T 4.3l Digitized by the Internet Archive in 2015 https://archive.org/details/b21948896_0003 , OE U V R E S DE PIERRE CAMPER. TOME TROISIEME. nu vy V? • 3 O C' <•»•-: i OE U y R E s DE PIERRE CAMPER, QUI ONT POUR OBJET L’HISTOIRE NATURELLE, physiologie ■ET L’AD) ATOMIE C O M P A R £ E. troisieme. PARIS, CHEZ H. 3. JANSEN, RUE DES POSTES, N° . 6 PRES DE L’ESTRAPADE. an XI. I 8 O 3. aa ■ : • ■ : : i ) i . . v ,n h r . 1 :• - > v » ; V f 1 • ' LECONS SUR L’EPIZO O TI E QUI REGNA DANS LA PROVINCE DE GRONINGEN EN 1769, 2 Vi O D & o ( ; ' : t . > i .. s; v. \ PREFACE. V ers la fin de 1768 Pepizootie se declara dans la province de Groningen, particulierement dans le district de la ville de ce nom, mais surtout dans le village de Haren; et, se propageant insensible- ment, enleva, pour ainsi dire, toutes les betes a cornes du village de Helpen. Desce moment , tons les habitans bien intentionnes de ces cantons,amsi que les magistrats de la capitale, songerent since- rement a en arreter les progres. Un des principaux membres de la magistrature fit a M. Van Doeve- ren , mon collegue, et a moi, Phonneur de nous consulter sur les moyens de diminuer les ravages de ce terrible fleau , et d’en delivrer merne entie- rement ce pays, s’il etoit possible. Je crus des-lors qu’il etoit demon devoir d’employer tousmessoins a connoitre la nature de Pepizootie, et j'y consa- crai en consequence les vacances d’hiver. Apres avoir acquis les connoissancesnecessaires, par la lecture des meilleurs auteurs qui ont ecrit sur cette matiere , ainsi que par mes propres obser- vations sur les principaux symptomes de cette ma- ladie, et Pouverture d’un grand nombre de bes- tiaux qui en etoient morls, j’en concluai : que 8 PREFACE. l’epizootie est une maladie naturalisee dans ce pays, qui doit continuer a y regner tantot avec plus et tantot avec moins de violence; de meme que nous savons que cela a lieu avee la petite verole parmi les hommes. Ces considerations me firent croire qu’il ne se- roit pas inutile, de donner quelques lecons pu- bliques sur la structure interne des betes a cor- nes, et d’y joindre Fhistoire dela maladie meme, ainsi que tout ce qui pourroit me paroitre neees- saire pour penetrer mes eleves de l’idee qu’il est du devoir d’un medecin de veiller non-seulement alasante deses concitoyens; mais qu’il lui est ega- lement impose de donner ses soins a tous les ani- maux utiles a la societe, tels que boeufs, chevaux, moutons , etc. Je me flattois que mon exemple serviroit a sti-^ muler les jeunes medecins, parmi lesquels il y en avoit deja plusieurs d’un merite distingue; et que, par la , je rendrois un veritable service a ma patrie L’assiduiteavec laquelle lesprincipaux babitans de cette ville se rendoient a mes lecons sur l’una- tomie, et le desir que plusieurs d’entr’eux temoi- gnoient de s’instruire de tout cequiaquelque rap- port a l’epizootie, me determina a inviter les pro- inoteurs des connoissances utiles en general, et de l’anatomie en particulier, a se rendre a mes le-r PREFACE.. 9 Cons publiques; ce que je fis par le programme suivant : Q. F. F. Q. S. Saviente cum maxime Peste Bovilla Ut rerum Ncitura Hum Studio si rationem morbiy partesque dirissima contagione ad fe etas melius inelligant , IN VITULINO CADAVERE Intestina , et prasertim quee ruminandi facul- tatem , et artificium hoc morbo plane conturbatum spectant , etc. Le succes passa mon attente : l’amphilheatre d’anatomie se trouva plein; ce qui ne fit qu’ac- croitre mon zele, ne nPetant point flatte d’avoir un auditoireaussi nombreux, aussi respectable. Je donnai tous les soins que me permit le peu de terns qui me restoit, aux lemons qu’on va lire; qui toutes cependant furent lues en quatre jours. J’a- voue que, quoiqu’accoutume depuis long-terns a parler en public , je ne me suis jamais trouve plus fatigue, ni en meme terns plus rempli de courage: tant est puissante la presence de personnes res- pectables par leurs talens et par leur merite? io PREFACE. On daigna me donner ensuite quelques eloges , et m’inviter a faire imprimer ces lemons. Mes ele— ves surtout, qui assistoient regulierement a mes demonstrations anatomiques, me le demanderent avec instance. Flatte detous ces temoignages d’ap- probation , je commengai a concevoir moi-meme uneidee favorable de mon travail. On sait que c’est l’amour-propre qui determine generalement nos actions; je resolus done enfin de publier ces qua- tre legons , apres les avoir revues (1). Cependant les cours continuels que j’etois obli- ge de tenir a Tacademie sur l’anatomie et la chi- rurgie , pendant les mois de mars , d’avril et meme de mai , ne me permirent pas d7y mettre la der- niere main. Je n’etois pas satisfait d’ailleursde ce que M. de Buffon avoit dit des dents et des molaires du che- vrotain ; je l’etois moins encore des observations de Perrault sur les estomacs de la gazelle. Je ne pos- sedois aucun de ces animaux dans mon cabinet d’histoire naturelle. M. Van Doeveren me fit pre- sent d’uri jeune chevrotain , et M. Van der Wal d’Amsterdam engagea M. Sprenkelman a me don- ner one jeune gazelle. J’avois dit publiquement , en m’en rapportanta ( i ) Ces legons ont ^te lues publiquement a l’amphitheeltre d ana- tomie de la ville de Groningen. PREFACE. 11 Perrault, « que le gazelle n’a que deux estomacs; « et que le chevrolain a des molaires, comme etant « un animal arrachant, » pa rce que Buffon m’avoit induit en erreur a cet egard. Immediatement apres avoir lu ces lepons je son- geai plus que jamais a faire des essais d’inocula- tion sur lesbestianx. Jepensai qu’ii etoitnecessaire de former pour cela une societe , et communiquai mon projet a quelques personnes de liies amis, qui y donnerent leur sanction. Je crus des-lors devoir publier mes idees sur cet objet, apres avoir engage mon respectable collegue M. Van Doeveren a se- conder mes vues^ ce qu’ii accepta avec empresse- ment. Ayant fonde cette societe le 16 mars 1769, nous eumes la satisfaction de la voir bientot com- poseed’un nombreassez considerable demembres, comme on le verra par la suite , quand il sera ques- tion des essais que nous avons faits. Depuis le 28avril jusqu’au 2 juin je n’avois ino- cule dans les etables de la societe que quatorze bes- tiaux; de sorte que ces epreuves se faisoient avec trop de lenteur. A mon arrivee en Frise , je trouvai que la mor- tality regnoit avec beaucoup de fureur principale- ment du cote des bois; tandis qu’elle avoit presque entierement cesse dans la province de Groningen 5 demaniereque je commencaia craindre que je ne pourrois rien laire d’ulile pour la province de 12 PREFACE. Frise , ce qui neanmoins etoit mon principal but. Quelques personnes respectables m’interrogerent sur la reussite de mes experiences; mais je n’etois pas encore en etat alors de rien statuer de certain. D’ailleurs, la petitesse de notre etable et nos occu- pations a Groningen ne nous permettoient pas d’es- ■# perer de pouvoir communiquer bientot nos obser- vations au public. Je formai doncleprojet d’inoculer le plutotpos- sible cent veaux d’un an dans l’endroit oil la conta- gion regnoit actuellement. M. lemedecin Munniks s’offrit demettre tous ses soins aux essais que je ju- gerois convenables de faire, et dont ilm’avoit deja vu executer la plus grande partie. Persuade de son zele et de sa laborieuse patience , par les preuves qu’ilm’en avoit donnees pendant qu’il etoit mon ele- ve a Groningen , j’acceptai avec plaisir sa proposi- tion. Je formai done mon plan, et crus n’a voir besoin que de deuxmille florins, que je divisai en quarante actions de cinquante florins chacune. Je ne tardai pas a recevoir la souscription de vingt actions ; et cette societe formee pour la Frise seule fut eta- blie le 16 juin. Le zele s’accrut a tel point, qu’en tres-peu de terns je vis non - seulement les qua- rante actions remplies , mais il se presenta encore vingt nouveaux souscripteurs vers le milieu de juillet; de sorteque la societe se trouva avoir trois rnille florins en caisse. PREFACE. i3 Le but principal de la societe etoit de fairecon- noitre avec assez d^xactitude par des essais sur un grand nombre de veaux d’un an : i°. La propor- tion qu’il y auroit entre les bestiaux gueris et ceux qui viendroient a mourir; 2°. d’examiner si les bes- tiaux gueris, etant places parmi ceux qui etoient, naturellement malades, ou inocules une seconde fois , se trouveroient de nouveau attaques de la maladie contagieuse ; 3°. si l’on pourroit em- ployer avec fruit quelques remedes, particuliere- ment les herbes medicinales qui croissent naturel- lement par-tout dans ce pays? Mon intention etoit de ne pas faire de clioix dans la matiere variolF- que , afin de me rapprocher le plus possible de l’e- pizootie naturelle. Cependant l’augmentation de mille florins que venoit de recevoir notre caisse, nous procura les moyens de donner plus de latitude lx nos essais. Je me delerminai en consequence a inoculer des vaches laitieres et des genisses ou des vaches qui portoientpour la premiere fois , ainsi que des veaux quiruminoient deja. Jepensai, que,parmes epreu- Ves sur les premieres je travaillerois pour l’avenir, et que par cellessur les veaux, je serois utile pour le moment actuel. Je crus aussi quJil falloit varier les manieres d’inoculer, afin de savoirsi elles con- venoient mieux que celies que d’autres avoient in- diquees. Je me determinai egalement a inoculer i4 PREFACE, de nouveau des betes qui avoient deja ete gueries de Pepizootie naturelle. Tous ces essais n’avoient pour but que d’acquerir des connoissances dans Part de guerir le betail. Les soins constans que je donnai a un objet de cette importance; la lecture repeteedesprincipaux ecrivains qui ont traite de cette matiere et. dont le nombre augmentoit chaque jour; porterent mes reflexions sur Pinfluence que Pepizootie a sur les manufactures et sur la nature des ordonnances et des reglemens du gouvernement publics tant en 171,5 que par la suite. Autant que j’ai pu m’enap- pergevoir Putilite des citoyens et leur bonheur en ont ete constamment les objets; mais ils n’ont ja- mais ete appuyes sur Pexperience. D’ailleurs , les soins prevoyans qu’on a employes a cet egard , quoique ayant pour but le bien general, ont ete rendu infructueuxparle caprice deshabilans : aussi faut-il convenir que la nature de ce pays ne per- met point de se soumettre a toutes les restrictions qu’on vouloit imposer. Apres avoir parle des experiences faites pour operer la guerison, j’examinerai : i°. si les peaux des betes mortes de Pepizootie peuvent reellement communiquer la contagion , et combien de terns agitcette vertu morbifique? 2°. Si le suifet la chair de ces bestiaux sont contagieux , et pendant quel espace de terns cela dure apres leur mort? 5°. En- PREFACE. 1 5 fin , si la viande salee ou fumee peut communi- quer la maladie a ceux qui en mangenl ? Je pense queces considerations pourronletrefavorablesaux manufactures, eta tout ce quien depend; et peut- etre meme les magistrats de ce pays pourront-ils en tirer quelque a vantage. Je publierai le plutot qu’il me sera possible le resultat de ces experiences, avec toute la franchise qui convient; afin que les Frisons qui ont ete les seuls a les encorrager, et dont le betail se trouve si cruellement attaque de l’epizootie, puissent re- cueillir le fruit de leur generosite et de leurzele pour le bien de leurs concitoyens. MM. deBlok/V an Scheltinga,Idema et lemedecin Coopmans ont procure a M. Munniks les moyens de multiplier ces essais , en lui faisant passer des bestiaux pour les inoculer 5 et M. G. L. Steens- ma de Midlum s’est joint a eux pour le meme ob- jet; ce qui ne peut servir qu’a encourager le zele de quelques autres personnes a faire les memes experiences, et par consequent a leur donner un degre de certitude qui servira a faire connoitre si 1 inoculation de 1 epizootie doit etre consideree comme avantageuse, ou s’il est a craindre que ses effets soient nuisibles. Avant de terminer cette preface , je dois obser- ver que ce n’est que long-terns apres avoir lu et corrige ces lemons, que j’ai eu connoissance de Fad- i6 PREFACE. lnirable ouvrage de M. Elko Alta , publie en 1765; ce qui me fache d’autant plus, qu’il avoit, comme moi, conclu d’un grand nombre d’observations ( page ij ) , que cette maladie s’etoit naturalisee dans ce pays, et que c’etoit une veritable epide- mie. Cet estimable ecrivain a pareillement prouve Futilite de ^inoculation , qu’il a pratiquee lui-me- me le premier en Frise. Depuis j’ai eu la satisfac- tion de faire sa connoissance et de tirer de gran- des lumieres des entretiens que nous avons eu en- semble sur cet objet. J’offre cet ouvrage au public , non comme un traite complet sur Fepizootie, mads comme un es- sai sur les principales connoissances necessaires pour parvenir a se former une idee exacte des par- ties de l’animal qui sont les plus affectees par la maladie , ainsi qu’une histoire concise de la con- tagion elle-meme. Le 14 aout 1769. P. CAMPER. LECONS D SUR L’EPIZOOTIE. PREMIERE LECON Des principaux vaisseaux sanguins clu cou, des jarnbes de derriere et de devant des betes d cornes , et de la position naturelle de leui's in- testins dans le venire. Peut-on etre surpris, messieurs, que je vous aie invite k venir entendre ceslecons publiques sur la structure des parties affectees par la deplorable maladie qui regne sur nos betes a cornes ? tandis que nous nous trouvonstous interesses a leur con- servation; et que d’ailleurs , sensibles aux malheurs de nos concitoyens, nous sommes naturellement portes a employer tous les moyens qui peuvent contribuer a augmenter la prosperite de Tetat. Les betes a cornes nous donnent non-seulement in. 2 i8 LEMONS du lait, du frontage , dn beurre, de la viande , du suif , des peaux , du poil , des cornes, de la colle; mais en meme terns toutes sortes de lecm- ' O mes , et surtout des grains , pour outant que leur fumier est necessaire a l’engrais de nos champs. On sait d’ailleurs que la plus grande parlie du ter- rain de la Republique est destinee a des patura- ges, ou Fon voit avec ravissement des millions de bestiaux , dont il n’y en a nulle part ni d’aussi beaux, nid’aussi abondans en lait. Toutes les clas- ses de citoyens jouissent parmi nous de cet inesti- mable tresor; des milliers meme n’ont pas d’autre richesse, ni d’autre moyen d’exister: ceux-ci doi- vent done craindre de se voir reduits a la plus ex- treme misere, si cette terrible epizootie continue a nous enlever la plus grande partie de nos bes- tiaux. II est par consequent du devoir de tout bon ci- toyen de chercher a trouver des moyens propres a defendrecontre la contagion des bestiaux qui con- tribuent si puissamment, comme je l’ai dit, a no- ire existence et a notre bien-etre. Mais ce devoir nFest surtout rigoureusement impose, a cause des sciences que je suis charge d’enseigner a Facade- mie, lesquelles ont une connexion plus inlime que celles de mes collegues avec le but salutaire dont il est question, _ Je ne regretterai point le terns que j’ai dejt\ em- SUR l’epizootie. 19 ploye et que je me propose de consacrer encore a faire des recherches sur cette funeste maladie, si par-la je parviens a seconder vos sages vues , en vous aidant a decouvrir les causes de ce tleau. Ces essais serviront du moins a exciter le zele des ele- ves en medecine, dont les efforts seront peut-etre plus heureux , en suivant la marche que je leur aurai tracee. Cet espoir flatteur me remplit deja d’avance de la plus douce satisfaction. Mais tandis que des personnes distinguees par leur merite personnel veulent bien m’honorer en ce moment de leur presence et encourager mes efforts, ily en a certainement d’autres qui, tou- jours mecontentes de tout ce qu’on peut entre- prendre pour le bien general , ne manqueront pas de dire hautement que ces essais ne sont que de vaines et inutiles speculations; que Tepizootie est Teffet d’une juste punition de Dieu ! coinme si toules les maladies dont le ciel afflige Tliumanite ne doivent pas etre considerees comme de sembla- bles ehalimens; et contre lesquelles cependant ces declamateurs sont les premiers a employer les re- medes connus. Et qui parmi nous seroit assez de- pourvu de bon sens pour ne pas croire qu’il est non-seulement permis de chercher a soulager nos maux ; mais que c’est meme un devoir que nous impose la nature? D aulres pretendent que ce n’est qu’aux fer- 20 L E C O N S miers et aux bouviers seulsqu’ilappartient de con- noitre par experience ce qui peut etre salutaire aux betes a cornes ; tandis qu’on sait cependant que la plupart d’entre eux, pour ne pas dire tous, ne possedent nullement les connoissances neces- saires pour soigner ces bestiaux d’une maniere con- venable aux interets des proprietaires. Mais supposons qu’on abandonnat aux gens de la campagne le soin de traiter le betail pendant l’epizootie; quel avanlagepeut-on attendre de per- sonnes qui, malgre leur zele et leur attention , sont incapables d’avoir quelque idee des causes et des symptomes de cette maladie ? II n’y a que les medecins seulsquipuissent con- noitre le siege de la maladie, sa nature et ses ca- racteres; et parce que les efforts de plusieurs d’en- tre eux, tant de ce pays qu’etrangers, parmi les- quels on compte quelques hommes de merite , ont parujusqu’a present infructueuses relativement a saguerison, faudra-t-il pour cela l’abandonner , ainsi que la conservation des bestiaux sains , aux decouvertes fortuites d’une tourbe ignorante? ou bien, nous laissant aller au desespoir, resterons- nous dans l’inertie, sans chercher a decouvrir des moyens efficaces pour parer a l’une et a l’autre? Je sais qu’un zele religieux mal-entendu, que la superstition , et ce qui est plus meprisable encore, une basse jalousie , condamneront les efforts que 21 sub. l’epizootie. nous pourrons faire, et qu’on cherchera meme a les rendre infructueuses; mais je suis convaincu aussi que , d’un autre cote , un grand nombre de per- sonnesbien intentionnees de cette ville et des can- tons voisins , voudront bien ecouter nos conseils et faire les sacrifices necessaires pour subvenir a des frais dont elles pourront non-seulement re- cueillir elles-memes les fruits, mais qui tourne- ront pareillement a Favantage general du pays, si nous parvenons un jour a trouver quelque speci- fique contre ce cruel fleau. La plupart de ces antagonistes s’ecrient : Pour- quoi done n’extirpez-vous pas la maladie conta- gieuse par vos remedes? et d’ou vient que les sa- vans de FEurope entiere ne sont pas parvenus en- core a decouvrir les moyens d’arreter nne epide- mic qui, dans ce siecle, a deja enleve tant de mil- lions de bestiaux? Mais qui est-ce qui ne s’apper- .o dit Festus, est pars colli , quo esca devoratur y unde rumare dicebant quod, nunc ruminare. (( Ainsi, le rumen est celte parlie du cou par le- u quel l’animal avale ses alimens, etc. )) Ces mots olfrent done moins l’idee de rerndcher que de rea- (1) Dc Verb . signif. doc. ruminare , lib. XVI, png. 461. 5i sun l’epizootie. vciler , on plutot de faire remonterles alimens et de les reporter vers la bo ache. Chez les anciens, Aristote , que Pline suit, pour ainsi dire, lilteralement dans son Histoire natu— relle , et Galien , sont ceux qui ont le mieux parle de la rumination. Chez les modernes, Peyer s’est distingue particulierement sur ce sujet dans sa Mericologia y cependant Perrault 1’a surpasse en- core en ceci dans sa Mechanique cles animaux pag. 45o; et c^est de Ini que les auteurs du Die- tionnaire encyclopedique ont pris leur article : tous cependant ont ele plus attenlifs a indiqufir les parties qui distinguent les animaux ruminans de ceux qui ne ruminent point , qu’a expliquer le me- canisme meme de la rumination. Je ne vous parle point ici de Buflon , parce que vous avez pu concevoir deja paries citations que j’ai faites de lui dans les deux premieres lemons, toute l'admiration que nPont inspire les ecrits de ce grand homme, et ses observations sur la rumi- nation. Je passe a dessein sous silence le superfi- ciel naturaliste J. T. Klein , quoiqu’il ait fait nai- tre quelques doutes (1) a Linnaeus sur les quadru- pedes, et qu’ii ait fait quelques observations sur la rumination, qui, pour la plupart, sont em- (1) Summa d/tbiorum circa classes quadruped., et amphib. in Celeb. D. Linnaef Syst. Nac. Lipsiae 17/13, m-40. 5 2 LECONS pruntees de Peyer , de Wotton et d’Aldrovande. II y a un grand nombre d’animaux qui posse- dent cette admirable faculte de ruminer; tels sont le chameau de la Bactriane ou a deux bosses, au- quel nous donnons mal a propos le nom de dro- madaire ; la grande famille des boeufs , desbuf- fles , des bisons , les quadrupedes a cornes , tels que cerfs, rennes, elans, gazelles, antilopes, chevres et moutons, sans exception, et le chevrotain sans cornes, etc., ruminent tous. Les lievres, les la- pins, les marmottes etquelques autres qui ont deux dents par en haul et deux par en bas, sont pareil- lement doues de cette faculte. C’est-a-dire , pour m’expliquer plus clairement, que tous ces animaux commencent par se remplir Festomacj ensuite , par un mecanisme singulier , qui differe cependant beaucoup du vomissement, ils font remonter successivement une parlie des alimens dans leur bouche , les broient fort long- tems entre les molaires et les avalent ensuite une seconde fois, pour les porter dans un estomac pai'- ticulier , ou bien dans une autre partie du meme estomac, lorsqu’ils n7en ont qu’un seul. II paroit que le but'du Createura ete de four- nir a ces animaux la facilite de rassembler prompa tement leurs alimens , car tous mangent beaucoup k-la^fois , relativement a leur grandeur. II leur faudroit par consequent trop de terns si ces alimens 55 sun l’epizootie. devoient etre broyes assez menus avant que d’etre avales. La plupart de ces animaux , qui sont d’un naturel fort craintif , a cause des ennemis qu’ils rencontrent par-tout , n’ont pas beaucoup de terns a donner a leur pature : ils coupent et avalent par consequent aussi vite qu’il est possible la quantite d’herbes qui leur convient, vont ensuite se ca- cber, ou se reposer, comme nos animaux domes- liques, et ruminent a leur aise cesalimens, qui , dans leur estomac, ont deja subi une petite alte- ration ou coction. Comme on a trouve dans les principaux ani- maux ruminans plus d’un estomac, etmemejus- qu?a quatre estomacs, on a pense, des les plus an- ciens terns , que quatre estomacs etoient absolu- ment necessaires pour la rumination , ainsi qu’on levoit, entre autres,chez Galien (1), qui dit ron- dement , qu’on s’exposeroit au ridicule si l’on osoit pretendre que les chiens ont quatre estomacs et que les animaux ruminans n’en ont qu’un. Buffon , cet admirable naturaliste , est cepen- dant encore imbu de ce prejuge : il pretend que les lievres ne ruminent point (2), et cela simplement (1) Comment, a in lih. Hipp. dc Nat. hnman. Ed. Brassavoli, c'' 7> Pag* 182. H Sic si quis canibus quatuor ventriculos affirmaverit , unicum veto ruminaniibus , deridebitur. (2) Tom VI, pag. 254. 54 LEMONS parce qu’ils n’ont qu’un seul estomac; tandis que, d’un autre cote , il nie fortement , quoiqu’a tort , que le cochon des Indes Occidenlales a glande mus- quee sur le dos , qu’il appelle pecari y n’est pas muni de quatre estomacs ( 1 ); quoique le celebre Tyson les ait fort bien representes et decrils; et , cequiest plus surprenant encore, non-obstant que ces quatre eslomacs aient ete representes et decrits dans son propre ouvrage par Daubenton, pi. VII, fig. 2 , tom. VI. Je ne considere done sesraisonnemens que com- me des moyens de subterfuge, sans lesquels il lui etoit impossible de se tirer d’affaire ; car dire que le pecari n’a pias quatre , mais settlement trois es- tomacs, ne prouve rien de particular; vu que cbez les betes a cornes, les moutons, les chevres el les cerfs , la panse ne forme qu’un estomac avec le bonnet , et que par consequent ils n’auroient , cotnme le pecari , que trois estomacs , ainsi qu’il le dit lui--meme, tom. IY, pag. 46o : « Les deux « estomacs ne forment qu’un meme sac; » et pag. 46 1 : « Le bonnet n’est qu’uhe portion de la « panse. » Et dependant il reconnoit , avec raison, que la rumination a lieu chez ces animaux. (i) Sits umbilicum in dorso gerens , Aldrov., ou sits ccauda- tus folliculum in dorso gerens , BrisSonji , Reg. arum. , pag. 0 , ou sits dorso cystifero canda nulla , Linn. , edit- X , pag. 5o. 55 sur l’epizootie, La nature raontre souvent combien peu sa puis- sance est bornee, en variant a l’infini le meca- nisme des animaux , et par combien de moyens differens elle parvient avec la meme perfection a remplir le meme but. Les singes , par exemple , remplissent, aussi promptement qu;il leur est pos- sible , non leur estomac , mais deux poclies ou abajoues qu’ils ont de cliaque cote de leurs ma- choires, et qu’on peut considerer comme un pre- mier estomac. Ensuite ils remachent , si je puis m’exprimer ainsi, leurs alimens a leur aise, de la meme maniere que le font les betes a cornes. Le banister ordinaire (1) a de semblables parties, qui se trouvent fort bien representees chez Buffon, tom. XIII, pag. 119, pi. XVI, dans lesquelles cet animal vorace fourre d’abord le grain qu7il vole , et qu’il cache ensuite ailleurs pour s’en nourrir quand la faim le commande. Les animaux veritablement ruminans n’ont point de pareilies poches pour cacher leurs alimens, mais un double estomac, ou plutot un estomac qui sem- ble partage en deux parties. Ils ne peuvent done faire autre chose que remplir le premier de ces es- tomacs, pour ensuite faire vemonter par parties vers leur bouche et ruminer les alimens qu7ils ont commence par avaler. (1) Valentini , Theat. zoot., part. I, pag. i54i tab. 3a. Linn., Mus. , sp. 6. Edit. X , pag. 60. 56 L E g O N s Ne voyons-nous pas que la sage nature a place dans le ventricule des crabes et des ecrevisses des molaires pour y macher et broyer leurs alimens avant qu’ils passent dans les intestins; de sorte que, si je puis me servir de cette comparaison , la rumi- nation se fait chez eux dans l’estomac meme. L’autorile de quelques membres de PAcademie des sciences de Paris et celle de Perrault(i) pour- roit nous induire en erreur et nous faire croire que les gazelles n’ont que deux estomacs et qu’ils ruminent cependant ; car ils disent formellement que la gazelle rumine quoiqu’elle n’ait que deux estomacs ; et qui plus est , ils ont represente ces deux estomacs 3 tandisque j’ai observe le contraire dans un jeune sujet de cette espece, lequel ressem- bloit parfaitement par sa figure, ses oreilles, ses yeux et les brosses de ses jambes de devant a ceux dont parlenl les membres de PAcademie des scien- ces de Paris et a celuiqueBuffon a decrit.Ce jeune animal avoit quatre estomacs, qui ressembloient a ceux de nos jeunes agneaux et aux quatre esto- macs du chevrotain. Je conserve ces estomacs rem- plis d’air et vernis , afin de pouvoir produire un exemple du peu de fidelite et d’exaciitude meme des hommes les plus celebres. La representation et la description des estomacs de la gazelle que Per- (i) Otivraftes adopies , tom. I., pag. 92. Ces estomacs sont se- pr^senies ibid. , pag. 84 , fig- 1 • sun l’epizootie, ^7 rault a donnees avec tant d’emphase , ne doivent. etre considerees cjue comme une pure fiction. Les exemples suivans nous convaincront que les animaux n’ont pas hesoin de quatre estomacs pour ru miner. Les lievres, on le sait , ainsi que les lapins et au- tres animaux de cette espece, que Linnaeus a range , assez mal a propos, dans la classe des mures , n ont qu’un seul estomac, pi. XXVIII, fig. 7, A.B.; mais, par l’insertion singuliere de l’oesophage C. D. , il semble figure a peu pres comme s’il y en avoit deux B. 1). et A. D. Ces animaux ruminent incon- testablement , rnalgre le doute que Buffon a voulu fafre nailre a cet egard; ainsi que je le prouverai preremptoirement. dans la suite, par la position de leurs molaires. L’estomac des chevaux paroit partage en deux parties, dont la premiere, lisse en dedans, s’etend comme le jabot d’un oiseau; la seconde est, coni- ine celle de l’liomme , inegale et garni de vaisseaux absorbans , ainsi que Daubenton l’a fort bien in- dique(i'). Cependant le clieval ne rumine pas; non parce que la nature ne lui a pas donne un plus grand nombre d’estomacs, mais parce que cet ani- mal, qui n’y est pas destine, n’a pas les molaires faitesni la machoireinferieurearticulee pour cette (1) Tom. IV, pag. 32 , pi. V, fig. 2. 58 L E C O N S operation. II paroit done par- la que le nombre d’estomacs n’a rien de commun avec la rumi- nation. Les moutons , les cerfs , les gazelles et les che- vres n’ont reellement que trois estomacs: la pause et le bonnet n’en torment qu’un, le feuillet est le second et la cailletie le troisieme. Ajoutez a cela que les alimens quel’animal a ruminespassentim- mediatement de Toesophage dans le feuillet, et de la dans la caillette ; de maniere qu’on pent dire que la rumination ne demande reellement que deux estomacs. Le coecum est egalement ici de peu d’impor- tance, quoique BuflFon veuille en faire usage (1). II est bien vrai que les boeufs ont le coecum petit, coniine je l’ai fait, voir il y a quelque terns ; mais les chiens, les renards et tout ce genre d’animaux ont egalement le coecum petit; tandis que les lie — vres et les lapins en ont,au contraire,un fort long et fort gros tourne en forme de vis. II me semble qu’on nesauroiten conclure rien d’autre si ce n’eSt que la consistance des excremens depend de la grandeur et de la longueur du coecum. Les boeufs, chez qui cet intestin a trente-quatre pieds de long, sans valvules, rendent une bouse fort molle. Les moutons, dont le coecum est beaucoup plus grand, (i)Tom. VI, pag. i55. sun l’epizootie. j9 proportion gardee, puisqu’il a vingt pieds de long, et les cerfs cliez qui cet intestin est de vingt -sept pieds en y comprenant le boyau rectum, fait des crottes; ce qui prouve suffisamment qu il y a peu de rapport entre ceLte partie et la rumination; ce n’est que la derniere coction qui se fait dans cet intestin. Ce seroit avec raison que vous me demanderiez si les pieds des animaux peuvent nous indiquer s’ils ruminent? Vous voyez que ce pied de devant d’un chameau est garni d’une semelle , laquelle couvre la plante du pied en partant de deux lar- ges ongles , 1 esq u els se terminent sur les doigts de ce pied. Cette semelle differe beaucoup du sa- bot du cheval , lequel est compose d’une corne ronde; tandis que la semelle du chameau est un morceau de cuir mou , qui couvre la graisse car- tilagineuse de la plante des pieds, et qui n’est guere plus epais que la peau ordinaire de cette partie dans l’homme. Cependant le chameau , dont les pieds different taut de ceux desboeufs, des mou- tons, des cerfs, etc. , rumine; tandis que les pores qui , comme le renne , ont les pieds parfaitement fourchus, ne ruminent pas. Le chevrotain , le plus petit de tous les animaux a pieds fourchus , a , comme la gazelle, huit dents incisives dans la machoire inferieure, deux dents canines a la machoire superieure , comme les cerfs, 6o L E g O N s et quatre molaires par en haut et par en bas, coni- ine tous les animaux ruminans. Buffon nous a in- duit en erreur en disant qu’il a des molaires comme les animaux carnassiers (1). La description anato- mique qu’il a donnee de ce singulier animal est d’ailleurs fort defeciueuse. Ayant eu occasion de dissequer un jeune ani- mal de cette espece, qui avoit ete conserve long- terns dans de l’esprit de vin, j’ai trouve qu’il avoit une glande avec une grande ouverture ronde sous chaque oeil ; c’est-a-dire , a l’endroit ou l’on sait qu’en ont nos cerfs et les autres animaux de cette espece. Buffon s’est done trompe en disant que (( Le chevrotain n’a point de larmiers ou d’enfon- « cemens au-dessous des yeux , comme les cerfs , (( les gazelles , etc. j » mais cette discussion m’e- carteroit trop de mon sujet. Voici un dessin des quatre estomacs du chevro- tain , pi. XXVIII, fig. 4, ainsi que de son foie et de sa rate. Toutes ces parties ressemblent si parfaite- ment a celles d’un jeune veau, qu?on pourroit croire que e’est la figure reduite de celles de ces animaux ; mais je puis vous assurer que cette representation est exacte et de la grandeur nalurelle des visceres du chevrotain , que je conserve dans mon cabinet d’histoire naturelle. (1) Tom. XII , pag. 346. sur l’epizootie. 61 Cet animal rumine done, malgre le cloute que Buflon a voulu faire naitre a cet egard. o En portant un regard attentif sur ce que Moi’se dit ( Levit . n , vers. 3 et 4), on trouve que le si- gne caracteristique par lequel il distingue les ani- maux purs et impurs ne consiste pas, et avec rai- son , dans les quatre estomacs, mais dans la rumi- nation lorsqu’elle se trouve chez un animal qui a les pieds fourchus. Le chameau etoit impur, parce qu il rumine bien , mais il n’a point I’ongle di- vis d , comme vous le voyez en effet par ce pied de devant. L ’animal a deux ongles et la plante en- tiere, par consequent ses ongles ne sont pas four- ebusj car, quoiqu’ils paroissent isoles en dessus, cetfe division ne va que juseju’a la plante du pied. Ensuite (vers. 5 et 6) Moi'se dit, que les lievres et les lapins sont impurs 3 car ils ruminent bien, mais ils n ont point I’ongle divise ; e’est-a-dire, point fourchu } mais ces animaux ont, comme les chats et les renards, les pieds de devant divises en cinq doigts, et ceux de derriere en quatre doigts. Au premier coup - d’oeil on pourroit croire que les enfans d;Israel etoient fort bornes dans les es- peces d alimens dontils pouvoient se nourrir j lan- dis que le contraire paroit quand on reflechit sur les differentes especes d’animaux qui tout a-la-fois ruminent et ont les pieds fourchus. Ils forment, comme Fa fort bien remarque Bulfon , le plus 6a LECONS grand nombre sur toute la surface de la terre (1); car, outre qu’on en trouve beaucoup en Asie , en Afrique et en Europe, et que ces animaux aiment pour la plupart , comme il paroit , les climats chauds , on rencontre dans la partie la plus sep- tentrionale del’Europe meme une grande quanlite de rennes et d’elans, qui tous ont les memes pro- prietes. Comme tous les principaux animaux ruminans n’ont de dents incisives que dans la machoire in- ferieure , sans en avoir dans la superieure , on pourroit s’imaginer que cette propriete est un si- gne certain de la rumination ; tandisqu’on est con- vaincu du contraire par les lievres , les lapins, les- quels ont non-seulement deux grandes dents in- cisives dans la machoire superieure , mais meme deux autres plus petites derriere celles-ci , ainsi que vous le voyez par les letes decharnees de ces animaux que voici , et que Bulfon a representees d’une maniere fort exacte. L’agouti, le porc-epic , le rat et la souris n’ont point ces dents de derriere dans la machoire superieure , et ne imminent cer- tainement pas; landis que les lapins et les lievres imminent incontestablement. J’ai dit plus haut ce que je pensois relativement au grand but que la nature s’est proposee dans la (i) Tom. XII , pag. 357. s u r l’epizootie, 63 lumination 5 savoir , qu’elle donne aux animaux qui ont besoin de beaucoup de nourriture , le moyen de triturer a leur aise lenrs alimens , sans etre obliges de paitre continuellement. Pour cette raison , les dents incisives de la machoire supe- rieure n’ont pas le moindre rapport avec la rumi- nation 5 elles ne servent qu’a couper les alimens assez menus pour qu’ils puissent passer facilement par Poesophage. Le boeuf, le mouton , la chevre , le cerf et au- tres animaux semblables , ont la langue longue , couverte dune membrane garnie de mille petits crochets. Ces animaux cueillent Pherbe, et ont as- sez de fermete dans le bourrelet de la machoire superieure pour la casser. Les lievres et les lapins coupent Pherbe. Le chameau , le cerf et le chevro- tain ont de plus des dents canines, parce qu’ils se nourrissent d'alimens plus grossiers,telsque bran- ches d’arbres, femlles, chardons, etc. , qu’ils peu- vent, par ce moyen , arracher facilement. Le cha- meau a six dents canines dans la machoire supe- rieure et quatre dansPinferieure , lesquelles, quoi- que lort saillantes, Pempechent aussipeu dernmi- ner que les deux dents canines de la machoire su- perieure du cerf et du chevroiain. Les dents de derant ont par consequent anssi peu de rapport que les ongles avec la rumination. On doit done chercher les veritables caracteres 64 LECONS de la rumination dans les molaires , dans le peu de largeur de la machoire inferieure et dans la place qu’occupe son articulation. Void la tete d’un chameau et sa machoire in- ferieure 5 void celle du veau que j’ai disseque dans les precedentes lecons. Voyezla tele decharnee du mouton , ainsi que celles du lapin et du lievre. Joi- gnez-y celles du cerf, de la gazelle et. du chevro- tain ; on s’appergoit facilement quetous ont la ma- choire inferieure beaucoup plus etroite que celle d;en haut, et qu’elle est exactement de la largeur des mollaires du fond de la bouche, si ce n’est qu’elle est peut-etre un peu plus large. Observez, je vous prie, le mouvement oblique des tetes de la machoire inferieure dans les cavitesde l’os tem- poral et les raies transverses que ce mouvement oblique a imprimees dans les molaires. Peyer (pag. i4) a , je Pavoue , observe ces raies transverses , mais il a neglige , ainsi que tous les autres natu- ralistes, de porter son attention sur la forme etroite de la machoire inferieure , si indispensablement necessaire pour produire cet effet. Cette forme etroite, surtout de la partie anterieure des deux machoires fait que les dents canines du chameau, du cerf et du chevrotain , n;incommodent pas ces animaux dans leur mastication 5 et c’est peut-etre pour cette raison seule que le chameau a le mu- sea u si pointu. suit l’epizootie. 65 Si maintenant nous comparons cette disposition de la machoire inferieure, des molaires et de Par- ticulalion de la machoire avec celle du lion , du chat, du chien, du renard, que voici, on s’apper- cevra facilement que ces parties sont faites pour que ces animauxpuissentbriserpar un mouvement de la machoire inferieure debas en haul , et jamais oblique , leur proie, apres qu’ils Pont mis en lam- beaux. La pointe aigue des molaires nous prouve evidemment que ces animaux carnassiers nebroient ou ne machent point, mais qu’ils cassent ou bri- sent seulement leur nourriture, ainsi qu’on pour- roit le faire avec des tenailles. Observons maintenant ces tetes decharnees de 1 homme et de dilferentes especes de singes , et nous verrons que la couronne des molaires est plate, que les machoires inferieure et superieure sont de la meme largeur, et que le mouvement de la machoire inferieure est si libre que Phomme peut , ainsi que les quadrumanes , broyer fort menus entre ses molaires les alimens dont il se nourrit. Voici maintenant le crane d’un babi-roussa, que Bulfon ( 1 ) a represente assez bien , si ce n’est qu’il est trop court. Remarquez-en les molaires , ainsi que les machoires , et vous ne pourrez douler (i) Tom. XII, pi. 48. 1 1 1. 5 66 LEMONS, que ces animaux doivent tous etre exclus de la classe des ruminans, malgre que Peyer (pag. 43) en ait doute. Le pecari ou cochon a glande mus- quee pres de la croupe a la meme espece demolai- res;ilnerumine par consequent pas, quand meme il auroit six estomacs. Les rats et les souris ont la couronne des molai- res tuberculee, et aussi large par le haut que par le bas; ils ne peuvent done pas ruminer. Les porcs-epics et Pagouti (dont Linnaeus a , se- lonmoi,simal a propos place le dernier parmi les rats) meuventen mangeantla machoire inferieure droit en avant ; aussi ont-ils les rainures dans les- quelles se meuvent les teles de la machoire infe- rieure placees droit en avant; tandis que celles des animaux ruminans sont placees obliquement ; et leurs molaires , qui ont la meme largeur par en haut et par en bas, sont rendues fort lisses par le frottement ; de sorte qu’on pent se convaincre de ce mouvement en avan t par la maniere don t les mo- laires se trouventemoussees. Iiestdonc impossible que ces animaux puissent ruminer. Je conserve , pour cette raison, dans ma collection la tete d’un porc-epic, et le squelette d’un agouti. Mes obser- vations sur ce mouvement de la machoire ne sont pas neuves; Peyrec en avoil deja parle pag. 176. Les lievres et les lapins ont, coniine je l’ai fait voir plus haut , ce caractere remarquable , et par 8UR L’ E P I Z O O T I E, 67 cela seul j’oserois affirmer que c’est avec raison que Moise les a classes parmi les animaux rumi- nans. Je conviens que le grand Patrik, en expli- quant les versets 5 et 6 du onzieme chapitre du Le- vitiqne, doute, d’apres l’autorite de quelques ecri- vains et particulierement de Bochart, que ces ani- maux aient cette faculte; mais si Ton examine bien les raisons sur lesquelles il se fonde, on trouvera qu’elles portent sur ce qu’Aristote (1) ne range dans la classe des ruminans que les animaux qui nesont pas amphodonta , c’est-a-dire , a doubles dents, et sur les fausses considerations de Bartho- lin et d’autres, d’un seul estomac; deux caracte— res qui, comme je l’ai deja prouve, ne contribuent en rien a la rumination. Comme ces lecons n’ont pour but que la rumi- nation des betes a cornes , et son analogie avec celle des moutons, je dois faire observer la sino-u- liere disposition de l’oesophage, depuis son inser- tion dans la panse j usque dans le feuillet ou oma- sum. BufTon en a donne une excellente figure (2), et Perrault (3) une bien medleure encore , selon moi. Cette partie n’est pas moins visible dans les moutons, et a Jateralement deux gros rebords, p]. (1) Lib. X, cap. 5o. (2) Tom. IV, pi. 17, fig. 2. C. D. (3) PI, 1 3 , fig. 2 , pag. 432. 68 LEMONS XXVIII , fig. 5, D. E. , avec de petites rides trans- verses. L/oesophage , qui y passe en B. C. , est lisse avec des raies fines, F. G. , disposees en longueur, lesquelles sont un peu eininentes. Ces rebords C. D. B. et C. E. B. ressemblent a deux levres qui peuvent se fermer Fune sur Fautre, et qui sepa- rent la panse du bonnet, lorsque les alimens rumi- nes descendent pour lasecondefois le long de Foe- tsophage, et sont portes dans le feuillet ou troisie- me estomac. Joignez a cela que les fibres rouges des muscles de l’oesophage, passent d’unemaniere fort visible par dessus Fexterieur de cette partie, etvont se rattacher au feuillet ; de maniere que , dans la seconde deglutition , ces deux ouvertures sont comme rapprochees Fune vers Fautre ; ce qui fait que la cavite semble s’elargir, et que les le- vres peuvent alors agir avec plus de force. Remarquez ici , pi. X X V 1 1 1 , fig. 5 , commen t Foesophage A. B. forme un orifice G. pres de la reunion de la panse avec le bonnet, et comment de cet orifice les levres C. D. B. et C. E. B. vont se rendre a Forifice du feuillet F. Lorsqu’on coupe transversalement cette partie, comme on le voit pi. XXVIII, fig. 6, on appercoit distinctement les fentes de cet orifice D. et E. , lesquelles, etant fer- mees, laissent Fouverture G. par laquelle passent les alimens rumines. On m’objectera que ce rapprochement n’est pas 8UR l’ePIZOOTIE. 69 parfait : supposons-le pour un moment. Dans ce cas, il se pourroit que quelques parties des alimens rumines y passassent et se trouvassent perdues 5 c’est-a-dire, qu’elles tombassent de nouveau dans la panse , et qu’il faudroit qu’elles fussent rumi- nees une seconde fois avant qu’elles pussent etre portees dans le feuillet. Mais cette perteseroil fort petite, en admettant meme qu’elle eut lieu. Nous voyons ici l’animal mort $ il se pourroit que cette voie fut toujours naturellement fermee chez les animaux vivans, et qu’elle ne s’ouvre que quand ils avalent de gros morceaux on lorsqu’ils boivent. Si 1 on n’avoit jamais vu que la bouche ouverte de personnes mortes, faudroit-il en conclure qu’e— tant vivantes elles n’avoient pas la faculte d’y gar- den de l’eau en serrant legerement les levres? Il en est de meme ici : ces levres sont cachees pour nous pendant la vie de l’animal ; nous ne con— noissons done point leur mecanisme, et nous som- mes certainement induits en erreur par le chan- gement que la mort y occasionne. Rappelez-vous les valvules semi-lunaires du coeur : se ferment - elles beaucoup mieux dans les animaux morts que ces levres? Cependant n’etes- vous pas convaincus qu’elles se rapprochent par- faitement, et qu’elles ne laissent aucun passage a la plus petite goutte de sang aussi long-terns qu’ils respirent? 70 LEgONS Quoiqu’il en soit, il esl certain que les alimens que Fanirual a rumines unefoisne passent pas d’a- bord dans le bonnet ou reticulum , et de la dans le troisieme estomac; mais qu’ils vont directement de l’oesophage dans le feuillet ou troisieme esto- mac des betes a comes et desmoutons; et j’ai cons- tamment trouve des matieres non-ruminees dans la panse et dans le bonnet, c’est- a- dire , des ali- mens absolument de la meme nature. Le grand Haller me paroit s’ecarter de la bonne route , lorsqu’il a vance, dans son admirable Phy- siologie (1), que les alimens rumines doivent etre detrempes de nouveau dans la panse, et cela me- me jusqiFa trois et quatre fois,avant qu’ils passent dans le feuillet. II pretend aussi que rorifice que je viens de vous faire voir n’est destine qu’a porter la boisson de Fanimal dans le feuillet ; ce qui ne paroit jamais a Fouverture des bestiaux 5 car j’ai constamment trouve la panse remplie d’eau qui y formoit une espece de bouillie. J’ai fait prendre a des bestiaux une demi-heure, une heure et trois heuresavant qu’on les tuat,des decoctions de bois de Fernambuc, mele avec du miel, de l’liuile et du sassafras; et j’ai toujours trouve cette boisson dans la panse, l’odeur de Fhuile surtout dans le bonnet; et il n’y en avoit jamais dans le troisieme (1 ) Tom. Ill , £ag. 292. SUR l’ EPIZOOTIE. 