le loir nous en fournis- sent des exemples. '104 LES TROIS FORMES DE LA VIE. C'est ordinairement l'abaissement de la température qui produit cette diminution de l'activité vitale. Quel- quefois cependant son élévation peut avoir les mômes conséquences. Nous avons déjà vu que les graines en germination et, parmi les animaux, les grenouilles s'engourdissent à une température élevée; de même, il existe un mammifère américain, le Tenrec, qui tombe dit-on dans un véritable état de léthargie sous l'action des plus grandes chaleurs. Les vertébrés les plus élevés (animaux à sang chaud), qui ont un milieu intérieur perfectionné, c'est-à-dire des liquides circulatoires dans lesquels la température est constante, ne sont pas soumis à cette influence du milieu extérieur. Toutefois, à une certaine période de leur exis- tence, au début, ils commencent par être des êtres à vie oscillante. Cela arrive lorsqu'ils sont à l'état à' œuf. Le travail évolutif dont l'œuf d'oiseau doit être le siège exige un certain degré de température assez voisin de celui de l'animal adulte : si cette température convenable n'est point offerte à l'œuf, il reste dans l'engourdisse- ment. Il n'est pas en état d'indifférence chimique, car on peut constater qu'il respire ; il absorbe de l'oxygène et rejette de l'acide carbonique. Néanmoins cet échange matériel a peu d'activité. Que l'on prenne un œuf de poule récemment pondu et qu'on le place dans une éprouvette à pied au-dessus d'une couche d'eau de baryte : celle-ci se troublera lentement par le dépôt de carbonate de ba- ryte résultant de l'exhalation de l'acide carbonique res- piratoire. L'œuf pourra rester un certain temps dans cet état de vie engourdie, prêt à se développer en un animal VIE OSCILLANTE. 105 nouveau si les conditions de l'incubation sont réalisées. Mais il ne pourra pas conserver indéfiniment celte apti- tude : après quelques semaines il sera ce qu'on appelle passé, c'est-à-dire mort et devenu impropre à l'incu- bation. Il n'était donc pas complètement inerte : il vivait obscurément. Si l'on soumet au contraire l'œuf à la température de 38 ou 40 degrés, l'activité vitale va s'exalter, la respira- tion, témoin de ce mouvement énergique, va devenir très-marquée, la cicatricule va se fractionner, prolifé- rer, les rudiments de l'embryon apparaîtront d'abord et, par suite d'une épigenèse successive, compléteront le type d'un oiseau entièrement constitué; alors la vie n'est plus engourdie; elle est au contraire d'une activité extrême. On doit se demander comment se produit l'engourdis- sement sous l'action du froid, et par quel mécanisme le retour de la chaleur imprime une impulsion nouvelle à l'activité vitale. L'expérience établit que l'animal tombe en état d'engourdissement ou d'hibernation parce que tous ses éléments organiques sont entourés d'un milieu refroidi dans lequel les actions chimiques se sont abaissées et proportionnellement les manifestations fonctionnelles vitales. Il y a absence, chez l'animal à sang froid ou hibernant, d'un mécanisme qui maintienne autour des éléments un milieu constant en dépit des variations atmosphériques. C'est le refroidissement du milieu in- térieur qui engourdit l'animal : c'est le réchauffement de ce même milieu qui le dégourdit. Lorsqu'un animal à sang froid, une grenouille par 106 LES TROIS FORMES DE L\ VIE. exemple, vient à s'engourdir, on pourrait croire que l'action du froid porte primitivement sur sa sensibilité, sur le système nerveux, qui est le régulateur général des fonctions de la vie organique et de la vie animale. Il n'en est rien. Lorsque \Qmilieu intérieur^ c'est-à-dire l'ensemble des liquides circulants se refroidit, chaque élément en contact avec le sang, s'engourdit pour son propre compte, révélant ainsi son autonomie et les con- ditions de son activité propre. En un mot, chaque système organique, chaque élé- ment est de lui-même influencé par le froid conime l'individu tout entier. Il a les mêmes conditions d'activi- té ou d'inactivité que l'ensemble, et il forme un nouveau microcosme dans l'être vivant, microcosme lui-même au sein de l'univers. De même, lorsque l'animal engourdi revient à la vie, ce n'est pas le système nerveux qui réveille les autres systèmes : et comment cela se pourrait-il, puisqu'il est dans le môme état d'engourdissement qu'eux? C'est encore le milieu intérieur qui reçoit l'influence du milieu extérieur et qui réveille chaque élément d'une manière successive selon sa sensibililé ou son excitabilité. Une expérience que j'ai exécutée autrefois met bien ces idées en pleine évidence. On prend une grenouille engourdie par le froid. La sensibilité, la motilité sont éteintes : les appareils de la vie organique fonctionnent obscurément ; le sang revient rouge des tissus où la combustion vitale est extrêmement atténuée ; le cœur ne fournit que quatre pulsations par minute au lieu de quinze à vingt comme cela a lieu pendant l'été. VIE OSCILLANTE. 107 Cette grenouille peut être tirée de son état léthargi- que. Pour cela, il suffît qu'elle soit réchauffée. Comment agit alors l'élévation de température? Ce n'est point, avons-nous dit, par une action nerveuse portant sur la sensibilité. J'ai fait, pour m'en assurer, l'expérience sui- vante : On plonge dans de l'eau tiède une patte de gre- nouille engourdie, dont le cœur a été mis à découvert. Soit que le nerf du membre ait été sectionné, soit qu'il reste inlact, la grenouille est ranimée au bout du même temps. Le cœur reprend ses battements plus rapides et tous les appareils se réveillent successivement. C'est le sang réchauffé, qui a créé autour de tous les éléments la condition physique de température nécessaire au fonc- tionnement vital. Le sang revenant plus chaud de la patte a ravivé les battements du cœur et c'est le cœur excité qui a dégourdi l'animal. L'influence de la température est ainsi nettement mise en lumière. On voit dans la grenouille un animal à vie oscillante ou dépendante du milieu cosmique. L'a- baissement de température diminue son activité vitale, et l'élévation de la température l'exalte. Toutefois, la proposition, énoncée en ces termes, serait trop absolue. A ce sujet nous devons rappe- ler des faits que j'ai déjà invoqués, pour démontrer qu'il y a une mesure, une gradation et des nuances infinies dans les actions des agens physico-chimiques sur l'orga- nisme. Il est vrai, d'une manière générale, qu'en élevant la température on exalte l'activité vitale; mais, si la température dépasse certaines limites, si, pour la gre- nouille, par exemple, elle atteint 37 à 40 degrés, l'animal i08 LlîS TROIS FORMES DE LA VIE. se trouve au contraire anesthésié et engourdi. Il en est de môme pour les graines qui, excitées à germer à 20 degrés sont engourdies à 35 degrés. Nous plaçons sous vos yeux deux grenouilles, l'une que nous avons plongée dans de l'eau à 37 degrés, vous voyez qu'elle est engourdie et ne fait plus de mouvements; elle est dans le même état que la seconde qui a été plongée dans l'eau glacée. Changeons-les de bocal : elles vont se réveiller l'une et l'autre : seulement c'est le froid qui réveillera la première, c'est la chaleur qui ranimera la seconde. Les animaux et les végétaux engourdis ou anesthésiés résistent à des agents qui les tueraient s'ils étaient dans un état de vie plus active. Cette résistance varie d'ailleurs avec la nature des agents toxiques que l'on emploie. Les animaux engourdis résistent par suite de l'abais- sement de leur vitalité à des conditions où d'autres péri- raient. L'engourdissement est donc aussi une condition de résistance vitale comme l'était la vie latente. Une grenouille reste pendant tout l'hiver sans prendre de nourriture : l'atténuation du processus vital permet cette longue suspension du ravitaillement matériel; l'animal ne supporterait pas l'abstinence aussi longtemps s'il était à une température plus élevée. Un très-petit oiseau, dont l'activité vitale est toujours considérable, meurt de faim si on le laisse vingt-quatre heures sans nourriture. Dans leurs belles recherches sur la respiration, MM.RegnaultetReiset ont signalé la résistance remarqua- ble des marmottes en état d'hibernation à des conditions qui les feraient périr si elles étaient dans leur état de vie ordinaire. Une marmotte, qui respire faiblement pendant VIE OSCILLANTE. i09 l'hibernation, peut être plongée sans inconvénient dans une atniosplière pauvre en oxygène ; réveillée, elle ne tarderait pas à y périr asphyxiée. De même, cet animal, qui était resté plusieurs mois sans nourriture et qui sup- portait l'abstinence sans dommage, ne pourra plus la soutenir dès qu'il sera réveillé. Il faudra lui fournir des aliments abondants qu'il engloutira avec voracité, sans quoi il ne tarderait pas à périr. J'ai souvent répété cette expérience chez des loirs ou des marmottes que je réveillais; si je ne leur donnais pas de nourriture, ils succombaient bientôt, ayant rapidement épuisé les ré- serves dues à une nutrition antérieure. Pour compléter l'exposé des faits relatifs à la vie osdl- lante, nous dirons que le mécanisme de l'engourdisse- ment et le mécanisme du retour à la vie active s'expli- quent aussi clairement que le cas de la vie latente. L'influence des conditions cosmiques produit d'abord la suppression incomplète des phénomènes physiques et chimiques de la destruction vitale. Les animaux en- gourdis ne font plus de mouvements : leurs muscles ne subissent plus qu'une légère combustion ; ils ont le sang veineux presque aussi rutilant que le sang artériel : de même, les combustions sont considérablement réduites dans les autres tissus ; la chaleur produite est faible, l'acide carbonique est excrété en petite quantité. C'est donc la manifestation vitale fonctionnelle, correspon- dante à la destruction des organes, qui est atténuée en premier lieu. La vie créatrice subit une réduction pa- rallèle. On peut même dire qu'elle est entièrement sus- pendue quant à la formation des principes immédiats 110 LES TROIS FORMES Dlî LA VIE. qui constituent les réserves. Toutefois, certains phéno- mènes morphologiques, les cicatrisations, les rédinté- grations se produisent encore très-activement. Nous aurons plus tard à expliquer ces faits. Le retour à l'activité vilale s'explique encore de la même manière que la réviviscence. Il faut nécessairement que l'animal hibernant ait des réserves non-seulement pour parer aux premières dé- penses du réveil, mais pour suffire à la consommation qu'il fait dans l'état d'engourdissement. La destruction vitale, en effet, n'est pas suspendue, elle n'est que dimi- nuée; quanta la création vitale, à la formation des ré- serves, elle n'a plus de matériaux sur lesquels elle puisse s'exercer pendant l'hibernation, puisque l'animal ne s'alimente plus au dehors. C'est pourquoi, avant de tomber dans le sommeil hibernal ou dès qu'ils en pressentent les approches, les animaux préparent ces réserves sous diverses formes. Chezlamarmotte, les tissus se chargent de graisse et de glycogène: chez la grenouille, chez tous les animaux, il s'accumule des provisions organiques de diverses sub- stances. C'est donc sur ces épargnes prévoyantes pré- parées par la nature que l'animal vit pendant la période d'engourdissement; il ne fait plus que dépenser, il ne crée plus, il n'accumule plus. Ces réserves su i'fisent pendant un certain temps aux manifestations atténuées qu'on observe chez ces animaux engourdis, mais elles seraient vite dissipées si l'activité vitale renaissait. Aussi, est-il nécessaire que, dès leur réveil, les animaux trouvent à leur portée les matériaux alimentaires sur lesquels va VIE OSCILLANTE. 111 s'exercer l'élaboration créatrice. Les loirs placent dans le gîte où ils s'endorment des provisions qu'ils consom- ment dès qu'ils se raniment. J'ai eu l'occasion de faire des expériences intéressantes sur ces animaux. Si l'on prend des loirs engourdis et que, les sacrifiant en plein sommeil, on analyse leur foie, on y trouve encore une certaine provision deglycogène; mais si on ne les sacrifie que quatre ou cinq heures après les avoir réveillés, on ne trouve presque plus de traces de cette matière. Ces quatre heures de vie active ont dépensé l'épargne qui eût encore suffi à quelques semaines de vie engourdie. Outre l'engourdissement prolongé dont nous venons de parler et que l'animal ne supporte qu'à la condition de présenter des réserves considérables autérieurement accumulées, il y a des engourdissements en quelque sorte passagers qui n'exigent plus de telles provisions. On voit des insectes engourdis le matin, après une nuit de fraî- cheur se montrer pleins d'activité au soleil de la journée. L'abeille immobile, que l'on peut saisir impunément le matin, est en état de piquer vivement vers le midi. H est clair que ces périodes d'activité et d'engourdissement sont trop courtes et se succèdent trop rapidement pour nécessiter des réserves considérables ; mais néanmoins on doit être assuré que la grande loi de la nutrition au moyen des réserves est constante et que, au degré près, les choses se passent de la même manière dans tous les états de la vie. IIL Vie constante ou libre. — La vie constante ou li- bre est la troisième forme de la vie : elle appartient aux il2 LES TROIS FORMES DE LA. VIE. animaux les plus élevés en organisation. La vie ne s'y montre suspendue clans aucune condition : elle s'écoule d'un cours constant et indifférent en apparence aux alter- natives du milieu cosmique, aux changements des con- ditions matérielles qui entourent l'animal. Les organes, les appareils, les tissus, fonctionnent d'une manière sen- siblement égale, sans que leur activité éprouve ces va- riations considérables qui se montraient chez les animaux à vie oscillante. Il en est ainsi, parce qu'en réalité le mi- lieu intérieur qui enveloppe les organes, les tissus, les éléments des tissus, ne change pas ; les variations atmo- sphériques s'arrêtent à lui, de sorte qu'il est vrai de dire que les conditions physiques du milieu sont constantes pour l'animal supérieur ; il est enveloppé dans un milieu invariable qui lui fait comme une atmosphère propre dans le milieu cosmique toujours changeant. C'est un organisme qui s'est mis lui-même en serre chaude. Aussi les changements perpétuels du milieu cosmique ne l'at- teignent point ; il ne leur est pas enchaîné, il est hbre et indépendant. Je crois avoir le premier insisté sur celte idée qu'il y a pour l'animal réellement deux milieux : un milieu extérieur dans lequel est placé l'organisme, et un inilieu intérieur dans lequel vivent les éléments des tissus. L'exislence de l'être se passe, non pas dans le milieu extérieur, air atmosphérique pour l'être aérien, eau douce ou salée pour les animaux aquatiques, mais dans le milieu liquide intérieur formé par le liquide organique circulant qui entoure et baigne tous les élé- ments anatomiques des tissus; c'est la lymphe ou le VIE CONSTANTE. il 3 plasma, la partie liquide du sang qui, chez les animaux supérieurs, pénètre les tissus et constitue l'ensemble de tous les liquides interstitiels, expression de toutes les nutritions locales, source et confluent de tous les échanges élémentaires. Un organisme complexe doit être considéré comme une réunion à'êires simples qui sont les éléments anatomiques et qui vivent dans le mi- lieu liquide intérieur. La fïxiié du milieu iîilérieur est la conditioii de la vie libre^ indépendante : le mécanisme qui la permet est celui qui assure dans le milieu intérieur le maintien de toutes les conditions nécessaires à la vie des éléments. Ceci nous fait comprendre qu'il ne saurait y avoir de vie libre, indépendante, pour les êtres simples, dont les élé- menls constitutifs sont en contact direct avec le milieu cosmique, mais que cette forme de la vie est, au contraire, l'apanage exclusif des êires parvenus au summum de la complication ou de la différenciation organique. La fixité du milieu suppose un perfectionnement de l'organisme tel que les variations externes soient à cha- que instant compensées et équilibrées. Bien loin, par conséquent, que Tanimal élevé soit indifférent au monde extérieur, il est au contraire dans une étroite et savante relation avec lui, de telle façon que son équi- libre résulte d'une continuelle et délicate compensation établie comme par la plus sensible des balances. Les conditions nécessaires à la vie des éléments qui doivent être rassemblées et maintenues constantes dans le milieu intérieur, pour le fonctionnement de la vie libre, sont celles que nous connaissons déjà : l'eau, CL. BERNAIID. 8 114 LliS TROIS FOUMIÎS Dli LA Vli:, l'oxygène, la chaleur, les subslauces chimiques ou ré- serves. Ce sont les mômes conditions que celles qui sont né- cessaires à la vie des êtres simples; seulement chez l'ani- mal perfectionné à vie indépendante, le système nerveux est appelé à régler l'harmonie entre toutes ces conditions. 1° Leau. — C'est un élément indispensable, qualitati- vement et quantitativement, à la constitution du milieu où évoluent et fonctionnent les éléments vivants. Chez les animaux à vie libre il doit exister un ensemble de dispositions réglant les pertes et les apports de manière à maintenir la quantité d'eau nécessaire dans le milieu intérieur. Chez les êtres inférieurs, les variations quanti- tatives d'eau compatibles avec la vie sont plus étendues; mais l'être est d'autre part sans influence pour les régler. C'est pourquoi il est enchaîné aux vicissitudes climaté- riques : engourdi en vie latente, dans les temps secs, ranimé dans les temps humides. L'organisme plus élevé est inaccessible aux oscilla- tions hygrométriques, grâce à des artifices de con- struction, à des fonctions physiologiques qui tendent à maintenir la constance relative de la quantité d'eau. Pour l'homme spécialement, et en général pour les animaux supérieurs, la déperdition d'eau se fait par toutes les sécrétions, par l'urine et la sueur surtout; en second lieu par la respiration, qui entraîne une quantité notable de vapeur d'eau, et enfin par la perspiration cutanée. Quantaux gains, ils se font par l'ingestion des liquides ou des aliments qui renferment de l'eau, ou même, pour '::0ND1T10NS DE LA VIE CONSTANTE. 115 quelques animaux, par l'absorption cutanée. En tout cas, il est très-vraisemblable que toute la quantité d'eau cle l'organisme vient de l'extérieur par l'une ou l'autre de ces deux voies. On n'a pas réussi à démontrer que l'or- ganisme animal produisît réellement de l'eau ; l'opinion contraire paraît à peu près certaine. C'est le système nerveux, avons-nous dit, qui forme le rouage de compensation entre les acquits et les pertes. La sensation de la soif, qui est sous la dépendance de ce système, se fait sentir toutes les fois que la propor- tion de liquide diminue dans le corps à la suite de quelque condition telle que l'hémorrhagie, la sudation abondante ; l'animal se trouve ainsi poussé à réparer par l'ingestion de boissons les pertes qu'il a faites. Mais cette ingeslion même est réglée, en ce sens qu'elle ne saurait augmenter au delà d'un certain degré la quantité d'eau qui existe dans le sang; les excrétions urinaires et autres éliminent le surplus, comme une sorte de trop plein. Les mécanismes qui font varier la quantité d'eau et la rétablissent sont donc fort nombreux ; ils mettent en mouvement une foule d'appareils de sécrétion, d'exhalation, d'ingestion, de circulation qui transpor- tent le liquide ingéré et absorbé. Ces mécanismes sont variés, mais le résultat auquel ils concourent est con- stant : la présence de l'eau en proportion sensiblement déterminée dans le milieu intérieur, condition de la vie libre. Ce n'est pas seulement pour l'eau qu'existent ces mé- canismes compensateurs; on les connaît également pour la plupart des substances minérales ou organiques con- i l 6 LES TROIS FORMES DE LA VIE. tenues en dissolution dans le sang. On sait que le sang ne saurait se charger d'une quantité considérable de chlorure de sodium, par exemple : l'excédant à partir d'une certaine limite est éliminé par les urines. Jl en est de même, ainsi que je l'ai établi, pour le sucre qui, normal dans le sang, est, au delà d'une certaine quan- tité, rejeté par les urines. 2" La chaleur. — Nous savons qu'il existe pour cha- que organisme élémentaire ou complexe des limites de température extérieure entre lesquelles son fonctionne- ment est possible, un point moyen qui correspond au maximum d'énergie vitale. Et cela est vrai non-seule- ment des êtres arrivés à l'état adulte, mais même pour l'œuf ou l'embrvon. Tous ces êtres subissent la vie oscillante, mais pour les animaux supérieurs, appelés animaux à sang chaud, la température compatible avec les manifestations de la vie est étroitement fixée. Cette température fixée se maintient dans le milieu inté- rieur, en dépit des oscillations climatériques extrêmes, et assure la continuité et l'indépendance de la vie. Il y a en un mot, chez les animaux à vie constante et libre, une fonction de calorification qui n'existe point chez les animaux à vie oscillante. Il existe pour cette fonction un ensemble de méca- nismes gouvernés par le système nerveux. Il y a des neifs thermiques, des nerfs vaso-moteurs que j'ai fait connaître et dont le fonctionnement produit tantôt une élévation, tantôt un abaissement de température, suivant les circonstances. La production de chaleur est due, dans le monde CONDITIONS DE LA VIE CONSTANTE. iil vivant comme dans le monde inorojanique, à des phéno- mènes chimiques ; telle est la grande loi dont nous devons la connaissance à Lavoisier et Laplace. C'est dans l'acti- vité chimique des tissus que l'organisme supérieur trouve la source de la chaleur qu'il conserve dans son milieu intérieur à un degré à peu près fixe, 38 à 40 degrés pour les mammifères, 45 à 47 degrés pour les oiseaux. La régulation calorifique se fait, ainsi que je l'ai dit, au moyen de d6ux ordres de nerfs : les nerfs que j'ai appelés thermiques^ qui appartiennent au système du grand sympathique et qui servent de frein en quelque sorte aux activités chimico-thermiques dont les tissus vivants sont le siège. Quand ces nerfs agissent, ils dimi- nuent les combustions interstitielles, et abaissent la tem- pérature; quand leur influence s'affaiblit par suppres- sion de leur action ou par l'antagonisme d'autres influences nerveuses, alors les combustions s'exaltent et la température du milieu intérieur s'élève considérable- ment. Les nerfs vaso-moteurs en accélérant la circula- tion à la périphérie du corps ou dans les organes centraux interviennent également dans le mécanisme de l'équili- bration de la chaleur animale. J'ajouterai seulement ce dernier trait. Quand on atténue considérablement l'action du système cérébro- spinal en laissant persister pleinement celle du grand symphatique [nerf thermique), on voit la température s'abaisser considérablement, et l'animal à sang chaud se trouve en quelque sorte transformé en un animal à sang froid. C'est l'expérience que j'ai réalisée sur des lapins, en leur coupant la moelle épinière entre la septième 118 LES TROIS FORMES Dl£ LA VIE. vertèbre cervicale et la première dorsale. Quand, au contraire, on détruit le £?rand sympathique en laissant intact le système cérébro-spinal, on voit la température s'exalter, d'abord localement, puis d'une manière géné- rale; c'est l'expérience que j'ai réalisée chez les chevaux en coupant le grand sympathique, surtout quand ils sont antérieurement affaiblis 11 survient alors une véri- table fièvre. J'ai longuement développé ailleurs l'histoire de tous ces mécanismes (voy. Leçons sur la chaleur ani- male, 1873); je ne fais que les rappeler ici, pour établir que la fonction calorifique propre aux animaux à sang chaud est due à un perfectionnement du mécanisme nerveux qui, par une compensation incessante, maintient une température sensiblement fixe dans îe milieuinté- rieur au sein duquel vivent les éléments organiques auxquels il nous faut toujours, en définitive, ramener toutes les maifestations vitales. 3" L'oxi/gène. — Les manifestations de la vie exigent pour se pioduire l'intervention de l'air, ou mieux de sa partie active, l'oxygène, sous une forme soluble et dans l'élat convenable pour qu'il puisse arriver à l'orga- nisme élémentaire. Il faut de plus que cet oxygène soit dans des proportions fixées j usqu'à un certain point dans le milieu intérieur; une quantité trop faible, une quan- tité trop foi te, sont également incompatibles avec le fonctionnement vital. 11 faut donc que, chez l'animal à vie constante, des mécanismes appropriés règlent la quantité de ce gaz qui est départie au milieu intérieur et la maintiennent à peu près invariable. Or, chez les animaux élevés en CONDITIONS DE LA VIE CONSTANTE. 419 organisation, la pénétration de l'oxygène dans le sang • est sous la dépendance des mouvements respiratoires et de la quantité de ce gaz qui existe dans le milieu ambiant. D'autre part, la quantité d'oxygène qui se trouve dans l'air résulte, ainsi que l'apprend la phy- sique, de la composition centésimale de l'atmosphère et de sa pression. On comprend donc que l'animal puisse vivre dans un milieu moins riche en oxy- gène si la pression accrue vient compenser cette diminution, et inversement que le même animal puisse vivre clans un milieu plus riche en oxygène que l'air ordinaire si rabaissement de pression compense l'ac- croissement. C'est là une proposition générale impor- lante qui résulte des travaux de M. Paul Bert. Dans ce cas, on le voit, les variations du milieu se compensent et s'équilibrent d'elles-mêmes, sans que l'animal in- tervienne. La pression augraenlant ou diminuant, si la composition centésimale diminue ou augmente en raison inverse, Tanimal trouve en définitive dans le milieu la même quantité d'oxygène et sa vie s'accomplit dans les mêmes conditions. Mais il peut y avoir dans l'animal lui-même des méca- nismes qui établissent la compensation, lorsqu'elle n'est pas faite au dehors, et qui assurent la pénétration dans le milieu intérieur de la quantité d'oxygène exigée par le fonctionnement vital; nous voulons parler des diffé- rentes variations que peuvent éprouver les quantités de l'hémoglobine, matière absorbante active de l'oxygène, variations encore peu connues, mais qui interviennent certainement aussi pour leur part. 120 LES TROIS FORMES DE LA VIE. Tous ces mécanismes, comme les précédents, n'ont d'efficacité que dans des limites assez restreintes; ils se faussent et deviennent impuissants dans des condi- tions extrêmes. Ils sont réglés par le système ner- veux. Lorsque l'air se raréfie par quelque cause, telle que l'ascension en aérostat ou sur les monlagnes, les mouvements respiratoires deviennent plus amples et plus fréquents, et la compensation s'établit. Néanmoins les mammifères et l'homme ne peuvent soutenir celte lutte compensatrice pendant bien longtemps, lorsque la raréfaclion est exagérée, lorsque par exemple ils se trouvent transportés à des altitudes supérieures à 5000 mètres. Nous n'avons pas ici k entrer dans les délails particu- liers que comporte la question. Il nous suffit de la poser. Nous signalerons seulement un exemple que M. Cam- pana a fait connaître. 11 est relatif aux oiseaux de haut vol, tels que les rapaces et particulièrement le Condor, qui s'élève à des hauteurs de 7000 à 8000 mètres. Ils y séjournent et s'y meuvent longtemps, bien que dans une atmosphère qui serait mortelle pour un mammifère. Les principes précédemment posés permettaient de prévoir que le milieu respiratoire intérieur de ces ani- maux devait échapper, au moyen d'un mécanisme approprié, à la dépression du milieu extérieur; en d'autres termes, que l'oxygène contenu dans leur sang artériel ne devait pas varier à ces grandes hauteurs. Et en effet, il existe chez les rapaces d'é- normes sacs pneumatiques reliés aux ailes et n'entrant en fonction que lorsqu'elles se meuvent. Si les ailes CONDITIONS DIÎ LA VIE CONSTANTE. 121 s'élèvent, ils se remplissent d'air extérieur : si elles s'abaissent, ils chassent cet air clans le parenchyme pul- monaire. En sorte que, au fur et à mesure que l'air se raréfie, le travail de l'aile de l'oiseau qui s'y appuie augmente forcément, et forcément aussi augmente le volume supplémentaire d'oxygène qui traverse le pou- mon. La compensation de la raréfaction de l'air exté- rieur par l'augmentation de la quantité inspirée est donc assurée, et ainsi, l'invariabilité du milieu respiratoire propre à l'oiseau. Ces exemples, que nous pourrions multiplier, nous démontrent que tous les mécanismes vitaux, quelque variés qu'ils soient, n'ont toujours qu'un but, celui de maintenir l'unité des conditions de la vie dans le milieu intérieur. 4° Réserves. — Il faut enfin, pour le maintien de la vie, que l'animal ait des réserves qui assurent la fixité de constitution de son milieu intérieur. Les êtres élevés en organisation puisent dans l'alimentation les maté- riaux de leur milieu intérieur : mais, comme ils ne sauraient être soumis à une alimentation identique et exclusive, il faut qu'il y ait en eux-mêmes des méca- nismes qui tirent de ces aliments variables des maté- riaux semblables et qui règlent la proportion qui en doit entrer dans le sang. J'ai démontré et nous verrons plus loin que la nutri- tion n'est pas directe^ comme l'enseignent les théories chimiques admises, mais qu'au contraire elle est indi- recte et se fait par des réserves. Cette loi fondamentale est une conséquence de la variété du régime comparée 122 LïïS TROIS FORMES DE LA VIE. à la fixité du milieu. En un mot: on ne vit pas de ses aliments actuels, mais de ceux que l'on a mangés anté- rieurement, modifiés, et en quelque sorte créés par l'assimilation. 11 en est de môme de la combustion res- piratoire; elle n'est nulle part directe^ comme nous le montrerons plus tard. Il y a donc des réserves préparées au moyen des ali- ments et à chaque instant dépensées en proportions plus ou moins grandes. Les manifestations vitales détruisent ainsi des provisions qui ont, sans doute, leur origine pre- mière au dehors, mais qui ont été élaborées au sein des tissus de l'organisme, et qui, versées dans le sang, assurent la fixité de sa constitution chimico-physique. Quand les mécanismes de la nutrition sont troublés et quand l'animal est mis dans l'impossibilité de pré- parer ces réserves, lorsqu'il ne fait que consommer celles qu'il avait accumulées antérieurement, il marche vers une ruine qui ne peut aboutir qu'à l'impossibilité vi- tale, à la mort. Il ne lui servirait alors à rien de manger; il ne se nourrira pas; il n'assimilera pas, il dépérira. Quelque chose d'analogue se produit dans le cas où l'animal est en état de fièvre; il use sans refaire : et cet état devient mortel, s'il persiste jusqu'à l'entier épuisement des matériaux accumulés par la imtrition antérieure. Ainsi, les substances alibiles pénétrant dans un or- ganisme, soit animal, soit végétal, ne servent pas direc- tement et d'emblée à la nutrition. Le phénomène nutritif s'accomplit en deux temps : et ces deux temps sont tou- jours séparés l'un de l'autre par une période plus ou CONDITIONS DE LA VIE CONSTANTE. 