■4:h Digitized by the Internet Archive in 2016 https://archive.org/details/b28408275_0001 HISTOIRE GÉNÉRALE ET PARTICULIÈRE DU DÉVELOPPEMENT DES COUPS ORGANISÉS- Paris. — Imprimerie de E. DONNAUD, rue Cassette, 9. HISTOIRE GÉNÉRALE ET PARTICULIÈRE DU DÉVELOPPEMENT DES CORPS ORGANISÉS, PUBLIÉE SOUS LES AUSPICES BU MINISTRE BE L’INSTRUCTION PUBLIQUE, PAR f . . M t V ' M. COSTE, v>- M c-^ MEMBRE DE L’INSTITUT, PROFESSEUR AU COLLEGE DE FRANCE. TOME DEUXIÈME (4e FASCICULE). PARIS, VICTOR MASSON, LIBRAIRE-ÉDITEUR, 1, PLACE DE L’ÉCOLE-DE-MÉDECINE. MÊME MAISON, CHEZ L. MICÎIELSEN, A LEIPZIG. 1859 1 ROYAL COLLEGE OF PHY3ICI AN3 library | CLASS | b u — o»3 | ACCN. | SOURCE f DATÉ TROISIEME PARTIE. MÉLANGE DE L’ÉLÉMENT MALE 9 E T DE L’ÉLÉMENT FEMELLE. FÉCONDATION. f HISTOIRE » GÉNÉRALE ET PARTICULIÈRE DU DÉVELOPPEMENT DES CORPS ORGANISÉS.- CHAPITRE I. CONSIDÉRATIONS GÉNÉRALES SUR LA FÉCONDATION. La fécondation est l’acte par lequel l’élément générateur mâle et l’élément générateur femelle se mêlent l’un à l’autre, se confondent en une seule et même substance future et vivante image des parents dont elle émane, et dont elle porte la double empreinte à la suite de cette visible et mystérieuse incarnation : visible , parce qu’on peut en suivre la trace matérielle ; mystérieuse , parce que les formes phénoménales qui en dérivent ne sauraient en révéler l’essence. 4 DÉVELOPPEMENT La nécessité du contact des deux substances, si ce n’est encore de leur mélange, pour opérer la fécondation, est, au moins en ce qui concerne certaines espèces du règne végétal, un fait tellement frappant, que sa connaissance inspira aux premiers peuples l’idée d’une pratique agri- cole destinée à assurer la fructilication d’une plante, dont les produits entraient pour une grande part dans leur régime alimentaire : je veux parler de la fécondation artificielle du Dattier, antique tradition que les Arabes de nos jours conservent avec autant de fidélité qu’ils en ont mis à garder le costume d’ Abraham et de Jacob, leurs ancêtres. Déjà, en effet, au temps d’Hérodote, près de cinq siècles avant notre ère, dans les champs cultivés de la vieille Assyrie, où le Dattier était devenu l’objet de grandes exploitations, non-seulement à cause de l’excellence de son fruit sucré, mais aussi pour le miel et le vin qu’on savait en extraire, les Babyloniens avaient parfaitement reconnu que, dans ce genre d’arbres, les sexes étaient séparés sur des individus distincts, et que lorsque des sujets mâles ne fleurissaient pas à côté des sujets femelles de leurs plantations, ces dernières étaient vouées à la stérilité (i). Aussi les voyait-on, chaque année, pour mettre la récolte à l’abri des funestes consé- (I) « La plaine est couverte de Palmiers. La plupart portent des fruits; « on en mange une partie, et de l’autre on en tire du vin et du miel. Ils les « cultivent de la même manière que nous cultivons les figuiers. On lie et on « attache le fruit des Palmiers, que les Grecs appellent Palmiers mâles , aux « palmiers qui portent des dattes, afin que le moucheron s’introduisant dans la « datte, la fasse mûrir et l’empêche de tomber ; car il se forme un moucheron « dans le fruit des Palmiers mâles comme dans celui des Palmiers sauvages. » [Histoire d'Hérodote, trad.de Larcher ; Paris, 1780, T. I, p. 147.) DES CORPS ORGANISÉS. 5 quences de cet isolement, attacher aux branches de leurs Pal- miers cultivés, les régimes fleuris des Palmiers sauvages mâles que, probablement, comme les Arabes de nos jours, ils allaient cueillir dans les forets du voisinage, afin d’en uti- liser la poussière séminale sur leurs riches domaines. La négligence de ce soin aurait entraîné pour eux les plus grands dommages, si l’on en juge par ce qui s’est passé dans la Basse-Égypte, où, en 1800, tous les Palmiers furent privés de fruits, parce que la guerre des Musulmans avec les Français empêcha les paysans d’aller chercher dans les déserts les rameaux fécondants. Hérodote qui, dans la relation de son voyage à Babylone, parle de cette pratique des Assyriens comme d’une merveille de leur industrie, dont rien n’indique cependant qu’il ait jamais été le témoin, en donne une explication erronée. Il la confond avec la caprification, usitée en Grèce sur le Figuier, pour favoriser la maturation de ses fruits. Mais il n’y a, au fond, aucun rapport entre ces deux opérations, maigre leur analogie apparente. Dans le Figuier, des Insectes, nommés Cynips, sortant des figues sauvages où ils éta- blissent leur demeure , vont piquer les figues cultivées, et, par l’influence de cette blessure, accélèrent ou déterminent la maturité de la récolte ; dans Je Dattier, c’est la poussière séminale des fleurs mâles qui tombe dans le calice des fleurs femelles qu elle féconde. Or, si, confondant ces deux phénomènes, les Babyloniens eussent opéré sur le Palmier comme les Grecs opéraient sur le Figuier, la stérilité de leurs arbres n’aurait pas tardé à les éclairer sur leur erreur, et à les faire renoncer à cette pratique illusoire. Mais les Grecs eux-mêmes ne paraissent jamais avoir par- G DÉVELOPPEMENT tagé sur ce point la fausse croyance d’Hérodote ; car, à peine à un siècle de distance, Théophraste, disciple et contem- porain de Platon et d’Aristote, parle de la fécondation artificielle du Dattier, comme d’une pratique vulgaire et connue pour ainsi dire de tout temps dans sa patrie. Il dit positivement que les Palmiers femelles ne peuvent donner de fruits, à moins qu’on n’ait secoué la poussière des fleurs mâles sur leurs fleurs. « Fructum autem perclurare in palma fœmina nunquam posse : 7iisi Jlorem maris cum pulvere super eam eoncusserint » (i). Le fait et la nécessité du contact des deux substances pour opérer la fécondation, sont donc une connaissance qui remonte au berceau même de la civilisation , puisqu’elle date du jour où le Palmier sauvage passa à l’état d’arbre cultivé, c’est-à-dire du moment où l’homme commença à exploiter la terre. Cette connaissance, convertie en pratique agricole par les peuples d’Orient, transmise d’âge en âge par les historiens et les naturalistes (2), inspira la muse des poètes. Ovide (1) Théophraste, de Causis plant I.utcciæ, 1 829; Lib. 3, Cap. 25, p. 167. (2) Pline, dans son Histoire du monde , déciit avec exactitude la fruc- tification des Palmiers et paraît même avoir eu des idées assez nettes sur les sexes des plantes en général : « Arboribus, imo potius omnibus quæ « terra gignat , herbisque etiam , utrumquo sexum esse diligentissimi na- « turæ tradunt : quod in plénum satis sit dixissc bec in loco : nullis tamen ar- « bonbus manifestais (quam palmæ). . . Cætero sine maribus non gig- « nerc lœminas sponte edito nemore confirmant : circaque singulos pluies « nutare in eum prônas blandioribus comis. ilium erectis hispidum, afflatu « visuque ipso et pulvere, etiam rel.quit maritare : hujus arbore excisa viduas «post sterilscerc fœminas. » Et ailleurs, « Dari in plantis veneris inlellectum, « maresque afflatu quodam et pulvere etiam fœminas maritare. » (Pline, Hist. mundi ; Paris, édit, de N. E, Lemaire, 1829, T.V, Liv. XIII, Ch. 7, p.161 et 103). DES CORPS ORGANISÉS. 7 célébra l’influence de la floraison sur la formation des graines, mais sans faire, dans ses vers, aucune allusion directe à l’union des sexes (i) . Claudien , au contraire, plus précis en ce point que les naturalistes ses devanciers, soumet toutes les plantes à l’empire de l’amour, et semble faire de leur alliance la condition universelle de leur repro- duction (2). Mais le mélange d arbres dioïques et monoïques sous la même tournure de phrase, et le défaut de distinction entre les modes de génération des uns et des autres, prouvent que ce n’est là qu’une de ces généralisations idéales, si fami- lières aux poètes pour s’affranchir de toute entrave dans l ’ex- pression de leur pensée, et démontrent que le Dattier était le seul arbre sur le sexe duquel on eût alors des notions précises. Cassianus Bassus , traduit par Stapel, exprime, aux 111e et ive siècles de notre ère, des idées analogues à celles de Pline : « Palrmipsa amat et quidem « ardenter alteram palmam velut Florentinus in georgicis suis tradit, noque « prius dcsiderium in ipsa cessât donec ipsam dilectus consoletur.... Mc- « delà amoris est ut agricola frequentem masculam contingat et ma nus « suas amanti admoveat ; et maxime ut flores de capite masculæ ademplos « in caput amanfis imponat, hoc namquc modo amorein mitigat et palma « ipsasplendida redoita de cætero optimum et pulcherrimum friiclum feret.» (I) Si bene floruerint segctes, erit area dives : Si bene floruerit vinea, Bacchus erit : Si bene floruerint oleæ, nitidissimus annus; Pomaque proventum temporis bujus babent. Flore semel læso pereunt viciæque fabæque ; Et pereunt lentes, advena Nile , tuæ. (Ovide, Fastes^ liv. 5 Y. 263). (2) Vivunt in venerem frondes omnisque vicissim Félix arbor amat : nutantad mutua palmæ Fœdera; populeo suspirat populus ictu Et platani platanis, alnoque adsibilai alnus. (Claudien, Épilhalame d’Ilonorius et de Marie. V. 05.) 8 DÉVELOPPEMENT Jovien Pontanus raconta, en vers élégants et devenus célèbres (i), les amours de deux Palmiers qui vivaient au xve siècle, l’un à Brindes, l’autre à Otrante, et dont le mâle, malgré une distance de trente milles , féconda la femelle lorsqu’il s’éleva assez haut pour dépasser la cime des arbres qui avaient été jusque-là un obstacle à l’en- traînement de la poussière séminale, et, par conséquent, au contact de deux substances. Mais le poète n’ajouta rien à ce que l’industrie des anciens avait depuis si long- temps appris sur la nécessité de ce contact. Il piqua la curiosité publique par une peinture animée de ce singulier phénomène, sans déterminer les botanistes à entreprendre des recherches propres à établir si l’union des sexes était une loi commune à toutes les plantes, ou un privilège réservé seulement à quelques espèces. Ce fut comme, une légende dont le sens voilé ne mit pas plus la vérité palpable sous les (t) Brundusii latè longis viret ardua terris Arbor, Tdumæis usque petila locis; Altéra Hidruntinis in saltibus æmula palma ; Ilia virum referens, hæc muliebre decus. Non uno crevêresolo, distantibus agris , Nulla loci faciès, necsocialis amor. Permansit sine proie diù, sine fructibus arbor Utraque, fiondosis et sine fruge comis. Asf postquam palulos fuderunt brachia ramos , Cœpêre et cœlo liberiore frui. Frondosiqne apices se complexêre, virique Ilia suivultus, conjugis illesuæ, Hausêre etblandum venis sitientibus ignem, Optatos fœtus sponte tulêre suâ : Ornârunt ramos gemmis, mirabile dictu, Implevcre suos melle liquente favos. 9 DES CORPS ORGANISÉS, yeux que, par allusion aussi aux amours des Palmiers, ne l’avait fait la mythologie dans son ingénieuse fiction de Zé- phyre et de Flore. La science ne commença qu’un siècle plus tard à se préoc- cuper de la théorie du sexe chez les végétaux. On en trouve les premières traces dans les écrits de Gésalpin (i) et de Pa- trizio (2), en 1 583, de Zaluziansky (3), en 1604. Ces auteurs, malgré l’insuffisance de leurs observations et les inexactitudes qui s’y mêlent, n’en avaient pas moins entrevu que, parmi les plantes qu’on avait cru jusque-là pouvoir se passer du concours des mâles pour se reproduire, il y en avait certaines dont les fleurs étaient hermaphrodites, d’autres androgynes, d’autres dont les sexes étaient séparés sur des individus distincts. Mais cette manière de voir, restreinte et confuse encore comme toutes les vérités dont l’heure n’est point venue, restèrent oubliées pendant plus de quatre-vingts ans dans les œuvres des botanistes que je viens de nommer, et ne furent appe- lées à un sérieux examen que lorsque Millington (4), en 1676, Grew (5), en 1682, Camerarius (6), en 1694, J. Ray (7), dans la même année, J. H, Burckardt (8), en 1702, Moreland (9), en (1) De plantis; Florentiæ, 4 583. (2) Discuss. peripat. ; Yol. II, L. 5. (3) Melhodi rei herbariœ: Nuremberg, 1604, p.24. (4) Millington in J. Logan. Exper.et meletemata de plant, générât.; Lug- duni-Batavorum , 1739, p. 5. (5) Analomy of Plants ; London, 1682. Pars. II, Chap. V.p. 171. (6) De sexa platarum epistola ; Tubinge, 1694. (7) Stirp. earop. extra Britannias nascenlium sylloge; Londres, 1696, (8) Epist. ad Leibnitzium de caract. plant, natumli.; Helmsladt, 1702. (9) Transact. Philosoph. ; Londres, 1703 n° 287. 2 10 DÉVELOPPEMENT 1 703, C. J. Geoffroy (i), en 1711, en firent un sujet habituel de controverse parmi les naturalistes. Elles prévalurent défi- nitivement, le 10 juin 171 7, dans le célèbre discours prononcé par Sébastien Vaillant à l’ouverture du Jardin royal de Paris. Dans ce discours, en effet, il ne s’agit plus d’observations isolées, ni de théories contestables; c’est un ensemble de faits bien définis, qu’en son langage pittoresque le hardi démons- trateur des plantes du Jardin royal élève jusqu’à la hauteur d’une généralisation. Les fleurs ne sont plus pour lui , comme le croyait le vulgaire dans son admiration frivole, une vaine parure de la création, ni les parties les plus viles et les plus abjectes des plantes, comme le pensait l’auteur des Institutions botaniques dans sa savante erreur (2), mais les organes les plus essentiels de ces plantes, puisqu’elles ser- vent à la reproduction des espèces, et en constituent les différents sexes (3). (1) Observai, super struct. et usu prœcip. florum partium; Paris, Mém. de l’Acad. R. des Sciences, pour 1711, p. 210. (2) Tournefort, Institutiones rei herbariœ; Paris, 1700. (5) Je donne ici quelques passages du discours de Vaillant, afin de montrer quel était l’esprit de son temps, et quels efforts il a dû faire pour en vaincre les préjugés : « Messieurs, dit-il, en commençant, comme entre les parties qui ca- « ractérisent les plantes, celles qu’on appelle fleurs, sont, sans contredit, des « plus essentielles, il esta propos de vous en entretenir d’abord ; d’autant plus « que tous les botanistes ne nous en ont donné que des idées assez confuses. « Peut-être que le langage dont je me servirai à ce sujet, semblera un peu « nouveau en botanique ; mais comme il sera rempli de termes tout à fait con- et venables à l’usage des parties que j’ai à exposer, je crois qu’on l’entendra « beaucoup mieux que l’ancien, lequel étant farci de mots impropres et équi- « voques, plus propres à embrouiller la matière qu’à l’éclaircir, jettent dans « l’erreur ceux dont l’imagination encore offusquée, n’a aucune bonne notion « des véritables fonctions de la plupart de ces mêmes parties. « Les fleurs , absolument parlant, ne devraient être prises que pour les or- DES CORPS ORGANISÉS 11 Au centre de ces organes, ou plutôt de ces appareils de la génération ainsi rendus à leur véritable office, les étamines, par une judicieuse comparaison avec les animaux, prennent le nom de testicules, les pistils celui d’ovaires, et, autour de ces testicules et de ces ovaires, les pétales et les corolles ne forment plus que délégantes enveloppes protectrices, et comme le lit nuptial où doit s’accomplir le mystère dévoilé. « ganes qui constituent les différents sexes des plantes, puisqu’on trouve quel' « quefois ces organes nus comme dans la Typhe ou Masse d'eau , etc., etc. ; et « que les tuniques ou pétales qui les environnent immédiatement dans les plan- « tes où ils se manifestent, ne sont destinées qu’à les couvrir ou à les défendre . « Mais comme ces tuniques sont ordinairement ce qu’il y a de plus beau et de « plus apparent dans le composé auquel on a donné le nom de fleur, et que « c’est là que se borne la curiosité, l’amour et l’admiration de presque tout le « genre humain, qui ne fait presque nulle attention au reste dont il ignore le 'i nom et l’usage, ce sont ces tuniques que, par préciput, j’appellerai fleurs, « de quelque structure et de quelque couleur qu’elles puissent être, soit qu’elles « entourent les organes des deux sexes réunis, soit qu’elles ne contiennent « que ceux de l’un ou de l’autre, ou seulement quelques parties dépendantes « de l’un des deux, pourvu toutefois que la figure de ces tuniques ne soit pas la « même que celle des feuilles de la plante, supposé qu’elle en porte. « Sur ce principe, je nomme fleurs nues ou fausses fleurs , ou si l’on veut « fleurs effleurées, les organes de la génération qui sont dénués de pétales, et '< vraies fleurs, ceux qui en sont revêtus. « L’on voit par ce premier début, que je sape entièrement les fleurs à éta- « mines, ou ces captieuses fleurs sans fleur, race maudite, qui semble « n’avoir été créée ou inventée que pour en imposer aux plus habiles « Si celui de tous les auteurs qui a le plus donné dans le fleurisme, s’y était « pris de la sorte, il n’aurait pas avancé qu’il est bien difficile de déterminer » en plusieurs rencontres ce quil faut appeler les feuilles (ou pour éviter « l’ambiguïté, les pétales) de la fleur, et ce qu’il fout nommer le calice de la « même fleur. Il n’aurait pas si souvent pris celui-ci pour celle-là, et encore « plus souvent celle-là pour celui-ci. « De la manière que je viens de définir la vraie fleur, on entend bien qu’elle 12 DÉVELOPPEMENT Si, comme chez les plantes hermaphrodites, les attributs des deux sexes sont renfermés dans un même calice, les fleurs n’ayant alors besoin, pour être fécondées, d’aucun secours extérieur, restent en bouton pendant toute la durée de la fonction génératrice, et n'épanouissent complètement leurs feuilles éphémères qu’après la consommation du mariage. « doit être épanouie ; car lorsquelle n’est encore qu’en bouton^ non-seulement « ses tuniques entourent immédiatement les organes de la génération, mais « aussi elles les cachent si exactement qu’en cet état on la peut regarder comme « le lit nuptial, puisque ce n’est ordinairement qu’après qu’ils ont consommé « leur mariage, qu’elle leur permet de se montrer; ou si elles’entr’ouvre quelque « peu pendant qu’ils eu sont aux prises , elle ne s’épanouit très-parfaitement « que lorsqu’ils se sont quittés. Le contraire arrive aux fleurs qui ne contiennent « qu’un sexe, et la raison en est évidente. Mais s’il arrive que sur un pied de « plante, il se rencontre des fleurs qui n’entourent que des organes féminins, « et d’autres où se trouvent les deux sexes , la tension ou le gonflement des « organes masculins de celle-ci se fait si subitement, que les lobes du bouton, « cédant à leur impétuosité, s’écartent çà et là avec une célérité surpre- « nante. Dans cet instant, ces fougueux qui semblent ne chercher qu’à sa- « tisfaire leurs violents transports, ne se sentent pas plutôt libres, que fai- « sant brusquement une décharge générale, un tourbillon de poussière qui se «répand, porte partout la fécondité ; et, par une étrange catastrophe, ils se « trouvent tellement épuisés, que dans le même instant qu’ils donnent la vie, « ils se procurent une mort soudaine; a Ce n’est pas encore là que se termine la scène. A peine ce jeu a-t-il cessé, « que les lèvres ou lobes de la fleur se rapprochant l’un de l’autre, avec la «même vitesse qu’ils s’en étaient écartés, lui font reprendre sa première « forme ; et l’on aurait peine à comprendre, si on ne l’avait vu, qu’elle eût « souffert la moindre violence, ou si l’on n’en voyait encore des marques cer- « taines par les chétives carcasses de ces vaillants champions qui la lui ont « faite, et qui restent quelque temps arborées sur son faîte, où, comme autant « de girouettes, elles servent de jouets aux zéphirs. «Toute cette mécanique se peut aisément remarquer sur la Pariétaire , à « l’heure du berger, c’est-à-dire le matin, temps où les différents sexes des « plantes prennent ordinairement leurs ébats. Et si ces fleurs ne voulaient pas DES CORPS ORGANISÉS. 15 Si, comme chez les plantes androgynes ou chez les plantes dioïques, chaque fleur ne porte qu’un seul sexe, et que le sexe mâle se trouve séparé du sexe femelle, soit sur une même branche, soit sur une branche voisine, ou, ce qui revient au même, sur les branches d’individus distincts, ces fleurs ouvrent toutes au début leur calice, les unes pour «agir de gré pendant qu'on les observe, on peut les y forcer en les aiguillon- « nant doucement avec la pointe d’une épingle ; car pour le peu qu’on en sou- te lève un des lobes quand elles ont pour ainsi dire l’âge compétent, les hampes « ou filets des étamines, d’arqués ou cambrés qu’ils sont, venant à se dresser « comme par un effort violent, on découvre aussitôt ce qui se passe de par- ce ticulier dans cette espèce d’exercice amoureux. « Il s’en faut bien que les étamines des plantes qui ne portent que des fleurs « où les deux sexes sont réunis, n’agissent avec tant de précipitation et de vi- ce gueur. Dans le plus grand nombre, leur action est presque insensible ; mais « il est à présumer que plus elle est lente, plus longue est la durée de leurs in- « nocents plaisirs. Ce n’est pas qu’on n’en voie qui, sur certaines plantes, tant « que la fleur subsiste, donnent encore, au moindre attouchement, des signes « de vie bien marqués. Telles sont, par exemple, les étamines du figuier « d’Inde, celles d’ Hélianthe mum, etc. « Les organes qui constituent les différents sexes des plantes, sont deux « principaux : savoir, les étamines et les ovaires. « Les étamines, que j’appelle organes masculins, et. que le célèbre auteur « des Institutions de Botanique , regarde comme les parties les plus viles et les « plus abjectes dans les végétaux, quoiqu’elles soient véritablement les plus « nobles, puisqu’elles répondent à celles qui, dans les mâles des animaux, ser- « vent à la multiplication des espèces*... Ces testes, qu’à juste titre on peut c< appeler testicules, non-seulement parce qu’elles en ont souvent la figure, « mais aussi parce qu’en effet elles en font l’office, sont, dans toutes les plantes « complètes, de doubles cartouches ou des capsules membraneuses, qui essen- ce tiellement ont deux loges pleines de poussière, dont les granules prennent « ordinairement dans chaque espèce de plante une forme déterminée, comme «l’ont observé Grew, Malpighi et Tournefort. » (S. Vaillant, Disc, sur la siruct. des fleurs, e, te.; prononcé le 10 juin 1717. Leide, 1718, p. 2 et suiv.). U DÉVELOPPEMENT répandre, les autres pour recevoir les tourbillons de matière fécondante qu’entraîne le vent, ou que l’insecte ailé leur apporte, conduit par l’attrait du nectar qu elles renferment dans leur sein. Ces précieuses découvertes, dont le génie de Linné , par une de ces puissantes généralisations qui marquent un âge de la science , devait faire bientôt l’un des fondements de la botanique , livrèrent à l’ observation tout un monde nouveau de merveilles , où éclate à chaque pas la sage éco- nomie de la nature pour assurer le contact des deux sub- stances dans l’acte de la génération, soit au moyen des plus ingénieux mécanismes, soit par l’entremise des ani- maux eux-mêmes, dont elle met l’industrie au service de son œuvre , en attendant que l’intelligence de 1 homme intervienne, et, par une pratique rationnelle des fécondations artificielles dans les deux règnes, dirige à son gré et à son profit les lois de la vie, comme elle a réussi à diriger celles de l’ordre physique. Les remarquables mouvements dont jouissent les organes sexuels de la plupart des plantes hermaphrodites au moment où s’exerce leur fonction génératrice, sont l’une des prédis- positions organiques les plus efficaces pour réaliser le con- tact des deux substances : ils permettent aux étamines, c’est-à-dire aux testicules, de se pencher vers le stigmate et de déposer sur lui la poussière fécondante que la maturité détache de leur surface, surtout si, à 1 heure de ce rappro- chement instinctif, un Insecte, agitant vivement ses ailes pour dégager sa trompe du fond du calice où il l’avait plongée afin d en extraire le miel , ébranle ces étamines comme l’arbre que I on secoue pour en faire tomber les DES CORPS ORGANISÉS. 