a PT nan BIBLIOTHEQUE UNIVERSELLE DE GENÈVE. Imprimerie de Lador et Ramboz, rue de l'Hôtel-de-Ville, n.78. BIBLIOTHÈQUE UNIVERSELLE GENEVE. sh — Ra à Der & Come cinquième. GENEVE, CHEZ B, GLASER, RUE DE LA PÉLISSERIE, Ne 133, PARIS, CHEZ ANSELIN, SU GCESSEUR DE MAGIMEL, Rue Dauphine, n. 56. 1836. SEPTEMBRE 1836. BIBLIOTHÈQUE UNIVERSELLE DE GENÈVE. DES PRIMES D’ENCOURAGEMENT EN FRANCE. Second article. S1 LE SYSTÈME DES DROITS PROTECTEURS EST NÉCESSAIRE A L'IN- DUSTRIE FRANÇAISE, A QUELLES CAUSES DOIT-ON ATTRIBUER CE FAIT. Les trois cinquièmes à peu près de la population de l'Angleterre sont devenus étrangersaujourd’huiauxtravaux rustiques, lestrois quarts decelle dela France en sontoccu- pés. Cette dernière étant de plus de 32 millions, il n’y a de disponible en faveur des travaux industriels que huit de ces millions, tandis que la population de l’Angleterre étant de 22 millions , l’industrie en occupe douze. Or en admettant que les huit millions d’artisans français produi- sent autant que huit millions de leurs pareils en Angleterre, ce dernier pays n’en fabriquerait pas moins un tiers au- delà de ce que peut produire la France. Mais ces huit millions d’artisans français ayant à pourvoir à l’approvi- sionnement d’une population intérieure de 32 millions, V 1 74 DES PRIMES D'ENCOURAGEMENT lorsque les 12 millions d’artisans anglais n’ont qu’un marché intérieur de 22 millions à approvisionner, il en résulte que, toutes choses égales d’ailleurs , FAngleterre peut verser sur les marchés extérieurs comme 100, tandis que la France ne peut y apporter qu’un contingent de 30. Mais ces choses ne sont pas égales, précisément à cause de cette différence de proportion. L’ouvrier anglais produit dans l’année plus de fabricats que ne peut le faire celui de France : non qu’il soit plus fort ou plus labo- rieux ; il produit plus, parce que les fabricans ont été obligés de combiner de mille manières le meilleur emploi de l’homme, et cela afin de pouvoir tourner en leur faveur la concurrence des prix , seule manière d’activer le débit de leurs fabricats dans l’épouvantable mélée que produit une telle accumulation d'ateliers, d’ouvriers et de fabricans. Ils y sont parvenus par la plus ingénieuse application de la division du travail, et par l’étonnante multiplication que l'usage des machines a permis de donner à ce travail , machines que fait mouvoir un com- bustible à bas prix ; ainsi la différence entre les produits fabriqués par l’industrie de l'Angleterre et celle de la France, est encore plus grande que nous ne l’avions énoncé. Mais ces faits se rattachent à des points de vue plus généraux, et qui nous paraissent dominer sur toute la question que nous avons posée. Chaque peuple , avec l’identité de la langue qu’il parle et des limites qui renferment le pays où il se fait gloire d’étre né, chaque peuple a aussi une identité de sentimens , de préjugés et d’instincts dont la communauté forme le caractère national. L'état présent des choses et leur état passé agissent, souvent à l’insu même de ce peuple ; mais non moins puissamment, sur ce caractère national, puis- EN FRANCE. 3 que celui-ci n’est autre que l’amalgame de ses sentimens, de ses préjugés et de ses instincts. De cet amalgame ainsi composé de traditions, d’habi- tudes et d'actualités , il résulte que chaque peuple a des dispositions qui lui sont propres, des affections et des antipathies qui lui appartiennent, et une appréciation des choses qui lui est d’autant plus intime qu’elle est dans ses mœurs bien avant que d’être dans ses lois, que ces lois mêmes sont souvent en opposition avec ces mœurs ; et que dans ce cas ce sont les lois qui ne tardent pas à être brisées par la puissance des mœurs. Lors donc que les trois quarts d’une nation ont choisi ainsi un mode commun d’existence , elle dit assez que ce mode de vivre est conforme à ses dispositions, à ses affections , qu’il est enfin analogue à ses mœurs. Or, la tendance des habitans de la France est évidem- ment celle de posséder un toit, une vigne et un champ; c’est-à-dire qu'après la guerre, c’est la vie rustique qu’ils préfèrent et qu'ils estiment. Par cela même aussi, nous sommes forcés d’en conclure que le mode de vivre, qui m’appartient qu’au quart restant de cette population , est moins préféré et moins estimé par elle. Ceci, sans doute, est résulté d’une économie antérieure, qui a permis à l'habitant de la France de dormir sous son toit et de cultiver la vigne et le champ qui forment son domaine; faculté interdite à l’habitant de l’Angleterre, qui ne peut labourer que le champ d’autrui , et auquel il devient indifférent de manier pour autrui la bèche ou la navette. Mais partout les branches de travail et les modes de vivre, qui restent dévolus à la minorité des peuples, attirent, de sa part, ni les mêmes espérances , ni le même intérêt , ni la même ardeur, et n’obtiennent pas, par conséquent , les mémes succès. ? 4 DES PRIMES D ENCOURAGEMENT En considérant, sous ces points de vue, la trempe et la tendance de la population française, on ne peut se refuser à croire que ses dispositions sont loin de porter sa majorité vers les travaux industriels, car Pattrait qu’on y remarque en faveur de ces travaux n’appartient qu’aux habitans des grandes villes manufacturières, à ceux de l'Alsace, du Nord et de la Normandie, c’est-à-dire à celles d’entre les populations de la France, dans les veines desquelles s’est conservé jusqu'ici le plus de sang germanique; car c’est parmi ces populations qu’on retrouve le plus d’aptitude naturelle pour des travaux qui exigent moins de force que de constance, moins d’activité que d’attention , moins de hâte que de précaution. Ailleurs, le fabricant ne trouve guère à mettre en œuvre, chez les ouvriers qu’il emploie, que des allures et des dispositions contraires; c’est-à-dire de la force, de l’activité , de la hâte, de l’insouciance sur les résul- tats de leurs œuvres. Et le fabricant lui-même reste-t-il étranger à ces traits caractéristiques du type national ? Les employés de sa fabrique n’en conservent-ils pas l’empreinte ? Beaucoup d’entre ces fabricans se sont-ils donné la peine de calculer le meilleur emploi du temps, la meil- leure division du travail? Sont-ils doués de cette prévi- sion qui met toute chose en son lieu et place, en ne se laissant jamais surprendre par l’inattendu, parce qu’il n°y a pas d’inattendu pour une haute prévision ? Trouve-t-on chez beaucoup d’entre eux cette gravité qui commande , parce qu’elle impose? Y trouve-t-on cette assiduité qui seule met en droit de l’exiger des autres? qualités sans lesquelles il se fait, dans un système de fabrication , une effrayante déperdition de puissance appliquée, et, par conséquent, de produits réalisés. EN FRANCE. à Beaucoup d’entre ces fabricans , au lieu d’avoir fait leurs propres calculs et leurs combinaisons, ne s’en tiennent-ils pas à ceux qu’une certaine routine a enseignés aux fabricans voisins ? Au lieu de fatiguer leur cerveau à prévoir, ne se laissent-ils pas souvent, au contraire , surprendre par les événemens? Au lieu de commander chez eux , ne laissent-ils pas les subordonnés s’emparer de la direction des affaires, ce qui est plus commode ? Au lieu d’une permanente assiduité à ces mêmes affaires , ne voit-on jamais les désœuvrés du voisinage venir avant midi prendre part un déjeüner, dont la longueur absorbe le surplus de la journée ? Telle manière d’opérer est inconnue en Belgique , parce que les femmes seules en dirigent les fabriques , et ne se voit en Angleterre que dans celles dont la ruine est imminente ; car obligés, ainsi qu’y sont les fabricans, de baisser sans cesse le prix de revient de leurs fabricats ; pour s’attirer les chances favorables d’une concurrence immense, ils savent assez que telle chose ne peut s’obtenir qu’au prix d’une assiduité sans bornes , d’une prévoyance toujours en action , d’une calculation constante du meil- leur emploi du temps, des forces et de la division du travail; tous savent enfin que la gravité du caractère est la condition nécessaire pour commander aux masses. Mais la gravité n’a rien en soi d’opposé au caractère anglais , le calcul de ses intéréts n’a rien qui lui répugne ; la prévoyance coûte peu d’efforts aux esprits réfléchis, et l'assiduité est facile à ceux qu’elle n’ennuie pas. Il y a donc dans la trempe de ces deux nations des traits qui rendent à l’une le fardeau de la fabrication léger , tandis qu’il est pesant pour l’autre et qu’elle ne consent à le porter qu’en vue du désir d’y trouver une source de fortune, qu’on se hâtera d'aller consommer ailleurs , si tant est qu’elle arrive. 6 DES PRIMES D'ENCOURAGEMENT Tel est, autant que j'en ai pu juger, Fordre des causes que j’appellerai morales, et auxquelles je crois devoir attribuer une part notable du prix de revient plus élevé d’un grand nombre des fabricats français, comparés à ceux du dehors. Mais cet ordre de causes n’est pas le seul ; il faut y joindre celles dont l'effet, plus positif encore, est plus facile à apprécier. Ces causes peuvent se ranger dans l’ordre suivant : 1° L’élévation du prix des matières nécessaires à la fabrication. 20 L’élévation du taux des salaires. 30 L’élévation du taux auquel les fabriques sont appe- es à payer les capitaux qu’elles emploient. 4° Le montant des frais qu’elles consacrent à leur premier établissement. La matière, que l’usage des machines a rendue néces- saire à la plupart des fabricans, est aujourd’hui le combus- tible. L’Angleterre est non-seulement saturée d’exploita- tions houillères , mais la mer, les rivières et les canaux, dont elle est traversée , y déposent partout la houille au plus bas prix; la Belgique est à peu près dans le même cas. Mais la France débute seulement dans le système de Pexploitation de la houille et de sa distribution; en sorte que , malgré le nombreet la puissance des filons que le sol de la France renferme sous son enveloppe, on ne pouvait néanmoins obtenir la houille qu'à des prix tout à fait disproportionnés , parce qu’ils étaient relatifs aux frais de son transport. Il en était de même, et par les mêmes motifs, du combustible fourni par les forêts. Cette disposition du pays y avait dû circonscrire les établis- semens manufacturiers aux séules localités où l’on pouvait s’approvisionner de combustible à bas prix. Néanmoins, grand nombre de fabriques, sans égard EN FRANCE. 7 pour une condition d’une telle importance, avaient placé leur siége sur des points où le combustible ne s’obténait que chèrement. Le prix de revient de leurs produits en était augmenté d’autant, et suivant que la concurrence était pour ou contre ces fabriques, elles subissaient ou faisaient subir cette augmentation aux consommateurs ; au seul profit des fabriques qui avaient su s'établir sur un point plus avantageux pour lPapprovi- sionnement de leur combustible. On s’occupe depuis quelques années, avéc üne prodi- gieuse activité, à niveler le prix de ce combustible en: rapprochant les distances qw’il est appelé à parcourir, soit en maltipliant les houillères , soit en traçant des canaux pour transporter à bas prix la houille à de plus grandes distances , et sur des points qui jusqu’alors lui avaient été inaccessibles ; tandis que les conseils généraux votent à profusion des fonds destinés à percer de nouvelles routes dans les départemens , et que les Chambres décrètent une loi pour assurer l’amélioration et le service des chemins | vicinaux. De telles mesures doivent nécessairement avoir pour effet de mettre les charbons plus à portée des établissemens manufacturiers , et par conséquent de tendre à mettre leur prix de niveau. Par une conséquence également néces- saire , le prix de revient de leurs fabricats doit diminuer de toute la part que le haut prix du combustible ajoutait à ce revient. L'usage des machines que ce combustible fait mouvoir est un des élémens nécessaires à la fabrication, et sur lequel se règle le prix de revient de leurs produits. Cet usage a été pendant longtemps l’apanage du régime industriel de l'Angleterre, et quoique la France lui en ait enlevé le privilége en se les appropriant , les fabriques anglaises. 8 DES PRIMES D ENCOURAGEMENT jouissent encore des avantages que donnent la priorité ; c’est-à-dire, que les machines qu’elles emploient sont mieux confectionnées , plus habilement gouvernées , beau- coup mieux appliquées aux divers services auxquels on les adapte. La France, à cet égard , est aussi en progrès, et on peut s’attendre à voir un jour ses appareils mécaniques marcher de pair avec ceux de la Belgique et même de PAngleterre. Mais, jusqu'alors, les fabricats qui s’exécutent à l’aide de machines , et par conséquent de combustible doivent nécessairement comporter un revient plus élevé ; sans qu’on puisse d’ailleurs accuser les fabri- cans français d’autres torts, hormis celui de n’avoir pas su à temps ce qui se passait en Angleterre, et d’avoir trop tardé à s’emparer de procédés dont l'usage y était depuis longtemps familier. Serait-ce à une main-d'œuvre plus chère en France qu’ailleurs qu’il faudrait attribuer une part dans le prix de revient plus élevé de ses fabricats ? Nous sommes appelés à distinguer ici entre le salaire que gagne l’ouvrier occupé dans les ateliers des manu- factures proprement dites, et celui qu’on est dans ce moment forcé de payer à l'artisan. Quelque proscrite que semble être aujourd’hui la dénomination d’artisan , nous ne saurions néanmoins donner ici celle d’artistes aux ouvriers cordonniers , tailleurs , ébénistes , carrossiers , serruriers Ou menuisiers , quelles que soient les préten- tions qu’ils puissent y avoir. Cette classe industrielle a été entièrement détournée de toutes habitudes d'ordre et de travail par l’action simultanée des idées dont elle s’est imbue et de la demande croissante de son travail , ce qui lui a permis de tourner la concurrence en sa faveur. Le prix de la journée de cette classe d’artisans s’est en conséquence élevé hors de toute proportion avec EN FRANCE. 9 celui des subsistances, avec le remboursement de ses frais d'apprentissage et avec les prix moyens de la journée de travail dans tous les autres emplois de la société. Il est résulté de cette anomalie que l'artisan, en obte- nant un gain hors de proportion avec ses dépenses, n’a pas capitalisé ce surplus, n’a pas cherché à s’en faire un moyen de bien-être et d’avancement ; au contraire il l’a placé en chômages et en débauches ; loin d’être plus riche à la fin de la semaine, il s’est trouvé plus pauvre, parce qu’au lieu de posséder le salaire de six jours de travail , il n’a reçu que celui de cinq , de quatre et souvent de trois. Mais cette fraction de travail ayant été payée beaucoup plus cher , ouvrage qu’elle a produit est nécessairement d’un revient beaucoup plus élevé, au détriment du public qui est obligé de rembourser non-seulement le travail , mais l’oisiveté de louvrier. Ce désordre social finira nécessairement, soit parce que l'attrait de ces salaires sans travail attirera dans ces pro- fessions un nombre d’ouvriers assez grand pour qu’ils se fassent à eux-mêmes une concurrence en baisse, soit parce qu’il arrivera une circonstance quelconque, qui, en rédui- sant la demande du travail, produira la même baisse. Mais il n’en est pas de même dans la nombreuse classe des ouvriers attachés aux ateliers de fabrication; car ce ne sont pas eux, mais les fabricans , qui, jusqu'ici, ont réglé le prix de leur travail ; parce que la concurrence a été en leur faveur; attendu que les populations pauvres des villes et des campagnes environnantes, viennent leur demander un travail, auquel les femmes et les enfans peuvent prendre part , et dont l’apprentissage est promp- tement fait. Cependant la législation agit, à l'égard des salaires, en sens inverse en France et en Angleterre ; car dans ce 10 - DES PRIMES D'ENCOURAGEMENT dernier pays, où les octrois sont inconnus , une portion du salaire des ouvriers manufacturiers est acquittée par la taxe des pauvres à la décharge du fabricant et au profit du prix de revient, par les propriétaires et les fermiers de la commune où se trouve la fabrique. Son possesseur acquitte sans doute, en cette qualité, sa quote part à cette taxe; mais cette part contributive perçue dans la pro- portion de la propriété , est bien loin d’équivaloir à celle qu'il bénéficie sur les salaires qu’il serait sans cela obligé de payer aux nombreux ouvriers qu’il emploie. Non- seulement cette taxe est étrangère à la France, si ce n’est dans les grandes villes, où l’on a établi des bureaux de bienfaisance, mais la perception des octrois augmente, pour tous les points qui s’y trouvent soumis, la dépense des ouvriers, augmentation qui doit se rembourser par les salaires qu’ils gagnent. Quelle que soit la différence que ces deux législations apportent dans le prix moyen de la journée de travail , celui qu'on paie en France est encore un peu inférieur à celui que les mêmes ouvriers gagnent en Angleterre, non compris leur part dans la taxe des pauvres. Le sa- laire pour ceux des ouvriers auxquels on ne demande ni fonctions , ni savoir spécial, est assez généralement en moyenne, et pris sur les diverses régions de la France, de 1 fr. b0O cent. pour les hommes, de 75 » pour les femmes, des 30 » pour les enfans. À ce compte , une famille, dont l’un des enfans est en àge de travailler , peut gagner, en six jours, 15 fr. 50 e., et, dans cinquante semaines, 765 fr. Or, d’après les évaluations faites par M. de Gasparin, une telle famille EN FRANCE. 11 peut vivre, sans souffrir, pour la somme annuelle de 522 fr. IL resterait ainsi à cette famille 243 fr., destinés à pourvoir aux maladies, aux chômages obligés de la femme ét à un surplus de bien-être. Ainsi, avec ce salaire, l’ouvrier français peut vivre exempt de besoins et même de soucis. Or, ce prix de main-d'œuvre est un peu plus faible que celui de PAngle- terre et un peu plus élevé que celui de la Belgique, de PAllemagne et de la Suisse. Le haut prix de cette main- d’œuvre ne saurait donc être regardé comme une des cau- ses de lélévation du prix de revient des fabricats français. Mais avant d'arriver à l'examen de la troisième de ces causes , qu’il nous soit permis d’exprimer ici le vœu de voir adopter, par les fabrieans, le système du travail en participation à la place de celui du travail salarié , ou, tout au moins, de les voir adopter simultanément ce double système , auquel nous croyons devoir attacher une immense importance sous le rapport de l’action morale que le système de participation peut seul introduire dans les grands ateliers. En effet, tout vient comme de soi-même se placer en ordre dans ce système, d’après lequel l’ouvrier reçoit une rétribution proportionnelle au bénéfice fait sur le travail opéré. Par l’appât de ce gain, ces ouvriers deviennent leurs propres surveillans ; ils soignent, ils perfectionnent les pro- cédés d’une fabrication à laquelle ils ont part ; ils ne tolèrent pas même l’insouciance des chefs, ni la négligence des contre-maîtres , puisqu'elles sont à leur détriment. En sorte que le fabricant peut s’en reposer sur son atelier pour son assiduité, sa diligence et sa bienfacture. L’ouvrier cesse, dans ce système, de n’éêtre qu’une simple machine à travail quotidien, parce qu’un avenir se crée au-devant de lui ; avenir qu’il peut élargir par ses 12 DES PRIMES D'ENCOURAGEMENT soins , par ceux de la famille qu’il appelle à partager son travail et son espoir. Dès lors aussi , cet ouvrier et cette famiile se relèvent à leurs propres yeux, par cela seul qu'ils ont acquis une confiance à placer dans l'avenir , et qu’il y a une moralité dans tout ce qui est à venir, comme il n’y a qu’abjection dans tout ce qui n’a que le présent pour but. Cest ainsi qu’au lieu d’être dans un état d’hostilité forcée avec les ouvriers qu’il emploie, puisqu'ils n’ont d’intérêt qu’à gagner , avec le moins de peine possible, le salaire convenu , le fabricant se donnera le concours de ces mêmes ouvriers, intéressés qu’ils seront aux succès et à la prospérité d’une fabrication dont la leur propre se trouvera dépendre. De rares exemples justifient notre vœu, et nous en prenons à témoin l’homme le plus capable d’en apprécier l'effet, M. Clément Désormes. Passons maintenant à l'examen de la grande question qui concerne le cours auquel les fabriques peuvent se procurer, en France, les capitaux qu’elles emploient. Les capitaux ne manquent pas aujourd’hui aux besoins de la France. La preuve en est que la terre s’y vend au denier 30, que les hypothèques s’y contractent à 4 + pour ©, que le gouvernement emprunte au 4 5 à long terme , et au 2 { à courte échéance ; la moyenne de ces cours est celui de 4 pour $, taux des escomptes de la banque. Mais ce taux n’est pas celui auquel les fabri- cans peuvent participer à ces escomptes, car il faut, pour faire accepter leur papier à la banque, qu’il soit revêtu de deux autres signatures , dont chacune exige demi pour ©. C’est donc au 5 pour $ que les fabricans se procurent les capitaux dont ils ont besoin. Par consé- quent la fabrication française paie ses capitaux 1 pour à EN FRANCE. 13 de plus qu’en Angleterre, en Belgique et en Suisse , où elle s’en pourvoit au 4 pour 5. La raison d’une différence qui pèse de tout son poids sur le prix de revient des fabricats français, est, en premier lieu, que les capitaux sont plus abondans en- core en Angleterre, en Belgique et en Suisse, qu’ils ne le sont en France ; en second lieu , qu’en vertu des causes morales que nous avons énoncées plus haut , le système de la fabrication n’est pas encore établi en France de manière à inspirer aux détenteurs de capi- taux un degré de confiance égal à celui que les capitalistes anglais ou belges accordent à la fabrication de leur pays. Nous venons de dire que les capitaux étaient plus abondans encore à l’étranger qu’ils ne le sont en France: Paddition qu’il faudrait faire pour s'assurer des totaux de ces richesses respectives serait sans doute difficile à faire ; mais quels que puissent être ces bilans , c’est de leur quantité disponible que s’alimentent les fabriques. Or, il y a d’autant plus de capitaux disponibles qu’il se fait moins de dépenses dans un pays ; car cette portion non dépensée retourne presque en entier au profit de la reproduction , faute de trouver d’autres emplois, attendu qu’ils sont déjà saturés de capitaux : c’est le cas où se trouve aujourd’hui la Suisse, la Belgique, et méme l'Angleterre. ; Mais ces capitaux , que la fabrication paie , en France, au 5 pour ©, sont appliqués de diverses manières dans * Dans le moment où nous publions ceci, la banque d'Angleterre vient de porter au 5 pour cent le taux de ses escomptes ; mais ce fait momentané paraît n'avoir eu d'autre but que celui d'arrêter le mouvement désordonné que d’imprudens spéculateurs avaient imprimé aux entreprises hasardeuses. 14 DES PRIMES D'ENCOURAGE MENT les fabriques , puisqu’une portion est dévolue au capital qu’il a fallu fixer dans Ja création de Pétablissement , lequel ne produit ni intérêts, ni amortissement, quoiqu'il faille néanmoins en payer un intérêt et prélever un amortissement, et qu’une autre portion forme le capital circulant, au moyen duquel on alimente et on défraie toute l’œuvre de la fabrication. Les profits de cette fabri- cation doivent ainsi servir Pintérét du capital cireulant qu’elle a employé , plus ceux du capital qu’on à fixé pour former le siége même de la manufacture, Dès lors on conçoit que la charge qui pèse sur le fabricant s’accroisse d’autant plus que la portion du capital qu’il a fallu fixer est plus considérable, relativement à celle qui forme le capital circulant, le seul qui puisse étre réellement productif. On conçoit aussi comment telle fabrique , dont le travail est important et le débit actif, peut étre néanmoins mal°dans ses affaires, par cela seul que ce travail et ce débit ne sauraient parvenir à payer les intérêts et l'amortissement du capital dispro- portionné qu’on a fixé dans le premier établissement. Les exemples à citer au besoin ne nous manqueraient pas. C’est ce que nous allons examiner en touchant à la dernière des questions que nous nous sommes posées. Il y a une tendance, malheureusement beaucoup trop générale en France, à couler en bronze et d’un seul jet les établissemens manufacturiers qu’on fonde à nouveau. Aucune dépense n’arrête. Il semble que ce luxe indus- triel soit une garantie de succès, lorsqu'il est, au contraire, une cause imminente de la ruine qui menace ces établis- semens, parce qu’il les surcharge , ainsi que nous venons de le dire, d’une somme beaucoup trop forte à payer annuellement pour le service des intérêts d’un capital qui, loin d’en rapporter, n’est que l’occasion d’une EN FRANCE. 15 dépense annuelle d’entretien proportionnée à l’étendue et à la somptuosité des engins et des édifices qu’on a construits. Heureux encore si ces constructions ont été faites en pleine connaissance de cause, sur un emplacement à portée des matières premières et nécessaires qu’on se propose d’y mettre en œuvre , après s’être assuré que ces engins étaient les mieux appropriés de tous à l’usage auquel on les destine , après avoir constaté que le volume et le poids de la chute d’eau ne manqueraient pas au besoin , dans le cas où la fabrication serait de nature à avoir besoin d’un tel moteur, après s’étre assuré si ces eaux sont favorables à telle ou telle teinture , alors qu’il sera question d’une fabrication d’étoffes! Sans pousser cette énumération jusqu’au bout, nous dirons que trop d’exemples ont appris aux bailleurs de capitaux à se défier des résultats d’entreprises manquées , pour avoir pas fait resserrer ces capitaux devant les demandes qui leur étaient faites par des entrepreneurs d’établissemens manufacturiers , dans la crainte de voir leurs entreprises échouer et ces capitaux s’anéantir dans le gouffre des constructions mal conçues , mal situées , dépourvues des conditions indispensables au succès qu'annonçait le programme. Cette résistance des capitalistes à confier des capitaux aux entreprises manufacturières a engagé beaucoup d’industriels à recourir à l’esprit d’association, pour en obtenir en détail les capitaux qu’on leur refusait en gros ; c’est-à-dire qu’il s’est constitué de la sorte un grand nombre de sociétés anonymes. Qu’est-ce qu'une société anonyme ? C’est une réunion de capitalistes , lesquels consentent à préter, à titre d’actions , une somme déterminée, dans une entreprise 16 DES PRIMES D'ENCOURAGEMENT dont ils espèrent retirer un bénéfice, sans que les pertes puissent dépasser la somme consentie, mais à condition de ne donner à cette entreprise ni temps , ni peines , ni surveillance, s’en remettant à cet égard à l'administration de cette société. Qu’est-ce que cette administration ? Pour l'ordinaire , elle consiste en un petit groupe d’industriels , ayant quelques notions sur la nature de lentreprise qu’ils annoncent, mais dépourvus de capitaux et de crédit. Ces industriels, cherchant à tirer un parti quelconque des moyens personnels qu’ils possèdent, s'associent avec un ingénieur et un chimiste ; puis ils font choix d’un empla- cement qui semble être propre à remplir leurs vues; puis ils dressent un plan, un devis, et un acte social par lequel les places de Pétat-major leur sont, comme de raison, dévolues. Nanti de ces précédens , l'état-major s’enquiert de quelques noms célèbres en finances, et va leur offrir au pair les actions qu’il vient d’improviser. Si le projet agrée à ces célébrités , elles consentent à se charger de ces actions et acceptent les fonctions d’administrateurs et de censeurs de ladite société. Parvenue à ce terme, l’affaire est embarquée, car, à l'abri de la confiance qu’inspirent les noms de ces administrateurs , les actions se placent non-seulement au pair, mais souvent avec prime, et les premiers souscrip- teurs en profitent pour se défaire des leurs avec bénéfice. Mais le capital est fait; il a été calculé sur la plus large échelle dont l'établissement puisse faire l’emploi ; quelque- fois même il le dépasse, lorsque l’on s’est flatté de faire sur les primes des bénéfices dont la perte ne doit retomber que sur les dernières mains entre lesquelles resteront les actions. Dans ce cas, l’entreprise se trouve chargée de servir les intérêts de capitaux qui outrepassent ses EN FRANCE. 17 besoins. N'importe, elle en est largement pourvue : l'ingénieur édifie ; il fait de beaux logemens pour l'état- major et de jolies écuries pour ses chevaux , de belles salles pour le conseil d’administration et de vastes maga- sins pour les matières premières. On commande des machines en Angleterre, on assiste à une belle scène industrielle qui se crée sous l’empire des capitaux qu’on y voit abonder. Tout est avenir, espoir et fête dans ces débuts. L’établissement s'achève et les opérations com- mencent ; leur succès a droit d’étonner, car i! dépasse les prévisions. Mais les produits sont prêts à être livrés au commerce, ils se répandent dans la consommation, et au lieu d’éloges on en reçoit des plaintes. Si ces produits consistent en fer, qu’on ait voulu traiter à la houille , il se trouve que cette houille était de mauvaise qualité, ou que le minerai, que le chimiste avait trouvé supérieur à celui de la Haute-Saône, ne donne que du fer dur et cassant, qu’on ne saurait soumettre au laminoir ; il faut alors se procurer à grands frais d’autres charbons , et faire venir du minerai puisé aux bords de la Saône, et tous les calculs de revient sont déjoués. Ou bien ce sont les machines qu’on avait cru parfaites et qui sont fautives ; il faut se procurer de nou- veaux appareils, après quoi l’entreprise marchera à pas de géant; mais la chose ne peut avoir lieu qu’au moyen d’un appel aux actionnaires ; ils en murmurent, mais ils paient, parce que le conseil d'administration leur dé- montre que c’est la seule manière de rattraper l'argent déboursé. Tantôt pour une cause , tantôt pour une autre, on arrache ainsi des appels; et lorsque cette ressource est épuisée, l’entreprise vit quelque temps sur son crédit, jusqu à ce que ce crédit étant aussi épuisé , l'état-major disparait, les créanciers accourent, les actionnaires se que- Li 2 18 DFS PRIMES D ENCOURAGEMENT rellent, la vente se prépare, les enchères s’ouvrent, et l'huissier adjuge pour 1800 mille francs un établissement où 14 millions sont venus s’engloutir. Ces déconfitures ont eu lieu, parce que des entreprises dont la nature exige une prodigieuse surveillance n’ont été surveillées par personne, parce que des entreprises dont l’administration demande une haute capacité n’ont été administrées par personne ; car tous les actionnaires étant entrés au même titre dans l’association, et n’étant pas solidaires les uns des autres, n’ont pas contracté non plus d’obligations les uns envers les autres : ils n’ont contracté qu’envers eux-mêmes celle d’agir de confiance et de ne pas s’en méler. La faute en est de n’avoir pas compris, dès l’abord , que l'institution des sociétés ano- nymes, précieuse lorsqu'il est besoin de réunir un grand capital pour une entreprise où il ne s’agit que d’admi- nistrer, ainsi qu’il en est des banques, des compagnies d’assurance , etc. , que cette institution était en revanche fatale, lorsqu’il était question d’une entreprise exécutante, parce qu’elle est nécessairement dépourvue de toutes les conditions et de tous les rouages avec lesquels on exécute. L'industrie, privée par tant d'expériences fâcheuses de la facilité de se pourvoir de capitaux à l’aide du mécanisme des sociétés anonymes, si ce n’est lorsqu’elles sont fondées sur de très petites échelles , et trouvant également chez les capitalistes une répugnance à confier leurs fonds aux entre- prises manufacturières formées en commandite, l’industrie devant suppléer à ce qui manque à ses propres capitaux pour son exploitation, par des circulations dont l'intérêt est toujours onéreux, finira par comprendre qu’il lui im- porte d’occuper dans la fabrication le moins de capitaux possible. Mais elle ne pourra parvenir à ce but qu’en fixant la moindre somme possible en matériel d'engins ét de EN FRANCE. 19 constructions , .en attendant pour s’en fournir que le développement successif de la fabrication en fasse sentir urgent besoin ; alors le fabricant ayant acquis en méme temps la preuve du succès et du résultat de son entre- prise , et certain qu’il sera de ne pas faire fausse route, : pourra sans crainte agrandir son établissement , puisque ses progrès mêmes l’exigeront , au lieu de devancer ces progrès en leur préparant à l’avance des locaux immenses et des appareils magnifiques. En agissant ainsi & posteriori , il ne surchargera jamais sa fabrication du service des intérêts d’un capital superflu , service qui accable de son poids le prix de revient des fabricats. Ajoutons encore que par cette sagesse dans leur manière de procéder, et en évitant de gaspiller les capitaux qu’on leur confie, les fabricans regagneront la confiance des capitalistes , confiance qui ne se laisse pas conquérir de haute lutte et qu’on n’acquiert que par l'épreuve du temps. C’est l’unique moyen qui leur soit donné pour abaisser d’un p'$ l'intérêt des capitaux qu’on prête à la fabrication, et pour ramener ainsi cet intérêt au niveau de celui qu’on paie dans l'étranger pour s’y procurer les mêmes capitaux. Ilreste à nous faire une notion, tant soit peu exacte, des quantités dont chacune des causes que nous venons d’é- numérer pèse sur le prix de revient des fabricats français. Nous ne pouvons attribuer aucune part, dans le surplus d’élévation de ce prix de revient sur celui des mêmes produits fabriqués à Pétranger, au plus haut prix de la main-d'œuvre , puisque nous avons reconnu que cette main-d'œuvre , si elle était tant soit peu plus élevée qu’en Suisse et qu’en Belgique, était inférieure à celle qu’on paie en Angleterre. Il ne vaut donc pas la peine d'apprécier cette différence à un quantum quelconque. 20 DES PRIMES D'ENCOURAGLMENT En revanche, nous croyons pouvoir estimer que l’effet des causes morales que nous avons énoncées, pèse sur le revient des fabricats français dans une proportion qui n’est pas moindre que le . . . . 5 p'£ de leur valeur. Nous pensons également qu’il faut attribuer à la cherté du combustible, à Pimperfection des machines et à celui des moyens de transport, une autre part montant au . . . . . 35. Au surplus payé pour l'intérêt des capitaux une part de . . . . . 1 Et enfin au faux emploi doise à à ces capitaux une autre part de . . 11. Total du surplus de revient des 5 TE 0 FIDPIGALS IPATIGAIS à à 2 4. 2 LL D’. Personne, et pas mieux nous que tout autre, ne pourrait justifier l’exacte précision d’unetelle échelle de proportion. Nous ne saurions prétendre non plus qu’elle soit de nature à s'appliquer à tous les genres de fabricats ; car il en est de plus ou moins avancés ; il en est qui se travaillent avec plus d’économie, parce qu’ils sont pourvus de leurs capitaux ; il en est dont une longue pratique a révélé les secrets ; il en est enfin que la spécialité et le savoir des fabricans a portés au minimum de leur revient en évitant les fautes que nous avons signalées. Mais il y à aussi des fabricats qui s’exécutent à un revient de 20 et jusqu’à 30 pour © plus élevé que celui auquel l'étranger peut livrer ces mêmes objets. La moyenne à laquelle M. le Ministre du commerce a évalué ce surplus de revient est celle de 18 pour ?. Nous sommes disposés à croire que cette évaluation est aujour- d’hui déjà trop élevée, et que la nôtre est plus voisine de EN FRANCE. 21 la vérité, car un grand nombre de fabriques érigées à grands frais ont accompli leur ruine et terminé leur histoire. Ces mêmes établissemens , rachetés à bas prix , travaillent aujourd’hui sous des conditions plus favorables, en ce qu’ils ne sont plus chargés d’acquitter les intéréts d’un énorme capital fixe. Beaucoup d’autres fabriques ont acquis aussi , par l’épreuve et le temps, ce que M. Ma- thieu de Dombasle a très bien appelé l’aplomb manufac- turier. De tels faits pèsent dans la balance , et si l’on a sous les yeux la déplorable ruine du Creusot, il faut songer aux succès qu’obtient, en revanche, l’établissement de Fouchambaut. Il faut songer que, si beaucoup d’entre les fabricans de France n’envisagent l’existence industrielle qu’en qualité de marchepied pour arriver ailleurs, beaucoup d’entre eux aussi commencent à se faire gloire de la spécialité qui les distingue , et qu’à l’aide de ces circon- stances, le système de la fabrication se perfectionne, ou en d’autres termes, que le prix de revient des fabricats tend à s’abaisser chaque jour. Au point où en est arrivé cette discussion , nous avons. reconnu, qu’à l'exception des céréales, dont la législation tient à des considérations trop puissantes pour qu’il soit possible de les jouer contre des théories, toutes les autres protections qu’on s’est plu à donner aux productions naturelles de la France, sont inutiles ou superflues, à moins qu’on ne range l'impôt qui crée cette protection dans l’ordre des simples droits de consommation qu’on perçoit par le moyen des douanes , perception beaucoup plus facile en effet que s’il fallait la confier à l’exercice des impôts indirects. Ces droits, assimilés ainsi à ceux qu’on prélève sur le sel, le sucre et le tabac, rentrent alors dans la catégorie des impôts de nécessité, et, sous ce 22 DES PRIMES D'ENCOURAGEMENT point de vue, ils échappent en quelque sorte au domaine de l’économie pour rentrer dans celui de la fiscalité. A l'égard des produits fabriqués , nous avons reconnu qu’en effet ils se confectionnaient en France à un revient plus élevé, en moyenne, de 11 pour à que celui de l’étran- ger; mais nous avons €n même temps reconnu que ce revient a constamment tendu à baisser depuis un laps de trente ans, et de plus, que la tendance imprimée à Péco- nomie générale du pays , travaille activement aujourd’hui à favoriser une réduction plus notable et plus prompte. Le criterium de cette réduction ne s’obtiendra pas sans doute par les aveux des fabricans ; on n’en aura connais- sance que par le cours auquel les fabricats français seront livrés sur les marchés du dehors ; car dans ce fait il n’y a pas d'illusions. Il se vérifie par la masse et l’espèce des exportations, combinées avec les placemens et les prix des objets exportés, en tenant compte toutefois des charges que la législation de l’étranger fait respectivement peser sur les fabricats des diverses provenances qu’on étale sur ses marchés. À l’aide d’un tel criterium , le gouvernement sera mis à même de savoir quels sont ceux des fabricats indigènes qui ont atteint le minimum de leur revient, en ce que ce seront précisément ceux-là qui se livreront en concur- rence de prix à la demande de l'étranger , à l'exception toutefois, et par les raisons que nous en avons données, de tout ce qui est compris dans le commerce sous le nom d’articles de Paris. Ce gouvernement pourra alors baïsser à mesure le tarif des droits protecteurs imposés sur l’entrée de ceux des fabricats dont le revient aura atteint son minimum, puisqu'ils n’auront plus alors à redouter de concurrence étrangère. Ce tarif s’échelonnera ainsi avec le temps, sans EN FRANCE. 23 que nous pensions qu’il puisse être jamais entièrement aboli, ni qu’on puisse ainsi satisfaire aux vœux d’entre ceux des économistes dont l’unique devise est de laisser faire et de laisser passer; car nous avons dit les causes en vertu desquelles nous ne croyons pas que le génie manu- facturier soit l’attribut de la population française : nous pensons qu’à cet égard il s’en trouvera toujours de mieux avisées qu’elle. Nous croyons aussi qu’il est plusieurs objets de fabrication, dont, avec toute l’habileté et la dextérité possibles, les prix de revient ne pourront jamais rivaliser avec ceux de l'étranger, parce que des conditions physiques imposées par la nature s’y opposent. Ainsi, jamais la France ne pourra fabriquer le fer au même prix que la Suède, la Russie et l'Angleterre , parce que le sol forestier est appelé par les besoins de la consommation à fournir le charbon à un prix beaucoup plus élevé qu’il ne peut l'être dans les pays du Nord, et qu’en Angleterre la nature géologique a plus favorablement assorti le minerai avec le sol houiller, qu’elle ne la fait en France. Si la France acceptait néanmoins sans condi- tions ces fers étrangers, quelle effrayante perturbation n’occasionnerait-elle pas dans ce vaste système de fabrica- tion! Et l’on conçoit qu’avant de la provoquer on y pense sérieusement. Il en est de même des tissus de coton: le climat de la France n’en favorisera jamais le travail comme celui de l'Angleterre; et il ne faut pas qu’elle s’en plaigne. Quant à ceux de laine et de soie, on ne saurait attribuer qu’aux fautes que nous avons mentionnées l’élévation de leur prix de revient; car rien dans l’état des choses ne saurait la justifier. Nous ne saurions ainsi, en terminant ee-travail, con- seiller aux législateurs de la France d’adopter de prime 24 DES PRIMES D'LNCOURAGEMENT EN FRANCE. abord le système du laisser passer , car le péril en serait trop grand ; mais nous croyons fermement que le temps des prohibitions est passé , et qu’ils devraient effacer de leurs codes ce qui en survit encore. Nous croyons fer- mement qu’il convient à la France d’abaisser , au fur et à mesure de l’expérience, les droits protecteurs en les réduisant de manière à paralyser la contrebande, en conservant néanmoins une perception qui verserait quelque revenu au trésor, et qui, jointe aux frais de transport, composerait encore une prime à la fabrication. Sans attenter aux intérêts du consommateur, nous pensons qu’un minimum de cinq pour cent, ad valorem, serait une proportion de nature à remplir ce but. L. de C. RECIHERCHES SUR L'ORIGINE DE L'INSTITUTION DES CAISSES D'ÉPARGNE. Par M. Alphonse De Candolle, En écrivant sur les caisses d’épargne, mon but n’est pas de développer les avantages de cette précieuse insti- tution ; ils sont reconnus aujourd’hui de tous les hommes éclairés, etnombredepersonnes placées demanièreà influer sur l’opinion publique les proclament dans toute l’Europe. On ne saurait contester que le paupérisme ne soit attaqué par sa base, quand on développe dans les classes inférieures un sage esprit d'économie. On doit reconnaître aussi que les petits capitalistes, les petits rentiers, dont les caisses d'épargne augmentent le nombre, ont intérêt à combattre le désordre et l’anarchie, cette hydre à centtêtes sans cesse renaissantes au milieu de nous. La conduite de la garde nationale de Paris, essentiellement composée de petits capitalistes, en est une preuve bien évidente. En réfléchissant à ce qui se passe en France et ailleurs depuis six ans, je suis même convaincu que la sécurité publique est plus intéressée à la multiplication des petits capitaux qu’à la division extréme de la propriété foncière. Je vois en effet que partout où l’émeute s’agite, ce sont les propriétés en billets, en fonds publics ou en marchan- dises, qui sont les premières menacées. Il faut qu’une 26 ORIGINE DES CAISSES D'ÉPARGNE. révolution soit bien radicale pour qu’elle attaque la pro- priété foncière ; et alors même ce ne sont pas les petits propriétaires qui ont le plus à craindre. Ils savent que l’on confisque plus souvent les grandes propriétés que les petites. Ils ont d’ailleurs l'expérience que la vigne mürit ses raisins, que le blé se vend au marché, en dépit de tous les changemens de ministère, voire méme de dynastie. Leur intérêt et leur position les rendent donc indifférens à ce qui se passe. Le petit rentier, au contraire, se jette au travers de l’émeute pour la contenir ou la combattre, parce qu’il y va de son bonheur actuel, parce qu’il redoute les faillites, la banqueroute de l'état, le pil- lage des magasins. En Angleterre et en Hollande la grande masse de la nation ne possède pas un pouce de terrain ; cependant l’ordre public y est facile à maintenir, parce que la proportion des petits capitalistes y est plus consi- dérable que partout ailleurs. Ainsi les caisses d’épargne, en augmentant le nombre des hommes le plus directement intéressés au maintien de l’ordre, rendent un service réel à nos sociétés toujours menacées. Ce genre d'institution se répand aujourd’hui d’une manière si remarquable, qu’on ne saurait trop se hâter de constater , pendant que cela se peut, son origine, sôn point de départ. Il est à désirer que les moyens de publi- cité dont nous jouissons à présent servent à rendre justice aux bienfaiteurs de l’humanité.Le moyen âge nous a laissé ignorer les fondateurs de beaucoup d’utiles et nobles institutions. Efforçons-nous de ne pas mériter le même reproche, et puisque notre époque a vu naître les caisses d’épargne, qui répandront un jour leurs bienfaits jusque dans les moindres villages, tâchons de faire connaître leur origine, et de constater leurs premiers développemens. ORIGINE DES CAISSES D'ÉPARGNE. 27 Sur ce point historique nous aurons à renverser des idées généralement reçues; mais les dates sont trop certaines pour qu’on ne doive pas maintenant rendre justice aux pays et aux hommes qui ont débuté dans l’établissement des caisses d’épargne. Les Anglais ont eu, les premiers peut-être, quelques idées qui devaient conduire à l'institution des caisses d'épargne. On sait combien leurs associations d’ouvriers pour secours mutuels ( friendly societies ) sont nom- breuses et anciennes, de même que leurs diverses sociétés pour des placemens viagers (benefit societies). La France avait aussi des institutions du même genre, et l’on en retrouverait également, sous une forme ou sous une autre, dans toutes les parties de l’Europe, car les anciennes corporations, les sociétés de maîtres ou d’ouvriers remon- tent aux temps les plus obscurs du moyen âge. Souvent elles offraient des résultats analogues à ceux de nos caisses d'épargne et de prévoyance ; en particulier elles avaient pour effet d’arrêter l’essor de la population, presque tou- jours disproportionné avec celui de la richesse publique. Toutefois, pour arriver à une forme aussi simple, aussi libérale, aussi utile à la généralité des classes pauvres , que celle de nos caisses d'épargne, il y avait encore de grands pas à faire. Le spirituel auteur de Gulliver n’en était pas éloigné quand il dit que les lois de Lilliput obligeaient chaque ouvrier à subir une retenue mensuelle sur son salaire, pour l'éducation de ses enfans , en proportion de leur nombre’. On sait aussi que le célèbre ministre Pitt avait un projet analogue, car il cherchait un moyen de con- traindre par la loï tout ouvrier à économiser une portion * Voyages de Gulliver à Lilliput, chap. VI. 28 ORIGINE DES CAISSES D’ÉPARGNE. de son salaire. Souvent il en parlait avec un administrateur habile, M. Rose ; mais la guerre occupait alors trop vive- ment l’attention publique, pour qu’on pût mettre de tels projets à exécution sur une échelle un peu grande. La bienfaisance éclairée de quelques personnes fit naître un certain nombre de caisses d’épargne en Angleterre, dès année 1798 ; ce ne fut cependant que vers 1815 et 1816 que linstitution se généralisa. D'ailleurs il faut remarquer que l'Angleterre avait été devancée, dès 1787, sans le savoir et sans qu’elle le sache encore, par deux ou trois des petits états qui composent la Confédération helvétique. Depuis longtemps la Suisse possédait, comme l’Angle- terre, des institutions tendant à faire comprendre les avantages de l’économie et la puissance des intérêts cumulés pour produire des capitaux. Dans ce pays, qui n’est favorisé de la nature que sous le point de vue pittoresque, où l’on manque de rivières navigables, de ports, de mines de houille et d’une foule de productions naturelles, Pat- tention a dù se tourner vers l’économie, comme moyen de richesse, plus souvent que vers le. commerce et les grandes manufactures. La première spéculation a été dans chaque famille de dépenser moins que ses revenus. Les capitaux une fois formés, l’industrie en a recu plus tard une impulsion fort heureuse. La première caisse d’épargne qui ait existé en Suisse, et, à ma connaissance, en Europe, est celle de Berne, appelée caisse des domestiques. Sa fondation remonte à 1787, onze années avant la première caisse d'épargne fondée en Angleterre. Elle était destinée, comme le nom l'indique, à une seule classe de personnes; mais on fermait les yeux lorsque les préteurs appartenaient à une classe analogue, par exemple, lorsqu'ils avaient été une fois domestiques. Le ORIGINE DES CAISSES D'ÉPARGNE. 29 minimum de chaque dépôt était de 75 francs', somme trop élevée, selon les idées modernes, mais qui n’a pas empêché l’établissement de réussir. Le Conseil Souverain de la république de Berne sanctionna le règlement consti- tutif. Le gouvernement, de son côté, comprenait si bien l'importance de cette belle institution, qu’il lui avança 60,000 francs sans intérêts , pendant plusieurs années, et que, même après les malheurs de la Suisse, en 1799, la somme avancée s’éleva à 112,000 francs. Ce ne fut que dès 1822 que la caisse put rembourser à l’Etat ces avances. Elle acheva de se libérer en 1828. En 1829, la somme totale des dépôts s'élevait à 831,000 fr., dont 180,500 appartenaient à des ouvriers et autres personnes qui m’étaient pas des domestiques. Comme il existe main- tenant une autre caisse d'épargne dans la ville de Berne, le règlement mis à exécution le 1° mars 1830 conserve Pancienne caisse des domestiques, mais pour cette classe de personnes seulement. L'intérêt a été fixé dès l’origine à 3 + pour cent. J'ai cherché vainement quel avait été le fondateur de cette première caisse d’épargne. Citoyen modeste, il en a laissé tout l’honneur à son pays, à cette république, fort décriée par certains journalistes modernes, mais que l’il- lustre auteur de l'Esprit des lois, aussi bon juge qu’eux, comparait à la république romaine. Occupés dela création d’une caisse d'épargne , à une époque où il n’en existait aucune dans le monde entier, les patriciens bernois ne paraîtront pas aux yeux de Phistoire tels qu’on a voulu les représenter. Administrateurs intègres et éclairés, nous les voyons préoccupés du désir d’être utiles aux classes inférieures. Sur ces trésors qui ont été une des causes de * Nous avons réduit en francs de France toutes les sommes mentionnées dans cet article. 30 ORIGINE DES CAISSES D'ÉPARGNE. leurgloire et de leur perte, nous les voyons prélever la fon- dation de grands hôpitaux et d'une caisse d'épargne, créer des routes excellentes quand toute l’Europe en manquait, et construire des bâtimens publics dignes des plus grandes capitales. Les impôts étaient légers, comme dans la plupart des Cantons de la Suisse; et cependant à chacune des catastrophes du gouvernement bernois, en 1798 et 1830, on a trouvé les institutions publiques richement dotées, les bâtimens et les routes dans un état remar- quable de luxe et de conservation, enfin le trésor nanti d’autant de millions d’économie que la plupart des Etats de l’Europe en avaient de dettes’. Tant il est vrai qu’un esprit d'ordre et de prévoyance est, pour les gouverne- mens comme pour les familles, la base d’une véritable prospérité. Malheureusement l’histoire de cette même république de Berne, montre combien il est difficile de maintenir une prospérité financière aussi grande en dépit des fautes de ceux qui en profitent, et des mauvaises passions de ceux qui la convoitent. La caisse d'épargne de Berne, fondée en 1787, n’é- tait destinée qu'à la classe des domestiques, et on ne recevait de préteurs d’une autre catégorie que par une sorte de négligence très louable. Cinq ans plus tard, en 1792, la ville de Bâle fonda la première caisse d'épargne ouverte libéralement à tout individu qui se présente”. Vraisemblablementles fondateurs * Les dix-huit millions de francs de France trouvés dans le trésor de Berne en 1832, représentent relativement à la popula- tion 51 francs par tête. À la même époque, la dette consolidée de la France s'élevait à 3 milliards 320 millions de capital, soit 103 francs par tête. ? Bernouilli, Archiv für die Statistik der Schweitz, Bâle, in-8°, journal dont il a paru malheureusement peu de cahiers. Le premier contient un état des caisses d'épargne de la Suisse, en 1825. ORIGINE DES CAISSES D’ÉPARGNE. 31 decette utile institution se proposaient d’imiter et d’amélio- rer ce qui s’était fait à Berne. Ils eurent l’idée heureuse de ne pas borner leurs bienfaits à une seule classe d’in- dividus, mais ils conservèrent un minimum trop élevé. Ils obtinrent toutefois un succès remarquable, surtout pour une époque de guerre et de révolutions. En cherchant les institutions analogues aux caisses d’épargne qui existaient en Suisse avant celles d’Angle- terre, on trouve encore à Genève ! une sorte de caisse qui paraît avoir précédé les établissemens de Berne et de Bâle, mais un peu plus éloignée par sa nature de nos caisses d’épargne modernes. Il s’agit d’un établissement particulier, dont la tradition est presque perdue aujour- d’hui, et qui avait pour but de placer des sommes supé- rieures à 60 1. (97 fr. 17 c.) Au moyen d’une limite aussi élevée, la classe pauvre était à peu près exclue, et la formation des petits capitaux, avantage principal des caisses d'épargne, n’était pas excitée. Toutefois on peut dire que c'était une caisse d’épargne à la portée des marchands et de toute la classe moyenne de la société. Le gouvernement genevois n’intervint pas dans cette institution, qui n’a pas eu une longue durée. On sait qu’elle existait avant 1789, mais les années où elle a commencé et fini ne sont pas connues. Voilà donc trois caisses d’épargne ou institutions très analogues qui existaient en Suisse avant 1798, année de la première caisse d'épargne anglaise. Achevons de tracer le tableau de ces premiers développemens si peu connus hors de Suisse et même en Suisse. * Projet d’un établissement public dans le Canton de Genève, sous le nom de Caisse d'épargne, présenté au Conseil représen- tatif le 10 décembre 1814, par M. de Candolle-Boissier. Br., 8°, p.-6et 27. 32 ORIGINE DES CAISSES D’ÉPARGRE. Zurich fonda une caisse d’épargne en 1805, et le Can- ton d’Argovie en 1811. En 1812, une réunion de personnes éclairées et oc- cupées d’objets utiles fonda, dans la principauté de Neuchätel , une caisse d'épargne remarquablement bien organisée. Ce qui distingue cet établissement parmi tous les autres, c’est l’institution de receveurs dans chaque commune. Le succès de cette innovation a été si grand , que nous ne comprenons pas comment les autres Cantons de la Suisse ne l’ont pas imitée. Aujourd’hui encore on peut voir en pleine activité les quarante succursales de la caisse d’épargne de Neuchâtel, établies en 1812, et on peut s’assurer qu’elles étendent le bienfait de l’économie jusque dans les moindres villages, sans compromettre la sûreté de l'institution et sans augmenter les frais de ges- tion. Les receveurs communaux sont choisis par l’admi- nistration centrale, parmi les notables de l’endroit, et fréquemment ce sont les pasteurs qui se chargent de cette tâche. Les petites sommes versées entre leurs mains sont transmises chaque mois à Neuchâtel et inscrites au compte de chaque préteur. Parmi les douze personnes honorables qui ont fondé cette institution, et qui méritent à un si haut degré la reconnaissance deleurs concitoyens, nous citerons en particulier M. P.-L.-A. Coulon, qui tient les livres depuis 24 ans , et M. le ministre Dupasquier , qui a rempli dans l’origine les fonctions de secrétaire du comité. À cette époque, les progrès étaient lents en Suisse comme en Angleterre, parce que l’attention publique était tournée d’un autre côté; mais à peine la guerre eut cessé qu’on vit l'institution des caisses d’épargne , connue et appréciée chez nous depuis longtemps, se multiplier de ville en ville. En 1815, on fonda à Vevey la première caisse d’épar- ORIGINE DES CAISSES D'ÉPARGNE. 33 gne du Canton de Vaud. En 1816, la commune rurale du Chenit, dans ce même Canton, en établit une. À Genève, la proposition de créer une caisse d’épargne fut faite au Conseil Représentatif le 10 novembre 1814, par M. de Candolle-Boissier. L'auteur fit imprimer son discours, avec le règlement constitutif qu’il projetait. 1l s’appuyait de l’exemple des autres villes de Suisse, et an- nonçait tout ce que nous voyons se réaliser quant au nombre des préteurs, à l’utilité d’un pareil établissement pour les domestiques, les ouvriers, les mineurs, et pour ceux des établissemens de bienfaisance qui ne possèdent pas de grands capitaux. La discussion de ce projet en Conseil d'Etat fut retardée par suite des circonstances où se trouvait alors la république, mais grâce à la persévé- rance de l’auteur de la proposition et à la bienfaisance d’un honorable magistrat, M. Tronchin, qui avança sans intérêt une somme de 30,000 fr. comme garantie, notre petit pays vit s’ouvrir, le 15 octobre 1816, l’un des établissemens les plus utiles dont il puisse se vanter. Dans le Canton de Zurich les caisses d’épargne, ne tar- dèrent pas à se répandre jusque dans les bourgs et les villages. Celle de Wædenschweil, petite ville de 4000 âmes, date de 1816; celle de Winterthur , autre ville de 3200 âmes , remonte à 1818 , et maintenant ce seul Canton, plus petit qu'aucun département de France , compte à lui seul neuf caisses d'épargne différentes. Le Canton de Vaud en a treize”. * J'espère pouvoir présenter sous peu un tableau général des caisses d'épargne de la Suisse. Comme elles ne rendent compte à aucune administration centrale, il n’est pas facile d'obtenir des renseignemens exacts et complets. Heureusement plusieurs de MM. les députés à la Diète ont bien voulu se charger individuel- lement de recherches dont le résultat me sera bientôt transmis. V 3 34 ORIGINE DES CAISSES D'ÉPARGNE. En suivant cette marche des caisses d'épargne en Suisse, on est surpris de voir combien les institutions utiles sont peu connues dans le pays même où elles prennent nais- sance et à l’étranger. Beaucoup de Suisses ignorent que leur pays a devancé tous les autres dans l'établissement des caisses d'épargne. C’est cependant un beau trait de leur histoire intérieure, et une réponse à faire aux gens qui les croient fort arriérés parce que leur système de gouver- nement ne cadre pas avec telle ou telle notion théorique. D'un autre côté, il y a cinquante ans que les voyageurs affluent en Suisse ; voyageurs de toutes les catégories , affairés , oisifs , romanesques, inquisitifs ou autres, pas un n’a décrit une institution si prônée aujourd'hui qu’elle est commune , institution quia prospéré chez nous dix ans avant d’exister en Angleterre, trente ans avant de paraître dans les grandes capitales comme Londres et Paris. Ilen est de même de beaucoup de choses qu’un esprit public local et indépendant a fait naître dans nos Cantons. Chacun de nos vingt-deux états, et même chaque commune, ayant suivi depuis trois siècles, en toute liberté , sa pro- pre impulsion , il en est résulté une foule de lois, de règlemens, d’usages et d'institutions, différentes les unes des autres, bonnes, médiocres ou mauvaises, applicables souvent à d’autres pays, dignes tout au moins de l’at- tention des hommes éclairés. S’occupe-t-on de cette recherche? nullement. On court en Suisse pour voir les lacs et les montagnes, comme on va en Italie pour voir des objets d’art. Dans ces deux pays on oublie trop sou- vent qu’il y a aussi des institutions dignes quelquefois d’examen, ne füt-ce que par leur caractère d'originalité. Je passe à l’histoire des caisses d’épargne en Angleterre, — Elle est toute tracée dans un ouvrage qui a paru à Londres, en 1818, sans nom d’auteur, sous le titre d’An- ORIGINÉ DES CAISSES D’ÉPARGNE. 35 nales des caisses d'épargne ( Annals of banks for savings), ouvrage plein de faits et d’idées justes , dont nous recom- mandons la lecture à tous ceux qui prennent intérét aux caisses d'épargne , et en général aux institutions de charité. La plus ancienne caisse d'épargne que l’auteur ait pu découvrir par des recherches consciencieuses , est celle de Tottenham, village près de Londres. Cette première caisse d'épargne du Royaume-Uni fut fondée, en 1798, par une dame Wakefeld, secondée par un respectable propriétaire de son voisinage , M. Sperling. Elle fut établie d’abord seulement pour les femmes , et sous le nom de Female benefit club ; cependant, un des articles du règlement permettait aussi de placer au nom d’un enfant une somme de quatre sols ou plus, qui rap- portait cinq pour cent quand elle était arrivée à 25 francs. Cette branche particulière de l’institution réussit assez bien pour devoir être séparée sous le nom de Caisse pour les gains des enfans pauvres (bank for the earnings of poor children). Madame Wakefield dirigea elle-même sa fonda- tion pendant quelques années; mais ayant quitté Tottenham elle fut dignement remplacée par Madame Powell. Voyant le succès couronner leurs efforts, ces dames éclairées et persévérantes changèrent, le 1° janvier 1 804 , leur insti- tution limitée aux femmes et aux enfans , en une caisse d’épargne ouverte à tout le monde sous le nom de Tot- tenham benefit bank. En 1816, Mad. Powell avait sous sa direction une somme de 1700 L. st. (42,500 fr.) Elle recevait le premier lundi de chaque mois pendant une heure et demie, et tenait les livres elle-même. L’ar- gent était remis à un négociant qui le plaçait dans les fonds publics. Le minimum fixé pour chaque dépôt était un shelling. Les intérêts et le capital étaient garantis par une réunion de personnes riches et charitables. 36 ORIGINE DES CAISSES D’ÉPARGNE. ! En 1799, le révérend Joseph Smith, fonda à Wen- dover , une caisse d’épargne pour les individus de tout âge et des deux sexes , sous le nom de Société pour l’en- couragement de la prudence et de l’industrie. Ce respec- table ecclésiastique fit circuler dans sa paroisse un pro- spectus dans lequel il annonçait qu’il recevrait chaque dimanche , pendant la belle saison , les petites économies des laboureurs , s’engageant à les rendre à la fin de l’année avec une addition d’un tiers. Pour faire connaître son prospectus, il le fit copier aux enfans de l’école, et plaça, au nom de chacun d’eux, le petit bénéfice qui leur reve- nait de ce travail. On comprend que l'intérêt élevé qu’il payait, provenait de contributions volontaires des nota- bles de la paroisse. En Ecosse, plusieurs ecclésiastiques eurent la même idée, probablement sans avoir eu connaissance de ce qui avait été fait à Tottenham età Wendover. Ainsi, M. John Muckersy institua une caisse d'épargne à West-Calder, dans le comté de Mid-Lothian , en 1807 , et M. Henry Duncan à Ruthwell, en 1810. ‘Une autre caisse d’épargne pour les domestiques fut fon- dée à Bath, en 1808, sur la proposition de lady Isabelle Douglas, sœur du comte de Selkirk, aidée pour les détails de l’entreprise par M. S. Duncan, auteur d’un ouvrage sur Ja charité. Un fonds de 2000 liv. st. (50,000 fr. ) avait été affecté comme garantie par des bienfaiteurs éclairés. En 1813, la société d’Edimbourg pour la destruction de la mendicité, dirigée par M. J.-H. Forbes, institua une caisse d’épargne dont le succès fut rapide, grâce au con- cours du clergé et de plusieurs hommes instruits et influens. L’esprit écossais, prudent et calculateur, est -admirablement disposé pour ce genre d'institutions ; aussi donna-t-on à Edimbourg une grande impulsion aux caisses ORIGINE DES CAISSES D’ÉPARGNE. 87 d'épargne par linvention des: succursales. Le D' G.-H. Baird, principal du collége, en eut l'idée et en fit établir quatre dans autant de faubourgs différens *. Cependant l'Angleterre ne se laissait point dépasser. La ville de Bath, où la caisse des domestiques avait réussi, vit s’élever en 1815, sous la protection du marquis de Lansdown, une véritable caisse d'épargne, accessible à tout le monde, et qui ne tarda pas à fixer l’attention pu- blique par la perfection de ses règlemens. M. Rose et le D' Haygarth étaient au nombre des fondateurs-garans (trustees ). Enfin la métropole ne tarda pas à posséder aussi une caisse d’épargne, fondée en 1816, par une réunion de bienfaiteurs, sous la présidence de sir Thomas Baring. Elle fut instituée sous le nom de London provident institution or bank for savings. Dès lors on vit les caisses d'épargne se multiplier si rapidement que le parlement dut intervenir, le 12 juillet 1817, pour les régulariser, et que le 28 décembre de cette même année on en comptait déjà 101, en Angleterre et dans le pays de Galles seulement. La première caisse d'épargne de France ? fut instituée " Le système des receveurs communaux établi à Neuchâtel, avant les succursales d’Edimbourg, et imité dans quelques com- munes près de Genève, me paraît plus simple et plus applicable aux différentes localités, mais il n’est pas connu hors du petit pays qui l’a vu naître. Les succursales dans lesquelles l’administra- tion se transporte d’un lieu à un autre, avec ses employés et ses registres, peuvent bien être utiles dans une ville comme Edim- bourg, Londres ou Paris, mais il ne saurait s’appliquer à tout un territoire. Au contraire, le système des recelles locales peut com- prendre toutes les localités d'un département, d’une province. Une fois que dans chaque village il existé un bureau accessible à tout le monde et à toute heure, les habitans des campagnes ne restent plus étrangers aux principes d’une économie prévoyante et bien dirigée. ? A, Prevost, Notice sur les caisses d'épargne, br., 8°. Paris, 1832. — L'organisation des caisses d'épargne est fort bien décrite dans cet ouvrage, dont l’auteur est agent général de la caisse de 38 “ORIGINE DES CAISSES D'ÉPARGNE. à Paris le 15 novembre 1818, grâce à M. Benjamin De- lessert, dont le nom se trouve lié à tout ce qui s’est fait de bon et d’utile en France depuis trente ans. Il s’était procuré de bonne heure les règlemens de la nouvelle caisse d’épargne de Londres et les communiqua à l’as- semblée des administrateurs de la compagnie d’assurances maritimes dont il faisait partie. Ces administrateurs, au nombre de vingt, firent rédiger l’acte constitutif, approuvé par le gouvernement le vingt-neuf juillet 1818, et de- vinrent, avec l’adjonction de cinq membres, les directeurs de l'institution. Ils choisirent d’abord pour président le duc de la Rochefoucaud-Liancourt, auquel succéda, en 1825, M. B. Delessert. On sait quelle heureuse impulsion M. Delessert a continué de donner à l'institution des caisses d’épargne, par ses rapports pleins d'intérêt, et par les propositions qu’il a faites à la Chambre des Dé- pütés. La loi actuelle qui lui est due, ne tardera pas à faire ouvrir dans chaque arrondissement une caisse d’épargne. Le tableau suivant est un résumé de ce que nous ve- nons de dire. Tableau DES PREMIÈRES CAISSES D’ÉPARGNE QUI AIENT EXISTÉ. Date de la fondation. 1787. À BERNE. . . . . . La caïsse dite des domestiques. — La première en Europe. — Administra- teurs nommés par le gouvernement qui avance 60,000 fr. sans intérêts. Paris et inventeur de certains procédés avantageux de compta- bilité. Malheureusement dans la partie historique il n’a fait que copier les auteurs anglais, et n'a pas su qu’il existait des caisses d'épargne sur le continent avant la fondation de celles d’Angle- terre. Les renseïgnemens qu’il donne sur les caisses suisses ne sont ni complets ni exacts. Date de la fondation. 1792. 1798. 1799. 1805. 1807. 1808. 1809. 1810. 1811. 1812. 1813. 1815. 1815. ORIGINE DES CAISSES D'ÉPARGNE. 39 TOTTENHAM WENDOVER .. . Une sorte de caisse d'épargne qui existait avant 1789, maïs dont l'ori- gine est restée inconnue et quia cessé d’exister à la fin du siècle dernier, — Ouverte à tout le monde, mais sans intervention de l'Etat. .. . Ouverte à tous les habitans sous la direction d’une société. . . . La première en Angleterre, — Insti- tuée jusqu’en 1804, pour les femmes et les enfans seulement. — Fondée par Mme Wakeñfeld, continuée par Me Powel.— Aucune intervention du gouvernement, qui ne s’est occupé des caisses d'épargne qu’en 1817. . . . Fondée parle Rév. Joseph Smith, pour les individus de tout âge et des deux sexes, mais avec des règlemens assez différens des caisses actuelles. . . . Sur le pied des caisses d'épargne or- divaires. Wesr-Cazper .. en Ecosse. — Fondée par le Rév. J. RUTHWELL . . ABAU 4 NEUCHATEL . . EpimBourG Muckersy. . . . Caïsse pour les domestiques, fondée par lady Isabelle Douglas. . |. . Nouvelle caisse, fondée par la société d'utilité publique. . en Ecosse. — Fondée par le Rév. HenryDuncan. . . en Suisse. . en Suisse. — Remarquable par l’éta- blissement de receveurs dans toutes les communes, même rurales. —Fon- dée par douze personnes. . . . Fondée par une société dont M. J.-H. Forbes était président.— Remarquable par létablissement de succursales établies dans quatre quartiers, et imi- tées depuis dans les grandes villes. . . . Fondée par le marquis de Lansdown, MM. Rose, Haygarth, etc. . . . La première dans le Canton de Vaud. 40 ORIGINE DES CAISSES D’ÉPARGNE. 1816. Lonpnes . . . . Fondée par une société sous la pré- sidence de sir Thomas Baring. 1816. - GENÈVE. . . .. Fondée sur la proposition faite en 1814, au Conseil Représentatif, par M. de Candolle-Boissier. Garantie dans l'origine par M. Tronchin. 1816. Au CHENIT. . . . Dans le Canton de Vaud.— Commune rurale, éloignée de toute ville. 1816. WzæpenscuweiL en Suisse (Canton de Zurich). On voit qu’il existait ou avait existé 19 caisses d'épargne avant l’année (1817) où parut le premier acte législatif qui ait fixé attention publique sur ce genre d’institution. Onze se trouvaient en Suisse et les huit autres dans le Royau- me-Uni. Les caisses d’épargne de Suisse ont été les pre- mières en date, celles d’Angleterre ont servi de modèle à toute l’Europe. La Suisse n’ayant pas de dette publique, ila fallu placer les fonds de ses caisses d’épargne en créances hypothécai- res et en billets sur chaque place. Il résulte de là beaucoup plus de travail pour les administrateurs, et les créanciers aux caisses d’épargne sont moins intéressés au maintien de l’ordre public que dans les pays où leurs fonds sont employés uniquement à acheter des rentes sur l'Etat. D’un autre côté ils n’ont rien à redouter des commotions po- litiques causées par une guerre générale ou par le désor- dre des pays voisins. Chaque caisse d’épargne devient aussi une banque locale extrêmement utile au commerce. Après la Suisse, PAngleterre et la France, divers Etats en Europe et méme hors d'Europe, ne tardèrent pas à fonder des caisses d’épargne. La Saxe, les villes libres d'Allemagne, les Etats-Unis, le royaume des Pays-Bas, la Suède et la Norwège, sont, à ma connaissance, les pays où cette institution trouva le plus de fauteurs et obtint, en peu d’années, le succès le plus remarquable. Dans ORIGINE DES CAISSES D'ÉPARGNE. 41 cette marche rapide les pays protestans ont pris l’initia- tive, mais l'exemple gagne dans tous les pays, et récem- ment la capitale du catholicisme a vu elle-même s’ouvrir une caisse d'épargne. ÉBAUCHE 9. D'UN ESSAI SUR LES NOTIONS RADICALES. Par Adrien Dichard, Ancien élève de l'Ecole Polytechnique. Paris 1834. 2 vou. 8°. Il en est des systèmes de philosophie comme des évé- nemens historiques, qui, au milieu de leur apparente variété, laissent découvrir de nombreuses analogies ; l’étude attentive et scrupuleuse de ces analogies dévoile les lois générales du développement humain, ici du déve- loppement moral et social, là du développement intellectuel. C’est une recherche d’un hautintérêt, parce queces rappro- chemens sont seuls capables d’imprimer aux faits qu’ils sont destinés à lier, un caractère vraiment général et scien- tifique : aussi devons-nous placer au nombre des plus vives jouissances , les impressions que nous ressentons chaque fois que nous apparaît un de ces faits généraux , une de ces identités, une de ces lois de la nature humaine se montrant avec évidence au milieu de l’infinie multiplicité des faits de détail; lorsque, parcourant l'histoire des idées et celle des événemens dans l’ordre des temps, dans cet ordre si simple et seul vraiment philosophique, nous rencontrons dans notre route le retour des mêmes phases, l'apparition d’une méme série d'opinions ou d'actions ; les mêmes modes de transition entre les époques, nous nous empres- sons d’enrepistrer ces précieuses identités, non sans doute pour en déduire aucun système de fatalisme philosophique , ÉBAUCHE D'UN ESSal, €lC. 43 ni de fatalisme historique , car , à nos yeux , les lois de la nature humaine ne s’assimileront jamais aux procédés d’un mécanisme aveugle , mais afin de connnaître quelles sont les formes générales que revêt cette nature, toute libre , toute active qu'elle puisse être. Il nous semble , par exemple, que l’histoire des prin- cipes qui, en divers temps, ont régi les opinions philoso- phiques des peuples, peut se diviser constamment en quatre périodes régulièrement parcourues par tous ces principes, avec cette seule différence qu'ils y emploient, les uns plus de temps, les autres moins. Lapériode de la naissance et du développement est évidem- ment la première ; tantôt les circonstances nationales, tantôt les pensées d’un homme de génie, tantôt ces deux causes à la fois, engendrent une doctrine; cette doctrine devient populaire ; elle gagne de nombreux partisans; elle s’insinue dans toutes les branches du grand arbre des sciences, en vertu de cette influence universelle qu’exercent toujours les systèmes de la philosophie; partoutelle porteses fruits, fécondant largement toutes les semences intellectuelles placées sur sa route ; née sur un sol fertile , elle s’y natu- ralise , elle y vit, et s'efforce d’étendre tout autour d'elle sa puissante influence. La période de dégénérescence est la seconde ; lorsqu'un système a pris de la force, bientôt il prétend vivre seul, régner seul , agir seul ; il devient exclusif; et, par une conséquence inévitable de cette nouvelle tendance , peut- être même pour atteindre plus sûrement son but, il se laisse entrainer dans les extrêmes, et s'accule jusque dans ses conséquences les plus éloignées, engendrant ainsi lui- même , par ses prétentions exagérées , l'ennemi qui plus tard lui portera la mort. Ainsi la doctrine des sens, quand elle veut dominer seule, tombe dans le matérialisme; 44 ÉBAUCHE D'UN ESSAI ainsi celle de l'esprit, quand elle méconnait le monde ex- térieur et matériel, dérive dans un nuageux idéalisme ; c'est cette triste chute dans l'extrême, qui de tout temps a été le plus redoutable écueil pour les systèmes. La période du scepticisme est la troisième. C'est déjà un scepticisme qu'une doctrine exclusive ; elle n’a pu arriver là qu'en exigeant le sacrifice de tous les autres élémens, de toutes les autres croyances, c’est-à-dire en méconnaissant quelque développement de la nature hu- maine. Le matérialiste est sceptique , car il nie l'existence de l'âme; l’idéaliste est sceptique, car il nie le monde physique. C’est donc chose absolument impossible que la seconde période de l’histoire des systèmes ne conduise pas à la troisième ; elle la renferme , elle la porte dans ses flancs , et ne manquera pas de lui donner le jour. Et d’ailleurs, les doctrines extrêmes ne seraient pas elles- mêmes un vrai scepticisme, qu’elles ne laisseraient pas de provoquer et d’appeler le doute ; il n’est pas à croire que l'esprit humain se plie volontiers à leur despotisme ; on -contestera leurs droits ; on voudra renverser leur préten- due infaillibilité ; on s’irritera contre elles précisément parce qu’elles sont extrêmes , peu en harmonie avec les inspirations instinctives de l'humanité, et pleines de fâcheuses conséquences ; on secouera leur joug, et peut- être, dans l'embarras de savoir par quoi les remplacer, on se plongera dans une absolue incrédulité. Une fois arrivé à ce lamentable résultat, l’homme n’a plus à espérer qu’une réforme philosophique , et c'est là ce qui caractérise la quatrième et dernière période. L'esprit humain ne peut se résoudre à demeurer longtemps dans l'incertitude ; l’homme a besoin de foi; croire lui est aussi nécessaire que se nourrir; c’est l'aliment de son intelli- gence comme le pain est l'aliment de son corps. Aussi, SUR LES NOTIONS RADICALES. 45 venant à rencontrer ou quelque doctrine nouvelle, ou quelque ancienne doctrine exposée avec des formes et des méthodes nouvelles, s’empressera-t-il de s'y attacher avec force pour échapper au doute qui lui pèse , et pour rem- plir le vide désolant de son esprit. La réforme une fois opérée , on voit recommencer pour le système nouveau le même enchainement de destinées dont le précédent avait offert le tableau, et ce dernier successivement frappé par ses propres excès , par le scepticisme, enfin par la réforme , ne compte plus qu’un petit nombre de partisans dépourvus de cette audace qu'inspire le triomphe, hasar- dant de loin en loin avec timidité quelques tentatives en faveur de théories qui ont passé. Ainsi successivement on voit les opinions se former , puis s’altérer, puis s'abimer dans le vaste gouffre du doute, puis enfin se modifier et renaître pleines de jeunesse par J'action de hardis réformateurs. Il serait facile de montrer par de nombreux exemples la vérité de ces vues générales ; nous en choisirons trois à époques différentes, estimant faire ainsi preuve suf- fisante. Lorsqu'à l’origine de la civilisation grecque, Thalès et Pythagore posèrent les bases des premières sectes scien- tifiques , ces deux sages se montrèrentcomme représentans des deux grands systèmes qui toujours ont divisé les philosophes : le premier pencha ouvertement au sensua- lisme, le second au spiritualisme ; sous leurs inspirations, les écoles Ilonique et Italique se vouèrent avec ardeur, la première aux études matérielles ,. la seconde aux travaux abstraits : ce fut la période de naissance. — Bientôt ces deux doctrines se déclarent la guerre ; chacune prétend ren- fermer seule la vérité ; marchant sur les traces de Thalès, Héraclite, Démocrite, Leucippe subtilisent sur la matière, 46 _ ÉBAUCHE D'UN ESSAI la pluralité , les atomes, et professent, en fin de compte, le pur matérialisme; d’autre part , les Eléatiques, Zénon, Xénophane, discutent sur l'esprit, l'unité , l'univers , et se perdent dans l’idéalisme, Ce fut là l’époque de dégéné- rescence, — Au milieu de ces disputes, quelques ambitieux s’efforcèrent de ravir aux combattans leurs armes , moins pour arrêter le combat que pour s’en servir à leur propre avantage. Indifférens au résultat pourvu qu’illeur fût profita- ble, aux instrumens pourvu qu'à leur aide le but fût atteint, les Sophistes entreprirent de discuter sur toutes choses, en- seignant et soutenant au besoin le pour et le contre, apprenant à douter de tout, ou, ce qui revient au même, à tout croire, n’admettant rien de vrai en soi, mais uni- quement une vérité relative ; venus d'Asie dans Athènes, ils s’occupèrent avec activité à conquérir par leur art perfide de l'argent, de l'influence et des succès oratoires ; en compensation ils remplirent l'esprit des jeunes Athé- niens d’une vaine dialectique et d’un doute universel ; ce fut la période du scepticisme. — Le mal était arrivé à son comble , il fallait une réforme ; il fallait fournir une base nouvelle à la pensée et à la foi : Socrate naquit ; à force de bon sens, il chassa les Sophistes ou les réduisit au silence; il détourna l'attention du philosophe, l’enlevant à de subtiles discussions sur la nature de l’univers, et aux systèmes cosmologiques , pour la transporter sur lé- tude de l'homme lui-même, sur sa propre nature, sur ses devoirs , sur ses rapports avec Dieu et ses sem- blables. L'époque de Socrate fut la quatrième période, celle de la réforme. — Dès lors on put sans doute voir s'élever encore par-ci par-là , ou quelque dialecticien plus subtil que pratique et vrai, ou quelque sophiste railleur et ambitieux ; mais en somme les recherches philosophiques ne s'éloignèrent plus d’une attentive anthropologie pour SUR LES NOTIONS RADICALES. 47 se perdre exclusivement dans la cosmologie ; une ère nouvelle avait commencé ; la première était achevée. Déjà, dans ces premiers efforts de la philosophie, la loi de l'intelligence s’était manifestée; en religion, en poli- tique , en littérature, on voit les systèmes humains se produire, s’exagérer, mourir d’épuisement sous les coups du doute, et faire place à d’autres systèmes destinés aux mêmes phases. Lorsque , au moyen âge, le principe d'autorité fut an- noncé comme source de vérité et de foi, les circonstances lui assurèrent une grande influence ; l'action de ce prin- cipe rendue nécessaire par les temps, fut en général bienfaisante ; il civilisa les Barbares conquérans ; il créa au milieu de ces hordes guerrières et chez les peuples qui leur succédèrent , une unité morale , le respect pour une influence religieuse et philosophique ; autant qu’il lui fut possible , il adoucit les mœurs , encouragea les sciences, et activa le développement intellectuel. Mais ce principe ne put échapper à la loi commune; il dut dégénérer , devenant exclusif se changer en tyrannie, et prétendre à l’asservissement de la raison humaine. Pour nous tenir uniquement au point de vue philosophique , nous rappel- lerons ici cette domination oppressive d’Aristote, qui changea en serviles commentateurs les plus célèbres pen- seurs du moyen âge, qui dicta les doctrines enseignées dans toutes les universités, et qui, pour la solution de tous les problèmes scientifiques, supplanta Pautorité des faits , de la nature, de l’observation, de la raison. Certes il était difficile que le génie de l’homme consentit pour toujours à se courber sous les décisions du philosophe grec ; dans tous les âges de son règne, il eut à supporter les protestations de quelques esprits rebelles ; mais ce fut surtout au quinzième et au seizième siècle, que de toutes 48 ÉBAUCHE D'UN ESSAI parts un scepticisme haïneux et ardent s’évertua à saper l'autorité officielle dont jouissait encore Aristote. Jordan Bruno, Jérome Cardan, Ramus, les Alchimistes, et beau- coup d’autres proclamèrent contrele joug du Stagyriteune insurrection générale, et répandirent dans tous les esprits une extraordinaire agitation ; de toutes parts le monde scientifique présenta ce spectacle d’hésitation , d’incerti- tude , de luttes qui caractérise linfluence du scepticisme. Ce fut à Bacon et à Descartes que fut réservée la gloire d’opérer la réforme philosophique, et de naître aux temps où cette réforme était mûre. Ils secouèrent ouvertement le joug d’Aristote , substituant à son autorité, le premier, la méthode d'observation pour les sciences matérielles , le se- cond, cette même méthode pour les sciences intellectuelles. « Connais-toi toi-même, » disait Socrate à chaque penseur d’Athènes. « Cherche ce qui est clairement dans ta pensée, » dit aussi Descartes à chaque philosophe de son siècle; remarquable analogie , qui démontre qu’au fond , le ca- ractère de toute réforme philosophique revient à ceci: obliger homme à se rapprocher de lui-même. — Après ces deux périodes de doute et de réforme, il y eut bien encore quelques partisans d’Aristote ; il arriva même d’en ren- contrer dans des rangs où l’on eût pu supposer à bon droit qu'il ne s’en trouverait aucun’, mais ces partisans eux-mêmes avaient secoué l’autorité, et, en suivant Aris- tote, déclarèrent le suivre par libre conviction ; puis * Melanchton, Calvin, Théodore de Bèze, professèrent ouver- tement leur adhésion à la philosophie d'Aristote; ennemis de l'autorité en théologie, ils la ménagèrent en philosophie. Peut-être doit-on expliquer ce singulier fait historique par cette considération qu’ils s’attachèrent plutôt à la partie instrumentale qu’à la partie dogmatique des écrits d’Aristote, et avant tout à la dialectique; ils trouvaient là des armes qui devaient leur servir dans les nombreuses et subtiles discussions de l’époque. SUR LES NOTIONS RADICALES. 49 bientôt leur nombre diminua, et ils disparurent enfin complétement. La philosophie du dix-huitième siècle a récemment parcouru des phases analogues à celles que nous venons de rappeler. Ayant adopté le sensualisme comme base de sa doctrine , elle y méla de prime abord une tendance fortement sceptique ; un sensualisme sceptique , telle fut cette philosophie : innover, remuer, affaiblir les croyances, et dans ce but, miner l'autorité des principes internes, anéantir le respect dù aux vérités éternelles que l'esprit seul peut révéler , n’admettre comme positifs que les en- seignemens du monde extérieur et matériel, voilà la marche qu’elle s’efforça de suivre. Solidement constituée, douée d’une force vitale que les circonstances avaient faite énergique, la philosophie du dix-huitième siècle séduisit bien des intelligences; en France surtout elle acquit un empire et une puissance que rien ne semblait pouvoir ébranler. Mais cette domination même fut son écueil ; elle ne voulut reconnaître aucune limite à son pouvoir ; elle contraignit ses adeptes à poursuivre jus- qu’au bout le double but qu'elle s'était proposé. Dans la même période de son existence elle conduisit le sensua- lisme jusqu'au matérialisme ; et le doute jusqu'à la plus absolue incrédulité. Appuyée d’abord sur Locke , Hume et Condillac, elle enfanta bientôt Helvétius, d’Holbach, La Métherie. Dès lors on put prédire que son temps était passé ; une réforme ne pouvait manquer de naître. Kant s’efforça de séparer nettement le domaine des sens et le domaine de l'esprit; sa doctrine condamnait le sensua- lisme du dix-huitième siècle, et l'immense mouvement scientifique qu'elle occasionna s’étant propagé jusqu’en France, y trouva d'habiles ouvriers tout disposés à ébran- ler, par son moyen,la despotique idéologie des sens. Atta- Y 4 50 ÉBAUCHE D'UN ESSAI quée avec force depuis plus de vingt ans, ‘cette idéologie a fait place à une plus libérale doctrine; on a vu les principes internes remis à la place qu’ils doivent occuper, et la foi de l’homme en lui-même, en son existence, en sa liberté, en sa responsabilité morale, invoquée de nouveau comme une nécessité de sa nature. Il est donc vrai qu'aujourd'hui la philosophie de Con- dillacest détrônée ; le dogme de la détermination morale par le physique ne passe plus pour axiome; loin de là, il est rarement avoué. Cependant le système vaincu a conservé quelques partisans; on voit encore de temps à autre des tentatives ouvertes ou cachées pour en renou- veler les prétentions ; nous nous tromperions fort si nous nous imaginions qu'en 1836 il ne reste pas en France bon nombre encore de ces hommes qui se complaisent dans les formules du sensualisme , et qui les répètent en “vantant leur apparente simplicité. Dans toutes les catégo- ries des hommes delettres on pourraiten citer; nous croyons toutefois qu'ils abondent surtout dans les trois suivantes. Premièrement, chez les légistes : et par ce mot nous entendons surtout les hommes pratiques, les rédacteurs de lois et les jurisconsultes chargés d’en faire l'application : le principe d'utilité, conséquence inévitable de la philo- sophie des sens, est encore soutenu comme base de la morale politique et administrative, par ceux-là même qui l'abandonnent comme base de la morale individuelle ; il n’est donc pas étonnant que les hommes occupés par vocation à faire les lois et à les étudier, se rattachent à ce principe, et par suite à la doctrine philosophique dont il est un corollaire. D'ailleurs, il ne faut point se le dissi- muler,, l'importance des lois écrites est estimée précisément en raison du degré d’adhésion que l’on donne à ce prin- cipe ; lorsque Bentham attribua à la loi, à la loi positive, RE SUR LES NOTIONS RADICALES. p1 l'origine de tout droit et de tout devoir, repoussant toute notion de droit naturel, il écarta par là même de l'action sociale les principes internes et se déclara sensualiste. De à naquit à son école cette doctrine de la codification , soit nécessité de soumettre aux codes et aux articles les moindres volontés administratives ou judiciaires, doctrine qui doit avoir pour résultat de flétrir sous k nom d'arbi- traire , toute intervention spontanée de la raison et du bon sens. L'esprit du jour se trouve au surplus merveil- leusement propre à engendrer cette classe de sensualistes; est-il en Europe un pays où ne se trouve en cet instant une foule de têtes, et de bonnes têtes, occupées à rédiger savamment et aligner avec art des centaines d’articles lé- gislatifs? Si l’on voulait supputer la masse d'articles qu'ont votés depuis cinquante ans, et que votent surtout depuis vingt ans toutes les machines législatives fonction- nant sur la surface du monde, si l’on voulait compter en même temps la masse d’heures consommées à la prépara- tion de ces articles, qui pourrait suffire à ce travail ? En attendant qu'il soit fait, nous recommandons sérieusement aux moralistes qui voudront un jour énumérer les carac- tères distinctifs du dix-neuvième siècle, en citant la litté- rature facile, les machines à vapeur et les chemins de fer, de ne point oubliemla monomanie réglementaire ; ils trou- veront dans cette disposition du temps la clef de bien des phénomènes de notre ère sociale ; ils s'expliqueront entre autres la présence du sensualisme, doctrine toute externe et de forme, au milieu d'hommes que leurs études appellent cependant à examiner des choses abstraites et des rapports intellectuels; mais ils comprendront, ce qui est vrai aussi, que ce sensualisme, tout en demeurant conséquent, est cependant de tous les degrés du sensualisme le plus relevé, celui qui s’éloigne le moins des influences spiri- tualistes. 59 ÉBAUCHE D'UN ESSAI ‘En second lieu, le sensualisme est bien puissant en- core chez les médecins : appelés à étudier jusque dans ses moindres détails l’organisation du-corps humain, à réfléchir sur l'influence’que cette organisation exerce dans les manifestations intellectuelles , ils doivent se laisser facilement entrainer à voir cette influence en tout et par- tout ; ce sera chez eux qu’on entendra substituer le mot de fonctions cérébrales au mot de fonctions intellectuelles ; c’est de leurs rangs que sortiront un Cabanis, un Broussais, habiles défenseurs du matérialisme moderne; c'est dans leurs écoles qu'on verra débattues des doctrines comme la phrénologie , qui s’efforceront en vain de repousser l'accusation de tendance au fatalisme et au matérialisme ; non sans doute ( et nous ne pensons ‘pas qu’il soit nécessaire d’insister sur cette restriction ), non que nous imaginions le moins: du monde présenter ici une accusa- tion générale , et méconnaître les nombreuses protestations qui , du sein même du corps médical se sont élevées contre ces doëtrines : ces protestations nous sont connues et précieuses ; mais il n’en est pas moins vrai que c’est là qu’on trouve aujourd'hui le plus abondamment répandues les opinions et les expressions le plus favorables au système sensualiste; ce fait nous étonne peu , et notre intention est ici beaucoup moins-de l’apprécier que de le signaler. Il est enfin une troisième classe d’hommes de lettres que leurs méditations peuvent facilement conduire à la doctrine des sens ; ce sont les mathématiciens , mécani- ciens, et autres savans occupés des propriétés générales de l'étendue et de la matière; eux aussi vivent dans le continuel retournement de ces propriétés, et se demandent si, par elles, on ne pourrait pas expliquer l’action intellec- auelle ; embrassant l'univers dans les. vastes lois de leurs n SUR LES NOTIONS RADICALES. 53 sciences, ils tendent à donner à ces lois: un- caractère d’immutabilité peu en harmonie avec la spontanéité des déterminations rationnelles ; les lois de la nature physique, conséquemment l'étude de la nature physique, voilà ce qui est à leurs yeux de première importance ; aussi sans avouer le matérialisme , peut-être même sans avoir jamais élevé le sensualisme dans leur esprit au rang d’une croyance, plusieurs agissent-ils comme s'ils obéissaient à cette conviction. Tel est aujourd’hui l'inventaire approximatif des par- tisans que le sensualisme peut, à bon droit, revendiquer comme siens; sous ces trois nuances principales, du sensualisme utilitaire appliqué à Fordre social, du sen- sualisme cérébral, s’efforçant de gouverner l’homme indi- viduel, du sensualisme. mécanique prétendant expliquer l'univers , il combat encore avec science et avec énergie dans cette lice où , longtemps, il s’est promené seul, mais où le spiritualisme à maintenant conquis une place vaste et honorable. M. Pichard, dont nous désirons annoncer l'ouvrage et à qui nous sommes impatiens d'arriver, ancien élève de l'Ecole Polytechnique, est actuellement ingénieur dis- tingué du Canton de Vaud; les entreprises d'utilité publique le comptent au nombre de leurs plus zélés pro- moteurs , et il apporte dans leur direction ces mémes vues sérieuses qui lui ont dicté son livre. Peut-être dans le compte que nous allons rendre de ce travail, M. Pichard nous accusera-t-il de lavoir mal compris, et il faut en convenir , il nous est arrivé de ne pas toujours nous faire une idée claire de sa pensée; assez de néologisme , la division adoptée par l’auteur en une foule de petits fragmens qui interrompent pénible- ment la série des méditations , voilà ce qui répand sur 54 ÉBAUCHE D'UN ESSAI l'ensemble une teinte d’obscurité assez prononcée. IL est ce- pendant deux choses qui nous ont apparu d’une manièretrès claire à la lecture que nous avons faite de cette Ebauche : la première , c’est la bonté des intentions , et la parfaite modestie qui ont présidé à ce travail; la connaissance personnelle que nous avons de son auteur nous garan-- tissait d'avance ces qualités , que le titre ( peut-être hum- ble jusqu'a l'excès) et l'ouvrage tout entier nous ont dé- montrées avec évidence. La seconde chose que nous avons clairement aperçue, c'est la tendance philosophique du livre, et la place que M. Pichard doit occuper au milieu des écrivains de la science. Il appartient évidemment à cette troisième catégorie de savans que nous avons signalée il y a quelques instans, comme fournissant son contin- gent au sensualisme ; eussions-nous ignoré , en effet, que M. Pichard est mathématicien et ingénieur , son livre nous l'aurait appris de suite. Et d’abord son point de vue est essentiellement mécanique ; ce qu'il nomme notions radi- cales, c’est-à-dire , premières , fondamentales, ce sont des forces ou des résultats de forces agissant dans luni- vers ;il se préoccupe de ces deux grands faits , que jadis les Eléatiques avaient désignés sous les noms de Pluralité et Unité, et les désignant à son tour sous les noms de chan- gemens et de continuité, ou de contraste et d'identité , il demeure fidèle à cette vue purement cosmologique , et s'efforce de tout expliquer par Faction et la combinaison de ces deux circonstances. C’est À le sort de ce point de vue ; il part en philosophie de relations et non d'Etres ; il saisitses notions primitives dans des rapports ou dans des lois qui ne sont autre chose que des rapports généralisés, tandis qu’à notre gré , il faut avant tout reconnaître les choses et leur existence; et comme les rapports jouent dans l'univers le même rôle que les engrenages et l’agen- SUR LES NOTIONS RADICALES. 55 cement däns une machine, bientôt les philosophes qui ont adopté ce point de départ se complaisent dans cette assimilation , et caressent avec plaisir toute idée qui les ramène à quelque principe mécanique ou sémi-mécanique. Au reste , M. Pichard n’a garde de dissimuler ses pré- dilections. «Les métaphysiciens, dit-il, T. If, p.183, avant de poser en fait que la détermination des idées ne peut étre expliquée comme celle des sensations , de- vraient commencer par acquérir des notions de physique | et de mécanique ; ils ne prendraient pas alors leur igno- rance des lumières ,. que l'étendue dé ces sciences peut fournir sur l’analogie des phénomènes compliqués avec les plus simples , pour la preuve d’une impossibilité absolue d’assimiler les premiers aux seconds; et ils reconnai- traient, au moins dans quelques occasions , que ce qu’ils affirment être des faits primitifs ne sont que des com- binaisons formées à leur insu , de données bien plus simples. » Voici encore comment s’exprime notre auteur, T. IE, p- 461. « En voyant les sciences mathématiques tendre manifestement à embrasser toutes choses , on peut soup- çonner qu'il n’y a au fond rien de plus dans les autres branches des études humaines. Il ne reste, s'il en est. ainsi, qu’à découvrir l'unité par différentes accumulations ou combinaisons , de laquelle toutes choses peuvent être engendrées, »—Ces citations suffisent à montrer quelle est la base que M. P. voudrait donner à la philosophie; nous le disons franchement , cette base ne nous semble pas solide; pleins de sympathie pour l'importance des sciences mathématiques et physiques , nous ne saurions y ramener cependant la science de l'intelligence; nous le répétons, toute philosophie qui s’appuie ainsi sur les notions de relations , s'appuie en réalité sur un fait se- 56 ÉBAUCHE D'UN ESSal condaire et non radical , présuppose la connaissance des choses entre lesquelles les relations existent , et par cela même confesse son impuissance à expliquer comment cette connaissance parvient à l’esprit ; ou, pour présenter l’idée sous une autre forme encore, cette philosophie se perd dans un continuel cercle vicieux, supposant les choses , y découvrant des relations , puis voulant rendre compte par ces relations des choses mêmes où elle les a saisies. Notre manière de voir en tout ceci est amplement con- firmée par les corollaires auxquels la doctrine de M. Pichard le conduit; si nous lui demandons, par exemple, ce que sont pour lui les notions de Dieu, de l’éme, de la liberté, c’est-à-dire ce que sont sa théologie, sa psy- chologie, sa morale, nous le verrons plongé dans des incertitudes inhérentes à tout sysième qui ne voit que des rapports ; ses définitions effleureront le scepticisme. Voici, par exemple, comment il conçoit l'idée de Dieu {T. NH, p. 466.) « Quoique la loi de la conservation des forces s’observe, selon toute probabilité, dans l’espace où nous pouvons suivre leur cours, il y a toujours un point où, arrivant du dehors dans cet espace, elles ne s’y présentent que comme des effets dont les causes se dérobent à toute recherche. Eprouvant toutefois le besoin de donner un nom à la source première et occulte de forces, on la nomme Divinité. » Ainsi Dieu dérive de lPunivers, suivant M. Pichard; on y parvient par Pétude des forces, et par un simple besoin presque irré- fléchi d’attribuer ces forces à une source occulte ; quel vague |! quelle hésitation ! quelle incertitude ! La théorie de l’âme établie par M. Pichard est plus explicite ; il l’expose (T. Il, p. 194 ) dans les phrases suivantes : « Le sentiment du moi se perpétuant, alors même que les sujets de toutes les autres perceptions vien- SUR LES NOTIONS RADICALES. 57 nent à changer , on conçoit que les hommes , qui s’au- torisent en général d’une observation superficielle pour considérer comme des Etres à part tous ceux dont ils n’ont pu facilement découvrir les rapports avec ceux qu’ils connaissent, ont dû supposer à ce moi une existence propre et distincte, et c’est ce qu’on a fait en lui affec- tant la dénomination d'âme... On a été trop loin en voulant faire de Pâme une substance... Nous aussi nous croyons à l’âme et nous y croyons même plus qu’à toute autre chose , puisque nous reconnaissons ne rien savoir que par elle... Mais nous estimons que la distinction établie, on ne sait pourquoi, par les hommes entre les relations des choses et leur essence est sans aucun fon- dement. » Certes ceci est clair; suivant l’auteur , l’âme n’est pas une substance , elle n’est qu’un rapport ; à l'entendre , les relations et les essences sont identiques : c’est justement ce à quoi nous affirmions dans les pages précédentes que devait toujours conduire la philosophie du sensualisme mécanique. La théorie de la volonté est , entre les mains de l’au- teur, tout à fait conséquente avec ses prémisses ; il doit aussi ÿ avoir là action mécanique , défaut de liberté, et par conséquent fatalisme en fin de compte: c’est quant à nous ce que nous voyons avec évidence dans les passages suivans (T. II, p. 273 et suiv. ) « L'identité de organe des volontés d’une nation avec celui des forces combinées de ses membres , dans la personne du prince , persuade aux peuples qu’ils obéissent à ses seules intentions , tandis que dans le fait ils obéissent mécaniquement au concours des puissances dont ces intentions ne sont elles-mêmes qu'un résultat... L’intention comparable à la lueur de l'éclair, qui annonce la foudre sans en étre cependant la cause, est seulement symptomatique et n’a d’autre pou- 58 ÉBAUCHE D'UN ESSAI voir que celui d’avertir l’animal de l’existence des causes qui concourent à produire son action appropriatrice. Il ne fait pas parce qu’il veut, mais il veut, parce que les circonstances l’ont disposé à faire. » Voilà le fatalisme tel que l’ont toujours énoncé ceux qui ont élevé les motifs au rang de causes étrangères à l’homme et déterminant son action sans sa participation. Le voici encore (T. IE, p- 390 ) tel que l’ont établi d’autres personnes sur Par- gument théologique de la toute-puissance divine. «Toute croyance qui suppose aux hommes un pouvoir propre, indépendant et créateur, rompt l’unité de la puissance divine ..