Lf4?Xc)7~ yJ'VLrf HISTOIRE NATURELLE DES POISSONS. TOME QUATRIÈME. 4 / J J? ' HISTOIRE NATURELLE DES POISSONS, Par le O* LÀCEPEDE. TOME QUATRIEME, A PARIS, A LA LIBRAIRIE STEREOTYPE le P. DIDOT l’aine, GALERIES DU LOUVRE, N° 3, ET FrRMIN DIDOT, RUE DE THIONYILLE, N° 1 l6. AN Y II. — 1799. AVERTISSEMENT E T EXPLICATION DE QUELQUES PLANCHES. Buffon, Daubenton, et Monteelli ard5 méditaient chaque joui* de nombreux tra- vaux ? lorsque je publiai le premier des volumes qu’ils m’avoient chargé d’ajou- ter à leurs immortelles productions. Bien- tôt Montbelliard nous fut enlevé ; et peu de temps après , Buffon ayant ter- miné sa glorieuse carrière , le second de mes volumes ne parut qu’au milieu des témoignages de ma douleur et des hommages de tous les sentimens que j’a- vois voués à mon second père. Dauben- ton vivoit encore , et pour la science , et pour ses amis. Un coup imprévu vient de le frapper au milieu des trophées civiques «t littéraires élevés en son honneur. Resté i 6 AVERTISSEMENT, seul de cette réunion fameuse , à laquelle l’indulgence et l'amitié a voient bien voulu m’associer, que ne puis-je graver sur un monument plus durable que le nouvel ouvrage que je présente au public : AU FONDATEUR DE L’ANATOMIE COMPARÉE, AU PROPAGATEUR DE L’HISTOIRE NATURELLE ET DE LA PHYSIQUE VÉGÉTALE , AU BIENFAITEUR DES CAMPAGNES , a l’homme juste , l’ami constant , le véritable sage, A L’ILLUSTRE COMPAGNON DE BUFFON , A DAUBENTON, PAR LA VÉNÉRATION , L’AMITIÉ FIDÈLE , ET LA TENDRE RECONNOISSANCE. Nous avons déjà publié dans les trois premiers volumes la figure de plusieurs espèces. Ces poissons sont: Le diodon atinga , représenté planche 6 , fig* 3, ome III. Le diodon plumier, pl. 3, fig. 3 , tome I. Le diodon gfbe, pl. 5, fig. 3, tome III. Le lépadpgastèrQ gouan 9 pl. 7 , fig* 3 et 4 , lome III. AVERTISSEMENT. y Le cenlrisquc cuirassé , pi. i, fig. 2, tome III. Le centrisque bécasse , pl. 1, fjg. 3, tome III. Le régalée lancéolé 3 pl.4, fig. 3, tome III, sous le 110m d ’ophidie chinoise . PLANCHE II du deuxième volume. La fig. I représente la raie fabronienne , vue par-dessous ; et la fig. 2 , la tête de la même raie , vue par côté. , ■ ' HISTOIRE NATURELLE. DISCOURS SUR LA DURÉE DES ESPÈCES. La Nature comprend l’espace , le temps et la matière. L’espace et le temps sont deux immen- sités sans bornes , deux infinis que l'ima- gination la plus élevée ne peut entre- voir 5 parce qu’ils ne lui présentent ni commencement ni fin. La matière les soumet à l’empire de l’intelligence. Elle a une forme ; elle circonscrit donc l’es- pace. Elle se meut ; elle limite donc le temps. La pensée mesure l’étendue ; l’at? IO SUR LA DURÉE tention compte les intervalles de la du- rée , et la science commence. Mais si la matière en mouvement nous apprend à connoître le temps , que la durée nous dévoile la suite des mouve- rnens de la matière ; qu’elle nous révèle ses changemens ; qu’elle nous montre sur- tout les modifications successives de la matière organisée, vivante, animée et sensible ; qu’elle en éclaire les admi- rables métamorphoses ; que le passé nous serve à compléter l’idée du présent. Tel étoit le noble objet de la médita- tion des sages , dans ces contrées fa- meuses dont le nom seul réveille tant de brillans souvenirs , dans cette Grèce poétique, l’heureuse patrie de l’imagina- tion , du talent et du génie. Lorsque l’automne n’exerçoit plus qu’une douce influence , que les zéphyrs légers balançoient seuls une atmosphère qui n’étoit plus embrasée par les feux dévorans du midi , et que les fleurs tar- dives n’embellissoient que pour peu de temps la verdure qui bientôt devoit aussi cesser de revêtir la terre, ils alloient 9 II DES ESPÈCES, sur le sommet d’un promontoire écarté , jouir du calme de la solitude , du charme de la contemplation , et de l’heureuse et cependant mélancolique puissance d’une saison encore belle près de la fin de sou règne enchanteur. Le soleil étoit déjà descendu dans Ponde ; ses rayons ne doroient plus que le sommet des montagnes; le jour alloit finir ; les vagues de la mer , mollement agitées , venoient expirer doucement sur la rive; les dépouilles des forêts , paisi- blement entraînées par un souffle presque insensible , tomboient silencieusement sur le sable du rivage : au milieu d’une rêverie touchante et religieuse, l'image d’un grand homme que l’on avoit perdu, le souvenir d’un ami que l’on avoit ché- ri, vivifioient le sentiment, auimoient la pensée, échauffoient l’imagination ; et la raison elle-même , cédant à ces inspira- tions célestes , se plongeoit dans le passé , et remontoit vers l’origine des êtres. Quelles lumières ils puisoient dans ces considérations sublimes ! Quelles hautes conceptions peut nous 12 SUR LA DURÉÈ donner une vue même rapide des grands objets qui enchaînoient leurs réflexions et charmoient leurs esprits ! A leur exemple , étendons nos regards sur le temps qui s’avance, aussi-bien que sur le temps qui fuit. Sachons voir ce qui sera , dans ce qui a été ; et par une pensée hardie, créons, pour ainsi dire, l’avenir en portant le passé au-delà du point où nous sommes. Dans cette admirable et immense suite d’événemens , quelle considération géné- rale nous frappe la première ? Les êtres commencent , s’accroissent, décroissent et finissent. L’augmentation et la diminution de leur masse , de leurs formes , de leurs qualités , composent seules leur durée particulière. Elles se suc- cèdent sans intervalle. Autant la Nature est constante dans ses lois p autant elle est variable dans les effets qui en dé- coulent. L’instabilité est de l’essence de la durée particulière des êtres ; et le néant en est le terme , comme il en a été le principe. Le néant ! C’est donc à cet abîme qu’a- DES ESPÈCES. i3 boutissent et ce que nos sens nous dé- couvrent dans le présent, et ce que la mémoire nous montre dans le passé , et ce que la pensée nous indique dans l’ave- nir. Tout s’efface , tout s’évanouit. Et ces dons si recherchés , la santé , la beauté , la force ; et ces produits de l’industrie humaine, dont se composent les richesses, la supériorité , la puissance; et ces chefs- d’œuvre de l’art , que l’admiration re- connoissante a , pour ainsi dire , divini- sés ; et ces monumens superbes que le génie a voulu élever contre les efforts des siècles sur l’Asie , l’Afrique et l’Europe étonnées ; et ces pyramides que nous nommons antiques , parce que nous igno- rons combien de millions de générations! ont disparu depuis que leur hauteur riva- lise avec celle des montagnes ; et ces ré- sultats du besoin ou de la prévoyance du philosophe, les lois qui constituent les peuples, les institutions qui les protègent, les usages qui les régissent , les mœurs qui les défendent , la langue qui les dis- tingue ; et les nations elles - mêmes se répandant au-dessus des vastes ruines 2 14 SUR LA DURÉE des empires écroulés les uns sur les autres ; et les ouvrages en apparence si durables de la Nature, les forets touffues, les Andes sourcilleuses, les fleuves rapides , les îles nombreuses , les continens , les mers y bien plus pi es de cesser d’être que la gloire du grand homme qui les illustre ; et cette gloire elle-même j et le théâtre de toute re- nommée , le globe que nous habitons ; et les sphères qui se meuvent dans les es- paces célestes ; et les soleils qui resplen- dissent dans l’immensité; tout passe, tout disparoît , tout cesse d’exister. Mais tout s’efface par des nuances va- riées comme les différens êtres ; tout tombe dans le gouffre de la non - exis- tence , mais par des degrés très-inégaux ; et les divers êtres ne s’y engloutissent qu’après des durées inégales. Ce sont ces durées particulières , si di- versifiées et par leur étendue et par leur graduation , que Ton doit chercher à con- lïoître. Qu’il est important d’essayer d’en dé- terminer les époques ! Consacrons donc maintenant nos efforts DES ESPÈCES. i5 à nous former quelque idée de celle des espèces qui vivent sur le globe. Quelle lumière plus propre à nous mon- trer leurs véritables traits , que celle que nous pourrions faire briller en traçant leurs annales ! Mais pour que nos tentatives puissent engager les amis de la science à conqué- rir cette belle partie de l’empire de la Nature , non seulement n’étendons d’a- bord nos recherches que vers la durée des espèces qui ont reçu le sentiment avec la vie , mais ne considérons en quel- que sorte aujourd’hui que celle des espèces d’animaux pour lesquelles nous sommes aidés par le plus grand nombre de monu- mens déposés par le temps dans les pre- mières couches de la terre , et faciles à découvrir , à décrire et a comparer. Que l’objet principal de notre examen soit donc , dans ce moment, la durée de quelques unes des espèces dont nous avons entrepris d’écrire l’histoire : en rap- prochant les uns des autres les résultats de nos efforts particuliers , en découvrant les ressemblances de ces résultats , en i6 SUR LA DURÉE tenant compte de leurs différences , en réunissant les produits de ces diverses comparaisons , en soumettant ces pro- duits généraux à de nouveaux rappro- chemens , et en parcourant ainsi succes- sivement différens ordres d’idées , nous tâcherons de parvenir à quelques points de vue élevés d’où nous pourrons indi- quer, avec un peu de précision, les dif- férentes routes qui conduisent aux divers côtés du grand objet dont nous allons essayer de contempler une des faces. Le temps nous échappe plus facilement encore que l’espace. L’optique nous a soumis l’univers : nous ne pouvons saisir le temps qu’en réunissant par la pensée les traces de ses produits et de ses ravages, en découvrant l’ordre dans lequel ils se sont succédés , en comptant les mouve- mens semblables par lesquels ou pendant lesquels ils ont été opérés. Mais pour employer avec plus d’avan- tage ce moyen de le conquérir, méditons un instant sur les deux grandes idées dont se compose notre sujet, durée des çspèces ; tachons de ne pas laisser de voile DES ESPÈCES. 17 au-devant de ces deux objets de notre réflexion ; déterminons avec précision notre pensée ; et d’abord distinguons avec soin la durée de l’espèce d’avec celle des individus que l’espèce renferme. C’est un beau point de vue que celui d’où l’on compareroit la rapidité des dé- gradations d’une espèce qui s’avance vers la fin de sou existence , avec la brièveté des instans qui séparent la naissance des individus , du terme de leur vie. Nous le recommandons , ce nouveau point de vue , à l’attention des naturalistes. En effet , ni les raisonnemens d’une théorie éclairée, ni les conséquences de l’examen des monumens , ne laissent encore entre- voir aucun rapport nécessaire entre la longueur de la vie des individus et la permanence de l’espèce. Les générations des individus paroissentpouvoir être mois- sonnées avec plus ou moins de vitesse , sans que l’espèce ait reçu plus ou moins de force pour résister aux causes qui l’al- tèrent , aux puissances qui l’entraînent vers le dernier moment de sa durée. Un individu cesse de vivre quand ses organes i8 SUR LA DURÉE perdelrt leurs formes , leurs qualités , ou leurs liaisons; une espèce cesse d’exister, lorsque l’effet de ses modifications suc- cessives fait évanouir ses attributs dis- tinctifs : mais les formes et les propriétés dont l’ensemble constitue la vie d’un individu, peuvent être détruites ou sé- parées dans cet être considéré comme isolé , sans que les causes qui les désu- nissent ou les anéantissent, agissent sur les autres individus , qui dès-lors pro- longent l’espèce jusqu’au moment où ils sont frappés à leur tour. D’ailleurs ces mêmes causes peuvent diminuer l’inten- sité-de ces qualités , et altérer les effets de ces formes, sans les modifier dans ce qui compose l’essence de l’espèce ; et ces mo- difications qui dénaturent l’espèce, peu- vent aussi 'se succéder, sans que les or- ganes cessent de jouer avec assez de li- berté et de force pour conserver le feu de la vie des individus. Quels sont donc les caractères distinc- tifs des espèces ? ou pour mieux dire , qu’est- ce qu’une espèce? Tous ceux qui cultivent Ta science de DES ESPÈCES. ig la Nature , emploient à chaque instant ce mot espèce , comme une expression très - précise. Ils disent que- tel animal appartient à telle espèce , ou qu’il en est une variété passagère ou constante , ou qu’il ne peut pas en faire partie; cepen- dant combien peu de naturalistes ont une notion distincte du sens qu’ils attachent à ce mot , même lorsqu’ils ont donné des règles pour parvenir à l’appliquer ! Quelques auteurs Tout défini ; mais si on déterminoit les limites des espèces d’a- près leurs principes , combien ne réuni- roit-on pas d’êtres plus différens les uns des autres que ceux que Ton tiendroit séparés î Que la lumière du métaphysicien con- duise donc ici l’ami de la Nature. Les individus composent l’espèce ; les espèces , le genre ; les genres , l’ordre ; les ordres , la classe ; les classes , le règne ; les règnes , la Nature. Nous aurons fait un grand pas vers la détermination de ce mot espèce , si nous indiquons les différences qui se trouvent entre les rapports des individus avec sd SUR LA DURÉE l’espèce , et deux des espèces avec le genre. Tous les individus d’une espèce peuvent se ressembler dans toutes leurs parties y et de manière qu’on ne puisse les dis- tinguer les uns des autres qu’en les voyant à la fois ; les espèces d’un genre doivent différer les unes des autres par un trait assez marqué pour que chacune de ces espèces , considérée même séparément , ne puisse être confondue avec une des autres dans aucune circonstance. L’idée de l’individu amène nécessaire- ment l’idée de l’espèce : on 11e peut pas concevoir l’un sans l’autre. Une espèce existerait donc , quoiqu’elle ne présentât qu’un seul individu , et quand bien même on la supposeroit seule. O11 11e peut ima- giner un genre avec une seule espèce , qu’autant qu’on le fait contraster avec un autre genre. O11 doit donc rapporter à la même es- pèce deux individus qui se ressemblent en tout. Mais lorsque deux individus présentent de$ différences qui les dis- tinguent , d’après quel principe faudra- DES ESPÈCES. 21 t-il se diriger pour les comprendre ou ne pas les renfermer dans la même espèce? De quelle nature doivent être ces dissem- blances offertes par deux êtres organisés, ' du même âge et du même sexe, pour qu’on les considère comme de deux es- pèces différentes ? Quel doit être le nom- bre de ces différences ? Quelle doit être la constance de ces signes distinctifs ? ou , pour mieux dire , quelles doivent être la combinaison ou la compensation de la nature , du nombre et de la permanence de ces marques caractéristiques ? En un mot, de quelle manière en doit-on tracer l’échelle? Et lorsque cette mesure géné- rale aura été graduée, par combien de degrés faudra-t-il que deux êtres soient séparés , pour n’être pas regardés comme de la même espèce ? Il y a long-temps que nous avons tâché de faire sentir la nécessité de la solution de ces problèmes» Plusieurs habiles natu- ralistes partagent maintenant notre opi- nion à ce sujet. Nous pouvons donc concevoir l’espérance de voir réaliser le grand travail que nous desirons à ce£ égard. 22 SUR LA DURÉE Les principes généraux , fondés sur l'observation , dirigeront la composition et la graduation de l’échelle que nous proposons , et dont il faudra peut-être autant de modifications qu’il y a de grandes classes d’êtres organisés. Mais , nous sommes obligés de l’avouer, la dé- termination du nombre de degrés qui constituera la diversité d’espèce , ne pourra être constante et régulière qu’au- tant qu’elle sera l’effet d’une sorte de convention entre ceux qui cultivent la science. Et pourquoi ne pas proclamer une vérité importante ? Il en est de l’es- pèce comme du genre, de l'ordre et de la classe; elle n’est au fond qu’une abs- traction de l’esprit , qu’une idée collec- tive , nécessaire pour concevoir, pour comparer , pour connoître , pour ins- truire. La Nature n’a créé que des êtres qui se ressemblent, et des êtres qui dif- fèrent. Si nous ne voulions inscrire dans une espèce que les individus qui se res- semblent en tout , nous pourrions dire que l’espèce existe véritablement dans la Nature et par la Nature. Mais les produits D E S E S P È C E S. z3 de la même portée ou de la même ponte sont évidemment de la même espèce; et cependant combien de différences au moins superficielles ne présentent - ils pas très-fréquemment! Dès l’instant que nous sommes obligés d’appliquer ce mot espèce à des individus qui ne se ressemblent pas dans toutes leurs parties, nousnenous ar- rêtons à un nombre de dissemblances plu- tôt qu’à un autre , que par une v ue de l’esprit fondée sur des probabilités plus ou moins grandes ; nous sommes dirigés par des observations comparées plus ou moins convenablement : mais nous ne trouvons dans la Nature aucune base de notre choix , solide , immuable , indé- pendante de toute volonté arbitraire. En attendant que les naturalistes aient établi sur la détermination de l’espèce la convention la plus raisonnable , nous suivrons cette sorte de définition vague, ce résultat tacite d’une longue habitude d’observer, ce tact particulier, fruit de nombreuses expériences, qui a guidé jus- qu’ici les naturalistes les plus recomman- dables par la variété de leurs comtois- 24 S D 11 1 A D U E I É sauces et la rectitude de leur esprit. Ët afin que cet emploi forcé d’une méthode imparfaite à quelques égards ne puisse jeter aucune défaveur sur les consé- quences que nous allons présenter, nous restreindrons toujours dans des limites si étroites l’étendue de l’espèce , qu’au- cune manière plus parfaite de la considé- rer ne pourra à l’avenir nous obliger à rapprocher davantage ces bornes , ni par conséquent à nous faire regarder comme appartenant à deux espèces distinctes , deux individus que nous aurons consi* dérés comme faisant partie de la même. Une espèce peut s’éteindre de deux ma- nières. Elle peut périr toute entière,. et dans un temps très -court, lorsqu’une catas- trophe violente bouleverse la portion de la surface du globe sur laquelle elle vi- voit, et que l’étendue ainsi que la rapi« dité du mouvement qui soulève , ren- verse , transporte , brise et écrase , ne permettent à aucun individu d’échapper à la destruction. Ces phénomènes funestes sont des événemens que l’on peut consi- DES ESPÈCES. 2 S défer, relativement à la durée ordinaire des individus , et même des espèces , comme extraordinaires dans leurs effets, et irréguliers dans leurs époques. Nous ne devons donc pas nous servir de la comparaison de leurs résultats pour tâ- cher de parcourir la route que nous nous sommes tracée. Mais, indépendamment de ces grands coups que la Nature frappe rarement et avec éclat, une espèce disparoît par une longue suite de nuances insensibles- et d’altérations successives. Trois causes principales peuvent l’entraîner ainsi de dégradation en dégradation. Premièrement , les organes qu’elle pré- sente , peuvent perdre de leur ligure, de leur volume , de leur souplesse , de leur élasticité, de leur irritabilité, au point de 11e pouvoir plus produire, trans- mettre ou faciliter les mouvemens né- cessaires à l’existence. Secondement , l’activité de ces mêmes organes peut s’accroître à un si haut de- gré , que tous les ressorts tendus avec trop de force , ou mis en jeu avec trop o 26 SUE. LA DURÉE de rapidité , et ne pouvant pas résister à une action trop vive ni à des efforts trop fréquens , soient dérangés , réfor- més et brisés. Troisièmement, l’espèce peut subir un si grand nombre de modifications dans ses formes et dans scs qualités , que, sans rien perdre de son aptitude au mouvement vital, elle se trouve, par sa dernière conformation et par ses der- nières propriétés , plus éloignée de son premier état que d’une espèce étran- gère : elle est alors métamorphosée eu une espèce nouvelle. Les élémens dont elle est composée dans sa seconde ma- nière d’être , sont de meme nature qu’au- paravant; mais leur combinaison a chan- gé : c’est véritablement une seconde espèce qui succède à l’ancienne ; une nouvelle époque commence : la première durée a cessé pour être remplacée par une autre ; et il faut compter les instans d’une seconde existence. Maintenant si nous voulons savoir dans quel ordre s’opèrent ces diminutions , ces accroissemens , ces changemens de la DES ESPÈCES. 27 conformation de l’espèce , de ses pro- priétés , de ses attributs , si nous voulons chercher quelle est la série naturelle de ces altérations , et reconnoître la succes- sion dans laquelle ces dégradations pa- roissent le plus liées les unes aux autres , nous trouverons que l’espèce descend vers la fin de sa durée par une échelle composée de douze degrés principaux. Nous verrons au premier de ces de- grés les modifications qu’éprouvent les tégumens dans leur contexture et dans les ramifications des vaisseaux qui les arrosent, au point d’influer sur la faculté de réfléchir ou_ d’absorber la lumière , et de changer par conséquent le ton ou la disposition des couleurs. Ces modifications peuvent être plus grandes ; et alors les tégumens variant , non seulement dans les nuances dont ils sont peints, mais encore dans leur na- ture , offrent le second degré de la dé- génération de l’espèce. Le changement de la grandeur et celui des proportions offertes par les dimen- sions , constituent le troisième et le qua- trième degré de l’échelle. 28 SUR LA DURÉE Au cinquième degré nous plaçons les altérations des formes extérieures ; au sixième , celles des organes intérieurs ; et nous trouvons au septième l’affoiblis- sement ou l’exaltation de la sensibilité dans les êtres qui en sont doués. Nous y découvrons par conséquent toutes les nuances de perfection ou d’hébêtation que peuvent montrer le tact et le goût, ces deux sens nécessaires à tout être animé ; et nous y voyons de plus toutes les variétés qui résultent de la présence ou de l’absence de l’odorat , de la vue et de l’ouïe , et de toutes les diversités d’intensité que peuvent offrir ces trois sens moins essentiels à l’existence de l’animal. Les qualités qui proviennent de ces grandeurs , de ces dimensions , de ces formes , de ces combinaisons de sens plus ou moins actifs et plus ou moins nombreux , appartiennent au huitième degré ; la force et la puissance que ces qualités font naître , constituent par leurs variations le neuvième degré de l’échelle des altérations que nous voulons étu=» DES ESPÈCES. 29 (lier ; et lorsque l’espèce parcourt , pour ainsi dire , le dixième , le onzième et le douzième degré de sa durée , elle offre des modifications successives , d’abord dans ses habitudes , ensuite dans les mœurs , qui se composent de l’influence des habitudes les unes sur les autres , et enfin dans l’étendue et la nature de son séjour sur le globe. Lorsque les causes qui produisent cette série naturelle de pas faits par l’espèce vers sa disparition , agissent dans un ordre différent de celui qu’elles obser- vent ordinairement , elles dérangent la succession que nous venons d’exposer : les changemens subis par l’espèce sont les mêmes ; mais les époques où ils se manifestent , ne sont plus coordonnées de la même manière. La dépendance mutuelle de ces épo- ques est encore plus troublée , lorsque l’Art se joint à la Nature pour altérer une espèce et en abréger la durée. L’Art , en effet , dont un des carac- tères distinctifs est d’avoir un but li- mité , pendant que la Nature a toujours 3o SUR LA DURÉE des points de vue immenses , franchit tout intervalle inutile au succès parti- culier qu’il desire , et auquel il sacrifie tout autre avantage. 11 est , pour ainsi dire , de l'essence de l’Art, de tyranniser par des efforts violens les êtres que la Nature régit par des forces insensibles : et l’on s’en convaincra d’autant plus qu’on réfléchira avec quelque constance sur les différences que nous allons faire remarquer entre la manière dont la Nature fait succéder une espèce à une autre , et les moyens que l’Art emploie pour altérer celle sur laquelle il agit: ce qu’il appelle la perfectionner , et ce qui ne consiste cependant qu’à la rendre plus propre à satisfaire ses besoins. Lorsque la Nature crée dans les es- pèces , des rouages trop compliqués qui s’arrêtent , ou trop simples qui se dé- rangent ; des ressorts trop foibîes qui se débandent , ou trop tendus qui se rom- pent ; des organes extérieurs trop dis- proportionnés par leur nombre , leur division , ou leur étendue, aux fonctions qu'ils doivent remplir j des muscles trop DES ESPÈCES. 3i inertes , ou trop irritables ; des nerfs trop peu sensibles , ou trop faciles à émouvoir; des sens soustraits par leur place et par leurs dimensions à une assez grande quantité d’impressions 5 ou trop exposés par leur épanouissement à des ébranlemens violens et fréquemment ré- pétés ; et enfin , des moüvemens trop lents ou trop rapides ; elle agit par des forces foiblement graduées , par des opé- rations très-prolongées , par des cli an- ge mens insensibles. L’Art , au contraire , lorsqu’il parvient à faire naître des altérations analogues , les produit avec rapidité , et par une suite d’actions très - distinctes et peu nombreuses. La Nature étend son pouvoir sur tous les individus ; elle les modifie en même temps et de la même manière ; elle change véritablement l’espèce. L’Art ? 11e pouvant soumettre à ses procédés qu’une partie de ces indivi- dus , donne le jour à une espèce nou- velle , sans détruire l’ancienne : il n’al- tère pas , à proprement parler 3 l’espèce ; il la double. 3a SUR L A D U R É E Il 11e dispose pas , comme la Nature , de l’influence du climat. Il 11e détermine ni les élémens du fluide dans lequel l’es- pèce est destinée à vivre, ni sa densité 1 , ni sa profondeur2 , ni la chaleur dont les rayons solaires ou les émanations ter- restres peuvent le pénétrer , ni son hu- midité ou sa sécheresse ; en un mot , aucune des qualités qui , augmentant ou diminuant l’analogie de ce fluide avec les organes de la respiration , le rendent plus ou moins propre à donner aux sucs 1 Tout égal d’ailleurs, un fluide reçoit et perd la chaleur avec d’autant plus de facilité que sa den- sité est moindre. 2 Le savant et habile physicien baron de ÏÏum- boltz a trouvé que l’eau de la mer a, sur tous les bas-fonds, une température plus froide de deux, trois ou quatre degrés , qu’au-dessus des profon- deurs voisines. Cette observation est consignée dans une lettre adressée par ce célèbre voyageur, de Garaccas en Amérique, à mon confrère Lalande, et que cet astronome a bien voulu me commua niquer. DES ESPÈCES. 33 nourriciers le mouvement vivifiant et réparateur *. Lorsque la Nature fixe le séjour d’une * Nous avons déjà montré, dans le premier Dis- cours et dans plusieurs articles particuliers de cette Histoire, comment un fluide très-chaud, très-sec, ou Composé de tel ou tel principe, pouvoit donner la mort aux animaux forcés de le respirer par un organe peu approprié, et par conséquent comment, lorsque Faction de ce fluide n’étoit pas encore aussi funeste, elle pouvoit cependant altérer les facultés, diminuer les forces, vicier les formes des individus, modifier l’espèce , en changer les caractères , en abréger la durée. Au reste , nous sommes bien aises de faire remarquer que l’opinion que nous avons émise en appliquant ces principes à la mort des poissons retenus hors de l’eau, est conforme aux idées de physique adoptées clans la Grèce et dans l’Asie mineure dès le temps d’Homère, et recueil- lies dans l’un des deux immortels ouvrages de ce beau génie. Ce père de la poésie européenne com- pare en effet, dans le vingt-deuxième livre de son Odyssée , les poursuivans de Pénélope , défaits par Ulysse , à des poissons entassés sur un sable aride , regrettant les ondes qu’ils viennent de quitter, et palpitant par fleffet de la chaleur et de la séche- resse_ de Y air } qui bientôt leur ôtent la vie. SUR LA DUREE 34 espèce auprès d’un aliment particulier , la quantité que les individus en consom- ment , n’est déterminée que par les be- soins qu’ils éprouvent. L’Art , en altérant les individus par la nourriture , contraint leur appétit , les soumet à des privations , ou les force à s’assimiler une trop grande quantité de substances alimentaires. La Nature ne commande que la qualité de ces memes alimens ; l’Art en ordonne jusqu’à la masse. Ce n’est qu’à des époques incertaines et éloignées , et par l’effet de circons- tances que le hasard seul paroît réunir y que la Nature rapproche des êtres qui , remarquables par un commencement d’altération dans leur couleur , dans leurs formes ou dans leurs qualités , se perpé- tuent par des générations, dans la suite desquelles ces traits particuliers , que de nouveaux hasards maintiennent, forti- fient et accroissent , peuvent constituer une espèce nouvelle. La réunion des individus dans lesquels on apperçoit les premiers linéamens de la D E S E S P È C E S. 35 nouvelle espèce que l’on desire de voir paroître , leur reproduction forcée , et le rapprochement des produits de leur mélange , qui, offrent le plus nettement les caractères de cette même espèce , sont au contraire un mojren puissant , prompt et assuré , que l’Art emploie fréquemment pour altérer les espèces y et par conséquent pour en diminuer la durée. La Nature change ou détruit les espèces en multipliant au-delà des premières pro- portions d’autres espèces prépondérantes, en propageant, par exemple , l’espèce humaine , qui donne la mort aux êtres qu’elle redoute et ne peut asservir , et relègue du moins dans le fond des dé- serts , dans les profondeurs des forêts ou dans les abîmes des mers , les animaux dangereux qu’elle ne peut ni enchaîner ni immoler. L’Art seconde sans doute cet acte ter- rible de la Nature , en armant la main de l’homme de traits plus meurtriers ou de rets plus inévitables : mais d’ailleurs il attire , au lieu de repousser \ il séduit, 36 SUR LA DURÉE au lieu d’effrayer; il trompe, au lieu de combattre; il bâte par la ruse les effets d’une force qui n’acquerroit toute sa su- périorité que par une longue suite de gé- nérations trop lentes à son gré ; il s’adresse aux besoins des espèces sur lesqueiies il veut régner; il achète leur indépendance en satisfaisant leurs appétits; il affecte leur sensibilité ; il en fait des voisins cons- tans , ou des cohabitans assidus , ou des serviteurs affectionnés et volontaires , ou des esclav es contraints et retenus par des fers; et dans tous les degrés de son em- pire , il modifie avec promptitude les formes par l’aliment, et les qualités par l’imitation , par l’attachement ou par la crainte. Mais pour mieux juger de tous les ob- jets que nous venons d’exposer, pour mieux déterminer les changemens dans les qualités qui entraînent des modifica- tions dans les habitudes , pour mieux recounoître les variétés successives que peuvent présenter les formes, pour mieux voir la dépendance mutuelle des formes, des qualités et des mœurs , il faut consi- DES ESPÈCES. 3? tïérer avec soin la nature de l’influence des diverses conformations. Premièrement, il faut rechercher si la nouvelle conformation que l’on recon- nût t , peut accroître ou diminuer d’une manière un peu remarquable les facultés de l’animal; si elle peut modifier sensi- blement ses instrumens , ses armes , sa vitesse, ses vaisseaux, ses sucs digestifs, ses alimens , sa respiration , sa sensibi- lité , etc. Par exemple, un de nos plus habiles anatomistes modernes, mon con- frère le citoyen Cuvier, a démontré qu’il existait entre les éîéphans d’Asie , ceux d’Afrique , et ceux dont les ossemens fos- siles ont été entassés en tant d’endroits de l’Asie ou de l’Europe boréale , des dif- férences de conformation assez grandes pour qu’ils doivent être considérés comme appartenant à trois espèces distinctes; et cependant des naturalistes ne pourraient pas se servir de cette belle observation pour contester à des géologues la ressem- blance des habitudes et des besoins de l’éléphant d’Asie avec ceux que devoit oflrir l’élépliaut de Sibérie, puisque c@ Poissons. IV, 4 38 SUR LA DURÉE même éléphant d’Asie et l’éléphant d’A- frique présentent les mêmes facultés et les mêmes moeurs , quoique leurs formes soient pour le moins aussi dissemblables que celles des éléphans asiatiques et de» éléphans sibériens. Secondement , une forme particulière qui donne à un être une faculté nouvelle, doit être soigneusement distinguée d’une forme qui retrancherait au contraire une ancienne faculté. La première peut n’in- terrompre aucune habitude; la seconde altère nécessairement la manière de vivre de ranimai. On sera convaincu de cette vérité , si l’on réfléchit que, par exemple, la conformation qui doueroit une espèce du pouvoir de nager , 11e la confin croit pas au milieu des eaux , tandis que celle qui la priveroit de cette faculté , lui in- terdirait un grand nombre de ses actes antérieurs. Ajoutons à cette considération importante , que la même conformation qui accroît une qualité essentielle dans certaines circonstances , peut l’affoiblir dans d’autres ; et pour préférer de citer les faits les plus analogues à l’objet DES ESPÈCES. 3<) général de cet ouvrage, ne verroit-on pas aisément que les espèces aquatiques peu- vent recevoir d’une tête alongée , d’un inuseaupointu , d’un appendice antérieur très-délié , en un mot d’un avant de très- peu de résistance , une natation plus ra- pide , lorsque l’animal ne s’en sert qu’au milieu de lacs paisibles , de fleuves peu impétueux, de mers peu agitées; mais que cette même conformation , en sur- chargeant leur partie antérieure , en gê- nant leurs mouvemens, en éloignant du cen tre de leurs forces le bout duievier qui doit contre - balancer Faction des flots , peut diminuer beaucoup la célérité de leur poursuite , ainsi que la promptitude de leurs évolutions , au milieu de l’océan bouleversé par la tempête ? Tâchons maintenant d’éclaircir ce que nous venons de dire , en particularisant nos idées , en appliquant quelques uns des principes que nous avons posés , en réalisant quelques unes des vues que nous avons proposées. L’espèce humaine , ce grand et pre- mier objet des recherches les plus im- 4ô SUR LA DURÉE portantes , ne doit cependant pas être dans ce moment celui de notre examen particulier. L’homme a créé Fart par son intelli- gence ; et bravant avec succès , par le secours de son industrie , presque toutes les attaques de la Nature , contre-balan- çant sa puissance , combattant avec avan- tage le froid, le chaud, 'l'humidité, la sécheresse , tous ses ageiis les plus puis- sans , parvenu à se garantir des impres- sions physiques , en même temps qu’il s’est livré aux sensations morales , il a gagné autant de stabilité dans les attri- buts des êtres vivans et animés, que de mobilité dans ceux qui font naître le sentiment , l’imaghration et la pensée. D’ailleurs , que savons -nous de l’his- toire de cette espèce privilégiée ? Avons- nous découvert dans le sein de la terre quelques restes échappés aux ravages des siècles reculés , et qui puissent nous instruire de son état primitif * ? La Nature * Consultez particulièrement à ce sujet un Mé- moire très-judicieux et très-important que le savant Fords vient de publier dans le Journal de phj* signe de floréal an 8. DES ESPÈCES. 41 nous a-t-elle laissé quelques monuraens qui nous révèlent les formes et les qua- lités qui distinguoient cette espèce su- périeure dans les temps voisins de son origine? A-t-elle transmis elle - même quelques doc urne ns de ces âges antiques témoins de sa première existence ? A-t-elle pu élever quelque colon 11 e milliaire sur la route du temps , avant que plusieurs siècles n’eussent déjà donné à son intel- ligence tout son développement , à ses attributs toute leur supériorité , à sou pouvoir toute sa prééminence ? Si nous jetons les yeux sur l’une ou l’autre des trois races principales que nous avons cru devoir admettre dans l’espèce humaine * , que dirons-nous d’abord des modifications successives de la race nè- gre, de cette race africaine dont nous connoissons à peine les traits actuels, les * J’ai exposé mes idées sur le nombre et les caractères distinctifs des différentes races et va- riétés de Pespècé humaine, dans le Discours d’ou- verture du cours de zoologie que j’ai donné ea l’an 6. Ce Discours a été imprimé chez le citoyen Pkssan. 