15 fruits. Cette poussière arrive d’autant plus sûrement à sa destination que, par [une admirable prévoyance et pour que rien n’entrave la marche du phénomène , les organes à féconder, dans la catégorie dont il s’agit, se trouvent le plus souvent placés au-dessous des organes fécondants, quelle que soit l’attitude naturelle des fleurs. C’est pour cela que, dans celles qui s’inclinent vers la terre, l’organe destiné à recueillir le pollen pend à l’extrémité d’un pédicule plus iong que ceux auxquels sont attachés les testicules ; tandis que, sur celles qui regardent le ciel, ce sont les testicules qui cou- ronnent le sommet des plus longs pédicules : en sorte que , dans l'un et l’autre cas , les organes males dominant les organes femelles, la poussière séminale des premiers des- cend nécessairement sur le stigmate des derniers, par le seul fait de sa pesanteur spécifique. Chez les plantes androgynes et chez les plantes dioïques, dont la fécondation offre moins de chance de succès à cause de la séparation des sexes, tout n’y a pas moins été calculé pour assurer le contact des deux substances, quoique le but y soit atteint par des procédés bien différents. Leurs testi- cules ou étamines, perchés au sommet de tiges élancées hors des calices, comme des girouettes agitées par le vent, exhalent une poussière séminale plus abondante et plus légère (i) qui, (1) C’est sans doute pour faire acquérir au pollen cette légèreté si favorable au succès des opérations, que les Arabes, instruits par l’expérience des siècles, laissent sécher pendant un certain temps les paquets d’étamines dont ils se servent pour la fécondation de leurs Palmiers femelles. M. Ludwig, qui a été témoin de leurs pratiques dans les régences d’Alger et de Tunis, où il a séjourné pendant quelque temps, dit « que les habitants « de l’Afrique n’emploient presque jamais les petits paquets d’étamines de 16 DÉVELOPPEMENT répandue dans les airs, comme en un océan où ses molécules restent en suspension, va, à travers l’espace, et à la faveur de cet invisible véhicule, se déposer sur les ovaires qu elle féconde. Mais la sage économie de la nature n’a pas borné là ses prévisions : elle a trouvé dans les Insectes de perpétuels coadjuteurs de ses desseins, charriant au loin cette semence, dont les grains s’attachent à leurs corps, et travaillant éternellement à renouveller l’œuvre de la création par l’opé- ration artificielle qu’ils pratiquent. Sans le concours de ces ouvriers infatigables, que l’attrait du butin tient en perma- nente activité, certaines plantes, à cause des obstacles que la structure de leurs fleurs met au passage de la semence, au- raient été le plus souvent vouées à la stérilité. Les ressources manquant du côté de ces plantes, une intervention étrangère devenait indispensable. Les animaux furent les instruments de cette intervention, et, en leur confiant la charge de pour- voir à la multiplication des espèces d’un règne différent de celui auquel ils appartiennent, la Providence plaça sous les yeux de l’homme le spectacle d’une industrie, dont l’imita- tion devait lui ouvrir un jour l’une des voies par où s’éten- drait son empire. Aussi, dès qu’il eut compris toute la portée de cet ensei- gnement et le bénéfice qu’il pouvait tirer de cet exemple, l’heure des expériences de précision arriva, et les laboratoires de la science devinrent le théâtre de toutes les explora- tions qui pouvaient lui permettre de parcourir ce nouvel «Palmier mâle tout frais, pour procurer la fécondation des femelles, mais « qu’ils ont coutume d’en prendre de secs et qui ont été gardés pendant quel- « que temps» (Ludwig, in Gleditsch, Mém. de V Acad. roy. des sc. et belles- lettres de Berlin ; 1749, T. V, p. 106. DES C0RPS0RGAN1SÉS. 17 horizon, de pénétrer la nature intime du phénomène, et de déduire de cette connaissance des résultats pra- tiques. La première de ces entreprises fut exécutée à Berlin, vers le milieu du xvme siècle, dans les serres du Jardin des plan- tes, où, condamné depuis plus de quatre-vingts ans à un cé- libat forcé, fleurissait en vain chaque année un Palmier fe- melle, sous les voûtes de son hermétique prison. Gleditsch, pour mettre un terme à la stérilité de cet arbre solitaire, eut l’heureuse pensée de faire venir de Leipsick une cer- taine quantité de pollen d’un individu mâle de la même espèce, qui y fleurissait aussi, tous les ans, dans des conditions analogues. Il poudra, avec cette poussière desséchée par un voyage de neuf jours, les ovaires du Palmier de Berlin, et, à la suite de cette inoculation, l’arbre contaminé fournit ses premiers fruits. Mise en terre, la graine de ces fruits germa, et donna une descendance à cette lignée désormais célébrer dont il reste encore des représentants (i). (1) Gleditsch rend compte de son expérience de la manière suivante : « Notre Palmier de Rerlin, qui a peut-être plus de quatre-vingts ans, est un « véritable Palmier femelle, et sûrement le plus grand de ceux de son espèce « qui se trouvent aujourd’hui dans les jardins de l’Allemagne. Suivant le témoi- « gnage d’un homme dont le nom est illustre, et qui est dans sa soixante* « sixième année, ce Palmier^ tait autrefois dans le Jardin royal de Rerlin, dans « une parfaite stérilité, et il se souvient l’y avoir vu dès sa plus tendre jeu- « nesse. « Au rapport du jardinier, cet arbre n’a jamais porté de fruits dans le Jardin « botanique ; et pour moi, depuis quinze ans, je n’ai jamais remarqué parmi « les fleurs qui tombent tous les ans de ce Palmier aucun fruit parfait ; encore « moins ai-je pu en observer aucun qui renfermât une semence féconde... J’ai « été occupé depuis longtemps de l’idée de féconder cet arbre femelle, pour « lequel il ne se rencontre aucun mâle dans les jardins de Rerlin. Mais il y en 3 18 DÉVELOPPEMENT Ce que les Insectes exécutent tous les jours sous nos yeux pour la fécondation artificielle de diverses espèces de plantes ; « a un vivant à Leipsick, et qui fleurit tous les ans dans le jardin de Cas- « pard Bose. « Il ne m’a pas été difficile d’obtenir des botanistes de Leipsick des fleurs de « ce Palmier mâle, et j’en reçus au printemps de 1749 dans des jours qui étaient « déjà fort cbauds. L’ardeur du soleil avait tout-à-fait flétri et gâté les paquets « d’étamines, et la plus grande partie de la poussière des anthères était sortie « des vésicules séminales. Je ramassai dans une petite cuillère une partie de « cette poussière qui s’était répandue en chemin sur le papier dont la boîte « était garnie intérieurement. «Si je m’étais arrêté à l’idée des physiciens modernes, j’aurais dû perdre toute « espérance de fécondation, puisqu’il y avait déjà neuf jours que la poussière « des anthères était hors des vésicules. . . Je n’y cherchai point d’autre façon que « de jeter tout simplement avec la main cette partie de la poussière des anthères, « qui avait été pendant neuf jours hors des vésicules séminales, adhérente au « papier; delà jeter, dis-je, et la répandre sur les fleurs du Palmier femelle. « Cette aspersion de poussière fécondante étant ainsi faite, la fécondation « eut le succès auquel je m’étais attendu; les utricules de la végétation s’enflè- « rent en grand nombre, et se remplirent d’une semence féconde, propre à « une propagation ultérieure; ils devinrent de véritables œufs. « Ces petits œufs, ou semences, mûrirent dans les fruits l’hiver dernier, et « ayant été mis en terre à l’entrée du printemps de Î750, il en est né des « plantes conformes à leur origine, c’est-à-dire de petits Palmiers, qui témoi- « gnent d’une manière incontestable que la fécondation végétale a été pleine- « ment accomplie, ce que je ne fais point difficulté de montrer à quiconque « veut s’en convaincre par ses yeux. « Un nouvel essai fort simple et tout à fait semblable au précédent, au sujet « de la génération des Palmiers, m’a pareillement réussi à souhait l’année der- « nière. Un paquet de fleurs mâles de Leipsick a produit une géniture tout « à fait active et vigoureuse. Ses molécules ont promptement pénétré les stig- « mates de notre Palmier femelle, et ont eu l’efficacité de féconder une grande « quantité de fruits ou Dattes, dont j’ai présenté les grappes à l’Académie pour « les soumettre à son examen» ( Mém . de l’Acad. roij. des sc. et belle&^lettres de Berlin ; 1749, T. V , p. 105). 19 DES CORPS ORGANISÉS, ce que Gleditsch effectua avec un plein succès en transfor- mant l’empirisme des anciens peuples en une expérience de précision , un habile naturaliste hanovrien , Jacobi , le pratiquait depuis près de trente ans, en silence , sur certains animaux aquatiques, en imitant dans un récipient ce qui se passe dans la nature (i). On savait, en effet, de son temps, (1) Voici en quels termes Jacobi raconte sa découverte dans sa lettre adres- sée, en 1765, àl’éditeurdu Journal de Hanovre (Hanover Magazin), sur la fé- condation artificielle des œufs de Saumon et de Truite ; lettre dont j’ai donné la traduction à la fin de la première édition de mes Instructions pratiques de pisciculture ; p. 130, 133 et suiv. « Je regarde comme un devoir pour moi de donner au public mes obser- « vations sur la fécondation des Truites et des Saumons, ainsi que sur d’autres « sujets. Il serait inutile, et ce n’est point à présent mon but, de mentionner ici « chacune des expériences insignifiantes que j’ai faites pendant les seize « années qui ont immédiatement précédé ma découverte’, et 'peut-être scrai- aje amené à donner un compte rendu plus détaillé de mes recherches à « cet égard pour les vingt-quatre années suivantes, relativement à la multipli- er cation artificielle des Truites et des Saumons ... Les Truites se réunissent dans «les ruisseaux en grand nombre, à l’époque ci-dessus indiquée (novembre), « et celles qui sont prêtes à frayer se fixent près du gros gravier où le courant est « fort. Là, elles secouent et grattent leur ventre contre le fond pierreux, et si « violemment, qu elles font souvent de grandes traces. La femelle et le mâle « se débarrassent par ce mouvement, l’un de son frai, l’autre de ses œufs. « Comme une simple émission de sperme renferme une grande quantité d’a- « nimalcules pour féconder des centaines d’œufs, et comme, parle fait de cette « émission, l’eau est remplie de ces animalcules, il n’y a rien d’élonnant que « chaque œuf devienne un poisson. « Pour féconder de jeunes Truites suivant cette invention, il faut avoir des « Truites pêchées dans les ruisseaux en décembre et janvier, quand elles se « rassemblent pour frayer. Si, après avoir pressé leur ventre avec les doigts, ils « s’en échappe du sperme ou du frai, ces deux éléments sont mûrs. On doit « mettre les Truites dans un grand seau ou une cuve à cet usage. « Prenez alors un grand vase de bois, de terre ou de cuivre, versez-y une pinte 20 DÉVELOPPEMENT que les Truites et les Saumons, quand vient F époque de la ponte, remontent les fleuves et les îuisseaux ou une eau lim- pide coule sur un fond de gravier ,y choisissent une place ou ils s arrêtent, écartent les pierres avec leur tete et leur queue, les rangent de manière à former des espèces de digues qui puissent faire obstacle à la rapidité du courant et dans les intervalles desquelles leur progéniture se trouve à 1 abri. C’est là que la femelle dépose ses œufs, en frottant son ventre sur le sol afin d’en faciliter 1 expulsion. On savait encore que, au moment où cette femelle venait de pondre, le mâle, en se frottant comme elle le ventre contre les cailloux, versait sa laitance sur les œuls, et que cette laitance, entraînée par le liquide qui lui sert de véhicule, passait sur eux comme un nuage , les imprégnait de molécules fécon- dantes, et se dissipait après avoir troublé un moment la transparence de l’eau. L’observation directe avait donc déjà appris que, chez ces espèces, le contact de l’œuf et de la semence était un phé- « ou davantage d’eau claire ; prenez dans votre seau poisson par poisson, pres- « sez-leavec la main de haut en bas jusqu’à ce que le frai s’en échappe dans « le vase. Vous n’avez pas à craindre le choc, car ces œufs peuvent, sans « danger, supporter une grande pression. Ensuite, frottez le ventre de la Truite a mâle de la même façon, jusqu’à ce qu’il s’échappe dans l’eau delà laitance (un « peu suffit). Agitez ensuite le tout avec la main, pour opérer le mélange et pour « que tous les œufs ou tout le frai soient fécondés. Introduisez alors un peu plus « d’eau claire pour opérer leur séparation ; car, lorsque les œufs ont été impré- « gnés de sperme, ils s’accolent volontiers les uns aux autres, ce qui finit par « leur nuire; il est donc nécessaire d’étendre leur véhicule et de les arroser « dans l’auge où ils ont été fécondés « Toutes les observations faites sur la Truite s’appliquent en tous points au « Saumon. » DES CORPS ORGANISÉS. 21 nomène externe, réalisé entre deux produits préalablement expulsés des organismes des parents, et se combinant en de- hors de ces organismes. De cette observation à l’idée que ce qui se passe nor- malement dans la nature pourrait être artificiellement imité dans un laboratoire, il n’y avait qu’un pas, et c’est là ce que comprit, avec une admirable sagacité, le naturaliste hano- vrien, dans la réalisation de son audacieuse entreprise. En conséquence, après avoir versé une pinte d’eau bien claire dans un vase, il saisit une femelle dont les œufs étaient à maturité, et les exprima, par une légère pression, dans ce ré- cipient : il prit ensuite un mâle, en fit couler suffisamment de laitance pour blanchir l’eau, et ces œufs, auxquels sa main donnait la vie , se développèrent avec autant de régularité que si ce mâle en eût volontairement opéré la fécondation. Ces miracles de la science ne mirent pas seulement aux mains de l’industrie une méthode artificielle pour la multi- plication indéfinie d’un grand nombre d’espèces utiles à l’homme, pour l’amélioration systématique des races par le croisement, pour la production forcée des neutres j ils créè- rent pour la physiologie un instrument nouveau d’investiga- tion, qui lui permettra successivement de rendre visible le contact des deux substances dans l’acte de la génération des corps organisés ; de suivre pas à pas l’influence matérielle de ce contact j de déterminer avec précision si cette influence se borne à la simple transmission d’un aura scminalis , d’un esprit volatil, comme le soutenait Vaillant contre l’école de Leeuwenhoeck , ou si, au-delà de ce contact, il n’y a pas mélange, c’est-à-dire une véritable et réciproque imprégna- tion. Ce fut, en effet, vers la solution de ces importants pro- 22 DÉVELOPPEMENT blêmes que, à partir de ce moment, se dirigèrent tous les efforts des naturalistes témoins de cette nouveauté , la plus étonnante peut-être depuis la création du monde, comme le dit l’éloquent auteur des Contemplations de la nature. Comme les physiciens et ies chimistes qui étudient la matière brute et les réactions des éléments dont elle se compose , ces naturalistes se trouvèrent désormais, grâce à ces merveilleuses découvertes , en mesure de séparer à volonté, dans les récipients de leurs laboratoires, les diverses parties de la semence, de les appliquer isolément l’une après l’autre sur les œufs, et de s’assurer, par voie expéri- mentale, si l une d’elles n’était pas exclusivement investie d’un privilège dont les autres ne seraient qu’un moyen ac- cessoire de transmission, ou si elles ne se confondraient pas toutes dans le même acte et dans la même œuvre. L’expérience décida en faveur du privilège exclusif d’un seul des éléments de la semence. Elle désigna, pour le règne animal, les spermatozoïdes, qui forment la partie solide de cette semence 5 pour le règne végétal, les granules molécu- laires dont les grains de pollen sont le réceptacle, et, chez certaines espèces, les corpuscules ciliés et mobiles (anthéro- sidies), qui, comme le pollen, sont un produit des organes mâles des plantes, au même titre que les spermatozoïdes sont un produit des testicules. Cette première démonstration simplifia singulièrement le problème. Elle le réduisit à la recherche des moyens à l’aide desquels, dans la nature, cet élément prédestiné de la se- mence était mis au contact du germe_, et sous quelle forme il en pénétrait la substance. 11 fallut donc, par des manipu- lations habilement conduites, déterminer d'abord quel était 25 DES CORPS ORGANISES, cet élément essentiel. C’est dans ce but que Spallanzani, quatre ou cinq ans après que Jacobi eut publié sa découverte, institua une remarquable série d’expériences sur la féconda- tion artificielle des Batraciens ; expériences qu’il osa étendre jusqu’aux Mammifères eux-mêmes, et dont il eût probable- ment déduit des conséquences plus heureuses encore, s’il avait été moins sous l’empire de l’erreur de Haller sur la préexistence du fœtus dans l’œuf avant la conception. Cette erreur ne lui permit pas de concevoir qu’il pût y avoir mé- lange de deux substances pour la formation de l’être nou- veau, puisque, d’après son illustre maître, et suivant ses observations particulières chez les Grenouilles et les Sala- mandres, cet être était déjà organisé de toutes pièces dans l’œuf ovarien (i). (1) Voici comment Spallanzani cherche à démontrer la préexistence du germe dans l’œuf ovarien avant la fécondation : «Le premier et le second mémoires de ce volume remplissent, jusqu’à un « certain point, la promesse que j’avais faite dans l’esquisse sur les reproduc- « lions animales que je publiais à Modène en 1768, où j’annonçais ma décou- « verte de la préexistence du fœtus à la fécondation dans une espèce de Gre- « nouille... J’ai pu observer, dans ce but, plusieurs autres animaux qui m’ont « fourni les mêmes résultats, et qui m’ont fait présumer avec plus de fonde- «ment, que la préexistence des fœtus à la fécondation, dans les femelles, était «une des lois les plus générales de la nature [Expér. pour servir à l’hist. de la « générât. ;trad. franç. par Senebier ; Genève, 1785, page 1). «Mais ces petits globes (les œufs), qui ne sont que des fœtus de la Grenouille , « effetsde la fécondation, étaient-ils quelque chose un moment avant d’être fé- « condés, lorsqu’ils étaient renfermés dans le sein de leur mère ? Cette question « était trop importante pour la laisser sans l’examen que les expériences pour- « raient en faire. Les faits les plus rigoureux, les comparaisons le plus minulieu- « sement exactes, montrent non-seulement l’identité la plus parfaite entre lana- «ture et la grandeur des sphères visqueuses; entre les deux membranes, soit pour « leur texture, soit pour leur position , leur figure et leur couleur; mais encore ces 24 DÉVELOPPEMENT A ce point de vue, tout ce que pouvait faire Ja fécondation, c’était, si l’on peut ainsi dire, d’inoculer la liqueur séminale « petits globes, non fécondés, ne peuvent être, enaucune manière, distinguésde « ceux qui ont éprouvé les effets de la fécondation . Lorsqu’on a enlevé les uns et « les autres à leurs sphères mucilagineuses,et à la double membrane qui les en- « veloppe, ils se trouvent également tachés de noir et de blanc , et cette double « couleur se conserve encore lorsque le têtard se fait remarquer. Mais ce qu’il y a « déplus frappant, c’est la parfaite ressemblance de leurs parties tant exté- « rieures qu’intérieures. Si l’on perce avec une aiguille ces petits globes avant « et après la fécondation, il sort par le trou une substance à demi fluide, d’une « couleur blanche tirant sur le jaune, mais un peu visqueuse ; en faisant l’ou- « verture plus grande, il paraîtque la capacité intérieure du petit glohe est en- « tièrement remplie de cette matière, qui perd peu à peu sa fluidité, seulement «lorsque le têtard se développe.... Après l’examen des parties internes, si « l’on étudie les externes ou l’enveloppe avant la fécondation, elle paraît « une petite peau transparente et subtile, qui se conserve après la fécondation, « qui forme la vraie peau du têtard et qui croît en étendue et en épaisseur à « mesure qu’il se développe, de même que la peau des fœtus des autres « animaux. Mais, comme cette enveloppe est attachée à la partie intérieure « des petits globes (des œufs) non fécondés, ... on la trouve de même dans les « petits globes fécondés, et l’adhésion croît d’autant plus que les petits globes « perdent la figure orbiculaire pour prendre celle des têtards. « Ces faits prouvent donc avec la plus grande évidence qu’il y a une identité « complète entre les petits globes fécondés et ceux qui ne le sont pas; mais les « petits globes fécondés sont des fœtus de Grenouilles. Donc les petits globes non « fécondés en seront aussi ; et par conséquent, dans notre Grenouille, le fœtus « existe dans son sein avant la fécondation. Cette vérité capitale nous fait re- « marquer encore quelques conséquences également importantes: 1° Que ces « œufs prétendus, avant de tomber dans les canaux des œufs, existaient dans « les ovaires, et y existaient longtemps avant la fécondation; par conséquent, « les fœtus de Grenouille existent dans le sein de leur mère longtemps avant « qu’ils soient fécondés; 2° Quoique ces fœtus ne se développent jamais, ni si vite, « ni d’une quantité aussi grande avant la fécondation qu’après, cependant, ce « développement est sensible, puisque les fœtus de Grenouilles descendus dans « l’utérus, sont au moins soixante fois plus gros que lorsqu’ils étaient, une année 25 DES CORPS ORGANISÉS, à cet organisme préexistant, comme on inocule du vaccin à un enfant qui en absorbe le virus, sans "que ce virus ait pu contribuer en rien à la création de ses organes. Cette inocu- lation ne se bornerait, par conséquent, dans cette hypo- thèse, qu’à donner l’impulsion à des rouages déjà engrenés, comme l’oscillation du balancier qui met en mouvement tout le mécanisme d’une horloge. Telle fut, en effet, l’idée à laquelle Spallanzani s’arrêta, lorsqu’il supposa, à l’exemple de Haller et de Bonnet, que la semence du mâle pénétrait dans le fœtus, arrivait au cœur, le touchait, irritait douce- ment ses cavités, les stimulait à battre plus fréquemment et plus fort, et animait ainsi toute ia petite machine animale (i). Mais une pareille erreur n ôte rien à l’ importance des ingé- nieuses investigations de l’éminent physiologiste qui ouvrit à la science une voie nouvelle de découvertes. « auparavant, adhérents à l’ovaire, comme je l’ai observé. 3° Enfin, les fœtus « seuls ne préexistent pas à la fécondation, mais encore l'amnios et le cordon « ombilical» (même ouvrage, page 17 et suiv.). (1) Spallanzani, Expér. pour servir à l'Iiist. de la générât .; trad. franc, par Senebier. Genève, 1785, p. 197. 4 CHAPITRE II. DE L’ÉLÉMENT FÉCONDANT DE LA SEMENCE. LA FÉCONDATION EST-ELLE UN EFFET DE LA VAPEUR SPERMATIQUE. d’un aura se min au s? Spallanzani, comme je viens de le dire, entreprit ses ex- périences sur les fécondations artificielles, de 1777 à 1780, cinq ans après la publication de bétonnante découverte de Jacobi, dont il avait lu une analyse donnée par Gleditsch, en 1764, dans le vingtième volume de Mémoires de t Académie des sciences et belles-lettres de Berlin (1). Il fut naturellement conduit à prendre les Grenouilles pour su jet de ces expérien- ces, parce qu’il avait fait une étude approfondie de leur géné- ration^ et qu’il connaissait exactement toutes les conditions dans lesquelles , chez ces espèces, cette fonction s’accom- plit. Ce physiologiste avait vu, en effet, en plaçant dans des vases sans eau un certain nombre de femelles accou - ()) Spallanzani, Expér. pour servir à l'hist. de la général.’, irad. fra»ç.7 par Senebier. Genève, 1785, pages 186, 187, 192, 193. DES CORPS ORGANISÉS. 27 plées dont la ponte, était imminente, que l’opération ne s’en accomplissait pas moins, quoique ces animaux fussent hors de leur élément. Les mâles dardèrent successivement des jets d’une liqueur transparente, qui se répandait seu- les œufs à mesure que les femelles les expulsaient : ils sus- pendirent ensuite cette émission toutes les fois que ces fe- melles cessèrent de pondre, et se remirent à l’œuvre jusqu’à ce qu’elles fussent accouchées de toute leur progéniture, qu’ils fécondèrent ainsi tour à tour. Après avoir été plusieurs fois le témoin de cette curieuse scène, il ne tarda pas à comprendre que ces espèces , dont la fécondation est externe, et qui pondent aussi bien dans un laboratoire qu’en pleine liberté, deviendraient les sujets faciles d’une expérimentation suivie, et se prêteraient aisé- ment à toutes les manipulations exigées par cette expéri- mentation. Il résolut donc de s’en servir pour essayer de déterminer quel était celui des éléments de la semence au- quel était réservé le privilège d’opérer la fécondation. Parmi ces éléments, la vapeur spermatique ne pouvait manquer d’attirer son attention, d’abord parce qu’elle est une des données du problème , ensuite parce que, sur ce point, les naturalistes se partageaient en deux camps opposés : les uns soutenant, avec Leeuwenkoeck et Hartsoecker, que la por- tion grossière de la semence, pour me servir d’une expression usitée au temps de ces discussions physiologiques , en était l’élément fécondant ; les autres prétendant, avec Harvey et Vaillant (1), que la partie subtile, immatérielle, X aura sper- (I) Voyez, pour l’opinion de Leeuwenhoeck, le Ier volume de cet ouvrage p. 400 ; pour l’opinion de Harvey, p. 556 et suivantes. Quant à Vaillant, voici comment il s’exprime à ce sujet: a Ces trompes, 28 DÉVELOPPEMENT matica enfin, avait seule cette fonction. Il chercha donc un moyen de dégager cette partie volatile , afin de la faire agir séparément sur les œufs, et de s’assurer, par cet artifice , si elle suffirait seule à les féconder, ou s’il fallait le concours de la portion grossière. Pour baigner abondamment les œufs de cette prétendue vapeur, objet de tant de controverses, mais dont aucun ob- servateur n’avait jamais aperçu la trace, Spallanzani mit, dans un verre de montre, onze grains environ de la liqueur sémi- nale de plusieurs Crapauds terrestres puants, pendant que, dans un autre verre semblable, mais un peu plus petit, il dépo- sait vingt- six œufs à complète maturité, qui, par la viscosité de « dis-je, que je compare à celles de Fallope, en ce qu’elles transmettent aux pe- « lits œufs, non par les grains de poussière mêmes qu’éjaculent sur elles, ou « dans leurs pavillons, les testicules ou sommets , comme le veut un sectateur « des visions de Leeuvvenhoeck et d’Hartsoecker, mais seulement la vapeur, ou «l’esprit volatil qui, se dégageant des grains de poussière, va féconder les « œufs ; car, je crois, Messieurs, qu’on doit être persuadé que dans l’animai ce « n’est ni la matière du mâle, ni ces prétendus vermisseaux ou animaux sé- « minaires qui opèrent dans la femelle l’œuvre de la fécondation, puisque le « même Malpighi, au rapport d’un anatomiste moderne, a reconnu que le fœtus « se trouve dans les œufs des Grenouilles et dans ceux des Poules avant la copu- « îation, comme il est certain que le germe se rencontre dans les semences « des plantes qui n’ont point été fécondées, et avec le parenchyme desquelles ce « germe ne fait qu’un continu. Donc, ce ne peut être que cet esprit volatil au- « quel la matière grossière sert simplement de véhicule. Or, la nature agissant « toujours par des lois uniformes, on doit conclure que ce qui se passe en cette « occasion chez les animaux, doit se passer de même dans les végétaux. Suivant « ce principe, il était fort inutile que ce zélé Leeuwenhoeckisle se fatigât tant « les yeux à chercher dans les trompes des plantes des conduits sensibles pour « charrier dans chaque œuf un germe imaginaire » {Disc, sur h s tr uct. des ) leurs etc. ; prononcé le 10 juin 17l7;Leide; 1718, p. 16). DES CORPS ORGANISÉS. 