7 1 estomac; ce qui pro uve que Porifice en question laisse passer machinalement, c’est-a-dire , comme le demande la nature de Panimal, dans la panse les malieres liquides qu’il avale. Aussi est-il cer- tain qiPon ne trouveroit pas de malieres aussi se- ches dans le feuillet, si la boisson y passoit imme- diatement. Chez les jeunes beles a cornes et chez les agneaux, qui ne se nourrissent que de lait, ce lait tombe egalement dans la panse , oil il subit line premiere coction, y prend une teinte bruna- tre, et passe dans le troisieme estomac, ainsi que dans le bonnet, sans subir d’autre alteration ; mais il ne se trouve pas plutot dans la caillette qu’il se coagule et forme une matiere caseuse blanche. Mais je reviens a la mastication. Les alimens qui ont ete detrempes pendant quelque terns dans la panse, et qui y ont subi une legere coction, sont reportes par pelotes vers en haut par un mouve- ment particulier de la panse. 11 me paroit vraisem- blable que le ventricule se contractant , les alimens sont portes par cette pression dans le bonnet ; et que lorsqu’une portion des alimens doit etre re- portee vers la bouche, le bonnet se comprime de meme , ainsi que l’ouverture du feuillet ; et que c’est de cette maniere qu’une partie des alimens qui se trouvoient dans le bonnet , etant retenue par le retrecissement pres de la panse, elle est por- tee par cette pression dans Foesophage. Cette ope- 72 LEMONS ration diJTere du vomissement; car on convient as- sez generalement que les betes acornes et les che- vaux ne vomissent jamais , quoique Goelicke ait fait vomir des vaches avec du foie d’antimoine , pour les guerir de l’epizootie. Pour ne pas elre trop prolixe , je vais vous rap- peler en peu de mots ce que ce sujet olfre de plus interessant. Les betes a cornes et autres de cette espece com- mencent par arracher Pherbe, le foin ou les feuil- les dont elles se nourrissent, el lesbroyent legere- ment entre les molaires, pour que, meles avec la salive, ces alimens puissent passer plus facilement de 1 oesophage dans la panse. Ce premier estomac, qui merite de fixer votre attention, est place tota- lement dans la cavite gauche, etle bonnet se trou- ve vers le devant $ mais Pun et Pautre horisontale- ment. Le troisieme estomac est place plus haut que le bonnet, et avec son cote convexe vers le foie 5 c est - a - dire, que les livrets sont disposes plus ou moins verlicalement j ensuite vient dans la cavite droite la caillette, laquelle est recue dans la scissure du foie. La panse et la caillette sont recou- vertes par l’epiploon , immediatement contre le peritoine, et par consequent contre les muscles du ventre. Les alimens sont d’abord detrempes dans la panse, tant par Peau que Panimal avale et qui se- journe toujours dans cet estomac, que par la sa- live et par le sue gaslrique que les vaisseaux excre- toires versent dans cet estomac. La chaleur interne, la respiration, le mouvement alternatif des mus- cles du ventre, Paction de ceux de l’estomac, lout cela combine contribue a ce que les alimens ava- les recoivent dans la panse une legere coction, et sont un pen digeres. Apres quoi vient le renvoi d’une partie de ces alimens vers la bouche , laquelle apres avoir ete broyee fort menue, et bien impregnee de salive , est portee immediatement dans le troisieme esto— mac, et partagee entre les livrets du feuillet; e’est a quoi les petites lames qui tapissent son orifice F. fig- 5 j pi* XXVIII, ont deja donne lieu. Dans le troisieme estomac, ies alimens recoi- venl d autres sues des glandes placees dans les li- vrets, et sont comme petris et exprimes dans cet intestin, ou elles acquierent, en meme terns, en partie l’odeur qui est particuliere a la bouse. C’est egalement dans cet estomac que sont absorbees les parties les plus subtiles et les plus nutritives des alimens. La coction et la trituration s’etant failes ici, les alimens passent. dans la caillette 5 ce qui s’opere d a u I an t plus facilement que les livrets sont dis- poses verticalement vers en haut et vers en bas, et gtissenl par consequent naturellement par leur 7 LEMONS chute dans la caillette; d’autant plus que la con- traction du leuillet sert a accelerer beaucoup cette evacuation. Arrives dans la caillette, les alimens regoivent de nouvea ux sues des glandes mucilagineuses,qui rendent les parois internes glissantes ; ces glandes verruformes et garnies d’un petit orifice blancha- tresont repanduessur toute la caillette et sur tou- tes ses membranes. Ici les alimens subissent une quatrieme coction; et e’est dans ce ventricule que le lait se caille chez les veaux. Cette quatrieme coction etant achevee, les ali- mens passenl lentement dans le duodenum, et re- goivent le fiel du foie et de la vesicule du fiel, par le conduit biliaire, ainsi que le sue pancreatique, pi. XXVIII, fig. 5, R. T. : e’est ce que j’appelle la cinquieme coction, laquelle continue a avoir lieu jusqu’au caecum, dans lequel est verse le chyle delie, qui s^y trouve epaissi par ^absorption con- tinuelle des parties sereuses. C’est dans cet inlestin que semble se faire la sixieme et derniere coction , par le concours d?au- tres sues produits par les glandules. Cette matiere sejourne enfin quelque terns confre la partie ridee du rectum, d?ou el le est chassee, quand il y en a une certaine quantite, en bouse un peu detrem- pee , comme de la bouillie , quand les bestiaux sont au vert, et plus compacte quand ils se nour- sur 1/ b: p i z o o t i e. j5 rissent de foin et d’autres alimens secs a l’etable. Ce cours et cette coction admirables des alimens et de tout ce que les animaux ruminans avalenl , nous apprennent que les medicamens qu’on leur administre suivent les memes voies ; qu’il n’y a d’autre moyen de decharger la panse que celui de la rumination 5 que par consequent quand cette ru- mination n’a plus lieu, par quelque cause que ce puisse etre , les alimens se corrompent , pourris- sent et doivent necessairement affecter les mem- branes delicates qui tapissent les parties internes, par inflammation , gangrene et sphacele, ainsi que je l’ai constamment remarque chez les bestiaux morts de l’epizootie. 76 lemons Quatrieme lecon. u Histoire , nature symptdines et guerison de l ejji zootie actuellement regnante. Les difficult es qu’offre naturellement le sujet de ces lecons,etla consideration du peu d’experience que j ai acquise jusqu’a present de cette cruelle ma- ladie, nFeffrayent quand je songe a Fatten te qui se peint sur le visage de mes nombreux auditeurs ! II m etoit plus facile de satisfaire votre curiosite en dissequant et en demontrant les parties affectees des betes a cornes, que de vous donner Fhistoire exacte de Forigine de ce fleau devastateur. Cepen- dant 1 indulgence que vous m’avez si souvent te- moignee, la bonte avec laquelle vous avez toujours daigne apprecier mon zele el la droiture de mes intentions, m’enhardissent et nFautorisent menie a cette penible tache. Dans Introduction de la premiere lecon , je vous ai deja fait observer combien il etoit difficile de faire 1 histoire de l’epizootie, parce que les an- SUR L1 2 3 E P I Z O O T I E, 77 ciens ouvroient rarement , ou , pour mieux dire , jamais les bestiaux qui en etoient morts; du moins ne parlent-ils dans leurs ecrits que des symptomes externes , par consequent de ceux-la seulement qui, etant egalement communs a d’autres mala- dies, ne peuvent, pas servir a donner une ideeaussi exacte dela nature de Pepizootie qu’on pourroit le desirer. Leur superstition et leur idolatrie mettoient d ailleurs de grands obstacles a la decouverte des causes et des accidens de cette maladie , ainsi qu’on pent le voir principalement par les ecrits de M. Por- cius Caton l’Ancien , qui mourut environ cent qua- rante-buit ans avant Jesus-Christ.Ce Romain nous apprend, dans son admirable ouvrage sur Pagri- culture (i), qu’on devoit offrir tous les ans , dans les bois, du miel, du lard et du vin a Mars Syl- vanus, pour detourner la mortalite des bestiaux, avec la defense ridicule aux femmes et aux escla- ves de se trouver presens a ces sortes de sacri- fices. Cependant que, si Ponavoit des raisons de crain- dre Pepizootie, il falloit donner aux bestiaux sains une mixtion de sel,de feuilles de laurier (2), d’oi> (1) Gesner , Jnct. de Re Rust. , cap. 85 , pag. 79. (2) Anciennement le laurier etoit regarde corame un excellent pnbervatif contre les maladies contagieuses , ainsi qu’on le voit chez H^rodien, liv, I, chap. 36. 7 ^ LEMONS gnons, de gousses d’ail, d’encens, de farine , de rliue, de lambruche , de charbons ardens avec un peu de vin j mais pour cela il falloit , d’apres les idees superslitieuses des anciens, que la personne qui administroit ce rernede ful non-seulement a jeun, mais aussi qu’elle se tint debout, de meme que le boeuf. Si l’animal devient malade, ajoute Caton , faites lui manger un oeul de poule en entier qui soit frais, et le lendemain donnez-lui une gousse d’ail detrempee dans du vin. Vousvoyez par-la que le conseil qu’on donne aujourd’hui de se servir pour cet objet d’oignons et d’oeufs frais n’est rien moins que nouveau, Columelle, qui vivoit sous le regne de Claude, environ quarante-deuxans avant Fere chretienne, fait la description d’une maladie contagieuse qu’il appelle cruditas , laquelle differoit guere, par ses symptomes, de l’epizootie actuelle; voici ce qu’il en dit (1) : Crebri ructus , ac ventris sonitus ^ fastidia cibi , nervorum intent io } hebetes oculi , propter quoe bos neque ruminat neque lingua se deter get ; c’est-a-dire : « Les yeux deviennent « foibles, l’animal a de terns en terns des frissons, « les alimens lui repugn ent, il laclie des vents par (i)Lib. VI, cap. 6, pag. 5y8. SUB. l4 P I Z O O T I E. 79 « le liaut et par le bas;leboeuf ne ruraine par con- (( sequent plus, et ne se leche point avec sa langue. )> 11 veut qu’on ouvre la veine qui est dessous la queue, qu’on tire les excremens du rectum avec la main , apres l’avoir enduite de graisse , et qu’on donne a l’animal du sel , du miel et des oignons , ainsi que des lavemens, qu’il appelle collyria. Si cela ne se fait pas a terns, dit-il , le ventre se tend , les colliques des intestins augmentent et l’animal gemit fortement. Si la maladie devient contagieuse, il veut ( cap. IV, pag. 577) qu’on separe les bestiaux mala des d avec ceux qui sont sains: Segregancli a semis morbid i j et qu’on doit les mettre dans des prai- ries oil il n’y a pas d’autres bestiaux, elc. Vegece, qui decrit la maladie de la meme ma — niere que Columelle (ibid., lib. Ill, cap. 2, pag. 1 io5) , lui donne les noms de cruditas et de mal- leus - il indique ensuite les memes remedes, par- ticulierement les oeufs frais administres tout en- tieisa\ec du miel 5 mais il recommande surtout de melei force de sel aux alimens : Expedit iamen salem pabulis misceri. Il attribue l’epizootie a la fiente de cochon que les bestiaux peuvent- avoir mangey mais je pense que e’est a tort. Son avis est beaucoup plus essentiel quand il veut qu’on se- pare des a utres les bestiaux qu’on soupconne etre tittuques de la maladie : Statim omnia animedia , 8o LEMONS quoe levem mspicionem habuerint , de posses- sions tollenda. Ainsi que lorsqiPil conseillede faire transporter ceux qui sont morts dePepizootieloin de la ferme, et de les faire enterrer a une grande profondeur sous terre : Mortua cadavera ultra fines villce projicienda sunt 3 et altissune obruenda sunt sub terris. II veut surtout que, dans les epizooties, on ait le plus grand soin de separer les bestiaux malades de ceux qui sont bien portant , a fin que la negligence du proprietaire ne soit pas attribute d tort au courroux de VEtre Supreme; ainsi que le font les insenses. 11 seroit a souliaiter qu’on fit egalement toujours usage dans ce pays de la meme prudence «t de la meme sagesse de raisonnement. Nos fer- miers , quoique chretiens , ont sur cette matiere les memes ideesque les bouviers de Pantiquitej ou plutot ils accusent l’Etre Supreme d’un mal quails pourroient souvent prevenir par leurs soins. Le vertueux et celebre Outhof nous a donne a la suite de sa Judicia Jehovce Zebaoth 3 i7i-S°. , 1721, le Severi Sanct.i , idest Endeleichi Rhe— toris , de mortibus Ruom Carmen. Quoiqu’on ait differentes editions separees de ce dernier ouvrage, je crois devoir nommer celle-ci, parce qiPOuthof a ete fort exact a citer plusieurs epizooties qui ont eu lieu. Ce poSte vivoit au commencement du cin- SITR l’ ^PIZOOTIE. 81 quieme siecle, ou, comme d’autres le pretendent, a I™ du troisieme siecle , notamment en 5g6. II lail la description d’une epizootie qui ne differe pas beaucoup de celle qui regne actuellement. Elle etoit Fence de Hongrie, de PAutriche et de la Dal- matie, et avoit penetre par le Brabant dans les Pays-Ras : Mcec dira lues serpere dicitur A / idem pannonios , dlyricos quoque Et belgas graviter stravit , et impio Cursu tios quoque nunc petit. ? C’est-^-dire , aux Francois , car Pauteur etoit de PAquitaine , situee dans la partie meridionale du royauine de France. CeLte maladie avoit assez d’a- nalogie avec celle d’aujourd’hui ; cependant elle paroit avoir ete bien plus terrible: Sic mors ante luem venit- « A peine les bestiaux etoient-ils at- « taques de la peste, qu’ils mouroient. » Ensuite il dit : Hicfontis renuens 3 gram, inis immemor Erat succiduo bucula poplite. Pag. 827. Inflantur tumidis corpora ventrihus Albent lividults lamina nubibus Tenso crura rigent pede. Pag. 855. 1 hi. 6 82 LECO NS Ce que je traduis : « Ici la jeune genisse refuse « de boire,etn’ayant pas ruminedepuis long-terns, « elle chancelle ; son ventre se tend ; ses yeuxsem- etc. y des betes a comes • ouvrage qui a remporte le prix de 1’Academie de Besancon, en 1766, in- 8°. , que je n’ai pu me procurer jusqu’a present. Les observations du marquis de Courtivron m’ont Fait beaucoup de plaisir j et quoiqu’ily en ait quel- ques-unes qui soient un pen sup*rficielles , elles oil rent cependant bien des clioses qu’on ne trouve pas ailleurs : elles sont inserees dans le's Memoi- go LEMONS re.? de V Accidemie royale des sciences 3 1748 et 1762. M. Sauvages a de meme public, en 1746, line dissertation sur cette matierej mais je ne Pai pas lue. Cette maladie a fixe, en 1746, a Londres Pat- tention de M. Broklesby , homme d’un grand me- rite, et celle de M. Cromwell Mortimer, en 1745, dans les Philos. Transact. } n°. 477, vol. XL1II, et 1746, n°. 478 , vol. XLIV; mais ces messieurs ont traite la chose plutot en theoriciens qu’en pra- ticiens : le grand nombre de leurs occupations et Pimmense elendue de la ville de Londres ne leur ont pas permis de faire des experiences. L’ouvrage de D. P. Layard, publie en 1767, in- 8°., a Lon- dres, est d’une toute autre nature. Les Allemands n’ont pas me rite moins d’eloges; il est impossible, pour ainsi dire, de faire Pen it- ineration des observations, des essais et des reme- des qu’ils ont publies et proposes a ce sujet : je me contenterai d’en indiquer quelques-uns , en vous conseillant , en meme terns , de vous procurer la notice tres-exacte des meilleurs ouvrages qui ont paru sur Pepizootie , publiee par le docteur J. G. Krunitz(i); dans laquelle on trouve non -seule- (1) V erzeic/iniss der vornehmsun schrifcn von der Rindvieh- S cache. Leipsig , 1767, in-8°. s u r l’epizootie. 91 ment cites les ecrivains dont j’ai deja parle, mais un grand nombre d ’a litres, dont je ne pourrai faire mention que dans la suite. En attendant , je vais reprendre la partie histo- rique de la maladie , d’apres ce que A. O. Goe- licke et J. O. Brucknerus en ont dit dans une dis- sertation, De Due Contagiosa Bovillum genus nunccle populante , Francof. adViadrum, lofeb. 1750, et publiee de nouveau par A. Haller, dans les Disput. ad morborum histor. et Curationem fdcienies , tom. Y, 1768. Goelicke est fort exact dans la description du cours que l’epizootie a tenu depuis i7iojusqu’a 1717. II suit en cela Kanold, medecin de Breslau , qui a prouve que la conta- gion etoit d’abord venue de laTartarie,par leMos- covie en Pologne j que de la elle s’etoit etendue verd le Nord et vers le Sud; c’est-a-dire: au nord le long de la Livonie, la Courlande, la Prusse, la Pomeranie et le Holstein , et avoit penetre ensulte par les Pays-Bas ou le Brabant , en Angleterre. Au midi, elle avoit parcouru la Turquie, la Hongrie, l’Esclavonie,la Croatie,et dela PAutriche,laStyrie, la Carinthie, la Carniole et laBaviere,ainsiqu’une partie de l’ltalie, de la France et del’Espagne. En- suite, elle etoit de nouveau rentree en Allemagne, ou, suivant cet ecrivain celebre ( pag. 715 ) , elle n’avoit pas cesse de regner en 1700, et se faisoit me'me sentir encore en quelques endroits. 92 LEMONS Cependant Pepizootie paroissoit entierement eteinte dans la plus grande partie de PEurope , lorsqu’apres le rude hiver de 1740 , elle se declara de nouveau. En 1744, la mortalite des bestiaux fut si grande que les etals-generaux crurent devoir consulter la faculie de medecine de Leide, sur les moyens de parer a ce terrible fleau. Les avis de la faculte fu- rent imprimes, en 1744, chez le libraire Lucht- mans. En 1745 , les celebres professeurs De Haen , Ouwens et Van Velse donnerent , conjointement avec le medecin Westerhof, une dissertation fort exacte sur l’epizootie et la raaladie des bestiaux , laquelle fut publiee a la Haie. C’est de cetle maniere que des hommes d’un grand merite furent encourages a donner leurs ob- servations sur cetle importante matiere; et Pon vit ensuite paroitre celles du savant M. Engelman , dans la seconde partie du sixieme volume et dans le vol. VII, pag. 247, des Actes de la Societe de Harlem. En 1755, MM. Nozeman , Kool et Talc publie- rent leurs observations sur l’inoculation de la ma- ladie contagieuse des betes a cornes, lesquellesme- ritent la plus grande attention. En 1768, le savant Grashuis mit au jour un avis fort circonstancie sur le meme objet, dans le troi- sur l’epizootie. g3 sieme volume, pag. 247, des Traites choisis pu- blics a Amsterdam chez Houttuyn (1). Le jadis celebre professeur Sclrwenke a fait a la Haie des essais sur Einoculation desbestiaux, qu’il paroit avoir adresses. a un ami en t-7^7? 011 ^es trouve dans le Magazin de Breme (2). Plusieurspersonnes de consideration, parmiles- quelles on distingue M. Binkhorst, bourguemes- tre^de Hoorn, firent eux-memes des essais, ou fournirent les fonds necessaires a ceux qui voulu- rent consacrer leurs talens au bien public. La contagion ne regna pas moins en Allemagne 5 ce qui fournit au celebre Maucliart l’occasion d’e- crire, en 1745, une dissertation in litulee : Dehue V accarum Tub ingens i qu’on trouve aussi chez Haller, tom. V, n°. 188. La belle dissertation de M. A. Ens, De morbo bourn O stervicensium pro peste non hcibenclo , Halberstad 1746, merite egalement d’etre lue. II faut mediter aussi l’essai qui a ete publie a Brunswick, en 1765, sans nom d’auleur : V er- such einer Erklcerung der Hornviesuche , nebst einige -wahrnehmungen uber die h inprop fang derselben. Mais je vous recommande surtout l’ouvrageque (1) Uitgezogtc Verhtindelin^cn. (2) Bremische Magazin zur ausbreilung der Wissenschafjicn , etc. I band , n°. 47, pag. 406. I lemons le doc ten r Layard publia a Londres, en 1757, in- B°. : Essay on the nature , causes, and cure of the contagious distemper among the horned cat- tle $ ou bien A IXiscourse on the usefulness of inoculation of the horned cattle , to prevent the contagious distemper, by D. P. Layard. Philos. Transact. , vol. L, pag. 1 1, ou Eon trouve aussi les essais de l’eveque d’Yorck et du chirurgien Bewley. Je crams de vous ennuyer par cette longue no- menclature d’ecrivains. II paroit par ces diffej'ens ellorls de tant d’hommes de merit e, que la rnala- die a q uelquefois diminue, et que, dans d’autres terns, elle s est declaree avec une nouvelle fureur. Et ne devons-nous pas regarder corame une cliose demontree, que l’epizootie, ainsi que touies les autres maladies epidemiques, et particuliere- ment la petite verole, regne dans certains terns avec violence j tandis que dans d’autres elle paroit abso- lument eteintej quoique, par des observations exac- tes, il semble qu’on trouve cependant toujours ca etla quelque animal qui en est entache? Si cette contagion n’est pas aussi ancienne que le sont tou- tes les autres maladies, elle est du moins connue depuis environ deux mille ans. Elle s’affoiblira sans doule par des raisons nalurelles, ainsi qu’elle se declare de terns a autre avec plus de force. 11 est par consequent de notre devoir d’employer tous les moyens que PEtre Supreme nous a fournis pour sur l’etizootie, g5 trouver des remedes efficaces, de quelque espece qu’ils soient, qui puissent nous tranquilliser sur le sort de nos plus precieuses possessions. Je passe maintenant a la description des symp- tdmes de l’epizootie,pourque vous puissiez mieux saisir mes idees sur les causes el la nature de cette maladie. Des principaux symptomcs de V epizootic. II n’y a aucun signe qui presage d’avance l’epi- zootie, elle n’avertit qu’avec le coup et quand l’a- nimal est deja malade. Alors il devient trisle , re- fuse de boire , se montre difficile sur le choix des- alimens; ensuite il paroit plus gai par intervalles, mange, boit et rumine. Cependant il devieut in- quiet, grince des molaires, et Unit par ne plus ru- rniner, ce qui est le signe le plus certain qu’il est malade; si ee n’estchezlesveauxde lait , car ceux- ci ne ruminent pas encore, ainsi que Galien l’avoit deja prouve par une belle experience sur des agneaux et de jeunes chevres. Comme les bestiaux attaques d’autres maladies ne ruminent egalement point, ce signe devient equi- voque; mais les autres symp tomes qui accompa- gnent l’epizootie, et dont je viens de parler, ainsi quelefrissonnementet le tremblement qu’ils eprou- vent, l’inquielude qu’ils montrent etlamanierede 96 LEMONS se tenir sur les doigts des pieds de derriere , sont des preuves convaincantes, surloul lorsque la con- tagion s’esl deja declaree dans cjuelque endroit da voisinage. Le pouls, qui bat de 60 a 70 , 7.5, 80 et meme go fois par minute, annonce une forte lievre, qui est bientot accompagnee d’une prostration gene- rale et prompte des forces de Familial ; car le pouls est non -seulement vite , mais inegal , sans etre fort , ainsi qu’on l’observe dans les fievres pu- 1 rides 5 il y a meme des instans 011 Ton ne peut, pour ainsi dire, Fappercevoir nulle part. Les oreilles et Jes cornes sont , pour cette rai- son , alternativement froides ; tanlot les cornes seules, tantot les oreilles seules, et tantdt les unes et les autres tout a-la-fois. Les selles conservent souvent leurcours pendant les premiers jours de la maladie ; quelquefois la bouse perd sa couleur et prend une si forte odeur de muse que toute l’etable en est remplie; souvent elle devientseche,etantapeine lie ensemble ; d’au- tres fois elle est molle et liquide ; ou bien Fani- mal a le ventre paresseux, parce que les intestine et les muscles de Fabdomen n’ont pas assez d'ac- tivite pour chasser les matieres accumulees. Une grande loiblesse s’empare promptement de l’animal a la premiere fievre qui survient : il laisse alors pendre la tete, qui est lourde et les muscles j r SCR LEPIZOOTIE. gy ilu cou l’obligent de la tenir obliquement. Les oreil- les pendent pareillement, et cela par la meme rai- soji j la queue perd aussi son mouvement ; enfin , 1 ’animal cesse de mugir. L animal tousse d’abord de terns en terns, en— suite sans interruption $ plus ou moins cependant, seJon que la matiere morbilique affecte les pou- mons on les intestins. Les jeux, que ces animaux ont naturellement noirs et vifs, deviennent ternes et languissans, et la paupiere interne ou clignotante, laquelle n’est pas visible quand l’animal se porte bien, s’enfle et devient proeminente , par lepaississement de la membrane externe, etressemble alors a une vessie d’un rouge pale, qui a quelque rapport avec la ma- la die connue chez 1’homme sous le nom de che - mosis. £a et la on appercoit une grande taclie en- flammeej le blanc de l’oeil, qui est surtout visible dans le petit angle, est egalement fort enilamme, et l’oeil paroit enfle et sortir de la tele. II coule des grands angles des yeux une matiere ichoreuse; et lorsque la maladie est parvenue a son plus haut degre, il en sort , chez queiques-uns de ces ani- maux, une abondance de larmes. Des pores de la partie lisse du museau coulent de terns a autre , des milliers de gouttes qu’on prendroit pour une abondante transpiration. Les naseaux dechargent d’abord une matiere li- g8 LEMONS quide, laqueile acquiert letroisieme jour une con- sistance visqueuse et purulente , qui coule sans cesse le long du museau, et une matiere sembla— ble coule de la bouche. Cependant 1 animal n es-* suie point cette matiere , comme le font les bes- tiaux sains , qui ne cessent de lecher et de net- toyer leur museau avec la langue. Chez quelques-uns la toux augmente, la respi- ration devient penible, et Lanimal, abattu par la fievre et extenue par ledefaut de nourriture, tom- be a terre , tend la tele droit devant lui , ou se tord le cou , et emploie differens moyens pour respirer, en gemissant comme pourroit le faire une per- sonne qui souffriroit de grandes douleurs. La bare devient ecumeuse , et tout annonce que les pou- mons sont tres-fortement alfectes, et que l’animal se trouve dans le plus eminent dangei. Mainte— nant la toux semble diminuer, parce que les foi- ces manquent : voila la raison pourquoi quelques ecrivains francois, ainsi que le grand Haller dans la lettre qu’il m’a ecrite depuis peu , ont donne a cette maladie le nom de pulmonie. Chez d’autres la matiere se jette davantage sur les intestins du ventre. La panse, ainsi que je Lai deja dit, placee dans la cavite gauche, est gonflee par Lair et se distend considerablement , de sorte que l’animal semble pret a crever ; et qnand on frappe dessus avec la main elle resonne comme un tambour. SUR l’ePIZOOTIE. gg Quelques medecins pretendent avoir observe que la peau de l’animal semble adherer au dos et aux reins, pendant le fort de la maladie; c’est ce que je n’ai jamais apperqu bien distinctement ; je crois plutot qne le gonflement considerable du ventre peut avoir donne lieu a cette conjecture. Chez d’auires la peau du dos craque quandon y appuie le doigt ; ce qui provient peut-etre de l’air que la corruption a introduite dessous la peau. Le qnatrieme, le cinquieme 011 le sixieme jour, pi u si e urs de ces pauvres animaux commencent a etre tourmentes d’une diarrliee considerable , de maniere que les dejections echappent avec vio- lence du corps , comme si elles etoient chassees d’une seringue, etellesinondent alors toutel’etable. Ces excremens repandent une odeur insupporta- ble ; et rien ne me paroit plus funeste pour les au- tres bestiaux qne la mauvaise qualite de cet air mephetique. Quelquefois ces matieres sont melees de sang et dhchor. D autres ne lachent point leurs excremens, qui sont arretes dans le boyau rectum, lequel leur sort du corps, reste ouvert et rend une matiere icho- reuse et sanguinolenie. Chez les vaches les parties sexuelles sont pareillement gonflees et demeurent ouvertes; 1’animal etant si foible que les sphinc- ters ne peuvent plus exercer leurs fonctions. La vessie perd egalement, chez la plupart, son loo LEMONS energie ; ils lachent alors rarement leurs urines, tant parce que l’eau qu’ils boivent pendant ce terns, ou les medicamens liquides qu’on leur admin istre , res- tent deposes dans les estomacs sans etre absorbes, que parce que l’animal rend beaucoup d’humeurs par les naseaux, les yeux et la bouche. Je n’ai rien dit encore du lait, parce que l’epi- zootie attaque de la meme maniere les betes a cor- nes des deux sexes, de quelque age qu’ils soient ; je n’en devois done parler qu’en derniere analyse, parce que cela ne concernequeles vacheslaitieres. Le lait diminue , s’epaissit et se corrompt dans les pis. II est, pour ainsi dire , impossible de determiner le terns que dure la maladie et les accidens dont elle est accompagnee. Chez quelques individus la corruption est si violente, si prompte, qu’elle tue l’animal en vingt-quatre he ares ; quelquefois ils ne meurent que le troisieme , le quairieme ou le cinquieme jour; d’autres fois seulement le septie- jne ou le onzieme jour; mais ce dernier cas est fort rare. 11s meurent tantot avec les jambes etendues loin du corps , et tanlot avec les pieds retires dessous le corps. Pendant la maladie, ils ne sont pas tou- jours couches sur le meme cole, quoique la pause $oit fort distendue par Pair. J’ai porte une grande attention h. cet egard, et j’ai trouve que les bes- tiaux etoient conches tantot snr un flanc el tantot sur l’autre ; cle maniere que la pause ne paroit pas occasionner quelque mal ici. Chez certains le corps se couvre de laches, par- ticulierement pres des aines, symptome anquel les paysans ont donne le nom de gale ( rcippigheid) , et que quelques-uns regardent commeunbon pro- nostic. Pen ai vu mourir cependant dont le corps etoit convert de pareilles taches. Je ne puis rien assurer de bien certain relative- men t au sang: il y en a qui pensent qu’il se coa- gule; d’autres qu;il s’attenue; mais la plupart s?ac- cordent a dire qu’ilnese coagule point, mais qu’il devient muqueuxj comme on le voit souvent chez les personnes attaquees de fievres putrides. Dans les bestiaux morls jJai constamment trouve le sang attenue et jamais coagule. Voila les symplomesqui sont communsaux tau- reaux,auxgenisses, aux vaches, aux boeufs etaux veaux de lout age, sans distinction. On comprend facilement que les vaches portieres, toutes cboses egales d’ailleurs , doivent soulFrir davantage de cette terrible maladie, et cela d’autant plus qu’el- les sont plus pres de veler. L/epizootie est nean- moins quelquefois assez benigne pour qu’elless’en tirent sans avorter ; mais cela est fort rare, et la plu- part perdent leur fruit meme dans la suite , apres qidelles sont gueries elies-memes de la maladie.- 102 LEMONS Des symptdmes internes de l} epizootie. Je ne finirois point si je voulois rapporter tout ce tjui a ete observe surles parties internes clesbes- tiaux morts de Fepizootie par les prineipaux me- decins d’ltalie, d’Angleterre, de France, d’Alle- magne et de Hollande. II suffira.de nFarreter ici aux particularitesqui,etantpropres a la contagion actuelle, peuvent serrir a determiner sa nature , et a trouver les moyens d’y apporterremede, si ja- mais on est assez heureux pour parvenir a ce but. Je ne parlerai que des symptdmes que j’ai obser- ves moi-meme dans les besliaux que j’ai fait ou- vrir, a moins que ce ne soit de cenx que jecroirai dans la suite dignes de fixer votre attention. L’epiploon (pour commencer par le ventre), Fepiploon , dis-je, est enflamme et gangrene chez plusieurs; de maniere qu’il est couvert 9a et la de laches rouges, pourprees et noires. La panse l’est egalement plus on moins; quel- quefoiselle est extraordinairementgonflee ]>ar Fair qui s’y trouve renferme, et donne une idee fort exacte de la tympanite intestinale. Lorsqu’on y perce un trou a travers de la peau et des muscles, ainsi que je l’ai fail a quelques-uns , Fair en sort avec violence et bruit. Mais je ne saurois dire, s’il y a jamais veritable tympanite, c’est-a-dire, s’il y a de Fair dans la cavite du ventre , entre les in- testins dans l’interieur du peritoine : la putrefac- tion des intestins est quelquefois si grande que je ne regarde pas cela comme impossible. Les intestins greles , de merne que les gros in- testins, etoient quelquefois entierement denatures, pourpres et noirs : une partie plus, l’autre moins, suivant. qu’ils etoient affectes du virus pestilentiel. Chez les vieilles vaches , la rate etoit generale** ment livide, d’un gris cendre, chargee d’une ma- tiere ichoreuse, et comme putrifiee dans Finte- rieur par le sang vide qui j sejournoit. Le foie des bestiaux que j’ai ouverts moi-meme etoit generalement gangrene chez quelques- uns , rempli de douves ou fascioles hepatiques qui rem- plissoient en grand n ombre les conduits biliaires. Mais ce n’etoit pas la la cause de leur mort. J’ai trouve aussi cette annee etFautomne dernier beau- coup de ces vers dans des bestiaux sains tues par le boucher, ainsi que dans des moutons. Les lievres memes n’en ont pas ete exempts. Cette maladie a ete fort generale (1) pendant Fete dernier, et em- porte meme encore actuellement un grand nom- bre de moutons. (i) Dans le canal bdpatique d’un cerf dont M. de Lewe d’A- duard me fit present le i3avril, pour le diss^quer , j’ai trouv^, quoique l’animal fut d’ailleurs sain, trois douves de la m6me forme que celles des moutons et des betes & cornes. io4 LECONS La vesicule da fiel etoit chez tons extraor— dinairement. volumineuse , et remplie d’un fiel fetide. Le parenchyme du foie etoit gorge d’air oil af- fecte d emphyseme, tant ces parties se corrompent prompiement dans l’epizootie. Le premier estomac contenoit les alimens et la boisson que l’animal avoit pris avant que Ja vio- lence du mal l’eut empeche de satisfaire a son ap- petit , et ces alimens eloient fort corrompus j de maniere meme que j’en trouvai 1’odeur insuppor- table, quoique d’ailleurs mon zele me fasse vain- cre assez facilement de pareils desagremens. La membrane interieure etoit. comme sphacelee par la putrefaction de cesmatieres, et se laissoit en- lever par lambeaux j ce qui n’arrive jamais chez les best laux, si ce n,est lorsque la putrefaction qui suit la mort en est la cause, ainsi que je Fai deja remarque plus liaut (1). 11 en est de meme du bon- net, qui ne forme, pour ainsi dire, qiFune seule poche avec le premier estomac 5 mais il faut que j'observe, pour ceux qui pourroient Fignorer, que celte membrane interne est dansquelques besliaux naturellement lort noire, ou d’une couleur bron- zee; et dans quelques autres d’un jaune pale. omasum ou feuillet est dans tous fort con- (1) Page 38. io 5 sur l’epizootie. trade, enflamme a Fexterieur et couvert de taches; mais dans l’interieur lorsque les bestiaux mangent wn fourrage sec, les alimens sont noirs compactes, durcis entre les livrets ; de sorte qu’on ne sauroit mieux les comparer, a cause de leur couleur et de leur forme, qu’a des tablettes de chocolat, sui- vant la remarque judicieuse ne MM. De Haen, Ouwens, Van Yelsen et Westerhof , medecins a la Haie. Lorsque, pendant Fete, les bestiaux sont au vert dans les prairies , les matieres sont bien molles quelquefois, mais elles n’en sont pas moins chargees d’acrimonfe. La membrane externe se ti'ouvoit parfois ad- lierente aux deux cotes de cette matiere durcie , ayant ete pareillement detachee par sphacele. Dans quelques-uns les livrets memes etoient en- tierement spbaceles, durcis et transparens com- me de la gaudruche ; dans d’autres on appercoit le sang dans les vaisseaux desseches. Mais apres la partie qui reunit Fouverture de la panse a la cail- lette, et ou les livrets semblent finir, il y avoit sou- vent une matiere sanguinolente , tres-acre et d’une puanteur horrible , laquelle alloit jusque dans la caillelte. La caillett e etoit generalement vide, c’est-a-dire, sans alimens, mais gonllee de vent, et quelquefois gaime d une matiere sanguinolente et sunore— neuse ; d autres fois d?une matiere jaunalre elfluide io6 LECONS fort felide, sans aucune teinte de sang. L ’epit/ie- liimi ou membrane interne se detachoit facile- ment, comme dans les autres estomacs, el par la meme cause. II j avoit souvent, mais pas loujours , dans la cavite des inteslins greles , principalement dans l’ileum , un sang extravase felide. Dans les gros intestins, j’ai trouve aussi parfois du sang extra- vase et caille; et d’autres fois des dejections jaunes ou d’une autre couleur, dont il seroit difficile de douner une idee. Le rectum eloit chez plusieurs fort enflamme presdel’anus, et garni d’une matiere sanguino- lente auto ur des excremensdurcis,particu]ierement a la partie ridee ou plissee. C’est-la la cause pour- quoi chez plusieurs bestiaux le sang sort par l’anus, immediatement apres qu’ils sont morts. Ce sang avoit cause souvent une grande mortification dans les plis du rectum. Parfois les excremens etoient entasses secs, comme des figues, tandis quele rec- tum n’etoit , pour ainsi dire , pas enflamme. Dans les veaux de lait qui etoient morts de Pe- pizootie, le feuillet n’etoit pas tendu par des ma- tieres durcies; cependant la membrane interieure se detachoit a pen pres comme dans les vaches. Le foie de ces veaux n’avoit pas de douves 5 ce qui etoit impossible aussi , parce qu’ils n’avoient pas encore pat tire d’hei;be. Tout le reste se trouvoit 107 sur l’epizootie. plus ou moins dans le raeme etat , et la vesicule du fiel etoit toujours fort grande. Les reins etoient generalement d’une couleur pale, quoiqu’il parussent d’ailleurs fort sains. Mais la vessie etoit presque dans tous remplie d’urine; cependant je l’aitrouvee, pour ainsi dire, vide dans un veau. Dans les vaches portieres la matrice etoit en- flammee , ticlee de taclies pourprees et gangre- neuse, corame la panse. Cependant le foetus n’of- froit aucun signe apparent de maladie. Les pis etoient extremement enflammes , et contenoient un lait epaissi. Telle etoit la situation du ventre. Je vais passer maintenant aux visceres de la poitrine , pour vous offrir un nouveau spectacle des alfreux ravages de cette maladie. Les poumons, qui se montrent au moment qu’on ouvre la poitrine , et qui sont ordinairement livi— des,un peu rougeatres, sont dans la plupart des bestiaux enflammes dans un endroit ou l’autre , tides de taclies pourprees, et la gangrene affecte par fois un lobe plus que l’autre. J’en ai vu dont les lobes etoient totalement spbaceles; demaniere qu’en y faisant. des incisions, on n’appercevoit qu’un sang noir, sans pouvoir distinguer les cel- lules. Dans plusieurs Fair setrouvoit dans la mem- io8 LECON S brane cellulaire entre les cellules; c’est ce qui lor- iue 1’emphyseme. La trachee-artere est interieurement vide dans quelques besliaux; sa membrane est couverte de taches rouges, pourprees et gangreneuses, ou bien elle est entierement gangrenee. Dans d’autres elle paroit couverte d’une mince pellicule ichoreuse ; mais dans la plupart elle est entierement remplie d’une ecume blanche. Cette ecume ne se trouve pas dans la trachee-artere seule , mais parcourt les poumons aussi loin qu’on peut suivre les rameaux des bronches. Si Lon considere cela , on ne sera plus surpris des mugissemens plaintifs de l’animal souffrant. La difficulte de respirer en est cause; et de-la viennent l’inflammation et la gangrene des poumons. La gorge est enflammee dans tous; mais principa- lement dans ceuxquiontla trachee-artere remplie d ecume. J’entends par-la non-seulementle larynx, mais aussi le pharynx, c’esl-a-dire, la gorge ou le conduit vers l’oesophage, et le larynx. Lesnaseaux, la cavite du nezet la langue etoient presque toujours sains, c’est-a-dire , sans inflam- mation et sans gangrene, si ce n’est la racine de la langue, la ou elle tienl au pharynx. Jamais je n’ai rien trouve d’extraordinaire a la langue; mais bien a sa racine, et lateralement vers le lond, un peu de matiere ichoreuse tenace, que SUR L’flPIZOOTIE. 10g quelques-uns ont sans doute pris pour des aphtes. J’ai trouve dans plusieurs les muscles du cou et la graisse du fanon fort enflammes, pourpres et comme gangrenes. Quelques-uns avoient les yeux fort enflammes. Le coeur ne m’a rien olfert de remarquable : un des ventricules contenoit la'ntot du sano- caille , tan tot du sang fluide , et d’autres fois il se trouvoit vide. J’ai fait ouvrir la tete a un seul animal 5 mais cette operation est difficile, et sallit trop les par- ties ; de sorte quecela exige un examen plus exact. Le cerveau de l’animal sur lequel je fis ces obser- vations etoit fort sain. Aussi ne m’attendois- je a rien de particulier a cet egard, parce que les bes- tiaux paroissent conserver leur connoissance jus- qu’au dernier moment , c’est-a-dire, qu’ils donnent des signesd’amitie a ceuxqui prennent soin d’eux, et qu’ils font connoitre leur malaise par des mu- gissemens plaintifs plus forts quand on les caresse dans cet etat deplorable. Plusieurs observateurs ont trouve quele cerveau etoit fort enflamme (1). Dans un seul j’ai vu les cuisses affectees violem- ment par le mal; mais cependant tout le reste, et ( 0 Der hoenigl. Grosbritl.Churfurst. Braunschw. Landwirxh- scliaft Geselhchaft. Nachr. IF, Samml. Zelle 1766, pag. 372. no LEMONS les intestins en parliculier, etoient enflammes et sphaceles. Tous les principaux ecrivains qui ont parle des epizooties de 1710, 1750, 1741, 1745, etc. , jus- qu’a ce jour, s’accordent sur ce point, comme on peut le voir chez Ramazzini, qui parle aussi de l’emphyseme des poumons et du cerveau , des exanthemes et des aphtes sur la langue , de l’epais- sissement du sang plulot que de sa dissolution ; de maniere que le sang couloit a peine chez quelques bestiaux qu’on a ouverts. M. Bates dit que dans quatre vaches sur seize qu’il a ouvertes, il a trouve le foie noir et con- tracte , et les glandes du mesentere fort enflees. Je ne puis nier d’avoir vu les glandes, particuliere- ment celles qui sont pres de la caillette et du rec- tum , fort grandes et comme enflees ; mais je pense avoir observe la meme chose dans les bestiaux sains livres au boucher 5 elles sont moins visibles dans les boeufs gras. Michelotti a laisse apres sa mort des observa- tions qui s’accordent assez avec les miennes : il y fait mention d’un emphyseme des poumons. Il as- sure aussi avoir vu des cerveaux sereux et cor- rompus.. Le marquis de Courtivron , Ernest Stief , Fis- scher, Oltomarius, Goelicke, qui, selon moi , est fort exact , et tous les medecins etrangers dont j’ai Ill sun l’epizo o t i e. consulte les ouvrages , sont d’accord sur les prin- cipaux symptbmes caracteristiques de cette ma- ladie. Les medecins de la Haie , qui n’ont pas mis moins de soins et d’exactitude dans leurs recher- ches , ont trouve ces symptomes a peu pres tels que je les ai indiques. Ils ont fait de belles expe- riences avec lesuif,et ont trouve qu’il j el teen bru- lant une odeur desagreable : ils ontmemejugeque les chandelles qu’on en feroit pourroient propager la contagion et causer de grands ravages. Ils parlent aussi de cbarbons pestilentiels dans le foie. Les observations anatomiques quails ont faites sur environ Lrente bestiaux meritent votre attention 5 et celles de M. Engelman ne sont ni moins curieuses ni moins exactes. Je dois seulement vous prevenir de deux cho- ses : premierement , de ne pas conclure trop faci- lement qu;il y a emphyseme dans les poumons ou dans d’autres parties; car il est facile de tom- ber dans l’erreur a cet egard , si Lon n’ouvre pas les bestiaux immediatement apres leur mort;il est d’ailleurs difficile de s’imaginer combien promp- tement la corruption s’empare de ces bestiaux. II ne faut pas surlout dechirer les poumons en les coupant , car dans ce cas Lair se glisse entre les lo- bules, et forme emphyseme ou il n’y en avoit na- turellemenl point. Secondement , la corruption 112 L E C O N S dans les estomacs est si grande , meme chez les bestiaux qiPon tue a la boucherie , qu’il ne faut pas perdr'e de terns a les ouvrir , si l’on veut en conclure quelque chose de certain. II paroit demontreque, dans tous les animaux ruminansqui ont quatre estomacs, les membranes internes semblent s’en detacher vingt-quatre beu- res apres leur mort. Je vous invite a suivre, si vous en avez Poccasion , le conseil de l’illustre Goe- licke (pag. 717), de faire ouvrir des bestiaux le second, le troisieme et le quatrieme jour de leur maladie, afin de suivre progressivement ce qui se passe dans leurs intestins. On devroit aussi faire ouvrir ceux qui ont echappe a la maladie , et cela le plutot possible apres que leur guerison seroit assuree. Mais de pareilles observations ne peuvent se faire qu’avec Pappui du gouvernement , parce qu’elles sont au-dessus des facultes dbin simple particulier. Des signes de guerison et de danger. Apres avoir entendu parler des symptomes de la maladie, il est naturel que vous soyez curieux de savoir quels sont les signes de convalescence et de guerison? Mais j’ai peu de chose a dire sur ce su- jet . Les bubons et la gale que qnelques-uns ont observe, sont, selon moi , des caracteres fort in- SUR L?£pIZOOTIE. II 5' certains. La grande quantile de matiere ichoreuse qui coule des naseaux et des yeux , ainsi que de selles violentes, lesquelles sont d’ailleurs salutai- res, trompent egalement et ont lieu de meme cheZ ceux qui meurent. Les seuls et verifables signes de la convalescence desbestiaux, c’est lorsqu’ils coni- mencent a manger et a ruminer, que la toux di- minue el que de terns en terns ils toussent avec fa- cility. Mais l’envie de manger , laquelle est tou- jours foible au commencement , peut induire en erreur. La mort est certaine lorsque le ventre de 1’animal enjle beaucoup;et il en est de meme lors* que Fecume que j’ai trouvee dans la trachee-artere commence a couler du nez et de la bouche. 11 est possible qu’ils ne meurent que le onzieme jour. Je regarde la maladie comme dangereuse aussi long- terns qu’ilsgemissent , qu’ils laissent pendrela tete et qu’ils ne ruminenl point. Quand ils sont convalescens, les cornes et les oreilles reprennent leur chaleur naturelle , parce que la lievre les quitte 5 et ils commencent alors a remuer insensiblement la queue et les oreilles. L’avortemenl ne prouve rien , parce qu’il y a quelques exemples que des vaches portieres ont re- tenu leur foetus; mais ces veaux sont susceptibles d’etre alfecles de la maladie. Cependanl on remar- que , en general, que les veaux nes de vaches crUe- . O nes ecliappent aussi a la mort, on du moins il y a in. 8 quelque esperance que cela peut avoir lieu. Je ne connois d’ailleurs aucun signe qui serve a incliquer qiPun animal a eu la contagion ; car la perte du toupillon de la queue n'en est pas une preuve certaine , quoique quelques-uns la regar- dent comme telle. Tous les bestiaux frappes de l’e- . pizootie, que j’ai vu echapper a la mort , ont , un seul excepte, conserve ce toupillon de poils 5 et d’autres le perdent a force de marcher dessus ; ce signe, quoiqu’il puisse d’ailleurs etre certain , est fort trompeur chez de tels animaux. 