LR se NE RS 4 Q fl \ uw Tr PNA 1 À 1 4 io \ l , A \ À Wa DU APT HE : PARU 7 k ER ET r ra AL « V7 : BULLETINS L'ACADÉMIE ROYALE DES SCIENCES, LETTRES ET DES BEAUX-ARTS DE BELGIQUE. BULLETINS \ L'ACADÉMIE ROYALE SCIENCES, DES LETTRES ET DES BEAUX-ARTS DE BELGIQUE. TOME XXII. — Ir PARTIE. — 1856. do BRUXELLES, M. HAYEZ, IMPRIMEUR DE L'ACADÉNIE ROYALE DE BELGIQUE, 1856. ON AT D EN | ; s RE AE dr 2 2 pe AD #RARONE dolorie 40 14705 HAUTE % wa EDF OIL ES at CHE BULLETIN DE L'ACADÉMIE ROYALE DES SCIENCES, DES LETTRES ET DES BEAUX-ARTS DE BELGIQUE. 1856. — No 1. CLASSE DES SCIENCES. Séance du 5 janvier 1856. M. And. Dumoxr, directeur. M. QuereLer, secrétaire perpétuel. Sont présents : MM. d'Omalius-d'Halloy, Sauveur, Tim- mermans, Wesmael, Martens, Plateau, Cantraine, Stas, De Koninck, Van Beneden, Ad. De Vaux, Gluge, Ne- renburger, Schaar, Liagre, Duprez, Brasseur, membres ; Schwann, Spring, Lamarle, associés ; Galeotti, E. Quetelet, correspondants. M. Ed. Fétis, membre de la classe des beaux-arts, assiste à la séance. TOME xx11. — ]"° PART. { (2): CORRESPONDANCE. Il est donné lecture des lettres de remerciments de M. J.-B. Brasseur, nouvellement nommé membre de la classe, de MM. Ernest Quetelet et Jules d'Udekem, élus correspondants, ainsi que de sir Roderick Mürchisson, nommé associé. — L'Institut impérial de France, l'Académie impériale de médecine, l'école impériale polytechnique, la Société linnéenne de Normandie, la Société littéraire et philoso- phique de Manchester, l'Académie royale de Bavière, la Société impériale et royale de Vienne, etc., remercient l’Académie pour lenvoi des publications. — M. Quetelet dépose les observations de météorologie, de physique du globe et des phénomènes périodiques des plantes, faites à l'Observatoire royal en 1855, les observa- ions de la floraison, de la frucufication faites au Jardin botanique de Bruxelles, par M. Schramm , et les observa- tions d'histoire naturelle de M. Vincent. M. Duprez présente les observations électriques faites à Gand pendant les derniers mois de 1855. M. AIf. de Borre transmet les observations botaniques et zoologiques faites par lui à Jemeppe, et par M. Ed. Van- derheyden-à-Hauzeur, au Val-Benoit , pendant l’automne de 1855. — M. le major Henry James communique à M. Quetelet les renseignements qui lui ont été demandés sur la trian- (3) | gulation qu'il dirige aujourd’hui c1 Écosse, et sir les pro- cédés photographiques qu’il a employés pour la reproduc- tion des cartes, procédés qui lui ont valu deux dés grandes récompenses à l’exposition de Paris. — M. Van Arenberg transmet une note manuscrite pour servir de complément à son travail sur la chlorure de brome. Cette note est communiquée au commissaire chargé d'examiner le travail en question. — M. Meyer présente une note sur le théorème inverse de Bernouilli, concernant la probabilité des limites qui renferment le nombre inconnu m» de fois qu'un événement À se répète en un très-grand nombre d'épreuves. (Com- missaire : M. Brasseur.) — M. P.-E. Biver transmet un mémoire manuserit sur une nouvelle méthode de conduire et de calculer les triangles géodésiques. (Commissaires : MM. Nerenburger et Liagre.) — M. Quetelet fait hommage du 23°° Annuaire de l'Ob- servatoire royal de Bruxelles, et dépose l'Annuaïre de l'Aca- démie royale pour 1856. NOMINATION. La classe procède à l'élection de son directeur pour 1857. M. Gluge obtient la majorité des suffrages. Il vient, en conséquence, prendre place au fauteuil de vice-directeur, et présente ses remerciments à l'assemblée. (4) M. André Dumont, directeur pour 1856, exprime à M. le général Nerenburger les remerciments de la classe pour sa présidence pendant l’année révolue, remerciments qui sont appuyés par les applaudissements de la com- pagnie. RAPPORTS. Recherches expérimentales sur les figures d'équilibre d'une masse liquide sans pesanteur : 5" série; par M. Plateau, membre de l’Académie. Happort de M, MH. Maus. « M. le professeur Plateau a présenté à l’Académie, dans sa réunion du 4 août dernier, un mémoire conte- nant : La théorie des modifications que subissent, sous l'influence des mouvements vibratoires, les veines liquides lancées par des orifices circulaires. Ce travail forme la troisième partie des Recherches expé- rimentales et théoriques sur les figures d'équilibre d'une masse liquide sans pesanteur qui ont, l’année dernière, valu à leur auteur le prix quinquennal des sciences physi- ques et mathématiques. Pour apprécier la théorie développée dans le mémoire présenté, il convient de rappeler les faits observés par Savart, les explications qu’il donne et les considérations théoriques , ou lois, exposées par M. Plateau sur la consti- tution des veines fluides qui servent de base à la théorie à examiner. (5) Tout le monde a remarqué que l’eau, en s'échappant d’un vase par un orifice circulaire, forme une veine qui, à partir de l’orifice, conserve la limpidité du cristal sur une certaine partie de sa longueur au delà de laquelle elle devient trouble. Examinant, avec beaucoup de soin, une veine liquide s'écoulant de haut en bas d’un orifice circulaire, Savart à découvert, à l’aide de moyens d'observation très-Ingénieux , plusieurs circonstances fort intéressantes et entre autres que près de l'orifice, il se forme dans la veine des renfle- ments annulaires séparés par des gorges ou nœuds qui, en se développant le long de la partie limpide, forment les gouttes sphériques qui composent la partie trouble. Savart attribue ces renflements annulaires à une succes- sion périodique de pulsations qui ont lieu à l'orifice même. M. Plateau, à la suite d'expériences fort remarquables , qui présentent pour l'étude des phénomènes capillaires, l'utilité d’un microscope, à reconnu qu'un cylindre liquide se transforme, par l’action de la force moléculaire, en une série de sphères, et il attribue à la même action molécu- lire, les renflements et gouttes que Savart à vus dans les veines liquides soumises à l’action de la gravité. L'examen des opinions émises par ces deux habiles phy- siciens ne m'a pas permis d'en adopter une immédiatement sans restriction. Je n’ai pas compris d’abord comment la gravité produi- sait les pulsations voisines de l’orifice, auxquelles Savart a attribué la naissance des renflements ou ventres qu'il a observés. D'un autre côté, j'ai peine à admettre avec M. Plateau , que dans un phénomène principalement produit par la gra- vilé, cette force soit complétement écartée pour attribuer (6) la configuration de la masse en mouvement, exclusive- ment à la force moléculaire fort inférieure à la gravité. Mon hésitation s’est accrue lorsque j'ai remarqué que, pour justifier l'élimination de la gravité, M. Plateau con- sidère cetle force comme n’agissant sur la veine liquide, qu'à, partir de l'orifice d'écoulement, sans considérer son action sur le liquide contenu dans le vase, action qui par la mauière dont elle attire les molécules liquides vers l'ori- fice exerce, sur la forme de la veine sortie de vase, un elle que les phénomènes connus sous la désignation de contraction et inversion de la veine ne permettent pas de révoquer en doute. Les belles expériences de veines liquides que M. le professeur Richelmi renouvelle chaque année à l’établisse- ment. hydraulique de La Parella, près de Turin, en me faisant voir une sorte d'opposition entre les diverses figures d’orifice expérimentées et les profils qu’elles faisaient nai- tre,dans la veine à peu de distance, ne m'avaient point préparé à faire abstraction de Faction intérieure sur la forme de la veine. Pour dissiper mes doutes, j'ai eu recours aux lois con- oues de la gravité pour déterminer diverses circonstances du phénomène de l'écoulement, et cette étude m'a eon- duit à conclure, que la gravité en agissant sur l’eau con- tenue dans le vase qui alimente la veine liquide, produit effectivement les pulsations annoncées par SavarL. Ce phénomène s'explique de la manière suivante : La portion de veine fluide contenue dans le vase, en vertu de l’adhérence des molécules liquides, entraine dans son mouvement une partie de la masse fluide qui l'entoure et qui, supportée par le fond du vase, ne reçoit pas une impulsion directe de la gravité. (#) . Cette masse liquide en mouvement accompagne la veine jusqu’à ce qu’elle soit arrêtée par le fond du vase, qui pro- duit un arrêt brusque comparable à un coup de bélier hydraulique; la force vive du liquide arrêté détermine une pression qui, agissant à la fois contre le fond du vase el latéralement, fait pénétrer dans la veine une parle, du liquide qui l'entoure. Cette pénétration rencontre d'autant moins d'opposition de la part des molécules extérieures de la veine, qu’elles ont, par leur contact avec l’eau environ- nante, communiqué, et par conséquent perdu, une partie de leur force vive. Cette pression latérale, qui rétrécit la veine et y intro- duit une partie de l’eau environnante, produit la conicité ou contraction que l’on observe à l'extérieur et près de l'orifice, et qui résulte du mouvement vertical de la veine combiné avec la direction horizontale que donne le fond du vase à l’eau introduite latéralement. De nombreuses expériences ont établi que la conicité ou contraction de la. veine réduit la section d’écoulemeut aux 5 environ de la section de l’orifice. L’adhérence entre les molécules liquides, en transmet- tant une partie de la force vive de la veine, au liquide qui l'entoure, produit donc un effet directement opposé à l’ac- tion de la gravité et comparable à l’action de la soupape du bélier hydraulique, parce que l’étranglement ou con- traction,est d'autant plus énergique que la vitesse de la veine est plus considérable, de même que la soupage arrête l'écoulement lorsqu'il est le plus rapide, mais avec la diffé- rence que la contraction réduit seulement, tandis que la soupape intercepte le passage de l’eau. Pour que l’éconléement soit constant, il faut que l’action contractante soit elle-même constante. Mais linertie de (8) l'eau , qui s'oppose à ce que la contraction croisse et dimi- nue instantanément avec la vitesse de la veine, est un obstacle à ce qu'il puisse s'établir un équilibre stable entre la vitesse de la veine et l'énergie de la contraction. En effet, reportons-nous à l’origine du mouvement, la veine devra agir pendant quelque temps sur l’eau qui l'entoure pour l'entrainer avec elle, et cette eau, une fois en mouvement, ne ralentira pas sa course à l'instant même où la veine perdra, par la contraction, une partie de sa force vive. L’écoulement, après avoir été supérieur, deviendra donc inférieur, puis de nouveau et successivement supérieur et inférieur à celui que détermine l'équilibre entre les actions directe et indirecte de la gravité sur l’eau qui alimente la veine liquide. L'action de la gravité sur la forme de la veine liquide ne se borne pas à ce seul effet, cette force tend encore à écarter l’une de l’autre les molécules qui, pour alimenter la veine, lui ont été successivement soumises, et les molé- cules qui, placées sur un même plan horizontal, ne possè- dent pas la même vitesse, comme nous allons voir. Supposons que deux corps ou molécules soient succes- sivement abandonnés à la gravité à partir d’un même point. Appelant Æ et E les espaces parcourus par le premier et le second mobile, pendant les temps £ et (', écoulés depuis leur départ, jusqu’à l'instant où l’on désire con- naître l'intervalle qui les sépare et qui est égal à E — E, on a: E E' 3 3 gt? et E—EL = 4g(2 —#?). Mais t ne diffère de {’ que par le temps écoulé entre les (9) deux départs, temps que nous désignerons par x, de sorte que : DER TT 1? + or + x?, d'où E—E' = +}g{(t?+oxt + 22—12)=7% gx? + gat'. Cette expression générale de l'intervalle qui sépare deux corps ou molécules après un temps t’ écoulé depuis le départ du second, contient deux quantités : l’une con- stante ? gx? représente le chemin décrit par le premier mobile au moment du départ du second ; l’autre, propor- tionnelle à la durée de la chute du second, fait voir que l'intervalle cherché croît avec le temps de la chute. Lorsqu’au lieu de partir d’un même point, les deux mo- biles partent de points situés à différents niveaux, les ex- trémités des espaces Æ et E’ pourront se trouver acciden- tellement sur une même horizontale, lorsque la quantité LE gx? + gal' sera égale à la différence de niveau entre les deux points de départ; mais cette quantité croissant avec le temps {’ fait voir que le premier mobile s’écartera de plus en plus du second, animé d’une moindre vitesse. Le mouvement de la veine liquide se transmet à l’eau environnante par la couche extérieure qui perd une partie de sa force vive, et devient une cause de retard pour la couche suivante plus rapprochée de l'axe de la veine, et ainsi de suite jusqu’au centre où la déperdition de force élant la moindre, la vitesse d'écoulement est la plus grande. La gravité écartera donc non-seulement les molécules qui auront alimenté successivement la veine liquide, mais encore les molécules d’une même section horizontale ani- (10) mées de vitesses différentes , et lorsque celle action aura été assez prolongée pour diviser la masse liquide, la force moléculaire interviendra pour donner aux masses isolées la forme sphérique que prennent les gouttes. Remarquons enfin, que légalité observée par Savart dans les intervalles de temps qui séparent les chocs de la veine divisée contre une membrane, quelle que soit la dis- lance qui sépare celte membrane de l'orifice d'écoulement, se déduit des lois de la chute des corps; en eflet, si nous divisons l'intervalle entre deux corps soumis successive- ment à la gravité que représente l'expression : Lx? + ga’, par la vitesse du second mobile pendant qu'il pareourt cet intervalle, nous obtiendrons la valeur du temps cherché. La vitesse du second mobile tombant pendant le temps t' est gl’ et après le temps 4 + æ (qui correspond à l'extré- mité inférieure de l'intervalle qui le sépare du premier mobile), elle devient g (4 + x). à La vitesse passant, de la valeur gt’ à celle de: g {{' +.x) par un aceroissement uniforme, on peut en conclure que la vitesse moyenne du second mobile, pendant qu'il par- court lintervalle qui le sépare du premier à un instant donné, est égale à : g+g(l+e) 3 = +92 + gl. Le temps cherché a donc pour expression La? + qat 392 + gl Cette valeur indépendante du temps de la chute et par (11) conséquent, de la distance parcourue, juslifie ou plutôt explique l'observation de Savart. Je pense donc que la gravité joue un grand rôle dans la configuration de la veine fluide, et j'éprouve un véritable regret de ne pouvoir admettre, sans restriction, les lois proposées par M. Plateau pour expliquer la constitution des veines fluides. Abordons l'examen des modifications que produisent, dans la forme des veines liquides nées dans un milieu tran- quille, les vibrations transmises au vase d'où elles s’écou- leut, soit par le sou, soit par le contact d’un corps vibrant. Après avoir admis que les renflements et gorges des veines liquides sont produits par un, mouvement oscil- latoire, Savart explique d'une manière générale toutes les modifications qu'un corps sonore produit dans la forme de la veine fluide, par l’action qu'exercent les vibrations de l'instrument sur celles de la veine, et trans- forme ainsi un phénomène hydraulique en une question d’acoustique. Tandis que M. Plateau, attribuant la forme des veines liquides à l’action moléculaire, explique l'influence des sons sur celte forme, en admettant que les vibrations trañsmises au vase font naître ou préparent les renile- ments et les gorges que l’action moléculaire doit former. Rappelons d'abord les principaux faits observés par Savart : A l'instant où l’on produit un son de même ton que celui de la veine frappant une membrane terdue, on voit la longueur de la portion limpide de la veine se raccourcir et.se réduire parfois de plus de */3. Le diamètre du jet parait augmenté ainsi que celui des renflements de la partie trouble. (12) Les mêmes phénomènes se produisent avec plus d’inten- sité et jusqu’au point de faire remonter la partie trouble presque jusqu’à l’orifice, lorsque l'instrument produisant le même ton est mis en contact avec le vase qui alimente la veine. Lorsque les vibrations du son produit et du son de la veine coincident périodiquement, on voit la partie limpide de la veine se raccourcir aussi périodiquement. Voici l'explication de ces phénomènes : 1° D’après Savart, les vibrations de même ton que celles qui contractent la veine, augmentent l’amplitude de celles-ci, font croître les renflements, creusent les gorges de la veine, et hâteut ainsi la formation des gouttes qui apparaissent après un moindre parcours; la portion lim- pide se raccourcira donc et la partie trouble se rappro- chera de l'orifice. L'accroissement d'amplitude des pulsations ne change pas le volume d’eau écoulé dans un temps donné, car l'augmentation de volume écoulé pendant la période de moindre action contractante compensera la réduction de volume due à la contraction plus énergique pendant la période contraire. Le volume écoulé restant le même, on conçoit que si les gorges sont plus profondes, les renflements seront plus marqués, et que le diamètre de ces renflements, ainsi augmenté, fera paraître plus grand celui de la veine, et sera en effet plus grand dans la partie trouble. Les vibrations de l'instrument sonore, transmises di- rectement au vase qui alimente la veine, seront naturelle- ment plus énergiques que si elles n’agissent que par lin- termédiaire de l’air ; leur effet sera donc plus grand. Lorsque le son de l'instrument, sans avoir le ton de la (13) veine, est produit par des vibrations qui coïncident pério- diquement avec celles de la veine, les premières agiront périodiquement sur les secondes, et cette action sera mar- quée par un raccourcissement de la portion limpide qui, cessant avec la cause, se reproduira comme elle périodi- quement; ainsi s'explique une variation de longueur pro- duite par un seul son. % D’après la théorie de notre habile physicien, l’unifor- mité de ton dans les sons de l'instrument et de la veine, correspond à des actions simultanées de contraction pro- duites par la force moléculaire et par la vibration du vase; ces deux actions agissant simultanément doivent produire des effets plus marqués, c’est-à-dire des renflements plus gros et des gorges plus profondes que ceux produits par la seule force moléculaire. Dans cette théorie comme dans l’autre, des renflements plus gros des gorges plus profondes , expliquent la forma- tion plus rapide des gouttes, le raccourcissement de la portion limpide, et le rapprochement de la partie trouble de l’orifice d'écoulement. L'on conçoit de même l’accroissement apparent du dia- mètre de la partie limpide et des renflements de la portion trouble. L'action directe et plus énergique doit également pro- duire des effets plus marqués. Le raccourcissement périodique de la portion limpide de la veine s'explique aussi, dans cette théorie, par la coïn- cidence périodique des deux actions moléculaire et vibra- toire. La différence entre les deux hypothèses fondamentales de la configuration des veines fluides dans un milieu tran- quille ne modifie donc pas, d’une manière aussi complète (14) qu'on serait d’abord tenté de le croire, les explications de l'influence des vibrations sur la forme des veines liquides, qui font suite à la théorie de la constitution des veines liquides de notre savant confrère; ces explications ont ainsi le mérite de pouvoir, moyennant de légers change- ments, servir à compléter la théorie que Savart a exposée d’une manière générale et qui, à notre avis, est préférable. M. le professeur Plateau a terminé son mémoire par la description d'expériences fort intéressantes qui montrent l'influence qu’exerce sur une veine liquide lancée oblique- ment un son qui, partant du ton de la veine, s’en éloigne graduellement jusqu’à la double octave grave. L’explication des résultats observés rentre dans le sys- tème dont nous avons essayé de donner une idée et elle ne se prête pas à une analyse. Je w’hésite pas à proposer l’impression, dans les Mé- moires de l'Académie, du travail de M. le professeur Pla- téau, dont le zèle pour l'étude n’est point ralenti par un pénible accident que déplorent tous les amis de la science et particulièrement ses confrères. » M. Quetelet. second commissaire, fait également un rapport favorable et conclut à l'impression du mémoire. Conformément à l'avis de ses deux commissaires, la classe ordonne l'impression de ce travail. — La classe, après avoir entendu M. Schaar , commis- saire pour le travail de M. Liagre, intitulé : Problèmes des crépuscules, ordonne également l'impression de cet écrit. (15) — MM. Schaar, Lamarle et Timmermans présentent leur rapport sur une notice traitant des moulins à vent à ailes réductibles, présenté par M. Louis Ordinaire de la Calange. MM. les commissaires terminent leur rapport, en priant la classe de remercier l’auteur pour sa communication et de la déposer aux archives. Cette proposition est adoptée. PROGRAMME DU CONCOURS DE 1856. PREMIÈRE QUESTION. Donner un aperçu historique et critique des méthodes qui ont été employées pour déterminer la figure de la terre, de- puis les expéditions françaises en Laponie et au Pérou. DEUXIÈME QUESTION. Déterminer, par des recherches nouvelles, la nature des acides organiques anhydres. TROISIÈME QUESTION. On tend, aujourd'hui, à substituer l'enregistrement des observations de météorologie et de physique du globe par des moyens mécaniques, à leur constalition directe par des observateurs ; on demande d'examiner la valeur compara- tive des deux moyens, en ayant égard à leur mérite ‘scien- lifique, ainsi qu'aux soins el aux dépenses qu'ils occasionnent. (16) QUATRIÈME QUESTION. Étudier, au moyen de nouvelles expériences , l'influence que le nerf grand sympathique exerce sur les phénoménes de la nutrition. CINQUIÈME QUESTION. Faire l'étude des infusoires vivant dans une localité quel- conque de la Belgique. SIXIÈME QUESTION. Déterminer , par des expériences nouvelles, la nature de la matière sucrée qui se développe dans le foie des animaux et des substances aux dépens desquelles ce développement a lieu. Le prix de chacune de ces questions sera une médaille d’or de la valeur de six cents francs. Les mémoires devront être écrits lisiblement, en latin, français ou flamand, et ils seront adressés, francs de port, avant le 20 septembre 1856, à M. Quetelet, secrétaire perpétuel. L'Académie exige la plus grande exactitude dans Îles citations; à cet effet, les auteurs auront soin d'indiquer les éditions et les pages des ouvrages cités. On n’admettra que des planches manuscerites. Les auteurs ne mettront point leur nom à leur ouvrage, mais seulement une devise, qu’ils répéteront sur un billet cacheté, renfermant leur nom et leur adresse. Les mé- moires remis après le terme prescrit, ou ceux dont les au- teurs se feront connaître de quelque manière que ce soit, seront exclus du concours. L'Académie croit devoir rappeler aux concurrents que, (44) dès que les mémoires ont été soumis à son jugement, ils sont déposés dans ses archives comme étant devenus sa propriété. Toutelois les intéressés peuvent en faire prendre des copies à leurs frais, en s'adressant à cet effet au Secré- taire perpétuel. CONCOURS EXTRAORDINAIRE Ouvert par PI, le Ministre des travaux publics. Indiquer un système complet de moyens rationnels et pra- tiques de porter l'exploitation des houilléres à mille mètres au moins de profondeur, sans aggraver sensiblement les con- ditions économiques dans lesquelles on opère aujourd'hui en Belgique. Le prix est de 2,000 francs; les autres conditions sont les mêmes que celles du concours ouvert par l’Académie. Dans l'hypothèse où le prix ne serait pas décerné, la classe se réserve de s'entendre avec le Gouvernement pour récompenser, selon son mérite, l’auteur qui résoudrait un des points principaux du problème, notamment celui qui consisterait à trouver, pour la descente et l’ascension des ouvriers mineurs, un moyen présentant toutes les condi- tions désirables au triple point de vue de la sûreté, de l'absence de fatigue et de l'économie. ?S TomE xx111, — [°° parT, (18) CLASSE DES LETTRES. Séance du 7 janvier 1856. M. M.-N.-J. LecLercQ, directeur. M. An. QuereLer, secrétaire perpétuel. Sont présents : MM. le chevalier Marchal, Steur, de Gerlache, de Ram, Roulez, Gachard, Borgnet, Paul De- vaux, Schayes, Snellaert, Carton, Bormans, Polain, Baguet , Ch. Faider, Arendt, membres; M. Nolet de Brau- were Van Steeland, associé; MM. Mathieu et Kervyn de Lettenhove, correpondants. MM. Sauveur, membre de la classe des sciences, et Ed. Fé- is, membre de la classe des beaux-arts, assistent à la séance, CORRESPONDANCE. L'Académie reçoit une expédition de l'arrêté royal du 21 décembre dernier, par lequel M. le baron de Gerlache est nommé président de la Compagnie pour l’année 1856. — M. le Ministre de l’intérieur transmet également diffé- (19) rents mémoires adressés à l’Académie par M. Charles Rafn, directeur de la Société royale des Antiquaires du Nord, et conseiller d'Etat en Danemarck. — M. le président du Sénat remercie pour l'envoi des dernières publications académiques. — M. Pertz, conservateur de la Bibliothèque royale à Berlin, et diverses sociétés savantes adressent des lettres de remerciment à la Compagnie pour des envois analo- gues, faits récemment. — M. le chanoine de Ram, membre de l’Académie, dé- pose l'Annuaire de l’université de Louvain pour 1856. — M. de la Fontaine, ancien gouverneur de Luxem- bourg et associé de la Compagnie, fait connaître le décès de MM. Muller et Wyttenbach, tous deux domiciliés à Trèves et dont les noms n'avaient pas encore été rayés de la liste des associés de la classe. — M. Hermans, directeur de la Société des arts et des sciences du Brabant septentrional, transmet différents renseignements historiques qui seront cominuniqués à la Commission royale d'histoire. — M. Lorrain, professeur d'histoire au collége de Vir- ton , fait hommage à l’Académie d’un ouvrage mauuscrit intitulé : Théodicée. Des remerciments sont adressés à l’au- teur, ainsi qu'à MM. Ad. Mathieu et Thonissen, correspon- dants de la classe, et à M. Théodore Juste, pour l'envoi de leurs derniers ouvrages. (.20 ) ÉLECTIONS. Conformément aux termes des arrêtés royaux du 1° dé- cembre 1845 et du 6 juillet 185%, la classe s'occupe d'arrêter la liste des candidats, parmi lesquels M. le Mi- nistre de l'intérieur aura à choisir les membres des jurys chargés de décerner, cette année, les prix quinquennaux d'histoire et des sciences morales et politiques. La classe procède successivement à ces deux élections. Trois scrutins sont nécessaires pour donner la majorité absolue aux quatorze candidats à présenter pour le jurys du concours d'histoire. Une seule élection suffit à parfaire la liste des candidats pour le jury des sciences morales et politiques. La classe décide que ces deux listes seront immédiate- ment transmises à M. le Ministre. L'élection du directeur pour l’année 1857 a lieu ensuite: M. le chanoine de Ram obtient la majorité des suffrages. M. de Gerlache, directeur pour l’année courante, pro- pose de voter des remerciments au directeur sortant, M. Leclercq; cette proposition est accueillie par les applau- dissements de l’assemblée. (2) COMMUNICATIONS ET LECTURES. Note sur la progression régulière du produit de l'impôt en France; par M. Moke, membre de l’Académie. $ IL. La France est celui des grands États européens où la perception régulière de l'impôt a été le plus ancienne- ment organisée. Depuis quatre siècles, les revenus du tré- sor y ont été assis sur des bases moins inégales que dans les pays voisins, et se sont accrus d’une manière à peu près constante. La régularité de cet accroissement parait se rattacher au développement graduel de la richesse pu- blique : j'ai donc cru qu'il ne serait pas sans intérêt de constater quelle a été, depuis Louis XT, la progression du produit de l'impôt. Pour mesurer ce produit à des époques différentes, il faut tenir compte non pas seulement du poids des mon- naies, mais encore de la valeur relative de l'argent. Ce dernier problème a été résolu aussi exactement que pos- sible par M. Leber, dans son savant Essai sur l’apprécia- tion de la fortune privée au moyen äge. I a prouvé que la valeur relative de l'argent était, au XV"° siècle et jusque vers 1525, six lois plus forte qu'aujourd'hui; que de 1525 à 1550, sa puissance avait diminué de six à quatre; qu’elle était tombée de quatre à trois depuis 1550 jusque vers 1575, et qu'à partir de cette dernière année jusqu’à la fin du siècle dernier, sa valeur avait été double de ce qu’elle est maintenant ({). (1) Cette dernière période de dépréciation semble avoir commencé vers (22) J'admets cette échelle dans son ensemble. Toutefois M. Leber, ayant négligé de déterminer les degrés de tran- sition entre les différentes époques, j'essayerai d'y sup- pléer pour la périoie comprise entre 1575 et 1640. Il est certain que l'argent valait alors davantage que sous Louis XIV et Louis XV, quoiqu'il valût moins que sous Charles IX. Je crois done devoir fixer sa puissance, pen- dant cet intervalle, à deux et demi (4). C'est d'après ces différents rapports que j'exprimerai la valeur actuelle des sommes perçues autrefois par le trésor. $ IE. Le domaine des anciens rois, en comprenant sous ce nom les propriétés de la couronne, les aides et la ga- belle, est évalué par Comines à un million de livres de son époque, faisant 4,910,000 francs, et représentant la valeur actuelle de . . . . . . . .fr. 29,460,000. Charles VIF augmenta considérablement ce revenu en élablissaut la taille des gens d'armes, portée d'abord à 1,200,000 livres (2), puis à 1,800,000 , ce qui répond à 1780; mais il serait inutile de rechercher ici par quels degrés s'est affaiblie alors la valeur de l'argent, cette époque n’offrant plus de terme régulier de comparaison du produit de l'impôt. Le prix moyen du blé dans notre siècle n’a guère excédé que d’un quart son prix antérieur, ce qui semblerait démentir la supposition d’une diminu- tion si rapide de la valeur des métaux précieux. Mais il faut tenir compte de augmentation de la production relative du grain, qui est plus forte aujour- d’hui d'environ 100 litres par tête. Le prix réel du blé a baissé considérable- ment, en raison de son abondance. Mais le salaire des ouvriers agricoles est plus que doublé et le revenu du trésor est devenu triple. . (1) Le mémoire sur l’état des finances en 1644, qui sera cité plus bas, indique le renchérissement général des marchandises vers cette époque, « les » achaps et fournitures pour l’artillerye coustant plus qu'ils ne le faisoient » du temps du feu roy Henry le Grand. » (2) C’étaient des livres de 8 au marc, faisant fr. 6 75 c. (2) 72,960,000 franes. La recette totale dépassait donc 105 millions d'aujourd'hui, ce qui présente déjà une somme imposante. Mais ce n’est pas tout. Les dépenses locales qui se pré- levaient sur les aides et sur les autres revenus ne sont point comprises dans les appréciations de Comines et dans les états de recettes que nous possédons à partir de 1496. Elles sont exprimées par le mot de charges déduites, el forment un élément inconuu du budget des anciens rois. Leur montant réel ne nous est donné que dans la décla- ration du président Jeannin aux états de 1615. Il s'élevait alors au totai énorme de 18 millions de livres, représen- tant 125 millions actuels. Quoique ce soit là un maximum exceptionnel, il n'est pas impossible de distinguer les éléments dont il se com- pose et d’en déduire la proportion approximative des char- ges de cette nature à d’autres époques. En premier lieu se trouvent les dépenses régulières et permanentes, résultant des gages attachés aux oflices de justice et de finance, nécessaires à l'administration du pays et à la levée de l'im- pôt. Viennent ensuite les gages des offices surabondants, créés pour être vendus (1), et les aliénations de droits et de domaines affectées au payement des emprunts. Les gages des offices réguliers semblent n'avoir jamais été plus réduits que sous l'administration de Colbert. [ls s'élevaient,en 1664, à un peu plus de huit millions de livres, représentant 52 millions actuels (2). D'après ce chiffre, on (1) La vénalité des emplois de justice et de finance formait une des res- sources fiscales les plus productives, depuis François I‘. (2) Quoique Colbert eût diminué le nombre des offices, il était encore excessif; mais les gages avaient subi une réduction forcée qui les faisait des- (24) peut en fixer approximativement l'importance pour chaque règne, en suivant le rapport moyen de la progression ascendante ou descendante du revenu général. Les gages surabondants paraissent dater du règne de Louis XII, qui établit la vénalité des oflices, et fit aussi, vers la fin de son règne, les premiers emprunts (1). Il est impossible de déterminer strictement par quels degrés s’accrut ce système de désordre; mais le chiffre de dix-huit millions de livres, qui représentait, en 1615, les charges déduites, remontait aux premières années du règne de Henri IV, comme on le verra plus loin. Déduction faite des charges régulières, il laisse un excédant de 69 millions de francs pour les gages excessifs et les droits engagés. Cette somme, résultat des abus de 82 ans (1515 à 1595), répond au produit d’un million, placé, pendant le même nombre d'années, à l'intérêt composé de 6 p. %o. En supposant donc qu'elle se fût accrue avec la même régularité, supposition incertaine, mais dont il est probable que les inexactitu- des se compensent, nous parviendrons à pouvoir calculer l'augmentation de dépense qu’elle produisit à chaque époque. cendre à 4 ?°/, du prix d'achat (Forbonnais , 1, 528). Il semble donc qu'on puisse considérer comme normale la dépense qu’ils occasionnaient alors. Cette dépense avait été de dix millions de livres, représentant 40,000,000 de francs, sous Mazarin (Isambert, Anciennes lois, vol. XVII, p. 104). Elle était encore bien plus élevée avant 1640, époque où plusieurs millions furent éco- nomisés sur la levée des tailles. A la mort de Colbert, les gages s'étaient accrus de nouveau et se mon- taient à 16,565,000 livres, répondant à 54 millions de francs (Mallet, Comptes rendus, p. 47). C'était près de 70 p. °/, de plus que la somme fixée en 1664, et qui me servira de base pour établir une moyenne. (1) Voir la déclaration du 27 janvier 1515, dans Isambert (vol. 11, p.658). (2) Telles sont les bases des supputations que j'ai adoptées pour combler cette lacune des anciens budgets (1). En suivant cette marche, il faut ajouter 16 millions au budget des recettes de Charles VIT, ce qui le porte De cor RIU, GR Ug: Anse 449,000:060: Louis XF, qui ice l’organisation des finances et de l'administration, porta la taille à 4,700,000 livres (de 11 au marc). Cette augmentation éleva le revenu du trésor à la valeur de. . . . . . . .fr. 184,855,000 (2). Sous Charles VIIF, les états ne consentirent qu'à une taille de 1,200,000 livres; mais la levée réelle fut de deux millions et demi, outre le domaine. Cet état de choses, attesté par Commines, se trouve confirmé par le compte général de l’épargne pour l’année 1497 (5), lequel se monte LATE: à 5,554,000 livres, faisant 105 millions de francs. En y (1) La combinaison de ces deux éléments donne pour les époques princi- pales les résultats suivants : ANNÉES, CHARGES DÉDUITES. MST Ma ie roc. VIDIDONE Q 17,195,000 TRE LAC FOR SRE Ms ere 18,133,000 A NE LT, Er PTE 20,302,000 CNP ES ONE EIRE 27,241,000 RENE RES A Ue 58,239,000 Er SLA A PE LS LUZ DT) CCE UT SL 60,106,000 (2) Produit du domaine . . . . . . . . . 29,460,000 francs. Taille (par extraordinaire) . . . ,. . . . 158,180,000 Payements d’offices, ete . . . . . . . . 17,195,000 (3) Ce compte et ceux des règnes suivants nous ont été conservés par Sully. Quelques erreurs s'y sont glissées, au moins dans les additions; mais on verra que, pour les résultats constatés, ils sont parfaitement d’accord avec les docu- mens les plus certains. Seulement il y manque d’abord le revenu des quatre provinces acquises depuis Charles VIL. (26 ) joignant les provinces dont le compte manque et les de charges déduites, le total est de . .fr. 140,000,000. Louis XII modéra d’abord la taille et quelques autres impôts; mais eugagé eusuite dans des guerres malheu- reuses, il fut contraint, en 1515, de porter les aides et l'octroi (1) à 5,500,000 livres (de 12 au mare), et la recette totale de cette année monta probablement à 9,600,000 lv. répondant à la valeur actuelle de . fr. 259,200,000 (2). A côté de ce chiffre tout exceptionnel, nous devons placer le produit pe erg in connu, de l'année 4515, qui futedests ul.oilaut 2 ; . . .fr. 189,000,000. Cette somme peut être Ma comme revenu moyen du trésor dans le cours de ce règne, Le long règne de François I‘ offrit de nombreuses varialions dans l’état des finances. Au commencement, le (1) Histoire du Languedoc, t. V, p. 104. L'année suivante, l'octroi fut de 2,400,000. (2) C’est un maximum composé comme suit : Octroi ete Eee + + + + + + 3,500,000 livres. Taille avec crue CHE Monteil) SU eee IN ONE Dons ERANMER El EU ON SLR EE ATÉRATIONS BORN VE M LNOE DE E EMEIME EC MAD UD Ghargestdéduites + =. 4", 144% » «+. 7 68200)000 On avait, en outre, 500,000 livres du revenu de la Bretagne, autant des provinces acquises par Louis XI et dont le produit n’était pas encore compris dans les comptes généraux, un décime de 300,000 livres obtenu du clergé, le produit des ventes d’offices et d’autres accessoires que j'ai négligés. En 1515, le compte de l'épargne s’éleva encore à 4,650,000 livres. En y joignant les charges, l'octroi et le produit des provinces omises, on arrive au delà de 7 millions, qui en représentent 189, comme je l'ai dit. En 1514, le revenu fut, suivant M. Bresson, de 7,650,009 livres, ce qui répondrait à 206,550,000 francs. J’ignore où ce chiffre est puisé, mais il s'accorde avec les précédents. (21) monarque jouissait de revenus plus que suflisants, qui sont portés, par quelques écrivains, à 9 millions de livres. Ce chiffre semble d’abord exagéré en comparaison des recettes de Louis XII; mais nous possédons une donnée certaine qui paraît le confirmer, c’est le produit du subside annuel de la Bretagne, province assez pauvre et privilégiée, qui ue payait encore sous Louis XVI qu’un trentième du revenu du royaume, quoiqu’elle renfermât le ouzième de la popu- lation. En prenant la moyenne entre ces deux rapports, ou peut évaluer son revenu naturel à un vinglième de celui de la France (1). Or, elle payait 450,000 hvres, qui, multipliées par vingt, donnent exactement 9 mil- lions. Mais, après 1525 ou un peu plus lard, la valeur de l'ar- gent baissa de 6 à 4, et ces neuf millions n'en représen- tèrent plus que six. Le trésor, déjà épuisé par les premières guerres contre Charles-Quint, paraît avoir été réduit à un état habituel de gêne dont on ne sortait que par des moyens irréguliers, multiplication des oflices, création de rentes, décimes du clergé, aliénation du domaine. Le compte général de 1547, année de paix, porte la recelte ordinaire à 7,819,000 livres (sans la Bretagne eu quel- ques autres provinces), et le produit des emprunts est à 6,818,000. Pour avoir une moyeune entre ces différents revenus, il (1) Si l'on conservait l’ancien rapport d'un trentième, il conduirait au revenu total de 15 millions et demi, évidemment excessif comme produit ordinaire, Mais dans le revenu de 1515 déjà cité, la Bretagne fournit le ving- tième de la somme totale, et son subside répond à peu près au dix-neuvième de la recette de l'épargne en 1547, quand on tient compte des provinces dont le produit n'y est pas porté. (28) faut d'abord prendre l’époque où les neuf millions ordi- naires, faisant 56 millions de francs, avaient une valeur sextuple, soit 216,00),000. Vient ensuite l’époque où ils n’en valent plus que 144, et où les recettes extraordinaires fournissent jusqu’à 6,818,000 livres, répondant à 109,088,000. Il faudra encore ajouter les payements d’oflices et autres prélèvements directs, qui paraissent représenter 28 mil- lions. La moyenne dépasse . . . . .fr. 262,000,000. Pour le règne de Henri IF, nous n'avons d’autre docu- ment que le compte général de 1559. On sait que ce prince faible et prodigue avait employé tous les moyens pour faire de l'argent et surchargé les provinces de nou- veaux offices. Il inventa un supplément de taille, appelé laillon , à l’aide duquel la recette ordinaire atteignit, dans l'année que nous connaissons, un total de 14,520,000 liv. faisant 52,272,000 francs et valant le triple (car le rap- port de l’argent avait baissé de 4 à 5). Quant aux charges déduites, elles avaient dû grossir en proportion du nombre des emplois, et montaient probablement à 58 millions. Les provinces dont le revenu n’entrait pas encore dans le compte général fournissaient aussi la valeur de 25 millions. Nous avons ainsi un total de . .fr. 220,000,000 (1). Nous retrouvons à peu près le même état de choses sous Charles IX. La déclaration du revenu, faite aux états d'Or- léans, en 1561, le porte à 12,260,000 livres. Le compte gé- néral de la recette, en 1574, monte à 15,586,000 livres (2). (1) C'était un revenu insuffisant pour un roi dépensier : aussi laissa-L-il de grandes dettes. (2) D’apres le taux des monnaies de l’époque, ce chiffre équivaut à environ (29) En ajoutant à cette dernière somme les payements d'of- fices, etc., le total probable est de. . fr. 258,000,000. Le règne de Henri HIT fut une époque de désordre, et nous n'avons qu'une indication imparfaite de son revenu; mais on peut y suppléer en partie par l'évaluation des revenus du royaume, telle que l’'adoptèrent , en 1597, les notables assemblés à Rouen. Ils estimèrent la totalité du produit à trente millions de livres (de 20 ‘/4 au marc), et Sully, qui prit bientôt après la direction des finances, admet qu'ils ne s'étaient beaucoup trompés que sur la valeur relative des différents impôts. Sous Henri IV, une administration sage et vigoureuse enrichit le trésor en soulageant le peuple. Sully, qu'il est de mode aujourd'hui de traiter moins bien qu'il ne le mérite, dégagea peu les revenus engagés; mais il diminua la taille de 5 millions. Elle avait fourni les deux tiers de l'ancienne recette, ou 20 millions qu’il réduisilen moyenne à 45. Il fit rentrer à l'épargne, d’après les documents les plus croyables, 20 millions de livres, et ce caleul est entiè- rement confirmé par les déclarations faites en 1615 aux états généraux. Le président Jeannin portait alors la re- cette à 55,900,000 livres, dont il ne rentrait au trésor que 17,800,000, le reste servant au payement direct des offices (1), mais il avouait que le revenu avait diminué de 152 millions de francs. Mais le revenu de la Bretagne, de la Bourgogne ct de la Provence paraissent omis dans ce comple comme dans les précédents, Ils devaient monter, d'après la proportion établie plus tard, à 12 p. °/, de la recette générale, soit un peu moins de 250 millions sous Henri 11, et un peu plus sous Charles IX. C'est le chiffre que j'ai admis. (1) Sismondi, partie VIH, chap. 12. Pour le détail des chiffres, j'ai suivi Schmidt, IV, 419. Les différences sont légères. (30) 2 millions (1). C'était donc à peu près 20 millions de livres qui formaient naguère la recette de l'épargne. Quant aux charges déduites, la même déclaration prouve qu'elles s'élevaient alors à 18,100,000 livres. Elles com- prenaient une partie des tailles et du domaine; mais je n'ai point trouvé de détail sur leur composition. Le revenu sous Henri [IV montait donc à 38 millions de livres d'environ fr. 2 66 t. C’est un total de 101,500,000 francs, répondant aujourd’hui à . . fr. 255,750,000. Sous Louis XITF, le désordre commençait à se remettre dans les finances, quand Richelieu prit en main les rênes de l'État. Outre les 18 millions qui se payaient directe- ment dans les provinces, il n’en trouva que 16 qui fus- sent libres; mais il racheta 20 millions du domaine qui étaient engagés, et il éleva de 2 millions le produit de la gabelle (2). Son budget à cette époque se compose donc (1) L'exactitude de cette déclaration est prouvée par les comptes de l'épargne donnés par Mallet et par Forbonnais. La recette approchait sous Henri IV de 20 millions, et laissait sur les dépenses un excédant de 4 à 5 millions. Au total les économies réalisées de 1599 à 1610 furent de 45,465,000 livres, dépassant peu le trésor de 45 millions amassé par Sully. Henri IV ne put donc pas racheter les revenus engages, et les calculs de Forbonnais à ce sujet sont faux. Les charges à déduire restèrent ce qu’elles étaient À l’avénement du roi. Je pense même que c'était par des aliénations qu'il s’était procuré les sommes qu’il distribua aux chefs de la Ligue et dont il n’y a point de traces dans le relevé de ses dépenses, non plus que des 7 millions dont il s’acquitta envers Élisabeth. (L'argent payé aux Suisses est porté en compte). Il aurait donc aggravé lui-même les charges créées par ses prédécesseurs; mais c'est là une question que nous n'avons pas besoin d’ap- profondir, la somme aliénée remontant à peu près à la même époque dans toutes les hypothèses. Il faut remarquer qu'au moment où parlait Jeannin, les impôts étaient encore les mêmes que sous Sully. (2) Tout ceci résulte des déclarations faites en 1626-27 aux notables. (51) de 38,000,000 de livres, comme celui de Sully. Mais il créa 41 millions de rentes en échange des revenus qu'il avait dégagés (1), ce qui porta les charges régulières du pays à 49 millions de livres, représentant. 286,000,000. Jusqu'ici les oscillations du revenu ne nous ont offert que des différences médiocres, parce que nous n’avons pas encore rencontré les époques des grandes guerres. Mais quand Richelieu se fut engagé dans sa lutte gigantesque contre la maison d'Autriche tout équilibre fat détruit. Un Mémoire sur l'estat des finances (2), qui nous donne à ce sujet des détails authentiques, fait monter la moyenne des recettes, depuis 1641 jusqu'à 1644, à 113 millions de livres ou environ 257 millions de francs, qui répondent à 474 millions, et, avec les charges déduites, à 514. Mazarin continua audacieusement ces efforts démesu- rés, sans négliger de s'enrichir lui-même et d'acheter l'appui d'une partie de la cour. Il leva, en 1661, 20 mil- lions de livres, qui portèrent son budget total à la valeur de. DA 4 1 PIOS NET 55 EST fr. 580;000,000:(5). Ces receltes factices, produits d'impôts violents et d'em- prunts onéreux, ne pouvaient se continuer. La paix des Pyrénées mit enfin un terme aux dépenses extraordinaires, et après la mort de Mazarin, le revenu tomba, sous Fou- quet, à 84,000,000 millions de livres. Tel fut aussi à peu (1) Forbonnais, 1, 222. (2) Il est inséré dans le G6v* volume de la seconde série des Archives curieuses de l’histoire de France. (3) Voir l'Estat de la France en 1648 et 1649, pièce imprimée dans le même volume. Toutefois, les impôts ne produisaient alors que 79 millions de livres, ou la valeur de 339,500,000 francs. (Voir Isambert, vol. XVII, p. 102.) Le testament politique de Richelieu contient la même évaluation pour ses dernières années. (32) près le résultat des premières années de l’administration de Colbert. Sous ce sage ministre, qui avait modéré les impôts les plus onéreux, le produit total s’éleva, en 1667, à 95,572,000 livres, représentant aujourd'hui 363,174,000 francs (1). C’est ce budget que je considère comme le plus conforme aux ressources du pays et à la mesure moyenne de l’im- pôt (2). $ IE. Arrêtons-nous ici pour comparer les différents ter- mes auxquels avait été porté jusqu'alors le revenu de l'État. De 1667 à 1481, époque où le gouvernement de Louis XI était dans toute sa force, nous avons un intervalle de 186 ans; il peut se diviser en trois périodes de 62 années chacune, qui nous donneront des termes de comparaison à peu près égaux. Dans la première, nous avons les trois règnes de Louis XI, de Charles VIIT et de Louis XIT, qui offrent pour moyenne un revenu répondant à . fr. 174,000,000. Dans la seconde, les règnes de François [‘, de Henri II et de Charles IX, dont la moyenne est de fr. 259,000,000. Dans la troisième, le règne de Henri IV, le budget de Richelieu sans les emprunts de guerre et celui de Col- bert (3), qui, balancés l’un par l’autre, donnent pour résnlatsus 104 ll eoret ah en aelton CT 918, 00,000. (1) La livre avait alors une valeur légale de fr. 1 94 cs. Mais quelques mon- naies valaient en réalité un peu moins. J'ai pris le minimum de fr. 1 90 es. À partir de cette époque les charges déduites sont comprises dans le revenu brut. II dépassait la recette du trésor de 34 millions sous Colbert. (2) Cette moyenne était, du reste, trop pesante pour l'intérêt bien entendu de la nation, car elle laissait à peine la fortune publique s’accroître aussi vite que la population. (5) On comprend que les budgets forcés de 1643 et de 1648 n’admettent Dm ÈS . (55 ) Ces chiffres sont entre eux assez approximativement comme 9, 12 et 16, progression régulière où chaque terme dépasse d'un tiers le précédent (1). Il suit de là que les trois périodes comprises entre les années 1481, 1545, 1606 et 1667, sont entre elles comme les intervalles réguliers des quatre termes proportion- nels : 64, 80, 100, 125, chacune acquérant sur la précé- dente un excédant d’un quart. La régularité de cette progression suppose un état de choses à peu près constant, d'après lequel on peut dresser le tableau du revenu quasi normal de chaque époque. J'ai donné pour base numérique à ce tableau, comme offraut une mesure moyenne et fixe, le produit de francs 565,174,000 obtenu par Colbert en 1667 (2). Toutefois, la comparaison de ce revenu proportionnel point de comparaison régulière; je les laisse donc en dehors des éléments de la moyenne commune, et je ne les porte au tableau général que comme l'expression d’un état de choses violent. (1) Le rapport serait exact si la première période ne donnait pas un pro- duit trop faible; mais cet écart tient à la modicité exceptionnelle du budget de Charles VIII, auquel on ne peut comparer que celui du cardinal Fleury, sous le règne de Louis XV. (2) Ce n’est pas comme un fait isolé que doit être regardée la proportion régulière dans laquelle s’est accru l'impôt. Cette régularité, ne pouvant être due au hasard , ne saurait avoir pour cause que la progression naturelle de la fortune publique, dont l'accroissement graduel est, jusqu'à un certain point un effet du temps. Or, nous n'avons pas de mesure fixe du développe- ment qu'a suivi la richesse générale, mais nous pouvons en trouver une expression dans le mouvement du revenu de l'État, s’il est prouvé que, mal- gré des oscillations passagères, il progresse d’après une proportion constante, au moins depuis 1481 jusqu'en 1791. Que celte progression soit devenue beaucoup plus rapide depuis la fin du siècle dernier, c’est ce que montrent les recherches des statisticiens. Moreau de Jonnès a constaté que le salaire des populations agricoles était insuffisant ToME xxu1, — T° PART. 5 (34) avec le revenu réel indiqué par l’histoire demande quel- ques observations. Le territoire de la France était un peu plus étendu sous Colbert qu'avant 1659, car la paix des Pyrénées y avait ajouté âne partie de l'Artois, le Roussillon et une lisière de pays enlevée au Luxembourg et au Hainaut. En tenant compte de cet accroissement pour un centième, le chiffre normal du revenu des époques antérieures doit être di- minué d'autant, Ainsi le budget proportionnel de 1605, qui aurait élé de 290,510,000 francs, devra être de 287,654,000. En réalité, le produit fut inférieur de 12 p. °o, grâce à l'éco- nomie de Sully. De 1605 à 1543, la diminution régulière (car nous procédons en sens inverse) serait de 287,654,000 à pour leur nourriture jusqu’à la fin du règne de Louis XVI; qu'en 1815, il laissait un excédant de plus du quart destiné à d'autres besoins, et qu’en 1840, cet excédant était de la moitié. Aussi le produit de l'impôt a-t-il doublé depuis soixante ans, ce qui marque un progrès trois fois plus rapide que dans les siècles antérieurs. (Voir le tableau général.) Ce progrès a augmenté la richesse relative, qui ne paraît pas s'être accrue dans les deux siècles précédents. En effet, le revenu grossissant d’un quart en 62 ans, se développait moins vite que la population, qui s'accroît aujour- d’hui d’un quart dans un demi-siècle et qu’on fait monter de 20 millions à 98 entre les années 1700 et 1800, en sc fondant sur des évaluations faites sous Louis XIV et sous Louis XVI. Ce qui est probable, c’est qu'antérieurement à la révolution française, la fortune publique et la population ont marché à peu près dans une proportion égale, augmentant toutes deux d’un quart en 62 ans, et que le nombre réel des habitants, au commencement du siècle dernier, était de 20,200,000, tandis que la richesse relative restait invariable. Il suivrait de là que l’augmentation de richesse des villes, depuis le com- mencement du XVII" siècle jusqu'au XIXM, aurait été balancée par l'ap- pauvrissement des campagnes , résultat déplorable, mais que je crois réel. PE (35 ) 250,107,000 francs. Iei le revenu réel excède de beaucoup notre proportion, puisque le budget de François L* s'élève à 262 millions. Mais on a vu que, pour arriver à ce résul- tat, le trésor avait emprunté en 1547, une somme à peu près égale à la recette ordinaire. Il n’est donc pas surpre- nant que le rapport normal se trouve considérablement dépassé. En 1481, le chiffre régulier du budget serait 184,855,000, si l'étendue du pays se trouvait la même; mais la Bretagne formait encore un État séparé, ce qui diminue le total d’un vingtième. Reste 178,527,000, résultat inférieur au pro- duit réel. L’excédant (16 p. %) est l'expression de l'excès des exigences du fisc sous Louis XE. La compensation qui s'établit entre les revenus trop faibles et ceux qui dépassent la moyenne (abstraction faite des budgets de guerre), donne une mesure assez exacte des oscillations causées par l’action différente de chaque gou- vernement, oscillations qui n’atteignent qu'une seule fois à un quart et deux fois au huitième. $ IV. Une série d'oscillations plus fortes s'ouvre à l'époque de Louis XIV, où la France s'engage dans des guerres de conquête. Elle soutint assez bien la première, qui dura sept ans (1672-78) et qui n’augmenta les charges publiques que d’en- viron 175 millions de livres, répondant à fr. 630,000,000. La seconde, plus onéreuse, absorba, outre les revenus réguliers, 700 millions de livres, représentant . . . . fr. 2,240,000,000. La troisième (1701 à 1714), après des sacrifices incal- culables, laissa un nouveau reliquat de dettes de deux milliards sept cents millions de livres, répondant à sept milliards et demi de francs. (56) La ruine de la nation marcha de pair avec celle du trésor, Dès 1680, quand la gloire de Louis XIV était dans tout son éclat, Colbert lui prédisait l'épuisement prochain des ressources. En 1689, à la seconde année de la guerre, le roi fut contraint de faire fondre pour 5 millions d’ou- vrages d'orfévrerie. Vers 1692, Boisguillebert estimait à 500 millions de livres par an la diminution de la richesse publique, calcul exagéré, sans doute, mais qui n’en atteste pas moins la souffrance générale. Six ans plus tard, Vauban affirme qu'un dixième de la population est réduit à la men- dicité, et que cinq autres dixièmes ont à peine le strict nécessaire. En 1716, madame de Maintenon écrivait qu’il yavait, dans le Bourbonnais, 1700 domaines ou métairies abandonnés, parce que les receveurs des tailles ayant saisi les bestiaux, on n'avait pu ni labourer, ni fumer, ni ense- mencer. Or, le Bourbonnais ne formait que la centième partie de la France. On voit combien la crise fut violente, et nous en aurons la mesure dans le budget des années de guerre de LouisXIV; mais celui des années de paix n'indique pas immédiate- ment la gravité des souffrances publiques. ‘ La recette de 1685, produit d'impôts déjà un peu forcés, s'éleva à 109,887,000 livres, faisant 199 millions de francs, et répondant à . . . situe ‘tels 0 08:000,000! Mais, en réalité, ce “tite ne dépasse pas le précédent, puisque la France s’était accrue de deux provinces qui ajoutaient à peu près un quinzième à sa richesse (1). Le revenu fut grossi notablement dans les dix dernières (1) C'étaient la Flandre française et la Franche-Comté. Elles ne payèrent qu'un vingtième du revenu; mais ce fut par suite des exemptions qui leur avaient été accordées. CCE (37) années du XVIT"® siècle, La moyenne atteignit 140 mil- lions de livres (1), faisant 217 millions de francs, et repré- Béniant. CU, 5 . . . 454,000,000. Ce chiffre, nériéns à Na moyenne de 44 ‘2 p. Vo, sur- passe un peu le résultat obtenu par François I‘, et il nous offre l’excédant le plus considérable (jusque-là du moins) sur le revenu proportionnel. Cependant il ne représente point à beaucoup près le montant des dépenses, puisque l'on contracta pour 700 millions de dettes en neuf ans (2). Le budget de guerre de ces années funestes offre une dépense moyenne de 485 millions de livres, répondant à 575,500,000 francs. Les ressources factices qu'il fallut employer pour soute- ir les armées, pendant la guerre de la Succession, ne permettant pas de calculer le chiffre réel des sommes dépensées à cette époque. Mais, dans une lettre justifica- live du contrôleur Desmarets au régent, la moyenne en est fixée, pour les années 1708-1715, à 219 millions de livres, résultat qui outrepasse encore le précédent (5), et qui porte le budget de l’époque au total de 657,000,000 de francs. (1) Les recherches de M. Monteil ont confirmé l'exactitude de ce chiffre donné par Forbonnais. (2) Ce fut la somme dont le trésor resta onéré; mais les négociations d'ar- gent lui causaient une perte que j'évalue à 50 p. ‘/,. Aussi ce budget a-t-il quelque chose d’artificiel comme ceux de 1645 et de 1649. (5) La somme est inférieure (la livre ne valant plus qu'un franc et demi); mais le compte n'exprime que les dépenses réelles. Le revenu moyen était d'à peu près 125 millions de livres, dont 75 libres. D'après ces bases (quoi- que partielles), on peut évaluer approximativement le déficit, causé par les treize années de guerre, à 1,872 millions de livres. La dette contractée étant de #00 millions plus forte, on voit que la charge du trésor montait à environ 720 millions par an , et c’est ce chiffre qui doit servir de point de comparaison. 4 (58 ) Mais, après 22 années de pareils efforts, la France resta épuisée. Il est vrai que le gouvernement, accablé par l’énormité des dettes, arrache encore au pays, en 1715 et 1716, des recettes de 480 et de 446 millions de franes (1). Mais, après la régence, nous voyons le revenu de l'État continuer à descendre, Il était, en 1725-26, de 461 mil- lions de livres, faisant 200 millions de francs et répon- dankiibi. osnatnls 2 lactaou dd pou tome nie C'était à peine, eu égard à l'agrandissement du pays, le même revenu que soixante ans auparavant. A partir de 1729, le cardinal Fleury abaissa, enfin, le budget à l'extrême limite de 178 millions de livres (de 51 au marc}, représentant la valeur actuelle de . . . . . 576 millions de francs (5). C'était 27 p. Jo de moins que le revenu proportionnel! On voit que le règne de Louis XIV avait fait reculer de deux générations la richesse de la France, $ V. Mais, au moment où le mal se découvre ainsi à pos yeux dans toute son étendue, il tendait déjà à se répa- rer. Les populations agricoles, qui avaient le plus souffert sous le grand roi, respirèrent pendant de longues années de paix et furent ménagées par Fleury. La propriété ter- ritoriale redevint productive et la France florissante. Abu- sant de cette propriété, Louis XV se laissa entrainer à une guerre injuste coutre Marie-Thérèse, guerre qui le mit (1) La première ne rentra point. La seconde fut réalisée avec difficulté. (2) Ce chiffre est emprunté à un état des recettes dressé par les frères Paris pour l’année 1726, et qui se trouve dans le 4° volume des mémoires du ma: réchal de Richelieu. (3) I obtint une augmentation de 25 millions sur la ferme générale, et diminua de 10 millions la taille. (59) aux prises avec l'Angleterre et la Hollande. Les dettes s’accrurent de 1,200 millions en six années (1642 à 16438), quoique les impôts eussent été augmentés. La dépense annuelle monta donc au moins à 400 millions de livres, répondant à . . . . . . . . 8064,000,000 Aussi voyons-nous, en 1750, les recettes portées, après la paix, à 259 millions de livres, représentant . . . . 549,000,000 de francs (1). Le contraste entre ce budget et le précédent est énorme, la recette ayant monté de 45 p. °/o dans un intervalle de 21 années. Mais le gouvernement se trouvait encore obéré et cherchait, dès lors, à faire porter une plus grande partie de l'impôt sur les classes privilégiées. Une seconde guerre contre l'Angleterre et la Prusse (1755-62) acheva de ruiner les finances. En 1759, le revenu , quoique monté à 312 millions de livres, laissait un déficit de 217. Les dépenses de l’État se trouvaient donc portées à 571 millions de francs, représentant . . . . . 1,142,000,000 (2). Au retour de la paix, on se trouva en face du déficit, et l’on employa vainement pour le combler tous les moyens indirects. Cependant, les besoins augmentèrent encore, el, en 1774, le fameux abbé Terray grossit le revenu, per fas et nefas, jusqu'à 575,000,000 de livres, répondant aujourd’hui à . . . . . . . .fr. 780,000,000. Il est vrai que ce chiffre, basé sur les déclarations peu fidèles de Terray lui-même, ne mérite pas une grande con- (1) Des états des recettes et des dépenses pour cette année et les trois précédentes, rédigés en italien, se trouvent à la suite de l'Æistoire de Venise de M. Daru, t. VII. (2) Je prends ces chiffres dans l'Æistoire de France de M. Schmidt (en allemand), vol. IV, p. 856. ( 40 ) fiance. Mais il ne dépasse nullement la réalité, car nous rencontrons, quelques années plus tard, le compte rendu de Necker, ouvrage exact où les revenus de la France, en 1781, sont portés à 450 millions de livres, dont 264 étaient libres, et le reste engagé pour payement de rentes (1). Cette somme, qui nous donne la vraie mesure de l’accroissement de l’impôt, répond à. . . . . . . 924,000,000. Loin de grossir la recette, comme on l’a quelquefois supposé, le compte reudu reste fort au-dessous des évalua- tions que publia le même administrateur en 1785, et dont le total s'élevait à 550 millions de livres, qui représente- raient aujourd'hui . . . . . . . 1,180,000,000. Ce résultat excessif indique un système de pression fis- cale jusque-là sans exemple. Les impôts avaient reçu un degré d’accroissement que ne permettaient pas encore les ressources du pays. Pour en découvrir l’exagéralion, il suflit de rapprocher le produit de l'impôt foncier à cette époque et celui de nos jours. Necker estime à 190 millions de livres la somme des charges qui pesaient sur les biens- fonds et qui ferait 410 millions actuels (2). Or, nos con- tributions foncières (avec l'impôt des portes et fenêtres) atteignent à peu près 500 millions. La surtaxe était donc d'un quart. Mais elle s'élève à la moitié, si l’on tient compte de l'accroissement de la production agricole, qui s'est augmentée de 50 p. % (5). Il est donc probable que (1) L'impôt des colonies, montant à 6,800,000 livres, n’est pas compris dans le relevé de Necker; mais l'acquisition de la Lorraine et de la Corse avait augmenté les recettes d'un trentième, depuis les dernières années du règne de Louis XV. (II faut en tenir compte dans le calcul du revenu proportionnel. ) (2) H dit 585 ; mais j'ai retranché du total le montant des corvées et quel- ques frais de poursuite. (5) La population s’est accrue de deux cinquiémes et Ja production rela- n SR 2 (4) les autres parties du revenu, dont la comparaison serait diMicile, ou même impossible à établir, étaient exagé- rées dans la même proportion, c’est-à-dire deux fois plus fortes que maintenant; d'où il résulterait que, ramenés au niveau des taxes actuelles, les impôts de 1785 n'’au- raient donné que 295 millions de francs, équivalant aujourd'hui à 590. Or, dans cette supposition, le budget régulier aurait répondu, dans son ensemble, à la pro- gression que nous avons observée pendant les siècles anté- rieurs : car le revenu proportionnel pour 1785 est de 616 millions (1). Ce qui est certain, c’est que tous les efforts de l’admi- nistration et de de Necker lui-même ne purent porter la re- celte, pendant les dernières années de la monarchie (1786, 87,88 et 89), qu'à environ 474 millions de francs, répon- dant à 948,000,000 , et faisant les quatre cinquièmes seu- lement de l'évaluation précédente. C'était encore beaucoup trop pour former une charge tive en grains de deux septièmes. L'augmentation totale est donc de 80 p.°/;; mais la valeur réelle des produits agricoles a sensiblement baissé, puisque leur prix n’est pas devenu double, quoique l'argent ait perdu la moitié de sa puissance, Je suis donc plutôt au-dessus qu’au-dessous de la réalité en éva- luant à la moitié l’accroissement de la richesse foncière, accroissement que M. Moreau de Jonnès a parfaitement indiqué, mais incomplétement apprécié. (1) La richesse des habitants n’avait pas augmenté depuis le siècle précé- dent, car, en 1769, le salaire de l’ouvrier agricole était plus faible de 2 centi- mes qu'en 1700. Il augmenta de 10 centimes dans les dix années suivantes, mais la valeur de l’argent commençait à baisser. La consommation du sel dans les provinces de grande gabelle avait monté de 10,250 muids en 1652, à 15,800 muids en 1780; mais la population s'était accrue dans un rapport aussi considérable (suivant moi, de 16 à 27 millions). I n’y a donc pas lieu de croire que la richesse relative eût dépassé son ancienne proportion : elle res- tait stationnaire , comme je lai déjà dit, (42) durable. L'excédant répondait à peu près à celui des années militantes de Richelieu ; mais le terme du déficit ne devait jamais arriver. En 1790, les assignats furent la dernière ressource du trésor dont Les engagements étaient au-dessus des forces du pays. $ V. Le tableau où j'ai rassemblé et comparé le produit de l’impôt sous les différents règnes, permet au lecteur d'embrasser d'un coup d'œil les principales variations du revenu, depuis Louis XI jusqu’à Louis XVI. On y voit que les résultats obtenus sont alternativement inférieurs et supérieurs à une moyenne constante, qui n’est dépassée définitivement qu'après 1740, époque où commence le grand déficit qui fit éclater la révoluuon. Les faits semblent donc attester que, pendant les trois derniers siècles de l’ancienne monarchie, la proportion régulière du revenu, quoique sujette à des oscillations, resta au fond la même, s'accroissant toujours d'un quart en 62 ans et reprenant son niveau après ses plus grandes dépressions, si ce n’est à la fin du siècle dernier. Que la progression des recettes soit encore demeurée la même depuis la révolution, c'est ce que l’énormité des bud- gets modernes ne permet pas de supposer un seul instant. Je crois pourtant que l’accroissement actuel n'est pas moins régulier, et que son accélération, qui est triple, lient aux mêmes causes que tout ce grand développement vital dont un des signes est l'augmentation plus rapide de la population (1). Mais l'étude de ce problème exigerait (1) J'indiquerai seulement ici quelques résultats généraux. La richesse agricole de la France ayant augmenté exceptionnellement depuis 1790, et la richesse industrielle ayant pris un développement encore plus considérable, la marche de l'accroissement de l'impôt doit aussi s’être accélérée, Si celle de >. … (45) une suite de recherches et de travaux que je dois laisser à. de plus capables que moi. Il me sufit d’avoir coordonné quelques indications historiques dont pourront faire usage ceux qui s'occupent consciencieusement d'analyser les phénomènes réguliers de la vie sociale. accélération est triple, comme le marquent les résultats actuels, nous aurons en 62 ans trois termes franchis au lieu d’un, et ils offriront les produits sui- vants : — 1° 795,480,000; — 9° 984,350,000; — 3° 1,250,000,000. Or, les années antérieures à 1802 n'ayant donné que des receltes insufi- santes, c'est dans la seconde moitié de la période qui se termine en 1855 que nous devrons voir réalisée la progression du revenu. Il serait d’ailleurs impos- sible de comparer la France de 1811 et de 1812 à l’ancienne monarchie. Mais en 1852 (année qui répond au second terme de la période). les ressources ordinaires avaient atteint exactement le chiffre de 984 millions, qui forme le revenu proportionnel pour cette époque, d’après le calcul marqué plus haut. La clôture de l'exercice de 1853 n'est pas encore arrêtée, que je sache; mais les résultats des années précédentes indiquent pour produit probable {sans les recettes extraordinaires où purement nominales) un maximum de 1,250 millions, sensiblement voisin du chiffre de 1,250 que donne la progres- sion régulière. Il est donc arrivé celte fois encore que la stagnation passagère du revenu, après la crise violente de la révolution, ne l'a pas empêché de reprendre plus tard son niveau à peu près exact. En supposant qu’un nouvel effort entrainât le pays aux mêmes sacrifices que sous Louis XIV, il semble que le revenu permanent ne pourrait étre élevé dès aujourd'hui à 1,500 millions, sans excéder les proportions an- ciennes; mais qu'il atteindra naturellement ce chiffre vers l'année 1872. SOUVERAINS. Louis XI... Charles VIIL Louis XII . Francois Ier. Henri II. . Charles IX . Henri IV. . Louis XIII . Louis XIV . Louis XV Louis XVI . Révolution . Napoléon IL . . A. | | | (44) ANNÉES. 1381 1496 1515 1515 1574 1605 1627 1645 1e 1648 1667 1633 1695 1710 1716 1726 1726 1745 1750 1788 1791 1853 REVENU proportionnel. 17,881,000 183,600,000 201 ,200,000 202,800,000 230,107,000 243,900,000 259,700,000 287,634,000 310,644,000 529,280,000 355,580,000 363,174,000 410,517,000 452,491 ,000 455,400,000 468,000,000 487,180,000 494,555,000 524,800,000 532,000,000 551,600,000 398,800,000 626,584,000 636,384,000 1,230,440,000 a — 184,835,000 140,000,000 189,000,000 262,000,000 220,000,000 258,000,000 233,250,000 363,174,000 398,000,000 446,000,000 425,800,000 576,000,000 549,000,000 n'a lite A TRUE 780,000,000 948,000,000 Assignats. 1,500,000,000 ? BUDGETS. de < GUERRE. » » 259, 120,00 » \ 514,000,00 » 580,000,00 » 575,500,00 657,000,01 » » » 864,000,0€ » 1,142,660,0 sr. : … F (43) lb de l'impôt en France. Observations. en p en moins. ï- F . 0/0 v Domination rigoureuse et impôt déjà excessif. : » 24 p. o | Gouvernement faible. (La Bretagne encore séparée de la France.) - 29 p. 00 ” Année de guerre; impôt exceplionnel sous un roi économe. t » 6 4/2 p. 0 | Retour aux habitudes modérées du gouvernement populaire de Louis XII. | 44 p. % » Moyenne du revenu pendant ee règne dispendieux. Emprunts et L aliénations. LEO 10 p. % | Administration inintelligente et recette difficile ; le pays était (1 appauvri. » 9 1/2p.0%0 | Gouvernement faible ; discordes civiles. 12 p. 00 | Direction sage et ménagère de Sully. e » 11142 p.0/0 | Domination naissante de Richelieu. P 7 p. Vo » Guerre contre la maison d'Autriche : marchés d'argent onéreux. Lo 45 p°%o | Produit de l'impôt sans les ressources artificielles. F D. Co » Continuation de la guerre et dilapidations de Mazarin. 4 1 Administration modèle de Colbert avant les grandes guerres de Louis XIV, le pays étant aceru d’un centieine. | » 2/5 p. 0 | Dernier budget de Colbert, après la guerre de Hollande , le pays l étant accru d'un quinzième (Flandre et Franche-Comte). ; » Moyenne des années de guerre 1689-99, le pays étant aceru d'un cinquantieme (Alsace). » Moyenne des années de guerre 1708-13. 5 Revenu encore trop fort pour l’épuisement du pays. 15 Diminution toujours insuffisante de l'impôt. 25 L'impôt aussi allégé que possible sous l'administration de Fleury. [ à) à » Moyenne approximative des années de guerre 1740-48. » Revenu déjà insuffisant pour le trésor obéré. » Guerre ruineuse contre l'Angleterre et la Prusse. » Recette forcée sous l'administration de Terray, le pays étant ac- cru d’un trentiéme, » Impôt de guerre en temps de paix sous la pression des dettes de l'Etat. » La propriété saisie pour servir de gage aux créanciers du trésor. » Accroissement du revenu trois fois plus rapide qu'antérieurement : évaluation approximative des recettes réelles de l'Etat. (46) Amédée de Savoie LE coute ROUGE; par M. Kervyn de Lettenhove, correspondant de l’Académie. « Bel oncle, disait Charles VI au duc de Berry, lors 5 de sa seconde expédition en Flandre, je veux que votre » gendre, qu'on appelle le comte Noir depuis qu'il porte » le deuil de son père, soit désormais connu sous le » nom de comte Rouge. Pendant toute la guerre un noble » feu a excité son courage : la couleur du feu doit être » la sienne. » Depuis ce jour, le fils du comte Vert, célébré par Frois- sart, conserva le nom de Comte Rouge. Amédée de Savoie avait vingt-trois ans. [| s'était signalé au siége de Bour- bourg , et on l'avait vu successivement rompre des lances avec les plus illustres barons anglais, notamment avec les comtes d'Huntingdon , d’Arundel et de Pembroke. Enfin, il avait été chargé de reconduire jusqu'à Gravelines les Anglais vaincus, et, à son retour à Paris, le roi de France avait donné en son honneur un splendide tournoi, à l’hôtel de Nesle. En 1586, nous retrouvons le comte de Savoie au camp de l'Écluse, d’où un vaste armement, formidables repré- sailles de la France contre l'Angleterre, devait mettre à la voile pour Orwell, parce que c'était à Orwell qu'Édouard HI s'était embarqué pour l’Écluse. La croix blanche de Savoie flottait au haut des mâts à côté des fleurs de lis royales , et de même que les autres princes, le comte Amédée avait fait porter sur ses navires des dagues, des épées, des mail- lets de plomb et d'acier, des bombardes et des canons, lorsque tout à coup, le vent venant à changer, toute la CELA" (47) flotte se trouva enfermée dans le port. Ce fut la même année, le 50 octobre, qu'une négociation relative au pays de Vaud se termina par le mariage du fils du comte de Savoie avec l’une des filles du duc de Bourgogne : l'un et l’autre étaient encore au berceau (1). Le pays de Vaud, cédé récemment à la maison de Savoie par un comte de Namur, qui en connaissait peu l’impor- tance et la valeur (2), devait être l’objet de fréquents démêélés avec Philippe le Hardi et ses successeurs. Les habi- tants du comté de Bourgogne et du pays de Vaud s’enten- daient mal, et se faisaient souvent la guerre, et déjà lon voyait se développer le germe des discordes qui condui- ront le dernier duc de Bourgogne de Granson à Morat, et de Morat à Nancy. A la fin du XIV” siècle, l'alliance du due de Bourgogne et du comte de Savoie, cimentée par le mariage dé leurs enfants, suspendit, pendant quelques années, ces hosti- lités, et des hommes d'armes bourguiguons prirent part aux glorieuses expéditions qui étendirent la puissance du comte Rouge depuis Sion jusqu’à Nice. Telle était la situation des choses, lorsque le due de Berry forma le projet d’une croisade, qui aurait été pré- chée par le pape d'Avignon, contre le pape de Rome. Le cardinal Robert de Genève, dont l'élection ouvrit le schisme d'Occident, tenait par des liens étroits à la maison de Savoie, et peut-être Bonne de Berry, femme du comte Rouge, avait-elle contribué à faire embrasser par son 2 (1) Chronique du conte Rouge, xux. (2) Le conte de Namurs ne savoit que la terre valloit à cause des officiers qui tout mengioient et pour ce il en fist bon marchié. (Chroniques de Sa- voye.) de ( 48 ) | père, le dessein de cette guerre déplorable dont les chefs des grandes compagnies devaient être les héros. Une autre princesse française, également alliée à la mai- son de Savoie, Bonne de Bourbon, mère du comte Rouge, vivait eucore. Les chroniqueurs contemporains attestent les divisions qui régnèrent entre elle et la jeune comtesse de Savoie, et tandis que celle-ci adoptait ardemment la cause de sa cousine Béatrix d’'Armagnac, femme de Charles Visconti, duc dépossédé de Milan (1), un intérêt tout opposé portait Bonne de Bourbon à soutenir le parti de l'usurpateur Galéas, dont son neveu, le duc d'Orléans, avait épousé la fille. On savait que l’armée réunie contre le pape Boniface IX devait commencer par s'emparer de Milan. Déjà elle avait traversé les Alpes sous les ordres du comte d'Armagnac : les Florentins devaient la rejoindre, et saus doute, elle pouvait compter sur l'appui du comte de Savoie, gendre du duc de Berry (2). Au même moment, le comte de Genève, frère du pape Clément VIT, profitait des circonstances qui lui étaient si favorables pour resserrer les liens qui l’unissaient à la mai- son de Savoie. Ses démarches semblaient devoir être cou- (1) Bonne de Berry avait pour mére Jeanne d'Armagnac. Elle épousa elle même, après la mort d'Amédée VIT, ce célèbre comte d'Armagnac qui fut massacré à Paris en 1418. (2) Lorsque Charles VI et le due de Berry se rendirent, à Avignon, près de Clément VII, le comte de Savoie vint les y rejoindre. A cette époque remonte le projet de l'expédition. « Le pape, dit Froissart, se plaignoit grandement de l’antipape de Rome; le roi s’inclinoit bien à ce et promit de bonne volonté que il n'entendroit à autre chose si auroit mis l'Église à un.» Sur toute cette époque, voyez l'Aistoire des dues de Bourgogne, par M. de Barante, récit élégant et fidèle qui, le plus souvent, dispense de recourir aux anciens chroniqueurs et même à Froissart. (49) ronnées du succès le plus complet. Non-seulement on assurait que le comte de Savoie lui avait promis son héri- tage, s'il mourait sans enfants, mais on ajoutait aussi qu'il devait lui remettre immédiatement plusieurs châteaux im- portants du pays de Vaud, qui dominaient les défilés du Jura ou les rives du Léman. En effet, quand le comte Rouge revint de Nice, il trouva aux bords de l'Arve, la comiesse de Genève entourée « de gracieuses pucelles et » de gentes damoiselles qui à tout leur clières voix chan- » loyent laix, rondiaux, ballades, bergerettes et chanson- » nettes, en faisant chapiaux de flourettes (1). La comtesse de Genève, s'appelait Marguerite de Joinville : elle était l’arrière-petite-fille de l'historien de saint Louis. Le comte de Genève était allé lui-même au-devant de Bonne de Berry pour rendre honneur aux fleurs de lis dont elle était issue, selon le langage du chroniqueur. Elle assista avec le comte Rouge à des fêtes brillantes, où, pen- dant huit jours entiers, de braves chevaliers se pressèrent dans la lice, tandis qu’à l’entour on voyait les pasteurs des- cendre des montagnes, couverts de peaux de lièvres et de renards et se livrant à des danses grotesques. Bonne de Bourbon n’assistail point à ces fêtes. Tantôt elle se désolait des sympathies de son fils pour la maison de Genève; tantôt elle s'affligeait de penser que lors même qu'elle parviendrait à en triompher, le duc de Bourgogne, invoquant l'intérêt de sa fille, était prêt à intervenir dans les affaires de Savoie. Si le duc de Berry protégeait le comte de Genève, le duc de Bourgogne n’était pas moins défavo- rable à Bonne de Bourbon. Entourée au dehors d'influen- ces hostiles, elle ne trouvait d'amis qu'en Savoie. (1) Chronique du conte Rouge, xx. TOME xx111, — [°° PART. 4 ( 50 ) Comment le comte Rouge ne poursuivit-il pas'son voyage vers le pays de Vaud? Comment ce noble et vaillant prince, qui s'était montré si empressé à porter deux fois les armes en Flandre, ne se trouva-t-il pas au siége d'Alexandrie avec les Français du comte d’Armagnac et les Anglais de John Hawkwood? Les chroniques de Savoie l’expliquent assez. Le comte Amédée s'était grièvement blessé à la cuisse un jour que son cheval s'était renversé sur lui pendant une chasse au sanglier dans la forêt de Thonon (1); mais il s’alarmait peu de sa blessure, et Bonne de Berry lui pro- diguait les soins les plus tendres. : ei paraît un nouveau ‘personnage : il s'appelle Jean de Granville, mais ce nom n’est que la traduction de celui qu'il portait près de Prague, au milieu des sombres mon- tagnes de ce royaume de Bohême, qui partageait avec l'Égypte le triste honneur de figurer dans les superstitions populaires comme la patrie de toutes les colonies errantes de devins et de nécromanciens. Jean de Granville avait étudié sept ans, à l’université de Padoue, sous maitre Jacques d’Acquades, médecin du roi de Hongrie, et lorsque le roi de Bohême, devenu l’empereur Charles IV, visita l'Italie, il laccompagna à Rome. Il suivit aussi en Prusse Rodolphe If, due d'Autriche; mais étant revenu à Prague, il entra en service du marquis de Mora- vie. Plus tard, on voit Jean de Granville partir pour Avi- gnon avec Pierre de Thuvei, évêque de Maillezais, qui avait été légat en Allemagne. Montpellier lui permet de com- pléter de brillantes études commencées à Padoue; de là ül (1) D'après la chronique du conte Rouge, ceci arriva vers le mois de juillet 1391, c’est-à-dire avant la malheureuse tentative de Jean d’Armagnac contre Alexandrie. (51) se rend d’abord à Toulouse, ensuite à la cour du comte de Foix, puis à Marseille, où il s'embarque pour l'Afrique avec le due de Bourbon, neveu de la reine de Bohême (1). Un médecin de Nice, nommé maître Laurent, le rencontre à son retour et l’engage à aller trouver la vieille comtesse de Savoie, chez qui sa qualité de médecin du duc de Bourbon lui assure l'accueil le plus favorable. Lorsque Jean de Granville arriva dans le château de Ripaille, où l'on menait bonne et joyeuse vie, si l’on en croit un vieux proverbe, les courtisans ne se préoccupaient plus de la blessure de leur maître, et le comte lui-même ne consulta le médecin bohémien que pour lui demander quelque remède qui arrêtàl la chute de ses cheveux. Jean de Granville lui fit raser Ja tête, la toucha de sa lancette jusqu’à faire jaillir le sang, et la couvrit d’un épais em- plâtre (2). Cependant le comte sentait circuler dans tous ses mem- bres un feu cuisant auquel succéda tout à coup un froid si vif qu'ils semblaient glacés el sans mouvement. Un cri douloureux s'était fait entendre dans les galeries du pa- lais; c'était la voix du comte qui répétait : « Ce traître de Bohémien m'a assassiné (5) ! » En vain lui fit-on préparer successivement un bain d'huile de renard et de la poudre , (1) Le duc de Bourbon avait peut-être rencontré Jean de Granville à la cour du comte de Foix. Il s’y arrêta à son retour de Navarre en 1388. Frois- sart s'y lrouvait aussi à cette époque. (2) Chroniques de Savoye. (3) Chroniques de Savoye. De là ces vers cités par Paradin : Amé, qu'on dist le Rouge, accroist de Barcelonne Et Nice ses Estats, domte le Sionnois ; Un traistre médecin en sa fleur l’empoisonne : Pour conserver la vie, on la perd mainte fois. (52) de licorne, panacée aujourd’hui perdue; en vain appela- t-on d’autres médecins, tous les soins furent inutiles. Amé- dée VIT expira le 4* novembre 1391, après avoir dicté, en présence d'Eudes de Granson, un testament par lequel il léguait à sa mère la tutelle de son fils (1). Le chroni- queur anonyme, qui ne nous à transmis sur ses derniers moments qu'un court fragment, ajoute, dans une phrase incomplète, que la fin imprévue du comte Rouge arrêta son projet de voyage dans le pays de Vaud, et d’autres en- treprises (2). Nous savons, de plus, que la nuit même où il expira, ses serviteurs se précipitèrent tumultueusement vers la maison qu'habitait le médecin bohémien, et peu s’en fallut qu'il ne fût massacré sur l'heure, tant l’indignation était grande ; elle redoubla quand on apprit que messire Eudes de Granson, devant lequel il avait été conduit chargé de chaînes, lui avait rendu la liberté en lui donnant une forte escorte pour le protéger. Le sire de Granson avait autre- fois défendu la Savoie contre le marquis de Montferrat ; mais depuis quelque temps, sa faveur avait paru s’affaiblir en même temps que linfluence de Bonne de Bourbon, et on l'accusait d'avoir voulu se venger par un crime. Cependant Jean de Granville s'était dirigé de la Bour- gogne vers l'Auvergne, et les ofliciers du duc de Berry, père de la jeune comtesse de Savoie, crurent devoir s’assu- rer de sa personne. Les clameurs populaires s’élevaient avec force contre lui; on ne se contentait plus de rappeler les arts perfides de la Bohême, on aimait mieux s'arrêter (1) Guichenon, Preuves, p. 252. (2) Chronique du conte Rouge, dans le t HT des Monumenta historiae patriae. ( 25 ) à croire qu'il venait d’une contrée encore bien plus éloi- gnée, c’est-à-dire de l'Orient, où le Vieux de la Montagne avait eu jadis ses mille séides toujours prêts à faire périr par trahison les princes chrétiens. Il semblait, en effet, que, pendant toute sa vie, les mêmes soupçons eussent marqué le passage de Jean de Granville dans les divers pays qu'il avait habités. Il avait servi le marquis de Moravie, et une triste maladie avait épuisé toutes les forces du marquis de Moravie; il s'était attaché ensuite à Rodolphe d’Au- triche, et le duc d'Autriche était mort, disait-on, par le poison. Plus récemment, le comte de Genève s'étant trouvé alteint, après les joutes du pont d’Arve, d’un mal incounu que toute la science des médecins n'avait pu combattre, on l'avait attribué également à quelque poudre préparée par une main aussi habile que criminelle. Jean de Granville est interrogé, le 530 mars 1595, par le châtelain d'Usson; il a pu apprendre lui-même qu'à Orthez, un père trouva sur le cœur de son fils le poison qui devait terminer sa vie : il raconte froidement qu’à Ripaille une mère à tramé la mort de son fils. On lui demande « quel conseil ladicte madame la grant » contesse de Savoie lui demanda pour empescher que » monsieur le conte son filz ne feist ce dont elle se dob- » toit qu'il volsist fere. » Il répond qu'il est vrai « que la grant contesse de Sa- voye lui demanda s'il savoit fere aucunes médicines parmi lesquelles lediet conte son fils fust empeschés de acomplir ce qu'il avoit entrepris de fere, c’est à savoir qu'il ne fist li voiage qu'il avoit entrepris à fere, ne la aliénation des chasteaux que voloit vendre au conte de Genève, » A ce qu'assure Jean de Granville, Bonne de Bourbon tel et LL LE. ; (54) ajouta qu'elle craignait que le mariage de son petit-fils avec la fille du duc de Bourgogne ne lui fit perdre toute autorité en Savoie (1). Le châtelain d’Usson lui fait remarquer « qu'il ne po- » voit consillier ladicte dame de son mestier, si ce non » estoit par maladie où mort par laquelle d’icelles deux voies ledict empeschement se peust fere. » Jean de Granville reconnaît « qu'il respondi que oy; car il feroit que ledict conte soit impotens et paralytique de ses membres, car lediet conte lui avoit demandé conseil de avoir cheveux en sa teste et de avoir bonne coleur en son visaige, et soubz ombre et coleur de ce, il lui feroit oinguemens en sa teste et lui donroit d’un lectuaire, par lesquelles choses lediet conte seroit paralytique de ses membres et chairoit en telle maladie qu'il morroit sans qu'il i porroit estre mis aucun remède, et lors ladicte contesse lui dist qu'il le feist. » Jean de Granville rapporte avec de longs détails que j'abrége, qu'il ordonna d'étendre sur la tête du comte, ouverte par quelques coups de lancette et même par quel- ques légers coups de rasoir (2) et, de plus, exposée à un feu ardent, un grand emplätre dans lequel il y avait de la myrrhe, de l’assa fœtida et de l'huile de térébenthine. Il ajoute qu'il y répandit aussitôt après certaines eaux enfri- giditives « alin que la froidure entrast par la teste et des- » cendit aux nierfs. » Cette brusque transition dévait engendrer la paralysie; la paralysie devait inévitablement être suivie de la mort. Tout ce qu'il avait prévu arriva, et il raconte qué Bonne = BE: dv 0 EE °° 9 > (1) Jean de Granville revient deux fois sur ce point dans son interrogatoire. (2) Menuement avec ung razor. (55 ) de Bourbon, après s'être assurée qu'aucun remède ne pou- vait sauver son fils, lui ordonna d’en prescrire plusieurs par écrit, selon l'usage des médecins, afin que Fon pût « dire qu'il fesoit bonne diligence. » Jean de Granville comptait sur une récompense considérable. « La grant contesse , dit-il, lui avoit promis qu'elle lui donroit tout » ce qu'il lui demanderoit. » Mais lorsque le crime étant accompli, l’empoisonneur ne fut plus qu'un objet de mé- pris pour ceux-là même qui l'avaient employé, on se pressa peu de lui payer son salaire, et s’il faut l'en croire, ce fut au moment où l’on déposait dans le linceul le ‘corps du pauvre prince, que sa mère (on ne peut croire Jean de Granville) envoya vers le médecin bohémien Eudes de Granson, chargé de lui remettre vingt-quatre écus : « Maistre Jean, lui dit le sire de Granson, en s'acquit- » tant de ce message, madame vous envoye cet argent et » en vérité elle ne vous en puet plus envoyer à présent. » Jean de Granville déclare que messire Eudes de Granson connaissait le complot (4) et qu'il lui avait promis de le protéger et de le conduire sain et sauf hors de Savoie. Il est peut-être inutile d'ajouter que maitre Jean de Gran- ville, après un aveu si complet, n’hésita pas à reconnaitre également qu'il avait composé un poison dont Peffet était tel, que celui qui en prenait devait mourir six. jours après, et il ajouta qu’il avait lieu de supposer que ce poison, mêlé ä une poudré pour blanchir les mains ou les dents, avait été envoyé au comte de Genève. Jean de Granville ne cache rien de tout ce qui a servi à la préparation de ses poisons. Une seule fois il renvoie à (1) Et le dit messire Hoton lors lui dist : Ge est bien. (56 ) un livre de médecine ou de grimoire nommé Esbé Mésoé (1). Du reste, il semble que Jean de Granville ne s’étende sur les relations de Bonne de Bourbon avec le sire de Granson que pour établir davantage la part qu’elle prit au crime. Peut-être n’y eut-il qu'un coupable. Nous savons en effet qu'Eudes de Granson crut devoir se cacher après la mort du comte Rouge, et quelques années après, un gen- tilhomme, nommé Gérard d'Estavayé, se présenta devant Amédée VIIT, premier duc de Savoie, rappelant à sa mé- moire le complot dont son père avait été la victime et défiant à haute voix le sire de Granson qu'il accusait d'en avoir assuré le succès et l’impunité. Le duel judiciaire eut lieu avec une grande solennité à Bourg-en-Bresse, dans une lice, entourée d'hommes d'armes, où les juges siégeaient au pied d'un autel ; Eudes de Granson y périt, et l’on vit dans sa mort le juste châtiment de son crime (2). Tandis que le sire de Granson se voyait réduit à fuir et à se cacher, les nobles de Savoie maintenaient à Bonne de Bourbon la tutelle de son petit-fils (3), et cela suffit pour la justifier. S'il était permis de croire que Bonne de Bourbon s’efforça d'empêcher sou fils d'aller attaquer Galéas Visconti, ou de vendre ses châteaux au comte de Genève, nous ad- meltrions tout au plus qu’elle eut recours à l’un de ces électuaires, à l’un de ces philtres donton croyait, au moyen âge, l'emploi aussi innocent qu'eflicace. On ne peut oublier que tout le siècle de Charles VI fut rempli de rumeurs sem- L (1) L'interrogatoire de Jean de Granville repose aux archives de Lille, et M. Le Glay se propose de le faire figurer dans son Spicilége, vaste collection de pièces inédites qui rappellera son nom, sa science et ses longs travaux. (2) Domin. Machan. Epitomeæ hist., X; Guichenon, Pr., p. 245. (5) D'apres Guichenon, la mémoire de Bonne de Bourbon resta vénérée en Savoie. (57) blables, qui confondaient les sortiléges et les empoisonne- ments. La date même de cette enquête faite par les gens du duc de Berry lui enlève presque toute sa valeur, lors- qu'on remarque qu’en ce moment sa fille disputait à Bonne de Bourbon la tutelle du jeune comte de Savoie. Nous ne savons si le duc de Berry lui-même fit usage de ce document, qui s’adressait aux passions et aux intérêts des hommes de son temps (1); venus quatre siècles plus tard lorsqu'il est bien plus difficile d'apprécier la source et Ja base de ces accusations, nous devons les reproduire avec la même réserve et nous montrer d'autant moins disposés à y ajouter foi qu'elles sont plus violentes et plus horribles. Le nom que portait la mère du comte Rouge est assez illus- tre pour que l'histoire ne le cite qu'avec respect (2), el sans franchir les limites du XIV"* siècle, nous ne pouvons ou- blier qu’elle eut pour frère ce duc de Bourbon qui, jusque dans sa prison de Londres, fut appelé le roi d'honneur (5) et pour sœurs deux reines, mortes à la fleur de l’âge, dont le sort fut bien inégal : l’une pleurée à Paris par le sage roi Charles V (4), l’autre étouffée en Castille par l’ordre de Pierre le Cruel (5). (1) Guichenon se contente de dire vaguement, d’après un document des archives de Turin, qu'Amédée VIII reconnut l'innocence de Pierre de Lupinis par la déclaration que Jean de Granville fit avant de mourir. (2) Bonne de Bourbon était par son père issue de saint Louis; par sa mère, Marie de Hainaut, elle était l’arrière-petite-fille de Bouchard d’Avesnes et de Marguerite de Dampierre. (5) Orronville, chronique de Louis de Bourbon, 1; Christine de Pisan, II, 15. (4) Christine de Pisan, I], 49, (5) Voyez le récit de sa mort dans la chronique de Bertrand du Gues- clin, Lxi-Lxu. (58 ) CLASSE DES BEAUX-ARTS. Séance du 10 janvier 1856. M. De Keyzer, directeur. M. Quetecer, secrétaire perpétuel. Sont présents : MM. Alvin, Braemt, G. Geefs, Navez, Roelandt, Suys, Van Hasselt, Corr, Snel, de Braekeleer, Fraikin, Partoes, Éd. Fétis, Edm. de Busscher, Portaels, membres; Balat, correspondant, CORRESPONDANCE. M. le Ministre de l’intérieur fait connaitre que M. De- mol, lauréat du concours de musique, à été autorisé à intervertir l’ordre de ses voyages et qu’il a reçu la permis- sion de séjourner à Paris, en prémier lieu, pendant toute l'année 1856. IT sera statué ultérieurement sur les voyages qu'il aura à faire les deux années suivantes; la classe est invitée à faire connaitre son avis à cel égard. —M. le Ministre informe ensuite la classe qu'une somme de 1,200 francs a été ajoutée à la médaille d'or de 600 francs décernée par la classe à M. Héris, auteur du mémoire cou- rouné sur « l’histoire de-Pécole flamande de peinture sous le règne des ducs de Bourgogne. » se ( 59 ) — M. Alex. Cogels fait connaître que la somme préle- vée sur les payements faits pour objets acquis, aux artistes belges, lors de la dernière exposition des beaux-arts à Anvers, et destinée à la caisse Centrale des artistes, s'élève à 635 francs. M. Érin Corr annonce en même temps qu'il a reçu cette somme, qui est versée entre les mains de M. Braemt, trésorier de la Caisse centrale. — La classe apprend avec regret la mort de M. David d'Angers, l’un de ses associés. CAISSE CENTRALE DES ARTISTES, M. Quetelet, après avoir donné lecture de son rapport pour 1855 sur la Caisse centrale des artistes, fail con- naître que les travaux toujours croissants de l'Académie l'empêchent de continuer à remplir les fonctions de secré- taire de la Caisse, et il prie en conséquence ses collègues de vouloir bien porter leur choix sur un autre membre. L'élection qui devra avoir licu, à cette occasion, sera faite dans la prochaine séance. ÉLECTIONS. M. Laboureur, artiste statuaire à Rome, est nommé, à l'unanimité, associé de la classe, pour la section de sculp- ture. M. Ravaisson est élu associé dans la section des sciences et des lettres. ( 60 ) M. Alvin est nommé directeur pour l’année 1857; il remercie la classe, et vient, aux applaudissements de l'as- semblée, prendre place au bureau. CONCOURS. M. Alvin fait un rapport verbal, au nom de la commis- sion nommée, le 8 novembre, pour examiner une proposi- tion de M. Érin Corr; il conclut en proposant d’instituer un prix quiuquennal en faveur de la gravure en taille- douce. Ces conclusions, admises par la majorité de Ja classe, sont formulées dans les termes suivants : « La classe des beaux-arts ouvre ua concours en faveur de la meilleure gravure en taille-donce qui sera exécutée en Belgique, pendant l’espace de cinq ans. Cette période prendra cours le 1° janvier 1856 et finira au 51 décem- bre 1860. » Pour être admis à concourir, les artistes graveurs devront être Belges ou naturalisés. Leur planche devra reproduire l'œuvre d'un peintre ou d’un sculpteur belge exécutée pendant le XIX"* siècle, et ils seront tenus d'en adresser, avant le terme fatal, un exemplaire à l’Académie. Cet exemplaire restera déposé dans les archives de la compagnie, » Une médaille d'or d'une valeur de six cents francs sera décernée à l’auteur de la gravure couronnée. » Le jugement du concours sera prononcé par une com- mission désignée par la classe des beaux-arts et prise dans son sein. Les ouvrages des académiciens ne peuvent être admis au concours. » Un membre fait observer qu'on pourrait demander au Gouvernement d'augmenter, par un subside, le prix de LP a (61) l'Académie. Cependant, après mûr examen, on décide que cette question secondaire sera ajournée, et qu'il ne sera demandé un subside au Gouvernement que dans le cas où l'œuvre couronnée offrirait un mérite très-remarquable. COMMUNICATIONS ET LECTURES. Artistes belges à l'étranger. — ABRAHAM GENOELS. Notice par M. Ed. Fétis, membre de l'Académie. Abraham Genoels, né à Anvers en 1640, appartenait à une ancienne famille d'artistes. Le registre d'inscription de la confrérie de Saint-Luc fait mention, à l’année 1615, d'un peintre nommé Corneille Genoels, élève de Josué Van Male. En 1656, un Abraham Genoels, suivant toute appareuce, père de l'artiste dont nous allons nous oceuper, est reçu franc-maitre. Notre Abraham Genoels entra dans l'atelier de J. Backereel, qui lui enseigna les principes du dessin et près duquel il resta jusqu’à l’âge de quinze ans. Descamps , inépuisable dans ses naïvetés, dit que son am- bition se borna d'abord à peindre le portrait; mais qu'il s’appliqua ensuile au paysage, encouragé par d'heureux essais. Sans admettre cette hiérarchie des genres, nous coustaterons qu'en effet Genoels passa de l'étude de la figure à celle du paysage, nou par un caleul d'ambition progressive, mais parcequ'il consulta ses forces et se recon- put peu de dispositions pour la peinture historique, dont le portrait w’est, en quelque sorte, qu'une modification. Le changement de direction donné par Genoels à ses (62) travaux, l’obligea à étudier plus sérieusement la perspec- tive qu'il ne l'avait fait jusqu'alors. Ses biographes disent qu'il alla, dans ce but, demander des conseils à un cer: taiu Fierelands, de Bois-le-Duc, lequel lui enseigna Ja géométrie et les mathématiques, sciences qu'il approfondit même, à ce qu'il parait, plus qu’un peintre de paysage n’est tenu de le faire. De retour à Anvers, notre artiste, demi-savant, entendit parler du bon accueil fait en France à plusieurs peintres flamands, et de leur lucrative partici- pation aux grands travaux par lesquels les ministres de Louis XIV s’attachaient à illustrer le règne de leur maître. L'idée lui vint d'aller chercher fortune de ce côté. Le difli- cile était de gagner Paris, à cause des mouvements de troupes occasionnés par la guerre allumée entre l’Es- pagne et la France. Genoels ne prit pas la routella' plus courte, mais la plus sûre. Il se rendit à Amsterdam, où il s’embarqua sur un des navires d'une flotte marchande prête à mettre à la voile pour Dieppe, escortée par des vaisseaux de guerre. Arrivé à Paris, Genoels eut l’occasion de se faire pré- senter à Gilbert de Sève, membre de l'Académie de pein- ture, qui venait d'être chargé par Louvois d'exécuter des modèles de tapisseries, et qui fit peindre par l'artiste anver- sois les fonds de paysage de huit grandes compositions représentant des jeux d'enfants. Le talent avec lequel Ge- noels s’acquitta de cette tâche fixa sur lui l’attention! de personnes influentes, qui le recommandèrent aux dispen- sateurs des faveurs royales. Il était logé au Temple, où le grand prieur lni avait donné un atelier. Son crédit naissant lui amenait beaucoup de visiteurs; mais la nature de son caractère ne le portait pas à tirer avantage des relations du monde, Il était homme d'étude et non d'intrigue, ainsi ( 63 ) qu'il le prouva dans plusieurs circonstances de sa vie. Cherchant moins à se faire des protecteurs que des amis, il se lia intimement avec le peintre anversois Francisque Millet. Une étroite communauté d'idées, de travaux et d’espérances s'établit entre les deux Flamands. S'aidantde mutuels conseils, ils marchaïient vers un but commun avec émulation, mais sans rivalité. Cette fraternelle union aida Genoels à supporter les tracasseries: que lui susci- tèrent les membres d’une corporation jalouse de ses gothi- ques priviléges. Des commandes considérables étaient venues trouver Genoels dans son atelier du Temple. La princesse de Condé l'avait fait prier de peindre des paysages pour le château de Chantilly; l'ambassadeur d'Angleterre s'était inscrit à son tour, et les amateurs s’empressaient, comme de raison, de suivre ces aristocratiques exemples. Le bruit des succès de Genoels arriva jusqu'aux maîtres de l’École de Saint-Luc qui lui envoyèrent des délégués pour l’engager à se faire inscrire sur les registres de leur corporation. Notre artiste n'était nullement tenté de se rendre à cette invitation. Il y avait peu d'honneur à s'enrôler dans une confrérie où les peintres et les sculpteurs se trouvaient confondus avec des broyeursaæle couleurs, des doreurs, des étoffeurs et des marbriers, et ce peu d'honneur, il fallait le payer d’une assez grosse contribution. Genoels colora son refus d’un reflet de modestie, disant qu'il ne se eroyait pas digne d'entrer dans la eélèbre compagnie; mais les jurés de l'École de Saint-Luc ne tinrent pas compte de celte abné- gation du peintre flamand. [ls lui firent savoir que si ce n'était de bon gré, ce serait de force qu’il deviendrait leur confrère. Menacé de poursuites dont l'issue défavorable n'était pas douteuse, Genoels parlait de quitter la France (64) et d'aller en Italie. Son ami Francisque Millet lui con- seilla de ne pas prendre cette résolution avant d’avoir demandé à Gilbert de Sève s’il n'y avait pas un moyen plus simple de sortir de l'embarras où le mettaient les prétentions des jurés de la confrérie de Saint-Luc. Le moyen trouvé par de Sève fut de faire entrer Genoels à l’Académie de peinture. Les membres de cette compagnie échappaient seuls à la juridietion des maîtres de Saint- Luc. Certes, un tel expédient était de nature à tenter notre artiste; mais il n’osait croire à son succès. Comment sup- poser que l’Académie lui ferait l'honneur de l’admettre dans son sein, lui dont la candidature ne s’appuyait encore que sur des titres insuffisants. De Sève lui dit de ne pas se meltre plus que de raison en peine de cet obstacle qu'exagérait sa modestie. Il promit d’intéresser Lebrun à la négociation qu'il s'agissait d'ouvrir, et qu'il dépendait de lui de conduire à bonne fin. Lebrun était, en effet, tout- puissant à l’Académie de peinture, qui lui devait et son existence et son organisation. Ce qu'il proposait était ad- mis sans examen. De Sève fit aisément comprendre au peintre officiel du grand roi de quel secours pourrait lui être la coopération de Genoels, et combien il importait de fixer en France un artiste de ce mérite. Lebrun présenta donc notre Anversois à l’Académie, qui l'admit parmi ses membres le 4 janvier 1665. Outre son talent incontestable de peintre, Lebrun avait celui de parfaitement choisir les hommes qui pouvaient le seconder dans l'exécution des grandes entreprises pit- toresques dont Louis XIV lui avait donné la haute direc- tion. Ce tact, qui l'avait porté déjà à s’adjoindre Van der Meulen, l'avertit des services qu'il pouvait attendre de Genoels. Mariette, dans ses annotations de l’Abecedario, ( 65 ) prétend que Genoels fut appelé de son pays pour recevoir la mission que lui réservait l’ordonnateur des travaux de là cour : « Le sieur Van der Meulen, dit-il, que le roi avait fait venir en France pour peindre ses conquêtes, ne pou- vant suflire seul à la quantité d'ouvrages qui lui étaient ordonnés, on fut obligé d'appeler encore d’autres peintres flamands pour travailler sous lui. Abraham Genoels , d’An- vers, habile peintre de paysages, vint en France à ce des- sein, et comme il remplit parfaitement les vues qu'on avait sur lui, il fut employé dans beaucoup d'ouvrages qui se faisaient pour le roi, et ensuite admis dans l’aca- démie de peinture. » Ces lignes renferment plusieurs inexactitudes. Genoels vint de lui-même à Paris. Quand il quitta Anvers, il ne s'y était fait connaître par aucune production qui püt le désigner au choix de Lebrun, Ce n'est pas après avoir été employé, comme le dit Mariette, dans les ouvrages qui se faisaient ponr le roi, que notre artiste fut admis dans l'Académie de peinture, mais, au contraire, avant de rien entreprendre, puisque, ainsi qu'on l'a vu, sa nomination eut précisément pour but de le re- tenir à Paris, en lui procurant les moyens de se sous- traire aux poursuites des jurés de l’École de Saint-Luc. Quoi qu'il en soit, Genoels mis hors de cause, il n’en reste pas moins acquis à la gloire de notre école qu’on fut obligé d'appeler en France des peintres flamands pour illustrer le règne de Louis XIV. La part qui échut à Genoels dans la distribution des commandes royales fut considérable et aurait suffi pour donner une base solide à sa réputation, si elle n'eüt exigé de lui des travaux anonymes. On ne songe guère à Genoels en voyant les Batailles d'Alexandre, qui sont les plus beaux titres de gloire de Lebrun. Les fonds de paysages de ces re TOME xx. — 1 parT. LB: (66) grandes compositions sont cependant de la main du pein- tre anversois, et ce ne sont pas des accessoires de peu d’im- portance. Ils sont traités largement et ont un cachet de grandeur qui s'allie parfaitement avec les conceptions du chef de l’école française. Dans ces mêmes tableaux, les chevaux, qui contribuent singulièrement au mouvement de l’action, sont de Van der Meulen. Ainsi, deux peintres flamands ont travaillé à ces fameuses Batailles d Alexandre, dont on attribue tout l'honneur à Lebrun. Ajouterons- nous que la plus belle des estampes qui reproduisent ces peintures célèbres est l'œuvre d’un graveur anversois, de Gérard Edelinck, dont le burin lutta victorieusement contre celui d'Audran dans la Famille de Darius aux pieds d'Alexanure ? Après Lebrun, d'autres peintres réclamèrent la eolla- boration de Genoels, qui leur prêta également l’appui de son pinceau et qui servit leur renommée aux dépens de la sienne. De là vient que, bien que notre artiste ait fait un long séjour en France, on retrouve difficilement aujour: d'hui les traces qu'y laissa son talent. On savait de son temps quels étaient les tableaux à Pexécution desquels il avait coopéré; mais généralement on l’ignore aujourd'hui, et l’on fait honneur de son travail à d’autres peintres. Ainsi que la plupart des meilleurs artistes du XVIF®* siècle, Genoels a été employé aux Gobelins. Parmi les modèles qu'il y à faits pour être exécutés en tapisserie et dont on trouve la mention dans les états de dépenses de ce vaste atelier où s’élaboraient les splendeurs des rési- dences royales, on remarque les compositions allégoriques des Quatre éléments. Lebrun donna les dessins des sujets principaux; Genoels fit les peintures, en ajoutant les acces- soires et les fonds. Ces tableaux, qui ont été gravés avec (67) des devises emblématiques et des inscriptions où les vertus du grand roi sont célébrées sur tous les tons, donnent un témoignage du goût et de l'imagination de notre artiste. Genoels fut chargé d'aller dessiner le château de Marie- mont, dont une vue devait être exécutée en tapisserie aux Gobelins. I fut accompagné” par Van Hugtemburg, lex- céllent peintre hollandais, élève de Van der Meulen:; qui reproduisit tour à tour les hauts faits de Louis XIV et ceux du prince Eugène, tant il est vrai que l'art n’a pas d'opi- nion politique. Baudewyns, de Dixmude, autre élève de Van der Meulen, était également du voyage. Se trouvant si près. de sa ville natale, Genocls éprouva le désir bien na- turel d’aller embrasser les amis qu'il y avait laissés. Les artistes d'Anvers firent un accueil cordial au peintre dont le:talent honorait sa patrie à l'étranger. Bertholet Fle- mälle vint le voir et l’engagea à se fixer à Liége, où il était rentré lui-même, malgré les efforts qu'on avait faits en France pour le retenir; mais Genoels avait d’autres des- seins qui ne lui permirent pasde céder à des instances d'autant plus flatteuses cependant, qu’elles s’appuyaient surun vœu exprimé par Maximilien-Henri de Bavière, f retourna à Paris, peignit la vue de Mariemont, don il était allé prendre l’esquisse, puis il fit ses apprêts de départ , car il avait depuis longtemps le projet d'aller travailler en Italie et ne voulait pas différer davantage de le mettre à exécution, En vain Lebrun s’efforça-1-1l de l'en détour- per.en lui promettant la commande de travaux lueratifs. Il tint bon pour son pèlerinage pittoresque et prit le che- min d'Anvers, d'où il comptait se diriger vers lés Alpes par l'Allemagne. Il ne fut pas permis à notre artiste d'entreprendre aus- sitôt qu'il l'aurait voulu son voyage d'Italie. Le comte de ( 68 ) Monterey, gouverneur intérimaire des Pays-Bas, ayant eu connaissance de son séjour à Anvers, alla le trouver en personne et le pria de lui peindre plusieurs tableaux dont il se proposait de faire faire des tapisseries dans les fabri- ques de la Flandre. Le comte de Monterey était un ardent collecteur de richesses artistiques et passait pour n'être pas très-scrupuleux sur les moyens de se procurer les ob- jets qui excitaient sa convoilise. Il laissa , sous ce rapport, une fort mauvaise réputation en Italie, car les rapines qu'il commit, de concert avec le marquis de Leganès, à Milan et à Naples, leur firent donner le surnom collectif des deux voleurs. Quoi qu'il en soit, le comte avait grande envie de posséder des tapisseries historiées semblables à celles qui se fabriquaient en France pour Louis XIV. L'ar- rivée de Genoels, qui possédait les traditions de la manu: facture des Gobelins, lui parut être la circonstance la plus favorable à la réalisation de son désir. Ses pressantes instances décidèrent notre artiste à retarder son départ pour l'Italie jusqu'à ce qu'il lui eût fait une série de ta- bleaux propres à être tissés en tapisseries. Genoels suivit l'exemple de Lebrun. Il prit des aides à son tour et fit peindre sous sa direction, par des hommes de talent dans chaque genre, les fleurs , les animaux et les ornements qui servaient d'encadrements à ses compositions. Après avoir livré ses peintures au comte de Monterey, qui, nonobstant son fàcheux renom, les lui paya non- seulement en éloges, mais aussi en beaux deniers comp- tants, Genoels partit enfin pour Rome. Houbracken nous apprend, d’après des renseignements fournis directement par le peintre anversois, que celui-ci avait pour compa- gnons de voyage l'habile sculpteur Pierre Verbruggen, Albert Clouvet, le graveur, Marcellis Librechts, François ( 69 ) Moens, un marchand napolitain , un négociant vénitien el un chanoine de Lierre. Ce fut le 8 septembre 1674 que celle pelile caravane se mit en marche pour sa lointaine destination. Heureusement arrivé dans la ville éternelle, Genoels S'y trouva en pays de connaissance. Les artistes flamands qui élaient allés, comme lui, s'inspirer du génie de l’anti- quité, aussi bien que de celui de l’art moderne, et qui for- maient une association fraternelle, l’accueillirent avec un empressement que justifiait sa double qualité de compa- triote et de membre de l’Académie de France. Bon gré mal gré, 1l dut céder à l'invitation qu'ils lui adressèrent de faire partie de la société qu'ils avaient établie sous le titre de Schilderbent et à laquelle on a aussi donné le nom de Bande académique. Cette société élait exclusivement com- posée de peintres flamands et hollandais; les artistes ita- liens n’y étaient pas admis. Elle tenait ses séances dans un cabaret de Rome, par une réminiscence très-caraeté- ristique des mœurs de la mère patrie. C’est dans ce temple qu'on procédait à la réception des nouveaux adeptes. Cette réception donnait lieu à des cérémonies burlesques; elle durait habituellement toute la nuit et se terminait le len- demain matin autour du tombeau de Bacchus, près de Rome. Les frais étaient à la charge du récipiendaire, et l'intempérance des initiés les faisaient monter parfois assez haut. L'opinion était répandue, on ne sait trop sur quel fondement, que l’idée de cette étrange institution avait élé donnée par Raphaël. L’élu de la Schilderbent recevait un sobriquel qui avait rapport soil à sa figure, soit à son caractère , soil à son lalent. C’est ainsi qu'on donna à 4.