29 leur albumen, s’attachèrent avec ténacité à la partie concave de ce verre. Puis il plaça le second verre dans le premier, où, au moyen d’un ciment, il l’établit comme une cloche hermé- tique, à la voûte de laquelle les œufs étaient suspendus à une ligne seulement au-dessus du liquide. Ce petit appareil resta ainsi, cinq heures durant, dans une chambre, dont la température était de 18 degrés, et y fut soigneusement vi- sité après ce laps de temps. L évaporation y avait déjà diminué la semence d’un grain et demi., et couvert les œufs d’un voile humide , mouillant le doigt quand on les touchait. Ces œufs avaient donc reçu une grande quantité de vapeur, puisqu’il ne s’en était rien perdu à cause de l’emboîtement hermétique des cristaux, et cependant ils n’en restèrent pas moins stériles, quoique la dose de la substance volatilisée fut de beaucoup supérieure à celle qui aurait été nécessaire pour les féconder, si l’on eût employé la liqueur séminale en nature. Après avoir exécuté cette première expérience, Spallanzani voulut la répéter de manière à obtenir une plus grande quan- tité de vapeur séminale, et à rendre, par conséquent, l’action de cette vapeur plus intense sur les œufs, pour le cas où, par hasard, cela serait nécessaire. Il y réussit au moyen du même appareil. Seulement, cette fois, il l’exposa au soleil sur une fenêtre , avec la précaution de tempérer l’ardeur de cet astre par l’interposition d’une lame de verre , qui em- pêchait que la température n’excédât 25 degrés et ne nuisît à la fécondation. Au bout de quatre heures de cette ex- position, et sous l'influence de cette chaleur, les œufs fu- rent tellement humectés par la vapeur qui s’exhala de la 30 DÉVELOPPEMENT semence, qu’ils en étaient couverts de gouttelettes très apparentes , mais, comme dans le premier cas, il ne s’en développa aucuu. L’espace existant entre la liqueur séminale et les œufs était, comme je viens de le dire, d’une ligne environ dans les deux premières expériences. Spaîlanzani, voulant épuiser tous les moyens de contrôle, réduisit encore cette distance de moitié, afin que la vapeur, touchant les œufs au moment même de son dégagement, ne perdît rien de son énergie avant de les atteindre ; mais ce nouvel essai ne donna pas un. meilleur résultat : les germes ne furent pas, pour cela, pré- servés de la stérilité (i). La vapeur de la semence n’en est donc pas l’élément fé- condant. On pourrait objecter, il est vrai, que si, dans ces expérien- ces, les particules subtiles, odorantes, spiritueuses, comme on disait alors, sont inhabiles à la fécondation, cela ne tient pas à un manque de vertu prolifique, mais à l incapacité dans la- quelle seraient tombés les œufs et la semence, par suite d’un séjour trop prolongé hors de l’eau qui doit être l’instrument de lç^r contact et de leur pénétration intime. Mais l’ingé- nieux physiologiste n’a pas même laissé place à un semblable soupçon. 11 a pris, dans l’un de ses appareils, les œufs qui étaient restés pendant quatre heures attachés au verre supé- rieur, les a mis en rapport, dans le verre inférieur, avec le résidu de la liqueur séminale, dont une partie avait été vai- nement réduite en vapeur, et s’est assuré, par cette épreuve (I) Spaîlanzani, Expér. pour servir à l'hist. de la générât trad. franç. par Senebier. Genève, 1785, p. 206etsuiv. 7>i DES CORPS ORGANISÉS, décisive, que ni les œufs, ni la semence n’avaient, rien perdu de leur aptitude procréatrice (1). Si donc cette aptitude résidait dans la vapeur de la se mence, comme il est démontré qu’elle réside dans la portion réduite dont on a dégagé cette vapeur, le milieu artificiel au sein duquel le contact s’établissait, loin d’être un obstacle à la manifestation de cette aptitude, ne pouvait que contribuer à la favoriser j car l’espèce de fumigation spermatique à la- quelle les œufs étaient soumis pendant l’expérience, entrete- nait autour d’eux une humidité qui les préservait de la dessic- cation, en attendant leur très prochaine translation dans l’eau où devait se compléter l’imprégnation. Aussi, pour rendre cette humidité plus intense, et la démonstration plus péremp- toire encore, Spallanzani recueillit plusieurs grains à la fois de liqueur séminale qu’il réduisit en vapeur, y plongea, pendant quelques minutes, une douzaine d’œufs qui restèrent infé- conds ] en toucha ensuite douze autres avec le reste de cette semence que l’évaporation avait réduite à un demi-grain, et, malgré cette réduction , ces derniers n’en donnèrent pas moins onze embryons (2). Tout conspire donc pour exclure la vapeur spermatique d’une participation directe à la fécondation, car les opérations artificielles, entreprises pour s’en assurer, ont été exécutées dans les conditions les plus rapprochées de celles de l’état de nature. L’immersion seule a manqué au début de l’expé- rience, mais elle lui a succédé sans délai ; en sorte que, si les (4) Spallanzani, Expér. pour servir à ihist. de la générât.; trad. fianç par Senebicr. Genève, 1785, p. 20D. (2) Même ouvrage, p. 240. 32 DÉVELOPPEMENT particules amenées au contact clés œufs par la vaporisation eussent été réellement clouées de la faculté essentielle qu’on leur attribuait, ce court espace de temps n’aurait pas suffi pour la leur faire perdre. La liqueur spermatique des Batraciens, en effet, comme si elle eût été prédestinée aux manipulations du laboratoire, conserve, pendant assez longtemps encore après son extrac- tion, même à l’air libre, toute sa vertu prolifique, pourvu qu’on la mette à l’abri de la dessiccation complète et d’une trop forte chaleur. C’est ce que les recherches de Spallanzani sur la génération du Crapaud lui avaient clairement indiqué, lorsque les mâles de cette espèce arrosaient de leur laitance les longs chapelets d’œufs que les femelles expulsaient dans les vases privés d’eau où il les tenait prisonniers. Ces œufs, pour avoir subi le contact de cette laitance dans l’air, ne se trans- formaient pas moins en embryons, quand il les plongait ensuite dans l’eau, sans trop attendre. Je me suis moi-même assuré de ce fait par des expériences plus décisives encore. J’ai arrosé, avec de la semence prise dans les vésicules séminales d’un mâle en amour, deux cents œufs de Grenouille que j’avais placés à sec au fond d’un vase, où je les tenais à l’abri de la dessiccation, au moyen d’une cloche. Ces œufs n’ont été mis à l’eau que douze heures après leur contact avec le fluide séminal • cependant, malgré cette im- mersion tardive , il s’en est développé à peu près autant que dans les fécondations naturelles. Dans une seconde expérience, j’ai conservé séparément, pendant vingt-quatre heures, des œufs dans un vase , de la laitance dans un tube; puis, après ce laps de temps, j’ai mêlé ensemble ces œufs et cette laitance, que j’ai gardés DES CORPS ORGANISÉS. 53 une heure encore, à l’air libre, avant de les plonger dans l’eau. Ici les éclosions ont été beaucoup plus rares que dans le cas précédent, mais elles n’en ont pas moins donné huit Têtards, ce qui prouve combien le fluide séminal des Batraciens garde, longtemps encore après son extraction, le pouvoir fécondant. Si la vapeur spermatique était réellement, comme on l’ad- mettait jadis, l’essence de la matière séminale, il n’y aurait pas de raison pour que cette vapeur ne conservât son action au sein de l’atmosphère humide dont elle entoure les œufs, comme la partie grossière qu’elle laisse au fond du récipient, ou comme la semence composée qu’on ne soumet pas à l’éva- poration. L’air n’exerçant pas d’influence délétère quand on évite la dessiccation, Spalîanzani craignit qu’on pût lui reprocher de n’en avoir pas assez introduit dans les petits appareils clos où il exposait les œufs à la vapeur de la semence, et de produire de la sorte une espèce d’asphyxie. Il répondit à cette objec- tion préventive en opérant dans des vases ouverts j mais les œufs humectés par la vapeur périrent dans l’eau où il les mit ensuite; ceux qu’il toucha avec le résidu de la semence, après l’évaporation, se développèrent. Il n’eut, par conséquent, rien à changer à ses premières conclusions. LA FÉCONDATION EST-ELLE UN EFFET DE LA PORTION AQUEUSE DE LA SEMENCE OU DES SPERMATOZOÏDES QUE CETTE SEMENCE RENFERME? L’expérience ayant démontré que le pouvoir fécondant ré- side dans le corps de la semence et non point dans la vapeur qui en émane, il convient de déterminer maintenant si c’est à l’action simultanée de toutes les parties dont ce corps est 5 34 DÉVELOPPEMENT formé, ou à l’une d’entre elles seulement qu’il faut attribuer ce privilège. La semence, en effet, n’est pas un corps simple. Elle se compose de deux cléments principaux : l’un albumineux, semi-fluide, ordinairement peu abondant, élément que, dans le premier volume de cet ouvrage (i), nous avons considéré comme accessoire, parce qu’il n’est qu’une simple exhala- tion du canal excréteur de l’appareil génital; l’autre, en général plus copieux, formé de corpuscules mobiles, produit exclusif du testicule, et que, par ce motif, nous avons consi- déré comme le plus essentiel. Or, si telle est la véritable constitution de la semence, le problème doit se réduire à séparer ces deux éléments et à les éprouver l’un après l’autre sur des œufs non fécondés, de la même manière qu’on éprouve la partie volatile dont nous venons de reconnaître l’impuissance. Nous arriverons ainsi à une démonstration précise. Leur séparation s’obtient au moyen d’un filtre formé de feuilles de papier superposées, au travers desquelles on fait passer la liqueur prolifique, préalablement délayée dans une certaine quantité d’eau. Cette eau spermatisée, quand on la verse dans l’appareil, dépose sur la paroi du filtre, ou dans la trame des lames redoublées qui le composent, toutes les parti- cules solides auxquelles la porosité du papier ne peut livrer passage, et entraîne avec elle, dans le récipient, tout ce qui est susceptible d’être dissous, c’est-à-dire l élément albumi- neux purgé de toutes ses particules solides. Mais elle perd en même temps sa vertu fécondante en proportion du degré (i) Voir T. Ier, page 413. DES CORPS ORGANISÉS. 35 de filtration qu’on lui fait subir, et s’en dépouille entière- ment quand cette filtration dépasse certaines limites. Ainsi, par exemple, si l’on filtre cette eau spermatisée à travers deux feuilles de papier seulement, elle féconde déjà moins d’œufs qu’avant l’opération : elle en féconde beaucoup moins encore quand on en emploie trois ou quatre, et de- vient complètement impuissante quand le nombre de ces feuilles s’élève jusqu’à six ou sept, comme Spallanzani en a donné la preuve dans les belles expériences qu’il a instituées à ce sujet (i). Ce n’est donc point à la portion albumineuse qu’il faut attribuer le pouvoir fécondant, puisque les œufs plongés dans l’eau qui tient cet élément en suspension y demeurent stéri- les. Cette impuissance absolue de la semence n'arrive que lorsque l’épuration est suffisante pour la dépouiller de (I) La filtration produit sur l’eau spermatisée le même effet que l’agitation. Si l’on filtre l’eau spermatisée au travers du coton, des chiffons, des étoffes, elle perd beaucoup de sa vertu fécondante, et elle la perd entièrement, si on la filtre au travers de plusieurs papiers brouillards. Si on filtre cette eau au tra- vers de deux papiers et si l’on féconde des têtards (œufs) avec l’eau filtrée, il n’en naît pas autant que lorsqu’elle n’était pas fdtrée. Ils naissent encore en moindre nombre si on la filtre au travers de trois papiers, la diminution des naissances augmente si on filtre cette eau au travers de quatre papiers: enfin, la filtration opérée au travers de six ou sept papiers empêche la nais- sance des têtards, fécondés par cette eau. Le papier où avait été fraîchement filtrée l’eau spermatisée, ayant été exprimé dans l’eau pure où l’on mit des têtards (œufs) non fécondés, ceux-ci naquirent fort bien : ce qui prouve que la filtration ôte à l’eau spermatisée sa vertu fécondante, en tant que la liqueur séminale qui y était contenue reste sur les papiers brouillards, puisqu’on la fait sortir en les exprimant. (Spallan- zani, Expér. pour servir d l'hist , de la yénérat., trad. franç.; par Senebier. Genève, 1785, p. 310.) 36 DÉVELOPPEMENT tous les corpuscules solides qui, avant l’opération, formaient, avec cette portion albumineuse, la liqueur séminale com- posée. Tant que quelques-uns de ces corpuscules mobiles pas- sent, son pouvoir ne disparaît pas entièrement j il ne s’éva- nouit d’une manière absolue que quand il n’y en a plus un seul. C’est pour cela qu’elle peut encore féconder quelques œufs lorsqu’elle ne traverse que deux, trois ou même quatre feuilles de papier, tandis qu elle n’exerce plus aucune action lorsqu’elle en a traversé six ou sept. Pour démontrer l’impuissance radicale de la portion fluide de la semence, quand on lemploie isolément, il y a un moyen bien plus simple encore et bien plus naturel que celui de la filtration : c’est de puiser cette substance dans les canaux excréteurs de 1 appareil génital qui la fournissent, avant que des spermatozoïdes s y trouvent mêlés, et de la mettre au contact des oeufs. Les Grenouilles offrent, sous ce rapport, des conditions physiologiques tellement favorables, que je m’étonne qu’on ne se soit pas plus tôt avisé d’en tirer avantage. Elles ont sur les côtés de la vessie urinaire, à l’extrémité de chaque canal déférent, et comme appendice de ce canal, un organe parti- culier, sorte de vésicule séminale, qui, dans la saison des amours, prend un grand développement, et sécrète un liquide abondant, d’une transparence et d’une fluidité extrêmes. Dans ce liquide, qui constitue à lui seul la partie fluide de la semence, le microscope, durant les quarante ou cinquante premières heures de F accouplement, ne révèle en- core aucune trace de corpuscules spermatiques. Ce n’est qu’à partir du troisième jour que ces corpuscules commencent à descendre vers les lacs d’albumine où ils s’entassent et où ils 57 DES CORPS ORGANISÉS. restent en réserve, en attendant l’heure de la fécondation. Ici donc, sans que l’art intervienne, les deux éléments de la semence sont naturellement séparés durant un certain temps. La portion fluide est accumulée dans la poche qui la sécrète j la portion solide, exclusivement formée de sperma- tozoïdes, se trouve encore dans le testicule qui la produit, ou dans les canaux déférents qu’elle traverse. On peut extraire chacun de ces éléments, pur de tout mélange, des organes qui les renferment, et s’en servir isolément. Il ne saurait, par conséquent, y avoir de condition plus propice, pour expérimenter l’action de l’élément fluide de la semence , que celle dont il s’agit. Une simple ponction , pratiquée à la paroi de l’une des vésicules copulatrices, permet de recueillir, soit dans une capsule en cristal , soit dans le renflement d’une pipette, une quantité de liquide suffisante pour tenter l’expérience. Mais on a beau mettre ce produit de sécrétion au contact des œufs dans une eau à laquelle on le mêle en variant les proportions, il leur reste complètement indifférent, comme j’en ai fait un grand nom- bre de fois l’épreuve : on féconde au contraire ces œufs, si on les touche avec les spermatozoïdes dont les testicules ou les canaux déférents sont gorgés. Il ne faut donc pas s’étonner que , dépouillée par la filtration de toutes les particules mobiles qui en font partie, la semence perde le pouvoir quelle tient de leur présence. Je dis qu elle le tient de leur présence, car si on prend ces particules sur les feuilles de papier qui les ont arrêtées, et qu’on les exprime dans une eau bien pure où des œufs non fécondés viennent d’être plongés, elles opè- rent l’imprégnation de ces œufs avec autant d’énergie 38 DÉVELOPPEMENT que lorsqu’on procède avec la liqueur séminale composée. C’est un fait que Spallanzani a mis hors de toute contesta- tion dans son immortelle expérience. Cependant, après la découverte de ce fait curieux et fondamental, il restait encore à déterminer quelle pouvait être la nature intime de la sub- stance privilégiée, si heureusement dégagée de la matière albumineuse à laquelle elle était associée. Pour résoudre ce facile problème, l’ingénieux auteur de ces délicates investiga- tions n'aurait eu qu’à placer, sous le foyer du microscope, quel- ques atomes du résidu dont il disposait à son gré : il l’aurait vu exclusivement formée de spermatozoïdes. La pensée de se li- vrer à un semblable examen ne lui vint pas, parce que sa croyance en la préexistence du têtard dans l'œuf ovarien excluait à ses yeux la possibilité que ces corpuscules fussent les artisans de la fécondation. 11 laissa donc une lacune que, plus tard, MM. Prévost et Dumas prirent le soin de remplir. Mais, en admettant que les corpuscules solides retenus sur les filtres soient les seuls agents de la fécondation, ce n’est pas à dire pour cela qu’il faille voir en eux , pas plus que dans les oeufs eux-mêmes, des embryons déjà formés : ils n’inter- viendront dans l’acte de la génération que comme éléments d’une combinaison, au même titre que le contenu de ces œufs avec lequel ils doivent contracter alliance. Ainsi donc, ce n’est pas plus à la portion albumineuse qu'à la vapeur de la semence qu’il convient d’attribuer le pouvoir fécondant. Ce pouvoir reste tout entier aux sper- matozoïdes, dont ce fluide albumineux devient le milieu conservateur. Toutes les autres parties, quels qu’en soient le nombre, la forme, la composition, ne sont, par conséquent, à ce point de vue, que des moyens préposés à cette conser- DES CORPS ORGANISÉS. 39 vation, ou des instruments pour la transmission de l’élément privilégié aux lieux de sa destination . Si cette conclusion est exacte, il ne suffit pas qu’elle se dé- duise rigoureusement des expériences dont je viens d’exprimer le résultat: il faut encore qu elle se traduise en un fait général et palpable , qui nous montre ces spermatozoïdes cheminant \ers les œufs qu’ils doivent féconder, arrivant à leur ren- contre, se mettant directement en contact avec eux, s’y in- corporant, soit que le phénomène s'accomplisse à l’extérieur , soit qu’il se passe dans l’obscurité du sein maternel. C’est ce qui ressortira d'un autre ordre de recherches. Cil API THE III. CONDITIONS DANS LESQUELLES S’OPÈRE LE CONTACT DE L’ÉLÉMENT MALE ET DE L’ÉLÉMENT FEMELLE. Les corps organisés , au point de vue du mécanisme de leur fécondation, se partagent en deux catégories : ceux dont le contact des deux substances s’opère à l’extérieur, soit dans l’air, soit dans l’eau, comme chez la plupart des Plantes, chez les Batraciens et le plus grand nombre de Poissons os- seux j ceux où elle s’accomplit dans le sein maternel, comme chez les Invertébrés, les Poissons cartilagineux, les Reptiles écailleux, les Oiseaux, les Mammifères et l’homme. Pour cha- cune de ces catégories, les moyens de translation de la semence vers les œufs qui mûrissent en prévision de son avènement, varient suivant la nature des milieux qu’elle traverse, suivant les voies quelle doit parcourir avant de les atteindre. Je m’occuperai d'abord de la première catégorie, parce que le phénomène y étant externe , il est plus aisé de n’en pas perdre la trace, et que les notions précises qu’il don- nera, nous aideront à porter la lumière là où il se passe dans des conditions plus voilées. Ce sont les Batraciens qui nous serviront encore ici d’exemple. DÉVELOPPEMENT DES CORPS ORGANISÉS 41 CONTACT DES DEUX ÉLÉMENTS CHEZ LES ANIMAUX A FÉCONDATION EXTERNE. Lorsqu’on plonge un œuf non fécondé de Grenouille, de Crapaud, de Salamandre, dans Feau d’un récipient, la glaire qui l’entoure s’imbibe si activement de ce liquide que, en moins d’une heure, cette glaire en est saturée comme une éponge qu’on aurait placée dans les mêmes conditions. Par suite de cette imbihition , elle se gonfle au point d’ac- quérir un volume trois ou quatre fois plus grand qu’avants on immersion, et cette modification suffit pour réduire cet œuf à une impuissance radicale. En vain le soumet- on alors au contact de la semence, il demeure sans retour inaccessible à un pouvoir qui, tout à l’heure, l’eût entraîné à la création d’un être nouveau. Quelle peut être la cause d’une si complète et si sou daine déchéance ? Faut-il admettre que cet œuf, arrivé au dernier terme de son existence propre , meurt naturellement , parce que l’élément fécondant ne vient le solliciter à une vie commune qu’ après l’expiration du délai assigné à sa vie isolée? Evidemment non; car, si au lieu de i "immerger au moment où on l’a sorti du sein maternel , on l’avait laissé à sec dans un vase, il n’aurait perdu aucune de ses aptitudes pendant près de vingt-quatre heures et même davantage, pourvu qu’on eût entretenu autour de lui une certaine humidité, et qu’on l’eût mis à l’abri d’une tempé- 6 42 DÉVELOPPEMENT rature élevée, ainsi que je m'en suis assuré par de nom- breuses expériences. Cette déchéance ne peut donc tenir qu’à une modification grave, introduite dans l’oeuf par l’action de l’eau en l’absence de la fécondation ; modification portant, soit à f extérieur sur la couche albumineuse, soit à l’intérieur sur le germe, soit sur les deux à la fois. L’altération produite sur le germe, si réellement il yen aune, ne saurait être ici facilement appréciée, parce que le travail de décomposition ne se traduit pas par des signes assez prompts pour qu’on puisse distinguer sur-le-champ ce qui est normal de ce qui cesse de 1 être. Mais il n’en est pas moins vrai qu’en prenant en considération, comme je le montrerai plus loin, ce qui se passe chez les animaux à fé- condation intérieure, notamment chez les Oiseaux et les Mammifères, on est conduit à admettre l’existence, visible ou non, d’un commencement de décomposition du germe., là où ce germe, placé sous l’empire des conditions au milieu desquelles il doit recevoir l’influence du mâle, n’a pas été mis en demeure de la subir au moment opportun. Le plus léger retard suffit alors pour le rendre stérile. Ici, je le répète, aucun travail matériel appréciable, quoi qu’il existe probablement au fond, n exprime le fait d une altération intérieure; mais il n’est pas nécessaire d’invoquer l’existence de cette altération, pour trouver une explication de l impuissance dans laquelle tombe f œuf non fécondé des Batraciens , lorsqu'il a séjourné trente ou quarante minutes dans l’eau avant d’avoir été mis au contact de la semence: la saturation intempestive de la glaire donne, à f extérieur, une raison suffisante de cette impuissance, comme l a dé- 43 DES CORPS ORGANISÉS, montré Spalîanzani(i), et comme l ent constaté,, après lui, MM, Prévost et Dumas (2). Quand cette saturation est accomplie, on a beau verser de la liqueur prolifique sur les œufs immergés , les spermato- zoïdes, trop tardivement introduits, ne peuvent désormais en pénétrer l’albumen. Les porosités de cette substance qui, tout à l’heure, exerçaient sur le liquide ambiant une sorte d’aspiration capillaire, et auraient entraîné ces corpuscules mouvants jusqu’au germe, sont envahies maintenant et ne déterminent plus aucun courant capable d’amener la matière fécondante au contact de ce dernier. C’est pour celaque, guidés par un instinct conservateur de l’espece, les mâles, en l’état de nature, ne manquent point d’arroser les œufs de leur laitance au moment meme où les femelles les expulsent, et ne vont jamais la répandre sur ceux qui ont déjà subi l’imbibition de l’eau, comme on peut s’en convaincre lorsqu’on isole ces mâles dans un vase où l’on place des œufs pondus depuis un certain temps. La déchéance des œufs, par suite de leur séjour dans une eau qui n’est point mélangée de semence, se mesure avec précision. J’en ai suivi le progrès dans une série d’expé- riences qui confirment celles de Spalianzani et ne diffèrent de celles de MM. Prévost et Dumas qu’en un seul point: c’est que les œufs sont bien plus promptement frappés de stérilité que ces observateurs ne l’avaient supposé. (1) Expér. pour servir à l'iiist. de la générât. Trad. franç.; par Senebier. Genève, I7t5, pag. 157. (2) Deuxième Mém. sur la générât. -, Ann. des Sc. Nat.; Paris, 1824. T. II, pag 134. 44 DÉVELOPPEMENT Gomme ces physiologistes, j’ai pris dans l’utérus de plu- sieurs Grenouilles des œufs à complète maturité, que j’ai fait séjourner pendant des temps déterminés dans de l’eau pure, où j’ai introduit ensuite une quantité de semence suffisante pour qu’ils pussent être tous fécondés, s’ils en avaient été susceptibles. Voici le tableau de mes observations à ce sujet : Sur 140 œufs mis au contact de la liqueur fécondante : Immédiatement après leur extraction de l’utérus. 155 féconds. 4 inféconds. Après 5 minutes de séjour dans l’eau. . . . 07 — 75 Après 10 minutes . . 47 — 95 Après 1 minutes. . . . . . . . . 