123 moins longue, dont la durée est fonction d'une foule de circonstances, La nutrition est précédée d'une élaboration particulière qui se termine par un emmagasinementde ré- serves chez l'animal aussi bien que chez le végétal. Ce fait permet de comprendre qu'un être continue de vivre quelquefois fort longtemps sans prendre de nourriture; il vit de ses réserves accumulées dans sa propre sub- stance ; il se consomme lui-même. Ces réserves sont très-inégales suivant les êtres que l'on considère et suivant les diverses substances, pour les animaux et les végétaux divers, pour les plantes annuelles ou bisannuelles, etc. Ce n'est pas ici le lieu d'analyser un sujet aussi vaste ; nous avons voulu mon- trer que la formation des réserves est non-seulement la loi générale de toutes les formes de la vie, mais qu'elle constitue encore un mécanisme actif et indispen- sable au maintien de la vie constante et libre, indépen- dante des variations du milieu cosmique ambiant. Conclusion. — Nous avons examiné successivement les trois formes générales sous lesquelles la vie appa- raît : vie latente^ vie oscillante., vie constante afin de voir si dans l'une d'elles nous trouverions un principe vital intérieur capable d'en opérer les manifestations, indépendamment des conditions physico- chimiques extérieures. La conclusion à laquelle nous nous trou- vons conduit est facile à dégager. Nous voyons que, dans la vie latente, l'être est dominé par les conditions phy- sico-chimique extérieures, au point que toute manifes- tation vitale peut être arrêtée. Dans la vie oscillante, si l'être vivant n'est pas aussi absolument soumis à ces 124 LES TROIS FORMES DE LA VIE. conditions, il y reste néanmoins tellement enchaîné qu'il en subit toutes les variations. Dans la vie constante, l'être vivant paraît libre et les manifestations vitales semblent produites et dirigées par un principe vital inté- rieur affranchi des conditions physico-chimiques exté- rieures; cette apparence est une illusion. Tout au con- traire, c'est particulièrement dans le mécanisme de la vie constante ou libre que ces relations étroites se montrent dans leur pleine évidence. Nous ne saurions donc admettre dans les êtres vivants un principe vital libre, luttant contre l'influence des conditions physiques. C'est le fait opposé qui est dé- mon (ré, et ainsi se trouvent renversées toutes les con- ceptions contraires des vitalistes. TROISIÈME LEÇON ■>ivi!iiioa des plicnoiiicncs cic la vie- Sommaire : I. Classification des phénomènes de la vie. — Deux grands groupes ; destruction et créalion organiques. — Cette division caractérise la physiologie générale et ombrasse dans sa généralité toutes les mani- festations vitales. — Unité vitale dans les deux règnes. II. Divisions des êtres vivants; Linné, Laniarck, de BlainviUe. — Théories de la dualiié vitale dans les deux règnes. — DifTérenciation des règnes de la nature. — Opposition entre les animaux et les végétaux. — Anta- gonisme chimique, physique et mécanique entre les animaux et les végé- taux. — Prieslley, Saussure, Dumas et Boussingault, Huxley, Tyndall. III. Réfutation générale des théories dualistes de la vie entre les animaux et les végétaux. — Forme dernière de la théorie de la dualité vitale. — La dualité vitale et la physiologie générale. — Unité des lois de la vie; variété des manifestations vitales et fonctionnement différent des ma- chines vivantes. — Conclusion : la solidarité des phénomènes de destruc- tion et de création organique prouve l'unité vitale. I. Nous avons montré dans les êires vivants deux faces caractéristiques de leur existence, la vie, création organique, la mort, destruction organique. Il .s'agira au- jourd'hui d'afïirnier cette division et de montrer qu'elle sert de base à la physiologie générale. Nous ne con- sidérons ici les caractères de la vie que dans leur essence et dans leur universalité, et à ce point de vue nous les classons en deux grands ordres : i" Les phénomènes d'usure, de destruction vitale, qui correspondent aux phénomènes fonctionnels de l'orga- nisme ; 126 LES TROIS FORMES DE LA VIE. 2" Les phénomènes plastiques ou de création vitale, qui correspondent au repos fonctionnel et à la régéné- ration organique. Tout ce qui se passe dans l'être vivant se rapporte soit à l'un soit à l'autre de ces types ; et la vie est caractérisée par la réunion et l'enchaînenient de ces deux ordres de phénomènes. Cetle division des phénomènes de la vie nous semble la meilleure de celles que l'on puisse propo- ser en physiologie générale. Elle est à la fois, la plus vaste et la plus conforme à la réelle nature des choses. Quelles que soient les formes que la vie puisse revêtir, la com- plexité ou la simplicité de ces formes, la division pré- cédente leur est applicable. Nous ne saurions concevoir aucun être vivant, aucune particule vivante même, sans le jeu de ces deux ordres de phénomènes. C'est la base physiologique sur laquelle se meuvent toutes les variétés de la vie dans les deux règnes. Les divisions des phénomènes de la vie qui ont été proposées jusqu'ici s'appliquent aux organismes élevés et se rapportent surtout à la physiologie descriptive; elles sont loin de présenter cette généralité. Une classification, en physiologie générale, doit ré- pondre aux phénomènes de la vie, indépendamment de la complication morphologique des êtres et doit se fonder uniquement sur les propriétés universelles de la matière vivante, abstraction faite des moules spécifiques dans lesquels elle est entrée. C'est précisément à cette con- dition que satisfait la division en phénomènes de des- truction et de création organiques. Avant d'étudier, dans la suite de ce cours, chacune de DIVISIONS DES PIIÉNOMÈNIÎS DE LA. VIE. 127 ces phases de l'activité vitale, la destruction organique, la création organique, il importe de mettre en lumière et de bien établir, dès cette leçon, le rapport étroit qui unit indissolublement les deux termes de notre division des phénomènes vitaux. Cette division est l'expression de la vie dans ce qu'elle a à la fois de plus étendu et de plus précis. Elle s'applique à tous les êtres vivants sans exception, depuis l'organisme le plus compliqué de tous, celui de l'homme, jusqu'à l'être élémentaire le plus simple, la cellule vivante. On ne peut, en un mot, con- cevoir autrement un être doué de la vie. En effet, ces phénomènes se produisent simultané- ment chez tout être vivant, dans un enchaînement qu'on ne saurait rompre. La désorganisation ou la désassimilation use la matière vivante dans les organes en fonction: la synthèse assimilatrice régénère les tissus; elle rassemble les matériaux des réserves que le fonc- tionnement doit dépenser. Ces deux opérations de- des- truction et de rénovation, inverses l'une de l'autre, sont absolument connexes et inséparables, en ce sens, au moins, que la destruction est la condition nécessaire de la rénovation. Les phénomènes de la destruction fonc- tionnelle sont eux-mêmes les précurseurs et les instiga- teurs de la rénovation matérielle du processus formatif qui s'opère silencieusement dans l'intimité des tissus. Les pertes se réparent à mesure qu'elles se produi- sent et l'équilibre se rétablissant dès qu'il tend à être rompu, le corps se maintient dans sa composition. Cette usure et cette renaissance des parties constituantes de l'organisme font que l'existence n'est, comme nous l'a-^ 428 LES TROIS FORMES DE LA VIE. VOUS dit au début de ce cours, autre chose qu'une perpétuelle alternative de vie et de mort, de composition et de décomposition. Tl n'y a pas de vie sans la mort; il n'y a pas de mort sans la yie. D'ailleurs une telle classification n'a rien d'absolu- ment inattendu : elle ne constitue pas, à proprement parler, une nouveauté dans la science. Tout le monde a plus ou moins aperçu ces deux faces de l'activité vitale et nous avons cité comme exemples de nombreux pas- sages dans les essais de définition de la vie que nous avons rappelés dans notre première leçon. Le point essentiel est d'avoir compris l'importance et toute la portée de cette division simple et féconde et d'en faire resortir toutes les conséquences. Il y a quatre-vingts ans, Lavoisier avait nettement aperçu les deux phases du travail vital ; la désorgani- sation ou destruction des organismes animaux ou végé- taux par combustion et putréfaction, la création orga- nique, végétation et animalisation, qui sont des opérations inverses des premières (i) : « Puisque, dit-il, la combus- » lion et la putréfaction sont les moyens que la nature » emploie pour rendre au règne minéral les matériaux y> qu'elle en a tirés pour former des végétaux et des » animaux, la végétation et l'animalisation doivent être » des opérations inverses de la combustion et de la pu- » tréfaction. » 11 n'est donc pas possible de séparer chez aucun être (1) Pièces hislofiqucs concernant Lavoisier communiquées par M, Dumas [Leçons de chimie professées à la Société chimique de Paris). Paris, 1861, p. 295. UNITÉ ET DUALITÉ VlTALlî. 129 vivant ces deux modes de la vie qui se rencontrent chez les plantes comme chez les animaux. C'est là un axiome physiologique qui implique l'unité vitale : nous le formulons au début; nous le verrons se vérifier dans tout le cours de nos études et il nous servira de critérium pour juger diverses théories, dans lesquelles on a opposé la vie des végétaux à celle des animaux. En effet, contrairement au principe que nous venons d'énoncer et qui forme, nous le répétons, V axiome de la physiologie générale, plusieurs théories célèbres ont affirmé que les deux ordres de phénomènes vitaux, au lieu d'appartenir à tout être vivant se trouvaient distri- bués à des êtres différents, les uns élant l'apanage du règne animal, les autres du règne végétal. Ces théories du partage des deux facteurs vitaux entre les deux règnes, qu'on peut appeler les théories de la dualité vitale sont contredites par notre principe el nous pouvons ajouter, par l'examen des faits. Il n'y a pas une catégorie d'êtres qui soient chargés de la syn- thèse organique et une autre catégorie de la combustion ou analyse organique. Ainsi que nous l'avons dit, il ne peut y avoir vie que là où il y a à la fois synthèse et destruction organique. La physiologie générale doit examiner ces manières de voir dans leurs origines et dans les différentes formes qu'elles ont revêtues. C'est en France, MM. Dumas et Boussingault, Liebig en Allemagne, Huxley (1), Tyndall en Angleterre, qui ont créé et propagé ces diverses (1) Huxley, La plnie de l'homme dans la nature. Paris, 1868, et Les sciences naturelles et les problèmes qu'elles font surgir. Pari?, 1877. CL. nEfiNAnD. 9 430 LES TROIS FOKMES Dli LA ME. Ihéories dans la science. En les rappelant, nous devons rendre hommage à la simplicité et à l'ampleur des vues sur lesquelles leurs auteurs lesont appuyées et reconnaître les services qu'elles ont rendu en provoquant un nombre considérable de recherches, de travaux et de décou- vertes. D'ailleurs nous verrons que notre divergence d'opinion tient à une différence de point de vue. Les créateurs des théories dualistes ont considéré les deux facteurs de la vie, dans leur rapport avec le milieu cosmique, sans s'attacher autant que nous à l'identité de leur origine et à leur indissoluble unité. On a cru pouvoir attribuer à Lavoisier la première idée de cette dualité; mais les écrits de l'illustre fonda- teur de la chimie moderne qu'on a invoqués ne me semblent pas conclure en ce sens. Nous avons cité plus haut un passage où Lavoisier reconnaît l'existence dans les êtres vivants de ces deux phénomènes inverses par lesquelles ils opèrent la synthèse de l'organisme (animalisation, végétation), et d'autre part sa destruc- tion (combustion, fermentation, putréfaction). Lavoisier ne sépare point à cet égard les animaux des végétaux : il semble considérer qu'ils se comportent d'une manière analogue par rapport au règne minéral et il ne dit nulle part que le règne végétal doive servir d'intermédiaire exclusif entre le règne minéral et le règne animal. Ce n'est donc pas de Lavoisier que peut se réclamer la théorie de l'antagonisme chimique entre les animaux et les végétaux : il nous paraît que le germe en existe dans des travaux plus anciens et en particulier dans TUliORIES DUALISTES DE LA VIE. 131 les célèbres recherches de Priestley sur l'anlagonisme de la respiration des animaux et des plantes. D'ailleurs, il faut bien le dire, cette idée d'opposition entre les deux règnes a dû exister à toutes les époques parce qu'elle résulte de l'apparence des choses, et l'ap- parence nous a toujours trompé sur la nature réelle des phénomènes. Il y a en effet une distinction morphologique entre les animaux et les plantes assez nettement mar- quée extérieurement pour qu'on ait pu la croire profon- dément inscrite dans l'organisation et dans les manifesta- tions vitales. Mais cette distinction n'est que dans la forme, à la surface et non au fond des phénomènes. Nous soutenons, quant à nous, qu'il y a identité dans les attri- buts essentiels de la vie dans les deux règnes, et que la division que nous avons établie dans les actes de la vie : destruction, création vitale s'applique à l'universalité des êtres vivants. Pour justifier cette division fondamentale que nous avons introduite dans la physiologie générale, il est nécessaire d'exposer d'abord les théories con- traires et de les réfuter dans leurs points principaux. II. Division des êtres vivants et théories dualistes de la vie. — Les êtres de la nature ont d'abord été divisés en deux grands empires : l'un, formé des êtres animes, l'autre des êtres inanimés. Cette distinction est faite dans Aristote. Ce n'est que plus tard, vers 1645, qu'un alchimiste français nomnsé Colleson aurait formulé le premier la division de la nature en trois règnes, animal, végétal, minéral, qui embrassaient tous les objets ter- restres ; pour les corps sidéraux il aurait imnginé un l'J^ LES TROIS FORMES DE I.A Vil!:. quatriùme royaume, le règne pKanétaire. Dans chacun de ces domaines existait un type de perfection idéale, un roi : l'homme parmi les animaux, la vigne parmi les plantes, l'or pour les minéraux, le soleil pour les corps célestes. La division des trois règnes aurait ainsi pris nais- sance, et Lirmé (1) l'a consacrée en lui donnant les caractères suivants : Esse. Vivere. ' Sentire. Minéral. Végétal. Animal. Il les exprimait encore dans la formule suivante : Mùiernlia sunt. Vegetuiia sunt et crescunt. Animalia sunt, crescunt et sentiunt. Il est des naturalistes, de Blainville par exemple, qui plaçant Thomme au-dessus de l'ensemble des animaux ont formé pour lui un règne spécial, le règne humain, caractérisé par un attribut de plus, Yinielligencé : homo intelligit. Lamarck, cependant, avait repris la division binaire et, ne distinguant point tout d'abord entre les êtres vivants, il reconnaissait deux classes de corps : Les corps vivants, Les corps bruts ou inanimés. Cependant la division en Irois règnes a prévalu et les deux règnes animal et végétal ont été considérés comme presque aussi séparés l'un de l'autre qu'ils l'étaient chacun du règne minéral. Que l'on fasse des (1) Linné, Sijstema naiurœ. Editio prima, rceclita cura A. L. A. Fée. Parisiis, 1830. OPPOSITION ENTRE LES ANIMAUX ET LES VÉGÉTAUX. 13^] animaux et des végétaux des catégories distinctes, nous n'y contredisonscertes point, mais que l'on parle de là pour établir entre les deux groupes d'êtres une diffé- rence tellement profonde qu'elle comporterait en quel- que sorte deux physiologies différentes, l'une animale, l'autre végétale, reposant sur des principes spéciaux. C'est là une manière de voir que nous devons combattre. Les éléments d'une différenliation entre les modes de la vie chez les animaux et les plantes ont été demandés d'abord à l'anatomie. Ciivier, pour ne citer que cet exem- ple, signalait l'absence d'appareil digestif chez les plantes comme un caractère très-général qui pouvait servir aies distinguer des animaux. On sait très-bien aujourd'hui qu'un nombre immense d'animaux inférieurs ne possè- dent point de tube digestif, et que, dans des degrés plus élevés, les mâles de certaines espèces, telles que les rotifères, en sont dépourvus, tandis que les femelles le possèdent. En fait, ce caractère n'a donc point une valeur absolue; en principe, nous verrons plus tard que l'appareil digestif n'est qu'un appareil accessoire dans la nutrition. Les réserves qui sont en réalité le fond nutritif des êtres vivants sont identiques dans les ani- maux et dans les végétaux. On a cru en second lieu trouver une différence entre les animaux et les végétaux au point de vue de la com- position de leurs tissus. On a dit, par exemple, que l'azote était un élément caractéristique de l'organisme animal, tandis qu'il n'exis- tait qu'exceptionnellement chez les végétaux. L'analyse du parenchyme des Champignons et des graines des 134 LliS TROIS FORMES DE LA VIE. plianéroganies , vint bienlAt renverser celte opinion. On admet aujourd'hui que le protoplasma, seule partie actiye et travaillante du végétal, a la même constitution que le protoplasma animal : c'est une substance azotée. L'azote, au lieu d'être un élément accessoire est donc essentiel et fondamental dans les deux règnes. Les élé- ments anatomiques des plantes, cellules, fibres et vais- seaux perdent dans certaines régions leur protoplasma et n'interviennent plus dans la constitution végétale que comme des parties de soutien. A un moindre degré, cela se rencontre chez les animaux ; le squelette des crus- slacés et la carapace des insectes, sont des parties qui sont peu riches en azote ou qui en sont même absolument dépourvues. La substance principale des tissus de sou- tien chez les végétaux est le ligneux ou la cellulose. Or, on avait émis la proposition que la cellulose était spé- ciale aux végétaux et n'appartenait qu'à eux seuls. Il n'en est rien. On a rencontré celte substance dans l'enveloppe des Tuniciers et l'on a établi d'ailleurs des analogies étroites avec à la chitine qui forme la carapace des crus- tacés et des insectes (1). Toutefois, comme nous l'avons dit, c'est dans les rap- ports des animaux et des végétaux avec l'atmosphère que la théorie du Dualisme a trouvé ses premiers et ses plus forts arguments. Les découvertes accomplies, à ce sujet, à la fin du siècle dernier, ont immédiatement placé en opposition la vie des plantes avec celle des animaux. On connaît la célèbre expérience de Priestley, par (1) C. Sclimitlt, Zur Vergleichenilcn Physiologie der Wirbellosm Thiere. 1845. — Berihulot, Comptes rendus de la Société de biologie. OPrOSITION ENTRE LES ANIMAUX ET LES VÉGÉTAUX. 135 laquelle ce grand chimiste établit que les végétaux purifient l'air que les animaux ont vicié et semblent se comporter, quant à leur respiration, en sens inverse. Une souris est placée sous une cloche dans de l'air confiné : elle finit par y périr; l'air est vicié et si l'on introduit un autre animal, il tombe très-rapidement et périt à son tour asphyxié. Mais si l'on dispose dans la cloche une plante (un pied de menthe) l'atmosphère est purifiée, rétablie dans sa constitution première et un animal peut y vivre de nouveau (1). L'être végétal vit donc là où meurt l'animal ; ils se comportent précisément d'une manière inverse relative- ment au milieu, l'un défaisant ce que l'autre a fait, et à eux deux ils constituent un état de choses harmonique, équilfbré et par conséquent durable. Cette expérience fut vraiment le point de départ de l'opposition chimique moderne des animaux et des vé- gétaux. Les animaux absorbent de l'oxygène et exha- lent de l'acide carbonique. Les recherches successives de Ingen-Housz, de Sénébier, de Th. de Saussure ont prouvé que dans les parties vertes des plantes, sous l'in- fluence des rayons solaires, il se produit au contraire, une absorption d'acide carbonique et une exhalation d'oxygène. Cette opposition entre la respiration des animaux et celle des plantes a été générahsée d'une manière gran- diose, par MM. Dumas et Boussingault dans leur théorie •de la circulation matérielle entre les deux règnes orga- niques : i\) Voyez Priestley, Expériences sur les airs, t. \\\. 136 LES TROIS FOUMES DE LA VIE. « L'oxygène enlevé par les animaux est restitué par » les végétaux. Les premiers consomment de l'oxygène; » les seconds produisent de l'oxygène. Les premiers » brûlent du carbone, les seconds produisent du carbone. » Les premiers exhalent de l'acide carbonique, les » seconds fixent de l'acide carbonique. » L'animal fut ainsi considéré comme un appareil de combustion d'oxydation, d analyse ou destruction^ tan- dis que la plante au contraire était un appareil de réduc- tion^ de formation^ de synthèse. Il résultait de là (jue les phénomènes de destruc- tion ou combustion vitale se trouvaient absolument séparés dans les êtres vivants des phénomènes de réduc- tion ou de synthèse organique. La création vitale était dévolue aux végétaux, tandis que la destruction orga- nique était réservée aux animaux. L'organisme animal étant incapable de former aucun des principes qui entrent dans sa constitution : graisse, albumine, fibrine, amidon, sucre, tout lui était fourni par le règne végétal, et l'alimentation des animaux n'était plus que la mise en place des matériaux uniquement élaborés par les plantes. Le lait sécrété par l'herbivore, la caséine, le beurre, le sucre devaient se retrouver poids pour poids dans les herbages dont il fait sa nourriture, etc. Ces idées ont encore été rassemblées et exprimées avec une lumineuse simplicité, par MM. Dumas et Boussingault, dans leur statique chimique des êtres vivants. Nous reproduisons ici la formule saisissante de cette théorie célèbre : OPPOSITION CHIMIQUIi:. U71 végétal : Produit des matières sucrées, grasses, albuminoïdes. Réduit, avec dégagement d'oxygène : HO AzH^O Absorbe de la chaleur Est immobile 137 Un animal : Consomme des matières sucrées , grasses, albuminoïdes. Produit, avec absorption d'oxygène : HO AzH<0 Dégage de la chaleur. Se meid. C'est dire en d'autres termes que la formation on syn- thèse chimique appartient aux végétaux et que la combus- tion appartient aux animaux. Or cette conclusion est contradictoire au principe fondamental de la physiologie générale, à savoir que les deux phases de l'action vitale, la création et la destruction^ au lieu d'être partagées entre les deux règnes, sont intimement unies dans tout être et dans toute partie vivante. Mais la dualité vitale ne s'est pas affirmée seulement au point de vue chimique, elle a revêtu de notre temps une autre forme que nous pouvons appeler dynamique ou mécanique. On a comparé souvent le cor[)s de l'homme et celui des animaux à un appareil à combustion. Les chi- mistes ont établi que les produits rejetés du corps, les excrétions, pris dans leur ensemble, contenaient une plus grande proportion d'oxygène que les aliments in- gérés. Il se produit donc dans l'organisme animal, une combustion continuelle, source de chaleur et de force mécanique. « L'oxydation des composés complexes, dit M. Huxley, ^138 LES TROIS FORMES DE LA VIE. » qui entrent clans l'organisme est finalement propor- » tionnée à la somme de force que le corps dépense, » exactement delà même façon que la somme de travail » que l'on obtient d'une machine à vapeur, et la quan- » tité de chaleur qu'elle produit sont en proportion » stricte de la quantité de charbon qu'elle consomme. » Les particules de matière qui entrent dans le tour- » billon vital sont plus compliquées que celles qui en » sortent. Pour employer une métaphore qui n'est w pas sans quelque réalité, les atomes qui entrent dans » l'organisme sont pour la plupart façonnés en grosses » masses et se brisent en petites masses avant de le » quitter. La force qui est mise en liberté dans celte » fragmentation est la source des puissances actives de » l'organisme. De là l'assimilation du corps des animaux à une machine à vapeur oii s'engendreraient des forces vives. L'organisme, a-t-on dit, est une machine, et même assez parfaite ; car, pour une semblable quantité de combustible, elle fournit deux fois plus de travail que les moteurs les plus économiques. Son rendement s'élè- verait, d'après Moleschott, au cinquième de l'équivalent inécanique du calorique dégagé par la combustion de l'hydrogène et du carbone qu'elle consomme. Enconsidé- irant les deux règnes, au point de vue des services qu'ils se rendent, comme font les partisans des causes finales, et non pas au point de vue de leur fonctionnement essentiel, on a pu dire que l'un était un réservoir de forces, et l'autre un consommateur. « Les phénomènes » les plus compliqués de la vitalilé sont résumés, a dit OPPOSITION MÉGANIQUE. i39 -» M. Tyndall, clans cette loi générale : le végétal est » produit par l'élévation d'un poids ; l'animal par la » chute de ce poids. » Le vésfélal créerait donc des forces à la façon du niécanicien qui soulève le poids d'une horloge ; par cette action, le travail des rouages est créé en puissance ; il suffît de laisser tomber la masse pour le manifester. C'est là ce que l'on appelle en mécanique une force potentielle, une force de tension. Le végétal créerait des forces de tension, et cela aux dépens des forces vives du soleil. Sous l'influence des vi- brations transmises par les rayons solaires et par la cha- leur de l'atmosphère, la chlorophylle (avec laquelle on confond ici le règne végétal) séparerait l'oxygène des combinaisons oxygénées (eau, acide carbonique, sels ammoniacaux) qu'elle absorbe. Cet oxygène mis en présence des substances combustibles, est prêt à s'y combiner, à créer ainsi un travail, à développer des forces. La séparation effectuée par la plante reviendrait à la production d'une énergie potentielle,- de forces de tension ; le rôle du règne végétal consisterait à transfor- mer des forces vives en forces de tension. Au contraire, l'animal transformerait des forces de tension forces vives. Le poids soulevé par le végétal, il le laisse retomber; il lâche, pour revenir à notre image, la masse qui fait mouvoir l'horloge, il pré- cipite sur les substances combustibhjs l'oxygène que la plante en avait séparé. Pour cela, que faut-il? Il faut, d'après llermann, à qui nous empruntons cette théorie, il faut détruire l'ob- l'iO LliS TROIS FORMES DE LA ME. stacle qui empêche l'oxygène de se combiner, enlever la clavette qui relient le poids de l'horloge, détruire, en un mot, l'obstacle qui empêche la force de tension de devenir force vive, travail ; il doit exister des forces de dégagement. Ainsi, forces de tension, accumulées dans les végé- taux ; forces vives et forces de dégagement dans les animaux ; voilà la distribution qui constituerait la dualité dynamique des êtres vivants. III. Réfutation générale des théories dualistes de la vie. — La physiologie générale peut faire à ces théories, des objections de principe et des objeclionsde faits. La grande objection de principe que nous adressons à la doctrine de la duahté vitale, c'est d'être en contradiction radi- cale avec notre conception fondamentale de la vie qui exige dans tout être animal ou végétal, la réunion des phénomènes de création et de destruction organique. Nous ne pouvons concevoir un être vivant animal ou végétal en dehors de celte formule, par conséquent nous regardons a priori comme erronée, toute proposition contradictoire à ce grand principe physiologique. La seconde objection de principe que nous formulerons est relative à l'idée d'une nutrition directe que la théorie dualiste admet et que la physiologie contredit. La théorie dualiste suppose en effet que les aliments passent directement des plantes dans les animaux et que leurs principes immédiats s'y mettent en place chacun selon sa nature. L'étude physiologique des phénomènes, prouve que rien de semblable n'a lieu, et que la nu- RÉFUTATION DES THÉORllîS DUALISTES. 141 trition est. indirecte. L'aliment disparaît d'abord en tant que matière chimique définie et ce n'est que plus tard, après un travail organique à longue portée, après une élaboration vitale complexe que l'aliment arrive à constituer les réserves toujours identiques qui servent à la nutrition de l'organisme. La nutrition et la digestion se séparent complètement; la nature de l'alimentation, essentiellement variable, n'a jamais d'ef- fet dans l'état normal, sur la formation des réserves qui restent fixes comme la constitution des liquides et des tissus organiques. Eu un mot, le corps ne se nour- rit jamais directement d'aliments variés, mais toujours à l'aide des réserves identiques préparées par une sorte de travail de sécrétion. Et ce. que nous disons ici de la formation des réserves nutritives se retrouve dans les deux règnes, aussi bien chez les animaux que chez les végétaux. D'ailleurs, il faut le reconnaître, les faits sont venus eux-mêmes démontrer que la dualité vitale ne pouvait exister sous la forme absolue qu'elle avait revêtue. Pour ce qui est delà formation des principes immé- diats, la question a été résolue et la solution acceptée par ceux-là mêmes qui avaient d'abord soutenu la théorie contraire. 11 a été démontré que les animaux forment réellement de la graisse indépendamment de celle qu'ils ingèrent et qu'ils pourraient emprunter à l'alimentation. L'herbivore crée la graisse au lieu de la trouver toute formée, et le Carnivore agit de même. Non-seulement les animaux font de la graisse, mais ils n'emploient pas directement celle que renferment leurs i42 Li:s TROIS FORMIÎS Dli LA VIE. aliments. Celto sorte d'économie qu'il y aurait à utiliser la substance déjà formée et qui nous vient à l'esprit, la nature ne la connaît pas. Elle ne profite point de la besogne toute faite, cornme si c'était autant de gagné. Le chien, par exemple, ne s'engraisse pas du suif du mouton ; il fait de la graisse de chien. J'ai moi-même» avec le concours de M. Berlhelot, essayé de fournir une démonstration expérimentale de ce fait, en employant un moyen de reconnaître et de suivre la graisse four- nie à l'animal : ce moyen consiste à employer comme aliment de la graisse chlorée, où le chlore remplace quelques molécules d'hydrogène. Si l'animal soumis à ce régime présente une graisse différente de celle qui lui a été offerte et possède les caractères propres à l'organisme qui l'a produite; il faudra bien conclure qu'il n'y a pas eu simple mise en place de l'aliment introduit. On pourrait démontrer de môme que les substances albuminoïdes qui constituent les tissus animaux ne sont pas empruntés directement aux substances alibiles des végétaux. Mais c'est surtout pour la formation de la matière sucrée que les doutes ont été entièrement levés. Il y a une trentaine d'années, on croyait que le sucre était incontestablement une substance végétale et que celui qui existait dans les organismes animaux avait été nécessairement emprunté aux plantes. J'ai réussi à démontrer qu'il en est tout autrement et que l'animal fabrique lui-môme cette substance indispensable au fonctionnement vital, aux dépens des matériaux ahmen- RÉFUTATION DKS THÉORIES DUALISTIiS. i4ci taires très-différents qu'on lui fournit. J'ai prouvé de plus que le sucre se produit dans l'animal par un mé- canisme identique cà celui qui a lieu dans le végétal. Nous reviendrons sur ces faits à propos de l'étude des phénomènes de créations organiques. Concluons seule- ment ici qu'à l'égard de la formation des principes im- médiats, l'expérience démontre que les animaux et les végétaux ne se distinguent pas et que les uns et les autres peuvent former les mêmes principes organiques. L'antagonisme de la respiration des animaux et des végétaux n'est pas davantage confirmé par l'expérience. La réduction de l'acide carbonique opérée par le végé- tal est le lait de la fonction chlorophyllienne ; celle-ci n'a aucun rapport avec la respiration qui est identique dans les deux règnes. Le protoplasma végétal, les par- ties incolores, racines, graines, etc., ont les mêmes pro- priétés respiratoires que les tissus animaux. Le végétal comme l'animal absorbe de l'oxygène, exhale de l'acide carbonique et produit de la chaleur; le fait n'est pas douteux lorsque l'on suit la germination des graines. Relativement à la sensibilité qui constituerait le troi- sième point d'antagonisme entre les végétaux et les animaux, nous aurons l'occasion de montrer qu'elle n'est en aucune façon un attribut exclusif de l'anima- lité (voy. Leçon Yir). Si les végétaux ne présentent pas des fonctions locomotrices comparables à celles des ani- maux, ils n'en possèdent pas moins une sensibilité, qui est le primum movens de tout acte vital. Si les partisans de l'opposition chimico-physique, entre les animaux et les végétaux, ont dû céder à l'évi- '144 LES TROIS FORMES DE LA. VIE. dence des faits contraires et revenir sur l'absolu de leurs anciennes opinions, l'esprit de la théorie n'en subsiste pas moins; il est intéressant de voir que la dualité vitale se concentre maintenant sur un seul argument. On ne peut plus douter, avons-nous dit, que les ani- maux et les plantes ne soient capables de produire les mêmes principes immédiats; on ne peut plus nier que les uns et les autres soient le siège de destructions et de réductions infiniment nombreuses et connexes. La différence ne résiderait plus entre animaux et végétaux que dans l'agent ou l'énergie qui est la cause des phé- nomènes chimiques et mécaniques qui se passent en eux. C'est un point que nous traiterons avec plus de détail, en étudiant les phénomènes de création vitale (voy. Leçon YIL). Pour le moment il suffira de rap- peler les grands traits de la question. Il est admis aujourd'hui (1) que les phénomènes de synthèse chez les végétaux et les animaux forment deux groupes : ceux qui exigent la radiation solaire, ce sont les réduc- tions opérées dans les plantes vertes sous l'influence de la chlorophylle ; ceux qui ont lieu sous l'influence des combustions opérées dans les animaux ou dans les parties des plantes qui ne contiennent pas de matière verte. Telles seraient les deux sources de forces vives qui s'accumulent dans les êtres vivants : tantôt elles sont directement empruntées à l'énergie solaire, tantôt elles sont empruntées à la chaleur produite par les (1) Voyez Boussingault, C. fl., iO avril 187G, t. LXXXII, p. 788. — C. /?., 24 avril 1876. RÉFUTATION DES THÉORIES DUALISTES. '145 combustions. La force vive vient du soleil quand il y a de la chlorophylle; dans tous les autres cas, soit pour les animaux soit pour les végétaux, elle provient de la chaleur dégagée dans les oxydations ou dans les combi- naisons chimiques de même ordre. Comme exemple de ce dernier genre, nous pouvons prendre la levùre de bière, le saccharomyces cerevisiœ. Ce champignon ne contient point de matière verte, il n'a pas de chloro- phylle. Aussi ce végétal ne peut-il emprunter son car- bone directement à l'acide carbonique : il a besoin d'un corps combustible explosifs le sucre, c'est-à-dire d'un corps qui puisse donner de la chaleur en se brûlant. Ici l'énergie calorifique remplacerait l'énergie solaire. Toute la différence entre les êtres vivants serait fina- lement réduite à cela. Nous ferons remarquer que ce nouveau caractère ne peut servir à distinguer les animaux des plantes. Quoi- que les végétaux soient pourvus de chlorophylle, surtout pendant l'été, d'une manière incomparablement plus abondante que les animaux, on ne peut d'une manière absolue confondre le végétal avec la chlorophylle. On devrait simplement dire qu'il y a des êtres contenant de la chlorophylle et capables d'utiliser la force vive éma- née du soleil : ce serait le règne des êtres à chloro- phylle; puis viendrait le règne des êtres sans chloro- phylle qui sont obligés de tirer d'une manière indirecte du soleil, c'est-à-dire des combinaisons formées en définitive sous l'influence de ses rayons, la puissance dynamique qu'ils doivent utiliser. Mais cette division qui consisterait à ranger les êtres d'après l'existence ou CI,. UERXARD. 10 146 LliS TUOIS FORMES DK LK VŒ. l'absence de la matière verte chlorophyllienne ne corres- pond plus à la classification des êtres vivants en végé- taux et animaux. Toute la vaste classe des champignons, dépourvus de chlorophylle devrait être distraite des végétaux et beaucoup d'animaux {Euglena viridis^ Stentor polij7norphiis, Qic.^ etc.) devraient être rangés dans les végétaux. Au point de vue philosophique, les théories dualistes de la vie ont eu pour objet de nous montrer d'une ma- nière saisissante les rapports des êtres dans les trois règnes de la nature. Elles ont étudié surtout les consé- quences de ces rapports et regardé chaque être comme une machine travaillant au service d'autrui. Ces théories sont surtout empreintes des considérations finalistes que l'homme ne peut s'empêcher d'exprimer lorsqu'il se fait le centre des grands phénomènes cosmiques qui l'en- tourent : le règne minéral est le réservoir général; les végétaux travaillent pour les animaux, et le monde entier est fait pour l'homme qui en utilise les produits pour son bien-être matériel ou dans l'intérêt social. Par ce côté ces théories paraissent se relier à la vie pratique. C'est pourquoi on en a fait à l'agriculture, à l'hygiène, de nombreuses applications que nous n'avons pas à examiner ici. Toutefois, nous pensons que ces vues théoriques qui reposent sur des résultats évidents et incontestables ne répondent pas à la véritable conception physiologique des phénomènes. En effet, l'identification de l'organisme animal à un appareil dans lequel s'engendrent des forces vives, à un RliFUTATIO.V DES THliURlES DUALISTES. 