-B. Weeninex le surnom de Hochet, à cause du son aigre de sa voix; à N. Leyssens celui de Casse-noix, pour ( 70 ) la longueur de son nez, qui inclinail vers le menton; à : Jde Heuscelui dé Contre-épreuve, à cause de'son penchant à l'iitation ; à Van Bloemen celui d’Horizon, par allusion à la beauté de ses lointains. Les membres de la Bande académique ne se désignaient point entréeux autrement qué'par ces sobriquets, dont quelques-uns sont devenus populaires aù point de remplacer le vrai nom dé l'artiste, comme ilest arrivé à Van Bloemen', qui est resté Orizzonte nour les Italiens. Il fallait à Genoels un surnom académique: Ses con- frères lui décernèrent, au milieu de lenrs jovéuses liba- tions, celui d’Archiméde, à cause des connaissances peu ordinaires qu'il avait acquises dans la perspective, la géo- métrie et les mathématiques. Ce nom lui est resté; il l'adopta lui-même et signa généralement depuis lors : Genoels alias Archimede. Mariette s’est trompé lorsqu'il a div: « Genoels s'étant retiré à Anvers et étant devenu vieux, » quitta la peinture , et, par une bizarrerie qui marquait » la chute de son esprit, voulut qu'on le nommät Archi- » mède, et en cette qualité, ilenseignait gratuitement aux » jeunes gens la perspective. » La prétention attribuéé par l’iconographe français à notre artiste serait, en effet, des plus ridicules; mais ce qui précède: prouve que l'im- putation de Mariette est sans fondement. Genoels n'avait pas songé de lui-même àse faire appeler Archimède; il avait senlement gardé ce. sobriquet qu'il devait au bap- tème de la Schilderbent , ainsi que Van Bloemen conserva celui d'Horizon, et Pierre Molyn celui de Tempéte. Grand connaisseur en fait d'estampes, Mariette aurait dû se rap- peler que le nom d’Archimède $e trouve sur les planches gravées par Genoels pendant son séjour à Rome: [n’eüt pas avancé que celui-ci le prit dans sa’vieillesse, par (CH) une bizarrerie qui attestait une décadence intellectuelle. Genoels passa huit années à Rome. Il les employa pres- que tout entières à faire des études qu’il se proposait d’uti- liser plus tard. Ses seules peintures terminées y furent un portrait du cardinal Rospigliosi et trois paysages, qu'il n'osa refuser à cette Éminence dont il avait reçu un accueil flatteur. Il explora la ville de Rome et ses environs, prenant çà et là des croquis de monuments, de ruines el de sites pittoresques, matériaux précieux destinés à de futures com- positions. Ce sie pendant son séjour en Italie qu'il entre- prit de graver à l’eau-forte. Dès ses premiers essais, datés de 1675, il obtint un succès complet dans ce geure où 1l n'eut, pour ainsi dire, point d'apprentissage à faire. Sa touche est large, facile, spirituelle; elle a la vigueur du burin et la liberté du crayon. Eunemi des procédés con- ventionnels, il modifiait son travail selon la nature des objets qu’il avait à rendre, et dont il s’'efforçait, avant tout, de déterminer le vrai caractère. Le catalogue le plus complet de l'œuvre gravé de Ge- noels qui ait été donné est celui de Bartsch. Il comprend soixante-quinze pièces. Toutefois, le catalogue Rigal men- tionne sept pièces que Bartsch n’a point décrites. Dans toutes les estampes de notre artiste, le paysage est l'objet principal; mais il eut Je soin d'y introduire des-scènes variées, composées avec goût, el qui ajoutaient singulie- rement à l'intérêt du site. C’est ainsi qu'il représenta tour à tour une Fuite en Égypte, un saint Jérôme en prière; un Sacrifice au dieu Pan, et d’autres cérémonies paiennes ; des épisodes romanesques, comme celui où un jeune homme grave sur l’écorce d’un arbre le nom de sa mai- tresse, des scènes de la vie rustique, des vues de jardins ornées de fragments d'architecture, etc. Un grand senti- (72) ment de l'agencement des lignes se manifeste dans ces esquisses riches sans confusion, où des fabriques pittores- ques et des ruines empreintes de la poésie mélancolique du passé, se mêlent à de belles masses d'arbres. Il existe dans le cabinet du prince Charles de Schwar- zenberg, à Vienne, une eau-forte de Genoels d'une extrême rareté et qui est restée inconnue à Bartsch. Elle a pour sujet une femme et uu enfant auprès d’un pont, dans un fond de paysage. On y voit la marque G. fe. écrite à rebours. La plupart des estampes de Genoels sont gravées à la pointe pure. Cependant il a fait quelques essais d'imitation du lavis, en frottant la planche avec une pierre ponce. Ce ne sont pas les meilleures pièces de son œuvre. Pour qu'il füL vraiment lui-même, 1l fallait que, sans se préoccuper des procédés d'exécution, 1l laissàt courir la pointe sur la surface polie du métal, comme le crayon sur le papier. Beaucoup d'artistes ont traité l'eau-forte avec plus de science des effets; mais il en est peu qui aient mis dans leur tra- vail plus de franchise et plus de vigueur. Félix Meyer, artiste suisse, a gravé d’après nn dessin de Genoels un pendant du Repos en Égypte de ce maître. Cette estampe, marquée 4. G.invent. — F, M. fec. Romæ, 1677, représente un groupe de trois femmes assises au pied d’un grand arbre, dans un site montueux. On a aussi de Bau- dewyns de belles eaux-fortes reproduisant les compositions de Genoels. Ces pièces, où le genre de gravure de l'artiste anversois à été fidèlement imité, font partie de la Calco- graphie du Louvre. A l’occasion d’une suite de cinq paysages en rond, communément attribués à Genoels, Mariette s'exprime ainsi dans les annotations de lAbecedario : « Ts ont été gravés par Châüllon d'après Genoels; ils sont mal exécutes À * À h Re 0. (75) eLappesantis d'ouvrage. » Basan s’est trompé lorsqu'il à dit que Genoels grava d’après les dessins de Van der Meulen. Notre artiste n’a reproduit que ses propres compositions. La franchise de ses eaux-fortes sullirait pour le prouver. Rien n'y sent le travail patient du copiste ; c’est le jet spon- tané de l'inspiration dont la main n'est que l'interprète. Florent le Comte a commis une autre erreur en mêlant les estampes de Genoels avec celles de l’œuvre de Van der Meulen, dont il donne le catalogue. Genoels profita de son séjour à Rome pour faire mouler plusieurs fragments de sculpture antique et pour acquérir des marbres originaux qu’il adressa à Lebrun, en le char- geant de les offrir en son nom à l’Académie de peinture. Considérant, après huit années de travaux assidus, la tâche qu'il s'était imposée comme accomplie, ayant réuni plus d’études qu'il ne lui serait vraisemblablement donné d’en pouvoir mettre en œuvre dans le reste de sa carrière, 1} quitta Rome le 25 avril 1682, suivant Houbracken et se dirigea vers la France par la voie de terre, afin de visiter la partie de l'Etalie qu'il ne connaissait pas. Arrivé à Paris, Genoels fut fêté par ses collègues et par ses amis, qui croyaient à son retour définitif. Ses études, ses dessins, ses croquis, dont la réunion formait une des plus riches collections de documents pittoresques qu’on eût rassemblée sur l'Ttalie, furent, pendant plusieurs mois, l’objet de la curiosité des artistes et des amateurs. Lebrun fut frappé du développement qu'avait pris son talent durant les années qu'il venait de consacrer à de consciencieux tra- vaux. Comprenant le parti qu'il en pourrait tirer, il fit un nouvel appel à sa collaboration; mais Genoels avait pris la résolution de se retirer dans sa patrie, et rien ne put le détourner de l'exécution de ce projet. I fil dou à Colbert (9 2 et à Lebrun de deux beaux paysages, puis il partit pour Anvers, où il fixa désormais sa résidence. - Ce fut au mois de décembre 1682 que Genoels rentra dans sa ville natale. Il avait alors 42 ans. Dans toute la force de l’âge, il ne pouvait pas se résignér au repos, cette mort anticipée des hommes voués aux travaux de lintelli- gence. l'y devint le conseil et le guide des jeunes artistes pour lesquels il'ouvrit un cours gratuit de perspective, de géométrie et d'architecture, Sans exiger de ses disciples qu'ils le nommassent Archimède, ainsi que l’a dit fort plaisamment Mariette. Ce ne fut pas sa séule occupation: Il continua de graver à l’eau-forte, car parmi les pièces de son œuvre il en est un certain nombre qui sont datées d'Anvers de 1684 à 1690. Ou ne peut douter qu'il ne se soit également livré à la peinture. À quoi fui eût servi ce voyage d'Italie qu'il avait entrepris dans le seul but de for- tifier son talent et de faire provision de matériaux, et com- ment, pendant son séjour à Rome, aurait-il refusé toute commande de tableau, afin de n'être pas détourné de ses études, si ces études ne devaient pas être mises à profit? Quarante années se sout écoulées entre le retour de Ge- noels à Anvers et sa mort. El n’est pas permis de supposer qu'il se soit abstenu de toute manifestation de ses facultés de’ peintre durant cette longue période? D'où vient done l'extrême rareté de ses tableaux? C’est un point qu'il est nécessaire d'examiner. M. De Bartin s'exprime ainst dans son Traité des con- naissances nécessaires aux amateurs de tableaux : « Je crois faire une chose utile en donnant ici les noms des maitres dont les ouvrages ont tant de mérite et sont d'une rareté si grande, que c’est un bonheur extraordinaire de pouvoir en rencontrer. Tel est entre autres Abraham Genoels, ( ) excellent paysagiste dont les tableaux, du coloris le plus aimable et de la touché la plus délicate, se vendent pres- que toujours sous le nom d'autrui. » Tel est, en effet, la cause de la rareté des tableaux de Genoels : ils se vendent sous les noms d’autres maîtres. Ces erreurs ne sont que trop communes dans l'histoire des arts. Gérard de Lairesse,, en exprimant ses idées sur la signt- lication qu'il faut donner au mot pittoresque, dit qu'il place; parmi les paysagistes, l’Albane , Genoels (qu'il écrit Génouilje), Gaspar Poussin et Polidor (Glauber) au-dessus de. Breughel, de Bril, de Bloemmaert et de Savery, de même qu'il préfère, comme peintres de figures, Raphaël, le Corrége, le Poussin et Le Brun à Pierre Van Laar, à Brou- wer et à Molenaer, par la raison que la belle nature est celle que l’art doit toujours se proposer de rendre. Ce passage prouve évidemment que Gérard de Lairesse à eu sous les yeux des tableaux de Genoels; or, comme il n’a pas quilté la Hollande depuis son départ de Liége, on ne peut douter qu'il wait vu à Amsterdam ces tableaux sur lesquels il a formé son opinion, en ce qui concerne notre artiste. M. Deperthes, auteur de l'Histoire du paysage, signale également le fait singulier de la disparition des peintures de Genoels; mais sans chercher à l'expliquer. Il rend, du reste, hautement hommage au génie du peintreanversois : « Pour bien apprécier, dit-il, l'étendue de son imagina- tion et les avantages dont il fut redevable à des études recueillies avec assiduité et discernement, il serait bon de recourir à une suite d’estampes gravées par lui-même él par divers artistes d'après sés dessins. C'est dans cet œuvre, précieux à consuller, que lon remarquera non pas seulement des vues de jardins ornés de statues, de (46 ) vases, el sur les devants des arbres d'un port élégant et des plantes groupées avec art; mais des compositions in- génieuses el conçues dans un style noble, des paysages enrichis de ruines et de fabriques pittoresques et animés par des figures bien dessinées et drapées largement. Ces vestiges du talent d'Abraham Genoels inspireront sans doute des regrets sur la perte de ses principaux ouvrages ; mais 1l n’est pas moins constant qu'ils serviront toujours à déposer en faveur de la noblesse de ses compositions et de la délicatesse du goût qui le dirigea habituellement dans le choix de la nature et dans la manière de la retracer. » Un écrivain dont la sagacité ne peut être révoquée eu doute, C.-L. Hagedorn, à cru ne pouvoir faire un plus bel éloge de Jean Glauber qu'en disant: « 11 faisait les ligures avec l'esprit de Lairesse et le paysage avec le goùl de Genoels. » Les seuls musées de l'Europe où l'on voie des œuvres d’Abrabam Geuoels sont ceux d'Anvers et de Brunswick. Nous avons cilé déjà le tableau qui se trouve dans la pre- miére de ces deux collections et que l'artiste peignit pour l’Académie de Saint-Luc avant son départ pour lftalie, A Brunswick , il y a deux paysages, dont l'un lui est attribué positivement, et l’autre d’une manière douteuse. Il n’est pas jusqu'au morceau de réception de notre artiste à l'Académie de peinture qui n'ait disparu. C'était un grand paysage de six pieds sur cinq, représentant une vallée au milieu de laquelle on voyait un lac et qu'ani- maient plusieurs figures. Ce tableau se trouvait jadis au Louvre, dans les salles accordées par Louis XIV à l'Acadé- mie. L'intéressante collect‘on des morceaux de réception des académiciens a été dispersée; mais on sait ce qu'ils sont devenus pour la plupart. On les retrouve au Louvre, à (77) l'École des beaux-arts et dans plusieurs musées de France: Par une singulière fatalité qui semble s'attacher aux œu- vres de peinture d'Abraham Genoels, son tableau est du petit nombre de ceux dont le sort est resté ignoré. Les dessins de Genoels ne sont pas plus communs que ses tableaux. Il est du moins aussi difficile d'en saisir actuelle- ment la trace. Le catalogue du célèbre cabinet de Paignon- Dijonval mentionne dix-huit paysages de notre artiste : dessins à la plume, à l'encre de chine ou à l’aquarelle. Il y en avait six dans la collection du prince de Ligne. Le musée du Louvre n’en possède pas un seul, et l'on man- que d'indications sur ceux qui pourraieut exister entre les mains des particuliers. Où sont toutes les études, tous les croquis que Genoels rapporta d'Italie et dont il avait à Anvers des portefeuilles remplis? Sont-ils restés en Belgi- que ou bien ont-ils passé à l'étranger, avec tant d'autres objets attestant le génie de nos artistes? C’est wie question qu'il est plus aisé de poser que de résoudre. Aucun biographe n’a donné la véritable date du décès de Genoels. La plupart se bornent à dire qu'il est mort à An- vers dans un âge avancé. Basan est plus formel, mais aussi plus inexact dans ses affirmations. Il eommet deux erreurs en disant que Genoels « travailla en Italie et en France, où il mourut en 1705. » Fuessli fait vivre notre artiste jusqu’en 1727. Cette date n’est pas non plus la véritable. Abraham Genoels mourut à Anvers, le 40 mai 1725. Il fut enterré dans l'église des Dominicains. L'épitaphe gravée sur la pierre tumulaire chante les louanges du maître en détestables vers flamands. Le poëte sans ortho- graphe qui l’a rédigée dit qu'on retrouve son art, après sa mort, dans les élèves qu'il a formés, ce qui prouve que Genoels avait, en effet, fondé une école à Anvers. L'au- (78) teur ajoute qu'il fut célèbre en France comme peintre du roi: Genoels n’a pas eu le titre ofliciel de peintre de Louis XIV, comme ces mots tendraient à le faire croire. Il a seulement été employé aux travaux exécutés pour ce monarque, ce qui est très-différent. La mémoire de Genoels est religieusement gardée à l'hospice de Saint-Julien, d'Anvers, dont il fut un des bienfaiteurs. Il légua une somme de dix mille florins à cette institution charitable. Pour amasser une fortune qui lui permit de faire une pareille largesse; sans ‘porter atteinte aux droits de ses héritiers; il a dû multiplier ses productions ; ear les œuvres d'art ne se payaient pas de son temps aussi cher qu'aujourd'hui, toute proportion gardée de la valeur du numéraire. Ce fait vient à l'appui de ce que nous disions plus haut de la probabilité d'une attribution d’an grand nombre de ses tableaux à d’autres maîtres; il donne même à cette probabilité un caractère de certitude. | | Le buste de Genoels , sculpté par Michel Van der Voort, se trouve à l’hospice de Saint-Julien. Il est dit dans lin- scription qu'il surmonte que lartiste mourut en 1725, âgé de 87 ans. S'il fallait s'en rapporter à cette indication, Abraham Geuoels serait né en 1636 et non en 1640; mais comme il est inscrit sous celte dernière date au registre baptistaire de l’église Saint-Jacques, il n’est pas douteux que ce ne soit une erreur. —_———@ññ#) — se. ET Ÿ (79 ) OUVRAGES PRÉSENTÉS. Relations des ambassadeurs Vénitiens sur Charles-Quint et Philippe IL; par M. Gachard. Bruxelles, 1855 ; 1 vol. in-8°. Vaderlandsch Museum voor nederduitsche letierkunde, oudheid en geschiedenis; uitgegeven door C.-P. Serrure. I deel, 5°° en 4% stuk. Gand, 1855; 1 broch. in-8°. La poétique d'Horace, ou le second livre de ses Épiîtres; tra- duction en vers par A. Mathieu. Gand, 1855; 4 broch. in-8°. La Belgique sous le règne de Léopold 1"; études d'histoire contemporaine par J.-J. Thonissen. Tome Ile. Liége, 1856; 4 vol. in-8°. à Annuaire de l'Université catholique de Louvain. XX"° année. Louvain, 4856; 1 vol. in-12. Procès-verbaux des séances de la Commission royale pour la publication des anciennes lois et ordonnances de la Belgique. 3m vol., 1 cahier. Bruxelles, 1855; 1 broch. in-8°. Catalogue des accroissements de la Bibliothèque royale. We sé- rie, 5° liv. Bruxelles, 1855 ; 1 broch. in-S°. Traité théorique et pratique des brevets d'invention , de perfec- tionnement et d'importation ; par Th. Tillière. Bruxelles, 1854; 4 vol. in-6°. Les Belges en Italie en 1617; épisode de l'histoire militaire de la Belgique; par le colonel Guillaume. Bruxelles, 1856; 1 broch. in-5°. Les hymnes funèbres de LÉ qlise arménienne, traduites sur le texte arménien du Charagan; par F. Nève. Louvain, 1855 ; 4 broch. in-8°. Résumé méthodique d'histoire universelle ; par À. Docquier. jre, 2me et 3 parties. Mons; 3 vol. in-12. Note sur deux figurines antiques trouvées dans le Limbourg ; par Fr. Driesen. Liége, 1855; 1 broch. in-8?, ( 80 ) Principes de l'économie politique ; par Th. Olivier. Tournai, 1855; 1 broch. in-&°. | Études sur les poésies morales de maître Jean Bosquet, éco- tre à Mons au XVI®% siècle; par L. de Villers et A. Bara. Mons, 1856; 1 broch. in-$°. Note sur une machine hydraulique à tube oscillant sans autre pièce mobile ; par M. de Caligny. Mons, 1855; 1/4 de feuille in-4°. Levensschets van doctor Willem Marcquis; door C. Broeckx. Anvers, 1855; 1 broch. in-S°. Éloye de Rembert Dodoens ; par le même. Bruxelles, 1856; 4 broch. in-8°. Notice bibliographique sur l'histoire de l'école de Salerne du docteur Salvatore de Renzi; par le même, Anvers, 1855; 4 broch. in-8°. Aperçu sommaire de la chimie végétale; traduit de l'allemand par À. de Borre. 1855 ; 4 broch. in-8°. Dernière réponse de la Société de Dolhain à la Société dite d'Oneux. Liége, 1855; 1 broch. in-#. De l'albinisme; monographie par le D' Ed. Cornaz. Gand, 1856; 1 broch. in-8°. La fièvre typhoïde à l'hôpital Pourtalès pendant l'année 1853; notice statistique par le même. Bruxelles, 1855; 1 broch. in-8?°. Revue de la numismatique belge ; publiée sous les auspices de la Société numismatique, par -MM. Chalon, De Coster et Piot. 2me serie, tome V, 4% liv. Bruxelles, 1855; 1 broch. in-&, Messager des sciences historiques de la Belgique. Année 1855; 4e Jiv. Gand, 4855; 1 broch. in-8°. Annales de l'Académie d'archéologie de Belgique. Tome XII; 4me liv. Anvers, 4853; 1 broch. in-8°. Annales de la Société archéologique de Nainur. Tome IV, 9me Jiv, Namur, 1833; 1 broch. in-8°. Revue pédagogique. Ie année, n% 10 à 12. Mons, 1855; 3 broch. in-5°. : L'Abeille, revue pédagogique pour l'enseignement primaire ; publiée par Th. Braun. 9° à 12% liv. Brux., 1855; 4 broch.in-8°. (81) Moniteur de l'enseignement, publié par Frédéric Hennebert. 3e série, tome III, n°° 7 à 16. Tournai, 1855; 10 broch. in-&°. Journal historique et littéraire. Tome XH, liv. 7-10. Liége, 4855; 4 broch. in-8°. Moniteur des intérêts matériels. 5% année, n°° 44 à 52; 6% an- née, n% { à 5. Bruxelles, 1855; 14 feuilles in-4°. L'Illustration horticole, journal spécial des serres et des jar- dins, rédigé par Ch. Lemaire. H° vol., 10m à 49m liv. ; Jim vol. Are à 5% liv. Gand , 4853; 6 broch. in-$. Annales de médecine vétérinaire, publiées à Bruxelles, par MM. Delwart, Husson, Thiernesse et Demarbaix. IV" année, 10% à 12% cahiers, octobre à décembre. Bruxelles, 1853; 3 broch. in-8°. La Presse médicale belge. 7% année, n°“ 45 à 52; 8me année, D 4 à 5. Bruxelles, 1855-1856 ; 13 feuilles in-4°. Le Scalpel, rédacteur : M. Festraerts. 8”° année, n° 10 à 18. Liége, 1855; 9 feuilles in-4°. La Santé, journal d'hygiène publique et privée. 2e série; 7% année, n° 9 à 24. Bruxelles, 1855; 6 feuilles in-4°. Annales médicales de la Flandre occidentale, publiées par les D'° Vanoye et Ossieur. II" année, 22% à 24m |iv.; IV" année, re à 40 liv. Roulers, 1854 ; 43 broch. in-S&. Journal de pharmacie, publié par la Société de pharmacie d'Anvers. 11% année, octobre à décembre. Anvers, 1855 ; 3 broch. in-8e. Natuurkundig tijdschrift voor Nederlandsch Indië, uitgegeven door de natuurkundige Vereeniging in Nederlandsch Indië. Nieuwe serie, deel V, af. 5 en 6; deel VI, afl. 3 en 4. Batavia, 4855; 2 broch. in-S. Comptes rendus hebdomadaires des séances de l'Académie des Sciences ; par MM. les secrétaires perpétuels. Tome XLI, n° 26 et 27. Tables du tome XL; 1* semestre 1855. Tome XL; n® 4 à 5. Paris, 1855-1856; 6 broch. in-4°. Bulletin des séances de la Société impériale et centrale d'agri- Tome xx111. — 1" PART. 6 (82) culture ; compte rendu mensuel, rédigé par M. Payen, 2" série, tome X , n° 7. Paris, 1855; 4 broch. in-8°. Séance publique annuelle de la Société impériale et centrale d'agriculture, tenue le 29 août 1853. Paris, 1855; 1 broch. in-8°. | Bulletin de la Société géologique de France. 2" série, tome XII, feuilles 24 à 51. Paris, 14855; 5 broch. in-8&e. Annuaire de la Société philotechnique. Travaux de l’année 1855. Tome XVII. Paris, 1856; 1 vol. in-12. Revue de l'instruction publique. 15" année, n°5 31 à 44. Pa- ris, 1855-1856; 14 doubles feuilles in-4°. Revue et Magasin de zoologie pure et appliquée ; par M. F.-E. Guérin-Méneville. N°S 40 à 42. Paris, 4855; 3 broch. in-8°. L'Investigateur, journal de l'Institut historique. 22"e année, tome V, 3% série, 247 à 251 Liv. Paris, 1855; 5 broch. in-S°. Rapport adressé au ministre de l'instruction publique et des culles sur l'enseignement du dessin dans les lycées. Paris, 1854; 1 broch. in-8°. Problèmes de mécanique rationnelle; par le P. M. Jullien. Pa- ris, 14855; 2 vol. in-8°. Archives historiques et littéraires du nord de la France et du midi de la Belgique. 5% série, tome V, 2% Jiv. Valenciennes, 4855; 1 broch. in-8&. Revue agricole , industrielle et liltéraire de l'arrondissement de Valenciennes. VII"E année, n° 5. Valenciennes, 1855; 1 broch. in-8°. Mémoires de l'Académie impériale de Metz. XXIV® année, 1° et 2% partie; XXV®® année. Metz, 1853-1854; 3 vol. in-8°. Notice sur les monuments antiques de l'Asie, nouvellement entrés au Musée du Louvre; par A. de Longpérier. Paris, 1855 ; 4 broch. in-8°. Supplément au tableau chronologique des tremblements de terre ressentis à l'ile de Cubu de A851 à 1855; par A. Poey. Paris, 4855; 1 broch. in-8°. Tableau chronologique comprenant 364 cas d'ouragans cyclo- pe. ÉEPEE OURS (85) niques, qui eurent lieu aux Indes occidentales et dans le nord de l'Atlantique, dans une période de 362 années, de 1493 à 1855 ; par A. Poey. Paris, 1855 ; 4 broch. in-8°. Projet d'installation d'un Observatoire météorologique à la Ha- vane ; par le même. Versailles, 1855; 1 broch. in-4°. Les éclairs sans tonnerre; par le même. (Journal La science, n° 235, 257 et 240.) Paris, 1855 ; 3 feuilles in-4° Translation des restes de Charles le Téméraire de Nancy à Luxembourg; manuscrit d'Antoine de Beaulaincourt; publié par Ch. de Linas. Nancy, 1855; 1 vol. in-8°. Étude sur le pendule à oscillations électro-continues de M. L. Foucault ; par Ed. Gand. Amiens, 1855 ; 1 broch. in-8e. Trias du Chablais ; par G. Mortillet. Annecy, 1855; 1 broch. in-8°. The numismatic Chronicle, and journal of the numismatie Society. N° 68 à 70. Londres 4855; 5 broch. in-8°. Catalogue of a collection of works on or having reference to the exhibition of 1851 ; in the possession of C. Wentworth Dilke. Londres, 14855; 1 vol. in-8°. Denkmäler aus Agypten und Athiopien; herausgegeben und erlaütert von C.-R. Lepsius. Lieferung 51-62. Berlin; in-folio. Zeitschrift für allgemeine Erdkunde; herausgegeben von D' T.-E. Gumprecht. V'* Band, 3-6 Heft. Berlin, 1855; 4 broch. in-4°, Die Fortschritte der Physik im Jahre 1852; dargestellt von der physikalischen Gesellschaft zu Berlin. VIF Jahr., 2* Abth. Berlin, 4855; 1 broch. in-8&. Abhandlungen der küniglichen bühmischen Gesellschaft der Wissenschaften. V Folge, Band 8. Prague, 1855; in-4°. Magnetische und meteorologische Beobachtungen zu Prag. 13! Jahrgang. Prague, 1855; in-4°. Witterung und Klima in ihrer Abhängigkeit von den Vorgän- gen der Unterwelt ; von D" A.-F.-P. Nowäk. Leipzig, 1854; 4 broch. in-8°. Heidelberger Jahrbücher der Literatur, unter mitwirkung der (84) vier Facultäten. XLVHE Jabr., 9-12 Heft. Heidelberg, 1855; 4 broch. in-8°. Université de Marbourg. Collection de thèses inaugurales. Marbourg, 4854-1855; 17 broch. in-8° et 9 broch. in-4. Verhandlungen der physicalisch-medicinischen Gesellschaft in Würzburg. Band VI, 2° Heft. Würzburg, 1855 ; 1 broch. in-8°. Zwei-und-dreissigster Jahres-bericht der Schlesischen Gesell- schaft für vaterländische Kultur. Enthält : Arbeiten und Verän- derungen der Gesellschaft im Jahre 1854. Breslau; 4 vol. in-4°. Jahresbericht der Wetterauer Gesellschaft für die gesammite Naturkunde zu Hanau; über die Gesellschaftsjahre von August 48553 bis dahin 14855. Hanau, 1855 ; 1 vol. in-16. Abhandlungen, herausgegeben von der Senckenbergischen na- turforschenden Gesellschaft. K'° Bandes, 2° Lieferung. Franc- fort S/M. 1855; 1 broch. in-4. Sul ozono atmosferico ; nota del prof. A. Colla. Parme, 4855; 4 broch. in-8°. Intorno alle scoperte di quattro pianeti della famiglia degli asteroidi Circe, Leucotea, Atalanta e Fides ; memoria del prof. Colla. Parme, 1855; 4 broch. in-8°. Nova acta regiae Societatis scientiarum Upsaliensis. 3° série, vol. I, fase. 2. Upsal, 1855 ; 1 broch. in-4°. Mémoires de la Sociète impériale russe de géographie. Tome X. S'-Pétersbourg, 1855; 1 vol. in-8°. (En langue russe.) Bulletins de la Société impériale russe de géographie. 1854; ns 5et6; 1855, n° 1 à 4. S'-Pétersbourg ; 6 broch. in-8°. (En langue russe.) Compte rendu de la Société impériale russe de géographie. An- nées 1855-1854. S'-Pétersbourg, 1855; 2 broch. in-8°. Bulletin de la Société impériale des naturalistes de Moscou. Année 4854, n°° 9, 5 et 4; année 1555, n° 1. Moscou, 1854-1855; 4 broch. in-8°. BULLETIN DE L'ACADÉMIE ROYALE DES SCIENCES, LETTRES ET DES BEAUX-ARTS DE BELGIQUE. 1856. — No 2. CLASSE DES SCIENCES. Séance du 2 février 1856. # M. Anv. Dumonr, directeur. M. A. Querecer, secrétaire perpétuel. Sont présents : MM. Sauveur, Timmermans, Wesmael, Martens, Cantraine, Stas, De Koninck, Van Beneden, A. De Vaux, Nyst, Gluge, Nerenburger, Melsens, Schaar, Liagre, Duprez, membres; Lamarle, associé; Ernest Que- telet, Jules d'Udekem, correspondants. M. Ed. Fétis, membre de la classe des beaux-arts, assiste à la séance. . TOME xxu11. — ["° PART. 7 (86) CORRESPONDANCE. M. le Ministre de l’intérieur adresse une expédition d’un arrêté, en date du 51 décembre dernier, qui approuve l'élection de M. Brasseur, en qualité de membre de la classe. M. Lejeune-Dirichlet, professeur à Gôttingue, remercie l'Académie pour sa nomination d’associé. — M. A. De Vaux fait connaître que M. le Ministre des travaux publics l’a autorisé à dire qu'il verra avec plaisir reculer d'un an le terme du concours extraordinaire con- cernant l'exploitation des houillères. La question est, en conséquence, maintenue au con- cours. — L'Académie royale des sciences de Madrid, l’In- slitution Smithsonienne de Washington et la Société géographique et statistique de New-York envoient leurs dernières publications. — L'Académie royale des sciences de Turin remercie l’Académie pour l'envoi de ses mémoires. — M. Mac Léod fait parvenir les résultats de ses obser- vations sur les phénomènes périodiques des plantes, faites à Ostende pendant l’année 1855. — M. G. Pegado, directeur de l'Observatoire méléoro- logique de Lisbonne, envoie les résultats de ses observa- tions jusqu'à la fin de novembre 1855. (87) — M. le marquis de Caligny adresse à l'Académie une note sur un appareil hydraulique de son invention. — La classe reçoit les ouvrages manuscrits suivants : Note sur le théorème inverse de Bernouilli, étendu au cas de plus de deux événements, par M. Meyer, correspon- dant de l’Académie. (Commissaire : M. Brasseur.) Remarque sur le terme qui complète la série de Taylor, par M. Ph. Gilbert. (Commissaires : MM. Lamarle et Tim- mermans.) Nouvelle classification de la famille des Orchidées, par C. Pinel, naturaliste au Brésil. (Commissaires : MM. Spring et Martens.) Notice sur la construction et l'exécution des horloges électriques, par M. Goetmaeker, horloger. (Commissaire : M. A. De Vaux.) FINANCES DE L’ACADÉMIE. Il est donné connaissance que la commission des finances de la classe des lettres s'est réunie avant la séance, et qu’elle a approuvé, en ce qui la concerne, les recettes et dépenses faites pendant l’année 1855. (88) RAPPORTS. Sur une nouvelle méthode de conduire et de calculer les triangulations géodésiques ; Mémoire de M. P.-E. Biver, ancien élève de l'Ecole militaire. Æapport de M. le capilaine Liagr'e. & On sait que la méthode employée aujourd’hui en géo- désie consiste à imaginer un canevas de triangles, situés dans l’espace, et formant un polyèdre à faces triangulaires qui enveloppe le sol; puis à projeter, par la pensée, tout le système sur la surface moyenne des mers, supposée pro- longée au-dessous de l'observateur, et à remplacer ainsi les triangles rectilignes, qui font l’objet des observations, par des triangles curvilignes tracés sur un ellipsoïde de niveau, très-peu différent de la sphère. C’est par le calcul que l’on détermine ensuite, en fonction d’une base et d’an- gles projetés sur cette surface, les côtés du canevas , et les positions géographiques relatives des différents sommets. Ce mode de procéder a l'avantage précieux de rapporter à une même surface de comparaison les triangulations effectuées dans les diverses régions de la terre : il permet ainsi de les combiner immédiatement entre elles. Mais il faut reconnaître qu'il est, à la rigueur, entaché d'une espèce de cercle vicieux, puisqu'il suppose les mesures réduites sur une surface dont la détermination constitue une des inconnues définitives du problème. La connais- sance du rayon de courbure est nécessaire, en effet, pour obtenir la longueur de la base projetée, et l’aplatissement 1 ( 89 ) du sphéroïde terrestre entre comme élément dans le calcul des différences de longitude, latitude et azimut géodési- ques des sommets de la triangulation. L'inconvénient toutefois n'est pas très-grave : il se pré- sente en astronomie dans un grand nombre de questions, où l'on a recours, par préférence, à l'emploi des fausses positions, parce qu'il conduit rapidement à des résultats d’une exactitude suffisante, et que le défaut de rigueur mathématique de la méthode est largement compensé par sa grande simplicité. D'ailleurs, dans la question qui nous occupe, les dimensions de l’ellipsoide terrestre, assignées par les travaux géodésiques et astronomiques antérieurs, fournissent aux calculs une première hypothèse, dont l’er- reur est assez faible pour n’avoir que peu d'influence sur les premiers résultats obtenus. Pour la vérifier, on a la précieuse ressource des positions absolues, à laquelle il fant, dans tous les cas, avoir recours pour un sommet au moins : je veux parler de la détermination astronomique de plusieurs sommets convenablement choisis. Si lapla- tissement local que l’on trouve ainsi diffère sensiblemeut de celui que l’on a adopté, on l'introduit dans les calculs, pour corriger les premiers résultats. / Le but du mémoire que M. Biver à présenté à l'Acadé- mie est d'éviter cette marche indirecte, et de résoudre le problème des triangulations d’une manière géométrique, mathématiquement rigoureuse. Son procédé consiste. à déterminer d’abord tous les éléments du polyèdre géodési- que, considéré dans l’espace, et à réduire ensuite la trian- gulation, non pas à la surface moyenne du niveau des mers, mais à la surface du niveau véritable, station par station. Le sujet présentait des difficultés théoriques que l’auteur a surmoutées avec laleut, des complications qu'il a déve- ( 90 ) loppées avec ordre : la division de son mémoire est nalu- relle et logique; ses formules sont exactes, bien appropriées au calcul, et dénotent chez l’auteur une parfaite connais- sance des théories géodésiques. Leur application est d’ail- leurs matériellement praticable , bien qu’elle exige un tra- vail un peu plus considérable que la méthode ordinaire. Je regarde particulièrement comme très-heureuse l’introduc- tion qu'il fait des coordonnées astronomiques, dans la compensation générale d’un canevas géodésique : cette idée mérite d’être recueillie. Au point de vue purement mathématique, je crois donc devoir approuver le travail de M. Biver; mais il m'est impossible de ne pas présenter mes réserves au point de vue pratique. Quelques mots d'explication som nécessaires pour motiver mon opinion à ce sujet. L'auteur se donne, comme éléments observés, les seuls angles horizontaux du canevas, et il fait voir que, pour un système composé de plus de cinq sommets, tous visibles l’un de lautre, l'observation de ces angles horizontaux suflit pour fixer la position dans l'espace de tous les trian- gles du canevas, donc les différences de niveau de leurs sommets. La possibilité de cette détermination provient de ce qu'il existe alors, entre les angles réduits et les angles dans l’espace, un nombre de relations géométriques suflisant pour permettre de calculer ces derniers en fonc- tion des premiers. Je reconnais, en général, l'existence de ces relations, bien que leur expression mathématique soit, pour ainsi dire, impossible, à cause des éliminations nombreuses qu'elle exigerait entre des équations transcendantes; mais il est évident pour moi qu’elles doivent cesser de conduire à un problème déterminé, lorsque les verticales passant (91) par les différents sommets sont, comme pour la sphère, situées deux à deux dans un même plan. Imaginons, en effet, six points silués sur une surface sphérique, et joignons-les deux à deux par des ares de grand cercle : il en résultera 6 (6 — 2) — 24 angles hori- zontaux que je suppose observés. Or, que l'on regarde ces six points comme stations, ou bien comme signaux géodé- siques, on pourra les faire glisser arbitrairement sur leurs verticales respectives (et par suile varier arbitrairement les angles plans) sans que les angles réduits cessent d’être représentés par les 24 angles horizontaux dont il vient d’être question. Il est donc impossible que ces derniers permeltent de calculer les angles dans l’espace , et le pro- blème doit rester indéterminé. La terre, il est vrai, n’est pas une sphère parfaite; et deux verticales voisines ne sont pas nécessairement situées dans un même plan. Mais pour une zone restreinte, telle, par exemple, que l’espace qu’un observateur peut embras- ser d'une même station, la surface de la terre se confond avec celle d’une sphère oseulatrice; l’angle de deux verti- caux réciproques peut être considéré comme nul, et cepen- dant , de quelque manière que l’on combine les observa- tions, c'est toujours, en dernière analyse, l'intersection de ces deux plans qui détermine dans l'espace la position de l’arête du polyèdre : l'observation des angles horizon- taux devrait donc avoir une précision mathématique, pour servir, d’une manière tant soit peu exacte, au calcul des angles dièdres du canevas polyédrique, par suite, à celui des différences de niveau et des angles plans. Cette objection capitale, que j'ai cru devoir adresser à l’auteur , l’a engagé à ajouter à son mémoire un paragra- phe nouveau, où il entre dans quelques explications à ce (92) sujet; mais l'idée fondamentale de son travail me parait devoir empêcher, par sa nature même, que la nouvelle méthode proposée soit susceptible d’une bonne application pratique. Mon objection, du reste, n'enlève rien au mérite du mémoire de M. Biver, sous le rapport de la spéculation mathématique, et j'ai l'honneur de proposer à la classe d’en décider l'impression dans un de ses recueils. Rapport de M. Nerenburger. « Déterminer la figure de la terre, c’est définir sa forme et mesurer sa grandeur, De là deux problèmes qui em- pruntent leurs solutions à des sciences distinctes. Le pre- mier de ces problèmes est du ressort de l'astronomie, le second seul appartient à la géodésie, Peu de mots sufiront pour justifier cette division. Lorsqu'un réseau géodésique enveloppe une contrée, lorsque plusieurs de ses côtés ont été mesurés directement, lorsque l’un d'eux a été projeté sur la surface des mers, si tous les angles ont été observés au théodolite, on possède alors l’ensemble des éléments nécessaires pour calculer toutes les parties du canevas, et vérilier, au besoin, l’exac- titude de la triangulation. En caleulant les triangles de proche en proche, d’après la base réduite au niveau de la mer, on projette par cela même tout le canevas sur une surface déterminée; cette surface n’est point arbitraire, car ellé contient la base et rencontre orthogonalement les verticales menées par les divers sommets : c'est la surface du niveau de la mer pro- (9%) longée. Si on cousidère, au lieu d’une contrée, le globe entier, le réseau enveloppant sera complet, et l’on pourra mesurer la surface de la terre avec une grande exacti- tude, dans tous les sens, autour d’un point quelconque, parce que la géodésie enseigne à calculer le développe- ment d'une ligne qui traverse le réseau projeté sur cette surface. Telle est la solution du problème purement géodésique que la question de la figure de la terre comporte. Pour apprécier la courbure de la surface terrestre, de cette surface qui coupe orthogonalement toutes les verti- cales du globe, ce n’est point à la géodésie, mais bien à l'astronomie qu'il faut demander des moyens rigoureux de solution. En voici la raison : Concevous une ligne quelconque (c’est donc une ligne à double courbure) tracée sur la surface de la terre, puis, eu un point de cette ligne, le plan tangent et la normale. Le plan sera l'horizon du lieu; il formera avec la parallèle à l’axe du monde menée par le point de contact, un angle déterminé : cet angle est la hauteur du pôle. Lorsque le plan se mouvra sous la condition de rester tangent à la sur- face toujours en un point de la ligne tracée, la parallèle à l'axe et la normale, dépendantes l’une de l’autre, varieront de position avec le plan. Les normales successives se ren- contreront et elles comprendront, deux à deux, des angles égaux aux angles de contingence consécutifs de la courbe. On voit que la courbure d’une ligne géodésique, en un point , est liée à la hauteur du pôle pour ce point, c'est-à- dire à la latitude. Y faut donc conclure de cette observa- tion que la détermination de la forme de la terre est essen- üellement du domaine de l'astronomie. La théorie développée par l'auteur et qualifiée par lui (9%) de nouvelle méthode géodésique, a pour objet d'effacer la distinction qui vient d’être établie, parce qu'elle attribue à la géodésie seule la détermination de la forme de la terre qui, jusqu’à ce jour , avait appartenu sinon exclusivement , du moins essentiellement à lastronomie. Est-ce bien là, une méthode géodésique nouvelle , est-ce, en tout cas, un pro- grès? N'est-ce pas plutôt un empiètement de la géodésie sur l'astronomie, une véritable usurpation contre laquelle les astronomes ne manqueront pas de protester? Quant à moi, Je n'hésite pas à répondre aflirmativement à la der- nière de ces questions , et j'ajoute que la géodésie seule est impuissante à déterminer la figure de la terre (1). En eflet, imaginons la surface polyédrale formée à la surface du globe par les triangles du réseau géodésique non réduits au niveau de la mer. La détermination de toutes les parties de la surface entraînera, comme con- séquence (j'admets cette déduction avec l’auteur), la dé- finition de la forme de la terre, parce que les angles dièdres du système seront connus et que ces angles mesurent en quelque sorte la courbure du globe dans tous les sens. Ces angles constituent un réseau dont la fonction, dans la mesure de la courbure de la surface terrestre, est la même que celle du réseau géodésique dans la mesure des dimensions. Mais si on considère combien est faible la courbure de cette surface, on verra que, dans l'étendue embrassée par les triangles qui viennent se grouper autour d'une station centrale, les angles diédres doivent être voi- sins de 180°. Pour les déterminer trigonométriquement , (1) C’est pour cela que Francœur a donné le nom de géomorphie à l’en- semble des opérations géodésiques et astronomiques qui concourent à fixer la figure du globe. HE = SR A (9% ) on doit, ainsi que le fait M. Biver , les considérer comme appartenant aux létraèdres dans lesquels l'enveloppe polyé- drale est décomposable. Or les angles dièdres de ces tétraèdres ét certains de leurs angles plans, à l'exception des angles du réseau géodésique ordinaire, sont on très- voisins de 180°, ou très-petits; en d'autres termes, Îles triangles qu'on introduit dans le réseau géodésique ordi- naire pour arriver à déterminer les angles dièdres, sont, pour la plupart, de la forme la plus défavorable; ils con- stituent un second réseau greffé en quelque sorte sur le premier, mais de la manière la plus malheureuse; et remarquons que ce défaut capital est une nécessité de la méthode, car il est dû à ce que les différences de niveau des sommets géodésiques sont toujours minimes compa- rativement aux dimensions horizontales. Ainsi, tandis que la géodésie est libre de donner aux triangles la forme la plus avantageuse, lorsqu'elle mesure la surface terrestre, elle est contrainte d'admettre les triangles les plus défectueux, lorsqu'elle s’avise de vouloir assigner la forme de cette surface. Ce fait suit à lui seul pour montrer que la détermination de la courbure du globe n’est pas de la compétence de la géodésie. J'ai donc eu raison d'avancer que la géodésie seule est impuissante à déterminer la figure de la terre. Ces raisonnements tirent une force nouvelle des résul- tats d’un travail auquel je me suis livré en vue de fixer mes idées sur la nature des polyèdres géodésiques. J'avais trouvé dans le mémoire dont la classe a bien voulu me confier l'examen, des figures de polyèdres telles qu’on en voit dans les Traités de géométrie élémentaire, de polyèdres convexes formés de triangles bien conditionnés, et j'avais été frappé tout d'abord , de la différence qui devait exister ( 96 ) entre les polyèdres hypothétiques de l’auteur et ceux de la nature, si je puis m'exprimer ainsi. J'ai donc cherché un exemple dans le Système métrique par Méchain et Delam- bre, où plutôt j'ai pris le premier exemple qui s'est offert à mes yeux : c’est un tour d'horizon à la station de Villers- Bretonneux. Six points environnent cette station; si on les joint deux à deux , on obtient un polyèdre analogue à celui que l’auteur a représenté à la feuille troisième de son mémoire. Après avoir déterminé la longueur des arêtes qui étaient inconnues, j'ai pu calculer avec une précision suffisante pour l’objet que je m'étais proposé, plusieurs angles plans et plusieurs angles dièdres du système. Voici mes résullats : VALEURS VALEURS de quelques angles de quelques angles Observations. dièdres. plans, S = ct e o 179953 41” . 165 28 32 Les angles dièdres, dont les 159 96 54 valeurs sont consignées dans la 10 1% premiere colonne, ont été choisis ” _ parmi les mieux conditionnés. 4 02 135 47 res ei 92 %©ce (24 19 19 OÙ Qi Qt QI _ 1 [24 © © C1 = QI A OS = = cl Les valeurs contenues dans la seconde colonne, se rapportent à des angles plans autres que ceux qui appartiennent à la triangula- lion ordinaire. es 1 © © © es a Lu [=7] 0 9 0 0 9 0 © 9 0 0 (97) Ces chiffres sont concluants : ils condamnent l’idée d'ap- pliquer les procédés trigonométriques seuls à la détermi- nation de la forme de la terre. Le confrère qui est chargé d'examiner avec moi le mé- moire de M. Biver rend justice au talent avec lequel l’au- teur a présenté sa théorie. Je m’associe de tout cœur à cel éloge; mais comme lui, je suis amené à conclure que la méthode proposée n’est pas susceptible d'application. Je n’en proposerai pas moins à la classe d'ordonner l'impres- sion du mémoire, parce que ce travail renferme une solu- tion analytique intéressante du problème de fixer la posi- tion relative de points de l’espace, sans le secours de plans de projection. » Après quelques explications, la classe admet les con- clusions des deux rapports, et décide que le mémoire de M. P.-E. Biver sera inséré dans le Bulletin. Note sur le théorème inverse de Bernouilli; par M. Meyer, correspondant de l'Académie. Hiapport de M. Brasseur. « Si, dans le théorème de Bernouilli, on prend pour donné ce qui est inconnu, et pour inconnu ce qui est donné, on aura ce que M. Meyer appelle le théorème in- verse de Bernouilli. Ce théorème inverse a done pour objet de déterminer les probabilités simples de deux événements contraires, ( 98 ) lorsqu'on donne les nombres de leurs répétitions dans un très-graud nombre d'épreuves. On à deux solutions de cette question, l’une de Bayes, l’autre de Laplace, toutes deux basées sur le développe- ment du binôme. Celle qui fait l'objet de la note de M. Meyer a été indi- quée en peu de mots par Laplace (1). Elle a l’avantage d'être indépendante du théorème direct. Après la mise en équation du problème, ce que l'auteur fait immédiatement au moyen du théorème de Bayes sur les probabilités des causes, la difficulté est ramenée à une intégrale définie que l'auteur effectue par des transforma- tions heureuses qui consistent dans plusieurs changements de variables. La solution de M. Meyer ne laissant rien à désirer, j'ai l'honneur de proposer à la classe d’en ordonner l'insertion dans le Bulletin de l'Académie. » L'Académie, conformément aux conclusions de son rap- porteur, ordonne l'impression de la note de M. Meyer. cr (99 ) COMMUNICATIONS ET LECTURES. Mémoire sur une nouvelle méthode de conduire et de calculer les triangulations géodésiques ; par M. P.-E, Biver, ancien élève de l'Ecole militaire. La mesure des bases, le caleul des triangulations, sont les fondements de toutes les opérations géodésiques; ce calcul constitue donc une des plus importantes applica- tions des mathématiques, sous le rapport de l'utilité, en même temps qu'une des plus intéressantes sous le rapport scientifique, parce qu'il appelle à son secours toutes les ressources de la géométrie et de l'analyse. Depuis que nous avons commencé l'étude de la géo- désie, sous la direction de deux membres de l’Académie, nous nous sommes demandé s’il ne serait pas possible de résoudre le problème des triangulations d’une manière géométrique, mathématiquement rigoureuse, en multi- pliant au besoin les mesures en tous sens, et en adoptant pour règle invariable de procéder du connu à l'inconnu, par voie de déduction, en dehors de toute hypothèse. Telle n’est pas strictement la méthode employée en géo- désie; tous les calculs se font en supposant les mesures réduites sur une surface moyenne, dont la forme n’est qu'approximativement connue, et constitue elle-même une des inconnues définitives du problème. Grâce à l'emploi de corrections successives, en adoptant, comme données de chaque nouvelle triangulation , les résultats de la com- binaison de toutes les précédentes, on parvient, à la vérité, (400 ) à des déterminations d’une exactitude remarquable; il y a plus, en faisant abstraction des longueurs de la méthode des moindres carrés , la théorie généralement appliquée au calcul des triangulations est d’une grande simplicité. Les travaux les plus parfaits de la géodésie ont démontré pourtant que la forme de la terre dévie sensiblement de celle d'un ellipsoide de révolution; l'aplatissement varie d’une région à l’autre, et, ce qui est plus grave, on a cru plus d’une fois reconnaitre qu'en. certains lieux, la verti- cale s’écarte plus ou moins du méridien géographique. Aussi, pendant huit années, nous avons souvent porté nos réflexions sur les calculs géodésiques , nous avons fait maint essai dans des voies nouvelles. Nous avons souvent douté qu'il fût possible d'arriver, dans les conditions que nous avions établies, à des formules qui conduisissent à des calculs praticables. Nous croyons aujourd'hui démon- trer théoriquement, par ce mémoire, que cêtte possibilité existe. Pour ce qui est de l'exécution matérielle des cal- culs, nous en avons fait suffisamment pour nous assurer qu'ils ne présentent aucune difficulté arithmétique ou al- gébrique; mais le temps et les éléments nous manquent pour déterminer des résultats qui puissent être comparés à ceux de la méthode actuellement en usage. La certitude de ia théorie empêche de supposer que l’on pourrait par- venir à des résultats moins précis; l'expérience seule peut décider s'il y aurait une supériorité de précision suflisante pour motiver l'adoption de la nouvelle méthode à l'exclu- sion de l’ancienne, malgré un léger surcroît de calculs. Ce surcroît, d’ailleurs, serait largement payé, d’après là théo- rie, par l'obtention de distances zénithales complétement indépendantes de la réfraction , valeurs précieuses pour le nivellement, que l’on n’a aujourd'hui aucun moyen de se —_———) + IRQZ , | 7 KA | (101) procurer : l'expérience seule, encore, peut faire voir dé- finiivement si les erreurs probables des valeurs ainsi obtenues sont au-dessous des limites de l'incertitude sur la valeur de la réfraction. En résumé, nous présentons donc, dans ce mémoire, une solution géométrique nouvelle du problème fonda- mental de la géodésie; nous essaierons d'établir sa supé- riorité théorique sur la solution en usage, et convaincu, par nos calculs, qu'elle n’est pas inférieure en pratique, nous sommes obligé d'abandonner à l'avenir la tâche d'examiner si elle est supérieure aussi par l'exactitude et la variété des résultats. $ 1. — Détermination géométrique du canevas. Les triangulations géodésiques ont pour premier objet de déterminer les positions relatives de différents points de la surface de la terre. En réunissant ces points deux à deux , par des lignes droites fictives, on forme une série de triangles dont généralement deux ne sont pas dans un même plan; si l'on connaissait exactement tous les angles de ces divers triangles, leurs formes et leurs inclinaisons relatives seraient déterminées, et par suite, le système des points serait parfaitement défini, et l’on pourrait aisément passer au calcul de tels éléments de leurs positions que l'on jugerait convenable. Le nombre des triangles, pour n points, est de n [n—1 n—2 . x = =: | er] ; celui des angles plans du système est donc ET (ns de =!” _ 2) expression d'angles plans pour désigner, dans le cours de ce mémoire, ces angles de triangles rectilignes. (Fig. 1.) ; nous emploierons abréviativement cette TomE xxu11. — [°° PART. 8 D 6 47 La: VR ( 102 ) Dans le grand nombre de ces angles, on ne peut en consi- dérer que relativement peu d’inconnus ou du moins d’in- dépendants. Si l’on prend un point A pour point de départ, et, si on le joint à tous les autres, les trois angles BAC, BAD, CAD détermineront les directions relatives des trois droites AB, AC, AD; en y ajoutant les deux angles BAE, CAE,, la direction de AE sera fixée, et par suite, l'angle DAE prendra une valeur forcée ; de même, chaque nou- vellé direction ne demandera que deux angles plans pour sa détermination : le nombre des angles plans indépen- dants, en A, pour n points ou n —1 directions, sera donc 3+2{(n—4)—=9n—5; masilya api) Etre) angles plans en A : il y a donc { (n *— 5n + 2) — (92n —5)— + (n? — 7n + 12) relations entre les angles plans de l'angle polyèdre A. Ces relations, nous pourrions les déterminer par la trigonométrie sphérique; mais nous les ferons entrer plus cCommodément dans le caleul plus tard, et, pour le moment, nous concevrons qu’au moyen de 2n —5 valeurs indépendantes, les angles dépendants ont des valeurs, non développées à la vérité, mais tout à fait déterminées. Si l’on veut fixer maintenant la position d’un point quel- conque sur une des directions, de E, par exemple, en sup- posant la longueur AB base de la construction, il suffira de concevoir une valeur déterminée pour l'angle ABE, dans le plan des directions AB, AE : ainsi le système nécessite en- core pour chaque point autre que A et B un angle, en tout n—2; et comme il y a, ailleurs qu’en A, PORRRS “ 2 9 angles plans, il faudra É 2 (n? — 9n — 1) relations. Nous allons voir comment ces relations peuvent être éta- blies successivement, sans indétermination et sans double emploi. ( 105 ) Tous les angles plans en A, et tous ceux formés en B avec BA, sont supposés déterminés. En considérant d’abord le point C avec À et B, il se forme un triangle dans lequel * l'angle ACB est donné par une équation de triangle : ACB + CBA + BAC = 180°. Introduisons le point Den traçant les directions AD, BD: il en résulte un nouveau triangle, où l'angle ADB, seul inconnu, est donné par l'équation de triangle ADB + DBA + BAD— 180°. En joignant C avec D, deux triangles se ferment; dans ADC nous connaissons l'angle CAD seul, l'équation du . sine LE. AB en AG 0) AD triangle né suffit br mais l'identité x 5 * 35 —1 nous donne une deuxième relation entre les deux incon- nues et des quantités connués, si nous y remplaçons les rapports de côtés par ceux des sinus des angles opposés, savoir : sin ACB k sin ADC * sin ABD sab,e sin ABC ” sin ACD sin ADB ’ nous appéllerons cette équation et ses analogues : équa- tions du canevas. Le triangle BCD n'offre pas d'angle connu; mais à l’équa- tion du triangle nous pouvons ajouter deux équations du canevas ; les identités CA CB je 4, DB, DC, CB * CD * CA — DE "0 DL donnent : sin CBA sin CDB : sin CAD sin DBA sin DCB sin DAC sin CAB # sin CBD x sin CDA — ? sin DAB * sin DBC * sin DCA ; ( 104 ) ces équations renfermant, l’une les angles du triangle ABC, l’autre ceux du triangle ABD, déterminés indépen- damment les uns des autres, ne peuvent pas être iden- tiques, et forment done, avec l’équation du triangle BCD, un système complet à trois inconnues. Introduisons dans le système un cinquième point, E. Les trièdres ABCE, ABDE,, peuvent être résolus exacte- ment comme ABCD, puisque, comme lui, ils se ratta- chent à la base; reste la face CDE seule, et, de ce qu’elle forme trièdre, avec ACD, ACE, ADE,, par exemple, ses an- gles seront déterminés comme ceux du triangle BCD plus haut. Le triangle CDE est détaché de la base AB; on pourra donc appliquer à tous les autres triangles ce qui a été indiqué jusqu'ici. El suflit de faire observer qu’à chaque nouveau triangle, outre l'équation du triangle, il faut pren- dre une équation du canevas, si le point A y entre sans B, et deux équations du canevas, si À n’y entre point; de cette façon on aura le nombre d'équations strictement néces- saire pour exprimer de proche en proche tous les angles plans, sans double emploï, comme sans indétermination. Si nous avons donné à toutes ces équations des noms autres que ceux d'équations d'angles el d'équations de côtés, c'est, d'abord, parce que nos triangles sont des triangles géométriques formant réellement canevas, et non des triangles rectilignes provenant de la rectification des côtés d'un canevas sphérique; ensuite, parce que nous n'avons pas ici la relation directe CBA — CBD + DBA que l’on a sur la sphère; etenfin, parce qu'il n'entre pas d’excès sphé- rique dans nos équations, et que nous en ferons un usage un peu différent de celui des équations analogues de la méthode ordinaire. ( 405) $ 2.— Introduction des résultats d'observation. Nous venons d'établir que les positions relatives de tous les points d’un système peuvent être considérées comme déterminées au moyen de 2n — 5 angles en A et de n—2 angles en B, en tout 5n — 7, pourvu que nous retrouvions An +12 à | les = Due équations de l'angle polyèdre A. Quels seront les moyens à employer, les mesures à prendre, pour déter- miner ces 5x — 7 inconnues ? La mesure des distances est trop pénible pour que l'on y ait recours, autrement que pour la détermination des dimensions absolues des lignes du système; leurs dimensions relatives et leurs direc- tions doivent se déterminer par des mesures d’angles; ces dernières mesures ne sont point sans difficultés non plus; mais lorsqu'elles ont pour but des angles réduits à l’hori- zon, elles permettent d'employer les instruments et les procédés les plus parfaits : dégagées de l'effet des réfrac- tions verticales, elles ne sont altérées que par les erreurs d'observation, dont leffet peut être indéfiniment atténué par la réitération, et par les réfractions latérales dues à des circonstances locales; nous reviendrons sur celles-ci. Ainsi, pour déterminer les angles plans inconnus, nous devrons mesurer aux divers points des angles horizontaux; à cet effet, en A, par exemple, nous imaginerons la verti- cale du lieu, et des plans passant par cette droite et les diverses directions : les mesures auront pour objet direct les angles formés par ces plans. Afin d'introduire les ré- sultats d'observation dans le calcul, nous devrons donc commencer par introduire dans le système des points les directions des verticales, ce qui obligera à ajouter aux inconnues deux angles par sommet de la triangulation. ( 106 ) Soit bcd l'horizon du point A ,N son nadir (Fig. 2.); les di- rections rectilignes AB, AC, AD, etc., seront généralement en dessous de l'horizon, à cause de la convexité de la terre; nous ne parlerons que des dépressions de ces directions, en remarquant une fois pour toutes que des ascensions exceptionnelles seraient considérées comme des dépres- sions négatives. Nous aurons, dans les triangles sphériques NBC, NBD, NCD, respectivement les trois relations : cos BAC — sin bAB sin cAC + cos bAB cos cAC cos bAc cos BAD — sin bAB sin dAD + cos bAB cos dAD cos bAd cos CAD — sin cAC sin dAD + cos cAG cos dAD cos (bAd — bAc); ces relations contiennent trois inconnues BAC, BAD, CAD, indépendantes l’une de l’autre : elles sont donc essentiel- lement différentes et peuvent servir à exprimer les trois quantités bAB, cAC, dAD, en fonction des angles plans et des angles réduits. S'il intervient la direction d'un cin- quième point, E, cette direction donne lieu à deux angles plans BAE, CAE , indépendants des trois premiers, et par suite aux deux relations nouvelles : cos BAE — sin bAB sin eAE + cos bAB cos eAE cos bAe, cos CAE — sin cAC sin eAE + cos cAC cos eAE cos (bAe — bAc); bAB étant déterminé, la première de ces équations pourra donner eAF; l’autre se transformera ainsi en une relation entre les angles plans et les angles réduits bAc, bAd, bAe, relation d'un genre nouveau. Quant à la sixième équation , en cos DAE,, nous ne pou- vons lui assigner la même signification; en effet, réunis- sant les six équations, et éliminant, par la pensée, les trois angles réduits et deux dépressions dAD, eAE, il resterait une équation unique exprimant une relation eutre les six ( 107 ) angles plans et les deux dépressions restantes, ou leurs compléments BN, CN : or, ceux-ci sont bien évidemment indépendants de ces angles plans; ils doivent donc dispa- raitre par la même élimination , et les augles plans, qui ne peuvent s'éliminer parce que chacun n'entre que dans une seule des équations primitives, resteront seuls; c’est-à-dire que nous aurons l'équation désignée plus haut sous le nom d'équation de l'angle polyèdre. En introduisant de nou- veaux points, les mêmes raisonnements pourront se répé- ter; pour un système vaut de n points (A compris) nous aurons en À = Lune savoir : n— 1 pour les dépressions, n — 4 relations entre les angles plans et les angles réduits (une pour le cinquième point et une pour chacun des suivants), et le reste, (n — 1) (n — 2) n2 — In + 12 cc ends use LS 9 | équations d'angles réduits, équations de l’angle polyèdre. Ces dernières équations, nous devons les réunir, pour le point A seulement, à toutes les équations des triangles et du canevas, pour réduire le nombre des angles plans inconnus à 5n — 7; nous aurons encore en chaque sta- tion n — 4 relations, en tout (n —4)n, auxquelles ces 5n—7 angles plans devront satisfaire; de sorte que le pro- blème sera DU sin —4n=> 5n—7, c'est-à-dire si n = > 5,79... Nous voyons ici que, snité un système complet des six points, il nous reste une équation; pour sept points, il en reste sept, et ainsi de suite : ce sont donc autant de rela- tions qui doivent exister entre les donuées introduites dans TU QC . 6x n “4 ( 408 ) le calcul, c’est-à-dire entre les valeurs observées pour les augles réduits. Ces relations se lrouveraieut rigoureuse- ment et identiquement sausfaites, on pourrait les négli- ger, si les observations étaient suffisamment réitérées, sans une circonstance que nous avons mentionnée déjà, celle des réfractions latérales permanentes. Mais celles-ci se font sentir isolément et différemment, sur les directions obser- vées qu’elles affectent, de sorte que tous les autres angles réduits concourent à détruire l'influence, sur le système, de chacun de ceux qui se trouvent altérés; et par suite le problème est dans les conditions les plus favorables à l’ap- plication de la méthode des moindres carrés : les incon- nues doivent être déterminées en fonction, non-seulement des angles réduits observés, mais encore des corrections déterminées pour ces angles par la compensation du cane- vas, compensation basée sur n?— 7n + 7 équations de condition. $ 5. — Marche générale des calculs. Pour que la théorie très-élémentaire, que nous venons d'exposer, ne soit pas un simple objet de curiosité, il faut qu’il soit matériellement possible d'exécuter les élimina- tions et les déterminations que nous avons indiquées, et qu'elles n'entrainent pas à trop de longueurs. A première vue, on est effrayé du nombre d'équations et d’inconoues de la nouvelle méthode; pour 4 directions autour d'un point, nous ajoulons aux 5 Corrections d’angles réduits, 4 dépressions el 6 angles plans; 5 directions, au lieu de 4 inconoues, en donnent 19, et ainsi de suite. Une sim- ple observation répondra à cette objection : la résolution de 8 équations, formant 4 systèmes de 2 équations à 2 in- (109) connues, est plus simple que celle d'un seul système de 4 équations complètes à 4 inconnues. De là vient que la lon- gueur des calculs d’une méthode ne doit être déterminée que d’après le nombre des équations finales à traiter simul- tanément, et qu'en présence des éliminations immenses qu'offrent les méthodes exactes, les éliminations de systèmes à 2 ou à 5 inconnues entrent à peine en ligne de compte. Or, si nous considérons les équations d'angles plans, nous reconnaissons que les inconnues s’y présentent sou- vent une à une, quelquefois deux à deux, le plus souvent trois à trois, jamais plus, et que par suite, si les équations sont ramenées à la forme linéaire, il sera toujours facile et simple d'exprimer les nouveaux angles en fonction des premiers. Viennent alors les équations aux angles réduits, qu'il faudra également rendre linéaires; en chaque point, les 5 premières forment un système à 5 dépressions in- connues, el un sysième incomplet, en ce sens que chaque équation ne renferme que 2 dépressions; ce système résolu, chaque nouvelle dépression se présente successivement avec une des précédentes, et peut donc se déterminer sans élimination; au point A il faut considérer les équations de l'angle polyèdre; mais les angles plans dépendants se pré- sentent Lous successivement et séparément, avec des angles réduits et des dépressions : ils seront donc encore expri- més sans élimination. Enfin, il y aura à substituer toutes les valeurs d’angles plans dépendants et de dépressions, dans les nin—4) équations aux angles réduits restantes, qui coutiendrout ainsi, outre les corrections des observa- lions, 5n — 7 inconnues relatives aux angles plans indé- pendants. Or, dans la méthode ordinaire, pour un système complet de n points, il y a, en inconnues, les n(n — 2) corrections d'observations, et, en équations de condition, CPR TA C (410) —1)(n—2), : —9,)(n—5), Pre feu équations d’angles el E Le 3) équations de côtés, en tout (n — 2); c'est-à-dire 4 équations de con- dition de plus que dans la nouvelle méthode, donc aussi 4 équations finales de plus, tandis qu'il y a 3n — 7 équa- tions normales de moins. En chiffres, si nous supposons 12 points, nous avons : Méthode usuelle.….. 120 équations normales, 100 équations finales; , ” nouvelle... 149 » » 96 » » Dans le dernier cas, après la résolution des 96 équa- tions finales, une simple substitution peut donner, outre les corrections, non-seulement 660 angles plans, à peu près sans utilité directe, mais encore 132 dépressions; et la détermination des expressions de ces dernières incon- nues n'aura coûté, relativement, que peu de peines pré- liminaires. Des inconnues supplémentaires, 442 seront données directement par des équations à une seule in- connue nouvelle, 90 par des systèmes d'équations à deux inconnues, 551 par des systèmes d'équations à trois in- connues. Nous ferons observer encore que, pour arriver à une bonne compensation, à des valeurs très-probables, il faut que les diagonales soient très-mullipliées dans la nouvelle méthode, et que dès lors les équations deviennent plus nombreuses. Cependant les calculs ne deviennent guère plus pénibles. En effet, si l'on conçoit, d’une part, une chaine de grands triangles, faiblement recroisés, s'étendant sur une grande longueur; et de l’autre une chaîne, même moins nombreuse, mais aussi plus resserrée, offrant moins de sommets distincts; évidemment la compensation sera plus parfaite dans le second cas que dans le premier; dès lors, si l’on complète la 4" chaine par des stations inter- (111) médiaires, qui permettent de recroiser les diagonales, et si l’on veut éviter de réunir un nombre trop considérable d'inconnues dans un même calcul, on divisera Ja chaîne en plusieurs sections, qui auront 3, 4 ou davantage de points communs; on compensera la première section ; on obtiendra ainsi des valeurs pour les angles plans qui lui sont communs avec la deuxième, valeurs assez exactes pour qu'on les introduise comme données inaltérables dans cette deuxième section, et ainsi de suite. En prenant 4 points de liaison, la deuxième série n'aura plus que 5n — 12 angles plans inconnus, 8 corrections d'observa- tions devront y être conservées, et l’on obtiendra n°? — In + 20 équations de condition ; ete. De cette façon, l’on déterminera uu canevas général possible, compensé, d'une exactitude que nous croyons supérieure à celle donnée par la méthode usitée. Nous indiquerons d’ailleurs, au $ 8, les moyens qui nous semblent devoir permettre d’ar- river, par la nouvelle méthode, à des résultats d’une per- fection et d'une étendue, que rien ne pourrait limiter que le temps nécessaire pour réitérer suffisamment un nombre d'observations très-graud et pour mener à bout les calculs englobant tous les résultats. $ 4. — Traitement des équations d'angles plans. Afin d'exécuter les éliminations d’abord, d'appliquer Ja méthode des moindres carrés ensuile, il est nécessaire de rendre toutes les équations linéaires; on sait que l’on arrive à ce résultat en introduisant, à la place des incon- nues, des valeurs dites suppositions, qui diffèrent peu des valenrs exactes. Nous ne parlerons pas de la manière de traiter Îles (442 ) valeurs données par l'observation directe, pour les angles réduits à l'horizon, en une même staliou, ui de la manière de faire entrer ces valeurs, avec leurs importances respec- üves, dans les équatious normales. Nous ne voyons rien à ajouter ni à changer, au fond, à ce qu'en ont dit prin- cipalement Baeyer et Fischer. Nous ferons donc abstrac- tion de ces calculs préliminaires, en supposant que tous les angles réduits bAc, bAd, bAe, mesurés du nord vers l'est, à partir d’un même vertical, sont observés exacte- ment dans les mêmes circonstances, el méritent même confiance. Les résultats d'observations, non compensés par le canevas, directions probables des auteurs nommés ci- dessus, seront donc les meilleures suppositions pour les angles réduits bAc, bAd, bAe, elc.; et leurs corrections seront encore désignées 1c1 par les signes (1), (2), (5)..…..; quant aux supposilions, pour les angles en A nous adopte- rons les signes AÀ,, À,, A;,etc.; pour les angles en B les signes B,, B,, B:, etc.; de sorte, que pour le canevas type représenté (Fig.3.) on aurait exactement : bAc = A,+ (1), bDAd=—A,-+-(2), bAc—A,;+(5), bAf—A,+ (4), bAg=A;-+(5). cAd=A,— A, + (2) —(1),cAe—A; — A; +(5) — (1), . . . . .. .. cBd—B,+\(6), cha —8B,+(7),; "che —=B;-E{(8), 1. NC OU dCe = C,+ (11), dCa = C, + (12), df =C;+(15), ........,.. Pour les dépressions, on se procurera les suppositions les plus plausibles, en faisant quelques observations de dis- tances zéntthales, de chaque station sur chaque signal, et eu corrigeant ces distances zénithales de la réfraction ter- restre moyenne : ces observations auront l'avantage de fouruir un point de comparaison avec les dépressions don- nées par les résultats définitifs de notre méthode, indé- "(('M5 ) pendamment de tout eflet de réfraction verticale; nous proposons de ne s’en servir, daus le calcul de la triangu- lation, que comme de suppositions en quelque sorte gra- tuites, et de ne leur accorder aucun poids comme résultats d'observations. Nous adopterons, pour représenter ces suppositions, les notations A”, A’,, A°,,...., À à CA: AO 2 PET el pour représenter les dépressions vraies, les notations : bAB — A'+ a/, cAC —A/,+a,, dAD = À',+ a,, AE = A';,+ a... eBC —B + b', aBD—B', + b’,, aBA = B',+ b’,,eBE = B', + 0's,. d0D = C'+ ec", eCE—=C', + ci, aCA = C, + 0, CT = Cr + c'e... Dans la plupart des circonstances, l'effet des différences de niveau aux grandes distances ne sera pas d’un ordre de grandeur supérieur à celui des corrections, et l'on pourra adopter, comme suppositions pour les dépressions, les valeurs : AB AC AD D | PE 9R sin 1’ 3,%17779R sin 1” Faits 2R sin 1/’ Da: s BC Bb ch BE Dax | = pe ee an M4) ns = 7 — ape 2R sin 1” #2 1 2R sin l’’ D',, Ba 9R sin 1” E’; . R étant le raydn moyen de la terre; l'exactitude de la valeur de R ne sera évidemment d'aucune influence sur l'exacti- tude des résultats définitifs, puisque, nous le répétons, nous admettons ces chiffres en théorie comme suppositions gratuites, destinées uniquement à faciliter les calculs; de même, les distances AB, AC, AD,...., seront les résultats d'un premier calcul des triangles, fait avec les valeurs brutes des angles réduits, sans aucune considération de correction, Il sera commode de dresser une table des À , valeurs de; pour A variant de 100 en 100 mètres, par exemple. (A4) Pour les angles plans, enfin, on se procurera des sup- positions à l’aide des formules cos BAC — sin A’ sin 4”, + cos A’ cos À’, cos A.. Si l’on rend ces formules logarithmiques, de manière à en déduire les valeurs de BAC — A,, BAD — A,, CAD — (A, — AÀ,),...., on obtient exactement le calcul employé par Delambre sous le nom de réduction aux triangles des cordes. La forme du calcul est identique; le but, les élé- ments employés , diffèrent de part et d'autre, et les trian- gles mêmes sont formés, d’une part, des cordes sous-ten- dant les lignes géodésiques tracées sur la surface moyenne de la terre, et d'autre part, de lignes droites imaginées entre les centres de figure des goniomètres et des signaux, sans projection de ces centres sur la surface moyenne. Le plus souvent, on se dispensera de ces derniers cal- culs, parce que les réductions se trouveraient du même ordre de grandeur que les influences des erreurs d’obser- vation. Nous adopterons donc ici pour suppositions des an- gles plans les valeurs AÀ,, À,, A3... À, — AÀ,,A;-— A, elles-mêmes, et nous représenterons les valeurs exactes par : BAC — A, + a,, BAD — A, + a, , CAD — A, — A, + a, BAE = A4,+a,, CAE — A; — À; ras, DAE — A; — À, Fa@;, BAFA, + d;, CBD —B, + b,, CBA — B, + b,, DBA —B, — B, + b,, CBE —B,+b,,. DCE = C, + c,, DCA = C, + €, , ECA = C, — C, + c;, ECF = C; + 0c,,. Dans toutes les notations ci-dessus , nous numérotons dans le sens nord-est-sud-ouest. Introduisons maintenant ces notations dans les équa- (118) tions de condition, en observant que les petites lettres désignent de très-petites fractions de la circonférence, dont les puissances sont négligeables, et que les grandes lettres désignent des valeurs connues. La première équation de triangle du canevas pe, BAC + ACB + CBA = 180, devient 0 = (A, + B, + Cy— CG — 180°) + à + ds + Cis; a, et b, appartiennent à deux angles plans considérés comme indépendants, nous tirerons donc de cette équa- tion Gs—=—t— à —b;, t désignant un nombre de secondes connu. La deuxième équation de triangle, pour ABD, donne de même do = — 1” — > — b;. Le triangle ACD donnera l'équation à deux inconnues dépendantes OO" E 0 + GG + dy; à cette équation, il faut joindre l'équation du canevas dé- rivant de l'identité si x ie us AC AD AB les notations proposées, il vient : = 1; en introduisant sin (C, — C, 2 + C3) Sin (D; — D, +d, 3) sin (B, —"B, + Ds) sin (B, +- b,) sin (C, + c,) sin (D, ie , + ds) = 1, relation analogue aux équations de côtés de la méthode usuelle, et qui, traitée comme elles, donne 0=k-b,c0tB,+-b, co(B,-B,)-c,cotC,+c;,cot(C,-C,)-d,cot(D,-D,)+d,,cot (D,-D,), f ( 116 ) quand on représente par Æ’ l'expression connue : log sin(C,;-C,)+logsin(D,-D,)+logsin(B,-B,)-log sinB,-log sin C,-log sin(D,-D,) sin 1/’ X log € 2 e est la base des logarithmes népériens, Er = 474949”, 1 ; n 14” X log € . Dans l'équation transformée, on substitue les valeurs de €, et de d,, et en y joignant l'équation o—{"+a3+€,+4,3, on détermine aisément c, et d,, en fonction de a,, &,, &3, b, et b,. Le quatrième triangle à considérer, BCD , donnera les trois équations à trois inconnues. OH D, + cn + dis, 0—#%"" -a,cotA,-+a,cot A,-0,,cotC,+6,,cot(C,-C,)-d,cot(D,-D,)+-d,,cot(D,-D,), 0 —#""-a, cotA,+a;cot(A,-A,)-b, cot B,+-b, cot B,-d,.cot(D,-D,)+ d;;cot(D,-D,). » On substituera dans ces trois équations les expressions de c,x, d,, d,3, et l'on déterminera b,, c,, et d,;, encore en a. '@.:042, D, et Us : La même marche est littéralement applicable à tous les autres triangles, et l’on obtiendra l'expression de tous les angles plans en fonction des inconnus a, à a,5, b,, ba, bc, b,, D, $ 5. — Trailement des équations d’angles réduits. Les équations d’angles réduits, au point A, se subdi- visent en quatre catégories, dont la quatrième manque aux autres points; nous ne nous occuperons donc pas de ceux-ci. La première catégorie comprend 5 équations qui ne ren- ferment que 5 dépressions; nous choisirons, par exemple, les équations en cos BAC, cos BAD, cos CAD ; introdui- (PE sant les notations expliquées, il viendra : cos (À, + a,)— sin (A’ + a’) sin (A’, + a/,)+- cos (A’ + a’) cos (A, + a',) cos (A, + (1)), cos (A, + &,) — sin (4” + a’) sin (4”, + a',) + cos (4’ + a’ ) cos (A’, + a',) cos (A, + (2)), cos (A, — À, + a;) — sin (4, + a,) sin ( A”, + a’,) + cos (4’, + a’) cos (A”, + a”,) cos (A, — À, + (2) — (1)). Les quantités a,, a,, as, (1), (2), A'+ a’, A',+a',,A, + a, sont assez petites généralement pour qu’il y ait avantage à développer leurs sinus et cosinus en séries; les puissan- ces des inconnues a,, &,, az, (1), (2), a’, a’,, a’,, sont tou- jours négligeables; celles des quantités A’, A’,, A’, , le sont souvent vis-à-vis de ces quantités mêmes, rarement vis-à- vis des quantités précédentes. D’après ces considérations, la première équation devient : Cos A, — a, sin À, —(A’ + a’) (4, + a’) + (1 -T 7) (1 2 RE) (cos 4 — (1) sin 44), ou, en réduisant, a 2 0 — (4/4, — Z c08 À — > cos A.) + (A', — A’ cos À,) a’ + (A’ — 4’, cos A,) a’, + sin A; X (a; — (1) )E la deuxième équation et la troisième prendront une forme tout analogue, et ce système donnera rapidement pour a',a,, a’,, des valeurs en à,, a,, a, (1) et (2). La deuxième catégorie d'équations d’angles réduits com- prendra les équations en cos BAE, cos BAF, cos BAG:; traitées comme les précédentes pour être ramenées à la forme linéaire, elles donneront, directement et séparé- ment, les valeurs de a';, 4’;, 4';, en 4,, a,, 43, &;, @,, au, (1), (2), (5), (4) et (5). | TOME xx, — ['° parT. 9 (AS) La troisième catégorie d'équations comprendra celles qui sont essentiellement distinctes et des précédentes et des équations d’angles plans, ainsi que nous l'avons expli- qué , et qui devront servir à la compensation du canevas; ce seront, pour À, les équations en cos CAE, cos CAF, cos CAG: on les rendra linéaires d’abord, puis on y rem- placera les a’ par leurs valeurs, et aussi les angles plans lorsqu'il s'agira de stations autres que A. La quatrième catégorie est celle des équations de l'angle polyèdre, qui constitueraient double emploi pour tous les points autres que A; elle comprend les équations en cos DAE, cos DAF, cos DAG, cos EAF, cos EAG et cos FAG. Ces équations seront d’abord traitées comme les précédentes, puis elles devront fournir les inconnues relatives aux angles plans dépendants, qui sont précisé- ment DAE, DAF, etc. D’après ce qui a été expliqué, en cherchant à éliminer (1), (2) et (5) entre les équations en cos CAE, cos CAF, cos CAG, et l’une de celles de la qua- trième catégorie, les corrections (4) et (5) devraient dis- paraître en même temps, et l’on obliendrait la partie inconnue de l'angle plan dépendant en fonction de celles des angles plans indépendants; mais cette opération est inutile, puisque dans le traitement par la méthode des moindres carrés, nous proposons de réunir les angles plans indépendants aux angles réduits; il serait superflu de les séparer dans les valeurs des parties inconnues des angles plans dépendants. Nous ferons observer que l’on pourrait, dans le calcul, au lieu de conserver comme inconnues les 2n — 5 angles plans indépendants en A, et comme équations de condition les n — 4 équations de la troisième catégorie, supprimer celles-ci comme équations de condition, et les inconnues ( 119 ) indépendantes devant être réduites alors à (2n — 5) — (ñn—4)=n—1, on conserverait comme telles les dépres- sions a’, a,', a’, ete. Toutes les quantités &,, 4,, 43, jusqu'à a,; seraient données ainsi directement, et sans élimina- tion, en fonction des a’ et des corrections d'angles réduits : on aurait un système de trois équations de moins à ré- soudre, on aurait n — # équations normales, et autant d'équations finales de moins. On pourrait de même, en B, substituer aux inconnues b,, b3, 06, b,, bia, les b', b'; ex- cepté; on n'aurait à traiter que deux équations ensemble, pour éliminer b';, au lieu des trois qu'il faut traiter pour déterminer à la fois b', b’, et b’,; mais on ne diminuerait ni le nombre des équations de condition , ni celui des in- connues. Ce procédé, qui nous paraît théoriquement moins régulier, peut être pratiquement préférable. Pour compléter l'indication des calculs, disons quelques mots de l'application de la méthode des moindres carrés. Toutes les équations de la troisième catégorie, conte- nant les corrections des angles réduits et les parties incon- nues des angles plans indépendants, seront de la forme O0 + à (1) + 0° (2) +0" (5) + + où. 4, + a a, +... } 0=—=8 + L' (1) + 8" (2) + 8" (5) + … EL, a, + LB. 0, +... O=y+9%(41)+%7/(2)+7"(5)+....+ma+ma+.....…. Les équations normales entre observations en chaque station, auront donné, d’après les notations des auteurs allemands, des résultats de la forme : (H)=P [+ Q[2+R [5] +....... } (2) = Q [1] + Q'[21 + R' [35] + ....…, (5) = R [1] + R'[2]+ R”(3] +... ; ( 120 ) S'il n'y a pas eu lieu de former des équations normales, ainsi que nous l'avons imaginé plus haut, on aura sim- plement : et les inconnues seront données par les équations sui- vantes : Hj=et + PE + es c0ve CESR PETER | RE APE | | PER (3) = &°".1 + BU + D'UE + 0 (DÉS) RE AE Re | QESC A) | LIÉE ESS O— 0.1 + 8, + 9 IT + .....: Dans ces équations, a,,a,, a, …, b,, b:, .…., n’entrent pas explicitement; mais elles sont remplacées par les coef- ficients d'élimination I, IT, HT, ….., à déterminer encore; ceux-ci sont en nombre n(n — 4), comme les équations de condition ; substituant dans celles-ci les expressions de (1), (2), (5) …. et éliminant les quantités a,, a,, a:, …, nous perdons autant d'équations qu’il y a de ces quantités; mais nous remplacons ces équations par celles de la forme O= a, 1 + B,. Il + y,. NT + …, et la suite de l'éli- mination nous donne enfin les valeurs numériques de : PE 1 (08: | PURE , €t par suite celles des corrections. On voit que l'opération revient identiquement à élimi- ner les parties inconnues des angles plans entre les équa- tions de condition, avant de procéder à l'application de la méthode des moindres carrés. (121) $ 6. — Manière de coordonner les observations pour l'ap- plication de la nouvelle méthode. Nous avons fait ressortir successivement les conditions que les observations doivent remplir dans la nouvelle mé- thode. Il faut d’abord , dans le choix des triangles, s’as- surer de nombreuses diagonales ; cela est facile, même dans le cas le plus défavorable, celui d’un canevas s’éten- dant dans un sens seulement, le long d’un méridien, d’une côte, d’une frontière. [l suflit d’avoir un nombre destations . tel qu’elles se présentent au moins sur trois files, de réunir chaque point à ceux qui en sont le plus rapprochés d’abord, — ce qui formera une série de petits triaugles jointifs, sans recroisement — puis aux points dont il est séparé par deux côtés de petits triangles. (Fig. 4.) D'après la con- dition générale d’avoir des triangles qui ne s’éloignent pas trop de la forme équilatérale, le canevas se rapprochera du type de la figure, où l’on voit qu'une station de la file centrale donne lieu à 11 angles réduits, et une station latérale à 10. Lors même que l’on ne pourrait pas s'étendre à droite et à gauche , et que les côtés des petits triangles se trouveraient ainsi fort courts, il y aurait un très-grand avantage à les employer tous; d’une part, le canevas en deviendrait d'autant plus solide, c’est-à-dire que la propor- lion des équations de condition et, par suite, la probabi- lité des résultats augmenteraient ; d'autre part, ou obtien- drait les moyens de rendre les calculs pratiquement plus exacts. Ce dernier point demande quelques explications. Considérons, par exemple, les équations générales à deux inconnues, ar +by=c, dax +by=c, DE LL RE (12) et supposons que nous en ayons tiré la valeur de y; il nous viendra pour x, les différents termes de la valeur de æ seront en général calculés par logarithmes, c’est-à-dire par approximation ; il n'y aura done que les chiffres des ordres les plus élevés qui y seront exacts; mais la différence x doit se trouver de part et d'autre dans les chiffres des mêmes ordres; c’est pourquoi il y aura d'autant plus de chances de déduire d'une équation une valeur exacte pour +, que les nombres s : ‘ ’ crah à soustraire et, par suite, les rapports =, a» Seront plus petits, ou que le coefficient de x sera plus grand, toutes autres choses égales d’ailleurs. Cela posé, nous voyons tout l'avantage que l’on s'assure en introduisant dans les équations des coellicients de gran- deurs diverses; et nous arriverons nécessairement à ce but en combinant, comme dans le canevas type, des côtés de triangles de longueurs très-différentes , d’où résultera une grande variété dans les A’, A;’, A,’, ete., qui entrent dans toutes les équations de condition. Il est clair ensuite que, pour effectuer les diverses éliminations, il convient en pra- tique, non plus de suivre un ordre littéral, une espèce de permutation tournante, comme dans les $$ 4 et 5, mais bien de traiter successivement les équations dans l’ordre le plus favorable à la compensation des erreurs dues au caleul approximatif. Après avoir ainsi choisi les points et les lignes droites que l’on fera entrer dans le canevas polyédral, on pro- cédera aux observations d’angles réduits à l'horizon, par la méthode de réitération, et l'on se donnera en même (123) temps en chaque station des séries d'observations de dis- tances zénithales, au moins sur les signaux dont la diffé- rence de niveau présumée est considérable en proportion de leur éloignement. Observons encore que les équations qui ont été déve- loppées au $ 1 supposent que le même point mathémati- que ait toujours élé joint à tous les points environnants, et le $ 2 suppose que ce point ait servi lui-même de station au théodolite. Pour la première condition, il sera généra- lement possible de conserver le signal exactement à la même place pour les observations qui devront être faites de tous les points circonvoisins; pour la seconde condition, il est évident que, puisque l’instrument n’est destiné qu’à mesurer avec exactitude les angles entre plans verticaux, il pourra être installé en un point quelconque de la verti- cale du signal, sans que les résultats en soient modifiés. Il arrive cependant qu'un signal, pour être vu d’une cer- taine station, doive être déplacé : dans ce cas, il pourra y avoir une réduction au centre du signal (dans le sens horizontal) et une réduction au sommet du signal (dans le sens vertical); la première se calculera de la manière ordinaire ; la seconde nécessite quelques considérations spéciales. Soient AZ, BZ', les verticales de deux sommets A et-B, l'instrument étant en A, le signal ayant dû être élevé au-dessus de B en B’. (Fig. 5.) Les deux plans BAZ, B'AZ, feront entre eux un angle qui devra être ajouté aux an- gles réduits , ou devra en être retranché, suivant sa direc- tion; il est mesuré sur une sphère, dont le centre est en À , par l'angle B,NB,'. Nous pourrons toujours connaître BB'et, d’une manière suffisante, AB ; l'angle en B diffé- rera peu de l’angle droit, de sorte que tang BAB” =, ou ( 124 ) ’ BB = 4 4 nf: angle BAB' = BB, = tr Imaginons un pelit arc de grand cercle B’,B perpendiculaire à N£, nous aurons : NB, — 90° — bAB, B,3 = B,B;' cos B,'B,6, B,/B = B,B;' sin B,'B,B, et B,B;' sin B,'/B,5 = tang B,/3 : sin N3 BNB,/ =) 7 10 ENTEREREnt En LE A ee La correction sera donc calculée , si nous donnons la valeur de angle B’, B,B, c’est-à-dire de l’angle des plans verticaux réciproques ZAB, Z'BA. Afin de déterminer cet augle, il faudra rapporter ces deux plans à un troisième, par exemple le plan du triangle ABC. (Fig. 6.) Soient, sur une sphère dont le centre est en À, BN et CN les traces des verticaux de AB et de AC en À ; soit AN, une parallèle à la verticale de B, AC, une parallèle au côté BC du cane- vas, dans le plan ABC; ABN, sera le vertical de AB en B, NBN, sera l'angle cherché; de plus BN — 90° — bAB, CN — 90° — cAC, BNC — bAc, B,N, = 90° — aBA, CN, = 90° — cBC, BANC, — aBc, B,AC, — ABC. De toutes ces quantités, déjà introduites dans nos cal- culs, nous tirons les valeurs suivantes : sin cAC — sin bAB cos BAC cos CBN — = cos bAB sin BAG sin CBN = cos cAG X RUE à sin BAC sin cBC — sin aBA cos ABC FRAME FREE cos aBA sin ABC sin aBc sin CBN, = cos. cBG X Sn ABC es ( 125 ) sin NBN, — sin CBN cos CBN, — sin CBN, cos CBN, cus NBN, — cos CBN cos CBN, + sin CBN sin CBN.. Nous ferons observer, en passant, que l’angle des deux verticales peut être donné par la formule : cos NAN, = cos BAN cos BAN, + sin BAN sin BAN, cos NBN, — — sin bAB sin aBA + cos bAB cos aBA cos NBN.. $ 7. — Usages des résultats de la méthode. Nous avons vu à fin du $ 5 que la nouvelle méthode donne, comme résultats immédiats, les mêmes éléments que la méthode usuelle, c’est-à-dire les corrections des augles réduits. Ces résultats immédiats peuvent être em- ployés à calculer les côtés des triangles géodésiques, à déterminer les coordonnées géographiques des sommets, à en fixer les projections sur une carte, à obtenir une connaissance plus exacte de la forme et de la grandeur de la terre. C’est dans tous ces problèmes surtout que la méthode ordinaire se sert de l'hypothèse préalable d'un ellipsoide de révolution aplati, dont les dimensions seraient celles qu'ont fait reconnaitre déjà les travaux antérieurs. Cette hypothèse n’entre dans le calcul de la compensation que par la valeur théorique de l'excès sphérique et par le par- tage égal de cet excès entre les trois angles de chaque triangle. Dans le calcul des côtés, la trigonométrie rectiligne suffit rigoureusement pour arriver aux valeurs des lignes droites AB,AC,BC, etc. Ces valeurs devront être réduites au niveau moyen des mers : nous donnerons des indica- tions à cet égard dans le $ 10. L'ensemble de ce travail ( 126 ) aura beaucoup d’analogie avec le calcul des côtés par la réduction aux triangles des cordes, telle que Delambre l’a pratiquée. Pour déterminer les coordonnées géographiques, ou, pour parler plus exactement, astronomiques, des divers points, il faudra avoir recours à des formules d’un genre tout dif- férent de celles données par les auteurs, ces dernières étant entièrement déduites des équations de la sphère et de l’ellipsoide. Mais aussi, l'absence de toute supposition approximative dans les bases de notre méthode, permettra de comparer avec certitude les résultats des calculs avec ceux de l'observation des astres, et ouvrira un champ nou- veau et très-fécond aux applications du caleul des compen- sations. Si l'influence de la réfraction empêche que les observations de distances zénithales terrestres puissent offrir une garantie d'exactitude comparable à celles d’an- gles horizontaux, il en est tout autrement pour les obser- vations de distances zénithales astronomiques, surtout quand les astres sont à une grande hauteur au-dessus de l'horizon : dans ce cas, on peut déterminer exactement la précision des résultats et les appeler à concourir à la com- pensation des triangulations. La faiblesse de la méthode proposée est dans la dé- duction implicite des angles dièdres du polyèdre d'après un nombre suffisant d'angles horizontaux, comme nous croyons voir une faiblesse de la méthode usuelle dans la manière de tenir compte de la courbure de la surface moyenne de la terre, par l'emploi de dimensions approxi- malives. Cette courbure, ces angles dièdres, c’est sur la sphère céleste seule qu’on peut les mesurer avec exacli- tude; les latitudes, les azimuts peuvent être mesurés avec une grande justesse; la télégraphie électrique permet de CS (127 ) multiplier aisément les déterminations de longitudes et d'arriver à des chiffres fort rigoureux. Introduisons ces éléments dans le calcul, en prenant pour points de départ la permanence de la verticale en un même lieu pendant la durée des observations en ce lieu, et la fixité de la direc- tion de l’axe terrestre par rapport à notre globe; nous au- rons écarté ainsi l'effet des déviations latérales de la ver- ticale , et l'effet des déviations de la surface de niveau par rapport à un ellipsoïde parfait. Ainsi les observations astro- nomiques faites en des points assez éloignés pourront être comparées rigoureusement par l'intermédiaire de la trian- gulation , les inconnues affectées de petits coefficients, Les précieuses dépressions surtout, acquerront des valeurs très-probables, et le degré de confiance à accorder à l’en- semble des travaux sera définitivement connu. Nos loisirs sont fort limités, et nous n'avons pas encore pu donner à celte partie de notre travail les développe- ments nécessaires à son application pratique. Nous nous proposons toutefois de terminer cette théorie, complé- ment naturel de la précédente, si l’on juge que nos travaux ont assez de solidité pour avoir quelques chances d’appli- calion, et assez d'intérêt pour que nous y consacrions des veilles nouvelles. Quant à ce qui est de l'usage à faire des résultats pour la construction des cartes, pour l'évaluation des dimen- sions de la terre, nous exposerons nos idées dans des para- graphes spéciaux. Nous croyons, jusqu’à un certain point, à la possibilité pratique de reporter dans ces recherches nos mêmes principes généraux, quoique l’on puisse évidem- ment y appliquer les formules connues, tout en se servant d'un canevas compensé d'après la considération des trian- gles plans effectifs. ( 138 ) Enfin, nous proposons d’essayer un usage nouveau de nos résullats; nous avons déjà dit que nous croyons à la possibilité de trouver les données pour un nivellement exact dans les observations d'angles horizontaux, surtout si l'on y joint les observations astronomiques, alors que les observations de distances zénithales terrestres ne pa- raissent pas devoir fournir des données certaines. On sait les observations si curieuses des Anglais, d’après lesquelles, non-seulement les angles de réfraction simultanés aux deux extrémités d’une même ligne ne sont pas toujours égaux, mais d'après lesquelles encore le rayon lumineux allant de À vers B parait ne pas suivre toujours là même direction que celui qui vient de B vers A. Nous ne préten- dons pas expliquer un phénomène qui semble si étrange au premier coup d'œil, mais il suffit qu'il existe des obser- . vations authentiques, tendant à établir des faits sembla- bles, pour que des hommes prudents hésitent à accorder leur confiance au nivellement trigonométrique. $ 8. — Introduction des coordonnées astronomiques. dans les calculs. Les observations astronomiques en un point À donnent, avec une précision que l'on peut déterminer numérique- ment, la latitude, la longitude relativement à un point de départ, et l’azimut d’un côté, AB, par exemple. Comme la verticale peut ne pas couper laxe de figure de la terre, nous dirons que lazimut est l'angle du plan vertical de AB avec un plan vertical parallèle à l'axe ter- restre : il fixe donc la position de ce second plan par rap- port à l'horizon. La latitude, étant l'angle de cet axe avec l'horizon, détermine la direction même de l'axe. Enfin, si ( 129 ) l'on mène par cet axe un plan faisant avec le plan vertical de l'axe un angle égal à la longitude, on obtient un plan parallèle au méridien origine de celte coordonnée. Il ré- sulte de là que les mêmes éléments, azimut, latitude, longitude, sont géométriquement déterminés pour tous les points du canevas, et que si des observations astrono- miques ont été faites en n points, on aura 5(n—1) équa- tions de condition que l’on pourra ajouter à celles de la compensation générale, en même temps que l'on ajoutera 5n nouvelles équations aux équations d'observations. Nous allons développer des formules pour ces équations de condition, tout en pensant que d’autres , plus commo- des, pourront leur être substituées avec avantage. Soient (Fig. 7), en un point A, AN la verticale; AP la direction de l'axe terrestre; Am l'intersection du méridien avec l'horizon ; AB, AC les directions de deux stations; AN, la direction de la verticale de B; BAN, celle du plan ver- tical dans lequel, de B, on observe A; PAN, la direction du plan méridien de B. On aura : les latitudes, en A, A, — PAm — PAN— 90°, et en B, A,=— PAN,—90°; la différence des longitudes L, — L,=NPN, ; l’azimut de B en A sera mAb= PNB ; celui de A en B sera PN,B + 180°, el nous le désignerons , par analogie, par mBa; d’ailleurs BAN — 90° —- LAB et BAN, = 90° + aBA. Partant des éléments astronomiques de.A comme incon- nues indépendantes, le triangle PNB nous donne: cos PB— — sin bAB sin A, + cos bAB cos À, cos mAb, sin mAb x cos A,. sin PB sin PBN — Puis, l'angle NBN, étant calculé ($ 6), le triangle PN,B donne à son tour : cos PN,—— sin A,—=— cos PB sin aBA<+-sin PB cos aBA cos (PBN-+ NBN,) sin (PBN + NBN)) sin PN,B= — sin mBa — cos À, X sin PB. Toute élimination de PB et de PBN entre ces quatre équa- tions donne deux équations de relation entre les latitudes et azimuts aux deux stations; on obtient immédiatement une telle relation, assez simple , en égalant les valeurs de cos PB tirées des deux triangles , savoir : — sin bAB sin À, + cos bAB cos À, cos mAb — sin aBA sin À, — cos aBA cos À, cos mBa. Une troisième relation, qui contient les longitudes, est donnée par le triangle NPN,, par exemple cos NN, = sin A, sin À, + cos A, cos À, cos (L, — L;); NN, a été calculé au $ 6. L'observation aura donné, pour les éléments astronomi- ques, des valeurs À,, L;, Z, (pour l’azimut), et des préci- sions hi, Ma, Mas Soient M, L, %:, les corrections à ajouter à ces éléments pour obtenir un canevas compensé. Désignons par A2, Le, Ze, he, Ms, so, Xe, lb, 2%, les quantités analogues pour le point B; avec tout cela on pourra rendre linéaires les équations de condition, on pourra exécuter les éliminations. Si les éléments astrono- miques de B n'étaient pas observés, on obtiendrait pour PB et PBN, d’abord, puis pour 4,, mBa, L,, des valeurs en As, Zi, Lu, À, %1, 3 à l’aide de ces valeurs, on obtien- drait celles des éléments astronomiques pour un point voisin, et ainsi de suite jusqu'à ce que l’on arrivât en un point où les observations du ciel auraient été faites : éga- (MOT ) Jant les valeurs calculées aux valeurs observées augmentées de corrections, on aurait enfin les équations de condition. Toutes les formules dont on doit faire usage successive- mént pourraient être développées en séries, en fonction des puissances croissantes des dépressions, par exemple. Après la substitution de toutes les inconnues dépen- dantes du canevas de triangles, dans les nouyelles équa- tions de condition, celles-ci prendraient la forme : =p+p' (1) +" (2) +. + pd + HoGa + ue + Ba M + Bjado te + Wah + bols + + Bent + Honda + ee. 0—7 + v'(1) + y"! (2) +... + vi. + Vol +... + 14 À + Vie À + + 711 l + Ya la Hs 7171 F0 + ..... . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . On ajouterait aux coeflicients d'élimination I, IF, TIT, .…, de nouveaux coefficients M, N, … en nombre égal aux relations nouvelles, et l’on obtiendrait les équations M]=c 1+8 H+y II +.... + 0.M + 2 N +... [2] = &°1 + BU + I +... + RM + SON + 0 = 0.1 + 8, M + pl + .... + M + nn N + .... = 40 1-2 BI + VU +... + M + IN + an = baaM + vi, N + .... h° 3 229 — &2.M + v12.N + ... ir — BiaM Sn vuN PAe e = Ra M + 1,1 N + (132 ) Les valeurs [1], [2], , seraient substituées dans les expressions données pour (1), (2), …., par les équations normales de chaque station ; puis les nouvelles expressions deut), (2); inst que:celles de D, RS %:, 2:, .…., en fonction des coefficients d'élimination, seraient introduites dans toutes les équations de condi- tion; en ajoutant à celles-ci les équations 0 = a,. I + B,. IH + ..",etc., on obtiendrait des équations en nom- bre précisément égal à celui des coeflicients, pour déter- miner ceux-ci. Une dernière substitution donnerait les valeurs les plus probables des corrections d'observations d’angles réduits et des corrections d'observations astronomiques. : Il'est évident que dans la formation des équations nor- males, pour chaque station, il faudrait avoir soin d'em- ployer la même unité de précision, qui sert à estimer la mesure de précision des observations astronomiques, ou réciproquement. $ 9.— Détermination de la position des points sur une carte. Considérée au point de vue de la théorie mathématique- ment exacte, la construction d'une carte peut se faire d'après trois conditions bien différentes, quoiqu'en pra- tique elles viennent presque à se confondre; ce sont les suivantes : 4° Rapporter les points d'après des coordonnées dé- duites des latitudes et longitudes astronomiques, en fixant la loi d'après laquelle doivent être tracées les lignes d’égale longitude et celles d’égale latitude. 2 Projeter tous les points du canevas sur la surface ( 135 ) moyenne de la terre; imaginer sur celle-ci des méridiens et des parallèles plans, ou géographiques ; puis déterminer une représentation dans laquelle les dimensions de la sur- face moyenne subissent le minimum d'altération ; 5° Rapporter tous les points sur un plan, de manière que les figures et les proportions des distances soient alté- rées le moins possible, sans se préoccuper de longitudes ni de latitudes. Le colonel Everest a estimé que la déviation latérale de la verticale, dans son observatoire septentrional en Inde, produisait une différence de plus de cinq secondes sexa- gésimales entre la latitude observée et la latitude calculée; et cependant il avait choisi à dessein pour cet observatoire un site moins élevé au nord qu'il n’eût convenu pour d’autres motifs, dans l'espérance d'échapper entièrement à l'attraction des montagnes. Rarement des opérations aussi gigantesques que celles de l'Inde ont été terminées avec une précision aussi régulière ; on doit donc présumer qu'il existe des déviations de la verticale plus grandes encore, el que les méridiens et les parallèles déterminés sur la terre par l'observation des astres offriraient une double courbure calculable. La première et la deuxième condition sont par conséquent distinctes en principe. Il en est de même de la 2° et de la 5°", car la surface de niveau ne fournissant pas, sous les diverses longitudes et latitudes, les mêmes valeurs pour le rayon de l'équateur el pour l’aplatissement, il en résulte encore une diver- gence entre la surface de niveau réelle et la surface moyenne de la terre. Maintenant on voit que la représentation la plus fidèle s'obliendrait d'après la 3"* condition, et que la première serait la moins convenable. Actuellement c’est la première TOME xx. — ['° paRT. 10 (134 ) condition que l’on suit en théorie générale; mais, en y re: gardant de près, on voit que les latitudes et les longitudes astronomiques ne servent que de repères de loin en loin; qu’en général on considère ces éléments comme peu sûrs et. que l’on emploie les valeurs données par les formules de lellipsoide; on suppose donc des méridiens et des paral- lèles plans; on se rapproche de la deuxième condition. Quant à nous, puisque nous avons vu la possibilité de calculer de proche en proche les latitudes et longitudes astronomiques des points du canevas , il nous suflirait de les introduire dans les équations d'une projection ou d’un développement quelconque, pour obtenir une carte dans la première condition. Pour satisfaire à la deuxième condition , nous devrions nous arrêler à une détermination quelconque de la surface moyenne de la terre, celle par l’ellipsoide de préférence; nous calculerions sur celui-ci, de proche en proche, des coordonnées pour tous les points, à l’aide des angles réduits corrigés; puis nous rechercherions par la méthode des moindres carrés la valeur à donner à l’aplatissement pour que l'ensemble des nouvelles coordonnées s’écarte le moins possible de celui des coordonnées astronomiques : nous continuerions ensuite comme dans la méthode ordinaire. Mais la condition la plus directe est évidemment la troisième, et c’est aussi celle pour laquelle nous croyons reconraître dans notre méthode les ressources les plus directes et les plus exactes; les deux autres conditions impliquent réellement des hypothèses sur la nature de là surface à projeter ou à développer. On sait qu'il est impossible de représenter sans altéra- üon, sur un plan, une surfacé sans génératrice réctiligne. Tantôt on conserve les angles, comme dans la projection (1435) stéréographique, tantôt les surfaces comme dans la mé- thode de Lorgna. Le plus rationnel paraît être de sacrifier un peu de l'un, un peu de l’autre, comme cela se fait d'ailleurs dans les divers développements. Du moment qu'il y à altération, l’altération des figures et des distances doit devenir d'autant plus sensible que lon compare des points plus éloignés de la carte : ce à quoi l’on doit tendre essentiellement, c'est que chaque parcelle de la carte, prise isolément, soit déformée le moins possible et représentée à la même échelle à peu près que toute autre. Or, dans notre système , nous avons un cane- vas à faces planes, qui enveloppe la surface de la terre en s'y appliquant sensiblement, si nous choisissons parmi tous nos triangles ceux qui appartiennent à un polyèdre convexe : aplatissons ce canevas, en permettant à tous les côtés de s’allongér ou de se raccourcir d'autant plus qu'ils seront plus longs, et déterminons par la méthode des moindres carrés l’altération à affecter à chaque côté : nous aurons évidemment résolu d’une manière complète le pro- blème proposé. Il faut déformer le canevas; il faut donc substituer aux suppositions dans les équations de triangles et du canevas, les valeurs compensées, et conserver les parties inconnues a,, 4... b,, b,..., qui exprimeront dorénavant les défor- mations des Ware Il faut ramener le canevas dans un plan; il faut donc ajouter de nouvelles équations de condition en A, pour remplacer les équations de l'angle polyèdre; elles seront d’une simplicité extrême, savoir : sites sarc + 4) — EPS EAU ( 156 ) BAC, BAD, CAD, BAE, CAE... étant les valeurs compen- sées AÀ,+a,, A,+4a,, A,—A,+a;, A:+4,, A3—A,+05, des $ 4 et 5. Il faut altérer le moins possible les lignes qui se tron- vent à la surface de la terre, et cela d'autant moins qu’elles sont plus courtes; il faut donc créer des équations analo- gues à des équations d'observations pour toutes les arêtes, moins une, du polyèdre convexe, el leur donner des pré- cisions inversement proportionnelles aux longueurs de ces côtés. Ainsi, AB, AC, BC... étant les longueurs des côtés d'une face du polyèdre convexe, déduites des angles com- pensés; A'B', AC’, B'C’, étant les longueurs altérées, on a les relations : sm ABC AC = AB. —————, sm ACB sin (ABC + à) A'C'=A'B". —- sin in (ACB el d'où il vient, par division, en négligeant les puissances des altérations : A'C'" _ A’B’(1+-b, cot ABC) A'B = Re b, cot ABC — c,,cot ACB Re A (eee ont AE) ANS VOST R ES D On obtient pour l’altération relative du côté AC, en fonce- tion de celle du côté AB et des modifications des angles, A'C'— AC A'B'— AB SG = AE (1 + b, cot ABC — c;, cot ACB) — b, cot ABC + c,, cot ACB ; —AB — étant très-petil, on peut négliger le fac- teur qui le PT et il vient : le rapport A'C' — AC A'B’ B = ii — LL cot ABC +- c,, cot ACE. AG AB (137) La fonction à rendre minimum pour l'application de la mé- thode des moindres carrés est d’ailleurs : A'B' — AB \2 A'C' — AC \2 B'C’ — BC \2 A AE HER tn, en y comprenant toutes les arêtes du polyèdre convexe. Les équations d'observations sont ici les développements AC’ AC AE: e—;g »elc.; au moyen de ces équations, on peut for- mer les équations normales en 4,,a,,a3,.