42 SUR LA DURÉE facultés, le génie, les habitudes , le sé- jour? Parlerons-nous de cette race mon- gole qui occupe, depuis le commence- ment des temps historiques, la plus belle et la plus étendue partie de l’Asie , mais qui, depuis des milliers d’années, cons- tante dans ses affections , persévérante dans ses idées, immuable dans ses lois , dans sou culte , dans ses sciences , dans ses arts , dans ses moeurs , ne nous montre l’espèce humaine que comme station- naire , et , ne nous présentant aucun changement actuel, 11e nous laisse soup- çonner aucune modification passée? Si nous considérions enfin la race arabe ou européenne, celle que nous pouvons le mieux connaître , parce qu’elle a le plus exercé ses facultés, cultivé son talent, développé son génie, entrepris de tra- vaux, transmis de pensées , tracé de récits, effacé les distances des temps et des lieux par l’emploi des signes de la parole ou de l’expression du sentiment, parce qu’elle nous entoure de tous les côtés , parce que nous en faisons partie , quelle différence spécifique trouvons-nous , par exemple 3 DES ESPÈCES. 4 3 entre les Grecs des siècles héroïques et les Européens modernes? L’homme d’au- jourd’liui possède plus de coimoissanees que l’homme de ces siècles fameux : mais il raisonne comme celui des premiers jours de la Grèce; mais il sent comme l’homme du temps d’Homère ; et voilà pourquoi aucun poète lie surpassera ja- mais Homère ; et voilà pourquoi aucun statuaire ne l’emportera sur l’auteur de l’Apollon Pythien , pendant que, le trésor des sciences recevant à chaque instant des faits nouveaux, il n’est point de savant du jour qui ne puisse être plus instruit que le Newton de la veille; et voilà pour- quoi encore les progrès des arts pouvant être renfermés dans des limites déter- minées comme les combinaisons des sen- t i 111 eus * , les chefs-d’œuvre qu’ils pro- * Il faut faire une exception relativement aux arts, tels que la peinture, la musique, etc. dont les procédés , eu se perfectionnant chaque jour , snulüpliein les moyens d’exécution, et par consé- quent le nombre des créations possibles. Il est d’ailleurs évident que cetle détermination de limites n’a point lieu pour les arts, Iorsqu’en 44 SUR LA DURÉE duisent peuvent parvenir à la postérité avec la gloire de leurs auteurs , pendant que , les progrès des sciences devant être sans limites , comme les combinaisons des faits et des pensées, les découvertes sont impérissables, ainsi que la renommée des hommes de génie auxquels on les doit: mais les ouvrages mêmes de ces hommes fameux passent presque tous , et sont remplacés par d'autres , à moins que le style qui les a tracés, et qui appartient à Part , ne les sauve de celte destinée et lie leur donne l’immortalité. Les animaux qui ressemblent le plus à l’homme , les mammifères , les oiseaux, appliquant kur puissance a de nouveaux objets, en combinant leurs produits , et en leur donnant , pour ainsi dire, par ces opérations, la nature des sciences, le génie les rend propres à exprimer un plus grand nombre de seniimens, à peindre des sujets plus variés ou plus nombreux , à présenter de plus vastes tableaux , à toucher par conséquent avec plus de force, et à faire naître des impres- sions plus durables. Voyez ce que nous avons dit , a cet égard, dans la Poétique de la musique , im- primée en 1785. DES ESPECES. 45 les quadrupèdes ovipares et les serpcns , ne seront pas non plus les sujets des ré- flexions par lesquelles nous terminerons ce Discours : nous préférerons d’appli- quer les idées que nous venons d’émettre , à ceux qui , dans la progression de sim- plicité des êtres, suivent ces animaux , lesquels, de même que l’homme, res- pirent par des poumons. Eu nous arrê- tant aux poissons pour les considérations qu’il nous reste à présenter, nous atta- cherons notre attention à des animaux dont non seulement cet ouvrage est des- tiné à faire connoître l’histoire , mais encore qui vivent dans un fluide parti- culier, où ils sont exposés à moins de circonstances perturbatrices , de varia- tions subites et funestes, d’accidens ex- traordinaires , et qui d’ailleurs, par une suite de la nature de leur séjour, de la date de leur origine , de la contexture solide et résistante du plus grand nombre de leurs parties , et de la propriété qu’ont ces mêmes portions de se conserver dans le sein de la terre au moins pendant un temps assez long pour y former une 4$ SUR L A D U R É E empreinte durable, ont dû laisser, et ont laissé en effet, des monumens de leur existence passée , bien plus nombreux et bien plus faciles à reconnoître , que pres- que toutes les autres classes des êtres di- vans et sensibles. Nous avons compté douze modifica- tions principales par lesquelles une es- pèce peut passer de dégradation en dé- gradation , jusqu’à la perte totale de ses caractères distinctifs , de son essence , et par conséquent de l’existence propre- ment dite. Parcourons ces modifications. Nous avons chaque jour sous les yeux* des exemples d’espèces de poissons qui, transportées dans des eaux plus troubles ou plus claires , plus lentes ou plus ra- pides , plus chaudes ou plus froides, non seulement se montrent avec des couleurs nouvelles , mais éprouvant encore des clrangemens plus marqués dans leurs té- gumens , baignées , attaquées et péné- trées par un fluide différent de celui qui les arrosoit, présentent des écailles, des verrues , des tubercules 3 des aiguillons DES ESPÈCES. 47 très-peu semblables par leur figure, leur dureté, leur nombre ou leur position, à ceux dont ils étaient revêtus. Il est évident que ces modifications produites dans le même temps et dans un lieu différent, ont pu et dû naître dans un temps diffé- rent et dans le même lieu , et contribuer par conséquent , dans la suite des siècles, à diminuer la durée de l’espèce , aussi- bien qu’à restreindre les limites de son habitation lors d’une époque déterminée. Si l’on rappelle ce que nous avons dit dans les articles particuliers du requin et du squale roussette , sur la grandeur de ces espèces à une époque un peu reculée, on les verra nous offrir deux exemples bien frappans de la cinquième modifica- tion quune espèce peut subir, c’est-à- dire , de la diminution de grandeur qu’elle peut éprouver. En effet, on doit en conclure que les requins dont on a conservé des restes , et dont nous avons mesuré des dents trouvées dans le sein de la terre , l’emportoient sur les requins actuels par leur grandeur proprement dite 3 c’est- à- dire par leur masse, par 48 SUR LA DURÉE l’ensemble de leurs dimensions , dans le rapport de 543 à 27. Leur grandeur a donc été réduite au douzième au moins de son état primitif. Une réduction plus frap- pante encore a été opérée dans l’espèce de la roussette , puisque nous avons donné les moyens de voir que des dents de ce squale, découvertes dans des con- ciles plus ou moins profondes du globe , dévoient avoir appartenu à des individus d’un volume dix - neuf cent cinquante- trois fois plus grand que celui des rous- settes qui infestent maintenant les rivages de l’Europe. Et relativement à ces deux exemples des altérations dans les dimen- sions que peuvent offrir les espèces d’ani- maux , nous avons deux considérations à proposer. Premièrement , la diminution subie par la roussette a été à proportion 166 fois plus grande que celle du requin , •et cependant, au point où cette dégra- dation a commencé, le volume du requin n’étoit pas trois fois plus considéra!)! e que celui de la roussette. Il est à présu- mer que si , à cette époque , il avoit été six ou huit fois supérieur, la modiffea- B E S E S P È C E S. 49 tion imposée à la roussette auroit été plus grande encore, proportionnellement à celle du requin. En général, ou ne s au- roit faire trop d’attention à un principe très-important , que nous ne cesserons de rappeler : les forces de la Nature , celles qui détruisent comme celles qui produi- sent , celles qui troublent comme celles qui maintiennent, agissent très-souvent i et tout égal d’ailleurs , en raison des sur- faces , soit extérieures , soit intérieures , des corps qu’elles attaquent ou régissent ; mais tout le monde sait que plus les corps sont petits , et plus à proportion leurs surfaces sont étendues. 11 ne faut donc pas être étonné de voir les grands vo- lumes opposer une résistance bien plus longue proportionnellement que celle des petits , aux causes qui tendent à res- treindre leurs dimensions dans des li- mites plus rapprochées. Secondement , il est curieux d’observer que les deux es- pèces qui ont perdu , l’une les onze dou- zièmes , et l’autre une portion bien plus étonnante encore de ses dimensions pri- mitives, sont des espèces marines , et par 5 o SUR LA DURÉE conséquent ont dû être exposées à un nombre de causes altérantes d’autant moins grand, que la température et la nature des eaux des fleuves sont Lien plus variables que celles de l’océan, et que , s’il faut admettre les conjectures les plus généralement adoptées , toutes les espèces de poissons ayant commencé par appar- tenir à la mer, les fluviatiles ont été ex- posées à une sorte de crise assez forte et à des changeuiens très -marqués , lors- qu’elles ont abandonné les eaux salées pour aller séjourner au milieu des eaux douces. Les exemples des proportions changées et des formes altérées , soustraites ou introduites dans une espèce, à mesure qu’elle se dégrade et s’avance vers le terme de sa durée, peuvent être saisis avec facilité dans les diverses empreintes qu’ont laissées des individus de différons genres , enfouis par des catastrophes su- bites. Il n’en est pas de même de la sixième et de la septième modification générale : des hasards très-rares peuvent seuls con- DES ESPÈCE S. 5i server des individus dans un tel état d'in- tégrité , ou de destruction commencée et de dissection naturelle, qu'on puisse re- eonnoître la forme de leurs organes in- térieurs , et celle des parties de leur corps dans lesquelles résidaient les sens dont ils avaient été doués. Il est encore plus difficile de remonter à la connoissance des qualités , de la force , des habitudes , des mœurs qui distinguoient une espèce à une époque plus ou moins enfoncée dans les âges écoulés. Ces propriétés ne sont que des résultats dont l'existence peut sans doute être l’objet de conjectures plus ou moins vraisemblables, inspirées par l’inspection des formes qui les ont produits , mais sur la nature desquels nous n’avons cepen- dant de notions précises que lorsque des observateurs habiles ont recueilli ces no- tions et les ont transmises avec fidélité. La détermination des endroits dans lesquels habitoit une espèce dans les temps anciens , est au contraire plus facile que celle de toutes les modifica- tions dont nous venons de parler. Les 52 SUR LA DURÉE traces que des individus laissent de leur existence , doivent être distinctes jusqu’à un certain degré , pour qu’on puisse , en les examinant , reconnoitre dans leurs détails les dimensions et les formes de ces individus ; mais un très-foible vestige suffit pour constater la place où ils ont péri, et par conséquent celle où ils avoient vécu. Cette douzième modification des es- pèces, cette limitation de leur séjour à telle ou telle portion de la surface de la terre, peut être liée avec une ou plu- sieurs des autres altérations dont nous avons tâché d’exposer l’ordre ; et elle peut en être indépendante. Il en résulte pre- mièrement des espèces altérées dans leurs qualités , dans leurs formes ou dans leurs dimensions , et reléguées dans telle ou telle contrée; secondement, des espèces modifiées trop peu profondément dans leur conformation pour que leurs pro- priétés aient éprouvé un changement sensible, non altérées même dans leurs formes ou dans leurs dimensions, et ce- pendant confinées sous tel ou tel climat ; DES ESPÈCES. 53 et troisièmement , des espèces dégradées dans leurs qualités, ou seulement dans leurs formes, mais habitant encore dans les mêmes parties du globe qu’avant le temps où leur métamorphose n’avoit pas commencé. Nous avons assez parlé de ces dernières. Quant aux autres espèces , combien ne pourrions-nous pas en citer ! Ici les exem- ples nous environnent. Le seul mont vol- canique de Bolca , auprès de Vérone , a déjà montré sur ses couches entr’ou vertes, des fragraens très-bien conservés et très-, reconrioissables d’une ou deux raies , de deux gobies, et dé plusieurs autres pois- sons qui ne vivent aujourd’hui que dans les mers de l’Asie, de l’Afrique, ou de l’Amérique méridionale, dont plusieurs traits sont altérés , et qui cependant offrent les caractères qui constituoient leur espèce , lorsque , réunis en troupes nombreuses vers le fond de la mer Adria- tique , une grande catastrophe les surprit au milieu de leurs courses , de leurs pour- suites, de leurs combats, et, leur don- nant la mort la plus prompte, les euse- 5 54 SUR LA DURÉE velit au-dessous de produits volcaniques, de substances préservatrices, et de ma- tières propres à les garantir des effets de Phumidité ou de tout autre principe cor- rupteur *. De plus, parmi les espèces qui n’ont subi , au moins en appareuce , aucune modification dans leurs formes , ni dans leurs proportions , ni dans leur grandeur, sii dans leurs tégumens, nous comptons * Nous avons dit plus d’une fois que M. le comte de Gazo.la a commencé de donner au public un grand ouvrage sur les poissons pétrifiés, conservés ou empreints dans les couches du mont Bolca. Si ce savant recommandable , auquel je suis heureux de pouvoir témoigner souvent mon estime, ne ter- mine pas son importante entreprise, je tâcherai d’arranger mes travaux de manière h le suppléer en partie, en publiant la figure, la description et la comparaison des poissons fossiles, ou des em- preintes de poissons, trouvés dans ce même mont Bolca , recueillis à Vérone avec un soin très-éclairé , apportés au Muséum d’histoire naturelle de Paris , et Ibrmaïil aujourd’hui une des parties les plus pré- cieuses de l'immense et riche collection de la répu- blique Françoise. 55 DES ESPÈCES, mie fistulaire du Japon ou de l’Amérique équatoriale , enfouie sous des couches schisteuses du centre de l’Europe ; un pégase de l’Inde , deux ou trois chéto- dons de l’Inde ou du Brésil, et clés indi- vidus de plus de trente autres espèces de l’Asie , de l’Afrique , ou des rivages les plus chauds de IhAmérique , saisis entre les lits solidifiés de ce même montBolca , si digne d’attirer notre attention. Nous venons de porter rapidement nos regards , premièrement , sur les espèces altérées dans leurs organes, et repoussées loin du séjour qu’elles avoient autrefois préféré ; secondement , sur les espèces non altérées , mais reléguées ; troisièmement^ sur les espèces altérées , et non confinées clans une portion du globe différente de celle qu’elles avoient occupée : il nous reste à considérer un instant celles qui n’ont é?é ni dégradées , ni chassées de leur ancienne patrie , dont nous trou- vons des individus , ou des fragrnens 5 ou des empreintes très - reconnoissables , au-dessous des mêmes couches terrestres que Tune des dernières catastrophes du. 56 SUR LA DURÉE globe a étendues au-dessus des espèces que nous avons déjà indiquées , et qui 5 par conséquent , ont résisté , avec plus de facilité que ces dernières , aux diverses causes qui modifient les espèces et en pré- cipitent la durée. Contentons-nous cependant , pour ne pas entrer dans des discussions particu- lières que les bornes 'de ce Discours nous interdisent , et sur lesquelles nous revien- drons un jour , de jeter les yeux sur deux de ces endroits remarquables du globe qui ont fourni à l’étude du naturaliste les empreintes les plus nettes ou les restes les mieux conservés d’un grand nombre d’espèces de poissons. Ne citons que les environs du Bolca Véronois , et ceux d’Æningen auprès du lac de Constance *. * Voyez ce que le célèbre Saussure a écrit au sujet de la carrière d’Æningen , et des poissons dont l’intérieur de cette carrière renferme les restes ou les images ; on trouvera la description qu’en donne cet habile naturaliste, au paragraphe i533 du tome Î1I de son Voyage dans les yllpes. Le nom de te grand géologue rappelle à mon ame affligée les travaux, la gloire et les malheurs de son illustre Ï)ES ESPÈCES. 57 Nous trouvons dans les carrières d’Æ- Tiingen ou de Bolca le pétromyzon pricka, le squale requin , la murène anguille, le scombre thon, le caranx trachure, le cotte chabot, la triglemalarmàt, la trigle milan, le pîeuronecte carrelet , lecobite loche ,1e cobite barbotte, le salmone fario , Fésoce brochet , Fésoce bélone , la dupée alose , la dupée hareng, le cyprin carpe, le cyprin goujon , le cyprin tanche , et douze autres cyprins , Fhainburge , le céphale , le vaudois , la dobule , le grislagine , le spirlin, le bouvier, Fable, la brème , le véron , le roux et le irez. ami, de son savant émule, mon collègue Dolomieu, qui , depuis dix-huit mois , lutte avec une constance héroïque contre une affreuse captivité, que n’ont pu faire cesser encore les pressantes réclamations de notre patrie qu’il honore, de notre gouvernement qui l’estime, de plusieurs puissances étrangères qui partagent pour lui l’intérêt des François, du roi d’Espagne, qui manifeste ses senlimens b cet égard de la manière la plus digne de la nation qu’il gou- verne, et d’un si grand nombre de ceux qui, en Europe, chérissent et font vénérer l’antique loyauté,, les vertus et les grands taleus. 58 SUR LA DURÉE Tous ces poissons vivent encore dans les diverses mers européennes qui en- tourent , pour ainsi dire , et le lac de Cons- tance et ie territoire vénitien ; et la com- paraison la plus exacte ne feroit remar- quer entre les individus que l'on pêcheroit dans ces mers européennes , et ceux qui sont encore gisans sous les couches d’Æ- ningen ou du Bolca, aucune différence plus grande que celles qui séparent sou- vent des produits de la même ponte. La limite de toutes les altérations que nous venons de décrire , est l'anéantisse- ment de T espèce. Pendant que nous avons sous les yeux un si grand nombre de poissons qui ont résisté aux causes perturbatrices de leurs formes , de leurs qualités et de leurs ha- bitudes , n’avons-nous pas aussi à consi- dérer des exemples de leurs extrêmes , c’est-à-dire, d’espèces qui, par une suite de dégradations , se sont entièrement éteintes ? Il paroît qu’on peut citer quelques unes de ces espèces perdues. Les voyageurs , les naturalistes , les pêcheurs , ne re^ DES ESPÈCES. 59 trouvent , du moins dans aucune mer , ni dans aucune rivière, ni dans aucun lac, quelques poissons dont le corps pres- que tout entier a frappé les regards des observateurs qui ont examiné avec atten- tion les pierres extraites des environs du Bolca, ou d’antres contrées du- globe. II semble qu'011 doit particulièrement indi- quer deux espèces décrites par le savant Gazola , dans le bel ouvrage qu'il a com- mencé de publier sur les poissons pétrifiés du Véron ois , et dont nous avons déjà eu occasion de faire mention. Ces deux es- pèces sont , premièrement , celle qu’il nomme aïanoscope rateau ( uranoscopus rastrum ) , et secondement , celle qu'il dé- signe par la dénomination de kurte porte- voile ( kurtus velifer ). Après les avoir exa^ minées avec beaucoup de soin, j’ai même cru qu’elles dirféroient assez des espèces connues et actuellement vivantes , pour qu’011 11e dut les rapporter à aucun de leurs genres ; et en conséquence ce rateau et ce porte-voile ne sont à mes yeux ni un véritable uranoscope » ni un véritable kurte . Je ne 'balancerais pas non plus a regar- 60 S U R L A B U R É E de r comme une espèce éteinte , celle de quelques autres animaux conservés dans Fintérieur des pièces delà collection ich- thyolithologique de Vérone qui ont été adressées au Muséum d’histoire naturelle de France, et notamment un chétodon ( à filament dorsal , double et très-long) dont j’ai vu plusieurs exemplaires con- servés d’une manière très-curieuse. Cependant ce n’est qu’avec une grande réserve que nous devons dire qu’une es- pèce a terminé sa durée : nous ne con- noissons pas assez la surface du globe , ni les mers qui l’environnent , pour pro- noncer formellement qu’on ne trouvera dans aucune eau douce , ni dans aucun parage , des analogues très-ressemblans des individus fossiles que nous n’avons pu encore inscrire dans aucune espèce décrite et vivante. En effet , il nous reste à découvrir d’immenses contrées situées à des dis-^ tances plus ou moins grandes de la ligne, dans l’un et l’autre hémisphère, et no- tamment l’intérieur de la nouvelle Hol- lande et de la terre de Diémen 3 celui DES ESPÈCES. 6c de la nouvelle Guinée et de la Louisiade , le vaste plateau du milieu de l’Afrique, compris entre le tropique du capricorne et le dixième degré de latitude boréale , et cette longue bande qui s’étend dans la partie occidentale de l’Amérique sep- tentrionale , au nord du nouveau Mexi- que , commence près du quarantième degré de latitude, s’avance pendant un grand nombre de degrés vers le nord , et règne sur une largeur de plus de «oixante-dix myriamètres entre la lisière encore très - peu connue qui touche le rivage de la mer , et cette chaîne de mon- tagnes très - élevées , nommées mainte- nant stony mountains , dont nous avions conjecturé l’existence , la position, la di- rection et la hauteur*, et qui vont de- puis Cattaua- Howes , où le voyageur * Dans un mémoire sur les parties du globe en- core inconnues , que je lus dans la séance publique de la société philo technique , le 2.0 floréal de la meme année, et que mon célèbre collègue, le ci- toyen Fourcroy, voulut bien lire quelques jours après dans une séance publique du Lycée républi- cain de Paris. 6 62 SUR LA DURÉE anglais M. Fidîer est parvenu en 1792, jusqu’au bord occidental de l’embouchure dans l’Océan glacial arctique , de la ri- vière vue par M. Kensie le 12 juillet ï 789 Mais n’avons -nous pas encore à recon- noître presque toute la côte occidentale et une partie de la côte du nord de la nouvelle Hollande , plusieurs rivages du nord-est de l’Asie et des îles qui en sont voisines , presque tous les points de la côte orientale et de la côte occidentale de l’Afrique, depuis une distance assez petite du cap de Bonne -Espérance jus- qu’auprès de la ligne équinoxiale , et par conséquent dans une étendue de plus de sept cents myriamètres ? Combien de fleuves , combien de lacs , combien de parages inconnus ! Combien ces habitations qui se sont jusqu’à pré- sent dérobées à nos recherches , peuvent renfermer d’espèces plus ou moins ana- * Consultez mie carte très -intéressante d’une grande partie de l’Amérique septentrionale, pré- sentée h la compagnie angloise d'Hudson par M. Arrowsmith, et dont la guerre nous a empêchés d’avoir tonnoissance avant 1 année dernière. DES ESPACES. 63 logues à celles dont des individus vivans , ou des restes fossiles ? ont été l’objet de nos descriptions ! Cependant élevons - nous encore plus haut au-dessus des objets que nous ve- nons de contempler. Avons -nous quelque moyen de juger de l'ancienneté de ces modifications dont nous venons d’examiner les caractères et d’indiquer la succession ? Ne pouvons- nous pas du moins déterminer quelques époques pendant lesquelles subsistoient encore ou existoient déjà une ou plusieurs de ces modifications ? L’espèce humaine , trop récente sur le globe , n’a pas pu ob- server les durées des diverses nuances de ces altérations , et compter pendant le cours de ces durées le nombre des pé- riodes lunaires ou solaires qui se sont succédées. Mais la Nature n’a-t-elle pas gravé sur le globe quelques ères aux- quelles nous pourrions au moins rappor- ter une partie de ces manières d’être des espèces ? Nous ne mesurerons pas le temps pari© retour d’un corps céleste au même point 6 4 SUR LA DURÉE du ciel , mais par ces bouleversemens ter- ribles qui ont agi sur notre planète plus ou moins profondément. Nous n’appliquerons pas l’existence des dégradations des espèces à des temps ré- guliers et déterminés comme les années ouïes siècles ; mais nous verrons leur con- cordance avec des événemens dont on connoît déjà les relations des époques , en attendant qu’on ait dévoilé leur an- cienneté absolue. Ici le flambeau de la géologie nous aide à répandre quelque clarté au milieu de la nuit des temps. Elle nous montre comment , en péné- trant dans les couches du globe , et en examinant l’essence ainsi que le gisement des minéraux qui les composent , nous pouvons savoir si nous avons sous les yeux des monumens de l’une ou de l’autre des trois époques que l’ondoit distinguer dans la suite des catastrophes les moins an- ciennes de notre terre, les seules qu’il nous soit permis de reconnoître de loin. La moins récente de ces révolutions est le dernier bouleversement général que DES ESPÈCES. CS notre globe a éprouvé , et qui a laissé de profondes empreintes sur l’universalité de la surface de la terre. Après cette catastrophe universelle , il faut placer dans l’ordre des temps les bou- îeverseinens moins étendus, qui n’ont ré- pandu leurs ravages que sur une grande partie du globe. L'on ne peut pas , dans l’état actuel des counoissances humaines , déterminer les rapports des dates de ces événemens par- ticuliers : on ne peut que les attacher tous à la seconde époque, sans leur as- signer ii chacun une place fixée avec précision sur la route du temps. A la troisième époque, nous mettons les bouleversemens circonscrits comme les seconds , et qui de plus présentent les caractères distinctifs de l’action terrible et destructive des volcans , des feux sou- terrains , des foudres et des ébranlemens électriques de l’intérieur du globe. Maintenant si nous voulons appliquer un moment ces principes , nous recon- noîtronsque nous ne pouvons encore rap- porter à une de ces époques qu’un petit 66 SUR LA D U R É E nombre des modifications par lesquelles les espèces tombent , de dégradation en dégradation , jusqu’à la non-existence. Nous pouvons dire que le temps où , par exemple , le genre des squales présentoit une grandeur si supérieure à celle des squales observés de nos jours , et où le volume de l’une de leurs espèces l’em- portoit près de deux mille fois sur le vo- lume qu’elle offre maintenant appartient à la seconde des époques que nous venons d’indiquer , et a touché celui où le globe a éprouvé le dernier des bouleversemens non universels et non volcaniques qui aient altéré sa surface auprès de la chaîne des Pyrénées , dont les environs nous ont montré les restes de ces grandes espèces marines , si réduites maintenant dans leurs dimensions. Nous pouvons assurer également que , lors des convulsions de la terre , des éruptions volcaniques, des vastes incen- dies et des orages souterrains, dont les effets redoutables se montrent encore si facilement à des yeux exercés et atten- tifs, auprès de Yenise et de l’extrémité DES ESPÈCES. 67 de la mer Adriatique , plusieurs espèces, dout les flancs du meut Bolca recèlent les empreintes ou la dépouille , 11’avoient pas éprouvé les dégradations dont nous pouvons compter toutes les nuances, ou 11’avoient pas encore été reléguées dans les mers chaudes de P Asie, de l’Afrique ou de l’Amérique méridionale , ou se montroient déjà avec tous les traits qu’elles présentent , ainsi que dans les contrées qu’elles habitent aujourd’hui ; et enfin, que celles que l’on seroit tenté de considérer comme éteintes , et que du moins ou n’a encore retrouvées dans au- cun fleuve , dans aucun lac , dans au- cune mer, figuroient encore dans l’en- semble des êtres sortis des mains de la puissance créatrice. Lorsque la science aura étendu son domaine , que de nouveaux observa- teurs auront parcouru dans tous les sens les terres et les mers , que le génie aura conquis le monde , qu’il aura dé- couvert, compté, décrit et comparé et les êtres qui vivent et les fragmens de ceux dont il ne reste que des dépouilles. 68 SUR LA DURÉE DES ESPÈCES, qu’il coniioîtra et ce qui est et une partie de ce qui a été , qu’au milieu des monts escarpés, sur les rivages de l’Océan , dans le fond des mines et des cavernes souter- raines, il interrogera la Nature au nom du Temps, et le Temps au nom de la Nature , quelles comparaisons fécondes ne naîtront pas de toutes parts i quels admirables résultats! quelles vérités su- blimes! quels immenses tableaux! quel nouveau jour se lèvera sur l’état primitif des espèces, sur les rapports qui les lioient dans ces âges si éloignés du nôtre, sur leur nombre plus petit à cette époque an- tique , sur leurs grandeurs plus rappro- chées , sur leurs traits plus différens , sur leurs habitudes plus dissemblables , sur leurs alliances plus difficiles, sur leurs durées plus longues ! O heureuse pos- térité ! à combien de jouissances n’es- tu pas réservée, si les passions funestes, l’ambition délirante, la vile cupidité , le dédain de la gloire , l’ignorance présomp- tueuse, et la fausse science, plus redou- table encore , n'enchaînent tes nobles destinées ! VINGT-CINQUIÈME GENRE. LES T R I C H I U R E S. Fouit de nageoire caudale ; le corps et la. queue très-a longés , très- comprimés , et eu forme de lame ; les opercules des branchies placés très-près des yeux. ESPÈCES. CARACTÈRES. 1. Le TRICEIURE fXa mâchoire inférieure plus leptüre. ( avancée que la supérieure. 2 . Le trichiüre fLes deux mâchoires égale- Électrique. | ment avancées. yo HISTOIRE NATURELLE LE TR1CHIURE LEPTUKE *. Les trichiures sont encore de ces pois- sons apodes qui ne présentent aucune nageoire à l’extrémité de îa queue. On les sépare cependant très-aisément de ces osseux qui n’ont pas de véritable nageoire caudale. En effet, leur corps très-alongé et très-comprimé ressemble à une lame d’épée , ou , si on le veut , à un ruban ; et voilà pourquoi le lepture , qui réunit à cette conformation la couleur et l’éclat de l’argent , a été nommé ceinture d’ar- gent , ou ceinture argentée. D’ailleurs les opercules des branchies sont placés beau- coup plus près des j^eux sur les trichiures que sur les autres poissons avec lesquels on pourvoit les confondre. A ces traits généraux réunissons les . * Trichiurus lepturns; paille-en-cul 9 par plu- sieurs voyageurs ei naturalistes. To?n £ . ■ Jt . -Pa \ ‘ . Z.OBOA'TOGXATIIE ^ifia/loné . ,3. KL' HT R J3/ocÂien DES TRICHIURES. 7* traits particuliers du lepture , et voyons , si je puis employer cette expression , cette bande argentine et vivante se dé- rouler, pour ainsi dire , s'agiter, se plier, s’étendre, se raccourcir, s’avancer eu différens sens , décrire avec rapidité mille courbes enlacées les unes dans les autres , monter, descendre, s’élancer , et s’échap- per enfin avec la vitesse d’une flèche , ou plutôt , en quelque sorte , avec celle de l’éclair. La tête du lepture est étroite, alongée % et comprimée comme son corps et sa queue. L’ouverture de sa bouche est grande. Ses dents sont mobiles, au moins en très - grand nombre ; et ce caractère que nous avons vu dans les squales, et par conséquent dans les plus féroces des cartilagineux , observons d’avance que nous le remarquerons dans la plupart des osseux qui se fout distinguer par leur voracité. Indépendamment de cette mo- bilité qui donne à l’animal la faculté de présenter ses crochets sous l’angle le plus convenable , et de retenir sa proie avec plus de facilité, plusieurs des dents de» 72 HISTOIRE NATURELLE mâchoires du lepture , et particulière- ment celles qui avoisinent le bout du museau , sont longues et recourbées vers leur pointe; les autres sont courtes et ai- guës. On n’en voit pas sur la langue , ni sur le palais ; mais on en apperçoit de | très - petites sur deux os placés vers le gosier. Les yeux sont grands , très -rapprochés du sommet de la tête, èt remarquables ! par un iris doré et bordé de blanc autour de la prunelle. L’opercule , composé d’une seule lame , et membraneux dans une partie de son contour , ferme une large ouverture bran- chiale *, Une ligne latérale couleur d’or s’étend sans sinuosités depuis cet opercule jusqu’à l’extrémité de la queue. L’anus est assez près de la tête. Les nageoires pectorales sont très-pe- tites et ne renferment que onze rayons ; mais la nageoire dorsale en comprend ordinairement cent dix -sept, et règne * On compie sept rayons à la membrane des branchies. D E S T R I C II I U R E S. ^ depuis la nuque jusqu’à une très-petite distance du bout de la queue. Ou ne voit pas de véritable nageoire de l’anus : à la place qu’occuperoit cette nageoire, on trouve seulement de cent à cent vingt , et le plus souvent cent dix aiguillons très-courts , assez éloignés les uns des autres , dont la première moitié , ou à peu près , est recourbée vers la queue , et dont la seconde moitié est flé- chie vers la tète. La queue du lepture, presque toujours très-déliée et terminée par une sorte de prolongation assez semblable à un fil ou à un cheveu, a fait donner à ce poisson le nom de lepture , qui signifie petite queue 9 ainsi que celui de trïchiure , qui veut dire queue en cheveu , et que l’on a étendu , comme nom générique, à toute la petite famille dont nous nous occupons. Cepen- dant , comme cette queue très-longue est en même temps assez comprimée pour avoir été comparée à une lame, comme le corps et la tête présentent une confor- mation semblable, et que tous les muscles de l’animal paroissent doués d’une énergie Poissons, IV. 7 74 HISTOIRE NATURELLE très-soutenue , on supposera sans peine dans le lepture une mobilité rare , une natation très -rapide, une grande sou- plesse dans les mouvemens , pour peu j que l’on rappelle ce que nous avons déjà exposé plus d’une fois sur la cause de la natation céîère des poissons *. Et en effet, j les voyageurs s’accordent à attribuer au j lepture une agilité singulière et une * La collection du Muséum renferme une va- riété de lepture, qu’il est aisé de distinguer par la ! forme du bout de la queue. Cette partie, au lieu de se terminer par une prolongation filamenteuse, l paroi t comme tronquée assez loin de sa véritable extrémité; elle présente, h l’endroit où elle finit , une ligue droite et verticale. Et quoique nous! ayons vu deux individus avec cette conformation i particulière, nous 11e savons pas si, au lieu dune variété plus ou moins constante, nous n’avons pas eu uniquement sous les yeux deux produits d’acci- dens semblables ou analogues, deux résultats d’uuej sorte d’amputation extraordinaire, dont on trouve! plusieurs exemples parmi les animaux à sang froid, qu’ils peuvent subir sans en périr, et qui, pour les deux individus dont nous parlons, aüroit emporté la portion la plus déliée de leur queue. DES TRICHIUE.ES. 75 vélocité extraordinaire. S’agitant presque sans cesse par de nombreuses sinuosités, ondulant en différens sens , serpentant aussi facilement que tout autre habitant des eaux, il s’élève, s’abaisse, arrive et dis- paroît avec une promptitude dont à peine on peut se former une idée. Frappant vio- lemment l’eau par ses deux grandes sur- faces latérales , il peut se donner assez de force pour s’élancer au-dessus de la sur- face des fleuves et des lacs; et comme il est couvert par-tout de très-petites écailles blanches et éclatantes, et, si je puis par- ler ainsi, d’une sorte de poussière d’ar- gent que relève For de ses iris et de ses lignes latérales , il brille et dans le sein des ondes , et au milieu de l’air, particu- lièrement lorsque, cédant à sa voracité qui est très-grande, animé par une af- fection puissante , ajoutant par l’effet de ses mouvemens à la vivacité de ses cou- leurs, et déployant sa riche parure sous un ciel enflammé, il jaillit de dessus les eaux, et, poursuivant sa proie avec plus d’ardeur que de précautions , saute jus- que dans les barques et au milieu des 76 HISTOIRE NATURELLE pêcheurs. Cette bande d’argent si dé- corée , si élastique , si vive, si agile, a quelquefois plus d’un mètre de lon- gueur. Le Lepture vit au milieu de l’eau douce. On le trouve, comme plusieurs gymnotes, dans l’Amérique méridionale. Il n’est pas étranger néanmoins aux contrées orien- tales de l’ancien continent : il se trouve dans la Chine; et nous avons vu une image très-fidèle de ce poisson dans un recueil de peintures chinoises données par la république batave à la république françoise , déposées maintenant dans le Muséum national d’histoire naturelle, et dont nous avons déjà parlé dans cet ou- vrage. Au reste, la beauté et la vivacité du lepture sont si propres à plaire aux yeux, à parer une retraite, à charmer des loi- sirs, qu’il n’est pas surprenant que les Chinois l’aient remarqué , observé , des- siné; et vraisemblablement ce peuple, qui a su tirer un si grand parti des pois- sons pour ses plaisirs , pour son com- merce , pour sa nourriture , ne se sera DES T R ï C H I U II E S. 77 pàs contenté de multiplier les portraits de cette espèce ; il aura voulu aussi en répandre les individus dans ses nom- breuses eaux ? dans ses larges rivières 9 dans ses lacs enchanteurs. 