147 fourneau dans lequel vient s'engouffrer et se brûler le règne végétal, peut représenter une apparence exté- rieure; mais ce n'est pas l'expression physiologique d'une loi qui relierait la vie animale et végétale. Sans doute, les animaux herbivores se nourrissent des plan- tes, et les carnassiers des herbivores. Ces résultats qui assurent l'équilibre cosmique sont les conséquences, ainsi que nous le montrerons plus tard de la loi géné- rale de la lutte pour l'existence d'après laquelle la na- ture ne peut engendrer la vie que par la mort, la créa- tion pîir la destruction. Pour nous ces faits, quoique nécessaires, sont en réalité accidentels et contingents dans leur déterminisme; ils restent en dehors de la finalité physiologique. La loi de la finalité physiologique est dans chaque être en particulier et non hors de lui : l'organisme vi- vant est fait pour lui-môme, il a ses lois propres, intrin- sèques. Il travaille pour lui et non pour d'autres. Il n'y a rien dans la loi de l'évolution de l'herbe qui implique qu'elle doit être broutée par l'herbivore; rien dans la loi d'évolulion de l'herbivore qui indique qu'il doit être dé- voré par un carnassier; rien dans la loi de végétation de la canne qui annonce que son sucre devra sucrer le café de l'homme. Le sucre formé dans la betterave n'est pas destiné non plus à entretenir la combustion respira- toire des animaux qui s'en nourrissent ; il est destiné à être consommé par la betterave elle-même dans la se- conde année de sa végétation, lors de sa fioraison et de sa fructification. L'œuf de poule n'est pas pondu pour servir d'aliment à l'homme, mais bien pour produire un 148 LKS TROIS FORMES DK LA VIIÎ. poulet, etc. Toutes ces finalités utilitaires à notre usaore, sont des œuvres qui nous appartiennent (voy. Leçon VHP, causes finales), et qui n'existent point dans la nature en dehors de nous. La loi physiologique ne condamne pas d'avance les êtres vivants à être mangés par d'autres; l'animal et le végétal sont créés pour la vie. D'autre part une conséquence impérieuse de la vie est de ne pouvoir naître que de la mort. Nous l'avons répété sous toutes les formes ; la création organique implique la destruction organique. Ce qui s'observe dans les phéno- mènes intimes de la nutrition, dans la profondeur de nos tissus, se manifeste dans les grands phénomènes cosmiques de la nature. Les êtres vivants ne peuvent exister qu'avec les matériaux d'autres êtres morts avant eux ou détruits par eux. Telle est la loi. En résumé, la physiologie générale, qui ne considère la vie que dans ses phénomènes essentiels et généraux, ne nous permet pas d'admettre une dualité des ani- maux et des végétaux, une physiologie animale et une physiologie végétale distinctes. Il n'y a qu'une seule manière de vivre, qu'une seule physiologie pour tous les êtres vivants; c'est la physiologie générale qui conclut à l'unité vitale dans les deux règnes. Si maintenant, au lieu de considérer la vie dans ses deux manifestations nécessaires et universelles, la créa- tion et la destruction vitale, nous pénétrons dans le jeu des divers mécanismes vitaux que la nature nous pré- sente, si nous descendons dans l'arène où se passe la lutte pour l'existence, alors nous trouverons des diffé- rences fonctionnelles et des variétés infinies. Non-seu- RliFUTATlON DES TIIl'ORIES DUALISTES. '149 lement nous trouverons que des animaux sont con- formés pour manger des végétaux, mais que des ani- maux sont armés pour dévorer d'autres animaux plus faibles qu'eux. C'est en un mot le règne de la loi du plus fort, loi qui n'a rien de nécessaire, puisque les hasards du combat vital peuvent faire que tel être échappe à la mort, tandis que tel autre succombe. Toutefois, au milieu de celte mêlée silencieuse, que nous appelons par antiphrase l'harmonie de la nature, et dans laquelle viennent s'entre-délruire toutes les existences, jamais la loi fondamentale de la physiologie générale que nous avons énoncée n'est violée. Jamais la vie ne se manifeste sans entraîner avec elle dans le même être un double mouvement de création et de destruction organique équivalente, de sorte que nous ne trouvons jamais des êtres vivants jouant séparément le rôle d'organismes créateurs de la matière organique, tandis que d'autres auraient le rôle contraire de détruire cette matière organique pour la restituer au monde minéral. Tous les êtres vivants se nourrissent de même ; l'ani- mal pas plus que le végétal ne procède par nutrition directe, ils s'alimentent, en réalité, l'un et l'autre malgré les apparences contraires, en prenant au monde ambiant des matériaux tombés dans un élat plus ou moins profond d'indifférence chimique. L'animal comme le végétal modifient ces matériaux, les élaborent et en forment des réserves appropriées à leur nature et utilisées ultérieurement pour leur propre compte. Tan- tôt la formation de la réserve et sa dépense peuvent 150 LES TROIS FORMES DK L\ VIE. être à peu près simultanées ou très-rapprochées, tantôt elles sont successives et à long intervalle. Ce dernier cas s'observe pour les végétaux, surtout pour les végétaux bisannuels. Pendant la première année, la plante accu- mule ses réserves et on peut croire qu'elle n'est alors qu'un appareil de création ou de synthèse. Pour les animaux au contraire et particulièrement pour les ani- maux à sang chaud, les réserves ne durent pas long- temps et se dépensent en quelque sorte au fur et à mesure, de sorte qu'on peut croire que ces derniers êtres sont uniquement des appareils de combustion, de destruction. Chez les animaux à sang froid, les réserves sont faites dans certains cas à longue portée et se rap- prochent par ce côté de celles des végétaux. En définitive, le végétal et l'animal sont deux ma- chines vivantes distinctes munies d'instruments et d'ap- pareils variés avec des modes de fonctionnement qui don- nent aux phénomènes de leur existence des apparences fort différentes. Mais l'unité de la vie ne doit pas nous être dissimulée par la variété de la fonction; le muscle, la glande, le cerveau, les nerfs, les organes électriques, etc., vivent semblablement, mais fonctionnent très-différem- ment. Les végétaux et les animaux vivent identique- ment, mais fonctionnent autrement. Même en admet- tant que la fonction chlorophylienne soit spéciale aux végétaux, il ne faut pas en tirer la conclusion que les végétaux vivent autrement que les animaux, ce serait une erreur; le protoplasma chlorophylUien, qui a pour fonction de réduire l'acide carbonique et de dégager de l'oxygène, ne vit pas moins comme tous les proto- RliFUTATION DES THÉORIES DUALISTES. 151 plasmas animaux et végétaux en absorbant de l'oxygène et en exhalant de l'acide carbonique. Au point de vue de la physiologie générale, nous ne considérons pas seulement les fonctions différentielles des êtres vivants entre eux, lesquelles n'ont rien d'ab- solument nécessaires à la vie ; nous considérons, au con- traire, les phénomènes généraux et communs qui sont indispensables à l'existence de tous les êtres. Qu'importe qn'un être vivant ait des organes ou des appareils plus ou moins variés et complexes, des poumons, un cœur, un cerveau, des glandes, etc., etc. Tout cela n'est pas nécessaire à la vie d'une manière absolue. Les êtres inférieurs vivent sans ces appareils, qui ne sont que l'apanage des organisations de luxe. L'étude des êtres inférieurs est surtout utile à la physiologie générale, parce que chez eux la vie existe à l'état de nudité pour ainsi dire. Elle est réduite à la nutrition : destruction et création vitale. Or nous le répétons, cette vie est toujours complète dans la plante comme dans l'animal, lis ne représentent pas chacun une demi-vie qui, se complétant réciproquement, rendrait les deux êtres étroitement complémentaires l'un de l'autre. C'est en définitive dans l'intimité des phénomènes de la nutrition que se manifeste surtout la loi de Tunité vitale chez les animaux et chez les végétaux. Mais pour saisir cette unité, il faut considérer le phénomène nutritif dans sa totalité; car si on n'analyse qu'un côté des rapports des êtres vivant avec le milieu cosmi- que, on peut trouver parfois que les phénomènes de la vie animale et végétale revêtent des apparences con- i52 LES TROIS FORMliS DE LA VIE. traires. C'est ce qui a semblé parfois résulter de ce qu'on a appelé le bilan nutritif des animaux et des végé- taux. Nous terminerons par quelques réflexions à ce sujet. Le bilan du mouvement organique des animaux et des végétaux se dresse comme celui d'une machine or- dinaire dont on veut connaître le travail intérieur. On analyse ce qui entre, on analyse ce qui sort dans un temps donné, et de la dépense on déduit ce qui s'est fait dans la machine. Cette manière d'opérer, applicable sans doute aux machines inertes, n'est plus légitime pour les organismes ou machines vivantes. Si la nu- trition et la combustion organiques étaient directes, comme on l'a cru après Lavoisier, le bilan direct pour- rait être admissible. Mais la physiologie nous a appris que la nutrition est indirecte et ne se fait qu'à longue portée après des mois et même des années chez cer- tains végétaux. Donc il faudrait, pour conclure, rigou- reusement avoir des observations ou des expériences d'une durée équivalente; sans cela on n'obtient que des résultats partiels dont on ne peut pas tirer de conclu- sions générales. MM. Regnault et Reiset ont fait bien sentir cette diffé- rence qui existe entre les machines vivantes et les ma- chines inertes, quand dans leurs belles recherches sur la respiration, ils ont analysé le travail de Dulong et Desprez sur la chaleur animale. Ces derniers auteurs supposantque la combustion est directe, admettaient que la chaleur produite dans le corps est représentée par la chaleur de combustion du carbone et de l'hydrogène RÉFUTATION DES THÉORIES DUALISTES. '15.'^ il l'aide de l'oxygène respiré. Les nombres de leurs analyses correspondent môme avec celte explication. MM. Regnault et Reiset, tout en admettant que les phé- nomènes de calorification ne peuvent être dans l'or- ganisme comme au dehors de lui que le résultat des phénomènes de combustion, n'hésitent pas à considérer les nombres trouvés par Dulong et Desprez comme faux et la concordance de leurs analyses comme tout à fait fortuite. C'est qu'en effet il y a bien d'autres phénomènes dont il faudrait tenir compte si l'on voulait avoir l'équation de la production de la chaleur animale dans l'organisme vivant. On simplifie donc trop les problèmes, et selon le mot spirituel de Mulder : déduire les phénomènes qui se passent dans l'organisme de l'analyse des maté- riaux qui le traverse, ce serait prétendre connaître ce qui se passe dans une maison en analysant les ali- ments qui entrent par la porte et la fumée qui sort par la cheminée. Nous reconnaissons néanmoins aux recherches de statique chimique une grande importance , parce qu'elles fournissent les premières données sur les- quelles le physiologiste doit se baser pour poursuivre l'étude des phénomènes intimes de la nutrition dans nos tissus. Mais la physiologie expérimentale nous enseigne que ces problèmes intermédiaires de la nu- trition doivent ensuite être suivis pas à pas à l'aide d'expériences délicates, au lieu d'être déduits d'expli- cations hypothétiques fondées sur la comparaison du matériel d'entrée et de sortie. i54 LES TROIS FORMES DE L\ VIE. Les phénomènes de la nutrition sont trop complexes pour pouvoir se prêter à ce genre d'investigation qui n'est applicable, nous le répétons, qu'aux machines in- organiques. Nous pourrions citer beaucoup de consé- quences physiologiquement erronées, auxquelles on a été conduit par cette manière indirecte d'opérer; tandis qu'au contraire l'étude expérimentale des phénomènes de la nutrition poursuivie directement dans les organes, dans les tissus, et même dans les éléments de tissus, nous a conduit à des découvertes fécondes. Jamais on n'aurait découvert la formation du sucre dans le foie si l'on s'était borné à comparer les analyses des matières à l'entrée et à la sortie de l'organisme. Le physiologiste doit s'appuyer sur ces résultats chimiques généraux; mais il ne doit pas s'en contenter, il doit descendre, à l'aide de l'expérience directe, dans l'intimité des or- eranes, dans le tissu, dans la cellule vivante dont la fonction est identique dans l'animal comme dans le végétal. C'est par cette étude seule qu'il pourra saisir le mystère de la nutrition intime et arriver à se rendre maîire de ces phénomènes de la vie, ce qui est son but suprême. On voit ainsi par quel point de vue le physiologiste et le chimiste peuvent différer quand ils étudient les phénomènes de l'organisme vivant. Conclusion. — De la discussion générale qui précède, nous pouvons conclure que malgré la variété réelle que les phénomènes vitaux nous offrent dans leur appa- rence extérieure, dans les animaux et dans les végétaux ils sont au fond identiques parce que la nutrition des CONCLUSION. 155 cellules végétales et animales qui sont les seules parties vivantes essentielles ne sauraient avoir un mode diffé- rent d'exister dans les deux règnes. En conséquence nous considérons notre grande divi- sion des phénomènes de la vie : destruction et création organique, comme justifiée et comme établie en physio- logie générale. Cette division nous servira de cadre dans les leçons qui vont suivre. QUATRIÈME LEÇON PHÉNOMÈNES DE DESTRUCTION ORGANIQUE, rermcutatlon. — Coiiibii.stion. — ■■iitréfuction. Sommaire : Phénomènes de la création et de la desiruction organique. — Étude des phénomènes de destruction organique. — Fermentation, combustion, putréfaction. I. Fermentation. — Catalyse; Bcrzélius. — Décomposition; Liebig. — Théorie organique; Gagniard de Latour, Turpin, Pasteur. — Ferments solubles, ferments figurés. — Les actions des ferments solubles se retrou- vent dans le règne minéral. — Les mêmes ferments sont communs aux deux règnes, animal et végétal. — Les ferments agissent pour transformer et décomposer les produits des réserves nutritives. — Fermentations dues aux ferments figurés. — Fermentation alcoolique; ses conditions. II. Combustion, — Théorie de Lavoisicr; combustion directe, vive ou lonte. — La combustion directe n'existe pas. — Combustions indirectes; dédoublement, sorte de fermentation appartenant aux végétaux et aux animaux. — Fait particulier des glandes. — Rôle inconnu dé l'oxygène dans l'organisme. III. Putréfaction. — Appartient aux animaux et aux végétaux. — Théories de la putréfaction; Gay-Lussac, Appert, Schwann, Pasteur. — Fermen- tation putride. — Analogie de la putréfaction et des fermentations. — La vie est une putréfaction. — Mitschcrlich, Hoppe-Seyler, Schutzcn- berger, etc. Nous avons proposé, discuté et établi en physiologie générale, la division des phénomènes de la vie en deux grands groupes : phénomèiies de création ou de synthèse organique, phénomènes de destruction organique. Il faut maintenant poursuivre cette division dans ses détails et étudier séparément les deux ordres de phénomènes vi- taux qui s'y rapportent. Nous commencerons par l'étude des phénomènes de destruction vitale, parce qu'ils se PIIliNOMÈNES DE DESTRUCTION ORGANIQUE. 157 montrent dès l'origine de l'être et qu'ils débutent avec l'apparition de la vie. ^ Les phénomènes de destruction organique ont pour expression même les manifestations vitales. On peut regarder comme un axiome physiologique la proposition suivante : Toute manifestation vitale est nécessairement liée à une destruction organique. Quels sont ces phénomènes de désorganisation ? Lavoisier, dans le passage que nous avons précédem- ment cité, rattache tous les phénomènes de destruction organique à l'un de ces trois types : I. Fermentation. % n. Combustion. m. Putréfaction. C'est, en effet, par l'un ou l'autre de ces procédés que la matière organisée se détruit, soit par suite du fonc- tionnement vital, soit dans le cadavre après la mort. I Ces trois phénomènes typiques présentent malheureu- sement encore beaucoup d'obscurités, malgré l'im- pulsion très-active qui a été donnée à leur étude et malgré les progrès considérables qui ont été accomplis depuis quelques années. Il ne s'agira pas d'ailleurs, dans ces leçons où nous traçons une sorte d'esquisse ou de plan de la physiologie générale, de résoudre les questions ; il importe d'abord de les poser : c'est à quoi nous nous bornerons en traitant successivement de la fermentation, de la combustion, de la putré- faction. Nous indiquerons d'une manière rapide et 158 LliÇONS SUR LES PHÉNOMÈiNES DE LA VIE. sommaire non pas l'état détaillé de nos connaissances sur ces phénomènes complexes, mais bien plutôt la place qu'ils doivent occuper dans un conspectus phy- siologique, nous réservant de les développer plus tard en faisant connaître nos recherches personnelles. I. Fermentations. — Les chimistes et les physiolo- gistes n'ont jamais été et ne sont pas encore d'accord sur ce que l'on doit entendre sous le nom de fermenta- tion. On a dit, dans ces derniers temps, d'une façon géné- rale, que ce nom s'appliquait à toutes les réactions orga- niques provoquées par un corps qui ne gagnait et ne per- dait rien dans le phénomène, qui semblait n'intervenir que par sa présence. Berzélius appelait admis cataly ti- ques les phénomènes de ce genre. C'est ainsi que la mousse de platine, disait-on, agit par simple présence ou par catalyse sur l'alcool pour le faire passer successive- ment à l'état d'aldéhyde, puis d'acide acétique. La fer- mentation était une catalyse organique. C'était là bien entendu une simple désignation et non une explication. Le rapprochement que ce nom indique n'est pourtant pas exact, et nous donnerait une idée très-fausse des fermentations qui s'accomplissent chez les animaux et les végétaux. En efTet, les fermentations que l'on connaît pour les avoir étudiées dans l'économie vivante où elles s'ac- complissent ne sont pas comparables aux phénomènes que Berzélius appelait des actions cataly tiques. Le fer- ment ne reste pas indifférent aux décompositions qu'il provoque. 11 est prouvé aujourd'hui que, dans l'action FERMENTATIONS . 1 59' de la diastase sur l'amidon, la diastase s'use et que son usure est en rappprt avec l'énergie de l'action qu'elle a exercée. Aussi le ferment ne reste pas invariable. Nous venons de citer un cas où il se détruit : dans d'autres cas, il se multiplie. Cela a lieu, pour ce que l'on appelle les fer- ments figurés. Le Mycoderma aceti^ organisme micro- scopique qui transforme l'alcool en acide acétique^ n'agit pas simplement à la façon de la mousse de platine ; il augmente de poids, il s'accroît et se multiplie dans la liqueur oi!i il agit et corrélativement à son action même. Il ne faut donc pas, d'après cela, rapprocher les fermentations des phénomènes d'ailleurs obscurs et inconnus que l'on a" rangés sous le titre d'actions cala- lytiques. Berzélius avait en vue surtout la fermentation alcoolique : il ignorait que le ferment, la levûre, fût un être organisé, il le regardait comme un principe amor- phe. Mitscherlich, qui connaissait cependant la nature organisée de la levûre, lui attribuait le même rôle que Berzélius. Liebig comprit autrement les fermentations. Prenant pour type la fermentation alcoolique, il la considéra comme l'avaient fait autrefois les iatrochimistes Willis et Stahl. « La levûre de bière et en général toutes » les matières animales et végétales en putréfaction » reportent sur d'autres corps l'état de décomposition » dans lequel elles se trouvent elles-mêmes ; le mouve- » ment qui, par la perturbation d'équilibre, s'imprime » à leurs propres éléments se communique également 160 LEÇONS SUR LES rilÉNOMÈNES DE LA VIE. » aux éléments des corps qui se trouvent en contact avec » elles. » Le fernnent, dans cette manière de voir, est un corps en décomposition, dont les molécules, animées d'un mouvement particulier interne, communiquent l'ébranlement à une substance fermentescible instable. Pour caractériser d'un mot la théorie de Liebii?, il faudrait dire que la fermentation est une décomposition qui en entraîne une autre. Cagniard de Latour reconnut vers 1836, par l'in- spection microscopique, que la levûre de la fermentation alcoolique était formée de globules organises, de cellules vivantes, capables de se reproduire, ayant une enveloppe et un contenu. Le rôle de cet organisme dans la fer- mentation fut surtout précisé par M. Pasteur. La fermen- tation alcoolique est un phénomène corrélatif de l'orga- nisation, du développement, de la multiplication, c'est- à-dire de la vie des globules. C'est ce que l'on a appelé la théorie physiologique de la fermentation, que Turpin,' en 4838, avait formulée le premier, en disant : « Fer- mentation comme effet et végétation comme cause. » On distingue aujourd'hui deux espèces do fermenta- tions, selon la nature soluble ou insolul)le du ferment : les unes produites par l'intervention d'un ferment organisé ou figuré, les autres produites par les ferments non figurés, liquides, produits élaborés, sécrétés par les organismes vivants. Les ferments soluhles existent dans les plantes et dans les animaux. Ils ont pour type, la diastasc végétale et les ferments digestifs ; ils ont pour caractère commun d'être solubles dans l'eau, précipitables par l'alcool et FERMENTATIONS. 161 de nouveau solubles dans l'eau. Un autre trait com- mun est encore la grandeur de l'efFet comparée à la masse très-faible du ferment. Une très-petite fraction de diastase peut saccharifîer une grande quantité (plus de deux mille fois son poids) d'amidon. Enfin, la substance active ne se multiplie pas, mais au contraire s'épuise et se détruit par son action même. Ces ferments sont capables de provoquer des réactions chimiques très-énergiques. J'ai insisté depuis très-long- temps pour établir que les fermentations spéciales quant à leurs procédés, ne sont pas, au fond, quant à leur nature essentielle, différentes des actions chimiques générales; toutes, en effet, sont représentées dans le règne minéral. Certains ferments, diastase animale et végétale, ferments inversifs des plantes ou des animaux, agissent à la façon des acides minéraux : d'autres ont le même effet que produirait un alcali; de ce nombre est le ferment des matières grasses qui existe dans le suc pancréatique et qui émulsionne d'abord et qui saponifie ensuite ces substances, etc. Les fermentations amènent la destruction des compo- sés complexes des organismes, leur dédoublement en des corps plus simples, accompagné d'une hydratation. Elles jouent un rôle très-important dans la nutrition. On les trouve à la fois dans l'économie végétale et animale. La chose est facile à démontrer dans le cas des diastases ; le ferment glycosique ou diastase proprement dite se ren- contre dans toutes les parties de l'organisme où l'amidon animal ou végétal doit être rendu soluble. Dans les graines, le ferment manifeste son activité lors de la CL, BERKABD, 11 162 Ll'ÇONS SLR LES PllliNOMÈNES DE LA. VIE. germination; dans le tubercule de la pomme de terre, il entre en activité au printemps; dans le foie, il existe toujours de manière à transformer l'amidon animal en glycose. En d'autres termes, partout où des matières féculentes doivent alimenter un organisme, on constate la. présence d'un ferment identique. L'amidon n'est donc pas utilisé sous sa forme actuelle; il ne participe à la vie végétale ou animale, que lorsque par hydratation, il a été transformé en sucre de glycose. D'autre part, le sucre, s'il était à Tétat de glycose, ne se conserverait pas dans l'organisme : il se détruirait bientôt, sans pou- voir jouer ce rôle de réserve qui est indispensable au fonctionnement vital dans les deux règnes. Ce que nous disons de l'amidon, de son accumulation en réserves insolubles, de sa transformation par fer- mentation au moment convenable, est vrai pour beau- coup d'autres substances moins bien connues. La ma- nière d'être, de Tune d'elles, cependant, le sucre de saccharose (sucre de canne, de betterave) vient con- firmer cette généralisation. Il est susceptible, eu effet, de s'accumuler à l'état de réserves dans les tissus des vé- gétaux. Sous cette forme, il n'est point utilisable ; il n'est pas directement oxydable par l'organisme ; il est nécessaire qu'il soit transformé en sucre de glycose. Un ferment mversif est chargé de la transformation. Ce ferment existe identique chez les animaux et les plantes : la levûre de bière, qui a besoin de transformer en gly- cose, pour s'en nourrir, le sucre de cannes avec lequel elle est mise en présence, fabrique ce ferment. M. Ber- thelot l'y a découvert. La betterave se comporte de FERMIiNTATIONS. 163 même, relativement au sucre accumulé dans sa racine pendant la première année de la végétation ; j'ai démon- tré que les animaux procèdent de même pour tirer partie du sucre de saccharose contenu dans leurs aliments. Nousavons dit que les actions du genre fermentatif sont extrêmement nombreuses; elles sont en effet le type général des actions vitales de destruction; beaucoup ne sont encore que soupçonnées; le plus grand nombre est absolument ignoré. Ce que Ton en sait suffit pour- tant pour permettre de juger de l'importance de ces phénomènes. Les matières albuminoïdes sont rendues solubles et digérées par un ferment, la pepsine, qui existe dans le suc gastrique; la pepsine ne fait que commencer l'action : la trypsine^ ferment de même nature, contenu dans le sucpancréatique, achève celte transformationenpeptone. On a pensé que cet agent existait dans les différents points de l'organisme où sa présence peut être néces- saire pour digérer les albuminoïdes : Briicke a prétendu le retrouver dans le sang et dans les muscles. Il est probable qu'on l'isolera dans les végétaux. De même, il existe dans les amandes, douces et amères, un ferment soluble énergique, Yémulsine, qui est capa- ble de dédoubler un grand nombre de glycosides; l'a- mygdaline (en glycose, acide cyanhydrique et essence d'amandes amères) ; la salicine, l'hélicine, l'arbutine, la phlorizine, Tesculine, la daphnine. Or, il est remar- quable que l'on trouve précisément un ferment de la même nature, chez les animaux, dans le foie et le pancréas. Il serait inutile de multiplier ces exemples, 164 LEÇONS SUR LES PHÉNOMÈNES DE LA. VIE. de signaler la fermentation du myroiiate de potasse pro- duite par la myrosine, la fermentation des acides biliai- res, de l'acide hippurique, du tannin, de la pectose, etc. Il suffît que l'on comprenne qu'il s'agit ici d'un procédé général employé par la nature pour opérer le dédouble- ment, c'est-à-dii'c la destruction d'un très-grand nom- bre de principes organiques aussi bien dans les plantes que chez les animaux. On range parmi les fermentations (F. à fermenU- figurés) un second ordre de décompositions provoquées par des êtres organisés. Le' type de ces actions est la fermentation alcoolique produite par la levûre de bière. C'est dans ce groupe de phénomènes qu'il faudrait ranger les transformations du sucre en alcool^ en acide lactique, en acide butyrique, en gomme, en mannite, en acide acétique. Ce sont là des exemples de destructions accomplies dans des circonstances particulières ou dans le cours de l'existence d'êtres particuliers. Cependant quelques-unes de ces fermentations des- tructives des matières organisées pourraient peut-être avoir une très-grande généralité. 11 semblerait que beau- coup de cellules soit animales soit végétales, mises dans les conditions des cellules de levûre, agissent comme celles-ci. Dans quelles conditions la levûre provoque-t-elle la fermentation alcoolique? C'est, d'après M. Pasteur, lors- que le ferment est privé d'air. Comme il a besoin d'oxy- gène pour subsister, ne pouvant l'emprunter directement, il se trouve dans l'alternative ou de périr ou de se le COMBUSTIONS. 165 procurer par un autre procédé. La levûre prend alors de l'oxygène aux matières ambiantes ; elle en prend au sucre en provoquant sa fermentation ou destruction, opéra- tion capable d'engendrer la chaleur, de produire l'éner- gie calorifique dépensée dans le fonctionnement vital. On sait, avons-nous dit, que d'autres cellules semblent susceptibles d'agir d'une façon identique. On a signalé, en effet, que certaines plantes d'Afrique produisent de l'alcool dans leurs racines. MiVI. Lechartier et Bellamy ont montré que les fruits placés dans une atmosphère d'a- cide carbonique, c'est-à-dire mis dans l'impossibilité de respirer comnie ils font d'ordinaire en absorbant de l'oxygène et rejetant de l'acide carbonique, se compor- tent comme la levûre : ils transforment partiellement leur sucre en alcool et acide carbonique. On sait d'ailleurs que l'on peut retirer de l'alcool de la distillation de cer- tains fruits, tels que les prunes à l'époque de leur maturité. M. de Luca s'est assuré que certaines feuilles placées également dans une atmosphère d'acide carbo- nique se comportent de la même manière et donnent naissance aux fermentations alcoolique et acétique. On pourrait comparer la fermentation à l'aide des ferments figurés ou vivants à une sorte de parasitisme qui .altère le milieu dans lequel vivent ces êtres élémentaires. A ce titre ces ferments rentrent dans notre étude puis- qu'ils produisent la destruction, le dédoublement des matières plus simples avec lesquelles ils sont en contact. II. Combustions. — Nous n'avons pas l'intention d'entrer dans l'étude des phénomènes de combustion et 166 LEÇONS SUR LES PHllVOMÈNES DI.; L\ VII- . de leur rôle dans la vie des organismes. Nous voulons seulement rappeler, à celte occasion, un principe que nous soutenons depuis longtemps, à savoir que les phé- nomènes chimiques des organismes vivants ne peuvent jamais être assimilés complètement aux phénomènes qui s'opèrent en dehors d'eux. Ce qui veut dire, en d'autres termes, que les phénomènes chimiques de l'être vivant, bien qu'ils se passent suivant les lois générales de la chimie, ont toujours leurs appareils, leurs procé- dés spéciaux. (Voyez, à ce sujet, mon Rapport sur les progrès de la physiologie générale, 1867.) On sait depuis Lavoisier que la destruction, l'usure moléculaire qui accompagne les phénomènes vitaux consiste dans une sorte d'oxydation de la matière organique • elle est l'équivalent d'une combustion. Mais Lavoisier et les chimistes qui nous ont fait connaître cet important résultat sont tombés dans une erreur, presque inévitable cà leur époque, sur le mécanisme de ces phénomènes, erreur qui, encore aujourd'hui, a cours auprès de beaucoup de savants. Ils ont assimilé les pro- cessus chimiques qui se font dans l'organisme à une oxydation directe, k une fixation d'oxygène sur le car- bone des tissus. Eu un mot, ils ont cru que la combus- tion organique avait pour type la combustion qui se fait en dehors des êtres vivants dans nos foyers, dans nos laboratoires. Tout au contraire, il n'y a peut-être pas dans l'organisme un seul de ces phénomènes de prétendue combustion qui se fasse par fixation directe d'oxygène. Tous empruntent le ministère d'agents spé- ciaux, des ferments par exemple. COMBUSTIONS. 167 Les impérissables travaux de Lavoisier sur la respira- lion nous ont fait comprendre le rôle de l'oxygène, non dans ses détails, mais au moins dans ses grands traits. L'oxygène est nécessaire à l'entretien de la vie, a-t-on dit, parce qu'il entretient la combustion; sa suppression, si elle n'est compensée par quelque artifice, ne saurait être longtemps soutenue; ce gaz s'unit à la substance organique et il est éliminé de l'organisme, à l'état de combinaison avec le carbone, à l'état d'acide carbonique. Ce n'est cependant pas à une combustion directe que ce gaz est employé. La formule banale répétée par tous les physiologistes que le rôle de l'oxygène est d'entretenir la combustion n'est pas exacte, puisqu'il n'y a point en i-éalité dans l'organisme de combustion véritable. Ce qui est vrai, c'est que le rôle exact de l'oxygène, que nous croyons savoir, nous est encore inconnu : à peine peut-on le soupçonner. Nous ne pouvons ici que poser la question, sans prétendre en aucune façon la résoudre; mais, dans tous les cas, nous le savons déjà l'oxygène ne sert pas à une combustion directe. D'abord qu'est-ce que les chimistes entendent sous ce nom de combustion ? C est encore ici un de ces termes mal précisés sur lesquels règne le plus complet désac- cord. Quelques chimistes réservent ce nom à l'oxydation du carbone et de l'hydrogène qui a pour conséquence la production d'acide carbonique et de vapeur d'eau, avec production de chaleur; et, avec Lavoisier, ils distinguent la combustion vive et la combustion lente suivant que la production de chaleur est plus ou moins intense, dissipée à mesure de sa production, de manière à ne pas élever 168 LEÇONS SUR LES PHÉNOMÈNES DE LA VIE. à une haïUe température le corps combustible dans le cas de combustion lente ; à le porter, au contraire, au degré où il devient incandescent dans le cas de combus- tion vive. D'autres chimistes considèrent comme fait caractéris- tique de la combustion le développement de chaleur, de sorte qu'ils attribuent ce nom à toute combinaison, à toute action chimique, qui s'accompagne d'un grand développement de calorique. En nous en tenant à la première acception, peut-on dire qu'il y ait combustion dans l'organisme animal ou végétal ? On a répondu affirmativement à cette ques- tion. Lavoisier, qui avait, par une intuition de génie, créé son système en comparant les phénomènes res- piratoires avec les oxydations des métaux, avait dû penser qu'il en était ainsi. Il avait comparé (1789) la consommation d'oxygène faite par le même homme d'abord au repos, puis accomplissant un travail, et il avait conclu que le travail musculaire accélérait les com- bustions organiques. On était depuis lors si bien per- suadé qu'il y avait une véritable combustion que le débat roulait simplement sur la question de savoir si c'était la substance môme du muscle qui se brûlait, ou si c'était des matières combustibles hydrocarbonées. Mais ni l'une ni l'autre de ces opinions ne saurait être soutenue en tant qu'elles impliqueraient une combustion directe. En effet, dans l'organisme, on ne rencontre jamais les produits de combustion incomplète, tels que l'oxyde de carbone. D'autre part, il ne se brûle pas COMBUSTIONS. 169 d'hydrogène; jamais l'on n'a pu constater directement la production de l'eau dans les prétendues combustions organiques. 11 semble, au contraire, bien avéré, que l'eau de l'organisme a sa source exclusivement dans Falimen- talion et qu'elle est introduite du dehors. J'ai montré que le sang qui sort d'un nuiscle en contraction, n'est pas plus riche en eau que celui qui y entre, c'est même plus souvent le contraire. J'ai fait, en outre, remarquer que le sang qui sort d'une glande en sécrétion est plus pauvre- en eau que celui qui entre, et que la diflerence est repré- sentée exactement par la quantité d'eau contenue dans le liquide sécrété. D'autre part, l'oxygène n'est pas immédiatement em- ployé: il n'est pas fixé directement. Un muscle en activité produit une quantité d'acide carbonique supérieure à la quantité d'oxygène absorbée dans le même temps. La consommation d'oxygène n'est donc pas en rapport exact avec la production d'acide carbonique. C'est ce que Petenkofer et Voit ont établi pour le muscle main- tenu en place, et pour le muscle séparé de l'animal L. Hermann a obtenu le meine résultat. On sait (et nous allons reproduire ici l'expérience sous vos yeux) que, môme en l'absence de tout renouvellement d'oxy- £çène, dans des gaz inertes, dans l'hydrogène par exemple que nous avons substitué à l'air ordinaire le inuscle peut se contracter assez longtemps. 11 rend alors de l'acide carbonique qui évidemment ne provient pas d'une combustion directe. Si pendant l'état d'activité le muscle rend plus d'oxygène combiné qu'il n'en reçoit; au contraire, pendant le repos, il en prend plus qu'il n'en i7() MiÇONS Sun I.i;s PIlKNU.MHNliS DK LA vii;. rend. Les faits établissent bien clairement que l'on n'a point affaire ici à une fixation directe et exlemporanéc d'oxygène sur la substance du muscle. Le phénomène est beaucoup plus complexe. Il consiste en des dédouble- ments chimiques, très-certainement de la nature des fermentations, mais actuellement plutôt soupçonnés que bien connus. On a imaginé l'hypothèse d'un dédou- blement par fermentation d'une matière du muscle, Yinogène^ en acide carbonique^ acide sarcolactique, et myosine. Celte hypothèse a simplement comme valeur de nous montrer le sens des interprétations actuelles que l'on tend à substituer à la théorie de la combustion directe de Lavoisier. L'étude du fonctionnement des glandes conduit à des conclusions de même nature relativement à la combustion directe.' J'ai montré que le sang veineux qui sort des glandes est à peu près aussi riche en oxygène que le sang artéi iel, de sorte que l'exagération de la fonction n'en- traînerait pas la disparition de l'oxygène. L'oxygène ne se fixe donc pas au moment oii l'on suppose qu'il devrait être employé ; il n'y a pas en un mot de consommation plus grande d'oxygène. Et cependant c'est pendant le fonctionnement qu'il se produit la plus grande quantité d'acide carbonique, que l'on trouve en proportions con- sidérables dans le sang veineux rutilantetà la fois chargé d'oxygène et d'acide carbonique. Ainsi, les deux phéno- mènes d'absorption et de dépense d'oxygène sont ici nettement séparés, ce qui exclut évidemment toute possi- bilité d'une combustion directe. C'est pendant le repos que l'oxygène est absorbé par la glande; c'est pendant COMBUSTIO^S. . 