25 — 117 Après 50 minutes 5 — 135 Après GO minutes 0 — 140 Ces expériences, répétées plusieurs fois, ont, sauf les varia- tions que présentent des phénomènes de cette nature, donné constamment un résultat à peu près identique. Après un quart d’heure d’immersion, les cinq-sixièmes des œufs étaient frappés de stérilité, et, au bout d’une heure, il n’y en avait plus un seul de fécond. Cette stérilité, par conséquent, s’est ma- nifestée plus de trois heures avant le moment indiqué par les expériences de MM. Prévost et Dumas (r). La différence tient probablement à ce que ces observateurs plongeaient les œufs en bloc dans l’eau, de telle sorte que ceux de la périphérie mettant ceux du centre à l’abri de l’imbibition, prolongeaient leur aptitude à la fécondation jusqu’au moment où l’on faisait intervenir les spermatozoïdes. Mais , je le répète, cette dif- (1) Deuxième Mém . sur (a général. Ann. des Sc. Nat.; Paris, 1824. T. il, p loi. 45 DES CORPS ORGANISÉS, férence ne porte que sur la durée du phénomène et non sur le fait lui-même. Lors donc que l’on veut assister à l'incorporation des sper- matozoïdes et suivre leur marche à travers la glaire, il faut délayer la semence dans l’eau du récipient aussitôt qu’on y a déposé les œufs. Le phénomène s’accomplit alors sans obstacle 3 et si , après quelques instants d’immersion, l’on coupe avec de fins ciseaux des tranches minces de la couche albumineuse , on découvre dans cette couche, à l’aide du microscope, un grand nombre de spermatozoïdes exécutant des mouvements qui leur donnent l’apparence de vrilles tour- nant sur elles-mêmes. Toute l’épaisseur de l’albumen n’en est pas instantanément envahie: l’eau s’infiltrant insensible- ment de dehors en dedans, les spermatozoïdes suivent cette marche progressive du liquide ambiant. Il en résulte qu’au début de l’imbibition les couches superficielles seules en sont pénétrées. Ce n’est, qu’au bout de neuf à dix minutes que l’on commence à en découvrir quelques-uns dans les cou- ches les plus profondes, et ces dernières n’en sont abondam- ment pourvues qu’ après un quart d’heure. Ce laps de temps suffit pour que les corpuscules mobiles de la semence traver- sent toute l’épaisseur de l'enveloppe glaireuse et arrivent au contact de la membrane vitelline, A mesure qu’ils y parvien- nent, et que l’œuf saturé cesse d’en puiser au dehors, les couches extérieures se dégarnissent au profit des couches profondes et cet œuf offre, à ce moment, l’image d’une pelotte sphérique dans laquelle on aurait enfoncé des aiguilles. Telle est, en effet, autant qu’une comparaison grossière peut représenter un acte de la vie , l’idée qu’il faut se faire de la situation des corpuscules fécondants au sein de l’ai- 46 DÉVELOPPEMENT bumen, et autour de l’œuf à la rencontre duquel les cou- rants les entraînent, ou vers lequel ils marchent peut-être en vertu d’une propriété physique inconnue, qui contraint cet albumen à leur livrer passage. Quelques minutes suf- fisent donc pour les conduire jusqu’à la membrane vitelline qui leur fait obstacle, et contre laquelle ils appuient leur extrémité renflée, comme s’ils voulaient en forcer la paroi. Nous verrons plus loin s’ils y réussissent, ou s’il n’y a pas quelque voie temporairement ménagée pour les introduire. Ici, un seul fait nous importe: c’est de démontrer que le mâle est représenté dans l’œuf, au moment de la conception, par un élément matériel, visible à côté du germe, assez rapproché de ce germe pour se trouver au contact immédiat de sa mem- brane enveloppante et n’ayant plus, par conséquent, d’autre distance à franchir pour se mêler à sa propre substance, dans le cas où le mélange constituerait le mystérieux phé- nomène à la consommation duquel nous cherchons à assister. S’il est nécessaire pour que les œufs des Batraciens conser- vent leur aptitude à être fécondés; s’il est nécessaire, dis-je, que la couche albumineuse dont ils sont enveloppés n'ait, pas subi d’imbibition préalable; il faut également que les sperma- tozoïdes, pour que leur contact soit efficace, jouissent encore, en arrivant sur ces œufs,, de la mobilité qui, chez la plupart des animaux, est le véritable signe de leur vertu prolifique. Dès que ce signe s’évanouit, le fluide séminal perd son pou- voir fécondant: aussi peut-on lui ravir ce pouvoir, ou en abré- ger le terme, par la seule destruction de la faculté locomotrice des filaments spermatiques qui entrent dans sa composition. L’etincelle d’une bouteille de Leyde, ainsi que Inexpérience 47 DES CORPS ORGANISÉS, le démontre, suffit pour donner ce résultat (i). En passant comme un éclair à travers la liqueur prolifique, elle tue, après cinq ou six explosions, les spermatozoïdes que cette liqueur renferme, et, quoique tout reste d’ailleurs dans le même état, la semence se trouve frappée de stérilité par cela seul qu elle ne porte plus sur les œufs que des cadavres d'animalcules foudroyés. On pourrait dire, il est vrai, que cette expérience n’est pas aussi décisive quelle le semble au premier abord, et suppo- ser que l’agent subtil dont la fugitive impression frappe les spermatozoïdes cl inertie, ne saurait traverser la semence sans en altérer la composition intime, quoique cette altéra- tion ne se traduise par aucun signe appréciable. Mais il y a un autre moyen de s’assurer qu’en perdant leur motilité, les spermatozoïdes perdent aussi leur pouvoir fécondant : c’est de les laisser mourir naturellement dans l’eau qui doit leur servir de véhicule, et, à mesure qu’ ils meurent, de mettre cette eau au contact des œufs. En procédant ainsi, ou constate que la vertu prolifique du liquide décroit en raison directe de la mortalité des spermatozoïdes, et qu’elle s’éteint complète- ment à partir du moment où il n’y en a plus un seul de vi- vant, ce qui, pour les Grenouilles , arrive vers la vingt-cin- quième ou la trentième heure après le mélange de la semence à une eau dont la température est de 10 à 12 degrés, et, vers Ja soixantième., si l’on place le mélange dans une glacière. Tout ce que je viens de dire sur le mécanisme de la péné- tration des spermatozoïdes dans la substance glaireuse qui (I) Prévost et Dumas. Deuxième Mèm, sur la générât. Ann. des Sc. Nat., Paris, 1824, T. II, pages 139 et 148. 48 DÉVELOPPEMENT enveloppe l’œuf des Batraciens , s’applique rigoureusement aux œufs des Poissons osseux qui , comme ceux des Perches, ont un albumen. C’est toujours h travers cette substance, et à la faveur de l’absorption de l’eau dans laquelle la semence est délayée, que ces spermatozoïdes sont amenés au contact de la membrane vitelline et se mettent à portée du germe. Chez les espèces de cette classe dont les œufs n’ont pas d’albumen proprement dit, comme ceux des Salmonidés , des Epinoches, des Barbeaux, etc., ce contact se réalise sans inter- médiaire. Les spermatozoïdes s’appliquent directement sur la membrane vitelline, et, pour empêcher qu’ils ne soient déta- chés par le mouvement des eaux ou emportés par le courant, il y a, à la surface de cette membrane, un léger enduit gluant qui les retient. La promptitude du contact de la semence, pour préserver l’œuf de la stérilité, est ici une condition bien plus impé- rieuse encore que chez les Batraciens. Elle est commandée par la brève durée de la vitalité de l’élément fécondant. En effet, chez les Poissons osseux à fécondation externe, le signe caractéristique de la vertu prolifique de la semence s’évanouit, sous l’action de l’eau, d’une manière bien autre- ment rapide que chez les Grenouilles. Les spermatozoïdes, loin d’y conserver leur motilité pendant vingt-cinq ou trente heures après l’immersion, y survivent à peine quelques in- stants : ceux du Barbeau, de la Perche, de la Carpe, du Gar- don, y sont frappés d’inertie au bout de deux ou trois minutes ; ceux du Brochet, de la Truite, du Saumon, n’y prolongent pas leur activité au delà de six à huit minutes- et, à partir du moment où ces corpuscules cessent de se mouvoir, le li- quide laitance n’a plus aucune efficacité. Les expériences 49 DES CORPS ORGANISÉS. auxquelles je me suis livré depuis que , sur ma propo- sition, le gouvernement a fondé l’établissement de pisciculture d’Huningue, m’ont fourni, en ce qui concerne la famille des Salmonidés, des résultats d’autant plus concluants, qu’ils ont été obtenus au milieu des conditions où les espèces de cette famille ont coutume de se reproduire, c’est-à-dire sur les lieux mêmes qu elles choisissent pour établir les frayères. Dans ces expériences, je ne réussissais jamais à féconder un seul œuf lorsque je me servais d’une eau spermatisée depuis sept à huit minutes. Quand j'opérais, au contraire , avant l’ex- piration de ce délai, qui est le dernier terme de la vitalité des Spermatozoïdes, j’obtenais toujours des embryons, et ces em- bryons étaient en nombre d’autant plus considérable, que l'épreuve s’accomplissait à un moment moins éloigné de celui où la laitance avait été extraite du mâle, et contenait, par conséquent, une plus grande quantité de corpuscules vivants. La motilité des Spermatozoïdes est donc encore ici, comme chez les Batraciens, le signe et la condition essentielle de leur aptitude procréatrice. Quoique l’eau soit le milieu naturel destiné à amener les corpuscules fécondants au contact des œufs, son action en abrège singulièrement la vie, puisque, comme nous venons de le dire, une immersion de deux ou trois minutes pour certaines espèces, de six à huit pour d’autres, suffit à leur faire perdre leur motilité, à éteindre en eux la vertu prolifique. Mais cette vertu prolifique se prolonge bien davantage si, au lieu de délayer la semence dans le liquide qui doit lui servir de véhicule, on la conserve, sans aucun mélange d’eau, soit à l’air libre dans un vase ouvert, soit à l’abri du monde extérieur dans un flacon bouché à l’émeri. Renfermés dans ces récipients, les Sperma- 50 DÉVELOPPEMENT tozoïdes continuent à y vivre comme s’ils étaient encore dans les canaux déférents du mâle, et j’en ai vu se mouvoir avec une grande agilité trente heures après leur extraction. Cette remarque me donna l’idée d’expérimenter avec de la laitance ainsi conservée, afin de m’assurer si, comme celle que l’on extrait immédiatement du corps de l’animal, elle aurait encore tout son pouvoir fécondant. En conséquence, j*e versai dans l’eau d’un vase qui venait de recevoir neuf cents œufs de Saumon, le fluide séminal d’un mâle de la même espèce, fluide que, depuis vingt-quatre heures, je tenais en réserve dans un flacon, et au sein duquel, malgré ce long séjour, le micro- scope m’avait montré un très-grand nombre d’animalcules spermatiques vivants. Les œufs, mis en incubation, donnè- rent quatre cent dix-huit embryons , c’est-à-dire presque autant qu’en donnent les fécondations ordinaires, Dans une seconde expérience, j’arrosai, avec delà semence extraite depuis trente heures et conservée dans les mêmes con- ditions, huit cents autres œufs de Saumon 3 mais, cette fois, je n’obtins que quelques embryons, résultat que je prévoyais d’avance t car la plupart des animalcules dont cette semence se composait étaient inertes, et ceux qui s agitaient encore n’exécutaient plus que des mouvements lents. Il faut donc que les spermatozoïdes jouissent de leur mo- tilité pour que leur contact soit efficace. Or, un séjour de cinq ou six minutes dans beau suffisant pour les frapper d’inertie, il y a nécessité , quand 011 veut opérer à coup sûr la fécondation artificielle, de 11 extraire la liqueur proli- fique du corps de l’animal qu au moment même de 1 expé- rience , ou que très-peu d instants après que les œufs sont dans le récipient. Mais ces œufs eux-mêmes s altè- DES CORPS ORGANISÉS. 51 rent avec non moins de rapidité que la semence , et c’est pour cela que les mâles mettent tant d’empressement à les arroser de leur laitance au moment même de la ponte , et qu’ils donnent des témoignages de la plus violente anxiété lorsqu’on met obstacle à leur ardeur. J ai assisté à toutes les péripéties de cet attachant spectacle, autour de nos piscines du Collège de France. Là, j’avais rassemblé, pour mes études d’Embryogénie comparée, un troupeau d’Epinoches qui y étaient occupés à construire leur nid, et qui se livraient à ce travail avec une sorte d’activité fébrile. Lorsque les mâles, qui sont les seuls artisans de cette construction, eu- rent achevé leur édifice, je vis chacun d’eux s’élancer, plein d’agitation, au milieu du groupe des femelles, y faire le choix de celle qu’il voulait entraîner vers sa demeure, lui en indiquer le chemin et lui en montrer l’entrée d’une manière tellement expressive, que, en y pénétrant, elle semblait obéir à son invitation (j). Les femelles, de leur côté, tourmentées du besoin de se délivrer de leur progéniture, s’empressaient de les suivre et de venir la confier à leur garde, sous le toit fortifié que l’ins- tinct paternel avait préparé. Lorsqu’une d’elles s’y était in- troduite, le mâle, dont la coloration mobile, les mouvements animés exprimaient l’agitation croissante, se montrait en proie à une sorte de paroxisme, semblait vouloir hâter le moment de la ponte ; et si sa compagne, fatiguée par la douleur de la parturition, ne quittait pas cet asile immédia te- (l)Coste, Note sur la manière dont les Epinoches construisent leur nid et soignent leurs œufs ; C. R. de l’Acad. des Sci. Paris, 1846, t. XXII, pag. 814 et Mém. des Sav. étrangers (Acad, des Sci.). Paris, 1848, t. X. DÉVELOPPEMENT 52 ment après sa délivrance, il l’en chassait rudement, afin d’y pénétrer à son tour et de ne pas perdre un instant avant de répandre sa laitance sur les œufs dont il allait rester le dépositaire. Mais, dans les cas où on l’empêchait de remplir à temps cette fonction , il ne cherchait plus, lorsqu’on lui en laissait la liberté, à réparer par une opé- ration tardive l’acte auquel on avait mis obstacle, et se ré- servait pour la fécondation du produit des autres femelles que son nid était destiné à recevoir. Son instinct répond donc aux besoins imposés par la courte durée de la vitalité de l’œuf et de l’élément fécondant, comme s’il en avait la conscience raisonnée; CONTACT DES DEUX ÉLÉMENTS CHEZ LES ANIMAUX A FÉCONDATION INTERNE. Chez les innombrables espèces dont la fécondation s’opère dans le sein maternel, la semence mâle ne peut arriver à la rencontre de l’élément femelle qu’en parcourant les longues voies par lesquelles les œufs doivent opérer leur descente, c’est-à-dire qu’après son ascension jusqu’aux ovaires où ces œufs mûrissent en attendant qu elle les féconde. Mais alors, pour que cette semence s’engage sûrement dans ces voies profondes, les mâles ont le soin d’en faire le dépôt soit à l’extérieur autour des ouvertures génitales des femelles, soit à l’intérieur dans le vestibule qui en forme l’entrée. Chez l’Ecrevisse, le Homard et la Langouste, iis la versent sur le plastron, où elle se coagule en plaques plus ou moins irrégu- lières entre les deux orifices qui conduisent aux oviductes. DES CORPS ORGANISÉS. 53 Chez les Palémons et les Crangons, ils l’attachent au même point, ou à la base des pattes, sous forme de spermatophores. Chez les Mollusques Céphalopodes, c’est dans le manteau, mais toujours au voisinage de l’ouverture génitale, et en dehors du canal vecteur des œufs que ces spermatophores, groupés en bouquet, sont fixés. La semence, ainsi déposée, est progressivement dissoute par Peau dans laquelle vivent les femelles qui en sont chargées, et, à la faveur de ce véhicule, les spermatozoïdes, dégagés alors de la masse concrète dont ils faisaient partie, arrivent aux per- tuis des canaux vecteurs dans lesquels ils s’engagent et qu’ils parcourent sans donner aucun signe de motilité propre. Cette motilité ne saurait donc être considérée ici comme l’une des causes de leur ascension, puisque, en son absence, leur marche n’en est pas moins assurée. Elle n’est pas davantage la condi- tion nécessaire de leur aptitude procréatrice, puisque., malgré leur inertie apparente, ils exercent le pouvoir fécondant : double exception dont nous aurons bientôt à tenir compte, et qui s’étend probablement à la plupart des animaux dont la semence est émise sous forme concrète. Chez les Décapodes Brachyures, la matière séminale prend aussi la consistance de la cire coagulée au moment où elle est expulsée. Mais, au lieu de la déposer au dehors, comme cela arrive chez les Macroures, les mâles la portent directement, à l’aide de leurs stylets copulateurs et à travers les ouvertures sternales, dans une dilatation située à F extrémité inférieure de l’oviducte. J’ai vu chez le Crabe commun et chez le Tour- teau, dans cette dilatation qui rappelle la poche copulatrice des Insectes, la masse compacte formée par la semence con- server sa densité pendant quinze jours environ, puis s’amollir 54 DÉVELOPPEMENT progressivement, de la superficie vers le centre, jusqu’à com- plète liquéfaction. Ce phénomène ne dure pas moins de deux mois. Pendant qu’il s’accomplit, les spermatozoïdes désagré- gés et libres au sein du fluide qui résulte de cette liquéfac- tion, montent vers les ovaires où les œufs sont à peine à l’état naissant, et fécondent ces œufs bien longtemps avant leur maturité. Mais ici encore, comme chez les Céphalopodes, les Homards, les Langoustes, les Palémons, etc., ces sper- matozoïdes, n’étant jamais doués de la faculté locomotile, ne peuvent prendre aucune part active à leur propre trans- lation. 11 faut évidemment qu’une force indépendante, dont ils subissent passivement les effets, les conduise à leur destination : force indépendante à laquelle cette fonction est partout confiée , même dans les classes où les corpuscules fécondants exécutent les mouvements les plus étendus. Chez les Mammifères , et par conséquent chez l’Espèce humaine, aussitôt que la semence s’est répandue sur la mu- queuse vaginale, elle la provoque à une si abondante sécré- tion de sérosité, que, chez le Lapin par exemple, le vestibule de la matrice s’en emplit en un instant. Le col de l’utérus, baigné alors par le liquide accumulé, se trouve dans les con- ditions les plus favorables pour donner accès aux corpuscules mouvants dont ce liquide se charge en délayant la semence. Ils s’y introduisent, en effet, et s’avancent lentement de cette première station jusqu’à l’entrée de la matrice. L’action qui les y porte s’exerce tant que la source n'est point tarie, c’est-à-dire pendant plusieurs heures après le dépôt de la matière prolifique, et cette même action les entraînant dans les voies intérieures, les pousse vers les ovaires. Mais le passage du vagin dans l’utérus n’est pas soudainement 55 DES CORPS ORGANISÉS, franchi, comme la plupart des physiologistes sont encore disposés à le croire. Chez le Lapin, je n’ai jamais trouvé de corpuscules spermatiques engagés dans le col que vingt-cinq ou trente minutes après la copulation. En sorte que, si, pen- dant cette période j on lavait à fond le vestibule de la matrice, ou si Ton y introduisait une substance capable d’altérer les sper- matozoïdes, on mettrait infailliblement obstacle à la fécon- dation. Quelques minutes plus tard cet artifice ne saurait produire le même effet, à moins que l’injection ne portât plus loin le liquide perturbateur, ou qu’une ligature des cornes utérines ne s’opposât à l’ascension de l’élément fécondant. L’eau pure, quand elle est à une très-basse température, suffit à elle seule pour paralyser la semence dans le vagin, parce qu elle tue les spermatozoïdes presque aussi sûrement que les substances astringentes : l’eau tiède, au contraire, sem- ble propre à leur servir de véhicule. Elle délaye la semence quelquefois trop épaisse, ou à laquelle la muqueuse vaginale ne fournit pas une assez abondante sécrétion de sérosité. Son emploi peut donc, dans certains cas, devenir un moyen de favoriser la fécondation , comme tend à le prouver une observation que M. le professeur Paul Dubois a bien voulu me communiquer ; une femme qui, par mesure de propreté et peut-être aussi par prudence, avait coutume de se faire une injection d’eau froide après chaque rapproche- ment des sexes, resta inféconde tant qu elle eut recours à cette pratique ; mais, un jour, n’ayant que de l’eau tiède sous la main, elle crut qu’il n’y avait pas d’inconvénient à s’en servir, et, ce jour-là, elle conçut. Parmi les anciens anatomistes, ceux qui croyaient à la pénétration immédiate de la semence dans la matrice pour 50 DÉVELOPPEMENT opérer la fécondation, imaginèrent que F orifice externe du col, se dilatant au moment du coit, recevait l’extrémité libre de la verge, et que, par suite de ce rapport, le sperme était direc- tement injecté dans la cavité utérine. Telle fut l’opinion de Spigel(i),de J. Riolan (2),deMorgagni (3), de H. Boerhave (4), etc. D’autres, comme Vallisnieri (5), ajoutèrent que non-seu- lement la verge s’engageait dans l’ouverture dilatée du col, mais que celui-ci, aspirant la semence par une véritable suc- cion, contribuait à l’introduire et à la retenir. Si, par un motif quelconque, le col ne s’ouvrait pas pour lui livrer passage ou se trouvait dans une autre direction que celle de l’organe éjaculateur, alors la semence, perdue dans le vagin, refluait au dehors : de là, suivant la théorie, la cause de la stérilité de tant d’accouplements. Haller formula cette pensée dans les termes suivants : Vix potest everti argu - mentum asemine sumptum3 quod in coitn inj ecundo continua de vulva feminæ defluit* in Jecundo retinetur ut eo signo mulieres se concepisse intell i gant : et de bestiis femellis ex eadem nota recipiatur „ coitum utilem fuisse (6). C’est sans doute pour exprimer la même idée que nos cultivateurs disent que les femelles n’ont point retenu , quand ils les lhrrent inutilement aux Etalons. Regnier de Graaf, qui ne croyait ni à la dilatation du col, (1) Opéra omnia, Amsterdami, 1645, Lib. VIII, Cap. XX, p 257. (2) Opéra analomica, Lutetiæ-Parisiorum, 1649, Lib. II, Cap. XXXV, p. 197. (3) Adversaria analomica , Bononiæ, 1706, T. III, p. 11. (4) Institution es medicœ, Parisiis, 1747, p.342. (5) Opéré fisico-medticlie , Venezia, 1733, T. II, P. II, Cap. XIII, p. 192, (6) Elementa physiologue, Bernæ, 1766. t. VIII, p . 21 . DKS CORPS ORGANISÉS. 57 ni à l’introduction du gland dans l’orifice externe de ce canal, admettait cependant, comme ses contemporains, la nécessité de l’injection directe de la semence dans la matrice pour assurer la fécondation. Aussi, quand il a voulu expliquer com- ment des femmes non déflorées devenaient, enceintes, a-t-il supposé que le museau de tanche, abaissé par les contractions musculaires des parois du vagin, descendait jusqu’à la vulve, derrière laquelle il recevait le jet prolifique sans que le détroit fût forcé par la verge : . . . Nam inferior ejus angustiaj quee propriè os uteri dicitur^ in virginibus tam exigua estj, ut sty- lum tenuiorem solummodb excipiat „ et nullo conatu vel mini- mus digitus in eam intrudi possit; quod cùm ita sitJ jion vide- mus quâ probabilitate Spigelius (iibro cap. 20 ) os uteri in coitu ita dilatari statuitj ut pénis glandem suscipiat ( 1 J... Ac insuper sine pénis in vaginam immissione illæsâ omnino vagmæ orificii coarctatione quandoquè œncipiuntj quatenàs sihcet utérus per fïbr as carneas secundùm vaginæ longitudi- nem excur rentes deorsùm tractus breviori peni occurrit , et eousquè salacioribus descendit , ut éjaculation per foramen semen luante osculo excipiat ( 2) . La théorie de l’injection directe de la semence dans la ma- trice, déduite soit de la sensation de plaisir, soit de la sensa- tion de succion que certaines femmes prétendent éprouver au col de buteras à chaque rapprochement fécond, n’a jamais été, au fond, qu’une simple hypothèse, jusqu’au moment où M. Bischoff a essayé d’en faire l’objet d’une démonstration (1) Graaf , Op. omnia, Lugduni Batavorum, 1677. De mulierum organis, chap. vih, p. 235. (2) Même ouvrage, chap. v. p. 199. 8 58 DÉVELOPPEMENT expérimentale. Ce physiologiste n’ayant « trouvé que peu ou » point de spermatozoïdes dans le vagin des Chiennes et des » Lapines , après l’accouplement, tandis que la matrice en » était constamment remplie, » a cru pouvoir en conclure «que, » pendant un coït fécond., la matrice descend dans le petit » bassin au moment de l’éjaculation, que son orifice s’ouvre, » et que le sperme y pénètre, tant d’une manière directe » qu'au moyen d'une aspiration exercée par le museau de » tanche. Comme les deux actes, » ajoute-t-il, « l'éjaculation » de la semence et les mouvements de la matrice, n'ont pro- » bablement lieu qu'au moment de la plus vive excitation, » hune des causes les plus fréquentes de la stérilité d'un si » grand nombre d’accouplements pourrait bien être le défaut » de coïncidence entre eux, qui s’oppose à ce que le sperme » pénètre dans la matrice, comme le présumait déjà Gras- » meyer. L’objection tirée des animaux dont la femelle a un » double orifice utérin, tandis que le gland du mâle est sim- » pie, me semble n'avoir aucun poids, car il serait possible » que la modalité inconnue du coït amenât une compensation » suffisante chez ces animaux, dont la plupart, comme on » sait, répètent si ‘souvent l'accouplement, qu’une féconda- » tion successive des deux matrices pourrait fort bien avoir » lieu (i). » En arguant des faits observés par lui sur les Chiennes et les Lapines, pour faire prévaloir une opinion qui est le ré- sumé ou la combinaison des divers sentiments de ses pré- décesseurs, M. Bischoff ne dit pas à quel moment précis il a (i)Bischoff, Développ. de V Homme et des Mamm. (Eucycl. anat.) Paris, 1848, p. 24. DES CORPS ORGANISÉS. 59 ouvert les femelles soumises à son expérimentation. Si c’est immédiatement après le coït qu'il s'est livré à cet examen, on ne s'explique alors ni comment il a pu ne pas rencontrer de spermatozoïdes dans le vagin, car il y en a toujours pen- dant les vingt-quatre heures qui succèdent au rapprochement des sexes , ni comment il en a trouvé en abondance dans la matrice, attendu qu'il ne leur faut pas moins, je le répète, de vingt-cinq à trente minutes pour franchir le col et arriver dans cet organe. L'observation, chez le Lapin, rend ce der- nier fait si évident, qu’il ne saurait y avoir incertitude à cet égard. Une nouvelle confirmation m’en est donnée par une dernière expérience exécutée pendant la rédaction de ce chapitre. Une Lapine primipare a été tuée trente-cinq minutes après un premier et unique accouplement. A Fouverture, qui en a été faite sans délai, les ovaires se sont montrés excessive- ment riches en vésicules de Graaf, parmi lesquelles trois ou quatre, sur chaque organe, étaient manifestement plus turge- scentes et plus volumineuses que les autres. La vulve, F utérus, les trompes, le pavillon étaient tuméfiés et injectés, et cette phîogose générale, indice d’un rut très-prononcé, expliquait l’empressement de la femelle à recevoir le mâle. Le vagin était également phlogosé , mais affaissé comme à Fétat de complète vacuité. Une incision de trois centimètres environ, pratiquée vers le milieu de la corne gauche, a permis de constater que cet organe, dont les parois étaient notablement plus épaisses qu’à l’état de repos, ne renfermait, dans ce point, ni liquide, ni trace de corpuscules spermatiques . L'incision ayant été prolongée, d’un côté, jusqu’à la limite du col, de Fautre, jusqu’à la naissance (.0 DÉVELOPPEMENT des trompes, et chacune des régions successivement décou- vertes ayant été soumise à un examen attentif, aucun sper- matozoïde ri a pu y être aperçu. LT exploration de la corne droite a donné le même résultat. Les cols utérins, ouverts à leur tour d’avant en arrière, par une incision qui s’arrêtait à deux millimètres au plus de l’orifice externe, n’ont également offert, dans toute leur étendue, aucun corpuscule spermatique. Ceux-ci ne com- mençaient à se montrer, mais en très-petit nombre, que sur les plis du museau de tanche, saillants dans la cavité vagi- nale. Ils n’avaient donc point encore, trente-cinq minutes après l’accouplement, franchi l’orifice externe. Le vagin, dont les parois, avons-nous dit, étaient affais- sées, ne contenait qu’une faible quantité de liquide., au sein duquel s’agitaient des spermatozoïdes en nombre d’au- tant plus grand qu’on prenait ce liquide plus près de la vulve. Il reste donc démontré, par le résultat invariable de nos nombreuses expériences, que, contrairement à l’opinion la plus accréditée, le vagin est le lieu de dépôt de la semence et que jamais, chez les Mammifères, un spermatozoïde ne pé- -nètre dans la matrice sans qu’il y ait séjourné pendant un certain temps. Ce n’est pas à dire qu'il n’y ait dans la série animale des espèces ou même» des classes chez lesquelles l’élément mâle ne passe directement dans les voies intérieures sans toucher au vestibule de l’appareil génital : mais alors cet appareil jouit d’une assez grande mobilité pour se projeter au dehors. Il s’évagine sous forme de bourrelet hémorrhoïdal à travers le cloaque béant, et vient recevoir la semence dans les plis DES CORPS ORGANISÉS. 