78 HISTOIRE NATURELLE LE TRICHIURE ÉLECTRIQUE *. O K a reconnu dans ce trichiure une faculté analogue à celle de la torpille et du gymnote torporifique. Mais comme , en découvrant ses effets , on n’a observé aucun phénomène particulier propre à jeter un nouveau jour sur cette puissance que nous avons long-temps considérée en traitant du gymnote engourdissant et ; de la torpille, nous croyons devoir nous contenter de dire que le trichiure élec- trique est séparé du lepture , non seule- ment par la conformation de ses mâ- choires, qui sont toutes les deux égale- ment avancées , mais encore par la forme de ses dents , toutes extrêmement petites. D’ailleurs le bout de la queue n’est pas aussi aigu que dans le lepture. De plus, au lieu de présenter l’or et l’argent qui * ~P aille- en- cul ; par quelques naturalistes et voyageurs. DES TRICHÏURES. 79 décorent ce dernier poisson , il n’offre que des couleurs ternes ; il est brun et ta- cheté. S’il a été doué de la puissance , il est donc bien éloigné d’avoir reçu l’éclat de la beauté. C’est dans les mers de l’Inde qu’il exerce le pouvoir qui lui a été dé- parti. VINGT-SIXIÈME GENRE. LES NOTOPTERES. Des nageoires pectorales } de F anus et du dos; point de nageoire caudale ; le corps très-court . ESPECES. i. Le notoptère! KAPIRAT. 1 CARACTERES. [La nageoire du dos très- L cour e. 2. Le notoftère ÉCAILLEUX. La nageoire du dos très- longue ; le corps couvent de petites écailles arron- dies. » HISTOIRE NATURELLE. 81 LE NOTOPTERE KAPIRAT. JL es deux poissous dont nous allons donner la description , ont été jusqu’à présent confondus avec les gymnotes : mais la précision que nous croyons de- voir introduire dans la distribution des objets de notre étude , et les principes sur lesquels la classification des animaux nous a paru devoir être fondée, ue nous ont pas permis de laisser réunis des pois- sons dont les uns n’ont reçu le nom de gymnotes que parce que leur dos est en- tièrement dénué de nageoire, et d’autres osseux qui au contraire ont une nageoire dorsale plus ou moins étendue. Nous avons donné à l’ensemble de ces derniers le nom générique de notoplèïc , dont plu- sieurs naturalistes se sont servis jusqu’à présent pour désigner le kapirat, la pre- mière espèce de ce groupe , et qui , ve- nant de deux mots grecs , dont l’un 82 HISTOIRE NATURELLE signifie dos , et l’autre aile ou nageoire , indique la présence d’une nageoire dor- sale. Les noms de ces deux genres très- voisins annoncent donc la véritable dif- férence qui les sépare ; on pourroit même, à la rigueur, dire la seule différence gé- nérique bien sensible et bien constante qui les écarte l’un de l’autre. Le kapirat sur-tout seroit aisément assimilé en tout, ou presque en tout, à un gymnote, si on le privoit de la nageoire qu’il a sur le dos. Ce poisson qui fait le sujet de cet ar- ticle , se trouve dans la mer voisine d’Am- boine. Il ne parvient ordinairement qu’à la longueur de deux ou trois décimètres. Son museau est court et arrondi ; on apperçoit une petite ouverture , ou un pore très-sensible , au-dessus de ses yeux qui sont grands. La mâchoire supérieure est garnie de dents égales et très -peu serrées ; la mâchoire inférieure en pré- sente sur son bord extérieur de plus grandes et de plus éloignées encore les unes des autres ; et de plus , ou voit sur le bord intérieur de cette même mâchoire DES NOTOPTÈRES. 83 cTen-bas , ainsi que sur celui du palais , une série de dents très-petites. L’opercule des branchies est garni d’écailles et mem- braneux dans son contour. La gorge et l’anus sont très-r approchés. L’étendue de la nageoire de l’anus % et la forme très- alongée de la queue , sont assez remar- quables pour avoir fait donner au tapi- rat, par Bontius, le nom d 'hippuris 3 qui veut dire queue de cheval. Et enfin ce no- foptère brille des couleurs de l’or et de l’argent qui sont répandues sur les très- petites écailles dont sa peau est revêtue. * A la membrane des branchies. 6 rayons, à la nageoire du dos 7 l\ chacune des nageoires pectorales l3 k la nageoire de l’anus 116 84 HISTOIRE NATURELLE LE NOTOPTÈRE ÉCAILLEUX. Comme nous n’avons pas vu ce poisson ? nous ne pouvons que présumer qu’il 11e présente pas de véritable nageoire cau- dale. Si le bout de sa queue étoit cepen- dant garni d’une nageoire distincte et véritablement propre à cette extrémité , il faudroit le séparer des notoptères, et le comprendre dans un genre particulier. Mais si au contraire , et comme nous le pensons , il n’a point de nageoire que l’on doive appeler caudale , il offre tous les caractères que nous avons assignés au genre des notoptères ,. et il doit être ins- crit à la suite du kapirat. 11 diffère néan- moins de ce dernier animal , non seule- ment parce que sa nageoire dorsale, au lieu d’être courte et de 11e renfermer que sept rayons , en comprend un très-grand nombre et s’étend presque depuis la nuque jusqu’à la queue 2 mais encore parce qu’il DES N O T O P T È R E S. 85 est revêtu , même sur la tête, d’écailles assez grandes et presque toujours arron- dies , qui nous ont suggéré son nom spé- cifique. On voit au-devant de chacune de ses narines un petit barbillon qui paroîfc comme tronqué. Il y a sur la tête plu- sieurs pores très- visibles , et cinq très- petits enfoncemens. Les dents sont acé- rées; et F entre-deux des branches de la mâchoire supérieure en est garni. La ligne latérale est droite , excepté au-des- sus de l’anus , où elle se fléchit vers le bas. La couleur de l'écailleux est obscure, avec des bandes transversales brunes. Il devient ordinairement un peu plus grand que le kapirat, et il habite, comme ce dernier poisson , dans les mers de l’Asie Tous les vrais gymnotes connus jus- qu’à présent vivent donc dans les eaux de l’Amérique méridionale ou de l’Afrique occidentale , excepté le fierasfer, que l’on a pêché dans la Méditerranée, pendant qu’on ne trouve que dans les mers de l’Asie les notoptères déjà découverts. * A la membrane des branchies ; 5 rayons» â VINGT-SEPTIEME GENRE. LES OPHISÜRES, Point de nageoire caudale; le corps et la queue cylindriques et très-alongés relati- vement à leur diamètre ; la tête petite; les narines tabulées; la nageoire dorsale et celle de l’anus , très-longues et très-basses. ESPÈCES. CARACTÈRES, î. L’opiiisüRE les taches rondes ou OPHI S, 2. L’ophisURE J Point (le taches , ou de très- SEBPEN T. petites taches. HISTOIRE NATURELLE. 87 L’OPHISURE O P H I S. Ceux qui auront un peu réfléchi aux difterens principes qui nous dirigent dans nos distributions méthodiques , 11e seront pas surpris que nous séparions les deux espèces suivantes du genre des murènes, dans lequel elles ont été inscrites jusqu’à présent. En effet, elles en diffèrent par l’absence d’une nageoire caudale. O11 leur a depuis long -temps donné le nom de serpens marins ; et comme un des grands rapports qui les lient avec les véritables serpens, consiste dans la forme déliée du bout de leur queue, dénué de nageoire*, ainsi que l’extrémité de la queue des * A ia membrane des branchies. 10 rayons, à chacune des nageoires pecto- rales..., 10 à la nageoire du dos i36 à celle de l’anus. ........... 79. 83 HISTOIRE NATURELLE vrais reptiles , nous avons cru devoir donner au groupe qu’elles vont compo- ser , le nom d 'ophisure, qui veut dire queue de serpent . La première de ces deux espèces est celle à laquelle j’ai conservé le nom par- ticulier à'ophis , qui , en grec , signifie ser- pent. Son ensemble a beaucoup de con- formité avec celui des véritables reptiles; et sa man ière de se mouvoir sinueuse, vive et rapide, rapproche ses habitudes de celles de ces derniers animaux. Il se cou- tourne d’ailleurs avec facilité ; il se roule j et déroule ; et ces évolutions sont d’autant plus agréables à voir , que ses propor- tions sont très - sveltes , et ses couleurs gracieuses. Le plus souvent son diamètre le plus grand n’est que la trentième ou même la quarantième partie de sa lon- gueur totale , qui s’étend quelquefois au- delà de plus d’un mètre ; et sa petite tête , ! son corps, sa queue, ainsi que sa longue et très-basse nageoire dorsale , présentent sur un fond blanc, ou blanchâtre, plu- sieurs rangs longitudinaux de taches rondes ou ovales, qui , par leur nuance DES O P H I S ü K E S. £9 foncée et leur demi - régularité , con- trastent très-bien avec la teinte du fond. On voit des dents recourbées , non seu- lement le long des mâchoires , mais en- core au palais. L’opliis habite dans les mers européennes. B 90 HISTOIRE NATURELLE L’OPHISURE SERPENT» Cette seconde espèce d’ophisure est plus grande que la première : elle par- vient fréquemment à la longueur de près de deux mètres. Elle habite non seulement dans les eaux salées voisines de la Cam- pagne de Rome , mais encore dans plu- sieurs autres parties de la mer Méditerra- née. Elle y a été nommée plus souvent que presque tous les autres poissons , ser- pent marin , et elle y a été connue d’Aris- tote , qui la distinguent par le même nom de serpent marin , de serpent de mer. Ses habitudes ressemblent beaucoup à celles de l’ophis : ses mouvemens sont aussi agiles , ses inflexions aussi multipliées , se$ circonvolutions aussi faciles, sa na- tation aussi rapide , et ses courses ou ses jeux pins propres encore à charmer les yeux de ceux qui sont à portée de l’obser- ver , parce qu’elle offre des dimensions DES OPHISURES. g i plus grandes, sans cesser d’avoir des pro- portions aussi sveltes. On ne voit pas sur son corps les taches rondes ou ovales qui distinguent l’ophis. Elle est jaunâtre sur le dos , blanchâtre sur sa partie inférieure ; et sa nageoire dorsale, ainsi que celle de l’anus , sont lisérées de noir. On compte dix rayons à la membrane des branchies , et seize à chacune des nageoires pectorales. VINGT-HUITIÈME GENRE. LES T R I U R E S. La nageoire de la queue très-courte ; celle du dos et celle de l'anus étendues jusqu7 au- dessus et au-dessous de celle de la queue ; le museau avancé en forme de tube; une seule dent à chaque mâchoire. ESPÈCE. Le triure BQUGAIN VIL LIEN. CARACTÈRES. /Une valvule en forme de croissant, et fermant, à la volonté de l’animal, la partie de l’ouverture des « branchies laissée libre par la membrane branchiale qui est attachée à la tête ou au corps dans presque \ tout son contour. HISTOIRE NATURELLE. 93 LE TRIURE BOUGAINYILLIEN. IN o u s venons d’écrire l’histoire des pois- sons apodes renfermés dans la première '3 division des osseux, et qui sont dénués de nageoire caudale : examinons main- tenant ceux du même ordre qui en sont pourvus ; et commençons par ceux qui , n’en ayant qu’une assez courte , lient , par une nuance intermédiaire , les pre- miers avec les seconds. Plaçons ici , en conséquence , ce que nous avons à dire d’un poisson du premier ordre des os- seux, dont les manuscrits du savant Com- merson nous ont présenté la descrip- tion , qui n’a été encore observé par aucun autre naturaliste , et que nous avons dû inscrire dans un genre par- ticulier. Nous avons déjà donné le nom do Commersoti à une lophie 5 donnons au 94 HISTOIRE NATURELLE poisson que nous allons décrire, le nom de notre fameux navigateur et mon res- pectable confrère Bougainville , avec le- quel Commerson voyageoit dans la mer du Sud, lorsqu’il eut occasion d’exami- ner le triure dont nous allons parler. Ce fut entre le 26 et le 27e degré de la- titude australe , et près du io3 ou du io4e degré de longitude, qu’un hasard mit Commerson à meme de voir cette es- pèce, très-digne d’attention par ses formes extérieures. O11 venoit de prendre plu- sieurs poissons du genre des scombres. Commerson les ayant promptement dis- séqués , trouva dans l’estomac d’un seul de ces animaux cinq triures très-entiers , et que la force digestive du scombre n’a- voit encore altérés en aucune manière. Leur forme extraordinaire frappa , dit Commerson , les gens de l’équipage , qui. s’écrièrent tous qu’ils n’avoient jamais vu de semblables poissons. Quant à lui, il. crut bientôt après avoir retiré ces cinq triures de l’estomac du scombre , en voir plusieurs de la même espèce se jouer sur Ja surface de la mer. Il étoit alors dans le DES TRIURES. 95 mois de février de 1768 ( v. st. ). Quoi qu’il en soit , voici quels sont les traits de cette espèce d’osseux apode , dont les in- dividus examinés par le très-exact et très- éelairé Commerson , avoient à peu près la grandeur et l’aspect d’un hareng ordi- naire. La couleur du triuré bougainvillien est d’un brun rougeâtre qui se change en argenté sous la tête, et en incarnat, ou plutôt en vineux blanchâtre , sur les côtés , ainsi que sur la partie inférieure du corps et de la queue, et qui est re- levé par une tache d’un blanc très-écla- tant derrière la base des nageoires pec- torales. L’ensemble du corps et de la queue est comprimé, et aîongé de manière que la longueur totale de l’animal, sa plus grande hauteur et sa plus grande largeur, sont dans le même rapport que 71 , 18 et 10. Ce même ensemble est d’ailleurs entière- ment dénué de piquans , et revêtu d’é- e ailles si petites et si enfoncées , pour ainsi dire , dans la peau à laquelle elles sont attachées 3 qu’a la première inspec- cj6 HISTOIRE NATURELLE tion , on pourroit croire l’animal entière» ment sans écailles. La tête , qui est comprimée comme le corps , et qui de plus est un peu ap- platie par-dessus , se termine par un mu- seau très-prolongé, fait en forme de tube assez étroit , et dont l’extrémité présente pour toute ouverture de la bouche, un orifice rond , et que l’animal ne peut pas fermer. Dans le fond de cette sorte de tuyau sont les deux mâchoires osseuses , com- posées chacune d’une seule dent incisive et triangulaire - On n’appercoit pas d’autres dents ni sur le palais , ni sur la langue , qui est très -courte, cartilagineuse, et cependant un peu charnue dans son bout antérieur, lequel est arrondi. Les ouvertures des narines sont très- petites et placées plus près des orbites que de l’extrémité du museau. Les yeux sont assez grands, peu convexes , dépour- vus de ce voile membraneux que nous avons fait remarquer sur ceux des gym- notes , des opliisures , et d’autres pois- sons ; et l’iris brille des couleurs de l’or et de l’argent. DES T R I ü R E S. 97 C’est au-dessous de la peau qu’est placé chaque opercule branchial , qui d’ailleurs est composé d’une lame osseuse, longue, et en forme de faux. La membrane bran- chiale renferme cinq rayons un peu ap- platis et courbés , qu’on ne peut cepen- dant appercevoir qu’à l’aide de la dissec- tion. Cette membrane est attachée à la tête ou au corps dans presque tout sou contour , de manière qu’elle ne laisse pour toute ouverture des branchies qu’un très-petit orifice situé dans le point le plus éloigné du museau. Nous avons vu une conformation analogue en traitant des syngnathes; nous la retrouverons sur les callionymes et sur quelques autres poissons : mais ce qui la rend sur - tout | très-remarquable dans le triure que nous faisons connoître, c’est qu’elle offre un trait de plus dont nous ne connoissons pas d’exemple dans la classe entière des poissons ; et voilà pourquoi nous en avons 1 tiré le caractère distinctif du bougaiu- villien. Cette particularité consiste dans | une valvule en forme de croissant , char- nue, mollasse , et qui , attachée au bord 9 98 ïïISTOI RE NATURELLE antérieur de l’orifice branchial , le ferme à la volonté de ranimai, en se rabattant sur le côté postérieur. Le triure bougain- villien est donc de tous les poissons con- nus celui qui a reçu l’appareil le plus com- pliqué pour empêcher l’eau d’entrer dans la cavité branchiale , ou de sortir de cette cavité en passant par d’ouverture des branchies; il a un opercule, une mem- brane et une valvule ; et la réunion , dans cet animal , de ces trois moyens d’arrêter l’entrée ou la sortie de l’eau , est d’autant plus digne d’attention, que, d’après les expressions de Coramerson, il paroît que ce triure ne peut pas fermer à sa volonté l’orifice placé à l’extrémité du long tube formé par son museau, et que ce tube peut servir de passage à l’eau pour entrer par la bouche dans la véritable cavité branchiale ou pour eu sortir. Mais nous avons assez parlé des organes du triure relatifs à la respiration. On ne voit pas de ligne latérale bien sensible. Le bas du ventre se termine en carène aigue dans presque toute sa longueur ; et l’anus 2 qui est situé à l’ex* D E S T R I U R E S. 99 rémité de l’abdomen , consiste dans une uverture un peu alongée. Les nageoires pectorales sont petites, [élicates , transparentes , paroissent pres- [ue triangulaires lorsqu’elles sont dé- ployées , et renferment douze ou treize 'ayons. La nageoire de l’anus , composée de juinze rayons mous, ou environ , se di- *ige en arrière ; et sa pointe aiguë s’é- :end presque aussi loin que le bord pos- térieur de la nageoire de la queue, dont si le représente un supplément, etparoît même former une partie. La nageoire dorsale ne se montre pas moins comme une auxiliaire de la na- geoire de la queue. Formée d’un égal nombre de rayons que celle de l’anus , partant d’un point plus éloigné de la tête, et ayant un tiers de longueur de plus , elle s’étend en arrière non seulement pres- que autant que la nageoire caudale , mais encore plus loin que cette dernière. Et comme les deux nageoires dorsale et de l’anus touchent d’ailleurs la nageoire de la queue , cette nageoire caudale semble^ ico HISTOIRE NATURELLE au premier coup d’œil , être composée de trois parties bien distinctes ; on croit voir trois queues à l’animal; et de là viennent les dénominations de triurus , de triplurus , de tricaud , c’est-à-dire , d’a- nimal à trois queues, àebachcide lamer , etc. employées par Commerson , et dont nous avons conservé le nom générique de triu - rus , triure . Au reste , la nageoire caudale propre- ment dite est si courte, que, quoique composée d’une vingtaine de rayons , elle ressemble beaucoup plus à l’ébauche d’un organe qu’à une partie entièrement for- mée. Elle paroît frangée , parce que les rayons qu’elle renferme sont mous , arti- culés, et très-divisés vers leur extrémité. Le triure bougainviüien n’auroit donc pas vraisemblablement une grande force pour nager au milieu des eaux de la mer , si la nature et le peu de surface de sa véritable nageoire caudale n’étoient com^ pensés par la forme , la position et la direction de la nageoire du dos et de celle de. l’anus ; mais nous pensons , avec Com- merson , que, par le secours de ces déus; IOI' DUS T R I T 11 E S. nageoires accessoires , le trime doit se mouvoir avec facilité , et s’élancer avec vitesse dans le sein des mers qu’il ha- bite. Telle est l’image que nous pouvons for- mer du triure bougainvillien , en réunis- sant les traits précieux transmis par Com- merson. Quant à l’organisation intérieure de ce poisson , voici ce qu’en a écrit notre voyageur. Le foie est d’un rouge très-pâle, par- semé de points sanguins , et composé de deux lobes convexes , inégaux , et dont le droit est le plus grand. Le canal intestinal est étroit , diminue insensiblement de grosseur depuis le py- lore , se recourbe et se replie sur sa direc- tion quatre ou cinq fois. Commerson n’a trouvé qu’une matière liquide et blanchâtre dans l’estomac, qui est petit, et placé transversalement. Le cœur est presque triangulaire , d’un rouge pâle , avec une oreillette très- rouge. Commerson n’a pas vü de vésicule na- 9 102 HISTOIRE NATURELLE, tatoire ; mais il ne sait pas si son scalpel ne l’a pas détruite. Le poids du plus grand des triures bougainvilliens examinés par ce natu- raliste, étoit, à très - peu près, de i3a grammes. VINGT-NEUVIÈME G E N R E. LES APTÉRONOTES. Une nageoire de la queue ; point de nageoire du dos ; les mâchoires non extensibles . ESP E L’a pt É r P ASS CE. ONOTE A N. CARACTERES. {Un long filament charnu , placé au-dessus de la par- tie supérieure de la queue. i IC4 HISTOIRE NATURELLE L’APTÉRONOTE PASSAN. e nom à'aptéronote , qui veut dire sans nageoire sur le dos , désigne la même con- formation que celui de gymnote , qui si- gnifie dos nud. Et en effet , le passan , comme les gymnotes , n’a pas de nageoire dorsale ; mais nous avons dû le séparer de ces derniers , parce qu’indépeudamment d’autres grandes différences, il a une na- geoire caudale , dont il ne présente aucun linéament. Nous l’avons donc inscrit dans un genre particulier % auquel cependant nous avons été bien aises de donner un nom qui, en faisant éviter toute équi- voque, rappelât ses rapports, et, pour ainsi dire, sa parenté avec la famille des gymnotes. Le passan a le museau très-obtus ; la tête dénuée d’écailles sensibles , et parse- mée de très - petits trous destinés à ré- pandre une humeur visqueuse \ l’ouver- DES APTÉRONOTES. io5 ture de la bouche étendue jusqu’au-delà des yeux , qui sont voilés par une mem- brane , comme ceux des gymnotes ; les orifices des narines à une distance à peu près égale des yeux et du bout du mu- seau ; et les deux mâchoires festonnées de manière que la mâchoire supérieure présente une portion saillante à son extré- mité , ainsi que quatre autres parties avancées , deux d’un côté et deux de l’autre , et que la mâchoire inférieure oppose un enfoncement à chaque saillie et une saillie à chaque enfoncement de la mâchoire d’en - haut ? dans laquelle d’ailleurs elle s’emboîte. Les opercules des branchies sont atta- chés dans la plus grande partie de leur contour , et les ouvertures branchiales un peu en demi-cercle. Par une conformation bien rare , et bien remarquable même à côté de celles qu’offrent les apodes de la première divi- sion des osseux et particulièrement les gymnotes , l’anus est si près de la tête , qu’il est situé dans le petit espace angu- leux qui sépare les deux membranes io6 HISTOIRE NATURELLE branchiales, et très-près du point où elles se réunissent. Derrière l'anus , on voit un orifice que l’on croit destiné à la sortie de la laite, ou des œufs. Mais nous allons décrire une confor- mation plus singulière encore. Vers le milieu de la partie supérieure de l’animal comprise entre la tête et la nageoire caudale , commence une sorte de filament , ou de lanière charnue très- longue et très-déliée. Le savant natura- liste du Nord , le célèbre Pallas , auquel on doit un si grand nombre de décou- vertes en histoire naturelle , a le premier fait attention à cette espèce de lanière. En voyant que ce long filament convexe par-dessus et comme excavé par-dessous ïépoudoit à une sorte de canal longi- tudinal dont les dimensions paroissoient se rapporter exactement à celles du fila- ment, il fut d’abord tenté de croire que l’on avoit entaillé le dos de l’animal , et qu’on en avoit détaché une lanière , ail point qu’elle 11e fût retenue que par son extrémité antérieure. Il s’apperçut cependant bientôt que la conformation DES APTÉRONOTES. 107 qu’il avoit sous ses yeux, étoit naturelle ; mais l’état d’altération dans lequel étoit apparemment le passai! de la collection de l’académie de Pétersbourg , empêcha ce savant professeur de connoître dans tous ses détails la véritable conformation du filament ; et comme depuis la descrip- tion publiée par ce naturaliste on 11’a pas cru devoir chercher à ajouter à ce qu’il a écrit , la vraie forme de cette por- tion du passan n’est pas encore connue de ceux qui cultivent les sciences natu- relles. La voici telle que j’ai pu la voir sur un individu très-bien conservé qui faisoit partie de la collection donnée à la France par la république batave ; et la figure que j’ai fait dessiner et graver , en donnera une idée très-nette. Cette lanière charnue est en effet con- vexe par-dessus , concave par-dessous , attachée par son gros bout vers le milieu du dos de l’aptéronote , et répondant à un canal dont les dimensions diminuent à mesure qu’elle devient plus déliée , ainsi que l’a très-bien dit le professeur Pailas; mais ce que ce naturaliste n’a ïoB HISTOIRE NATURELLE pas été à même de voir , et ce qui est plus extraordinaire, c’est que ce filament est attaché aussi, par son., bout le plus menu , très-près de l’origine de la na- geoire de la queue. Lorsqu’on le sou- lève , on le voit retenu par ses deux bouts , formant une espèce d’arc dont la queue de l’animal est la corde; et de plus on appercoit très-distinctement une douzaine de petits Ris qui vont du canal longitudinal à cette lanière , la retiennent comme par autant de liens , sont inclinés vers la nageoire caudale , et se couchent dans le canal longitudinal , lorsqu’on laisse retomber le grand filament dans la longue gouttière , qu’il remplit alors eu entier. C’est de la présence de cette lanière que nous avons tiré le caractère spéci- fique du passan . La nageoire de l’anus * commençant très - près de cette dernière ouverture , s’étend presque depuis la gorge jusqu’à * A chacune des nageoires pec- torales , de.. i5 à 16 rayons. à celle de la queue, de... 20 à 24 DES A E TÉRONOTES. 109 la base de la nageoire caudale ; elle com- prend de 147 à 162 rayons. Le corps et la queue sont couverts d’é- cailles petites et arrondies. L’animal est de deux couleurs , d’un noir plus ou moins foncé , et d’un bîauc éclatant. Ce blanc de neige s’étend sur le museau ; il règne ensuite en forme de bande étroite depuis le devant de la tête jusqu'à la partie postérieure de la queue , qui est blanche ainsi que la na- geoire caudale , et la dernière partie de celle de l’anus. C’est cette portion très- blanche de la nageoire de l’anus , dont l’image a été oubliée par quelques uns de ceux qui ont représenté le passan ; et voilà pourquoi on lui a attribué une nageoire de l’anus beaucoup plus courte que celle qu’il a réellement. Cet aptéronote parvient quelquefois jus- qu’à la longueur de quatre décimètres. On le trouve dans les environs de Surinam. Kisscns. IV. IO TRENTIEME GENRE. LES RÉGALECS. '.Des nageoires pectorales . du dos, et de la queue; point de nageoire de V anus , ni de série d’ aiguillons à la place de cette der- nière nageoire ; le corps et la queue très - a longés. ESPÈCES. r. Le régalec G L ES NE. CARACTÈRES. Un long filament auprès de chaque nageoire pectoral ej une nageoire dorsale ré- gnant depuis la nuque jus- qu’à la nageoire de la queue, avec laquelle elle est réunie. (La nageoire de la queue , lancéolée ; les opercules composées seulement de deux ou trois pièces. HISTOIRE NATURELLE, ni LE RÉGALEC GLESNE. Plus on fait de progrès dans l'étude* des corps organisés , et plus on est con- vaincu de cette vérité importante, que toutes les formes compatibles avec la conservation des espèces , non seulement existent , mais encore sont combinées les unes avec les autres de toutes les ma- nières qui peuvent se concilier avec la durée de ces memes espèces. L’histoire des poissons apodes de la première divi- sion des osseux nous fournit un exemple remarquable de cette variété de combi- naisons. Dans les dix-neuf genres de cet ordre, les diverses nageoires du dos, de la poitrine , de l’anus et de la queue , montrent en effet, par leur présence ou par leur absence , un assez grand nombre de modes différens. Les cécilies sont ab- solument sans nageoires ; les monoptères n’en ont qu’une qui est placée au bout iis HISTOIRE NATURELLE de la queue ; ou en voit deux sur les î leptocéphales , dont le dos est garni d’une 1 de ces deux nageoires , pendant que l’autre est située entre leur queue et leur anus ; les trichiures n’en ont que sur le dos et des deux côtés de la poitrine; lçs gymnotes , qui en ont de pectorales et une de l’anus , en sont dénués sur le dos et à l’ extrémité de la queue; les notop- tères et les opMsures en déploient uni- quement sur le dos, au-delà de l’anus, et des deux côtés de la partie antérieure de leur corps ; les triures ne réunissent aux nageoires du dos , de la poitrine et de l’anus , que des rudimens d’une na- geoire de la queue ; on apperçoit une nageoire caudale, deux pectorales et une nageoire de l’anus sur les aptéronotes, mais leur dos est sans nageoire ; les quatre sortes de nageoires ont été données aux odontognathes , aux murènes , aux am- modytes , aux opfiidies , aux macro- gnathes , aux xiphias , aux anarhiques , aux coméphores , aux stromatées , aux yfiombes; et enfin les régalées ont reçu une nageoire du dos 5 une nageoire de la DES EÉGALECS. n3 queue, et deux pectorales, sans aucune apparence de nageoire de l’anus. Cette absence d’une nageoire anale suffiroit seule pour séparer le genre des régalées de tous les autres genres de son ordre , excepté de celui des cécilies , de celui des monoptères , et de celui des tri- chiures ; mais comme les trichiures ont une série d’aiguillons à la place de la nageoire anale , que les monoptères n’ont qu’une seule nageoire , et que les cécilies n’en ont pas du tout , on peut dire que cet entier dénuement de na- geoire de l anus distingue véritablement les régalées de tous les apodes inscrits dans la première division des poissons osseux, et avec lesquels on pourroit les confondre. Le naturaliste Ascanius est le premier auteur qui ait fait mention du régalée. On n’a compté jusqu’à présent dans ce genre , qu’une espèce que l’on nomme g/es ne, et qui habite auprès des côtes de Norvège. Le régalée glesne a d’assez grands rapports avec les trichiures et les ophisures. Le corps et la queue sont très-» 10 ÏT4 HISTOIRE NATURELLE alongés et comprimés , les mâchoires armées de dents nombreuses , les oper- cules composés de cinq ou six pièces, les membranes branchiales soutenues par cinq ou six rayons , les nageoires pec- torales très-petites. Au-dessous de cha- cune de ces deux dernières nageoires, on voit un filament renflé par le bout, et dont la longueur est égale ordinaire- ment au tiers de celle de ranimai. On compte, en quelque sorte, deux nageoires dorsales : la première, qui cependant est une série de piquans plutôt qu’une véri- table nageoire , commence dès le sommet de la tête, et est composée de huit aiguil- lons; la seconde s’étend depuis la nuque jusqu’à la nageoire caudale , avec la- quelle elle se réunit et se confond. Tout le corps du poisson est argenté, semé de petits points noirs disposés eu raies longitudinales , et varié dans ses nuances par trois bandes brunes placées transversalement sur la partie posté- rieure de la queue. Comme on le rencontre souvent, ainsi que la chimère arctique , au milieu de$ IIO DES RÉGALECS. innombrables légions de harengs , qu’il est argeuté comme ces derniers auimaux, qu’il a l’air de les conduire, et qu’il par- vient à des dimensions assez considé- rables , on l’a nommé , ainsi que la chi- mère du Nerd, roi des harengs : et c’est ce que désigne le nom générique de régalée , qui lui a été conservé. *ï6 HISTOIRE NATURELLE LE REGALEC LANCÉOLÉ * XM ou s plaçons dans le même genre que le glesne, une espèce de poisson dont nous avons vu une ligure coloriée, exé- cutée avec beaucoup de soin, et parmi les dessins chinois cédés par la Hollande a la France, et desquels nous avons déjà parlé plusieurs fois. Nous avons donné à ce régalée , dont les naturalistes d’Eu- rope n’ont encore publié aucune descrip- tion , le nom spécifique de lancéolé , parce que la nageoire qui termine sa queue a la forme d’un fer de lance. Cet animal est dénué d’une nageoire de l’anus comme le glesne : il a , comme ce dernier osseux , deux nageoires dorsales , très ^basses et très-rapprochées ; mais ces deux nageoires sont, en quelque sorte, triangulaires : la * Ce régalée est représenté sous le nom tfophi- die chinoise , dans la planche 4 du troisième yolume de çette Histoire des poissons* DES RÉGALECS. \i? première n’est point composée d’aiguil- lons détacliés, et la seconde ne se con- fond pas avec l’anale comme sur le glesne. Chacun des opercules n’est composé que de deux ou trois pièces , tandis qu’on en compte cinq ou six dans chaque opercule du régalée de Norvège. Le lancéolé a d’ailleurs le corps très-alongé et serpen- ti forme , comme le régalée d’Europe ; mais ce poisson chinois , au lieu d’étre argenté , est d’une couleur d’or mêlée d© brun. TRENTE-UNIÈME GENRE. LES ODONTOGNATHES. Une lame longue 3 large , recourbée » dente- lée, placée de chaque côté de la mâchoire supérieure , et entraînée par tous les mou - vemens de la mâchoire de dessous . ESPÈCE. CARACTÈRES. (Huit aiguillons recourbés , situés sur la poitrine ; vingt-huit autres aiguil- AIGUILLONNÉ. j Ions disposés sur deux î rangs longitudinaux 3 et \ placés sur le ventre. HISTOIRE NATURELLE. 119 L’GDONTGGNATHE AIGUILLONNÉ. Parmi plusieurs poissons que le citoyen Leblond nous a fait parvenir assez récem- ment de Cayenne , s’est trouvé celui que j’ai cru devoir nommer oclontognathe ai- guillonné. Nou seulement cet osseux n’a encore été décrit par aucun naturaliste, mais il ne peut être placé dans aucun des genres admis jusqu’à présent par ceux qui cultivent l’histoire naturelle. Sa tête, son corps et sa queue sont très-compri- més. Mais ce qui doit le faire observer avec le plus d’attention , c’est le méca- nisme particulier que présentent ses mâ- choires, et dont 011 11e trouve d’exemple dans aucun poisson connu. Montrons en quoi consiste ce mécanisme. La mâchoire inférieure , plus longue que la supérieure , est très-relevée contre Ïâo HISTOIRE NATURELLE cette dernière, lorsque ranimai a sa bou- che entièrement fermée ; elle est même si redressée dans cette position , qu’elle pa- roît presque verticale. Elle s’abaisse , en. quelque sorte, comme un pont-levis, lorsque le poisson ouvre sa bouche ; et on s’apperçoit facilement alors qu’elle forme une espèce de petite nacelle écail- leuse , très-transparente , sillonnée par- dessous , et finement dentelée sur ses bords. Cette mâchoire de dessous entraîne eu avant, lorsqu’elle s’abaisse, deux pièces très-longues, ou, pour mieux dire , deux lames très-plates, irrégulières, de subs- tance écailleuse , un peu recourbées à leur bout postérieur, plus larges à leur origine qu’à leur autre extrémité, dente- lées sur leur bord antérieur, et attachées, l’une d’un côté, l’autre de l’autre, à la par- tie la plus saillante de la mâchoire supé- rieure. Lorsque ces deux lames ont obéi le plus possible au mouvement en en-bas de la mâchoire inférieure , elles se trouvent avancées de manière que leurs extrémités dépassent la verticale que l’on peut sup* Ï)E5 ODOlSITOGN ATHES. izi poser tirée du bout du museau vers le plan horizontal sur lequel le poisson re- pose. C’est au milieu de ces deux pièces que l’on voit alors la mâchoire inférieure abaissée et étendue en avant ; et dans cette attitude, le contour de la bouche est formé par cette même nageoire de dessous, et par les deux lames dentelées qui sont devenues comme les deux côtés de la mâchoire supérieure. Tant que la bouche reste ouverte , les lames dépassent par le bas la mâchoire inférieure ; mais lorsque celle-ci remonte pour s’appliquer dé nouveau contre la mâchoire supérieure et fermer la bouche, chacune des deux pièces se couche contre un des opercules , et paroît n’eu être que le bord antérieur dentelé. C’est des dentelures que nous venons d’indiquer en montrant le singulier mé- canisme des mâchoires de l’aiguillonné , que nous avons tiré le nom générique de cet animal , odontogncithe signifiant par un seul mot, ainsi que cela est né- cessaire pour la dénomination d’un genre, à mâchoires dentelées. 