…. dans quel dédale de difficultés et d’inconsé- quences ne s’est-on pas jeté en voulant concilier Por- gueilleuse opinion du libre arbitre de Phomme, avec Vobligation , dont chacun a la conscience intime , de conformer ses actes et ses volontés aux décrets infaillibles de lEtre suprême... Hors Dieu , tout dans le monde est nécessité. » Nous ne nous étonnons point, après avoir lu ces pas- sages, que M. Pichard redoute l'accusation de fatalisme ;. ce qui nous étonne, c’est qu’il croie pouvoir y échapper : avant lui, déjà, Zénon, Leibnitz, avaient cru pouvoir tout ramener à des lois mécaniques, et toutefois ména- ger la liberté de l’homme ; mais leurs efforts avaient été inutiles ; le Stoicisme et le Leibnitzianisme enfantèrent bien vite la foi au destin, parce qu’il n’appartient qu’au sensualisme utilitaire et social de se concilier avec la liberté de l’homme, en faisant dépendre la conduite d’un calcul de la raison ; quant au sensualisme cérébral qui la rattache à l’immuable inspiration des organes , où quant au sensualisme mécanique qui la soumet aux im- muables lois de l'univers , ils doivent irrésistiblement enfanter le fatalisme. Au surplus, que M. Pichard relise SUR LES NOTIONS RADICALES. 59 son ouvrage et qu’il le compare aux travaux des sectes fatalistes , il y découvrira de nombreuses analogies ; et, par exemple, pour ne pas citer encore de nouveaux noms, il trouvera chez les Stoïciens et les Leibnitziens , son contentement passif des choses de ce monde (araSex), son optimisme , sa loi de continuité , etc. ( T. IL, p. 261, 262, 462, 463 etc.) 11 se convaincra par cet examen et cette comparaison, que la tendance ici signalée par nous est bien celle dont sa doctrine ne peut se défendre. En voilà plus qu’il n’en faut pour justifier les critiques que nous nous permettons d'adresser au système de M. Pichard; pénétrés d’un côté de doctrines tout opposées aux siennes, et de l’autre, d’une grande estime pour sa personne , nous n’hésitons pas à profiter de l'autorisation qu'il a donnée à tout lecteur (T. II, p. 468 ) de ne point ad- metlre pour démontré tout ce qu’il a cherché à exprimer dans son écrit. Toutefois nous nous ferions un véritable reproche de ne pas signaler, en terminant, de réels mérites appartenant à son travail. Il est facile d’abord d’y reconnaitre le ma- thématicien instruit ; chaque fois qu’il aborde les idées spéciales à la science de son choix, il se fait lire avec un vif intérêt ; il y a aussi dans ses opinions sur divers agens physiques (T.1, p. 303), sur les sensations (T. IL, p. 150 et suiv. ), plusieurs aperçus importans et que nous recommandons; enfin nous aimons à rencontrer chez lui une estime hautement avouée pour les élémens généraux , pour les principes généraux, c’est-à-dire au fond pour les méditations philosophiques. Il y a plus ; si les théories de M. Pichard nous sem- blent d’une tendance fàcheuse , nous devons en absoudre entièrement les sentimens de son cœur ; il arrive souvent qu’oubliant ses systèmes , abondant alors dans un point 60 ÉBAUCHE D'UN ESSAI , etc. de vue noble et relevé , notre auteur écrit des pages pleines de vie religieuse:; nous pourrions en citer un grand nom- bre; nous nous contenterons d’en rapporter une seule : « Un second avantage des croyances religieuses , dit M. Pichard (T. H,p. 430), qui offrent aux hommes la perspective d’une vie éternelle et bienheureuse , est d’im- primer à leurs désirs un parallélisme éminemment propre à prévenir entre eux bien des croisemens dans leurs des- seins, des dissentions et des haïnes. Figurez-vous une troupe de pèlerins traversant en caravane un désert, et se pressant autour d’une crevasse de rocher dans la- quelle ils se flattent en vain de trouver un peu d’eau pour étancher leur soif; ils se heurtent , ils se repoussent, et voudraient réciproquement anéantir leurs concurrens ; mais si, fatigués de leurs inutiles efforts , et comptant sur les promesses de leur guide, ils espèrent atteindre, un peu plus loin, une source abondante et pure, ils endureront la soif avec plus de patience. En cheminant parallèlement vers ce but moins rapproché, ils ne s’incommoderont plus les uns les autres, et leur peine s’adoucira par le charme de se soutenir mutuellement dans leur commune espérance. Telle est , dans la société , la douce influence du dogme de la vie éternelle. » Ce fragment est plein d’une vraie piété ; il respire lesprit de l'Evangile. A J. Cuoisy, Profr.: SECONDE EXCURSION EN ESPAGNE, SPAIN REVISITED , by the Author of À Year 1N SPAIN , 2 vol. —__sSs— Un jeune officier de marine des Etats-Unis, M. Ridell, publia, il y a quelques années, sous le titre de 4 Fear in Spain, les observations que son séjour d’une année dans ce pays lui avait permis de faire. Plusieurs journaux an= glais rendirent compte, dans le temps, de cette production qui offrait de l'intérêt et des détails piquans. Mais, quel que füt d’ailleurs le degré d’importance littéraire de Pouvrage, le gouvernement espagnol lui en accorda une plus grande encore sous le rapport politique : un ordre dei Gobernador del real y supremo consejo de Castilla, condamna l'ouvrage à être saisi partout où il se trouverait dans les États de Sa Majesté ; l’auteur, à être reconduit à la frontière et congédié sans délai, s’il s’avisait de se remontrer en Espagne. Le considérant de ce décret s’ap- - puyait sur de prétendues injures contre la famille royale, et de sacriléges plaisanteries sur les lois et les institutions du royaume, contenues dans l’ouvrage de M. Ridell. En dépit de cet ordre sévère, l’auteur d’Une année en Espagne arriva à Bayonne, au mois de janvier 1834, avec le projet de se diriger d’abord sur Madrid. La direction libérale qu'avait prise le gouvernement depuis son premier voyage , les difficultés croissantes que lui suscitaient l'in- surrection et la guerre civile, faisaient espérer à M. Ridell 62 SECONDE EXCURSION EN ESPAGNE. que l'autorité n’aurait guère le loisir de s'occuper des mouvemens d’un individu obscur. Mais si ces circonstances favorisaient en un point son projet , elles l’entravaient sur un autre ; Car, depuis que la guerre avait éclaté dans la Navarre et dans les provinces Basques, les diligences ne faisaient plus leur service, et les insurgés apportaient le plus grand soin à couper toutes les communications, par lesquelles le gouvernement de Madrid pouvait être informé de leurs mouvemens. Ces obstacles cependant ne suffirent point à détourner le jeune auteur de son dessein : après avoir pris les renseignemens nécessaires, il se mit sous la conduite d’un muletier, homme sûr, en possession de la confiance des premiers négocians de Bayonne, et qui allait quitter cette ville. Fermin Sylvéti, c'était son nom, s’en- gagea à conduire le voyageur sain et sauf jusqu’à Pam- pelune, à lui fournir deux mules, l’une pour lui, l’autre pour son bagage, à le nourrir et le loger le long de la route. C’est du nouveau voyage de M. Ridell, publié il y a peu de mois, et qui porte le titre de Spain revisited , que sont tirés les extraits que nous allons mettre sous les yeux de nos lecteurs. Les voyageurs, réunis à d’autres muletiers, s’engagè- rent bientôt dans les gorges des Pyrénées ; ils traversèrent les villes d’'Ustariz, d’Anoa, les vallées de Bastan, de la Bidassoa, sans rencontrer d’autres obstacles que ceux offerts par la pluie, le froid, et des vents dont la violence empêche quelquefois les mules d'avancer. De petites trou- pes de carlistes se montraient, à la vérité, de temps à autre sur leur chemin, mais les muletiers qui composaient la caravane , appartenant {ous à ce parti politique, ces ren- contres se passaient à l’amiable. Nous laisserons décrire au voyageur lui-même quelques particularités relatives à son guide Fermin Sylvéti. SECONDE EXCURSION EN ESPAGNE. 63 « J'avais eu plusieurs fois l’occasion d’observer le soin que Sylvéti prenait de ses mules, la douceur, le calme peu ordinaire avec lequel il les traitait. Leur nourriture pa- raissait être à ses yeux un objet d'importance : chaque soir lui ou son frère alternativement, couchait à l'écurie ; et leurs selles, leurs brides parfaitement entretenues, étaient plus ornées de franges et de grelots que celles des autres muletiers ; il était à remarquer aussi que ces ani- maux, dociles et bien dressés, ne donnaient aucun signe de ces caprices auxquels ils sont si sujets, lorsqu'ils sont maltraités. Une circonstance accidentelle vint me montrer le muletier Sylvéti sous un autre point de vue, et me ré- véler en lui le caractère espagnol tel que je l’avais souvent observé. « En approchant du fameux défilé de Velate, nous nous trouvèmes, Sylvéti et moi, entièrement seuls, son frère ayant pris l’avance avec les autres mules. Un coup d’œil jeté sur mon bagage, que portait la monture de Sylvéti , me fit voir que mon parapluie, attaché avec les autres effets, était cassé, et j'en fis la simple observation. Le muletier m’assura d’abord que cela était impossible ; mais étant descendu pour examiner la chose, il reconnut que Fani- mal devait avoir causé ce dommage en se roulant à terre. À cette vue Sylvéti devint pâle, et garda le silence pendant près d’une minute. Puis tout à coup, ramassant une pierre énorme, il proféra, avec une énergie effrayante, l’excla- mation de : Por vida del demonio, l'accompagnant d’un coup de sa pierre sur le crâne de sa mule. Cette explosion fut suivie d’un torrent de malédictions et d’une grêle de pierres, toutes dirigées vers la tête et les yeux de l’animal, qui, retenu fortement par la main gauche du muletier, ne pouvait échapper"à son sort. C'était réellement une scène terrible que celle que présentait en cet instant la montagne 64 SECONDE EXCURSION EN ESPAGNE. sauvage, déserte, la solitude profonde où nous nous trou- vions , dont les échos, muets d’ordinaire, retentissaient soudain, pour un sujet si frivole, des cris impuissans de la colère de l'homme... Cette scène cependant était si caractéristique, si espagnole, que, sachant bien qu'il serait inutile que j’essayasse de sauver la mule, je me résignai à attendre patiemment la fin de la crise. Enfin Sylvéti remonta sur sa bête, mais il ne recouvra son calme ordi- naire que par degrés, et longtemps encore l’animal eut à souffrir de la tempête qui s’était élevée dans l’âme de son maître. Néanmoins, je le répète, Sylvéti était naturellement doux et modéré ; mais il n’eût pas été de son pays, s’ilne s’était montré dans quelques occasions l’esclave d’une colère ingouvernable. Son chagrin, pour un sujet si léger, offre en même temps une preuve de l'importance qu’un muletier espagnol attache à la conservation des personnes et des objets confiés à ses soins. » . . . . . 4... . . .. « La maison de Sylvéti, qui devait nous servir de loge- ment pour cette nuit, faisait partie d’un très petit village, admirablement situé pour faire la contrebande. Après avoir quitté la route directe de Pampelune , et traversé l’Arga sur un pont antique, nos mules s’arrétèrent devant le portail d’un bâtiment massif, dont la double porte s’ou- vrit bientôt au son de leurs grelots. Un jeune berger, vêtu à peu près comme ses troupeaux , c’est-à-dire , de peaux de moutons recouvertes de leur poil, vint au-devant de nous, une lampe à la main ; et un énorme chien des Pvrénées s’élança pour recevoir les caresses de Sylvéti, le cadet, tandis que nos mules fatiguées se rendaient à leur écurie. « En jetant les yeux autour de moi, je me trouvai dans un vaste hangar formant le rez-de-chaussée du bâtiment, _ SECONDE EXCURSION EN ESPAGNE. 65 et destiné à offrir derrière ses murs épais une protection sûre aux animaux et aux produits d’une ferme considé- rable, protection absolument nécessaire dans les pays régis par de mauvaises lois. Chaque chose avait là sa place déterminée : d’un côté, une bergerie pour deux cents moutons, de l’autre l’étable des mules ; à une grande provision de bois pour l’hiver, ici des tas de feuilles des- tinées à faire de l’engrais , et tout près de Pendroit où ma mule s’était arrêtée, trois vaches qui, ayant passé leurs larges têtes au-dessus du ratelier, regardaient d’un œil curieux notre arrivée. Ces objets, joints à la figure pitto- resque du berger, rappelèrent si vivement à ma mémoire quelques-uns des tableaux de Murillo sur la nativité, que peu s’en fallut que je ne me crusse, pour quelques instans, l’un de ces sages venus de l’Orient pour rendre hommage au divin enfant. Quant à la Vierge , elle m’ap- parut peu de momens après à l’étage supérieur , dans la femme de Sylvéti, jeune et belle espagnole, occupée d’un soin très doux au cœur du muletier, celui d’allaiter son nourrisson. « Sylvéti cependant , qui nous avait précédés dans la maison, vint au-devant de moi en déshabillé d’hidalgo, veste de flanelle, culotte et bas noirs, suivi de ses enfans. Il me souleva de dessus ma mule, où j'étais engourdi par le froid et la faim, et me conduisit en haut, vers la cheminée de la cuisine, où un feu pétillant nous attendait. Ce second appartement, aussi vaste que le hangar, con- tenait des chambres à coucher, une sorte d’atelier fourni de toute espèce d’outils, et la cuisine. Après nous avoir offert le chocolat, on nous servit bientôt un bon souper, composé de soupe, d'œufs, de salade, d’un lapin en ra- goût, de pigeons, et suivi du dessert accoutumé. Après une excellente nuit, réparatrice de mes fatigues, je me \ 5 66 SECONDE EXCURSION EN ESPAGNE. levai de grand matin, et me rendis à la cuisine où je trou- vai la famille déjà rassemblée. Sylvéti habillait un de ses enfans, tandis que les autres demi-nus, leurs vêtemens à la main , demandaient avec instance à recevoir de leur père cette faveur inaccoutumée. Les habits de ces bambins étaient chauds et parfaitement propres. De quelque côté que j’arrêtasse mes regards autour de moi, je ne voyais que provisions de tout genre rangées avec ordre ; l’abon- dance, une sorte d’aisance rustique, même un certain degré de comfortable régnaient dans cette demeure. Tout cela était dû à l’industrie persévérante de Sylvéti, à la confiance que lui avait value une réputation de probité intacte , peut-être aussi aux gains considérables résultant d’une contrebande active. Quoi qu’il en soit, on aurait pu envier la condition de cet homme, si son bonheur n'avait été soumis à de si fréquentes interruptions , et acheté par tant de dangers. Il me dit cependant que dans peu il comptait se reposer sur son frère du soin des voyages. — «Et combien , demandai-je, lui donnez-vous par an pour les services qu’il vous rend? — Rien, me répondit Sylvéti, mon frère vit avec nous et comme nous ; dès qu’il voudra se marier je lui donnerai une dot. » Cette confiance, ce désintéressement que ces hommes regardent comme tout naturels , ne sont-ils pas à eux seuls un bel éloge des vertus patriarcales des mon- tagnards navarrais ? » 2 Après avoir quitté la maison de son guide, le voya- geur, toujours sous la conduite des frères Sylvéti, traverse la vallée de l’Arga , la petite ville de Billaba, et arrive bientôt en vue de la cité de Pampelune, située , ou en quelquesorte perchée, sur une petite esplanade qui s’élève du milieu d’un bassin appelé la Cuenca ou le Bol , entouré de montagnes en amphithéâtre. SECONDE EXCURSION EN ESPAGNE. 67 « En approchant de la ville, nous rencontrâmes quelques soldats assez mal vêtus, qui plaisantaient avec des blanchisseuses occupées à laver du linge au bord de PArga ; c’étaient les premiers militaires du parti de la reine que nous voyions depuis notre entrée en Espagne. Du reste cette rencontre se passa avec le plus grand calme; car nos muletiers, en gens prudens, avaient cessé d'être carlistes du moment où les tours de la forteresse de Pampelune avaient frappé leurs regards. « À peine eûmes-nous dépassé la garde que nous fümes environnés par les sales agens des douanes et de la police, hommes vêtus d’habits râpés, coiffés de chapeaux de toile cirée, portant à la bouche le cigare de papier, au côté le plus mauvais sabre du monde. Je connaissais assez ces messieurs pour savoir que l’élo- quence d’une pièce d’argent n’était jamais perdue avec eux ; je l’employai, et bientôt notre caravane entra sans difficulté dans l'enceinte d’une cité espagnole, ornée, comme elles le sont toutes d’une place carrée, de colon- nades et de nombreuses fontaines. Les rues de Pampelune sont d’une largeur moyenne, les maisons hautes et bien bâties , avec des fenêtres grillées au premier étage et des balcons au-dessus. Les rez-de-chaussée, convertis en boutiques , offraient aux besoins et à la curiosité du voyageur lassortiment le plus misérable d’objets manu- facturés dans le pays , par des procédés aussi grossiers, aussi primitifs qu’ils l’étaient avant l'expulsion des Maures. Des gonds et des serrures de formes grotesques, des reliures en parchemin d’une antiquité vénérable, de petites montres bombées comme des œufs , recouvertes d’écaille ou de laiton, et importées dès les siècles passés pour satisfaire au luxe des grands du pays , des chapeaux en bois servant d’enseignes, des habits bariolés ‘68 SECONDE EXCURSION EN ESPAGNE. de toutes les couleurs de l’arc-en-ciel, de mauvaises bottes de cavaliers, puis çà et là un bassin de cuivre accompagné d’une lancette, indiquaient au consomma- teur la marchandise qu’on pouvait lui offrir, ou le genre de services qu’on était prêt à lui rendre, tandis que l'annonce plus relevée de Ælmacen de todos generos , barbouillée en caractères mal formés, promettait à Pa- cheteur plus difficile la réunion somptueuse de quelques pièces de coton rayé, d’habits de soie et d’éventails peints, sur lesquels l'œil charmé retrouve Phistoire touchante et nouvelle des amours d’Atala, ou ceux de Malek-Adel..… raffinemens dus à la contrebande , et que Pindustrie espagnole n’a pas encore su s'approprier. « Sous les arcades qui bordaient la place de tous les côtés, circulaient des bourgeois enveloppés de leurs man- teaux , des soldats à barbe et à moustaches , des femmes portant mantille et éventail. Les prêtres n’y manquaient pas ; en grandes robes noires et en chapeaux allongés , non plus que les séminaristes ou étudians en costume sale, composé d’un chapeau gansé, d’un manteau usé jusqu’à la corde, et de bas roux. Ajoutez à cette po- pulation , cher lecteur, une compagnie de galériens oc- cupés à nettoyer les rues : les uns chargés de pesantes chaînes pour attester l’énormité de leurs crimes; d’autres à moitié nus, tous horriblement sales et portant une longue barbe qui ajoutait quelque chose d’effrayant à leur physionomie pâle et misérable; ce qui ne les empé- chait pas de causer assez gaiment avec les villageois qu’ils rencontraient , ou d'adresser de grossières plaisanteries aux femmes qui passaient près d’eux ; enfin joignez-y une troupe de soldats traversant la place au son du tambour, et vous aurez une idée, non-seulement de l'apparence intérieure de Pampelune, mais encore de Ja plupart des SECONDE EXCURSION EN ESPAGNE. 69 villes espagnoles. Une particularité cependant se faisait remarquer ici, que je n’avais point vue ailleurs : à côté de la porte de plusieurs maisons, habitées par la noblesse ou les citoyens riches , était suspendu un gros cochon récemment tué, attaché au mur par un crochet, les jambes de derrière relevées comme pour sauter, la queue roulée en tire-bouchon. Sylvéti m’apprit que ces animaux étaient placés là pour recevoir l’action du soleil avant d’être salés, fumés et employés à la cuisine; mais on aurait pu les Sécher tout aussi bien et mieux encore dans les cours intérieures des bâtimens , si l’on n’eût cherché à satisfaire une sorte de gloriole par cette bizarre exposi- tion de son bien. Du reste , chaque eochon gros et gras avait son cercle d’admirateurs et d’envieux , tandis que l’heureux possesseur, appuyé sur son balcon, jouissait de leurs éloges avec le sentiment de la vanité satis- faite. » Après avoir passé une journée à Pampelune, M. Ridell prend: congé de Sylvéti, et continue son voyage sous la protection d’un jeune charretier nommé Ramon, ivrogne déterminé, mais guide sûr, attendu qu’il était carliste, et prêt à jurer au besoin que le voyageur était Lombre de bien ese, c’est-à-dire, professant les mêmes opinions politiques. Ils s’arrétent vers le soir dans une maison nommée la Venta del Pollo ou l’Auberge du Poulet. « Plusieurs muletiers étaient rassemblés autour du feu de la cuisine avec l'hôte, l’hôtesse et la servante. La conversation , d’abord d’un assez mauvais ton , roula bientôt sur des aventures de vols et de meurtres , et le fait suivant , qui avait eu lieu il y a quelques années dans la maison même où nous nous trouvions, me fut raconté avec tous ses détails. Un paysan, revenant de la foire de Tafalla avec sa fille, laissa celle-ci, qui était très fatiguée, 70 SECONDE EXCURSION EN ESPAGNE. dans la Venta del Pollo pour y passer la nuit; il lui confia l’argent que lui avait valu la vente d’une vache, et se remit en route pour se rendre chez lui où la jeune fille devait le rejoindre le lendemain. À quelque distance de l’auberge , dans un endroit solitaire, le paysan est arrété par deux brigands qui l'avaient épié à la foire ; il leur donne le peu de monnaie qu’il a sur lui et les supplie d’épargner sa vie. Eux , furieux de sa résistance à livrer la somme sur laquelle ils comptaient, l’égorgent avec leurs couteaux, le fouillent , et ne trouvant rien, devinent que son argent doit être resté à l’auberge sous la garde de la jeune fille. Or, les aubergistes de la Fenta del Pollo étaient, depuis plusieurs années, les complices secrets de ces brigands. Nos deux voleurs se rendent à ce repaire, et bientôt la jeune paysanne ,qui venait de se mettre aulit, croit entendre, au travers dés planches mal jointes du plancher de sa chambre , une sorte de chuchotement mystérieux dans la cuisine au-dessous. Timide, peu babituée à se trouver seule parmi des étrangers, elle s’alarme , prête l’oreille et entend une voix basse qui raconte le meurtre commis sur son père , et qui propose divers moyens de se défaire d’elle-même pour s'emparer de la somme qui lui a été confiée; puis la femme de Phôte, prenant la parole, offre d’allumer son four pour y brûler promptement le corps de la pauvre fille, afin d’anéantir toute preuve du crime que l’on va commettre. « Bien que cette conversation eût lieu à demi-voix, la frayeur ayant en quelque sorte doublé la finesse de VPouie de la jeune fille , elle n’en perdit pas une syllabe, Traverser légèrement sa chambre, ouvrir la fenêtre sans bruit et sauter de là sur le terrain , fut pour elle Paffaire de quelques secondes ; mais le premier étage était élevé , la pauvre enfant se foula le pied en tombant et se releva SECONDE EXCURSION EN ESPAGNE. 71 presque incapable de marcher. Cependant le danger de sa situation lui donnant du courage, elle réussit à .se traîner, non sans de vives souffrances et bien des terreurs, jusqu’au village de Mendivil peu éloigné de l'endroit où elle se trouvait, Les autorités averties se rendirent sur le champ à la Venta del Pollo, y twouvèrent lhôte et les voleurs encore rassemblés ,. et l’hôtesse occupée à attiser dans son four un énorme brasier qui, à cette heure de la nuit, ne pouvait avoir d'emploi innocent. Le corps du paysan fut retrouvé où l’avaient caché les voleurs, et toutes les preuves se réunissant pour désigner les coupa- bles , ils furent punis , les uns de mort, les autres par les galères et la prison. ». . . . « En approchant du canal d’Aragon, la scène autour de nous changeait avec une rapidité presque magique , et je reconnaissais à chaque pas l’empire de l’industrie de l’homme, qui a converti en jardins délicieux et fertiles un sol aride et brülé. Nos yeux se reposaient de toutes parts sur des champs de blé, des vignes et de vastes ver- gers plantés d’oliviers. Ce canal, commencé par Charles- Quint, qui le conduisit jusqu’à une longueur de trente-cinq milles, fut abandonné pendant deux siècles environ, puis repris sous le règne du bénévole Charles THE, sous la direc- tion de Pignatelli, ingénieur aragonais, et établi sur une étendue de soixante-trois milles. Le but principal de cette entreprise était de surmonter les difficultés de la navigation de l’Ebre, dont le canal suit le cours, et de fournir un moyen d'irrigation à une partie de la contrée, qui, sans cela, était condamnée à une stérilité constante. Ce canal commence près de Tudela et s’étend jusqu’au delà de Saragosse; là il rentre dans l’Ebre où il a pris naissance et qu’il rend ainsi navigable, de la Navarre à la Méditer- 712 SECONDE EXCURSION EN ESPAGNE. ranée ,pour des bâtimens de cent tonneaux. Sa largeur est de soixante-dix pieds à la surface de l’eau, sur une profondeur de dix pieds. Ce bel ouvrage offre, dans toute son étendue, la preuve de cette hardiesse de vues, et de cette perfection dans l’exécution qui rendent les travaux de fortifications et du génie si remarquables en Espagne. La richesse du pays s’est accrue d’une manière presque incalculable depuis Pouverture de ce canal; plus d’un million d’arbres ont été plantés sur ses bords, et des mil- liers de plantations de toute espèce , fertilisées par des filets d’eau tirés de son sein, ont offert de nouveaux moyens d’existence à l’homme et aux animaux. » . . . Les détails suivans sont tirés du séjour fait par Pauteur à Saragosse. | « De l’église de Notre-Dame del Pilar, je dirigeai mes pas vers la Torre - Nueva. J’atteignis bientôt un homme aveugle qui annonçait, à haute voix, le long des rues, le tirage prochain d’une loterie, dont l’objet était un cochon gras ; il ne négligeait rien pour faire valoir le mé- rite incomparable du plus beau porc auquel PAragon eût depuis longtemps donné naïssance , et pour engager les amateurs de saucisses et de jambons à ne pas négliger cette occasion unique de s’en procurer pour presque rien. L’aveugle était conduit par une sorte d’idiot, prêté par Phôpital pour cet usage, dont la physionomie étrange, les gestes et les paroles de maniaque étaient rendus plus frappans encore par son costume, composé d’une couver- ture de laine jaune à bordures rouges, jetée sur ses épaules comme un schall, et des restes d’un chapeau gansé d’étu- diant, dont l’idiot paraissait très fier, et qui lui avait sans doute été fourni par le directeur de la loterie, pour donner à la cérémonie plus de dignité. Ces deux héraults étaient SECONDE EXCURSION EN ESPAGNE. 73 accompagnés par une troupe de gens à la mine pâle et affamée, prêts à échanger, contre la chance très douteuse de gagner un cochon entier, la certitude de se procurer de la nourriture pour un jour ou deux, au moyen de la petite pièce d’argent qui composait tout leur avoir. « Après avoir perdu quelque temps à chercher la clef de la tour, le fils du marguillier m’en ouvrit enfin l'entrée. Cette tour est d'une hauteur immense et d'une construction singulière, Sa verticale offre une légère inclinaison, très perceptible à l’œil, et due probablement à l’ignorance du temps où elle fut construite, ou à un abaissement du sol, plutôt qu’au plan de l'architecte. Elle est bâtie tout entière avec des briques ; une montée très graduée, qui se trouve à l’intérieur, conduit jusqu’au sommet ; on as- sure qu’il est possible de la franchir à cheval. » | « Après avoir admiré la hauteur prodigieuse de ce bâtiment et son architecture particulière, on est tenté de se demander dans quel but il a été érigé et à quel usage il a pu servir, isolé comme il l’est au milieu d’une place, à une assez grande distance des couvens et des églises. Un vieillard, auquel j’adressai cette question, me répondit que sans aucun doute la Torre-Nueva avait été bâtie pour indiquer les heures aux habitans des campagnes qui entou- rent Saragosse. Je ne sais si opinion de cet homme était fondée, mais ce queje puis affirmer, c’est que le son assour- dissant de l’énorme cloche placée dans la tour et qui sonneles heures, doit être entendu distinctement de fort loin. « La vue qu’on découvre du sommet de cette tour est à la fois belle et imposante. Lorsque jy montai , le ciel était parfaitement pur, le soleil brillait d’un éclat éblouis- sant , et, quoique nous fussions au milieu de janvier , la chaleur était presque incommode. La parfaite transparence de l’air laissait apercevoir distinctement les objets les plus 14 SECONDE EXCURSION EN ESPAGNE. éloignés ; les montagnes de la Navarre, qui bornaient horizon au nord, semblaient étre à portée de la main, et leur véritable, distance ne pouvait être appréciée avéc quelque justesse, qu’en comparant de l’œil leur éloigne- ment avec celui d’une chaîne plus rapprochée, qui cerne la vallée de l’Ebre. Du côté opposé s’offraient à mes re- gards les hautes montagnes de Castille, qui environnent ie plateau central de l'Espagne, et par-dessus leurs cimes, le Moncayo , dont la tête neigeuse dominait tout le pay- SaBBondnict 4 acoausldrégatadhuia shot oidugnascs « Après le diner, je sortis de nouveau pour me pro- mener dans la ville, et je dirigeai mes pas vers l’amphi- théâtre des combats de taureaux, où se donnait le soir même un bal masqué au bénéfice des pauvres d’un hos- pice. La grande société devait se rassembler dans le même but, au local du théâtre, après la représentation du soir. Les approches du bal plébéien étaient marquées par une foule nombreuse de gens, dont les uns se rendaient à la fête , les autres, simples spectateurs, s’amusaient à moins de frais, en regardant passer les danseurs, les danseuses, et en critiquant ou louant à haute voix, avec les expres- sions les plus énergiques , le plus ou moins d'élégance des costumes. Un piquet de cavalerie, stationné dans la rue qui conduisait à l’amphithéätre, exerçait une sorte de police au milieu de la foule et prévenait le désordre. À côté de ces militaires en uniforme se tenaient un certain nombre de moines, à longues barbes et à capuchons, de l’ordrede Saint-Jean-de-Dieu, chargés de vendre au public, moyennant. quelques pièces de monnaie, les billets de bal dont le profit devait revenir à leur hôpital. « Une foule immense se pressait à la: porte ; ce- pendant cet inconvénient était plus que compensé par SECONDE EXCURSION EN ESPAGNE. 75 le spectacle qui s’offrait aux regards dans l'intérieur. L’amphithéâtre, capable de contenir douze mille per- sonnes assises, était absolument plein. Les spectateurs qui garnissaient les banquettes et les galeries composaient la partie la plus décente de l’assemblée ; ils étaient presque tous en costume ordinaire, et quelques-uns masqués. Les militaires de service, dans cette occasion, occupaient une espèce de poste élevé, et en quelque sorte fortifié, d’où ils pouvaient se défendre aisément contre la popu- lace, si elle prenait fantaisie de les attaquer, ou faire feu avec promptitude dans le cas où la réunion d’un si grand nombre de personnes donnerait lieu à quelques exclama- tions en faveur du Prétendant. Au milieu de l'arène, sur une plate-forme, était placée la müsique militaire qui jouait des valses et des contredanses charmantes , tandis qu’une foule serrée de masques et de dominos sautaient, gesticulaient, tournoyaient dans l’espace environnant, avec une mesure parfaite, mais surtout avec une ardeur, un enthousiasme et une gaîté qu’on ne retrouve que chez ce peuple passionné et 2mpressionnable jusqu’à l’extrava- gance. La variété des costumes était infinie, mais parmi les hommes on voyait dominer de tous côtés les jeunes séminaristes, vêtus de leur habit ordinaire, avec la simple addition d’un mauvais masque ou d’un fragment de domino. Ces jeunes clercs étaient aussi pauvrement vêtus que de coutume, et loin de se montrer jaloux de ménager leurs modestes habits, ils se livraient avec ardeur à l’espiègle- rie scolastique de se battre à coups de chapeaux au risque de les mettre en pièces. Du reste ils ne parais- saient point souffrir de leur situation génée, au contraire, ils s’en faisaient un jeu, car quelques-uns portaient à leurs chapeaux, en guise d’ornement , les cuillers de bois avec lesquelles ils vont manger la soupe qui se distribue par 76 SECONDE EXCURSION EN ESPAGNE, aumône à la porte des couvens ; d’autres y avaient ajouté la devise latine de : omnia mea mecum porto, ou l’ex- pression espagnole encore plus énergique de hambres, la faim ! « Je quittai l’amphithéâtre, en admirant ce beau climat qui permet à ses habitans de jouir de semblables plaisirs, en plein air, au milieu de janvier, et je suivis la foule qui se pressait alors vers une église où un bel orgue et un chœur nombreux de voix exécutaient le chant des vêpres. Une image du Sauveur sanglant , sus- pendue à la croix et éclairée par une faible lumière, produisait un effet effrayant. La figure de Notre-Dame des Douleurs, la tête baissée, le visage couvert de grosses larmes, était auprès. Toutes les personnes qui entraient faisaient le signe de la croix, puis tombaïient à genoux en murmurant quelques prières d’un air recueilli. À mesure que je les examinais, je les reconnaissais pour les avoir vues danser peu d’instans auparavant dans lamphithéâtre, et j’avais de la peine à concilier la pro- fonde dévotion où je les voyais maintenant avec l’état de gaîté et d’excitation folle où elles étaient plongées naguère. » Après un jour et demi passé à Saragosse, M. Ridell monte, en assez nombreuse compagnie, dans la diligence qui se rend à Madrid. « Vers onze heures environ nous nous arrêtèmes à la porte d’une auberge où nous devions déjeûner, et j’eus pour la première fois l’occasion de voir tous mes com- pagnons de voyage rassemblés. Du coupé descendirent trois dames d’assez haute condition, dont les trois doncellas, ou femmes de chambre, étaient mes compagnes dans la rotonde. L’intérieur était occupé par le directeur des manufactures royales de tabac de Barcelonne, sa SECONDE EXCURSION EN ESPAGNE. 77 femme, ses enfans, une autre femme, et un membre distingué des anciennes Cortès , dont le nom se trouvait inscrit dans la dernière amnistie , et qui revenait dans sa patrie , au sein de sa famille , après dix ans d’exil. Si je n’eusse déjà voyagé en Espagne, j'aurais pu m’étonner en voyant se placer à la même table et jouir des mêmes égards , les femmes de chambre et leurs maîtresses , le dernier des passagers de la rotonde servi, avec une poli- tesse pleine de cordialité, par le noble exilé dont je viens de parler ; mais je savais par expérience que cette sim- plicité de manières, si bien compatible avec la vraie dignité , se rencontre à chaque pas chez ce peuple parmi lequel l’égalité dans les relations sociales est plus com- mune que partout ailleurs. Dans quelques pays, l'existence d’une aristocratie imprime à toute la nation un caractère de servilité et d’imitation ; il n’en est pas de méme en Espagne, où chaque membre de l'échelle sociale, content , sinon de sa fortune , du moins de la place qu'il occupe , fait partager aux autres l’espèce de respect qu’il a pour lui-même, et où le moindre paysan a des ma- nières aussi aisées et aussi dignes que son seigneur. » . CE . . E dd” . . 2,75 JD" 7e se te « Le soir, à souper, la conversation fut soutenue presque entièrement par lexilé : c'était un homme d'un vrai talent, dont les discours aux Cortès étaient empreints d’une mâle éloquence, et qui jouissait de quelque répu- tation comme poëte. J'écoutais avec avidité jusqu’à ses moindres paroles , et je m'identifiais par sympathie aux sentimens qui remplissaient son cœur. Tout dans sa patrie lui paraissait avoir gagné pendant ces dix années d’ab- sence: la diligence où nous voyagions était meilléure qu'aucune de celles qu’il avait vues en France; une auberge comme celle où nous étions ; un souper tel que 78 SECONDE EXCURSION EN ESPAGNE. celui qu’on venait de nous servir ne se seraient trouvés nulle part en Espagne dix ans auparavant... tout ce qui s’offrait à ses regards lui semblait amélioré ; les souvenirs de lexil lui montraient toutes choses au travers d’un prisme flatteur. Après bien des fatigues, des persécutions de tout genre, un long et pénible voyage pendant lequel le souvenir d’une femme adorée avait pu seul Pempécher de mettre fin à ses maux par un suicide, il avait réussi à gagner Malte où il trouva, sous le pavillon anglais, pro- tection et amitié. La mémoire de toutes les injures qu'il avait souffertes, les douleurs d’un long exil, et la recon- naissance pour l’hospitalité qui les avait adoucies, avaient imprimé dans cette âme toute espagnole des traces inef- façables. Sa femme le rejoignit à Malte où elle passa plusieurs années près de lui ; mais depuis deux ans elle était rentrée en Espagne afin d’observer le progrès des événemens, et de saisir l'instant favorable pour obtenir le pardon de son mari. Maintenant, chaque pas qu’il faisait le rapprochait de cette femme tendre et dévouée, d’une famille dont il était attendu avec impatience, et d’une mère chérie qu’il n’avait pas vue depuis dix longues années.» 4 « « « L'auberge à Guadalaxara nous offrit la même pro- preté, les mêmes comforts que celle de Quintanar. Table abondante , couverte d’un linge éblouissant, bon feu, lits parfaitement propres, et dont le seul inconvénient était de se trouver réunis dans un dortoir commun; enfin, un jeune barbier ; plein de grâce et de dextérité, vêtu du joli costume andalou , nous attendait pour nous mettre en état de nous présenter décemment à Madrid le lende- main. Chacun de nous sortit à son tour de ses mains, pro- prement accommodé , parfaitement an fait du commérage SECONDE EXCURSION EN ESPAGNE. 79 de la ville, et convaincu qu’il venait d’avoir affaire avec quelque descendant du célèbre Figaro | Cependant, plu- sieurs personnes étaient arrivées à l’auberge pour y présenter leurs hommages au noble exilé, dont la famille possédait un palais et des terres dans le voisinage. Je fus également charmé des témoignages d’affection qu’il reçut du fermier, de l’intendant, des domestiques de cette propriété et de la manière dont il y répondit. À mesure qu'un souvenir lui en rappelait un autre , les questions affectueuses se pressaient sur ses lèvres , les individus , les lieux, le sol, jusqu'aux arbres sous lesquels il avait joué dans son enfance, avaient leur part dans son intérêt, leur place dans sa mémoire. « La présence de cet homme intéressant doublait pour moi les jouissances du voyage, et mon émotion croissait avec la sienne, lorsque je pensais au bonheur qui l’atten- dait le lendemain. 5... . . . :. 1. « En approchant d’une auberge nommée le Saint- Esprit, nous trouvàmes arrêté devant la porte un carrosse fort bas , richement doré, attelé de cinq mules enhar- nachées avec beaucoup d'élégance , et conduit par deux domestiques en costume andalou. Le maître du carrosse mit la tête à la portière avec empressement , nous de- mandant si une personne impatiemment attendue n’était pas parmi nous. Ce seigneur était un illustre duc , frère de Pexilé ; dans un instant les deux frères furent dans les bras l’un de l’autre, puis, montant ensemble dans le carrosse doré , ils suivirent la diligence tout en fumant leur cigare, et donnant carrière à leurs sentimens par une conversation animée. À peu de distance de là, un autre duc, cousin de Pexilé, monté sur un magnifique cheval arabe , couvert d’une selle maure , s’approcha au 80 SECONDE EXCURSION EN ESPAGNE. galop. Sans descendre de cheval , il serra avec tendresse les mains de son parent, échangea avec lui quelques paroles affectueuses, puis allumant son cigare au sien, il tourna bride, et reprit au galop la route de Madrid, aussi ferme, aussi à l’aise sur sa monture qu’un Zégri. …... » « Cependant nous approchions de Madrid, et les émotions de l’exilé et de sa famille avaient atteint leur plus haut période. Le cavalier excitant de l’éperon le bel animal qui le portait, avait disparu à nos regards pour annoncer, sans doute, à ceux qui étaient dans l'attente, qu’elle ne serait pas trompée, et que le fils, l'époux, si longtemps perdu , était retrouvé. Tout à coup je le vis s’arrêter près de la portière d’un carrosse ; un domestique en livrée abattit le marche-pied, et une dame avancée en âge, dont la physionomie était pâle et agitée, descendit, suivie par une femme gracieuse et légère, dans tout l’éclat de la jeunesse. L’exilé reçut celle-ci la première dans ses bras, avec le transport instinctif et irrésistible d’un amour mutuel ; puis bientôt il la quitta pour se jeter dans ceux de sa mère en larmes, puis il les saisit toutes deux et les serra de nouveau avec passion sur son cœur... Je détournai la tête, je ne pouvais plus supporter la violence de mes émotions ! Et puis il me semblait que c’était commettre une sorte de sacrilége que de méler ma sympathie de spectateur à des affections si profondes et si vraies. «Que d’années de douleur rachetées par un semblable moment ! Quel conflit de sentimens purs, tendres et généreux ! Quel bonheur sans mélange ! Pourquoi l’homme n’a-t-il pas le pouvoir d’arréter en quelque sorte son existence sur un point tel que celui-ci? Pourquoi ne lui est-il pas donné de jouir d’une manière durable, constante , à l’abri des désappointemens , de la SECONDE EXCURSION EN ESPAGNE. 81 satiété , résultats ordinaires de ses propres caprices, de la félicité parfaite que doivent procurer de semblables affections, épurées et ennoblies encore par l’adversité, » ‘Après avoir donné, sur son arrivée à Madrid, sur les localités et les amis qu'il y retrouve, des détails intéressans, mais que les bornes de cet article ne nous permettent pas d’y admettre, M. Ridell raconte quelques anecdotes sur le roi Ferdinand et sur son administration. « Mes relations avec des personnes employées dans le gouvernement, surtout avec un jeune Américain attaché à notre ambassade , et très au fait de tout ce qui, depuis trois Ou quatre ans, a opéré un changement si notoire dans la situation politique de l'Espagne, me mirent à même d’apprendre sur le feu roi des détails qui présentent son ca- ractère dans un jour différent de celui sous lequel on était habitué à le considérer. Moi-même, dans mon premier voyage, je lai peint stupide , indolent , ignorant, mais facile et bon. Ces notions étaient fausses : Ferdinand ne manquait point d’une sorte d’habileté ; il avait beaucoup lu, et possédait des connaissances étendues sur les lois de son pays et sur l’histoire en général. Il lui avait fallu, sans doute, un degré de tact peu ordinaire, pour réussir à ba- lancer, comme il l’avait fait, les deux partis opposés des libéraux et des absolutistes ou champions de l'Eglise, et concentrer tout le pouvoir réel dans ses propres mains. Le but constant de ses efforts était la possession stable et assurée de son autorité despotique. La preuve la plus positive de ce que je viens de dire se trouve dans cet héritage ‘de troubles. intérieurs et de guerre civile ; qu’il a légué à son peuple en mourant. «Après avoir mené dans: sa jeunesse une vie fort. li- cencieuse , Ferdinand devenu plus moral sur ses. vieux jours; traitait avec une excessive sévérité ceux qui sui- v 6 82 SECONDE EXCURSION EN ESPAGNE. vaient son premier exemple. Il exerçait une sorte de cen- sure rigoureuse sur les mœurs de sa cour, accueillait les plaintes des maris contre leurs femmes , des femmes contré leurs maris, et envoyait souvent. les coupables expier leurs fautes par quelques années d’exil dans un obscur village , ou par un séjour plus ou moins long au sein des austérités d’un cloitre. Quelquefois cependant, ces sén- tences sévères étaient révoquées à la requête d’une femme qui demandait à se réunir à son époux repentant, ou sur une sorte Mt 6 héros mutuel que prenaient deux époux, de vivre à l’avenir dans la plus parfaite union. N’y a-t-il pas là quelque chose qui rappelle l’état de la société en France pendant les deux ou trois règnes qui ont précédé la révolution, lorsque les lettres de cachet étaient à For- dre du jour, et que l’on envoyait un homme à la Bastille pour y apprendre à remplir ses devoirs domestiques, et à bien vivre avec son épouse. Maïs on chercherait en vain en Espagne le degré de civilisation qui distin- guait dès lors le royaume voisin, l'esprit, la vivacité , la grâce, le bon goût dont la noblesse française voilait son immoralité, et cette vie de château, élégante et polie, dont les mémoires du temps nous ont conservé une pein- ture si piquante. «Peu de gens ignorent entièrement le nom et la car- rière de Térésa , cette modiste française qui, au moyen de Part exquis avec lequel elle paraït la jeune Reine, avait acquis sur elle un grand ascendant , et par elle une sorte d’influënce sur les affaires de l’État. Avait-on en vue une place, un grade, une promotion ; s’adresser à Térésa, et surtout la bien payer d’avance , était un moyen presque sûr d’obtenir ce qu’on désirait, grâce à la faveur dont elle jouissait, et à l’adresse avec laquelle elle savait la ménager. Le roi, qui connaissait bien le caractère de cette SECONDE EXCURSION: EN: ESPAGNE. 83 favorite , se donna le plaisir un jour, à l’imitation d’Hamilet, d'engager l’un dés comédiens du théâtre particulier de la cour , à introduire dans son rôle une phrase dont le sens était , que quiconque avait besoin d’emplois n’avait qu’à s’adresser à Térésa. — Le pouvoir de cette modiste, fut enfin détruit par le crédit du ministre Zea Bermudez , qui obtint du Roi son bannissement. Au milieu de la nuit, la favorite fut arrêtée, jetée à moitié vêtue dans une chaise de poste, et conduite hors de la frontière. Du reste , je dois faire observer ici que le système de péculat signalé avec tant de force dans le roman de Gil-Blas, west pas moins en vigueur maintenant en Espagne qu’il ne l'était à Fépoque peinte par Le Sage. Depuis le ministre d’état, décoré de cinquante titres au moins, jusqu'au dernier de ses employés; tous les fonctionnaires vendent leur crédit ; et comment n’en serait-il pas ainsi, quand le roi lui-même (c'était le cas du moins avec Ferdinand ) prend sa part du gâteau! Il est une chose parfaitement constatée , c’est que, soit dans la vente des monopoles, soit en affermant les revenus de l’Etat, soit dans tout autre marché du même genre, le roi ne consentait à y apposer sa signature qu'après avoir reçu une réponse satisfaisante à sa question sordide : que servicio para mi ? et que, sous son règne, un ministre un peu plus honnéte que les au- trés, perdit son office pour n’avoir pas voulu seconder la rapacité du roi dans une transaction de cette nature. « Le trait le plus frappant du caractère de Ferdinand, était l'hypocrisie ; sa conduite envers Fernandez del Pino , homme d'état habile, ministre de la justice sous l'administration de Zea, en offre une preuve. Del Pino fut disgracié sous le prétexte qu’il avait des opinions trop libérales pour un premier ministre. Un matin, au conseil, le roi se montra plus accueillant que de coutume avec-ce 84 SECONDE EXCURSION EN ESPAGNE. seigneur ,; et lui frappant sur l’épaule avec amitié , il Lui dit en le quittant. «0 Fernandez ! que n’ai-je des amis tels que toi par milliers ! » Le ministre hors de lui, sortit plein de reconnaissance pour une si haute faveur. Il n'avait pas le dos tourné , que le monarque, haussant les épaules et regardant ses courtisans d’un air moqueur, fit entendre l’exclamation méprisante de toma ! (tiens) qu’il accom- pagna d’un geste grossier en usage seulement parmi les dernières classes. Dans la nuit même, le ministre reçut sa démission et l’ordre de se rendre sur-le-champ en exil. « Pendant le court règne de la Constitution, Ferdinand jouait un double jeu , paraissant adhérer à Pordre de choses, et travaillant par-dessous main à le détruire. De concert avec Cordova , jeune officier de la garde, il pro- jeta de susciter un mouvement parmi les troupes , et de leur faire demander le renversement de la Constitution. Au jour fixé , Cordova se présente à cheval, à la tête de quelques soldats de son propre corps, et crie : Viva el rey absoluto !.... Au lieu d’être joints par le reste des gar- des, ils furent repoussés, et la plupart d’entre eux tués et foulés aux pieds. Pendant que ceci se passait, Ferdinand qui, d’une fenêtre de son palais, voyait le mauvais succès de son complot ; s’écria tout à coup d’une voix de stentor : « Fondez sur eux, mettez-les en pièces, n’épargnez pas un seul de ces coquins. » — Il serait diffi- cile d'imaginer un trait de perfidie plus révoltant ! Le massacre des Mameluks n’est plus rien en comparaison, car les Mameluks étaient du moins les ennemis de leur. bourreau. « Puisque j'ai rapporté quelques anecdotes propres à montrer le caractère de Ferdinand sous un jour odieux, il est juste que jen cite une où il paraît avec plus d’avan- | tage , où le rôle qu’il joue n’est même pas sans une sorte SECONDE EXCURSION EN ESPAGNE. 85 de magnanimité. Le roi, en présence de ses courtisans } dit un jour, à propos du marquis d’Amarillas noble distingué et officier militaire, un mot dont ce seigneur éprouva un vif ressentiment. Emporté par son indigna- tion, le marquis s’écria : « Quelle brute que cet homme ! » Ferdinand entendit cette exclamation , mais il n’en témoi- gna rien à personne. Cependant, au lieu de punir l’im- prudent officier d’une injure que les rois sont peu habitués à tolérer, il se contenta de laisser le coupable sans avan- cement ; et lorsqu'un de ses ministres, qui s’étonnait de voir hors d’emploi un homme aussi distingué par ses talens ; en fit la remarque à Ferdinand, celui-ci l’in- struisit de la cause de son mécontentement , en ajoutant qu'il ne pouvait employer le marquis d’Amarillas à Madrid , ni près de sa personne , mais qu'il consentait à lui accorder le commandement d’une de ses provinces , ce qu’il fit immédiatement. Par son testament, le roi donna à ce seigneur une dernière preuve de la haute estime qu’il avait conservée pour son caractère, en le nommant membre du conseil de régence. CE « On assure que deux personnes seulement éprouvèrent un chagrin sincère à la mort de Ferdinand-: l’une d’elles est Don Francisco, son plus jeune frère, auquel il était lui-même fort attaché ; lautre, le vieux due d’Alagon , d'abord, je crois, gouverneur du roi dans sa jeunesse, puis son compagnon inséparable pendant sa captivité à Valençay, et son ami dévoué tout le reste de sa vie. Ce vénérable eourtisan fut longtemps inconsolable , pleu- rant loin de la cour et en secret son ancien maître : depuis quelque temps il s’est rapproché de la régente, et s’est dévoué à son service avec le même zèle qu’il déployait jadis en faveur de Ferdinand. € Quant à la reine, on ne pouvait attendre d’elle de 86 SECONDE EXCURSION EN ESPAGNE. bien vifs regrets pour la mort d’un mari beaucoup plus âgé qu’elle, et atteint depuis longtemps d’une décompo- sition de sang qui le rendait un objet repoussant pour tout ce qui Papprochait. Cependant, chacun s’accorde à dire qu’elle s’est acquittée de ses devoirs envers lui d’une manière vraiment admirable | partageant , jusqu’à son dernier soupir, sa chambre et même son lit ; l’entou- rant, sans se laisser jamais rebuter par la nature de ses maux , de cette sollicitude active; de ces soins si doux, si aimables , qui appartiennent exclusivement aux femmes. Depuis la mort de son mari, Christine a déployé du cou- rage et de Pénergie dans quelques occasions; entre autres lors d’une émeute au sujet du désarmement des volontaires royalistes. La reine voulait absolument monter à cheval et courir en personne à l’endroit où était le danger, on eut de la peine à l’y faire renoncer. Ses talens d’écuyère, pour le dire en passant , font l’admiration de tout Madrid, où il est fort rare de voir des femmes monter à cheval. Mais quant à l’énergie du caractère , Christine est de beaucoup surpassée par sa sœur aînée, femme de Don Francisco , frère cadet du roi ; et on peut dire que c’est à cette Princesse qu’elle doit en grande partie la succes- sion de sa fille au trône, et le poste élevé qu’elle-même occupe comme régente. Lorsque le roi tomba malade à la Granja , en 1832 , les amis de Don Carlos obtinrent de Fer- dinand de casser son testament et de laisser la couronne à son frère. Bientôt après, un évanouissement fit croire à sa mort ;. tout fut arrangé pour proclamer roi Don Carlos. Christine , dominée par les événemens , acquiesça à Pacte qui privait sa fille de la couronne, et elle-même des droits de régenté pendant une longue minorité. Cepen- dant , au désappointement de bien des gens, et à l'éton- nement de tous, le roi revint à la vie. Heureusement RE SECONDE EXCURSION EN ESPAGNE. ëT pour la reine, la princesse Louise-Charlotte, absente depuis quelque temps, arriva sur ces entrefaites. Elle com- mença par souffleter, presque littéralement, le ministre Calomarde, pour ne l'avoir pas avyertie de ce qui se passait ; puis mettant la main à l'œuvre, sans perdre un instant, elle obtint du roi de changer tout ce qui s'était fait, de déclarer valide son premier testament, de bannir tous ceux qui avaient pris part au complot en faveur de Don Carlos, tous ceux même qui avaient cru trop facilement à son succès , et finit en adressant à Christine de sévères reproches sur un acte de faiblesse qui, selon elle, la rendait indigne de régner. Le théâtre lui-même, n’offre pas des changemens de décorations plus rapides, plus complets , des catastrophes plus frappantes et plus inat- RARES D subite eco . «Je me rendis avec plaisir à la proposition que me fit un jeune colonel d'artillerie , avec lequel je m'étais lié depuis peu , de l’accompagner dans la visite qu’il avait projeté de faire aux diverses prisons de Madrid. Sur sa demande, nous obtinmes sans difficulté un ordre du ministre qui devait nous ouvrir l’entrée de tous les établissemens publics de la capitale. Nous commençämes notre tournée par la prison principale, nommée Carcel de Corte. «Le bâtiment consiste en un vaste rectangle dont Pintérieur est une cour. Des corridors établissent une communication entre les diverses parties de l’édifice, qui sont divisées en habitations plus ou moins grandes, où logent ceux des prisonniers qui ont les moyens de payer au geôlier un quart de piastre. ou plus, par jour, selon le degré d'élégance de la chambre, Quelques prisonniers, cependant, habitaient sans rétribution quelques-uns de ces logemens ; mais ils étaient tellement entassés dans un 88 SECONDE EXCURSION EN ESPAGNE. petit espace que la faveur n’était pas grande. La masse des criminels était enterrée dans des donjons souterrains qui avaient leur sortie sur la cour. « Nous commençämes notre inspection par les étages supérieurs, et l’alcayde dela prison, précédé du porte-clefs, nous fit ouvrir, l’une après l’autre, toutes les chambres. À notre approche, les malheureux qui y étaient confinés quittaient avec empressement les lits où ils demeuraient étendus, les uns pour tromper par le sommeil les longues heures de la captivité, les autres faute de place pour se mouvoir, car nous comptämes plusieurs fois douze per- sonnes renfermées dans un espace de douze pieds carrés. Tous se montraïent désireux de nous exposer leur cas, et de nous prouver leur complète innocence. Alors même que nous leur eûmes fait comprendre que notre visite était due à la simple curiosité, loin de paraître blessés de ce sentiment égoïste qui les offrait en spectacle à deux indifférens, ils se pressaient autour de nous avec une sorte de plaisir; on eût dit que la vue d’autres figures que celles de leurs geôliers leur était agréable, et qu’ils jouissaient de ce contact momentané avec des hommes libres. Je n’essaierai pas de rapporter ici toutes les his- toires d’injustices et de douleurs qui nous furent contées ; mais quelques faits ne seront pas inutiles pour montrer quel est en Espagne l’état de la société, les droits des individus, la manière dont on y rend la justice, et pour inspirer un profond sentiment de reconnaissance à ceux qui jouissent dans leur patrie de lois et d’institutions différentes. « En ouvrant la porte d’une chambre excessivement petite, nous aperçümes , couché sur un méchant grabat, un homme dont l'attitude et l'expression dénotaient une profonde mélancolie. Lorsqu'il reconnut dans mon ami un officier d’un grade avancé, il se leva sur-le-champ, et SECONDE EXCURSION EN ESPAGNE. 89 rejetant en arrière le manteau qui l’enveloppait, il nous laissa voir le costume d’un lieutenant-colonel. Son visage était pâle et ridé, ses yeux enfoncés , sa barbe négligée, ses habits sales et déchirés ; une reclusion d’une année l’avait réduit à cet état. Noble de naissance, accoutumé au luxe, il paraissait incapable de se servir lui-même : sa taille petite et mince, ses mains et ses pieds délicats, rap- pelaient cette classe d'hommes qui, vêtus avec soin, flânent à certaines heures près de la porte du Soleil à Madrid. Néanmoins il y avait dans sa physionomie quelque chose de hautain qui contrastait avec son apparence chétive. Lorsque nous eùmes quitté le prisonnier, le geôlier nous informa qu’il était détenu comme royaliste et dévoué au parti de Don Carlos. Cependant lorsque, quelques minutes plus tard, nous repassämes devant cet appartement, l’offi- cier sortit de son réduit, et glissant une lettre entre les mains de mon compagnon, le pria de la lire seulement lorsque nous serions hors des murs de la prison. Cette lettre affirmait que le malheureux avait été jeté en prison comme défenseur ardent de Dona Isabelle et de son au- guste mère, à l’époque où Zea Bermudez, poursuivant avec acharnement les ultra-libéraux, avait réussi à faire exiler les ducs de San Lorenzo et de San Carlos. Le prisonnier assurait qu’il était victime d’une erreur, que ses réclama- tions répétées n'étaient pas parvenues à l'autorité, que sans paie, sans secours d’aucune espèce, il périrait infail- liblement de misère. Il ajoutait qu’il n’avait point osé nous dire tout cela devant ses compagnons d’infortune, tous carlistes, et capables de le maltraiter s’ils connais- saient ses véritables opinions. Sa lettre était signée du nom aristocratique, et bien connu dans les chroniques éspagnoles, de Andres Rafaele Ladron de Guevara. « Parmi la foule des malheureux plus obscurs que nous 90 SECONDE EXCURSION EN ESPAGNE. passämes en revue, quelques-uns se sont gravés fortement dans ma mémoire. Un jeune homme, entre autres, d’une charmante figure , nous dit qu'il était enfermé parce qu’il était pauvre, ce qui signifiait que la faute qui l'avait fait condamner était si légère qu’il eût échappé facilement à la punition, s’il avait possédé de quoi gagner les alguazils. Un autre homme, fort jeune aussi, était emprisonné pour servir de témoin, quand il plairait à la justice, au sujet d’un duel aux couteaux, ou rina, dont il avait été le spec- tateur. Un enfant de dix ans, soupeonné de vol chez son maître, un autre de quatorze, qui avait accidentellement tué un petit garçon en jetant une pierre dans la rue, se trouvaient dans la même cellule que les premiers, et la chambrée était complétée par cinq gaillards à figures féroces, accusés de meurtre et de brigandage. « En approchant de Fun des appartemens, le geôlier nous prévint que nous allions y voir un meurtrier du caractère le plus féroce : il se nommait Julien Ramos. La physionomie de cet homme cependant nous parut douce, calme et tranquille; Lavater lui-même s’y serait trompé. Il nous apprit qu'étant allé en Portugal voir comment al- laient les affaires, il avait été soupçonné d’être carliste et emprisonné comme tel. Mais, lui demanda mon ami, ense servant d’une expression espagnole tout à fait caractéris- tique, n’avez-vous point tué un homme? Un signe de tête, accompagné du sourire le plus gracieux et le plus ouvert, répondit par l’affirmative d’une manière qui me fit frémir. Dans une querelle au sujet d’une femme il avait tué un nommé Sébastien Roxas; ce qu’il nous raconta le plus tranquillement du monde , tout en préparant avec soin un cigare, parlant avec simplicité, douceur , sans bravade, sans affectation aucune, mais avec le sourire du contentement sur les lèvres. Cet exemple, étbien d’autres SECONDE EXCURSION EN ESPAGNE. 91 du même genré que j’ai pu observer en Espagne, m'ont : fait douter de l'existence du remords ; de ce ver rongeur qui s'attache à nous, dit-on, dès la faute commise, pour ne plus nous quitter. Tout au moins, ce sentiment a' be- soin d’être cultivé et développé en nous par l'éducation , par la civilisation, et il court le risque d’être totalement effacé dans les cœurs au milieu d'un état social vicieux, sous une administration dont les mauvaises lois tendent à encourager le vice, et laissent LS souvent triompher le crime. « Dans la même cellule que Ramos, était un jeune garçon de quatorze ans, frêle et délicat, accusé de con- spiration contre la jeune reine et sa mère. Il avait été surpris la veille copiant un écrit séditieux dans le palais même, où son père remplissait une place de commis dans Pun des bureaux. Le pauvre enfant semblait incapable de complicité volontaire dans un projet de eette nature ÿ il n'avait pas même Pair de comprendre la punition qui le menaçait. Son père , enfermé dans une autre partie de la prison, et qui me frappa par son air respectable , se plaignait amèrement de se voir ainsi compromis par la mauvaise conduite de son fils. La mère , que nous vimes dans une troisième chambre, nous tint un autre langage; elle avouait que son fils avait manqué à son devoir et causé peut-être la ruine de sa famille, mais elle en rejetait là faute sur des méchans qui l'avaient séduit, et sans lesquels le bon et honnête garçon n'aurait jamais songé au mal. Elle nous demanda de ses nouvelles avec tendresse, s’informant du lieu qu’il habitait et du carac- tère de ses compagnons de captivité. Je me gardai bien de lui dire qu’il était enfermé avec Julien Ramos et le brigand Solorzano surnommé l’oiseleur, que peu de jours après je vis conduire de cette prison à la place de Cebada 92 SECONDE EXCURSION EN ESPAGNE. pour y être exécuté. La malheureuse famille dont je viens de parler, réunie la veille encore autour de son foyer do- mestique, y jouissait en paix de la liberté et des affections les plus naturelles; vingt-quatre heures plus tard, sur le plus léger prétexte, ils s’étaient réveillés derrière les grilles d’une prison, séparés les uns des autres , livrés à la société, à l’exemple de voleurs et de meurtriers ! « Le spectacle que nous offrirent les appartemens ré- servés aux femmes était vraiment déchirant. Là, au lieu de cette lèvre comprimée, de ce front contracté mais fier, de ces mains serrées l’une contre l’autre, et de ce morne silence, indices certains d’une force morale qui peut et qui veut lutter contre le malheur, on n’entendait que des soupirs, de profonds gémissemens, on ne voyait que des visages mouillés de larmes, et portant l’empreinte de cette prostration physique et morale qui courbe lPâme et le corps sous le poids de l’infortune. Toutes se montraient désireuses de nous conter leur histoire et d’exciter notre compassion, mais malgré ce que l’on a dit souvent de la duplicité du sexe féminin, nous trouvämes chez elles beaucoup plus de franchise dans l'aveu de leurs fautes que ne nous en avaient montré les hommes. L’une d’elles nous conta qu’elle était en prison parce que son mari avait tué sa propre mère. Douce, paisible, résignée, elle avait un regard de sainte qui me leût fait acquitter si j'avais été son juge. Je lui dis que je la croyais incapable de complicité d’une action si atroce ; elle me remercia en joignant les mains et en levant sur moi des yeux aussi pleins de gratitude que si je lui avais annoncé son pardon. Une jeune femme, qui pleurait amèrement, nous apprit que son crime était d’avoir abandonné la maison de sa mère pour suivre un vil séducteur. Une autre se voyait enfermée au milieu de ces malheureuses pour servir plus tard de SECONDE EXCURSION EN ESPAGNE. 93 témoin dans un procès au sujet d’un vol commis sur sa propre personne. Le croirait-on ? deux misérables vieilles étaient là comme prévenues de crimes politiques ! L'une d’elles avait crié : Viva Carlos Quinto ! L'autre s'était ef- forcée de gagner au parti du curé Mérino deux jeunes officiers des gardes du corps. « Parmi ces infortunées ; mes yeux ne tardèrent pas à distinguer âvec quelque surprise une jeune femme de vingt ans, grande, belle, bien mise, qui , ainsi que son mari, avait été arrêtée pour crime politique. Son apparence et surtout l’expression de sa physionomie >; formaient un contraste parfait avec celle de ses compagnes de cap- tivité, car au lieu de partager leur découragement, elle semblait ferme, gaie; un sourire de bonheur et de satisfaction se jouait autour de sa bouche et animait ses beaux yeux noirs. Je crus lire l'explication de cette sorte de mystère dans un joli nourrisson qu’elle allaitait, et au- quelelle prodiguait les plus tendres caresses : le sentiment de la maternité absorbait chez elles tous les autres: La femme d’un teinturier nous offrit un spectacle bién diffé- rent. Un jour qu’elle était absente, son mari était tombé dans une de ses cuves où on l’avait trouvé mort. La femme, soupçonnée ; avait été jetée en prison. Elle était, aw moment où nous la vimes, dans un état de grossesse très avancé et séparée depuis plusieurs mois de:cinq jeunes enfans qu’on ne lui avait pas permis dewoir une seule fois. Lorsqu'elle nous vit sortir de sa cellule, elle se pré- cipita sur nos pas avec une violencé frénétique, en s’é- criant d’une voix déchirante : Qui me pongan an commu- nicacion con mis ninos ! Oh! faites-moi revoir mes enfans ! » «Malgré les scènes pénibles que nous avaient présen- tées les appartemens supérieurs, nous dûmes les considérer . . . . ._.. . . 94 SECONDE EXCURSION EN ESPAGNE. comme des demeures douces et comfortables, comparés aux donjons inférieurs situés au-dessous. Dans la cour sur laquelle ouvrent tous ces réduits, nous trouvâmes une troupe nombreuse de criminels de tout âge, de toute espèce, amaigris par le besoin, et la plupart à moitié nus. Au centre de la cour était un amas de paille pourrie, de lambeaux de vêtemens, d'os rongés jusqu’à la moelle, et de feuilles de choux, rassemblés là pour étre brülés. Quelques-uns des prisonniers jouaient aux cartes à écart et comme à la dérobée; d’autres se rendaient mutuelle- ment un service de Pespèce la plus dégoûtante ; quelques autres paraissaient écouter attentivement un de leurs ca- marades qui lisait à haute voix. Comme nous arrivâmes au milieu d’eux, lalcayde leur cria d’un ton d’autorité : «Que chacun rentre dans son cachot ; » et à l'instant même la troupe misérable disparut dans l'obscurité de ces an- tres souterrains. « Chaque cachot avait son commandant, choisi parmi les prisonniers eux-mêmes , et qui exerçait sous le titre de calabozero une autorité souvent disputée. Ce chef était partout le plus mauvais garnement de la chambrée, choisi justement à cause de son caractère déterminé et de son courage brutal. Ainsi le calabozero, ou capitaine de l’un des cachots que nous visitèmes, était un petit homme, nommé Chirasca, auquel un nombre imposant de meur- tres et de hauts faits du même genre avait valu cette promotion. Au moment où nous enträmes dans son gou- vernement, il tenait à la main une chandelle allumée, et je fus frappé de Pexpression à la fois féroce et calme de sa physionomie. Du reste, je ne crois pas possible d’imaginer une réunion de figures humaines plus diabo- liques et plus misérables à la fois que celles qui se pré- sentèrent à nos regards, éclairées par la lumière que SECONDE EXCURSION EN ESPAGNE. 96 portait cet homme. Le crime avec toutes ses nuances et tousses raffinemens, le malheur avectoutes ses souffrances, étaient écrits sur ces visages päles, hideux, défigurés les uns par la douleur, les autres par de récentes blessures. Quelques-uns avaient les bras liés derrière le dos pour qu’ils ne pussent se battre avec leurs compagnons, et deux d’entre eux venaient d’être enfermés séparément pour une sorte de duel aux couteaux. Cependant tous ces hommes rassemblés pêle-méle n'étaient sûrement pas cou- pables au même degré ; et dans ce repaire infect, où l’âme et le corps avaient également à souffrir, se trouvaient des gens employés naguère dans le gouvernement, à la cour, choyés et admirés alors, qu’un simple changement poli- tique avait plongés où je les voyais. Des enfans dans un âge encore tendre étaient là aussi, soumis aux mêmes souffrances, exposés au plus horrible exemple : l’un d’eux, à demi vêtu des restes déchirés d’un manteau, couvert de vermine, rongé par le besoin et la maladie, nous supplia, les larmes aux yeux, de le faire conduire à l’hôpital. Notre intercession auprès de l’alcayde ne fut pas rejetée, et nous eùmes la satisfaction de l’entendre donner les ordres nécessaires pour que le malheureux füt mené sur-le-champ à l’infirmerie. » | Dans un prochain numéro nous terminerons l’extrait de l'ouvrage de M. Ridell D LETTRE DE GIBBON A M. d'Epverdun à Lripsih. La lettre suivante est une lettre inédite du célèbre auteur de l'Histoire de la décadence de l'empire romain. Elle est adressée à son ami M. d'Eyverdun, alors en séjour à Leipsik. Elle s’est retrouvée dernièrement, égarée qu’elle était au milieu de beaucoup de papiers différens , dans la maison que possédait M. d’Eyverdun à Lausanne, et qu’Edouard Gibbon a habitée pendant plusieurs années. L'intérêt qui s’attache à tout ce qui est sorti de la plume d’un écrivain distingué , suffirait seul sans doute, pour justifier la publicité que nous donnons à cette lettre ; mais ce document se recommande à attention sous un autre rapport. L'auteur y rend compte, dans l’abandon d’une correspondance familière, d’un des momens les plus décisifs pour sa renommée, et les plus flatteurs pour son amour-propre ; celui, où il vient de livrer au public le . premier volume du grand ouvrage dont le travail a con- sumé des années de sa vie. Le succès passe son espérance, et il communique à son ami émotion de joie qu’il en éprouve , en l’invitant à la partager. On remarquera ce qu'il dit sur les reproches d’irréligion qui lui ont été adressés. Le sujet eût mérité, sans doute , d’être traité d’une manière plus sérieuse et plus approfondie ; mais la liberté même que lintimité d’un entretien avec un ami autorise , sert à faire mieux apprécier ici quels étaient LETTRE DE GIBBON. 97 sur ce point les vrais sentimens de l'auteur. Du reste , nous devons nous taire pour ne pas prévenir davantage le jugement du lecteur. Londres, le 7 mai 1776. À M. p’Evverpun a Leipsix. Mon long silence avec vous a été occasionné , si j’ai bien analysé ce qui s’est passé dans mon esprit depuis quelque temps , par différentes raisons. Pendant l'été, il y a eu paresse et procrastination; depuis la rentrée du Parle- ment , la nécessité de finir mon livre , et en même temps de soumettre l'Amérique. Je me suis trouvé enveloppé d’une complication d’affaires publiques, particulières et littéraires , telle que je ne l’avais pas encore connue dans aucune partie de ma vie. Les matériaux de correspon- dance se sont successivement accumulés, et dans mon désespoir de pouvoir tout dire, j’ai sagement persisté dans le parti de ne rien dire. En attendant, il n’est pas mécessaire d’avertir mon cher lecteur , que je l'aime pré- cisément autant que si je lui avais écrit tous les huit jours. Par quel endroit donc entamerai-je cette épiître ? Peut-on faire cette question à un homme qui vient de pu- blier son livre ? Je parlerai de moi-même , et je goûterai le plaisir qui rend si délicieuse la conversation des amis, le plaisir de parler de soi avec quelqu'un qui s’y intéresse. Îlest vrai que j'aimerais bien mieux m’entretenir avec vous en nous promenant dans ma bibliothèque, où je pourrais vous faire, sans rougir, tous les aveux que ma vanité exi- gerait de moi. Mais dans ce triste éloignement de Londres à Leipsik nous ne pouvons pas nous passer de confident, et Pindiscrétion du papier pourrait un jour révéler les V 7 98 LETTRE DE GIBBON. petits secrets que je suis obligé de lui confier. Sachez donc que le premier volume de lHistoire de la décadence et de la chute de l’empire romain a eu le succès le plus complet et le plus flatteur pour l'écrivain. Mais il faut reprendre les choses d’un peu plus loin. Je ne sais si vous vous rappelez que je m'étais arrangé avec mon libraire pour l'impression de 500 exemplaires. Ce nombre était assez modeste, mais je voulais pressentir le goût du public , et me ménager l’occasion prochaine de faire, dans une seconde édition , tous les changemens que la critique et mes propres réflexions pourraient me suggérer. Nous en étions peut-être à la vingt-cinquième feuille lors- que mon libraire et mon imprimeur , gens d’esprit et de goût, commencèrent à s’apercevoir que l'ouvrage en question pourrait bien valoir quelque chose, et que les- dits cinq cents exemplaires ne suffiraient point à l’appétit des lecteurs britanniques. Ils m’exposèrent leurs raisons, et me supplièrent très humblement, mais très instamment, de permettre l'impression de cinq cents autres exem- plaires. Je me rendis à leurs prières, en craignant toutefois que les cadets de ma nombreuse famille ne fussent con- damnés à vieillir sans gloire dans le fond d’un magasin. En attendant, l'impression avançait, et malgré l’amour paternel, je maudissais quelquefois les soins que j'étais obligé de donner à l’éducation de mes enfans, pour les guérir de ces petits défauts que la négligence de leurs précepteurs avait laissé passer sans les corriger. Enfin, au mois de février je voyais arriver le moment décisif, et je vous avoue que ce n’était point sans quelque espèce d'inquiétude. Je savais que mon livre était bon, mais je voulais qu’il fùt excellent ; je ne devais pas là- dessus m’en rapporter à mon jugement, et je craignais celui du public, de ce tyran qui prononce souvent sans LETTRE DE GIBBON. 99 écouter, et qui anéantit quelquefois dans un instant un travail de dix ans. Enfin le seize février je me donnai à l'univers; et l'univers, c’est-à-dire un petit nombre de lecteurs anglais, m’accueillit à bras ouverts. Dans quinze jours l'édition entière fut si parfaitement débitée qu’il n°en restait pas un seul exemplaire. M. Cadell (mon aimable libraire) me proposa d’abord de faire une seconde édition de mille exemplaires, et au bout de peu de jours il crut avoir des raisons pour me prier de la laisser porter jus- qu’à quinze cents. Elle va paraître au commencement du mois prochain, et l’honnète personnage ose déjà me pro- mettre qu’elle sera enlevée avant la fin de l’année, et qu'il sera obligé de m’importuner une troisième fois. Le volume (un bel in-quarto) coûte une guinée, non relié ; il s’est vendu, selon l'expression du libraire, comme une brochure de six sols sur les affaires du temps. Je me suis contenté jusqu'ici de vous citer le fait le moins équivoque en faveur de PHistoire. On dit que le cheval est le seul qui ne flatte pas les rois lorsque ceux-ci trouvent à propos de le monter ; ne pourrait-on pas ajouter que le libraire est le seul qui ne flatte pas les auteurs quand ils ont la fantaisie de se faire imprimer. Mais vous comprenez bien que, sur un petit nombre delecteurs avides, on trouve toujours moyen d’attraper quelques louanges , et pour moi, je vous avoue que je les aime beaucoup ces louanges; celles des femmes de condition, surtout lors- qu’elles sont jeunes et jolies, sans être du plus grand poids, ne laissent pas de m’amuser infiniment. J’ai eu le bonheur de plaire à quelques-unes de ces personnes, et l’histoire ancienne de votre savant ami a réussi auprès d’elles comme le roman du jour. À présent écoutez Robertson , dans une lettre qui n’était pas destinée à tomber entre mes mains. 100 LETTRE DE GIBBON. « J’ai lu, dit-il (ce fragment est cité en anglais), l'Histoire de M. Gibbon avec beaucoup d'attention et avec un singulier plaisir. C’est un ouvrage d’un grand mé- rite. On y trouve cette sagacité de recherches sans laquelle un auteur ne mérite pas le nom d’historien. Sa narration est claire et intéressante, son style a de l’élégance et de la vigueur; quelquefois un peu trop travaillé et peut-être recherché. Mais ces défauts sont amplement compensés par la beauté du langage, et souvent un rare bonbeur d'expression. » Prêtez l’oreille maintenant au bon David Hume. « Après avoir parcouru ( ceci encore en anglais) avec impatience et avidité le premier volume de votre Histoire, j’éprouve la même impatience de vous remercier de votre intéressant envoi, et de vous exprimer la satisfaction que m'a fait éprouver cette production, sous les différens points de vue de dignité dans le style, de l'étendue de vos re- cherches , de profondeur dans la tractation des matières; cet ouvrage à droit à la plus haute estime. Vous aurez du plaisir, tout comme j'en ai eu moi-même, à apprendre que tous les hommes de lettres de notre ville (Edim- bourg ) sont d’accord pour admirer votre ouvrage et en désirer la continuation. » Savez-vous bien, au reste, que le Tacite et le Tite-Live de l’Ecosse m'ont été utiles de plus d’une manière. Nos bons Anglais gémissaient depuis longtemps de la supério= rité que ces historiens avaient acquise, et comme le pré- jugé national se nourrit à très peu de frais, ils se sont empressés de guinder, à force dedéclamations, leurindigne compatriote jusqu’à la niche de ces grands hommes. De plus, j'ai eu le bonheur d’éviter l’écueil le plus dangereux dans ce pays. Un historien est toujours, jusqu’à un cer- tain point, un homme politique, et chaque lecteur, suivant LETTRE DE GIBBON. 101 ses opinions particulières, cherche dans les siècles les plus reculés les sentimens de l'écrivain sur les rois et les gou- vernemens divers. Un sous-ministre, très attaché aux prérogatives de la couronne, m’à fait compliment sur ce que j'avais partout professé les plus sages doctrines. M. Walpole d’un autre côté , et milord Camden, tous les deux partisans de la liberté et même de la république, sont persuadés que je ne suis pas éloigné de leurs idées. C’est une preuve du moins que j’ai observé une honnête neutralité. | Considérons à présent le revers de la médaille, et res- pectons le moyen dont le ciel a voulu se servir pour humilier mon orgueil. Penseriez-vous bien, mon cher Monsieur, qu’on aurait poussé l'injustice jusqu’au point d’attaquer la pureté de ma foi ? Le cri dés évêques et d’un grand nombre de dames également respectables par leur âge et par leurs lumières, s’est élevé contre moi son a soutenu que les deux derniers chapitres de mon Histoire prétendue ne sont qu’une satire de la religion chrétienne, satire d'autant plus dangereuse qu’elle se cache sous un voile de modération et d’impartialité, et que l’émissaire de Satan, après avoir longtemps amusé son lecteur d’un conte fort agréable, conduit insensiblement ses pas dans le piége infernal, Vous sentez, Monsieur, toute Phorreur de cette accusation, et vous comprenez bien que je n’op- poserai qu’un silence respectueux aux clameurs de mes ennemis. | Et la traduction? Allez-vous bientôt me faire lire et brûler dans le reste de l’Europe? Après une courte sus- pension, dont il est inutile de vous détailler les raisons, j'ai repris l'envoi des feuilles à mesure qu’elles sortaient de la presse. Elles passaient régulièrement par Gættingen, d'où M. Sprengel aura eu soin de vous les expédier, et 102 LETTRE DE GIBBON. depuis longtemps l'original anglais doit être en entier entre vos mains. Quel usage en avez-vous fait? La traduction en est-elle achevée? Dans quel temps, dans quel endroit vous proposez-vous de la faire paraître P Je ne laisse pas de craindre les accidens qui ont pu arriver en route, et de craindre surtout votre paresse ou vos distractions , d'autant plus qu'il m’est revenu de plusieurs côtés que vous vous étiez occupé de la traduction de je ne sais quel ouvrage allemand. Malgré mon silence, vous auriez pu m'instruire de l’état des choses ; en tout cas vous n’avez pas un instant à perdre, et voici pourquoi : M. le duc de Choiseut , qui s’est engoué de mon ouvrage, a commu- niqué à M. Walpole son intention de le faire traduire au plus tôt. Je crois avoir arrété ce dessein en les assurant que votre traduction s’imprimait déjà à Leipsik ; mais on. ne peut pas longtemps répondre des événemens, et il serait également fâcheux de se voir prévenir par un bel esprit de Paris, ou par la manœuvre d'un libraire d’Ams- terdam. Voilà une épiître assez honnête ; je sais cependant que vous ne devez guère m’en tenir eompte, puisqu'elle roule entièrement sur moi-méme. J'ai mille autres choses à vous marquer et autant de questions à vous faire. Comp- tez sur une autre missive dans huit jours. Allez, ne crai- gnez rien, j'en jure par la sainte amitié, et mon serment ne demeurera pas sans effet. Tout à vous. Ed. GiBBoON. TRAITÉ EXPÉRIMENTAL DE L’ÉLECTRICITÉ ET DU MAGNÉTISME ET DE LEURS RAPPORTS AVEC LES PHÉNOMÈNES NATURELS. Par A. Becquerel, De l'Acad. des Sciences de l'Institut de France, etc. Tome IV, Paris 1836. Longtemps l'électricité et le magnétisme n’ont fourni que la matière de deux ou trois chapitres dans les Trai- tés de Physique. Mais depuis quelques années , ces deux parties de la science ont reçu un tel accroissement qu’elles peuvent former maintenant, à elles seules , un Traité en plusieurs volumes. Celui que nous annonçons peut donner l’idée la plus exacte et la plus complète de l’état actuel de la science en ce qui concerne l'électricité et le magné- tisme. Rédigé par un des savans qui ont le plus contribué aux progrès qu'ont faits ces deux parties de la physique depuis 1820, etqui, en même temps, se sont tenus le plus constamment au courant des découvertes qu’ils ne faisaient pas eux-mêmes, ce traité est remarquable à la fois et par le nombre immense de recherches qu’il renferme, et par limpartialité avec laquelle les travaux des autres y sont appréciés par l’auteur. Trois volumes ont paru successivement de 1834à 1835; M. Becquerel avait cru, dans l’origine , que ces trois volumes suffiraient pour renfermer tous les matériaux qu’il avait réunis. Mais en continuant le cours de ses expériences , il s’aperçut bientôt que le sujet débordait le cadre qu’il s’était tracé, et qu’il fallait qu’il rejetàt dans 104 TRAITÉ EXPÉRIMENTAL deux volumes supplémentaires toutes les applications. Le premier de ces volumes supplémentaires, soit le qua- trième du Traité ; vient de paraitre. Il présente un grand intérét par les détails qu’il renferme sur lélectricité atmosphérique , et surtout sur l’action physiologique de l'électricité. L’étude approfondie que l’auteur a faite des phénomènes électriques auxquels donne naissance la tor- pille, lui a permis de rectifier plusieurs notions impar- faites ou incomplètes qu’on possédait sur ce sujet. Son ouvrage contient , à cet égard, un grand nombre de faits nouveaux qui n’ont encore été publiés nulle part. Nous ne pouvons mieux donner à nos lecteurs une idée exacte de tous les objets dont traite ce quatrième volume, qu’en rapportant ici textuellement l’analyse que M. Becquerel lui-même a bien voulu en faire. Nous saisissons avec empressement ce moyen de faire connaître à tous les amis de la science, un ouvrage aussi remarquable par la conscience avec laquelle il a -£té composé, que par la richesse des matériaux qu’il renferme. « Je vais passer en revue , dit M. Becquerel , les prin- cipaux articles qui se trouvent dans ce quatrième vo- lume. « Les effets thermo-électriques sont déterminés main- tenant avec une telle précision , qu’ils peuvent servir à observer avec une grande exactitude dans les corps ; les changemens de température les plus faibles et les plus considérables. Jai dû , en raison de cela , montrer com- ment on pouvait substituer aux pyromètres , aux thermo- mètres et aux thermoscopes les plus sensibles, des appareils thermo-électriques, rivalisant avec eux pour la précision , et avec lesquels on parvenait à mesurer la température de chacune des couches qui composent la z DE L'ÉLECTRICITÉ ET DU MAGNÉTISME , ETC. 105 flamme d’une bougie ou d’une lampe, celles de l'intérieur d’un fourneau, d’un lac jusqu’à une certaine profon- deur, et de toutes les parties intérieures du corps de l'homme et des animaux , sans qu'il en résultât un dom- mage sensible dans l’économie animale. « Ces appareils accusent immédiatement les changemens de température à l'instant où ils ont lieu , avantage que ne possèdent pas les thermomètres ordinaires. Si cette condition n’eût pas été remplie , il aurait été impossible d’apprécier les variations subites de température qui ont lieu dans les contractions musculaires. Désirant montrer en même temps le parti que l’on peut tirer de ce mode d’expérimentation , pour la solution de plusieurs questions de physiologie, j'ai cru convenable d’indiquer quelques résultats obtenus dans divers cas pathologiques. En toutes choses , il faut joindre l’exemple au principe , si l’on veut être utile. «De là j’ai passé à la phosphorescence. Ce phénomène n'a été traité jusqu'ici ex professo dans aucun ouvrage. de physique et de chimie. Tous les faits qui s’y rappor- tent, et dont le nombre est assez considérable, sont épars dans des mémoires insérés dans les recueils des sociétés savantes. La raison en est toute simple: on n’avait que des idées vagues sur la cause qui produit la phospho- rescence , puisque l’on ne savait si l’on devait la consi- dérer comme le résultat de l’action de forces physiques inconnues ou de forces chimiques particulières. J’ai fait voir que, de quelque manière qu’on l’envisageät , elle constituait réellement un phénomène électrique , et qu’il fallait en faire un chapitre à part dans un traité général de l'électricité, J’ai dù , par conséquent , en parler avec tous les développemens qu’elle comporte, sans même omettre les faits dont on n’aperçoit pas encore la relation 106 TRAITÉ EXPÉRIMENTAL avec l'électricité , parce que des recherches ultérieures prouveront, je l’espère, qu’ils ont une origine électrique. « L’électricité atmosphérique est exposée avec assez d’étendue dans tous les traités de physique; on ne peut effectivement parler des orages et de leurs effets, sans dire quelques mots de l'électricité aérienne. Mais on n’avait pas encore abordé, comme je l’ai fait, plusieurs questions importantes, qui tendent à montrer son in- fluence sur un grand nombre de phénomènes. « Après avoir présenté les faits généraux et tout ce qui concerne les variations qu’éprouve l’électricité libre de l'atmosphère dans les temps sereins , toutes les vingt- quatre heures, suivant les saisons, j'ai montré que, lors- que l’air possède un excès d'électricité quelconque, la terre en a toujours un autre d'électricité contraire, que l'on peut recueillir à l’aide des instrumens. Cet état électrique de la terre, qui est une conséquence de celui de l'air , a été trop négligé jusqu'ici dans les expériences relatives à l'électricité atmosphérique ; aussi complique-t-il sou- vent les résultats , au point de les rendre souvent diffi- ciles à interpréter. « D'un autre côté, la recomposition des deux électri- cités qui sont propres , l’une à l'air , et Pautre à la terre, s’effectuant par l'intermédiaire des cimes des rochers, des branches et des feuilles des arbres , et de tous les corps enfin qui se trouvent sur la surface de la terre, il doit en résulter dans l’intérieur de tous ces corps des réactions chimiques semblables à celles que M. Faraday, guidé par les recherches de Wollaston, a obtenues en dirigeant l'électricité provenant d’une machine électrique sur des bandes de papier à réactif, humectées de solu- tions salines , au moyen d’un conducteur métallique , non en contact avec les bandes de papier. Cette question, DE L'ÉLECTRICITÉ ET DU MAGNÉTISME , ETC. 107 qui intéresse la philosophie naturelle, a été approfondie autant que le permettait l’état de la science. « La formation des nuages , orageux ou non, chargés d'électricité positive, est facile à expliquer ; mais il n’en est pas de même de celle des nuages qui possèdent lélec- tricité négative. J’ai cherché à en donner une explication : « 1° En m'appuyant sur une observation importante de Trail et de Volta , dont j'ai été à même de constater moi- même l'exactitude, qui est relative à l'électricité recueillie près des cascades et des chutes d’eau , laquelle est ordi- nairement négative. « 20 En ayant égard à l’action qu’exerce par influence un nuage positif sur un nuage non électrisé en commu- nication avec la terre. «3° En admettant que la rencontre de deux courans d’air chargés d’humidité, mais ne possédant pas la même température , peut donner naissance à des effets thermo- électriques, d’où résultent deux nuages chargés d’élec- tricité contraire. « Je suis entré dans de grands détails sur la construc- tion des paratonnerres , afin de présenter aux personnes chargées d'en élever sur les édifices les principes sanction- nés par la pratique et la théorie. J’ai pris pour guide l'excellent rapport sur la pose des paratonnerres, qui a été fait par M. Gay-Lussac à l'Académie des sciences , au nom d’une commission , sur la demande du ministre de l'intérieur. « La grêle et l'aurore boréale ne m'ont occupé juste que ce qu’il fallait pour montrer jusqu’à quel point ces deux phénomènes pouvaient avoir une origine électrique. La description que j'en ai donnée a dû être très courte. « La dernière partie du volume est consacrée à l’action qu'exerce l'électricité sur les corps organiques , quand 108 TRAITÉ EXPÉRIMENTAL elle se comporte comme force physique ou comme force chimique. Les phénomènes qui en dépendent sont 1elle- ment compliqués, que l’on a été obligé de multiplier les expériences, pour tâcher d’entrevoir quelques-uns des rapports qui lient les forces électriques aux forces de la nature organique , d’abord dans les végétaux , puis dans les animaux. «Pour procéder du simple au composé, j'ai commencé par exposer les effets relatifs à l’action de Pélectricité sur les principes immédiats des plantes ; puis, passant à la germination , j'ai fait voir que cette même action, en s’exerçant sur les sels ou autres parties constiluantes des graines et des jeunes plantes , donne naissance à des pro- duits qui réagissent soit sur les racines, soit. sur les plantes elles-mêmes , de sorte que l'électricité se comporte réellement , dans cette circonstance, comme force chi- mique qui favorise ou contrarie l’action des forces vitales selon sa nature. « La fermentation et ses produits ont été aussi l'objet d’un examen particulier. «J'ai indiqué de quelle manière l'électricité atmosphé- rique peut exercer une influence sur les plantes, en me fondant toujours sur les décompositions chimiques qui s'effectuent , dans les corps organisés , par l'écoulement de l'électricité vers la terre. Cette action, dans les temps sereins et calmes, où l'électricité libre est positive, tend à attirer sur la surface de ces corps des composés acides, effets qui ne peuvent que favoriser les excrétions acides, et aider, par conséquent , à l’action des forces vitales. «Les phénomènes d’endosmose et d’exosmose, qui sont si fréquens dans la nature organique , ont eu un cha- pitre à part. J'en ai analysé les cas principaux , afin d’in- diquer de quelle manière l'électricité pouvait être rangée DE L’ÉLECTRICITÉ ET DU MAGNÉTISME , ETC. 109 au nombre des causes qui concouraient à leur production. «L’ensemble des faits observés jusqu'ici nous indique comme causes influentes , indépendamment des effets de capillarité , 1° action des deux liquides l'un sur l’autre ; 2° celle de chacun d'eux sur la membrane séparatrice ; 3° les effets électriques particuliers résultant de ces trois actions chimiques , lesquelles peuvent intervenir chacune dans la production du phénomène général , en raison de leurs propriétés physiques. « Je sais parfaitement que les détails dans lesquels je suis entré à cet égard sont consignés, sinon en entier, du moins en partie, dans des traités spéciaux ; néanmoins j'ai cru devoir les donner en raison des motifs indiqués précédemment. « L'action physiologique de l'électricité , qui est à peu près nulle sur les plantes pour les faire contracter, est D au contraire , des plus énergiques sur les animaux > puis- que les effets qui en résultent rappellent quelquefois les phénomènes de la vie. « Je me suis livré à une étude approfondie de cette action , dans l'espoir de jeter quelque jour sur l’une des applications de Pélectricité qui offre le plus d’obseurité. « Les muscles se contractent toutes les fois que l’on irrite les nerfs correspondans, d’une manière quelconque ; mais les effets ne sont pas à beaucoup près aussi marqués que ceux que l’on obtient quand on fait passer un faible cou- rant à travers un nerf : l'électricité se comporte donc d’une manière toute spéciale , qui mérite de fixer l’attention des physiciens et des physiologistes. Pour offrir au public un traité des contractions , j'ai dû faire connaître , avec des développemens suffisans , les différens modes d’action à l’aide desquels on parvient à faire contracter les muscles. Ce préambule était de rigueur. D'un autre côté , les con- 110 TRAITÉ EXPÉRIMENTAL tractions ne pouvani être interprétées qu’autant que l’on possède des notions sur la constitution des muscles et des nerfs , force m’a été de donner un précis des recherches qui ont été faites à ce sujet par les anatomistes. Par là, j'ai réuni dans un cadre assez resserré lout ce qui con- cerne le même sujet. « J’ai fait connaître ensuite tout ce que l’expérience nous à appris depuis plus de quarante ans , touchant les contractions musculaires ; quand on dirige le courant dans le sens des ramifications nerveuses , ou dans le sens opposé, lorsqu'on maintient le circuit fermé pendant quelque temps , ou qu'on l’ouvre à des instans plus ou moins rapprochés, et qu'on le referme de nouveau, de manière à produire ce qu'on appelle les alternatives vol- taïques. Un examen attentif des effets produits dans ces diverses circonstances nous révèle un mode d’organisa- tion des nerfs que les recherches anatomiques les plus minutieuses et les plus délicates n’auraient jamais pu nous faire connaître; c’est que le nerf, dans le sens de sa Jon- gueur, a un endroit et un envers , de telle sorte qu’un courant électrique peu intense le parcourt avec facilité dans le sens de ses ramifications, et difficilement dans le sens opposé. Cette propriété , sur laquelle nous nous sommes étendu , a de l’analogie avec le fait bien constaté en physiologie, savoir que, lorsqu'on pratique une sec- tion dans un nerf, si l’on excite la partie située au-dessus de la section, les contractions musculaires ne se mani- festent pas dans les membres supérieurs , c’est-à-dire que la cause qui les détermine ne remonte pas, tandis que la sensation qui résulte de l’excitation se dirige vers le cer- veau. Quand l’irritation est portée au contraire au-dessous, il y a contraction, mais point de douleur. En général, il est important de distinguer deux choses quand on fait DE L'ÉLECTRICITÉ ET DU MAGNÉTISME ; ETC. 111 passer un courant dans un nerf, d’abord la direction , puis le temps pendant lequel chemine ce courant. Dans le premier cas, les effets varient avec la direction du courant ; dans le second , l’excitabilité s’éteint en raison du temps pendant lequel chemine le courant. Les méde- cins qui veulent appliquer l'électricité à l’art de guérir, ne sauraient se dispenser de prendre en considération les observations que nous venons de signaler. « J'ai donné une attention particulière à tout ce qui concerne les poissons électriques, attendu que si lon découvre un jour que le fluide électrique intervient dans les phénomènes de la vie , ce sera très probablement après avoir étudié la propriété singulière que possèdent ces poissons, quand on les touche avec la main dans certaines parties du corps , de donner une commotion absolument semblable-à celle de la bouteille de Leyde. J'ai dù par conséquent donner des développemens assez étendus sur l'anatomie et les effets physiologiques de ces poissons. Il restait un point important à décider : c'était de savoir si les secousses qu’ils produisent doivent être rapportées à des effets électriques d’un ordre particulier que la vitalité a le pouvoir de développer, ou à une cause inconnue. Je me suis attaché à faire des recherches à cet égard sur la torpille, conjointement avec M. Breschet. Or, si la décharge que lance l'animal est le résultat d’une action électrique, il ne faut pas chercher, dans ce phénomène, des effets de tension qui ne sauraient exister, mais bien des courans électriques produisant des décompositions chimiques , réagissant sur l'aiguille aimantée et pouvant changer la polarité des aiguilles d'acier faiblement ai- mantées. Pour constater la présence de courans électri- ques, j'ai employé un multiplicateur dont le fil, recouvert d’une couche de vernis à la gomme laque dans toute son 112 TRAITÉ EXPÉRIMENTAL ! étendue , permettait d’observer les courans électriques , dus à des décharges instantanées. Mais cette précaution n'était pas suffisante ; car lorsqu'on met en contact les deux extrémités du fil qui forme le circuit de l'appareil avec deux parties quelconques d'un corps organisé, on a toujours un courant électro-chimique, provenant de la réaction les uns sur les autres des liquides différens dont sont imprégnées les parties animales et de la non identité des extrémités du fil, même lorsqu’elles sont en platine. Il fallait donc , avant tout, écarter cette cause perturba- trice, c'est-à-dire le courant électro-chimique. Or, ce courant et celui qui est le résultat d’une décharge instan- tanée jouissent de propriétés bien distinctes : le premier ne passe pas dans l’eau distillée, tandis que l’autre la traverse sans la moindre difficulté. D’après cela, pour écarter le courant électro-chimique , il suffit de placer dans le circuit du multiplicateur un tube de verre recourbé en U, rempli d’eau distillée. C’est faute d’avoir pris cette précaution que les précédens expérimentateurs ont été induits en ‘erreur. « En se servant du multiplicateur, convenablement préparé, et de spirales électro-dynamiques , j'ai prouvé par des expériences, qui me paraissent à l’abri de toute objection, que la commotion de la torpille est bien le résultat d’une décharge électrique analogue à celle de la bouteille de Leyde, dirigée de telle manière que la sur- face supérieure de l'organe principal se trouve étre le siége de l'électricité positive, et la surface inférieure celui de l'électricité négative. | « Pour compléter l'étude de la torpille , j'ai présenté l'anatomie de cet animal , faite avec assez de détails pour que l'on puisse remonter, s’il est possible, à la cause de ses effets électriques. Il résulte de cet examen que lor- DE L’ÉLECTRICITÉ ET DU MAGNÉTISME , ETC. 113 gane principal , dans lequel afflue l'électricité , est formé d'une multitude d’alvéoles , dans l’épaisseur desquels se ramifient une foule prodigieuse de filets nerveux. Ces alvéoles, qui sont semblables à ceux d’une ruche d’abeilles, ne paraissent nullement avoir une constitution semblable à celle d’une pile voltaique. J'ai rapporté plusieurs expé- riences tendant à prouver que l'électricité qui se trouve dans cet organe, à linstant où l'animal veut lancer la commotion , est élaborée dans le cerveau. « On ne saurait douter de ce fait, puisque les effets sont anéantis dès l'instant que l'on coupe les gros troncs nerveux qui établissent la communication entre ces or- ganes et le cerveau. « Galvani, qui avait fait une étude spéciale de la tor- pille, parce qu'il croyait y trouver la preuve de l’exis- tence de l'électricité animale dans tous les êtres vivans , avait déjà observé que lorsque la tête de la torpille est coupée, les organes ne sont plus aptes à donner la com- motion , et qu’il n’en est plus de même lorsque le cœur est arraché, à moins que le cerveau m’ait été enlevé. « Nous voyons donc que létude de Pélectricité nous a forcé d’entrer dans des détails anatomiques et physiolo- giques que nul physicien ne peut sedispenser d'approfondir, s’il veut appliquer utilement les phénomènes électriques à la physique générale. « Après avoir présenté tous les faits relatifs aux con- tractions musculaires , j'ai cherché à en rendre raison. « La première théorie rationnelle qui ait été donnée des contractions musculaires produites par lPélectricité , est due à MM. Prevost et Dumas. Elle est fondée sur l'action qu’exercent à distance, l’un sur l’autre, deux courans dirigés dans le même sens , et sur la terminaison des ramifications nerveuses extrêmes qui partent du tronc V 8 114 TRAITÉ EXPÉRIMENTAL principal, lesquelles, après, s’être dirigées parallèlement entre elles et perpendiculairement aux fibres des muscles, retournent dans le tronc qui les a fournies, ou bien vont s’anastomoser dans un tronc voisin, de manière qu’elles n’ont pas de terminaison. | «Ces deux habiles physiciens supposent donc que ces filets nerveux , étant parcourus par des courans électri- ques , dans le même sens, s’attirent et déterminent par là le phénomène des contractions ; mais ce mode de ter- minaison des nerfs n’est pas généralement adopté par les anatomistes , de sorte que cette théorie reste uniquement dans la science, à cause de son idée mère, c’est-à-dire de l’action des filets nerveux les uns sur les autres, par suite de l’attraction des courans qui sont censés les par- courir. « J’ai cherché ensuite à donner une théorie des con- tractions, en m’appuyant seulement sur des faits bien constatés. J’ai dit ce qui me paraissait le plus probable à Pépoque actuelle, disposé que je suis à modifier mes opinions aussitôt que de nouvelles observations viendront enrichir la science électrique. « Puisqu’un muscle se contracte dès l’instant qu'on irrite le nerf correspondant en un point quelconque de son trajet, il en résulte que le déplacement de quelques- unes des parties organiques du nerf suffit pour déterminer un ébranlement général dans toutes les autres , lequel est transmis immédiatement aux particules organiques du muscle. J'ai montré comment pouvait s’eflectuer cette transmission de mouvement , en raison de la constitution globulaire des muscles et des nerfs, telle qu'elle a été reconnue par MM. Prevost, Dumas et Milne Edwards ; j'ai pris aussi en considération la différence des effets produits suivant la direction du courant dans le nerf, et sue Le lt nt ntm te cm DE L’ÉLECTRICITÉ ET DU MAGNÉTISME ; ETC. 115 ce fait que lorsqu'un nerf est traversé par un courant dirigé d’une manière quelconque, il n’éprouve ni con- traction ni dérangement apparent, lors même que le muscle est fortement agité. De là, j'ai conclu que les fonctions du nerf consistent à transmettre rapidement au muscle une impulsion donnée , à peu près comme le fait une boule d'ivoire en contact avec une série de boules, disposées en ligne droite , qui leur communique à toutes successivement ;, jusqu’à la dernière , la quantité de mou- vement qu’on lui a transmise, sans que les boules inter- médiaires éprouvent un dérangement quelconque. L’or- ganisation fibrilaire et globulaire du nerf justifie cette allégation , en supposant toutefois aux globules élémen- taires une élasticité parfaite. L’ébranlement, se propageant rapidement dans tous les filets nerveux dont chaque fibre musculaire est pourvue, fait entrer celle-ci en contrac- tion. J’ai montré comment l'électricité pouvait agir avec plus d'énergie que tous les autres agens employés pour produire ces effets. « Les observations faites jusqu'ici tendent donc à nous représenter les particules organiques des nerfs et des muscles, pendant la vie et même quelque temps après la mort , comme se trouvant dans un certain état d'équilibre instable que la cause la plus légère dérange. Cette insta- bilité serait un des attributs de la vie, puisqu'elle cesse- rait dès l’instant que ces mêmes particules commenceraient à être soumises à l’influence des forces qui régissent la nature inorganique. Il ne s’agit, ici, que des contractions produites par les stimulus quels qu’ils soient; mais en est-il ainsi de celles qui naissent sous l’empire de la vo- lonté ? La solution de cette question est au-dessus de la portée de l’homme;.il y aurait donc de la témérité à cher- cher à la traiter ; mais je crois qu’il est permis de tâcher 116 TRAITÉ EXPÉRIMENTAL de reconnaitre quelles peuvent être quelques-unes des causes qui concourent à ce grand acte de la nature. « Lorsque l’on voit, par exemple, reproduire dans les expériences de Galvani, d’Aldini et du D' Andrew Ure sur des suppliciés , avec une effroyable vérité, les divers mouvemens du corps et même de la face, n’est-il pas permis de supposer que la nature, élaborant le fluide élec- trique par des moyens qui échappent à nos investigations, en dispose d’une manière plus régulière et par conséquent moins désordonnée qu’on ne le fait avec les appareils or- dinaires , pour mettre en mouvement certaines parties sans troubler Pharmonie des autres. « Or, il y a tant de moyens d’exciter la puissance électrique dans les corps , puisque le moindre dérange- ment dans leurs parties constituantes suffit pour troubler l'équilibre de cet agent mystérieux , qu’il peut très bien se faire que la volonté, par un sentiment instinctif, ébranle quelques points du cerveau , pour mettre en mouvement l'électricité à l’origine de chaque nerf, laquelle est trans- mise immédiatement par le nerf même au muscle corres- pondant. « On est d’autant plus porté à admettre cette hypothèse, que la substance qui se trouve sous le névrilème étant la méme que celle qui constitue la matière cérébrale, le pas- sage de Pélectricité du cerveau, dans le nerf, doit se faire sans difficulté. «Pour soutenir cette opinion, j’ai appelé à mon aide les phénomènes électriques de la torpille, dont l’analyse prouve que Pélectricité, qui se trouve dans les Sri a particuliers, émane bien du cerveau. « La différence qui paraît exister entre les poissons électriques et les autres animaux, c’est que dans les pre- miers la nature y a placé des organes propres à condenser DE L’ÉLECTRICITÉ ET DU MAGNÉTISME , ETC. 117 l'électricité provenant du cerveau pour augmenter sa tension, de manière à en faire une arme offensive, tandis que dans les seconds cette même électricité n°’a que la tension nécessaire pour produire les contractions et effectuer les diverses fonctions qu’elle est chargée : d'accomplir. « Mais on peut faire à cette théorie une objection sérieuse que je ne me suis pas dissimulée. L’expérience prouve qu’il existe une différence caractéristique entre l’action des excitans ordinaires et celle de l'électricité, quand Pune et l’autre s’exercent au-dessus d’une ligature pratiquée en un point quelconque du trajet du nerf. Dans le premier cas, le muscle situé au-dessous de la ligature reste tranquille, tandis que dans le second il se contracte vivement. Dans les mêmes circonstances, l’acte de la volonté est également sans action. Voici maintenant com- ment nous concevons cette différence : lorsqu'on fait passer un courant dans un nerf, pendant un temps très court, mais fini, la quantité d’électricité qui s'écoule est immense, puisque la vitesse de l'électricité est pour ainsi dire infinie. Or, dans Pacte de la volonté, il est très pro- bable que l’on n’a qu'une décharge instantanée, due à une quantité d'électricité considérablement moindre que celle dont nous disposons ; dès lors on conçoit que les effets physiologiques ne soient pas les mêmes dans les deux cas. « La dernière partie de l'ouvrage a été consacrée à exposer les applications de l'électricité à l’art de guérir. Pour procéder avec méthode, j'ai fait connaître le résultat des recherches qui ont été faites, touchant l’action de l'électricité voltaique sur les matières animales, lors- qu'elles ne sont plus sous l'empire de la vie et quand elles y sont soumises. Dans l’un et l’autre cas on par- 118 TRAITÉ EXPÉRIMENTAL vient à retirer, au moyen des courans électriques, les acides , les alcalis et les terres qu’elles renferment. « J'ai exposé ensuite comment l’albumine se coagule sous l'influence d’un courant voltaique à chacun des pôles de l'appareil. « Les tentatives que l’on a faites pour constater lexis- tence de courans électriques permanens dans l’intérieur du corps de l’homme et des animaux, n’ont pas été satis- faisantes. On a supposé depuis longtemps qu'il pourrait bien exister dans le système des sécrétions animales une influence semblable à celle de l'appareil voltaïique, qui tendrait à séparer les élémens des corps soumis à son ac- tion; que la surabondance d’acide, dans l'urine, paraissait indiquer dans les reins un état d'électricité positive, et que puisque la proportion d’alcali était plus considérable dans la bile que dans le sang, il ne serait pas impossible que les vaisseaux du foie fussent dans un état négatif ; mais ce ne sont là encore que des conjectures qui n’ont pas fait faire un pas à la science depuis qu’elles ont été imaginées. « Les expériences du D' Wilson Philip, relatives aux moyens de rétablir, par l’action de Pélectricité, les fonc- tions de l’estomac, quand on fait la section de la 8€ paire de nerfs, avaient d’abord paru un fait favorable à cette conjecture ; mais depuis que plusieurs physiologistes ont prouvé que Pélectricité n’agissait, dans cette circonstance, que comme force mécanique , les physiciens restent dans le doute sur les conséquences que l’on doit tirer des ex- périences du docteur anglais. Quoi qu’il en soit, nous pensons que lélectricité intervient très probablement dans la production des sécrétions, mais d’une manière qui nous est inconnue. « Quant aux effets résultant de l’application de l’élec- DE L'ÉLECTRICITÉ ET DU MAGNÉTISME ; ETC. 119 tricité à la médecine, c’est encore là un point de contro- verse entre les physiologistes. Cependant il existe bon nombre d'observations qui tendent à prouver que son influence ne saurait être révoquée en doute dans quelques circonstances, surtout dans les maladies nerveuses. « L’électricité agissant de deux manières sur l’écono- mie animale, soit en produisant des contractions et autres dérangemens dans l’équilibre des parties organiques , soit en faisant naître des réactions chimiques qui favori- sent les sécrétions ou nuisent à leur développement, quiconque veut essayer de retirer des avantages de l’ap- plication des forces électriques à l’art de guérir, doit avant tout acquérir une connaissance approfondie des propriétés générales de l'électricité, agissant comme force physique ou comme force chimique. « Si l’on ne possède que des notions superficielles, on court le risque de porter le désordre là où l’on veut rétablir l’harmonie. J'ai indiqué les moyens à employer pour agir avec le plus d’efficacité possible sur l’économie animale. Ce moyen, sans contredit, est celui qui a été imaginé par M. Sarlandière, lequel consiste à introduire des aiguilles d'acier ou de platine, en communication avec une pile, dans les parties où l’on veut opérer. Le cireuit étant interrompu à des intervalles plus ou moins rappro- chés, donne aux parties intérieures des commotions plus ou moins rapides, qui produisent des effets salutaires quand les parties se trouvent dans un état d’atonie pas- sager. C’est ainsi que plusieurs physiologistes, et entre autres M. Magendie, ont obtenu des résultats satisfaisans dans des amauroses incomplètes, dans des névralgies et enfin dans diverses maladies où les nerfs sont affectés. M. le D" Palaprat a trouvé, dans l'électricité, un moyen très simple d’appliquer instantanément un moxa dans les 120 TRAITÉ EXPÉRIMENTAL régions les plus profondes du corps, en y introduisant une aiguille de platine en communication avec l’un des pôles d’une pile composée d’élémens à larges surfaces, dont l’autre pôle communique avec une autre partie du corps. À linstant où la communication est établie , lai- guille s’échauffe jusqu’à l’incandescence et brüle les chairs contigués en produisant une vive douleur, de très courte durée. « La paralysie est l'affection qui a le plus occupé les personnes qui- ont appliqué lélectricité à la médecine; tantôt des résultats satisfaisans ont été obtenus, tantôt il y à eu absence d’effets. On est donc porté à croire que le traitement électrique ne réussit que dans le cas où la pa- ralysie est incomplète. J’ai indiqué les divers modes à l’aide desquels on applique cet agent dans le cas de para- Iysie. J'ai signalé surtout, comme très rationnel, celui qui est indiqué par M. Nobili. Cet habile physicien di- stingue les effets produits par l’action continue du courant, de ceux qui ont lieu quand Paction est interrompue à des intervalles plus ou moins rapprochés. Dans le premier cas, l'électricité tend à ôter au nerf une partie de son irritabilité; dans le second, elle produit une action con- traire, puisqu'elle met en jeu l’excitabilité du nerf au point de faire naître le tétanos artificiel. « J’ai donné ensuite quelques développemens sur les moyens de faire agir l'électricité comme force chimique, et d'introduire dans l'intérieur du corps différens ag propres à réagir sur eux. « D'après l’esquisse rapide que je viens de présenter des matières qui sont traitées dans ce volume, on voit que j'ai dû entrer dans des détails d'anatomie et de physio- logie qui ne se trouvent pas ordinairement dans les traités de physique, mais que l'état actuel de la science rend in- NO DE L'ÉLECTRICITÉ ET DU MAGNÉTISME , ETC. 121 dispensables, si l’on veut essayer de découvrir les liens qui rattachent à l'électricité plusieurs des grands phéno- mènes de la nature organique. En résumé, loin de mé- riter le reproche, que quelques personnes m'ont adressé, d’avoir introduit dans les trois premiers volumes de mon ouvrage des considérations étrangères au sujet que j'avais en vue, je crois au contraire que ces considérations de- yaient s’y trouver d’après le plan que je me suis tracé, et auquel je n’apporterai aucun changement. » BULLETIN LITTÉRAIRE. MÉMOIRES SECRETS ET INÉDITS DE LA COUR DE FRANCE SUR LA FIN pu RÈGNE DE Louis XIV , par M. le marquis pe Sourenrs, grand prévôt de France ; publiés pour la première fois et conformément au manuscrit du dix-septième siècle , nouvellement découvert, suivis de documens inédits relatifs à la révocation de Pédit de Nantes, avec une introduction et des notes, par Ad. Bernier. Paris, Beau- vais. 2 vol. 80. 