64 de sa muqueuse, où îe mâle la dépose, en y appliquant les orifices également évaginés de ses canaux éjaculateurs. Puis, quand cette muqueuse imprégnée rentre dans le corps, les spermatozoïdes dont elle est chargée se trouvent, par le seul fait de son retrait, amenés vers la matrice, qui secrète à ce moment, comme le vagin du Lapin , une quantité notable d’un liquide incolore et très-fluide, dont l’usage, sans doute, est d’étendre la semence et de faciliter son ascension le long de l’oviducte. Les Oiseaux et les Chéloniens offrent de frappants exemples de ce curieux mécanisme, et une preuve de plus de l’admi- rable combinaison qui évite tous les obstacles pour assurer l’exercice d’une fonction. Dans ces deux classes, en effet, l’oviducte s’ouvre au cloaque, comme le rectum et les uretères. La semence y serait donc souillée par les excréments et par les urines, si, avant d’arriver au canal vecteur, elle restait en dépôt dans la chambre commune qui en précède l’entrée. Pour la soustraire à ce dangereux contact, l’extrémité infé- rieure de l’oviducte peut, au gré de l’animal, aller la chercher et la recueillir. C’est ce qu’on voit facilement chez les Poules au moment où elles subissent le mâle. Aussi., en les ouvrant immédiatement après la copulation, ai-je toujours trouvé le col rempli de spermatozoïdes, tandis qu’il n’y en avait pas un seul dans le cloaque. En deux heures, ces spermatozoïdes se répandent dans toute la cavité utérine, et en quatorze heu- res, ils sont à l’embouchure du pavillon, qui les porte vivants sur l’ovaire en promenant ses franges chargées de semence autour de cet organe. Pour y arriver, ils parcourent un canal qui n’a pas moins de soixante à soixante-dix centimètres de long; mais, malgré les nombreux détours que son 02 DÉVELOPPEMENT enroulement les oblige à suivre, ils ne perdent rien de leur motilité. Ici encore, les spermatozoïdes sont donc vivants lorsqu’ils arrivent au contact des œufs. A mesure que, chez les Mammifères, le courant établi à tra- vers le conduit utéro-vaginal transborde les spermatozoïdes, et les porte du lieu de dépôt à l’entrée de la matrice, ceux qu’il y a déjà amenés s’avancent peu à peu dans la cavité de cette dernière, laissant successivement la place qu’ils aban- donnent à ceux qui les suivent, et, en six heures, arrivent au point de jonction des trompes, comme une traînée vivante échelonnée sur tout son parcours. Parvenue à cette hauteur, la colonne mobile, toujours alimentée par de nouveaux em- prunts faits au lieu de dépôt, s’engage dans l’oviducte, s’y dé- roule en un laps de temps à peu près égal à celui qu elle met à se déployer dans l’utérus; en sorte que, après dix ou douze heures d’un mouvement non interrompu , les spermatozoïdes placés en tête du courant envahissent les franges du pavillon, où on les trouve aussi mobiles qu’au moment de leur émis- sion. Il n’y a donc plus, à partir de cet instant, un seul point du labyrinthe génital de la femelle qui ne soit imprégné de molécules fécondantes. Le séjour de la semence dans le sein maternel n’altère en rien ses facultés : il les lui conserve, au contraire, bien au delà du temps nécessaire pour qu’elle les exerce; car chez le La- pin, par exemple, où, en dix heures, elle parvient jusqu’aux ovaires, on voit encore au deuxième jour, dans la matrice et dans les trompes, des corpuscules spermatiques jouissant de toute leur motilité. Chez le Chien, cette motilité ne s’é- teint quelquefois qu après le quatrième jour, bien que les spermatozoïdes arrivent au but en douze et quatorze heures. DES CORPS ORGANISÉS. G3 Ceux qui restent dans le vagin perdent bien plus prompte- ment leur vitalité. On les y trouve morts, mêlés à des débris de la couche épithéliale, quinze ou vingt heures après leur introduction. Mais., avant qu’ils meurent, la matrice en a fait une surabondante provision et les trompes peuvent y puiser vivants ceux qu’elles dirigent vers les ovaires. Les spermatozoïdes, chez les animaux à fécondation interne vont donc au-devant des œufs dans le ventre des femelles et jusqu’au sein des ovaires où ces œufs mûrissent. C’est là qu’ont lieu la première rencontre et le premier contact. Mais cette rencontre et ce contact se multiplient à mesure que, tombés de leur capsule, les œufs ramassent en pas- sant dans les oviductes la plupart des animalcules échelon- nés le long de ces conduits. Aussi, à peine ont-ils parcouru le tiers supérieur du canal vecteur, que leur membrane vitelline en est déjà saupoudrée tout entière : phénomène que l’on ob- serve facilement chez le Lapin cinq ou ou heures après la déhiscence, c’est-à-dire quinze ou seize heures après le rapprochement des sexes. Un peu plus tard, le premier albu- men, dont l’oviducte entoure les œufs, leur apporte aussi d’autres animalcules , que l’on voit étagés dans l’épaisseur des couches les plus voisines de la membrane vitelline. En résumé, chez les Vertébrés supérieurs, si profond que soit le lieu où s’opère la fécondation, on peut y suivre l'élé- ment mâle sans jamais en perdre la trace, et le voir se mettre au contact des œufs dans le sein maternel, aussi clai- rement qu’on le voit chez les espèces dont l’imprégnation est extérieure et s’accomplit sous Fœil de l’observateur. TRANSPORT DE LA SEMENCE VERS LES OVAIRES. Celui qui, le premier, aperçut, il y a bientôt deux siècles, des spermatozoïdes vivants dans la matrice d’un Mammifère, où il en suivit la trace depuis le col jusqu’à l’entrée des trompes, et qui les y trouva encore agités d’une incessante motilité, dut naturellement attribuer leur marche à la spontanéité dont il les croyait doués. Telle fut la pensée à laquelle s’arrêta Leeuwenhoek lorsque, vers le milieu de jan- vier 1684, d lit cette surprenante découverte. Il jugea, à vue d’œil, que ces spermatozoïdes pouvaient, en nageant, parcourir en quarante minutes un espace de cinq pouces, c’est-à-dire celui sur lequel ils étaient répandus dans la cavité utérine des Chiennes qui servaient à ses expériences : Animalciila seminis masculi canis introrsùm in matricem ad distantiam sivc longiiudinem 5 i/3 partis pollicis pro- notasse; quam viam animalcula hœCj pro midi calcu- latione , et oculi mei dimensione j eâ de rc à me confectd , intra quadraginla minuta temporis natando absolvere possunt\( 1).» (1) Leeuwenhoek, Opéra omnia, Lu'gduni Ratavorum, 1722, T. 1, p. 150. DÉVELOPPEMENT DES CORPS ORGANISÉS. 65 Cette manière de voir, si naturelle en apparence, qui attribue l’ascension des spermatozoïdes à une sorte de pro- gression volontaire, assez généralement adoptée depuis cette époque, semble avoir trouvé de nos jours, dans une expé- rience de M. Henle (i), une preuve de plus en sa faveur. Ce physiologiste a vu, sur le champ du microscope, les spermato- zoïdes parcourir un quatre - Vingtième de ligne en trois secondes, soit un pouce en sept minutes et demie ; vitesse suffisante pour les conduire aux ovaires avant la chute des œufs, si l’on suppose que leur marche ne rencontre aucune résistance et que les choses soient dans le sein maternel ce qu'elles nous apparaissent sous le foyer d’un instrument d’optique. C’est, en effet", la conclusion que M. Bischoff a déduite de l’expé- rience de son compatriote, bien que, dans sa pensée, les contractions musculaires de la matrice et des trompes doivent également concourir à l’accomplissement du phénomène. .... « Chez les Chiennes et les Lapines qui viennent d’être » fécondées, dit-il , la matrice et les trompes sont agitées de » mouvements vifs, qui peuvent contribuer au transport de la » semence D’un autre côté, les mouvements propres des » filaments spermatiques contribuent essentiellement aussi à » la progression du sperme. Ces mouvements sont toujours » très-vifs dans les parties génitales femelles* ils y ont plus » d’énergie que ceux des filaments que je retirais du canal » déférent ou des vésicules séminales Henle a cherché à » évaluer la force et la rapidité du mouvement. Il a vu fré- » quemment les spermatozoïdes entraîner des cristaux dix » fois plus gros qu’eux, et il estime à un pouce en sep (1) Anatomie générale, trad. franc, par Jourdan, Paris, 1843, T. II, p. 533. 9 66 DÉVELOPPEMENT » minutes la vitesse dont ils sont doués quand ils se meuvent » en ligne droite. Cette vitesse est plus que suffisante pour » qu’ils atteignent l’ovaire dans les limites des temps connus » après lesquels s’accomplit la sortie des œufs, quand bien » même ils décriraient des sinuosités en faisant le trajet (i).» Mais pour être admise, même à simple titre de possibilité, il faudrait au moins que l’hypothèse basée sur la progression spontanée des corpuscules fécondants fût applicable à toutes les espèces ; or, il y a des classes entières chez lesquelles les ehoses doivent se passer d’une manière bien différente, attendu que les spermatozoïdes n’y sont jamais doués de motilité, ou qu’ils perdent cette faculté avant leur introduc- tion dans le sein maternel. Les Crustacés décapodes sont dans le premier casj les Mollusques céphalopodes dans le second, comme nous l’avons dit plus haut. Cependant, l’as- ^cension de la semence vers les ovaires n’en est pas moins assurée, malgré l’inertie des corpuscules spermatiques. Ce n’est donc pas par leur propre mouvement que ces corpus- cules arrivent à leur destination : une force indépendante les y pousse. Les cils vibratiles, dont les ondulations entretiennent une certaine agitation à la face interne de la muqueuse génitale, depuis le col de la matrice jusqu’aux franges du pavillon, ont été considérés aussi comme des instruments capables d’opérer le transport de la semence et de pousser les spermatozoïdes vers les ovaires, à la manière de palettes agissant dans un fluide et se transmettant les unes aux autres les particules (1) Bischoff, Développ. de V Homme et des Mamm. (Encyel. anat.) Paris, 1843 p. VII, p. 503. DES CORPS ORGANISÉS. 67 que ce fluide tiendrait en suspension. M. J, Muller fonde cette opinion sur ce que, quand on pose, comme Ta fait M. Sharpey, de la poussière de charbon sur le palais d’une Grenouille, les molécules en sont rapidement entraî- nées vers le gosier, par la propulsion des cils vibratiles dont la muqueuse de cet organe est garnie : d’où la conséquence qu’il doit en être de même pour les corpuscules de la semence sur la muqueuse de l’appareil génital. ce Leur progression » jusqu’à cet organe (F ovaire), dit M. J, Muller, n’aplus besoin » d’explication, depuis la découverte du mouvement vibratile » dans les organes génitaux femelles. Il est facile de se con- » vaincre, chez la Grenouille, de la rapidité avec laquelle ce » mode de propulsion s'accomplit sur les parois des organes, » en répétant l’expérience de Sharpey, qui, après avoir enlevé » la mâchoire inférieure, répandait du charbon en poudre » sur le palais : la poudre marche avec assez de vitesse vers la » gorge, et quelques minutes suffisent souvent pour qu’elle » disparaisse à la vue (i). » Mais ces cils qui, chezle Lapin du moins, ont au col de l’utérus, aux franges du pavillon et dans les trompes, un certain développement, n’existent pas dans le vagin et sont à peine visibles dans la matrice. Ils ne peuvent donc, en ces deux régions, concourir à l’accomplissement du phénomène. Partout ailleurs leur action s’exerce dans des con- duits sinueux, souvent enroulés sur eux-mêmes, à parois molles, affaisées, où le déplacement par projection doit néces- sairement rencontrer une véritable résistance, à cause de la pression réciproque des parties. D’un autre coté, à en juger (1) J. Muller, Man. dephysiol tracl. franc, par Jourclan, Paris, 1851, T. II, p. 645. 68 DÉVELOPPEMENT par ce qui se passe sous le foyer du microscope, les ondulations que les cils déterminent, au lieu de pousser vers les ovaires les corpuscules en suspension dans les fluides qui lubrifient la muqueuse des trompes, les dirigent, au contraire, dans le sens opposé. Ils deviendraient, par conséquent, bien plutôt un obstacle qu’un moyen. Du reste, les secousses qu’ils impri- ment à la poussière de charbon qu’on sème sur la muqueuse génitale, font éprouver à cette poussière de très-légers ébran- lements, sans réussir jamais à la déplacer. Comment admettre alors que ce soient là les agents essentiels du transport de la semence? Les cils vibratiles ne sauraient avoir ici qu’un usage acces- soire. Peut-être sont-ils destinés à brasser le fluide au sein duquel se meuvent les spermatozoïdes, afin que ceux-ci obéis- sentplus facilement à l'impulsion qui les entraîne. Il y a unpoint cependant où leur intervention pourrait être plus directe : je veux parler du museau de tanche. Là, surtout chez le Lapin, contrairement à une opinion fort accréditée., ils sont nom- breux, longs, actifs, jusque sur le bourrelet saillant dans le vagin. Je serais assez disposé à croire qu’en ce lieu leurs tour- billons tendent à attirer vers la matrice les corpuscules fécon- dants, de la même manière que les cils vibratiles de la bouche des Polypes précipitent dans l’œsophage les animal- cules aquatiques dont ces espèces se nourrissent. Les contractions vermiculaires de la matrice et des trompes, contractions qui se manifestent avec une grande vivacité sur les Chiennes et les Lapines vivantes ou récemment tuées, semblent, au premier abord, le moyen le plus naturel pour transporter la semence. En les vo yant courir d’une extré mité à l’autre de l’appareil génital femelle, on croirait volon- DES CORPS ORGANISÉS. 69 tiers qu’ elles sont destinées à remplir cet office, par un mou- vement en sens inverse de celui qu’elles exécutent pour opérer la descente des ovules, comme l’œsophage des rumi- nants qui, selon les besoins, pousse le bol alimentaire, tantôt de la bouche vers l’estomac, tantôt de l’estomac vers la bouche. Mais une pareille évolution ne saurait être admise que chez les espèces dont les parties sexuelles affectent la forme intestinale. Le col et le corps de la matrice de la femme, par exemple, ne pourraient s’y prêter, surtout dans les cas d’induration ou de squirrhe.Et cependant, malgré l’épaisseur et l’inflexibilité de ces parties, les spermatozoïdes n’y sont pas moins introduits, puisque la fécondation peut s’accomplir. Elle s’accomplit aussi pendant l’ivresse, la catalepsie, le sommeil, le narcotisme, c’est-à-dire pendant la suspension de l’activité musculaire. 11 faut donc que la progression de la semence tienne à une autre cause. Enfin M. Pouchet a imaginé une explication qui, pour se rapprocher davantage de la vérité, n’en est pas moins su- jette à toutes les objections que je viens de faire à la précé- dente. Il a supposé que, pendant la copulation, un spasme convulsif s’empare des organes génitaux des femelles, les con- tracte énergiquement, tend à en diminuer la capacité, l’efface complètement, de manière à expulser tout le mucus qu elle renferme. Puis, à mesure que ce spasme cesse, la matrice et la trompe se dilatent de nouveau, et, en reprenant leur ampleur accoutumée, aspirent la semence (i). Mais le spasme est une participation active et violente de la force musculaire et nous avons vu que la fécondation peut avoir lieu dans des cas de (1) Pouchet, Théorie posit. de lovai, spontané, etc. Paris, 1847, p. 387. 70 DÉVELOPPEMENT complète inertie. D'unautre côté, l’expérience démontre posi- tivement que la pénétration des spermatozoïdes dans la cavité utérine, loin d’être un phénomène instantané, comme la plupart des physiologistes sont encore disposés à l’admettre, ne commence à s’accomplir, au contraire, d’une manière lente et successive, qu’une demi-heure après l’émission de la semence. La théorie ne satisfait donc pas à toutes les con- ditions du problème. Ce que ni les mouvements progressifs des corpuscules sper- matiques, ni les ondulations des cils vibratiles, ni les contrac- tions de la matrice et des trompes, ni leur dilation à la suite d’un spasme supposé ne suffisent à accomplir, la capillarité peut le réaliser avec une permanente précision. Son action indépen- dante et toujours prête à s’exercer, élève la semence dans les conduits génitaux des femelles, comme elle élève un liquide quelconque en un tube ou entre deux lames de verre, pourvu que la muqueuse lui fournisse F humidité qui doit servir de véhicule. A cette seule condition, le jeu de ce mécanisme assure le transport des spermatozoïdes qui, du vagin, où le mâle les a déposés, sont forcément conduits aux ovaires. S’ils trou- vent au sein de ces organes des oeufs en état d’en subir l’in- fluence, ils les fécondent. Dans le cas contraire, c’est en pure perte qu’ils y arrivent. Il n’y a pas un seul accouplement, fer- tile ou non, à la suite duquel ils ne parcourent ce trajet, ré- partis en deux courants, l’un pour Foviducte droit, l’autre pour Foviducte gauche, pénétrant ainsi dans le sein maternel par cette double voie. Il résulte de là que, chez les unipares et chez la femme en particulier, où il n’y a ordinairement qu’un seul des ovaires en travail pour chaque grossesse, celui de ces organes dont la fonction sommeille en reçoit comme celui qui DES CORPS ORGANISÉS. 71 fructifie. L’élément mâle se présente toujours. S’il n’opère pas à chaque coït, c’est que les ovaires ne lui en fournissent pas l’occasion, et si, quand il opère, un seul côté en est impres- sionné, c’est que l’autre ne se trouve pas en mesure d’en subir utilement l’influence ; mais, à tout événement, il est là tou- jours prêt à agir, à moins que, pendant son ascension, quelque sécrétion anormale du vagin , de la matrice ou des oviductes, ne frappe, au passage, les spermatozoïdes de stérilité. Du moment où l’on admet que la progression delà semence peut se réaliser sous l'empire de l’action capillaire, c’est-à- dire par un mécanisme complètement indépendant, tout s’explique avec la plus grande facilité. On comprend alors comment, dans les classes où le mâle n’introduit pas directement la semence dans le sein mater- nel, mais la dépose au dehors sur le corps de la femelle, à une certaine distance des ouvertures génitales; on comprend, dis-je, comment, dans ces classes, cette semence est absorbée par les oviductes dès que l’eau spermatisée en amène les par- ticules à l’entrée de ces conduits, comme on le voit chez les Mollusques céphalopodes, chez les Écrevisses, chez les Ho- mards, chez les Langoustes. On comprend aussi qu’une femme puisse conserver tous les attributs de la virginité et devenir grosse par suite du dépôt de la semence à l’orifice de la vulve et au-devant de la membrane hymen restée intacte; car, pour opérer l’as- cension des spermatozoïdes, il suffit, dans ces cas exception- nels, que la membrane muqueuse crée à l’entrée du vestibule, par l’application de ses propres parois sur elles-mêmes, les conditions de capillarité analogues à celles qui élèvent les 72 DÉVELOPPEMENT liquides entre deux lames accouplées de cristal dont on humecte les bords. On comprend enfin, par le même motif, que la complète inertie delà matrice et des trompes pendant l’ivresse, la cata- lepsie, le narcotisme, etc., ne soit point un obstacle à la fécondation, puisque les spermatozoïdes montent dans ces or- ganes comme dans un appareil de physique. Le principe une fois admis, la possibilité de la fécondation artificielle chez les vertébréssupérieurs en découle comme une conséquence nécessaire. Il doit suffire, pour le succès de la ten- tative, d’injecter la semence vivante dans le vagin ou dans la matrice au moment opportun j c’est-à-dire quand il y a dans les ovaires des œufs en mesure d’en subir l’influence. Déjà, en ce qui concerne les Mammifères, Spallanzani, depuis près d’un siècle, a résolu le problème par une expérience décisive. Il injecta dans la matrice d’une Chienne en chaleur, au moyen d’une seringue chauffée à 3o degrés Réaumur, 19 grains de semence, émise spontanément par un jeune Chien. Quarante- huit heures après, cette Chienne cessa d’être en rut ; au vingt- troisième jour , son ventre se gonfla; au soixante-deuxième, elle mit bas trois petits vivants, deux mâles et une femelle, qui, par leurs couleurs j ressemblaient non-seulement à la mère, mais au mâle qui avait fourni la semence (1). Ce résultat que Spallanzani annonçait à Bonnet dans une lettre datée du 12 décembre 1780, fut obtenu dans des con- ditions qui le mettent à l’abri de toute contestation; car, assez longtemps avant d’être soumise à cette épreuve, la femelle (1) Spallanzani, Exper. pour servir à l'hisl. de la génération, traduct. franc, par Senebier, Genève, 1785, p. 225. DES CORPS ORGANISÉS. 73 fut enfermée de manière à n’avoir aucune communication avec les mâles. Elle ne commença à donner des signes de cha- leur qu’au treizième jour de réclusion, et c’est au vingt-troi- sième seulement, quand elle parut désirer ardemment l’ac- couplement, qu’on injecta la semence. Elle ne fut mise en liberté que vingt-six jours après l’opération, lorsque déjà se manifestaient, à l’extérieur, des signes certains de gestation. L’imprégnation a donc bien réellement ici été l’œuvre de l’artifice auquel on a eu recours pour l'accomplir. Treize mois plus tard, le 12 janvier 1782, cette intéressante découverte fut confirmée par Pierre Rossi, professeur de logi- que et de métaphysique à l’Université de Pise. Comme Spailanzani, il séquestra une Chienne âgée de trois ans, qui avait déjà mis bas, mais qui, au moment de sa réclusion, n’était point encore en folie. La porte de la chambre dans laquelle cette Chienne était captive fermait à l’aide de deux clefs différentes, dont l’une fut déposée dans les mains de Nicolas Branchi, professeur de chimie dans la même Univer- sité, et dont l’autre resta aux mains de l'expérimentateur,' afin que nul 11e pût pénétrer dans cette chambre â leur insu. Le 25 janvier, sept ou huit jours après que la Chienne eût donné des signes évidents de rut, la fécondation artifi- cielle fut tentée dans les conditions prescrites par Spailanzani. Seulement, pour rendre le succès plus certain, la semence fut injectée à trois reprises différentes, le 26, le 28 et le 3o du même mois. Le Ier février, la Chienne cessa d’être en chaleur. Dès le 26, le développement de son ventre et de ses mamelles an- nonçant qu’elle était pleine, on la rendit à la liberté, et le 10 74 DÉVELOPPEMENT DES CORPS ORGANISÉS. 27 mars, soixante-deux jours après la première injection, elle mit bas quatre petits très-vivants, trois mâles et une femelle, semblables au père et à la mère (1). Cette expérience, dont le succès ne sera un sujet d’étonne- ment que pour ceux qui ne se font pas une idée exacte du véritable mécanisme de la fécondation naturelle chez les vertébrés supérieurs, me paraît devoir réussir également chez l’espèce humaine. Si jamais on l’exécute, c’est un ou deux jours avant l’invasion des règles ou au moment de leur ces- sation, qu’il faudra la tenter, parce que la menstruation étant l’analogue du rut, comme nous l’avons déjà dit (2), c’est durant cette période que la semence, artificiellement injectée, aura le plus de chance de rencontrer dans les ovaires des ovules à maturité. (1) P. Rossi. Opuscoli scelti. Milan, 1782, T. V, p. 96. (2) Voir le 1er volume de cet ouvrage, p. 222. CHAPITRE V, DU LIEU OU S’OPÈRE LA FÉCONDATION. Déterminer par des expériences de précision et non point, comme on l’a fait jusqu’ici, par des inductions ou des hypo- thèses, quel est, dans le sein maternel, le lieu où s’opère la fécondation, tel est le problème qu’il s’agit de résoudre. Je dis par des expériences de précision, car l’imagination des physiologistes a épuisé sur ce point le champ des possibilités, sans que leurs yeux aient saisi les faits qui mettent la vérité en lumière. Au fond, ils sont tous partis de cette croyance arbitraire que l’imprégnation pouvait s’accomplir partout où des sper- matozoïdes arrivaient vivants au contact des œufs, ne tenant aucun compte, dans leur jugement, de la question de savoir si, pour en subir l’influence , ces œufs n’avaient pas besoin de se trouver, au moment de la rencontre, dans des condi- tions spéciales dont l’absence les rendrait stériles. L’oubli de cet élément essentiel du problème les a mis dans l’impossibilité d’en trouver la solution, ou de faire prévaloir aucun système. Aussi les voit-on se partager entre des opi- * nions bien différentes. 76 DÉVELOPPEMENT Les uns soutiennent que la fécondation doit avoir lieu dans la matrice, parce qu’ils n’ont pu voir les spermatozoïdes s’é- lever plus haut ; les autres dans les oviductes, parce qu’ils les ont suivis le long de ces canaux ; les autres dans les ovaires, parce qu’ils les ont trouvés sur ces organes. D’autres, enfin, supposent qu’elle peut s’accomplir tantôt dans les ovaires, tan- tôt dans les oviductes , tantôt dans la matrice, suivant que le rapprochement des sexes s’opère avant, pendant ou après la déhiscence. Mais il ne suffit pas, pour l’efficacité de leur contact, que les œufs et la semence se rencontrent sur un point quelconque des canaux vecteurs, il faut surtout qu’ils se trou- vent, au moment de leur jonction, dans des conditions d’apti- tude réciproque. Or, l’expérience démontre que le germe se dégrade quand les œufs, tombés spontanément des ovaires, s’engagent dans les oviductes sans imprégnation préala- ble. Il ne peut donc y avoir dans le sein maternel de lieu où la fécondation soit possible que celui où l’intégrité de ce germe n’a encore subi aucune atteinte. La question se réduit dès lors à savoir où cette dégradation commence. Nos recherches sur les Oiseaux et sur les Mammifères ne laissent aucun doute à ce sujet. Voici d'abord ce que j’ai observé sur des œufs provenant de Poules qui vivaient dans une basse-cour où il n’y avait pas de Coq. Première observation : Sur un œuf d’une Poule non co- chée, pris à l’extrémité inférieure de l’oviducte au moment de la ponte, c’est-à-dire vingf heures environ après sa chute de l’ ovaire, j’ai trouvé la cidatricule tellement altérée, que la plus grande partie de sa substance, dégénérée en gouttelettes muqueuses transparentes, avait l’aspect d’un crible. Elle n’of- DES CORPS ORGANISAS. 