…. b,,b,.…., parce que l’on éliminera toutes les inconnes dépendantes; on JA. RD AB AB f aura, en outre, une équation normale en — {5 ; Savoir : MH AB, AC-AC BC —80 RES Tr RMAQUTE PO=10 c’est-à-dire que la somme des déformations relatives des côtés, el par suile aussi la déformation relative moyenne, seront nulles. $ 10.-— Recherche de la forme et des dimensions de la terre. Si l’on veut étudier la forme de la terre, sa forme réelle, la première chose nous parait être, non pas de réduire la triangulation à un ellipsoïde de révolution, passant en- dessous de la base mesurée, au niveau des mers, mais bien de la réduire à la surface générale de niveau, station par station, pour autant que cela soit possible. Une espèce de travail de nivellement nous paraît donc exigé, en théorie rigoureuse, comme préliminaire de la détermination de la forme même de la surface de niveau. On sent immédiatement qu'il se présente ici une espèce de cercle vicieux , et cela est inévitable, car désormais 1l faut ( 158 ) conclure une loi générale pour tous les points de la sur- face, l'équation de la surface, de l'observation de quelques: uns de ses points seulement; le problème n'est absolument déterminé que lorsque le solide est d’une définition géomé- trique connue, parce qu'alors le nombre des inconnues cesse d’être infini. Nous sommes donc forcé de recourir à quelque hypothèse; dès lors il ÿ a choix et embarras. Sauf à en trouver une plus restreinte dans ses conséquen- ces, nous admettrions celle-ci : « La surface de niveau » entre un point de la triangulation et l’un des points » qui lui sont réunis par des arêtes du polyèdre convexe, » passe par un arc de cercle perpendiculaire à la fois aux » deux verticales. » Cette hypothèse donne lieu à une détermination mathématique de la ligne de niveau qui va d’un point vers la verticale d’un second; en effet : Par le milieu de la plus courte distance des verticales des deux points, imaginons des parallèles à ces lignes, puis la bissectrice de l'angle de ces parallèles; par le pre- mier point concevons un plan perpendiculaire à cette bissectrice; il viendra couper la verticale du second point à l'extrémité de la ligne de niveau; la distance de cette intersection au second point sera la différence de niveau des deux points proposés. Pour trouver le centre de la ligne de niveau, imaginons par la bissectrice un plan perpendiculaire à la corde de la ligne de niveau; ce plan rencontrera les deux verticales ; nous réunirons les points d'intersection, et la droite ainsi formée coupera à angles droits la bissectrice en un point qui sera lé centre cherché. Un moyen un peu plus simple, et peu différent quant au résultat, serait de prendre pour centre de la ligne de niveau le milieu de la plus courte distance des verticales : mais alors celles-ci ne seront plus exactement perpendi- TT (139) culaires à la ligne de niveau, le rayon de courbure sera raccourci, Si l’on prend le centre en-dehors de la bissec- trice définie plus haut, la construction de la ligne de ni- veau d’une verticale à l’autre cesse d’être admissible, car elle cesse d'être réciproque. D'après ces définitions, la géométrie analytique permet de développer , pour les deux extrémités d’une arête quel- conque du polyèdre, la différence de niveau et le rayon de courbure, en fonction des angles du canevas et d’une seule arête prise pour base de ces calculs. Mais, connaissant le rayon de courbure de la ligne de niveau entre deux points, pouvant connaître de même le nombre de’secondes qu'em- brasse cette ligne, nous pourrons en exprimer la longueur en fonction de celle d’une arête du polyèdre. En égalant cette expression à la mesure directe de cette même ligne de niveau , déterminée avec les soins ordinaires de la géo- désie, et non réduite au niveau moyen des mers, nous introduisons, pour la première fois, la longueur de la base dans la triangulation. C’est parce que jusqu'ici nous ne nous étions occupé que de formes, de positions rela- tives , et non de grandeurs absolues, de dimensions. On pourra faire contribuer à la compensation du ca- nevas la mesure de plusieurs bases, comme il a été dit pour la mesure des coordonnées astronomiques de plu- sieurs points; on atténuera ainsi les erreurs qui pourraient résulter de l'hypothèse sur la ligne de niveau. Ainsi, la même série de formules nous donnerait les moyens : 1° D’introduire la longueur de la base dans le calcul sans la réduire au niveau des mers; 2° De déterminer les différences de niveau des points pris deux à deux; ( 140 ) 5° De réduire tous les côtés de la triangulation à la sur- face de niveau passant par une de leurs extrémités, et par suite à loute autre surface de niveau, en se servant des résuitats du 2°; 4° De déterminer le rayon de courbure de la ligne de niveau entre deux points. La surface de niveau devant être nécessairement une surface continue, on pourrait établir encore une com- pensation entre les différents rayons de courbure trouvés en un même point, lorsqu'il y en aura plus de trois; car on sait que tout rayon de courbure en un point d’une sur- face continue doit être exprimé par la formule : Lu , : 1 sin? & + — COS? &; 8 P P ce qui suppose trois inconnues, P”’, p”, et la direction du plan dans lequel est estimé l’un ou l’autre de ces deux rayons. Un tableau des valeurs obtenues pour les rayons de. courbure indiquera ensuite la formule empirique qui con- vient le mieux pour exprimer la forme de la terre. Nous supposons que l’on reconnaîtra très-peu de variation en longitude, sur une étendue de plusieurs degrés ; on verra si des valeurs déterminées pour a el e, en appliquant la mé- thode des moindres carrés aux valeurs trouvés pour p et pour À, et à la relation g == a (1—e?) (1 — e? sin ?A) >, alteignent une grande précision : s’il en est ainsi, la por- tion de la surface de la terre sur laquelle on a opéré peut réellement être confondue avec une portion d'ellipsoïde de révolution aplati, dont le grand axe serait 2a, et l’excentri- cité e, Si les valeurs des quantités a et e se présentaient avec une faible précision, on ne pourrait pas considérer cette æ= AB X (141 ) même définition géométrique comme très-satisfaisante. Avant de terminer ce paragraphe, disons encore que, si les coellicients de précision des dépressions se trouvent assez grands pour autoriser à se servir de ces mêmes dé- pressions, on pourra obtenir la différence de niveau des deux extrémités d'une arête de polyèdre, moins rigoureu- sement à la vérité, mais plus facilement, que par le moyen indiqué plus haut. Soient AB cette arête, AA’, BB’ les verticales des extré- mités, A’ l'intersection de la première verticale avec l'ho- rizon du second point, B' l'intersection de la seconde ver- ticale avec l'horizon du premier point. (Fig. 8.) On peut admettre qu'à la distance AB l'horizon de chaque point s'écarte de la même quantité E de la surface de niveau du même point; alors on aura pour la différence de niveau des deux points x — AA — E—E — BB, d’où AA! — BB 9 D = On a exactement ABB’ = 90° + aBA, A'AB — 90° + bAB; aBA, bAB, désignant les dépressions; mais comme linclinaison des deux plans verticaux A’AB, B'BA, l’un sur l’autre, d'une part, et les dépressions, de l’autre, sont de fort petites quantités, on peut encore admettre B'AB = LAB, A'BA = aBA. Il vient alors successivement, AA’ = AB ___ sin aBA 7 cos(aBA + bAB)’ sin bAB BB’ — AB * cos (aBA + bAB)? sin aBA — sin bAB 2 cos(aBA+LAB) * “Cos(aBA +-bAB) ? . [aBA—bAB cos ! (aBA -4- bAB) AB x sin FF : = (442) et en négligeant les petites quantités du troisième ordre dans la valeur de x, AB Fi (aBA — bAB). sin 1”. æ On aurait d’ailleurs de même approximativement AB E — 7 (aBA + bAB). sin 1//; d’où l’on uürerait une valeur approchée du rayon de cour- bure : AB AB p = == 7 2E (aBA+bAB) sin L” $ 11. — Influence de la petitesse de l'aplatissement du globe sur les résultats des calculs dans la nouvelle méthode de compensation des triangulations. (Paragraphe ajouté au mémoire, en réponse à une objection de M. le capi- taine du génie Liagre, commissaire de l’Académie pour l'examen de ce travail.) Les cinq premiers paragraphes de ce mémoire ont pour but de fournir l'expression des angles plans d’un canevas polyédral, et, subsidiairement, celles des dépressions de ses arêtes, en fonction des valeurs observées des mêmes augles plans réduits à l'horizon. Dans le cas d’un polyèdre de forme quelconque, avec des verticales dirigées irrégu- lièrement, le problème est entièrement et exactement résolu. En éliminant les angles des triangles rectilignes, et les dépressions, nous avons fait voir que l’on arrive à n° — Tn + 7 équations de condition reliant entre eux les angles réduits. (445) On conçoit géométriquement que les angles réduits dot- vent suflire à déterminer les directions relatives des diffé- rentes verticales, el doivent avoir entre eux certaines relations. Cela se voit très-simplement dans le cas d’un polyèdre inserit à une sphère, dont les verticales sont des rayons, et dans le cas d’un polyèdre quelconque, lorsque l'on ajoute les observations astronomiques à celles des angles réduits. Dès lors, la direction de chaque arête du polyèdre est déterminée par l'intersection des plans verti- caux réciproques, dans lesquels cette arête est observée de ses deux extrémités. Cet aperçu géométrique fait voir que la direction d’une arête (et par conséquent, ses dépressions et les angles plans qu’elle forme) est indéterminée, lorsque les deux plans verticaux réciproques se confondent, c'est-à-dire quand les verticales des extrémités se coupent ; elle est mal déter- minée, lorsque les verticales, sans précisément se couper, se croisent à petite distance. ILest vrai que la fermeture, dans le sens vertical, des triangles du canevas améliore les résultats, en amenant une compensation entre les diverses dépressions. Cependant , les valeurs données pour celles-ci. par la nouvelle méthode seront tonjours bien moins précises que celles données pour les angles réduits, la forme de la terre étant telle que, dans toute l'étendue d’une triangulation, les verticales sont fort rapprochées de se couper deux à deux. Il convient done d'examiner si l'introduction des dépressions dans nos calculs ne doit pas avoir une influeuce pernicieuse sur les résultats de la com- pénsation des angles réduits eux-mêmes, el sur ceux du caleul des angles plans, dont nous proposons lemploi pour le calcul des côtés rectilignes. Le cas de l'indétermination évidente est celui où les (144 ) verlicales se coupent deux à deux, c’est-à-dire concourent toutes en un même point. En effet, de quelque manière que l’on déplace alors un où plusieurs sommets du polyèdresur leurs verticales, les angles réduits observés ne seront pas altérés. Le cas pratique se rapprochant beaucoup de ce dernier cas, voyons ce qne deviennent les calculs du cas vénéral, les verticales étant concourantes. L'introduction des angles réduits observés sur la terre devra transformer les équations d’une manière peu différente, quoiqu'elle ne puisse pas produire l’indétermination absolue. Dans le cas même des verticales concourantes , pour un canevas complet, si l'on connaissait les n — 1 dépressions en A, la forme du polyèdre serait parfaitement détermi- née. Supposons done que, au lieu de les éliminer, nous couservions ces dépressions comme inconnues indépen- dantes dans les équations générales de notre méthode; nous aurons alors (n° — 7n + 7)+{(n—1)= n°? —6G6n +6 équations de condition, el nous pourrons exprimer un nombre égal d’angles réduits en fonction des autres et des dépressions indépendantes : il nous restera n (n — 2) — (n® — Gn + 6) = 4n — 6 angles réduits indépendants. D'un autre côté, lorsque les verticales concourent en un point, nous pouvons les couper par une sphère décrite de ce point comme centre, el nous obtenons ainsi les som- mets d'un canevas sphérique. Les angles réduits sont les angles de ce canevas, et, par conséquent, il ne peut y en avoir que 2n — 5 indépendants, ainsi qu'il est facile de le vérifier. Il doit donc exister (4n — 6) — (2n — 5)=2n—5 nouvelles relations entre les angles réduits. Nous pouvons obtenir aisément, d’après le $ 6, ces nou- velles relations; en effet, la condition de l'intersection des verticales AZ, BZ' (Fig. 5) y donne : B,NB; = 0, ( 445 ) où (Fig. G et 7) N,BN — 0, c'est-à-dire : angle CBN — CBN,. On pent établir de même une relation pour chacune des rencontres des verticales de A etde C, deBetdeC,deA et de D, de B et de D, de A et de E, de B et de E, etc., en tout 2n — 5 relations (y compris CBN = CBN),). Remarquons maintenant que les équations générales de notre méthode, fournissant n? — 6n + 6 premières relations, peuvent se mettre sous la forme suivante (pour n —=7, par exemple) : (25) = ©, + B, (1) + y, (2) + d, (5) +... + 03 (22) Ta Hu 4 + hd) ++ (24) = &, + LB (1) + y, (2) + 2, (5) +... + 0, (22) + TA + u3 01 + Pay He + Do d'y (5) = &,, + 8,, (1) + 935 (2) + 235 (5) + + 6,:(22) Has de vas En + Pas A Ho Dis A. Dans le cas des verticales concourantes, il doit exister 2n—5 (ici 11) nouvelles relations entre les correctious d’angles réduits; mais, de plus, les relations ci-dessus doivent être complétement indépendantes des dépressions. Si donc nous introduisons, dans les expressions générales des coellicients, les valeurs observées pour les angles ré- duits, les +, v, p . w devront tous s'annuler. Dans le cas, très-peu différent, des angles réduits observés sur la terre, ces derniers coeflicients deviendront très-pelits, en comparaison des autres. I faut appliquer au problème la méthode des moindres carrés, pour obtenir les valeurs des inconnues indépen- dantes. Le cas général fournit An-—6 équations normales (446) pour les angles réduits, telles que : 0 = (4) + [281 + [88] (4) + [8y]1(2) + [891 (3) + … + [85](22) + [87] a" + [&]a + [8:]a + .….. + [Bo]a;, et n—1 équations normales pour les dépressions, telles que : O— [ar] + [Br] (1) + [y +] (2) + [or] (5) + … + [or](22) + [rrla" + [rula, + [role +... + [ro]a,. 5 On voit que l'extrême petitesse, en pratique, des coefñ- cients +,v,o...«, Sera cause que l'on obtiendra des va- leurs très-approchées pour (1) (2) (5), etc., en négligeant les derniers termes des 4n—6 prémières équations normales. Introduisant ces valeurs dans les n—1 dernières équa- tions, on obliendra des valeurs approximatives pour a’, a’, ... a’;; et ces dernières valeurs, substituées à leur tour dans les premières équations normales, donneront de bons résultats pour les corrections d’angles réduits, puisque d'assez fortes erreurs sur les dépressions, multipliées par lés coeflicients très-petits [87], [@] …[Æw], deviendront sans influence nuisible. Nous pensons pouvoir conclure de ce qui précède que l'élimination des inconnues entre les équations de notre méthode, traitées d’après la théorie des moindres carrés, donnera des valeurs bien compensées pour les corrections d'angles réduits; l'introduction , dans les calculs, de lhy- pothèse la plus défavorable, de l’indétermination absolue des dépressions , tout en faisant disparaître n —1 équations normales, conserve toutes les équations nécessaires à la détermination des angles réduits. On pourrait se demander encore si les An—6 équations normales restantes, dans le cas des verticales concouran- (147 ) tes, sont réellement distinctes et ne présentent pas de double emploi, alors qu’il n’y a que 2n—3 inconnues in- dépendantes. Nous répondrions à cela que nous n'avons pas introduit dans le caleul les 2n—5 équations additiou- nelles (alinéa 7 de ce paragraphe), de sorte que le double emploi n'existe pas; seulement les valeurs des inconnues déterminées d’après les équations normales devront vé- rifier, par leur substitution , les équations additionnelles. Ainsi, par exemple, entre les deux quantités z=5, y=53, nous avons la relation x — y =); ce qui n'empêche pas les deux équations 2x — 5y—=A1, 357 — 4y = 53, d’être distinctes et propres à fournir les valeurs de x et de y. Pour ce qui est des corrections des angles plans, le $ 5 nous donne : 1 A’? A’ (AA — © cos 4, = “2 005 A) + (A;/— A'cosA;) a” eh sin À 1 + (4 — A,/ cos A,) a,” d'où nous voyons qu’une erreur sur la détermination de a’, a’,, n'aura qu'une très-faible influence, les coefficients de ces quantités étant très-petits, et que la précision des a,, 4, , ele., Sera presque la même que celle des (1), (2), ete. Nous ajouterons, en terminant, que; d’après de nou- veaux calculs que nous avons faits, les dépressions dé- duites de deux observations d'azimuts réciproques isolées, ont extrêmement peu de précision, à moins que les sta- tions ne soient visibles à des distances immenses, comme ( 448 ) il arrive quelquefois en pays de montagnes, ou que l’une des deux verticales soit fortement déviée par des causes locales. Dans un grand nombre de cas, notre méthode ne fournira done pas, pour les dépressions, de bonnes va- leurs indépendantes des observations de distances zéni- thales, malgré la compensation mutuelle, mentionnée plus haut, entre les diverses dépressions. Mais, dans tous les cas, nous croyons qu’en ajoutant à notre système des équations d'observation de distances zénithales, on obtien- drail une compensation beaucoup supérieure à celle du nivellement trigonométrique ordinaire, quoique également affectée, jusqu’à un certain point, des incertitudes de la réfraction atmosphérique. Note sur le théorème inverse de Bernouilli; par A. Meyer, correspondant de l'Académie. On sait que par le théorème direct de Bernouilli, on se propose de déterminer la probabilité des limites qui ren- ferment le nombre inconnu m de fois qu’un événement A se répèle en un très-grand nombre y d'épreuves, quand on counail les probabilités p et g de A, et de son contraire B à chaque coup. Mais quand la facilité p est inconnue, et qu'on se propose de la déterminer par l'observation , alors le nombre m de fois que l'événement arrive en un très- grand nombre # de coups est connu, et l’on cherche in- versément les limites qui renferment p, et la probabilité de celles-ci. Bayes d’abord, puis Laplace, ont résolu ce problème, bien plus utile que le problème direct, dont la solution immortalise le nom de Jacques Bernouilli. ( 149 ) De plus, à la page 509 de son Traité des probabilités (édit. 4847), Laplace observe qu’on peut obtenir directement ce théorème inverse, en considérant p comme une variable qui peut s'étendre depuis zéro jusqu’à l'unité, et en déter- minant, d’après les événements observés , la probabilité de ces diverses valeurs. C’est la démonstration directe du théorème inverse de Bernouilli, faite dans cette vue de Laplace, qui est l’objet de ma note. THÉORÈME. X,, X,, étant les probabilités inconnues des deux événe- ments contraires À,, À,, si, après un trés-grand nombre u— m, + m, d'épreuves, l'événement À, arrive m, fois, l'événement À,, m, fois, il y aura la probabilité 2 4 P, = —— et de, 1 RS € ; Jp mm, que x, est compris entre “7 æyd —— 73 —) à moins VIT ; 11 de quantités prés de l'ordre ne Démonstration. — Les probabilités simples étant liées par la relation x, + æ,—1, il n’y aura qu’une seule variable indépendante, telle que +. La probabilité que les deux évé- nements arrivent respectivement m, , m, fois dans un très- grand nombre = m, + m, d'épreuves, et dans un ordre quelconque, est exprimée par la fonction m m Mk es 2 L dans laquelle on a Tome xx111. — Ï'° parT, 11 (450 ) soit P, la probabilité que linconnue x, est comprise entre les limites æ, — TE alors l'hypothèse d’une valeur de x, ayant, d’après la règle de Bayes, la probabilité udx, Tru 0 celle P,, que cette valeur est comprise entre a, b,, sera exprimée par De D eh 0 D ONE Détermination de N,. Nous supposons très-grand, m,, m, du même ordre que x, et nous négligerons les termes de l’ordre =, et d'or- dres supérieurs à ne Soient z,, 2, des quantités de l’ordre v= nous poserons approximalivement ; m, m d'où (4151 ) Nous poserons, pour abréger, m Ma MTS M — ; mb et nous ferons : HZ 5 Mai pis MAO NIET TE - t ju br : e| er. 1 9m, 3m° RS M m, log [1 + = Le Se Qi ne t ACIER ER RE EE PE me ” 2 8 ml, Ÿ 9m, 5m? Âms My Comme on a 3, + 3, — 0, il vient 9 u—Me ” Posons pour abréger Eliminons z, = — x,, il vient, 2 24 2?. M +M 7 = = — ——— —= —— m Ma Me m M: M # 2 2 Un —m ui — + — = — 0e ———— = —. | mi , M mÈ m? ma donc 521 Le 7 2(H—m) —M)M N, == M fi dz, [4 ; a, ——” Mo STTr mi) 5. (m;, — M) S8(4—m,)m? m, DT TRS 174 5 [ 35 a | = RE Fe etc. DM UME : mai Z FETES: L (u—m,)m, : etc. + 25 — etc. V 5 SES = 2%, mn DR TS RS 2(u—m,)m, m5 /2(u—m,)m, ds, = à \/ OP MES M=M, SE os et prenons les limites arbitraires a, b, de x,, ou celles a, b de z,, telles qu’elles répondent aux limites — y et y de t, nous aurons m, 2(u—mi)m b=— +7 FE TREIR 72 & et l'intégrale ci-dessus se changera en e 2V2 (m,—m) Dh et 2 = 2 RES N=M f V5" dt. e SVaCu—mIm TE 4 D (Me — — M. f dt er". ( + 22m mi) 15 + ee.) j LA 5V'a(u—m)n ( 155 ) En effectuant les intégrations, les termes de la forme 4 VA LE Ps de. —Y disparaîtront, et il ne restera que les termes de la forme k LÉ a see \ Mais l'intégration par parties donne y y? 1.5..2%—1 td NN —Y? 9... 20 — 12 ; à “ee d=e g(v) + à fear 2 (E] —Y —7Y Or, quand y dépasse les premiers nombres entiers, 2ou5,e—7* est très-petit, de plus les coefficients qui multiplient les intégrales f? we di sont au moins de l’ordre : 3» Car celui du terme 2 FR à 2 TA DE RUE M — Mi Mo + ME ; m(u—mi)ms EE 4 qui est de cêt ordre, il suit, pour cette double raison, que l’on peut négliger le terme e—”* 9 (7). Si donc on repré- sente par Lf7 e ® dt, l'ensemble des termes dus à la seconde partie de l'intégrale (a) ci-dessus, on aura défini- tivement : 2Y —=(M, + L) f e® dt 9 Soit M + L—M,, on à: td N— M, f et dt. —7 el " (154) IT. Détermination de D.. m, Bi = À — — Soient a, B, les limites 3, = { ke 1 en. | He qui répondent aux limites x, — À}, il est clair que l'on aura : D, =f. udz,. (F4: Cette intégrale est donc, aux limites près, identique avec celle de N, Ji Mi Si donc on nomme — À et + À les limites de £, correspondantes aux limites «, 5, de z,, on aura évidemment À D M f. FSU 1 à — À mais à cause de 5 2 (ue — mi)mi 2 a ke =8 V LA \ 2 (ue — mi)ms Ve: RE LR er : Q(u— M) my AE d'où il suit que À est de l’ordre très-élevé Vx. On pourra on à Li né et ont - of (155) donc étendre les limites À de —æ à + æ, et l’on aura: Die M f° ee d—Myz. —2% On a donc enfin : C’est la probabilité que x, est compris entre a, et b,, ou entre M D(u—m;)m, Mn J(u—mu)n — — y —— , € + y ————. 22 p° (2 Remarque. — Si 7 reste constant, donc P,, les limites m 2 (ue —nu)m “ur œ 2 (4 1) 1 k 45 se resserreront de plus en plus, à mesure que augmentera. Si + = permis reste constant, ce qui exige que 7 augmente, quand E augmente, alors P, approchera indé- finiment de la certitude. Sur un procédé de gravure décrit par M. le major Henri James. Communication de M. Nerenburger. Je suis l'organe de M. le Secrétaire perpétuel en com- muniquant à la classe un procédé de gravure dont M. le major James, du génie anglais, rend compte dans une ( 156 ) lettre du 29 décembre dernier. Cette lettre renferme, en outre, quelques renseignements intéressants sur la réduc- tion des cartes par la photographie. « J'ai été frappé, dit M. le major James, d'un procédé que j'ai vu, à l'exposition de Paris, appliqué à des plaques de bronze et par lequel la plaque gravée est produite en une demi-heure environ. Je ne pense pas cependant que ce procédé convienne à des plans comme les nôtres, au +=; mais je suis fort disposé à l’expérimenter pour les plans AU re » Il est difficile de décrire le procédé, mais il consiste essentiellement en ceci : l'encre qu’on emploie au dessin des plans laisse, sous une forte pression, une légère trace sur la plaque de bronze; celle-ci est soumise à la vapeur de brome de manière qu’elle ne reçoive pas l’action du mercure qui doit recouvrir tout le reste de la plaque. L'impression se fait ainsi très-distinctement, et, par quelques autres opérations simples, l'impression seule est exposée à la rapide action décomposante d’une bat- terie électrique. Par ce moyen, la plaque est bientôt prête à être tirée. » J'ai l'intention d’expérimenter ce procédé prochaine- ment : des affaires plus urgentes ne m'ont pas laissé le temps de m'occuper de cet objet jusqu’à présent. » Jai envoyé quatre de mes hommes à Paris avec les cartes, etc. Pendant qu'ils s’y trouvèrent, j'en instruisis deux dans l’art de prendre des photographies, et j’achetai les meilleurs ARpAreNS. que je pus trouver. Aujourd’hui j'ai obtenu les pins au 55, réduits par les photographes à l'échelle de +, avec une exactitude parfaite. J’attache à ceci une grande importance, parce que j'ai maintenant le moyen de faire des copies parfaites, à une échelle réduite, ks ( 197 ) du figuré du terrain tel qu’il est reproduit par les levés, et je pense que je puis avoir, dans ces réductions, une confiance que je n'avais pas auparavant. (Traduction de l'anglais.) Le procédé de gravure, très-sommairement décrit dans cette lettre, est d'invention française. Il semble inférieur, sous certains rapports, au procédé héliographique de M. Niepce de Saint-Victor, dont j'ai donné une idée dans la séance du 1% décembre dernier. Ainsi par la gravure héliographique, on reproduit toute espèce de dessins : des- sins au crayon ou à la plume, lavis, gravures, photogra- phies; par la gravure sur plaques de bronze, on ne parvient à reproduire que les dessins faits avec une encre spéciale. Peut-être aussi ce second procédé présente-t-1l un incon- vénient dont le premier est exempt : on a vu que l'appli- cation du dessin sur la plaque de bronze s'obtient à l’aide d'une forte pression. N’est-il pas à craindre que l'emploi de ce moyen ne nuise à la pureté du trait, lorsque le dessin est linéaire comme le sont les cartes? Il semble qu'une forte pression doive écraser les lignes et par suite altérer leur netteté. Dans le procédé de Niepce rien de pareil n’est à redouter, puisque le transport du dessin sur la planche d'acier résulte de la seule action des rayons solaires à travers l'épaisseur du papier. Il est, du reste, assez diflicile de juger du mérite de la nouvelle invention sans en avoir vu des produits, et d’après les indications succinctes don- nées par M. le major James. En ce qui concerne la réduction des cartes par la photo- graphie, au + de leur grandeur, l'auteur paraît avoir ob- tenu des résultats complétement satisfaisants. C’est déjà beaucoup assurément; mais pour être éminemment utile, il faut que ce procédé permette de réduire une carte dans une proportion quelconque, ( 158 ) Je fais faire en ce moment des essais à Paris, par MM. Bisson frères, dont les productions photographiques sont justement estimées. Ils m'ont envoyé tout récemment une feuille de 0",25 sur 0,2, qui est la réduction photo- graphique, à l'échelle moitié, d'une carte gravée : c’est l'épreuve que j'ai l'honneur de mettre sous les yeux de la classe. Elle est d’une très-grande netteté, et tous les détails perceptibles à l'échelle du =+— le sont encore à l’échelle- moitié. Mais le papier, au lieu d’être blanc, est teinté d’une manière facheuse, et de plus, les effets de l’aberration de sphéricité de la lentille se font sentir sur les côtés du cadre. Je n’en reste pas moins convaincu de la possibilité d'appliquer fructueusement la photographie à la reproduc- tion des cartes. C’est pourquoi j'ai sollicité et obtenu de M. le Ministre de la guerre l'autorisation de monter un atelier pour y faire, d’une manière sérieuse, des études et des essais auxquels les photographes de profession ne peuvent guère se livrer. Un officier d'état-major, M. le capitaine Libois, qui s'occupe assidûment, depuis une année, de cette spécialité, sera ainsi en mesure de poursuivre les expériences qu'il a commencées, et je ne doute pas qu'il atteigne prochainement le but vers lequel tendent ses efforts et les miens. — fn) <> — CLASSE DES LETTRES. Séance du 4 février 1856. M. DE GERLACHE, président de l’Académie. M. An. QuereLer, secrétaire perpétuel. Sont présents : MM. Marchal, De Ram, Roulez, Gachard, le baron de Saint-Genois, Paul Devaux , Schayes, Haus, Bormans, Leclercq, Polain, Baguet, Arendt, membres ; Nolet de Brauwere Van Steeland, associé; Kervyn de Lettenhove, Chalon et Thonissen, correspondants. MM. Dumont , Stas, Sauveur, Éd. Fétis, membres des deux autres classes , assistent à la séance. CORRESPONDANCE. M. le Ministre de l’intérieur fait connaître que M. Van Duyse, correspondant de l’Académie , désire publier, avec l’aide du Gouvernement , une nouvelle édition du Reinaert de Vos, et il pense que cette importante publication rentre dans la catégorie des ouvrages sur lesquels le Gouverne- ment peut utilement consulter l'Académie. ( 160 ) La commission nommée pour la publication des mo- numents de la littérature flamande fait connaître que M. Van Duyse ne se propose pas de donner une édition nouvelle de ce célèbre roman, mais simplement une re- fonte du Reinaert en langue moderne. Le travail rentre, en conséquence, dans la catégorie des traductions, et ne paraît pas appartenir aux travaux de la Compagnie. Il sera répondu dans ce sens à M. le Ministre de l’intérieur. — La Société philotechnique de Paris et l’Académie de Stanislas de Nancy remercient pour l’envoi des dernières publications. — M. J. Lelewel fait hommage de ses tables géogra- phiques d’Albateny. — M. R. Chalon, correspondant de l’Académie, pré- sente deux brochures de sa composition sur les procédés occultes de l’alchimie et sur la monnaie de Schœnau. — M. le général Renard fait parvenir, sous forme de mémoire , trois lettres sur l'identité de race des Gaulois et des Germains. (Commissaires : MM. Arendt, Borgnet et Schayes.) — Un anonyme demande à l’Académie de remettre au concours de 1857 la question relative au grand Conseil de Malines. Cette demande sera examinée lors de la formation du programme de 1857. (161 ) COMMISSION DES FINANCES. La commission des finances fait connaître qu’elle a examiné les comptes de l’Académie pour 1855. Les re- cettes, en y comprenant le reliquat des derniers comptes, se sont élevées à fr. 45,976 61 c’, et les dépenses ont été de fr. 54,086 O1 c‘; la commission fait observer que les sommes payées depuis excèdent le reliquat constaté au commencement de l’année. La commission des finances rend compte des autres points dont elle a eu à s'occuper, et particulièrement du projet de restaurer les planchers et le système des poutres du local de l’Académie qui pouvait causer des dangers, surtout à cause de l'encombrement des livres. CONCOURS DE 1856. La classe a reçu les ouvrages suivants en réponse aux questions proposées pour le concours de 1856. DEUXIÈME QUESTION. Tracer un tableau historique et politique du règne de Jean I”, duc de Brabant. Outre le récit circonstancié des événements, ce tableau devra faire connaître l'état social du duché de Brabant, sous ns $ ni FU De. (462) le rapport de la législation , du commerce, de l'industrie, de l'agriculture, des lettres et des arts. Il à été reçu un seul mémoire, portant l'inscription suivante : L'essentiel de l’histoire est de tout sacrifier au vrai; et quiconque entreprend de lécrire, ne doit avoir que ce but, sans s'inquiéter du reste, : (Lucren, De la manière d'écrire l'histoire, chap. XXXIX.) Les commissaires sont MM. Schayes , David et de Ger- lache. CINQUIÈME QUESTION. Faire l'histoire du collége des Trois-Langues à Louvain, et exposer l'influence qu'il a exercée sur le développement de la littérature classique, ainsi que sur l'étude des langues orientales. Un mémoire a été envoyé au concours, avec l’inserip- tion : Sacros vetustate lucos… in quibus grandia et antiqua robora jam non tantam habeant speciem quantam religionem. (Quinrizren.) Les commissaires sont : MM. de Ram, Schayes et le baron de Saint-Genois. PRIX DE STASSART. La classe a décidé qu’afin de rendre un hommage mérité à la mémoire du donateur, elle inaugurerait la série des biographies en demandant : Une notice sur le baron de Stassart. ( 163 ) La classe a reçu deux ouvrages portant les inscriptions suivantes : 1° Il faut plus qu’on ne pense de force d’âme et de courage d'esprit pour ne jamais franchir les bornes de la modération. (Pensées de Circé , 211.) 2% Il y a une noble émulation qui mène à la gloire par le devoir. (Massizzon, Petit Carëme.) Les commissaires sont : MM. Devaux, Quetelet et Ga- chard. CONCOURS EXTRAORDINAIRE. Charlemagne est-il né dans la province de Liége ? Les ouvrages reçus en réponse à celte question, pro- posée par une personne qui désire garder l’anonyme, por- tent les épigraphes suivantes : 1° Cogitate miseri qui et quales estis Quid in hoc judicio dicere potestis ? Hic non ecrit codici locus, aut digestis , Jam erit dominus, judexæ actor, testis ! 2 Feritas temporis filia. 5° Quisnam in Europa habitans hujus progenici altitu- dinem, nomina et loca ignorat. (Vila Sanctae Gertrudis praef.) 4 Si Desunt vires, tamen est laudanda voluntas. ANR NE" he hr) F 1 (164) 5 Notes pour servir à l’histoire de la naissance de Char- lemagne. (Sans inseriplion, sans devise.) 6° Magnus apex rerum. (Arcuin.) Les commissaires sont : MM. Borgnet, Polain et de Gerlache. RAPPORTS. MM. Borgnet, Schayes et Gachard, commissaires, font leur rapport sur le mémoire de MM. de Saint-Genois et Yssel de Scheppere, concernant les missions diplomati- ques de Corneille Duplicius de Schepper, dit Schepperus, ambassadeur de Christiern II, de Charles V, de Ferdi- nand [* et de Marie, reine douairière de Hongrie, gou- vernante des Pays-Bas, de 1525 à 1554. D'après des observations des commissaires, M. de Saint-Genois rede- mande le manuscrit pour y supprimer différentes pièces de peu d'importance. COMMUNICATIONS ET LECTURES. Note sur l'accroissement de la population en France pendant le XVIL"" siècle; par M.Moke, membre de l’Académie. $ I. J'ai énoncé dans un travail précédent l'opinion que l'accroissement de la population en France, pendant la période qui précéda la révolution, avait été aussi rapide : ! ( 165 ) que la progression du produit de l'impôt, la richesse rela- tive restant à peu près stationnaire. Cette assertion, qui s'écarte des idées reçues à ce sujet, m'a paru demander un nouvel examen, et après l'avoir soumise au contrôle des faits, je suis resté convaincu de son exactitude dont je vais essayer d'offrir la preuve. Les données que nous possédons sur l'histoire statistique des États européens, avant le cours du siècle actuel, sont extrêmement incomplètes. Pour la France , nous n'avons aucun dénombrement authentique de la population avant celui de 1801, et encore la confiance que mérite ce docu- ment a-t-elle été contestée. Pour l’apprécier, j'ai comparé soigneusement les chiffres qu'il présente avec ceux des dénombrements exécutés depuis 1826 jusqu'en 4851, dont on reconnaît l'exactitude (1). Je n’ai trouvé que trois dé- partements pour lesquels les nombres donnés en 1801 ne parussent pas proportionnels à ceux qui ont été recueil- lis jusqu'au momeut aciuel, et l'erreur probable ne m'a semblé être que de 120 à 130,000 têtes en moins sur un (1) Cette comparaison n’est pas sans intérêt. Les départements dont la population paraît trop faible au premier coup d’æil, sont ordinairement ceux où des causes locales ont amené un accroissement continuel dont la rapidité est encore extraordinaire, comme dans le Lyonnais: L'ancienne Normandie présente des nombres peu inférieurs à ceux d'aujourd'hui; mais les dénom- brements postérieurs attestent également l'état presque stationnaire de la population dans cette province, où l'esprit de prévoyance est si développé. La Bretagne, au contraire, fidèle à ses mœurs antiques, voit ses habitants se multiplier sans relâche. Les seuls départements où les relevés de 1801 semblent évidemment incom- plets, sont ceux des Landes, de la Dordogne et des Côtes du Nord, dont la population n’est pas en rapport avec celle qu'indiquent les dénombrements faits plus tard : mais l'erreur de ce chef ne paraît pas aller beaucoup au delà de 100,000 têtes. TOME xxu1. — ['° parrT. 12 di ( 166 ) total de 28,176,000. Je crois donc que, sauf ces trois cas particuliers, le recensement fait au commencement de ce siècle fournit une base assez certaine aux recherches ulté- rieures. Mais, comment remonter de 4801 au commencement de la révolution française, à travers une époque de perturba- tion? Les évaluations émanées du comité de l’Assemblée constituante, en 17914, expriment le peu de précision des données sur lesquelles reposaient alors les calculs de ce genre, puisque le premier chiffre adopté, qui supposait 28,896,000 habitants, fut réduit peu de temps après à 26,565,000, résultat probablement moins exact que le précédent. Une indication très-remarquable sur le mouvement de la population, pendant une période voisine, nous est four- nie par l'exposé de l'état de l'empire communiqué au sénat, en 1815, par M. de Montalivet. Le nombre des habitants des départements qui composaient l’ancienne France y est porté à 28,700,000 , donnant à peu près un demi-million d'accroissement pour douze années. Cet ac- croissement minime se trouve expliqué, d'une part, par les sacrifices d'hommes qu’entrainait la guerre, de l’autre, par la diminution du nombre des naissances, qui était tombé de 966,000, vers 1790, à 874,258 en 1801. s Si les plus belles années de l'empire avaient laissé la population presque stationnaire, il serait difficile de croire que les guerres et les troubles de la révolution n’eussent pas arrêté plus complétement encore toute augmentation numérique. Évidemment le pays avait dû renfermer peu d'habitants de moins en 1791 que dix ans plus tard, car l'accroissement moyen, qui était de 100,000 têtes par année dans la seconde moitié du XVII" siècle, se trouvait Î Mae. … ( 167 ) largement compensé, pendant les luttes de la république, par le nombre d'hommes qu’elle consommait. D'un autre côlé, la population ne diminua pas très-sensiblement, puisque l'évaluation la plus forte qu'on eût encore posée, celle que l’Assemblée constituante finit par réduire, ne dépassait que de 720,000 âmes le dénombrement suivant. On ne peut donc pas se tromper beaucoup en considérant les relevés de 1801 comme répondant à peu près au nombre et à la répartition des habitants en 17914, et pour des caleuls qui embrassent un long intervalle, ce terme de comparai- son approximatif paraît offrir une exactitude suffisante. $ I. Il existe d'anciens dénombrements exécutés sous Louis XVI, en 1698 et en 1700 (je dirai en 1699), qui embrassent à peu près la lotalité des provinces à celte époque (1). Quelques-uns paraissent faits sans tout le soin nécessaire, comme ceux de la Bourgogne et du Soisson- nais, où la population atteint ou dépasse déjà le chiffre de 1801 (2). D'autres semblent reproduire des déclarations (1) Vauban en a rassemblé les résultats dans le chapitre VII de sa Dîme royale. Mais son tableau offre quelques lacunes. Le nombre total de 19,094,000 habitants qu'il adopte dépasse de 192,000 ses relevés partiels. Il explique lui-même cette différence, en disant (dans sa préface) qu’il y a bien des mau- vais pays dont il n’a pas le dénombrement. Mais 192,000 têtes ne répondent qu'à la population du comté de Foix et d’autres petites localités. Reste le Berry, dont il ne parle pas et auquel rien ne supplée dans les chiffres attri- bués aux provinces environnantes. D’après la proportion générale de la popu- lation, cette omission parait répondre à celle de 514,000 têtes. C’est donc à peu près le 60% de la totalité, différence qui n'affecte pas beaucoup l’en- semble. (2) La Bourgogne était cependant un pays d'états; mais elle ne possédait point, comme les autres provinces de cette catégorie, les éléments d’un dénom- brement régulier, établi sur le nombre des feux. En effet, la quantité des foyers payants y était si minime qu’on n’en comptait que 357 à Dijon sous Jean sans Peur. (Æistoire de Bourgogne, t. HI, Preuves, p. 156.) (468 ) trop faibles dictées sans doute par la crainte de l’augmen- tation des tailles. Mais il existait trois provinces qui, depuis des siècles, tenaient compte du nombre des feux pour l’as- sise de l'impôt : c'étaient la Bretagne, le Languedoc et la Provence. Les évaluations qu'elles fournirent semblent exactes, car, en les comparant à celles de 1804, elles offrent toutes trois le même rapport, celui de 5 à 7. En voici la preuve. L'ancien relevé de la Bretagne donne 1,655,000 habi- tants ; celui de 4801 en offre 2,255,000. Mais ce dernier demande une rectification partielle, le département des Côtes-du-Nord n’y étant porté que pour 500,000 âmes, ce qui répond mal aux dénombrements postérieurs (1). Le chiffre correct serait probablement celui de 2,305,000 âmes : le rapport de 5 à 7 appliqué à l’ancienne population conduirait à 2,517,000. La différence est presque nulle. En Languedoc, la population avait été de 1,441,000 âmes. Or, les huit départements languedociens, en élimi- nant les arrondissements annexés, mais en tenant compte de quelques cantons détachés, donnent, en 4801, au moins 2,000,000 d'habitants. Le rapportstriet serait de 2,017,000. La Provence comptait sons Louis XIV 640,000 habi- tants; mais la peste de 1720 en enleva, suivant les relevés de l’époque, 88,000, ce qui revient à une diminution de 82,000, vingt années auparavant. D’après la proportion déjà établie le chiffre de la population aurait dû s'élever, (1) Le relevé de 1817 porte 520,000; mais plus tard, on y comptait 599,000 âmes en 1826 ; 606,000 en 18536; 635,000 en 1851. L'accroissement le plus fort est ici de 1,700 par an : comment aurait-il été en moyenne de 8,800 pendant les neuf années précédentes ? Il faut probablement grossir de 50,000 les chiffres primitifs. his - ( 269 ; vers la fin du siècle, à 781,000 têtes : le dénombrement en porte un peu moins de 790,000 (1). En face de ces résultats correspondants que nous four- nissent trois provinces privilégiées où pays d'états, plu- sieurs autres parties du royaume offrent un rapport aussi uuiforme, comme on le voit par le tableau suivant : Relevé Nombre Relevé PROVINCES. DE 1699. RELATIF. DE 1801. Généralité de Tours. . . . 1,070,000 1,498,000 1,496,000 Predie ELU 2 2.450. 520,000 728,000 729,000 Bearn et Navarre. . . . . 241,000 331,000 318,000 ROME. Ce 7 80,000 112,000 118,000 Flandre wallonne. . . . . 423,000 592,000 587,000 Flandre flamande, Ypres, etc. 187,000 262,000 270,000 Le reste des provinces ne présente pas la même concor- dance; mais les erreurs en plus et en moins de différents relevés paraissent se balancer, de sorte que le total ramène encore la proportion régulière. En effet, les 19,094,000 têtes énumérées par Vauban, donnent pour résultat cor- respondant 26,751,000 pour les années 1791-1801. Or, le dénombrement de cette dernière époque, en éliminant les contrées qui manquent dans le précédent (2), s'élève à 26,874,000 âmes. La différence n’est que de ‘2 p. Vo. Ainsi, soit qu'on interroge ceux des dénombrements pro- vinciaux, qui offrent le plus de correspondance et de pro- (1) Je ne puis pas déterminer plus rigoureusement ce dernier nombre, à cause de quelques changements de délimitation, mais j'ai pris le maximum. (2) Ce sont la Lorraine, la Corse et la Berry, renfermant ensemble 1,302,000 habitants. ( 170 ) babilité, soit qu'on s’en tienne au résultat général, le rap- port reste à peu près le même. La population de la France vers 1699 parait donc avoir été de 19,400,000 âmes (y compris les habitants du Berry), et ce nombre s'accrut de deux cinquièmes dans les 92 années suivantes. Or, cette progression est exactement la même que celle d’un quart en 62 ans que nous avons trouvée pour Île pro- duit de l'impôt, et qui parait représenter le mouvement de la fortune publique. $ IT. Cette parité d’accroissement que semblent offrir, pendant le XVITE"* siècle, la population du pays et le revenu du fisc prouve l'état stationnaire de la richesse relative, sinon parmi toutes les classes de la société, du moins parmi la masse du peuple. On pourrait cependant y opposer le chiffre considérable des derniers budgets de cette période, à partir de 1770. Mais quand on décompose ces budgets ; combinés de manière à frapper de plus en plus les classes élevées, on s'aperçoit de l’immuabilité de la taille, qui re- présente la partie de l'impôt directement assise sur le peuple, et qui ne cessa point d’être considérée comme excessive par les hommes d'État et par les économistes. Toutefois, on vit s’accomplir à la longue quelques progrès dans la culture, et il en résulta une amélioration partielle du sort des classes agricoles; mais elle ne devint sensible que sous le règne de Louis XVI, c’est-à-dire trop tard pour produire tout son effet sur l’augmentation numérique des habitants. A défaut de recensements intermédiaires qui permettent de juger des variations accomplies dans chaque subdivision de ce siècle, je chercherai un terme de comparaison ap- proximatif dans les relevés recueillis en Angleterre. De (OA ) 1700 à 1760, le mouvement de la population dans ce pays répondit à peu près au rapport général que nous avons reconnu en France. Elle s’éleva de 5,154,000 têtes à 6,480,000, ce qui donne une augmentation d'un quart en 60 ans (1). Mais ensuite elle fit le même progrès en 50 an- nées, et vers le commencement du siècle actuel en 15. En supposant que le développement de la population se soit aussi accéléré en France à partir de 1760, quoique les témoignages historiques ne constatent l'amélioration qu'un peu plus tard, voici quelle aurait été sa marche propor- ionnelle. De 1692 à 1750, l'accroissement probable parait d'un hitième en 58 ans : De 1750 à 1760, d’un huitième en 52 ans. De 1760 à 1791, d'un huitième en 28 ans et demi. De 1791 à 1820, l'accroissement se trouve ralenti.) de 1820 à 1851, d'un huitième en vingt-six ans. Cest ce dernier terme, constaté par les dénombrements les )lus certains , qui permet d'établir ce rapport approxi- malf, dont je laisserai de côté les détails (2). (1) 2e résultat, qui s'éloigne si peu de celui que nous venons d'observer en France(le rapport est de 30 à 51), répond à ce que l’on connaît du dévelop- pement à peu près égal de la population des deux pays à la fin du siècle pré- cédent.Elle offrait un peu plus de densité en Angleterre, où neuf millions d'hectaes en culture nourrissaient cinq millions d'habitants, qu’en France, où trente d un millions d'hectares productifs étaient occupés par dix-neuf millions et dm. Mais la similitude cessa quand le commerce et l’industrie des Anglais eurat pris un développement sans exemple. () 11 est évident que si l'accélération de l'accroissement a été plus grande versla fin du siècle, la proportion moyenne est à peu près celle du milieu de cett période, tandis qu’un ralentissement égal doit avoir existé dans la pre- mièe partie. Liccroissement que j'ai admis tient le milieu entre le mouvement actuel et (CAR ) On voit qu'il y à une extrême inégalité entre ce mou- vement graduel encore si lent et celui qui s’est accompli en Angleterre, quoique de 1700 à 1760 les deux nations parussent grandir presque également. D'un autre côté, l'augmentation actuelle du nombre des habitants en France ne répond pas non plus au développe- ment de la richesse, puisque le produit de l'impôt est tri- plé, tandis que l'accroissement de la population n’est accé- léré que dans la proportion d'un cinquième. Cet accroissement n’est pas même général. Le mouvement est nul dans la Normandie, si ce n’esl dans le département de la Seine-[nférieure. Il est moindre qu'avant la révolution dans la Fran@ septentrionale, si ce n’est dans le département du Nord. Il est égal à ce qu’il était en 1791 dans la totalité tu pays, si l’on excepte les dix départements dont la popua- tion s'accroît le plus vite (principalement ceux de la Sene, du Nord et du Rhône). Ainsi dans l'état actuel de la civilisation et de la vitalté, sous l'influence de nouvelles conditions de bien-être, cac- tivité, de progrès, la plus grande partie de la Francevoit à peine ses habitants se multiplier plus vite qu’au XVII"* siècle. | Sans chercher à signaler ici les causes morales et naté- rielles de ce phénomène, je me bornerai à formula: les résultats Suivants : L'accroissement de la population en France das le cours du XVII" siècle a été plus rapide qu’on ne le cri le précédent. Il suppose que les naissances étaient à la population commel à 29,13. Chaptal ne trouvait, en 1805, que 1 à 28,55, mais depuis, on a beaucup dépassé cette proportion, et le rapport actuel est à peu près de 1 à 37. ( 475 ) communément et peu inférieur à celui qu'on observe en Angleterre de 1700 à 1760, quoique durant cette période le premier de ces deux pays s'enrichit très-peu et le second très-sensiblement. Mais malgré le progrès actuel Je la richesse en France, la proportion de la vitalité n’a pas encore subi de change- ment assez notable pour réparer le retard apporté à l’ac- croissement numérique par l'intervalle quasi improductif compris entre 1791 et 1814. Notice sur la défense soutenue au château de Gand par M" de Mondragon (Guillemette de Chastellet); par M. Van Duyse, correspondant de l’Académie. Incendiée une seconde fois après deux ans d'intervalle, la malheureuse ville d'Anvers fumait encore (4 novembre 1576) : un cri de malédiction s'était élevé de toute part dans les Pays-Bas contre ce nouveau crime de la soldatesque espagnole, qui tout récemment encore s'était acharnée contre la ville et le pays d’Alost, où elle avait, entre autres, exercé des Cruautés inouies contre l'abbaye d’Affighem. On s’occupait dans la capitale de la Flandre orientale à préparer celte Pacification qui devait porter dans l’histoire le nom de Gand, et qui, depuis dix années de troubles, allait être l’acte diplomatique le plus important que le parti insurrectionnel eût posé : on voulait enfin déblayer de notre sol les soldats de Philippe I et les troupes étran- gères à son service dans ce pays. Mais il fallait exécuter cette résolution énergique, qui depuis longtemps s'était brisée contre une foule d'obstacles. (174) Déjà vers le milieu du mois de septembre dernier, le conseil d'État avait déclaré les Espagnols rebelles au roi et ennemis du pays. Dans une assemblée solennelle tenue à Gand, les états de Flandre avaient confirmé cette pro- scription , auquel le haut clergé avait adhéré. La ville de Gand avait nn intérêt puissaut à être débar- rassée de ces ennemis, menacée comme elle l'était, d'uve part, par les bandes indisciplinées qui promenaient l'in- cendie jusqu’à ses portes, et exposée, d'autre part, à la vin- dicte espagnole d’une garnison qui occupait obstinément le château élevé par Charles V, dans le but de comprimer à tout jamais les bons bourgeois de sa ville natale. C'était, de l'aveu du prince d'Orange, » un lieu très-imporlant pour tout le pays, et singulièrement pour la Flandre (1). » Cette garnison s'était déjà fait craindre depuis le mois d'août par des canonnades et des sorties : la ville, de son côté, n'avait rien négligé pour se mettre en mesure contre ces attaques. Il y avait eu des luttes incessautes tant de jour que de nuit dans lesquelles les succès et les revers s'étaient balancés. On était à la veille de la Pacification : il y avait une quinzaine que de la grosse artillerie avait en vain battu ‘en brèche des quatre côtés ce lieu fort; mais comment douter encore plus longtemps d’uu triomphe complet? Les conférences qui avaient lieu à l'hôtel de ville avaient sin- gulièrement exalté le courage des bourgeois; d’ailleurs on avait sous la main des forces considérables. Elles étaient composées des troupes wallonnes amenées par le comte de Roeulx, gouverneur de la Flandre, qui toutefois, ayant (1) Lettre en date du 18 novembre 1576, citée dans l'Æistoire de Flandre, par Kervyn de Lettenhove, t. VI, p.300. 175 ) passé de l'un camp à l'autre, n'inspirait guëre une plus grande confiance aux bourgeois que Trélong, comman- dant de l'artillerie. Le comte Philippe de Lalaing avait également amené des régiments wallons. On avait même appelé au secours les gens du Taciturne, sous condition expresse qu'ils ne se permettraient aucun excès contre la religion catholique. Le prince d'Orange avait répondu à cet appel : il avait envoyé quelques compaghies de soldats et une quinzaine de canons. La lutte entre ces forces combinées et la garnison du château était en effet très-inégale : Eizinger les porte, en y comptant les bourgeois, à dix mille; le nombre des soldats espagnols était très-faible et leur chef était absent. A diflérentes reprises, le lieutenant de Mondragon, qui le remplaçait, avait refusé les propositions, parfois très-rusées, qui lui avaient été faites par le magistrat de Gand. Quant à Mondragon , après s'être emparé de Zierikzée, à la suite d'un long siége, il avait quitté cette île pour venir en aide au château de Gand où il avait laissé sa femme; mais ar- rivé au pays de Waes, à la tête de son régiment, il avait dû fléchir dans un combat et s'enfuir à Anvers. Le 7 novembre 1576, le canon qui devait le lendemain proclamer au loin la Pacification de Gand, tonna pendant toute la journée contre la garnison espagnole. Quoique le château en souffrit sensiblement en différents endroits, celle-ci parut déterminée à se défendre jusqu'à la dernière extrémité. C'est que M de Mondragon surtout s'était chargée du rôle glorieux de son mari absent : elle avait fait passer son courage dans l’âme des assiégés. Au son de quatre trompettes, du haut de la bretesque de l'hôtel de ville, on avait solennellement proclamé la Pacilication. Bientôt une rumeur inquiétante vint agiter (196 ) la foule mobile. On assurait que Christophe de Mondragon, avait passé l’Escaut, suivi de bandes espagnoles et de quel- ques compagnies wallonnes : il marchait de nouveau vers Gand pour sauvegarder les siens. Quoique faux, ce bruit fut assez puissant pour remuer ces flots de peuple avide d'exécuter au besoin par lui-même la proscription que l’on venait de lancer avec tant d'appareil contre les troupes espagnoles. On redouble le feu des canons contre le château, sans parvenir à aucun résultat définitif. Sur ces entrefaites, le magistrat avait ordonné que, de 18 à 60 ans, chacun por- tàt les armes : on avait érigé des travaux redoutables. On voulait à tout prix attacher du moins au jour suivant un souvenir impérissable, Trois mille Gantois accourent avec l’armée vers la cita- delle : pour se reconnaître entre eux, ces bourgeois avaient passé une chemise au-dessus de leurs habits; ce costume, il faut l’avouer, était moins militaire que propre à une amende honorable, et rappelait, à propos de cettecitadelle, d'assez tristes souvenirs. On parvint à battre les murs en brèche; mais les échelles destinées à l'assaut furent trou- vées trop courtes : quant au pont-levis qui devait conduire les assiégants vers la brèche, les assiégés parvinrent à y mettre le feu. Le courage de la garnison fut vraiment héroïque : tandis qu'elle déchargeait les mousquets et faisait fonctionner le petit nombre de canons qu'elle avait à sa disposition, les femmes versaient de l’eau bouillante du haut des murs. Les enfants eux-mêmes aidaient leurs parents. _ Cependant toute défense était devenue impossible : les munitions de guerre et les vivres manquaient à la fois à cette pelite troupe attaquée de tous côtés. D'ailleurs, depuis plus . ( 477 ) d’un mois, elle se trouvait dans une incertitude complète sur le sort des soldats espagnols qui occupaient Anvers, Alost et d’autres villes du pays. Ce ne fut que le jour suivant qu'on arbora le drapeau blanc. Par suite de la capitulation , il fut permis aux Espa- gnols de sortir du château libres, mais sans leurs armes ou leurs effets. Quel dut être l’étonnement des vainqueurs un peu dou- teux lorsqu'ils virent cette malheureuse troupe qui ne comptait que 150 personnes, y compris les blessés et les malades! Dans cette lutte aussi terrible qu'inégale, les assiégés n'avaient perdu que six hommes el neuf femmes, parmi lesquelles se trouvait M"° la veuve d’Armentières, véritables héroïnes, dignes de l'exemple donné par M”*° de Mondragon. Quant à celle-ci, elle avait été noblement sou- tenue par le lieutenant Antoine d'Avalos. Accompagnée de ses deux filles, elle sortit la dernière du château pour se diriger sur Tournai (1). Nous sommes heureux: de faire connaître le nom de famille de cette dame : elle se nommait Guillemette de Chastelet, et portait d’or à la bande de gueules, chargée de trois fleurs de lis d’or. Ce renseignement résulte d’un document digne de foi (2). | (1) Voir la représentation de cette scène dans Eizinger, Leo belgicus, Col. 1588, pp. 195-196. (2) Une verrière, placée ci-devant à l’église de S'-Jacques à Gand, était ornée, entre autres, des armoiries que nous venons de décrire. On y lisait l'inscription suivante: Dit zijn de quartieren van mijn heere Christoffel de Mondragon, Chastelain van Ghent ende van Antwerpen, overl. in die leste stede 4 ja- nuari 1596, oudt 89 jaren, mets [gaders] van vrau Guilemete de Chas- telet, zyn huusvr., 20 die staen in de hendelveynster van S'"-Jacobs kercke te Ghent, c'est-à dire : quartiers de noble homme Christophe de Mondra- ( 178 ) Un autre document authentique prouve à l'évidence le vif intérêt que Don Juan ne cessa de porter à la pénible situation qu'une capitulation glorieuse venait d'imposer à celte dame. On avait saisi la vaisselle et les meubles qu'elle avai laissés au château. Nommé gouverneur des Pays-Bas, le jour même du sac d'Anvers, le vainqueur de Lépantes intercéda vivement près des états généraux pour que l’on rendit à M"° de Mondragon tous les objets qui lui avaient appartenu et dont déjà la vente avait été ordonnée, de- mande que les états accordèrent (1). gon, commandant du château de Gand et d'Anvers, décédé en cette dernière ville le 4 janvier 1596, âgé de 89 ans; ainsi que de dame Guillemette de Chas- telet, sa femme, de la façon dont ces quartiers se trouvent représentés sur une verrière de l’église de S'-Jacques à Gand. Le dessin de cette verrière fait partie de la collection de M. Goetghebuer, de Gand, qui l’a tiré d’un volume MS. vendu à la mortuaire du secrétaire communal Hye-Schoutheet. Voir au sujet du colonel de Mondragon : Martens et Torfs, Geschiedenis van Antwerpen, t. V, pp. 5, 205, 206, 208, 209, 254, 258, 289, 309; 1. VII, p. 616. (1) Nous copions les trois pièces suivantes. transerites dans un des 47 regis- tres faisant partie du dépôt des archives de Gand (Reg. Y, [ ° 201 et 209.) 1. Les estatz généraulx des Pays-Bas ont ordonné et ordonnent parcestes à Servaes Van Steelant, conseillier du roy, et son recepveur général d'Oost- flandres, de mectre et consigner es mains de maistre Thiery Vander Beken la vasselle d’or et d'argent ayant appartenu tant à M: de Mondragon qu'à la vefve d’Armentières, trouvez au chasteau de Gand, et par ordonnance des- dictz estatz mise en ses mains, ensemble de faire vendre en présence des députez de la loy de Gand par subhastation tous leurs aultres meubles y trouvez, et les deniers en procédans envoyer es mains dudict Vander Beken. Pour le tout estre employé selon que les estatz trouveront convenir à la des- charge et bien de ce pays. Promectons par cestes en décharger, quicter et indempner ledict recepyeur général d'Oostflandres, vers tous qu’il conviendra. Faict à Bruxelles, à l'assemblée desdicts estatz, le xrix de juing 1577. Soubz estoit escripi: Par ordonnance et charge expresse desdicts Sgrs Estatz. 2. Messieurs, comme pour plusieurs et réitérées fois je vous ay escript de \ ( 499 ) Beaucoup d'historiens qui ont éeril spécialement sur les troubles des Pays-Bas ont passé sous silence cette flemme héroïque : nous citerons Van Meteren et Vander Vinckt. Elle mérite de prendre place à côté de Marie de Lalaing, quoique toutes deux aient combattu daus des camps op- posés. accorder à Madame de Mondragon main-levée du bien qu'elle a laissé au chasteau de Gand, depuis faict le mesme de bousche, n’en ayant jusque à pré- sent peu sentir aulcun effect, cela me meu derecheff vous requérir comme je faiz bien instamment de en ma faveur vouloir consentir la main-levée dudict bien, oires que ny soyez obligez et ce pour mon respect. À tant, Messieurs, je prie Dieu de vous avoir en sa saincte garde. De Malines, ce xx de juing 1577. Soubzcript : Vostre bon amy, signé JEnAN. Et plus bas : F. pe Vasseur. La superscription esloit : À Messieurs les Estatz Généraulx assemblés à Bruxelles. 3. Monseigneur, combien que les meubles et vaselles de Madame de Men- dragon fussent destinez pour furnir au payement du coronel Bertel Entens et de ses gens, affin de leur donner contentement et les faire retirer, et que Votre Altèze sçait la nécessité en laquelle nous nous trouvons, aussÿ que aÿans estre saccaigez et spoliez plusieurs bons personnaiges en si grand nombre sans que en ait faict aultre debvoir en leur endroiet ores que par l’édict de Paci- fication on y fut tenu, et ne pourront laisser de le sentir, voire que leur semblera que ceulx que on a faict sortir les pays par les raisons contenues audict édict, ot trouvé plus de faveur qu'eux soubtenans le party du conseil d'Estat, commis au gouvernement général par Sa Majesté et nostres Veant combien Votre Altèze a ceste chose à cœur, nous cédons fort volontiers à Vostre Altèze l'action que nous en avons, affin qu'elle en dispose comme il lui plairat, suyvant le désir que nous avons de rendre très-humble service à icelle, à la bonne grâce de laquelle nous recomandons de mesme. (480 ) De la commune en Flandre: JAcQuESs D'ARTEVELDE. Par M. le baron de Gerlache, Président de l'Académie (1). « Au moyen àge, disions-nous ailleurs (2), c’est la Flandre qui revient toujours sous la plume de l’histo- rien ; c’est la Flandre qui doit jouer le premier rôle dans ses annales, comme elle le joue en eflet sur la scène du monde. » Son histoire se divise naturellement en trois grandes périodes : l'époque féodale, l'époque com- munale et l'époque moderne. L'époque féodale, qui rap- pelle tant de grands noms et d'illustres souvenirs , est aussi son époque héroïque. Tout se fonde sous ces princes aux- quels la commune elle-même doit son existence et ses premières libertés. Les règnes de Baudouin Bras de Fer, de Baudouin à la Hache, de Charles le Bon, de Thierry et de Philippe d'Alsace, de Baudouin de Constantinople, de Richilde, de Jeanne et de Marie de Constantinople; les luttes désastreuses de Fernand de Portugal et de Guy de Dampierre contre Philippe-Auguste et Philippe le Bel, présentent une série d'événements mémorables qui appar- tiennent à l’histoire générale autant qu'à l'histoire du pays. Comme les rois de France eurent pour système d’abais- ser leurs grands vassaux, qui tendaient à se rendre indé- pendants de la couronne, de même les comtes de Flandre 5 % v v (1) Ce fragment fait suite à un article Sur la féodalité, la chevalerie et les communes, en Belgique, qui a paru dans un recueil intitulé : La Bel- gique , numéro du 10 janvier 1856. Bruxelles, Demortier. (2) Introduction à l'#istoire du royaume des Pays-Bas. (481) cherchèrent à contre-balancer la puissance de leurs barons, en accordant des chartes de liberté aux communes, soit spontanément, soit à la demande de celles-ci. Telle fut entre autres, la politique de deux des plus grands princes flamands, de Thierry et de Philippe d'Alsace. Pendant la première partie du XII" siècle, une sorte d'équilibre entre l'esprit démocratique et l'esprit féodal; un certain respect pour l'autorité; une liberté étendue et pourtant modérée ; une aisance générale, fruit du commerce et de l'industrie, reudirent la Flandre l’un des pays les plus florissants de l'Europe. Mais peu à peu les choses changè- rent : les tristes querelles de Marguerite de Constantinople avec ses enfants du premier lit, nés de Bouchard d’Avesnes; les débats de ceux-ci avec les Dampierre; la guerre surve- nue entre Édouard d'Angleterre et Philippe le Bel, où Guy de Dampierre fut enveloppé; enfin la longue captivité de ce dernier, amevèrent l’affaiblissement et puis le mépris du pouvoir. L'esprit d'opposition et de rébellion, excité par les intrigues de Philippe le Bel, qui convoitait ces ri- ches provinces, envahit toutes les classes. Et lorsque, dans un mouvement de désespoir sublime, le peuple, aban- donné de tous, se leva spontanément pour secouer le joug de l'étranger , à la grande journée de Courtray, ce peuple, vainqueur de ses puissants ennemis, devint plus intraitable que jamais. Depuis cette époque, les comtes de Flandre se rapprochèrent de plus en plus des rois de France, leurs suzerains, en s'élaignant de l'Angleterre, dont l'alliance était chère à leurs sujets. Beaucoup de nobles et de riches bourgeois, soit par aversion pour les gens des communes, soit par sympathie pour leur prince, se tournèrent du côté de la France. On les appelait Léliarts, amis de l'étranger. Alors se déroulent ces grands événements du Tome xx. — ['* parT. _45 (182 ) XIVre siècle et ces scènes tragiques où la démocratie, désormais sans coutre-poids, triomphe au milieu des trou- bles civils. La guerre qui éclata entre la France et l'Angleterre, sous Édouard et Philippe de Valois, fut longue et acharnée; ce fut tout à la fois une guerre de dynastie et une guerre de suprématie nationale. Édouard prétendait à la couronne de France comme représentant sa mère Isabelle, fille de Philippe IV ou le Bel; et Philippe de Valois se disait seul habile à en hériter, en vertu de la loi salique. Chacun des contendants cherchait partout des alliés et tâchait d'attirer les Flamands dans son parti. Le comte de Flandre (Louis de Crécy) se déclarait pour la France, mais le peuple pré- : férait Édouard. Cependant le commerce languissait, les laines d'Angleterre n’arrivaient plus, et la détresse des gens de métiers était extrême. Il y avait alors à Gand un homme qui ne laissait échapper aucune occasion de montrer toutes les sympathies que lui inspiraient les souffrances du panvre peuple, et qui répé- tait partout que, si on voulait l'écouter, les choses chan- geraient bientôt. Cet homme s'appelait Jacques d’Arte- velde. D’Artevelde avait passé une partie de sa jeunesse à la cour de France et voyagé dans les pays lointains. De retour en Flandre, il y avait épousé une riche brasseuse de bière, ou d’hydromel. Doué d'un caractère énergique et d’une éloquente persuasive; connaissant l'esprit du peuple; politique habile, placé en face d’un prince faible et sans influence, et d’une multitude agitée, il comprit quel rôle pouvait lui échoir dans l'avenir ; il s’en saisit et le soutint pendant sept années ; pendant sept années il sut couduire la population la plus turbulente et la plus diffi- cile à gouverner , en face de ses envieux et de ses énnemis, PP PTT NT + ( 185 ) dont le nombre croissait en proportion de sa fortune (1). Rien n’était plus simple à son début que la politique de Jacques d’Artevelde; elle consistait à conserver stricte- ment la neutralité de la Flandre, en rétablissant ses an- ciennes relations commerciales avec l'Angleterre, et sans se mêler de la querelle de celle-ci avec la France. Mais il s'agissait d'obtenir l'adhésion du comte de Flandre; et ce dernier, soit qu’il eût pris des engagements antérieurs avec Philippe de Valois, soit qu'il soupçonnât Artevelde de con- nivence avec Édouard, soit qu'il s'indigrät de se voir tout à fait effacé par ce favori du peuple, quitta furtivement sa capitale et courut se réfugier à la cour de Philippe. Ce prince eut une étrange destinée. Il se rappelait la triste fin de Fernand de Portugal et de Guy de Dampierre, qui avaient osé tirer l'épée contre Philippe-Auguste et Phi- lippe le Bel; il redoutait une pareille guerre contre son suzérain, et il ne prévoyait pas que bientôt il tomberait victime de sa fidélité ou de sa politique aux champs de Crécy. Désormais Artevelde fut le véritable souverain de la Flandre , et il eut toute la puissance qu'un peuple ivre de liberté peut déléguer à celui dont il a fait son idole. Un complot ayant été formé contre sa vie, tout le ORUE s'en émut; on lui donna une garde d'hommes dévonés, char- gés de veiller à sa sûreté et toujours prêts à exécuter ses (1) Ztaque Gandavenses primum, vel invilo comite, Anglis auxilium promiserunt, sibique ducem ac tribunum creaverunt Jacobum Artevel- dum, fortem virum ac eloquentia cum primis praestantem, clarum magis quam nobilem, qui in aula regum Francorum fuecrat versatus, inque domum reversus confectricem quamdam mulsi opulentam faemi- nam duxerat uxorem, factusque supremus opificum decanus. (J. Meyeri Annales.) (184) ordres. Nommé capitaine des milices communales, il com- mandait toutes les forces de la cité, levait des hommes et de l'argent à volonté, sans rendre aucun compte, bannis- sait les uns, confisquait les biens des autres, sans que personne osàt s’y opposer. WW Wir. W + « En ce temps-là, dit Froissart, il y avait grand dis- sention entre le comte de-Flandre et les Flamands; car ils ne voulaient point obéir à lui, ni à peine s’osait-il tenir en Flandre, fors à grand péril. Et avait donc en Flandre un homme qui avait été brasseur de miel; celui- el élail entré en si grande fortune et en si grande grâce à tous les Flamands, que c'était tout à fait en bien quand qu'il voulait deviser et commander par tout Flandre, de l’un des côtés jusqu'à l’autre; et n’y avail aucun, comme grand qu'il fût, qui de rien osàt trépasser son commandement ni contredire. 11 avait toujours aprés lui, allant aval la ville de Gand, soixante ou quatre-vingts varlets armés, entre lesquels il y en avait deux ou trois qui savaient aucuns de ses secrets, el quand il rencon- trait un homme qu'il héait (qu'il haïssait) où qu'il avait à soupçon, il était tantôt lué; car il avait commandé à tous ses secrets varlets et dit: « Sitôt que je rencontre- rai un homme et que je vous fais un tel signe, si le tuez sans déport (sans délai) comme grand ni comme haut qu'il soit sans attendre autre parole... » Parquoï il était si douté (si redouté) que nul n’osait parler contre chose qu'il voulut faire, ni à peine penser de le contredire... Et aussi avait-il par toutes les Flandres et châtellenies sergens et soudoyés à ses gages pour faire tous ses com- mandements et épier s’il avait nulle part qui füt rebelle à lui, et qui dit ou informât aucun contre ses volontés. Et sitôt qu'il en savait aucun en ville, il ne cessait he et one à dd um d'à vs a ( 185 ) jamais tant qu'il fût banni ou fait tuer sans déport, jà cel ne püt (sans que celui-ci pùt) s'en garder. Et même- ment Lous les puissants de Flandre, chevaliers, écuyers, et les bourgeois des bonnes villes qu'il pensait qu’ils fussent favorables au comte de Flandre en aucune ma- aière , il les bannissait de Flandre et levait la moitié de leurs revenues, et laissait l’autre moilié pour le douaire de leurs femmes et de leurs enfants. Brièvement à parler il n’était oncques en Flandre, ni en autre pays, » duc, comte, prince ni autre qui püt avoir un pays si à » sa volonté comme cil (comme celui-ci) l’eût longuement ; » et il était appelé Jacques d’Artevelle. IL faisait lever les » rentes, les tonlieux, les vinages, les droitures et toutes » les revenues que le comte devait avoir et qui lui apparte- » paient, quelque part que ce füt parmi Flandre et toutes » les maltôtes; si les dépendait à sa volonté et en donnant » sans rendre aucun compte; el quand il voulait dire que » argent lui fallait, on l'en croyait, et croire l'en conve- » nait, car nul n'osait dire encontre, pour doute (par » crainte) de perdre la vie; et quand il en voulait emprun- » » D 4) 0 € © ter à aucun bourgeois sur son payement, il n’était nul qui lui osàt esconduire (refuser) à prêter. » (Liv. I, chap. LXV.) à Les modernes apologistes d'Artevelde argumentent avec une grande animosité contre Froissart, qui leur gâte leur héros ; ils lui opposent des conjectures plus ou mois plau- sibles, mais sans pouvoir substituer au récit de l'historien aucun fait positif qui le démente; ce qui serait pourtant nécessaire pour infirmer son autorité (1). Pour nous, il (1) M. Cornelissen , le premier qui ait tenté la réhabilitation d'Artevelde, traite de contes bleus ce que dit Froissart des cruautés du tribun et des (186 ) nous semble que le caractère du tribun gantois doit être parfaitement dessiné par Froissart, du moins quant aux traits principaux, parce qu’il est conforme au type de.ces hardis démagogues de tous les temps qui prennent la place de leur maître pour régner au milieu des partis. Or, on ne domine les partis que par la terreur. C’est l’histoire de toutes les révolutions (1). Aucun nom, peut-être, n’a donné lieu à plus de contro- verses que celui d’Artevelde. Était-il noble ou bourgeois? Avait-il épousé une brasseuse? Lui-même était-il, ou avait- il été brasseur? Son gouvernement fut-il régulier, juste satellites qui l’accompagnaient habituellement. Mais ce n’est pas seulement Froissart qui dit cela; Li Muisis le dit également. Il me semble que c’est une entreprise bien hardie, au XIX®*: siècle, que de prétendre connaître les pérsonnages et les mœurs du XIV®w*, mieux que les hommes de l’époque. Pour les contredire avec succès, il faudrait avoir découvert des pièces con- temporaines, dignes de foi, et c'est ce que l’on n’allègue même pas. Au sur- plus, la dissertation de M. Cornelissen est écrite avec beaucoup d’habileté et avec une certaine réserve. Tout en exaltant le génie politique d’Artevelde, il ajoute : « Ce Gantois, hardi et entreprenant, et je dois bien en conve: » nir, factieux au dernier point, était coupable sans doute envers son » prince, etc, » Et plus loin : « Je n’ai garde de justifier les attentats d’Ar- » tevelde contre le faible et malavisé Louis de Crécy.... » Les nombreux apologistes du tribun qui ont surgi depuis, à la suite de M. Cornélissen, sont loin d’avoir gardé la même mesure et loin de convenir qu’Artevelde se soil rendu coupable de la moindre peccadille. Ils prennent dans Froissart et ailleurs ce qui convient à leur systéme, et ils rejettent tout le reste. Avec de telles règles de critique, il n’y a plus d'histoire sérieuse; il n'y a plus de juges; il n'y a que des avocats qui épousent la querelle de leurs partis et la défen- dent perfas et nefas. (1) Liége eut aussi ses Arteveldes. Quoique le théâtre füt moins vaste, et les acteurs peut-être moins grands, les rôles sont au fond toujours les mêmes, parce qu’ils sont donnés par la situation. Raes de Heers , s'étant emparé du pouvoir sous Louis de Bourbon, « pensa qu'il devait avoir autour de lui » une troupe de serviteurs toujours prêts à exécuter ses ordres; il choisit ( 181) et légal, comme l’affirment en général ses apologistes, ou bien n’exerça-t-il qu'une dictature arbitraire et violente ? Artevelde était-il riche, et quelle fut la source de sa fortune? Périt-il victime d’une réaction politique préparée de longue main, ou bien d’une vengeance particulière, d’une espèce de guet-apens? Un zélé défenseur d’Artevelde a cru faire acte de patriotisme en recueillant en un volume (1) les opi- nions contradictoires émises par les historiens sur ces di- verses questions, pour appuyer les unes et combattre les autres par des arguments favorables à sa thèse. Il semble assez bien établi qu'Artevelde appartenait à cette portion » dans les métiers un certain nombre d'hommes déterminés, qu’il revêtit » d’uniformes et qu’il arma de gros bâtons plombés; il donna à cette espèce » de gardes du corps le nom de Francs Liégeois. Raes de Heers annula » ainsi dans la cité toute autre puissance que la sienne. » La domination de ces favoris du peuple était la plus extraordinaire, la » plus arbitraire et la plus monstrueuse qu’on püût imaginer dans un État » libre. Ils recueillaient comme vacante toute cette portion de la puissance » souveraine dévolue au prince d’après la Constitution; ils s'attribuaient la » décision des affaires au dedans et au dehors; correspondaient avec les » gouvernements étrangers; décidaient de la paix et de la guerre; et, » maîtres de la populace, ils contenaient par la terreur tous les bons et » paisibles bourgeois. Ces fameuses libertés politiques et civiles dont on » affectait toujours de parler, on n’en jouissait point; il n’y avait ni lois, » oi autorités, ni tribunaux à invoquer : il n’y avait plus que des partis. » Leur tactique consistait à flatter la multitude, à la tenir toujours en ha- » leine, à lui faire croire qu'eux seuls savaient défendre ses droits, la » protéger contre ces ennemis extérieurs et intérieurs. Et la multitude les » suivait en aveugle; mais elle abattait et brisait ses idoles avec fureur, » dès que le prestige était détruit. Cependant, il ne manquait jamais de pré- » tendants pour jouer un rôle si hardi et si périlleux, tant l'ambition est » naturelle au cœur de l’homme! » (Æistoire de Liège, règne de Louis de Bourbon.) {1) Auguste Voisin, £xzamen critique des historiens de Jacques d’ Arte- velde, ou Un grand homme réhabilité. Gand, 1841, CXX, 152; in-8. (: 488: ) de la haute bourgeoisie qui s'unissait souvent par mariage à la noblesse (1). Pour conciliér le témoignage de Frois- sart, qui est positif, avec certains documents récemment découverts, on suppose qu'il fut marié deux fois : d'abord avec la riche brasseuse d'hydromel, dont parle l'historien, etensuite avec Christine de Baronaige, femme d’une noble famille, alliée, comme Artevelde, lui-même, à celle de Sohier le Courtraisien. Artevelde avait hérité, du chef de sa mère, de la seigneurie de Tronchiennes. Ceux de nos modernes historiens qui repoussent avec le plus d'indigna- tion l’épithète de brasseur, accolée par esprit de dénigre- ment au nom d’Artevelde (2), admettent au moins qu'il était inscrit dans la corporation des brasseurs; 1ls oppo- sent, el cela n’est point contestable, que l’on voyait sou- vent à cette époque des nobles se faire aflilier à des corps de métiers, pour arriver ainsi aux dignilés communales. L'Espinoy lui prête ces paroles remarquables : « Un jour » qu'il parlait au peuple, il dit : « Quand je ferai bâur » de grandes maisons; quand Je marierai mes enfants » avec des chevaliers et gentilshommes portant éperons (1) Il devait son illustration à lui-même plutôt qu'à sa naissance, dit Meyeri : Clarus magis quam nobilis. (2) M. le vicomte de Chateaubriant trouve plus commode de trancher la question par quelques paroles de mépris, jetées de haut, que de l’examiner sérieusement, » Plus il était ignoble, dit-il pour un monarque, selon les idées » du temps, d’avoir été l’allié et le courtisan d'un marchand de bière, plus » le monarque devait entrer dans les idées d'un marchand, etc. » Études historiques. I nous semble que les idées aristocratiques de M. de Chateau- briant lui troublent un peu la vue. Sous le rapport politique, la conduite d'Édouard, recherchant l'alliance d’Artevelde, dictateur des Flandres, n’était pas plus ignoble que celle de Mazarin, ministre de Louis XIV, se faisant Le courtisan de Cromwell, ce grand parvenu, bourreau de Charles Ir, Cod mn CE lé ie. ( 189 ) » dorés, alors il sera temps de se défier de moi et vous ne » devrez plus me croire. » Le sens naturel de ces paroles, selon ‘nous, est celui-ci : « Quand vous me verrez quitter » ma modeste demeure et ambitionner pour mes enfants » des alliances au-dessus de mon ancienne position, alors » vous aurez raison de vous défier de moi. » En effet, si Artevelde eùt été très-riche et très-noble, S'il était né dans une position sociale élevée, il eùt semblé tout simple qu'il mariàt ses enfants à des gens riches et nobles comme lui, il n'y aurait eu aucun reproche à lui adresser de ce chef. Artevelde commença par déclarer une guerre acharnée aux nobles, aux partisans du prince et aux Léliards. J les battit si complétement à Biervliet qu’ils n'osèrent plus se représenter en rasé campagne devant les gens des com- munes. 11 gouverna par l'épée toute la Flandre seigneu- riale ; il exigea des otages de la plupart des familles nobles, saisissant les biens des émigrés, faisant démolir ou brûler les châteaux de tous ceux qui se prononçaient contre le peuple. On a voulu faire d’Artevelde une espèce de tribun à l'eau de rose , plein de bienveillance et d'humanité pour tout le monde, et indignement calomnié par Froissart. Mais ses actes prouvent qu'il se souciait fort peu de la mort d’un homme, lorsqu'il la jugeait utile à sa cause (1). Appelé, (1) Son fils, Philippe, suivit scrupuleusement ses traditions. « Si s'avisa » adone, dit Froissart, Piétre du Bois, un homme de quoi en la ville de Gand » on ne se donnait garde, sage et jeune homme assez, mais son sens n'était » point connu, ni on n’en avait eu jusqu’à ce jour que faire. Et celui-ci s’ap- » pelait Philippe d’Artevelde; et fus fils anciennement de Jacques d'Arte- n velde.. Piétre du Bois s'accointa à lui de paroles, puis lui ouvrit la matière ( 490 ) vers la fin d'avril 1538, à l'hôtel du comie pour traiter des affaires de la commune, il s'y rendit bien accompagné. Là se trouvait un certain Volkart de Rode : l’on ne sait si ce Volkart était soupçonné par Artevelde d’avoir trempé dans un complot contre sa vie, ou bien s’il l'avait seulement provoqué de gestes ou de paroles; mais ce qu’il y a de cer- tain, c'est que, dans le palais même du comte, el sous ses yeux, Artevelde n’hésita point à lui plonger son épée dans le corps. Suivi de sa garde, il se montrait partout rigou- reux et implacable. Dans une de ses expéditions, il sé dirigea vers Ardenbourg; les échevins, qui se souciaient peu de cette visite, lui opposèrent quelque résistance; ils furent, par ses ordres, précipilés, au nombre de cinq, sur les piques des Gantois. » pourquoi il était venu, et lui dit ainsi: « — Philippe, si vous voulez en- » tendre à mes paroles et croire à mon conseil, je vous ferai tout le plus » grand de toute la Flandre. — Comme le me feriez-vous, dit Philippe? — » Je le vous ferai par telle manière, dit Piétre du Bois, que vous aurez le » gouvernement et administration de la ville de Gand; car nous sommes à » présent en très-grand nécessité d’avoir ua souverain capitaine de bon nom ».et de bonne renommée ; et votre père, Jacques d’Artevelde, ressuscite » maintenant en cette ville par la bonne mémoire de lui. Et disent toutes » gens en cette ville, et ils disent voir, que oncques le pays de Flandre ne fut » tant aimé ni ant cremu ni honoré comme il fut de son vivant. Piétre, dit » Philippe, vous me offrez grande chose; et si je suis en l’état que vous dites, » je vous jure, par ma foi, que je ne ferai jà rien hors de votre conseil. — » Répondit Piétre du Bois : Et sauriez-vous bien faire le cruel et le hautain? » Car un sire entre commun et par spécial en ce que nous avons à faire, » ne vaut rien s’il n’est cremu, redouté et renonvmé à la fois de cruaute : » ainsi veulent les Flamands être menés; #1 on ne doit tenir entre eux » compte de vies d'hommes, ni avoir pitié non plus que de arrondeaux » ou de alouettes qu’on prend en la saison pour manger. — Par ma foi, » dit Philippe, je saurai bien tout ce faire, — Et c’est bien, dit Piétre; et » vous serez, comme je pense, souverain de tous les autres. » (491 ) Les trois grandes villes de Gand, Bruges et Ypres n'ad- mettaient point la concurrence des villes de second ordre. Ce despotisme commercial excitait des réclamations géné- rales dans le reste de la Flandre, et le comte Louis les -appuyait, afin de rattacher les mécontents à son parti. Des séditions éclatèrent dans plusieurs châtellenies : Artevelde les réprima par la force, Il tua entre autres de sa propré main, Pierre Lammens, qui lui était signalé comme ayant pris part à ces mouvements. La rigueur des commandants qu'il avait établis dans la West-Flandre, excitail chaque jour de nouvelles plaintes. Un noble chevalier de Gand, .messire Van Steenbeke, osa dénoncer ces vexations en plein conseil et accuser Artevelde de tyrannie. Il en ré- sulta une scène d’une violence extrême dont 1ous emprun- tons les détails à Despars. « Le capitaine (Artevelde), dit celui-ci, ne voulait écou- ter aucune plainte contre ses officiers, tandis qu'il punis- sait avec une sévérité merveilleuse tous les autres auteurs de crimes ou de désordres. Messire Jean de Steenbeke prétendit que, par cette manière d’agir, il violait son de- voir et son serment. Sur quoi Artevelde répliqua qu'il en avait fanssement menti; et il n'eût pas balancé à tuer aus- sitôt messire Jean sans l'intervention des échevins el des gens de la commune qui l'arrêtèrent. L'offensé s'encourut promplement dans sa maison, où son adversaire le pour- suivit et l’enveloppa de toutes parts, à la tête de vingt-six bannières d'hommes armés. L'attaque fut vive, et les gens d'Artevelde eussent sans aucun doute mis l'hôtel à sac, sans la vigoureuse et sévère interdiction des échevins. » Cependant les amis et les proches de messire Jean de Steenbeke voyant cette grande injustice, violence et pré- soiplion, s'assemblérent à la hâte en grand nombre et ("192 ) en armes au marché du Vendredi, et se dirigèrent de là vers l'hôtel des échevins, en criant tout d'une commune voix et de toutes leurs forces, que désormais ils ne vou- laieut plus être régis ni gouvernés par personne d’autre que leur seigneur et prince naturel. Les échevins prononcèrent qu'Artevelde devait Lenir prison au château de Gérard le Diable , et Steenbeke au château du comte. » Cette décision causa à Artevelde un tel déplaisir, qu'il envoya sous main par toute la Klandre, demandant que ceux qui étaient ses partisans et ses amis vinssent à Gand pour être témoins de sa mort. Il ajouta de grandes pro- messes de bien reconnaître leurs services. En consé- quence, ceux-ci s'empressèrent d'accourir à Gand; et tout ce qui à l'intérieur de la ville était bon arteveldiste, alla leur ouvrir les portes, drapeaux flottants et bannières dé- ployées. De sorte que Jacques d'Artevelde, par leurs se- cours, vint de nouveau à son but et fut remis dans son ancien et premier élat, avec prestation d'un second ser- ment, etc. De nouveaux magistrats bannirent pour cin- quante ans du pays et comté de Flandre messire Jean de Steenbeke, lui quatre-vingtième. Au nombre de ses com- pagnons d’exil se trouvait une digne et vénérable dame... » On peut juger par ce seul fait du grand respect d'Artevelde pour les magistrats et les lois de son pays. Les corps de métiers faisaient la puissance de la com- mune. Elle était grande et riche en raison de leur impor- tance et de leur richesse. Plus le commerce prospérait , plus la force des corps de métiers augmentait. Ces associa- tions entre gens qui exerçaient la même profession étaient formées par l'intérêt réciproque et par le besoin de se pro- téger mutuellement. Suivant l'esprit du temps, elles étaient tout à la fois industrielles, militaires et religieuses. Elles se mettaient sous la protection de la sainte Vierge ou de quelque saint dont leurs drapeaux portaient l’image. Elles assistaient en corps aux principales fêtes de l'Église et se cotisaient pour rehausser l'éclat de ces solennités. Elles secouraient les confrères pauvres et:souffrants, dans leurs maladies et leurs besoins. Elles avaient le droit d'inspec- tiou sur les ouvrages fabriqués par les membres de l’asso- cation; elles veillaient à ce que les fraudes, l'impéritie ou l'inconduite de quelques-uns ne rejaillissent point sur l'honneur du corps. Ceux qui n’en faisaient point partie ne pouvaient y être admis qu'avec l'agrément des chefs ou doyens, après avoir subi certaines épreuves et fourni les garanties nécessaires de capacité, de travail et de mora- lité, On voit que ces corporations, qui ont existé chez nous jusqu'à la fin du siècle dernier, étaient, sous maints rap- ports, d’uue incontestable utilité. Mais , dans les temps de troubles et de révolutions, elles étaient aussi pleines de dangers. Les corps de métiers avaient souvent des intérêts opposés entre eux; ils étaient faciles à émouvoir et difli- ciles à apaiser. | C'est ici que se découvre la plaie profonde de notre ancien régime communal. A l’époque dont nous parlons, la guerre civile est pour ainsi dire en permanence dans les grandes cités des Flandres , et la force décide de tout. Gand, Bruges et Ypres veulent contraindre Termonde à ne fabri- quer que des draps de moindre largeur et de moindre qualité que de coutume : Ypres est en querelle avee Pope- ringhe : la guerre s'allume entre elles; Ypres prend Pope- ringhe de force et la ruine de fond en comble, après avoir égorgé ses plus riches habitants. Un grand conflit s'élève à Gand entre les foulons, qui veuleut une augmentation de salaires, et les tisserands, qui s’y opposent. Ces deux corps ( 194 ) de métiers, les plus nombreux de la cité, descendent avec leurs bannières sur la place du Vendredi et s’y livrent un combat acharné. Gérard Denis, doyen des tisserands, est à la tête de son métier ; Jean Baka commaude les foulons. On s'égorge avec une telle furie que les prêtres accourus avec le saint sacrement sur le lieu du carnage pour faire cesser celle lutte parricide, ne sont point écoutés. La vic- toire demeure aux tisserands ; Jean Baka , ses fils et près de 500 foulons restent sur le carreau. L'on ne peut douter que cette dernière scène de rivalité barbare entre les gens de métiers n'ait porté un coup décisif à la popularité d’Ar- tevelde aux yeux des classes inférieures. Elles se disaient que cet homme, si fort contre les nobles et les riches, et si habile à déchaiuer le peuple, était désormais incapable de l'arrêter dans ses excès et: de maintenir l’ordre dans la cité. Artevelde vit bien que le prestige de son pouvoir était évanoui; mais 1l sentait, d’un autre côté, que dans la voie où il se trouvait engagé, on ne recule point sans trébucher jusqu’au fond de l’abime. [l alla trouver Edouard pour en finir avec la question relative au comte de Flandre. El lui proposa de forcer Louis de Crécy à s'expliquer nettement, à reconnaitre le roi d'Angleterre pour suzerain et à lui prêter serment en qualité de vassal; ou, s'il s'y refusait, Artevelde était d'avis qu'il fallait donuer immédiatement au prince de Galles l'investiture du comté. Pour entendre ceci, il faut savoir que, dès l’origine, le roi d'Angleterre, eu accordant des avantages comrnerciaux aux Flamands, voulait les entraîner dans la guerre qu'il venait de déclarer à Philippe de Valois. Mais lorsqu'il s’en ouvrit pour la première fois à Artevelde, celui-ei fut ef- frayé des conséquences; il observa qu'il serait difficile de décider brusquement les communes à se déclarer contre ( 195 ) la France; qu'il fallait les y amener doucement, et il de- manda du temps pour les y préparer. Artevelde pensait toutefois que la couronne de France étant en quelque sorte en litige entre deux princes rivaux, si le roi d'Angleterre prenait, dès à présent, le litre de roi de France, cela lève- rait les scrupules de beaucoup d’âmes timorées encore attachées, par habitude, à l’ancien souverain. Édouard trouva l’expédient bon et résolut de s'y conformer. Mais c'était une entreprise bien périlleuse que de vou- loir rompre les liens qui unissaieut le prince et le pays, de temps immémorial, à la France. La noblesse flamande, dévouée au comte, était forte encore par sa position el son influence ; le droit était de son côté; en résistant, elle res- tait fidèle à la parole jurée; elle détestait Artevelde comme le chef du parti démagogique ; enfin le pape s'était pro- noncé, à la demande de Philippe de Valois, et avait im- posé l'obligation aux communes de prêter serment au roi de France en qualité de haut suzerain. Lorsque Artevelde essaya de mettre son projet à exécution, il était trop tard; il avait perdu ce prestige populaire qui faisait jadis sa force et qui lui permettait de tout oser. Cependant il réunit à l'Écluse les députés des trois grandes villes pour leur com- muniquer son plan; là aucune résolution ne fut prise. [I se rendit ensuite à Bruges et à Ypres, où il harangua le peu- ple, qui ne parut point lui être contraire; enfin il revint à Gand: mais les députés présents à la conférence de l'Écluse avaient pris les devants et fait courir le bruit qu’Artevelde allait arriver pour demander la déchéance du comte de Flandre au profit d’uu prince étranger. Les ennemis du tribun, dont les rangs grossissaient chaque jour, commen- cèrent à murmurer et à exciter les métiers contre lui, en qualifiant son entreprise d’attentat aux droits du peuple et ( 196 ) à la foi réciproquement jurée. On ne pouvait, disaient-ils, supporter un tel excès d'audace de la part d’un homme qui avait usurpé la place du seigneur légitime, et qui de- puis trop longtemps opprimait indignement les libertés des citoyens. Mais cédons encore une fois la parole à Frois- sart : » « Quand il eut fait son tour, il revint à Gand et rentra en la ville, ainsi comme à heure de midi. Ceux de la ville, qui bien savaient sa revenue, étaient assemblés sur la rue par où il devait chevaucher en son hôtel. Sitôt qu'ils le virent, ils commencèrent à murmurer et à bouter trois têtes en un chaperon, et dirent : « Voici qui est trop grand maitre et qui veut ordonner de la comté de Flandre à sa volonté; ce ne fait mie à souffrir. » En- core avec toul on avait semé paroles parmi la ville que le grand trésor de Flandre que Jacquemart d’Artevelle avait assemblé par l'espace de neuf ans et plus qu'il avait eu le gouvernement de Flandre, car des rentes du comté il n’allouait nulles, mais les mettait et avail mises toudis arrière en dépôt, et tenait son état et avait tenu le terme dessusdit sus l'amende des forfaitures de Flandre tant seulement, que ce grand trésor, où il avait deniers sans nombre, il avait envoyé secrètement en Angleterre. Ce fut une chose qui moult engriguy (irrila) et enflamma ceux de Gand. » Ainsi que Jacques d’Artevelle chevauchait par la rue, il s'aperçut tantôt qu'il y avait aucune chose de nouvel contre lui; car ceux qui se soulaient incliner el ôter leurs chapeaux contre lui, lui tournaient l'épaule et reptraient en leurs maisons. Si se commença à douter (craindre); et sitôt qu'il fut descendu en son hôtel, il fit barrer portes et huis et fenêtres. À peine eurent ces (497) ». varlets ce fait, quand la rue où il demeurait fut toute couverte, devant et derrière, de gens espécialement de menues gens de métiers. » Là fut son hôtel environné et assailli devant et der- rière, et rompu par force. Bien est voir que ceux du de- » dans se défendirent moult longuement et en attérèrent Y 4% VV ENV DES © 56 y y CUS OÙ 25 y et blessèrent plusieurs; mais finablement ils ne purent durer, car ils étaient assaillis si roide que presque les trois parts de la ville étaient à cet assaut. Quand Jac- ques d’Artevelle vit l'effort, et comment il était oppressé, il vint à une fenêtre sur la rue et se commença à humi- lier et à dire par trop beau langage et à nu chef : — Bonnes gens que vous faut? qui vous meut ? Pourquoi êtes-vous si troublés sur moi ? En quelle manière vous puis-je avoir courroucés? Dites-le-moi, et je l’aman- derai pleinement à votre volonté. — Donc, répondi- rent-ils à une voix ceux qui oui l'avaient : Nous voulons avoir compte du grand trésor de Flandre que vous avez dévoyé sans titre de raison. — Donc, répondit Arte- -velde, moult doucement : certes, seigneurs, au trésor de Flandre ne pris-je oncques deniers. Or, vous retrayez bellement en vos maisons, je vous en prie, et revenez demain au matin; et je serai si pourvu de vous faire et rendre bon compte que par raison il vous devra suffire. — Donc, répondirent-ils d’une voix : nennin, nennin, nous le voulons Lantôt avoir; vous ne nous échaperez mie ainsi : nous savons de vérité que vous l'avez vidé de piéçà et envoyé en Angleterre sans notre sçu, pour la- quelle cause il vous faut mourir. » Quant Artevelde ouit ce mot, il joignit ses mains el se mit à pleurer moult téndrement, et dit: — Seigneurs, tel que je suis vous m'avez fait, et me jurâätes jadis que contre tous hommes Tome xx111. — [°° paRT. 14 ( 198 ) me défendriez et garderiez ; et maintenant vous me voulez occire et sans’ raison. Faire le pouvez, si vous voulez, car je ne suis que un seul homme contre vous tous, à point de défense. Avisez pour Dieu et retournez au temps passez. Si considérez les grâces et grands cour- toisies que jadis vous ai faites, vous me voulez rendre petit guerdon (petite récompense) des grands biens que au temps passé je vous ai faits. Ne savez pas comment toute marchandise était périe en ce pays ? Je vous la re- couvrai. En après je vous ai gouvernés en si grande paix, que vous avez eu, du tems de mon gouvernement, toutes choses à volonté, blés, laines, avoir et toutes marchan- dises dont vous êtes recouvrés et en bon point...