11 n’y a done que la bonne foi dans le commerce qui puisse ser- vir de garant a cet egard. Des causes de Vepizootie. Je vais passer maintenant a la partie la ])lus dif- ficile de nos recherches, aux causes de l’epizootie. Tout ce que j’ai dit jusqu’a present, nous l’avons pu apprendre par nos propres observations, on le puiser dans les ecrits des autresj mais qui pourra se flatter de saisir la cause secrete de ce virus con- tagieux , que l’Etre Supreme a voulu derober a notre connoissance? Je suivrai done Pexemple de Ciceron , qui , devant parler des Dieux , prefera d7avouer son ignorance sur leur origine, et laissa a la posterite le soin de faire cette grande decou- verte. sur l’epizootie. 115 On regarde comme les principales causes de cette maladie, les rudes hivers, une transpiration arre- tee, des vers qui pendant certains terns sejournent dans le sang on dans le foie, et finalement des ali- mens corrompus, de quelque nature qu’ils puis- sent el re : je ne parlerai ici que des causes physi- ques ; j’abandonne a nos theologiens celles qui tiennent a la morale. On a regarde les grands hivers comme cause de la conlagion , parce que ce fut en 1710, apres l’a- pre hiver de 1709, qu’on observa la mortalile des betes a cornes, et que celui de 1740 fut suivi de la contagion de 1741, qui s’etendit fort au loin; et, pour ne pas parler de plusieurs autres , celle qui regna en 1768, apres l’hiver assez rude de 1767. Maisnous n’avons point d’observations assez exac- tes sui cette maladie avant l5an nee 1711, a insi que je l’ai deja dit. II faut remarquer aussi qu’elle regna pour la premiere fois , et avec le plus de violence, dans la partie meridionale de l’Europe, dans les montagnes comme dans les contrees bas- ses et froides. Le grand hiver de 1727 n’a pas ete suivi de contagion , de sorte qu’il semble que le grand froid ou la douceur de Lhiver n’y conlri- buent en lien ; ce qui paroitra d’autanl plus evi- dent, si nous y joignons que,suivant letemoignage irrevocable de Goelicke ( ibicl.^ prcef 1 ou p. 71 5), la contagion n’a pas cesse de regner en Allsmagne Il6 LECONS depuis 17x7 jusqu’en 1730, mais qu’elle y a tou- jours fait des ravages soil dans unepartie soit dans une autre. D’autres , parmi lesquels il faut compter M. En- gelman (1), pensenl qu’on doit l’attribuer a une transpiration interceptee, et qu’il faudroit couvrir les betes a cornes pendant les nuits d’automne, et les faire coucher dans l’etable pendant celles du printems ( ibid . } pag. 012 et 010), etc. En suppo- sant que cela fut vrai, la contagion auroit du re- gner moins 011 meme point du tout en Gueldre , dans le Veluwe, dans le pays de Drenthe et ail- leurs, ou, pour conserver le fumier, on tient les bestiaux a Fetable pendant la nuit , tant durant tout Fete meme , que pendant le printems et Eau- tomne. Cependant, d’apres les observations que le sa- vant et estimable M. Van Lier a bien voulu com— muniquer a M. Van Doeveren et a moi , il est cer- tain que cela n’a cause aucun changement dans le pays de Drenthe. M. Van Doeveren , frere de mon college, a ecritlameme chose de la Flandre hoi- landoise; et M. De Man , medecin de la rille de Nimegue, m’a fait l’honneur de me marquer, a la priere que je lui en avois faite, qu’au pays de Cle- ves les betes a cornes reslenl generalement a 1 ela- (1) liar l . Vcrh. , tom. VII , pag. 297. sun l’epizootie. 117 ble pendant la nuit, et que neanmoins la morta- lity y a ete considerable, ayant commence pen- dant Fe'te de 1767 a Hoog-Elten, d’oii elle s’est insensiblement etendue vers le Betuwe. Mais , en snpposant que cela fut vrai, d’ou vient done qu’il n’y ait point de mortalite en Suisse ? oil, suivantM. Engelman lui-meme ( ibid pag. 3i4 et 5i5), la contagion n’est pas connue, quoi- que le grand Haller de Berne m’ait repondu le i4 janvier 1769 , sur quelques demandes que je lui avois faites, cc Que les betes a cornes passent la « nuit dans les paturages tant que la saison le « permet. n B on ilfaut conclure que la construction d’han- gars dans les prairies, pour y faire retirer le be- tail jiendant la nuit , ne seroit d’aucune utilite. Quelques philosophes ont attribue la cause de l’epizoolie a des vers qui sejournent dans le sang; tel a ete le sentiment deKircherus, de Bernardino Bono , d’Andry et particulierement de Valisneri (1), a Foccasion de l’epizootie de 1715. Mais toutes les hypotheses de Fhomroe n’ont qu’un terns: a cette epoque on attribuoit toutes les maladies a des vers, de meme que les chymistes ont tout rapporte aux alkalis et aux acides. 11 falloit commence!' par de- (1) Nuova idea del mal contagioso de' Buoi, tom. II, op. omnia, pag. 12. ii8 LEMONS montrer que ces vers existassent reellement dans le sang, pour en raisonner ensuite a son aise. II en est de meme, selon moi, de ceux qui at- tribuen t l’epizootie aux douves du foie ; tandis qu’on sait que ces vers se trouvent chez lous les animaux herbivores, et causent meme leur mort, sansqu’il en resulte neanmoins une maladie contagieuse. L/araignee des champs, la chancissure, quin’est qu’un amas de plantes aeriennes , le mielat , les eaux stagnontes, le foin ou tel autre fourrage cor- rompu (1) , ne peuvenl pas non plus etre conside- rs comme des causes de la maladie ; vu qu’ils existent toujours, et que, dans tous les terns , la contagion depend d’une atmosphere viciee , et qu’elle se propage insensiblement de lieu en lieu , sans que sa course soit hatee ou ralentie par le vent.’Elle a eu de la peine a venir d’ltalie dans nos . 1 Ai e (i)M. H. J. C Berger fait voir cela fort clairement dans ses Gedanken. von tier Seuche des Runclviehes , etc., Konigl. Grosbr. Churjursil. Landwirlhschafs Gezelschnjc nachrichtcn , vierie Sammlnng. , pag. 38o , oil it dit; « D un endroit oil it y avoit « soixante-cinq vaches , on en enleva dix-sept au moment que la « contagion se declara , qu’on conduisit dans une autre Stable k *deuxmi!le pas de Ik. Tout'es paissoient dans la meme prairie, et tt avoient mang£ le m£me fourrage. Les quarante-buit qui etoient « resides ensemble , moururent toutes , et il n’y eut que les dix- • sept conduites ailleurs qui restkrent saines; preuve ividente que “arte b’rst pas * *k ta toomrituire i^ul’bln deroit attribuer cette ma- tt ladie. » sur l’epizootie. 119 contrees, depuis 1710 jusqu’en 1714, et depuis 1741 jusqu’en 1744. Nous pouvons dire la meme chose de la contagion qui regne actuellement, la- quelle se propage fort lentement dans la petite etendue de notre pays. Mais, en supposant que les causes dont j’aiparle d’abord eussent lieu , je demanderai si , avant Tan- nee 1714, il n’y avoit pas autant d’eaux stagnantes, de mauvais fourrages, d’araignees des champs, de mielat et de fascioles hepatiques, qu’a cette epo- que? etpourquoi la maladie n’a ete apper^ue qu7a- pres que la contagion eut penetre jusqu’a nous? Enfin, a quoi faudroit-il attribuer que toutes ces causes n’agissent qu’une seule fois sur les betes a cornes ? tandisque Inexperience nous prouve evi- demment que lesbestiaux qui ont eu une fois cette maladie et qui en ont ete gueris, n’en sont jamais attaques de nouveau, quoique toutes les causes in- diquees et les vices de Eatmospbere subsistent tou- jours, et malgre qu’on les laisse paitre au milieu de bestiaux malades , et qu’ils boivent dans les me- mes vaisseaux qu’eux et mangent le fourrage qui se trouve infect e de la have de ceux qui meurent. Qu’est-ce done que Eepizootie , nre demanderez- vous? A quoi faut-il attribuer sa premiere origine, et,quoiqu’on sache qu’elle nous est venue d’abord d Asie, et particulierement de la Terse, de quelle maniere y a-t-elle pris naissance?,Je r^pondrai 9 120 LEMONS cornme il seroit a souhaiter que le fissent tons les naturalistes , que jel’ignore, que cela est au-dessus de raon intelligence et de celle de tous les hommes sans doute. Que toutcequ’on sait c’est que la con- tagion est venue d’ailleurs par Fair arabiant , et qu’elle frappe de mort notre betail; qiFil ne faut done point l’attribuer au ciel de ce pays , m a la chancissure , ni au mielet , ni aux eaux stagnantes, ni au fourrage, ni a notre maniere de faire patu- rer les bestiaux, ni a telle autre cause imaginaire que ce puisse etre. On cherche a nous faire croire que les Suisses, qui , d’apres la maniere actuelle de penser , savent tout mieux que les autres nations, ont eux seuls la sage precaution de donner a leurs vacbes, chaque fois qu’ils les ont trait, un peu de sel et une cer- taine mixtion connue chez eux sous le nom de gelech ainsi que le font nos fermiers , dont les vaches surpassent certainement en beaute, en abon- dance de lait et en proprete celles de toutes les au- tres nations 5 et devoient leur apprendre la ma- niere de les tenir a l’abri de la maladie. J’ai deja fait voir que la contagion a regne en Suisse aussibien que dans ce pays; mais cette ques- tion se trouve parfaitement decidee par une lettre de M. Haller, dont voici la substance: « O11 donne « certainement ici beaucoup de sel a lecher aux (C betes a cornes; mais je ne crois pas que ce soit 121 sur l’epizootie, « a cela qu’il faut attribuer leur conservation. Je « n’ai jamais remarque que les medicamens y aient « opere beaucoup de bien. Mais nous avons grand a soin d’empecher toule communication avec les « bestiaux malades. Plus d’une fois nous avons « eprouve ici ces accidens; mais alors nous avons « tenu les etables fermees , et ernpeche que les (( bestiauxn’en sortissent. Quelquefoismeme;,pour <( prevenir cetle maladie contagieuse, nous avons « tue tout le betail d’un village qui s’en trouvoit cc infecle, et par ce moyen nous avons conserve le « reste en sante. » I Voila le temoignage d’un homme instruit et de grande reputation , et cela dons une affaire qui concernoit son propre pays. Aussi long-terns qu’on ne ne pourra pas preve- nir cette epidemie , il faudra s’attendre a nous voir attaques par ce lleau , quand meme nous ha- biterions l’Arabie Heureuse, que nos contrees ne seroient arrosees que par de limpides ruisseaux , et que le sel marin se trouveroit mele naturelle- ment parmi les herbages de nos prairies. 122 LEMONS De la nature cle V epizootie , et des moyens d’en guerir les bestiaux. L epizootie est ( comme on en conviendra , je pense, d apres les symptomes dont j’ai parle et les alterations des parlies qui surviennent immediate- ment apres la mort des bestiaux) une fievre pu— tiide contagieuse , par laquelle le sang se trouve vicie , et qui cause , en meme terns , une grande in- flammation dans les visceres du ventre et de la poi- trine,ainsi que dans la gorge, alalangue, au nez, aux yeux et quelquefois meme dans le cerveau j de maniere cependant que la mortification a prin- cipalement lieu dans les visceres et les insestins du ventre et de la poitrine. Le feuillet surtout est fort aflecte., a cause de la conformation et des fonc- tions de cette partie. Quoique la maladie presente quelques sympldmes externes qui different entre eux, elle est toujours la meme et ne varie jamais dans ses principes, en alfectant neanmoins une par- tie de l’animal avec plus de force que les auttes. Elle est accompagnee d’une telle prostration des for- ces dans toute.l’habitude du corps et d’un si grand relachement des fibres des muscles des intestins en particular, qufils se trouvent. dans une parfaite inertie: les alimens ne sont plus portes de l’esto- mac vers la bouclie j de sorle que la rumination 123 sur l’epizootie. cesse entierement. Le feuillet n’a point d’evacua- tion; ce qui fait que les alimens qui y sejournent s’entassent , se dessechent et se trouvent recuits. La vesicule du fiel ne paroit etre si fortement gon- flee, que parce que son relachement empeche l’e- vacuation ; tandis qiie la secretion continue tou- jours. La vessie est dans le meme cas. L’epizootie differe done de la petite verole et de la rougeole, et doit par consequent etre traitee comme une fievre putride. Ce n’est pas non plus une simple fievre avec inflammation ; car, dans ce cas , il faudroit que les caimans fussent toujours salutairesj tandis que Lexperience nous apprend que la saignee, les caimans avec du salpetre et au- tres remedessemblables n’ont jamais ele du moin- dre secours. La saignee meme , si heureusement employee dans les maladies inflammatoires , a presque toujours ete funeste dans l’epizootie. Ce qu’il y a de plus singulier , e’est que les bes- tiaux, jeunes ou vieux, qui ont ete une fois plus ou moins affectes de cette contagion , ne s’en trou- vent jamais attaques de nouveau , ou du moins fort rarement , si l’on peut ajouter foi aux obser- vations du marquis de Courtivron (1). Voici done les quatre principales clioses qu’il (i) Mdmoires de V ' Academie des sciences, 1748. L ECO NS fnuf avoir en vue : i°. Chercher a prevenir la ma- laclie, et a diminuer ses effets; 2°. garantir les hu- meurs de corruption j 5°. conserver les forces des bestiaux; enfin 4°. netoyer les inteslins du mo- ment cjue la maladie se declare. Le seul moyen de prevenir la contagion , c’est d empecber qu’on n’introduise dans le pays des betes qui en sont attaquees , ainsi que le foin , la paille ou telles autres matieres susceptibles de s’irn- pregner de virus morbifique. C’est avec la plus grande prudence qu’il faut traiter les peaux des bestiaux qui sont morts de cette maladie. Les per- sonnes qui soignent ceux qui sont malades de- vroient etre exclues des autres etables, ou dumoins n’en approcher qu’apres avoir change de vele- mens; mais on devroit surtout empecher les ani- maux domestiques, tels que les chiens etles chats, de se transporter d’un endroit a l’autre. L’experience nous a malheureusement appris depuis long-tems qu’il est impossible d’employer ces precautions: nos frontieres sont disposees de maniere que nous ne pouvons prevenir Pintroduc- tion de l’epizootie dans ces provinces , qui se trou- vent tellement enclavees dans les pays limitrophes que toute prevoyance a cet egard devient inutile , si nos voisins ne commencent d’ahord a s’en sa- rantir eux-memes. Laleltre de Haller nous a prou- ve combien il est important de tuer les bestiaux 125 sue. l’epizootie, pestiferes du moment que la maladie commence a se declarer. Le docteur Bates conseilla , en 1714, a la re- gence du comte de Middlesex, de faire acheter , tuer et bruler snr-le-cbamp tous les bestiaux des etables ou la contagion pourroit se declarer; mais la mortalite devint bientbt si grande qu’il n’y eat pas assez de matieres combustibles, pour mettre ce conseil a execution , de maniere qu’en septem- bre qn y fut deja contraint d’enterrer les bestiaux. La mortalite ne regna que trois mois dans celte partie de l’Angleterre; dans d’autres elle dura trois ans. Suivant une note du docteur Bates , il eloit deja rnort alors en Hollande au-dela de Lrois cent mille betes a cornes. Le marquis de Courtivron pense que les peaux des betes mortes de l’epizootie ne communiquent pas la contagion. Plusieurs homines de merite de ce pays sont dans la merne idee, que d’autres re- jettent cependant. Cette question me parut si im- portante, surtout pour cette ville, que je deman- dai aux magistrats la permission de faire des ex- periences a ce sujet ; ce qui non-seulemenl me fut accorde; mais on m’autorisa meme a les faire aux frais de la ville (1). En attendant on jugea a pro- (1) J’ai fait placer le a5 fevrier 1769, dans une liutte de paille , a la maison de campagne de IVt. Waimolds, pr6sde Haren, deux 126 LEMONS pos denier dire absolument Fentree des peaux, comme pouvaot etre contagieuses. Les Etats de Frise, animes du zele louable de veiller au bonheurdes habitans, defendirent, d’a- presFexemple de quelques autres provinces, l’em- ploi du suif des betes mortes de la contagion ; mais cela n’empecha pas qu’on en fit clandestine- ment usage ; et Fexperience appril qu’il n’en re- sultoitaucun inconvenient. Les Etats de Frise cru- veaux d un an, pres desquels on a d’abord mis la peau d’une vache morte de l'epizootie ; huit jours aprds j’en ai fait mettre une autre, que j’ai m6me fait laver , et dont l'eau teinte de sang a ete avalde par ces deux veaux , sans qu’ils aient ete atteints de la maladie. Le 7 avril, j’inoculai l’un de ces veaux avecla matiere prise des na- seaux, et 1’autre avec la chassie des yeux d’une vache qui avoit gu^rie de la contagion; mais ces matures ue produisirent au- cun effet, soitqu’elles fussent trop vieilles, ou qu’elles n’eussent plus de veitu ; ces deux veaux ne devinrent par consequent pas malades; et l’epreuve faite avec les peaux parut douteuse. Je les inoculai de nouveau le 28 aviil dansl etabledenotreSori^te aGro- ningen, sur l’epaule et derri^re la hancbe, avec de la mature prise, ]e 14 du m£me mois, du nez d’une vache guerie ; mais il n’en re- sulta egalement rien ; sansdoute a cause que cette matiere etoit git^e et moisie, parce qu’elle avoit 4re conserve humide dans une bouteille bouchee. Cependant ces veaux prirent enfin la maladie d’autres bestiaux inocules qui etoient fort malades dans la meme etable; de sorte mdme que l’un des deux mourut le 16 mai ; oe qui prouve qu’ils avoient 4 ITT 11 paroit par-la que la difference chez les plus grands de ces animaux, qui n’est pa§ fort consi- derable, n’offre point de caractere distinctif. (0 Buffle du Cap, voyez Buffon, torn. XI , pi. 41, fig. 4 el 5. 154 LEMONS SUPPLEMENT A V article de la mesure des mdchoires de cer- tains animaux . Ay ant obtenu cet automne, paries soins obli- geans de M. Staehlin , une tete entiere d’elan , je fus frappe de 1’etat des molaires de la machoire inferieure, relativement a celles de la machoire superieure; lesquelles se trouvent les lines et les autres garnies d’une substance qui tient de bemad. Mais cette substance qui couvre le cote exterieur des molaires superieures, se trouve en sens con- trairesur les molaires inferieures; c’est-a-dire, quhl en couvre le cote interieur. .D’ailleurs , la surface des molaires superieures va obliquement vers en haut , et cede des infe- xieures va en descendant; de sorte que les alimens sont broyes fort menus par le mouvement oblique en avant. 1 55 SUR L’^PI ZOOTIE. Peut-etre Peyer (1), dont j’ai eu si sonvent oc- casion d’indiquer avec eioge l’explication qu’il a donnee de la rumination, a-t-il voulu indiquer cela pas ces mots : « Pendent la mastication , les (( molaires se recoivent alternativement les unes n les autresj exactement de la meme maniere que (( si on in Se no it les bouts des doigts retournes les « uns dans les autres. » La substance emaillee des molaires superieures est de la meme fagon au cote interieur; de sorte qu’elles se croisent les unes les autres en allant en venant,comme les dents d’une scie. Je m’appergus, pour la premiere fois, de cette disposition cbez un elan, le 2 5 novembre 1786 ; et je la trouvai de meme chez le cerf, le daim, la gazelle et le mouton , etensuite chez le buffle d’A- sie, le boeuf du Cap, le boeuf d’Europe et le dro- madaire. U y a bien quelque chose de semblable dans le cheval, le zebre et Pane, mais non pas d’une ma- niere aussi 'marquable : ces animaux out d’ail- leurs les con ines des molaires plus plates. Plusieurs animaux ruminans de differens pays ofFrent encore une autre singularity : leurs dents (1) Pag. 174. Denies — dum masdeatione eommiuuniur , al- ternate et excipiunt , et 'vicissim excipittn lur , ul si cjuis digilos digiiis ex adverse iruerserat. a 56 LEMONS ct molaires se couvrent. d’une croute calcaire de couleur d’or, etles dents elles-memes sont de cette couleur. Je decouvris ce phenomene pour la premiere fois aux dents d’un vieux dromadaire, dont je ne- toyai la tete decharnee en la faisant bouillir , en 1768. II y a peu de terns que je re$us du pays de Munster la machoire inferieure d’une vache dont les molaires etoient fortement dorees; et l’on me man doit que tous les bestiaux qui paissoient dans le meme pa tu rage offroient cette singularity. Ilest vrai que Sibbald , dans son Histoire naturelle d’Ecosse (1), Jonhston (2) et Hasselquist parlent d’un semblable phenomene observe dans des mou- tons. Le celebre Pennant dit que les boeufs du Blair- d7 Athol (5) y acquierent de pareilles dents dorees, <]u’il attribue (4), quoiqu’a tort, a des pyrites. II me paroit que cette substance calcaire qui couvre les dents et les molaires, prend a sa super- ficie cette couleur doree par la cuisson. Avec le terns cette belle couleur disparoit , ainsique je l’ai (1) L,iv. Ill , pag. 8. (2) Hist. nat. , pag. 44 > C°L 2> (5) N. Brittain, pag. 55, A. (4) 11 dit la meme chose dens sa Zoologie brilannitjue, liv. I, PS£- 1 2 * 47- S U R L^PIZOOTIfi, l5f observe a ma tete de dromadaire, quoique la subs- • *v> tance calcaire en recouvre toujours les dents. En attendant , il est certain que je n’ai pas trouve cette douleur doree quand j’ai netoye les teles par putrefaction et non par cuisson. Klein-Lankum , Ie 25 novembre 1786. t i58 LEMONS LETTRE ADRESSEE AUX jETATS-GENERAUX DES PROVINCES-UNIES. Hauts et puissans seigneurs, Les grandes marques de constante sollicitude et de zele que V. H. P. ne cessent de donner aux h-abitans de ces Provinces, pour prevenir, s’ii etoit possible , les affreux ravages de la maladie conta- gieuse des bestiaux, doivent exciter tous les citoyens a seconder ces louables efforts, dansl’esperance de parvenir, avec le secours du ciel, a delivrer notre patrie de ce terrible fleau. C'est ce meme zele qui m’anime, H. et P. S. , a prendre part a cette grande calamite publique, et mon etat et la place que j’occupe rendent a mes yeux ce devoir plus sacre encore! Je suis d’ailleurs egalement stimule par le desir de transmettre avec honneur mon nom a la posterilejce que je ne rou- gis pas d’avouer ici, etant persuade que V. H. P. considerent elles-memes cet amour de la fdoire O comrne nn but louable, que par consequent elles ne me blameront point de cette noble ambition. J’ai suivi, pendant plus de quinze mois, autant que Pont permis mes autres occupations, cette ter- rible epizootie et ses diiferens symp tomes chez nos betes a cornes; et j’ai ete force d’en tirer cette mal- heureuse conclusion : Que tons les remedes de la, pharmacie sont impuissans centre cette mala- die j parce que les intestins ont deja cesse leurs fonctions lorsque l’animal donne les premiers si~ gnes de contagion. Les pretendus remedes, dequelque nature quails puissent etre, administresinterieurement,demeu- rent sans effet dans la panse, et lien n’est capable de soulager l’animal, ni d’atlenuer son sang coa- gule. Une saignee peut seule quelquefois faire di- minuer sa toux et son asthmej mais la plupart du terns cette ressource demeure egalement sans le moindre efiet. Nous avons pense aussi aux remedes diasosti- ques, et nous avons fait a cet. egard beaucoup d’es- sais, qui tous nous ont convaincu qu’ils eloient de j6o LECONS meme absolument infructueux. Les bestiaux a qui on en avoit donne pendant long-terns sont morls comrne les autres, et avec les memes symptdmes que ceuxqui n’en avoient prisaucun. L’administra- tion de ces rernedes etoit accompagnee de beau- coup de difficulles , et demandoit plus ou moins de depenses; je les ai done abandonne, et j’ai cru que V inoculation est peut-etre le meilleur re— mecle y quJelle rendroit la maladie moins vio - lenle , et que par consequent elle seroit moins dangereuse. V. H. P. verront par la suite combien mes ef- forts ont ele heureux a cet egard. L’inoculation promettoit encore un autre avantage , celui de pou- voir suivre mieux la nature de la contagion, et de decouvrir differentes circonstances qui pourroient etre avantageuses non-seulement aux proprietaires des bestiaux, mais augouvernement meme, enlui procurant les moyens de donner des ordres salu- taires pour le soulagement deshabitans a cet egardj lesquels, malgre toule la purete des intentions de Y. H. P. , pourroient etre fort prejudiciables, s’ils n’etoient pas appuyes sur Pexperience que les gens de Part peuvent avoir acquise par leuvs re- cherches. Mon principal but a ete de m’instru ire avec cer- titude si les peaux des bestiaux morts de l’epizoo- tie peuvent en infecler d;autres? et si la chair, le SUR l’eP IZOOTIE. l6l Silif et le sang son l capables de produire le meme mal/ enfin , si le lait, le beurre et le fromage, etc., desvaches attaquees de maladies contagieuses doi- vent etre regardes comme nuisibles a Pliomme et aux animaux qui s’en nourrissent ? Par exemple, }^ar un acte du parlement d’An- gleterre, du 22 mars 1747 (1), il fut dtfendu de nourrir 011 d’engraisser dans ce royaume des veaux, des cochons, des agneaux , etc., avec le lait de bestiaux malades. Or, si l’on pent demontrer que le lait des vaches attaquees de la contagion ne cause aucun mal a d’autres bestiaux, pas meme aux veaux, cette precaution devient inutile, ainsi que les reglemens qui en sont la suite. V. H. P. verront par les experiences' que nous avons faites que le lait pris interieurement ne peut point cau- ser de contagion, et qiPil ne produit meme aucun mauvais effet quand on s’en sert pour inoculer des veaux. Si done les moutons, les pores, les chevres les cerfs , etc. , ne sont jamais attaques de cette, maladie, comme nous Pa prouve Pinoculation que nous avons toujours faite sans fruit sur ces ani- maux, pourquoi occuper l attention du gouver- nement sur cet objet ? Si Pon sail que la viande fumee ou salee des bestiaux morts de l’epizootie (1) Collection of all the ordres of council, etc. , relating to the distempered cattle , 1747. 162 lemons n’est pas contagieuse, pourquoi multiplier par-la inutilement les soins paternels de V. H. P. Mais sileur chair, leur saug, leur suit conservent , apres leur mort , la vertu morbifique , il est necessaire d’y veiller et d’emj)loyer les moyens qu'on croit pro pres a delruire celtequalite malfaisante , ou de faire des essais pour connoitre combien de terns ils peuvent la conserver. - Combien de precautions les Elats des provinces respectives n’bnt-ils pas fait prendre relativement aux peaux , a la chair, ausuit et a l’enlouissement des betes mortes de la contagion ? El cependant ces memes Etats ont ete constamment invites par les habitans a vouloir bien, par bonte paternelle, et pour soulager , autant quhl etoit possible , les malheurs publics , ne point mettre d’entraves a l’usage des peaux et du suif de ces bestiaux. Cependant il y en a peu parmi nous qui aient demande qu’on examinat les principessurlesquels etoient fondes la plupart de ces ordonnances qu’on avoit presque toutes adoptees d’autres nations. Yoila, H. et P. S. , quel est le but de nos soins et de nos recherches. Il ne m’^toit pas possible de faire seul ces essais; d’autantplusqu’ils devoient etre faits sur les lieux Oil la maladie epidemique s’etoit deja declaree , Ce qui 4toit souvent loin de la ville que j ’habile. Ces raisons m’ont engage a choisir M. le medecin sun l&pizootie. i'63 My n old Munniks , mon eleve , pour remplir ces so ins sous.ma direction; et nous prenons aujour- 1 bui la liberie cl’en offrir le resultat a V. H. P. , ct cle me it re sous leurs yeux le detail des progres que nous avons fails, avec un expose de ce°qui veste encore a faire, selon nous, pour parvenir a la perfection. Le prin terns dernier, nous avons eu le bonheur de former une sociele en Prise, et de faire a nos depens et avec le secours des membres associes ces essais interessans. Cependant , comme nous n’avons pu outrepasser les clauses de cette association, nous avons ele obliges de suspendre nos travaux. Malgre cela notre zele ne s’est point ralenli, quoi- que contrarie par les frais que demandent de sem- blables experiences, lesquels sont veritablement trop considerables pour des particuliers, et ne pern vent devenir utiles que par Pappui immediat de • H. P. et celui des Etats de chaque province oil ds sont juges necessaires. Inexperience nous a du moms appris, que nous avons plus d'une fois couru le danger d’etre les victimes des ecarts du peuple, le quel , ignorant le but de nos salutaires travaux, et se fiant & l’indulgence de la justice, a non-seulement trouble nos occupations, mais nous a oblige par des voies de fait d’abandonner notre etablissement, de prendre la fuite avec nos bes- tiaux, et par consequent de mettre fin a nos expe- riences. 1 1 64 LEMONS Nous avons l’honneur de joindre ici un rapport detaille des observations que nous avons faites en 1769, sur cent douze genisses de la grietenie de Doniawarstal en Frise. Les resultats de ces observations sont: i°. Que la maladie comminiquee par Finoculation a ete accompagnee absoluraent des memes symptomes que ceux dont les bestiaux sont attaques dans l’e- pizootie naturelle ; 20. qu’elle se communique avec la meme facilite; 5°. que cependant elle est , en general, plus benigne et plus facile a guerir ; 4°. que les bestiaux gueris apres avoir subi l’inocula- tion resistent parfaitement a une seconde conta- gion, soit naturelle, soit communiquee par ino- culation. Depuis ce terns , nous avons confirm© tout cela par des centaines d’observations. L’ex- perience nous a egalement appris que la couleur du poil des bestiaux ne contribue en rien a leur faire prendre plutot la maladie, ou a la rendie plus ou moins mortelle; et que les bestiaux nes de Ceux qui ont ete gueris de la contagion y sont tout aussi exposes que les autres; car nous communi— quames l’epizootie a plusieurs veaux, dont quel- ques-uns moururent , quoique nes de vaches gue- ries, et dont le pere et la mere avoient egalement ^chappe ^iux cruels elfels de ce fleau. Le resultat de nos premiers essais , quoiqu ils fie furent pas egalement heureux sous tons les rap- 1 65 sur l’etizootie. ports, fut neanmoins assez satisfaisant pour nous engager a les continuer j car sur cent douze indi- vidusnousen conservames quarante-cincj parl’ino- culation. Ensuite , nous avons sauve quarante-sixsurqua- tre-vingt-douze tetes debetailque nous avons ino- culees. Le Iroupeau consistoit en soixante-huit ge- nisses , onze vaches laitieres et treize veaux ; dont six veaux, huit vaches et trente-deux genisses fu- rent heureusement gueris. Lovsque nous comparons ces succes avec la liste des betes malades , mortes et gueries en Hollande et West-Frise , nous trouvons les bienfaits de Fino- culation plus grands encore. En Hollande du moins on n’a sauve que le quart des bestiaux attaques de la maladie contagieuse. II paroit par line liste qu’on n’en a sauve qu’un tiers dans la Nord-Hollande 5 tandis que nous en avons conserve exactement la moilie. Depuis nous avons inocule a Groningen, a nos depens et an compte de quelques autres person- nes, des vaches laitieres, des vaclies portieres, des boeufs et des g^nisses, et nous avons trouve que quand les vaches ne portoientpas depuis trop long- terns, on en conservoit les trois quarts. Le succes fut satisfaisant avec le petit nombre de boeufs que nous avions. Nous aurions desire de multiplier ces experiences, si le prix des bestiaux qui n’avoienl i66 LECONS pas encore ele gueris ne fat pas monte irop bout, a cause de i’exlreme rarete du betail. Quoiqu’il en soil, nous avons maintenant ap- pris que tous les remedes diasostiques sont ab- solument inutiles ; que les evacuations moderees obtenues par du sel de mer, et des saignees repe- tees sont extremement salutaires, ainsi que les ali— mens bien choisis , tant avant qu’apres la plus gran-de crise de la maladie. Les bestiaux qui mouroiept servoicnt a prou- ver que, comme nous avion s netoye les intestins a terns, il y avoit peu a craindre de ce cole-la. Ce- pendanl les poumons vestoienl Irop fortement at- taques, pour laisser quelque espoir que des sai- gnees eussent peu operer le moindre soulagement. Nous conclumes done avec raison , je pense , que la principale cause de la maladie consiste dans une inflammation des poumons. Aussi vimes-nous mourir de phthisie plusieurs betes qui avoit deja recommence a ruminer, et qui se trouvoient veri- tablernent dans un etat de convalescence , ainsi que cela a de meme lieu chez ceux qui sont nutu- rellement attaques de la contagion. Une seule fois nous avons obtenu un v,eau vi— vant apres que la vache eut ete guerie. Nous avons inocule deux fois de suite cet animal avec la ma- tiere morbifique d’une vache fort malade j mais il resista a la contagion j preuve qu’on doit altendre sun l’epizootie. 367 ce meme avantage cle la maladie naturelle , ainsi que l’experience nous l’a prouve en effet chezquel- qn es bestiaux. Une autre fois nous avons obtenn un veau vi- vant d’une vache qul etoit encore malade. Ce su- jet , qui se trouvoit malade en naissant , mourut avec les memes symptomes a peu pres que tous les autres bestiaux pestiferes. Comme les vaches velent ou avortent d’autant plus promptement que le terns de rnettre bas est plus prochain , nous regardons la maladie comme d’autant plus dangereuse alors. Les genisses , les veaux d’un an , etc. , qui sont encore au commen- cement de leur portee, avortent plus tard, quel- quefois meme seulement un ou deux mois api'es. II paroit par-la que l’inoculation se fait avec un meilleur succes sur des bestiaux ages , principale- ment sur les vaches qui ont vele, ou qul ne sont pleines que depuis peu de terns. II est singulier que de quelques cenlaines de pie- ces de betail que nous sommes parvenus a sauver par l’inoculation , il n’y en ait eu qu’une seule qui ait perdu le toupillon de poils de la queue. Les saignees repetees que nous avons employees eliez un grand nombre de bestiaux, nous ont con- vaincu : i°. que du moment que la maladie a pris racine , le lait se caille entierement , sans qu’il y reste la moindreserosite; 20. quelorsque l’animal i68 LEMONS meurt le sang n’est plus caille, mais qu’il est lola- lement fluide; 5°. qu’elant tire avant la mort , il conserve de meme sa fluidite ; 4°. que le sang tire d un animal peu de terns apres le retablissement contient des serosiles et se coagule comme dans Petat naturel de same. Comme il reste encore beaucoup de choses a observer dans le progres de la maladie , il seroit a souhaiter qu’on lit aux frais du gouvernement les experiences suivantes: 1°. Ouvrir tout vivans des bestiaux chaque jour apres la communication de la maladie, afin qu’on puisse reconnoitre le moment on les parties se trou vent le plus affectees par le progres du virus morbifique. 11°. Ouvrir les bestiaux aussitot qu’il y a signe de guerison , et cela jusqu’a ce qu’ils aient recom- mence a ruminer ,.pour sa.voir de quoi depend pro- prement ce grand cbangement. Le jeune betail se- roit le plus propre pour cela et le moins couteux, puisqu’il faudroit le dissequer tout vivant. Peut-etre que, par ces moyens, on parviendroit a trouver des remedes propres a relablir la rumi- nation j et. dans ce cas il y auroit esperance de gue- rir rinflammation des poumons. La violence de la maladie communiquee par inoculation differe en apparence si peu de celle de la contagion naturelle, qu;on ne sauroit assez en sur l’epizootie. 169 etre etonne. II est vrai cjue I’inoculation est sus- ceptible (^amelioration , ainsi que nous Font prou- ve un orand nombre d’experiences , que nous ne manquerions pas de multiplier , si les depenses qu’elles demandent n’etoient pas trop conside- rables. Nous nous proposons de publier sous peu de terns toutes nos observations sur cette matiere avec un avis preliminaire 5 dans l’esperance d’engager par-la nos concitoyens a suivre noire exemple, en les mettant a merne de tirer avantage des lumieres que nous pouvons avoir acquises par l’experience* ainsi que des erreurs meme oil nous pouvons etre tombes. En octobre 1769, nous avons failles experien- ces suivantes sur la nature de la contagion : • PremIerement. Nous-memes et les ouvriers qui nous aidoient , avons souvent ete blesses aux mains et aux doigts en ouvrant et en maniant des besliaux morts de Pepizootie ; par consequent la matiere morbifique a passe immediatement des na- seaux, de la boucheet d’autres parties de l’animal dans noire sang, sans que nous en ayons cepen- dant eprouve aucune suite facheuse , si ce n’est peut-etre que la plaie a ete un peu plus long-terns a guerir. Ni le la it , ni le beurre , ni le frontage , pas 17° LECONS meme la chair , lant fraiche que fumee et salee • t tr r III. 12 178 LEMONS DE I/INOCULATION DE V fiPIZOOTIE, De ses a vantages et de s precautions qu'elle demande. I. 1/ inoculation dela maladie contagieuse des betes a cornes a ete d’abord pratiquee avec des succes douteux en Angleterre, ensuite dans le duche de Brunswick en 1746, en Nord-Hollande ^n 1755 , pres de la Haie en 1757, et la meme an* nee a Londres (1), jusqu’a ce que moi-meme, avec le celebre M. Van Doeveren a Groningen , en 1769 (2), et M. Munniks en Frise ( 011 M. Alta , rninistre du Saint— Evangile , Favoit deja elablie), commenqames a faire un grand nombre d observa- (1) Vo yea mes Lemons sur Vepizootie , pag, iS^. Ibids SUR i/ePIZOQTIE. 27g tionsde toulesles especes, avecun tel succes qu’en general une plus considerable quantite de betail fut guerie et sauvee, qu’on n’auroit pu le faire dans la maladie acquise naturellement , par tous les remedes possibles (i). (0 Par la liste des bestiaux gueris etdeceux qui Sontmortspar Finoculation, public par ordre des Etatsde Hollande et de West- Frise, et qui comprend les quatre derniers mois de Fannie 1769 et les deux premiers mois de ,770 , j’ai observd q„e dans la Hol- lande seule il est mort , 14,, 52 teres de bdtai! , et qu’il en a etd gudri 09,0(35. Dans la West-Frise, il en dtoit mort 43,180, et il en a dte sauve 2,,o9,. D’apres les registres dresses en ,769. par ordre des Prats de Frise , il en est more eerie annee lk 5i ,022 et 17,237 ontdtd gueries. Le nombre des bestiaux morrs a done dtd a cel 111 des bestiaux gueris comme 208,554 i 78,295. La totalite des bestiaux attaqnds de Fdpizootie est par consequent de 286,647, dont il sen est k peine sauve les deux septidmes ; tandis qu’on a conservd, au contraire , plus de la moitid des bdtes k comes de routes les espdees it qui on a inoculd la contagion. Si done on vou- Joit inor.uler la maladie i toUs les veaux des vacbes gudries , etsi sur cent on en perdoit deux , la totalitd de ceux qu'on perdroic seroit de 4, ,66; doit l’on peut Facilement conclure Les grands avantages de cette inoculation, surtout si 1’on ronsiddrela valeur de ces bestiaux. Supposons, par exempie , que le prtx de chaque veau soitde 20 florins de Hollands Ja perte totale monteroit 4 80,320 florins; tandis que la somme de la valeur de tons ceux qu pn auroit gudris iroit i 3, 649 620 florins. Ainsi la valeur de chaque veau gudri de la contagion acquerroit une addition de trots quarantines parties d’un florin ; ce qui est si peu de chose quecela ne mdrite aucunement d’etre pris en considdration. Mais la somme de la valeur des betes a cornes perdues par la contain pnse naturellement , si Fon estime seulement les vaches « 1„ l8o LECONS Ces essais nous ont eglement appris que jamais aucune bete a cornes qui a une fois ete guerie de Pepizootie n’en est attaquee de nouveau; ce que tes experiences failes en Nord-Hollande avoient laisse dans le doute. Ensuite on a essaye, mais sans fruit , l’inocula- iion en Danemarck; jusqu’a ce qu’on l’eut reprise avec un heureux succes en Frise. Les avantages de ce remede consistent en ce que : i°. Ce sont des veaux ou des genisses d’un prix modique qu’on expose au danger de la con- tagion. 2°. Les genisses ont Fepizootie avant qu elles aient re§u le taureau j par consequent avant qu el Team, l’un portant l’autre , a 20 florins pidce, monte k 4,167,080 florins. Je dois convenir que par-lkle prix des bestiaux gu&ris est certainement augment^ d un tiers; mais ce prix baisse insensi- fllement et revient au taux ordinaire apr£s que la contagion a cess4 ses ravages. Je sais qu’on a vendu pour a5o florins pi6ce des Tacbes laitidres gudries de la contagion. Si l’on compare k cela 1’effet qua produitle parti qu’on avoit pris de tuer les bestiaux mi- lades , et dont les Etats de Brabant ont rendu compte , nous ver- rous que, pour conserver 1 1 1 ,960 t£tes de betail , on n en a tui que 4^4; que par consequent on n'en a perdu qu une deux cenl soixante-quatri£me partie , ou trois huitiemes du cent ; qu ainsi la perte a 4t6 encore beaucoup moindre ici que par 1 inoculation la plus heureuse , par laquelle on perd au moins toujours un veau «ur cent. SUR l’epizootie. .181 les soient pleines ; ce qui est un plus grand avan- tagequ’on ne sauroit le penser ; car, lorsque la contagion attaque naturellement tout-a-coup un troupeau entier, les boeufs , les veaux , les genisses et les vaches en sont tous affectes sans distinction. Presque toutes les vaches avortent ; de sorte que si elles n’en meurent point et qu’elles se retablis- sent meme parfaitement , leur matrice se trouve tellement derangee qu’elles ne peuvent ensuite plus retenir facilement. Elles ne sont pas non plus sitot en chaleur apres cet accident , de sorte que le pro- prietaire d’une telle vache est oblige de la nourrir pendant une annee entiere sans en retirerle moin- dre a vantage; et se voit enlin oblige de Pengraisser pour la livrer au boucher. C est dans les endroils ou les fermiers n’ont d’a utre ressource pour vivre que leurs bestiaux qu’on a principalement besoin de quelque certi- tude a cet egard ; et c’est pour cette raison que 1 inoculation doit j etre praliquee de preference , quail d meme on ne parviendroit pas a sauver par ce moyen un plus grand nombre de bestiaux qu’on ne pourroit esperer d’en voir retablir par Pepizoo- tie naturelle. Le prix d’un veau va rarement. au quart de celui d’une vache; d’ailleurs les vaches, etant ensuite pleines au terns convenable, veleront facilement , et fournirout convenaMement leur lait. 182 LEMONS . II. Cependant il importoit trop aux ferraiers daces provinces, pour qu’ils abandonnassent sitot ce mojen convenable cle sauver leur Detail. Ils avoient remarque , en premier lieu , que les veaux avortes par des vaches malades n’etoient propres a etre inoculees qu’apres qu’ils avoient respire pendant quelque .terns le grand air. Secondement , que les veaux provenant de vaches qui avoient passe heureusement par l’epizootie eprouvoient , en ge- neral, des crises moins violentes, et qu’il en re- cliappoit un plus grand nombre que de ceux qui etoient nes d’autres vaches. Ils combinerent done ces circonstances , et hrent inoculer aussi bien les veaux provenant de vaches qui avoient ete gueries de la contagion , que ceux qui n’avoient pas encore ete exposes en plein air. D’apres ces procedes les acces de l’epizootie lu- rent si benins que les fermiers douterent souvent si le beta il qu’ils avoient fait inoculer avoit ete reellement malade ou non. Moi-meme, excite par leur exemple, j’en ai quelquefois inocule, dans le meme terns, jusqu’a trente et davantage; et j’ai vu avec \ilaisir que ces veaux couroient gaiernent en- semble dans l’etable. Ceux qui etoient plus mala- des que i“s autres, s’eloignoient d’eux, et alloient les rejoindie aussitot que la crise etoit passee, jus- cju’it ce qu’ils eussent tous passe le terns conve- sur l’epizootie. l83 nable a la maladie. De cette maniere sur cen t veaux ll en mouroit a peine un seul. II est arrive quelquefois cependarrt que la ma- ladie, quand elle etoit fort benigne, de sortequ’on en appercevoit a peine de legers symptomes , ne parvenoit point a maturite; alors ces veaux etoient attaques de la contagion au moment qu’on ne s’y attendoit point, quand on les faisoit paitre parmi un troupeau malade. De la nait une incertitude egalement prejudi- ciable au commerce des bestiaux gueris eta Fin- teret des fermiers. La plupart ont, a cause de cela, fait inoculeur jusqu’a deux fois leur betail; la pre- miere fois avant que les veaux eussent respire le grand air, et la seconde fois quand ils etoient par- venus a l’age de trois oil quatre mois; non qu’ils s’imaginassent que les betes a cornes puissent etre deux fois de suite sujettes a Fepizootie par Finocu- lation, mais pour qu’ils pussent etre certains que ces bestiaux avoient reellement ete attaques et gueris de cette maladie. Cesessais multiplies et presque journaliers nous avoient enfin demontre qu’il n’est pas absolument necessaire qu’un veau , pour subir heureusement Fepizootie , ait ete expose a Finfluence de Fair ; mais qu’il suffit qu’il vienne d’une vache qui ait eu cette maladie, et que l’inoculation sefasse avant qu’il ait cinq mois. Avec ces conditions, la conta- i84 lemons gion est non-seulement beriigne, mais elle se de- clare suffisamment par des symptdmes exterieurs1 * * * * * pour que chaque fermier puisse etre convaincu qu’elle a reellement lieu chez Fanimal. Actuelle- menl I inoculation s’opere en Frise et dans la pro- vince de Groningen sur tons les veaux avec un tel succes , qu en prenant les precautions dont j7ai parle, il en meurt rarement un sur cent. III. Je crois pouvoir conclure avec raison de ces heureuses suites de Finoculation que , dans tous les pays ou la metliode de tuer les bestiaux attaques de la maladie contagieuse n7a pas le suc- ces qu on en attendoit, Finoculation de veaux nes de vaches qui en out ete gueries , est le seul re- mede qiFon puisse employer pour rendre ce ter- rible Eleau an moins supportable (1). Peut-etre qu’une meilleure disposition naturelle du pere contribueroit encore a cela ? ainsi que nous le savons deja de la mere. II faudroit done avoir (i) II paroit evidemment , par Je chap. i5 du premier livre de Sin^que, De ira , que Jes anciens ont connu le moyen de preve* nir la contagion en faisant tuer leurs bestiaux : « On ecorche, dit-il, « les brebis malades, de peur qu’elles n’infectent le troupeau.» ( Morbulis pecoribus , nc gregem poll mull , ferrum diinittimus. ) Ce qui n avoir d'autre raison , que ( a sanis inudlia sccernere ) de mettre les betes saines & l’abri de la contagion de celles qui £toienc dejit malades. Voyez Aujlos drier Preis-Jrage , pag. 4». s u r l'e P IZOOTJE. 