77 frait aucune trace de la segmentation qui donne au germe fécondé une organisation si caractéristique (i). Deuxième observation : Sur un œuf d’une Poule non co- chée, pris dans le compartiment de l’o\iducte où se forme la coquille au moment où il y arrivait, c’est-à-dire dix ou douze heures après sa chute de l'ovaire, j'ai trouvé les mêmes signes d’altération que dans le précédent. Seulement, les gouttelettes dans lesquelles la substance du germe dégénère, y étaient moins multipliées, moins volumineuses, parce que le travail de décomposition n'avait pas encore eu le temps de faire d’aussi grands ravages. Il n’y avait ici, comme dans la pre- mière observation, nulle trace de segmentation. Troisième observation : Sur un œuf d’une Poule non co- chée, pris dans le milieu de la longueur de l’oviducte, c’est- à-dire quatre ou cinq heures seulement après sa chute de l’o- vaire, la substance de la cicatricule n’avait point encore com- mencé à se résoudre en gouttes albumineuses ; mais la régula- rité de son contour était visiblement altérée, et la cohésion de ses molécules constituantes sensiblement affaiblie, comme j’en pouvais juger par comparaison avec une autre cicatri- cule qu’une fécondation préalable avait préservée et qui, à cause de cette fécondation, présentait une segmentation en quatre, dont la première ne portait aucun vestige. Quatrième observation : Sur un œuf d’une Poule non co- chée, pris à l’extrémité supérieure de l oviducte, c’est-à-dire (1) Voir dans l’atlas, pour apprécier le contraste entre les deux états, les figures 6 et 7 de la planche ï, et 6, 7, 8, etc. de la planche II (Poule). 78 DÉVELOPPEMENT immédiatement après sa chute de l’ovaire, la cicatricule semble ne différer en rien de celle qui a subi l’influence du mâle. Sa vésicule germinative s’y est évanouie et y a laissé également son contenu, comme si le germe était appelé à un développe- ment ultérieur. En sorte que, à en juger seulement par les apparences, on pourrait croire que ce germe conserve encore toutes ses aptitudes pendantle rapide passage de l’œuf à travers la première partie du canal vecteur. Mais les réactions invisi- bles qui, en quatre ou cinq heures, altèrent profondément sa substance lorsqu'on laisse le travail de décomposition suivre naturellement son cours dans le sein maternel, doivent nécessairement y exercer leur empire bien avant que leurs effets ne se traduisent en une dégradation palpable. Elles le frappent donc d’une subite stérilité aussitôt après qu’il se détache de l’ovaire, et il faut remonter jusqu’à cet organe pour trouver le siège normal de la fécondation j car si, par exception, ce mystérieux phénomène s’accomplit jamais dans l’oviducte, ce ne peut être qu’au moment pres- que insaisissable du passage de l’œuf à travers le pavillon. J’en trouve la preuve dans des expériences d’un autre ordre. Je me suis assuré, par de nombreuses recherches , que, chez la Poule, les spermatozoïdes mettent douze heures pour arriver de l’entrée de l’oviducte, où le mâle les dépose, jus- qu’à l’ovaire, où ils se rendent à la suite de chaque accou- plement. Je me suis également assuré que, chez les Poules qui pon- dent régulièrement tous les deux jours, à midi par exemple, il y a un nouvel œuf qui se détache de l’ovaire le lendemain vers cinq ou six heures du matin, c’est-à-dire dix-huit heures environ aprèspa dernière ponte. DES CORPS ORGANISÉS. 79 Ces deux faits étant acquis, j’ai pris soin, dans une basse- cour où je conservais depuis longtemps un grand nombre de Poules séparées du Coq, j’ai pris soin, dis-je, que l’accou- plement eût toujours lieu douze heures avant la déhiscence probable. Les molécules fécondantes, grâce à cet artifice, avaient donc chance, dans chaque sujet soumis à cette épreuve., d’arriver vers le haut de l’oviducte quand l'œuf de la prochaine ponte s’y était déjà engagé. Or, toutes les fois que l’expérience s’est accomplie dans les conditions dont il s’agit, le premier œuf pondu a toujours été stérile, tandis que les cinq ou six autres qui venaient après, étaient féconds, bien qu’il n’y eût pas de second accouplement. Ce premier œuf était resté complètement indifférent au contact de la semence qui, nécessairement, avait dû passer sur lui pour aller influencer ceux de l’ovaire. C’est donc dans ce dernier organe que, normalement , chez la Poule, et par conséquent chez les Oiseaux, se fait la fécondation. Chez les Mammifères, l’expérience n’est pas aussi facile à conduire parce que, en général, les femelles ne sont disposées à s’accoupler qu’au moment même où il y a dans leurs ovaires des œufs en état d’imminente maturation. Aussitôt que ces œufs ont rompu leurs capsules et sont tombés dans le canal vecteur, l’excitation causée par le travail ovarien cessant, elles résistent tout à coup aux entreprises des mâles, dont quelques heures auparavant elles sollicitaient les appro- ches. On ne peut donc pas, dans cette classe, opérer à son gré comme chez les Poules, qui se prêtent à l’expérimentation pendant toute la saison des pontes. Cependant, à force de multiplier les épreuves, on finit par rencontrer des femelles chez lesquelles, par exception, l’ardeur sexuelle survit à la dé- 80 DÉVELOPPEMENT hiscence, ou qui subissent l’accouplement par contrainte, bien qu elles ne soient plus en chaleur. Les spermatozoïdes font alors leur ascension, comme de coutume, et quel que soit le point où ils rencontrent les œufs, soit dans la matrice, soit dans les oviductes, ils passent sur eux sans pénétrer l’albumen qui les entoure, sans exercer aucune action sur le germe. Malgré leur présence, ce germe, loin de montrer le signe caractéristique de cette période du développement, c’est-à- dire les phénomènes de la segmentation, reste dans la plus complète inertie, ou entre en une visible décomposition. Je puis citer deux remarquables exemples de la stérilité dans laquelle tombent les œufs des Mammifères, lorsqu’ils quit- tent les ovaires sans fécondation préalable. Première observation : Une Lapine dont on avait pro- longé le rut au delà d’une semaine, en mettant obstacle à l’accouplement lorsqu’il était sur le point de s’accomplir, et en la séquestrant ensuite, fut enfinlaissée au mâle dès qu elle commença à se dérober à ses poursuites. La résistance qu’elle opposa au rapprochement pendant le premier quart- d’heure, me faisait désespérer du succès de l’expérience que j’avais en vue, lorsque, cependant, elle céda. Douze heures après l’accouplement je la fis tuer et l’ouvris. Ses œufs, à en juger par la place qu’ils occupaient, et par l’état des capsules ovariennes qui les avaient émis, devaient, au moment de l’accouplement, être tombés depuis cinquante heures environ, et être arrivés vers l’extrémité inférieure de 1 oviducte. Je les trouvai, en effet, au nombre de quatre de chaque côté, à l’extrémité supérieure des cornes, point qu ils n’atteignent ordinairement que vers la fin du troisième jour, 81 DES CORPS ORGANISÉS, ou vers le commencement du -quatrième. Des myriades de corpuscules spermatiques, s’agitant avec vivacité au sein du fluide que renfermaient les cavités utérines, les entouraient de toutes parts j et, cependant, l’épaisse zone d’albumen dont ils s’étaient enveloppés dans leur passage à travers les trompes n’en avait laissé pénétrer aucun. Les couches superficielles de cette substance translucide en étaient aussi complètement dépourvues que les couches profondes : la membrane vitel- line, à plus forte raison, n’en offrait-elle pas de trace. Quant à leur contenu, il était impossible d’y découvrir les signes d’un travail normalement accompli. Sur quelques-uns de ces œufs, les granules vitellins étaient comme désagrégés et disséminés dans la cavité de la membrane vitelline ; sur d’autres, ces gra- nules, condensés en une masse informe, paraissaient avoir dé- généré en vésicules transparentes, grandes et petites, n’ayant absolument aucun des caractères que présentent les sphères organiques provenant d’une segmentation régulière après fécondation. Je n’avais évidemment sous les yeux que le ré- sultat d’une décomposition profonde, dont on pouvait faire remonter l’origine à une époque bien antérieure à celle de l'accouplement. Deuxième observation : Une autre Lapine, tenue en charte privée depuis sa naissance, et qu’on n’avait pas laissé saillir pendant l’acuité du rut, fut livrée au mâle lorsqu’elle commença à lui résister. Après deux accouplements succès sifs qu elle finit par subir, je la fis isoler et la sacrifiai au bout de seize heures. Les trompes furent ouvertes longitudinalement du pavil- lon vers les cornes utérines et examinées avec soin dans toute il 82 DÉVELOPPEMENT leur étendue. Sur celle du côté droit, quatre œufs seulement purent être découverts, bien que l’ovaire correspondant mon- trât cinq corps jaunes. Ils étaient à peu de distance les uns des autres, vers le milieu de l’oviducte , dans le point où cet organe, devenu plus étroit, commence à avoir des plis moins saillants et moins foliacés. Tous ces œufs étaient déjà recou- verts d une couche d’albumen, dont l’épaisseur correspondait à celle qu’offrent généralement des œufs tombés depuis environ vingt-cinq ou trente heures. Leur déhiscence, d’après ce caractère, avait dû précéder l’accouplement de douze ou quinze heures au moins, et leur rencontre avec les Sperma- tozoïdes s’était probablement faite un peu au-dessus du lieu où je les voyais. La trompe du côté gauche ne renfermait que deux œufs. Ils étaient situés à la même hauteur que les pré- cédents, et n’en différaient sous aucun rapport. L’albumen qui enveloppait les œufs, tant de l’utérus droit que de l’utérus gauche, n’avait, été pénétré par aucun des nombreux corpuscules spermatiques avec lesquels ces œufs étaient en contact depuis cinq ou six heures. La couche la plus superficielle, celle qui s’était formée depuis l’arrivée de ces corpuscules, en était, seule pourvue, et ni les couches voi- sines de la membrane vitelline, ni la membrane vitelline elle-même n’en offraient le plus léger vestige. Quant au vitellus, au lieu d’une segmentation en deux ou en quatre qu’il aurait dû présenter, il n’avait subi, dans la plu- part des ovules, d’autre modification que celle qui se produit indistinctement sur tout œuf, imprégné ©u nom qui vient de quitter l’ovaire ; modification qui consiste dans le rapetisse- ment du globe vitellim par suite d’une condensation des élé- ments qui le composent. Aucun travail de développement 83 DES CORPS ORGANISÉS, ne s’y était donc opéré : je pourrais plutôt dire qu’il était déjà le siège d’une altération, exprimée par l’apparition des grandes vésicules transparentes et anomales dont j ai parlé dans l’observation précédente. Les Spermatozoïdes, quand l’œuf est enveloppé d’albumen, ne peuvent donc pénétrer jusqu’à la membrane vitelline et, par conséquent, jusqu’au germe; et ce germe, lorsque l’élé- ment mâle n’arrive pas à temps pour le vivifier, devient le siège d’une décomposition qui se manifeste assez haut dans les trompes. La conséquence à déduire de ces faits, c’est que la féconda- tion, chez les Mammifères, doit, comme chez les Oiseaux, s’accomplir normalement dans les ovaires, et que si elle a lieu quelque part dans Voviducte , ce ne peut être que dans le quart supérieur de ce canal et dans le pavillon qui le termine: elle est impossible dans tout le reste de son étendue, et, à plus forte raison, dans les cornes utérines. Cette démonstration, qui repose sur un ensemble d’expé- riences décisives, est-elle également applicable à l’espèce humaine ? Les grossesses abdominales, dont, au reste, ces expériences donnent l’explication, ne me paraissent laisser aucun doute à ce sujet. Elles prouvent, par leur répétition malheureu- sement trop fréquente, que, chez la femme aussi, la semence monte jusqu’aux ovaires et peut y exercer son influence, puisqu’en ces redoutables occasions, les ovules passent fécon- dés du sein de ces organes dans la cavité péritonéale. Je conclus donc, en prenant les grossesses abdominales pour argument direct, et l’analogie pour confirmation, que, chez l’espèce humaine, les ovaires, peut-être les pavillons 84 DÉVELOPPEMENT et l’extrémité libre des trompes dans une étendue de trois centimètres environ, sont, comme chez les Mammifè- res, comme chez les Oiseaux, le véritable siège de l’impré- gnation. C’est une loi à laquelle sont soumises probablement toutes les espèces à fécondation interne. On sera d’autant plus disposé à se rattacher à cette idée et à considérer l’ovaire comme le théâtre normal de la fécon- dation, qu’on approfondira davantage le phénomène dans les classes où une copulation actuelle opère, par anticipation, sur une génération éloignée ou sur une succession de géné- rations. Là, on ne peut pas dire que la semence introduite dans les oviductes y attende la descente des oeufs pour les féconder, car il faudrait supposer qu’elle s’y conserve vivante, chez certaines espèces, pendant plus d’une année, et l’ex- périence prouve qu’il n’en reste plus de trace bien long- temps avant la déhiscence. Il faut donc qu’elle aille, dès le principe., ou peu de temps après son émission, imprégner la substance même des organes dans lesquels germent len- tement les portées invisibles et lointaines qu’elle doit y ren- contrer. Nous avons vu,M. Gerbe et moi, dans l’un des casiers du la- boratoire de Guillou, à Concarneau, un grand nombre de Cra- bes communs ( Cancer mœnas , Linn.), s’accoupler immédia- tement après la mue. A mesure que les femelles avaient subi les approches du mâle, nous les séquestrions dans un autre compartiment, où une nourriture abondante leur était chaque jour distribuée , afin qu’elles pussent y vivre en de bonnes conditions. Plusieurs d’entre elles ayant été ouvertes au moment de la copulation, nous eûmes la surprise de trouver leurs ovaires tellement atrophiés que nous aurions volontiers DES CORPS ORGANISES. 85 pris le fait pour une exception si, en répétant un grand nombre de fois l’expérience, et en prenant des sujets libre- ment accouplés sur le rivage, nous n’avions acquis, par comparaison, la certitude qu’il s’agissait bien réellement de l’état normal. Des ovules microscopiques, difficiles à distin- guer à l’œil nu à cause de leur extrême petitesse, formaient, au sein de ces ovaires vides et flétris, la future portée que la semence, déjà introduite dans l’oviducte, allait imprégner. Six semaines plus tard , cette semence est complètement résorbée, et cependant les ovules n’ont presque pas encore augmenté de volume. Ce n’est qu’au quatrième mois que leur maturité commence et que la ponte a lieu. Us ont donc été fécondés de très-bonne heure dans les ovaires, qui sont manifestement ici le siège exclusif de la fécondation. » y a des espèces, parmi les Crustacés, chez lesquelles un même accouplement féconde deux générations à la fois. Dans ce cas, la première portée, qui est en voie de matura- tion dans les ovaires, se détache après l’imprégnation et, comme de coutume, passe sous la queue de la femelle pour y subir plusieurs mois d’incubation. Pendant qu’elle y pour- suit son développement, la seconde génération, qui, au moment du rapprochement des sexes, formait, sous la pre- mière, une couche invisible, mûrit à son tour, tombe dans les oviductes sans autre accouplement, et vient s’attacher aux appendices abdominaux au moment où les derniers œufs de la gestation précédente achèvent d’y éclore : c’est ce que nous avons constaté sur douze femelles de Maïa {Maïa squinado d’Herbst.), retenues captives dans le laboratoire du pilote Guillou, et séparées de tout mâle. L’imprégnation ne peut évidemment s’accomplir ici qu’au sein des ovaires et dans la 8G DÉVELOPPEMENT profondeur de leur tissu, puisqu’elle n’y atteint la seconde portée qu’à travers la première. Chez les Gallinacés, les Palmipèdes et probablement chez la plupart des Oiseaux, l'accouplement qui féconde dans l’ovaire le premier œuf mûr dont la chute est immi- nente, y imprègne en même temps un certain nombre de ceux qui, avant d’arriver à maturité, auront encore à séjour- ner au sein de cet organe, et à y grandir en proportion de leur degré d’accroissement au moment du coït. Les anciens, s’en rapportant à une croyance commune, admettaient que ce nombre était considérable ; qu’il comprenait tout ce qu’une femelle pond pendant l’année. Dans leur opinion, une Poule qui, à la suite d’un ou de plusieurs rapprochements successifs, avait donné et fait éclore une première couvée, pouvait, dans la même année, fournir d’autres couvées tout aussifécondes, sans nouvelle intervention du Coq. Cette assertion, dont la plupart des auteurs ont coutume d’attribuer l’initiative à Aristote, n’a pu lui être imputée que par une interprétation inexacte des textes; car, dans les cinq livres qu’il nous a laissés sur la génération, le philosophe grec n’a rien dit de bien explicite à ce sujet, et le seul passage cité comme étant l’expression de sa pensée sur ce point, a trait, non pas à la fécondation des œufs, mais seulement à leur développement spontané dans l’ovaire, et à l'influence du mâle pour en augmenter le volume. Omnino inavium genere, ne ea quidem ova quœ per coitum oriuntur possunt magna ex parte augeri, nisi coitus avis continuetur* Cujas rei causa est quod ut in mulieribus coitu maris detralutur mensium excrementum ( trahit enim humorem utérus tepefactus , et meatus aperiuntur ), sic in avïbus evenit, dumpaulatim mens - DES CORPS ORGANISÉS. 87 truum excrementum accedit , quod foras decedere nonpotest, quoniam palam est et superne ad cinctum continetur , sed in uterum ipsum collabitur. Hoc enim ovum augetur , sicut fœtus viviparorum, eo quod per umbilicum affluit. Nam cùm semel aves coierunt, omnia ferè ovasemper habere persévé- rant , sed par va admodum . Quamobrem de subventaneis dicere non soient oriri sponte , sed reliquias esse prœgressi coitus: quod falsum est. Satis enimconspectum est in novella , tum gallina , tum ansere gigni sine coitu (1 J . Il faut arriver au commencement du xvne siècle pour voir cette opinion s’introduire dans la science avec les travaux de Fabrice d’Aquapendente sur la formation de l’oeuf et du Poulet. Cet auteur est le premier, en effet, qui ait fait mention de la faculté qu’a la Poule, séparée du Coq après l’accouplement, de pondre des œufs féconds durant dix ou douze mois. Il en parle , il est vrai , non pas comme d’un fait acquis par des expériences directes et multipliées, mais comme d’une croyance généralement répandue de son temps dans le vulgaire, croyance qu’il adopte du reste com- plètement. « Mea opinio est, » dit-il , « Qalli semen in » uteri principium immissum et j actum3 efficere totum » uterum , et simul quoque omnes vitellos eo cadentes, ac » totum denique ovum fœcundum... » et quelques lignes plus bas : « Sed quod omnino verum sit, virtutem fœcun- w dandi tota ova, et quoque uterum à semnie Galli pro - » venire , patet ex e'o, quod muheres agunt , quœ gallniam » domi Gallo destitutam habentes , eam per unum , atque (1) Aristote, De (jenerat. anim. T. Gaza int* Pavisiis, io33, Lib. III, Cap. 1, Fu 26. 88 DÉVELOPPEMENT » alterum diem alibi Gallo committunt : ex hoc enim exiguo » tempore suçcedit ovorum omnium fœcunditas per totum » illud anni tempus (i J. » En cherchant la raison d’une fécondation aussi excessive, le physiologiste de Padoue crut la trouver dans la présence d’un organe particulier qu’il venait de découvrir chez la Poule, à l'extrémité postérieure et supérieure du rectum; organe que l’on a désigné, depuis, sous le nom de bourse de Fabricius. Dans sa pensée, la semence du Coq , reçue par cette bourse au moment de l'accouplement, y restait en réserve, s’y conservait, comme dans les vésicules séminales du mâle , sans rien perdre de sa vertu prolifique pendant une année entière, et exerçait successivement son action sur les œufs qui étaient aptes à la recevoir (2). Comme Fabrice d’Aquapendente, Harvey crut à la pos- sibilité d’une fécondation en quelque sorte illimitée, par un seul accouplement, et il s’en est exprimé, dans plusieurs chapitres de son traité sur la Génération des animaux , d’une manière bien plus explicite que son devancier. Pour Harvey, la semence du Coq a une vertu telle qu’elle rend fécond non-seulement l’oviducte, mais encore les œufs conte- nus dans cet oviducteet dans les capsules de l’ovaire; toute la Poule enfin , aussi bien les œufs qui bourgeonnent à peine, que ceux qui sont en partie formés. « Diximus autem , Galli » semen tantæ virlutis esse3 ut non uterum modo , sed et » ovum in utero , in ovario pabulam j totam denique Gal- » linam ipsanij, pabulas et ovorum primordia partim jam (1) Fabrice d’Aquapendente, Opéra anatom. — De format, ovi et pulli; Patavii, 1625, in-fol.,p. 37. (2) Fabrice d’Aquapendente, même ouvrage, p. 39. DES CORPS ORGANISÉS. 89 » habentem , partim mox producturanij fœcundam acproli- » ficam reddat (\ J , » et plus loin : « ... Ita quoque Gallus » aliquot suis compressionibus , non modo ovum in utero j sed » totum etiam ovarium , Gallinamque ipscnn ( ut sœpe dictum » ^ prolificum reddat » (‘2 J. Cette opinion résultait pour Harvey non plus d’un pré- jugé vulgaire, mais de l’observation directe. En effet , après avoir rappelé ce qu’avance Fabrice d'Aquapen- dente de la vertu prolifique de la semence du Coq, de la durée de la fécondation chez une Poule qui n’a subi que quelques rapprochements, il ajoute : « Idque egomet etiam , » experientia edoctuSj ex parte affirmare possum : nempe » vicesimum ovum à Gallina ( post hujus à Gallo divor- » tium ) proveniens , fuisse fœcundum et prolificum »(?>)* Exprimée avec autant d’insistance et de conviction, pré- sentée par un expérimentateur auquel ses immortelles décou- vertes en physiologie avaient donné une grande et légitime au- torité scientifique, une telle opinion ne pouvait que préva- loir et se propager. Aussi la retrouve-t-on dans la plupart des auteurs qui , après lui , ont traité de la génération ou de l’histoire naturelle des animaux. Mais tandis que les uns, tels que A. Deusingius (4), Haller (5) , Dionis Sterre (6) l’accep- (1) Harvey , Exercitat. de générât, animal. Amslelodami, 1651, in-32, Exercit. XXXIX, p. 219. (2) Harvey, Même ouvrage, Exercit. XL, p. 224. (3) Harvey, Même ouvrage, Exercit. XL, p. 223. (4) Genesis microscomi, seu de general, fœtus in utero ; Amstelodami, 1665, in-32, p. 27. (5) Elementa physiologies, Berne, 1776, in-4, T. VIII, p. 52. (6) Tract, novus de générât, ex ovo ; Amstelodami, 1687, in-18, p. 10. 12 90 DÉVELOPPEMENT taient sans examen et comme l’expression d’un fait irrévoca- blement acquis; d’autres, à F exemple d’Antoine Everard , ne la reproduisaient qu’après l’avoir soumise à de nouvelles expériences. « J’ai acquis la preuve, dit ce dernier, qu’une Poule cochée une seule fois pond trois œufs féconds . » Mais un pareil résultat, trop en désaccord avec tout ce qu’on avait avancé à ce sujet, était sans doute pour Everard de nulle importance , car il s’empresse de faire la part de l’opinion dominante, et ajoute : qu’à la vérité, chez les Poules d’Afri- que (i), un seul rapprochement, comme chacun peut s'en as- surer, imprègne trente œufs et même davantage, « In Gcillis » ver d Africanis ova etiam triginta vel plura post unicum » coitum imprœgnarij experiri unicuique licet (2J. » Parmi les auteurs français qui paraissent avoir partagé les sentiments des écrivains dont je viens de parler, je me bor- nerai à citer l’un de nos plus illustres naturalistes. Buffon, dans son histoire du Coq, dit que, « lorsqu’une fois le mé- » lange (des liqueurs séminales des deux sexes) a eu lieu, les » effets en sont durables (3), » et, à ce propos, il cite les observations de Harvey. Mais, comme si ces observations avaient à ses yeux un cachet d’exagération, Buffon croit (1) Everard désigne sans doute ici la Pintade, à laquelle tous les auteurs anciens, depuis Varron, ont donné le nom vulgaire de Gallina africana. Ce- pendant aucun des naturalistes qupsoit avant, soit après lui, ont écrit l’his- toire de cet Oiseau, n’a fait allusion au cas exceptionnel dont il ne parle pro- bablement que d’après le rapport d’autrui ; car il ne dit pas qu’il ait entrepris lui-même des expériences à ce sujet comme il l’avait fait pour la Poule. (2) A. Éverard, Novus et genuinus hominis brutique animalis exortus , Medioburgi, 1661, in-32, p. 29. (3) Buffon, Hist. nat. des Oiseaux. Paris, 1771, in-4, T. II, p. 74. 91 DES CORPS ORGANISÉS, devoir modifier le texte du physiologiste anglais ; et borner la fécondité des œufs au vingtième jourj au lieu de l’étendre, comme Harvey, au vingtième œuf pondu après la séques- tration de la Poule. Ce qui démontrerait encore que Buffon conservait des doutes sur la valeur d’une opinion qu’il adop- tait cependant en partie, c’est qu’il avoue qu’on « ne sait » pas encore quelle doit être précisément la condition d’un » œuf pour qu’il puisse être fécondé, ni jusqu’à quelle dis- » tance l’action du mâle peut s’étendre (i). » Enfin, de nos jours, l’un des physiologistes les plus érudits de l’Allemagne, Burdach, admettant comme dé- montré par les observations de Harvey que, chez la Poule séquestrée après l’accouplement, le vingtième œuf est encore fécond , donne ce résultat comme exemple d’une fécondation étendant ses effets jusqu’à la deuxième portée, et en fait le fondement d’une proposition générale (2). Les nombreuses expériences que j’ai faites pour déter- miner quel est, chez les Oiseaux, le lieu où s’opère l’impré- gnation, vont nous mettre en mesure d’apprécier ce qu’a de fondé une opinion à laquelle se sont ralliés , durant deux siècles, les hommes qui ont le plus illustré les sciences na- turelles. Première expérience. — Le 9 mai 1848, je fis éloigner du Coq avec lequel elle vivait, une Poule pondeuse. Les œufs qu’elle donna après son isolement furent soumis à l’incuba- tion et fournirent le résultat exprimé dans le tableau qui suit : (1) Buffon, Hist. nat. des Oiseaux, Paris, 1771, in-4°, T. II, p. 82. (2) Burdach, Traité de physiol., trad. franç. par Jourdan. Paris, 1838, T. II, p. 241. 