—Adonc commencèrent à crier eux tous à une voix : Descendez, et ne nous sermonéz plus de si haut, car nous voulons avoir compte et raison tantôt du grand trésor de Flandre... Quand Artevelle vit que point ne se refréderaient ni re- fréneraient, il reclouit (referma) la fenêtre et s’avisa qu'il viderait par derrière et s’en irait en une église qui joignait près de son hôtel. Mais son hôtel était déjà rompu et effondré par derrière, et y avait plus de quatre cents personnes qui tous tiraient à l'avoir. Finablement il fut pris entre eux et là occis sans merci, et lui donna le coup de la mort un tellier qui s'appelait Thomas Denis. Ainsi fina Artevelle, qui en son temps fut si grand maitre en Flandre : povres gens l’amontèrent premièrement, et méchans gens le tuèrent en la parfin (1).» (1) Chroniques, liv. I«, part. 1, chap. CCLVIIT. Li Muisis, abbé de S'-Martin, de Tournay, mort, en 1555, huit ans après Artevelde, écrivain contemporain et très-impartial, et qui n’avait pu connaître les écrits de Froissard, s'accorde parfaitement , pour le fond, avec Sr ("199 De graves historiens out prétendu qu'Artevélde était tombé victime d’une vengeance particulière, d'une sorte dé guêt-apens, dont le peuple ne fut nullement complice. Mais cette opinion ne saurait se soutenir en présence des faits que nous venons de rapporter. Si cette mort n’eût été qu'un crime privé, comment les magistrats n’en poursuivi- rént-il$ pas la punition ? Et comment les Gantois ne se joignirent-ils pas aux bourgeois d'Ypres et de Bruges, lorsqué ceux-ci se présentérent devant Édouard, pour dés- avouer ce qui venait dé se passér à Gand? Or, ce ne fut que vingt-six ans plus tard, lorsque l'esprit de parti ne protégeait plus les nombreux complices du meurtre d’Arté- velde, qu’une somme d’argent fut payée à ses enfants, à titre de Composition, et qu’ane lampe funèbre fut allumée sur sa tombe! Froissart, dans admirable morceau de nar- ration que nous venons de rapporter, n’a pas été aussi injuste qu’on le suppose à l'égard du célèbre tribun , quoi- qu'il ait pu Se tromper sans doute sur certains détails acces- Soirés. [ récapitule en quelques paroles vives et touchantes daus le dernier discours d’Artevelde au peuple, qu’on pent äppeler une prière in extremis , à peu près tout ce que ses apologistes ont délayé dans leurs longues dissertations lui. Eodem anno (1545) circa festam beatae Mariae Magdalenae, fuit Jacobus de Artevelde saepe dictus, in domo sua occisus À COMMUNITATE GANDENSI ef sepultus in quodam claustro monialium, quod dicitur Biloca, circa Gandavum : regnavitque per septem annos, et fuit gubernator et superior totius villae Gandensis ac totius patriae Flandriae ; et ad ejus émperium et voluntatem obediebant, et nihil in dicta patria fiebat sine €0; OL ERAT SEMPER VALLATUS VIRIS ARMATIS Viginti quinque vel triginta, fortissimis et ad bella promptissimis. Er muLTA MALA EVENERUNT PER EUM ET PROPTER km. (Recueil des chroniques de Flandre, publié par la Com- mission d'histoire, t. 11, p. 218.) ( 200 ) pour sa défense, ou comme ils disent, pour sa réhabilita- tion. Froissart le représente comme le promoteur de la cause populaire et le bienfaiteur des gens de métiers. « II » avait, dit-il, rétabli la marchandise, qui avant lui était » périe en ce pays : » ce qui est le plus beau côté de sa vie. Et il ajoute : « Povres gens l’amontèrent première- » ment, et méchans gens le tuèrent, en la parfin. » On l'accusait d’avoir volé ou détourné le grand trésor de Flandre, et c'était probablement une calomnie, car il ne paraît pas qu'il ait laissé une grande fortune à ses enfants; mais c'était un moyen infaillible de pousser aux violences un peuple soupçonneux et irrité. Artevelde tomba victime de l'inconstance, de l’ingratitude, ou de l’envie de ceux qui l’avaient élevé, et qui, comme toujours, se dégoû- taient de leur créature. Mais il ne fallait pas, sous pré- texte de patriotisme, supprimer cette grande leçon de politique, à l'adresse de tous les ambitieux : on finirait par supprimer ainsi toute dignité et toute indépendance de l’histoire. L'histoire n’est pas un plaidoyer en faveur de tel ou de tel parti, de telle ou de telle cité, de telle ou de telle nation, mais un monument éternel en faveur de l’éter- nelle vérité... (201 ) CLASSE DES BEAUX-ARTS. Séance du 7 février 1856. M. DE KEYysER, directeur. M. QueTELeT, secrétaire perpétuel. Sont présents : MM. Alvin, Braemt, F. Fétis, G. Geefs, Navez, Roelandt, Eug. Simonis, Suys, Jos. Geefs, Érin Corr, Snel, Fraikin, Partoes, Éd. Fétis, Portaels, mem- bres ; Demanet, correspondant. M. Stas, membre de la classe des sciences, assiste à la séance. CORRESPONDANCE. M. Félix Ravaisson remercie l’Académie pour sa nomi- nation d’associé de la classe dans la section des sciences et des lettres. — M" veuve David fait part de la mort de son époux, M. Pierre-Jean David (d'Angers), associé de l’Académie, décédé le 6 janvier dernier, à l’âge de 67 ans. — Le Secrétaire perpétuel annonce qu'il a remis à = ( 202 ) M. Héris une somme de 1,200 francs ajoutée, par le Gou- vernement, à la médaille académique, décernée à son mémoire en réponse à la question concernant l’école fla- mande de peinture-sous les ducs de Bourgogne. COMMISSION DES FINANCES. Les membres présents de la commission spéciale des finances, composée de MM. Éd. Fétis, Fraikin, G: Geefs, Snel et De Keyser, directeur de la classe, approuvent, en ce qui les concerne, l’état des recettes et dépenses de l’Académie pour l'exercice de l’année 1855. RAPPORTS. M. Alvin donne lecture du rapport suivant, fait au nom de la commission chargée d'examiner la question relative à la copie des tableaux placés dans les musées de l'Etat. MEssIEURs , a Vous nous avez chargés de vous présenter un rapport et des conclusions sur une communication de M. le Mi- nistre de l’intérieur, relative à la contrefaçon des œuvres des artistes vivants, exposées dans les musées de l'État. Afin de parer aux inconvénients qui semblent résulter de la faculté accordée au public de copier ces objets, soit ( 205 ) tableaux, soit sculptures, on propose d'insérer, dans Île règlement d'ordre des musées royaux , une disposition qui restreigne la liberté dont peuvent encore user aujourd'hui les jeunes artistes qui, dans le but de compléter leurs études , se livrent à la copie des maîtres de l’art. Avant d'aborder la question spéciale en elle-même, votre commission a cru devoir étudier la législation en matière de propriété littéraire et artistique, afin d’être d'abord édifiée sur le point de savoir si cette législation est insufli- sante pour réprimer les abus qu’on signale. Nous com- mencerons donc par vous présenter le résultat de nos investigations. Nous nous sommes servis, pour ce travail, du résumé méthodique de la législation et de la jurispru- dence en matière de contrefaçon que M. V. Cappellemans a inséré dans son livre intitulé : De la propriété liliéraire et artistique en Belgique et en France, Bruxelles et Paris, 1854. La législation, en Belgique comme en France, recon- nait à l’artiste un double droit à la propriété de son œuvre et lui permet d’en tirer un double bénéfice : celui qui ré- sulte de la vente, celui résultant de la reproduction. Lors- qu’il consent à aliéner l’un , il peut se réserver de disposer de l’autre. Lorsque la vente est faite à un particulier, il n’est pas nécessaire que l'artiste stipule formellement dans son con- trat la réserve de son droit de reproduction, et les tribu- paux ont décidé, qu’en pareil cas, l'acquéreur n’a pas le droit de faire faire, pour la vente, des copies, de quelque nature qu'elles soient : gravure, lithographie, photogra- phie, etc. Mais quand l'État achète l’œuvre d’un peintre ou d’un sculpteur, soit pour en décorer un monument, soil pour ( 204 ) le placer dans un musée, la faculté d’en autoriser la repro- duction appartient de droit au Gouvernement, à moins que l'artiste n’ait stipulé le contraire dans son contrat de vente. Le législateur a donc établi une différence entre l'État et le particulier, quant au droit de permettre la reproduc- tion des œuvres d'art qu'ils peuvent acquérir. Voyons si l'exception en faveur de l’État s'appuie sur des motifs sufli- sants pour être entièrement justifiée. L'Etat, représentant l'association de tous les citoyens, n’agit jamais dans un but individuel ; toutes les acquisi- tions qu'il fait viennent s'ajouter au domaine de la nation, et si les objets qu’il achète sont, par leur nature, à la fois matériels et intellectuels , comme le sont toutes les pro- ductions de l’art, ils tombent, de plein droit, dans le do- maine public. Nous avons indiqué tout à l'heure deux destinations dis- tinctes que le gouvernement peut assigner aux objets d’art qu'il commande aux peintres ou aux sculpteurs : la déco- ration des monuments publics, l'accroissement des musées. Dans le premier cas, le principe rappelé plus haut n’est pas accepté d’une manière unanime : Gastambide , n° 312- 405, dit que la gravure et la lithographie peuvent repro- duire une œuvre de sculpture érigée sur une place publique et considérée comme monument national, à moins de sti- pulation expresse du contrat de vente. Le tribunal correctionnel de la Seine s’est prononcé, le 21 mars 1859, dans ce même sens, en accordant à l'État le droit d'autoriser la reproduction du Spartacus de Foyatier, acheté par lui et placé dans le jardin des Tuileries. Le sculpteur avait fait opposition, mais, comme il n’avait rien stipulé relativement à ce droit dans le contrat de vente, ( 205 } son opposition n’a pas été admise. La cour royale de Caen s'était prononcée dans le sens opposé, le 8 mars 1835. Les jurisconsultes sont donc partagés; ils regardent comme nécessaire l'intervention d’une disposition législa- tive qui vienne lever la difficulté. En attendant, les artistes feraient bien d'insérer dans leurs contrats de vente une clause formelle à l'égard du droit de reproduction. Dans le second cas, c’est-à-dire lorsque l’objet est ac- quis pour être déposé dans un musée public, la jurispru- dence est plus constante. Un avis du conseil d'État, en date du 2 avril 1895, porte que la reproduction est permise, sauf stipulation expresse, quand le tableau est acheté par un gouverne- ment qui ne s’en rend acquéreur que pour le mettre dans le domaine public. Gastambide et Renouard disent, de leur côté, qu'une copie à la main, faite dans un but d'étude et qui n’est pas destinée à être vendue, ne constitue pas une Contrefaçon, puisqu'elle ne constitue pas un préjudice. Toutefois, un arrêt de la cour royale de Paris, du 5 février 1851 , décide que nul ne peut faire graver ni copier, pour le vendre, un tableau exposé dans un musée de l’État, pas plus que dans le cabinet d’un particulier, sans la permis- sion du propriétaire. Cet arrêt nes’occupe point du droit de l’auteur ; il sauvegarde seulement celui du gouvernement, qui, dans certains cas, peut avoir des motifs sérieux pour empêcher la reproduction d’une œuvre qui lui appartient. Telles sont les dispositions légales qui pourraient être appliquées dans les divers cas de contrefaçon auxquels le gouvernement voudrait mettre obstacle. Nous avons com- pulsé à peu près tous les catalogues des principaux musées de l'Europe, dans l'espoir d'y rencontrer des dispositions ( 206 ) réglementaires plus explicites sur les usages admis dans les divers États relativement à la copie des objets qui y sont exposés pour servir à l'enseignement de l’art. Nos recher- ches n’ont abouti à aucun résultat. Il est probable que cha- que établissement a son règlement parüculier, mais qu'on n’a pas jugé utile de lui donner une grande publicité. Nous sommes donc obligés, à cet égard, de nous en rapporter au souvenir des artistes qui se sont trouvés dans le cas d'user de la faculté de faire des copies dans les musées. Deux membres de votre commission possédaient des ren- seignements personnels , et l’un d’eux les avait fait insérer dans une lettre jointe au dossier qu'il avait signée en qualité de président de la commission du Musée royal de Bruxelles; cette lettre est datée du 23 novembre dernier; on y trouve les indications suivantes : « D’après les rensei- gnements que nous nous sommes procurés, 1] paraît que, dans les musées impériaux de France, il n’existe aucune règle fixe en ce qui concerne les copies et que les usages seuls régissent celte matière. En général, ces usages sont liberté entière de copier n'importe quelle œuvre, ancienne ou moderne, au Louvre comme au Luxembourg, soit en tout ou en partie et de n'importe quelle grandeur. Toute- fois, il nous a été rapporté que M. Paul Delaroche n’a jamais permis qu'on copiât en entier un de ses tableaux. » Probablement que l'illustre peintre français avait pris, dans ses contrats de vente, la précaution de se réserver le droit exclusif de reproduction; et il ne doit pas êtrele seul entre des artistes modernes qui ait usé de ce moyen; ear un des membres de votre commission se rappelle que, lorsqu'il exécuta quelque copie au Luxembourg, l’auto- risation de l’auteur a dû être demandée. Les usages adoptés en France sont d’ailleurs marqués —. LE TONR ( 207 ) au coin d’un véritable libéralisme ; le gouvernement y met largement à la disposition du public les trésors que ren- ferment les musées; les seules restrictions qu’il apporte à la libre copie, sont celles qui lui sont imposées par les réserves que les auteurs peuvent avoir mises à la cession de leurs ouvrages. Il en est de même à Rome, comme le savent tous les artistes qui ont étudié en Italie. Il doit y avoir entre tous les États une sorte de récipro- cité qui tourne au profit du progrès des arts : car autant vaudrait fermer les musées que d'interdire aux élèves la faculté d’y faire des copies. A l’égard des tableaux anciens, dont les auteurs ne sont plus là pour revendiquer leurs droits, il semble qu'aucune difficulté ne puisse s'élever; cependant, nous avons vu avec regret, dans une dépêche du- 11 août 1849, une restriction apportée à l’usage qui permettait de copier tous les tableaux de maitres non vivants se trouvant dans les musées ; nous y reviendrons tout à l'heure. La question se réduit pour le moment à celle-ci : le gouvernement autorisera-t-il la copie des tableaux de mai- tres vivants déposés dans les musées? L'autorisation sera- t-elle absolue? Sera-t-il apporté quelques rectrictions à l'usage établi? Qu'il nous soit permis d'abord de faire nos réserves, non quant à la copie en elle-même, mais quant à l'usage qu’on pourrait en faire. Il est telle circonstance où une capie faite dans un musée, dans un but d'étude, peut deve- ir une véritable contrefaçon; c’est lorsque le copiste y place le nom de l’auteur et la vend comme un original. Les lois qui poursuivent les contrefacteurs seraient ap- plicables s'il s'agissait d’un tableau d'auteur vivant, Si, au contraire, il s'agissait d’un peintre mort depuis long- ( 208 ) temps, celui qui se permettrait une pareille fraude s’ex- poserait à être poursuivi pour escroquerie. Dans l’un et l’autre cas, le fait serait apprécié par les tribunaux. Cette hypothèse écartée, nous croyons que la copie doit être autorisée el dans toutes les dimensions, soit qu'on reproduise un tableau entier, soit qu’on n'en imite que des parties. Nous sommes enfin opposés à toute mesure pré- ventive qui aurait pour effet de restreindre le cercle des études en vue desquelles le gouvernement entretient les musées. Mais, dira-t-on, vous sacrifiez l'intérêt de l'artiste à qui appartient le droit de reproduire son œuvre, vous le dé- pouillez de ce droit, vous portez atteinte à sa propriété. Nous considérons la chose d’un point de vue plus élevé. Nous nous formons une haute idée de l'honneur que fait le gouvernement à un artiste quand il place une de ses œuvres dans un musée où il la désigne, comme objet d'étude, à la jeunesse des écoles. Nous apprécions cette faveur non-seulement eu égard à la satisfaction morale, mais aussi à l'avantage matériel que l’auteur en retire. En attirant l’attention publique sur un tableau ou une statue, en les proclamant dignes de servir de modèles, le gouver- nement accorde à l'artiste une distinction qui se traduit nécessairement en bénéfice pour l’auteur. Il n’en est pas de même quand le peintre vend son tableau à un amateur qui l’enferme dans ses appartements. Aussi, en retour de l'avantage plus grand qu'il procure à l'artiste, l'État s’at- tribue un droit que la loi ne reconnaît pas au particulier, comme nous lavons vu plus haut. En résumé, nous croyons qu'il appartient à la législa- tion de sauvegarder les intérêts des artistes en ce qui con- cerne la propriété de leurs œuvres, que s’il reste quelque ( 209 ) chose à faire, quelque doute à éclaircir, c’est au Pouvoir législatif d'y aviser. Mais quant à demander que l'adminis- tration introduise dans un règlement des mesures préven- tives dont le résultat serait de restreindre encore la liberté des études dans les musées, votre commission ne saurait s'associer à une telle proposition; elle rougirait de pré- senter de pareilles conclusions à une assemblée composée d'artistes et de savants qui apprécient ce qu'ils doivent à leurs devanciers, qui ne voudraient point priver ceux qui les suivront dans la carrière des facilités dont eux-mêmes ont usé à leur grand avantage. Car aucun ne peut avoir oublié l'utilité qu'il a retirée, soit en France, soit en Al- lemagne, soit en Italie, de la liberté de copier tout ce que les musées de ces pays offraient à leur admiration et à leur étude. Et pour dire notre pensée tout entière, nous ajouterons que lorsqu'il achète un tableau ou une statue pour la placer dans un musée, ouvert aux élèves, le gou- vernement ne devrait jamais accepter la condition que voudrait lui faire l’auteur de se réserver le droit d'inter- dire toute copie de son œuvre. Mieux vaudrait, dans ce cas, diflérer l'acquisition. Le règlement du Musée royal de Bruxelles n'est déjà que trop restrictif, surtout depuis que le département de l'intérieur y a apporté une modification extrêmement grave par son instruction du 11 août 1849 (1). En effet, l’article 48 de ce règlement disposait que la (1) Le Ministre de l’intérieur ayant joint à la communication qu'il a faite à l’Académie une copie de l'instruction ministérielle du 11 août 1849, la commission n’a pas cru pouvoir se dispenser de comprendre cette pièce dans l'examen auquel elle s’est livrée et d’en présenter à la classe une appréciation raisonnée. ( 210 ) « commission peut interdire l'exécution d'une copie dans les mêmes dimensions que l'original. » | Si l’on se demande la raison d'une semblable disposition, on peut yreconnaître un moyen que se réservait l'autorité de veiller à l'exécution éventuelle d'un contrat dé venté par lequel l’auteur d’une œuvre d’art en aurait formelle- ment interdit la reproduction. Hors ce cas, on ne peut voir dans l'application d’une telle mesure qu'une porte ouverte à l'arbitraire. Mais ce qui n’était que facultatif dans l’article 48 du règlement, ce que le gouvernement abandonnait à l'appré- ciation de la commission, l'instruction ministérielle du 11 août le déclare obligatoire. Le Ministre dit : « Je désire que l'interdiction facultative, décrétée par l'article 48 de- vienne formelle pour toutes les œuvres de cette catégorie , — c’est-à-dire les tableaux d'artistes vivants; — à n’y sera dérogé qu'en vertu du consentement par écrit de l'artisté qui a exécuté l'œuvre et moyennant autorisation préalable de mon département. » Le Ministre, par cette décision, dépouille l'État d'un droit qui ne lui était point contesté et le place sur la même ligne que n'importe quel particu- lier propriétaire d’une galerie de tableaux. Mais ce qui, dans cette instruction, nous paraît plus fâcheux éncore, c’est la recommandation qui y est faite à la commission du Musée, de n’accorder qu'avec beaucoup de réserve l'autorisation de copiér les tabléaux d'artistes non vivants. Nous ne concevons pas l'utilité de cette recom- mandation. Le vague des termes dont on se sert ne laisse apercevoir aucun motif sérieux pour appuyer la mesure. Votre commission est d'avis que, loin de proposer au gouvernement d'aggraver encore les dispositions qui res- treignent l'exercice du droit de copier, comme moyen d'en- (211 ) seignement , les objets d’art exposés dans les musées de l'État, l'Académie devrait, au contraire, insistér pour que l'on cherche, par tous les moyens possibles, à rendre les études plus faciles encore qu'elles ne le sont, en écartant de plus en plus les entraves qui lés gênent. Nous le répétons, en terminant , s’il reste quelque chose à faire pour sauvegarder les intérêts des artistes et les dé- fendre contre le préjudice que peut leur occasionner la contrefaçon de leurs œuvres , ce n’est point dans le règle- ment du Musée que ces mesures doivent trouver leur place, et, en aucun cas, elles ne doivent avoir le caractère de mesures préventives. » Ce rapport , auquel les deux autres commissaires , MM. Navez et Portaels, souscrivent, est mis aux voix et adopté par la classe ; il en sera donné communication à M. le Ministre de l’intérieur. COMMUNICATIONS ET LECTURES. Artistes belges à l'étranger : BaLTHAZAr GERBIER ; par M. Ed. Fétis, membre de l’Académie. I est des artistes dont on écrit l'histoire en faisant l'analyse de leurs œuvres. Absorbés par la méditation et par les travaux pratiques, ils sont restés étrangers aux choses de ce monde. Leur atelier fut pour eux l'univers; ils s'y éoncentrèrent tout entiers, sans se soucier de ce qui se passait au delà de cet étroit horizon. Leur douce et (212) monotone existence offre nécessairement peu de ressources au biographe. Tel ne fut pas Balthazar Gerbier. Peintre, architecte, diplomate, économiste, cet étrange personnage a eu recours à tous les moyens de fortune, prenant de pré- férence les routes tortueuses pour arriver à son but. Sa vie aventureuse est féconde en incidents bizarres, et le seul embarras de son historien est de le suivre dans ses évolutions. Doué de brillantes facultés, il en fit un mau- vais emploi. L'élévation qu'il aurait pu ne devoir qu'à son talent, il la chercha dans le jeu des intrigues. Quoi qu'il en soil, malgré ou plutôt à cause de ses travers, il offre un des plus curieux sujets d'étude qui soient dans Îles annales de l’art flamand. Né à Anvers, en 1592, Balthazar Gerbier apprit la pein- ture, on ne sait sous quel maître, et se distingua comme miniaturiste. Sandrart aflirme que le désir de se perfection- ner dans son art le conduisit en Italie, où il aurait passé uu grand nombre d'années. Cette assertion a été répétée par la plupart des biographes. L'auteur de l’Abecedario pittorico et Baldinucei, qui étaient à même d'en contrôler l’exacti- tude, l'ont reproduite en lui donnant une sorte d'autorité. Tout porte cependant à croire qu’elle est dénuée de fonde- ment. Tant d'artistes faisaient alors le voyage d'Italie, qu'on ne croyait pas pouvoir écrire la vie d’un peintre, sans débuter par cette banalité d’une excursion au delà des Alpes. Gerbier se trouvait en Angleterre en 1615. Il avait alors vingt et un ans. On admettra difficilement qu'il ait pu faire auparavant un long séjour en Italie. S'il avait réellement visité cette contrée, 1l y aurait laissé des traces de son passage; son caractère insinuant, joint à un mérite réel, lui eût fait trouver accès près de quelque haut person- nage dont il aurait su exploiter la faveur. Corneille De (23) Bie, qui a consacré une page de son Gulden Cabinet à chan- ter en vers pompeux l'éloge de Gerbier, ne fait aucune mention de ce prétendu voyage d'ftalie. I cite comme un témoignage de la haute estime où fut toujours l'art de la peinture, l'exemple de Balthazar Gerbier, donf le talent, dit-il, brilla d'un grand éclat, et lui fit obtenir le üitre de peintre de la cour d'Angleterre, après avoir été attaché à l'illustre maison de Buckingham. De Bie ajoute que Ger- bier fut également savant dans l'architecture, les mathé- matiques, la géométrie, la perspective, la cosmographie et la géographie. Nous verrons, en effet, qu'il cultiva ces branches diverses des connaissances humaines. Le duc de Buckingham avait donc pris Gerbier à son service comme peintre d'abord, puis comme instrument de ses secrets desseins. Sous une apparence de simplicité et de bonhomie, Balthazar Gerbier cachait un esprit fin, souple, rusé et fécond en expédients. Tel est du moins le portrait qu’en trace l’auteur d'une pièce manuscrite con- servée à la Bibliothèque royale. C'était bien l’homme qu'il fallait au favori de Jacques I** pour le seconder dans ses mystérieuses entreprises. Quand le duc de Buckingham partit furtivement avec le prince de Galles pour aller à Madrid négocier le mariage de l'héritier du trône avec l’infante d'Espagne, il emmena Balthazar Gerbier, qui devait exercer son talent de minia- turiste en retraçaut sur le vélin, pour son auguste fiancé, l'image de la future princesse d'Angleterre, et son habi- leté diplomatique en aidant le duc à lutter de ruses avec d'Olivarès. Horace Walpole parle de ce voyage en Espagne et cite une lettre adressée par la duchesse de Buckingham à son mari pendant son séjour à Madrid : « Si vous avez » un peu de temps, écrit la noble dame, dans un accès Tome xxu1, — ]"° PART. 15 (244) » de tendresse conjugale, je vous prie de poser pour Ger- » bier, afin qu'il fasse votre portrait en petit, el de me » l'envoyer. » Cette lettre autographe existe dans le dépôt des manuscrits de la Bibliothèque Harléienne. Le petit portrait sentimentalement sollicité par la duchesse de Buc- kingham pour charmer les énnuis de son veuvage, n’est pas le seul que Gerbier ait fait du célèbre favori. On voit dans la collection de Northumberland une grande et belle miniature représentant le duc de Buckingham à cheval. D'après la description qu'en donne Walpole, la tête est très-bien peinte, le vêtement écarlate rehaussé d’or est d’un travail précieux. Il y a de la vivacité dans le mouve- ment du cheval. Le personnage se détache sur un fond de paysage. Au sommet de sa peinture, l’artiste a inserit la devise du duc de Buckingham : Fidei coticula crux, et il l’a signée au bas : B. Gerbier, 1698. Nous avons dit que Gerbier avait des fonctions très- variées dans la maison du duc de Buckingham. Nous ne devons pas oublier celle de garde des objets d'art réunis par son patron. Celui-ci aimait la peinture et consaerait des sommes considérables à l'acquisition de tableaux des premiers maîtres. On serait plus disposé à lui en savoir gré, si l'argent employé à satisfaire ce goût délicat n'avait été le fruit des impôts dont Jacques I accablait le peuple : anglais pour fournir aux fastueuses dépenses de son favori. Du reste, Buckingham eut tant de vices, sa mémoire est chargée de tant de fautes, qu'on peut bien lui concéder le mérite d’avoir appris à ses compatriotes l'estime qu'il fal- lait faire des chefs-d'œuvre des écoles étrangères. Ce sera une légère compensation aux Justes sévérités de l’histoire. On sait qu'à force de sollicitations, il décida Rubens à lui céder , pour la somme de dix mille livres sterling, le riche ( 215 ) cabinet que l'illustre artiste s'était plu à former, et où se trouvaient des pièces capitales des plus grands peintres italiens. On sait encore que, par un bizarre retour des choses d’ici-bas, cette collection revint à Anvers pen- dant la révolution d'Angleterre et fut, en grande partie, achetée par l'archiduc Léopold. Quoi qu'il en soit, Gerbier avait la direction de la ga- lerie du duc de Buckingham. Walpole dit que l'évêque Tanner possédait un catalogue de cette galerie écrit de la main de notre artiste qui avait été chargé de faire des achats pour le compte de son patron. Agissant en vertu de pleins pouvoirs et au moyen de crédits illimités, Gerbier enrichissait la collection de York-House, résidence du duc de Buckingham, de toutes les œuvres capitales qui entraient dans la cireulation en Italie, dans les Pays-Bas et en France. Une mission politique détourna momentanément Ger- bier de ses occupations d'artiste. Charles I était monté sur le trône. Buckingham recommanda au nouveau mo- narque son agent comme un homme adroit, et capable de conduire à bonne fin une affaire difficile. Une occasion se présenta de mettre à l'épreuve les talents diplomatiques de Balthazar Gerbier. Il fut envoyé à la Haye, afin de sui- vre les négociations secrètes qui avaient pour but d'opé- rer un rapprochement entre l'Angleterre et l'Espagne. Par une singularité bien remarquable, c’est avec Rubens, chargé des intérêts de l’infante qu'il devait traiter. Ainsi deux peintres flamands, deux artistes d'Anvers, allaient se rencontrer pour arrêter les bases d’une convention poli- tique qui pouvait influer de la manière la plus grave sur les destinées de l'Europe. On ne voit pas sans étonnement Gerbier jouer le premier rôle daus une affaire où Rubens AR « % "4 LA, (216 ) intervient; mais il faut se rappeler qu’il s’agit d'une in- trigue de cabinet plutôt que d’une négociation régulière, et que l'agent de Buckingham est là dans son élément. Balthazar Gerbier donne des détails circonstanciés sur ses rapports avec Rubens dans une longue lettre reproduite par Walpole, et à bon droit signalée par l’auteur anglais comme étant le document le plus curieux et le plus com- plet sur cet épisode historique où les chefs d'emploi de la scène politique s’effacent pour laisser le champ libre à des agents occultes. Gerbier raconte qu'il a envoyé un passe- port à Rubens, et qu'après quelques difficultés soulevées par celui-ci sur le lieu de l’entrevue, ils se sont rencon- trés à Delft où ils ont eu de longues conférences à la suite desquelles l'illustre représentant de l’infante reprit le che- min de Bruxelles, battu sur le terrain diplomatique par l'émissaire de l'Angleterre, s'il faut en croire le témoignage de celui-ci, qui affirme que son adversaire s'enfuit, avec la puce à l'oreille. Charles [* fut sans doute satisfait de la manière dont Gerbier s'acquitta de sa mission, car l’année suivante, c'est-à-dire en 1628, il l'anoblit, le décora publiquement, à Hampton-Court, des insignes de la chevalerie. Ce ne fut pas la seule faveur que lui accorda son royal maitre. Il est dit dans une lettre citée par Walpole que Charles [® et la reine firent à Gerbier l'honneur de souper chez lui, dans la belle habitation qu'il avait arrangée avec un goût d’ar- üiste et qui ne lui coûtait pas moins de mille livres ster- ling, somme considérable pour le temps. L'occasion de celte visite du roi, qui dut rendre les courtisans jaloux , fut sans doute l'inauguration d'une salle que Gerbier avait fait construire pour y donner des exhibitions de paysages dans le genre des panoramas qu’on a vus depuis lors et (28 ) dont l’idée première paraît devoir lui être attribuée. Il parle, dans un livre sur l'architecture dont il sera question plus loin, de l’ouverture de ce spectacle en 1628, et des éloges qu'il lui valut de la part du roi. Gerbier obtint aussi dans cette circonstance la survivance d’Inigo Jones comme in- tendant général des monuments, et la charge de maître des cérémonies. Gerbier fut envoyé de nouveau dans les Pays-Bas par Charles I" en 1651, et cette fois accrédité près de l’infante à Bruxelles, où il fit un séjour de plusieurs années. Nous n'avons pas à nous occuper de la part qu’il prit aux affaires politiques. 11 nous suffira de dire que cette part fut consi- dérable et que Gerbier donna de nouvelles preuves de son aptitude aux affaires et surtout aux affaires ténébreuses. Tout en restant l'envoyé de Charles [°° , il aurait, assure un écrivain, offert à la gouvernante de lui révéler, moyen- nant une somme de vingt mille ducats, un secret qui in- téressait la sûreté de ses États. Il s'agissait d’une conspira- tion tramée contre la Belgique par Richelieu, d'accord avec l'Angleterre et la Hollande. Nous ne chercherons pas à déméler ce qu'il peut y avoir de fondé dans cette allégation. Sans omettre les principales circonstances de la vie aven- tureuse de Gerbier, nous devons, pour rester dans la sphère de nos études, le considérer surtout comme ar- liste ou du moins comme participant à des choses d'art. Pendant son séjour à Bruxelles, il achète un tableau de Van Dyck représentant la Vierge avec sainte Catherine et Penvoie au lord trésorier d'Angleterre, avec prière de l’of- frir de sa part au roi ou à la reine comme cadeau de nouvel an. Van Dyck, suivant ce que nous apprend une autre lettre de Gerbier, fit savoir à Londres qu'il n’avouait pas la paternité de cette œuvre. Dans son indiguation , ( 218 ) l'envoyé de Charles [I écrit au lord-trésorier pour se plain- dre du peintre dont la mauvaise foi aurait éclaté, dit-il, en celte circonstance. II fait l'histoire de son acquisition et donne une longue énumération des preuves sur lesquelles s'appuie l'authenticité de la peinture. Le tableau que Van Dyck désavoue est conuüu de tous les artistes de Bruxelles, et Rubens déclare qu'il est de la main de son élève. L’in- fante l'avait fait placer dans l’oratoire de la reine mère (Marie de Médicis) pendant le séjour qu'elle fit à sa cour. D'où vient que Van Dyck a renié son œuvre? Gerbier l’ex- plique de la manière suivante. Van Dyck lui avait témoi- gné le désir d'aller en Angleterre et l'avait prié d’intercéder près de l’infante et de Marie de Médicis, pour qu'elles l’autorisassent à s’y rendre avec leurs portraits. Tout à coup il changea d'avis, et loin d’être reconnaissant des démarches que Gerbier avait faites pour préparer son voyage, il voulut le desservir et ne trouva rien de mieux que de déclarer apocryphe le tableau dont l'agent de Charles [* avait fail hommage à son souverain. Non content de com- muuiquer au lord trésorier tous ces détails pour sa justi- fication, Gerbier fait dresser par-devant notaire un acte où il les reproduit avec attestation de plusieurs témoins, parmi lesquels figure un certain Salomon Nobliers, pein- tre ou plutôt, sans doute, marchand de tableaux, qui a vendu la Vierge de Van Dyck et qui soutient que c’est bien un original. Le témoin ajoute que le jeune maître a traité le même sujet dans un tableau qui se trouve en Hol- lande; mais que, d’après l'avis de Rubens, celui qui a été envoyé par Gerbier en Angleterre lui est très-supérieur. Rubens ayant eu connaissance du débat auquel donnait lieu la mauvaise foi de Van Dyck, aurait dit qu'on pouvait mettre cet arliste au défi de faire quelque chose de mieux (219) que la peinture dont il refusait de se reconnaître l'auteur. L'acte notarié renfermant ces déclarations fut envoyé par Gerbier au lord trésorier pour être mis sous les yeux du roi. Dans une lettre qu'il écrivit à Charles [*, notre artiste diplomate expliqua de nouveau les motifs qui avaient porté Van Dyck à lui nuire. On aurait écrit de Londres à Van Dyck que Gerbier était chargé par la cour de l'enga- ger à passer en Angleterre, et comme l’envoyé de Charles 1° n’en avait rien fait, n'ayant en réalité aucune instruction de son maître à cet égard, le peintre avait cru à son mau- vais vouloir et s'était voulu venger. Les pièces relatives à cette curieuse affaire ont élé données par M. William Hookham Carpentier , dans ses Documents sur Van Dyck, d’après les originaux qui se trouvent aux Archives royales d'Angleterre. Balthazar Gerbier était bien digne d’entrer en relation avec Gaston d'Orléans, prince remuant, grand faiseur d’intrigues, et préférant toujours, dans sa conduite poli- tique, la ligne courbe à la droite. Gerbier fut sans doute employé par le frère de Louis XIIT à des négociations secrètes. C'est du moins une conclusion qu’on peut tirer de ce passage d’une lettre du comte de Leicester, ambas- sadeur à Paris, sous la date du 24 novembre 1657 : « J'ai » reçu un paquet de Gerbier pour monseigneur D. D. (duc » d'Orléans). » On peut supposer que ce paquet contenait quelque projet de conspiration contre Richelieu; mais si Gerbier était homme à ourdir habilement une trame, le cardinal , de son côté, ne manquait pas d'adresse et savait se défendre. Si nos conjectures sont fondées, l'élève de Buckingham en fut pour ses frais d'imagination. Après avoir dit que Balthazar Gerbier reçut, en 1644, de Charles I‘ des lettres de naturalisation, Walpole ajoute ( 220 ) que, depuis celte époque jusqu’à la mort du roi, il ne trouve plus rien qui le concerne, mais qu'il ne suppose pas qu'un homme aussi éminemment doué du génie de l'intrigue, ait pu rester inactif dans ces temps d’agitation. Cette phrase a été copiée par tous les écrivains qui se sont occu- pés de Balthazar Gerbier, et il est demeuré établi que ce personnage énigmatique disparut pendant sept années, sans qu’on puisse savoir ce qu’il devint. Nous allons com- bler cette lacune de sa biographie. A la vérité, la nouvelle direction qu'il donna à son inquiète activité est si singu- lière, si peu en rapport avec ses travaux précédents, que l’on comprend très-bien que sa trace ait dû être perdue. C'est à Paris que nous retrouverons Gerbier, sollicitant et obtenant, en 1645, le privilége de l’établissement des monts-de-piété en France. Pour répondre aux critiques dont ces institutions étaient l’objet et aux scrupules reli- gieux qu’elles soulevaient, notre artiste-diplomate, aujour- d'hui financier, publia trois brochures dont voici les titres : 1° Remontrance très-humble du chevalier Balthazar Gerbier et ses associez à monseigneur l'illustrissime archeves- que de Paris touchant le mont-de-piété, et quelques mauvais bruits que nombre d'usuriers sèment contre ce pieux , utile et nécessaire établissement. Paris, 1645.— 2° Justification par- ticulière des intendants des monts-de-piété touchant les droits de trois deniers pour livres par mois que le roy et son con- seil ont trouvé bon que lesdits monts reçoivent à l’ouverture de leur établissement, sur ce que les nécessileux y voudront apporter volontairement, à l'exemple des monts élablis en plusieurs endroits de la chrestienté, par l'approbation des papes et conciles. Paris, 4645. — 5° Exposition du cheva- lier Balthazar Gerbier à messieurs les docteurs en théologie de la faculté de Paris sur l'établissement des monts-de-piété. 1 NN ( 221 ) Paris, 4644. Ces trois opuscules sont de la plus grande rareté. Ils ont été réimprimés dans les Archives curieuses de l'histoire de France. L'auteur s'efforce d'y combattre les préjugés de toute nature qui s’opposaient, en France, à l'é- tablissement des monts-de-piété. Il signale les services que ces mêmes fondations ont rendus dans les pays étrangers, et notamment dans le Brabant et dans les Flandres. C’est pendant son séjour à Bruxelles que Gerbier avait étudié l'organisation des monts-de-piété et qu’il avait sans doute conçu l’idée de créer des établissements semblables en France. Toutefois, bien qu’il eût obtenu de Louis XIV, au mois de septembre 1645 , des lettres patentes pour mettre son projet à exécution , il ne parvint pas à triompher des obstacles que lui opposèrent ses adversaires , et plus d’un siècle s’écoula avant que l'institution des monts-de-piété fût adoptée par la France. Il est un rapprochement assez curieux à faire, c’est que tandis que la Belgique fut rede- vable à Wenceslas Coeberger, peintre et architecte, de l'introduction des établissements de bienfaisance, qui, sous le nom de Lombards changé ensuite en celui de monts- de-piété, fonctionnaient depuis longtemps en Italie, un autre peintre-architecte, Balthazar Gerbier, fut sur le point de rendre le même service à la France. Ce qui complète la singularité du rapprochement, c’est que Coeberger et Ger- bier étaient tous deux Flamands, tous deux Anversois. Dans un des opuscules que nous venons de citer, Ger- bier nous apprend qu’il a obtenu ses lettres patentes pour Pérection des monts-de-piété sur lavis favorable donné par le due d'Orléans et par le prince de Condé. Pour Gaston d'Orléans , c'était une occasion de s'acquitter des services que lui avait rendus l'agent de Charles [* à l'époque de ses démélés avec le cardinal de Richelieu. Si le prince de Condé ( 222 ) accorda une protection désintéressée à Gerbier, celui-ci l'en paya avec usure, indirectement il est vrai, dans une circonstance où l’on voit qu’une sorte de prédestination le poussait lui et les siens vers les plus étranges aventures, Gerbier avait amené sa famille à Paris lorsqu'il y était venu avec l'espoir de faire sa fortune dans l’entreprise des monts-de-piété. Une de ses filles entra en qualité de demoi- selle d'honneur dans la maison de la princesse de Condé. Le jour où les émissaires de Mazarin se présentèrent à Chantilly pour arrêter la princesse, Pierre Lenet, procu- reur général au parlement de Dijon et tout dévoué à la famille de Condé, ce même Pierre Lenet, dont madame de Sévigné a dit qu'il avait de l'esprit comme douze, déjoua les desseins du cardinal par une ruse dont tout le succès dépendait du dévouement et de l'intelligence de mademoiselle Gerbier. D’après le conseil de Lenet, cette jeune fille se mit dans le lit de la princesse qu’on disait souffrante. L’envoyé du cardinal fut introduit près de la prétendue malade, et mademoiselle Gerbier contrefit si bien sa maîtresse, que les familiers de la maison y eussent été trompés eux-mêmes. Cette comédie dura une semaine. La princesse était en sûreté, quand on voulut bien apprendre à l'émissaire de la cour.de quelle mystification il avait été victime. C’est donc grâce à mademoiselle Gerbier qu'a pu s’exécuter cette fuite de la princesse de Condé, célèbre dans l’histoire de la Fronde. Lenet a tracé dans ses mémoires un portrait fort sédui- sant de mademoiselle Gerbier : « Pleine d'esprit et de gen- » tillesse, elle était brune, d’une taille agréable et aisée; » elle avait les yeux vifs, la bouche belle, l'esprit accort » el adroit. » Lenet était vivement épris. de celle dont il se plait à esquisser une si charmante image. Il revient à VS 2 ( 225 ) plusiéurs reprises sur les charmes de la jolie Anglaise et sur la passion qu'elle lui avait inspirée. Il n'était pas le seul à qui mademoiselle Gerbier eùt fait tourner la tête. Jeau de Coligni et le duc de Bouillon lui firent une cour assidue et prirent lun et l’autre, chose plaisante, Lenet pour confident de leurs peines amoureuses. Mademoiselle Gerbier avait des sœurs qui ne montrèrent pas le même penchant qu’elle pour la vie romanesque, Peu de temps après l’arrivée de notre Anversois à Paris, trois de ses filles entrèrent dans nn couvent et refusèrent d'en sortir malgré les sommations paternelles. Il existe au Musée britanni- que un manuscrit de Gerbier intitulé : Les exhortations de sir Balthazar Gerbier à ses trois filles retirées dans un couvent anglais à Paris, en 1646. Suivant le catalogue de la collection harléienne, ce manuscrit, d’une belle écri- ture, et dédié à la comtesse de Clèves , est fort curieux. Il contient de longs détails sur les efforts faits par Gerbier pour détourner ses filles de la religion romaine et sur leur résistance. On voit vers la fin de cet écrit que l’auteur avait, outre les trois religieuses, deux autres filles et trois fils : Georges, Jacques et Charles, qui sont demeurés protestants. Gerbier abjnra-t-il lui-même le catholicisme pour embrasser la religion réformée? Cela semble incon- testable. On remarquera qu’il donna à ses fils les noms de ses protecteurs en Angleterre : le duc de Buckingham, Jacques 1* et Charles [”. Balthazar Gerbier était donc retourné à Londres après avoir vu s’évanouir l'espoir d'organiser en France l’entre- prise des monts-de-piété, qui devait lui donner une fortune. 1! arriva pour voir la monarchie s'écrouler dans la tem- pête des révolutions. A la vente des biens de Charles I”, il acheta jusqu'à concurrence d’une somme de 550 livres ( 224 ) sterling des objets d’art ayant appartenu à ce prince. Le fit-il dans un but de spéculation ou par un sentiment de pieuse reconnaissance pour son bienfaiteur? Vertue, le célèbre graveur et antiquaire, dont les volumineux manus- crits relatifs à l’histoire des arts ont fourni à Walpole les éléments de ses Anecdotes of painting in England, penche pour cette dernière interprétation de la conduite de Ger- bier, qui aurait été, suivant lui, persécuté par le parti démo- cratique à cause de son loyal attachement aux Stuarts. La carrière diplomatique de Balthazar Gerbier était fermée. Le gouvernement issu de la révolution ne pouvait pas faire représenter l'Angleterre républicaine par l’an- cien agent de Buckingham et de Charles [*. Gerbier fut obligé de revenir à l’art auquel il avait été si longtemps infidèle, et de lui demander des moyens d'existence qu'il pe trouvait plus dans l'exercice des intrigues politiques. Le genre de peinture dans lequel il avait excellé jadis ne lui offrait plus guère de ressources. Le manuscrit que pos- sède la bibliothèque de l’université de Cambridge sous ce titre : Robes, manteaux, couronnes, armes d'empereurs, rois, papes, princes, ducs et comtes, blasonnés et enlu- minés par Balthazar Gerbier, prouve à quel haut degré il porta la délicatesse du pinceau; mais le talent qu'il y a déployé ne trouvait pas sa place dans une société puri- taine. Il dirigea ses études vers d’autres branches des arts du dessin, et même il s’attacha à des matières qui n’avaient point de rapports avec ses premiers travaux. Nous allons lui voir prendre la plume et traiter tour à Lour des sujets appartenant à des ordres d’idées entièrement différents. En 1648, l’année de Ja mort de Charles [*, Gerbier fonda une sorte d'académie, la première qu’ait possédée l'Angleterre. Il adopta les plans d’une institution pour ( 225 ) laquelle Charles [* avait donné des lettres patentes, en 1656, et qui reçut le nom de Museum Minerve. La pein- ture , l'architecture, les antiquités, la numismatique, les langues étrangères et les mathématiques devaient être enseignées dans le Musée de Minerve, ouvert seulement aux jeunes gens appartenant à des familles nobles et riches. Ce projet n'avait pas reçu d'exécution ; il fut repris par Gerbier, qui supprima seulement la disposition aristo- cratique du règlement en vertu de laquelle on n’admettait au bienfait de l'instruction que les classes privilégiées par la naissance et par la fortune. Gerbier voulut être à la fois le régent et le seul professeur de son académie, présu- mant trop de ses forces, sans doute, lorsqu'il se chargea d'enseigner toutes les matières dont se composail un pro- gramme vraiment encyclopédique. Pour faire connaître la marche qu’il se proposait de suivre, il publia une sorte de manifeste scientifique intitulé : « L'interprète de l’acadé- mie pour les langues étrangères, les sciences, les arts et tous les nobles exercices, dédié aux pères de familles et aux amis de la vertu et mis sous la protection du parle- ment d'Angleterre, pouvoir suprême de la nation. » ( The interpreter of the academie for forrain languages and all nobles sciences and exercises ; Lo all father of families and lovers of vertues.) Gerbier donua des leçons publiques sur Ja fortification, sur l'architecture militaire, sur la cosmo- graphie et sur la navigation. Les discours qu'il prononça sur ces différents sujets furent imprimés à Londres dans le courant de l’année 1649. Il fit encore dans son acadé- mie des lectures sur l’art de bien parler et sur la justice. Certes il serait difficile de montrer plus de prétention à la science universelle. Gerbier eut beau multiplier les efforts pour appeler à ( 226 ) lui la jeunesse studieuse par la variété des connaissances auxquelles il annonçait devoir l’initier, l’Académie qu'il avait: fondée n'eut qu’une existence bien éphémère. En créant cette institution, il avait mal apprécié l’esprit pu- blic de l'Angleterre. Les arts étaient devenus antipathi- ques à la nation, par celte seule raison qu'ils avaient été encouragés sous le règne de Charles [*. Le développement de l’industrie et la prospérité du commerce étaient les seuls objets à l’ordre du jour. Gerbier reconnut son erreur , ferma l'Académie dont les amis de la vertu avaient laissé les salles désertes nonobstant ses invitations, et prit la plume du publiciste. I fit paraître, dans les années 1651 et 1652, plusieurs écrits où il s’éloignait plus que jamais de sa sphère. Ce furent des considérations sur les deux commerces principaux de l'Angleterre; l'exposé d’une théo- rie pour le soulagement des pauvres et enfin une sorte de pamphlet publié sous ce titre bizarre : « Discours sur la pierre d'achoppement que le diable, le pape et les mal inten- tionnés ont dressée pour exciter des disputes dans la nation. » Gerbier le publiciste ne réussit pas mieux que Gerbier l'académicien. L’Angleterre est décidément devenue pour lui un champ stérile. A bout de ressources , il part avec sa nombreuse famille pour aller chercher en Hollande cette fortune qu'il poursuit avec persévérance , et qui lui échappe toujours au moment où il se croit sur le point de la saisir. Pendant le séjour qu'il fait à la Haye, il publie un écrit plus singulier encore que tous ceux qui sont sortis de sa plume féconde et qu'il intitule ainsi : Les effets pernicieux des méchants favoris et grands ministres d'État en provinces Belgiques , en Lorraine, Germanie, France, Italie, Espa- gne et Angleterre; et des abus et des erreurs populaires sur le subject de Jacques et Charles Stuart, roys de la Grande- (2217) Bretagne , la Haye, 1655. Il y a deux dédicaces à ce livre, l’une À tous Empereurs, Roys, Reines , Princes, Princesses, Régentes , États et Mayistrats ; l'autre à Charles I, c'est-à- dire au prince fugitif qui attend dans l'exil une future restauration, et dont notre auteur salue la royauté par an- ticipation , escomptant la mort du Protecteur et le revi- rement de Monk. Le but principal de Gerbier, en mettant cet écrit au jour , paraît avoir été de rejeter sur les favoris toutes les fautes imputées aux souverains. Il s'attache sur- tout à disculper, par ce moyen, Jacques E°* et Charles [°'. On ne peut nier qu'il ne fût initié aux intrigues de la cour d'Angleterre, et qu'il n’eût quelques vérités à dire sur ce sujet. Son livre renferme beaucoup de particularités cu- rieuses sur la politique secrète de son temps; mais il est douteux qu’on doive ajouter foi à toutes ses révélations. La situation de Gerbier en Hollande était précaire. La révolution d'Angleterre lui avait enlevé le peu de bien qu'il avait amassé, et le produit de sa plume était insufli- sant pour fournir aux besoins de sa famille. Pourquoi ne reprenait-il pas ses pinceaux dans un pays où les arts étaient en honneur et où son talent eût été certainement apprécié? c’est un fait inexplicable et qui démontre bien la bizarrerie de son caractère. Il conçoit un projet hardi dont les difficultés eussent arrêté un esprit moins entre- prenant que le sien. Ayant réuni ses dernières ressources, il part pour les colonies, âgé d'environ soixante-cinq ans, ayant une femme et huit enfants; 1l ne recule pas devant les fatigues et devant les chances contraires d’une telle entreprise. Tout en blämant son inconstance et l'extrême mobilité de ses idées, on est obligé de reconnaitre qu’il était doué d'une rare énergie de caractère. Il débarque d'abord à Cayenne, puis de là se reud à Surinam, où il (228 ) | fonde une exploitation. Peu de temps après, il Jui arriva une de ces aventures extraordinaires pour lesquelles il semblait né et dont les suites furent malheureusement tragiques. Le gouvernement hollandais avait pris ombrage de son séjour aux colonies. Sachant à combien de négo- ciations ténébreuses Gerbier avait pris part dans l'intérêt de l'Angleterre; il craignit que des desseins politiques ne fussent cachés sous un but apparent de colonisation. Le gouverneur de Surinam reçut l’ordre d'arrêter celui auquel on prétait, gratuitement sans doute, des vues perfides, de saisir ses papiers et de le mettre à bord du premier navire qui ferait voile pour Amsterdam. Cet ordre fut exécuté avec la plus grande rigueur. Accompagné d'une troupe armée , le gouverneur se rendit à la plantation de Gerbier et força l'entrée de la maison. Cette attaque soudaine ayant rencontré quelque résistance, les soldats hollandais firent usage de leurs armes, tuèrent une des filles de Gerbier, et lui tinrent le pistolet sur la gorge jusqu'à ce qu’il eût livré tous ses papiers. Bien que les plus minutieuses perquisi- tions n’eussent amené la découverte d'aucune pièce com- promeltante, le gouverneur exécuta ponctuellement les instructions qu'il avait reçues, et renvoya en Hollande l'infortuné Gerbier avec sa famille, moins l'enfant dont il eut la douleur de laisser la dépouille sur une terre inhos- pitalière. Arrivé à Amsterdam, Gerbier se plaignit énergique- ment et amèrement, on le conçoit, des violences qu'on avait exercées à son égard. Les États de Hollande, qui ne pouvaient alléguer une bonne excuse, firent ce que font généralement les gouvernements en pareil cas; ils désa- vouèrent leur agent et prétendirent qu'il avait outrepassé ses instructions. Ce fut pour le moment la seule satisfac- ( 229 ) tion qu'obtint Gerbier ; mais si les suppositions de Wal- pole sont fondées, l’outrage qu'il reçut, contrairement à tous les principes du droit des gens, n'aurait pas été sans influence sur la détermination que prit plus tard Charles IT de faire la guerre à la Hollande. La funeste issue de son essai de colonisation n'empêcha pas Gerbier de publier un écrit pour servir d'instruction à ceux qui seraient tentés d'aller établir des plantations en Amérique. Il indique, dans cet ouvrage, les motifs qui devaient faire préférer le sud du nouveau continent pour ces entreprises, et ter- mine par un récit de ses aventures à Surinam , avec toutes les circonstances du meurtre de sa fille. Un événement inattendu vint rétablir les affaires de Gerbier au moment où elles semblaient désespérées. On apprit que le nouveau parlement d'Angleterre venait de reconnaître les droits de Charles IT à la couronne. Gerbier se hâta de partir pour Londres, et il arriva dans cette ville juste à temps pour donner les dessins des arcs de triomphe élevés en l'honneur du roi. Après avoir essayé de tant de moyens de fortune sans atteindre son but, notre Anversois rentra dans le domaine des arts où il se ren- ferma désormais. A dater de ce moment, il ne s’occupa plus que d'architecture. En 1662, il publia un discours sur les trois principes fondamentaux de l'architecture monu- mentale, savoir : la solidité, la bonne distribution et l’or- nementation (Brief discourse concerning the three chief Principles of magnificent Buildings, etc.). Dans cet ouvrage, qu'il dédia au roi, tout en exposant ses idées sur l’art, il critiqua vivement plusieurs des édifices élevés sur les plans d'Inigo Jones, auquel il ne pardonnait pas d'avoir été, sous le règne de Charles [*, un obstacle à sa nomination comme intendant des, bâtiments royaux. Il développa aussi, dans Tome xxur. — 1° parr. 16 ( 230 ) ce même écrit, un projet pour l'érection de la porte de Temple-Bar, qui sépare la Cité du quartier de Westmins- ter. Il avait déjà soumis à Charles IT un dessin de cette porte, que les auteurs de plusieurs descriptions de Lon- dres attribuent à Christophe Wren. Si ce fut, en effet, le célèbre architecte de Saint-Paul qui présida à l'édification de Temple-Bar, on doit reconnaître qu'il ne fit que mettre à exécution l’idée de Gerbier. Celui-ci proposait encore, dans le Discours sur l'architecture monumentale, différents travaux d’embellissement pour la ville de Londres. En tête de cet ouvrage se trouve son portrait, où il est représenté ayant au cou, suspendue à un ruban, la médaille qui lui fut donnée par Charles [”, en 1655. Gerbier fit imprimer, en 1665, un second ouvrage sur l'architecture ayant pour titre : Conseils et avis aux archi- tectes (Counsel and advice to all Builders, ete.). La moitié du volume est remplie par des dédicaces, lesquelles sont au nombre de quarante et adressées à la reine mère, au duc d’York et à des personnages de la noblesse. Ainsi que le fait remarquer Walpole, ces dédicaces et le corps de l’ou- vrage attestent chez l'auteur des connaissances variées. Il donne beaucoup de détails curieux sur le prix des maté- riaux de construction, sur celui de la main-d'œuvre, ete. Son esprit satirique se manifeste dans ce livre aussi bien que dans le précédent. C’est à Webb, élève d’Inigo Jones, qu'il s’en prend cette fois. Il tourne en ridicule plusieurs de ses travaux et particulièrement les têtes de lion qui se trouvent sous les piliers des maisons de Great-Queen- Street. Nous avons vu que Gerbier, dans son académie, s'était occupé de linguistique et de philologie. fl termina la lon- gue série de ses écrits par un livre intitulé : Subsidium pe- ( 281 ) regrinantibus, ou guide du voyageur dans ses rapports avec les Hollandais, les Allemands, les Vénitiens, les Italiens, les Espagnols et les Français, pour servir de vade-mecum à un prince-voyageur (Subsidiun Peregrinantibus ; or an assistance to a Traveller in his convers with Hollanders, Ger- mans, Venetians, Italians, Spaniards and French; Written to a princely Traveler for a vademecum. Oxford, 1665). Gerbier ne se borna point à exposer ses idées sur la théorie de l'architecture; il était homme de pratique, et plusieurs riches particuliers s’adressèrent à lui pour obte- nir les plans des somptueuses demeures qu'ils voulaient se faire construire. Il présidait à l'édification du château d'Hempsted-Marshal, appartenant à lord Craven, quand la mort vint le surprendre, en 1667; il était âgé de 75 ans et fut inhumé dans l'église d'Hempsted-Marshal. L'œuvre, qu'il laissait inachevée fut terminée par son élève, le ca- pitaine William Wind, auquel il avait consacré une des dédicaces de son livre : Conseils aux architectes. Le prince de Galles, fils de Georges IT, ayant appris qu'un tableau de Van Dyck, représentant la famille d’un grand personnage de l’Angleterre, se trouvait en Hollande où il avait sans doute été porté à l’époque de la révolution, le fit acheter à haut prix. On ne fut pas d'accord sur le nom du principal personnage de cette composition. Les uns voulaient que ce fût le comte d’Arundel, d’autres Bucking- haw, d'autres Scheffield. Le grand connaisseur Vertue fut consulté et parvint à éclaircir tous les doutes. Il découvrit, à l’un des côtés de la toile, une inscription de la main de Van Dyck, en partie effacée, mais où on lisait encore dis- tinctement ces mots : « La famille de Balthazar .……… , Cheva- lier ;» puis il fit remarquer que les armes de l'écusson étaient semblables à celles qui se voient sur les portraits gravés ( 232 ) de Gerbier, savoir : un chevron entre trois gerbes de blé. Il n’y avait donc pas de doute, la famille représentée dans le tableau de Van Dyck était celle de Balthazar Gerbier. Les personnages sont disposés de la manière suivante : Me Gerbier est assise et tient un enfant dans ses bras; son mari est debout devant elle, appuyé sur le dossier d'une chaise; des enfants, au nombre de huit, forment des groupes variés près d’un portique à l’extrémité duquel on voit un beau paysage. Ce tableau a été gravé par Mac-Ar- dell, Brookskaw et Walker. Jusque dans ces derniers temps, il figurait au Musée royal de Londres sous le nom de Rubens; mais on l’a restitué à son véritable auteur. Van Dyck-a peint un second portrait de Gerbier, seul cette fois, vêtu de noir, et tenant à la main un papier sur lequel il est écrit : « Vivat memoria Buckinghami. » Au sommet de la toile, à gauche, se trouve cette inscription : Ætatis suæ 42. — 4° 1654. Ce portrait a élé gravé par Pontius. On lit au bas de l’estampe : D. Balthazar Gerbie- rius eques auralus primus post renovationem Foederis cum Hispaniarum Rege anno 1630 a potentissimo et serenissimo Carolo Magnæ Britanniæ, Franciæ et Hyberniæ Rege Bruxellas prolegatus. Ce n’est pas sans étonnement qu’on voit Van Dyck exé- cuter ces deux portraits de Gerbier, quand on se souvient du dissentiment qui éclata entre eux peu d’années aupara- vant à Bruxelles, tant à l’occasion du voyage de l'élève de Rubens en Angleterre, que pour son refus de s’avouer l’auteur du tableau envoyé à Charles [*. On est fondé à croire que Van Dyck, lorsqu'il se rendit à Londres, sentit la nécessité de se réconcilier avec Gerbier, dont l'influence pouvait ou le servir ou lui être nuisible, et que les por- traits dont il s’agit furent les gages de cette réconciliation, hd ( 253 ) Un portrait d'enfant par Rubens, qui se trouve actuel- lement dans la collection de lord Spencer, passe pour être celui de l’une des filles de Gerbier. Trop peu de témoi- gnages garantissent celte supposition, pour qu'on doive l’accepter. Rubens avait un caractère moins souple que Van Dyck. Il nous parait douteux qu’il ait consenti à donner une marque d'estime ou d’aflection à l’homme qui s'était joué de lui dans l’affaire du traité avec l'Espagne, et dont les sourdes menées devaient lui avoir inspiré peu de con- sidération pour sa personne. Une copie du portrait de Gerbier, gravé par Pontius d'après Van Dyck, a été faite par Jean Meissens et publiée à Anvers, en 1649, dans le recueil intitulé : « Image de di- vers hommes d'esprit sublime qui, par leur art et science, debvront vivre éternellement et desquels la louange et renom- mée faict estonner le monde. » L'inscription mise sous ce portrait, est, comme toutes celles du même recueil, remar- quable par sa naïveté, Elle est ainsi conçue : « Il a fait merveille en illauminature et a demeuré longtemps en Ita- lie; il fut peintre du duc de Bocquingam et après du rot d'Angleterre, lequel lui faisoit chevalier, par sa vertu; et après son agent à Bruxelles, en l'an 1650, et à Londres, maistre de la cérémonie. Il est natif d'Anvers l’an 4592. » Il existe à Northumberland-House un tableau de Dobson, élève de Van Dyck, et considéré comme le père des por- traitistes anglais, dans lequel ce peintre s’est représenté en compagnie de J. Cotterel et de Balthazar Gerbier. Ce ta- bleau avait appartenu à Thomas Betterton. C’est à la vente de ce célèbre comédien , que le due de Northumberland l’acheta pour la somme de 44 livres sterling. On avait pris longtemps le portrait de Gerbier, qui figure sur la toile de Dobson , pour celui d'Inigo Jones. NL CONTRE (254) On a vu que Gerbier avait composé ses armoiries de trois gerbes de blé séparées par un chevron. C'était une allusion à son nom sur lequel il faisait volontiers des jeux de mots, ainsi que nous le voyons dans la lettre écrite au lord trésorier Weston, pour prouver l'authenticité du ta- bleau de Van Dyck, et où on lit ce passage : « Je ne suis pas de ceux qui offrent aux dieux des gerbes de paille. » Le nom d'Ouvilly, qu’il ajouta à celui de Gerbier, lui fut pro- bablement donné par Charles [* avec son brevet de gen- tilhomme. Deux des fils de Gerbier ont débuté dans la carrière des lettres ; mais il ne parait pas que les Muses leur aient été favorables, s’il nous est permis d'employer cette formule fleurie d’un autre siècle. Charles Gerbier-d'Ouvilly publia à Londres, en 1651 : Elogium Heroïnum , or the Praise of Worthy Women. On a de Georges Gerbier : The false Fa- vourile disgracied, and the Reward of Loyalty, a Tragi-co- medy, London 1657. L'histoire littéraire de l’Augleterre ne nous fournit pas d'autres renseignements sur les fils de Balthazar Gerbier, dont le nom serait resté inconou , si le mérite et les aventures de leur père ne lui eussent donné de la célébrité. Sur les progrès de la facture des orques en Belgique, dans les dernières années; par M. Fétis, père, membre de l’Académie. Six ans se sont écoulés depuis que j'ai fait à la classe un rapport sur la situation déplorable où se trouvait alors la facture des orgues en Belgique. Communiqué à ( 255 ) M. le Ministre de l'intérieur et publié dans le Moniteur, ce rapport souleva l’indignation des intéressés, c’est-à- dire des facteurs inhabiles et peu scrupuleux dont je signa- lais l'incapacité ou l'ignorance. Je terminais mon rapport, en exprimant le vœu qu'un grand orgue, construit en Belgique, par un des meilleurs artistes de l'étranger, servit de modèle à nos fabricants : c'était là précisément ce qu'ils redoutaient; car la comparaison de ce modèle avec ce qu'ils produisaient habituellement, aurait fourni la preuve sans réplique de leur infériorité. On ne voulut pas laisser le pays sous l'impression qu'avait fait naître la publication de mon rapport, et l’on entreprit de me réfuter par des assertions aussi mensongères qu'auda- cieuses. Je fus injurié, calomnié même, dans des articles de journaux et dans des pamphlets anonymes. J'étais un mauvais citoyen qui trouvait plaisir à dénigrer son pays au profit de l'étranger. Accoutumé à ces clameurs, que j'avais entendues chaque fois que j'avais fait connaître des vérités qui blessaient des intérêts mal compris, je fis ce que J'ai toujours fait en pareille occurrence : je me tus et laissai germer ma parole dans le temps futur. Le temps a produit ses résultats plus tôt que je ne les attendais, el d'une manière beaucoup plus complète que je n'aurais osé l’espérer. Entre tous les fac- teurs d’orgues de la Belgique un seul, M. Merklin, se dit à la lecture de mon rapport : Tout ce qui est là-dedans est dur, mais vrai. Il n'y a point à hésiter : la facture belge des orgues doit étre réformée ; j'espère étre le réformateur. Cela dit, M. Merklin part, visite la France, l'Allemagne, l'Angleterre, examine avec la rare intelligence dont le ciel l'a doué, interroge les hommes dont les travaux ont fait progresser l’art, met lui-même la main à l’œuvre, et revieut ( 236 ) riche d'observations, de savoir et le cœur gonflé d’espé- rance. Tous les perfectionnements de mécanisme, de soufflerie, de division de l'air à diverses pressions pour l’équilibre de l'harmonie dans les instruments, de variété dans les jeux, de richesse d'effets produits par des accouplements bien conçus, toutes ces choses, dis-je, que j'avais signalées dans mon rapport, M. Merklin en avait reconnu l'exacti- tude et constaté les avantages ; mais de retour dans ses ateliers, que de déceptions dans le travail de ses ouvriers ! que d'obstacles lui imposaient lincurie, la nonchalance, l'indifférence , la routine aveugle! Faire autrement qu'on avait fait jusqu'alors, à quoi bon, disait-on autour de lui? Que de nuits passées dans le travail pour fournir aux ou- vriers le modèle de ce qu’ils devaient exécuter, ou pour réparer le mal qu'ils avaient fait! M. Merklin comprit enfin qu'il perdait un temps pré- cieux, et qu'il n’atteindrait son but que lorsqu'il serait secondé par de bons chefs d'atelier pris à l'étranger ; mais P pour organiser sur de larges bases le grand établissement dont il avait fait le plan, il fallait un capital considérable : ce fut alors qu’il conçut le projet d’une société par actions; projet presque aussitôt réalisé qu'imaginé, grâce à la répu- tation bien établie d'intelligence et de probité de son auteur. Doué de qualités qu’on trouve rarement réunies dans le même homme, actif, infatigable, ayant au plus baut degré l'esprit d'ordre et d'organisation; habile à dis- tinguer les facultés spéciales des personnes qui le secon- dent et à leur donner l'emploi convenable; enfin, aimant et cherchant le progrès dans son art; désirant la perfection relative et ne négligeant rien pour y atteindre, sans s’aban- donner à la soif d'innovations qui ruine les inventeurs; tel ( 237 ) s’est montré M. Merklin dans la réalisation de ses vues. C'est à cet ensemble de qualités qu'il faut attribuer la rapide transformation de son humble atelier primitif en un établissement qui, dans l’espace de moins de quatre ans, est devenu le plus considérable de toute l'Europe pour la facture des orgues. Ceci exige quelques explications. A l’aspect de ces vastes et monumentales machines qui composent les grandes orgues, on serait tenté de croire que l’industrie qui les produit dispose de forces considé- rables et comporte les plus grands développements; il n’en est rien pourtant. À vrai dire, l’art de facteur d’orgues n’a point été une industrie jusqu’à ce jour : c’est un métier pénible et souvent assez peu lucratif. Les plus grandes fabriques d'instruments de ce genre sont loin d’égaler une manufacture de pianos telle que celle de MM. Broadwood, de Londres. On n’y voit point de machines destinées à décupler la force de l’homme et à faire épargne du temps; tout s'y fait à la main avec un outillage souvent insuff- sant. Certaines parties de la mécanique des orgues exigent une précision mathématique qu’on obtiendrait toujours à coup sûr et rapidement à l’aide de machines spéciales, mais qu'on à l'habitude de faire lentement sur un établi, après mille tàtonnements. Le plan que s'était tracé M. Mer- klin avait pour but de changer cet ordre de choses. L’exécution de ce plan a commencé par l’érection de la grande fabrique située au faubourg de Namur. Là sont distribués deux cents ouvriers dans des ateliers vastes et commodes. Plusieurs salles renferment les instruments terminés et prêts à être livrés. Une de ces salles a toute la hauteur du bâtiment pour recevoir les grandes orgues : on y voit en ce moment un orgue de 52 pieds en construc- tion, colossal instrument dont les dimensions ne sont LAS 41? ( 258 ) surpassées par aucun autre. Le régime d'ordre et de régu- larité qui règne dans ce grand ensemble inspire à tous ceux qui visitent l'établissement une confiance absolue dans sa prospérité. Toujours préoccupé de la nécessité de faire alliance des qualités des ouvriers belges et français, pour atteindre, dans notre pays, à la perfection du travail, M. Merklin a conçu l’idée hardie d'avoir à Paris une grande fabrique, comme sœur de la maison de Bruxelles. Deux établisse- ments où l’on construit des orgues existent dans la capi- tale de la France, tous deux célèbres par leurs succès : l’un est celui de M. Cavaillé-Coll, dont j'ai cité les travaux dans mon premier rapport; l’autre celui de M. Ducroquet, fondé primitivement par MM. Daublaine et Callinet. M. Merklin vient de faire l'acquisition de ce dernier. Se trouvant trop à étroit dans sa maison de la rue S'-Maur, au faubourg S'-Germain, 1l à fait l'acquisition de terrains au boulevard Mont-Parnasse , et y a fait élever de grands ateliers que j'ai visités et dont j'ai admiré le plan d'ensemble tracé par M. Merklin lui-même. Deux cents ouvriers y sont réunis comme dans les ateliers de Bruxelles. Une partie de ces ouvriers alternent de Paris à Bruxelles et de Bruxelles à Paris, afin d'établir l'entière fusion des deux établissements. Parlons maintenant des résultats d'art produits par ces combinaisons réalisées avec une rapidité qui tient du pro- dige. Les progrès dans ces résultats n’ont été ni moins rapides ni moins surprenants que ceux du développement industriel. Chaque année a vu se produire dans les ateliers de la maison Merklin , Schütz et C*, des instruments dont les diverses parties recevaient tour à tour de notables per- fectionnements. Convainéu de l'importance du choix de matériaux pour la bonne sonorité, M. Merklin a fait dis- * ( 259 ) paraître l’étoffe, mélange d’étain commun et de plomb, de ses instruments, pour leur substituer l'étain pur, qui réunit à l'avantage de la sonorité celui de la solidité. Adop- tant toutes les améliorations de mécauisme créés par les facteurs anglais et français, et portant daus la confection des pièces de ce mécanisme tout le fini désirable, il est parvenu, dans ses dernières productions, à des résultats qui peuvent soutenir la comparaison avec les travaux les plus achevés des facteurs les plus célèbres. Le grand orgue que la maison Merklin, Schütze et Ci avait placé à l’expo- sition universelle de Paris a fixé l'attention du jury, et a obtenu la récompense d’une médaille de première classe. Sur le rapport qui en a été fait à M. le ministre de l'in- térieur, le Roi a daigné accorder à M. Merklin la décora- tion de son ordre. Le même instrument a été acheté, pen- dant l’exposition, pour l’église S'-Eugène de Paris, dont la construction s'achève en ce moment. La réputation des ouvrages sortis de cette maison s’est faite avec rapidité. Ses affaires se sont étendues en France, en Allemagne, en Pologne, en Amérique. Un frère de M. Merklin a dû s'établir temporairement à la Havane pour monter les orgues qui y ont été envoyées à la demande de plusieurs églises. Mais un succès plus grand encore vient de couronner les efforts faits par le fondateur de cette mai- son. M. Hilarion Eslava, artiste d’une haute distinction et maitre de chapelle de S. M. la reine d’Espagne, a fait na- guère un voyage en France, en Belgique et en Allemagne, dans un but purement artistique. Il avait été chargé par l'évêque de Murcie de faire choix d’un facteur habile pour la construction d’un orgue de la plus grande dimension pour là cathédrale de cette ancienne ville : c’est sur MM. Merklin, Schütze et C° que l'attention de M. Eslava Lt LR È 1 f 714 ( 240 ) s'est fixée, après avoir entendu et joué un de leurs grands instruments, et après avoir visité leurs ateliers. Cet orgue, qui sera un des plus complets et des plus considérables connus jusqu'à ce jour, est en voie de construction el sera terminé dans peu de mois. J'en suis les détails et les pro- grès avec beaucoup d'intérêt, car tout y est fait avec une rare perfection. Le plan de cette vaste machine a été tracé par M. Schütze, beau-frère de M. Merklin et homme de grand mérite. Jamais instrument de cette importance n’a été fait en Belgique : il n’en a même été construit qu'un très-petit nombre dans les cent dernières années. Celui que MM. Merklin, Schütze et C'° construisent pour la cathé- drale de Murcie est composé de quatre claviers à la main, un clavier de pédales, soixante-quatre jeux ou registres, dont une contre-basse et une bombarde de 52 pieds , onze registres de 16 pieds, vingt-neuf jeux de 8 pieds, et le reste en jeux de #4 et de 2 pieds, en cornets et fournitures de 4 ou » tuyaux sur chaque note. On y trouve les flûtes, trom- peltes et clairons harmoniques inventés par M. Cavaillé- Coll, et dont l'effet donne à l’orgue un caractère aupara- vant inconnu. Sept pédales d’accouplement des claviers, el huit pédales de combinaisons de diverses portions des registres à bouche et à anche, complètent les immenses ressources de ce géant des instruments. La partie méca- nique est un chef-d'œuvre de fini et de précision. MM. Mer- klin, Schütze et C* y ont fait usage du levier pneumatique, belle invention de M. Barker, qui n’est applicable qu'aux instruments de la plus grande dimension. L’inventeur de cette ingénieuse machine, destinée à rendre le clavier de l'orgue aussi doux que celui d’un piano, M. Barker, dis-je, qui fut originairement attaché à la maison Daubläine et Callinet, puis à son successeur, M. Ducroquet, est aujour- ( 241 ) d'hui contre-maître dans la maison Merklin, Schütze et C'° de Paris. M. Merklin se propose de faire entendre à Bruxelles le grand orgue de Murcie, lorsqu'il sera entièrement terminé : le public pourra juger alors de l'immense développement donné par ses travaux à la facture des orgues en Belgique. On doit à la même maison la création d’un genre d'orgue économique et sans tuyaux qu’elle a élevé en peu d'années à un haut degré de perfectionnement. Elle a donné à cet instrument le nom d'orchestrion. Pour les églises de petite dimension , les chapelles, les communautés religieuses el les écoles normales, les ressources de ces iustruments, en puissance et variété, sont très-suffisantes. Par les combi- naisons des cases, MM. Merklin, Schütze et C* sont parve- nus à donner aux anches libres des timbres variés et une intensité de ton qui imitent de la manière la plus heu- reuse les jeux de l’orgue à tuyaux appelés grands jeux, bour- don, flûte, cornet, dulciane, euphone, hautbois, basson, clarinette, clairon, musette, flageolet, ete. Un instrument de ce genre, à 2 claviers, avec un clavier de pédales, souf- flerie d'expression placée aux pieds de l'organiste, et souf- flerie à levier ordinaire pour être employée lorsque l’artiste veut jouer le clavier de pédales, était placé à l'exposition universelle de Paris, et a été l’objet des éloges du jury. I a été acheté pour une église d'Espagne pendant la durée de l’exposition. Le prix peu élevé de l’orchestrion assure à cet instrument un succès brillant et rapide. L'attention de M. Merklin s’est aussi portée sur l’har- monium , orgue de chambre dont l’usage me parait devoir devenir général et dont les progrès ont été constants de- puis environ vingt ans. Fourneaux, de Paris, fut le pre- mier qui découvrit le moyen d'améliorer le son des anches ( 242 ) libres par le moyen des tables d'harmonie placées au-dessus de leur débouché. M. Debain perfectionna cette invention en variant la forme des cases dans lesquelles vibrent les anches , et en forma quatre registres fondamentaux de tim- bres différeuts. Étendue par MM. Alexandre père et fils, cette diversité des timbres s’est augmentée jusqu’au nom- bre de douze, et M. Martin, de Provins, y a ajouté la per- cussion qui donne au son de l’anche une articulation plus prompte et un caractère spécial qui se rapproche du coup de langue dans les instruments à vent. M. Merklin vient de faire un pas de plus par de nouvelles combinaisons de tables d'harmonie, et par la superposition de réflecteurs sonores à jalousies qui modifient le son de la manière la plus heureuse. Les derniers instruments de ce genre con- struits dans ses ateliers, que j'ai examinés avec soin et en- tendus, sont, à mon avis, ce qui a été fait de plus complet et de plus satisfaisant. Ces jolis instruments fournissent des timbres et des accents pour des effets pleins de charme qu’on ne pourrait produire sur aucun autre. J'ai cru devoir rendre compte à la classe des beaux-arts de la transformation qui s’est opérée dans la facture des orgues en Belgique, par les travaux si remarquables d’un homme digne de tout son intérêt. J'éprouve aussi quelque satisfaction de ce que mon premier rapport, inséré dans le XVI" volume des Bulletins de l’Académie royale de Bel- gique , ait éveillé l'attention de cet homme recommandable à plusieurs litres, et soit ainsi devenu l’occasion d’un pro- grès si rapide et d’une transformation si complète. (243) OUVRAGES PRÉSENTÉS. Recueil des ordonnances de la principauté de Liége. 3"° série. 1684-1794. 1*% vol., contenant les ordonnances du 28 novembre 1684 au 3 mars 1744; par M. L. Polain. Bruxelles, 14855; 4 vol. in-folio. Monnaies de métal prétendument produit par les procédés oc- cultes de l'alchimie ; — Le baron de Blanche et sa monnaïe de Schünau (Extraits de la Revue de la numistatique belge) ; par R. Chalon. Bruxelles, 1855; 2 broch. in-8. Histoire des environs de Bruxelles; par A. Wauters. 16" liv. Bruxelles, 1856 ; 1 broch. in-8°. Revue de l'administration et du droit administratif de la Bel- gique; par MM. Bonjean, Bivort, Cloes et Dubois. 2"° année. Tome Il; 8° à 10% liv. Liége, 1855; 1 broch. in-4°. Résumé de pathologie cutanée; par le D' J. Brenier. Anvers, 1854; 1 broch. in-8°. Établissements de produits chimiques; par H. Lambotte. Bruxelles, 1855 ; 1 vol. in-8&. Weg der zaligheid, met eenige overwegingen van de eeuwige waerheden ; door den E. P. J.-A. Juten. Turnhout; 4 vol. in-12. De christelyke deugden en de middelen om dezelve te verkry- gen ; door den zelfden. Turnhout; 1 vol. in-12. Handboek voor den missionaris ; — De priester in de eenzaem- heid; — De priester aen het altaer ; door den zelfden. Turnhout; 3 vol. in-8°. De volmaekte christen of Inleiding tot de christelyke volmaekt- heid ; door den zelfden. Turnhout ; 4 vol. in-19. Archives belges de médecine militaire. Tome XVIme; 3me à Gme cahiers; septembre à décembre. Bruxelles, 4855; 4 broch. in-8°. Annales d'oculistique, fondées par le docteur Florent Cunier. ( 244 ) Tome XXXIV, 3% à 6me liv.; tome XXXV, {r° liv. Bruxelles 4855 ; 4 broch. in-8. Annales et bulletin de la Sociélé de médecine de Gand. 21% année; août 1855 à janvier 1856. Gand, 1855-1856; 4 broch. in-8°. - Annales de la Sociélé médico-chirurgicale de Bruges. 16° an- née, 41e et 19% liv.; 17 année, 1'° et 2° liv. Bruges, 1855; 4 broch. in-8. Journal belge de l'architecture et de la science des constructions; publié sous la direction de MM. C.-D. Versluys et Ch. Vanderau- wera. 7° année, 6me à 8e Jiv, Bruxelles, 1855; 3 broch. in-8°. Journal d'horticulture pratique de la Belgique. Directeur : M. Galeotti. 13° année, n° 8 à 12. Bruxelles, 4855 ; 5 broch. in-12. Le Cordonnier. 3% année, n° 29 à 32; novembre à février. Bruxelles, 1855-1856 ; 9 feuilles in-4°, Flora Batava of afbeelding en beschrijving van nederlandsche gewassen; door wijlen Jan Kops, vervolgd door P.-M.-E. Gevers Deijnoot. 175° aflev. Amsterdam, 1855; 1 broch. in-4°. Quatre lettres sur les mathématiques; par M. Lintz. Trèves, 1855; 1/2 feuille in-4. Natuurkundig tijdschrift voor Nederlandsch Indië; uitgegeven door de natuurkundige Vereeniging in Nederlandsch Indié. Deel IX. Nieuwe serie, deel VI; afl. 5 en 6. Batavia, 14855; 4 broch. in-8°. Bulletin des séances de la Société impériale et centrale d'agri- culture; compte rendu mensuel, rédigé par M. Payen. 2° série, tome XI, n° 4. Paris, 4856; 4 broch. in-8°. Journal de la Société de la morale chrétienne. Tome V, n° 6; Tome VI, n° 4. Paris, 1855-1856; 2 broch. in-8°. Un mot sur Louis de Blois et ses œuvres ; par le docteur Le Glay. Valenciennes , 4856; 1 broch. in-8°. Æésumé météorologique de l'année 1854 pour Genève et le grand S'-Bernard ; par E. Plantamour. Genève, 4855; 1 broch. in-8°. (248 ) Nivellement du grand S'-Bernard; par MM. F. Burnier et E. Plantamour. Genève, 1855 ; 1 broch. in-8°. Proceedings of the royal Society of London. Vol. VIF, n°° 16. Londres, 1855-1856; 4 broch. in-12. Public dinner given to M" C. Roach Smith, at Newport, isle of Wight on Tuesday, august 28 1h. Londres, 1855; 4 broch. in-8°. à The transactions of the royal Irisch Academy. Vol. XXH, part. 6. Dublin, 4855; 4 broch. in-4°. Proceedings of the royal Jrisch Academy, for the year 1854-1855. Vol. VI, part. 2. Dublin, 1855; 1 broch. in-S°. An essay on the probability of Saul, Beniah, Abishai, Jehosha- phat, Jehohanan and Amessias , son of Zichri, having been the Hycsos rulers, Salatis, Beon, Apachnas, Apophis, Jonias, and Assis. N° IE. Dublin, 4855; 1 broch. in-8°. Kaiïserlichen Akademie der Wissenschaften in Wien. — Philo- sophisch-historische Classe. Sitzungsberichte. XNVL' Band, 2 Heft; XVII Band, 1-2 Heft. Vienne; 5 broch. in-S°. — Mathematisch- naturwissenschaftliche Classe. Sitzungsberichte. XNI*® Band, 2 Heft; XVILte Band, 1-5 Heft. Vienne; 4 broch. in-8.— Archiv für Kunde üsterreichischer Geschichts- Quellen. XIV‘ Band, 2 Hälfte; XV! Band, 4 Hälfte. Vienne ; 2 broch. in-8°.— Fon- tes rerum Austriacarum. OEsterreichische Geschichts-Quellen. Iste Abth., 4 Band; 11° Abth., 8-9t# Band. Vienne; 3 vol. in-8°. — Monumenta Habsburgia. {5° Abth., 2t* Band. Vienne; 1 vol. in-8°. — Notizenblatt. Beilage zum Archiv für Kunde ôsterreischi- scher Geschichtsquellen; 4855, n°5 13 à 24. Vienne; in-8°. Jahrbuch der K.-K. geologischen Reichanstalt. VI Jahr, n° 2; avril à juin. Vienne, 1855; 4 broch. in-&. Archiv der Mathematik und Physik. Herausgegeben von J.-A. Grunert. XXV' Theil, 4-4 Heft; XXVI'® Theil, 4 Heft. Greifs- wald, 14855 ; 4 broch. in-8°. Uber eine geometrische Aufqabe. — Uber eine astronomische Aufqabe; von J.-A. Grunert. Vienne, 1853 ; 2 broch. in-&. TOME xxu1. — ['° parT. 17 ( 246 ) Annalen der küniglichen Sternwarte bei Munchen. VHI'* Band. Munich, 1855; 1 vol. in-&. Ueber die Gliederung der Bevôlkerung des Konigreischs Bayern ; von D' Von Hermann. Munich, 4855; 4 broch. in-4. Université de Fribourg en Bresgau. — Collection de diplômes ; — Programm wodurch zur Feier des Geburisfestes; — Ge- dächtnissrede auf Carl Fomherz ; gehalten von D' Baumgärtner. — Botanische Beiträge, inaugural Dissertation von G. Cramer. Fribourg en Bresgau, 1855; 12 feuilles in-folio et 3 broch. in-4°. Neues lausitzisches Magazin; im auftrage der Oberlausitzi- schen Gesellschaft der Wissenschaften besorgt durch deren secre- tr, Th. Neumann. XXIL Bandes, 1-4 Heft. Gôrlitz, 1855; 5 broch. in-8°. Continuazione degli alti della R. Accademia economico-agra- ria dei Georgofili di Firenze. Nuova serie, volume Il; disp. 1°-4*. Florence, 1855; 4 broch. in-8°. Intorno alla IT, cometa del A855; — Della scintillazione delle stelle ; per el dottor Donati. Florence, 1855; 2 broch. in-8°. Il nuovo cimento; giornale di fisica, di chimica; compilato dai professori CG. Matteucei e R. Piria. Tome 1, août à novem- bre. Pise, 1855 ; 4 broch. in-8°. Memorias de la real Academia de ciencias de Madrid. 4° serie. Ciencias exactas; tomo I, parte 4°. — 3° serie. Ciencias natura- les; tomo I, parte 3°. Madrid, 1853-1854; 2 vol. in-4°. Resumen de las actas de la R. Academia de ciencias de Madrid ; en el año de 1851 à 1852, y 14852 à 1853. Madrid, 1853-1854; 2 broch. in-8&. | Smithsonian contributions to knowledge. Vol. VIL Washington, 4855; 1 vol. in-4°. Eïighth annual report of the board of regents of the Smithso- nian institution for 1853. Washington, 1854; 4 broch. in-8°. Ninth annual report of the board of regents of the Smithsonian institution for 4854. Washington, 4855 ; 1 broch. in-8°. Smithsonian report on the construction of catalogues of libra- ( 247 ) ries and of a general catalogue. Washington, 1853 ; 1 broch. in-8°. Documents relative to the colonial history of the state of New- York; by J.-R. Brodhead. Vol. IE et IV. Albany, 1853-1854 ; 2 vol. in-4°. Annual report of the state Engineer and Surveyor, on the canals of the state of New-York, for 1853-54. Albany, 1855 ; 2 vol. in-8°. Annual report of the state Engineer and Surveyor, on the rail- roads of the state of New-York; 1853 à 1855. Albany; 3 vol. in-8°. Report of the committee appointed to examine and report the causes of railroad accidents , the means of preventing their recur- rence. Albany, 1855, 1 broch. in-S°. Sixth annual report of the governors of the Alms house of New-York, for the year 1854. New-York, 1855; 1 vol. in-8°. Annual report of the superintendant of the banking depart- ment, of the state of New-York. Albany, 1855; 4 broch. in-8°. Annual report of the commissioners of emigration of the state of New-York, for the year 1854. New-York, 1855; 1 broch. in-8°. Proceedings of the American Academy of arts and sciences. Vol. IF, feuilles 14 à 23. Boston 1855; in-8°. Proceedings of the Boston Society of natural history. Vol. IV, feuilles 25 à 28; vol. V, feuilles 4 à 11. Boston, 1854-1855; in-8°. Ninth annual report of the board of agriculture, of the state of Ohio, to the governor, for the year 4854. Columbus, 1855; 4 broch. in-8e. Transactions of the Michigan agricultural Society. Vol. V. Lan- sing, 4854; 1 vol. in-8&. Constitution and by Laws of the New-Orleans Academy of sciences. Nouvelle-Orléans, 1854; 1 broch. in-8°. Proceedings of the New-Orleans Academy of sciences. Vol. I, . n° 4. Nouvelle-Orléans, 1854; in-8°. ( 248 ) Bulletin of the american geographical and statistical Society. Vol. I, part 3. New-York, 1853; in-8°. Proceedings of the american philosophical Society. Vol. VF, n®% 51 et 52. Philadelphie, 1854; in-8°. Journal of the Academy of natural sciences of Philadelphia. New series; vol. HF, part 4. Philadelphie, 1855 ; in-4°. Proceedings of the Academy of natural sciences of Philadel- phia. Vol. VIE, n°° 2 à 7. Philadelphie, 1854; in-8°. Annual report of the canal commissioners of the state of New- York. 1855. Albany; 1 vol. in-8°. Report of the commissioner of patents for the year 1853; agri- culture. Washington, 1854; 1 vol. in-8°. Report of the commissioner of patents for the year 1854; arts and manufactures. Vol. 1; texte. Washington, 1855; 1 vol. in-8. Report of the superintendant of the census for december 1,185; to which is appended the report for december 1, 1851. Washing- ton, 4853; 1 vol. in-8. Address of prof. A.-D. Bache, president of the american asso- ciation for the year 1851, on reliring from the duties of president. Washington; 1 broch. in-8°. Tide tables for the principal sea ports of the United States; by A.-D. Bache. New-York, 1855 ; 4 broch. in-8°. Report of the agriculture and geology of Mississippi; by B.-L.-C. Waiïles. Washington, 1854; 4 vol. in-8°. Report and charts of the cruise of the U. S. brig Dolphin, made under direction of the navy department; by lieut. S.-P. Lee. — Map Lee's report. Washington, 1854; 2 vol. in-8°. Report to the secretary of the Smithsonian Institution, on the fishes of the New Jersey Coast; byS.-F. Baird. Washington, 4855; 4 broch in-8°. Characteristies of new Mammals, collected by the U. S. and . Mexican Boundary Survey; by S.-F. Baird. Philadelphie , 4855 ; 4 broch. in-8°. , Descriptions of new birds, collected by D' Kennerly and H.-B. ( 249 ) Mollhausen ; by S.-F. Baird. Philadelphie, 4854; 4 broch. in-8e. Lecture on the camel ; delivered before the Smithsonian Insti- tution, by G.-P. Marsh. Washington ; 4 broch. in-8°. The american fire-alarm telegraph ; by W.-F. Channing. Was- bington; 4 broch. in-8°. On meteorology; by R. Russel. Washington, 1 broch. in-8°. The United States of North America and the immigration since 1790; a statistical Essay, by L. Schade. Washington; 1 broch. in-&°. Notes on North American Falconidæ, with descriptions of new species ; by J. Cassin. Philadelphie, 1855; 1 broch. in-8°. Descriptions of new marine inverlebrata, from te Chinese and Japanese seas ; by W. Stimpson. Philadelphie, 4855; 1 broch. in-8°. Notice of a new species of Salmonideæ , from the north-eastern part of the United States ; by Ch. Girard. Philadelphie, 1854, 1 broch. in-$°. Characteristics of some cartilaginous fishes of'the Pacific coast of North America ; by Ch. Girard. Philadelphie, 1854; 1 broch. in-8°. Notice upon the viviparous fishes inhabiting te Pacific coast of North America; by Ch. Girard. Philadelphie, 1855, 1 broch. in-8°. Observation of the annular eclipse of may 26, in the suburbs of Ogdensburgh ; by Stephen Alexander. 1853; 1 broch. in-#. The geographical and commercial Gazette. 1"° année, n° 1 à 6, New-York, 1855; in-4°. On adipocire, and its formation; by Ch.-M. Wetherill. Phila- delphie, 1854; 4 broch. in-4°. Report on the iron and coal of Pennsylvania ; by Ch. M. We- therill. Philadelphie; 4 broch. in-#. Report on the geology of the Coast mountains and part of the Sierra Nevada (California) ; by D' John B. Trask. Washington, 1854; 1 broch. in-8°. ( 250 ) Report on the geology of Coast mountains also portions of the middle and northern mining districts of California ; by D' John B. Trask. Washington, 1855; 1 broch. in-8°. Notice of a collection of fishes from the southern bend of the Tennessee river, Alabama; by L. Agassiz. New-Haven, 1854; 4 broch. in-8°. The primitive diversity and number of animals in geological times; by L. Agassiz. New-Haven, 1854; 1 broch. in-&°. On ichthyological fauna of the Pacific slope of North America ; by L. Agassiz. New-Haven, 1855; 1 broch. in-8°. On extraordinary fishes from California, constituting a new family ; by L. Agassiz. New-Haven, 1853; 1 broch. in-8°. On the principles of classification in the animal kingdom; by L. Agassiz. Charleston, 1830; 1 broch. in-8&. BULLETIN DE L'ACADÉMIE ROYALE DES SCIENCES, DES LETTRES ET DES BEAUX-ARTS DE BELGIQUE. 1856. — No 3. CLASSE DES SCIENCES. Séance du 1° mars 1856. M. GLUGE, vice-directeur. M. À. Querecer, secrétaire perpétuel. Sont présents : MM. D'Omalius d'Halloy, Sauveur, Tim- mermans, Wesmael, Martens, Stas, De Koninck, Van Beneden, de Selys-Longchamps, Nerenburger, Melsens, Schaar, Liagre, Duprez, Brasseur, membres ; Élie de Beau- mont, Schwann, Spring, Lacordaire, Lamarle, associés; Galeotti, Ernest Quetelet, d'Udekem , correspondants. M. Éd. Fétis, membre de la classe des beaux-arts, assiste à la séance, ainsi que M. Lacaze Duthiers, professeur, à Lille. TOME xx. — ]"° PART. 18 (232) CORRESPONDANCE. M. Chrétien Hansteen remercie la classe de sa nomina- tion d’associé étranger. — M. le Ministre de l’intérieur transmet différents ou- vrages qu’il a reçus successivement pour l’Académie. — Le Congrès des délégués des sociétés savantes des départements de France fait connaître qu'il ouvrira sa prochaine session de 1856, à Paris, le 24 de ce mois, dans les salons de la société d'encouragement. — L'Académie royale de Munich remercie l’Académie pour l’envoi de ses mémoires. — M. Pegado, directeur de l'Observatoire météorolo- gique de Lisbonne, fait connaître la disposition de ses instruments et envoie les résultats imprimés de ses obser- vations. — M. de Selys-Longchamps dépose les observations sur les phénomènes périodiques qu'il a recueillies à Wa- remme, en 1855, avec le concours de M. Michel Ghaye. M. Kickx présente les observations botaniques faites au Jardin botanique de Gand, par M. J. Donkelaar. M. le professeur Zantedeschi adresse également les ob- servations faites en 1855, dans le Jardin botanique de Venise. A l’occasion du dépôt de ces observations, on fait re- CN (253 ) marquer qu'il n'a pas été répondu par le Gouvernement à la lettre qui lui a été adressée par l’Académie, le 45 avril dernier, et qui tendait à obtenir son appui afin de faciliter l'étude des phénomènes atmosphériques, comme il a déjà facilité généreusement la recherche des phénomènes géo- logiques. La classe décide que, dans l'intérêt du pays et de la science, la demande sera renouvelée. — M. Colla, directeur des travaux statistiques du duché de Lucques, donne différents renseignements sur les phénomènes qui ont été observés en lialie pendant ces derniers temps : il cite particulièrement deux apparitions d'étoiles filantes qui ont eu lieu dans la soirée du 8 dé- cembre dernier et dans la nuit du 42 au 45 du même mois. Vers l'époque du solstice, le froid a été très-grand, comme chez nous; le 20, par un ciel serein et un vent d'est, le thermomètre centigrade descendit à — 10°,0, et le lendemain à — 141°,88. Peu de jours avant le solstice, le 17, le barreau de déclinaison à subi des perturbations, et le papier ozono- métrique ne présenta presque aucune coloration. La nuit du 11 au 42 janvier a été signalée par un orage pluvieux; la suivante par des éclairs, et les journées des 7, 8 et 9 par des perturbations atmosphériques, accom- pagnées d’une perturbation électrique considérable. Pendant le mois de février, on a éprouvé, comme chez nous, une température très-douce pour la saison. Le 41 et le 12, les perturbations magnétiques ont été très-fortes, et il en à été de même dans la nuit du 20 au 21, On a aussi remarqué la lumière zodiacale. — L'Académie reçoit de MM. Nerenburger, A. Quetelet, ( 254 ) Liagre et de Selys-Longchamps, différents renseignements sur le globe de feu qui s’est manifesté dans la soirée du 5 février dernier. Vers 8 h. 12 m. du soir, la rue de la Loi, à Bruxelles, fut subitement éclairée par une lumière très-intense et bleuâtre, et presque aussitôt après, il se produisit une seconde clarté, mais d'une intensité moindre. La source de lumière semblait se trouver dans la direction de la ceinture d'Orion. A Boesinghe-lez-Ypres, le même phénomène s’est éga- lement produit; la direction du mouvement était du S.-E. au N.-0.? M. Van de Putte, curé de cette commune, dit que les fragments météoriques en éclatant, produisaient un bruit assez fort. Ce bruit n’a pas été entendu à Bruxelles. A Bruges , le météore lumineux semblait avoir 4 à 6 mi- nutes de diamètre; il était d’un éclat très-vif, mais il éclai- rait bien moins que la lune dans son plein. Il se dirigeait, à 40 degrés de hauteur, du N.-E. vers le S.? et on l’a aperçu, comme dans les deux localités précédentes, pendant une à deux secondes seulement; sa lumière était variable; on n’a entendu aucun bruit d’explosion; le ciel était serein. Ce météore a été aperçu également à Namur, à Valen- ciennes, à Paris, à Rouen, à Angers, à Dijon et à Évreux. — M. A. Meyer, correspondant de l’Académie, fait parvenir un mémoire manuscrit contenant une Démonstra- tion nouvelle d'un théorème de Bernouilli. (Commissaire : M. Brasseur.) — M. Demoor adresse à l’Académie une notice : Deux mots sur le genre MicneLaria Dumort. (Commissaires : MM. Spring et Kickx.) ( 255 ) RAPPORTS. MM. A. Spring et Martens font successivement leur rap- port sur une note de M. Ch. Pinel, relative à la botanique. D'après les conclusions des commissaires, celte note sera déposée dans les archives de la Compagnie. Horloge électrique de M. Goetmackers. Happort de M. A. De Vaux. « La notice de M. Goetmackers paraît rédigée dans la pensée que l’Académie, qui n’a encore produit aucune description méthodique des horloges électriques, doit éprouver le besoin de combler cette lacune. C'est évidemment se méprendre sur la nature des tra- vaux de notre Compagnie, qui n’insère généralement dans ses recueils que des dissertations ou des mémoires sur des sujets nouveaux ou qui sortent des limites des traités connus. Or, l'exposé historique de M. Goetmackers n’est ni assez complet ni assez intéressant ; sa description n’est pas non plus assez soignée; enfin les dispositions particulières dont il conseille l'emploi ne présentent ni assez de nouveauté ni assez d'importance pour que nous engagions la classe à publier cette notice dans le Bulletin. 11 suffirait, selon nous, de remercier M. Goctmackers de sa communication ( 256 ) et de l’engager à se mettre en rapport avec l’administra- tion des télégraphes, qui se prêtera assurément à toutes les expériences qui pourraient être nécessaires pour appré- cier l'utilité pratique des procédés indiqués. » Les conclusions de ce rapport sont adoptées. COMMUNICATIONS ET LECTURES. Note sur la phosphorescence de la neige, observée le 5 dé- cembre 1855 ; par M. Michel Ghaye, commissaire voyer cantonal dans l'arrondissement de Waremme (province - de Liége). « J'étais parti, le 5 décembre 1855, de la commune d'Omal, vers six heures un quart, pour revenir à Wa- remme par la chaussée romaine; il faisait une obseurité très-profonde, au point que je ne pouvais distinguer ma route. Du côté nord-ouest paraissait un gros nuage noir très-étendu , et à peine avais-je marché pendant cinq mi- nutes que le vent s’éleva et qu'il commença à neiger. Tout à coup je fus comme illuminé, je me retournai vivement croyant que c'était quelqu'un qui arrivait avec une lan- terne, puis Je m'arrêtai un instant pour contempler le phé- nomène, je vis sur mes habillements que les gouttes de neige fondues étaient phosphorescentes ; les bouts de ma cravate en laine noire, agités par le vent, paraissaient être en feu; mon paletot en drap noir était chargé de gros ( 257 ) points lumineux; la visière de ma casquette élait égale- ment toute lumineuse. Auparavant je n’y voyais pas parce qu’il faisait trop obscur, et puis je n'y vis plus parce que j'étais entouré de trop de lumières. L’agitation des bouts de ma cravate me génant beaucoup, je dus les enfermer sous mon paletot que je boutonnai. J'avais mis des gants en tissu noir : je voulus frotter la neige de mon paletot, qui devint encore plus resplendissant, et mes deux gants devinrent aussi lumineux. Je continuai mon chemin dans cet état ; le vent devenait de plus en plus fort et la neige continuait à tomber. Après vingt minutes de marche, j'ar- rivai à une auberge; j'y entrai et je vis que j'étais couvert de neige. » Pendant que j'étais occupé à me sécher dans cette au- berge, un jeune homme y est également entré et a raconté avoir vu les mêmes phénomènes que ceux que j'avais ob- servés. » Le même phénomène de phosphorescence a été observé, à la même heure, entre Huy et Braive, d’après les remar- ques de M. de Selys-Longchamps. Par l'extrait du Courrier du Nord, reproduit dans le Moniteur belge, p. 4191 (décembre 1855), on à vu, en outre, dit le même académicien que le même jour, et au même moment, le même phénomène a été observé à Sebourg (département du Nord), par M. Crasquin, méde- cin vétérinaire. — M. Melsens fait connaître ensuite les modifications et perfectionnements introduits par lui dans un manomètre. ( 258 ) Il donnera des instructions plus étendues sur cet instru- ment dans la prochaine séance. — M. Van Beneden fait une communication dans les termes suivants : Dans une lettre datée de Giessen, 6 février 1856, M. Rud. Leuckaert vient de m’informer qu'il est parvenu à étudier les toutes premières phases du développement des Cysticerques, au moyen de l’incubation aruficielle. Il est inutile de faire remarquer toute l’importance de cette découverte. Je profiterai cependant de cette occasion pour attirer l'attention des naturalistes et des médecins sur un autre point de l’helminthologie. Indépendamment de la nouvelle espèce de Tenia de l'homme ; découverte par Bilharz, en Égypte, et qui provient probablement d'une Echinoco- que (1), M. Küchenmeister a signalé récemment une autre espèce, nouvelle en Europe, voisine du Tenia solium, mais distincte surtout par l’absence de couronne de crochets. On a généralement cru que ce nouveau Tenia, appelé Tenia medio canellata par le médecin de Zittau, n’était qu'un Tenia solium ayant perdu ses crochets, comme cela arrive à d’autres espèces. M. Küchenmeister a eu la complaisance de m'envoyer obligeamment un bel exemplaire de cette espèce avec des œufs et une tête séparément préparée; cependant je n'avais pu me convaincre que cette espèce fût réellement distincte, quand une circonstance heureuse est venue lever mes doutes à cet égard. Un charcutier vient de rendre, à (1) Décrite par von Siebold, dans son journal de zoologie. ( 259 ) Louvain, un Tenia complet, qu'il m’a apporté immédia- tement et encore en vie, el j'ai pu m'assurer qu'il existe réellement une seconde espèce de Tenia de l’homme en Europe, espèce distincte, non-seulement par l'absence de couronne, de crochets et de taches de pigment autour des ventouses, mais surlout par l’absence complète de rostel- lum ou trompe. Ce dernier organe ne peut se perdre, quelles que soient les circonstances dans lesquelles le ver se trouve. En comparant la description, que divers auteurs du siècle dernier ont donnée du Tenia solium, il est évident qu'elle se rapporte souvent mieux à ce dernier Tenia qu'à l'autre, et je suis persuadé que ce nouveau ver est assez répandu, si même il ne l’est pas plus que le ver solitaire ou Tenia solium des auteurs. On à cru toujours que les anciens auteurs, en parlant de Tenia de l’homme, sans crochets, avaient voulu parler du Bothriocéphale, et c’est ainsi qu’on avait signalé en Belgique et ailleurs le Bothriocéphale, qui est propre seu- lement aux Suisses, aux Polonais et aux Russes. Je recommande donc spécialement à ceux qui ont l'occa- sion de voir ces parasites de l’homme, d'examiner la tête du ver au grossissement ordinaire d’un microscope simple et de s'assurer s’il existe une couronne de crochets ou non. ( 260 ) CLASSE DES LETTRES. Séance du 3 mars 1856. M. le baron de GERLACHE, président de l’Académie. M. À. QuETELET, secrétaire perpétuel. Sont présents : MM. le chevalier Marchal, De Smet, de Ram, Roulez, Gachard, Borgnet, le baron de Saint- Genois, David, Paul Devaux, Schayes, Snellaert, Haus, Leclercq, Polain, Baguet, Arendt, Faider, membres ; Nolet de Brauwere Van Steeland, associé; Mathieu , Ker- vyn de Lettenhove, Chalon, Van Duyse, correspondants. MM. Alvin et Éd. Fétis, membres de la classe des beaux- arts, et Ernest Quetelet, correspondant de la classe des sciences, assistent à la séance. CORRESPONDANCE. M. Horace Say exprime à l’Académie ses remerciments pour sa nomination d’associé. — M. le Ministre de l'intérieur fait connaître, en date du 21 février, qu’un arrêté royal nomme membres du jury ( 261 ) pour le prix quinquennal des sciences morales et politi- ques : MM. Arendt, professeur à l’université de Louvain, le chanoine Carton, Devaux, membre de la chambre des représentants, Faider , avocat général à la cour de cassa- tion, Haus, professeur à l’université de Gand, Leclercq, procureur général à la cour de cassation, A. Quetelet, pré- sident de la commission centrale de statistique, tous mem- bres de l’Académie. Un second arrêté, de même date, nomme membres du jury pour le prix quinquennal d'histoire : MM. Borgnet, professeur à l’université de Liége, de Saint-Genois, bibliothécaire de l’université de Gand, le chanoine de Ram, recteur de l’université de Louvain, Gachard, archiviste du royaume, Gheldolf, magistrat à Gand, Kervyn de Lettenhove, de la classe de lettres de l'Académie , Renard, général-major, aide de camp du Roi. — M. le Ministre de l’intérieur envoie, en même temps, différents ouvrages destinés à concourir pour les prix quin- quennaux d'histoire et des sciences morales et politiques. — M. Fenicia fait parvenir de Rome, un exemplaire d’une pièce de vers qu'il a composée pour la Société des Arcadiens dont il est président. MM. le chanoine de Ram et Kervyn de Lettenhove font également hommage d'ouvrages de leur composition. — La Société Dunkerquoise pour l’encouragement des sciences , des lettres et des arts, ainsi que l’Académie im- périale de Rouen, communiquent les programmes de leurs concours. (262 ) COMMUNICATIONS ET LECTURES. Notice sur l'abbé Joseph Ghesquière, membre de l'ancienne Acadëèmie de Bruxelles ; par M. le chanoine De Smet. Cette notice, dont il est donné lecture, sera insérée dans le prochain Annuaire, pour faire suite aux différents articles publiés sur les membres de l’ancienne et de la nouvelle Académie royale de Bruxelles. De la nécessité de fortifier, par l’enseignement, l'amour de la science; par M. Baguet, membre de l’Académie. En cherchant, dans une de nos séances de l’année der- nière (1), les moyens d’atténuer les inconvénients que présentent, pour la science, les examens à subir par les aspirants aux grades académiques, j'ai eu l’occasion de signaler un écueil extrêmement fatal aux progrès intellec- tuels. Je veux parler de l’erreur qui entraine la jeunesse à aborder l'étude des branches professionnelles avant d’avoir fait une étude longue et sérieuse des branches scientifiques. Il est, en effet, bon nombre de jeunes gens qui, dès l'instant où ils se sont fixés sur le choix d’une carrière, s’imaginent que toute étude qui ne se rapporte pas imimé- (1) Voir let. XXII, n° 4, des Bulletins. ( 265 ) diatement à la profession qu'ils ont en vue est inutile ou, du moins, d’un intérêt fort secondaire. De là un affaiblis- sement, de jour en jour plus sensible, de l'esprit scienti- fique ; de là une tendance à négliger, à abandonner même les sciences spéculatives et toute étude purement théo- rique. Or, n'est-il pas à craindre que, si on ne s'efforce de modifier une pareille disposition d'esprit dont l'effet est de rétrécir sans cesse le cercle des idées, notre avenir scien- tifique ne soit gravement compromis? L'histoire des siècles passés est là pour nous dire si cette crainte est fondée. Qu'on interroge, même au hasard , les annales d’une nation quelconque, car il n’en est aucune qui n’ait eu ses jours d'abaissement comme ses époques de grandeur, aussi bien en ce qui concerne la culture intellectuelle que sous le rapport politique, et toujours on remarquera que, chaque fois qu'il se manifeste chez un peuple une tendance à ne chercher que des résultats positifs, chaque fois que l’uti- lité immédiate devient à ses yeux l’unique but des travaux de l'esprit, ce peuple touche à une époque de décadence dans l’ordre intellectuel. Il est donc important que, dans l’enseignement, on prenne à tâche de combattre une erreur qui est d’autant plus dangereuse que nous la voyons plus répandue parmi la jeunesse. Il faut que l'expérience des maîtres éclaire, sur ce point, l’inexpérience des élèves; il faut que la con- viction que les premiers se sont formée par leurs propres travaux et par les leçons du passé serve à dissiper les illu- sions des autres et à faire reconnaître à ceux-ci que des études fortes, celles surtout qui favorisent le développe- ment spontané des facultés intellectuelles, sont la prépa- ration nécessaire aux études spéciales. Val tin Lu E Far ( 264 ) Au reste, un maitre intelligent trouvera sans peine les considérations propres à éclairer la jeunesse à cet égard, s’il ne perd pas de vue le fait incontestable qui les domine toutes et qu'il ne saurait rappeler trop souvent à la mé- moire de ses élèves. C’est qu’il n’y a pas d'exemple qu’un homme se soit réellement distingué dans une profession libérale, représentant une spécialité scientifique, sans qu'il eût, au préalable, acquis une instruction solide et des connaissances variées qui ne sont cependant pas en rapport direct avec cette spécialité. Nous ne pouvons nous empêcher de citer ici un monu- ment littéraire de l'antiquité, dans lequel la raison du fait que nous venons de mentionner est exposée et mise en lumière d'une manière frappante. C’est le Dialogue sur les orateurs, généralement attribué à Tacite. On sait que l’auteur, d’après la forme qu’il a donnée à cel ouvrage, rend compte d’un entretien auquel il a assisté dans sa jeunesse et qu'il suppose avoir eu lieu entre les hommes les plus éloquents de l’époque. Or, cette époque, c’est le règne de Vespasien, et le principal sujet du dialo- gue est de rechercher et d'exposer les causes de la déca- dence de l’art oratoire. Cependant, selon la remarque de l’auteur d’une disser- tation sur ce dialogue (1), ce n’est pas simplement l’élo- quence romaine qui est l’objet de la discussion, c’est plutôt, en général , la décadence des lettres. Si l'écrivain , dit-il, a choisi particulièrement l’éloquence, c’est qu’elle était alors en souffrance comme les autres arts et qu'en (1) A. Widal, in Taciti Dialogum de oratoribus disputatio. Parisiis, 1851, p. 15. pe] 1 ( 265 ) outre elle se rattachait plus étroitement aux institutions de l’ancienne Rome. Notre but ne peut être, en ce moment, d'apprécier la composition de l’œuvre de Tacite, en l’envisageant dans son ensemble et dans chacune de ses parties: Nous dési- rons seulement atürer l'attention sur certains passages qui indiquent nettement la cause première de l’affaiblissement intellectuel et qui, en même temps, feront voir combien la lecture réfléchie de cette œuvre remarquable viendrait à l'appui de nos observations et servirait à éveiller ou à ranimer dans l'esprit des maîtres, comme dans celui des élèves, l'amour de la science. Rien de plus saillant, par exemple, ni de plus concluant tout à la fois que le parallèle tracé dans le Dialogue (1) entre le plan d’études suivi par les anciens, notamment par Cicéron (2), pour se former à l’art oratoire, et la manière dont on s’y préparait à l’époque de Vespasien. Chez les uns, c’étaient des travaux infinis, des études multiples et étendues, des exercices de tout genre, tandis que les autres, après avoir passé légèrement sur les premiers élé- ments de l'instruction et ne se souciant guère de l'étude des choses, des hommes et des temps, se hätaient de courir aux écoles des rhéteurs. Aussi les anciens étaient-ils per- suadés que l’orateur devait se rendre capable, en s’y pré- parant de longue main, de traiter avec talent toute ques- (1) Ch. 29 et 30. (2) L'auteur invoque le témoignage de Cicéron lui-même qui, dans le livre intitulé Zrutus (ch. 90 et suiv.), a raconté en détail ce qu'on peut appeler l'éducation de son éloquence. On ne saurait trop recommander aux jeunes gens la lecture de ces chapitres; ils y apprendront ce que c’est que l'étude. ( 266 ) tion. Les Romains du siècle de Vespasien, au contraire, n’aspirant qu'à acquérir une certaine facilité de langage, négligeaient la science et se réservaient de s'approprier telle ou telle connaissance particulière, quand le besoin s’en ferait sentir. Mais, comme le fait observer avec raison l’un des interlocuteurs du Dialogue (1), l'usage de ce qui nous est prété est bien différent de l'usage de ce qui nous est propre; autre chose est de posséder ce que l'on emploie, autre chose est de l'avoir emprunté. D'ailleurs, la variété des con- naissances fournit à l’orateur des beautés, des ornements qu’il ne cherche pas et répand un vif éclat sur sa diction, alors même qu'il y pense le moins. Ce n’est pas tout. Lorsque le personnage qui, dans le Dialogue, s'est chargé d'énumérer les principales causes de l’affaiblissement de l’éloquence et de mettre les études fortes et fécondes des anciens orateurs en regard de l’inac- tivité et de l'ignorance de ses contemporains croît avoir entièrement accompli sa tâche, un autre interlocuteur le prie d'indiquer par quels exercices particuliers , dans les temps anciens, les jeunes gens, au moment d'entrer au Forum, entretenaient et fortifiaient le talent de la parole. Voici le préambule de la réponse qui fut faite à cette question ; nous tenons à le reproduire textuellement, de crainte d’en atténuer la portée en le traduisant (2) : « Quo- » niam initia et semina veteris eloquentiae satis demons- » trasse videor, docendo quibus artibus antiqui oratores » institui erudirique soliti sint, persequar nunc exercita- » tiones eorum. Quanquam ipsis artibus inest exercitatio, (1) Ch. 52. (2) Ch. 55. (267 ) » nec QUisquam percipere Lot reconditas aut Lam varias res » polest, nisi ut scientiae meditatio, meditationi facultas, » facultati vis eloquentiae accedat. Per quae colligitur eam- >» dem esse rationem et percipiendi quae proferas et profe- » rendi quae perceperis. » On ne pourrait, eroyons-nous, citer aucun autre pas- sage qui exprime avec plus de netteté et de précision le rapport intime existant entre la pensée et la parole. Il n’en est certes aucun dont il soit plus aisé de conclure, en généralisant le principe qu'il renferme, que le travail actif de l'intelligence sur les branches des connaissances qui contribuent à former l’homme, ou, pour nous servir des termes du Dialogue, que l’étude des choses, des hommes et des temps doit être considérée comme la meilleure prépa- ration à l'exercice de toute profession libérale. Pour compléter notre pensée sur le point qui nous occupe, nous conclurons, en outre, de ce même passage que le premier devoir d'un maître est d'enseigner l'étude à ses élèves , c’est-à-dire de les placer sur le terrain que, sous sa direction, ils devront creuser avec persévérance, afin d'y asseoir les fondements solides destinés à soutenir l'édifice d’une science spéciale. En terminant ces simples considérations que nous avons présentées uniquement dans le dessein de contribuer à rendre, en général, les études plus fortes et plus sérieuses, qu'il nous soit permis de faire ressortir un avantage pré- cieux qui résulte nécessairement du soin avec lequel on se sera préparé à une carrière déterminée. Il arrive souvent qu'après s'être livré presque exclusive- ment , pendant une longue suite d'années, à l'étude détail- lée et minutieuse d’une science particulière, après avoir exercé avec succès la profession qu'on s'était choisie dès sa TOME xx111. — [r° parr. 19 ( 268 ) jeunesse et à laquelle se rapportait cette étude, le désir, le besoin même du repos se fasse vivement sentir. Il n’est pas élonnant que, dans de telles circonstances, ce qui avait été jusque-là l’objet des pensées , le but principal des travaux de prédilection de ces hommes laborieux qui ont fourni honorablement une longue carrière, leur devienne à charge et ne leur apparaisse plus que comme un fardeau qui les accable et dont ils aiment à se débarrasser. Quel serait alors, nous le demandons, le sort de ces amis de la science , s’il ne leur était donné de goûter, dans la retraite, les fruits de leur première instruction? N’en doutons pas, le fonds de doctrines qu’ils possèdent, joint au dévelop- pement que leurs facultés intellectuelles ont atteint, la connaissance qu'ils ont acquise des choses, des hommes et des temps, particulièrement les idées générales sur Dieu, sur ses rapports avec les hommes et sur les rapports des hommes entre eux, idées qu'ils se sont appropriées dès leur premier âge, feront le charme des dernières années de leur vie, en fournissant un aliment substantiel à l’acti- vité de l'esprit qui défie les ans et brave les infirmités mêmes. C’est alors aussi que ces hommes de science pour- ront apprécier par eux-mêmes toute la justesse de ces belles paroles que Cicéron (1) eitait avec admiration à son fils et qui étaient si souvent sorties de la bouche de Scipion, le premier Africain, nunquam se minus otiosum esse quam cum oliosus, nec minus solum quam cum solus esset. (1) De Oficiis, lib. III, cap. 1. ( 269 ) Un mot à M. le baron de Gerlache, à propos de la lecture de son esquisse de Jacques d'Artevelde; par M. le baron de Saint-Genois, membre de l’Académie. L’estime que je professe pour le talent et pour le carac- tère de notre savant confrère, M. le baron de Gerlache, me fait toujours attacher une valeur particulière à tout ce qu'il publie sur l’histoire nationale. C’est ce sentiment qui m'engage aujourd’hui à prendre la plume pour lui pré- senter quelques observations au sujet de la lecture qu'il a faite à l’Académie, dans la séance du 7 février dernier, sur Jacques d’Artevelde. Dans cette esquisse historique, tracée à grands traits et avec l’autorité de son nom littéraire, notre honorable con- frère juge le célèbre capitaine gantois avec une sévérité absolue que démentent, à mon sens, les consciencieux tra- vaux dont le but a été de réhabiliter ce grand homme aux yeux de la postérité, de le réhabiliter surtout au point de vue flamand. J'insiste sur ces derniers mots, parce qu'il me semble impossible de séparer ce point de vue de celui de l’histoire générale des communes belges. La thèse de M. de Gerlache, c’est qu’il faut flétrir dans Jacques d’Artevelde ces audacieux révolutionnaires qui, sous le mantean du dévouement à la cause du peuple, mé- connaissent toute autorité afin d'arriver au rang suprême, sauf à exercer le despotisme le plus odieux quand ils se sentiront assez puissants pour braver les lois divines et humaines. Je n'ai pas la prétention de modifier le fond de cette thèse , qui doit être celle de tous les honnêtes gens; je suis (270 ) heureux de partager son opinion sur ce point. Je conçois bien que le chemin pris par Jacques d’Artevelde pour abou- tir à l’accomplissement de ses grands desseins, froisse ceux qui ne voient en cette matière que le pouvoir du souverain