1 85 soin de n’augmenter Je troupeau que par des tau- reaux et des vaches qu’on sauvoit avoir ete gueris de l’epizootie. Si tons les fermiers metloient , d’un commun accord , ces moyens en pratique , nous n’aurions plus, en douze ans de terns, que des va- ches a l’abri de la contagion , et qui ne donneroient que des veaux propres a elre inocules. Mais il en resulteroit cette difficulte qu’on ne trouveroit plus de matiere raovbifique pour inocu- ler les veaux, a moins que l’epizootie necontinuat a regner dans quelque canton voisin. II faudroit done que dans chaque pays on y destinat un nom- bre snffisant degenisses, afin qu’on eut constam- ment sous la main de cette matiere. Une ou deux de cesgenisses devroient etre soumises, a des terns fixes , a 1’inoculation , pour qu’on eut toujours a la main un nouveau germe actif. II faudroit que ces genisses fussent entretenues aux depens de la caisse publique; et, comme la moitie de ces ge- nisses succomberoit a cette operation , l’autre moi- tie, qui parviendroit a vaincre la maladie , seroit d’une valeur bien plus considerable. II est maintenant evident et reconnu , soit qu’on ait recours au moyen detuerlesbestiaux, ou a ce- lui de les inoculer, qu’il est n^cessaire de. connoi- tre surtout , comme remedes diasostiques , le veri- table terns pendant lequel le virus morbifique peut se garder sansperdre son activate. Combien de terns i86 LECONS eussiunebetemorte del’epizootie conserve sa qua- lite contagieuse, soit qu’on l’enfouisse sous terre , encore intacte avec sa peau , soit qiPon la laisse exposee sur la terre en plein air, soit enfin qu’on la plonge dans l’eau ? Combien de terns cela a lieu avec la chair salee ou fumee? Pendant quel laps de terns enfin le suif, la peau , les cornes, les os, etc. , restent impregnes de ce meme germe ? Et , pour ce qui concerne Pinoculation , il faudroit sa- voir pendant quel terns la matiere dont on se sert pour cette operation conserve sa vertu ? Par ces differentes experiences on parviendroitapouvoirin- diquer aux chefs du gouverneraent et aux fermiers les moyens d’operer avec certitude dans la suite ; et par-la on ne manqueroit pas de bien meriter de ses contemporains, ainsi que de la posterite. 187 sur l’epizootie. E X A M E N ) D ’ un passage cle V instruction cle sa majeste prussienne cle relcitivement a la decom- position des peaux des betes d comes. D ans cette instruction , pag. 58, il est dit que les betes a cornes qu’on enterre revetues de leur peau ne sont pas encore deeomposees au bout de dix ans. Par consideration pour un ecrit qui avoit paru sous le nom de sa majeste prussienne , et faute d’avoir fait moi-meme les observations ne- cessaires , je gardai , dans mes lecons sur Pepizoo- tie , le silence sur le degre de confiance que meri- toit cette assertion , et crus devoir attendre pour cela quelque circonstance convenable. | Je vais done communiquer maintenant au pu- blic ce que j’ai observe le 25 aout 1778. Ce jour* la je me rendis chez M. N. Fontein , riche fermier du village de Ried, a une lieue de Franeker, pour etre temoin de Fexhumation de plusieurs betes a i88 LEMONS cornes mortes de l’epizootie en 1769 et enterrees les lines a cote des a utres avec leur peau , a sept pieds de profondeur sous terre. On avoit d’abord couvert ces betes legerement de paille et ensuile de terre , laqnelle est ici argilleuse. Apres qu’on eut enleve la terre avec precaution, nous trouva— mes une couche de paille , laquelle ne s’alFaissa nullement, n’etant point du tout pourrie 5 et des- sous cette paille nous decouvrim.es les squelettes entiersde ces bestiaux, sans la moindre apparence de peau, de chair, de nerfs ou de cartilages , ex- cepte beaucoup de graisse 778, un jeune taureau qui 6toit mort de ces vers , sans avoir et6 inocuie, ou sans avoir et& attaque naturellement de l’epizootie, Avant de terminer cette note supplementaire , je demandai k mon metayer R. Halma , qui inocuie journellement du jeune b£- tail, si ces veaux etoient encore attaques de la toux occasionnee par les vers? II me r^pondoit que huit en avoient ete malades cet automne; mais que, les ayant sur-le-champ retires du pacage et nourris k ratable avec du Coin, il en avoit conserve six; les deux autres etoient morts. Ces huit veaux avoient ete inocules et avoient passe heureuse- ment par toutes les crises de l’epizootie. C’^toit le i5 novenibre 1786 que je Ini fis cette question; ce qui prouve que eette toux tluroit encore k cette dpoque , et qu’on peut la prevenir ou la gue- rir m^me en donnant du foin au betail. 11 m’assura qu’il n’avoit jusqu’alors jamais remarqu£ cette maladie chez d’autres betes k comes que ceux qui avoient ete gueries de l’epizootie. Comme je soupconnai qu’on trouveroit de semblables vers dans les canaux de mes pacages , j'ai examine des anguilles qu’on y avoit pSchees, chez lesquelles je n’ai trouve que le taenia haeruca de Pallas ( Rostro re tract Hi , acuelis reclinatis , muricata. Zoophyt. , pag. /ti5), que M. Muller a de meme parfaitement repr<5sent<5 ( Naturforsch. , tom. XII , pag. . 78 , pi. V ), ainsi que M. le pas- teur Gceze dans son immortel ouvrage que j ai cite plus haut. Plusieurs brochets et perches en Etoient egalement attaques ; mais il* n’avoient point de mes vers pulmonaires. sur l’epizootie, ig5 vai que sa figure et sa description (1) etoient par- faitement exactes, mais que ces vers differoient ce- pendant de nos vers pulmonaires. Je ne perdis point de terns a faire connoitre, par la Gazette de Leeuwarden , une decouverte aussi importante pour ce pays; en priant les personnes instruites de me communiquer leurs observations sur cet objet. J’appris qu’une maladie semblable a la pulmonie attaquoit quelquefois les vaches et les veaux, meme ceux qui n’avoient pas ete gueris de l’epizootie; qu’on lui avoit donne le nom de toux. Qu’on avoit deja trouve des vers dans leurs pou- mons,et que tous en etoient morts. Ce n’est done pas une maladie nouvelle ; cependantmes observations etoient neuves et le sont encore, puisqu’on n’a point examine jusqu’a present la cause de celte maladie. 11 e§t vraisemblable que les veaux gueris de l’e- pizootie, dont les poumons sont encore relaches et foibles, avalent le principe de cette maladie avec l’eait qu’ils boivent, et que ces verss’intro- duisent par la glotte dans la trachee-artere , ou Quelques instances que j'aie faites pour qu’on me communi- qudt les observations qu’on pourroit faire sur cette terrible ma- ladie des jeunes betes k comes, jen'ai retju depuishuit aus aucun renseignemont sur cel objet. (i) Bcscha feigungen , vol. III. 296 lemons ils se multiplient a l’infini, produisant des myria- des de petits, qui sont vivipares. Peut-etre meme sont-ils feconds de plusieurs generations a la fois, ainsi que cela a lien chez quelques autres insectes. II est probable que la foiblesse des poumons em- pecbe les veaux detousser avec assez de force pour rejetter ces vers hors de leur corps , comme cela a lieu chez les vaches, les genisses et les veaux qui n’ont pas encore ete attaques de l’epizootie. Pai conseille de conduire sur-le-champ a l’etable les veaux lourmentes de ces vers , et de les nourrir avec du lait, du foin, etc. Quelques-uns en sont guerre. Comme l’automne approchoit , et que ce facheux accident dtoit aux fermiers le courage de continuer Pinoculation , j’ai ete oblige d’attendre le printeuis de cette annee. J’ai inocule beaucoup de veaux a mes propres depens, et les ai fait conduire dans le meme pa- ca^eou les veaux del’annee precedence avoient ete attaques si violemment de la toux j mais jusqu’a present je ne me suis pas encore appercu qu ds soient attaques de cette maladie. J’attendrai le mois d’aout pour examiner 1’eau des canaux et des mares de ce pacage, afin de me convaincre s’il contient des vers ou non. En attendant, on m’a assure que cette maladie est periodique, et quelle se declare pendant une annee dans le) endroil oil elle n’etoit pas encore connue et ou elle n’est plus revenue depuis. Je ponrrois done manquer l’oecasion de faire les ob- servations necessaires; mais on doit me faire pas- ser d’autres endroits des veaux qui sont attaques de la toux. Du moment que je les aurai en ma possession , je les ferai mettre dans des h titles dressees dans mon verger, oil, par de continuelles fumigations, ils respireront un air salubre. 3e ne manquerai pas d’instruire notre societe (i) du succes de mes ob- servations; car ce n’est pas ma patrie seule , mais l’Europe entiere qui est interessee a connoitre et a trailer cette maladie, qui , si elle n’est pas con- tagieuse, est du moins plus terrible que la pul- monie, puisqu’elle coute la vie a tons lesbesliaux qui en sont attaques. Je prie messieurs mes colleguesde faire connoi- tre mes. observations , pariiculierement en Alle- magne,%u la contagion continue a regner dans quelques endroits ; et d’inviter les naturalistes non- senlement a examiner la nature de la maladie , mais a chercher egalement les moyens les plus convenables et les moins dispendieux de la guerir. II seroit interessant de savoir si la toux occa- sionnee par les vers pulmonaires altaque et alfecte par-tout les bestiaux de la meme maniere? (i) La Soci
24 1) K l/ EDUCATION lienne de Pun on de Pautre. Hippocrate a fori l)ien developpe cette idee: u 11 est vrai, dit-il, que des <( parens sains et robustes produisent des enfans « foibles et delicats; mais il faul Pattribuer a ce ^ que le foetus a soulfert dans le sein de sa mere} Ci car, en general, l’enfant est bien conslitue ou <( foible suivant que la mere jouit d’une bonne ou DES ENFANS, 2.2C) fro id resserre les parties solicles et les ren force , ce cjui a particulierement lieu avec 1 eau dont la pe— santeur specifique semble y contribuer pour quel- que cbose. II faut examiner avec soin lous les membres et toutes les parties du nouveau-ne, afin deprevenii quq quelque delaut neglige ne rende 1 enfant foi- ble ou impotent, ou ne soit meme la cause de sa mort prematuree. On doit surtout avoir grand soin de la tele: on sail qu’on y decouvre souvent des tumeurs causees par des os defect ueux; mais qui disparoissent neanmoins insensiblement , aussitot que le cartilage s’ossifie. II y a des cranes qu on a purifies par art. Dans ces cas, une matiere cartila- gineuse , tapissee d un double perioste, remplit la partie que le cerveau , qui cherche a s’etendre en tous sens, pousse en dehors. Voila pourquoices tu- meurs , particulierement celles des os parietaux , s’appellent hernies cervicales, lesquelles ont tou- jours un bord osseux, qu'il est lacile de sentir. II faut garnir ces endroits foibles de compresses et de ligamens, auxquels le mal cede constamment. II y a d’autres contusions que la nature seule guerit. La levre fendue dans le sein de la mere ne se rejoint jamais natuvellement, et doit etre retablie par le secours de Y art 3 mais cela ue peut ae fairc que lorsque l’enfant a six mois : avant ce terns, la 200 D E l’ EDUCATION chair cst trop molasse. Ce secours est d’autant rnoins urgent, que cela n’empeche pas l’enfant de prendre lesein, parce qu’il enveloppe leletin avec tout le palais de la bouche. Le mal est bien plus grand lorsque le palais est egalement fendu , ce qui n’est pas rare. Dans ce cas , il est possible de retablir la levre , mais non pas le palais. L’enfant conserve neanmoins la vie; mais il lui reste un ecoulement d’humeurs par le nez et il ne parle qu’avec beaucoup de difficulty ; jamais du moins il ne sauroit prononcer les lettres £ et l. Lorsque le palais manque entierenlent , comme on le voit ala tete d’un nouveau-ne que je conserve dans ma collection , l’enfant ne peut vivre long- tems. Quelquefois on guerit parfaitement une dou- ble fissure a la levre, comme cela paroit parlesecrits du celebrela Faye(i); cependanl il en resulte tou- jours une difformite remarquable. Il arrive qu’au lieu de trachee-artere il n’y a qu’une simple fente dans la partie etroite de la gorge; mais cela n’empeche pas l’enfant de par- ler et de deglntiner. Ensuite , il faut visiter les parties sexuelles et l’anus ; la nature etant souvent defectueuse dans la (r) Memoir es cle l' Academie royale de chirurgie , tom. I, pag. 6o5. 23i U E S ENFANS. conformation deces parties. Dans quelquesgarcons, l’uretre est ouvert clans la racine du gland , et. quelquefois entierement bouche. D’autres fois un- prepuce trop long ou trop etroit empeclie l’unne de prendre son cours. On appelle hypospadiosi ceux qui se trouvent dans le premier cas, dont 1 ne resulte aucun mal pour eux, car ils sont egale- ment propres a la generation. Mais ceux dont 1 u- retre est bouche meurent, si l’on n’a pas soin d’en ouvrir la voie par un coup de lancette. II se forme de petites pierres dans les prepuces trop etroits, a moins qu’on ne circoncise l’enfant; ainsi que Lit- tre (1) en rapporte des exemples. Quelquefois les parties sexuelles des lilies sont entierement fermees, ou bien il n’y a qu une pe- tite ouverture dans la membrane connue des ana- tomist es sous le nom d’hymen. Je suis d’avis qu’il y a du danger a percer cette membrane dans la premiere enfance. Cela n’empecbe pas d’ailleurs l’ecoulement des eaux , et on peut ouvrir cette membrane avec plus de surete, lorsque les mens- trues y causent gonflement; sinon on court risque de blesser la vulve, ce qui est meme, pour ainsi dire , impossible d^viter dans la tendre enfance. IVlais quand on neglige lout-a-iait ce defaut, les (i) Histoire de VAcadcmie royale des sciences, 1706, parag. pag. 3o- 25 2 D E L E D 1' C A T I O N menstrues arretees occasionncnt c] e grands maux. Lorsque Forifice est. un pen' plus grand , les fem- mes peuvent concevoir, a la verile, rnnis elles ne sauioient donner le jour a leur fruit : on trouve clans Ruisch (i) un exemple remarqtrable a ce sujet. Le scrotum tumefie cede facilement a Fesprit dc vin , et n est cFailleurs sujet aaucune suite dan- gereuse, Les hernies que les enfans apportent en nais- sant , et dont j’ai donne la description (2), doivent etie conteuues par des bandages convenables, pour c]u elles ne reparoissent pas a un certain acre et ne rendent pas Fhomme incapable de travail. Quelquefois un pied de l’enfant est si tortu que Fusage lui en devient impossible. Les Anglois ap- pellent ce defaut club-fool; auquel Cbeselden (5) veut qu’on porte remede par des ligatures. Si Foil n’y donne point Fattention convenable , i’enfant marche sur la cheville dn pied avec les orteils tournes en dedans; et il paroit de cette raaniere se soutenir et marcher avec assez de fermete; tant 0) Obs anai. chir , obs. XVII, pag. 27. (2; V erhand. door de hollandsche Maatsch ., VI deel , i stuck , pag. 335. (6) Obs. nfier oper. in Surgery of M. Le Dran, transl, by Ga- lakcr, pi. VIII, png. 432. DES E N F A N S. 253 f il est vrai que la nature prencl toujours la voie qui convient le mieux. Tons les enfans ont les os descuisses et des }am- bes courbes en dehors , pour occuper moms de place dans la matricej mais ces os se redressent d’eux-memes, sans qu’on lenr prete le moindre secours; car notre corps n’a besoin d’aucune ma- chine, ni d’aucun remede pour croilre dans une position droile. Cependant les anciens connois- soient dejal’usage d’accoutumer , des la naissance, les membres a prendre une position convenable. Aristole et Plutarque en parlenl; et cette metbode est parvenue jusqu’a nous : on sait que nos gardes d’enfans redressent par des bandages les jambes des nouveaux-nes dans leurs maillots. Andry (1} v'eut ilieme qu’on place pour cela 1111 coussinet en forme de coeur entre les piedsjpour obliger par ce moyen les orteils a se tourner en dehors d’une maniere elegante 5 ce.qu’il faut considerer plutot comine ridicule que comme dangereux. Mais n’a-t-on pas egalement dans tous les pays de fausses idees de la grace et de la beaute? 11 y a , comme on sait , des peoples qui perforent leurs le- vres, leur nez , leurs oreilles , que dis-je , leurs parties naturelles meme , pour les orner de illu- mes, d’osselefs, d’anneaux d’or. D ’a ulres ailon- (1) Orthoped. , lorn I, pag. 25o. gent, avec effort, leurs oreilles el leurs seins; tan- dis que d ’a litres encore serrenl leurs pieds au point de ne pouvoir plus en fa ire usage. La meme forme de tete ne plait point par-tout : certains peuples d’Asie lui donnent une forme oblongue; d’autres aiment la forme carree. Slra- bon (1) parle des Seguins qui prenoient une peine singuliere a rendre leur tele d’une longueur ex- traordinaire et a donner a leur front la forme d’un auvent qui avaneoit beaucoup au-dela de leurs joues. 11 rapporte aussi (2) , d’apres le temoignage de Daimarque et de Magatistbene , que les Pano- niens avoient la tete en pain de sucre; il paroit neanmoins douter beaucoup de la veracite des ecrivains a cet egard. Jepourrois cependant garan- tir facilement leur autorile, parce que je possede une tete decharnee qui a cinq poucesrhinlandiques de large, sur six pouces de haul et huit de long. La partie superieure du crane ressemble a la ca- xene d’un vaisseau ; de sorte que les impressions des muscles temporaux ne sont qu’a deux pouces de distance Pune* de l’autre. Cependant ceux qui ne cherchent point a contra rier la nature agissent avec le plus de sagesse. Les Negres n’ecrasent pas le nez de leurs en- (1) Lib. XI. (,?.) Ibid. D E S ENFAN8. 255 fans, comrae on le croit genevalement ; ils Font deja comprime dans le sein de la mere: cette con- formalion semble dependre du sol natal. D’ail- leurs, le nez lie paroit plus petit et plus plat que parce que les deux machoires saillissent davantage en avant chez les Negres que chez les autres hom- ines. Les habitans du nord de l’Asie ont le visage plat et large, et les os zygomatiques grands et forts. Chez nous les tetes sont, en general, plus larges que haules; et cependant nos os zj^gomatiquessont minces et delicats. Selon ce que j’ai pu remarquer, les homines qui ont les machoires superieure et inferieure larges , sont , en general , les plus ro- bustes. 11 ne me paroit pas invraisemblable que la dis- position de l’esprit et la perspicacite de l’entende- ment dependent plus ou moins de la conformation du corps. On jugegeneralemenlassezbien de Fune et de Fautre par les trails da visage et particulie- rement par les yeux. Les anciens en ont fait une science , afin de pouvoir mieux discerner sans doute le nature! de leurs esclaves. Galien, en trai- tant des sentimens de Platon et d’Hippocrate , a cherche a donner plus de poids a la physiogno- monie par Fautorite de Chrysippe. Celui-ci pen- soit que les homme qui ont la poitvine large sont naturellement d’un caractere hardi , et que ceux qui ont les fesses cFun gros volume sont d’un na- 236 1)E L7 EDUCATION turel timide. Mais cette question m’eloigneroit trop de mon but; je reviens done aux nouveaux-nes. Aussildt que les enfans ont ete laves, on les eni- maillotte, ce qui ne doit pas se faire d’une ma- niere trop serree ; il faut, au contraire, que ce soil le plus laehement possible; mais de faqon nean- moins qu’on puisse les manier sans danger. Les femmes hollandoises ont la coutume de les placer pour cela dans un lange de laine qu’elles arran- gent fort adroitement autour du corps, et attachent 1 ensuite avec de grandes epingles. Dans l’hospice des Enfans-Trouves a Paris, on enveloppe legere- ment le corps einmaillote d’une bande; cequi sul- fit pour pouvoir enlever 1 enfant et le changer de place, sans crain dre de le blesser. Selon moi , il est necessaire de bien couvrir la tele des enfans pour garantir i’ouverture qu’il y a entrele sinciput et les parietaux , qu’on appelle fontanelle, jusqu’a ce qu’elle soit parfaitement fer- mee; ce qui n’a guere lieu en Hollande avant Page de deuxans, mais toujoursravant celui de quatre ans, a moins que l’enfant ne soit sujet a quelque maladie; et e’est. dans les enfans les pLus robustes que cela se fait le plus prompt ement ; parce que toutes les parties solides croissent plus vites chez eux. On doit trailer avec un soin extreme les enfans en Hollande ; cependant. de differences manieres DES ENFANS. 257 suivant la saison de l’annee et la temperature de 1’atmosphere. Un air libre et pur leur est fort sa- lutaire; et la chambre oil on eleve les enfans (que n<-tis pouvons appeler, avec Vitruve, l’anti-cham- bre a coucher ( antithalamus ) des pere et mere) doit etre situee au midi, pour qu’elie recoive les rayons du solei!. Pendant l’hiver, il est convenabie d’emmailio- ter les enfans devant le feu. Je liens les poeles corame fort nuisibles, parce qu’i'l en resulte tou- jours un air limnide et meme mephytique , qu’il est difficile de renouveller. Je conviens qu’on peut s’en servir sans danger dans d’antres pays oil Fair est natuvellement moins liumide el plus -pur qiFen Holiande. A Page de six mois , plus ou moins., on com- mence a les babiller; ce qui va nous occuper ac- tuellement, comine line chose iort essentiellc a leur bien etre. Quel que soil le costume qu’on adopte, il iant que le ventre soit bien couvert et soutenu , parce que les intestine sont contenus dans des parties molles. On doit aussi garnir les cotes avec des corps a baleines , pour que les gardes d’enfans ou les nourrices n’offensent point les coles. Mais on fait , en general, ces corps a baleines trcp longs; et quand meme ils sieroient. parfaitement bien , i Is se reinvent et compriment les aissellcs au point 258 DE (.’EDUCATION d’empecher ]a circulation du sang dans les bras , et de faire alionger les clavicules qui sont encore en partie cartilagineuses. II seroit plus convenable de composer ces corps de pieces d7etoffe de laine \ mais les meres aiment trop a voir que leurs enfansaient une taille longue et svelte, pour qu7on puisse esperer qu’elles aban- donnent cet usage. C’est de cette maniere que les belles formes de l’homme se Irouvent gatees, sans que les loix d’un sage gouvernement puissent em- pecher cet abus. Je quitte done ce sujet pour exa- miner l7usage des berceaux, que quelques mede- cins condamnent commeprejudiciables aux facul- tes inlellectuelles des enfans. II paroit par Martial (i) que les anciens ont connu l’usage des berceaux ; car il gourmande Charideme , qui etoit jadis son berceur. II est me- me probable que ces berceaux ne differoient pas beaucoup des notres. Plusieurs medecins n7approu- vent pas 1’ usage de bercer les enfans, parce que les oscillations continuelles doivenl occasionner , di- sent-ils, des vertiges. Quand a moi, je ne les crois pas absolument necessaires, et ne les regarde pas non plus comme fort nuisibles; car il est probable que H. Grolius, Huyghens et Boerhave ont el-e s ( i ) Lib. XI , epigr. XL , pag. 1 60. DES ENFANS, 23g berces tout comme les autres enfans en general ; cependant je suis persuade qu’il n’y a pas de pays au monde qui ait produit de plus grands genies qu’eux. J’aime assez les berceaux, parce qu’ils donnent au corps un mouvement doux et. procurent ua certain calme a l’esprit : il ne faut done pas les re- j eter 9 a moins qu’on ne veuille soutenir , avec Aristote(i), que les cris et les pleurs servent a fortifier les enfans. Cela peut etre vrai a un certain age, mais nullement pour les nouveaux-nes. Au contraire , les cris continuels leur occasionnent des hernies , qu’on ne parvient ensuile a guerir qu’avec beaucoup de difficult^. Les sieges percees sont, selon moi, tres-nuisi- bles a la sante , surtout quand on y laisse les en- fans long-tems assis; cependant il seroit assez difi ficile de se defaire de cette habitude , et cela est meme , en quelque sorte , impossible parmi la classe peu fortunee des citoyens. Les exbalaisons acres des excremens et le froid de Fair ambiant sont prejudiables; cFailleurs , la continuelle pres- siori fait sortir le rectum, qu’on a de la peine en- suite a contenir clans le corps. Pline (2) conte sans doute une fable , quand il clil qu’on fait rentrer . (1) De Republ. , lib VII , cap. 17.pag.448. B — C. (a) Hist. nat. , tom II, lib. XXII, cap. i5. 24.0 D E l’ EDUCATION cet in test in aux enfans en le touchant simplement yvec des orlies. Les gens ajses feront mieux dc nc pas se servir de ces chaises; il esl plus convenable de changer souvenl de linge aux enfans devant le feu , en ayant soin que ce linge soil, bien sec. Pendant les premiers mois apres la naissauce , les enfans ont besoin de dormir beaucoup pendant le jour ; quand ils sonteveilles il font que la nour- rice ou la garde les lienne sur le bias on sur le gi- ron , et les agile doucement. On doit aussi pavfois, quand le terns est beau , les promen er en plein air dans une petile voiture : Pair et le soleil conlri- bueut puissamment a leursanle. Mais il est essentiel de veiller qife la nourrice les porte tantot sur le bras droit et tanlot sur le bras gauche , pour que Pepine du dos ne se courbe pas; car on sait que c’est sur le bras gauche que les nourrices aiment de preference a tenir les enfans, pour avoir plus de facilite a les aider de la main droite. Je ne puis montrer assez mon etonnement de ce que les nourrices, les meres merries, excitent leurs enfans a courir lorsqiPils peuvent a peine se tenir sur leurs pieds? Par ces efforts premal ures, les fe- murs, les tibia et les chevilles des pieds des en- fans prennent une position vicieuse, parce qu’ils sont encore trop foibles pour soutenir le poids du corps. Ces efforts d’ailleurs ne les font par mar- cher plutot ; car il ne s’agit pas seulement pour DES ENFANS. 24l cela de forces, mais d’une experience qui ne s’ac- quiert qu’avec le terns. II est naturel aux enfans de commencer par se trainer sur leurs quatre membres , comme Jes qua- druples , jusqq’a ce qu’ils s’appergoivent qu’ils ont assez de force pour soutenir le poids de leur corps j alors ils se redressent et se hasardent peu a peu a marcher debout. Les habitans du Senegal abandonnent entierement ce soin a la nature. A dan- son (1) depeint d’une maniere pittoresque la ma- niere dont ils se tralnent d’abord comme les sin- ges sur leurs mains et sur leurs pieds, dans le sa- ble. a Les enfans de Pun et de l’autre sexe, merne « ceux qui avoient deja neuf ou dix ans, age au- « quel commencent a se declarer les signes de pu- ce berte, etoient reellement nus. ... On sera sans o doute egalement surpris d’entendre dire que les cc enfans qui avoient a peine six mois commen- ce coient a marcher abandonnes a eux-memes. cc C etoit. un plaisir de voir ces foibles creatures se tc trainer, au soleil sur le sable, a quatre pattes tc comme de petits singes. )> II est rare , suivant Markgraaf (2), de trouver auBresildes borgnes ou des boileux. 11 s’en etonne d autant plus ( tel est 1 ’empire de la prevention ) (0 Voyage an Sdndgal. pag. 5o. (?.) Hist. nat. Brasil. Pisonis. , Jib. VIII, cap. 5. in. l6 342 DE l’ EDUCATION , qu’on ne s’y sert ni de maillots ni de bandages pour les enfans; tandis que c’est pour cette raison meme que ce peuple est bien fait. II est impossible de faire comprendre a nos compatriotes que leurs enfans marcheroieut d’eux- memes debout. Ils leur donnent done de bonne heure des lisieres , pour les soutenir plus facile- ment, et se font par-la illusion sur les forces pre- mat urees de leurs enfans. Ces lisieres, faites de ruban ou de sangle, s’al- tachent a une ceinture ou au corset. Quelquefois on se sert, a la maniere angloise, d’une piece d'es- tomac de cuir de Turquie , a laquelle tiennent , sur les epaules , des lisieres du meme cuir. Mais de quelle facon qu’on s’y prenne, ces machines montent du moment qu’on y suspend l’enfant. Tout le poids du corps n’est plus soutenu alorsque paries clavicules; ce qui les allonge davantage en- core que ne le fait meme l’usage des corps a ba- leines dont j’ai parle plus liaut ; et occasionne , en meme terns, une alteration vicieuse dans la struc- ture du corps; sans parler de la diminution de lor- ces qui en resulte. II faut convenir cependant que ces lisieres sont d’une grande utilite pour retenir avec surete les enfans sur leurs chaises. En Asie et en Alrique ces precautions sont inutiles : les nourrices et les fem- mes chargees du soin des enfans y sont assises par DES ENFANS. 245 terre, el soutiennenL par consequent avec plus de facilile leurs nourrissons lorsqu’ils chancellent. Les meres prudentespreviennent encore les con- tusions que les enfans peuvent se faire a la tele en tombant ou en secognant, en leur donnant des bout relets faits de pieces d’eloffes de lame ou rem- bourres decrin de cheval brule. Ces bourrelets sont fort utiles lorsqu’ils sont epais, de maniere a de- passei le nez et les orbites des yeux; sinon je les regarde comme nuisibles a la forme et a la crois- sance de la tele; et des que l’enfant se tient ferme sui ses jambes cetle espece de coeffure devient ab- soluiuent inutile, parce que l’enfant, par une ad- mirable disposition de la nature, retire en tom- bant sa tete en arriere ; desorte que c’est plutot le menton ou le nez ou quelque autre parlie du vi- sage qui se Irouve blesse, comme on peut s’en con- vain ere par les cicatrices qu’on voit chez les adul- tes. II faut done, a cette epoque, faire quitter les bourrelets aux enfans, pour que la transpiration de la tete se fasse plus librement. Les meres ont quelquefois trop soin de la che- vehire de leurs fdles , et la retirent trop en arriere par des rubans; ce qui allonge communement la tete, el la comprime meme un peu , particuliere- ment au-dessus de la region fronlale, oil le crane est, en general, le plus eleve. U nest pas moins important que Pepine du dos <244 DE L5 EDUCATION se conserve bien droite, et il seroit a desirer qu on laissat a la sage nature le soin de veiller a cet ega rd . Mais , helas ! les parens ne s’en rapportent point a elle , et preferent l’usage des corps a baleines. C’est par une suite de cette erreur qu’on voit un si grand nombre de personnes contrefaites et dif- formes, taut en Hollande, qu’en Angleterre et en France. II est done necessaire de parler ici de Fu- tilite et du danger des corps a baleines. Les corps a baleines peuvent etre bons , en quelque sorte, pour donner la facihte de mamer les enfans avec moins de danger et sans offenser leurs cotes; mais ils deviennent inutiles lorsqu’ils ont acquis plus de grandeur et de force: ils ne sev- vent alors qu’a donner quelque grace aux vete- xnens. On pourroit permettre cet usage, s’il ne con- tribuoit pas a alterer la forme du corps. Mats on comprime les cdtes justement a l’endroit oil la na- ture leur donne le plus de longueur et d’ampleur; et cela pour rendre la taille svelte et faire ressem- bler des enfans de trois ans a de pelites nournces par une poitrine potelee. Cependant Fenfant grandit, et l’epine du dos , comprimee en dilferens sens , prend necessaire- ment la forme des corps a baleines , et croit de travers; desorte que la petite lille , pour paroitie migoone etgentille, devient bientot bossue. C est neanmoins dans les viiles et surtout parmt les gens a45 DBS ENFANS. aises que cet etrange abns a particulierement lieu j de maniere que sur mille femmes a peine y en a-t-il dix qui aient l’epine du dos drolte. De-la itsulte nne grande foiblesse de constitution , une poitrine genee, des maladies de reins , et la diffi- cult d’accoucher , souvent mortelle pour la mere par le retrecissement du bassin. La tete, le visage meme , se jettent tres-souvent de travers ; car le cerveau, dont le poids ne se trouve pas dans un juste equilibre, rend le cr&ne difforme. Lorsque l’epine du dos est fort courbee , il est rare que l’individu atteigne un certain age: il meurt d’hy- dropisie. Je blame d’autant plus 1’ usage des corps a ba- leines, que je vois que les peuples qu’un luxe de- prave n’a pas corrompu au point de s’en servir , engendrent des enfans sains et bien confonnes , ainsi que je Lai fait remarquer plus haut par des exemples tires de Markgraaf et d’Adanson. Ce- pendant la plupart des ecrivains pretendent qu’il faut plutdt attribuer ce bienfait de la nature , a 1’influence du climat ; mais ils reconnoitroient fa- cilement leur erreur , s’ils vouloient jeter les yeux; sur les homines de notre palrie. Ce n est que ra- rement, et par accident qu’ils ont le corps de tia- vers , et alors c’est , en general, par derriere qu’ils sont bossus, parce-qu’en grimpant centre des en- droits escarpes ils sont plus sujets a tomber. Si ) O E L7 £ I) U C A T I O N done les gargons parviennent a avoir la faille droite sans faire usage des corps a baleines, pour— quoi n’en seroil-il pas de merne des filles? Ef d’ou vienf que les filles des personnes riches ont pour la plupart ce defaut , si ce n’est parce que les me- res ont la cruaute de les metlre & la gene dans leurs habits. II s y joint encore un autre abus : pour que les filles paroissent avoir une grande taille , on fait les corps a baleines plus longs qu’il ne convient , et nen n est certainernent plus dangereux. Andry dit , a la verite , qu7on doit changer souvent ces corps, et qu’ilnefaut pas qu’iissoient trop etroits; mais il en recommande l’usage pour trop de dif- formiles dilferentes du corps; comme si la nature avoit besoin du secours de Fhomme. 11 faut done rejeter le corps a baleines aussitot qu on s apper^oit que l’epine du dos commence a s’arquer; ce qui se remarque le mieux par la posi- tion oblique de la tele et Feminence des epaules, surlout a Fage de quatre ou cinq ans. II est urgent alors de laisser agir la nature en liberte pour que 1 enfant se redresse. On doit se garder surtout de cbercher a comprimer les epaules par des banda- ges , quand meme ils seroient de laine ou de bayette , ou a meltre un soutien sur le devant de la gorge : tout ce qu7on emploie, dans ce cas, com- me remede, ne sert qu’a empirer le mal. Je parle / DES E N F A N 5. ®^7 ici des corps qui son! de travers {scolioses), el non des bosses sur le dos {cy phases). On peut reme- dier aux uns par des remedes externes 5 il n’y en a point pour les autres. Si vous doutez de ce que je dis, consultez les parens qui n’ont epargne au- cuns soins pour redresser la taille de leurs lilies . conseils , suspensoirs , colliers , plaques de fer, cor- sets de fer, tout, vous diront-ils, tout a ele mis inutilement en usage. Conlemplez ensuite leurs filles memes, et leur monstrueuse conformation vous convaincra de la verite de ce que j avance. I faut cependant sacrifier un pen a la mode, en fai- sant des corsets de quelque etoffe delaine ou de toile. Si Ton veut employer la baleine,on doitveil- ler a ce que le corset ne soit pas trop etroit , et plotdt trop court que trop long; mais il faut se garder detacher le corset sur les epaules avec des noeuds de ruban. Je crains cependant que cette methode ne soit trop enracinee,pour qu’on puisse s’en defaire. Je n’ai rien a dire sur l’habillement , si ce n’est qu’il faut placer a nu sur le ventre une large cein- ture de toile, surtout aux filles, parce qu elles ont generalement l’abdomen decouvert. On se sert quelquefois de botiines de cuir pour prevenir la foiblesse des os de la jambe et de la cheville du pied ; ce qui peut etre utile si elles so at bien faites. Cependant je prefererois les sandales 248 D E l’ EDUCATION avec des ligatures en echiquier. Mais il faut avant tout, examiner si la foiblesse provient du corps en general , ou seulemenl des pieds, ou si elle ne doit pas etre attribute a des souliers trop larges? On sait qu Horace dit, et avec raison : Qu’fone chaussure trop large fait broncher (1). Que les souliers soient done, commenos autres vetemens, faits exactement pour nos pieds ; sans quoi, non-seulement ils nous genent , mais il en resulte mille incommodites. aamais je n’ai pu nPempecher de rire en voyant les peines singulieres que se donnent les gens ri- ches pour apprendre a leurs enfans a s’asseoir , a marcher, a denser avec grace? Pour y parvenir , ils emploient des fauteuils garnis de cent difFe ren- tes machines de bois , pour forcer les orteils a se tourner en dehors; et sous le siege ils placent un appui pour qu’il ne s’enlonce pas quand on s’y as- sied. Andry a donne ie dessin et la description d'un pareil fauteuil; mais quel est Phomme assez peu instruit pour ignofer que Pepine du dos des enfans prend avec le terns ia forme d’un S, a me- sure que la tete et les autres membres qui sont pla- ces au-dessus du centre de mouvement du corps prennent leur accroissement ? Qui ne sait pas qu’il (0 Ut calceus olim , Si peclc major erit , subverlet ID E S ENFAKS. 249 «st impossible que nous puissions nous lenir fer- mes sur nos jambes, si nos pieds ne forment pas un angle? ainsi que nous l’apprennent suffisam- ment Borelli et Desaguilliers , qui onl parle d’une maniere si satisfaisanle des loix de la ponderation du corps humain. C H A P IT R E III. De la nourrilure des enfans. Immediatement apres leur naissance , les enfans n’ont besoin d’aucune nourriture, et il ne faut leur en donner qu’apres qu’ils ont lacbe le ventre; car leurs intestins , surtout les gros , sont remplis de dejections. II vaut done mieux qu’ils reslent sans manger jusqu’a ce que les seins de la mere soient remplis; ils tetent d’ailleurs aj^cc plus d’avidile lorsque la faim les presse. Je pour- rois entrer ici dans une longue discussion , si je voulois rappeler tons les devoirs des meres , et re- peter ce qu’Aulu-Gelle nous a conserve du philo- 25o D E l’ EDUCATION sophe Favorin a ce sujet; mais il est inutile dc m’etendre beaucoup sur cette maliere; la sage na- ture, les seins gonfles par le lait , la tendresse ra'a- ternelle, et genevalement le pen de fortune, for- cent les meres a nourrir elles mernes leurs enfans. D’ailleurs , notre siecle n’est pas encore assez de- prave pour que ces sources precieuses soient en- tierement taries par le desir de conserver un peu de beaute passagere. Le plus souvent c’est la foi- blesse qui empeche la mere d ’avoir du lait; quel- quefois aussi ce sont ses exces : il faut alors avoir recours, malgre elle, a line nourrice; principale- ment lorsque l’enfant est d’une constitution foi- ble , comme c.ela arrive ordinairement dans ces cas. Cependant c’est le lait de la mere qui convient lemieux a l’enfant ; mais lorsqu’il manque on doit bien prendre une nourrice mercenaire; et c’est le lait de femme qui est la meilleure nourriture. 11 convient done de choisir une nourrice saine , qui soil accouchee dans le meme terns que la mere, parce que le colost re ou premier lait purge les en- fans et chasse le meconium. Mais les nourrices bien saines sont fort rares dans les grandes villes; on pent, meme les soup- conner toutes d’etre attaquees de la maladie vene- rienne qui s’etend de jour en jour davantage. Si 1’on prend quelque bile seduite, on fait courir a DES ENFANS. 25l l’enfant de grands dangers, quisont un peu moin- dres, a la verite , avec les femmes mariees ; ce- pendant la mauvaise conduit e de leurs maris ne permet pas d’etre entierement tranquille sur le sort du pauvre nourrisson. II est necessaire que la nourrice soit bien nour- rie , c’est-a-dire , qu’elle mange des alimens legers et succulens qui contribuent aaugmenter son la it ; mais , suivant Arislote et Pline , il ne faut pas qu’elle boive de vin ; je pense que le vinaigre est egalement nuisible, ainsi que tout ce qui peut em- pecher la coction des alimens. On ne doit pas per- mettre non plus qu’elle selivre aux embrassemens de son mari, parce que cela dissipe les sues les plus subtils et les plus nutrilifs. Du moment que la nourrice se trouve enceinte, on doit se'vrer l’enfant; suns quoi il est a craindre qu’on ne detruise le fruit qu’elle porte. C’est pro- bablement pour cette raison que Pline dit (1) que la conception est mortelle pour les nourrices. Il arrive assez souvent que les nourrices merce- naires cessent d’avoir du lait, parce qu’elles sont trop bien nourries et mangent des alimens aux- quels elles n’etoient pas accoutumees. Cependant les parens peu attentifs ne prevoient aucun mal , apres qu’ils ont recommande d’avoir soin desnour- (1) Orihoped , , cap. 33 > pag. /\6\. 252 DE l’ EDUCATION rices. L’enfant revolt alors peu de lait; mais en re- vanche on ]e bourre d’alimens qu’un adulte au- roit de la peine a digerer. Je passe sous silence mille auties abus qu’on pourroit prevenir ou de- truire , si , des la naissance ineme ( quand la mere se trouve sans lait ) , on nourrissoit l’enfant avec des alimens convenables a son age, et donl je vais rnaintenant parler. Quand il est impossible de se procurer du lait de femme , il faut prendre du lait de chevre ou d’anesse, quoique la digestion en soit moins facile pour les enfans d’une constitution foible. Ce lait s’aigrit promptement et occasionne par son acrete des vomissemens et des convulsions , parce qu’il ne s’est pas encore convenablement assimile avec le lait de femme, et surtout avec le corps debile de l’enfant. C’est nean moins le lait de chevre qui est le plus doux et le meilleur pour l’estomac j quoique celui de vacliesoit regarde comme le plus sainj mais, en general, le lait qu’on pent se pro- curer le plus commodement, et que l’animal tire cle meilleurs alimens , me paroit preferable. J’ai- merois beaucoup qu’on se servit de lait de chevre, parce qu’on peut garder ces animaux chez soi , et qu’en les nourrissant d’herbages salulaires , on ameliore leur lait de plusieurs manieres diffe ren- tes, au point meme qu’il devient tout a-la-lois une nourriture saine et un remede bienfuisant. C’est DES ENFANS, 255 >our ces raisons , selon moi , qu’il merite d’etre irefere au lait d’anesse , a moins qu’on ne puisse lourrir egalement cet animal chez soi. Mais les lommes aiment , en general , a croire que ce qui :oute le plus clier doit aussi etre regarde comme e meilleur. Le colostre fait avec quelque espece de lait que ie soit, peut egalement etre employe avec utilite: 'n o-eneral meme, il seroit assez nournssant, mais 1 conlient trop d’acide. Le lait pur, je parle du lait de vache, est trop iquide et trop venteux; c’est pourquoi on y mele in peu de farine, de mie de pain ou de biscuit , Dour le reduire en bouillie. Dans l’hospice des Enfans-Trouves de Paris, la bouillie se fail avec du lait , de la farine de lro ~ ment et quelques jaunes d’oeufs, qu’on fait cuire ensemble, et qu’on laisse refroider ensuite pour enlever la pellicule qui s’y forme , afin que la di- gestion en soit plus facile. On fait rechauffer cette bouillie, lorsqu’on veut en donnerde terns en terns, mais a des intervalles fort courts, aux nouveaux- nes , jusqu’a ce qu’ils fassent appercevoir qu’ils sont suffisamment repus. 11 est necessaire de ne- loj^er souvent les vaisseaux qui servent a cet usa- ge ; car on ne sauroit croire combien leur mal- proprete contribue a faire abonder l’acide du lait. Je ne sais cependant si les enlans pourroient long^ 254 DE L* EDUCATION terns user de cette nourriture sons en etre incom- modes, parce qu’en general on les envoie au bout de Irois ou qualre jours cliez de bonnes nourrices a la campagne. En Hollande, les femmes font souvent bouillir de la mie de pain dans du lait ; mais pour cela il faut que le pain soit parfaitement bien cuil , sans quoi cette bouillie devient si visqneuse que les en- fans ne peuvent pas la digerer. Nos femmes de la campagne nourrissent leu rs enfans avec du lait de beurre, du petit lait et du lait de vaclie pur; ce qui sembleroit prouver que toutes sortes d’alimens sont bons pour les enfans, lorsque les parens sont accoutumes a s’en nour- rir eux-memes ; et cette observation pent s’appli- quer , non-seulement a l’espece humaine , mais egalemcnt aux animaux et meme aux plantes. J’ai fait nourrir mes propres enfans avec de la bouillie preparee de la maniere suivante , dont ils se sont fort bien trouves, et qui les a rendus ro- bustes, quoique j’attribue d’ailleurs leur tempe- rament vigoureux a la bonne constitution qu’ils ont apporte en naissant; et je puis assurer qu’ils ont ete fort peu tourmentes par des aigreurs. On prend du biscuit fait de farine de froment qu^on fait cuire avec de l’eau de pluie dans un pot de terre vernisse, en le remuant avec une cuiller de bois, jusqu;a ce que le lout soil reduit en une DES ENFANS. 25§ bouillie epaisse, qu’on peut garder ensuite pen- dant un ou deux jours, si le terns n’esl pas trop chaud. Quand on vent s’en servir , on le remet suu le feu, en y ajoutant un peu de savon d’Espagne, dont on dissipe l’amertume par du sucre. Versez-y ensuite autant de lait pur de vache froid qu’il est necessaire pour le delayer au point que l’enfant puisse l’avaler. 11 ne faut jamais faire rechauffer cette bouillie une seconde fois, parce qu’elle s’ai- grit alors plus facilement dans Pestomac des en- fans. Je leur ai fait administrer aussi matin et soir une bonne tasse de lait de chevre, non parce que je le crois meilleur que celui de vache , mais a cause de la facilite que j’avoisamele procurer, comme je Pai dit plus haut. Du moment que l’haleine de Penfant annonce des aigreurs, il faut augmenter la dose de savon , et ne yjascraindre que la quantile de sucre que Pon emploie en consequence puisse etre nuisible : c’est un excellent sel oleagineux , mais doux, propre a prevenir la putrefaction. Geoffroi (i), qui lui at- tribue de bien plus grandes vertus, dit qu?il con- tribue a la coclion des alimens dans Peslomac , et que, mele avec quelque huile, il calme les coli- ques des enfans. (i) Mac. mcd. , tom. II, pag. 746. 256 DE l’ EDUCATION L’immortel Boerliave (1) a leve sans replique les doutes qu’on pouvoit avoir sur les quuliles du su- cre. « C’est a tort , dit-il, qu’on pretend que le su- « ere est nuisible a l’homme; ce qui ri’a jamais ete « prouve. Le sucre, ajoute-t-il, est le plus pur des a savons, ou plutot un sel oleagineux naturel, qui a sert a diviser la tenacite et la viscosite des hu- « meursj et , mele avec de l’huile, il donne sur- cc le- champ un bon savon. » Le sucre doit done avoir les memes vertus lorsqu’il est mele avec les alimens. Nous avons dans ce pays la coutume de faire boire aux enfans du lait pur ou du petit lait d’une bouteille d’etain dont le bout est garni de peau de chamois. Mais les enfans qui s’en servent inspirent trop d’air. On a cherche a remedier a ce defaut , en y mettant un syphon ou tuyau qui descend jus- que pres du fond de la bouteille ; mais l’enfant doit alors employer trop de force pour en tirer la liqueur. D’ailleurs, ce tuyau de metal deplait aux enfans quand la dentition commence u se faire ; et le lait s’aigrit pvomptement dans ces bouteilles. Je pense done qu’il vaut mieux rendre la bouillie assez liquide pour qu’elle puisse servir en meme terns de borsson. 