122 HISTOIRE NATURELLE Au milieu de ces mâchoires organisées, d’une manière si particulière , on voit une langue pointue et assez libre dans ses mouvemens. Les opercules , composés de plusieurs pièces, sont très - transparens dans leur partie postérieure , écailleux et très-argentés dans leur partie antérieure. La membrane des branchies , qui est sou- tenue par cinq rayons , est aussi argentée par-dessus ; et il n’est pas inutile de faire observer à ceux qui auront encore pré- sentes à leur esprit les idées que notre premier Discours renferme sur les cou- leurs des poissons , quç dans un très- grand nombre d’osseux qui vivent aux environs de la Guiane et d’autres con- trées équatoriales de l’Amérique, la mem- brane branchiale est plus ou moins cou- verte de ces écailles très-petites et très- éclatantes qui argentent les diverses par- ties sur lesquelles elles sont répandues. La poitrine , terminée vers le bas en carène aigue , présente sur cette sorte d’arête huit aiguillons recourbés. On dis- tingue de plus, au travers des tégurnens et de chaque côté du corps , quatorze DES ODONTOGNATHES, 123 eûtes peu courbées , dont chacune est terminée par un aiguillon saillant à l’ex- térieur , et se réunit , pour former le dessous du ventre, à celle qui lui est aua- logue dans le côté du corps opposé à celui auquel elle appartient. Il résulte de cet arrangement , que la carène du ventre est garnie de vingt-huit aiguillons dis- posés sur deux rangs longitudinaux ; et c’est de cette double rangée que vient le nom spécifique ü aiguillonné , par lequel nous avons cru devoir distinguer le pois- son osseux que nous décrivons. La nageoire de l’anus est très-longue , et s’étend presque jusqu’à la bifse de celle de la queue , qui est fourchue *. Celle du dos est placée sur la queue proprement dite , vers les trois quarts de la longueur totale de l’animal ; mais elle est très-petite. D’après l’état dans lequel nous avons vu l’individu envoyé au Muséum natio- * A chacune des nageoires pectorales 12 rayons. à la nageoire du dos 6 ou 7 à celle de l’anus 80 à celle de la queue 19 124 HISTOIRE NATURELLE, liai cTliistoire naturelle par le citoyen. Leblond , et conservé déjà depuis quel- que temps dans de l’alcool affoibli, nous pouvons seulement conjecturer que l’o- dontognatlie aiguillonné présente , sur presque tout son corps , le vif éclat de l’argent. Nous le présumons d’autant plus, que cet animai a reçu dans les environs de Cayenne, suivant le citoyen Leblond^ le nom vulgaire de sardine , nom donné depuis long-temps à une dupée argentée sur une grande partie de son corps, et qui d’ailleurs n’a aucune ressemblance exté- rieure bien frappante avec l’aiguillonné. Comme la sardine , l’odontognathe dont nous parlons , est bon à manger , et vit dans l’eau salée. Il parvient à la longueur de trois décimètres. TRENTE-DEUXIÈME GENRE. LES MURÈNES. Des nageoires -pectorales , dorsale , caudale et de l’anus ; les narines tubulées; les yeux voilés par une membrane ; le corps serpen - tiforme et visqueux. ESPÈCES. CARACTÈRES. La mâchoire inférieure plus avancée que la supérieure; cent rayons, ou environ , à la nageoire de l’anus; le dessus du corps et de la queue sans tache. La mâchoire inférieure plus avancée que la supérieure ; trente-six rayons, ou en- viron , à la nageoire do Panus ; la couleur ver- dâtre ; de petites taches noires ; une grande tache de chaque coté et auprès, ^ de la tête. n i. La murène] A NGU I L LE. 2. La murène T ACHETÉ E. 126 HISTOIRE NATURELLE ESPÈCES. CARACTÈRES. 3. La murène M Y R E. Le museau un peu pointu * deux petits appendices un peu cylindriques à la lèvre supérieure; la nageoire du dos toute cendrée , ou blanche et lisérée de noir- Deux appendices un peu cy- 4. La MURÈNE lindriques à la lèvre supé- CONGRE. * rieure ; la ligne latérale blanche. DES MURÈNES. Ï27 LA MURÈNE ANGUILLE *. Il est peu d’animaux dont on doive se retracer l’image avec autant de plaisir que celle de la murène auguille. Elle peut être offerte , cette image gracieuse , et à l’enfance folâtre , que la variété des évo- lutions amuse , et à la vive jeunesse , que la rapidité des mouvemens enflamme , * Murœna an gu'; U a ; margaignon (anguille mâle), fine (anguille femelle), dans plusieurs déparlemeus méridionaux de France; paglieiane, gaponchi y musini , dans plusieurs contrées d’Ita- lie ; miglioramenli , lorsqu’elle pèse six kilo- grammes, auprès des lacs ou marais de Comraa- cbio , d’Orbitello, etc. en Italie; capitoni 3 lors- qu’elle a le même poids; rocche ? lorsque son poids est de deux kilogrammes; anguillacci y lors- que son poids n’est que d’un kilogramme et demi ; presdalti , lorsqu’elle est très-petite, ud.hl , en alle- mand; al , en suédois; eel y en ànglois. ï^B HISTOIRE NATURELLE et à la beauté , que la grâce , la souplesse, la légèreté, intéressent et séduisent , et à la sensibilité , que les affections douces et constantes touchent si profondément , et à la philosophie même , qui se plaît à contempler et le principe et l’effet d’un instinct supérieur. Nous l’avons déjà vu, cet instinct supérieur , dans l’énorme et terrible requin : mais il y étoit le ministre d’une voracité insatiable , d’une cruauté sanguinaire , d’une force dévastatrice. Nous avons trouvé dans les poissons électriques une puissance , pour ainsi dire , magique ; mais ils n’ont pas eu la beauté en partage. Nous avons eu à représenter des formes remarquables ; presque toujours leurs couleurs étoient ternes et obscures. Des nuances écla- tantes ont frappé nos regards ; rarement elles ont été unies avec des proportions agréables ; plus rarement encore elles ont servi de parure à un être d’un ins- tinct élevé. Et cette sorte d’intelligence y ce mélange de l'éclat des métaux , et des couleurs de l’arc céleste , cette rare conformation de toutes les parties qui DES MURÈNES. 129 forment un meme tout et qu’un heureux accord a rassemblées , quand les avons- nous vus départis avec des habitudes , pour ainsi dire , sociales , des affections douces , et des jouissances , en quelque sorte, sentimentales ? C’est cette réunion si digne d’intérêt , que nous allons ce- pendant montrer dans l’anguille. Et lors- que nous aurons compris sous un seul point de vue sa forme déliée, ses propor- tions sveltes, ses couleurs élégantes , ses flexions gracieuses , ses circonvolutions faciles , ses élans rapides , sa natation soutenue , ses mouvemens semblables à ceux du serpent , son industrie , son instinct, son affection pour sa compagne, son espèce de sociabilité , et les avan- tages que l’homme en retire chaque jour , on ne sera pas surpris que les Grec- ques et les Romaines les plus fameuses par leurs charmes aient donné sa forme à un de leurs ornemens les plus recher- chés , et que l’on doive en reconnoître les traits , de même que ceux des muré- nophis, sur de riches bracelets antiques , peut - être aussi souvent que ceux des i3o HISTOIRE NATURELLE couleuvres venimeuses dont on a voulu pendant long -temps retrouver exclusi- vement l’image dans ces objets de luxe et de parure; ou ne sera pas meme étonné que ce peuple ancien et célèbre qui ado- roit tous les objets dans lesquels il voyoit quelque empreinte de la beauté, de la bonté , de la prévoyance , du pouvoir ou du courroux célestes , et qui se pros- ternoit devant les ibis et les crocodiles , eût aussi accordé les honneurs divins à l’animal que nous examinons. C’est ainsi que nous avons vu l'énorme serpent devin obliger , par l’effroi , des nations encore peu civilisées des deux continens, à courber une tête tremblante devant sa force redoutable , que l’ignorance et la terreur avoieut divinisée ; et c’est ainsi encore que par l’effet d’une mythologie plus excusable sans doute , mais bien plus surprenante, car , fille cette fois de la reconnoissance et non pas de la crainte , elle consacroit l’utilité et non pas la puis- sance , les premiers habitans de l’île Saint-Domingue , de même que les Tro- glodytes dont Pline a parlé dans sou DES MURÈNES. i3i Histoire naturelle, vénéroient leur dieu sous la forme d’une tortue *. On ne s’attendoit peut-être pas à trou- ver dans l’anguille tant de droits à l’at- tention. Quel est néanmoins celui qui n’a pas vu cet animal ? Quel est ceiui qui ne croit pas être bien instruit de ce qui concerne un poisson que l’on pêche sur tant de rivages , que l’on trouve sur tant de tables frugales ou somptueuses , dont le nom est si souvent prononcé , et dont la facilité à s’échapper des mains qui le retiennent avec trop de force, est deve- nue un objet de proverbe pour le sens borné du vulgaire , aussi - bien que pour la prudence éclairée du sage ? Mais , de- puis Aristote jusqu’à nous, les natura- * Le citoyen François (de Neufchâteau), membre de Flnstilut national, m’écrivoit le 16 germinal de l’an 6, pendant qu il étoit encore membre du Di- rectoire exécutif, et dans une lettre savante et phi- losophique ; « J’ai vu à Saint-Domingue des vases « qui servaient dans les cérémonies des premiers « habitans de File. Ces vases, composés d’une sorie « de lave grossièrement taillée, figurent des ter- « nies. « ï3ü HISTOIRE NATURELLE listes , les Apicius , les savans , les iguo rails , les têtes fortes , les esprits foibles , se sont occupés de l’anguille ; et yoilà pourquoi elle a été le sujet de tant d’er- reurs séduisantes , de préjugés ridicules , de contes puériles , au milieu desquels très -peu d’observateurs ont distingué les formes et les habitudes propres à inspi- rer ainsi qu’à satisfaire une curiosité rai- sonnable. Tâchons de démêler le vrai d’avec le faux ; représentons l’anguille telle qu’elle est. Ses nageoires pectorales sont assez pe- tites, et ses autres nageoires assez étroites, pour qu’on puisse la confondre de loin avec un véritable serpent : elle a de même le corps très - alongé et presque cylin- drique. Sa tête est menue , le museau un peu pointu , et la mâchoire inférieure plus avancée que la supérieure. L’ouverture de chaque narine est pla- cée au bout d’un très-petit tube qui s’é- lève au-dessus de la partie supérieure de la tête; et une prolongation des tégumens les plus extérieurs s’étend en forme de DES MURÈNES. i33 membrane au-dessus des yeux, et les couvre d’un voile demi - transparent comme celui que nous avons observé sur les yeux des gymnotes , des ophisures et des aptéronotes. Les lèvres sont garnies d’un grand nombre de petits orifices par lesquels se jépand une liqueur onctueuse ; une ran- gée de petites ouvertures analogues com- pose , de chaque côté de l’animal , la ligne que l’on a nommée latérale ; et c’est ainsi que l’anguille est perpétuellement arrosée de cette substance qui la rend si visqueuse. Sa peau est , sur tous les points de son corps, enduite de cette humeur gluante qui la fait paroître comme ver- aiie. Elle est pénétrée de cette sorte d’huile qui rend ses mouvemens très-souples ; et l’on voit déjà pourquoi elle glisse si faci- lement au milieu des mains inexpérimen- tées qui , la serrant avec trop de force ^ augmentent le jeu de ses muscles , faci- litent ses efforts , et, ne pouvant la saisir par aucune aspérité , la sentent couler et s’échapper comme un fluide *. A la vérité, * Le mot murœna 3 qui vieat du mot grec y.vfeiv: 12" ï34 HISTOIRE NATURELLE cette même peau est garnie d’écailles dont ou se sert même , dans plusieurs pays du Nord , pour donner une sorte d’éclat argentin au ciment dont on enduit les édifices : mais ces écailles sont si petites, que plusieurs pli ysiciens en ont nié l’exis- tence ; et elles sont attachées de manière que le toucher le plus délicat ne les fait pas reconnoitre sur l’animal vivant , et que même un œil perçant ne les découvre que lorsque l’anguille est morte, et la peau asse'fe desséchée pour que les petites lames écailleuses se séparent facilement. On apperçoit plusieurs rangs de petitc’s dents , non seulement aux deux mâ- choires , à la partie antérieure du palais , et sur deux os situés au-dessus du gosier , mais encore sur deux autres os un peu plus longs, et placés à l’origine des bran- chies. L’ouverture de ces branchies est petite , très-voisine de la nageoire pectorale , ver- ticale, étroite , et un peu en croissant. lequel signifie couler , s3 échapper y désigne cette faculté de l’anguille et des autres poissons de sou i35 D E S M U RÊNE S. On a de la peine à distinguer les dix rayons que contient communément la membrane destinée à fermer cette ouver- ture ; et les quatre branchies de chaque côté sont garnies de vaisseaux sanguins dans leur partie convexe , et dénuées de toute apophyse et de tout tubercule dans leur partie concave. Les nageoires du dos et de l’anus sont si basses , que la première s’élève à peine au-dessus du dos d’un soixantième de la longueur totale. Elles sont d’ailleurs réu- nies à celle de la queue , de manière qu’on a bien de la peine à déterminer la fin de l’une et le commencement de l’au- tre ; et on peut les considérer comme une bande très-étroite qui commence sur le dos à une certaine distance de la tête, s'étend jusqu’au bout de la queue, en- toure cette extrémité, y forme une pointe assez aiguë , revient au-dessous de Ra- nimai jusqu’à l’anus , et présente tou- jours assez peu de hauteur pour laisser subsister les plus grands rapports entre le corps du serpent et celui de l’an» guille. i3 6 HISTOIRE NATURELLE L’épaisseur de la partie membraneuse de ces trois nageoires réunies , fait qu’on ne compte que très-difficilement les petits rayons qu’elles renferment , et qui sont ordinairement au nombre de plus de mille , depuis le commencement de la nageoire dorsale jusqu’au bout de la queue. Les couleurs que l’anguille présente sont toujours agréables ,’mais elles varient assez fréquemment ; et il paroi t que leurs nuances dépendent beaucoup de l’âge de l’animal * , et de la qualité de l’eau au milieu de laquelle il vit. Lorsque cette eau est limoneuse , le dessus du corps de la murène que nous décrivons est d’un beau noir, et le dessous, d’un jaune plus ou moins clair. Mais si l’eau est pure et limpide , si elle coule sur un fond de sable , les teintes qu’offre l’anguille sont plus vives et plus riantes.: sa partie supé- rieure est d’un verd nuancé, quelquefois * Jfoyage de Spallan.zani dans les deux Si - ciles , traduction du savant et élégant écrivain le citoyen Toscan , bibliothécaire du Muséum national ^histoire naturelle. D ES M Ü R È N Ë S. même rayé d’un brun qui le fait ressor- tir ; et le blanc du lait , ou la couleur de l’argent, brillent sur la partie inférieure du poisson. D’ailleurs la nageoire de l’a- nus est communément lisérée de blanc , et celle du dos , de rouge. Le blanc , le rouge et le verd , ces couleurs que la Nature sait marier avec tant de grâce et fondre les unes dans les autres par des nuances si douces , composent donc l’une des parures élégantes que l’espèce de l’an- guille a reçues , et celle qu’elle déploie lorsqu’elle passe sa vie au milieu d’une ! eau claire , vive et pure. Au reste , les couleurs de l’anguille pa- rois sent quelquefois d’autant plus variées par les différens reflets rapides et succes- sifs de la lumière plus ou moins intense qui parvient jusqu’aux diverses parties de l’animal , que les mouvemens très- prompts et très -multipliés de cette mu- rène peuvent faire changer à chaque ins- tant l’aspect de ces mêmes portions colo- rées. Cette agilité est secondée par la nature de la charpente osseuse du corps et de la queue de l’animal. Ses vertèbres x58 HISTOIRE NATURELLE un peu comprimées et par conséquent nu peu étroites à proportion de leur Ion-* gueur, pliantes et petites, peuvent se prêter aux diverses circonvolutions qu’elle a besoin d’exécuter. A ces vertèbres , qui communément sont au nombre de cent seize, sont attachées des côtes très-courtes, retenues par une adhérence très-légère aux apophyses des vertèbres , et très-propres a favoriser les sinuosités nécessaires à la natation de la murène. De pî us, les muscles sont soutenus et fortifiés dans leur action par une quantité très - considérable de petits os disséminés entre leurs divers fais- ceaux, et connus sous le nom a1 arêtes proprement dites, ou de petites arêtes. Ces os intermusculaires , que l’on ne voit dans aucune autre classe d’animaux que dans celle des poissons , et qui n’appar- tiennent même qu’à un certain nombre de poissons osseux, sont d’autant plus grands qu’ils sont placés plus près de la tête; et ceux qui occupent la partie an- térieure de l’animal , sont communément divisés en deux petites branches. Un instinct relevé ajoute aussi à la fré- D E S M U R È N E S. *69 quence des mouvemeiis ; et nous avons déjà indiqué + que l'anguille , ainsi que les autres poissons osseux et serpen Li- fo r nies , avoit le cerveau pins étendu, plus alongé , composé de lobes moins inégaux , plus développés et plus nom- breux, que le cerveau de la plupart des poissons dont il nous reste à parier , et particulièrement de ceux qui out le corps très-applati, comme les pleuronectes. Le cœur est quadrangufaire ; l'aorte grande ; le foie rougeâtre , divisé en deux lobes , dont le gauche est le plus volu- mineux; la vésicule du fiel séparée du foie comme dans plusieurs espèces dq serpens ; la rate alongée et triangulaire ; la vessie natatoire très-grande, attachée à Eépine et garnie par-devant d'un îong^ conduit à gaz; le canal intestinal dénué de ces appendices que l'on remarque au- près du pylore de plusieurs espèces de poissons , et presque sans sinuosités, ce qui indique la force des sucs digestifs de l’anguille, et en général l’activité de se» Discours sur la nature des poissons. HISTOIRE NATURELLE Rumeurs et l’intensité de son principe vital. Les murènes anguilles parviennent à nue grandeur très- considérable : il n’est pas très -rare d’en trouver en Angleterre , ainsi qu’en Italie, du poids de huit à dis kilogrammes. Daies l’Albanie , on en a vu dont on a comparé la grosseur à celle de la cuisse d’un homme; et des observa- teurs très-dignes de foi ont assuré que , dans des lacs de la Prusse , on en avoit pêché qui étoient longues de trois à quatre mètres. On a même écrit que le Gange eu avoit nourri de plus de dix mètres de longueur ; mais ce ne peut être qu’une erreur , et l’on aura vraisemblablement donné le nom d’ anguille à quelque grand serpent , à quelque boa devin que l’on aura appercu de loin, nageant au-dessus de la surface du grand fleuve de l’Inde. Quoi qu’il en soit, la croissance de l’anguille se fait très -lentement ; et nous avons sur la durée de son développement quelques expériences précises et curieuses qui m’ont été communiquées par un très- bon observateur , le citoyen Septfon- DES MURÈNES. 141 taines , auquel j’ai eu plusieurs fois , eu écrivant cette Histoire naturelle , l’occa- sion de témoigner ma juste reconnois- sance. Au mois de juin 1779 (.p- st- ) ? ce natu- raliste mit soixante anguilles dans un réservoir; elles avoient alors environ dix- neuf centimètres. Au mois de septembre 1780 , leur longueur n’étoit que de qua- rante à quarante-trois centimètres ; au mois d’octobre 1786, cette même longueur n’étoit que de cinquante-un centimètres ; et enfin , en juillet 1788 , ces anguilles n’é- toient longues que de cinquante - cinq centimètres au plus. Elles ne s’étoient donc alongées en neuf ans que de vingt- six centimètres. Avec de l’agilité, de la souplesse, de la force dans les muscles , de la grandeur dans les dimensions, il est facile à la mu- rène que nous examinons, de parcourir des espaces étendus, de surmonter plu- sieurs obstacles, de faire de grands voyages^ de remonter contre des courans rapides. Aussi va-t-elle périodiquement , tantôt des lacs ou des rivages voisins de la source ï42 histoire naturelle des rivières vers les embouchures des fleuves, et tantôt de la mer vers les sources ou les lacs. Mais , dans ces migrations régulières, elle suit quelquefois un ordre différent de celui qu’observent la plupart des poissons voyageurs. Elle obéit aux mêmes lois ; elle est régie de même par les causes dont nous avons tâché d’indi- quer la nature dans notre premier Dis- cours : mais tel est l’ensemble de ses or- ganes extérieurs et de ceux que son inté- rieur renferme , que la température des eaux, la qualité des alimens, la tranquil- lité 011 le tumulte des rivages , la pureté du fluide, exercent, dans certaines cir- constances, sur ce poisson vif et sensible, une action très-différente de celle qu’ils font éprouver au plus grand nombre des autres poissons non sédentaires. Lorsque le printemps commence de régner, ces derniers remontent des embouchures des fleuves vers les points les plus élevés des rivières; quelques anguilles, au contraire, s’abandonnant alors au cours des eaux , vont des lacs dans les fleuves qui en sor- tent, et des fleuves vers les côtes ma-* ïitimes. DES MURÈNES. 14 3 Dans-quelques contrées, et particulière- ment auprès des lagunes de Venise, les anguilles remontent, dans le printemps * ou à peu près , de la 111er Adriatique vers les lacs et les marais, et notamment vers ceux de Commachio , que la pèche des a n g u i î l e s a r c 11 d u s c e 1 è b r e s . E 1 1 e s y a r r i v e n t par le Pô , quoique très-jeunes; mais elles n’en sortent pendant Pautomue pour re- tourner vers les rivages de la mer, que lorsqu’elles ont acquis un assez grand dé- veloppement, et qu’elles sont devenues presque adultes. La tendance à Limita- tion , cette cause puissante de plusieurs actions très-remarquables des animaux , et la sorte de prudence qui parcit diriger quelques unes des habitudes des anguilles^ les déterminent à préférer la nuit au jour pour ces migrations de la mer dans les lacs, et pour ces retours des lacs dans la mer. Celles qui vont, vers la fin de la belle saison, des marais de Commachio dans la mer de Venise, choisissent même pour leur voyage les nuits les plus obscures, et sur-tout celles dont les ténèbres sont épaissies par la présence de nuages cra- T 44 HISTOIRE NATURELLE geux. Une clarté plus ou moins vive, la lumière de la lune, des feux allumés sur le rivage, suffisent souvent pour les arrêter dans leur natation vers les côtes marines. Mais lorsque ces lueurs qu’elles redoutent ne suspendent pas leurs mouvemens , elles sont poussées vers la mer par un instinct si fort, ou, pour mieux dire, par une cause si énergique, qu’elles s’engagent entre des rangées de roseaux que les pê- cheurs disposent au fond de l’eau pour les conduire à leur gré, et que, parvenant sans résistance et par le moyen de ces 1 tranchées aux enceintes dans lesquelles [ on a voulu les attirer , elles s’entassent dans ces espèces de petits parcs , au point ^ de surmonter la surface de l’eau, au lieu de chercher à revenir dans l’habitation qu’elles viennent de quitter. Pendant cette longue course , ainsi que j pendant le retour des environs de la mer 1 vers les eaux douces élevées, les anguilles k se nourrissent, aussi-bien que pendant lo qu’elles sont stationnaires, d’insectes, de fl vers, d’œufs et de petites espèces de pois- fl sons. Elles attaquent quelquefois des p DES MURÈNES. 145 animaux un peu plus gros. Le citoyen. Septfontaines en a vu une de quatre-vingt- quatre centimètres présenter un nouveau rapport avec les serpens, en se jetant sur deux jeunes canards éclos de la veille , et en les avalant assez facilement pour qu’on, put les retirer presque entiers de ses in- testins. Dans certaines circonstances, elles se contentent de la chair de presque tous les animaux morts qu’elles rencontrent au milieu des eaux; mais elles causent souvent de grands ravages dans les ri- vières. Le citoyen Noël nous écrit que dans la basse Seine elles détruisent beau- coup d’éperlans , de dupées feintes , et de brèmes. Ce n’est pas cependant sans danger qu’elles recherchent l’aliment qui leur convient le mieux : malgré leur sou- plesse, leur vivacité , la vitesse de leur fuite, elles ont des ennemis auxquels il leur est très - difficile d’échapper. Les loutres, plusieurs oiseaux d’eau, et les grands oiseaux de rivage , tels que les grues , les hérons et les cigognes, les pêchent avec habileté et les retiennent Paissons, I Y* 1 â ï4<3 HISTOIRE NATURELLE avec adresse ; les hérons sur - tout ont dans la dentelure d’un de leurs ongles , des espèces de crochets qu’ils enfoncent dans le corps de l’anguille , et qui rendent inutiles tous les efforts qu’elle fait pour glisser au milieu de leurs doigts. Les poissons qui parviennent à une longueur un peu considérable, et, par exemple , le brochet et l’acipensère esturgeon , en font aussi leur proie ; et comme les estur- geons l’avalent toute entière et souvent sans la blesser, il arrive que, déliée, vis- queuse et flexible , elle parcourt toutes les sinuosités de leur canal intestinal , sort par leur anus , et se dérobe , par une prompte natation , à une nouvelle pour- suite. Il n’est presque personne qui n’ait vu un lombric avalé par des canards sortir de même des intestins de cet oiseau , dont il avoit suivi tous les replis ; et ce- pendant c’est le fait que nous venons d’exposer , qui a donné lieu à un conte absurde accrédité pendant long-temps , à l’opinion de quelques observateurs très- peu instruits de l’organisation intérieure des animaux , et qui ont dit que l’an- DES MURÈNES. 147 guille entroit ainsi volontairement dans le corps de l’esturgeon , pour aller y chercher des œufs dont elle aimoit beau- coup à se nourrir. Mais voici un trait très -remarquable dans l’histoire d’un poisson, et qui a été vu trop de fois pour qu’011 puisse en dou- ter. L’anguille, pour laquelle les petits vers des prés, et même quelques végétaux, comme , par exemple , les pois nouvel- lement semés , sont un aliment peut-être plus agréable encore que des œufs ou des poissons , sort de l’eau pour se pro- curer ce genre de nourriture. Elle lampe sur le rivage par un mécanisme sem- blable à celui qui la fait nager au milieu des fleuves ; elle s’éloigne de l’eau à des distances assez considérables, exécutant avec son corps serpentiforme tous les mouvemens qui donnent aux couleuvres la faculté de s’avancer ou de reculer; et après avoir fouillé dans la terre avec son. museau pointu , pour se saisir des pois ou des petits vers , elle regagne en ser- pentant le lac ou la rivière dont elle étoit sortie, et vers lequel elle tend avec assez 148 histoire naturelle de vitesse, lorsque le terrain 11e lui op- pose pas trop d’obstacles, c’est-à-dire, de trop grandes inégalités. Au reste , pendant que la conforma- tion dé son corps et de sa queue lui per- met de se mouvoir sur la terre sèche , l’organisation de ses branchies lui donne la faculté d’être pendant un temps assez long hors de l’eau douce ou salée sans en périr. En effet , nous avons vu qu’une des grandes causes de la mort des pois- sons que l’on retient dans l’atmosphère, est le grand dessèchement qu’éprouvent leurs branchies , et qui produit la rup- ture des artères et des veines branchiales, dont le sang , qui n’est plus alors contre- balancé par un fluide aqueux environ- nant , tend d'ailleurs sans contrainte à rompre les membranes qui le contien- nent. Mais l’anguille peut conserver plus facilement que beaucoup d’autres pois- sons , l'humidité, et par conséquent la ductilité et la ténacité des vaisseaux san- guins de ses branchies ; elle peut clore exactement l’ouverture de sa bouche ] l’orifice branchial , par lequel un air DES MURÈNES. 149 desséchant paroîtroit devoir s’introduire en abondance, est très- étroit et peu alongé ; l’opercule et la membrane sont placés et conformés de manière à fermer parfaitement cet orifice; et de plus, la liqueur gluante et copieuse dont l’animal est imprégné , entretient la mollesse de toutes les portions des branchies. Nous devons encore ajouter que , soit pour être moins exposée aux attaques des ani- maux qui cherchent à la dévorer, et à la poursuite des pêcheurs qui veulent en faire leur proie , soit pour obéir à quel- que autre cause que l’on pourroit trouver sans beaucoup de peine, et qu’il est, dans ce moment , inutile de considérer, l’an- guille ne va à terre , au moins le plus fréquemment , que pendant la nuit. Une vapeur humide est très -souvent alors répandue dans l’atmosphère ; le dessè- chement de ses branchies ne peut avoir lieu que plus difficilement ; et l’on doit voir maintenant pourquoi, dès le temps de Pline, on avoit observé en Italie que l’anguille peut vivre hors de l’eau jus- qu’à six jours , lorsqu’il ne souffle pas i5o HISTOIRE NATURELLE un vent méridional, dont l’effet le plus ordinaire , dans cette partie de l’Europe, est de faire évaporer l’humidité avec beaucoup de vitesse. 4 Pendant le jour , la murène anguille , moins occupée de se procurer l’aliment qu’elle desire , se tient presque toujours dans un repos réparateur , et dérobée aux yeux de ses ennemis par un asyle qu’elle prépare avec soin. Elle se creuse avec son museau une retraite plus ou moins grande dans la terre molle du fond des lacs et des rivières; et par une attention particulière , résultat remar- quable d’une expérience dont l’effet se maintient de génération en génération , cette espèce de terrier a deux ouver- tures , de telle sorte que si elle est atta- quée d’un côté, elle peut s’échapper de l’autre. Cette industrie , pareille à celle des animaux les plus précautionnés , est une nouvelle preuve de cette supériorité d’instinct que nous avons dû attribuer à l’anguille dès le moment où nous avons considéré dans ce poisson le volume et la foime du cerveau, l’organisation plus loi- DES MURÈNES, soignée des sièges de l’odorat , et enfin la flexibilité et la longueur du corps et de la queue, qui, souples et continuellement humectés, s’appliquent dans toute leur étendue à presque toutes les surfaces , en reçoivent des impressions que des écailles presque insensibles ne peuvent ni arrêter, ni , en quelque sorte, dimi- nuer, et doivent donner à l’animal un toucher assez vif et assez délicat. Il est à remarquer que les anguilles, qui, par une suite de la longueur et de la flexibilité de leur corps, peuvent, dans tous les sens , agir sur l’eau presque avec la même facilité et par conséquent recu- ler presque aussi vite qu’elles avancent , pénètrent souvent la queue la première dans les trous qu’elles forment dans la vase , et qu’elles creusent quelquefois cette cavité avec cette même queue , aussi-bien qu’avec leur tête. Lorsqu’il fait très -chaud, ou dans quelques autres circonstances, l’anguille quitte cependant quelquefois, même vers le milieu du jour , cet asyle qu’elle sait se donner. On la voit très -souvent alors 352 HISTOIRE NATURELLE s’approcher de la surface de l’eau , se placer au-dessous d’un amas de mousse flottante ou de plantes aquatiques , y demeurer immobile, et paroître se plaire dans cette sorte d’inaction et sous cet abri passager. On seroit même tenté de croire qu’elle se livre quelquefois à une espèce de demi-sommeil sous ce toit de feuilles et de mousse. Le citoyen Sept- fontaines nous a écrit , en effet , dans le temps , qu’il avoit vu plusieurs fois une anguil e dans la situation dont nous Tenons de parler; qu’il étoit parvenu à s’en approcher , à élever progressive- ment la voix , à faire tinter plusieurs clefs l’une contre l’autre, à faire sonner très-près de la tête du poisson plus de quarante coups d’une montre à répéti- tion , sans produire dans l’animal aucun mouvement de crainte, et que la murène ne s’étoit plongée au fond de l’eau que lorsqu’il s’étoit avancé brusquement vers elle , ou qu’il avoit ébranlé la plante touffue sous laquelle elle goûtoitle repos. De tous les poissons osseux, l’anguille n’est cependant pas celui dont l’ouïe est DES MURÈNES. x53 la moins sensible. On sait depuis long- temps qu’elle peut devenir familière au point d’accourir vers la voix ou l’instru- ment qui l’appelle et qui lui annonce la nourriture qu’elle préfère. Les murènes anguilles sont en très- grand nombre par-tout où elles trouvent l’eau , la température , l’aliment qui leur conviennent, et où elles 11e sont pas pri- vées de toute sûreté. Voilà pourquoi , dans plusieurs des endroits où l’on s’est occupé de la pêche de ces poissons , 011 en a pris une immense quantité. Pline a écrit que dans le lac Benaco des environs de Vérone, les tempêtes qui, vers la fin de l’automne , en bouleversoient les flots, agitoient, entraînoient et rouloient, pour ainsi dire , un nombre si considérable d’anguilles , qu’on les prenoit par mil- liers à l’endroit où le fleuve venoit de sortir du lac. Martini rapporte dans son Dictionnaire , qu’autrefois on en pêchoit jusqu’à soixante mille dans un seul jour et avec un seul filet. O11 lit dans l’ouvrage de Redi sur les animaux vivans dans les animaux vivans , que lors du second pas^ ï54 HISTOIRE NATURELLE sage des anguilles dans l’Arno , c’est-â- dire , lorsqu’elles remontent de la mer vers les sources de ce fleuve de Toscane, plus de deux cent mille peuvent tomber dans les filets , quoique dans un très- court espace de temps. Il y en a une si grande abondance dans les marais de Commachio , qu’en 1782 011 en pêcha 990,000 kilogrammes. Dans le Jutland, il est des rivages vers lesquels , dans cer- taines saisons , on prend quelquefois d’un seul coup de filet plus de neuf mille anguilles , dont quelques unes pèsent de quatre à cinq kilogrammes. Et nous savons, par le citoyen Noël, qu’à Cléon près d’Elbeuf, et même auprès de presque toutes les rives de la basse Seine , il passe des troupes ou plutôt des légions si considérables de petites an- guilles , qu’011 en remplit des seaux et des baquets. Cette abondance n’a pas empêché le goût le plus difficile en bonne chère , et le luxe même le plus somptueux , de rechercher l’anguille , et de la servir dans leurs banquets. Cependant sa viscosité. i55 DES MURÈNES, le suc huileux dont elle est imprégnée, la difficulté avec laquelle les estomacs délicats en digèrent la chair, sa ressem- blance avec un serpent, Font fait regar- der dans certains pays, comme un ali- ment un peu mal-sain par les médecins, et comme un être impur par les esprits superstitieux. Elle est comprise parmi les poissons en apparence dénués d’é- cailles , que les lois religieuses des Juifs interdisoient à ce peuple ; et les régle- inens de Nama ne permettoient pas de les servir dans les sacrifices , sur les tables des dieux. Mais les défenses de quelques législateurs, et les recomman- dations de ceux qui ont écrit sur l’hy- giène , ont été peu suivies et peu imi- tées ; la saveur agréable de la chair de Fanguille , et le peu de rareté de cette espèce , Font emporté sur ces ordres ou ces conseils : on s’est rassuré par l’exemple d'un grand nombre d’hommes , à la vé- rité , laborieux , qui, vivant au milieu des marais , et ne se nourrissant que d’anguilles, comme les pêcheurs des lacs de Counnachio auprès de Venise , ont i-56 HISTOIRE NATURELLE cependant joui d’une santé assez forte , présenté un tempérament robuste, atteint une vieillesse avancée; et l’on a, dans tous les temps et dans presque tous les pays , consacré d’autant plus d’instans à la pêche assez facile de cette murène, que sa peau peut servir à beaucoup d’u- sages , que dans plusieurs contrées on en fait des liens assez forts , et que dans d’autres, comme, par exemple, dans quelques parties de la Tartarie, et parti- culièrement dans celles qui avoisinent la Chine , cette même peau remplace, sans trop de désavantage , les vitres des fe- nêtres. Dans plusieurs pays de l’Europe , et notamment aux environs de l’embou- chure de la Seine , on prend les anguilles avec des hairns ou hameçons. Les plus petites sont attirées par des lombrics ou vers de terre , plus que par toute autre amorce ; on emploie contre les plus gran- des , des baitns garnis de moules , d’au- tres animaux à coquille , ou de jeunes éperlans. Lorsqu’on pêche les anguilles pendant la nuit 3 on se sert d’un filet DES MURÈNES. 