16 fr. Les Mémoires du marquis de Sourches sont une espèce de gazette qui nous donne jour par jour tous les faits et gestes de la cour de Versailles pendant les années 1685 et 1686. C’est un courtisan du grand roi, qui reflète naïvement l’image de son époque avec son esprit, ses préjugés et même son ignorance. L'éditeur nous le donne tel qu’il Pa trouvé dans de vieux manuscrits, et l’on ne saurait, en effet, le confondre avec ces nombreuses fabrications modernes auxquelles le public s’est si souvent laissé prendre. J'avoue que la lecture n’en est peut-être pas aussi agréable ni aussi suivie, mais on y reconnaît le cachet de la vérité, et c’est un mérite supérieur à bien d’autres. Ce bon marquis attache sans doute bien souvent une grande importance à de fort petites choses ; il raconte avec une imperturbable gravité une foule de niaiseries qui, à la vérité, n’étaient pas regardées comme telles à la cour de Louis XIV; il détaille l’ordre et la marche de la moindre cérémonie ; il ne vous BULLETIN LITTÉRAIRE. 123 fait pas grâce d’un cortége. Mais la curiosité est vivement excitée par les réflexions que suggèrent à l’auteur tous les faits qu’il rapporte. C’est un écho de cette cour si brillante qui a jeté tant d’éclat dans Phistoire , et il nous rend ses opinions et ses pensées à une époque où les événemens intérieurs et extérieurs présentaient égale- ment un vif intérêt. Le marquis de Sourches ne montre pas'une bien grande instruction. Il était commun , dans ce temps-là, parmi les courtisans , d’ignorer la géographie et bien d’autres sciences aujourd’hui populaires. Son style est loin aussi d’être correct , et l'éditeur a cru devoir ens respecter scrupuleusement les imperfections. Mais il montre parfois une assez grande connaissance des hommes, et d’ailleurs l’exactitude avec laquelle il enregistre toutes les nouvelles de la cour fait de ses Mémoires un recueil vraiment précieux. J. C. CorREsPONDANCE INÉDITE DE Vocraire Avec Fréperic Il, LE PRÉSIDENT DE BROSSES, ET AUTRES PERSONNAGES, publiée d’après des lettres autographes, avec des notes, par Th. Foisser. Paris, chez Levasseur, 1836. On à tout dit, on a trop dit sans doute sur Voltaire. Il serait plus que superflu de parler de l'homme ou de l’auteur à propos de ces lettres sorties de sa plume et ignorées jusqu'ici. Leur publication ne saurait passer inaperçue dès qu’elles se rattachent à une aussi grande célébrité. Ces fragmens épars de sa vaste correspondance ne nous apprennent rien de nouveau sur l'écrivain. On y retrouve cette clarté, cette netteté, cette causerie variée, spirituelle, amusante, spontanée, qui saisissent et char- ment toujours en lui, surtout lorsqu'il s’abandonne à la 124 BULLETIN LITTÉRAIRE. familiarité du style épistolaire et qu’il n’écrit point sous les yeux du public. Ces lettres ne nous dévoilent guère non plus des côtés inconnus de l’homme et de son carac- tère. Il n’y paraît pas en général sous un jour qui puisse intéresser en sa faveur. Mais dès longtemps sa corres- pondance avait trahi sous des traits plus sensibles encore l’égoïsme, la susceptibilité vaniteuse, la pente à l’adula- tion et Pirascibilité jalouse qui s’y reproduisent. Cepen- dant, outre l'intérêt qui s’attache pour beaucoup de personnes à tout ce qui est sorti de la plume de Voltaire, ce recueil nouveau se recommande par quelques détails inconnus sur plusieurs incidens de la vie de l’homme illustre. Trois parties distinctes divisent ce recueil. La première comprend des lettres de Voltaire au roi de Prusse, inédites jusqu’à ce jour. Elles ont trait à l’époque de sa disgràce, dont elles nous révèlent quelques causes, et quelques causes qui modifient assez sensiblement Po- pinion qu'on s’en est formée ; puis elles fournissent de nouveaux détails sur la fameuse arrestation de Francfort par ordre de Fréderic, qui en fut la suite. La seconde partie contient la correspondance de Voltaire avec le pré- sident de Brosses, au sujet de Pacquisition de la terre de Tourney, sur les limites du pays de Gex, près de Genève. Cette correspondance comprend presque toutes les der- nières années de l’auteur, depuis 1758 jusqu'a 1776. Les lettres dont elle se compose sont datées des Délices ou de Fernex. On y trouve l’origine et la suite des dis- cussions déplorables, des tracasseries sans dignité qui séparèrent ces deux hommes supérieurs, unis d’abord par une affection et une estime réciproques. Nous sommes obli- gés de dire que dans cette controverse mesquine provoquée . par de misérables intérêts, le chantre de Henri-le-Grand BULLETIN LITTÉRAIRE. 125 ne remporte pas les honneurs de la lutte. Enfin la troi- sième partie du recueil renferme des lettres adressées à plusieurs personnes, pour la plupart membres du Parle- ment de Bourgogne. Elles roulent sur des sujets variés, en général d’un intérêt médiocre , au milieu desquels nous avons distingué l’expression vive de la première impres- sion que reçut Voltaire à la nouvelle de l’attentat juridique de Toulouse qui occupa si honorablement sa plume, la condamnation et le supplice de Calas. Nous ne terminerons pas sans rendre hommage au soin scrupuleux qui a présidé à la rédaction de ce recueil, et au caractère honorable de léditeur, qui, en nous enrichissant de ce document nouveau du grand écrivain, nous en garantit l’exactitude et la fidélité. L’Ecyrre ET La Turquie DE 1829 a 1836, par MM. Ed. pe -CanazvÈne et J. ne Breuvery. Paris, chez Arthus Ber- trand. Tome second. 1 vol 8° et atlas in-fol. 10 fr. Munis des ordres nécessaires pour faire remonter les cataractes à leurs barques, et accompagnés d'une cen- taine de fellahs pour les remorquer, nos voyageurs pénètrent dans l’intérieur de la Nubie. Ils rencontrent d’abord lile de Philæ dont ils font une description charmante ; c’est un jardin fleuri au milieu du Nil. De nombreuses ruines d’antiques monumens attestent que la position pittoresque de cette île attira jadis les regards des anciens habitans de l'Egypte. Au milieu des hiéro- glyphes qui redisent sans doute la gloire des Ptolémées , se trouve une inscription française, monument d’un autre empire bien plus rapproché de nous, et dont il ne reste non plus que des souvenirs. Ce fut dans l’île de Philæ 126 BULLETIN LITTÉRAIRE. que s’arrêta l’armée française sous les ordres de Désaix , lasse de poursuivre les Mamelucks ; et les officiers profi- ièrent, pour en perpétuer la mémoire, d’une des faces intérieures de la porte des grands pylonés du temple, qui n’avait pas reçu d’hiéroglyphes. Les Barabrahs ou Barbarins, le premier peuple qu’on rencontre dans la basse Nubie, sont une pauvre race abâtardie, mélange du sang de tous les conquérans qui ont tour à tour envahi ces contrées. Leurs mœurs sont simples et grossières, ils ont un naturel doux et facile, mais l’esclavage les abrutit et développe souvent chez eux toutes les mauvaises passions qu’il traîne à sa suite. C’est pourquoi beaucoup de voyageurs ont dépeint les Bara- brahs comme étant féroces et cruels. L'histoire de ce malheureux pays n’explique que trop bien la dégradation de ses habitans, car elle n’offre qu’une longue suite de guerres et d’anarchie. Les conquérans s’y sont succédé les uns aux autres, entassant ruines sur ruines sans jamais chercher à fonder rien de solide, rien de durable. Le bâton du soldat égyptien n’est pas propre à améliorer cet état de choses, et l’on ne saurait être surpris de rencon- trer chez le Barabrah les vices de l’esclave, sa mauvaise volonté et quelquefois même l'esprit de vengeance qui est la suite naturelle des mauvais traitemens auxquels il se voit habituellement exposé. La misère la plus grande règne parmi ce peuple comme chez tous les autres sujets du pacha d'Egypte. Point d'industrie, point d’activité, ni commerce ni agriculture. Le journal d'un voyage le long des côtes du Nil se borne à peu près à mentionner les restes d’antiquités, qui y sont semés en abondance comme pour mieux attester encore aux yeux du monde les dé- plorables résultats du stupide despotisme oriental. Les seuls incidens qui viennent rompre la monotonie de la BULLETIN LITTÉRAIRE. 127 route sont encore souvent de tristes tableaux : c’est un convoi de recrues arrachées de force à leur village natal pour aller en Egypte apprendre à manier le fusil et à ma- nœuvrer à l’européenne; ou bien une caravane d'esclaves des deux sexes que les djellabs font marcher à coups de bâton. On se hâte de détourner la vue et de la reporter vers ces majestueux temples de l'antique Egypte dont architecture imposante émeut si fortement l’âme, abs- trait l’esprit et reporte la pensée aux temps glorieux des Pharaons ou des Ptolémées. Les descriptions qu'en don- nent MM. de Cadalvène et de Breuvery sont du plus grand intérét. Ils se laissent souvent aller à de curieuses digres- sions historiques, dans lesquelles ils déploient une pro- fonde érudition unie à un esprit philosophique très remarquable. Mais qu’on ne s’imagine pas cependant que les ruines et les hiéroglyphes leur fassent oublier leur rôle de voyageurs. Les mœurs et les usages des peuplades qu'ils visitent sont aussi l’objet de leurs observations. Ils nous donnent beaucoup de détails sur les habitans de Dongolah, sur leurs coutumes bizarres, leur cérémonial outré, leurs précautions jalouses, leurs superstitions reli- gieuses. Ils nous peignent, dans un petit tableau simple et vrai, l'arabe du désert campé avec sa famille en plein air sous un arbre. « Nous distinguions à la lueur de la flamme ses cheveux hérissés, sa barbe blanche et le man- teau de peau de chèvre dont il venait de se couvrir pour se garantir de la rosée qui tombait en abondance. La fa- mille, accroupie autour du feu, écoutait avec curiosité les récits du vieillard, qui leur répétait les nouvelles de Ouady Halfah, qu’il venait d'apprendre de nos gens; car Ouady Halfah était déjà pour eux un pays lointain. Quelques têtes de chameaux et de vaches qui s’ayançaient au milieu des branches et se dessinaient dans ombre, achevaient 128 BULLETIN LITTÉRAIRE. de donner à ce groupe le caractère le plus original et le plus pittoresque. « Un énorme acacia, sur lequel étaient perchées quel- ques douzaines de poules, formait le centre de la demeure de nos hôtes. À ses branches étaient suspendus pêle-mêle des outres contenant les provisions de grains et de dattes, de longs sabres à deux tranchans, des boucliers, des lan- ces, des pièces d’étoffes, des paniers de jonc et mille autres petits objets. Des selles de chameaux et des bran- ches épineuses accumulées formaient autour de l’arbre une espèce de clôture, et entouraient l'habitation, en la séparant d’une autre enceinte de branchages dans laquelle était renfermé un troupeau de chèvres.» Ils nous décrivent plusieurs chasses, et ont soin, en un mot, de ne rien omettre de ce qui peut rendre plus vif et plus animé l'intérêt de leur narration. Les beys des di- verses provinces que traversent nos voyageurs sont éga- lement passés en revue d’une manière assez piquante. Il se trouve de curieux originaux parmi ces préfets du pacha, employés à surveiller et à diriger à son profit la spoliation systématique qui forme la base du gouvernement égyptien. Les informes essais de civilisation européenne tentés par Méhemed-Ali trouvent parfois en eux de grotesques imi- tateurs, qui emploient tous les moyens du despotisme turc pour métamorphoser leurs sujets. Les principes de la justice européenne leur sont totalement inconnus; mais ils paraissent avoir fort bien saisi tous les raffinemens de l'esprit de spéculation, tout ce qui peut tendre à perfec- tionner leur méthode d’exploitation sociale. La discipline militaire leur fournit des instrumens plus dociles, et ils en usent largement pour opprimer et dépouiller les popu. lations dont le pacha leur a confié l’administration. Méhemed-Ali s'inquiète peu des misères et des souffrances er. .…-1iihed its BULLETIN LITTÉRAIRE. 129 qui en sont le résultat. Il n’exige de ses beys que la ren- trée exacte des impôts; mais sur cet article il ne badine pas, et il se montre fort rigoureux pour ceux qui cherchent à le tromper, ou qui, par ignorance, commettent des erreurs dans leurs comptes. MM. de Cadalvène et de Breuvery rencontrèrent un nazir du Kordofan qui se trouvait dans cette position difficile. IL se rendait le plus lentement possible au Caire, où il était mandé pour s’ex- pliquer sur un déficit de 9,000 bourses, soit 1,200,000 francs, qui avait été reconnu dans ses comptes. À l’en- tendre, son secrétaire était le seul coupable ; aussi se promettait-il bien de le faire pendre à son retour, s’il était assez heureux pour pouvoir lui-même se tirer d’affaire. Diverses considérations de santé, de prudence, et le manque de fonds s’opposèrent à ce que nos voyageurs remontassent le Nil plus haut que Meraouy et les ruines de Napata. Mais au retour, ils firent une excursion dans le désert, dont le récit plein d’intérêt termine le second volume de leur ouvrage. Pour entreprendre de pareils voyages, il faut du courage, de la fermeté, une santé ro- buste et beaucoup d’argent. MM. de Breuvery et de Cadalvène eurent plus d’une fois l’occasion d’en faire Pexpérience. Leur caractère ferme les sauva de plusieurs périls éminens ; dans ces pays de tyrans et d’esclaves, la crainte est le seul mobile des subalternes qu’on emploie; si vous hésitez, si vous leur donnez une seule fois le temps de se compter et de sentir leur force, vous êtes perdus. Quant à l'argent, on comprend quelle abondance il en faut dans une contrée misérable où une foule de malheureux sont toujours prêts à vous suivre partout, et à exiger un pour-boire pour des services qu’on ne leur demande pas, pour la moindre des choses, pour vous avoir regardé chasser, par exemple. J. C. V É 430 BULLETIN LITTÉRAIRE, GRAMMAIRE CHALDAÏQUE , TANT POUR LE CHALDÉEN DE LA PIBLE QUE POUR CELUI DES THARGOUMIM , par G.-B. Winer, pro- fesseur et docteur en théologie , traduite de l’allemand par Aug. Farcer. Genève et Paris, 1836, chez Abr. Cherbuliez. In-4° de 176 pages. Prix : 7 fr. L'étude des langues orientales est généralement culti= vée en Allemagne. Dans ce pays, le philologue et le théologien paraissent de plus en plus sentir, chacun dans sa sphère, lPutilité et l’importance qui résultent, pour leurs recherches, de l’exploitation d’une mine si féconde. Par suite, les travaux imprimés et les secours divers pour l'étude de ces langues se multiplient chaque jour davan= tage. Nous marchons plus lentement à cet égard , malgré les efforts faits à Paris, et quoiqu'il y ait, dans cette capitale, des orientalistes de premier ordre. À peine possé- dons-nous quelques grammaires égrenées pour l’ensemble des dialectes de l'Orient. Il est, en particulier, étonnant qu’il y ait encore en France si peu de ressources pour l’hébreu, cette mère des langues sémitiques, bien qu’elle entre dans le cercle régulier des études de plus d’un établissement public. En Allemagne , au contraire, les ouvrages sur cette matière ne peuvent presque plus être énumérés. C’est donc chez nos voisins que nous devons puiser ; c’est d'eux que nous devons emprunter des ri- chesses, en attendant que nous puissions nous suffire à nous-mêmes. Aussi les amis de la philologie sacrée , se sont-ils réjouis lorsqu'ils ont vu, il y a quelques années, notre savant professeur Cellérier faire passer dans la langue française la grammaire hébraïque de Gesenius, en la modifiant et l’appropriant aux besoins de l’ensei- gnement que lui-même était alors appelé à diriger. Une nd ts ++, R BULLETIN LITTÉRAIRE, 131 deuxième édition , aujourd’hui épuisée , atteste le succès de cette entreprise. | Ce que M. Cellérier a fait pour l’hébreu , M. A. Fallet vient de le tenter pour le chaldéen dans la publication que nous annonçons. De tous les dialectes sémitiques , le chaldéen est celui qui se rapproche le plus de l’hébreu ; il est écrit avec les mêmes caractères , et est indispensable pour l'intelligence complète de la langue de PAncien- Testament. Il se parlait en Babylonie et constitue le lan- gage araméen, de concert avec le syriaque qui était en usage dans une région plus occidentale. Les phases suc- cessives de l’histoire des Hébreux, et leur séjour au milieu des peuples vainqueurs, les amenèrent peu à peu à abandonner leur langue nationale pour adopter l’ara- méen. Dès lôrs, la Bible demeura le seul monument de la littérature des Hébreux, tandis qu’avec la suite des àges il se forma une littérature chaldaïque , peu volumi- neuse, il est vrai , mais de quelque intérêt à étudier. Elle se résume : 1° dans deux fragmens de Daniel et d’Esdras et dans un verset de Jérémie ; 2° dans des /hargums, soit espèces de versions ou paraphrases de la plupart des Livres de lAncien-Testament. Ces thargums, presque tous postérieurs à l’ère chrétienne, sont de mérites fort différens quant à la pureté du langage et aux choses qu’ils renferment. Parmi les savans qui se sont appliqués à létude du chaldéen , les uns ont écrit des grammaires où ce dialecte est envisagé à part, les autres sur les deux dialectes ara- méens à la fois, à cause des fréquentes analogies qui les caractérisent. Dans ce nombre, on doit remarquer Buxtorf, Louis de Dieu, Hasse, Jahn, Vater, Michaelis, Hezel, Schrœder, et enfin Winer. C’est du manuel grammatical de ce dernier que M. Fallet nous a donné la traduction : >= 132 BULLETIN LITTÉRAIRE. c’est le plus récent , le plus méthodique et le plus géné- ralement suivi dans les Universités d’Allemagne. «Deux conditions, dit M. Fallet dans sa préface, étaient absolument nécessaires pour mon œuvre : d’abord une connaissance plus ou moins approfondie ou pratique de la langue dans laquelle la grammaire de Winer a été écrite, et ensuite une connaissance non moins grande peut-être de celle sur laquelle ce docteur a écrit. » Puis il nous explique comment il a cherché à triompher de cette double difficulté. Nous aurions désiré que le jeune traducteur sentit également la nécessité d’une troisième condition, savoir de la pureté et de la correction dans la langue dont il s’est servi lui-même, ce qui est non moins important que « l'élégance typographique, si pro- pre à jeter quelque agrément et quelque facilité dans la lecture. » Or, M. Fallet pèche sous le point de vue que nous venons de signaler ; et il est, de plus, d’une prolixité désespérante , grand défaut dans une grammaire. Peut- être a-t-il eu tort de s’attacher trop à rendre textuelle- ment l’original. L’exactitude, la clarté, la précision , qua- lités d’une bonne traduction, sont bien moins faciles à atteindre avec une version littérale qu'avec une version plus libre. Avec une langue surtout telle que l’allemand, et avec une matière telle que la grammaire, il est presque impossible de réussir, en demeurant fidèle à la lettre. Quoi qu’il en soit de cette remarque, nous sommes trop heureux de la tentative de M. Fallet, et nous appré- cions trop le service qu’il vient de rendre, malgré l’exis- tence d’une autre grammaire chaldaïque en français, pour ne pas le remercier sincèrement , en applaudissant de toutes nos forces à son travail, que nous recomman- dons à ceux qui ne peuvent lire l'original allemand. Nous faisons des vœux, en terminant, pour que le PR BULLETIN LITTÉRAIRE, 133 travail plus considérable de Winer sur l’idiome du Nou- veau - Testament (Grammatik des neutestamentlichen Sprachidioms ) trouve à son tour un traducteur zélé. Cet ouvrage du célèbre professeur de Leipsick est fort goûté en Allemagne , où il a déjà obtenu plusieurs éditions, et où on le considère comme le fondement d’une bonne exépèse du Nouveau-Testament. L. S., Dr. Coup D'ŒIL SUR LES (TABLEAUX DE POPULATION DU CANTON DE Vau , années 1834 et 1836, par M. J. ne La Harpe. (Journal? de" la Société vaudoise d'utilité publique, avril 1836, p.°193.) Le Canton de Vaud est un des premiers pays qui ait eu. des états de mouvement de sa population , recueillis d’une manière complète, soigneusement et avec suite. Il doit. cet avantage, non à son gouvernement, mais à M. le pasteur Muret, qui, dans son mémoire sur l’état de la. population dans le pays de Vaud, donna les tableaux des | baptêmes et décès des paroisses vaudoises, depuis l’origine des registres d’état civil jusqu’à l’année 1760 inclusivement. Malheureusement les travaux du pasteur de Vevey n’ont pas été continués pour la fin du dix-huitième siècle. Un travail sur la mortalité dü-Canton de Vaud, comménçant en 1803 , a bien été fait par le docteur Rengger, à ce que nous apprend M. de la Harpe; mais il est resté inédit. Ce n’est que depuis 1810 que le Conseil de santé vaudois recueille les tableaux annuels des naïssances , mariages et décès de chaque paroisse. Depuis 1834 on a donné à ces relevés annuels beaucoup de développemens, on y a ajouté plusieurs renseignemens pleins d’intérét. M. de la Harpe vient aujourd’hui donner au public les résultats des 134 BULLETIN LITTÉRAIRE. années 1834 et 1835, les deux premières dont les ta- bleaux aient été dressés conformément au plan statistique nouvellement adopté. La population du Canton de Vaud s’est, de nos jours, rapidement accrue. En 1803, elle était de 144,474 habitans. En 1819, M. de la Harpe l’évalue à 161,000 âmes ; en 1834 il la fait monter à environ 180,000. Une moyenne, prise sur les trente dernières années, prouve qu’il meurt annuellement un individu sur 46 +. IL est à remarquer que ce rapport des décès annuels à la population est absolument identique avec celui que j'ai trouvé pour Genève pendant les années 1814 à 1833, et que j’ai consigné dans mes recherches sur la population de Genève, chapitre VIII. (Mémoires de la Société de Physique et d'Histoire Naturelle de Genève, tome VII, page 351.) En 1834, année délétère , il y a eu 5,435 naissances et 4,693 décès, soit un excédant de 742 naissances ; en 1835, année approchant de la moyenne, 5,291 naissances, 3740 décès : excédant des naissances 1551. En calculant la longévité des individus morts dans ces deux ans, on trouve une vie probable de 34 ans 9 mois , et une vie moyenne de 36 ans 4 mois. Cependant Muret trouvait, le siècle dernier, dans le même pays 41 ans # mois pour la première , et 37 ans b mois pour la seconde. Une pareille détérioration , si elle était constante et bien vérifiée, serait affligeante pour nos voisins : elle serait en outre contraire à tous les faits observés ailleurs. Ainsi, en France, on reconnaît que la vie est maintenant plus longue que la table de Duvillard ne l’indiquait pour le siècle dernier. À Genève, le docteur Odier a constaté un accroissement continuel de xitalité du seizième au dix-neuvième siècle , et mesrecherches (chap. IX, X, XIIL. BULLETIN LITTÉRAIRE. 135. Mémoires cités, VII, pages 354, 359, 376) montrent que cet accroissement a continué dans les vingt dernières années. Et dans le Canton de Vaud même, à Montreux , M. d'lvernois a prouvé que la vie, déjà si longue au temps de Muret, s’était encore accrue. Il faut donc penser que les chiffres de vitalité, donnés par le Canton de Vaud pour les années 1834 et 1835, sont l'expression de deux années défavorables, et qu’une plus longue suite d'observations rétablira les résultats avantageux offerts par ce Canton dans le siècle dernier. M. de la Harpe semble le donner à entendre quand il dit : « Il serait assez inutile , après deux ans à peine écoulés, de vouloir interroger nos nouveaux tableaux, interpréter leurs chiffres et comparer leurs résultats ; dès qu’il s’agit de faire parler de semblables chiffres, 2, 4, 6, souvent même 10 années d’observations sont insuffisantes. » Mais le renseignement le plus intéressant que nous fournissent les nouveaux états de mouvement de la popu- lation vaudoise, c’est le chiffre de l’âge moyen des ‘conjoints au moment de leur mariage, document que l’on ne possède encore que pour très peu de localités et d’une manière très incomplète. Dans le Canton de Vaud, âge moyen des époux dans les 1,427 mariages de 1834, et les 1471 de 1835 a été pour les hommes de 30 ans 8 mois, et pour les femmes de 27 ans 6 mois. Mais ici se présente une grave objection. Les seuls mariages, dont l’âge de contraction soit intéressant à connaître pour l’étude de la physique sociale, sont les premiers mariages, ceux de garçons et de filles, ceux qui se contractent pour la première fois. Quand on connaîtra l’âge de ces mariages , on pourra en conclure . au caractère et aux mœurs d’une population , à sa pré- 136 BULLETIN LITTÉRAIRE. voyance, à sa densité plus ou moins grande, proportion gardée avec le sol qu’elle habite, aux ressources du pays, à sa richesse. Mais qu’importent à la question les se- conds mariages , unions exceptionnelles , habituellement relatives à des convenances toutes particulières, et qui n’ont que peu d'influence sur la population totale? En comprenant dans le calcul l’âge des époux qui convolent en secondes noces , n’est-il pas clair qu’on le fausse par double emploi, puisque ces mêmes personnes ont déjà été comptées une première fois pour servir à la compu- tation de l’âge matrimonial dans lannée où elles ont contracté leur première union? Un certain nombre de veufs et de veuves âgés suffit à lui seul pour hausser considérablement le chiffre apparent de l’âge matrimonial. Peut-être même la population qui se marie le plus tôt aura-t-elle le chiffre matrimonial le plus élevé; car là où les mariages sont précoces , il y a plus de veufs et de veuves, partant plus de seconds mariages, et l’âge moyen, résultant de la combinaison de ces élémens divers, se trouvera plus élevé. Si l’on n'avait recherché dans le Canton de Vaud que ce que j'ai appelé l’âge protogami- que, c’est-à-dire celui des garçons et filles se mariant, on n’aurait pas des chiffres aussi forts que 30 ans 8 mois pour les hommes et 27 ans 6 mois pour les femmes. En effet, M. Villot n’a trouvé à Paris que 29 ans 8 mois et 24 ans 9 mois. Genève ne m’a fourni que 29 ans et 26 ans 10 mois (Recherches citées, page 342). Espérons qu’en continuant leurs recherches , les rédac- teurs des tableaux statistiques vaudois distingueront désormais l’âge des premiers mariages de celui des seconds ; ils ajouteront ainsi à l’utilité de leurs travaux , et ils fourniront , avec le temps, des faits précieux pour Pétude de l’état social de leur pays. Edouard Mazcer. BULLETIN SCIENTIFIQUE. — C— ASTRONOMIE, 1. — NOTICE SUR LES GRANDES LUNETTES ACHROMATIQUES ÉTABLIES RÉCEMMENT EN DIVERS POINTS DE L'EUROPE. (Suite de la page 371 du cahier précédent.) L'Observatoire de Bogenhausen, près de Munich, vient aussi d'entrer en jouissance d’une grande lunette, acquise par le roi de Bavière, et exécutée dans l'institut d'optique de M. d'Uuschneider. Sa monture, analogue à celle de la lunette de Dorpat, mais avec divers perfectionnemens , a été con- struite sous la direction de M. Mahler ; son objectif, exécuté par M. Merz, successeur de Fraunhofer, a 10 7, pouces français d'ouverture et 15 pieds de longueur focale. M. Struve a soumis cette lunette, avant qu’elle fût montée astronomi- quement , à des épreuves sur des objets terrestres semblables à celles qu'il avait fait subir à l'instrument de Dorpat, et il a trouvé la lunette de Bogenhausen un peu supérieure pour la force optique, comme elle l’est par ses dimensions , et tout à fait satisfaisante , soit pour la netteté des images, soit pour l'absence de coloration. IL a pu très bien distinguer , à une distance de 6437 pieds français, avec des grossissemens de 240 à 1000 fois, de petits disques de papier blanc, de 45 centièmes de ligne de diamètre , placés sur un fond noir , et qui sousten- daient un angle d’un dixième de seconde. Il a fort bien pu voir à la même distance, avec les deux lunettes, trois lignes blanches comprenant un angle de trois secondes de longueur, distantes entre elles d'environ une seconde, et larges la première d'un x1e, la seconde d’un 17€, et la troisième d’un 27° de seconde. Enfin , il a assez bien distingué, mais plus facilement avec la lunette de Bogenhausen , des lignes blanches de six secondes de longueur, distantes entre elles d’une seconde et demie, ét 138 BULLETIN SCIENTIFIQUE. larges d’un 19° à un 45e de seconde. Cette dernière épreuve, que M. Struve estime très remarquable, lui fait présumer que cette lunette pourra servir à apprécier l’épaisseur de l'anneau de Saturne. Il a imité l'effet des étoiles doubles au moyen de très petits disques blancs fort rapprochés l’un de l’autre. Il y en avait qui étaient langens l'un à l’autre et dont les centres _n’étaient distans que d'environ un cinquième de seconde. Les deux lunettes présentaient alors une image allongée et permet- taient d'apprécier la direction mutuelle des deux étoiles”. Cette lunette se trouve maintenant établie, sur des fondemens isolés, au centre d’un bâtiment quadrangulaire, de 60 pieds de long dans le sens de l’est à l’ouest, sur 24 dans le sens du mé- ridien, construit exprès pour son usage et placé au sud-est de l'Observatoire. L’instrument est abrité par un toit mobile, qui peut glisser soit à l’est, soit à l’ouest , sur des ornières en fer placées sur la couverture plane des parties latérales du bâ- timent, de manière à ce que l'instrument puisse être à volonté tout à fait à l’air libre, et que légalisation de température in- térieure et extérieure , si difhcile à obtenir en général, soit complète. La lunette est préservée par un appareil particulier des ébranlemens résultant de l'air en mouvement. M. Lamont, désirant pouvoir observer seul avec cet instrument, a établi tout autour une espèce de galerie en bois, de douze pieds de diamètre, portée sur des roulettes et sur laquelle est placéle siége. de l'observateur, ce qui lui permet, à l’aide d'une mani- velle qui fait tourner tout l'appareil, de se transporter facilement autour de l'instrument sans se lever de son siége. Il a disposé aussi, près de l’oculaire, un petit appareil qui lui indique , à très peu de chose près , l'angle horaire et la déclinaison cor- respondant à la position de la lunette , sans avoir besoin de faire de lectures aux cercles eux-mêmes. Il a remplacé les verges à clef, pour arrêter ou mouvoir l'instrument, par des * M. le Dr Lamont, directeur actuel de l'Observatoire de Bogenhausen, qui a donné divers détails sur cette lunette dans les numéros 281 et 312 des Astr. Nachr. parle d’un objectif de 10 pouces et demi serli nouvellement des mêmes ateliers, qui présente un léger avantage d’effet sur celui de l'Observatoire, les bords de l'objectif donnant des images plus claires. Il a constaté, cependant, qu’avec l’un et l'autre, on n’obtenait plus d'image nette en couvrant Le milieu de l'objectif el ne laissant à découvert, vers ses bords, qu’un cinquième de sa surface. bé BULLETIN SCIENTIFIQUE. 139 cordons, qui sont d’un usage également facile et commode dans toutes les positions de la lunette , et au moyen desquels on peut à volonté arrêter ou mettre en jeu le mouvement d’horlogerie qui la fait marcher. Il éclaire les fils du micromètre à l’aide d’un miroir muni d’un double axe de rotation , et qui réfléchit sur eux la lumière d’une lampe d’Argand. Cette lampe sert aussi à faire la lecture du micromètre et de son cercle de position et à écrire l'observation. On peut alors, en tour- nant le miroir, modifier à volonté l'intensité de l'éclairage des fils , obtenir un éclairage plus faible pour un fil que pour un autre , et n’éclairer au besoin qu'une partie du champ, ce qui est quelquefois fort utile pour les observations d'étoiles doubles et d'objets d’une très faible clarté. Pour diminuer la clarté de * la lunette dans les observations d'étoiles doubles , on interpose dans le tuyau de l'oculaire , percé d’une ouverture latérale , une lame dans laquelle sont pratiquées des ouvertures rondes de diamètres divers. M. Lamont vient de publier, dans le numéro 216 du jour- nal de M. Schumacher, quelques détails sur ses premières observations avec ce puissant instrument, qui sont bien propres à donner de grandes espérances sur le parti que cet astronome saura en tirer. Il a déjà réussi à observer cette année à plu- sieurs reprises, avec celte lunette, le 6° satellite de Saturne (le second dans l’ordre de proximité de la planète), qui n’avait pas été revu depuis les observations de sir William Herschel, en 1789, avec son grand télescope. M. Lamont a déduit de ses observations du 17 mai et du 14 juin, en admettant que ce satellite se meut dans le plan de l’anneau : 32b52m59$,71 pour la durée de sa révolution. En combinant ces mêmes ob- servations avec celles d'Herschel, telles qu'elles ont été réduites par MM. Beer et Mädler dans le numéro 293 des Astr. Nachr., il a obtenu la valeur plus exacte de 32:52 57°,796 quilui a servi à calculer des tables dumoyen mouvement de ce satellite. Ces tables donneront sa position avec une pré- cision amplement suffisante pour le chercher , et M. Lamont croit qu'une fois son lieu connu , on pourra l’apercevoir avec des lunettes moins fortes. Il n’espère pas qu’on puisse obténir une détermination complète des élémens de son orbite avant une nouvelle disparition de l'anneau de Saturne. 140 BULLETIN SCIENTIFIQUE, Cet astronome à appliqué aussi, avec beaucoup de succès, la grande lunette de Bogenhausen à l’observation de la comète de Halley depuis son passage au périhélie. Il a obtenu depuis le 14 janvier 21 nuits d'observation de cet astre , dont six dans le mois de mai, à une époque où il n’était plus du tout visible avec des lunettes ordinaires. La dernière observation est du 17 mai; la comète se trouvait alors, vers 10 h. 58 m. de temps moyen, parenviron 151031” 27/d'ascension droite et6°45 52"! de déclinaison australe. Enfin M. Lamont a commencé à faire avec sa lunette des observations d'étoiles doubles, en choisissant de préférence celles qui se composent de deux étoiles de grandeurs très iné- gales , dont l’une se trouve comprise entre celles de première à cinquième grandeur , tandis que l’autre est au nombre des plus petites qui puissent se voir ; telle est, par exemple, celle qui accompagne 4/! du Cancer, et qui est de 20"€ grandeur , selon l'évaluation de sir John Herschel. Il espère que ces ob- servations l'améneront à des résultats intéressans , soit qu'on considère la mesure de ces très petites étoiles comme condui- sant à la détermination de leurs mouvemens propres relative- ment à des points fixes dans le ciel, soit qu’on les envisage dans leurs rapports avec l'étoile principale lorsqu'elle est physique- ment double, soit, enfin, qu'on applique ces observations à la recherche de la parallaxe annuelle. J'arrive, maintenant, au grand Observatoire russe qui se construit sur la colline de Poulkova, à environ quatre lieues au sud de Pétersbourg , et sur l'érection duquel il a déjà été publié une notice dans le tome 57 de la Bibl. Univ. L'intention manifestée par l’empereur de Russie étant que cet établissement soit muni des appareils d'observation les plus parfaits qui puis- sent être obtenus dans l’état actuel de la mécanique et de l’op- tique, la commission de l’Académie des Sciences de Pétersbourg, chargéedediriger l'entreprise, a spécialement confié à M. Struve le soin de déterminer les instrumens dont cet Observatoireserait pourvu. Ce dernier a fait pour cet objet un voyage en Alle- magne dans l’été de 1834; et je vais extraire du second rapport sur cet Observatoire , publié dans les numéros 290-292 des Astr. Nachrichten, quelques détails qui me paraissent d'un BULLETIN SCIENTIFIQUE. 141 grand intérêt scientifique , sur la nature et les dimensions des instrumens commandés. M. Struve, après avoir vérifié par les essais dont j'ai parlé plus haut, la bonté de la grande lunette de l'Observatoire de Bogenhausen, et après avoir reçu de M. Merz l'assurance qu'on pouvait encore en construire de plus grandes dans l'institut optique de Munich, s’est décidé à en demander dans cette fa- brique une de 13 . pouces français d'ouverture et de 20 pieds de longueur focale. Son objectif ayant un diamètre une fois et demi plus grand que celui de la lunette de Dorpat, devra avoir , toutes choses égales d’ailleurs , une force optique deux fois et un quart plus grande. Les grossissemens des ocu- lires iront jusqu'à 2000 fois. Cette lunette sera montée paral- lactiquement, par M. Mahler, comme la lunette de Dorpat, mais avec divers perfectionnemens. Ainsi l'instrument ne repo- sera plus sur un pied en bois, mais sur un pilier en pierre, et le tuyau seul de la lunette sera en bois. Le système des contrepoids sera mieux entendu , et l'observation près du zé- nith deviendra aussi facile qu'avec une lunette méridienne. Le cercle horaire, au lieu de ne donner immédiatement que la minute de temps et quatre secondes par les deux verniers, sera divisé de vingt en vingt secondes de temps et donnera la demi- seconde avec les verniers. Le cercle de déclinaison, au lieu de donner les arcs divisés de dix en dix secondes, les donnera de quatre en quatre secondes , au moyen de quatre verniers por- tés sur des bras isolés. L'instrument deviendra alors un équa- torial proprement dit, et pourra servir, entre autres, à déterminer avec facilité la position des plus faibles nébuleuses, aussi exactement que le comporte la forme de ces corps cé- lestes.. L'Observatoire de Poulkova possédera aussi un grand héliomètre , construit dans les mêmes ateliers, dont la lunette aura sept pouces d'ouverture , et qui sera monté parallactique- ment comme celui de Kœnigsberg, mais sur un pilier de pierre. M. Struve a commandé en outre à M. Plôssl de Vienne une lunette dialytique de sept pouces d'ouverture , qui aura également une monture parallactique établie sur un pilier de pierre , et sera pourvue d'un mouvement d'horlogerie et de 142 BULLETIN SCIENTIFIQUE. micromètres. Les lunettes de cette espèce étant encore peu connues, je crois devoir citer ce qu’en dit à cette occasion M. Struve dans son rapport. « L'idée des lunettes dialytiques paraît avoir été conçue en même temps par M. Rogers en Angleterre, et M. Plôssl à Vienne , mais elle n’a été mise à exécution que par ce dernier. La lumière, concentrée par un objectif composé d’une simple lentille de crown-glass , s’y trouve amenée à une convergence plus rapprochée, par l’interposition d’un plus petit objectif de crown et deflint-glass, placé à peu près à la moitié de la distance focale de la première lentille. De là il résulte que le rapport de la longueur focale à l'ouverture est plus petit dans les lunettes dialytiques que dans celles de construction ordinaire. Les premières lunettes dialytiques qui furent mises, en 1833, entre les mains des astronomes , obtinrent une approbation méritée par leur clarté et la netteté de leurs images. Elles avaient 26 lignes d'ouverture et 22 pouces de longueur focale, et firent voir les compagnons d’: du Bouvier et de l'étoile polaire. Lors- que j'arrivai à Vienne, M. Plôssl avait trois lunettes dialytiques, dont les ouvertures étaient de 26 lignes, 31! et 36!, 4 et dont les plus forts grossissemens respectifs étaient de 95, 105 et135 fois. Elles furent transportées à l'Observatoire pour y être comparées avec une lunette de Fraunhofer appartenant à cet établissement , lunette qui a 42,8 d'ouverture et dont le plus fort grossissement est de 210. Les forces optiques des trois lunettes dialytiques présentèrent une gradation correspondant à leurs dimensions : « du Bouvier donna avec les deux dernières des images bien séparées, el qui permettaient de reconnaitre la différence de couleur des deux étoiles ; d’Ophiuchus et € de la grande Ourse paraissaient bien distinctement doubles dans les trois lunettes. On apercevait avec les deux dernières le * Ce rapport est exprimé par le nombre 10,2 dans les petites lunettes de Plôssl de 26 lignes d'ouverture et de 22 pouces de longueur focale, et il le sera par 12 dans les grandes lunettes dialytiques. Dans les petites lunettes de Munich, ce rap- port varie de 10,4 à 12 et au—dela; il est de 15 dans les lunettes des antiens cercles-méridiens, de 14,1 dans le cercle-méridien n°. 2 du catalogue d’Ertel, de: 16 dans la lunelte achromatique de 8 pieds, et de 17,1 dans celle de Dorpat. Ce rapport est de 22,1 dans la grande lunette de Cauchoix que possede M. Cooper, (Note de M. Struve.) BULLETIN SCIENTIFIQUE. 143 compagnon de la polaire dès le premier aspect ; la nébuleuse annulaire de la Lyre se voyait avec la troisième et avec la lu- nette de Fraunhofer de manière à ce que l'avantage pour cette dernière était petit. MM. les astronomes Mayer, Littrow fils et d’autres personnes jugérent avec moi que les lunettes de Plôssl de 36 lignes et demie d'ouverture répondaient à l'attente que celles de 26 lignes pouvaient faire concevoir. Cet artiste, dont le talent et la pénétration se sont fait connaître si avantageu- sement , soit par ses microscopes , soit par ses pelites lunettes dialytiques , ayant l'intention de construire des lunettes de ce genre de plus grandes dimensions, et en ayant déjà commencé de 3 y, et 4 pouces d'ouverture, il m'a paru qu'il y avait de l'intérêt pour la science à lui donner, par la commande que je lui ai faite , l’occasion d’en exécuter de dimensions plus consi- dérables encore.» Il me reste à dire quelques mots des autres instrumens dont sera pourvu l'Observatoire de Poulkova, ainsi que des grandes luneties achromatiques qui ont été récemment construites en France : ce sera l’objet d’un troisième article. A. G. PHYSIQUE. 2, = RAPPORT SUR UNE LETTRE ADRESSÉE A LA SOCIÉTÉ ROYALE DE LONDRES, PAR M. LE BARON DE HUMBOLDT, RÉDIGÉ PAR MM. S. HuNTER-CBRISTIE ET G.-B. AIRY. Ce rapport, adressé au président et au conseil de la Société Royale, commence par un extrait détaillé de la communication de M. de Humboldt sur un plan d'observations des phénomènes relatifs au magnétisme terrestre. La publication que nous avons faite du document tout entier, nous engage à supprimer cette première partie. Les commissaires continuent comme suit : «A yant ainsi rappelé longuement au conseil le contenu de la lettre de M. de Humboldt , nous donnerons notre opinion sur 144 BULLETIN SCIENTIFIQUE. le sujet dont elle traite. Il nous semble que l’on ne saurait mettre en doute ni l'importance du plan d'observations du magnétisme terrestre qu'il y propose, ni la probabilité que son adoption amènerait à la découverte des lois qui en régis- sent les phénomènes. Quoique les plus remarquables de ces phénomènes soient connus déjà depuis deux siècles, malgré les observations soignées qui en ont été faites, et l’attention plus grande encore qu'ont excitée ceux qui ont été plus récemment découverts, nos connaissances, non-seulement quant à la cause des phénomènes magnétiques, mais quant aux lois qui les gouvernent, sont loin d'être en rapport avec la masse des observations. Cela vient en grande partie de l’im- perfection des données desquelles on s’est efforcé de déduire des conclusions. Quelques théories qui aient été avancées pour expliquer ces phénomènes , quelques lois empiriques dans lesquelles on ait essayé de les ranger , toutes les fois que les résultats de l'expérience ont refusé de s’accorder avec ces lois ou ces théories, ila été, en général, douteux si c'était à l'erreur de l'observateur ou à la fausseté des lois ou des théories qu'il fallait l'attribuer. Dans cet état de choses , la Société Royale, instituée pour l'avancement des connaissances humaines , ne peut qu’accueillir avec satisfaction une proposition qui a pour but l’étude de phénomènes aussi intéressans et aussi obscurs , faite de manière à donner non-seulement plus de précision aux observations , mais encore à rendre tous les résultats obtenus strictement comparables entre eux. Il y a, de plus, d’autres motifs qui doivent engager la Société Royale à recevoir favorablement une proposition telle que celle faite par M. de Humboldt. Elle est en effet appelée à prendre part à une coopération déjà établie entre plusieurs autres corps savans, dans un but commun à tous ; et à un tel appel, la Société ne peut qu'y répondre. Ceux qui savent ce que l'esprit d’as- sociation a pu faire dans un système bien combiné, et ce qu’il reste à effectuer dans plusieurs branches des sciences, sauront comprendre les avantages qui pourront résulter d'un vaste plan de coopération scientifique tel que celui proposé par M. de Humboldt. Ces avantages ne seront pas bornés à la connaissance des lois des phénomènes magnétiques : une fois as co at RÉ BULLETIN SCIENTIFIQUE. 145 ce précédent établi, n'est-il pas évident que le même système d'union pourra être étendu à d'autres objets plus avancés peut-être , mais qui exigent encore des travaux communs ; et ainsi nous pourrons voir toutes les sociétés savantes de l'Europe se concerter pour des recherches communes dans chaque département de la science, et selon le plan le mieux approprié à leur succès. « Nous venons aux points de détail de la proposition. Un objet de haute importance à nos yeux est celui-ci : Dans l’état d’im- perfection des instrumens ordinaires destinés à mesurer les variations de l'aiguille aimantée, le moyen le plus sûr d'obvier à l'incertitude qui en découle, est de faire les ob- servations dans des stations fixes, et au moyen d’instru- mens de construction semblable et qui auront été soigneusement comparés entre eux. Nous sommes convaincus qu'on aurait plus fait pour la détermination de la position des pôles de con- vergence ou d’autres points du magnétisme terrestre, les plus importans pour l'établissement d'une théorie, par des observa- tions simultanées dans quelques stations bien choisies, que par dessériesinfinies d'observations d'aprèsles méthodes ordinaires. Les juges compétens admeltent qu'une carte magnétique, qui retracerait correctement les diverses lignes d'égale déclinaison ou lignes isogones de M. de H. , serait d’une haute importance pour la navigation ; elle serait encore accrue, cette importance, si l'on y ajoutait les lignes d'égale déclinaison. Quelle que soit l'étendue de l'influence du fer d’un vaisseau sur ses boussoles, la déviation horizontale due à cette influence dans une direc- tion donnée du vaisseau est une fonction de cette direction et de l’inclinaison de l'aiguille dans le lieu de l’observation. Si donc l'étendue des déviations horizontales de l’aiguille dans les diverses directions du navire ont été étudiées dans un port où l'on connait l'inclinaison , on peut aisément les calculer pour tout autre lieu, quelque distant qu'il puisse être, où l’inclinaison _ de l'aiguille sera également connue. Ainsi une carte telle que 5 q nous la supposions donnerait immédiatement les moyens d’ob- tenir la correction à faire dans la course du vaisseau , soit pour la déclinaison de l'aiguille aimantée, soit pour l'influence du vaisseau lui-même sur ses boussoles. Chacun sait qu'il n'est V 10 146 BULLETIN SCIENTIFIQUE. guère possible de construire de semblables eartes sur les données qu’on possède, et la réalisation du plan d'enquête de M. de H. sur les phénomènes magnétiques en fournirait né- céssairement les moyens. Quoique nos vues sur les stations à choisir soient en général conformes à celles de M. de H., nous croyons devoir, pour répondre à sa demande, déterminer celles que leur position particulière nous engagerait à choisir. Nous verrions le plus grand avantage à ce que deux, ou un plus grand nombre d'observations magnétiques, fussent établies dans les latitudes élevées de l'Amérique du nord, d'après la proxi- mité de ces stations avec les pôles magnétiques de convergence et de verticalité, que ces pôles soient identiques ou non. Et même, des observations régulières dans de semblables stations tendraient sûrement à décider cette dernière question, siimportante en théorie. M. de H. a mentionné Québec comme un lieu avantageux ; mais cette ville, ainsi que Montréal, pré- sente un inconvénient que probablement M. de H. ne pouvait prévoir , c’est que la plupart des maisons y sont recouvertes en fer-blanc. Peut-être n’en serait-il pas de même dans les établissemens voisins de ces villes. Nous pensons que les loca- lités à préférer seraient les établissemens les plus septentrionaux de la baie de Hudson , et le fort Résolution sur le lac de l’Es- clave ; maisil sera probablement difficile d'obtenir des observa- tions régulières dans ces importantes stations , placées au-delà des limites de la civilisation. Il faudrait aussi établir un observatoire dans la Nouvelle-Ecosse ou l’île de Terre-Neuve; ce dernier lieu serait le meilleur. «Si le gouvernement des Etats-Unis accordait sa coopération au plan de M. de H. en établissant aussi trois observatoires magnétiques dans diverses longitudes , ceux-ci, co mbinésaux nôtres et à ceux que l’on peut espérer de la Russie pour le nord-ouest , donneraient les moyens d'obtenir les plus intéres- sans résultats magnétiques que l’on puisse espérer d’aucune portion du globe. «M. de H. mentionne la Nouvelle-Hollande, Ceylan, l'Ile de France , le Cap de Bonne-Espérance , Sainte-Hélène et un point de la côte orientale de l'Amérique du sud comme des localités désirables , et nous sommes entièrement de son avis. ü 77 en re $ 6 4 RP TE LOT IE LL | BULLETIN SCIENTIFIQUE. 1417 île de Van Diemen, étant plus rapprochée du pôle magné- tique sud, serait préférable ; mais la circonstance qu'il y a déjà à Paramatta un observatoire astronomique , désigne ce dernier lieu pour le siége des observations magnétiques. Peut-être plus tard la ville de Hobartton pourra-t-elle être aussi dé- signée. « L'ile de l’Ascension, voisine de l'équateur magnétique, sem- ble une station désirable ; mais le sol y est entièrement volca- nique, et l'influence de cette circonstance sur les résultats pourrait les rendre douteux. Cette objection s'applique aussi à Sainte-Hélène et à la plupart des îles de l'Atlantique. Sans l'insalubrité du climat nous aurions recommandé Ja côte de Benin, que les observations récentes du lieut. Allen, lors de l'expédition du Niger, semblent indiquer comme une station favorable. «M. de H. n’a désigné aucune station dans nos colonies des Indes Occidentales, mais il nous semble que la Jamaïque serait un lieu très convenable aux observations magnétiques. On croit généralement que la déclinaison n’y a depuis fort long- temps presque pas changé, et celte circonstance, comme aussi son voisinage de l'équateur magnétique , nous semble devoir déterminer ce choix. L'offre que nous a adressée M. Pentland, consul général à Bolivia , de coopérer pour sa part au plan de M. de H., est trop honorable pour ne pas être utilisée. Des observations magnétiques faites dans des lieux peu distans placés, l’un au bord de la mer, l’autre sur le plateau élevé du Mexique , seraient bien précieuses pour déterminer l'influence de l'élévation du sol sur les variations diurnes de la déclinaison, de l’inclinaison et de l'intensité magnétique, points fort ob- scurs dans l'état actuel de la science. 11 nous semble de plus que Calcutta et Agra, sur le continent indien, seraient des points d'observations utiles , ainsi que Madras où existe déjà un ob- servatoire astronomique. Le zèle et la libéralité de la Compa- gnie des Indes pour les travaux scientifiques , sont de sûrs garans de sa bienveillante coopération. «Enfin nous verrions avec plaisir des stations choisies à Gibraltar , aux Iles Toniennes , au nord de l’Ecosse et à l'occi- dent de l'Irlande. 148 BULLETIN SCIENTIFIQUE. # « M. de H. parle des observations magnétiques faites dans les mines de Freyberg. La profondeur de celles du Cornouailles, qui vont jusqu'à 1200 pieds au-dessous de la mer, nous semble les désigner pour de semblables recherches ; et il ne sera pas difficile , vu le zèle des savans de ce comté, d'y établir une station magnétique dans quelqu’une des mines. « Maintenant nous nous sommes assurés que des observateurs capables et zélés peuvent facilement se rencontrer à l’île de Terre-Neuve, au Canada , à Halifax, à Gibraltar, dans les Iles Toniennes , à Sainte-Hélène et à Ceylan; nous sommes même autorisés à déclarer qu’on en trouverait à l'Ile-de-France et même à Swan River, station fort désirable. L'Observatoire du Cap de Bonne-Espérance, et surtout la présence de Sir J. Herschell donnent toute garantie pour cette station. Il y a donc les moyens de former immédiatement une longue chaine d’observatoires avec la seule dépense des instrumens, et l'on pourra aviser plus tard aux moyens d’en établir d’autres daps les localités qui ne présentent pas les mêmes ressources. Des observations barométriques , thermométriques et météo- rologiques seraient faites simultanément avec celles relatives à l’aimant, et la science s’enrichirait d'une masse importante de faits. « Quant au choix des instrumens les plus convenables aux ob- servations magnétiques , nous croyons qu'il faut en renvoyer l'examen à une commission spéciale, chargée d'indiquer en même temps le coût de chaque assortiment complet. En atten- dant, nous croyons devoir faire une remarque sur l'appareil de M. Gauss , mentionné par M. de H. Quelque convenable que cet instrument nous paraisse pour la détermination du cours de la variation diurne régulière, cependant nous craignons que le grand poids des aiguilles employées n'empêche qu’elles indiquent les changemens soudains et extraordinaires de la direction des forces magnétiques, dus probablement aux influences atmosphériques. Une autre objection importante contre cet appareil, est que des barres de la dimension employée doivent avoir une influence si étendue, qu’il y a grand risque que l’une des aiguilles vienne à agir sur la direction d'une autre, surtout dans les lieux où la force directrice horizontale ET BULLETIN SCIENTIFIQUE. 149 est fort diminuée, à moins que les chambres d'’observa- tion ne soient placées à des distances qui seraient fort incom- modes. «On a vu par la lettrede M. de H. que le plan étendu d'ob- servations qu’il a imaginé, a été puissamment et libéralement adopté etsouterfh par les gouvernemensde France, de Prusse, de Hanovre, de Danemark et de Russie, et il est tout à fait évident que les particuliers et même les sociétés savantes ne pourraient réaliser un pareil plan sans le secours des gouvernemens. Aussi, cet exemple même n'existât-il point , les faits récens ont assez montré les efforts du gouvernement anglais pour l'avancement des recherches scientifiques , pour qu'il ne soit pas permis de mettre en doute son active protection en faveur d’une entreprise si intimement liée aux progrès de l’art de la navigation. Et déjà un nombre considérable d'observations importantes, sous le point de vue des phénomènes magnétiques, ont été le résultat des expéditions entreprises depuis vingt ans dans les mers polaires. En conséquence , nous prions le conseil et Son Altesse Royale le président de représenter au gouvernement, que le plan de M. de H. est éminemment calculé pour avancer nos connais- sances des lois qui régissent quelques-uns des phénomènes les plus intéressans de la physique ; que c’est peut-être le seul moyen de découvrir la cause de ces phénomènes si intimement liés à la navigation, et nous nous sentons assurés qu'il nous donnera les moyens d'établir sur-le-champ les observatoires magnétiques dans les lieux les plus favorables, pour que l’on ÿ puisse espérer une mise en activité immédiate. » 3. — OBSERVATIONS FAITES PAR LE D' MARTIN BARRY , DANS UNE ASCENSION AU MONT-BLANC, LE 16 SEPTEMBRE 1834. (Extrait de la narration publiée à Edimbourg en 1836.) M. Martin Barry, président de la Société Royale de médecine d'Edimbourg, se distingue, parmi les voyageurs qui ont gravi le Mont-Blanc depuis quelques années, par les observations intéressantes de physique et de physiologie dont il rend compte 150 BULLETIN SCIENTIFIQUE. dans son livre. Son ascension a eu lieu plus tard que toutes les autres, et a présenté de graves difficultés. Cependant il n’a pas cessé de poursuivre des observations scientifiques sans lesquelles il sentait bien que la tentative de monter au Mont-Blanc n’est qu'une vaine bravade. Malheureusement il était arrivé à Cha- mounix sans intention de monter le Mont-Blant, et se trouvait dépourvu de plusieurs instrumens qu’il aurait désiré avoir. Il a la bonne foi de reconnaitre que le peu d’observations qu'il pouvait faire ne valait pas la peine d’exposer la vie de sept per- sonnes. Cependant quelques-unes de ses remarques ont de l'intérêt, en particulier les suivantes que nous traduisons. Couleur du ciel. — Arrivé au plateau du milieu, où de Saus- sure passa la seconde nuit de son ascension au Mont-Blanc, M. Barry fixa son attention sur la couleur bleu-noirâtre ou plutôt noir-pourpre du ciel. « On sait, dit-il, que la couleur du ciel varie , par des causes connues , suivant l'élévation de l'observateur , la latitude, la hauteur du soleil, la saison, etc.; qu'elle est plus pâle sur mer que sur terre, et plus foncée au zénith que partout ailleurs. Au-dessus de la ligne des neiges, l'œil reçoit simultanément des rayons blancs de la masse éten- due de la neige , et alors, par suite du contraste , le ciel paraît plus noir qu'il ne l’est réellement. Persuadé que ce devait être ici le cas , je me couchai sur le dos, et formant un tube de mes deux mains, j'empéchai la neige de se réfléchir sur mes yeux ; je les fermai un moment et les ouvris sur le zénith. Je trouvai que la teinte noirâtre avait disparu plus ou moins com- plétement. En regardant ainsi par un cylindre , je fis alterner avec un bleu de Chine foncé une teinte plutôt moins rouge et plus noire que le pourpre Panzy de Werner. « De la même manière le rouge et le jaune augmentent d'intensité par leur rapprochement, de même que le bleu et le jaune. On voit aussi dans quelques cas les couleurs complémen- tairessur des corps voisins... La valeur du cyanomètre au-dessus de la limite des neiges dépend donc du choix plus ou moins judicieux de la station où l’on observe. La teinte me parut in- fluencée par la position du soleil relativement à la neige, c’est- à-dire par l'angle d'incidence de ses rayons sur celle:ci ; et, s'il n'y a pas trop de présomption de ma part, je dirai que ALL UT re. BULLETIN SCIENTIFIQUE. 151 probablement quelques-unes des anomalies dans les observa- tions de de Saussure doivent être attribuées à cette cause. Il vaut la peine de remarquer que le ciel d'ébène du Mont-Blanc ne passait pas insensiblement en un bleu pâle sur l’horizon , mais se terminait en un bord bien tranché à 10 ou 12 degrés de ce- lui-ci, montrant ainsi deux couches contigués de l'atmosphère, dans lesquelles se trouvaient suspendues des vapeurs en quan- tités fort différentes. » Effets physiologiques.— L'auteur a noté avec soin les circon- stances observées sur lui et sur les guides qui l’accompagnaient. Elles sont si peu importantes qu'elles nous confirment dans l'opinion que la fatigue joue un plus grand rôle que la rareté de l’air ou l'influence présumée de la neige. La soif, la séche- resse de la peau, la difficulté de respirer , l'obligation de s'arrêter après vingt ou trente pas, sont les circonstances décrites par M. Barry, en approchant de la cime du Mont- Blanc, et nous pouvons affirmer que ce sont les mêmes sensations éprouvées par les voyageurs ordinaires quand ils approchent de la cime d'une montagne quelconque , après avoir monté pendant quelques heures. M, Barry et tous ses guides s’accor- dent à dire qu'au sommet du Mont-Blanc, et dans un état de repos , la respiration n’est point génée. Ils continuèrent cepen- dant à souffrir de la soif et à manquer d’appétit. Observations barométriques et thermométriques. — La hauteur du baromètre, observée le 17 septembre 1834, entre deux et trois heures, fut trouvée de 17,052 (pouces anglais). Le thermomètre fixé au baromètre indiquait 32° F. (o°,C.) Le thermomètre libre se trouva dérangé, mais M. Barry estima la température de l'air à 30° F. (-1°, 11. C.), d'après le ther- momètre adhérent au baromètre. Au Grand Saint-Bernard, le baromètre observé le même jour à 3 h. marquait 22,700 pouc. angl. et le therm. + 11°,2 R. (414°. C.) À Genève, simul- tanément : bar. 28,89 (pouces angl.); therm. 22° R. (27°,50C.) M. Barry avait compté observer la température de l'eau bouillante, mais le thermomètre destiné à cette observation avait souffert du transport. Epaisseur de la neige au sommet du Mont-Blanc.— De Saus- sure a mentionné de combien les derniers rochers s'élèvent 152 BULLETIN SCIENTIFIQUE. au-dessus de la neige qui les entoure. M. Barry dit que, d'après son souvenir , la hauteur est encore la même. Il en conclut que la neige n’augmente pas au sommet du Mont-Blane. Vue du haut du Mont-Blanc. — M. Barry jouit d’un temps magnifique pendant toute la durée de son ascension. L’atmo- sphère était si pure que peut-être aucun voyageur n'avait en- core aperçu aussi nettement les objets les plus éloignés. Les Apennins, par exemple , étaient parfaitement distincts sans le secours de lunettes. L'auteur décrit les principales montagnes, lacs et rivières qu’il discernait et ajoute : «Ce vaste panorama était couvert d’un ciel d’ébène dans lequel on ne voyait pas ur seul nuage.» 4.— SUR LA FACULTÉ QUE POSSÈDE L'ÉLECTRICITÉ NÉGATIVE DE SE DISSIPER PLUS FACILEMENT DANS L'AIR QUE L'ÉLEC- TRICITÉ POSITIVE , par le Profr G. BELLI. . Après avoir rappelé les expériences d'Erman sur les conduc- teurs unipohaires, et celles de Marianini sur la transmission plus ou moins facile du courant électrique à travers un arc métal- lique dont les extrémités n’ont pas la même surface , l’auteur fait observer qu’on n’a envisagé sous ce rapport que l'électricité à faible tension des piles voltaiques , et nullement celle à plus forte tension des machines ordinaires. C’est sur cette dernière espèce d'électricité que ses recherches ont porté. Ayant fixé un électromètre à quadrant sur un conducteur horizontal isolé, M. B. trouva, par une moyenne de trois expériences , qu'après avoir électrisé le conducteur avec de l'électricité positive , l'électromètre restait 10’ 2/! à descendre de 20° à 10°. Avec de l'électricité négative l’électromètre ne resla que 4'30/! à parcourir les dix mêmes degrés. Les cir- constances étaient entièrement les mêmes dans les deux cas: même état de l'atmosphère, même disposition des appareils ; et pour plus de sûreté dans une nombreuse série d'expériences, on eut soin de charger alternativement le conducteur isolé d'électricité positive et d'électricité négative. Les résultats furent constamment les mêmes ; ils demeurèrent encore tels avec des, charges électriques plus fortes. À BULLETIN SCIENTIFIQUE. 153 Voici les nombres obtenus dans une série de cinq expériences faites avec chaque espèce d'électricité : Electricité positive. Electricité negative. De + 20° à + roc. De + 200 à = 100. 10 al 4',30o! 117, o" 6!,45" 101,15" A 2" 15" 4,45" 9" 15" 3',55" Moyenne 10°,33" 4,58" L'auteur conclut de là que dans l'air ordinaire et aux ten- sions pour lesquelles on se sert ordinairement de l'électromètre à quadrant , tensions qui déterminent des étincelles longues d'une à deux lignes, l'électricité négative se dissipe plus promptement que la positive. M.B., sans rien changer à son appareil, ajusta seulement une pointemétallique à l’une des extrémités du conducteur isolé. Après l'avoir électrisé en plus, il vit la tige de l’électromètre à quadrant descendre rapidement à 6°; à la déperdition qui avait eu lieu jusqu’à ce moment par la pointe avec un bruit perceptible et uue lumière visible dans l'obscurité , succéda une déperdition lente, semblable à celle qui avait lieu sans la pointe. Avec del’élec- tricité négative la tige de l’électromètre descendit rapidement à 4°, , et ce ne fut que lorsqu'elle fut parvenue à ce point que la déperdition commenca à s’opérer lentement. Plusieurs expé- riences donnèrent des résultats semblables, lors même que la tension primitive de l'électricité ou que l’état de la pointe furent différens ; d'où l’on peut conclure que a faculté absorbante des pointes électrisées négativement continue à exister jusqu’à une tension plus basse que celle à laquelle cesse le pouvoir émissif de la même pointe électrisée positivement ; résultat analogue à celui déjà obtenu par les précédentes expériences. Le tableau suivant indique, pour l'électricité positive et l’élec- tricité négative , les degrés de l’électromètre auxquels cessait k déperdition rapide de l'électricité : 154 BULLETIN SCIENTIFIQUE. Pointe très Pointe moins Pointe tres effilee. effilée. peu effilee. Electricité positive 6° 7° ‘}a 10° Electricité négative 4° y, 5° 1% 7° Va Au lieu d'adapter la pointe métallique au conducteur lui- même , on la plaça vis-à-vis de son extrémité sur un pied non isolé. Le conducteur ayant été électrisé en plus , la tige de l'électromètre descendit rapidement jusqu'à 6°, mais avec l'électricité négative il ne descendit que jusqu'à 8°; cette ex- périence prouve, comme la précédente, la différence qui existe entre le pouvoir absorbant et émissif des pointes pour l’élec- tricité négative et pour la positive. L'auteur termine sa notice en faisant remarquer qu'on peut déduire des faits qu’il a exposés les deux conséquences suivantes : 1° La force ordinairement moindre que possède l'électricité négative fournie par une machine , comparée à celle de l’é- lectricité positive que fournit la même machine, ne dépend pas seulement de la disposition moins avantageuse des conduc- teurs destinés à recueillir la première électricité, mais aussi de la déperdition plus facile qu'elle éprouve. 2° On ne peut admettre le principe mis en avant par Tremery pour expliquer le phénomène de la carte percée au moyen d'une étincelle électrique , d’après lequel l'électricité vitrée se propagerait dans l'air plus facilement que la résineuse. 5. — UEBER CONTACT-ELECTRICITÆT, etc. — SUR L'ÉLECTRI- CITÉ DE CONTACT , LETTRE A M. ALEX. DE HUMBOLDT, par C.-J.-B. KARSTEN. Berlin 1836, 150 pages in-8° . Ce mémoire de M. Karsten, relatif à l'électricité due au contact , qui a été présenté par M. de Humboldt à l'Académie * Le mémoire de M. Karsten, dont nous insérons l'analyse critique que nous devons à l'obligeance de l’un de nos correspondans, a fait quelque sensation en DONS 0 PRET BULLETIN SCIENTIFIQUE. 155 des Sciences, se trouve annoncé dans plusieurs journaux ; mais ceux-ci , sans s'occuper du fond , n’en ont donné que les conclusions définitives, qui tendraient à ébranler, si elles étaient vraies, avec la théorie de Volta toutes les autres théories proposées jusqu'ici. Devant considérer dans l'état actuel de la science l'explication de la pile comme un des problèmes les plus importans à résoudre, puisque à sa solution se rattachent principalement nos idées sur les rapports qui existent entre les corps pondérables et les fluides impondérables , nous pensons faire quelque chose d'utile en provoquant, par quelques remar- ques, la discussion sur cette nouvelle théorie. Nous nous bornerons dans ce but à la première partie de l'ouvrage, dans laquelle sont exposés les faits que l'auteur regarde comme fondamentaux ; le reste du mémoire n'est en effet qu’un développement des mêmes principes dans leur application à différentes piles, développement qui nous semble man- quer quelquefois de clarté et surtout de concision. M. Karsten , sans s'occuper des actions chimiques qui inter- viennent , sans se prémunir par conséquent contre toutes les influences qui pourraient les faire naître, considère dès l'origine le développement de l'électricité comme un effet de simple contact , et s'applique à répéter avec quelques modifications, à l’aide d'un électroscope à piles sèches, les expériences de Volta. Cet instrument , comme on le sait, laisse beaucoup à désirer par rapport à la constance de ses indications, à cause de l'iné- galité et de la variation dans l’action des deux piles, et les effets de décomposition par influence qui viennent compliquer les résultats. Tout en convenant de ces difficultés , l'auteur trouve cependant un accord assez satisfaisant dans les indications de son instrument, tant que les tensions , ce qui à la vérité est souvent le cas dans les recherches dont il s’agit, ne sont pas très faibles. Les métaux dont il s'occupe plus particulièrement Allemagne. Nous en sommes étonnés, car il contient peu de faits nouveaux, et, comme on le verra, les théories de l'auteur sont peu claires et bien hasardeés. I n'est même aucun des: phénomènes dont il parle qui n'ait été déjà, où ne puisse être expliqué parfaitement bien d'apres les principes du developpement de l'électricité par les actions chimiques. C'est ce qui résulte clairement de l'ana- Ayse consciencieuse que M. A. M. a faite du travail de M. Karsten. CR.) 156 BULLETIN SCIENTIFIQUE. sont le platine , l'argent, le cuivre et le zinc; il les prend sous forme de fils , enroulés en hélices à l’une de leurs extrémités , et les plonge dans des solutions acides , alcalines ou salines, qui sont capables de conduire l'électricité , et de déterminer des courans dans un même sens. Suivant les circonstances, il forme le plateau du condensateur de l’un des quatre métaux soumis à l'expérience. Voici maintenant la série des faits sur lesquels M. Karsten fonde son système. Au lieu de nous jeter dans de longues dis- cussions sur leur valeur , nous nous contentons de leur donner de suite l'interprétation dont ils paraissent susceptibles d'après la théorie chimique de la pile. Première expérience. — Un fil de zinc plongeant par l’un de ses bouts dans le liquide, manifeste à l’autre bout libre, sur un condensateur de même nature , l'électricité négative ; des plateaux en cuivre ou en argent ne changent rien au ré- sultat. Un filde cuivre examiné de la même manière, au moyen d’un plateau en cuivre ou en argent, donne également, quoi- que avec moins de certitude, de l'électricité négative ; avec un plateau en zinc le résultat reste incertain. Des fils de platine ou d'argent ne donnent pas d'effet distinct. Ces faits, d'accord avec ce qu'on admet ordinairement, s'expliquent dans la théorie chimique par la plus ou moins forte oxidation du métal plongé dans la solution. Le liquide s'empare de l'électricité positive, le métal de l'électricité néga- tive ; mais comme l'action est toujours très inégale sur les différens points de la surface attaquée, ce qu’on reconnaît immédiatement aux aspérités qui s’y forment, il y a recom- position des deux électricités au moyen de courans élémentaires, et la tension observée n’est point en rapport avec la vivacité de l'oxidation. On prévoit, au contraire, qu'un certain affaiblisse- ment du liquide , en rendant ce dernier moins conducteur, et en facilitant peut-être l’adhérence des particules oxidées, puisse influer favorablement sur la tension. Nous avoñs répété ces expériences avec le plus grand soin ; la lame de zinc, frai- chement décapée , était entièrement isolée et suspendue à une baguette en verre , recouverte de gomme laque, qui reposait sur le bord du vase ; le contour de la lame dans le liquide avait BULLETIN SCIENTIFIQUE. 157 été arrondi , et la partie qui en sortait, également recouverte d'une forte couche de gomme laque, se terminait par un tran- chantbien décapé qu’on mettaiten contact avec le condensateur. Il nous a semblé qu'avec l’eau pure ou très faiblement acidulée, les signes d'électricité négative étaient plus marqués qu'avec une plus forte dose d'acide, qui en peu d’instans rendait mate la surface métallique. Pour le fer , et surtout pour le cuivre, les signes d'électricité restèrent faibles quoique distincts , mal- gré l'emploi d'un électroscope assez sensible. Seconde expérience. — En plongeant un fil de zinc, soudé à un fil de cuivre , dans le liquide , de maniere à laisser libre la soudure et le second métal , le cuivre transmet à un plateau en cuivre ou en argent l'électricité négative; avec un plateau en zinc l'effet est presque nul. Si le cuivre est immergé, le plateau en zinc en contact avec le zinc accuse encore l'électri- cité négative , mais avec une tension extrêmement faible ; de méme pour des plateaux en argent ou en platine. Dans le premier cas, en remplaçant le cuivre par l'argent ou le platine, l'effet ne change pas; dans le second , tout effet disparait. Ces faits sont d'accord avec les précédens , le sens des indi- cations y est le même à delégères différences près, lesquelles peu- vent dépendre de la présence de différens métaux, exposés à l'é- vaporation du liquide , dont l’auteur ne paraît pas s'être ga- ranti. Abstraction faite de cette influence, le second métal hors du liquide joue le rôle de simple conducteur par rapport à l'électricité développée par l’oxidation du métal immergé. Nous convenons avec l’auteur que ces faits, comparés aux précédens, semblent sufhire pour prouver que l'électricité résultant du contact des métaux avec les liquides, loin d’être inférieure à celle que développe le contact des métaux entre eux, tant que celui-ci n’est pas accompagné d’une séparation mécanique, lui est , contrairement aux principes de Volta, souvent bien supé- rieure ; mais rien ne nous oblige d'en attribuer le déve- loppement à une force électromotrice hypothétique, plutôt qu'aux actions chimiques , qui le plus souvent sont très sen- sibles. Troisième expérience. — La soudure des deux métaux 158 BULLETIN SCIENTIFIQUE. plonge dans le liquide, on examine l’état des extrémités libres. Le plateau en zinc, touchant le fil de zinc, recueille une très faible électricité positive(?) ;s’iltouchele fil de cuivre, l'électricité est presque nulle. Le plateau de cuivre, mis en contact avec le zinc, ne donne pas d'effet sensible ; avec le cuivre il donne une faible électricité négative. L'argent ou le platine remplaçant le fil de cuivre, même résultat ; remplaçant le zinc , le cuivre se comporte , quoique plus faiblement , comme le zinc. Nous voyons donc le zinc par suite du contact avec le cuivre changer d'état, et de négatif qu’il était devenir très faiblement positif (?). Le cuivre reste négatif avec le zinc, et ne devient positif qu'avec l'argent. L’esplication de ce fait, que nous avons vainement cherchée en termes bien précis dans le mémoire de M. Karsten, nous paraît être la suivante : Les deux métaux soudés , c’est-à-dire leurs parties plongées, et le liquide envi- ronnant donnent évidemment lieu à un courant, dans lequel l'électricité positive de la surface du zinc, le métal le plus oxidé, se décharge à travers le liquide conducteur sur le cuivre, pen- dant que l'électricité négative parcourt l'arc métallique. L’é- lectricité recueillie au condensateur ne paraît donc pas provenir de la présence et de l'action du liquide , mais plutôt de l’action de l’air humide sur les parties libres des deux métaux soudés. Le liquide et les parties immergées n’agissant alors que comme un simple conducteur , il ne serait pas surprenant de voir pa- raître les effets que présente l'expérience fondamentale de Volta avec des disques restant en contact. Ce n’est cependant qu'avec réserve que nous proposons cette interprétation, n'ayant pas encore eu l’occasion de répéter l'expérience avec toutes les précautions que nous croyons nécessaires pour la rendre décisive". * Nous croyons que l'on peut aussi rendre compte de l’expérience troisième en se rappelant : 10 que lors même qu'il y a courant, il y a toujours une légere tension électrique dans chacun des élémens du couple, ainsi que MM. Ampère et Becquerel l'ont démontré (Ann. de Ch. et de Phys. T. XXVNII, p. 29); 20 que la transmission de l’electricité d’un métal a un autre éprouve plus ou moins de difficulte suivant la nature relative des deux métaux et suivant celle de l'électricité, aïnsi que l’a démontré M. de la Rive (Hem. de La Soc. de Phys. et d'Hist. Nat. de Genève T. VI, p. 149). C’est ce qui explique l'influence exercée par les différens mélaux dont est formé le plateau du condensateur. (R.) sc vb ft . Ac os ds ns BULLETIN SCIENTIFIQUE. 159 Quatrième expérience. — Un des faits dont l'auteur s'occupe essentiellement est relatif à l'état de deux métaux qui, sans se toucher , plongent dans le même liquide. Si les fils sont de zinc et de cuivre, le premier de ces métaux, quelle que soit la nature du plateau , donne toujours des indices négatifs, le cuivre des indices positifs. En remplaçant le cuivre par l'argent ou le pla- tine, les effets sont les mêmes ; en remplaçant le zinc, c'est le cuivre qui, à un faible degré, devient négatif. M. Karsten, frappé de la différence que présente le même métal (cuivre), plongé seul ou conjointement avec un autre métal plus électro-positif dans le liquide, affirme qu'aucune théorie galvanique, proposée jusqu'ici, ne saurait en rendre raison. Nous serions tentés au contraire de n’y voir qu’une conséquence assez simple de la théorie chimique. En effet, les deux métaux restant séparés , il ne peul être question d'un courant proprement dit, d'une transmission d'électricité par deux voies différentes. On a donc deux actions distinctes sur les deux métaux ; et dans chacune d'elles prise isolément , le liquide s'empare de l'électricité positive , le métal garde la né- gative, jusqu’à atteindre une certaine tension qui dépend de l'action chimique même et de la faculté de la surface de per- mettre plus ou moins facilement la recomposition des électricités séparées. De ces deux actions , celle sur le zinc étant la plus forte , doit l'emporter ; l'électricité positive qui en résulte est transmise par le liquide au fil de cuivre, tandis que la négative reste au métal le plus attaqué ; aussi voyons-nous le cuivre devenir négatif avec l'argent ou le platine. M. Karsten remarque à cette occasion, et nous avons vérifié la justesse de cette asser- tion, du moins entre certaines limites, que la présence d'un second métal point ou peu attaquable rend l'électricité du métal dominant plus apparente. Nous attribuons ce résultat à deux causes : 1° au grand rapprochement que M. Karsten donnait, dans cette expérience en particulier, aux deux métaux, ce qui facilitait le transport de l'électricité positive sur le métal moins actif; 2° à une plus forte déperdition de cette électricité dans l’air par l'entremise des aspérités d'une surface métallique. En répétant celte expérience avec les précautions indiquées précé- demment , il nous a paru que la tension de l'un des métaux - 160 BULLETIN SCIENTIFIQUE. devenaitsurtout apparente quand on faisait communiquer l’autre avec la terre , tandis que l'effet restait assez faible aussi long- temps qu'ils étaient tous les deux isolés et séparés par une couche très épaisse de liquide". Cinquième expérience. — Les dernières expériences fonda- mentales que décrit l’auteur ont pour but l'étude de l’état élec- trique de la partie immergée d'un métal , indépendamment de l'emploi d'un conducteur étranger ou extérieur au liquide. Cette dernière condition excluant tout moyen direct d’observa- tion, M. Karsten a eu recours aux effets chimiques. Il cite comme premier fait qu'un métal, notamment le zinc, laissé quelque temps en vase clos dans un liquide coloré par une teinture végétale rougie, rétablit la couleur bleue de l'infusion et en même temps subit une oxidation. Cet effet pourrait bien être en lui-même plus compliqué qu'il ne le parait, et en tout cas , au lieu d'y voir avec l’auteur une preuve directe de l'état négatif d'un liquide en contact avec un autre métal, nous som- mes tentés d'y reconnaître une conséquence de l’oxidation du zinc, par suite de laquelle la solution prendrait un caractère plus alcalin. Nous considérons ainsi l'acte de l’oxidation comme la cause et non comme l'effet de l’état électrique, si toutefois, ce dont nous avons lieu de douter , il existe réellement une tension libre dans le liquide ; en d’autres termes , nous le con- sidérons comme uniquement dépendant de cette électricité dissimulée, liée, selon les idées électro-chimiques, aux atomes mêmes et n’agissant qu'entre atomes, et non d'une élec- tricité libre se manifestant par tension. L'expérience n'aurait été décisive qu'avec un métal non oxidable. En second lieu, l’auteur modifie la quatrième expérience en ce point , qu'il tient les deux métaux , zinc et platine , entière- ment immergés , tout en laissant agir l'électricité du second * Jl paraît que M. Karsten n’a aucune connaissance des nombreuses expériences que M. Becquerel à faites en plaçant divers liquides dans des vases mélalliques et en y plongeant différens métaux (Ann. de Ch. et de Phys. T. XXXVII, p. 225). Il “paraît aussi ignorer celles du même genre que M. de la Rive a faites et l'explication qu'il a donnée, soit de sa propre expérience, soit de celles de M. Becquerel (Ann. de Ch. et de Phys. T. XXVI, p. 5); explication du reste tout à fait semblable à celle que donne M. À. M. des résultats obtenus par M. Karsien, qui ne different nullement de ceux auxquels étaient déjà parvenus MM, Becquerel et de la Rive. (R.) dés — jm. nà ds. DE a nl nn tnt entiies sim AREAS BULLETIN SCIENTIFIQUE. 161 métal sur une substance décomposable. Le fil de platine, enroulé en spirale , était étroitement enveloppé d'une feuille de zinc, sans être cependant avec elle en contact immédiat, et se terminait à l'un des bouts ou aux deux (l’eflet était le même dans les deux cas) en une pointe, qu'on dirigeait sur une petite masse de chlorure d'argent, substance qui, à cause de sa double qualité d’être insoluble et par là exempte d'action chimique sur l'eau , et d’un autre côté facilement réductible, se prêétait bien à cet objet. Après quelque temps on reconnut sous l’in- fluence de la pointe de platine des traces de réduction, qui bientôt cessèrent d'augmenter. Ce changement n'avait pas lieu sans la présence du zinc, il était même nécessaire que la sur- face en fùt fraîchement décapée et que le platine eût une pointe très fine. Comme dans la pile, le chlorure d'argent ne subit de réduction qu'au pôle négatif; M. Karsten en conclut que le platine a dù soutirer au liquide l'électricité négative, qu'ainsi la partie immergée du zinc était positive. Nous interprétons ce résultat différemment , en y reconnaissant un de ces exemples curieux, où la forme d'un conducteur devient la cause d’une circulation de l'électricité. Le fluide positif, provenant de l’oxidation du zinc, est soutiré au liquide par toute la surface du platine, et parviendrait, dans celui-ci, à un état d'équilibre, si l'accumulation vers la pointe ne déterminait un écoulement. Il en résulte donc un courant qui part de la pointe et se rend de nouveau à travers une partie du liquide, vers la surface du même métal et notamment vers les parties les plus voisines. Le pôle négatif dans ce circuit sera lui-même très rapproché de la pointe positive; il n’y aura donc rien de surprenant ni de con- traire à l'admission d’une faible tension positive dans le liquide, à voir paraitre en ce même lieu des traces de réduction. Diffé- rentes circonstances, que M. Karsten indique, mais que nous croyons pouvoir omettre , s'accordent parfaitement avec cette explication :. * Nous serions disposés à croire que le phénomène observé par M. Karslen est dù simplement à la difficulté qu'eéprouve l’electricité positive du liquide à passer dans le platine , vu sa faible tension et la résistance que présente à sa propagation son passage du liquide dans le platine. Cette difficulté étant moindre vers la pointe, c'est par là que pénètre l'électricité positive; ce qui s'accorde bien avec la decom— V 11 462 BULLETIN SCIENTIFIQUE. Dans ce qui précède , nous ayons exposé avec détail les ex- périences par lesquelles l’auteur démontre l'insuffisance de la théorie de Volta , ainsi que la nécessité de reconnaitre que la cause principale de l’activité de la pile existe à la surface de contact du liquide et du métal. De plus, nous croyons avoir interprété les faits cités, comme autant de conséquences natu- relles et nécessaires de la théorie chimique de la pile, en partant du principe, fondé sur les nombreuses recherches de MM. de la Rive et Becquerel, que l'oxidation peut devenir une cause très énergique du dégagement des fluides électriques. Il est d'autant plus étonnant que M. Karsten, poussé naturellement vers les principes que nous désirons faire prévaloir, n'ait pas songé à en essayer immédiatement l'application, ni méme voulu s’en occuper pour les combattre. Il ne peut se décider à abandonner l'idée si vague, et par cela même si diversement définie , d’une force électromotrice. Il l’admet au contact des métaux entre eux, comme source d’un courant secondaire, qui tantôt favoriserait, tantôt combattrait le courant prin- cipal , tandis que la théorie chimique ne voit dans ce contact qu’une circonstance qui influe sur la transmission des fluides ; il l’admet de plus sur la surface de contact avec les liquides, où elle agirait avec plus d'énergie, tantôt comme cause des actions chimiques qui s’y développent , tantôt comme l’ex- pression d’un phénomène parallèle et indépendant. Si nous comprenons bien l’auteur , il y aurait pourtant une différence essentielle dans le mode d’action de cette force dans les deux cas , différence qui dépendrait surtout de la similitude ou de la dissemblance des corps mis en contact sous le rapport de leur état d'aggrégation. Entre des corps solides, elle agirait conformément aux idées de Volta, en séparant les deux fluides et s’opposant à leur recomposition sur la surface de contact ; . position du chlorure d'argent. — M. Karsten suppose au contraire que l’electricité du liquide est prise par le fil de platine entier et qu’elle soré au lieu d'entrer par la pointe ; il est donc obligé d'admettre que cette électricité est négative, tandis que si elle entre par la pointe, comme cela doit être d’après ce que nous venons de voir, elle doit être positive. Ainsi le résultat observé par M. Karsten s'accorde à la fois avec les lois de la transmission de l'électricité et avec celles de son de— yeloppement par les actions chimiques, tandis qu'il est opposé aux conséquences que l’auteur croit pouvoir en tirer. (R.) BULLETIN SCIENTIFIQUE. 163 entre un corps solide et un liquide, après avoir également déterminé deux états électriques opposés , un état positif dan corps solide , un état négatif du liquide, ce dont M. Karsten trouve la preuve dans la cinquième expérience , cette force deviendrait, à certain égard, passive etne s’opposerait ni à l’ac- tion décomposante de l'électricité positive du métal sur le fluide naturel du liquide, ni à l'admission dans le métal du fluide négatif ainsi dégagé , qui serait celui que recueille le condensateur dans les premières expériences. Enfin, quand deux métaux sont en présence dans le même liquide, cette méme force , dans l’eau, agirait en sens opposé de son action ordinaire, et viendrait par là concourir aux effets qu’elle dé- veloppe dans l’autre. Nous devons avouer qu’en réduisant ainsi à ces derniers termes l’idée fondamentale, que l’auteur entoure d’un grand luxe de raisonnemens, nous craignons presque n’en avoir pas saisi le sens, à cause des contradic- tions manifestes qu’elle présente, et par ce motif nous nous abstenons de toute remarque sur la possibilité de telles rela- tions physiques. Il suffit d’avoir indiqué que , pour mettre en accord les expériences première et seconde avec l'expérience cinquième , il n'était point nécessaire d'admettre, ce que M. Karsten annonce lui-même être le pivot de sa théorie, un état électrique contraire dans les deux parties d'un métal à demi immergé , savoir, une tension positive dans la partie mouillée , excitée directement par la force électromotrice, une tension négative à l'extrémité libre, produite par l'électricité sou- tirée au liquide. Aucun des faits , contenus dans le mémoire, ne prête appui à la première partie de cette proposition ; et en elle- même elle ne présente nullement cette simplicité et cette facilité d'application , qu’on peut exiger de l'hypothèse fondamentale d'une théorie. La théorie chimique de la pile, telle surtout que les nombreux mémoires de M. de la Rive l’ont exposée, nous semble sous ce rapport bien mieux satisfaire l'esprit ; car , quel que soit le point de vue sous lequel on veuille en- yisager les fluides électriques , leur dégagement se présente toujours à nous comme un acte dynamique , qu'il paraît plus rationnel de faire également dépendre d’une condition dyna- mique dans la matière que d'un équilibre statique entre les 164 BULLETIN “SCIENTIFIQUE. particules dés corps en contact. Au reste, nous ne voyons à priori aucune contradiction à admettre, que l'électricité qui, dans la pile, serait la conséquence d’une action chimique , puisse à son tour, une fois développée par un moyen quel- ‘conque , devenir, en vertu d’une dépendance réciproque, dont la nature nous offre maints exemples ,‘la cause de com- positions et de décompositions chimiques. Pour ceux qui, sans vouloir recourir au mémoire original , désireraient connaître les théorèmes qui constituent le sy- sième de M. Karsten , nous les ajoutons ici textuellement. 