11 faut donner sonvent par jour de cette bouillie aux enfans, mais une seule fois (/} Opcr. cltcm. , proc. XXVIII , parag. 5 , pag. 65. D E S E N F A N S. 25^ suffit pendant la nuit; jusqu’a ce qu’ilsaient deux on quatre dents dans la machoire superieure , et deux ou un plus grand nombre dans Pinferieure: on peut alors donner aux enfans quelque autre non nature qui soit d’une facile digestion. Je defends Pusage des vins de quelque espeee qu ils soient pendant tout le terns que Penfant est nourri avec du lait, quoique je sache brfen qu’Hip- pocrate (1) ait recommande le vin mele avec de l’eau ; car cette liqueur est nuisible par son acide. Les vins grecs sont plus huileux, et par cette rai- son peut-etre moins prejudiciables j mais quel ef- fet peut produire le vin , si ce n’est de stimuler un peu? Je prefererois qu on lavat le corps enlier avec de Peau de vie 5 ou qu’on appliquat des fo- mentations de vin sur le ventre ? si cela etoit ne— cessaire. Les esprits volatils dela liqueur sont alors seuls absorbes par les pores sans que les parties grossieres y penetrent. Loisque 1 enfant a le ventre paresseux, que ses dejections jeltent line odeur aigre , ou qiPil est sujet a de frequens vomissemens, on doit admi- nistrer deux ou trois fois par jour un peu de rhu- barbe avec des poudres absorbantes et d’autres re- medes un peu stimulans. Si Pacrimonie de Peptomac est telle que le vi- (1) De Viet. Rat. Feesic, sect. IV, pag. 35g , 10. 17 258 D E l’ education sage, les bras ou d’autres parties du corps eprou- vent des convulsions, il faut alors augrnenter la dose de rkubarbe , et donner des lavemens com- poses de corps huileux. Le ventre est cependant quelquefois paresseux par une trop grande foiblesse des intestins ; dans ce cas il faut employer les remedes fortifians , sti— mulans et«hauds, ainsi que les huiles propres a chasser les vents, melees avec du sucre, et auties ingrediens semblables. Dans toutes ces maladies des enfans , les aigreurs jouent un terrible role dans les premieres voies , ainsi que le disent les medecins , et comme Harris et Boerhave 1 ont e\ i* demment prouve. Je reviens maintenant aux alimens. Vous n’exi- gez certainement pas une description exacte de Toutes les maladies et de leurs remedes; mais seu- lement une regie propre a determiner les alimens qui conviennent generalement le mieux. Je vais done examiner si les herbes potageres , les fari- neux on les fruits forment une meilleure nourri- Ture que la viande? Les herbes potageres et les legumes perdent en cuisant beaucoup de lenr qualite savonneuse; par consequent les parties ligiieuses et terreuses ne peuvent pas etre digerees ni contribuei a la nu- trition. Aussi les trouve-t-on dans les dejections lelles qu’on les avoit avalees. Si on les prepare avec DES ENFANS. 25g leur sue naturel etuves avec clu beurre on de l’huile, comme cela se pratique chez nous, il est impossible de les digerer a cause des corps gras qui les enveloppent , et qui produisent beaucoup de bile, Les farineux sont venteux , tournent vers l’a- cide , et sont d’ailleurs visqueux j ils sont nean- moins salutaires des que Fenfant peut faire de Fexercicej epoque de la vie dont je parlerai dans la suite. Les fruits, tels que poires, pommes, noix, etc., sont extremement prejudiciables: tous ont, comme on sait , quelque chose d’acerbe, d’acre et de cru , qui les rend mal-sains , non-seulement pour les en- fans , mats pour les adultes memes. 11s occasion— nent des flatuosites et des diarrhees , pour ne pas pa 1 lei des vers qu ils engendrent , a ce qu’on pretend. On doit porter les memes soins relativement aux viandes, dont la digestion n’est pas egalement fa- cile. Le bouillon peut , en quelque sorte , servir de boisson , principalement lorsqueles aigreurs des intestins ne permettent pas que Fenfant fasse usaoe de lait. Cependant j’aimerois mieux, dans ce cas, faire la bouillie avec de Feau pure. Le lait est la meilleure nourriture que les en- fans sevres puissent prendre le soir , quoiqu’ils aient deja la faculte de triturer d’autres airmens. 260 D E 1/ education On pent Pappreter cle differentes manieres avec des farineux et d’autres substances d’une nature legere. Le lait de beurre est egalement salutaire , lorsqu’il est frais et bon. II ne faut pas Padoucir avec de la melasse , parce qu’elle contient toute Pacrimonie de la chaux vive , sans laquelle il est impossible de purifier le sucre. Du lait et du pain sec sont bons pour le dejeu- ner; le fromage est nuisible, a moins qu’il ne soit nouveau. On peut, au lieu de lait , donner du the, surtout si on le coupe avec un peu de lait et de sucre. Pour le diner, on emploiera le riz, l’orge mon- de , le millet , etc. Les herbes potageres sont ce qu’il a y de meilleur pendant l’ete; pendant Phi- fer on peut les remplacer par des pois , des fe- ves , etc. Je suis de Popinion de Platon (1), que la viande rotie est une excellente nourriture pour les enfans des gens riches; pourvu neanmoins qiPils ne s’en surchargent pas 1 estomac. La chair des animaux est Paliment qui a le plus d’analogie avec notre eorps ; et c5est celui qui, a volume egal, contient le plus de parties nutritives. La viande bouillie n’est pas assez succulente; celle qui a ete salee ou fumee contient trop d acrete , et comme elle est (i) De Rcpuhl. , lib. II, pag. 4o4- »ES ENFANS. 26l disposee a la putrefaction , elle est fort contraire aox enfans. En general, on devroit, defendre aux enfans de manger des viandes qu’on preserve de dilferentesmanieres de la putrefaction. Cependant de toutes les viandes celle de pore et le lard sont les plus mal-saines. Elies le sont moins cependant quand l’animal a ete nourri de petit lait ou de le- gumes el autres vegetaux; et ils le sont le moins possible, lorsqu’on ne lui a donne a manger que des Cannes a sucre dont le sue a ete exprime. Les pores qu’on engraisse de cette maniere ont , sui- vant le temoignage de Geoffroy (1) , la chair si tendre et si succulente qu’on la prefere a celle des meilleures poulardes. v II n’est pas si facile de juger de la salubrite de la chair de poisson ; des homines dont l’autorite est la plus respectable different singulierement en- tre eux sur ce point. Platon rejette absolument cette espece de nourriture; Montesquieu, au con- traire, attribue a son usage la santeetla vertu pro- lifique dont jouissent plusieurs peuples. Ce que je puis assurer, e’est que tous nos compatriotes qui habitent le long de la mer du Nord, etquise nour- rissent de jmisson, sont sains et vigoureux 5 que parmi eux les adultes, aussi bien que les enfans , ont les dents de la plus grande blancheur; ce qui> ( 1) Mac, med, , tom. II , pag. 746. 262 D E i/ EDUCATION selon moi, est un des principaux signes d’une bonne constitution. Le poisson n’est done pas un manger nuisible, pourvu qtt’il ne soit. pas apprele avec trop d’art. II j a des personnes qui ne digerent pas facile- ment la perclie; non parce que 1’estomac se refuse a recevoir ce poisson, rnaisa cause qu7on le mange avec du pain de seigle noir et force beurre; ce qui occasionne des aigreurs. Ce poisson incommode davantage encore lorsqu’on boil beaucoup apres Pavoir mange. Je sn is d’avis que la viande est la nourriture qui convient le mieux aux personnes aisees. La viande et le poisson sont trop chers pour qu’on les donne avec exces dans les hospices des orphelins. On nuit de me me a la sante en faisant usage de diflerens plats de dessert on de confitures, ainsi qu en man- geant jusqiCa sotiele. Le changemenl d’alimens produit des indispositions; voila pourquoi Platon ""le condamne avec raison , en disant que c est a cela qu d faut attribuer le grand nombre de mu— 'ladies qui desolent les villcs, et qui donnent tant de besogne aux boutiques des pharmaciens. Sene- que (1) pensoit que non -seulement l’liomme se rend replet par trop de nourriture, mais que l’es- prit devient lourd en meme terns que le corps. (1) De Ira, lib. Ill, cap. 20. DES ENFANS. 265 Bacon ( l ) vent qu’on mange des alimens secs , pour que le corps se developpe inieux; mais j’a- voue cjue je ne saurois concevoir pourquoi il con- seille de ne pas manger de pain ni de viande. Le people ne se nourrit actuellement, dans ce pays, que de pommes de terre , quoiqu’il soit , pour ainsi dire , impossible d’imaginer une plus mauvaise nourriture; car on sail, qu’elles sont fort visquenses, ne contiennent que peu de parties nu- tritives, et produisent beaucoup de flatuosites et decides. Les personnes adultes les digerent cepen- dant assezbien, particulierementles gens de peine; mais elles sont absolument indigestes pour les en- fans. Voila done ce qui occasionne ce teint pale et bleme des enfans, des lilies, des femmes et meme des hommes de la classe indigente du penple. De- la les obstructions du bas-ventre et les autres ac- cidens qui resultent d’humeurs visqueuses , dont le celebre Boerbave a si bien parle. II convient done de regler les alimens de rna- niere qu’ils soient , en quelque sorle , analogues aux occupations et aux travaux des individus , et qu’ils servent en meme terns de remedes aux ma- ladies endemiques. Xenophon lone, pour cette rai- son, les Perses, de ce qu’ils donnoient pour prin- cipal mets a leurs enfans du pain , et du cresson (i) Nat, hist. , tofli. Ill, cent. IV, parag. 354, pag. ?5. s64 DE l’ EDUCATION alenois ( nasturtium ) pour ragout. Bacon recom- mande egalement aux Anglois de manger de cette herbe. II n’y a certainement pas de meilleur re- cede contre le scorbul , dont nous sommes tous plus ou moins attaques , comme nos dents carriees en sont. une preuve manifeste; ainsi que contre la putrefaction des parties lluides et solide.s, laquelle corrode a tel point les parois des vaisseaux san- guins , qu’il en resulte quelquefois des hemorra- gies mortelles. Le scorbut est constamment du meme carac- tere, mais il dilFere dans ses dilferens degres ; le vin , le vinaigre , les aromales et les vegetaux frais sont regardes comme d’excellens antiscorbu- tiques, bien qu’ils contiennent , en general, un sel alcalin 5 il y a aussi la menthe , le cresson et la la i- tue, qu’on doit preferer a tous les autres. En parlant du scorbut, je dois remarquer, en passant, que les personnes dont les dents se trou-* vent gatees des Eenfance, sont rarement, pour ne pas dire jamais, atlaquees de phthysiej et que cel- les, au conlraire , qui sont atteintes de cette cruelle maladie ont les dents fort blanches et diapbanes. Quoique j’ai deja parle des boissons en traitant des alimens, je crois qu’il est necessaire que je re- vienne sur cet article, et que j’indique la nature des dilferentes especes de boissons d’une maniere plus pai'liculiere, en commencant paries proprie- DES EKFANS. 265 tes du vin , pour parler ensuite de celles de 1a. biere , du tbe, du cafe, dont 1 usage est aujour — d’hui si genera lenient repandu sur toulela surface du globe. I ous les enfans que j’ai conn us aimoient le vin; ce qui me feroit croire que cette boisson con- vient a notre nature. Cette consideration me porte a ne pas Pinlerdire aux enfans; mais je pense qu’il ne faut leur en donner qu’une seule fois par jour et cela en petite quantite ; c’est-a-dire, apresle di- ner , lorsqu’il n’y a plus de lait dans l’estomac. J ai deja remarque qu’Hippocrate permet qu’on mele du vin a la boisson des enfansj mais non de ces especes qui font gonfler le ventre ou causent des flatuosites. Platon , au contraire , ne veut pas que 1 homme goute de vin avant Page de dix-huit ansj sans doute pour qu’il ne se livre pas a Pivro- gnerie, qui paroit avoir ete un vice genei’al de son terns. Tous les philosophes ont recommande le vin, non-seulement comme un preservatif contre le chagrin, maisaussi comme un remede salutaire. Seneque (i) nous apprend que Solon et Caton s’e- gajoient quelquefois avecle vin; il ajoute qu’un bon verre de cette boisson procure des forces, et qu’il faut meme de terns a autre se donner une pointe de vin. 11 recommande surtout cette liqueur comme (i) De Tranquill, anim, , in fine. 266 - D E L,’ EDUCATION tin remede contre certaines maladies el contre la tristesse. Platon (i), quoique severe pour les en- fans, permet non-seulement aux homines quand ils ont atteint quarante ans de boire du vin avec moderation, maisil les invite merae de s’en rejouir le coeur quand ils sont en compagnie. II fact que le vin soit toujouvs d’une bonne qualite , tel que le vin rouge; le vin blanc est ge- neralement ai denature dans noire pays, qu’il ne peut qu’etre nuisible an corps. Lesvins d’Espagne, ceux de Grece, le Canari sec, celui du Cap , sont trop spiritueux pour qu’on puisse en permettre Pusage aux enfans. En un mot , le vin doit etre administre aux en- fans comme un remede antisceptique , stimulant et coroborant; et c? est pour cetle merae raison que je conseille d’assaisonner leurs alimens avec du vii naigre, surtout celui qui est fait avec du vin. Le vinaigre de biere est plus foible, a la verite , que celui qu’on tiredes raisins, des prunes, des figues, des groseilles , mais il est plus salutaire pour le corps; car tous les fruits que je viens de nommer ont quelque chose d’acerbe, que je regarde com- me fort mal-sain. Ceux qui n’ont pas les moyens de boire du vin doivent faire usage d’une biere legere , claire , (i ) De Le gibus , lib. I, pag. 666. B. D E S E N FA N S. 267 nouvelle et bien preparee avec du houblon. La vieille biere est mauvaise pour ]e cerveau , et Lon sait que ceux qui font des exces avec cette bois- son deviennent imbecilles. II se pourroit aussi que Ja biere produise le calcul, du moins sait-on que depuis l’usage du the, quoique pris avec exces, le n ombre des patiens tourraentes de la pierre est considerablement diminue, On m’objectera peut- etre que les enfans qui n’ont ete nourris que du lait de leur mere ont ete affliges de ce mal cruel, et que Schenkius meme en a vu qui Font apporte avec eux en naissant 5 que si l’on y fait bien at- tention on trouvera que le nombre des enfans qu’on taille avant l’age de six ans est au moins le triple de celui des adultes qvFon soumet a cette operation; qu’il y en a qui Font subi deux fois, d’autres trois fois , parce que la pierre paroit croi- tre de nouveau dans quelques individus. En relle- chissant a tout cela,il faudra convenir, avec le ce- lebre professeur Gaubius (1), qu’il y a une dispo- sition inlerieure du corps qui se transmet de pere en fils. II est probable que la grande quantite d’eau qtFon boit actuellement diminue insensiblement cette disposition du corps, et il se pourroit que (1) Inst. Pathol, , parag. 677, $78, 268 de l’ education 1 eau a force de bouillir se depouille de ses parlies terreuses ou areneuses; caril se forme au fond des vases dans lesquels ou la fait cuire une incrusta- tion fort apparente ; et cela sans distinction avec toutes sortes d’eaux; quoiqu’il semble cependant que l’eau de pluie est celle qui contient la moin- dre quantile de parties terreuses. II sepourroitque les Suisses fussent moins sujets aux goitres depuis qu’ilsprennent du the, ou plutot depuis qu’ils font bouillir l’eau qu’ils boivent ? Le the , on le sait , n’est pas un ingredient qui possede par lui-meme quelque vertu specifique. Le cafe , quoiqu’en disent certains ecrjvains , n’occasionne pas plus le rachetis que toutes les a li- tres boissons chaudcs qui debili tent le corps. Si le sel qu’il contient amollit les os hors du corps , il ne le fait pas davantage que la grain e de mou- tarde , le yinaigre , l’esprit de salpetre et autres ingrediens semblables , qui , par leur acrimonie acide en corrodent les parties solides, sans toucher aux oleagineuses, etc. , quisont proprement celles qui occasionnent l’amollissement. II faut reniarquer, en general, au sujet du the, du cafe et'd’autres infusions de celte nature, que c’est plutot la grande quantite d’eau tiede qui est nuisible an corps, que la vertu specifique de ces ingrediens. Elle debilite l’eslo'mac et trouble la coclion des alimens : il ne faut done pas en faire usage immediatement apres les repas, ni en boire une trop grande quantile (1). Tout ce que fai dit au commencement de ce chapitre , des fruits et autres pareils alimens , comme nuisibles aux enfans , peut s’appliquer egalement a Tadolescence et aux autres ages de la vie. (1) On trouve des recherches curieuses sur les maladies qui rd- sultent en Hollande de 1’usage de certains alimens etde ceitaines boissons , dans YHistoire geographique , physique , nature tie et civile de la Hollande , par le Francq de Berkhey, dont j’ai donne une analyse en quatre volumes Voyez tome IV, page 1 et »uiv. JStote du traducteur. C H A P I T R E IV. De V instruction des enfans. L e sentiment de la plupart des philosophes , et d’Aristippe en particular, etoit (1) que les enfans des citoyens aises doivent apprendre tout ce qui peat leur £tre utile lorsqu’ils seront parvenus a l7age de la raison ; qu7il faut par consequent pour leur donner des forces ies entretenir dans toutes sortes d’exercices, et leur inspirer l’emulation de se distinguer dans le palestre. Cependant on ne doit les occuper que de legers exercices jusqu’a l’uge de puberte, pour que les membres puissent se developper mieux. Cela s’accorde avec ce qu7en- seigne Aristote (2), qui exhorle en meine terns les parens a ne pas trop exiger de leurs enfans ; d’au- tant plus qu’on n;en avoit vu que deux ou tout au (1) Diogen. L^ert. , Jib. II, pag. 126- (2) De Republ. , Jib. VIII , cap. 5 et 4. D E S E N F A N S. 27I plus trois qui avoient ete vainqueurs aux jeux oljmpiques , et dans l’adolescence et dans Page viril. II ajoute que les trop grandes fatigues du corps nuisent a fame, cornme les trop fortes con- tensions de l’espril sont prejudiciables au corps. Tons s’accordent , a la verite , sur ce point , mais nuliement sur Page auquel il convient de commencer ces exercices. Platon (1) veut que ce soit a Page de six ans revolus j tandis qu’Aristotes pretend qu’ils n’y sont propres qu’a sept ans j Chrysippe , au contraire, dit que c’est a tout age qu’on peut instruire les enfans. Quintilien (2) le loue beaucoup de ce qu’il veut qu’on orne de bons principes l’esprit des enfans des Page de trois ans. « Je sais, ajoute-t il, qu’on fera plus dans la suile « en un an que Pon aura pu faire durant tout le « terns qui a precede ( de trois a huit ans ). Apres « lout, que veut-on que fasse un enfant depuis « qu’il commence a parler? car enfin, il faut bien <( qu’il s’occupe a quelque chose, v En un mot, il prouve par les raisons les plus peremptoires qu’il ne faut laisser passer aucun terns sans instruire les enfans. Le sentiment de Bacon (5) concernant les ecoles (1) De Lcgibus , lib. "V II , pag. 79^. C. (a) Inst. Orat. , lib- I, cap. 1 , pag. 17. (5) Hist, nat., tow. Ill , cent. IV, parag. 354 » pag- 75. non 272 n e l’^ducation publiques est singulier; il les desapprouve , parce quo les moeurss’y corrompent, mais a cause que la sante s’y allere faute de mouvemenl. 11 me paroit qu’il faul envoyer les enfans aux ecotes pu- bliques, vu qu’ils y deviennent plus vifs et qu’ils s’y exercent davantage par la diversite des jeux. J’approuve aussi beaucoup tout ce que dit Quin- tilien touchant cette imporlante question : a Le- tt quel vaut le mieux de faire etudier les enfans « chez soi, on de les envoyer aux ecoles. )> Platon insistoit beaucoup qu’on exercat leur corps par des jeux publics , et qu’on egayat leur esprit par la musique j mais Platon etoit grand amateur de la musique , comme cela paroit par sa vie que nous a donne Olympodore. Aristote , au contraire , condamnoit cet art, comme inutile , surtout les instrumens a corde et a vent; cepen- dant pour leur procurer quelque recreation , il permettoient qu’ils apprissent k jouer du cj'epitci- culum d’Archytas, dont il est difficile de connoi- tre la nature. On pourroit aujourd’hui donner aux enfans de ces serinettes qui jouent differens airs. Aristote exalte ensuite beaucoup la peinture et regarde cet art comme fort utile aux enfans; mais Platon n’en dit pas unmot, quoiqu’il ait vecuavec les peintres et qu’il ait meme appris d’eux le me- lange des couleurs, comme nous Papprend Olym- podore. 11 est assez vraisemblable que c’est d’apres DES ENFANS. ^'j’S leur gout particular que chacun de ces philoso- phes aura recommande quelqu’un de ces arts. Ce- pendant , a ne considerer que la sante et la loncre- Tite, ll me semble qu’il fau droit rejeter le chant; parce tous ceux qui s’y sont appliques des l’en- fance sont restes de petite taille, cacochymes et fort melancoliques; il en meurt meme beaucoup aiant 1 age de puberte pour s’etre trop adonnes a cet art. Beaucoup aussi de ceux qui sonnent de la trom- pette on du cor de chasse se donnent des hernies inguerissables , et perdent leurs dents de la ma- choire superieure , en y portant sans cesse Tern- bouchure de ces instrumens. Selon moi, la peinture est infiniment prefera- ble; elle recree non-seulement l’esprit des enfans et leur fait passer agreablement le terns, mais son utilite est reelle. Cependant c’est lego At des en- fans qu’il faut particulierement consult er, car on sail que cen est qu’avecles plus grandes difficultes qu’on les porte a s’exercer dans un art pourlequel ils ne se sentent point d’aptitude. La question sJil faut exercer la memoire des enfans? me paroit d’une bien plus grande impor- tance. Plutarque repond affirmativement , et veut qu’on examine si la nature les a doues ou non d’une memoire heureuse? Quintilien observe de plus que la memoire peut etre augmentee et for- 074 d e 1/ Education tifiee. II est possible, sans doute, d’exercer les en- fans dans cet art, lorsqu’ils s’y portent naturelle- ment; mais il faut bien se garder de les y forcer , dans la crainte d’amortir leurs lacultes intellec- tuelles et de nuire a leur sante. Je prefere qn’on exerce leur esprit et leur jugement plutot que de surcharger leur memoire, qui ne depend qued un certain mecanisme du cerveau; tandis que le ju- gement et l’esprit tiennent iinmediatemenl a l’en- tendement. Ce n’est pas que je doute que la me- moire ne depende aussi de notre intellect; mais je suis persuade qu’on la doit , comme beaucoup d’autres facultes, a un cerveau bien organise. On ne sauroit , en attendant ,sJetonner assez de ce que Fhomme puisse etre prive totalement de memoire, en conservant neanmoins integres tous ses sens et son jugement meme. Pline (1) confirme cette ob- servation par plusieurs exemples. II rapporte , en- tre autres, qu’un liomme atteint d’une pierre ou- blia la langue qu’il parloit ; qu’un autre , etant tombe d’uu toil fort haut , ne reconn ut plus ni sa mere, ni ses parens, ni ses voisins ; un noi- some, apres avoir ete attaque d’une maladie , ne put se rappeler les noms de ses esclaves; entin, le celebre orateur Messala alia jusqu’a oublier son propre nom. (1) Lib. VII, cap. 24. I DES ENPANS, 27 5 Je reviens aux etudes, qiPil faut diriger de ma- niere que l’enfant ne s’en degoute pas et ne les abandonne pas dans la suite. On fera reciter aux enfans leurs legons a haute voix, meme pendant qu’ils marchent ou montent le degre. L’haleine ainsi arretee , leur donne des forces , suivant Aris- tote (1), et les augmente; du moins est-il certain que cela sert a fortifier les poumons. Les jeux contribuent beaucoup a donner de la vigueur an corps et a developper les membres j ce qui les a fail recommander par tous les anciens philosophes. 11 y en a, dit Platon , de deux espe— ces, la danse et le palestre(2), qui se reduisent aujourd’hui a la danse seule. Les anciens faisoient entrer dans Peducadon des enfans les exercices militaires, la chasse et l’equi- tation ) c est de cette maniere que Diogene eleva , par raison de sanle, les enfans de Xeniades. Pla- ton recommandoit les exercices du corps , non- seulement aux garcons,mais egalement aux fillesj tant les anciens avoienl pour principe d’entretenir la sante et d?augmenter les forces du corps. Je suis nean moins d’opinion que ce n’est pas avant Page de sept ans qu’il faut faire apprendre a danser , a moins que l’enfant ne soit d’une consti- (1) De Repuhl. , pag, 448. (2) Da Legibns, lib. Vll. 276 d e l’ Education tution robuste 5 d’ailleurs , il ne me paroit pas qu’il puisse y avoir un meilleur exercice pour le corps. Quant au cheval, il ne faudroit pas en permettre l’usage avant l’age de puberte, non plus que oelui de l’escrime , parce que ces exercices deman dent plus de force que les enfans n en ont commune ment avant celte epoque. En general , il convient de proscrire , avec Se- neque (1), tous les exercices dont les efforts qu’ils exigent epuisent Tesprit et rendent par consequent Fhomme incapable de contention etd’aptitudeaux belles-lettres. Comme la classe peu fortunee des citoyens n7a pas besoin de ces connoissances , elle est condamnee a commencer de bonne heure de rudes travaux. Je pourrois terminer ici cette dissertation , si je ne croyois pas qu’il fut necessaire de parler des defauts attaches a l'enfance , et qu’il eSt au pou- voir des parens de corriger. Je vais done, dans le chapitre suivant, jeter un coup d oeil sui ceux que je regarde comme les principaux. (i)Epist. XV. DES ENFANS. 277 CHAPITRE V. Des defauts naturels aux enfans. vje n’est pas sans raison qu’Aristote dit que la beaute du corps est preferable aux meilleures let— tres de recommandation. II est done du devoir des parens de prevenir les defauts qui peuvent nuire a leurs enfans et les rendre moins agreables dans la societe. Ilya quelques defauts, tels que le stra- bisme , le begaiement , le bredouillement , qui s’acquierent par habitude; tandis que ce n’est que par accident qu’un homme boite. II y en a d?au- tres qu’on gagne par contagion , comme la gale , la teigne , etc. ; mais je ne m?occuperai pas ici de ces derniers pour ne pas trop etendre cette dis- sertation. Le strabisme provient ou de ce que' les parens ont le meme defaut , ou de convulsions , ou de quelque accident, mais le plus souvent de l’habi- tude. On sait que les yeux d’un enfant irouvelle-* 278 DE L’ EDUCATION ment. ne ne sont pas encore parfaits dans toutes leurs parties. Petit (1), membre celebre de l’Aca- demie royale des sciences de Paris, pensoit que la vue des jeunes enfans est imparfaite a cause de l’e- paisseur de la cOrnee; et parce qiPil n’y a pas as- sez d’humeur aqueuse pour donner de la con- vexite a ceUe partie de Poeil. Mais Albinus(2), par sa grande dexlerite a dissequer , a decouvert que la prunelle ou Puvee n’etoit pas encore ou- verte, ce qui, pris ensemble, doit rendre la vue fort imparfaite. Chez plusieurs enfans neanmoins Puvee est deja ouverte et meme plus que chez les adultes, comme Petit l’a observe dans huit nou- veaux-nes. Je ne puis disconvenir que moi-meme j’ai trouve dans plusieurs enfans morts en naissant, la prunelle assez ouverte, et que dans d’a utres Pu- vee etoit encore fermee, de la maniere qu’Albinus Pa remarque. II est fort probable que les enfans , quoiqiPils aient les yeux parfaitement bien conformes en naissant, n’appergoivent point encore distincte- ment les objels et ne peuvent tout au plus que distinguer la lumiere de Pobscurite. II faut necessairement qu’ils apprennent a voir, de la meme maniere que sont obliges de le faire (0 i727> Pag- 5/j6. (2) Acad • annot. , lib. I , cap. 2 , pag. 53. des enfans. 279 les aveugles nes a qui on abat les cataractes. Ils ne distinguent point, sans le secours du tact, un cube d’avec une boule, ainsi que Molineux l’a observe le premier, comme Locke en est convenu , et com- me Cheselden l’a confirme par plusieurs belles ex- periences. On peut consulter R. Smith sur cette matiere, ainsi que sur les proprietes generates de la lumiere. 11 faut convenir cependant que plu- sieurs quadruples et oiseaux jouissent de la fa- culte de voir et de distinguer meme parfaitemerit les objets, immediatement apres qu’ils sont nes. Les jeunes canards, par exemple, non-seulement nagent fort bien , mais prennent des mouches et d'autres insectes au moment meme quhls sortent de l’oeuf. Ils jugent par consequent de la forme et de la distance des objets , sans avoir besoin du sens du toucher 5 tandis que dans l’homme la vue pa- roit conformee d’une autre maniere, et avoir be soin d’etre instruite par l’experience. Mais revenons a notre sujet. Les enfans devien- nent louches lorsqu’ils commencent a regarder les objets evec les deux yeux: je dois done examiner d’abord quelle est la cause qui pvoduit le stra- bisme, pour voir ensuite quel est le remede qu il convient d’y apporter. Si ce defaut est hereditaire, on s’il provient de convulsions conlinuelles, il resiste a tous les re— medes; si e’est a une mauvaise habitude qu’il faut a8o ee l’ Education 1 attribuer, il ne se guerit que difficilement , parce qu il est impossible de faire comprendre aux en- fans ce que c’est que le strabisme, et qu’ils igno- rent 1 incommodite qui les afflige. Aussi les parens reussissent-ils rarement par leurs remontrances et lems leprimandesj car, comme les enfans ne sa- ventpas ce qu’on exige d’eux , ils tirent de plus en plus leurs yeux de travers. Quelquefois on parvient a vaincre cette mau- vaise habitude, en otant de devant les yeux des objets qui les attirent d’un cote, et en placant un autre objet de differentes couleurs a quelque dis- tance droit decant eux, pour qu’ils soient obliges de le fixer. Andry (1) conseille de prendre pour cela une glace et de s’y regarder souvent soi-meme ,* mais ce remede convient influx quancl on est plus age. Il defend absolument la lecture, disant qu’il n’est pas de grande importance qu’on saclie lire un pen plulot ou un pen plus tard ; mais , selon moi, ce raisonnement auroit plus de force, si c’e- toit par la lecture seule que les enfans se gatent la vue. Ils portent sans cesse les yeux sur tous les objets quelque petils qu’ils puissent etre , comme cela est naturel a la jeunesse. On doit avoir soin de ne poiqt donner aux en- fans un maitre ou des compagnons qui louchent , (1) Tom. II, pag. 104. / DES ENFANS. s8l parce qu’ils se gatent souvent les yeux en imitant les personnes qui ont ce defaut. Les medecins oculistes, tel qu’etoit le celebre Bariiscli (1), recommandent les coquilles de noix percees d un petit trou , ou de petits godets de cette forme, d’or ou de quelqu’autre matiere , attaches a des rubans , ou bien des masques; mais ces re- nt edes sont d’un foible secours. J’ai fait employer de ces coquilles de noix a deux freres qui lou- choientparhabitude; mais cela leur fit lirer si li'or- riblement lesyeux de cote, que ce n’etoit qu’avec un oeil a-la-fois qu’ils regardoient a travel’s letrou de la coquille, ce qui fit augmenter sensiblement le mal. Je crus done qu’il valoit mieux les aban- donner a la nature jusqu’a ce qu’ils fussent plus ages. Le slrabisme est peu commun paj’mi les gens de la campagne; ce qu’il faut attribuer sans doute a ce qu’ils en parlent rarement a leurs enfans , et qu’ils se fient a cet egard a la sagesse de la nature. Les riches, au contraire, eduquent leurs enfans de maniere qu’ils ont l’air de personnes agees,nreme avant qu’ils sachent voir ou parler. Une mauvaise prononciation est , selon moi , bien plus desagreable que le strabisme, parce que les personnes qui begayent jouissent peu des cliar- (1) ^ugendienst, part. II, cap. 2, fig. 5,4,5., mes de la societe, qui font le plus grand bonheur de l’homme. II convient done de chercher a faire connoitre la nature de ce defaut, d’autant plusque e’est, en general, a Pinsouciance des parens qu’ii faul l’att rib uer. C’est une regie generale et constanteque les en- fans parlent rarement d’une maniere distincte avant Page de deux ans; et que ce n’est qu’a celui de cinq ans qu’ils s’expriment avec facilite. II faut par consequent beaucoup de patience pour leurap- prendre a lire; et l’on doit avoir soin de pronon- cer si distinetement chaque lettre qu’ils puissent en i uiiter aisement le son. II ne faut pas trop les presser sur cela , et ne jamais les gronder ; sinon lalangue s’embarrasse et ils balbutient. Voila d^oii vient que certaines personnes recitentfort bien des vers et chan tent sans dilSculte , tandis qu’ii leur est impossible de parler sans begayer horriblement. Je conseille done aux parens qui s’appergoivent. que leurs enfans ont ce defaut, de ne pas les re primander du tout, et de tes abandonner a eux- memes , pour qu’en imitant les autres, ils appren- nent a parler sans j penser; ou bien il faut user d’une grande patience, en les stimulant par des eloges et des presens. Les lettres difficiles a prononcer, et les mots on il entre beaucoup de consonnes, doivent etre de- composes en de simples lettres ou sons. D E S E N F A N S. 285 La lettre w , par exemple , se prononce diffici- lement, surtoul lorsqu’elle est precedee d’un t , comme dans ces mots wille , twist , qu’il faut leur appvendre par u-ille , tu-ist , etc. La lettre 1c , qui est guturale, ne s’apprend que fort tard; et il en est de meme de la lettre l. Quelques enfans begayent quand ils veulent parler vite, ou lorsqu’ils sont en colere : il faut done leur apprendre a parler posement. D’autres n’ont ce defaut que lorsqu’une phrase commence par un h ou par un q. Il canvient, alors de dispo- ser leur discours de maniere qu’il y ait en tete quelques autres mots. On sait que Demosthenes se defit de ce vice de prononciation et devint un grand orateur, en pre- nant des cailloux dans sa bouche ; mais il avoit dej& atteint l’age viril lorsqu’il s’exerca lui-meme vaincre ce defaut. Je suis persuade que beau- coup de personnes pourroient se corriger, en em- ployant le meme remede ; car il est impossible , pour ainsi dire, deconcevoir a quoi l’homme peut parvenir quand il veut employer toutes ses facul- tes. Cependant le moyen dont se servit Demos- thenes ne convient ni aux enfans , ni a tons les homines, pas meme a ceux qui ont le plus d’esprit. Je doute beaucoup que ce soit jamais quelque defaut de conformation de la langue qui fasse be- gayer. J’aisouvent entendu parler a Leyde la jeune s84 DE 1? EDUCATION fille sur laqnelle Trioen (1) nous a laisse des ob- servations. Sa langue , qu’elle portoit dans une gaine d’argent , lui pendoit hors de la bouche de la longueur de quatre doigts; cependant elle ar-r ticuloit distinctement et sans begayer. D’autres, dont la langue avoit ete extirpee jus- cju’a la racine, ou qui l’avoient perdue par la gan- grene , ceux m ernes qui eloient nes sans langue , ont parfaitement parle. Huxham, medecin celebre et digne de foi, a donne dans les Transactions philosophiques de Londres (2) de 1742 , l’histoire d’une jeune fille qui parloit fort distinctement quoiqu’elle n’eut point de langue. Drelincourt , Tulpius et Jussieu font egalement mention de pa- reils phenomenes. Je parlerai maintenant de Fobliquite de l’epine du dos, a laqnelle Hippocrate a donne le nom de scoliosis. J’ai deja fait mention ailleurs de plu- sieurs circonstances relatives a la cause de ce de- faut , dont la repetition seroit deplacee ici j mais je n’ai rien dit encore de la nature de cette rna- ladie , ni des moyens de la guerir-j je vais done m’occuper de ces objets. Dans la plupart des enfans nouveaux-nes les vertebres sont cartilagineuses, et ce n’est que dans (1) OIjs. Med. Chir. , pag. 142. (2) Voyea Journal des Savans, novembro i76i,pag. Syetsuir. DES ENFAN8, 285 leur centre et dans leurs apophyses qu’elles ont un noyau osseux. Get etat dure assez long-terns, quoique les vertebres s’ossifient conlinuellement de plus en plus 5 elles croissent meme jusqu’a Fage de puberte, et ^ossification n’est parfaite qu’a ce- lui de vingt-cinq a»s. Ces vertebres sonl atlachees les unes aux autres par des ligamens dont la partie interieure est fort molle, mais en meme terns fort elastique, et cela au point meme que , par sa force specifique , elle souleve toute l’epine du dos avec les parties adhe- rentes. Or , du moment que , par une mauvaise attitude, ou par des corps a baleines trop etroits, lacolonne vertebralesbncline du meme cote, celte matiere elastique est froissee; de sorte que le corps cartilagineux des vertebres superieures se trouve comprime , et adhere , . du moment que la lame carlilagineuse placee entre les vertebres est de- truite , a la vertebre inferieure ou a la suivanle : alors la nutrition devient nulle, les vertebres pren- nent une forme triangulaire , et l’epine du dos se courbe de la maniere que l’a represente Chesel- den (1). Les cotes attachees forment done une bosse du cote oppose a Tepine du dos comprimee , et un creux du cote vers lequel les vertebres sont incli- (1) Osteogr,f tab. XLIII, 2&0 UK l’ education nees. Les epaules , ne correspondant par conse- quent plus avec le3 cotes proluberantes , s’elevent plusqu’il ne convient; de sorte que, dVne petite flexion de l’epine du dos , il resulte une grande bosse. La tete, ne se trouvant plus soutenue dans une position droite , se penche egalement de tra- vers , vers le cote ou est la bosse , pour que le cen- tre de gravite soil plus facile a conserver. II est done evident que ce n’est pas la partie saillante qu’il faut comprimer ; mais qu’on doit chercher a soulever 1’aisselle affaisee, pour que les lames cartilagineuses qui sont placees entre les vertebres puissent reprendre leur elasticity, ou du moins pour prevenir, si cela ne reussit pas, que la courbure de l’epine du dos n’augmente. II est egalement incontestable que toutes les es- peces de colliers formes de rubans ou de metaux , ne corrigent pas ce defaut ; qu’ils forcent , au con- traire , de plus en plus l’epine du dos a se jeter de cote,parce que e’est toujours vers ce cote-la qu’on dirige le centre de gravite de la tete. II paroit enfin que ce defaut ne sauroit etre cor- rige par la suspension a l’anneau que Nuck (1) re- commande pour guerir ceux qui ontlecou de tra- vers. L’inclinaison de l’epine du dos formee par l£s causes dont j’ai fait mention , git dans les ver- (i) Exper . chir. , pag. 86. DES ENFAKS. 5287 tebres. Si done on suspendoit l’enfant dans l’an- neau en question, ie poids des bras presseroit le tronc vers en bas ; el la iorce expansive agit le plus sur les ligamens qui attaclient la seconde vertebre cervicale a la tete. J’ai suffisamment demontre, je pense , que les remedes qu’on emploie communement empirent le mal; je recommande done de nouveau qu’on l’abandonne a la nature j e’est-k-dire , qu’on re- jelte toutes especes de corsages , de colliers , etc. ; qu’on ait soin enfin que les enfans ne restent pas trop long-tems penches d’un meme cote, et qu’ils ne portent ou ne soulevent pas un poids trop lourd avec une seule main 5 car dans 1’instant i’elasticite des lames placees entre les verlebrcs se trouve froissee, a peu pres de la maniere que Telasticile d’une corde de metal est aneantie par un coup de marteau. Mais en voiia assez sur les defauts qui re- sultent d’une mauvaise position du corps. J’ai deja observe que e’etoit par accident que les enfans devenoient boiteux; il convient done de faire quelques recherches sur ce defaut , qui est fort commun dans notre pal lie. Dans la ville que j’habite actuellement (Franeker), on compte en tout deux mille sept cent soixante-quinze habi" tans, parmi lesquels il y a quatre- vingt-seize boi- teux. Si l’on retranche done de ce nombre cent quatre enfans qui ne peuvent pas encore marcher^ \ 1288 d e l’ Education il y aura deux mille six cent soixante-onze ames , lequeln ombre, divise de nouveau par quatre-vingt- seize , nous donne pour resultat celui de vingt- huit : les boiteux y sont done aux personnes qui li’ont point ce defaut , commme un est a vingt- huit. II est remarquable qu’il y ait dans celle meme ville , seize hommes faits et quarante-deux fem- mes dont le corps est de travel's ; et cela au point que, malgre les corps a baleines et tous les autres moyens dont on se sert pour cacherce vice de com formation, il n’en est pas moins fort visible. Mais je retourne a mon sujet. Les enfans sont conformes de maniere que le centre de gravite se trouve au-dessus du centre de mouvement, e’est-a-dire , au-dessus de Farticula- tion des handies. C’est-la ce qui les rend fort su- j ets a lomber, quand ils veulent accelerer leur course; car le centre de gravite acquiert alors une force qui le porte a devancer le centre de mouve- ment. Les enfans tombent par consequent tou- jours en avant. Je vais joindre ici une figure pro- pre a eclaircir ce fait. Soit A. B. la hauteur de l’enfant ; C. le centre de gravite pres du nombril; D. le centre de mouve- ment. Que l’enfant courre , il est evident que la velocite du centre de gravite C. sera a la velocite de D. comme C. F. est k D. G., et que celle de la tete sera comme A. E. oil bien comme A. B. a B. C. , et B. C. a B. D. Du moment que le centre de gravity et celui de mouvement viendront a se joindre, ces forces seront reciproquement egales; c’est-a- dire , que C. F. sera egal a D. G. Lorsqu’on porte Fenfant sur le bras , le centre de gravite est de la merae maniere au-dessus du centre de repos. Par exemple, soit A. B. C. D. Pen- fant qui est porte sur le bras; B. le centre' de re- pos; E. le centre de gravite : il est certain quelors- 29 o DE l’ EDUCATION que l’enfant tombe, la nourrice ne peut le retenir que par les jambes, et qu’il doit necessairement tomber en arriere , parce qu’il ne trouve aucun point d’appui de ce cote-la ; ou bien il tombera de cote. Lorsque l’enfant commencera a tomber , la nourrice cherchera a prevenir sa chute en le rete- nant par les pieds; c’est dans ce moment que la velocite et la force donnees au centre de gravite E. seront cause qu’une des hanches ou toutes les deuxB. se trouveront offensees; ce qui arrive com- munement avant que l’enfant puisse marcher. t A. E. D. DESENFANS. 29 1 Cefroissement ou contusion est cause que la tete du femur sort , dans la suite , tolalement de son emboiture; il y flue alors une serosite visqueuse , laquelle distend peu a peu le ligament capsulaire et le ligament plat, au point que la tete se trouve totalement expulsee, et va se fixer dans quelque endroit voisin. De la result e la claudication , la- quelle est peu sensible quand Fenfant commence a marcher, mais elle augmente ensuite chaque jour de plus en plus. Les enfans chancellent aussi davantage , parce que le centre de gravite est place plus baut au- dessus du centre de mouvement; par-la l’emboi- ture de la hanche , qui est encore cartilagineuse , s’alonge, ou bien la tete du femur et son cou, les- quelssont egalement cartilagineux encore, setrou- venl comprimes ", par consequent tous les deux sont offenses dans le meme terns. Quelquefois ceite luxation est plus grande , d’autres fois elle est moindre , suivent la cause qui l’a produite et le degre de forces de Fenfant. Cettedifformiteaugmented’unefacon effrayante, lorsque les parens veulent faire marcher trop tot Fenfant; elle empire meme a tel point, paries mouvemens que fait Fenfant , quand il est plus age, que si Fon n’y veille pas attentivement, Fe- pine du dos se dejette; de sorte que Fenfant , qui ne faisoit que boiter, devient aussi a la fin bossu. '292 de l’ Education Plut au ciel que le mal ne s’empirat pas de lui- meme ! Les os , comme je l’ai dit , prennent de jour en jour line plus grande croissance relative- men t au tronc ; la jambe boiteusemoins cependant que Pautre, parce qu’apres le deboitement de la lianche, les vaisseaux sanguins et les nerfs cruraux se trouvant trop distendus et obstrues, ne fournis- sent pas la nourriture convenable. La jambe af- fectee maigrit par consequent , et devient encore plus courte en comparaison de la jambe saine. Le corps se trouve done soutenu inegalement ; en un mot , le mal s’accroit quelquefois par-la si considerablemen t , que le patient ne peut a la fin plus marcher qu’avec des bequilles. Et ,ce qui est veritablement affligeant , e’est que la claudication ne sauroit etreguerie d’aucune 111a- niere ; Ton ne sauroit. y apporter d;autre remede que celui de soutenir le corps par une botte avec des articulations mobiles, qui monte j usque sous Paisselle, afin que l’epine du dos conserve une po- sition droite, et que la parti© deboitee soit conve- nablement nourrie. Les souliers a talons hauts de bois , comme en portent les femmes, sont nuisibles; de meme que ^euxqu’on rehausse avec du liege. 11 est vraique cela sert a masquer plus 011 moins la difiormite ; mais aussi cela fait-il remonter la tete du femur contre Pos ilion j ce qui contribue a augmenter la claudi- 1)ES ENFANS. 2q5 nation et le deperissement de la jambe affectee. Lorsque le patient est parvenu a l’age de pu- berte , et que la croissance est achevee , on peut bien , pour l’elegance , garnir le soulier dbm talon de bois ou de liege; cela rend en meme terns la marche plus aisee; mais il faut alors abandonner tous les autres moyens. Je ne puis cependant m’etonner assez du grand nombre de boiteuxqu’on rencontre dans les villes. Ce defaut est fort rare parmi les gens de la cam- pagne. On diroit aussi que la claudication est he- reditaire dans certaines families , chez qui elle semble passer du pere ou de la mere aux enfans. Jamais neanmoins ce defaut n’a rendu Faccou- chement difficile : on diroit , au contraire , qu’il sert a le faciliter, parce que le bassin des femmes boiteuses est, en general , plus large. QQ'i D E L? EDUCATION CHAPITRE VI. S’il faut inoculer les petits enfcins. Ce seroit s’occuper d’un travail inutile que de vouloir repeter tout ce qui a ete dit pour et con- tre l’inoculation. Ce que le reverend et celebre C. Chais a publie sur cette matiere, dans le premier volume des JHemoires de la Societe des sciences de Harlem } doit suffire pour nous convaincre de Putilite de l’inoculation. Les objections qu on a voulu faire n’ont pas ete d’un grand poids, parce que la contagion est une espece d inoculation con- tre laquelle il est impossible que les parens garan- tissent leurs enfans qui frequentent les.ecoles. Tous les medecins s’accordent , il est vrai , a dire qu’on doit prendre en consideration 1 age des enfans, et que celui de six ou sept ans est le plus convenable pour cet effet 5 rnais que faudra- t-il faire, deman derai-je, si la contagion donne avanl ce terns la petite verole a ceux qu’on a voulu en DES ENFANS. 