171 lo fonctionnement qu'il sort à l'état d'acide carbonique, mais alors Tabsorption de l'oxygène est suspendue. Il résulte de ces faits, que ce n'est pas à une com- bustion directe que l'oxygène est employé : conséquence importante pour le but que nous poursuivons, car la combustion directe du carbone et de l'bydrogène serait une véritable synthèse, une combinaison d'éléments séparés; tandis que le phénomène qui se produit est probablement au contraire un dédoublement, une des- truction de substance complexe, une véritable analyse par fermentatiou . Le rôle véritable de l'oxygène est inconnu, avons-nous dit plus haut. Il est bien certain que ce gaz est fixé dans l'organisme et qu'il devient ainsi un des éléments de la constitution ou de la création organique. Mais ce ne serait point par sa combinaison avec la matière organique qu'il provoquerait le fonctionnement vital. En entrant en contact avec les parties, il les rend excitables; elles ne peuvent vivre qu'à la condition de ce contact. C'est donc comme agent d'excitation qu'il interviendrait immédia- tement dans le plus grand nombre des phénomènes de la vie. On a dit que chez les animaux élevés, l'oxygène devait être porté sur les centres nerveux, pour exciter la moelle allongée et provoquer les mouvements respiratoires. Chez la grenouille, la nécessité de l'excitabilité est moin- dre pendant l'hiver, période d'inertie, que pendant l'été, période d'activité. Aussi l'absorption d'oxygène est-elle moindre pendant la première saison que pendant la seconde. Une expérience curieuse d'Engelmann semble il'll LEÇONS SUR LES PHÉNOMÈNES DE L.V VIE. jeter quelque lumière sur ce rôle d'excitant qu'aurait l'oxygène. Engelmann a observé les mouvements des cils vibratiles, mouvements qui sont faciles à apercevoir après que la membrane qui les supporte a été détachée de l'animal. Les cellules vibratiles sont examinées dans le champ du microscope. Si l'on chasse l'oxygène de la préparation et qu'on le remplace par l'hydrogène, les mouvements cessent au bout d'un certain temps, environ après vingt minutes, par exemple. Si l'on fait rentrer l'oxygène, les mouvements reprennent et l'on peut re- produire un certain nombre de fois ces allernatives. L'oxygène agit donc comme s'il excitait les mouve- ments vibratiles et comme si sa puissance d'excitation se continuait pendant un certain temps. Si l'on prend des cellules vibratiles à activité ralentie par le froid et l'engourdissement hibernal et que l'on répète l'expé- rience, elle donnera les mêmes résultats, seulement l'action de l'oxygène se continuera pendant un plus grand espace de temps; elle sera efficace pour une durée plus longue; les mouvements se continueront encore plusieurs heures après le contact du gaz. La conclusion que nous avons exposée au début uous semble donc amplement justifiée; il n'est pas né- cessaire de multiplier autrement les exemples, pour prouver que la théorie de la combustion directe qui a dé- terminé un si grand progrès, quand son illustre fonda- teur l'a introduite dans la science n'a cependant pas été confirmée par les études physiologiques. La combustion n'est pas directe dans les organismes, et la production -d'acide carbonique, qui est un phénomène si général PUTRÉFACTION. 173 dans les manifestations vitales, est le résultat d'une véri- table destruction organique, d'un dédoublement analo- gue à ceux que produisent les fermentations. Ces fer- mentations sont d'ailleurs l'équivalent dynamique des combustions; elles remplissent le môme but en ce sens qu'elles engendrent de la chaleur et sont par consé- (juent une source de l'énergie qui est nécessaire à la vie. llf. Putréfaction. — Parmi les procédés de destruc- tion des matériaux organiques, Lavoisier rangeait à côté de la fermentation et de la combustion, la putré- faction. Il s'agit là d'un phénomène encore plus obscur que ceux de la fermentation et de la combustion que nous avons précédemment examinés. Qu'entend-on par putréfaction? On sait de tout temps que les matériaux qui entrent dans la constitu- tion du corps des animaux commencent à s'altérer après la mort, à se transformer et à se décomposer en divers principes parmi lesquels des substances à odeur forte et putride. De là le nom de putréfaction, pour caractériser ces décompositions à odeur nauséabonde. La même chose a lieu pour les végétaux. Seulement, ici, la destruction portant sur des corps où les sub- stances albuminoïdes, azotées, sont en moindre quantité, les caractères organoleptiques de la putréfaction sont moins saisissants et ont été moins bien connus. Dans la réalité les substances de l'organisme végétal, les sub- stances actives, travaillantes, véritablement vivantes, telles que le protoplasma albuminoïdesont tout aussi pu- 474 LEÇONS SUR LES PllI^.NOMÈNES DE LA VIE. trescibles que chez les animaux. Seulement, ainsi que nous venons de le dire, la proportion des parties vivantes est, dans les individus végétaux, très-faible par rapport aux parties de soutien ou squeleltiques inertes. Celles-ci ne sont pas davantage susceptibles de putréfaction chez les animaux que chez les végétaux; la carapace d'un crustacé, le squelette d'un mammifère sont dans des conditions d'inaltérabilité pareilles à l'écorce on au bois d'un chêne. Après les travaux d 'Appert et de Gay -Lussac, on avait cru que la putréfaction était une décomposition, un dédoublement, provoqué par l'intervention momen- tanée de l'oxygène et se poursuivant ensuite par une sorte de mouvement moléculaire communiqué. Plus tard, les travaux de Schwann, Ure, Helmhollz et surtout de M. Pasteur, montrèrent que la cause déter- minante des putréfactions, devait être cherchée dans les êtres microscopiques, vibrions, bactéries et moisissures qui se développent dans les liquides en décomposition, quelle que soit d'ailleurs l'opinion qu'on se fasse de la provenance de ces êtres. Les substances altérables per- dent ce caractère lorsqu'on a chassé tout l'air par ébul- lition et que l'on ne laisse pénétrer dans le vase qui les contient que de l'air préalablement chauffé au rouge. M. Pasteur a distingué deux ordres de putréfactions, les unes qui se produisent à l'abri de l'oxygène et qu'il a appelées fermentations putrides, les autres dans lesquelles l'oxygène intervient comme élément essentiel ; les unes el les autres étant d'ailleurs provoquées par des organismes. PUTRÉFACTION. 175 La fermentation putride se manifesterait dans un liquide, lorsqu'il ne contient plus d'oxygène, lorsque les premiers infusoires dé veloppés l'ont consommé en tota- lité. Alors, les« vibrions ferments qui n'ont pas besoin de » ce gaz pour vivre commencent à se montrer et la pu- » tréfaclion se déclare aussitôt. Elle s'accélère peu à peu » en suivant la marche progressive du développement » des vibrions. Quant à la putridité, elle devient si » intense, que l'examen au microscope d'une seule » goutte de liquide est une chose très-pénible. » Les produits de la putréfaction sont très-nombreux : chaque substance albuminoïde peut, pour ainsi dire, se comporter différemment à cet égard. Il y a, comme ter- mes à peu près constants, des acides gras volatils, des ammoniaques simples et composés, la leucine, la tyro- sine, l'acide carbonique, l'hydrogènesulfuré, l'hydrogène et l'azote. Le second genre des putréfactions comprend celles qui exigent le concours de l'oxygène de l'air ; ces actions, appelées putréfaction^ combustion lente ^ érémacausie , détruisent les matières organiques animales ou végétales abandonnées à l'air, et, après des transformations plus ou moins complexes, les réduisent en acide carbonique, eau, azote et ammoniaque qui font retour à l'atmo- sphère. D'après M. Pasteur, ces actions sont dues encore à des organismes, mucédinées et bactéries; il n'y aurait jamais de ces combustions lentes, spontanées, sans développe- ment d'organismes, à l'intérieur ou cà la surface des sub- stances qui s'altèrent. 176 LEÇONS SUR LKS PHÉNOMÈNES DE LA VIE. Dans les circonstances ordinaires, les deux espèces d'actions se produisent simultanément ou successive- ment. Une substance altérable étant abandonnée à l'air, l'oxygène est d'abord soustrait par les premiers infu- soires apparus {monas crepuscidum et bacterhim termo) . La liqueur se trouble. Une pellicule se forme à la surface, empêchant l'accès de l'air; la fermentation putride des vibrioniens s'accomplit dans ce liquide anoxygéné. La pellicule tombe au fond. De nouvelles bactéries se refor- ment à la surface et produisent la putréfaction ou com- bustion lente; puis le même cycle d'opérations recom- mence jusqu'à épuisement complet de la matière altérable. Voilà où en sont aujourd'hui nos connaissances sur la putréfaction. Sont-cedes actions de ce genre identiques dans leur processus qui peuvent s'accomplir dans l'or- ganisme vivant et y détruire la matière organique? L'organisme ne permet pas normalement le déve- loppement ou l'introduction dans ses profondeurs de ces bactéries et de ces vibrions parasites. Et cependant il est possible dans certaines circonstances que des phénomènes de môme nature s'y accomplissent réel- lement. Des chimistes, habiles et experts dans les études de ce genre ne craignent pas de le soutenir. H y a bien long- temps que j'ai entendu dire à Mitscherlich : « IIn.siiiïi|iic, tila.stïdiilaïi'c- Sommaire : Création organique comprenant deux ordres de pliénomèiics communs aux deux règ-nes : .synthèse chimique, synthèse morphologiciite. I. Conslitulion anatomique et création morpliologique de l'être vivant, ani- mal ou végétal ; liistorique. — Période ancienne : Galien, Morgagni, Fallope, Pinel, Bicliat, Mayer. — • Période moderne : de Mirbel , R, Brown, Schleiden, Sc^wanu. — Théorie cellulaire. — Le dernier élé- ment morphologique des êtres vivants est la cellule, mais une substance vivante est antérieure à la cellule; c'est le protoplasma. — Il est le siège des synthèses chimiques, des synthèses morphologiques. II. Origine de la cellule venant du protoplasma, — Théorie protoplasmique. — Blastème. — Gymnocytodc, Lépocytode. — Protoplasma dans les cellules végétales. — L'utricule primordiale. — Le protoplasma est le corps vivant de la cellule dans les deux règnes. III. Le protoplasma ; sa constitution. — Masse protoplasmique, noyau. — Êtres protoplasmiques. — Monères, Bathybius. — Structure du proto- plasma. — Théorie plastidulaire. — Complexité du protoplasma. — Son rôle dans la division du noyau. — Rapports du noyau et du protoplasma. — Du nucléole, sa constitution, son rôle. — Conclusion. En même temps que l'organisme animal ou végétal se détruit par le fait même du fonctionnement vital, il se rétablit par une sorte de synthèse organisatrice, de processus formatif, que nous avons appelé la création vitale et qui forme la contre-partie de la destruction vitale. L'acte de réparation vitale, n'a d'ailleurs pas la môme activité dans tous les points du corps. Il y a des par- lies dans les animaux et dans les végétaux qui sont plus vivantes, plus délicates, plus destructibles, tandis que 180 LEÇONS SUR LIÎS IMllÎNOMÈNES DE LA VIE. d'autres, plus résislanles et d'une vitalité plus obscure, laissent après la mort de l'être des traces durables do son existence. Tel est le ligneux ou les os qui constituent le squelette des êtres végétaux et animaux. L'acte synlbétiqne par lequel s'entretient ainsi l'orga- nisme est, au fond, de la même nature que celui par lequel il se constitue dans l'œuf. Cet acte est encore semblable au procédé par lequel l'organisme se répare, lorsqu'il a subi quelque mutilation. Génération, régé- nération, rédintégration, cicatrisation, sont des aspects divers d'un phénomène identique, la synthèse organisa- trice ou création organique. Cette création organique est à deux degrés. Tantôt elle assimile la substance ambiante, pour en former des principes organiques, destinés à être détruits dans une seconde période; tantôt elle forme directement les éléments des tissus. Il y a donc à distinguer la formation des principes immédiats qui constituent les réserves, ce pabulum de la vie, c'est-à-dire la synthèse chimique, de la réunion de ces principes dans un moule particu- lier, sous une forme on une figure déterminée, qui sont le plan ou le dessin de Tindividu, des tissus qui le forment, des éléments de ces tissus, c'est-à-dire la synthèse morphologique. Nousdevronstrailersuccessivementces deux questions; nous examinerons d'abord comment lesanatomistes sont parvenus, en analysant graduellement l'organisme vivant à le réduire à ses parties élémentaires ; nous verrons ensuite comment les physiologistes et les chimistes se sont rendus compte de leur création synthétique. CONSTITUTION ANATOMIQUE DES ÊTRES. 481 Historique. — La constitution des organismes a été étudiée dès le début des sciences de la vie. On y a trouvé des parties élémentaires des organes, puis des tissus. Galien dans l'antiquité, avait essayé d'analyser l'organisme en parties similaires. Morgagni, beaucoup plus tard, avait tenté un grou- pement analogue, non plus pour les parties saines, mais pour les parties altérées. Fallope (1523-1562) avait réuni les parties similaires en dix ou onze groupes : les os, les cartilages, les nerfs, les tendons, les aponévroses, les membranes, les artères, les veines, la graisse, la moelle des os. Pinel, enfin, le prédécesseur immédiat de Bichat, avait (Ouvert la voie à celui-ci en réunissant (d'après des consi- i dérations pathologiques encore très-incomplètes) les par- Ities anatomiques qu'il considérait comme analogues, par (exemple, les membranes diaphanes, périoste, dure-mère, (Capsules ligamenteuses, plèvre, péritoine et péricarde. !Mais c'est Bichat qui eut la gloire d'entrer magistrale- iment dans cette voie si timidement ouverte. Et chose iremarquable qui montre bien l'influence des précur- :seursdansle développement des géniesmême lesplusori- iginaux, c'est par une critique de la classification des imembranesde Pinel, que Bichat inaugura ses travaux (d'anatomie générale. En face de l'anatomie descriptive, cultivée jusque-là, let qui faisait connaître l'organisme, en décrivant ses (différentes parties, dans l'ordre topographique, de capite *ad calcem, Bichat institua une méthode infiniment plus ' philosophique, en réunissant dans un même groupe, les 182 LEÇONS SUR LES PHÉNOMÈNES DE LA VIE. organes similaires quoique diversement placés et en les étudiant ensemble sous le nom de systèmes : système osseux, glandulaire, nerveux, séreux, etc. Il employa pour cette analyse, non pas les instruments optiques qu'il repoussait et qui ont été d'une si grande ressource pour ses successeurs, mais des moyens beaucoup plus imparfaits, les dissociations, les ma- cérations, et les divers agents chimiques qui per- mettent une dissection plus minutieuse. Il parvint néanmoins ainsi à jeter les bases de la science des tissus vivants : «Tous les animaux, dit Bichat, sont un » assemblage de divers organes qui, exécutant chacun » une fonction, concourent chacun à sa manière à la » conservation du tout. Ce sont autant de machines » particulières dans la machine générale, qui constitue » l'individu. Or, ces machines particulières sont elles- » mômes constituées par plusieurs tissus de nature très- » différents et qui forment véritablement les éléments ï) de ces organes. » Bichat dislinguait 2i espèces de tissus, qui se retrou- vent avec leurs caractères dans les diverses parties d'un même animal ou dans les mêmes parties de divers ani- maux. De là, le nom d'Afiatomie générale àoimée à leur étude. Ces 2i tissus étaient : 1° tissu cellulaire, ^2° tissu nerveux de la vie animale, 3° tissu nerveux de la vie organique, 4° tissu des artères, 5° tissu des veines, 6° tissu des vaisseaux exhalants, 7" tissu des vaisseaux et des glandes lymphatiques, 8° os, 9° moelle des os, 10° cartilages, 11" tissu fibreux, 1*2° tissu CONSTITUTION ANATOMIQUE Dl'S ÊTRES. 183 libro-cartilagineux , 13" muscles de la vie animale, 14" muscles de la vie organique, 15" muqueuses, 16° séreuses, 17° synoviales, 18° glandes, 19° derme, 20° épidémie, 21° poils. A chacun de ces tissus il attribue des propriétés spé- ciales qui sont les causes physiologiques des phénomènes que ceux-ci présentent. La physiologie ne devait plus être, dans l'esprit de Bichat que l'étude de ces pro- priétés vitales, comme la physique est l'étude des propriétés physiques de la matière brute. Les bases de la science créée par Bichat, s'éten- dirent rapidement, et les recherches se perfec- tionnèrent grâce à l'emploi d'un instrument d'analyse très-puissant, le microscope. Le premier microscope simple avait été fabriqué en 1590 par le Hollandais L. Jansen. Malpighi (1628-1694) et Leeuwenhoeck (1632-1725) firent grand usage de cet instrument au- quel ils durent des découvertes remarquables. Swam- merdamm (1630-1685) et Ruysch (1638-1731) ne comprirent pas l'importance de la révolution que pou- vait apporter l'emploi de ce précieux instrument. D'ailleurs le microscope simple était incommode et insuffisant; le microscope composé, l'instrument actuel ne devait être constitué qu'après Bichat, de 1807 à 1811 , grâce à Van Deyl et à Frauenhofer. Les travaux de Bichat marquèrent donc le premier pas dans l'analyse de la composition des organismes. Mais la vie devait encore se décentraliser au delà du terme qu'il avait assigné, au delà des tissus. La vie réside en effet, non pas seulement dans les tissus, mais dans les éléments 184 LEÇONS SUR LES PHÉNOMIÎNES DIÎ LA. Vlli. fit^urés de ces tissus, et môme plus profondément dans le substratum sans figure de ces éléments eux-mêmes, dans le proloplasma. En 1819, Mayer s'occupe de classer les éléments des tissus; il emploie le premier le nom àliistologie, nom mal approprié d'ailleurs, qui a servi à désigner la science nouvelle. I. Théorie cellulaire. — A partir de ce moment on commence à se préoccuper non-seulement de connaître les éléments des tissus divers, mais de plus, de péné- trer leur origine, de retrouver leur provenance, on fait en un mot Y histogenèse. Mirbel en étudiant les végétaux, annonce qu'ils pro- viennent tous d'un tissu identique, le tissu cellulaire; qu'ils ont pour élément la cellule. R. Brown découvre le noyau de la cellule. Les travaux de Schleiden et de Schwann fondèrent la Théorie cellulaire. Th. Schwann, en 1839, fît voir que tous les éléments de l'organisme, quel qu'en soit l'état actuel, ont eu pour point de départ une cellule. Schleiden fournit la même démonsti^alion pour le règne végétal, de sorte que l'origine de tous les êtres vivants se trouvait ramenée à cet organite simple, la cellule. La cellule est donc \ élément anatomique végétal et animal, l'organisme morphologique le plus simple dont, soient constitués les êtres complexes. Uyades plantes qui sont uniquement constituées de cellules (tissu cellulaire, parenchyme). D'autres fois, les cellules s'associent en vaisseaux, ou se transforment en fibres. Le végétal le THÉORIE CIÎLLULAIRE. 185 plus compliqué est un assemblage de vaisseaux, de libres, de cellules, c'est-à-dire en somme, de cellules plus ou moins modifiées. Ce que nous venons de voir à propos des végétaux est vrai des animaux. Les éléments de tous les tissus ont été ramenés par les histologistês à la forme cellulaire. A côté des cellules bien caractérisées, prirent place les globules du sang, hématies et leucocytes, les corps fusi- formes du tissu conjonctif embryonnaire, les corps pigmentairesétoilés, les éléments de la glande hépatique, les fibres lisses, les myéloplaxes, qui sont des cellules à des états analomiques différents. On reconnut (Remak, ff 1852; Max. Schultze, 1861) que l'élément musculaire volontaire, la fibre striée se développait aux dépens d'une cellule unique, dont le noyau se dédoublait ou pro- liférait. Tout récemment encore, mon ancien col- laborateur, actuellemiCnt professeur au Collège de France, M. Ranvier, rapprochait du type cellulaire, un élément qui semblait y échapper, la fibre ner- veuse. 11 montrait que la fibre nerveuse était com- posée d'articles placés bout à bout, véritables cellules, que leur longueur considérable (1 millimètre chez les mammifères adultes) avait empêché de reconnaître jusque-là au microscope. En résumé, il est établi maintenant d'une manière générale, grâce aux travaux accumulés des histolo- gistês, que l'organisme est constitué par un assemblage de cellules plus ou moins reconnaissables, modifiées à des degrés divers, associées, assemblées de différentes manières. Ainsi, aux 21 éléments de Bichat, aux 21 tis- 18() LliÇONS SUIl LliS PIII'NOMÈNKS DU LA Vllî. SUS qui formaient pour lui les matériaux de l'organisme, nous avons substitué un seul élément, la cellule, iden- tique dans les deux règnes, chez l'animal comme chez le végétal, fait qui démontre l'unité de structure de tous les êtres vivants. L'œuf lui-môme, ne serait qu'une cellule. La cellule en un mot, serait le premier représentant de la vie. C'est donc à cet élément, la cellule, que nous devrions maintenant rattacher le phénomène de création, de synthèse organique, aussi bien dans le règne végétal que dans le règne animal. Quant à l'origine de cette cellule, de ce corps par lequel débute l'organisme, on l'a interprétée de deux ma- nières différentes, Schwann, fondateur de la théorie cellulaire, admettait que les cellules peuvent se former indépendamment de cellules déjà existantes, par géné- ration spontanée, ou mieux, par une sorte de cristalli- sation dans un milieu approprié, le blastème, « Il se trouve, dit-il, soit dans les cellules déjà exis- » tantes, soit entre les cellules, une substance sans tex- » ture déterminée, contenu cellulaire, ou substance inter- » cellulaire. Cette masse ou cytoblastème possède, grâce » à sa composition chimique et à son degré de vitalité, » le pouvoirde donner naissance à de nouvelles cellules.» Gerlach a été l'un des plus fermes partisans de cette théorie. M. Ch. Robin (1), en France, a émis des vues analogues. Cette théorie subsista sans contradiction jusqu'en 1852, où Remak montra que dans le développement de (1) Uobin, Anatomie et physiologie cellulaires. Paris, 1873. TllliORIli PROTOPLASMIQUli. 487 l'embryon les cellules nouvelles qui apparaissent pro- viennent toujours d'une cellule antérieure. En cela l'analogie est complète avec les tissus végétaux, où les éléments nouveaux ont toujours des antécédents de même forme. Yirchow (1) compléta la démonstration en examinant les proliférations cellulaires dans les cas pathologiques. Ainsi, en opposition avec la théorie du blastème ou de la génération équivoque des cellules, se produisit la théorie cellulaire qui peut se formuler dans l'adage : « omnis cellula e celluld » . II. Théorie protoplasmique. — La science n'a pas^ justifié complètement cette conclusion; on a reconnu que la vie com.mence avant la cellule. La cellule est déjà un organisme complexe. Il y a une substance vivante, le protoplasma qui donne naissance à la cellule et qui lui est antérieure. La théorie cellulaire née en 1838 à la suite des tra- vaux du botaniste Schleiden a commencé d'être ébranlée vers 1850. La théorie plasmatique ou protoplasmique fit alors son apparition. C'est encore un botaniste,^ P. Cohn, qui en traça les premiers linéaments. Cet anatomiste observa les zoospores et les anthérozoïdes des algues, éléments plus simples que la cellule, en ce sens qu'ils sont formés d'une masse de substance de protoplasma, nue, sans enveloppe. Cette notion d'éléments sans enveloppe passa aussitôt dans le domaine du règne animal. Remak en 1850 con- stata que les premières cellules embryonnaires provenant (1) y irchovi, La Pathologie cellulaire, édition. Paris, 1874. 188 LEÇONS SUR LES PHÉNOMÈNES DE L\ VIE. de la segmentation de l'œuf n'ont point d'enveloppe, mais se composent uniquement d'une masse de substance au sein de laquelle existe un noyau. En 1861, Max. Schulize ramène à ce type les élé- ments qui au premier abord s'en écartaient davantage, à savoir les fibres musculaires. 11 regarde comme des éléments individuels les corps que l'on appelle encore noyaux de la fibre musculaire^ parce qu'il retrouve autour d'eux une mince couche de protoplasma; la même inter- I)rétation s'étend bientôt après aux cellules nerveuses. L'élément dernier oii s'incarne la vie n'est plus alors une cellule, c'est une masse protoplasmique. La cellule, formation déjà complexe, a pour point de départ une masse protoplasmique pleine. Ce premier étal transitoire donne bientôt naissance à des états plus com- plexes. Le premier degré de la complication, c'est la for- mation du noyau par condensation de particules proto- plasmiques, sorte de nébuleuse qui se délimite de plus en plus nettement. Puis le protoplasma se revêt d'une couche plus dense, début de \ enveloppe membraneuse qui sera distincte plus tard. Voilà un second âge, un second degré de complication. La cellule nous apparaît alors comme un petit corps plein, avec noyau et couche corticale. Le développement peut encore s'arrêter là : la forme transitoire peut devenir forme permanente, et cela pour les animaux aussi bien que pour les plantes. Tels sont les corps que Heeckel a appelés les cytocles et dont il existe deux formes : i" La Gymnocytocle, niasse de matière albuminoïde THÉORIE PROTOPLASMIQUE. 189 sans slructiire appréciable, sans forme déterminée, dépourvue de toute orsjanisation, ne laissant apercevoir aucune différenliation de parties. Celle masse est fine- ment grenue: les granulalions se rencontrent jusqu'à la périphérie. 2° La Lepocytode est une forme un peu plus com- pliquée présentant déjà un premier degré de différenlia- tion. Il y a une couche corticale ou enveloppe ; le protoplasma périphérique se distingue du central ; ce dernier par exemple est granuleux, plus fluide, et le pro- toplasma corticale st sans granulations, brillant, réfrin- gent, homogène, résistant, faisant fonction d'enveloppe. Les Cy Iodes comme nous le verrons plus tard (voy. leçon 8) peuvent former des êtres vivants, isolés, com- plets. Haeckel les a appelés alors des monères. Dans ces dernières années l'étude de ces êtres rudiuientaires a pris une grande importance et un grand développe- ment entre les mains de Hseckel, Huxley, Cienkowski. Le Prologenes primordialis découvert en 4864 par Hceckel, le Bathybius Hœckelii découvert en 1868 par Huxley, sont des gymnocytodes. Le Protomyxa Aiiran- tiaca, le yampyrella étudié par Cienkowski en 1865, sont des Lépocytodes. Le Bathybius Hœckelii a été trouvé par des profon- deurs de 4000 et 8000 mètres dans le fin limon crayeux de l'Océan. On l'a décrit comme une sorte de masse mucilagineuse formée de grumeaux, les uns arrondis, les autres amorphes, formant parfois des réseaux vis- queux qui recouvrent des fragments de pierre ou d'autres objets. (Voy. fig., leçon Vlir.) 190 LEÇONS SUR LES PHÉNOMÈNES DE LA VIE. Une telle masse de proloplasma, granuleuse, sans noyau, n'est donc caractérisée que par elle-même, par sa constitution propre ; elle n'a point de forme déter- minée, habituelle. C'est cependant un être vivant : sa contraclilité, sa propriété de se nourrir, de se repro- duire par segmentation, en sont la preuve. Ces observations, après avoir été contestées, particu- lièrement en ce qui concerne le Bathybius, ont reçu une confirmation complète des travaux récents accomplis dans ces trois dernières années. La reproduction de ces êtres par scissiparité a été observée chez le Protamœba et les Protogenes lorsque ces corps muqueux ont acquis une certaine grosseur (voy. les fig., leçon YIIP). La masse qui les constitue s'étrangle, se divise en deux moitiés, dont chacune s'ar- l'ondit et se comporte comme un être distinct ; on a pu dire « qu'ici la reproduction n'est qu'un excès decrois- » sancede l'organisme qui dépasse son volume normal » . La segmentation se fait quelquefois en quatre parties {yampyrella) ou en un plus grand nombre ; mais le procédé de reproduction est toujours aussi simple. Il y a chez ces protistes un mélange si intime des caractères animaux ou végétaux que l'on ne saurait les rattacher nettement à ceux-ci plutôt qu'à ceux-là, et que certains naturalistes en ont formé un troisième règne intermédiaire entre le règne animal et le règne végétal (Hœckel, p. 369.) Mais ces corps peuvent représenter également de^ états transitoires d'organismes qui passeront à un degré plus élevé. Partant de cet état de gymnocylode certains THÉORIE PROTOPLASMIQUE. 191 organismes deviennent des lépocytodes, el plus tard, acquérant un noyau, deviennent de véritables cellules, d'abord nues, plus tard munies d'enveloppes, complètes en un mot. Dans un élat plus avancé encore, le protoplasma, après avoir fabriqué son tégument et son noyau, se creuse de vacuoles remplies d'un liquide cellulaire. C'est ce qui arrive chez les végétaux. Puis ces vacuoles se réunissent en un lac central, en sorte que le proto- plasma se trouve plus ou moins régulièrement refoulé avec son noyau, à la périphérie. Il forme alors une couche qui tapisse intérieurement l'enveloppe. Hugo Mohl a vu, le premier, cette couche sous-tégumentaire ; il a compris l'importance de son rôle et lui a donné le nom ^ utricule primordiale. Le phytoblaste affecte alors la forme d'un sac creux et mérite bien le nom de cellule. C'est sous cet état que les cellules ont d'abord été aperçues. Le botaniste anglais Grew (1682) les appe- lait vésicules; Malpighi (1686) utricules; le botaniste français de iMirbel (1808), le premier, employa pour les caractériser le nom de cellules. Ce n'est qu'en 1831 que le célèbre botaniste anglais R. Brown considéra les noyaux [nucléus^ sphéride de Mirbel) comme une partie essentielle de la cellule ; Schleiden (1838) signala l'existence des nucléoles : toutes les parties de la cellule étaient connues désormais. EnOn, et c'est le dernier terme de cette évolution, la couche proloplasmique se raréfie de plus en plus et finit par disparaître. La cellule est alors morte ; c'est un 49^2 LEÇONS SUR LES PHÉNOMÈNES DE LA. VIE. cadavre. Hugo Mohl (1846) avait bien aperçu cette différence essentielle entre les cellules qui ont une utricule primordiale et celles qui n'en ont point. «Les » premières seules sont en état décroître, de produire » de nouvelles combinaisons chimiques, de former, » dans des circonstances favorables, de nouvelles cel- w Iules. Les autres sont désormais incapables de tout » développement ultérieur ; elles ne servent plus à la » plante que par leur solidité, par leur pouvoir d'imbi- » bilion pour l'eau et par leur forme particulière. » C'est qu'en effet le protoplasma est le corps vivant de la cellule; il forme toutes les autres parties et toutes les substances que contient le végétal. Le noyau, l'enve- loppe, sont des perfectionnements produits par le proto- plasma, seule matière vivante et travaillante. Les considérations précédentes établissent donc que la vie, à son degré le plus simple, dépouillée des acces- soires qui la compliquent, l'iest pas liée à une forme fixe^ car la cytode n'en a point, mais à une composition ou à un arrangement physico-chimique déterminé^ car la matière de la cytode est un mélange de substances albu- minoïdes possédant des caractères assez constants. La notion morphologique disparaît donc ici devant la notion de constitution physico-chimique de la matière vivante. Cette matière, c'est le protoplasma. E. van Beneden a proposé de l'appeler vplasson» et Beale ubioplasme» . On peut dire avec Huxley (1) que c'est la base physique de la vie. (1) Huxley, Les sciences naturelles et les problèmes qu'elles font surgir, Paris, 1877. TIIÉORlli PROTOPLASMIQUIÎ. 193 Le dernier degré de simplicité que puisse offrir un organisme isolé est donc celui d'une masse granuleuse, sans forme dominante. C'est un corps défini, non plus morphologiquement, comme on avait cru que devait être tout corps vivant, maischimiquement, ou du moins par sa constitution physico-chimique. Ce n'est pas seulement un petit nombre d'êtres exceptionm^Is qui se présenteraient sous une forme tellement simplifiée ; tous les êtres, tous les organismes supérieurs seraient transitoirement dans le même cas. L'œuf, en effet, se trouve à un moment dans les mêmes conditions, lorsqu'il a perdu la vésicule germinative, avant de recevoir l'action de la fécondation. L'élément anatomique que l'on trouve à la base de tonte organisation animale ou végétale, la cellule, n'est autre chose que la première forme déterminée de la vie, une sorte de moule où se trouve encaissée la matière vivante, le protoplasma. Loin d'être le dernier degré de la simpli- cité que l'on puisse imaginer, la cellule est déjà un appareil compliqué. Ce corps possède une enveloppe^ membrane cellulaire ou corticale, un contenu granuleux, proto- plasma ou corps cellulaire^ une masse limitée incluse dans le protoplasma, le nucléus ou noyau qui lui-même présente de petits corpuscules ou nucléoles. La dési- gnation de cellule est inexacte ; elle s'applique en effet à un corps qui subit une série de transformations successives et continues ; c'est dans l'un de ses états transitoires (le seul qui d'abord ait été connu) qu'il présente la forme de sac rappelée par le nom de cellule. On substitue aujourd'hui au nom de cellule végétale CL. BERNAnD. 13 194 LEÇONS SUR LES PHÉNOMÈNES DE LA VIE. celui de phyloblaste. A ses débuts, et à son plus haut degré desimplicité, le phytoblaste nous apparaît comme une petite masse arrondie d'une substance plus ou moins finement grenue, sans noyau condensé ni paroi dis- tincte. Cette substance appelée sarcode par Dujardin, qui avait en vue plus spécialement les animaux, est désignée communément par le nom de proloplasma. Le phytoblaste, à ses débuts, est donc un amas sphé- roïde et nu de protoplasma ; la cellule animale à son origine présente la même constitution {gymnocijtode d'Heeckel). A son état le plus rudimentaire, la vie réside dans cet amas de substance protoplasmique. Cet état, qui est le plus simple et le plus jeune sous lequel se présente l'élément, ne persiste pas ordinaire- ment. C'est, ainsi que nous l'avons dit, un point de départ qui se compliquera par différentiations successives. III. Théorie plastidulaire . — Nous venons de voir comment on a été successivement conduit à localiser la vie dans une substance définie par sa composition et non par sa figure, le protoplasma. Voyons les notions que l'on possède sur cette substance, puis nous exami- nerons le problème de sa création ou de sa synthèse formative. Quelle est la constitution physique du protoplasma? On avait cru d'abord cette substance homogène, sans structure appréciable. En 1870, une modification se produisit dans les idées et l'on vit naître la théorie plastidulaire. Un dernier pas TIIIÎOUIE Pl.ASTIDULAlRlî. 