157 nommé seine drue , et pour la descrip- tion duquel nous renvoyons le lecteur à l’article de la raie bouclée. O11 substitue quelquefois à cette seine un autre filet appelé, dans la rivière de Seine, dran - guel , ou dranguet dru , dont les mailles sont encore plus serrées que celles de la seine dme ; et le citoyen Noël nous fait observer , dans une note qu’il nous a adressée , que c’est par une suite de cette substitution , et parce qu’en gé- néral 011 exécute mal les lois relatives à la police des pêches , que les pêcheurs de la Seine détruisent une grande quantité d’anguilles du premier âge et qui 11’ont encore atteint qu’une longueur d’un ou deux décimètres , pendant qu’ils pren- nent, peut-être plus inutilement encore , dans ce même dranguet , beaucoup de frai de barbeau , de vaudoise , de brème, et d’autres poissons recherchés. Mais l’usage de ce filet à mailles très-serrées 11’est pas la seule cause contraire â l’avan- tageuse reproduction, ou, pour mieux dire , à l’accroissement convenable des anguilles dans la Seine : le citoyen Noël i4 i58 HISTOIRE NATURELLE lions en fait remarquer deux autres dans la note que nous venons de citer. Pre- mièrement, les pêcheurs de cette rivière ont recours quelquefois , pour la pêche de ces murènes , à la vermille , sorte de corde garnie de vers , à laquelle les très- jeunes individus de cette espèce viennent s’attacher très-fortement , et par le moyen de laquelle on enlève des milliers de ces petits animaux. Secondement , les fossés qui communiquent avec la basse Seine, ont assez peu de pente pour que les petites anguilles , poussées par le flux dans ces fossés , y restent à sec lorsque la marée se retire , et y périssent en nombre extrêmement considérable , par l’effet de la grande chaleur du soleil de prairial. Au reste, c’est le plus souvent depuis je commencement du printemps jusque vers la lin de l’automne , qu’on pêche les murènes anguilles avec facilité. On a communément assez de peine à les pren- dre au milieu de l’hiver , au moins à des latitudes un peu élevées ; elles se cachent, pendant cette saison , ou dans les ter- DES MURÈNES. i5<> îiers qu’elles se sont creusés , ou dans quelques autres asyles à peu près sem- blables. Elles se réunissent même en as- sez grand nombre , se serrent de très- près , et s’amoncellent dans ces retraites , où il paroît qu’elles s’engourdissent lors- que le froid est rigoureux. On en a quel- quefois trouvé cent quatre-vingts dans un trou de quarante décimètres cubes ; et le citoyen Noël nous mande qu’à Aisiey près de Quillebeuf , on en prend sou- vent , pendant l’hiver , de très-grandes quantités , en fouillant dans le sable , entre les pierres du rivage. Si l’eau dans laquelle elles se trouvent est peu pro- fonde , si par ce peu d’épaisseur des couches du fluide elles sont moins à cou vert des impressions funestes du froid , elles périssent dans leur terrier , malgré toutes leurs précautions ; et le savant Spallanzani rapporte qu’un hiver fit périr, dans les marais de Commacliio , une si grande quantité d’anguilles , qu’elles pe- soient î ,800,000 kilogrammes. Dans toute autre circonstance , une grande quantité d’eau n’est pas aussi i6o HISTOIRE NATURELLE nécessaire aux murènes dont nous nous occupons , que plusieurs auteurs Pont prétendu. Le citoyen Septfontaines a pris dans une fosse qui contenoit à peine quatre cents décimètres cubes de ce fluide , une anguille d’une grosseur très- considérable ; et la distance de la fosse à toutes les eaux de l’arrondissement , ainsi que le défaut de toute communi- cation entre ces mêmes eaux et la petite mare , ne lui ont pas permis de douter que cet animal n’eût vécu très -long- temps dans cet étroit espace , des effets duquel l’état de sa chair prouvoit qu’il n’avoit pas souffert. Nous devons ajouter néanmoins que si la chaleur est assez vive pour pro- duire une très-grande évaporation et al- térer les plantes qui croissent dans l’eau, ce fluide peut être corrompu au point de devenir mortel pour l’anguille 5 qui s’efforce en vain , en s’abritant alors dans la fange , de se soustraire à l’influence funeste de cette chaleur desséchante. On a écrit aussi que l’anguille ne sup- portait pas des changemens rapides et DES MURÈNES. 161 très-marqués dans la qualité des eaux au milieu desquelles elle habitait. Cepen- dant le citoyen Septfontaines a prouvé plusieurs fois qu'on pouvoit la trans- porter, sans lui faire courir aucun dan- ger , d’une rivière bourbeuse dans le vivier le plus limpide , du sein d’une eau froide dans celui d’une eau tem- pérée. Il s’est assuré que des changemens inverses ne nuisoient pas davantage à ce poisson , et sur trois cents individus qui ont éprouvé sous ses yeux ces diverses transmigrations , et qui les ont essuyées dans différentes saisons , il n’en a péri que quinze , qui lui ont paru ne suc- comber qu’à la fatigue du transport et aux suites de leur réunion et de leur séjour très - prolongé dans un vaisseau trop peu spacieux. Néanmoins , lorsque leur passage d’un réservoir dans un autre , quelle que soit la nature de l’eau de ces viviers, a lieu pendant des chaleurs excessives, il arrive souvent que les anguilles gagnent une maladie épidémique pour ces animaux , et dont les symptômes consistent dans les 14 162 histoire naturelle taches blanches qui leur surviennent; Nous verrons , dans notre Discours sur la manière de multiplier et de conserver les individus des diverses espèces de poissona quels remèdes on peut opposer aux effets de cette maladie , dont des taches blan- ches et accidentelles dénotent la pré- sence. Les murènes dont nous parlons sont sujettes , ainsi que plusieurs autres pois- sons , et particulièrement ceux que l’homme élève avec plus ou moins de soin, à d’autres maladies dont nous trai- terons dans la suite de cet ouvrage , et dont quelques unes peuvent être causées par une grande abondance de vers dans quelque partie intérieure de leur corps 9 comme , par exemple , dans leurs intes- tins. Pendant la plupart de ces dérange-» mens , lorsque les suites peuvent en être très-graves , l’anguille se tient renfermée dans son terrier , ou , si elle manque d’asyle , elle remonte souvent vers la su- perficie de l’eau ; elle s’y agite , va, re- vient sans but déterminé , tournoie sur DES MURÈNES, i63 ^elle-même, ressemble par ses mouvemens à un serpent prêt à se noyer et luttant encore un peu contre les flots. Son corps enflé d’un bout à l’autre , et par-là de- venu plus léger relativement au fluide dans lequel elle nage , la soulève et la retient ainsi vers la surface de l’eau. Au bout de quelque temps , sa peau se flétrit et devient blanche; et lorsqu’elle éprouve cette altération, sigue d’une mort pro- chaine , on diroit qu’elle ne prend plus soin de conserver une vie qu’elle sent 11e pouvoir plus retenir. Ses nageoires se re- muent encore un peu ; ses yeux parois- sent encore se tourner vers les objets qui l’entourent : mais sans force , sans pré- caution , sans intérêt inutile pour sa sû- reté , elle s’abandonne , pour ainsi dire , et souffre qu’on l’approche , qu'on la tou- che , qu’on l’enlève même sans qu’elle cherche à s’échapper. Au reste , lorsque des maladies ne dé- rangent pas l’organisation intérieure de l’anguille, lorsque sa vie n’est attaquée que par des blessures , elle la perd assez diffici- lement ; le principe vital paroi t disse- 164 HISTOIRE NATURELLE miné 'd’une manière assez indépendante J si je puis employer ce mot , dans les di- verses parties de cette murène, pour qu’il ne puisse être éteint que lorsqu’on cherche à l’anéantir dans plusieurs points à la fois; et, de même que dans plusieurs serpens , et particulièrement dans la vi- père , une heure après la séparation du tronc et de la tête , l’une et l’autre de ces portions peuvent donner encore des signes d’une grande irritabilité. Cette vitalité tenace est une des causes de la longue vie que nous croyons devoir attribuer aux anguilles , ainsi qu’à la plupart des autres poissons. Toutes les analogies indiquent cette durée considé- rable , malgré ce qu’ont écrit plusieurs auteurs , qui ont voulu limiter la vie de ces murènes à quinze ans, et même à huit ^années : et d’ailleurs nous savons 5 de manière à ne pouvoir pas en douter, qu’au bout de six ans une anguille ne pèse quelquefois que cinq hectogrammes ; que des anguilles conservées pendant neuf ans , n’ont acquis qu’une longueur de vingt-six centimètres ; que ces anguilles, DES MURÈNES. i65 avant d’être devenues l’objet d’une obser- vation précise, avoient déjà dix - neuf centimètres , et par conséquent dévoient être âgées de cinq ou six ans ; qu’à la fin de l’expérience elles avoient au moins quatorze ans ; qu’à cet âge de quatorze ans elles ne présentoient encore que le quart ou tout au plus le tiers de la lon- gueur des grandes anguilles pêchées dans des lacs de la Prusse , et qu’elles 11’au- roient pu parvenir à cette dernière di- mension qu’après un intervalle de quatre- vingts ans. Les anguilles de trois ou quatre mètres de longueur , vues dans des lacs de la Prusse par des observateurs digues de foi , avoient donc au moins quatre- vingt-quatorze ans : nous devons dire que des preuves de fait et des témoignages irrécusables se réunissent aux probabilités fondées sur les analogies les plus grandes, pour nous faire attribuer une longue vie à la murène anguille. Mais comment se perpétue cette espèce utile et curieuse ? L’anguille vient d’un véritable œuf, comme tous les poissons. L’œuf éclot le plus souvent dans le ventre 166 HISTOIRE NATURELLE de la mère , comme celui des raies , desr squales, de plusieurs blennies, de plu- sieurs silures ; la pression sur la partie inférieure du corps de la mère facilite la sortie des petits déjà éclos. Ces faits , bien tus , bien constatés par les naturalistes récens , sont simples et conformes aux vérités physiologiques les mieux prou- vées , aux résultats les plus sûrs des re- cherches anatomiques sur les poissons 9 et particulièrement sur l’anguille ; et cependant combien , depuis deux mille ans , ils ont été altérés et dénaturés par une trop grande confiance dans des ob- servations précipitées et mal faites, qui ont séduit les plus beaux génies, parmi lesquels nous comptons non seulement Pline, mais même Aristote ! Lorsque les anguilles mettent bas leurs petits , com- munément elles reposent sur la vase du fond des eaux; c’est au milieu de cette terre ou de ce sable humecté qu’on voit frétiller les murènes qui viennent de paroître à la lumière : Aristote a pensé que leur génération étoit due à cette fange. Les mères vpnt quelquefois frot- DES MURÈNES. 167 ter leur ventre contre des rochers ou d’autres corps durs , pour se débarrasser plus facilement des petits déjà éclos dans leur intérieur ; Pline a écrit que par ce frottement elles faisoient jaillir des frag- mens de leur corps, qui s’animoient, et que telle étoit la seule origine des jeunes murènes dont nous exposons la véritable manière de naître. D’autres anciens au- teurs ont placé cette même origine dans les chairs corrompues des cadavres des chevaux ou d’autres animaux jetés dans l’eau , cadavres autour desquels doivent souvent fourmiller de très - jeunes an- guilles , forcées de s’en nourrir par le dé- faut de tout autre aliment placé à leur portée. A des époques bien plus rappro- chées de nous , Helmont a cru que les anguilles venoient de la rosée du mois de mai ; et Leuwenhoeck a pris la peine de montrer la cause de cette erreur, en fai- sant voir que dans cette belle partie du printemps , lorsque l’atmosphère est tran- quille et que le calme règne sur l’eau , la portion de ce fluide la plus chaude est la plus voisine de la surface 3 et que c’est ï68 HISTOIRE NATURELLE cette couche plus échauffée , plus vivi- hante , et plus analogue à leur état de foiblesse, que les jeunes anguilles peuvent alors préférer. Schwenckfeld , de Breslaw en Silésie , a fait naître les murènes an- guilles des branchies du cyprin borde- lière ; Schoneveld , de Kiel dans le Hols- tein , a voulu qu’elles vinssent à la lu- mière sur la peau des gades morues, ou des salmones éperlans. Ils ont pris l’un et l'autre pour de très- petites murènes an- guilles, des gordius , des sangsues, ou d’antres vers qui s’attachent à la peau ou aux branch ies de plusieurs poissons. Eller, , Charleton, Fahlberg , Gesner , Birckholtz, ont connu , au contraire, la véritable manière dont se reproduit l’espèce que nous décrivons. Plusieurs observateurs v des temps récens sont tombés , à la vé- rité , dans une erreur combattue même par Aristote , en prenant les vers qu’ils voyoient dans les intestins des anguilles qu’ils disséquoient , pour des fœtus de ces animaux. Leuwenhoeck a eu tort de cher- cher les oeüfs de ces poissons dans leur vessie urinaire, et Yailisnieri dans leur DES MURÈNES. 169 vessie natatoire : mais Muller , et peut- être Mondini , ont vu les ovaires ainsique les œufs de la femelle; et la laite du mâle a été également reconnue. D'après toutes ces considérations , on doit éprouver un assez grand étonne- ment , et ce vif intérêt qu'inspirent les recherches et les doutes d'un des plus habiles et des plus célèbres physiciens , lorsqu’on lit dans le Voyage de Spalla7i- zani , que des millions d’anguilles ont été pêchées dans les marais , les lacs ou les fleuves de l’Italie et de la Sicile , sans qu’on ait vu dans leur intérieur ni œufs ni fœtus. Ce savant observateur explique ce phénomène , en disant que les anguilles ne multiplient que dans la mer ; et voila pourquoi , continue-t-il , on n’en trouve pas, suivant Senebier , dans le laç de Genève , jusqu’auquel la chute du Rhône 11e leur permet pas de remonter, tandis qu’on en pêche dans le lac de Neufchâtel, qui communique avec la mer par le Rhin et le lac de Brenna. Il invite , eu conséquence, les naturalistes à faire de nouvelles recherches sur les anguilles i5 ïyo HISTOIRE NATURELLE qu’ils rencontreront au milieu des eaux salées, et de la mer proprement dite , dans le temps du frai de ces animaux , c’est-à- dire , vers le milieu de l’automne , ou le commencement de l’hiver. Les oeufs de l’anguille éclosant presque toujours dans le ventre de la mère , y doivent être fécondés : il est donc néces- saire qu’il y ait dans cette espèce un véri- table accouplement du mâle avec la fe- melle , comme dans celles des raies , des squales , des syngnathes , des blennies et des silures ; ce qui confirme ce que nous avons déjà dit de la nature de ses affec- tions. Et comme la conformation des mu- rènes est semblable en beaucoup de points à celle des serpens , l’accouplement des serpens et celui des murènes doivent avoir lieu , à peu près , de la même manière. Rondelet a vu, en effet, le mâle et la femelle entrelacés dans le moment de leur réunion la plus intime , comme deux couleuvres le sont dans des circonstances analogues ; et ce fait a été observé depuis par plusieurs naturalistes. Dans l’anguille 2 comme dans tous les DES MURÈNES, 171 autres poissons qui éclosent dans le ventre de leur mère , les œufs renfermés dans l’intérieur de la femelle sont beaucoup plus volumineux que ceux qui sont pon- dus par les espèces de poissons auxquelles 011 n’a pas donné le nom de vivipares ou de vipères : le nombre de ces œufs doit donc être beaucoup plus petit dans les premiers que dans les seconds ; et c’est ce qui a été reconnu plus d’une fois. L’anguille est féconde au moins dès sa douzième année. Le citoyen Septfontaines a trouvé des petits bien formés dans le ventre d’une femelle qui n’avoit encore que trente-cinq centimètres de longueur , et qui, par conséquent, pouvoit n’être âgée que de douze ans. Cette espèce crois- sant au moins jusqu’à sa quatre-vingt- quatorzième année , chaque individu fe- melle peut produire pendant un inter- valle de quatre-vingt-deux ans ; et ceci sert à expliquer la grande quantité d’an- guilles que l’on rencontre dans les eaux qui leur conviennent. Cependant , comme le nombre des petits qu’elles peuvent mettre au jour chaque année est très- i7z HISTOIRE NATURELLE limité , et que , d’un autre côté , les aecî- dens y les maladies , l’activité des pê- cheurs , et la voracité des grands poissons , des loutres , et des oiseaux d’eau , en détruisent fréquemment une multitude, on ne peut se rendre raison de leur mul- tiplication qu’en leur attribuant une vie et même un temps de fécondité beaucoup plus longs qu’un siècle , et beaucoup plus analogues à la nature des poissons, ainsi qu’à la longévité qui en est la suite. Au reste , il paroît que dans certaines contrées , et dans quelques circonstances^ il arrive aux œufs de l’anguille ce qui survient quelquefois à ceux des raies, des squales , des blennies , des silures , etc. ; c’est que la femelle s’en débarrasse avant que les petits ne soient éclos ; et l’on peut le conclure des expressions employées par quelques naturalistes en traitant de cette murène , et notamment par Redi dans son ouvrage des animaux vivans dans les animaux vivans. Tous les climats peuvent convenir à l’anguille : on la pêche dans des contrées trcs-chaudes, à la Jamaïque, dans d’autres DES MURÈNES. 27 3 portions de l’Amérique voisines des tro- piques , dans les Indes orientales ; elle n’est point étrangère aux régions glacées, à l’Islande , au Groenland ; et on la trouve dans toutes les contrées tempérées, depuis la Chine , où elle a été figurée très-exac- tement pour l’intéressante suite de des- sins donnés par la Hollande à la France et déposés dans le Muséum d’histoire na- turelle, jusqu’aux côtes occidentales de la République et à ses départemens méri- dionaux , dans lesquels les murènes de cette espèce deviennent très-belles et très- bonnes, particulièrement celles qui vivent dans le bassin si célébré de la poétique fontaine de Vaucluse*. Dans des temps plus reculés et anté- rieurs aux dernières catastrophes que le globe a éprouvées , ces mêmes murènes ont dû être aussi très - répandues en Europe , ou du moins très - multipliées dans un grand nombre de contrées, puis- qu’on reconnoît leurs restes , ou leur em- * Note communiquée vers 1788 par l’évêque d’CJzès, ami très-zélé et très-éclairé des sciences naturelles. 1S 374 HISTOIRE NATURELLE preinte, dans presque tous les amas de poissons pétrifiés ou fossiles que les natu- ralistes ont été à portée d’examiner, et sur-tout dans celui que Ton a découvert à Æningen , auprès du lac de Constance , et dont une notice a été envoyée dans le temps par le célèbre Lavater à l'illustre Saussure. Nous ne devons pas cesser de nous oc- cuper de l'anguille , sans faire mention de quelques murènes que nous considé- rerons comme de simples variétés de cette espèce , jusqu'au moment où de nou- veaux faits nous les feront regarder comme constituant des espèces particulières. Ces variétés sont au nombre de cinq : deux diffèrent par leur couleur de l'anguille commune ; les autres trois en sont dis- tinguées par leur forme. Nous devons la connoissance de la première à Spallan- zani ; et la notice des autres nous a été envoyée par le citoyen Noël de Rouen , que nous avons si souvent le plaisir de citer. Premièrement, celle de ces variétés qui a été indiquée par Spallanzani, se trouve DES MURÈNES. 375 dans les marais de Chiozza auprès de Ve- Jiise. Elle est jaune sous le ventre , cons- tamment plus petite que l’anguille ordi- naire ; et ses habitudes ont cela de re- marquable, qu’elle ne quitte pas pério- diquement ses marais , comme l’espèce commune, pour aller, vers la fin delà saison des chaleurs , passer un temps plus ou moins long dans la mer. Elle porte un nom particulier : 011 la nomme ace - rine. Secondement, des pêcheurs de la Seine disent avoir remarqué que les premières anguilles qu’ils prennent sont plus blan- ches que celles qui sont pêchées plus tard. Selon d’autres , de même que les anguilles sont communément plus rouges sur les fonds de roche, et deviennent en peu de jours d’une teinte plus foncée lorsqu’on les a mises dans des réservoirs, elles sont plus blanches sur des fonds de sable. Mais, indépendamment de ces nuances plus ou moins constantes que présentent les an- guilles communes , on observe dans la Seine une anguille qui vient de la mer lorsque les marées sont fortes , et qui i:6 HISTOIRE NATURELLE remonte dans la rivière en même temps que les merlans. Sa tête est un peu me- nue. Elle est d’ailleurs très-belle et com- munément assez grosse. On la prend quel- quefois avec la seine *; mais le plus sou- vent on la pêche avec une ligne dont les- appâts sont des éperlans et d’autres petits poissons. Troisièmement, le pimperneau est, sui- vant plusieurs pêcheurs , une autre an- guille de la Seine , qui a la tête menue comme l’anguille blanche , mais qui de plus l’a très-alongée , et dont la couleur est brune. Quatrièmement , une autre anguille de la même rivière est nommée guiseau. Elle a la tête plus courte et un peu plus large que l’anguille commune. Le gui- seau a d’ailleurs le corps plus court ; son œil est plus gros, sa chair plus ferme, sa graisse plus délicate. Sa couleur varie du noir au brun , au gris sale , au rous- sâtre. On le prend depuis le Hoc jusqu’à Vil- * Voyez , à l’article’ de la raie bouclée y la des- cripiion du filet appelé seine* DES MURÈNES. 177 lequier, et rarement au-dessus. Le citoyen Noël pense que le bon goût de sa chair est dû à la nourriture substantielle et douce qu’il trouve sur les bancs de l’em- bouchure de la Seine , ou au grand nombre de jeunes et petits poissons qui pullulent sur les fonds voisins de la mer. Il croit aussi que cette murène a beau- coup de rapports , par la délicatesse de sa chair , avec l’anguille que l’on pèche dans l’Eure, et que l’on désigne par le nom de breteau. Les troupes de guiseaux sont quelquefois clètrillèes s suivant l’ex- pression des pêcheurs, c’est-à-dire qu'ils 11e sont, dans certaines circonstances , mêlés avec aucune autre murène ; et d’autres fois on pèche , dans le même temps , des quantités presque égales d’an- guilles communes et de guiseaux, Un pê- cheur de Villequier a dit au citoyen Noël qu’il avoit pris, un jour, d’un seul coup de filet, cinq cents guiseaux , au pied du château d’Orcheb. Cinquièmement , Y anguille chien a la tête plus longue que la commune, comme le piinperneau , et plus large, comme le 178 histoire naturelle guiseau. Cette partie du corps est d’ail- leurs applatie. Ses yeux sont gros. Ses di- mensions sont assez grandes; mais son ensemble est peu agréable à la vue, et sa chair est filamenteuse. On dit qu’elle a des barbillons à la bouche. Je n’ai pas été à même de vérifier l’existence de ces barbillons, qui peut-être ne sont que les petits tubes à l’extrémité desquels sont placés les orifices des narines. anguille chien est très -goulue; et de là vient le nom qu’on lui a donné. Elle dévore les petits poissons qu’elle peut saisir dans leë nasses, déchire les filets, ronge même les fils de fer des lignes. Lorsqu’elle est prise à l’hameçon, on remarque qu’elle a avalé l'haim de manière à le faire par- venir jusqu’à l’œsophage, tandis que les anguilles ordinaires ne sont retenues avec l’hameçon que par la partie antérieure de leur palais. On la pêche avec plus de facilité vers le commencement de l’au- tomne ; elle paroi t se plaire beaucoup sur les fonds qui sont au-dessus de Can- deleu. Dans l’automne de l’an 6 de l’ère françoise, une troupe d’ anguilles, chiens DES MURÈNES. 179 remonta jusqu’au passage du Croisset : elle y resta trois ou quatre jours; et n’y trouvant pas apparemment une nourri- ture suffisante ou convenable , elle redes- cendit vers la mer. iBo HISTOIRE NATURELLE LA MURÈNE TACHETEE, E T LA MURÈNE M Y R E. JT orskael a yu dans l’Arabie la murène tachetée , et en a publié le premier la description. Cette murène a la mâchoire inférieure plus avancée que la supé- rieure, comme l’anguille, avec laquelle elle a d’ailleurs beaucoup de ressem- blance; mais elle en diffère par une callo- sité placée entre les yeux , par le nombre des rayons de ses nageoires ainsi que de sa membrane branchiale *, et par la dispo- * A la membrane branchiale de la murène tachetée. . 6 rayons. à la nageoire du dos 43 à chacune des pectorales. . 9 , ou à peu près# à la nageoire de Tan us. ... 36 à celle de la queue. ...... 10 DES MURÈNES. i8î sition de ses couleurs. Elle est d’un verd de mer, relevé par un grand nombre do taches noires; et une tache plus grande est placée auprès de la tête , de chaque côté du corps. La myre habite dans une mer très- voisine des contrées dans lesquelles on a pêché la tachetée : on la trouve dans la Méditerranée. Son museau est un peu pointu ; les bords des mâchoires et le milieu du palais sont garnis de deux ou trois rangées de petites dents presque égales; deux appendices très -courts et un peu cylindriques sont placés sur la lèvre supérieure *. Plusieurs raies blan- châtres , les unes longitudinales et les autres transversales , régnent sur la par- tie supérieure de la tête. La nageoire du dos, celle de la queue , et celle de l’anus, qui sont réunies , présentent une belle couleur blanche et un liséré d’un noir foncé. Telles sont du moins les couleurs * A la membrane des branchies de la murène myre 10 rayons. è chacune de ses nageoires pecto- rales 1 6 Poissçns. 1 V* l6 182 histoire naturelle que Ton remarque sur le plus grand nombre de myres : mais Forskael a fait connoître une murène qu’il regarde comme une variété de l’espèce que nous décrivons , et qui est d’un gris cendré sur toute sa surface. On a soupçonné que cette variété coutenoit dans sa tête un poison plus ou moins actif. Pour peu qu’on se souvienne de ce que nous avons dit au sujet des qualités vénéneuses des poissons , on verra sans peine de quelle nature devront être les observations dont cette variété sera l’objet, pour que l’opi- nion des naturalistes soit fixée sur la faculté malfaisante attribuée à ces mu- rènes myres d’une couleur cendrée. Au ! reste , si l’existence d’un véritable poison dans quelque vaisseau de la tête de cette variété est bien constatée, il faudra , sans hésiter, la considérer comme une espèce différente de toutes les murènes déjà con- nues. DES MURÈNES. i83 - * LA MURÈNE CONGRE*. ... , , I Ll 1 "■ 1 ■ R Xje congre a beaucoup de rapports avec l’anguille : mais il en diffère par les pro- portions de ses diverses parties ; par la plus grande longueur des petits appen- dices cylindriques placés sur le museau , et que l’on a nommés barbillons ; par le diamètre de ses yeux , qui sont plus gros ; par la nuance noire que présente presque toujours le bord supérieur de sa nageoire dorsale ; par la place de cette nageoire, ordinairement plus rapprochée de la tête ; par la manière dont se montre aux yeux la ligne latérale composée d’une longue série de points blancs; par sa couleur , qui sur sa partie supérieure est blanche, ou cendrée, ou noire, sui- * Anguille de mer ; Jilat , auprès des cotes méridionales de France; conger eel, en Angle- terre; bionco y dans plusieurs contrées de l’Italie» Î04 HISTOIRE NATURELLE vaut les plages qu’il fréquente , qui sur sa partie inférieure est blanche , et qui d’ailleurs offre fréquemment des teintes vertes sur la tête , des teintes bleues sur le dos, et des teintes jaunes sous le corps ainsi que sous la queue; par ses dimen- sions supérieures à celles de l’anguille , puisqu’il n’ est pas très-rare de lui voir de trente à quarante décimètres de lon- gueur, avec une circonférence de près de cinq décimètres , et que , suivant G es- ner, il peut parvenir à une longueur de près de six mètres ; et enfin par la nature de son habitation, qu’il choisit presque toujours au milieu des eaux salées. On le trouve dans toutes les grandes mers de l’ancien et du nouveau continent; il est très -répandu sur -tout dans l’Océan d’Europe , sur les côtes d’Angleterre et de France , dans la Méditerranée , où il a été très- recherché des anciens, et dans la Propontide , où il l’a été dans des temps moins reculés. Ses œufs sont en- veloppés d’une matière graisseuse très- abondante. Il est très -vorace; et comme il est DES MURÈNES. i85 grand et fort, il peut se procurer aisé- ment l’aliment qui lui est nécessaire. La recherche à laquelle le besoin et la faim le réduisent , est d’ailleurs d’au- tant moins pénible, qu’il vit presque tou- jours auprès de l’embouchure des grands fleuves , où il se tient comme en embus- cade pour faire sa proie et des poissons qui descendent des rivières dans la mer, et de ceux qui remontent de la mer dans les rivières. Il se jette avec vitesse sur ces animaux ; il les empêche de s’échapper, en s’entortillant autour d’eux , comme un serpent autour de sa victime ; il les renferme, pour ainsi dire, dans un filet, et c’est de là que vient le nom de filât (filet) qu’on lui a donné dans plusieurs départemens méridionaux de France. C’est aussi de cette manière qu’il attaque et retient dans ses contours sinueux les poulpes ou sépies , ainsi que les crabes qu’il rencontre dépouillés de leur têt. Mais s’il est dangereux pour un grand nombre d’habitans de la mer, il est ex- posé à beaucoup d’ennemis : l’homme le poursuit avec ardeur dans les pays où sa 16 ï86 HISTOIRE NATURELLE chair est estimée; les très-grands poissons Je dévorent; la langouste le combat avec avantage ; et les murénoptiis , qui sont les murènes des anciens , le pressent avec une force supérieure. En vain , lorsqu’il se défend contre ces derniers animaux , emploie-t-il la faculté qu’il a reçue de s’attacher fortement avec sa queue qu’il replie ; en vain oppose-t-il par là une plus grande résistance à la inurénophis qui veut l’entraîner : ses efforts sont bientôt surmontés; et cette partie de son corps , dont il voudroit le plus se servir pour diminuer sou infé- riorité dans une lutte trop inégale, est d’ailleurs dévorée , souvent dès la pre- mière approche, par la murénophis. On a pris souvent des congres ainsi' mu- tilés , et portant l’empreinte des dents acérées de leur ennemie. Au reste, on assure que la queue du congre se repro- duit quelquefois ; ce qui seroit une nou- velle preuve de ce que nous avons dit de la vitalité des poissons , dans notre premier Discours. Redi a trouvé dans plusieurs parties DES MURÈNES. 187 de Fin teneur des congres qu’il a dissé- qués , et, par exemple , sur la tunique externe de l’estomac , le foie, les muscles du rentre , la tunique extérieure des ovaires , et entre les deux tuniques de la vessie urinaire , des hydalid.es à vessie blanche, de la grosseur d’une plume de coq , et de la longueur de vingt-cinq à trente centimètres *. Sur plusieurs côtes de l’Océan euro- péen , on prend les congres par le moyen de plusieurs lignes longues chacune de cent trente ou cent quarante mètres 5 chargées, à une de leurs extrémités, d’un plomb assez pesant pour n’être pas sou- levé par l’action de l’eau sur la ligne ; et garnies de vingt-cinq ou trente piles ou cordes , au bout de chacune des- quelles sont un haiin et un appât. Lorsqu’on veut faire sécher des congres * A la membrane des branchies. . . 10 rayons. h chacune des nageoires pecto- rales. . 19 aux trois nageoires réunies du dos, de la queue et de Fanus, plus de 3og 388 HISTOIRE NATURELLE, pour les envoyer à des distances assez grandes des rivages sur lesquels on les pêche, on les ouvre par-dessous, de- puis la tête jusque vers l’extrémité de la queue ; on fait des entailles dans les chairs trop épaisses; on les tient ouverts par le moyen d’un bâton qui va d’une extrémité à l’autre de l’animal ; on les suspend à l’air ; et lorsqu’ils sont bien secs , on les rassemble ordinairement par paquets dont chacun pèse dix myria- grammes, ou environ. T RENTE- TROISIÈME GENRE. LES AMMODYTES. Une nageoire de P anus; celle de la queue séparée de la nageoire de P anus et de celle du dos; la tête comprimée et plus étroite que le co/ps; la lèvre supérieure double; la mâchoire inférieure étroite et pointue ; le corps très-alongé- ESPÈCE. CARACTÈRE. L’ammodyte f La nageoire de la queue , APPAJ. I fourchue. I90 HISTOIRE NATURELLE L’AMMODYTE APPAT*. On n'a encore inscrit que cette espèce dans le genre de l’ammodyte : elle a beaucoup de rapports avec l’anguille , ainsi qu’on a pu en juger par la seule énonciation des caractères distinctifs de son genre; et comme elle a d’ailleurs l’habitude de s’enfoncer dans le sable des mers , elle a été appelée anguille de sable en Suède , eu Danemarck , en Angleterre , eu Allemagne , en France , et a reçu le nom générique d ' ammodyte , lequel dé- signe-un animal qui plonge, pour ainsi dire , dans le sable. Sa tète comprimée , plus étroite que le corps, et pointue par^ * Sill } en Norvège; sandspiring , en Allemagne ; sand-eel y launce , en Angleterre; grig , dans son jeune âge, en Angleterre; lançon y sur plu~> sieurs côtes de France; iobis y en Suède et eu Danemarck. Ao/n . ^ . jPl/. 2 jPay ipo . 3 2. AMMODYTE JppciA 2 . OYNiniEBarfa . 3 . MA CE O (PJVATHEAi^u/Tlozm^ j j ^aue/utT «A DES A M MO D Y TES. 19c devant , est l'instrument qu’elle emploie pour creuser la yase molle , et pénétrer dans le sable des rivages jusqu’à la pro- fondeur de deux décimètres ou environ. Elle s’enterre ainsi par une habitude semblable à l’une de celles que nous avons remarquées dans l’anguille , à la- quelle nous venons de dire qu’elle res- semble par tant de traits; et deux causes la portent à se cacher dans cet asyle souterrain : non seulement elle cherche dans le sable les dragonneaux et les autres vers dont elle aime à se nourrir, mais encore elle tâche de se dérober dans cette retraite à la dent de plusieurs pois- sons voraces , et particulièrement des scombres , qui la préfèrent à tout autre proie. De petits cétacées même en font souvent leur aliment de choix ; et on a vu des dauphins poursuivre l’ammodyte jusque dans le limon du rivage, retour- ner le sable avec leur museau , et y fouil- ler assez avant pour déterrer et saisir le foible poisson. Ce goût très -marqué des scombres et d’autres grands osseux pour cet amxnodyte le fait employer comme 192 HISTOIRE NATURELLE appât dans plusieurs pêches ; et voila d'où vient le nom spécifique que nous lui avons conservé. C’est vers le printemps que la femelle dépose ses œufs très-près de la côte. Mais nous avons assez parlé des habitudes de cette espèce : voyons rapidement ses prin- cipales formes. Sa mâchoire inférieure est plus avan- cée que la supérieure; deux os hérissés de petites dents sont placés auprès du gosier ; la langue est alongée , libre eu grande partie , et lisse ; l’orifice de chaque narine est double ; les yeux ne sont pas voilés par une peau demi- transparente , comme ceux de l’anguille. La membrane des branchies est soutenue par sept rayons * ; l’ouverture qu’elle ferme est très-grande ; et les deux branchies anté- rieures sont garnies, dans leur concavité, d’un seul rang d’apophyses, tandis que * A la nageoire du dos. 60 rayons. à chaque nageoire pectorale 12 à la nageoire de l’anus 28 a celle de la queue 16 / DES AMMODYTES. 193 les deux autres en présentent deux ran- gées. Ou voit de chaque côté du corps trois lignes latérales ; mais au moins une de ces trois ligues paroît n’indiquer que la séparation des muscles. Les écailles qui recouvrent l’ammodyte appât , sont très-petites ; la nageoire dorsale est assez haute , et s’étend presque depuis la tète jusqu’à une très-petite distance de l’ex- trémité de la queue , dont l’ouverture de l’anus est plus près que de la tête. Le foie 11e paroît pas divisé en lobes ; un cæcum ou grand appendice est placé auprès du pylore; le canal intestinal est grêle, long et contourné, et la surface du péritoine parsemée de points noirs. On compte ordinairement soixante- trois vertèbres avec lesquelles les côtes sont légèrement articulées ; ce qui donne à l’animal la facilité de se plier en dilfé- rens sens, et même de se rouler en spi- rale , comme une couleuvre. Les inter- valles des muscles présentent de petites arêtes qui sont un peu appuyées contre l’épine du dos. La chair est peu délicate. La couleur générale de l’ammodytc *7 ï94 histoire naturelle. appât est d’un bleu argentin, plus clair sur la partie inférieure du poisson que sur la supérieure. On voit des raies blan- ches et bleuâtres placées alternativement sur l’abdomen ; et une tache brune se fait remarquer auprès de l’anus. TRENTE-QUATRIEME GENRE. LES OPHIDIES. La tête couverte de grandes pièces écail- leuses; le corps et la queue comprimés en forme de lame, et garnis de petites écailles; la membrane des branchies très- large ; les nageoires du dos , de la queue et de V anus, réunies. PREMIER SOUS-GENRE. Des barbillons aux mâchoires. ÏSP E CE. i. L’ophidii BARBU. CARACTÈRES. ua're barbillons à la mâ- choire inférieure 3 la mâ- choire supérieure plus avancée que l’iniérieure. SECOND SOUS-GENRE. Point de barbillons aux mâchoires. ESPÈCE. CARACTÈRES. 2- L’oP HIDIE fLa nageoire de la queue ua imberbe. ^ peu arrondie. ï96 histoire naturelle ESPÈCE. CARACTÈRES. [Une ou plusieurs cannelures 3. L’ophid I E , ÜNERNAK. ] K longitudinales au-dessus 1 du museau ; la nageoire de la queue pointue ; la mâ- ! ciioire inférieure un peu [ plus avancée que la supé- k rieure. DES OPHIDIES. 7 97 L’OPHIDIE BARBU * , L’OPHIDIE IMBERBE, E T L’OPHIDIE UNERNAL C’est au milieu des eaux salées qu’on rencontre les ophidies. Le barbu habite particulièrement dans la mer Rouge et dans la Méditerranée, dont il fréquente même les rivages septentrionaux. Il a beaucoup de ressemblance , ainsi que les autres espèces de son genre , avec les murènes et les ammodytes : mais la réu- nion des nageoires du dos , de la queue et de l’anus, suffiroit pour qu’on ne con- fondît pas les ophidies avec les ammo- dytes ; et les traits génériques que nous Venons d’exposer à la tête du tableau * Don z elle } sur les cotes françoises de la Médi~ terranée. i7 ïçÜ HISTOIRE NATURELLE méthodique du genre que nous décrivons, séparent ce même genre de celui des mu- rènes. Pour achever de donner une idée nette de la conformation du barbu, nous pouvons nous contenter d’ajouter aux ca- ractères génériques, sous -génériques et spécifiques , que nous avons tracés dans cette table méthodique des ophidies , que le barbu a les yeux voilés par une mem- brane demi - transparente , comme les gymnotes, les murènes., et d’autres pois- sons ; que sa lèvre supérieure est double et épaisse; que l’on voit de petites dents à ses mâchoires , sur son palais , auprès de Son gosier ; que sa langue est étroite, courte et lisse ; que sa membrane bran- di i ale présente sept rayons *; que sa ligue latérale est droite, et que l’anus est plus près de la tète que du bout de la queue. Quant à ses couleurs , en voici l’ordre et les nuances. Le corps et la queue sont d’un argenté mêlé de teintes couleur de chair , * A la nageoire du dos du barbu. . 