92 DÉVELOPPEMENT DATE DES PONTES. ŒUFS DANS L’ORDRE OU ILS ONT ÉTÉ PONDUS. ÉTAT DES ŒUFS. 1 1 mai fécond, fécond, fécond , fécond . fécond. infécond, infécond, infécond. 14 » 2e » .... 20 » 24 » . 4e » 27 b ....... 5® » 28 b 30 » ...... . 31 » 8e » Depuis la séquestration de la Poule jusqu’à I ,n. la ponte du dernier œuf fécond il s’est écoulé : | jouis. Deuxième expérience. — Lorsqu’il fut bien constaté que la ponte ne produisait plus que des œufs inféconds, la Poule fut remise au mâle le 4 juin 3 et séquestrée le même jour, après plusieurs accouplements. Voici le résultat : DATE DES PONTES. ŒUFS DANS L’ORDRE OU ILS ONT ÉTÉ PONDUS. ÉTAT DES ŒUFS. 5 juin fécond. 7 » fécond . 9 » fécond . 11 » ..... 4e » infécond . fécond . 13 B 15 B fécond . Depuis la séquestration de la Poule jusqu’à ) ^ .Qurs la ponte du dernier œuf fécond, il s’est écoulé: \ ■* 93 DES CORPS ORGANISÉS. Troisième expérience. — Cette Poule se reposa du i5 au 27 juin. Les œufs, au nombre de quatre, qu’elle pondit ensuite, ayant offert des caractères manifestes de stérilité, je la fis livrer une troisième fois au Coq, après sa dernière ponte du 6 juillet. Deux accouplements presque successifs eurent lieu dans la matinée du 7., et, le même jour, on l’isola. Une nouvelle série d’œufs donna le résultat suivant : DATE DES PONTES. ŒUFS DANS L'ORDRE Oü ILS ONT ÉTÉ PONDUS. ÉTAT DES OEUFS. 7 juillet . . . infécond . 17 » 2e p fécond. - 19 » fécond. 20 » fécond. 22 » 5e » fécond . 23 » fécond ? (1). 25 » 7e » infécond . ’ 26 » infécond . ï i 29 » 9e * infécond . 31 » - . - - 10e » infécond . 2 a mit. .... infécond • j j 3 D 12e » infécond . t Depuis la séquestration de la Poule jusqu’à j ^ . g la ponte du dernier œuf fécond, il s’est écoulé : \ ' (1) Cet œuf, après trois jours d’incubation, n’offrait pas de trace d’embryon ; mais sa cicatricule était plus étendue que celle des œufs qui n’ont pas subi l’influence du mâle. Ce caractère indiquant un commencement de développe- ment et, par conséquent, une imprégnation préalable, j’ai dû le conserver, quoique avec doute, dans la série des œufs féconds. 94 DÉVELOPPEMENT Quatrième expérience. — Les œufs ayant cessé d’être fé- conds, je fis porter une quatrième fois au mâle, le 5 août, la même Poule, et la fis séquestrer le 6, après qu’elle eut été cochée à trois reprises différentes. Mais l’expérience donna un résultat négatif : la Poule suspendit ses pontes jusqu’au 12 septembre, et depuis ce moment jusqu’au 26 du même mois, elle ne produisit plus que cinq œufs qui, tous, furent stériles. Cinquième expérience. — Une autre Poule pondeuse, que j avais fait isoler dans le but de continuer mes recherches sur la durée de la fécondation, fut mise en rapport avec un Coq le 19 mars i85o. Cette fois je voulais constater quel serait le pouvoir d’une seule approche. En conséquence, je fis retirer la Poule aussitôt après qu elle eut subi un premier accouplement , et le résultat fut celui-ci : DATE DES FONTES. ŒUFS DANS L’ORDRE OU ILS ONT ÉTÉ PONDUS. ÉTAT DES ŒUFS. 21 mars. . . . infécond. fécond. fécond. fécond. infécond. infécond. infécond. infécond. 22 » 31 » 3e » 2 avril , . . .... .4e D 6 » _ . , . * 5® » 9 T. 6e » 11 » ... .7e » 12 » 8e » Depuis la séquestration de la Poule jusqu’à ) ,j. iours la ponte du dernier œuf fécond, il s’est écoulé : ) 95 DES CORPS ORGANISÉS. Sixième expérience. — Quoiqu’il me fût démontré par là que, chez les Poules cochées une seule fois, la féconda- tion était à aussi long terme que chez celles dont les rapports avec le mâle avaient été fréquents, je voulus cependant con- firmer ce fait par une deuxième expérience. Je mis donc de nouveau cette Poule au Coq le 1 2 avril , et la fis isoler après un seul accouplement. Le résultat fut des plus con- cluants. DATE DES PONTES. GEUPS DANS L’ORDRE OU ILS ONT ÉTÉ PONDUS. ÉTAT DES ŒUFS. 1 3 avril .... fécond . fécond. • fécond . fécond . fécond . fécond . fécond . infécond, infécond, infécond, infécond. j infécond, infécond. 16 » 19 » 21 B 4e » 22 » 5e B 6e B 25 b ... . 26 » ..... 7e B ........ 1 28 » \ er m$n ..... 2 » 4 i> . t 12e B 10 ï 13e B Depuis la séquestration de la Poule jusqu’à ) 13 *0 rs la ponte du dernier œuf fécond, il s’est écoulé : j jours. Septième expérience . — Pendant que je faisais ces obser- vations sur les Poules, j’avais aussi en expérience deux fe- melles de Canard domestique , que je tenais éloignées du 96 DÉVELOPPEMENT mâle avec lequel elles avaient jusqu’alors vécu. Je voulais constater si les résultats que les Gallinacés polygames me fournissaient ne se reproduiraient pas chez des espèces d’un autre ordre, à mœurs également polygames. Une première série d’œufs que pondirent ces Canes après qu’elles furent séparées du mâle, me donna la certitude qu’un seul accouple- ment suffit aussi pour imprégner plusieurs de leurs ovules. L’on peut en juger par le tableau suivant : DATE DES PONTES. ŒUFS DANS L’ORDRE OU ILS ONT ÉTÉ PONDUS. ÉTAT DES ŒUFS. 22 avril fécond . fécond . féconds . fécond . féconds . féconds infécond. infécond. infécond. infécond. inféconds. 23 » ... 2° 1 )> 24 » 25 » 27 » ... 5° 2 )» 28 » . . .6° 2 » 7 priai . . .7° 1 » 9 j> . . 8° 1 » 1 il » . . 10° 1 » 12 » ..... . . 1 1° 2 » Depuis la séquestration des Canes jusqu’à la )- ■ ponte des derniers œufs féconds, il s’est écoulé: j jours. Je rapporterai deux dernières expériences faites aux envi- rons de Paris, pendant les mois de juillet et d’août 1848, non plus avec des sujets isolés, mais avec un troupeau de quinze Poules., nourries et élevées dans une vaste basse- cour, close de toutes parts. 97 DES CORPS ORGANISES. Huitième expérience. — Le 5 juillet, le Coq qui avait jus- que-là vécu en liberté au milieu du troupeau dont il faisait partie, fut pris et enfermé dans une volière. Toute commu- nication avec les Poules lui était donc interdite. Les œufs que celles-ci pondirent depuis furent chaque jour recueillis, éti- quetés, et mis en incubation. Voici le tableau de ces récoltes successives et de leur résultat au point de vue qui nous occupe. BATE BES PONTES. ŒUFS BANS L’ORBRE OU ILS ONT ÉTÉ PONBUS. ÉTAT BES OEUFS. 6 juillet . . . dont : 4 féconds. 7 » 2) » • . 5 féconds. 8 » ..... » 2> 6 féconds 1 infécond. 9 D • • • • . ... 4° G » » 5 féconds 1 infécond. 4 féconds. 10 » ...5° 4 i) » . . i î et 1 2 » » D . . 9 féconds 1 infécond. 14 » » 2) • . 4 féconds 3 inféconds. 15 2) . • • . . D 2> • . 3 féconds 1 infécond. 16 » » . . 4 féconds 1 infécond. 17 J) . . * . . ... 9° 4 » » . 1 fécond 3 inféconds. 18 )) ..10° 4 D )> • . 1 fécond 3 inféconds. 1 fécond 4 inféconds. 19 1) . . , . . 0 » . . 20 et 21 » .12° 7 » D . . 2 féconds 5 inféconds. 22 )/ . t , . . . . 130 3 J) D • • . infppnnrls 23 » » » ......... inféconds 24 2) . . . . . . . 16a 4 j) )> . - inféconds 25 2) , • • 1 7 o 3 » 2) . - Depuis l'éloignement du Coq, jusqu’à la ponte des derniers œufs féconds , il s’est écoulé: 16 jours. 13 98 DÉVELOPPEMENT Neuvième expérience. — Du 22 juillet au 5 août, tous les œufs ayant manifesté clés caractères de stérilité, le Coq fut re- mis clans la basse-cour, et, pour assurer la fécondation, on le laissa trois jours avec les Poules. Dès le premier, toutes furent cochées ; la plupart, même, subirent plusieurs fois ses appro- ches. Les deux jours suivants les accouplements s’étant renou- velés, le Coq fut séquestré de nouveau Je 8 au soir. Les pontes qui suivirent confirmèrent complètement les résultats déjà obtenus, comme en fait foi ce dernier tableau. DATE DER PONTES. ŒUFS DANS L ORDRE OU ILS ONT ÉTÉ PONDUS. ETAT DES OEUFS. 9 août .... 10 » 4 féconds 6 féconds 1 1 e t 1 2 » 7 féconds 1 infécond . 3 féconds 13 » ..... 14 » ..... ... 5° 5 » » 4 féconds 1 infécond . 3 fp.rnndx 15 » 1 G » 3 féconds \ infécond. 5 féconds 2 inféconds 1 fécond 3 inféconds 3 féconds 2 inféconds 1 fécond 3 inféconds 1 7 et 1 8 » 19 p 20 » . . 1 0° 5 » » 21 » . . 1 1° 4 » p 22 » . . 1 2° 3 » » 1 fécond 2 inféconds 1 fécond 4 inféconds 23 » ..13° 5 » » 24 p . . 1 4° 4 p » , , 25 » . .15° 4 » p 26 et 27 p . . 1 6° 9 p » Depuis l’éloignement du Coq, jusqu’à la 1 ponte du dernier œuf fécond, il s’est écoulé: J ° J0Uls' DES CORPS ORGANISÉS. 99 Ces expériences collectives, que j’ai répétées plusieurs fois depuis, ne sont pas moins concluantes que les précédentes, quoique, dès le début, quelques œufs se soient montrés in- féconds (i). Les unes et les autres démontrent que, chez les Oiseaux, et particulièrement chez les Poules, l’accouplement n’étend pas son influence au delà de quinze à dix- huit jours et n'atteint jamais plus de cinq à sept œufs. Passé ce terme et ce nombre, toutes les pontes sont infécondes , comme j’en ai acquis fréquemment la preuve. Il faut que le Coq pentre alors dans la basse-cour, dont tous les fruits seraient désormais stériles si on ne l’y ramenait pour les féconder. Mais cette rectification d’une idée, vraie au fond, ne change rien à la signification du fait qu’un examen de l’ovaire rend matériel- lement appréciable. Les cinq ou sept œufs imprégnés à la fois y sont gradués de telle sorte qu’on peut, d’après leur volume, dire dans quel ordre et à quel jour chacun d’eux aurait été pondu, si la Poule avait continué à vivre. Celui qui est destiné à tomber le dernier n’est pas plus gros qu’une (1) La cause de cette infécondité nous échappe : nous ne pouvons l’attri- buer à l’impuissance du Coq, car, le premier jour où il a été remis en liberté dans la basse-cour qui renfermait les Poules, nous l’avons vu cocher quarante- deux fois, depuis six heures du matin jusqu’à cinq heures et demie du soir. Une Poule a subi elle seule onze fois ses approches, une autre sept fois, d’au- tres six, etc.; deux seulement ne se sont accouplées qu’unefois. Le lendemain et le surlendemain son ardeur n’était point affaiblie, et il a mis le même empres- sement à satisfaire ses Poules. Mais ces fréquentes approches, lorsqu’un trou- peau est aussi nombreux que celui sur lequel nous avons fait nos observations, sont-elles toutes réelles, toutes efficaces? En d’autres termes, y a-t-il chaque fois émission et dépôt de semence dans le vagin de la femelle ? Ce serait là une question importante à résoudre. Sa solution expliquerait peut-être pourquoi des pontes aussi rapprochées de l’accouplement ont donné des œufs inféconds. 100 DÉVELOPPEMENT noisette de petite dimension, tandis que celui dont la matu- ration est complète a un diamètre trois fois plus grand. C’est donc bien dans l’ovaire, et longtemps avant la chute des oeufs, que la fécondation a lieu. Chez les Abeilles, ce n'est pas seulement, comme chez les Oiseaux, une simple série de quelques œufs qu’imprègne un même accouplement : il féconde à la fois tous ceux qui doi- vent mûrir dans les ovaires pendant une année entière. La reine vierge, que l’instinct de la reproduction entraîne hors de sa ruche, s’élève dans les airs trois ou quatre jours après sa dernière métamorphose , pour aller à la rencontre d’un faux -bourdon, et revient ordinairement, au bout d’une demi- heure , portant des signes visibles du succès de ses amours. Puis, quand elle a assuré par cette union la fécondation de sa progéniture, l’heure de la ponte arrive, et, à partir de ce moment, on la voit tous les jours occupée à répartir ses œufs dans les alvéoles que l’industrie des ouvrières a préparés d’avance pour recevoir des produits femelles; car, pendant les onze mois qui suivent la copulation, elle ne fournit que des fruits de cette sorte. Cette première série de pontes épuisée, de nouveaux ovules, invisibles d’abord, paraissent à leur tour; mais ceux-ci sont viables à un autre titre, et donneront nais- sance à des mâles. La fécondation est donc, chez les Abeilles, bien plus ova- rienne encore que partout ailleurs, puisque, à travers les nom- breuses portées en voie de maturation , elle étend ses effets à toutes celles qu i surgissent pendant une si longue période. On dira peut-être, en ce qui concerne les Insectes et les Mollusques gastéropodes , que la fécondation d’une longue succession d’œufs, par un seul accouplement., n’est pas la 101 DES CORPS ORGANISÉS, preuve irrécusable dune imprégnation ovarienne, attendu que la semence, introduite par le mâle dans un diverticulum du vagin de la femelle, désigné sous le nom de poche copu- latrice , semble y être tenue en réserve pour le moment où les œufs tombés des ovaires passent devant ce récipient, dontl’orifice doit verser sur eux les spermatozoïdes. Le con- tact des deux substances n’aurait donc lieu ici ni dans l’o- vaire , ni dans Foviducte , ni dans le point dilaté de cet oviducte qui, chez la plupart, représente la matrice. C’est dans la partie des conduits génitaux correspondante au vagin, et à l’i-nstant même où les œufs vont être expulsés du sein maternel, qu’il s’accomplirait. Mais ces œufs, lorsqu’ils arri vent à cette dernière station, sont déjà revêtus de leur albu- men, de leur membrane de la coque, et, chez certaines espèces, comme X Ar ion empiricorum par exemple, d’une couche cal- caire impénétrable, ou, comme dans la plupart des Insectes, d’une coquille cornée résistante. Us ne peuvent, par consé- quent, être imprégnés qu’à une époque antérieure à celle de la formation de ces enveloppes protectrices, c’est-à-dire avant leur chute de l’ovaire. Il faut donc admettre, pour les espèces de cette catégorie^ que la semence, déposée dans la bourse copulatrice, en sort au bout d'un certain temps, reflue dans les conduits génitaux, et remonte, avant la déhiscence, vers les ovaires, qui sont ici, comme chez les au- tres animaux, le siège normal de la fécondation. Le but d’un séjour préalable de la semence dans une vésicule copulatrice n’est pas de mettre cette semence à portée d’im- prégner les œufs à mesure qu’ils passent dans l’oviducte, dont cette vésicule copulatrice est un appendice, mais probable- ment de fournir aux spermatozoïdes, commela admis M. Gra - 102 DÉVELOPPEMENT DES CORPS ORGANISÉS, tiolet clans son intéressant travail sur les zoospermes des Hé- lices (i), un milieu où ils puissent subir une sorte de matura- tion qui les rende propres à exercer la fonction qu’ils sont appelés à remplir ; maturation qui amène un changement complet de leur forme première. On voit, en effet, après un séjour qui varie suivant l’âge des individus et suivant le degré de température ambiante, leur énorme filament caudal se raccourcir peu à peu et disparaître, pendant que leur extré- mité renflée grandit et acquiert en même temps un appen- dice flagelliforme d’une extrême ténuité, qui finit par rem- placer le filament caudal primitif. Après cette singulière mé- tamorphose j les spermatozoïdes , dont les mouvements étaient nuis ou peu sensibles, s’agitent avec une grande vivacité. La nécessité du séjour de la semence dans la vési- cule, pour amener ce résultat, explique pourquoi les her- maphrodites de l’ordre des Mollusques gastéropodes s’accou- plent, bien qu’ils portent à la fois l’organe mâle et l’organe femelle; pourquoi tous les conjoints reçoivent de leurs partenaires un dépôt semblable à celui qu’ils leurs trans- mettent. (I) Grafiolet, Observât, sur les zoospermes des Hélices; Journal de Conchy- liologie publié sous la direct, de M. Petit de la Saussaye. Paris, 1850, t. 1, * p. 116. CHAPITRE VI. IMPRÉGNATION. Lorsque les spermatozoïdes sont parvenus au contact de la membrane vitelline, ils en traversent soudain la paroi, et pénètrent dans sa cavité comme en un récipient où ils sont désormais renfermés avec le germe , afin que le mélange des deux substances puisse s’accomplir sans obstacle. Je les y ai vus, chez le Lapin, vingt heures après la déhiscence, c’est-à-dire quand l’œuf, dépouillé des cellules granuleuses dont il était auparavant entouré , permet de distinguer clai- rement ce qui se passe dans son sein. Ils se dessinent sur- tout dans l’espace translucide que le vitellus, en se rapetis- sant pour se segmenter, laisse entre lui et sa membrane enve- loppante. Le nombre de ceux qui s’y introduisent varie , mais il y en a toujours plusieurs à la fois : circonstance importante à noter pour décider la question de savoir si l’intervention de deux mâles ne pourrait pas constituer une paternité mixte, par Tapport simultané de corpuscules fécondants provenant de deux sources différentes. C’est là, en effet, un problème dont nous ferons plus loin le sujet d’un examen approfondi. lOi DÉVELOPPEMENT L’œuf des Mammifères, en général, est F un des plus propres à fournir la preuve de la pénétration des spermatozoïdes , et de la conservation de l’intégrité de leur forme jusqu’au moment de l’incorporation de leur substance à celle du germe. Son volume restreint permet de l’explorer à tous les grossissements -, son espace translucide y rend apparentes les plus minimes particules, et quand on a jugé, par un pre- mier examen , que ces particules doivent être situées dans la cavité de sa membrane enveloppante , on lève tous les doutes en rompant, à l’aide du compresseur, un point quelconque de la paroi de cette membrane. Le contenu de l’œuf s’écoulant alors à travers la fissure artificielle, on voit, sans qu il y ait possibilité de confusion , les spermatozoïdes suivre le flot qui les entraîne hors de l’enceinte formée par la membrane vi- telline , puis rentrer et sortir de nouveau, suivant qu’en interrompant ou en réitérant la manœuvre I on chasse ou Ton rappelle le courant. Cette expérience décisive, dont j’avais il y a déjà long- temps exprimé le résultat avec une certaine hésitation (i), répétée depuis , a fixé définitivement mon opinion sur le sort de l élément fourni par le mâle dans l’acte de la génération. Il pénètre dans l’œuf sous forme de spermatozoïde, et se trouve au contact même du germe sous l’enveloppe commune où leur alliance doit s’accomplir. Mais par quelle voie y par- vient-il, et en quoi consiste cette alliance? M. Barry a figuré sur la membrane vitelline du Lapin une petite fissure, espèce de micropyle transitoire, formé à l’heure (1) Voir la pl. Iï de l’Atlas, fîg. 12 [Lapin), et l’explication qui se rapporte à cette figure. 105 DES CORPS ORGANISÉS, de la déhiscence pour livrer passage au corpuscule fécondant, et qui, au dire de ce physiologiste, s’oblitérerait ensuite dès que ce corpuscule aurait pénétré dans l’œuf. Il a même indiqué , sur l’un de ses dessins , un globule engagé dans cette fissure; globule qu’il considère comme la tête d'un sperma- tozoïde, dont la queue se serait naturellement détachée (i). J’ai vainement cherché , en me plaçant dans les conditions indiquées par l’auteur, l'indice de l’organisation fugitive dont il a retracé l’image, et je n’ai jamais rien rencontré qui m’en ait révélé l'existence. Cependant, si l’on s’en rapportait à des observations plus récentes de M. Keber (2), on serait tenté de croire qu’il n’y aurait pas autant de difficulté que je viens de le dire à découvrir la petite fissure signalée par M. Barry. Mais lorsqu’on va au fond des choses, on acquiert bientôt la certitude que M. Keber a pris pour le micropyle d’un œuf de Lapin la bouche de l’une de ces vésicules hydatiques que l’on trouve souvent adhérentes soit aux franges du pavillon, soit aux trompes, etc. Les faits qu’il invoque sont donc, en ce qui concerne les Mammifères, bien plus propres à augmenter la confusion qu’à faire naître la lumière. Pourtant, si l’auteur n’a pu se préserver d’une aussi étrange méprise, il a du moins, en ce qui concerne l’Unio et l’Ano- donte , constaté la présence d’un petit canal qui met, pendant un certain temps, l’ intérieur de F œuf ovarien en communi- cation avec l’extérieur. M, Bischoff a beau s’autoriser de l’opinion de M. Leukart pour essayer d’établir que ce pré- (1) Barry, Philos. Transact., 1840, p. 532, §529-351-353, et p. 555, § 534. (2) De spermatozoorum introi'.u in ovula , Kœnigsberg, 1853, p. 88, fig. 80. 1C6 DÉVELOPPEMENT tendu micropyle n’est que la trace d’une simple adhérence au stroma de l’ovaire : les singuliers arguments de son acerbe diatribe restent sans valeur en présence d’un fait que chacun peut vérifier. Non-seulement ce micropyle transitoire existe, mais il paraît s’étendre jusqu’au sein du vitellus lui- même. Ce qui , chez les Mammifères et les Oiseaux, se dérobe à l’observation, ou devient, chezl’Unio et l’Anodonte, un sujet de controverse, se montre avec clarté chez les Poissons osseux tels que les Saumons, les Truites, les Epinoches , etc. Là, au fond d’un ombilic visible à la loupe simple , la membrane vi- telline est percée d’un trou microscopique , nettement des- siné, muni au dedans d’une petite soupape. Ce micropyle n’affecte pas une position indifférente. Il est toujours situé en un lieu d’élection, qui semblerait indiquer qu’il a bien réelle- ment pour usage de donner accès à la semence, car c’est der- rière lui que viennent s’assembler les matériaux du germe, ou les éléments femelles, avec lesquels cette semence doit se combiner. Quand ces matériaux se sont constitués en cicatricule par une coalition visible de granules épars , alors le vitellus qui , tout à l’heure, avant l’accomplissement du phénomène, remplissait, immobile, la cavité de la membrane vitel- line, s’y rétracte en un globe plus petit, suspendu dans un fluide au sein duquel la pesanteur inégale de ses deux hémisphères ramène toujours vers le h aut celui qui porte le germe. Il résulte de là qu’entraîné dans ces révolutions forcées, ce germe n'a plus désormais avec le micropyle d’autre relation que celle que le hasard lui donne ; mais, à l’heure de la fécondation, leur correspondance existe. La DES CORPS ORGANISÉS. 107 fonction accomplie, le pertuis s'oblitère peu â peu, et, en quelques jours , la membrane vitelline reconquiert F intégrité de sa paroi un moment interrompue. Cependant, chez les es- pèces à incubation prolongée, telles que les Salmonidés, il n'est pas rare de le trouver encore un et même deux mois après la ponte, surtout sur les œufs qui n’ont pas été im- prégnés. Personne, jusqu’ici, n’a surpris de spermatozoïde engagé dans le micropyle. Le globule insignifiant que M. Barry d’abord, et M. Reber ensuite y ont figuré comme l’un des corpuscules fécondants dont, à leur avis, la queue se serait détachée, n’a rien de commun avec les corpuscules qui arri- vent entiers dans l'enceinte même où ils apportent leur con- tingent. Mais en supposant que le micropyle soit la voie temporai- rement ouverte pour donner accès à la semence, il reste encore une difficulté : c’est d’expliquer comment, chez les animaux à fécondation interne , cette semence peut aborder l’œuf malgré F interposition de la paroi de la capsule ova- rienne qui le renferme. Ne pourrait-on pas admettre que cette capsule présente une ouverture que les recherches des phy- siologistes ont été jusqu'ici impuissantes à découvrir? Ne pour- rait-on pas encore attribuer aux spermatozoïdes de ces espèces la propriété térébrante dont semblent doués ceux des Batra- ciens quand ils transpercent l'albumen; propriété qui est peut-être aussi la véritable cause de leur passage à travers la membrane vitelline? Mais, soit qu’ils entrent dans l’ovaire par une ouverture ménagée d’avance, soit qu’ils y pénétrent par une sorte d’absorption, leur admission au sein de cet organe n’en est pas moins un fait aussi démontré que si on les 108 . DÉVELOPPEMENT y avait surpris. Les animaux à gestation ovarienne, comme les Pœcilies, chez les Poissons., en fournissent une preuve irré- cusable. Là, en effet, l’œuf fécondé dans sa capsule, s’y déve- loppe et n’en rompt la paroi que lorsque l’Embryon y est ar- rivé à terme. De quelque manière que cette introduction s’opère, il ar- rive un moment où les spermatozoïdes et le germe se trouvent en présence dans la cavité de la membrane vitelline, libres d’y obéir à l’impulsion de leur affinité réciproque. Sous l’empire de cette tendance , ils s’y confondent en une seule et même sub- stance qui, remaniée et repétrie par la segmentation dans le champ clos de ce laboratoire vivant , s’y transfigure en un or- ganisme nouveau, image combinée des parents dontil émane, représentation visible ou latente de leur nature physique, don précieux ou funeste, héritage de force ou de faiblesse , de santé ou de maladie , suivant que le mélange provient de source pure ou de source viciée. Ce pouvoir de transmission va si loin, que les matériaux renfermés dans l’œuf de certaines espèces portent déjà , avant même qu’il y ait trace de développement, la même nuance de coloration que la chair de la variété de race dont ils sont le produit. Or s’il en est ainsi à propos d’une simple et fugitive coloration de substance, que doit-on supposer lorsqu’il s’agit de l’une de ces altérations organiques profondément invé- térées? Redoutable problème, sur lequel la science a le devoir d’appeler l’attention des hommes, afin d’éveiller en eux le sentiment de leur responsabilité. Elle les convie à tenir compte des convenances physiologiques dans le choix de leurs alliances. DES CORPS ORGANISAS. *09 Les spermatozoïdes ne sont pas seulement les artisans de la fécondation chez les animaux, ils font également partie de la semence des végétaux et y remplissent le même office. En sorte que, rattachés l’un à l’autre, à l’origine de chaque être, par ce lien commun, les deux règnes se perpétuent sous l’empire d’une même loi. Les plantes aquatiques de la fa- mille des Gonferves et des Algues, dont la fécondation s’opère, comme celle des Batraciens et des Poissons, au sein du liquide qu elles habitent, et dont on peut observer l’al- liance sous le foyer du microscope, sans les sortir du milieu qui convient à l’accomplissement de ce phénomène, en ont donné, dans ces derniers temps, l’éclatante démonstration. Une étude persévérante du mécanisme de leur génération a révélé cette importante vérité, sur la trace de laquelle les immortelles découvertes de Vaucher avaient, depuis le commencement de ce siècle, mis les observateurs. r Ce ministre du saint Evangile publia, en i8o3, à Genève, où il était professeur de botanique, un livre sur les Conferves d’eau douce, comme savaient seuls en composer les disciples de l’école de Réaumur. Dans ce livre, il raconte l’histoire d’une Conjuguée dontil avait déjà fait en vain, plusieurs mois durant, le sujet d’une observation continue, et dont il com- mençait à désespérer de découvrir jamais le mode de repro- duction. Enfin, un jour où il avait recueilli un grand nombre d individus de cette espèce et que, dans son découragement, il les observait, ainsi qu’il le dit lui-même, plutôt par habitude et par devoir que dans l’espérance d’y rien trouver, il fut témoin d’un spectacle aussi nouveau qu’inattendu. Il vit ces Conferves s’accoupler ; établir, sous ses yeux, entre chacune des cellules qui les composent, un court canal de communi- no DÉVELOPPEMENT cation, et, par ces voies transitoires, s’infuser réciproquement leur poussière fécondante. En sorte que, dans cet échange, les cellules qui reçoivent remplissent à la fois la fonction d’ovaire et de matrice, puisqu’elles engendrent l’élément féminin, et que c’est dans leur cavité que s’opèrent le contact et le mélange des deux substances ; tandis que celles qui se vident remplissent les fonctions de testicules et de conduits éjaculateurs, puisqu’elles produisent l’élément masculin, et le versent dans le réceptacle du germe. Ces végétaux étran- ges constituent donc des espèces d’appareils ambulants de la génération, des chapelets de testicules ou d’ovaires, et, pour être plus exact encore, des séries linéaires de vésicules ovi- gènes ou de vésicules spermatogènes placées bout à bout. Les cellules qui forment le corps de ce filament végétal sont cylindriques, transparentes, fermées aux deux extrémités, arti- culées à la suite l’une de l’autre sur des cloisons doubles qui permettent à chacune d’elles de rompre la chaîne et de se sé- parer de l’ensemble, sans que celle qui précède ou celle qui suit puisse se vider. Leur contenu est exclusivement com- posé de corpuscules moléculaires de matière verte, qui , dans les loges femelles, représentent les granules moléculaires du germe de l’ovule animal, et, dans les loges mâles, les sper- matozoïdes. En effet, lorsque le moment de la reproduction arrive, et que deux Conferves sont en présence, il pousse sur la paroi de chacune de ces loges un petit tubercule qui s’al- longe jusqu’à ce qu’il atteigne le mamelon correspondant de la Conjugale voisine. Ces deux tubercules creux s’unissent et se confondent en un canal très-court qui met en commu- nication directe les deux cellules qui, tout à l’heure, apparte- naient à des individus distincts ; en sorte que, si on n’exami- DES CORPS ORGANISÉS. 