1. Les métaux, peut-être tous les corps solides , deviennent positifs en étant plongés dans un liquide ; celui-ci devient négatif. 2. Quand le corps n'est pas immergé en entier, ses deux parties prennent des états électriques contraires. 3. Les corps solides différent beaucoup quant à leur force électromotrice avec un même liquide, et c’est sur cette diffé- rence que repose l’activité électrique, chimique et magnétique de la pile. 4. Quand deux électromoteurs de forces différentes sont plongés dans un même liquide , sans y être en contact , le plus faible prend l'électricité opposée à celle du plus fort et devient par conséquent négatif. 5. La partie de l’électromoteur solide le plus faible, située hors du liquide, possède également l'électricité contraire à celle de la partie immergée. 6. L'énergie électromotrice d'un liquide dépend de sa faculté d'acquérir, par la présence de deux électromoteurs solides dissemblables, un état en vertu duquel il cède plus ou moins facilement ses électricités contraires aux mêmes électromoteurs. Tous les liquides mauvais conducteurs pos- sèdent en général cette faculté ; mais elle n'appartient ni aux liquides parfaitement isolans (tels que les huiles grasses, etc.), ni aux liquides très bons conducteurs (tels que le mercure et les métaux liquéfiés). L'énergie électromotrice d’un liquide ne dépend cependant pas uniquement de son pouvoir conduc- teur, mais en outre, à ce qu'il paraît, de plusieurs autres con- ‘ditions, non encore suffisamment connues. 7. Les effets électromoteurs de deux métaux , formant avec y D tit - BULLETIN SCIENTIFIQUE: 165 un liquide un circuit fermé, résultent du dégagement et de la recomposition continue des électricités contraires dans le li- quide, Ces effets sont excités par la relation électromotrice des deux électromoteurs inégaux envers le liquide ; ils sont favorisés par la relation électromotrice de l'électromoteur le plus fort envers le plus faible , et sont accélérés par le contact immédiat des deux électromoteurs , en tant qu'ils sont de bons conducteurs pour l'électricité. 8. Les changemens chimiques dans la pile sont, à la vé- rité , liés à la recomposition, au moyen des corps solides de la pile, des électricités mises en jeu; mais il n'existe pas, entre ces phénomènes , de dépendance de cause et d'effet. 9- Dans une réunion de piles élémentaires ( pile de Volta), les électricités contraires se neutralisent complétement par les corps solides de chaque élément , et il n’y a pas de transmis- sion d'électricité d'un élément à l’autre. . . M. CHIMIE: 6. — SUR UN MOYEN D'EXPLIQUER LES ANOMALIES QUE PRÉ- SENTE L'ACIDE NITRIQUE DANS SON ACTION SUR LES MÉTAUX OXIDABLES. ( Communiqué par l’auteur.) L’acide nitrique , dans son action sur les métaux oxidables , présente diverses particularités qui paraissent dépendre du . degré d’aflinité entre ses élémens, et du mode de décomposition dont il est susceptible ; mais c’estseulement par rapport au fer, avec lequel ces phénomènes se reproduisent le plus facilement et de la manière la plus frappante, qu'on les a étudiés avec quelque soin. De nombreuses expériences, décrites par MM. Keir , Wetzlar:, Fischer 3, Fechner #, Herschel 5, et, * Keir, Phil. trans. 1790. Journ. de Schweigg. LUI, 151. * Wetzlar, Journ. de Schweigg. XLIX, 470. L, 88, 129. LVI, 206. Berz. Jahresber. VI, 104. 3 Fischer, Pogg. An. VI. Das Verhalien der chemischen Vervvandischaft zur. galv. Kette, 4 Fechner, Lehrbuch des Galvanismus, 409, 416. Journ. de Schiveieg. LUI, 141, 61, 129. LVI, 206. 5 Herschel, Pogg. Ann. XXXII, 21. Ann. de Ch. et de Phys. LV, 87. 166 BULLETIN SCIENTIFIQUE. en dernier lieu, par MM. Schônbein : et Faraday ?, ont fait connaître une série de faits , qui ; à cause de leur analogie et de leur liaison intime , doivent tous découler d’un seul et même principe. Ils concourent , en définitive , à prouver que souvent le fer se comporte comme un métal facilement attaquable, et que quelquefois, au contraire, par suite de légères modifications dans l'expérience, il résiste avec opiniätreté à l'oxidation. Les premiers physiciens qui s’occupèrent de cetobjet ont, en conséquence, doué ce métal de la faculté de prendre, par rapport au même liquide , un ‘état tantôt électro-positif, tantôt électro-négatif ; mais , en couvrant ainsi d’un voile scien- tifique le simple fait, ils n’en ont point donné l'explication, et n'ont pas indiqué à quelles modifications matérielles, que nécessairement il faut supposer existantes, correspondaient l'un et l’autre de ces états. MM. Fischer et Braconnot ont attribué cette faculté de rester inattaqué (faculté qu’on a récem- ment désignée par les mots d’indifférence ou de passivité) à la formation d’un nitrate qui, à cause de son insolubilité dans l'acide concentré, formerait autour du métal une enveloppe protectrice. Cependant nulle trace d’une couche colorée per- sistante ne peut être aperçcue , même à l’aide d'une loupe , ni sur le métal, ni dans le liquide. Tout au contraire , comme l’a déjà remarqué M. Wetzlar , jamais le fer ne présente une sur- face plus blanche et plus brillante. M. Schônbein , dont les expériences sont sans doute les plus bizarres, paraît incliner à admettre un mode d'action particulier tel que l’affinité inhé- rente du métal en serait altérée. Mais comment accueillir , sans les preuves les plus décisives, une hypothèse qui sup- pose une variabilité dans le pouvoir le plus intime et le plus essentiel des atomes, qui ébranlerait toutes les idées reçues sur l’action mutuelle des corps et sur les propriétés qui les caractérisent? Aussi M. Faraday s'est-il de nouveau prononcé pour une. modification superficielle ; qu’il reconnait dans la présence d'une légère couche d’oxide, agissant, pour préserver le métal, à peu près de la même manière que la pellicule colo- ? Schünbein, Poge. Ann. XXXVIT, 390, 590. Bibl. Univ. de Gen. T. MI, p. 387. 2 Faraday, Philos. Magaz. 1836 ; juillet, 53. BULLETIN SCIENTIFIQUE. 167 rée qui se forme par le recuit. Mais , nous devons le répéter, aucune trace d’une coloration superficielle n’est appréciable à l'œil ; et, en outre, si l'indifférence du fer recuit provient en grande partie , comme on a lieu de le penser, de l’état de cohé- sion de cette couche superficielle , est-il permis de supposer que, dans un produit éphémère de la voie humide , les mêmes conditions de stabilité moléculaire puissent se reproduire? Si donc aucune des explications données ne paraît entière- ment satisfaisante, qu’il me soit permis d'en développer une nouvelle , dont la première idée est due à M. A. de la Rive, äâvec lequel j'ai eu le plaisir de répéter la plupart des expé- riences dont il s’agit. Cette théorie, qui se recommande par sa simplicité, repose sur trois faits bien constatés : le pre- mier, que l'acide nitreux ‘ concentré n'attaque pas le fer; le second , que , dans l’oxidation des métaux par l'acide nitri- que, lors d’une action lente , il se forme de l'acide nitreux, lors d’une action vive, principalement du gaz nitreux ?; le troisième , suffisamment démontré par les recherches de MM. Becquerel et de la Rive, que toute oxidation doit être considérée comme une source d'électricité, dans laquelle le liquide s'empare du fluide positif , le métal du fluide négatif. C’est un fait connu , que le fer, restant brillant dans l'acide nitrique concentré, du poids spécifique de 1,5, est vivement altaqué , avec dégagement de gaz nitreux , dans un acide plus faible, de 1,3, par exemple. Pour s'assurer si, dans le pre- mier Cas, l’état d'indifférence est originaire, ou le résultat d'une modification acquise , on peut se servir, comme l’a fait M. Faraday , d'un galvanomètre , en employant un fil de pla- tine comme second métal. Au moment où l’on plonge le fil de fer , on observe constamment, comme preuve d'une oxida- tion, un courant allant du fer, à travers le liquide, vers le platine , et qui, après quelque temps, s’affaiblit et s'éteint. Or, ce ne peut être le nitrate résultant de l'oxidation qui pré- serve le métal, puisque M. Fischer en retrouve les traces dans l'acide même et qu'aucune coloration n’est visible sur le métal; 1 Salpetrige salpetersœure de Berzélius. ? Stickstoffoxydgas de Berzelius, 168 BULLETIN SCIENTIFIQUE. nous pensons donc qu'il se forme , tant par la désoxidation de l'acide nitrique , qui dans ce cas reste limitée à son premier degré d'énergie , que par l'effet d’une préférence moléculaire du corps solide pour l'une des parties du liquide mélangé, préférence dont l'étude des phénomènes capillaires présente plusieurs exemples, une enveloppe fortement adhérente d'acide nitreux qui empêche l'oxidation ultérieure. Avec quelque attention, on observe , en effet, peu après l'immersion , la formation de deux liquides distincts : l’un , le nitrate, est plus pesant que le liquide acide, se détache du métal et se répand vers le fond du vase; l’autre, l'acide nitreux, s’accumule autour du fer en une mince couche , sans coloration particu- lière, mais reconnaissable à sa réfraction, qui est plus faible que dans le reste du liquide. En répétant l'expérience avec des acides progressivement moins concentrés , l’état d’indiflé- rence s'établit toujours plus tard et avec plus de peine , parce qu'il faut un temps plus long pour procurer à l'acide nitreux le degré de concentration suffisant ; enfin, l’oxidation s'opère avec dégagement de gaz nitreux , et alors le mouvement tur- bulent et le mélange continuel du liquide forment le principal empêchement contre l'accumulation de l'acide protecteur. Maintenant il est aisé de comprendre qu'avec des acides de concentration moyenne , dans le voisinage du point d'équi- libre entre les causes qui tendent à favoriser et à supprimer l'oxidation, de légères circonstances doivent suflire pour déter- miner l’un ou l’autre des phénomènes , et que plus ces cir- constances seront puissantes, plus elles pourront donner lieu à des anomalies apparentes. Si cette manière d'envisager le phénomène est la vraie , les circonstances qui produisent l'état d’indifférence doivent toutes revenir à des causes qui favo- risent une accumulation , celles qui rétablissent l’activité du métal , à des causes qui déterminent un éloignement de l'acide nitreux; et c'est dans le but de constater ce point fonda- mental, que nous allons parcourir les principales expé- riences décrites. L'expérience de M. Schônbein consiste à plonger dans un acide de 1,3 , qui attaque vivement le fer, d’abord un fil de ce métal, qu'on a rendu indifférent en le chauffant préalable- BULLETIN SCIENTIFIQUE. 169 ment au rouge, ou en l'immergeant dans un acide très concen- tré , puis en contact avec le premier, un second fil à l’état vaturel ; ce dernier reste alors préservé par l'influence du premier ; il persiste dans cet état, même après son enlèvement, et se trouve avoir acquis la faculté de rendre de la même manière passif un troisième fil avec lequel on le met en rap- port. Dans ce cas encore l’état d'indifférence ne s'établit pas au premier moment ; souvent on voit se dégager quelques bulles de gaz ; une légère couche d'oxide s'étend sur le métal, mais disparaît bientôt par la formation d'un nitrate qui se répand dans le liquide ; enfin l'éclat du métal se rétablit en même temps qu'il se forme une couche adhérente d'un pouvoir réfringent particulier. Il est facile de prouver que le fer passif n'agit point en vertu d’un pouvoir spécial, puisqu'on peut le remplacer avec entier succès par le platine, l'or, et en général par tout autre corps bon conducteur et non oxidé. Ainsi, l’effi- cacité du contact métallique , lors de l'immersion , ne peut tenir qu'à l'établissement d'un arc métallique, donnant passage à un courant venant de l'extrémité des fils. En effet, en intro- duisant le galvanomètre entre les fils, l'état passif s'établit sans difficulté, mais avec production d’un courant très intense, allant du fil préservé , comme pôle positif, à travers le liquide au fil protecteur, comme pôle négatif (fig. 1). Le courant, Fig. 1. suivant les lois électro-chimiques, doit d'abord concentrer l'acide sur le premier de ces métaux , ce qui arrête le dégage- 170 BULLETIN SCIENTIFIQUE. ment de gaz, et peu après aussi l’oxidation, puis enlever en même temps le nitrate qui s'était formé , et restituer par là l'éclat métallique. Une seconde série de faits, que MM. Herschel et Schônbein ont surtout étudiée , se rapporte aux conditions nécessaires pour rétablir l'oxidabilité dans un fil devenx passif par l’adhé- rence d’une couche d’acide nitreux. En retirant le fil du liquide, il conserve quelque temps son éclat et se comporte, lors d’une nouvelle immersion, comme passif; mais quand l'exposition à l'air dure trop longtemps, l’oxidation s'établit par suite de l'évaporation de l'acide avec production de quelques bulles de gaz. Avant que ce moment arrive, on peut toucher le fil sans inconvénient avec du verre , du papier, du bois , du platine, de l'or, etc., en un mot, avec un corps non conducteur ou conduc- teur, mais non oxidable. Le contact avec un métal oxidable développe par contre une tache brune d’oxide, qui s'étend plus ou moins rapidement sur toute la surface brillante du métal humide. L’explication de ce fait est encore la même. Le métal qu'on porte au contact s’oxide dans la couche liquide qui , à sa limite extérieure , est probablement moins concentrée en acide nitreux ; il en résulte un courant ( fig. 2) qui passe du lieu de l'oxidation à travers la couche liquide dans le fil de fer brillant et retourne par le point de contact dans le métal oxidé, lequel courant , d'après le sens de sa marche , détache du fer la der- nière couche protectrice et rétablit, par conséquent, les condi- tions pour l’oxidation. Cette action , bornée d’abord au lieu du contact , gagne progressivement dans tous les sens , parce que les parties qui , à chaque instant , subissent l'oxidation , réagis- sent de la même manière sur les parties voisines pour l'y déve- lopper (fig. 3). Le courant auquel est dù cette propagation assez curieuse de l’oxidation est, comme on voit, pour ainsi dire, moléculaire, borné à chaque instant à des parties très voisines , et on ne peut se refuser d'y reconnaître une certaine analogie avec la manière dont la décomposition d’un liquide et le transport de ses élémens s’opèrent entre les pôles d’une pile en activité. On observe un mouvement ana- logue de l’oxidation dans un fil passif, pendant son immersion, en le touchant avec un métal oxidable à la limite du liquide ; 7. 1 BULLETIN SCIENTIFIQUE. 171 Fig. 2. Fig. 3. J et la même chose paraît avoir lieu quand on opère le contact dans le liquide, même au moyen d’un métal en forte acti- vité, seulement ce mouvement est trop prompt pour étre suivi de l'œil. Dans tous les cas , comme on voit , il s'établit un courant contraire à celui qui avait rendu le fil passif, et qui, par conséquent , doit lui enlever sa couche protectrice. A peine est-il nécessaire d'ajouter que tout dépend d'une certaine force de ce courant ; de sorte que des fils très fins souvent se refu- sent à produire par leur contact les effets qui rarement tardent à se montrer avec des fils plus forts. Il n’est pas moins facile de rendre raison des deux faits, en apparence contradictoires , savoir, qu'un fil rendu passif par le contact et plongé avec précaution regagne souvent son acti- vité par un fort ébranlement, tandis qu’on peut rendre un fil en activité indiflérent, en le sortant et le replongeant quelque- fois, ou même en l'agitant seulement quelque temps dans le liquide. Dans le premier cas, des parties extérieures sont acci- dentellement atteintes par le liquide, ce qui fait naître, comme dans l'expérience précédente , un courant qui éloigne l'acide protecteur du fil (Jig. 4). Dans le second , lorsque la partie du fil, située sur le bord du niveau liquide, s’est suffisamment oxidée pour que la croûte d'oxide, qu'alors on voit persister 179 BULLETIN SCIENTIFIQUE. en ce lieu , ne puisse être dissoute par la faible quantité de liquide soulevée par la capillarité et composée principalement d'acide nitreux, cette partie peut agir comme passive et contri- buer à la formation d’un courant, marchant de la surface immergée à travers le liquide et sa partie capillaire vers la surface oxidée, et tendant ainsi à protéger le fil (Jig. 5). Fig. 4. D'après la nature de ces phénomènes , il est aisé de concevoir l'influence que des circonstances souvent minimes peuvent exercer ; par exemple, la grandeur des surfaces immergées, la vivacité des mouvemens qu'on communique au fil, etc. MM. Herschel et Schônbein ont porté leur attention sur. une circonstance fort curieuse dans la manière dont l’oxida- tion dans un fil indifférent se renouvelle par suite d'un contact avec un métal en forte activité, savoir la production d’une suite de pulsations toujours plus accélérées, dans lesquelles des momens d’un fort dégagement de gaz alternent avec des momens de repos, jusqu'à ce que, en définitive, une action très vive prenne le dessus. En affaiblissant suffisamment ces pulsations , c’est à quoi l’on parvient en opérant le contact au moyen d’un fil de cuivre très mince, on voit partir du point touché une tache d’oxide qui se propage comme une onde, dans les deux sens , en laissant le métal à l’état brillant après son passage. Bientôt succède une seconde onde d'oxidation , sm BULLETIN SCIENTIFIQUE. 173 en partant de la même origine , et cela encore après l’éloigne- ment du fil de cuivre ; puis une troisième et ainsi de suite. Le point qu’atteint l'onde à chaque instant, dégage ( pourvu que l’action ne soit pas trop faible) une nuée de bulles de gaz; les points qu’elle abandonne répandent un nitrate dans le liquide. La cause de ces pulsations paraît être la suivante. Le bord antérieur de la tache oxidée agit, comme il a été expliqué précédemment, pour communiquer l’action , au moyen d’un courant pour ainsi dire moléculaire , aux parties voisines du métal encore brillant. En arrière, l’action se ralentit par la présence de la couche d’oxide qui s’est formée, et qui n’est pas dissoute momentanément ; il doit en résulter la formation d’une certaine quantité d'acide nitreux. Mais plus loin encore, là où tout l’oxide a disparu et où le métal a regagné son éclat, l'influence de l’oxidation principale, pour détacher l'acide pro- tecteur, doit de nouveau se manifester en faisant naître une seconde onde d'oxidation. On comprend ainsi pourquoi toutes les ondes doivent partir d’une même origine, c’est-à-dire du lieu qui a été primitivement touché ; pourquoi, lorsque le fil 174 BULLETIN SCIENTIFIQUE. actif est faible , il ne se produit souvent qu'une seule onde d'oxidation qui laisse le fil à l’état brillant , ou un petit nombre seulement, qui se perdent avant d'atteindre l'extrémité du fil, etc. Mais toujours nous voyons dépendre le phénomène d’une action chimique, comme cause première d’un courant qui, à son lour, favorise ou retarde l’action par l’accumula- tion de certains élémens du liquide. — Le synchronisme des pulsations observé par M. Schônbein sur divers fils mis exté- rieurement en rapport, s'explique sans doute par la trans- mission d'une certaine partie des courans à travers le circuit métallique et le liquide, puisque c’est seulement lors d’un accord parfait dans la durée des pulsations, que les effets des deux côtés cesseront de se combattre et se porteront mutuellement appui. Avec les phénomènes que nous venons d'indiquer , est inti- mement lié le rôle que le fer, d’après les observations de MM. Wetzlar, Fischer et Fechner, joue dans la réduction des nitrates métalliques, notamment dans celle du nitrate d'argent, qui a été le mieux étudiée. Un fil de fer, plongé dans une solution très concentrée de ce sel avec un excès d’acide de moins d’un tiers du volume total (une dose plus forte rend le fer entièrement inactif) se couvre promptement d'argent natif. Dans ce cas, le fer paraît s’oxider en partie aux dépens de l’oxide, en partie aux dé- pens de l’acide, qui est changé en acide nitreux. Les végétations métalliques se fixent aux points de la surface du fer qui acci- dentellement sont moins actifs, etaugmentent par l'effet des cou- rans, qui vont du métal en état d'oxidation, à travers le liquide, aux extrémités des rameaux , et rentrent par leur tronc dans le métal (fg.8). Bientôt il s’est accumulé sur le fer une quan- tité d'acide nitreux suffisante pour supprimer l'oxidation et par là aussi les progrès de la réduction ; l'argent, entouré d’un liquide chargé d'acide nitrique , se redissout, les yégétations disparaissent. Mais comme cette nouvelle oxidation donne né- cessairement naissance à un courant contraire à celui qu'avait produit l’oxidation du fer, ce dernier métal se débarrasse de son acide protecteur, et, si la concentration du liquide le per- met, devient apte à opérer une seconde réduction. Telle est, je pense, l'explication du phénomène qu'a observé Fechner, que le même fil de fer peut donner lieu à une succession de BULLETIN SCIENTIFIQUE. 175 Fig. 8. Fig 9. réductions et de nouvelles dissolutions , dans lesquelles le cou- rant change chaque fois, comme l'exige la théorie, — Plusieurs autres phénomènes, qui répondent exactement à ceux que présente l'acide pur , ont également été observés par les phy- siciens que nous avons cités. M. Fechner, par exemple, décrit le mouvement progressif de la réduction sur un fil de fer passif qu'on touche avec un métal facilement oxidable , etce mouve- ment coïncide exactement avec ce que nous avons dit sur la marche de l’oxidation qui , en effet, est la véritable cause du phénomène. Ainsi les explications sont les mêmes en substi- tuant au mot d’oxidation le mot de réduction. La théorie que nousvenons d'exposer reconnaît, comme-cause principale de cette classe de phénomènes , la nature particulière et le mode de décomposition de l'acide nitrique ; et le fer, loin d'agir en vertu d’un pouvoir particulier, ne serait redevable de son efficacité qu'à la circonstance fortuite , que ses rapports d'aflinité permettent d'observer les anomalies dont il s’agit avec divers acides d’une concentration moyenne. L'indifférence de Vétain dans l'acide nitrique très concentré est également connue. Dans un acide qui n’attaque plus le fer , mais l'étain avec un fort dégagement de gaz, ce dernier métal reste intact en le plongeant conjointement avec une lame de platine, et cette 176 BULLETIN SCIENTIFIQUE. indifférence est le résultat d'une faible oxidation qui se mani- feste tant par l'agitation de l'aiguille du galvanomètre, que par la formation de quelques parcelles d'oxide. Le fil reste méme intact après l'enlèvement du platine, mais il suffit de la moindre agitation du liquide , capable d'atteindre quelque partie extérieure du métal , pour provoquer une oxidation qui se propage comme dans le fer, seulement plus lentement, vers l'extrémité du fil , en laissant derrière elle une forte couche d'oxide. En retirant de l'acide le métal indifférent, il conserve également quelque temps son éclat, jusqu'à ce que, par suite de l'évaporation , l’oxidation commence à partir de la limite de la partie humide. Le cuivre présente encore , à un degré différent, des modifications du même genre dans un acide favorable à l’action du fer. Un fil très fin, en contact intime avec un fil de platine ou un fil de fer passif, resta indifférent après le dégagement de quelques bulles de gaz, et par suite d'un courant indiquant un commencement d'oxidation. Mais l'état passif ne se soutint pas sans le secours d’un second métal ; la présence d’un courant paraît nécessaire pour main- tenir l'acide nitreux. Quand, au lieu de fermer le circuit directement par un arc assez court, on y introduisit deux verres de mercure et un galvanomètre à fil long et fin, le développement de gaz et l'oxidation se trouvèrent, à la vérilé, arrêtés ; néanmoins , au lieu de se nettoyer, le cuivre resta couvert d'une pellicule d'oxide et de sel de cuivre. On reconnut bientôt que cette modification provenait de l'affai- blissement du courant , par suite duquel il n’était plus capable d'enlever l’oxide du pôle positif au moment de sa formation. En effet, il suffit de faire communiquer les deux verres de mercure (le galvanomètre restant exclu ) tantôt avec un fil de cuivre décapé , ou avec le même fil oxidé à sa surface , pour changer à volonté l'aspect brillant du métal passif en une pel- licule d’oxide , et vice versä. Toujours l'interruption totale du circuit avait pour suite le commencement d'une oxidation éner- gique. Il paraît, au reste, à juger d’après la durée de la dé- viation du galvanomètre, que souvent la permanence de l'éclat métallique ne peut être envisagée comme preuve d’une passi- vité complète. Quand la décomposition de l’acide reste bornée BULLETIN SCIENTIFIQUE. 177 au premier degré d'énergie , le métal paraît pouvoir se main- tenir brillant, parce que l’oxide formé est immédiatement enlevé par la formation d’un nitrate , et alors ce n’est réelle- ment qu'à l'aide du galvanomètre et de quelques effets de réfraction dans le liquide qu'on reconnait la présence d’une action. 4 De ces considérations nous croyons pouvoir conclure : 1° Qu'il n’est point nécessaire , pour expliquer les phéno- mènes d'activité et de passivité du fer, de recourir à une nouvelle hypothèse. 2° Que les phénomènes pour divers métaux ne diffèrent que par le degré et non par la nature de l’action. 3° Qu'ils dépendent essentiellement de l'incapacité de l'acide nitreux concentré d'attaquer plusieurs métaux , peut-être même aucun, et du double mode de décomposition dont il est susceptible. 4° Que le commencement de l’état de passivité est toujours accompagné d'une oxidation et d’un courant correspondant. 5° Que ce même courant, suivant qu'il amène ou enlève l'acide, suivant qu'il favorise ou empêche la formation et l'adhésion d'une couche d’acide nitreux, donne lieu aux chan- gemens électro-chimiques que présentent les métaux dans le même acide nitrique. Alb. Mousson. 7- — QUELQUES NOUVELLES OBSERVATIONS SUR LA MANIÈRE DONT LE FER SE COMPORTE AVEC L'ACIDE NITRIQUE, par le D' C. SCHŒNBENN, professeur de chimie à Bâle. (Article . communiqué par l'auteur.) Dans ses recherches relatives à l’action de l’acide ni- trique sur le fer, M.S. a toujours été frappé de l'intensité variable avec laquelle l'acide attaque le métal, même quand la proportion d’eau et la température de l'acide ne changent pas. C'est dans un acide de la densité de 1,35 que ces varia- tions se montrent de la manière la plus frappante. Si, par exemple, après avoir courbé un fil de fer en forme de pince, V 12 178 BULLETIN SCIENTIFIQUE. on en plonge les deux extrémités dans un semblable acide à la température ordinaire , ces extrémités sont attaquées au même instant avec une étonnante vivacité ; et si, après les avoir laissées exposées à celte action pendant une seconde environ , on les retire de l'acide et qu’on les tienne quelques minutes à l'air, et qu'on les replonge ensuite, l’action de l'acide sur le fer sera déjà sensiblement plus faible. Quand on a répété trois ou quatre fois cette double opération, l’action se ralentit passa- blement , et à la cinquième , au plus tard à la sixième fois que l’on plonge les extrémités du fil dans l'acide , le fil de fer se montre complétement indifférent à l’action chimique, ce qu’on reconnaîl à l’état tout à fait métallique des extrémités plongées dans l’acide. Quoiqu'il y ait une infinité de degrés dans l'intensité dé l’action exercée par l'acide, M. S. croit cependant pouvoir assez bien en distinguer deux principaux ; il nomme l’un d’eux action lente , et l’autre action rapide. La première est caractérisée en ce qu'elle cesse instantanément dès qu’on met le fil de fer en contact avec du platine dans l'acide ; la seconde en ce que, dans les mêmes circonstances , ce dernier métal n’exerce plus par son contact aucune influence. A-t-on rendu passif un fil de fer en le plongeant à plusieurs reprises dans de l’acide nitrique de la force indiquée , ce fil montre dans son indifférence chimique beaucoup plus de sta- bilité qu'un fil qui a été réduit à cet état passif par l'effet de son contact instantané avec du platine ou avec un fil de fer indifférent. M. S. a même remarqué fréquemment, que ce fil, rendu passif par l'immersion , a la faculté de rendre passif par le contact un fil de fer actif, tandis que dans un cas pareil un fil actif transforme d'ordinaire un fil passif en un actif, comme on peut le voir dans un précédent travail de l’auteur sur le même sujet. Cette variation dans la stabilité de l'indifférence chimique du fer est une chose encore complétement in- connue, sur laquelle M. S. n'ose même pas avancer une con- jecture. Il fait encore mention d’un phénomène qui est au nombre des plus singuliers de la chimie, et qu'il trouve déjà indiqué dans l'ouvrage d'Herschel sur l'acide nitrique, mais sans explica- A AOOsUUU 22 RS sh di ee dm BULLETIN SCIENTIFIQUE. 179 tion précise sur la manière dont il est produit. Herschel dit aussi que ce phénomène ne se présente que de temps en temps, tandis que, selon les expériences de M.S., on peut le produire à volonté, pourvu qu'on remplisse exactement certaines condi- tions. On peut même, malgré l'assertion contraire d'Herschel , le produire dans de l'acide nitrique tout frais et qui n’a encore servi à aucun usage, pas même à développer l'indifférence chimique du fer; enfin, le phénomène en question ne dépend point uniquement de la nature de l'acide, mais aussi d’un certain état du fer. Voici en détail la description du phénomène lui-même. Si l’on a rendu indifférent, par l'immersion réitérée dans de l'acide nitrique de 1,35, et d’une température de 12° à 15°, un fil de fer simple ou les extrémités d'un fil courbé en forme de pince, si ces extrémités, par exemple, se trouvent dans un semblable acide , et qu'on en mette une en contact avec un fil de cuivre ou de laiton qui y est aussi plongé, les deux fils , selon ce qui a été dit plus haut, devien- nent en même temps actifs, quoique lentement, dans le cas dont il s’agit. Cette activité n’est cependant pas continue comme on devrait s'y attendre, mais elle a lieu par pulsations ; en d’autres termes, le fil de fer soumis à l'expérience devient al- ternativement actif et passif, dans des intervalles qui sont d’a- bord d'une seconde , mais qui deviennent toujours de plus en plus courts, jusqu'à ce qu’enfin l'effet devienne rapide. Des bulles de gaz qui apparaissent et disparaissent tour à tour sur le fil de fer, donnent au phénomène l’apparence d’une phos- phorescence intermittente qui partirait du métal , et il semble que les bulles qui se développent le long de ce dernier en soient repoussées. Cépendant, en observant de plus près ce qui se passe, on voit que ce n'est ni l’un ni l’autre de ces deux phé- nomènes qui à lieu. Quelquefois il arrive qu'après un cer- tain nombre de pulsations , le fil de fer rentre dans l’état de complète indifférence , état qui cesse cependant toujours de nouveau quand on met le fer en contact avec un fil de cuivre ou de laiton , dans l’intérieur de l'acide. Mais le fil de fer L = * L'auteur prefere un fl de laiton à un fil de fer, parce que ce dernier, mis en contact avec le fer passif, passe fréquemment à cet élat, et se refuse ainsi à pro- duire l'effet désiré. 180 BULLETIN SCIENTIFIQUE. montre très fréquemment une tendance si forte à redevenir indifférent , qu'on ne peut entretenir l’activité par pulsations qu'en maintenant le‘fer en contact permanent avec un fil de laiton. Si, dans le méme acide, on produit ce phénomène par pul- sations sur plusieurs fils non liés ensemble, les pulsations n'y sont pas entièrement simultanées ; toujours elles ont lieu sur un fil plus tôt que sur un autre, sans toutefois que la différence soit jamais bien grande. Mais si l’on établit une communication entre les fils, dans l’intérieur de l'acide ou au dehors, les pul- sations dans toutle système de fils sont entièrement simultanées; et si une indifférence continue se manifeste à l’un des fils , elle s'établit au même instant dans tous les autres, quelque grand qu’en soit le nombre. Quant aux circonstances qui tendent à empêcher le phéno- mène qu'on vient de décrire et à faire naître une activité chi- mique continue , les recherches de M. S. lui ont montré que la température et la proportion d’eau que renferme l'acide exercent à cet égard une influence décisive. Si l’on emploie , par exemple , un acide de la densité 1,35 et qu’on le chauffe peu à peu, le phénomène a d'autant plus de difficulté à se manifester que la température augmente davantage, etles pul- sations se succèdent toujours plus rapidement les unes aux autres à mesure que cette température s’accroit, jusqu'à ce qu'enfin , à un certain degré que l’auteur n’a pas encore déter- miné exactement, l’action, qui est toujours continue, se manifeste. Le fait cité plus haut, que l’action par pulsations se change peu à peu d'elle-même, c’est-à-dire sans l’aide d'une chaleur artificielle, en une action rapide et continue, s'explique très aisément par ce qui vient d’être dit. Chaque fois que l'acide agitsur le fer, il se développe une certaine quantité de chaleur, -_et ainsi la température de l'acide s'accroît avec le nombre des pulsations qui ont eu lieu, jusqu’à ce qu’enfin l'acide ait atteint le degré de température qui donne naissance à l’action rapide. Une circonstance digne de remarque, c’est que cette dernière commence toujours à la surface de l'acide et jamais au-dessous, ce qu’on ne peut expliquer que par une différence de tempéra- ture qui existe dans les diverses couches du liquide, BULLETIN SCIENTIFIQUE: 181 Quant à la propriété que possède l'eau de faire cesser les pulsations, on peut facilement la démontrer. Si, par exemple, on fait tomber des gouttes d’eau dans un acide où un fil de fer se trouve en ce moment même en pulsations, ces pulsations se succèdent les unes aux autres avec une rapidité qui aug- mente avec la quantité d’eau versée ; et quand l'acide estétendu à un certain point, que Fauteur n’a pas encore non plusdéterminé avec exactitude, on voit se manifester l’action rapide et continue qu'aucun moyen ne peut plus transformer en une action par pulsations. Un phénomène aussi bizarre que celui-là , et tout à fait unique en son genre , mérite certainement toute l’atten- tion des chimistes. Mais, d’après l’état actuel de nos théories chimiques., il serait difficile, sinon impossible, d'expliquer d'une manière non pas satisfaisante, mais même plausible, comment il se fait que l’aflinité du fer pour l’oxigène, active dans un moment , devienne passive dans le moment qui suit, que son activilé reparaisse, puis disparaisse, tandis que les cir- constances à nous connues dans lesquelles se trouve le fer sont telles , qu'on devrait attendre une dissolution et une oxidation 2on interrompues de ce métal. M. S. croit être en droit d’ad- mettre que, si l'acide restait le même , soit sous le rapport de sa proportion d'eau, soit sous celui de sa température , les pulsations produites sur le fer seraient aussi parfaitement iso- chrones que le sont les oscillations d'un pendule ; ce qui prou- verait, en admettant du moins que cette supposition füt fon- dée, qu'il s'établit , à la surface du métal entouré par l'acide, des alternatives isochrones d'états contraires , ou, si l’on aime mieux , que dans les particules qui constituent cette surface , il se fait, dans les circonstances données, une espèce de vibra- tion dont l'effet s'exprime par une alternative régulière d'ac- tivité et d'indiflérence chimiques. Observation du Rédacteur. — Nous renvoyons à l’article qui précède pour l'explication des phénomènes observés et décrits par M. Schônbein dans le morceau qu'on vient dé lire. 182 BULLETIN SCIENTIFIQUE. 8. — EXPÉRIENCES RELATIVES AU FROID ET A LA CHALEUR DÉ- VELOPPÉS PAR LA DISSOLUTION DES SELS DANS L'EAU, par Th. THomson. (Records of Gen. Science, juillet 1836.) 1° On jeta dans un vase qui contenait 1000 grains d’eau à ha température de 59° F. (15° cent.), 300 grains de carbonate de soude cristallisé en poudre , et le mélange fut remué jus- qu'à ce que le sel füt entièrement dissous ; le thermomètre descendit à 43° F. (6° cent. }, soit de 9° cent. Il y a dans 300 grains decarbonatedesoude 187 7, grains d'eaudecristallisation, ce qui forme 7, de 1300 grains, poids total du mélange. Cette eau de cristallisation pour passer de l’état solide à l’état liquide, doit absorber 140° F. de chaleur ; la température du mé- lange doit donc diminuer de 7, de 140°, soit de 20° F. ; elle n’a cependant baissé que de 16° ; la différence provient proba- blement de ce que, pendant la durée de l'opération, les parois du vase restituent une partie de la.chaleur absorbée, En mélangeant toujours 1000 grains d'eau avec 300 grains de carbonate de soude anhydre, le thermomètre s’éleva dans une première expérience de 21°,5 F., et dans une autre de 229 F. (19° cent.) Il resta 7,7 grains du sel qui ne furent pas dissous. L'auteur attribue cette élévation de température à l’eau de cristallisation que prendrait le sel dans les premiers instans ; mais il nous semble que , si en effet le sel prenait cette eau de cristallisation , comme il se dissout ensuite, il devrait l'abandonner et par conséquent produire ainsi un froid égal à la chaleur qu'il aurait d'abord développée. Il nous semble donc impossible d'admettre cette explication. 2° On opéra de même la dissolution de 300 grains de sul- fate de soude en poudre dans 1000 grains d'eau à la température de 57°,5F.(13° y: cent. ) ; cette dissolution fut beaucoup plus longne à se faire que celle du carbonate de soude ; la tempé- rature s'abaissa de 12° F. (6° z3 cent.) En dissolvant 300 grains de sulfate de soude anhydre réduit en poudre fine dans 1000 grains d’eau, on obtint une élévation de température qui ne fut que de 4° F. (2° y, cent.), mais qui se maintint pendant environ une demi-heure sans altération; ce qui prouvait que pendant tout ce temps le sel, en se dissol- vant, émettait de la chaleur. On trouva que 165,8 grains du BULLETIN SCIENTIFIQUE. 183 sel seulement s'étaient dissous; il en était resté à l'état solide 134, 2 grains. | Le développement de chaleur observé dans la dissolution du carbonate et du sulfate de soude anhydres pourrait étre dû en partie à ce que la solution a une densité un peu plus grande que la moyenne des densités de l’eau et des sels en question à l'état solide. L'auteur s’est assuré par des expériences précises de cetteaugmentation de densité, qu'il regarde comme pouvant contribuer à l'élévation de la température, 3 En dissolvant 300 grains de sulfate de magnésie dans 1000 grains d’eau, on obtint un abaïssement de température de 5° 7, F.(3° cent.); la dissolution s'opéra rapidement, mais ne fut pas complète, 4° On obtint aussi un abaissément de température sembla- ble, c'est-à-dire de 5° y, F. (3° cent.), en dissolvant 300 grains de proto-sulfate de fer cristallisé réduit en poudre dans 1000 grains d’eau. Si l'on compare les quantités d'eau de cristallisation que renferment les 300 grains de chacune des espèces de sels sou- mis à l'expérience, aux abaissemens de température occasionnés par leur dissolution dans 1000 grains d’eau, on trouve les ré- sultats suivans : Eau de cristallisation dans 300 grains. grains. Carbonate de soude. 187,50 Sulfate de soude... .. 166,66 Sulfate de magnésie. 153,65 Proto-sulfate de fer. 135,96 Ces quantités sont entre elles comme 37 %:, 33 ‘4, 30 #%, 27 5, tandis que les abaissemens de température sont entre eux comme 16, 12, 5 Y,, 5 %,. On voit que ces rapports n’ont entre eux aucune espèce d’analogie. Aussi l’auteur remarque-t-il qu'on ne peut , en te- nant compte seulement de l'eau de cristallisation et de la solubilité d'un sel , arriver à expliquer le froid produit par la dissolution dans l’eau. Ce froid parait dépendre essentiellement de la rapidité avec laquelle on opère la dissolution ; c'est ce qui fait qu'on produit beaucoup plus de froid en dissolyant les sels dans les acides étendus. 184 BULLETIN SCIENTIFIQUE. MINÉRALOGIE ET GÉOLOGIE. 9. — EXTRAIT D’UNE NOTICE SUR L'ÉRUPTION D'UN MARAIS TOURBEUX (BOG) DANS LE COMTÉ D'ANTRIM EN IRLANDE, par W.-P. Hunter. (Magaz. of Natural history, ete., mai 1836.) J'arrive maintenant au récit de l'événement qui fait le sujet principal de cette notice. Le théâtre de l’éruption que je vais dé- crire était le marais de Fairloch, l’un des nombreux marécages dont la réunion forme le marais de Sloggan, le plus consi- dérable de ceux qui se trouvent au nord de l'Irlande ; il couvre presque en entier un espace de onze mille acres de terrain ; il est situé à sept milles de la petite, mais florissante ville manu- facturière de Piymets et à deux milles de Randalstown ; la grand'route de Belfast à Londonderry le divise, pour ainsi dire, en deux. Le pays environnant est plat, aride et sans intérêt , à l'exception de quelques vallées longitudinales , pas- sablement profondes, qui l’entrecoupent çà et là. C'est près d’une de ces vallées que l'on voit le marais tourbeux de Fair- loch. Cette position fut une circonstance heureuse, car si Févé- nement que nous allons décrire avait eu lieu sur une éminence, la tourbe fangeuse aurait couvert et dévasté le pays plat sur lequel elle serait descendu, et on ne peut calculer le nombre d'hommes et d'animaux qu’elle aurait engloutis dans sa marche. Ce fut le samedi 1 7 septem. 1835 que l’éruption commença. On observa ee jour-là (et on aurait probablement pu faire la même observation pendant les jours précédens), que le marais se soulevait graduellement au centre ; il avait ainsi atteint une élévation de trente pieds, lorsque, à cinq heures de l’après- midi, un bruit pareil à un mugissement d'un vent extrêmement violent se fit entendre (c’est ainsi que me l'a décrit un paysan qui demeurait tout près du théâtre de l'événement). La masse en- tière du marais s’abaissa de quelques pieds, et un fleuve de boue se mit lentement en mouvement dans une direction du nord-est à l'est. Son cours fut arrêté à la distance de quelques perches par ie ds ts" fé Lis D dé BULLETIN SCIENTIFIQUE. 185 des fonds profonds, des marais, de légères éminences, et d’au- tres obstacles contre lesquels sa force s’épuisa durant la nuit du samedi au dimanche. Pendant tout le dimanche il n'avança que d'environ quinze perches, en formant un zigzag vers l'ouest. Pendant la plus grande partie de la nuit du 18 et le lundi matin 19, la masse tourbeuse parut être demeurée sta- tionnaire, en se gonflant peu à peu de la manière que nous avons déjà décrite. Entre midi et une heure de ce même jour, elle se souleva de nouveau avec le même bruit, et se traina lentement jusqu’au mercredi21, jour où l’on calcula qu’ellen’a- vait alteint que la distance d'environ un quart de mille depuis son origine. Son cours fut denouveau intercepté par des meules de foin et de blé , et elle resta à peu près stationnaire jusqu’au vendredi 23 ; ce jour-là , tout à coup , àtrois heures de l’après- midi, elle se précipita en ayant avec une vitesse comparable, à ce que disent les paysans qui en furent les témoins , à celle d’un cheval de course , vitesse trop considérable pour qu'il fût possible de l’égaler à pied. Tandis que cette masse s’avançait avec une si grande rapidité , un lièvre poursuivi par un chien et par quelques enfans s'élança dans le marais, et parvint à en gagner le centre en s'élançant de monticule en monticule ; là il se débattit pendant plusieurs minutes , mais bientôt il s'en- fonça dans le torrent de limon noir qui bouillonnait ; le chien l'avait suivi quelques instans, mais sentant le terrain sur lequel -il se trouvait se mouvoir et s’enfoncer sous lui, il sauta en arrière et s'enfuit la queue entre les jambes, évidemment très alarmé. Le samedi 24, l’éruption marécageuse atteignit la grande roule, qui était construite en chaussée. Elle remplit un vaste fossé, pénétra dans une chaumière autour de laquelle elle s'é- leva à la hauteur de dix pieds , puis se précipita sur le chemin comme une cascade de boue, en produisant le même bruit qui serait résulté d’une immense chute d’eau. Elle eut bientôt en- vahi trois cents yards (900 pieds) de la route sur laquelle elle s'élevait à la hauteur de dix pieds, puis elle remplit le fossé opposé, et descendit le long de la vallée , qui pendant l'espace d'un demi-mille est légèrement en pente, et s'arrêta à quel- ques perches de la rivière Maine, comme pour recueillir ses forces devant une nouvelle lutte: 186 BULLETIN SCIENTIFIQUE. Le dimanche 25, la masse marécageuse commenca à se mouvoir, et se précipita dans la rivière qui, de cette place à quelques toises plus hant, n’a que quatre pieds de profondeur. Elle coula en repoussant le courant pendant plusieurs heures, puis elle déborda sur le côté opposé , s’étendit sur un terrain de pâturage, et aurait produit un mal considérable, soit de son propre fait, soit en faisant refluer la rivière sur tout le pays environnant, n'eüt été que celle-ci, arrêtée d’abord par la digue que lui opposait la boue , s’éleva à son tour , et acquit enfin assez de force pour rompre la barrière et la traverser. Heureusement aussi que quelques toises plus bas, le lit de la rivière se baissa tout à coup de douze pieds, et la masse tout entière du marais fut proyidentiellement entrainée par les eaux de la Maine pendant un espace de sept milles, laissant çà et là sur les bords des fragmens de peat et produisant quelques inondations partielles jusqu’au Lough Neagh, cette nappe d’eau si belle et si étendue qu'elle n’a peut-être pas son égale. Le marais ne discontinua pas de couler dans la Maine jusqu’au mercredi 28 septembre. Le passage de cette masse au travers de la rivière fit périr une quantité immense de poisson. Les paysans qui avaient aban- donné leurs maisons à plusieurs lieues à la ronde, et qui s’é- taient rendus en foule sur les bords de la rivière pour s'assurer de la direction que prendrait le marais, recueillirent plusieurs quintaux de saumon et de truite. Les anguilles seules serpen- taient voluptueusement dans la boue, où elles paraissaient être comme dans leur élément. Les pertes occasionnées par cet événement furent infiniment moins considérables qu’on au- rait pu s’y attendre ; on perdit un certain nombre de meules de foin, de blé, et des matériaux à brûler, et environ soixante et dix acres de terre de labour. Les seuls êtres animés qui perdirent la vie furent les poissons et le lièvre mentionnés ci-dessus. | Je fus très frappé de l'aspect que présentait le théâtre de l'éraption lorsque je le visitai le 15 octobre. La masse entière du nouveau marais (si cette expression est permise), d’une largeur de 200 à 300 pieds, d’un quart de mille de longueur et d'une hauteur de 30 pieds, là où elle était le plus considé- bat nn sim. Sol BULLETIN SCIENTIFIQUE. 187 rable, n'offrait pas le plus léger symptôme d’un bouleversement récent. Il semblait, au contraire, qu'il eût existé pendant des siècles entiers sur le terrain qu'il venait d'envahir. Le marais qui s'était soulevé d'environ trente pieds dans la localité d'où il était sorti, s'abaissa ensuite de vingt pieds plus bas que son niveau ordinaire, et un petit étang circulaire occupa le creux qui s'était formé. Cette circonstance me rappela les étangs cir- culaires qui s'étaient formés en Calabre pendantles tremblemens de terre de 1793. On ne peut manquer d'observer les rapports d'effets qui existent entre l’éruption d'un marais, celle d’un volcan, et un tremblement de terre; le courant de lave, comme celui de tourbe, se meut tantôt avec lenteur, tantôt avec rapi- dité. Comme lui, il traverse une rivière et en arrête le cours ; là, il pénètre dans les habitations , il recouvre des villes en- tières dont il conserve intacts, pendant plusieurs siècles, les statues, les ustensiles domestiques, les édifices, etc., etc. Mais là s'arrête cette ressemblance. La cause qui produit ces effets est totalement différente ; mal connue dans l’un des cas, elle est due entièrement dans l’autre à une surabondance d’eau ct de matières végétales en état de putréfaction. Pour donner une idée des dommages causés par l’éruption et l'écoulement du marais , je dirai que lorsque je le visitai, plus de quarante ouvriers étaient occupés depuis plusieurs jours à déblayer la route, et n’étaient pas encore parvenus à terminer ce travail. Cette interruption eut, on le comprend ai- sément, de grands inconvéniens pour le pays, les diligences et les voitures entre Londonderry et Belfast étant obligées de faire un détour considérable pour éviter le marais. 10. — SUR LES MINES D'OR RÉCEMMENT RECONNUES DANS L'INDE. (Journ. of the 4siatic Society.) Sur un grand nombre de points de la vaste péninsule occu- pée par les Anglais en Asie, des paillettes d’or se sont présentées, soit dans le lit des rivières , soit dans le sol lni-même , en assez grande abondance pour être exploitées par les habitans. Récem- 188 BULLETIN SCIENTIFIQUE. ment , le gouverneur de Madras a envoyé des inspecteurs et ordonné l'enregistrement de tout l'or que produiraient les mines de Calicut. Ces mines étaient cependant connues depuis long- temps, et déjà, en 1802, une description en avait été adressée à la Société asiatique de Calcutta ; elle était restée en manuscrit dans ses archives. Depuis les nouvelles recherches, l’on s’est assuré que le sol aurifère donne environ un grain d'or pour 66 livres ; ce qui est bien peu , comparé aux sables d’Afrique qui donnent souvent 36 grains pour la même quantité. Aussi , les mines de Calicut ne paraissent pas fournir actuellement plus de 750 onces d'or par année; mais l'exploitation en devient plus active et pourra probablement augmenter. Les hommes qui se livrent à cette occupation sont exclusive- ment de la caste des Parias. Quand ils ont résolu d'ouvrir une mine , ils s’assemblent au nombre de dix ou douze hommes de différens villages, puis ils élisent un chef (Duffadar), chargé de diriger l'ouvrage et de vendre les produits. Ils se cotisent ensuite pour se procurer l'huile pour les lampes et les outils nécessaires. Ils choisissent alors une place où ils aient vu un paon se poser ou s'envoler , ce qu'ils regardent comme un indice d’une veine d’or, et ils se mettent à l'ouvrage. Le lieutenant Warren, qui a examiné ces mines, en rend le compte suivant. L'entrée est au niveau du sol; elle a deux pieds de large et quatre de hauteur : la mine s'étend à trente pieds de profon- deur sur un espace de cinquante. La couche supérieure se compose de terre végétale d'un brun foncé , épaisse d’un pied et demi environ ; puis on trouve une couche de terre argileuse grise , d’un pied ; un nouveau lit de terre végétale de quatre pieds. Au-dessous se présente une couche d'argile jaune très dure , de quatre pieds; et la mine cesse là de descendre perpendiculairement : une surface plane y est réservée comme lieu de repos. La galerie descend de là sous un angle de 10°, et arrive , après quatre pieds, dans une argile blanche, où elle se subdivise en plusieurs branches occupant un espace large de cinquante pieds. C’est dans cette couche que l’on trouve les pierres métalliques ; ce sont des blocs de nature siliceuse , de couleur noire , tirant sur la BULLETIN SCIENTIFIQUE, 189 couleur de rouille. On y voit des stries parallèles auxquelles adhère une substance vert-jaunâtre qui indique leur valeur aux yeux des natifs. L’enlèvement de ces pierres , qu’il faut briser, est très dangereux , par les éboulemens fréquens des galeries que les ouvriers n'ont ni les moyens , ni l'art de sou- tenir comme on le fait ailleurs. Lorsqu'on en a recueilli une suffisante quantité , les femmes les brisent sur un rocher et les réduisent en poudre fine qu'elles lavent ensuite sur une planche creuse, en la remuant adroitement avec la main à la surface de l’eau. L'on obtient ainsi une quantité d'or égale à celle que donnent les sables aurifères les plus riches, tandis que la terre argileuse qui renferme les pierres noires , n’en contient pas une parcelle. Les couches terreuses les plus favorables à l'exploitation sont argileuses et d’une couleur rouge très foncée ; elles sont recouvertes d'une sorte de pierre métallique , appelée kankar dans le Bengale. Partout où l'on a lavé un semblable terrain, on a trouvé de la poudre d'or sur une étendue très considé- rable ; mais les habitans , en général , soit en raison du peu de profit, soit par sagesse, préfèrent les travaux de l’agriculture, et répondaient aux questions qui leur étaient adressées : « Que leur affaire était de labourer la surface de la terre, sans s'inquiéter de ce qui était dessous. » Il est probable que les paillettes se rencontrent disséminées dans le fer sulfuré, et, lorsqu'on les retrouve dans le sol , que ce dernier est le résultat de la décomposition des rognons de ce minéral, qui ont imprégné de fer l'argile qui les renferme. 1. M. 11. — DE TROIS ESPÈCES NOUVELLES DE SAURIENS. ( Rapport de la Soc. Géol. de Londres, mars 1836.) Ces fossiles se sont présentés près de Bristol dans un conglomérat magnésien , reposant sur la tranche de lits incli- nés de calcaire alpin (mountain limestone), et consistant en fragmens irréguliers de calcaire, cimentés par une pâte de dolomie. Cette roche paraît donc appartenir à une série plus ancienne que le lias et même que le grès bigarré. 190 BULLETIN SCIENTIFIQUE. Les fossiles forment trois espèces que MM. Riley et Stuch- berry rapportent à deux genres nouveaux qu'ils appellent palaeosaurus et thécodontosaurus. Le premicr est caractérisé par des dents carinées latérale- ment et finement dentelées dans une direction à angles droits avec l'axe. Le genre thecodontosaurus est aussi fondé sur la structure des dents et sur leur disposition en alvéoles distincts. Les dents ressemblent à une lancette , étant très pointues et aplaties, tandis que le bord antérieur est recourbé , concave et forte- ment dentelé. Elles contiennent toutes un espace vide conique. La dentelure les distingue des dents de crocodile ; la présence et la forme des alvéoles des lézards, le grand nombre des denis, le creux qu’elles renferment , les éloignent de celles des monitors. Enfin, les vertèbres offrent la curieuse particularité d'avoir un diamètre inférieur de moitié dans la partie médiane que dans le reste de leur étendue , de manière à ressembler à une clepsydre. Lies extrémités de la vertèbre sont en outre profondément concaves. Les auteurs trouvent des caractères suffisans dans ces parti- cularités et d’autres qu’ils énumerent, pour distinguer ces fossiles de tous les genres de sauriens connus, et ils y voient une démonstration de plus de cette observation si souvent faite, que plus les couches fossilifères sont anciennes, plus les animaux qu’elles renferment diffèrent des types actuels. T'°M: BOTANIQUE. 12.— OBSERVATIONS SUR LA FLEUR DE L'OENOTHERA SPECIOSA. (Extrait d’une lettre de M. Fleurot, conservateur du Jardin Botanique de Dijon, à M. le Prof. Alph. De Candolle.) « Je me permettrai de vous communiquer une observation qui ne me semble pas dénuée d'intérêt ; elle a été récemment Éd nd 'Ems Fe. CP TT pis BULLETIN SCIENTIFIQUE. 191 faite au Jardin de Dijon par le secrétaire particulier de M. le Préfet de la Côte-d'or, M. Ferrat, qui s'occupe avec zèle des sciences naturelles ; j'ai eu ensuite moi-même plusieurs fois l'occasion d'en vérifier l'exactitude. « Nous _cultivons comme plante d'ornement le joli œnothera speciosa , Nutt. dont l'introduction en France remonte à cinq ou six ans seulement. Cette espèce offre, outre une corolle formée de quatre grands pétales de couleur blanche qui passe au rose, un calice dont le tube est allongé , et surtout tellement resserré au sommet de l'ovaire, que le style qui le traverse paraît à ce point le remplir complétement. Pendant les beaux jours du mois de juillet dernier, rien n’était curieux comme de voir chaque matin communément plusieurs pa- pillons nocturnes du genre sphinx attachés et pendans sur le limbe des corolles de cette plante , sans pouvoir , quelque effort qu'ils fissent, se détacher du singulier piége qui les rete- nait ainsi captifs. « Examinés de près , il était facile de s'assurer que ces in- sectes avaient engagé leur trompe jusqu'au fond du tube du calice , attirés sans doute par la présence d'une liqueur assez abondante et d’une saveur douce et sucrée, qu'on y remarque constamment ; leur trompe gorgée de cette liqueur avait très probablement augmenté de volume , de manière à en empé- cher la sortie. Soit dit aussi en passant, la liqueur sucrée dont je parle m'a paru étre le résultat d'une sécrétion produite par les glandes nectarifères de forme ovale, situées à la base libre du tube du calice, et au sommet de l'ovaire où elles for- ment à l'extérieur une gibbosité assez prononcée, dont Schulz a sans doute voulu parler ( voyez DC. , Organographie végé- tale, vol. II, p. 44 ). «L'espèce de sphinx dont nous avons trouvé le plus d’in- dividus est celui de la vigne, ensuite celui du liseron ; enfin celui du Tithymale était aussi une fois retenu dans nos piéges, car c'est ainsi que nous avons été conduits à consi- dérer les fleurs de lænothera speciosa. Cette observaion , si elle n’a déjà été faite et publiée, mérite, je le crois, d’être por- tée à la connaissance des naturalistes ; d'une part, parce que je ne sache pas qu’on ait jusqu'ici signalé aucune espèce de 192 BULLETIN SCIENTIFIQUE. plante jouissant de la propriété, toute mécanique il est vrai, de retenir captifs des insectes d’une force égale à celle des sphinx ; d'autre part, parce que les entomologistes trouveront dans la connaissance de ce fait un moyen facile de se procurer ces jolis insectes , la plupart assez difficiles à saisir, à cause de leur habitude de se tenir cachés et d'éviter la lumière pendant le jour. 11 suffira d'admettre dans les jardins la plante qui nous a un grand nombre de fois fourni ce nouveau moyen de capture. » 13. — SUR L'ORIGINE DES PIEDS DE GINKGO FEMELLES QUI EXISTENT EN EUROPE. Nous avons eu souvent occasion de parler, dans ce recueil et ailleurs, du pied de ginkgo femelle de Bourdigny, que nous regardons comme une des curiosités naturelles des environs de Genève. La circonstance qu'une greffe de cet arbre a donné des fruits l’année dernière à Montpellier, pour la première fois depuis l'introduction du ginkgo en Europe, et un article de nous traduit dans le Gardener's Magazine , viennent de diriger de nouveau l'attention des horticulteurs sur l'arbre de Bourdigny. Son origine et la date de sa plantation ne nous étaient pas connues. Nous supposions que M. Gaussen de Chapeaurouge, ancien propriétaire du jardin , l'avait fait venir d'Angleterre , vers la fin du siècle dernier, ainsi que beaucoup d’autres arbres exotiques plantés par lui. Notre hypothèse s’est vérifiée. Chose singulière, la personne qui a fourni l'arbre. à M. Gaussen est encore vivante, c'est M. Thomas Blakie, le même qui a planté le jardin de Mouceau , Bagatelle, et bien d’autres parcs avant la première révolution ! Ce respectable doyen des jardiniers paysagistes écrit de Paris (rue des Vignes, n. 51), à M. Loudon , rédacteur du Gardener s Magazine’. «Je résidais à Bourdigny en 1775, lors- que j'étais occupé à recueillir des plantes alpines que j'y déposai chez M. Gaussen, jusqu'au moment où je pus les * Gard. Magaz., mai 1836 , p. 266. on die motte a chti < BULLETIN SCIENTIFIQUE, 193 envoyer en Angleterre à MM. Pitcairn et Fothergill. Lorsque je retournai en France , en 1776, je restai en correspondance avec M. Gaussen ; et tout en créant Bagatelle et Mouceau, j'avais soin de lui envoyer un pied de chaque espèce nouvelle, La série en était nombreuse, car je formais une collection pour le feu duc d'Orléans. Le dernier paquet de plantes envoyé à M. Gaussen fut en 1790, et dans le nombre se trouvait un pied de Ginkgo biloba (Salisburia), que j'élevais à Moaceav. J'ai une lettre de M. Gaussen de Chapeaurouge, datée de Genève 11 décembre 1790, pour m’accuser réception du ballot, » Ainsi, l'arbre de Bourdigny a maintenant 46 ans. M. Blakie prétend que nous nous sommes trompés en disant que tous les pieds femelles de ginkgo en Europe, proviennent de celui de Bourdigny, mais il n’en donne aucune preuve posilive. Voici comment il s'exprime : « J’ignore si les arbres de Mouceau étaient mâles ou femelles, car la révolution me fit alors quitter Paris et toutes les plantations que j'avais faites. Une partie de ces travaux fut détruite , mais quelques arbres échappèrent. Par cette raison , je crois que ce ne peut pas être de Bourdigny que tous les Salisburia femelles sont provenus. » On voit d’après cela que les ginkgo, cultivés en 1790 par M. Blakie , ont peut-être disparu , et on ignore d’ailleurs si tous étaient du même sexe que le pied adressé à M. Gaussen. Enfin, personne n'a mentionné des ginkgo femelles dans les parcs des environs de Paris , tandis que tous les directeurs de jardins botaniques savent que des boutures femelles ont été com- muniquées depuis 1818, par M.de Candolle, comme venantd’un pied du jardin de Genève, pris sur celui de Bourdigny, et tout le monde les accepta alors comme une grande nouveauté. Alph. DC. 14. — NOTES SUR QUELQUES ARBRES , D'UNE GRANDE DIMEN- SION , OBSERVÉS DANS L'ORIENT ; par M. Louis CASTAGNE. (Extrait d'une lettre à M. de Candolle.) Il existe aux environs de Constantinople de très gros platanes. Le plas rémarquable est celui qui est dans la prairie de Bu- V 13 194 BULLETIN SCIENTIFIQUE. juckdéré ; il parait formé d’un groupe de plusieurs arbres, ou bien des rejetons qui se sont élevés après que l'arbre qui leur a donné naissance a été coupé; ces rejetons se seraient ensuite greffés les uns sur les autres. En creusant un peu la terre à l'entour , l'on reconnait qu'ils forment trois troncs qui partent d’une même souche ; à hauteur d'homme, ces divers troncs, qui n’en forment qu'un, offrent une circonférence de 152 pieds, et laissent dans leur centre une cavité de 83 pieds. Ce platane n’est pas élevé de plus de 60 pieds, il est encore bien vigou- reux, quoiqu'il porte quelques signes de décadence. L’on dit que non loin de là il y en avait un autre à peu près de la même grosseur , qui fut coupé lorsque le baron de Tolt faisait forti- fier les châteaux de la mer Noire. J'en ai mesuré un dans les jardins du sérail qui avait 42 pieds de circonférence au tronc. Celui qui couvre la fontaine de St.-Elie a 38 pieds, et il porte encore tous les caractères de la jeunesse ; son écorce est lisse et sans rugosités. L'on en rencontre beaucoup de cette sorte sur le Bosphore ; ils sont remarquables par l'ombre immense qu’ils projettent autour d'eux. Il serait difficile de se former une opinion sur la durée de la vie de ces arbres et sur le temps qu'ils ont employé à cet ac- croissement ; ces circonstances se modifient avec la nature du sol sur lequel ils sont placés , avec leur exposition , le milieu atmosphérique dans lequel ils s'élèvent , enfin avec beaucoup de causes qui peuvent les avoir favorisés ou retardés dans leur croissance. J'en ai vu un à l'ile de Prinkipos, dans la Propontide , dont l’âge était connu:; il avait cinquante ans. Le l'avait planté à la naissance d’un enfant que j'ai vu exercer l’état de batelier dans cette île , et-qui me confirma ce fait; cet arbre avait 16 pieds et demi de circonférence au tronc. Dans la propriété que j'habite actuellement , Montaud près de Salon ( département des Bouches-du-Rhône) , il y a deux platanes placés près d’une petite fontaine ; lon sait qu'il y a 39 ans qu'ils ont été plantés ; ils‘ ont, l'un 8 pieds, l’autre 8 pieds et demi de circonférence au tronc. En Orient, l'on cite le platane de l’île de Cos, sous lequel la tradition rapporte qu'Hippocrate donnait ses leçons. EE ir 20 gb D RSS BULLÉTIN SCIENTIFIQUE. 195 ‘Sur le Bosphore , l'atmosphère étant toujours saisie d’une grande humidité qui s’exbale des forêts voisines, des mers environnantes , de la chaine des montagnes de Bulgarie et de Bithynie , les arbres atteignent facilement à une grandeur dé- mesurée ; en Provence , au contraire , où le ciel est toujours dépourvu de vapeurs et où les pluies sont peu fréquentes, les arbres doivent s’alimenter uniquement par leurs racines. . L'on voit aux environs de Constantinople de très grands micocouliers ; il y en a de 12 jusqu’à 18 pieds de circonférence au tronc. L'on en voit un très gros dans le jardin des Pères Dominicains , au quartier de Galata ; quelques tombeaux que l'on découvrit au pied de cet arbre , il y a peu d'années , ren- fermaient des médailles en bronze de Constantin VIII et de Jean Zimicès. L'olivier est aussi un arbre qui prend un très grand déve- loppement. On en avait abattu un à l’île de Prinkipos qui périssait de vieillesse ; il avait 12 pieds de circonférence au tronc. Il en existe un à Port-Maurice, dans la rivière de Gênes, à demi-lieue du village de Caramagne, qui a 22 pieds de cir- conférence au tronc. Ce tronc est net et sans anfractuosités. Lorsque cet arbre est en récolte, il donne 450 livres d'huile fiñe ; ses branches s'étendent à une grande distance ; l’une d'elles a eu besoin qu’on l’appuyätsur des supports pour qu’elle ne s’affaissât pas. Cet arbre est lent à croître ; à Montaud, nous en avons qui ont sept pieds de circonférence au tronc ; on les regarde comme des rejetons de ceux qui périrent par l'hiver de 1709 , parce que le froid d’alors n’en épargna point dans ce quartier. . Le pistachia-atlantica prend aussi une grande croissance ; il y en a de huit et de dix pieds de circonférence au tronc, près de Constantinople. Nous mesurâmes sur le golfe de Nicomédie , dans un petit bois , un cerisier sauvage produisant des cerises jaunes, assez grosses et fort bonnes à manger ; il avait neuf pieds de tour au tronc et cent deux ra de hauteur ; il était dans un état de vigueur parfait. Je vis déraciner à Galata un cyprès qui avait 7 pieds et demi de circonférence au tronc ; on trouva qu'il était planté sur 196 BULLETIN SCIENTIFIQUE. un tombeau musulman ; sa plantation n’était donc pas anté- rieure à la conquête, c’est-à-dire à l'an 1453. À St.-Stephano sur la Propontide, il y a un laurier de 40 pieds de hauteur près d’une chapelle grecque. A Daoud-Pacha, non loin de cette localité, il y a un or- meau monstrueux ; je ne pus le mesurer, mais il me fai- sait l'effet d’un arbre de 18 à 20 pieds de circonférence. ZOOLOGIE. 13. — TRAIT REMARQUABLE DE PRÉVOYANCE D'UN ROSSIGNOL. M. Merveaux a communiqué à l’Académie des Sciences de Paris (séance du 13 juin 1836) un fait, relatif à des rossignols, qu'il a observé dans les dernières inondations , et qu'il raconte de la manière suivante : « Une partie de mon jardin avait été envahie par les eaux. Un de ces oiseaux avait fait son nid dans la haie inférieure où elles montaient avec impétuosité. Inquiet de savoir si elles par- viendraient jusqu’au niveau de ce nid, je l’observai plusieurs fois par jour. Il se trouvait à six pas environ de la ligne formée par les eaux. Il y avait quatre œufs. Un matin que l’eau n’était plus qu’à quelques lignes de la partie inférieure du nid , je m'aperçus qu'il n’y avait plus que deux œufs. Je pensai d’abord que les deux qui manquaient avaient été submergés ; mais peu d'instans après, n’en ayant plus vu qu'un seul, j'observai avec plus d'attention. Quel fut alors mon élonnement de voir les deux oiseaux raser la terre en volant avec rapidité en même temps qu'avec précaution, etse diriger xers une des parties les plus élevées du clos, emportantavec eux le dernier œuf qui restait dans leur ancien nid, et de les retrouver tous les quatre ed. “te nn Condé Ch. ns BULLETIN SCIENTIFIQUE. 197 dans un nouveau à cent cinquante pas du premier , où depuis sont éclos cinq petits. 16, — SUR LA STRUCTURE DU LABYRINTHE OSSEUX DANS LES POISSONS CYCLOSTOMES, par M. MULLER. ( cad. Roy. des Sc: de Berlin, séance du 25 avril 1836.) M. Muller a trouvé que le labyrinthe de la lamproiïe n’est pas aussi simple qu’on le croit généralement ; il a reconnu à la surface du vestibule membraneux deux canaux semi-circu- laires que Weber avait décrits comme des replis de ce vestibule, tandis que ce sont de véritables tubes partant de trois bulbes distinctes de la partie inféro-extérieure du vestibule membra- neux. Ces canaux communiquent par une fente avec la capacité du vestibule membraneux. Dans cette fente est une cloison saillante qui distingue légèrement l'entrée du vestibule, et sur laquelle se confondent les membranes qui tapissent le vestibule et les canaux. Ces bulbes communiquent avec le vestibule par de grandes ouvertures; c’est d'elles que part le nerf auditif ‘qui se divise en deux branches. Une organisation toute différente a lieu dans les cyclostomes à mâchoires perforées. Le vestibule cartilagineux et le laby- rinthe sont annulaires , et il n’y a qu’un canal demi-circulaire. F.-J. P. 17. — DÉCOUVERTE D'APPENDICES EXTERNES AUX ORGANES RESPIRATOIRES DANS UN INSECTE PARFAIT, par M. GUÉRIN. (cad. des Sc. de Paris , séance du 20 juin 1836.) M. Guérin a trouvé dans un insecte hexapode aptère, placé par Latreille dans son ordre des Thysanoures, sous les segmens abdominaux, et à côté d'appendices comparables aux fausses pattes des crustacés , de petits sacs membraneux d’une orga- nisation semblable à celle des organes respiratoires d’un grand 198 BULLETIN SCIENTIFIQUE. nombre de crustacés inférieurs. Cette découverte de bran- chies chez un insecte paraît à M. Guérin établir un point d'union entre deux classes que l’on croyait bien séparées. Ne connaissant rien d’autre de la communication faite à l’Acadé- mie par cet habile observateur, nous ne pouvons pas nous prononcer sur ce rapprochement ; mais il nous semble que si Y'insecte dont il s'agit, et qu'il ne nomme pas, respire par des trachées, ces appendîices sont comparables aux fausses branchies des larves d'insectes , et non aux brarchies des crustacés, et que s’il n’a pas de trachées, c’est alors un véritable crustacé, et non un insecte dans l’acception actuelle de ce mot. F.-J. P. 18. — NOTE SUR DES ÉTUIS DE PHRYGANES ENVOYÉS DU Brésiz pAR M. BLANCHET. Il y a quelques mois que M. Moricand a reçu des environs de Bahia, de M. Blanchet, une grande quantité de corps pier- reux ressemblant pour la forme à de petites hélices, mais d'un extérieur un peu raboteux. Ces objets, qui lui furent envoyés comme coquilles, étaient en effet très bien faits pour induire en erreur; mais il reconnut, au premier coup d'œil, qu'ils n’offraient pas le caractère d’hélices, et eut la complaisance de me les apporter, car il lui semblait y reconnaître des étuis analogues à ceux que j'avais décrits pour leslarves des phryganes. Je les reconnus en effet évidemment pour tels ; mais, en même temps, leur forme bizarre nerentrait aucunement dansaucun des types qui se trouvent dans nos environs. Elle ne me parut pas ‘cependant tout à fait nouvelle, et en effet j'ai retrouvé dans Réaumur quelque chose de semblable. Cet illustre entomolo- giste donne, dans le 5m mémoire de son tome 3, une figure et une description de tuyaux de ce genre trouvés près d'Etampes par M. Bazin, qui lui avait envoyé en même temps une petite phrygane noire comme provenant de ces tuyaux. Réaumur n’a “pas pu réussir lui-même à voir la larve, de sorte que le four- veau seul en est connu. F BULLETIN SCIENTIFIQUE. 199 - J'ai cherché à aller plus loin sur l'espèce reçue de Bahia, et je suis en effet arrivé à des données plus certaines , sur la forme de la larve , que je n'aurais osé l’espérer. Je remarquai d’abord qu’une partie de ces étuis étaient fermés par une sorte d'opercule, et que d’autres étaient ouverts. Cet opercule, qui est de nature soyeuse et assez épais, est évidemment l’analogue des grilles avec lesquelles la plupart des larves de phryganides férment leurs étuis ; mais il présente une forme très remar- quable et tout à fait différente de ce qui a été observé jusqu’à présent. Ordinairement ils sont composés de fils soyeux assez espacés pour laisser passer l’eau et forment ainsi un réseau irrégulier. Mais dans celui qui nous occupe, le tissu est trop serré pour que l’eau puisse le traverser ; il a donc fallu une précaution particulière pour y suppléer , car il est nécessaire que l’eau se renouvelle dans l’intérieur. Ils sont munis d’une sorte de bouche située un peu en dessous du milieu et occupant les =/3 de la longueur. Cette ouverture, qui représente une fente allongée, est dentée ou plutôt crénelée irrégulièrement sur ses bords: Elle a 10 à 12 dents de chaque côté ; quelques-unes d’entre ellés sont bifurquées. Je ne sais pas jusqu’à quel point ‘il peut y avoir dans cette membrane un mouvement dépendant de la volonté de l'animal. J'ai ensuite ramolli un grand nombre de ces petits étuis, et en les décomposant avec soin, je suis arrivé à recueillir quel- ques fragmens de la larve et de la nymphe. J'ai d’abord ouvert ceux qui étaient munis d’opercules, et je n'y ai trouvé que ce second état. Les larves étaient dans les étuis ouverts. Leurs parties molles étaient trop racornies et décomposées pour : qu’on pût en tirer parti. Mais en réunissant plusiea-s individus, j'ai pu arriver à une connaissance assez exacte des parties du- res. La forme générale de la larve rappelle, au premier coup d'œil celle de nos séricostomes ou mystacides, caractérisés par une tête petite et arrondie, et les trois anneaux du thorax d’une largeur assez égale entre eux. La couleur générale m'a paru fauve. Les pattes sont médiocres et se rapprochent de celles des séricostomes et grandes mystacides, plutôt que des petites es- pèces de ce dernier genre. Le prothorax, le mésothorax et les pattes sont médiocrement velus. La consistance écailleuse de 200 BULLETIN SCIENTIFIQUE. ce dernier et celle du métathorax l’éloignera des séricostomes pour le rapprocher des grandes mystacides. Les parties qui ressemblent le moins à nos espèces européennes sont les mandi- bules, qui sont assez allongées, obtuses, légèrement échancrées en dedans du sommet, mais sans dents. En résumant ces ca- ractères , la larve est intermédiaire entre les séricostomes et les grandes mystacides. J'ai passé ensuite à l'examen de la nymphe que j'ai recom- posée presque en entier. Onsaitqueles nymphes de phryganides différent peu les unes des autres, à l'exception des caractères de l’insecte parfait qu'elles présentent déjà etde la formedu der- nier anneau. On reconnait dans celle-ci les rudimens des ailes et les pattes disposés comme à l'ordinaire ; les dernières de celles-ci sont fortement ciliées, circonstance ordinaire qui sert à permettre à la nymphe de nager avec facilité. Les mandibules sont grandes el arquées.Les autres caractères s'accordent avec ceux de la larve pour la rapprocher des grandes mystacides. Les antennes sont assez longues et les palpes maxillaires à cinq articles ; mais il est à remarquer qu'ils sont moins longs que dans les mystacides, et rappellent un peu ceux des femelles de séricostomes ; du reste, on ne peut pas voir encore si l’insecte: parfait les aura velus. En résumé donc, il paraît que cette espèce, qui est certaine- ment nouvelle, se placera près des grandes mystacides et for- mera peut-être un sous-genre nouveau, intermédiaire entre celles-ci et les séricostomes. Nous attendrons pour cela que quelque heureux hasard nous l'ait procurée. M. Moricand a aussi recu, comme venant de Cuba, un étui voisin par la forme du précédent, mais dans lequel les spires s'enroulent un peu différemment. Il est en forme de cône , et la dernière spire forme une arête saillante et non un tour arrondi; de sorte que l'aspect général de cet étui est celui d’un petit trochus oblus, comme le précédent rappelle assez bien l'apparence d’une hélice. F.-J, P. PP BULLETIN SCIENTIFIQUE, 201 19. — NOTICE SUR UN INSECTE DESTRUCTEUR DES TURNEPS. (Philos. Magaz., 3° série , tome 8.) M. Jarrell a lu à la Société Zoologique de Londres des notes sur l’économie d'un insecte destructeur des turneps , nouvel ennemi qu'il faut ajouter aux deux espèces d’Æ/tica qui d’ordi- naire les attaquent, c’est l’Ætalia centifoliæ, hyménoptère de la famille des Tenthredinides et déjà décrit par Panzer. Cet insecte ne paraît que dans les années sèches et où il y a eu absence presque totale de pluie. William Marshall l'avait déjà observé en 1782 dans le comté de Norfolk , et publia une notice à ce sujet l’année suivante dans les Transactions philo- sophiques. De bonne heure, en juillet 1835, on apercut une mouche jaune sur les jeunes turneps ; les fermiers la reconnurent pour l'avoir déjà vue en 1818 ; elle fut suivie par des chenilles connues sous le nom de noires. Ces chenilles se nourrissent des portions molles des feuilles des turneps et ne touchent point aux parties fibreuses. Elles posent ensuite leur peau noire , et en prennent une de couleur d’ardoise ou grise, puis s’enfoncent dansle sol, oùelles se formentavecde la terre un fortcocon ovale, passant bienlôt à l'état parfait, et prêtes à fournir une autre génération d'insectes destructeurs ; et en effet la destruction qu'ils occasionnent est quelquefois si complète et si rapide que l'on a vu des champs entiers de turneps ne plus offrir, au bout de deux ou trois jours, qu'un assemblage de feuilles changées en squelettes, et même quand les turneps avaient déjà atteint une grosseur considérable. : Pour diminuer le rayage opéré par ces insectes, l’on a con- duit dans les champs infestés un grand nombre de canards qui dévoraient avidement les chenilles qu'un enfant faisait tomber des feuilles au moyen d’une grande perche ; quelquefois aussi on a passé un pesant rouleau sur le terrain , à la nuit, quand les chenilles étaient occupées à se nourrir ; d’autres fois enfin on a répandu une couche épaisse de chaux vive sur le champ et on la renouvelait chaque fois que le vent l'avait enlevée. 202 BUÉLETIN SCIENTIFIQUE, C'est ce dernier procédé qui généralement paraît avoir produit le plus d'effet préservatif. F.-J. P. 20. — OBSERVATIONS SUR LES HABITUDES DE QUELQUES ES- PÈCES D'ABEILLES , par WVATERHOUSE. (Entomolog. Magaz. T. I, p. 496.) Voici comment l’auteur expose ses observations : « Le 12 juin dernier, me promenant sur les bords de la rivière Mersey, j'observai une espèce de Mégachile très abon- dante ; c'étaient des mäles volant ou arrêtés, se chauffant au soleil ou suçant le miel d'une petite fleur jaune, le lotus corni- culatus, je crois, qui était très commune. J'observai sur les bords de la rivière plusieurs petits trous ; ayant creusé le sol, J'aperçus deux ou trois nids construits de la même manière que ceux du Mégachile Willughbiella , quelques-uns avec des feuilles de roses mais occasionnellement avec des feuilles d'autres plantes. J'emportai ce nid chez moi, et peu de temps après en sont éclos des individus du Mégachile circumcincta. Je soupconnai donc que les abeïlles que j'avais vues dans leur voisinage étaient les mâles de cet insecte, soupçon qui fut bien- tôt confirmé en retournant de nouveau à la même place. Les femelles du M. circumcincta ÿ étaient alors en abondance et occupées à faire leurs nids, et elles me donnèrent plusieurs fois la preuve de leurs relations avec les mâles. J'en pris plusieurs paires, le mâle embrassant la femelle en se plaçant sur ses ailes, mais ne pouvant plus voler ; alors ils tombaient promp- tement sur le terrain. « Les nids de ces insectes sont généralement placés à environ six pouces dans le terrain, dans un sol léger, et consistent en trois ou quatre cellules cylindriques jointes bout à bout. L'in- secte parfait, quand il est formé, sort par Le côté de la cellule, près du sommet. J'ai élevé plusieurs individus des deux sexes ; . les œufs sont pondus en juin, l’insecte a achevé toutes ses transformations dans le mois de septembre, et reste dans un état de torpeur jusqu’au mois de juin suivant. J'ai mis plusieurs BULLETIN SCIENTIFIQUE. 203 individus en liberté, en ouvrant leur cellule, pendant l'hiver; la chambre étant chaude, ils se sont mis à ramper avec vivacité, mais ils étaient incapables de voler. «Le 19 juin 1835 j'ai pris quelques individus du Cœlioxys conica des deux sexes, ils volaient autour des nids du Méga- chile dont j'ai parlé (M. circumcincta). Je vis une femelle entrer dans un trou et j'étais prêt à mettre ma coiffe dans le trou pour m'en saisir, quand, à ma grande surprise, une fe- melle de Mégachile entra dans le même trou ; ils restèrent une minute ayant d'en sorür l’une et l’autre, le Cælioxys vint le premier, mais m'échappa , je pris l'autre. « En septembre 1835, en regardant la cage où j'élevais mes abeilles, je trouvai que les larves qui étaient dans les cocons du Mégachile étaient toutes passées à l'état de nymphes. Un petit nombre étaient sorties de leur cellule, et je les trouvai mortes dans la cage. Il y avait parmi ellesun individu de Cæœlioxys conica aussi mort, ce qui montre assez évidemment que cette espèce de cœlioxys est un parasite du M. circumcincta , et je pense aussi du Willughbiella. Je dois remarquer que j'ai des cocons d’une autre espèce d'abeille (Oxmia atricapilla) , mais que je n’ai jamais observé de Cœlioxys près des nids de cette espèce qui se trouvent toujours dans une situation tout à fait différente. » 21. — NOTE SUR UN MOYEN DE DÉTRUIRE LA PUNAISE DES Lis , par M. FOURNEL. (Mém. de l’Acad. des Sc. de Metz, et Institut, N° 160, juin 1836.) Au printemps, dit l’auteur, j'avais récolté ane centaine de pieds de la plante nommée par les hotanistes Zepidium ruderale et vulgairement Passe-rage , et je les avais placés sur une planche, dans mon cabinet, après les avoir desséchés. Dès cet instant, les punaises, qui étaient en abondance dans l’ap- partement, parurent plus rares et finirent même par disparaître complétement. J'étais loin d'en soupconner la cause, quand, au bout de quelque temps, en ouvrant le papier qui renfermait 204 BULLETIN SCIENTIFIQUE. le ZLepidium, je vis une quantité prodigieuse de ces insectes placés comme des essaims autour de chaque branche, de cha- que feuille, et même de chaque fruit ; le papier était couvert d'œufs, et les punaises étaient mortes pour la plupart, ou en- gourdies. 22.— RECHERCHES SUR LE DÉVELOPPEMENT DES MOLLUSQUES, par M. E. JAcQuEnIN. (Mémoires lus à l’ Acad. des Sc. de Paris les 8 et 15 février 1836.) Les observations de M. Jacquemin portent principalement sur les Planorbes. Il a observé que le développement de l’em- bryon ne commence pas à la fois par tous les points du vitellus; le premier signe visible de ce développement est un mouve- ment moléculaire des granules qui remplissent , avec un liquide l'intérieur du vitellus. L’on remarque ensuite des mouvemens de rotation du vitellus lui-même, puis l'apparition de la tête et du pied réunis et celle du poumon. La coquille n’est visible qu'au dixième jour, sous la forme d’une pellicule mince et transparente. Au onzième, deux des globules commencent un mouvement régulier de contraciion, et forment les rudimens du cœur. Plus tard, l'embryon se meut dans l'intérieur de l'œuf; au treizième jour on observe des mouvemens de dé- glutition , il se nourrit de l'albumine, et il sort au quatorzième jour en fendant l'enveloppe de l'œuf. 11 jouit d’une respiration aquatique jusqu’à cé que les poumons soient développés, ce qui a lieu cinq à six jours après l’éclosion. z F.-J. P, 23. — REMARQUES SUR LA DIFFICULTÉ DE DISTINGUER CER- TAINS GENRES DE MOLLUSQUES TESTACÉS PAR LEURS CO- QUILLES SEULES , ET SUR LES ANOMALIES, QUANT A LEUR HABITATION, OBSERVÉES DANS CERTAINES ESPÈCES , par John EnwArD Gray, Esq. T. R.S., etc. (Edimb. new philos. Journ. 1836 , v. 20.) C’est une erreur très commune, soit parmi les conchyliolo - gistes, soit parmi les géologistes, de regarder toutes les co- then RÉ. LR Sd nt Sd à: à: à BULLETIN SCIENTIFIQUE. 205 quilles dans lesquelles on ne peut observer aucune différence sensible dans la forme et les caractères comme habitées par un méme genre d'animaux, et il est non moins ordinaire d'é: tablir que toutes les espèces d'un même genre habitent des localités semblables. Plusieurs géologistes ont encore étendu cetie erreur en regardant comme établi que toutes les espèces fossiles des coquilles, qui peuvent se rapporter, par les carac- tères de leurs coquilles , à des genres récens , doivent avoir été formées par des animaux qui, dans leur état récent, possèdent les mêmes habitudes que les espèces les plus communément observées du genre auquel elles paraissent appartenir. Mais, depuis les travaux de Polli, Moutagu, Muller, Lamarck et Cuvier, on sait qu’il existe de nombreuses exceplions à ces deux principes. L'auteur, dans un Mémoire inséré dans les Transactions philosophiques , range ces exceptions sous les deux chefs suivans : 1° Coquilles offrant toutes les apparences d’appartenir au même genre naturel , mais habitées par des animaux présen- tant des caractères très différens. 2° Espèces de mollusques lestacés, vivant dans des situations très différentes de celles de la majorité des espèces connues du genre auquel elles appartiennent , où ayant la faculté de con- server leur existence dans plusieurs situations différentes. L'auteur classe ensuite sous ces deux chefs les différens mol- lusques chez lesquels se présentent ces espèces d'anomalies qui font le sujet de son Mémoire, et entre dans des détails précieux pour la science sur les espèces les plus rares et sur celles qui offrent les exceptions les plus frappantes aux règles admises jus- qu'à présent ; mais ces détails n’étant pas susceptibles d'extrait, nous devons y renvoyer le lecteur dans le mémoire original. 24.— INDICATION DE QUELQUES NOUVEAUX TRAVAUX SUR LES MOLLUSQUES. 1° Notice sur le genre truncatella de Risso , par M, Caw- TRAINE, (Institut, 6 avril 1836.) | 206 BULLETIN SCIENTIFIQUE, 2° Anatomie d’un organe corné particulier , trouvé dans la bourse à pourpre, d’une nouvelle espèce de Parmacella. (Jbid.) - « Ces deux Mémoires ont été présentés à l'Académie des Sciences de Paris. 3° Catalogue des mollusques marins et des crustacés du Boulonais, par M. BoucHARD-CHANTEREAU. Boulogne 1835; deux brochures in-8°. 4° Histoire des mollusques terrestres et fluviatiles du dépar- tement de la Sarthe, par M. Gouriz. Brochure in-12. Mars, 1835. 5° Catalogue des espèces et variétés de mollusques terrestres et fluviatiles de l'Auvergne ; par M. BouILzeT. Brochure in-8°. Clermont-Ferrand, 1836. 25. — NOTE SUR LES BÉLEMNITES, par M. VOLTz, lue à la Soc. d’Hist. Nat. de Strasbourg, le 5 janvier 1836. (Extr. de l'Institut, N° 157.) L'auteur cherche à montrer , dans ce Mémoire, que les coquilles des bélemnites peuvent servir de clef pour lier entre elles les formes des autres céphalopodes. Dans un précédent travail, il avait déjà établi l’analogie des bélemnites avec les calmars fossiles. Dans celui-ci, il fait voir qu’elles offrent de grands rapports avec les calmars connus sous les noms de Loligo sagittata et vulgaris , caractérisés en ce que la gaine des bélemnites n'existe plus, mais qui présentent encore, dans la première , l’alvéole complète, avec cette différence qu’elle est simplement cornée et ne se pénètre plus de matière cal- caire. En comparant les bélemnites et les orthocères , il trouve que, dans ces dernières, la gaine des bélemnites existe encore, mais seulement dans sa partie postérieure ou spirale. La portion alvéolaire est la même dans ces deux genres de coquilles, mais plus allongée dans les orthocères, et le siphon varie pour la position. BULLETIN SCIENTIFIQUE. 207 26. — CONSPECTUS SECTIONUM, GENERUM ; SUBGENERUM ET SPECIERUM NOVORUM, QUÆ IN FASCICULO PRIMO PRODROMI : DESCRIPTIONUM ANIMALIUM, A MERTENSIO, IN ORBIS TERRA- RUM CIRCUMNAVIGATIONE OBSERVATORUM REPERIUNTUR. Aut. J.“F. BRANDT. Les Annales des Sciences naturelles (mars, 1836. Tome 5 ; p-. 180) renferment un catalogue des animaux nouveaux > r'ap- portés par Mertens de son voyage autour du monde, et décrit dans le premier fascicule de son Prodromus. Ce Catalogue ne contient que les zoophytes, des divisions indiquées par Cuvier sous les noms dé Echinodermes, Acalèphes , et Polypes. Les noms des espèces sont indiqués avec les localités, mais sans description. 27. — NOUVEAU GENRE DE VERS TROUVÉS DANS LES MUSCLES DE L'HOMME, par M. Owen. ( Note lue à l'Acad. des Se. de Paris 1® février 1836, et Trans. de la Soc. Zool. de Lon- dres, 4° partie du tome 2.) L< Ces vers ont été trouvés dans le tissu musculaire ; ils ont, au plus, demi-ligne de longueur ; ils sont de forme cylindrique et pourvus d'un orifice buccal supérieur. Ils se trouvent or- dinairement solitaires, enroulés dans des kistes formés aux dépens du tissu cellulaire. M. Owen leur donne le nom de Trichina spiralis. ASTRONOMIE. Addition relative à un passage de l'article d'astronomie : page 139, ligne 24 du Bulletin Scientifique de ce cahier. D'après un Post-Scriptum inséré au bas de la p. 80 du nu- méro 293 des 4str. Nachrichten, sir John Herschel a ob- 208 BULLETIN SCIENTIFIQUE. servé en Angleterre les deux satellites de Saturne les plas voisins de cette planète ; mais il paraît que ce n’est que depuis son séjour au Cap de Bonne-Espérance qu'ila constaté ce fait, et c’est dans une lettre particulière à M. Bessel qu'il l'a an- noncé. À.:G: OBSERVATIONS MÉTÉOROLOGIQUES faites A GENÈVE, AU SAINT-BERNARD ET A ZURICH, PENDANT LE MOIS DE SEPTEMBRE 1836. 210 OBSERVATIONS SEPTEMBRE 1836. — OBSERVATIONS MÉTÉOROLOGIQUES faites à l'OIR lat. 460 12", long. 15° 16” de temps als BAROMÈTRE TEMPÉRATURE EXTÉRIEURE a [es ele RÉDUIT A 0° EN LEGRÉS CENTIGRADES, ln T | si & gh. 3 h, 9 h. CE D du Midi. du -du Es ë matin. soir. soir. milices | millim. | millim. 1 730,68 | 750,23 | 730,78 cl © 727,54} 727,8 | 729,27 3 728,85 | 726,29 | 724,58 ri 722,65 | 722,50 | 721,11 5 725,75 | 723,60 | 726,77 6 724,26 | 724,50 | 724,57 7 725,18 [72215 | 729,95 8 725,44 | 725,84 | 726,06 9 725,54 | 725,57 | 729,04 10 728,86 | 727,63 | 727,89 el: 729,18 | 729,31 | 729,78 12 727,18 | 726,55 | 795,71 + 15 726,92 | 726,77 | 726,22 +11,2 14 726,56 | 727,18 | 728,86 + 9,1 15 726,89 | 726,05 | 727,08 + 8,8 16 727,5h | 726,95 | 727,84 + 9,9 47 727,71 | 727,23 | 727,09 + 9,4 21: 724,05 | 725,70 | 724,06 #11,8 19 725,87 | 725,84 | 725,59 +11,9 20 726,52 | 726,27 | 728,12 +10,8 21 750,05 | 729,85 | 751,78 + 9,8 92 754,95 | 734,58 | 755,75 + 8,5 25 756,53 | 755,76 | 757,25 #12,5 A ET 755,44 | 754,78 | 755,04 +14,8 25 754,90 | 754,00 | 754,24 #15,2 26 735,55 | 752,04 | 752,51 27 751,11 | 729,96 | 729,82 28 727,69 | 726,47 | 726,57 725,11 | 721,84 | 720,74 721,61 | 721,64 | 725,06 —— {| ——— 727,85 | 727,55 | 728,05 | H4,22 | 416,70 | 417,02 Moyens. MÉTÉOROLOGIQUES. 211 » servatoire de Genève, à 407 mètres au-dessus du niveau de la mer; soit 3° 49' à l'E. de l'Observatoire de Paris. ÉTHRIOSCOPE ÉTAT pv CIEL. EN DEGR, CENT. oo 9 h. du Midi. malin. clair. |clair. clair. |clair. qq- nu. | nuag. nuag. | nuag. pluie, | pluie. nuag. |nuag. nuag, | qq- nu. pluie. | couv. pluie. | pluie. nuag. |clair. couv. | éclairs. pluie. |éclairs. couv. | couv. nuag. |couv. lég. pl. | nuag. nuag. | couv. vap. éclairs. couv, | couv. nuag. |couv. qq: nu. | qq. nu. qq. nu. | qq. nu. lég. br. | qq. nu. brouil. | nuag. nuag. |éclaics. vap. |vap. nuag. | qq-nu. clair. | clair. couv. | couv. nuag. | nuag. pluie. | pluie. 19 es si! LÉ OO LA e vw 50855 v_ 1 e 1 u = Ut > © NJ OI QI ON 0h19 s Q C1 9 SI © OL 19 CRT ss v OR OI © © JO © D O © O1 ST SN NO Où CT D Ôt OT O1 OT Ê N © D © NE ER QU Er 7 a CL Cote ww Ve ZLLOZLAZAAZÉ te) © 1 1 2 2 1 0 1 1 1 2 0 0 1 2 2 rer O009 OBSERVATIONS SEPTEMBRE 1856. — OBsERvATIONS MÉTÉOROLOGIQUES faites au ce | *“ANQ'T VI HG SASVHd "SION ANG SHnOof _ © © © NI © O1 E O1 NO = 566,18 | 566,87 | 566,59 | 566,48 | 566,70 | + 0,69! + 2,52] + 4,15] + 5,81] + 1,06 la mer, et 2084 mètres au-dessus de l'Observatoire! di | BAROMÈTRE TEMPÉRAT. EXTÉRIEURE RÉDUIT A 0° EN DEGRÉS CENTIGRADES-: EE | 9 b. F Lever 9 h. | 3 h. gh. {| du Midi. du du du Midi, du du | malin. soir. soleil. | matin. soir. soir. | millim. | millim. 575,21 À + 6,2 | + 7,4 | +12,5 | 412,2 | + 8,4 570,95 À + 7,1 | + 8,8 | 410,9 | 412,6 | + 7,1 569,85 | + 6,5 | 410,7 | 415,0 | 411,2 | + 7,5/ 567,65 À + 6,0 | + 6,2 | + 8,0 | + 8,0 | + 6;1 563,88 | + 5,0 | + 3,8 | + 1,5 | + 2,7 | - 1,0 565,55 D — 2,9 | + 2,7 | + 5,8 | + 5,8 | + 0,7 561,94 — 1,0 | + 2,5 | + 5,6 | + 4,0 | - 1,2 | 563,36 | - 1,4 | + 0,5 | + 2,4 | + 4,4 | - 1,51 567,67 | - 1,9 | - 0,2 | + 6,6 | + 5,0 + 0,9 | 566,11 À + 2,5 | + 5,6 | + 6,0 | + 6,5 | + 1,6 565,49 | 565,58 | 563,53 | 565,82 0,0 | + 2,9 | — 1,2 | = 5,4 | - 6,1 562,85 | 562,95 | 562,72 | 562,85 | - 7,9 | - 5,6 | - 0,8 | + 0,5 | - 5,5 562,13 | 562,55 | 563,06 | 562,78 | — 4,8 | - 2,2 | - 0,2 | = 0,9 | — 41,5 561,75 | 561,99 | 562,35 | 565,16] -— 1,7 0,0 | + 1,7 | = 2,0 | - 4,5 À 562,65 | 562,55 | 562,48 | 562,74. — A,4 | - 5,0 0,0 | = 2,1 | - 3,8 563,48 | 565,50 | 564,23 | 564,77 À - 5,0 | - 0,9 | + 1,9 | + 2,5 | — 1,9 565,95 | 565,95 | 565,75 | 565,160 - 2,5 | - 1,7 | - 0,5 | - 1,6 | - 2,5 563,12 | 562,90 | 562,67 | 562,80 À - 1,7 | + 0,1 | + 5,1 | + 6,6 | + 1,2 562,07 | 562,35 | 562,01 | 562,76 À + 0,5 | + 5,5 | + 5,9 | + 2,5 | - 0,9 562,92 | 565,52 | 565,81 | 564,451 - 2,2 | - 4,7 | + 0,4 | + 0,4 | - 0,9 565,52 | 566,05 | 566,04 | 567,27 À - 2,6 | - 2,1 | - 0,5 | - 0,5 | - 2,5 569,02 | 569,68 | 569,98 | 571,22 À - 4,4 | — 4,0 | + 1,0 | + 4,6 | + 0,5 572,18 | 572,62 | 572,75 | 575,52 À + 0,4 | + 5,5 | + 5,7 | + 5,0 | + 5,2 575,56 | 573,65 | 575,69 | 575,998 + 5,5 | + 5,7 | + 5,5 | + 6,0 | + 4,0 | 575,65 | 575,61 | 575,58 | 575,56] + 5,0 | + 5,8 | + 6,8 | + 6,5 | + 5,6 575,00 | 572,99 | 572,85 | 572,96 À + 3,1 | + 7,1 | + 9,4 | + 9,8 | + 5,2 572,92 | 572,60 | 572,19 | 572,00 À + 2,5 | + 5,6 | + 6,5 | + 6,5 | + 5,8 569,16 | 568,82 | 567,25 | 566,25 À + 5,5 | + 4,2 | + 5,2 | + 4,5 | + 5,4 565,57 | 565,65 | 565,06 | 565,87 À + 2,4 | + 4,4 | + 5,3 | + 4,0 | + 3,5 561,57 | 561,54 | 561,69 | 563,26 À + 5,1 | + 2,5 | + 2,6 | + 2,5 | + 0,8 MÉTÉOROLOGIQUES. 213 vent du Grand Saint-Bernard, à 2491 mètres au-dessus du niveau de Benève; latit. 45° 50° 16”, longit. à l'E. de Paris 4° 44" 30”. TEMPÉRAT EXTRÊMES. * A, 9 b. du soir, Minim. | Maxim: soleil. deg. À millim. 86 « » 87 x 2 86 | à 88 95 »} couv. serein. sol. nua. brouill. pluie. serein. neige. neige. neige, sol. nua. neige. sol. nua. neige. neige. brouill, serein. couv. neige. brouill. neige. brouill. serein sol. nua. brouill, brouill. serein. brouill. brouill. sol. nua. brouill. ” Se Le nouvuoz PR2Z HOO >= Qt or Er 3 ‘ee we ve BHEHEHOOO0O È Es © N 19 — O1 O1 w vw v a © [ Ve OÙ O1 © Gr = O1 none e7 [ VALVE 2 RÉ HHHEOOO Ein ti © PZ22 HO v BASE NI, ho une e Z22ZZZ et Hi 2 HHHHE OO PZZZ EE HE © © © a © ss se Ve ET D OT 0 G1 9 = O1 D C1 b9 O1 LT Le AIAUSCWOOUBRS ER Ve n [ nn 1-51 OU Te) Fi 3 1 1 © © e es En it RREIEEFTEFFERFFFTF SONNVES SN ESS Le ZZLLLZZ 2A22Z2Z & tx ti ti © ZAZLLZZZ En ae pan O000O [ AA O0000O 1 prop O0O0000O 1 [ FFF + se O1 9 O1 = © © AA a | 90,0! 89,9 87,2] 87,0 90,5] 575,59 sol. nua. serein. sol. nua. couv. neige. sol. nua,. sol. nua. sol. nua. sol. nua. sol. nua. neige. sol.nua. neige. brouill, sol. nua. sol. nua. neige. sol. nua. brouill. sol. nua. sol. nua. serein. sol. nua. sol. br. sol. nua, serein. couv. pluie. couv. neige. 214 OBSERVATIONS SEPTEMBRE 1836. — OBsERVATIONS MÉTÉOROLOGIQUES faite lat. 470 22" 30", long. à! BAROMÈTRE TEMPÉRATURE EXTÉRIEURE RÉDUIT A 00 EN DEGRÉS CENTIGRADES. 9 h. BIRE 9 h. 8 h. 8 h. du Midi. du du du da soir. soir. matin. soir. *ENONOT V1 40 SYSVHd ‘SION ANG SuNO£ » millim, | millim, | nullim. 1 727,21 |726,48 727,46 25,5 +14,1 2 725,80 |725,08 |724,67 24,0 +18,6 5 726,67 [724,50 |721,25 22,1 +41 7,5 1 720,50 [718,95 |717,98 26,0 +18,8 5 718,90 |719,74 |722,55 12,5 +16,6 6 721,85 |720,71 |721,84 17,5 +12,5 7 720,53 [719,91 [720,34 415,0 +11,6 8 724,85 |721,52 |725,05 +12,0 9 724,95 [722,64 |725,24 411,5 725,22 | 724,55 |725,97 11 724,91 [724,92 |725,94 + 8,5 | + 7,8 | + 7,5 12 724,05 |721,90 |721,08 +9,14 | +9,6 | + 8,8 13 724,92 | 721,85 |719,92 410,0 | + 9,7 | +10,0 14 722,47 [725,14 |721,50 + 8,8 | + 9,9 | + 8,8 15 725,75 |725,16 |723,87 + 9,6 | + 9,5 | + 9,9 16 724,19 |724,20 |724,86 + 8,8 | + 9,6 | + 9,3 17 724,70 [724,06 |725,19 441,8 | + 9,0 | 412,1 > 115 720,68 |720,45 |720,45 411,9 | 410,6 | 412,1 19 720,76 | 720,28 |722,25 412,1 | 411,5 ni 20 723,52 [725,07 |724,67 411,35 | 411,5 24 726,95 |726,97 |729,00 410,0 | 414,0 22 752,04 |751,70 |752,69 + 9,9 | + 8,8 23 752,62 [751,74 |751,65 À +11, 415,35 | +10,5. «3 | 24 751,55 [751,16 |751,51 À +13,8 415,1 25 751,57 |750,91 |751,86 | 16,3 +15,8 26 750,44 |729,67 |729,47 À #15,1 412,1. 27 727,47 |726,51 [726,58 À 11,1 + 9,5 28 725,95 [722,70 |725,69 À +15,0 411,5 29 719,87 [718,59 |718,27 À +14,4 415,5 50 716,25 [747,40 |721,57 À 415,9 +12,8 Moyens! 724,55 ot 720,56 | 725,89 [724,18 [415,04] Far 415,74] 12,82/ #12,20 MÉTÉOROLOGIQUES. 215 à Zurich, à 432 mètres au-dessus du niveau de la mer ; VE. de Paris 6° 12° 25”. TEMPÉRAT. S HYGROMÈTRE. À Eau EXTRÈMES. FPE les 5h. | 9h, 9 heures 3 heures da du 24b. du da soir. | soir. matin. soir. ‘ degr. millim 410,6 | 422,8 À 86,4 | 74,7 | 70,5 » [SE O-S-O f clair. clair. ps 426,0 À 82,0 | 72,4 sn 0,05 a ee nuag. clair. 15,5 | 422,8 | 80,6 | 76,8 ; » = couv. clair. Ha,s | 426,2 À 7922 | 66,0 | 62,7 » [so N-N-O | qq. n. clair. 412,0 | 418,2 9 92,6 | 92,2 | 95,4 5,62 ÎE-S-E | O-N-O 1 pluie. couv. L+ 9,6 | 418,4 À 82,0 | 74,5 | 80,8 0,812 10 S-E clair. pluie. 44,0 | 415,5 À 87,22] 81,0 | 74,5 7,19 | S-O S-E pluie. couv. + 9,6 | 415,0 186,7 | 77,5 | S8,0 0,03 } N-O couv. pluie. + 8,5 | 14,9 D 76,0 | 82,1 | 85,5 4,25 | S-S-O nuag. clair. 40,8 | 416,5 # 79,2 | 75,1 | 76,6 0,02 } E-N-E cour. pluie. + 6,8 | H11,8 88,7 | 85,0 | 81,4 2,80 | S-E pluie. couv. + 6,0 | 412,9 D 87,2 | 75,9 | 72,7 8,11 O-S-O nuag, pluie, + 7,1 | 410,6 89,5 | 89,7 | 92,1 0,68 À S-O: couv. pluie, + 8,8 | 441,6 92,6 | 89,9 | 93,5 0,01 À N-O pluie. cour. + 7,5 | 411,9 D 90,1 | 81,2 | 86,7 0,26 ! N-N-O pluie. couv. + 7,8 | 412,5 L 88,5 | 79,2 | 86,6 0,58 | O-N-O cour. clair. + 6,6 | 415,5 D 86,5 | 81,0 | 73,2 » | N-O nuag. couv. + 9,6 | 414,4 R 92,4 | 85,1 | 85,4 0,99 À N-O S-E pluie, couv. H0,4 | 444,6 85,6 | 80,7 | 78,5 0,04 JO-N-O | O-N-O À cour. couv. #+ 9,4 | 414,0 187,9 | 79,4 | 78,3 » DO-N-O | O-N-O Î couv, couv. + 9,4 | 444,1 189,2 | 79,6 | 74,0 » [O-S-O |N-0 nuag. clair. + 7,5 | 42,5 À 86,5 | 87,1 | 76,2 » N couv. couv. +7, | 45,8 188,1] 71,0 | 71,1 0,02 O-S-0 E qq.n. pluie, 410,0 | 416,8 À 91,5 | 91,0 | 87,5 0,68 S-E couv. couv. 44,0 | 419,6 D 92,2 | 88,1 | 82,7 0,64 O-N-O couv. clair. H0,5 | 418,5 D 89,5 | 76,5 | 74,2 » E bro, clair. + 7,5 | 420,0 D 90,4 | 82,5 | 81,1 » S bro. clair. + 8,8 | 420,6 À 92,5 | 79,1 | 78,2 0,02 O bro. pluie. + 9,4 | 420,5 À 90,7 | 80,4 | 77,0 » S couv. couv. #11, | 415,0 D 91,9 | 91,5 | 88,2 » O couv. couv. ne —_—_—_— © à + 9,75] 416,72 LE ie [2,28 33,01 216 OBSERVATIONS MÉTÉOROLOGIQUES. Pression atmosphérique. — Nous voyons aux trois stations le baromètre suivre sa marche ordinaire. À Genève et à Zurich, nous remarquons un abaissement de 9 h. du matin à 3 h. après-midi, puis plus tard une élévation ; tandis qu’au Saint-Bernard le baromètre paraît monter jusqu'au soir, sauf une légère oscillation descendante de midi à 3 h. À cette dernière station, la moyenne des observations faites à 1 h. après-midi, et que nous n’avons pas insérées dans le tableau, était de 566,54. Les maxima ont eu lieu le 23 à Genève et à Zurich; ils ont été de 737,25 à la première station, et de 733,26 à la seconde. Au Saint-Bernard le maximum a eu lieu le lendemain 24, et il a été de 573"®,90. Les minima ont eu lieu simulianément aux trois stations, savoir, le 30 à 9 h. du matin; ils ont été de 720,11 à Genève, de 715"®,13 à Zurich, et de 561"%,17 au Saint-Bernard. Température. — Les maxima ont eu lieu à Genève et à Zurich le 4, et au Saint-Bernard le 1 ; ils ontété pour les trois stations prises dans le même ordre + 29°, + 26°,4, + 149,1. Les minima ont eu lieu le 22 à Genève (+ 3°,4), le 12 à Zurich (+6°), le 12 aussi au Saint-Bernard (—8°,5). La température moyenne déduite des maxima et minima a été + 149,03 à Genève, + 13°,23 à Zurich , + 2°,65 au Saint- Bernard. Cette même température déduite de la moyenne des observations faites à 8 h. du mat. et à 8 h. du soir a été + 13°,06 à Genève, + 12°,67 à Zurich, + 1°,59 au Saint-Bernard, OCTOBRE 1836. BIBLIOTHÈQUE UNIVERSELLE DE GENÈVE. PREMIER RAPPORT ANNUEL DES : , COMMISSAIRES CHARGÉS DE L’EXÉCUTION DES LOIS SUR LES PAUVRES EN ANGLETERRE". Londres 1835. En 1833 le gouvernement anglais fit publier le résultat d'une enquête relative à la législation sur les pauvres. A la suite de cette enquête, le parlement décréta des chan- gemens importans qui furent rendus exécutoires par un acte destiné à amender les lois sur les pauvres et à en améliorer l'exécution”. Cet acte est du 14 août 1834 : aussitôt il fut mis en vigueur, et dès le 8 août 1835 un rapport a été fait au gouvernement sur la marche de la nou- velle organisation pendant une année. Pour juger de la nouvelle loi , il faut connaitre les maux auxquels il était urgent de porter remède. On peut consulter à ce sujet * L'Angleterre comprend ici le pays de Galles. * An act for the Amendment and better administration of the Laws relating’ to the Poor of England and Wales. V 14 218 DE LA RÉFORME DES LOIS l'ouvrage de M. Naville Sur la charité légale', dont nous avons offert une analyse dans notre numéro de février dernier”. On trouve aussi d’utiles renseignemens sur la législation anglaise dans une brochure publiée à Turin en 1835, sous le titre de : Extrait du rapport des com- missaires de S. M. Britannique , qui ont exécuté une en- quête générale sur l'administration des fonds provenant de la taxe des pauvres en Angleterre“. Rappelons en peu de mots l’ancien ordre de choses. L’Angleterre et le pays de Galles réunis sont divisés pour ‘ce qui regarde l'assistance légale en 15,635 paroisses ou juridictions , dont chacune séparément était jusqu'à ces derniers temps chargée de pourvoir aux pauvres de son arrondissement. Il était imposé à chaque paroisse de procurer du tra- vail aux hommes valides et indigens domiciliés dans son enceinte , et de soigner les infirmes , les enfans abandon- nés, et, en général, tous ceux qui étaient hors d'état de gagner leur vie en travaillant. Dans chaque paroisse, la réunion des habitans imposés, connue sous le nom de vestry, avait ou plutôt était censée avoir la surveillance de Papplication des secours aux pauvres. Le plus souvent ? Voyez la 1€ section de la 1"° partie. + 2 Vol. 1%, p. 252. 