295 preserver ? Reste-t-il alors assez de terns pour que ies remedes diasosliques diminuent la violence de ce terrible fleau ? Tout ce que j’ai pu observer touchant cette cruelle maladie, tant acquise naturellement que communiquee par inoculation , nPa convaincu que la constitution scorbutique des enfans , ainsi que celle des adultes , en rend les accidens plus graves. Est-il vraisemblable qu’une simple prepa- ration puisse remedier a cette disposition du corps? La contagion ne nous surprend - elle pas tandis que nous songeons a nous preparer? Cette mala- die est-eile egalement mortelle dans tous les pays, dans toutes les villes? Ne remarque-t-on pas, ou- tre cela, tous l6s ans une certaine proportion en- tre le nombre des morts et celui des naissances? Si de plus nous portons notre attention sur le nombre et sur Page des morts qu’on enterre tous les mois a Londres, il paroit qu’il meurt un tiers des enfans avant qu’ils aient. atteint Page de deux ans, et un sixieme de ce qui reste avant celui de cinq ans. En general , les enfans meurent dans une telle progression , que la moilie a peu pres n existe plus avant le terns auquel il seroit pro- prement convenable de les faire inoculer. L inoculation ne convient done que dans cer- tains cas particuliers ; et , quoiqiPon puisse dire , les accidens qui en resullent sont toujours moins 296 DE l’eDUCATION DES ENFANS. dangereux, et la petite verole secondaire est moins raaligne. Par consequent , le visage n’est pas si maltraite, et, la cecite paroit etre raremenl , pour ne pas dire jamais, la suite de Finoculation. Mon coeur est veritablement penetre de dou- leur, quand je me rappelle le nombre d’enfans que la petite verole secondaire a rendus aveugles; et la maniere dont j’ai vu ces pauvres innocens , qui ignoroient leur malheureux sort, rire et jouer sur le giron de leur mere. Si, a ces infortunes, on joint le nombre considerable de ceux qui en gar- dent pendant toute leur vie des yeux malades et d’autres incommodites , ainsi que les femmes en- ceintes que cette maladie conduit au tombeau , et les terribles fausses couches qui en resultent , on ne peut douter que Finoculation ne soit un grand bienfait pour Fhumanite , lorsqu’on l’administre a Fage convenable. Voila, Messieurs, ce que j’avois a dire sur l’e- ducation des enfans. Comme j’ai pense qu’il fal- loit etre succinct , j*ai passe sous silence les objets qui n’ont pas un rapport direct au regime des en- fans. Ils sont sujets a plusieurs autres incommodi- tes encore, dont je nVi voulu ni du vous entrete- nir ici, parce qu’elles ne sont pas a la portee des parens ; d’ailleurs , elles ne paroissent pas entrer dans la question a laquelle je m?etois propose de repondre. DEUX DISCOURS SUR LA MANIERE DONT LES DIFFliRENTES PASSIONS SE PEIGNENT SUR LE VISAGE. PREFACE DI L’fiDITEUR. Nou s publions ici les derniers discours cjue feu M. P. Camper a lus en 1774, 177B et 1782 , a 1 A- cademie de dessin d’Amsterdam. Ces discouis etoient destines a former chacun en particular une dissertation ; mais Fauteur les a laisses tels qu’il les avoit prononces en public. Les deux premiers ont pour objet V Examen des passions 3 civsc la maniere sure de les exp?'i~ mer. Les connoissances profond.es que M. Camper possedoit daris Fanatomie et dans Fart du dessin , l’avoient mis a meme, plus que tout autre, d ap- percevoiv les fautes que les peintres ont commises dans cette parlie importante , et de les corriger , en meme terns, par de nouvelles idees. 11 ne nous appartient pas de dire quel a ete le succes de ce travail; mais qu;il nous soil permis de rappeler les applaudissemens que lui ont merite ces dis- cours , et le desir qu’ont montre les amateurs de 3oo PREFACE la peinture qu’ils fussent rendus publics par im- pression. Une si flatteuse perspective a servi beau- coup a nous encourager dans cette entreprise j quoique nous avouions a regret combien pen nous sommes en etat de remplir l’attente du public a cet egard , a cause que l’auteur a laisse les dessins destines a servir a l’intelligence du texte dans un tel etat d’imperfection que nous avons doute long- terns s ll etoit convenable de les publierj ceux du moins qui ontpour objetl’expression des passions. 1 ous les dessins quo nous possedons relativement a cette matiere ne sont que de simples croquis , pleins de leu, a la verite, et rendant parfaitement 1 essentiel de ce que l’auteur se proposoit de de- montrer, mais si peu arretes qu’il etoit impossi- ble de les publier dans cet etat. Nous avons done, avec l’aide d’un habile graveur , fait executer les planches ci-jointes aussi exactement qu’il nous a ete possible d’apres les esquisses originales, en n’y faisant que les changemens indispensablement ne- cessaires. Nous'ne pouvons assurer cependant d’a- voir pleinement satisfait par-la aux intentions de l’auteur, etnous devons reclamer indulgence des lecteurs sur le peu de perfections de ces gravures. 5oi D E L* I! D I T E IT R. L’objet des deux discours suivans est d’appli- quer a la peinlure V etonnante conformity qui existe entre la structure cle Vhomme et celle des quadrupedes , des oiseaux et des poissons j suivi cV une nouvelle mdthocle pour cipprendrc d des- siner toutes les especes cV animaux d’une ma- niere sure et facile. Nous avons trouve les esquisses que Fauteur a laissees pour cette piece assez bonnes pour ne de- mander aucun changement. Quoique nous eus- sions desire que ces figures offrissent nn contour plus exact et des attitudes plus agreables , nous avons cru qu’il falloit preferer la plus scrupuleuse exactitude a toute espece d’ornementj et la moin- dre alteration dans les traits auroit indispensable- ment nuit a la verite. Le dernier discours a pour objet le Beau phy- sique ou la Beaute des formes. Peut-etre y aura-t-il des personnes qui, s’etant trouvees a la lecture de ces discours, en seront moins satisfailes en les lisant aujourd’hui iraprimes. Elies se rappeleront peut-etre d’avoir entendu et vu demontrer alors par Fauteur beaucoup de choses dont il n’est point fait mention ici : des notes mar* .102 PREFACE DE L? EDIT EUR. ginales du manuscrit et le temoignage de plusieurs temoins nous apprennent cjn’il nous manque dif- ferenles choses qui firent alors une vive et asirea- 4 O l)le impression sur l’esprit desauditeursj mais dont ii ne nous est rien reste ni dans les manuscrits de Fauteur, ni sur les tableaux a dessiner de i’Aca- d.emie. II est heureux du moins que l’essentiel de ces discours nous soit parvenu dans Fetat ou il se trouve, et nous osons esperer qu’en les ofFrant au public c’est lui faire un present qui ne peut que lui etre agreable. PREMIER DISCOURS. JVT ESSIEURS, Des la plus haute antiquite, la peinture a etc consideree non-seulement commele plus agreable et ie plus utile des arts, mais sa pratique a ete re- gardee comrne tellement necessaire a tousles hom- mes, sans distinction de rangs , que, suivant Aris- tote, dans son essai sur les republiques, les Grecs la faisoient enseigner a la jeunesse , afin que les enfans, ceux surtout des premiers citojens , pus- sent porter un jugement sain et bien raisonne sur les productions de Fart. Cet illustre precepteur d’Alexandre le Grand ajoute , qu7il faut aussi initier les jeunes gens dans cet art enchanteur pour leur donner un gout plus sur , afin qu’ils puissent faire avec discernement I’achat des meubles destines a orner leurs mai- sons , et pour qu’ils fussent bien penetres de iacon- noissance du vrai beau. Ce louable exemple etoit jadis si generalement 3o4 DISCOURS LUS suivi parmi nous, que les enfans des mellleurs ci- toyens de toutes nos villes , furent instruits dans ce bel art; mais aujourd’hui nous nous plaignons, avec raison , de sa decadence , meme dans les vil- les de Hollande ou il paroissoit avoir etabli au- trefois son siege. 11 n’y a plus , a proprement parler , que cette ville seule qui continue a protegee cette aimable soeur de la poesie ; et cela avec un tel succes , que ce n’est passeulement la jeunesse actuelle qui nous donne les plus grandes esperances, mais nous pos- sedons deja meme reellement des artistes qui , stimules par la noble emulation de se surpasser mutuellement , produisent des chefs-d’oeuvre aussi propres a orner cette capitale qifa etendre la re- uommee de notre patrie. Mais , pour ne pas trop m’ecarler de mon but , je passerai sous silence lesleconsinstructives et les discours interessans que plusieurs membres de 1’ Academic ont prononces dans le lieu que j’oc- cupe. Leur modestie ne me permet pas d’appre- cier, en leur presence , ces beaux discours a leur juste valeur. Je ne parlerai done que de ce que je dois & ma propre experience, par qui j’ai appris a connoitre et le zele soutenu des Mecene de cette Acadeinie , et le gout decide pour les arts des plus respectables citoyens de cette ville celebre ! Combien ne furent pas flalteurs pour moi , les i A L! A C A D, D E D E S S IN. 5o5 encouragemens que vous daignates me dormer en 1770, en nPengageant a faire des recherches sur les principes fondamentaux d’un art qui fera tou- jours mes plus cheres delices. Ces encouragemens furent pour moi une loi im- perieuse 5 et sensible a la gloire , qu’on voudra bien , j’espere, ne pas prendre pour de la vanite , je fus anime du desir de demontrer, en votre pre- sence , combien la connoissance de Panatomie in- flue sur la peinture. En 1770, j’eus le plaisir de vous faire voir avec quelle facilite , avec quelle certitude , on pouvoit represen ter les differens traits caracteristiques de laphjsionomiedes dilferens ages et des differentes nations. Aujourd’hui je me propose de demontrer combien il est aise de peindre les differentes pas- sions sur le visage de lshomme y mais comme cette science est plus abstruse , les principes en sont aussi plus difficilesasaisir. Ils clemandent une connoissance plus profonde de la charpente du corps humain , non-seulement quant aux os, mais aussi quant aux muscles et aux nerfs; connoissance essentiellement necessaire si nous voulons bien ap- pliquer les regies dont je vais vous entretenir. Je nPadresse done a vous, genereux prolecteurs de cette Academie ! a vous, dignes directeurs de ceLte ecole illustre ! a vous, artistes celebres, qui, par vos productions , soulenez la gloire de cette 1 1 r. 20 3o6 DISCOURS LUS utile institution ! a vous , amateurs et protecteurs de Part du dessin ! je vous prie cle m’accorder vo- tre attention et votre bienveillance. Pardonnez si j’ose, en presence de tant de personnes instruites et habiles, vous proposer des regies sur un art qui, je crains, est an - dessus de mes forces. Excusez mon zele, infructueux pent - etre, mais lequel du moins n’est dicte que par le desir d’etre utile. L’expression fidelle des mouvemens de l’ame par limitation exacte des traits du visage qui les in- diquent , a ete fort estimee dans les terns les plus recules. Pline fait mention d’un certain Aristide de Thebes, qui le premier a represente les passions et les affections de Fame. Quoiqu’on ne puisse pas disconvenirque les bras, les jambes, Fattitude du corps entier, contribuent a exprimer nos passions, il faut avouer cependant que le visage a loujours &e considere comme le veritable siege de l’expres- sion des sentimens qui agitent notre ame. Cicero n appell-e le visage le langage tacite ou muet de Fame 5 et Seneque , qui avoit acquis de grandes connoissances des facultes intellectuelles deFhomme, dit, avec raison, quA peine peut-il s’elever quelque passion violente en nous qu’elle ne soit sur-le-champ peinte d’une maniere visible sur notre visage. Mais c’est-la trop g^neraliser les idees pour qu’on puisse en conclure que les anciens etoient aussi instraits que nous les sommes sur cetle ma- tiere. J’ai voulu dire seulement qu’ils en avoient d’assez bonnes notions , et qu’ils savoient , entre autres, que les yeux sont les veritables miroirs de 1 ame. L ame , dit Pline , ce grand juge des beaux- arts, habile dans les yeux ! II n’ignoroit pas non plus que le mouvement des sourcils y joue le prin- cipal role. Je dois vous renvoyer a Pouvrage de Junius sur la peinture des anciens , pour que vous puissiez vous convaincre de la connoissance profonde qu’ils avoient de cette partie de Part. II est malheureu- sement vrai que nous avons perdu la plupart des chefs-d’oeuvre de ces admirables maitres ; mais le Laocoon seul suffit pour nous convaincre jusqiPa quel degre ils avoient approfondi Pexpression des sentimens de la douleur. Ce iPest pas sur le visage seul qu’on lit les souffrances auxquelles il est en proie: le tronc entier, les bras, les jambes, che- que partie enfin de son corps annonce fortement chez lui des souffrances atroces. L’amenite qui caracterise la Venus de Medicis, la majeste de l’Apollon Pythien, Jesdieuxetlesdees- ses represen tes par les anciens sur les pierres erra- vees , les differens masques , les Faunes lascifs et toutes les autres productions de ce genre doivent nous convaincre que Pexpression des mouvemens de Pame ne fut pas la moindre partie de la pem- DISCOURS LUS 3o8 ture et de la sculpture dans laquelleexcelloient les anciens artistes. Cependant la main de la barbarie a plonge en- suite tous les beaux-arts dans un profond oubli , ou ils sont restes jusqu’au qualorziemesiecle:alors les sciences recommencerent a fleurir insensible- ment , pour se relever, au seizieme et dix-septieme .siecles , avec une si grande vigueur que FEurope, fatiguee, pour ainsi dire, d’avoir produit un si grand nombre d’hommes illustres dans tous les genres, semble avoir besoin dequelques annees de repos, avant qu’elle puisse en faire naitre d’autres de ce merit e. Peut-etre, dira-t-on, que nous manquons de Mecene? Cette question m’ecarteroit trop de mon but j et ce seroit nous rendre coupables d’ingrati- tudeque d’oser le supposer, en voyantle zele avec lequel on encourage les savans et les artistes, sur- tout dans cette ville. Mais f abandonne ces reflexions , quelque flat- teuses qiFelles me paroissent , pour vous faire ob- server que Paul Lomazzo , dans son excellent ou- vrage Dell 3 arte della pittura, publie en i58i , s’est beaucoup applique a indiquer les alteiations que produisent les differentes passions sur la plry- sionoinie de Fhomrne, et les diverses attitudes et positions qu’elles font prendre a notre corps , et auxquelies il paroit s’etre arrete principalement. A if A C-A D. DE DESSIN. 3o9 II rapporte, entr’autres, que Michelino , pein-r tre milanois , avoit represente deux paysans et deux paysannes riant avec tant de force et de ve- rite qu’on ne pouvoit les fixer sans eclater soi- meme de rire. Leonard de Vinci s’amusoit egalement , a ce qu’il dit lui-meme, a dessiner des visages rians. Personne n’ignore que les carricatures etoient fort a la mode de son terns , et furent tellement mul- tipliees qu’elles finirent par inspirer du degout. Leonard de Vinci, qui florissoit au commence- ment du seizieme siecle , dans son immortel ou- vrage sur la peinture, que toutes les nations, ex- cepte la ndtre, que je sache , ont traduit avec une sorte de respect 5 Leonard de Vinci, dis-je , a traite de toutes les impressions que les mouvemens de fame font sur les traits de la physionomie , com- me on peut le voir aux chapitres 2 55 et 257; quoi- qu’il se soit, comrne Lomazzo, arrete principale- ment aux airs de tele et aux attitudes du corps. Tous ces hommes celebres , auxquels nous de- vons joindre, avec raison, Michel- Ange et Ra- phael , ont parfaitement possede cette partie de l’art,*et paroissent meme s’en etre rendus la pra- tique familiere. Jamais je n’oublierai le singulier plaisir que j’eprouvai en voyant le carton de Ra- phael qui represente Saint-Pierre versant des lar- mes de repentir ; et qui de nous n’admj’T'e pas 3 io BlSCODll® LUS le groupe de marbre de Buonarotti representant l’inquiete Proserpine enlevee par Pluton? Mais personne n’a traite cette matiere avec plus de methode que Charles Lebrun , au milieu du dix- septieme siecle; et l’on peut dire a sa gloire que tous les pen pies ont adopte, non -seulement ses preceptes, mais ses dessins meme. L’illustre Buf- fon est le seul, que je sache, qui ait voulu j subs- tituer, mais sans succes, de nouveaux modeles. Je m’en rapporte a voire jugement , messieurs; voyez si j’ai tort en placant les dessins de Lebrun bien au-dessus de ceux de Buffon. L’admirable ouvrage de Lebrun a ete parfaite- ment bien traduit en hollandois par De Kaarsgie- ter ; et nos amateurs Pont recu avec tant d’em- pressement que, des Pannee 1728, il en avoit deja paru deux editions dans cette langue. Lairesse, ce sublime genie, ce peintre admira- ble , s’est bien apper^u sans doute qu’il ne pouvoit rien ajouter auxidees de Lebrun , puisqiPil se con- tente de donner, dans son Grand livre des pein- tre s , de justes eloges a la traduction de Kaarsgie- ter, sans rien ajouter de plus; ce qui prouve as- sez Pestime qu’il avoit pour Pouvrage du peintre francois. M. Wattelet a donne depnis plus d’etendue aux le E S S I N. 5l7 En second lieu, je vais vous tracer les princi- paux muscles du visage et la vraie position des yeux, pour vous prouver que Lebrun , page 53 , planche XXII, les a places trop obliquement , ce qui est contre la nature ; et que dans le rire, page 56, planche II, il a donne une trop grande incli- naison au grand angle de l’oeil, ainsi qu’il l’a fait egalement dans la tristesse. Troisiemement, je dois vous observer que tons les plis du visage doivent necessairement couper a angles droits la direction ou le cours des fibres musculaires (1). Quatriemement , j’indiquerai quelques nerfs ; afin de faire rnieux connoitre Faction simultanee de plusieurs muscles dans la meme passion. II y a long-terns qu’on a donne le nom de pa~ thetique a la sixieme paire de nerfs des anciens , qui est la huitieme pour nous. Elle communique par ses branches avec la gorge, avec la poitrine et avec le ventre, d’ou elle s’unit, par le nerf inter- costal , avec tous les nerfs des bras et des jambes. La quatrieme paire, ou \e petit palhetique ^ produitdeseffetsetonnans dans l’admiration, dans l’amour et dans la mort. qu4 , dans ces dessins , les defauts qu’on peut reprocber & Lebrun dans la representation des yeux. (1) L’auteur, en exposant routes ces choses , les a rendues plus tensities par les dessins des parties dont il parloit. 3i8 D I S C O U R S LUS La septieme paire produit le rire, la rougeur et la paleur. Enfin , je crois devoir vous indiquer aussi les muscles des yeux, afln que vous puissiez vous for- mer une idee exacte de leurs mouvemens , tandis q^ue nous vivons, lorsque nous mourons, et meme apres que nous avons cesse d’exisler. Par consequent, il faut que je vous parle aussi cLi mouvement simultane et alternatif des muscles obliques dans Pexpression de Pamitie ou du res- pect. Lorsque nous cessons de vivre nos yeux se rapprochent Pun de Pautre, parce qu’alors toute volonte cesse, et qu’il ne resteplus de mouvement que celui qiPimpriment les derniers efforts des es- prits vitaux, ou la force elaslique encore subsis- tante des muscles. Tels sont , messieurs, les objets que j?ai cru de- voir vous exposer dans cette premiere iecon , qui lie vous presente que des maleriaux preparatoires. Je me propose de vous en faire connoitre Pappli- cation, et de vous prouver d’unemaniere convain- cante que les artistes , en suivant ces principes , peuveut exprimer h volont4 et d’une maniere sure routes les passions ayec la plus grande energie. A l’aCAD. D E I) E S S I N. 3ig SECOND DISCOURS. M ESSIEURS, \ Lorsque je vous ai promis hier cle vous faire connoitre ^application et le developpement des principes dont je vous ai entvetenus , j^ai contracte 1 obligation de mettre sous vos yeux des dessins qui representent les passions. 1 °. Je vais done vous montrer d’abord un visage en repos (pi. XXIX, fig. 5)* puis en admiration, ensuite exprimant le mepris ( fig. 4 ) ; enfin , l’in- dignation (fig. 5). 2°. Ensuite, revenant de nouveau au visage tran- quille (fig« 3), je passerai a la satisfaction, a la joie ( fig. 6 ); enfin, au rire aux eclats (fig. 7). 5°. Je reviens au repos (fig. 5), pour passer a la douleur; et ensuite au larmoyant. 4°. Si le terns me le permet, je parlerai en pas* 520 DISCOURS LUS sant de l’homme respect ueux; de l’homme abattu par la douleur (fig. 8), et de Phomme mourant (% 9)- Vous ne serez pas moins satisfaits des change- mens instantanes que les passions produisent sur le visage, que le grand-due de Toscane le fut en voyant peindre Pierre de Cortone a Florence. Cet artiste, s’appercevant que le grand-due neselassoit pas d’admirer un enfant qu’il avoit represente en pleurs , lui demanda shl etoit. curieux de voir avec quelle facilite il pouvoit le faire rire? En effet, a peine eut-il donne quelques coups de pinceau , que l’enfant qui d’abord pleuroit parut sourire. Ensuite, il remit la bouche dans sa premiere po- sition, et Penfant pleura de nouveau; ce qui causa une grande surprise au due. Fattends les memes sentimens de votre part; mais je vous prie de vous rappeler que ce n’est pas un Pierre de Cortone que vous allez voir dessiner, mais un simple amateur de la peinture. Je me mets done a dessiner. §• i- 2°. Voici d’abord le visage tranquille (fig. 5). 2°. Supposons mainlenant qu’il se presente tout a coup quelque chose de surprenant : le nerf in- tercostal est mis en mouvement et fait agiv la A l’aCAD. DE D E S S I N. 321 troisiemepaire de nerfs, cl’oiiil resulteque la pau- piere s’ouvre et que Fceil demeure immobile dans son orbite j les denis restent couvertes. Dans le meme terns le meme nerf agit sur la huitieme paire de nerfs ( fig. 4); la respiration se trouve arretee $ le coeur meme est gene dans son mouvement, et la bouche s’ouvre, parce que les muscles qui meuvent la machoire sontaffectes; les mains, et les doigts surtout, s’etendent par un elfet de la meme union. 5°. Le mepris se manifeste d’une maniere dilFe- lente. Ici la cinquieme paire de nerfs agit, ce qui fait que les sourcils se contractent , la bouche se ferme, la levre inferieure (fig. 5) s'elere au mi- lieu, et les yeux sent tires de cdte. Mais ici a par- ticulierement lieu ce que fai dit ailleurs , que les muscles abduct eur et adducteur , par une suite d habitude, agissent simultanement. Cette passion devientbien plus expressive quand le corps se defourne d’une certaine maniere de 1 objet; surtout lorsque dans le meme terns la tete est tournee a droite, tandis que les yeux regardent a gauche. §• II. . Dans la joie , les seules parlies qui soient en mouvement sont celles qui dependent immedia- tement de la septieme paire de nerfs. hi." 21 322 DISCOURS LUS i°. Voici la figure tranquille (fig. 5). 2°. Yoici le sourire de Famine. Mais il ne faut pas que les coins de la bouche s’elevent seuls , et jamais les sourcils ne doivent se froncer ni se rap- procher (fig. 6). C’esl-la un point dans lequel peclient beaucoup de peintres de portraits francois. 3°. Du moment que la gaiete va jusqu’au lire, les yeux se fixent en avant sans avoir de point de- termine ou ils s’arretent. Le cote exterieurdu mus- cle orbiculaire des paupieres se contracte ; alors la partie superieure des joues se releve et les rides paroissent. 4°. Voulez-vous avoir une physionomie volup- tueuse, placez les yeux de cote, et fermez un peu les paupieres, eomme lorsqu’on donne des oeillades (fig- 7)- 5. ill. i°. Yoici de nouveau le visage en repos (fig. 5). 2°. Dans la profonde affliction (fig. 8), c’est la cinquieme paire de nerfs quiagit: les deux coins de la bouche s’abaissent, les dents restent couver- tes,parce que la levre superieure s’abaisse ega- lement. Lorsque l’affliction passe au d^sespoir, les yeux se tournent vers le ciel et se placent obliquement ; A L5 ACAD. D E D E S S I N. 323 le front se fronce et le milieu des sourcils s’eleve. 5°. Quand on pleure, tons les muscles qui de- pendent de la cinquieme parte de nerfs eprouvent une plus forte impression encore. 4°. Lorsqufil s’ymelede la colere, lespaupieres s’ouvrent autant qu’il est possible, les sourcils sV baissent profondement et les dents se serrent avec force. $■ iv. II faut considerer corame une regie generale • i°. qu’au moment oil l’ame va quitter le corps, tons les muscles du cou (fig. n) font ouvrir'fa bouche j 2°. que les nerfs pathetiques rapprochent lesyeux Fun vers Fautre; 5°. et que tous les au- tres muscles restent alors dans le plus parfait repos. Ce que Lebrun appelle veneration , pi. Ill, pag. i8,et respect, pi. IV, fig. 5,sont represents d’une manieie peu conforme a la nature; en ce que les yeux y sont releves par les deux muscles obliques; tandis qiFils doivent agir alternativement ; c’est-a- dire, que les muscles obliques inferieurs et supe- rieurs doivent agir simultanement. conclusion. ^ oila , messieurs , les objets dont je m’etois pro- pose de vous entretenir. Yous vous attendiez peut- DISCOURS LUS, ETC. etre que j’aurois mis sous vos yeux toute la serie des passions, et que je vous aurois offert des exem- ples de chacune en parliculier. Mais pour cela il m’auroit fallu plusieurs seances , et j’aurois du alors traiter cette matiere plutot en peintre qu’en anatomiste. Mon seul but a ete de vous inspirer autant que possible du gout pour l’etude de la nature , et de vous affranchir en meme terns de la melhode de- fectueuse de ne considerer les choses que d’un seul cote, en suivant servilement les exemples vicieux des maitres dont je viens de vous parler. C’est le seul moyen de parvenir a la connoissance de la verite; une semi-preuve vaut mieux pour cela que toutes les autorites. Nous devons, comme les an- ciens, respecter et Socrate et Platon 5 mais la ve- rite doit nous etre beaucoup plus chere encore. DEUX DISCOURS SUR L’ANALOGIE QU’IL Y A ENTRE LA STRUCTURE DU CORPS HUMAIN ET CELLE DES QUADRUPEDES, DES OISEAUX ET DES POISSONS, Prononcds , les i3 et i4 octobre , dans la salle de I’Academie de dessin de la villa d’ Amsterdam. n ... • i: I V>\ Vt' » ■ -As "• W' > - Vu'. ’ .. PREMIER DISCOURS. M ESSIEUHS, Voici la troisieme fois que j’ose me presenter devant vous clans cette salle, encourage par votie indulgence et excite par les applaudissemens de plusieurs habiles artistes de cette ville. Je vous ai entretenus, il y a quelque terns, des varietes qui caracterisent le visage des bommes de divers climats et de differens ages. J7ai indique a cette occasion une maniere nouvelle et sure de dessiner toutes sortes de tetes avec la plus grande exactitude. J’ai parle ensuite de la maniere dont les differentes passions se peignent sur le visage , et j’en ai meme donne c|uelcjues exemples (1). Aujourd’hui je me propose de vous faire remar- quer l’et on nan le analogie qu’il J a entre la struc- ture du corps humain et celle des quadrupedes , des oiseaux et des poissons, et de vous exposer en (1) Ce morceau paroitra dans le volume suivant. 528 d r s c o u R s lus meme tems une mahodefocile de les dessiner tons avec precision. Ne soyez point surpris, messieurs, de cette sin- gu.iere idee : ,1 n’est nullement indigne ni de vous m de moi, d’etudier les formes exterieures des animaux, et de les peindre avec fidelite. L’exemple de Ja sageantiquite viendra a l’apnui de cette assertion. Les Grees, les Romains, et les 'gyptiens avanteux, etoient obliges, ainsi nu’on le sail , de connoitre les formes exterieures de tou- tes les especes d’animaux, non-seulement comme devant servir de figures hieroglyphiques du culte bisarre de leurs tdoles, mais aussi comme objets inseparables de leurs sacrifices , de leurs (eux pu- blics, de leurs pompes triomphales; et il leur eut ete impossible sans doute de les representer d’une maniere convenable , soil en peinture.soiten mar- ble, soit en bronze, s’ils n'avoient commence par se penetrerauparavant decequi constituelabeaute et la perfection des formes des animaux de toutes les especes. ^ Rien ne me paroit pins propre a prouver tonte 1 importance que les anciens attaclioient a cette parlie de Part , que le fameux cbien de bronze , qui, selon Pline le naturaliste ( 1 ) , etoit regarde comme une des plus grandes merveilles ; de ma- CO Lib. XXXIV, cap. \y. A L’ACAD, D E DESS1N. 32$ niere que ceux qui eloient charges de le gavder , en repondoient. sur leur vie. Le meme auteur nous apprend (1) que Myron avoit fait une vache de bronze d’un travail si ad- mirable, que non-seulemenl elle fut chantee par les plus grands poetes , mais que les graveurs en brent des copies avec le meme empressement et le meme soin qubls avoient coutume de le faire de la Venus et d’autres chefs- d’oeuvre des plus celebres maitres. Le comte de Caylus (2) en donne une re- presentation d’apres une cornaline, dont il fait , avec I’aison , un grand eloge. Canachis (5) s’etoit rendu celebre pour avoir represente un cerf de bronze, qu’il avoit execute avec tant d’art qu’on pouvoit passer un bl dessous ses pieds. Tisicrates (4) s’est immortalise par ses lions ; Timon (5) par un chien; Nicias (6) par la pein- ture de toutessortes d’animaux; Androcydes (7) par sa maniere admirable de representer les pois- sons. (1) Ibid, , cap. 19. (2) Tom. I , pi. L , fig. 3 , pag. 1 35. (3) Plin. , lib. XXXIV. (4) Ibid. (5) Ibid. (6) Ibid. (7) Ibid- 33 o DISCOURS LUS II faut lire les Dlonumenii antichi inedili tie Winkelmann, et surtout l’inlroduction tie cet ou- vrage , pour se convaincre tie quel prix est encore aux yeux des antiquaires le lion chi Capitole , le sphinxdu palais Borghese , et d’autres animaux de la fontaine dell' Aqua Felice. Mais c’est principalement des clievaux que les anciensparoissent s’etre occupes. L’histoire de l’in- comparable Apelle est trop connue pour qu’il soit besoin de la repeter ici ; et il en est de meme de son emule Lysippe. Apres eux, Calamis s’est ac- quis une telle celebrite par son talent a represen- ter des clievaux que non-seuleraent Pline (1) en a parle avec le plus grand eloge, mais que Ciceron et Ovide ont immortalise ses ouvrages par leurs ecrits. Selon Pline , personne ne pouvoit lui etre compare pourla representation des biges et des qua- drigesj quoique Lysippe et son eleve Eutichrates aient merite aussi de grands eloges a cet egard. On pent voir dans le cabinet de Slosch quel ta- lent Aspasius avoit dans Part de graver des che- vaux; le beau casque deMinerveen est une preuve. Hylus n’a pasmoinsbien reussi a representer des taureauxj et Aulus et Lucius ont obtenu les me- mes eloges pour leurs clievaux. Des quadriges , dont la forme ressemble assez a celle de nos ca- (i) Lib. XXXIV. a l’acad. d e d e s s i n. 53i briolets, sontsiadmirablement represents en bas- relief, et sur des pierres gravees, qu’on ne peut rien imaginer deplus parfait. On trouve assezcom- munemept de ces chars alleles de deux et dequatre chevaux; mais je n’en ai jamais vu avec dix che- yaux, quoiqu’on saclie que Neron a commence a s’en servir a la chasse. Cependant on trouve dans Caylus (1) une cornaline representant une entree triomphale, oil le char est traine par vingt che- vaux, tons alleles de front, et d’un si beau tra- vail qu’on distingue parfaitement chaque cheval. Je ne finirois pas si je voulois citer tous les ar- tistes qui ont acquis de la celebrite par leur talent a rendre parfaitement les animaux. II me paroit plus convenable de vous renvoyer a Junius qui en parle avec beaucoup de discernement. Yous y verrez par vous-memes quel fut le nombre des peintres , des slatuaires et des graveurs qui doivent , pour ainsi dire, uniquement leur gloire a la perfection avec laquelle ils ont represenle des animaux. Mais il vous interessera davantage que je vous rappelle les noms des grands artistes qui ont illus- Lre notve pat l ie par leurs chefs - d’oeuvre en ce genre. Qui de nous ne seroit pas jaloux de meriter la gloire dont jouissent Van Berchem, \Vouwer- man, Potter, Wenix, Adrien Van de Velde, Hon- (») Tom. I, pi. L, fig. 5 , pag. i55. 53a discours lus olekoeter, et plusieursautresmaitresde cetteclasse, *i qui noire patrie a donne le jour. On peut done dice sans crainte que leur talent etoit aussi admi- i able que difficile a atleindre; et personne je pense (exceple Crispin Van de Pas) ne s’est occupe a eciiie surles proportions des animaux et a fournir pai consequent aux eleves les moyens de faire des progres certains dans cette partie. Ce que Leonard de Vinci dit des chevaux n?est cei lainement pas propre a nous en donner des idees bien justes ; Leonard ne parle qu’avec un enthousiasme poetique de la beaute de quelques animaux 5 Charles Van der Mander s’amuse e^ale- © ment a des citations de poetes, qui ne sont guere utiles; tandis que Lairesse passe entierement sous silence cet article interessant. Ce que je viens de dire doit vous faire paroltre mon entreprise d’autant plus hardie ; cependant je me datte que ces memes raisons me serviront , an contraire, d’excuse, et me feront obtenir votre approbation; j’espere meme vous convaincre que si je n avois pas reuni les observations anatomi— ques, quelquefois si degoiitantes, de differentes es- peces d’animaux, aux secours dn belartdelapein- ture, je iCaurois jamais pu concevoir les idees que je vais vous presenter. Mais je me croirai bien re- compense des peines que m7a coute ce travail , si , par ces deux discours , je parviens a encourager I A l’aCAU. D E DES8IN. 555 des homines plus instruits que mol a porter cette partie de la peinture a sa perfection. Dans le premier de ces discours , j’exposerai les veritables rapports qu’offrent les quadrupedes com- pares entr’eux, comme aussi les rapports qui exis- tent entre les quadrupedes et les oiseaux et les poissons; en indiquant les particularity qu’il im- porte au peintre et au statuaire de saisir. Je prie d’observer que par la peinture j’entends parler de tous les arts quitiennent immediatement au dessin. Dans le second discours* j’indiquerai une me- tbode facile et sure de dessiner correctement lou- tes les especes d’animaux, tant les quadrupedes , que les 'oiseaux et les poissons ; et je finirai par vous montrer que , nouveau Protee , on peut , moyennant quelques traits , metamorphoser une vache en cheval, en un chien, en une cicogne, et la cicogne en une carpe, ou toute autre espece de poisson. Cependant ne croyez pas , qu’a Pexemple de Zeuxis, j’employerai un terns bien considerable a dessiner les animaux qui doivent faire Pobjet de ce discours. Je suivrai plutdt la methode d’Agathar- que, en faisant de legeres esquisses des animaux que je croirai necessaires au developpement de mes idees. Rien ne vous sera plus facile que d’y ajouter 534 DISCOURS tus ensuiie les details qui constituent la beaute et la grace des chefs-d’oeuvre des maitres dont je viens de vous parler. Daignez done m’accorder encore aujourd’hui cetle attention et cette indulgence dont vous avez bien voulu m’honorer jusqu’a present; et ne con- siderez ce que je vais dire que comme des vues gen era les, qui, toutes imparfaites qu’elles puissent etre , pourront neanmoins contribuer un jour a parvenir a des choses plus utiles et plus impor- tantes. il n’y a personne, pour peu qu’il ait considere avec quelque attention Tart ravissant de la pein- ture, qui puisse douter que , pour representer les objets que la nature offre a nos yeux , le peintre ait autre chose k faire que de les dessiner et colo- rier avec la plus scrupuleuse exactitude. II seia utile neanmoins, et meme regarde com- < me indispensable, je pense, par tous les amateurs eclaires, que le peintre qui veut parvenir a la per- fection de son art ait line connoissance profonde de tous les etres crees, et qu’il se penetre du des- sein qu’a eu le grand et divin architecte de runi- vers dans la production de cette etonnante et pro- digieuse diversite de formes qui nous etonne et nous charme dans les quadrupedes, dans les oi- seaux et dans les poissons, et qui nous penetre de respect et d’admiration pour sa toute-puissance. a l’acad. d e d e s s i n. 555 En commencant par Phomme, nous le consi^ dererons coniine le plus beau des quadrupedes ; ensuite nous descendrons par degres aux singes , aux chiens et aux gerboises; apres quoi nous pas- serons aux oiseaux, pour finir par les poissons. Peut-etre regarderez-vous ce discours comme absurdejmaisjemeflatte de vous convaincre bien- tdt que les oiseaux et les poissons doivent etre pla- ces dans la classe des quadrupedes, aussi bien que les chevaux et les elephans ; quoique cependant d’une structure differente , pour qu’ils puissent exercer facileraent leurs fonctions animales dans le medium qu’ils sont destines a habiter. D’ailleurs , chaque animal dilFere des autres par la tete, par le corps, les extremites et la queue, d’a- pres le but pour lequel il a ete cree par l’Etre Su- pi-eme et le lieu qu’il doit habiter sur ce globe. L’huilre meme, condamnee a passer sa vie au meme en droit, presente les principes d’organisation et de structure du poisson, et le poisson ceux de Foi- seau , du chien , du singe , et finalement de Phomme. J’aurois pu vous demontrer cette contatenation des etres par des esquisses^ mais le defaut de terns ne me permet pas de nPen occuper. Je dois done me borner a vousmontrer lessque- lettes de Phomme, du chien, de Paigle et du pin-' gouin, pour vous faireappercevoirPanalogie qu’il UISCOURS lus y a entre les parlies correspondantes de ces ani- JiJcuix. Quant a la nature des poissons, je me re- serve d’en parler dans le second discours (i). Vous voyez evidemment , par la comparison de ces squelettes enlr’eux, que, de toules les crea- tures, c’est rhomme cjui est leplus parfaiQmaisce Ji’est pas, comme a dit Platon (2), et apres lui Ci- ceron (5) et Ovide, parce qu’il march ela tete ele- vee ; comme si c’etoit un privilege exclusif pour 1 espece humaine de regarderle ciel: Galien (4), on le sail, avoit deja observe judicieusement que plu- sieurs especes de poissons remplissent beauconp micux cette fonction ; ce qui les a fait appeler en grec xtpMoroxQTro) , contemplateurs da ciel (5)- anais parce que l’liommeseulpeut marcher debout et s’asseoir. Nous y ajouterons, qu’il est le seul des etres qui puisse se coucher sur le dos 5 le seul dont le centre de gravite et de mouvement se trouve exactement an milieu du corps, ce qui fa- cilile, en general, tons ses mouvemens; avantages qui dependent uniquement de la perfection de sa (1) Cette demonstration s’est faite par Je moyen du dessiuetdes 6quelettes d’ariimaux. (l} In Tlmapo, rora. Ill, pag. 44 et 45, edit. Serrani. (5) De Legibus , lib- 1 , 9 , pag. 534. (4) De uau part. , lib. Ill, cap. 3, class. I , pag. ,28. L. (5) Le beeuf ou le tapecon on rapecon. Voyez Gronovius ou ■Willougby. i A L* A C A D. D E DES'SIN, 537 structure. II possede encore plusieurs autres privi- leges important* ; mais comme ils n’ont point de lapport ii mon objet je les passe sous silence. II n’y a personne qui, en considerant, meme su- perficiellement , un clieval , ne soil frappe de la beaute de son encolure. En voyant le chameau , c’esl la longueur de son cou et la petitesse de sa tete qui surprennent le plus ; l’elephant fixe prin- cipalement notre attention par la longueur de sa trompe ; dans la vache nous admirons la grosseur des flancs ; dans le levrier c’est le svelte de son corps, la finesse desesexl remiles qui nous plaisent. Cependant je vous ferai voir que la structure de ces dillerentes parties est appropriee au but pour lequel ces animaux ont ele crees. Ciceron (1) a donne une admirable description de ces differences relatives, qui nous apprend les grandes connoissances qu’avoit ce philosophe des merveilles de la nature, (( Quelques animaux, dit-il, ont les jambes as- « sez courtes, pour qu’ils puissent sans difficulte « prendre leursalimensa terre. Ceux dont le corps cc est place plus haut, tels que les oies, les grues « et les chameaux, ont le cou fort long. La nature « a donne une main a l’elephant pour saisir sa (1) De Nat. Deorum , cap. 47- I I I. 22 358 DISCOURS LUS « nourrilure, que la grosseur demesuree de son « corps Ini empecheroit d’atteindre (1). » Ces l'emarques, quoique dignes de ce grand phi- losophe, et favorables a l’objet dont je m’occupe, ne m’ont cependantparu intelligiblesqu’apresque Peus perfectionne mes observations sur les ani- inaux, et fait les decouvertes dont je vais vous en- tretenir. Le grand naturaliste Ray, dans la preface qu’il a mise a la tele de la description des poissons de Willougby, rapporle ce passage en d ’a utres ter- mes, et remarque av§c just esse, que si les pois- sons n’ont pas de cou, ce n’est point parce qu’ils manquent de pieds , mais a cause qu’il leur est fa- cile de recevoir partout leur nourrilure dans les eaux. Aristote avoit deja fait l’observalion que les poissons n’ont point de cou. LeS serpens n’en ont de meme pas , et ont cela de commun avec les poissons. Pour ce qui est des extremites, je remarquerai que, par une suite de la prevoyance du Createur, (1) Ceci se trouve continue par le morse, cjui, quoique muni de longues defenses , n’a pas besom de trompe , parce q ue nageant dans l’eau, it saisit facilement sa proie ; ce qui nous fournit une preuve remarquable de la necessite de la trompe dans 1 elephant , et de son inutilite dans le morse. Galien avoit dejli remarqu^ que les animaux qui broutent par terre ont le con aussi long que le* jambes. Dc usu pare., lib. VIII, cap. 1, n°. 1 65. B. Edit. Brass. A L’ A C A D. D E D E S S I N. 35$ le train dedevant esl toujours plus bas quele train de derriere dans les animaux de qui la hauteur des jambes exige un long cou ; comme on le voit dans la brebis, dans le cerf et dans le chameau , de qui l’epine du dos et les handles montent obliquement. Nous devons excepter de cette regie la giraffe, la- quelle a une destination different e a remplir. 2°. Si nous fixons notre attention sur le ventre, nous trouveronsque cette partie estbeaucoup plus considerable chez les animaux herbivores que chez les carnivores , et plus grande aussi dans les ru- minans que dans ceux qui ne ruminent point. II est facile d’en comprendre la raison : les boyaux, tous les intestins en un mot , n’ont pas besoin d’e- tre d’un aussi grand volume pour convertir de la chair en chair , que pour convertir de l’herbe en chair. Les parties nutritives de l’herbe son t repar- ties dans une masse considerable} tandis que cel- les de la viande sont resserrees dans un petit vo- lume. " ■ ■ La vache se remplit de suite totalement 1’esto- mac , apres quoi elle rumine a son aise } tandis que le cheval mange con tin uellement. 11 fautdbhc que la vache ait le ventre plus gros que le cheval} le cheval plus gros que le chien , etc. 5°. Les animaux sont aussi d’autant plus alon- ges qu’ils ont un plus grand nombre de vertebres lombaires; quelques-uns , tel que Lelephant, n’en 54o DISCOURS I, US ont que trois; tanclis que le clieval en a cinq , la vache six, le lion , 1§ chat et le chameau sept. 4°. Les animaux herbivores, telsquel’elephant, le cheval, le boeuf, le cerf, le chameau et toutes les especes ruminantes, le cochon raeme, ont des sabots, soit solipedes , soit fourchus, parce qu’ils doivent se tenir long-tems debout pour prendre la quantite de nourriture qui leur est necessaire. Dans toutes les autres especes dnnimaux les ex- tremites se terminent en trois , quatre ou cinq doigts, comme dans l’homme; maison n’en trouve jamais au-dela de cinq dans les quadrupedes. 5°. Dans les oiseaux, les ailes se terminent en doigts ; tous ont un pouce , et la plupart deux doigts en sus. Dans plusieurs especes, il j a des • piquans , comme on le voit a raulruche,au casoar. Plus le peintre sera instruit de la nature et de -la conformation des animaux, etmieux il reussira a les representer lidellement. Mais une simple explication verbale est loin de pouvoir suffire a faire saisir complettement la ve— rite de ces observations. Je reussirai rnieux sans doqte a vous faire comp.rendre mes klee.s, en vous presentant les esquisses des animaux dont je veux ’ n jk. i > • > i .1 A l’acad, d e dessin. 54i PREMIER EXEMPLE. Le cheval. Planche XXX, figure 1. i°. Soit B. C. D. E. F. le corps et les jambes du cheval; de maniere que les jambes pour etre pro- pres a la course doivent avoir la hauteur de G. E. et H. D. 2°. Tirez en dedans la ligne A. I. que decrivent les vertebres. Que A. Y. soit la premiere cote , et A. le centre de turbination de la premiere verte- bre du cou : on sail que tous les animaux en ont sept. CONSEQUENCE. II en resulte que le cou et la tete pris ensemble doivent etre assez longs pour que l’animal puisse manger a terre; c’est-a-dire, comme A. Y.+Y. Z. Plus la tete sera petite relativement a la hau- teur de Panimal , plus le ,cou devra etre long , comme cela a lieu dans le chameau , le mou- ton, etc. 5°. Lorsque la tete se trouve droite, il iaut que le cou se courbe en dehors, comme B. 0. I\ , ou -en dedans comme cela a lieu chez les vieux che- vaux ; et le cou se porte plus ou moins en B, H. r.5 a proportion que la tele baisse davanlage. 