195 i a été fait depuis les deux dernières années pai' les recher- ichesde quelques niicrographes, Biitschli, Strassburger, Heitzmann, Frohmann. Le proloplasma nu ne serait point le dernier terme que puisse atteindre l'analyse microscopique. Dans beaucoup de cas, le protoplasma laisse apercevoir une sorte de charpente formée d'un réseau de granulations fines reliées par des filaments très-déliés : ce sont les plasti- dides. La théorie plaslidulaire serait donc le point ultime où l'histologie conduirait la conception des êtres vivants. Lorsque Heitzmann et Frohmann examinèrent le tissu fondamental du cartilage, ou les noyaux des globules du sang de l'écrevisse, ils aperçurent des fibrilles très-nettes, disposées en réseau plaslidulaire, à l'intersection desquelles se trouvent de petites masses granuleuses. (Voy. lesfig., leçon VHP.) Hseckel accepte comme un fait général l'existence de ces plastidules. Il les regarde comme les composantes élémentaires ultimes des monères, les corps irréductibles auxquels l'analyse puisse conduire. Cet élément serait actif, et jouirait de mouvements vibratoires et ondula- toires;, les mouvements plastidulaires. Haeckel leur attri- bue les propriétés physiques des molécules matérielles, et de plus une propriété vitale, la mémoire ou faculté de conserver l'espèce de mouvement par lequel se mani- feste leur activité. Déjà celte notion de la faculté de souvenir ou de mémoire considérée comme la propriété élémentaire des particules organiques avait été mise en avant au siècle dernier par Maupertuis, dans sa Venus Physique, et défendue plus récemment par le physio- 196 LEÇONS SUR LES PHÉNOMÈNES DE LA VIE. logisteEwald. Enfin, un médecin américain, EUsberg, a essayé (18.74) de rajeunir la théorie de la génération de Buffon, en substituant aux molécules organiques ima- ginées par ce grand naturaliste les plastidules qui ont une existence plus certaine. 11 faut évidemment attendre que des confirmations nombreuses viennent établir la généralité des faits pré- cédemment exposés sur la complexité de structure du iwotoiplasma. On peut dire cependant dès à présent que tout un ensemble de travaux vient militer en faveur de cette complexité : tels sont les travaux de Strassburger sur les noyaux des cellules végétales pendant la division cellulaire, ceuxdeBûstchli sur les noyaux des globules du sang, de Weitzel sur les cellules de la conjonctive enflam- mée et les cellules de la peau de grenouille, de Balbiani sur les cellules épithéliales des ovaires de certains insec- tes, tels que le Sthenobothrus, de Hertwig sur l'œuf de la poule, de Fol sur certains œufs d'invertébrés. Plus tard, lorsque nous nous occuperons de la mor- phologie générale des Atres vivants et de la genèse de leurs tissus (voyez leçon 8"), nous entrerons dans le détail de ces travaux. Pour le moment, nous mentionne- rons seulement l'observation principale due à Strassbur- ger. Cet auteur a observé les noyaux ovulaires de cer- taines abiétinées au moment où les cellules vont se divi- ser pour former l'embryon. Le noyau est allongé : il se forme, aux deux extrémités, des amas de matière reliés par des filaments. Au milieu de ces filaments apparais- sent des granulations dont l'ensemble forme un disque (disque nucléaire) ; bientôt les granules se coupent en THÉORIK PLASTÎDULAIRE. l'97 deux et chaque moitié émigré vers le pôle correspon- dant 011 elle vient grossir la masse polaire. De nouveau apparaît, au milieu du filament, un gra- nule : l'ensemble forme une flaque cellulaire ou disque qui bientôt se divise en deux parties qui vont rejoindre les masses polaires. Voilà un phénomène qui nous révèle une constitution très-complexe du noyau. Or, ce n'est point là une observation isolée. Des algues, les Spirogyra, ont permis de constater des faits identiques et dès à présent Ton doit admettre qu'ils offrent une généralité véritable dans le règne végétal. Le règne animal a fourni des exemples pareils. Et ici nous constatons une fois de plus ce constant parallélisme des végétaux et des animaux, en vertu duquel tous les phénomènes essentiels se retrouvent identiques dans les deux règnes. Biilschli, en étudiant la division des globules du sang chez l'embryon, a retrouvé les tractus fibrillaires, la plaque nucléaire qui se divise en deux et la plaque cellulaire dont la segmentation entraîne celle du noyau. M. Balbiani les a observés de même chez le Sthenobothrus, et il considère les granules équa- toriaux comme des nucléoles. (Voy. fig., leçon YIIF.) Ces observations et la généralité dont elles sont susceptibles ont pour conséquence de faire du noyau, amas de protoplasma jusqu'ici considéré comme sim- ple, un corps complexe à la fois au point de vue ana- tomique et au point de vue physiologique. Lorsque l'on considère une cellule, qui est un être 498 LEÇONS SUR LES PHÉNOMÈNES DE LA. VIE. vivant rudimentaire, ou doit y retrouver les deux espè- ces de phénomènes essentiels de création organique et de destrnclion vitale.. Or, les travaux précédents, les études des micrographes sur le noyau ^{ii nos propres observations, semblent localiser l'un et l'autre ordre de phénomènes dans une partie différente, dans le proto- plasma d'une part, dans le noyau d'autre part. Le protoplasma est l'agent des manifestations de la cellule : manifestations vitales qui deviennent appa- rentes dans le fonctionnement du tissu où elles se ras- semblent et s'ajoutent. Les phénomènes fonctioiuiels ou de dépense vitale auraient donc leur siège dans le protoplasma cellulaire. Le noyau est un appareil de synthèse organique, f in- strument de la production^ le germe de la cellule. Nous avons observé (voyez leçon 6") que la formation amylacée animale est liée à l'existence du noyau des cellules gly- ro2;éniques de l'amnios chez les ruminants. Les no- tions acquises par les histologistes les plus compétents conduisent à cette interprétation. On sait la part qui revient au noyau dans la division des cellules et l'initia- tive qui lui appartient. Des observations nombreuses confirment celle concep- tion qui fait du noyau l'appareil cellulaire reproducteur. M. Ranvier a constaté dans les globules lymphatiques de l'axolotl un bourgeonnement véritable du noyau qui, primitivement arrondi, pousse en différents points des prolongements autour desquels se groupe la substance proloplasmique; de telle sorte que chacun de ces pro- longements apparaît bientôt comme le début d'une or- THÉORIE PLASTIDULAIRE. 199 ganisalion nouvelle et comme le premier âge d'un glo- bule lymphatique de seconde génération. R. Hertwig a constaté le même phénomène du bour- geonnement du noyau chez un acinète, \q Podophryci gemmipara, où la végétation nucléaire est le point de départ et le signal de la multiplication de l'animal. Les cellules des vaisseaux de Malpighi, chez les Insectes, présentent des faits analogues. 11 n'est pas nécessaire de multiplier les exemples pour en apercevoir la géné- ralité. Les études approfondies que quelques histologistes ont récemment exécutées sur la constitution des noyaux cellulaires leur ont dévoilé la complexité de cet élément considéré à tort comme simple. N. Auerbach dislin- gue dans le noyau quatre parties : L'enveloppe ; Le suc nucléaire; Les nucléoles; Les granulations. De ces éléments, celui dont l'importance est la plus grande, c'est le nucléole. Le nucléole est un corpuscule figuré que R. Brown a signalé dès 1831, dans les cel- lules végétales. Deux opinions sont en présence relative- ment à la nature du nucléole. L'une consiste à considé- rer le nucléole comme une masse protoplasmique pleine, véritable germe de la cellule. Auerbach, HofFmeister et Strasburger acceptent cette manière de voir. L'autre opinion consiste à regarder le nucléole comme une masse lacunaire creusée de vacuoles^ vésicules nu- 200 LEÇONS SUR LES PHÉNOMÈNES DE LA. VIE. déaires o\i nudéolules. M. Balbiani,qui a attiré l'atlen- lion des histologistes sur cette structure, en a déduit une interprétation physiologique du rôle du nucléole. 11 le regarde comme un organe de ?iutrUio?i, une sorte de cœiir. M. Balbiani a découvert dans les nucléoles d'un grand nombre de cellules des mouvements qui peuvent se ramener à deux types :l°des mouvements amœboïdes analogues à ceux du protoplasma ; 2° des mouvements de contraction des vésicules ou vacuoles placées dans la masse homogène du nucléole. Les mouvements amœboïdes des nucléoles ont été observés par M. Balbiani dans la tache germinative (représentant du nucléole) de l'œuf chez certaines arachnides, en particulier l'Epeire diadème. Cette observation a été confirmée par celles d'un grand nombre d'histologistes, de La Valette Saint-Georges sur une larve de Libellule, de Auerbach et Eimer sur les poissons, de Al. Braun sur la Blatte orientale. Mecznikow a retrouvé ces mêmes mouvements dans les cellules des glandes salivaires des fourmis et enfin W. Kiihne les a signalés incidemment dans les corpus- cules du suc pancréatique chez le lapin. La seconde espèce de mouvements nucléolaires con- siste dans la contraction des vésicules. Ils sont bien évidents dans l'ovule du faucheur commun, Phalanyium, et d'un Myriapode, le Geophilus longkornis. Le nucléole est un élément à peu près constant du noyau. L'absence de nucléole, état énudéolaire de M. Auerbach, est transitoire et passagère le plus souvent; c'est ce qui arrive pendant la segmentation de l'œuf. TIIIiORIlî PLASTIDULAIRE. 20 1 Quelques éléments n'ont qu'un seul nucléole : les cel- lules nerveuses, les cellules de la corde dorsale sont dans ce cas. Chez les mammifères et les oiseaux il y a toujours dans le noyau un nombre de nucléoles variant de 4 à 16. Chez les poissons ce nombre s'élève singu- lièrement ; on trouve dans la vésicule germinative de ces animaux un nombre de nucléoles variant de 150 à 200 pour chaque noyau. Conclusion. — Dans l'exposé rapide de ^ensemble des travaux qui ont paru récemment sur ces matières délicates, nous avons vu les différentes formes sous les- quelles peut se présenter la matière essentielle de l'orga- nisation, le protoplasma. Après avoir été considéré comme une matière d'une constitution très-simple, il est aujourd'hui regardé comme étant d'une structure très-complexe. Tous les problèmes d'origine organique, toutes les questions qui s'y rattachent, ne sont point résolus. Nous pouvons néanmoins nous arrêter à ce résultat général que les matériaux de l'édifice vivant représentent les différentes formes d'une substance uni- que, dépositaire de la vie, identique dans les animaux et les plantes. C'est dans le protoplasma, matière seule active et travaillante, que nous devons chercher l'expli- cation de la vie aussi bien des phénomènes chimiques de la nutrition que des réactions vitales plus élevées de la sensibilité et du mouvement. SIXIÈME LEÇON Théories cbiiniquo^. — Synthèses. — Protoplasnia incolore et itrotopiasnia vert ou cliloropiiy Ilicn. SoMMAinE : Du protoplastna et de la création organique. — Généralités. — Synthèse chimico-physiologique. — Constitution élémentaire des corps organisés. — La syntlièse créatrice est nécessairement chimique, mais elle a des procédés qui sont spéciaux. — Du protoplasma vert ou chlorophyllien et du protoplasma incolore. — Ils ne peuvent servir à limiter le règne animal du règne végétal. I. Uôle du protoplasma chlorophyllien dans la synthèse organique. — 11 opère la synthèse des corps ternaires sous l'influence de la lumière. — L'expérience de Priestley est le point de départ de cette théorie. — Hypothèse des chimistes au sujet des synthèses dans le protoplasma vert. — Le protoplasma vert tire son énergie de la radiation solaire. n. Rôle du protoplasma incolore dans la synthèse organique. — Il opère des synthèses complexes. — Expériences de M. Pasteur. — 11 ne peut toutefois incorporer lo carbone directement. — Le proloplasma incolore emploie l'énergie calorifique. — État de la question des synthèses organiques; hypothèses nouvelles. — Hypothèse du cyanogène. — Syn- thèse chimique et force vitale. lU. Synthèses en particulier. — L'exemple le mieux connu est la synthèse amylacée ou glycogénique. — Découverte de la glycogénie animale. — Phénomènes de synthèse amylacée et de destruction amylacée. — Carac- tères principaux de la synthèse glycogénique chez les animaux et les végétaux. Nous avons vu précédemment qu'il faut séparer l'es- sence de la vie de la forme de son substratum : elle peut se manifester dans une matière qui n'a aucun caractère morphologique déterminé. C'est dans cette matière, le protoplasma, que réside l'activité vitale, indépendam- ment des conditions morphologiques qu'elle présente, CRÉATION ORGANIQUE. 203 et des moules où elle a été façonnée. Le protoplasma seul vit ou végète, travaille, fabrique des produits, se désorganise et se régénère incessamment : il est actif en tant que substance et non en tant que forme ou figure. Le phénomène fondamental de la création organique consiste dans la formation de cette substance, dans la synthèse chimique par laquelle cette matière se cons- titue au moyen des matériaux du monde extérieur. Quant à la synthèse morphologique ^\\ façonne ce pro- toplasma, elle est pour ainsi dire un épiphénomène, un fait consécutif, un degré dans cette série indéfinie de différentiations qui conduisent jusqu'aux formes les plus complexes; en un mot, une complication du phénomène essentiel. Lavoisier avait donc raison lorsque, tout en procla- mant la difficulté du problème de la création organisa- trice et en reconnaissant qu'il était environné d'un mystère inpénétrable, il le réclamait cependant comme un phénomène chimique, phénomène dont les chimistes devaient d'ores et déjà entreprendre l'étude. Il proposait à l'Académie des sciences d'encourager et de provoquer des études par la fondation de prix décernés aux auteurs qui feraient accomphr quelques progrès dans cette direction (1). Le problème de la création organique ou synthèse vitale aurait ainsi pour premier degré et pour condition essentielle la synthèse chimique du protoplasma. M) Voir la note de M. Dumas : Leçons de la sociélé chimique, 1861, p. 294. 204 LEÇONS SUR LES PHÉNOMÈNES DE LA VIE. On ne saurait actuellement définir la constitution chimique du proloplasma; la formule C'^ Azo^ par laquelle on l'a représenté est tout à fait illusoire. Le protoplasma est un mélange complexe de principes im- médiats, matières albuminoïdes et autres, mal connus, renfermant comme éléments principaux le carbone, l'hy- drogène, l'azote et l'oxygène, et comme éléments acces- soires quelques autres corps simples. Il faut y reconnaître en un mot, de môme que pour le blastème^ des corps quaternaires, ternaires et des matières terreuses. Les corps simples que la chimie nous a fait connaître comme entrant dans la constitution des organismes les plus complexes sont peu nombreux. Il n'y a pas de substance particulière, de corps simple vital, comme Buffon l'avait imaginé pour expliquer la différence des êtres vivants et des corps bruis. Les seuls corps qui en- trent dans la constitution matérielle des êtres élevés, de l'homme par exemple, sont au nombre de quatorze. Ce sont : L'oxygène, Le chlore, L'hydrogène, Le sodium, L'azote, Le potassium, Le carbone, Le calcium. Le soufre, Le magnésium, Le phosphore, Le silicium, Le fluor, Le fer. Tels sont les éléments que met en jeu la synthèse chimique et qui, par des combinaisons successives, arri- vent à former le substralum de la vie. SYNTHÈSH ORGANIQUli:. 205 Ces éléments se réunissent en effet pour constituer des combinaisons binaires, ternaires, quaternaires, qui- naires; celles-ci s'assemblent pour constituer la sub- stance vivante originaire, blastème, plasma ou joroto- plasma, dans laquelle se manifestent les actes essentiels de la vie. A un degré plus élevé, les matériaux prennent un caractère morphologique et constituent l'élément anatomique, la cellule; plus loin encore, les organismes complexes. Le problème du mécanisme de ces synthèses organi- satrices est très-loin de sa solution, il n'est même pas encore bien posé ; et ici nous n'essayons pas autre chose que de fixer la question et de faire connaître l'état de la science à ce sujet. Lavoisier, avons-nous dit, a eu raison de léguer à la chimie l'explication des phénomènes de l'organisation des êtres vivants. Depuis le moment où il s'exprimait si nettement, la chimie synthétique a accompli, en effet, des progrès considérables. On a reconstitué de toutes pièces des essences végétales, des corps gras, des alcools. Les grands travaux de M. Berthelot sur la synthèse ont fait entrevoir la possibilité d'aller très-loin dans celte voie : les recherches récentes de M. Schûlzenberger rendent probable que l'on pourra môme reconstituer artificiellement jusqu'aux substances albuminoïdes, qui sont considérées à juste titre comme le degré le plus élevé de la synthèse vitale. Mais ces progrès mêmes de la synthèse chimique nous obligent à nous demander si la physiologie peut en attendre la solution du problème de la synthèse physio- 206 LEÇONS SUR LES PHÉNOMÈNES DE LA VIE. logique. En d'autres termes, il s'agit de savoir si les pro- cédés par lesquels les chimistes ont formé ces composés naturels sont le calque exact de ceux qu'emploie la nature; si la synthèse chimique, qui, dans l'économie, forme les corps organiques, est pareille à celle de nos laboratoires. Il semble en être autrement. Les procédés physiolo- giques ou naturels, bien qu'ils rentrent dans les lois de lii chimie générale, ne ressemblent pas nécessairement à ceux que les chimistes mettent en œuvre; ils sont géné- ralement différents, ils sont spéciaux. Ce que l'on sait déjà relativement aux transformations et aux synthèses des substances grasses, sucrées et féculentes, rend vraisemblable cette manière de voir que je soutiens depuis longtemps. C'est d'ailleurs l'opinion des chi- mistes qui connaissent le mieux les méthodes synthé- tiques et qui ont exécuté les travaux les plus remarqua- bles dans cet ordre d'idées. Tout le monde sait, par exemple, que M. Chevreul le premier a opéré l'analyse des corps gras. Il a montré que ces corps sont formés par l'union de la glycérine et d'un ou plusieurs acides gras. Partant de ces pro- duits, M. [Berlhelot a reconstitué les substances grasses et en a opéré la synthèse. Or, ni M. Chevreul ni M. Ber- thelot ne tirent de leurs travaux la conclusion que les corps gras se constituent chez l'être vivant par les mômes procédés. Ils ne pensent pas, en un mot, que la graisse se forme dans les animaux ou les végétaux par l'union nécessaire d'acides gras et de glycérine préexistants. Plus récemment M. Schiilzenberger a étudié la compo- SYNTHÈSE 0»GANlQUlî. 207 sition des matières albuminoïdes; il semble être parvenu à en réaliser l'analyse immédiate, ou plutôt une analyse immédiate. En traitant les matières albuminoïdes par une solution de baryte à 150 degrés, il a obtenu des principes définis et cristallisables. Ces principes obtenus par décomposition se rangent dans trois séries : 1° De l'ammoniaque, de l'acide carbonique, de l'a- cide oxalique et de l'acide acétique; ces corps étant dans une proportion constante pour une substance albumi- noïde donnée. 2" En second lieu, des composés azotés cristallisables appartenant à deux séries, CnH2.i+iAzO\ (n=:3,4, 5, 6,7) et C"H2"-iAzO\ (n = 4, 5, 6) qui ont pour type la leucine et la leucéine. 3° Des com- posés tels que le pyrrol, la tyrosine, la tyro-leucine, l'acide glutamique. Les dilTérences entre les diverses matières albumi- noïdes paraissent tenir d'abord à la proportion relative de ces trois ordres de substances, ensuite à la nature et à la proportion relative des corps appartenant au second groupe. L'analyse ayant été faite quantitativement, c'est- à-dire poids pour poids, M. Schiitzenberger a pensé qu'il serait désormais possible de représenter par une for- mule chimique la constitution de l'albumine 6(C«H'8Az20") =:C2PAzœ + C^£^" + C^H^'AzO^ Leucine. Leucéine. Butnianinc. -H C^H^'Azœ -1- 4(Cmzœ + CHTAzO-^) + Aq Acide amido-ltulyriiiiie. *208 LEÇONS SUR LES PHÉNOMÈNES DE LA VIE. A chaque substance azotée correspondrait une for- mule semblable. Est-ce à dire que, dans l'opinion môme de l'auteur de ces laborieuses et remarquables recherches, la syn- thèse de l'albumine se fasse dans l'organisme par la combinaison successive de ces éléments? En aucune façon. La nature semble procéder par de tout autres voies. C'est bien toujours des combinaisons chimiques qui se font et se défont : mais l'organisme a des procédés spéciaux, et l'étude seule de l'être vivant peut nous édi- fier sur le mécanisme des phénomènes dont il est le théâtre et sur les agents particuliers qu'il emploie. Nous devons faire ici une remarque importante. Nous n'assistons pas à la synthèse directe du protoplasnia pri- mitif, non plus qu'à aucune autre synthèse primitive dans l'organisme vivant. Nous constatons seulement le développement, l'accroissement de la matière vivante ; mais il a toujours fallu qu'une sorte de levain vital ait été le point de départ. Au début du développement d'un être vivant quelconque, il y a un protoplasma préexis- tant qui vient des parents et siège dans l'œuf. Ce proto- .plasma s'accroît, se multiplie et engendre tous les proto- plasmas de l'organisme. En un mot, de même que la vie de l'être nouveau n'est que la suite de la vie des êtres qui l'ont précédé, de même son protoplasma n'est que l'extension du protoplasma de ses ancêtres. C'est toujours le même protoplasma, c'est toujoui's le même être. Le protoplasma a la propriété de s'accroître pnr syii- SYNTHÈSE OIÎGANIQUI'. 209 l'.ièse chimique; il se renouvelle à la suite d'une destruc- tion organique. Ces deux propriétés constituent la vie (lu protoplasma que nous avons à examiner. Quelques physiologistes ont paru croire qu'il y avait à distinguer deux espèces de proloplasma se comportant difFérenmient ; le prntoplasma incolore des animaux, le protoplasma vert des plantes. En réalité, on ne doit pas distinguer, même sous le rapport de la couleur, un protoplasma animal et un protoplasma végétal. Le proloplasma des plantes, comme celui des animaux, est susceptible de s'imprégner de matière verte ou chlorophylle dans certaines circon- stances. Celte matière, si importante dans ses fonctions, peut apparaître ou disparaître au sein du protoplasma préexistant suivant des conditions extérieures. Si, par exemple, on recouvre quelques portions de feuille verte avec un écran opaque, les parties ainsi soustraites à l'ac- tion delà lumière se décolorent; la chlorophylle dispa- raît, le protoplasma subsiste seul. Au lieu de dire, par conséquent, qu'il existe deux variétés de protoplasma, il serait plus exact de dire que le protoplasma, suivant les cas, se charge ou ne se charge point de matière verte; et surtout il ne faudrait point considérer un protoplasma végétal que l'on opposerait au protoplasma animal. Ce serait très-inexact selon nous; en effet, le tiers au moins des espèces végétales connues (îst dépourvu de chlorophylle; dans une plante déter- minée toutes les parties soustraites à l'action de la lu- mière sont dans le même cas; enfin, comme nous le verrons plus loin, des animaux inférieurs, \ Euglena CL. BERNABD. 14 210 LEÇONS SUR LUS IMIÉNOMÈNES \)K LA Vlli. viridis, le Stentor polymorphus, etc. (voy. la planche, fîg. 1 et 2), possèdent cette substance. Toutefois, en réservant la question del'unité originelle du protoplasma, et à la condition de ramener à l'étal d(; ;?ro^/mY la chlorophylle qui y est mêlée, il est pratique- ment permis de distinguer le protoplasma vert du proto- plasma incolore. Ces deux protoplasmas sembleraient se comporter, en effet, dans certains cas d'une manière tout à fait différente au point de vue des synthèses chimiques. I. Protoplasma vert ou chlorophyllien. — La chloro- phylle existe chez le plus grand nombre des plantes, dans les parties exposées à la lumière. Elle se présente dissé- minée clans le protoplasma cellulaire à l'état de granules d'une dimension moyenne de 0""",01 ; quelquefois ce- pendant elle semble en dissolution véritable. Les botanisles admettent que cette substance est un produit de l'activité du protoplasma; cardans les graines en germination, ou dans les plantes étiolées ramenées à la lumière, on voit reparaître celte matière au sein du protoplasma qui n'a jamais cessé de fonctionner. En étu- diant le phénomène de plus près on avait cru pouvoir dire que la chlorophylle s'engendre dans la couche de protoplasma qui entoure le noyau cellulaire et l'on reliait son apparition cà l'influence du protoplasma nucléaire. Les faits relatifs à la chlorophylle animale ne sont pas moins intéressants quoiqu'ils soient moins connus. Morren, en 1844, avait commencé à étudier la respii-ation de quelques organismes verts qui n'appartenaient évi- rROTOPl.AS.MA CIII.OUOPIIYLLII'N. ^'M clemmeiit pas au règne végétal. Mais c'est surtout F. Cohn en i851, Stein en i854, et Balbiani en 1873, qui à cet égard ont donné des bases plus solides à nos connaissances. F. Cohn a constaté la présence de grains de chloro- phylle chez un infusoire, le Paramecium bursaria : ces grains sont logés dans la partie interne, plus fluide, de la couche corticale (paroi du corps). Celte couche fluide est dans un mouvement continu de rotation auquel participent les grains verts. Ces granules pré- sentent des réactions semblables à celles de la chloro- phylle végétale. L'acide sulfurique concentré leur com- munique d'abord une coloration vert-bleuâtre qui devient graduellement plus intense et passe enfin au bleu avec dissolution des granules. Stein a vérifié ces faits; il a mieux précisé la situa- tion des grains de chlorophylle dans le protoplasma qui forme la masse générale du corps, en dehors du tube digestif et de la paroi corticale. 11 a vu de plus des espè- ces tantôt incolores, tantôt colorées en vert, telles que le Spirostomum ambigiium, \ Ophrydimn versatile , VEpis- tf/lisplicatilis,\\i, Stentor polymorplius^ etc. Chez beaucoup d'infusoires flagellés, Euglena vmdis , Cryptomonas ^ Chlamydococcus pluvialis^ Trachelonionas ^ la matière verte sé présente à l'état amorphe ou à l'état de granu- lations très-fines. Chez ces infusoires, comme chez les plantes, la cblorophylle se transforme à certaines épo- ([ues, surtout pendant l'enkystement, en une matière colorante jaune-rouge : elle repasse au vert lorsque l'humectalion rend les animaux à la vie active. 112 LEÇONS SUR LES PHÉNOMÈNES DE LA VIE. En 1873, M. Balbiani (voy. la planche, fig. 1 el 2) a observé chez le Sletilor polymorphus (variété verte) la multiplication des grains de chlorophylle dans l'inté- rieur du corps de l'animal, par division en deux et en trois, comme cela a lieu pour la chlorophylle végétale. Outre les infusoires cités plus haut, on trouve des glo- bules verts dans la substance du corps chez diverses autres espèces animales, V Hydre verte, un ver turbella- rié, Vortex viridis, et un géphyrien, Bonnellia viridis. Ces faits montrent le peu de fondement que poui-rait avoir Tattribution exclusive du protoplasma vert aux végétaux, tandis que le protoplasma incolore caractéri- serait l'animal. Quel est le rôle du proloplasma vert dans la synthèse organique ? C'est le protoplasma vert qui, d'après les idées actuel- lement en faveur, travaillerait à la synthèse des com- posés ternaires hydro-carbonés. Il serait le seul agent des combinaisons synthétiques du carbone, la seule voie pour l'inlroduction de cette substance dans l'organisme végétal et animal. L'expérience célèbre de Priestley a été le point de départ de nos connaissances à cet égard. Ingeii-Housz, Sennebier, Th. de Saussure ont précisé les conditions de cette expérience et ont fait connaître l'action synthé- tique exercée par la matière verte. On admel, depuis leurs travaux, que la chlorophylle possède la faculté de réduire l'acide carbonique sous l'influence des rayons solaires, et de donner lieu k un dégagement d'oxygène. En môme temps le carbone se trouve combiné à diffé- SYNÏIIÈSIi: CHLOROPHYLLIENNE. 413 rents éléments el constitue des matières liydrocarbo- nées ou combustibles qui se déposent dans les organes verts. Comment s'opère cette action ? A cet égard l'on n'a que des suppositions plus ou moins plausibles. On tendait à penser que « l'hydrate normal d'acide carboni- que est, sous l'action de la chlorophylle, dédoublé en oxygène et aldéhyde méthylique; l'aldéhyde en se sextu- plant donnerait le sucre, lequel à son tour, par duplica- tion ou triplication et perte d'eau, donnerait la cellulose : l'oxydation de ces corps fournirait les graisses et les acides; l'influence de l'ammoniaque provenant de la réduction des nitrates formerait aux dépens des radicaux précédents les divers alcaloïdes végétaux et les matières albuminoïdes. » lÊ A ces hypothèses qu'il rappelle d'abord, M. Gautier [Revue scientifique, 10 février 1875) en a substitué d'autres qui paraissent mieux en rapport avec le petit nombre des faits connus. Il faut admettre d'abord que la matière verte, la chlorophylle, n'est pas incorporée intimement et for- tement combinée au protoplasma lui-même; qu'elle est simplement disséminée dans la masse protoplas- mique d'où une foule de dissolvants neutres peuvent l'extraire. Ce protoplasma vert est l'agent d'une foule de syn- thèses carbonées, dont les produits, fabriqués pendant le jour sous l'action des rayons solaires, sont utilisés comme matériaux de construction par toutes les parties inco- lores (le la plante. 214 LliÇONS SUR LES PHÉNOMÈNES DE LA. VIE. Il faudrait clislinguer, d'après M. Gautier, deux états de la chlorophylle : La chlorophylle verte, La chlorophylle blanche. Dans les parties étiolées qui reverdiront à la lumière, la substance qui peut donner naissance à la chlorophylle existe^ car il suffit de les traiter par l'acide sulfurique pour les voir instantanément se colorer en vert. M. Gautier admet que, sous l'influence de l'oxygène de 'air, la chlorophylle blanche passe à l'état de chloro- phylle verte et, inversement, que la chlorophylle verte passe à l'état de chlorophylle blanche sous l'influence de l'hydrogène naissant; l'expérience peut être faite et ré- pétée facilement. Les deux substances, chlorophylle verte et chloro- phylle blanche, seraient entre elles dans le rapport de l'indigo bleu à l'indigo blanc. La chlorophylle blanche serait douée d'une remarquable aptitude à réduire les corps oxygénés, à combiner leur oxygène à son hydro- gène. D'autre part la chlorophylle verte aurait la pro- priété de décomposer l'eau sous l'influence des rayons solaires, comme elle a la propriété de décomposer l'acide carbonique. Elle deviendrait chlorophylle blanche en prenant l'hydrogène et mettant l'oxygène en liberté. La chlorophylle blanche céderait à l'acide carbonique son hydrogène ; elle travaillerait ainsi à la synthèse de compo- sés carbonés, et repasserait à l'état de chlorophylle verte. Ainsi, par un perpétuel mouvement alternatif, la chlorophylle prendrait l'état vert et l'état incolore : SYNTHÈSli CIlLGllOI'llYLLlENNli:. 215 décomposant l'eau et dégageant l'oxygène lorsqu'elle passe de l'état vert à l'état incolore, faisant la synthèse des produits carbonés en repassant de l'état incolore à l'état vert. Yoilà la première partie de l'hypothèse. Elle est encore loin d'être vérifiée ou calquée sur les faits : mais elle n'est contraire à aucun de ceux qui sont connus. Voici la seconde : Quelles sont les matières premières sur les({uelles les chlorophylles verte ou blanche exercent leur activité ? C'est le mélange d'acide carbonique et d'eau /zCO^ + m HO. De la réduction de ce mélange, grâce à l'hydrogène chlorophyllien, dériveraient : l'al- cool, le glycol, l'aldéhyde ordinaire, les acides glyco- lique et glyoxylique, le glyoxal, l'acide oxalique. En un mot, tous les corps « organiques ternaires pourraient » se former par ce simple mécanisme de la désoxydation » par le grain de chlorophylle, plus ou moins profonde suivant l'influence des rayons lumineux, des diverses » associntions d'eau et d'acide carbonique que le proto- » plasma laisse pénétrer jusqu'à l'organe de réduction » . La glycose serait la première formée parmi ces prin- cipes et la matière première de presque tous les autres. Par union avec l'acide carbonique et perte d'eau, la gly- cose peut donner l'acide pyrogallique, l'acide gallique qui, dans les jeunes pousses du printemps, est en effet abondamment associé à la glycose, en un mot une série d'acides, lesquels inversement peuvent repasser à l'état de sucre sous l'influence de la vie des cellules incolores. Ainsi dans les parties incolores s'accompliraient les phénomènes inverses exactement do ceux qui se produi- 216 LEÇONS SUR LliS PHÉNOMÈNES DE L,V VIE. sent clans les parties vertes. C'est en effet une ten- dance générale des chimistes d'admettre ce relour inverse, semblable dans son mécanisme quoique de sens contraire, des matières végétales actuelles vers les prin- ci|)es immédiats d'où d'autres cellules les avaient fait dériver. Voilà quelques-unes des idées que la chimie de noire temps a émises sur le rôle du protoplasma vert dans la synthèse des produits immédiats. Ces conceptions sont fortement imprégnées de ce (pie l'on pourrait appeler le chimisme artificiel . Le chimmne naturel est peut-être tout différent : il serait possible, par exemple, que toutes les synthèses imaginées par les chimistes fussent sans réalité et que les principes immédiats sortissent tous par voie de décomposition ou de dédoublement d'une matière unique et identique, le protoplasma. Quoi (ju'il en soit, et pour rester sur le terrain des faits, on peut dire que le protoplasma vert paraît former incontestablement desprodm'ts organiques carbonés. Sous l'influence de quelle force, par quelle énergie s'exécutent ces phénomènes? où la cellule à protoplasma vert prend-elle la force chimique nécessaire cà la décom- position du gaz carbonique? Il est admis que c'est dans la radiation solaire. Le soleil est le premier moteur de tous ces phénomènes, la source de la force vive qu'ils utilisent. IL Protoplasma incolore. — Nous venons de voir que le protoplasma est susceptible de se charger dans PROïOPLASMA INCOLOUE. 217 certaines conditions d'une matière verte, la chlorophylle. Mais le proloplasma peut rester incolore clans un grand nombre d'éléments végétaux. Le protoplasma incolore est, moins encore que le protoplasma vert, l'apanage exclusif de l'un des règnes. Les animaux et les végétaux le possèdent comme élément essentiel, primordial, for- mateur et générateur de tous les autres. Quel est le rôle de ce protoplasma? 11 pourrait pro- duire toutes les substances qui existent dans les animaux et les plantes, mais avec d'autres éléments comme point de départ, et avec une autre force vive comme agent que celle du protoplasma vert. L'expérience de M. Pasteur à ce sujet est fondamen- tale. Elle montre que le protoplasma incolore peut fabri- quer, sans l'aide de la chlorophylle non plus que des radiations solaires, les principes immédiats les plus com- plexes, matières proléiques, albumine, fibrine, cellulose, matières grasses, etc. M. Pasteur {C amples rendus, 10 avril 1876) constitue un champ de culture formé des principes suivants : Alcool ou acide acétique pur, Ammoniaque (d'un sel cristallisable pur), Acide phosphorique, Potasse, Magnésie, Eau pure, Oxygène gazeux. 