1 i t liait ces individus qu’à cette période passagère de leur exis- tence, et qu’on en ignorât les phases antérieures, on les pren- drait pour un seul et même organisme,* mais cette solidarité établie par paires entre tous les compartiments des organis- mes accouplés, n’est que le signe visible de leur lien nuptial. Quand ces voies de communication sont établies, chacune des loges qui font office de testicules vide son contenu, à tra- vers cette espèce de canal éjaculateur, dans la loge correspon- dante de l’autre individu , au sein de laquelle l'imprégnation s’opère, sous l’œil de l’observateur, par le contact et le mé- lange des deux substances. Ordinairement toutes les loges d’une des Conjuguées donnent, tandis que celles de l’autre reçoivent : c’est-à-dire que l’un des deux individus procède comme mâle et l’autre comme femelle. Cependant il n’est pas rare de voir la même Conjuguée donner dans une partie de sa longueur et recevoir dans l’autre, d’où il suit que, sur certains points, elle féconde, et que, sur d’autres, elle est fécondée ; mais, en a ucun cas, on ne peut reconnaître d’avance quelles sont les loges qui se videront, quelles sont celles qui recueilleront, tant leur contenu est identique. Dans d’autres espèces de la famille des Conferves, dans celles qu’il désigne sous le nom à' Ectospermes, Vaucher vit se développer sur la même tige, et sur plusieurs points à la fois, deux ordres de petits tubercules, creux comme le tube dont ils émanent et avec lequel ils communiquent, et, comme ce tube, remplis de matière verte. Peu à peu ces tubercules se développent et se différencient en mûrissant. L’un des deux prend la forme plus ou moins sphéroïdaîe et représente le germe, la graine, le spore des botanistes, c’est-à-dire la capsule ovigène, ou mieux encore l’ovule que cette capsule 112 DÉVELOPPEMENT renferme. L’autre, plus grêle, s’allonge en forme de corne, s’ouvre à son sommet, se courbe vers le premier, répand sur lui les corpuscules spermatiques (spermatozoïdes) dont il est rempli, et le germe , fécondé par ce contact , se dé- gage ensuite de sa loge, comme un œuf de sa capsule ova- rienne, et tombe au fond du récipient où il se transforme en une Conferve semblable à celle sur laquelle il est né (i). On (1) « Dès que j’eus terminé ce qui concernait la reproduction, je crus qu’il » était nécessaire de passer à l’examen d’une question fort importante, je veux ') parler de celle de la fécondation. Les graines de conferves, me demandai-je, » ont-elles la faculté de germer sans fécondation préalable, ou bien ont-elles » besoin, comme la plupart des autres graines, de l’influence d’une poussière? » Pour répondre à cette question, je cherchai fort attentivement dans toutes » les parties de la conferve, pourvoir si je ne trouverais pas quelque organe » auquel on pût donner le nom d’étamine. Et effectivement, après plusieurs >) recherches...... j’ai vu que la plupart des espèces portaient, sur les pédon- » cules qui soutiennent les graines, un ou plusieurs prolongements en forme t> d’anthère; et comme ces nouveaux organes, que je n’avais pas d’abord » aperçus, sont remplis de matière verte, ainsi que les renflements, j’en ai » conclu que les unes et les autres faisaient, selon les espèces, l’office de fleurs » mâles, ou plutôt que tout l’intérieur du tube était rempli de matière fécondante, » qui s’échappait par ses extrémités, au moment où elle se vidait...., car, je » le répète, je ne regarde pas seulement comme poussière séminale celle qui » est contenue dans les organes dont nous avons parlé, mais je sois porté à » croire que toute la matière verte qui est renfermée dans le tube est destinée » aux mêmes fonctions. Non-seulement elle n’est pas entièrement semblable » à toutes les parties de la plante, mais, de plus, elle communique immédia- n tement avec les corps que nous avons pris pour les anthères, puisque ces » derniers ne sont séparés de l’intérieur du tube par aucun étranglement. Ces » organes, ainsique je l’ai dit, ont des formes très- différentes selon les espèces. » Dans le plus grand nombre, l’extrémité est en pointe et ressemble assez » bien à un petit crochet recourbé, qui accompagne toujours la graine. Les » autres sont ovales, renflés dans leur milieu : il existe même une espèce qui » s’appelle pyriforme, du nom de ses graines, dans lesquelles ces corps res- 113 DES CORPS ORGANISÉS, croirait, en lisant les détails si simplement racontés de ce cu- rieux phénomène, assister à l’une de ces opérations artificielles comme, vingt-cinq ans auparavant, Spallanzani en pratiquait, dans son laboratoire, sur les œufs des Batraciens j opérations que l’expérimentateur dirige à son gré, pour faire éclater à ses yeux les actes les plus mystérieux de la nature vivante. Il était difficile, en effet, d’arriver à une démonstration plus complète du contact des deux substances, puisqu’ici, je l’ai déjà dit, ce contact va jusqu’au mélange. Aussi a-t-il fallu près d’un demi-siècle pour que les botanistes, malgré le per- fectionnement de leurs moyens d’investigation, s’élevassent au niveau des connaissances que ces surprenantes découvertes introduisaient dans la science. Vaucher lui-même , cédant au pouvoir de l’évidence, en fut un moment troublé dans sa foi en la théorie de l’emboîtement des germes, qui était devenue alors comme la religion de la physiologie. A la vue de ces deux amas identiques de matière amorphe, se combi- nant par doses égales dans les loges des Conferves conju- guées, pour y donner naissance à un être nouveau , il se demande avec inquiétude où est le germe préexistant. Forcé de convenir que le spectacle dont il était le témoin » semblent à des semences. Elles n’en diffèrent à la vue que parce qu’elles ne sont » pas articulées avec le tube. Il est facile de les voir répandre leur poussière. » J’ai donné à ceux de ces organes qui accompagnent les graines le nom de » cornes, pour exprimer exactement leur figure et leur apparence extérieure » qui dépend de l’âge de l’Ectosperme : D’abord elles sont droites et opaques, » et, par conséquent, elles renferment la matière fécondante. Peu à peu elles » se recourbent sur la graine, et, .à mesure qu’elle mûrit, elles s’inclinent » sur elle pour y répandre leur poussière. Lorsque la semence s’est séparée, » elles sont vides et roulées en spirale » (Vaucher, Hist. des Conferves d’eau douce, Genève, 1803, pag. 14, pl. 2 et 3.) 15 114 DÉVELOPPEMENT mettait le dogme consacré en défaut, il se résigne à en faire le sacrifice pour ce cas particulier, mais il ne veut rien en induire pour le reste de la création, sous prétexte quil est bien plus facile de supposer un germe préexistant que d’ imaginer des grains se mêlant ensemble pour former un corps organisé. Sa raison ne triomphe qu’à moitié de son préjugé, mais elle en triomphe à l’occasion de faits telle- ment importants, que je tiens à montrer ici dans quel lan- gage il en exprime son étonnement, et avec quel scrupule il en atténue la portée., comme si, dans sa pieuse erreur, le mi- nistre du saint Evangile tremblait que sa découverte n’ouvrît carrière à des idées contraires à son orthodoxie. « Puisque je ne pouvais, dit-il, ramener ce cas particulier » au cas général et bien établir la distinction du mâle et de » la femelle, j’ai voulu du moins me former quelque idée de la » manière dont ce développement s’opérait : pour cela, je me » suis d’abord rappelé cette loi si connue que les êtres orga- » nisés préexistent à tout développement, et que ce que nous » appelons leur naissance n’èst que l-’époque où des circon- » stances favorables les placent sous nos yeux. Cherchant en- » suite à appliquer cette règle à l’objet dont il est ici question, » je me suis demandé où était la Conjuguée avant qu’elle ne » sortît toute formée de l’enveloppe qui la contenait? Etait- » elle renfermée dans l’un des tubes, ou l’était-elle dans les » deux? Si l’on admet la première supposition, et que l’on se » persuade que l’un des tubes faisait la fonction de mâle et » l’autre celle de femelle, il faudra que l’on reconnaisse que » de deux êtres semblables et semblablement organisés dans » toutes leurs parties, l’un n’est quun amas de matière fécon- » clante, tandis que l’autre est le germe d’une Conjuguée. Si 115 DES CORPS ORGANISÉS. » I on suppose, au contraire, que la Conjuguée qui ya naître » est contenue dans les deux tubes, il faudra que l’on explique » comment les deux Conjuguées en se réunissant n’en font » plus qu’une : pourquoi l’une périt tandis que l’autre se déve- » loppe. Et lorsqu’on passerait sur ces difficultés et que l’on » accorderait que la jeune Conjuguée était contenue dans l’un » des deux tubes, ou dans les deux, à volonté, on ne serait pas » pour cela plus avancé. Il resterait encore à expliquer com- » ment un filet en spirale, chargé de grains sphériques, donne » naissance à une Conferve, ce que deviennent la spirale et les » grains dans ce nouveau développement, et quel est celui des » deux tubes où le nouvel être préexistait avant sa naissance. » Sans doute que ces difficultés n’affaiblissent pas le sys- » tème de l’emboîtement et qu’il est encore plus facile de » supposer un germe préexistant que d’imaginer ces spirales » et ces graines.se mêlant ensemble pour former un être or- » ganisé. Sans doute qu’un observateur plus attentif décou- » vrira un jour ce qui m’a échappé, mais j’avoue que je n’ai » jamais pu répondre d'une manière satisfaisante à ces ob- » jectionset que, quoique j’aie vu sortir la jeune Conjuguée » de son globule, je n’en connais pas mieux comment elle « » s’y est formée (i). » Cependant, cette découverte, dont l’auteur subit avec tant d’anxiété les plus légitimes conséquences, qui semble lui inspirer plus de regret que de satisfaction, n’en deviendra pas moins le premier et le plus solide fondement d’une théo- rie générale de la fécondation, également applicable aux deux règnes de la création vivante, montrant, partout où (I) Vaucher, Hist. des Conferves d’eau douce, Genève, 1803, pag. 52. 1 16 DÉVELOPPEMENT cette fonction s’exerce, le mélange des deux substances, et réduisant, par conséquent, à néant, le principe de l’emboî- tement des germes, ou de la préformation de l’embryon. Ce fut, en effet, en continuant la voie dans laquelle les re- cherches de Vaucher les avaient précédés, que MM. Decaisne et Thuret (i) signalèrent, comme complément d’analogie entre les deux règnes organiques, la motilité des grains dont se compose la semence des Algues marines ; motilité obser- vée depuis par M. Pringsheim (2) chez la plupart des Algues d’eau douce, et qui suffirait à elle seule pour légitimer une comparaison avec les spermatozoïdes des animaux, si l’analogie ne ressortait pas déjà d’une commune apti- tude à opérer la fécondation. Ces grains locomotiles (an- thérozoïdes) d’une petitesse extrême (i,i8ome de ligne chez le V auclieria ), de forme oblongue ou globuleuse suivant les espèces, armés de cils inégaux dont les vibrations les entraî- nent en tous sens, se répandent, en sortant des conceptacles mâles, au sein des eaux où vivent les plantes qui les four- nissent; vont à la rencontre des spores détachées ou de celles (\) Recher, sur les Anthéridies et les spores de quelques Fucus; Ann. des Sc. Nat., 3e série, 1845, 5. — • Et Fécondât, des Algues marines, C. R. de l’Acad. desSc., 1855, T. XXVI, pag. 745, et Ann. des Sc. Nat., 1854, T. III, pag. 5. (2) Fécondât, et germination des Algues ; Ann. des Sc. Nat. 1859, pag. 565. — Voir pour de plus amples renseignements le mémoire de M. Ludwig Radlkofer, ayant pour titre : Befruchtungs Process im Pflanzenreiche und sein Verhatniss zu demim Tierreiche (Du mode de fécondation dans le règne vé- gétal, comparé à celui qui a lieu dans le règne animal). Leipzig, 1857. — Voir également l’intéressant rapport de notre confrère M. Montagne, fait à l’Aca- démie des Sciences, dans la séance du 1 1 août 1856, à l’occasion de deux Mé- moires de M. Pringsheim sur la reproduction des Algues. 4 i 7 DES CORPS ORGANISÉS que renferment encore leurs capsules entr ouvertes ; se col- lent à leur surface gluante, comme les spermatozoïdes aux œufs des Batraciens ou des Poissons dans les récipients où l’on expérimente. Tout se passe donc ici de la même manière que chez les animaux à fécondation externe, car non-seule- ment les grains de semence sont mobiles , mais ils se mettent au contact du germe dans des conditions identiques et à la faveur d’un même véhicule. Or, si les anthérozoïdes jouent, dans la fonction génératrice des Algues, le rôle que les recherches modernes leur assi- gnent, ces corpuscules mouvants sont de véritables sperma- tozoïdes, qu’il convient de désigner sous ce nom désormais caractéristique de l’élément fécondant dans les deux règnes de la création vivante. A ce point de vue, et en poussant jusqu’au bout cette tenta- tive de généralisation, les plantes phanérogames elles-mêmes rentrent facilement dans la commune loi. Leurs grains de pollen deviennent des capsules spermatogènes, détachées du testicule végétal au moment de la maturité de la semence ; le contenu de ces capsules représente un assemblage de sper- matozoïdes liés entre eux par une glaire plus ou moins abon- dante, mais de spermatozoïdes restés à l’état de simples gra- nules moléculaires, n’ayant ni les cils vibratiles, ni la moti- lité que donnnent ces cils aux anthérozoïdes des Algues. En sorte que, lorsqu’on dit avec MM. R. Brown, Brongniart, Amici, Schleiden, Tulasne, etc., que le boyau pollinique s’insinue à travers le stigmate pour arriver jusqu’à l’ovule des plantes phanérogames, il faut entendre par là que la glaire de ce boyau sert de véhicule aux spermatozoïdes rudi- mentaires qu’il va mettre au contact du germe, de lamême ma- i 18 DÉVELOPPEMENT DES CORPS ORGANISÉS, nière que pourrait le faire un spermatophore chez la femelle d’un animal à fécondation intérieure, si l’on supposait qu’il fut introduit dans l’oviducte. C’est précisément ce qui arrive chez les Hélices, où notre savant confrère M. Moquin-Tan- don (i) nous a montré les individus de chaque couple de ces hermaphrodites introduisant, dans le vagin de son parte- naire, une concrétion spermatique analogue à celle que re- çoivent les reines Abeilles. (I) Obscrv. sur les spermalophores des Gastéropodes terrestres androgynes. C. R. de PAcad. des Sc. 1855, t. XLI, p. EXPLICATION DES PLANCHES. ESPÈCE HUMAINE. PLANCHE IV". Fig. A. Embryon âgé de trente-cinq jours environ , pris dans l’utérus d’une femme suicidée , grandi huit fois , vu de profil par le côté droit. L’amnios qui l’enveloppait , incisé et déjeté à droite et à gauche, le laisse presque entièrement à nu. Les parois thorachiques et abdo- minales, du côté par où l’embryon est vu, ont été enlevées pour met- tre à découvert les organes sous-jacents. tO. Vésicule ombilicale ( feuillet intestinal ou interne du blastoderme ), flottant à l’extrémité d’un pédicule grêle et allongé, richement pourvue d’un réseau vasculaire dont les troncs principaux font saillie à sa face externe. Les vaisseaux qui composent ce réseau appar- tiennent, les uns aux artères , les autres aux veines omphalo-mésen- tériques ; artères et veines qui , primitivement au nombre de quatre (une artère et une veine pour le côté droit , une artère et une veine pour le côté gauche), sont maintenant réduites à deux : l’artère omphalo-mésentérique droite (a) et la veine omphalo-mésentérique gauche (j). L’artère gauche et la veine droite du même nom ne laissent plus de traces de leur existence. ESPECE HUMAINE. PLANCHE IVa. x. Pédicule de la vésicule ombilicale , présentant au-dessus de son point d’attache au sommet de l’anse primitive de l’intestin un petit ren- flement fusiforme. Cette portion renflée est la seule sur laquelle les vaisseaux omphalo-mésentérique p ne prennent pas leur appui, et la dernière qui s’atrophie. Le pédicule de la vésicule ombilicale , et les deux troncs vasculai- res qui l’accompagnent, après avoir longé le canal que forme le cor- don ombilical, sortent de ce canal par une petite ouverture que laisse l’amnios en se réfléchissant sur le chorion. u. Tronc principal de Y artère omphalo-mésentérique droite, naissant de l’aorte abdominale au niveau de l’anse intestinale primitive qu’il longe, et sur laquelle il distribue à droite et à gauche des ramus- cules artériels. Toute la portion de ce tronc qui est en rapport avec l’intestin, et les rameaux qui en émanent , formeront, plus tard, Y artère mé- sentérique supérieure. L’artère omphalo-mésentérique du côté gauche est complètement atrophiée. j. Tronc principal de la veine omphalo-mésentérique gauche, accompa- gnant l’artère du même nom , depuis sa naissance sur la vésicule ombilicale, jusqu’au renflement qui existe à la base du pédicule de cette vésicule. Arrivé là, ce tronc, devenu libre, se porte au côté gauche du tube intestinal, à peu près sur le point qui représentera plus tard la région pylorique de l’intestin , contourne cet organe pour venir s’anastomoser avec le tronc de la veine omphalo-méseu- térique droite (s), s’empare de ce tronc , pénètre le foie , et se jette dans la veine ombilicale au point même où cette veine reçoit les vais- seaux qui formeront le système porte-hépatique. En sorte que, la veine omphalo-mésentérique, telle qu’elle existe ac- tuellement, peut être considérée comme formée, en partie par la yeine omphalo-mésenterique gauche, en partie par la veine omphalo-mé- sentérique droite, qui ne persiste plus que dans une faible étendue (s), tout le reste s’étant atrophié. Mais cette portion de veine omphalo-mé- sentérique droite, quelque minime qu’elle soit, est des plus importantes, carelle constituera le tronc principal du système porte -abdominal, i. Intestin rudimentaire, formant une anse étroite et allongée, dont le ESPÈCE HUMAINE. PLANCHE IVa. sommet (i’) donne attache au pédicule de la vésicule ombilicale (x). L’artère omphalo-mésentérique droite (a) suit cette anse pour gagner le pédicule de la vésicule. i” . Appendice cœcal naissant sur l’un des côtés de l’anse intestinale primi- tive, ou anse ileo-cœcale, au-dessous et assez loin du point où s’insère le pédicule de la vésicule ombilicale. e. Estomac mis à découvert dans une certaine étendue, par l’ablation d’une partie du foie. k. Point de l’intestin rudimentaire, dans lequel débouchent l’ouraque ( d ) ou pédicule de l’allantoïde, et les canaux excréteurs des corps-de- Wolff (m). La communication de ces parties entre elles et avec le point qui représente l’extrémité inférieure durectum, constitue, à ce moment, chez Pespèce humaine, un cloaque postérieur. m. Corps-de-Wolff droit, occupant encore toute l’étendue de la cavité abdominale, depuis la cloison diaphragmatique, jusqu’à l’extrémité postérieure de l’intestin. Son conduit excréteur, réuni au futur conduit du testicule ou de l’ovaire droit, règne le long du côté ex- terne de l’organe, et s’ouvre dans le cloaque ( [k ) avec celui du corps- de-Wolff gauche, au point même oùl’ouraque ( d ) prend naissance. Le corps-de-Wolff du côté gauche n'est visible qu’à la base de l’anse intestinale : dans tout le reste de son étendue, il est caché par le rectum, l’estomac et le foie. l. Portion placentaire du chorion (allantoïde transformée), faisant suite au cordon ombilical, et portant dans l’épaisseur de ses parois les deux artères ombilicales ou allantoïdiennes {n, n), et la veine ( u ) du même nom, la seule qui persiste à cette époque du développement. Les villosités que porte ce lambeau de chorion, devant contribuer à former le placenta fœtal, sont très-ramifîées et très-développées. 2. Cordon ombilical, en grande partie formé par l’ouraque (pédicule de l’allantoïde). Le canal qui règne dans toute son étendue, depuis l’ab- domen jusqu’au chorion, est incisé, et les bords en sont écartés pour montrer: 1°, l’anse iléo-cœcale ( i ); 2°, la portion basilaire du pédicule de la vésicule ombilicale ( x ); 3°, la portion de l’artère omphalo-mé- sentérique droite (a), et la portion de la veine omphalo-mésentérique gauche (j’) logées dans ce canal ; 4°, l’ouraque (d), que l’on peut con- ESPÈCE HUMAINE. PLANCHE IVa. sidérer comme en formant la paroi postérieure ; ouraque qu’accom- pagnent les vaisseaux ombilicaux ou allantoïdiens, consistant actuel- lement en deux artères (n, n), et en une seule veine (u). 5’. Amnios incisé et déjeté sur les côtés. Ici encore, comme sur lafîgureAde laplanchelIP (Espècehumaine), on voit, sur la coupe, l’amnios se continuer avec la paroi du cordon ombilical qui forme canal, et se confondre, en arrière, avecl’ouraque. d. Ouraque (pédicule de l’allantoïde) naissant de l’extrémité postérieure de l’intestin, et accompagné par les vaisseaux ombilicaux ou allan- toïdiens (artères nn, et veine u). Le canal qui le parcourt, et qui se termine en cul-de-sac près duchorion, a encore un diamètre notable, surtout vers son tiers supérieur. », 71. Artères ombilicales ou allantoïdiennes, longeant l’ouraque et se dis- tribuant sur le chorion. u. Veine ombilicale ou aîlantoïdienne, se portant du chorion sur l’oura- que, qu’elle longe jusqu’à la naissance du cordon ombilical. Là elle l’abandonne, rampe sur la paroi abdominale en se dirigeant vers le foie (/), dans lequel elle pénètre, après s’être anastomosée avec la veine ombilicale droite, dont on voit la coupe. Arrivée au foie, la veine ombilicale reçoit, à droite, la veine om- phalo-mésentérique (s) ou future veine porte-abdominale , et fournit dans ce point un grand nombre de vaisseaux (»” u”), les uns volu- mineux, les autres grêles, qui se dirigent en avant et sur les côtés de l’organe, où ils s’anastomosent avec d’autres vaisseaux ( u ’ u’), connus sous le nom de veines hépatiques. Les troncs m”, u'\ après l’atrophie du canal d' Ar antius, et l’oblitération de la veine ombili- cale ou allantoïdienne, constitueront des veines porte-hépatiques, dont la fonction sera subordonnée à celle de la veine porte-abdomi- nale, ou veine porte proprement dite. La portion de la veine ombi- licale comprise entre les vaisseaux u ’ et u”, portion qui, primitive- ment, appartenait aux veines omphalo mésentériques, que les veines ombilicales ont détrônées, forme le canal veineux ou d 'Arantius. Ce canal, à ce moment du développement, reçoit, sur divers points, des ramuscules veineux qui s’atrophieront un peu plus tard, et son calibre est sinon plus, du moins aussi considérable que celui du reste de la veine. ESPÈCE HUMAINE. PLANCHE IVo. Un peu avant sa sortie du foie pour se jeter dans le confluent commun (c), et au point même où se rendent les veines hépati- ques («’), la veine ombilicale reçoit aussi la veine cave inférieure (q), veine actuellement de peu d’importance, mais destinée, plus tard, à devenir prépondérante et à se substituer à la veine ombilicale, comme celle-ci s’est substituée à la veine omphalo-mésentérique. La veine ombilicale ou allantoïdienne droite, déjà oblitérée sur l’ouraque, ne laisse plus dans l’embryon d’autre trace de son exis- tence qu’un tronc excessivement atténué, dont on voit la coupe au point où, avant son entrée dans le foie, elle s’anastomosait avec sa congénère du côté gauche. u',u\ Veines hépatiques ou sus-hépatiques, se distribuant dans le foie, où elles ont, de larges et fréquentes anastomoses avec les vaisseaux du système porte-hépatique (m”, m”), et se jetant dans la veine ombili- cale en avant du point où la future veine cave inférieure (