foulé aux pieds par un ambitieux. Mais est-ce bien à ce point de vue seul que peut se placer celui qui retrace la vie agitée de nos anciennes communes? On nous permettra d'en douter. N'y avait-il pas, en effet, dans cette Flandre du XIV”* siècle, tant calomniée, deux courants contraires : celui des Clawwaerts (4), qui n'avait rien de commun avec la démocratie de nos jours et qui était alors, en réalité, l'élément vivace et puissant de la nationalité flamande, — celui des Zeliaerts (2), c'est-à-dire du comte et d’une certaine partie de nobles et de sei- gneurs, qui préféraient la gloire guerrière, les expéditions lointaines, le brillant de la cour de France, le luxe, les tournois, les plaisirs, au bruit et au mouvement des ate- liers, à ces impatiences de liberté qui dévoraient un peuple aussi laborieux qu'énergique. Jacques d’Artevelde appartenait au premier de ces cou- rants par sa naissance, par sa famille, par ses affections, et disons-le sans détours, lorsqu'on approfondit les annales de la Flandre, de Richilde à Louis de Male, c’est bien au sentiment national qu’il obéissait dans ses efforts pour faire respecter les droits acquis et les précieuses libertés du peuple flamand. Le capitaine gantois n'était ni un Marius ni un Sylla, ni un Cromwell, ni un Masaniello, (1) Gens de la griffe, par allusion aux griffes du lion, emblème héraldique du comté de Flandre, c’est-à-dire gens des communes, parti communal. (2) Gens du lis, par allusion aux armes des rois de France. (271 ) mais un de ces caractères fermes et persévérants qui s’en vont au but avec la pensée d’un grand intérêt public, une de ces figures antiques tout d’une pièce, qui serait restée pure et intacte si d'implacables haines, venues d'en haut, n’en avaient altéré les nobles traits. Je ne dirai pas ici tout ce qu'Artevelde entreprit pour que les communes flamandes fussent honorées et respectées. Qu'on veuille seulement se rappeler que nous devons à son génie poli- tique les premiers germes de fédération entre nos pro- vinces, d'où, après cinq siècles de travail, est sortie la Belgique actuelle. C’est un des actes de son administration qui doit rester le plus digne de nos sympathies. Traiter Jacques d’Artevelde comme un ambitieux vul- gaire, serait un non-sens, une contre-vérité; car il est impossible de nier qu’il n’ait accompli une mission utile, relevé le peuple flamand de l’abaissement où il était tombé, jeté les bases d’une organisation politique puissante, ou- vert, en un mot, pour $a patrie, une ère de liberté et de prospérité publique dont il n’y a pas d'exemples dans nos annales, Ce que je me permets de reprendre avec plus de fonde- ment dans le travail de M. de Gerlache, c’est la confiance illimitée qu'il accorde aux assertions de Froissart, quand celui-ci dépeint le caractère de Jacques d’Artevelde sous un aspect si sombre; il a cependant été démontré à satiété que si beau diseur qu'il soit, cet historien est et doit rester suspect lorsqu'il juge les communes flamandes et ceux qui les gouvernent. Jl y à un peu plus de vingt ans, un auteur qui s'est rendu tristement célèbre par ses romans historiques poli- tiques, M. le vicomte d’Arlincourt, travestissait outrageu- sement, dans son Brasseur-Roi, la mémoire du capitaine ( 272 ) gantois, en attribuant à son héros tous les crimes d'un conspirateur de bas étage. Ce livre mal fait, mal écrit, souleva une profonde indi- guation parmi lous ceux qui entrevoyaient déjà dans la figure encore oblitérée du capitaine gantois ce qu’elle deviendrait un jour lorsqu'on la verrait dégagée des nuages qui l'enveloppaient. Le Brasseur-Roi fut comme le signal d’une solennelle prise d'armes en faveur de Jacques d’Artevelde. De toutes parts on se mit à l'œuvre pour travailler à cette réhabili- tation. M. Voisin se plaça bravement à la tête du mouve- ment, et publia l’intéressante compilation que M. le baron de Gerlache cite lui-même (1). Cette première tentative fut suivie de travaux plus appro- fondis, plus complets. On nous permettra de passer brièvement en revue les écrits où l’histoire d’Artevelde à été réellement épuisée. Je commence par le travail de M. Lenz, intitulé : Jacques Van Artevelde ; situation de la Flandre à son avénement ; histoire des six premiers mois de son administration (2). Le savant professeur nous y fait toucher du doigt le déplorable état de la Flandre lorsque Jacques d’Artevelde apparut sur la scène. De bonne foi et quel que soit le juge- ment que l’on porte sur ses actes subséquents, ne doit-on pas, en lisant ces pages si véridiques, admirer l’homme (1) Examen critique des historiens de Jacques Van Artevelde. Gand, 1841, in-8°. Avant lui, M. Van Hoorebeke de Gand avait réuni sur ce sujet un grand nombre de documents restés inédits. M. le chanoine De Smet fut aussi un des premiers à rendre justice à Jacques d’Artevelde, dans son Æis- toire de la Belgique. (2) Nouvelles archives historiques, 1,261. Gand, 1859. ( 275 ) courageux qui, au milieu de tant de misères, de lâcheté et d'oppression , entreprit de défendre les libertés publiques menacées, de soustraire sa patrie à l'influence délétère qui la ruinait, au gouvernement antinational qui la livrait pieds et poings liés à la France, sa jalouse voisine? En relisant ce beau fragment historique, on doit se con- vaincre que les six premiers mois de l'administration de Jacques d’Artevelde seront toujours, dans l’histoire politi- que de la Flandre, un des plus légitimes titres de gloire sur lequel puisse s'appuyer l'émancipation d’un peuple opprimé. Dans la Revue nationale, t. IV, p. 5345, un écrivain émi- nent dont la parole a tant de poids, M. Moke, a envisagé l'individualité de Jacques d'Artevelde dans son ensemble, et a groupé autour de son héros une foule de faits intéres- sants, et surtout peu connus, qui expliquent ses moindres actions. Ce n’est pas Froissart, il est vrai, qui lui sert de fil conducteur dans ce labyrinthe de contradictions de toute espèce; non, c'est dans les chroniques et dans les documents du temps qu’il va chercher les éléments de la défense du capitaine gantois, et franchement ces éléments, mis à profit avec intelligence et sagacité, ont un caractère plus respectable que les longues tirades intéressées du chanoine de Chimay. Vient en troisième lieu le mémoire de M. Jacques de Winter, intitulé : Jacques van Artevelde, et inséré dans les Annales de la Société royale des beaux-arts de Gand, 1846 (1). (1) L'auteur de ce mémoire fut couronné au concours ouvert, en 1845, par cette société. * ON . de (274 ) Cette importante dissertation, écrite peut-être à un point de vue démocratique, mais dans tous les cas avec l’inten- tion de rechercher la vérité, a mis au grand jour toute la carrière du sage-homme, comme on l’appelait dans le peu- ple , et les incontestables services qu’il rendit à sa patrie. Étayées d’un bout à l’autre des extraits des comptes de la ville de Gand encore inédits, les recherches de M. Jac- ques de Winter ont dissipé bien des préjugés, bien des idées fausses ou préconçues. On y voit, jour par jour, ce que faisait Jacques d’Artevelde dans la haute position qu'il occupait; toutes ses démarches, tous ses projets s’y dé- roulent sous les yeux du lecteur. Ces extraits n’ont pas l'élégance des phrases sonores de Froissart, ce sont tout simplement des dates, des chiffres, des émargements de gages, des itinéraires, de petits faits en apparence insi- gnifiants , transcrits sans apparat, à la suite les uns des autres, il y a plus de cinq siècles, dans des registres offi- ciels. Mais quelle éloquence, quel caractère de véracité dans cette partie économique de la biographie du capitaine gantois! Qui pourrait récuser ces preuves dont l’auteur a tiré de si habiles inductions? Nous terminons par une œuvre capitale : l'Histoire de Flandre de M. Kervyn de Lettenhove. De tous ceux qui ont étudié les annales du célèbre comté, aucun ne les a exa- minées avec plus de soin et d'esprit de critique que cet écrivain. Je viens de relire la partie de son troisième volume qui décrit le rôle des communes flamandes sous Jacques d’Ar- tevelde. Quelle ampleur dans les idées qui inspirent le capitaine gantois ! Quel admirable esprit de suite! quelle intelligence des besoins politiques du peuple flamand! De bonne foi, peut-on encore préférer Froissart, comme - ! ( 275 ) source historique, à ce consciencieux récit, à ces mille preuves isolées, à ces documents authentiques, froids comme des chiffres qui, réunis en faisceau, sous la plume habile de M. Kervyn, revêtent tous les caractères de la vérité historique la moins contestable? Après ce tableau, Arte- velde saurait-il encore, aux yeux de tout historien impar- tial, passer pour un démagogue, pour un démocrate, comme on a l'habitude d'entendre ce mot aujourd’hui? Peut-on même continuer à l'appeler héros plébéien, rémi- niscence des temps de la république romaine, que M. Moke a improprement appliquée ailleurs au capitaine gantois ? M. Kervyn a-t-il seulement voulu entreprendre un plai- doyer en faveur de Jacques d’Artevelde ? Non, mais il a dû exposer dans toute sa pénible nudité l'indigne conduite du comte de Flandre et la juste réprobation qu’elle soulevait parmi le peuple dont il méconnaissait les droits et le carac- tère rude mais loyal. Le résultat tout naturel de la manière de procéder du savant historien, c’est que l'accusation de rébellion dont le capitaine gantois est l’objet, n’a guère de raison d’être en présence des dangers auxquels il arracha ses conci- toyens humiliés, perdus, désespérés. Le sage homme n’est plus que le chef d’une vaste et légi- time opposition nationale triomphante! Ne pas tenir compte des causes profondes qui expliquent le soulèvement des communes flamandes contre le comte Louis, c’est méconnaître dans leur essence la marche ordinaire des événements de ce genre, c’est, on nous l’ac- cordera volontiers, faire injure au bon sens proverbial de ces populations qui, libres et mieux comprises par ceux qui les gouvernaient, n'auraient point cherché leur salut dans l’énergique défense de leurs droits. (276 ) Notre honorable confrère fait table rase de tout ee qui a été écrit depuis vingt ans pour jeter quelque lumière sur celte dificile période de notre histoire; car il est d’avis que ceux qui ont cherché à réhabiliter le rôle de Jacques d’Ar- tevelde ont obéi à un système préconçu. C’est une opi- nion que nous ne pouvons admettre. Ces historiens n’ont défendu le capitaine gantois qu’à l’aide des preuves abon- dantes, qui ont fait tomber le voile dont l'ignorance, les préjugés des uns, les vues intéressées des autres avaient enveloppé la mémoire d’un homme illustre. M. de Gerlache ne voit dans Jacques d’Artevelde qu'un tribun rebelle à son souverain, qu’un conspirateur heureux. C’est sa manière de voir; mais il avouera au moins avec moi que ce tribun accomplit de grandes et utiles choses. L'histoire d’un homme célèbre n’est vraie que lorsqu'on dit le pour et le contre sur son compte. Si demain notre savant confrère entreprenait de retracer la biographie de Charles-Quint, je suis bien persuadé que tout en rendant hommage à son vaste génie, il n’oublie- rait point de reconnaître ses tendances despotiques, les vues souvent criminelles de son gouvernement. En écrivant ces observations trop sommaires, je me hâte de le reconnaitre, pour un sujet si important, J'ai surtout voulu faire appel à l’impartialité et à l'esprit de justice de notre confrère. Il y a quarante ans, son esquisse n'eüt point trouvé de contradicteurs. Aujourd'hui il n’en est plus de même. En dépit de Froissart, l'opinion publique est revenue sur le compte de Jacques d’Artevelde; les uns le déclarent in- nocent de tous les crimes qu'on a mis à sa charge, les autres doutent, je l'avoue, du désintéressement de sa conduite, de la droiture de ses intentions, mais tous le ( 271 ) proclament aujourd'hui un génie politique remarquable, une intelligence hors ligne. On pouvait donc considérer cette partie du procès comme définitivement jugée sur preuves. Notre honorable confrère est venu de nouveau jeter le gant; il nous per- mettra de le relever, non pas pour refuter la thèse qui est son point de départ, mais pour lui demander de rendre au moins hommage au côté du caractère de Jacques d’Arte- velde qu'il a négligé de toucher dans son travail. Du jugement que l'histoire doit porter sur Jacques d'Arte- velde; par M. Kervyn de Lettenhove, correspondant de l'Académie. Il est toujours utile qu'une voix entourée de respect vienne rappeler avec toute son autorité qu'il n’est aucune considération, qu’il n’est aucun prétexte qui permette de faire fléchir la dignité et l'indépendance de l’histoire, et nous sommes heureux de reproduire ces belles paroles : a L'histoire n’est pas un plaidoyer en faveur de tel ou de tel parti, de telle ou de telle cité, de telle ou de telle na- tion, mais un monument éternel en faveur de l’éternelle vérilé. » (1) Aussi l'historien dont la mission est si haute et si noble, ne saurait-il trop multiplier ses recherches, trop inter- roger sa conscience avant de louer les uns, avant de blà- mer les autres, et si, même en écrivant l’histoire de son (1) M. le baron de Gerlache, De la Commune en Flandre. Jacques D'AntTEVELDE. (Bull. de l’Académie, février 1856.) ( 2148 ) pays, il ne lui est jamais permis d’y exalter et d’y célébrer ce qui en fait la honte, il ne serait pas moins coupable d'en répudier les gloires. Pour juger impartialement les événements accomplis, il y a plus de cinq siècles, la pre- mière règle qui lui est imposée est de savoir se garder à la fois de toutes les opinions extrêmes. Il peut apprécier au moyen àge des vertus persévérantes et fortes sans oublier que les siècles qui lui ont succédé, en affaiblissant l’énergie des mœurs, en ont adouci la rudesse et la cruauté. Il doit tenir compte de ce qui fit la grandeur des princes et des causes qui en amenèrent Ja décadence, en même temps qu’il se montre non moins sévère pour les ambitions isolées qui corrompent l’homme et pour l’anarchie qui corrompt tout un peuple. S'il rencontre une idole élevée par les pas- sions et encensée par l'erreur, il faut qu’il ait le courage de la briser, afin qu’un funeste exemple ne porte passes fruits; mais si, au contraire, il découvre une noble mémoire à dé- fendre contre d'injustes accusations , c’est une tâche pieuse qui s'offre à lui, pius labor, parce qu’il ne faut pas que l’in- gratitude d’une génération vis-à-vis d’un grand homme s’étende à la postérité. L'histoire ferait-elle moins que cette femme de Mégare qui déposa à son foyer les cendres de Phocion en leur disant : « C’est moi qui veillerai sur vous » jusqu’à ce que les Athéniens soient revenus à la raison?» C’est après ces considérations générales que nous arri- vons à nous demander quel jugement l’histoire doit porter sur Jacques d’Artevelde, et s’il faut accepter celui de Frois- sart reproduit par M. de Chateaubriand. Jacques d'Artevelde fut-ilun démagogue? Était-il, comme on l’a souvent répété, issu d’une condition obscure et animé du désir de détruire tout ordre social, toute hiérarchie poli- tique ? Cette question touche de plus près qu'on ne le pense ( 979 ) à notre histoire moderne. En effet, n’est-ce pas une de nos plus grandes cités qui a cru devoir placer dans le cortége deses gloires historiques l’illustre effigie de Jacques d’Arte- velde qui dominait et effaçait toutes les autres? Si Arte- velde ne fut qu’un démagogue, comment expliquer l’hom- mage qu'on lui rendait en y associant une dynastie pour laquelle l’ordre est inséparable de la liberté? Gand obéissait seulement à cette pensée, qu’il était juste d'entourer de plus d’honneurs l’homme qui avait fait le plus pour sa patrie. C'était en même temps la réparation solennelle de cet attentat de 1345, médité dans l'ombre et accompli par trahison. Artevelde ne fut jamais un démagogue, et avant d’étu- dier ses actes et sa vie, hàtons-nous de dire que, loin d’avoir puisé à sa naissance ce sentiment d'envie qui est la première forme des ambitions coupables, il fut au con- traire le représentant de l'aristocratie, telle qu'on la ren- contre dans nos grandes cités du moyen âge, fondée sur des richesses acquises dans l’industrie et sur de longs ser- vices rendus aux intérêts communs, Si l’époque féodale fut si courte en Flandre, si la com- mune sy développa silôt et si rapidement, c’est parce qu’elle s’y trouva de bonne heure sans rivaux et sans enne- mis. La noblesse des châteaux s'était précipitée en foule vers ces expéditions d'outre-mer, où elle trouva un glo- rieux tombeau, depuis les rives du Nil, depuis les plaines d’Ascalon jusqu'aux vallons de l’Hémus et jusqu'aux défilés des Thermopyles (1). Elle abdiqua la puissance pour la (1) En 1517, dans un relevé général des habitants de Bruges, il n'en est qu'un seul qui reçoive le titre de messtre, réservé aux chevaliers, c'est Jean d'Utkerke. ( 280 ) gloire, mais la gloire du moins lui resta constamment fidèle. Cependant , au sein des villes s'était formée une autre noblesse qui, bien que souvent dédaignée à la cour des princes, se prétendait non moins ancienne, si elle était moins illustre : à l’en croire, elle était issue des châte- lains qui avaient reçu des comtes la mission de protéger les villes naissantes, ou bien elle descendait des proprié- taires mêmes du sol sur lequel ces villes s'étaient élevées. Telle était, à Gand, l’origine des Borluut, des Bette, des Grutere, des Sersanders, des Damman, des Vaerne- wyck et aussi celle des Artevelde (1). Toutes ces familles s'alliaient entre elles, et comme elles s'étaient trouvées tout naturellement placées depuis un temps immémorial à là tête de l'administration municipale et du mouvement industriel, elles exerçaient une influence presque souve- raine. Les comtes s’en montrèrent bientôt jaloux : ils cher- chèrent à briser cette aristocratie, tantôt en l'attaquant ouvertement, tantôt en excitant contre elle les classes infé- rieures de la commune. Cette lutte eut ses phases diverses. L’aristocratie gantoise, d'abord vaincue, se relève dans la magistrature des Trente-Neuf, dont les Bette et les Grutere sont les soutiens; mais son long démêlé avec Gui de Dam- pierre ne l'empêche pas de rester fidèle à la cause nationale. En 1298, Philippe le Bel confisque les biens de Guillaume d’Artevelde. C’est Simon Bette, c'est Simon de Vaerne- (1) On sait que les fiefs de Damman et de Vaernewyck se trouvaient en quelque sorte dans l'enceinte même de la ville. Quant au fief d'Artevelde, il parait, comme celui de Triest, avoir appartenu dès une époque fort reculée aux châtelains de Gand. Voy. Duchesne, Æistoire de la maison de Gand, p. 677, et Sanderus, Res Gand., p. 185. ( 281 ) wyck, c'est Jean Borluut, entouré, comme Fabius, d'une légion formée de sa famille, qui conduisent les Gantois au champ de bataille de Courtray, et lorsqu'en 1521, les villes de Gand et de Bruges s’allient pour défendre leurs priviléges et pour maintenir la liberté du commerce, qui est la base de l’industrie flamande, les négociateurs de cet important traité sont Salomon Borluut et Jean d’Ar- tevelde. Pour savoir quelle était, à Gand, la position occupée par Jean d’Artevelde, dont le nom a été effacé dans l'histoire par celui de son fils, il suffit d'ouvrir les comptes de la ville de Gand en 1525. Pendant cette seule année, nous voyons Jean d’Artevelde envoyé en ambassade vers le duc de Brabant, puis à Bruges, pour y présider à la déli- vrance de Louis de Nevers, retenu captif depuis huit mois. Il ne quitte Bruges que pour négocier la paix d’Ar- ques avec les envoyés du roi de France, et c'est encore Jean d’Artevelde qui sera chargé de se rendre près de Charles le Bel pour jurer de l’observer. Jean d’Artevelde avait épousé Liévine de Groote, dont le frère et la sœur étaient alliés aux sires d’Axel et d'Hale- wyn (1). J'ai donné ailleurs à ce sujet de longs détails em- pruntés à de vieux papiers de famille où le nom d'Artevelde se trouvait placé à côté de celui de Zannequin (2). (1) Le sire d’Axel avait été rewaert de Flandre en 1395. Il figure au nom- bre des signataires du traité de 1339. Meyer paraît avoir connu l'alliance des Artevelde et des Halewyn; mais il se trompe en disant que Daniel d’Halewyn était l'oncle de Philippe d’Artevelde. Daniel d'Halewyn avait épousé une fille de Jean de Luxembourg et de Marguerite d'Enghien , duchesse d'Athènes. (2) Histoire de Flandre, iv. XI. La famille de Groote existait encore il y a quelques années à Cologne. Elle a donné plusieurs bourgmestres à cette ville. ( 282 ) Une chronique flamande semble avoir été la source des erreurs qui ont été trop souvent reproduites, relativement à la naissance et aux premières années de Jacques d’Arte- velde : « Cet homme hardi et d'une haute intelligence, y » lit-on, avait d’abord été brasseur, mais ayant accom- » pagné Louis, roi de France, dans son expédition à l’île » de Chypre, il devint son boutillier. Cependant à la mort » de ce prince, il fut disgracié par son fils Philippe, qui le » priva de ses dignités et de ses biens, et il fut réduit à » retourner à Gand, où il épousa une noble veuve. » L’ex- pédition de Louis le Hutin dans l'ile de Chypre est une fable mêlée à d’autres fables (1). Du reste, si Artevelde, issu d’une famille puissante, alliée aux Damman, aux Vaernewyck, aux Bette, aux Goethals, ayant épousé lui-même l’héritière d'une maison illustre, mit à profit pour ses crimes une légitime influence, il ne serait pas moins coupable que si cette influence même n'avait été acquise que par d'heureuses intrigues. La no- blesse de Sylla est oubliée : on ne connaît de lui que ses proscriptions. L'historien ne doit avoir d’autre préoccupation que la recherche de la vérité. Ce devoir, je l'ai accepté conscien- cieusement. Cependant en étudiant les nombreux docu- ments conservés dans les archives de nos villes, je n’y ai rien découvert qui établit le meurtre de Folcard de Rode, (1) Cette erreur ne pourrait-elle pas s'expliquer par quelque emprunt inexact à la généalogie de la maison de Courtray ? Jacques d’Artevelde avait épousé une fille de Sohier de Courtray. Cinquante ans plus tard, la fille d’un autre Sohier de Courtray épousa un fils de Bernard de la Barre, qui avait été maître d'hôtel du roi de France et qui avait porté les armes contre les infidèles dans l’ile de Chypre. ( 285 ) accompli, dit-on, à Gand sous les yeux du comte de Flandre, au mois d'avril 4558 : j'ai reconnu au contraire que Folcard de Rode était l’un des proches parents de Jac- ques d’Artevelde (1), et je puis affirmer qu’au mois d'avril 1538, le comte de Flandre ne se trouvait pas à Gand (2). Je ne sais pas davantage si Artevelde frappa de sa main Pierre Lammens, qui s'était placé à la tête d'un complot en faveur du comte (3) ; mais j'ai pu constater que de fré- quentes chevauchées furent dirigées vers Ardenbourg, qui servait d'asile aux Léliaerts. Je n’ignore pas qu'à Bruges, il y eut quelques sentences de bannissement; mais j'ai lu dans les comptes de la ville qu'au milieu des troubles de celte époque , deux magistrats (1) Meyer cite, d’après Froissart, Jean de Rode parmi les chevaliers fla- mands qui s'étaient séparés de Louis de Nevers. (2) Louis de Nevers se trouvait à Bruges quand il accorda aux bourgeois de cette ville le privilége du 19 janvier. 11 passa une partie des mois de février et de mars à Lille et à Courtray, entretenant de fréquentes relations avec Philippe de Valois. Enfin, le 21 mars , c’est-à-dire le jour même où Sohier de Courtray fut mis à mort. il rentra à Bruges. Dès ce moment, la commune de Gand prit les armes. Le 11 avril, elle vit paraître devant ses murailles des hommes d'armes français; le 25, ses milices assiégérent Biervliet, le 96, elles se trouvèrent à Bruges , et trois jours apres, le comte et les communes jure- rent la paix. Le comte renouvela le même serment à l’assemblée d’Oostcamp; mais il haïssait trop les Gantois pour aller vivre au milieu d’eux. D’après les comptes de la ville de Bruges, Louis de Nevers serendit, le 4 avril, de Courtray à Male; le 14, nouveau voyage à Courtray, d'où il revient le 21. Cette fois, il ne quitte plus le château de Male, où son séjour se prolonge pendant les pre- miers jours du mois de mai. Comparez les dates données par M. Lenz, dans un travail plein de recherches consciencieuses, dont on doit regretter l’inter- ruption. M. Lenz a compris mieux que personne le caractère du mouvement communal auquel s'associa Jacques d’Artevelde. (5) Les comptes de la ville de Gand n’offrent aucune mention de ce voyage d'Artevelde à Ardenbonrg. TomE xx111. — ["° PART. 20) ( 284 ) siégeaient sans cesse, afin qu'aucune détention préventive ne se prolongeât plus de vingt-quatre heures, selon l’an- cien usage, et j'y ai vu aussi que des bourgeois injustement bannis étaient venus réclamer une indemnité et l’avaient obtenue. Enfin, pour être juste, il faudrait ne pas oublier que ce fut Jacques d’Artevelde qui rappela dans leur patrie tous ces bourgeois de Bruges et d’Ypres qui en avaient été chassés après la bataille de Cassel. Un document inédit suspendit toutefois un instant mon opinion. Au mois de mars 1559, peu après le combat de Beerst où Louis de Nevers avait été défait, les Gantois se rendirent à Ypres, et on lit dans un rôle conservé aux archives de cette ville : « À Jakeme d’Artevelde donnei » pour ce qu'il feroit le host départir qui gisoit dedens le » ville, car grant griefs et périls en pooit avoir avenu de » feu et de discord entre singulières personnes, dont » grant destourbier eust avenu, et aussi pour esciwir les » grans cous dedens le ville et le damage et perte des » biens dehors, V° escus. » Ce document, où j'avais cru d’abord retrouver la trace de la terreur exercée par Jacques d'Artevelde, perdit ce caractère dès qu'il fut mieux ex- pliqué. Il faut remarquer qu’on touchait à l'époque où allait commencer la grande foire : non-seulement la présence des hommes d'armes pouvait éloigner les marchands étran- gers, mais on avait aussi à craindre, si le séjour des Gan- tois se prolongeait, les représailles des Léliaerts. Tel est le motif qui guide la commune d’Ypres. Si elle redoute des rixes et des troubles, elle n’a à déplorer aucun acte de pillage, et même ici Artevelde s'offre à nos regards comme le digne chef de nos communes, quand nous lisons dans le même rôle qu'à son entrée à Ypres, il avait à côté de lui un prince qui tenait de plus près à Gui de Dampierre ( 285 ) que Louis de Nevers lui-mêmé, et qui se souvenait que son père, Henri de Flandre, avait combattu au Mont-en- Pévèle et n'avait jamais consenti à partager l'humiliation de Robert de Béthune. En relisant Froissart, je trouve dans Froissart lui-même vingt textes qui semblent démentir le portrait qu’il trace de Jacques d’Artevelde. Se peut-il qu’un homme aussi cruel et aussi redouté ait été le gendre et l'ami de ce Sohier de Courtray « qui estoit tenu pour le plus preux chevalier de » Flandre et le plus vaillant homme (1)? » Se peut-il qu’il ait eu pour compère ce noble prince que Froissart ne croit pouvoir mieux louer qu’en disant de lui, comme de Sohier de Courtray, qu'il était preux et vaillant (2)? N'est-ce pas Froissart qui rapporte que le due de Brabant, le comte de Hainaut et tous leurs chevaliers disaient, après avoir entendu le discours de Jacques d’Artevelde à Valenciennes, « qu'il estoit bien digne de gouverner la comté de » Flandre (5)? » | (1) Froissart, 1, 1, 66. (2) Froissart, 1, 2, 389. (3) Le précieux manuscrit de Froissart, conservé à Amiens, offre sur l'élé- Vation de Jacques d’Artevelde des détails plus complets que ceux que donne le manuscrit de Valenciennes, publié par M. Buchon : « De si loing qu'il le perchurent, il ostérent leurs capperons et s’enclinérent et li disent : Chier sire , pour Dieu merchi, voeilliez nous oyr; nous venons deviers vous à conseil, car On nous dit que li grans biens de vous remetera à pais le pays de Flan- dres en boin point. Or, nous voeulliez dire comment, si ferez aumosne, car il est bien mestier que vous ayez considéré notre povreté. Lors s’avancha Jaqueme Dartevelle et dist : Seignenrs compaignons, bien est voirs que j'ay dit que se j'estois oys et creméus, je meteroie Flandres en boin point et se #’en seroit nos sires de riens grevé.. Dont l’acollèrent qui mieux mieux et emportérent entre yaux et disent : oil, vous serez creus, oil, cremeus et servis. Seigneurs, seigneurs, dist Dartevelle, il besoigne bien que au re- ( 286 ) Fidèle admirateur de Froissart, convaincu de sa sin- cérilé et de sa bonne foi, nous expliquerons aisément ses erreurs. Né en 1337, l’année même où commença la puis- sance de Jacques d’Artevelde, il ne put, selon son expres- sion, s'informer lui-même des événements qui s'étaient accomplis; il raconte, dans ses poésies, qu’en se rendant en Angleterre fort jeune encore, il rencontra, à Calais, quelques léliaerts bannis de Flandre qu'on nommait les avolés ou les outre-avolés. Telle fut sans doute la source de sa première narration. Artevelde était mort depuis quarante ans, quand Frois- monstrer toute la plus sainne partie de la ville de Ghand soit, et que vous me jurez, vous qui chy estes et tout chil qui de votre accord sont ou seront, que vous me conforterez et aiderez en tous kas jusques à morir, et il dient tout d’une voix : Oil. Dont leur dist que lendemain à prime, ils fuissent en ung lieu que on appelle le Biloke et le fesissent à savoir à thous parmi le ville de Ghand et que là, présens tous, il leur remonstreroit publicquement che dont toute la ville seroit resjoïe, et il respondirent tout d’une voix : C’est bien dist, c’est bien dist. Enssi, ces nouvelles s’espandirent parmi la ville de Ghand, et en furent les 1 pars de le ville tout sage. Lendemain, à heure de prime, tout li place de le Biloke fut plainne de gens, et li rue où il demouroit toute plaine ossi, et le portèrent mouvant de se maison entre leurs bras jusques en le place de le Biloke, et là avoient ordonnet un biel escaufaut sus lequel il le misent, et là commencha à preschier si bellement et si sagement qu'il con- verti tous cœurs en son opinion, et estoit son entente que li pays de Flandres seroit ouvers pour requeillir le roy d'Engleterre et tous les siens, se venir y volloient, pour payer tout ce qu'il y prenderoient ; car li gheïre, ne li haynne des Flamens as Englès ne leur pooit pourfiter, mais trop couster, et leur re- monstra voies et conditions, lesquelles ne peuvent mie estre touttes escriptes, car trop y fauroit de parolles, mès la fin fu telle que il li eurent en convent et li jurèrent que de ce jour avant il le tenroient pour souverain et se ordonne- roient en tout par lui et par son conseil, et fu rammenés à son hostel si amia- blement que à merveille, et de jour en jour moulteplieoit en grant honneur. Ce fut environ le Saint-Michiel l'an mil CCCXXX VII. » Cette date est anté- rieure de trois mois à celle que donnent les chroniques flamandes. (:2817 ) sart fit son premier voyage en Flandre; mais, il se vit en- touré de nouveau, au camp de l'Écluse, de chevaliers français ou léliaerts tout orgueilleux du triomphe qu'ils avaient remporté, à Roosebeke, sur le fils même de Jac- ques d’Artevelde, et l’on comprend qu'il recueillit cette fois encore les rumeurs renouvelées par:des haines récentes. Cependant lorsqu'il traversait les villes saccagées et les campagnes désertes, où tout retraçait les désastres d’une guerre cruelle, il put entendre quelques plaintes isolées sur la ruine de l’agriculture et du commeree, et tout en repro- duisant contre Artevelde le récit insultant des vainqueurs, il plaça dans la bouche des vaincus le pompeux témoi- gnage de la prospérité et de l'abondance qu'il avait fait régner dans tout le pays. Froissart lui-même rendait hom- mage à ces souvenirs, quand il faisait dire à Pierre Vanden Bossche : « Jacques d’Artevelde ressuscite maintenant par » Ja mémoire de lui. » Ce n’est pas toutefois à cette narration spontanée et fugitive qu'on appelle la chronique qu’il faut demander l'appréciation du mouvement communal du XIV”* siècle. Il faut s'élever plus haut pour le comprendre. Qu'on se souvienne que la Flandre, si puissante sous Thierri d'Alsace et sous Baudouin de Constantinople, lorsqu'elle se ralliait autour d’une dynastie nationale dévouée à la défense de son honneur et de ses intérêts, ne voyait plus depuis un siècle dans ses princes que les soutiens de la politique étrangère. Philippe le Bel avait légué à ses successeurs ses haines et ses vengeances, et c’étaient les descendants de Gui de Dampierre qui s’en étaient faits le docile instru- ment. En vain les communes avaient-elles élevé, malgré Charles le Bel, le petit-fils de Robert de Béthune : c'était ce même prince qui les avaient décimées, après être rentré ( 288 ) en Flandre, en passant sur les cadavres de Zannequin et de ses seize mille compagnons. Autant les guerres aux- quelles Louis de Nevers prit part coûtèrent de sang à la Flandre, autant les négociations qu’il dirigea épuisèrent ses ressources. Bientôt aux désastres de l'invasion succè- dent la disette et la misère. À de nouvelles humiliations se mêlent de nouvelles douleurs. La Flandre s’est tue quand Louis de Nevers a choisi pour ministre un fils de Pierre Flotte; mais son indignation éclate quand elle apprend qu’il a fait décapiter dans son lit Sohier de Courtray, vieil- lard septuagénaire qui représentait au milieu d’une géné- ration nouvelle cette génération héroïque, aussi intrépide que dévouée, qu’on avait vue tour à tour braver la mort aux bords de la Lys et la captivité à Compiégne. Et cepen- dant, malgré toutes ces causes particulières de griefs, mal- gré cet état général de souffrance, personne ne songe à violer le serment que l’on a prêté. La loi ne peut pas dis- penser de la fidélité au prince, mais le prince ne peut pas dispenser davantage de la fidélité à la loi. Les communes se contentent donc de proclamer qu’il leur appartient d’in- tervenir dans toutes les questions qui intéressent leur prospérité intérieure et leurs relations commerciales avec les nations étrangères. C'était à peu près dans les mêmes termes que les communes flamandes définissaient leurs droits et leurs devoirs en présence du roi Louis VI, qu’on a surnommé le père des communes françaises; et déjà à cette époque elles invoquaient les anciennes traditions du pays, antiqua Flandriae traditio (1). Ainsi il n’y avait rien dans les réclamations des com- (A) Galbert., ap. Boll. Acta SS. Mart., t. 1, p. 214. ( 289 ) munes qui ne fût conforme au droit politique : il eût été de l'intérêt de nos princes de les seconder, puisque, pour s'affranchir du joug qu'ils subissaient, il fallait avant tout relever les forces du pays; mais l'influence étrangère à laquelle ils n’osaient se soustraire les porta toujours à affaiblir nos communes en y semant des divisions entre les classes supérieures de la bourgeoisie et les petits mé- tiers : système fatal qui se poursuivra sous les dues de Bourgogne jusqu’au jour où il ne restera en présence que l’autorité sans limites du prince et l'anarchie sans frein de la plèbe : Charles-Quint et les Creesers de 1559. Les historiens hostiles à Artevelde ont sans doute repro- duit quelque chose des calomnies de tout genre auxquelles on avait recours pour saper l'autorité de l'aristocratie com- munale; et, en effet, lorsqu'on analyse avec soin les faits qu’ils rapportent, on n'y trouve qu’erreurs et inexactitudes. On a dit qu’Artevelde appartenait au métier des bras- seurs et, de même que son père, de même que les Vaerne- wyck et les Borluut, il était inscrit dans celui des tisse- rands qu’on nommait à Gand « le grand métier. » On a dit que sa famille était obscure, et elle ne l'était pas. On a dit qu'il avait épousé d’abord une brasseresse de miel et ensuite Christine de Baronaige, et il a eu pour femme Catherine de Courtray, qui l’accompagna dans ses guerres, et qui remplit même pour lui d'importantes mis- sions en Angleterre. On a dit qu'il avait été rewaert de Flandre, et il ne l’a jamais éjé : il n’a pas même été rewaert à Gand, et les fonc- tions les plus élevées qu'il ait remplies dans l’administra- tion de sa ville natale ont été celles d’hooftman, ou de capi- taine d’une paroisse. A ce titre, il fut chargé du soin de ( 290 }) veiller à la sûreté et à la défense de la ville, ce que les actes publics appellent *£ beleet van der stede. On a dit qu’il était entouré sans cesse de valets armés, dont Froissart porte le nombre, dans quelques manuscrits de sa chroniqué à quatre-vingts, dans d'autres à cent qua- rante. Or, nous savons par les comptes de la ville de Gand que des sergents chargés d'y maintenir le bon ordre, il y en avait seulement vingt et un attachés à Jacques d’Arte- velde et vingt à Guillaume de Vaernewyck. Qu'aurait pu être d’ailleurs un système d’oppression et de terreur exercé par cent trente-quatre sergents d'armes dans une ville que Froissart lui-même appelle : « La souveraine ville de » Flandre de puissance, de conseil et de seigneurie? » On a accusé Jacques d’Artevelde d'avoir amassé des ri- chesses considérables, et les comptes de la ville de Gand établissent que, dans la mémorable année 1339, où il négocia les plus importants traités que mentionne toute l’histoire du moyen âge, la commune de Gand lui donna, pour l’indemniser de ses dépenses, une somme de qua- rante-six livres cinq sols et six deniers (1). On lui a reproché de s’être entouré de sicaires tirés de la lie du peuple, et ceci est évidemment faux; car il trouva un appui dans la noblesse des villes et dans celle des châteaux. D’une part, on voit siéger dans l'échevinage de Gand les Borluut, les Bette, les Grutere, les Sersanders, les Goethals, les Utenhove; d'autre part, on remarque dans les traités conclus sous ses auspices les noms les plus illus- tres, tels que ceux de la Gruthuse, de Gavre ou de Ghis- SR — (1) ZE gaven sy Jacob van Artevelde, hoeftman van der stede, van sinen costen die hy ghedaen heef binnen desen jare int belect van der stede, XLVI I F5. FT gr. (Comptes de la ville de Gand.) (291 ) telles; et cet homme qu’on nous représente disant aux Gantois qu’ils cessassent d’avoir confiance en lui le jour où ses enfants s’allieraient à des familles de chevaliers, reçoit, en 1541, les présents des communes de Flandre, à l'oc- casion du mariage de sa fille avec le sire d’Erpe (1). Nous ne pouvons accueillir l’assertion de Froissart quand il nous parle « des gens huiseux de toute malvaise vie » qu'il requelloit (2). » En voici de nouvelles preuves. Les capitaines qui, de son temps, sont choisis à Gand, à Bruges et à Ypres, sont les sires de Laerne, de Rasseghem et de Hautekerke (5); et les comptes de ces trois villes portent que lorsque les milices communales se préparaient à combattre, chaque capitaine arborait sa bannière (4). C'est Froissart qui nous apprend que le fils de Jacques d’Artevelde faisait aussi « porter son pennon devant lui, » tout développé, armoyé de ses armes (5). » Il faut observer de plus que Jacques d’Artevelde, qui n’a jamais été rewaert, à investi de cette dictature Simon de Mirabel, sire de Perwez, de Beveren et de Somerghem, l’un des plus puissants barons de Flandre. Simon de Mirabel fonda le monastère de Groenenbriele. D'après Vre- dius, une de ses sœurs était la femme de Gérard de Moer- (1) Comptes de la ville de Bruges, 1540-1341, fol. 129. Un arrière-petit- fils de Jacques d’Artevelde, François d'Erpe, épousa, en 1566, Anne de Montmorency. (2) MS. de Valenciennes, I, 119. (5) Les capitaines des villes portaient aussi le nom de rewaerts. Il y avait à cette époque des rewaerts même dans les bourgs et dans les châteaux. J'ai sous les yeux une charte de 1358 où figure Rogier Brisetieste, chevalier, rewaert de Saeltingen. (4) Voyez notamment le compte de la ville de Bruges, 1559-1540, fo!, 122. (5) Froissart, 11, 174. ( 292 ) seke, fils de ce brave sire de Moerseke à qui Gui de Dampierre confia son épée avant d'entrer dans la prison où le suivit Sohier de Courtray dont Artevelde épousa lui- même la fille. Le gendre de Simon de Mirabel se nommait Yvain de Vaernewyck; Rasse d'Erpe était son neveu. Il suffit de rapprocher ces noms et les souvenirs qu'ils rap- pellenL. On n’a tenu compte d'aucun de ces faits établis par des documents authentiques, et, pour démontrer la haine qu’Artevelde portait aux chevaliers, on a cherché à expli- quer par ce sentiment sa fameuse querelle avec Jean de Steenbeke; mais ce Jean de Steenbeke, dont on s’est plu à faire un illustre personnage, n'était qu'un doyen des métiers qu'on rencontre à Dordrecht, chargé de surveiller le transport des sacs de laine envoyés par Édouard IN. On a dit qu'Artevelde avait triomphé dans ce démêlé en renversant révolutionnairement ses juges et en appelant d’autres échevins, élevés par une sédition, à en défendre le héros; or, il n’y eut, en 1542, aucun renouvellement de léchevinage : c’est à la mort d’Artevelde que l’on vit des échevins immolés par l’émeute. On a fait un crime à Artevelde de la sanglante répres- sion exercée par les Yprois contre les habitants de Pope- ringhe, et l’on n’a pas remarqué que, d’après les chroniques d'Ypres, c'était Louis de Nevers lui-même qui, pour s’atta- cher les bourgeois de cette ville, leur avait accordé le pri- vilége qu'ils mirent si cruellement à exécution. On a prétendu qu'il avait profité des premiers moments de sa puissance pour bâtir un vaste palais crénélé d’où il pouvait défier ses ennemis. Jacques d’Artevelde ne trouva à l’heure du péril d'autre refuge qu'une chapelle voisine, et nous savons que sa demeure, loin d'offrir l’as- ( 295 } pect d'un donjon féodal, comprenait de vastes salles ré- servées au travail industriel qu'il n'interrompit jamais, quelque puissant qu'il fût. Une autre salle servait aux clercs qui écrivaient sous sa dictée ses réponses aux diverses communes qui ne cessaient de le consulter, et tout à côté, vers le Paddenhoek, s'élevait une vieille tour que Charles- Quint fit démolir au XVI": siècle : elle appartenait alors à Jean d'Hembyze (1). On a accusé Jacques d’Artevelde d’avoir usurpé, au mé- pris de tout droit la légitime autorité du comte de Flan- dre qu'il aurait violemment supprimée et abolie pour ne plus reconnaitre comme souverain que le peuple, c’est-à- dire la faction qu'il dirigeait à son gré. Des documents irrécusables démentent encore cette assertion. Lorsque, après le supplice de Sohier de Courtray, la commune de Gand accourut à Bruges pour protester contre la violation de ses priviléges, elle ne donna à ses députés d'autre mission que de rétablir la paix « pour l'honneur du comte (2), » afin d'assurer ce que l’on nomme ailleurs « la » réconciliation cordiale du comte et du pays (3). » Quand Louis de Nevers se retire en France, Simon de Mirabel n'exerce qu’en son nom les fonctions de rewaert de Flandre. Ceci résulte d’une déclaration de Louis de Nevers, du 7 octobre 1540, conservée aux archives d'Ypres (4). La con- fédération des communes avec le Brabant et le Hainaut, (1) Archives de Gand, n°° 963 et 964. (2) € sine eere. Comptes de la ville de Gand, 1558. (3) Comptes de la ville de Gand, 1358. (4) Alle zaken die ghedaen hebben gesin in onse name by mynheere Simoen van Haele als onse reward van Vlaenderen. Le sceau du sire de Mirabel portait ces mots : S. Flandriac Rewardi per communem patriam ordinati. ( 294 ) leur alliance avec Édouard IN qu’elles reconnaissent pour roi de France n’ébranlent pas leur fidélité, puisque le nom de Louis de Nevers figure également dans leurs traités avec le duc de Brabant et le roi d'Angleterre. Enfin nous avons sous les yeux le texte d’une déclaration solennelle où elles s'expriment ainsi : « Nous voulons obéir à notre noble sei- » gneur Louis, comte de Flandre, le servir (1) et lui » assurer la jouissance des revenus qui lui appartiennent » comme comte de Flandre, de la même manière que » nous en avons loujours été tenus selon l’usage du pays, » et nous respecterons son droit (2), pourvu qu’il respecte » également, comme ses prédécesseurs, nos coutumes, » nos priviléges et nos libertés (5). » Le récit de la malheureuse tentative d'Artevelde, qui aurait eu pour but de transférer le comté de Flandre au prince de Galles, se retrouve dans Froissart et dans Gilles li Muisis, mais rien ne permet d’y ajouter foi. Il résulte des documents officiels de cette époque que le comte de Flandre venait d'adresser aux communes des lettres fort importantes, probablement pour les dissuader de prendre les armes contre Philippe de Valois, qui dès lors leur avait fait peut-être les plus brillantes promesses (4). Dans ces circonstances, l’union des bonnes villes de Flandre (1) Obedire et parere.…. sibique servire ut comiti Flandriue. (2) Jus suum... dum tamen comes... (5) Archives de Bruges, Groenenbouck ongecotteerd. Il serait facile de citer un grand nombre d'extraits des comptes des villes relatifs aux honneurs qu’on rendait au comte et aux présents qu’on lui faisait, selon d’anciens usages, en bœufs, en poissons, en cire, en vin du Rhin, etc. (4) La restitution des châtellenies de Lille, de Douay et de Béthune, le monopole de la fabrication et du commerce des draps en France; etc, Voy. Robert dAvesbury, p. 154. ( 295 ) pouvait être compromise, et tous les efforts devaient ten- dre à maintenir l'unanimité qui avait jusqu’à ce jour pré- sidé à leurs résolutions (1). Tel fut l’objet des conférences de l'Écluse, et il paraît que lorsqu'elles eurent lieu , l'in- fluence d’Artevelde était complétement rétablie : car l’on venait de désigner comme rewaert son beau-frère Sohier de Courtray (2), et Édouard HI n'avait aucun sujet de se plaindre de nos communes, puisqu'il écrivait, après avoir quitté la Flandre : Terram Flandriae (laudetur Deus) sta- bilivimus (3). » Si Sohier de Courtray avait été élu rewaert pour diriger le complot qui devait donner le duché de Flandre au prince de Galles, pourquoi n’eût-il pas mis ce dessein à exécution quelques jours plus tard, alors que, selon Frois- sart, la puissance d'Édouard IT en Flandre était redevenue plus grande que jamais, et que l’assassinat de Jacques d’Artevelde pouvait en quelque sorte justifier la déchéance de Louis de Nevers? C’est toutefois Sohier de Courtray qui confirme, le 41 août 1545, avec le duc de Brabant, ce traité de 14339 où le nom du comte de Flandre était placé à la première ligne du pacte de fédération des communes (4). Nous n’avons retrouvé dans aucun document émané (1) Omvme te sprekene up de lettre van minen here van Flaenderen en omme de eendractechede te blivene van den ghemenen lande. (Comptes de la ville de Gand.) (2) Les capitaines de Bruges à cette époque sont les sires d'Halewyn, de Praet et de Moerkerke. Compte de la ville de Bruges, 1345. Le sire de la Gruthuse est cité dans le même compte. Froissart lui-même eût trouvé assez illustres ces noms qui figurent, dans sa chronique, à côté de ceux de Renaud de Cobham et de Gauthier de Mauny. (5) Rymer, I], 4, p. 185. (4) Schaeys, Dagboek der gentsche collatie, p. 352. ( 296 ) d'Édouard II la pensée de déposer Louis de Nevers, et il n’en est aucun dans nos archives de Flandre qui y ren- ferme la moindre allusion. N'est-ce pas à ceux-là qui accu- sent qu'il appartient d'apporter leurs preuves (1)? Évidemment Froissart et Gilles Li Muisis étaient mal informés de ce qui se passait en Flandre en 1545. Froissart rapporte qu'Édouard IT, entouré à l'Écluse d'une formidable armée, crut devoir quitter la Flandre en apprenant le triomphe de quelques membres des petits (1) Je crois que l'unique but du voyage d'Édouard III à l'Écluse était d'obtenir la coopération active des communes flamandes à la guerre qu'il allait porter en France (pro expeditione querrae nostrae, ad partes ini- micorum, Rymer, Il, 4, p. 185). Godefroi d'Harcourt venait de rendre hommage au roi d'Angleterre (Rymer, Il, 4, p. 179), et dès ce moment on avait pu arrêter le projet de débarquement en Normandie, qui s’effectua, l’année suivante, au promontoire de la Hogue. Je vois en effet dans les comptes de la ville de Bruges qu’au mois de juillet 1345, on envoya en Normandie plusieurs messages secrets, et en même temps Pierre Van Vullaere, qui avait fait, au siége de Tournay, le premier essai de canons que mentionne notre histoire, s’occupait de mettre en bon état les nouveaux engins de la ville de Bruges (niewe engienen). Ceci se passait un an avant la bataille de Crécy. Les milices de Gand s'étaient déjà avancées jusqu’à Cassel. Je lis également dans les comptes de la ville de Bruges, qu'aussitôt après le départ d'Édouard II] de l'Écluse, un échevin s’y embarqua pour le rejoindre, et se rendit succes- sivement dans ce but à Londres et à Westminster. Il allait probablement lui annoncer la mort de Jacques d’Artevelde. Philippe de Valois avait adressé des lettres à la commune de Bruges. On arrêta les messagers qui les avaient apportées eL on les livra à Édouard IIL. (7’an twee knapen die yleet waren t Sluus met sconinc Philips lettren van Valoys te haren costen…. Pan twee yvanghen die yvoerd waren van der Sluus tote onse here den coninc met letteren commende van den coninc Philips, in gracie den coninc van Ingeland.) Au milieu de ces diverses mentions, j'en rencontre une autre qui, en rappelant un envoi de saumons et d’esturgeons, fait au comte de Flandre, démontre assez que les communes ne considéraient pas comme rompu le lien qui les unissait à lui. h : ( 297 ) métiers de Gand; mais nous savons par les lettres du roi d'Angleterre qu'il mit à la voile, le 24 juillet, c'est-à-dire avant la mort d’Artevelde, pour aller aborder sur les côtes de France, protégées cette fois par les vents et la tem- pête (1). Le silence des registres de la chancellerie d’An- gleterre rend même douteux que le prince de Galles ait accompagné son père à l’Écluse (2). Quant à Gilles Li Muisis, il est si peu exact qu’il rap- porte qu'en 1545, Jacques d’Artevelde commanda les Gan- tois lors de l'expédition de Termonde : or, elle n’eut lieu qu'après sa mort (5). Artevelde ne fut pas renversé par une réaction qu'appel- lent toujours l’oppression et le désordre, comme un de ces tyrans vulgaires précipités du Capitole aux gémonies et d'autant plus méprisés après leur mort qu’ils ont été plus redoutés pendant leur vie. L'attentat de quelques savetiers et de quelques corroyeurs (4), excités par l’or de Louis de Nevers (5), auxquels s'étaient joints les foulons, impatients de venger la mort de leur doyen, ne fut qu'un crime isolé, (1) Jentus contrarius et tempestas. Rymer, Il, 4, p. 185. (2) Rex, dicta die, cum magnatibus et alèis in comitiva sua tunc existentibus. ad mare velavit. Rymer, Il, 4, p. 184. Comme on le voit, il n’est fait aucune mention du prince de Galles. Il en est de même dans les comptes de nos villes. (5) Chroniques de Flandre, 6ä. de M. De Smet, t. II, p. 257. Gilles Li Muisis devait à la protection de Philippe de Valois la dignité d’abbé de Saint- Martin. Lors du siége de Tournay par les Anglais et les Flamands, il avait vu livrer aux flammes les moulins et les fermes de son monastère. On com- prend aisément qu'il ait dit d’Artevelde : Multa mala evenerunt per eum et propter cum. (4) Une chronique flamande appelle cette sédition : het oproer van het cleen gemeente. (5) Le comte de Flandre avait depuis longtemps formé ce projet, Froissart ( 298 ) un triomphe d'une heure dans un seul quartier de la ville troublé par leur complot. Si quelques amis d’Artevelde périrent avec lui, tous les autres conservèrent le pouvoir. C’est ainsi que le plus illustre d’entre eux, Guillaume de Vaernewyck, qui avait pris part aux conférences de l'Écluse, et qui s'était rendu successivement à Bruges et à Ypres pour y exposer l’état des négociations (1), conserva ses fonctions, et (nouvelle preuve de l’inexactitude de Frois- sart) il fut envoyé vers Édouard HI aussitôt après la mort de Jacques d'Artevelde. Les autres capitaines étaient aussi d'anciens collègues d’Artevelde, et nous considérons comme dénuée de tout fondement l'accusation que l’on a portée contre Simon Parys et contre Gérard Denys, le célèbre doyen des tisserands. Simon Parys, arrêté à Tournay, en 1557, par l'ordre de Philippe de Valois, était premier éche- vin dela keure de Gand, quand les députés de la Flandre, du Brabant et du Hainaut renouvelèrent solennellement, à Ath, au mois d'octobre 1346, leur serment de rester fidèles au traité de 1559; et ce fut lui qui organisa cette dit à ce sujet, dans le MS. de Valenciennes : « Le conte se conseilla à ses plus » privés... si lui conseillièrent de les laisser convenir, et ils le tueroient secre- » tement ou autrement (119).» Dans le MS. d'Amiens, c’est au roi de France qu'il attribue ce conseil. « Quant le roy de France entendit les nouvelles de » lui, se li despleurent durement, car il suposa assez que se li Flamencq » estoient contraire et ennemis à lui et à son royaume, trop leur poroit grever » et mettre le roy d’Engleterre en son royaume par leur pais, et demanda au » comte de Flandres que nullement il ne laiast régner, ne vivre ce Jacquemon » Dartevelle, car il estoit trop à son préjudisse et que par lui, se il duroit » longement, il perderoit se terre (174). » (1) Froissart n’a-t-il pas confondu le voyage de Guillaume de Vaernewyck avec celui qu'il attribue à Jacques d’Artevelde dans ces mêmes villes de Bruges et d'Ypres? D’après les comptes de Ja ville de Gand, Artevelde retourna di- rectement de l'Écluse à Gand. ( 299 ) expédition des milices gantoises dirigée vers Cassel qui permit à Édouard III de s'emparer de Calais. Quant à Gérard Denys, Artevelde l’avait soutenu dans le combat que les foulons livrèrent aux tisserands, et, loin de favo- riser le comte de Flandre, il devait mourir sur la place publique, frappé par les hommes d'armes de Louis de Male au moment où les tisserands réunis autour de lui répé- taient leur ancien cri : « la commune et le roi d’Angle- terre (1)! » On sait d’ailleurs que, selon l’usage suivi pour les crimes privés, les coupables payèrent le prix de l’homicide : une lampe expiatoire s’alluma sur le tombeau de la victime, et rien ne donne une plus haute idée du respect conservé à sa mémoire que de voir Édouard III placer en quelque sorte parmi les conditions de la paix de Bretigny, le rappel des descendants « du sage bourgeois de Gand (2). » Deux siècles s’écouleront avant que les cendres de Jacques d’Artevelde subissent un dernier outrage; mais n'oublions pas que les mains impies qui, au XVI”* siècle, les jetèrent au vent, venaient de profaner les temples de Dieu et de saccager les palais des princes : elles confon- daient dans la même haine et dans la même dévastation (1) Memorieboek der stad Ghent, 1, p. 66. Gérard Denys, chargé après la mort d’Artevelde, du beleet van der stede, maintint la confiscation des biens de Jean de Steenbeke. (Comptes de la ville de Gand, 1545-1546.) Si Gérard Denys s'était associé à l'attentat du 24 juillet, il n’eût pas conservé ses fonctions en 1346 et en 1547, époque où l’alliance de nos communes avec Édouard III était dans toute sa force; il n’y eût pas même été main- tenu lors du renouvellement de l’échevinage au mois d’août 1545, puisqu’en ce moment Sohier de Courtray, beau-frère d’Artevelde, commandait les milices gantoises. (2) Documents conservés aux archives de Lille, TOME xxu1, — l'° PART, 21 ( 300 ) tout ce qui leur rappelait la foi et la gloire de nos pères. Ce qui devait survivre à Artevelde, ce qui est encore aujourd'hui hors de toute discussion, €’est la part qu'il a prise à des actes importants, à de mémorables négocia- tions. Le traité du 5 décembre 1339 atteste les tendances de nos diverses provinces, dès le XIV®* siècle, à former une nalion, et il n’est pas de page plus admirable dans toute notre histoire. Qu'il nous soit permis de rappeler que ce traité portait qu'à l’avenir, il n’y aurait plus ni discordes publiques entre les pays confédérés, ni haines privées entre leurs habitants. Pour atteindre ce but, il établissait en même temps un parlement qui se réunirait trois fois cha- que année , à Gand, à Bruxelles et à Alost, et une cour judiciaire ambulatoire qui devait siéger dans le pays du plaignant, mais dans la ville la plus voisine du pays de linculpé, sans qu'il lui fût permis de la quitter avant d’avoir fait droit. On y alléguait, comme base de la con- corde et de l’union, le vœu unanime des populations sou- tenues par le travail des métiers, de garantir la durée de la paix par le respect des lois, et l’on apprécie mieux toute la portée de ces négociations lorsqu'on retrouve, dans celles qui eurent lieu avec Philippe de Valois et Édouard HI, les mêmes efforts pour étendre à toutes les contrées voisines de nos frontières les bienfaits de l’industrie et de la paix. Le gouvernement intérieur de la Flandre ne doit pas moins au génie de Jacques d’Artevelde. Presque tous nos anciens auteurs lui attribuent l'honneur d’avoir fondé ce qu'on appelait les trois membres de Flandre, c'est-à-dire la représentation régulière de nos trois grandes communes. À Gand aussi, c’est à Artevelde qu’on rapporte l’organisa- tion de l'administration municipale formée de trois élé- ( 301 ) ments, les propriétaires, les tisserands et les petits mé- tiers, dont le premier recevait pour chef l’échevin de la keure. Malgré les changements de dynasties, malgré les longs ravages des révolutions et des guerres étrangères, l'œuvre de Jacques d’Artevelde se maintint pendant quatre siècles et demi, c’est-à-dire aussi longtemps qu'il y eut un comté de Flandre. Telle sans doute n’est pas la durée des ré- formes que rêve l'ambition et qu'impose la terreur. Si Artevelde, loin de chercher à troubler par de péril- leuses innovations l’ordre politique tel qu'il était établi dans notre Flandre communale du moyen âge, s’efforça uniquement d'y maintenir un gouvernement sage et libre auquel prendraient part, dans la mesure de leur légitime influence, les nobles aussi bien que les bourgeois, les marchands qui font le commerce avec la hanse aussi bien que les corporations de métiers, le même esprit se retrouve dans ce que nous savons des relations qui existèrent à son époque entre nos communes et celles de France et d’An- gleterre. Dans un document dicté par Jacques d’Artevelde, et publié à Gand, le 8 février 4340, Édouard I expose en ces termes les règles qui présideront à sa conduite, sil prend possession du trône de Charles le Bel : « Nous pen- » sons de faire droit à tous et volons les libertés et privi- » léges detous, et espécialement de sainte Église, défendre » et maintenir; et si volons, ès besoignes du royalme, suivre le bon conseil de pairs, prélats, nobles et autres sages hommes, sans rien soudainement ou volontaire- » ment faire ou commencer (1). » (1) Rymer, 11, 4, p. 67. ( 302 ) Lorsque, deux mois après, les députés de Gand, de Bruges et d’Ypres prennent place, à Westminster, dans une assemblée solennelle convoquée pour confirmer leurs traités d'alliance, quels sont les représentants de l’Angle- terre qui échangent leurs serments avec les leurs? Cesont, d’une part, les évêques et les comtes; d’autre part, les pro- eureurs des bonnes villes, et c’est dans ce même parle- ment qu'il est établi qu'à l'avenir, aucun impôt ne sera levé en Angleterre, si ce n’est par l'autorité réunie du roi, des barons et des communes. A: cette époque, dit Hallam, remonte notre principe constitutionnel que la puissance législative appartient au roi et aux deux chambres du parlement. Ne le retrouve-t-on pas aussi, comme une pro- messe adressée à la France, dans le manifeste du 8 fé- vrier 1540? Déjà, dans le célèbre traité du 3 décembre 1339, nous voyons l'alliance de la Flandre et du Brabant garantie par le serment des princes, des nobles et des communes (1). Ajoutons que Jacques d’Artevelde a trouvé l’industrie de son pays ruinée et qu’il l’a portée à un si haut point, que c'est dans les relations que forma Édouard III avec la Flandre du XIV” siècle qu'il faut chercher l’origine de cetle puissance industrielle dont l'Angleterre est si fière aujourd’hui; ajoutons qu'en même temps il fit succéder à la disette et à la famine une abondance si remarquable, (1) Un historien anglais, M. James, a déjà signalé ce fait en en faisant ressortir toute l'importance : « Les nobles et les députés des communes s'étaient réunis, dit-il, non plus pour discuter leurs droits mutuels, mais pour sacrifier au bien général toutes leurs anciennes rancunes, en formant une grande confédération où le peuple soutiendrait la noblesse, où la no- blesse protégerait le peuple. (Æüst. of the Black Prince, 1, pp. 214, 215). Cf. Froissart, 1, 1, 125. ( 305 ) fondée sur les heureux progrès de l’agriculture, que les navires que l’on voyait naguère porter, à Gand, les blés achetés à grands frais en Picardie ou dans le Hainaut, portaient pour la première fois, en Hainaut et en Picardie, les blés de Flandre; ajoutons qu'en achevant le canal de la Lieve, qui réunissait la Lys et l'Escaut au golfe du Zwyn et à ses ports si célèbres de Damme et de l'Écluse (1), il étendit à toute la Flandre les richesses qu’ils devaient à leur commerce avec les nations étrangères. Ajoutons en- core qu'il établit une monnaie de bon aloï, ce qui nes’était pas vu depuis le règne de Philippe le Bel, et si nous nous souvenons que tout ceci se fit malgré mille obstacles en moins de huit années, nous reconnaitrons, sans vouloir affirmer qu’Artevelde ne commit jamais de fautes, que celles qu’on pourrait lui reprocher ne peuvent affaiblir notre ad- miration pour l’homme qui accomplit de si grandes choses et qui les paya de son sang. C’est dans les actes mêmes de Jacques d’Artevelde plutôt que dans les anecdotes douteuses conservées par les chro- niqueurs, que l'historien, s’il veut être impartial, doit chercher les éléments de sa conviction, et en effet c’est par cette étude qu'a commencé ce qu’on appelle à tort sa réha- bilitation. C’est un échevin de Gand, Marc de Vaernewyck, qui écrivait sous Charles-Quint: « Il ne faut pas admirer » seulement dans la ville de Gand ses édifices et ses orne- » ments, il faut louer bien plus son administration et son » gouvernement, où elle n’est pas inférieure à Sparte, » l'honneur de la Grèce. Personne ne contribua plus à » lui en assurer le bienfait que l’intrépide et chevaleresque (1) Memoriebock der stad Ghent, t. 1, p. 48. ( 304 ) » Jacques d’Artevelde (1). » C’est aussi un ancien magis- trat de Gand qui répétait, au commencement de ce siècle : « Le moment n'est-il pas arrivé de cesser de calomnier le » plus grand homme qu’ait produit la Flandre? IL est » incontestable que ce fut sous l'influence des lois de Jac- » ques d’Artevelde que les communes de Gand, de Bruges » et d'Ypres atteignirent leur plus haut degré de pros- » périté (2). » Depuis lors, de nombreux travaux ont été entrepris en Flandre, et loin de songer à faire d’Artevelde un tribun moderne, nous avons cru devoir approfondir les annales de nos communes du moyen âge, persuadé que la pre- mière loi de la vérité historique est de tenir compte, en jugeant les hommes, du siècle où ils ont vécu. En même temps la lumière s’est répandue davantage en France, en Allemagne et en Angleterre. Peut-être lil- lustre auteur des Études historiques, s'il avait pu aborder la révision de son travail, en eût-il dérobé quelques frag- ments à l'influence de ces narrations vives et brillantes de Froissart qu’il renouvelait si heureusement sans les dé- pouiller des grâces du vieux langage. En 1847, je trouvai M. de Chateaubriand plein de la triste image de la mort qui allait éteindre les rêves et les illusions de la plus noble et de la plus féconde imagination. Il était assis seul près de la table d’où avaient déjà disparu ces mille feuillets qu’autrefois il ébauchait, abandonnait, réunissait et dis- persait tour à tour, Il m’y montra un volume où plus de deux cents pages étaient remplies du nom de Jacques d’Artevelde, et me dit : « Vous avez consacré vos études (1) Æistorie van Pelgis, IV, 57. (2) Dieriex, premier mémoire sur la ville de Gand. | ( 305 ) » à un beau et noble pays que j'ai traversé deux fois, tou- » jours exilé. J'ai rendu témoignage à sa gloire en parlant » du séjour qu'y firent les Francs (1)... J'ai peut-être été » injuste envers Artevelde. » Comment apprécie-t-on aujourd’hui dans le pays où Artevelde a été le plus souvent l'objet d'attaques de tout genre l'influence qu’il exerça au XIV”* siècle , influence, il faut l'avouer, funeste à la France, puisqu'elle lui légua une longue guerre dont le deuil dure encore? Les historiens français n’ignorent plus qu'Artevelde fut entraîné malgré lui à poser sur le front d'Édouard III la couronne de saint Louis et que le premier vœu de sa politique était de voir la paix affermie, non-seulement en Flandre mais aussi en France et en Angleterre (2). Enfin, en ce qui tou- che à la personne même d’Artevelde, on a cessé d’insulter le marchand de bière, et dans un travail récent, un savant critique reconnaît en lui : « À la place du démagogue » usurpateur d’un pouvoir qu'il maintient par la terreur, » un honnête homme investi d’une autorité sans limites, » parce qu'elle est toute morale, et auquel l’obéissance >» qu'on porte à ses commandements, ne donne jamais l'envie de sortir de sa condition, A l'issue des congrès où des souverains l'ont appelé leur ami et leur compère, au retour de ses visites dans les grandes communes où sa présence a attiré les hommes par cent mille sur son Y V% v (1) Le passage des Études historiques auquel M. de Chateaubriand faisait allusion était celui-ci : « C’est dans ce pays resserré, ancien berceau des » Franks, que s’est conservé jusqu’à nos jours ce feu d'indépendance et de »* courage qui animait les compagnons de Khlovigh. » (2) C’est Édouard III lui-même qui rend cet hommage aux communes fla- mandes dans une lettre qu’il leur adresse : Finis placidus quem optatis. Rymer, I], 4, p. 104. (306) passage , il est heureux de retrouver sous le toit de sa maison de Gand les devoirs de la magistrature et les plaisirs de la famille. Loin de chercher à se soustraire aux lois, il donne l’exemple du respect qui leur est dû en se rendant docilement en prison un jour que les éche- vins ont jugé nécessaire, pour la paix publique, qu’il y aille après une querelle qui a dégénéré en émeute. Ce grand homme avait enseigné à son pays la voie qu'il devait tenir et prouvé qu’il était possible aux communes de vivre confédérées dans la paix (4). » Nous est-il permis de porter un autre jugement sur Artevelde? Ne nous laissons entrainer ni par les vieilles haines de ses ennemis, ni par le récent enthousiasme de ses faux admirateurs. Ne le jugeons pas, soit par erreur, soit par passion, comme nous jugerions un homme de notre temps. Pour être juste, il ne faut voir en lui que l'illustre représentant d’une contrée riche et florissante qui ne séparait pas le maintien de la paix du développe- ment de son industrie et qui considérait comme synonymes ces mots inscrits dans le vieux droit communal : nos lois et nos libertés. Quand Artevelde proclama la neutralité de la Flandre au milieu des guerres voisines et la fortifia en faisant entrer dans son alliance le Brabant et le Hainaut, unis par les mêmes intérêts, gouvernés par les mêmes institutions, ayant désormais monnaie commune; quand il assura aux vaisseaux sortis de nos ports la liberté du commerce sur les mers sillonnées par des flottes enne- mies, il éleva sa patrie si haut qu’elle devint en quelque sorte l'arbitre des deux plus grandes monarchies de l’Eu- NPOUr. N VWRRINT Ee (1) M. Quicherat, Athenacum français du 25 septembre 1854. (307) rope. Cela suffit à sa gloire : les révolutions, autant que la guerre, eussent compromis le but qu'il se proposait, et on sait qu'il l’atteignit en donnant à l'industrie flamande une extension qu’elle n’avait jamais connue, Soyons toujours fidèles à la vérité; mais sachons aussi revendiquer le legs sacré que nos pères nous ont transmis au prix de tant d’efforts et de tant de sacrifices , et n'ou- blions jamais que si les brillantes traditions de notre passé vivent encore chez les nations étrangères, c’est surtout à nous qu'il appartient de les conserver avec soin comme la base sur laquelle reposent pour notre jeune nationalité les espérances de l’avenir. Réponse de M. le baron de Gerlache aux observations de MM. Kervyn de Lettenhove et de Saint-Genois sur JAcQuEs D'ARTEVELDE. M. le baron de Saint-Genois a bien voulu me commu- niquer son mémoire en réponse (1) à mon esquisse sur Artevelde (2). M. Kervyn a pris également devant vous la défense du grand tribun. J’essayerai de répliquer quelques mots à l’un et à l’autre, en appuyant de nouvelles preuves l'opinion que j'ai émise. Dans l'espoir d'éviter, s’il est pos- sible, une double discussion, j'ai relu avec beaucoup d’at- tention le livre X["° de l'Histoire de Flandre de M. Kervyn, dont une grande partie est consacrée à l’époque de Jacques (1) Cette réponse à paru depuis dans les journaux. (2) Lue à la séance de l’Académie du 4 février dernier. ( 308 ) d’Artevelde; j'ai tàché de deviner, d'après cette histoire, les principales objections que M. Kervyn pourrait m’op- poser dans sa réplique. Cependant, s'il m'était échappé quelque chose d’essentiel, je demanderais la permission d'y revenir. J'attache, je l'avoue, assez peu d'intérêt à certains dé- tails de la vie d’Artevelde sur lesquels on a longuement disserté, par exemple, sil a élé marchand de draps ou marchand de bière? ou seulement attaché à l’une ou à l’autre corporation de métiers? s'il avait une grande ou une médiocre fortune? s’il était de haute ou de moyenne noblesse? s’il a épousé une brasseuse de bière ou d’hydro- mel, en premières noces (comme le disent les uns) ou si, comme le disent les autres, il n’a eu qu’une seule femme, appelée Catherine de Courtray? Selon moi, tout cela n’im- porte guère. Ni M. de Chateaubriand, ni M. d’Arlincourt n’ont parlé assez sérieusement d’Artevelde, qu'ils ne se sont point donné la peine d'étudier, pour que nous nous inquiétions beaucoup de leur répondre. Ce qui me paraît capital , c’est de « savoir comment il est monté au pou- » voir? comment il en est descendu? quel a été son sys- » tème de gouvernement, et ce qui en est résulté d’heu- » reux. ou de funeste pour son pays? » Je concentre toute la discussion sur ces trois chefs, et j'ose dire que si l’on avait voulu s’y renfermer la question serait beaucoup plus près d’être résolue qu’elle ne le semble en ce moment, Mais avant de commencer, il est un point préliminaire sur lequel il faudrait bien s'entendre : « quelle est la valeur » historique du témoignage de Froissart, que mes hono- » rables contradicteurs acceptent quand il leur est favo- » rable, et qu'ils repoussent quand il leur est contraire? » S'ils prennent ouvertement Froissart à partie, s'ils ne ( 309 ) voient en lui qu'un ennemi déclaré ou un détracteur d’Ar- tevelde, il ne leur est pas permis de diviser son témoi- gnage; ils doivent le rejeter pour le tout et refaire à peu près à nouveau toute l’histoire d’Artevelde. Jamais un avocat ne manque de récriminer contre le témoin qui charge son client; écoutez-le : c’est toujours un homme ignorant ou prévenu ou corrompu. C’est le sys- tème invariablement adopté par M. Voisin, et, il faut bien le dire, par la plupart des apologistes d’Artevelde. Ainsi, M. Voisin parle-t-1l de-Li Muisis (1}, l’un de ces hommes rares qui, à une époque de guerres et de troubles civils, se vouaient à l'étude des lettres, parfaitement à même de savoir ce qui se passait dans une ville aussi voisine ? il répond simplement que « cet écrivain, absorbé dans la » vie studieuse de son monastère, ne connaissait guère la » Flandre, ni les institutions démocratiques qui la régis- » saient à cette époque. » M. Voisin parle-t-il de Frois- sart? Il ne doute pas que les manuscrits publiés jusqu'a nos jours n'aient été fautifs et interpolés, attendu qu’on a re- trouvé deux rédactions différentes d'une partie du premier livre des chroniques. Jean de Klerk, d'Anvers, n’est guère plus favorable que Froissart à Artevelde, Mais M. Voisin observe que « Jean de Klerk est Brabançon, et beaucoup » plus disposé à chanter les exploits des princes qu’à célé- » brer le courage et le patriotisme des Flamands. » — Le célèbre historien Ph. d'Oudegherst est aussi de ceux qui ont fort maltraité Jacques d’Artevelde : M. Voisin ré- pond que « d'Oudegherst recherchait les faveurs de Phi- » lippe IF, etc. » (1) Né en 1272 et mort en 1553. (310) Sauf quelques faits généraux empruntés aux historiens de l’époque, c’est à Froissart que nous devons à peu près tout ce que nous savons sur Artevelde. On se sert de lui, même pour le combattre. Or, on ne renverse pas des faits attestés par un contemporain (1) à l’aide de simples pré- somptions ou de simples raisonnements ; cela est contraire à toutes les règles de la critique historique. Une chose bien étrange, c’est que ce même Froissart, récusé par les écrivains flamands, comme suspect et comme hostile aux communes de Flandre, est regardé par les Français comme tout dévoué à Édouard et, par conséquent , au parti d’Ar- tevelde, l’allié du roi d'Angleterre. « Froissart, dit M. de » Sismondi (2), né à Valenciennes, attaché à la maison de » Hainaut et à la reine d'Angleterre, femme d'Édouard IE, » était par ses affections plus anglais que français. » Que faut-il conclure de ceci? qu’un historien qui se trouve exposé aux reproches des deux parties contraires, a dû être impartial entre tous. Peut-on penser que Froissart, attaché à la reine d'Angleterre ou à Édouard, quoique peu favorable peut-être par ses habitudes et ses goûts chevale- resques au régime populaire, se soit appliqué à diffamer et à noircir l'homme qu'Édouard aimait tant et qu'il appe- lait son ami et son compére ? Froissart est au fond, quoi qu’on en puisse dire, un écri- vain véridique et fidèle. Mais il y a deux sortes de fidélités historiques : l’une qui s’'inquiéte surtout des détails; qui ne laisse échapper ni un fait, ni un nom, ni une date sans les mentionner, ni un acte, ni un traité sans les analyser \ (1) Froissart, né en 1537, commença ses Chroniques vers 1357, 11 ans après la mort d’Artevelde. (2) Histoire des Français, 1. X. (511) ou les copier : c'est la manière des érudits; c’est par là que brillent en général nos écrivains modernes, hommes de labeur plutôt que de génie. Celle-ci, vous ne la trouvez point dans notre chroniqueur. Mais il en est une autre plus précieuse et plus rare; c’est celle qui s’étudie à rendre la physionomie d’une époque, qui est tout empreinte de la couleur locale; c’est celle-là qui rend la lecture de Frois- sart si attachante. « Son livre, dit M. de Barante (1), est un témoignage vivant du temps où il a vécu; aucun art ne s’y fait voir; la candeur des sentiments y égale la naïveté de l'expression; on y retrouve la couleur et le charme des romans de chevalerie. et en même temps le désordre, la cruauté, la rudesse de mœurs de ces temps barbares; les guerres sans cesse renouvelées et renais- santes. Tout est vrai dans les discours; et dans cet amas de calamités, l’historien qui en fait le tableau fidèle ne donne jamais l’idée de la corruption et de la bassesse. » « On a soupçonné Froissart, dit M. Villemain (2) d’avoir fait des variantes dans ses récits. On a dit que chan- geant de maitre, allant d’une cour à l’autre, il altérait parfois les manuscrits de son histoire selon les lieux et les temps... Le reproche nous paraît peu fondé...; la chronique de Froissart, dans l'état où elle nous a été rendue par un habile éditeur, offre une assez grande impartialité. Il y a sans doute peu d'indignation pour les pillages et les cruautés des Anglais; mais ce n’est point par une traîtresse complaisance pour le plus fort, ce n'est point par une lâche désertion du vaineu : c’est qu'un certain sens moral, une certaine chaleur d’huma- om (1) Biographie universelle, vo Fnorssanr. (2) Cours de littérature française, LITTÉRATURE DU MOYEN AGE. Var (312) » nité manquait à l'historien comme à ses personnages. » Les faits hideux de mensonge et de perfidie, qui nous » révoltent, excitaient alors assez peu d’étonnement; et » l'historien serait infidèle à son temps s’il avait marqué » pour son compte plus d'émotion et de colère... Mainte- > nant ce livre, que nous paraît-il? une histoire presque » universelle des États de l’Europe depuis 1322 jusqu’à » la fin du XIV”* siècle. » M. Buchon (1) observe qu’il y a eu deux rédactions des chroniques, ou du moins de certaines parties des chroni- ques, comme il s’en est assuré, dit-il, en parcourant un manuserit existant à la Bibliothèque de Valenciennes, qui lui était inconnu lors de son premier travail sur Froissart. On a prétendu tirer grand avantage de cette découverte; mais en réalité, quoiqu'il y ait des variantes et des diffé- rences notables entre les deux versions, quant à la forme, au fond, les faits sont exactement les mêmes; de sorte que cette première rédaction vient pleinement confirmer la seconde. Voici comment s'explique à cet égard M. Buchon : « Froissart ne montre aucune amertume dans ce premier » essai historique, où se trouvent retracés tous les événe- » ments relatifs à Jacques d'Artevelde et au triomphe des » villes marchandes sur leur comte. Il expose tous les » faits avec simplicité et modération, sans prendre parti » pour personne, sans réflexion acerbe; et parfois même » on voit que son patriotisme flamand s’éveille et qu'il est » assez porté, lui, homme de commune, à sympathiser » avec la gloire des communes. Il n’en est pas ainsi dans » sa révision, une autre pensée le dominait : la crainte (1) Chroniques de sire Jean Froëssart, t. III, pag. 410 et suiv. Paris, 1855. Le » ÿ % LA y ( 315 ) de voir la grossière insolence des communes triompher de l’élégant orgueil des chevaliers; et, sans dénaturer les faits, ses réflexions inclinent toujours vers le parti contraire; car Froissart n’est pas un de ces chroni- queurs de la vieille école qui enregistrent sèchement un fait, etc. » Peu nous importent les réflexions de Froissart, qui, en général, n’en fait guère. C'est aux faits que nous nous attachons. Or, prenons le passage le plus important pour la biographie d’Artevelde, celui qui est relatif au régime de terreur qu'il établit dans la Flandre, et comparons la rédaction primitive de Froissart avec la seconde, avec celle qu’il a définitivement adoptée et dont nous avons transcrit un long fragment dans notre essai. Nous prions le lecteur de vouloir bien les confronter. « Par ainsi, dit-il, estoit » » » > Lu Artevelle bien amés du roy (Édouard), et en Flandres crémus et doubtés; car depuis que le conte fut partis, il régna comme sire, et tenoit grand estat et puissant. Si avoit planté de sodoiers pour son corps garder; et aussi avoit-il par toutes les bonnes villes sergans à ses gaiges qui faisoient ses commandemens; et faisoit espier s’il y avoit nulluy qui fut rebelles ne contraire à luy, ne qui murmuroissent contre ses fais. Et si tost qu’il y en avoit aucuns, ils estoient bany ou tué, et espécialement che- valiers, écuiers, puissans bourgeois et toutte puissant gens, puisqu'ils avoient point ne pou d'amour au conte et non à luy. Et y en eut moult de bannis dont il leva la moitié des revenues, et l’autre moitié demouroit à leurs femmes et à leurs enfants. Il faisoit lever les rentes , les tonlieux, les wingnaiges, les droitures et toutes revenues que le conte devoit avoir et que à lui appartenoit, quel part que ce fust. Si les despendoit à (314 ) » sa voulenté; et donnoit où il lui plaisoit, sans compte » rendre à nulluy. On ne treuve que nuls prinches ait » pays si à sa voulenté que celui l’eut, le terme de neuf » ans. Et quant argent lui faloit, on l’en créoit; et croire » Jen convenoit, car nuls n'osoit dire à l'encontre. Et » quant il en demandoit à emprunter à aucun puissant » bourgois sur ses paiemens, il n’estoit si grant qui refu- » ser lui osast, si fort estoit-il fortuné pour ce temps. » Il n'était point nécessaire, ce me semble, d’aller chercher si loin la raison des différences que l’on remarque entre la première et la seconde version de Froissart , ei la politique n’a rien à voir ici. Quoi qu’en dise M. Buchon, sa seconde rédaction ne se distingue de la première qu’en ce qu’elle est plus soignée : Froissart ajoute à celle-ci beaucoup de détails curieux qu’il avait omis dans l’autre ; il y a plus de vie, plus de mouvement, plus de relief. C’est que Frois- sart, qui était un grand écrivain, travaillait son style comme font tous les grands écrivains. On a cité in extenso un premier passage de Froissart, qui explique comment Artevelde fut porté au pouvoir. « En ce tems, dit-il, avoit un bourgeois à Gand, lequel » parloit bien sagement au gré de plusieurs... Si repri- » rent aucuns hommes ses paroles aux autres, et dirent » qu'il étoit un trés-sage homme, et dirent que s’il étoit oys » et creu, il cuideroit en brief tems avoir remis Flandre » en bon estat, et raroient tout leur gaignage sans être » du roy de France, ne du roy d'Engleterre. Ces paroles » multiplièrent tant que li quars ou la moitié de la ville » en fut infourmée, etc. » Ce passage explique tout natu- rellement l’origine de la fortune d’Artevelde, et nos adver- saires l’adoptent; mais ils repoussent cet autre chapitre que nous avons cité, où Froissart raconte par quels moyens (315 ) violents Artevelde parvint à se maintenir en possession de la souveraine puissance. M. Cornelissen, que la plupart d’entre vous ont fort bien connu , homme d'esprit, parfai- tement instruit de l’histoire de son pays, bon patriote, et je crois même quelque peu républicain, disait, en parlant d’Artevelde : « Ce Gantois hardi et entreprenant, et, je » dois bien en convenir, factieux au dernier point, coupa- » ble sans doute envers son prince, mais à qui l’histoire » eût dû pardonner quelques attentats, etc. » Je n’en dis guère plus dans tout mon travail que M. Cornelissen, dans ce peu de mots, quoique J'en aie tiré des conséquences beaucoup plus rigoureuses. À la vérité, M. Cornelissen traite de contes bleus ce qu’aflirme Froissart des satellites qui accompagnaient partout le nouveau dictateur pour pro- téger sa personne et faire exécuter ses ordres. Mais pour attaquer le témoignage de Froissart, on en est réduit à de simples conjectures; et je soutiens qu'elles militent en sa faveur. Tous ceux qui ont usurpé le pouvoir par la grâce du peuple, depuis l’Athénien Pisistrate jusqu'au Liégeois Raes de Heers, ont commencé par s’entourer d’une garde, sous le prétexte de se défendre contre leurs ennemis, qu'ils appelaient les ennemis de l’État. C’est une des nécessités de leur position. On doit se faire craindre de ceux que l’on craint. On à fait honneur à Artevelde d’une idée patriotique et grandiose, qui en quelque sorte présageait, dit-on, l'avenir de la Belgique : d’un projet d'union entre nos provin- ces. On trouve dans l’histoire de M. Kervyn de curieux détails (1) sur le traité passé le 3 décembre 1559, entre (1) Tome III, page 230. TOME xx11. — Ï"° PART. 19 iS (316 ) les députés de la Flandre et ceux du Brabant, auquel accédèrent les grandes villes du Hainaut. Cet acte, qui a d’abord pour but la défense réciproque des provinces me- nacées par la France, et en outre d'assurer le libre com- merce entre elles, se termine par cette clause remarquable : « Les députés des bonnes villes de ces provinces, se réu- » niront,en parlement, trois fois par année. » C'était une phase nouvelle de la politique d’Artevelde, mais grosse de dangers (1). En effet, à l'origine, de quoi s’agissait-il pour la Flandre? De rester neutre entre la France et l’Angle- terre, de vendre ses draps à l’une et à l’autre, en évitant les chances de la lutte, sans prendre parti pour personne. Mais cette confédération tant vantée, qui n'était au fond qu'une machine de guerre contre la France, était la rup- (1) Voici comment parle de cette confédération un auteur parfaitement informé qui écrivait pendant la première moitié du XV": siècle : Zoc anno-. (1359) supradicto rege Anglie, imperii vicario in Antwerpia residente, insurreæit communitas omnium oppidorum Flandrie contra Ludovi- cum comitem Flandrie, ipsorum dominum naturalem, qui metu mortis se transtulit versus regem Francie. Quare de communi consensu et con- cordia omnium communitatum Flandrie, QUIDAM BURGENSIS GANDAVENSIS , NOMINE JACOBUS DE ARTENVELDE, fuit per ipsos electus et constitutus cari- TANEUS GENERALIS {otius Flandrie comitatus : qui, SUA INDUSTRIA ET NEQUI- CIA, TANTUN FECIT ET PROCURAVIT, quod Eduwardus, rex Anglie, imperii vicarius, Joannes dux PBrabancie, cum tota sua terra Brabancie , dictus Jacobus de Artenvelde, capitaneus generalis, cum tota communitate et terra Flandrie, mutuo fedus pepigerint. Ad hujus modi confederationem roborandam ac literis et sigillis confirmandam prediclus rex et vicarèius una cum regina se transtulit de Antwerpia versus Gandavum, ubi fuit cum ea qua decuit reverenti& RECEPTUS ET INTRONISATUS TANQUAM REX FRANCIE ET DOMINUS IPSORUM DIRECTUS ET SUPREMUS, facientes ipse fidelitatis et obediencie et subjectionis debita juramenta, quemadmodum regibus Francie hactenus facere consueverant. (Dynteri Chronicon, lib. V, cap. 151.) ( 317 ) ture ouverte de la trêve et lançait la Flandre dans des complications redoutables. Artevelde espérait, dit-on, affranchir sa patrie de la suzeraineté de la France! Mais celle de l'Angleterre eût-elle mieux valu? Et comment une fusion, ou même une simple confédération, eût-elle été possible dans l’état de la Belgique à cette époque, où les provinces étaient régies par des princes différents; où la commune élait tout; où la discorde et les luttes sanglantes régnaient souvent entre les communes et entre les diverses corporations d’une même cité? Je viens maintenant à la catastrophe qui termina l’ora- geuse carrière d'Artevelde, et je dis que la version de Froissart est la seule vraisemblable et la seule vraie, Non, ce n'est pas un crime privé! On ne vient pas assaillir une maison forte, défendue par un homme courageux, soutenu par des gens dévoués, pour commettre un assassinat ; on le frappe à l'écart. On affirme qu'il n’y eut qu'environ dix personnes de tuées (1). Je réponds que le chiffre de dix victimes et leur résistance désespérée prouvent que leurs adversaires étaient nombreux. Si ce n’était qu'un assassi- nat, si Artevelde était toujours le favori du peuple, com- ment le peuple reste-t-il calme à la vue de son sang et de ses membres palpitants? comment ne se lève:t-il pas dans sa fureur pour traiter ses lâches ennemis comme ils venaient de traiter l’homme qu'il aime, auquel il obéit aveuglément depuis sept années? L'hypothèse d'une com- position judiciaire, dans de telles circonstances, est tout ce qu'il y a de plus inadmissible au monde! Oh! ce n’est (1) C'est le minimum de M. Voisin, qui soutient aussi l'hypothèse d'un crime privé. Mais d’autres portent le nombre jusqu'à soixante et dix; d’autres plus haut Lis, MN ACYS Je Lt (318) pas ainsi que les choses se passaient partout où le peuple était maître, ni à Gand, ni ailleurs; j'en atteste l’histoire! Voyez à Liége comment fut vengé le meurtre de Laruelle! Artevelde subit la destinée de tous les grands démagogues, et cette destinée était inévitable; l’histoire est là pour l’attester. Au surplus nous en avons un témoignage décisif, irrécusable, c'est celui de Li Muisis, abbé de Saint-Martin de Tournai, auteur contemporain, et de la plus religieuse impartialité. Voici comment il raconte la mort d’Arte- velde : « Eodem anno.… fuit Jacobus de Artelde… in domo » sua occisus a communilate Gandensi… et erat semper » vallatus viris armatis, viginti quinque vel triginta… et » multa male evenerunt per eum vel propter eum. » Vous trouvez ici en substance tout ce que dit Froissart; tout les points essentiels de son récit sont confirmés dans ces trois lignes. L’honorable auteur de l’histoire de Flandre dit en ter- minant : « C’est à l'époque de Jacques d’Artevelde qu'ap- » partient la fondation du régime constitutionnel tel qu'il » existe encore aujourd’hui en Angleterre, avec la triple » direction du gouvernement par le roi, par les pairs et » les communes (1). » L'historien veut, je crois, laisser entendre par là qu’Artevelde eût désiré établir pour son pays un gouvernement semblable, s’il en eût conservé plus longtemps la direction. Mais comment supposer de pareils projets à l’homme qui avait commencé par écraser la noblesse en Flandre, et par en expulser le prince pour lui substituer un étranger ? Ce changement de dynastie, proposé ou accepté par (1) T. IL, liv. 2, p. 298. 1 (319) Artevelde, était un fait grave, et, ne craignons pas de le dire, un fait coupable, même politiquement parlant. Ce n’est pas la guerre entre la commune de Gand et de son prince que nous blàämons ici : ce recours aux armes, cette insurrection du vassal contre le prince ou le suzerain, était chose fort ordinaire au moyen âge: c'était en quelque sorte le droit commun de la féodalité. Comme je crois l'avoir démontré ailleurs (1), la commune, sortie de la féodalité, s'était constituée exactement d’après les mêmes principes. Or, qu'arrivait-il dans le cours ordinaire des événements ? après la guerre, on faisait la paix; on redres- sait les griefs, tant bien que mal; puis tout rentrait dans l’ordre accoutumé, c’est-à-dire dans son ancienne posi- tion. C’est ainsi, par exemple , que les choses se passaient à Liége dans les querelles fréquentes de la commune avec le prince. Mais il n’en était plus de même quand on expul- sait violemment le chef de l’État pour appeler un étranger à prendre sa place. Alors il y avait guerre sans fin, et sans miséricorde, guerre jusqu’à extinction. Évidemment alors aussi la commune dépassait toutes les bornes de son droit. C’est ici qu'Artevelde ne paraît plus qu'un factieux, il est impossible de le nier. Et en fait, nous voyons un grand nombre de bons citoyens qui ne s'étaient guère émus de la lutte engagée d’abord entre le comte et les villes de Flandre, mais qui entendant parler de sa déchéance, la considérant comme une violation de leur serment, comme le renversement de la vieille constitution du pays et comme un danger immense pour l'avenir, se retour- nèrent vers Louis de Crécy qui représentait à leurs yeux (1) De la Féodalité, de la Chevalerie et de la Commune en Belgique. ( 320 le principe de justice, d'ordre et de stabilité, sans lequel il n'ya ni paix, n1 prospérité durable pour une nation. « L'on conteste le récit de Froissart et de Villani, qui placent à l'Écluse cette célèbre conférence où Jacques d'Artevelde, en voulant élever le prince de Galles au » comté de Flandre, se sépara de ses amis et prépara » la révolution qui devait le perdre. » Mais une simple dénégation sufit-elle pour infirmer des témoignages aussi positifs? Eh quoi! parce qu’il n’est pas question d’un fait affirmé par des auteurs dignes de foi, ni dans certaine lettre d'Édouard, ni dans les comptes des bonnes villes de Flandre que vous avez consultés, vous en concluez que Froissart et Villani l'ont inventé (1)! Cette espèce d’argument négatif ne prouve absolument rien. Dans la position extrême où Artevelde se trouvait acculé, je dis qu'il lui était im- possible de ne pas faire ce dernier pas. Après avoir fait proclamer Édouard roi de France, après avoir remplacé le haut suzerain de la Flandre par un nouveau, comment ne pas tenter de remplacer, comme comte de Flandre, ce Louis de Crécy qui se tenait attaché à Phihippe-Auguste et qui refusait obstinément de reconnaître Édouard? Nous appelons particulièrement l'attention du lecteur sur ce fait énorme de la translation de la couronne de Flandre sur la tête d’un étranger, parce qu'il est décisif contre Artevelde, que l’on nous représente comme un citoyen 2 LA (1) Et Li Muisis! « Voilà donc trois témoignages contemporains , à une époque où l’on écrivait si peu. Ænno 1345, dit celui-ci, venit reæ Angliae, mense junio , ante Sclusam et petiit a Flandrensibus , quod ipsi recipe- rent filèum suum comitem Flandriae ; consilio habito , noluerunt consen- tire. Sed Jacobus de Artevelde volebat quod fieret voluntas regis, quia ipse erat cum dicto rege; et uæor sua cum suo thesauro erat in Anglia; et reversus est dictus Jacobus in villa Gandense. ( 321 ) vertueux, dévoué à son pays, calomnié par toutes les gé- nérations d'écrivains qui se sont succédé depuis Li Muisis et Froissart jusqu'à MM. Cornelissen et Voisin inclusive- ment. Votre Artevelde, je ne crains pas de le dire, est un être factice, de pure convention, impossible au milieu d’un peuple en révolution. Un tel homme, placé à la tête d’une grande commune, au XIV”* siècle, à cette époque de luttes continuelles, de barbaries, de violences, de. cruau- tés, mélées parfois, sans doute, d’héroisme et de gran- deur, n'aurait pas duré six mois, et cependant il a duré sept années! Quelle a été l'influence d’Artevelde sur l'esprit et le gouvernement de la Flandre? Il a surexcité dans le peuple le sentiment de sa puissance, ôté tout contre-poids à la démocratie, en développant outre mesure cette force im- pétueuse, souvent aveugle et si difficile à modérer; il a été l’un des agents les plus actifs des troubles et des calamités qui ont si cruellement pesé depuis sur son pays. M. Cornelissen a écrit ces paroles remarquables : « Je » n'ai trouvé nulle part qu'aucun historien ait osé faire, » sans restriction, l'éloge de cet homme extraordinaire (1). » M. Voisin lui-même dit « que l’on ne saurait justifier ses » altentats contre son prince légitime (2). » On l'a osé de- puis. Je reconnais volontiers dans Artevelde un génie ex- traordinaire, grand tant qu’on le voudra, mais grand à la manière des Gracques, loués par les républicains de Rome, non pourtant sans restriction, et que l’histoire nous dé- peint comme des hommes qui, après avoir bien débuté en (1) Voy. le livre de M. Voisin sur Artevelde. (2) Ibid. ( 322 ) défendant les droits du peuple, avaient failli renverser la constitution de leur pays (1). Je résume ces réflexions déjà bien longues. Je ne sau- rais voir dans Artevelde qu'un terrible dictateur populaire. Je n’aime point la tyrannie, sous quelque forme qu’elle se présente; que ce soit un tribun qui l’exerce, ou bien un despote, je crois devoir la flétrir également. Je ne sais même si elle n’est pas plus redoutable, lorsqu'elle a der- rière elle une multitude effrénée. Et ce n’est pas seule- (1) M. de Sismondi, toujours favorable au parti républicain ou démocra- tique, surtout quand il y a des rois, des princes ou des papes en jeu, est, je crois, le premier des historiens de la France qui ait fait l'apologie d’Arte- velde; et il l’a présentée avec beaucoup d’habileté. M. de Sismondi, quoique systématique et très-partial, est parfois, utile à consulter, parce qu'il mêle à l'erreur une certaine dose de vérité, et qu’il ne ménage aucun préjugé natio- nal. Les écrivains flamands ont adopté avec empressement ses opinions sur la politique d’Artevelde; mais ils se sont bien gardés de le suivre jusqu’au bout. Ils auraient été pourtant plus près de la vérité. Nous croyons devoir mettre ici quelques passages de cet écrivain sous les yeux du lecteur. « C’est par l'adresse d’Artevelde, dit-il, que fut négocié un traité (a) entre le duché de Brabant et le comté de Flandre, ou plutôt entre les villes libres et industrieuses de ces deux États; elles se réunissaient pour la défense de leurs libertés com- munes, elc. Édouard rendait à Artevelde les plus grands honneurs; il l’admettait à sa confiance la plus intime, et ce grand citoyen se montrait en effet supérieur aux nobles et aux rois avec lesquels il était appelé à traiter. Autant il avait déployé d’éloquence populaire pour soulever le peuple, de fermeté pour le contenir, autant dans les conseils des rois il montrait d’étendue dans ses vues politiques, et aux armées de valeur et de talent militaire. Il ne s’élait point pressé de rompre avec Philippe ou avec le comte de Flandre. Comme l’un et l'autre avaient annoncé le désir de négocier et de faire des concessions, il avait cherché si, sans tirer l'épée, il ne pourrait pas faire recouvrer à sa patrie tous ses droits... Mais le comte n'ayant point voulu séparer ses intérêts de ceux de Philippe, Édouard signa, le 24 janvier 1540, à Gand, un traité avec {a) À Gand, le 3 décembre 1339. Lie a+, | ( 325 ) ment l’histoire qui nous apprend cela; nous avons vu d'assez près l’un et l'autre régime... Note additionnelle à ma réponse à M. Kervyn. Mon honorable confrère, M. Kervyn, ayant eu la bonté de m'adresser une épreuve du mémoire dont il a donné les seuls magistrats des villes de Flandre, par lequel, comme roi de France, il reconnaissait tous leurs droits; il abolissait les engagements qu’ils avaient pris envers Philippe le Bel, sous la sanction de l’Église; il leur promettait la restitution de Lille, Douai, Avesnes, Béthune, et s'engageait à y ajouter en- core Tournai et Térouane, villes françaises, mais qui, par leur position, leurs mœurs et leurs institutions municipales, semblaient appartenir à la Flandre. » De son côté, Philippe de Valois, avant la fin d'avril, fit encore une tenta- tive pour se réconcilier avec les Flamands. Il leur fit offrir de les affranchir de toutes leurs dettes envers lui, de faire supprimer les censures ecclésias- tiques qu’ils avaient encourues, de leur laisser la jouissance de leur neutralité et de leur commerce, s'ils voulaient seulement se détacher d'Édouard. Ils répondirent que tout ce que Philippe leur offrait leur était déjà accordé par Édouard, et qu’ils n'avaient pas besoin de recevoir les mêmes concessions d’un autre. Alors les évêques de Tournay, de Cambrai et de Térouane pro- noncérent, par l'autorité de Benoît XII, une sentence qui mettait la Flandre sous l’interdit. Les prêtres flamands s’y soumirent; aucun d’eux n’osa plus dire la messe dans les églises, sonner les cloches, bénir les noces, etc. » u .