11 n'y a la aucune substance qui ne soit empruntée au règne minéral, car la plus complexe, l'alcool, peut être ^21 8 LLÇONS SUR LhS IMlÉNOMIiNlîS DE LA. Ylli. l'éalisée, ainsi que l'a montré M. Berihelot, de toutes pièces au moyen des éléments empruntés au règne mi- néral. Dans ce milieu à constitution si simple, sans albu- mine, sans produits organisés, on dépose une graine de mycoderma aceii, d'un poids nul pour ainsi dire, d'une masse insignifiante. En l'absence de toute matière verte, à l'obscurité, la graine de mycoderme produit dans ce milieu une quan- tité considérable de cellules nouvelles de mycoderma aceti, d'un poids aussi grand qu'on pourrait le désirer. Dans cette récolte se rencontrent les matériaux les plus variés et les plus complexes de l'organisation : Matières protéiques, Cellulose, Matières grasses, Matières colorantes, Acide succinique, etc. La cellule vivante n'a donc nul besoin de cbloro- phylle ou de matière verte, ni de radiations solaires pour édifier ces principes immédiats les plus élevés de l'organisation. M. Pasteur a fourni un second exemple, en cultivant des vibrions, c'est-à-dire des êtres plus élevés encore, à l'obscurité, sans matière verte et de plus sans oxygène gazeux. Le champ de culture était ainsi constitué : Acide lactique. Acide pliosphorique(dans un sel pur cristallisable), Ammoniaque, SYNTHÈSE PROTOPLASMIQUE. 2i9 Potasse, Magnésie. On sème dans ce milieu quelques vibrions, d'un poids si faible qu'on ne saurait l'évaluer. Ces êtres se développent avec une activité prodigieuse, et l'on peut obtenir tel poids que l'on voudra de ces or- ganismes contenant : Des matières cellulosiques. Des matières protéiques, Des substances colorantes, Des alcools, De l'acide butyrique, De l'acide métacétique, etc. On pourrait dire par conséquent que le protoplasma incolore a accompli des synthèses très-élevées. Cependant, entre ces synthèses accomplies par le pro- toplasma incolore et celles qu'accomplit le protoplasma vert il y a deux différences. D'abord, dans le premier cas, l'on fournit nécessairement comme point de départ un principe carboné assez élevé, alcool, acide acétique, acide lactique : la vie ne serait pas possible si l'on donnait le carbone à un état plus simple, par exemple à l'état d'acide carbonique. La chlorophylle peut seule former les synthèses de principes carbonés ou ternaires, en partant des corps les plus simples ou les plus saturés, tels que CO". Le protoplasma incolore, avec ce point de départ, formera les synthèses quaternaires les plus compliquées. Une autre différence résulte de l'énergie employée.. 220 LliÇONS SUR LES PIII'NOMÈNES DE LA. VIE. Le protoplasma vert met en œuvre l'énergie des radia- tions lumineuses, c'esl-à-dire la force vive solaire. Le protoplasma incolore met en œuvre l'énergie calo- rifique qui a sa source dans l'aliment carboné; celui-ci ne doit remplir qu'une condition, c'est de n'être pas saturé d'oxygène et de pouvoir, en conséquence, par saturation ou oxydation, fournir de la chaleur. M. Pasteur comprendrait, à la rigueur et comme vue de l'esprit, que le protoplasma incolore pût, sous l'in- fluence des vibrations électriques ou de quelque autre force vive, décomposer l'acide carbonique et assimiler le carbone pour en former les produits synthétiques ter- naires. Quoi qu'il en soit, dans l'état actuel des choses, on attribue aux deux protoplasma un rôle différent : le vert prépare les composés ternaires carbonés, l'incolore fait avec ce point de départ les principes azotés quaternaires. Dans une plante les cellules vertes travailleraient ainsi pour les cellules incolores. Si une plante n'a point de parties vertes elle ne pourra vivre qu'à la condition de trouver tout préparés dans le milieu extérieur les principes qu'antérieurement aura élaborés la chlorophylle de quelque autre plante. Ainsi en serait-il des parasites végétaux, des champignons, des mucédinées, des êires monocellulaires qui doivent trouver sur l'être qui les porte ou dans le milieu qui les baigne ces mêmes principes indispensables^ source de leur activité protoplasmique. C'est dans ce sens que M. Boussingault et avec lui quelques chimistes ont pu admettre que les végétaux SYNTHÈSE OUGAMOUli- ^^'1 (il faudrait dire : la matière verte) seuls étaient capa- bles de pourvoir les êtres vivants de carbone, et par conséquent de créer les principes immédiats, à l'aide des éléments inertes, minéraux, empruntés à l'air, à l'eau, à la terre. Cette puissance créatrice, la chloro- phylle seule la posséderait sous l'influence du soleil. « Si la radiation solaire cessait, non-seulement les plantes à chlorophylle, mais encore les plantes qui en sont dépour- vues, disparaîtraient de la surface du globe. » L'expérience de M. Pasteur, qui prend pour champ de culture des produits minéraux et un produit de laboratoire, l'alcool, redresse ce que celte vue a peut-être d'excessif. Le mycoderma aceti, le vibrion qui se sont développés dans le milieu artificiel constitué par M. Pasteur n'ont eu besoin d'aucune plante à chlorophylle antérieure, non plus que de la radiation solaire. Toutes les explications que nous avons données rela- tivement aux procédés de la synthèse organique indi- quent le sens général dans lequel l'esprit actuel conçoit les phénomènes. Mais leur mécanisme exact, nous l'avons déjà dit, pourrait être tout autre que ces hypo- thèses ne l'imaginent. Ici comme dans bien des cas, les explications chimiques nous font connaître com- ment les choses pourraient être plutôt qu'elles ne nous montrent comment elles sont réellement. L'expéri- mentation pratiquée sur l'être vivant peut seule nous renseigner. Au point de vue physiologique, on sei'ait fondé à ima- giner qu'il n'y a dans l'organisme qiiune seule synthèse, LEÇONS SUR LES PHÉNOMÈNES DE LA. VIE. celle du proloplasma qui s'accroîtrait et se développe- rait au moyen de matériaux appropriés. De ce corps complexe, le plus complexe de tous les corps organisés, dériveraient par dédoublement ultérieur tous les com- posés ternaires et quaternaires dont nous attribuons l'apparition à une synthèse directe. Cette conception, qui ferait dériver d'un composé unique, le protoplasma, tous les produits de l'organisme, est encore, elle aussi, une vue de l'esprit, line serait pourtant pas difficile de rassembler un certain nombre de ftiits qui s'accorderaient avec elle. Un argument en sa faveur serait par exemple le maintien de la consti- tution fixe de l'organisme avec une alimentation variée. Les produits de l'organisme ne changent pas sensi- blement sous l'influence du régime, et ceci s'expli- querait parfaitement, si les matériaux provenaient exclusivement d'un protoplasma toujours identique cà lui-même. Enfin nous ne pouvons que mentionner une dernière hypothèse sur l'origine de la matière vivante, quoiqu'elle ait été l'objet de développements considérables de la part de son auteur. M. Pfliiger [Archiv fïir Physiologie^ t. X, 1875) a émis relativement à la création organique une hypothèse qu'on pourrait appeler l'hypothèse cyanique. Ce n'est pas, suivantM. P. Pfliiger, l'acide carbonique, la vapeur d'eau ou l'ammoniaque qui présiderait à la synthèse organique [rimitive au début de la vie. «Ces corps, dit-il, sont le résultat et la terminaison de la vie plutôt qu'ils n'en sont le commencement, ce qui est d'accord CRÉATION ORGANIQUE. 223 avec leur grande stabilité. » L'origine de la matière vivante, suivant l'auteur, doit être cherchée dans le cyanogène. Et d'abord quelle serait l'origine de ce cyanogène ? Ce seraient les combinaisons oxygénées de l'azote qui, dans certaines conditions climatériques, orages, etc., peuvent donner des combinaisons cyaniques. M. Pflû- ger explique comment, à l'époque de l'incandescence terrestre, il a pu se former du cyanogène, et il montre toujours le feu comme la force qui a produit par synthèse les constituants de la molécule d'albumine. D'où il conclut que la source de la vie est le feu et que les con- ditions de la vie ont été satisfaites précisément àTépoque où la terre était incandescente: Das Leben entstammt also clem jPem\... Quant à la molécule d'albumine, elle ne s'est en réalité formée que pendantle refroidissement terrestre, lorsque les combinaisons du cyanogène et les hydrogènes carbonés ont eu le contact de l'oxygène de - Veait. Encore aujourd'hui le soleil engendre dans les plantes les constituants de l'albumine. Cela exclut toute idée de génération spontanée. La molécule vivante d'albumine est douée de la faculté de croître, elle est toujours en voie de formation et n'a pas de caractère fixe de composition et d'équivalence chimique. Sous l'influence directe ou non du soleil, elle croît et tout être vivant est une simple molécule d'albumine dérivée de la molécule albumineuse primitive et unique, déve- loppée à l'origine du monde terrestre. D'un autre c(Mé, M. PlUiger, considérant l'albumine LEÇONS SUR LliS PHÉNOMÈNES DE L.\ VIE. couirne la base du proloplasma, examine pour ainsi dire son évolution chimique dans les deux conditions d'organisation et de désorganisation. 11 y aurait dans le l)rotoplasma qui se forme une albumine vivante dans laquelle l'azote est engagé sous forme de cyanogène; dans le protoplasma qui se détruit, une albumine morte dans laquelle l'azote est engagé sous la forme ammo- niaque. Le passage de la vie à la mort, c'est-à-dire de l'incorporation au protoplasma, à la séparation d'avec lui, est donc pour l'albumine caractérisé par le déplace- ment de la molécule d'azote qui va du carbone cà l'hy- drogène; et l'admission de l'albumine à l'activité vitale est caractérisée par le retour inverse. Tel est à peu près l'état de nos connaissances sur la question des créations ou des synthèses organiques. Nous voyons qu'elle est encore, comme au temps de Lavoisier, un profond mystère. Néanmoins, les recher- ches, les hypothèses s'accumulent et un jour viendra où la lumière sortira de ce long et pénible travail. Nous devons en terminant revenir sur une question que nous avons déjà effleurée, et nous demander si le chimisme des laboratoires, que l'on invoque ordinaire- ment dans ces explications, est bien comparable au chi- misme des ôlres vivants. Lavoisier et beaucoup de ses successeurs semblent le croire; mais nous avons sou- vent montré que celte application directe de la chimie de laboratoire aux phénomènes de la vie n'est pas légi- lime. Nous avons miiinles fois insisté sur celte idée que les lois de la chimie générale ne sauraient être violées dans les êtres vivants, njais que là cependant elles ont CHIMISME ET VITALISME. 225 des agents, des appareils particuliers (1) qu'il est néces- saire au physiologiste de connaître. Faudrait-il aller plus loin, dire que réellement il y a des forces chimi- ques spéciales dans les êtres vivants, et en revenir avec Bichat à distinguer les propriétés vitales des propriétés chimiques? Les paroles de certains chimistes, qu'on pourrait appeler vitalistes, sembleraient avoir cette con- séquence, c'est pourquoi je pense utile de m'expliquer à ce sujet. Le Traité de chimie organique de Liebig débute par cette phrase : La chimie organique traite des matières qui se produisent dans les organes sous l'influence de la force vitale^ et des décompositions qu elles éprouvent sous ' [influence d'autres substances. Que signifie cette force vitale qui fabrique des.produits chimiques particuliers? On est porté à croire que dans l'esprit de l'auteur il s'agit bien d'une force vitale capable d'exécuter ce que ne sauraient faire les forces chimiques; Liebig, en un mot, s'exprime comme un vitaliste, et dans un autre passage de ses Lettres sur la chimie, en parlant des em- poisonnements, il dit : Alors, la force vitale est vaincue par les forces chimiques. Nous n'admettons pas de force vitale exéculive; nous nous sommes longuement expli- qué à ce sujet. Cependant nous reconnaissons qu'il existe dans les êtres vivants des phénomènes vitaux et des composés chimiques qui leur sont propres. Com- ment comprendre dès lors leur production? Le chimisme du laboratoire et le chimisme du corps (l) Voyez mon Rapport sur la physiolorjie (jénérale, 1867, p. 222. CL. BEItXARD. 15 226 LliÇONS SUR LES nil'NOMÈNES DE L.V VIlî. vivant sont soumis aux mômes lois; il n'y a pas deux chiniies; Lavoisicr l'a dit. Seulement le chimisme du laboratoire • est exécuté à l'aide d'agents, d'appareils jue le cbimisle a créés; le chimisme de l'être vivant est exécuté à l'aide d'agents et d'appareils que l'orga- nisme a créés. Nous avons surabondamment démontré la vérité de cette proposition relativement aux agents d'analyse ou de destruction organique. Le chimiste, par exemple, transforme l'amidon en sucre à l'aide d'un acide qu'il a fabriqué; il saponifie les corps gras à l'aide de tapotasse caustique, de l'acide sulfurique concentré , de la vapeur d'eau surchautTée, tous agents qu'il a créés lui-même. L'animal, aussi bien que la graine qui germe, transforme l'amidon en sucre sans acide, à l'aide d'un ferment (la diastase) qui est un produit de l'organisme. La graisse se saponifie dans l'animal, dans l'intestin, sans potasse caustique, sans vapeur d'eau surchauffée, mais à l'aide du suc pan- créatique qui est un produit de sécrétion donné par une glande. Chaque laboratoire a donc ses agents spé- ciaux, mais les phénomènes chimiques sont au fond les mêmes : la transformation de l'amidon en sucre, le dédoublement de la graisse en acide gras et en glycé- rine se produisent dans les deux cas par un mécanisme chimique identique. Pour les phénomènes de création organique, il doit en être de même. Le chimisme de laboratoire peut opérer les synthèses comme les corps vivants, et déjà il en a réalisé un grand nombre. Les chimistes ont fait des essences, des huiles, des graisses, des acides, que les CHIMISME ORGANIQUE. 2*^7 organismes vivants fabriquenl eux-mêmes. Mais là encore on peut affirmer que les agents de synthèse diffè- rent. Bien que l'on ne connaisse pas encore les agents de synthèse des corps vivants, ils existent certainement. Nous avons énoncé les diverses hypothèses émises à ce sujet; nous avons été de notre côté amené, par des faits que nous exposerons plus loin, à attribuer un certain rôle non-seulement au protoplasma, mais encore au noyau des cellules. En un mot, le chimiste dans son laboratoire et l'or- ganisme vivant dans ses appareils travaillent de même, mais chacun avec ses outils. Le chimiste pourra faire les produits de l'être vivant, mais il ne fera jamais ses outils, parce qu'ils sont le résultat même de la mor- phologie organique, qui, ainsi que nous le verrons bien- tôt, est hors du chimisme proprement dit ; et sous ce rapport, il n'est pas plus possible au chimiste de fabri- quer le ferment le plus simple, que de fabriquer l'être vivant tout entier. En résumé, nous voyons combien sont encore obscures toutes ces questions de synthèses, de créations vitales, malgré tous les efforts dont leur étude a été l'objet. Nous ne pensons pas, quant à nous, qu'on arrivera jamais à la solution de ces problèmes complexes en voulant les saisir dans leur origine même. Nous croyons au contraire que c'est en suivant les faits d'observation les plus près de nous que nous pourrons remonter suc- cessivement et réussir à atteindre le déterminisme de ces phénomènes fondamentaux. Aujourd'hui on peut dire que la synthèse des corps 258 LliÇONS SUR LES PHÉNOMÈNES Dli LA VIE. complexes, des corps îilbuminoïdes, des corps gras, nous est coriipléteiiient ineuniiue. La seule sur laquelle nous a)ovis quelques notions précises est la synthèse amylacée ou glycogénique dans les animaux. C'est sur cet exemple que nous devons appuyer nos idées du chimisme vital, puisque, aussi bien, il est actuellement le mieux connu; on pourrait dire : le seul localisé. m. De la Synthèse glycogénique. — Le résultat le plus général des études que nous avons faites à ce sujet est d'avoir prouvé que les animaux ét les végétaux possèdent les uns et les autres la faculté de créer des principes immédiats amylacés et sucrés. Nous n'en sommes donc plus à cette supposition, que l'animal est absolument subordonné au végétal. L'animal et le vé- gétal forment les principes immédiats qui sont néces- saires à leur nutrition respective. Ce résultat est d'accord avec le principe général que nous avons posé au début de nos études, à savoir que la vie n'est pas opposée mais semblable dans les deux règnes, qu'elle comprend nécessairement deux ordres de phénomènes, la création organique et la destruction organique, que tout être doué de vie, animal ou plante, simplement protoplasmique ou complet, doit nécessaire- ment les posséder. Il y a à peu près trente ans que je fus conduit à dé- couvrir la fonction glycogénique dans|les animaux. Je n'y fus pas amené par des idées préconçues, mais au contraire par l'observation pure et simple des faits. On SYNTHÈSE GLYCOGlÏNIQUli:. 229 croyait alors à la formation exclusive du sucre chez les végétaux. Je débutais dans la carrière scientifique et j'a- vais nnturellement les opinions de mon temps. Je ne voulais donc pas détruire la théorie de la glycogenèse exclusive, je cherchais plutôt à l'appuyer et à l'étendre. Je m'étais demandé comment ce sucre alimentaire que les végétaux fournissent aux animaux se brûle et se dé- truit dans leur organisme. Ne me contentant pas des hypothèses que l'on avait émises à ce sujet en se fon- dant sur l'équation ahmentaire d'entrée et de sortie de l'organisme des animaux, j'entrepris une série d'expé- riences dans lesquelles je me proposai de suivre dans le sang jusqu'à sa disparition le sucre ingéré dans les voies digestives des animaux. Dès mes premiers essais, je fus très-surpris de trouver que le sang des chiens renferme toujours du sucre, quelle que soit leur alimentation et tout aussi bien quand ils sont à jeun. Le fait est si facile à constater qu'il est très-étonnant qu'il n'ait pas été vu plus tôt; cela tient uniquement à ce que l'on était sous l'empire d'idées préconçues dont il fallait se dégager, et que d'autre part les investigateurs, ceux qui m'avaient précédé, avaient omis de suivre strictement les règles de la méthode expérimentale. Déjà en 1832 Tiedemann avait trouvé que l'amidon des aliments peut se transformer en sucre et passer dans le sang ; il avait rencontré de la glycose dans l'intestin, puis dans le sang d'un chien qui avait ahsorbé des ma- tières féculentes. Tiedemann en avait tiré cette conclu- sion, alors nouvelle, que le sucre se forme normalement 230 LEÇONS SUR LES PHÉNOMÈNES DE LA. VIE. dans l'intestin par le travail de la digestion des fécu- lents et peut passer de là dans le chyle et dans le sang. Mais si cet expérimentateur n'en découvrit pas davan- tage, c'est qu'il avait négligé dans ces expériences un des préceptes les plus importants de la méthode expéri- mentale; il avait omis la contre-épreuve. Il se contenta en effet de dire que le sucre du sang provenait de lamidon ingéré, mais ne rechercha point, pour cor- rohorer son observation, si le sang des animaux qui ne s'étaient point nourris d'amidon était dépourvu de sucre. C'est cette contre-épreuve que je fis, et c'est elle qui m'apprit que le sang des animaux contient normalement du sucre, indépendamment de la nature de l'alimen- tation. J'allai plus loin et je montrai que c'est dans le foie que chez les mammifères adultes a lieu la formation du sucre. Le sang qui sort du foie est toujours plus abon- damment pourvu de sucre que celui de toutes tes autres parties du corps. Après cette découverte on chercha à s'expliquer com- ment le sucre peut prendre naissance dans le tissu hé- patique. On songea d'abord à des dédoublements, à des décompositions. Schmidt croyait à un dédoublement des maliéres grasses donnant naissance à du sucre dans le sang. Lehmann admit que la fibrine du sang en traver- sant le foie se dédoublait en glycose d'une part et en acides biliaires de l'autre; Frerichs donna une expli- cation analogue. M. Berthelot était tenté de croire au dédoublement dans le foie, d'une matière analogue à GLYCOGENÈSli; ANIMALE. ^oL un amicle; et je poursuivis moi-même pendant quelque temps des expériences d'après cette vue. Je trouvai enfin que la matière qui est le générateur du sucre dans le foie est un véritable amidon animal, le fjhjcocjène, et je pus établir ainsi que le mode de forma- tion du sucre est identique dans les deux règnes (1). Ainsi le sucre se forme dans les animaux comme dans les végétaux aux dépens de l'amidon. La formation de cet amidon dans les deux règnes est considérée comme un acte de création organique, une synthèse. La forma- tion du sucre au contraire est une destruction organi- que, une hydratation de l'amidon qui amène sa trans- formation en dextrine, en glycose; puis cette substance elle-même donne naissance à l'acide lactique, à l'acide carbonique, par une série d'opérations qui ont pour résultat la destruction du sucre par des procédés équi- valents à des phénomènes d'oxydation. Nous trouvons ainsi dans la glycogenèse animale comme dans la glycogénèse végétale les deux phases caractéristiques des grands phénomènes de la vie : 1° Création organique : synthèse de l'amidon, syn- thèse du glycogène. 2" Destruction organique : transformation de l'ami- don ou du glycogène en dextrine et sucre, puis destruction du sucre par des procédés analogues aux combustions. Malheureusement nous ne connaissons bien jusqu'à présent que les phénomènes de destruction des principes amylacés ; nous savons que dans les animaux comme (1) Yoy. le résumé de mes Recherches sur les glycogènes [Annales de chimie et de physique. 1876). 232 LEÇONS SUR LES PHÉNOMÈNES DE LA VIE. dans les végétaux, ils ont lieu sous l'influence des fer- ments, la diastase, le ferment lactique, agents chimiques spéciaux à l'organisme. Nous savons de plus que dans les deux règnes ces phénomènes engendrent de la cha- leur en s'accomplissant. Quant à la création, à la synthèse de l'amidon ou du glycogène, elle est entourée pour nous de grandes obscurités aussi bien dans les végétaux que dans les animaux. Toutefois nous marchons dans une bonne voie, et c'est probablement chez les animaux que ce mé- canisme formateur sera d'abord dévoilé. J'ai fait à ce sujet un grand nombre d'expériences sur les animaux mammifères; leur complexité les rend toutes difficiles. En opérant sur des larves de mouches (asticots) , j'espère être dans de meilleures conditions pour saisir le méca- nisme qui donne naissance au glycogène très-abondant chez ces larves. Pour faire comprendre les difficultés de telles études sur les animaux, je rappellerai ici ce fait important que les vivisections troublent, arrêtent aussitôt les phénomènes de synthèse glycogénique, tandis qu'ils n'empêchent pas ou même accélèrent dans certains cas les phéno- mènes de destruction ou de transformation. C'est pour- quoi nous n'avons pu jusqu'ici étudier, postmortem, par les procédés d'analyse artificielle, que les phénomènes de destruction glycogénique, tandis que les phénomènes de synthèse correspondants comme d'ailleurs tous les phénomènes des créations organiques semblent exiger pour s'accomplir l'intégrité de l'organisme entier. Toutefois, la matière glycogène dans les animaux, GLYCOGKNÈSE ANIMALE. 233 aussi bien que dans les végétaux, n'est pas seulement destinée à se transformer en sucre ; elle semble aussi faite pour entrer directement dans la constitution des tissus pendant l'évolution embryogénique (i). La matière glycogène, quel que soit le rôle qu'elle ait à remplir dans l'organisme, se montre à nous dans les parties en développement comme le résultat d'une véri- table synthèse. L'agent de cette synthèse est le proto- plasma d'une cellule. Cette cellule, capable de produire le glycogène, réside dans le foie chez Tadulte; elle est très-diversement placée chez l'embryon ; dans le blasto- derme, dans la vésicule ombilicale, chez le poulet; dans l'amnios, chez les ruminants; mais il est vraisemblable que partout elle forme la matière amylacée par le même procédé. La substance glycogène est sous forme de granula- tions, de gouttelettes incluses à l'intérieur des cellules hépatiques dans le foie, dans les cellules blastodermiques dans l'œuf de poule, dans les fibres musculaires chez le fœtus, dans les tissus épithéliaux : elle existe d'une manière diffuse dans un grand nombre de tissus em- bryonnaires. Pendant la vie fœtale, les cellules glyco- géniques se rencontrent dans le placenta, sur les vais- seaux allantoïdiens \voy. fig. 9 (2)]. Le cas le plus intéressant nous est fourni par les ruminants. J'ai montré qu'on peut en effet suivre, chez ces animaux, l'évolution complète de la matière (1) Voy, Comjit. rend, de l'Académie des sciences, t. Xl.Vni, 1859. (2) Voy. mon mémoire : Sur une noimeltè fonction du placenta {Compt. rendus de l'Académie des sciences, t. XLVHI, séance du 10 janvier 1859). 234 LLÇONS SUR LES PlIliNOMÈNl'S Dli LA ME. glycogène clans ses deux périodes, ùq synthèse formalice et de destruction organique. FiG. 0. — Disposition des cellules gljcogéiiif|iies dans le placenta du lapin. A, Coupe de la corne utérine et du placenta en place. Les cellules glvcogéniques sn .1 situées entre le placenta fœtal cl le placenta maternel sur les villosili-s des vaisseaux .•dlanloidicng. — B, Cellules glycog^énirpics du placenta isolées et colorées en rouge vineux par l'iode. Les cellules glycogéniques accompagnent, sous forme de plaques (fig. i 0 et 1 i ) , les vaisseaux allan loïdiens, qui , FiG. 10 et M. — Plaques glycogéniques de l'amnios du fœtus de veau dans leur plein développement. ici, viennent accidentellement se réfléchir sur l'amnios. Les plaques glycogéniques de l'amnios des ruminants se montrent sous forme d'amas de cellules (fig. 15) dès les premiers temps de la vie embryonnaire; elles s'accrois- sent jusqu'au milieu de la gestation, puis commencent à se détruire et disparaissent avant la fin de la vie intra- utérine. La durée de leur évolution est donc mesurée GLYCOGENÈSE EMBRYONNAIRE. lôO^ par un espace de temps plus court que celui de la gestation. Les plaques développées sur la face interne de l'amnios, dont elles troublent la transparence, s'opa- cifient de plus en plus, à mesure qu'elles s'accroissent; Kio. 12. FiG. 12, 13 cl 14. — Diibiil de In fonii.ilion (les plariuos glycogdniqucs de romiiios d'un fa'Uis do veau. l''ig. 12, prciiiier elal : la petite masse centrale est formée do cellules qui se colorent on ronge violacé par l'eau iodée, acidulée. En dehors, les cellules de cette membrane se colo- rent on jaune par l'iode. — Kig.;l;i, état plus avancé: la masse dos cellules glycogéniquc.-; se colorant en rouge est plus considérable. — Fig. 14, cellules glycogéniqnes dissociée;; et coloriccs par l'iode en rouge violacé. elles se groupent en certains points et deviennent con- fluentes (voy, fig. 40). A leur maximum de développe- 286 LI.ÇONS SUR LES PHÉNOMÈNES DE L\ VIE. ment, elles présentent parfois une épaisseur de plusieurs millimètres. Elles sont alors au point culminant qui sé- pare \dLpé?iode syntlièùqiœ de la période de destruction. Nous avons représenté les diverses phases de l'évolu- tion glycogénique dans les plaques de l'amnios des ruminants {vorj. fig. 12, 13 et 14). Les préparations (fig. 12 etl3) représentent la phase ascendante de l'évo- lution glycogénique. La préparation (fig. 15) représente KiG. 15. — a, line villo.siUi isoltio dus plaques giycogéniqucs. Ou voit mieux clcs5iii(;cs certaines cellules qui out été colorées par l'iode. — 6, cellules de la villositc isolées et colorées par l'iode en rouge vineux. le point culminant de celte évolution. Les préparations (fig. 16, 17 et 18) représentent la phase évolutive des- cendante. La formation des cellules glycogéniques n'a pas encore GLYCOGENÈSK EMBRYONNAIRE. 237 été suivie hislologiquoment crune manière aussi intime ([u'il serait nécessaire; mais tout porte à penser qu'elle a lieu par un mécanisme analogue à celui des produc- tions épithéliales. La destruction des plaques se fait de deux manières : FiG. IG. l'"iG. 10, 17 et 18. — Dégénérescence des plaques de l'aranios du fœtus de veau. t'ii,'. 16, mélanges de cellules normales ayant encore leur noyau et du glycogcnc, et dr cellules dégénérées, perdant leur noyau, ne renfermant plus de matière glycogcne et pas- sant à la transformation graisseuse. Kig. 17, la dégénérescence graisseuse dos cellules glycogénicpies est complète. Fig. 18, la plarpic glycogénif[uc a disparu et,, dans le point cpi'ello occupait, on ren- contre souvent des débris divers et des cristaux d'o.\alate do cltau.x. ou bien par résorption in situ^ ou bien par résorption dans le liquide amniolique oi^i elles tombent. La plaque devient jaunâtre, d'apparence graisseuse et flotte dans le liquide amniolique. Dans tous les cas, à mesure que la dégénérescence s'accentue, le noyau de la cellule s'ef- ^38 LEÇONS SUR LUS riIliNOMÈNliS T)E LA VIL. face; les granulations disparaissent, et avec elles les ca- ractères de la matière glycogène ; des gouttelettes hui- leuses se montrent dans la cellule flétrie et, quelquefois, des cristaux volumineux; dans certains cas, une masse de graisse assez considérable qui se retrouve à la nais- sance du fœtus; mais, très-souvent, il se fait une des- truction par oxydation ; des cristaux octaédriques d'oxa- late de chaux (fig. 18) accumulés dans ces parties, rendent témoignage de la combustion qui s'y est opé- rée. Ici la substance n'avait été édifiée que pour être détruite; sa destruction est une oxydation qui produit de la chaleur et contribue ainsi à l'entretien de la vie dans l'organisme. Cet exemple nous montre sur le vif l'évolution d'un principe immédiat : sa formation synthétique par l'action d'un agent cellulaire particulier, puis sa destruction par oxydation. Si nous poursuivons la formation de la matière glyco- gène dans les organes du fœtus (1), nous voyons que les cellules glycogènes se forment dans tous les épithéliums, à la surface de la peau dans les tissus cornés, bec, plume, cornes des pieds; dans l'épithéhum de l'intestin, du poumon, dans les conduits glandulaires; mais jamais dans le tissu même des glandes, ni dans les ganglions lymphatiques, ni dans les endoihèliums ^ etc., etc. Ce qui est curieux, c'est que le foie, qui chez l'adulte sera le lieu d'élection de la formation glycogé- (i) Voy. mon mémoire : De la matière glycogène considérée comme con- dition de développement de certains tissus chez le fœtus avant l'apparition lie la fonction glycogénique du foie {Comptes rendus de l'Académie des sciences, t. XLVHI, séance du 4 avril 1859.) GLYCOGENÈSE ET PROTOPJASMA. 239 nique, ne contient encore aucune trace de cette sub- stance. Chez le veau, c'est vers le milieu de la gestation environ que le foie acquiert cette propriété, et alors on voit la matière glycogène disparaître des épilhéliums, et la fonction glycogénique cesser d'être diffuse pour se localiser dans le foie. Chez les êtres inférieurs qui n'ont pas de foie, la fonc- tion glycogénique reste toujours diffuse, comme chez les végétaux. Chez certains animaux, comme les crustacés, cette fonction est intermittente et correspond aux périodes de mue, comme elle correspond à la végétation chez les plantes, etc., etc. Le protoplasma cellulaire n'est nécessaire que pour la première phase, c'est-à-dire la genèse synthétique du produit immédiat; mais la combustion destructive peut s'opérer sans l'intervention du protoplama. Los preuves à ce sujet abondent. La matière glycogène en est un exemple : rien ne peut suppléer, pour sa production, le protoplasma animal ou végétal ; au contraire, la destruction est un phénomène chimique qui n'exige pas nécessairement l'intervention de l'agent cellulaire vivant, et qui peut se continuer après la mort ou en dehors de l'économie. Une expérience décisive à ce sujet est celle du foie lavé. On fait passer un courant d'eau dans le foie arraché du corps de l'animal, et par conséquent soustrait à toute influence vitale : on enlève par là toute la matière sucrée qu'il contenait. Aban- i donne -t -on l'organe à lui-même pendant quelque temps, on retrouve une nouvelle quantité de sucre. On I ^240 LEÇONS SUR LUS PHÉNOMÈNES DE LA VIE. peut renouveler l'épreuve avec le môme succès , un grand nombre de fois, jusqu'à ce que la provision de matière glycogène soit épuisée. Ainsi, dans cet organe mort, isolé de toute influence physiologique ou vitale, la matière glycogène continue à se détruire comme pendant la vie, mais elle ne se refait pas. Comment le protoplasma cellulaire intervient-il pour former le principe immédiat? C'est une question à ré- soudre. Peut-être pourrait-on supposer que le glycogène apparaît non par une véritable synthèse dans le sens chimique du mot, mais par un dédoublement de la ma- tière protoplasmiquc. C'est à l'avenir, et probablement h un avenir prochain, qu'il appartiendra de résoudre ces problèmes qu'on ne peut qu'indiquer aujourd'hui, mais dont nous sommes déjà parvenus à analyser les principales conditions. SEPTIÈME LEÇON B>fOi>riutcs du i»i-otoi)lnsiiia ilaiis Icm deux l'ègncs. irritabilité, ««cusiitilitc. Sommaire : Le protoplasma possède rirritabilité et la motilité. — Ces pro- priétés conslituenl le trait d'union entre l'organisme et le monde extérienr. I. Historique de l'irrilahilità. — Glisson, Barthez, Bordeu, Haller, Brous- sais, Virchow. — Irritabilité; autonomie des tissus. — Le protoplasma est le siège de rirritabilité. H. Excitants et anesthésiants de l'irritabilité. — Conditions normales de l'irritabilité protoplasmique. — Aneslbésie (1) des propriétés protoplas- miques, du mouvement d'irritabilité ou de sensibilité chez les animaux et les végétaux. — Expériences. — Anesthésie des phénomènes, protoplas- miques de germination^ développement et fermentation chez les animaux elles végétaux. — Anesthésie de la germination des graines. — Anesthésie des œufs. — Anesthésie des ferments figurés. — De la non-anesthésie des ferments solubles. — Anesthésie de la fonction chlorophyllienne des plantes. — Anesthésie des anguillules du blé niellé. in. De l'irritabilité et de la sensibilité. — Sensibilité consciente et sensibi- lité inconsciente. — Manière de voir différente des philosophes et des physiologistes à ce sujet. — Identité des agents anestliésiques pour abolir la sensibilité et l'irritabilité. — Nous n'agissons pas sur les pro- priétés ni sur les fonctions nerveuses, mais seulement sur le protoplasma. Le protoplasraa, agent des phénomènes de création organique, ne possède pas seulement la puissance de synthèse chimique que nous avons examinée en lui; pour mettre en jeu cette puissance, il doit posséder les facultés de Virritabilité et de la motilité. Il peut en efFet réagir et se contracter sous la provocation d'excitants (1) Le mot anesthésie ùiû^nG. ici raction des substances ancsthésiqucs, éther ou chloroforme, amenant la suppression de la faculté des éléments et des tissus de réagir sous l'influence de leurs excitants ordinaires. CL. BERNARD. IQ 242 LEÇONS SUR LES PHÉNOMÈNES DE LA. Vl|.:. qui lui sont extérieurs, car il n'a en lui-même et par lui-môme aucune faculté d'initiative. Les phénomènes de la vie ne sont pas les manifesta- tions spontanées d'un principe vital intérieur : elles sont, au contraire, nous l'avons dit, le résultat d'un conflit entre la matière vivante et les conditions exté- rieures. La vie résulte constamment du rapport réci- proque de ces deux facteurs, aussi bien dans les mani- festations de sensibilité et de mouvement, que l'on est habitué à considérer comme étant de l'ordre le plus élevé, que dans celles qu'on rapporte aux phénomènes physico-chimiques. Cette continuelle relation entre la substance organisée et le milieu ambiant est donc un caractère général de la vie organique aussi bien que de la vie animale. La nutrition, aussi bien que la sensibilité et le mouvement, traduisent sous des formes plus ou moins compliquées cette faculté de la matière vivante de réagir aux excita- tions du monde extérieur. Cette faculté, condition essen- tielle de tous les phénomènes de la vie, chez la plante aussi bien que chez l'animal, existe à son degré le plus simple dans le proloplasma. C'est Y irritabilité. D'une façon générale, Virritabilité est la propriété que possède tout élément anatomique [c est-à-dire le proto- plasma qui entre dans sa constitution) d'être mis en activité et de réagir d'une certaine manière sous l'influence des excitants extérieurs. Toute manifestation vitale exigeant le concours de certaines conditions ou excitants extérieurs est par cela même une manifestation de l'irritabilité. La sensibilité, IRRITABILITÉ, SENSIBILITÉ; HISTORIQUE. 