3 Cet écrit sort de la plume d'un jeune Piémontais, qui se di- stingue par ses talens ; il fait naître l’espérance qu'on verra désor- mais, dans la patrie de l’auteur et parmi les jeunes gens de bonne famille, le goût de l’étude succéder à l'habitude de l'oisiveté. # Sur 15,635 paroisses il y en a 14,678 qui ne comptaient pas au delà de 800 habit., et que nous trouvons classées comme suit : ilyena 5,353 qui contiennent 300 à 800 habitans. 6,681 dont la population ne dépasse pas 300. 1,907 dont la population ne dépasse pas 100. 737 dont la population ne dépasse pas 50. SUR LES PAUVRES EN ANGLETERRE. 219 la gestion était laissée à des inspecteurs , Overseers, élus annuellement par deux juges de paix. Ces inspecteurs , ordinairement au nombre de deux par paroisse , étaient chargés de la distribution des aumônes : ils étaient auto- risés à imposer les habitans de la paroisse d’après la valeur des immeubles ou le montant des loyers. La base de la répartition variait suivant les localités. De plus, une paroisse très misérable pouvait, en certains cas , requérir l’assistance d’une paroisse voisine, qui se trouvait ainsi chargée d’un impôt en faveur de pauvres qui n’étaient pas de ses ressortissans , mais ces cas étaient rares ; nous aurons tout à l'heure l’occasion d’en citer un. Les magistrats ou juges de paix étaient en droit de forcer les inspecteurs d’une paroisse dans leur district, à donner des secours à un pauvre auquel ils auraient été refusés. Ces secours étaient administrés , selon les cir- constances , à domicile ou bien dans des maisons de tra- vail, Poor-houses. Telle était , en peu de mots, l’organisation bien simple en apparence, des lois sur les pauvres en Angleterre, lois qui naguère menaçaient de ruine un des plus riches pays de l’Europe , un des plus libres et des plus éclairés. Tous les hommes, avait-on dit, doivent trouver du tra- vail sur le sol qui leur a donné naissance ; et s’ils ne sont pas en état de travailler, ils ont droit à des secours suffi- sans pour vivre. Pour cela , il faut que chaque proprié- taire, selon ses moyens, contribue à soulager la misère publique. Cette théorie était difficile à réduire en pratique. On ne l’a que trop reconnu en Angleterre : jusqu’en 1834, les lois sur les pauvres y ont résisté à tous les es- sais d’amélioration ; chaque nouvelle tentative semblait accroître le mal au lieu de le diminuer : les charges parois- siales s’augmentaient d'année en année, Depuis le mois de 220 DE LA RÉFORME DES LOIS mars 1832 au mois de mars 1833 , la taxe des pauvres s'était élevée à la somme de fr. 469,769,975 ! pour une population de 13,894,574 habitans ?. On payait donc un impôt de douze francs par tête, et au delà. En cin- quante ans, la moyenne avait doublé ; proportion ef- frayante, dont l'avenir était menacé. Mais une moyenne ne représente que faiblement l'étendue du mal , qui n’était point également réparti. Dans chaque localité il variait d’aspect. Ici, la taxe était supportable parce que des administrateurs sages et consciencieux , des magistrats prudens et éclairés, savaient mettre des bornes à la pro- digalité. Là, présidaient au contraire l’insouciance , la profusion , des distributions faites sans discernement et sans sagesse. Aussi, selon les temps et les lieux , la taxe des pauvres était une charge peu pesante ou un fardeau presque insupportable. À Cookham , comté du Berkshire, l'administration pa- roissiale était parvenue à rendre la taxe légère, à faire presque entièrement disparaître du nombre des assistés les indigens valides , à rendre la population industrieuse et prévoyante. À Cholesbury, comté du Buckinghamshire , la misère s'était au contraire tellement étendue, et la taxe s’é- ‘tait tellement accrue, qu’en 1832, les fermiers , dans Pimpossibilité de suffire aux charges, renonçaient à leurs baux, les terres cessaient de repayer les frais de culture, et la population en état de travailler man- quait d'ouvrage et de salaires. Enfin, l’on fut obligé de recourir à la paroisse voisine, qui fut imposée pour venir à l’assistance de Cholesbury, conformément à une -clause de la loi dont nous avons fait mention , mais dont 1 6,790,799 liv. sterl. 2 Dénombrement de 1831. SUR LES PAUVRES EN ANGLETERRE. 291 on ne s’est que très rarement prévalu. La dépense occa- sionnée par la taxe des pauvres , et le tort que cette taxe faisait aux propriétaires et aux fermiers , étaient suivis de la démoralisation de ceux qui étaient l'objet de la charité pu- blique , et indirectement de la démoralisation des masses. Comme chaque paroisse était tenue de fournir du travail à ceux de ses ressortissans qui en manquaient , et de les rémunérer suffisamment > On en vint, en plusieurs en- droits , à un système qui faisait de nouveaux progrès d’an- née en année, et qui minait sourdement la probité et l’in- dépendance des journaliers. La paroisse payait sur ses pro- pres fonds une subvention hebdomadaire aux ouvriers qui. ne gagnaient pas de quoi se soutenir eux et leurs familles, et, dans chaque cas particulier, on proportionnait le mon- tant de cette subvention au prix du blé et au nombre des enfans dans le ménage. De cette manière on s’était flatté de mettre l'assistance en rapport avec les besoins, et de limiter l'arbitraire qui présidait à la distribution des de- niers publics. Ce fut, au lieu de cela, une prime accordée à l’imprévoyance et à la déception. Bientôt, pour avoir droit au fonds commun , chacun des journaliers s’étudiait à paraître privé de travail et misérable ; il se mariait in- considérément afin d’augmenter son revenu > Qui croissait en proportion du nombre de ses enfans. En attendant , la paroisse, plutôt que de laisser dans l'inaction les pau- vres qu'elle secourait , faisait des efforts pour leur trouver de l'ouvrage ; ét c’est ainsi qu’on vit en plusieurs en- droits s’introduire un usage funeste, celui de répartir les pauvres valides parmi les fermiers > Qui étaient obligés de les employer en leur Payant un chétif salaire ; salaire insuffisant, auquel la paroisse ajoutait quelque chose. On imposait ainsi aux agriculteurs la nécessité de faire leurs travaux , en se servant d'un certain nombre d’assistés. Le 299 DE LA RÉFORME DES LOIS maitre avait un ouvrier qu’il n’avait pas choisi, et le ser- viteur, perdant à la fois le sentiment de l’indépendance et Paiguillon du besoin, travaillait sans zèle et sans ému- lation. « Dix ouvriers indépendans , disait un fermier de Blidlow* , me feraient plus de bien que seulement cinq ; mais cinq ouvriers assistés valent mieux que dix pour moi. » La tendance du système était de placer au même niveau l’homme laborieux et le fainéant , Phabile ouvrier et le manœuvre ignorant, de faire baisser le prix des salaires dans chaque localité et de les rendre insuffisans. Le paie- ment d’une partie des salaires par la paroisse était , sous l'ancienne loi, l'abus le plus condamnable. Toutefois , il arrivait souvent que les secours étaient administrés sous des formes différentes, mais qui n’étaient guère moins nuisibles. La paroisse , par exemple, acquittait le loyer des familles pauvres; c'était avilir ceux qui recevaient cette aumône et nuire à ceux qui, voulant rester indé- pendans, ne pouvaient pas, comme les assistés , offrir leurs services au rabais. Comme chaque paroisse était tenue de nourrir ses pauvres, elle écartait de toutes ses forces les nouveaux domiciliés. De là , les lois du domicile , lois fort compli- quées, qui donnaient lieu à de nombreux procès sur le domicile légal des assistés , dont les cours trimestrielles étaient obsédées. Les frais de ces procès chargeaient le budget des paroïsses de sommes considérables. Les se- cours temporaires accordés aux indigens non domiciliés, et la translation de ceux-ci dans leurs paroïsses, causaient encore de grandes dépenses annuelles. Les translations se faisaient souvent avec dureté. Les lois sur le domicile * Report of the Poor law Commissioners, p. 48. SUR LES PAUVRES EN ANGLETERRE. 223 avaient de plus l’inconvénient d'établir une grande iné- galité de sort entre les ouvriers des différentes paroisses du royaume. C’était en vain qu’ils cherchaient de l’ou- vrage en dehors du lieu de leur domicile ; ils étaient re- poussés de tous côtés, parce que partout on redoutait chaque nouveau candidat à la bourse paroissiale. Les lois sur les enfans illégitimes étaient aussi une source féconde de misèré et de dépravation. La recherche en paternité était permise. Elle frappait quelquefois l’inno- cent; presque toujours elle encourageait le vice ou la cupidité. Les rapports fournissent des preuves de Péten- due du mal causé tant par la loi que par la manière dont elle s’exécutait. Dans plusieurs localités, des abus d’un genre différent de ceux que nous avons signalés s'étaient introduits. Les autorités paroissiales participaient indirectement à la taxe des pauvres. Les inspecteurs étaient eux-mêmes de petits marchands , ou bien ils favorisaient quelques amis. Les provisions nécessaires aux maisons de travail s’achetaient chèrement et par petites parties , dans l’endroit méme, afin de répartir les bénéfices parmi quelques paroissiens, en sorte que les distributeurs des aumônes avaient intérét à ce qu’elles fussent abondantes. Quelquefois aussi on fai- sait des nominations de faveur, sans égard aux qualités indispensables pour une charge aussi difficile à bien rem- plir. Dans telle paroisse on a vu une place d’inspecteur occupée par une femme âgée , ou par un homme qui ne savait ni lire ni écrire ; et l'on cite, dans un des rapports’, le cas d'un fermier instruit qui, s’établissant dans une paroisse mal administrée, était parvenu, dans le court espace de deux ans, à réduire des trois quarts la taxe de * First annual report 1835, p. 181. 2924 DE LA RÉFORME DES LOIS cette paroisse. De 10,000 francs, elle était tombée par ses soins à 2,500. Enfin , l’indigent réclamait les secours de sa paroisse comme un droit lépitime, qu'il fût malade ou bien por- tant. Souvent le pauvre valide, après des sollicitations infructueuses auprès des autorités paroissiales, se plai- gnait au juge de paix qui, par faiblesse ou par erédulité, forçait, dans bien des, cas, les inspecteurs à des aumônes indiscrètes. Les assistés devenaient alors ingrats et exi- geans. Tels étaient les principaux abus auxquels il fallait met- tre un terme par l'application d’un remède efficace. Qu’on se représente un instant leur ancienneté , leur étendue , le nombre de ceux qui en profitaient, les préjugés respectables de beaucoup de personnes , et l’on se con- vaincra facilement des difficultés que présentait une ré- forme , et du sentiment qui avait fait reculer tous les ministères devant les dangers dont elle était entourée. Enfin il s’en est trouvé un qui n’a pas craint de l’entre- - prendre , et il a réussi. En face d’une opposition popu- laire, au milieu des attaques de la presse, qui était presque unanime à repousser le projet, le gouvernement réussit, en 1834 , à faire adopter par le parlement une loi, par laquelle on substituait à l’ancien système celui dont nous allons maintenant indiquer les principaux traits. | En premier lieu , et ce n’est pas ici le point le moins important, le mode d’administration a été changé. Le pré- lèvement de la taxe et sa distribution ne sont plus exclu- sivement confiés aux autorités provinciales. Chaque localité forme partie d’une agrégation de paroisses en plus ou moins grand nombre, qui s’appelle une Union. Chaque union est soumise à un comité de surveillance, composé SUR LES PAUVRES EN ANGLETERRE. 225 de curateurs ou gardiens *, nommés par tous les contri- buables à la bourse des pauvres. Il y a un gardien au moins par paroisse, et ils sont élus pour un an. Le nombre des paroisses comprises dans chaque union varie selon leur étendue et leur population. Quelques unions renferment sept ou huit paroisses , d’autres en ont jus- qu’à quarante-neuf. La population des unions est fort inégale ; il y en a de 2000 àmes, et d’autres de 34,000. Elles se forment les unes après les autres ; mais quelques paroisses fort étendues continueront sans doute à être administrées séparément. Remarquons en passant qu’au milieu d’une réforme radicale on s’est fort peu soucié , en Angleterre , de cher- cher une uniformité apparente dans la formation des unions. On s’en est rapporté au jugement des nouvelles autorités. « Il est superflu , disent dans leur rapport les commissaires , chargés de Forganisation , et dont nous allons tout à l'heure indiquer les fonctions , d’énumérer les considérations qui nous ont servi à déterminer Pétendue des unions. Les limites qui nous ont paru les plus convenables sont celles d’un cercle au centre duquel se trouve une ville , et qui comprend les paroisses à l’entour, dont les habitans fréquentent le marché de la ville. Cet arrangement facilite l’assiduité des employés de la paroisse et d’une partie des gardiens aux séances de chaque semaine. La ville fournit aussi d'heureux auxi- liaires pour l’administration. « Nous avons souhaité que , dans les commencemens, létendue des unions ne fût pas assez grande pour rendre difficile , de la part des gardiens , l'inspection des détails ? Guardians. 220 DE LA RÉFORME DES LOIS nécessaires. Plus tard, les plus petites d’entre elles pourront peut-être avoir plus d’étendue. » À la fin de la première année, il y avait cent onze unions , comprenant 2,311 paroisses , et une population de 1,385,124 habitans. Le nombre des unions s’est dès lors fort augmenté. Le comité des gardiens est chargé de fixer le montant des impositions pour la taxe des pauvres. C’est à lui d’or- donner et de diriger la distribution des secours dans cha- cune des unions. Mais une autorité centrale plane sur toutes les unions et sur toutes les paroisses. C’est celle de trois commissaires siégeant à Londres, nommés pour cinq ans , et investis des pouvoirs nécessaires pour constituer les unions et les surveiller, pour faire des règlemens sur les maisons de travail, et sur le mode d’administration de la taxe des pauvres dans chaque localité, pour exercer enfin une autorité centrale fort étendue dans tout ce qui touche à l'exécution de la loi. Ces trois commissaires, - qui jouissent d’un traitement considérable, et dont le choix est laissé au gouvernement, peuvent s’aider de sous - commissaires , qui sont chargés de les repré- senter dans différentes parties du royaume , d’aider les comités de gardiens et de procurer les renseignemens nécessaires. De plus, au lieu des anciens inspecteurs non rétribués , élus par les juges de paix, chaque union peut avoir sous ses ordres des inspecteurs payés, qui consa- crent tout leur temps à l'examen des cas particuliers et au service de l’union. Ces inspecteurs sont élus par les autorités locales , mais ils peuvent être destitués par la commission centrale. Cela met fin aux nominations de faveur et aux abus qui les suivaient. Jusqu’ici l’on s’est fort bien trouvé du système qu’on a choisi, et l’on a vu des autorités locales solliciter secrètement la desti- SUR LES PAUVRES EN ANGLETERRE. 0 tution d’employés qu’elles avaient eu la faiblesse de nom- mer. Ainsi, commission centrale de trois personnes , sié- geant à Londres, nommée par le gouvernement , et autorisée à s’aider de sous-commissaires , agglomération de plusieurs paroisses en une seule union, comités de gardiens élus dans chaque union par les contribuables, un ou plusieurs inspecteurs payés dans chaque union, tels sont les principaux traits de la nouvelle organisation. En second lieu , plus de secours aux pauvres valides ailleurs que dans des maisons de travail établies sur des bases très rigoureuses. Le pauvre y est, en quelque sorte, prisonnier ; s’il en sort sans une permission spé- ciale , il lui est interdit d’y rentrer sans une nouvelle autorisation. Il est soumis à un régime sévère et à une règle uniforme pour les heures de travail et pour les repas. Il perd sa liberté, et sa condition devient infé- rieure à celle du manœuvre indépendant. Le principe a été , que les secours offerts aux valides assistés ne sont point une aumône ordinaire, fondée sur la bienfaisance de celui qui donne et sur le mérite de celui qui reçoit. On offre de Fouvrage , de l’ouvrage peu rétribué, à tous ceux qui, bien qu’en santé, ne veulent pas se donner la peine d’en chercher qui leur soit plus profitable, ou qui ne peuvent réussir à en trouver. Ainsi, les secours aux valides sont indépendans de leurs mœurs et de leur con- duite. L’application immédiate et générale d’un principe aussi absolu , ayant paru impossible, la loi a permis quelques exceptions qu’elle entourée de précautions effi- caces : mais les juges de paix ont perdu le droit de forcer les paroisses à faire Paumône à des indigens va- lides , et les autorités sont soumises à des règlemens gé- néraux qui les empêchent de céder, dans chaque cas, à des considérations locales ou individuelles. 226 DE LA RÉFORME DES LOIS En troisième lieu, les secours à domicile aux veuves, aux vieillards , aux infirmes et impotens , continuent à étre permis , mais seulement en apportant à ces secours quel- ques restrictions , et les maisons de travail sont ouvertes à cette classe de malheureux ; on vise même à les con- traindre le plus possible à y entrer. Mais elles deviendront pour eux de véritables hospices ; ils y seront sous une règle très différente de celle à laquelle seront soumis les pauvres capables de travailler. On comprend que l’orga-. nisation de ces maisons de travail est une des tâches les plus délicates des nouvelles autorités. Il faut des règlemens généraux , et, pour leur mise à exécution, de l’intelli- gence , de Fhumanité , de la fermeté. En quatrième lieu, on a cessé d’administrer des se- cours en proportion du prix du blé et du nombre des enfans, méthode au moyen de laquelle on avait espéré réussir à améliorer le sort de l’ouvrier , mais qui n’avait- servi qu’à détériorer sa condition ,.et qui avait dénaturé peu à peu la loi sur les pauvres. On a mis fin à la prime. qu’on accordait ainsi à l’imprévoyance et à-la paresse. En cinquième lieu, les lois sur le domicile ont été. changées et considérablement simplifiées. Il ne suffit plus à un ouvrier de travailler dans une paroisse ou dans une union, et d’y résider un certain temps pour y acquérir certains droits. On est domicilié dans une paroisse quand on y à payé la taxe sur les pauvres, qu’on y a possédé une propriété. De cette manière, on a fait tarir la source d’une foule de questions litigieuses, et l’on a beaucoup diminué la force des motifs qui portaient à repousser les ouvriers des endroits où ils cherchaient de l’ouvrage. On facilite de cette manière légalisation des salaires dans tout le royaume. Enfin la recherche en paternité a été soumise à des SUR LES PAUVRES EN ANGLETERRE. 220 gênes et à des règles précises qui rendent les accusations beaucoup plus difficiles, qui en diminuent ainsi le nombre, et qui empéchent la loi de préter à la faiblesse un appui trop dangereux. On n’a pas osé interdire tout recours contre le père, à la mère d’un enfant illégitime, qu’elle est obligée de nour- rir et d'élever. Une assimilation aussi complète de la loi anglaise à celle du code civil français aurait blessé trop profondément l’opinion publique; mais on a fait un grand pas et l’on en fera plus facilement un second. Nous aurons fatigué nos lecteurs, nous le craignons bien, par l’aride exposé qui précède. Mais il était indis- pensable d’analyser l’ancienne loi sur les pauvres, avant de juger la nouvelle et d’en décrire les effets. On ne saurait douter du bien qui s’est opéré. Déjà quelques per- sonnes semblent croire qu’on est parvenu à résoudre en Angleterre le problème du paupérisme. C’est alors qu'il vaudrait la peine d'étudier de près la marche qu'on a suivie; mais nous ne nous livrons point à d’aussi belles espérances , et néanmoins nous croyons qu’il convient d’examiner avec soin et d’observer avec attention la ré- forme qui s’opère en Angleterre, et qui recèle des germes précieux d’amélioration. Nous aurons donc maintenant la satisfaction d'exposer Jes heureux résultats de cette réforme. S'ils ne décident pas la question de la charité légale , ils serviront au moins à signaler les écueils qu’on doit éviter, et à tracer une voie qui ailleurs , dans des circonstances analogues , Pourra servir de guide et sauver d'inutiles tâtonne- mens. Nous lavons dit en commençant, la somme annuelle destinée à l'entretien des pauvres était énorme. 230 ___ DE LA RÉFORME DES LOIS En 1832-33 elle était environ de fr. 170,000,000". 1833-34 » de 158,000,000°. 1834-35 elle n’a été que de 138,000,000°. 1835-36 2 de 118,000,000€. L’on voit qu’en 1832-33 la taxe avait atteint son apo- gée. L'année suivante elle diminua de douze millions; cependant la loi n’avait point encore été changée. Cela venait-il d’une baisse sur le prix des denrées alimentaires, ou d’un élan qu’aurait reçu la prospérité industrielle, ou bien enfin de la nécessité généralement sentie de mettre un terme aux abus, et de Penquête qui fixait l'attention sur les administrations locales P C’est ce que nous ne saurions dire avec certitude ; mais cette circonstance est utile à remarquer , parce qu’elle prouve que la réforme s’est effectuée à un moment très favorable au succès. En 1834-35 la loi nouvelle commence à étre en vigueur : diminution de vingt millions sur l'impôt. En 1835-36 elle étend son empire : diminution de vingt millions au delà; ce qui fait quarante millions par comparaison à l’avant-dernière année. Et cependant l’on est encore fort éloigné d’avoir réuni toutes les paroisses en unions. Il est vraisemblable que partout il y a eu quelque amélioration ; mais l’application des principes du nouvel acte ne s’est faite que dans une partie de PAngle- * 6,790,799 liv. sterl. 2 6,317,255 » 3 5,518,000 » 4 4,720,000 » Ces chiffres sont tirés, les deux premiers, de documens parle- mentaires ; les deux seconds , d’un débat dans la chambre des communes du 1° août 1836. SUR LES PAUVRES EN ANGLETERRE, 231 terre, et la diminution de Pimpôt doit se mesurer sur l'échelle des paroisses agglomérées en unions. Nous pensons, sans le savoir avec aucune précision, que jus- qu'ici il peut y avoir une moitié des paroisses sous la surveillance immédiate des comités de gardiens. On a calculé dernièrement ‘ que dans 187 unions régulière- ment constituées, l’économie annuelle sera d’environ 43 À pour ?, ce qui réduit la dépense presque de moitié; mais il paraît que les paroisses comprises dans ces unions étaient des plus mauvaises, de celles, par conséquent, où le remède agissait le plus puissamment. On sent assez l’avantage d’une réduction aussi consi- dérable sur la taxe des pauvres ; mais en apprenant, on se demande aussitôt si elle ne s’opère point aux dépens des malheureux qui étaient précédemment secourus ; si l’on n’a point enlevé aux infirmes, aux vieillards, aux orphelins VPassistance publique dont ils jouissaient ; si les pauvres valides, manquant subitement d’ouvrage, ne sont pas tombés, eux et leurs familles, dans un abime de détresse? A ce prix l’économie, loin d’être utile ou digne de louange, eût été à la fois inconsidérée et condamnable. Heureusement que des témoignages nombreux et ir- récusables , recueillis auprès d'hommes de tous les partis , ne laissent aucun doute sur la réponse à ces questions. On n’a pas vu se réaliser les maux qu’on aurait pu re- douter. Sans doute quelques plaintes se sont fait entendre, et il doit y avoir eu des cas dignes de commisération. Mais comment espérer dans un pays libre qu’un change- ment immense , qui touche aux intérêts de toutes les classes , n’excite aucune réclamation ? Comment la nou- * Edinburgh Review, vol, 63, p. 508. » 232 DE LA RÉFORME DES LOIS velle organisation se serait-elle ramifiée de tous les côtés sans blesser quelques individus P Toutefois, s’il y a eu quelques souffrances particulières , le nombre ne paraît point en avoir été considérable , et l’on trouve quel- que compensation à ces maux dans l’amélioration sen- sible qui s’est manifestée parmi les classes de la société qui avaient auparavant recours à l'assistance publique. Voici en quels termes s’exprimait une lettre reçue de Londres , il n’y a pas longtemps. «J’ai vu en société Pun des hommes les plus versés dans les lois sur les pauvres, et qui avait pris une part active à l’enquête. Les rensei- gnemens qu’il donne sur le succès de la nouvelle loi sont presque merveilleux, moins encore sous le rapport de Péconomie que sous celui des mœurs et de la moralité. Le peuple , disait-il, est régénéré ; les seuls qui se plai- gnent sont les propriétaires de cabarets où l’on vend de la bière et des liqueurs fortes : il est telle paroisse où l'hôpital ; destiné aux accouchemens d'enfans illégi- times , est devenu inutile et a été fermé , tandis que dans telle autre infirmière cherchait des pratiques , l’hôpital ne lui offrant plus assez d’activité. Les caisses d'épargne et les sociétés de secours mutuels', ajoutait-il , accu- mulent des fonds considérables ; les fermiers paient plus volontiers des salaires gs que dans le temps où ils employaient des ouvriers ? qui leur étaient imposés , parce que le travail est aujourd’hui beaucoup mieux fait ; la taxe des pauvres subit une baisse prodigieuse. Il citait une paroisse qui, l’an passé , payait trois cents louis et qui n’en paie cette année que trente. En un mot, * Beneñit clubs. ? Roundsmen, c’est-à-dire les ouvriers imposés aux agricul- teurs par les autorités paroissiales. SUR LES PAUVRES EN ANGLETERRE. 233 tout le monde est dans l’étonnement , et les journaux qui accablaient la loi d'injures sont forcés de se taire. Si quelque chose peut étre comparé à tout ceci, c’est le succès de l’émancipation des nègres qui surpasse toutes les espérances... » (Cette description , peut-étre trop vivement colorée , est néanmoins un tableau assez fidèle de l'impression générale produite en Angleterre par les changemens qui se sont opérés ; etilest certain que, dans le rapport annuel de la commission centrale, on trouve bien des faits qui viennent à Pappui de ce qu’on vient de lire. Le point le plus essentiel , celui sur lequel reposait le succès de la doi, était évidemment la construction et l’organisation des maisons de travail destinées à recevoir le plus grand nombre des assistés. IL fallait en faire des hospices pour les infirmes, les vieillards , les orphelins, et de véritables ateliers pour les valides qui réclameraient da charité publique. -_ Les détails de l’organisation nous mèneraient trop loin, il suffira d’en indiquer les principaux traits. Il y à classi- fication des assistés et séparation complète des sexes. Quant aux valides assistés, « leur régime est réglé de manière à n’excéder en aucun cas, pour la quantité et la qualité de nourriture, le régime ordinaire des hommes de peine indépendans. » Ils sont privés de bière et de toute liqueur forte ; ils ne peuvent faire aucun ouvrage à leur profit ; ils ne peuvent quitter la maison de travail sans permission ; ils ne reçoivent des visites que sous diverses restrictions ; ils doivent observer le silence quand il est -ordonné , veiller à leur propreté personnelle, faire le travail qui leur est imposé, sous peine , en cas de désobéissance ou de désordre, de subir des privations de régime et subsidiairement d’être soumis à des peines sévères imposées par un magistrat. Ce sont, on doit le dire, pour V 15 234 DE LA RÉFORME 9ES LOIS les valides, des espèces de maisons de force. Aussi ces derniers ont-ils renoncé aux aumônes plutôt que de se faire enfermer dans les maisons de travail. On en a vu qui naguère croupissaient dans la fainéantise, ou qui tra- vaillaient à la journée sans produire de quoi payer le mince salaire qui leur était accordé, se déterminer à chercher de loccupation et à gagner honorablement leur vie. D’autres ont quitté une paroisse sans ressource pour offrir leurs bras à des agriculteurs ou à des fabricans d’autres endroits. D'un côté les ouvriers ont consenti à tra- vailler , de l’autre les fermiers et des propriétaires ont vu s’accroiître leur revenu de toute la portion de la taxe des pauvres qui a été supprimée. La différence entre ce qu’on payait autrefois et ce qu’on paie aujourd’hui va déjà au delà de quarante millions de francs. La partie de ces quarante millions *, qui sortait ci-devant de la poche des fermiers et des propriétaires, et qui alimentait des ouvriers mécontens et improductifs , est maintenant dis- tribuée entre des ouvriers diligens , qui produisent plus que leur entretien. « Dans la paroisse de Bidborough , dit l’un des com- missaires dans un rapport du 15 juin 1855 , il y avait à cette époque de lan passé 140 individus valides qui étaient, eux et leurs familles, à la charge de la bourse pa- roissiale. Cette année , il n’y en a pas un seul qui ne vive du travail de ses mains. Dans plusieurs des paroisses de ce district on a obtenu le même résultat , et dans toutes on y arrivera peu à peu. » Les Commissaires , dans leur rapport , disent ? : « Nous * L'autre partie était payée dans les villes et les villages par les propriétaires urbains qui contribuaient ainsi, sans aucune équilé, au salaire des ouvriers agricoles. ? Page 46. SUR LES PAUVRES EN ANGLETERRE. 235 avons- porté notre attention vers l’effet général produit sur les pauvres valides, à qui l’on a refusé toute subven- tion paroissiale. On a pris des informations exactes sur le sort de ceux qui avaient refusé de recevoir des secours dans une maison de travail. Dans union de Faringdon, par exemple, on discontinua tout secours à domicile , et on offrit l’accès de la maison de travail à 240 assistés valides. De ceux-ci, une vingtaine seulement consentirent à y entrer; mais, au bout d’un petit nombre de jours, à peine y en restait-il la moitié, bien qu'’alors le régime de la maison surpassât celui de plusieurs classes de jour- naliers indépendans. Le résultat de l'enquête faite par M. Gulson sur ces individus fut qu’ils avaient tous trouvé de l'ouvrage. Des fermiers , qui précédemment lui avaient allégué limpossibilité où ils étaient d'employer un plus grand nombre d'ouvriers, lui dirent qu’ils donnaient à présent du travail à faire à cause de l’amélioration qui s’était opérée dans le caractère des ouvriers. » La subvention paroissiale dont il est question dans cette citation est celle que plusieurs paroisses accordaient , sous forme de supplément à leur salaire, aux ouvriers qui se disaient pauvres et qui acquéraient de cette ma- nière le droit d’être mis à louvrage , moyennant un salaire fixé. Nous l’avons déjà dit, ces secours étaïent les plus dangereux des abus qui s’étaient introduits. Dans les endroits où des maisons de travail n’étaient pas encore organisées , où par conséquent il y avait des cas d’assistance exceptionnels , et-en général dans toutes les occasions de secours à domicile , on distribue des se- cours en nature de préférence à des secours en argent. Les commissaires ont fortement insisté sur ce point auprès des autorités locales. L’argent donné aux indigens ; di- sent-ils dans leur rapport, a souvent été détourné de sa 236 DE LA RÉFORME DES LOIS destination : souvent il a té dépensé au cabaret au liew de servir à nourrir femme et enfans. Les aumônes en nature offrent une moins grande tentation ; il est difficile de.les convertir en argent , elles vont d’une manière plus directe au soulagement de la véritable misère. Dans quel- ques parties de Londres , il y a eu une diminution notable des droits sur la consommation des liqueurs fortes; on mwa su en trouver d’autre raison que la cessation , dans certaines paroisses, des secours en argent. Aussitôt ce changement opéré , on a vu décroître le débit des détail- lans de liqueurs situés près des endroits -où se distri- buaient les aumônes de la paroisse. On se rappelle qu’un des objets de la réforme a été de ‘faciliter la translation ,des ouvriers d’une paroisse à une autre. C’est dans ce but qu’on a changé et sim- plifié: la loi du domicile. Mais on ne s’est pas con- tenté de cela, on à voulu encourager et faciliter ces translations ; on a fourni à des familles indigentes le moyen de passer d’une paroisse pauvre à une paroisse riche , d’une paroisse agricole à une paroisse manufac- turière. Ces essais ont en général bien réussi ; on en cite des exemples. Dans plusieurs cas, ce n’a pas été sans peine qu’on est parvenu à surmonter la répugnance, qu’é- prouvaient presque toujours les familles pauvres à quitter le lieu de leur établissement, quelque misérable qu’il fût, pour chercher ailleurs une existence moins précaire. On a dit, avec vérité, que l’homme prend racine partout où il a fixé son domicile *. La population, en se répartissant mieux qu’autrefois, a paru n'être point surabondante. Ta * Supplément à lEncyclopedie britannique, art. Emigration. Edinburgh 1824, page 99. « It may be generally remarked that, in any whateyer spot man fixes his abode, there he takes root. » SUR LES PAUVRES EN ANGLETERRE. 231 Dans plusieurs paroisses du midi, où le travail était mal rétribué et difficile à obtenir, les ouvriers ont trouvé de l’emploi et des salaires dès l’instant où ils ont renoncé à l’assistance paroissiale; leur sort s’est beaucoup amélioré. Lorsqu'une partie d’entre eux a émigré, le nord et ses manufactures les a accueillis avec empressement. L’in- dustrie absorbe tous les bras; c’est du moins lPopinion des commissaires. Nous avons déjà dit que la loi a produit d’heureux effets sur les mœurs , et que le nombre des enfans illé- gitimes a diminué. L’inspecteur d’une paroisse, où il se célèbre chaque année quinze à vingt mariages , écrit aux commissaires qu’autrefois il était rare , dans les classes pauvres, que la fiancée, en se présentant à l’église, n’eût pas à cacher sa grossesse. Sur les dix-huit derniers mariages, dit-il, cela ne s’est rencontré qu’une seule fois, Enfin le nombre des sociétés de secours mutuels! s’est beaucoup accru. En 1835 , il y en a eu 750 de nouvelles ; presque le double de celles qui avaient pris naissance en 1834, où il s’en était établi 390, Les sommes versées dans les caisses d’épargne se sont aussi considérablement augmentées *. Les résultats qui viennent d’être exposés sont smgu- lièrement satisfaisans , lors même qu’on pourrait supposer qu’ils ont été présentés sous le jour le plus favorable. Tous les ouvriers ne se sont pas régénérés , sans doute il y a eu des exceptions ; nous avons vu nous-mêmes sur les grandes routes, près de Londres, des hommes robustes errant çà et là, plus disposés en apparence à vivre d’aumônes ou de larcins que d'un travail honnête ; * Friendly Societies. | * Note sur les caisses d'épargne, Bibl. Univ., nouv. série, fevrier 1836. 238 DE LA RÉFORME DES LOIS il faut convenir aussi qu'il ÿ a eu quelques cas de détresse, mais nier le bien général produit par la réforme serait se refuser à l'évidence. Elle a réussi au delà de toute espérance pour ceux qui paient , comme en général pour ceux qui sont assistés. | Dans un pays où les sentimens moraux et religieux exercent une aussi grande influence qu’en Angleterre, la cessation des aumônes paroissiales donne une grande impulsion à la bienfaisance particulière , tant à celle qui s’exerce entre les personnes de même condition, qu’à celle qui s’établit entre le riche et le pauvre; moins la charité légale a d’empire , plus la bienfaisance particulière vient au secours des malheureux. Toutefois le problème du paupérisme est loin d’être résolu. On a fait en An- gleterre lexpérience des maux auxquels la charité légale pouvait conduire , on est parvenu à mettre un terme à des abus invétérés et effrayans ; mais la preuve qu’on n’a point encore trouvé une solution générale , c’est la diffi- culté d’appliquer à Firlande une loi dont en Angleterre on parait si satisfait. C’est que cette loi introduirait en Irlande la charité légale , tandis qu’en Angleterre, où la charité légale existe depuis fort longtemps, il ne pouvait étre question que de lui donner une meilleure direction. De plus, on a cru qu’il fallait dépouiller l'assistance publi- que de tout attrait, en la faisant envisager comme ne fournissant qu’à de mauvaises conditions un moyen d’exis- tence assuré. : Pour réussir, il fallait une administration centrale ferme et éclairée, des comités de district bien composés , des règlemens sévères appliqués dans chaque cas particulier sans acception de personnes, et même indépendamment du mérite des individus assistés ; cela même n’aurait pas suffi, il fallait encore que le sort des ouvriers les moins SUR LES PAUVRES EN ANGLETERRE. 239 payés Füt supérieur à celui qui leur serait offert dans les maisons de travail, et que l’industrie fût assez florissante pour occuper profitablement toute la partie activé de la population. En Angleterre , toutes ces conditions se sont trouvées réunies. La commission centrale est composée de trois hommes distingués par leurs lumières, dont le choix fait honneur au gouvernement. Ces commissaires ont trouvé des sous-commissaires très capables, Les unions ont en général réussi à se procurer des inspecteurs éclai- rés et dignes de confiance. Dans toutes les parties de PAngleterre, des hommes instruits et indépendans se sont empressés d’accepter les fonctions de gardiens, et de con- sacrer leur temps et leurs talens aux travaux nécessaires dans leur union. Les correspondances des comités locaux avec la commission centrale sont remarquables , à ce qu’on nous à assuré, par l’habileté avec laquelle elles sont tenues. Enfin les ouvriers peuvent, par leur travail , se proeurer en Angleterre une certaine aisance. C'était le point le plus important ; or, il y a eu la plus heureuse coïncidence entre la nouvelle loi et d'immenses entreprises qui ont soutenu , et même fait renchérir la main-d'œuvre , tandis qu’une suite de récoltes abondantes a maintenu les vivres à de bas prix. En particulier , la construetion des chemins de fer a fourni une occupation lucrative à un grand nombre de bras ; d’immenses capitaux se sont dirigés vers ces nouvelles spéculations, et des milliers d’ouvriers y ont trouvé de l’emploi et des salaires. De nombreuses et florissantes fabriques ont été ouvertes aux industriels , et ceux qui ont voulu travailler ont aisément trouvé des moyens d’existence indépendans des secours publics. Mais en sera-t-il toujours ainsi? La nouvelle loi ne présente-t-elle aucun danger ? Loin de nous de l’affirmer, Parmi ces dangers nous ne saurions toutefois ranger celui 240 DE LA RÉFORME DES LOIS de voir l'industrie anglaise perdre aucun des avantages dont elle jouit. La taxe des pauvres , en avilissant les salaires dans quelques localités, n'a jamais eu pour effet de fa- voriser le développement des manufactures; et si nous en faisons ici l’observation, c’est que l’opinion contraire a quelquefois été soutenue, et qu’elle a été dernièrement appuyée par un auteur de grand mérite‘. « Comme le paiement d'une partie des salaires au moyen de la taxe des pauvres, dit M. Naville ?, fait baisser indéfiniment en Angleterre le prix des objets manufacturés, il donne aux Anglais le moyen de ruiner le commerce des autres nations, en courant à leur propre ruine ; il les opprime eux-mêmes sans autre avantage que de procurer aux Russes, aux Danois, aux Turcs, aux Américains, les étoffes à meilleur marché. » Si l’industrie anglaise avait été véritablement redevable à la taxe des pauvres d’une partie de ses succès, la crainte des maux de divers genres qu’on attribue à cette taxe ne détournerait pas tout le monde d’en recommander l’emploi. S’arrête-t-on devant ceux que créent les droits et les prohibitions ? Ne trouve-t-on pas dans le succès de quelques manufactures une réponse suffisante à toutes les objections P 11 vaut donc la peine de faire voir que la baisse des objets fabriqués en Angleterre et leur débit à * On comprendra que si nous avons mis du prix à relever l’as- sertion que nous avons citée, c’est que l'ouvrage sur la Charité légale v’est point un livre ordinaire. La profondeur des recherches auxquelles M. Naville s’est livré, la fidélité scrupuleuse avec la- quelle il en expose le résultat, et les succès brillans qu'il a obtenus, prêtent à ses assertions une grande autorité. Il faut aussi remarquer que l’auteur n’a examiné qu’en passant l'effet de la taxe des pau- vres sur l’industrie manufacturière, sans paraître lui-même atta- cher à ses paroles autant d'importance que nous. ? De la Charité légale, vol. 1, p. 115. SUR LES PAUVRES EN ANGLETERRE. 241 l’éanger n'ont point été dus à l’effet des lois sur les pauvres. Ce n’est pas dans les fabriques florissantes qu’on trou- vait en Angleterre des ouvriers mal payés et aidés de Ja taxe des pauvres ; c’est dans les contrées agricoles et mi- sérables que les salaires étaient bas et que les paroisses en payaient une partie. En général, la main-d'œuvre est chère dans les manufactures qui prospèrent. C’est que les prix ne dépendent pas seulement du taux des salaires , mais aussi de l’abondance des capitaux, de la main qui les dirige, de la facilité des communications et de diverses autres circonstances qu’il serait trop long d’énumérer. Le bas prix de la main-d'œuvre est loin de suffire pour faire prospérer l’industrie ; il accompagne plutôt l’état station- naire ou rétrograde. Comparez l’Angleterre à l'Irlande, et, sur une petite échelle, Genève à la Savoie : vous trouve- rez les salaires élevés dans le pays riche et florissant , vous les trouverez chétifs, insuffisans dans le pays pauvre. Il ne s’agit pas seulement de savoir ce que reçoit chaque ouvrier en argent ou en denrée pour une journée de travail, il faut connaître aussi ce que rapporte son travail journalier. L'ouvrier robuste , actif, intelligent, produit bien plus, dans un temps donné, qu’un homme faible, indolent ou ignorant. Dans une houillière du midi de la France, on a, dit-on, fait l'essai de quelques ouvriers anglais. Travail- lant à la tâche, ils ont gagné d’abord une moitié en sus des ouvriers français ; et quoique plus tard ceux-ci se soient améliorés, jamais, à ce qu’on nous assure, ils ne sont parvenus au niveau de leurs concurrens. Supposons ces travailleurs à la journée : l'Anglais receyra trois francs par jour, le Français deux francs, sans que l’entre- preneur trouve de différence entre les salaires. L’Anglais, faisant en une journée autant d’ouvrage que le Français 249 DE LA RÉFORME DES LOIS en une et demie, aura mérité et reçu un salaire propor- tionné. Or, en assurant à chaque ouvrier un salaire fixe, et en payant des deniers publics une partie de ce salaire, ne voit-on pas qu’on nuirait à la valeur de chaque journée de travail, que le travail ainsi rémunéré deviendrait moins productif qu'auparavant ? Quand le fermier de Blidlow, dont nous avons cité les paroles, disait des ouvriers qui lui étaient imposés, et dont il ne payait qu’une partie du salaire, qu’ils lui donnaient, à ce qu’il avait découvert, plus de perte que de profit, c'était comme s’il eût dit : Quels que soient ses gages, un ouvrier me convient alors qu’il est intéressé à se rendre utile ; pas autrement. Qui ne sait la différence entre le travail à la tâche et le travail à la journée, entre celui d’un esclave et celui d’un homme libre? L’esclave qui ne reçoit aucun salaire n’en serait pas moins un instrument dispendieux. Sous l’ancienne loi des pauvres, l’ouvrier qui ne gagnait qu’un fort petit salaire donnait un fort petit produit. Le système anglais, bien loin de favoriser la baisse des prix et de procurer des étoffes à meilleur marché, aurait plutôt opposé un obstacle au succès des fabricans ; mais nous le répétons, ce n’était pas dans les endroits à manufactures que la paroisse con- tribuait au paiement du salaire des ouvriers. Du côté des fabriques , il n’y a donc rien à craindre de la nouvelle loi, mais ce n’est pas tout. À-t-on, par exemple , la certitude que le zèle des admi- nistrateurs se soutiendra , quand le souvenir des anciens abus se sera un peu effacé , quand Pattrait de la réforme et de la nouveauté aura disparu ? Le taux des salaires ne sera-t-il point réduit un jour, au moins momentanément , par une guerre, une suite de mauvaises récoltes, ou quelque autre calamité? Les maisons de travail seront-elles toujours un objet d’épouvante ; ne seront-elles point un jour recher- SUR LES PAUVRES EN ANGLETERRE. 243 chées par une population dans la détresse ? Questions diffi- ciles à résoudre. Espérons que les maux qu’on pourrait entrevoir ne se réaliseront pas ; mais au moment où l’on fait ressortir le bien produit par la nouvelle loi, on ne doit pas omettre d’en indiquer les dangers. Rien ne prouve mieux la nécessité de ne pas adopter à la légère la législation an- glaise sur la charité légale, que ce qui se passe aujourd’hui à l'égard de l'Irlande, où il n°y a jamais eu de loi sur les pauvres, et où la population est dans un état général de souffrance et d'infériorité. Là aussi le gouvernement an- glais a institué une enquête, et les rapports des commis- saires qui en étaient chargés ont été publiés. Nous ne connaissons point assez la manière dont l’enquête a été conduite pour ajouter foi en toute sécurité aux relevés statistiques qu’elle a produits. Nous n’ignorons pas la difficulté de recueillir des faits dans un pays, comme VIrlande , agité par des factions ennemies et en proie à toutes sortes de préjugés. D’ailleurs, nous n’avons point assez étudié les rapports pour prétendre les juger ; mais le point de vue général sous lequel nous allons les envi- sager suffit à notre but, sans qu’il soit nécessaire de dis- cuter chacun des résultats présentés par les commissaires. Ceux-ci reconnaissent que dans toutes les parties de l'Ir- lande il y a de la pauvreté et une misère déplorable *. Toutefois ils s’abstiennent de recommander lintroduction d’une loi sur les pauvres dans celte partie du royaume , et ils en expliquent les raisons. « La difficulté, disent-ils, n’est pas en Irlande d’enga- ger les ouvriers valides à solliciter du travail ; elle consiste à en trouver pour tous ceux qui en demandent. Nous avons prouvé qu’il y a en Irlande un plus grand nombre L < That there is in all parts of Ireland much and deep seated distress. » 244 : DE LA RÉFORME DES LOIS d'ouvriers agricoles qu’il n’y en a dans la Grande-Bretagne tout entière * ; que relativement à l'étendue des terres en culture, il y en a plus du double; et que relativement au produit, il y en a quatre fois autant. « Si donc on se déterminait à seservir en Irlande, comme en Angleterre, des maisons de travail pour recevoir les valides qui manquent d’ouvrage, il faudrait les construire d’assez grandes dimensions pour qu’elles pussent conte- nir le nombre considérable d’individus et de familles qui y auraient accès. Or, nous ne pouvons estimer à moins de 585,000 individus le nombre de ceux qui , en Irlande, manquent de travail pendant 30 semaines de l’année, et qui sont alors dans la pauvreté ; ni à moins de 1,800,000 personnes ceux qui dépendent d’eux. Ainsi, voilà en tout 2,385,000 personnes à secourir dans les maisons qu’on construirait. » Puis on démontre qu’il serait absolument impossible de faire la dépense nécessaire. Ce n’est pas que les commis- saires supposent que les pauvres sacrifieraient aisément leur liberté et leurs habitudes à la certitude d’être secou- rus dans une maison de travail, où ils seraient soumis à des règlemens génans. Jusqu’ici mal gouvernés, rendus habituellement défians par la misère, ils croiraient voir un leurre dans l'offre du gouvernement d'échanger la liberté dont ils jouissent, pour une aisance à leurs yeux imaginaire ou dégradante. Loin de les satisfaire en ouvrant pour eux des dépôts de mendicité, on ajouterait par cela à leur irritation et à leur malaise. On a eu de la x peine, même en Angleterre, à vaincre la résistance * On compte en Irlande 1,131,715 ouvriers agricoles, et dans la Grande-Bretagne il n’y en a que 1,055,982. En Irlande, il y a 14,600,000 acres de terres cultivées, dans la Grande-Bretagne il ÿ en a 34,250,000. EUR LES PAUVRES EN ANGLETERRE. 245 qu'une partie de la population opposait à la réforme. Au premier moment, il y a eu dans quelques endroits des troubles qui n’ont été apaisés que par l'intervention de la force armée. En général, ils ont été facilement et promptement terminés ; en Irlande ils auraient eu des conséquences plus sérieuses. Mais , lors même que quelques ouvriers consentiraient en Irlande à entrer dans des maisons de travail, «nous sommes certains ; disent les commissaires, que pas plus tôt admis, ils se mettraient en état de résistance contre une discipline aussi sévère que celle qu’on a introduite en Angleterre ; des tumultes se manifesteraient. Après de grandes dépenses , de grands travaux et des suites fâcheuses de tout genre, le système serait inévitablement abandonné. » «Nous ne pouvons donc , ajoutent-ils , recommander pour l'Irlande le système de maisons de travail adopté en Angleterre. » | Un des rapports indique toutes les raisons qui s’oppo- sent à des secours à domicile. Outre les maux qui avaient accompagné ce système en Angleterre et qui y sont in- hérens, on rencontrerait en Irlande des difficultés encore plus grandes à cause du très bas prix des salaires *. Les commissaires estiment que la somme annuelle nécessaire serait de cent quatre-vingt-dix millions de francs, et cela dans un pays où le revenu net des terres, sans y comprendre les villes , n’est évalué par eux qu’à deux cent cinquante millions. Ils expriment le sentiment que la charité légale devrait, ” Les commissaires estiment la moyenne du prix d’une journée de travail, en lrlande, pour toute l’année, à environ trois francs par semaine. 2 6,800,000 liv. sterl. 246 DE LA RÉFORME DES LOIS sous une forme quelconque être admise en Irlande pour les infirmes et les impotens ; mais ils arrivent à la conclusion que la seule manière vraiment efficace de venir au secours des classes pauvres dans ce pays est d'encourager et d'aider l’'émigration , de favoriser l’application des capitaux à des améliorations intérieures, d’augmenter ainsi la facilité d’employer utilement les bras aujourd’hui surabondans. Les motfs qui font douter de la convenance d'introduire en Irlande la législation anglaise s’appliqueraient à beau- coup d’autres pays. Parviendrait-on partout à concilier ce qu’exige l'humanité avec la rigueur nécessaire; y trouve- rait-On, partout comme en Angleterre, des administrateurs dans chaque localité pour mettre à exécution des règle- mens faits par une commission centrale et éloignée? Au- rait-on l’appui assuré d’un gouvernement fort et vigilant ? Qui sait si, en dépit de toutes les précautions qu’on pour- rait prendre, les maisons de travail ne seraient pas encom- brées, si la misère ne remplirait pas ces asiles dans les pays où l’indolence nuit au bien-être, dans ceux où les classes pauvres souffriraient de la cherté des vivres, ou du dépé- rissement de PindustrieP Peut-être aussi le système des maisons de travail ne serait pas compatible avec les mœurs et le caractère des populations. Est-ce seulement en Irlande qu’on aurait à redouter cet esprit de turbulence et d’indiscipline que craignent les commissaires? Toutes ces questions, nous n’entreprendrons pas de les résoudre. Notre intention n’a été que de faire con- naître avec quelque précision la nature des changemens que la taxe des pauvres a subis en Angleterre. On aura vu que l'éclat de leur succès dépend de circonstances , dont plusieurs tiennent à la localité. Il était urgent de couper à la racine des plantes parasites qui envahissaient rapide- ment le champ dans lequel elles se répandaient. SUR LES PAUVRES EN ANGLETERRE. 247 La charité légale n’était plus en Angleterre dans l’état où ses fondateurs avaient espéré qu’elle se maintien- drait : une réforme était devenue nécessaire. On a osé l’entreprendre : on a cessé d'encourager la faiblesse et d’alimenter la fainéantise. Cette action négative a été puissamment favorisée par l’état prospère de l’industrie, et le résultat en a été fort heureux. Mais avant de se livrer ailleurs à des essais fondés sur cet exemple, il faut étudier soigneusement ce qui s’est passé en Angle- terre, et distinguer dans la nouvelle loi ce qui est d’une utilité générale , de ce qui n’est qu’un remède appliqué à des maux particuliers. Ce remède , salutaire dans un certain état de maladie, pourrait devenir dangereux , s’il était inconsidérément appliqué dans des cas différens. On attend incessamment le second rapport annuel des commissaires placés à la tête de l’organisation de la loi sur les pauvres. Ces rapports, dont le premier nous a fourni la plupart des faits que nous avons cités, formeront une série de documens du plus haut intérét. Rien ne sera plus propre à les répandre et à les faire goûter, que de les présenter sous une forme méthodique en sauvant ainsi à chacun la peine d’une analyse difficile. Déjà on a eu le soin de diviser le premier rapport en paragraphes di- stincts et de le faire précéder d’une table des matières ; mais il nous semble que l’ordre pourrait être plus parfait. Mieux que personne, les commissaires eux-mêmes sauraient imaginer un cadre bien divisé, dans lequel vien- draient se ranger, d'année en année, des détails statistiques faciles à comparer entre eux , et dont l’ensemble fourni- rait de précieux résultats. AI. L, P. INTRODUCTION DE LA VACCINE EN SYRIE ET DANS LE MONT-LIBAN. PAR le Docteur Mervon. La vaccine fut envoyée pour la première fois en Syrie à M. Barker, consul britannique à Alep ; mais dans quelle année ? je ne puis me le rappeler. Cet envoi était accom- pagné d’instructions aussi nombreuses que la nouveauté de la découverte le permettait , et relatives aux facultés préservatrices de la vaccine ainsi qu’à la manière de la propager. M. Barker, homme plein de loyauté et de philanthropie, et jaloux de l'honneur de son pays, fit immédiatement vacciner sa propre fille, et une jeune dame qui est maintenant en Angleterre. Cette vaccination eut un succès complet et donna lieu à toutes les appa- rences, à tous les symptômes qu'on avait annoncés ; mais, par suite de quelque erreur commise dans le transport du vaccin sur d’autres enfans, M. Barker ne réussit pas à le propager. À peu près dans le même temps, M. Lorella, chirur- gien piémontais, maintenant . vice-consul impérial à Baïrout (l’ancien Berytus), port de mer de Syrie, reçut du virus vaccin d'Europe. Ce vaccin était-il renfermé dans des verres, ou déposé sur des fils de lin, ou INTRODUCTION DE LA VACCINE, ETC. 249 autrement? je Flignore. La réception de ce vaccin fut bientôt suivie d’un autre envoi , destiné à en assurer le plus possible la propagation. À cette époque, M. Lorella et plusieurs autres Européens eurent à souffrir, d’un pacha de Saint-Jean d’'Acre, des vexations despotiques qui devinrent tellement insupportables , qu’ils furent obligés de se réfugier dans le Mont-Liban , chez les Druses, qu’on sait avoir de tout temps détesté les Turcs et être souvent en pleine révolte contre eux. Parmi cette peu- plade se trouve péle-mêle une secte nombreuse de Chré- tiens,nommés Maronites , qui reconnaissent la suprématie du pape, et ne diffèrent guère de l’église latine qu’en ce qu'ils ont conservé, dans l’exercice de leur culte, le langage syriaque. Ces Maronites ont une grande prédi- lection pour les Européens, leurs arts et leurs découvertes. Ils sont, ainsi que les Druses , gouvernés par un émir, qui, lui-même, n’est ni Chrétien, ni Druse, ni Turé, et qui observe indifféremment et alternativement les rites religieux de ces trois nations différentes. Ces circon- stances favorisèrent les projets de M. Lorella, qui n’éprouva aucune opposition de la part de l’émir , non plus qu'au- cune difficulté à convaincre les Maronites des résultats avantageux qu'aurait pour eux l'adoption de la vaccine, en remplacement de l'imoculation de la petite vérole. Son premier essai eut lieu sur le jeune enfant d’une dame française, nommée Bertrand , et réfugiée comme lui, Cette vaccination eut un succès complet , et ce fut par cèt enfant que la vaccine se propagea dans toute l’étendue du Mont-Liban. Une découverte aussi intéressante ne pouvait rester longtemps la propriété d’une seule personne, dans un pays où l’industrie est constamment à l'affût de toutes les occasions qui peuvent procurer quelque gain ; elle ne 4 16 250 INTRODUCTION DE LA VACCINE pouvait pas non plus passer de main en main , et souvent d’une manière subreptice , sans risquer d’être fort altérée dans son application, viciée dans ses propriétés, et rendue sujette à manquer son but; en un mot, sans risquer de ne pas réussir. Des charlatans vagabonds, dont l'Orient abonde, furent les premiers qui la mirent à profit ; ensuite des paysans, des pères de famille , trouvant Popération très facile et très simple, par économie, vaccinèrent eux-mêmes leurs enfans ; enfin, les sages- femmes s’emparèrent de la pratique de la vaccine et l'appliquèrent à tous ceux qu’on leur présentait. Une chose digne de remarque, c’est que le mérite de la découverte du D' Jenner n’a pas été apprécié plus dignement à Londres ou à Genève, que son influence sur l'espèce humaine n’y a pas été sentie plus vivement que dans le Mont-Liban ; et, ce qui est encore plus étonnant, c’est que les sauvages montagnards de cette contrée aient été plus promptement convaincus de l'efficacité de la vaccination , et en aient adopté la pratique plus spontanément et plus généralement qu'aucun peuple de l'Europe. Mais un certain temps s’était écoulé depuis la première introduction de la vaccine, lorsque la petite vérole pénétra dans quelques-uns des villages dont plusieurs enfans avaient été vaccinés ; et, comme on devait natu- rellement le supposer, d’après ce qu'on avait vu en Angleterre dès l’enfance de la vaccine , quelques-uns de ces enfans vaccinés furent atteints de la contagion vario- leuse. De tous côtés s’élevèrent les plus violentes clameurs ; les pères et mères tremblèrent pour la vie de leurs enfans ; partout on taxa la vaccine d’imposture ; on porta des plaintes à l'émir, ou plutôt, comme il est appelé par les Européens du Levant, au prince des Druses. On lui EN SYRIE ET DANS LE MONT-LIBAN. 251 demanda son intervention officielle pour mettre un terme à cette hérésie médicale , hérésie qui , dans sa préténtion de réformer Part de guérir, n’avait apporté à l'espèce humaine qu’un nouveau moyen de destruction. Il est important de savoir que la chirurgie dans l’Orient est tout entière dans les mains des barbiers, dont un au moins se trouve dans chaque village. Ces gens-là, et ils n'étaient pas les seuls , avaient vu de mauvais œil et avec regret , décliner rapidement la pratique de l’inocu- lation , et tarir, en grande partie , leur plus riche source de profits. Peut-être étaient-ils encouragés dans leurs plaintes par ces gens à préjugés (la nature humaine est partout la même ), tellement attachés aux erreurs de leurs ancètres qu’ils considèrent toute espèce d’inno- vation comme dangereuse et funeste. Mais ce qui menaça bien davantage encore de mettre un terme aux progrès de la vaccine, ce furent les déclamations d’une classe puissante dans tout l'Orient , et qui était très nombreuse à Tripoli, à Baïrout et à Sidon, les fanatiques Turcs. Ils se liguèrent pour dénoncer la vaccine comme une pratique impie, tendant à s’opposer aux décrets du Très-Haut qui nous envoyait la peste, la petite vérole et tous les autres fléaux pour mettre en évidence l’existence de toutes les vertus , la résignation à sa volonté et la patience dans les afflictions. M. Lorella ne resta pas en arrière dans ses récrimina- tions ; il ne craignit pas de lutter avec les ennemis de la nouvelle méthode ; il déclara que le manque de succès de la vaccine en Orient était dù à la maladresse et à l'ignorance de ceux qui s’étaient mêlés de sa propagation ; il s’adressa directement au prince des Druses, et le trouvant disposé à juger impartialement entre lui et ses adversaires , il lui demanda la permission d’avoir recours 252 INTRODUCTION DE LA VACCINE à un moyen qui pourrait terminer cette lutte d’une manière satisfaisanté pour lui, et mettre en évidence l’innocuité et l'efficacité de la vaccine , si toutefois on pouvait attendre de gens intéressés à la conservation de la petite vérole assez de franchise pour reconnaître cette évidence. M. Lorella offrit au prince de vacciner lui-même six enfans , lesquels seraient ensuite inoculés par les barbiers, en présence du prince ; promettant, si quelques -uns d’entre eux; ou même un seul, prenaient la petite vérole, de payer à ces Messieurs 500 piastres ; mais à condi- tion que si, au contraire, tous échappaient à la petite vérole , les barbiers paieraient la même amende. Mais le prince , qui considérait que la sentence devait être en rapport avec les motifs dont étaient animées les deux parties adverses , décida que dans le cas où les barbiers ne justifieraient pas leurs assertions contre la vaccine , par le succès de leur inoculation , ils recevraient une admonition corporelle de 500 coups de bâton. On fixa un jour ; on choisit six enfans, et, après le complet achèvement des différentes phases de la vaccine, les barbiers les inoculèrent de la petite vérole. Ces gens-là, pour atteindre plus sûrement leur but, leur firent de profondes incisions qu’ils rémplirent de pus variolique pris sur un enfant atteint d’une petite vérole confluente , qu’ils avaient choisi parmi plusieurs autres. Le temps déterminé pour la vérification de leur expé- rience étant écoulé , et aucun des enfans ne montrant la plus légère éruption, le prince reprocha aux barbiers leur ignorance, leur présomption et leur malice, et ordonna qu’ils reçussent la bastonnade, récompense qu'ils avaient méritée; mais M. Lorella, sâtisfait du résultat de l’expérience,. intercéda en faveur de ces EN SYRIE ET DANS LE MONT-LIBAN. 253 malheureux, qui furent renvoyés couverts de honte. Ceue preuve si positive, si claire, de l'efficacité de la vaccine , la mit sur-le-champ en grande faveur, et persuada les plus ignorans qui sont toujours les plus récalcitrans, Les enfans du prince et des émirs chrétiens et druses des provinces furent promptement vaccinés , et linfaillibilité de ce procédé fut considérée parmi eux comme aussi authentique que celle de leurs livres sacrés. Ce fut alors que les médecins de toutes les grandes villes l’adoptèrent et la propagèrent dans toutes les directions. Vers l’année 1815, lorsque, pour la pre- mière fois, je visitai la Syrie, j'y trouvai la vaccine connue et pratiquée dans toute son étendue. Il faut con- venir cependant que les Musulmans ne ladoptèrent pas avec la même facilité que les Chrétiens et les Druses. Mahomet avait gardé le silence sur la vaccine ; et qui eùt été assez présomptueux pour prétendre savoir quelque chose qu’eüt ignoré le prophète? Quelques fanatiques Pavaient condamnée comme une abominable innovation chrétienne ; d’autres individus restaient dans le doute, d’après de vagues rapports sur son inefficacité et sur certains dangers auxquels étaient exposés ceux qu’on y soumettait. Tous les Musulmans, conformément au caractère sérieux et réfléchi de lislamisme , laissèrent se calmer leffervescence de l’opinion , avant de prendre un parti décidé dans une affaire qui les intéressait si puis- samment. Néanmoins, quand leurs doutes eurent fait place à une conviction raisonnable de la bonté du préser- vatif, plusieurs Tures respectables (et ici je parle de la ville de Saïda ou Sidon , où j'ai été plus particulièrement témoin de ce que je rapporte) se décidèrent à en faire Pessai. Il faut remarquer que les Orientaux sont adora- teurs de la beauté ; de sorte qu’il est très probable qu’un 254 INTRODUCTION DE LA VACCINE moyen de la conserver chez leurs enfans fut un encoura- gement auquel la tendresse paternelle ne crut pas devoir résister. Aussi, dès que quelques pères de famille des classes supérieures eurent montré leur disposition favorable pour la vaccine, et qu’on apprit qu’ils avaient fait vacciner leurs enfans, les classes moyennes, et même les plus basses, suivirent leur exemple. Cependant on convoqua à Sidon une réunion d’hommes respectables pour exa- miner jusqu’à quel point la vaccination était compatible avec la foi mahométane , et pour décider si son usage n’impliquait pas une révolte contre les décrets du Tout - Puissant. Après une longue délibération, ils déclarèrent, qu'adhérer à cet usage, ce n’était point lever le bouclier contre leur Créateur, puisque, sou- mis et d’accord avec sa volonté, ils se permettaient de labourer leurs champs pour empêcher les mauvaises herbes d'y croître; qu’ainsi il n’y avait nulle impiété à adopter la vaccine, Bien plus, la religion leur ordonna cette adoption qui mettait à l’abri la vie et la beauté de leurs enfans. La vaccine introduite en Syrie éprouvait le méme sort que le café, lorsque , pour la première fois, cette graine précieuse fut introduite dans l'empire ottoman: les muphtis commencèrent par tonner des anathèmes contre elle ; puis, trouvant enfin qu’elle donnait un breuvage délicieux , ils finirent eux-mêmes par en faire un grand usage. Cependant, quoique l’opinion à l’égard de la vaccination fût assez favorable ce semble pour en permettre l'adoption, tout le monde ne ladopta pas ; plus d’un tiers , pour ne pas dire la moitié , des habitans de Sidon continuèrent , comme par le passé, à laisser leurs enfans contracter naturellement la petite vérole, ou à la leur inoculer ; et, en 1816, me promenant dans la ville de Sidon , je rencontrai un enfant couvert d’une abondante éruption de pustules varioliques. EN SYRIE ET DANS LE MONT-LIBAN. 255 Restait encore une caste de Musulmans à convertir à la vaccination ; les Métoualis ou Motoualis, sectaires d’Hassan et d’Hussain , regardaient comme une souillure Pattouchement d’un Chrétien. Si un de ces Hassa- nistes s’arrétait à la porte d’un Chrétien pour lui demander un verre d’eau , ce qui était fort rare, ou si celui-ci en recevait un de celui-là, ce qui était plus rare encore, le superstitieux Mahométan brisait le vase dans lequel on avait bu. Or, comme il n’y avait que des Chrétiens qui , dans Fespoir du gain , voyageassent pour vacciner de lieu en lieu , c'était à eux seuls que les Mé- toualis pouvaient avoir recours. Que fallait-il done faire 3 puisqu'il leur était défendu de laisser toucher leurs enfans par les infidèles, bien plus encore , de les leur laisser manier ? Mais, même chez les Musulmans , il est avec le ciel des accommodemens. Les Métoualis vivent dans une partie du Mont-Liban , qui est environnée de tous côtés par des Druses, des Chrétiens, et des Mahométans d’une secte très différente de la leur, celle de Habekr ; et comme, pour les affaires de la vie, ils avaient constam- ment des rapports assez intimes avec ces différentes popu- lations , ils avaient adopté une manière de remédier aux inconvéniens de ces rapprochemens forcés , qu’une anec- dote fera parfaitement comprendre. Des voyageurs anglais faisaient une excursion dans le pays des Métoualis ; ils furent très bien reçus par le cheik , ou chef d’un certain village, grâce à une lettre d’un des officiers du pacha. Quelques circonstances imprévues les forcèrent à séjour- ner dans cette contrée plus longtemps qu'ils ne s’y attendaient. Le cheiïk leur fit avoir un cottage très con- fortable pour leur demeure, en les assurant que quelque chose dont ils pussent avoir besoin, s’ils s’adressaient à lui, elle leur serait sur-le-champ accordée. Ainsi que 256 INTRODUCTION DE LA VACCINE c’est la coutume, ces étrangers avaient avec eux leur batterie de cuisine, leurs lits, etc... On leur fournissait abondamment du riz, des poulets , ete., et leurs propres domestiques faisaient la cuisine. Le jour qui suivit leur installation dans leur chaumière , regardant autour d’eux pour explorer le pays, ils furent vivement tentés à la vue de délicieux raisins pendant en festons à quelque distance ; ils envoyèrent un domestique pour en acheter d'un Métouali qui en faisait la cueillette. Le domestique va, fait sa demande et offre son argent , mais il reçoit un prompt et sec refus en retour. Etonnés de la grossièreté de ce barbare, quoique n'ignorant pas les préjugés des Métoualis, nos Anglais allèrent eux-mêmes à lui, lui firent de nouveau leur requête, et n’en reçurent pas un accueil plus aimable que leur domestique. Ne voulant pas se faire des ennemis de gens au milieu desquels ils devaient vivre quelques jours , ils furent rendre visite au cheïik, et, s’excusant de le déranger pour si peu de chose, ils lui exprimèrent le désir d’avoir quelques grappes de raisin. À l’instant le cheik donna des ordres pour en aller chercher sur-le-champ. Tandis qu’ils atten- daient l’arrivée du fruit si désiré et si difficile à obtenir, ils racontèrent au chef musulman la conduite désobligeante du paysan métouali. «Oh! dit le cheik, ne vous étonnez pas de cela; il n’a eu nullément l'intention de vous offenser ou de vous manquer de respect. Vous savez qu’il est défendu à ces gens-là de toucher à ce qui a passé par les mains des Chrétiens; mais je veux vous apprendre un moyen d’obtenir d’eux , à l’avenir, tout ce dont vous aurez besoin. Les interprètes de leurs rites et de leur dogme les ont rassurés sur les infractions qu'ils pou- vaient commettre dans certaines circonstances; ainsi -cette infraction ne leur est point imputée , si elle est la EN SYRIE ET DANS LE MONT-LIBAN. 257 suite de violences ou de menaces qui les auraient exposés à quelques souffrances personnelles. Toutes les fois donc que vous aurez quelque service à leur demander, en- voyez, comme cela se fait toujours en pareil cas, votre domestique, un bâton ou un fouet à la main , qui , décla- rant au Métouali ce dont il a besoin, en même temps qu’il jette son argent à terre, le menace de le rosser vigoureusement s’il lui refuse sa demande; il est sùr de l'obtenir constamment et sur-le-champ, quoique avec un air de mauvaise humeur simulée. » C’est par cet argument persuasif qu’on parvint à faire admettre la vaccine chez les Métoualis. L’ami d’un Métouali le conjurait de faire vacciner ses enfans, mais celui-ci repoussait cette demande avec horreur; l’ami ne se découragea point ; il obtint du cheik un ordre qui, sous peine de punition corporelle , enjoignait aux pères du village de laisser vacciner leurs enfans , et, en conséquence, de recevoir convenable- ment chez eux le docteur étranger. On obéit à l’injonction du cheïk avec le plus grand empressement , et dès lors la propagation de la vaccine n’éprouva plus le moindre obstacle. La manière de transporter le vaccin d’une place à l’autre ou de le conserver pour un usage futur, se pratique en Syrie par le procédé suivant : on pique la pustule de vaccine avec la pointe aigué d’un morceau de plume taillé en fer de lance, et on le charge ainsi du virus vaccin. Ce petit instrument piquant, si sim- ple et si aisé à se procurer, est fixé à un petit manche de bois rond et poli, assez petit pour pouvoir entrer dans le tuyau d’une plume non ouverte. ( Je suppose qu’on ferme l'extrémité ouverte du tuyau de plume avec de la cire ou par tout autre moyen analogue. ) C’est ainsi que dans ces pays chauds on conserve le vaccin sans altération, pen- 258 INTRODUCTION DE LA VACCINE dant sept ou huit semaines et même davantage, dans des temps où le thermomètre de Fahrenheit monte à l’ombre, entre midi et 2 heures, jusqu’à 87°. À Constantinople, les vaccinateurs se servent d’aiguilles d’or fixées dans des manches d’ivoire, qui se vissent dans un tube de même substance terminé en cul de sac. La méthode de vac- ciner pratiquée à Tripoli, à Sidon, à Saint-Jean d’Acre, à Damas, et, je pense, dans toute la Syrie, consiste à faire deux scarifications et quelquefois une seulement, avec le tranchant de la lancette, sur le bras (à la même place qu’en Angleterre), précisément assez profonde pour amener quelques gouttes de sang. En général on préfère une lancette dont le bord est un peu émoussé. Quelques vaccinateurs humectent légèrement la pointe de leur plume à la vapeur de l’eau bouillante, et la frottent dans tous les sens sur la place scarifiée, puis ils appliquent sur cette place une petite boule de coton, qu’ils main- tiennent modérément serrée avec une bande. Ils en- lèvent cet appareil le second jour, et dès lors ils aban- donnent au destin le succès de leur opération. D’ailleurs les vaccinateurs ne soumettent leurs petits malades à aucune préparation, et ne s’inquiètent nullement s’ils sont ou non atteints de quelque affection cutanée, ou même s'ils sont bien portans ou malades. Si la vésicule ne parait pas, ou si elle ne parcourt pas les phases ordi- naires, on répète la vaccination une seconde fois. Dans ma dernière visite en Syrie, la présence de la peste m’empêcha de parcourir le pays, et conséquem- ment je ne pus m'assurer si On avait fait quelques expé- riences, pour constater l’infaillibilité de la vaccination comme préventive de la petite vérole, Mais à Larnaka , port de mer de l’île de Chypre, j’eus l’occasion de faire quelques observations satisfaisantes. Ayant avec moi le EN SYRIE ET DANS LE MONT-LIBAN. 259 numéro du journal de médecine d’Edimbourg, dans lequel M. Brown émet plus que des doutes sur l'efficacité de la vaccine, d’après quelques faits que lui et d’autres incré- dules avaient recueillis, je fis mon possible pour m’assu- rer si, en Chypre, on avait observé quelques cas fàcheux qui pussent justifier le scepticisme des ennemis de la vaccine. Ce sujet important fut discuté à fond chez M. Von- diziano, consul britannique en Chypre. Quelques personnes présentes à notre discussion me rapportèrent les anecdotes suivantes , arrivées dans leur propre famille. Me Von- diziano, mère de sept filles, ayant eu, quelque temps aupa- ravant , l'intention de vacciner un enfant qu’elle nourris- sait, désira préalablement, et en conséquence de quelques idées défavorables à la vaccine qu'une voisine lui avait mises dans la tête, s'assurer jusqu’à quel point on pouvait se fier à la faculté préservatrice de cette opération. Deux de ses filles, déjà grandes, avaient été vaccinées depuis neuf ans ; elle se décida à les inoculer. Une épidémie de petite vérole régnait alors à Larnaka. Mme V. fit apporter dans sa-maison, par une sage-femme habituée à inoculer la petite vérole, un enfant couvert de pustules en pleine suppuration. Il règne en Chypre, relativement à l’inoculation de la petite vérole, un préjugé curieux, qui, j’ai des motifs pour le croire, quoique je n’en aie entendu parler que dans celte occasion, s’étend dans tout le Levant: c’est que l’inoculation de la petite vérole est constamment mortelle, si l'enfant soumis à cette opération porte déjà dans son organisme le principe du mal tout prêt à se développer, quoiqu’il n’en ait encore aucun symptôme visible. On prend les précautions les plus minutieuses pour prévenir cette calamité imaginaire. Les deux jeunes filles furent séquestrées du reste de la famille, mises à sévère quaran- 260 INTRODUCTION DE LA VACCINE taine pendant quinze jours, et furent ensuite inoculées de la manière suivante. Trois aiguilles à coudre furent réunies , de manière à ce que les trois pointes , formant un triangle, fussent à environ une ligne l’une de Pautre. Ce petit instrument fut plongé dans une des pustules varioliques d’un jeune enfant, et servit ensuite à faire aux jeunes filles trois piqüres assez profondes dans Ja partie charnue du dos de la main , à l’angle formé entre le pouce et l’index ; la main fut ensuite enveloppée d’un petit bandage, et l’on attendit patiemment le temps nécessaire pour le développement de la petite vérole ; mais en vain, rien ne parut, et l’inoculation fut comme non avenue. Alors Mme V. procéda à la vaccination de ses enfans, avec la ferme persuasion qu’ils pourraient doré- nayant, sans aucun risque et avec la plus grande impunité, se trouver dans le centre de l’épidémie sans que la conta- gion les atteignit. On ne peut nier que l'expérience , faite par Mme Vondiziano pour s’assurer de l'efficacité de la vaccine , ne soit tout à fait satisfaisante , et n’ait été conduite d’une manière parfaitement méthodique et rationnelle, Ses deux filles sont aujourd’hui (1820) pleines de vie et de fraîcheur. Le résultat de cette épreuve engagea Me Peristiani, femme du vice-consul russe, et amie intime de Mme V., à la tenter surun de ses enfans, lesquels avaient été vac- cinés peu de temps avant les deux jeunes filles dont il vient d’être question. Les suites de cette seconde épreuve furent tout à fait semblables à celles de la première. Ces deux dames sont grecques insulaires, ce qu'on pourrait exprimer par le mot de Cypriotes, si, en Europe, ce mot- là n’avait pas une autre acception. M. Balsamaki, médecin grec, gradué à Padoue, a assuré à l’auteur de ce mémoire que, dans sa pratique, qui est EN SYRIE ET DANS LE MONT-LIBAN. 261 beaucoup plus étendue que celle d'aucun de ses collègues, il n'avait jamais vu de petite vérole chez un enfant dont lé bouton vaccin avait parcouru régulièrement toutes ses phases. Un moine défroqué, nommé Brunoni, qui prati- que la médecine, fut accusé par une dame Peraki d’avoir fait preuve d’ignorance en annonçant comme bon un bouton vaccin manqué et de mauvaise nature. « Convain- eue , dit cette dame, que la vaccine en question n’avait eu ni la durée ni les apparences de la vaccine, dont j'avais observé avec beaucoup de soin la marche dans mes autres enfans, je fis inoculer celui-là de nouveau: par ma sage- femme (la même dont Mme V, s’était servie) ; et j'eus bien raison, car cet enfant eut une heureuse et abondante petite vérole. Le sentiment que mon enfant est maintenant à l’abri du danger pour l'avenir , me dédommage ample- ment des terreurs que j'ai éprouvées DRE cette horrible maladie. » L'auteur a entendu le récit de plusieurs cas analogues à ceux qu’on vient de lire. Les médecins de ces contrées n'avaient pas d'idée de la possibilité d’une petite vérole secondaire après la vaccine, pas plus que du développe- ment d’éruptions anomales ; ou d’affections cutanées qui suivissent cette opération. Quand M. le D' Meryon écrivait ce Mémoire, la vac- cine avait dix-sept ans de moins qu’à présent. Malheureu- ment on à vu dès lors un assez grand nombre de petites véroles survenir à des personnes qui avaient été vaccinées et bien vaccinées ; et beaucoup de gens , même parmi des médecins , en ont conclu que le cow-pox n’était pas un 262 INTRODUCTION DE LA VACCINE préservatif, ou au moins un préservatif sûr; que par conséquent il valait mieux renoncer à la vaccine ; moyen douteux de préserver de l’éruption , et adopter d’emblée linoculation de la petite vérole, moyen qui a Favan- tage d’être sûr. Que de parens, séduits par cette doctrine funeste, mais certainement spécieuse, ont vu périr victimes de la petite vérole des enfans qu'ils auraient conservés, s’ils n’eussent pas refusé pour eux l’admirable préservatif du cow-pox! Oui, partout où la vaccine a été adoptée depuis sa découverte , il y a bientôt quarante ans, on a vu des individus atteints de petites véroles spontanées après avoir été soumis à l’influence d’une vaccine régu- lière ; mais qu’on n'oublie pas que cette influence, qui ne les a pas préservés d’une manière absolue, les a préservés d’une petite vérole fâcheuse; que dans presque tous les sujets atteints d’une petite vérole se- condaire , cette maladie éruptive est légère, plus courte et singulièrement bénigne. On cite quelques cas de mort ; mais certainement ils sont très rares, et ne vont pas à une personne sur mille. En revanche, qu'on n’oublie pas combien était terrible la petite vérole naturelle avant la découverte de la vaccine , et que, même quandelle était inoculée, on perdait un malade sur cent, et dans cer- taines années de fortes épidémies , une beaucoup plus grande proportion. Une autre considération en faveur de la vaccine , c’est que, si elle ne préserve pas de la petite vérole d’une manière absolue , elle est pourtant un pré- servatif relatif très puissant, puisqu'il y a à peine dix personnes vaccinées sur cent qui soient susceptibles de la petite vérole secondaire. La génération actuelle ignore tous les maux, toutes les misères que laissait trop souvent la petite vérole après elle : des borgnes, des aveugles, des estropiés, des visages beaux auparavant, entièrement EN SYRIE ET DANS LE MONT-LIBAN. 263 défigurés ensuite ; jamais rien de pareil après la vaccine. Depuis sa découverte et son adoption , les populations ont cessé d’être décimées et sont généralement plus belles. Tout est mystère dans la manière dont les miasmes de toute espèce agissent sur le corps humain. On s’est mille fois fait cette question , comment la vaccine préserve-t-elle de la petite vérole ? Ce phénomène présenterait un pro- blème insoluble et unique dans la médecine , une ano- malie tout à fait extraordinaire et inexplicable, si on ne pouvait supposer que la vaccine et la petite vérole sont la même maladie. Mais si on peut acquérir la preuve que ces deux affections sont identiques, le problème se simplifie , on a une donnée pour sa solution. En 1801, - j'écrivais , aux rédacteurs de la Bibiothèque Britannique , une lettre qu’on trouveradans le vol. 18 dela partie Sciences et Arts, p. 102. Je crois utile, pour les personnes qui ne connaissent pas cette lettre , d’en transcrire ici la partie importante. | « Je m'empresse de vous envoyer une note que jai reçue de M. Mallet , l’auteur de FHistoire du Danemarck. On y trouvera, ce me semble, une présomption en faveur de l'identité de la vaccine et de la petite vérole. « Selon lopinion la plus générale , Ja petite vérole fut portée par les Abyssins en Arabie ( dans le quatrième siècle). De là, elle passa dans l’Egypte, à Constanti- nople, et, par Parmée que Justinien envoya én Italie contre les Goths , elle se communiqua dans ce pays aux Lom- bards, qui en infectèrent les Bourguignons à l’occasion des incursions que firent ces derniers en Italie, dans le sixième siècle. Ses ravages dans la Bourgogne , qui com- prenait alors la Suisse occidentale, furent extraordinaires. Le peuple, effrayé, ignorant la cause du mal, eut recours aux actes de la dévotion la plus austère. C’est ce qui a 264 INTRODUCTION DE LA VACCINE ; ETC. donné lieu aux annalistes du temps, presque tous ecclé- siastiques ; de faire mention de ce fléau. Marius , vers la fin du sixième siècle, évéque d’Avenche et ensuite de Lausanne, qui nous a laissé une chronique remplie de détails intéressans sur l’histoire de son temps, fait men- tion de cet horrible fléau dont il avait été témoin. « Voici le passage original : Hoc anno (570) morbus validus cum profluvio ventris et variola Italiam Galliamque valde afflixit, et animalia bubula per loca superscripta maxime interierunt. — D’autres historiens de cetemps par- lent de cette contagion, comme Warnefride, etc. ; mais ils ne disent pas qu’elle ait attaqué Je bétail. Le témoignage | de Marius ne peut guère être révoqué en doute. Sa chro- nique se trouve en entier dans le grand recueil des histo- riens français d'André Duchëne , T. L » Quelques personnes ont cru que la vaccine, depuis Pépoqué de sa découverte , avait pu s’altérer et perdre plus ou moins de son influence préservatrice , en passant pendant une quarantaine d’années par le corps de tant de milliers de personnes , et qu’il faudrait la renouveler en la prenant sur le cow-pox de la vache qui en est atteinte. Mais , outre qu’on ne voit rien de semblable dans toutés les maladies éruptives, qui depuis tant de siècles passent d’un corps à Pautre sans subir la moindre alté- ration ; On peut rester assuré que la vaccine est toujours Ta même, puisqu’on la voit parcourir les mêmes phases et présenter toujours la même apparence. J. P.M., Profr. SECONDE EXCURSION EN ESPAGNE. SPAIN REVISITED, py THE AUTHOR OF À YEAR IN SPAIN. Deux volumes. Second extrait. Après un séjour de trois ou quatre semaines environ dans la capitale de l'Espagne , séjour interrompu par une rapide excursion à Alcala , M. Ridell quitte Madrid pour se rendre à Salamanque, et, ses adieux faits à tous ses amis , tant anciens que nouveaux, il prend place dans une galera, espèce de char long et couvert, ressemblant assez pour la, forme à nos omnibus, conduit par huit mules , sous la direction d’un mayoral et d’un zagal en habits de couleurs brillantes, escorté par un énorme chien de l’aspect le plus imposant. Nous laisserons M. Ridell lui-même donner à nos lecteurs quelques détails sur son voyage dans la galera , et sur les circonstances dont il fut accompagné. «Mes compagnons de voyage, qui avaient rejoint la voi- ture par divers chemins , se trouvaient maintenant au com- plet , à l’exception d’un moine de l’ordre de Saint-François qui avait pris les devans , et que nous devions rencontrer sur la route. Quand nous fûmes à deux lieues environ de Madrid , Mantéca , notre mayoral , me le montra assis sur les ruines d’une ferme. Il était immobile et dans une V 17 266 SECONDE EXCURSION EN FSPAGNE. attitude méditative ; son long vêtement de serge blanche se distinguait à peine par sa couleur , des fragmens de muraille qui l’entouraient ; il portait son capuchon rabattu sur le visage. Il y avait dans cette figure de prêtre, assise au milieu des débris morts et désolés d’une industrie autrefois pleine d’activité et de vie, quelque chose de si emblématique de l’état de l'Espagne, que mon esprit frappé de cette image , demeura longtemps sous limpres- sion qu’elle venait de créer. « Comme nous approchiohs de la colline sur laquelle le moine nous avait attendus , il se leva et nous joignit , chargé de deux sacoches de serge blanche, contenant son mince bagage. Lorsqu'il se présenta pour monter dans la galéra, je remarquai un air de mécontentement et une expression hostile sur la physionomie de tous mes compagnons , à l'exception de Mantéca, pour qui un voyageur de plus , quel qu’il fût , était une aubaine ; ‘et d’un vieux capitaine d’infanterie, blessé, malade , qui se rendait aux bains de Lédesima pour y chercher une guérison probablement impossible , et dont les manières solennelles annonçaient qu’il n’espérait pas échapper à la mort déjà empreinte sur son visage. Le Franciscain , relevant les longs plis de sa robe , passa avec précaution par-dessus les jambes étendues des voyageurs, qui ne daïgnèrent pas se déranger pour lui , etse glissa humble- ment à la dernière place en nous saluant tous avec douceur de ces paroles : « Dieu soit avec vous , mes frères !» Tou- ché de compassion , je me rangeai pour le laisser passer , et tout en lui rendant son salut, je parcourus des yeux sa haute taille à laquelle ce vétement blanc donnait quelque chose de gigantesque, son visage, que les jeùnes, les fatigues et la pensée constante du salut avaient macéré , et ses longues jambes, chaussées de guêtres de soldat, SECONDE EXCURSION EN ESPAGNE. 267 terminées par d'énormes souliers garnis de clous, dont l’apparence toute militaire formait un contraste singulier avec le reste de lhabit. ÿ «Lorsque nous fûmes tous rassemblés , Mantéca cria d’une voix forte : Le déjeuner, Messieurs ! proposition que chacun parut entendre avec plaisir. Alors, Francisco el Cojo , notre zagal , détacha de l’un des côtés de la galera un grand sac qu’il remit à son illustre chef. Ce sac con- tenait deux vastes bassins en bois, dans lesquels étaient rassemblées plusieurs pièces de veau froid , et une liasse d’appétissantes saucisses. Un autre sac nous fournit une provision d’excellens petits pains blancs ; et une outre de vin placée au centre de la voiture compléta les préparatifs que nous devions à la prudence de notre mayoral. Je m’empressai de joindre à ces provisions communes des poulets rôtis, un jambon , avec du Xérès de première qualité, dont une de mes compatriotes m’avait fait pré- sent à mon départ de Madrid , et notre repas commença. — Quel appétit , cher lecteur ! avec quelle rapidité je voyais disparaitre les viandes, et loutre s’amincir sous les attaques répétées des assistans ! Cette communauté de coupe et d’assiette, jointe à la bonne humeur que donne d’ordinaire Pappétit satisfait, adoucirent peu à peu les sentimens des assistans envers le Franciscain ; on lui fit place pour s’approcher du cercle que nous formions autour de l’outre, puis en lui parlant, l’un l’appela reverendo, un autre padre ; et ces dénominations, d’abord accompagnées d’un sourire moqueur , finirent par prendre un caractère plus respectueux dont le bon moine parut très satisfait. « Notre déjeuner terminé, et ses débris remis à leur place, chacun des voyageurs se mit en devoir de préparer son cigare de papier. Cette scène est de celles qui offrent au cosmopolite philanthrope un champ d’observations 268 SECONDE EXCURSION EN ESPAGNE. curieuses et amusantes. L'âme du véritable Espagnol est tout entière à ce qu’il fait pendant cette délicieuse opé- ration : il faut le voir trier délicatement son tabac avec un couteau ou avec l’ongle du pouce, le rouler entre ses doigts pour le réduire en poudre , déchirer le papier qui doit le contenir, rassembler avec un soin scrupuleux jus- qu’à la moindre parcelle de la précieuse plante, puis vider la poudre , puis avec un art inimitable , connu seulement des vrais initiés, et dans lequel un Espagnol seul peut espérer de devenir supérieur ; rouler le tout ensemble en lui donnant un certain degré de fermeté, qui est le non plus ultra de l'œuvre , le comble de la jouissance... … Ce tableau peut paraître absurde ou niais à ceux qui ne l’ont pas vu, mais je suis persuadé que tout homme qui a voyagé en Espagne se le rappelle avec intérèt, et en retrouvera l’esquisse avec plaisir. On ne s’éton- nera pas qu’une jouissance , si vive et si généralement répandue parmi toutes les classes de ce peuple, ait été l’objet de quelques perfectionnemens dans un siècle civilisé comme le nôtre. Aussi un papier exempt de tout principe nuisible a-t-il été inventé pour le plaisir exclusif du cigarillo; ce papier, relié en petits livrets , dont chaque feuillet a la forme et la grandeur requises , est de plus embelli sur la partie qui doit former l’extérieur du cigare, par des groupes de figures, des scènes populaires , des “devises, ou tout simplement par des proverbes revêtus du charme de la poésie. Ainsi, un fumeur, tout en rou- lant son cigare , rencontre les vers suivans , destinés à le consoler s’il a épousé une femme pauvre , ou à l'empé- cher, s’il est encore garçon, de mettre trop d'impor- tance à une dot: En casa de la muger rica, Ella manda y ella grita! SECONDE EXCURSION EN ESPAGNE. 269 Femme à la bourse bien garnie Dans sa maison gourmande et crie ! Les livrets destinés aux dames (car, comme on le sait, le beau sexe de tout âge fume en Espagne) leur présen- tent des conseils appropriés à leurs devoirs et à leur position, tels, par exemple, que celui-ci : Quieres tener à tu marido contento ? Tenle puesta la mesa con tiempo! Femmes qui désirez voir vos époux contens, Offrez-leur chaque jour un diner prêt à temps! «Quoïque ce fût dimanche, la route était couverte de voyageurs. À chaque pas la course de nos mules était ralentie par des troupes nombreuses de muletiers qui conduisaient à Madrid des chars chargés de froment, d'orge, de pois, de paille, etc. Il n’y a peut-être pas de pays chrétien où le dimanche soit moins un jour de repos qu’en Espagne. L’ouvrier et le laboureur , à la vérité, ne se permettraient pas de le passer sans avoir satisfait d’abord à leurs devoirs religieux ; mais s’ils doivent travailler ce jour-R , ils se lèvent avant l’aurore, entendent la messe au chant du coq, et, la conscience en repos sur ce point, ils vont ensuite à leurs affaires sans le moindre scrupule. Mes yeux ne se lassaient point d’observer la variété de costumes et d'apparences que m’offraient les divers grou- pes que nous rencontrions ; réunis en un point sur la route de la capitale, ils appartenaient probablement tous aux deux ou trois provinces les plus voisines. Ici, le cos- tume noble et vraiment cavalier de Ségovie ; là, celui d’Astorga , avec son justaucorps de cuir , serré par une large ceinture, et son gracieux bonnet appelé montera, garni de retroussis de velours. Plus loin , une réunion de quelques Marigatos , tribu particulière de muletiers 270 SECONDE EXCURSION EN ESPAGNE. voués uniquement au transport des marchandises, hommes dont le visage et l'expression semblent indiquer une race distincte des autres Espagnols : leur vêtement consiste en un vaste chapeau plat, un large pourpoint sans col, avec la culotte primitive froncée et attachée au genou, et la guêtre de drap retenue par une jarretière de couleur éclatante. Les conducteurs de chars à bœufs me parurent les plus pauvres de tous ces voyageurs. Leurs voitures construites en bois, sans l’aide du fer, même dans la con- fection des roues, cheminaient dans la plaine avec un bruit insupportable, menaçant ruine à chaque petit fossé ou grosse pierre qu’elles venaient à rencontrer, et se bri- sant tout de bon si l’obstacle se trouvait plus considérable, comme nous en fûmes plus d’une fois les témoins. Ces conducteurs de bœufs sont habillés, de la tête aux pieds, de peaux de moutons assez grossièrement assemblées. Trop pauvres pour se permettre la dépense des auberges, ils portent avec eux leur nourriture et celle de leurs bêtes, campent à certaines heures dans des plaines ou des communes incultes , y allument du feu pour apprèter leur repas 8 et après lavoir mangé gaiment, ils s’arrangent pour passer la nuit sur le sein de notre mère commune ;, ayant pour oreiller un peu de gazon , et pour dais la voûte FE 2 CN AE DER G AC FA LAURE Die QE EPL UC BE LAON CCE GS « Au fond d'une gorge que nous traversâmes dans après-midi, se trouvait le pont des Pélerins, plus connu dés voyageurs sous le nom de pont des Miracles, à cause des prouesses accomplies annuellement en ce lieu par des bandes de voleurs. Peu de mois avant notre passage, un muletier avait été assassiné là pour n’avoir pas eu sur lui autant d'argent que Jui en demandaient ces Messieurs ; et, plus récemment encore, une femme des Asturies, qui re- SECONDE EXCURSION EN ESPAGNE. 271 venait de Madrid, chargée d’une somme assez considérable, qu’elle avait cachée pour plus de sûreté dans les tresses de ses cheveux, fut attaquée à l'entrée du pont par un brigand. D'abord , elle crut échapper à son sorten se laissant fouiller sans résistance ; mais le voleur, informé du moyen qu’elle avait employé pour soustraire son argent aux recherches, lui coupa la tête, qu'il emporta sans doute, et précipita le corps dans le ravin, où il fut retrouvé quelques jours après. Ces récits et une foule d’autres du même genre nous occupèrent pendant longtemps. Chacun à son tour fournissait sa part à l'entretien , sans prétentions , sans importance, avec un degré de savoir-vivre qui m’a tou- jours frappé en Espagne, dans des réunions aussi mélan- gées que celles qu’offrent les voitures publiques. Les Espagnols de toutes les classes possèdent éminemment le talent de la conversation ; ils narrent à merveille, et, ce qui est bien plus rare, ils savent écouter. Rarement ils interrompent la personne qui parle, et ne quittent pas brusquement, pour passer à un autre, le sujet à peine ébauché. Avec eux, l’entretien n’est jamais une lutte dans laquelle chacun semble impatient de donner son coup; il coule doucement d’une matière à une autre sans effort ; leurs remarques sont souvent pleines de raison , leurs argumens éclaircis par des récits d’un vif intérêt, et ren- forcés par quelques-uns de ces proverbes sententieux et pittoresques qui leur sont si familiers.. » . . . . . . « Selon la coutume établie en Espagne dans toutes les auberges de poste , qui se chargent d’héberger les voya- geurs de diligences , nous passämes la nuit au Parador de las diligencias de Guadarama, dans un dortoir commun. Dès l’aurore , nous nous remimes en route, et, comme il faisait un froid assez vif, je profitai d’une montée qui 272 SECONDE EXCURSION EN ESPAGNE. ralentit le pas de la voiture, pour prendre lavance en marchant. Le moine en fit autant; et, de question en question, je lui fis raconter l’histoire de sa vie. Sa première profession avait été aussi différente que possible de celle où je le voyais maintenant ; car, soldat pendant huit années, à l’époque de la guerre contre les Français , il avait reçu plusieurs honorables blessures, dont les marques se voyaient encore sur sa personne ; une, entre autres, qui avait laissé un sillon effrayant au milieu de sa main gauche. Il avait servi d’abord dans un corps de lanciers à cheval, puis dans Pinfanterie de ligne qu'il avait quittée avec le grade de sergent. Par une transition singulière, moins de deux mois après la fin de la guerre, il était devenu moine de lordre de Saint-François. Le couvent auquel il appartenait était situé dans les montagnes entre Ciudad-Rodrigo et la frontière. Il m’assura que les austérités du cloître, quoique rudes, ne pouvaient en aucune manière se comparer aux fatigues , aux veilles , aux marches et aux souffrances de tout genre de la vie de soldat, sans parler, ajouta-t-il des périls du champ de bataille que je comptais pour rien quand j’y étais exposé. Lorsque je le questionnai sur les causes de sa nouvelle vocation ; il me répondit en secouant la tête : C’était la volonté de Dieu. Cependant, un marchand de Pénaranda, homme instruit et sensé , qui était au nombre des voyageurs de la galera, me dit plus tard qu’il soupçonnait à cette conversion subite quelque cause secrète que le moine ne voulait pas expliquer. Il ajouta que , du reste , c’était une chose assez fréquente en Espagne, que de rencontrer des soldats devenus moines ou prêtres depuis la paix : le désir de s’assurer une existence aisée jusqu’à la fin de leur vie, le besoin du repos après tant de fatigues, et l’idée SECONDE EXCURSION EN ESPAGNE. 273 du salut , amenèrent , à cette époque, un grand nombre conversions Men eu, ds, re fe Verritis « Arrivés au sommet de la montagne que nous gravis- sions, je vis S ‘approcher de nous deux jeunes cavaliers en chapeaux rabattus , vêtus de longs manteaux sans collets , de vestes courtes, avec des culottes justes et des éperons. Leurs chevaux paraissaient forts et capables de supporter une longue marche. En nous joignant, ces jeunes voyageurs saluèrent le moine d’un air de connais- sance , puis ils échangèrent quelques paroles à voix basse avec lui ; après quoi, se remettant à causer tout haut de choses indifférentes, ils marchèrent quelques instans à côté de nous, et s’éloignèrent ensuite au galop, après avoir reçu la bénédiction du Franciscain. Ces jeunes hommes, qui se ressemblaient d’une manière frappante, me parurent appartenir à une race distincte de toutes celles que j’avais observées en Espagne ; leurs physio- nomies étaient nobles et expressives, leurs yeux grands et beaux , leurs dents d’une blancheur qui annonçait que jamais l’usage du cigare n’en avait terni l'éclat, chose extrémement rare parmi les Espagnols. Le moine m’ap- prit qu'ils étaient frères , qu’ils vivaient sur la frontière à quelques journées de distance, et qu’ils y retournaient en ce moment. L’apparence bizarre de ces jeunes cavaliers , le peu d’accord entre leurs costumes et leurs manières, mais surtout l’air de mystère que je surpris entre eux et le Franciscain , me firent conjecturer avec assez de vrai- semblance qu’ils servaient d’émissaires au prétendant auprès de ses partisans de Madrid, et que mon compa- gnon de voyage, le digne moine , n’était point étranger à leur mission. » Les détails suivans tirés du séjour fait par M. Ridell 274 SECONDE EXCURSION EN ESPAGNE. à Salamanque , nous ont paru dignes d’être offerts à nos lecteurs. « J'avais une lettre de recommandation pour le recteur du collége irlandais, et je ne perdis pas de temps à la remettre à sa destination. Cette institution , établie à l'heure qu’il est dans un vieil édifice en ruines, occupait autrefois un des plus beaux bâtimens de Salamanque , qui fut détruit par les Français pendant la guerre de lindé- pendance. Le docteur Curtis , premier primat d’Irlande, alors recteur de ce collége, au lieu de garder ses étudians dans les paisibles limites de leurs salles d'étude et de leurs bibliothèques , les avait envoyés à la suite de l’armée du duc de Wellington pour lui servir d’inter- prètes. Cet acte d’intervention , plus qu’imprudent, il faut en convenir, attira sur le collége irlandais la vengeance de l’armée française. Le lecteur se rappellera sans doute que les lois gênantes , les persécutions aux- quelles ils étaient exposés chez eux, avaient dès long- temps obligé les membres du clergé catholique d'Irlande à chercher, dans des pays étrangers, les moyens d’éducation qui leur manquaient , et qu’ils avaient fondé , en consé- quence , soit à Paris, soit à Valladolid et à Salamanque, des colléges de quelque importance. Celui de Salamanque en particulier a vu sortir de son sein plusieurs évêques distingués, tels que le docteur Curtis , le docteur Doyle et le docteur Murray, maintenant archevêque catholique de Dublin. Si le génie, le savoir et la piété ont encore des droits incontestables aux honneurs épiscopaux en Irlande , le recteur actuel peut espérer d’arriver un jour aux mêmes dignités que ses prédécesseurs. Cependant , depuis que la religion catholique jouit en Irlande d’une existence reconnue et protégée, et qu’un collége a été fondé à Maynooth pour l’éducation de ses prêtres , l’insti- SECONDE EXCURSION EN ESPAGNE. 