124 rayons. à chacune des pectorales 20 à celle de l’anus Iï5 D ES OP H ï D î E S. 199 relevé sur le dos par du bleuâtre , et varié par un grand nombre de* petites taches. La ligne latérale est brune ; les nageoires pectorales sont également brunes , mais avec un liséré gris ; et celles du dos , de l’anus et de la queue , sont ordinairement blanches et bordées de noir. Cet ophidion a la chair délicate , aussi- bien que P imberbe. Ce dernier, qui n’â pas de barbillons , ainsi qu’on peut le voir sur le tableau méthodique de son genre , et comme son nom l’indique , est d’uue couleur jaune. On le trouve non seulement dans la Méditerranée, ou on le pêche particulièrement auprès des côtes méridionales de France , mais encore dans l’Océan d’Europe , et même auprès de rivages très-septentrionaux *. C’est vers ces mêmes plages boréales , et jusque dans la mer du Groenland 5 qu’habite l’unernak dont on doit la con- noissanceau naturaliste Othou Fabricius» * A îa nageoire du des de l’imberbe, 79 rayons. à chacune des pectorales 11 à celle de l’anus 41 à celle de la queue 18 £f>0 HISTOIRE NATURELLE, Sa couleur n’est ni argentée comme celle ! du barbu , ni jaune comme celle de l’im- berbe , mais d’un beau verd que l’on voit régner sur toutes les parties de son corps , excepté sur les nageoires du dos , de l’anus, de la queue , et le dessous du yentre , qui sont blancs. Ses mâchoires sont sans barbillons , comme celles de l’imberbe : sa tête est large ; ses yeux sont gros ; l’ouverture de sa bouche est très- grande*. Il est très-bon à manger comme les autres ophidies : mais comme il passe une grande partie de sa vie dans la haute mer , on le rencontre plus rarement. Il parvient aux dimensions de plusieurs gades , avec lesquels on l’a souvent com- paré , et par conséquent devient plus grand que le barbu , dont la longueur n’est ordinairement que de trois à quatre décimètres. * A chacune des nageoires pectorales de Tuner- nak , io ou il rayons. TRENTE-CINQUIÈME GENRE. LES MACROGNATHES. La mâchoire supérieure trés-avancèe et en forme de trompe ; Le corps et la queue com- primés comme une lame; les nageoires du dos et de l’anus distinctes de celle de l<\ queue. ESPECES. CARACTÈRES. 1. Le MACROGNA- f Quatorze aiguillons au-de- ï'UE AIGUILONNÉ.^ van t de la nageoire du dos. 2. Le m AC ROGN A- f Trente-trois aiguillons au-de- THE ARMÉ. j vant delà nageoire du dos* 202 HISTOIRE NATURELLE LE M A C R O G N A T H E AIGUILLONNÉ. Ce nom générique de macrognathe , qui signifie longue mâchoire , désigne le très- grand alongernent de la mâchoire supé- rieure de l’espèce que nous allons dé- crire , et que nous avons cru devoir séparer des ophidies , non seulement à cause de sa conformation qui est très- différente de celle de ces derniers osseux , mais encore à cause de ses habitudes. En effet , les ophidies se tiennent au milieu des eaux salées , et l’aiguillonné habite dans les eaux douces ; il y vit des petits vers et des débris de corps orga- nisés qu’il trouve dans la vase du fond des lacs ou des rivières. Sa mâchoire su- périeure lui donne beaucoup de facilité pour fouiller dans la terre humectée > et y chercher sa nourriture : elle est un peu DES M ACROGNATHES. 20 3 pointue , et extrêmement prolongée ; aussi a-t-elle été comparée à une sorte de trompe. Le docteur Bloch, qui a examiné et décrit avec beaucoup de soin un individu de cette espèce , 11’a vu de dents ni à cette mâchoire supérieure , ni à l’infé- rieure , ni au palais , ni au gosier ; ce qui s’accorde avec la nature molle des petits animaux: sans défense , ou des parcelles végétales ou animales que recherche l’ai- guillonné. L’opercule des branchies n’est composé que d’une lame. Au-devant de la nageoire du dos , on voit une rangée longitudinale de quatorze aiguillons re- courbés , et séparés l’un de l’autre ; et deux autres aiguillons semblables sont placés entre la nageoire de l’anus et l’ouverture du même nom , qui est plus loin de la tête que du bout de la queue *. D’ailleurs les couleurs de l’animal sont * A la membrane clés branchies... 16 rayons. à la nageoire du dos 5i â chacune des nageoires pectorales 16 à celle de^ l’anus. ... «. 53 a celle de la queue M 204 HISTOIRE NATURELLE agréables ; sa partie supérieure est rou- geâtre , et l’inférieure argentée. Les na- geoires pectorales sont brunes à leur base , et violettes dans le reste de leur surface. Celle du dos est rougeâtre variée de brun , et remarquable par deux taches rondes r noires , bordées de blanchâtre , et sem- blables à une prunelle entourée de son iris. La nageoire de l’anus est rougeâtre avec un liséré noir ; et un bleu nuancé de noir règne sur la nageoire de la queue, qui est un peu arrondie. La chair de l’aiguillonné est très-bonne à manger. On le pêche dans les grandes Indes. Il parvient ordinairement à la lon- gueur de seize à vingt-un centimètres. DES MACROGNATHES. 2o5 LE MACROGNATHE ARME. JLN o us avons trouvé un individu de cette espèce encore inconnue aux naturalistes , dans une collection de poissons dessé- chés cédée par la Hollande à la France avec un grand nombre d’autres objets précieux d’histoire naturelle» Elle diffère de l’armé par plusieurs traits de sa con- formation et par sa grandeur : l’individu que nous avons décrit , étoit long de près de trente-six centimètres , tandis que l’ai- guillonné n’en a communément qu’une vingtaine de longueur totale. La mâ- choire supérieure est façonnée en trompe : mais elle n’est pas aussi prolongée que dans l’aiguillonné ; elle ne dépasse l’infé- rieure que de la moitié de sa longueur. Les deux mâchoires sont garnies de plu- sieurs rangs de très -petites dents , et l’aiguillonné n’en a ni aux mâchoires, ni au gosier , ni au palais. Ou voit un iS 2g6 histoire naturelle piquant auprès de chaque œil de l’armé , et trois piquans à chacun de ses oper- cules. Au lieu de quatorze rayons recour- bés , on en compte trente-trois au-devant de la nageoire du dos , et chacun de ces aiguillons disposés en série longitudinale est renfermé en partie dans une sorte de gaine. Les nageoires du dos et de Fanus ne sont pas séparées par un grand inter- valle de celle de la queue , comme dans l'aiguillonné ; mais elles la touchent im- médiatement , et n’en sont distinguées que par une petite échancrure dans leur membrane. L’état dans lequel étoit l’in- dividu que nous avons examiné , ne nous a pas permis de compter exactement le •nombre des rayons de ses nageoires : mais nous en avons trouvé plus de soixante-dix dans celle du dos , et plus de vingt dans chaque pectorale ; et ce- pendant le docteur Bloch n’en a vu que seize dans chacune des pectorales de l'aiguillonné , et cinquante-un dans la nageoire dorsale de ce dernier macro- gnathe. Au reste , l’armé a , comme l'espèce DES M ACROGN ATH ES. 207 décrite par le docteur Blocli , deux aiguil- lons recourbés au-devant de la nageoire rie l’anus. Nous ignorons dans quel pays vit le inacrognatbe armé. TRENTE-SIXIÈME GENRE. LES X I P H I A S. La mâchoire supérieure prolongée en forme de lame ou d’épée , et d’une longueur au moins égale au tiers de la longueur totale de l’animal . ESPÈCES. CARACTÈRES. (La prolongation du museau, ï. Le XI PHI AS S plaie , sillonnée par-dessus ESPADON. J et par-dessous, et tran- l chante sur ses bords. Î La prolongation du museau, convexe par-dessus , non sillonnée , et émoussée sur , ses bords. Tovn/ ^ . -PI/ 3 . f Pouvait d-. HISTOIRE NATURELLE. 209 LE XI P H IA S ESPADON *. V o ici un de ces géans de la mer, de ces émules de plusieurs cétacées dont ils ont reçu le nom , de ces dominateurs de l'Océan qui réunissent une grande force à des dimensions très - étendues. Au premier aspect , le xiphias espadon nous rappelle les grands acipensères , ou plutôt les énormes squales et même le terrible requin. Il est l'analogue de ces derniers ; il tient parmi les osseux une place semblable à celle que les squales occupent parmi les cartilagineux ; il a reçu comme eux une grande taille , des muscles vigoureux, un corps agile, une arme redoutable , un courage intrépide , tous les attributs de la puissance; et ce- pendant tels sont les résultats de la dif- férence de ses armes à celles du requin * Sward Jisk , en Suède; sword Jish > en Angleterre ; pesce spado f emperador , en Italie. Và 210 HISTOIRE NATURELLE et des autres squales , qu’abusant bien moins de son pouvoir , il ne porte pas sans cesse autour de lui , comme ces derniers , le carnage et la dévastation. Lorsqu’il mesure ses forces contre les grands habitans des eaux , ce sont plutôt des ennemis dangereux pour lui qu’il re- pousse , que des victimes qu’il poursuit. Il se contente souvent, pour sa nour- riture , d’aîgues et d’autres plantes ma- rines; et bien loin d’attaquer et de cher- cher à dévorer les animaux de sein espèce, il se plaît avec eux ; il aime sur - tout à suivre sa femelle , lors même qu’il n’obéit pas à ce besoin passager , mais impérieux, que ne peut vaincre là plus horrible féro- cité. Il par oit donc avoir et des habitudes douces et des affections vives. Ou peut lui supposer une assez grande sensibilité ; et si l’on doit comparer le requin an ti- gre, le xiphias peut être considéré comme l’analogue du lion. Mais les effets de son organisation ne sont pas seuls remarquables : sa forme est aussi très -digne d’attention. Sa tête sur-tout frappe par sa conformation sin- DES X I P H I A S. 2ii gulière. Les deux os de la mâchoire supé- rieure se prolongent en avanl , se réu- nissent', et s’étendent de manière que leur longueur égale à peu près le tiers de la longueur totale de ranimai. Dans cette prolongation , leur matière s’orga- nise de manière à présenter un grand nombre de petits cylindres , ou plutôt de petits tubes longitudinaux ; ils Forment une lame étroite et plate , qui s’amincit et se rétrécit de plus en plus jusqu’à son extrémité, et dont les bords sont tran- chans comme ceux d’un espadon ou d’un sabre autique. Trois sillons longitudinaux régnent sur la surface supérieure de cette longue lame , au bout de laquelle par- vient celui du milieu ; et l’on appercoit un sillon semblable sur la face inférieure de cette même prolongation. Une exten- sion de l’os frontal triangulaire , pointue et très-alongée , concourt à la formation de la face supérieure de la lame , en s’é- tendant entre les deux os maxillaires , au moins jusque vers le tiers de la lon- gueur de cette arme ; et sur la face infé- rieure de cette lame osseuse , on voit si 2 HrSTOIRE NATURELLE mie extension analogue et également triangulaire des os palatins s’avancer entre les deux os maxillaires , mais moins loin que l’extension poin tue de l’os frontal. Ce sabre à deux tranchans est d’ailleurs revêtu d’une peau légèrement chagrinée. La mâchoire inférieure est pointue par- devant ; et sa longueur égalant le tiers de la longueur de la lame tubulée, c’est- à-dire , le neuvième de la longueur totale de l’animal, il n’est pas surprenant que l’ouverture de la bouche soit grande ; ses deux bords sont garnis d’un nombre considérable de petits tubercules très-durs, ou plutôt de petites dents tournées vers le gosier , auprès duquel sont quelques os hérissés de pointes. La langue est forte et libre dans ses mouvemens. Les yeux sont saillans , et l’iris est verdâtre. L’espadon a d’ailleurs le corps et la queue très-alongés. L’orifice des bran- chies est grand , et son opercule com- posé de deux pièces ; sept ou huit rayons soutiennent la membrane branchiale. Les nageoires sont en forme de faux , excepté celle de la queue , qui est en DES X I P H I A S. 2i3 croissant *. Une membrane adipeuse pla- cée au-dessous d’une peau mince , couvre tout le poisson. La ligne latérale est pointillée de noir : cette même couleur règne sur le dos de l’animal , dont la partie inférieure est blanche. Les nageoires pectorales sont jaunâtres ; celle du dos est brune; et toutes les autres présentent un gris cendré. L’espadon habite dans un grand nombre de mers. On le trouve dans l’Océan d’Eu* rope , dans la Méditerranée, et jusque dans les mers australes. On le rencontre aussi entre l’Afrique et l’Amérique : mais, dans ces derniers parages, sa nageoire du dos paroît être constamment plus grande et tachetée ; et c’est aux espadons , qui , par les dimensions et les couleurs de leur nageoire dorsale , composent une variété Iplus ou moins durable, que l’on doit, ce me semble, rapporter le nom brasilien de % uebucu . * A la nageoire du dos 42 rayons. à chacune des pectorales 17 à celle de l'anus . .... i& u celle de la queue. 2& ài4 HISTOIRE NATURELLE Les xiphias espadons ont des muscles très-puissaus : leur intérieur renferme de plus une grande vessie natatoire ; iis na- gent avec vitesse; ils peuvent atteindre avec facilité de très-grands habitans de la nier. Parvenus quelquefois à la longueur de plus de sept mètres , frappant leurs en- nemis avec un glaive pointu et tranchant de plus de deux mètres , ils mettent en fuite, ou combattent avec avantage, les jeunes et les petits cétacées , dont les té- gu m eu s sont aisément traversés par leur arme osseuse, qu’ils poussent avec vio- lence , qu’ils précipitent avec rapidité, et dont ils accroissent la puissance de toute celle de leur masse et de leur vitesse. On a écrit que dans les mers dont les côtes sont peuplées d’énormes crocodiles , ils • savaient se placer avec agilité au-dessous de ces animaux cuirassés , et leur percer le ventre avec adresse à l’endroit où les écailles sont le moins épaisses et le moins fortement attachées. On pourroil même , à la rigueur, croire , avec Pline , que lors- que leur ardeur est exaltée, que leur ins- tinct est troublé, ou qu’ils sont le jouet DES XIPHIAS. 2l5 4e vagues furieuses qui les roulent et les lancent, ils se jettent avec tant de force contre les bords des embarcations , que leur arme se brise, et que la pointe de leur glaive pénètre dans l’épaisseur du bord, et y demeure attachée, comme ou y a vu quelquefois également implantés des fragmens de l’arme dentelée du squale scie , ou de la dure défense du narval. Malgré cette vitesse, cette vigueur, cette adresse, cette agilité, ces armes, ce pou- voir, l’espadon se contente souvent, ainsi que nous venons de le dire, d’une nour- riture purement végétale. Il n’a pas de grandes dents incisives ni lani aires; et les rapports de l’abondance et de la nature de ses sucs digestifs avec la longueur et la forme de son canal intestinal , sont tels, qu’il préfère fréquemment aux pois- sons qu’il pourroit saisir, des algues et d’autres plantes marines : aussi sa chair est -elle assez communément bonne à manger , et même très-agréable au goût ; aussi, lorsque la présence d’un ennemi dangereux ne le contraint pas à faire usage de sa puissance , a-t-il des habi- 2i6 histoire naturelle tudes assez douces. On ne le rencontre presque jamais seul : lorsqu’il voyage, c’est quelquefois avec un compagnon, et presque toujours avec une compagne ; et cette association par paires prouve d’au- tant plus que les espadons sont suscep- tibles d’affection les uns pour les autres , qu’on ne doit pas supposer qu’ils sont réunis pour atteindre la même proie ou éviter le même ennemi , ainsi qu’on peut le croire de l’assemblage désordonné d’un très-grand nombre d’animaux. Un senti- ment différent de la faim ou de la crainte peut seul , en produisant une sorte de choix, faire naître et conserver cet ar- rangement deux à deux ; et de plus leur sensibilité doit être considérée comme assez vive, puisque la femelle ne donne pas le jour à des petits tout formés, que par conséquent il n’y a pas d’accouple- ment dans cette espèce, que cette même femelle ne va déposer ses œufs vers les rivages de l’Océan que lors de la fin du printemps ou au commencement de l’été, et que cependant le mâle suit fidèlement sa compagne dans toutes les saisons de l’année. B E S X ïPÎUAS. 217 La saveur agréable et la qualité très- nourrissante de la chair de l’espadon fout que dans plusieurs contrées ou le pêche avec soin. Souvent la recherche qu’on fait de cet animal est d’autant plus infructueuse, qu’avec son long sabre il déchire et met en mille pièces les filets par le moyen desquels ou a voulu le sai- sir. Mais d’autres fois, et dans certains temps de l’année , des insectes aquatiques s’attachent à sa peau au-dessous de ses nageoires pectorales , ou dans d’autres endroits d’où il ne peut les faire tomber , malgré tous ses efforts ; et quoiqu’il se frotte contre les algues , le sable ou les rochers , ils se cramponnent avec obsti- nation , et le font souffrir si vivement , qu’agité , furieux , en délire comme le lion et les autres grands animaux ter- restres sur lesquels se précipite la mouche du désert, il va au-devant du plus grand des dangers, se jette au milieu des filets , s’élance sur le rivage , ou s’élève au-des- sus de la surface de l’eau , et retombe- jusque dans les barques des pêcheurs. Poissons. I V . *9 218 histoire naturelle LE X I P H I A S ÉPÉE. La description de cette espèce n’a encore été publiée par aucun naturaliste. Nous n’avons vu de ce poisson que la partie antérieure de la tête : mais comme c’est dans cette portion du corps que sont pla- cés les caractères distinctifs des xiphias , nous avons pu rapporter l’épée à cç genre ; et comme d’ailleurs cette même partie antérieure 11e nous a pas seulement pré-* senté les formes particulières à la famille dont nous nous occupons, mais nous a montré de plus des traits remarquables et très-difféf eus de ceux de l’espadon , nous avons dû séparer de cette dernière espèce l’animal auquel avoit appartenu cette portion , et nous avons donné le nom d'épée à ce xiphias encore inconnu. Voici les grandes différences qui dis- tinguent l’épée de l’espadon , et qui suf- ffroient seules pour empêcher de les réu-* DES X I P H I A S. 2j9 nir , quand bien même le corps et la queue de Pépée seroient entièrement sem- blables à la queue et au corps de l’espa- don. Dans ce dernier animal , la prolon- gation est plate : elle est convexe dans l’épée. L’arme de l’espadon est aiguë sur ses bords comme un sabre à deux tranclians : celle de l'épée est très-arrondie le long de ses côtés, et par conséquent n’est point propre à tailler ou couper. La lame de l’espadon est très-mince : la défense de l’épée est presque aussi épaisse , ou , ce qui est ici la même chose , presque aussi haute que large. On voit trois sillons longitudinaux sur la face supérieure du sabre de l’espadon , et un sillon également longitudinal sur la face inférieure de ce même sabre : on n’apperçoit de sillon sur aucune des sur- faces de la prolongation osseuse de l’é- pée. Une extension de l’os frontal, pointue et triangulaire , s’avance au milieu des os maxillaires supérieurs de l’espadon 3 220 HISTOIRE NATURELLE ju.65 queue en bandelette membraneuse, ont une assez grande étendue , et forment de larges surfaces sur lesquelles les belles nuances de la lyre peuvent , en se dé- ployant, justifier son nom de callionyme . Les tons de couleurs qui dominent au milieu de ces nuances , sont le jaune , le bleu , le blanc, et le brun, qui les en- cadre , pour ainsi dire. Le jaune règne sur les côtés du dos, sur la partie supérieure des deux na- geoires dorsales , et sur toutes les autres nageoires , excepté celle de l’anus. Le bleu paroît avec des teintes plus ou moins foncées sur cette nageoire de l’anus , sur les deux nageoires dorsales où il forme des raies souvent ondées , sur les côtés où il est distribué en taches irrégulières. Le blanc occupe la partie inférieure de l’a- nimal. Ces nuances , dont l’éclat, la variété et l’harmonie distinguent le callionyme lyre‘, sont une nouvelle preuve des rap- ports que nous avons indiqués dans notre Discours sur la nature des poissons , entre les couleurs de ces animaux et la nature 20 26 6 HISTOIRE NATURELLE de leurs alimens : nous avons vu quel très - fréquemment les poissons les plus richement colorés étoient ceux qui se nourrissoient de mollusques ou de vers. La lyre a reçu une parure magnifique , et communément elle recherche des our- sins et des astéries. \ Au reste , ce callionyme ne parvient guère qu’à la longueur de quatre ou cinq décimètres : on le trouve non seulement dans la Méditerranée , mais encore dans d’autres mers australes ou septentrio- nales; et on dit que , dans presque tous les climats qu’il habite, sa chair est blanche et agréable au goût. DES CALLIONYMES. 267 LE CÀLLIONYME DRAGONNEAU. Ce callionyme habite les mêmes mers qu e la lyre, av ec laquell e il a de très-grands rapports ; il n’en diffère même d’une ma- nière très-sensible que par la brièveté et les proportions des rayons qui soutiennent la première nageoire dorsale , par le nombre des rayons des autres nageoires*, par la forme de la ligne latérale qu’on a souvent de la peine à distinguer, et par les nuances et la disposition de ses cou- leurs. Beaucoup moins brillantes que celles de la lyre , ces teintes sont brunes sur la tête et le dos , argentées avec des taches sur la partie inférieure de l’animal ; * A la première nageoire dorsale. 4 rayons, à la seconde nageoire du dos... 10 à chacune des pectorales 19 à chacune des jugulaires* 6 à celle de l’anus 9 à celle de la queue ............ IQ 268 HISTOIRE NATURELLE et ces tons simples et très-peu éelatans 11e sont relevés communément que par un peu de verdâtre que Ton voit sur les na- geoires de la poitrine et de l’anus , du verdâtre mêlé à du jaune qui distingue les nageoires jugulaires , et du jaune qui s’étend par raies sur la seconde nageoire dorsale , ainsi que sur celle de la queue. D’ailleurs la chair du dragonneau est , comme celle de la lyre , blanche et d’un goût agréable. Il n’est donc pas surpre- nant que quelques naturalistes , et parti- culièrement le professeur Gmelin , aient soupçonné que ces deux callionymes pourroient bien être de la même espèce , mais d’un sexe différent. Nous n’avons pas pu nous procurer assez de renseigne- mens précis pour nous assurer de l’opi- nion que l’on doit avoir relativement à la conjecture de ces savans ; et dans le doute , nous nous sommes conformés à l’usage du plus grand nombre des auteurs qui ont écrit sur l’iclithyologie , en sépa- rant de la tyre le callionyme dragonneau, qu’il sera , au reste , aisé de retrancher de notre tableau méthodique. DES CALLIOSYMES. 269 LE CALLIONYME FLÈCHE, E T LE CALLIONYAIE JAPONOIS. Ces deux espèces appartienneDt , comme la lyre et le dragonneau , au premier sous- genre des callionymes; c'est-à-dire, elles ont les yeux très - rapprochés Fun de l'autre. L’illustre Pallas a fait conuoître la première , et le savant Houttuyn la seconde. La flèche décrite par le naturaliste de Pétersbourg avoit à peine un décimètre de longueur. L’espèce à laquelle appar- tenoit cet individu, vit dans la mer qui entoure File d’Amboine ; elle est , dans sa partie supérieure , d'un brun mêlé de taches irrégulières et nuageuses d'uu gris blanchâtre , qui règne en s’éclaircissant sur la partie inférieure. Des taches ou des 270 HISTOIRE NATURELLE points bruns paroissent sur le haut de la nageoire caudale et sur les nageoires jugu- laires ; une bande très-noire se montre sur la partie postérieure de la première nageoire dorsale; et la seconde du dos, ainsique les pectorales , sont très- trans- parentes, et variées de brun et de blanc *. Voici, d’ailleurs, les principaux carac- tères par lesquels la liée lie est séparée de la lyre» L’ouverture de la bouche est très- petite; les lèvres sont minces et étroites ; les opercules des branchies sont mous , et composés , au moins , de deux lames , dont la première se termine par une longue pointe , et présente, dans son bord pos- térieur , une dentelure très-sensible; on ne voit que trois rayons à la membrane branchiale ; la première nageoire du dos * A la membrane des branchies. ... 3 rayons. à. la première dorsale 4 à la seconde 9 à chacune des pectorales 11 à chacune des jugulaires. ...... 5 à la nageoire de l’anus B à celle de la queue 10 DES CALLIONYMES. 27i et celle de l'anus sont très -basses, ou, ce qui est la même chose , forment une bande très-étroite. Le nom de callionyme japon ois indique qu’il vit dans des mers assez voisines de celles dans lesquelles on trouve la flèche. Il parvient à la longueur de trois déci- mètres, ou environ. 11 présente différentes nuances. Sa première nageoire dorsale montre une tache noire , ronde , et en- tourée de manière à représenter l’iris d’un oeil ; les rayons de cette même nageoire sont noirs , et le premier de ces rayons se termine par deux filamens assez longs , ce qui forme un caractère extrêmement rare dans les divers genres de poissons. La seconde nageoire du dos est blan- châtre ; les nageoires pectorales sont ar- rondies, les jugulaires très-grandes ; et celle de la queue est très-alongée et four- chue *. * A la première nageoire dorsale. . 4 rayons* à la seconde ' 10 a chacune des pectorales 17 ii chacune des jugulaires 5 à celle de l’anus B à celle de la queue 9 272 HISTOIRE NATURELLE LE CALLIONYME POINTILLÉ. e poisson, qui appartient au second sous-genre des callionÿmes , et qui , par conséquent , a les yeux assez éloignés l’un de l’autre , ne présente que de très- petites dimensions. L’individu mesuré par le naturaliste Fallas , qui a fait con- noître cette espèce , n’étoit que de la grandeur du petit doigt de la main . Ce callionyme est d’ailleurs varié de brun et de gris , et parsemé , sur toutes les places grises , de points blancs et bril- lans ; le blanchâtre règne sur la partie inférieure de l’animal ; la seconde na- geoire du dos est brune avec des raies blanches et parallèles ; les pectoralessont transparentes , et de plus pointiliées de blanc à leur base , de meme que celle de la queue ; les rayons de ces trois na- geoires présentent d’ailleurs une ou deux places brunes \ les jugulaires sont noires DES CALLIONYMES. 273 dans leur centre , et blanches dans leur circonférence ; et la nageoire de l’anus est blanche à sa base et noire dans le reste de son étendue. Telles sont les couleurs des deux sexes ; mais voici les différences qu’ils offrent dans leurs nuances : la première nageoire du dos du mâle est toute noire ; celle de la femelle montre une grande variété de tons qui se déploient d’autant plus faci- lement que cette nageoire est plus haute que celle du mâle. Sur la partie inférieure de cetinstrument de natation , s’étendent des raies brunes relevées par une bor- dure blanche et par une bordure plus extérieure et noire ; et sur la partie su- périeure , on voit quatre ou cinq taches rondes , noires dans leur centre , entou- rées d’un cercle blanc bordé de noir , et imitant un iris avec sa prunelle. Ces dimensions plus considérables et ces couleurs plus vives et plus variées d’un organe sont ordinairement dans les pois- sons, comme dans presque tous les autres animaux , un apanage du mâle , plutôt que de la femelle ; et l’on doit remarquer 274 HISTOIRE NATURELLE, de plus dans la femelle du callionynifc pointillé un appendice conique situé au- delà de l’anus , qui, étant très-petit, peut être couché et caché aisément dans une sorte de fossette , et qui vraisemblable- ment sert à l’émission des cÉ ufs *. Dans les deux sexes , l’ouverture de la bouche est très -petite; les lèvres sont épaisses ; la supérieure est double; l’oper- cule branchial garni d’un piquant , et la ligne latérale assez droite. * A la membrane des branchies., b ou 6 ray. à la première nageoire dorsale.. 4 à la seconde 8 à chacune des pectorales 20 à chacune des jugulaires 5 à celle de l’anus 7 à celle delà queue icr QUARANTE-TROISIÈME GENRE. LES CALLIOMORES. La tête plus grosse que le corps ; les ouver- tures branchiales placées sur les côtés de V animal; les nageoires jugulaires très - éloignées Vune de Vautre; le corps et la queue garnis d’ écailles à peine visibles, ESPÈCE. CARACTÈRES. 'Sept rayons à la membrane des branchies ; deux aiguiU ' ^ Ions à la première pièce 9 et un aiguillon à la se- conde de chaque opercule. Le calliomore INDIEN. £?6 HISTOIRE NATURELLE LE CALLIOMORE INDIEN. C e mot calliomore , formé par contrac- tion de deux mots grecs, dont l’un est y.a.\\mvfjLaç , et l’autre veut dire limitrophe , voisin , etc. , désigne les grands rapports qui rapprochent le poisson que nous al- lons décrire, des vrais calliouymes ; il a même été inscrit jusqu’à présent dans le même genre que ces derniers animaux : mais il nous a paru en différer par trop de caractères essentiels , pour que les prin- cipes qui nous dirigent dans nos distribu- tions méthodiques , nous aient permis de ne pas l’en séparer. Le calliomore indien a des teintes bien différentes , par leur peu d’éclat et leur uniformité , des couleurs variées et bril- lantes qui parent les caliionymes , et sur- tout la lyre : il est d’un gris plus ou moins livide. L’ensemble de son corps et de sa queue est d’ailleurs très-déprimé , c’est-à- dire , applati de haut eu bas*; ce qui le lie avec les uranoscopes dont nous allons DES CALLIO MORES. 277 parler, et ne contribue pas peu à détermi- ner la place qu’il doitoccuper dans un ta- bleau général des poissons. Les ouvertures de ses branchies sont placées sur les côtés de la tête , au lieu de l’être sur la nuque , comme celles des branchies des callio- nymes ; ces orifices ont de plus beaucoup de largeur ; la membrane qui sert à les fermer, est soutenue par sept rayons ; et l’opercule , composé de deux lames , pré- sente deux piquans sur la première de ces deux pièces , et un piquant sur la seconde. La mâchoire inférieure est un peu plus avancée que celle de dessus ; l’on voit sur la tête des rugosités disposées longitudi- nalement ; et le premier rayon de la pre- mière nageoire dorsale est très-court et séparé des autres *. C’est en Asie que l’on trouve le callio- more indien. * A la première nageoire dorsale. . 7 rayons. h la seconde i3 à chacune des pectorales 20 à chacune des jugulaires 6 à la nageoire de l’anus l3 à celle de la queue ï 1 QUARANTE-QUATRIÈME GENRE. LES ÜRANOSCOPES. ha tête déprimée , et plus grosse que le coips ; les yeux sur la partie supérieure de la tête , et très- rapprochés; la mâchoire inférieure beaucoup plus avancée que la supérieure ; r ensemble formé par le corps et la queue , presque conique , et revêtu d’ écailles très- faciles à distinguer ; chaque opercule bran- chial composé d’une seule pièce , et garni d7 une membrane ciliée, ESPÈCES. CARACTÈRES. J. I/üRANOSCOÉE “ " "énué d’écailles épi- RAT. 2. L’üranoscope J Le dos garni d’écailles épî- HOÜTTÜYN neuses. lûTTV - . HISTOIRE NATURELLE. 279 L’URANOSCOPE RAT *. Les noms de callionyme et de trachine donnés à cet animal , annoncent les res- semblances qu’il présente avec les vrais callionymes, et avec le genre dont nous nous occuperons après avoir décrit celui des uranoscopes. Nous n’avons pas besoin d’indiquer ces similitudes ; on les remar^ quera aisément. D’un autre côté , cette dénomination à'uranoscope (qui regarde le ciel) désigne le caractère frappant que montre le dessus de la tête du rat et des autres poissons du même genre. Leurs yeux sont , en effet 7 non seulement très- rapprochés l’un de l’autre , et placés sur la partie supérieure de la tête , mais tournés de manière qijLe lorsque l’animal * Tapecon y raspecon 9 sur les/ cotes de plu- sieurs départemens méridionaux de France; me- soro y pesce prete y rasjzcissa biancà ? locca in §apo P dans quelques contrées de lTtalie. s8o HISTOIRE NATURELLE est en repos , ses prunelles sont dirigées vers la surface des eaux , ou le sommet des cieux. La tête très-applatie , et beaucoup plus grosse que le corps, est d’ailleurs revê- tue d’une substance osseuse et dure , qui forme comme une sorte de casque garni d'un très-grand nombre de petits tuber- cules , s’étend jusqu’aux opercules qui sont aussi très-durs et verruqueux, pré- sente , à peu près au-dessus de la nuque, deux ou plus de deux piquaus renfermés quelquefois dans une peau membraneuse, et se termine sous la gorge par trois ou cinq autres piquans. Chaque opercule est aussi armé de pointes tournées vers la queue et engagées en partie dans une sorte de gaine très-molle. L’ouverture de la bouche est située à l’extrémité de la partie supérieure de la tête , et l’animai ne peut la fermer qu’en portant vers le haut le bout de sa mâ- choire inférieure , qui est beaucoup plus longue que la mâchoire supérieure. La langue est épaisse, forte , courte , large, et hérissée de très-petites dents. De Tinté- DES U E A N O S C O P E S. s8r rieur de la bouche et près du bout an- térieur de la mâchoire inférieure , part une membrane , laquelle se rétrécit , s'arrondit , et sort de la bouche eu fila- ment mobile et assez long. Le tronc et la queue représentent en- semble une espèce de cône recouvert de petites écailles, et sur chaque côté du- quel s’étend une ligne latérale qui com- mence aux environs de la nuque, s’ap- proche des nageoires pectorales*, va directement ensuite jusqu’à la nageoire de la queue , et indique une série de pores destinés à laisser échapper cette humeur onctueuse si nécessaire aux poissons , et dont nous avons déjà eu taut d’occasions de parler. 11 y a deux nageoires sur le dos ; celles * A la membrane des branchies. . . 5 rayons, à la première nageoire dorsale.. 4 à la seconde . 14 à chacune des pectorales 17 à chacune des jugulaires 6 à la nageoire de l’anus l3 à celle de la queue, qui est rec- tiligne. . » , 12 24 â8* HISTOIRE NATURELLE de la poitrine sont très -grandes , ainsi que la caudale. Des teintes jaunâtres dis- tinguent ces nageoires pectorales; celle de l’anus est d’un noir éclatant : T animal est d’ailleurs brun par-dessus, gris sur les côtés , et blanc par-dessous. Le canal intestinal de l’uranoscope rat n’est pas très-long, puisqu’il n’est replié qu’une fois ; mais la membrane qui forme p les parois de son estomac , est assez forte, j et l’on compte auprès du pylore, depuis huit jusqu’à douze appendices ou petits cæcums propres à prolonger le séjour des alimens dans l’intérieur du poisson , et 1 par conséquent à faciliter la digestion. Le rat habite particulièrement dans la Méditerranée. Il y vit le plus souvent I auprès des rivages vaseux; il s’y cache sous les algues ; il s’y enfonce dans la fange; et par une habitude semblable à celles que nous avons déjà observées dans plusieurs raies, dans la lophie baudroie , et dans quelques autres poissons , il se tient en embuscade dans le limon , ne ! laissant paroître qu’une petite partie de sa tête, mais étendant le filament mobile DES ÜRANOSCOPES. *83 qui est attaché au bout de sa mâchoire inférieure, et attirant par la ressemblance de cette sorte de barbillon avec un ver, de petits poissons qu’il dévore. C’est Ron- delet qui a fait connoître le premier cette manière dont l’uranoscope rat par- vient à se saisir facilement de sa proie. Ce poisson ne peut se servir de ce moyen de pêcher, qu’eu demeurant pendant très-loug-temps immobile , et paroissaut plongé dans un sommeil profond. Voilà pourquoi , apparemment , on a écrit qu’il dormoit plutôt pendant le jour que pen- dant la nuit, quoique , dans son organi- sation, rien n'indique une sensibilité aux rayons lumineux moins vive que celle des autres poissons , desquels on n’a pas dit que le temps de leur sommeil fût le plus souvent celui pendant lequel le soleil éclaire l’horizon *. Il parvient jusqu'à la longueur de trois décimètres : sa chair est blanche , mais quelquefois dure, et de mauvaise odeur; * Voyez, dans le Discours sur la nature des poissons y ce qui concerue le sommeil de ces ani- maux. 284 HISTOIRE NATURELLE elle indique , par ces deux mauvaises qualités, les petits mollusques et les vers marins dont le rat aime à se nourrir, et les fonds vaseux qu’il préfère. Dès le temps des anciens naturalistes grecs et latins , on savoit que la vésicule du fiel de cet uranoscope est très-grande, et Tou croyoit que la liqueur qu’elle contient, ctoit très-propre à guérir des plaies et quelques maladies des yeux. DES ÜRANOSCOPES. 