24a iqui est, à son plus haut degré, un phénomène complexe, m'est au fond, comme nous le verrons, qu'une modalité particulière de l'irritabilité, seule propriété vitale élé- mentaire, dont l'existence est commune aux deux règnes. Nous devons d'abord examiner ce que l'on entend par ce mot irritabilité et savoir quelles idées et quels faits il désigne. Il est nécessaire de connaître les antécédents historiques de cette question fondamentale qui, depuis plus d'un siècle, a donné lieu à des confusions conti- nuelles et ouvert des débats qui ne sont pas encore terminés. Le problème de la sensibilité des êtres vivants et, d'une manière générale, celui des propriétés vitales des êtres organisés trouveront leur solution dans la con- naissance et l'appréciation exacte de la doctrine de Vir- riiahilité. I. Historique. — C'est Glisson (1634-1677), profes- seur à l'Université de Cambridge, qui a le premier introduit dans les explications physiologiques V irritabi- lité, propriété vitale qu'il attribuait à toutes « les fibres, animales, musculaires ou autres » , c'est-à-dire indis- tinctement à toute la matière organisée : c'était pour lui la cause de la vie. Depuis le moment où cette expression a été em- ployée, elle a donné lieu à des confusions sans fin : on a distingué, confondu, séparé de nouveau et de nouveau identifié les trois propriétés et les trois termes, à savoir : sensibilité, irritabilité^ contractilité . De là des méprises qu'il importe de dissiper. 244 LEÇONS SUR LliS PHÉNOMÈNES DE LA VIE. Barthez (1734), le créateur de la doctrine \italiste, distinguait des forces sensitives, sensibilité avec percep- tion, sensibilité sans perception, et des forces motrices de resserrement, d'élongation, de situation fixe, toni- que, équivalents de la conlractilitô actuelle : ces deux ordres de forces étant d'ailleurs subordonnés dans l'être vivant à la force vitale. On a dit que Leibnilz avait accepté la doctrine de l'irritabilité de Glisson; l'entéléchie perceptive qu'il considérait comme le principe d'activité inséparable des particules vivantes ne serait autre chose que Xirri- tabilité sous un autre nom. Les rapports de Leibnitz avec Campanella et Glisson permettraient de supposer que cette interprétation a pu se présenter à l'esprit du grand philosophe. Bordeu (1742) distinguait une propriété vitale uni- ([ue, la sensibililé générale^ qui d'ailleurs les comprenait toutes. Première origine des confusions que nous avons annoncées ! Bordeu prenait ce mot dans une acception nouvelle et inusitée. Il désignait parlé ce que l'on appelait de son temps les irritations^ les excitations^ Virritabilite de Glisson, Yincitabilité àe Brown, c'est-à-dire cette pro- priété de réagir sous l'influence d'un stimulus à laquelle le médecin anglais Brown (1735-1798) avait attaché tant d'importance. L'innovation de Bordeu est d'avoir généralisé la sen- sibilité au point (comme le lui reprochait Cuvier) de donner ce nom à « toute coopération nerveuse accom- » pagnée de mouvement, lorsque l'animal n'en avait » aucune perception. » lURITABILlTÉ HALLÉRTENNE. 245 Outre celte sensibilité générale, dont le fond est le même pour toutes les parties, Bordeu imagine encore une sensibilité propre pour chacune des parties : « Chaque « glande, chaque nerf a son goût particulier. Chaque » partie organisée du corps vivant a sa manière d'être, » d'agir, de sentir et de se mouvoir; chacune a son goût, » sa structure, sa forme intérieure et extérieure, son » poids, sa manière de croître, de s'étendre et de se re- » tourner toute particulière ; chacune contribue à sa ma- » nière et pour son contingent à l'ensemble de toutes )) les fonctions et à la vie générale; chacune enfin a sa » vie et ses fonctions distinctes de toutes les autres. » Bordeu va jusqu'à dire que « chaque organe est un » animal dans l'animal : animal in animali, » excès de doctrine qui a excité les critiques de Cuvier, et plus récemment de Flourens. Telle est la façon de voir de Bordeu relativement aux propriétés vitales ou sensibilités particulières. Ce fut Haller, le célèbre physiologiste de Lausanne, qui eut l'honneur de donner une base expérimentale à la théorie des propriétés vitales et de l'affermir solide- ment. Il distingue trois propriétés : 1° La contractilité ^ qui n'est autre chose que la pro- priété physique que nous appelons aujourd'hui élasticité; 2° \J irritabilité, tout aussi mal dénommée. C'est la manière de se comporter du muscle. L'irritabilité hal- lérienne, c'est la contractilitô actuelle. Les muscles, dit Haller, sont irritables ; on dit maintenant contractiles ; 3" La sensibilité. C'est la manière de se comporter des nerfs. '246 LEÇONS SUR LES PHÉNOMÈNES DE I.A VIE. On voit par là que la distinction élablie par Ilaller a un caractère pratique et expérimental. Il ne s'occupu pas de l'essence des propriétés qu'il constate. Il voit les nerfs elles muscles se comporter d'une manière diffé- rente, et il donne des noms différents à ces deux modes d'activité : irritabilité et sensibilité. Le résultat de ses expériences a donc été de séparer (ce qui n'avait pas été fait avant lui) le nerf et le muscle, au point de vue de leur manière d'agir, et de séparer l'un et l'autre des tissus différents, tendons, épidémie, cartilages, qui se comportent autt'ement. C'est le principal mérite de Haller d'avoir montré que le nerf et le muscle ont en eux-mêmes ce qui est nécessaire à leur entrée en action et qu'ils ne tirent pas d'ailleurs leur principe d'activité. La doctrine régnante depuis Galien, admise par Descartes, la doctrine des esprits animaux, enseignait que les oi'ganes recevaient leur principe d'action d'une force centrale transmise et distribuée par les nerfs sous le nom d'esprits animaux et conduisait, dans le cas actuel, à supposer que le muscle tirait du nerf la propriété de se contracter. Avant de Téfuter expérimentalement cette erreur accréditée et de démontrer l'autonomie des deux tissus et leur indépen- dance par des preuves directes, Haller établit ingénieuse- ment et a priori le peu de fondement de la doctrine qui avait cours. Il fit observer que si le muscle tirait sa pro- ipriété du nerf, le nombre des nerfs qui animent un muscle devait être proportionné au volume de celui-ci, conséquence qui est en désaccord avec les faits; le cœur, par exemple, qui est le muscle le plus actif de l'économie, IRRITABILITÉ GÉNÉRALE. 247 est celui de tous dont l'innervation est la moins abon- dante et la plus difficile cà découvrir. La démonstration de l'indépendance essentielle du muscle et du nerf, tentée par Haller, a été complétée plus tard par J. Millier, qui a prouvé que le nerf séparé du corps s'éteint avant le muscle. Les principes d'action des deux tissus ne peuvent être les mêmes, puisque l'un a disparu alors que l'autre persiste. Quant aux objec- tions dont l'argument de Mûller était passible, je les ai levées plus tard par mes expériences sur le curare, qui supprime l'activité du nerf d'une manière complète en laissant subsister entière l'activité du muscle. Ici nous devons ajouter une réflexion; le curare détruit un mé- canisme, son action ne porte pas sur le protoplasma, c'est-à-dire sur la base physique même de la vie du tissu. Le curare détruit le rapport physique du nerf et du muscle, rapport indispensable pour l'exercice de la contraction volontaire et du mouvement volontaire. Il sépare des éléments normalement unis, il détruit leur harmonie, tout en ne détruisant pas les éléments eux- mêmes. En résumé, toutes ces recherches entreprises en vue de l'irritabilité ont abouti à prouver \auionomie des tissus; elles n'ont pas éclairé la question de l'ir- ritabilité, qui est restée au môme point. La propriété des nerfs appelée sensibilité ou motricité et la pro- priété du muscle appelée contractilité ne sont point des attributs généraux de toute matière vivante, mais plutôt des réactions, des manifestations particulières d'une espèce déterminée de matière vivante. Ce sont 248 LliÇONS SUR LKS PHÉNOMÈNES DE VIE. des propriétés spéciales et non des propriétés vitales générales. Lorsque l'on examine attentivement le fond des choses, on voit que ces propriétés ne sont que des déterminations particulières d'une propriété plus géné- rale, \ irritabilité. C'est ainsi que pensait Broussais. Broussais n'acceplait qu'une seule propriété essen- tielle de la substance organisée, \ irritabilité entraînant comme conséquence la sensibilité, la conlractililé et toutes les autres facultés secondaires. Yirchow professe lii môme opinion; les phénomènes vitaux ont pour con- dition intime Y irritabilité , terme générique qui com- prend, suivant lui, \ irritabilité nutritive^ X irritabilité formative et {irritabilité fonctionnelle. Virchow a désigné par le mot ^'irritabilité « la pro- » priélé des corps vivants qui les rend susceptibles de » passer à l'état d'activité sous l'influence des irritants, c'est-à-dire des agents extérieurs. » En d'autres termes, nous dirons, quant à nous, que « l'irritabilité est la propriété de l'élément vivant d'agir «suivant sa nature sous une provocation étrangère». Avant tout chaque tissu réagit à l'excitation du milieu extérieur, eau, air, chaleur, aliment, en y puisant cer- tains principes, en yen rejetant d'autres, c'est-à-dire en opérant les échanges qui constituent la nutrition. C'est la ce que l'on a appelé \ irritabilité nutritive ou propriété de réagir à la stimulation alimentaire du milieu ambiant en s'en nourrissant. En outre, chaque élément a la possibi- lité de manifester ses propriétés particulières, de se com- porter d'une manière spéciale, caractéristique : la fibre IIUIITABILITÉ ET PllOPKlÉTÉS VITALES. 249 musculaire réagit en se contractant, la fibre nerveuse en conduisant l'ébranlement qu'elle a reçu, la cellule glan- dulaire en élaborant et en évacuant un produit spécial de sécrétion, le cil vibralile en n'infléchissant et se redres- sant alternativement, le globule sanguin en attirant l'o^^ygène, le grain de chlorophylle en décomposant l'acide carbonique. Ce sont toutes ces facultés que l'on a appelées du nom générique à' irritabilité fonctionnelle. Mais toutes ces manifestations particulières sont domi- nées par une conclition générale; elles sont les modes divers d'une faculté unique, ^irritabilité simple. Il n'est pas nécessaire selon nous de distinguer une irritabihté nutritive et une irritabilité fonctionnelle; encore moins faut-il établir des distinctions dans chacune de ces pro- priétés et démembrer, comme Ta fait Virchow, l'irrita- bilité nutritive en une i?ritabilité fonnative , qui sevsi\i\a. propriété d'un tissu de s'entretenir par des générations de cellules ou d'éléments anatomiques qui se succèdent; en une i?ritabilité cl agrégation^ propriété de l'élément de s'incorporer les substances alimentaires convenables. C'est, au fond, la même propriété essentielle qui ca- ractérise les rapports entre la substance organisée et vivante ou protoplasma d'une part, et le milieu extérieur d'autre part; la faculté la plus simple et la plus géné- rale de la vie dans les animaux comme dans les plantes, l'irritabilité. Les études expérimentales innombrables que l'on a tentées sur les propriétés des tissus vivants, et que nous ne pouvons retracer ici, conduisent à cette double conclusion : *250 LKÇONS SUR LES l'lIl2. Dans la deuxième phase, il se reforme sur le plan GENÈSlî ClîLLULAIRli:. 305 équatorial une série nouvelle de renflements dont l'en- semble constitue la plaque cellulaire; celle-ci se clive eu doux : entre les deux clivages se forme une cloison de cellulose, et, le travail se continuant, on a bientôt, au lieu de la masse primitive, deux cellules complètes dans le sac embryonnaire. Le noyau ne joue pas toujours ce rôle essentiel dans la genèse cellulaire. On connaît des cas oi\ il n'existe pas encore au moment où le protoplasma se divise et des cas où ce noyau existant reste pour ainsi dire étranger à l'apparition des centres attractifs, qui grouperont la matière protoplasmique pour en former deux cellules nouvelles. Voilà des phénomènes complexes qui ont été observés chez les végétaux, et également chez les animaux, et qui paraissent avoir une très-grande généralité. Biilschli {voy. Leçon Y, p. 195) a observé la division des cel- lules embryonnaires du sang du poulet {voy. fîg. 36); Weitzel, la prolifération des cellules de la conjonctive enflammée; Balbiani, la multiplication des cellules de l'épithélium ovarique des insectes; Auerbach, Fol, Strasburger, Klebs, ont rencontré un nombre consi- dérable de faits du même genre. En interprétant ces faits, on est conduit à penser qu'il n'existe chez les ani- maux qu'un procédé unique de genèse cellulaire auquel se ramènent tous les autres, qui en seraient simplement des abréviations. Ces études nous montrent, dans la genèse cellulaire par division, quelque chose d'analogue au jeu de forces attractives et répulsives, s'exerçant surtout sur le noyau, CL. BEUNARD. „„ 306 LEÇONS SUR LES PHÉNOMÈNES DE LA. VIE. et manifestées par la polarité et la disposition rayon- nante qu'elles impriment aux particules du proto- plasma. Genèse des cellules pai- division chez les animaux. ! FiG. 36. — i, 2, 3, 4, 5, C, 7, 8, pliascs successives do la division d'un globule sangrin cli07. uu embryon de poulet, d'après Blitschli. B. Le rajeunissement^ ou formation pleine, est un procédé rare dont on trouve quelques exemples dans le règne végétal; on n'en connaît point dans le règne ani- mal. Il y a une cellule préexistante : la masse entière du protoplasma de cette cellule forme une cellule nouvelle, par une sorte de renouvellement ou de simple rajeunis- sement de ce protoplasma. C'est par ce moyen que Pringsheim a vu se former les zoospores dans les algues du genre Œdogoniiim {voy. fîg. 37). C. La conjugaison consiste dans la fusion de deux ou CONJUGAISON. 307 plusieurs masses protoplasmiques en une seule. Deux éléments participent à la formation de l'élément nou- veau, et cela peut se faire cle deux manières : ou par conjugaison proprement dite , ou par conjugaison sexuelle, c'est-à-dire par fécondation. FiG. 37. — Formation pleine par rajeunissement (Saclis, p. 12). A, B, sortie des zoosporos d'un Œdogonium ; — C, sortie du protoplasma tout entier d'un jeune plant d'(ï.'(/0(;owi(tm sous forme d'une zoospore; — D, zoosporc libre en mouve- ment;— E, la même, après qu'elle s'est fixée et qu'elle a formé son disque d'adiiéronco. Dans la conjugaison ordinaire^ les deux cellules qui interviennent sont sensiblement identiques en forme et en taille. C'est ainsi que se forment les zygospores des algues conjuguées et volvocinées, et les zygospores des champignons myxomycètes et des mucorinées. Le règne animal n'offre pas d'exemple connu de cette genèse cel- lulaire {voî/ez la planche à la fin du volume). Quanta la conjugaison sexuelle ou fécondation, dans laquelle les deux éléments sont différenciés, on en a des 308 LEÇONS SUR LES PHl-NOMÈNES DE LA. VIE. exemples dans les oospores des cryptogames et, chez les animaux, un type universel dans la fécondation de l'œuf. D. Enfin, nous avons signalé un quatrième mode de genèse cellulaire, c'est X^gemmatiom, ou bourgeonne- ment. Les observations sont peu nombreuses, et il est certain qu'il s'agit ici d'un procédé rare : la majorité des auteurs, Kôlliker entre autres, le passent sous silence. Cependant il semble y avoir un petit nombre de faits positifs à cet égard [voy. fig. 38). Fie. 38. — Gemmation. Ovulation d'un iMolIusque liinieIlibianclic]{V'«Jï!(s decussata). A, cellule mère ; — B, C, bour- geons formés |)ar le rcfoulonicnl do la paroi cellulaire F soiis la pression des iiouveau.\ noyaux D, E, provenant de la division du nucléus primitif (d'après Leydig-). Telles, par exemple, la formation des œufs par bourgeonnement des cellules de lagaîne ovigène des in- sectes; la formation des globules polaires, observée par Robin; la multiplication des infusoires acinètes (Podo- phrya gemmipara), observée par Hertwig, et enfin la division des globules lymphatiques de l'axolotl, qui a été observée par Ranvier. Le noyau s'allonge, s'étrangle en bissac, et alors on voit naître de ce noyau des bour- geons plus ou moins nombreux et dans chacun de MORPHOLOGIE SPÉCIALE. 309 ceux-ci un nucléole. Chacun de ces bourgeons semble gouverner la masse du protoplasma environnant (pi' il groupe autour de lui de manière à former une cellule nouvelle. Tels sont les procédés de la morphologie générale, par lesquels une cellule sort d'une autre cellule; pur lesquels se constitue, en somme, l'organisme le plus simple. Nous examinerons, maintenant, la morphologie spé- ciale, qui préside à la production des formes complexes et spécifiques des animaux et des plantes. IL Morphologie spéciale. — Le point de départ des espèces animales ou végétales est une cellule appelée œuf ou ovule. A la vérité, un certain nombre d'êtres proviennent de parents par des procédés monogéniques ou asexués : mais la reproduction sexuée est le procédé génétique par excellence, général, et suffisant à lui seul à assurer la perpétuité de l'espèce. L'œuf lui-même est primitivement une cellule. En remontant jusqu'à sa première apparition, on le retrouve chez tous les animaux à l'état de protovum ou ovule primordial; il est formé d'une masse protoplas- mique on vitellus primitif, ou archilécithe , ou plasma primitif, masse au centre de laquelle existe un noyau granuleiix, volumineux, réfringent, qui est le noyau primitif o\x vésicule de Purkinje. Cet ovule primordial ainsi constitué est primitive- ment une cellule épithéliale, apparaissant dès les pre- 310 LliÇONS SUR LES PHl5N0MÈNliS DK LA VIE. rniers temps du développement dans l'organisme ma- ternel; celte cellule se distingue des cellules épithéliales voisines, du môme rang, grossit et se caractérise bientôt en tant qu'ovule primordial. Le mode de formation de cet ovule primordial aux dépens d'une cellule épithéliale préexistante, sa consti- tution entant que masse protoplasmique à noyau, sont des faits absolument généraux applicables à tous les animaux, depuis les protozoaires jusqu'aux vertébrés, ainsi que l'ont établi les travaux embryogéniques publiés depuis dix ans. ^ C'est là l'origine commune de tous les êtres vivants : celte cellule si simple jouit de la faculté de donner naissance par une série de différenciations successives dans les produits de sa prolifération aux formes spécifi- ques les plus complexes. L'œuf, en elfet, ne reste pas indéfiniment à l'étal d'ovule primordial : il est un élément essentiellement doué de la faculté d'évolution, qui se niodiGe, se mul- tiplie, se complète, se différencie, par un mouvement progressif et un travail continuel. L'individu animal à son état achevé n'est pour ainsi dire que la phase la plus avancée ou la phase ultime de cette évolution ; tandis que, d'autre pari, l'ovule primordial pourrait être ap- pelé le premier état de l'animal, son début ou sa pre- mière ébauche. M. Balbiani, en poursuivant ses belles éludes sur les organes de la reproduction chez les aphidiens, a été amené à reporter i)lus loin encore l'origine de l'ovule. — Pour lui, l'œuf n'est pas un simple élément anato- OVOGÉNIE. 311 niiqiie, c'est déjà un organisme : il est constitué par l'union ou conjugaison de deux éléments, l'un jouant le rôle d'élément mâle, l'autre le rôle d'élément femelle; ces deux corps dont l'union constitue l'ovule sont d'une part la vésicule germinative avec son protoplasma, d'autre part la cellule embryogène ou androblaste. Ce dernier ne serait pas un produit de l'organisme maternel déjà constitué, mais il existerait déjà dans l'œuf d'oij sort net oi'ganisme maternel. Il y aurait donc dans l'œuf de la mère un élément essentiel de l'œuf du rejeton. Cet élément ovulaire se transmet, persiste, non plus comme un organe appartenant à l'individu qui en est porteur, mais comme un élément appartenant à l'ancêtre et qui dans l'économie de l'être actuel constituerait un véri- table parasite atavique. — On a commencé par croire que l'œuf est une production de l'organisme maternel à l'état de plein développement; puis on a dit qu'il était une production de l'organisme maternel, dès son état embryonnaire et avant même que le sexe y fût caracté- risé. M. Balbiani fait un pas de plus dans cette voie des origines, et il rattache l'œuf à l'organisme maternel non encore développé, existant seulement en puissance, c'est-à-dire à l'œuf maternel. On en peut dire autant de celui-là même qui se rat- tache à l'œuf antérieur, et ainsi de suite, en remontant. L'œuf contient donc un élément essentiel des œufs des générations successives, élément spécifique et non indi- viduel. Cette doctrine de M. Balbiani semble donc, à un certain degré, rajeunir la célèbre théorie de l'involution ou emboîtement des germes qu'avait proposé au siècle 3 1*2 LEÇONS SUR LES PHÉNOMÈNES DE LA. VIE. dernier le philosophe naturaliste Ch. Bonnet, de Genève. — On pensait, à l'époque où le naturaliste genevois proposait son hypothèse, que l'être nouveau existait tout prcformé dans l'œuf; d'autres disaient, dans la liqueur séminale : ce n'était pas l'être actuel qui le créait, il ne faisait pour ainsi dire que le porter et fournir l'habita- tion à cette ébauche ou miniature du rejeton. Ch. Bon- net fut conduit par ses méditations a priori et ses expé- riences sur les pucerons à admettre la préfonnation ou prêexisieme du germe, non pas seulement dans l'œuf qui le développera, mais la préformation indéfinie et de tout temps de cet œuf lui-même. L'origine de cette doctrine se trouve dans les idées philosophiques de Leibnitz. Leibnitz considérait tous les phénomènes de l'univers comme la simple conséquence d''un acte primordial, la création. La puissance créa- trice qui était intervenue une première fois n'avait pas eu besoin de répéter son effort, et l'ordre naturel était fixé pour la série des temps. En particulier, le premier être contenait en puissance et en substance toutes les générations ({ui lui ont succédé, et l'observateur ne fait qu'assister au développement de ces germes du premier jour, inclus les uns dans les autres. C'est celte vue qu'adopta le philosophe génevois Bonnet. Il admit qu'un animal ne créait pas véritable- ment les êtres dont il devenait la souche; qu'il en con- tenait simplement les germes, enveloppés pour ainsi dire les uns par les autres et se dépouillant successive- ment de leurs enveloppes. Si l'on en croit certains témoignages, Cuvier, dont le génie précis s'accommodait OVOGÉNIE. 313 mal des hypothèses, aurait pourtant accueilli celle-ci avec faveur. Le développement de la science a écarté ce qui, dans cette doctrine, était manifestement erroné : à savoir que l'œuf serait l'image réduite de l'être nouveau qui n'aurait pour ainsi dire qu'à se déployer et à s'amplifier. L'animal se forme non par l'ampliation de parties existantes déjà, mais par formation, création successive de parties nouvelles ou épir/enèse^ ainsi que nous le dirons tout à l'heure. Quant à l'autre partie de la doc- trine, qui consiste à imaginer que l'œuf renferme non pas seulement en puissance, mais sous une forme figu- rée et substantielle, quelque élément des générations successives, c'est cette partie de la doctrine que les idées de M. Balbiani vient de tirer de l'oubli et de la défaveur oij elle était tombée. Dans l'histoire du développement ou de l'évolution d'un animal, on peut distinguer trois périodes : 1° La période ovogénique^ qui s'étend depuis l'origine de l'œuf jusqu'à sa constitution complète; 2° La période de la fécondation, qui correspond au moment où l'œuf, arrivé à l'état de maturité, reçoit l'impulsion nouvelle résultant du contact de l'élément mâle ; 3° Enfin la période embryogéniqiie, la plus longue, qui comprend la série des phénomènes par lesquels l'œuf fécondé est amené jusqu'au développement com- plet de l'animal. Nous n'avons pas ici à faire l'histoire de ces trois pé- riodes : nous devons seulement les caractériser brièvc- 314 LliÇONS SUR LliS PUliNOMÈNliS Uli L\ Vllî. ment, puisqu'elles marquent les trois étapes principales de la morphogéiiie. Nous signalons le point de départ commun de toute organisation dans celle forme partout identique, qui est V ovule primordial, simple masse protoplasmique à noyau. Cette identité d'origine pour tous les êtres orga- nisés est un phénomène bien essentiel et bien digne d'être mis en lumière. Il est acquis surtout depuis les travaux de Waldeyer, en 1870. Cet ovule primordial subit un développement (déve- loppement ovogénique) qui l'amène à l'état où il doit être, pour subir efficacement l'imprégnation de l'élé- ment mâle, c'est-à-dire à l'élat d'œuf mûr. Ce dévelop- pement comprend trois faits principaux : la formation d'une enveloppe limitant extérieurement l'élément, ou enveloppe vitelUne; l'accroissement de la masse proto- plasmique primitive par l'adjonction d'éléments nou- veaux constituant le vitellus secondaire, ou vilellus nutritif, ou paralécithe, ou deutoplasme, suivant les différents noms que lui ont donnés les auteurs. Enfin, et en troisième lieu, le noyau, ou vésicule germinative de Purkinje, jusque-lcà homogène dans toutes ses parties, permet d'apercevoir des granulations nucléolaires, taches germinatives ou taches de Wagner. Dès cette première période, des différences apparais- sent suivant que l'œuf devra former un animal de tel ou tel groupe zoologique. Avant toute fécondation, avant tout développement il est possible de prédire, d'après les caractères analomiques particuliers de l'œuf complet, la direction générale de son évolution et le groupe EMBRYOGÉNIE. 315 auquel appartiendra l'animal qu'il formera. L'enveloppe vitelline, par exemple est striée radiairement chez les mammifères et les poissons osseux, et y présente un micropyle. Rien de pareil n'a lieu chez les oiseaux. Le vitellus secondaire peut être en proportions différentes relativement au vitellus primitif; tantôt il est très-abon- dant, c'est le cas des animaux ovipares, oiseaux et reptiles; tantôt il est très-peu abondant, ce qui est le cas des vivipares, tels que les mammifères. Enfin les taches germinatives du noyau sont bien différentes en nombre chez les uns ou chez les autres des vertébrés : il y en a plus de 100 à 200 chez les poissons, au con- traire i ou 2 chez les mammifères. Une étude de l'ovogenèse étendue à tous les groupes aurait donc pour résultat de montrer une différencia- tion très-précoce dans le travail du développement. Il semble bien que dès le début commun les routes vont en divergeant et que chaque ovule primordial ait sa voie fixée d'avance, dans laquelle il marchera sans arrôt, jusqu'à réaliser sous la direction des lois mor- phologiques le type animal qui était virtuellement inscrit en lui. La seconde période du développement de l'œuf est caractérisée par le phénomène de la fécondation et tous les faits secondaires qui la préparent ou s'y rattachent. L'œuf, ainsi que nous l'avons dit, est un élément plastique très-énergique, centre d'attraction chimique et morphologique. Le processus évolutif de cet élément est renforcé d'une manière encore incon- 310 LUÇONS SUR LKS PHÉNOMÈNES Dli LA VIE. nue par rintervenlion de l'élément mâle, c'est-à-dire par la fécondation. Une fois la fécondation accomplie, le travail évolutif prend une extrême activité et la phase embryogénique commence. Le problème de Fembryogénie consiste en définitive à expliquer par quels procédés successifs la cellule ovu- laire simple a donné naissance à cette construction poly- cellulaire d'une architecture si complexe qui est la machine vivante. On a eu d'abord recours aux hypothèses, avant de s'adresser à l'observation, pour essayer de percer ce mystère. Deux théoiies opposées se présentent à l'esprit du naturaliste philosophe dont chacune a eu ses partisans : c'est la théorie de Ymvoluùon d'une part, de l'autre, la théorie de Yépigenèse. Le débat est aujourd'hui tranché, et l'on sait, depuis les travaux du célèbre ernbryologiste Caspar-Frederick Wollï, que l'organisme se développe de Tœuf par épigenèse. Les partisans de Tinvolution pensaient que la géné- ration d'un être n'était pas une véritable création. Le rejeton préexistait tout formé, avec ses organes, ses appareils, sa forme, dans le germe, et la fécondation ne faisait que le déployer. Ce germe, image réduite de l'être nouveau, c'était l'œw/ pour certains naturalistes, qui de là prenaient le nom à'ovistes, tels Smmmer- damm, Malpighi, Haller. — Pour d'autres, les sperma- tistes, Leeuwenhœck, Spallanzani, c'é[?L\iVa?iimal sper- matique^ qui était le germe; mais pour les uns et pour EMBRYOGlilNiE. 317 les au 1res, le germe était l'ébauche, la miuiature de Fembryou; et c'est là le point essentiel de la doclrine. L'èire ne commençait donc pas à l'acte de la généra- tion; il préexistait déjà, à l'état dormant et n'attendant que d'être tiré de celte condition léthargique par l'im- pulsion fécondatrice. — Défendue par Leibnitz parmi les philosophes, par Haller parmi les physiologistes, celte doctrine i-ubsista universellement acceptée jus- qu'au moment oi^i C.-F. Wolff, le premier fondateur de l'embryologie moderne, vint lui porter le coup mortel et révéler la véritable nature du développement orga- nique. «11 prouva que le développement de chaque » organisme s'effectue par une série de formations nou- » velles, et que, ni dans l'œuf, ni dans les spermato- » zoaires, il n'existe la moindre trace des formes défini- » tives de l'organisme. » [Ha3ckel, Anihropogénie^ p. 28 (-1764).] C.-F. Wolff montra eu effet, en étudiant chez le poulet le développement du tube digestif, qu'il y a une époque où cet appareil n'est encore qu'une sorte de membrane ovale, un feuillet germiiiaùf\ qui passe par une série de transformations continuelles et par des additions nouvelles, arrive à constituer le canal intesti- nal, les glandes qui en dépendent, le foie, le poumon, etc. — On trouve dans cette observation le germe de la découverte des feuillels embryonnaires que Baër com- pléta et introduisit plus tard dans la science. Ainsi, les parties du corps sont faites successivement les unes après les autres, par additions et différencia- tions successives. Rien ne préexiste dans sa forme et 318 LEÇONS SUR LES PHÉNOMÈNES DE LA VIE. son dessin définitif. Le germe de l'iiomine n'est pas un homonciile, image réduite et parfaite de l'adulte; c'est une masse cellulaire qui, par un travail lent, acquiert des formes successivement compliquées. Les premiers phénomènes par lesquels débute l'évo- lution embryogénique sont sensiblement les mômes d'un bout à l'autre du règne animal. Chez les mammifères, la masse protoplasmique qui forme l'œuf fécondé se segmente en deux moitiés par division endogène. Cha- cune des deux masses nouvelles subit une segmenlalion pareille. Ce phénomène appelé fractionnement du vitel- his aboutit, par ces divisions réitérées de la masse protoplasmique principale, à la formation d'une masse de cellules toutes pareilles entre elles, groupe cellu- laire provenant par générations successives de la cellule primitive. Ce groupe formé de cellules pressées les unes contre les autres est une masse sphérique framboisée, muriforme. On a proposé de désigner ce premier stade de l'évolu- tion embryogénique commun à tous les animaux par un nom particulier, celui de monda. Chez les mammifères, cette masse pleine, compacte de cellules vitellines se creuse bientôt à son centre où s'amasse un liquide, et se condense à la surface. L'œuf est alors transformé en uue vésicule sphérique, dont l'enveloppe est constituée par une couche plus ou moins épaisse de cellules juxtaposées, et l'intérieur occupé par un liquide. Cette poche s'appelle blastula, vésicule blasto- dermique : la paroi blastoderme, ses éléments cellules du blastoderme. FEUILLETS DU BLASTODERME. 319 La vésicule blastodermique a environ 1 millimètre de diamètre. Elle est formée d'une seule assise de cellules. En un de ses points, cette paroi est doublée par un petit amas de cellules de segmentation à contour elliptique, faisant saillie dans la cavité blastodermique, simulant à la surface l'apparence d'une tache et que l'on appelle area germinativa, aire germinative, rudiment primitif du corps du mammifère. La partie de cet amas cellulaire qui en forme la limite vers le centre se développe bientôt active- ment; elle fournit une nouvelle couche qui s'étale à la face interne du blastoderme, et s'y dispose comme une seconde assise. Il y a. donc alors deux couches ou deux feuillets comprenant entre eux au niveau de l'aire germinative une masse intermédiaire. Ces deux feuillets ont des caractères différents : on les appelle feuillet externe ou ectoclerme, feuillet interne ou entoderme^ ou encore épiblaste et hypoblaste. Quant à la partie comprise entre les deux feuillets au niveau de l'aire e^erminative, c'est la masse intermédiaire ou mésoblaste. Chez les oiseaux, tes reptiles, les plagiostomes et les céphalopodes, les insectes, les arachnides supérieurs, et les crustacés qui ont des œufs à vitellus nutritif volumi- neux, il y a segmentation partielle, portant seulement sur le vitellus primitif. Aussi ces œufs sont dits méro- blastiques ou tà fractionnement partiel, par opposition aux œufs oloplastiques des mammifères ou à fractionne- nement total. Mais c'est là une différence sans impor- tance, car dans l'un comme dans l'autre cas le résultat 320 LEÇONS SUR LIÎS PUliNOMÈNES DE LA VIIÎ. premier du travail embryogéniqiie est la formation de deux feuillets priinaires. On trouve encore chez les animaux inférieurs le fractionnement total, la formation d'une masse fram- boisée ou morw/« et la constitution d'une poche à deux feuillets, munie d'une ouverture. Cette forme constitue ]e g as tru la diyec son entoderme et son ectoderme. C'est ce qui s'observe chez les éponges, les polypes et les vers. Il y a, comme on le voit, une certaine analogie dans la première phase du développement embryogénique chez tous les animaux. Plus tard, on trouve quatre feuillets ; cette multiplica- tion résulte, comme l'a montré Remak, du dédouble- ment du mésoblaste en une lafjie musculo-cuianée et une lame fibro-intestinale. Quant à l'épiblaste ou ecto- derme, il prend le nom de feuillet corné ou cutané sensitif, ou sensoriel; l'hypoblaste ou feuillet interne est appelé intestino-glandulaire. Celte division en quatre feuillets, qui caractérise le second stade du développe- ment embryogénique, se rencontre chez tous les ver- tébrés et chez la plupart des invertébrés, sauf chez les derniers des zoophytes, les spongiaires où le travail se réduit à la division en deux feuillets primaires. Les cellules qui constituent chacun de ces feuillets et leur descendance ont dans la constitution de l'être un rôle particulier. Le feuillet corné ou sensitivo-cu- tané, encore appelé épiblaste, forme l'épiderme avec '^ses annexes (cheveux, ongles, glandes sudoripares et sébacées), et le système nerveux central, la moelle épinière. DÉVIîLOPPlîMliNT. 