275 tution de Salamanque a beaucoup perdu de son impor- tance. Au moment où je la visitai, une douzaine seulement d’étudians y jouissaient des avantages que leur avaient as- surés , il y a plus de deux siècles , les riches dons de quelques nobles irlandais , qui quittèrent leur patrie après la chute des Stuart pour se fixer en Espagne. « En approchant de la porte du collége irlandais, mes yeux lurent avec quelque surprise ces mots écrits en bon anglais : «Il est défendu d'afficher ici aucun placard» , et je me crus pour quelques instans transporté bien loin du lieu où j'étais ; mais la question quien , faite d’un ton grave par le portier, me ramena bientôt en Espagne. Ce même portier, homme d’àge, qui me donna les informations dont j'avais besoin, paraissait être , par le costume , les habi- tudes et même la manière de tenir son cigare de papier, un véritable Espagnol ; cependant il me parlait anglais avec l'accent le plus franc, le plus national, et, à lexception de quelques mots espagnols, qu’il glissait çà et là dans son discours d’une manière assez originale, il ne semblait pas éprouver de difficulté à s’exprimer dans ma langue. Je découvris plus tard que cet homme , venu en Espagne comme sergent à l’armée de Wellington , avait concu une si forte inclination pour le pays, ses mœurs , son beau soleil , ses bons vins, l’usage du manteau , celui du chocolat, du cigare , peut-être aussi pour quelque jolie Espagnole à yeux noirs , qu’il avait déserté son dra- peau , et que, jetant là son habit rouge, il était devenu à tout jamais un Espagnol. Qu'il me soit permis d’ajouter en passant, qu’il y a dans les mœurs et le caractère espagnols quelque chose d’extrémement séduisant : aussi l’habitant de la Péninsule s’habitue-t-il difficilement à vivre en pays étranger, tandis que dans toutes les contrées où l’on parle espagnol, le voyageur est sûr de rencontrer des Français, 276 SECONDE EXCURSION EN ESPAGNE. des Anglais ou des Américains , fixés là , en ayant adopté tous les usages et s’y trouvant heureux. » . « Pendant mon séjour à Salamanque, j’eus la bonne fortune d'assister à une cérémonie de quelque intérêt, qui ne s’y renouvelle guère qu’une fois par année; jy vis donner le bonnet de docteur de l’Université nationale à un jeune homme distingué qui avait déjà obtenu les grades de bachelier et de licencié. Ce spectacle, dans une ville aussi ennuyeuse que Salamanque, au milieu de la saison maussade du carême, n’était pas à dédaigner ; aussi, le matin de la cérémonie, je me rendis avec empressement dans la vieille église située à peu de distance de la cathédrale, où je vis arriver de tous côtés une foule nombreuse de tout sexe et de tout âge. En temps ordinaire, le recteur et les docteurs de FUniversité se rassemblent dans leur grande salle.et se rendent ensuite à l’église en cortége ; mais la pompe de cette cérémonie se trouvait un peu diminuée , dans la circonstance pré- sente , par le deuil du roi Ferdinand. Nous vimes donc ces dignitaires entrer sans ordre dans la sacristie pour s’y vétir de leur costume. IL se composait d’un bonnet carré de soie noire, ombragé d’une énorme houppe de soie blanche, rouge, verte, jaune ou bleue , selon les diffé- rentes facultés auxquelles appartenaient ces Messieurs, savoir : la théologie, le droit civil, le droit canon, la médecine ou la philosophie, etc. , et d’une sorte de manteau pendant sur les épaules , dont la couleur corres- pondait à celle de la houppe, mais qui, ce jour-là, en signe de deuil , était mis de manière à ne montrer que le velours noir qui en forme la doublure. Ainsi vêtus , les docteurs entrèrent en procession au lieu de la cérémonie, D'abord la foule s’écarta pour les laisser arriver à leurs SECONDE EXCURSION EN ESPAGNE. 277 places avec ordre; mais, à mesure que les plus jeunes de ces gradués , qui formaient l’arrière-garde , s’avançaient pour entrer, les curieux se montraient moins disposés à se ranger pour eux; On poussait, On se pressait sans scrupule , tant qu’à la fin il y eut plus d’un manteau endommagé, plus d’un bonnet carré foulé aux pieds , et que le domestique qui portait sur un plat d’argent la coiffure destinée à l’aspirant, se vit forcé, pour la préserver d'accident , de la faire passer par-dessus les têtes de la mulutude. Quant à moi, en dépit des efforts corporels de mes amis les Irlandais, et de leurs droits incontestables fondés sur une charte, je me serais vu forcé de quitter ce lieu sans avoir pu seulement mettre un pied dans l'église , si un docteur, qui devina à mon costume que j'étais un étranger curieux de voir la cérémonie , n’eût donné l’ordre au bedeau de me faire traverser la foule et de me conduire à un siége. «En arrivant au milieu de l'église, je trouvai le candidat agenouillé sur un coussin aux pieds du recteur qui , assisté du doyen de la faculté de droit civil , lui faisait en latin la lecture des engagemens qu'il allait contracter. Il fut ensuite catéchisé longuement, sur des matières religieuses , par le dernier docteur reçu ; et, après avoir promis d’être fidèle en tout point aux ordres qu’on venait de lui donner, il reçut son bonnet que le recteur lui présenta avec beaucoup de dignité. Malheureusement la frange de soïe qui le couronnait se trouvait être un peu plus longue que ne le veut la rigueur de l'ordonnance, ainsi qu’il arrive parfois à l’épaulette d’un nouveau lieute- nant; ce qui donna lieu à plus d’un sourire et à plus d'une plaisanterie en latin parmi les vétérans de l’école. Quoi qu’il en soit, le candidat se releva docteur et fut embrassé successivement par le recteur et par tous les 278 SECONDE EXCURSION EN ESPAGNE, membres des diverses facultés. Pour moi, je promenais des regards curieux et observateurs sur toute cette docte assemblée , et j'étais frappé de l’expression intellectuelle de chacune de ces têtes; il était impossible de ne pas voir là une réunion d’hommes vraiment supérieurs. Une circonstance bizarre, me parut cependant, nuire à la gravité de cette cérémonie. Après chacun de ses diffé- rens actes , le bedeau frappait sur la terre un grand coup avec la masse d'argent qu'il portait ; c’était le signal donné à deux musiciens , l’un jouant de la clarinette, lPautre du basson , de faire entendre une fanfare discor- dante, sans rapport avec le lieu et avec ce qui s’y passait. Une autre fanfare prolongée accompagna les embrasse- mens donnés au candidat par ses confrères. La cérémonie de l'installation terminée, le jeune docteur prit sa place près du recteur. et prononça en fort bon latin un discours de remercimens quil finit par une apologie de la reine- mère et du nouvel ordre de choses ; apologie reçue par les uns avec un sourire d'approbation, par les autres avec un froncement de sourcils , selon l’opinion politique à laquelle ils appartenaient. Après ce discours, l'assemblée se sépara, et, comme je me retirais avec quelques-uns de mes jeunes compagnons irlandais ; un ami du gradué vint nous inviter de sa part à nous rendre au collége de PArchevéque, où une collation était préparée pour le nouveau docteur et les membres de l'Université. « La noble et belle façade d’un des plus beaux édifices de Salamanque me prépara, en quelque sorte, à la rare élégance qui régnait à l'intérieur. À l'entrée d'un superbe escalier, nous fûmes reçus par l’un des gradués, qui nous conduisit au salon du Fecteur de l'Université. Au centre de cette pièce, peinte à fresque et décorée avec autant de magnificence que de goût, était une grande table cou- SLCONDE EXCURSION EN ESPAGNE. 279 verte d’une somptueuse collation de vins, de sirops, de gâteaux, de chocolat, de confitures de toute espèce, sans oublier une provision abondante de cigares de la Havane , friandise encore plus goûtée peut-être de ces Messieurs que toutes les autres. Quelques-uns des convives étaient assis autour de la table, d’autres se promenaient dans la salle ou causaient debout. Je fus extrémement frappé de la noblesse et de l’aisance des manières du recteur , qui aidait le jeune docteur à faire les honneurs de la fête. Pappris bientôt que cet homme vénérable n'avait pas toujours vécu dans les murs de Pécole. Colonel pendant la guerre contre Napoléon, il avait passé sa jeunesse dans le tumulte dy grand monde et l’agitation des camps. Au dénouement de ce drame, dans lequel il avait joué un rôle honorable, il s’était retiré du service, et, suivant l'exemple de Caldéron, il s’était voué à l'église, où son crédit et son mérite lui avaient valu la dignité de chanoine de la cathédrale de Santiago de Compostelle , et la chaire de recteur dans la riche Université de Salamanque. « Le service de la collation était fait par les membres du collége eux-mêmes , aidés d’une foule nombreuse de jeunes étudians pauvres, qui, n’ayant pas les moyens de fournir aux dépenses de la vie d'université, y suppléent en se vouant à une sorte de service dans les colléges, les couvens, quelquefois même dans des maisons particu- lières. Cette circonstance , d’abord choquante , cesse de l'être lorsqu’on réfléchit combien ces fonctions sertiles sont cependant plus honorables pour l'étudiant peu aisé qui les remplit, que ne l’est la vie oisive et vagabonde d’un grand nombre de ses camarades, pauvres comme lui, qui préfèrent aller, mal vétus , une cuiller de bois à la main, recevoir chaque jour à la porte de tel ou tel couvent , la 280 SECONDE EXCURSION EN ESPAGNE. nourriture grossière que la charité y distribue aux pauvres. Ces derniers sont en assez grand nombre , et leur genre d’existence est assez dépourvu de dignité pour leur avoir valu le surnom caractéristique de sopistas ou mangeurs de soupe. Dans la foule des jeunes séminaristes mieux avisés qui nous servaient chez le recteur , je remarquai plusieurs physionomies pleines d'intelligence , et, entre autres , celle d’un jeune homme qu'on me dit être doué de talens vraiment supérieurs , et que j’entendis en effet le lendemain soutenir une thèse latine avec une facilité étonnante. « Savoir lire , écrire , et connaître , tant bien que mal, les premiers principes de la grammaire latine , tels que le premier pédagogue est en état de les enseigner , voilà à quoi se réduit le bagage scientifique de rigueur, pour devenir étudiant à l’Université : la géographie , l’as- tronomie , les mathématiques et même l’arithmétique sont entièrement mises hors de question , et conséquemment tout à fait négligées. Mais, en parlant avec si peu de res- pect de l’éducation espagnole en général, je dois à la vérité et à la justice de rendre hommage à l’institution des Jésuites à Madrid. Ce collége , destiné à l'éducation des jeunes nobles du pays, comprenait dans son système d’in- struction tous les perfectionnemens dus à la civilisation mo- derne ; de plus, il était conduit avec ce zèle intelligent, cet ordre admirable qui , de tout temps et dans tous les pays, ont caractérisé les établissemens de cet ordre persécuté. Au moment où j'écris ceci, il est probable que les chefs de cette institution sont en fuite, et que le seul collége en Espagne qui marchât avec le siècle , sera détruit avant qu'il soit peu , par la main même du libéralisme. » . . . CC . . CLR CH . . . . . . . . CM CR . . . . . « Pendant mon séjour à Madrid, j'avais lu dans la SECONDE EXCURSION EN ESPAGNE. 281 gazette de cette ville le récit d’un fait assez singulier , devenu pendant plusieurs jours l'objet des conversations de la capitale. Il s’agissait d’un prétendu géant fossile de près de vingt pieds de long , dont les os avaient été trouvés en creusant la terre à une certaine profondeur , pour les travaux du canal de Sigales, à deux lieues de Valladolid. Arrivé dans cette dernière ville, je me décidai à voir par mes propres yeux ce qui avait donné nais- sance à une description si exagérée. Bien que chaque personne à qui j'adressai des questions à ce sujet, me confirmät le fait avec une conviction implicite, j'avais quelque peine à croire qu'il fût réservé aux faiseurs de canaux espagnols, de détruire d’un coup de pioche un système fondé sur des siècles d'expériences ; en outre, j'étais curieux d'examiner les travaux du canal. Je ne trouvai personne à l'auberge , qui voulût m’accompagner dans cette course ; il fallut donc me contenter des indi- cations qu’on me donna au sujet de la route à suivre, et monté sur une vieille haquenée poussive, qui sans doute avait vu de meilleurs jours, m’aventurer seul, par un soleil ardent, sur un chemin sans arbres, sans maisons , couvert de poussière, qui suivait d’abord les sinuosités de la petite rivière de Pisuerga, et plus loin le cours du canal même. Comme j'ai un goût tout particulier pour les accointances de grande route je découvris avec joie quelques vieilles femmes montées sur des ânes > qui retournaient à Sigales après le marché de Valladolid , et me joignant à elles, je fis si bien que nous trottämes bientôt de compagnie, tout en causant de la manière la plus animée. Notre conversation, on le pense bien, roula surtout sur le fameux géant fossile qui devait, dans les temps à venir, élever la renommée de Sigales au moins aussi haut que celle du fameux village du Toboso. r 18 282 SECONDE EXCURSION EN ESPAGNE. À la vérité, aucune de ces dames n'avait vu le géant, mais toutes en avaient entendu parler, et la taille de cet étrange phénomène ne diminuait point, comme je m'y étais attendu, à mesure que je m’en approchais; seulement l'ensemble de son squelette était , me disait-on, un peu endommagé, quoique du reste parfaitement complet. « Après une heure de marche , nous arrivâmes à Sigales. Mon premier soin, en entrant à l’auberge, fut de de- mander l’hôte, et de lui communiquer le sujet de mon excursion , en le priant de me conduire chez le directeur des travaux, dans la maison duquel avait été déposé le géant. Cet homme , dont la physionomie offrait un curieux mélange d’ignorance et de ruse, et qui entretenait proba- blement quelques doutes secrets sur l’existence de cette huitième merveille du monde , jugea prudent de ne point aller tout droit à l’autorité compétente , et de me conduire plutôt vers le hangar où habitaient les galériens condam- nés aux travaux du canal. Je m'amusai beaucoup à le laisser faire et à écouter le dialogue suivant, qui eut lieu entre lui et un forçat, à la mine de brigand, chargé d’une énorme chaîne , et que mon homme-aborda d’un air câlin en lui offrant une prise de tabac. «Eh bien , comment dites-vous que cela va aujourd’hui, camarade ? »— « Mais, pas mal, répondit le galérien en adoucissant ses traits féroces, pas trop mal. Qu’y a-t-il de bon pour votre service?»—«Oh, reprit mon hôte, c’est ce cavalier qui est venu exprès de la ville pour voir ..... Vous savez bien ..... cette, cette chose... » Il bégayait, hésitait et montrait une répugnance visible à nommer l’objet de ma curiosité. Enfin cependant, il fit un effort sur lui-même et dit : « Vous savez bien, cette grande chose qu’ils ont déterrée l’autre jour ..…. le géant ! » — (Ab, ah! répliqua le condamné , en se pinçant les SECONDE EXCURSION EN ESPAGNE. 283 lèvres , je sais ce que vous voulez dire. Les ouvriers ont trouvé dans la terre , en creusant, des pierres que les savans veulent absolument être des os ; on les a déposées chez le directeur des travaux , voilà tout. » Je donnai au forçat de quoi s’acheter du tabac , et j’obligeai mon hôte à me conduire à l’endroit désigné , ce qu’il paraissait faire à contre-cœur, lorsque nous rencontrâmes le médecin du village, petit vieillard fumé, desséché, couleur de momie, qui ayant appris mon intention, s’offrit d’un air d'importance à me servir de guide ; quelques secondes plus tard , j'étais en présence du géant. « Au fond d’une grande chambre étaient déposées une énorme pierre de forme à peu près ronde, et quelques autres de figure plus allongée. Le petit docteur, qui res- semblait beaucoup plus à un alchimiste des temps passés qu’à un savant moderne, apprit avec regret que je n’étais point un facultativo, un homme de l’art, et que ce serait semer ses perles devant les pourceaux, que de me faire une démonstration savante sur le géant fossile. Il eut néanmoins la condescendance de m’expliquer com- ment les forçats, en creusant le canal, avaient rencontré ces subtances pétrifiées, qu’ils avaient malheureuse- ment fort endommagées avant d’en avertir leurs supé- rieurs. Il était résulté cependant des observations faites à ce sujet, qu'entre la première pierre trouvée et la dernière , il y avait une distance d’environ vingt pieds; que puisqu'il ne se trouvait pas d’autres pierres que celles-là en cet endroit, on devait reconnaître dans ces fragmens des os pétrifiés ; puis , comme aucun autre ani- mal que l'homme ne présentait d’os de forme ronde, la grosse pierre devait être un crâne humain, et les autres des jambes et des bras. Enfin, la distance ci-dessus men- tionnée entre la tête de l’individu antédiluvien et le bout 284 SECONDE EXCURSION EN ESPAGNE. de ses pieds, jointe à la grosseur de ses os, donnait Pidée d’un:être certainement fort imposant par sa taille, même dans les temps heureux où la terre était habitée par les géans. Mon hôte, dont la curiosité avait été sti- mulée par la mienne, et qui était entré dans la salle du docteur d’un air aussi attentif, aussi pénétré que s’il s’était agi de descendre dans la fameuse caverne de Mon- tésinos , ne me parut cependant que faiblement convaincu par les aroumens de l’oracle du village; et je vis bien , à son air de doute, à ses mouvemens imperceptibles de tête et d’épaules, que la seule conclusion qu’il tirât de ce que nous venions de voir et d’entendre était, qu'avec un peu de géologie et autant de latin, ce n’était pas une grande affaire que de bâtir un géant! » . . . . . . . « Le canal de Castille, que j’allai visiter en quittant Sigales , a pour objet d'ouvrir une navigation de près de deux cent cinquante milles, du pied de la Guadarama à l’Océan près de Santander ; puis de joindre plus tard par une communication le canal d’Aragon, et d’unir ainsi la Méditerranée à l'Atlantique. Un autre résultat de cette belle entreprise, serait d’offrir des moyens d'irrigation à plusieurs parties des royaumes de Castille et de Léon, qui, de déserts incultes et brülans , deviendraient par ce moyen des jardins fertiles et délicieux. Comme beaucoup d’autres travaux utiles, ce canal fut commencé sous le règne de Charles IT, sur les plans du célèbre Don Ramon Pignatelli ingénieur du canal d’Aragon, puis aban- donné pendant les règnes désastreux de Charles IV et du dernier Ferdinand, temps où l'Espagne s’est vu dépouiller des restes de sa grandeur et de son opulence passées. Maintenant l'esprit d'entreprise et l’activité mercantile qui dominent partout, commencent à pénétrer dans la SECONDE EXCURSION EN ESPAGNE. 285 Péninsule ; une compagnie , ayant à sa tête le riche banquier Aguado , s’est organisée pour reprendre ce beau monument d'utilité publique : elle s'engage à l’achever dans l’espace de sept années , moyennant l’aide des galériens que lui fournit le gouvernement pour ce travail, et le droit de péage qu’elle s’est réservé pendant soixante et dix ans. En examinant les travaux, je fus frappé de la profondeur et de la largeur , à mon avis excessives, don- nées au lit du canal. Les Espagnols, dans tous leurs tra- vaux publics , déploient une sorte de luxe de grandeur et de solidité qui, si nous comparons leurs ouvrages à ceux des autres nations , ne fait pas ressortir ces dernières avec avantage, Mais, d’un autre côté , pendant qu’ils projettent , nous exécutons ; nous avons fini lorsqu'ils ont à peine commencé. Avec une population qui n’est pas beaucoup plus considérable que la leur et qui est bien plus disséminée , les Etats-Unis accomplissent cinquante entreprises d'utilité publique , lorsque les Espagnols sont encore à se glorifier d’en avoir ébauché une seule. » Arrivé à Burgos , M. Ridell trouve l’auberge où il des- cend si confortable, qu’il se décide à passer quelques jours dans cette ville. Son premier soin est d’aller visiter la cathédrale avec quelques autres voyageurs. « Après avoir entendu la messe et le sermon ; mes compagnons abordèrent un chanoine que l’un d’eux con- naissait, et le prièrent de nous faire voir les diverses merveilles de cette cathédrale, qui est certainement un des plus beaux monumens gothiques que l’on puisse con- témpler. Parmi les nombreuses reliques qu’elle contient, ét qui toutes, dit-on, ont le pouvoir d'opérer des mi- racles, j'avoue qu'aucune ne ninspira autant d’intérét que le fameux Baul del Cid , le coffre du Cid , auquel est 286 SECONDE EXCURSION EN ESPAGNE. attachée une légende caractéristique de ce noble miroir de la chevalerie et des vertus austères de son époque. D’après la tradition, lorsque le Cid voulut commencer sa carrière de conquêtes et de gloire, il était pauvre et dépourvu des ressources nécessaires pour entretenir les hommes de sa suite. Dans le but dy pourvoir , il invita à sa table deux riches juifs du voisinage. Après le repas, il leur fit part de ses besoins , leur demandant de l’aider par un prêt d’argent, pour lequel il offrait en gage deux coffres contenant sa vaisselle. Pleins de confiance dans l'honneur du Cid , les Juifs reçurent les coffres sans les ouvrir, et livrèrent la somme demandée. Aussitôt que Valence fut conquise , le Cid, en envoyant à son roi, au couvent de Saint-Pierre et à Chimène, de riches présens, fit remettre aux deux honnêtes juifs, Raquel et Vidas, les deux cents marcs d’or qu’il en avait reçus, avec l’intérêt de cette somme. Il leur fit dire, en même temps , par Pun de ses serviteurs , que pressé par le besoin , il s'était vu forcé d’user de ruse avec eux, et que les coffres qu’ils avaient conservés en gage étaient remplis de sable, non de vaisselle, ainsi qu’ils avaient cru jusqu'alors. . Le Cid les priait de lui pardonner une tromperie qui , du reste, ajoutait-il, ne pouvait leur causer une véri- table inquiétude dans le cas où ils l’auraient découverte, car, sous ce sable sans valeur était caché l’or de la parole du Cid. El oro de mi verdad. Plit au ciel que ce saint respect pour la parole donnée et reçue, encore en hon- neur dans l'Espagne moderne, füt plus commun qu’il ne l’est chez les autres nations ! « Dans l’après-midi je pris un cheval, et je me mis en route pour le couvent de Saint-Pierre de Cardéna, où est situé le tombeau du Cid. À mesure que j'en appro- chais , le pays devenait plus montueux et plus sauvage; SECONDE EXCURSION EN ESPAGNE. 287 on n’y voyait ni culture ni habitations, et je dus m’estimer heureux, après avoir longtemps marché seul, de rencon- trer une jeune paysanne à laquelle je pusse demander si je ne m’étais pas écarté de la bonne route. Elle m’indiqua du doigt, à peu de distance , une colline élevée, d’où je découvris le couvent , situé au fond d’une vallée étroite et sombre qui s’étendait à mes pieds. J’y descendis , et me trouvai bientôt en face d’un vaste bâtiment carré , sans aucune élégance. Le paysage le plus triste environnait cet édifice ; un jardin potager situé derrière le couvent, occupait le fond étroit de la vallée ; plus haut, on voyait des collines incultes sur lesquelles broutaient quelques moutons , puis l’amphithéâtre se terminait par une chaîne de montagnes neigeuses , dont les sommets semblaient suspendus sur les tours du monastère. Le vêtement flottant de serge blanche de quelqu'un des religieux, et la clochette de quelque bélier, étaient les seuls indices de vie que présentât celte scène mélancolique, Je m’arrétai quelques momens à considérer le portail gothique du couvent , sur lequel était sculpté un bas-relief représen- tant le Cid revêtu de son armure , monté sur Babieca, dont les quatre pieds foulent des têtes de Maures auxquels le héros a fait mordre la poussière, et armé de la re- doutable Tizona qu’il tient élevée, prête à frapper. Il y a dans ce groupe, qui est peint et doré, un air de vie presque effrayañht : le cheval semble partager l’ardeur de son maître , et jouir de son triomphe avec l’énergie d’un vrai croyant. J’eus d’abord quelque peine à obtenir la permission de visiter la chapelle où est placé le tombeau du Cid , parce que les moines étaient alors dans le chœur, occupés à chanter le service du soir de la Vierge; cepen- dant, lorsqu'on sut que j'étais étranger, on céda à ma demande ; l'un des religieux vint me chercher avec poli- \ 288 SECONDE EXCURSION EN ESPAGNE. tesse, et je me trouvai bientôt dans l’enceinte d’un vaste et noble temple, où je n’aperçus pas un seul être vivant, excepté mon guide et moi-même , bien que l'air retentit du chant solennel des moines cachés derrière les tri- bunes. Dans une chapelle à droite , entre la porte et l'autel, se trouve le tombeau qui renferme, selon le langage de l'épitaphe , « les restes du guerrier célèbre, triomphant et invincible, » À côté de lui, dans la même tombe, repose sa femme Chimène; leurs deux figures, sculptées en marbre, se voient étendues l’une à côté de Fautre sur le cercueil. Plus loin, dans la chapelle, sont les restes de la famille du Cid , Lain Calvo, Diego Laïnez, et les filles du Cid, Elvire et Maria Sol qui, après avoir été si cruellement outragées par les perfides comtes de Carrion, devinrent , l’une réine de Navare, l’autre reine d'Aragon. Les révolutionnaires français , ces destructeurs de la paix des tombeaux , donnèrent un exemple frappant de mauvais goût et d'absence de respect pour les choses sacrées, en arrachant le corps du Cid au sanctuaire où il reposait depuis tant de siècles , pour le placer , en vue de tous les passans , au milieu de la promenade publique de Burgos. Ces restes ont été depuis rendus avec toute justice à ce couvent de Saint-Pierre de Cardena , auquel le Cid lui-même les avait légués , et dont l’histoire se lie d’une manière intime à celle du héros. C'est dans les antiques murs de ce monastère , que le Cid donna de sages conseils à son prince sur les affaires de l'état; c’est là qu'il vint veiller et prier avant de partir pour la conquête de Va- lence; c’est aussi sous ces voûtes vénérables, que le guerrier plein de foi fit bénir sa bannière avant de la conduire au-devant des infidèles ; ce fut à la garde des religieux de ce couvent qu'il confia Chimène et ses filles en pleurs , lorsque son devoir le força à s'en éloigner ; SECONDE EXCURSION EN ESPAGNE. 289 enfin c’est sur l’autel placé au milieu de ce temple qu'il déposa les premiers fruits de sa victoire , lorsque, récla- mant les précieux gages qu'il y avait laissés , il vint cher- cher sa femme et ses enfans pour les conduire dans sa demeure , et les faire jouir de sa gloire et de ses succès. Après sa mort, le Cid, selon son désir , fut porté au couvent de Saint-Pierre, embaumé et exposé pendant quelque temps, revêtu de ses habits de cérémonie, la tête découverte, sa vaillante épée Tizona près de lui, aux hommages pleins de respect d’une foule nombreuse , que le souvenir de ses exploits amenait en pèlerinage auprès de sa dépouille mortelle. » Après une résidence de quelques jours à Burgos , M. Ridell quitte cette- ville, sous la conduite du courrier , et arrive en peu de temps à Vittoria, ville occupée alors par les Christinos, sans avoir été inquiété, comme il avait lieu de le craindre, par les troupes carlistes dissé- minées en bandes dans le pays. À Vittoria, le voyageur prend place dans une galera conduite par Lorenzo Lanz, homme de confiance, habitué à traverser dans tous les sens le théâtre de la guerre. « Une heure me suffit pour faire viser mon passeport, payer mon écot, et me rendre à Pendroit d'où la galera devait partir. Je trouvai la voiture prête, les mules atte- lées, et mon nouveau conducteur Lorenzo , en habit de velours, surmonté d’un bonnet en pain de sucre , recevant avec une expression d’anxiété les lettres etles commissions que lui apportaient diverses personnes. Après quelques momens de retard, employés fort agréablement de ma part à écouter une musique militaire délicieuse qui s’exer- çait dans une caserne voisine, je fus tiré de ma rêverie par les mots de « 4rre-Pelegrina ,» et notre conducteur ayant embrassé sa femme et ses enfans , la galera se mit 290 SECONDE EXCURSION EN ESPAGNE: ‘en marche, La porte de la ville par laquelle nous sor- times était gardée par un peloton de jeunes Péseteros , ou volontaires basques , au service de la reine. Ces jeunes gens , qui paraissaient gais et folâtres., adressèrent en passant quelques plaisanteries à Lorenzo, le priant de faire leurs complimens aux carlistes, et de leur dire qu’ils seraient enchantés de recevoir une visite de leur part. Je ne sais point quand et comment mon conducteur s’ac- quitta du message ; mais ce que je puis affirmer, c’est que vingt-quatre heures plus tard, Zumalacarregui entra subi- tement dans Vittoria , à la tête de six mille Navarrais et Biscayens, prit possession de toutes les portes à la fois, battit la milice qui se défendit avec intrépidité , et, après avoir été maître de la ville pendant six heures , en sortit emmenant avec lui tous les Péseteros qu’il put faire pri- sonniers , et qu’il fit barbarement fusiller , cinq par cinq à-déuxliéues: de: Vittoria for, sise chebéitonne « À mesure que nous avancions dans la Biscaye, je remarquais autour de nous une culture plus perfectionnée : de tous côtés , des champs de navets en fleurs: offraient à l'œil un spectacle agréable ; à Pentour des chaumières, les femmes de chaque famille labouraient la terre au moyen de grandes fourches de fer qu’elles maniaient avec beaucoup de force et d’aisance ; près d'elles, sur la route, on voyait leurs légers chars d'osier , attelés de deux vaches. Ces chariots, ainsi que je l’ai déjà dit, tournent sur des roues et des essieux en bois, dont le bruit se fait entendre à une grande distance dans les montagnes ; et cependant, tel est l'empire de lhabitude et des im- pressions de jeunesse , que ce bruit , vraiment intolérable aux oreilles d’un étranger, a pour ces bonnes gens une sorte de charme auquel ils ne sauraient , dit-on , renoncer SECONDE EXCURSION EN ESPAGNE. 291 qu'avec peine ! L’usage généralement établi dans cette partie de l’Espagne, que les femmes partagent avec leurs maris jusqu'aux travaux les plus pénibles de l’agriculture, favorise extrêmement l'existence et la durée d’une guerre de partisans. Les hommes , en effet, partis pour com- battre en volontaires , ne rentrent chez eux qu’à certaines époques fixes , lorsque la saison des grands travaux exige l’aide de tous les bras ; ils s’éloignent ensuite, tranquilles sur la subsistance de leur famille , parce qu'ils savent qu’en leur absence la culture et les récoltes se conti- nueront avec activité. Si quelques-uns d’entre eux sont blessés , leurs camarades les portent, comme une chatte ses petits, jusqu’au premier village assez considérable pour qu'il s’y trouve un chirurgien barbier. Celui-ci panse leurs blessures de son mieux; et, qu'ils aient ou non des relations ou des amis dans l'endroit, ils sont sûrs d’y trouver des soins et de l'hospitalité ; car jamais guerre n’a été plus populaire que celle-ci , ni moins entachée de cette bigoterie et de ce goût pour le despotisme dont on la qualifie dans les journaux français et anglais. Le fait est, que les Navarrais et les Basques sont les peuples les plus libres de l'Espagne, et qu'ils sont d’autant plus attachés à leurs droits et à leurs priviléges, qu'ils sont plus frappés de l’état de servitude où vivent leurs voisins. Au lieu de lourds impôts et de taxes directes , ils paient de leur bon vouloir au gouvernement un subside dont ils fixent eux-mêmes la quotité; et tandis qu’un Castillan ou un Andalou peut être envoyé en Afrique chargé de chaînes, pour quelques livres de tabac, le Biscayen traverse hardiment les grandes routes du royaume , chargé d’autant de cette marchandise qu’il en peut porter, sans encourir aucune peine. Enfin, l’habitant des provinces libres n’est point soumis aux chances de la conscription, 292 SECONDE EXCURSION EN ESPAGNE: ni forcé de servir le roi en personne ; et dans toute. l'étendue de ces contrées privilégiées , le chef de l'Etat est désigné par le titre de seuor, jamais par celui de roi. Ce n’est donc pas l'amour du despostisme , mais au contraire la crainte de perdre une liberté qu’ils ont héritée de leurs pères, et dont ils ont sucé les principes avec le lait, qui les stimule à soutenir la guerre où on les voit engagés. « Nous ne tenons ni à Carlos , ni à Christine, ni au Roi, ni à la Reine, me disait un Biscayen; il y aura toujours, quoi qu’il arrive, un Dieu pour nous juger, ou un monarque pour nous gouverner. Si nous ne pouvons demeurer Espagnols comme nous lentendons, avec nos anciens priviléges, eh bien, qui sait? nous formerons un état indépendant, avee un brave roi que nous choisirons tous lés ans. Il est évident que l’idée de la république à déjà germé dans leurs têtes ; peut-être n’a- t-il dépendu que de Zumalacarregui de devenir le chef d’un mouvement entièrement démocratique , en déclarant souveraines et indépendantes les anciennes provinces bbres! duirgyaumeiisocs) une. ll aiilasg et «Après avoir traversé dans la journée les villes d'Irura, Villa-Franca et Andoan , nous atteignimes avant la nuit le bourg d'Urnieta, situé au sommet et sur la pente d’une colline. L’auberge où nous devions passer la nuit était tenue par deux jeunes nièces de Lorenzo qui s’efforeèrent de nous bien recevoir. Après avoir savouré d’excellent chocolat, je sortis enveloppé de mon manteau , pour parcourir la ville et ses environs avant qu'il fût nuit. Arrivé au sommet de la colline , j’y visitai une vieille église gothique, silencieuse et sombre outre mesure, dont l’ex- térieur crénelé annonçait que ce bâtiment avait dû servir autrefois de défense aussi bien que de lieu de prières. À SECONDE EXCURSION EN ESPAGNE. 293 peu de distance était une place carrée, ayant d’un côté la maison de ville de l'endroit, de l’autre une petite chapelle, et tout à l’entour, comme une bordure formée par les sommités des montagnes voisines dont les champs cultivés, les bois verdoyans et les rochers pittoresques paraissaient, vu l'illusion produite par le crépuscule, se pencher au- dessous de cette petite enceinte. Au centre de cette jolie place, une troupe de jeunes gens d’Urnieta jouaient à la balle avec une ardeur et une gaîté qui me faisaient envie. À vingt pas d’eux se tenaient les jeunes femmes, presque toutes grandes, bien faites et fraîches, vêtues de toiles peintes de France, de couleurs vives et variées, coiflées des longues tresses de leurs cheveux pendantes par der- rière. Quelques-unes allaitaient leurs enfans, d’autres les promenaient en chantant d’une voix plaintive; les plus jeunes causaient et riaient entre elles, tout en jetant de fréquens coups d’œil vers le groupe des joueurs de balle. Quant aux pères conscrits du village, ils étaient rassem- blés, en partie au cabaret voisin, des fenêtres duquel s’échappaient des nuages de fumée ; en partie assis sur un long banc à côté de l'église, d’où, la pipe à la bouche, ils jouissaient comme spectateurs des passe-temps qu’ils ayaient partagés naguère comme acteurs. Cette scène d’aisance, de repos et de bonheur patriarcal, au milieu d’un pays désolé par la guerre civile, avait quelque chose de délicieux pour le cœur; je ne pouvais m’en arracher; et lorsque enfin l'heure avancée vint m’en chasser , je formai des vœux sincères pour que ce modeste village , séjour de la paix, et d’une simplicité de mœurs vraiment arcadienne, ne fût jamais troublé par le bruit des combats ou les dissensions acharnées des partis. L «Le lendemain était le dernier jour que je devais pas- ser en Espagne ; nous partimes de bonne heure, accom- 294 SECONDE EXCURSION EN ESPAGNE. pagnés des bénédictions des nièces de Lorenzo; et comme l'air était froid, je préférai prendre les devans à pied. Après une promenade délicieuse d’environ deux milles, au milieu de campagnes fertiles, bien cultivées, et d’une nature à la fois pittoresque et riante, j'atteignis la char- mante ville d'Hernani, située au sommet d’une éminence qui s’élève à l’un des côtés d’une vallée profonde. Une chaussée massive, sans laquelle la route aurait dû suivre l'inclinaison du vallon, conduit dans la ville ; des parapets la garnissent de chaque côté. Quand on est appuyé sur ces barrières, les yeux plongent avec délices dans ce préci- pice fleuri, occupé tout entier par des jardins potagers, des champs et des plantations de toute espèce. Une porte fortifiée, sur laquelle les armes de la ville sont sculptées avec goût, termine la chaussée, et conduit à une jolie place où se trouvent comme d’ordinaire hôtel de ville et une église. J’entrai dans l’enceinte de cette dernière, au moment où une jeune femme qui m'y avait précédé trempait son doigt dans le bénitier placé près de la porte. Jugeant de mes intentions d’après les siennes, elle se tourna de mon côté, et me présentant avec une grâce mo- deste son doigt mouillé , elle déposa sur le mien une petite partie de l’eau sainte qu’elle venait de puiser. Je répondis à cette faveur par un salut respectueux que j’accompa- gnai d’un signe de croix, et je suivis dans l’église ma sœur en Christ, touché, comme j'avais eu souvent lieu de l'être pendant mon voyage, de la simplicité du sentiment religieux, tel qu'il existe dans ce pays, de l’absence d’af- fectation et de défiance qui l'accompagne. Aussi , quoique la curiosité ait eu presque toujours une part dans mes visites aux temples de la religion en Espagne, jamais le respect et même une sorte de dévotion n’ont manqué de s’y allier. Il y a dans la pompe d’une église espagnole, SECONDE EXCURSION EN ESPAGNE. 295 dans la manière dont le service s’y célèbre, quelque chose qui saisit fortement l'imagination; mais il y a surtout, dans la naïve et profonde dévotion de ceux qui y assistent, un charme qui pénètre jusqu’au fond du cœur et invite à s’y associer. Dans la congrégation que j'avais sous les yeux, je vis une foule de femmes en grand deuil : elles avaient sans doute à pleurer la mort de leurs fils, de leurs frères, de leurs maris tués dans la guerre civile! Nulle part peut-être l'insurrection n’a été plus complète, plus générale que dans ces cantons : une proclamation de Don Carlos, appelant sous ses drapeaux tous les hommes au- dessous de trente ans, venait d'être publiée depuis peu , et la population nombreuse de la ville d'Hernani y avait obgi-avec.enthousiasmes os! "he VUE 2,35 usa « À un mille environ d’Hernani, nous trouvâmes le commencement de la belle route, longue d’une lieue, qui conduit à Saint-Sébastien. On dit que cette construction, comme toutes celles du même genre que l’on rencontre dans Ja Biscaye, offre un degré de perfection qui semble être en raison des obstacles presque insurmontables que la nature du pays offre aux travaux des habitans. Ce fut avec regret que je renonçai, faute de temps, à faire une excursion vers cette citadelle, théâtre de tant d’exploits et d'efforts désespérés pendant la guerre de l’indépen- dance. « Comme nous passions devant l’entrée de cette route, nous en vimes sortir un homme et une femme assis dans une espèce de litière fixée sur le dos d’un cheval. Deux siéges suspendus de chaque côté de la selle, garnis de coussins bien blancs, ornés de festons en mousseline, formaient ce véhicule, que l’animal semblait porter avec une grande facilité. La dame était vêtue d’une robe 296 SECONDE EXCURSION EN ESPAGNE. à la française et d’un castor retroussé ; ses, jolis petits pieds étaient croisés avec une sorte de coquetterie sur la planche destinée à lui servir d’étrier, et ses yeux se bais- saient avec un peu d’embarras sur Îles oreilles de son chéval. Elle me parut d’une beauté et d’une fraîcheur remarquables, et j’enviai de bon cœur l’heureux mortel placé si près d’elle, qui, tout en laissant trotter leur mon- ture à son gré, parlait à cette jeune femme avec une phy- sionomie animée, où le respect et une sorte de timidité se mélaient à des sentimens plus tendres. Le docteur Johnson affirme quelque part, que le plus grand bonheur accordé à l’homme ici-bas, ‘consiste à rouler sur uné grande route d'Angleterre, dans une voiture anglaise, avec une femme aimable et jolie à ses côtés. J'avoue que depuis ma rencontre sur la route de Saint-Sébastien, je me suis souvent figuré la félicité humaine sous la forme d’un voyage en litière, sur un cheval rapide, au milieu des beaux paysages des Pyrénées, avec une compagne semblable à celle que mes yeux avaient contemplée avec tddtude plisinih. 06" pl sr :910, LS . b7 16279704 CC] CE] . - CC . CC SVM . . . « En traversant le pont de la Bidassoa, je m’arrétai quelques momens sur la limite des deux pays, pour con- templer la fameuse {le des Faisans, qui est située presque au-dessous du pont. Cette île célèbre, où le cardinal Mazarin, et Don Louis de Haro, négocièrent en 1659 le traité des Pyrénées qui assigna à l'Espagne à peu près les mémes bornes qu’elle a maintenant, et lui imposa par la suite un prince de la maison de Bourbon, n’est plus main- tenant qu’un amas de boue, de l'étendue d’une maison fort ordinaire, n’offrant à l'œil ni culture, ni un seul arbre, ni méme la terre nécessaire pour en planter. C'est là cependant que les plénipotentiaires de deux grandes SECONDE EXCURSION EN ESPAGNE. 297 nations tinrent leurs conférences ; c’est là qu'ils rivalisè- rent de luxe, de pompe et de fêtes ; c’est là enfin, qu’en présence de deux cours, se célébra ce mariage qui, pendant si longtemps, a lié les destinées de l'Espagne à celles de son ambitieux et remuant allié. « En mettant le pied sur terre de France, j’entrai dans une jolie auberge située au delà du pont, où je fus reçu par une hôtesse parlant français, ainsi que sa fille, jolie personne bien mise. On m’y servit un diner assez bon, qui me donna lieu d’observer une différence marquée .dans le nombre des comforts et la richesse du mobilier, entre les auberges d’Espagne et celles de France. Comme j'en faisais la remarque, en attribuant le degré d’aisance qui nous entourait à la supériorité du gouvernement, à une liberté plus grande, à une éducation meilleure qui favorise un développement plus complet de l’industrie , mon wvoiturier Lorenzo secoua gravement la tête , et pé- nétré de Pidée commune à un grand nombre d’Espagnols, que les richesses des autres nations se composent de. celles qui leur ont été enlevées à eux-mêmes, il dit : « Tout ceci, Monsieur, vient d’Espagne : voyez cette fourchette que je tiens là , elle est d'argent espagnol ; et quant à leurs misérables cotons, dont ils font tant de bruit, et qu’ils veulent mettre à la place de nos belles et bonnes laines, eh bien , je vous déclare qu'à l'heure qu’il est, nous en avons d’aussi beaux en Catalogne. Ils vien- nent nous tenter avec leurs fausses dorures, leurs montres plates et leurs diamans de verre, et lorsqu'ils n’y peuvent réussir, ils amènent un ours qui danse ou un singe savant, et s’en retournent les poches pleines de nos piastres. Pour moi, si j'étais alcade , et qu’un de ces vauriens se présentät dans ma commune, je dirais à mes gens : Tuez- moi bien vite cet ours, donnez à son maître la bastonnade, V 19 298 SECONDE EXCURSION EN ESPAGNE. un passeport pour Bayonne, et que quarante mille diables l’accompagnent. En France, un gueux qui joue de l’orgue dans les rues porte un habit long, sans avoir pour cela de quoi subsister, ni un sou vaillant; en Espagne, celui qui s'ha- bille en homme aisé l’est réellement , es hombre da muchos caudales. Quand un Espagnol possède du pain à manger, du drap brun pour se couvrir, et des cigares, il est content. Si, par un travail assidu, il ne peut réussir à se procurer ces trois choses, il prend son fusil et se rend sur la grande route... ; mais il aimerait mieux mourir de faim cent fois que d’aller mendier sa subsistance de porte en porte en France ou en Angleterre, au moyen d’un peu de musique et des grimaces d’un singe. L’Espagnol a un noble, très noble cœur ! ET Espanol tiene el corazon muy noble, mucho ! » Telle fut la harangue patriotique de mon ami Lorenzo Lanz, bon Espagnol je crois, en tout temps et en tout lieu, mais admirateur encore plus zélé de sa patrie, une fois la Bidassoa passée, qu'il ne l'était de l’autre côté de la frontière. Ce sentiment, je n’en doute pas, nous est naturel à tous; le pays natal s’embellit à nos yeux par l’absence ; les abus, les inconvéniens qui nous cho- quaient au foyer de famille, disparaissent si nous le quittons pour quelque temps ; et, comme une personne tendrement aimée dont on est séparé, la patrie n’a plus pour nous que des charmes aussitôt que nous nous en éloignons. » CRC] . . CE . . ve . . LE . . « Comme nous avancions , le pays présentait à chaque pas un aspect plus français ; la nature en était moins pittoresque , moins belle peut-être , mais l’art avait fait davantage pour y suppléer. Une culture beaucoup plus savante, des châteaux et des maisons de campagne entourés de jardins, de bosquets et de parcs , choses ‘entièrement fgnorées en Espagne, où les gens riches ne SPCONDE EXCURSION EN ESPAGNE. 299 se hasardent jamais à vivre dans l’isolement , s’offraient à chaque instant à nos regards, tandis que la route que nous parcourions était animée par la présence de prome- neurs de tout âge, de tout sexe et de tout rang, bien vêtus , et dont pas un n’était armé ; preuve certaine que le bras de la justice étendu sur eux les dispensait de se la faire à eux-mêmes , et que nos pieds foulaient une terre plus civilisée. «À Saint-Jean de Luz, je dis un dernier adieu à l'Espagne en prenant congé de mon guide, et j’arrétai, pour me rendre plus promptement à Bayonne, une chaise de poste, dont le conducteur, vrai Gascon , menteur et vantadour dans lPâme , acheva en peu de temps de m’ini- tier de nouveau aux mœurs et aux habitudes françaises. À peine assis sur son siége , le drôle commença à porter aux nues ses chevaux, sa voiture, son propre talent à les conduire, les louanges qu’il lui avait attirées de la part de ses nombreuses pratiques, les bonnes mains dont on l'avait gratifié , etc. etc. Cependant, malgré ses assurances, nous avancions à pas de tortue , et lorsque j'essayais de m’en plaindre, mon Gascon me répondait avec une audace que rien ne pouvait déconcerter : Soyez tranquille ; Monsieur , c’est moi qui conduis tous les ambassadeurs , tous les Anglais, tous les milords; ils sont tous enchantés de moi. Je voudrais seulement que Monsieur pt leur demander Et le coquin faisait claquer son fouet avec une rare impudence, comme pour engager à galoper ses rosses épuisées , auxquelles il criait à tue tête en espagnol : 4/za, alza! Caballos ! Pour moi, voyant l’inutilité de mes représentations, je me résignai , et, m’enfonçant dans ma chaise, je me contraignis à jouir des douceurs d’un voyage fait en pleine sécurité, sans crainte des voleurs , des assassins , des christinos ou des 300 SECONDE EXCURSION EN ESPAGNE. carlistes. Le lendemain cependant , je commencçai à trou- ver cette sécurité monotone ; il me manquait je ne sais quoi, quelque chose qui avait donné du piquant à ma vie pendant les deux derniers mois. Ce quelque chose, c'était justement la peur de m’entendre demander la bourse ou la vie à chaque coin de bois , la crainte d’as- sister à quelque assassinat, ou d’être égorgé moi-même, la probabilité de me voir arrêté en conséquence d’un décret royal , enfin cette sorte d’excitation que produit l’idée plussou moins vraisemblable du danger. Je voya- géai quelques jours avec une disposition à l'ennui et à la mélancolie, dont je ne fus tiré que par mon arrivée à Paris, le dimanche de Pâques ; et, dussé-je me perdre de réputation auprès d’un grand nombre de personnes qui ne mettent rien au-dessus des plaisirs de cette capitale, je leur avouerai même que souvent, au milieu des distractions variées, du tourbillon de jouissances de tout genre qu’on y rencontre, je tournai des yeux pleins d'amour et de regret vers cette belle Espagne que je place dans mes affections immédiatement après ma patrie , et où je venais d’acquérir , quoique un peu trop rapidement peut-être , tant de notions intéressantes et nouvelles. Enfin, je répétai plus d’une fois, en soupirant, ces paroles qui servent d’épigraphe à mon livre : « Salve! tierra de amor! mil veces salve ! = ÉTUDES SUR LA FEMME LIBRE. S 1. JULIE, FILLE D'AUGUSTE. Ce quest la littérature de nos jours, les mœurs le furent à l’époque des empereurs romains ; et l’on peut voir sous les Tibère, les Caligula, les Claude et les Néron , l’image de la société que nous feraient certains auteurs célèbres, si le christianisme n’était un obstacle invincible à leurs efforts. Cest là ce qui nous sauve. Il est d’impérissables souvenirs devant lesquels on ne peut s’empécher de rougir ; on ne redescend pas à la brute, après s'être élevé jusqu’à l’ange. La corruption a beau se voiler, se draper, s’embellir de tous les pres- tiges de l’art, elle a été trop profondément sondée et éclairée par le flambeau de l'Evangile, pour oser jamais reparaître, en plein jour, avec cette affreuse impudence qu'elle étala en d’autres temps. Je ne ‘crois donc pas à la reproduction des Julie , des Messaline, des Agrippine et des Poppée ; mais il peut être utile de montrer la mise en pratique la plus éclatante, la plus complète, de ces hideuses théories de licence qu'on nous préche , tous les jours, comme un progrès , comme une émancipation glorieuse, et avec un ton plein de pitié pour les absurdes chaînes dont nous nous laissons stupidement garrotter. 302 ._ ÉTUDES SUR LA FEMME LIBRE. À vous entendre, toute passion est bonne par cela seul qu’elle existe , et c'est se mutiler soi-même que de la comprimer ; vouloir donner une direction aux impulsions du cœur , afin de les faire servir au bien de l’individu et et à celui de espèce, ce n’est que folie ; la sagesse c’est Pindépendance absolue, sans contrôle d’une volonté supérieure ; c’est l’obéissance aveugle à l’aveugle fatalisme des passions; comme dans l’art, le génie c’est la liberté illimitée, sans autre obligation que d’exciter des émotions, nobles ou basses, douces ou féroces, peu importe, il suffit qu’elles ébranlent ou chatouillent appareil nerveux, juge suprême du beau. Ces merveilleuses doctrines aboutissent à la fange; fange dans la vie, fange dans Vart. Les Romains ont connu les immondices de la vie dans toute leur dégoütante horreur ; à nous étaient réservées les immondices de l’art. Notre lot vaut mieux, sans contredit, ete’est parce que la vie est encore réglée par quelques vertueuses maximes, que la corruption humaine qui a toujours besoin de se creuser un lit, quel qu’il soit, s’est si étrangement débordée dans les livres. Du temps de Néron, on lisait la Pharsale, le Manuel d’Epictète ; aujourd’hui on lit Valentine, Indiana , Lélia : c’est que du temps de Néron , la vie était tellement dissolue , que tout ce qui restait d’âämes un peu bien situées, sentait la nécessité de réagir, par la poésie et la philosophie, contre tant de turpitude; tandis que de nos jours , le mal ne trouvant pas ses coudées assez franches dans les réalités, s’est jeté dans la littérature, comme dans une libre voirie que lui abandonnent, de concert, et la lâcheté des mœurs et l’imprévoyance des lois. Mais si jamais une semblable littérature , après avoir souillé les imaginations et ébranlé tous les principes , parvenait à se faire chemin jusqu’au cœur, voici les mœurs que nous not de étlce à. ÉTUDES SUR LA FEMME LIBRE. 303 aurions ; voici en particulier les femmes qui charmeraient notre existence. Certes l’éclat, la beauté, Pesprit, les grâces même ne leur manquent point; ce n’est pourtant que de la boue dans de la pourpre et de l’or. Les mœurs n’avaient pas attendu, pour se corrompre, lPavénement des empereurs , et c’est dans un historien de la république que nous trouvons le premier type de la femme libre. « Catilina , dit Salluste, s’était associé des hommes de toute espèce , quelques femmes même, qui, dans leur jeunesse, avaient soutenu leurs folles dépenses par le trafic de leur beauté , et qui, ensuite, lorsque l’âge était venu diminuer leurs ressources et non leur luxe, avaient contracté des dettes énormes. Ces femmes devaient servir à Catilina d’émissaires pour corrompre les esclaves, mettre le feu à la ville, Jui gagner leurs maris ou s’en défaire. Dans le nombre se trouvait Sempronia, qui s’était signa- lée plus d’une fois par des crimes d’une audace virile. Cette femme, du côté de la naissance et de la figure, puis du côté de son mari et de ses enfans , n’eut qu’à se louer de la fortune. Elle parlait la langue grecque aussi facile- ment que la sienne ; elle jouait des instrumens et dansait mieux qu'il ne convient à une femme honnéte ; elle avait beaucoup deces talens qui, trop souvent, sont les instru- mens du vice. Mais la décence et l'honneur furent toujours le dernier de ses soins. Il n’eût pas été facile de juger ce qu’elle prodiguait avec le moins de ménagement, de sa fortune ou de sa réputation. Trop souvent l’ardeur de ses passions ne lui permettait pas d’attendre celles des hommes. Dès avant la conjuration elle avait trahi des engagemens, nié des dépôts, trempé dans des assassinats; l'excès de ses prodigalités et de son dérangement l'avait précipitée de crime en ci ne. Mais elle avait un esprit ai- 304 ÉTUDES SUR LA FEMME LIBRE. mable ; elle faisait facilement des vers , maniait finement la plaisanterie, Sa conversation se pliait à tous les tons de la modestie, de la sensibilité, du libertinage. À vrai dire, elle avait une grâce et un charme inexprimables *. » Le même type s’est reproduit sous la plume d’un autre grand maître, de Tacite. | «Il y avait à Rome une femme nommée Sabina Poppea, fille de T. Ollius , elle avait pris le nom de son aïeul ma- ternel, Poppeus Sabinus, dont la mémoire plus illustre, brillait des honneurs du consulat et du triomphe; car Ollius n’avait pas encore rempli les hautes dignités quand l'amitié de Séjan le perdit. Rien ne manquait à Poppée, si ce n’est une àme honnête. Sa mère, qui surpassait en beauté toutes les femmes de son temps ; lui avait transmis tout ensemble ses traits et l’éclat de son nom. Ses riches- ses suffisaient à son rang ; son langage était poli, son esprit agréable. Cachant , sous les dehors de la modestie des mœurs dissolues , elle paraissait rarement en public, et toujours à demi-voilée, soit pour ne pas rassasier les regards , soit qu'elle eût ainsi plus de charmes. Prodigué de sa renommée , elle ne distingua jamais un amant d’un époux ; indépendante de ses affections comme de celles d’autrui , et portant, où elle voyait ses intérêts, ses chan- geantes amours. Elle était mariée au chevalier romain Rufus Crispinus, dont elle avait un fils, lorsque Othon la séduisit par sa jeunesse, son faste, et la réputation qu’il avait d’être le favori le plus aimé de Néron. L’adultère fut bientôt suivi du mariage ?. » On se tromperait fort de s’imaginer que les deux femmes dont nous venons de lire les portraits étaient des excep- : Salluste, Bell. Cat., trad. de Dureau de Lamalle. 2 Ann. lib, XI, trad. de Burnouf. ÉTUDES SUR LA FEMME LIBRE. 305 tions parmi leurs contemporaines. Pour se convaincre du contraire , il suffit de parcourir les écrivains de cette épo: que, et de confronter les historiens avec les moralistes et les poëtes. Cette confrontation est accablante ; on est forcé de reconnaître que, dans certaines circonstances , la corruption ne connaît aucune limite; l’on est con- fondu en voyant avec quelle incroyable rapidité les mœurs romaines s’étaient précipitées dans les dernières disso- lutions , et jusqu'où le mai s’étendait. « Sous le premier consulat de Pompée , dit Catulle, on connaissait deux hommes coutumiers d’adultère ; sous le second, ils étaient toujours deux ; mais depuis, ces deux ont produit chacun leur millier; l’adultère est fécond' !» Cette épigramme , dirigée contre César et Mamurra, ne doit pas sans doute être prise à la lettre; avant le second consulat de Pompée, on avait vu Catilina et Sempronia, Clodiuset sonintrigue sacrilége avecPompeia, et son jugement, et les scandales inouïs de son absolution?. Mais ces vers n’en sont pas moins un témoignage précieux ; il fallait en effet que la prodigieuse multiplication des adultères , à cette époque, füt un fait bien constant et manifeste, pour qu’elle pt servir à Catulle à aiguiser une pointe contre César. Consule Pompeio primum duo, Cinna, solebant Mæchi. Illo facto consule nunc iterum Manserunt duo, sed creverunt millia in unum Singula, fecundum semen adulterio. Carm. 113. ? Arcessivit ad se, promisit, intercessit, dedit : jam verd (o dit boni! rem perditam!}) etiam noctes certaram mulierum, atque adolescentulorum nobilium introductiones, nonnullis judicibus pro mercedis cumulo fuerunt. Cic., ad Au., 1, 16. Ainsi, ce fut, en jetant ses juges dans l’adultère que Clodius se fit absoudre d’un adultère , comme l’observe Sénèque (Ep. 97). Voy. aussi Valère- Maxime (IX, 1). 306 ÉTUDES SUR LA FEMME LIBRE. Au reste, le mal n’en était réellement alors qu’à ses commencemens. Après l'affaire de Clodius , quoique une sentence d’absolution eût été rendue , César n’hésita pas à répudier Pompeia, ne voulant pas, dit-il, que la femme de César füt seulement soupçonnée. C'était encore un éclatant hommage rendu aux maximes antiques par l’homme le plus débauché de Pépoque. Mais les maris quittèrent bientôt ces vains semblans d'austérité, et la femme fut libre, soit par leurs complaisances intéressées , soit par la faci- lité du divorce , désormais permis à tous et pour tout . Les mères elles-mêmes dressèrent leurs filles à faire leur chemin dans cette impure carrière ; elles ne se contentè- rent pas pour cela de la force des exemples ; elles y ajou- tèrent les ressources de Part et de l'éducation. « Aux mouvemens lascifs qu’inventa l’Ionie, « La vierge tendre encor, s'exerce sans pudeur. « D’incestueux amours déjà le rêve impie e« En secret tourmente son cœur. « Bientôt prompte à brüler d’une ardeur adultère, « Et sans choisir l’objet de ses soudains désirs, « Elle trompe un mari dans l’ombre du mystère « Qui voile d’odieux plaisirs. « C’est peu; de telles mœurs l’époux complice infâme, « Approuve qu’à l’encan son opprobre soit mis. « Si l’or d’un vil marin recommande sa flamme, « À ses transports tout est permis’.». : Vous vous défiez peut-être du témoignage d’un poëte , quoique ce poëte soit Horace; eh bien , lisez Sénèque. Quel tableau que celui qu’il trace des femmes de son ? V. Juven., Sat., VI, v. 229; Senec. de Benef, IL, 16. > Trad. des Odes d'Horace, chez Lenormant, 1811. Cela est bien faible à côté de l'original, que je transcris, en y introduisant ÉTUDES SUR LA FEMME LIBRE. 307 temps ! Elles se sont faites hommes, mais ce n’est pas à lamanière de Ninon de l’Enclos, et avec les ménagemens que prescrit la doctrine d’Epicure ; c’est à la manière des Caligula et des Néron. Pour étre plus incontestablement libres, il n’est rien de l’homme qu’elles ne tentent d’imiter et d’égaler, en fait d’excès et d’impuretés'. Et Sénèque n’est point un de ces philosophes qui croient à l’âge d’or; il se déclare convaincu qu’il y a eu et qu’il y aura toujours des déréglemens; il reconnaît que c’est la pente naturelle de l’homme, et que cette pente l'emporte toujours ; dès qu’elle n’est plus retenue par la barrière des mœurs et des lois*; mais, à l'aspect des horreurs dont il est témoin, le pauvre homme perd courage; il désespère de la une correction proposée par Peerlkamp sur le mot maturæ, et une autre que je propose sur le mot surgit, d'après la leçon suivie par le scholiaste de Juvénal. (Sat., VI, 139). Motus doceri gaudet lonicos , À matre virgo, et fingitur artibus ; Jam nunce et incertos amores De tenero meditatur ungui. Mox juniores quærit adulteros Inter mariti vina. Neque elegit, Cui donet impermissa raptim Gaudia, luminibus remotis : Sed jussa, coram, non sine conscio Surgat marito, seu vocat institor, Seu navis Hispanæ magister, Dedecorum pretiosus emptor. Comparez Juv., Sat. XIV, 25, et Quintil. Znst. 1, 2. * Non minus pervigilant, non minus potant et oleo et mero viros provocant..…. Libidine vero ne maribus quidem cedunt ; pati natæ (dii illas deæque malè perdant) adeo perversum com- mentæ genus impudicitiæ, viros ineunt. Ep. 95. ? Ep. 91. 308 ÉTUDES SUR LA FEMME LIBRE. philosophie et de l'efficacité de ses préceptes. «Il fut un temps , dit-il , où la philosophie avait un rôle bien plus simple et plus facile; elle avait affaire alors à des péchés remédiables par quelques soins ; mais aujourd’hui, contre un tel renversement de mœurs, il n’est point d’efforts qu'il ne faille tenter ; et plüt à Dieu que de cette manière on pût enfin triompher de la contagion !... La volupté, voilà ce qu’on recherche, par-dessus tout et par tous les moyens; nul vice ne se renferme dans ses bornes ; la prodigalité et la débauche se jettent dans l’avarice ; l’im- pudeur est partout maîtresse; il n’y a rien de honteux dès qu’on est content du prix.» Si vous conservez encore quelque doute, prenez Dion, Tacite, Suétone, et parmi le grand nombre de femmes qui figurent dans leurs récits, cherchez celles qui ont mis leur gloire dans la vertu. Pour une Antonie*, une Agrippine *, que de Julies et de Poppées ! Mais je veux vous raconter l’histoire de Julie; c’est la femme libre par excellence ; c’est aussi le martyre de l’espèce , et, à ce titre, elle mérite quelque intérêt. D’ailleurs, la vie de Julie est un chapitre important de l’histoire d’Auguste ; et, dans mon opinion, ce chapitre est encore à faire. On sait l’incontinence d’Auguste et les désordres de sa vie privée. Mais cet homme était trop grand politique pour " Fuit aliquando simplicior inter minora peccantes, et levi quoque cura remediabiles : adversus tantam morum eversionem omnia conanda sunt. Et utinam sic denique lues ita vindicetur!..… Voluptas ex omni parte quæritur; nullum intra se manet vitium. In avaritiam luxuria præceps est : honesti oblivio invasit, nihil turpe est cujus placet pretium. Ep. 95. 2 Femme de Drusus. 3 Femme de Germanicus. ÉTUDES SUR LA FÉMME LIBRE. 309 ne pas sentir l’importance des mœurs dans un état. Il faut lui rendre cette justice , il n’est pas de gloire qu’il ait plus vivement ambitionnée que celle de réformer les Romains. Il semble qu’il ait eu toujours devant les yeux ce magnifique programme qu’Horace lui traçait à son avé- nement. « Si quæret pater urbium Subscribi statuis, indomitam audeat Refrænare licentiam, Clarus post genitis...." De là ses nombreuses lois réformatrices *; mais, pour faire des mœurs, la première condition est d’en avoir soi- même. Auguste le comprit ; il voulut prêcher d’exemple, et il n’hésita pas à se réformer sur beaucoup de points. : S'il veut voir ses statues ornées du titre de Père de la patrie, qu’il ose opposer une digue à la licence effrénéé des mœurs, sûr des hommages de la postérité... (Od. III, 24.) Salluste 4vait donné le même conseil à Jules-César. Voyez ses lettres de republicé ordinandé , surtout la seconde, où l’on trouve ce passage remarquable : « Plerique rerum potentes perversè consulunt; et eo se munitiores putant quo illi quibus imperitant nequiores fuere. At contrà id eniti decet, cum ipse bonus atque strenuus sis, utiquam optimis imperites ; nam pessumus quisque asperrimè rectorem patitur. * Leges juliæ : sumptuaria; de maritandis ordinibus; de adul- teriis et pudicitià; de vi publicä et privatà, etc. 3 I] va sans dire que je n’affirme rien sur la sincérité de ces réformes. On connaît les derniers mots d’Auguste à ses amis. « Amicos admissos percunctatus, ecquid its viderelur mimum vitæ commodè transegisse.…. (Suet.) Montaigne, cependant, semble douter que les étonnans contrastes de la vie d’Auguste puissent ‘s'expliquer uniquement par la dissimulation, et je crois qu'il a raison. Voyez Essais, Liv. Il, chap. 1. Dans les Cesars de l’em- pereur Julien, Auguste se fait un titre de gloire de sa déférence pour les philosophes Athénagore et Arcus. 310 ÉTUDES SUR LA FEMME LIBRE. 11 écouta les leçons des philosophes, et sa vie devint un modèle de simplicité ét de modération; mais il ne put jamais se défaire de ses goûts de libertinage; circa libi- dines hœsit, dit Suétone* ; et ce fut là, sans doute, une des causes principales du peu de succès de ses efforts, sinon dans l’état, où les obstacles n'étaient guère surmontables par des moyens humains, au moins dans sa propre maison. Toutefois , il se flatta longtemps de l’espoir d’avoir réussi ; et, dans une délibération importante, en plein sénat, il ne craignit pas de se prévaloir de l’ordre exem- plaire qui régnait dans sa famille. Il s’agissait de la loi contre le célibat : « plusieurs sénateurs montraient ouverte- ment leurs répugnances; ils représentaient que ce qui rendait surtout les mariages difficiles , c’était le dérange- ment de conduite dans les femmes et dans la jeunesse , et que, si l’on voulait aller jusqu’à la source du mal, cet objet était le premier par lequel il fallait commencer. Auguste répondit : « C’est à vous-mêmes à régler l'inté- rieur de vos maisons, et à donner à vos femmes les avis qui conviennent, ainsi que je fais moi-même ; » et comme on lui demanda quels étaient les avis par lesquels il ipstruisait si bien Livie, il entra dans quelque détail sur la parure des femmes , sur les bienséances qu’elles devaient observer lorsqu'elles paraissaient en public , sur les compagnies qu’il leur était permis et convenablede voir?. » Livie, en effet, faisait honneur au gouvernement domestique d’Auguste ; certes, à juger d’elle d’après * Oct. 71. Il dit deux lignes plus haut : Infamiam impudicitiæ facillime refutavit, et præsentis et posteræ vitæ castitate ; Zmpudi- . cilia et libido étaient alors choses fort distinctes. * Crevier, Hist. des empereurs. ÉTUDES SUR LA FEMME LIBRE. 311 l’histoire de son mariage, et d’après certaines complai- !, il est difficile de la tenir pour très scrupuleuse ; mais elle était habile, et elle vit fort sances qu’elle montra depuis bien que le rôle de femme libre n'allait ni à sa position ni aux vues de son mari. Elle se renferma donc dans la décence, et sut allier admirablement le respect de ses devoirs avec une sorte de prévenance et d’abandon que nécessitaient les mœurs nouvelles : sanctitate domus priscum ad morem, comis ultra quam antiquis feminis probatum, dit Tacite *. Il en fut tout autrement de Julie qu'Auguste avait eue de Scribonie, sa troisième femme. Celle-là ne se crut pas née pour gouverner, mais pour jouir ; et, dans ce but, il n’est rien dont elle n’essaya, sans retenue, sans pudeur, mesurant la grandeur de sa fortune à la licence de tout faire, et tenant pour permis, tout ce qui séduisait ses mobiles caprices °. Cependant son éducation n’avait été rien moins que négligée. Son père qui l’aimait si tendrement que la calomnie n’a pas épargné cette affection, « avait pris un très grand soin de la bien élever ; préposant à sa conduite dés surveillantes fidèles et vertueuses, qui ne la quit- taient point, et, ce qui paraîtra incroyable dans nos mœurs, qui tenaient jour par jour un registre exact de tout ce que disait et faisait leur jeune élève. 11 Pavait-accou- tumée à travailler en laine : usage ancien chez les dames " Ad vitiandas virgines promptior, quæ sibi undique eliam ab uxore conquirerentur. (Suet. Zbid.) 1} Ann:s V1. 3 Nihil quod facere aut pati turpiter posset femina, luxuria, libidine infectum reliquit ; magnitudinemque fortunæ suæ peccandi licentia metiebatur, quidquid liberet, pro licito vindicans. ( Vell., _Paierc., 11,100.) | 319 ÉTODES SUR LA FEMME LIBRE. romainés , et qu'il conserva si curieusement dans sa maison , que la plupart des habits qu’il portait avaient été filés par sa fille , sa femme et sa sœur. Il apporta une extrême attention pour éloigner Julie de toute compagnie des gens du dehors ; jusque-là qu’ayant su qu’un jeune homme bien fait lui avait rendu visite à Baies, il en écrivit une lettre de reproches à ce jeune homme, le taxant d’indiscrétion et de peu de réserve *. » Julie , d’ailleurs , avait reçu en naissant tous les dons, tous les charmes qui font une femme aimable , et la culture de son esprit était au niveau de ses grâces naturelles. Elle était fort jeune lorsque Auguste lui fit épouser le fils de sa sœur Octavie , Marcellus qui n’avait lui-même que dix-sept ans. Jamais plus d’espérances ne reposèrent sur un couple en apparence plus fortuné; mais Marcellus portait tous les germes d’un grand homme, et ni Julie, ni Rome, n'étaient dignes de lui. Rome le perdit, comme elle perdit depuis Germanicus , parce que la vertu ne pouvait vivre sur ce sol empesté ; et l’infidèle Julie le vit mourir sans doute avec un secret plaisir. Horace avait chanté la gloire de cet hyménée, et ce redoublement d’éclat de l’astre des Jules * ; Agrippa Pa- vait célébré par la dédicace du Panthéon et par des fêtes magnifiques. Le chant des funérailles suivit de près; il échut à Virgile, dont les vers si touchans ont arraché ‘ Crevier, d'après Suétone. 2 Crescit occulto velut arbor ævo Fama Marcelli : micat inter omnes Julium sidus, velut inter ignes Luna minores. . Od., 1,12. Voy. sur ce passage, Doering, et, avant lui, Sanadon qu’il aurait dû nommer. ÉTUDES SUR LA FEMME LIBRE. 313 des larmes à bien d’autres qu’à la mère du héros, la triste Octavie. € O mon fils! vois mes pleurs, ne m’interroge pas. Quels regrets pour les tiens ! quelle douleur profonde ! Les destins ne feront que le montrer au monde. Dieux! si Rome eût joui de ce don de vos mains Vous auriez envié le bonheur des Romains. Quel deuil au champ de Mars! quelle pompe funèbre! Tu verras attrister ton rivage célèbre, - © Tibre! quand, mêlant tes pleurs à nos sanglots, Près d’un tombeau récent tu rouleras tes flots ! Jamais à sa famille un rejeton de Troie N'a donné tant d'espoir, n’a promis tant de joie ; Jamais Rome féconde en héros triomphans N'aura vu son égal entre tous ses enfans. O candeur! 6 vertus dignes de l’âge antique? O sainteté des mœurs! 6 valeur héroïque! Jamais impunément un superbe ennemi Ne se füt au combat présenté devant lui, Soit qu’il marchât à pied d’un pas ferme et rapide, Soit qu'il pressât l’ardeur d’un coursier intrépide. Jeune héros, 6 toi que j'admire et je plains, Si tu peux vaincre un jour la rigueur des destins, Tu seras Marcellus. Donnez, que je répande Et la rose et le lis que sa tombe demande : Donnez; que, prodiguant les fleurs à pleines mains, Je lui rende du moins ces hommages trop vains'.» Voilà l’homme auquel Julie , dans sa folle inconstance, préféra Tibère * ! Il ne faut pas s’en étonner. Marcellus n’était pas de ce modèle qui plaît aux femmes libres. «Il réunissait, dit Sénèque , à l’ardeur du courage et à une grande vigueur de génie, l'amour de la continence et de la frugalité ; patient au travail, et tournant le dos aux * Eneïde, lib. VI, trad. de Desaintange. ? Quam sensisset sui quoque, sub priore marito, appetentem. (Suet, Tib. 7.) à à 20 314 ÉTUDES SUR LA FEMME LIBRE. voluptés' ,» Ce n’étaient pas là les goûts de Julie ; elle le prouva plus clairement encore, sous son second mari, Agrippa, qu’elle épousa peu de apps après la mort de Marcellus. Agrippa était le plus grand capitainé de son temps : éprouvé et blanchi dans les affaires comme dans les com- bats ; associé au pouvoir d’Auguste, livré à tous les soins du commandement, et d’ailleurs beaucoup plus âgé que Julie, il'avait encore bien moins de chance de plaire que le jeune et brillant fils d’Octavie. Aussi ce mariage fut-il loin d’être heureux, et les infidélités de Julie ne tardèrent point à acquérir une honteuse célébrité. L’histoirea si- gnalé un grand nombre de ses amans, qui, dans la suite, furent rudement punis de leur audace. Maïs il serait puéril de nous arrêter aux intrigues qu'elle noua à cette époque avec des personnages consulaires , quand nous devons la voir tomber plus tard jusqu'aux derniers degrés de l'échelle du libertinage. Agrippa meurt subitement en Campanie, au retour d’une expédition sur les bords du Danube. Voilà Julie libre de nouveau ; mais son père ne veut pas la laisser long- temps en cet état; il a besoin d’appui dans l'exercice de son autorité. Agrippa a laissé un vide que les deux fils encore en bas âge, qu’il a eus de Julie, ne peuventrempliré et Livie est là, impatiente d'ouvrir à Tibère la succession de l’empire, dont les morts de Marcellus et d’Agrippa lui ont déjà si heureusement frayé le chemin. Auguste hésite longtemps ; il n’aime point son beau-fils, il a pénétré la * Adolescentem animo alacrem, ingenio potentem, sed et fru- galitatis continentiæque, in illis aut annis aut opibus, non medio- criter admirandæ, patientem laboris, voluptatibus alienum...…… (Cons, ad Marc, C. 2.) ÉTUDES SUR LA FEMME LIBRE. 315 dissimulation profonde de ce caractère sauvage et dur ; il songe un instant à donner ‘sa fille à un chevalier romain que recommandent de nobles vertus, à ce Proculeius dont une strophe d’Horace à immortalisé le nom ‘. Mais la politique était au fond d’accord, en cette circonstance, avec les adroites poursuites de Livie. Il était difficile de ne pas reconnaitre les grands talens de Tibère; peu d'hommes étaient plus propres à soutenir le faix de l'empire, et il était allié à Ja famille impériale ; ik fut donc choisi, et il dut répudier sa femme Vipsania, qu’il aimait, pour s’unir à la veuve impudique dont il avait été jadis l’amant, et dont il connaissait trop bien la vie. Son ambition , stimulée sans doute par celle de sa mère, le fit passer sur tout ; et la vue de Vipsania, un jour qu’il l'avait rencontrée par hasard sur son chemin, lui ayant causé une vive émotion, au point qu’il la suivit ES. dit Suétone, « de son regard tendu et gonflé, » on prit des mesures pour qu’une pareille aventure n’eût plus lieu?. Cette nouvelle union , d’après le même Suétone , parut d’abord s’annoncer assez bien : il parle de leur concorde et de leur amour mutuel; mais l’humeur libertine et folätre de Julie ne pouvait s’accorder longtemps avec le génie farouche de Tibère; au bout de quelques mois lantipathie fut déclarée. et la rupture complète. Il est permis de croire que Tibère avait joué d’abord la comédie, fait l’époux empressé, et que Julie ne fut point dupe. De plus, Tacite nous apprend qu’elle regardait " Vivet extento Proculeius ævo... (Od. II, 2.) Tacit., Ann. IV, 39 et 40. ? Semel omnino ex occursu visam, adeo contentis et tumen- tibus oculis prosecutus est, ut-custoditum sit ne Hpqan im con- spectum ejus posthac veniret. (Tib. 7 ) 316 ÉTUDES SUR LA FÉMME LIBRE. cette alliance comme au-dessous d’elle. La veuve de Mar- cellus et d'Agrippa , la mère des Césars Caïus et Lucius, voulait bien admettre toute sorte d’amans, mais elle se plaisait à maltraiter un mari qui la faisait déchoir *. -- Tibère n’avait pu épouser Julie que dans l’espoir de la dominer, et de se servir, à son profit, de l’ascendant qu’elle avait sur l’esprit d’Auguste. Le chemin du trône en effet était encore loin d’être libre : Auguste chérissait ses deux petits-fils Lucius et Caïus, et il était à craindre que ses prédilections paternelles n’entraînassentsa politique. Le fils de Livie pouvait s’élever très haut par ses exploits et par la protection de sa mère; mais il ne devait pas ou- blier le sort d’Aprippa qui, malgré tous ses services , avait été relégué dans le gouvernement de Syrie , lorsque étoile de Marcellus eut paru sur Phorizon. Dans cette position, ce n’était pas trop d’avoir pour soi le crédit de Julie; mais quoi qu'on puisse attendre d’une femme libre, il était peut-être téméraire d’espérer qu’elle l’emploierait contre ses propres enfans. Elle ne le fit point, et ses mépris déjouèrent le plan de Tibère, qui alla dévorer son dépit dans sa retraite de Rhodes. Je ne dois pas omettre toutefois un détail qui ôte à Julie une partie de l’honneur qui lui revient de sa rési- stance. Voici le fait tel que Tacite le raconte. « Sempronius * Fuerat in matrimonio Tiberü, florentibus Caïo et Lucio Cæsa- ribus, spreveratque ut imparem. Tacit., Ann. 1, 53. On voit que c’est à cause de ses fils et de leur position auprès d’Auguste, que Julie tient cette alliance pour inégale; la naissance n’est ici pour rien. Tibère, sous ce rapport, était son égal, et elle avait épousé auparavant Agrippa ignobilem loco, dit Tacite; mais Agrippa était, après Auguste, le premier personnage de l'empire, tandis que Tibère était alors fort au-dessous des fils de sa femme, à laquelle cet orgueil de mère a été sans doute plus fatal que tous ses déréglemens. ÉTUDES SUR LA FEMME LIBRE. 317 Gracchus , homme d’une haute naissance ; d’un esprit délié, doué d’une éloquence dont il usait pour:le mal, avait séduit Julie quand elle était femme de M. Agrippa, et l’adultère ne cessa pas avec cette union. Son amour obstiné la suivit dans la maison de Tibère, et il aigrissait contre ce nouvel époux son orgueil et sa haine. Une lettre injurieuse pour Tibère, qu’elle écrivit à Auguste, fut même regardée comme l’ouvrage de Gracchus'.» Nous verrons bientôt comment le cruel ressentiment de Tibère sut se venger de tous les deux. Julie put savourer pendant quelque temps la jouissance d’une vive haine satisfaite. Ses deux fils étaient au com- ble de la faveur : ils n’avaient pas encore quitté la robe de l’enfance, et leur aïeul se bâtait de leur aplanir les plus hautes dignités ; il les désignait visiblement pour les successeurs de son choix, tandis que l’orgueilleux Tibère, confus et mortifié, partait pour son exil, malgré les sup- plications de sa mère et les instances d'Auguste, qui vou- lait éviter cette rupture éclatante, Mais Tibère n’était pas homme à céder ; il resta quatre jours sans prendre aucune nourriture, afin de se débarrasser de prières importunes, et de mieux prouver l’opiniâtreté de sarésolution. : Cependant la catastrophe approchait. L'absence de Tibère avait délivré Julie de toute gêne; rien ne la retint plus , et ses désordres parvinrent à un tel excès et à une telle publicité, que Pindignation de son père éclata tout à coup d’une manière terrible. J’emprunte ici la narration d’un historien moderne ; les détails dans lesquels il entre sont suffisans , et ceux qu’on trouve de plus chez les auteurs originaux ne sont pas décemment traduisibles. « Auguste, si bien instruit de ce qui se passait aux * Ann., 1, 53. 318 ÉTUDES SUR LA FEMME LIBRE. extrémités de l’empire ; ignora pendant très longtemps la mauvaise conduite de sa fille. Cependant la compagnié qu'il voyait quelquefois autour d'elle, devait lui faire naîtré des soupçons. L’on rapporte qu’un jour qu'il était au théâtre, Livie y étant entrée avec tout ce que Rome avait de personnages plus graves et plus recommandables par leur vertu, et Julié avec un tas de petits-maîtres , l’empereur écrivit sur-le-champ un mot d'avis, qu'il fit passer à sa fille , sur la différence de ces deux cortéges , et sur l’indécence de celui dont elle était environnée. Ses ‘manières enjouées et trop libres, l'affectation de sa pa- rure , ses profusions , tout cela déplaisait à Auguste. Mais un père se flatte aisément. Il ne pouvait soupçonner du crime où il n’en voyait point, et excusant une gaîté qu'il croyait innocente, il disait à ses amis qu’il avait deux filles ‘délicates , auxquelles il était obligé de FER quelque ‘chose , la république et Julie. « La coupable prit soin elle-même de lui ouvrir les ‘yeux. Julie, qui ne trouvait plus le vice assez piquant , ‘à moins qu’elle n’y joignit l'éclat et le scandale, ayant poussé la licence jusqu’à choisir, pour théâtre de ses par- ties de plaisir pendant la nuit, la place publique et la tribune aux harangues, fit si bien , par cette impudence ‘effrénée, qu’enfin son père en fut averti”. * Voici dans leur nudité, pour ceux qui entendent le latin, les ‘faits auxquels Crevier se contente de faire allusion : D. Augustus flagitia principalis domus in publicum emisit : admissos gregatim adulteros, pererratam nocturnis commessationibus urbem, forum ipsum ac rostra, ex quibus pater legem de adulteris tulerat, filiæ in stupra placuisse, quotidianum ad Marsyam concursum, cum ex adultera in questuariam versa jus omnis licentiæ sub ignoto adul- tero peteret. (Senec., de Benef, VI, 32.) Il paraît, d’après un passage de Pline l’ancien (XXI, 11), que Julie s’était amusée à décrire elle-même, dans une lettre, ces étranges concours à la ÉTUDES SUR LA FEMME LIBRE. 319 .# Auguste fut pénétré également de honte et de colère ; et n'ayant plus ni Agrippa ni Mécène , qui l’auraient calmé par leurs salutaires remontrances, il s'abandonna à toute la force des sentimens qui le transportaient. Il se tint caché dans son palais pendant plusieurs jours sans voir personne. 11 délibéra s’il ne ferait point mourir une fille si criminelle ; et s’étant déterminé pour l’exil , il dénonça lui-même au sénat les déréglemens de Julie, nôn pas cependant de vive voix, ce qu'il n’aurait pu faire sans rougir , mais par un mémoire que son questeur lut en son nom et de sa part. « Le résultat fut qu'après lui avoir fait signifier un acte de divorce au nom de Tibère, qui len avoua volontiers, il la relégua dans la petite île de Pandataire ( Sainte- Marie), sur les côtes de la Campanie ; et là, il lui interdit toute délicatesse, soit dans les habillemens soit pour la nourriture, et même l’usage du vin. Il défendit que qui quece ft, libre où esclave, lui rendit visite sans sa permission expresse ; et il se faisait donner le signalement deceux qui la demandaient. Il né lui envia pourtant pas la consolation d’avoir avec elle Scribonia, sa mère , qui _Paccompagna dans son exil. Du reste , la sévérité d’Au- guste à l’égard de Julie fut inexorable. Toute la grâce qu'il lui fit après cinq ans, ce fut de lui permettre de se transporter en terre ferme , dans la ville de Rhége ; mais il ne voulut jamais entendre parler de la rappeler. Tibère l’en-pria par lettres ; c’étaient des prières de bienséance , dont il n’était pas difficile -de se défendre. Mais le peuple statue de Marsyas. Cette statue était dans le Forum, et les avocats avaient eoutume d'y suspendre autant de couronnes qu'ils avaient gagné de causes; ce fut à leur imitation que Julie eam coronari jubebat ab iis quos, in noclurna palæstra ; valentissimos.-collucta- tores experla rat, dit Muret sur Sénèque, loc.ei. 320 ÉTUDES SUR LA FEMME LIBRE. le pressa sur cet article à diverses reprises et avec beaucoup d’instahces, sans pouvoir rien obtenir; et pour toute réponse, Auguste leur souhaita des filles et des femmes telles que Julie. Ayant appris qu’une des affranchies de sa fille, ministre et complice des débauches de sa mai- tresse , s'était pendue elle-même pour éviter le supplice, il dit qu’il eùt mieux aimé être le père de Phébé ; c'était " nom de cette affranchie.» Le châtiment de Julie s’étendit à ses principaux amans. Jules Antoine , fils du triumvir , et qui avait été comblé des bienfaits d’Auguste, fut puni de mort. Quelques autres d’un moindre nom subirent la même peine. La plupart en furent quittes pour lexil. Ce que nous avons dit des vues d’Auguste sur la réfor- mation des mœurs, fait comprendre en partie la sévérité dont il usa envers Julie. Ses mesures , dictées par une politique profonde, avaient échoué contre la corruption du siècle ; néanmoins il s’y obstinait : c’était son faible ; il y avait attaché sa gloire, et ce faible augmentait avec les années”. Mais cela ne suffit point pour expliquer de pareilles rigueurs, et surtout la flétrissure publique de sa fille unique, en plein sénat. On est forcé de reconnaître ici le doigt de Livie, de cette «femme fatale à la république, * Crevier, Hist. des Emp. * Auguste avait alors passé 60 ans. Ce faible était bien connu de ses flatteurs. (Voy. Hor., Od. IV, 5 et 15.) Ovide, si attentif à s'adresser à toutes les cordes sensibles, pour fléchir un maître irrité, ne manque pas de toucher celle-là ; Te et legum lassat tutela tuarum Et morum, sen quos cupis esse tuis. Eleg. 11. Dans un autre passage, il le met en contraste avec Romulus, ravisseur des Sabines : « Tu rapis, hic castas duce se jubet esse maritas. ÉTUDES SUR LA FEMME LIBRE. 321 plus fatale encore à la maison des Césars » | comme dit Tacite * | Si l’on en croit certains flatteurs d’Auguste et de Ti- bère , iln’est pas une vertu dont Livie n’ait offert l’inimi- table modèle. On ne se contente pas de vanter sa chasteté et la dignité deses mœurs , on en fait un prodige de désin- téressement et de bonté : associée au maître du monde , et toute-puissante sur son esprit, elle n’a jamais abusé de son pouvoir, elle n’a jamais songé à l’exercer contre per- sonne *. Mais pour qui connaît l’histoire de ces temps; " Gravis in rempublicam mater, gravior domui Cæsarum noverca. (Ann. 1, 10.) Ce passage n’aurait-il point été écrit par Tacite avec l'intention de l’opposer à cette phrase de Velleius sur Julie : fæmi- nam neque sibi neque reipublicæ felicis uteri.(W, 93.) Le flatteur de Tibère devait trouver que la fécondité de Julie avait été un malheur pour l’état, car elle avait retardé la grandeur de son maître. Tacite ne devait pas laisser passer un tel outrage à la vérité, et il fait retomber sur Livie le mot qui avait été lâächement prononcé contre sa victime. Il a signalé ailleurs comme un acte de despotisme, la conduite d’Auguste à l'égard de Julie et de ses amans. (Ann. IIL, 24.) ? Per omnia deis quam hominibus cnrs femina; cujus poten- tiam nemo sensit, nisi aut levatione periculi, aut accessione dignitatis. (Vell., Hist., II, 130. Un poëte avait déjà dit auparavant la même chose, et Velleius n’a fait que l’abréger. Voici ce passage qui peint à merveille la manière dont l’hypocrite impératrice voulait être représentée au monde : ; « Quid tibi nunc mores prosunt, actumque pudice Omne ævum, et tanto tam placuise viro? Quidque pudicitiæ tantum accessisse bonorum * Ultima sit laudes inter ut illa tuas ? Quid tenuisse animum contra sua sœcula rectum, Altius et vitiis exseruisse caput? * Je lis ainsi ce vers, au lieu de : Quidque pudicitiæ tantum inviolata bonorum, qui ne présente aucun sens. L'auteur, dans le même morceau, prend souvent Zone dans le sens de bonæ artes. 322 ÉTUDES SUR LA FEMME LIBRE. Livie est un monstre d’ambition et de scélérate habileté. En parlant du règne d’Auguste, on parle beaucoup de l’influence de Mécène et d’Agrippa; elle fut consi- dérable en effet, et on la remarque d’autant mieux qu’elle fut patente. Mais l’action occulte et incessante de Livie a eu des résultats bien autrement graves , puis- qu'elle à décidé du caractère que devait revêtir le des- potismé impérial. Le coup-d’æil de Tacite ne s’y est pas trompé , et c’est pour cela même qu’il traite cette influence de fatale à la république. Le système établi par Auguste, dès son avénement , était un système.de fermeté et de modération. Ilrespectait tous les droits, tous les usages qui pouvaient se concilier avec l'établissement du pouvoir. Une grande somme de liberté restait encore, et cette somme pouvait s’accroître sous des règnes plus tranquilles , et lorsque le souvenir des dissensions qui avaient déchiré l’état, serait effacé. Nec nocuisse ulli, et fortunam habuiïsse nocendi? Nec quemquam nervos extimuisse tuos ?. Nec vires errasse tuas Campoque Foroque, Quamque libet citra continuisse domum? Cons, ad Liviam. . Cette élégie se trouve dans les œuvres d'Ovide. Maïs plusieurs critiques l’attribuent à Albinovanus. Ils ont raison du moins de l'ôter à Ovide qui, lié au parti de Julie et de ses enfans, n’a pu parler ainsi de Livie, Voyez encore l’invocation de Valère-Maxime à la pudiité : Tu palatii columen augustos penates, sanctissimumque Juliæ genia- lem thorum assidu statione celebras ( VI, 1). M. Villenave, dans son article Ovide ( Biogr. Univ.), a commis sur ce passage une singulière méprise. Il a cru qu’il se rapportait à la fille d’Auguste, et il est très étonné, avec raison. Mais il $’agit de Livie qui, depuis son adoption par Auguste, prit le nom de Julie. Juste Lipse l'avait déjà remarqué. ÉTUDES SUR LA FEMME LIBRE. 323 Rien me paraissait donc absolument désespéré pour les citoyens de Rome. Il leur fallait un chef unique, c'était une nécessité inévitable, et Auguste avait employé toute sa politique à leur en alléger le poids. Restait seulement une question capitale, celle de la succession à ce pou- woir.,, et nulle question n’occupa tant Auguste. Il ap- pliqua tous ses soins à fonder une dynastie, à établir un mode de succession héréditairé: il ne voulait pas qu'après lui le trône fût gagné , comme il l’avait gagné lui-même , sur les champs de bataille de la guerre civile. Mais on fit mieux, on le gagna par des forfaits , et sa vertueuse épouse montra la première comment il fallait s’y prendre. Ce fatal chemin demeura dès lors tracé pour toutes les ambitions criminelles. On se porta au trône par le fer, par le poison, par lastuce et la violence ; puis on le garda par les mêmes moyens qu’on l’avait conquis. De là les Tibère , les Néron , et de là Panathème de Tacite sur Livie qui fit Tibère, et qui instruisit Agrippine, par son exemple, à faire Néron. Il serait téméraïre d’affirmer que la série des rimes de Livie, commence à Ja mort de Marcellus. Toutefois elle en a été gravement soupçonnée; mais il est à croire qu'elle le dut à ses atfentats postérieurs , et l’on a pu remonter trop haut. On prête au crime comme à la vertu. Pour la perte de Julie, ïl en est autrement et rien ne saurait l’en absoudre, Qui a pu entretenir Auguste dans une si longue ignorance des désordres de sa fille? qui devait , qui pouvait mieux l'en instrüire que Livie? Elle a laissé grossir l’orage à plaisir, nourrissant l’indulgence du père , la confiante témérité de la fille, et quand toutes les matières du foudre ont été rassemblées et allumées , elle l’a Jancé sur la malheureuse. Il lui importait , en effet, de se débarrasser de Julie. 324 ÉTUDES SUR LA FEMME LIBRE. C'était une rivale dans l’affection d’Auguste; c'était la mère des deux princes qu'il désignait pour ses succes- seurs ; c’était enfin l’ennemie déclarée de Tibère , qu’elle ayait honni, conspué, qu’elle avait fait tous ses efforts pour perdre dans Pesprit du maître; et Tibère vivait alors tristement confiné à Rhodes, s’exerçant, au milieu de secrètes débauches , à la dissimulation et à la vengeance, se faisant prédire le trône par des astrologues qu'il précipitait ensuite dans les flots, la rage dans le cœur d’avoir quitté la place aux deux jeunes Césars qui le bravent, et ne comptant plus que sur sa mère ! Elle ne fit pas longtemps de vains efforts. Julie perdue, flétrie, exilée, Tibère obtient de revenir à Rome, à grand” peine cependant. Les intentions dynastiques d’Auguste en faveur de ses petits-fils , étaient alors hautement dé- clarées; aussi ne voulut-il céder aux instances de Livie qu’à la condition que Caïus y donnerait son agrément. L’imprudent jeune homme consentit ; il venait de perdre Lollius, son guide, le directeur de ses conseils, et qui n'avait cessé de le tenir en garde contre Tibère ?. Toutefois Julie, dans les misères et l’opprobre de son exil , pouvait se consoler en pensant à la grandeur future de ses fils, et se promettre pour elle-même des jours plus doux. Son rève dura peu. : Tibère n’avait obtenu son retour que sous la clause expresse de mener une vie privée, etsans prendre aucune part aux affaires du gouvernement. Ce fut un arrêt de mort pour Lucius et Caïus. Le premier mourut à Marseille, en se rendant aux armées d'Espagne ; et dix-huit mois après , le second , après avoir longtemps langui des suites ? Tacite, Ann., 1, 4; VI, 21. Suet., T%b., 13, ? Suet., Ibid, ÉTUDES SUR LA FEMME LIBRE. 325 d’une blessure qui n’était pas mortelle ; laissa ses os à Limyre , en Lycie. « Alors , dit Tacite, Tibère fut le centre où tout vint aboutir : il est adopté, associé à l’autorité suprême et à la puissance tribunitienne , montré avec affectation à toutes les armées. Ce n’était plus par d’obscures intrigues , mais par de publiques sollicitations que sa mère allait à son but ‘.» Cependant, en adoptant Tibère, Auguste avait aussi adopté Agrippa Postumus , dernier fils de Julie, et son dernier espoir. Cet obstacle n’était pas fait pour arrêter Livie. « Elle avait tellement subjugué la vieillesse d’Au- guste, continue Tacite , qu’il jeta sans pitié dans File de Planasie ( Pianosa) son unique petit-fils, Agrippa Pos- tumus, jeune homme, il est vrai d’une ignorance gros- sière, et stupidement orgueilleux de la force de son corps, mais qui n’était convaincu d’aucune action condamnable. » Dans cette catastrophe d’Agrippa fut enveloppée aussi sa sœur, l'aînée des filles de Julie , et qui portait le méme nom qu’elle. Elle avait imité les déréglemens de sa mère, et, sous ce prétexte, on la relégua dans Pile de Trimète (Tremeti). Le poëte Ovide, compromis dans cette affaire, fut confiné sur les bords du Pont-Euxin. Auguste vieillissait , triste de sa solitude, et après s'être repenti plus d’une fois d’avoir proclamé lui-méme la honte de sa fille. On dit que, dans ses derniers jours, poursuivi par ses souvenirs , fatigué sans doute de l’hu- meur intraitable de Tibère, et de la vue de « cette lourde mâchoire sous laquelle il plaignait le peuple romain de tomber * , » il eut un vif retour de tendresse pour le der- : Ann:; ] 3; ? Miserum populum romanum qui sub tam lentis maxillis erit. Suet., 716., 21. 326 ÉTUDES SUR LA FEMME LIBRE. nier débris de sa maison. Accompagné du seul Fabius Maximus , il alla voir Agrippa; beaucoup de larmes cou- lèrent de part et d’autre, et l’on espéra que le jeune homme reverrait le palais de son aïeul!. Mais Fabius mow rut bientôt ; Auguste ne tarda pas à le suivre, et quelques uns , dit Tacite, virent encore le doigt de Livie*. Auguste mort, Tibère est maître, et sa cruauté ne se fait pas attendre. « Le coup d’essai du nouveau règne; dit Tacite, fut le meurtre de Postumus Agrippa : un cen- turion déterminé le surprit sans armes , et cependant ne le tua qu’avec peine. Tibère et Livie, l’un par crainte, l’autre par une haine de marâtre, se hâtèrent d’abattré une tête suspecte et odieuse Ÿ, » Julie survécut peu à son dernier fils. Tibère, qui jadis avait hypocritement intercédé pour elle, la fit périr lente- ment de faim et de misère, persuadé, dit Tacité, qu’à la suite d’un si long exil (il avait duré seize ans}, sa mort passerait inaperçue ‘. » Sempronius Gracchus, cet ancien amant de Julie, et dont elle s’était servie contre Tibère.,, ne fut pas non plus oublié. On l’alla chercher au lieu de son exil, dans l'ile de Cercine , sur la côte d’A- frique, et sa tête tomba sous les coups des sicaires impé- riaux. La mort de Julie lui épargna d’être témoin du triste sort de sa fille Agrippine et de son gendre, le grand Germanicus, couple héroïque, illustres victimes de la * Tacit., Aan., 15. Plutarq., Du trop parler, Crevier a mis en doute ce voyage par d’assez bonnes raisons; et Plutarque, en effet, n'en parle pas. Mais le voyage importe peu; le tout est dans l'in- tention d’Auguste de se rapprocher de son petit-fils. * Et quidam scelus uxoris suspectabant. (Jbid.) 3 Ibid., Ch. 6. ‘ Ann., 1, 53. Suétone ajoute quelques détails. ( Ttb., 50.) ÉTUDES SUR LA FEMME LIBRE. 327 scéléraätesse de Livie, de cet Ulysse femelle‘, comme V'appela depuis Caligula, et qui s’appelait alors Jugra-Au- GusrA , fille et prêtresse de Divus Aucusrus Pares?. Germa- nicus fut empoisonné, et Agrippine mourut de faim comme sà mère. | Les malheurs de Julie font presque oublier ses fautes. Si élle ne füt pas descendue si bas, nulle femme , dans Fhistoiré, n'aurait plus de droit à la compassion. L’infor- tunée ! que ne dut-elle pas souffrir dans l’exil, depuis la mort de ses deux fils, à la vue de l'élévation de cet odieux Tibère, et du plein succès des attentats de Livie! Oecta- vie , dit Sénèque , passa les douze années qu’elle survécut à son fils dans un deuil amer et sombre, « s’exhalant en fureurs contre Livie, au fils de laquelle elle voyait passer la félicité que la mère de Marcellus s’était longtemps pro- mise*.» La douleur de Julie dut être plus amère encore, car il est difficile que des remords ne s’y soient pas mélés. C'était un triste souvenir que celui des égaremens de sa vié, et elle ne pouvait se dissimuler qu’ils n’eussent fourni à sa marâtre les moyens de la perdre elle ettous les siens. Cependant il est pérmis de douter qu’une femme aussi dibre que Julie, püt conserver une grande faculté de souffrance. La licence énerve tout, use tout, le pouvoir de souffrir comme celui de jouir ; elle mène infälliblement l'homme à une sorte d’imbécillité morale qui le ravale au-dessous de la brute : il parle , il rit , il pleure, mais . ilne sent plus , ou du moins il n’a plus que des velléités de sentimens ; son être moral n'a plus assez de consistance * Ulyssem stolatum. ? V. Velleius, IL, 55. 3 Oderat omnes matres, et in Liviam maxime furebat, quia videbatur ad illius filium transisse sibi promissa felicitas. (Consol, ad, Marc., ©. 2. 