… C'était par le Nord qu'Édouard comptait faire sa principale attaque contre la France ; aussi s'étant embarqué, le 3 juillet 1545, à Sandwich, entra- til dans le port de l’Écluse avec le prince de Galles son fils, et un grand nom- bre de barons et de chevaliers d'Angleterre. Il y fut reçu par Jacob d’Artevelde, ce bourgeois de Gand, qui depuis neuf ans était à la tête du gouvernement de la Flandre, au nom des trois villes alliées de Gand, d'Ypres et de Bruges. Il avait eu le talent de maintenir jusqu'alors l'accord dans les conseils de ces nouvelles républiques, d’administrer leurs finances avec ordre et économie, de leur tracer une ligne politique qui, en garantissant leur indépendance, ne les brouillait pas ouvertement avec leur comte (?), au nom duquel les ( 324 ) lecture à l’Académie , dans sa séance du 3 mars, je me vois obligé d’ajouter ici quelques mots pour relever un petit nombre de nouvelles objections. Au moyen de ces dernières réflexions le grand procès d’Artevelde sera, ce semble, suffi- samment instruit; et c’est désormais au public à en décider. Peu de savants ont rendu autant de servicés que M. Ker- vyn à l’histoire de Flandre, dont il semble avoir entrepris de renouveler le fond à force d’heureuses découvertes. ordres étaient encore donnés, quoiqu'il eût été obligé de se retirer à la cour de France. Mais, au moment de l’arrivée d’Édouard en Flandre, la situa- tion d’Arteyelde commençait à se compliquer : les trois villes qui avaient attiré à elles tout le gouvernement, ne s'étaient pas contentées d'assurer leur liberté, elles avaient prétendu à des priviléges exclusifs; elles avaient voulu concentrer dans leurs murs les manufactures de draps de laines qui faisaient la principale richesse du pays, et elles avaient interdit aux manufactures des petites villes de faire autre chose que des draps étroits, etc. (a). » « Tel était l’état de la Flandre lorsque Édouard III entra dans le port de l'Écluse et y fut reçu par les consuls de Gand, Ypres et Bruges. Il les fit venir sur sa galère, où il eut plusieurs conférences avec eux... Au lieu du comte Louis, il leur offrait pour chef son fils, le jeune prince de Galles, auquel il donnerait le titre de duc de Flandre, Artevelde entra sans balancer dans ce projet ; il sentait que, pour de nouvelles institutions, il faut un nouveau souye- rain. Mais les autres consuls des villes de Flandre qui se trouvaient à l'Écluse. avec Artevelde ne portaient pas leurs vues si loin; ils n’avaient pas hésité à faire la guerre à leur comte; ils s’effrayaient de l’idée de le déposer. Édouard avait été pour eux un protecteur bénévole; mais ils ne savaient point ce qu’il deviendrait quand ül serait leur maître ; d’ailleurs ls étaient jaloux d’ Ar- tevelde; ils trouvaient que ce brasseur de bière s’érigeait en souverain, et ils jugeaient qu'il s’attribuerait auprès d'Édouard tout le mérite de la ré- volution qu’il voulait opérer en sa faveur... » (Le reste comme dans Froissart.) (Sismonpr, Aistoire des Français, t. X, pp. 156 et suiv., édit. de Paris, 1828.) (a) Que dire de cette servitude honteuse que les grandes villes faisaient peser sur les plus faibles! Croirait-on qu'on a voulu donner à cet absurde et odieux abus de la force un vernis de légalité ! ( 325 ) C'est là un rare et courageux exemple dans notre siècle d’études frivoles et de littérature facile. Et pourtant, le dirai-je, cette méthode d'investigation, si favorable au progrès, qu'on ne saurait trop encourager, me paraît avoir aussi ses dangers et ses abus. Elle a des dangers, par “exemple, quand elle va jusqu’à faire table rase de tout ce qui à été écrit à une époque éloignée de plus de cinq siè- cles, par des auteurs contemporains, et jouissant jusqu'ici d'une autorité incontestée. C’est ce qui arrive à M. Kervyn quand il s'attaque à Froissart. Ce Froissart, qui connaissait mieux qu'homme du monde ce qui arrivait en Belgique, en France et en Angleterre; qui passait une partie de sa vie à la cour d'Édouard ; qui voyait de près cette grande lutte élevée entre Édouard et Philippe-Auguste, lutte dans la- quelle les communes de Flandre devaient jouer un rôle principal; qui entretenait des relations avec presque tousles personnages notables de son siècle ; toujours en quête des événements, et dont les chroniques sont en quelque sorte la gazette de son temps, l’on ose lui donner des démentis sur ce qu'il affirme avoir appris de gens dignes de foi! Dans une histoire, outre les faits, il y a deux choses : l'opinion particulière de l’auteur, et l'opinion générale des contemporains sur ces mêmes faits. Or, c’est cette opinion, ce reflet de l’époque, qui est surtout curieux à étudier dans un écrivain ancien qui a connu le monde de son temps : vous ne pouvez même le trouver que là : les vieux actes, que vous opposez à Froissart , ne sauraient nous en donner une idée exacte et complète, parce qu'ils ue présentent jamais qu'un côté des événements. Rien de plus sec qu'un traité, qu’un compte de ville, qu’une lettre officielle. Hs ne vous donnent ni la suite, ni la liaison, ni l'esprit des faits, ni rien de ce quien constitue le mouve- ( 326 ) ment et la génération; ils ne vous en expliquent point les causes. Ils ne méritent pas une foi aveugle, car les actes officiels pensent souvent tout le contraire de ce qu'ils di- sent. Mais un livre comme celui-ci, vous l’auriez con- vaincu d'erreur sur quelques circonstances particulières, qu'il n’en porte pas moins un cachet de vérité originale dans son ensemble. Remarquez que ce raisonnement s’ap- plique avec d'autant plus de justesse à un écrivain qui, de l’aveu de tous , n’altère jamais sciemment les faits. Le sys- tème de mes honorables contradicteurs, qui remet tout en question , qui soumet tout au libre examen , qui méconnait la force et l'autorité des traditions, est un véritable pro- testantisme historique, capable, comme le protestantisme religieux , d'ébranler toutes les vérités reçues sans pouvoir en établir aucune. Je sais que dans l’histoire tout n’est pas également vrai; et sans aller aussi loin que ceux qui soutiennent que ce n’est qu'un mensonge convenu, je crois qu'il y a bien des omissions et d’utiles rectifications à faire. Mais quand on prétend renverser à peu près tous les points fondamentaux sur une époque donnée, non pas avec des preuves complètes , mais avec de simples conjec- tures, je crois que l’on dépasse de beaucoup les bornes de la critique permise. C’est sans doute une noble entreprise que de doter son pays d'un grand citoyen de plus; mais l’érudition seule, avec toutes les ressources de la plus sub- tile dialectique, ne suffit point pour cela. Voilà la réponse que je fais en général aux apologistes d’Artevelde, et que je crois pouvoir justifier en détail, en passant en revue les principales objections contre Li Muisis, Froissart et les autres historiens. « On a prétendu (dit M. Kervyn) qu’Artevelde était en- » touré sans cesse de valets armés, dont Froissart porte ( 327 } le nombre, dans quelques manuscrits de sa chronique, à 80, et dans d’autres, à 140; or, nous savons, par les comptes de Gand, que, des sergents chargés de main- tenir le bon ordre dans cette ville, il y en avait seule- ment 20 attachés à Jacques d’Artevelde, et 20 à Guil- laume de Warnewyck. Qu’aurait pu être, d’ailleurs, un système de terreur exercé par 140 sergents d'armes dans une cité que Froissart lui-même appelle la souveraine ville des Flandres? » Je réponds que, dans la pensée de Froissart, il ne s’agit nullement ici des sergents de ville établis pour la police et la sûreté publique, mais d'hommes attachés à la personne même d’Artevelde. On affirme qu'il lui était impossible avec si peu de monde d'établir un sys- tème de terreur dans une aussi vaste cité! Mais, il faut prendre le récit de Froissart tel qu'il est; il n’y a pas à s’y tromper. Ces sergents, ces soudoyés, ces gardes, formaient un corps de gens affidés, suflisant pour le faire respecter et obéir dans les temps ordinaires. Mais, s’il avait besoin, pour quelque acte important, d'une force plus imposante, un mot, un signe de sa main suffisait, et tous les corps de métiers accouraient se ranger en armes autour lui. Jai cité l'exemple de Raes de Heers, car tous ces gens se ressem- blent. Mais n’avons-nous done pas vu de révolutions? Ne savons-nous pas le prestige qu'un homme, qu’un nom peut exercer sur la multitude? Il est vrai que ce prestige est rarement durable; et c’est ici que j'admire le génie d’Arte- velde. Quant à ses vertus patriotiques et philanthropiques, je ne vois rien jusqu'ici qui m’oblige à y croire. « C’est à tort, dit-on, qu'on lui impute de s'être entouré » de sicaires tirés de la lie du peuple; il trouva beau- » coup d'appui dans la noblesse des villes et des cam- » pagnes. » Froissart ne dit nullement qu’Artevelde s’en- 2 RCE ee OU RE ( 328 ) tourait de sicaires, ni qu'il tuait les gens pour le plaisir de les tuer; il était trop bon politique pour cela : il ne dit pas non plus qu'il fut l'ennemi de tous les nobles. Mais Artevelde poursuivait sans merci les partisans du comte et surtout les Léliaerts; il les proserivait, et il semparait d'une partie de leurs biens : ainsi il se débarrassait de ses ennemis et battait monnaie sans faire crier le peuple. C'est comme cela qu'ont toujours agi les chefs de partis dans toutes les luttes civiles. « On a prétendu (dit M. Kervya) qu’il avait tué Volear de Rode, dans le palais du comte, et sous ses yeux , au mois d'avril 1358; et, d'après les nombreux documents » conservés dans nos archives, je puis affirmer qu’à celte époque le comte ne se trouvait pas à Gand. » Je réponds que l’inexactitude de certaines circonstances du fait ne prouve pas la fausseté du fait lui-même. Le meurtre de Volcar est rapporté par les historiens comme constant; mais ils peuvent s'être trompés, soit sur l’époque, soit sur le lieu. Si lon rapproche ce meurtre de quelques autres, racontés par les historiens, de celui de Pierre Lammens, de la proseription de Jean de Steenbeke, il n’a certes rien d’invraisemblable. « On a dit qu'il avait été rewart, et il ne l'a jamais « été! » Il a été bien plus que rewart; il a été réellement comte, roi, souverain de la Flandre; et plus que tout cela, car il a fait ce qu'aucun souverain n'aurait jamais osé faire. En l’année 1359, agissant au nom des communes et en l'absence du comte, il passe un traité de confédération entre la Flandre et le Brabant; il substitue au roi de France le roi d'Angleterre comme haut suzerain; et ce dernier, dit de Dynter, fuit receplus et intronisatus tan- quam rex Franciae et dominus eorum directus et supremus. Y LA Y Y ri , = stié ( 329 ) « On a accusé Artevelde d’avoir amassé des richesses » considérables, et les comptes de la ville établissent que, » dans la mémorable année de 1539, où il négocia les » plus importants traités que mentionne l'histoire du » moyen âge, la commune de Gand lui donna, pour l’in- » demniser de ses dépenses, une somme de 46 livres 5 sols » 6 deniers! » Li Muisis l’accuse positivement d’avoir en- voyé, en 4345, lorsqu'il sentait que son étoile commençait à pâlir, sa femme avec ses trésors en Angleterre. Froissart dit aussi que le peuple lui imputait d'avoir volé le grand trésor de Flandre. Voilà deux graves témoignages, qui peut-être ne sufiraient pas pour établir la culpabilité d’Ar- tevelde sur une accusation difficile à prouver. Mais reste toujours la question de savoir comment cet homme, qui finit par concentrer dans ses mains toutes les affaires du gouvernement, qui remplaçait le comte, qui tenait un grand état de maison et devait faire de très-grandes dé- penses , pouvait y suflire avec ses propres ressources ? « Le récit de la malheureuse tentative d’Artevelde qui » aurait eu pour but de transférer le comté de Flandre au prince de Galles se retrouve dans Froissart et dans Gille Li Muisis, mais rien ne permet d’y ajouter foi. Les regis- tres de la chancellerie d'Angleterre ne nomment pas le prince de Galles parmi ceux qui accompagaaient le roi. » Nous avons déjà répondu que le silence de ces registres ne prouve nullement que le prince de Galles ne fit point partie du voyage; d’ailleurs le roi pouvait avoir ses motifs pour emmener le prince secrètement. Et l’objection, même prise à la rigueur, est sans portée; car le roi d'Angleterre pouvait très-bien proposer son fils aux députés, comme comte de Flandre, en son absence. » Artevelde ne fut pas renversé par une réaction qu'ap- D v + ( 330 ) » pellent toujours l'oppression et le désordre, comme un » de ces tyrans vulgaires précipités du Capitole aux gé- » monies et d'autant plus méprisés après leur mort qu'ils » ont été plus redoutés pendant leur vie. L’attentat de » quelques savetiers et de quelques corroyeurs, excités » par l'or de Louis de Nevers, auxquels s'étaient joints les » foulons, impatients de venger la mort de leur doyen, » ne fut qu'un crime isolé. » Voici à cet égard la vérité. Artevelde, l'agent de la poli- tique de l'Angleterre contre la France, fut victime d’une réaction. Les regrets, la vive douleur d'Édouard, ses me- naces contre les Gantois, en apprenant la mort violente de son grand ami et de son cher compère, le prouvent ma- nifestement (1)! Nous nous arrêterons ici : nous croyons avoir rencontré les principales objections de notre honorable confrère et y avoir répondu... Il y aurait, ce nous semble, une belle histoire, ou une belle tragédie à faire sur Artevelde; rien n'y manque, car l'homme fut grand et l’époque aussi. Mais, pour faire la tragédie, pour rendre la vie à ce colosse populaire, qui dort depuis cinq siècles dans son tombeau, il faudrait quelque étincelle du génie de Schakespeare; et, comme ce génie est rare, le plus sûr serait, peut-être, de se borner à en faire l’histoire : ce serait toujours un grand drame. Froissart offrirait de précieuses inspirations et d’utiles éléments; mais on pourrait aussi tirer parti des savants travaux qui tiennent l’attention publique éveillée depuis vingt-cinq ans sur cet homme extraordinaire. Je voudrais que l'historien s’élevât au-dessus du point de vue purement belge et flamand, sans cependant les négliger. Je voudrais qu'on nous montràt comment Artevelde, ap- {1) Voir le chap. 249 du liv. 1*" des Chroniques de Froissart. (331 ) pelé d’abord aux affaires par la voix du peuple, se trouve insensiblement entraîné par les circonstances et par la nature même de son caractère à prendre le premier rang dans l’État en dominant son maître, et bientôt en le rem- plaçant. Quelle force, quelle hauteur, quelle souplesse de génie ne devait pas avoir cet homme qui exerçait un tel ascendant et sur ce roi d'Angleterre, dont il flattait les projets ambitieux, et sur ce peuple, dont il servait les in- térêts; sur ce peuple passionné et mobile, auquel il avait rendu l’abondance et la paix, mais toujours inquiet, diffi- cile à conduire : régnant tout à la fois par les lois et par la terreur : terrible, inexorable à ses ennemis, doux et facile à ses amis. Et puis, tout à coup précipité au moment où il croit avoir assuré sa domination sur la Flandre et pouvoir régner en vice-roi, au nom d'Édouard ! Toute cette puissance, tout cet avenir, qui n'étaient échafaudés que sur le souffle populaire, s’évanouissent avec lui. C’est la .ter- rible leçon que l’histoire donne aux ambitieux de tous les temps, qui, comptant sur leur habileté, leur audace, et sur le droit de la force, oublient trop facilement la force du droit, et la justice de Dieu! — La classe procède ensuite à l'élection de trois mem- bres qui se joindront aux trois membres du bureau, pour faire la présentation aux places vacantes parmi les asso- ciés étrangers. MM. Gachard , Roulez et Leclercq sont désignés pour faire les présentations avec MM. le baron de Gerlache, de Ram et Quetelet, Tome xxu11. — F'° PART. 23 (332 ) CLASSE DES BEAUX-ARTS. Séance du 6 mars 1856. M. ALvin, vice-directeur. M. Quereer, secrétaire perpétuel. Sont présents : MM. Braemt, F. Fétis, Hanssens, Leys, Navez, Roelandt, Eug. Simonis, Suys, Joseph Geefs, Érin Corr, Snel, Fraikin, membres. M. Nolet de Brauwere Van Steeland, associé de la classe des lettres, assiste à la séance. CORRESPONDANCE. —MM. De Keyzer, Fétis fils et De Busscher font connaître que des obstacles les empêchent d’assister à la séance du jour. — M. le chevalier A. Laboureur écrit de Rome et re- mercie l'Académie pour sa nomination d’associé étranger dans la section de sculpture. « J'ai été extrêmement sensible, dit-il, à l'honneur que l'Académie royale m'a fait, en m’admettant au nombre de ses membres associés. Ce précieux honneur a réveillé en ( 535 ) moi des sentiments de reconnaissance d'autant plus vifs, qu’ils me viennent de la patrie chérie de mes ancêtres. » — L'Académie royale des beaux-arts d'Anvers fait con- naître qu’elle ouvrira, en 1856, son grand concours de sculpture. « Ce concours, dit-elle, dont le lauréat jouira pendant quatre ans d’une pension de 2,500 francs, com- mencera le mardi 6 mai prochain. » —- M. Braemt fait hommage d’un exemplaire en bronze de la grande médaille qu’il vient d'exécuter et qui a été offerte à M. Charles de Brouckere, bourgmestre de Bruxelles, par le Cercle artistique de la même ville. Remerciments. — M. le Secrétaire perpétuel communique le reçu de M. Lassen, qui a demandé à recevoir en prêt le manuscrit de sa partition symphonique. Ce prêt a eu lieu sur la de- mande du gouvernement auquel M. Lassen avait dû adres- ser sa symphonie en qualité de lauréat du grand concours de composition musicale. CAISSE CENTRALE DES ARTISTES, M. le Directeur fait connaître que, d’après le désir exprimé par M. le Secrétaire perpétuel de l’Académie, un des membres de la classe a été invité à vouloir bien rem- plir les fonctions spéciales de secrétaire de la caisse des arlistes. M. Éd. Fétis a été désigné à cet effet par la classe. YPO PET 20 20 (334 ) COMMUNICATIONS ET LECTURES. M. F. Fétis, accédant à la demande qui lui est faite par M. le vice-directeur, entretient ses confrères des derniers perfectionnements apportés à la facture des instruments à archet, perfectionnements qu'il a été en mesure de con- stater au jury de l'exposition universelle et au sujet des- quels il communique verbalement les considérations sui- vantes : à « Depuis longtemps on croit que les instruments à archet acquièrent leurs qualités essentielles en vieillissant. Un fait, dit-il, devait cependant suffire à détruire ce pré- jugé : c’est qu'il est bon nombre de vieux instruments très-médiocres et qu'il en est d’excellents parmi les nou- veaux. Mais il y a là plus qu’une erreur, il y à un in- convénient grave, celui de faire admettre par certains luthiers , que le bois peut acquérir les qualités nécessaires par la dessiccation artificielle ; il en résulte qu'ils font cuire leurs instruments, c’est-à-dire qu'ils les mettent au four et croient avoir atteint à la perfection en usant de ce procédé empirique. L'un d’eux me disait même avec une naïveté remarquable : À quoi bon copier les Stra- divarius, les Amati? C’est exalter la réputation de ces maîtres et je veux surtout m'occuper à consolider la mienne. » Malheureusement pour cette théorie égoïste, il se trouve qu’on ne saurait fonder sa réputation, ni prétendre à une véritable supériorité en obéissant exclusivement aux préceptes d’une pratique routinière. Pour se rapprocher ( 33 ) seulement des luthiers célèbres, il faut tout à la fois beau- coup de savoir et de persévérance, et c’est ce qu'a compris parfaitement un luthier de Paris, M. Vuillaume, en étu- diant, en reprenant et en facilitant les ingénieuses expé- riences de Savart. Un grand nombre d'instruments ont été uniquement construits par lui, pour servir de démonstra- tion à la théorie du célèbre physicien; mais ces sacrifices ont enfin porté leurs fruits , et ils ont établi, jusqu’à l’évi- dence, ce qu'on pressentait d’ailleurs déjà, à savoir que les Amati, les Stradivarius procédaient scientifiquement dans leur travail, et se rendaient compte à priori des effets ré- sultant de chaque forme spéciale. » Une démonstration de ce fait, que je qualifierai d’épreuve décisive, a eu lieu à ce sujet devant le jury de l'exposition universelle. » Les instruments à archet, joués par les plus habiles artistes, étaient successivement entendus d’après l’ordre alphabétique qu'indiquaient les noms des facteurs , et l’on examinait deux instruments de chacun d’eux. M. Vuil- laume se trouva nécessairement ainsi à la fin de l'alphabet et de la liste des exposants et, quand ce fut son tour, il déclara qu’il devrait, à son grand regret, se retirer du concours si le jury ne voulait consentir à entendre quatre de ses violons. Pour motiver cette demande exception- nelle, il ajouta que ces quatre instruments reproduisaient fidèlement un Amati, un Stradivarius, un Guarnerius et un Magini; qu'il croyait pouvoir affirmer aussi que chacun d’eux offrirait une identité parfaite de son avec les produits de ces célèbres luthiers. L'épreuve sollicitée eut lieu et justifia, au delà de toute prévision, les pro- messes de M. Vuillaume; il y eut, tout à la fois, un senti- ment de surprise et d’admiration, tant les qualités carac- ( 356 ) téristiques et distinctes des quatre violons rappelaient exactement les maîtres anciens sur lesquels ils avaient été copiés. » L'on conçoit, tout d’abord, quelle est l'importance de cette découverte. Aujourd'hui les anciens instruments d'Amati, de Stradivarius disparaissent peu à peu, et, quoi- que fendillés, ébréchés, rapiécés et recollés en plusieurs endroits, ils sont encore acquis à des prix fous : on donne 7,000, 8,000 et jusqu’à 40,000 francs pour un violon, et jusqu’à 25,000 francs pour un violoncelle. M. Franchomme a payé ce dernier prix pour son stradivarius. Or, avec les perfectionnements actuellement introduits et le mode de fabrication que M. Vuillaume a adopté, les violons de qua- lité supérieure ne dépasseront guère le prix de 400 à 500 francs. » J'ai indiqué lés études persévérantes qui ont amené cet immense progrès. Ce n’est pas tout : l’histoire de l’art doit aussi en retirer d'incontestables profits. Depuis le temps que M. Vuillaume s’est efforcé de perfectionner son industrie, il a fait plus de dix voyages à Crémone, afin de recueillir des documents historiques et biographiques sur les célèbres luthiers qui ont habité cette ville au XVII®° et au XVIII" siècle. Sa patience a été enfin couronnée de succès : un chanoine, qu'il était parvenu à intéresser par son enthousiasme, lui a remis plusieurs documents iné- dits que j'ai été chargé de mettre en lumière et que j'aurai bientôt l’occasion de communiquer à mes confrères. » À la suite de cette chaleureuse et savante improvisation, dont les idées principales ont seules pu être reproduites ici, M. F, Fétis a fait connaître que le travail dont il s’oc- cupe l'avait amené à étudier une seconde question, celle “ de l’origine des instruments à archet. Il est entré à ce PTT ( 337 ) sujet dans des détails historiques et archéologiques que nous regrettons de ne pouvoir rappeler et qui ont vive- ment captivé l'attention et l'intérêt de l'assemblée. Ouvrages présentés en mars 1856. Compte rendu des séances de la Commission royale d'histoire, ou recueil ‘de ses bulletins. 2e série, tome VII, 4°" bulletin. Bruxelles, 4856; 4 broch. in-8. Theses quas annuente summo numine, ex auctoritale rectoris magnifici P.-F.-X. de Ram et consensu facultatis scientiarum præside J.-H. Van Oyen pro gradu doctoris in disciplinis ma- thematicis et physicis in Universilate catholica , in oppido Lova- niensi. Louvain, 1856; 1 broch. in-8°. Compte rendu des travaux du conseil de salubrité publique de la province de Liége , pendant l'année 1855, présenté à la séance du 15 janvier 1856; par M. A. Spring, président. Liége, 1856; 4 broch. in-8°. Amédée de Savoie le comte Rouge; par M. Kervyn de Letten- hove. (Extrait des Bulletins de l'Académie.) Bruxelles, 1856; 1 broch. in-8. É loge de Baudouin de Constantinople, avec notes et documents ; par Camille Wins. Mons, 1856 ; 4 vol. in-16. Revue universelle des arts; publiée par M. P. Lacroix. °° an- née, He vol., n°° 8 à 12. Bruxelles et Paris, 1855; 5 broch. in-8°. Histoire de l'Europe depuis le commencement de la révolution française, en 1789, jusqu'à nos jours; par sir À. Alison. (Tra- duction de l'anglais.) Tomes 1, IV, V et VI. Bruxelles, 4855; 4 vol. in-8°. ( 358 ). Coup d'œil sur la situation des officiers de santé militaires dans plusieurs pays de l'Europe; par le D' Fallot. Bruxelles, 1856; 4 broch. in-8°. Bulletin de l'Académie royale de médecine de Belgique. Tome XV, n° 4 à 4. Bruxelles, 14855; 4 broch. in-8. Notice sur Mathieu-François Verbert; par G. Broeckx. An- vers, 1856; 1 broch. in-4°, La Belgique et le Portugal, mutualité d'intérêts politiques et commertiaux ; par le professeur Metton-Leduc. Bruxelles, 1856; 4 broch. in-8°. Mémoire communiqué à quatre puissances, la France, l'An- gleterre, l'Égypte et le Portugal; par le même. Bruxelles, 1855; 1 broch. in-8°. Rapport fait au conseil d'administration de la Société libre d'Émulation , sur les travaux des comités; par le secrétaire général, Alb. d'Otreppe de Bouvette. Liége, 1856; 4 broch. in-8°. Rapport sur la situation de la Société archéologique de Namur, en 1855. Namur, 1856; 1 broch. in-8°. Annales de la Société d'émulation pour l'étude de l'histoire et des antiquités de la Flandre. Tome X, 2"° série, n° 3. Bruges, 4856; 1 broch. in-8°. Journal belge de l'imprimerie et de la librairie en Belgique. One année, n° 40 à 14; 3° année, n° 1. Bruxelles, 1855-1856; 5 broch. in-8°. La Presse médicale belge. 8"* année, n°° 6 à 12. Bruxelles, 1856, 7 feuilles in-4°. Le Scalpel, rédacteur M. Festraerts. 8"° année, n% 19 à 24. Liége, 1856; 6 feuilles in-4°. Annales de la Société de médecine d'Anvers. XVI" année; iv. d'avril à octobre. Anvers, 4855; 4 broch. in-8. Journal d'agriculture pratique, d'économie forestière, etc., pu- blié par M. Ch. Morren. 8° année; 7° à 10e iv. Liége, 1855; 4 broch. in-8°. ( 339 ) Annales Academici Lugduni-Batavorum, 1851-1852. Leyde, 1855; 1 vol. in-4°. Comptes rendus hebdomadaires des séances de l'Académie des sciences; par MM. les secrétaires perpétuels. Tome XLII, n° 4 à 10. Paris, 14856; 7 broch. in-4°. Étude sur Thomas de Medzoph, et sur son histoire de l'Arménie au XV° siècle; par M. F. Nève. Paris, 4855; 1 broch. in-8°. L'athenœum français. 5% année, n° 4 à 12. Paris, 1856; 12 doubles feuilles in-4°. Revue de l'instruction publique. 15" année, n°° 45 à 52. Pa- ris, 1856; 8 doubles feuilles in-4°. Sur le pain mixte de blé et de riz; par J. Girardin. Rouen, 1855; 1 broch. in-8°. Note sur le terrain tertiaire moyen du nord de l'Europe; par Ed. Hébert. Paris, 1855 ; 1 broch. in-8°. Bulletin de la Société des antiquaires de Picardie. Tome V; titre et feuilles 29 à 32. Amiens, 1855 ; in-8°. Bulletin de la Société industrielle d'Angers et du département de Maine-et-Loire. XXVI®° année. Angers, 1855 ; 1 vol. in-8°. Mémoire de la Société de physique et d'histoire naturelle de Ge- nève. Tome XIV, 4"° partie. Genève, 4855; 1 vol. in-4°. Phocus und Antiope. Antikenkranz zum funfzehnten Winckel- mannsfest der archäologischen Gesellschaft zu Berlin; geweiht von Th. Panofka. Berlin, 1855 ; 4 broch. in-4°. Ihrem verehrten Vorgesetzien Herrn Bib. P' D" Petersen Wünschen an Seinem heutigen Jubelstage dem 6 Januar 1856; von Herzen Glück die Beamten der Stadthibliothek. Hambourg, 1856; 4 broch. in-4°. Chemische Untersuchung verscheidener Augen von Menschen und Thieren nebst einem Anhange uber eine neue, bequemere und genauere Bestimmung des specifischen Gewichtes. Rastatt, 1855 ; 4 broch. in-8. Flora oder allgemeine botanische Zeitung ; herausgegeben von Tome xx. — ]"° PART. 24 (340) der K. bayer. botanischen Gesellschaft zu Regensburg. Neue Reihe, XIII Jahrgang. Regensburg, 1855; 4 vol. in-8°. The quarterly Journal of the chemical Society. N° 32. Londres, 1856; 1 broch. in-8°. The Annals and Magazine of natural history, including zoology, botany and geology. If series, vol. 46, n°° 91 à 96. Londres, 1855; 6 broch. in-8°. Corrispondenza scientifica in Roma. Anno 4°, n° 20 à 50. Rome, 4855; 9 doubles feuilles in-4°. Inscrizioni dei tempi romani rinvenute nel! Istria; poste in- sieme dal D' P. Kandler. Trieste, 1855 ; 4 broch. in-4°. On two new crystalline compounds of zinc and antimony: by F.-P. Cooke. Cambridge (Massachusetts), 1885; 4 broch. in-4°. BULLETIN DE L’ACADÉMIE ROYALE DES SCIENCES, DES LETTRES ET DES BEAUX-ARTS DE BELGIQUE. 1856. — No 4. Lt @— CLASSE DES SCIENCES. Séance du 5 avril 1856. M. Dumonr, directeur. M. A. QueTELET, secrétaire perpétuel. Sont présents : MM. d'Omalius d'Halloy, Sauveur, Tim- mermans, Wesmael, Martens, Cantraine, Kickx, Stas, De Koninck, Van Beneden, Ad. De Vaux, Nyst, Gluge, Nerenburger, Schaar, Liagre, Duprez, Brasseur, mem- bres ; Spring, Lacordaire, Lamarle, associés; Maus, De- walque, Houzeau, E. Quetelet, d'Udekem, correspon- dants. M. Ed. Fétis, membre de la classe des beaux-arts, assiste à la séance. Tome xxur. — J"° PART. ao (312) CORRESPONDANCE. M. le Ministre de l’intérieur écrit qu’il n’a pas perdu de vue les lettres qui lui ont été adressées sur l'utilité d’un système régulier d'observations, concernant les phéno- mènes périodiques du règne végétal et du règne animal. — La Société royale de Londres, l'Académie royale de Turin, la Société de physique et d'histoire naturelle de Genève, la Société industrielle d'Angers, la Société du Muséum d'histoire naturelle de Strasbourg, la Société ha- vraise d’études diverses, la Société américaine de Phila- delphie, etc., remercient l’Académie pour l'envoi de ses publications. L'Association britannique annonce que sa prochaine réunion aura lieu à Cheltenham, le G août prochain. — M. J. Maury, associé de l’Académie, fait parvenir un exemplaire de sa carte des tempêtes et des pluies dans le nord et le sud de l’océan Atlantique. Cette carte est desti- née à figurer dans la 6° édition de son ouvrage de géogra- phie physique. — M. Pegado, directeur de l'observatoire de Lisbonne, fait connaître toutes les dispositions qui ont été prises, pour suivre avec succès les observations météorologiques organisées dans les principaux pays de l'Europe, et il en- voie les tableaux figuratifs des résultats qu’il a constatés. — M. Dewalque dépose les observations sur la floraison et sur le règne animal, faites à Stavelot, en 1855. LT (545) MM. de Selys-Longchamps, A. Quetelet, Bellynck et AI£. de Borre communiquent leurs observations, faites à l'épo- que du dernier équinoxe. MM. A. Quetelet, Leclereq, Montigny, Dewalque trans- mettent également les observations météorologiques faites à Bruxelles, à Liége, à Namur et à Stavelot, pendant l’année 1855, et M. De Hoon les observations météorolo- giques faites à Furnes, pendant les trois premiers mois de 1856. — M. Kudig, directeur de l'observatoire de Valparaiso, communique ses observations météorologiques pour les mois de juillet, août et septembre 1855. Un pareil envoi est fait par M. Manuel Rico Sinobas, directeur des travaux météorologiques de l'observatoire de Madrid, pour les mois de juin et de juillet 1855. L'Académie reçoit aussi les observations des plantes pendant l’année 1855, pour huit villes des environs du Rhin. — M. Melsens, qui n’a pu se rendre à la séance, de- mande à l’Académie de recevoir un billet cacheté. Ce dépôt est accepté. — M. Meyer fait parvenir une Note sur une nouvelle démonstration du théorème de Bernouilli dans le cas où les probabilités simples sont variables ou de la loi des grands nom- bres de Poisson. (Commissaires : MM. Brasseur et Schaar.) — M. Norbert Goetmaekers transmet également un Mémoire concernant les conducteurs du temps pour l'horlo- gerie électrique. (Commissaire : M. A. De Vaux.) — M. Ch. Montigny communique des additions à son ( 544 ) travail sur la scintillation des étoiles. Elles sont renvoyées à l'examen de M. Plateau. — M. H. Nyst, membre de la classe, fait hommage d’un exemplaire de sa notice Sur un nouveau mollusque marin des rives de l'Escaut. — Remerciments. RAPPORTS. es Sur le genre MicueLarta Dumort., par M. V.-P.-G. Demoor, d'Alost. Rapport de M. Spring, « Dans le rapport que nous avons eu l'honneur de pré- senter à la séance du 5 novembre dernier (Bulletins, tome XXII, 2° part., page 508), sur un mémoire commu- niqué par M. Strail de Magnée, notre intention fut d’ex- poser aussi nettement et aussi complétement que possible, les éléments de la controverse qui semblait alors devoir revivre au sujet du Michelaria, graminée propre au sol de la Belgique. Nous nous refusions , l'honorable M. Kickx et moi, à considérer le Michelaria bromoïdea Dmrt. comme une simple variété du Bromus grossus ou mulliflorus des auteurs, et nous croyions, tout en supprimant le genre Michelaria, devoir maintenir la plante comme espèce, sous le nom de Bromus arduennensis Dmrt. De nouveaux essais de culture nous semblaient cependant nécessaires avant que la discussion püût être close, ( 345 ) Nous avons eu le plaisir d'apprendre, par la notice qui fait l’objet du présent rapport, que M. Demoor d’Alost cultive, depuis huit ans, le Michelaria, dans le but de fixer définitivement son rang comme genre ou comme espèce, ‘et que ses observations confirment l’opinion que nous avions émise dans notre premier rapport. Seulement, ayant très-attentivement relu ce dernier , nous ne parvenons pas à nous rendre compte comment l’auteur a pu nous suppo- ser l'intention de maintenir le Michelaria comme genre; rien de semblable ne s’y trouve, et le nom de Bromus arduennensis préféré par nous, prouve, du reste, surabon- damment le contraire. Avant de communiquer les résultats de ses expériences horticoles, M. Demoor discute, un peu longuement peut- être, mais avec l'autorité que lui donnent ses travaux anté- rieurs, spécialement dirigés vers l’agrostographie belgique, la valeur des caractères génériques qui avaient été assignés au genre Michelaria. 1 dit que l'insertion des stigmates, caractère, sur lequel, pour ma part, j'avais cru devoir insister, varie selon les différentes phases du développe- ment de la fleur , et sur des échantillons qu’il a eu la bonté de me faire parvenir directement, j'ai pu m’assurer de mes propres yeux que son observation est exacte. Ainsi, la question est décidée. Le Michelaria est con- damné comme genre; mais la plante sur laquelle il a été établi, constitue une espèce légitime sous le nom de Bro- mus des Ardennes (Bromus arduennensis Dmrt.) (1). (1) Dans la synonymie que nous avions donnée dans notre rapport ( Bulle- tins, t. XXII, 2% part, p. 514), nous avions omis le nom sous lequel M. De- moor cite la plante dans son Traité des graminées céréales et fourragères de la Belgique. (Bibliothèque rurale instituée par le Gouvernement, ( 346 ) Nous proposons d'adresser des remercimeuts à M. De- moor pour sa communication et d'insérer son travail dans le Bulletin de la séance. » Happort de M. Mickæx. « La notice sur le genre Michelaria que.M. Demoor a présentée à la classe et que nous avons été chargé d’exa- miner, confirme l'opinion émise il y a peu de temps, au sujet de cette graminée, par M. Spring, qui la considérait comme une espèce distincte de Bromus. Elle fait connaitre, en outre, une particularité curieuse dont d’autres végétaux, et parmi eux certaines rosacées, avaient déjà offert des exemples: c’est que, dans le Michelaria ainsi que chez les Bromus, l'insertion latérale des stigmates ne reste pas constante aux différentes époques de l’évolution de l'ovaire. Nous nous rallions aux propositions de notre honorable confrère, en exprimant le désir que son rapport soit im- primé. » Les conclusions précédentes sont adoptées par la classe. Bruxelles, 1854, p. 121); c'est : Promus michelianus. Il n’est pas besoin de dire qu’en présence du nom de Promus arduennensis ünposé déjà, en 1825, par M. Dumortier, la dénomination choisie par M. Demoor, contrai- rement à la règle posée par Linné, ne doit pas être respectée. Sur la scintillation des étoiles. (Lettre à M: A. Quetelet par M. Ch. Dufour, professeur à Morges, en Suisse.) Happort de ME. A. Quetelef, « Les observations dont l’auteur entretient l’Académie ont été commencées d’une manière sérieuse en 1852. Rien n'a été négligé depuis pour donner aux résultats toute la précision et l'intérêt qu’elles comportent. M. Ch. Dufour a visité deux fois la ville de Bonn pour pouvoir s’aider dés lumières de M. Argelander, le savant qui, sans contredit, s'est occupé avec le plus de soin de ce genre d’observa- Lions. Pour se rendre compte de la scintillation, M. Dufour a adopté les chiffres de O'à 10; O étant une scintillation nulle, et 10 une de ces scintillations fortes qu’on ne ren- contre que rarement, alors que l’étoile est près de l’ho- rizon et qu’elle paraît sautiller, changer de couleur et parfois même disparaître. Avec un peu d'habitude, il ne tarda pas à reconnaître les degrés de scintillation entre Oet1 et'entre 4 et 2. Aussi crut-il pouvoir donner aux observations plus d’exactitude en divisant en 10 chacun des degrés précédents, et la scintillation fut appréciée pari0,7, 1,2, etc. Toutefois, il ne put faire une semblable division que pour des scintillations inférieures à 3. On conçoit, du reste, que de semblables divisions ne peuvent être adoptées qu'avec certaines restrictions qui disparais- sent d'autant plus que les observations sont plus nom- breuses. En s'armant d'une patience à toute épreuve, l’auteur est parvenu de cette manière à réunir plus de treize mille ( 548 ) observations de sciniuflation. Il élimina alors sans pitié les nombres qui lui paraissaient douteux et ne conserva que les nombres comparables, pour les rapprocher les uns des autres. On conçoit que ses observations ne tombaient pas indistinctement sur toutes les étoiles du ciel, mais sur quelques-unes seulement qui méritaient une attention toute spéciale. Ainsi, après avoir étudié le rayonnement de la Chèvre et son affaiblissement à mesure que l’astre se rapproche du zénith, il commença un travail parfaitement identique pour Wega, et il trouva, à son grand étonne- ment, que le chiffre de la scintillation de Wega était plus fort que celui de la Chèvre. Cette différence, bien soutenue pour toutes les hauteurs égales, lui parut si remarquable, qu'il résolut d'aller s'en entretenir avec M. Argelander. Ce dernier savant avait fait une remarque tout à fait semblable : il avait trouvé que les éloiles rouges scintillent moins que les éloiles blanches. Et en elfet, les trois étoiles Arcturus, « d'Orion et Aldébaran ont toutes donné une scintillation plus faible que Procyon, Wega et même la Chèvre. En étendant ses recherches, M. Dufour croit pouvoir assurer en général qu'on s’écarte peu de la vérité en disant : que, sauf près de l'horizon, la scintil- lation est proportionnelle au produit que l’on obtient en mul- tipliant l'épaisseur de la couche d'air que traverse le rayon lumineux, par la réfraction astronomique à la hauteur que l'on considère. Tout en convenant, du reste, que la diffé- rence de couleur des étoiles entraine une différence dans la scintillation, M. Dufour croit aussi qu’il y a quelque autre cause qui influe sur le phénomène. 11 me semble qu'en somme ce mémoire renferme des recherches très-intéressantes et généralement très-peu «: + - (361) développées, dont Le tiers inférieur revêt tous les caractères du tissu herbacé : ces deux arêtes latérales ne sont-elles pas réunies en effet par du tissu membraneux, lorsque les sujets proviennent d’un sol fertile? D'ailleurs cette inser- lion, encore une fois, ne souffre pas le moindre doute aux yeux de l’agrostographe qui ne néglige pas l'inspection des paléoles avant la sortie de la panicule hors de la gaine qui l'enveloppe. s Maintenant, quant à l'existence des oreïllettes membra- neuses des bords des paléoles, elles ne sont qu’une modi- lication plus tranchée de l'angle obtus membraneux, que présentent à un si haut degré, parmi les espèces indigènes, le Bromus commutatus et le Bromus mollis, lorsque ces plantes végètent dans un sol sec et profond; en outre, il n'est pas rare de les voir prendre, dans quelques fleurons de chaque locuste, la forme à peu près du Bromus commu- talus, et, ce qui plus est, au lieu d'offrir un angle quel- conque , il arrive que le contour en devient arrondi comme dans le Bromus racemosus. Actuellement venons-en à la seconde question, celle de savoir si le Michelaria est une espèce distincte ou bien une simple variété. A en croire la déclaration de quelques botanographes, le Michelaria ne constitue pas une espèce et peut tout au plus être regardé comme une variété du Bromus grossus. C’est l'opinion de MM. Lejeune et Courtois, c’est l’avis de M. Rei- chenbach. Mes observations s'opposent à partager cette manière de voir; pour moi celte assertion de ces hono- rables botanistes doit être assimilée à l'histoire de la trans- formation du seigle en avoine, à laquelle, chose regrettable etincompréhensible, des hommes très-haut placés dans la science n'ont pas craint d’attacher leur nom; à celle de la ( 362 ) transformation de l'Egylops ovata en notre Triticum sati- vum æstivum dont la presse s’occupa à l'envi, il n’y:a guère plus de quelques mois; mais il fut bientôt fait justice de celte histoire par celui-là même que l’on avait annoncé comme l’auteur de la prétendue découverte : il déclara publiquement que rien de semblable n'avait été observé dans ses cultures. Nous ne saurions croire que les piantes vues par Rei- chenbach provinssent de graines appartenant décidément au Michelaria, et cela est d'autant moins admissible que Reichenbach prétend avoir obtenu en une année ce que d’autres cherchent depuis bientôt un quart de siècle, sans aucun résultat. Quant à MM. Lejeune et Courtois, on ne peut rien supposer, si ce n’est que leur bonnè foi a été surprise. Après neuf années de recherches et de semis non inter- rompus, je me permets de mettre hors de cause les transfor- malions signalées par le Nestor des botanographes belges. Que notre respectable compatriote n'ait pas rencontré des pieds de Bromus et de Michelaria dans une toufle de gra- minées, c'est ce que personne n’oserait révoquer en doute, mais de là à trouver sur une même panicule de loeustes du Bromus grossus et du Michelaria, est ce qui nous parait impossible; à moins qu'on n’ait eu affaire à une anomalie produite par la soudure des parties de deux panicules, soit que la nature s’en soit chargée, soit que la main de l’homme l'ait provoquée. Dès qu’on admet ma supposition, je suis disposé à ac- cepter la description de MM. Lejeune et Courtois, parce que je me rappelle avoir vu un fait semblable dans lequel le Festuca pratensis s'était greflé sur le Lolium perenne; mais, par un examen attenlif je parvins à m'assurer de l'en-: ( 365 ) droit où la soudure de cés deux graminées s'était effectuée. Si le fait signalé, à l’ancien Jardin botanique de Liége, est vrai, nul doute qu'on n’en ait conservé des échantillons dont l'inspection ne peut tarder plus longtemps de mettre la vérité au grand jour; jusque-là je professe à cet égard le scepticisme le plus absolu. Si on rapproche ensuite les premières observations de MM. Lejeune et Courtois, faites pendant quatre ans, qui n'ont rien révélé, celles faites par Reichenbach pendant une année révolue, au bout de laquelle 1! obtient déjà la transformation, de celles que j'ai tentées depuis bientôt dix ans, Je suis conduit naturellement à conclure que les semis du Jardin botanique de Liége et de Reichenbach n'ont pas été faits avec les soins voulus; quoi qu'il en soit, mes observations sont le fruit d'expériences entreprises ‘en dehors de toute idée préconçue et instituées dans le but de suivre les modifications que subissent réellement par la culture certaines espèces et variétés de graminées. Il est constaté que, dans ces expériences, on n’a guère à craindre les mélanges des espèces par la fécondation adal- térine, comme dans une foule d’autres végétaux où l'hybri- dation s'opère si facilement ; cependant il importe qu'on fasse, avec tous les soins que comporte le sujet , la vérifica- tion des graines (1) et que l'on suive, dans ces expériences, les sages recommandations de lillustre de Candolle, qui, el avec raison, n’était rien moins que méticuleux sur ce HMhonus néant gl 450 AB) (1) Les relations que j’entretiens avec plusieurs jardins botaniques du pays et de l'étranger m'ont convaincu qu’il règne une grande confusion dans les genres de la famille des graminées. Or, si on constate déjà une foule de fausses déterminations génériques et spécifiques, quelle confiance peuvent inspirer les essais culturaux faits dans ces mêmes jardins sur certaines espèces et variétés de graminées? ( 364 ) point. « Au milieu de toutes ces diflicultés, dit-il, voyons comment un botaniste qui veut être exact sans être pyrrho- nien, doit se conduire pour déterminer si deux plantes qu'il a sous les yeux sont des espèces ou des variétés. Si les différences de ces plantes sont d’un ordre tel qu'on connaisse, et qu'on admette déjà plusieurs espèces bien distinguées par elles, il pourra les admettre comme es- pèces; mais si ces différences sont au nombre de celles sur lesquelles il s'élève des doutes, il devra alors mettre plus de circonspection dans sa décision. » 1° Il devra s'assurer si ces différences sont communes à un grand nombre d'individus de chaque plante; » 2 Cultiver chaque plante dans des terrains divers, afin de voir s’il ne pourrait point faire évanouir leurs difé- rences ; » 5° Semer les graines de chacune d'elles pour vérifier si les différences résistent à la génération, et même à plu- sieurs générations. » Dans mes recherches expérimentales, je me suis fait une loi d'adopter la marche si rationnelle préconisée par le botaniste de Genève, et je m'en suis fort bien trouvé; car, tandis que d’autres découvraient monts et merveilles par le semis des graminées, moi, au contraire, je tiens à déclarer franchement que, dans mon jardin agrostolo- gique, je n'ai eu à constater que des déviations qui re- tournaient au type primitif ou en approchant, après la deuxième ou la troisième génération. En effet, depuis 1847, j'ai obtenu tous les ans de toufles de Michelaria qui s'éloignaient peu de la souche d’où elles étaient sorties, quoique je n’aie pas renouvelé la semence, et cela uniquement pour n’enquérir de la valeur des observations de nos compatriotes. ( 365 } Tout ce qu'elles m'ont appris, C'est : 1° Que la nature du sol influe beaucoup sur la vigueur de la plante; que les parties membraneuses, sous l'empire d’un sol riche et humeux , acquièrent un grand développe- ment; d’où il m'a été clairement démontré que, dans ces conditions, l’arête médiane n’est pas loujours terminale, pas plus que dans la plupart des autres Bromus ; 2 Que les fleurons d’une même locuste offrent tantôt des dents latérales saillantes, tandis que d’autres ne pré- sentent qu'un rebord membraneux.arrondi ou un angle plus ou moins bien marqué; 9° Que, dans les terrains compactes, les arêtes latérales diminuent de longueur et ne simulent plus que des dents plus ou moins prononcées, réunies souvent à la base par un lissu membraneux-scarieux; 4° Que, dans les terrains élevés et calcaires, les pani- cules et les ramifications fleuries se couvrent de poils plus ou moins abondants, ce qui s'observe aussi sur le Bromus secalinus ; 5° Que, quel que soit le développement qu’acquièrent les locustes du Michelaria, elles conservent néanmoins leur forme et leur configuration; 6° Que les enveloppes florales conservent entre elles leur rapport d’étendue; 7° Que la paléole externe reste ovale-lancéolée et sen- siblement plus longue que l’interne, n'ayant aucune ana- logie quelconque avec celle du Bromus grossus; 8° Que la semence qui m'a été communiquée par un jeune botaniste aussi distingué que modeste, M. Crepin, de Rochefort, en 1852, a donné des plantes en tout analo- gues et conformes à celles issues des graines dont le pre- mier semis eut lieu en 1847. ( 366 ) Telles sont les considérations que j'ai à soumettre à l'appréciation de l’Académie et d’où je conelus : a. Que le Michelaria bromoïdea Dmrt. présente les prin- cipaux caractères du genre Bromus ; b. Que cette plante doit être considérée comme une espèce, attendu que neuf années de semis non interrom- pus, opérés dans les situations et les sols les plus variés, a’ont produit aucune modification importante, ni dans les principaux caractères tirés de la fleur, ni dans sa manière d'être; Et c. Que toutes les histoires de transformations dont elle a été l'objet sont le résultat d'erreurs d'observations ou d'expériences mal faites. Sur la scintillation des étoiles. — Lettre à M. Quetelet; par M. Ch. Dufour, professeur à Morges, en Suisse. Lorsque, l’année dernière, j'ai eu l'avantage de vous voir à Bruxelles, et que vous avez bien voulu n'autoriser à visiter l'Observatoire dont la direction vous est confiée, j'ai saisi cette occasion pour vous demander ce que vous peusiez des observations que j'ai entreprises depuis plu- sieurs années, à Morges, sur la scintillation des étoiles. Je revenais alors de Bonn, où j'avais été consulter M. Argelander sur la valeur des observations faites à l'œil nu, et où cet observateur habile avait bien voulu me don: ner divers renseignements et divers conseils sur le mérite et sur les imperfections de ce mode d'observation. À Bruxelles, vous avez aussi eu l’obligeance de prendre ( 567 ) connaissance des résultats encore bien incomplets aux- quels j'élais alors arrivé, et de me donner quelques-uns de ces avis que peuvent seules donner les personnes habi- tuées depuis longtemps aux observations, avis que j'ai suivis avec soin pour la continuation de mon travail. Actuellement que la première partie de ce travail est linie, je viens, Monsieur, vous en donner connaissauce, ainsi que je vous l’avais promis. Celte première moitié est relative à la partie optique et astronomique de la ques- tion. Plus tard, il me restera encore à traiter la partie météo- rologique. Mais peut-être, Monsieur, est-il bon de rappeler ici l'histoire de ces observations et la manière dont elles ont été faites. C'est à la fin de 1852 que je portai sérieusement mon attention sur la scintillation des étoiles et sur la différence qu’elle présente d'un jour à l’autre. Je pensai alors qu'il serait intéressant de faire sur ce phénomène des obser- vations régulières, de véritables observations météoro- logiques, afin de voir, au bout de quelque temps, si les variations de la scintillation ne présentaient pas quelque relation avec les perturbations atmosphériques et la mar- che des instruments de météorologie. Les observations commencèrent avec l’année 1855. Mais je ne tardai pas à reconnaître que la question était plus complexe que je ne le supposais d’abord. Et dans ce champ nouveau, où, à ma connaissance du moins, aucun travail n'avait encore été entrepris, j’hésitai quelque temps avant de savoir quelle marche je devais suivre. J'essayai, puis j'abandonnai différents procédés et diflé- rentes méthodes d'observation. Aussi, considérai- je les ( 368 ) premiers mois de mes recherches comme une période d'épreuve et de tâtonnements. Ce ne fut que vers la fin d'octobre 1855 que je demeurai tout à fait fixé sur ce que je devais faire, et que je me trouvai suflisamment exercé pour entreprendre des observations sérieuses. Je rejette tous les chiffres obtenus précédemment, et je considère que, pendant ces neuf premiers mois d'observations, je n'ai fait qu'apprendre à voir. Depuis le mois d'octobre 1855, je me suis donc appliqué à suivre, avec persévérance el avec soin, tout ce qui con- cerne le phénomène de la scintillation. — Après les mois d'essais, J'étais convaincu que, pour le but que je me pro- posais, la manière la plus avantageuse d’y arriver était d'observer aussi souvent que possible, de fixer une étoile à l'œil nu et d'apprécier sa scintillation par un chiffre. D'abord, j'avais adopté les chiffres de 0 à 10, O étant une scintillation nulle, et 10 une de ces scintillations fortes qui ne se rencontrent que rarement, et seulement alors que l'étoile est près de l'horizon et qu'elle paraît sautiller, changer de couleur et parfois même disparaître, C’est en comparent fréquemment les scintillations des diférentes étoiles à toutes les heures de la nuit que j'étais parvenu à bien connaitre ce qu'était pour moi une scintil- lation 1,2,5, 4,5, etc., et même avec un peu d'exercice, je ne tardai pas à trouver des degrés entre une scintilla- Lion O et une scintillation 1, et entre 1 et 2. Aussi crus-je pouvoir donner aux observations encore plus de précision, en divisant en 40 chacun des degrés précédents. Ainsi, la scintillation d’une étoile fut souvent appréciée par 0,7. 1,2, etc. Dans le fait, cela revenait donc à diviser en 100 l'intervalle qu'il y a entre la seintillation nulle et la scintil- lation maximum. Toutefois, jefne pus faire cette division ( 369 ) par dixièmes de degré que pour les scintillations infé- rieures à à; car, au-dessus, je n’appréciai jamais que les unités. Je sais bien que l'on peut m'objecter ici qu'il y a beau- . coup d'arbitraire dans ces appréciations et qu’il doit être diflicile de fixer le chiffre exact de la scintillation. Cet inconvénient, je suis le premier à le reconnaitre; néan- moins , après plusieurs mois d'exercice, je pus me con- vaincre que mes appréciations n'étaient pas loin d’être exactes, et qu'entre autres, en comparant les observations d’une soirée avec celles d'une autre soirée, mes résultats étaient assez concordants pour qu'ils pussent m'inspirer de la confiance. D'ailleurs, l'appréciation de la seintilla- tion n’est guère plus difficile que celle de l'éclat des étoiles variables, et cependant, en appliquant à cette dernière recherche un procédé analogue à celui que j'ai employé, on est arrivé à des résultats très-remarquables qui sont admis dans la science. Il n’y à qu'à citer comme exemple le beau travail de M. Argelander sur les singulières varia- tions de £ de la Lyre. Les observations de celte nature ne sont sans doute pas aussi exactes que celles qui se font avec un instrument de précision; mais par la multiplication du nombre on peut espérer de voir disparaître les erreurs individuelles dans des moyennes générales, et d'obtenir ainsi des résultats satisfaisants. Aussi, depuis le mois d'octobre 4855 jusqu’à maintenant, ne laissai-je pas passer une des soirées pen- dant lesquelles on pouvait voir les étoiles sans faire au- tant d'observations que possible, en prenant note, non- seulement de la scintillation elle-même, mais des heures d'observation et des différents phénomènes météorologi- ques que l'on avait pu constater dans la journée, ou dans ( 370 ) les journées précédentes. De cette manière, j'ai réuni à peu près treise mille observations de scintillation. Ce nombre me parut suffisant pour m'engager à les utiliser et à cher- cher ce que l'on pourrait retirer de cette longue série de chiffres. Pendant que je recueillais toutes ces notes, je cherchais peu moi-même à me rendre compte de ce que je faisais, afin de ne pas être influencé par des idées préconçues ; seulement j'avais soin d'observer avec autant d’exactitude que possible, et ainsi je réunissais un grand nombre de chiffres sans trop savoir s'ils étaient concor- dants ou pas. C'était là un travail que je renvoyais à la dis- cussion finale. Presque toutes les observations ont été faites à Morges (Suisse). Morges est situé sur le bord du lac Léman, par 46° 51" de latitude nord et 4 9° à lorient de Paris. Mon but était toujours une recherche météorologique; mais, comme les mêmes étoiles avaient souvent été ob- servées à des hauteurs très-diverses, il était important de commencer par trouver l'influence de la hauteur appa- rente d’un astre sur l'intensité de sa scintillation. Pour arriver à cette loi, voici la marche que j'adoptai : je choisis pour une étoile, la Chévre, par exemple, tous les jours marqués par une scintillation normale; quand il me semblait qu'il n’y avait eu, ni les jours précédents ni les jours suivants, aucune perturbation atmosphérique eonsi- dérable, et que la scintillation d’une heure à l’autre n’avait jamais présenté des variations trop bizarres et trop irrégu- lières. Les périodes qui, à cet effet, me devinrent surtout très-utiles, furent ces séries de beaux jours que nous eûmes, dans le canton de Vaud , à la fin d'octobre 1855, en mars et en septembre 1854. Je tronvai ainsi pour la Chèvre 50 jours que je pouvais considérer comme types, et qui À (371 ) me semblaient être des jours de scintillation moyenne. Je commençai d’abord à rejeter toutes les observations faites quand l'étoile était dans le voisinage des nuages, parce que j'avais remarqué qu’en pareil cas, la seintillation était toujours considérablement augmentée. Je rejetai de même toutes celles qui avaient été faites le soir au crépus- cule ou le matin à l'aurore, parce qu’alors la scintillation est en général plus forte que lorsqu'il fait complétement nuil. Il me resta donc, pendant ces 50 jours, 530 observa- Lions de la scintillation de la Chèvre, observations que je pouvais considérer comme ayant été faites dans de très- bonnes conditions. — Je réunis ensemble celles qui avaient été prises à la même hauteur, puis j'en cherchait la moyenne, et bien qu'il füt évident que la scintillalion allait en dimi- nuant, à mesure que l’on se rapprocbait du zénith, il n’en est pas moins vrai que, d'un degré à l’autre, il y avait par- fois des anomalies assez marquées. Je ne pouvais guère attendre mieux dans des recherches de ce genre, qui, par leur nature même, ne sont pas susceptibles d’une préci- sion absolue. Je réunis alors les chiffres de 5 en 5°, en prenant la seintillation constatée à 45, 44, 45, 46 et 47° pour la scintillation constatée à 45°; celle constatée à 48, 49, 50, 51 et 52 pour celle à 50°, et ainsi de suite. Cette fois-ci la série ne présentait plus d’irrégularité sensible, ce qui devint évident par la construction de la courbe. Pour cette dernière, je pris les abscisses proportionnelles aux distances zénithales, les ordonnées proportionnelles à l’in- teusité de la scintillation, et j'obtins alors une courbe assez régulière qui ne présentait des infléxions un peu extraordinaires que près du zénith, là où la seintillation est tellement faible que la plus petite erreur sur l'appré- ( 372 ) ciation, ou une perturbation atmosphérique qui passe ina- perçue, a une grande influence sur le résultat dans lequel elle figure. Après que ce travail fut fini pour la Chèvre, j'en com- mençai un parfaitement identique pour Wega, et, à mon grand étonnement, je trouvai à toute hauteur pour la scin- tillation de Wega, un chiffre plus fort que pour la Chèvre. J'avoue que j'en fus d’abord désappointé; je cherchais seu- lement la relation qu'il y avait entre la hauteur des étoiles et l'intensité de leur scintillation. Or, mes observations avaient été faites avec assez de soin, pour que j'eusse pu espérer d'arriver à des résultats concordants, et, en pre- nant la moyenne des chiffres obtenus pour toutes les étoiles d'observations, chiffres que je supposais être peu différents les uns des autres, j'aurais eu la moyenne que je cherchaï. Mais l'écart inattendu que je vis entre la scintillation de la Chèvre et celle de Wega subsistait partout, sauf pourtant près du zénith, avec tellement de régularité que je com- mençai à croire que, toutes choses égales d’ailleurs, 1} pou- vait bien yavoir une différence réelle entre la scintillation de la Chèvre et celle Wega, celle de Wega étant la plus forte. Il me sembla que cette différence pourrait peut-être pro- venir de ce que la Chèvre avait un diamètre apparent plus considérable , et qu’ainsi, sous ce rapport, elle se rappro- chait plus de l’état des planètes, qui, avec un diamètre appa- rent plus grand, scintillent beaucoup moins que les étoiles fixes. Néanmoins, avant de hasarder une idée si impor- tante, je voulus savoir ce que penserait de mes observa- tions faites à l’œil nu et de mes appréciations, un homme qui a lui-même énormément observé et souvent apprécié de cette manière la Inmière des étoiles. Je me décidaiï à x ( 375 ) aller consulter à cet égard M. le professeur Argelander. « En juillet 1855, je préparai les courbes de scintillation -de la Chèvre et de Wega, puis je partis pour Bonn. Là, M. Argelander me recut avec la plus grande bien- veillance ét voulut bien me donner sur les observations faites à l'œil nu, tous les renseignements que je lui deman- dai et que lui avait suggérés sa longue expérience. Je fus heureux de voir que les remarques que j'avais faites à cet égard depuis trois ans étaient en tous points conformes aux siennes, ce qui contribua indirectement à augmenter la confiance que j'avais dans les résultats auxquels j'étais arrivé. Mais quand M. Argelander vit mes courbes de scintilla- tion, il Jui parut bien qu'il y avait une différence réelle entre la scintillation de la Chèvre et celle de Wega, mais il pensa qu'il fallait peut-être l’attribuer à une autre cause que celle que je mettais en avant, el, tout en convenant qu'une différence dans le diamètre apparent pouvait pro- duire le fait constaté, il pensa qu’il pouvait peut-être aussi provenir de la différence de couleur qu'il y a entre la Chèvre et Wega. On sait, en effet, que Wega est une étoile très-blanche, tandis que la Chèvre à une teinte jaunûtre. Cette idée me frappa, et pour savoir jusqu’à quel point elle pouvait être fondée , je promis à M. Argelander qu'une fois de retour à Morges, je ferais des calculs analogues, pour la scintillation d’un plus grand nombre d'étoiles, entre autres pour les étoiles rouges. Des occupations nombreuses m'ont empêché de finir plus tôt ce long travail, mais actuellement, il est achevé, et à mon grand étonnement, je vis que la supposition de M. Argelander se confirmait, de manière que l’on peut dire : Que les étoiles rouges scintillent moins que les étoiles TomE xx11. — ["° PART, 27 Re nes ha ( 574 ) blunches. Les trois étoiles Arcturus, & d'Orion et Aldé-” baran ont toutes donné une scintillation plus faible que Procyon, Wega et même la Chèvre, La différence est assez grande et assez soutenue pour que je n'hésite pas à la déclarer bien au-dessus des erreurs d'observation.et à reconnaître là un fait bien réel. J'ai dessiné une planche à cet égard; elle m'a fait voir Ja différence. Pour établir la moyenne des étoiles bJanches, je n’ai pas compté la Chèvre moins blanche que Procyon el Wega; et parmi les étoiles rouges je n'ai pas compté a d'Orion pour une raison que j'exposerai dans un instant. La planche ci-contre donne les courbes de scintillation de 4 étoiles (1) ; je n’ai pas tracé celle d’Aldébaran pour ne pas trop charger la figure; seulement, je dirai qu'elle se rap- proche passablement de celle de la Chèvre. Quant à eelle de a d’Orion, je ne l’ai pas tracée non plus, parce que cette courbe présentait des irrégularités plus considérables que celle des autres étoiles, bien que sa scinlillation soit en général faible, parfois même plus faible que celle d'Arctu- rus. Et j'ai d'autant moins hésité à mettre cette étoile hors de ligne, que comme son éclat est variable, il ne serait pas impossible que sa seintillation ne présentàt point toute la régularité que l’on trouve ailleurs. Puis aussi, il pour- rait bien arriver que les observations de cette étoile fussent plus défectneuses que d'autres, Car déjà avant que j'eusse fait mes réductions, j'avais remarqué qu’à cause de l'éclat de la constellation d'Orion, il était bien difficile d’appré- cier la scintillation de ses étoiles. On a l'œil fatigné et comme ébloni par la belle région du ciel qui passe au (1) Les abscisses sont proportionnelles aux distances zénithales, et les or- données à l'intensité de la scintillation. + 3 ù.| = Si ë & | êl R : soil ja = H | A | ê S j | | | | RE OM RS LE _— EE È $ e | . À F 5 Le, =: À | È | | $ É | "8 È | Le $ s è D — Dr QE “+ Foi Le | Ê = ” " " Sentilation de Procÿon, d M. ! (57 J 19 \ méridien de la 4° à la 7°* heure. Pour toutes ces raisons, j'ai cru devoir me taire pour le moment sur ce qui con- cerne la scintillation de « d'Orion, et pour ainsi dire remettre cetie étoile à l’étude encore pendant deux ou trois ans, afin de faire de nouveau avec un soin redoublé plusieurs observations de sa scintillation. Du reste, dernièrement, après avoir vu par mes courbes qu'à toute hauteur, les étoiles rouges scintillent moins que les étoiles blanches, il m'a semblé que l’on pouvait peut- être rendre compte de ce fait théoriquement, du moins en admettant l'explication de la scintillation donnée par M. Arago, c'est-à-dire en la considérant comme une consé- quence du principe des interférences. Supposons, en effet, quelques rayons des sept couleurs primitives traversant l’at- mosphère et dans les mêmes conditions. Il pourra arriver que quelques-uns d’entre eux soient déviés, et après avoir fait uu certain détour, viennent interférer et détruire les rayons de la même couleur qui auraient parcouru une distance moins grande d’une demi-ondulation. Mais l'onde rouge étant la plus grande des ondes lumineuses, il me semble que, pour faire interférer les rayons rouges, il faudra une déviation plus considérable, des perturbations atmosphériques plus grandes ; ou enfin que, toutes choses égales d’ailleurs , les rayons rouges, par le fait des dévia- tions atmosphériques, seront moins facilement détruits que les rayons des autres couleurs ou que la moyenne des autres couleurs. Donc une étoile rouge doit scintiller moins qu'une étoile blanche. Je soumets celte explication aux personnes qui sont plus que moi versées dans toutes les questions relatives à l’op- tique. [1 me semble, toutefois, que ce raisonnement est ( 576 } conforme aux saines nolions de la seience, et que l’on peut, de celte manière, rendre compte dun fait qui est pour moi incontestable, savoir la différence qu'il y a entre la scintillation des étoiles rouges et celle des étoiles blanches. Comme mes observations ont porté sur toutes les étoiles de première grandeur et sur la Polaire, on sera peut-être étonné de ne pas voir les tableaux relatifs à Altair, Rigel, Sirius et Antarès. Mais Altaïr est d’un éclat plus faible, et Sirius d’un éclat bien plus fort que les autres étoiles pour lesquelles j'ai fait la réduction. En conséquence, j'aurais pu craindre que la différence de lumière de ces étoiles ne rendit défectueuse toute comparaison avec des astres plus ou moins brillants. D'ailleurs, Rigel, Sirius et Antarès s'élèvent peu sur l'horizon de Morges, de façon que les observations ont été relativement peu nombreuses, et comme, en oulre, elles ont en grande partie été faites dans le voisinage de l’horizon, elles sont aussi moins sûres. Je pourrai plus tard effectuer les caleuls pour chacune de ces étoiles, mais je ne me propose pas de les faire entrer dans une même moyenne avec les observations qui ont été faites dans des conditions plus favorables. Quand j'ai eu déterminé la courbe destinée à établir la relation qu'il y a entre la distance zénithale d’une étoile et l'intensité de sa scintillation, j'ai cherché s'il n°y aurait peut-être pas quelque autre courbe semblabie à celle-là, et si l'on ne pourrait pas obtenir ainsi la loi de la scintilla- tion. Dans ce but, j'ai fait différents essais, et je n’ai pas tardé à reconnaître que la courbe de la scintillation diffé- rait considérablement de celle dans laquelle les abscisses représentent les distances zénithales et les ordonnées l'épaisseur de la couche d'air traversée par le rayon lumi- neux. Les ordonnées de la scintillation s’accroisent beau- É 574 ) coup plus rapidement que celles de cette dernière courbe. Enfin, après quelques essais infructueux, j'ai trouvé que l’on obtiendrait une courbe qui s’approcherait beaucoup de celle de la seintillation, si l’on prenait pour abscisses les distances zénithales et pour ordonnées le produit de la réfraction à la hauteur que l’on considère par l'épaisseur de la couche d'air traversée par le rayon lumineux. L'écart que présentent les deux courbes est certainement peu de chose dans une recherche de ce genre. La plus grande di- vergence à lieu pour les faibles hauteurs au-dessus de l’ho- rizon , où les ordonnées de la courbe de scintillation sont plus petites que celles de l’autre courbe; mais pour ces points aussi les observations sont peu sûres, les étoiles ont perdu leur éclat; celles de 1° grandeur brillent seulement comme celles de 2° et de 3"° et, par conséquent, leur scintillation semble moins vive. Car si, dans les mêmes circonstances atmosphériques, on observe la scintillation de deux étoiles de grandeur bien différente, généralement la plus brillante paraîtra avoir la plus forte scintillation : Ainsi donc on s’écarte peu de la vérité en disant : Que, sauf près de l'horizon, la scintillation est proportionnelle au produit que l'on obtient en multipliant l'épaisseur de la cou- che d'air que traverse le rayon lumineux, par la réfraction astronomique à la hauteur que l'on considère. Mais tout en convenant que la différence de couleur des étoiles entraine une différence dans la scintillation, je crois aussi qu'il y a encore quelque autre cause qui influe sur le phénomène. Ainsi Wega aussi blanc que Procyon scin- ülle certainement moins; Aldébaran, qui est au moins aussi rouge qu'Arcturus, scintille davantage. Encore ici ces dif- férences sont tellement soutenues qu'on ne peut guère les attribuer à quelque cause accidentelle , surtout si l’on con- APE TOR ( 378 ) sidère que tous ces résullats sont la moyenne de plusieurs centaines d'observations. Il semble bien ainsi qu'il y a en- core une différence essentielle entre la scintillation d’une étoile et la scintillation d'une autre étoile. Peut-être main- tenant cela serait-il dû à une différence dans les diamètres apparents, comme je le supposai qüand je me rendis auprès de M. Argelander? Ce seraït toutefois assez curieux si la simple étude de la scintillation pouvait nous apprendre plus de choses sur le diamètre apparent des étoiles, que les lunettes et les instruments de précision. Mais c'est là une idée que je n'ose émettre qu'en laccompagnant d’un grand point interrogatif. Seulement à cause de la haute importance de la question , je me propose, en continuant mes recherches, d'apporter sur ce sujet un redoublement d'attention. Si lon voulait classer les étoiles que j'aï calculées dans l’ordre que leur assigne l'intensité de leur scintillation, on devrait les placer de la manière suivante : Procyon, Wega, la Chèvre, Aldébaran, à d'Oriôn (?) et Arclurus. À En résumé done, je crois pouvoir conclure des obser- vations que j'ai faites sur la scintillation des étoiles : Que, toutes choses égales d’ailleurs les étoiles rouges , scintillent moins que les étoiles blanches; Que l'intensité de la scintillation est à peu près propor- tionnelle au produit obtenu en multipliant la réfraction par l'épaisseur de la couche d'air traversée par le rayon lumineux que l’on considère; Qu’outre le fait de l’inflaence des couleurs ; ily a encore entre la scintillation des étoiles des différences essentielles qui paraissent provenir des étoiles elles-mêmes. Je ne me dissimule pas, Monsieur, que ce sont là des + + ( 579 ) propositions importantes, el jé n'ose les présenter que pärcé que je suis profondément convaincu que les deux premières sont certaines ; et quant à la troisième, je ne fais, pour le moment, que l'indiquer sans en tirer d'autres con- séquences; mais elle touche à des questions assez graves pour qu'il vaillé [a peine de l'examiner. Quoï qu'il en soit, Mousteur, si ce n’étaït pas abuser de votré complaisance et vous faire une demandé trop indis- crèté, jé vous serais infiniment obligé, si vous vouliez bien nié dire ce qué vous pensez de mon traÿail et des conclu- sions auxquehles je suis arrivé. Dans tous les cas, je suis convaincu que si vous trouvez que J'ai fait fausse route, que j'aurais dû observer autrement, ou discuter mes obser- vations d’une autre manière, vous voudrez bien néanmoins ne pas juger avec trop de sévérité un travail de 5 ans, attendu que je n’avais absolument aucun guide. Je ne connais personne qui ail entrepris, sur la scintillation des étoiles, des recherches suivies dans un but déterminé, et probablement que je n’y aurais moi-même jamais pensé, si l’intéressante notice que M. Arago a publiée sur ce sujet, dans l'Annuaire du Bureau des Longitudes pour 1842, ne m'avait fait voir combien ce phénomène avait été peu étu- dié, et combien pourtant il méritait de l'être. Or, lorsque l’on est ainsi placé en présence d’un horizon bien vaste, sans avoir de point de repère, il est quelquefois permis d’errer, et il serait possible de citer dans l’histoire de la science, de nombreux exemples où, en pareil cas, on n’a trouvé le bon chemin qu'après beaucoup d’essais inutiles, et de temps employé à le chercher. Maintenant que j'ai effectué ces premières recherches, recherches que je ne pensais pas même entreprendre quand J'ai commencé mes observations sur la scintillation, et ( 580 ) que j'ai la relation entre la hauteur apparente d’une étoile et l'intensité de sa scintillation, il me sera possible de reprendre les notes que je possède et d'examiner la ques- tion au point de vue météorologique, ce qui était mon premier but. D'après ce que j'ai pu remarquer tout en ob- servant, je crois qu'il y a là une recherche qui pourrait avoir uu haut intérêt. Je commencerai incessamment ce travail, si du moins les personnes compétentes qui pren- dront connaissance de ce qui précède pensent que celte seconde partie a de l'importance et qu'il vaut la peine d'utiliser à cet effet les 13,000 observalions que j'ai re- cueillies. EP PT TE PS SE TT ST I EE td l À wi ( 381) CLASSE DES LETTRES. Séance du 7 avril 1856. M. le baron de GERLACHE, président de l'Académie. M. A. QueTELET, secrélaire perpétuel. Sont présents : MM. le chevalier Marchal, de Ram, Roulez, Gachard, Borgnet, le baron de Saint - Genois, Paul Devaux, Schayes, Snellaert, Carton, Haus, Bormans, Leclercq, Polain, Baguet, Faider, Arendt, membres ; Nolet de Brauwere van Steeland, associé; Ducpetianx, Mathieu, Kervyn de Lettenhove, Chalon, correspon- dants. M. Ed. Fétis, membre de la classe des beaux-arts, assiste a la séance. CORRESPONDANCE. M. le Ministre de l’intérieur fait parvenir une ordon- nance de payement de 20,000 francs , dernière partie du subside accordé à l’Académie royale pour l'exercice 1855. Une autre lettre fait connaître que divers travaux de réparation et de consolidation aux planchers du local de ( 582 ) l’Académie ont été ordonnés par M. le Ministre des tra- vaux publics. Une troisième lettre du même Ministre annonce la no- mivation de M: Séhaÿes cômme membre du jury chargé de décerner le prix quinquennal d'histoire nationale, en rem- placement de M. le baron J. de Saint-Genois, qui n’a pu accepter ces fonctions. | — M. le prince de Ligne, président du Sénat, remercie l'Académie pour l'envoi de son Annuaire. — M. Camille Wirs, président de Ja Société des sciences du Hainaut, fait hommage de différents ouvrages de sa composition. = La Société pour le secours dés noyés, établié à Am- Sterdam ; fait parvenir un exemplaire de l’apérçu histort- que qu’elle vient de couronner, sur les moyens de sécoarir les noyés. — Remérciments. — M. H. Moke, membre de l'Académie, présente un mémoire Sur la population et la richesse de la France au XIV" siècle. (Commissaires : MM. de Saint Genois, de Ram et Kervyn de Lettenhove.) SÉANCE PUBLIQUE. L'Académie s’oecupe dés principalés dispositions à pren- dre pour sa séance publique du mois de mai. Après examen, il est reconnu que:les retards apportés par le Gouverne- ment dans la convoration des deux commissions chargées de juger les prix quinquennaux d'histoire nationale et des ( 385 ) sciences morales et politiqués obligent à retarder là séance publique et la séance générale jusqu’à la fin du mois; elles né pourront avoir lieu que le 27 et le 28 mai prochain. La classe désigne ceux dé ses membres qui prendront la parole dans la séance publique. COMMUNICATIONS ET LECTURES: Recherches sur l'origine de la ville de Gand ; par M. J.-J. De Smet, membre de l’Académie. Delitivém terrae, Flandri caput orbis ; océllus Belgicae, et enixo Caesare laeta parens, Concilio illustris, bello horrida, florida pacé, Pulchra situ, felix aere, dives aquis, Gandavum breviter. (Max, DE VRIENDT.) Qu'un homme de naissance obscure s'élève par lé mérite ou par l'intrigue aux premières dignités d’un Etat, il ne manquera jamais de rencontrer quelque écrivain assez complaisant pour lui arranger une généalogie toute royale, et rattacher une famille inconnue aux maïsons les plus anciennes et les plus illustres. L'histoire des temps mo- dernes, comme celle de Rome et du Bas-Empire, nous en fournit de nombreux exemples. Il en est de même des villes dont l’humble origine se cache dans la nuit des temps. Dès qu’elles sont devenues célèbres , le patriotisme ou la crédulité ne manque jamais de leur trouver un grand et un auguste fondateur : c’est ainsi qu'Athènes devra son existence à Minerve, Paris au malencontreux fils de Priam ( 584 ) et Tournai à Turnus, le brave rival d'Énée le Débonnaire, ou du moins à Tarquin le Superbe. Cette gloire, si c’en est une, n’a pas fait défaut à la ville de Charles-Quint. Ceux qui aiment à s’enfoncer davan- tage dans la nuit des temps, soutiennent que Gand s’ap- pela d’abord Odvea ou Oduenna et font dériver ce nom de celui d'Odin, célèbre divinité des peuples du Nord. Mais Odin n'étant pas honoré par les Celtes, il faudrait inférer de cette opinion que la fondation primitive de Gand date de 150 à 200 ans avant l'ère chrétienne, puisqu'on ne peut reporter qu'à une époque intermédiaire l’expulsion des Celtes de nos pays par les peuplades germaniques. C’est là certes déjà une antiquité bien respectable : malheureuse- ment le nombre des écrivains qui l’admettent est fort borné. D'autres plus modestes remontent moins haut et n’em- pruntent pas à une divinité le nom primordial de notre ville. À les en croire, elle avait eu pour fondateur un homme illustre, appelé Clarinus, el s'était nommée, d’après lui, Clarinaea ; chacun connait les vers conservés avec soin par de Meyere (1) : Hanc Clarinacam vetcres dixere coloni, Gorduni populique truces coluere Sicambri : Mercurio Caesar, Christo sacravit Amandus (2). Cette opinion est plus commune que la première, mais ceux qui l’adoptent auraient dû se donner la peine de nous apprendre comment ce Clarinus, Latin d’origine évidem- (1) Ænnal. Fland., ad an. DCLXVIIT. (2) Le poëte Lernutius a donc pu dire : Felix Gandavum, Flandri caput orbis honosque, Olim Clarineue quam posuere manus. ( 585 ) ment (1), s'était avisé de faire un établissement au milieu des forêts de ce pays barbare à une époque où de brillants songe-creux n'avaient pas encore célébré le bonheur de l'homme sauvage. Un seul fait renverse entièrement l'une et l’autre de ces hypothèses. Jules César nous assure qu'à son arrivée dans la Gaule Belgique, les Éburons, les Ménapiens et les Morins n'avaient ni villes ni bourgades. Tacite nous dit qu'il est généralement connu que les Germains n’ont point de villes et ne souffrent pas même que leurs maisons se touchent (2); et Dion Cassius ajoute, en parlant des Morins et des Ménapiens en particulier, que n'ayant pas de villes et habitant des chaumières, ils cachaient ce qu'ils avaient de précieux dans les forêts les plus épaisses (5). Comment placer parmi ces peuples des Odvea ou Cla- rinaea ? Mais une autre opinion attribue à Jules César lui-même, qui ne paraît pas s’en être douté, ia gloire d’avoir fondé la ville de Gand, et cette opinion, qui pourrait jusqu’à un cerlain point s'appuyer sur les vers adoptés par de Mevere, est beaucoup plus accréditée que les deux autres. Le fameux Pétrarque écrivait au cardinal Colonne : Gandavum vidi Caesare conditore superbum ; et bien des écrivains , poëtes ou prosateurs l'ont répété après lui. Le fait n’en est pas moins généralement regardé comme fabuleux aujourd’hui. Est-il même bien sûr que le cheval du conquérant des (1) M. Van Vaernewyck le fait contemporain du vieux Priam. (2) Nüllas Germanorum populis urbes habitari satis notum est, ne pati quidem intus se junctas sedes, elc. (Genx. XVI.) (3) Oùre vop mines Éyoyrés, «AN e9 xoMGxris Muifouerut, (Mist, Ron. L XXXIX, ( 44.) ( 386 }) Gaules a foulé le 1erraiu où s'élève notre ville superbe (1)? Cela est sans doute possible et, si l'on veut, probable, mais nous pensons qu'on ne pourrait en fournir des preuves. M. Lesbroussart père écrit (2) : « On ne peut. douter » qu'il (César) n'ait parcouru les bords de l'Escaut, et qu'il » n'ait pénétré fort loin dans la Flandre; » et il justifie cet asserlion par cette phrase mutilée des Commentaires (5) : ipse ad flumen Scaldim... extremasque Arduennae partes ire constituit. À ne voir que ce Leste isolé el taillé, pour ainsi dire, d’après l’idée du sayant académicien, chacun parta- gerait volontiers son avis; mais il n’en serait plus de même, pensons-nous, après l’examen de l'endroit d’où ce passage esl extrait et de ce passage lui-même en son entier, Nous ue pouvons dès lors nous dispenser de reproduire ici les paroles de César : Ipse cum reliquis tribus (legionibus), dit-il. ad flumen Scaldim, quod influit in Mosam, extremasque Arduennae parles ire constituil, quo cum paucis equilibus profectum audiebat. Discedens, post diem seplimum sese reversurum, confirmaL. De bonne foi, peut-on s’imaginer, avec M. Lesbroussart, qu’il s’agit là d’un voyage dans la Ménapie, que Jules César entreprend pour étudier les positions militaires que pré- senteul les rives de l'Eseant ? Son but est d'atleindre le fugitif Ambiorix, mais a-t-on jamais pu supposer que le belliqueux chef des Éburons se soit réfugié dans la Flandre actuelle? Nos Flamands n'y , (1) Gand la superbe espagnole. (Borcrau.) (2) Nouv. Mémoire de l'Acad., t. 1, p. 176. (3) De Bello Gall. lib. VI, 53. ( 387 ) verraient pas une lache apparemment pour l'histoire de la province; mais ils ne trouveraient pas de preuves à l'appui du fait. César avait, d’ailleurs, envoyé Labiénus contre les” Ménapiens. | La parenthèse, quod influit in Mosam , que M. Lesbrous- sart à retranchée de son texte, a donné, comme on sait, bien des tortures aux Jungermann et aux Oberlin. Com- ment le général romain a-t-il pu croire et dire que l'Escaut se jette dans la Meuse? 1} paraît d’abord que lui-même a plus d’une fois confondu les noms de Scaldis et Sabis, parce qu’il n'avait pas encore, ce qui v’a rien de surprenant, une connaissance assez exacte des lieux (1). Ainsi, dans le XVI®* chapitre du livre 11, il est évident qu’au lieu de Sabim flumen, comme il a écrit, il aurait dû écrire Sealdim ou Samaram flunien. Vei, le contraire à eu lieu , et voulant désigner le Sabis, il a nomfé le Scaldis. Son traducteur grec a donc eu parfaitement raison en substituant Z46w, la Sambre, à Scaldis, dans l'endroit qui nous oceupe. Il est vrai que Gérard de Nimègue et, d’après lui, Glandorp, ont défendu la leçon vulgaire, en prétendant que des inon- dations, survenues plus tard, ont empêché de reconnaître l'endroit près de la Brille, où se faisait la jonction de l'Escaut avec la Meuse. Mais cette hypothèse füt-elle vraie, ce que nous ne croyons pas, en résulterait-il que César a exploré le cours de l’Escaut sur le territoire de Gand ? Ajoutez que, d’après César lui-même, la forêt des Ar- dennes ne s’étendait de ce côté que du Rhin et des fron- tières des Tréviriens jusqu’à celles des Nerviens, et n'attei- (1) Trois ans après la conquête, Cicéron écrivait encore à son frère : Ubi sint isti Nervii et quam longe absint nescio. ( Epist., lib. HE, 8 ad q. fra- trem.) ( 588 ) gnait pas, par conséquent, en aucune manière les nés de notre Escaut. La tournée du conquérant au confluent de ce fleuve et de la Lys ne reposant ainsi que sur une simple conjecture, dénuée de toute preuve historique, il n’est pas nécessaire dé recourir au peu de durée que devait avoir son absence : post diem seplimum se reversurum, pour prouver qu'il n’a puy construire un fort ou placer une garnison. Quant aux habitants qu'il aurait trouvés entre les deux cours d’eau, étaient-ce bien les Gorduni, comme le supposent, avec le poëte cité, beaucoup d'autres anciens? La peuplade des Gorduni ou plutôt Geïduni (1), a son rang parmi les cinq nations que César place sous la dépendance des Nerviens et dont il ne fait mention qu'en un seul endroit (2). Le célèbre géographe Samson, le vieil historien de Tour- nai, Poutrain, et nombre d’autres savants ont placé les Geïduni sur la rive gauche de l'Escaut; mais l'autorité des Nerviens ne s'étendit jamais au delà de ce fleuve et sa rive gauche était déjà occupée par les Ménapiens; dès lors, l'opinion de ces écrivains est insoutenable, D’Anville et, d’après lui sans doute, Barbié du Boccage, leur assignent une demeure sur les côtes de la mer et presque en Zélande, ce qui les éloigne bien plus encore de la nation dont ils étaient les clients et qui n'avait aucune possession mari- time; car Pline l'Ancien nous dit textuellement : Introrsus habitant Castalogi, Atrebatenses, Nervi liberi, Vereman- dui, etc. (5). L'opinion la plus probable est celle du judi- cieux Racpsaet, qui fixe la position des cinq peuplades sou- (1) C'est la lecon des meilleurs MSS. (2) De Bello Gall., lib. V, cap. 59. (5) Hist. mundi, lib. IV, cap. 51, t. IT, p. 182, ed. Charp. ( 389 ) mises aux Nerviens dans l'ancien Brabant, et particulière- ment dans le pays qui s’appela plus tard comté d’Alost (1). Dans cette hypothèse, le sentiment de ceux qui pensent, avec M. Turpin de Crissé, que les Geiduni habitaient Gand ne paraît plus si déraisonnable, puisque le comté d’Alost touchait aux portes de la ville (2), et que même une partie notable de la population s’est depuis longtemps agglomérée sur la rive droite de l'Escaut (5). M. le baron Walckenaer, qui à fait de la géographie ancienne des Gaules l’objet d’études si longues et si consciencieuses, croit que les Geiduni étaient au midi de l'Escaut, dans les environs de Gand et de Deynze (4); mais il ne paraît pas attacher une grande importance à des conjectures appuyées, dit-il, sur des textes combinés, mais insuffisants, des auteurs an- ciens. Cela est juste pour les environs de Gand; mais aucun ancien n'a placé la peuplade sur la Lys, où Deynze a élé bâtie. Le terrain qu'occupe aujourd’hui l’ancienne capitale des Flandres était peu habité sans doute sous la période ro- maine, mais le récent historien de l’abbaye de S'-Bavon n'a-t-il pas exagéré, quand il avance (5) que les marais et les flaques d’eau qui le couvraient ne permettaient pas d'y établir des demeures? I cite quelques rues dont la déno- mination prouve qu’elles élaient marécageuses; mais de celles qu'il cite, il s’en trouve à peine deux qui appartien- (1) Œuvres compl., t. IN, p. 24. (2) De là vient que la paroisse de Molle, si voisine de Gand, ressortissait autrefois au diocèse de Malines. (3) De là le nom d'Over-Schelde que conserve encore ce quartier. (4) Géographie anc. des Gaules, 1. I, p. 478. (5) Van Lokeren, Histoire de l’abbaye de St-Bavon, pp. 2 et suiv. TOME xx. — 1° PART. 28 ( 390 ) nent à la ville primitive, à ce qu'on nommait le port de Gand. Peut-être même les prairies appelées Groene-hoye et Muinckmeerschen (1) n’étaient-elles pas absolament inha- bitables, et entre deux s’étendait cette langue sablonneuse qui porte encore le nom de Zand, et valut jadis à la cha- pelle de S'-Anne celui de S““-Catharinae ad Arenam. En tout cas, les obstacles dont parle l’auteur n’existaient pas pour la colline que saint Amand nomma plus tard Blandinium, ni pour le plateau où le même saint fonda l’abbaye de S'-Bavon. La dénomination de Héreheim, sous laquelle était connu l’espace qui séparait les deux tertres, ne peut avoir été donnée qu’à un lieu habité. Qu'on ne croie pas cependant que nous voulons inférer de là que Gand avait rang de ville sous les Romains : la Table de Peutinger, l’Itinéraire d’Antonin et la Notice des Gaules, qu'on peut assimiler à des documents officiels (2), prouvent que, jusqu’au V"* siècle, la Belgique actnelle ne possédait d’autres villes que celles de Tournai et de Ton- gres. Mais nous pensons qu'il existe des motifs plausibles pour croire que les Romains, assez longtemps peut-être après la eonquête, y ont bâti un fort, ou castrum, dans le- quel saint Amand étabiit plus tard une abbaye (5) et qui est devenu le berceau de notre ville. Ils avaient construit le Castellum Menapiorum , aujourd’hui Cassel, pour avoir une place de sûreté contre les ineursions dont les Ménapiens, encore indépendants, menaçaient sans cesse le pays qui (1) Prata florealia, dit le comte Arnoul le Vieux. (2) Walckenaer en donne l’analyse dans le III"e volume de sa Géographie des Gaules. (5) On lit dans une bulle papale : de monasterio... quod est situm in castro famoso nomine Gandavum. (Cart. de S'-Bavon, p. 1.) ( 391 ) leur était soumis. Les mêmes raisons ne devaient-elles pas les porter à bâtir une forteresse semblable aux confins des Ménapiens et des clients des Nerviens? Et quel site plus heureux que le nôtre pouvaient-ils choisir dans une con- trée peu accidentée d’ailleurs (1)? M. Van Lokeren émet une opinion toute différente, dont à coup sûr on doit tenir compte et qui doit être exami- née ici. « Des généraux aussi expérimentés que ceux qui com- mandaient les Romains, dit-il (2), ne se seraient pas hasardés à aller attaquer dans des retraites impénétra- bles ces valeureux débris des phalanges ménapiennes et nerviennes, qui faillirent anéantir l’armée victorieuse de Rome; nous pouvons considérer comme certain que cette partie des Gaules ne fut jamais soumise par la force des armes. Quoi qu'il en soit d’ailleurs, les Romains qui avaient l'habitude de garantir les limites de leur empire par des castella ou par des castra, n'avaient aucun intérêt d'en élever sur les bords de l’Escaut et de la Lys, parce qu’à cette époque leur domination s’éten- dait bien au delà. » À On pourrait se demander si le nom de phalanges peut convenir à des troupes qui n'avaient pas la moindre idée de tactique, telles que les Gaulois-Belges à cette époque; mais comme nous ne faisons pas une critique de mots, cé nest pas là une question qui doive nous occuper. Ce qui est plus important de beaucoup, c’est que M. Van Lokeren 5 © © + v YU 0 v vu Ov % + (1) On construisit plus tard deux cidatelles à Gand, l’une sous Charles- Quint, à l'endroit même du Castrum , l’autre sous le roi Guillaume, au mont Blandin. (2) Æist. de l'abbaye de Saint-Bavon, p. 3. ( 392 ) se trompe, à notre avis, en associant ici les Nerviens aux Ménapiens, en supposant que les premiers n’ont jamais reconnu l’autorité des Romains (1). Et si cette supposition est écartée, tout le raisonnement de l’auteur tend à prou- ver l'existence d’un castrum au confluent de la Lys et de l'Escaut, qui formait bien réellement une limite de l'em- pire, souvent menacée par les Ménapiens indomptés. Nous sommes étonné que l'historien ne se soit pas aperçu qu'il se-contredit évidemment lui-même en soutenant d'abord que le pays des Ménapiens était impénétrable, au point que les généraux romains n'osaient pas s’y aventurer, et ensuite que l'empire de Rome s'étendait bien au delà. Dans ses savantes notes sur la Chronique de Thielrode, il avait émis une opinion toute différente : nous pensons qu'il aurait pu s’y tenir. Lui-même nous avait appris (2) qu’une foule de preuves viennent encore attester tous les jours que les Romains ont eu une résidence non loin du confluent de la Lys et de l’Escaut. Les dieux pénates et les ustensiles du peuple romain, les restes de poterie, et surtout de tuiles de terre et de fabrique romaine, qu’on a souvent trouvés à fleur de terre à quelque distance des deux rivières, rendent le fait plus que probable. Les médailles qu'on y a décou- vertes ne sont pas sans doute une preuve convaincante par elles-mêmes (3), mais le doute ne peut plus s’y attacher quand on les trouve mélées avec les débris d'objets qui ont (1) Tibère séjourna dans leur capitale de Bagacum vers l’an 12 de l’ère chrétienne; et si Pline l'Ancien les appelle Vervii liberi, cela veut dire sim- plement qu'ils avaient conservé une partie de leurs priviléges (2) Chronique de Thielrode, p. 85. (3) V. Cleffel, Germ. antiq. ( 395 ) servi aux besoins journaliers du peuple, à bâtir ou à cou- vrir ses édifices , surtout quand ces objets, comme c’est le cas ici, se rencontrent en abondance. Mais un écrivain du X”* siècle, dit-on, attribue la fon- dation de Gand à Hermenrick, roi des Visigoths. Nous le croyons volontiers. Un auteur du XV attribue ainsi la création du royaume des Gaules à Samotus Celtus et celle du duché de Brabant à Brabon. Que peut-on conclure de là? Un autre auteur du X"* siècle, plus sensé apparemment . que le premier, regarde le célèbre Agrippa comme le fon- dateur du Castrum Gandevum (1), et le savant Olivier de Wree, après avoir combattu, comme nous, l'opinion de ceux qui font explorer les bords de l’Escaut par Jules César (2), paraît admettre qu'Auguste y fit placer une gar- nison , quand il crut les Gaules pacifiées (3). Nous ne pou- vons nous ranger à cet avis, ni donner une si haute anti- quité aux commencements de notre ville. Nous pensons même qu'il n’existe aucune donnée historique pour fixer l'époque de son premier établissement militaire. « De toutes les médailles qu'on a trouvées aux environs » du fort ou castrum, dit M. Lesbroussart (4), aucune ne » remonte, selon le rapport des historiens, au delà de » Néron…. Elles sont de Néron, de Gordien et de leurs » successeurs jusqu'à Constantin. » Dans les dernières fouilles qu’on a faites dans les ruines de Saint-Bavon, on (1) La Chronique de Thielrode, p. 89: cite ce texte d’un MS. : Ferunt autem Agrippam quondam Romanorum ducem in eo castrum condidisse Gandavumque appellasse. (2) Flandria Christiana, p. 85. (5) Flandria cthnica, p. 604. j (4) Mémoire sur les accroissements de la ville de Gand, pp. 180 et suiv, ( 39% ) a découvert une médaille de Constantin le Grand, une autre de Valentinien IL et quelques-unes du IV" siècle, mais dont les légendes sont effacées (4). On peut inférer de là que la construction du fort n’est pas antérieure au règne de Néron; mais, après lui, quel vaste champ ouvre aux con- jectures un espace de trois siècles! Sans avoir la préten- tion de deviner juste, daus l’absence de tout fait historique qui pourrait servir de point d'appui, nous serions assez porté à reculer cet établissement jusqu’au règne de Con- stance Chlore (2). Jusqu’alors on ne voit pas que les empe- reurs, sans cesse harcelés par des guerres civiles ou con- traints à porter leurs armes en Orient, aient pu s'occuper beaucoup de cette partie de la Gaule Belgique. Constance, au contraire, créé césar par Maximilien-Hercule, eut pour département les Gaules, la Grande-Bretagne et l'Espagne. Après avoir soumis la seconde de ces provinces, révoltée depuis neuf ans, et repoussé une nouvelle invasion des Germains, il fut proclamé auguste, mais n’ajouta rien à ses États. Résidant avec plaisir dans notre Gaule et con- naissant par lui-même tous les besoins du pays, ce bon prince n’a pu négliger d’en fortifier les points vulnérables ; et telles étaient sans doute les rives de l'Escaut, sans cesse exposées aux incursions des Ménapiens, Qui sait même si l’empereur, prévoyant que la soumission entière de la con- (1) Æist. de l’abbaye de Saint-Bavon, par M. Van Lokeren, p. 189. (2) On lit dans lÆistoire desAlettres, etc., en Belgique (t. I, p. 441), que saint Macaire, honoré à Gand, eut part à l'invention de la sainte croix par sainte Hélène ; or, ce saint Macaire, honoré à Gand et en Bavière, mourut à l'abbaye de Saint-Bavon, d’où il résulterait que cette abbaye datait au moins du IVe siècle. Mais ce n’est là qu’une méprise causée par la simili- tude des noms : l’auteur confond saint Macaire, patriarche de Jérusalem, avec saint Macaire, archevêque d’Antioche de Pisidie. ( 395 ) trée aurait lieu tôt ou tard, et qu’alors le confluent de deux courants d’eau considérables attirerait le commerce, qui sait, disons-nous, si ce n’est pas lui qui a dédié l'endroit à Mereure et qu'on a désigné par ce vers : Mercurio Caesar Ganpam sacravit ? Nous devons cependant avouer de nouveau que, s’il nous parait sûr qu’un fort y a été fondé sous les Romains, rien n'est moins certain que l'époque de cette fondation. Si les débris d'objets qui sont évidemment de fabrique romaine et d'un usage journalier parmi les peuples, nous ont fourni une preuve de la part que les Romains ont eue à la construction du castrum, d'anciennes murailles que le temps a respectées depuis quinze siècles font foi qu'il a été rebâti par une autre nation. « Ces murailles portent » partout les traces, dit le savant éditeur de la Chronique de Thielrode (1), et très-distinctes, d’une maçonnerie connue par les archéologues sous le nom d'ouvrage en arête de poisson ou en feuilles de fougère; arrangée de manière qu'il y ait un rang de pierres plates, mises obliquement de gauche à droite, et au-dessus duquel il y a un autre rang de pierres obliques de droite à gau- che. » Les anciens bâtiments de la Grande-Bretagne et dela Lombardie sont les seuls où les antiquaires aient trouvé ce genre de maçonnerie, ce qui prouve qu'elle n’était usitée que chez les peuples du Nord. Mais à quel peuple en particulier peut-on attribuer ces vieilles murailles toujours debout parmi tant de ruines? « On ne peut révoquer en doute, dit Lesbroussart (2), le #. © +4 EL (1) P, 96. (2) Mémoire sur les accroissements, etc., Nouv. méw., t. I, p. 182. ( 396 ) » séjour des Vandales dans les environs du Castrum » Ganda, au commencement du V"* siècle. Tous les his- » Loriens sont d'accord pour leur rapporter l'étymologie » du mot Gand. Ils leur attribuent même la construction » d'une forteresse, dont on conservait encore le souvenir » dans le dernier siècle. » Il n’y aurait aucune difficulté à résoudre la question que nous venons de poser, si toutes ces assertions étaient solidement établies; malheureuse- ment, et malgré l’assurance avec laquelle s'exprime le docte académicien, nous ne saurions admettre comme vraie aucune d'elles. Le sage Meyer raconte, il est vrai, qu’en 411, les Vandales s’'emparèrent d'une ville située au confluent de l'Escaut et de la Lys, et qu'ils la nommèrent Wandt (1); mais il semble y croire bien peu lui-même, puisqu'il ajoute : Si verae sunt Hannoniensium annales. Or, pour savoir quel degré de confiance on peut accorder à ces annales, on n’a qu'à y voir que les Vandales adoptèrent à cette époque, pour les armoiries de la nation, un gant (wante) d'argent sur un fond de sable, et qu'ils se maintin- rent dans leur conquête malgré les efforts des Goths. Des armoiries au IV" siècle et des armoiries inventées pour et par les Vandales! Tout en respectant, comme il le mérite, le savoir de M. Lesbroussart, nous pensons qu’il est permis de révo- quer en doute le séjour des Vandales dans ces cantons. Comme les Alains et les Goths, ces barbares passèrent le Rhin et traversèrent une partie des Gaules pour exercer leurs déprédations dans les contrées les plus riches de l'Occident; les uns se dirigèrent sur l'Italie, les autres sur l'Espagne : mais le territoire des Ménapiens n’était pas sur (1) Rcrum Flandr., lib. X, p. 21. ( 597 ) leur roule assurément, et quel butin pouvait-il présenter à ces hordes de pillards? Les Vandales s'emparèrent de l’Afrique quelqué temps après et infestèrent par leurs pira- teries la Méditerranée, qui fut même, d’après leur nom, appelée Wendelsee; mais on ne voit chez aucun annaliste contemporain qu'ils aient fait des descentes, encore moins des établissements, sur le territoire occupé aujourd'hui par nos deux Flandres. Comment a-t-on pu s’imaginer d’ail- leurs qu’un peuple, dont le nom est synonyme de celui d'impitoyables démolisseurs , ait songé à bâtir des villes ? Nous ne croyons pas davantage que tous les historiens . leur attribuent l’étymologie du nom de Gand (1). Quant au Wandelaers-Kasteel, transformé pour le besoin de la cause en Wandaluers-Kasteel, nous avons dit ailleurs que ce n'était là qu'une ancienne maison de bains (2). Il nous paraît beaucoup plus probable que les travaux de réparation et d’agrandissement qui ont été faits au cas- trum des Romains et portent le cachet, pour ainsi dire, des peuples du Nord, appartiennent aux Francs Saliens, qui, sous leur chef Clodion, descendirent dans cette partie de la Gaule Belgique, non pour la piller, mais pour s'y faire des établissements durables. Notre savant confrère, M. Du Mortier, nous a démontré (5) que les Francs Saliens (1) La véritable étymologie du nom de Gand ou Gent est peut-être encore à découvrir ; mais nous avons cru que ceux qui le rapportent à 7’enta, lieu de marché, nous offrent celle qui est la plus satisfaisante. Un savant hollan- dais, M. Buddingh (Bemerkingen en aanteckeningen op de woordenver- klaringen der plaatsnamen) , trouve en Gand-a, gaenda-a, eau courante, ce qui s'applique bien à notre ville. La conjecture est heureuse, si Ganda n’est pas un nom latinisé. ° (2) Bulletins de l’Académie, t. XII. (5) Discours sur l'établissement des Francs dans les Gaules , p. 7. ( 398 ) et les Sicambres n'étaient qu'un même peuple, et, à défaut d’autres preuves, les paroles si connues de saint Remy, au baplème du roi Clovis : Mitis depone colla Sicamber ! sulli- raient pour l’établir. L'auteur des vers que nous avons cités plusieurs fois, a pu écrire avec raison : .…. Populique truces coluere Sicambri. L'invasion des Francs eut lieu dans la première moitié du V®° siècle, Après s'être affermi dans la possession de la Taxandrie (1), Clodion partit de Dispargum, où était sa résidence, et délivra la Nervie et la Moriuie du joug des étrangers. Le pays des Atrébates (2) lui fut moins favo- rable : il y fut défait par Majorien, lieutenant du général romain Aëtius, et obligé de battre en retraite, mais l'échec qu'il avait essuyé fut bientôt réparé et il se vit de nouveau en peu de temps maître de ses conquêtes jusqu’à Cambrai. Mérovée et ses successeurs consolidèrent son œuvre : c’est à l’un d'eux qu’on peut attribuer avec confiance les nou- veaux ouvrages de la forteresse de Gand. Les victoires des Francs changèrent nécessairement la position des Ménapiens. Toujours énnemis des Romains, ils se trouvèrent heureux de faire cause commune avec un . peuple guerrier, sorti comme eux des forêts de la Germa- nie, de culte et de mœurs semblables. Le castrum Ganda n’en offrait pas moins une posilion militaire de la plus haute importance, et comme la lutte pouvait se renouveler avec d’autres peuples du Nord qui ne cessaient de passer le Rhin, tout faisait un devoir aux chefs alliés d'en aug- (1) Plus tard la Campine. (2) L’Artois des temps plus modernes. Née ( 399 ) menter les moyens de défense. Quand l'Escaut fut plus lard admis pour limite entre l'Austrasie et Ja Neustrie , de nouveaux intérêts s'attachèrent à la conservation de la forteresse, En résumé, nous pensons que le castrum, berceau pri- milif de la ville de Gand, dut sa première fondation aux Romains, mais sa conservation et sa restauration aux Franes unis avec les Ménapiens. L'éditeur de la Chronique de Jean de Thielrode, qui, pendant nombre d'années, à con- sacré ses veilles à l'étude des ruines de S'-Bavon ; CSL assez d'accord avec nous sur ce dernier point : /L nous parait qu'ilest plus rationnel, dit-il (4), d'attribuer à Clodion ou à Mérovée , plutôt qu'à tout autre la fondation d'un castrum au confluent de deux rivières, d’où la ville de Gand tira son origine. » (juant au premier point, il semble en dou- ter, quand il avance, dans une autre note du même ou- vrage (2) : Il est probable cependant que, par sa posilion, ce lieu ait été occupé, même avant les Romains : Adossée à une immense forét qui occupait tout le pays de Waes (5), défendue au Midi par deux rivières et par de profonds ma- ras , celte localité offrait trop de moyens naturels de défense, Dour que les anciens habitants de ce pays ne s’en soient em- parés, et que, dans la suite, elle n’ait servi de refuge aux Morins (4) et aux autres peuplades que les Romains tra- quaient comme des bêtes fauves. Mais en admettant le [ait , (1) Chron., de Thietrode, notes, p. 95. (2) Zbid., p. 91. (3) L'auteur pense apparemment que le Forestum Wasdae est le pays de Waes, ce qui est au moins fort douteux. (4) Les Morins n'habitaient point là. « À partir de l’Escaut, dit Pline (Æist., lib. IV), habitent les Menaypii et après eux les Morini. » ( 400 ) pourquoi les Romains n'auraient-ils pas utilisé la même po- silion pour protéger les peuplades qui leur étaient soumises ? Nous croyons avoir assez développé les motifs qui nous portent à penser qu’ils n’ont pas été aussi malhabiles. Le castrum existait encore au VIT"* siècle, quand saint Amand vint annoncer l'Évangile aux populations sau- vages de la Ménapie; mais la garnison l’avait apparemment abandonné, puisqu'on permit au pieux missionnaire d’y établir sa demeure et celle de ses disciples ; un des bio- graphes de S'-Bavon nous l’assure en termes exprès : Allowinus vir Dei, dit-il (4), ad Amandum qui morabatur in Castro, cujus vocabulum est Gandavum, repedavit : quod videlicet castrum juxta Scaldim, ubi idem amnis Scaldis Legiam recipit, silum est. Ce n’est toutefois que plus d’un quart de siècle après que des auteurs contemporains nous parlent , pour la pre- mière fois, d'un endroit nommé Gand : Baudemont, troi- sième abbé de S'-Pierre, nous cite, dans la vie de saint Amand , le pagus Gandavum (2), et saint Ouen, dans la vie de saint Éloi, indique le Municipium Gandense (5). Ces données plus sûres nous guideront dans une autre étude sur les commencements de cette ville. (1) Acta SS. België, 4. IL. p. 501. (2) bid., t. IV, p. 249. (5) T. I, p. 229. (401 ) Quelques mots pour faire suile à ma notice sur Jacques d’Artevelde; par M. Kervyn de Lettenhove, correspon- dant de l’Académie. Si la polémique soulevée au sein de l’Académie n'inté- ressait point à un si haut degré l’histoire des communes flamandes, je ne viendrais pas prolonger une diseussion où j'ai pour adversaire notre vénérable et savant prési- dent; mais il est quelques principes de critique historique qu'il est important de préciser : ils obtiendront, je l’es- père, l'approbation de M. le baron de Gerlache, bien que les inductions que j'aurai à en tirer doivent se trouver complétement opposées aux siennes. Il peut y avoir un point de vue belge ou flamand, un point de vue français , un point de vue anglais dans l'opi- nion que l'on exprime sur le système politique d’Arte- velde (1); quant à l'appréciation morale de ses actes, il n’y a qu'une seule manière de les juger, soit qu'on les loue, soit qu'on les condamne. L’historien n’a plus à se souvenir de son pays; il n’a qu’à écouter sa conscience. Comment pourrait-il toutefois apprécier équitablement les événe- (1) « Je voudrais que l'historien s’élevât au-dessus du point de vue pure- » ment belge et flamand, sans, cependant les négliger. » (M. de Gerlache, Bull. de V’Acud., 1856, 1, p. 530). « Notre honorable confrère juge le » célèbre capitaine gantois avec une sévérité absolue que démentent, à mon » sens, les consciencieux travaux dont le but a été de réhabiliter ce grand » homme aux yeux de la postérité, de le réhabiliter surtout au point de » vue flamand. » M. de St-Genois, UN MOT 4 M. DE GFRLACIE, Pull. de V’ Acad., 1856, 1, p. 209.) ( 402 ) ments s'il n’en avait d'abord une connaissance exacte? De là nait pour lui le devoir de peser avec soin les témoignages qu'il invoque. Pour constater leur impar- üalité, il est tenu d'observer de qui ils émanent, et le plus souvent c’ést la biographie même de leur auteur qu’il faut approfondir ; mais s’il veut s'assurer du soin avec lequel on a recherché la vérité, rien ne lui est plus utile que la comparaison des pièces originales : c’est la méthode des savants les plus graves et les plus recommandables, c'est celle des Bénédictins. Si le chroniqueur que nous étudions s’est trompé sur les noms, sur les dates, sur lés circonstances de chaque fait, comment pourrions-nous aécepter sans contrôle le jugement général qu'il porte sur une époque, c'ést-à-diré sur un ensemble de faits; si, de plus il reproduit sans examen des récits dont la source est empreinte d’ignorance ou de partialité, comment ne nous méfierions-nous pas de l'esprit de sa narration? Il ne faut guère s'attendre à rencontrer une grande im- partialité chez nos vieux chroniqueurs qui empruntent à leur temps sa naïve crédulité ou ses passions Inconstantes, divisés entre eux comme tous les hommes qui les entou- rent par des discordes de partis et par des rivalités de nations. On peut néanmoins se servir de leur témoi- gnage en tenant compte de tout ce qu'y a ajouté la passion ou l'intérêt. En effet, jusque dans leurs erreurs, jusque dans leurs préjugés, ils reproduisent les mœurs de leur siècle, et un chroniqueur inexact peut être le peintre fidèle des sentiments divers qui s’agilaient au- tour de lui. Tel est le mérite de Froissart. Comme l’a remarqué M. Villemain, il s'inquiétait peu du soin de la vérité, ( 403 ) quoique sa bonne foi ne semble pas douteuse (1).Sa chro- nique si brillante, si variée, si vive dans ses brusques allures, est un admirable reflet de cette société chevale- resque dont il fut à la fois l’annaliste et le poëte. Il répète mieux que personne ce qu'on lui a conté, mais aussi sans se donner la peine de le discuter ou de le vérifier. Voya- geur comme Hérodote, il sacrifie, comme lui, tout à l’ima- gination, et son récit se modifie selon le pays qu'il visite, selon le palais où il trouve une généreuse hospitalité, Cependant c’est sur Froissart, le chroniqueur dés ba- rons et des chevaliers, que M. de Gerlache s’est principa- lement appuyé dans ses recherches sur l’histoire de nos communes , et il a considéré ses récits comme d'autant plus dignes de foi que, selon lui, Froissart écrivait, onze ans après la mort d’Artevelde, à la cour même d'Édouard FT. Il faudrait certes s'étonner de voir le chanoine de Chi- may présenter au puissant monarque qui appelait Ar- tevelde son compère, et à la noble reine qui donna son nom à son fils, le tableau de la violence et de la tyrannie du célèbre bourgeois de Gand; mais il est aisé d’établir que Froissart ne composa le premier livre de ses chroni- ques qu'après la mort d'Édouard If et de la reine Phi- lippe (2), alors qu'il avait déjà quitté l’Angleterre pour (1) « Nous avons noté dans Villani le soin de la vérité. Rien de tel dans Froissart. 11 ne s'inquiète pas des causes et des moyens. » (Cours ne Lirré- BATURE, Tableau du moyen dge.) (2) Froissart avait d'abord composé ce que M. Buchan appelle Za seconde partie du livre I: de ses chroniques. Elle commençait en 1556 et il la pour- suivit jusqu'en 1578. Ce ne fut que plus tard qu’il rédigea la prémièré partie accrue d'après Jean le Bel, à laquelle il ajouta, probablement selon le récit de Gauthier de Mauny ; quelques précieux chapitres relatifs au siége de Calais, La date de la composition de la première partie invoquée par ( 404 ) entrer au service du roi de France (1). Pour compléter ce qu'il avait pu apprendre dans sa jeunesse des avolés de Ca- lais ou de Dunkerque, il faisait de nombreux emprunts à la chroniquede Jean le Bel, si heureusement retrouvée par notre honorable confrère M. Polain (2). Jean le Bel avait écrit pour l’un des vainqueurs de Cassel, Jean de Beau- mont, alors aussi hostile à Édouard HE, que jadis il lui avait été favorable (5); Froissart dédia son récit à Gui de Blois, l'un des vainqueurs de Roosebeke. Plus de quarante ans s'étaient écoulés depuis l'élévation de Jacques d’Arte- velde, et je ne sais si l'on peut conserver à Froissart le titre d’historien contemporain. Reste Gilles Li Muisis, qui paraît raconter les événe- M. de Gerlache ne peut être antérieure à 1577, puisqu'il y mentionne la mort d'Édouard III, de la reine Philippe et du prince de Galles, et d’autres faits qui sont à peu près de la même époque, et elle doit être postérieure à cette date, car Froissart ne termina qu'après cette année son premier travail. D’après le chapitre LXVI, on peut supposer qu'elle a été écrite à Lestines, près de Binche. (1) Froissart, Chroniques , III, 70. (2) On trouve dans Jean le Bel les principaux traits des chapitres de Frois- sart, hostiles à Artevelde; mais celui où il dit, à propos de l'assemblée de Valenciennes, qu’Artevelde, par son grant sens, se fit admirer de tous ceux qui le purent oyr, manque complétement dans Jean le Bel. N'y aurait-il pas ici un souvenir que Froissart put recueillir lui-même dans sa ville natale, soit de la bouche de son père, soit de celle de quelque autre témoin? Peut-être encore.enfant, mais déjà dominé par le penchant qui l’entraïnait irrésistible- ment vers lés grandes scènes historiques, se méla-t-il à Ja foule qui se pres- sait autour de la tribune où un bourgeois de Gand portait la parole, au nom des communes de Flandre, devant une assemblée de princes et de hauts ba- rons. Quoi qu'il en soit, c’est le seul texte de sa chronique qui soit compléte- ment favorable à Artevelde. (5) Il faut remarquer de plus que nous ne connaissons le texte de Jean le Bel que par la transcription de Jean d'Outremeuse, qui était attaché à l’évêque de Liége, Arnould de Hornes, fidèle allié de Louis de Male. V CPE PTE 405 ) ments à mesure qu'ils s'accomplissent. Voici le commen- cement de sa narration : « Le comte de Flandre écoutait les avis de conseillers » élrangers et traitait durement ses sujets; tout le pays » commença à en murmurer, et ce fut la cause des coMmmMO- » tions et des rébellions contre ce prince qui arrivèrent » ensuite. » En 4557, Jacques d’Artevelde est, d’un commun ac- » cord, désigné par les bourgeois de Gand comme leur » Capitaine; » En 1558, les Gantois, sous les ordres de Jacques d'Artevelde, arrivèrent près de Bruges; ils conclurent une alliance avec les habitants de Bruges et du Franc, et le comte leur promit de leur conserver toutes les libertés dont ils jouissaient au temps du comte Robert, son aïeul (1). » Jusqu'à 1540, on ne rencontre dans Gilles Li Muisis aucune parole de blime; mais tout change à partir de l'époque où Artevelde reconnait Édouard III pour roi de France, et, on le comprend aisément , puisque Gilles Li Muisis devait à Philippe de Valois sa dignité abbatiale. I en est de même de tous les chroniqueurs qui écrivent en France. La grande guerre de la France et de l'Angleterre, la lutte de deux dynasties, ne pouvait les laisser calmes et indifférents, et l’on comprend la violence de leurs atta- ques contre Artevelde, quand on lit dans les chroniqueurs anglais du temps de Henri VI le portrait qu'ils tracent de Jeanne d’Are. Pour apprécier l’impartialité des historiens français, SO © VV % v a (1) Chroniques de Flandre, éd. de M. De Smet, t. II, pp. 219 220. TOME xxu1, — Jr papr. 29 ( 406 ) Jorsqu'ils jngeut l'alliance des communes flamandes avec Édouard III, il faudrait pouvoir leur opposer le réciL des historiens anglais, mais ils nous manquent pour celle pé- riode; la Flandre même n’en compte plus depuis la mort dn frère mineur de Gand , et peut-être convient-il de rappeler ici le mot de Salluste : Prudentissumus quisque, negotiosus marume erat : optumus quisque facere quam dicere malebat. Tout ne justifie-t-il pas le prix que nous ajoutons aux documents conservés dans nos archives, puisqu'ils forment la seule source digne de foi pour l’époque la plus impor- tante de nos annales? Plus j'en pèse Ja valeur, plus je suis disposé à croire avec M. de Gerlache que, dans une discus- sion qui tonche de si près à l'honneur des communes fla- maudes, il ne faut Jaisser de place ni aux hypothèses, ni aux conjectures (1); mais il me semble que mon savant adversaire a été lui-même infidèle à son système, en ne donnant pas aux faits qu'il invoque les preuves sans les- quelles ils ne peuvent avoir d’autorilé. M. de Gerlache reproche à Artevelde d’avoir ruiné l'avenir de la Flandre, en mettant le peuple en révolution et en sureæcitant la démocratie empressée à violer à sa voix la fidélité qu’elle devait au comte et le respect qu’elle de- vait aux magistrats. Artevelde n'a-1-il pas renversé Louis de Nevers pour remplacer son autorité par le joug d'une multitude effrénée? N'a-t-il pas chassé également les éche- vins qu'il trouvait trop modérés, afin de pouvoir arbitrai- (1) « Quand on prétend renverser les faits fondamentaux, non pas avec » des preuves complètes, mais avec de simples conjectures, je crois que l’on r dépasse les bornes de la critique permise... C’est aux faits que nous nous » attachons. » ((M. de Gerlache, Pulletins de l Académie, 1856, t. XXI, pp. 526, 315.) ( 407 ) rement en élever d'autres dont les passions démagogiques garantissaient mieux le dévouement? Graves accusations dont il est nécessaire ici plus que jamais de démontrer le fondement par des faits placés hors de toute discussion ; car il ne s’agit de rien moins que de convaincre d'erreur tous ces documents authentiques émanés de nos communes de 1557 à 1545, où se lit le nom du comte de Flandre, el les registres mêmes de l’échevinage qui constatent qu'il n'y eut pas d'échevins expulsés ou élevés par la force. A Dieu ne plaise que nous voulions prétendre qu'il faille sans conviction et rien que par un étroit patriotisme ad- mirer en tout et Loujours Jacques d’Artevelde! Comme nous l’avons déjà dit, nous censurerions ses fautes, nous flétririons ses crimes, aussi énergiquement que M. de Gerlache , s'ils nous étaient démontrés; nous pensons seu- lement qu'en présence des éminents bienfaits de son ad- ministration, l'historien est tenu de fermer l'oreille aux passions politiques comme suspeetes de mensonge ou d’injustice, pour ne chercher que dans les faits la vérité, cet hommage qu'il doit à la mort et le seul qu’elle réclame de lui. Les actes d’Artevelde , ses négociations , ses traités sont connus. N'est-il pas vrai que tous ses efforts y tendent au maintien de l’ordre et au développement de la prospérité publique? On voit partout le représentant des intérêts les plus chers aux communes ; où est le démagogue (1) ? (1) M. de Gerlache cite une phrase de M. de Sismondi qui attribue à Arte- velde ou du moins à son époque, les règlements relatifs à la fabrication des draps dans les villes et dans les bourgs. M. de Gerlache ajoute : « Que dire de » celle servitude honteuse que les grandes villes faisaient peser sur les plus » faibles? Croirait-on qu'on a voulu donner à cet absurde et odieux abus .