235 L’URANOSCOPE HOUTTUYN. L e nom que nous donnons à cet ura- uoscope , est un témoignage de la recon- noissance que les naturalistes doivent au savant Houttuyn, qui en a publié le pre- mier la description. On trouve ce poisson dans la mer qui baigne les îles du Japon. Il est , par ses couleurs , plus agréable à voir que l’ura- noscope rat; en effet, il est jaune dans sa partie supérieure , et blanc dans l’infé- rieure. Les nageoires jugulaires sont assez courtes *; des écailles épineuses sont rangées longitudinalement sur le dos de l’houttuyn. * A la première nageoire dorsale. 4 rayons. à la seconde i5 à chacune des pectorales 12 à chacune des jugulaires 5 à celle de la queue. 8 QUARANTE-CINQUIÈME GENRE, N LES TRACHINES. La tête comprimée , et garnie de tubercules ou d} aiguillons ; une ou plusieurs pièces de chaque opercule , dentelées ; le corps et la queue alongés , comprimés , et couvert $ de petites écailles ; V anus situé très-près des nageoires pectorales . ESPÈCES. CARACTÈRES. ï. La TRACHINE ( La mâchoire inférieure plus VIVE. 1 avancée que la supérieure. S. La TRACHINE fLes deux mâchoires égale- OSBECK. I ment avancées» HISTOIRE NATURELLE. 287 LA T R A C H I N E VIVE*. Cet animal a été nommé dragon majin dès le temps d’Aristote. Et comment n’ayi- roit-il pas , en effet , réveillé l’idée du dragon ? Ses couleurs sont souvent bril- lantes et agréables à la vue ; il les anime par la vivacité de ses mouveinens ; il a de plus reçu le pouvoir terrible de causer des blessures cruelles , par des armes % * J^iver, sur plusieurs cotes frauçoises de l’O- céan ; araigne , sur les rivages de plusieurs dé- parteineus méridionaux de France ; sacearailla blanc , auprès de Bayonne ; tragina , en Sicile ; pisce ragno , dans plusieurs contrées de l’Italie ; fiæsing y en Danemarck \fjarshig y par les Danois et les Suédois; schnert fis ch y pieterman , daüs plusieurs pays du nord de l’Europe ; iveecer y par les Anglois ; ctpoeuv*, par les Grecs moderues ; aranéole t boisdereau , et bois de roc , pendant la jeunesse de l’animal 5 et sur quelques cotes méri- dionales de France. £38 HISTOIRE NATURELLE pour ainsi dire , inévitables. Une beauté peu commune et une puissance dange- reuse n’ont-elles pas toujours été les attri- buts distinctifs des enchanteresses créées par l’antique mythologie , ainsi que des fées auxquelles une poésie plus moderne a voulu donner le jour? Ne doivent-elles pas , lorsqu’elles se trouvent réunies , rappeler le sinistre pouvoir de ces êtres extraordinaires i retracer l’image de leurs ministres, présenter sur-tout à l'imagina- tion amie du merveilleux ce composé fan- tastique, mais imposant , de formes , de couleurs, d’armes, de qualités effrayantes et douées cependant d’un attrait invin- cible , qui servant, sous le nom de dra* * gon , les complots ténébreux des magi- ciennes de tous les âges , au char des- quelles ou l’a attaché , ne répand l’é- pouvante qu’avec l’admiration , séduit avant de donner la mort , éblouit avant de consumer , enchante avant de dé- truire ? Et afin que cette même imagination fut plus facilement entraînée au-delà de l'intervalle qui sépare le dragon de la DES T R A C H î N E S. -89 Fable, de la vive de la Nature , rda-t-on pas attribué à ce poisson un venin redou- table ï ne s’est-on pas plu à faire remar- quer les brillantes couleurs de ses jeux, dans lesquels on a voulu voir resplendir, comme dans ceux du dragon poétique, tous les feux des pierres les plus pré- cieuses ? Il en est cependant du dragon maria comme du dragon terrestre +. Son nom fameux se lie à d’immortels souvenirs : mais à peine i’a-t-on appercu , que toute idée de grandeur s’évanouit ; il ne lui reste plus que quelques rapports vagues avec la brillante chimère dont 011 lui a appliqué la fastueuse dénomination et du volume gigantesque qu’on étoit porté à lui attribuer, il se trouve tout d'un coup réduit à de très-petites dimensions. Ce dragon des mers , ou , pour mieux dire , et pour éviter toute cause d’erreur, la trachiue vive ne parvient, en effet, très-souvent qu’à la longueur de trois ou quatre décimètres. * Y oyez l'article du dragon dans notre Histoire naturelle des quadrupèdes ovipares* Foisons. IV. a5 290 HISTOIRE NATURELLE Sa tête est comprimée et garnie dans plusieurs endroits de petites aspérités. Les yeux , rapprochés l’un de l’autre , ont la couleur et la vivacité de l’érae- raude avec l’iris jaune tacheté de noir. L’ouverture delà bouche est assez grande, la langue pointue; et la mâchoire infé- rieure, qui est plus avancée que la supé- rieure , est année , ainsi que cette der- nière , de dents très-aiguës. Chaque oper- cule recouvre une large ouverture bran- chiale , et se termine par une longue pointe tournée vers la queue. Le dos présente deux nageoires : les rayons de la première ne sont qu’au nombre de cinq ; mais iis sont non articulés , très- pointus et très-forts. La peau qui revêt l’animal est couverte d’écailles arrondies, petites et faiblement attachées : mais elle est si dure , qu’on peut écorcher une trachine vive presque aussi facilement qu’une murène anguille. 11 en est de même de l’uranoscope rat; et c’est une nouvelle ressemblance entre la vive et cet uranoscope. Le dos du poisson est d’un jaune brun ; DES T R A C H I N E S. 291 ses côtés et sa partie inférieure sont ar- gentés et variés dans leurs nuances par des raies transversales ou obliques , bru- nâtres , et fréquemment dorées ; la pre- mière nageoire dorsale est presque tou- jours noire O11 trouve dans soir intérieur et auprès du pylore , au moms huit appendices ou petits cæcums. La vive habite non seulement dans la Méditerranée, mais encore dans l’Océan. Elle se tient presque toujours dans le sable, ne laissant paroître qu’une partie de sa tète ; et elle a tant de facilité à creuser son petit asyle dans le limon, que lorsqu’on la prend et qu’on la laisse échapper, elle disparoît en un eiin d’œil , et s’enfonce dans la vase. Lorsque la vive est ainsi retirée dans le sable humide , *A la première nageoire dorsale.. 5 rayons. à la seconde 24 à chacune des nageoires pectorales 1 (> à chacune des jugulaires 6 à la nageoire de l’anus 25 à celle de la queue , qui est uu peu fourchue i5 292 HISTOIRE NATURELLE elle n'en conserve pas moins la faculté de frapper autour d’elle avec force et , promptitude par le moyen de ses aiguil- lons et particulièrement de ceux qui com- posent sa première nageoire dorsale. { Aussi doit-on se garder de marcher nud- pieds sur le sabie ou le limon au-dessous : duquel on peut supposer des vives : leurs piquans font des blessures très-doulou- reuses. Mais malgré le danger de beau- coup souffrir , auquel on s'expose lors- qu’on veut prendre ces trac h in es , leur chair est d’un goût si délicat, que l'on va très-fréquemment à la pèche de ces poissons , et qu’on emploie plusieurs moyens pour s'en procurer un grand nombre. Pendant la fin du printemps et le com- mencement de l’été , temps où les vives s’approchent des rivages pour déposer leurs oeufs , ou pour féconder ceux dont les femelles se sont débarrassées, on en trouve quelquefois dans les manets ou filets à nappes simples , dont on se sert pour la pèche des maquereaux. On em- ploie aussi pour les prendre, lorsque la DES TRAC H I NES- 293 nature du fond le permet , des drèges ou espèces de filets qui reposent légèrement sur ce même fond , et peuvent dériver avec la marée. On s’e -force d'autant plus de pêcher une grande quantité de vives , que ces animaux non seulement donnent des signes très - marqués d'irritabilité après qu'ils ont été vidés, ou qu'ou leur a coupé la tête, mais encore peuvent vivre assez loug-temps hors de l'eau, et par consé- quent être transportés encore eu vie à d'assez grandes distances. D'ailleurs , par un rapport remarquable entre l'irritabi- lité des muscles et leur résistance à la putridité , la cfiair des trachines vives ne se corrompt pas aisément , et peut être conservée pendant plusieurs jours, sans cesser d'être très-bonne à manger; et c'est à cause de ces trois propriétés qu'elles ont reçu le nom spécifique que jai cru devoir leur laisser. Cependant, si plusieurs inarin« vont sans ces'e à la recherche de ces trachines, la crainte fondée d'être cruellement blessés par les piquans de ces animaux, et sur- 25 *94 HISTOIRE NATURELLE tout par les aiguillons de la première na- geoire dorsal e, leur fait prendre de graudes précautions ; et les accidéns occasionnés par ces dards ont été regardés comme I assez grades pour que , dans le temps , l’autorité publique ait cru , en France , j devoir donner , à ce sujet , des ordres très- sévères. Les pécheurs s’attachent sur-tout à briser ou arracher les aiguillons des vives qu’ils tirent de l’eau. Lorsque, mal- gré toute leur attention, ils ne peuvent pas parvenir à éviter la blessure qu’ils re- doutent, ceux de leurs membres qui sont piqués, présentent une tumeur accom- pagnée de douleurs ti ès -cuisantes , et quelquefois de lièvre. La violence de ces symptômes dure ordinairement pendant douze heures ; et comme cet intervalle de temps est celui qui sépare une haute ma- rée de celle qui la suit , les pêcheurs de l’Océan n’ont pas manqué de dire que la durée des accidéns occasionnés par les pi- quans des vives a voit un rapport très- marqué avec les phénomènes du flux et reflux, auxquels ils sont forcés de faire une attention continuelle a à cause de DES TR A CHINE S. 2o5 l’influence des mouvemens de la mer sur toutes leurs opérations. Au reste , les moyens dont les marins de l'Océan ou de la 3Iéciiterranée se servent pour calmer leurs souffrances , lorsqu’ils out été piqués par des trachines vives , ne sont pas peu nom- breux : et plusieurs de ces remèdes sont très - anciennement connus. Les uns se contentent d'appliquer sur la partie ma- lade le foie ou le cerveau encore frais du poisson ; les autres , après avoir lavé la plaie avec beaucoup de soin, emploient une décoction deleutisque , ou les feuilles de ce végétal, ou des fèves de marais. Sur quelques côtes septentrionales, on are- cours quelquefois à de Turine chaude ; le plus souvent on y substitue du sable mouillé, dont on enveloppe la tumeur , en tâchant d'empêcher tout contact de l’air avec les membres blessés par la tra- chine. L’enflure considérable et les douleurs longues et aiguës qui suivent la piqûre de la vive , ont fait penser que cette tra- ciiiue étoit véritablement venimeuse ; et voilà pourquoi , sans doute , on lui a 29 6 HISTOIRE NATURELLE donné le nom de l’araignée, dans laquelle g il croyoit devoir supposer un poison assez actif. Mais la vive ne lance dans la plaie qu’elle fait avec ses piquans, aucune liqueur particulière : elle n’a aucun ins- trument propre à déposer une humeur vénéneuse dans un corps étranger , au- cun réservoir pour la contenir dans l’in- térieur de son corps , ni aucun organe pour la filtrer ou la produire. Tous les effets douloureux de ses aiguillons doivent être attribués à la force avec laquelle elle se débat lorsqu’on la saisit, à larapidité de ses mouvemens, à l’adresse avec laquelle elle se sert de ses armes , à la promptitude avec laquelle elle redresse et enfonce ses petits dards dans la main , par exemple, qui s’efforce de la retenir, à la profondeur a laquelle elle les fait parvenir , et à la du- reté ainsi qu’à la forme très-pointue de ces piquans. La vive n’emploie pas seulement contre les marins qui la pêchent et les grands, poissons qui l’attaquent, l’énergie , l’agi- li té et les armes dangereuses que nous vc- ppns de décrire : elle s’en sert aussi pour DES TR A CHINES. 297 se procurer plus facilement sa nourriture, lorsque 11e se contentant pas d’animaux à coquilie, de mollusques, ou de crabes, elle cherche à dévorer des poissons d’une taille presque égale à la sienne. Tels sont les faits certains dont 011 peut composer la véritable histoire de la tra- cliine vive. Elle a eu aussi son histoire fa- buleuse , comme toutes les espèces d’ani- maux qui ont présenté quelque phéno- mène remarquable. Nous 11e la rapporte- rons pas , cette histoire fabuleuse. Nous 11e parlerons pas des ppiuions contraires aux lois de la physique maintenant les plus connues , ni des contes ridicules que l’on trouve , au sujet de la vive , dans plusieurs auteurs anciens , particulière- ment dans E-ien, ainsi que dans quelques écrivains modernes , et qui doivent prin- cipalement leur origine aunom de dragon que porte cette trachine , et à toutes les fictions vers lesquelles ce nom ramène l’imagination ; nous ne dirons riyn du pouvoir merveilleux de la maiu droite ou de la main gauche lorsqu'on touche une vive , ni d'autres observations pres- que du même genre : en tâchant de dé?- 29S HISTOIRE NATURELLE couvrir les propriétés des ouvrages de la Nature, et les divers effets de sa puissance, nous n’avons qu’un trop grand nombre d’occasions d’ajouter à l’énumération des erreurs de l’esprit humain. Il paroît que selon les mers qu’elle ha- bite, la vive présente dans ses dimen- sions, ou dans la disposition et les nuances deses couleurs , des variétés plus ou moins constantes. Voici les deux plus dignes d’at- tention. La première est d’un gris cendré avec des raies transversales , d’un brun tirant sur le bleu. Elle a trois décimètres , ou à peu près , de longueur. La seconde est blanche, parsemée, sur sa partie supérieure , de points brunâtres, et distinguée d’ailleurs par des taches de la même teinte, mais grandes et ovales , que l’on voit également sur sa partie su- périeure. Elle parvient à une longueur de plus de trois décimètres. C’est vraisemblablement de cette va- riété qu’il faut rapprocher les trachines vives de quelques côtes de l'Océan , que l’on nomme saccarail/es blancs , et qui sont longues de cinq ou six décimètres. DES TRACHIXES. LA TRACHINE OSBECK. C ’e s t dans l'océan Atlantique , et auprès de l'ile de l'Ascension , qu'habite cette trachiue , dont la description a été pu- bliée par le savant voyageur Osbeck. Les deux mâchoires de ce poisson sont égale- ment avaucées , et garnies de plusieurs rang' de dents longues et pointues , dont trois en haut et trois en bas sout plus grandes que les autres ; des dents aiguës sont aii"i placées auprès du gosier. Cha- que opercule se termine par deux, aiguil- lons inégaux en longueur. La nageoire de la queue est rectiligne*. Tout l'animal est blanc avec des taches noires. Telles sont les principales différences qui écartent cette espèce de la trachine vive. * A la membrane des branchies. . . 6 rayer s » à chacune des nageoires pectorales 18 à chacune des jugulaires 5 a Ta nageoire de Fanas il à celle de la queue 16 QUARANTE-SIXIÈME GENRE. LES G A DE S. La tête comprimée ; les yeux peu rapprochés l’un de V autre, et placés sur les côtés de la tête ; le corps alongé , peu comprimé 3 et re- vêtu de petites écailles ; les opercules com- posés de plusieurs pièces , et bordés d’une membrane non ciliée. PREMIER SOUS-GENRE. Trois nageoires sur le dos; un ou plusieurs barbillons au bout du museau. ESPECES. CARACTÈRES. î. Le g a d e MORUE. La nageoire de la queue * fourchue; la mâchoire su- périeure plus avancée que rinférieure ; le premier i rayon cîe la première na- geoire de l’anus 5 non arti- s culé , et épineux. HISTOIRE NATURELLE. 3:i ESPÈCES. 2. Le gade AGI! F I N. CARACTÈRES. /La nageoire de la queue, 1 K urehue ; la mâchoire sn- ; péri eu re plus avancée que \ l’inférieure ; la couleur I blanchâtre; la ligne laté- V raie noire. 4. LE GADE 33 I E a nageoire de la queue , fourchue; la mâchoire su- périeure un peu pics avan- cée que Tin érieure; le pre- mier rayon de chaque na- geoire jugulaire, terminé par un long filament. La nageoire de la queue , fourchue ; la mâchoire in- férieure ua peu pins avan- Icée que la supérieure; le second rayon de chaque nageoire jugulaire . termi- né par un long filament. 1 . Le gade 5. Le gade BLE55I 02 D E. rLa nageoire de la queue , fourchue ; le premier ravcn de chaque nageoire jugulaire plus long que les autres, et divisé en deux» 26 3o2 histoire naturelle especes. 6. Le ga de GALL ARIAS. 7. Le g a d e T A C AUD. 8. L e g a d e C AP E L AN. CARACTERES. La nageoire de la queue en croissant; la mâchoire su- périeure plus avancée que l’inférieure; la ligne laté- rale large et tachetée. La nageoire de la queue en croissant; la mâchoire su- périeure plus avancée que l’inférieure ; la hauteur du corps égale, à peu près, au tiers de la longueur totale de l’animal. La nageoire de la queue, ar- rondie; la mâchoire supé- rieure plus avancée que l’inférieure; le ventre très- carené; l’anus placé, à peu près , à une égale distance de la tête et de l’extrémité de la queue. DES GADES. 3o3 SECOND SOUS - GENRE, Trois nageoires sur 1e dos ; point de barbil- lons au bout du museau. especes. 9. Le gade COLIN. 10. Le gade POLLACL II. Le GA DES EYv I2* Le gade merlan. CARACTERES. fLa nageoire de la queue, fourchue ; la mâchoire in- férieure plus avancée que la supérieure ; la ligne la- térale presque droite,* la bouche noire. 'La nageoire de la queue , fourchue * la m choire in- férieure plus avancée que la supérieure ; la ligne la- térale Lrès-courbe. La nageoire de la queue, fourchue ; les deux mâ- choires également avan- cées ; la couleur du dos verdâtre. La nageoire de la queue en froissant; la mâchoire su- périeure pi us avancée que l'inférieure ; la couleur blanche. 3o4 HISTOIRE NATURELLE TROISIÈME SOUS-GENRE. JJeux nageoires dorsales ; un ou plusieurs barbillons au bout du museau. ESPECES. i3. Le g a d e M OL V E. t5. Le gade LOTE. 1 6. Le gade MÜSTELLE. CARACTERES. (La nageoire de la queue , I arrondie ; la mâchoire su- 1 péfieure plus avancée que ' l’inférieure. 14. L e gade DANOIS. "La mâchoire inférieure plus avancée que la supérieure; la nageoire de l’anus très- longue , et composée de 70 rayons ou environ. ( La nageoire de la queue , ar- < rondie ; les deux mâchoires V. également avancées. r La nageoire de la queue y arrondie; la première na- geoire du dos ir s-basse, excep :é le premier ou le second rayon ; la ligne la- térale très-courbe auprès des nageoires pectorales, et ensuite droite. DES G À D E S. 3o5 ISPÈCES. CARACTÈRES. La nsgccire de la queue „ arr.nrlie; decx barbillons 17. Le gade cimbri. ^ auprès des narines ; un barbillon à la lèvre sap é- rieore.et un à rinfetieure; le premier ravoo de la [ première nageoire dorsale, | terminé par deux fî’aaiens | disposés horizontal e a < eut ' comme les branches d’on 1 T. QUATRIEME SOUS-GENRE. Deux nageoires dorsales ; point de barbillons auprès du bout du museau. ESPECE. CARACTERES. 18. Le gade /La nageoire de la queue, 1 rectiligne; la mâchoire in- MERLUS. 1 férieure plus avancée que \ la supérieure. 3o6 HISTOIRE NATURELLE CINQUIEME SOUS-GENRE. Une sente nageoire dorsale ; des barbillons au bout du museau. ESPÈCE. CARACTÈRES. /•La nageoire de la queue lan* 19. Le B R rLi a nageoire de la queue lan* E G A D E S , \ i ceoiee: des bandes trans- OSME. | , a a / A versaies sur les cotes. DES G A D E S. 3oy LE GADE MORUE*. Xarmi tous les animaux qui peuplent l’air , la terre ou les eaux , il 11’est qu’un très -petit nombre d’espèces utiles dont l’histoire puisse paroître aussi digne d’in- térêt que celle de la morue , à la philoso- phie attentive et bienfaisante qui médite sur la prospérité des peuples. L’homme a élevé le cheval pour la guerre , le bœuf pour le travail, la brebis pour l’indus- trie, l’éléphant pour la pompe , le cha- meau pour l’aider à traverser les déserts , le dogue pour sa garde , le chien courant pour la chasse, le barbet pour le senti- * Morhuel , dans plusieurs pays septentrionaux de l’Europe; moliie , cabiliau D c ah ilia u y dans quelques contrées de France; cabillaud , dans le même pays , et particulièrement dans les clé- partemens les plus septentrionaux; hablag 3 en Danemarck; ciblia , en Suède. 3o8 HISTOIRE NATURELLE meut, la poule pour sa table , le cormo- ran pour la pèche , l’aigrette pour sa parure, le serin pour ses plaisirs, l’a- beille pour remplacer le jour ; iî a donné la. morue au commerce maritime ; et en répandant, par ce seul bienfait, une nouvelle vie sur un des grands objets de la pensée, du courage et d’une noble ambition , il a doublé les liens fraternels qui unissoient les différentes parties du globe. Dans toutes les contrées de l’Europe , et dans presque toutes celles de l’ Amé- rique , il est bien peu de personnes qui lie connaissent le nom de la morue , la bonté de son goût , la nature de ses muscles, et les qualités qui distinguent sa dhair suivant les diverses opérations que ce gade a subies : mais combien d’h o ni nies n’ont aucune idée précise de la forme extérieure , des organes inté- rieurs, des habitudes de cet animal fé- cond, ni des diverses précautions que Ton a imaginées pour le pécher avec facilité î et parmi ceux qui s’occupent ayec le plus a’assiduité d’étudier ou de DES G A D E S. ^3o9 régler les rapports politiques des nations, d’augmenter leurs moyens de subsistance, d’accroître leur population , de multi- plier leurs objets d’échange , de créer' bu de ranimer leur marine ; parmi ceux meme qui ont consacré leur existence aux voyages de long cours, ou aux vastes spéculations commerciales , n’est-il pas plusieurs esprits élevés et très-instruits, aux yeux desquels cependant une histoire bien faite du gade morue dévoileroit des faits im portaus pour le sujet de leurs estimables méditations ? Aristote, Pline, ni aucun des anciens historiens de la Nature , n’ont connu le gade morue : mais les naturalistes récens , les voyageurs , les pécheurs , les prépa- rateurs , les marins , les commercans , presque tous les habitaus des rivages, efc même de l’intérieur des terres de l’Eu- rope , ainsi que de l’Amérique, parti- culièrement de l’Amérique et de l’Europe septentrionales , se sont occupés si fré- quemment et sous tant de rapports de ce poisson ; ils l’ont vu, si je puis em- ployer cette expression , sous tant de faces 3io HISTOIRE NATURELLE et sous tant de formes, qu'ils ont du né- cessairement donner à cet animal un très-grand nombre de dénominations dif- férentes. Néanmoins sous ces divers noms, aussi -bien que sous ies déguisemens que l'art a pu produire , et même sous ies dis- semblances plus ou moins variables et plus ou moins considérables que la Nature a créées dans les différens climats , il sera toujours aisé de distinguer la morne non seulement des autres jugulaires de la pre- mière division des osseux, mais encore de tous les autres gades , pour peu qu’on veuille rappeler les caractères que nous allons indiquer. Comme tous les poissons de son genre , la morue a la tête comprimée ; les yeux, placés sur les côtés, sont très -peu rap- prochés l'un de l’autre, très-gros, voilés par une membrane transparente ; et cette dernière conformation donne à l’animal la faculté de nager à la surface des mers septentrionales, au milieu des montagnes de glace, auprès des rivages couverts de neige congelée et resplendissante , sans être ébloui par la grande quantité de DES G A D E S, 3n lumière réfléchie sur ces plages boréales : mais hors de ces régions voisines du cercle polaire , la morue doit voir avec plus de difficulté que la plupart des poissons , dont les yeux ne sont pas ainsi recouverts par une pellicule diaphane ; et de là est venue l’expression ü'yeux de morue dont on s’est servi pour désigner des yeux grands, à fleur de tête, et cependant mauvais. Les mâchoires sont inégales en lon- gueur : la supérieure est plus avancée que l’inférieure , au bout de laquelle on yoit pendre un assez grand barbillon. Elles sont armées toutes les deux de plusieurs rangées de dents fortes et aigues. La pre- mière rangée en présente de beaucoup plus longues que les autres ; et toutes ne sont pas articulées avec l’un des os maxil- laires , de manière à ne se prêter à aucun mouvement. Plusieurs de ces dents sont au contraire très-mobiles, c’est-à-dire, peuvent être, comme celles des squales, couchées et relevées sous différens angles, a la volonté de l’animal , et lui donner ainsi des armes plus appropriées à la 3iz HISTOIRE NATURELLE nature , au volume et à la résistance de la proie qu’il cherche à dévorer. La langue est large, arrondie par-de- vant, molle et lisse : niais on voit des dents petites-et serrées au palais et auprès du gosier. Les opercules des branchies sont com- posés chacun de trois pièces, et bordés d’une bande souple et non ciliée. Sept rayons sou tiennent chaque membrane branchiale. Le corps est alongé, légèrement com- primé, et revêtu d’écailles plus grandes que celles qui recouvrent presque tous les autres gades. La ligne latérale suit à peu près la courbure du dos jusque vers les deux tiers de la longueur totale du poisson. On voit sur la morue trois grandes nageoires dorsales. Ce nombre de trois, dans les nageoires du dos , distingue les gades du premier et du second sous- genre, ainsi que l’indique le tableau qui est à la tête de cet article ; et il est d’autant plus remarquable, qu’escepté les espèces renfermées dans ces deux sous- genres 2 DES G A D E Si 3i3 les eaux douces, aussi-bien que les eaux salées, doivent comprendre un très-petit nombre de poissons osseux ou cartilagi- neux dont les nageoires dorsales soient plus que doubles , et qu’on n’en trouve particulièrement aucun à trois nageoires dorsales parmi les habitans des mers ou des rivières que nous avons déjà décrits dans cet ouvrage. Les poissons qui ont trois nageoires du dos, cuit deux nageoires de l’anus pla- cées, comme les dorsales , à la suite l’une de l’autre. La morue a donc deux nageoires anales comme tous les gacles du premier et du second sous-genre; et on a pu voir sur le tableau de sa famille que le pre- mier aiguillon de la première de ces deux nageoires est épineux et non articulé*. A la première nageoire du dos i5 rayons. à îa seconde 19 à la troisième 21 a chacune des nageoires pecloralcs 16 h chacune des jugulaires 6 à la première de l’anus 17 h la seconde 16 à la nageoire de îa queue 3® 27 3 £4 HISTOIRE NATURELLE Les nageoires jugulaires sont étroites et terminées en pointe , comme celles de presque tous les gades ; la caudale est un peu fourchue. Les morues parviennent très -souvent à une grandeur assez considérable pour peser un myria gramme : mais ce n’est pas ce poids qui indique la dernière limite de leurs dimensions. Suivant le savant Pennant , on en a vu , auprès des côtes d’Angleterre , une qui pesoit près de quatre myriagrammes ? et qui a voit pins de dix-huit décimètres de longueur , sur seize décimètres de circonférence , à l’en- droit le plus gros du corps. L’espèce que nous décrivons est d’ail- : leurs d’un gris cendré , tacheté de jau- nâtre sur le dos. La partie inférieure du corps est blanche ? et quelquefois rou- j geâtre , avec des taches couleur d’or dans les jeunes individus. Les nageoires pec- torales sont jaunâtres; une teinte grise distingue les jugulaires , ainsi que la se- il coude de l’anus. Toutes les autres na- geoires présentent des taches jaunes. C’est principalement en examinant avec DES GADES. 3i5 soin les organes intérieurs de la morue , que Camper, Monro , et d’autres habiles anatomistes , sont parvenus à jeter un grand jour sur la structure interne des poissons , et particulièrement sur celle de leurs sens. On peut voir , par exemple , dans Monro , une très-belle description de Fouie de la morue : mais nous nous sommes déjà assez occupés de l’organe auditif des poissons , pour devoir nous contenter d’ajouter à tout ce que nous avons dit , et relativement au gade mo- rue , que le grand os auditif contenu dans un sac placé à côté des canaux ap- pelés demi-circulaires, et le petit os ren- fermé dans la cavité qui réunit le canal supérieur au canal moyen , présentent un volume assez considérable , propor- tionnellement à celui de l’animal; que c’est à ces deux os qu’il faut rapporter les petits corps que l’on trouve dans les cabinets d’histoire naturelle , sous le nom de pierres de morue ; qu’un troisième os que l’on a découvert aussi dans l’anguille et dans d’autres osseux dont nous trai- terons avant de terminer cet ouvrage , 3i6 HISTOIRE NATURELLE est situé dans le creux qui sert de com- munication aux trois canaux demi-cir- culaires ; et que la grande cavité qui comprend ces mêmes banaux, est rem- plie d’une matière visqueuse, au milieu de laquelle sont dispersés de petits corps sphériques auxquels aboutissent des ra- mifications nerveuses. De petits corps semblables sont atta- chés à la cervelle et aux principaux rameaux des nerfs. Si de la considération de l’ouïe de la morue nous passons à celle de ses organes digestifs , nous trouverons qu’elle peut avaler dans un très - court espace de temps une assez grande quantité d’ali- mens : elle a en effet u'n estomac très- volumineux ; et l’on voit auprès du pylore six appendices ou petits canaux brau- ehus. Elle est très-vorace; elle se nourrit de poissons , de mollusques et de crabes. Elle a des sucs digestifs si puissans et d’une action si prompte, qn’en moins de six heures un petit poisson peut etre .digéré en entier dans son canal intestinal. | Je gros crabes y sont aussi bientôt ré- DES G A D E S. y 317 duits eu cliyle ; et avant qu’ils ne soient amenés à l’état de bouillie épaisse, leur têt s’altère, rougit comme celui des épre^ visses que l’on met dans de l’eau bouil- lante, et devient très-mou. La morue est même si goulue , qu’elle avale souvent des morceaux de bois ou d’autres substances qui 11e peuvent pas servir à sa nourriture : mais elle jouit de la faculté qu’ont reçue les squales, d’autres poissons destructeurs , et les oiseaux de proie ; elle peut rejeter facilement les corps qui l’incommodent. L’eau douce 11e paroît pas lui conve- nir ; on 11e la voit jamais dans les fleuves ou les rivières : elle ne s’approclie même des rivages , au moins ordinairement , que dans le temps du frai ; pendant le reste de l’année , elle se tient dans les profondeurs des mers, et par conséquent elle doit être placée parmi les véritables poissons pélagiens. Elle habite particu- lièrement dans la portion de l’Océan sep- tentrional comprise entre le quarantième degré de latitude et le soixante-sixième * plus au nord ou plus au sud , elle perd 27 3i8 HISTOIRE NATURELLE de ses qualités ; et voilà pourquoi appa- remment elle ne doit pas être comptée parmi les poissons de la Méditerranée ou des autres mers intérieures , dont ren- trée , plus rapprochée de l’équateur que 3e quarantième degré , est située hors des plages qu’elle fréquente. On la pêche dans la Manche , et ou la prend auprès des côtes du Kamtscliatka , vers le soixantième degré : mais dans la vaste étendue de l’Océan boréal qu’oc- cupe cette espèce , on peut distinguer deux grands espaces qu’elle semble pré-- férer. Le premier de ces espaces remar- quables peut être concu comme limité d’un côté par le Groenland et par l’Is- lande de l’autre ; par la Norvège , les côtes du Banemarck , de l’Allemagne 9 de la Hollande , de l’est et du nord de la Grande-Bretagne , ainsi que des îles Orcades ; il comprend les endroits dési- gnés parles noms de Dogger-bank , TFell- banh , et Cromer; et on peut y rapporter les petits lacs d’eau salée des îles de l’ouest de l’Ecosse ? où des troupes consi- dérables de grau des mcques attirent pruv DES G A D E S. 319 cipalement vers Gareloch , les pêcheurs des Orcades, de Peterhead, de Portsoy, de Firtli et de Murray. Le second espace , moins anciennement connu, mais plus célèbre parmi les ma- rins, renferme les plages voisines de la nouvelle Angleterre , du cap Breton , de la nouvelle Ecosse, et sur-tout de Pile de Terre-Neuve , auprès de laquelle est ce fa- meux banc de sable désigné par le nom de Grand Banc , qui a près de cinquante myriamètres delougueur surtrente ou en- viron de largeur , au-dessus duquel on trouve depuis vingt jusqu’à cent mètres d’eau , et près duquel les morues forment des légions très-nombreuses, parce qu’elles y rencontrent en très - grande abondance les harengs et les autres animaux marins dont elles aiment à se nourrir. Lorsque , dans ces deux immenses por- tions de mer , le besoin de se débarrasser de la laite ou des œufs , ou la nécessité de pourvoir à leur subsistance, chassent les morues vers les cotes , c’est principa- lement près des rives et des bancscouverts de crabes ou de moules qu’elles se ras 320 HISTOIRE NATURELLE semblent ; et elles déposent souvent leurs œufs sur des fonds rudes au milieu des rochers. Ce temps du frai qui entraîne les mo- rues vers les rivages , est très - variable , suivant les contrées qu’elles habitent, et l’époque à laquelle le printemps ou l'été commence à régner dans ces mêmes con- trées. Communément c’est vers le mois de pluviôse que ce frai a lieu auprès de la Norvège , du Danemarck , de l’Angleterre, de l’Ecosse , etc.: mais comme l’île de Terre-Neuve appartient à l’Amérique sep- tentrionale , et par conséquent à un con- tinent beaucoup plus froid que l’ancien , l’époque de la ponte et de la fécondation des œufs y est reculée jusqu’en germinal. Il est évident, d’après tout ce que nous Tenons de dire , que cette époque du frai est celle que l’on a du choisir pour celle de la pèche. Il y a donc eu diversité de temps pour cette grande opération de la recherche des morues, selon le lieu ou on a désiré de les prendre ; et de plus , il y a eu différence dans les moyens de parvenir a les saisir a suivant les nations qui se sont DES G A D E S. 3zi occupées de leur poursuite : mais depuis plusieurs siècles les peuples industrieux et marins de l’Europe ont senti l'impor- tance de la pèche des morues, et s’y sont livrés avec ardeur. Dès le quatorzième siècle , les Angiois et les habitans d’Ams- terdam ont entrepris cette pèche , pour laquelle les Lslandois , les Norvégiens, les François et les Espagnols ont rivalisé avec eux plus ou moins heureusement ; et ■vers le commencement du seizième , les François ont envoyé sur le grand banc de Terre-Neuve les premiers vaisseaux des- tinés à en rapporter des morues. Puisse cet exemple mémorable u’ètre pas perdu pour les descendais de ces François! et lorsque La grande nation verra luire le jour fortuné où l’olivier de la paix balan- cera sa tête sacrée, au milieu des lauriers de la victoire et des palmes éclatantes du génie, au-dessus des innombrables mo- no mens élevés à sa gloire , qu’elle n’oublie pas que son zèle éclairé pour les entre- prises relatives aux pèches importantes , sera toujours suivi de l’accroissement le plus rapide de ses subsistances , de son 322 HISTOIRE NATURELLE commerce , de son industrie , de sa popu- lation , de sa marine 3 de sa puissance 3 de son bonheur ! Dans la première des deux grandes sur- faces où Ton rencontre des troupes très- nombreuses de morues , et par consé- quent dans celle où Ton s’est livré plus anciennement à leur recherche , on n’a pas toujours employé les moyens les plus propres à atteindre le but que l’on auroit dû se proposer. Il a été un temps , par exemple , où sur les côtes de Norvège on s’étoit servi de filets composés de manière à détruire une si grande quantité de jeunes morues , et à dépeupler si vite les plages qu’elles avoient affectionnées , que , par une suite de ce sacrifice mal entendu de l’avenir au présent , un bateau monté de quatre hommes ne rapportait plus que six ou sept cents de ces poissons , de tel en- droit où il en auroit pris, quelques années auparavant , près de six mille. Mais rien n’a été négligé pour les pêches faites dans les dix-septième et dix-hui- tième siècles , aux environs de l’île de Terre-Neuve. DES G A D E S. 3i3 Premièrement, ou a recherché avec le plus grand soin les temps les plus favo- rables ; c’est d’après les résultats des obser- vations faites à ce sujet, que, vers ces parages, il est très-rare qu’on continue la poursuite des morues après le mois de prairial, époque à laquelle les gades dont nous écrivons l’histoire , s'éloignent à de grandes distances de ces plages , pour chercher une nourriture plus abondante, ou éviter la dent meurtrière des squales et d’autres liabitans des mers redoutables par leur férocité. Les morues reparoissent auprès des côtes dans le mois de vendé- miaire , ou aux environs de ce mois ; mais dans cette saison , qui touche d’uu côté à l’équinoxe de l’automne , et de l’autre aux frimas de l’hiver, et d’ailleurs auprès de l’ Amérique septentrionale, où les froids sont plus rigoureux et se font sentir plutôt que sous le même degré de la partie boréale de l’ancien continent, les tempêtes et même les glaces peuvent rendre très-souvent la pèche trop incer- taine et trop dangereuse , pour qu’on se détermine à s’v livrer de nouveau, sans attendre le printemps suivant. 