542 DISCOURS LUS 4°. Pour que le cheval puisse porter un aussi long cou , il faut que les apophyses epineuses des vertebres soient fort longues pres du garrot, com- me cela a lieu en effet dans le cheval en A. B. COROLLAIRE. Ces apophyses doivent done etre moins longues dans les autres animaux , et les plus petites dans 1’homme, de qui la tete porte sur un pivot droit. N. B. Le cheval a un grand muscle qui passe par S. C. jusqu’a R., lequel, etant reuni avec le muscle solaire en £1. , est cause que cet animal peut donnerde si fortes ruades; ce qui lui est uni- quement propre. Le boeuf n’a pas ce muscle, aussi cette partie est-elle tres-creuse chez lui. II est certain que la tete du cheval dans VHip- piatrique de Bourgelat est trop petite; F. S. fai- sant les 2§ de la tete, tandis que cette longueur ne devroit etre que de 2§, comme Stubbs et d’au- tres Font dit. Dans le modele anglois du -cheval ecorche la tete est de | de la longueur de F. S. , par consequent plus petite encore. Aucun de ces chevaux ne sauroit manger, a moins qu ’i Is n’eus- sent un tres-lon^ cou. La hauteur B. E. = F. S. ; chez tous =: 5 pieds. J’ai trouve, en general, que les tetes des chevaux a. i’acad. d e dessin. 543 avoient deux pieds de long- meme dans ceux de petite race , qui , pour cette raison , ont le cou plus court. SECOND EXEMPLE. La vache. Planche XXX, figure 2. i°. Faites d’abord l’esquisse du cheval. 20. Raccourcissez les jambes de E. a e. , pi. XXX, fi^. 1, et de D. a d. CONSEQUENCE. II en resulte que le cou n’aura plus besoin que de la longueur de A. T. etant droit , et de celle de A. Y. lorsque Fanimal broute. Le cou de la vache ne doit et ne peut pas etre courbe comme celui du cheval, mais doit monter obliquement; de maniere que , vu sa pesanteur, il sera constamment place plus bas que le garrot B. , lequel , pour cette meme raison , n’est pas si haut que dans le cheval. Le reste s’explique de soi-meme. 544 DISCOURS lus T R O I s I E M E EXEMPLE. Le chieji. Planche XXX , figure 5. i . Tracez de nouveau l’esquisse du cheval et la ljgne que decrivent les vertebres. 52°. Biminuez le ventre de G. H. , pi. XXX, fig. i, en G. Z. , fig. 5, pour les raisons que j’ai avancees en parlant de la nourriture des animaux. 3°. Le cou p§ut etre plus ou moins long, parce que le chien peut manger etant couche, ou en te- nant la tete droite. 4 . Les ext remites doivent etre plu^ minces , pour rendre l’animal plus leger. 5°. L os de la jambe etant plus long, le pied Xi. devient plus court que dans le cheval. 6°. La queue lui sert quand il saute. QUATRIliME EXEMPLE. Le chamean. Planche XXXI, figure i. Faites comme dans le precedent exemple, mais alongez les jambes, elargissez le ventre, et le cou devra etre plus long. La tete du chamean, quoi- que aussi grande que celle du cheval, paroitra plus petite, a cause des dimensions plus grandes des autres parties de Panimal. 345 a l’acad, d e d e s s I n. COROLL AIRE. Le chameau doit avoir lecou courbe fen dedans, a cause du centre de gravile. N. B. Dans le chameau, la brebis et le cerf, la ligne A, T. doit nionter un peu obliquement. CINQUIEME EXEMPLE. L’ elephant . Flanche XXXI, figure 2. Tracez de nouveau l’esquisse du cheval, comrae dans les exemples precedens. Placez le cou en A. r. , et il faudra necessaire- ment un garrot eleve, proportionne au poids qu’il doit porter ; ce qui neanmoins ne pouvoit trop s’ac~ corder avec la conformation de l’animal. Le cou devoit done etre fort court, comme A. y. Mais com- me cette conformation ne permet pas a l’animal de manger a terre, il falloit necessairement qu’il eut une trompe. La preuve de ce que je dis sera plus facile a saisir, si l’on se rappelle le morse, qui n’a pas besoin de trompe parce qu’il nage. Les vertebres pectorales et dorsales doivenl: maintenant former une voule. Comme Lelephant 346 DISCOURS LUS n a que trois vertebres lombaires , il doit necessai- rement paroitre plus court. CONCLUSION. Voila, messieurs, les objetsdont je voulois vous entretenir dans ce premier discours. Peut — etre m accuserez-vous de longueur; mais l’abondance de la matiere ne nra pas permis d’etre plus court. Comme le second discours, que je me propose de faire demain, aura un rapport plus direct avec la # peinture , je me flatte qu’il meritera davantage votre attention. 547 A l’acad. d e d e s S I N. SECOND DISCOURS. M E'S S I E U R S , Pai remarque , clans mon premier discours, qu’excepte Crispin Yan cle Pas, pereonne jusqu’a present n’a donne des principes particuliers pour dessiner avec precision loutes sorles d’animaux. Pajouterai que ce sont les squelettes des animaux et de i’homme qui seuls peuvent nous servir de base pour bien representer leurs formes exterieu- res ; mais ces squelettes sont , en general , si mal dessines qu’il est impossible que les artistes en ti- rent quelque utilite. Les squelettes que Goiter a donnes sont horri- blement mauvaisj ceux de Meyer cependant sont pires encore. II n’y en a pas un senl dans l’ouvrage de Bulfon , d’ailleurs precieux et excellent, que \u peintrc puisse consulter avec fruit ; Fepine du dos 548' discours l u s s y tr°nvam loujours sur une ligne droile , comrae dans 1 ouvrage cle Coiler. L’humerus et le radius , ainsi que le femur et les os dela jam be,, y Torment egalement une ligne droite ; de sorte que les jam- bes sont d’une telle longueur relativement au cou qu il seroit impossible qu’aucun de ces animaux pul atteindre a la terre pour y prendre sa nourri- tui e. Mais je n’ai ]dus ele surpris de l’imperfection de ces figures, depuis que j’ai vu les squelettes me- mes au cabinet du roi. Clieselden , dans son grand et magnifique ou- vrage sur les os, a donne un nombre considerable do squelettes d ’animaux, qui sont trades d’une maniere precieuse et graves avec soin par Van der Guclit et Schynvoet ; mais d’apres des modeles de- lectueux. 11 y en a cependant quelques-uns de beaux, tels que ceux du lezard , de la tortue , du crocodile et de l’aigle. Ceux de l’ours, du lapin et du eigne sont admirables. On pourroit a la rigueur se servir du squelette de l’autruche, mais celui du cochon est trop mauvais. Ainsi les squelettes de Clieselden sont, en general, les meilleurs. II faudroit croire que le squelette du cheval , comme le plus beau et le plus u tile des quadru- ples , seroit rendu avec le plus de soin ; mais il en est tout autrement, excepte celui, que Stubbs, ce celebre peintre d’animaux, a dessine et grave. Les figures de Carlo Ruini, le premier de ceux a l’ac'ad. de d e s s i n. 54g qui se sont dislingues dans cette carriere, peuvent etre regardees comme assez bonnes pour ce qui concerne la partie anatomique , mais elles ne .sont au reste d’aucune utilite pour Partiste. Jugez d’a- pres cela ce qu’il faudra dire de celles de Sa unier, de Snape et de plusieurs autres , qui ne sont que de mauvaises copies cPapres les figures defectueu- ses de Carlo Ruini? Mais ce qui doit nous elonner clavanfage, c’est que la celebre Ecole veterinaire deCharenton pres de Paris n’^voit pas eri 1777 un seul squelelte de cbeval, pas meme celui de Bourgelat , auqnel je voudrois bien donner line place dans mon cabinet. L’omoplate et Pos du bras sont mal agences dans tous sans exception. Le squelette de cheval donne par Buffon et la Gueriniere est encore plus defectueux. Quant a celui de Stubbs, il est admirablement fait et de la plus grande exactitude i toiltes les par- ties sont bien disposees, d’une belle proportion et superieurement dessinees 5 les muscles entbautres sont parfailement exprimes; eri un mot, ce sque- lette est un veritable chef-d’oeuvre; et Stubbs me- riteroit qu’on lrii erigeat une statue pour avoir fait ce bel ouvraoe. o Si tel a etc le sort du cheval, 1’animal le plus utile a Phomme, vous pourrez facilement vous former une idee de ce qui doit en etre des sque- DI8CODK8 L U S 55o lei tes des aulres animaux, qui n’onl pas eu de peintre comme Stubbs pour nous en donner les figures. Mais, en supposanl que le peinlre eut absolu- ment besom d’une connoissance exacie du sque— lelte de lous les animaux , il faudroit convenir alors que peu d’artistes trouveroient le terns ne- cessaire pour en et udier les modeles. JNous savons d ailleurs que les plus grands maitres sont parve- nus au plus haul degre de celebrite avant Page de Irente ans. Je pense done qu’il n’est pas absolu— ment necessaire d’avoir une connoissance fort ap- profondie de tous les squelettes; mais qu’il faut posseder seulement une idee generale de certaines parties, surlout de celles dont jevousai demontre, dans le premier discours, que 1 ’analogic est tou- jours constante dans tous les animaux; pour que les artistes qui esquissent d’apres nature, puissent dessiner les animaux avec plus de prestesse et de precision. C’est de cette maniere sans doute qu’ont pro- cede les Paul Potter, les Van Berchem, les Wou- Werman et quelques autres, tels que Snyders, Cas- tilglionei, et surtout l’admirable P. Testa, lequel merite que ]e yous le recommande particuliereT- ment , a cause de l’exactitude et de la precision qu’on trouve dans ses dessins. Je ne parle pas de Reidinger , parce que tous ses animaux , d l’ex- a l’acad. d e d e s s I n. 35 1 ception de quelques chiens et de quelques cerfs , sont de veritables caricatures qui, sans l’agreable execution du dessin , ne meriteroientpas qu’on les citat. Cependant Van Bercliem n’est pas correct dans la maniere de placer les differentes parties du boeuf, de 1 ’ane , etc. ; il peche surtout par la situation des omoplates, principalement quand on les voit de face. Les tetes de ses anes sont generalement mau- vaises; plusieurs de sesmoulons sont incorrectsou strapasses, quoique graves par lui-meme a Feau- forte. En general, il peche contre le squelelte. Ses boucs sont ce qu’il a fait, de rnieux , par la grande verite avec laquelle il les a rendus. Ceux qui ont ete graves par de Visscher ont les memes defauts; entr’autres, il ne sont pas assez velus. Dans la chasse au cerf gravee par Dankerts , il y ^ un beau cheval j le cerf est trop grele de corps. Adrien Van de Yelde, dans son cahier de boeufs, a rendu superieurement bien la plupartdeces ani- maux, surtout le taureau qui se tient debout et le jeune veau qui mange, quoique ce dernier ait les jarnbes un peu trop longues. Dans quelques- uns de ces animauxles os des hanches sont beaucoup trop alopges, particulierement dans la vache qui court. Son cheval qui mange est mauvais; la tete, qui 55 2 DISCOURS LUS u’a qu’un tiers cle sa hauteur, est par consequent trop petite ; le garrot rPest pas assez haul ; et de celte petitesse de la tete il resuite que le cou est trop long. II faudroit peut-etre ne representer ja- mais un cheval mangeant , parce que dans cette attitude le cou semble trop long , ce qui rend la figure de Fanimal difforme. Je ne dois pas oublier de dire qu’Adrien Van de Velde a grave lui-meme a Peau-forte une vache qui broute, dont la beaute est. admirable. Paul Potter a donne un taureau grave par lui- meme a Peau-forte, qui, a beaucoup pres , n’est pas aussi beau que celui de Van de Velde. La plu- part de ses vaches sont mal dessinees. II a ete ega- lement embarrasse sur la situation des omoplates, comme cela se voit surlout par ses vaches que de Bye a gravees a Peau-forte. Mais d’ou vient done , dira-t-on peut-etre, qu’on trouve les productions de ces grands maitres si ad- mirables ? Cette question est facile a resoudre. Comme nous n’avons pas nous-memes une con- noissance bien exacte de la veritable conformation desanimaux, il estaisede nous satisfaire pour peu que l’ensemble nous plaise : un faire agreable et des touches hardies nous encliantent , el nous lont oublier en meme terns et notre ignorance el les defauts du maitre. Je passe aux productions de D. Stoop, qui jouis- 355 A l’ A C A D, D E D E S S I N, sent egalement de quelque estime parmi les ama- teurs: tous ses chevaux sont fort mal dessines; ils ont les jambes trop grosses , la tete trop petite et 1’encolure trop ramassee. II n’y a rien de prononce dans le levrier que j’ai vu de lui; et, pour tout dire en un mot , il n’y a rien chez lui qui annonce quelque talent. Que dirai-je de S. deVlieger?Ses paysages sont certainement pittoresques; mais ses oiseaux sont mauvais ; ses levriers ont les epaules et les jambes strapassees ; il n’y a aucune correction dans ses pores , et ses moutons ne sont pas moins defec- tueux. Pierre de Laer a grave assez bien a 1’eau-forte des chevies, des chiens, des anes, des pores; mais ses chevaux ont les memes defauts que ceux de Stoop, et ses lapins sont mauvais. Jean Van den Hecke , quoique recherche des amateurs, ne merite pas qu’on en parle. Ses che- vaux, ses boeufs, ses anes, ses chiens, en un mot, tous ses annnaux sont mal dessines. A. B. Ida men, quoique d’un fort mediocre me- rite pour ce qui regarde les quadrupedes, a nean- aioins assez bien reussi dans les poissons. Picart le Romain a laisse un recueil de figures de lions, dontla plupart sont mal dessinees. Quel- [[ues-uns des lions que nous devons a Rembrant sont de la plus grande beaute; et ceux d’Albert 354 DISCOURS LUS Durer sont egalement fort beaux ; mais les tetes en sont generalement mauvaises, a l’exception de celles que nous tenons de Rembrant. Plusieurs artistes placent mpd Jes prunelles dee animaux; ce qui produit un mauvais effet ; car quoique les prunelles de plusieurs especes d’ani- maux soient rondes, elles sont neanmoins placees obliquement dans tousles herbivores et ruminans, et perpendiculairement dans les lions , les tigres et les chats. Les chiens ne les ont pas place au mi- lieu de l’oeil , mais plus pres du grand angle que du petit , etc. Je pourrois prouver egalement que les dents ne sont, en general, pas moins mal representees. Ph. Wouwerman a non-seulement mis beau- coup d’esprit dans les figures de ses chevaux, mais aussi beaucoup plus de verite depression qu’au- cun autre peintre qui me soit connu. Je regarde comme les mieux executes ceux que Dankerts et Jean de Yisscher ont graves. Je ne finirois pas, si je voulois entrer dans quel- que detail sur chaque peintre en particulier. II sul- £ra , je pense, d’avoir indique les defauts les plus essentiels dans lesquels sont tombes meme les meilleurs artistes, et qiPon pourra eviter en sui- yant la methode que je vais vous exposer. Mais avant tout il faut que je m’arrete un mo- ment k qonsiderer ce qui a etc fait par Van de Pas. A I.ACAD, D E DESSIN. 555 Plcinche XXX II } figure 2. Van de Pas dontie, lome V, page 6 de son ou- vrage , une methode facile d’esquisser la figure du clieval sans regie ni compas, du moins coinme il se l’imagine. Selon lui, il faut tracer d’abord a vue d’oeilseu- lement , un carre A. B. C. D. , qu’on divisera en neuf parlies egales 1. 2. 3. 4. 5. 6. 7. 8. 9. Tracer ensuite trois cercles, dont l’un pour la croupe, le second pour le ventre et le troisieme pour les epau- les etle poitrail. Ch. Van Mander fait egalement mention , avec eloge, de ces trois cercles, dans son livre de la Future, chap. IX, $. 8, page 16. Or, coinme \ an Mander a publie son ouvrage en i6o5 et Van de Pas le sien seuleraent en i665, il est a croire que ce dernier n’a fait que copier en cela le pre- mier. 11 prend ensuite pour Pindication de la verge et la section du ventre, le tiers de 4. et 5. En- suite il ajoute un dixieme carre pour le cou , et un des cotes de ce carre pour la longueur de la tete. Toici ce que j’ai a remarquer sur cette me- thode : i°. Que je ne conpois pas comment il seroit pos- sible de s’habituer a tracer ces carres et ces dimen- 356 DISCOURS LUS sions avec just esse , sans se servir de regie ni de compas. 2°. II ne dit pas pourquoi les points centraux des cercles se trouvent sur la ligne oblique F. G. ; ni comment il faut determiner cette ligne. En suivant ce procede la croupe du cheval se trouve plus haute que le garrot j tandis, au con- traire , que, suivant Bourgelat , tome I ; page 476, 3e garrot est plus haut d’un dixieme; et Stubbs est du meme sentiment. Aussi cela se trouve-t-il en contradiction avec ce qu’il etablit lui-meme dans sa figure, page 7. 3°. Je ne concois pas que la tete puisse avoir un tiers de la hauteur du cheval; tandis que la hau- teur depuis le garrot H. jusqu’a la sole I. est de deux tetes et demie; ou , si on l’aime mieux , la tete est egale a deux cinquiemes de la longueur et de la hauteur du cheval. 4°. II fait le talon M. et Favant-main N. d’une hauteur egale ; tandis que la hauteur de Favant- main doit etre d’une tele, et celle du talon d’une tete et un sixieme de tete a compter du sol. „ll est evident que la methode de Van de Pas n’offre pas la moindre certitude de principes; sur- tout lorsqu’on veut donner quelque autre attitude aux chevaux. Les proportions que present Bourgelat sont bon- nes, mais la t&te de son cheval est trop petite. a l’acad. DE DESSIN. 557 M. Murr vante beaucoup l’ouvrage d’un certain Henri Lauten Saks (1), dont je n’ai jamais pu me procurer la lecture. Planche XXXII , figure 3. Van de Pas donne ensuite, pag. 24, LA V A C H E. * Van de Pas partage la longueur A. B. en trois parties; un tiers pris deux fois donne la hauteur. Un tiers pour Fepaisseur ; tout le reste se fait au ha sard. La tete y est comptee de merne pour un tiers , cequi estassez exact. Cependant jamais une vache ne porte sa tete a la hauteur ou elle est represen- tee ici. Mais ce son t- la de bien foibles secours pour reussir; vu qu’il n?y a rien qui serve a determiner la hauteur et la forme du garrot , des reins, de la croupe et du cou. Ensuite il donne planche XXIII: l’eliephant. Apres avoir trace un carre divise en douze car- (1) Unterweisung der perspectiej und proportion der memchen. und roise. Frttncf. i564 , in-foU 558 DISCOURS l u s reaux, ll decrit un ovale pour le tronc, sans de- terminer la mesure de celte partie. Toute la figure est difforme; et il n a pas indique les dimensions aes pieds: ceux de derrieresont plusgros que ceux tie devant tandis que Je contraire a lieu, non-seu- lemeni dans Pefcphant et le chameau , mais aussi ans le cheval et dans tous les autres animaux. Le squelette que Perrault a donne de Pelephant est fort defect ueux et sans les moindres propor- tions. 11 faut en dire autant de celui que Buffon a publie. , La GSare de ^elephant, pi. I,pag. i4a, estfaite d apres la bosse , et ne me satisfait que medio- crement. J’ose assurer que les dimensions de Pelephant que ] ai modele sont fort exactes; mais comme cet animal etoit fort jeune, sa tete se trouvoit reelle- ment plus bas que son dos. La tete et le garrof de Pelephant represente dans Pouvrage de Buffon sont plus eleves que la croupe. Me trouvant Pete der- nier a Versailles, j’y ai vu un elephant beaucoup plus grand que celui que j’avois modele. Pen fis sur-1 e-champ le dessin , parce que veritablement sa tele et son garrot etoient places plus haut que sa cioupej au reste , ses dimensions tenoient le milieu entre celles de Pelephant dont Buffon a donne la figure, et celles de Pelephant que j’avois modele moi-meme. a l’acad, d e d e s S I N. 559 Van de Pas donne, pi. XXV, la figure du cha- meau. Ayant de nouveau trace ici un ovale pour la partie du ventre, tout le reste est mal dessine. Ce qu’il present , pi. XXXI, pour dessiner les chiens, doit absolument etre rejelte; et il en est de meme de ce qu’il dit des chats. PL XLIII, il indique aussi les trois cercles pour les cerfs, dont le premier, dit-il, doit etre plus petit que le second, et le second plus petit que le troisieme; mais sans nous dire pourquoi ni de combien ces cercles doivent etre relativement plus petits les uns que les autres. Comme Van de Pas est le seul rnaitre qui ait cherche a etablir des principes sur la maniere de dessiner toutes sortes d’animaux , et qiden don- nant a ses efforts les 41oges qu’ils meritent , j’ai en meme terns fait appercevoir leur insuffisance ; il faut que jfindique, a mon tour , la methode que je crois la plus propre a dessiner avec facilite et . correction les animaux. Regie genercile pour dessiner toutes les especes d’ animaux. i°. Trace*, pi. XXXII , fig. », A. B. C.s dans la direction plus ou moins oblique vers C, que doit avoir cette ligne , suivant la nature de 1 animal 36 o discours lus qu’on vein representer; tels, par exemple, que la brebis, le chameau, elc. 2°. Achevez l’ovale oblique A. B. C. D. , 5° ' Tlrez R E- Pour l’omoplate, et C. H. pour 1 os de la hanche , egal a deux tiers de la tete pour le cheval, mais egal a la tete entiere pour le boeuf. ' Ensuite> indiquez Pos du bras E. G. , et l’os de la cuisse'I. K. , de maniere que le coude et le ge- dou du chefal, du boeuf, etc. , se trouvent a la meme hauteur et sur la mSrne ligne que le ventre. 4®. Achevez de tracer les jambes de devant et de derriere; c’est-a-dire , tirez les lignes K. L., M. N., N. o. o. P. pour la jambe de derriere, et G. R,, R. S., S. T. pour la jambe de devant. Loisque R. et L. sont d’une egale longueur, le talon M. L. s’eleve de lui-meme plus haut. Faites Pesquisse du cou suivant que Fexige Fes- pecedePanimalj ensuite la tete, d’apres les regies que j’ai etablies aux pages 34i et 342. Rappelez- vous aussi de celles don t j’ai parle page 55g, n°. 2 et 3. Ajoutez ensuite ce qui est ne- cessaire pour la longueur des reins. Cette esquisse pourra servir pour toutes les especes d’animaux- SECOKDE R E G L E. En couvrant les os des bras de leurs muscles a‘ Q i g'fj G./. R. , on obtient le contour de la a l’acad. de uessin. 561 jambe de devant j et en tra^ant c. b. , H. c. , d. M. , etc. , on parvient a former le contour de la jambe de derriere. TROISIEME REGIE. Les premieres cotes sont toujours droites et re- couvertes par l’omoplate; celles de derriere sont toujours placees obliquement en arriere ; dans le cheval elles se prolongent j usque pres des os des banches; dans la vache, lapartiedes reins est plus longue j ce qui produit la cavite triangulaire in- diquee par £. F. G. de la fig. 2 , pi. XXX. QUATRIEME REGLE. Dans tous ]es animaux a sole ou sabot, la main et le pied sont fort longs ,comme en R.S. et M. N., fig. 1, pi. XXXII. Dans les animaux qui sautent , tels que les lions, les chiens, les lievres, l’os de la jambe est long et le pied est court. s Application de ces regies aux oiseaux. Planche XXXII, fig. 4. i°. Tracez de nouveau un ovale , et placez le bras en A. B. , qui doit el.re plie quand 1’oiseau tie 56s DISCOURS lus vole point, comme en B. C. Prenez C. D. pour la wain , D. F. pour le ponce, et D. E. pour les au- comme, par exemple, du doigt avec la paume de la main , de la paume avec la main meme, de la main avec le coude, du coude avec le bras, en un mot, de toutes les par- ties les lines avec les autres; comme on peutle voir dans le livre des proportions de Polyclete, appele Norma ou Regie. (Pest d’apres ces idees que cet artiste lit une statue, a laquelle on donna egale- ment le nom de Norma a cause de la beaute de (i) Class. I, pag. a55 & la tin H. a l’acad. de dess in. 375 ses proportions. Pline(i) fait mention de cette sta- tue comme d’un chef-d’oeuvre, que tous les ar- tistes sans exception appeloient (Vz/zo/z^acausede la beaute de ses proportions. A Pexemple des anciens tous les peintres et sta- tuaires du quinzieme siecle , lorsque les beaux- arts recommencerent a fleurir, introduisirent de nouveau ce pretendu merite de la symetrie, et le defendirent avec chaleur , comme on peut s’en convaincre par les ecrits de Leonard de Vinci , d’Albert Durer, de Lomazzo, et en dernier lieu par ceux du celebre Mengs (2) , emulateur zele du grand Raphael. Mais, en admettant meme leur hypothese , il faudroit pouvoirresoudreaussi la question :Pour~ quoi cette symetrie, rigoureusement calculee , devroit prod ui re sur notre ame un ejfet qui la determined d un sentiment d} approbation , et cela , sans exception , chez tous les Jiommes en general? Seroit-il veritablement necessaire que nous eussions un sentiment inne du Beau phy- sique, comme nous recevons en naissant le senti- ment interieur du Beau moral , de la vertu , de Pamour, de Pamitie , etc.? Non cerlainement! (1) Tom. Ill, lib. XXXIV, cap. 8 . paraS. 3. Edit. Hard. (2) Voyez la traduction que j at doiuies des OEuvresde Mengs, 2 yoI. in-iP . Note du traducteur. DISCOURS lus Les differens gouts qui ont regne dans la peinlure et dans la sculpture, et cela dans tous les terns, servent a nous prouver le contraire. On me demandera peut-etre , et avec raison , pourquoi on donne done le nom de belles aux sta- tues antiques, et cela depuis tant. de siecles? D’ou vient qiPonne cesse de loner un Polyclete, unLy- sippe, un Phidias, un Apelle? Pourquoi un Mi- chel-Ange , un Raphael, un Correge, un Titien et tant d’autres ont acquis un nom immortelj tan- dis que leurs ouvrages ne peuvent etre apprecies que par ceux qui ont fait une etude particuliere de Part? La nature, dira-t-on, a— t-elle forme les hom- ines, les animaux, les plantes, de maniere qiPun certain accord ou equilibre entre leurs parties en constitue la beaute; ainsi que cela a lieu dans le mouvement accelere de la chute des corps , dans Paction des fluides, dans les forces centrifuges, dans les oscillations du pendule, et dans la revo- lution des corps celestes autour de leur centre commun ? Mais ne se pourroit-il pas que cette beaute meme ne soit que purement accidentelle , et qu elle n’est pas entree dans le plan general de la Supreme Cause ? Mon dessein est de vous prouver dans ce dis- cours que PEtre souverainement puissant n’a eu d’aulres vues en formant les animaux que Putilite a l’acad. d E DESSI N. 577 relative tie leurs parties integrantes, et nullement leur conslante symetrie; qu’z7 ne sauroit y avoir par consequent de Beaupositif , invariable dans les formes des animaux. C’est aux animaux seuls que je bornerai, pour le moment , ces reflexions ; leur application aux plantes nous meneroit trop loin; quoique cepen- dant leurs formes offrent les memes rapports. C’est d’api'es ces principes que je prouverai, d’une ma- niere claire et incontestable : x°. Que le Beau qidon suppose exisier dans les formes de Vhom- me et des ciutres animaux , depend uniquement d’une mutuelle convenance etablie sur V auto- rite d’un petit nombre de personnes. 20. Je'ferai voir que le Beau physique n’est qu’un etre de raison , fonde uniquement sur l’ha- bitude (1). 5°. Je demontrerai enfin que l’aptitude a saisir le Beau et a l’apprecier, qu’on appelle ordinaire— ment sentiment , tact ou gout , depend bien d’une certaine modification particuliere de l’esprit de quelques personnes , mais qu’on nedoit cependant l’attribuer, en general, qu’a l’educalion, a l’habi- (1) Voilk pourquoi Edm. Burke dit avec raison dans son Traite da Beau et du Sublime : Since if proportion docs not operate by a natural power attending some measures , it must Either be a. custom, or the idea of utility, there is no other way. '~7 ^ DISCOURS LUS tude de contempler journellement les meilleures productions de Part, et qu’elle est enfin en raison des connoissauces que nous avons acquises par Pe- tude et par Pinstruction (1). Voila certainement un objet bien digne, mes- sieurs, de cette Academie; mais la maniere dont je me propose de le trailer sera peu propre peut- etre a nPobtenir vos suffrages. Si jamais votre indulgence nPa ete necessaire , c’est surtout dans ce moment, ou, n’ayant pas de verites neuves a vous exposer, comme dans mes discours precedens, je ne puis me flatter de fixer votre attention par quelque chose d’extraordinaire et de piquant. Je dois, au contraire, chercher a detruire des prejuges etablis sur Pautorite de plu- sieurs siecles ; et, apres avoir rempli cette tache pe- nible, il faudra que je vous force, en quelque sorte, a m’accorder votre approbation. Pour rendre mes idees plus claires, il sera con- venable que je les developpe paries esquisses des objets dont j’ai a vous entretenir. Daignez nPho- norer de votre attention ; et si je ne puis vous cap- tiverparles charmes de mon eloquence, je tacherai ( i) Winkelmann confirme pleinement mon sentiment k cet egard , quand il dit: « Une education bonn^te et bien raisonnee « fait naitre le sentiment du Bean et lui donne un essor pr^rna- « ture. » V un der faehigkeit der empjitidung des schocnen in der kunsc. a l’acad. D E DESSIN. 379 clu moins de meriter votre indulgence par la brie- vete de mon discours. PREMIERE SECTION. / §. I. Des la plus haute antiquite , le Beau a ete decrit d’une maniere si obscure , si mysterieuse merae, par les philosophes, cju’il est absolument impossible de les comprendre; desorte que leurs deilnitions metaphysiques, vagues et ambigues ne servent a rien moins qu’a nousapprendre ce qu’ils ont voulu designer par ce mot. Quoique Platon (1) dise clairement, « Que Pes- « sentiel est de connoitre ce qui fait que les belles (( choses nous paroissent belles j )) il ajoute nean- moins immediatement apres: « Quhl est impossi- a ble que les choses qui sont reellement belles ne a nous paroissent pas telles, surtout quand elles « sont douees de ce qui fait qu’elles nous parois- a sent belles. )> Mais la grande, Punique question est de savoir qu’est-ce qui produit cet effet? Est-ce la symetrie? et quelle est alors cette symetrie? Est-ce qnel- qu’autre chose? quelle est done cette chose? Je croyois Irouver nne explication plus satis- (0 Dans son Hippias Major., pag 2941 edit. Serrani. DISCOURS lus faisante dans Vitruve; mals cet ecrivain se borne a dire: « Que la beaute positive en architecture « depend principalement de la bonne disposition « des parties, de leur rapport entr’elles, de leur R convenance reciproque, et de la symetrie gene- R rale. )) Ensuite il ajoute : « Que Feurythmie ou ((■ la proportion est ce qui constitue la grace, Pagre- « ment dans l’ensemble des parties d*un edifice, <( qu on obtient en leur donnant une hauteur qui « reponde a la largeur, et une largeur proportion- <( nee a la longueur, le tout ayant sa juste me- « surej )) c’est-a-dire , autant que je puis m’en faire une idee, que tout est Beau ou il y a syme— trie ou proportion (1). Personne sans doute ne conlestera cette asser- tion ;mais il resle a savoir quelle proportion il doit y avoir entre la longueur, la largeur etla hauteur? d’autant plus que les cinq ordres d’architecture generalement adoptes offrent entr’eux une grande difference de proportions ; et , qui de plus est , un seul et meme ordre presente une disparite tres-remarquable de proportion dans les parties correspondantes, comme on peut s’en convaincre par les ruines des plus beaux temples de Panti- quite, tels que ceux d’Alhenes, dePalmyre, d’He- liopolis, de Poestum et de Pioine. (i) Vitruvius, Dr. Architect . , cap. 3. a l’acad, I) E d e s s I n. 58x Galien (1), qui aimoit beaucoup la peinture, pretendoit qu’on devoit trouver la Beaute dans les hommes qui, a une belle carnation , joignoient de belles proportions et une symetrie convenable des membres; « car, dit-il, la Beaute consiste dans ) ttid. , pag. 217. 4oo DISCOURS LUS En reunissant mainlenant tout ce que j’ai dit des differens ordres d’architecture des Grecs et des Romains , et ce que j’ai cite touchant celle des Egyptiens, nous pourrons en concJure avec cer- titude: i°. Qu il n’y a dans la nature aucune propor- tion veritable ou essentielle, qui puisse avoir servi de type a ces ordres. 2°. Que ce n’est que l’habitude seule qui fait que nous trouvons beaux ces ordres et les propor- tions qui les constituent. 3°. Que l’autorite y exerce une grande in- fluence. 4°. Enfin , qu’en fait d;architeclure , le Beau n est purement qu’un Beau de convenance , et rien d’autre. D oil il suit, qu’en nous affrancbissant des re- gies purement imaginaires des architectes de l’an- tiquite, nouspouvons subordonner ces proportions aux convenances locales et aux circonstances du moment. v §. V. Les anciens eux-memes, quoiqu’ils eus- sent approuve et sanctionne lei proportions re- vues, yontfait neanmoinsavec jugement les chan- gemens et les ameliorations convenables, urrique- xnent pour remedier aux defauts apparens. A L A C A D. D E D E S S I N. 4oi 'Vitruve (1) observe avec raison qu’il faut don- ner plus de hauteur k l’epistyle ou architrave, ou plutot k tout l’entablement , ia proportion de la hauteur des colonnes, parce que sans celq cette partie paroit trop petite. Les anciens donnoient plus degrosseuraux deux colonnes des angles d’un peristyle ou portique qu’aux autres, parce que sans cela la lumiere am- biante les faisoit paroitre plus minces que cel- les-ci (2). C’est pour la meme raison qu’ils augmenterent la largeur de la ligne spirale de la colonne de Tra- jan , a mesure qu'elle s’elevoit •, comme on peut le voir chez Barbault (5). Vitruve dit aussi que plus les colonnes ont d elevation , moins il faut les effiler par le ha ut (4); et c’est avec justesse qu’il veut « que le raisonne- a ment corrige les erreurs de la vue; » c’est-a-dire, qu^on doit a cet egard observer les regies de Pop- tique (non de la perspective). On peut consulter sur cela l’excellent ouvrage de R. Smhh^ dont il y a une tres-bonne traduction hollandoise par Krighout. 1 2 * 4 (0 Ibid. , pag. 98, 4dit. dePerrault- (2) Ibid. , pag. go. (J) Monument de Rome ancienne , pae. 3q. (4) Ibid., lib. II, cap. 2. ? III. 26 4o2 discours lus C’est-la ce qui determina aussi les Corinlhiens a donner plus de hauteur a leurs colonnes; et ce fut pour le meme motif que les statuaires grecs don- nerent a leurs statues non pas sept tetes de hau- teur , inais huit tetes, et quelquefois davantage meme. Tout celatient uniquemen! a ce qu’un carre parfait paroit toujours plus large que haut, com- me je l’ai demontre en 1770. Voila done les principes sur lesquels est fonde le veritable et le seul Beau physique, qui n’est su- jet a aucune espece de modification. SECONDE SECTION. Du Beau physique clans Vhommc et clans les animaux. Je me flatte d’avoir demontre sumsamment , dans la premiere partie de ce discours, qu’on n’a jjamais observe des proportions constantes dans les edifices. Je vais passer maintenant a l’examen des formes de l’homme et des animaux ; pour Vo us prouver que jamais non plus Eintention de la na- ture n’a ete de donner a leurs formes une Beaute delerminee et invariable; mais qu’au contraire , loin de se borner a une Beaute quelconque , elle fi’a eu pour but que de les rendre propres a leur A L A C A D. D E D E S S IN. 4o5 destination ; cest-a-dire, que leurs parties inte- gi antes sont con form ees de niamerearempliravec facilite les ionctions auxquelles elles sont des- tinees. §. I. Nous commencerons par la contemplation de 1 homme et de ses formes exterieures. En portant nos regards sur le nez , la bouche , les yeux, les bras, les mains, la poitrine et les au- tres parties , nous trouverons qiFelles ont toutes ete placees sur la parlie anterieure de son corps , afin qu’il puisse sen servir avec, plus de commo- ditej tandis que le derriere de la tete, le dos et les jambes ne presentent aucune eminence et ne con- tiennent aucune parlie noble. Les parties qui contnbuent a orner l’homme ne se trouvent done pas placees sur le devant du corps poui contribuer a sa beaute , mais seulement a cause de Futilite qui en resulle. Considerons d’abord Fhomme, et nous t rouve- rons que sa poitrine et se6 epaules sont larges j. tan- dis que ses hanches sont etroiles: il est d;ailleurs forlement muscle, et n’a point de mamelles. La femme a les epaules plus etroiles , le haut de la poitrine plus applati , pour mieux recevoir les deux seins. Ses handles sont plus larges ; la na- ture lui a donne des mamelles; et, en general, des lormes delicates. 4o4 Discount, LUS Si Ton pretend que l’homme est beau, il faudra convenir alors que la femme n’est pas belief et si, au contraire , c’est la femme qu’on veut regarder comme douee de beaule, il faut. necessairement que l’homme perde cet avantage. C’etoit - la aussi l’opinion de Burke (1). §. II. Lesseins de la femme nesont destines qu’a fournirla nourriture al’enfant nouveau-ne, etleur beaute n’est qu’accidentelle , ou , pour mieux dire? c’est dans notre imagination seule qu’il faut en chercher l’existence. L’utilite quiresulte pour I’en- fant des seins de sa mere, fait done tout le prix de ce pretendu ornement de la femme. Si ce n’est que comme simple ornement que la nature a donne des seins a la femme, pourquoi en a-t-elle refuse k l’homme? Chez les anciens Grecs c’etoit la coutume, suivant Paul d’Egine (2) , de couper les mamelles aux homines , lorsqu’elles prenoienttropd’embonpoint j non-seulement parce qu’on regardoit cette superfluity de chair comme un signe de molesse, mais aussi comme une veri- table laideur. (1) A philosophical Enquiry in to the origine of our ideas of the sublime and beautiful , pag. 177 et 17$. (a) Lib. IV, cap. 46. A l’ A C A D. D E D E S S I N. 4o5 Chez les enlans les mamelles sont egalement gros- ses et potelees dans les deux sexes, parce qu’elles remplissent quelque fonction essentielle pendant qu’ilssont dans le sein de la mere, laquelle est en- core inconnue, a la verite, aux anatomistes. Chez les deux sexes les mamelles sont pleines de lait au moment de la naissance. Ensuite les glandes et le lait disparoissent insensiblement, etilnereste plus que les mamelons. Mais a Page de puberte , les seins grossissent de nouveau chez les filles, pour disparoitre une seconde fois lorsqu’elles cessent d’etre fecondes. §• III. Les proportions des enfans different beau- coup de celles des adultes. Chez les premiers , la tete fait le quart de toute la hauteur de l’individu $ ensuite elle n’en est plus quelacinquieme,lasixie- me, la septieme partie enfin; parce que les extre- mites inferieuresprennent plus de croissance, tan- dis que la tete reste a peu pres la meme pour la grosseur, lorsque Phomme est parvenu a Page de quatorze ans. Chez les deux sexes, les hanches sont extraor- dinairement etroites pendant l’enfance. Or, si le Beau dependoit des proportions, et si l’on regardoit les enfans coinrne doues de Beaule, il faudroit que les femmes adultes et les homines fails nous parussent laids j ou que les enfans se 4o6 DI3COURS LUS trouvassent dans ce cas, si les personnes adultes etoient belles a nos yeux. §• IV. Cependant nousreconnoissons uneBeaute particuliere a chaque age de l’homme. Nous nous sentons aussi inspires d’un sentiment de respect et de veneration a la vue d’un vieillard, ce qu’il faut attribuer sans doute a une idee morale; car un vi- sage ride, degarni de ses dents, avec une barbe grise et un crane cbauve, diflere sans cela trop de la physionomie agreable et gaie de la jeunesse , pour qu’on puisse les mettre en parallele. Mais cett£ alteration des formes que l’age pro- duit necessairement , nous deplait et nous repugne meme dans une vieille femme; probablement parce qu’elle cesse alors de nous inspirer de l’amour, et. qu’elle a perdu sa fecondite , cette qualile si cliere et si precieuse aux yeux de l’liomme, et qui est le veritable objet de sa destination dans ce monde. Nous attribuons au vieillard aux cheveux blancs, an front charge derides, des connoissanceS plus profondes , plus d’experience , plus de sagesse ; voila ce qui excite notre respect , notre admira- tion; voila- ce que nous qualiiions deBeau. Ce n’est done pas aux formes exterieures qu’il faut attri- buer cette idee. §. V. Ce que nous appelons Beau dans un Ne- a l’acad. d e dessin. 4oy * gre Test si pen qu’il est exactement l’oppose de ce qui nous paroit tel dans un Blanc; et certainement nous serions choques de voir dans un Europeen la macho ire saillante, le nez ecrase, les levres epais- ses et grosses 5 et cela uniquement parce que nous n’y sommes pas accoutumes. Ajoutez a cela la disparite des formes des diffe- rentes nations, et vous verrez que les Esquimaux et les habitans du pays de Tzuk au Nord , les ha- bitans du Detroit de Magellan au Sud, les Hot- tentots du Cap de Bonne-Esperance et les autres peuples qui se trouvent sous l’equateur, ont tous des traits particuliers et des formes dilferentes. De cette etonnante diversite , il resulte done-, i°. qu’il n’existepas de Beau physique reel ou po- sitif dans Bhomme; aucune espece de Beaute qui depende de proportions constantes des parties du corps; mais que le Beau ne consiste que dans des idees que nous nous sommes formees dans 1 en— fance, et que la main du terns rend a la fin inef- fagables. 2°. Qu’il depend aussi de Bautorite de ceux que les connoissances plus-approfondies que nous leui attribuons, nous font regarder comme plus en etal d’en juger sainement. 3°. Enfin , de la mode ou des idees revues chez chaque peuple. 4o8 DISCOURS lus §. vr. Je pense avoir prouve suffisamment cetle ermere assertion , comme je crois n’avoir rien Jaisse a desirer sur la premiere. Pajouterai seule- ment que notre amour-propre nous porte a prefe- rer les formes qui nous ont ete donnees par la na- ture, et que nous regardons comme les plus belles. Des la plus haute antiquite, rhomme a attribue sa figure a Divinite. Les idolatres avoient cette coutume, que les chretiens ont encore sur toute la surface du globe. Mais les Egyptiens , pour satis- faire a leur goflt pour l’allegorie , ont place des tetes d ’homines sur le corps d’un lion, d’un tau- reau, etc. ; ou bien , par une idee contraire , la tete d’un taureau , d’un chien , d’un epervier, sur le corps d’un homme. Mais tons les peuples de la terre , en general , sans en excepter un seul , out represente Jeurs dieux et leurs deesses sous la figure humaine, avec les traits caracteristiques et sous le costume de leur pays. Un dieu chinois n’a pas le ventre moins epais qu’un mandarin, avec de petits yeux en cou- lisse et une barbe peu fournie, etc. Leurs deesses, au contraire, sont fort sveltes et plutot maigres , comme leurs jeunes filles ; elles ont les ongles d’une longueur prodigieuse et les pieds difformes a force d etre pet its. On trouve egalement dans les idoles des Egyptiens tout ce qui caracterise ce pen pie. a l’acad. d e d e s s i n. 4og De leur cote , les Europeens donnent a leurs dieux la blancheur qui leur est naturelle. II faut certainement chercher la cause de ces differentes manieres de representex’ la Divinite dans l’amoui'- propre, qui fait que clxaque peuple de la texre se regai’de conxme le plus privilegie et le plus beau. Ciceron a parfaitement rendu cette idee: « Rien « ne paroit plus beau a Eliomme que la forme bu- tt maine (1). )> II n’est pas invraisemblable non plus, que si 1 elephant , le lion, le cheval, la baleine, I’aigle* l’ecrevisse, l’araignee, avoient, comme l’homme, la faculte de raisonner, ils donneroient chacun en particulier a leurs dieux leur propre figui'e, com- ine etant la plus belle et la plus noble de toute la creation. §. VII. La difference des parties relatives des quadrupedes, desoiseaux, des poissons et des rep- tiles, prouve evidemment tout ce que j’ai dit de l’homme ; c’est-a-dire, qu’il ne faut considerer que * la destination des parties, comme ayant ete i’uni- que but du Crealeur en formant tous ces etres divers. Dans mon dernier Discouf’s 3 du 10 octobre (O Quod homini hotnine pulchriui videatur. De Nat. Dtor.y lib. X, cap. 27. 4io discours lus 3 7 7 '% l (itialogie qu’ily a entre la structure du corps huinain et celle des quadrupedes , des oiseaux et des poissons , etc., j’ai fait voir avec la derniere evidence que la longueur des jam- bes est proportionnee a la destination de l’animal a courir avec plus ou moins de vilesse; et que la longueur du cou est egalement proportionnee a celle des jambes; de nianiere quhl me sera facile maintenant de vous prouver que les autres parties des animaux ont pareillement les proportions con- venables a l’usage auquel la nature l-es a des— tinees. Le chameau , le chien , le cheval , le bocuf, l’e- lephant , ont chacun des proportions differentes et distinctives , qui leur sont parliculieres, comme in- dispensablement necessaires a leur existence. La merne chose a lieu dans les oiseaux: l’au— t ruche, le casoar, la grue, la cigogne, l’aigle, ont le cou proportionne a la longueur de leurs jam- bes;et leurs ailes out egalement une enver^ure re- O O lative a leur vol , et non a leur force. Si le eigne et banhinga (l) ont le cou plus long que ne semble l’exiger la hauteur de leurs jani- bes, e’est que cela leur esl necessaire pour qu’ils puissent saisir facilement leur proie a une grande profondeur sous beau. (i)Buffon, Hist. nat. , tom. VIII, pag, 418 , pi. XXXV. I A l’acati, DK. DESSIN. 4l 1 Les martins-pechenrs ont la tete grosse , afin cle jpouvoir saisir aisement le poisson et l’avaler sans difficulte ; leur corps est petit, et leurs jam— bes sonl comparativement plus courtes encore , parce qufils n’en ont besoin que pour se soutenir. Les poules-d’eau , au contraire , mais suvtout le parra variabilis (1)5 ont les pieds fort grands, afin de pouvoir marcher facilement sur les plant es aquatiques. Leur bee est fort petit , ne leur sei- vant qu’a saisir les graines et les autres menus objets dont ils se nourrissent. La nature a donne aux pelicans nn fort grand bee avec line espece de sac, qui leur sert a mettre le poisson qu’ils pren- nent. Les toucans ont nn fort grand bee relative- ment a la grandeur de leur corps; et il offre meme une grande irregularite si on. le compare avec ce- lui des autres oiseaux. 11 n’y a pas une moindre variete dans les queues des oiseaux : le faisan , le paon , le coq d Inde , le coq domestique , l’ara , ont la queue foit longue ; tandis que l’aulruche , le casoar , etc. , 1 ont , au contraire, fort petite, proportionnellement a leur corps. La queue du lion, du renard, de 1 ecureuil , de l’elephant , du rhinoceros, prouvent la ffl^me (1) I.e jacana de Buffon, Hist. nan. des oiseaux , tom. VU1 448, pi. XXXV. DISCOURS lus chose. Chez les animaux qui rampent, comme le crocochJe , le lezard , la tortue , Je crapaud et la grenouille, on ne trouve pas moins de defauts de proportion. Quelles varietes n’olfrent pas les cornes et sur- t on t les den ts des quadruples et des poissons?Dans e narwhal , les cornes avancent en ligne droite et honson tale; dans le morse elles sont courbees vers en bas; dans le sanglier du Cap de Bonne-Espe- rance elles sont tournees vers en baut. Tout cela nous paroit d’abord bisarre; ensuite l’oeil s’y ac- coutume, et on Unit par le trouver beau ; desorte meme que nous regardons comme un defaut re- voltant, le manque ou le renversement de ces par- ses. Un taureau sans cornes, comme il yen a dans la pai tie septentrionale du Danemarck et de l’An- gieterre, nous paroit aussi etrange que le seroit un veau avec des cornes. Les jambes hautes du chameau nous etonnent; tandis que les formes du cheval , du boeuf, du clnen , du furet , du serpent et du lombric me- me, quelques belles ou singulieres qu'elles soient, nous fiappent moins par 1 habitude que nous avons de les voir souvent. Enfin , nous sommes convain- cus par le raisonnement , que l’Etre Supreme n7a pas eu pour but, dans la creation, les proportions qu’il a plu a notre imagination de trouver dans les dillerenles parties des animaux; mais qu’il a mis A l’ ACAD. DE DESSIN. 