321 La lamo musculo -cutanée du inésoblaslo, ou méso- derme, forme le derme, les muscles, le squelette iu- terne, os, cartilages, ligaments, c'est-à-dire le système uuisculaire et les systèmes conjonctifs. La lame fibro-inteslinale du mésoblasle forme le cœur, les gros vaisseaux, les vaisseaux lymphatiques, le sang lui-même et la lymphe, c'est-à-dire le système vasculaire, plus le mésentère et les parties musculaires et fd3reuses de l'intestin. Le feuillet interne^ hypoblaste ou hypoderme, ou feuillet inteslino-glandulaire, fournit le revêtement épi- thélial de l'intestin, les glandes intestinales, le poumon, le foie {voy. fig. 40). Comment se disposent ces éléments, suivant quel dessin et quel plan? On peut répondre que ce dessin et ce plan sont ca- ractérisés dès le début, et que si ces éléments consti- tuent des matériaux de même nature et de môme situa- tion, ils reçoivent au premier moment une destination architecturale distincte; ils servent à édifier un mo- nument d'un style particulier qui se révèle et peut se ])rédire sitôt qu'il commence à s'exécuter. Chez les vertébrés, dès ce moment le disque germi- natif ofïVe deux parties, une zone marginale opaque, area opaca, entourant une partie centrale claire, area pellucida. Les cellules les plus centrales des feuillets externe et moyen se multiplient dans Varea pellucida^ et forment une tache ovalaire plus brillante encore qui est le germe proprement d'û, protosoma. Une gouttière, sillon primitif, divise bientôt ce germe en deux moitiés, CL. UEUNAIiD. 21 322 LEÇONS SUR LES PIlliNOMÈNES DE LA VIE. et les bords de la gouttière s'épaississent de manière à constituer deux bourrelets saillants, grâce à la prolifé- ration des cellules du feuillet externe. Le contour du germe change dans le môme temps, et,s'étranglantYers son milieu, prend la forme d'un corps de violon {voy. fig. 38). Pendant ce temps le feuillet moyen, méso- derme, s'épa'ssit et se comporte d'une manière diffé- rente dans sa partie centrale, dans sa partie périphérique et dans la région intermédiaire; sa partie centrale, sous- jacente à la gouttière, se différencie et commence à s'organiser pour former le cylindre cellulaire appelé corde dorsale; la partie périphérique de ce mésoblaste se fissure pour constituer les deux lames m usculo- cuta- née et fibro-inlestinale qui tendent à s'écarter l'une de l'autre, laissant entre elles une fente, rudiment du cœlome ou cavité pleuro-péritonéale. Quant à la région intermédiaire de ce feuillet moyeu, comprise entre la corde dorsale au centre, et la parlie divisée à la péri- phérie, elle constitue de chaque côté une sorte de cordon appelé cordon vertébral primitif, d'où provien- dront les pièces des vertèbres. Les bourrelets dorsaux formés par le feuillet externe se rapprochent, s'affrontent, se ferment, et ainsi se trouve constitué un tube médullaire destiné à devenir la moelle épinière; celle-ci sera refoulée vers l'intérieur et enfermée dans le canal spinal qui l'entoure, en se constituant aux dépens des pièces vertébrales droites et gauches du feuillet moyen qui viendront se rejoindre sur la ligne médiane au-dessus et au-dessous, et lui formeront un étui. TYl'ES liMBRYOGlîlNIQUliS. 323 Du côté clu feuillet interne ou hypoblaste les choses se pcassent de même, mais plus tardivement. Réduit pendant longtemps à une seule couche cellulaire, ce feuillet montre bientôt dans l'axe du germe une dépres- sion en gouttière, dont les bords s'affrontent et consti- tuent finalement un tube complet, le tube intestinal. Ce n'est pas le lieu de suivre pas à pas le développe- ment de ces diverses parties. Il nous suffit d'en saisir le dessin général. Chez les vertébrés, le type se marque et se caractérise dès le début, en ce sens qu'il y a un sillon primitif au- dessous duquel le feuillet moyen resté indivis forme un cordon axial^ et les choses sont symétriques de part et d'autre. Cette division du germe en deux moitiés par une ligne primitive indique la direction que suivra le développement et l'embranchement auquel appartiendra l'animal. Les particularités distinctives des divers vertébrés, et d'une façon générale des divers groupes, n'apptiraissent que graduellement et d'autant plus tardivement que les êtres adultes se ressembleront davantage. Hseckel a énoncé cette loi dans les termes suivants : « Plus deux animaux adultes se ressemblent par leur » structure générale, plus leur forme embryonnaire reste » longtemps identique, plus longtemps leurs embryons » se confondent ou ne se distinguent que par des carac- » tères secondaires. » Si nous voulons résumer les résultats précédents et les comprendre dans une formule générale, nous dirons après Baër : 324 LEÇONS SUR LES PHÉNOMÈNES DU LA VIE. « L'être vivant provient d'une cellule primitivement identique, l'œuf primordial; il s'édifie par formation progressive ou épigénèse, par suite de la prolifération de cette cellule primitive qui forme des cellules nou- velles, qui se différencient de plus en plus et s'associent en cordons, en tubes, en lames, pour arriver à constituer les différents organes. Cette structure va se compliquant successivement, de manière que les formes se particu- larisent de plus en plus à mesure que le développement avance. C'est la forme la plus générale, celle de l'em- branchement qui se manifeste la première : puis celle de la classe, puis celle de l'ordre, et ainsi de suite jus- qu'à l'espèce. » Le dévelop])ement suit donc des routes d'abord communes, puis divergentes, lorsqu'il doit aboutir à des formes différentes. La seule question en litige est de savoir à partir de quel point commence cette di- vergence, car, au premier moment, il n'y a aucune différenciation, et les stades originels semblent identi- ques. La plupart des embryologistes ont pensé que ce qu'il y a de commun dans un groupe animal est tou- jours développé dans l'embryon plus tôt que ce qu'il y a de spécial ; et, par conséquent, lorsqu'on imagine quatre types de structure, comme le faisaient Cuvier, Baër et Agassiz, il est naturel que l'on retrouve quatre types de développement ou d'évolution. Baër, en parti- culier, admettait quatre procédés embryologiques, qui se caractérisaient depuis une époque fort reculée du développement et qui conduisaient à leur forme parfaite les germes des animaux des quatre embranchements TYPES EMBUYOGËNIQUES. 325 de Cuvier. Ce système était quelque peu prématuré et les observations embryologiques modernes en contre- disent bien des parties. Des quatre types primitifs admis par Baër, il y en a un, Xevolutio contorta, qui a été ultérieurement rejeté; un autre, Vevolutio radiata^ ne saurait plus être admis qu'avec d'expresses réserves. Néanmoins, et en l'absence de tout autre classement des procédés embryologiques, nous rappelons ici le système, si imparfait soit-il, de Baër; il offre tout au mxoins un intérêt historique et le cadre pour les systèmes nouveaux auxquels conduiront les observations si minutieuses des zoologistes modernes. Baër admettait donc quatre types de développement, de même que Cuvier admettait quatre types d'orga- nisation. Il les caractérisait par les noms suivants : i" Evolutio bigemina; vertébrés. 2" Evolutio gemim; arthropodes. 3° Evolutio contorta; mollusques. 4° Evolutio radiata; rayon nés. 1" Le premier type, offert par les vertébrés, est le type à symétrie double. Baër employait pour en carac- tériser le développement la désignation à' evolutio bigemina. Plus tard, KôUiker, dans son Entwickelungs- geschichte der Ceplialopodeii (Zurich, 1844), acceptait le môme type et la même désignation comme expri- mant en réalité le procédé de développement de ces vertébrés. L'embryon né d'une portion localisée de l'œuf frac- tionné [evolutio in unâ parte) se développe dans deux 326 LEÇONS SUR LliS PHÉNOMÈNES DI-; LA VIE. directions différenles, en présentant la symétrie bila- térale. FiG. 39. — Dévoloppcniciit dos vci'ti;l)i'ôs ; lypn des niammifcres (évolution symélriqno double). — • A, B, C, trois slados do l'omhi-yon du lapin. — D, système ncrveu.x. — • E, bandelette axile. — F, arca genninativa. — G, vertèbres primitives. On voit ici doux axes de symétrie constitués, l'un par le système nerveux, l'autre par le système viscéral, (llcusun et KôlliUcr.) Le développement de t'enibryon se fait par une double répétition de parties, repétition latérale et répé- tition de haut en bas : c'est-à-dire qu'il se produit des organes identiques qui partent des deux côtés d'un axe (corde dorsale), se projettent en haut et en bas (lames dorsales et lames ventrales), et s'afTrontent le long de deux lignes parallèles, de telle sorte que le feuillet interne du germe se ferme en dessous, et le feuillet externe en dessus; par là se trouvent constituées deux cavités allongées : l'une, cavité viscérale, qui loge et circonscrit le système des viscères ou système végé- tatif; l'autre, cavité médullaire, entourant et circonscri- TYPES EMBRYOGÉMQUES. 327 vant la moelle épinière et le cerveau, organe central (le la vie animale. A FiG. 40. — Développeiiiont dos verliîbrés, évolulion symétrique double (evolutio bige- miiia do Bacr). — Type des poissons; A, B, C, trois stades do l'ombryon do la torpille (Torpédo oculata); \i, embryon; F, arca germinaliva ; G, système nerveux. — D, coupe des feuillets embryonnaires; H, ectoderme formant la moelle primitive; I, mé- soderme; K, enlodcrme; au contre se voit la corde dorsale séparant les doux axes do dévoioppemcnt. (Al. Sclmtz.) 2° Le second type d'organisation et d'évolution est offert par les articulés {voy. fig. 41). Il constitue \ evolutio gemina de Baër et de Rôlliker. Il est caractérisé en ce que les lames dorsales demeurent ouvertes et se transforment en membres. Le développement produit ici des parties identiques émanant des deux côtés d'un axe et se refermant le long d'une ligne parallèle et opposée à l'axe. Ce type pour- rail encore être appelé type longitudinal. Il y a une seule cavité qui loge tous les viscères et le système ner- veux. Le canal intestinal, les troncs vasculaires et le M'ÇONS SUR I.F.S PIIÉNOMIsNES DK I.A MR. système nerveux s elendent dans la longueur du corps qui présente deux extrémités. C'est entre ces deux ex- trémités, avant et arrière, que s'accuse l'opposiliou -. elle se traduit moins clairemeul cuire le dessus et le FiG. il. — D(3volo|ipemeiit des arliciiliis; cxeniplo d'évoliiiion symclriquo simple [evolutio (jcmina do Bacr). — (Eiir d'une arachnide (Agclcna Inhyriiilhica) à divers dcijre's de di;vplo|ipcniciU. A B, do profil; C, de face. UEF, cnibiyon ?yiMOlri(iue par rapport à un seul axe de dciveioppcmenl. (Balbiani ) dessous, car le système nerveux va d'un côté à l'autre du système digestif. Les parties appendiculaires ou subordonnées se pro- jettent latéralement, à gauche et à droite, ainsi que le montrent les figures que nous plaçons sous les yeux du lecteur (voy. fig. M). 3° Le troisième type d'organisation et de développe- ment est le moins bien fondé des trois et celui qui doit subir les plus radicales transformations. C'est le ti/pe massifs caractérisé par le nom à'evolutio contorta. Il exprime que le développement produit des parties TYPES liMliRYOGl'îNIQUliS. 329 idcnliques courbées autour d'un espace, conique ou autrement disposé. L'appareil digestif est plus ou moins curviligne. L élude plus complète du développement des mollusques a établi que l'enroulement offert par quel- ques-uns de ces animaux n'est pas un fait primitif, pas FiC. 42. — Dûvc'.oppomonl dos niuUusquos; ôvolulioii coiitoiiniéo {evolnlio conloiia de Baoi'). Jeune embryon de gasléi'opode [Massa mvlabilis) vu do profil: A, rein pri- mordial; B, pied; C, anus, au'|ucl aboutit la portion tcrniinalo du Inlio diijeslil' qui com- mence derrière le pied, dcorivaiil ainsi primitivement une forte courbure. (Bobrolzicy.) plus qu'il n'est général. D'ailleurs, Kôlliker lui-môme, à une époque déjà ancienne (1844), a considéré lès mollusques comme des êtres à évolution se faisant uniformément et indifféremment dans toutes les direc- tions, c'est-à-dire qu'il lès a rangés dans le type de Vevolutio radiata. 4° Le quatrième type d'organisation et d'évolution est offert par le grand nombre des rayonnés. 11 con- stitue le type périphérique^ et se développe par le mode appelé evolutio radiata par Baër et Kôlliker. Tout le corps de l'embryon fait saillie à la {ois {evolutio in om~ nibus partibus). Le développement se fait autour d'un centre et produit des parties identiques dans un ordre rayonnant, sur un plan transversal. C'est donc entre le centre et la périphérie que se fait le travail évolutif, et c'est entre ces deux régions qu'existe le contraste essen- 330 LEÇONS SUR LES PHl^.NO.MÈNES DE LA VIE. tiel. Au contraire, le contraste est moins marqué entre le dessus e( le dessous parallèlement à l'axe lonsi- tudinal, ainsi qu'entre l'avant et l'arrière. En con- c FiG. 43. — Dovcloppcmenl des zoopliytos ; cvoliuion rayniinéo {evolulio radiala do Baër). — A, B, C, trois stades de l'cmlji-yon d'une hydre {Hydra auranliaca). — a, eiitodcnno ; — b, cctodernie; — c, enveloppe de l'œuf; — d, d', tentacules présentant d'emblée leur apparence radiée. (N. Kleiuenberg'.) séquence, le type évolutif se trouve être le rayonne- ment. m. Origine et causes de la morphologie. — C'est surtout par l'étude du développement que l'on peut acquérir la notion de l'existence de lois qui règlent la constitution morphologique des êtres. On entrevoit dès les premiers moments un plan idéal qui se réalise degré par degré; on en saisit l'ébauche grossière d'ai^ord, qui se perfectionne et se complète successivement. Le point de départ est identique en apparence : le terme est infi- niment diversifié et l'animal va de l'un à l'autre d'une façon régulière et invariable par un travail toujours le môme dans sa complexité. Si l'on n'a que le point de départ, si l'on voit seule- DE LA MORPHOLOGIE. 331 ment l'ovule primordial, on ne sait rien de ce qui arri- vera; on ne peut prévoir si le résultat du travail forma- teur sera la création d'un zoophyte ou d'un vertébré, d'un mammifère, d'un homme. Il faut, pour prédire l'issue du travail, connaître l'ori- gine de cGproto7jum. Si l'on sait d'où il sort, on sait ce qu'il sera. Ainsi tout le travail morphologique est con- tenu dans l'état antérieur. Ce travail est une pure répé- titio7i : il n'a pas ses raisons à chaque instant dans une force actuellement aciive; il a ses raisons dans une force antérieure. Il n'y a point de morphologie sans prédécesseurs. Dans la réalité, nous n'assistons à la naissance d'au- cun être : nous ne voyons qu'une continuation pério- dique. La raison de cette création apparente n'est donc pas dans le présent, elle est dans le passé, à l'origine. Nous ne saurions la trouver dans des causes secondes ou actuelles; il faudrait la chercher dans la cause première. L'être vivant est comme la planète qui décrit son orbe elHptique, en vertu d'une impulsion initiale; tous les phénomènes qui s'accomplissent à la surface de cette planète, comme les phénomènes vitaux dans l'orga- nisme, manifestent le jeu des forces physiques actuelle- ment présentes et actives; mais la cause qui lui a im- primé son impulsion initiale est en dehors de ses phénomènes actuels et liée seulement à l'équilibre cos- mique général. H faudrait changer le système planétaire tout entier pour la modifier; l'état de choses actuel est le résultat d'un équilibre auquel concourent toutes 332 LIiÇONS SUR LES PllIiNOMKNES Dli LA. VIE. les parties, et qui troublerait toutes les parties si lui- môme était changé en un point. Cette comparaison s'applique à l'être vivant et à son évolution. La morphologie n'est pas plus liée à la ma- nifestation vitale actuelle que les phénomènes des agents physiques à la surface de la terre ne sont liés au mou- vement de noire planète sur le plan de l'écliptique. C'est pourquoi nous séparons absolument la phénomé- nologie vitale, objet de la physiologie, de la morpholo- gie organique dont le naturaliste (zoologiste et botaniste) étudie les lois, mais qui nous échappe expérimentale- ment et qui n'est pas à noire portée. La loi morphologique n'a pas à chaque instant sa raison d'être : elle traduit une influence héréditaire ou antérieure dont nous ne saurions effacer l'influence, une action primitive qui est liée à un ensemble cosmique général que nous sommes impuissants à atteindre. Il en résulte qu'en l'état actuel des choses la morphologie est fixée, et cela, bien entendu, quelle que soit l'idée que nous nous formions de l'évolution qui y a conduit. Que l'on soit Cuviériste ou Darwiniste, cela importe peu : ce sont deux façons différentes de comprendre l'histoire du passé et l'établissement du régime présent; cela ne peut fournir aucun moyen de régler l'avenir. On ne changera pas l'œuf du lapin et, lui faisant oublier l'impulsion primitive et ses états antérieurs, on n'en fera pas sortir un chien ou un autre mammifère. Les limites entre lesquelles la morphologie est fixée, si elles ne sont pas absolues (il n'y a rien d'absolu dans l'être vivant), sont au moins très-restreintes. Si l'on DE LA BlORPlIOLOGllî. OÔÔ cherche à écarter un êlre de sa route, comme cela a heu par la création des variétés artificielles, on sera oblis^é constamment de le maintenir dans la voie non- velle. Les variétés tendent sans cesse à retourner à leur point de départ. Il ne faudrait pas voir dans cette tendance à revenir au départ une force particulière, mystérieuse, qui veil- lerait à la conservation des espèces. Si la chose a lieu ainsi, c'est que l'être est en quelque sorte emprisonné dans une série de conditions dont il ne peut sortir, parce qu'elles se répètent toujours les mêmes en dehors de lui et aussi en lui. Ainsi un Carnivore naissant avec des organes de Carnivore, il faut bien qu'il suive la direction que ses organes lui donnent. C'est antérieure- ment cà la formation de ces organes, antérieurement à la vie adulte qu'il aurait fallu agir; mais cela est im- possible, parce que l'œuf a déjà en puissance l'état adulte, et que sa formation a lieu dans des conditions tellement déterminées qu'on ne peut pas changer sans amener la mort des êtres qu'on voudrait modifier. Il n'est donc pas étonnant que dans de pareilles circon- stances les espèces, les types se perpétuent et se con- servent, et qu'on ne puisse pas porter l'intervention expérimentale au delà de certaines limites. Dans un autre équilibre cosmique, la morphologie vitale serait autre. Je pense, en un mot, qu'il existe virtuellement dans la nature un nombre infini de formes vivantes que nous ne connaissons pas. Ces formes vivantes seraient en quelque sorte dormantes ou expectantes; elles apparaîtraient dès que leurs condi- ÔÔ^i LEÇONS Sun LKS PllliNOJlÈNES Dli LA Vlli. tions d'existence viendraient à se manifester, et, une fois Réalisées, elles se perpétuerdient autant que leurs conditions d'existence et de succession se perpétueraient elles-mêmes. Il en est ainsi des corps nouveaux que forment les chimistes; ils ne les créent pas, ils étaient virtuelle- ment possibles dans les lois de la nature. Seulement le chimiste réalise artificiellement les conditions exté- rieures ou cosmiques de leur existence. Les phénomènes de l'évolution s'exécufent, pour- rait-on dire, par suite d'une cause initiale donnée : leur apparition représente une série de consignes réglées d'avance qui en réalité s'exécutent isolément. Si vous voyez deux organes se développer successive- ment ou simultanément pour concourir en apparence à un but commun, vous pouvez croire que l'influence ou la présence de l'un a commandé logiquement la formation de l'autre; ce serait une erreur : les deux organes se sont développés aveuglément par suite d'une consigne qui peut parfois nous paraître complète- ment illogique, comme le sont d'ailleurs toutes les consignes quand on les considère dans leur applica- tion à des cas particuliers imprévus. Prenons un exemple : si l'on observe le premier développement du poulet on voit le cœur se former dans la cica- tricule, et tout autour s'épanouir un système de vaisseaux, Varea vasculosa^ qui se relie au système circulatoire central de l'embryon. Il paraît bien na- turel de penser que le système vasculaire périphé- rique se forme parce que le cœur de l'embryon le MORPIIOLOGIC lîT PIIYSIOLOGlIi;. 335 commande; il n'eu est rien. Si vous empêchez l'em- bryon d'apparaître, Varea vasculosu ne se produit pas moins, quoique sa fonction soit devenue tout à fiiit inutile. Nous ferons à ce sujet une remarque générale qui sera développée ultérieurement dans des études plus spéciales. Les organes du corps, qui sont tous associés et harmonisés dans leur fonctionnement, ont leur déve- loppement autonome et indépendant. L'organisme re- présente sous ce rapport ce qui a lieu dans une fabrique de fusils, par exemple, où chaque ouvrier fait une pièce indépendamment d'un autre qui fait une autre pièce sans connaître l'ensemble auquel elles doivent con- courir. Il semble y avoir ensuite un ajusteur qui met toutes ces pièces en harmonie. Dans l'organisme animal, c'est le système nerveux qui est le grand harmonisa- teur fonctionnel chez l'adulte. Lorsque cet ajustement des organes dans l'embryon animal ou végétal se fait de travers, par une cause quelconque, il en résulte la mort de l'organisme ou des monstruosités, des malformations, comme on dit ordinairement. Nous voulons bien faire comprendre ce point essen- tiel que la morphologie doit être complètement distin- guée de l'activité physiologique des organes. Les lois morphologiques sont des lois que nous avons appelées dormantes ou expectantes, qui n'empêchent ni ne pro- duisent aucun phénomène vital, qui n'agissent pas et sur lesquelles on ne saurait agir. Le rôle actuel des organes n'est pas la cause qui a déterminé leur formation. M. Paul Janet, dans son 33G I.IiÇONS SUR LES rill-NOMÈNES DR LA VIE. Irailé philosophique des causes finales (i), a rassemblé tous les arguments pour démontrer que les choses sont arrangées, harmonisées en vue d'une fin déterminée. Nous sommes d'accord avec lui, car sans cette harmonie la vie serait impossible ; mais ce n'est pas, pour le phy- siologiste, une raison de chercher l'explication de la morphologie dans des causes finales acluellement ac- tives. Ici comme toujours, l'ordre des causes finales se confond avec l'ordre des causes initiales ou premières. — Prenons encore un exemple. Imaginons que l'on suive le développement d'un être donné, d'un lapin. On verra successivement se constituer les différents organes. L'œil avec sa structure si particulière est organisé précisément afin de permettre au lapin de recevoir l'impression de la lumière et, suivant un partisan des causes finales, c'est ce but qui déterminera sa formation et qui prési- dera à sa constitution successive. C'est contre cet abus qu'il faut prolester en physio- logie, La cause finale n'intervient point comme loi de nature actuelle et efficace. Ce lapin n'arrivera peut- ôtre pas à terme, son œil lui sera inutile; il ne recevra jamais l'action de la lumière. Il en est de même dans le cas d'une poule sans mâle qui pond un œuf néces- sairement infécond. L'organe n'est pas fait dans la prévision de la fonction, car la cause finale serait singulièrement trompée. Ce serait une prévoyance bien aveugle que celle dont les calculs seraient si souvent déjoués. L'œil se fait chez le lapin parce qu'il s'est (1) p. Jmict, Les causes finales, 1876. {Bibliothèque de philosophie contemporaine.) FINALITÉ PllYSIOLOGIQUlî. 337 fait chez ses anlécédeuts et que la nature répèle éter- nellement sa consigne. Ce n'est point pour l'usage que celui-ci en tirera que la nature travaille. Elle retait ce qu'elle a fait; c'est là la loi. C'est donc seulement au début que l'on peut invoquer sa prévoyance : c'est à l'origine. Il faut remonter à la cause première. La cause finale est la conséquence de la cause première : suivant moi, elles se confondent l'une et l'autre dans un inaccessible lointain. La raison qui fait que la poule couve ses œufs n'est pas actuellement de produire le développement du jeune animal. Donnez-lui un œuf de plâtre, elle le cou- vera également et elle poussera des cris si on le lui eulève. Elle couve en vertu d'une consigne que ses antécédents ont observée et non dans un but et par un mobile actuel. Nous n'admettons donc pas que les forces particu- lières qui travaillent continuellement dans un être vivant aient pour loi le salut de chaque être vivant; que ce soit pour cette utilité présente que le conduit biliaire coupé se reforme et que la fibre nerveuse sectionnée se répare et se cicatrise. C'est à tort, à notre avis, qu'on admettrait, dans l'homme comme dans les animaux, une force organique, agissant avec pleine conscience de ses actes, au mieux de ses intérêts. Arislote avait placé dans chaque organe un pouvoir spirituel {^v)(ri OpiTtxiY.c/.), opérant en dehors du 7noi, ignoré de la conscience et agissant pourtant dans les circonstances diverses avec un parfait discernement. Alexandre de Humboldt n'a pas voulu décider si chaque acte orga- CL. UEII.NAIID. 22 338 LEÇONS SUR LES PHÉNOMÈNES DE LA VIE. nique ne supposait pas une force qui l'eut conçu au préalable d'une manière représentative. Pour nous la loi préalable n'existe qu'à l'origine, et tout ce qui est actuel en est le déroulement. En ramenant ainsi la cause finale à la cause pre- mière, le physiologiste l'écarté de son domaine, c'est- à-dire du champ de la science active pour la rattacher à la science spéculative, à la philosophie. La finalité n'est point une loi physiologique ; œ n'est point une loi de la nature, comme le disent certains philosophes : c'est bien plutôt une loi rationnelle de l'esprit. Le phy- siologiste doit se garder de confondre le but avec la cause; le but conçu dans l'intelligence avec la cause efficiente qui est dans l'objet. « Les causes finales, sui- » vaut le mot de Spinoza, ne marquent point la nature » des choses, mais seulement la constitution de la fa- » culté d'imaginer. » Les philosophes qui font effort pour arracher du monde métaphysique le principe des causes finales el l'implanter dans le monde objectif de la nature se pla- cent à un tout autre point de vue que les hommes de science. Les philosophes partent de cette donnée, que tout ce qui est réel est rationnel et que tout ce qui se manifeste est intelligible. Les choses se passent, disent- ils, comme si la cause des phénomènes avait p-évu l'effet qu'ils doivent amener. Cette cause est faite à l'image de celle que nous portons en nous, de la volonté qui préside à nos actions. « Ayant ainsi, en lui, le type de la cause finale, l'homme a été entraîné à la concevoir en dehors de lui, et comme il fait les choses par art ou FINALITÉ FIiySIOLOGIQUE. 339 industrie, il a imaginé que les choses de la nature étaient faites de même par art ou industrie »; c'est là ce qu'ex- prime le mot de Gœthe : la nature est un artiste. On a cru qu'une pensée conforme à celle de l'homme dirigeait vers un but tous les rouages qui fonctionnent dans l'être organisé, et subordonnait à un effet futur déterminé les phénomènes qui se succèdent isolément. De sorte que cet effet final en vue duquel tous les phénomènes se coor- donnent devient rétroactivement la cause directrice de ceux qui le précèdent. Vacte futur qui apparaîtra comme un résultat serait un but toujours présent sous forme d'anticipation idéale dans la série des phénomènes qui le précèdent et le réalisent; il serait une cause finale. C'est là une conception essentiellement métaphysique que l'on peut accueillir à ce titre. Mais l'homme de science envisage seulement les causes ou les conditions efficientes et non, selon l'expression de M. Caro (i), leurs conditions intellectuelles. Il voit l'or- dre, le rapport des phénomènes^ leur harmonie, leur consensus; il reconnaît leur enchaînement prédéter- miné. C'est là un fait irrécusable. A la constatation de ce fait est borné le rôle de la science. M. Janet reconnaît lui-môme à la science le droit de s'interdire toute autre recherche que celles qui ramènent des effets à leurs conditions ou causes prochaines. Sans doute ces causes physiques ou conditions ne suffisent pas à nous rendre compte des phénomènes, mais elles suffisent à nous en rendre maîtres. Que si l'on veut se rendre compte de la cause pre- (1) Caro, Journal des Savants, 1877. 340 LEÇONS SUR LES PHÉNOMÈNES DE LA VIE. mière de celte préordoiuioance vitale, on sort de la science. Qu'il y ait là une intention intelligente et prévoyante, comme le veulent les finalistes, une condition d existence comme le veulent les positivistes, une volonté aveugle selon Schopenhauer, un instinct incomcient comme le dit Hartmann, c'est affaire de sentiment. La cause finale est une de ces interprétations adéquate à la nature de l'intelligence, imaginée pour arriver àla com- préhension des causes premières : c'est, selon M. Caro, une loi de la raison ou mieux la loi même essentielle de la raison humaine confondue avec la loi de causalité. Mais en limitant ainsi la Finalité dans le domaine métaphysique pour satisfaire aux exigencesde la pensée, il faut encore n'en point faire abus. On peut, dans cet ordre d'idées, admettre comme physiologiste philosophe une sorte de finalité particulière^ de Téléologie intra- oryanique : le groupement des phénomènes vitaux en fonctions est l'expression de cette pensée. Mais alors, la cause finale, le but est cherché dans l'objet môme, et non en dehors de lui. Tout acte d'un organisme vivant a sa fin dans l'enceinte de cet organisme. Celui-ci forme en effet un microcosme, un petit monde oij les choses sont faites les unes pour les autres, et dont on peut saisir la relation parce que l'on peut embrasser l'en- semble naturel de ces choses. Cette finalité particulière est seule absolue. Dans l'en- ceinte de l'individu vivant seulement, il y a des lois ab- solues prédéterminées. Là seulement on peut voir une intention qui s'exécute. Par exemple, le tube digestif de l'herbivore est fait pour digérer des principes alimen- FINALITÉ PHYSIOLOGIQUE. 341 taires qui se rencontrent dans les plantes. Mais les plantes ne sont pas faites pour lui. Il n'y a qu'une né- cessité pour sa vie, nécessité qui sera obéie, c'est qu'il se nourrisse : le reste est contingent. Les rapports de l'animal avec la plante sont purement contingents et non plus nécessaires. La nature, pourrait-on dire, a fait les choses pour elles-mêmes, sans s'occuper du con- tingent. Elle ne condamne pas certains êtres à être dé- vorés par d'autres ; elle leur donne au contraire l'instinct de conservation, de prolifération, et des moyens de rési- stance pour échapper à la mort. En résumé , les lois de la finalité parlicuhère sont rigoureuses, les lois de la finalité générale sont contingentes. La conception de finalités particulières peut être un adjuvant pour l'esprit, l'intelligence. Il faut au contraire rejeter toute finalité extra-orga- nique. Pour saisir le rapport de deux objets naturels du monde extérieur, il faudrait saisir ce monde extérieur tout entier, le macrocosme dans son ensemble. Ceci est impossible et le sera toujours comme la limite de la con- naissance humaine. Ajoutons, d'ailleurs, qu'en fait toutes les tentatives de ce genre n'ont abouti qu'à des conclu- sions ridicules ou tombant sous le coup des plus graves reproches. Pour revenir au point de départ de celte discussion, la physiologie signale l'existence des. lois morpho- logiques, mais elle ne les étudie point. Ces lois morpho- logiques dérivent de causes qui sont hors de notre portée : la physiologie ne conserve dans son domaine que ce qui est à notre portée, c'est-à-dire les conditions 342 LEÇONS SUR LES PHÉNOMÈNES DE LA. VIE. phénoménales et les propriétés matérielles par lesquelles on peut atteindre les manifestations de la vie. L'étude des lois morphologiques conslitue le domaine de la zoologie ou de la phylologie. Aristote considérait que, dans l'être vivant, ce qu'il y a de plus essentiel, c'est précisément cette forme qui lui est si profondément mprimée par une sorte d'héritage ancestral. La zoologie était donc pour lui l'étude de la vie même. Aujourd'hui nous séparons la physiologie de la zoologie, parce que nous séparons la phénoménologie vitale de la morpho- logie vitale. La morphologie vitale, nous ne pouvons guère que la contempler^ puisque son facteur essentiel;, l'hérédité, n'est pas un élément que nous ayons en notre pouvoir et dont nous soyons maître comme nous le sommes des conditions physiques des manifestations vitales : la phéno- ménologie vitale, au contraire, nous pouvons la diriger. A la vérité on peut considérer l'hérédité comme une condition expérimentale et l'employer, comme on fait en zootechnie, par les croisements et la sélection. On sul)slitue ainsi des atavismes fugaces à l'atavisme fonda- mental ; mais on met en œuvre, dans de telles expé- riences, une condition qui n'en reste pas moins obscure. C'est, nous le répétons, cette morphologie générale de l'être vivant avec les morphologies parti- culières et indépendantes de ses divers organes ipii constituent le vrai terrain de la zoologie en tant que science distincte. En fixant ainsi son rôle, on fixe du même coup celui de la physiologie et la différence de ces deux branches des connaissances humaines. NEUVIÈME LEÇON RÉSUMÉ DU COURS. Sommaire : I. Conception de la vie. — La vie n'est ni un principe ni une résultante ; elle est la conséquence d'un conflit entre l'organisme et le monde extérieur. — Démonstration de cette proposition par divers déve- loppements. II. Conceplion des organismes vivants, — La vie est indépendante d'une forme organique déterminée. — Loi de construction des organismes. — L'organisme est construit en vue des vies élémentaires. — Autonomie des vies élémentaires et leur subor