( 408 ) On ne conteste pas les heureux résultats des mesures conseillées par Jacques d’Artevelde, et les objections dont elles sont l’objet s'attachent bien moins au fond qu'à la forme. Artevelde, dit-on, a aboli dans ses traités l'autorité du comte et du roi de France, seigneur suzerain de la Flandre. Artevelde n'a jamais songé à s'élever contre la suzerai- nelé du roi de France; mais pour lui, aussi bien que pour l'empereur et pour la moitié de l’Europe, le légitime roi de France était Édouard HI. Attribuer à Artevelde comme une ruse dictée par l'intérêt politique, cette substitution de dynasties, c’est oublier que depuis cinq ans Robert d'Artois était allé à Londres presser le roi d'Angleterre de réclamer la couronne usurpée, selon lui, par le roi de Paris. Artevelde se eréant à son gré un nouveau suzerain aurait,- d'après M. de Gerlache , montré une audace non moins coupable en usurpant lui-même la place du comte » de la force un vernis de légalité? » A ceci, il y a deux choses à répondre, d'abord que ces règlements existaient bien avant Artevelde et qu’il ne les modifia point; ensuite, qu'au moyen âge leur légalité n'était pas douteuse. Dans notre temps où la libre concurrence a atteint les dernières limites et souvent aux dépens de l’industrie et des classes industrielles, on oublie trop vite que chez nos aïeux le travail était protégé et entouré de garanties. Chaque ville, chaque bourg, avait, en vertu des chartes qui lui avaient été octroyées, sa fabrication spéciale de draps, saies, pers, écarlates, etc., con- trôlée par les magistrats qui y apposaient leur sceau. Or, souvent on mé- connaissait ces priviléges; on allait même, dans certains bourgs, jusqu'à contrefaire le sceau des villes. Évidemment la loi industrielle était violée, et il est bon de faire remarquer que lorsqu'on cessa de la faire respecter, l'indus- trie flamande, déchue de son ancienne réputation, déclina rapidement d’an- née en année. ( 409 } dans ce traité de confédération de 1359, que nous avons cru ne pouvoir assez loner. Pourquoi M. de Gerlache n’a- t-il pas voulu y lire le nom de Louis de Nevers qui s'y trouve, tandis que celui de Jacques d’Artevelde n’y est pas”? La mention du nom du comte dans les engagements pris par les communes était conforme aux anciens usages et, pour s'en convaincre , il suflit de comparer le traité du 5 décembre 1559 à celui du 51 mars 1556. Il est impossible de voir une machine de querre dans ce traité où il n’y à pas une seule allusion aux démêélés d'Édouard HE avec Philippe de Valois, et dont les préli- minaires sont ainsi conçus : « Considérant que nos pays » sont pleins de communauté de peuple ki soustenir ne » se peuvent sans marcandise el que marcandisé ne peut » estre entretenue si ce n’esl en pays de paix (1), » et immédiatement après on lit que ce traité est conclu avec l'assentiment des nobles, chevaliers et écuyers et celui des bourgmestres et échevins des bonnes villes : ce qui n’a pas empêché les ennemis d’Artevelde de prétendre que, dominé par l'instinct de la démagogie, il s'était sans cesse montré l’implacable ennemi de la noblesse. N’avait-il pas fait exiler messire Jean de Steenbeke, n’avait-il pas an- noncé qu'il ne marierait jamais ses filles à des chevaliers? On l'en accusait du moins, mais si je ne me Do il pe reste plus rien de ces accusations. Pour ce qui concerne les conférences de l'Écluse, nous connaissons, d'une part, l’assertion de deux historiens dont l'un vivait au delà des Alpes, et dont l’autre écrivait un (1) Ce traité, dit M. de Gerlache, violait la trêve. Par quelle stipulation, et quelle tréve? S'il s'agit du traité du 15 juin 1558, il était déjà rompu depuis plusieurs mois par les attaques des garnisons françaises. ( 410 ) demi-siècle plus tard. D'autre part, nous avons sous les yeux les comptes de nos villes, qui indiquent formelle- ment quel était le but de ces conférences, et une lettre d'Édotard HI qui explique aussi celui de son voyage. Pour- quoi supposer que rien de tout cela n’est sineère? Lorsque Henri VE, roi de France et d'Angleterre, proclama la dé- chéance de Philippe le Bon, comme comte de Flandre, il la notifia à toutes les villes soumises à son autorité avant même qu'il pt songer à la mettre à exécution. M. de Gerlache n'invoque qu'un seul fait à l'appui du récit de Froissart et de Villani, le voici : « Un grand » nombre de bons citoyens entendant parler de la dé- » chéance du comte de Flandre, et la considérant comme » une violation de leur serment, se retournèrent vers Louis » de Nevers, » et on pourrait, en effet, en conclure qu'Ar- tevelde avait modifié sa politique; mais quelle est la source de cette allégation? Quel est le nom de ces bons citoyens ? Évidemment il ne s’agit pas ici des « méchantes » gens » qui tuèrent Artevelde. Arteveldé, dit M. de Gerlache, frappa de sa propre main Pierre Lammens, et ce meurtre, bien que dénué de preuves, suflit pour que celui de Foleard de Rode n'ait plus rien d’invraisemblable , malgré certaines erreurs dans les circonstances , dans les dates et peut-être dans les noms. Je ne sais si des faits aussi mal justifiés peu- vent être considérés comme constants, et si on y trouve quelque chose de plus qu’une hypothèse pleine de doutes. M. de Gerlache s'appuie-t-il ici sur Froissart et sur Gilles Li Muisis? Non. Quelles sont ses autorités? je l’ignore ; mais il a insisté trop énergiquement sur la confiance que méritent exclusivement les historiens contemporains, pour que je puisse supposer qu’il se fonde sur Meyer, sur Des- ( 411 }) pars ou sur Pierre d'Oudegherst, qui écrivaient au XVE”* siècle. M. de Gerlache, si sévère pour la vie d'Artevélde, ne l’est pas moïns dans le jugement qu'il porte sur sa mort. [ ne veut pas croire, ni qu'un crime privé ait pu s’exécuter à l’aide d’un grand nombre d'hommes réunis dans le même dessein , ni qu'un semblable crime aït pu donner lieu à une composition judiciaire. Or, ’acté qui la mentionne existe encore, et l'histoire de Gand offre de nombreux exemples de compositions de cé genre, où l'on trouve cités lès noms dés bourgeois les plus honorables, tels qué ceux des Bor- luut, des Grutére et des Steenhuyse. S'il y avait eu un assassinat, dit M. de Gérlaché, com- ment le peuple Serait-il resté calme à la vué du sang dé la victime? Mais la communé de Gand ne resta pas calme; elle courut aux armes pour aller, sous les ordres de Sohiér de Courtray, repousser les léliaerts qui s'étaient déjà avan- cés jusqu’à Termonde. Résumons en peu de mots cette discussion, qui pro- duira peut-être quelques fruits si, en consolidant la gloire d’Artevelde, elle lui donne pour base non plus la violence el la tyrannie, mais l'exercice sage et utile d’une influence légitime. Tous les documents authentiques conservés dans les archives de nosvilles justifient Artevelde des accusations produites contre lui. | Froissart l’a flétri , 1] est vrai, mais nous trouvons dans Froissart un seul mot qui nous émeut plus que vingt pa- ges où il laceuse : « Toute la Flandre, dit-il, Pavait en » gran(le grâce. » Cet aveu nous suflit pour que nous ré- pondions qu'il est impossible qu'un homme autour duquel toutes nos cités, Ypres aussi bien que Bruges , Bruges ( 412 ) aussi bien que Gand, s'étaient ralliées avec une unanimité dont l'exemple fut bien rare, qui même après sa mort les laissa pleines de respect pour sa mémoire, tant elles se sentaient liées par ses bienfaits ; il est impossible, croyons- nous, que cet homme ail été tel que le représentent des témoignages hostiles et celui de Froissart lui-même. Nous ne pouvons admettre que celle époque où nos communes s'élevèrent à leur apogée, où elles précédèrent tous les autres pays par leur civilisation, où elles fondèrent ces splendides églises, ces vases hôtels de ville que nous admi- rons encore aujourd'hui, ait été un temps de barbarie, de violence et de cruauté, pendant lequel la conscience, ou- bliant toutes les lois divines et humaines , ne connaissait plus que le droit de la force, c’est-à-dire, pour parler plus exactement, la force tenant lieu de tout droit et de toute justice. Examen critique du système de M. Amédée Thierry sur les origines belges et gauloises; par M. Schayes, membre de l’Académie. On ne saurait méconnaitre que les études historiques n'aient fait des progrès immenses pendant les trente ou quarante dernières années. Un examen plus consciencieux des sources, une critique plus rationnelle et plus impar- tiale des faits, président aujourd’hui aux travaux des histo- riens. Des erreurs sans nombre, qui passaient pour des vérités incontestables, ont été dissipées; des questions de la plus haute importance, que les historiens des siècles précédents considéraient comme devant toujours rester à ( 415 ) l’état de doute où d'incertitude, oul obtenu une solution complète; une vive lumière a pénétré les profondes téné- bres qui couvraient des périodes entières de l'histoire (1). Mais, d’un autre côté, il faut l’avouer, en voulant trop approfondir les événements et leurs causes, en accor- dant surtout à la linguistique, ou plutôt à une linguistique vague et arbitraire, une importance trop grande, trop exclusive, les esprits même les plus éminents se sont bien souvent livrés aux écarts d’une imagination ardente, qui, prenant ses rêves pour des réalités, a enfanté des systèmes et des hypothèses basés sur de vaines conjectures, des paradoxes et des sophismes. Un de ces systèmes qui se distingue le plus, sinon par sa nouveauté, du moins par sa hardiesse, est celui de M. Amédée Thierry sur l’origine et l'ethnographie des Gaulois et principalement des Belges (2). Lesuccès qu'il a obtenu en France (5), et même en Belgique, nous a engagé, dans l'intérêt de la vérité historique, à soumettre brièvement à une analyse critique les points principaux qui constituent l'essence du système entier, et dont un des plus fondamentaux a déjà fait l’objet de notre travail précédent sur les Cimmériens et les Cimbres, (1) Par exemple, la période Mérovingienne et en partie celle des Carlo- vingiens. (2) A proprement parler, l'invention de ce système n'appartient pas à M. Thierry, car on le tronve déjà dans Gatterer et dans le Hithridates d'Ade- lung et de Vater; seulement M. Thierry lui a donné un plus grand dévelop- pement , en s’aidant des observations de Turner et d’autres savants anglais. (5) Ce succés n’y a pas été général cependant; nous ne sachions pas qu'au- cun des membres de l'Académie des inscriptions ait adopté le système de M. Thierry. M. Daunou, dans les deux articles analytiques qu’il a consacrés à l'Histoire des Gaulois, dans le Journal des Savants, année 1829, est loin de lui accorder son approbation, et le traite de pure hypothèse. CE - félère ds 2. F7} ( 414 ) auquel, comme nous l'avons déjà dit, celui-ci est destiné à servir de complément (1). Le premier auteur de lPantiqüité qui ait possédé des notions saines et exactes sur la Gaule ou Celtique dans toute son étendue, est Jules César. Déduction faite de la Narbonnaise, ou provincia romana, conquise longtemps avant lui par les armes romaines, il la divise, comme on sait, en trois parties : l'Aquitaine, bornée par les Pyrénées et la Garonue, la Celtique proprement dite, située entre l’Aquitaine et la Belgique, et la Belgique s'étendant depuis la Seine et la Marne jusqu'au Rhin (2). Il ajoute que les peuples compris dans ces trois démarcations différaient entre eux de mœurs, d'institutions et de langage (5). En effet les Aquitains appartenaient à la race ibérienne ; et la plus grande partie des Belges à la race germanique (4). Le reste de la Gaule était occupé par les Celtes. Sauf en ce qui concerne les premiers, M. Thierry ne tient aucun compte de ces données si authentiques, fournies par César, et leur substitue les renseignements aussi incomplets qu'inexacts d'écrivains grecs qui ne connaissaient guère la Gaule que de nom. Pour lui le mot Celte n’est plus, comnie pour César, l'équivalent du mot Gaulois, et le nom de Celtique syno- nyme de celui de Gaule. Il réduit les Celtes, dout le nom signifierait habitants des bois, à quelques tribus locales dispersées parmi les Ligures, entre les Alpes et le Rhône, et (1) Le système de M. Thierry est développé dans la préface, dans le chap. It de la 1°° partie et dans le chap. I** de la 2e partie de son Æüistoire des Gaulois, depuis les temps les plus reculés jusqu’à l'entière soumission de la Gaule à la domination romaine. (2) Ces. I, L (5) Hi omnes lingua, institutis, legibus énter se differunt. (Hbid.) (4) Plerosque Belgas ortos esse a Germanis. (Cæs., Il, 1.) ( 415 ) habitant la contrée bornée par les Cévennes et la Garonrie, le plateau de l’Auvergne et l'Océan. Cette hypothèse, il la basë sur l’autorité de Strabon, de Polybe, d’Aristote, de Denys le Périégète et d'Eustathe, et sur le passage de Diodore de Sicile que nous avons déjà eu l'occasion de relever dans nos observations sur les Cimmériens et les Cimbres'(1). Or, si Polybe n’assigne aux Celtes d’autre position que les environs de Narbonne, c'est que, comme il l'avoue lüi- même, les parties plus septentrionales de la Gaule étaient encore inconnues de son temps. « Tout ce qui s'étend, dit-il, au Nord, entre Narbonne et le Tanaïs, nous est inconnu jusqu'ici. Ce qu'on dit de ces contrées n'est qu'une fable (2). » Le témoignage d’Aristote, de Denys le Périégète et d’'Eustathe a encore moins de valeur, le premier ayant précédé Polybe de plus d'un siècle, le se- cond ne parlant, dans le passage allégué par M. Thierry, que des Celtes ou Gaulois de la haute Italie, et le troi- sième n'étant qu'un commentateur grec du XIL"° siècle, dont, par conséquent, les paroles ne sauraient être d'aucun poids dans la question. Mais c’est surtout de l'autorité de Strabon que se prévaut M. Thierry. Nous verrons tantôt de quelle mince importance elle est ici, et combien le géographe s’est trompé dans sa description de là Gaule, principalement en ce qui concerne ses divisions géogra- phiques. Il est probable que ce qu'il dit de la position des (1) Bulletins de l'Académie, 1. XXII, 2e partie, pag. 456, note 1; Voir aussi t. XVII, 2e partie, p. 56. -(2) Polybe, Histoire, LIT, 58. Le motif pour lequel Polybe n'ose pas donner à la Celtique une plus grande extension, est précisément celui pour lequel d’autres écrivains ; qui ne con- naissaient pas mieux là contrée que lui, ont osé étendre la Celtique jusqu'au Tanaïs. On trouve là, en fait d'opinions, deux extrêmes opposés. TA PP NEUTRE ( 416 ) Celtes dans la Narbonnaise, il l'aura recueilli chez Aristote et Polybe. Après avoir ainsi, Contrairement à César et à tous les écrivains romains venus après lui, relégué les Celtes à l'extrémité méridionale de la Gaule, M. Thierry assigne le reste de la Celtique et de la Belgique (de César) à deux pré- tendues races, de la même souche que les Celtes, mais différant entièrement de ceux-ci par les mœurs, la langue et les institutions, les Galls et les Kymris. Les premiers au- raient parlé l'idiome dans lequel s'expriment encore de nos jours les habitants de la haute Écosse, de l'Irlande, des Hébrides et de l’île de Man. La preuve unique queM. Thierry cite à l'appui de cette assertion, c'est que l'on observe, suivant lui, dans les patois actuels de l’est et du midi de la France, où il place ses Galls, sans indiquer leur posi- tion précise, beaucoup de mots qui dériveraient de cet idiome. De ce fait seul, qui n’est nullement constaté, car M. Thierry ne cite aucun des mots en question (1), il con- clut que ces Galls formèrent la population primitive de toute la Gaule et des Iles Britanniques. (1) A propos des idiomes celtiques, nous nous permettrons de transcrire les paroles suivantes d’un des plus savants linguistes de la France, M. Édélestand du Méril : « Nous ne connaissons, dit-il, les prétendus idiomes celtiques que par des dictionnaires où sont mêlés ensemble des mots recueillis dans les monuments de tous les siècles de leur histoire. De nombreuses colonies y ap- portaient une foule d'expressions qui appartenaient à toutes les langues de l’Europe. La prononciation y affecte tant de bizarrerie et d’irrégularité, que l'orthographe n’est qu’une habitude de pure convention ; on ne sait plus lequel des sons des lettres ou de l’écriture s'est le plus profondément écarté de l’idiome primitif, et pour ajouter à tant d’insurmontables difficultés, la pra- tique de la poésie fut assez générale pour que la langue elle-même ait été changée tout entière par de continuelles métaphores. On ne distingue plus le sens figuré des mots de leur valeur littérale, ct ils ont quelquefois jusqu'à ( 417 ) « La province de l'ile de Bretagne, appelée pays ou prin- cipaulé de Galles, dit plus loin M. Thierry, est habitée, comme on sait, par un peuple qui porte dans sa langue maternelle le nom de Cynmri ou Kymri et, depuis les temps les plus reculés, n’en à jamais reconnu d'autre. Des monu- ments littéraires authentiques attestent que cette langue, le Cynmraig ou Kymric, était cultivée avec un grand éclat dès le VI"° siècle de notre ère, non-seulement dans les limites actuelles de la principauté de Galles, mais tout le long de la côte occidentale de l'Angleterre, tandis que les Anglo-Saxons, population germanique, occupaient par conquête le centre et l'Est. » Ce que M. Thierry émet ici comme une vérité incontestable sur l'ancienneté du nom de Kymri, non-seulement ne repose sur aucune preuve tant soi peu positive, mais se trouve même démenti par le silence de tous les auteurs classiques, et notamment de Ptolémée qui, dans sa nomenclature très-détaillée des peu- plades de la Grande-Bretagne, ne cite nulle part un peuple du nom de Kymri. Aussi le savant auteur de la Britannia after the Romans, traite-t-1l de rêve (vain glorious dream), la prétendue antiquité de cette dénomination de Kymri, vingt ou même trente significations différentes qui n’ont pas le moindre rap- port entre elles... De patients philologues ont recueilli çà et là quelques centaines de mots d’une origine plus ou moins suspecte; ils les ont rapprochés des patois mo- dernes, dont les anciennes langues parlées dans la Grande-Bretagne et dans les Gaules ont vraisemblablement fourni les premiers éléments, et, sans cher- cher à distinguer ni l'âge ni la patrie de chaque mot, sans reconnaître que l'unité des langues ne peut étre établie que par un gouvernement centralisa- teur, une seule et même nationalité, une littérature commune et de longues habitudes d'écriture, que les Celtes paraissent n'avoir jamais employée d’une manière usuelle, ils ont cru naïvement avoir retrouvé le celtique primitif. » (Édélest. du Méril, Mélanges archéologiques et littéraires, pp. 31 et 95.) ( 418 ) laquelle, comme il le démontre, n'est pas antérieure au moyen âge (1). Tout ce qu'on a débité sur la haute anti- quité des poésies galloises n’est pas moins illusoire : car les plus anciens recueils de ces poëmes, connus sous le nom de triades, ne remontent certainement pas au delà du XII: siècle. S'appuyant sur cette hypothèse et sur la conformité du langage des Gallois et des bas Bretons, M. Thierry étend la dénomination de Kymri aux peuples de l'ancienne Armo- rique (la Bretagne). Si l'historien français s'en tenait là, on ne pourrait lui reprocher que d'avoir imposé à une contrée un nom qu'elle ne connut jamais. Mais une erreur, ou si l’on yeut un paradoxe bien autrement grave, c'est d'avoir fait occuper par ces prétendus Kymris, parlant le gallois et le bas breton, la Belgique ancienne tout entière, en préfé- rant au témoignage de César une des nombreuses bévues commises par Strabon dans sa description de la Gaule, celle d'avoir étendu les limites méridionales de la Belgique jusqu’à la Loire, par suite de l’idée erronée qu'il s'était faite des graniles divisions de la Gaule, de la projection de ses principales montagnes, du cours de ses fleuves, etc. (2). (1) Britannia after the Romans, t. I, introd. p. zxx, et les Bulletins de l’Académie, t. XVII, 2% partie, p. 65. (2) Strabon trace la chaine des Pyrénées du Nord au Sud, tandis qu’elle se dirige de l'Ouest à l'Est, et celle des Cévennes d'Ouest en Est, quoïiqu’elle se dirige du Midi au Nord. Il croyait aussi que la Garonne, la Loire et la Seine coulaient du Midi au Nord. Ce qui paraît l'avoir surtout induit en erreur sur la délimitation méri- dionale et occidentale de la Belgique, c’est la nouvelle division administrative de la Gaule introduite par Auguste. Voir les notes de Gosselin sur le 4e livre de la traduction française de Strabon par Coray et de la Porte du Theil, particulièrement les notes 1, (M9) « Les Belges, continue M. Thierry, sont reconnus una- nimement par les écrivains anciens comme Gaulois, for- mant avec les Galls, improprement appelés Celtes, la population de sang gaulois. » Que la population primitive de la Belgique ancienne ait été de race celtique on gauloise (car nous n’admettons point de distinction entre les Celtes et les Gaulois), c’est ce qu'on ne saurait contester (1); mais comme l’assertion de M. Thierry se rapporte aux Belges de César et de l'empire, elle est formellement contredite, tant par cet auteur que par Strabon, Tacite et d’autres écrivains romains. Sur les vingt-sept peuplades où tribus que le premier nous fait connaître en Belgique, ils en désignent dix-sept comme étant de race germanique : les Némètes, les Tribocs, les Vangions, les Trévires, les Nerviens, les Centrons, les Grudiens, les Levaciens, les Pleumoses, les Gordunes, les Éburons, les Cérèses, les Condruses, les Segnes et les Pémans (2), auxquels on peut hardiment adjoindre les Atuatiques, les Ménapiens et les Ambivarites. Ce sont là les plerosque Belgas ortos à Germanis de César. Si ce der- nier et Tacite qualifient parfois l’une ou l’autre de ces 1ri- pp. 5, 4 et 45, et les Bulletins de l Académie, t. XIX,, 2"° partie, p. 458. La supposition de M. Thierry qu'en étendant la Belgique jusqu'à l’Aqui- taine, Strabon n'aurait fait que suivre l'opinion de Possidanius, qui voyagea dans les Gaules sous Marius, n'a ancun fondement. Avant la conquête de César, la Belgique et tout le nord de la Gaule étaient pour les Grecs et les Romains une yraie Lerre inconnue, comme le déclare formellement Cicéron (2e Prov. consular.) et comme il est aisé de s'en convaincre en lisant les Com- mentaires de César. (1) Nous admettons volontiers aussi ayec M. Thierry que le nom de Belge est d'origine celtique. (2) Cæs., IL, 4; VI, 32. Strabo, IV, Tacit., Hor. Germ., 98. ARTE (420 ) bus de gauloises, c'est uniquement comme habitants des Gaules et non par rapport à leur race qu’ils les désignent ainsi (1). L'identité des prétendus Kymris, des Cimmériens et des Cimbres est une des bases du système de M. Thierry. Nous ne reviendrons sur cette question que pour relever une assertion de cet historien qui y a rapport, le bon accueil que les Cimbres, dans leur invasion des Gaules, auraient reçu de leurs frères les Kymri-Belges. Il avoue bien que de prime abord ceux-ci ne se montrèrent pas très-satis- faits de l’arrivée inattendue de ces hôtes importuns; mais il s'empresse d'ajouter que la paix fut bientôt faite, et que les Kymri-Belges s’empressèrent d'ouvrir à leurs frères d’outre Rhin les portes de leur forteresse d'Aduat. Or, César dit tout le contraire : il nous apprend que la Belgique fut la seule partie de la Gaule qui résista opiniâtrément et avec succès à l'invasion des Cimbres et des Teutons, et les re- poussa de ses frontières (5), et que ce ne fut qu'après plu- sieurs années d’une lutte acharnée qu'une division de 6,000 hommes, que les barbares avait laissés à la garde de leurs bagages en deçà du Rhin, parvinrent à s'établir en Belgique, où ils furent connus sous le nom d’Atuatiques, (1) Voir ce que nous avons dit à ce sujet dans les Zulletins de lAca- * démie, t. XVII, 2%e part., p. 613t. XVI, 1e part., p. 641; t. XIX , 2e part, p. 429. (2) Nous avons démontré ailleurs que le suffixe riæque M. Thierry signale dans les noms Cesoriæ et Boiorix, chefs de l’armée cimbrique, comme preuve que ces noms sont gaulois, se retrouve également dans des noms purement germaniques. Bullet., &. XVIIT; 1° part., p. 657. (55) CEE Solosque esse (Belgas) qui patrum nostrorum memoria, omni Gallia veæata, Teutones Cimlrosque intra fines suos ingredi prohibue- rént, elc. (Cies., IT, 1.) ( 421 ) et où ils occupèrent une partie du territoire des Éburons qu'ils avaient rendus &ibutaires (1). Ce qui, suivant M. Thierry, donne une plus grande signification à cette prétendue fraternisation des Cimbres et des Belges, c'est que les Cimbres auraient reçu un pareil accueil chez les Volces Tectosages qui habitaient la Nar- bonnaise (le Languedoc), et dont M. Thierri fait une colonie de Kymri-Belges, pour les deux mouifs suivants : le premier, c'est que, dans un passage de Cicéron, et dans un autre d’Ausone, le nom de Volcae est transformé en Bolgae, comme si, en supposant qu'il n’y ait pas une erreur de copiste dans les manuscrits de ces auteurs, la lettre b n'était pas souvent substituée dans les idiomes du Midi à la lettre v; ainsi on dit Bascones (Basques), pour Vas- cones. D'ailleurs, en supposant qu'il en fût autrement, l'autorité de Cicéron et d'Ausone peut-elle balancer celle de tous les autres écrivains anciens, qui ne désignent jamais les Volces Arécomiques et Tectosages que sous leur (1) Zpsi (Atuatici) erant ex Cimbris Teutonibusque prognati, qui, quum iler in provinciam nostram atque Îtaliam facerent, his impedi- mentis quae secum agere ac portare non poterant, citra flumen Rhenum depositis, custodiae ex suis ac praesidio VI millia hominum una reli- querunt. Hi, post eorum obitum, multos annos a finitimis exagitati, cum alias bellum inferrent, alias illatum defenderent; consensu eorum omnium pace facta, hunc sibi domicilio locum delegerunt (Czæs., 11, 29.) Lorsque César marcha à la conquête de la Belgique, quarante ans après la grande invasion des Cimbres, les Atuatiques comptaient jusqu’à 19,000 hommes en état de porter les armes (Cæs., IL, 4; Orosii Hist.. Rom., VI, 7.) Un accroissement si considérable de: forces dans un temps si limité et au milieu de guerres incessantes, rend probable que les débris de la horde cim- brique, échappés au fer de Marius, vinrent rejoindre le corps campé prés du Rhin, et que ce n’est que grâce à ces nouveaux, renforts que les Atuatiques restèrent maitres de leur position. Tome xxu1, — |"° parr. 30 ( 422 ) véritable nom de Volcae? La seconde preuve produite par M. Thierry en faveur de l’origine Kymro-belge des Volces est moins sérieuse encore que la première; elle se résume en ces seuls faits : que les Volces Tectosages firent partie de la grande expédition gauloise qui, au IIL"° siècle avant l'ère chrétienne, dévasta la Grèce; qu'Appien qualifie ces Gaulois de Cimbres (1), 'et que le chef qui commandait un corps de cette horde (celui qui:envahit la Macédoine) portait le nom de Bolgius ou Belgius, circonstance qui ne prouve nullement que ce derniér était un fr os car ce corps était composé de soldats panneau grand nombre de tribus diverses. Croire que le nom de Cimbres ne commença à être connu des Romains que vers l’an 15 avant J. C., c'est dà une grande erreur, suivant M. Thierry, qui veut que les Gaulois qui émigrèrent en Italie au V"* siècle avant l’ère chrétienne et attaquèrent la ville de Rome, aient été éga- lement des Cimbres ou Kymris, et voici sur quoi il se fonde pour toute preuve : Il y avait sur le Forum un rang de comptoirs de changeurs que l'on appelait Ta- bernae argentariae novae. Après la défaite des Cimbres par Marius, un des boucliers pris aux barbares fut attaché comme trophée à la façade de ces boutiques, qui depuis lors portèrent collectivement le.nom de Tabernae.argen- tariae novae ad scutum Cimbricum (2). Cependant ; comme sur un des fragments des Fastés Capitolins qui sé rappor- (1) Voir sur cette qualification erronée de Cimbres, donnée par les Grecs aux Gaulois qui firent l'expédition de la Grèce, nos Observations nouvelles sur les Cimmériens ot les Cimbres. Gette tradition est une de celles que Strabon signale comme purement conjecturales et sans fondement. (2) Demonstravi digito pictum Gallum in Mariano scuto Cimbrico (425 ) ‘tent à l'an de Rome 580, on lit qu’un banquier des Tabernae argentariae ad scutum Cimbricum, nommé Q. Aufidius, fit faillite cette année et fut poursuivi en justice, M. Thierry ‘conclut de ce fait que le bouclier en question devait y avoir existé avant Marius; puis il prétend qu'en souvenir du combat singulier livré sur le pont de PAnio par T. Man- lius Torquatus , contre un Gaulois d’une stature colossale, on plaça au-dessus d’un comptoir de banque du Forum une enseigne arrondie en forme de bouclier, sur laquelle on peignit la tête du Gaulois tirant la langue et à laquelle on donna le nom de seutum Cimbricum ; que Marius, après sa victoire sur les Cimbres, s'empara de l’écu cimbrique comme d’un emblème de circonstance, et se fit peindre un bouclier sur ce modèle populaire. Cette historiette est de pure invention, et n’a pu avoir été imaginée par M. Thierry qu’à défaut de quelque autre document servant à constater la nationalité cimbrique des Gaulois Cisalpins. Le scutum Cimbricum, nous le répétons, n'était point l'enseigne de la boutique de Q. Aufidius, ce qu’il est important de con- slater, mais depuis que Marius attacha ce trophée aux Tabernae argentariae novae, il fut celle de toute la série de ces boutiques (1). Or, les Fastés Capitolins ne furent rédigés que sous l'empire, et pour désigner la demeure de Q. Aufidius, les auteurs des Fastes ont tout simplement sub novis (tubernis) distortum, ejecta id buccis fluentibus. (Cicero, de Oratore, 11, 265.) Cicéron met ici la figure d'un Gaulois au lieu de celle d'un Cimbre, parce qu’il partageait l'erreur de ceux qui, avant que les expéditions de César eus- sent fait connaître la Germanie, régardaient les Cimbres comme Celtes ou Gaulois, par suite de l'extension démesurée que l'on attribuait à la Celtique. (1) Tabernae autem erant cirea Forum, ac scutum tllud signi gratia positum (Quintilian., VI. 5). (:424 ) donné aux Tabernae argentariae novae le nom qu’elles portaient de leur temps. Voilà, en somme, à quoi se réduit — avec le récit roma- nesque de la prétendue émigration des Cimmériens sur les bords de la mer du Nord, et de là dans la Gaule et la Grande-Bretagne (1) — toute l'hypothèse de M. Thierry sur les origines gauloises et belges. L’historien français émet rarement une opinion sous la forme, du doute : les questions les plus difficiles, les plus controversées, il les tranche, les résout la plupart du temps par un mot, par une simple assertion, qu'il érige en vérité démontrée et incontestable (2). Ainsi, pour prouver que les Boiens ap- partenaient à la race des Kymris, il lui suffit de dire.que leur nom semble dérivé de Bw ou Bog, qui, en langue kymrique, signifierait terrible, et que des Boiens figurent au nombre des Gaulois qui émigrèrent en Italie. La preuve qu'il allègue-pour constater que les Cimbres du Holstein parlaient le bas breton est plus hasardée encore, nous ajouterons même qu'elle est toute négative. « Tacite aflirme, dit M. Thierry, que les Æstii, peuplade limi- trophe des Kimbri (lisez Cimbres), sur les bords de la Baltique, parlaient un idiome très-rapproché du breton insulaire; or, nous avons vu que la langue des Bretons était aussi celle des Belges et des Armorikes. » Ceux qui, comme nous, ne voient dans les Cimbres que des Germains (1) Après ce que nous avons avancé dans nos Observations sur les Cim- mériens et les Cimbres , il est inutile de faire observer que toute cette nar- ration n'est pour nous d’un bout à l'autre qu’un pur roman. (2) M. Daunou reproche « à M. Thierry d’avoir l'habitude d'ériger les traditions en témoignages, les croyances en faits positifs, et de résoudre non-seulement sans discussion, mais sans la moindre expression de doute, des questions peut-être encore Bic. » ( 425 de pur sang, ne sont-ils pas en droit d’objecter à M. Thierry que puisque Tacite , observateur si scrupuleux dans la re- cherche de la nationalité des diverses populations de la Germanie, n'a pas fait, par rapport aux Cimbres, une observation analogue à celle qu'il a faite sur les Æstiens , c'est qu'il les considérait évidemment comme Germains et parlant le même idiome que ceux-ci, c’est-à-dire le teuton ? —— Une élègie de Properce (1), par M. Ad. Mathieu, correspon- dant de l’Académie. Coinche à Tautus. Desine, Paulle, meum lacrimis urgere sepulchrum. (Livre IV, élégie 11.) Oh! cesse de pleurer sur ma dépouille aimée : Les vœux ne vont qu'au ciel, et, dès que refermée, La porte qui conduit au fatal monument Oppose à la retraite un mur de diamant; (1) Properce (Sextus Aurelius Propertius), ami intime de Tibulle, de Gallus, d'Ovide, de Ponticus et de Bassus, naquit à Mévanie ou à Spello en Ombrie, sur les confins de la Toscane (a), l’an 56 ou l'an 51 avant J. C., et (a) Qualis, et unde genus, qui sint mihi, Tulle, penales, Quacris pro nostra semper amiciliä, elc. , etc. (Liv. I, el. 22, v. 1-2 et suiv.) Ut nostris lumefactu superbiat Umbria libris, Umbria romant patria Callimachi. (Liv. IV, cl. 1, v. 63-64.) Dinbria te nolis antiqua penalibus edit , etc. (Ibid, v. 121 et suiv.) $ qe LbrE. 2" . ( 496 ) Aux bords de l’Achéron toute prière expire, Hélas! sans arriver au roi du sombre empire; La plage boit nos pleurs, et l’infernal nocher, Le péage recu, ne peut plus nous làcher. Tel est l’ordre des Dieux qué jamais ne se roüvre La pierre du tombeau sous l'herbe qui la couvre. Les trompettes ainsi m'avaient prédit mon sort, Quand la flamme, montant jusqu'à mon lit de mort, Déjà m'enveloppait, à demi calcinée; mourut, selon l'opinion la moins controversée, l'an 14:‘Sôn père (a), qu'il perdit à l’âge de 9 ans, était de l'ordre des chevaliers et avait rempli des fonctions considérables sous le triumvirat d'Antoine, d’Auguste et de Lépide. Il fut de ceux qui suivirent Antoine après la prise de Pérouse, et Auguste, l'ayant fait mettre à mort, le jeune Properce se vit dépouiller de ses biens (b). Sa mère, qui ne survécut (c) que très-peu de temps à son mari, destinait l’en- fant au barreau, mais il avait à peine 20 ans que son amour pour Lycinna (d) et (a) Ossaque legisti non illa aclate legenda Patris, et in tenues cogeris ipse lares. (Liv. IV, él. 1, v: 127-128:) (b) Nam tua quum multi versarent rura juvenci, Abstulit excullas perlica tristis opes. (Ibid., v. 129-130.) (c) Mox ubi bulla rudi dimissa est aurea collo, Matris et ante Deos libera sumta toga..…… (Ibid:, v. 131-132.) (à) Ut rnihi praetexlae pudor exvelatus amictu , Et data libertas noscere amoris iler , Illa rudes animos per noctes conscia primas Imbuit, heu nullis capta Lycinna datis. (Liv. IL, él. 13, v. 3-6.) Ce qui n’a pas empéché Properce de dire à Tullus, dans la première élégie du livre 1, v. 1-2 : Cynthia prima suis miserum me cepil ocellis Contactum nullis ante cupidinibus. Mais il n'y regardait pas de si près. (421) L'éclat de mes aïeux, notre illustre hyménée, Le prestige d’un nom des ans mêmes vainqueur, Rien n'a pu de la Parque adoucir la rigueur, Et celle qui si haut leva sa tête altière ; Prends cette urne, regarde : elle est là tout entière (1)! Nuits fatales, marais fangeux et croupissants, Eaux qui faites obstacle à mes pas impuissants, Jeune, mais pure au moins (2), j'arrive au précipice. Que puisse de Pluton la loi m'être propice! Ou, s’il faut qu'on me juge, Éaque peut jeter Les dés près de mon urne, ct là, pour m'écouter, S'adjoindre Rhadamanthe et Minos et vous toutes Que le sang de Cœlus (5) vit naître de ses gouttes, surtout pour Hostia ou Hostilia (a), qu'il rendit immortelle sous le nom de Cynthie, lui révéla sa véritable vocation (b). Ses vers lui valurent les faveurs de Mécène. j 1 (1) Cornélia, fille de Cornélius Scipion et de Livia Scribonia, épousa L. Emilius Paulus (c), consul, puis censeur, et mourut l’an 14 ou l'an 15 avant J. C. (2) Les anciens voyaient dans une mort prématurée une punition des Dieux vengeurs de quelque faute ou de quelque crime. (3), Cœlus, le plus ancien des Dieux, père de Saturne, Les Euménides, Fu- ries ou Érinnyies (Alecton, Mégère et Tisiphone) naquirent du sang qui jaillit (a) Son aïeul Hostius à laissé un ouvrage sur la guerre d’Istrie du temps de Jules-César. Splendidaque a docto fama refulget avo. (Liv. IE, él. 48, +. 8.) Hostia mourut avant Properce (liv. IV, él. 7, à l'ombre de Cynthie) et fut en- terrée près de l'Anio, dans les champs de Tibur. {b) Tum tibi pauca suo de carmine dictat Apollo, Et vetat insano verba tonare foro. (Liv. IV, él, 4, v. 153-154.) (c) Descendant de Paul Émile, Paulus était le surnom de la famille Émilienne. in ( 428 ) Déesses des enfers! Que Sisyphe un instant Sous l'éternel rocher s'arrête haletant, Qu'Ixion sur sa roue en respirant s'étale, Qu'’à l'onde qui le fuit puisse boire Tanitale, Que Cerbère, gardien du royaume des morts, Fatigué d'aboyer aux ombres de ses bords, Calme, sur les anneaux de sa chaîne repose. Écoutez Cornélie : elle plaide sa cause. Filles de Danaüs (1), que sur moi, si je mens, Pésent de tout leur poids vos horribles tourments! «a Quelle race. jamais aurait cctte démence » De s'égaler au sang des vainqueurs de Numance ? » Les hauts faits des Libons (2), mes aïeux maternels, » N’en sont pas moins pour moi des titres solennels. 51 Chaste, l'hymenme prit au sortir de l’enfance, :» Et chaste dans tes bras je passai sans défense (5) » Lorsque la mort allait si tôt nous désunir! » Cornélie à toi seul devail appartenir. » Que l’on grave ces mots sur ma tombe (4). Je jure de la blessure de Cœlus, lorsque Saturne mutila son père pour s'emparer du pouvoir souverain, On les dit aussi filles de la Terre et filles de l’Achéron et de la Nuit. Plutarque ne parle qué d’une seule Euménide (Adrastée) qu'il fait naître de Jupiter et de la Nécessité. L'un des Tilans se nommait Cœlus. (1) Des Danaïdes. On les nommait aussi Bélides, du nom de Bel-ou Bélus; leur aïeul. (2) Surnom de la famille Scribonia. (5) F'inxit et acceptas altera vitta comas. Les jeunes filles portaient la coiffure penchée; les femmes mariées la coif- fure droite. : . Nec recta capillis Villa datu est. {(Properce, liv, IV, el. IT, v. 15-16.) (4) Propercesemble perdre de vue que Livia Scribonia , mère de Cornélie, ( 429 ) »s Ces héros destructeurs de la cité parjure, » Dont Rome avec amour rappelle les exploits, » Par qui l'Afrique entière est soumise à nos lois... » Celui qui de Persée (1) a brisé la puissance » Quand l’armait contre nous l’orgueil de sa naissance... » Je jure ces héros, gloire de ma Maison, » Que toujours par les mœurs au-dessus du soupçon, » Ainsi qu'à mes devoirs à leur culte fidèle, » Pour la famille aussi, moi, je fus un modèle; » Que celui-là me vit dont je recus la main » Pure devant la mort comme devant l'hymen, » Non pour me conformer à nos lois, règles vaines, »! Mais d'instinel, grâce au sang qui coulait dans mes veines. » Si sévère que soit l'arrêt qu'on va dicter, » Nulle femme sur nous qui puisse l'emporter : » Ni cette Claudia (2), pudique autant que belle, » Dont l’écharpe suffit au vaisseau de Cybèle » Pour se remettre à flot et reprendre son cours; » Ni cette Émilia (5) qui vit, divin secours, » Son voile prendre feu quand Vesta menacante » Sur le trépicd sacré cherchait la flamme absente. avait épousé successivement Cornélius Scipion, Tibérius Néron, puis Au- guste. Cornélie, du reste, revient encore sur cette idée dans les conseils qu’elle adresse à sa fille : filia, tu specimen censurae nata paternae... (1) Roi de Macédoine, descendant d'Achille (proavi simulantem pectus Achillis) fut vaincu par Paul Émile à la bataille de Pydne, l'an 168 avant J. C., et mené en triomphe à Rome. Il avait succédé dix ans auparavant à son père Philippe. | (2) La vestale Claudia était accusée d'inceste lorsque la statue de Cybèle fut amenée de Pessinunte à Rome vers l’an 217 avant J. C. Le vaisseau qui portait celte statue ne pouvant, malgré l'effort des matelots, remonter le Tibre, Claudia prouva son innocence en l'entrainant, à l’aide de sa ceinture, hors de la vase où il se trouvait engagé. (5) Le feu sacré étant éteint, la vestale Emilia le ralluma en y jetant sou voile; aprés avoir conjuré Vesta d'opérer un prodige en sa faveur. ( 430 ) » Scribonia, ma mère, as-tu rien regretté » De ta fille, dis-moi, son trépas exceptc? » Oh! les pleurs maternels et ceux qu'à ma mémoire » Rome en deuil a donnés suffisent à ma gloire! ». Mais que dis-je, et fut-il un hommage plus beau? » César de sa douleur:a sacré mon tombeau, ». César regrette en moi la sœur de sa Julie... » Un Dieu même, Ô Romains, a pleuré Cornélie! » Trois fois chère à Junon, c'est quand j'eus mérité » L'insigne glorieux de la fécondité (4) » Que la mort termina ma carrière rapide » Entretes bras, Paulus, entre les tiens, Lépide (2), » Et j'emporte du moins au tombeau la douceur » De me survivre en vous, à mes enfants! Sa sœur » À peine avait fini sa noble destinée » Que mon frère:voyait, dans le cours de l’année, » (Comme édile et censeur déjà cher aux Romains) (5), » Passer du consulat les pouvoirs en ses mains, » Pour toi, toi qui naquis à l'époque prospère » Où Rome conféra la censure à ton père, » Ma fille, comme moi n'ayant qu'un seul époux, » Sache lui consacrer ton existence! et tous s Perpétuez l'éclat d'une illustre lignée! » Si je perds sans regret, stoïque et résignée, (1) Festis honores. Les femmes qui avaient eu trois enfants pouvaient ren vertu d’une loi de l'empire, porter un vêtement particulier. (Dion, LV.) (2) L'un et l'autre fils de L. Emilius Paulus et de Cornélie. (3) Properce dit simplement : Vidimus et fratrem sellam geminasse curulem. J'ai cru pouvoir être plus explicite sans encourir le reproche d’altérer le texte, P. Cornélius Scipion ayant déjà occupé la chaise curule comme édile et comme censeur. (451) » Des jours que bien des pleurs encor pouvaient ternir, » C’est que notre triomphe est:dans le souvenir} » O femmes, qu'après nous on garde à notrecendfe! » Ces gages, Ô Paulus, d'une union si tendre, » Qui n'ont plus que toi seul pour les‘aimer, hélas! » Que toi seul à presser dans leurs chers petits: bras, »* Sur ton sein paternel que tes genoux les bercent, » Par autant de baisers sèche les pleurs qu'ils versent, » Et, pour tarir le cours de ces pleurs superflus, » Joins aux tiens les baisers de celle qui n’est plus. », Songe que;ces, enfants n’ont, que toi dans le monde; ». Concentre dans ton sein ta tristesse profonde, » Feins la gaîté, reçois sans en montrer d’ennuis » Leurs caresses : hélas! c'est bien assez des nuits » Pour rendre à sa douleur ton âme recueillie, » M'évoquer du sépulcre et pleurer Cornélie! » Mais, lorsque surgira mon ombre devant toi, » Oh! laisse déborder ton cœur et parle-moi » Comme si la réponse était là sur ma bouche! »} Si quelque autre jamais doit occuper ma couche, » :Si votre père, enfants, forme un nouveau lien, » Approuvez, dites-vous que ce qu’il fait est bien. » Sachez par vos égards, vos respects, votre zèle, » Séduire, captiver cette mère nouvelle, ». À force de réserve apaiser sa rigueur , » Refouler vos regrets au fond de votre cœur, » Éviter avec soin ce qui lui ferait croire » À des rapprochements dont souffrirait sa gloire... » Mais si mon souvenir (et.ce penser m'est doux) » Remplit seul désormais le cœur de mon époux, » S'il me respecte trop pour qu'une autre à ma place... » Songez qu'il touche à l’âge où notre sang se glace : ‘ + Que vos soins empressés, que votre attachement » Lui rendent moins pénible un triste isolement ! a ( 452 ) » Puisse ce que la mort m'a ravi de journees » Refleurir sur vos fronts en heures fortunées, 2 Et puisse mon Paulus, aimé, chéri toujours, » Grâce à vous, mes enfants, bénir ses derniers jours! » J'ai dit. Que votre voix maintenant certifie » La pureté de mœurs dont on me glorifie, » Témoins qui me pleurez ! et que par elle aux cieux » Je remonte sans tache auprès de mes aïeux! » La version que j'ai préférée, et à laquelle je me suis conformé en grande partie, est celle d'un manuscrit du XVm siècle ( Honobi- Llos (sic) (1) Propertii Aurelii naute (2), qui repose, sous le n° 14658, à la Bibliothèque de Bourgogne (Bibliothèque royale, deuxième sec- tion). (1) Ou les élégies de Properce ont été publiées en un seul livre, ou le pre- mier livre de ces élégies a paru séparément, et l'ignorance des copistes a con- servé ce titre ( Æonobiblos) à l'ensemble de ses œuvres divisées ou non en quatre livres. Tout, ce qu'a écrit ce poëte si pur’et si châlié n’est pas venu jusqu’à nous, puisque Fulgence cite de lui un vers qui ne se retrouve nulle part : Divitias ments conficit omis amor. (2) Waute (nautae). Cette qualification donnée à Properce, fils d'un che- valier, comme je l'ai dit plus haut, provient d'une erreur de copie qui s'est reproduite dans le manuscrit dont j'ai adopté le texte (p. 56, v. 22-25). Certus eras cheu , quamvis nec sanguine avito Nobilis, el quamvis navita (non ita) dives eras. (Liv. 11, él. 19, v. 25-24 de la plupart des éditions modernes.) (435 ) CLASSE DES BEAUX-ARTS. Séance du 5 avril 1856. M. ne KEYZER, directeur. M. Querecer, secrétaire perpétuel. Sont présents : MM. Alvin, Braemt, F. Fétis, G. Geefs, Navez, Roelandt, Suys, Van Hasselt , Joseph Geefs, Érin Corr, Snel, Fraikin, Partoes, Baron, Éd. Fétis, de Busscher, Portaels, membres; Balat, Siret, correspondants. CORRESPONDANCE. M. le Ministre de l'intérieur communique des rensei- gnements concernant les expositions de tableaux qui doi- vent s'ouvrir dans plusieurs villes des provinces rhénanes. Le même Ministre écrit que le Gouvernement recevra avec un vif intérêt les communications que l’Académie aurait à lui faire à l'égard des mesures à adopter pour la contrefaçon des objets d'art. Des membres font observer que l’Académie s’est déjà occupée de cet objet. — M. Alphonse Wauters fait hommage d’une seconde (454) monographie du peintre Roger Vanderweyden ou Roger de Bruges. — M. ÉdsFétis fait connaître qu'il aceepte avec plaisir les fonctions de secrétaire de la Caisse centrale des artistes belges, et remercie ses confrères de ce témoignage de con- fiance. CAISSE [DES ARTISTES. BELGES. M. Éd. Fétis, sécrétaire de la caisse centrale des artistes belges, rend:compte desce qui a été décidé; par la commis- sion, dans l'intérêt commun de l'association il fait con- naître les nominations nouvelles qui ont eu lieu, lesnoms qui ont été rayés pour cause de décès ou de non-payement de rétribution, et en même temps le besoin qu'aurait la Société de vendre les œuvres d'art qui lui restent encore de la dernière tombola. Les nouveaux noms inscrits sur la liste des membres sont ceux de : MM. Valerius, professeur, à Anyers ; Schadde, id. L. de Taeye, id. Pierre de Vigne, artiste, à Gand. ( 435 ) COMMUNICATIONS ET LECTURES. Artistes belges à l'étranger : Juste Susrermans ; par M. Ed. Fétis, membre de l’Académie. Si Dieu bénit les nombreuses familles, celle de l'artiste dont nous allons écrire l’histoire avait droit aux faveurs de la Providence. Vers la fin du XVI siècle vivait à Anvers un marchand de drap nommé François Sustermans, au- quel le ciel avait accordé treize enfants, trois filles et dix garçons. De ces derniers, cinq entrèrent dans la carrière des arts : l'un fut musicien et les quatre autres s’adonnèrent à la peinture. Celui que la nature traita le plus généreu- sement vit le jour en 4597. I fut baptisé, le 28 septembre de cette même année, dans l’église S“-Marie et reçut Je nom de Juste. | Dés son enfance Juste Sustermans annonça une voca- tion déterminée pour la peinture. Son père le plaça dans l'atelier de Guillaume de Vos, neveu de Martin, qui lui enseigna les principes du dessin, ainsi que le maniement de la brosse, et qui sut imprimer une bonne direction à ses heureux instincts. Quand le mäître jugea son jeune disciple assez avancé dans la connaissance des procédés pratiques pour pouvoir entreprendre fructueusement un voyage à l'étranger, il le congédia en lui désignant l'Italie comme la terre promise des artistes. Sustermans partit, ea effet, et comme rien ne le pressait, il résolut de s'ar- rêter partout où il trouverait quelque sujet d'étude. C'est ainsi qu'il fit à Paris un séjour de plus de trois ans, Il ( 456 ) crut devoir demander des conseils à l’un des peintres en renom dans celte capitale; mais il paraît que l'élève était plus fort que le maître, car, si ce que dit Baldinucci est vrai, celui-ci fut jaloux du coloris flamand de notre Anver- sois et chercha à limiter, ce à quoi il ne réussit guère. Sustermans s'aperçut qu'il donnait des leçons au lieu d’en recevoir, et comme ce m’élait pas là ce qu’il avait voulu il quitta l'atelier où il s'était fourvoyé, pour entrer dans celui de François Porbus, le jeune, qui, après avoir longtemps voyagé, s'était fixé à Paris où la cour l'avait chargé de tra- vaux importants. Là du moins il trouva une véritable source d'instruction. Bon dessinateur et coloriste habile, Porbus était un des premiers portraitistes de son temps. Ce furent ses conseils el son exemple, on n’en saurait douter, qui décidèrent Sustermans à s'appliquer presque exclusivement à ce genre de peinture, et qui le mirent dans l'excellente voie où il ne cessa de marcher depuis lors. On sait que les portraits de Porbus se distinguent par la fermeté des contours, par la vigueur du coloris, par le bon style des draperies, et surtout par l'air de nature du personnage dont l'artiste reproduisait non-seulement les traits, mais encore le caractère. Ces mêmes qualités se retrouvent dans les portraits de Sustermans; mais celui- ci, tout en les conservant, sut corriger la roideur à laquelle on reconnait, dans les œuvres de son maitre, les tradi- tions de Pancienne école. Il n’est pas sans importance pour nous de constater l’origine du talent de Sustermans, parce que cette origine est toute nationale, el parce qu'elle nous explique comment il se fait qu'ayant produit tous ses ou- vrages en Jtalie, il fut et resta néanmoins un peintre fla- mand. Sustermans songeait à réaliser son projet d'une exeur- ( 437 ) sion au delà des Alpes, lorsqu'une circonstance fortuite vint le décider à n'y plus apporter de retard. Le grand-duc de Toscane, Cosme IL, avait écrit en Flandre pour faire engager, en son nom , d’habiles artistes et artisans à venir travailler aux tapisseries destinées à la décoration de son palais. Sustermans rencontra à Paris plusieurs de ses compatriotes qui, répondant à l'appel du descendant des Médicis, se dirigeaient vers Florence, et il se joignit à eux, charmé de trouver de gais compagnons avec lesquels il pût partager les fatigues et les ennuis de la route. II comptait les quitter à Florence et poursuivre jusqu’à Rome; mais la fortune en décida autrement. Cosme IT, ayant appris qu'un peintre anversois se trouvait dans sa capitale, donna l’ordre qu'on le lui présentât, le reçut avec bienveillance et lui fit, dès la première entrevue, la com- mande d’un portrait, celui d’un vieux maître en tapisse- ries, Flamand d’origine, et depuis longtemps au service de sa famille. Ce portrait, le premier qu'on connaisse de Juste Sustermans, fut mis sous les yeux de Cosme. Retenu au Jit par une affection grave à laquelle il succomba peu de temps après, le grand-duc cherchait dans le commerce des arts l'oubli de ses souffrances. Il ne fut pas moins frappé du mérite de la peinture, que de la ressemblance du portrait de Sustermans, et il voulut absolument fixer ce dernier à sa cour, en lui assurant un traitement élevé, avec un logement dans une des dépendances du palais. La mort de Cosme IT ne changea rien à la position de Sustermans. La grande-duchesse, à qui la régence élait dévolue pendant la minorité de son fils, ne se borna pas à lui continuer les avantages qu’il tenait de la munilicence du feu prince; elle lui donna de nouvelles marques de con- sidération auxquelles il répondit par des travaux qui po- TOME xx. — 1° par. 91 (438 ) pularisèrent son nom en Italie, où il fut bientôt considéré comme le plus habile des portraitistes de son temps. Quel- que répugnancee que la grande-duchesse éprouvât à laisser son peintre favori s'éloigner de Florence, il fallut qu’elle consentit à ce qu’il allàt à Mantoue faire le portrait de la princesse Éléonore, qui venait d'épouser l’empereur Fer- dinand IT; mais elle eut soin de ne lui accorder qu'un congé de courte durée, en le prévenant qu’à son retour, il aurait à entreprendre l'exécution d’une grande composi- tion. | | Jusqu’alors Sustermans n’avait peint que des portraits. La grande-duchesse le chargea de représenter la presta- tion du serment des seigneurs florentins à Ferdinand de Médicis, fils et successeur de Cosme II. Dans ce tableau, de grande dimension , où étaient groupées de nombreuses figures, Sustermans se fit connaître, suivant Baldinucei, dont le jugement est confirmé par beaucoup d'autres criti- quesitaliens, non-seulement comme un puissant coloriste, mais aussi Comme un artiste de riche imagination et de beau style. Ce seul ouvrage, ajoute le biographe florentin, aurait suffi pour le placer au premier rang. Assis sur un trône et couvert d'habits de deuil, le jeune Ferdinand, en- fant d'une rare beauté, reçoit le serment de fidélité prêté par la ville-de Florence, personnifiée dans ses magistrats. A sa droite se trouve sa mère, la grande-duchesse, et à sa gauche la princesse Christine de Lorraine, son aïeule. Le sénateur Bartolomeo Concini, frère du trop célèbre ma- réchal d’Ancre, s'incline profondément devant le prince, tandis que le maître des cérémonies de la métropole lui présente un Évangile ouvert. Cochin parle en ces termes, dans son Voyage en Italie, du tableau que nous venons de décrire ; « C’est une grande et belle composition; la cou- ( 439 ) leur en est d’une vérité admirable et d’une grande vigueur. Les têtes, qui sont toutes des portraits, sont touchées d’une main hardie, facile et savante, et sont bien caractérisées. » Malheureusement ce tableau, objet d’éloges unanimes , a subi une altération prévue sans doute par l'artiste, mais à laquelle il ne dépendait pas de lui de soustraire son œuvre. Comme la cérémonie représentée a lieu pendant le grand deuil de la cour, tous les personnages sont vêtus de noir. Il était inévitable qu'une toile peinte dans cette gamme poussät au sombre : c’est ce qui est arrivé, et ce qui fait qu'on ne peut plus guère juger aujourd’hui du mérite de la plus grande page de Sustermans, sous le rapport de l'effet du moins. Nous avons dit que Sustermans était le peintre de por- traits le plus renommé de son temps en Italie. Ce n’est pas de notre autorité privée que nous lui avons décerné ce brevet de supériorité. Pour le prouver, nous citerons, entre autres témoignages, celui de Lanzi, qui s'exprime en ces termes, après avoir fait l’énumération des plus fa- meux portraitistes de la quatrième époque de l’école flo- rentine : « Aucun d’eux ne fut plus admiré que Juste Sus- termans. Né à Anvers, où il reçut les leçons de P. de Vos, cet artiste s'établit à Florence au temps de Cosme Il, et servit la cour jusqu’au règne de Cosme III. Il fut envoyé vers d’autres princes d'Italie et d'Allemagne, qui voulaient avoir des ouvrages d'un peintre de portraits presque égal à Van Dyck. » Lanzi décrit le tableau du serment des Flo- rentins au jeune Ferdinand, en lui donnant les plus grands éloges, puis il ajoute : « Enfin, Sustermans eut une grâce et une finesse de piuceau qui élonnent même dans son école. Il se distingua, en outre, par un talent qui lui était propre, celui d'ennoblir les physionomies de ses modèles ( 440 ) sans altérer la parfaite ressemblance des traits. Étudiant avec un soin extrême les personnages qu’il devait peindre, il donnait à chacun son mouvement naturel et caractéris- tique, de telle façon que si l’on couvre la figure, on n’en reconnait pas moins l'original, tant il y a de vérité dans l'attitude et de fidèle imitation de la nature dans les mains. » Notibe avons dit que: Séériiatté était allé à Mine faire le portrait de la princesse Éléonore, à l’occasion de son mariage avec Ferdinand. Ce spécimen de son talent inspira une vive admiration à l'Empereur, qui voulut avoir son portrait, ainsi que ceux des membres de sa famille, exécutés par une main si habile. Ferdinand fit prier la grande-duchesse de permettre à son peintre de se rendre à Vienne pour s'acquitter de cette mission. La princesse donna, non sans regret, l'autorisation qui lui était de- mandée, et Juste Sustermans partit pour la capitale de l'Empire, accompagné de son frère Jean, qui était venu le trouver à Florence, et dont il dirigeait Fédueatioi de peintre. Juste Sustermans fut reçu à Vienne avec la plus haute distinction. L'année qu'il y passa fut activement employée. Il fit le portrait de l'Empereur et ceux des enfants que ce prince avait eus de sa première femme, Marie-Anne de Bavière, savoir : Ferdinand, son successeur, Léopold-Guil- laume, archiduc d'Autriche, depuis gouverneur des Pays- Bas, Marie-Anne, qui épousa Maximilien, électeur de Ba- vière, et Cécile que son mariage avec Ladislas fit monter sur le trône de Pologne. Sustermans peignit encore d’autres membres de la famille impériale et de hauts dignitaires de la cour. Pour donner une idée de la considération que lui témoignait Ferdinand, Baldinueci dit que ce monarque, ( 441 ) le sachant d’une coustitution délicate, voulut absolument qu’il demeurût assis et la tête couverte pendant qu’il tra- vaillait à son portrait. Ce sont là des détails puérils, sans doute, mais ils prouvent que, sous de certains rapports, les idées libérales n’ont pas fait, en notre temps, un progrès aussi considérable qu'on se plaît à le dire. Les puissants de la terre croyaient jadis ne pas déroger en donnant aux artistes des marques d'estime personnelle. [ls pensent au- jourd’hui s'acquitter suffisamment envers eux en payant leurs travaux. Nous avons déjà fait remarquer, dans une de nos notices précédentes, que la marche des idées, loin d'être progressive, a été rétrograde en ce qui concerne les rapports des savants et des artistes avec les princes; si nous y revenons, c’est que le contraire est généralement supposé, et qu’il faut s'y prendre à ts d’une fois pour détruire un préjugé. ‘L'Empereur, craignant de déplaire à la me An de Toscane en retenant Sustermans à Vienne, après l’ex- piration du congé d’une année qui lui avait été accordé, lui permit de retourner à Florence. Avant son départ, il le récompensa généreusement et lui donna une patente de noblesse en date du 1° octobre 1624. En quittant Vienne, Juste Sustermans recommanda son frère Jean à l'Empe- reur, qui le prit à son service et lui fit épouser la fille de l'un des officiers de sa.cour. Grâce aux libéralités du sou- verain qui honorait en lui le mérite de son frère, Jean Sustermans put faire noble figure à Vienne. Tous les Florentins qui visitaient celte capitale trouvaient dans sa maison une généreuse hospitalité, et lors du séjour qu’y fit, en 1629, le grand-duc de Toscane, il traita magnifi- quement les gentilshommes que ce prince avait amenés à sa suite. ( 442 ) Juste Sustermans était retourné à Florence et y avait repris ses travaux. Il s'écoula peu de temps avant que la grande-duchesse ne fût sollicitée d'autoriser son peintre à entreprendre un nouveau voyage: Cette demande était encore de celles auxquelles il était impossiblé de répon- dre par un refus. Elle venait du pape. Sustermans eut un congé pour aller à Rome. Ce ne fut certes pas à contre- cœur qu'il entreprit ce voyage. Depuis longtemps il dési- rait aller visiter la cité pontificale, non pour y exercer son art d’une manière lucrative, mais pour y étudier. Dès son arrivée, il fut présenté à Urbain VITE, qui lui témoigna un grande bienveillance et lui promit de poser pour son portrait tant qu’il serait nécessaire. Baldinucci rapporte jusqu'aux moindres incidents des séances accordées à Sustermans par le saint-père. Ce ne sont pas des détails imaginaires. L'artiste les a maintes fois décrits à son biographe, ainsi que l’affirme celui-ci. Baldinucci, le fils et le continuateur de l’académicien della Crusca, était étroitement lié avec Sustermans, dont il a écrit la notice pour ainsi dire sous sa dictée même. Aussi cette notice est-elle en quelque sorte une autobiographie à laquelle nous avons nécessairement fait de nombreux emprunts, comme à la source la plus sûre. On peut repro- cher à l’auteur italien de la prolixité; mais on aurait tort de supprimer toutes les particularités intimes qu'il a re- cueillies et sur lesquelles il n’a que le tort de s'étendre trop complaisamment. Sous l'artiste célèbre, il y a l’homme qu'on aime à connaître, et dont le caractère sert souvent à faire apprécier les œuvres. Il y eut plus que de la bienveillance, il y eut de la familiarité dans la manière dont Urbain VIIT en usa à 4 l'égard de Sustermans. Durant les séances consacrées à ( 445 ) l'exécution de son portrait, le pape ne cessait de causer sur un ton de facile enjouement, ce qui aidaït au travail de l'artiste, en animant les traits de son modèle. A plusieurs reprises, il revint sur le nom de baptême de Sustermans qu'il aimait particulièrement, dit-il, et qu'il ne prononçail jamais sans qu’il lui rappelàt Juste Lipse, homme de grande science el sage politique. Il ne se passait guère de jour où Sustermans ne reçüûl d'Urbain VII quelque marque de considération. Toutes les fois que le saint-père montait à cheval pour faire une pro- menade aux environs de Rome, il voulait que son peintre lPaccompagnät. Castel-Gondolfo était le but habituel de ces excursions pendant lesquelles Sustermans chevauchait entre des princes de l'Église, non sans inspirer de la ja- lousie aux artistes romains. Après avoir terminé le portrait du pape, Sustermans fit ceux de ses neveux et de leurs parents ou alliés. Tous les Barberini voulurent successivement voir leur image illus- trée par son pinceau. Comme leurs dépenses étaient à la charge du trésor pontifical, notre artiste fut largement payé de ses travaux. Urbain VIII lui fit présent, à titre de récompense particulière, d’un bassin d'argent richement ciselé et rempli de médailles d’or à son effigie, ainsi que d’un collier de cinq cents écus. Un malentendu fut sur le point de procurer, en outre, à Sustermans un honneur qu’il n'ambitionnait pas. Le cardinal Magalotti, chargé par le pape de lui demander, avant son départ, si quelque faveur spéciale n'était pas l'objet de ses désirs, crut comprendre qu'il souhaitait d'avoir la croix de Malte. Urbain VIH, à qui la chose fut rapportée, s'empressa d'écrire au grand maitre de l'Ordre pour qu'il fût procédé à la réception du célèbre peintre. Sollicitée par la cour de Rome, la grande- DORE OTT : hr ( 444 ) duchesse de Toscane fit une démarche dans le même sens. Ces deux lettres, conçues dans les termes les plus flatteurs pour Sustermans , sont reproduites textuellement par Bal- dinucci. Mais notre artiste n'avait pas de vocation pour l’état qu'il s'agissait de lui faire embrasser. Pendant qu’on négociait pour Jui faire prononcer le vœu de chasteté, il épousa une jeune personne de Pise nommée Déjanire Fabretti. Le bonheur trouvé par Sustermans dans cette union fut de courte durée. Sa jeune femme mourut en lui donnant un fils qui reçut le nom de Charles, et qui, après avoir fait d'excellentes études à Florence, fut ordonné prêtre. | Sustermans était si peu né pour observer la règle de l'ordre de Malte, qu'après un court veuvage, il contracta un second mariage avec Madeleine di Cosimo Mazocchi, jeune et belle Florentine, dont il eut un fils et une fille. Si nous avons interrompu la succession des faits relatifs à sa carrière pour noter des événements de sa vie privée, Sustermans n'avait pas, lui, interrompu ses travaux. De retour à Florence après son excursion à Rome, il y était plus recherché, plus occupé que jamais. Jusqu'à présent nous ne lui avons vu peindre que des princes et des digni- taires de l'Église. Il retraça aussi les traits de plusieurs hommes illustres dans les sciences. Galilée avait reçu d’un littérateur français, avec lequel il était en correspondance, la demande de son portrait. Le-célèbre mathématicien le fit faire par Sustermans et l’envoya en France. Galilée mort, le grand-duc de Toscane, se repentant sans doute de la faiblesse qu'il avait eue de livrer Galilée à l’inqui- sition romaine, fit prendre à Paris des informations sur ce qu'était devenu le: portrait peint par Sustermans. Le liltérateur auquel il avait été envoyé répondit qu'il le gar- ( 445 ) dait religieusement; mais que cependant, si le grand-duc n’en avait pas d'autre, il consentirait à lui en faire don. Cette offre fut acceptée, et le portrait de Galilée prit place dans la galerie royale. Plus tard Sustermans fit le portrait d’un autre savant illustre, celui de Vincent Viviani. Il avait peint d’abord le grand géomètre comme le premier venu, comme un simple grand seigneur, sans aucune marque distinctive à laquelle on pût reconnaître qu'il s'agissait d'un homme de génie. Le grand-duc pria l'artiste de réparer cet oubli dans un second portrait. Cette fois Sustermans représenta Viviani assis près d’une table chargée de livres, ayant des tablettes à la maio, et dans l'attitude d'un homme plongé dans de profondes méditations. D'après l'ordre de Cosme ITF, ce portrait fut gravé par Antoine Tempesta , élève de Stradan. Nous venons de dire que Sustermans avait fait deux por- traits de Viviani. Il alla plus loin pour François Redi, cé- lèbre médecin, physicien et observateur, car il le peignit trois fois, à des époques différentes, et laissa en quelque sorte une histoire chronologique de la physionomie du savant docteur d’Arezzo. Le troisième portrait, celui qui montre Redi sur la limite qui sépare l’âge mûr de la vieil- lesse, a été gravé par Dominique Temperani. En 1640, le duc de Parme pria Ferdinand I de Mé- dicis, son beau-frère, de lui envoyer Sustermans pour faire son propre portrait et ceux des princes de sa famille. Le marquis de Leganès, général espagnol , gouverneur de Milan, ayant eu connaissance de son séjour près du duc de Parme, députa un de ses officiers pour l’engager à venir lui rendre visite avant de retourner à Florence. Suster- mans ne pouvait accepter celte invitation sans le consen- tement du grand-duc de Toscane. Il l’obtint sans difi- el ( 446 ) culté, car le désir exprimé par le général espagnol , favori du duc d'Olivarès, devait être pris en sérieuse considéra- tion. Le marquis de Leganès était ce qu’en Italie on appelle un grand dilettante. Il achetait beaucoup d'objets d'art, il en prenait plus encore en vertu du droit de la guerre, droit brutal, arbitraire, et que les nations civiisées ont heureusement aboli. Partout où il s’arrêtait, 11 se faisait un musée. À Milan, il avait formé une galerie des portraits de tous les hommes d'épée avec lesquels il s'était trouvé en relation. Sustermans reçut de lui un magnifique accueil. Il va sans dire que le but du marquis de Leganès, en atti- rant le célèbre artiste à Milan, avait été de lui faire peindre son portrait. Notre artiste allait, en effet, en commencer l'exécution, lorsqu'il tomba gravement malade. Les méde- cins lui ordonnèrent, dès qu'il put supporter les fatigues du voyage, de retourner à Florence dont le climat devait hâter sa convalescence. Sustermans n'avait pas rompu toute relation avec son pays, quoiqu'il eût l'intention de passer le reste de ses jours dans cette Italie hospitalière qui le traitait comme un de ses enfants. Par l'entremise de son père, qui était resté à Anvers, il entretenait des rapports suivis avee plusieurs célèbres peintres flamands, et particulièrement avec Ru- bens. Lanzi dit que l’immortel auteur de la Descente de croix, regardant Sustermans comme un des ornements de sa nation, l'honora du présent le plus flatteur, en lui donnant un de ses tableaux d'histoire. Cette assertion , qui a été généralement répétée, n’est pas tout à fait exacte. Il est vrai que Rubens peignit un tableau d'histoire pour Sus- termans et qu'il le lui envoya à Florence; mais ce ne fut pas à titre de présent. La lettre qui accompagnait cet envoi et qui a été donnée textuellement par Baldinucei, puis par ( 447 ) Bottari, dans les Lettere pittoriche, débute par un accusé de réception du prix de l'œuvre en question. Sustermans, auquel ses travaux avaient procuré plus que de l’aisance et qui vivait grandement à Florence, eut le désir de posséder un tableau de Rubens; mais ayant pour principe que le temps d’un artiste n'appartient pas à qui veut l’exploiter, il voulut le payer. La lettre de Rubens est très-intéressante en ce qu’elle contient la description détaillée du tableau qu’il a fait pour Sustermans, et dont le sujet est une allé- gorie de la paix et.de la guerre. Le chef illustre de notre école s'exprime dans des termes qui prouvent l'estime qu'il avait pour le peintre de la cour de Toscane. Il annonce avoir reçu la tragédie que lui avait précédemment envoyée Sustermans. De quelle tragédie s’agit-11? on l’ignore; mais peu importe. Nous n'avons voulu tirer qu'une conséquence de ce fait, c’est qu'il existait entre les deux artistes des relations habituelles. Le tableau de Rubens fut longtemps conservé par les héritiers de Sustermans, comme une pré- cieuse relique; mais ils finirent par céder au désir exprimé par le grand-duc de le faire entrer dans sa collection. M. W. Hookham Carpenter dit, dans ses Notes sur Van Dyck, qu'on ne sait pas au juste ce que ce maître fit à Florence, où il s'arrêta dans son voyage en Italie, car on n'y trouve qu'un très-pelit nombre de ses œuvres. Le critique anglais ajoute qu’on peut expliquer le peu d’em- ploi qu'il trouva à faire de son talent dans la ville des Médicis, par cette circonstance que la cour de Toscane avait pour peintre de portraits Juste Sustermans, artiste renommé, dont les tableaux sont considérés comme à peine inférieurs à ceux de Van Dyck, lequel, étant de ses amis, fit de lui un superbe portrait. Sustermans figure, en effet, dans la série des eaux-fortes où Van Dyck se plut à 2 CORP] PET en ( 448 ) reproduire d'une pointe spirituelle les traits des princi- paux maîtres de son temps, et son portrait est une des pièces les plus remarquables de cet œuvre si justement admiré. Dr Quelques années après, Van Dyck envoya son propre portrait à Sustermans, en y joignant, par une attention pleine de délicatesse, celui de la mère du transfuge d’An- vers. En échange de ce double présent, Van Dyck pria Sustermans de lui faire parvenir son portrait à lui, fait de sa main. Il le reçut peu de temps avant sa mort. En 1644, Sustermans retourna à Rome. Il accompa- guait un prince de la maison des Médicis, qui allait rece- voir le chapeau de cardinal: On a vu que, lors de son pre- mier voyage, il avait fait les portraits des Barberini. Ce fut, celte fois, le tour de la famille Panfilia. 11 peignit d’abord Innocent X, puis la célèbre donna Olimpia, belle-sœur du pape, sans les bonnes grâces de laquelle nul n’obtenait ni faveur, ni justice; puis enfin, les fils de cette femme in- fluente, et plusieurs cardinaux. Ce lui fut encore une occa- sion de grands honneurs et de grands profits. Nous passons bien des excursions de notre artiste; car il n’y à pas d'année où, à différentes reprises, la cour de Toscane ne reçoive de quelque maison souveraine la prière d'accorder un congé au portraitiste par excellence, pour mettre son talent à contribution. S'il se conclut une al- liance princière, il est de toute nécessité que le portrait de l’épousée soit fait par Sustermans. Nous croyons qu’au- cun peintre n’a été plus employé à reproduire d'illustres efligies. Ce n’est pas sans raison qu'on attachait tant de prix aux productions de son. pinceau. On n’a pas exagéré son mérite en disant qu’il fut presque l’égal de. Van Dyck. Ses portraits, comme ceux de l’élève de Rubens, ont pour ( 449 ) caractères distinctifs la noblesse, la vie, la beauté du dessin et le charme de la peinture. Sustermans savait aussi poéliser ses modèles, sans altérer la ressemblance. Il saisissait avec une admirable sagacité l'esprit de chaque physionomie. Comme le dit Baldinucci, il avait fait une étude particulière des mouvements du corps, persuadé qu'il n’y à de portrait fidèle que celui où l'attitude du personnage est aussi exactement rendu que les traits du visage. Il avait le coloris et la franchise d'exécution des artistes flamands; car, ainsi que nous l'avons fait remar- quer, ayant eu l'avantage de n’aller en Italie que lorsque son talent était formé, il y avait porté et conservé intactes les traditions de l’école nationale. Quant à sa facilité, elle est suffisamment attestée par le nombre de ses œuvres et par l'aspect même de sa peinture qui est, on n’en peut mia tonte de Pie jet. Sustermans n’a point terminé ses voyages. En 1649, un ambassadeur de Philippe IV traverse l'Italie pour aller chercher Marie-Anne d'Autriche, fille de l’empereur Fer- dinand IT, appelée à s'asseoir sur le trône d'Espagne. Il demande un peintre pour faire le portrait de la prin- cesse. Le nom de Sustermans sort de toutes les bouches, et avec le consentement de la cour de Toscane , l’am- bassadeur emmène le célèbre artiste qui s'acquitte de sa tâche avec sa supériorité habituelle. Le portrait de la jeune reine part pour Madrid avec l'original, et ajoute un témoignage à ceux que l'Espagne a déjà du mérite de nos artistes. Gênes posséda à son tour le peintre anversois. Logé das le palais des Spinola, il fit les portraits des membres de cette famille patricienne, ainsi que ceux des Pallaviccini. Il s'arrêta encore à Modène et à Ferrare, où il laissa des «] ( 450 ) traces brillantes de son passage. A peine était-il de retour à Florence, qu’il lui fallut entreprendre un nouveau voyage. Ce fut le dernier, Plusieurs fois l’archiduchesse, femme de Léopold, archiduc d'Autriche, lui avait adressé l'invitation de venir à Inspruck ; mais il avail toujours reculé devant les fatigues de cette excursion. Une princesse de Toscane ayant épousé l’archidue Ferdinand Charles, la cour de Florence le pria de ne plus différer davantage. Il se ren- dit à Inspruck, où il passa une année pendant laquelle il fit le portrait de l'archiduchesse et ceux de la plupart des personnages attachés à sa maison. Sustermans revint à Florence en 1655, et depuis lors il ne quitta plus cette ville, Durant les longues années qu'il lui restait à parcourir pour arriver au terme de sa carrière; il consacra exelusivement son pinceau à la cité qui l'avait adopté. La collection de ses portraits forme une histoire complète de la Toscane pendant plus d’un demi-siècle. Tous les princes de la maison de Médicis : Ferdinand IT et Cosme IT, les cardinaux Charles, Jean et Léopold ont été peints par lui. Les deux portraits qu'il a faits de Victoria de la Rovère, femme de Ferdinand IF, et qu’on voit dans la Galerie Pitti, sont admirables, Dans le premier, la prin- cesse, parée de tous les charmes de la jeunesse et ajustée avec un goût parfait, est représentée portant un crible, symbole de vertu. La tête ét les mains sout d’une beauté rare. Ce portrait peut être comparé, sous beaucoup de rap- ports, à celui.de la fille du Titien. La seconde fois que la duchesse Victoria posa pour Sustermans, celui-ci fit moins un portrait qu'un tableau où il réunit, dans une composi- tion du plus beau style représentant une sainte famille : la princesse, son époux Ferdinand IF, l'enfant qui régna plus tard sous le nom du Cosme IT, 4 ( 451 ) Parmi les portraits les plus remarquables de Suster- mans que possède la galerie Pitti, il faut citer celui du fils de Frédéric HE, roi de Danemark; c’est un jeune homme à la physionomie étrange, dont une épaisse chevelure blonde couvre le front jusqu’à la naissance du nez. L'auteur de la notice qui accompagne la gravure de ce portrait dans l'ouvrage consacré à la reproduction de la riche collection de Florence, dit avec cette chaleur d'enthousiasme parti- culière aux Italiens, qu’il est difficile de faire un portrait à l’aspect duquel le spectateur s’écrie : Ecco lui, tutto desso; non mancagli che la parola. Ce problème, ajoute-t-il, fut résolu par Sustermans, qui eut un art particulier pour animer la chair et donner la vie au modèle. S'il fut dans la destinée de notre artiste de peindre principalement des papes, des empereurs, des rois et des princes , il ne s'était cependant pas voué ‘exclusivement par système à la représentation des types aristocratiques. Nous avons déjà cité ses portraits de trois savants illus- tres. On voit encore de lui au musée Pitti : un gardien de la collection royale de Florence, figure plébéienne assuré- ment, mais pleine de caractère et peinte avec une vigueur surprenante; un certain Pandolfe Ricosoli, jésuite, qui devint célèbre par ses crimes, après avoir passé longtemps pour un saint homme, et enfin un délicieux portrait d’en- fant où se manifeste une fois de plus la souplesse de son talent. En 166%, Sustermans qui, depuis plusieurs années, avait perdu sa seconde femme, contracta un troisième mariage avec Madeleine Artimini , jeune fille appartenant à une famille honorable de Florence. N'avions-nous pas raison de dire que la croix de Malte ne lui convenait guère ? JL avait 67 ans lorsqu'il se maria pour la troisième fois, Sa (452 ) jeune femme ne tarda point à lui donner un fils. Son or- ganisation élait véritablement exceptionnelle. L'âge ne lui ôtait rien de sa vigueur, ni de son activité, ni d'aucune de ses facultés d'homme et d'artiste. Il poursuivait ses tra- vaux avec la même ardeur, et conservait toute la justesse de son coup d'œil, toute la fermeté de sa main. Parvenu à sa 82° année, il fit un si beau portrait du prince François de Médicis, que le grand-duc, pour perpétuer le souvenir de ce fait mémorable de l’histoire des arts, voulut qu'il inscrivit au bas de la toile et son âge et la date de l’exécu- tion de l'œuvre. Ce ne fut pas sa dernière production. Il était décidé à ne déposer ses pinceaux que lorsque les forces viendraient à lui manquer, et la nature ne l’avertis- sait pas que ce moment fût arrivé. Cosme IIT n'était pas, comme ses ancêtres, un prince protecteur des arts et des artistes; il n’avait conservé au- cune des belles traditions de sa famille; mais il comprit ce qu'il devait au peintre éminent qui avait servi sous trois règnes la maison des Médicis. Il donna l’ordre que toutes les œuvres de Sustermans, éparses dans les palais et dans les musées royaux, fussent réunies dans la vaste salle. du palais Pitti, qui servait aux audiences du car- dinal Léopold, pour former une galerie particulière. C'était la première fois qu’un pareil hommage était rendu à un artiste à Florence. Le portrait de Galilée fut seul réservé pour être placé dans le sanctuaire destiné aux chefs- d'œuvre, et connu sous le nom de la Tribune. Ces disposi- tions furent changées postérieurement, et les productions du peintre d'Anvers furent de nouveau dispersées. Jusqu'au dernier moment, Sustermans jouit pleinement de ses facultés intellectuelles. Il vivait dans une noble aisance, et recevait chez lui tout ce que Florence comptait ( 455 d'hommes distingués dans les arts. Baldinueeï, qui entre- tenait avec lui, comme on l'a vu plus haut, des rapports d'une intime amitié, dit que c'est de ce doyen des peintres de son temps qu'il tient les éléments des notices qu'il a consacrées aux peintres flamands dans son recueil. Quant à ce qui le concernait personnellement, Sustermans était d’une réserve extrême, et s’il consentit à fournir à Baldi- nucci des notes sur sa longue carrière, ce fut à la condi- tion qu’elles ne seraient point publiées de son vivant. L'heure suprême sonna enfin pour Sustermans. Ce fut le 25 avril 1681. Baldinueci trace avec le zèle d’une tou- chante amitié le tableau des derniers instants du grand artiste. Sustermans, bien que souffrant depuis quelque temps, voulut remplir ses devoirs religieux le dimanche des Rameaux. Pris du froid à l’église, il rentra, se mit au lit et ne se releva plus. Peu de jours après, il rendit l'âme, après avoir dicté ses dernières volontés et reçu l'extrême onction avec une parfaite sérénité d'esprit. Ses funérailles eurent lieu en grande pompe; l’Académie de dessin tout entière l’accompagna jusqu’à l'église de San Felice in Piazza, sa dernière demeure. Sustermans avait eu de sa dernière femme un fils et une fille. Le premier mourut jeune; la dernière épousa le célèbre statuaire florentin Soldani Benzi. Outre le tableau de Rubens et les portraits que lui avait envoyés Van Dyck, Sustermans laissa à ses héritiers un grand nombre de toiles des premiers maîtres italiens et flamands, dont il avait rédigé lui-même une notice descriptive pour servir à la vente qui aurait lieu après son décès, selon la volonté qu'il en exprima dans son testament. Quand on voit quel artiste fut Juste Sustermans, quand on sait quelle renommée il eut en Italie, et sur quels titres ToME xxu1. — |" parr. 52 (454) était fondée cette renommée, on s'élonne que les auteurs des histoires de nos peintres lui aient à peine consacré quelques lignes, qui n’ont pas même, en général, le mérite de l'exactitude. Croirait-on, par exemple, qu’un écrivain français, Papillon de la Ferté, ait pu dire ce qui suit de Sustermans : « Malgré tous les avantages qu'il trouvait à cette cour (celle de Toscane) du côté de l'honneur et de la fortune, il ne put résister au désir de revoir sa patrie, et revint à Anvers, où il est mort après avoir orné de ses ouvrages plusieurs églises et plusieurs maisons religieuses de cette grande ville. » Tous les biographes ne tombent pas, à la vérité, dans d'aussi grossières erreurs; mais ceux qui respectent un peu plus la vérité, donnent dans tous les cas des indications fort incomplètes sur la vie et sur les œuvres du peintre d'Anvers. Son nom même a été estropié de vingt manières différentes : Sutterman, Sub- terman, Soutermans, Cistermans, Sertermann, etc. Les Italiens l’appellent assez généralement Monsu Giusto. Le testament de Sustermans a été publié, par le docteur Giovanni Gaye, dans le troisième volume du Carteggio inedito d’artisti, d'après l'acte original déposé aux archives de Florence. Le célèbre artiste y désigne lui-même le lieu de sa sépulture, et, après avoir spécifié la somme qui doit être affectée aux offices célébrés pour le repos de son âme, il règle le partage de ses biens entre sa femme et ses en- fants. C’est à Florence qu'il faut aller pour prendre une idée de la puissance et de la variété du talent de Sustermans. Il se trouve de ses œuvres dans beaucoup d'autres villes, on l’a vu par la relation que nous avons donnée de ses nom- breux voyages; mais elles ne sont point partout accessibles aux amateurs. La plupart de ses portraits sont restés dans ue 14 RE ONE 7 ( 455 ) les résidences princières où ils furent placés originaire- ment. On n’en rencontre guère dans les galeries publiques. Le Musée de Viénne a de lui un portrait de l’archiduchesse Claudie Félicité, fille du grand-duc de Toscane Ferdi- nand [* et femme de l’archiduc Léopold V, comte de Tyrol. Au Musée de Berlin, deux tableaux lui sont attribués, savoir : un Christ mis au tombeau et Socrate buvant la ciguë, entouré de ses amis. Il est très-douteux que Suster- mans soit, en effet, l’auteur de ces deux peintures. Baldi- nucci qui donne, comme nous l'avons dit, sur les travaux de notre artiste, des détails précis et recueillis de sa bouche, ne fait aucune mention de tableaux d'histoire exécutés par lui. Sa seule composition de ce genre fut celle qui repré- senta l'hommage rendu au prince duc de Toscane par les nobles florentins. Quelque estime que nous fassions des lumières de M. Waagen , auteur du catalogue de la galerie de Berlin, nous ne pouvons considérer comme fondée l'indication qui attribue à Sustermans les deux tableaux dont il vient d’être parlé. La seule galerie publique où l’on voie des œuvres au- thentiques de Sustermans est donc celle de Florence. Aux portraits qui s’y trouvent et que nous avons déjà cités, il faut ajouter une sainte Marguerite, figure entière avec la croix à la main et le dragon à ses côtés. Plusieurs des peintures de Sustermans ont été gravées. On à, d’après lui, outre les estampes que nous avons men- tionnées dans le courant de cette notice : L'installation du grand-duc de Toscane Ferdinand IT, gravée par Mo- galli; deux portraits de Ferdinand, l’un par Mogalli, l'autre par Spierre; le portrait du cardinal Léopold de Mé- dicis, par A. Clouet; celui de Galilée, par F. Allegrini; le prince de Danemark, fils de Frédéric HI, par Fedi, et ( 456 ) Catherine Cornoro, reine de Chypre, par Mogalli. Quel- ques-uns de ses portraits du Musée de Florence ont été gravés pour la Galleria Pietti de Bardi. Outre la belle eau-forte de Van Dyck qui nous a conservé les traits de Sustermans, on a encore un portrait gravé par Fr.-Mar. Francia, d'après une peinture de Feretti qui se trouve dans la galerie de Florence, et celui que Paggi a fait pour le Museo Florentino. Sur les moyens de répandre le goût des gravures nationales; par M. Ad. Siret, correspondant de l’Académie. Il y a à peine deux siècles que l’école de gravure d’An- vers inondait le monde des arts de magnifiques estam- pes qui portaient au loin le nom de nos grands peintres et les preuves brillantes de leur génie; c'était un vaste atelier d’où sortaient journellement de splendides produc- tions où l'œuvre du burin rappelait avec un bonheur inoui l'œuvre de la pensée. Aujourd’hui, il faut bien le dire, tout en respectant les efforts intelligents déployés par des hom- mes de talent, cet atelier n’a plus l'animation d'autrefois. Les presses anversoises n'enfantent plus guère ces grandes gravures si puissantes, si brillantes d'effet et d’une touche si grasse où l’on reconnait évidemment les conseils du grand Rubens. Les ombres des Pontius, des Vosterman et de tant d'autres planent cependant encore sur cette cité où l’art flamand s'était centralisé; mais elles n’ont, depuis deux siècles, inspiré que de trop rares aptitudes, dont les tentatives isolées ne sont pas assez vigoureuses pour res- susciter un présent digne du passé. ( 457 ) Cette espèce de sommeil, plus apparent que réel, doit-il être attribué au public ou aux artistes? C’est ce que je vais examiner en indiquant les moyens qui, selon moi, peuvent être employés pour faire cesser un état de choses si incompréhensible en Belgique, cette terre chérie des beaux-arts. Dans le domaine des arts, notre pays s'est toujours affranchi des influences étrangères; je ne parle pas de cette manie toute passagère que l’on a eue dans ces derniers temps de créer des imitations d’un art facile et de faible consistance; c’est là un tribut payé à certaines épidémies qui passent; je parle des hautes traditions de l’art flamand pour lesquelles nous avons toujours eu un saint respect et un ardent patriotisme; celles-là, je le répète, c'est en vain qu'on chercherait à les détruire; elles font partie de notre caractère national et ne disparaitront jamais. Ce respect existe chez l'artiste qui produit et chez le public qui juge; il y a entre eux une solidarité muette, une conscience mutuelle qui se comprend sans se parler; une sorte d'entente qui fait que l’un est presque toujours l'écho de l’autre et que l'œuvre exécutée n’est le plus souvent que la reproduction de la pensée du public. Ce caractère est saillant, un regard rétrospectif jeté par le souvenir sur vos expositions, démontrera pleinement la force de ma pensée et la complétera largement. On aura une preuve éloquente de plus de ce que j'avance, si l’on veut bien se rappeler que dans presque toutes les maisons où il y a des œuvres peintes, ces œuvres sont belges. Comment donc se fait-il que Part de la gravure pa- raisse exclu des bénéfices de ce sentiment si fortement en- raciné en nous, el que ce qui est vrai pour le pinceau ne le soit plus quand il s’agit du burin ? PT LPS COTE ss" ( 458 ) La presque totalité des gravures qui s’abritent dans nos palais et dans nos maisons bourgeoises sont françaises ou anglaises et quelquefois, mais plus rarement, allemandes, et enfin italiennes. Les premières ont pour elles, presque toujours, le charme d’un sujet attachant qui fait infini- ment plus d'effet sur la foule que le talent du graveur; les secondes, le plus souvent en manière noire, ont un éclat soyeux, si je puis me servir de ce terme, qui cadre assez bien avec le genre de luxe décoratif de l'époque; les troi- sièmes, plus pâles, plaisent aux natures un peu molles et réveuses à cause des sujets reproduits, toujours mélanco- liques ou naïfs; les quatrièmes, la plupart religieuses, vont chez des personnes où elles sont plutôt le complément d’une ornementation pieuse que le résultat d'un sentiment individuel en harmonie avec l’art. Mais les gravures belges , où vont-elles? Nul ne le sait; et moi qui depuis tantôt dix ans suis à leur recherche, j'ai fini par les trouver... dans les cartons de leurs auteurs ! On comprendrait l'indifférence du publie, si nous n’a- vions ni graveurs ni gravures, mais c'est qu’au contraire, nous pouvons être très-fiers de ce que nous possédons, en oubliant le passé, bien entendu. La véritable cause de l’apathie que je signale, apathie dont notre caractère éminemment artistique ne demanderait pas mieux que de se dépouiller, réside surtout dans l'ignorance complète où se trouve le publie de ce que produisent les graveurs belges. Je vais surprendre ceux qui m'écoutent en leur disant que, depuis 1850 seulement, il à été gravé en Belgique plus de cinq mille eaux-fortes , parmi lesquelles je ne fais aucuvé difliculté d’avouer qu'il y en a de détestables , mais parmi lesquelles aussi il y a de véritables chefs-d'œuvre. 4 ( 459 ) Eh bien! les eaux-fortes de Verboeckhoven sont les seules que l’on connaisse? Voit-on les autres aux vitrines des éditeurs? Jamais. Les rencontre-t-on chez nos collection- neurs? Bien rarement. Trouverait-on même où les ache- ter? Peut-être. Et pourtant, il me semble que ce ne serait pas déshonorer des collections que d’y voir briller les pièces de Leys, telle que son Homme au violon; de Van Reeth, telle que son beau Van Lisvelt, d'après Leys; de Billoin , telle que sa collection d'après Madou; de Fla- meng, telle que son Mousquetaire; de Dillens, telle que son Tribunal de paix au XV" siècle; de Vertommen, de Hamman, de Kuhnen , si exact et si poétique; de Lies, si fin et si coloré; de Seghers, si facile et si abondant; de Lauters, de de Cock, de madame O’Connell, etc., ete. Quant aux gravures au burin, elles sont naturellement moins nombreuses, vu la lenteur et la difficulté de ce genre de travail; néanmoins, on en compte un chiffre très-im- posant et qui offre une variété capable de contenter tous les genres de goût en Belgique. A part les produetions brillantes et admirées de Calamatta et d'Érin Corr, il en est peu qui arrivent à une popularité digne du talent qu’elles représentent, digne des sacrifices incessants et quelquefois héroïques que leurs auteurs s'imposent, digne, en un mot, du gouvernement qui leur vient en aïde. Pourquoi, au lieu de gravures étrangères souvent usées el retouchées, ne voyons-nous pas en province des pièces belges originales, soignées dans leur tirage et signées de Verswyvel, comme son Ange du bien et du mal, d'après Wappers ; de Franck, comme son Parmesan , d'après Van Eycken; de Meunier, comme son Louis XVII, d'après Wappers ; de Van Reetb, comme sa Jeunesse de Gérard Dow, d'après Leys ; de Bal, comme sa Tentation, d'après ( 460 ) Gallait; et comme son Arabe, d'après de Keyzer; et tant d’autres que je ne puis citer toutes sans tomber dans une sèche nomenclature de catalogue? Tous ces noms ne sont pas positivement inconnus en province, mais je puis as- surer qu'ailleurs qu’à Bruxelles et à Anvers, on ignore ce qu'ils ont produit et on ne songe point à acquérir leurs œuvres, tandis qu'on achète parfois à des prix très-élevés de pitoyables gravures étrangères auxquelles des cadres pompeux viennent seuls donner un peu de valeur. Il y a donc quelque chose d’éminemment utile à faire; ce serait de substituer à celle ignorance dans laquelle vivent les trois quarts des Belges à l'égard des gravures nationales, une publicité large, intelligente et surtout continuelle. Quel que soit l'éditeur auquel vous vous adressiez, il est à peu près certain qu'il ne sera pas en mesure de vous vendre la gravure que vous lui demanderez. Il donne tou- jours une raison qui refroidit la bonne volonté de l’ache- teur. J'en parle par expérience. Il est temps de faire cesser cet état de choses : pourquoi donc n’y aurait-il pas en Bel- gique plusieurs maisons commissionnées pour ces sortes de ventes et où l’on serait certain de rencontrer ce que l'on désire. Pourquoi nos journaux sont-ils toujours d’un mutisme inconcevable lorsqu'il s'agit de vulgariser des gravures belges? De loin en loin, une réclame ou exces- sivement timide, ou ridiculement boursouflée, annonce une œuvre belge gravée, puis c’est tout. Mais du raisonne- ment, un peu de théorie, un peu de cette critique loyale et sévère qui ouvre au public la voie du désir, point. Pourquoi ce silence de la part d’une presse qui entend généralement si bien les intérêts artistiques de la patrie? Serait-ce parce que l’école belge de gravure est jeune et ( 461 ) que, conséquemment , il y a peu de chose à eu dire? Mau- vaise raison, ou peu généreuse excuse, car enfin si cet art est jeune, c'est un devoir de lui venir en aide et de lui offrir l'appui qui convient aux constitutions débiles par le fait même de leur âge. Serait-ce parce que cette école pro- duit peu ? Dans ce cas, on est mal informé, car, je le répète, le nombre des productions en ce genre est considérable. Serait-ce par la crainte de froisser certains amours-pro- pres ou de soulever des discussions sujettes à acrimonie? cause peu probable. L'art véritable est au-dessus de cette mesquinerie, et la critique, chez nous, ne s'arrûterait pas à des obstacles de si peu de valeur. Pourquoi donc ce silence qu'aucune explication ne jus- tifie et qui semble être complice de l’apathie du publie, s’il n’en est pas l'auteur ? Personne ne le sait et, en vérité, personne ne le saura jamais. Il faut l'avouer, nous sommes à cet égard pitoyablement servis : là encore, il y a une ré- forme à tenter. Et pourtant, à ne considérer les choses que matérielle- ment, il y a dans le commerce de gravures une branche à exploiter avec avantage. Certaines fortunes anversoises et bruxelloises n’ont pas d'autre origine, et rien ne dit que ce qui s'est passé au XVII" siècle ne puisse encore se passer de nos jours où le goût des arts existe dans tous les rangs de la société. Seulement (restons dans la ques- tion commerciale, elle a son importance) il s'agit de marcher avec l'époque, et c’est là que nous allons rencon- trer enfin une des causes de l'indifférence du public. Nos jeunesgraveurs ont le tort d’exagérer un peu lamour- propre que tout homme d'intelligence doit avoir à une dose raisonnable, et ils essaient trop vite leurs ailes qui, en réalité ne font que pousser. De telle sorte que lors- ( 462 ) qu'ils out une planche gravée à vendre, ils élèvent des prétentions d'autant plus exorbitantes qu'ils devraient ré- fléchir que là où le goût des gravures n’est pas répandu, il serait de bonne politique de chercher par tous les moyens possibles à le propager. Il s'en suit que la planche reste dans l'atelier jusqu’au jour où l'artiste, pressé par le besoin, la cède à vil prix à quelque imprimeur maladroit qui gâte l'œuvre par un tirage mal dirigé et qui compromet tout à la fois le talent de l’auteur et son avenir. Il serait facile de citer un bon nombre de preuves à l'ap- pui de ce qui précède, si je ne craignais de tomber dans les détails, malheureusement trop vrais, de la vie de quelques artistes et que leur vérité même m’empêche d’ex- poser au grand jour. D'un autre côté, si l'œuvre gravée paraît avec les dehors voulus, c'est-à-dire dans les meilleures conditions de tirage et d'aspect, l'éditeur la vend à un prix qu'il suffit de faire connaître pour qu’à l’instant même la bourse de l'amateur se referme prudemment. Il n’y a pas à dire, si l'on veut du débit, il faut débiter à bon marché; la masse vous indemnisera tôt ou tard du sacrifice momentané- ment consommé. On doit penser que, dans un pays où les gravures nalionales sont peu appréciées, il ne faut point empirer encore cette situation par des exigences commer- ciales qui peuvent être très-légitimes, mais qui sont intem- pestives. Et tenez, croyez-moi, inondez pendant un an nos villes de gravures bien imprimées, de sujets variés et sur- tout à très-bas prix, el vous aurez énormément fait pour l'avenir de votre art. Vous aurez popularisé des choses inconnues jusqu'à présent, el une fois le public entré dans cette voie, soyez certains qu'il y restera. Que coûte- rait-il d'essayer, je vous le demande? Vous me dites que ( 465 ) vous ne faites pas vos frais dans la vente des gravures telle que vous l'avez organisée. Eh bien, perte pour perte, es- sayez de mon moyen, vous aurez au moins la conscience nette. Considérez l'Allemagne, avec laquelle notre indivi- dualité nationale à tant d'analogie sous le rapport intellec- tuel ; il y a là des masses de gravures au burin qui se vendent quelques sous et qui se glisseut partout, dans les palais, dans les maisons bourgeoises, dans les mansardes. Ces gravures sont ou pieuses ou historiques; elles ont donc, outre le mérite d'agrandir le domaine d'un art spécial, le précieux avantage de répandre, comme des fleuves fécon- dants , des germes de foi et de patriotisme dans le cœur de tous. Ces gravures sont innombrables, il faut donc un monde d'artistes et d'ouvriers pour les faire et les impri- mer; ces gravures sont bonnes, elles relèvent et perfec- tionnent donc le goût du beau dans la foule; ces gravures sont vendues à bon marché, c’est qu’on est donc parvenu, par la quantité des acheteurs, à compenser des sacrifices primitivement accomplis et surtout osés. Plus j'approfondis mon sujet, plus je constate, avec une douloureuse conviction, que nous ne faisons point notre devoir vis-à-vis de nous-mêmes, vis-à-vis de la partie intel- ligente de la nation. Comment justifier, par exemple, ce qui se passe chez nous? A l'heure qu’il est, combien avons- nous de gravures au burin, d'après les tableaux de nos Musées de Bruxelles, d'Anvers et de Gand? Qu'est-ce à dire; serait-ce que Pontius, Bolswert, Vosterman, en gravant ces immortels chefs-d'œuvre, vous auraient défendu d’en faire autant? Avez-vous peur de faire ce qu'ils ont fait? Mais à ce compte, peintres et sculpteurs , brisez vos pinceaux et vos Ciseaux , 1] n’y a plus rien à peindre, rien à sculpter, tout à été fait, el vous n'avez plus qu'à admirer le passé en ( 464 ) versant des larmes sur votre impuissance.… Mais cette dé- courageante pensée esl fausse : l'art est, comme la nature, inépuisable; le génie qui vient de Dieu est, comme lui, créateur. Comment, il n’y a pas dans cette Belgique, qui produit plus de grands artistes qu’elle n’en peut nourrir, il n'ya pas une collection de gravures, non-seulement d’après nos anciens, mais encore d’après nos modernes! Nos ta- bleaux s’en vont à l'étranger et, maladroits, imprévoyants, ingrats que nous sommes, nous ne nous donnons pas même la peine de les graver avant qu'ils partent. De loin en loin, mais bien rarement, on a gravé des tableaux belges modernes, patriotique exemple qui méritait plus d'imita- teurs! Nous n'avons pas en Belgique une seule revue, un seul journal qui perpétue le souvenir de ce qu’y engendrent les pinceaux de nos illustrations artistiques. Nous n'avons pas même eu le bon esprit de profiter en cela des ressources que nous offrent quelques ateliers de graveurs sur bois, dont la création est due à l'initiative du seul éditeur vérita- blement national, que nous ayons eu depuis 1850 et qui ait osé publier des livres illustrés. J'ai nommé M. Jamar; je suis heureux de pouvoir lui payer cette dette de reconnais- sance au nom de mes compatriotes. Nous avions quelques petits clichés, qui étaient faits avec entente et dans un esprit vraiment belge : cela s'appelait le Musée populaire, et cela propageait chez nous la connaissance de nos vieux tableaux, de nos mœurs, de nos monuments, de nos cos- tumes, etc. Je crois avoir entendu dire que cela a disparu, écrasé sous le poids d’un vote trop solennel pour qu’on ose s’en plaindre. Nous avons deux écoles de gravure, une à Bruxelles, une à Anvers; toutes deux, grâce à d’intelli- gentes directions, ont formé des talents remarquables ; mais je cherche en vain leurs œuvres dans nos maisons ( 465 flamandes, je n’y vois que les chiens de Landseer, et les aqua-tinta de Jazet. Pourtant, ainsi que je l'ai dit, il existe des élèves de nos deux écoles de bons et beaux travaux qui suffiraient à honorer notre pays, s'ils étaient mieux connus et si on les montrait davantage. Il n’y a malheureusement rien à dire pour détruire ce que j'avance; cela est, et pas un effort n'est tenté pour changer cet état de choses. Je me trompe, l’Académie, fidèle aux sentiments patriotiques qui l'ont toujours ani- mée, vient d'apporter sa part de bonne volonté dans l'œu- vre de régénération qui s'accomplira, je l'espère, avec le temps, en instituant un concours dont l'importance me paraît résider beaucoup plus dans le principe exposé que dans le résultat demandé. L'action du pouvoir est certes la plus déterminante dans la révolution pacifique à laquelle nous devons aspirer. Cette action existe, mais il me semble qu’elle est viciense : ainsi je ne sais trop si les subsides , très-faibles d’ailleurs, donnés aux graveurs, constituent un bon mode d’encou- ragement. Ces subsides sont la plupart du temps dévorés avant d’être délivrés; comment voulez-vous alors que le graveur travaille avec courage à la planche qu’il a en- treprise? Le Gouvernement ne ferait-il pas chose utile en réunissant dans un même cadre tous ces travaux qui s’éparpillent dans une désespérante obscurité, et en ne les subsidiant que lorsque la besogne serait finie? Pourquoi ne prendrait-il pas sous son patronage une vaste publication qui aurait pour but de reproduire au burin, à l’eau-forte et sur bois les chefs-d'œuvre de l’art flamand ancien et moderne; les monuments, les armes, les faits historiques célèbres ou curieux; les portraits de grands hommes et d'hommes utiles; les anciens meubles, les médailles, les ( 466 ) ruines de nos chäteaux, les vues du pays, les merveilles de la nature, les curiosités de tout genre; en un mot, un immense recueil où viendraient aboutir toutes les grandes choses de la patrie et dont le germe se trouvait déposé dans le Musée populaire cité plus haut? Chaque artiste trouve- rait là de quoi activer et nourrir sa verve, el recevrait d'une façon non humiliaute le juste prix d'un travail dont le publie serait appelé à juger. Un immense avantage résulterait de la mise à exécution de cette idée pour l’art de la gravure, à savoir une publicité étendue, et que garantirait la va- riété des sujets traités s'adressant à tous les goûts. Notre pays n’esl pas assez grand pour que des spécialités consti- tuent un succès vital, il faut donc s'adresser à tous, et quelle puissance n’aura point cette voix quand elle parlera un langage qui s’inspirera des souvenirs et des gloires de la nation (1)? Mais, dira-t-on , des travaux de ce genre ont été tentés, el le succès n’a pas répondu aux espérances conçues. D'abord, à une exception près, aucune entreprise de cette nalure n’a été sérieusement entamée, et l’eüt-elle été, il ne faut pas conclure de son insuccès que le même résultat serait inévitablement à craindre : on ne réussit pas tou- jours une première fois, ni même une seconde, mais on doit être raisonnablement autorisé à croire que le public ne résislerait pas toujours aux attraits que lui offrirait une publication du genre de celle que je propose. L’exception à laquelle il vient d'être fait allusion porte sur une magnifique galerie de portraits gravés et représen- (1) M. Érin Corr a émis l'idée d’un projet semblable dans un travail lu à la séance de février 1854. ( 467 ) tant les Belges célèbres, édités à Bruxelles, Cette publica- tion est véritablement belle et elle est un titre brillant aux applaudissements de ceux qui aiment la gravure; mais, je dois le dire, elle est à peine connue dans nos provinces par suite du manque de publicité nécessaire, et, je dois le dire encore, son prix relativement élevé s'oppose à ce qu’elle acquière la popularité dont elle devrait jouir. Vous le voyez, ce qui manque en Belgique, ce n’est pas la séve, ce n’est pas la production, c’est l'écoulement de la production , c’est le mode d'écoulement qui nous fait tota- lement défaut. Organisez, et la chose ne doit pas être difficile , organisez un système permanent de vente à bon marché, allez vers le public et n’attendez pas, par un excès d’amour-propre irréfléchi el très-improductif, que ce public vienne vers vous. La fibre nationale est, Dieu merci, assez forte chez nous, il suffit de la toucher délica- tement pour qu'elle résonne. Mais encore une fois il faut aller la chercher. Une circonstance heureuse autorise à croire que ce public que nous venons de prendre à partie est pourtant fort disposé à adopter d’autres sentiments : on sait que les commissions directrices de nos expositions rendaient au- trefois les loteries attrayantes par l’appât d’une lithogra- phie faite d’après un tableau; on n’ignore pas qu’elles ont changé ce mode et remplacé la lithographie, soit par une gravure au burin, soit par une eau-forte. Cette détermi- nalion a été généralement goütée, el le succès qui l’a ac- cueillie permet de pressentir la vogue réservée chez nous aux estampes publiées dans les conditions dont il a été parlé plus haut. On me dit que nous ne parviendrons jamais à déraciner chez nous l'usage de faire choix de gravures étrangères qui ( 468 ) ont pour elles, outre l'attrait de la chose en elle-même, celui des publications faites avec intelligence. Dans l'état actuel de la question, cette parole est vraie, mais C’est jus- tement cet état qu'il importe de changer, et alors les consé- quences seront tout autres. Les facilités et Les possibilités d'acquisition une fois établies, on peut être convaincu que le sens artistique national se portera de ce côté, comme il s’y est porté dans nos provinces belges du temps des grands graveurs, où presque toutes les maisons étaient ornées de gravures. Alors aussi se réveillera certainement une in- dustrie florissante à cette époque et profondément assoupie aujourd'hui, celle de l'imprimerie en taille-douce. Je fais des vœux sincères pour que ces humbles obser- vations puissent être utiles à la prospérité d’un art qui a en soi la double et puissante faculté d’immortaliser, en les répandant au loin, les chefs-d'œuvre de la création humaine, en immortalisant en même lemps ceux qui les traduisent. Nous sommes, sous ce rapport, bien au-des- sous de ce que nous pourrions être; il importe donc de sortir au plus tôt de cette humiliante situation, et de m'avoir pas moins de sollicitude pour les vivants que nous n'en avons pour les morts. :— M. Baron donne ensuite lecture de l’Introduction qu'il compte placer en tête de sa traduction de l'Art poé- tique d'Horace. Cette lecture a été écoutée avec beaucoup d'intérêt; mais l’auteur n’a pas désiré voir figurer au Bul- letin les feuilles qu'il compte donner bientôt au public dans une publication spéciale. ( 469 ) OUVRAGES PRÉSENTÉS. Description succincte d'un nouveau mollusque marin des rives de l'Escaut, par M. H. Nyst. (Extrait des Bulletins de l’Académie royale de Belgique) Bruxelles, 1856; 4 broch: in-8°. La nutrition ou la vie considérée dans ses rapports avec les aliments. Conférence de physiologie donnée à l’université de Bruxelles, le 8 mars 1856; par le D' Gluge. Bruxelles, 1856; 4 broch. in-4°. Les graveurs belges ; (Extraits) par M. A. Siret. Anvers, 1856; 4 broch. in-8°. Statistique des hospices et des bureaux de bienfaisance du royaume de Belgique, d'après les budgets de l'exercice 1853. Bruxelles, 1856 ; 4 vol. in-folio. Simplification des éléments de géométrie; .par J.-N. Noël. (Extrait des Mémoires de la Société des sciences) Liége, 1856; 1 broch. in-8°. Manuel des institutions constitutionnelles et administratives des droits et des devoirs des Belges; par A. Docquier, Mons, 1856; 1 broch. in-12. Roger Vanderweyden, ses œuvres, ses élèves et ses descen- dants, étude sur l'histoire de la peinture au XV" siècle; par A. Wauters. (Extrait de la Revue universelle des arts) Bruxelles, 1856; { broch. in-8°. Annales des travaux publics de Belgique. Tome XIV, 1* ca- hier. Bruxelles, 1836; 4 broch. in-&. Revue de l'administration et du droit administratif de la Bel- gique ; par MM. Bonjean, Bivort, Cloes et Dubois. 2%° année; tome Il; 11% et 12° livr, Liége, 1855 ; 1 broch. in-4°. Mémoires et publications de la Société des sciences, des arts etdes lettres du Hainaut. W° série; tome 3. Mons, 1856; 1 vol. in-&. LA TOME xxu1. — ['° PART. 55 e ( 470 ) Le père de la pharmacie belge, ou supplément à la notice sur Pierre Coudenberg; par C. Broeckx. Anvers, 1856; broch. in-8°. La fontaine de Pline à Tongres; par Fr. Driesen. Tongres, 1856; 1 broch. in-8°. Aperçu historique au sujet de la Société pour secourir les noyés , instituée à Amsterdam; par J.