328 ÉTUDES SUR LA FEMME LIBRE. et d'épaisseur, si j’ose ainsi dire, pour supporter davan- tage. À celui qui s’est cru tout permis, tout à la fin est refusé , et ce retour est juste. Je suis donc disposé à croire que les dernières années de Julie ne l'avaient point changée. Le fond de son caractère était une incroyable légèreté jointe à un amour désordonné du plaisir. Ce n’est pas une passion qui l’en- traîne ; elle aime la licence pour la licence, et c’est pour cela qu’elle fait parade de ses désordres, et se jette, sans sourciller , de ladultère dans la prostitution. Elle ne saurait se contenter de braver dans sa maison les lois de la pudeur et de l'honnêteté ; elle tient à honneur de constater, authentiquement eten public, le mépris qu’elle en fait; elle regarde ses crimes comme autant de triom- phes , elle les raconte, elle les exalte, elle adjuge des couronnes à ses complices. Cest bien là, comme je l’ai dit, la femme libre par excellence ; et l’on ne peut aller plus loin. Néanmoins ; il faut rendre à Julie cette justice; elle resta dans la sphère du vice qui la dominait ; on ne lui a jamais reproché que Pimpudicité. Et certes il y a lieu d’en être surpris, tant les vices sont frères, comme le dit le Fablier, et comme Pont prouvé d’autres célèbres Romaines dont je pourrai, une autre fois, vous raconter l’histoire. F.R. HISTOIRE DE L4 LITTÉRATURE ALLEMANDE DEPUIS LES TEMPS LES PLUS RECULÉS JUSQU’A NOS JOURS, Précédee d'un parallele entre la France et l'Allemagne et suivie d'une table ana— lytique des matières”, Par À. Peschier. Nous venons un peu tard pour parler de cet ouvrage, qui a déjà pris un rang honorable dans la littérature française, et que les organes les plus accrédités de la presse parisienne et départementale ont accueilli avec une bien- yeillance qui ressemble fort à de l’impartialité. Le reproche d’indifférence à l'égard d’un de nos compatriotes, dont les recherches consciencieuses méritaient depuis long- temps un examen approfondi, ce reproche nous serait trop pénible pour que nous ne nous empressions pas de désavouer tout sentiment de ce genre , et de rompre un silence qu'on pourrait interpréter défavorablement. Ce retard, que nous déplorons tout les premiers, et dont nous sommes plus innocens qu’on ne le pense, ce retard a laissé du moins aux journalistes français et étrangers tout le loisir de s’expliquer sur le mérite ou les imperfections de ce livre; c’est une circonstance que nous mettrons à profit pour relever quelques-unes de leurs assertions suivant nous peu fondées , mais qui s’expliquent par certaines préoccupations dont ne savent pas toujours * Deux vol. in-8°. Paris, Abr. Cherbuliez, libraire, rue Saint- André-des-Arts, n° 68. Genève, même maison, Cité. Y 21 330 HISTOIRE , s’affranchir ceux-là méme qui aspirent à juger de haut et de loin. Il nous semble , en général , que dans les divers juge- mens portés sur l’Æistoire de la liltérature allemande, par M. Peschier , on n’a pas tenu assez compte à l’auteur des travaux immenses qu'il s’est vu dans l'obligation d'entreprendre pour offrir au public français , ne fût-ce même qu'un tableau peu complet de cette littérature ; ceci tient peut-être à l’ignorance où sont nos voisins de l'étendue du domaine que l’auteur avait à parcourir, et de l’extrême difficulté de resserrer un sujet aussi vaste dans le cadre étroit de deux volumes in-8°. Lui-même pressentait le reproche que ceux qui s’érigeraient en juges de son œuvre, se croiraient en droit de lui adresser, quand il disait à la fin de son second volume : « Déjà gronde au loin la voix sévère de la critique , qui nous demandera compte de tant de noms omis à regret, de tant de célébrités à peine esquissées , de tant de génies dessinés de profil, de tant d’injustices littéraires à réparer. » Quant à nous, sans vouloir nier ce qu’il peut y avoir de défectueux dans ce tableau intellectuel d’une contrée aussi prodigieusement littéraire que FAllemagne, nous féliciterons M. Peschier d’avoir su, sans imposer à ses lecteurs de trop grands sacrifices, doter la France d’un livre qui est, comme on l’a déjà dit ailleurs, « un excellent résumé de tout ce qu'il y a de révolutions principales dans la littérature allemande ; un guide aimable et sûr à quiconque veut aller plus loin , enfin une appré- _ciation consciencieuse et fidèle du mérite des divers écrivains allemands‘. » ‘ Courrier de Lyon, 3 avril 1836. DE LA LITTÉRATURE ALLEMANDE. ” 3831 Toutefois , il faut bien le reconnaître; les divisions pourraient être plus systématiques , les classifications plus rigoureuses , nous voulons dire par là, plus chronolo- giques et plus matérielles. On dirait parfois que l’auteur craint de marquer de traits trop caractéristiques les phases diverses de la littérature allemande , ainsi que les chan- gemens survenus dans le cours des idées morales et religieuses ; de rattacher, par un lien logique et serré, les résultats d’une période avec ceux des périodes anté- rieures , et de signaler les péripéties littéraires que les secousses politiques ont amenées, en Allemagne , ou du moins favorisées. Enfin, nous nous joindrons à ceux des lecteurs de M. Peschier qui ont regretté de le voir aller si vite vers la fin de son ouvrage, faute d’avoir également distribué ses pensées sur les différentes parties de l’ensemble, et d’avoir à passer si rapidement sur les poëtes qui charment les lecteurs d’outre Rhin à l’heure qu'il est. Cette part faite aux exigences d’une critique qu’on aurait tort de présumer hostile, abordons de plus près Pouvrage de M. Peschier, et passons en revue avec lui le front de bataille imposant des écrivains germaniques , l’armée et ses généraux. La préface placée en téte de l’ouvrage que nous -exa- minons , n’est pas assurée de réunir les suffrages de tous. Les lecteurs habituels de M. Sainte-Beuve et de ses disci- ples, goûteront sans aucun doute le style de cet avant- propos, qui rappelle les qualités et les défauts de Pécrivain spirituel que nous venons de nommer. On y retrouve la même exubérance d’images , le même cliquetis de pensées antithétiques et de mots à effet , comme aussi cette manière ingénieuse d'exprimer un lieu commun , ce tour fin et déli- cat , cette forme neuve et piquante donnée à des idées qui, 332 HISTOIRE sans ce vêtement original, passeraient inaperçues. La citation suivante nous paraît définir d’une façon assez heureuse les services que peut rendre, à ceux qui veulent connaître à fond les œuvres de Gæthe, de Schiller et de Jean Paul, le labeur parfois ingrat d’un littérateur modeste, qui s'offre à les guider dans cette étude difficile. « Si Pauteur a su s’affranchir de toute ambition litté- raire ou autre, s’il n’a songé qu’à venir en aide à ceux qui, trouvant cette littérature allemande bien rude et bien escarpée , s’arrétent tout haletans sur le flanc de la montagne, s’impatientent , perdent courage et s’apprêtent à redescendre dans la plaine en jurant de bonne foi qu'il n'ya rien là-haut : s’il n’a voulu que leur tendre la main et leur frayer une route par où ils puissent gravir la côte plus aisément ; n’aura-t-il pas droit à quelque indulgence de la part de ses lecteurs , témoins et juges de ses efforts désintéressés ? » L’Introduction, dans laquelle M. Peschier compare la France et l'Allemagne sous les divers rapports de la politique, de la religion, dela philosophie, des beaux-arts et surtout de la littérature, nous semble avoir plus d'importance que n’ont voulu lui en assigner les critiques français qui l'ont examinée. Sans doute la partialité assez évidente que l’auteur trahit en faveur de Allemagne et de ses habitans, a pu indisposer certains aristarques qui, tout à la fois juges et parties, auraient craint de paraitre manquer de patriotisme , s’ils fussent convenus que, dans cette comparaison préliminaire de l'esprit de deux nations, l’auteur avait bien saisi les nuances plus ou moins saillantes qui distinguent l’une d’avec l’autre. Néanmoins, ce serait se montrer injustes que de méconnaître ce qu’il y a de profondément senti dans ce parallèle, où M. Peschier place sans cesse les DE LA LITTÉRATURE ALLEMANDE. 333 deux peuples en présence, où il les rapproche sans les confondre , les fait valoir tour à tour, et les met en relief par tous les côtés où ils peuvent se prendre. On voit qu’il a vécu longtemps en Allemagne, qu'il s’est assis au foyer deces hommesillustres qui, dans les derniers temps encore , ont jeté sur cette contrée le plus d'éclat, qu’il a pris part aux fêtes musicales, aux réunions littéraires , aux grandes solennités, qu’il s’est trouvé partout enfin où le caractère national se déploie avec le plus de naturel et de liberté. On sent de même qu'il a vu de près la France , qu'il a assisté aux combats de la tribune , aux luttes du barreau , à la polémique ardente des feuilles les plus opposées , à toute cette vie politique qui contraste si fort avec l’apathie des Allemands. Aussi répéterons-nous avec l’un des journaux de la capitale rédigés avec le plus de talent et d’esprit ‘: « Assez de pages éloquentes sur les grands poëtes du pays, assez d’observations fines et délicates ou de jugemens profonds sur les principales époques de la littérature allemande, prouvent que l’auteur était préparé par des études suffisantes au vaste sujet qu’il a traité. » C'est que M. Peschier est allé chercher la vérité sur place, au lieu de la recevoir toute faite des mains de ses devanciers. Le 1" volume de l'Histoire de la littérature allemande l'emporte sur le second par l'étendue des recherches, la nouveauté des épopées germaines qu'il met en lumière, et l'originalité des citations. Il est peu de lecteurs qui connussent déjà le poëme de Hildebrand et Hadubrand , le fameux Panégyrique de saint Annon, archevéque de Cologne , le Chant de victoire de Louis III, les poésies des Minnesinger , ces troubadours de la Souabe , le Livre des héros, les Niebelungen, les chants religieux et * Le Temps, 29 mai et 25 juin 1836. 334 HISTOIRE politiques du moyen âge , les satires mordantes de Murner , et le Gargantua du Rabelais allemand. Or, non-seulement l’auteur nous révèle le nom de ces écrivains d’une époque laborieuse et souffrante , où la foi servait de phare à Pesprit humain, mais il nous mène, par de brillantes analyses , sans effort et presque à notre insu, d’un bout à l’autre de ces poëmes dont nous n’aurions mesuré qu'avec une sorte d’effroi Pétendue. Sachons-lui donc un gré infini de tout ce qu’il nous a épargné , par le choix heureux de ses citations et ses savantes recherches, de peines et d'efforts infructueux. Le chapitre sur la Réformation a inspiré de belles pages à M. Peschier. On aime à voir ce jeune écrivain , au milieu du rationalisme qui dessèche tant de cœurs, mettre dans Pexpression de son enthousiasme, cette énergie de sentimens et cette chaleur communicative que donne la conviction. La franchise avec laquelle il dépeint l’état. du monde social et religieux à l’époque où parut Luther, a excité une vive rumeur parmi ceux des journalistes français qui en sont encore à considérer le grand Réfor- mateur comme un bouffon se faisant gloire d’aimer les femmes et le vin. L'un d’eux est même allé jusqu’à assigner pour cause à cette noble sincérité de l’auteur, Le gros libéralisme des Genevois. Nous laissons à de plus habiles que nous le soin de découvrir le Hen mystérieux qui rattache ces deux sentimens l’un à l’autre , et où se cache Pépigramme de l'aristarque parisien. Arrivé au tome II de son ouvrage, qui s'ouvre avec le dix-huitième siècle et lexamen de la Messiade de Klopstock, la tâche de M. Peschier devenait de plus en plus difficile en raison de la foule de noms célèbres qui venaient se presser sous sa plume et réclamer leur place dans cet inventaire des richesses intellectuelles du peuple DE LA LITTÉRATURE ALLEMANDE. 335 allemand. Nous ne voudrions pas dire que l’auteur ait toujours tenu une balance bien égale entre les divers écrivains qu’il fait comparaître devant son tribunal ; qu’il ne se soit pas laissé entrainer à raconter, un peu longue- ment peut-être, la vie ou les mérites de quelques-uns d’entre eux, tandis qu’il accorde à. peine à d’autres une mention honorable de quelques lignes ; mais , à tout prendre, il nous semble que la plupart des génies liltéraires de PAllemagne, au dix-huitième siècle, ont leur piédestal dans cet ouvrage , et qu'aucun nom très important n’a été omis. Klopstock, à lui seul, occupe un chapitre entier, et personne ne s’en plaindra sans doute , car c’est un des endroits de ce livre où la pensée religieuse ; qui domine tout l’ensemble, s’exprime avec le ton le plus grave et le plus recueilli. «107 L'auteur examine, en premier lieu, pourquoi un sujet aussi austère , aussi religieux que la Messiade , ne pouvait être conçu et yéalisé qu'en Angleterre ou en Allemagne. « C’est que, dans ce dernier pays surtout, dit-il , terre classique de la pensée , d’une métaphysique sévère et d’un patriotisme historique, la religion n’est pas une vierge ümide , qui tremble de paraître au grand jour , qui rougisse de s’associer aux fêtes nationales , aux anniversaires des triomphes ou des revers de la patrie, aux grandes et importantes solennités. Elle vit au fond des cœurs ; on la retrouve dans les récits de l'historien , dans les souvenirs du chroniqueur , dans les méditations du moraliste, dans les fictions du romancier, jusque dans les épanchemens d’une correspondance intime et familière. En Allemagne, elle consacre , par une cérémonie tôuchante , l’entrée de l'homme dans le monde ; elle a sa part dans toutes ses actions , elle le soutient dans sa marche chancelante, elle lui ferme les yeux ; c’est elle 336 HISTOIRE enfin qui couvre le berceau des enfans des charmes de l'innocence , et le tombeau des pères des sublimes pe rances de l’immortalité. «Il fallait ce culte austère dans sa morale , imposant dans ses rites, mystérieux dans ses dogmes, sérieux jusque dans ses joies et ses espérances, qui, grâce à la Réforme , élève enfin pour la première fois l'homme à la dignité d’un étre libre et intelligent.................. Il fallait enfin ce penchant marqué de la nation allemande pour la vie intérieure , pour la solitude, pour les rapports de famille , pour les spéculations de la métaphysique; ce besoin de se replier sur soi-même , de s’exalier dans une silencieuse méditation, et de s’élancer dans ces régions sublimes où l'on ne peut atteindre que porté sur les ailes de la foi. » x Tout le monde souscrira à ce bel éloge de la nation allemande et de l'influence qu’exerce encore sur elle le culte épuré de Luther et de Calvin. Les pages qui suivent dans l’ouvrage de M. Peschier portent ce même caractère de gravité douce et de sévère méditation : elles renferment analyse détaillée du beau poëéme de la Messiade , si sublime dans son objet, si grandiose dans le plan, si riche et si harmonieux dans le style, si neuf et si énergique dans les caractères , enfin si imposant dans les tableaux. C’est comme un drame auquel on assiste, drame qui a son exposition, ses péripéties et son dénouement; et quel dénouement ! la mort du fils de Dieu , cloué sur un bois infâme, « En ce moment , l’auguste victime levait ses regards vers le ciel , et d’une voix affaiblie par la souffrance , elle s’écriait : « Mon Dieu; mon Dieu! pourquoi m'as-lu abandonné ? » Alors, et pour la dernière fois, un frémis- sement subit , fugitif effort de la nature humaine, DE LA LITTÉRATURE ALLEMANDE. 337 parcourt ses membres palpitans ; sa langue est brülante des ardeurs du trépas ; elle prononce avec peine ces paroles douloureuses : J’ai soif ! Abreuvé d’une main barbare, il a soif encore; tous ses membres raïdis frémissent à la fois : l’affreuse pâleur s’étend sur eux , et Fagneau s’écrie : Tout est consommé ! Puis, après quelques instans de silence , des paroles confuses se font entendre : « Mon père , je remets mon esprit entre tes mains.» À ces mots, sa tête auguste retombe sur son sein , et Jésus rend le dernier soupir. » M. Peschier consacre cent pages de son second volume à l’examen de Gæthe et de ses écrits ; il divise en trois époques principales la longue carrière de ce génie sans rival, qui s’est essayé dans tous les genres et qui a excellé dans tous. La première nous montre ce sentimentalisme fiévreux , ce scepticisme universel, fruit du philosophisme français, qui agitait la société en Allemagne et en rendait toutes les croyances inquiètes , pâles et souffrantes. « Le monde politique offrait alors un aspect sinistre et menaçant. Les monarchies vermoulues craquaient de toutes parts : Voltaire et ses disciples battaient encore tout ce qui était debout. Déjà grondait au loin orage avant-coureur de la catastrophe terrible qui allait inonder la France de larmes et de sang. Toute une génération placée sur le bord de l’abime attendait le moment fatal qui devait l’y précipiter. De là l'inquiétude générale dont les esprits réfléchis et graves étaient saisis; de là cette mélancolie _ profonde, ce malaise universel , ce penchant au suicide , cette soif du trépas..….. Cest sous cette influence délétère que le premier ouvrage de Gæthe parut ; expression des mortelles angoisses d’une âme fière et ardente, et de la plainte passionnée qui s’échappait du sein de l’Europe souffrante, #erther entendit de toutes parts les âmes 338. HISTOIRE froissées répondre à son cri de douleur : Ferther fut un événement.» L’auteur examine avec beaucoup de soin ce petit livre qui eut un grand retentissement en Allemagne, parce que, comme Gæthe, dans ses Mémoires, nous le dit lui-même, ilparut à point nommé. Il nous fait toucher au doigt Pinfluence morale et littéraire de l’auteur d’Æéloïse sur l'écrivain allemand, la misanthropie sombre et le sentimen- talisme enivrant du romancier genevois reparaissant dans les Souffrances du jeune Werther, avecun sentiment plus profond des beautés tendres et sauvages, des inspirations plus soudaines, et une magie de langage auprès de laquelle pâlit l’éloquence un peu rhétoricienne de J.-J. Rousseau. Faust, Wilhelm Meister , les Affinités électives et les poésies lyriques de Gœthe sont successivement l’objet d’une étude attentive de la part de M. Peschier. On regrette néanmoins qu’il ait passé sous silence le roman intitulé Années de pèlerinage de Wilhelm Meister, où se trouvent des hypothèses fort ingénieuses sur Vavenir des sociétés humaines et sur les progrès de l’industrie, germe des idées de rénovation que le saint-simonisme depuis lors a momentanément naturali- sées en France. La Suite de Faust manque aussi à cette revue des chefs-d’œuvre du grand maître; on pardonnera difficilement à l’auteur un pareil oubli. En revanche, on doit considérer comme les meilleures pages du livre de M. Peschier celles où il se replie sur la longue carrière de Gæœthe pour déplorer un tel abus d’un si beau talent, et demander ce que la société, ce que la philosophie, ce que la religion peuvent gagner en définitive, à ces nombreux volumes où le grand païen n’a pas su élever une seule fois la voix en faveur du christianisme , et qui DE LA LITTÉRATURE ALLEMANDE. 339 n'offrent ni une parole de consolation, ni un chant d'espérance , ni une leçon. Nos lecteurs nous sauront gré sans doute de transcrire ici ce morceau , empreint d’un caractère d'indépendance et de haute moralité qui contraste avec l'admiration aveugle et l'enthousiasme sans bornes dont Gœthe n’a été que trop souvent l'objet. « Gœthe a tout fait pour la plus grande gloire de Pesprit humain ; il a reculé les bornes de Pintelligence et embrassé tout ce que renferment , dans leurs sphères respectives , et la vie de l’homme, et l'histoire, et la nature et l’art. Qu’a-t-il fait pour la religion , pour ce christianisme que des peuples voyageurs poussent tous les jours devant eux, et qui doit s'étendre en dépit des sectes qui le divisent, et des impies qui cherchent à l’ébranler ? Qu’a-t-il fait de cette âme si richement dotée, de ce génie puissant et universel, de cette éloquence qui s’écoule à grands flots dans ses immortels écrits P Sait-il voler au-delà du monde visible où nos regards restent fixés ? Son esprit traverse-t-il parfois la voûte céleste pour aller puiser au sein même de la divinité , le sentiment des vérités éternelles, pour s’y abreuver à longs traits des idées augustes de l’immensité, de l'infini, de lP’immortalité ? Hélas ! non, ce grand génie n’a pu se soustraire entièrement à l'influence contemporaine , et la philosophie de ce dix-huitième siècle qui s’était cotisé pour détruire , a laissé son empreinte sur lui. « Gœthe combattit, ilest vrai, Voltaire, dont la vie entière ne fut qu’une lutte corps à corps avec le christia- nisme ; il se posa plus d’une fois en adversaire de cette phalange de philosophes que l’auteur de Candide menait au combat, pour saper les fondemens du grand édifice dont la pierre angulaire avait été posée par la main de 340 HISTOIRE Dieu ; mais, s’il rompit plus d’une lance contre le cynisme et l’impiété , s’il flétrit avec énergie cette diabolique ironie qui $’attaque à tout ce que le cœur de l’homme renferme et désire de plus pur et de plus saint, il n’alla jamais plus loin que cette impartialité phi- losophique tant vantée, qui n’est autre que de l’in- différentisme religieux. Sans parler de Werther, cette poétique de tous les lâches suicides, toute empreinte de fatalisme, de sentimentalité sceptique, d’un dégoût profond pour la vie et d’un morne désespoir, on cher- cherait vainement dans les écrits de Gæœthe une seule protestation noble et chaleureuse en faveur de quelques- unes de ces grandes vérités qui sont comme le credo du genre humain : quelque élan de l’âme vers un monde meilleur , le courroux du moraliste ou l’indignation du poëte en présence d’événemens qui devraient les exciter, cette mélancolie enfin qui va jusqu’au délire chez le platonicien Porphyre et chez saint Augustin. On voit qu’il n’a jamais éprouvé cette douleur d'esprit que rien ne peut assouvir, ces larmes arrachées par un malaise de pensées qui manque d’appui, toute cette tragédie intérieure de l'âme que Pascal nous retrace dans ses Pensées avec des couleurs si vives, avec tant de profon- deur et de naïveté d’émotion. « Et pourquoi les aurait-il éprouvées, ces angoisses déchirantes, qui ont fatigué et fatiguent encore si cruellement la raison des sages ? Tout est bien aux yeux de Gæthe, c’est-à-dire, tout lui est indifférent ; chaque système, chaque auteur a son mérite, la philosophie comme le christianisme, Voltaire comme Bossuet. A l'entendre, chacun de ces écrivains a raison à sa manière: aussi, loin de se jeter imprudemment dans la mélée , et de se ranger sous la bannière de l’un ou de Pautre parti, SE à +. DE LA LITTÉRATURE ALLEMANDE. 311 yaut-il mieux, selon lui, se tenir tranquillement à l'écart, et observer de sang-froid la lutte des idées et des intérêts, sans se réjouir d’une victoire, sans s’affliger d’une défaite, sans se compromettre par des sympathies trop vives, ou par trop de zèle et d’empressement. N'est-ce pas là le portrait de cet égoïste dont parle Lucrèce, qui assis paisiblement sur le rivage pendant que la tempête soulève l’océan , se réjouit du désastre qu’il contemple, à la pensée que lui-même est à l’abri de tout danger. « J’ai prononcé le mot d’égoësme ; je ne sache pas un trait du caractère de Gæthe plus saillant que celui-là. Sa vie privée en est le reflet le plus vif; ses ouvrages, Fexpression la plus dramatique et la plus animée. Laisser dire et laisser faire , telle fut toujours sa ma- xime favorite, la ligne de conduite qu’il s’eflorça de suivre. «Il y avait cependant pour lui une belle tâche à remplir , une mission imposante , dont l’accomplissement lui aurait valu le suffrage de tous ses contemporains et la reconnaissance de la postérité : c'était de faire servir l’ascendant de son génie et la puissance de sa parole , au succès des saines doctrines, à la défense de la religion chrétienne , devenue, après tant d’années , l’objet d’une amère dérision. Il lui fallait imiter ce Français qui vint, il y a trente ans , des rivages lointains et des solitudes du Nouveau-Monde , et qui fit redire à la France entière ses soupirs éloquens; à la voix duquel on vit les temples se rouvrir aux fidèles, les ministres accourir, les autels se relever, et le christianisme reparaitre avec un nouvel éclat, dégagé du voile funèbre qui couvrait ses traits majestueux. La mission de Gœthe eût été de rappeler les esprits aux anciennes croyances ébranlées par de longues convulsions politiques , de faire justice des sophismes 342 HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE ALLEMANDE. irréligieux du siècle, soutenus par quelques énergumènes avec un fond de gravité imperturbable et une ambition sans frein ; enfin, de réduire au néant toutes ces hypocrites doléances sur les préjugés et la superstition, toutes ces sanglantes diatribes contre les institutions sociales. Vain- queur dans une lutte , dont l’issue n’eût pas été douteuse, Gæthe aurait pu aisément asseoir de nouveau la religion chrétienne sur les débris de systèmes désormais impuis- sans , et présenter à l’admiration du monde l’exemple si rare d’un beau caractère uni à un beau talent. « Ce jugement pourra sembler sévère, il n’est que vrai. Maintenant que Gœthe n’est plus, qu’il appartient tout entier à l’histoire , on ne lui doit que la vérité, et il faut la dire , à quelque prix que ce soit, si l’on ne veut imiter le courage de ces Romains, dont parle Tacite, qui ne publiaient leurs pensées que par testament. » L'espace nous manque pour continuer cette revue critique du second volume de M. Peschier. Bornons-nous à dire que les chapitres où il parle de Schiller, de Werner, de Jean-Paul, de Grillparzer , de Tieck, de Jean de Müller, de Hoffmann, sont traités avec tout le goût, l’esprit et le charme qu’on peut y désirer. Les écrivains allemands du dix-neuvième siècle que nous aurions tant d'intérêt à connaître, ne sont que rapidement esquissés , et, comme dit l’auteur lui-même, qu’enre- gistrés dans les vingt-quatre pages qu’il a consacrées à leur examen. Espérons qu’une édition nouvelle, dont le besoin ne peut tarder à se faire sentir, nous offrira tous les développemens que comporte un si magnifique sujet, et que l’auteur, plus à l’aise dans le tableau de cette littérature qu’il a si bien étudiée, ne nous fournira que occasion de nouveaux éloges, en place de certaines critiques que notre impartialité nous faisait un devoir de lui adresser. M. NOTICE UR L'AURORE BORÉALE OBSERVÉE A GENÈVE LE 18 OCTOBRE 1856. Par AM. L.-$. Wartmann. Lue à la Societe de Physique et d'Histoire Naturelle de Gerève, dans sa séance du 3 novembre 1836". Messieurs , Je vous entretiendrai un moment d’un de ces beaux phénomènes météorologiques, aussi rares chez nous qu'ils sont fréquens sous les régions polaires ; je veux parler de l’aurore boréale observée à Genève le 18 octobre dernier, à 8 heures + du soir, la seule remar- quable qui se soit montrée dans notre pays depuis près de six ans ?. Je rappellerai d’abord que le 18 octobre, la tempéra- ture était douce et l’air sans agitation. À 9 heures du matin un brouillard humide couvrait tout l'horizon; à midi on voyait quelques nuages épars très disséminés ; à 2 heures le ciel était pur, l'air avait repris sa transpa- La notice qui se trouve en tète des tableaux météorologiques avait été préparée avant que nous eussions reçu la communication de M. Wartmann. Les deux descriptions ne s'accordent pas exactement sur tous les points, nous avons - cru devoir les insérer l'une et l’autre, vu l'intérêt général qu'a excité le beau phénomène du 18 oct. Au reste les differences sont legeres, et elles portent essen— tiellement sur les circonstances météorologiques qui avaient lieu au moment de l'aurore boréale, M. Wartmann n'ayant pas fait subir, à celles des observations qui l'exigeaient , les corrections nécessaires. (R.) ? La deruiere qui fut observée à Genève eut lieu le 7 janvier 1831, à 6 heu— . res et demie du soir ; j'en ai rendu compte dans le tome XLVI de la Bibliotheque Universelle. 344 NOTICE SUR L'AURORE BORÉALE rence ordinaire , et le Soleil brillait de tout son éclat. Le baromètre , demeuré haut toute la journée , n’a éprouvé que de légères variations. À 9 heures du matin , il mar- quait , à l’Observatoire, 0,736"n, et, à 3 heures après midi, 0,735mm; le thermomètre centigrade était, à 9 heures du matin, à H- 11°,8, et, à trois heures, à + 140,4; le maximum de la journée a été + 16°; l’hygromètre de Saussure , à la première des deux époques, marquait 96° , et à la seconde 880. À 8 heures 31 minutes du soir, instant où commença le phénomène, le ciel était toujours serein, l'air parfai- tement calme , et la Lune, dans le 7€ jour de sa phase, luisait vers le sud. Deux nuages rougeätres se montrèrent d’abord au nord-ouest , à environ 25° à 30° d’élévation au-dessus de lhorizon; ils se rapprochèrent peu à peu jusqu’au contact, et, en quelques minutes, touchant au sol, ils offrirent l’image d’un vaste incendie lointain. Bientôt après ils prirent la forme d’un segment dont la corde s’appuyait sur Fhorizon et avait au moins 50° d’éten- due ; ce segment, remarquable par un teinte rouge obscur fortement prononcée, surtout vers le milieu, semblait formé de molécules ondulantes. Trois stries, ou fais- ceaux lumineux très distincts , de couleur blanche, par- taient du centre de lare et rayonnaient dans une direction verticale ; ils s’épanouissaient un peu vers le haut, et s’élevaient de plusieurs degrés au-dessus du segment, mais sans parvenir jusqu’au zénith. Il y avait bien encore d’autres jets lumineux , d’un blanc pâle , peu distincts , qu’on voyait confusément rayonner vers le limbe. A 8 heures 45 minutes, l’aurore était très brillante, et se trouvait dans la direction du méridien magnétique ; le segment avait alors, à très peu près, 24° à 25° de hauteur : il atteignait et enveloppait les étoiles B d :Ün OBSERVÉE A GENÈVE 345 de la grande Ourse, situées près du point culminant de sa bordure; l'étoile œx de la même constellation était quelque peu en dehors , tandis que y, la plus basse des sept étoiles plongeait assez avant. Le météore n’est point resté stationnaire dans cette position ; d’abord il s’est avancé lentement et tout d’une pièce du nord-ouest au nord , et jusqu’à b° au nord-est, en parcourant un arc horizontal d’environ 30°, et en traversant, par son extrémité supérieure, toutes les étoiles de la grande Ourse ; puis, à 8 heures 56 minutes, revenant en arrière, et présentant une couleur pâle d’un pourpre orangé, le segment s’est transformé en une espèce de fuseau allongé, dont la partie inférieure touchait à l'horizon , tandis que le sommet atteignait les étoiles de Ja queue de la petite Ourse, Cette colonne verticale , haute de 47°, a continué de cheminer vers le nord-ouest , en répandant une lueur d’un rouge sombre , qui s’affaiblis- sait graduellement. À 9 heures , à peine était-elle encore visible, et à 9 heures 5 minutes , on n’apercevait plus dans l'atmosphère qu’une lueur confuse qui, peu d’in- stans après , s’est complétement dissipée. Ainsi , ce beau météore , dont l'apparition a eu lieu à 8 heures 31 minutes , et la disparition à 9 heures 5 mi- nutes , a duré un peu plus d’une demi-heure. Au moment où il s’effaçait, à 9 heures , le ciel était serein; le baro- mètre de Observatoire marquait 0,737mm, le thermo- mètre centigrade + 8°,9, et l’hygromètre de Saussure 98°. Quoique Pair füt demeuré parfaitement tranquille pendant les diverses phases du phénomène, il n’a été entendu aucun bruit ou sifflement analogue à celui qui accompagne quelquefois les aurores boréales. On a remarqué que les étoiles devant lesquelles la matière lumineuse s’est projetée n’ont point perdu de leur éclat , V 22 346 NOTICE SUR L'AURORE BORÉALE et ont continué d’être visibles comme à travers un voile diaphane : ce qui indique quelque analogie avec la nébu- losité gazéiforme des comètes, à travers laquelle on peut voir aussi les étoiles, même les moins brillantes ; mais cette circonstance est surtout remarquable en ce qu’elle révèle un fait curieux, qui démontre que la matière lumineuse dont se forment les aurores boréales n’agit pas toujours de lamême manière, et peut produire des effets bien différens. Ainsi , celle qu’on vit, par un ciel très serein , à Délémont (Canton de Berne), le 8 février 1817, et dont M. Watt a donné une description dans le tome IV de la Bibliothèque Universelle , effaça la lumière des étoiles qu’on ne pouvait apercevoir à travers ses stries colorées ; tandis qu’en même temps on voyait, vers le zénith, des taches ou amas de lumière ressemblant à de petits nuages, variant entre b° et 8° de diamètre, naître, acquérir un éclat éblouissant , se fondre et disparaître dans l’espace de 40 à 60 secondes, et que les étoiles, loin d'’étre occultées par cette matière lumineuse, paraissaient à travers avec un éclat plus que triplé. Sans doute nos connaissances sur la nature des aurores boréales , sur la cause qui les détermine, sur la hauteur des régions où elles se manifestent, sont encore peu avancées, et laissent beaucoup à désirer. Pendant une longue suite de siècles, ce beau phénomène ne fut considéré que comme un signe extraordinaire , qui causait, parmi les peuples consternés, un effroi propor- tionnel à l’intensité de son éclat. Gassendi fut le premier qui rapporta ce météore à l’atmosphère des terres voisines du nord, comme à son lieu propre d'origine. Il essaya de détromper les hommes sur les idées de crainte que les préjugés leur faisaient concevoir à la vue de ce météore’, 1: Gassendi vivait il y a deux siècles. OBSERVÉE À GENÈVE. 347 et à cause de sa ressemblance avec les feux de l'aurore dont le lever du Soleil est précédé, il lui appliqua le nom d'aurore boréale, qui lui est resté. A l’époque actuelle, on pense généralement que la cause efficiente de ce phénomène est l'électricité ; chacun connaît le rapport remarquable qui existe entre la lumière de l'aurore boréale et les brillans phénomènes des décharges électriques lumineuses opérées dans de l'air raréfié. On sait aussi que le révérend G. Fisher , dans un mémoire sur la nature et l’origine de l’aurore boréale, lu à la Société Royale de Londres le 19 juillet 1834 , conclut de ses propres observations, faites pendant un séjour de deux hivers dans les hautes latitudes de l'hémisphère septentrional, que l’aurore boréale est un phénomène électrique , provenant de l'électricité positive de l’atmo- sphère , et de l'électricité négative qui se développe dans les parties environnantes . Mais cette hypothèse ne s'accorde guère avec le fait observé par le docteur Richardson, lors de l'expédition aux terres arctiques en 1826 et 1827, dont il fit partie, savoir qu'un électro- mètre très sensible , à feuilles d’or, placé dans l’Obser- vatoire , ne fut jamais affecté par l’apparition des aurores boréales , tandis qu’il remarqua toujours (comme les observateurs de tous les pays l'ont reconnu) une forte altération dans la déclinaison de l'aiguille aimantée , dans son inclinaison et son intensité ?. Ceci démontre évidem- ment que le météore ne donne pas le plus petit signe d'électricité en même temps qu’il exerce une action très marquée sur le magnétisme terrestre. Il a méme avec celui-ci une liaison si intime, qu’un savant illustre, ‘ Bibliothèque Universelle , tome LX, page 109. * Mème recueil, tome XL, page 112. 348 NOTICE SUR L'AURORE BORÉALE. M. Arago , a annoncé d'avance , et à plusieurs reprises, l'apparition très prochaine d’une aurore boréale, averti qu'il était par les oscillations extraordinaires de l’aiguille aimantée , que l’on observe régulièrement tous les jours à l'Observatoire Royal de Paris; et l’événement a confirmé sa prédiction dans la même journée, quoique souvent le phénomène se passât à une grande distance, qui ne permettait pas de le voir de Paris *. En Suède, on attribue l’apparition fréquente des aurores boréales à des exhalaisons qui seraient produites par l’évaporation de la neige. Cette idée, si elle était * Nous ne pouvons pas admettre avec l’auteur que, parce qu'un électroscope à feuilles d’or ne donne aucun signe d'électricité pendant la durée d’une aurore boréale, il n’y ait pas d'électricité dans ce phénomène, une fois surtout qu'il y a action sur l’aiguille äimantée. Nous voyons au contraire dans l’existence de cette dernière action une preuve en faveur de l’origine électrique problable de l'aurore boréale. En effet, si l’aurore boréale est un phénomène électrique, elle ne peut-être que le résultat de la réunion des deux électricités, s’opérant dans les parties élevées et par conséquent raréfiées de l’atmosphère ; en d’autres termes elle est formée par une suite continue de décharges électriques qui ont lieu pendant un temps plus ou moins long, et qui sont accompagnées d’un dégagement de lumière. L’électricité, dans ce phénomène, est donc à l’état de courant et non à l’état de tension. Or, l’on sait que l’électroscope à feuilles d’or qui accuse avec tant de délicatesse la présence de l'électricité de tension, ne donne plus aucun signe quand l'électricité est à l’état de courant, tandis qu'au contraire, sous cette dernière forme, l'électricité se mani- feste de la manière la plus sensible par son influence sur l'aiguille aimantée. Ainsi, sans chercher quelles peuvent être les causes qui accumulent dans les régions polaires les deux électricités à un haut degré de tension, nous pouvons seulement affirmer que, si le phénomène de l’aurore boréale est un phénomène électrique, il est dû à la réunion de ces deux électricités, c’est-à-dire à un courant électrique, et que, par conséquent, il doit être accompa- gné d’une action sur l'aiguille aimantée et non d’une action sur l'électroscope à feuilles d’or. (R.) ce OBSERYÉE A GENÈVE. 349 vraie, n’aurait qu une valeur locale, et ne saurait servir à expliquer la grande aurore du 17 mars 1716, qu’on vit dans toute l’Europe avec un éclat d’un rouge ardent. À Londres on entendit très distinctement un bruit et des explosions qui partaient de la matière lumineuse, dont les jets larges s’élevaient jusqu’au zénith, et couvraient une partie du ciel en répandant une sorte de clarté sur la terre. Ce bruit, qui ne pouvait venir des régions po- laires, indique assez que le foyer du météore se trouvait peu éloigné des observateurs , et que le phénomène était , non une aurore boréale mais une majestueuse aurore tropicale, qui sans doute ne tirait pas son origine d’une évaporation extraordinaire de glace ou de neige. Quant à la hauteur , singulièrement variable , qu’attein- draient les aurores boréales , voici les inductions qui ont été obtenues. Le Rév. J. Farquharson, d’après ses propres observations faites en Ecosse, souvent répétées et variées, a trouvé que Pextrémité inférieure des jets verticaux du phénomène occupe une région haute de 2000 pieds au- dessus de la surface de la terre, et que leur extrémité supérieure atteint une hauteur de 4000 à 5000 pieds, soit un peu plus d’un tiers de lieue *. Lors du voyage du capitaine Franklin dans le conti- nent de l'Amérique septéntrionale, léquipage étant en station au Fort-Entreprise , à une latitude de 64° 28" 24”, eut , en l’année 1820 , dans l’espace de cinq mois, d’août à décembre, le spectacle de 51 aurores boréales , et dans les cinq premiers mois de l’année 1821, il en vit 91; ce qui ne fait pas moins de 142 en dix mois. Le lieute- nant Hood et le D' Richardson qui faisaient partie de cette expédition , s'étant rendus l’un à Basquiau-Hill, et l’autre " Bibliotheque Universelle, tome XLI, page 252. 350 NOTICE SUR L’AURORE BORÉALE à Cumberland-House , stations situées près du cercle polaire et distantes l’une de l’autre d’environ 18 lieues, observèrent simultanément trois aurores différentes , et conclurent de la parallaxe obtenue que la hauteur du phénomène était de deux lieues à deux lieues et quart au-dessus de lhorizon *. De son côté, M. Hansteen, croit que la matière qui donne lieu aux aurores boréales, ne reçoit sa propriété lumineuse qu’au-dessus de Patmosphère , et par consé- quent , à plus de seize lieues de hauteur. Le même savant pense que lorsque l'observateur voit le phénomène lumi- neux dépasser son zénith magnétique, il est alors entouré de toutes parts par la matière de l’aurore boréale, qui sort dela terre; et que, dans ce cas, il entendra souvent un bruit analogue à celui que cause effervescence du mélange d’un acide avec un alcali ?. Enfin, M. Mairan a trouvé, par un grand nombre d’observations parallactiques , que la hauteur verticale au-dessus de la surface de la terre, des rayons composant l’aurore boréale, est de plus de cent milles géographiques ( 166 lieues ) * ! Si l’on considère que celle qui s’est montréele 1 8 octo- bre dernier, et qui fait le sujet de cette notice, a été vue à la fois d’un bout à l’autre de la Suisse , à Strasbourg, dans tout le midi de la France * , en Belgique , en Angle- * Bibliothèque Universelle, tome XXII, page 184. * Même recueil, tome XXXVII, page 278. 3 Ibid. 4 On l’a aussi vue au nord de la France; mais, à Paris, le ciel ayant été couvert, on n'a point pu l’observer : cependant, les oscillations extraordinaires qu'a éprouvées l'aiguille aimantée depuis 4 heures jusqu’à 10 heures du soir, ont fait reconnaître aux astronomes de l'Observatoire qu'il devait y avoir quelque part une aurore boréale. OBSERVÉE A GENÈVE. 351 terre et ailleurs, ainsi que les journaux Pont constaté, c’est-à-dire, qu’elle a été visible de points distans de de plus de 200 lieues , on comprendra qu’elle devait avoir une grande hauteur et qu’elle atteignait probablement une région atmosphérique bien raréfiée. Que conclure maintenant des diverses opinions que je viens de rappeler sur la hauteur présumée des aurores boréales ? Leur extrême divergence ne porte-t-elle pas à faire supposer que lon ne sait rien encore de bien positif à ce sujet? Cependant, tout observateur convena- blement situé pourrait concourir à obtenir cette mesure en rapportant, comme je l'ai fait, le point culminant du météore à des étoiles connues , et en notant l'instant de l'observation. Par ce moyen simple et facile, deux données seulement, mais fournies par des observateurs éloignés l’un de l’autre de plusieurs lieues, suffiraient pour faire connaître d’une manière assez sûre, l’angle parallactique, et, par conséquent, la hauteur absolue de l’aurore au-dessus de l'horizon. Il faut le reconnaître , étude de la météorologie n’a pas été cultivée jusqu'ici avec le même soin que celui qu’on a donné aux autres sciences naturelles. Malgré les efforts de quelques savans respectables elle n’a fait que peu de progrès, parce que leurs travaux étaient isolés. Espérons donc que cette science, jeune encore ; intéres- sante en elle-même, et qui embrasse des phénomènes si curieux, si variés, si importans, prendra désormais un nouvel essor au moyen des observations régulières que l’on commence à effectuer simultanément sur divers points du globe, grace au zèle ardent et à l’influence toute-puissante de physiciens, d’astronomes et de natu- ralistes célèbres, à la tête desquels se trouvent en pre- mière ligne , MM. Arago , John Herschel et de Humboldt, BULLETIN LITTÉRAIRE, Essai D'INDUCTIONS PHILOSOPHIQUES D'APRÈS ÉES FAITS, Par M. RocniaT , ancien préfet. Paris 1836. 1 vol. in-8° Ladrange. L'auteur de cet Essai après avoir consacré plusieurs années de sa vie à des fonctions administratives , a aban- donné les charges publiques pour se livrer à la spécula- tion; il a cherché les loisirs d’une existence inoccupée pour diriger ses pensées et son intelligence vers le monde philosophique ; il a voulu sonder lui-même et expliquer à sa manière les mystères de l'âme humaine ; cette étude la conduit à publier le livre dont nous venons de tran- scrire le titre. Cet ouvrage, intéressant comme tout ce qui est le résultat de convictions sérieuses et mries , offre le déve- loppement des réflexions , des idées et des solutions que peuvent suggérer à un esprit méditatif la contemplation de lui-même et du monde; on y rencontre des concep- tions ingénieuses , et des intentions dignes d’éloges, des observations judicieuses et de nobles pensées. On peut lui reprocher d’être dépourvu de clarté et de rigueur dans l'expression, d’avoir une forme trop abstraite et pour ainsi dire décharnée, de manquer de constance et de précision dans les termes, de n’avoir pas les qualités propres à lui faire atteindre le but dans lequel il paraît avoir été écrit. En effet , c’est en vue de lutilité pratique , plus que de la science pure , que l’auteur semble s’être livré à ses recherches , et les avoir ensuite publiées. Il désire plutôt éclairer un grand nombre BULLETIN LITTÉRAIRE. 353 d'esprits sur toutes les questions prochaines de la philo- sophie , que de poursuivre, dans le domaine lointain de la métaphysique, les travaux des plus éminens penseurs. Or la forme qu’il a choisie conviendrait mieux à ce dernier but qu’au premier. Il en résulte que l’auteur à restreint le cercle de ses lecteurs sans étendre celui de son sujet; son livre, digne d’attirer l’attention des hommes qui s’oc- cupent d'études philosophiques, n’est pas de ces écrits qui fassent époque dans la science et y laissent les traces lumineuses d’un talent supérieur ; il est à regretter qu'il ne soit pas conçu de manière à exercer sur un plus grand nombre d'intelligences une influence qui serait heureuse à plusieurs égards. Nous ne pouvons entrer dans l'analyse des cent cha- pitres dont se composent les six livres de cet ouvrage ; nous devons nous contenter d’en indiquer sommairement le contenu. La méthode de M. R. est donnée dans son titre. Il commence par exposer les faits qui lui paraissent les plus généraux et qu’il prend pour base de ses déductions. Il part de l'existence des étres qu’il distingue en infinis et finis, et parmi ces derniers , il passe immédiatement à l'homme pour chercher quelle place il occupe par rapport à d’autres existences. Cet examen le conduit à s'enquérir des conditions de la liberté , élément indispen- sable, selon lui , à tout raisonnement sur la personnalité humaine. Ces conditions sont, la spontanéité, V'intelli- gence et le sentiment. Ici, intervient une théorie de la liberté que nous avouons ne pas comprendre ; l’auteur prétend que la liberté ne s’exerce qu’autant que l’intel- ligence et le sentiment sont impuissans pour se décider, ce qui a lieu, dit-il, lorsque les motifs d’action présentés à l’étre libre sont tels qu’ils ne peuvent étre comparés entre eux ; il faut alors une faculté qui prenne sur elle 354 BULLETIN LITTÉRAIRE. de préférer lun à l’autre, et c’est la liberté. (Liv. [, chap. 15, 16, 18.) gt Poursuivant sa route , l’auteur rencontre un nouveau fait général dans la présence ou absence, chez les êtres, de la spontanéité; de là distinction entre Ja substance spirituelle où se trouve cette faculté et la substance maté- rielle qui ne la possède point. L’union des deux substances chez l’homme ne s’explique que par la volonté de l’auteur du monde; il en est de même de la plupart des questions qui se rattachent aux mystères les plus profonds de Pexi- stence non-seulement de homme, mais de l’univers ; c’est en montrant que l'on ne peut trouver que dans la cause première leur solution et leur raison suffisante, que l’au- teur les repousse dans ce vaste domaine de linconnu , que l’homme ne sondera jamais. Mais cette ignorance n’a pour lui rien d’amer , car il se repose avec confiance sur Celui qui créa les cieux , la terre et les hommes : Nec Deus intersit, nisi dignus vindice nodus. C’est sur l'existence et les perfections de cet Etre souverain que roule le livre second ; l’ordre que l’auteur a signalé comme la loi qui subsiste dans lunivers, se retrouve dans les rapports moraux qui doivent exister entre le créateur et les créatures; la religion en est une desexpressions. Dans le troisième livre, M. R. traite de la vie organique de l’homme; il examine l'influence des organes sur l'intelligence, leur nécessité pour l'emploi de celle-ci , le mode de leur relation; et il nous paraît, au milieu d'observations judicieuses, donner plus d’une solution qui touche de bien près à la matérialisation des opérations intellectuelles. Il reconnait l’égoisme comme la loi qui préside à la vie matérielle, la satisfaction personnelle comme son but. On doit distinguer dans ce livre , comme BULLETIN LITTÉRAIRE, 355 un des morceaux les mieux traités de l’ouvrage et les plus dignes d’être lus, une digression sur les animaux, où leur place, dans la création, et les facultés dont ils sont doués, sont appréciées avec finesse et sagacité. Le quatrième livre a pour objet la vie morale et rationnelle, et Von y trouve lexpression d’un caractère auquel on ne peut refuser une sincère estime. On y reconnait que l’auteur possède en lui-même tout ce qui peut éclairer sur la destination relevée de Fhomme. On voit qu’il a découvert au fond de son propre cœur ce sentiment du juste, du devoir, de la loi morale, qui vient arracher l’homme à l’empire de son organisation maté- rielle, et à l’égoisme qui en est la suite nécessaire; ce sentiment de l’amour du bien et des hommes, qui fonde la société sur d’autres bases que celles des associations intéressées et fortuites de la brute, et qui, par sa nature, se rattache à Celui qui seul en est la source , comme il doit aussi en être l’objet. Ce que nous disons en peu de mots , l’auteur l’a développé et démontré ; il a exprimé sur ce sujet des idées et des convictions dont on éprouve maintenant plus que jamais Ja valeur et le prix; mais c'est dans le cœur de tous, et non dans les livres de quelques-uns, qu’il faudrait les voir vivantes et efficaces. En général, ce qui se rapporte à l’être moral dans l'ouvrage de M. R., nous parait supérieur à ce qui tient à la partie intellectuelle, Sur ce dernier point, l’auteur ne nous semble pas toujours avoir rencontré la vérité ; on trouve dans le livre cinquième, qui s’occupe de l’en- tendement humain plusieurs explications que nous ne saurions admettre ; ce sont celles qui se rapportent à l'intermédiaire des organes sensibles dans l’acquisition et lacommunication des conceptions. L'auteur, exagérant le fait général de lunion des deux substances, a mis la substance spirituelle dans la dépendance absolue de l’autre, 356 BULLETIN LITTÉPRAIRE.. de telle sorte qu’il lui refuse le pouvoir de former une seule pensée , d’avoir conscience d’une seule de ses idées d’un seul de ses sentimens, si ces idées et ces sentimens n’ont pas revêtu la forme matérielle du langage et laissé empreinte du mot sur le cerveau. (Liv. 5, chap. 2, 11-15.) Au reste, il faut reconnaître que la manière dont M. R. parle des faits intellectuels, analyse les idées et les élémens de la vérité, mérite d’être considérée de plus près ; c’est à son ouvrage qu'il faut recourir pour cela. Le dernier livre traite d'objets d’une haute importance, car c’est de la condition de l’homme sur la terre, de la loi naturelle, de la loi religieuse, de Porganisation sociale, du pouvoir public qu’il s’occupe. Il renferme des vues intéres- santes, apprécie avec vérité l’état auquel nous noustrouvons soumis ici-bas. Quoique nous soyons loin de partager les opinions de l’auteur sur la religion chrétienne , à laquelle sont attachés , selon nous , le salut des individus et le bonheur des peuples, nous ne devons pas méconnaitre la tendance élevée et charitable des vues de M. R. Au milieu de son désir du bien , et de ses espérances d’amé- lioration , il ne peut cependant s’empécher de voir et de décrire nos misères, nos imperfections, nos incertitudes, notre faiblesse , et toutes les nécessités de coaction qui en résultent ; triste et affligeant tableau , à la vue duquel on peut douter s’il y a progrès dans la marche de l'espèce humaine, s’il y a quelque chose à attendre de l’expérience et du temps. « Est-ce à dire, demande à ce sujet l’auteur , est-ce à dire que le meilleur est toujours de se réfugier dans limpassibilit£ des peuples stationnaires ? Non; Dieu ne nous a pas donné des facultés pour les laisser oisives ; une intelligence capable de s’éclairer pour l’étouffer ou l'éteindre. D’ailleurs, il y a dans beaucoup de conjectures, et dans les choses elles-mêmes, des nécessités qui obligent RE né ns à 0. © o of de SEL de th ne té té . BULLETIN LITTÉRAIRE. 357 les hommes à les régler, puisque c’est un soin que Dieu leur a laissé. Mais , en le leur laissant , il ne leur a point promis qu'ils réussiront toujours. « Le mouvement imprimé par Dieu aux intelligences a aussi ses lois ; lois, qui, comme toutes celles de l’ordre mo- ral, sont souvent enfreintes par la volonté de homme. Les bornes de la raison ne sont pas de lui; mais le mauvais usage qu’il en ferait serait de lui. Il est juste, quand il pervertit la plus noble de ses facultés, qu’il en porte la peine. «Nous vivons à une époque de doutes , de discussions, de tentatives de toute espèce. Ces efforts de Ia raison humaine cessent d’être légitimes , dès qu’ils mettent en oubli , et beaucoup plus quand il outragent ces premiers sentimens, ces premières notions d'où dérive tout ce qu'il y a de bon, de juste et d’honnête parmi les hommes : et les sociétés qui resteraient sous le coup de telles atteintes, au lieu d’être conduites dans les voies d’un honorable progrès , se verraient entraînées dans celles de la dégra- dation. » Norice B10GRAPHIQUE sur M. Marc-Théodore Bourrir , peintre et auteur des Descriptions des Alpes. Bourrit, peintre et écrivain , a péché et brillé tout à la fois par l’excès des plus rares qualités ; moins emporté par ses impressions, moins impatient de les faire partager par l’audace et l’éloquence oratoire de ses descriptions, il eût été un grand peintre et un grand poëte, là où il était le plus difficile d’être l’un et l’autre, s’il est vrai qu’en fait d'imitation la fidélité poétique soit la première condition de beauté. Aucun pinceau n’a été, plus que le crayon impétueux et négligé de Bourrit, à la hauteur de la large nature des Alpes; aucun n’a été aussi près de 358 BULLETIN LITTÉRAIRE. rendre dans toute leur poésie sauvage ces magnifiques effets que présentent, dans les hautes montagnes , les “vastes solitudes. Ses descriptions des Alpes sont comme ses esquisses, pleines de vigueur et d’un éclat extraor- dinaire; on voit que son œil et son âme de poëte, car Bourrit était poële, ont compris et saisi avec ardeur les magnifiques caractères de cette nature nouvelle, qu'il pou- vaitencore avec quelque orgueil appeler sa conquête. Mais il a le grand défaut de vouloir, tout en même temps, décrire , admirer, et convertir le lecteur à son enthou- siasme. Il prêche ; et là où la description, la description telle qu’il pouvait la faire, aurait suffi à émouvoir, un fatal adjectif portant dans ses pompeuses syllabes un ordre d'admirer, glace trop souvent l’impression première. Bourrit n’en demeure pas moins un poëte descriptif de grand mérite , et qui aura toujours sa belle et large part de la célébrité pittoresque des Alpes. La Description des glaciers du Duché de Savoie, son premier ouvrage , ses descriptions des aspects du Mont- Blanc, et des Alpes Pennines et Rhétiennes , des Cols des Alpes , ses Itinéraires , aux glaciers de Chamouni , du Valais et du Canton de Vaud , sont, après les Voyages de De Saussure, ce livre d’un grand poëte et d’un grand génie, ce que les Alpes ont inspiré de plus vrai, la pein- ture la plus colorée, la plus pittoresque, la plus exacte qu’elles aient obtenue. Aussi Bourrit a-t-il trouvé de nom- breux traducteurs en Europe. Ce n’est pas de son cabinet, que Bourrit a vu les Alpes ; et sa vie de montagnard , ses excursions , ses expéditions vers les plus hautes sommités, sa tendresse, sa coquette- rie pour cette nature, qu'un des premiers il avait révélée aux voyageurs, sont d’un réel intérêt. M. le Pasteur Bourrit, son fils cadet, dans une notice qu’il vient de consacrer à la mémoire et aux travaux de son père, retrace avec BULLETIN LITTÉRAIRE. 359 une affection filiale, qui ne les rend pas moins intéres- santes, les diverses périodes d’une existence aussi active et aussi dévouée aux beaux-arts , qu’à la nature leur seconde mère. À cette notice, que les compatriotes de Bourrit vou- dront lire, l’auteur a joint un beau portrait lithographié d’après un original de Saint-Ours ; ce n’est pas un des moin- dres mérites de ce monument élevé par un fils à son père. Conrrs orIENTAUx, traduits de l'allemand de Haurr. 1 vol. in-12. À Genève , Abraham Cherbuliez, libraire. Il y a longtemps que les conteurs de tous pays taillent, dans le vaste Orient, des fables merveilleusement roma- nesques ; mais l’étofle est large et, en vérité, si riche, qu’il n’est pauvre barbouilleur de nouvelles qui n’y puisse trouver encore de quoi faire resplendir ses maigres marionnettes. Avec les grandes barbes , les caftans , les chameaux et les sorbets , il y aura toujours moyen de bâtir un récit pittoresque : immense privilége. Les mœurs , les habitudes orientales prêtent à elles seules à La fiction, de chaudes et vives couleurs, que notre vie extérieure de populations européennes serait bien impuis. sante à fournir avec une aussi brillante profusion. La caravane qui traverse le désert avec ses pèlerins, ses opulens marchands et son escorte d’Arabes, est bien d’un autre aspect , que la diligence Laffitte et Gaillard , roulant sur un pavé de village, et portant dans ses tristes flancs une collection de dormeurs en bonnets de coton , et les pieds dans de triples chaussettes. L'heure du repos yenue, la caravane fait halle sous un bouquet de palmiers, pose ses téntes ; les cavaliers arabes, avec leurs lances, regardent à l'horizon si quelque signe n'annonce point 360 BULLETIN LITTÉRAIRE. les approches du simoun ou des brigands du désert ; les voyageurs croisent leurs jambes sur leurs tapis de Perse, et fument dans leurs narguillets. Quel coup d’æil ! Et pourquoi ces gens n’auraient-ils pas de merveilleuses aventures à se raconter tour à tour ? Cherchez semblable poésie à la dinée de la diligence ; le nez glacé, les pieds aussi, les membres brisés, la voiturée va sasseoir mélancoliquement autour d’un diner froid, dans une salle d’auberge ! après quoi elle rentre dans sa boîte, elle et sa mauvaise humeur ! Ah! l'Orient! avec l'Orient les conteurs se passent d'imagination ; l'Orient en a pour eux ; c’est comme à l'opéra, où les magnificences de la scène dispensent le compositeur du génie qu’il n'a pas. L'Orient d’ailleurs est la terre des merveilles et des talismans, et l’humanité a un faible pour les talismans. C’est pour toutes ces raisons que le petit volume, dont un de nos jeunes compatriotes a eu l’heureuse idée de faire la traduction, est réellement fort amusant. L’original a peut-être aussi par-dessus tout cela, ce que nous ignorons totalement , un mérite de style dont une traduction, si excellente qu’elle soit, ne peut jamais donner une suffisante idée. Mais tels que les voilà en français , ces petits contes ont de la grâce, du charme, et une gaîté aimable qui rappelle ici et là , de loin , il est vrai, ces adorables folies d’Hamilton, qu’on n’a jamais lues sans rire; mais c’est beaucoup de rappeler , fût-ce de plus loin encore, le classique de l'esprit précieux et de la frivolité élégante. Les contes de Hauff sont de plus tout à fait propres à divertir l’enfance; c’est un vrai cadeau que lui ont fait là l’auteur et le traducteur ; un cadeau rare, aujourd’hui qu'à force de narrer de la morale récréative à l'usage des enfans, on n’oublie qu’une chose, de les amuser , les pauvres petits. BULLETIN SCIENTIFIQUE. ASTRONOMIE. 28. — NOTICE SUR LES GRANDES LUNETTES ACHROMATIQUES ÉTABLIES RÉCEMMENT EN DIVERS POINTS DE L'EUROPE, ACCOMPAGNÉE DE QUELQUES DÉTAILS SUR LES NOUVEAUX ORSERVATOIRES DE BERLIN ET DE PÉTERSBOURG. ( Suite de la page 143 du cahier précédent.) Les principaux instrumens de l'Observatoire de Poulkova établis dans le plan du méridien , se composeront d’un cercle méridien qui a été commandé aux frères Repsold, de Ham- bourg, d’un instrument des passages et d’un cercle-vertical, qui seront exécutés par Ertel, de Munich, propriétaire actuel de l'établissement fondé par le célèbre Reichenbach. Je vais extraire du rapport de M. Struve cité plus haut, quelques détails sur chacun de ces instrumens. ** La lunette du cercle-méridien aura 65 lignes d'ouverture et 6 Y, pieds de longueur focale. Son tube ne portera pas de contre-poids comme dans les instrumens de la construction de Reichenbach , mais sera composé de deux tuyaux coniques égaux 'en poids. Les effets de flexion, ainsi diminués, pourront encore y être entièrement éliminés, par un ajustement qui _ permettra de changer de place à volonté l'objectif et l'oculaire. L'instrument sera muni de deux cercles verticaux , de quatre pieds de diamètre , placés à chacune des extrémités de l'axe. Les ajustemens destinés à arrêter ces cercles ou à les mettre en mouvement, seront aussi rapprochés que possible du centre de l'instrument , et seront placés sur l’axe conique, à côté du cube de la lunette. Les lectures , au lieu d'être faites par des verniers, se feront au moyen de quatre microscopes, \ 23 362 BULLETIN SCIENTIFIQUE. qui ne seront pas établis sur un cercle enfilé à l’axe, mais seront adaptés à des espèces de cadres (Rahmen), reposant sur les massifs qui portent l’instrument, et auxquels on pourra imprimer un mouvement concentrique; ils seront pourvus, pour leur rectification , de deux niveaux à bulle d'air , placés l'un au-dessous, l’autre au-dessus, et qui pourront être retournés avec les cylindres auxquels ils tiennent. Les contre- poids de l'instrument seront égaux de chaque côté, vu sa symétrie ; il jouera librement entre ses piliers , et ne sera plus exposé à un effet de friction, comme pouvaient l'être les cercles- méridiens de Reichenbach, par l'effet du cercle portant les verniers. On emploiera, pour la rectification de cet instrument et l'élimination de toutes les erreurs dansles distances zénitales, qui peuvent provenir de l'influence d'une période diurne de tem- pérature , un appareil auxiliaire, composé de deux parties. Il sera formé , 1° de deux instrumens de passages , placés au nord et au sud, et dont l’un, au moins, sera muni d’un micro- mètre filaire, afin de rectifier la ligne de collimation sans retournement : ; 2° de deux collimateurs cylindriques, donnant chacun , pour les distances polaires , un rayon visuel horizon- tal constant, comme point de départ fixe de la division 2, Ils pourront se contrôler mutuellement et être employés, à chaque moment , pour la détermination de la flexion. La lunette méridienne d’Ertel aura 8 pieds de longueur focale et 66 lignes d'ouverture ; elle sera composée de deux tuyaux coniques , et son axe de rotation sera muni de contre- poids qu’on n'aura pas besoin d’ôter lors du retournement de l'instrument ; elle sera pourvue aussi , pour sa facile et com- ? Ces petits instrumens de passages, fixement établis sur le prolongement du grand , font l'office de mires méridiennes. Ils sont placés horizontalement devant la lunette principale, de chaque côté, de manière à ce qu’on distingue avec elle, à travers l'objectif de la petite lunette, la croisée de fils établie au foyer de cette dernière , selon la méthode de Bessel, dont j'ai deja eu l'occasion de dire quel- ques mots à propos de l'usage qu'en ont fait MM. Struve et Airy. (-Bib1, Univ, tome 43, p. 131, et tome 45, p. 233.) 2 ]1 s'agit probablement ici d'appareils analogues à ceux imaginés par le capitaine Kater, sous le nom de Co/limateurs flottans. (Voy. Bibl. Univ., tome 53, p.115). BULLETIN SCIENTIFIQUE. 363 plète rectification , de deux petits instrumens de passages , de 42 pouces de longueur focale et de 24 lignes d'ouverture, des- tinés à effectuer la correction de l'axe optique, comme pour le cercle-méridien. Le cercle-vertical doit être exécuté par Ertel d’après les directions de M. Struve, et il ressemblera probablement dans sa forme générale aux grands cercles mobiles de Ramsden, qui existent dans les Observatoires de Dublin et de Palerme. L'axe vertical, autour duquel tournera le cercle, aura environ 10 pieds de hauteur. La lunette, de 6 pieds de longueur focale et de 66 lignes d'ouverture , sera composée de deux tuyaux elliptiques en forme de demi-cône , qui offriront , par la direc- tion de leur grand axe dans le sens de la pesanteur, une plus grande résistance aux effets de flexion. On pourra aussi, à volonté , éliminer ces effets , en échangeant de place l’oculaire et l'objectif. La lunette sera liée intérieurement, soit au cercle, soit à un fort axe horizontal, et sa construction se rappro- chera, sous ce rapport, de celle des cercles-muraux de Trough- ton. Les lectures s’y feront à l’aide de microscopes. La faculté dont jouira l'instrument de tourner autour de son axe vertical, permettra d'observer, soit au méridien, soit hors du méridien. On pourra , à l’aide d'un prompt retournement, observer dans les deux positions opposées du cercle pendant une méme culmination , et éliminer ainsi les chances d'erreur provenan de la variabilité de position des microscopes. L'Observatoire de Poulkova doit être pourvu aussi d’un instrument de passages , dont la lunette restera constamment dirigée dans le plan du premier vertical, perpendiculaire au mé- ridien. Voici ce que dit M. Struve au sujet de cet instrument, dont il a déjà eu l’occasion de faire usage dans sa mesure de degrés en Esthonie. (Voy. Bibl. Univ.,t. 43, p. 127.) « L'in- strument de passages établi dans le premier vertical donne, comme on saif, avec une incroyable sûreté , les distances au zénith méridiennes des étoiles dont la déclinaison n’est pas no- tablement plus petite que la hauteur du pôle. Cet instrument est, à ce qu'il me paraît, le secteur zénital le plus parfait, lors- qu'ilestconvenablement construit etemployé dans ce but spécial. La détermination des distances zénitales y dépend de ce que l'in- 364 BULLETIN SCIENTIFIQUE. strument décrit exactement un cercle-vertical. La déviation de son axe de rotation hors de la position horizontale, doit, par conséquent , y être immédiatement reconnue dans chaque observation , dans l'une et l’autre direction de la lunette; et toutes les erreurs constantes de l'instrument , qui dépendent de la pesanteur et de l’mégalité des diamètres des tourillons, doivent y être éliminées aussi immédiatement que possible. Le niveau à bulle d’air doit donc rester à poste fixe sur l'axe de rotation, et être placé au bout de l'axe et non vers son milieu. L’instrament doit aussi pouvoir être retourné très facilement. L'’exécution d’un instrument de ce genre, dont la lunette aura 70 lignes d'ouverture et 7 pieds de longueur focale, a été confiée aux frères Repsold. Cette lunette sera fixée à l’une des extrémités d’un fort axe de 4 pieds de long, qui reposera par ses deux tourillons, situés du côté intérieur du tuyau, sur des piliers établis sur un massif d’une seule pierre. Un contre-poids sera placé à l'extrémité opposée de l’axe. Le milieu de la pierre sera taillé de manière à pouvoir servir, soit à enlever aux piliers la pression de l'axe, soit à exécuter le retournement de tout l’instru- ment sur ses piliers. Le niveau à bulle d’air sera fixement établi sur l’axe, sans y changer de position ; l'appareil de retournement sera d’un si facile emploi , que , pendant le pas- sage d’une étoile voisine du zénith , on pourra faire , dans cha- cune des moitiés du premier vertical, une observation dans l’une el l’autre position de l’axe; en sorte que, soit dans les observa- tions du côté de l’est , soit dans celles du côté de l’ouest , toutes les erreurs constantes seront complètement éliminées. Le mou- vement doux de l'instrument sur son axe provenant du milieu de l'axe , toute torsion sera impossible. J'ai donné la première idée de cet instrument à M. A. Repsold , mais il l'a notablement perfectionné , et y a appliqué , entre autres , tout l'appareil de retournement et d'équilibre dont je viens de parler. Je ne doute pas que cet instrument , aussi parfait qu'on peut l’attendre de tels artistes, ne soit employé avec succès à une très exacte détermination des constantes de l’aberration et de la nutation. » Outre les grands instrumens énumérés ci-dessus , l'Obser- toire de Poulkova doit en posséder un certain nombre de plus petts, destinés , soit à des opérations géodésiques, soit à des. BULLETIN SCIENTIFIQUE. 365 instructions pratiques pour la détermination des positions géographiques , soit à d’autres objets. Ainsi, il sera pourvu de deux instrumens universels d'Ertel, analogues à celui employé par M. Struve dans ses opérations géodésiques, mais avec divers perfectionnemens :, de deux lunettes méridiennes de 34 et 19 lignes d’ouverture, la dernière portative , d’un théo- dolite astronomique et d'un instrument à niveler du même artiste ; d’un cercle à réflexion de Pistor, d'un sextant de Troughton et d’un cercle prismatique de Steinheil. On a commandé à Vienne et à Munich, pour cet Observatoire, deux chercheurs de comètes , de 42 lignes d'ouverture > Qui auront une monture parallactique , et dont la lumière devra être une fois et demie celle des plus grands chercheurs , de 34 lignes d'ouverture , exécutés à Munich jusqu’à présent. L'Observa- toire sera muni d’un assortiment d’instrumens météorologiques, construits à Pétersbourg par un élève d'Ertel, et il possédera un étalon de mesure de longueur semblable à celui de la So- ciété astronomique de Londres, dont j'ai rendu compte dans le Bulletin de juin de la Zibl. Univ. Enfin, il sera pourvu d’un nombre convenable de pendules astronomiques et de chrono- mètres, qui ont été commandés Soit à M. Hauth, à Pétersbourg, * M. Struve décrit, à celte occasion, un petit instrument portatif de ce genre , avec lequel il a fait, en divers points, pendant son voyage, des observations de distances zénitales d'étoiles. C’est une espece de théodolite, muni de deux lu- neltes et de deux cercles , etoù les lectures , qui se font à l'aide de verniers placés sur des cercles concentriques, peuvent être effecinées en diverses parties du limbe, selon la méthode de multiplication employée par M. Struve, et qui est différente de celle des répétitions ordinaires. L'instrament est pourvu de deux niveaux rem- plis de naphie. La lunette principale est placée à l’une des extrémités d’un axe horizontal d'acier, qui porte à son autre extrémité le cercle vertical. Ce cercle n'avait que 4 pouces de diamètre, et la lunette 10 lignes d'ouverture et 10 pouces de longueur focale; et malgré ces petites dimensions, M. Siruve a obtenu des hauteurs du pôle qui présentent un accord surprenant , soit entre elles, soit avec celles déterminées avec de plus grands insirumens. Il rapporte aussi des observations d’angles horizontaux, faites en 1832 avec un instru— ment analogue , et qui offrent une étonnante précision. Ces instramens peuvent. encore être utilement employés comme instrumens de passages, la lunette sup- portant un grossissement de 32 fois, et permettant de voir les éloiles de première grandeur de jour, et l'étoile polaire deux heures au moins avant le coucher du soleil. Le prix d’un instrument de ce genre, muni de deux cercles de 6 pouces de diametre, tel qu'il se trouve décrit sous le n° 31 , dans le catalogue d'Ertel CAst. Nach., no 26;, P. 54), est de 325 florins d'Allemagne , soit environ 830 francs de France, 366 BULLETIN SCIENTIFIQUE. soit à M. Kessels, à Altona, soit en Angleterre, parl'intermédiaire de sir James South *. La somme totale qui doit être employée à l'achat de tous ces instrumens, en y comprenant les frais de transport, s'élève à 231 429 roubles, soit environ 255 000 fr. de France ?. L'Observatoire proprement dit aura la forme d'une croix , dont le grand côté, dirigé de l’est à l’ouest, sera long de 230 pieds anglais, et le petit, dirigé du nord au sud , de 175 pieds. Au centre se trouvera une salle voütée , surmontée d'une tourelle à toit mobile, de 32 pieds de diamètre et de 30 pieds de hauteur intérieure, dans laquelle sera placée la grande lunette achromatique. Deux autres tourelles, de 20 pieds de diamètre et 20 pieds de hauteur, placées aux extré- mités est et ouest, seront destinées, l’une à l'héliomètre, l’autre à la lunette dialytique. Entre les corps de bâtimens latéraux , dont elles occuperont la partie méridionale, et la tourelle centrale , seront placées les deux ailes destinées aux instrumens méridiens. Deux embrasures ou coupures méri- diennes seront pratiquées dans chacune d'elles. Ces ailes seront, à leurs fondemens près, construites en bois , afin d’y empé- cher, le moins possible , légalisation de la température inté- rieure avec l'extérieure ; mais il se trouvera , à côté d’elles, des cabinets chauffés pour les observateurs. Chacune d’elles aura intérieurement 23 pieds de hauteur, 52 de longueur et 25 de largeur : soit afin d'y obtenir une température plus uni- forme, soit pour pouvoir y placer commodément les collimateurs et les petits instrumens de passages destinés aux rectifica- tions, soit dans le but d’y établir, pour chacun des instrumens principaux , une espèce de petite maison à roulettes , mobile 1-M. Struve rapporte en détail , à cette occasion , la marche, d’une régularité re- marquable, d’un chronomètre de poche de Hauth, avec lequel il a fait son voyage én Allemagne, et a parcouru 700 milles de 15 au degré. Ce chronometre n'a avancé en tolalité que de 113,8 en 68 jours de route, et de 28s,5 en 58 jours de repos. 2 Je prends ici la valeur du rouble en monnaie de compte , qui est d'environ rfr. 10 c. ; tandis que dans les conversions de ce genre qui ont élé faites dans la traduction du premier rapport sur cet Observatoire, insérée dans le tome 57 dela Bibl. Univ., on a adoplé par erreur, à ce que je crois , la valeur du rouble d'argent, qui est de 4 fr. 60 c. BULLETIN SCIENTIFIQUE, 367 sur des ornières en fer, servant à l'abriter contre l'humidité et la poussière , comme cela a été pratiqué avec succès pour le cercle-méridien de Dorpat. La principale entrée de l'Obser- vatoire sera située au nord de la tour centrale ; et c'est dans l'aile au midi de cette tour que sera placé l'instrument de passages dans le premier vertical. Je dois renvoyer, pour plus de détails sur ce grand établissement, au rapport inséré dans les n°5 290-202 des 4str. Nachr. et qui est accompagné de deux planches , comprenant les plans détaillés de tous les bâti- mens et du terrain adjacent. Les travaux de construction ont commencé vers la fin de l'été de 1834 ; les fondemens ont été jetés cette année-là , et les murailles ont dù étre élevées dans la suivante. Cet Observatoire se trouve placé à environ 10’ 13! de degré au sud et 1” 18/ à l'est de l’ancien Observatoire de l'Académie des Sciences de Pétersbourg, ce qui donne, pour sa latitude 59° 46’ 18/, et pour sa longitude en temps 1 h. 52 m. 3 s., 2 à l’est de Paris. Il me reste maintenant à compléter cette notice , qui se rap- porte principalement aux grandes lunettes achromatiques construites dans ces derniers temps, en donnant quelques détails sur celles qui ont été exécutées en France. J'ai déjà eu Foccasion de parler des premiers travaux de ce genre de MM. Cauchoïix et Lerebours, de Paris, dans un article publié en 1825, p. 110 du t. 29 de la Bibl. Univ. Dès l’année 1819, M. Lerebours avait présenté à l'exposition industrielle une lunette de 7 7, pouces d'ouverture, et de 18 pieds de longueur focale , construite avec du flint-glass de la fabrique de Gui- nand le père, établie aux Brenets, canton de Neuchâtel. M. Lerebours exposa encore, en 1823, plusieurs grandes lunettes, dont la plus puissante , de 9 pouces de diamètre et de 11 pieds de longueur focale, avait été commandée par le roi Louis XVIII pour l'Observatoire de Paris, et coûtait 18000 fr. C’est , je crois , avec cette lunette que M. Arago a fait, entre autres , ses observations sur les secteurs lumineux qu'a présentés la tête de la comète de Halley, vers le milieu d'octobre 1835. Elle est montée sur un pied en bois de la con- struction de Cauchoix , qui , sans être parallactique , est d’un usage très commode par sa solidité, par la facilité de son 368 BULLETIN SCIENTIFIQUE. transport et celle des mouvemens que l’on peut y imprimer à la lunette. M. Cauchoix présenta à la même exposition un grand assortiment de lunettes achromatiques, construites aussi avec du flint-glass de Guinand, et dont la plus grande avait 1 r pouces 2 lignes de diamètre et 18 pieds de longueur focale. Cette lunette a été acquise, en 1829, par sir James South, et c’est avec elle que sir Jobn Herschel a découvert, dans le trapèze d'étoiles de la nébuleuse d'Orion , une petite étoile qui avait échappé à M. Struve , et qui était, en eflet, plus difficile à voir que celle que ce dernier astronome ÿ avait découverte peu de temps auparavant. M. South rapporte, dans une lettre qu’il a adressée à M. Cauchoix , en 1830, qu’on voit avec sa lunette Saturne et Vénus bien terminés avec des grossissemens de 300 à 600 fois , que les étoiles de & du Cancer sont très rondes avec des grossissemens de 1000 à 1500 fois, que celles de : du Bou- vier sont parfaitement terminées avec un grossissement de 1000 à 1200 fois ; et il remarque que l'objectif n’est. pas en- core définitivement placé dans son barillet. On sait que le célèbre Troughton, que M. South avait chargé de monter cette lunette pour des usages astronomiques, n’a pas eu, dans cette entreprise , le succès que sa grande habileté pouvait faire espérer ; et cela a empêché M. South de tirer de ce puissant instrument tout le parti possible. Il a cependant publié diverses observations qu’il a faites avec cette lunette , et il en a proba- blement d’autres inédites. M. Cauchoix a vendu aussi, en 1820, une lunette de 6 pouces de diamètre pour l'Observatoire du collége romain, et c’est avec elle que M. Dumouchel a fait à Rome ses observations de la comète de Halley. Il a fourni, peu de temps après , un objectif semblable pour le nouvel instrument des passages, construit par M. Gambey, pour l'Observatoire de Paris. Le plus grand objectif achromatique exécuté par M. Cauchoix , est celui de 12 3 pouces d'ouverture et de 33 pieds 9 pouces de longueur focale (mes. franç.), qui a été acheté, en 1831, au prix de 25,000 fr., par M. Edouard Cooper, membre du parlement d'Angleterre. Ce dernier, qui réside à Mackree Collooney, en Irlande , a fait construire, en 1834 , par M. Grubb, de Dublin, une monture équatoriale en fer de fonte, pour cette lunette. BULLETIN SCIENTIFIQUE. 369 Le tube de la lunette est formé de deux troncs de cônes réunis par leur base vers son milieu , et ses diverses parties sont fortement liées par un grand nombre de colliers. La lunette est portée , vers son centre, par un axe qui lui est perpendicu- laire, et qui est enchässé dans un autre axe perpendiculaire au premier, mobile sur lui-même et placé dans la direction du pôle, qui s'appuie sur un massif de pierre en plan incliné, construit de forts blocs de marbre noir. L'ensemble de la mon- ture, après avoir été poli, a recu une espèce de rouille bronzée, qui fait qu'elle peut résister à l'humidité et rester habituellement en plein air. La lunette est munie d'un cher- cheur qui a plus de 4 7, pouces d'ouverture. M. Cooper pos- sède aussi un instrument des passages de 5, 4 pouces d’ouver- ture et de 9 pieds de foyer, et il a commandé un cercle-mural. Il paraît qu’en dirigeant sa grande lunette sur la nébuleuse d'Orion , il y a découvert autour du trapèze sept très petites étoiles qui n'avaient pas été indiquées par sir John Herschel dans sa carte de cette nébuleuse, et qu'il en a découvert plu- sieurs autres près de la nébuleuse annulaire de la Lyre et de la 51e nébuleuse du catalogue de Messier. Il n’a pas encore publié, que je sache , de mémoire sur ses observations , et j'ai eu seulement connaissance d’une carte lithographiée , où se trouvent placées ces nouvelles étoiles. Il a observé la comète de Halley depuis le 26 août au matin , où il réussit à la décou- vrir, avec le chercheur de sa grande lunette , sur la nouvelle qui lui fut donnée par M. Hussey qu'il l'avait vue dès le 28, ainsi que sir James South. M. Cooper a continué à suivre la comète , et il a communiqué à l’Académie des Sciences de Paris un dessin qui la représente , accompagné de quelques remarques. Il n’a pas aperçu, à ce qu’il paraît, de déplacement dans les secteurs lumineux qu’il a observés du 22 octobre au 10 novembre. (Voy. Compte rendu, n° 7 de 1836, p. 160.) M. Cauchoix a encore livré , en 1835, un objectif de dimen- sions semblables à celui de sir James South, qui a été acheté pour l'Observatoire de Cambridge, après y avoir été longtemps essayé par M. Airy. Cet artiste ayant maintenant cédé , par raison de santé, son établissement à son neveu , M. Rossin, ce. 370 BULLETIN SCIENTIFIQUE. dernier a continué à s'occuper de la construction de grands objectifs achromatiques. Il en a maintenant deux de 13 pouces de diamètre , et j'en ai vu un dans son atelier, au mois de juin dernier , dont la matière paraissait très pure. Ces objec- tifs ont été construits avec du flint-glass fabriqué par les suc- cesseurs de Guinand, soit aux Brenets, soit près de là, à la frontière de France, soit à Paris. M. Rossin m'a dit qu'on avait maintenant beaucoup de peine à .se procurer du crown-glass d'une dimension et d’une pureté suffisantes *, J'ai vu aussi, à la même époque, à l'Observatoire de Paris, une grande lanette achromatique de Lerebours, ayant, à ce qu'on m'a dit, plus de 13 pouces français d'ouverture, et 24 pieds de longueur focale, qui était établie sur un grand pied en bois, de la construction de Cauchoix, appartenant à l'Observatoire, afin d'y être essayée. L'artiste n'avait pas encore terminé l’ajustement de cette lunette , et les astronomes de l'Ob- servatoire ne pouvaient, par conséquent, porter de jugement sur son effet et sa force optique. Je dois, en terminant cette notice, exprimer mon regret de n'avoir pas eu à ma disposition, pour la compléter, des renseignemens plus circonstanciés sur divers points. J'aurais désiré , entre autres, parler avec connaissance de cause des lunettes à lentille liquide du Dr Barlow, dont il a été déjà précé- demment question dans la Bibl. Univ. (t. 42, p. 273, ett. 52, p. 114.) Mais depuis celle de 8 pouces d'ouverture et 8 pieds 3 pouces de longueur focale , qui a été exécutée par Dollond, pour la Société royale de Londres , et que le D' Barlow a ! M. Cauchoix a essayé de substituer le cristal de roche au crovvn-glass dans les lunettes achromatiques, ce qui.permet de diminuer la longueur focale, comme dans les lunettes dialytiques, et de réduire à 8 ou 10 le nombre exprimant le rapport de cette longueur à l'ouverture. M. Nell de Breauté a fait adapter à un théodolite de Gambey d'un pied de diamètre, une lunette de ce genre de29 li- gnes d'ouverture et de 18 pouces de foyer, et il la trouve au moins égale à une bonne lunette d'ouverture semblable et de longueur double, La plus grande lu- nette de ce genre qu’ait construite M. Cauchoix, est celle de 58 lignes d'ouverture et 48 pouces de foyer, qui lui a été achetée par le directeur de l'Observatoire de Dublin, après une année d'épreuves faites chez lui. La grande difficulté de trouver du cristal pur sera toujours l’obstacle le plus difficile à surmonter pour les lunettes de ce genre de 4 pouces et au-dessus, (Voyez une lettre de M. Cauchoix insé— rée dans le no 305 des Astr. Nachr.) BULLETIN SCIENTIFIQUE. 371 décrite dans les Trans. phil. pour 1833 , je n'ai pas trouvé de renseignemens nouveaux sur ces lunettes , ce qui me ferait présumer qu’elles n'ont pas présenté tous les avantages qu’on en espérait d'abord. Quoi qu'il en soit, de grands progrès ont été faits depuis une vingtaine d'années dans la construction des lunettes achromatiques , puisque de 4 pouces d'ouverture qu’a- vaient les plus grandes avant l’année 1819, on est successive- ment parvenu à en exécuter de 13 pouces, qui ont, par conséquent , toutes choses égales d’ailleurs , une force optique décuple. C'est aux efforts persévérans d'un artiste suisse que la science est, en grande partie, redevable de ce progrès remarquable ; c’est en effet Guinand le père qui est parvenu , le premier, à fabriquer des disques de flintet de crown-glass de très grande dimension et d’une pureté suffisante pour les usages optiques , et que c’est depuis la communication qu'il a faite, à Munich , de ses procédés à MM. d'Utzschneïder et Fraunhofer, que leur célèbre institut d'optique a pris tout son développe- ment. (Voy. Bibl. Univ. ,t. 25, p. 142, et t. 43, p. 222.) Il est impossible de prévoir à l'avance quels sont les pas ulté- rieurs qui seront faits dans la construction de ces merveilleux instrumens. Mais tout peut, cependant, faire espérer que, mal- gré l'extrême difficulté d'aller au-delà d'une certaine limite, on continuera à marcher en avant, soit en suivant les routes déjà tracées, soit par la mise à exécution de nouvelles idées. Si donc on n’est pas encore tout à fait parvenu , dans la construc- tion des lunettes achromatiques, à atteindre la force optique du grand télescope d'Herschel , il est très probable que ce degré sera bientôt obtenu et même dépassé : ce qui présente une perspective bien satisfaisante pour les progrès futurs de l'as- tronomie. A. G. —"s € œ_—— PHYSIQUE. 29.— COURS DE PHYSIQUE EXPÉRIMENTALE , par F. MARCET, proft à l'Acad. de Genève. 8°, 24e édit., Genève 1836. L'ouvrage dont nous annonçons la seconde édition est un traité très élémentaire de physique , destiné aux personnes qui 3172 BULLETIN SCIENTIFIQUE. abordent pour la première fois l'étude de cette science. L'auteur a cherché avant tout à être clair et précis ; nous croyons qu'il a réussi , el que, sous ce rapport , ila rendu un vrai service à tous ceux qui n'ont pas les connaissances suffisantes pour étudier avec fruit les traités de physique plus développés. Le succès qu'a obtenu la première édition est une preuve que l'ouvrage a comblé une lacune réelle ; et nous savons, en effet, qu'il a été adopté dans plusieurs établissemens d'instruction publique, et notamment dans ceux de Belgique. La seconde édition nous paraît avoir éprouvé de nombreuses améliorations. Plusieurs légères incorrections , qui s’étaient glissées dans la première, ont disparu. Des détails intéressans ont été ajoutés, particulière- ment sur l'application de la vapeur aux machines locomotives. En résumé , nous estimons que le cours de M. Marcet est un livre fort utile à mettre entre les mains des commencçans. Si, à cause du cadre restreint de l'ouvrage, ils n'y trouvent pas des développemens complets sur tous les points de la phy- sique , ils n’en retireront du moins que des notions justes et claires. 30. — OBSERVATIONS MÉTÉOROLOGIQUES FAITES A RIO DE JANEIRO , EN 1835, par M. C. Baptista D'OLIVEIRA, mi- nistre du Brésil à Turin. M. d'Oliveira , professeur de mécanique à l’Académie mili- taire de Rio de Janeiro , maintenant envoyé du Brésil à Turin, a fait les observations suivantes avec toute l'exactitude conve- nable. Les instrumens employés sont anglais, gradués avec soin , et se trouvaient situés dans le cabinet de l’observateur. Comme la température permet de ne jamais allumer de feu dans les appartemens , et que les fenêtres sont habituellement ouvertes, une telle exposition du thermomètre n’offre pas, à Rio, les inconvéniens qu’elle aurait en Europe. Il est probable néanmoins qu’elle donne des températures un peu trop unifor- mes, car les extrêmes se font moins sentir dans une maison, qu'en plein air. BULLETIN SCIENTIFIQUE. 3 13 Observations météorologiques faites à Rio de Janeiro en 1835, par Don Baptista Candido d’Oliveira. JANVIER. THERMOMÈTRE BAROMÈTRE À ÉTAT K'OR DE FAHR. EN POUCES ANGLAIS. | = RARES, CURE ES ee DU CIEL. | 8 h. du m2 b.ap.m.) 8h. du m. | 2h.apr. m. : 80 81 20,91 29,91 nuageux. 2 80 80 et 29,97 id, 3 80 80 29,98 29,90 id. 4 81 88 29,08 29,87 clair. 5 83 87 29.81 29,81 nuageux. 6 82 81 29,90 29,91 pluvieux. 7 80 80 29:99 30,00 id. 8 79 80 30,01 30,01 nuageux. 78 80 30,02 30,05 id. 79 | 79%] 30,05 | 30,05 clair. 79 81 30,00 29,97 pluvieux. 80 83 29,90 29,82 nuageux. So] 8a | 2086 | 2086 | à 81 82 29,86 29,88 clair, 81 82 29,90 29,90 id, 82/:| 88 29,91 29,94 id. 83 86/1 30,00 30,00 ee Ç 84 88 29,0 29, id. | 84/2| 85 un 30 0 nuageux. 83 85 30,09 30,10 id. 83 85 30,09 30,03 id. 83 84 30,04 30,04 clair. 82 82 30,03 30,04 | pluvieux. 81 817,1 30,04 30,05 douteux. 807,| 82 30,06 30,06 plavieux. 807,| 82 30,06 30,06 douteux. 80 82 30,00 30,07 clair. 81 84 30,01 29,97 id. 83 897/.| 29:98 29,98 id. 83'/,| 86 29:97 29,91 pluvieux. 83 | 8521 20.85 | 2986 | clair. 81,32| 83,30) 29,972 | 29,970 374 BULLETIN SCIENTIFIQUE. FÉVRIER, THERMOMÈTRE BAROMÈTRE DE FAHR. EN POUCES ANGLAIS. ÉTAT A DU CIEL, 8h. du m.|2h.ap.m. 8h.dum. 2 h. ap. m. 29,76 29,76 pluvieux. 29,69 29,71 ‘id. 29,78 | 29:79 29,89 29,80 29,96 | 29,97 30,00 30,00 30,00 30,00 30,00 30,00 29,90 30,00 30,01 30,07 30,09 30,10 30,12 30,12 30,09 30,07 30,06 30,01 29,97 29,96 2990 29:9F 29,99 30,00 30,00 29,95 29,98 | 29,98 29,96 29,96 29:97 29:97 29:97 | 29,94 30,00 30,00 30,05 30,06 30,07 30,01 30,00 29,91 29,89 29,08 29,88 29,96 29,963 | 29,961 BULLETIN SCIENTIFIQUE. 375 MARS. | THERMOMÈTRE BAROMÈTRE | ÉTAT | | | | Moy. 78919) 80,035] 29,987 + DE FAR. EN POUCES ANGLAIS, di sul DU CIEL, 8,b, du m.12b.ap.m.} 8 h: du m. + ap. m. 1 82 83 29, clair 2 821/2| 8, At id. 3 81 817] 29,99 id: À 4 81 82 29:99 id. | 5 8r 827;l 29,90 id. | L -6 82 83 29,86 pluvieux. | | 817/,|] 83 29,95 id. | & 82 83 29,98 id. 82 82 29,94. id. 9 99 10 80 80 29:99 id, U 1x 79 79 30,00 id. | 12 78 7 30,03 id. | 13 77 7 30,97 id. 14 7 78 30,08 id. | 15 7 79 30,0 nuageux. 16 78 79 30:08 id. | 1 77 Va 79 30,05 id. | | 18 7 80 30,00 id. | | 19 78 80 30,00 clair. | | 20 79 80 30,00 id, 21 79 80 30,00 pluvieu x. | 22 79 80 30,00 id. 23 79 81 30,00 id. 24, 79 7 30,00 id. | 25 77 7 30,08 nuageux. | 26 77 78 30,03 pluvieux. | 2 e7 7 30,10 id. 8 7E TB 30,17 id. 29 76 78/24 30,16 clair. 30 76 78 30,03 id. | 31 77 79 29,08 pluvieux | BULLETIN SCIENTIFIQUE. THERMOMÈTRE DE FAHR. 8 b. du m./2b. ap. m. BAROMÈTRE EN POUCES ANGLAIS, CR , 8h. du m. 30,03 30,05 30,05 30,05 30,06 30,00 29:60 29:60 29,00 4 30,08 30,10 30,13 30,13 30,04 30,10 30,171 30,11 30,12 30,14 30,12 30,12 30,0 QE 30,18 30,15 30,03 30,00 25599 30,00 30,002 2 h. ap. m. a ——, 30,03 30,05 30,05 30,05 30,06 30,00 29,60 260 20,00 dE 60 30,08 30,10 30,13 30:10 30:0b 30,10 3011 3011 30:12 3o;1 2 30:12 3012 30:09 30:10 30,18 30:10 30,03 30,00 29,99 30,00 30,006 ÉTAT DU CIEL. douteux. id. pluvieux. nuageux. id. id. pluvieux. id. id. nuageux . pluvieux. id. pluvieux. id. clair. nuageux. clair. pluvieux. clair. vd ; TEE BULLETIN SCIENTIFIQUE. MAI. THERMOMÈTRE BAROMÈTRE Fate DE FAHR. EN POUCES ANGLAIS. A , CR 3h. du m.|2bh.ap.m.f 8h.du m. 2 h. ap. m. ï 74 7 30,11 30,11 2 73 73 30,11 30,13 à 72, | 73 30,18 30,18 4 7u/| 72 30,16 30,13 5 72 73 29,90 29,90 6 72 73 30,00 29.90 7 73 76 29,89 29,8 8 72 74 30,00 30 00 9 70%/.| 71% 30,22 30 25 10 70 71 30,30 30,30 11 70 71 30,25 30,25 12 707,| 71%] 30,25 30,25 13 71 72,1 30,22 30,22 14 72 73 30,18 30,18 15 72 73 30,17 30,10 16 72 73 30,10 30,04 17 72 75 30,10 30,03 18 73 76 30,05 30,03 19 75 76 29,80 29,80 20 75 75 30,05 30,05 21 74 75 30,16 30,14 22 74 75 30,08 30,08 23 74 75 30,08 30,08 24 72 75 30,04 30,04 25 70/2 71 30,11 30,11 26 70 70 30,20 30,20 2 69 ue 70 30,20 30,20 « 69 0 30,22 30,23 29 69 59 30,30 30,32 30 68/.| 69 30,35 30,35 3r 68 69 30,30 30,25 Moy. | 71,66| 72,75] 30,131 | 30,119 ÉTAT DU CIEL, pluvieux. id. clair. id. id. id. pluvieux. id. id. douteux. nuageux. id. nuageux. id. clair. pluvieux. clair. douteux. pluvieux. id. clair. pluvieux. nuageux. id. 378 JOURS. ue — rm | © ui QUIF OR 1m Moy. BULLETIN SCIENTIFIQUE. THERMOMÈTRE DE FAHR. 3 b. du m. 12 b.ap.m. er 69 70 a | 7 70 6g | 71 4 de 179 le 1 7e 70 74, 1 5 7 Fs 73 73 73 73 73 73 71 71 71 74 72 72 71 72 et 7e 1, F 68 Le - 68/2 70 69 70 7e 72 70 | 75 7: 75 73 | 74 73 74 73 | 76 4 | 78 70,66 | 72,05 JUIN. BAROMÈTRE . EN POUCES ANGLAIS. ms, 8 h. du m. 2 h.ap. m. 30,20 30,20 30,20 30,22 30,20 30,20 30,16 30,16 30,20 30,20 30,30 30,30 30,33 30,30 30,23 30,16 30,10 30,05 30,00 30,00 30,00 36,10 30,25 30,25 30,27 30,28 30,30 30,35 30,35 30,38 30,38 30,38 30,40 30,35 30,32 30,28 30,20 30,16 30,1 30,1 a 30 16 30,10 39,10 30,10 30,10 30,16 30,10 30,0b 30,05 30,05 30,00 30,00 30,10 30,05 30,05 30,00 30,00 30,10 30,13 30,179 | 30,175 ÉTAT DU CIEL. clair. pluvieux. id. nuageux. douteux. pluvieux, id. id. pluvieux. clair. BULLETIN SCIENTIFIQUE. 379 JUILLET. THERMOMÈTRE BAROMÈTRE Ni ÉTAT na; DE FAHR, EN POUCES ANGLAIS. NAT R DÉÉCIELs 3h. du m.[2h.ap.m.) 8 b. du m. | 2 h.ap.m. I 73 75 30,13 30,10 nuageux. 2 74 75 30,10 30,10 clair. 3 75 75 30,10 30,10 id. 4 75 75 30,15 30,15 id. 5 73 À, 75 30,15 30,15 id. 6 73 74 30,20 30,20 id. l 73 rh 30,20 30,18 id. 72/1. 7428 30,15 30,10 id. 9 23 75 30,10 30,10 id. | 10 73 74 30,20 30,10 id. 11, 73 75 30,10 29,96 id. 12 73/1. 75 30,03 29,88 id. 13 73 75 30,11 30,15 id. 14 73 75 30,15 30,15 id. 15 74 76 30,12 30,12 id. 16 75 76 30,14 30,14 id. 7 74 76 30,14 30,10 id. 1 74 76 30,00 30,00 id. 19 75 76 30,05 30,00 id. 20 75 76 30,05 30,05 id. 21 74 76 30,05 30,02 id. 22 74 76 30,13 30,13 id. 2 74 76 30,07 30,07 id. 24 74/2) 76 30,10 30,15 id. 25 73 73 |: 30,35 30,35 pluvieux. 26 70 74 30,35 30,35 id. 27 69'.| 7o 30,30 30,30 id. 28 70 74 30,25 30,25 clair. 29 70 74 30,15 30,10 id. 30 72 74 30,10 30,10 id. 3x 73 73 30,10 30,05 id. Moy. 173,193 | 74,725] 30,139 30,122 380 BULLETIN SCIENTIFIQUE. ts enennn-manat en ZE AOUT. THERMOMÈTREÏ BAROMÈTRE DE FAHR. EN POUCES ANGLAIS. FIAT TU ui Wir: PL DU CIEL. 3 h. du m.la b.ap.m.) 8 h.du m. 2h. ap. m. L 73 5 30,05 29,90 nuageux. 2 73 a 74 30,09 tt ET 3 73 74 30,14 30,10 id. 4 71 72 30,10 30,10 pluvieux. 5 70 71 30,15 90,15 clair. 6 69 70 30,15 30,15 id. 7 69 70 30,18 30,18 id. ô 70 72 30,18 30,12 id. 9 71 73 30,15 30,17 nuageux. 10 72 74 30,20 30,20 clair. IT 73 75 30,20 30,18 id. 12 73 95 30,18 30,20 id. 10 74 75 30,20 30,23 id. 14 73 74 30,23 30,23 id. 15 73 75 30,23 30,17 id. 16 73 75 30,17 30,17 id. 17 73%/2:| 95% 30,70 30,00 id. 18 75 77 30,00 30,00 id. 19 75 77 30,12 30,05 id. 20 75 77 30,14 30,17 nuageux. 21 75 76 30,20 30,20 id. 22 73 74 30,25 30,25 pluvieux. 23 73 74 30,23 30,23 clair. 24 73 79 30,14 30,10 id. 25 74 76 30,05 30,05 id. 26 75 78 29,98 2905 id. 27 77 73/.| 29:92 29:99 nuageux. 28 70 70 30,08 30,10 pluvieux. 29 73 3 30,18 30,20 id. : 69 69 30,22 30,22 . id. I 638 68 30,24 30,24 id. Moy. {72,549 |73,903 | 30,162 30,129 BULLETIN SCIENTIFIQUE. : 381 SEPTEMBRE. THERMOMÈTRE BAROMÈTRE ÉTAT DE FAHR, EN POUCES ANGLAIS. “HET VAR Are NE rt DE DEC CIEL, 3h. dum.|2b.ap.m{ 8h.du.m. | 2h. ap.m. 1 66 36,22 . clair. 2 66 30,20 id. 3 67 30,05 id. 4 69 | 30,01 pluvieux. 5 ‘69 30,00 clair. 6 70 30,02 id. 7 70 30,06 id. è 71 30,00 id. 9 73 30,22 pluvieux. 10 70 VA 30,35 id. 11 69 30,30 nuageux. 12 69 30,20 clair. 13 70 30,16 id. 14 73 30,26 id. 15 74 30,27 pluvieux. 16 CL 30,32 id. I 7 69 30,32 clair. 10 6 30,32 nuageux. | 19 6 30,22 id. | 20 68”, 30,08 clair. 21 70 30,00 id. 22 70 30,05 id. 23 74 30,02 id. 24 74 | 30,06 id. - 25 ÿ: 30,08 pluvieux. 26 73 30,16 clair. 27 74 30,02 id. Re 74 30,00 nuageux. 29 7 30,10 id. 30 74 30,27 id. Moy.} 70 30,161 30,145 382 BULLETIN SCIENTIFIQUE. Il n’est pas sans intérêt de rapprocher ces observations, faites avec soin et avec d’excellens instrumens , de celles de Dorta, faites en 1785, pendant toute l'année et à quatre heures diffé- rentes, savoir: 10 h. du matin, midi, 4h.et 10 h. du soir’. La température moyenne des différens mois et de l’année entière, s'obtient aisément des observations de Dorta, en prenant la moyenne des heures homonymes 10 h. du matin et 10 h. du soir. Les observations de M. d'Oliveira, faites à des heures non homonymes, ne présentent pas le même avantage. Heureusement l’heure de 8 heures peut être considérée comme donnant une moyenne fort approximative de la moyenne réelle. Comparons ces deux sortes de moyennes , nous trouverons : TEMPÉRATURE MOYENNE. CR D'après Dorta. D’après Oliveira. Moyenne. Janvier 81,40 81,32 81,36 Février 79:95 82,00 81,975 Mars 76,20 78,919 77,559 Avril 76,60 75:25 75,92 Mai 71,65 71,66 71,655 Juin 68,65 70,66 69,655 Juillet 68,15 73,103 70,67 Août 72,40 72,549 72,474 Septembre 72,00 70,00 71,00 Octobre 73,65 Novembre 75,80 Décembre 78,05 Moyenne | 74,545 ( 230,63 C.) La moyenne des trois mois les plus froids ou plutôt les moins chauds (juin, juillet, août,) est, d'après les observa- tions de Dorta, de 69°,733 F. (20°,97 C.) ; d'après celles de M. d'Oliveira 72°,134 (22°, 29 C.) ; en moyenne 70°,933 (21°,63 C.) La moyenne annuelle est de 74°,545 (23°,63 C.) d'après les ? Mem. Acad. Lisbonne, 1, p. 307. Humb., voy. X, p. 428, en corri-— geant une faute d'impression qui s’est glissee dans la moyenne thermomelrique de 10 heures du malin VU, D NL "FES BULLETIN SCIENTIFIQUE. 383 anciennes observations. En combinant avec elles les observa- tions de M. d'Oliveira, on trouve 74°,90 (23°,83 C.}, ce qui s'obtient en prenant pour les mois de janvier à septembre les moyennes résultant des observations des deux années 1 785 et 1835, et pour les mois d'octobre à décembre les moyennes de 1785 seulement. On remarque, avec quelque surprise , dans les observations de M. d'Oliveira, le petit nombre de jours sereins, et la fréquence des jours pluvieux. Jours pluvieux Jours pluvieux en 1535. en 1835. Janvier..... 6 APN PERL ANT. A: 6 Février..... 3 TE ne 3 Mars....... 17 DREU ne Du Le CES 417 Rene: Septembre ...... 6 Maps. t: © D'après l'épithète pluvieux , je n'oserais pas affirmer qu'il a plu aussi souvent que l'observateur s’est servi de cette expres- sion , mais il est évident que le climat de Rio est humide. Le voisinage de l'océan doit produire d'autant mieux ce résultat que le Brésil s'avance, de Fernambouc à Rio, comme une sorte de promontoire, et que les montagnes voisines de la côte doivent condenser habituellement les vapeurs qui s'élèvent en abondance d’une mer toujours échauffée. La riche végétation de ce littoral est un résultat etune preuvede la fréquence des pluies. Quant aux observations barométriques, elles serviront peut- être à compléter ce qu'on sait des marées atmosphériques dans l'hémisphère austral , près du tropique , les heures n'étant pas les mêmes que celles où Dorta observait, Alph. D C. ; 31. — SUR LE FROID PRODUIT PAR L'ÉVAPORATION DANS LE VOISINAGE DES CASCADES, par Gustave BISCHOFF. (4nn. der Physik , etc., 1836. N° 2.) L'auteur a trouvé le 25 août les températures suivantes dans le voisinage de la cascade du Staubbach, qui tombe en formant un seul jet d’une hauteur de 800 pieds- 384 BULLETIN SCIENTIFIQUE. Air près de la cascade à 4 h. après midi, 6°,8R. Air devant l'auberge à 5 h. » 8°,8 Eau du Staubbach à 50 pas de lachute. ÿ° Eau de ruisseaux voisins descendant de la même hauteur , mais non en cascade. 8',9 ; 9°etx1°: Ainsi l’eau près de la cascade était de 2° R. plus froide qu’à y, de lieue de distance , quoique la dernière observation eût été faite une heure plus tard. De même l’eau du Staubback était de 2° à 4° plus froide après sa chute que celle de ruisseaux voisins, qui probablement avaient sur la montagne à très peu près la même température que le Staubbach. Ce froid produit par l'évaporation était d'autant plus remarquable , qu'il avait plu tout le jour , sauf pendant quelques instans, et en particu- lier peu de temps avant l'expérience , de sorte que l'air était presque saturé de vapeurs aqueuses. Au Giessbach, vers le lac de Brienz, l’état de la température n'était pas le même. La quantité d’eau précipitée y est beau- coup plus considérable, et la chute totale se divise en sept chutes partielles, dont la plus haute n’a guère plus de 50 pieds. Aussi l'évaporation y est-elle beaucoup moins considérable. La température du Giessbach au-dessous de la Schwand, sur le chemin du Faulhorn au lac de Brienz, était de 59,5 le 31 août. Après avoir coulé de là jusqu’à la seconde chute , à une lieue environ , sa température s'était élevée jusqu'à 7°,2. Au pied de la seconde chute elle était de 7°,5, et au pied de la sixième de 7°,6. La température de l’air loin des cascades était de 14°,6 à l'ombre , et de 18 au soleil. Au pied de la se- conde chute, à l'endroit où l’on peut passer entre elle et les rochers, elle était de g°,4. On voit combien est considérable le refroidissement produit sur l'air ambiant par l'eau tombante, et combien elle reprend peu de chaleur quand elle s’est refroi- die par l’évaporation. 32. — LETTRE SUR LA PHOSPHORESCENCE DU LAMPYRIS ITA- LCA, par M. M. CARRARA. D'après la description que donne l'auteur, lelampyreitalique diffère de nos vers luisans ordinaires (/ampyris noctiluca), en ce BULLETIN SCIENTIFIQUE. 385 que la femelle du premier est ailée ainsi que le mäle, que ce dernier est aussi phosphorescent ; et enfin que les deux der- niers segmens de l'abdomen sont lumineux dans le lampyre italique , tandis qu'il y en a trois dans nos vers luisans. La lu- mière des insectes d'Italie paraît aussi plus vive, plus azurée, plus inégale. Frappé de la ressemblance qu'il croit remarquer entre l’é- mission lumineuse du lampyre et celle du phosphore dans l'air, l’auteur n'hésite pas à admettre que c’est à une production de phosphore par les organes du lampyre , et à sa solution ou plutôt à sa suspension dans un liquide particulier de nature légè- rement acide (di natura un po” acido) sécrété par l'organe lumineux , qu'est dù le phénomène. Il annonce ensuite avoir trouvé un appareil aérifère particulier au lampyre italique , et qui consiste en un sac celluleux plein d'air, et allant de la bouche à l'abdomen, et mettant ainsi en contact la matière phosphorescenteavecl’'atmosphère, d’une manière indépendante des organes respiratoires qui , comme l’on sait, sont les stig- males silués sur les deux côtés de l'animal. Cet air, mis en mouvement à la volonté de l’insecte , produirait une plus ou moins vive combustion du phosphore. Cet appareil manque dans les autres lampyres luisans, et c'est pourquoi, dit l’auteur, leur lumière n’est pas scintillante , mais immobile et terne. Le reste de l’opuscule est destiné à établir l’analogie que l’auteur trouve dans les phénomènes de la phosphorescence des lam< pyres et la combustion lente du phosphore. Il discute à ce sujet les expériences de Spallanzani, de Carradori et de Grothus. | Nous avons été surpris que l’auteur ne fit aucune mention et ne parût pas avoir connaissance d'un mémoire publié par nous en 1821 sur la phosphorescence des lampyres, et qui a été imprimé dans plusieurs journaux scientifiques français et étrangers. Nos observations n'avaient pu porter, il est vrai, et à notre très grand regret, sur le lampyre italique, mais seulement sur les lampyris noctiluca et splendidula qui habi- tent nos climats. Néanmoins elles sont, nous le croyons , de nature à jeter da jour sur la question. Sans fatiguer nos lecteurs par une répétition de nos 386 BULLETIN SCIENTIFIQUE. expériences , nous rappellerons qu'elles prouvaient que la phosphorescence des lampyres augmentée où manifestée par une chaleur de 22 à 33° R., cesse tout à fait pour ne plus se reproduire entre 46 et 5o°. Or si la cause en était la com- bustion, du phosphore ne serait-elle pas plus vive encore lorsque la température augmenterait? Comment accorder avec cette hypothèse l'influence évidente de la volonté de l’animal sur sa phosphorescence , au moins pour les lampyres qui n’ont pas le sac aérifère dont parle M. C.? et si cette communication directe avec l'atmosphère est nécessaire à la combustion du phosphore , comment manque-t-elle dans les autres insectes luisans? Comment expliquer l’action de la pile que nous avons montré exciter toujours la phosphorescence, indépendamment de la volonté de l'animal et même après qu'il avait été décapité ; ou la matière lumineuse isolée? Quant à la matière lumineuse, nous avons établi qu’elle se coagule et s'éteint dans l'alcool, q O ? dans les acides , par la chaleur , dans les sels de cuivre, le bi- chlorure de mercure , etc. ; qu'elle n’était soluble dans l'huile ni à chaud, ni à froid (le phosphore, on le sait, y est soluble); qu'elle avait, en un mot, toutes les propriétés de l'albumine dans un état de demi-transparence , et que la lumière cessait dès que cette albumine coagulée devenait opaque. Nous n’y avons , il est vrai, pas cherché du phosphore ; mais il nous semble que c'était par la démonstration de l'existence réelle de cette substance dans la matière lumineuse du lampyre italique , que l’auteur aurait seulement pu déterminer les con- victions. Les mêmes procédés chimiques qui ont fait découvrir le phosphore libre dans le cerveau, dans la laitance des carpes seraient applicables ici, et la science fournit aujourd'hui des réactifs assez sensibles pour que des quantités fort petites de matières donnent des résultats sur lesquels on peut compter. Au reste les matières animales connues jusqu'ici pour contenir le phosphore libre ne sont nullement phosphorescentes. I. M. oui, honte RE BULLETIN SCIENTIFIQUE. 