324 HISTOIRE NATURELLE En second lieu , les préparatifs de cette importante et lointaine recherche des Biorues qui se montrent auprès de Terre- Neuve, ont été faits, depuis un très grand nombre d’années, avec une prévoyance très-attentive. C’est dans ces opérations préliminaires qu’on a suivi avec une exac- titude remarquable îe principe de diviser le travail pour îe rendre plus prompt et plus voisin de la perfection que l’on desire ; et ce sont les Anglais qui ont donné à cet égard l’exemple à l’Europe commerçante. La force des cordes ou lignes, la nature des hameçons , les dimensions des bâti- mens , tous ces objets ont été déterminés avec précision. Les lignes ont eu depuis un jusqu’à deux centimètres , ou à peu près , de circonférence , et quelquefois cent quarante-cinq mètres de longueur ; elles ont été faites d’un très-bon chanvre , et composées de fils très-h nr, et cepen- dant très-forts, afin que les morues ne fussent pas trop effrayées , et que les pêcheurs pussent sentir aisément l’agita- tion du poisson pris , relever avec facilite DESGADES. 3s5 les cordes et les retirer sans les rompre. Le bout de ces lignes a été garni d’un plomb qui a eu ia forme d’une poire ou d’un cylindre , a pesé deux ou trois kilo- grammes selon 1a grosseur de ces cordes , et a soutenu une empile longue de quatre à cinq mètres*. Communément les vais- seaux employés pour la pêche des mo- rues ont été de cent cinquante tonneaux au plus, et de trente hommes d’équi- page. On a emporté des vivres pour deux , trois et jusqu’à huit mois , selon la lon- gueur du temps que l’on a cru devoir consacrer au voyage. On n’a pas man- qué de se pourvoir de bois pour aider le dessèchement des morues , de sel pour les conserver , de tonnes et de petits barils pour y renfermer les différentes parties de ces animaux déjà préparées. Des bateaux particuliers ont été destinés à aller pêcher , même au loin , les mol- lusques et les poissons propres à faire * Nous avons vu, dans l’article de la raie hou - clée , que l’empile est un fil de chanvre , de crin , ou de métal , auquel le haim ou hameçon est aüaché. Frissons. I T. 28 3z6 HISTOIRE NATURELLE des appâts, tels que des sépies , des ha- rengs, des éperlans , des trigles , des ma- quereaux , des capelans , etc. On se sert de ces poissons quelquefois lorsqu’ils sont salés , d’autres fois lors- qu’ils n’ont pas été imprégnés de sel. On en emploie souvent avec avantage de di- gérés à demi. On remplace avec succès ces poissons corrompus par des fragmens d’écrevisses ou d’autres crabes, du lard et de la viande gâtée. Les morues sont même si imprudemment goulues , qu’on les trompe aussi en ne leur présentant que du plomb ou de l’étain façonné en poisson , et des morceaux de drap rouge semblables par la couleur à de la chair ensanglantée ; et si l’on a besoin d’avoir recours aux appâts les plus puissans, on attache aux hameçons le cœur de quel- crue oiseau d’eau, ou même une jeune morue encore saignante; caria voracité des gades que nous décrivons est telle, que , dans les niomens où la faim les aiguillonne , ils ne sont retenus que par une force supérieure â la leur, et n’é- pargnent pas leur propre espèce. D E S G A D E S. "27 Lorsque les précautions convenables n'ont pas été oubliées, que l'on 11'est contrarié ni par de gros temps ni par des circonstances extraordinaires , et qu'on a bien choisi le rivage ou le banc , quatre liommes suffisent pour prendre par jour cinq ou six cents morues. L'usage le plus généralement suivi sur le grand banc, est que chaque pécheur établi dans un baril dont les bords sont garnis d'un bourlet de paille, laisse plus ou moins hier sa ligne, en raison de la profondeur de l'eau, de la force du cou- rant, de la vitesse de la dérive , et fasse suivre à cette corde les mouveinens du vaisseau , en la traînant sur le fond contre lequel elle est retenue par le poids de plomb dont elle est lestée. Néanmoins d ' a u t r es m a r i u s li al e n t o u r e t i r e n t d e t e in p s en temps leur ligne de quelques mètres , et la laissent ensuite retomber tout-à- coup, pour empêcher les morues de flairer les appâts et de les éviter, et pour leur faire pl us d'illusion par les divers tournoieinens de ces mêmes appâts , qui dès-lors ont plus de rapports avec leur proie ordinaire. 328 HISTOIRE NATURELLE Les morues devant être consommées à des distances immenses du lieu où on les pêche , on a été obligé d’employer divers moyens propres à garantir de toute alté- ration leur chair et plusieurs autres de leurs parties. Ces moyens se réduisent à les faire saler ou sécher. Ces opérations sont souvent exécutées par les pêcheurs , sur les vaisseaux qui les ont amenés ; et on imagine bien, sur-tout d’après ce que nous avons déjà dit , qu'a fin de 11e rien perdre de la durée ni des objets du voyagé, on a établi sur ces hâtimens le plus grand ordre dans la disposition du local , dans la succession des procédés , et dans la dis- tribution des travaux entre plusieurs per- sonnes dont chacune 11’est jamais chargée que des mêmes détails. Les mêmes arrangemens ont lieu sur la côte, mais avec de bien plus grands avan- tages , lorsque les marins occupés de la pêche des morues ont à terre, comme les Anglois, des établissemens plus ou moins- commodes, et dans lesquels on est garanti des effets nuisibles que peuvent produire les vicissitudes de l’atmosphère. DES GA DE S) ^29 Mais soit à terre , soit sur les vaisseaux, ou commence ordinairement toutes les préparations de la morue par détacher la langue et couper la tête de ranimai. Lors- qu’ensuite ou veut saler ce gade , 011 l’ou- vre dans sa partie inférieure ; on met à part le foie ; et si c’est une femelle qu’on a prise , 011 ôte les oeufs de l’intérieur du poisson : on habille ensuite la morue , c’est- à-dire , en termes de pêcheur , 011 achève de l’ouvrir depuis la gorge jusqu’à l’anus, que les marins nomment nombril, et ou sépare des muscles , dans cette étendue , la colonne vertébrale , ce qu’on nomme désosser la morue. Pour mettre les gades dont nous nous occupons , dans leur premier sel , on rem- plit , le plus qu’011 peut , l’intérieur de leur corps de sel marin , ou muriate de soude ; on en frotte leur peau ; 011 les range par lits dans un endroit particulier de rétablissement construit à terre , ou de l’entre-pont ou encore de la cale du bâ- timent, si elles sont préparées sur un vais- seau , et on place une couche de sel au- dessus de chaque lit. Les morues restent f 23 33o HISTOIRE NATURELLE ainsi en piles pendant un, deux ou plu- sieurs jours , et quelquefois aussi entassées sur une sorte de gril, jusqu’à ce qu’elles aient jeté leur sang et leur eau ; puis on les change de place, et ou les sale à demeure, en les arrangeant une seconde lois par lits , entre lesquels on étend de nouvelles couches de sel. Lorsqu’en habillant les morues , on se contente dé les ouvrir depuis la gorge jus- qu’à l’anus , ainsi que nous venons dé le dire, elles conservent une forme arrondie du coté de la queue , et ou les nomme morues rondes : mais le plus grand nombre des marins occupés de la péché de Terre- Neuve remplacent cette opération par la suivante, sur - tout lorsqu’ils saleut de grands individus. Ils ouvrent la morue dans toute sa longueur, enlèvent la co- lonne vertébrale toute entière5, habillent le poisson à plat ; et la morue ainsi ha- billée se nomme morue plate. Si au lieu de saler les gades morues , on veut les faire sécher , on emploie tous les procédés que nous avons exposés , jusqu’à éclui par lequel elles reçoivent leur pre- DES G A D E S. 33t mîer sel. On les lave alors , et on les étend mie à une sur la grève ou sur des rochers % la chair en haut, de manière qu’elles ne se louchent pas ; quelques heures après on les retourne. On recommence ces opéra- tions pendant plusieurs jours , avec cette d i 1 le r e n c e , q u ’ a u i i e u d ’ a r r a n g e r 1 e s m o r u e s une a une , on les met par piles, dont on accroît successivement la hauteur , de telle sorte que, le sixième jour , ces pa- quets s.pnt de cent cinquante, ou deux cents, et même quelquefois de cinq cents myriagra utmes. Ou empile de nouveau les morues à plusieurs reprises , mais à des intervalles de temps beaucoup plus grands , et qui croissent successivement ; et le nombre ainsi que la durée de ces re- prises sont proportionnés a la nature du vent , à la sécheresse de l’air , à la chaleur de l’atmosphère , à la force du soleil. Le plus souvent , avant chacune de ces reprises , on étend les morues une à une, * Le nom allemand de Jdipfisch (poisson de rocher), que l’on donne aux morues sèches ^ vient de la nature du terrain sur lequel elles sont sou- vent desséchées. 332 HISTOIRE NATURELLE et pendant quelques heures. On désigne les divers empilemens , en disant que les morues sont à leur premier, à leur second ", à leur troisième soleil , suivant qu’on les met entas pour la première, la secoude ou la troisième fois ; et communément les mo- rues reçoivent dix soleils , avant d’être en- tièrement séchées. Lorsque l’on craint la pluie , on les porte sur des tas de pierre placés dans des ca- banes , ou , pour mieux dire, sous des han- gars qui n’arrêtent point l’action des cou- rans d’air. Quelques peuples du nord de l’Europe emploient, pour préparer ces poissons , quelques procédés , dont un des plus con- nus consiste à dessécher ces gades sans sel , en les suspendant au-dessus d’un four- neau , ou en les exposant aux vents qui régnent dans leurs contrées pendant le printemps. Les morues acquièrent par cette opération une dureté égale à celle du bois , d’où leur est venu le nom de stock-fisk ( poisson en bâton ) : dénomi-* nation qui, selon quelques auteurs , dé- rive aussi de l’usage où l’on est , avant DES G A D E S. 333 d’apprêter du stoch-fish pour le manger, de le rendre plus tendre en le battant sur un billot. Les commercans appellent , dans plu- sieurs pays , morue blanche , celle qui a été salée, mais séchée promptement, et sur laquelle le sel a laissé une sorte de croûte blanchâtre. La monte noire , pinnée ou bruinée , est celle qui , par un dessè- chement plus lent , a éprouvé un com- mencement de décomposition , de telle sorte qu’une partie de sa graisse , se por- tant à la surface, et s’y combinant avec le sel , y a produit une espèce de pous- sière grise ou brune /répandue par taches. On donne aussi le nom de morue verte à la morue salée , de merluche à la morue sèche , et de cabillaud à la morue préparée et arrangée dans des barils du poids de dix à quinze myriagrammes , et dont une douzaine s’appelle un leth , dans plusieurs ports septentrionaux d’Europe. Mais d’ailleurs un grand nombre de placés de commerce ont eu , ou ont en- core , différentes manières de désigner les morues distribuées en assortimens * 334 HISTOIRE NATURELLE d’après les divers degrés de leurs dimen- sions ou de leur bonté. A Nantes , par exemple , on appeloit grandes morues , les morues salées qui étoient assez longues pour que cent de ces poissons pesassent quarante - cinq myriagrammes ; 7110 ru es' moyennes , celles dont le cent ne pesoifc que trente myriagrammes ; raguets , ou petites morues , celles de l’assortiment sui- vant; et rebuts , lingues , ou très - petites morues , celles d’un assortiment plus infé- rieur encore. Sur quelques côtes de la Manche , îe> nom de morue gaffe indiquoit les très- grandes morues; cinq autres assortiment inférieurs étoient indiqués parles déno- minaîions de morue marchande , de morue trie, de raguet ou lingue , de morue valide ou patelet , et de jnorue viciée , appellation qui appartenoit en effet à la plus mau- vaise qualité. Dans ce même port de Nantes dont nous venons de parler, les morues sèches étoien t divisées ensept assortiments, dont les noms étoient , suivant l’ordre de la supériorité de* uns sur les autres , morue pivée, morue 335 'D ES G A D E S. grise , grand marchand , moyen marchand , petit marchand ou fourilton 5 grand rebut et petit rebut . A Bordeaux , à Bayonne , et dans plu- sieurs ports de l’Espagne occidentale , on ne distinguent que trois assortimens de morue , le marchand , le moyen et le rebut. Au reste , les muscles des morues ne sont pas les seules portions de ces pois- sons dont on fasse un grand usage; iln’est presque aucune de leurs parties qui ne puisse servir à la nourriture de i’iiomrne eu des animaux. Leur langue fraîche et même salée est un morceau délicat ; et voilà pourquoi on la coupe avec soin , dès le commence- ment de la préparation de ces poissons. Les branchies de la morue peuvent être employées avec avantage comme appât , dans la pêche que l’on fait de ce gade. Sou foie peut être mangé avec plaisir : mais d’ailleurs il est très-grand relative- ment au volume de l’animai , comme celui de presque tous les poissons ; et on en retire une huile plus utile dans beau- 336 HISTOIRE NATURELLE coup de circonstances que celle des ba- leines , laquelle cependant est très -re- cherchée dans le commerce. Elle conserve bien plus long - temps que ce dernier fluide , la souplesse des cuirs qui en ont été pénétrés; et lorsqu’elle a été clarifiée, elle répand, en brûlant , une bien moin- dre quantité de vapeurs. On obtient avec la vessie natatoire de la, morue une colle qui ne le cède guère à celle de l’acipensère huso , que l’on fait venir de Ptussie dans un si grand nombre de contrées d’Europe *. Pour la réduire ainsi en colle , on la prépare à peu près de la même manière que celle du huso ; on la détache avec attention de la colonne vertébrale , on en sépare toutes les parties étrangères , on en ôte la première peau , on la met dans de Peau de chaux pour ache- ver de la dégraisser , on la lave , on la ra- mollit, on la pétrit , on la façonne , on la fait sécher avec soin ; on suit enfin tous les procédés que nous avons indiqués dans l’histoire du huso : et si des eircons- * Voyez, dans cette Histoire , l’article de ’ l’aci- pensère huso. D E S G A D E S. 337 tances de temps et de lieu 11e permettent pas aux pêcheurs, comme, par Exemple, à ceux de Terre-Neuve , de s’occuper de tous ces détails immédiatement après la prise de la morue , ou mange la vessie na- tatoire, dont le goût n’est pas désagréable, ou bien ou la sale ; ou la transporte ainsi imprégnée de muriate de soude à des dis- tances plus ou moins grandes ; on la con- serve plus ou moins long-temps ; et lors- qu’on veut en faire usage, il suffit presque toujours de la faire dessaler et ramollir , pour la rendre susceptible de se prêter aux mêmes opérations que lorsqu’elle est fraîche. La tête des morues nourrit lespêcheurs deces gades et leurs familles. En Norvège, on la donne aux vaches ; et on y a éprouvé que mêlée avec des plantes marines , elle augmente la quantité du lait de ces ani- maux , et doit être préférée , pour leur aliment , à la paille et au foin. Les vertèbres , les côtes et les autres os ou arêtes des gades morues , ne sont pas non plus inutiles : ils servent à nourrir le bétail des Islandois. On en donne à ces 29 338 HISTOIRE NATURELLE chiens de Kamtscliatka que Ton attelle aux traîneaux destinés à glisser sur la glace , dans cette partie septentrionale de l'Asie ; et dans d’autres contrées boréales, ils sont assez imprégnés de substance hui- leuse pour être employés à faire du feu, sur-tout lorsqu’ils ont été séchés au point convenable. On ne 'néglige même pas les intestins de la morue , que l’on a nommés dans plusieurs endroits , noues , ou nos : et enfin on prépare avec soin , et on conserve pour la table , les œufs de ce gade , auxquels on a donné la dénomination de vogues ou de raves . Tels sont les procédés et les fruits de ces pêches importantes et fameuses , qui ont employé dans la même année jusqu'à vingt mille matelots d’une seule nation*. Ou aura remarqué sans doute que nous n’avons parlé que des pêcheries établies dans Thémisphère boréai , soit auprès des côtes de l’ancien continent , soit auprès de celles du nouveau. A mesure que fou * La nation angloise. DES G A D E S. 33ç> fônnoîtra mieux la nature des rivages des îles ou des continens particuliers de l'hé- misphère austral , et particulièrement de ceux de l’Amérique méridionale , tant du côté de l’orient que du côté de l'occident, il est à présumer que l’on découvrira des plages où la température de la mer , la profondeur des eaux ^ la nature du fond , l’abondance des petits poissons, l’absence d’animaux dangereux , et la rareté de tempêtes très-violentes et de très-grands bouleversemens de l’Océan , ont appelé , nourrissent et multiplient l’espèce de la morue , que certains peuples pourraient aller y pêcher avec moins de peine et plus de succès que sur les rives boréales de l’ hémisphère arctique. De nouveaux pays profiteroient ainsi d’un des plus grands bienfaits de la Na- ture ; et l’espèce de la morue , qui ali- mente une si grande quantité d’hommes et d’animaux en Islande , en Norvège , en Suède , en Russie , et dans d’autres régions asiatiques ou européennes , pour- roi t d’autant plus suffire aussi aux besoins des liabitaus des riv es antarctiques, qu’elle 340 HISTOIRE NATURELLE est très - remarquable par sa fécondité. L’on est étonné du nombre prodigieux d’œufs que portent les poissons femelles ; aucune de ces femelles n’a cependant été favorisée à cet égard comme celle de la morue. Ascagne parle d’uu individu do cette dernière espèce , qui avoit treize décimètres de longueur et pesoit vingt- cinq kilogrammes ; l’ovaire de ce gade en pesoit sept , et rcnfermoit neuf mil- lions d’œufs. On en a compté neuf millions trois cent quarante-quatre mille dans une autre morue. Quelle immense quantité de moyens de reproduction ! Si le plus grand nombre de ces œufs n’étoient ni privés de la laite fécondante du mâle, ni détruits par divers accideus , ni dévorés par difFé- rens animaux , oii voit aisément com- bien peu d’années il fan droit pour que l’espèce de la morue eût, pour ainsi dire, comblé le vaste bassin des mers. Quelqu’agréables au goût que l’on puisse rendre les diverses préparations de la morue séchée ou de la morue salée , on a toujours préféré, avec raison, de la manger fraîche. Pour jouir de ce dernier DES GADES, 841 avantage sur plusieurs côtes de l’Europe et particulièrement sur celles d’Angle- terre et de France , on ne s’est pas con- tenté d’y pêcher les morues que l’on y voit de temps en temps ; mais afin d’être plus sûr d’en avoir de plus grandes à sa disposition , on est parvenu à y apporter en vie un assez grand nombre de celles que l’on avoit prises sur les bancs de Terre-Neuve : on les a placées , pour cet objet, dans de grands vases fermés , mais attachés aux vaisseaux , plongés dans la mer , et percés de manière que l’eau salée pût aisément parvenir dans leur intérieur. Des pêcheurs anglois ont ajouté à cette précaution un procédé dont nous avons déjà parlé dans notre premier Discours : ils ont adroitement fait parvenir une ai- guille jusqu’à la vessie natatoire de la morue , et Font percée , afin que l’ani- mal , ne pouvant plus se servir de ce moyen d’ascension , demeurât plus long- temps au fond du vase , et fût moins exposé aux divers accidens funestes à la vie des poissons. Au reste ? il est convenable d’observer 29 342 HISTOIRE NATURELLE ici que , dans quelques gades , Monro iTa pas pu trouver la communication de la vessie natatoire avec l’estomac ou quel- que autre partie du canal intestinal , mais qu’il a vu autour de cette vessie un or- gane rougeâtre composé d’un très-grand nombre de membranes pliées et exten- sibles , et qu’il le croit propre â la sécré- tion de l’air ou des gaz de la vessie; sécré- tion qui auroit beaucoup de rapports, selon ce célèbre naturaliste anglois, avec celle qui a lieu pour les vésicules à gaz ou aeriennes des œufs d’oiseau ,«et des plantes aquatiques. Cet organe rougeâtre ne pour- roi t-il pas être au contraire destiné à rece- voir et transmettre, par les diverses ra- mifications du système artériel et veineux que sa couleur seule indiqueroit, une portion des gaz de la vessie natatoire , dans les différentes parties du corps de l’animal ? ce qui réuni aux résultats d’observations très- voisines de celles de Monro , faites sur d’autres poissons que des gades, et que nous rapporterons dans la suite, confirmeroit l’opinion du citoyen Fischer , bibliothécaire de Mayence , sur DES G A D E S. les usages de îa vessie natatoire , qu’il considère comme étant , dans plusieurs circonstances, un supplément des bran- chies , et un organe auxiliaire de respira- tion*. On trouve dans les environs de File de Mau, entre l’Angleterre et l’Irlande, un gade que l’on y nomme red cod ou rock - cod ( morue rouge et morue de roche ). Nous pensons avec le citoyen Noël de Rouen, qui nous a écrit au sujet de ce poisson , que ce gade n’est qu’une variété de la morue grise ou ordinaire que nous venons de décrire ; mais nous croyons devoir insérer dans l’article que nous al- lons terminer , l’extrait suivant de la lettre du citoyen Noël. «J’ai lu, dit cet observateur, dans « un ouvrage sur l’île de Mau , que la cou- « leur de la peau du red cod est d’un rouge « de vermillon. Quelques habitans de l’île « de Mau pensent que cette morue acquiert « celte couleur brillante , parce qu’elle se « nourrit de jeunes écrevisses de mer : * Nous avous déjà pairie de celte opinion du citoyen Fisc ber. 344 HISTOIRE NATURELLE « mais les écrevisses de mer sont , dans « Peau , d’une couleur noirâtre ; elles ne « deviennent rouges qu’après avoir été « cuites. La morue rouge n’est qu’une « variété de l’espèce commune : je suis « disposé à croire que la couleur rouge « qui la distingue , lui est communiquée « par les algues et les mousses marines « qui couvrent les rochers sur lesquels on k la pêche, puisque ces mousses sont de « couleur rouge ; je le crois d’autant plus « volontiers , que les baies de l’île de Man « ont aussi une variété de mules et de « gourneaux dont la couleur est rougé « Cette morue rouge est très-estimée pour « l’usage de la table. » DES GADES, 3\3 LE GA DE ÆGLEFIN *. Ce gade a beaucoup de rapports avec la morue ; sa chair s’enlève facilement par feuillets , ainsi que celle de ce der- nier animal , et de presque tous les autres poissons du même genre. On le trouve , comme la morue , dans l’Océan septen- trional ; mais il ne parvient communé- ment qu’à la longueur de quatre ou cinq décimètres. Il voyage par grandes troupes qui couvrent quelquefois un espace de plusieurs rnyriares quarrés. Et ce qu’il ne faut pas négliger de faire observer , ou assure qu’il ne va jamais dans la Bal- tique, et que par conséquent il 11e passe point par le Sund. On ne peut pas dire cependant qu’il redoute le voisinage des * Kallior , kallie , kaljor, kollia , en Suède ; koll, en Danemarck ; haddock , eu Angleterre ; églefins ^ égrefin , par quelques auteurs François* 346 HISTOIRE NATURELLE terres ; car , chaque année , il s’approche , vers les mois de pluviôse et ventôse, des rivages septentrionaux de l’Europe pour la ponte ou la fécondation de ses œufs. S’il survient de grandes tempêtes pendant son séjour auprès des côies , il s’éloigne de la surface des eaux , et cherche dans le sable du fond de la mer , ou au milieu des plantes marines qui tapissent ce sable, un asyle contre les violentes agitations des flots. Lorsque les ondes sont calmées , il sort de sa retraite soumarine, et repa- roît encore tout couvert ou d’algues ou de limon. Un assez grand nombre d’æglefins restent même auprès des terres pendant l’hiver , ou s’avancent , pendant cette saison, vers les rivages , auprès desquels ils trouvent plus aisément que dans les grandes eaux, la nourriture qui leur convicn t. Le citoyen Noël m’écrit que depuis 1766 les pêcheurs anglois des côtes d’York ont été frappés de l’exactitude avec laquelle ces gades se sont montrés dans les eaux côtières , vers le 20 frimaire (10 décembre). L’étendue du banc qu’ils forment alors , est d’en- DES G A D E S, 347 viron trois milles en largeur, à compter de la côte, et de quatre-vingts milles en longueur, depuis Flamborough-head jusqu’à l’èmbouchure de la Fine , au- dessous de Newcastle. L’espace marin oc- cupé par ces poissons est si bien connu des pécheurs , qu’ils ne jettent leurs lignes que dans ce meme espace , hors de la circonférence duquel ils ne trouveraient pas d’æglefin , et ne pêch croient le plus souvent , à la place , que des squales attirés par cet immense banc de gades 5 dont ces cartilagineux sont très-avides. Lorsque la surface de la mer est gelée auprès des rivages, les pêcheurs profitent des fentes ou crevasses que la glace peut présenter dans un nombre d’endroits plus ou moins considérable de la croûte solide de l’Océan , pour prendre facilement une plus grande quantité de ces poissons. Ces gades ont , en effet, l’habitude de se ras- sembler dans les intervalles qui séparent les différentes portions de glaces , non pas , comme on l’a cru , pour y respirer l’air très -froid de l’atmosphère, mais, pour se trouver dans la couclie d’eau 348 HISTOIRE NATURELLE la plus élevée , par conséquent dans la plus tempérée , et dans celle où doivent se réunir plusieurs des petits animaux dont ils aiment à se nourrir. Si les pêcheur de ces côtes voisines du cercle polaire ne rencontrent pas à leur portée, des fentes naturelles et suf- fisantes dans la surface de l’Océan dur- cie par le froid , ils cassent la glace, et pro- duisent, dans l’enveloppe qu’elle forme , les anfractuosités qui leur conviennent. C’est aussi autour de ces vides naturels où artificiels qu’on voit des phoques cher- cher a dévorer des æglefins pendant la saison rigoureuse. Mais ces gades peuvent être la proie de beaucoup d’autres ennemis. Les grandes morues les poursuivent ; et suivant An- derson, la pêche des æglefins, que l’on fait auprès de l’embouchure de l’Elbe, a donné le moyen d’observer, d’une manière très-particulière, combien la morue est vorace, et avec quelle promptitude elle digère ses alimeus. Dans ces parages , les pêcheurs d’æglefins laissent leurs hame- çons sous l’eau pendant une marée 7 c’est- D E S G A D E S. 349 à-dire , pendant six heures. Si un æglefin est pris dès le commencement de ces six heu res , et qu’une morue se jette ensuite sur ce poisson , ou trouve en retirant la ligne, au changement de la marée , que l’æglefin est déjà digéré : la morue est à la place de ce gade , arrêtée par l’hame- çon ; et ce fait mérite d’autant plus quel- que attention , qu’il paroît prouver que c’est particulièrement dans l’estornac et dans les sucs gastriques qui arrosent ce viscère , que réside cette grande faculté si souvent remarquée dans les morues, de décomposer avec rapidité les substances alimentaires. Si , au contraire , la morue n’a cherché à dévorer l’æglefin que peu de temps avant l’expiration des six heures, elle s’opiniâtre tellement à ne pas s’en séparer , qu’elle se laisse enlever en l’air avec sa proie. L’æglefin , quoique petit , est aussi goulu et aussi destructeur que la morue , au moins à proportion de ses forces. Il se nourrit non seulement de serpules , de mollusques , de crabes , mais encore de poissons plus foibles que lui , et particu- 35o HISTOIRE “NATURELLE lièremeiit de harengs. Les pêcheurs an- glois nomment haddock - méat , c’est-à- dire , mets de haddock ou œglefin , les vers qui , pendant l’hiver , lui servent d’ali- ment , sur-tout lorsqu’il ne rencontre ni harengs , ni œufs de poisson. Il a cependant l’ouverture de la bouche un peu plus petite que celle des animaux dé son genre ; un barbillon pend à l'ex- trémité de sa mâchoire inférieure , qui est plus courte que celle de dessus. Ses yeux sont grands , ses écailles petites Ÿ “arrondies , plus fortement attachées que celles de la morue. La première nageoire du dos est triangulaire : elle est d’ailleurs bleuâtre , ainsi que les autres nageoires *; la ligne latérale voisine du dos est noire , * A la première nageoire dorsale. 16 rayons. à la seconde 20 h la troisième 19 à chacune des peclorales 19 à chacune des jugulaires 6 à la première de l’anus 22, à la seconde 21 à celle de la queue, qui est four- chue ■7 DES GADES. 35t ou tachetée de noir; l'iris a l'éclat de l’ar- gent ; et cette meme couleur blanchâtre ou argentée règne sur le corps et sur la queue , excepté leur partie supérieure , qui est plus ou moins brunâtre. La qualité de la chair des æglelius varie suivant les parages où on les trouve , leur âge, leur sexe, et les époques de l’année où on les pèche : mais on en a vu assez fréquemment dont la chair étoit blanche, ferme, très-agréable au goût, et très-facile â faire cuire. En floréal, et dans les mois suivans, celle des æglefins de moyenne grandeur est quelquefois d'autant plus délicate , que le frai de ces gades a lieu en hiver , et que par consé- quent ils ont eu le temps de réparer leurs forces , de recouvrer leur santé , et de reprendre leur graisse. 35a HISTOIRE NATURELLE LE G A D E B I B D E même que Pseglefin , le gade bib ha- bite dans l’Océan d’Europe. Sa longueur ordinaire est de trois ou quatre décimè- tres. L’ouverture de sa bouche est petite , sa mâchoire inférieure garnie d’un bar- billon, son anus plus rapproché de la tête que de l'extrémité de la queue , sa se- conde nageoire dorsale très-longue , et le premier rayon de chacune des nageoires jugulaires , terminé par un filament 2. Ses écailles sont très-adhérentes à la peau , et 1 Bib et blinds , sur les cotes d’Angleterre* 2 A la première nageoire dorsale. . l3 rayons, à la seconde^ 2. 3 à la troisième io â chacune des pectorales n à chacune des jugulaires. 6 à la première de l’anus 3l ii la seconde 18 à celle de la queue, qui esl four- chue. ... ... . r .......... ... .... . T «7; DES G A D' E S. 353 plus grandes à proportion de son volume que celles même de la morue. Sa partie supérieure est jaunâtre ou couleur d’olive, et sa partie inférieure argentée. Sa chair est exquise. Ses yeux sont voilés par une membrane, comme ceux des autres gades ; on a même cru que le bib pouvoit , à volonté , enfler cette pellicule diaphane , et former ainsi une sorte de poche au-dessus de chacun ou d’un seul de ses organes de la vue. N’auroit-on pas pris les, suites de quelque accident pour L’effet régulier d’une facilité particulière attribuée à l’animal ? Quoi qu’il en soit , c’est de cette propriété vraie ou fausse que viennent le nomade borgne et celui d 'aveugle, donnés au gade dont nous parlons. 50 354 HISTOIRE NATURELLE LE G A D E S AID A, E T LE GADE B LE N N I O 1 D E, c deux gades ont la nageoire de la queue fourchue. Le premier a été décou- vert par le savant Lcpechin , et le second par le célèbre Pallas. Le saida a les deux mâchoires armées de dents aiguës et crochues ; deux rangées de dents garnissent le palais , et l’on voit auprès du gosier deux os lenticulaires hérissés de petites dents. La mâchoire inférieure est plus avancée que la su- périeure , tandis que , dans la morue , l’æglefin et le bib, celle de dessus est plus longueque celle de dessous. Chaque oper- cule branchial présente trois lames, Lune triangulaire et garnie de deux aiguillons, l’autre elliptique , et la dernière figurée en croissant. La ligne latérale est droite DES G A D E S. 355 et voisine du dos. Les nageoires dorsales et celles de l’anus sont triangulaires *. Le quatrième rayon de la troisième dorsale , le cinquième de la première de l’anus , et le second des jugulaires, sont terminés par un long filament. Une couleur obscure règne sur la partie supérieure de l’animal , qui d’ailleurs est parsemée de points noirâtres distribués irrégulièrement. Des points de la même nuance relèvent l’éclat argentin des oper- cules; lcs^côtés du poisson son t bleuâtres. Sa partie inférieure est blanche ; et le sommet de sa tète , très-noir. Le saida ne dépasse guère en Longueur deux ou trois décimètres. Sa chair est peu succulente, mais cependant très-Fréquem- A la première nageoire cl a dos du saida, de. 10 à n ray. à la seconde, de 16 à 17 à la troisième 20 a chacune des peclorales 16 à chacune des jugulaires 6 à la première nageoire de l’anus iS à la seconde 20 à celle de la queue , de. ...... 24 a 26 queue , cle 356 HISTOIRE NATURELLE ment mangeable. Il habite la mer Blanche au nord de l’Europe. Dans une autre mer également inté- rieure , mais bien éloignée des contrées hyperboréennes , se trouve le blennioïde. Ce dernier gade vit, en effet, dans la Médi- terranée : mais comme il n’a presque ja- mais plus de trois décimètres de longueur, et qu’il n’est pas d’un goût très-exquis , il n’est pas surprenant qu’il ait été dans tous les temps très-peu recherché des pêcheurs, et qu’il ait échappé aux observateurs de l’ancienne Grèce , à ceux de l’ancienne Rome , et même aux naturalistes mo- dernes , jusqu’à Pallas , qui en a le pre- mier publié la description , ainsi que nous venons de le dire *. * A la membrane branchiale du blennioïde 6 rayons. à la première nageoire dorsale,. de io à ri à la seconde 17 à la troisième 16 à chacune des pectorales 19 à chacune des jugulaires 5 à la première de l’anus 27 a la seconde 19 à celle de la queue, , , 27 DES G A D E S. 3dj Il a beaucoup dé rapports avec le mer- lan , et peut avoir été souvent confondu avec ce dernier poisson. Ses écailles sont petites : la couleur de la partie supérieure de son corps et de sa queue est argentée ; toutes les autres portions de la surface de l’animal sont d’un blanc d’argent, excepté les nageoires , sur lesquelles en voit des teintes jaunâtres ou dorées. Les lèvres sont doubles et charnues ; les dents très-petites et inégales; la ligue latérale est courbée vers la tête. Le pre- mier rayon de chacune des nageoires ju- gulaires est divisé en deux ; et comme il est plus long que les autres rayons, il paroît, au premier coup d’œil , composer toute la nageoire: dès -lors on croit ne devoir compter que deux rayons dans chacune des jugulaires du gade que nous décri- vons , et de là vient la dénomination de blennioïde qui lui a été donnée, parce que la plupart des blennies n’ont que deux rayons à chacune des nageoires que l’on voit sous leur gorge. Fia du tome quatrième. TABLE Des articles contenus dans ce volume. Avertissement^ explication de quelques planches , page 5. Discours sur la durée des especes, 9. Tableau du genre des tricliiures, 69. Le tri chiure lepture, 70. Le trichiyre électrique, 78. Tableau du genre des notoptères , 80. Le notoptère kàpirat, 81. Le notoptère écailleux , 84. Tableau du genre des opliisures , 86. L’ophisure ophis, 87. I/ophisure serpent , 90, Tableau du genre des triures, 92. Le triure bougainvilhen, q3. Tableau dugenredes aptéronotes, io5, L’aptéronote passan , 104. Tableau du genre des régalées, 110, Le régalée glesne , ni. Le régalée lancéolé, 116. Tableau du genre des odontognathes* 118. L’odoiuognathe aiguillonné, 119, TABLE. 35g Tablf.au du genre des murènes, 12a. La murène anguille, 127. La murène tachetée , et la murène myre , 180. La murène congre, lS3. Tableau du genre des ammodytes, 189. L’ammodyte appat, 190. Ta b le A u du genre des opliidies , 196. L’ophidie barbu , l’ophidie imberbe , et l’ophidie uuernak, 197. Tableau du genre de* macrognatbcs , 201. *Le macrognathe aiguillonné, 2C2. Le macrognathe armé , 2c5. Tableau du genre des xiphias, 208. Le xiphias espadon , 209. Le xiphias épée, 218. Tableau du genre des anarhiques, 222. L’anarbique loup, 223. L’anarhique karrak, etTanarhique panthérin, 236. Tableau du geure des couiéphores , 240. Le comépliore baïkal , 241. Tableau du genre des stromatées , 244. Le stromalée Ëatole, 2q5. Le stromalée paru , 248. Tableau du genre des rkombes, 25o. Le rhombe aîépkloie, 25i. 36o TABLE. Ta bleau du genre des inurénoïdes, 254 Le murénoïde su jet’9 255. Tableau du genre des callionymes, 257 Le camion y me lyre, 259. Le caîMônyme dragonneau, 267. Le callionyme flèche , et le callionyme japo-i nois, 269. Le callionyme pointillé , 27 2. Ta b l e a u du genre des calliomores, 275. Le calliomore indien, 276. Ta b l e a u du genre des uranoscopes, 278. L’uranoscope rat, 279. L’uranoscope houttuyn, 285. Tableau du genre des trachines, 286. La trachine vive, 287. La trachine osbcck, 299. Tableau du genre des gades, 5oo. Le gade morue , 007. Le gade æglefin , 845. Le gade bib, 352. Le gade saida, et le gade blennioïde , 354.