4l3 tonte leur perfection dans l’utilite qui en resulte pour l’individu. Chez Phomme les yeux ont un pouce de dia- metre, et son visage a cinq yeux de large. Com- parez-les avec les yeux de la souris , de l’elephant ou de la baleine, et vous trouverez que le plus grand ceil n’a pas deux pouces de diametre. Cependant le corps de Phomme n’a pas, en general, six pieds de hauteur, tandis que celui de la baleine a cent pieds de longueur, et meme plus. L’oeil est done dans Phomme = y-z , et dans la baleine = j£-0 de sa longueur. Les oreilles du phoque sont si petites qu’on ne sauroit les appercevoir ; celles de la chauve-souris appelee Poreillard, sont, prises chacune en parti— culier , plus gran des que tout son corps. Or, pent- on, d’apres ces enormes disproportions de parties correspondarrtes, dire que Pun de cesanimaux est plus beau ou plus laid que Pautre? VIII. Veut-on 5a voir quel est le Beau qui me rite reellement notre approbation? Veut-on etre convaincu que la peinture n’etoit, dans son principe, qu’une simple mais fidelle copie des ob- jets que la nature offre sans cesse a nos regards? et de quelle maniere cet art a ete porte ensuile a une etonnante perfeclion par des homines d’un ge- nie superieur, en ne copiant plus servilement la 4i4 DISCOURS LUS nature, mais en 1 embellissant de beautes ideales? I) laut se rappeler lout ce que j’ai dil au su jet des embellissemens que ^architecture est parvenue a donner anx edifices, que Phomme ignorant ad- mire , sans pouvoir decouvrir les moyens qu’ont employe les grands arlisles. SuivanL Pline (1), Lysippe, conlemporain d’A- lexandre le Grand , fut le premier qui porla son attention sur les defauts de la nature individuelle et donna par-la a ses ouvrages une elegance , une finesse qui Ini etoient propres, et qu’il a observees j usque dans les moindres parties. Lysippe fit aussi les teles de ses statues plus pe- tites que les anciens (c’esl-a-dire , de huit tetes et plus), et les corps plus sveltes et moins charnus; ce qui faisoit paroitre ses figures plus longues. Aussi ce statuaire, disoit-il (2), que ses predecesseurs avoienl bien fait les homines tels qu’ils etoient C quale -s essent homines ), mais qu;il les faisoit tels qu’ils paroissent etre ( sed se } cjuales viclerentur esse ). Ciceron, qui etoit doue d'un jugement admira- ble et d’un gout exquis, nommoit cela pingere ultra verum (outrepasser les limites du vrai dans la peinture). (1) Lib. XXXIV, cap. 8 in fine. (a) Ibid. 4i 5 A l’acal. d e d e s s I n. Le svelte des Italiens, qui rend les figures si agreables, et qui a ele entierement neglige paries peintres de l’ecole flamande, tels que Rubens, Rembrant, Bol , Flink et aulres, est la partie que Lysippe a decouvert le premier etre indispensa- blement necessaire, non pour rend re ses statues en effet plus belles que la nature, mais pour les faire paroitre plus belles a nos yeux; parce que, au moven de cet artifice, il remedioit aux defauts qu'offre la nature individuelle. On ne tarda pas a appliquer ce principe a l’ar- cbitecture : les Corinthiens donnerent , pour cette meme raison , dixdiametres de hauteur a leurs co- lonnesj et c’evSt dans cette vue aussi que les archi- tect es grecs firent les metopes plutot etroits que larges, etc. II faut done que Farchitecte, le statuaire , le peintre, qui veut donner le veritable Beau physi- que a ses ouvrages, connoisse la nature et les effets de la lumiere; il faut qufil sache de quelle ma- niere nousvoyons lesobjets; qu’il soit instruit des changemens qu’eprouvent leurs formes et de la degradation de leurs couleurs, suivant qu’ils sont places plus haut ou plus bas que l’horison , ou a line distance plus oumoins grande de Foeilj enfin, il ne doit rien ignorer de tout ce qui peut servir a cacher les defauts apparens ou reels qui result ent de ces differentes modifications. 4i6 DISCOURS LIS 4 ^ellre en usQge toules Ics ressourees dont je vieus de parler , de maniere que les objets qu’on imile produisent aux yeux des spectateurs les me- mes idees que la realite meme, voila certaine- ment ce qu’on doitappelerreftdre le veritable Beau physique; et c est la seule chose qu’on puisse exi- gei du peintre , du statuaire et de l’architecte. S’ll est question du choix a faire des plus belles foimes delliomme, il s’agit alors de toute autre chose; c est-a-dire , de quelque chose qui n’est que pu remen t accidentelle , qui ne depend unique— ment que du choix arbitraire , bisarre meme, des hommes, el de la mobilile constanle des modes de chaque nation en particulier. TROISIJSME SECTION. I. Comme c’est l’autorite des grands arlisles qui determine ce qui doit etre considere comme Beau en architecture, il en est de meme de la sculp- ture et de la peinture. ? Au raPPort de Pline(i), Phidias fit uneMinerve d’une si rare beaute qu’elle fut surnommee la Belle'. J’ai fait remarquer dans l’introduction de ce (0 Lib. XXXIV. cap. 8. a l’acau, d e d e s s I n. 417 discours, que Polyclete avoit fait aussi une statue qui obtint de tous les artistes le nom de norma ou regie. Ces exemples nous prouvent que c’est Fautorite seule d’un petit nombre de grands artistes qui a decide des regies du Beau. Ceux qui les ont suc- cedese sontbornes a adopter servilement le meme style et les memes proportions. La plupart des maitresdeF^coleflamanden’ont fait qufimiter une nature grossiere et commune. Le defaut destruction et de bons modeles, joint au manque de jugement sont cause que leurs pro- ductions se trouvent au-dessous meme des objets quails ont pris pour modeles Limitation. Aujourd’hui nos jeunes art istes jouissent de plus grands avantages: cette Academie leur fournit les meilleurs modeles de Fantiquite et de nos maitres modernes ; pour ne point parler des excellentes lecons qufils regoivent des directeursde cette ecole celebre. §. II. Vitruve nous prouvera que, de son terns, on avoit les memes idees que nous sur ce qui cons- titue la Beaute des edifices. « La parfaite conve- « nance , ou plutot la beaute d’un edifice , exige « que l’on adopte le genre d’ornement consacre « par Fautorite des terns anterieurs, qui se fonde « principalement sur la coutume ou sur Fusage; 27 in. 4i8 DISCOURS LUS « par exemple, les temples dedies a Minerve , a trochanter du squelette de l’aigle; je n?en apper- 9us aucun vestige dans les autres; mais je remar- quai de tres- grands Irons sous les tetes des os du bras de tous mes squelettes d’oiseaux. J’examinai done les bras dans Faigle avec beaucoup d’atten- tion ; j’ouvris cet os suivant sa longueur, je n'y rencontrai point de moelle, mais leperioste, com- ine dans les os de la cuisse , et une ouverture fort grande a la partie interieure de la tete de Fhume- rus , pi. XXXIV, fig. l, a. b. c. Voila une analo- gic. L/air pouvoit entrer par ces trous dans les ca- vites des os; mais je ne savois pas encore com- ment il pouvoit penetrer jusqu’a ces ouvertures? Pavois par hasard un hibou qui etoit mort. Je fis un petit trou a Fextremite de Fos du bras , fig: 5 , idem $ j’appliquai un tuyau de cuivre, et soufilant je vis avec bien du plaisir que toute la poitrine et le bas- ventre s’enflerent : Fair sortoit par la tra- chee-artere a rnesure que je soufilois. Je liai done, pour avoir une contre epreuve, la trachee-artere autour de mon tuyau ; et soufilant j’eus la satis- faction de voir sortir Fair par le petit trou fait a l’os du bras , lorsque j’y appliquois la flamme d;une bougie, ou quelque corps leger, ou une pe- tite plume. L’os de la cuisse de ce hibou , quoique perfore, ne transmettoit pas Fair; aussi n’y avoit « il pas cFouverture sous le trochanter. 464 D E LA STRUCT. DES OS J_ici poitrine cl Ic bas-ventre de haigle etoierit trop blesses pour repeter ces experiences j j’olai done les boyaux , je soufflai par l’os de 3a cuisse, et je vis cpie 3a plevre qui va jusque dans ie bas- venlie, lormoit un conduit membraneux , qui, ullanl le long des vaisseaux cruraux, aboulissoit a l’ouverture de la cuisse cl. e.f3 fig. 6, et qui don- noit passage a Fair pour entrer librement dans la Cavite de cet os. Cela redoubla mon ardeur pour pousser plus loin mes decouvertes. Je me fis donner des magasins a provision, un dindon , quelques poulardes: je perforai de 3a me- me fagon les ext remites des os du bras 5 j’y appli- quai mon tuyau , et soufflant, je vis avec surprise la poilrine et la bas-venlre s’enfler comme dans le liibou 5 les femurs n’admettoient pas l’air, n?e- tant ])as vides , mais remplis de moelle comme dans les hibous. Dans le coq de bruyere l’expe- rience reussit comme dans l’oigle , car ils ont des troussous le trochanter, fig. 8, cl. e.f. La cigogne, dont on me montra le squeletle, a les os du bras pareillement vides et remplis d’air , et un trou considerable a. b. c. , fig. 2. Elle a aussi les cuisses vides, et un trou manifeste sous le tro- chanter, fig. 7, cl. e.f. J’imaginai des-lors que je trouverois les os du bras vides dans la plupart des oiseaux; mais que je ne trouverois les cuisses perforees et j)ermeables DANS LES OISEAUX. 465' a Fair que dans ceux qui volent tres-haut, comme les aigles , les cigognes, et tous ceux qui ont le corps pesant et beaucoup de muscles, etc. Cette conjecture fut verifiee par la dissection d’un moineau : ses cuissesse trouverent, aussibien que ses bras, remplies de moelle , aussi ne vole-t-il pashaut, ni long-tems de suite. IFallouetle, par exemple , qui remplit Fair de son chant melo- dieux, se soutient long-tems sur ses ailes: ses bras sont creux, remplis d’air, et ils ont une ouver- ture tres-considerable. Je desirois alors ardemment d’avoir des sque- lettes d’autruche, de casoar et de pingoin , pour savoir si les os des bras etoient remplis d’air? Je formois deja une conclusion negative; je priai M. le piofesseur Allamand de Leyde d?examiner le squelette de Fautruche; il eut la bonte de me re- pondre qu’il lFy avoit aucune ouverture sous la tele de Fos humerus de cet oiseau. Je ne trouvai nulle part le squelette d un casoar ni d’un pin- goin ; j’ai recu depuis deux pingoins du Cap de Bonne-Esperance, dans de Fesprit de vin; je n'ai pas encore eu le terns de dissequer les parties dont il est question. Borelli (1) a deja fait une fres-belle remarque, que les ailes sont plus gran des a mesure que les (•) Proposit. 182. I I I. 3o £66 DE LA STRUCT. DES OS oiseaux volent plus haut; mais la ndtre rend leur mecanisme plus cnrieux et plus interessant. Je reviens de cette digression a Faigle dont j’examinai tres-attentivemenl les clavicules et les soutiens des omoplates , les omoplales memes , Fos sternum , les cotes et les vertebres du dos : j’ai trouve tous ces os creux , vides , remplis d’air ; meme Fos sacrum et les os des lies. Je fis le 24 fevrier 177.1, les experiences suivan- tes sur un hibou etouffe. i°. Ayant ote le grand muscle pectoral , et per- fore Fos du bras pres de son extremite , je soufflai dans ce trou, et j’appercus sur-le-champ une grande poche membraneuse entreles deuxpectoraux , qui alloit le long des vaisseaux et des nerfs brachiaux, donnant un conduit menibraneux vers l’ouver- ture qui se troure pres de la tete de cet os ; cette poche s’enfloit aussi lorsque je soufflois par la tra- chee-artere. 52°. Je decharnai le soutien osseux de l'omo- plate y qui etoit articule avec le sternum j j y lis une ouverture tres-petitej j’y soulllai, et la meme poche s’enfla a plusieurs reprises. 5°. Je perlorai la lame exterieure du sternum , pres de son union avec les soutiens ci-devant de- crits : Fair passoit aussi immediatement dans la poitrino et dans le bas-ventre. Presque tous les oi- seaux ont des trous dans Finterieur de cet os , et DANS LES OISEAUX. 467 la plevre est la conlinuation du perioste interne des cellules de eet os. 4°. Je fis la raeme experience sur les clavicules el je m’appercus pareilleraent de leur communi- cation avec la cavile de la poilrine. 5°. Je decharpai la parlie poster! ©are de l’os des lies; je perforai la lame osseuse exterieure et Fair passa par ses cellules dans la poilrine comme si j’avois souffle par la trache e-art ere. 6°. L’air passoit aussi par les corps des verte- bres du dos, apres avoir decharne leur corps, per- fore la lame osseuse et applique un tuyau. 70. Les coles sorit. aussi vides, et regoivent Fair par plusieurs trous qui sont visibles en dedans de la cavile de la poilrine; aussi peut-on , par la me- me operation , souffler Fair par les cotes , dans la poilrine , comme par les autres os ci-devant nommes. J’ai repete les premiere, seconde, troisieme , quatrieme et sixieme experiences sur un aigle, le i5 mars 1771, devant mes auditeurs, au theatre anatomique, avec le meme succes. 8°. J’ai perfore Fos de la cuisse de cette orfraie; j> £>i applique mon tuyau, et Fair a pa6se facile- ment dans la poilrine de cet animal. Ayant souf- fle par la trachee-artere, Fair a sorli par ce meme trou avec lant do violence qu’il m’a ete facile, par ce moyen, d’eteindre une chandelle tres-promp- tement. 468 DE LA STRUCT. DES OS Je ne saurois dire si la meme structure a lieu dans les autres oiseaux; cela exige un examen plus particulier: il suffit que l’aigle, dont la velocite et la hauteur du vol sont les plus grandes, et dont la force, tant pour voler que pour saisir et declarer saproie, doit etre necessairement plus grande; que Faigle, dis-je, se rende plus leger, non-seulement par l’air qui dilate ses poumons, sa poitrine et son bas-ventre, mais encore par fair qui remplit les cavites de ses os. II est tres-probable, par les experiences faites sur le hibou,que la nature se sert du meme meca- nisme dans tons les oiseaux de proie. II est pareillement tres-probable que dans fau* truche, le casoar et les pingoins, on ne trouvera aucun os creux ; que dans les cignes , les oies et les canards les os du bras seals seront videsel remplis d’air; et settlement en partie dans les dindons, les poulesetlesperdrix; car ces derniers ont les os des bras en partie remplis de moelle, en partie d’air; ou bien, pour parler plus generalement , il est ap- parent que les os sont vides et remplis d’air , a proportion que les oiseaux portent le vol plus ou moins haut. Galilee et Borelli ont prouve que la substance des os dans les oiseaux etoit concave comme dans les flutes; mais ils ont suppose qu’elle etoit remplie d’une moelle huileuse, beaucoup plus legere que DANS LES OISEAUX. 46g Fos. M. cle Marsigli a observe que l’osdu bras dans le pelican etoit vide et rempli d’air. Je me flatt© d’avoir decouvert que dans beaucoup d’oiseaux , et dans les oiseaux de proie, tous les os qui peu— vent avoir communication avecla poitrine ou l’ab- domen , sont remplis d’air, et j’ai prouve les ou- verlures par lesquelles Fair entre regulierement , et s’y renouvelle par la respiration. L’air qui entre , et qui remplit ainsi les cavites des os, doit necessairement devenir plus leger par la chaleur du corpse moyennant quoi l’animal, devenu specifiquement plus leger que Fair meme, vole avec plus d’aisance. Cette decouverte nous fait voir outre cela que la moelle n’est pas necessaire pour la nourriture, ni pour l’accroissement des os, ni pour oindre les articulations, ni pour la formation du cal: j’ai trouve tres-souvent l’os du bras, dans les poules, casse et parfaitement gueri. J’ajoute, pour que la demonstration soit plus entiere, la figure d’un tel os, fig. 10 , pi. XXXIV. L’ossification regoit par-la beaucoup d’eclair- cissemens , et paroit devoir etre examinee d’apres ce nouveau plan. II n’est pourtant pas sans exemple, meme dans notre corps, de voir la substance celluleuse des os vemplie d’air; les apophyses mastoi'diennes regoi- vent Fair par les trompes d’Euatache. 470 D E LA. STRUCT. DES OS La lete de l’hibou lournit uii autre exemple aussi curieux: Fair entre dans le diploe du crane entier par les trous audit Lfs ; car les oiseaux n’ont point de trompes d’Eustache, comme les quadru- ples et les amphibies. Ayant disseque, le i3 decembre 1773, un des pingoins que j’avois recris du Cap cle Bonne-Es- perance, de la seconde espece de diomeda de Lin- naeus, edit. X. pag. 2i4, je trouvai ses os pleins , ainsi que cela devoit etre d’apres rexpllcation que j’en ai donnee. Quelque terns apres , on m’apporta un plon- geon de Fespece que Linnaeus, ibid. , pag. 222, appelle colymbus burner y donl les ailes sont trop petites pour qu’il puisse voler. Dans cet oiseau les os du bras sont pareillement remplis de moelle et sans trous aeriens. Aussi les os de ces deux es- peces d'oiseaux n’admeltent-ils pas Fair. Les os des cuisses de ce plongeon meritent Fat- tention des naturalistes, en ce qiFils n’ont point de trochanter, dont la structure avec celle des muscles est si admirable. Le perioste est noir dans cet oi- seau, et sa couleur se detache comme celle de Fu- vee des yeux de la plupart des animaux. La te.te de Felephant fournit encore une preuve plus frappante; mais il est terns de finir ce me- moire, apres avoir donne une explication courte des figures , sans lesquelles la description auroit ete moins instructive et moins claire. dans les oiseaux. 471 EXPLICATION DES PLANCHES. PLANCHE XXXIV. figure 1. Repxesente la partie superieure de Fos du bras gauche de Forfraie : a. b. c. le trou par ou Fair entre. figure 2. La partie superieure de Fos du bras gauche de la cigogne: a. b. c. le trou aerien. O O figure 3. L’os du bras gauche du hibou *. cl. b. le trou ae- 472 / D E LA STRUCT. DBS OS rien j p, le trou fait a. ]a partie inferieure pour ap- pliquer le tuyau. figure 4. L os du bras droit d’un dindon : cl. b. c. le trou aerien. figure 5. L’os du bras droit d’une poule: a. b. c. le trou aerien. figure 6. L'os de la cuisse gauche de Torfraie: cl. e.f le trou aerien sous le trochanter h. y g. la tete de cet os; i. 1. 1. m. les piliers pour donner de la force a Fos, qui sans cela seroit trop mince; i. 1. j n, n. la veine qui tapisse le perioste interne. figure 7. L’os de la cuisse gauche de la cigogne : d. e.f. le trou aerien; h. le trochanter; g. la tete de Fos. figure 8. L os de la cuisse gauche du coq de bruyere ; d. e.f. le trou aerien. / dans les oiseaux. 470 FIGURE g. L’os tie la cuisse droite de la poule , sans trou aerien. FIGURE IO. L’os du bras droit d’une poularde : a. b. le trou aerien ; q. r. la fracture parfaitement unie par le cal. ^74 DE LA STRUCT. DES OS L E T T R E SCR L E M E M E S U J E T, Adressee rtux ecliteurs d’un joimial litteraire intitule Hedendaagsche Vaderlandsche Letter- oeffeningen. <2 IVT ESSIEURS, C’est avec plaisir que j’ai vu dans le troisieme yolume de votre journal hebdomadaire (1) , la Dissertation de M. John Hunter , sur les in- terstices entre les muscles et les capites des os des ois'eaux , par lesquels V air communique avec leurs poumons 3 que vous avez traduite du LXIVe. volume des Transactions philosophiques deLon- dresj volume qui n’est arrive en Hollande qu’en (1) N?. 10, 1774, pag. 421. DANS lbs oiseaux. 475 automne de l’annee 1774; tandis que cette disser- tation avoit ete lue dans la Societe Royale le 27 fevrier 1774. J’ai ete, en mane terns, charme que vo us m’ayiez rendu la-justice de remarquer: « Que (( deja le 2 mars 1771 j’avois communique a la So- « ciete Batave de Rotterdam, cette decouverte, et (C par consequent trois ans avant que M. Hunter « en ait parle. » Cette concurrence d’idees devoit en attendant fixer l’attention des savansdenotrepays, et les en- gager a comparer ma dissertation avec celle de M. Hunter; et cela d’autant plus que le premier vo- lume de la Societe Batave de Rotterdam a paru plus tard que le volume LX I V des Transactions p h i losop hi q ues. On auroit pu done facilement ne point prendre en consideration la date de ma dis- sertation ; ou bien , comme cela arrive souvent, la negliger volantairement ; ce qui auroit nuit a la priorile de ma decouverte. Afin de lever tout doute a ce sujet , je vais four- nir les preuves les plus peremptoires pour montrer que j’ai en eftet decouvert et communique, trois ans avant M. Hunter, cette singuliere propriete des oiseaux; et je produirai , en merne terns, les nou- velles observations que j’ai faites depuis ce terns- la, par la dissection du casoar, de l’autruche, de la corneille mantelee , du hibou et dautres oi- seaux. DE LA STRUCT. DES OS Ravi, et non sans raison , je pense, devoir fait celte belle decouverte dans lesoiseaux, le n fe- vner 1771, jela communiquai sur-le-champ a plu- sieurs tie rnes amis , et , entr’autres , a M. Alla- niand , a Leide. J’ai conserve’, pour des raisons parliculieres, la reponse que ce savant me fit a ce sujel. se lui avoispromis mes observations sur le lenne (lesquelles ont paru en 1771, en forme de supplement a Fedition d’Amsterdam de VHistoire ncit. de M. le comte de Bulfon ) ; et je lui commu- niquai, dans la meme leltre , rna decouverte de la c..vite des os des oiseaux. Voici la reponse qu’il me fit: « Je vous remercie d’avance de vos observa- <( f*ons 8ur R I'enne que vous avez la bonte de me « iaire esperer, etc.— Je n’ai point encore eu l’oc- « casion de laire Fexperience qui prouve la com- a mumcation entre 1 abdomen et lesgros os des oi- « seaux; mais apres ce que vous nFen avez dit, je « crois la chose comme si je Favois vue. — Je vais « partir pour la Gueldre , ou j’aurai des oiseaux a de diverses sortes en abondance , pour verifier « votre belle decouverte. » Cette lettre est sans date, mais a cependant etc ecrile au commence- ment de Fannee 1771, comme il paroit par la pu- blication de mes observations sur le renne. J’avois, en meme terns, prie M. Allamand d’exa- n>iner le squeletle de Fautruche ; sur quoi il me rep on dit, dans une autre lettre du 23juin 1771: DANS LES OISEAUX. 477 « Votre decouverte da passage de Fair dans les os « des oiseaux me paroit de plus en plus interes- « sante, et vous ne serez pas fache d’apprendreque « votre conjecture sur les os de l’autruche est vraie, « au moins dans un squelette que j’ai de cet oi- « seau ; et je n’ai pu decouvrir aucun vestige cc de la moindre ouverture, ni dans Fos humerus, « ni dans celui de la cuisse. II en sera sans doute a de meme du casoar; ce qui paroit indiquer que « vous avez trouve le veritable usage de cet airpas- « sant dans les os; puisque ces deux oiseaux, non « plus que le pingoin, ne volent point (1). » Cependant il se passa dix-huit mois sans que j’eusse quelque esperance qu^on accorderoit bien- tot Finsertion de ma decouverte dans les actes de la Societe Batave de Rotterdam, a laquelle je l’a- vois envoyee. Cela me determina a faire passer mon memoire a M. Portal a Paris; ce quejefisle 21 novembre 1772-, avec quelques additions en francois, en le priant de le faire inserer dans les memoires de la Societe Royale des sciences, avec quelques obser- vations anatomiques sur le fourmilier du Cap de Bonne-Esperance , sur le pecari ( Sus sp. 5 dorso (1 ) On voit par ces deux lettres que d^ji en 1 771 , M-' Allamand connoissoit non-seulement ma decouverte, mais qu’iH’avoit. meme constatee par ses propves experiences. 478 DE LA STRUCT. DBS OS cystifero , cauda nulla. Linn., gen. 35 et sur Porgane de l’ouie et les events des cachalots, etc. M. Portal me fit Phonneur de me repondre le 16 mars 1773, cjue les observations que je lui avois fait passer avoient ele trouvees d’une si grande im- portance par les membres de PAcademie , qu’ils avoient charge MM. Daubenton , Tenon et Portal de faire des observations sur les oiseaux que j’a- vois cites; etM. Portal me marqua ensuite , en date du 26 avril 1774, qu’ils avoient fait ces observa- tions, dont ils avoient ete fort satisfaits, et qui s’etoient trouvees parfaitement conformesa ceque j’avois dit ; de sorte que l’Academie Royal e des sciences, a qui ils en avoient rendu compte le 20 avril de la meme annee, les avoit jugees dignes d’etre inserees dans son recueil; preuve certaine qu’a cette epoque personne n ’avoit encore eu la moindre connoissance de cette structure singu- Here des oiseaux. Com me unenouvelle preuve, inutile sans doute, que j’ai fait beaucoup pin tot que M. Hunter cette decouverte, je vous envoie ici une dissertation la- tinequeM. LadislasCbarnack, Hongrois, a lue, le 25 aout 1770 , dans une seance publique de l’uni- versite de Groningen, sur la respiration des oi- seaux (1). M. Charnack me rend la justice d’avoir (1) Dissert, meclisa de inspiraiione volucrum. DANS LES OISEAUX. ^79 le premier fait la decouverte de cette singuliere propriete , puisquil dit: cc C’est le celebre Camper f( qui le premier a decouvert que les oiseaux res- <( pirent aussi par les cavites des os des bras , des a cuisseset du troncmeme, etc. (1). )) Si Pon com- pare cette dissertation avec celle que j’ai envoyee a la Sociele de Rotterdam , on verra qu’elle sV rapporte exactement. Cela n’est pas surprenant : M. Charnack a ele un de mes plus assidus audi- teurs, a qui j’ai souvent repete mes observations sur cet objet ; ainsi quhl en fait aussi expresse- ment mention : « Le celebre Camper a souvent « fait , en presence de ses auditeurs , des expe- 100. DAN# LES OISEAUX. 48 de meme parfaitement bien figurees dans le plon- geon , sans en parler dans son texte. M. Hoffmann , fameux medecin de Batavia , au- trefois un denies pi us zeles disciples , et a quije dois plusieurs morceaux precieux de ma collection, m’a voye des Grandes-Indes un casoav conserve dans de l’arac , apres qu’on eut ote les intestins. Les os des bras sont, proportionnellement a la grosseur de son corps, extraordinairement petits, et ne re- 9oivent absolument point d’air, non plus que les os des cuisses et les cotes; mais il y a de Fair dans les cavites entre les os des lies et l’os sacrum. Cet oiseau ne court pas bien vite, et ses ailes sont en- core beaucoup plus petiles que celles du pingoin du Cap de Bonne-Esperance. Chez cet oiseau ron- gle du milieu des pieds n’etoit pas le plus grand, comme le pretend Linnaeus (1); mais c’etoit Pon- gle interieur, lequel eloit une fois plus long que tous les autres. Peu de terns apres que M. Pennant fut arrive a la fin de septembre 1774 de Hollande a Leeuwar- den avec un elephant, une autruche et d’autres aniinaux , Pautruche vint a mourir , pour avoir a vale trop de monnoie de cuivre. Pachetai cet oi-. seau mort en octobre ; mais differences occupations (i) Dixi^me Edition , pag, a65- 484 DE LA STRUCT. f> E S OS me forcerent (Pen differer la dissection jusqu’au 6 novembre 1774. L’aulruche est nn oiseau trop connu el a ete trop bien decrit par Perrault , Valisneri , Brown , Ranby, Warren et Buffon, pour qu’il soit neces- saire que je m’arrete ici a parler de sa forme ex- terieure. Je remarqnerai seulemenl que c’est avec etonnement que j’ai vu que Valisneri , Brown , Perrault, Klein , Brisson et Linnaeus n’ont pas ob- serve l’ongle du petit doigt du pied , tandis qu’il a visiblement un demi-pouce et meme sou vent trois quarts de pouce de long. II arrive bien quel- quefois que la peau ecailleuse couvre cet ongle , mais on peut cependant ton jours Pappercevoir. Johnston, Cheselden et Meyer ont, en contre, re- presente ce doigt fort grand 5 peut-etre par defaut detention , ou parce quhls se sont imagines que cela devoit etre ainsi. J’ai trouve (et c’est de quoj il s’agit ici) dans Pautruche ce que M. John Hunter yavoil remar- que, savoir, qu’il n’enlre point d’air dans les os des bras, mais bien dans tous lesautresos, coinme chez tous les autres oiseaux j c’est-a-dire, dans les vertebres, dans l’os sternum , dans les cotes, etc. ; et, ce qui est ici l’objet principal , dans les os des cuisses. Le 11 decembre 1774, elant a preparer un squelette de cet oiseau, je remarquai au cote an- terieur de Pos de la cuisse un assez grand tro'u ae- 485 dans les oiseaux. rien , partage en plusieurs petits trous entie les condyles; de sorte que cet os de la culsse est non- seulement rempli d’air; mais il paroit meme vrai- semblable que l’air sort de nouveau entre les in- terstices membraneux des muscles. Cependant cela demande de nouvelles recherches. I/air penetre jusqu’au bout du coccix, le long des apophyses epineuses. II remplit le grand in- terstice de l’os sacrum , et des os des lianches , dans des membranes particulieres qui communi- quent avec le ventre et avec la poitrine. M. J. Hunter avoit done raison, etjene suis pas le seul qui me soit trompe. La cause de cette der- niere erreur paroit consister en ce que ces trous ne se trouvent pas, commedans Faigle , danslacigo- gne, dans le coq de bruyere, etc., au cote ante- rieur , mais tout -a -fait au cote posteiieur de la cuisse; de sorte que ce n’est qu’avec peine qu on les y decouvre, d’autant plus qu’on ne les y sup- pose point. M. Hunter dit que Fair penetre aussi dans la moelle alongee: e’est ce que j’ai trouve vrai dans une corneille mantelee; apres que j’eus coupe le cou par le milieu , et introduit un tuyau de cuivre entre la moelle epiniere et ses membranes, fy fis entrer assez facilement de Fair, jusqu a ce que j;eus fait distendre le ventre; et Fair sordt ensuite par un trou que je fis a Fos du bras. Je coupai la 400 D E LA STRUCT. DES OS tete a line autre corneille mantelee , entre Focci- put et l’atlas; mais il me fut impossible d’inlro- duire 1 air dans la moelle epiniere. II me paroit par des experiences que j’ai faites, tant sur des Cor- neilles mantelees que sur des poules, que Fair peut penetrer dans les vertebres du cou. J arois deja apperpn , mais cependant pas aussi distinctement que je Faurois desire, que la man- dibule inferieure de Fautrucbe, du heron , du bu- tor et de la corneille et.oil remplie d’air. II paroit que M. Hunter avoit remarquela merne chose dans le pelican : « La mandibule inferieure du pelican, (( Hit— il , est egalement fournie d’air; mais par quel « moyen ? c’est ce que jignore (1). )) J’ai cherche a connoitre ce moyen ? et je Fai de- couvert evidemment dans Fautruche, dans le he- ron et dans le butor. II est facile de Fappercevoir dans la corneille mantelee. Au cote superieur des apophyses placees en arriere de la mandibule in- ferieure, lesquelles sont courbees en dedans, il y a un trou rond, assez grand dans Fautruche, pour qu’on puissey introduce une plume a ecrire; dans le heron et d’autres oiseaux ce trou etoit plus pe- tit; mais cependant apparent et spacieux. De ce trou part un conduit membraneux , lequel court (l) The tower jaw of the pelican is also furnished with air , but by -what means I do not know . Ibid. , png. 211. DANS LES OISEAUX. 487 en montant derriere le tympan, et va sattachei a un semblable trou un peu au-dessous du bord d’en haut du tambour. C’est par ce conduit que Fair pen el re des cavil es entre les lames osseuses de la tete dans la mandibule inferieure; de ma- niere que la mandibule inferieure recoil Fair par les conduits d’Eustache. C’est avec la corneille mantelee qu’on peut le mieuxfaire cette experience, en pratiquant un trou dans la partie cornee de la mandibule inferieure, et en faisant un autre trou derriere l’oreille , apres qu’on aura enleve la peau. Qu’on souffle alors par un tuyau de cuivre alternativement Fair dans Fun et dans Fautre trou. Quand on tiendra la tele avec un decestrousdessous Feau, on en verra sortir Fair avec effort; et si l’on enleve le muscle de derriere la mandibule inferieure, on apperce- vra fort distinctement le conduit membraneux. La decouverte de cette partie m’appartient done. JVIa consideration, comme si les trous dans les os des oiseaux etoient particuliers a ceux qui volent long-terns et fort haut , dont j’ai parle dans mon memoire , paroit bien , en quelque sorle, perdre de son poids, par ce que je viens de dire mainte- nant relativement a Fautruche , mais elle n’est pas neanmoins entierement detruitejpuisqu’on sait que Fautruche court avec une extreme vitesse, et vole meme le long de la terre j ce quJil ne sauroit 48& DEr, A STRUCT. DES OS faire , si le Creafenr n’avoit pas considerablement aiminue son poids, en lui dormant cette admira- ble structure. Ceci deviendra plus clair encore si I on se rappelle ce que le comte de BufFon dil d’a- pres M. Martine (1), que la chaleur nalurelle des oiseaux est bien plus grande que celle de Phomme, et qu'elle doit par consequent rendre Fair dans toutes les cavites des os sensiblement plus leger que celui de notre atmosphere. Le Casoar, dont°la course n’est pas rapide, n’a pas les os des cuisses et des bras, etc., vides , ainsi que je Lai deja re- marque. Les becasses , les hirondelles de mer el les moi- neauxn ont pas les os des braset des cuisses vides. Les plumes de la queue de ces oiseaux paroissent reparer ce defaut; d’ailleurs, ces oiseaux ne vo- lent ni fort haut , ni fort long-terns de suite. Par ces memes raisons, je ne puis me determi- ner a abandonner mes conjectures, pour adopter celles deM. John Hunter: « Que toutes ces cavites « ne sont que des appendices des poumons, et qu’on « ne doit les considerer que comme des reservoirs « d’air. )) Franeker , le i5 janvier 1775. (1) Suppl. tom. I, pag. 84, note C. dans les oiseaux. 489 SUPPLEMENT % Au memoire sur la structure cles os cles oiseaux . §• I. JLIa ns ma lettre aux editeurs des Heclen- daagsche V aderlandsche Letteroeffeningen, j’ai deja observe (1) qu’il y a un grand trou aerien au cole posterieur de Pos de la cuisse de Pautruche. Je pense que le lecteur sera charme de trouver ici le dessin (Pun pareil os, pris d’un jeune autruche, et rebdu avec une grande fidelite, quoique reduit en petit. La figure 11 de la planche XXXIV represente Pos de la jambe droite vu par devant: A. est la tete; B. le grand trochanter; D. et C. sont les con- dyles qui sont reunis avec le tibia par des articu- lations, auxquelles E. appartient aussi. Ily aquel- que chose qui n’est visible qiPen partie, c’est l’e- piphyse de la partie superieure a. b. ; de meme que (1) Voyez page 484* ^9° LA STRUCT. DES OS c. d. e.f.g. est l epiphyse de la partie inferieure de Eos de la jambe. On voit clairement que de ce cote-ci il n’y a point de trou visible; mais an cote de derriere, oil A. B. C. D. et E. -indiquent cette meme partie dans la fig. 12 de la pi. XXXIV, on appergoit fort distinc- tement les grands trous aeriens h.i.k.l.jn. a la par- tie superieure , et n. p. q. a la* partie inferieure, au- dessus du cartilage C. et E. Ces trous etoient cou- verts d’un perioste; de maniere cependant que ce- lui-ci laissoit d assez grandes ouvertures pour que 1 air put passer en quanlite suffisante dans les os. Je dois ici beaucoup de remercimens au savant M. Bloch , medecin a Berlin , pour la reception amicale qu’il m’a faite pendant mon sejour dans cette ville , et pour l’envoi qu’il a bien voulu me faire d’une outarde male ( otis , gen. 9 5, sp. edit. X Linn.) A l’os creux de la jambe de cet oiseau il y a tin trou aerien remarquable, mais exacte- ment au-dessus du grand trochanter; ilparoit done que la situation de ce trou varie beaucoup dans plusieurs oiseaux, quoiqu’il se trouve, a la verite, presque to u jours au cole anterieur de Eos. Dans le faisan couronne des Indes ( columba , Linn. , gen. io4, sp. 17 ) , j’ai trouve de meme Eos de la jambe rempli d’air, et le trou aerien place stir le devant de Eos, comme dans l’uigle, la ci- gogne, le coq de bruyere , etc. dans les o i s e a u x. I Dans une spatuie ( platcilea , gen. 8o,sp. i, Linn.) , qni avoir ete dissequee l’hiver precedent, les os des janlbes etoient totalement remplis de nioelle. II etoit remarquable qu’entre les muscles du coccix ( glutei ) il y eut deux grandes poches afiriennes, qni ressembloient a celles qui sont en— tre les muscles pectoraux, lesquels etoient aussi fort considerables. L’air penetroit jusque dans tous les os de la poitrine et du ventre, de meme que dans les os des cuisses et de l’os sacrum. II. Quoique les trous par le moyen desquels l’air penetre dans la mandibule inferieure des oi- seaux terrestres , aient ete suffisamment decrits dans ladite lettre (i), je crois qu’il est necessaire de me faire mieux comprendre a cet egard , par les dessins de ces parties : j’ai done , dans la fig. 1 3 de la pi. XXXIV represente la mandibule in- ferieure d’une autruche et dans la fig. i4 celle de la troisieme espece de calaos (buceros , gen. 74 Linn.), ainsi que celle de la q.uatrieme espece de calaos, dans la fig. 1 5. La fig. 16 represente la mandibule inferieure touteentiere d’une corneille mantelee ( cornix , gen. 5o, sp. 5, Linn.). Dans la fig. 17 on voit la mandibule inferieure d’un heron ( ai'decij gen. 84, sp. 12). Toutes ces mandibules * — ' — — 1 ' — ■■ ■— ff (1) Yoyez page 486. 492 de la struct, des os sontde grandeur naturelle et vues par en haul. A. et B. dans les fig. i5 et 17, mais A. D. dans les fig. i4, 1 5 et 16, sont les epiphyses interieures des extremites de la mandibule inferieure. C. en est la pointej mais comme dans les fig. i4 et i5 les mandibules des calaos ont ete tronquees, C. C. y indiquent l’endroit od cette amputation s’est faite. 7\ indique dans toules ces mandibules le trou aerien, auquel est attache le conduit qui vient de I interieur de l’oreille , et qui re$oit Fair par les conduits d’Eustache. La mandibule inferieure des oiseaux aquatiques, tels que le eigne, les canards, Foie, les pingoins et autres semblables , ne recoivent absolument point d’air, non plus que les autres os de la tete. II paroit que la nature a voulu par-la rendre leur tete plus propre a plonger. §. III. Quoique rien ne soit plus aise a demon- trer que la maniere dontl’air s’introduit dans tous les os qui entourent la cavite de la poitrine , il me parut cependant difficile a deviner comment Fair peut remplir toutes les vertebres du cou jusqu’a la tete. En dissequant, le 24 novembre de Fannee der- niere 1.780, la spatule, je decouvris fort evidem- ment un conduit d’air qui de la cavite anterieure DANS LES OISEAUX. 4g5 tie la poilrine passoit le long de toutes les verte- bres du cou jusqu 'ci la tete. L’oiseau etoit trop gras pour qu’il me fut possible de suivre ses autres con- duits aeriens. Le 27 novembre, je lis tiler un heron , dans le- quel je decouvris trois conduits aeriens, qui par- toient du cote anterieur de la plevre. Un de ces conduits passoit par devant le long des vertebres du cou , comrae dans la spatule, et deux laterale- ment entre les muscles intertransversaires, c’est- a-dire, qui se trouvent places entre les apophyses transverses des vertebres. Chaque vertebre prend une branche de ces conduits et se remplit d’air par ce moyen. Mais je n’ai pas pu decouvrir encore comment Fair peut s’introduire jusque dans la dure membrane qui enveloppe la moelle alongee. llest probable que pour cela ilfaudroit faire des injections avec du mercure, tant sur les cotes de la poitrine que le long du cou , etc. Mais cela demanderoit les recherches non d’une seule per- sonne mais de plusieurs. En attendant que cela se fasse, jevais, en forme de recapitulation, resumer avec une espece de conviction ce que jVi dit plus haut. i°. Que Fair penetre, dans les oiseaux, par le nez entre les lames osseuses du front et le vomer, comme dans Fautruche, la corneille tnantelee, le heron et autres serablables oiseaux. \ D Ii LA STRUCT. DBS OS 2°. Que le crane et toute la mandibule infe- rieure recoivent Fair par les trompes d’Eustache. o°. Que les verlebres du cou recoivent Fair par les Irois conduits de la cavile anterieure de la poi- trine, dont j’ai parle plus bant. ^°* Tous les os autour de la poitrine et du ven- tre out de grands trous qui aboutissent interieu- rement dans la plevre , et qui admettent facilement Fair aspire par la trachee-artere. 5 . Les os des bras et les poches aeriennes qui se trouvent entre les muscles pectoraux recoivent Fair immediatement de la cavile de la poitrine par les vaisseaux brachiaux. 6°. Les os dela cuisse recoivent Fair, par des con- duits membraneux, de la plevre on des trous ae- riens qui von l de dess us les intestins j usq u aux os des handles: ceux-ci sont de meme acco.rapagnes deS vaisseaux cruraux. Us ont quelquefois la 1'oime de grandes vessies entre les muscles cocci«iennes , ainsi que je Fai observe dans la spatule, II se pourroit que la meme chose eut lieu dans Fautruche et dans d’aulres oiseaux. Peut-elre y a-t-il par derriere des poches aeriennes qui vont en descendant par dessous le muscle crural. Mais Favois tanta observer dans la dissection dece «rand r O et rare oiseau, relativement auxyeux, aux pieas, aux intestins, etc. , qu’il me fut impossible de tout examiner avec le soin convenable. DANS LES OISEAUX. 4q5 7°. Les oiseaux aquatiques ne paroissent pas avoir cFair dans la charpente osseuse de la Lete , ni meme dans lours autres os. 8°. Quelques oiseaux , telsquelesbecasses ( rus - ticula ou Icolopcix , gen. 86, sp. 6) et autres sem- blables , n’ont absolument point d’air dans leur charpente osseuse , et volent cependant loin et fort long-tems. Mais dans tous ces oiseaux les muscles pectoraux sont assez forts pour un pareil vol , et l’apophyse de l’os sternum est tres-grand. Ou voit aussi dans les chauve-souris que la na- ture compense la grande pesanteur qui resulte de la moeile des os , en opposition de Fair , par la force des muscles qui meuvent les ailes, et par la grandeur des ailes memes. §. IY. Quoiqu’il en soit, je fus fort satisfait lorsque j’appercus que les pennes primaires de Fai- gle sont creuses jusqu’au bout. J’ai remarque la meme chose aux pennes primaires du heron et de la spatule; et il y a lieu de croire que cela a ega- lement lieu dans plusieurs auti'es oiseaux. Une observation qui me semble digne des natu- ralistes, seroit de savoir comment Fair s’introcluit dans ces pennes, et penetre dans les tuyaux des plu- mes de tous les oiseaux? comment enfin il parvient dans les piquans du porc-epic, etc. ? Il est certain qu’il n’y a point de conduits aeriens quiy aillent 496 DE LA STRUCT. DES OS, ETC. de la poilrine. De quelle maniere cela s’opere-t-il done? II est probable que ce soul les vaisseaux sanguins qui y conduisent l’air; deineme que nous voyonsque les plantes portent Fair dansleurs con- duits aeriens? Quoiqu’il en soil, il paroit que la nature a voulu nous faire un mystere de celte ad- mirable propriete; et, malgre que le celebre P011- part (1) ait fait quelques essais pour en decouvrir le mecanisme, et que Perrault en parle (2) dans sa description de Fautruche, tous les autres natura- listes n7ont pas moins garde le silence sur ce point important et obscur. (1) Hist, de V Acad, royale dcs sciences, annie 1699, p- 56 in- 8°. (a) Mem- pour servir dl' hist. nat. desanim., part. II, pag. 272. FIN DU TROISIEME VOLUME. TABLE DES PIECES CONTENUES DANS CE VOLUME, LEgONS SUR U^PIZOOTIE. Preface, 7 PREMIERE L E ? o N. Des principaux vaisseaux sanguins du cou, des jambes de derriere et de dev ant des betes d comes , et de la position naturelle de leurs in- testins dans le ventre , 17 SECONDE L E 5 o N. Des quatre estomacs en particulier , du foie , de la rate , etc. , ainsi que des visceres de la poilrine , 111. 52 t 4g8 table TROISIEME LEQON. De la rumination des animaux purs et impursy et particulierement des betes d comes y 4c* quatrieme lecon. Histoire , nature , symptdmes et guerison de r epizootie actuellement regnante y 76 Explication des planches , 140 Supplement aux Lemons sur l} epizootie y 147 d V article de lamesure desmdchoi- res de certains animaux y i54 Lettre adressee aux Etats-Generaux des Pro- vinces- Unies ! 5 8 De lJ inoculation de V epizootie y de ses avanta— ges et des precautions qu’elle demande y 178 Exarnen d’un passage de V instruction de sa majeste prussienne de ij65y relativement d La decomposition des peaux des betes d comes y 187 Des vers pulmonaires y igo Du bilzucht j oli des tumeurs qui surviennent aux cuisses des je Lines veaux y Du venin (/ tfenyn ) , 3 99 202 UES PIECES. ^99 DE L ’EDUCATION PHYSIQUE DES ENEANS. Epitre dedicatoire d JS'T.JM. les directenrs et mem- bres de la Societe des sciences de Harlem 217 CHAPITRE I. T)e la procreation des enfans , 22,5 CHAPITRE II. Des soins quJil faut prendre des nouveaux-nes y 227 CHAPITRE III. De la nourriture des enfans y 2,:* 9 CHAPITRE IV. De V instruction des enfans , T 27° CHAPITRE V. Des defauts naturels aux enfans y 27-7 CHAPITRE VI. S~ U faut inoculer les pelits enfans t ibid. 5i9 Deux discours sur Fanalogie qu’il y a entre [la structure du corps humain et celle des quadru- ples, des oiseaux et des poissons, 5s5 Premier discours > Second discours > 3 27 347 Du Beau physique , ou de la Beau te des formes, 3y i DE LA GENERATION DU PIPA, d’amerique, OU CRAPAUD 420 Explication des planches , 457 OBSERVATIONS SUR LE CHANT OU COASSEMENT DES GRENOUILLES MALES, 445 / / *4041 Explication d«s planches, des pieces. 5oi DE LA. STRUCTURE DES OS DANS LES OISEAUX , 457 Explication des planches j ■l71 Lettre sur le meme sujet, adress&e aux iditeurs d’un journal UtUraire mJztaZe'Hedendaagsche Vaderlandsche Letteroeffeningen , 4y4 Supplement au memo ire sur la structure des os des oiseaux } ^9 FIN DE LA TABLE. ERRATA ? age 30 ligne 1 5. Sont places , lisez est place. 3i 4 places, lisez place. 9^ 21 lie, /ijez liee. 366 1 5 peu , lisez pu. 1 82 6 inoculees, lisez inocules. '94 i3 dc la note , repondoit, lisez repondis. 264 24 j’ai, lisez j’aie; 279 22 evec, lisez avec. 307 1 les , lisez le. ibid. 21 atrocees, lisez atroces. 338 6 observatiens , lisez observations. 38o 20 et qui de plus esc , lisez et qui plus ess. ' • ■ . ’*•*- ' »