387 33. — EXTRAIT D'UNE LETTRE DE M. JOSEPH ZAMBONI À M. À. FUSINIERI , SUR LA THÉORIE ÉLECTRO-CHIMIQUE DES PILES VOLTAÏQUES. ( {nn. delle Scienze , janv. et fév. 1836.) M. Zamboni cherche à démontrer que la théorie de Volta , sur l'électricité de contact , peut seule étre admise dans l’ex- plication de la pile. Il cite , à l'appui de son opinion, quelques faits dont nous ne contestons point l'exactitude, mais qui nous semblent toutefois beaucoup plus favorables à la théorie chimique qu'à la théorie du contact, comme nous allons le faire voir. Quant aux raisonnemens par lesquels l’auteur cherche à soutenir l'hypothèse de Volta , ils nous paraissent reposer sur une idée peu exacte et bien incomplète qu'il se fait de la théorie chimique. Par exemple , il donne comme preuve que l’action chimique n’est pas nécessaire au développement de l'électricité voltaïque, le fait qu'une pile , composée de couples or et plomb, plongés dans l'acide nitrique , dégage beaucoup d'électricité, quoique l’action de cet acide sur l'or soit nulle et qu'elle soit presque nulle sur le plomb. Or, l’on sait qu'il suflit qu'il y ait une action chimique , quelque faible qu'elle soit, pour qu'il y ait développement d'électricité, et que ce ne sont pas les actions les plus vives qui donnent toujours naissance au dégagement d'électricité le plus fort. Celle de l'acide nitrique sur le plomb est d'ailleurs bien loin d'être presque nulle, et, en supposant même qu'elle fût très faible, elle sufhrait pour expliquer la production de l’élec- tricité observée. Les signes électriques que donne un couple or et platine dans l'acide nitrique paraissent encore à l'auteur un argument puissant contre la théorie chimique , comme s'il suffisait d'avoir de l'or et du platine dans de l'acide nitrique pour qu'il n'y ait pas d'action chimique ; tandis que ce n’est qu'avec la plus grande difficuké , et en prenant ces substances dans l’état de pureté le plus parfait, qu'on parvient à se mettre à l'abri de toute action chimique. Mais venons aux faits nouveaux avancés par M. Zamboni comme contraires à la théorie chimique et favorables à celle du contact. Le plus important, celui auquel tous les autres 388 BULLETIN SCIENTIFIQUE. peuvent être ramenés , consiste à interposer entre le cuivre et - l'étain de chacun des couples d'une pile , une petite feuille de papier dont l'humidité naturelle sert de conducteur. De cette façon, il n'y a aucun contact métallique entre le cuivre et l'étain, car chaque métal est séparé de l’autre, d’une part par la feuille de papier , d'autre part par l’eau acidulée dont la pile est chargée. La tension de l'appareil est réduite, par l’interposi- tion de la feuille de papier, au tiers de ce qu’elle était quand les métaux se trouvaient être métalliquement en contact. L'auteur en conclut que ce contact est la source la plus puissante de l'électricité voltaique , et que l’action des li- quides sur les métaux ne joue qu'un rôle secondaire. Il croit trouver aussi dans la nature de l'électricité dont se chargent les deux pôles de la pile une objection contre la théorie chi- mique, que nous n'avons pas comprise , car cetle électricité est bien telle qu’elle doit résulter d’une action plus vive exercée par l’eau acidulée sur l'étain que sur le cuivre. L'expérience que nous venons de rapporter a beaucoup de rapports avec une expérience de Marianini, sauf cette seule dif- férence qu'au lieu de papier ce dernier physicien plaçait de l'eau pure entre les deux métaux du même couple, les couples eux-mêmes plongeant dans de l'eau acidulée, Du reste, l'explication qu’on peut en donner dans la théorie chimique est la même pour toutes les deux, et elle découle facilement des principes de cette théorie. On sait que, dans cette théorie, on peut regarder le métal le plus attaqué comme étant seul attaqué avec une énergie proportionnelle à la différence des actions chimiques exercées sur les deux métaux, et qu'on peut alors regarder l’autre métal comme n'étant pas attaqué. En conséquence l'étain, dans l'expérience citée par M. Zamboni, est attaqué par l’eau acidulée ; il est aussi attaqué , mais beaucoup plus faiblement, par l'humidité du papier; mais, cette action est si faible, par rapport à la première, qu'il n'est pas nécessaire d'en tenir compte. Dans l’action que l’eau acidulée exerce sur l’étain l'électricité positive est poussée dans le liquide, la négative : dans le métal ; c’est ce qui a lieu pour chacune des plaques de la pile. L’électricité négative , restée dans la plaque d’étain, peut tre de min 2 on — À d BULLETIN SCIENTIFIQUE. 389 ou se combiner avec la positive du liquide dans lequel elle plonge , ou avec la positive du liquide dans lequel plonge la lame de cuivre avec laquelle elle est unie. Si toute l'électricité éprouve la recomposition immédiate , la pile ne donnera aucun signe électrique ; elle en donnera , au contraire, d'autant plus forts que la proportion d'électricité qui éprouvera la recompo- sition immédiate sera moindre. Or, lorsque l'étain est réuni métalliquement avec le cuivre, son électricité négative peut très facilement passer dans ce cuivre, et de là dans le liquide pour se combiner avec l'électricité positive dont il est chargé. Si, au contraire , l’étain est séparé du cuivre par un conduc- teur imparfait, tel qu'un morceau de papier ou de l'eau pure, l'électricité négative de cet étain ne pouvant que difficilement passer dans le cuivre , et, par conséquent , dans le liquide où il plonge, la plus grande proportion de cette électricité se combine directement avec l'électricité positive du liquide dont l'action l'a dégagée , et une faible partie seulement pénètre dans le cuivre , et de là dans le liquide où il plonge ainsi que la plaque d'étain suivante. Or c’est cette dernière électricité dont l’action peut seule se manifester dans la pile, et il est facile maintenant de comprendre pourquoi elle est beaucoup plus faible quand, au lieu d'être réunie métalliquement ou par de très bons conducteurs , les deux métaux de chaque couple ne sont réunis que par des conducteurs imparfaits. Le contact métallique , ainsi que nous l'avons souvent fait remarquer, peut très bien être une condition nécessaire au développement de l'électricité par la pile, sans être la cause de ce développement. Or, l'expérience de M. Zamboni prouve simplement qu’il est une condition favorable, ce qui s'explique très bien dans la théorie chimique. L'auteur rapporte encore quelques expériences non moins faciles à concilier avec la, théorie chimique. Ainsi, en sub- stituant de l’eau pure à l’eau acidulée dans la première expé- rience que nous avons citée, et en laissant toujours le papier entre le cuivre et l'étain de chaque couple , il trouve que les deux pôles de la pile accusent une électricité contraire à celle qu'ils indiquaient auparavant. Cela vient de ce que, dans ce cas, l'action oxidante de l'humidité naturelle du papier sur 390 BULLETIN SCIENTIFIQUE. l'étain est plus vive que celle de l'eau pure, ce qui est tout à fait d'accord avec le fait bien connu que les métaux s’oxident plus facilement dans l'air humide que dans l’eau parfaitement pure. A l'appui de cette explication , nous citerons encore un fait observé par M. Zamboni lui-même , et qu'il énonce comme une autre objection contre la théorie chimique. Ce fait, c'est qu'une pile, montée comme nous venons de l'indiquer, donne des signes électriques beaucoup plus faibles qu'une pile semblable, dans laquelle on a supprimé l’eau et établi un contact métal- lique entre le cuivre et l’étain , en laissant seulement la feuille de papier entre l’étain et le cuivre de deux couples consécutifs. Ceue expérience prouve que, dans le cas précédent, c’est bien l’action chimique du papier humide sur l’étain , qui est la cause du développement de l'électricité, mais que ; lorsque les métaux , au lieu d’être en contact métallique sont séparés par un conducteur aussi imparfait que l’eau , les électricités accumulées aux deux pôles doivent avoir une tension bien moindre , ainsi que nous l'avons expliqué dans l'analyse que nous avons faite de la première expérience. Nous ne pouvons , en lerminant , nous empêcher de remar- quer que les partisans de la théorie du contact ne tiennent pas assez compte des faibles actions chimiques , et qu'ils croient trop facilement que , parce qu'une action chimique n’est pas vive et instantanée , elle n'existe pas. Quant à nous, nous sommes persuadés, au contraire, et nous pourrions, au besoin , en donner plus d’une preuve , que rien n’est plus difficile que de préserver les métaux de toute action chimique, et que le nombre des cas dans lesquels on peut affirmer qu'un métal n’'éprouve pas la moindre action chimique est exces- sivement restreint. Il est vrai que cette action peut être si faible que les résultats n’en deviennent sensibles qu’au bout d'un temps plus ou moins long , mais on ne doit pas oublier non plus que l'électricité qu’elle dégage est alors extrêmement faible, qu'un certain temps aussi (comme dans les piles sèches) est souvent nécessaire pour qu'elle devienne sensible , et qu'il faut, dans la plupart des cas , recourir à des instrumens très délicats pour réussir à la percevoir. | A. D. L. R. NU ST PAT TS BULLETIN SCIENTIFIQUE. 391 CHIMIE. 34. — EXPÉRIENCES SUR LA TRANSMISSION DES RAYONS CHIMI- QUES DU SPECTRE SOLAIRE A TRAVERS DIFFÉRENS MILIEUX , par Mme SOMMERVILLE. ( Comptes rendus de l’ Acad. des $c., séance du 17 oct.) La notice qui suit est extraite d'une lettre de Mme Sommer- ville à M. Arago. Le savant secrétaire perpétuel de l'Académie des Sciences, en la communiquant à cette Académie, l'a accom- pagnée de quelques explications que nous nous empressons de reproduire. Elles serviront à montrer tout l'intérêt que doivent inspirer les recherches de Mme Sommerville , et à en faire res- sortir l'importance , en les considérant surtout dans leurs rap- ports avec les recherches analogues de M. Melloni sur la transmission des rayons de chaleur. Voici la note que M. Arago a ajoutée à l'extrait de la lettre de Mve Sommerville. « Dans le compte rendu de la séance du 21 décembre 1835, on lisait : « Après avoir fait ressortir ce qu'il y a de capital dans l’ex- périence à l’aide de laquelle M. Melloni prouve que les rayons solaires peuvent , en conservant toutes leurs propriétés lumi- neuses , perdre, au contraire , toutes leurs facultés calorifiques, M. Arago remarque qu'il y a un autre point de vue sous lequel la question pourrait être envisagée. Suivant lui , il serait im- portant de rechercher si les procédés employés par M. Melloni, ou si des moyens analogues ; ne conduiraient pas à priver aussi les rayons solaires de leurs facultés chimiques ; si, en un mot, des trois propriétés que possède la lumière quand elle nous arrive du soleil : 1° celle d'éclairer; 2° celle d'échaufler; 3° celle de détruire ou de déterminer des combinaisons chimi- ques, on ne pourrait pas lui enlever les deux dernières , et ne lui conserver que la propriété éclairante. « Cette expérience , ajoute M. Arago, me semble devoir conduire à des conséquences curieuses , et j'ai presque cédé, 392 BULLETIN SCIENTIFIQUE la semaine dernière , à la tentation de la faire. Mais comme il serait possible que M. Melloni y eüt aussi pensé , quoiqu'il n’en parle pas dans son Mémoire, il m'a paru que je ne devais donner aucune suite à mon projet avant d’avoir consulté le savant physicien italien. «Les motifs que j'avais en 1835, a ditaujourd’hai M. Arago, pour ne pas devancer M. Melloni dans une recherche qui se lie si directement à ses belles découvertes, subsistent encore. Je m’abstiendrai donc de faire mention de quelques résultats auxquels je suis arrivé sur l'absorption ou l'interception des rayons chimiques. Chacun comprendra que Ja même réserve ne pouvait être commandée à Mme Sommerville. Je ne vois donc point de raison pour refuser aux intéressantes expériences d'une personne si éminemment distinguée , toute la publicité des séances de l’Académie et du Compte Rendu.» Nous passons maintenant à la notice même des expériences de Mme Sommerville. | « Je me suis servi pour ces expériences, dit Mme de Som- merville, dans sa lettre à M. Arago, de chlorure d’argent d'une pureté et d’une blancheur parfaites, que M. Faradaÿ avait eu la complaisance de préparer pour moi. Il était à l’état liquide et pouvait s'étendre très uniformément sur le papier. Quoique celte substance soit très sensible à l'action des rayons chimiques , comme on n’a pas de moyen précis pour mesurer les changemens de couleur dus à cette action , il peut y avoir dans les résultats de l'incertitude , quand il s’agit de comparer entre elles des teintes qui ne diffèrent que très peu ; mais les résultats que je présenterai ici seront choisis parmi ceux qui ne laissent lieu à aucun doute. | «Un morceau de verre, d’un vert très pâle , parfaitement transparent et ayant moins de y, de pouce d'épaisseur, n'a laissé passer aucun rayon chimique ; après une demi-heure d'exposition à un soleil très chaud, le chlorure d'argent placé derrière le verre, n'offrait aucun changement de couleur. « J'ai répété cette expérience sur diflérens verres de cou- leur verte, mais de teintes et d’épaisseurs différentes, je les ai toujours trouvés à peu près imperméables aux rayons chimi- ques, même quand ils étaient soumis beaucoup plus long- LÉ ts né des ph SMS a, BULLETIN SCIENTIFIQUE. 393 temps à l'influence solaire. Comme M. Melloni a déjà trouvé que les verres de cette couleur arrêtent les rayons calorifiques les plus réfrangibles , en rapprochant ses résultats des miens, on est conduit à conclure que ces verres ont la propriété d'intercepter en totalité la partie la plus réfrangible du spectre solaire. « Des lames de mica vert foncé sont aussi à peu près imper- méables aux rayons chimiques ; cependant quand elles sont très minces et que l’action solaire est très prolongée , on voit qu'elles n’arrêtent pas complétement les rayons. J'ai fixé avec de la cire molle, sur un carré de papier enduit de chlorure d'argent , une lame de mica vert pâle du Vésuve, dont l'épais- seur n'excédait pas #0 de pouce , et j'ai exposé le tout aux rayons d'un soleil chaud ; au bout de ce temps, la lame de mica ayant été enlevée, j'ai trouvé que la portion du papier qu'elle recouvrait n’avait rien perdu de sa blancheur, tandis que tout le reste était devenu d’un brun foncé. « La même expérience a été faite avec des lames minces de mica blanc : six lames de mica blanc commun superposées n'ont point intercepté les rayons chimiques ; le chlorure d’ar- gent qu'elles recouvraient , au bout d’une heure d'exposition au soleil, est devenu d’un brun foncé. Le même résultat a été obtenu avec une plaque unique , mais beaucoup plus épaisse de mica blanc. Cette substance paraît n'apporter presque aucun obstacle à la transmission des rayons calorifiques. «Ces expériences m'avaient d’abord portée à croire que toutes les substances vertes possédaient la même propriété, mais je ne tardai pas à reconnaître que je m'étais trop pressée d'en généraliser les résultats ; en effet, ayant soumis aux mémes épreuves une grande émeraude dont le vert était très beau, sans cependant être foncé , et dont l'épaisseur élait au moins de 0,35 de pouce, elle transmit sans difficulté les rayons chi- miques ; ainsi la matière qui colore en vert l'émeraude, n'agit point sur les rayons chimiques , tandis que celle qui donne la même couleur au verre et au mica , exerce sur ces rayons une action très marquée. « Le sel gemme, comme on avait lieu de le supposer, pos- sède à un très haut degré la propriété de transmettre les Y 25 394 BULLETIN SCIENTIFIQUE. rayons chimiques. Le verre violet, coloré avec le manganèse , et le verre bleu foncé comme celui des bols dans lesquels on se lave les doigts à table , transmettent aussi très rapidement ces rayons. L’altération du chlorure d'argent sous l’action solaire se fait très promptement malgré l’interposition d’une plaque de verre bleu , de la teinte la plus foncée , et épaisse de près d’un quart de pouce. « Parmi les différentes substances que j'ai soumises à ces expériences , le sel gemme, les verres blanc, bleu et violet, sont celles qui m'ont présenté le maximum de perméabilité aux rayons chimiques ; tandis que le verre et le mica verts m'en ont offert le minimum. D’autres corps présentent cette propriété à des degrés intermédiaires , et. qui peuvent varier de l’un à l’autre, quoique la couleur soit à peu près la même; ainsi, le verre rouge foncé ne laisse passer que très peu de rayons chimiques, tandis que le grenat, également rouge foncé , les laisse passer presque en totalité. La topaze blanche ainsi que la bleue, le béril bleu pâle, la cyanite, le spath pesant , l’améthyste et diverses autres substances transmettent avec beaucoup de facilité les rayons chimiques ; mais le béril jaune n’en transmet pour ainsi dire point, et la tourmaline brune , comme la tourmaline verte, ont si peu de perméabilité, que j'ai échoué dans les différens essais que j'ai faits pour polariser les rayons en question , quoique je pense que la chose ne serait pas absolument impossible si l’on avait des plaques plus minces que celles que j'ai pu employer. Au reste, je me propose de reprendre sous peu ces expé- riences. » 35.— SUR L'ACIDE CARBONIQUE, par M. THILORIER. ( Comptes rendus de l Acad. des Sc., séance du 3 oct. 1836.) Il n’est aucun amateur des sciences physiques qui n'ait suivi avec le plus vif intérêt les expériences de M. Thilorier sur la liquéfaction de l'acide carbonique. Témoin nous- même, en juillet 1834, des premiers résultats obtenus par cet habile expérimentateur , nous vimes déjà un froid Sante st BULLETIN SCIENTIFIQUE. 395 de — 70° centig. , produit par l'expansion qu'éprouvait à sa sortie un jet d'acide carbonique liquéfié. Nous vimes aussi, à celle époque, ce même jet déterminer, en sortant dans une chambre dont la température était d'au moins 25°, la congélation immédiate des vapeurs aqueuses répandues dans l'air, qui tombaient sous forme de flocons de neige. Il ne serait pas impossible que ces flocons continssent un peu d'acide carbonique solide ; les expériences dont on va lire le détail pourraient du moins le faire présumer. «J'ai l'honneur d'annoncer à l'Académie, dit M.Tbilorier, que je viens de terminer un second Mémoire sur l'acide carbonique liquide dans lequel, après avoir examiné successivement les di- verses propriétés de ce corps, sa pesanteur spécifique si variable que de o° à+30°C., elle parcourt successivement toute l'échelle des densités , depuis celle de l’eau jusqu'à celle des éthers, sa dilatabilité quatre fois plus grande que celle de l'air lui-même, la pression et le poids de sa vapeur, sa capillarité et surtout sa compressibilité mille fois plus grande que celle de l'eau , je suis conduit à déterminer d'une manière rigoureuse la loi uni- forme et constante à laquelle se rattachent des phénomènes qui , au premier aperçu , semblent tout à fait indépendans l’un de l’autre. «L'Académie apprendra sans doute avec intérêt , qu’à l’aide d’un appareil fort simple , je suis parvenu à produire instan- tanément et avec économie, des masses d'acide carbonique solide de 15 à 20 grammes, et dont la chimie expérimentale peut retirer quelque utilité. « Les premières expériences sur le froid, dont j'ai déjà entre- tenu l'Académie , se faisaient en dirigeant un jet d'acide carbo- nique liquide, soit sur la boule d’un thermomètre , soit sur des tubes renfermant les diverses substances sur lesquelles on essayait l’action du froid. Cette méthode avait l'inconvénient de faire perdre une grande quantité de liquide et de laisser quelque incertitude sur le maximum de froid produit. La facilité et l'abondance avec laquelle j'obtiens aujourd’hui l'acide carbonique solide m'ont fourni un mode d’expérimen- tation qui est bien préférable. « La boule d'un thermomètre ayant été introduite dans le 396 BULLETIN SCIENTIFIQUE. centre d'une petite masse d'acide carbonique solide , au bout de une ou deux minutes , l'index thermométrique est devenu stationnaire el a marqué — 90°. « Quelques gouttes d’éther ou d’alcool, versées sur la masse solide , ne déterminent aucune modification appréciable en plus ou en moins dans la température. « L’éther forme un mélange à moitié liquide et de la consis- tance de la neige fondue ; mais l'alcool , en s'unissant à l'acide carbonique solide, se congèle et produit une glace dure et brillante et d'une demi-transparence. Cette congélation de l'alcool anhydre n’a lieu qu’à son état de mélange. Placé isolé- ment et dans un tube d'argent, au milieu d’une masse d'acide carbonique solide, l'alcool n’éprouve aucun changement d'état. Le mélange d'alcool et d'acide carbonique solide commence à se fondre à — 85°, et, à partir de ce point, la température ne varie plus. On peut obtenir ainsi dans cette extrême limite un terme aussi fixe que celui qui est donné par la glace fondante. « Si, après avoir formé une petite coupelle d’acide carbo- nique solide , on y verse 10 à 12 grammes de mercure, on le voit se congeler en peu de secondes, et persister dans son nouvel état tant qu’il reste un atome d'acide carbonique solide, c'est-à-dire pendant 20 ou 30 minutes , lorsque le poids de la coupelle est de 8 à 10 grammes. «Je viens de dire que l'addition de l’éther ou de l'alcool n'aug- mentait pas le degré réel du froid ; mais, en donnant à l’acide carbonique solide la propriété de mouiller les corps et d’adhérer plus intimement à leurs surfaces, ces substances augmentent beaucoup les effets frigorifiques.Un volume d'acide carbonique solide , sur lequel on verse quelques gouttes d’éther on d'al- cool devient capable de congeler quinze à vingt fois son poids de mercure. La promptitude avec laquelle s'opère la solidifi- cation du mercure, la masse sur laquelle on agit et qui peut facilement dépasser un quart de kilogramme, et la persistance de ce changement d'état qui se maintient aussi longtemps qu'on le désire avec la seule précaution de placer le culot métallique sur une couche d'acide carbonique solide, me donne lieu de croire que ce moyen de solidification du mer- BULLETIN SCIENTIFIQUE. 397 cure sera désormais substitué à tous ceux qui ont été mis en usage jusqu'ici. » Il est à regretter que, dans sa notice , M. Thilorier n'indique pas le procédé au moyen duquel il obtient la solidification de l'acide carbonique. Il est probable qu'il ne tardera pas à publier la description de son appareil. Du reste , nous devons recevoir dans peu de jours, à Genève, un de ces appareils que M. Thilorier a bien voulu nous remettre, et nous nous empresserons de communiquer à nos lecteurs les résultats des expériences que nous tenterons sur ce sujet intéressant , si, du moins, elles nous conduisent à la découverte de quelques faits nouveaux. A. D. L.R. 36, — SUR LA MANIÈRE DONT LE FER SE COMPORTE A L'ÉGARD. DE L'OXIGÈNE, par le D' C. ScHôNBEIN , Proft de chimie à Bâle. (_Ærticle communiqué par l'auteur.) Le fait inséré dans le cahier de juin de la Bibliothèque Uni- verselle, que le fer fonctionnant comme pôle positif d’une pile voltaïque , ne se combine pas dans certaines circonstances avec l'oxigène développé à sa surface, mais qu’il reste compléte- ment indifférent à l'action de ce gaz, ce fait est trop impor- tant sous le rapport scientifique , il est trop remarquable par son caractère anormal, pour qu’il n'engage pas à de nouvelles recherches et à un examen plus approfondi d'un sujet aussi compliqué et aussi obscur. Quoique les expériences que M: S. a faites tout récemment ne l’aient pas encore fait parvenir à la solution de l'énigme, elles lui ont cependant fourni quelques résultats qui lui parais- sent propres à conduire à des idées plus exactes relativement à ce phénomène. Au reste, il est loin de penser que ses forces suffisent pour éclairer complétement un sujet qui touche aux questions les plus délicates de la théorie électro-chimique, et qui, selon toute vraisemblance, amènera des modifications essentielles dans les principes fondamentaux de cette partie de la science , qu'on avait regardés jusqu'à ce moment comme solidement établis. 398 BULLETIN SCIENTIFIQUE. Il résulte des observations que l’auteur a rapportées dans son dernier Mémoire , que l'apparition à l’état libre de l'oxi- gène sur le fer positif, dans certaines solutions aqueuses, dépend de la manière dont la pile est fermée, tandis que dans une solution de potasse, par exemple, le phénomène a lieu quelle que soit la manière dont on ferme la pile, et qu'au contraire il n’a lieu en aucun cas si la solution qui est soumise à la décomposition renferme des acides hydrogénés ou des acides en dissolution. M. S. croit pouvoir déduire des nombreuses expériences qu'il a faites avec le fer, dans les solutions les plus diverses, les principes suivans, relatifs à la manière dont le fer, qui rem- plit les fonctions de pôle positif, se comporte avec l’oxigène que l’action électrique a développé sur sa surface. 1. Dans toute solution d'une combinaison d’oxigène qui, par elle-même, exerce déjà sur le fer une action chimique sen- sible, telle que les acides, l'oxigène ne se développe sur ce métal que dans Le cas où c'est en le plongeant qu'on complète le circuit. Le phénomène normal reparaît dès qu'on ferme la pile autrement. 2. Dans toute solution d’une combinaison d’oxigène , qui, à la température ordinaire , n’exerce pas sur le fer une action chimique sensible (solution des alcalis et des sels entièrement neutres), l'oxigène se développe sur ce métal d'une manière tout à fait indépendante du mode dont on a fermé la pile. 3. Dans toute solution d’une combinaison électrolytique d'oxigène, dont l'élément (soi-disant) passif possède une grande affinité chimique pour le fer (les acides hydrogénés, les sels haloïdes, les sulfures métalliques), l’oxigène ne se développe dans aucun cas sur ce métal. L'influence, que la nature chimique de la solution et le mode dont la pile est fermée exercent sur la manière dont le fer se comporte avec l'oxigène, est un fait d'un intérêt scientifique si grand, qu'il ne saurait manquer d'étendre nos connaissances sur la nature de l’affinité chimique. Il nous fournit ce résultat remarquable , que le fer-positif ne laisse jamais l'oxigène se dégager à l’état libre à sa surface, si l'action électrique sur le métal a été précédée immédiatement d'une action chimique, ou BULLETIN SCIENTIFIQUE. 399 si l’affinité d'un autre élément que l'oxigène, pour le fer, vient à agir simultanément avec l’action électrique. Si, par exemple, on a de l'acide nitrique pour liquide à décomposer, qu'on y plonge le fil de fer positif, et qu'on ferme ensuite la pile avec le pôle négatif, ce phénomène à lieu à l’état normal, c'est-à-dire, l'oxigène rendu libre dans l’eau par l’action élec- trique se combine avec le fer, et il se forme un nitrate par l'action chimique ordinaire de l’acide. Mais , dans cette manière de fermer la pile, l'action électrique est évidemment précédée d’une action chimique ordinaire sur le fer , et c’est cette action chimique préalable seule qui dispose le fer de telle manière, que le courant électrique qui le traverse ensuite ne peut plus y produire l'état d'indifférence. En d’autres termes, quand une fois l'activité chimique a été excitée dans le fer, que son oxidation a commencé, elle ne peut plus être inter- rompae par cette espèce de courant électrique ordinaire qui, s’il agissait seul, ferait cesser l’afinité du fer par l’oxigène. On obtient un résultat tout à fait semblable, si, avant de faire remplir la fonction de pôle positif à un fil de fer ordinaire , on le plonge dans une solution acide quelconque, par exemple, dans de l'acide nitrique étendu ou dans de l'acide sulfurique. De quelque manière qu’on ferme la pile avec un fil ainsi pré- paré, pourvu cependant que l’extrémité qui a été plongée dans l’acide soit mise ensuite elle-même dans le liquide à dé- composer, ilne se développe point d’oxigène à sa surface. Mais un fait extrêmement bizarre, et que l’auteur ne peut encore nullement expliquer, est celui qu’il a déjà fait connaître, savoir, qu’il suffit de retirer pour quelques instans le fil de fer de la solution acide très étendue , poar le voir dégager de l’oxigène quand on l'y replonge. La loi énoncée au 2° montre d’ailleurs combien la circonstance qu'une action chimique sur le fer ait ou n’ait pas eu préalable- ment lieu, a une importance décisive relativement au résultat électro-chimique. La solution d’un alcali ou d’un sel entièrement neutre, du salpêtre, par exemple, n’exerce sur le fer aucune ac tion chimique, ce qui explique pourquoi précisément, quand on emploie des liquides de ce genre, l'action de l'oxigène ne dépend point du tout de la manière dont on ferme la pile. La preuve, en 400 BULLETIN : SCIENTIFIQUE. effet, que c’est bien l'absence d'action chimique sur le fer de la part des solutions alcalines ou des sels neutres , qui fait que le dégagement de l’oxigène a lieu , quelle que soit la manière dont on ferme la pile, nous est fournie de la manière la plus complète par l'expérience suivante. On met d'abord au fond d’un vase une solution de potasse un peu concentrée , sur laquelle on verse de l'acide nitrique très étendu , en faisant en sorte que les deux liquides ne se mélangent pas ; on introduit ensuite dans le liquide le pôle. négatif de la pile (consistant en un fil de platine) ; enfin l'on y plonge l’une des extrémités d’un fil de fer ordinaire , à une assez grande profondeur, pour qu’elle pénètre jusque dans la solution de potasse , et l'on ferme la pile avec l’autre extrémité de ce fil. Dans cet état de choses, il ne se dégage point du tout d'oxigène ; il se forme, sur la partie du fil qui plonge dans la couche de la solution nitreuse, un nitrate de fer, qui, en se précipitant, est décomposé par la solution de potasse, tandis que la partie du fil, qui se trouve dans cette dernière, s’oxide. Mais si on commence par unir une des extrémités du fil de fer au pôle positif de la pile, et qu'on en plonge ensuite l'extrémité libre dans le liquide, à une profondeur assez grande pour qu’elle atteigne la solution de potasse , l’oxigène, ainsi qu'on doit s’y attendre , se dégage sur le fer dans les deux couches , et il ne se forme pas une trace de nitrate de fer dans la couche supérieure ; ce qu’on reconnait facilement à la trans- parence qu'elle conserve. Dans la première manière de fermer la pile , l'extrémité libre du fil est attaquée chimiquement par la couche acide supérieure, avant que l’action électrique commence ; ce qui ne peut avoir lieu dans la seconde : de là vient la différence des résultats dans les deux cas. La loi énoncée dans le 3° fait voir que si le liquide qu'on décompose renferme, outre un composé où entre de l'oxi- gène, tel que de l’eau, une autre composition électrolytique, l'élément négatif que cette dernière dégage, et qui se déve- loppe sur le fer, empêche ce métal de passer à l’état d’indiffé- rence que le courant électrique tend à lui imprimer, uniquement encore par la raison que cet élément négatif dispose le fil de maté Cdt. ne éte és n — | BULLETIN SCIENTIFIQUE. 401 fer à éprouver l’action chimique dans le méme moment où l'oxigène est dégagé de l’eau. On reconnaît de plus, que l’état d'indifférence chimique du fer a lieu seulement à l'égard de l'oxigène , et non à l'égard d'aucun autre élément négatif. L'auteur s’en est convaincu d’ailleurs par la voie directe de l'expérience , en mettant en contact un fil de fer rendu indiffé- rent, avec du chlore, de la vapeur de brôme, de l'acide hydrochlorique étendu d’eau, etc. Le fil a toujours été attaqué, et s’est toujours ensuite montré actif, soît à l'égard de l'oxigène dégagé de l'eau par la pile, soit à l'égard de l'oxigène de l'acide nitrique. Autant il est impossible maintenant , de produire dans le fer une indifférence chimique envers un autre élément que l'oxigène, autant il l’est, dans d'autres métaux, d’en produire une par les moyens mentionnés plus haut à l'égard d’un élément quelconque qui peut former une combinaison électrolytique. Le nickeletle cobaltsont les seuls avec lesquels l’auteur n'ait pas encore fait d'expérience. La relation, unique dans son genre, qui unit ces deux métaux l’un avec l’autre, nous les fait apparaître comme les corps les plus énigmatiques connus , et elle suppose entre eux des rapports qui doivent exciter au plus haut degré la curiosité scientifique, et engager à les étudier attentivement. Dans son dernier Mémoire , M. S. , entre autres faits, avait mentionné celui-ci, savoir, qu'un fil de fer non-seulement se montre indifférent envers l'oxigène pendant qu'il est traversé par un courant électrique , mais que cet état d'inactivité chi- mique continue encore après la cessation du courant. Ce fait semble prouver que l'indifférence chimique du fer est indépen- dante du courant électrique, c’est-à-dire qu'elle n’est pas, avec l'électricité, dans un rapport semblable, par exemple, à celui qui existe entre le magnétisme qui se manifeste dans les corps conducteurs et le courant qui les traverse. Mais si l’indiffé- rence chimique est indépendante du courant électrique, il faut qu’elle se rattache à une condition toute particulière, et qu’elle dépende d'une cause qui nous est encore complétement inconnue. Peut-être faut-il en chercher l'explication dans la faculté que possède l’affinité chimique du fer de prendre la forme d'activité polaire , c’est-à-dire d’agir sur l’oxigène dans certains cas par altraction, dans d’autres par répulsion. Si cette 402 BULLETIN SCIENTIFIQUE. conjecture était fondée, ce ne serait pas , de l’aveu de M.S., un grand pas de fait ; car il faudrait encore expliquer comment un courant électrique peut produire dans le fer ce qu’il appelle la polarisation de son affinité. Il croit cependant l'opinion, qu’il a exprimée , assez juste pour la recommander à l’examen des hommes compétens dans cette matière. 37. — EXPÉRIENCES RELATIVES A L'ABSORPTION DE L'AIR PAR L'EAU , par le Dr THomson , Proff de chimie à l'Université de Glascow.( Thomson’s Records of General Science , sep- tembre 1836.) Le but de l’auteur a été de déterminer, au moyen d’une série d'expériences , jusqu’à quel point les opinions générale- ment admises sur ce sujet sont conformes à la vérité. Il s’est occupé d’abord de la quantité d’air contenu dans l’eau de la Clyde, en employant pour cette détermination le procédé ordi- paire de l’ébullition. Il résulte de ses expériences que 100 pouces cubes de cette eau renferment 3,113 pouces cubes d'air. Cet air, analysé par le phosphore, s’est trouvé composé de 70,9 azote, et de 29,1 oxigène. L'auteur a étudié ensuite l'altération qu'éprouve l'air extrait de l’eau de la Clyde, lors- qu'il se trouve pendant quelque temps en contact avec l'eau de la cuve pneumatique. Dans ce but , à pouces cubes de cet air furent introduits dans une éprouvette placée au-dessus de la cuve , et y furent laissés pendant quatre jours. À la fin de chaque jour, l’auteur en enlevait un pouce cube , qu’il sou- mettait à l'analyse par le phosphore. Voici les résultats qu'il a obtenus. Azote. Oxigene. L'air récemment extrait de l’eau contenait 71,484+28,52 Au bout de 24 heures................. 74,434925,57 Len jour ec ce cepons espere.» 70302402 Leyde JOUR season enfance weeie tu 770 EE De jours ns... interne 00 ORPI: 0 On voit que l'excès d’oxigène , contenu dans l'air extrait de q gene , BULLETIN SCIENTIFIQUE. 403 l'eau , disparaît au bout de quatre jours, ce gaz étant absorbé par l’eau beaucoup plus promptement que ne l’est l'azote. Le D: Thomson fit ensuite une expérience comparative , en renfermant de l'air atmosphérique dans une éprouvette placée sur l’eau de la cuve, et, en analysant jour par jour une même portion de cet air. Le résultat obtenu difléra compléte- ment du dernier, car la composition de l'air en question ne subit pas de variation sensible pendant vingt-cinq jours que dura l'expérience. Absorption de l'air par l’eau. — Dans cette partie de ses recherches, l’auteur se sert-d’une éprouvette cylindrique en verre, de la capacité de 11 pouces cubes. Il y introduit 10 pouces cubes d'eau distillée bouillante , et, après avoir rempli de mercure le reste de l'éprouvette, il place son appareil sur la cuve de mercure. Lorsque l’eau s’est refroidie , On introduit dans l’éprouvette un pouce d'air, et on l'y laisse pendant un nombre de jours déterminé. Le tableau suivant , Contenant dix expériences , dont les résultats , il faut le dire, sont loin de s’accorder entre eux , donne le résidu de l'air non absorbé dans chaque expérience , le pouce cube étant censé divisé en 10,000 parties. Résidu. 1" expérience............,. ... 0,8709 2° « BDD DIU ON I Ut 0,9062 3e « tesseseseesssssve 07207 4e « sersssseesssss.... 0,8659 be « trssesserseresesss 0,8673 6e « senerresssssssss.. 0,8566 7° « ttsresesssesssss. 0,8069 8e « rttessreseserssse 0,8178 9° « tertréssssssetesse, 0,7090 For Phreeresssesenssss 07672 Moyenne........ 0,8278 La moyenne de ces expériences donne une absorption de 1,722 pouce cube d'air par 100 pouces cubes d’eau récem- ment bouillie, Or, on a déjà vu que 100 pouces cubes d'eau de la Clyde renfermaient 3,113 pouces cubes d’air, c’est-à-dire presque le double de celui qui a été absorbé dans les expé- 404 BULLETIN SCIENTIFIQUE. riences ci-dessus. Ce résultat ne tend-il pas : à démontrer que l'absorption de l'air par l’eau est une opération extrémement lente ? Des modifications produites dans la composition de l'air placé en contact avec de l’eau distillée récemment bouillie. — L'auteur a déjà fait remarquer que de l'air placé en contact avec de l’eau de rivière n’éprouve aucun changement dans sa composition au bout de vingt-cinq jours. On arrive à un résul- tat fort différent en l’exposant pendant quelque temps sur de l'eau distillée récemment bouillie. En effet, en analysant le résidu de l'air dans les dix expériences de la section précé- dente , le D' Thomson est arrivé aux résultats suivans : Vol. d’ex. Vol, d’az. D'après la 1'e expérience , le résidu contenait 10,16 76,93 &' ans « « 16,72 73,90 (PAR ETES « « 7:71 64,36 « la 4e « « 6,22 80,37 « la 5e « « IIDX *ND/28 « la 6° « « 13,44 72,22 « Jlaye « « 13,37 67,82 « Ja 8° « « 13,42 68,36 « la 9° « « 10,48 69,42 « la 10° « « 4,59. 72,13 Ou , en supposant dans chaque expérience le résidu de l'air équivalent à 100 volumes , on aura pour moyenne des résultats obtenus ci-dessus , que de l'air qui a été exposé pendant dix jours à de l’eau récemment bouillie , se trouve composé de 12,8 volumes d’oxigène, 87,2 » d'azote. D'où l'on déduit que la quantité d’oxigène absorbée est plus grande que l'azote, puisque l'air, avant d’avoir été mis en contact avec l’eau , était composé de 20 volumes d’oxigène et 80 d'azote. Si, maintenant , on se rappelle que le volume d'air, soumis primitivement à l'expérience, était de 1 pouce cube , que nous avons supposé divisé en 100 parties, on comprendra qu'il est facile d'obtenir le volume d’oxigène et d'azote absorbés dans | | | à | BULLETIN SCIENTIFIQUE. : 405 chaque expérience , en soustrayant, dans le tableau qui précède, les volumes d’oxigène du nombre 20, et ceux d'azote du nom- bre 80. Le tableau suivant donne le résultat de cette opération. Vol. d’oxig. absorbes. Vol. d'azote absorbes. re expérience 9,84 3,07 2e « 3,28 6,10 3e « 12,29 15,64 4 « 13,78 o be « 8,49 4,78 6e « 6,56 7,78 7e « 6,63 12,68 8e « 6,58 11,64 9° « 0,92 10,58 10€ « 15,41 7,87 La divergence de résultats ci-dessus est sans doute remar- quable. En en prenant la moyenne , on trouve que 10 pouces cubes d'eau ont absorbé 0,0924 pouce cube d'oxigène et 0,0801 pouce cube d'azote ; or, 100 pouces cubes d’eau absorberaient 0,924 pouce cube d’oxigène et 0,801 pouce cube d'azote. De même 100 volumes de l'air absorbé seraient composés de 53,57 volumes d’oxigène, 46,43 « d'azote. Mais nous avons vu plus haut que l'air extrait de l’eau de la Clyde était composé de 29,1 volumes d'oxigène, 70,9 « d'azote. Donc l’air, extrait de l’eau de rivière par l’ébullition , diffère essentiellement dans sa composition de celui qui est absorbé par de l’eau distillée récemment bouillie. On voit que les 3/3 environ de l'oxigène ont disparu dans l’eau de rivière ; sans doute ils auront servi à la respiration des poissons et à divers autres usages inconnus jusqu'ici. Si nous comparons la quantité et la composition ie l'air extrait de l’eau par l’ébullition, avec la composition de l'air qui est absorbé par de l’eau récemment bouillie , nous trouverons que 100 volumes d’eau absorbent 406 > BULLETIN SCIENTIFIQUE 2,21 volumes d'azote, . 200 11% d'oxigène. 4,86 Désignons' maintenant par x le pouvoir absorbant de l’eau pour l'azote, et par y son pouvoir absôrbant pour l'oxigène, la composition connue de l’aimosphère donnera LT nie = 2 dose 5,6, 5 . =. 2,65 dion7 —='13,25: De sorte que l'oxigène serait environ 4 '} fois plus absor- bable par l'eau que ne l’est l'azote. Mais comme nous avons vu que les 3 de l’oxigène disparaissent , il en résulte que le pouvoir absorbant de l’eau pour l’oxigène ne paraît être à son pouvoir absorbant pour l’azote que dans le rapport de 4,5 à 2,76 , ou moins que le double. 38. — SUR LES ÉTHERS PRODUITS PAR LES ACIDES HYDRO- SULFURIQUE ET HYDROSÉLÉNIQUE, par C. L6wIG. (Ann. der Physik, etc., 1836. N° 3.) L'éther oxalique est très convenable pour la préparation de quelques éthers hydrogénés , tels que les deux qui font le sujet de cet article, et qu'on obtient en le mettant en contact avec du sulfure simple de potassium , ou avec du séléniure de po- tassium. On peut préparer aussi de la même manière des éthers avec l'acide hydrocyanique et hydrosulfocyanique. La décomposition mutuelle s'opère cependant avecdifficulté, et, même malgré un grand excès dans la combinaison de potas- sium , une quantité assez considérable d’éther oxalique passe non décomposé à la distillation. On obtient de la manière sui- vante l'éther formé par l'hydrogène sulfuré. On broie en une poudre fine, dans une tasse chauflée , du sulfure de potassium obtenu par la réduction du sulfate de po- SE x MT 7 MEET on 5 BULLETIN SCIENTIFIQUE. 407 lasse au moyen du charbon; on le met, encore claud, dans une cornue , puis on le mélange aussitôt avec de l’éther oxali- que pur, en quantité rente pour obtenir une bouillie épaisse. Il faut veiller à ce que l’éther oxalique soit pur d'acide sulfovinique , sans quoi il se forme de l'éther thialique. Après avoir laissé reposer le mélange pendant quelques heures à une chaleur modérée , et avoir soigneusement évité qu'il s’y intro- duise de l’eau , afin qu'il ne se forme pas d'hydrogène sulfuré ni d'alcool , on commence la distillation , et on la continue en élevant toujours la température, jusqu'à ce que l’oxalate de potasse commence à se décomposer. Le produit de cette opé- ration se compose d'éther hydrosulfurique et d'éther oxalique ; on l’agite longtemps avec une solution concentrée de potasse pure ou de sulfure de barium , qui fait décomposer l’éther oxa- lique qu’il renferme ; on retire alors l'éther hydrosulfurique ainsi purifié, et on le rectifie en le faisant passer sur du chlorure de calcium. Le moyen de reconnaitre s’il est pur , est de l’agi- ter avec une solution de sulfure de barium ; il ne doit point donner de précipité. L'éther hydrosulfurique est plus léger que l’eau, et pos- sède une odeur d'assa fœtida extrêmement désagréable, qui a cependant de la ressemblance avec celle de l'éther. Une goulte suflit pour la répandre dans un grand espace. Il a une saveur douce persistante, et n’exerce, même dans ses solutions, aucune réaction sur le papier de tournesol. Il est peu soluble dans l'eau, mais il lui communique à un haut degré son odeur et sa saveur. Il fornie avec l'alcool et l'éther des mélanges dans toutes les proportions. Il brûle en donnant une flamme bleue et en dégageant de l'acide sulfureux. Exposé à l’air il n'éprouve aucune altération. Si on le chaufle avec une solu- tion aqueuse de potasse , il ne se décompose pas ; mais, di- stillé sur de l'hydrate de potasse bien pulvérisé , il donne du sulfure de potassium et de l'alcool. Cette décomposition nese fait cependant qu'avec peine, et une grande quantité d'éther s'échappe sans se décomposer. À une chaleur modérée , le potassium décompose l'éther ; mais la décomposition cesse bientôt , parce que le sulfure de potassium forme une croûte qui recouvre le potassium restant, et arrête toute nouvelle 408 BULLETIN SCIENTIFIQUE. action du potassium sur l’éther. Il ne se développe pas me gène dans cette opération. L’éther hydrosulfurique n’exerce pas la moindre action sur l'oxide de mercure , et, comme on devait le prévoir, il se distingue beaucoup du mercaptan (bi-hydrosulfate d'hydrogène carboné). Cependant quelques sels métalliques pesans forment un précipité avec l’éther hydrosulfurique ; l’acétate de plomb, en particulier, dissous dans de l'alcool , en forme un qui aune couleur jaune. Mélangé avec une solution alcoolique de sulfure de potassium , il donne un précipité blanc qui a beaucoup de res- semblance avecle mercaptite de potasse de Zeise.S’ils étaient réel- lementidentiques, cela démontrerait, d'aprèsles idées ordinaires, qu'il n'existe pas un mercaptum (ES), mais que le mercaptan se compose de ES+SH. M. L. donnera plus tard un examen analytique de la composition , de la pesanteur spécifique, du point d'ébullition , ainsi que de plusieurs autres propriétés de cet éther. Il se contente , pour le moment , de faire observer qu’on pourrait vraisemblablement le préparer en faisant distil- ler un mélange intime de sulfure de potassium et de sulfovinate de barite sec. Du moins, le produit de l'opération présente toutes les propriétés de l’éther en question. Seulement il faut éviter le mélange de l’eau. M. L. n’a préparé qu'une petite quantité d’éther hydro- sélénique , et ne peut, par conséquent, donner que peu de détails sur ses propriétés. Il a une odeur aussi désagréable que l'éther hydrosulfurique ; il brûle en donnant un résidu de sélénium, et en répandant une odeur de raifort ; ilse comporte d’ailleurs comme le précédent. L'éther hydrocyanique, pré- paré avec l’éther oxalique, a parfaitement les mêmes propriétés que celui de Pelouze. 39.— SUR LA COMBINAISON DE BROME ET DE GAZ HYDROGÈNE BICARBONÉ. ( Ann. der Physik, etc., 1836, N°3, p. 552.) On sait que le gaz oléfiant est très promptement absorbé par le brome avec un développement de chaleur, et que de la transformation qui s'opère, résulte un corps liquide. Cette BULLETIN SCIENTIFIQUE. 409 combinaison forme, à une température de— 2°,3, de très beaux cristaux transparens ; mais une partie reste à l’état liquide et possède des propriétés fortement acides. Après avoir fait sécher soigneusement les cristaux ci-dessus entre des feuilles de papier-joseph, M. L. les a soumis à une analyse élémentaire, dont les résultats donnent une composition parfaitement semblable 3 celle du bromal. 1,043 gram. de bromure d'hydrog. bicarb. ont donné : 1) 0,483 » acide carbonique. — 0,13270 carbone. 2) 0,196 n eau............ — 0,02177 hydrog. 3) 2,263 » bromure d'argent. — 0,92657 brôme. 1,08104 ou : Calcul. datom:carbone. 1... 00. 168,30 49,23 12,78 Sin hydogines ss, ho 2,60 2,15 2,08 12» brômerssus 1... 70:39 84,621 85/30 1 atom. bromure d’hydrog. bicarb. 92,65 100,00 100,00 ou : Pesant. spécif. x vol. gaz oléfiant....... Mie dau v > mi © = COPIE 1 » brôme gazeux............ AP CEE x vol. bromure d'hydrogène bicarboné. — 6,35376 ——r) © —— MINÉRALOGIE ET GÉOLOGIE. 40. —ANALYSE DU PHOSPHATE DE PLOMB DE LEAD Hits, par le D' THomson. ( Records of Gen. Science, aug. 1836.) L'échantillon avait pour pesanteur spécifique 6,631. Il contenait : Y T1 20 410 BULLETIN SCIENTIFIQUE. Chlordse. 2. 2616 Plomb aten … 7,608 Protoxide de plomb. 69,636 Acide phosphorique 17,626 Protoxidedefer.... 2,008 Pam rue». 01000 Scene sue 0400 100,794 41. — ANALYSE DU CUIVRE PYRITEUX, par M. Th. RicHarD- son. (Records of Gen. Science , aug. 1836.) Pesanteur spécifique , 4,166. Il contient : Soufre 34,70 Cuivre 32,75 Fer 32,80 100,25 42. — OBSERVATIONS GÉOLOGIQUES FAITES DE MUSSOOREE A GUNGOTREE DANS LA CHAINE DES MONTS HIMALAYA, par M. EVEREST. (.4siat. Journ., déc. 1835.) Mussooree est situé sur l'extrême chaïnon des monts Hima- laya. Cet escarpement consiste en lits de calcaire compacte, alternant avec un schiste tendre à cassure terreuse. Le calcaire paraît analogue au calcaire de transition (mountain limestone d'Europe. Sa couleur la plus ordinaire est le noir-bleuâtre , passant à celle dn marbre noir parfait Il est carbonifère très caverneux. Plusieurs variétés sont fétides , ayant l'odeur d’une houillère. Ces échantillons , sont, en général, vésiculaires, et ont l'apparence d’avoir partiellement éprouvé une forte chaleur. : Le schiste est de couleur variable , rarement assez dur ou BULLETIN SCIENTIFIQUE, 411 assez fissile pour servir d’ardoises. Ces lits alternatifs courent dans la direction générale de la chaîne. Ils sont coupés par une bande de trap, composée de feldspath compacte blanc, et de diallage vert (euphotide) ; dans d'autres places, de cor- néenne noire avec des cristaux de bronzite. Le schiste est recouvert par un grès quarizeux. Au nord d'Agilwar on traverse un autre escarpement sem- blable au précédent, et l'on descend dans la vallée du Gange, Ici l'on voit à diverses hauteurs , de 200 à 300 pieds au-dessus du niveau actuel du fleuve , des terrasses planes , formées de graviers ou cailloux tout à fait semblables à ceux qui en for- ment le lit. Cette circonstance se retrouve jusqu'à sa source. Les bords escarpés du fleuve présentent des couches de schiste bleu, dur, se clivant en larges plaques , de couleur uniforme ; et plongeant sous les roches déjà mentionnées. En remontant le fleuve , le grès quartzeux devient la roche domi- nante , et le schiste a presque disparu. Il passe par degrés à un schiste talqueux , légèrement lustré , et onctueux au toucher. Bientôt le grès quartzeux prend un aspect plus cristallin , et l'apparence du quartz en roche , quoique les grains paraissent encore quelquefois comme agglutinés. À Batwaree, le schiste contient un mélange de quartz, de feldspath, avec des cristaux d'amphibole occasionnellement, et il passe au gneiss talqueux. Ce gneiss continue pendant deux journées au nord, contenant quelquefois beaucoup de mica et rarement des grenats. La vallée où coule le fleuve se rétrécit graduellement, et ne pré- sente plus qu'un canal étroit, creusé perpendiculairement dans le roc à la hauteur de plusieurs mille pieds, et montrant une section de couches de haut en bas. Le roc s'approche de plus en plus du vrai gneiss , et enfin , à Sookee , on trouve la for- mation ordinaire de gneiss et de micaschiste , avec sa grandeur ordinaire et avec ses minéraux. Le fleuve court dans une fissure de la chaîne à pics neigeux où la Jumna prend sa source. D'immenses précipices , ces gigantesques pointes, qui vont se perdre dans les nues et qu'on désigne dans d'autres pays par les noms appropriés de pics et d’aiguilles , se montrent ici sur une majestueuse échelle, tandis que leurs bases sont couvertes de blocs gros comme des maisons. Un peu plus haut commence 412 BULLETIN SCIENTIFIQUE. le granit à gros grains , contenant des cristaux de tourmaline noire. La ligne de jonction du granit et du micaschite devient verticale , et les deux roches se voient en contact sur une éten- due de plusieurs centaines de pieds ; le micaschiste ne paraît avoir éprouvé aucune altération par le voisinage du granit. Le granit ne cesse plus jusqu'a Gungotree. Souvent il contient des cristaux d'amphibole , et quelquefois des masses de schiste de plusieurs pieds de long , ou seulement de la grosseur d'une brique , qui y sont comme enveloppées , et ont l'apparence d'avoir été dans un état de demi-fusion. Indépendamment de la bande de trap déja mentionnée, trois autres ont été traversées par les voyageurs ; une avant de descendre dans la vallée du Gange , et les deux autres dans le schiste talqueux. Elles avaient toutes le caractère de la cor- néenne commune. De Gungotree à Dilaree le fleuve court au fond d’un abime dans le granit ; la branche du nord qui vient de Tartarie a une couleur aussi bleue et aussi pure que le Rhône au sortir du lac de Genève. Au-dessous de Sookee, le Gange présente un aspect remarquable ; avec une masse d'eau bien plus grande que” celle du Rhin à Schaflouse , il conserve l'aspect d’un torrent écumeux. Il n’y a pas de cataracte proprement dite, mais la pente est si grande qu'il se brise et écume sur les rochers dans toute la largeur de son cours. En récapitulant les roches dans l'ordre de leur succession , on trouve : le granit, le gneiss et le micaschiste. le gneiss talqueux et le schiste talqueux. le schiste argileux. le calcaire de transition. le grès quartzeux et la roche de quartz. Il y a du doute sur la position relative de ces deux dernières roches. I. M. BULLETIN SCIENTIFIQUE. 413 BOTANIQUE. 43. — EFFET DES ALCALIS SUR LA VÉGÉTATION. ( Records of Gen. Sc., aug. 1836.) Des plantes furent placées dans de l’eau contenant en solu- tion de la potasse, de la soude ou leurs sels, et l'on trouva que la végétation était arrêtée, et que la plante souffrait si la propor- tion de ces substances dépassait un millième. A un millième, ou au-dessous , l’eflet était, au contraire, favorable , et les plantes avaient l'air d’être plus vigoureuses que celles qui végétaient dans l'eau. Elles y vécurent six ou sept semaines, et auraient pu y rester plus longtemps, si l'on eût continué l'expérience. I1 fallait renouveler la solution après 12, 24 ou 36 heures, selon la grandeur de la plante. En effet, l’eau, rendue alcaline dans la proportion indiquée , rougissant le curcuma et ramenant au bleu le papier de tournesol rougi par un acide , perdait ces propriétés après quelques heures; et si l'on coupait les plantes près du collet, on trouvait qu’elles étaient acides malgré l'absorption de l'alcali. Des effets plus marqués encore furent produits par la présence des oxides de fer et de zinc que l’on pouvait employer en doses un peu plus fortes, vu leur peu de solubilité dans l'eau. On remarqua pour- tant qu'après quelque temps cette solubilité eu l'absorption étaient augmentées, ce qui était probablement dù à la sécrétion de quel- que acide formant un sel soluble avec les oxides employés, et permettant ainsi une absorption plus considérable. Il est en effet impossible de douter que les plantes non-seulement produi- sent, mais encore excrètent un acide; car l’eau, alcaline d'abord aux réactifs, donnait bientôt des indices d’acidité aux papiers d’épreuve ; après quelque temps de végétation. 414 BULLETIN SCIENTIFIQUE. 44. — RECHERCHES SUR LA CONSTITUTION ET LE DÉVELOPPE- MENT EXTERNE DE L'ÉCORCE DANS LES DICOTYLÉDONES. Dissert. inaug., rédigée par M. Moxc. Tubingen 1836. (En allemand.) M. Mohl commence par passer en revue les travaux anté- rieurs des botanistes sur le même sujet. Grew, Duhamel et Senebier, s’en occupèrent les premiers, mais ils confondirent la partie externe de l'écorce , épiderme de De Candolle , avec celle des feuilles et des jeunes pousses, cuticule* du même auteur ; c'était une erreur qui fut bientôt reconnue , grâce aux progrès de l’anatomie et à l'observation , sur la seconde de ces enveloppes , de poils et de stomates loujours absenssur la première. On considérait généralement l'épiderme des arbres comme une modification des couches du parenchyme cortical, couches qui , soit par l’action de l'air, soit par la dilatation de la partie interne de l'arbre, perdaientleur vitalité, sedesséchaient, puis se détachaient plus ou moins vite de la plante. Hundesha- gen (Anatomie , etc. 1809) s’éleva un des premiers contre cette homogénéité apparente des couches corticales extérieures. I prétendit que ces couches présentaient des organisations diffé- rentes ; qu’il fallait admettre , pour la formation de celles de la surface , non-seulement un desséchement ou une simple action mécanique, mais une nouvelle production de couches cellu- laires entre les anciennes. Il montra enfin que cette crue de l'écorce n’avait pas lieu suivant les mêmes lois dans tous les dicotylédones. M. Mobl est arrivé aux mêmes conclusions ; illes développe, etil rectifie les erreurs où était tombé Hundeshagen , qui n'avait pas appuyé ses observations sur le microscope. Si l'on prendun rameau d'un an d'un arbre quelconque , on y observe quatre couches bien distinctes. La première, composée d’un seul rang de cellules arrondies, est susceptible de porter quelques poils et stomates ; elle est porfaitement analogue à la cuticule des feuilles. M. Mohl lui conserve exclusivement le nom d’épiderme. Cet épiderme se fend quelquefois la première année , le plus souvent les sui- BULLETIN SCIENTIFIQUE. 4165 vantes par la dilatation de la branche , puis se détruit sans pou- voir se reproduire. La seconde couche est formée de plusieurs rangs de cellules incolores à parois minces, disposées en lignes suivant les diamètres du rameau , un peu allongées dans ce même sens. C'est cette couche que l’auteur nomme stratum suberosum (Korke, en allemand). Elle jouit de la propriété de s'augmenter par la formation successise de nouvelles couches à sa surface interne. Entre chacun de ces accroissemens successifs, on trouve des lits de nouvelles cellules plus petites , brunes, à parois plus épaisses , et fortement aplaties dans le sens de la couche. La prédominence des lits de chacune de ces espèces de cellules , et leur disposition respective dans le tissu subé- reux varient infiniment suivant les espèces. La troisième couche est l'enveloppe cellulaire des auteurs francais. L'auteur la nomme stratum parenchymatosum. Elle est composée de cellules remplies de chromule.On y remarque aussi souvent de petits nœuds , formés par des réunions de cellules incolores , à parois pointillées. Ces nœuds s’accroissent ordinairement avec l’âge. Enfin, la quatrième couche est composée de faisceaux de fibres ; c'est notre liber. L'auteur la nomme stratum fibrosum. Elle croît par la production interne de nouvelles couches. C’est maintenant l'accroissement plus ou moins considérable, plus ou moins rapide de ces quatre couches relativement les unes aux autres, qui explique les différences d'organisation des écorces. L'auteur, en examinant un grand nombre de rameaux, et à des âges différens, est venu à reconnaître, comme nous. l'avons dit, que la véritable cause de l’exfoliation des arbres à la surface est la production successive de nouvelles couches cellulaires , et que les différences qu’on observe dans ce mode d’exfoliation sont dues à la place où cette production a lieu. Il se présente ici deux catégories bien tranchées ; ou ce nouveau tissu cellulaire se forme dans le tissu subéreux extérieurement aux deux couches du centre, ou bien il se forme , au contraire , dans l'intérieur de ces dernières couches. Dans le premier cas, l'enveloppe cellulaire et le liber res- tent intacts, et vont toujours en s'accroissant sans aucune 416 BULLETIN. SCIENTIFIQUE. déperdition pendant toute la vie de l'arbre. Les exfoliations de l'écorce ont lieu aux dépens du tissu subéreux qui les répare sans cesse à sa partie interne. Cette catégorie renferme quatre classes distinctes. a. Les arbres où le tissu subéreux est presque en entier composé de cellules allongées de la première espèce. Etant peu ou point entremêlé de couches cellulaires aplaties , il ne tend point à s’exfolier, mais persiste autour de l'arbre en se fendant par suite de l'accroissement du tronc ( Quercus suber ; Acer campestre). b. Les couches des deux espèces de cellules sont également développées et alternent ensemble ; l'arbre s’exfolie en forme d'écailles (Gymnocladus canadensis ). c. Les couches de cellules aplaties prédominent. Elles for- ment autour de l'arbre de nombreuses pellicules superposées qu'on peut facilement séparer les unes des autres , parce que les couches cellulaires allongées qui les séparent sont minces et presque pulvérulentes. La surface de l'arbre est lisse et s’exfolie lentement ; seulement dans la vieillesse elle se fend , et alors le tissu cellulaire allongé tend à s’accroitre et revêt une apparence plus subéreuse (Betula alba). d. Les couches aplaties existent seules ; elles forment, comme dans la classe précédente , une enveloppe lisse qui persiste ici jusque dans un âge avancé. C’est cette enveloppe qui a été si souvent confondue avec le véritable épiderme , et que l’auteur appelle périderme pour éviter toute confusion. Passons maintenant à la seconde grande catégorie où la production de matière cellulaire a lieu dans le sein même de l’une ou de l’autre des couches intérieures. Pendant les premières années de la vie des arbres qui la constituent, tout a lieu comme dans la catégorie précédente. L'épiderme se détruit, puis le tissu subéreux s’accroit à l’intérieur par de nouvelles couches ; mais , à une certaine époque, cette production cesse à cete place, et a lieu dans le sein du liber. Les portions de l'écorce détachées de l'arbre par ce nouveau périderme ne sont plus formées aux dépens du tissu subéreux seul, mais aussi des couches du liber et de l'enveloppe cellulaire, comme on le reconnaît par les fibres qu’elles conticnnent. L’auteur donne BULLETIN SCIENTIFIQUE. 417 à ces portions le nom de rhytidoma (Borke, en allemand). Ici éncore quatre Cas. a. Le nouveau périderme ne se développe pas à la fois dans tout le pourtour de l'arbre, mais par places détachées. La partie extérieure tombe sous forme d'écailles. Exemple, le platane. b. Avant qu'une couche de périderme soit détachée et tombée, ils’en forme de nouvelles, plus à l'intérieur. L'écorce extérieure est alors formée de plusieurs couches privées de vie. (Quercus robur ; Tilia Europæa.) e. Ce cas ne diffère du précédent que par l'accroissement: extraordinaire du tissu parenchymateux et du tissu cellulaire interposé. L’écorce prend alors une apparence subéreuse qui pourrait la faire confondre avec celle de la première catégorie, sans les fibres qu'on y remarque. Ex. , les conifères. d. L'écorce forme autour du tronc des couches régulières et concentriques qui s'étendent en forme de réseau par la dila- tation de l’arbre, sans se détacher en écailles comme dans les cas précédens (Juniperus communis, Metrosideros lophanta).Quel- quefois le tronc n’est environné que d’une seule de ces cou- ches en réseau et d’une seule couche vivante, parce que les extérieures meurent et se détruisent à mesure qu'il naît une nouvelle couche au liber. Ex., a vigne ; Lonicera Capri- Jfolium. mr — ZOOLOGIE. 45. — NOTICE SUR L'ORANG-OUTANG DU JARDIN DES PLANTES. Au moment où la ménagerie du Jardin des Plantes de Paris vient de perdre cet animal qui a vivement intéressé les savans et le public, nous croyons devoir donner un extrait des divers mémoires que M. Gcofroy St-Hilaire a lussur ce sujet à l’Académie des Sciences. L'idée dominante du savant acadé- 418 BULLETIN SCIENTIFIQUE. micien est que l'orang-outang établit, entre l'homme et les singes, une transition si insensible, que l’ordre des Bimanes et celui des Quadrumanes doivent être confondus en un seul, et qu'aucun caractère suffisant ne peut justifier l'orgueilleuse distinction établie par l'homme entre son espèce et celle des singes. Nous ne pouvons pas aborder ici une discussion avec M. Geoffroy , nous n’avons ni l’espace ni le temps nécessaires pour examiner jusqu'à quel point l'élément intellectuel doit être négligé pour anéantir cette distinction si généralement admise par les naturalistes. Nous ne pouvons pas, dans cet extrait, peser les raisons qui peuvent faire préférer comme caractères la forme des doigts ou de la tête aux manifestations de l'intelligence. Il y aurait beaucoup à dire sur ce sujet, sur lequel nous nous réservons de revenir plus tard ; nous ne voulons ici que donner l’analyse des argumens présentés par M. Geoffroy. Le premier argument est pressé dans le premier mémoire. Il consiste à démontrer que les membres postérieurs des singes, quoique présentant l'apparence de mains, ne diffèrent pas sensiblement des pieds de l’homme. M. Geoffroy attribue en grande partie la forme actuelle de nos pieds à l'habitude que nous avons de les comprimer par une chaussure. Il croit que sans cette circonstance , l'homme aurait le gros orteil presque aussi détaché et mobile que le pouce postérieur des singes. Il cite à l'appui de cette opinion les sculpteurs grecs qui le montraient dans toutes leurs statues détaché et distinct ,les ouvriers arabes qui l'emploient pour assujettir le bloc de bois qu'ils façonnent , et enfin les Charruas , sur les pieds desquels on a pu observer récemment à Paris des pouces presque aussi écartés que ceux des mais , et qui s’en servaient isolément. Ces argumens tendraient donc à détruire la principale différence organique sur laquelle repose la distinction des Bimanes et des Quadrumanes. Passant ensuite à l'étude spéciale de l'orang-outang, M. Geof- froy trouve que cet animal présente beaucoup plus d'analogie avec l’homme qu'avec les singes. (Ni un vaisseau, ni un nerf, ni une fibre musculaire, dit-il, ni un élément osseux, ne sont en plus ni en moins chez l'orang que chez l'homme. La BULLETIN SCIENTIFIQUE. 419 ressemblance est poussée si loin qu’elle se retrouve jusque dans la direction des poils , comme elle se voit au membre antérieur où les poils de l’avant-bras remontent, et*où ceux du bras descendent vers le coude. L'orang est donc sui generis ; ce n'est ni un homme ni un singe ; il estintermédiaire entre eux. » L'absence de cou chez l'orang , ses épaules repoussées en arrière et en haut par la longueur des clavicules, la longueur des apophyses postérieures des vertèbres cervicales sont les différences de forme qui frappent au premier coup d'œil entre ces deux espèces. Il y en a d’autres plus importantes tenant au développement des organes. L'encéphale, d'abord assez développé, croît ensuite beaucoup moins que son contenant ; les os s'épaississent, se développent en crêtes saillantes ; la même chose a lieu pour la peau , ce qui donne à l’adulte une physionomie effroyable , tandis que la tête du jeune dénote un caractère doux et bon. C'est le contraire de l’homme, dans lequel on sait que le crâne reste lisse et uni, et que les lignes ou crêtes n'y sont jamais très saillantes.C’est une analogie entre l'orang et les singes ; ce développement rappelle celui du mandrill. . M. Geoffroy voit dans ces considérations une nouvelle démonstration du principe de l'unité organique. 11 y trouve une preuve d'une seule espèce générale ; l'homme, l'orang , le chimpsancé , les singes, etc., «sont au fond , dit-il, notre même animal, cette unique espèce générale que nous formulons ainsi à cause d'organes , tous ensemble et chacun à part, étant de même conformation... » F.-J. P. 46. — SUR UNE NOUVELLE BELETTE DU NÉPAUL, par M. Hopçson. ( 4siat. Journ., déc. 1835.) Cet animal, que l’auteur range parmi les putois , et qu'il nomme Mustela kathiah de son nom indien , a une fourrure d'un riche brun foncé en dessus, jaune d'or en dessous , et blanche à la tête. La queue est cylindrique , en pointe et a la 420 BULLETIN SCIENTIFIQUE, moitié de la longueur de l'animal, qui mesure dix pouces de l'extrémité du museau à l’origine de la queue. Ce bel animal est fort prisé au Népaul pour les services qu'il rend en débarrassant de rats les habitations. On l’apprivoise aisément, et les rats et les souris semblent avoir une crainte instinctive de son inclination hostile , car, dès qu’on l’introduit dans une maison , on les voit s'enfuir dans toutes les directions, avertis sans doute par l'odeur particulière qu'il dégage. Les gens riches s'amusent à mettre à l'épreuve sa férocité et son courage en l’accoutumant à attaquer des oies et autres gros oiseaux , et même des chèvres et des moutons. Dès qu'il est lâché, il s’élance sur la queue de l'oiseau ou la jambe de la chèvre , saisit la grosse artère du cou , et ne lâche prise que lorsque sa victime succombe, épuisée par la perte de son sang. I. M. 47.— SUR QUELQUES MAMMIFÈRES NOUVEAUX OU PEU CONNUS, PRÉSENTÉS À LA SOCIÉTÉ ZOOLOGIQUE DE LONDRES. (Philos. Magaz., t. 9. Ne 51.) Dans la séance du 22 décembre, on a présenté plusieurs animaux rongeurs recueillis par le capitaine King dans son voyage au détroit de Magellan. M. Benvett a fixé l'attention de l'assemblée sur une nouvelle espèce du genre Ctenomys Blainv. et est entré dans quelques détails anatomiques propres à rendre plus facile la distinction de ce genre et des genres voisins Octodon Benn. et Poephago- mys F.Cuv. , et il a donné à cette nouvelle espèce le nom de Ci. magellanicus. C’est, suivant le capitaine King, un petit animal très timide, qui se nourrit d'herbe, et qui sert de vourriture aux Indiens Patagoniens. Il habite dans des trous qu'il se creuse dans le terrain, et, d’après le nombre de ces trous, il paraît très abondant dans le pays. Le second rongeur paraît, comme le précédent, représenter dans les latitudes plus méridionales de l'Amérique du sud un genre dont le type avait été originairement observé dans le BULLETIN SCIENTIFIQUE. 421 Brésil. M. Bennett le regarde comme une seconde espèce du Kerodon F. Cuv., qui se distingue principalement par sa cou- leur uniforme de celui découvert par le prince Maximilien de Wied , et il propose de le nommer Xerodon kingii. Le troisième animal a été reconnu former une nouvelle espèce de Cavia distincte de toutes celles déjà connues, même des deux récemment décrites par M. Brandt dans les nouveaux mémoires de l'Académie Impériale de Saint-Pétersbourg. M. Bennett le caractérise comme le Cavia culieri King, MSs. On a présenté enfin des échantillons de plusieurs marsupiaux pris au delà de la rivière Hunter, à environ quatre-vingls milles au nord de Sydney, dans la Nouvelle-Galles du sud; voici les principaux : 1° Un Phalangista canina , nouvelle espèce semblable par sa grosseur et ses proportions générales au Phal. vulpina. 2° Un Phal. Cookii, qui présente ceci d'intéressant, que c'est le seul échantillon dont on soit sûr qu’il vienne de l’Australasie continentale. Cook l’a observé dans la terre de Van-Diemen, et on n’a jamais pu établir précisément la localité d'où prove- naient les autres individus que possède la société. 3° Un Macropus Eugenii qui est conforme à la description de Desmarets , et intéressant comme venant d'une autre partie du pays très distante. 4° Un Zerameles obesula ; échantillon adulte de la même grosseur que le Per. nasuta en pleine croissance ; les dents sont à tous deux les mêmes que celles de ce dernier , soit pour la forme , soit pour le nombre. Cette collection contenait encore deux beaux échantillons de Petaurus tagnanoïdes, un du Pet, sciureus, un de l'Æydromys chrysogaster et un jeune Xoula. 48. — NOTE SUR LA MUE DES SERPENS. LETTRE DE M. Sa- MUEL WOoDRUFF AU Prof. SicLIMAN. (Silliman Journ., t. 20.) La saison de lamue commence , pour les plus petites espèces, dans la dernière partie de mai ou la première de juin ; mais un 429 BULLETIN SCIENTIFIQUE. peu plus tard pour les grandes espèces , et finit vers la fin de septembre. Plusieurs personnes ont observé que, pendant deux ou trois jours avant que cette opération s'achève , le reptile esten partie et quelquefois totalement aveugle. Les yeux prennent une légère couleur bleu de ciel , semblable à celle du lait écrémé. Cette obstruction de la vision peut étre occasionnée par la formation d’un nouveau cristal , destiné à couvrir et protéger les yeux, et qui , dans sa croissance , est probablement opaque, cause une sensation pénible à l'animal et augmente ses efforts pour se débarrasser de cette gêne. Toutes les dépouilles que j'ai vues pendant plusieurs années étaient renversées ou plutôt retournées , et étaient couchées sur le terrain , entièrement étendues et à peu près en ligne droite. Un de mes amis a eu l’occasion d'observer toute l'opération du changement de peau d’un serpent à sonnettes, renfermé dans une cage. Son attention fut attirée par la manifestation d’un malaise inaccoutumé , et parce que ce serpent poussait fré- quemment sa lête contre et entre les fils de fer de sa prison, comme s'il eüt essayé de s'échapper. Après s'être ainsi débattu et frotté contre ces fils de fer pendant quelques minu- tes, sa peau , an bout de la tête , commenca à se fendre et à descendre depuis la tête sur le cou , dans une position renver- sée. Après que l'animal, en pressant cette partie contre les fils de fer, eût réussi à renverser trois ou quatre pouces de la peau sur le cou, il laissa les fils de fer, en jetant son corps en rond autourde lui-même , de manière à embrasser, avec le dernier pli, la peau renversée avec une forte pression musculaire. Faisant alorsen même temps un puissant effort, il tira son corps en avant au travers des plis qui se déroulèrent l’un après l’autre, et le corps sortit entièrement de la peau. C’est là probablement le modus operandi de toute la race. On peuticise faire cette question : pour quelle raison et par quelle nécessité le serpent , différent des autres créatures du règne animal, change-t-il de peau annuellement? Cela provient de ce que l'animal doit marcher sur son ventre et de ce que la nature l'a pourvu d'une complète cotte de mailles, fortement constituée dans toutes ses parties. BULLETIN SCIENTIFIQUE. 423 Les écailles polies avec soin, qui couvrent la partie inférieure du corps , donnent au reptile la faculté de glisser sur le terrain avec une étonnante facilité au milieu de la végétation et des autres obstacles qu'il rencontre. Cette enveloppe est toutefois nécessairement composée d'une substance d’une nature qui la rend incapable de distension ou d'expansion. Au retour de la belle saison, le serpent sortant de son état de torpeur , quitte sa maison d'hiver. Trouvant alors une nourriture abondante il commence bientôt à s'engraisser et ses dimensions augmen- tent ; il se trouve alors trop resserré, et il prend ses mesures pour sortir de ce vêtement incommode. 49: — NOTE SUR LES MŒURS DU BEMBEX ROSTRATA (INSECTES HYMÉNOPTÈRES. ( Entom. Magaz. , t. 3, p. 464.) Ces insectes , trouvés communément près d'Argostoli, pen- dant les chaleurs de l'été, volent et poursuivent leur proie avec une grande rapidité. Leurs nids sont construits dans le sable de la mer, mobile et léger, qui quelquefois coule sur l'ouverture du nid et le rend trop petit pour l'entrée de l'in- secte. Le bembex jette alors le sable , avec promptitude, à plu- sieurs pouces de distance, en grattant avec les jambes de devant, comme ferait un chien ; et aussitôt que l'entrée est libre, il entre , chariant avec lui la proie destinée à sa future progéniture. Cette proie consiste dans ces mouches qui fré- quentent le sable. Quand il est entré, le vent recouvre le trou et le cache à ses ennemis. 5o. — MÉMOIRE SUR LA FAMILLE DES BÉROIDES (ZOOPHYTES ACALÈPHES), par M.-R.-P. LESSON. (nn. des Sc. Nat., avril 1836.) Ces zoophytes ont pour principaux caractères d’avoir un corps gélatineux éminemment contractile, libre, toujours régulièrement pair bien que diversiforme , muni de rangées 494 BULLETIN SCIENTIFIQUE de cils vibratoires peu discernables chez quelques espèces, ayant un canal intestinal complet, c’est-à-dire, terminé par deux ouvertures , dont l’une peut faire fonction de bouche et l'autred'anus. - On les trouve, comme les méduses, avec lesquelles ils ont de l'analogie , dans toutes les mers du monde, nageant entre deux eaux, à l'aide de l’élasticité contractile de leur tissu cutané , et surtout au moyen des mouvemens ondulatoires des nageoires , quand elles existent , ou par l'entonnoir postérieur ou aquifère. Ils se nourrissent peut-être du frai et des matières graisseuses dont la mer est parfois couverte. Ils présentent aussi quelquefois le phénomène de phosphorescence à un haut degré. M. Quoy (Zoologie de l’Æstrolabe) a reconnu chez ces ani- maux des canaux et des organes qui lui font regarder comme très vraisemblable l'existence d’une respiration et d’une circulation ; ce qui ferait penser que les béroïdes seraient mieux placés dans le voisinage des mollusques acéphales , qu'avec les z00- phytes auxquels ils ont été réunis jusqu’à présent. Après ces considérations générales le Mémoire de M. Lesson divise les béroïdes en huit tribus et en un certain nombre de genres dont il donne les caractères, et dans lesquels il indique les principales espèces. F99P: OBSERVATIONS MÉTÉOROLOGIQUES faites PENDANT LE MOIS D'OCTOBRE 1836. En rendant compte des observations météorologiques, nous ne pouvons passer sous silence l'aurore boréale du 18 de ce mois, qui a été vue dans presque toutes les parties de la France , ainsi que dans plusieurs villes de Ja Suisse, de l'Al- lemagne et de l'Italie. Le temps à Genève était très clair, quoique légèrement humide ; l’éthrioscope à 3 heures avait indiqué plus de 4° de rayonnement ; et le baromètre, qui montait graduellement , marquait à 3 h. 733,58, à 6 h. 534,28, à 9h. 735,07, et le len- demain il arrivait à son maximum de hauteur dans nos trois stations (voir nos tableaux ci-joints). Le couchant était assez remarquable ; de légères vapeurs , qui recevaient les rayons solaires , tendaient à l'embellir. L'aurore boréale a commencé à se faire apercevoir vers les 8h. y, sous l'apparence d'un brouillard qui est devenu de plus en plus lumineux, et, pendant son développement, ce météore semblait se diriger avec assez de lenteur du nord-est au nord-ouest. À neuf heures moins dix minutes, il brillait de son plus grand éclat entre la grande et la petite Ourse; sa partie pourprée avait la forme d'un ellipsoïde un peu aplati du côté de l'horizon ; le petit axe allait de l'étoile € du chariot aux deux gardes de la petite Ourse ; puis cette teinte brillante s'assombrissait insensiblement, etaux deux extrémités latérales, la lyre et la chèvre brillaient de toat leur éclat sur le fond noir du ciel , tandis que les étoiles du dragon et des constella- tions voisines apparaissaient comme des points rougeitres. Au bout de quelques minutes l'aurore boréale s’est successive- ment affaiblie, et à 9 h. 7, elle avait complétement disparu. C’est inutilement que nous avons cherché à découvrir des stries, des vibrations ou des rayons de lumière tels qu’on en apercoit assez souvent dans cette sorte de phénomènes , et il n’est pas parvenu à notre connaissance qu'on en ait observé ailleurs ; ce ne serait qu'à Strasbourg que, sur la foi d'un journal, ce météore aurait présenté l'aspect de deux jets de lumière s’éle- ant à une grande hauteur dans deux sens opposés. Malheureusement, un épais brouillard n’a pas permis l'obser- ation de cette aurore à Paris, où, vu les rapports qu'on croitexis- ter entre ces météores et le magnétisme terrestre, elle semblait annoncée dès 10 h. du m. par une augmentation sensible de la déclinaison. Le soir, au contraire, de 8 h. 3/, à 9 h. la pointe n. de l'aiguille était beaucoup plus rapprochée du fMéridien terrestre que les jours précédens ; à 7 h. (circonstance très digne d'attention) la perturbation était positive, elle augmen- tait sensiblement la déclinaison. 426 OBSERVATIONS OCTOBRE 1836. — OnsERVATIONS MÉTÉOROLOGIQUES faites à l'É lat. 46 12”, long. 15" 16” de temp} à S BAROMETRE TEMPERATURE EXTÉRIEURE um CE RÉDUIT A 00 EN DEGRÉS CENTIGRADES. EE 2 e oo HS or. BF nie 4 8h. 8h E a du Midi. du du du Midi. du du mi malin. soir. soir. malin. matin, soir mie | mie | nil | 'oullin. 4 724,76 725,25 | 721,09 719,08 410,5 |415,8 415,3 €N 24720,07 | 721,60 ; 721,71 | 722,84) 410,0 |+13,8 +10, 5 719,18 | 719,67 | 721,69 | 722,49 414,4 | 414,8 412, A Ê 720,85 | 719,87 | 718,90 | 721,78 412,7 |+15,8 +15, 5 726,11 | 727,05 | 727,59 | 729,22} +14,2 |+16,5 +12, 6 D 729,55 | 727,85 | 726,54 | 725,65 415,5 |+18,1 +12,0 7 1 725,96 | 725,11 | 721,70 | 720,46 f+11,4 |+15,7 412 8 717,40 | 716,22 | 717,55 | 719,58 113,2 |+16,7 +11, 9 724,05 | 725,67 | 722,96 | 724,784+10,4 |+16,4 + 9,3 ® 1101 726,61 | 725,86 | 725,16 | 225,88 1 412,5 |+18,1 414,8 11 725,20 | 725,20 | 722,84 | 722,091 12,7 |+15,8 48, 12 726,19 | 726,02 | 725,76 | 725,49 [+ 9,1 |+14,5 +8, 15 | 724,65 | 724,16 | 724,69 | 726,58 |+14,2 |+49,2 413,6 14 0 729,21 | 729,59 | 728,99 | 729,82 413,5 |+416,0 +12, 45 À 729,92 | 729,71 | 729,54 | 750,94/+14,1 |+18,1 #12, 16 [752,86 | 752,59 | 732,29 | 755,121 415,0 |415,1 +144 Dh 17 752,07 | 755,80 | 752,82 | 755,65 [410,5 |411,7 +10,5 18 751,68 | 756,35 | 755,58 | 755,07 | 411,8 |4135,2 + 8,9 +9, 19 0 757,05 | 757,15 | 756,17 | 736,77 | + 8,5 |+ 9,4 + 8,8 + 9,3 20 À 756,42 | 755,84 | 754,26 | 753,86 D 4 9,1 |+12,2 + 8,2 + 9,4 21 D 755,52 | 752,24 | 751,05 | 752,64/+11,2 |+12,5 + 8,5 + 22 | 735,24 | 755,52 | 754,98 | 736,044 6,5 |+ 9,2 +6,2 [+5,35 |+ 84 25 | 755,68 | 754,63 | 755,80 | 754,22} + 8,7 |+410,2 +6,2 |+48 |+ 64 51 24 À 754,79 | 754,51 | 755,57 | 755,044 9,4 |+11,9 +6,5 |+4,6 |+ 6, 25 | 754,02 | 755,64 | 755,20 | 752,89 D+ 5,2 ]+ 9,6 +9,2 |+5,2 |+ 9% 26 À 752,98 | 751,94 | 751,07 | 751,77 }+ 8,5 |+10,1 + 8,1 [+81 |+8,; 27 D 729,12 | 727,74 | 726,25 | 725,68 | + 9,2 |+10,6 +9,8 |+8,5 |+ 9,6 28 D 726,22 | 725,15 | 724,49 | 722,55 | + 5,6 |+ 4,5 +0,6 |+2,7 |+ 5, 29 714,28 | 712,45 | 711,55 | 714,76 + 1,1 |+ 1,2 +91 |+o7 |+ 14 50 À 720,67 | 720,51 | 720,78 | 721,88 [+ 0,7 |+ 2,7 1,5 |+0,5 |- 1,5 31 À 726,26 | 726,26 | 726,89 | 728,60 À - 0,2 |+ 1,0 - 2,5 | -0,5 |- 1, Moyens. 728,01 PT) 7,86] 727,58 + 9,8 | 231 + 8,8 8,25 | + 9,6 427 MÉTÉOROLOGIQUES. servatoire de Genève, à 407 mètres au-dessus du niveau de la mer; soit 3° 49° à l'E. de l'Observatoire de Paris. TEMPÉRAT. R ÉTHRIOSCOPE 4 HYGROMETRE. gau æwrsi ETAT pu CIEL. | EXTRÈMES. dans | EX DEGR. CENT. hs a | 753 mi les Te — midi CRT 9h. 5b.|9h£, I * 9h. Minim. | Maxim.| du |Midi.| du | du } 24h: Midi.| 5h du | Midi mat. soir. | soir. malin | FE degr. |degr. |‘iegr. millim. + 4,9 46,5 185 |79 185 | 868 4,12, 2,58] N-Efclair. |clair. | nuag. | 410,0 |+14,7 190 177 |79 95 5,57 » 1,52] 1,95ÈS pluie. |couv. | nuag. M 6,8 415,2 172 181 195 | S4 2,51 0,22] » » [S-Ofcouv. |pluie. | pluie. M 8,5 [422,2 186 (82 [65 | 779 2,51 2,82, 5,47, 2,58] N vap. |qq:nu.| qq.nu. MES,8 |+17,7 ]88 |Ss |S7 | 99 13:05) 2,60! 2,60 N° Evap. |qq-nu.| vap. + 6,7 [20,1 190 |S0 190 | 98 * 135,05, 2,17| 2110 brouil. |1. vap. | vap. + 6,5 (417,9 195 |89 181 | 97 ” 12,58) 5,05| 2,82) O couv. |nuag. | couv. “+ 7,9 (18,2 195 |89 183 | 92 ” 14,95, 1,52! 0,67] S-O couv. |couv. | couv. + 8,1 |+17,8 191 176 165 | 98, 4,11 2,82! 2,82! 2,60] N-O Ï qq. nu. | qq-nu. | qq. n. b+ 4,0 [+20,0 ISA 67 |65 86 ” 12,60! 2,60! 2,581 S clair. [clair. | clair. + 4,1 |[+20,0 187 193 |90 | 76 % D2,17| 1,95! 1,508 N Éqq-nu.|couv. | couv. + 7,8 |H15,5 196 |85 |S1 994 19,08 1,75) 1,52! 2,69 S-O E couv. [couv. | nuag. | 7,5 |+20,0 [79 72 |74 | 90 ” 12,17! 5,05, 0,87 S-Ofvap. |vap. éclair. 7,8 [17,5 92 |89 195 | 99 ” 12,60! 5,47| 2,60) N clair. | qq: nu. | vap. k 8,1 |+21,8 89 85 78 | 99 ” 12,60! 2,60! 2,581 N qq: nu. | qq- nu. | qq. nu. + 8,9 |+16,8 195 192 |94 |106 ” 11,52) 1,75! 2,60] NE couv. |couv. | nuag. “+ 9,7 |+16,8 199 94 |87 |100 » » » | 5,05 N ép. br. | couv. | vap. + 8,5 |+16,0 196 185 188 | 98 » » | 27! 4,121N couv. |nuag. |elair. EM6,s |+14,2 199 199 [97 | 99 5 » » » [N ép. br. | ép. br. | brouil. Bo |H16,1 99 190 |87 | 99 > » » | 2,58] N-O [ ép. br. | éclairs. | clair. as |+14,0 [91 156 |85 | 82 ” 10,65! 2,58, 2,17 N couv. |qq.nu.| qq.nu. + 5,1 |H11,0 192 82 178 | 91 ” 11,95] 5,45] 35,251 N éclairs. | clair. | clair. 2,4 |+12,6 Ï8S !|S3 177 | 97 ” 12,58] 2,60! 1,95) N nnag. [nuag. |vap. 1,9 (417,4 189 178 169 | 91 ” 11,75) 5,05, 2,581 N clair. |clair. |clair. 0,9 |+11,2 [97 88 |8S | 95 » 11,08) 0,82] 1,50) N-Ef couv. |couv. | nuag. + 7,8 |+10,1 195 |89 |89 | 97 ” [1,08] 0,82! 1,08] N-Ef couv. |couv. | couv. M 7,9 |[+10,7 189 184 |S6 | 84 » 11,08, 0,65! 0,451 S couv. |couv. | cour. 4,8 |+ 5,0 169 167 |66 | 89 » 15,25] 35,05] 2,581 N I. vap. |nuag. | qq. nu. 14,5 [+ 2,0 Sa 183 |79 | 79 » 11,75] 1,95, » ÎN couv. |couv. | éclairs. 4,5 + 3,0 175 175 |79 | 95 » D 0,67] 2,17| 4,50) S couv. [|couv. | couv. = 2,6 |+ 2,0 180 175 168 | 78 1,5} 0,87 1:52! 1,52 N couv. | nuag. 1e] 5,8 [Ha,6 Îss,s 85,2 2,05] 2,40! 2,12 QE 55,1 | | | | | CES | 428 OBSERVATIONS « OCTOBRE 1836. — OBSERVATIONS MÉTÉOROLOGIQUES faites au cou * la mer, et 2084 mètres au-dessus de l'Observatoire de 4 BAROMÈTRE " 2. 4 LE TEMPÉRAT. EXTÉRIEURE a ÎE RÉDUIT À 00 EN DEGRÉS CENTIGRADES- =] 1 = & ES [al Où 9 h. j 9h. | Lever | 9h. | 3 h. 9 h. E = du Midi. da du du du Midi. du du En E malin. soir. soir. soleil. malin. soir. soir. millim.| millim. | millum. pa millim. 11565,50 | 565,59 | 565,19 | 562,80 | 561,62 À — 0,4 | + 0,5 | + 2,5 | + 1,8 | + 0,1 21 558,66 | 559,17 | 559,55 | 559,82 | 560,79 À — 0,1 | - 0,1 | + 2,2 | + 1,8 | — 2,2 5 560,25 560,75 | 560,71 561,55 562,45 | — 0,4 | — 1,0 0,0 | + 0,1 | — 0,2 À a0562,26 | 562,96 | 565,47 | 565,90 | 565,45 À - 0,8 | - 0,1 | + 4,2 | + 0,6 | + 1,2 5 1 568,26 | 568,78 | 569,56 | 569,95 | 570,61 À + 2,0 | + 2,0 | + 2,4 | + 5,2 | + 2,5 61 570,05 | 571,21 | 570,80 570, 15 | 569,68 À + 1,6 | + 5,2 | + 4,9 | + 5,6 | + 1,5 70 567,72 | 567,55 | 566,65 566, 54 | 565,61 À + 1,0 | + 1,5 | + 1,9 | + 2,0 | + 1,0 8 1 562,70 | 562,49 | 561,69 561256 560,24 À + 0,2 0,0 0,0 0,0 | + 0,5 91 559,61 | 560,59 | 561,09 | 561,70 | 562,58 0,0 | — 2,5 | — 1,7 | = 2,7 | - 1,2 101 564,61 | 565,23 | 565,46 565, ,79 | 567,07 À - 14,4 | + 0,6 | + 5,4 | + 2,4 | - 1,5 R 567,25 | 567,65 | 567,25 | 566 266 560,29 À - 2,0 | —- 4,3 | - 0,5 | — 0,5 0,0 ME 564,98 | 562,72 | 562,96 565,56 565,92 À — 1,4 0,0 | + 0,2 0,0 0,0 ME 564,90 | 565,98 | 566,42 | 567,17 | 568,57 À + 1,7 | + 1,5 | + 5,4 | + 5,8 | + 2,2 RE 569,32 570,25 570,52 | 570,89 | 571,54) + 4,4 | + 6,6 | + 8,2 | + 8,5 | + 5,6 I 570,70 | 571,56 | 571,50 | 571,22 | 571,58 Ù + 5,7 | + 5,6 + 6,9 | + 8,0 | + 5,3 M 574,86 | 572,17 | 572,15 | 572,02 | 572,28 À + 2,0 #4 5,5 | + 4,2 | + 5,7 | + 0,6 MR 574,77 | 571,72 | 571,82 | 571,90 | 572,58 À - 0,2 | + 2,5 | + 4,4 | + 4,5 | + 0,5 571,76 | 572,96 | 572,49 | 572,98 | 575,27 À + 0,2 | + 4,2 | + 4,8 | + 4,9 | + 1,2 MR 575,68 | 574,26 | 574,18 | 574,99 | 574,67 À + 0,5 | + 2,5 | + 4,4 | + 4,0 | + 1,5 LB 573,47 | 575,56 | 575,29 [572,88 | 572,48) +1,5 | + 2,5 | + 4,0 | + 5,9 | + 1,51 570,58 | 570,56 | 570,02 | 569,29 | 569,968 + 0,9 | + 2,1 | + 5,7 | + 5,6 | + 1,8 li 570,29 | 570,91 | 571,52 | 571,01 | 571,728 + 1,2 | + 2,8 | + 5,7 | + 5,0 | + 0,5 0R; 571,55 | 570,94 | 571,14 | 570,60 | 570,45 0,0 | + 0,5 | + 5,0 | + 1,8 | - 1,5 M 570,62 | 570,99 | 571,58 | 571,28 | 572,06 0,0 | +2,6 | + 4,4 | + 5,9 | + 3,948 571,26 | 571,44 | 571,52 | 570,62 | 570,71 À + 4,6 | + 5,7 | + 7,6 | + 6,5 | + 4,008 568,50 | 568,68 | 569,05 | 568,57 | 567,91 À + 2,5 | + 4,8 | + 4,6 | + 4,5 | + 0,8 Dh, 565,72 | 565,75 | 564,97 | 565,76 | 562,04 À + 0,2 | + 1,0 | + 3,0 | + 2,7 | - 5,448; 557,85 | 557,59 | 556,10 | 554,81 | 554,57 À - 9,5 | -10,6 | -10,5 | -11,5 | -14,548 549,20 | 548,52 | 546,62 | 545,82 | 546,82 À -14,8 | -15,0 | -11,0 | -12,2 | -15,048; 549,25 | 549,78 | 550,52 | 551,01 | 552,07 À -16,5 | -16,4 | +15,8 | -15,8 | -16,2 554,55 | 555,21 | 555,88 | 556,59 | 558,02 À -15,0 | -15,6 | +14,4 | -14,2 | -16,7 565,17 | 565,58 | 565,29 | 565,92 | 566,02 - 1,12 _- 30, + 1,244 0,90 | - 1,56] PES POSER PRO OR ORNE EN PRE PUS EE GIE PR MÉTÉOROLOGIQUES. 429 rent du Grand Saint-Bernard, à 2491 mètres au-dessus du niveau de enève; latit. 45° 50" 16”, longit. à l'E. de Paris 4044 30”. - | TEMPÉRAT. , HYGROMETRE. EXTRÊMES. Lever| 9h. 5 h. | 9b. Minim. } Maxim.f du du | Midi.| du du soleil, matin. soir. | soir. ) malin. deg. 0,7 |+ 2,5 96 S-0 | S-0 | S-O } sol. nua. | sol. nua. 5,5 |+ 5,2 95 S-0 | S-O | N-E | couv. sol. nua. 4,0 |+ 2,0 92 S-0 | S-O | S-O | neige. neige. 5,0 + 1,2 98 S-O | S-0|S-0 | neige. | brouill. 2,0 |+ 5,2 95 S-0 | S-0 | S-0 | brouill. | brouill. 1,0 + 5,8 95 S-0 | S-0 | S-0O ! sol. nua. | sol.nua. 0,8 |+ 4,1 95 S-0 | S-O | S-0 fhrouill. | brouill. 1,0 + 0,5 100 S-0 [ S-O | S-0 | neige. neige, 2,5 |- 0,5 96 N-E|N-E|N-Efneige. | neige. 1,6 |+ 4,5 94 S-0 | S-O|S-0O }sercin. | serein. - 2,5 |+ 0,8 95 S-0 | S-0 | S-0 l'brouill. | cour. 1,2 |+ 2,0 91 S-0 | N-E | N-E } neige. peige. = 0,5 |+ 5,8 89 S-0 | S-0O | S-0 Î sol. nua. | sol. nua. 4,2 |#11,5 85 S-0 | S-O!S-0 E sol nua. | sol. nua. 2,1 |+ 8,9 90 S-0 | S-0!S-0 lserein. | sol. nua. F 1,9 |+ 5,0 90 S-0 | $-O | S-0 f sol. nua. | sol. nua. = 1,2 + 5,5 90 S-0 | $-O | S-0 ! sol. pua. | sol. nua, - 1,0 |+ 6,0 90 S-0 | S-O|S-0 f serein. | serein. = 0,4 + 5,9 93 S-OIN-E|N ElÏserein. | serein. 0,8 |+ 5,5 92 N-E|N-E | N-Elserein. | serein. 0,2 |+ 4,7 89 N-EN-E/|N-E serein | serein. > 1,4 |+ 6,7 88 N-E|N-E/|N-E Îserein. | serein. » 0,5 |+ 4,0 89 N-E |N-E | N-E Î sol. nua. | sol. nua. = 2,0 |+ 6,2 92 N-E |N-E|N-Efserein. | serein, 2,0 |+ 8,0 83 N-E|N-E|N-E serein. | serein. 1,8 |+ 6,2 82 N-E | N-E | N-E sol. nua. | serein. 0,7 [+ 5,8 89 N-E |N-E | N-E Î sol. nua. | sol. nua. 10,8 |-10,5 91 N-E N.E | N-E I brouill. | brouill. 215,2 |- 8,5 91 N-E | N-E | N-E Î sol. nua, | sol. nua. M6,7 |-15,0 95 N-E |N-E | N-E | brouill, | brouill, 6,8 |-11,1 92 N-E E|N-E neige. | neige. h2,574 2,24 à 54 BEA] 88,9] 91,5 430 OBSERVATIONS | OCTOBRE 1836. — OBsERVATIONS MÉTÉOROLOGIQUES fait du matin, { *“ANAI VI 4U SYSVHd ‘SION Na SYNO£ | millim, 722,15 715,25 715,21 717,15 725,56 726,08 721,05 714,26 721,10 725,57 722,52 722,55 121554 726,07 726,52 729,55 750,93 751,20 755,79 735,28 751,54 755,15 752,86 752,81 751 21 728,67 724,93 722,18 711 ,82 716,46 723,11 A © ON NI GO OÙ à OI IN BAROMÈTRE 9h sh: 9 h. RÉDUIT A 0° du soir. du soir. millim. 715,59 719,06 719,50 millim. 718,47 717,29 718,29 715,87 724,97 722,87 719,17 715,01 721,20 722,53 720,18 725,08 721,50 726,12 726,23 728,56 729,92 750,85 755,02 751,68 750,84 755,56 751,59 751,99 750,89 727,76 721,44 720,14 709,88 716,53 724.27 724,05 millim. 720,03 716,89 714,81 715,99 724,417 724,87 __— S vis © QOURUUSROMAUOORU HHHHHH+HH DEEE EEE D AIUDeNRLUDOE&ERODOURES 19 DR o EN 5 | 19 ot s = ot ! ol = 01 09 1 O1 Gt Ut DS SO NNWN=ISOSOOMMmOSND-S SOS — I 724,21 + »” TEMPÉRATURE EXTÉRIEURE ES lat. #70 22° 30", long.Ml EN DEGRÉS CENTIGRADES. : 1] Sh. | 5 h. 9 h. 8 h. du du du du Gr soir. soir. matin. | soir. | fR H14,4 | H2,5 | 11,5 | +12,5 QU 415,8 | 410,4 | 413,5 | 411,9 AR + 9,0 | 411,1 | + 8,6 | 411,5 MR H4,9 | 411,5 | + 9,9 | +12,4 H7,5 | H12,5 | + 94 | #12,80 417,9 | 412,5 | + 9,9 | 412,8 419,8 | 418,3 | + 8,5 | 418,5 À 418,8 | 412,8 | 416,6 | 412,5 À 410,9 | + 8,35 | 410,5 | + 8,5 n 412,8 | + 9,9 | + 5,8 | +10,0 415,6 | 412,1 | + 8,1 | 412,5 411,9 | + 8,8 | 410,5 | + 9,5 AE H5,4 | 412,5 | + 8,4 | 412,6 4 416,5 | 411,5 | + 9,5 | +11,9 0 417,5 | 412,4 | + 9,4 | 412,8 419,1 | 412,4 | H0,4-| 415,5 MR 415,6 | 411,5 | 411,6 | 412,5 AR 414,0 | 411,0 | 412,4 | 411,6 EI 412,5 | 410,0 | + 9,6 | 410,4 JR 416,1 | 412,5 | + 8,6 | 412,8 AR + 0,8 | + 6,1 | + 9,6 | + 6,5 MR 9,1 | 410,6 | + 7,1 | + 4,9 | + 7,5 48 8,6 | 410,5 | + 7,5 | + 4,1 | + 6,9 8,4 | 411,9 | + 7,5 | + 5,8 | + 7,5 0 8,8 | +9,35 | + 9,0 | + 6,5 | + 8,8 44 9,8 | 410,0 | + 9,5 | + 8,5 | + 9,5 AR 0,1 | 410,4 | 410,1 | + 9,3 | + 9,9 4 a,t | +5,6 | + 9,8 | + 2,5 | + 2,5 2,4 | +2,5 | + 0,5 | + 1,0 | + 0,6 @ 0,4 | + 0,4 | - 0,4 | — 1,1 0,0 0,5 | + 0,1 3,8 | - 2,0 | - 3,1 4 1,24 2,54] +9,55! + sa + 9,65 MÉTÉOROLOGIQUES. 431 Zurich, à 432 mètres au-dessus du niveau de la mer ; E. de Paris 6° 12" 25”. TEMPÉRAT. : | HYGROMEÈTRE. VENTS-. ETAT pu CIEL. EXTRÈMES. : mn, RC OS | 35h. 9 h. 9 heures 5 heures 9 h. 9 h. Midi.| du du du du du Midi, du soir. matin. soir. matin. soir, degr. | degr. | degr. Ë . 80,1 N-N-O clair. | clair. | nuag. pluie. | pluie. | couv. couv. | couv. | pluie, qq: n.| clair. | clair, bro. |clair. nuag. bro. |clair. | clair. clair. | qq. n. | nuag. qq. n. | couv. | cour. pluie. | couv. | couv. bro. |clair. | clair. clair. | clair. | clair. pluie. | pluie. | couv. couv. | sol.n, | sol, n. clair. | clair. | clair. bro. |clair. | clair, clair. | clair, | clair. bro. |clair, | clair. couv. | couv. | clair. bro. |bro. |clair, bro. |clair. | clair. couv. | couv. | qq. n. clair, | clair. | clair. bro. |nuag. | qq. n. couv. |clair. |clair. couv. | couv. | couv. bro. |bro. |bro. couv. | couv. |sol. n. qq. n. | sol. n. | couv couv. qqn. | qq. n. neige. | neISe. | couv. couv, | nuag.|qq. n. Hi ” s Laos © UNINNGUUYIE S © À DV ” Hs El e NOuywouuomoRrRre EX l noi L 4 A2222P 2 elore] _— » » à 2 "E mi ” O1 > © © © Œ ON f O1 OI DOG DO SD M [ 2 © - “ FE 29 Où An ZE2Z 9 5 ul 8 ss s AZ2OQ 09 “Oo s WOSNNS Se EI 0x ee 255 ! (ol 212 1 o= boue H'22t 20 e 22H20 - ee = @ © 1 et 19 HE + pSSous HOUR BR TE jet MIT CTrOr me - s ” JN|1© ” 2 tm procure A RINUSON OO +|+++ NS — 19 C1 | où 432 TABLEAUX MÉTÉOROLOGIQUES Pression atmosphérique. — La plus grande hauteur baro- métrique a eu lieu le 19 dans les trois stations ; elle a été de 737,13 à Genève , 574%",99 au St-Bernard, 733mm,79 à Zurich. La veille, comme nous l'avons déjà dit, une aurore boréale avait paru. La plus faible pression atmosphérique a aussi eu lieu le même jour (le 29) ; le baromètre marquait à Genève 711mm,55, au St.-Bernard 545"%,82, à Zurich 709"%,88. La moyenne des observations faites au St.-Bernard , à une heure après midi, et que nous n'avons pas insérées dans le tableau, est de 565,76. Température.— Nous continuons de voir que , dans les trois stations également, la moyenne, déduite des observations faites à 8 h. du matin et à 8h. du soir, estinférieure à celle qu'on déduit des maxima et des minima ; c’est ainsi que la première de ces moyennes est, pour Genève, +9°02, pour le St.-Ber- nard — 1°,0/, et pour Zurich +8°,84 , tandis que la seconde est de +10°,2, — 0°,16,+9°,62 pour ces stations prises dans le même ordre. La moyenne des observations faites au St.- Bernard , à 8 heures du matin, est de — 0°,66; celle de 8 h. du soir est de — 1°,42. TABLE DES MATIÈRES CONTENUES DANS LE TOME V‘. (Septembre et octobre 1836.) Des primes d'encouragement en France, par M. LuzuiN DE CHATEAUVIEUX (second article ). es tte Recherches sur l’origine de l'institution des caisses Pages. d'épargne, par M. le Profr Alphonse pe Cannoise. 25 Ebauche d’un essai sur les notions radicales, par Men PICHARD, . «us: amies 2. 42 Seconde excursion en Espagne, par l’auteur de PP PONT In SpAIR. ANS ana ass moven ve ae 61 D (Second are) 2 ds Lei 265 Lettre de Gibbon à M. d’Eyverdun à Leipsick....….. 96 Traité expérimental de l'électricité et du magnétisme et de leurs rapports avec les phénomènes naturels, pari Brconnnen eee OMROTMRT. 103 De la réforme des lois sur les pauvres en Angleterre. 217 Introduction de la vaccine en Syrie et dans le Mont- RAM CO par IC DE METVON. Es ere sac à nn 248 Piddessur la femme bre. ein memnauas 301 Histoire de la littérature allemande, par A. Prscnier. 329 Notice sur l’aurore boréale observée à Genève le 18 octobre 1836, par M. L.-F. WarTMANN...… 343 BULLETIN LITTÉRAIRE. Mémoires secrets et inédits de la cour de France sur la fin du règne de Louis XIV, etc. 122 Correspondance inédite de V duré avec cFr en Il, le président de Brosses, et autres personnages. 123 L'Egypte et la Turquie de 1829 à 1836, par MM. E. DE CaDaLvÈNE et J. DE BREUVERY................ 125 Grammaire chaldaïque de Winer, trad. par Aug LA Sos EE ea Ce D EU LU PPS 130 … Coup d'œil sur les tableaux de la population du Can- ton de Vaud , années 1834 et 1835 , par M. J. D nee ee pen senc ni 133 Essai d’inductions philosophiques d’après les faits , par MR eh ne ee di 352 Notice biographique sur M. Marc-Théod. Bourair.. 357 Contes orientaux trad. de l'allemand de Havrr....… 359 434 TABLE DU VOLUME. BULLETIN SCIENTIFIQUE. ASTRONOMIE. Pages Notice sur les grandes lunettes achromatiques, etc. (suite. ) 137 Addition relative à un passage de l’article précédent. . . .. 207 Notice sur les grandes lunettes achromatiques établies récem- ment en divers points de l’Europe, ete. .. :....... 361 PHYSIQUE. Rapport sur une lettre adressée à la Soc. Roy. de Londres par dL.-pE Hope ETIENNE En +. + 143 Observations faites par le D' Martin BARRY dans son ascen- sion 44 Mont-Blané:r:.,.145048 20108805 SO RU 149 Sur la faculté que possède l’électricité négative de se dissiper plus facilement dans l'air que l'électricité positive, par le FLOÉE GEULE 9 ETS RS ENS OO EN ER ER 152 Sur l'électricité de contact, par E.-J. KARSTEN. . . . . . . . 154 Cours de physique expérimentale, par le Proff F. MArcer. . . 371 Observations météorologiques faites à Rio de Janeiro en 1835, par MN EPB.-D'ONEMR IL UNSS NME OEES Ar: Sur le froid produit par l’évaporation dans le voisinage des cascades, par Gust. BISCHOFF. . . . . . . . . . . ON IOAISSS Lettre sur la phosphorescence du Lampyris italica, par M. M. CARBARA." 2.468 ADI ete tele nas RTC - 384 Extrait d’une lettre de M. Joseph Zampowr à M. A. FusiNiER1, sur la théorie électro-chimique des piles voltaïques. . . . 387 CHIMIE, Sur un moyen d'expliquer les anomalies que présente l’acide nitrique dans son action sur les métaux oxidables, par M. AID Moussa. 6 à SPL ASE AIONIRNE SPOESS 165 Quelques nouvelles observations sur la manière dont le fer se comporte avec l'acide nitrique, par le D' C. ScHænBEIN. 177 Expériences relatives au froid et à la chaleur développés par la dissolution des sels dans l’eau, par T. THomson. . . . . 182 Expériences sur la transmission des rayons chimiques du spectre solaire à travers diflérens milieux, par M"° Sow- MERVILLE. TABLE DU VOLUME. 435 Pages. Sur la manière dont le fer se comporte à l'égard de l’oxi- gène, par le D' C.-ScnôNpEIN. , , ..,.......... 397 Expériences relatives à Dore de l’air par l’eau, par de Dr THoMsonN. . +. . . . .-. . uen me me 0 0 100 . . 402 Sur les éthers produit par les acides hydrosulfurique et hy- drosélénique, par C. Lôüwic. . . . .... ... . . « 406 Sur la combinaison de brôme et de gaz hydrogène bivæ bonds 408 MINÉRALOGIE ET GÉOLOGIE. Extrait d’une notice sur l’éruption d'un marais tourbeux dans le comté d’Antrim en Irlande, par W.-P. HuNTER. . . . . . 184 Sur les mines d'or récemment reconnues dans l'Inde. . . . 187 De trois espèces nouvelles de Sauriens. . . , . . . . . . . . 189 Analyse du phosphate de plomb de Lead Hills, par le D° THOMSON. 064, U bebe est efié à shconieotele » je + 21409 Analyse du cuivre pyrileux, par RiCHARDSON. . . . . . . . 410 Observations géologiques faites de Mussooree à Gungotree dans la chaîne des monts Himalaya, par M. EVEREST. . . > BOTANIQUE. Observations sur la fleur de l'Œnothera Speciosa. . . . . . . 190 Sur l’origine des pieds de ginkgo femelles en Europe. . . . 192 Note sur quelques arbres d’une grande dimension, observés dans l’Orient, par M. CASTAGNE. . . . . . . . . . .. ve. "193 Effet des alcalis sur la végétation. . . . . .. HO ROROR EE 413 Recherches sur la constitution et le développa externe de l'écorce dans les Dicotylédones, par M. MoxL.. . . . ... 414 ZOOLOGIE. Trait remarquable de prévoyance d'un rossignol . . . . . . . 196 Sur la structure du labyrinthe osseux dans les poissons cy- clostomes, par M. Muzer .. ... .... MELLE 197 Découverte d'appendices externes aux organes respiratoires dans un insecte parfait, par M. GuÉRIN. . . . . . . . . . . > Note sur des étuis de phryganes envoyés du Brésil par M. MRÉNGHER EE 5... . . MÉLAE cn ee SR NS Note sur un insecte destructeur des Turneps. . . . . . . . . 201 436 TABLE DU VOLUME. Pages. Observations sur les habitudes de quelques espèces d’abeilles, par WATERHOUSE, . , , , , . .« . . . + . + . ÉDITER 0 AL Note sur un moyen de détruire la punaise des its , par M. FOURNRR RE Ce nee nets ete etre 203 Recherches sur le développement des mollusques, par M. E. JACQUEMIN . . .. . se elehe, ab chris ent ... + + 204 Remarques sur la difficulté de distinguer certains genres de mollusques testacés, par leurs coquilles seules, etc., par DE GRAS CRC Te -- Serre Indication de ET nouveaux travaux sur les mollusques. 205 Note sur les bélemnites, par M. Wozrz. .......... 206 Conspectus sectionum, generum, etc., quæ in fasciculo primo Prodromi descriptionum animalium, a Mertensio, obser- vatorum reperiuntur, aut. J.-F. BRANDT . . . . .. : . 207 Nouveau genre de vers trouvés dans les muscles de Phomiss H par MOYEN LA ER UNQS SAC ERNNTEUN AMBMLACEET CNATPUR » Notice sur l’Orang-outang du Jardin des Plantes. . . . . .. 417 Sur une nouvelle Belette du Népaul, par M. Hopcson. . . .. 419 Sur quelques mammifères nouveaux ou peu connus. . . . . . 420 Note sur la mue des serpens, par M. WooDRUFF. . , . . .. 421 Note sur les mœurs du Bembex rostrata (insectes hyménop- Réress) Mens te ete pren sc = . 423 Mémoire sur la famille des Béroïdes (zoophytes acaleghen par M; Lasson. Dune cc etant s'unir tie » OBSERVATIONS MÉTÉOROLOGIQUES faites à Genève, au Grand Saint-Bernard et à Zurich, pendant le mois de Septembre 1896, NM ani 2fcter ms En 209 Idem. pendant le mois d'octobre 1836. . ......... 425 LL ALI 4 LR Or M à MÉGELLC a L'ACIPENT LE PAT À ; * FL LBA 4 [A « ee 91 Jin di Juil | Hs h ! ; ns fus Qt LU HELD 4,4 ’ ON À. re Ut ee RAA