-A. Kool. (Traduit du hol- landais) Amsterdam, 4835; 4 vol. in-8°. Bulletin de la Société géologique de France. 2° série, Tome XII, feuilles 52 à 60. Tome XIII, feuilles 1 à 7. Paris, 1855-1856 : 3 broch. in-8°. Congrès archéologique de France. Séances générales tenues à Moulins , en 1854, par la Société francaise pour la conservation des monuments historiques. Paris, 1855; 1 vol. in-8°. Sur La théorie de la gamme et des accords ; par M. A.-J.-H. Vin- cent. (Extrait des comptes rendus des séances de l'Académie des sciences de Paris) Paris, 14855; 1 broch. in-4°. Notice des tableaux exposés dans les galeries du Musée impé- rial du Louvre, par Frédéric Villot. 5e édition. Paris, 1853; 3 vol. in-8°. OEuvres complètes du baron de Stassart; publiées et accom- pagnées d’une notice biographique et d’un examen eritique des ouvrages de l'auteur, par P.-N. Dupont Delporte. Nouvelle édi- tion, Paris, 4855; 1 vol. gr. in-8°. Mémoires de la Société du Muséum d'histoire naturelle de Strasbourg. Tome IVme; 2m et 3% liv. Strasbourg, 1853; 4 vol. in-4°, Revue agricole, industrielle et littéraire de l'arrondissement de Valenciennes. VH®® année. N°9. Valenciennes, 4856; ! broch. in-8°. Du calendrier chez les Flamands et les peuples du Nord; par Louis De Baecker. (Extrait des Annales du Comité flamand de France) Dunkerque, 1856; 1 broch. in-8°, Renvoi de l'ordre de France par la Majesté de l'empereur ( 471 ) Charles cinquième, relation d'Anthoine de Beaulincourt ; publiée par M. Ch. de Linas. Valenciennes, 1855; 1 broch. in-4°. Zeitschrift für die wesammiten Naturwissenschaften. Heraus- gegeben von dem Naturw. Vereine für Sachsen u. Thüringen in Halle; redigirt von C. Giebel und W. Heintz. V''-VI Band. Berlin, 1855; 2 vol. in-8&°. Zeiüschrift für Allgemeine Erdkunde. Mit Unterstükung der Gesells. für Erdkunde zu Berlin; Herausgegeben von D' T.-E. Gumprecht. VI" Band, 1-2 Heft. Berlin, 1856; 2 broch. in-8°. Lehrbueh der Zahn-Heilkunde; von J. Bruck. Berlin, 1856; 1 vol. in-8°. Die Kuiserchronik nach der œltesten handschrift des Stiftes vorau; herausgegeben von J. Diemer. Theil I-Urtext. Vienne, 1849; 1 vol. in-8°. Kleine Beiträge zur älteren deutschen Sprache und Literatur ; gesammelt und herausgegeben von J. Diemer. 1-H Theil. Vienne, 1851-1854; 2 broch. in-8°. Heidelberger Jahrbücher der Literatur, unter Mihwirkung der vier Facultäten. XLIXS® Jahrg. 1*° Heft. Heïdelberg, 1856; 1 broch. in-8e. Neues jahrbuch für Pharmacie und verwandte Fächer. Ba Le LV; Heft 3-6. Spire, 1855; 2 broch. in-8°. Philosophical transactions of the royal Society of London for the year 1855. Vol. CXLV. Part. 2. Londres, 1855;1 vol. in-4°. The royal Society of London. 30th. November, 1855. Londres, 1855; 4 broch. in-4°. Proceedings of the royal Society of London. Vol. VIE, n°° 15 à 18. Londres, 1855; 4 broch. in-8°. The journal of the royal asiatic Society of Great Britain et treland. Vol. XV, part. 2. Londres, 1855; 1 vol. in-8°. The transactions of the Linnean Society of London. Vol. XXI. part. 4. Londres, 1855 ; in 4°. Proceedings of the Linnean Society of London. Vol. 1, n°° 19 à 26. Londres , 1855: in-8°. TRES, ee ( 472 ) List of the Linnean Society of London, 1855. Londres; { broch. in-8°. | Address of the président, read at the anniversary meeting of the Linnean Society on 1855. Londres; 4 broch. in-8°. The quarterly Journal of the geological Society. N°5 43 à 45. Londres, 4855-1856; 3 broch. in-8°. Memorie della reale Accademia delle scienze di Torino. Serie >, tomo XV. Turin, 14855; 1 vol. in-4°. Lois générales de divers ordres de phénomènes dont l'analyse dépend d'équations linéaires aux différences partielles, tels que ceux des vibrations et de la propagation de la chaleur; par L.-F. Ménabréa. Turin , 4855 ; À broch. in-4°. The U. S. naval astronomical expedition to the southern he- misphere, during the years 1849-1852; by lieut. J.-M. Gilliss. Washington , 1855; 2 vol. in-4. The american Journal of science and arts. A series, n°5 59 à 61. New-Haven, 1855-1856; 3 broch. in-8°. Cartes iconographiques des vestiges d'Assyrie, ou plans des an- ciennes villes de Ninive, Mosul, Nimruüd et Selamiyeh, et cours du Tigre; par F. Jones; publiées par la Compagnie des Indes orientales. Bagdad ; 4852; 3 feuilles in-plano. ERRATUM. Bulletin n° 3, page 268, ligne 2, au lieu de se fasse, lisez se fait. : BULLETIN DE L'ACADÉMIE ROYALE DES SCIENCES, DES LETTRES ET DES BEAUX-ARTS DE BELGIQUE. 1856. — No 5. ——< + — CLASSE DES SCIENCES. Séance du 27 mai 1856. M. Dumonr, directeur. M. A. QuereLer, secrétaire perpétuel. Sont présents : MM. d’Omalius d'Halloy, Timmermans, Wesmael, Martens, Cantraine, Kickx, Stas, De Koninck, Van Beneden, A. De Vaux, de Selys-Longchamps, Du Bus, Nerenburger; Gluge, Schaar, Liagre, Duprez, Brasseur, membres ; Spring, Lacordaire, associés; Poelman, E. Que- telet, d'Udekem, correspondants. TOME xxu1. — ["° PART. 54 # DLL MR Tor Nr Des CORRESPONDANCE. M. le Ministre de l’intérieur fait parvenir à l’Académie différents envois qui lui ont été faits par la Bibliothèque impériale et royale de l’Université de Vienne et par le Gou- vernement pontifical. — M. de Vrints, ministre plénipotentiaire d'Autriche, envoie, de son côté, un grand nombre d'ouvrages qui sont adressés à l’Académie par les Universités de Gratz et de Pesth. — M. G.-B. Airy, directeur, de l'observatoire de Green- wich et associé de l’Académie royale de Belgique, écrit qu’il vient d'envoyer au Gouvernement des copies des éta- lons anglais pour les longueurs et les poids, construits avec la plus grande exactitude. Ces mesures, écrit-il, au « Secrétaire perpétuel, sont destinées à l'Observatoire, à l’Académie ou à toute autre institution qui leur serait plus convenable. La boîte que je vous adresse contient les résultats de leurs comparaisons, qui ont été faites, pour les poids, à l'air libre, par une température de 65°,66 F. (18°,7 centigrades) et sous la pression barométrique de 29 pouces 75 (755"",64). Pour comparer les poids dans le vide, il est nécessaire de se rappeler que la pesanteur spécifique de l'étendard national pour les poids , à 52° F. (0° centigrade), comparé au poids de l’eau, à sa plus grande densité, est 21,157; et celui de la copie est de 8,075. ( 475 ) D'une autre part, le Gouvernement vient d'envoyer ces instruments à l'Observatoire, conformément au désir qui lui à été exprimé par le directeur de cet établissement. Les savants que ces communications intéressent pourront les y voir et en prendre connaissance. — Le conseil de l'Association pour l'avancement des sciences en Angleterre, fait savoir que sa réunion aura lieu, cette année, à Cheltenham, dans le comté de Glou- cester; elle commencera le mercredi, 6 août 4856, et se prolongera pendant une semaine. — L'Académie reçoit les publications envoyées par l'In- stitution smithsonienne de Washington, l'Université royale de Norwége, l’Académie impériale de Vienne, le Ministère du commerce de Rome, l'Académie de Dijon, etc. — MM. les rédacteurs du Natural history Review, de Dublin, et du Geographische Anstalt, de Gotha, proposent l'échange de leurs publications contre les Bulletins. Une demande semblable est adressée par la Société finoise des sciences à Helsingloor, en Russie. Ces échanges sont acceptés. — M. Duprez, membre de l’Académie, remet le résultat des observations météorologiques qu'il a faites à Gand, pendant l’année 1855. — M. Rigouts-Verbert communique ses observations sur la croissance des plantes pendant la même année. — MM. de Selys-Longchamps, Ghaye, Dewalque, Bour- don et Alfred de Borre font parvenir les résultats de leurs observations sur les plantes, faites le 21 avril dernier. (476 ) M. de Borre joint à ces résultats ceux obtenus le 21 mars précédent. — M. Pegado envoie de Lisbonne le résultat de ses observations sur les températures des premiers mois de l’année. — M. Quetelet, secrétaire perpétuel, remet à M. Stas, avec les intérêts arriérés, la somme de 10,000 francs, formant l’un des legs de la succession de M. le baron de Stassart, qui lui ont étéremis par M. le marquis de Maillen. — M. Achille Van Arenberg écrit qu'il retire le mé- moire communiqué à l’Académie relativement au chlorure de brome. — M. Henry Bergeys, pharmacien à Bruxelles, présente le plan, accompagné de la description, d’un stadiomètre électrique, marquant constamment, dans les stations, l'éloi- gnement en mètres des convois. (Commissaires : MM. Ad. De Vaux et Maus.) — M. A. Meyer, correspondant de l’Académie, commu- nique un mémoire manuscrit Sur une exposilion nouvelle de la théorie des probabilités à posteriori. (Commissaires : MM. Schaar, Liagre et Brasseur.) — M. Bommer, attaché au Jardin botanique de Bruxelles, fait parvenir une note sur le Gagea spathacea, plante nou- velle pour la flore belge. (Commissaires : MM. Kickx et Martens.) ( 477 ) RAPPORTS. Sur le rapport verbal de M. De Vaux, l’un de ses mem- bres, la classe n’a vu dans les nouvelles considérations présentées par M. Goetmaekers , concernant les Conduc- teurs du temps par l'horlogerie électrique, qu'une annexe à son premier travail sur les horloges électriques en général, annexe sans aucune portée et qui ne saurait modifier la décision prise à cet égard. COMMUNICATIONS ET LECTURES. Essai sur les variétés indigènes du Fucus vEsICULOsUS; par J. Kickx, membre de l’Académie. Le Fucus vesiculosus est à coup sûr l’une des algues les plus anciennement connues : il a une extension géogra- phique considérable, puisqu'on l'indique à la fois dans la Baltique, dans la mer du Nord, dans la Manche, dans la Méditerranée, dans l’océan Atlantique et dans l’océan Pacifique; il se trouve, enfin, presque partout en grande abondance. On dirait qu’une espèce vivant dans de pa- reilles conditions devrait avoir été bien étudiée et nette- ment circonscrite , mais il n’en est pas ainsi. Les recherches entreprises, dans ces derniers temps, sur la sexualité des fucacées ont néanmoins révélé, pour notre ( 478 ) thalassiophyte, un caractère nouveau qui ne manque point d'importance, quoiqu'il ne paraisse pas devoir contribuer à la resserrer dans des limites plus étroites. Il est, en effet, démontré aujourd'hui, par les travaux de Thuret et de Pringsheim , qu’à l'instar du Fucus serratus, le Fucus vesiculosus est dioïque, et que les pieds mâles se distin- guent des pieds femelles par la couleur jaunâtre puis oran- gée des carpomates. Mais on ne sait pas encore si toutes les variétés que l’on ramène à ce type sont dioïques comme lui, et si les individus anthéridifères offrent extérieure- ment d’autres caractères différentiels. | Personne n’ignore combien sont nombreuses les varié- tés rapportées au Fucus vesiculosus. Kützing, qui n’a voulu mentionner que les principales, en admet 17; toutefois les algologues savent qu’il en existe un bien plus grand nombre, dont la plupart ne sont pas même décrites, à tel point qu'il est presque impossible, dit M. Thuret (1), de déterminer quel est le vrai type de l'espèce. Ce qui prouve cependant que ces variétés ne sont pas toutes aussi incon- : stantes qu'on le croit, c’est que plusieurs d’entre elles, déjà figurées par De L'Obel, Dodoens, De L'Écluse, Morison, Borrich, etc., se retrouvent aujourd'hui avec les mêmes caractères. Ces variations doivent-elles être uniquement attribuées aux causes ordinaires auxquelles on assigne la polymor- phie de beaucoup d’autres végétaux aquatiques, telles que la profondeur de l'eau, son degré de salure, la violence des flots, la rapidité des courants? ou seraient-elles, comme M. Thuret le croit avec beaucoup de probabi- (1) Annales des sciences naturelles, 1854, p. 207. (479 ) lité (1), le résultat de l’hybridation du type avec quelques- uns de ses congénères ? On ne saurait, dans l’état actuel des choses, résoudre ces questions. Pour y répondre, il faudrait se livrer à des études comparatives sur des individus appartenant à des variétés différentes, les suivre dans les diverses phases de leur exis- tence, bien constater leur durée, les croiser mutuellement entre eux, et observer de nouveau le développement des hybrides que l’on en aurait obtenus. Il ne sera pas hors de propos de rappeler, à cette occa- sion, que les premières observations sur la germination du Fucus vesiculosus sont dues à notre honorable confrère M. le professeur De Martius, de Munich (2). Ces observa- tions s'accordent pour le fond avec celles de M. Thuret (3) ; mais les unes et les autres s’arrêtent au moment où la fronde commence à se former, et les plus récentes, celles de Pringsheim (4), ne vont pas même aussi loin. Or, c’est précisément l’évolution de la fronde, ainsi que les change- ments qui l’accompagnent, qu'il serait nécessaire de con- naître, au point de vue de la botanique descriptive. Tout indique qu’il s’écoulera beaucoup de temps encore avant que la science soit dotée de recherches du genre de celles que nous venons de suggérer. Elles exigeraient d’ail- leurs, comme condition préalable, la possibilité de déter- miner avec certitude les variétés qui en feraient l’objet : car il s’en faut de beaucoup que les diagnoses données au- (1) Ænnales des sciences naturelles, 1854, p. 207. (2) De Fuci vesiculosi ortu et incrementis epistola, 1818, in-4° (Acta nat. curios. Bonn. t. IX). (5) Annales des sciences naturelles, 1854, t. II, p. 204, pl. 14 et 15, fig. 18 et 19. (4) Zbidem, 1855, t. UK, p. 374. Ru a, ( 480 ) jourd'hui puissent conduire à des déterminations satisfai- santes. Ce qu'il importe donc dès à présent, c'est d'introduire de l’ordre dans l’étude des variétés du Fucus vesiculosus, de les décrire avec plus de détails, de chercher à les dis- tinguer et de les grouper d’après leurs affinités respectives, en rattachant à chacune d'elles les modifications secon- daires auxquelles elles donnent naissance. L'examen com- paratif des organes reproducteurs et de la forme des spores, qui nous paraît ne pas être partout la même, ainsi que les essais d’hybridation, auraient alors une base fixe (1). Dans l'espoir de provoquer des investigations analogues de la part d’autres botanistes, nous avons cru devoir pu- blier celles que nous avons faites sur les variétés qui habitent nos côtes. Sous un point de vue général, notre travail sera sans doute incomplet; mais il aura du moins l'avantage, en ce qui concerne la flore belge, de définir exactement beaucoup de formes qui sont aujourd’hui relé- guées dans les herbiers sous le nom collectif et vague, mais très-commode, de Fucus vesiculosus var. Parmi les caractères dont on s’est servi dans les dia- gnoses de quelques-unes de ces variétés, il en est un sur lequel notre attention a dù naturellement se porter : c'est celui qui est fourni par la présence ou l'absence des vési- cules aériennes. D'après plusieurs botanistes qui font autorité dans la (1) La divergence d'opinion qui existe entre certains auteurs, au sujet de la sexualité de plusieurs algues et de la nôtre en particulier (voir J.-G. Agardh, Spec. gen. et ord. Algar., 1, pp. 182-185), provient probablement de ce que, tout en croyant avoir sous les yeux la même espèce ou la même va- riété, chacun d’eux aura observé en réalité des plantes différentes. ( A81 ) science, et entre autres d’après Turner et J.-G. Agardh (1), la plante serait pourvue ou dépourvue de vésicules, selon qu’elle croît à des profondeurs plus ou moins grandes; et la même forme serait, par conséquent, susceptible de se présenter dans ces deux états (2). Mais il est à remarquer que, d'autre part, ces auteurs admettent l'absence des vé- sicules comme constante dans les espèces voisines, telles que Fucus distichus, ceranoïdes, serratus, etc., qui ce- pendant sont soumises à la même cause de variation et qui devraient donc aussi être évésiculeuses ou vésiculifères, selon qu’elles habitent des lieux plus ou moins profonds. Comment, d’ailleurs, concilier cette manière de voir avec ce qu'avance J.-G. Agardh (5), en disant que, dans l’Adria- tique, dans la Méditerranée et sur les côtes du Brésil, notre Fucus vesiculosus se présente toujours sans vési- cules? La plante ne eroit-elle pas là aussi à des profondeurs différentes? Ou bien, sur quel fondement pourrait-on sup- poser qu’elle y serait exactement limitée à la même pro- fondeur à laquelle croissent, chez nous ou ailleurs, les individus non vésiculifères ? Nous doutons donc que la même variété se présente réellement tantôt avec et tantôt sans vésicules. Nous avons bien vu quelquefois des frondes vésiculeuses et évésicu- leuses réunies en une seule touffe, de manière qu'elles paraissaient sortir d’une souche commune ou d’un même callus radical ; mais nous avons constaté chaque fois qu'il y avait eu, dans ce cas, confluence ou soudure de deux souches, propres chacune à une plante distinete. Kützing (1) Spec. gen. et ord, Algarum, p. 211 sub fine. (2) Zbidem , sub initio. (3) Areschoug, Phyceae Scandin. marinae, p. 51. (482) confirme cette interprétation en citant (1) le fait d'un Fucus serratus dont le callus était si intimement uni à un autre d’où sortait le Fucus vesiculosus que ces espèces semblaient sortir d’une souche unique. La seule chose dûment constatée à nos yeux, c’est que telle variété n'offre jamais de vésicules, tandis que telle autre qui n’en a point dans le premier âge, en acquiert dans un âge plus avancé. Les jeunes expansions qui garnis- sent la basé du stipe, dans les variétés qui ont des vésicules, ne présentent d'abord non plus aucune trace de ces organes et en montrent plus tard. Les vésicules existeraient-elles peut-être dès le commencement de la formation de la fronde, quand celle-ci doit en porter, tout en y restant, jusqu’à une certaine époque, immergées et à l’état rudi- mentaire ? D'après ce qui précède, il nous semble donc que le ca- ractère fourni par la présence ou l'absence des vésicules, caractère dont nous ne voulons cependant pas exagérer la valeur, ne doit pas être abandonné pour le moment. Il y a plus : si l’on venait un jour à démontrer qu’ane même variété, adulte et croissant dans des conditions différentes de profondeur, peut avoir ou ne pas avoir de vésicules, il faudrait encore la faire connaître dans ses deux états, et les vésicules ne pourraient pas même alors être complétement négligées. La signification morphologique de ces organes creux exigerait bien aussi quelques recherches. On les envisage comme des lacunes saillantes; mais ne pourrait-on pas aussi y voir également des carpomates en partie ébauchés, demeurant stériles et s’hypertrophiant par suite de l’ab- (1) Phycolog. germ., p. 278. ( 485 ) sence des scaphidies? Ce qui nous fait croire, qu’au moins dans certaines limites , il existe, morphologiquement par- lant, quelque relation entre les vésicules et les carpomates, c'est que, dans le Fucus vesiculosus alternans, elles en occupent la place, à l’extrémité des segments; ensuite que, dans une autre variété, désignée par Kützing sous le nom de Fucus vesiculosus cystocarpus, les scaphidies naissent sur les vésicules mêmes ; enfin que, dans plusieurs variétés, les carpomates sont aussi, à une certaine période de leur développement, gonflés, creux et remplis d’un fluide gazeux. Serait-ce par une simple dilatation du tissu, ainsi que le pensait Decandolle (1), que se formerait la cavité vési- culaire? Nous ne le croyons pas. Il y a plutôt écartement des couches corticales supérieure et inférieure de la fronde et désagrégation en deux sens opposés du tissu intermé- diaire, dont les fils confervoides s’étalent en s’entre-croisant. Dans l’opinion de Decandolle (2), le mode de formation des vésicules ou aérocystes serait le même que celui des cavités aériennes pétiolaires du Trapa; d’après notre sup- position , il y aurait plutôt identité avec ce que présente le péricarpe du Cysticapnos africana. En effet, de même que dans la cavité produite, chez le Cysticapnos, par l’écartement de l’épicarpe et de l’endo- carpe, on retrouve les traces du mésocarpe, de même dans les vésicules de notre thalassiophyte, on retrouve, sous forme de filets confervoides et désagrégé, le tissu médian de la fronde. Ce tissu qui parcourt toute la plante, même les nervures , est partout recouvert supérieurement et infé- (1) Organographie, 1, 195; IX, 166. (2) Zbidem, 1, p. 125. (484) rieurement d'une couche de cellules presque carrées ou un peu plus hautes que larges, qui constitue ce que nous avons appelé tantôt les couches corticales. Il existe aussi, mais imprégné, à une certaine époque, d’un mucus abon- dant , à l'intérieur des carpomates, où il sert de revête- ment à la base des scaphidies. Nous nous sommes assuré maintes fois que la cavité des aérocystes est toujours nettement circonserite et her- métiquement close tout autour, sans qu’il y ait la moindre trace de communication entre elle et la partie de la fronde qui l’avoisine. C'est en cela que ces organes diffèrent, selon nous, des boursouflures que l’on trouve souvent chez les Fucus inflatus, ceranoïdes et autres : boursouflures qui nous paraissent être dues à une cause morbide, comme Turner (1) l'a, du reste, déjà fait anciennement remar- quer. Ce sont, en effet, de vrais emphysèmes provenant d’une altération de la respiration, à la suite de laquelle le fluide gazeux s'épanche entre les couches du tissu et les désunit; aussi leur cavité s’accroit-elle par l’épanchement successif du gaz dans les parties voisines dont les couches se désunissent à leur tour. On peut même l’accroître par la pression. Les variétés qui n'ont pas de vésicules normales offrent seules des exemples de ces emphysèmes accidentels. On les observe surtout chez les individus de grande taille ou sur les parties les plus jeunes de la plante qui se sont rapi- dement développées. [ls existent quelquefois sur l’un des segments, tous les autres en étant dépourvus, et font même complétement défaut. (1) Synopsis of the british Fuci, 1, pp. 123 et 124. ( 485 ) Avant de passer à l’objet de cette notice, il ne sera pas inutile de préciser les termes dont nous nous sommes servi dans nos descriptions. Qu’on nous PES d'en dire quelques mots. Nous appellerons fronde tout ce qui est porté par un même stipe; stipe, la partie intermédiaire entre le callus radical et la première dichotomie; rameau, l'ensemble des partitions réunies sur un même axe secondaire; segments, les intervalles entre les dichotomies ; segments stériles, ceux qui, formant les dernières dichotomies , sont dépourvus de fructification, et, par opposition, segments fertiles, ceux qui portent des scaphidies. L'ensemble des scaphidies réunies sur un même seg- ment fertile constitue, comme on sait, le carpomate, que l’on a souvent désigné aussi sous le nom de réceptacle. Lorsque nous disons que les carpomates sont ovoïdes, lan- céolés, etc., et que nous indiquons leur dimension trans- versale, nous faisons abstraction de l’altération qu'auraient pu subir la forme et la largeur chez quelques-uns d’entre eux, soit par arrêt d'évolution du segment fertile, soit par confluence ou par soudure. Les scaphidies, en effet, appa- raissent quelquefois avant que les segments qui les portent soient entièrement développés, et alors le earpomate, au lieu d'être géminé à l'instar des segments apicaux de la fronde, est solitaire et échancré au sommet; ou bien les segments étant distincts et normaux, les scaphidies s’éten- dent jusque sur le segment qui leur est inférieur, et les deux carpomates ainsi réunis à leur base, forment comme un seul carpomate bipartite; ou bien, enfin, deux carpo- mates qui devraient rester indépendants se soudent en un carpomate, unique en apparence, ayant le double de la largeur des autres. Ces différentes exceptions se présen- ( 486 ) tent souvent dans la même variété et sur la même fronde, à côté de la règle. La'forme et la largeur signalées se rapportent done toujours à celles du carpomate normale- ment isolé. Disons encore que les mesures indiquées ci-après ne doivent pas être prises dans un sens absolu : elles n’ont pour but que de permettre de juger comparativement des dimensions de deux variétés voisines et de celles des diffé- rentes parties d'une même variété. La largeur des segments a toujours été prise au milieu de leur longueur. Nous décrirons d’abord le type de l’espèce dont nous avons l'intention de faire connaître les variétés. FUCUS VESICULOSUS Linx. Grev., Alg. Brilan., tab. IT, fig dext. (9). Dioîcus; fronde vesiculifera, procera, costata, dichotoma ; ramis fastigiatis; segmentis late linearibus, margine in- tegerrimis, terminalibus carpomatiferis ; carpomatibus ovoideis, obtusissimis (). . Fronde grande et robuste, ayant de 4 à 6 décimètres de hauteur, d’un brun olivàtre quand elle est adulte, noi- râtre ensuite. Stipe de 6 à 8 centimètres. Segments li- néaires, ondulés sur leur bord, intérieurement olivätres puis rougeûtres ; les principaux ou ceux des premières dichotomies, mesurant de 4 ‘} à 2 centimètres de largeur; les stériles un peu prolongés, linéaires ou oblongs, à som- met ordinairement émarginé ou bilobé, toujours très- obtus , larges de 5 à 8 millimètres; les fertiles raccourcis, un peu atténués vers leur base. Vésicules grosses, nom- breuses, ovoïdes, opposées ou sub-opposées; les axillaires (487) presque toujours arrondies. Cryptostomes (cryptes piliféres Thur., pores mucipares Alior.) épars (1) et peu saillants. Carpomates épais, entiers, rarement un peu émarginés, de 2 centimètres de longueur sur 15 millimètres de lar- geur, quand ils ont atteint leur complet développement. Scaphidies (conceptacles Thur., angiocarpes Kütz., peri- dioles Fr.) dioïques, globuleuses, les femelles surtout légérement pyriformes vers leur sommet, formant à l’exté- rieur, comme dans tout le genre, un disque arrondi et convexe qui s'ouvre au moyen d’un pore (2). Parmi les carpomates, il en est quelquefois qui sont gonflés; on observe la même chose dans la plupart des va- riétés suivantes, et principalement dans les individus anthé- ridifères. D’après la figure de Greville, la plante femelle, que nous n'avons pas trouvée jusqu'ici, a le même port; seulement les segments stériles, non prolongés, à ce qu'il paraît, y sont plus larges et à sommet entier, les fertiles, de leur côté, étant linéaires et non raccourcis. Croît toujours loin des côtes et n’est que rarement re- jeté sur la plage. Notre échantillon vient de Blankenberghe. En considérant la plante décrite et figurée par Greville, comme représentant le type Linnéen de l'espèce, nous avons suivi l'exemple de J.-G. Agardh (5). Si cette opinion n'est pas, rigoureusement parlant, à l'abri de toute con- (1) Les cryplostomes sont épars dans toutes nos variétés, excepté dans le n° 6. Comparativement de l’une à l’autre, ils sont plus ou moins saillants, grands ou nombreux; et les fibrilles qu’ils exsèrent sont tantôt fugaces, tantôt plus persistantes. Nous ne parlerons à l'avenir de ces organes que lorsqu'ils offrent quelque chose de particulier. (2) Pour la structure interne des scaphidies, voir Thuret, Annales des sciences naturelles, Ame série, II (1854), pp. 197-214, pl. 12 à 15. (3) Novitiae florae Suecicae ex Algarum familia , p. 15. ( 488 ) testation, la diagnose du législateur des sciences natu- relles n’offrant en sa faveur aucun caractère décisif, rien non plus ne la rend improbable. Il est d’ailleurs avanta- geux d’avoir un point de départ fixe, ne füt-il que con- ventionnel. Nous distribuerons nos variétés en trois sections prin- cipales. Les signes de la sexualité placés après la diagnose latine indiqueront si celle-ci se rapporte à la fois aux deux sexes ou à l’un d’eux seulement. PREMIÈRE SECTION. Scaphidies naissant indistinclement sur tous les rameaux de la fronde. Segments carpomatifères toujours termi- naux par rapport au rameau qui les porte. Segments stériles dépassant quelquefois les autres, mais ne conti- nuant pas à s'allonger. * Des vésicules. a. Rameaux supérieurs fastigiés. 1. Fucus VESICULOSUS PROPINQUUS Kx. Fronde vesiculifera, ramis superioribus fastigiatis, inferioribus palulis; segmentis basi altenuatis, fertilibus angustioribus ; carpomalibus oblongis, ovali-oblongis, aut obovatis, obtu- sis (Q. w'). ©. Fronde ne dépassant guère 3 décimêtres en hauteur, olivätre-foncé dans sa jeunesse, puis noire. Segments in- térieurement olivätres puis rougeàtres, plus ou moins on- . Fa ( 489 ) dulés; les principaux, larges de 10 à 15 millimètres, à bords très-sinueux, les autres variant de 5 à 8 millimètres; les stériles de la largeur des premiers ou environ, à sommet bilobé, toujours en petit nombre, souvent nuls; les fertiles de 5 à 5 millimètres seulement. Vésicules moyennes. Car- pomates d’abord obovales, puis oblongs, mesurant jusqu’à 15 millimètres de longueur sur 8 de largeur. 9. Fronde de même taille, d’abord plus ou moins brune, puis noirâtre. Segments moins atténués à leur base, les principaux également larges de 10 à 15 millimètres, mais moins sinueux ; les stériles, variant en largeur de 5 à 10 millimètres, émarginés-sinués à leur sommet; les fertiles peu nombreux. Carpomates de 12 à 15 millimètres de lon- gueur sur 5 à 6 de largeur. On en trouve fréquemment, sur les pilotis battus par les vagues et sur les blocs de pierre les plus durs des je- tées, des individus mâles, presque réduits aux nervures marginées, recourbées et devenues flexueuses ; ils consti- tuent dans cet état le Fucus volubilis Huds. non Linn., ou Fucus vesiculosus, var. volubilis Turn. Communiqué d'Ostende par MM. Westendorp et Spae. 9, FuUCUuS vESICULOSUS MACROCARPUS Kx. Fucus vesicuosus S anGusrirozius (cum vesiculis), Turn. (1). Fuous vesicuLosus Loncirrucrus, Bind., non Aghd. Fronde vesiculifera, ramis superioribus fastigiatis, inferioribus patulis ; seygmentis basi subattenuatis : sterilibus paucis : ferti- (1) L'auteur, qui ne tient aucun compte, pour la distinction des variétés, | de la présence ou de l’absence des vésicules, décrit d'abord sa plante comme vésiculeuse; mais il ajoute (p. 129) qu'elle est quelquefois aussi vésiculifère, TOME xx111. -— °° parT. 55 Race ( 4907) libus sublinearibus, angustatis; carpomatibus longis, elliplicis vel ovali-oblongis, acutiusculis (Q). ©. Fronde d'environ 5 décimètres, olivatre avec une légère teinte verte, brunissant un peu par l’âge et par la dessiccation. Rameaux inférieurs ordinairement moins allongés que les autres. Segments plus ou moins ondulés à l’état frais, d’abord olivàtres et devenant ensuite rou- geûtres à l'intérieur ; les principaux souvent sinueux, larges de 4 à 4 ‘ centimètre : les stériles à peu près de même largeur, émarginés ou bifides, quelquefois plus ou moins allongés; les fertiles plus étroits, mesurant seule- ment de 5 à 5 millimètres. Vésicules ovoïdes, opposées ou alternes, situées surtout sur les segments principaux : les axillaires rares, généralement nulles dans les dichotomies supérieures des rameaux. Carpomates atteignant, quand ils sont adultes, de 2 à 5 centimètres de longueur sur une largeur de 6 à 10 millimètres, quelquefois bifides par confluence ou se tuméfiant par arrêt de développement des scaphidies. Notre plante est identique avec un échantillon prove- nant de la mer du Nord, étiqueté Fucus vesiculosus longi- fructus Agdh. par le D' Binder, et que nous avons vu dans l’herbier de M. Lenormand. L’homonyme d’Agardh rentre dans notre deuxième section. Rare sur nos côtes. Ostende. 5. Fucus vEsicuLosus AcUTUS Agdh. Fucus vesicuLosus acurus Math., Flor. belq., I, p. 491? Fronde vesiculifera, pyramidata, ramis superioribus fastigia- tis, inferioribus patulis, elongatis; segmentis basi altenua- tis, sterili rachim terminante produclo : caeteris fertilibus, (491) linearibus, angustioribus ; carpomatibus lanceolatis, acumi- nalis (Q). Q. Fronde de 5 à 4 décimètres, svelte, d’un brun noi- râtre, souvent dénudée dans ses parties inférieures. Ra- meaux peu nombreux. Segments prenant, à l'intérieur, une teinte rougeûtre ; les primaires, quand ils ne sont pas réduits à la nervure marginée, de 8 à 10 millimètres de largeur ; les secondaires de 5 à 7 millimètres; les fer- üles n’en ayant que 5 ou 4. Vésicules opposées ou alternes, ovoïdes , presque uniquement insérées sur l’axe principal : les axillaires n’existant, chez les individus femelles, que dans les premières dichotomies des rameaux. Carpomates de 15 à 20 millimètres de longueur, sur 5 à 4 de largeur, quelquefois bifides ou bipartites. Le limbe des segments principaux se détruit, dans certains cas, sans laisser de trace des vésicules qui s’y trouvaient primitivement; la plante n'offre alors que des vésicules axillaires en petit nombre, de manière qu’elle mériterait l’épithète de Monocystus au même titre que la variété de ce nom. Peu commun sur nos côtes. Nous l’avons d'Ostende. 4. Fucus vesicuzosus Westenporpir Kx. Fronde vesiculifera, gracili, ramis superioribus fastigialis, infe- rioribus divaricatis, congestis ; segmentis linearibus, angustis : sterilibus paucis fertilibusque, similibus ; carpomatibus ovali- oblongis, obtusis vel acutiusculis (9 ). @. Fronde de taille moyenne, grêle, d’un brun foncé noircissant par la dessiccation. Rameaux nombreux. Seg- ments rougeâtres à l’intérieur; les principaux larges de Rd et. ( 492 ) 5 à 6 millimètres; les fertiles et les stériles semblables et seulement de 5 à 4 millimètres de largeur, les derniers ayant leur sommet obtus, entier ou bifide. Vésicules peu nombreuses, ovoides, opposées, çà et là quelquefois soli- taires : les axillaires nulles. Carpomates de 8 à 12 milli- mètres de longueur sur 4 à 5 de largeur. L'échantillon que nous avons sous les yeux et qui nous a été communiqué par notre ami M. Westendorp, mesure 2 décimètres de hauteur sans être complet. Recueilli à Ostende, où il semble être rare. b. Rameaux étalés. 5. FUCUS VESICULOSUS viRGATUS Kx. Fronde vesiculifera, ramis patulis, virgatis ; segmentis lineari- bus : sterilibus emarginatis, oblusissimis : fertilibus angustio- ribus; carpomatibus lunceolato-linearibus, vel lineari-lanceo- latis, apice oblusis (Q. x). ©. Fronde haute de 5/2 à 4/2 décimètres, d’un brun qui devient noirâtre, munie de nervures épaisses, fré- quemment dénudée dans sa partie inférieure. Stipe long de 4 à 6 centimètres. Rameaux allongés. Segments légère- ment ondulés sur le bord , à l’état frais, d’un jaune olivâtre à l’intérieur, y prenant ensuite une teinte rougeûtre; les principaux plus ou moins sinueux, de 4 à 1 ‘2 centimètre de largeur; les autres de 5 à 6 millimètres; les fertiles un peu plus étroits; les stériles larges jusqu’à 7 ou 8 milli- mètres environ. Vésicules opposées, ovoïdes, variant en grandeur, celles des axes primaires ayant quelquefois 4 {/2 centimètre de longueur : les axillaires généralement arron- ( 495 ) dies ou à peu près. Carpomates très-nombreux, épais, longs de 1 ‘2 à 2 centimètres, larges de 6 à 7 millimètres, sou- vent bifides ou bipartites par confluence des scaphidies à leur base ou par soudure. w. Taille ordinairement moins haute. Nervures noires dans le seul échantillon que nous en possédions. Stipe plus épais, verruqueux. Rameaux se prolifiant en rosette à leur sommet quand ils sont cassés. Segments stériles larges de 4 à 5 millimètres; les fertiles n’en ayant que 5. Vésicules peu nombreuses, plus petites, n’existant que sur les axes primaires, les axillaires nulles. Carpomates longs de 1 ‘2 centimètre et larges de 3 millimètres. C'est probablement l’une des variétés confondues sous le nom de Fucus vesiculosus linearis, et c’est à coup sür celle à laquelle il conviendrait le mieux: Ostende. L'échantillon mâle à été recueilli sur la côte de Nieuport, par feu M. Rouzée. 6. Fucus vesicuLosus PoLYcarPus Kx. Fucus SEU QUERCUS MARINA ANGUSTIORI FOLIO Dood ? Fronde vesiculifera, spirali, ramis palulis, caespitosis ; segmen- lis basi altenuatis : sterilibus paucis apice retusis : fertilibus linearibus ; cryptostomatibus seriatis; carpomatibus lineari- bus vel lineari-lanceolatis, oblusis, aut acutiusculis (s'). æ. Fronde de 2‘: décimètres de hauteur, roide étant sèche, noirâtre, çà et là contournée en spirale, inférieu- rement dénudée. Rameaux nombreux. Segments peu trans- parents, rougeûtres à l'intérieur; les principaux larges environ de 4 centimètre; les fertiles ayant seulement de 5 à 4 millimètres de largeur; les stériles ordinairement ( 494 ) un peu plus allongés. Vésicules peu nombreuses, la plupart arrondies et axillaires. Cryptostomes régulièrement dis- posés en lignes longitudinales de chaque côté de la ner- vure. Carpomates très-nombreux, de 8 à 10 millimètres de longueur, sur une largeur d'environ 3 millimètres, sou- vent bifides ou confluents à leurs bases. Si ce n’était la présence des vésicules, cette variété se rapprocherait assez du Fucus vesiculosus angustifolius C.-A. Agdh. et Kütz. Rare sur nos côtes. Nieuport. 7. FUCUS VESICULOSUS vULGARIS Kx. Fucus vesicucosus Desm., PI. crypt. de France, fasc. IV, n° 158. (Sine fructu.) Fronde vesiculifera, ramis patulis; segmentis basi attenuatis : sterilibus emarginatis, 2-3 lobisve : fertilibus linearibus ; car- pomalibus applanatis, lanceolatis, lineari-lanceolatis, aut elon- gato-oblongis, acutis vel obtusis (Q. s.). ©. Fronde le plus souvent de 3 à 4 décimètres, olivâtre, brunissant par l’âge et noireissant par la dessiccation quand la plante est adulte. Stipe plus ou moins long. Ra- meaux presque toujours dénudés inférieurement. Segments ondulés sur leur bord à l’état frais, olivâtres à l’intérieur, y prenant ensuite une teinte rougeûtre ; les principaux ayant en moyenne 1 centimètre de largeur; les stériles prolongés et plus larges que les fertiles; ces derniers ne mesurant dans leur diamètre transversal que de 3 à 5 mil- limètres. Vésicules ovoïdes plus abondantes sur les seg- ments des premières dichotomies que sur les autres : les axillaires arrondies ou dilatées , existant quelquefois seules sur les dernières ramifications ou y faisant même défaut. ( 495 ) Carpomates de 4 ‘/2 à 2 ‘}2 centimètres de longueur sur 5 à 7 millimètres de largeur, souvent 2, 5, 4 partites par soudure ou par confluence des scaphidies, ordinairement plus obtus avant leur entier développement. w. Fronde de même taille. Tous les segments, les prin- cipaux quelquefois exceptés, plus étroits. Forme B. 9. Fronde moins grande, condensée, moins flasque, à vésicules souvent moins grosses et plus nom- breuses, à segments fertiles raccourcis. Carpomates longs de 4 à 1 ‘2 centimètre, large de 5 à 6 millimètres, obtus, devenant parfois un peu aigus. o. Fronde comme dans l'autre sexe. Carpomates de 2 centimètres de longueur, ou même plus, sur 5 à 6 mil- limètres de largeur, lancéolés-linéaires, à sommet tou- jours très-obtus, fréquemment 2, 5, 4 partites par con- fluence ou par soudure, à partitions très-divergentes. Forme 7. S. Fronde plus haute que le type, rigide, à nervures épaisses. Segments des premières dichotomies élargis. Vésicules plus grandes. Carpomates lancéolés ou allongés-oblongs, aigus, de 2 centim. de longueur sur 5 à 6 millim. de largeur, fréquemment 2-5-fides ou partites. Forme ?. . Fronde de taille moyenne, plus ou moins réduite aux nervures épaissies, rapprochées et marginées. Quelques grosses vésicules comme appendues latéralement le long des nervures des segments principaux, par suite de la destruction du limbe; çà et là d’autres vésieules plus petites sur ceux des segments supérieurs qui sont restés foliacés. Sommets portant un bouquet d’expansions phyl- loides courtes et simples, Carpomates raccourcis, un peu oblongs. ( 496 ) C’est plutôt une déviation accidentelle du type ou de? qu’une forme distincte. Lamarcek l’a décrite sous le nom de Fucus vesiculosus d foliaceus (Encyclop., t. VIT, p. 555). L'Alga marina foliis in modum rosae patulae compositis Seb. (1), que quelques auteurs y ont rapportée, sans doute d’après sa dénomination, est une espèce de flustre et pro- bablement la Flustra foliacea. Cette variété se rencontre partout sur notre littoral. On la trouve quelquefois implantée sur le Physocaulon nodosum. Nous avons 6 d'Ostende, } et 3 de Nieuport. ce. Rameaux, ou les inférieurs seulement, divariqués. 8. Fucus vesicucosus oBrusus Wallr. Fucus pivaricarus Linn. Spec. ed. I. excl. syn. Moris. non Linn., Syst., XII. Fronde vesiculifera, hic illic spir ali, ramis divaricatis; segmentis deorsum attenuatis : sterilibus obtusis : fertilibus linearibus, angustioribus; carpomatibus ovoïdeis aut obovatis, obtusissi- mis, tumidis. (©). ©. Fronde de 2 décimètres, brune, noircissant un peu par l’âge, souvent inférieurement dénudée. Segments on- dulés sur leur bord à l’état frais, d’un jaune olivâtre à l'intérieur, y prenant ensuite une teinte rougeàtre, à ner- vures rouges quand on les examine par transparence; les principaux ayant de 10 à 15 millimètres de largeur ; les stériles en petit nombre, émarginés-lobés au sommet, un peu prolongés; les fertiles plus étroits, larges de 5 à 7 mil- limètres seulement, souvent contournés sur eux-mêmes. (1) Thesaur., tab, 99, fig. 5. CRE 7 (497) Vésicules oblongues, opposées ou sub-alternes, les axillaires arrondies ou dilatées. Cryptostomes épars, mais parais- sant former, quand ils sont nombreux, comme des lignes irrégulières et interrompues de chaque côté de la nervure. Carpomates longs de 10 à 15 millimètres sur 7 à 9 de lar- geur, quelquefois soudés et alors lobés ou didymes d’après le degré de soudure. La planche XI (Fucus divaricatus) d'Esper, citée par Wallroth comme se rapportant à son Fucus vesiculosus obtusus, laisse beaucoup à désirer. Elle est d’ailleurs dé- pourvue de carpomales. sg? Rameaux dénudés, plus allongés, grêles, làches, plus spiraloïdes; segments fertiles plus fréquemment contour- nés, plus courts, atténués à leur sommet. Carpomates n'ayant encore, dans nos échantillons, que 2 à 3 milli- mètres de longueur et par conséquent imparfaits. Peu commune sur nos côtes. Nieuport. «'? La Panne. 9. Fucus vesicuLosus MoNocysTus Agdh. Fucus nivaricarus Linn., Syst., XII, non Sp.— Moris. Hist., I, sect. 15, tab. 8, n° 5. Fronde vesiculifera, vesiculis plerumque axillaribus, gracili, subspiraloïdea, superne ramosa, ramis divaricatis ; segmentis angustis basi altenuatis, sinuatis : sterilibus acutiusculis : fer- tilibus sublincaribus ; carpomatibus ovoïdeis, obtusis. (Sexus ignot.) Taille ne dépassant guère 2 décimètres, ou un peu plus. Fronde d’une couleur olivätre foncée, puis noirâtre, ne se ramifiant que vers sa moitié. Stipe long, dénudé., Rameaux peu nombreux. Segments légèrement ondulés, olivâtres à ( 498 ) l'intérieur et y prenant ensuite une teinte brune; les prin- cipaux de 6 à 8 millimètres de largeur; les stériles souvent un peu élargis, bilobés au sommet; les fertiles larges seu- lement de 5 ou 4 millimètres. Vésicules épiphylles presque toujours nulles, ou bien une seule paire de ces vésicules, oblongues et opposées, soit sur l'axe, au-dessous du point où il se ramifie, soit sur l’un des segments qui forment la première dichotomie; les axillaires dilatées, le plus sou- vent solitaires, parfois géminées. Carpomates longs de 7 à 8 millimètres, larges de 4, à sommet entier. Nous n’avons pu vérifier le sexe. La figure de Morison, citée par Linné, Spec., pour son Fucus divaricatus, s'éloigne uniquement d’un échantillon du Fucus vesiculosus monocystus, recueilli à Cadix par M. Disigni, échantillon que nous avons vu dans l’herbier de M. Lenormand et qui est conforme au nôtre, en ce que les segments y sont représentés un peu moins larges et les rameaux trop peu divariqués. Nous n’avons pas trouvé jusqu'ici cette variété sur nos côtes, où nous étions même loin de soupçonner son exis- tence; mais nous l’avons vue indéterminée, dans un her- bier sans nom d'auteur, récemment mis en vente à Gand, et où elle était accompagnée de ces mots : « Blankenberghe, Edwards, 1809. » On sait que M. G.-F. Edwards, père du célèbre zoologue Milne-Edwards, a longtemps habité Bruges, et qu'il a publié, en 1808, un Tableau des plantes indigènes du département de la Lys, à l'exception des arbres et des champignons. ( 499 ) 10. Fucus vesicuLosus mEmpiscus (1) Kx. Fronde vesiculifera, ramis superioribus patulis, inferioribus divaricatis, elongatis ; segmentis basi attenuatis : sterilibus ob- tusis : fertilibus linearibus, angustatis ; carpomatibus obovatis vel oblongis, oblusissimis (©). ©. Taille de 4 à 5 décimêtres. Fronde extérieurement d’un brun pâle et jaunâtre, à l’état frais, noircissant par la dessiccation, excepté dans ses parties les plus jeunes, qui deviennent brunâtres. Rameaux supérieurs souvent rapprochés entre eux, les inférieurs toujours distants. Segments d'un jaune rougeûtre à l’intérieur; les princi- paux de 10 à 15 millimètres de largeur, plus ou moins sinués; les stériles, rares, larges de 4 à 7 millimètres; les fertiles de 5 ou 4 tout au plus. Vésicules opposées, ovoides- raccourcies, moyennes, situées seulement sur les axes principaux et sur les segments stériles : les axillaires pres- que uniquement insérées dans les dichotomies supérieures de la fronde. Carpomates très-nombreux, longs d’un cen- timètre sur 4 à 5 millimètres de largeur, quelquefois bifides par soudure. Ostende. Peu commun. 41. Fucus vEsiCULOSUS ALTERNANS Agdh. Fucus ves. y cLogurosus Roth.? Tent. excel. syn. Gmel. Fucus MARINUS PRIMUS Dodon., Pempt., 479. (Icon rudis.) Fronde vesiculifera, vesiculis in apice segmentorum sterilium solitariis; ramis superioribus palulis, inferioribus diva- ricatis; segmentis basi attenuatis ; fertilibus sublinearibus, (1) Pagus mempiscus, nom de la Flandre maritime au moyen âge. ( 500 ) angustioribus ; carpomalibus globosis, subovoideisque (Q ). Q. Fronde ayant rarement plus de 15 centimètres de hauteur, d'un brun noirâtre étant sèche. Rameaux presque toujours inférieurement dénudés. Segments finement on- dulés sur leurs bords, rougeûtres à l’intérieur; les princi- paux larges de 7 à 8 millimètres; les stériles, quand ils sont dépourvus, par exception, de vésicules à leur sommet, bilobés et obtus, souvent prolifiés en une touffe de petites folioles; les fertiles ne mesurant en largeur que 3 à 4 mil- limêtres. Vésicules exclusivement situées à l’extrémité des segments stériles, où elles occupent la place des carpo- mates, dont elles ont la forme et la grosseur : manquant sur tout le reste de la fronde et dans les dichotomies. Car- pomates de la grosseur moyenne d’un pois, entiers" et sim- ples ou didymes par soudure. Très-rare sur notre littoral. Blankenberghe. ** Point de vésicules. a. Des cryptostomes tuberculiformes sur l’arête marginale des segments. 12. Fucus vesicuLosus cHoNDriroRmIS Agdh. (1). Fronde evesiculosa, hic illic contorta, stipite abbreviato, ramis divaricatis ; segmentis linearibus, basique attenuatis : ultimis divergenti 2-3-fidis aut partitis, nervo sub apice interdum evanescente; carpomatibus.…. Fronde atteignant jusqu’à 10 à 11 centimètres de hau- (1) J.-G. Agardh, Wovitiae florae Suecicae, p. 13; — Spec. gen. et ord. Alg., EL, p. 211. ( 501 ) teur, mais le plus souvent de 6 à 7; d’abord extérieure- ment olivètre, puis d’un brun pâle et enfumé. Segments olivâtres à l’intérieur et y prenant par l’âge une teinte rougeûtre; les principaux larges de 5 à 7 millimètres, les, derniers de 2 à 5 seulement, ou peu au delà : tous stériles dans nos échantillons, à sommet obtus, entier ou émarginé. Cryptostomes grands et cupuliformes à la sur- face des segments, tuberculiformes sur l’arête de leurs bords, où ils ne sont pas aussi nombreux. Les carpomates sont inconnus. On trouve sur la même plante, et souvent sur le même rameau , des segments dont la nervure est complète et d’autres où elle s’évanouit. Le Fucus evanescens Agdh., Spec., serait, d’après J.-G. Agardh (1), une forme plus grande et plus large de cette variété; mais il ne porte pas comme elle des cryptostomes sur le bord de ses segments. Ce qui l’en rapproche néanmoins, c’est que sur un exem- plaire étiqueté Fucus evanescens , par le docteur Mertens, et confronté par ce célèbre algologue âvec ceux de l’auteur, nous voyons aussi quelques-unes des nervures se conti- nuer jusqu'au sommet, quoique d’autres y disparaissent bien loin avant de l’atteindre. Forme G. Fronde s’élevant de 5 à 8 centimètres, plus rameuse, plus touffue. Stipe quelquefois un peu moins raccourci que dans le type; segments en général linéaires, plus étroits, les principaux n'ayant que 3 millimètres de largeur. Croît en groupes dans les endroits vaseux du Braekman, d'où me l’ont communiqué MM. Walraven et Coemans. (1) Gen. spec. et Ord. Algar., LI, p. 211. ER Re 00 (502 ) 15. Fucus vesicucosus BazTIcus Hook. Fucus BALTICUS, Agdh., Decad. Fucus susrcosrarus, Agdh., Syst. — Desm., PI. crypt. de la France, 2° série, fasc. V, n° 203. Fronde evesiculosa, coriacea, ramis fastigiatis ; segmentis an- gustissimis, basi attenuatis, margine subsinuatis : ultimis linearibus, divergenti-bifidis, obtusis, nervo evanido; carpo- matibus..… Taille de 4 à 5 centimètres. Fronde inférieurement dé- nudée, non spiraloïde, d’un aspect corné étant sèche, et d'un brun rougeûtre à l'extérieur. Segments principaux de 4 à2 millimètres, au plus, de largeur. Cryptostomes con- vexes et peu ouverts à la surface des segments, où ils sont en petit nombre : tuberculiformes et plus abondants sur l’arête de leur bord, sur laquelle ils sont régulièrement disposés et où ils exsèrent les mêmes fibrilles que sur le limbe. Carpomates inconnus. Sur quelques-uns des rameaux, les nervures ne s’éva- nouissent que dans le voisinage du sommet, tandis que sur d’autres, elles disparaissent dès le milieu de la fronde. Elles manquent même parfois complétement, d’après Ares- choug (1). Le Fucus vesiculosus filiformis, Sv. Bot., à fronde plus petite, à segments encore plus étroits, n’est peut-être qu'une forme secondaire de cette variété. Trouvé parmi le Fucus vesiculosus lutarius provenant du Braekman, dont il habite sans doute les bords ma- (1) Phyceae Scandinavicae marinae, p. 35. ( 505 ) récageux et gazonnés baignés par les grandes marées. C’est du moins dans une semblable station que MM. Crouan ont recueilli cette variété aux environs de Brest. 414. Fucus vesicuLosus Lurarius Chauv. Fucus spirauts, Herbarior. Bélgic. quorumdam. Fronde evesiculosa, tenui, cuneiformi, spirali; ramis fastigiatis , gracilibus; segmentis anguste linearibus, margine sinuatis ; ultimis latiusculis, suboblongis, apice bifidis, obtusis, nervo semper integro; carpomatibus……. Fronde variant de 8 à 15 centimètres, à tours de spire très-rapprochés, d’abord olivâtre, puis successivement d'un brun foncé et noirâtre. Stipe de 5 à 7 centimètres, grêle, le plus souvent réduit à la nervure plus ou moins marginée, quelquefois couvert, dans la vieillesse de la plante, d’un grand nombre de fibrilles qui l'entourent comme d’une espèce de chevelu, et dont quelques-unes commencent ordinairement à se développer en segments sans continuer de s’accroître. Rameaux rarement soli- taires, le plus souvent comme fasciculés. Segments oli- vâtres à l’intérieur, puis rougeûtres ; les plus larges me- surant de 5 à 4 millimètres; les derniers bifides à leur sommet, à lobes entiers ou émarginés. Cryptostomes peu nombreux, convexes à la surface des segments, tubercu- liformes sur l’arête de leur bord. Carpomates inconnus. C'est sans aucun doute, parmi toutes les variétés du Fucus vesiculosus, celle qui mériterait le plus le nom de spiralis; aussi l’avons-nous rencontrée souvent dans les herbiers sous cette désignation. Abondant sur les bords vaseux du Braekman , près de Bochaute, en société avec la Salicornia, etc. ( 504 ) b. Point de cryptostomes sur l'arête marginale des seg- ments (1). 45. Fucus vesicuLosus B1FORMIS Kx. Fronde evesiculosa, flabellata, hic illic contorta ; stipite gracili, flexuoso vel decumbente ; ramis patulis ; segmentis angustis la- tioribusve, sublinearibus, margine concolori : ultimis subbifidis, nervo integro vel evanescente; carpomatibus…. Fronde de 1 ‘2 à 2 décimètres, d’abord extérieurement olivâtre avec une légère teinte verte, puis noirâtre. Stipe faisant à peu près la moitié de la plante, donnant souvent naissance, quand elle est adulte, à des rosettes formées de segments la plupart bifurqués, qui deviennent autant de jeunes frondes, et qui sont tantôt sessiles, tanlôt situées à l'extrémité d’une jeune pousse plus ou moins longue. Rameaux inférieurs, portant quelquefois aussi des rosettes pareilles au point où ils se dichotoment. Segments olivâtres à l’intérieur, les plus larges ne mesurant que 2 ou 3 milli- mètres, et les derniers n’ayant que 1 ‘2 millimètre de lar- geur ; ceux-ci, stériles dans nos échantillons, entiers ou bifides, obtus au sommet. Carpomates inconnus. Le port de cette variété rappelle celui du Fucus vesicu- losus lutarius. Quelques-uns des segments ont leur ner- vure complète, tandis que, chez d’autres, elle n’atteint pas le sommet. Il en est de même pour la forme suivante : Forme £. Fronde plus grande, atteignant de deux à : (1) Ceci n’exclut pas la présence des cryptostomes ordinaires à la surface des segments. ( 205 ) 3 décimètres, à segments plus larges, dont les principaux ont un diamètre transversal de 5 à 7 millimètres. Stipe également proligère, mais produisant des segments sim- ples ou bifides non disposés en rosette, fasciculés ou épars, dont les uns s’accroissent en rameaux nouveaux, la plupart des autres restant atrophiés. Abstraction faite du stipe, cette forme 8 n’est pas sans analogie avec le Fucus evanescens dont nous avons parlé précédemment. Dans les endroits vaseux du Braekman ; B dans les eaux profondes du Swin, entre Knocke et l'Écluse. 16. Fucus vESICULOSUS FLABELLATUS Kx. Focus vesicucosus x LiNearis Agdh., Spec.? Kütz., Sp. Alg.? Fronde evesiculosa , flabelliformi, subspiraloïdea ; ramis superio- ribus patulis, inferioribus divaricatis, elongatis ; segmentis angusle rubro-marginatis, ultimis bi-trilobatis; carpomati- bus lanceolatis, acutis (Q. x). ©. Fronde condensée, de 12 à 15 centimètres de hau- teur, plus large que haute, mince, dénudée dans sa partie inférieure. Segments un peu ondulés à l’état frais, intérieu- rement pâle-olivâtres et étroitement lisérés de rouge sur leur bord (1); les inférieurs et les moyens en général atté- nués vers leur base; les supérieurs linéaires; les premiers larges de 8 millimètres, les autres de 4 à 5; les stériles très- obtus, manquant sur certains échantillons. Carpomates de (1) La lisière rouge est bien visible, quand on examine la plante à ja lu- mière ou au soleil, avec le secours d’une loupe. ToME xx. — 1° PART. 56 ( 506 ) 8 à 15 millimètres de longueur sur une largeur de 2 à 4 millimètres; d’abord linéaires, puis lancéolés, quelquefois bifides ou bipartites par soudure. æ. Fronde moins haute, de 4 décimètre environ, à ra- meaux inférieurs plus allongés, à segments plus larges, les principaux ayant de 9 à 12, les autres de 7 à 8 millimètres. Le doute que nous exprimons au sujet de la synonymie d’Agardh et de Kützing provient de ce que ces auteurs citent pour leur Fucus vesiculosus linearis la planche 146 d'Esper. Or, des deux figures qui se trouvent sur cette planche, la supérieure, la seule qui puisse se rapporter aux descriptions des algologues mentionnés plus haut, et à notre échantillon femelle, est dépourvu de carpomates, ce qui lui enlève son caractère essentiel. Ajoutons encore que M. Desmazières, dans la table de ses Plantes crypto- games de France, indique la variété linearis Kütz comme synonyme de la thalassiophyte qu’il avait publiée antérieu- rement sous le nom de Fucus ceranoïdes, quoique celle-ci diffère complétement de la figure d'Esper. Forme £. ©. Fronde de 11 à 12 centimètres de hauteur sur une largeur à peu près égale, les rameaux inférieurs du type n'étant ici que rudimentaires et atrophiés. Seg- ments larges de 5 millimètres au plus. Ne paraît pas être sans affinité avec le Fucus vesiculosus nanus Kütz. mal connu jusqu’à ce jour, et qui serait , d’après C.-A. Agardh, dépourvu de cryptostomes. Rare. Le type a été recueilli à Ostende; 8 à Blanken- berghe. (507) 17. Fucus vesicucosus TORQUESCENS Kx. Fucus spmazis 8 Stackh.., Ner., tab. V. (Icon mediocris et Justo minor.) Fronde evesiculosa, Spirali, ramis patulis ; seymentis sublinea- ribus, margine concoloribus, fertilibus contortis ; carpomatibus ovoideis vel rotundato-oblongis, obtusissimis (Q). Q. Fronde atteignant rarement la taille dela précédente, n'ayant le plus souvent que de 8 à 10 centimètres de hau- teur, non dilatée transversalement, moins mince, très- souvent dénudée dans sa partie inférieure. Stipe variant en épaisseur, quelquefois presque filiforme. Segments li- néaires ou à peu près, ondulés, surtout à l'état frais , rou- geàtres à l’intérieur; les plus larges ne dépassant guère 7 à 8 millimètres: les stériles rares, très-obtus, plus ou moins émarginés; les fertiles ayant environ 5 millimètres de largeur, presque toujours contournés sur eux-mêmes. Carpomates de 6 à 8 millimètres de long sur 5 à 6 de large, présentant comme une espèce de rebord avant leur déve- loppement complet, devenant parfois didymes par sou- dure et le plus souvent tordus. Cette variété, qui se rattache au Fucus vesiculosus con- lortus par ses carpomates marginés avant leur entier dé- veloppement, a bien aussi quelque analogie avec notre forme £ du Fucus vesiculosus spiralis. Serait-ce peut-être une déviation de l’un ou de l'autre, due à l'apparition prématurée des carpomates? Quoi qu’il en soit, tous nos échantillons se ressemblent et présentent un port parti- culier. La plante mâle nous est restée inconnue. Blankenberghe. ( 508 ) DEUXIÈME SECTION. Scaphidies naissant indistinctement sur tous les rameaux de la fronde. Segments carpomatifères terminaux, par rapport au rameau quiles porte, dans le jeune âge : deve- nant latéraux, chez la plante adulte, par l'accroissement des segments stériles qui continuent à se dichotomer, et dont ils forment alors les ramifications moyennes et in- férieures. Point de vésicules. Chez les n° 18, 21, 22, quelquefois des emphysèmes accidentels. 18. Fucus vesicucosus contorTus Kx. Fucus vesicucosus spiraLis Agdh., Spec. Fucus spirauis Linn., Spec., ed. 1? Fucus spirauis Stackh., Ner., tab. V. (Icon. rudis.) Fronde evesiculosa, tenui, hic illic spiraloïdea ; ramis superio- ribus patulis, inferioribus divaricatis ; segmentis anguste rubro- marginatis; carpomatibus applanatis, ovoïdeis vel oblongis, obtusissimis (Q.). Q. Fronde haute de 2 à 5 décimètres, mince, plus ou moins noirâtre, étant sèche, ayant çà et là un de ses ra- meaux ou un de ses segments contourné sur lui-même. Rameaux souvent dénudés à leur base. Segments intérieu- rement olivâtres avec une étroite bordure rouge (1), un peu ondulés sur leur bord; les principaux de 8 à 10 milli- mètres de largeur, les autres de 5 à 7; les stériles bi-tri- lobulés au sommet, de même longueur que les fertiles (1) Voir la note jointe au n° 6. ( 509 ) dans le jeune äge; s'allongeant et se divisant ensuite, de manière que les segments simples bi- ou trifides, sur les- quels se trouvent les carpomates et qui étaient d’abord terminaux, deviennent, dans l’âge adulte, de véritables rameaux latéraux. Carpomates de 1 ‘/2 à 2 centimètres de longueur sur une largeur de 7 à 10 millimètres, comme entourés, avant leur entier développement, d’un étroit rebord foliacé qui disparaît quand ils sont adultes; quel- quefois bi- ou trifides par soudure. La figure de Donati (1) représente très-bien quelques jeunes individus femelles; mais les cryptostomes y sont placés en lignes régulières, circonstance qui devrait la faire rapporter plutôt au Fucus vesiculosus angustifolius Agdbh., que nous ne connaissons que par sa description. 0". Tous les segments plus étroits. Carpomates ovoïdes raccourcis. Fucus spiralis Lam., [lustr., tab. 880, fig. 2. Nous avons vu quelquefois cette variété étiquetée Fucus evesiculosus Bory, quoique, d’après MM. Crouan, ce dernier nom appartienne au Fucus platycarpus Thur. (Fucus thu- retü Lejol.). Elle nous a offert aussi, mais rarement et en petit nombre, des emphysèmes allongés, semblables, sauf leur grandeur, à ceux du Fucus vesiculosus inflatus. 11 y a enfin des individus, nous ne savons de quel sexe, acciden- tellement flexueux et recourbés, plus ou moins privés de limbe, analogues, en un mot, au Fucus vesiculosus volubilis. Ceux-ci néanmoins paraissent être très-rares, et nous n’en avons rencontré que dans l’herbier de feu M. Ricour (2). (1) Essai sur l’hist. nat. de la mer Adriatique, pl. IV, fig. 1. (2) M. Louis-Jacques-Joseph Ricour, né à Ath en 1749, mort en 1854, ancien secrétaire du corps législatif et décoré de l’ordre du Lion néerlan- (510 ) Forme B. Fronde réduite aux seules nervures épaissies, rapprochées, privées entièrement de limbe et portant à leur sommet une rosette d’expansions foliacées sur quel- ques-unes desquelles naissent quelquefois des scaphidies. C’est le représentant de notre Fucus vesiculosus vulgaris d et comme lui plutôt une déviation accidentelle qu'une vraie forme. Plus commun que la variété suivante avec laquelle il est souvent confondu ; assez rare; B partout. 19. Fucus vesicuLosus sprraLis Aut. Gall. Fucus spirauis Linn., Syst., XII (1). Fucus vesicuosus ricIpus Wahl.? — Desm., PL. crypt., 2° série, fase. V (1854), n° 202. Fronde evesiculosa, crassiori, coriacea, spiraloïdea ; ramis pa- tulis ; segmentis margine concoloribus ; carpomatibus ovoideis vel oblongis, obtusissimis, anquste marginatis. (©). ©. Fronde de2 à 5 décimètres, coriace, roide et d’un brun foncé et terne étant sèche. Stipe ordinairement court, sou- vent verruculeux dans la plante adulte. Rameaux presque toujours réduits, dans leur partie inférieure, à la nervure dais, avait réuni, dans sa campagne d’Ichteghem, près de Thourout, une magnifique collection d’arbres et d’arbustes de l’Amérique du Nord. Privé de la vue dans les dernières années de sa vie, il reconnaissait admirable- ment au toucher ses plantes chéries. Il contribua beaucoup à répandre le goût de l’horticulture, et laissa parmi ses manuscrits un dictionnaire de bo- tanique en plusieurs volumes. Son herbier, dont il ne restait qu’une faible partie lorsque nous l'avons examiné, devait avoir été trés-riche en plantes littorales et marines. (1) Fronde plana, inlegerrima, PUuNCTATA; INFERNE LINEARI, CANALI- cuLarTa : fructificationibus pedunculatis , geminis ; diagnose après laquelle l’auteur ajoute : fructificationes oblongae, CRASSIUSCULAE. (511) marginée, qui est souvent alors comme canaliculée par l'effet de sa torsion. Segments très-ondulés à l’état frais, les ondulations s'étendant jusqu’à la nervure, intérieure- ment rougeâtres ; les principaux ayant de 10 à 15 milli- mètres de largeur; les stériles émarginés ou bilobés à leur sommet, plus larges que les fertiles, d’abord d’égale lon- gueur ou à peu près, s'accroissant et se dichotomant ensuite de façon que les segments, simples, bifides ou trifides et quelquefois très-courts, qui portent les carpomates, de ter- minaux qu’ils étaient dans le jeune âge, deviennent, dans l’âge adulte, des rameaux latéraux. Cryptostomes très- nombreux, plus largement ouverts que dans la variété précédente, ce qui fait paraître la fronde ponctuée. Car- pomates entourés, quand ils sont entièrement développés, d’un étroit rebord, mesurant alors de 1 ‘/2 à 2 centime- tres de longueur sur une largeur de 4 à 1 ‘2 centimètre, quelquefois bifides ou bipartites par confluence ou par sou- dure, toujours plus épais que dans le numéro précédent. Le Fucus vesiculosus grandifrons, indiqué en général comme propre aux côtes de l'Amérique, mais trouvé égale- ment (4) sur celles du duché de Schleswig, doit avoir, si on en juge par les caractères que lui assigne Kützing, beaucoup d’analogie avec cette variété; mais la diagnose de l’algologue de Nordhausen nous paraît ne pas concorder entièrement avec la description d’Agardh (2), d’après la- quelle le Fucus grandifrons appartiendrait plutôt à notre troisième section. Forme fG5. ® Fronde raccourcie, de 8 à 41 centimètres, (1) Rabenhorst, Deutschlands kryptog. Flora, IX, p. 189. (2) Spec. Algarum, 1, p. 88. ( 512 ) moins robuste, plus touflue, dénudée à sa base. Segments plus étroits, larges de 6 à 8 millimètres. Carpomates très- nombreux, oblongs, de 4 à 1/2 centimètre de longueur, sur 5 à 7 millimètres de largeur. Nous avons recueilli le type à la Panne; 8 a été trouvé à Ostende. 20. Fucus vESICULOSUS LONGIFRUCTUS Agdh. Fucus ancusmirozius With. Fucus ves. & ANGuSTIFOLIUS (sine ve- siculis), Turn., Syn. Fucus spiraLis d ANGusriFoLius Stackh., Ner. Brit. p. 6? Fronde evesiculosa, coriacea; ramis patulis, superioribus rachi plerumque approximatis; carpomatibus magnis, lanceolatis vel ellipticis, apice subobtusis (Q. x). Q. Taille de 2 à 2 ‘2 centimètres. Fronde rarement dénudée dans sa partie inférieure, non spiraloïde, d’un brun noirâtre à l'extérieur. Segments ondulés sur leur bord à l’état frais, atténués à leur base, intérieurement olivâtres; les principaux de 6 à 7 millimètres de largeur; les fertiles, généralement linéaires ou à peu près, larges de 5 à 4 millimètres; les stériles très-obtus, plus ou moins émarginés, très-rares, n’existant guère que dans le jeune âge, s’accroissant ensuite en se dichotomant et finissant à leur tour par se couvrir de scaphidies à leur sommet, ce qui fait que, dans la plante adulte, il y a des carpomates sur toutes les divisions des rameaux. Ceux-ci sont ordinai- rement simples ou bi-trifides dans la partie supérieure de la fronde et plusieurs fois bifurqués dans sa partie infé- rieure. Carpomates de 2 à 4 centimètres de longueur, sur 6 à 10 millimètres de largeur, quelquefois bifides ou bipar- tites par soudure. s. Segments plus larges, les principaux ayant 4 centi- ( 515 ) mètre environ et ceux de la première dichotomie quelque- fois même 1 ‘ centimètre de largeur; les fertiles mesu- rant de 4 à G millimètres. La taille de cette variété est très-inconstante. Nous en possédons un exemplaire mâle, de 9 centimètres de lon- gueur et chargé de carpomates qui en forment le tiers. On sait que C.-A. Agardh, qui avait d’abord cité le Fucus longifructus Dec. comme synonyme du sien (1), l'en a distingué plus tard (2), pour le rapporter au Fucus cera- noïdes. La première opinion est seule admissible, les des- criptions des deux auteurs étant entre elles en parfaite concordance. Ostende. Nous sommes redevable de nos échantillons à l'obligeance de M. Lanszweert, pharmacien, qui a bien voulu nous adresser à plusieurs reprises des fucacées de notre littoral. 91. Fucus vesicuLosus iNFLATUS Turn. Fucus vEsICULOSUS INFLATUS VARIETAS Roth. (3), Tent. Fronde evesiculosa, aut indefinite inflata, subspiraloïdea ; ramis superioribus patulis, inferioribus divaricatis ; carpomatibus oblongis vel ovoïdeis, obtusissimis, apicem versus margine foliaceo cinctis (9). ©. Fronde haute de 4 ‘}2 à 2 2 décimètres, dilatée, d’un brun olivâtre, noircissant par la dessiccation. Stipe court. Rameaux parfois spiraloides. Segments olivâtres à (1) Spec. Algarum, 1, p. 89. (2) Zbid., I, p. 530; Syst. Algar., p. 278. (5) Après avoir décrit le Fucus inflatus Linn., que nous croyons être différent du nôtre, Roth ajoute : Variat frondibus angustioribus et ramo- sioribus, secundum totam longitudinem per intervalla inflatis et tumidis; caractères qui se rapportent très-bien à la variété dont il s’agit ici. ( 514 ) l’intérieur, ondulés sur leurs bords, surtout à l’état frais, linéaires ou atténués à leur base, dépourvus de vraies vé- sicules, mais quelquefois partiellement remplis d'air et présentant alors des emphysèmes ou boursouflures eylin- driques ou amorphes, non circonscrites; les principaux mesurant de 4 à 1‘: centimètre de largeur; les stériles, larges de 6 à 8 millimètres, plus fréquemment contournés sur eux-mêmes que les fertiles; tous les deux, stériles et fertiles, d’abord d’égale longueur, ce qui donne à l’en- semble des sommités de la plante un contour semi-circu- laire-flabelliforme, qu’elle perd plus tard lorsque ses seg- ments stériles s’accroissent et continuent de se ramifier. Les segments qui portaient les carpomates dans le pre- mier âge et qui sont en général simples, bi- ou trifides, deviennent alors des rameaux latéraux, quelquefois situés sur un seul côté du nouvel axe d’accroissement. Carpo- mates de 4 à 2 centimètres de longueur sur 8 à 13 milli- mètres de largeur, ayant leur sommet entouré d’un rebord foliacé, quelquefois bilobés ou bipartites par soudure. Nous avons déjà dit, au commencement de cette notice, en quoi diffèrent les emphysèmes, que présente parfois cette variété, des vésicules régulières que l’on observe chez plusieurs autres. L’emphysème envahit souvent aussi les carpomates, qui sont alors gonflés, et nous avons sous les yeux plusieurs exemplaires sur lesquels ces organes se montrent dans les deux états. Le Fucus inflatus Linn. (1) figuré par Smith (2) et par (1) Fronde bifida, laciniis ovato-lanceolatis, inflatis, apice divisis. For. Suec., p. 468. Srec. pLANT., ed. 1, et Syst. nar., XII, où l’auteur ajoute : Semel aut bis tantum bifidus est. (2) Plantarum icones inedilae , fase, HI, tab, 75. ( 15 ) Esper (1) ne nous parait pas être synonyme de celui que Turner et d’autres auteurs décrivent sous ce nom. Il semble ne pas être sans ressemblance avec le Fucus gi- braltaricus Bory, inéd. ap. Chauv. Forme £. ç. Fronde flabelliforme, à circonscription régulière et permanente, tous les segments terminaux étant de bonne heure carpomatifères et, par conséquent, limités dans leur croissance. Forme 7. ©. Fronde moins haute que celle de B. Seg- ments très-ondulés sur leurs bords; les stériles en petit nombre. Carpomates ovoïdes-raccourcis, n'ayant que 5 à 7 millimètres de longueur : les uns plans, les autres gon- flés par emphysème. Forme d. s. Fronde moins régulièrement dichotome. Segments ayant de 7 à 9 millimètres de largeur ; les sté- riles peu nombreux. Tous les carpomates ou plusieurs d’entre eux tuméfiés, allongés, souvent bifides, moins obtus, plus étroits que dans le type, mesurant de 4 à 1 ‘2 centimètre de longueur sur 5 à 7 millimètres de largeur. Aspect plus rigide. Se rattache sans doute au sexe mâle de la variété type, lequel nous est inconnu. Commun à Ostende et à Nieuport; B, y et 2 très-rares dans ces mêmes localités. 929, Fucus vesicuzosus CoEmansu. Kx. Fronde evesiculosa, aut indefinite inflata, tenui, spirali ; ramis superioribus patulis, inferioribus divaricalis; carpomalibus oblongis vel ellipticis, oblusis (Q. 5). Q. Taille de 2 à 5 décimètres. Fronde mince, d’un brun (1) Zcones Fucorum , 1, tab. X. (516) pâle olivätre, quand elle est sèche, fortement roulée en spirale. Stipe presque filiforme, grêle, de 5 à 4 centimètres de hauteur. Segments linéaires sur la plus grande partie de leur étendue, un peu atténués vers la base, ondulés sur les bords, intérieurement d’un vert pâle olivâtre; les principaux de 4 centimètre environ de largeur ; les fertiles de 4 à 5 millimètres; les stériles présentant quelquefois des emphysèmes, mais moins grands que dans le sexe mâle et souvent d’une forme plus ou moins arrondie : obtus au sommet, qui est émarginé ou 2-4-lobulé, plus larges que les fertiles et déjà plus longs qu'eux avant l’âge adulte : continuant de s’accroître et de se dichotomer; d'où il arrive que les segments qui portent les carpomates devien- nent des rameaux latéraux, dont les supérieurs sont sou- vent simples et les inférieurs en général plus divisés. Car- pomates de 1 à 4 ‘2 centimètre de longueur sur une largeur de 5 à 6 millimètres , souvent confluents ou soudés entre eux, et alors quelquefois cunéiformes, à sommets étalés. d'. Fronde plus dilatée transversalement, à segments çà et là denticulés sur leur bord, presque toujours par- tiellement enflés, surtout vers le sommet, à boursouflures cylindriques, longues parfois de 6 à 8 centimètres. Car- pomates atteignant jusqu’à 2 ‘/ centimètres de longueur sur 7 ou 8 millimètres de largeur, souvent bipartites ou tripartites par confluence, à partilions divergentes, rare- ment soudés et cunéiformes. Lorsque les carpomates de la plante femelle sont jeunes et 5-4-partites, ils ne manquent pas d’analogie avec ceux du Fucus ceranoïdes, abstraction faite de la polychotomie des rameaux fertiles de ce dernier. On sait, d’ailleurs, et nous l’avons nous-même constaté, que le Fucus ceranoïdes ( 17 ) a souvent aussi sa fronde boursouflée (1), et que celle-ci varie beaucoup par la largeur des segments. Certains exemplaires femelles de notre Fucus vesiculosus Coemansii rattachent donc le Fucus vesiculosus au Fucus ceranoïdes (2), et la plante à fronde plus étroite dont parle Areschoug (5) n’est sans doute, à son tour, qu'une modification intermé- diaire. Croît attaché aux pierres et aux pilotis dans le Braek- man, ainsi que dans le chenal de Nieuport, où l’a recueilli avec nous notre ami M. Eugène Coemans. TROISIÈME SECTION. — Scaphidies ne naissant pas indistinctement sur tous les ra- meaux, mais exclusivement sur des rameaux particu- liers situés vers le milieu ou vers le bas de la fronde. Les rameaux carpomatifères, dont les segments sont tou- jours linéaires et plus étroits que les autres, représen- tent une espèce de cime, quelquefois accidentellement réduite, par défaut ou par arrêt de développement, à un segment unique, simple ou bifurqué à son sommet. Toutes les variétés de cette section ici décrites sont (1) J.-G. Agardh, Spec. gen. et ord. Alg., L, p. 209: c’est alors le Fucus ceranoïdes B vesiculosus C.-A. Agdh., Syst. (2) Le Fucus ceranoïdes que M. Thuret avait d’abord indiqué comme dioïque, renferme, au contraire, à la fois, d’après le même auteur, des anthé- ridies et des spores dans ses scaphidies. (4nn. des sciences nat., 4° série, IE, p. 199.) (3) Phyceae Scand. marinae, p. 54. (518) vésiculeuses. Les cryptostomes sont en général plus grands et deviennent cupuliformes. 9235. Fucus vesicuLosus unpuzaTus Roth. Quercus marina Lob., Icon. Stirp., W,' p. 255. Fronde vesiculifera, ramis patulis, inferioribus divaricatis ; fer- tilibus 2-3 partitis, partitionibus interdum 2-5 fidis; ramo- rum Sterilium seymentis ullimis apice latioribus, lobatis; car- pomatibus ovoideis, oblusissimis, oblongisve subacutis (©). ©. Fronde haute de 2 à 4 décimètres, çà et là un peu spiraloïde, d’abord brunâtre-enfumée, prenant ensuite une couleur d’un noir bleuâtre semblable à celle de l’en- cre, toujours terne, très-fragile étant sèche. Segments en général sinueux, ondulés sur leurs bords, surtout quand ils sont adultes, intérieurement olivätres, lorsqu'on les examine par transparence; les plus larges ne dépassant guère À centimètre; les terminaux élargis à leur sommet, bi-trilobés, obtus, verdâtres à l’intérieur. Vésicules oppo- sées ou sub-alternes, ovoides, lisses, plus nombreuses sur les axes principaux : les axillaires peu dilatées. Crypto- stomes très-nombreux en certains endroits de la fronde, rares ailleurs, petits, restant longtemps fermés et presque immergés, présentant à la fin comme une espèce de cupule très-aplatie. Rameaux carpomatifères portant les scaphidies sur leurs divisions secondaires ou tertiaires, selon que leur apparition vient ou ne vient pas empêcher prématurément les premiers de se ramifier (1). La lar- geur de ces divisions est de 5 millimètres au plus. Carpo- (1) Une même fronde en offre ordinairement des exemples. On voit aussi les scaphidies envahir parfois le rameau avant qu'il se bifurque au sommet. PS UT OT RE ‘544 (519) mates de 2 à 5 centimètres de longueur sur 9 à 42 milli- mètres de largeur , quelquefois cunéiformes par soudure ou ayant, lorsqu'ils sont oblongs, leur sommet prolongé. Scaphidies grandes, espacées, s’ouvrant par un orifice dont le bord est dressé. Cette variété, intermédiaire, en quelque sorte, entre les deux dernières et les suivantes, est mieux représentée par la figure De L'Obel, avec laquelle l’un de nos échantillons concorde tout à fait, que par la planche XIII d'Esper, citée par Roth, qui cependant y appartient aussi. Le Fucus vesiculosus B binascens Stackh (1) nous en paraît être un jeune individu stérile. Ostende ; Nieuport. 24. Fucus vesicuLosus maAcrocysrus Kütz. Fronde vesiculifera, ramis patulis; fertilibus 2-3-partitis, par- titionibus furcatis aut dichotomis ; ramorum sterilium seygmen- tis ultimis emarginato-lobatis; carpomatibus ellipticis vel lan- ceolatis (Q. S.). o. Fronde de 4 à 5 décimètres, çà et là un peu spira- loïde , terne , d’un brun qui devient noirâtre. Stipe variant beaucoup en longueur. Segments ondulés, intérieurement olivâtres ; les primaires sinués, de 4 ‘2 centimètre de largeur ou peu au delà; les terminaux larges de 6 à 10 millimètres , lobés au sommet , à lobes arrondis-obtus et émarginés. Vésicules opposées, sub-opposées ou alternes, très-saillantes, ovoïdes ou allongées, mesurant de 14 à 1% centimètre, très-souvent chagrinées à leur surface; les (1) Wereis britan., ed. IF, tab. VI. ( 520 ) axillaires plus arrondies. Rameaux carpomatifères portant les scaphidies sur leurs divisions secondaires ou tertiaires, quelquefois sur les quaternaires, qui sont les unes et les autres assez souvent contournées sur elles-mêmes. Car- pomates de 5 à 7 millimètres de largeur et longs de 1 ‘2 à 2 centimètres, tantôt obtus, tantôt un peu aigus, quel- quefois bifides ou bipartites. os. Fronde souvent plus grande. Segments primaires ayant fréquemment 2 centimètres de largeur et même plus. Vésicules en général plus grandes que chez la fronde femelle, longues 1 ‘/2 à 2 centimètres. Forme GB. 9. Rameaux plus étalés. Vésicules axillaires de quelques-uns des segments accompagnées de chaque côté d’une vésicule épiphylle, ce qui fait qu’il y en a alors trois sur une même ligne, comme dans le Fucus vesiculosus tricystus Agd., qui en est, du reste, tout différent (1) et propre, paraît-il, à la Méditerranée. Forme y. ?. Segments des axes principaux de même largeur que ceux du type; tous les autres, y compris les terminaux, qui sont moins obtus, larges seulement de 5 mill. Vésicules généralement moins grandes. Carpomates le plus souvent insérés sur les divisions quaternaires. Nous avons vu un échantillon de cette forme, qui por- tait, écrit de la main du D" Binder, le nom de Fucus vesiculosus linearis Agdh, ce qui ne s'accorde ni avec la synonymie, ni avec la description de cet auteur. La Panne; Nieuport; B et y Ostende. (1) Receptaculis (carpomarisus) brevibus sublobatis. Frons inter mino- res, angusla. Pori (crxprosromara) fere nulli, Agdh; Spec. Algar., 1, p. 91. te. af 6. ie de dé (521 ) 25. Fucus YESICULOSUS LATERIFRUCTUS Grev. Fucus niscipcinaLis Bor. (1) — Grev., Scott. crypt. flor., VI, t.319. Fronde vesiculifera, coriacea, elata, rubrinervi, ramis erecto- patulis; fertilibus 2-4-partitis, partitionibus furcatis vel dicho- mis ; ramorum sterilium segmentis ullimis integris vel emargi- natis; carpomatibus lanceolatis (© ). ©. Fronde haute de 6 à 7 décimètres, plus épaisse que la précédente, coriace, d’abord d’un brun pâle olivâtre, devenant ensuite d’un brun rougeûtre un peu luisant, qui noircit par la dessiccation, à nervures transparentes et rouges quand la plante est fraiche. Stipe variant en lon- gueur. Segments rougetres à l’intérieur à l’état adulte; les principaux larges de 4 ‘2 centimètre, légèrement sinués et ondulés sur leur bord; les supérieurs et les termi- naux linéaires, un peu atténués à leur base, les derniers entiers ou émarginés-lobés au sommet. Vésicules oppo- sées ou alternes, ovoides, quelquefois arrondies comme les axillaires, dans le bas de la fronde, et ordinairement chagrinées à leur surface. Rameaux carpomatifères por- tant les scaphidies sur leurs divisions secondaires ou ter- tiaires, plus rarement sur les quaternaires. Carpomates, encore incomplétement développés dans nos échantillons, longs de 1 2 à 2 centimètres sur 7 à 8 millim. de largeur. Cette variété semble acquérir, sur les côtes de l’Angle- terre, une taille beaucoup plus élevée, si l’on en juge par la description de Greville, qui lui donne 4 pieds anglais ou 12 décimètres de longueur. Elle est difficile à distin- (1) D’après Agardh, Spec. gen. et ord. A4lq., 1, p. 211. TOME xxu11. — P° PART. 57 ( 522 ) guer nettement du Fucus vesiculosus macrocystus ; mais ses vésicules sont toujours moins grandes; son port est plus dressé, et sa texture plus épaisse. Forme 6. ©. Fronde moins haute, seulement de 4 à 5 décimètres. Segments plus étroits. Ostende; 8 Blankenberghe. 26. FuCcuS VESICULOSUS PHYLLOCARPUS Kx. Fronde vesiculifera, coriacea, elata, ramis patulis, fertilibus 2-5-partilis, partilionibus dichotomis ; ramorum sterilium seq- mentis ultimis spatulatis; carpomatibus foliaceis, oblongis vel ovoideis , obtusissimis, margine fimbriato-crenulatis (Q). ©. Fronde de 4 à 7 décimètres de hauteur, peu spira- loïide, épaisse et coriace, d’un brun noirâtre et à nervures très-grosses. Stipe variant beaucoup en longueur. Seg- ments sinués et ondulés, jaunâtres à l’intérieur et n’y prenant que tardivement une teinte rougeûtre; les pri- maires de 4 ‘} à 2 centimètres de largeur; les terminaux larges de 2 centimètres au plus, très-dilatés à leur som- met, qui est arrondi, obtus, souvent émarginé et rétrécis à leur base. Vésicules fréquemment opposées, chagrinées, ayant de 8 à 12 millimètres de diamètre, ovoides ou ar- rondies : les axillaires participant aux mêmes variations de forme que les autres. Rameaux carpomatifères portant les scaphidies sur leurs divisions quaternaires ou qui- naires, lesquelles sont larges seulement de 7 à 10 milli- mètres. Carpomates aussi minces que les plus jeunes seg- ments de la fronde, de 1 centimètre de longueur ou peu au delà, sur une largeur de 6 à 8 millimètres. d? Vésicules moins grandes, plus généralement arron- dies. Segments terminaux des rameaux stériles, souvent ds ( 523 ) moins largement spatulés. Carpomates comme ceux de la plante femelle, maïs a scaphidies imparfaitement déve- loppées dans nos échantillons, ce qui nous empêche de constater le sexe avec certitude. Forme B. Segments de même largeur ou à peu près. Vési- cules plus petites, arrondies, nombreuses, à paires très- rapprochées. Carpomates inconnus. Fucus vesiculosus d confluens Stackh ? (1). Dans cette forme, la portion du limbe qui sépare les vé- sicules se détruit souvent lorsque la plante est longtemps ballottée par les vagues. Les vésicules s’y présentent alors comme des fruits insérés le long d’un axe, et l’ensemble imite assez bien une espèce de grappe simple. La Panne, Nieuport, Ostende. 27. Fucus vesicucosus PAcayPHYLLUS Kx. Quercus marina Borrich., Act. Hafn:, (1671), p. 118, fig. VII. (Icon rudis.) Fronde vesiculifera, coriacea, dilatata, ramosissima, amis patulis, inferioribus divaricatis ; fertilibus 2-4-partitis, par- titionibus dichotomis ; ramorum primordialium segmentis si- nuato-rotundatoque lobatis, sterilium ultimis oblongis; car- pomatibus oblongo-ovoïdeis subacutis (9 ). Q. Fronde ordinairement de 4 décimètres de hauteur, large, épaisse, coriace, parcourue par de fortes nervures, un peu spiraloïde, d'un jaune de cuir étant fraiche, sur- tout dans sa jeunesse, brunissant plus ou moins par l’âge et par la dessiccation. Stipe gros, nu, de longueur variable. Segments d’un jaune olivâtre à l'intérieur, avec une teinte (1) Fesiculis totam frondem operiuntibus. Ver. Brit., ed. II, p. 2. ( 524 ) rouge quand ils sont adultes, tous sinués et ondulés; les principaux de 1 ‘/2 à 2 centimètres de largeur et même davantage, ayant leur limbe découpé en déchirures obli- ques, lorsque la plante vieillit; les terminaux intérieure- ment verdâtres, oblongs, à sommet très-obtus, entier, denticulé, émarginé ou lobulé. Vésicules en général op- posées, les axillaires n’existant souvent que sur les parties supérieures; les unes et les autres plus ou moins ovales ou arrondies. Rameaux carpomatifères portant les scaphidies sur leurs divisions quaternaires ou quinaires. Carpomates n'ayant pas encore atteint leur taille normale, de 6 à 10 millimètres de longueur sur 3 ou 4 de largeur, peu épais, obtus ou aigus. Cette variété, qui croît en buissons épais et touffus, ne saurait être rapportée à aucune autre. Elle semble fructi- fier bien rarement, puisque nous n’avons, dans un grand nombre d'échantillons, qu'un seul individu pourvu de scaphidies. Les rameaux carpomatifères présentent, au moins quelquefois, un fait digne de remarque : c’est que parmi leurs partitions ou ramules, il en est qui restent stériles et identiques aux autres rameaux stériles, tan- disque celles d’entre elles qui portent des carpomates offrent dans leurs segments la forme étroite et linéaire qui est propre aux rameaux fertiles de cette section. La figure de Borrich ne représente que les expansions primordiales; elles imitent réellement une feuille de chêne, bien que ces expansions n’aient que de 4 ‘}2 à 2 centimètres de largeur dans nos exemplaires. Le Fucus marinus vulga- tissèmus, latifolius, foliis quercinis vesiculis donatis, de Mo- rison (1) en est peut-être synonyme. (1) ist. plant. Oxoniens., vol. IT, p. 647. £ PT PR (2) Forme B. Rameaux inférieurement dénudés. Segments plus étroits, les plus larges n’atteignant pas en général 4 centimètre. Il se pourrait que cette forme füt la plante mâle; mais nous n’en connaissons pas les carpomates. Moins commun que beaucoup d’autres. Ostende. Nous aurions pu augmenter encore la liste déjà longue de ces variétés, mais nous avons cru devoir négliger toutes les modifications qui n’altèrent en rien l’ensemble, ainsi que les frondes non adultes, quoique déjà chargées de carpomates souvent énormes à raison de leur taille. Si les caractères dont nous avons fait usage semblent peu importants, nous devons rappeler qu'il s’agit ici de va- riétés, c'est-à-dire d'organismes dérivant d’une souche commune ou de souches très-voisines, et peu suscepti- bles par là d'offrir toujours des distinctions saillantes. Nous avons cependant la conviction qu’un jour viendra où plusieurs des variétés actuelles seront séparées comme espèces. MM. Decaisne et Thuret ont déjà, nous ne l'igno- rons pas, émis cette opinion (1); mais ce qui n’était qu'une prévision chez ces botanistes nous paraît aujourd’hui dé- montré. Rien, en effet, ne fournit des éléments plus sûrs, pour la circonscription de l'espèce, que l’étude de ses va- riations, et c’est à ce point de vue que, dans nos Re- cherches sur la flore cryptogamique des Flandres (2), nous (1) 4nnales des sciences naturelles, 5% série, III, 1845, p. 7. (2) Une note placée dans la préface de la seconde centurie de ces Re- cherches, ayant paru inexacte, nous donnerons ici un mot d'explication. La deuxième partie du prodrome de notre honorable confrère, M. Du Mortier, a bien été présentée à la séance du G décembre 1834, en manuscrit, mais pas imprimée, comme la rédaction du Bulletin le fait croire. Or, ce n’est que ( 526 ) avons également décrit certaines variétés avec plus de dé- tails qu’on ne le fait communément. Pour nous mettre à même d'étudier el de comparer un plus grand nombre d'échantillons de localités différentes, M. Lenormand, connu par les éminents services qu'il a rendus à la botanique marine, a bien voulu mettre à notre disposition son riche herbier. D'autre part, nous avons reçu de M. Mougeot, le vénérable Nestor des cryptogamistes contemporains, ainsi que de MM. Reichenbach fils, Tre- viranus, Decaisne et Desmazières, divers ouvrages qui nous manquaient et des calques de plusieurs figures qui devaient lever nos doutes. Nous leur en exprimons publi- quement notre reconnaissance. de l'ouvrage imprimé, encore inédit aujourd'hui, que nous ayons entendu parler. (827) CLASSE DES LETTRES. Séance du 26 mai 1856. M. le baron pE GERLACRE, président de l’Académie. M. A. Querecer, secrétaire perpétuel. Sont présents : MM. le chev. Marchal, Steur, De Smet, de Ram, Roulez, Gachard, Borgnet, le baron de Saint- Genois, David, Paul Devaux, Schayes, Snellaert, Carton, Haus, Bormans, Leclercq, Polain, Baguet, De Witte, Arendt, Faider, membres; Nolet de Brauwere Van Stee- land , associé; Chalon , Mathieu, correspondants. MM. Alvin et Éd. Fétis, membres de la classe des beaux- arts, assistent à la séance. CORRESPONDANCE. S. À. R. Monseigneur le duc de Brabant fait connaître qu’il assistera à la séance publique de la classe. — M. le Ministre de l'intérieur écrit qu’il a institué un concours entre les écrivains belges, pour la composition de morceaux de poésie, tant en langue flamande qu'en ( 528 ) langue française, destinés à célébrer, le 21 juillet 1856, l'anniversaire de l'inauguration du Roi. L'article 2 dispose que des jurys de cinq membres, nom- més sur une liste double de présentation faite par la classe des lettres de l’Académie royale de Belgique, seront ap- pelés à désigner les ouvrages qui mériteront la préférence. M. le Ministre demande, en conséquence, qu’on lui pré- sente les deux listes de candidats pour les fonctions de juges des deux concours. Les candidats de ces jurys seront choisis dans la pro- chaine séance. — M. le Ministre de l’intérieur demande, en faveur de l’université de Saint-Louis (États-Unis d'Amérique), toutes les publications de l’Académie. — M. le comte de Montalembert exprime ses remerci- ments pour la réception du diplôme d’associé de la Com- pagnie. — La Société dramatique flamande, connue sous le titre: Koninglyke maetschappy de Wyngaerd , écrit qu’elle ne peut, sans sortir de sa sphère d'action et sans entraver la marche de ses travaux, s'occuper de questions histori- ques ou littéraires; elle comprend cependant que, sans littérature , le théâtre est impossible, puisqu'elle en forme la base. « La Société serait heureuse si l’Académie vou- lait bien, à l’occasion de sa fête biséculaire, lui prêter son appui, en mettant au concours, pour 1857, un mémoire académique sur l’histoire des sociétés et chambres de rhé- torique du pays, sur leur influence littéraire, morale et politique, avec un aperçu critique sur les écrivains rhéto- ristes. » (529 ) … I sera pris une résolution sur cette demande lors de la formation du programme de 1857. — Le Secrétaire perpétuel fait connaître qu’il a reçu de M. le marquis de Maillen la somme de 10,000 francs, dont les intérêts, à partir de l’année dernière, doivent former, conformément aux désirs de feu M. le baron de Slassart, le donateur, la valeur d’un prix à donner tous les cinq ans à l’auteur du meilleur mémoire sur une question d'his- toire nationale. L'Académie reçoit en même temps le manuscrit de Bayard, surnommé le Chevalier sans peur et sans reproche, que M. de Stassart a légué à l’Académie, avec une biblio- thèque composée d'environ 15,000 volumes et une nom- breuse collection d’autographes. — Un inconnu exprime le désir que l’Académie remette au prochain programme de concours la question relative au duc de Brabant Jean I. L'examen de cette demande est ajourné. —M. le baron de Crassier, secrétaire général du Minis- tère de la justice, fait parvenir un exemplaire de la Statis- tique des hospices et des bureaux de bienfaisance du royaume, d’après les budgets de l'exercice 1853. — M. Camille Wins, président de la Société des sciences du Hainaut, fait hommage du tome III de la 2° série des mémoires de la Société. — La Société des Antiquaires de la Morinie envoie le programme de son concours pour 1857. — M. Ad. Quetelet présente une nouvelle édition de son écrit sur Simon Stevin. M. De Witte présente également ( 530 ) différents ouvrages de sa composition. — Remereiments. — M. le comte Al. de Robiano fait parvenir une intro- duction à l'Analyse rationnelle des langues classiques. (Com- missaires : M. Schayes , Baguet et Roulez.) — M. le Secrétaire perpétuel dépose le 28°° volume, récemment imprimé, des publications de l'Académie : Mé- moires couronnes et Mémoires des savants étrangers. ÉLECTIONS. La classe procède, en premier lieu, à l'élection de deux correspondants. Vingt-trois membres sont présents : les deux candidats successivement élus sont : MM. Ta. Jusre, chef de division honoraire au Ministère de l’intérieur; DerAcez , conseiller à la Cour de cassation. La classe procède ensuite à l'élection de quatre associés étrangers. Les suffrages désignent : MM. Pauzin Paris, membre de l’Institut de France; AD. DE LONGPERIER, id.; Drerricr, directeur des travaux statistiques et mem- bre de l’Académie de Berlin ; ALFRED DE REuMmonT, ministre de Prusse à Flo- rence. (531 ) CONCOURS DE 1856. Prix de l'Académie royale. La seconde question, mise au concours par l’Académie, était énoncée de la manière suivante : Tracer un tableau historique et politique du règne de Jean I”, duc de Brabant. Un seul mémoire est parvenu en réponse à cette ques- tion; il porte la devise : L'essentiel de l'histoire est de tout sacrifier au vrai, etc. Bapport de M, Schayes. « L'auteur de ce mémoire a partagé son travail en deux parties. La première, composée de 68 pages, d’une écri- ture fine et serrée, contient le récit détaillé des événe- ments politiques et militaires du règne de Jean I”. Le style est concis, nerveux et même élégant. Les faits sont exposés avec clarté et précision, mais ils ne présentent rien de neuf et qui ne soit connu par des publications anté- rieures. L'auteur aurait pu s’épargner la peine fort inutile de reproduire, tant dans le texte qu’à sa suite, un grand nombre de chartes et actes déjà cités. Cette observation s'applique aussi à la seconde partie de son mémoire, où se trouvent même reproduits des documents pareils entière- ment étrangers au règne de Jean [”. Cette seconde partie, qui forme la matière de 54 pages, est destinée à faire connaître l’état social du duché de Brabant sous Jean I", et est divisée en six chapitres inti- tulés : Législation , lettres, commerce, industrie, agricul- ( 532 } ture, arts. Elle laisse beaucoup plus à désirer que la pre- mière, car elle n’offre guère que des données générales sur l’état du duché pendant le XI", le XIIT”° et même le XIVe siècle; le règne de Jean L° n’y occupe qu’une place minime et toute secondaire. Bien que le chapitre consacré à la littérature s’écarte moins du sujet que les autres, la matière est loin d'y avoir été traitée avec la critique et la richesse de détails qu’elle comportait. Le concurrent ne semble pas s'être assez pénétré du but de l’Académie en proposant pour question de prix une monographie du genre de celle-ci. Il ne s’agit pas là d’un simple panégyrique du due Jean I”, mais d'une histoire complète, approfondie et raisonnée de son règne, présen- tant des aperçus nouveaux , des faits recueillis principale- ment dans des documents encore inexplorés ou mal ap- préciés. Ces conditions essentielles manquent au travail soumis à notre examen. Nulle part on n’y aperçoit le moin- dre indice que l’auteur se soit livré à des recherches dans nos dépôts publics d'archives gouvernementales ou com- munales. De plus, il a négligé d'observer une des clauses péremptoires du programme , celle de désigner exactement les sources auxquelles il a puisé : pas une seule indication de ce genre ne se rencontre dans tout son mémoire. En résumé, notre avis est que ce travail, bien qu'il ne soit pas dénué de mérite, est trop incomplet pour qu'il nous soit permis de lui accorder plus qu'une mention hono- rable, » Cet avis, partagé par les deux autres commissaires, MM. David et le baron de Gerlache, est adopté par l’Aca- démie. DT CT CINQUIÈME QUESTION. Faire l'histoire du collège des Trois-Langues à Louvain, et exposer l'influence qu'il a exercée sur le développement de la littérature classique, ainsi que sur l'étude des langues orientales. Mapport de M. de Ram. « Le travail présenté en réponse à la question relative à l'histoire du collége des Trois-Langues est intitulé : Mé- moire historique et littéraire sur le collége des Trois-Langues à l’université de Louvain. Évidemment, l’auteur, qui ne s’en explique point, a em- prunté les premiers termes de ce titre au livre estimé de l’abbé Goujet, publié en 1758, sur le collége de France (1). Mais le plan qu'a suivi l'historien du collége des Trois- Langues diffère sous un rapport essentiel de celui qu'a suivi l'écrivain français, et il nous semble que le titre n’est pas en désaccord avec le développement qu’il a donné à la matière du travail. Ce travail, dans toutes ses parties, se distingue par l'étendue des recherches historiques et par l’exactitude de la critique littéraire; il dénote un écrivain qui réunit à un degré remarquable les connaissances historiques et les connaissances littéraires. Une analyse du mémoire pourra dire si mon opinion est fondée, et si l'intérêt que mes propres études et ma posi- lion personnelle portent à la question proposée par l’Aca- (1) Mémoire historique et littéraire sur le collége royal de France. Paris, 1758, 5 vol. in-12, ( 534 ) démie a pu contribuer à formuler un jugement trop favo- rable. Le rôle de rapporteur, que je n'ai accepté que pour répondre aux instances de la Compagnie, aura donc prin- cipalement pour objet l'analyse du mémoire. I. Nous avons déjà dit que le plan du mémoire de notre concours diffère essentiellement de celui qu’a suivi l'abbé Goujet. Après des préliminaires qui se rapportent à l’état extérieur des études littéraires en Belgique et à la fondation du collége des Trois-Langues (chap. I-V), l'auteur fait con- naître la série des professeurs qui ont occupé, pendant trois cents ans, dans ce collége, les chaires de latin, de grec et d'hébreu (chap. VI-VIIT). C’est là une histoire externe et analytique de l'établissement, semblable à celle qui, sous forme de biographies, remplit la majeure partie du livre de Goujet. Mais l’auteur du mémoire fait succéder à ces études de détail des aperçus synthétiques, qui forment en quelque sorte l’histoire interne du collége des Trois-Langues (chap. IX-XIT); il s'arrête, comme de raison, surtout au XVI"° siècle, parce que c’est dans ce siècle que l'école de Louvain rendit le plus de services et jouit de la plus grande influence à l'intérieur de la Belgique et même au dehors. Dans son introduction, l’auteur prend soin d'indiquer le point de vue auquel il s'est placé dans ses recherches, et les limites qu'il a dû leur assigner. Il y parle des sources imprimées et des sources inédites dont il à fait usage pour traiter une partie à peine explorée de notre histoire littéraire, et pour parvenir avec quelque chance de succès à l'appréciation des résultats généraux de la fondation du col- I RP PT sn auto … ‘Das L CR ee 2 cer ( 35 }) lége : c'est son droit de rappeler que l’histoire des études d’humanités, dans les provinces belgiques, n’a point encore été écrite jusqu'ici. Le principal d’entre les ouvrages manuscrits que l’au- teur à consultés et qu’il a fréquemment cités, c’est le re- cueil de notes élaborées par l’infatigable Paquot pour une édition nouvelle et fort augmentée des Fasti academici de Valerius Andreas, recueil qui a passé de la collection de Van Hulthem dans notre Bibliothèque royale. Plusieurs autres documents inédits lui sont venus en aide pour élu- cider différents points de son travail; mais, avec une sage précaution, il a réservé pour l’Appendice du mémoire di- verses pièces dont la longueur eût entravé l'exposition du sujet dans les principaux chapitres. IL. Dans un premier-chapitre, qui a pour titre : Coup d'œil sur l'étude des langues et des littératures anciennes dans les écoles des Pays-Bas, avant l'érection du collège des Trois- Langues, 1400-1520, l’auteur déblaye le terrain sur le- quel il doit asseoir ses premières recherches d'histoire et de biographie. En montrant dans une rapide esquisse que la Belgique a dû conserver, pendant le moyen âge, de même que la plupart des pays de l'Europe occidentale, une partie des méthodes et des traditions littéraires qui provenaient des derniers siècles de l'antiquité latine, il s'est attaché à préciser ce qu’on avait fait à Louvain et ail- leurs au XV”* siècle et au commencement du XVI siècle pour préparer les esprits à entrer dans le mouvement lit- téraire de la renaissance, dont l'Italie était le point de départ. ( 36 ) On voit dans ce premier chapitre quelles furent les con- séquences immédiates de l'érection de l’université de Lou- vain pour l'éducation intellectuelle de notre pays dans le cours du XV”* siècle, quelle importance dut avoir la leçon d’éloquence instituée de bonne heure à la faculté des Arts, quelle fut l'influence des études de philologie faites à l’école de Deventer sur la culture des lettres anciennes à Louvain, et de quelle conséquence furent, sous le même rapport, les publications de Jean de Westphalie, premier imprimeur de cette ville. On voit encore, dans le même chapitre, sous quels heu- reux auspices s’ouvrit le XVI"° siècle pour l'avenir des études littéraires à l’université de Louvain. Avant 1520, ses colléges ou pédagogies étaient devenus des pépinières d’humanistes qui travaillaient avec émulation à la réforme des études de grammaire et de philologie latine; ils furent secondés par plusieurs hommes appartenant à la faculté des Arts et à d’autres facultés, et ils trouvèrent un auxi- liaire intelligent dans le typographe Thierry Martens, d’Alost, qui s'établit à Louvain vers 1512. Le premier chapitre est terminé par un aperçu sur la renaissance des lettres. Cette révolution intellectuelle étant jugée fort diversement de nos jours, l’auteur du mé- moire a cru devoir toucher en passant à une question géné- rale qui se rattache d'assez près à l’histoire d’un établisse- ment littéraire fondé au commencement du XVI"* siècle. À son avis, le mouvement de la renaissance était amené naturellement par le progrès des sciences qui s'était ac- compli, pendant les derniers temps du moyen âge, dans toutes les écoles de la chrétienté : il était dans les vues des meilleurs esprits, et il trouva de bonne heure une pro- tection légitime auprès des chefs de l’Église catholique. Le + ( rt + Le ( 557 ) Mais ce mouvement s'est-il accompli jusqu’au bout sans de graves méprises , sans des abus préjudiciables aux intérêts moraux de la société chrétienne? Il ressort des faits que l'Italie, sous les auspices de la papauté, a pris l’initiative de ce mouvement longtemps avant la réforme, et il est historiquement faux de faire intervenir celle-ci, comme on le répète souvent aujourd'hui, soit comme cause effi- * ciente, soit comme effet nécessaire de la renaissance des lettres. C'est contre les opinions extrêmes des panégyrisles et des adversaires de la renaissance qu’est dirigée la dernière partie du premier chapitre : la conséquence qui découle de celte digression tend à justifier les hommes qui ont uni leurs efforts pour donner à la principale école de la Bel- gique l'honneur de prendre part à son tour à ce grand travail de la rénovation des méthodes et de l’étude raison- née des langues savantes. Cet aperçu se complète par quel- . ques considérations sur l’avénement des études hébraïques | dans le monde chrétien , sur leurs premiers représentants en Italie et en Allemagne, sur les tentatives faites en plu- sieurs pays pour introduire la culture des langues clas- siques dans l'instruction publique, par exemple, la fonda- tion de chaires nouvelles à l’université d’Alcala par le cardinal Ximénès, l'établissement d’un collége grec à Rome sous le pontificat de Léon X, l’érection de chaires particulières pour le grec dans les universités de l’Angle- terre. La mention de ces faits, empruntés à l’histoire con- temporaine, démontre à elle seule la haute utilité de l’en- treprise qui se préparait à Louvain et dont la réalisation . eut lieu au commencement du XVF""* siècle. TomE xx111, — [°° parr. 58 IT. Le deuxième chapitre est consacré à la fondation du collège des Trois-Langues à Louvain, par Jérôme Busleiden. L'auteur y expose les relations et les vues des hommes qui ont contribué à doter l’université de Louvain de cette in- stitution spéciale pour l’enseignement des langues et des . lettres anciennes. La personne du fondateur d’une sem- blable institution mérite bien d’être connue; la biographie de Busleiden occupe donc avec droit la plus grande partie de ce second chapitre. Quand on a appris à connaitre le gentilhomme voué au service de l'Église et de l'État, l'ambassadeur du roi d'Espagne et le dignitaire de la mé- tropole de Malines, on considère avec un plus vif plaisir l’homme lettré et le patron généreux des études. Après la biographie suit l'examen du testament que Busleiden fit l’année même de sa mort (1517), et dont les dispositions principales se rapportent à l'érection d’une école pour les trois langues, latine, grecque et hébraïque. Les intentions du testateur et les mesures qu’il ordonna sont ici l'objet d’une courte analyse qui fait apercevoir à quel point les idées religieuses S'alliaient dans l’esprit de Busleiden à l'amour des lettres et aux sentiments de la plus noble générosité. C'était à peu près le total de sa for- tune qu'il léguait à l'école qui devait porter son nom; sa volonté fut exactement suivie avec l’assentiment des mem- bres les plus influents qui composaient alors la noble fa- mille luxembourgeoise des Busleiden. IV. Dans le chapitre III", sur l'érection et les commence- 4 {, Q nuls 1, -, col nie: pci fs. SR L, -# L ( 539 ) ments du collège des Trois-Langues, l’auteur met en scène l'ami et le confident de Busleiden, Érasme, qui l'avait encouragé dans ses projets et qui ne négligea rien pour en assurer l'exécution après sa mort. IL est intéressant de suivre Érasme dans ses démarches et ses efforts tendants à la réussite d’une œuvre qui devait servir les intérêts de la religion et de l'État, suivant les vues de son fondateur, et qui devait donner tant d'éclat à l'université où elle serait établie. L'auteur du mémoire a mis à contribution les œuvres d'Érasme , et surtout sa correspondance, pour rétracer les vicissitudes que la fondation de Busleiden dut subir pen- dant une première période de vingt années, à partir de l’an 1518, date de l'ouverture des cours. Personne n’a encore, croyons-nous, profité à ce point de vue des écrits d'Érasme, acteur et témoin oculaire en ces affaires ; personne aussi n’a donné un tableau plus complet des commencements difficiles, mais d'autant plus glorieux du collége des Trois- Langues. Beaucoup de bruit se fit autour de son berceau. Des passions et des intérêts de divers genres se liguèrent pour arrêter le premier essor de cette école. Quand le col- lége eut été agréé par l'autorité universitaire, en 4520, et qu'il ouvrit ses cours publics dans le local qui est resté son siége jusqu'à la fin du dernier siècle, il fut encore en butte aux insinuations et aux attaques d'un certain nombre d'adversaires, les uns mus par l'ignorance et l’en- vie, les autres poussés par la crainte des dangers que Pétude de langues, mal dirigée, pouvait produire pour la foi. Non-seulement Érasme était personnellement en cause comme un des écrivains qui s'étaient signalés par la har- diesse de leurs opinions, mais encore les progrès inces- ( 40 ) sants de la réforme en Allemagne servaient de prétexte aux déclamations d’un parti qui voulait s'opposer à l’en- seignement approfondi des langues anciennes. Quoiqu'il fût aux yeux de ce parti la pierre de scandale, Érasme ne négligea rien pour défendre avec toute l'autorité de son talent la cause des langues et des lettres, et il donna pres- que toujours des raisons d’un grand poids pour en établir la légitimité et l'utilité, quoiqu'il ait manqué de mesure en d’autres parties de sa polémique. Érasme voulait que la principale école des Pays- -Bas recueillit de l'étude des langues les mêmes fruits que les universités de l'Italie et des principaux pays qui s'étaient associés au mouvement de la renaissance; il voulait que les règles du style latin fussent puisées dans la lecture des monuments de la bonne latinité, et que le goût litté- raire fût formé en même temps par la lecture des œuvres classiques des Grecs. Il prouva souvent par des exemples combien les études théologiques elles-mêmes devaient gagner à la connaissance d'idiomes qui donnaient accès aux textes originaux de l’Écriture sainte et aux sources de la patrologie. On comprit si bien à Rome la portée des vues que fai- sait valoir Érasme, en voulant l'étude des langues et le culte des belles-lettres, que Léon X lui offrit la pourpre, et que deux autres papes, Adrien VI et Clément VIT, don- nèrent aux théologiens de Louvain des avertissements formels pour faire cesser l'hostilité ouverte que le carme Egmondanus, secondé par deux ou trois autres membres de l’université, montrait envers l'illustre humaniste (1). (1) La lettre que Pighius écrivit, par ordre de Clément VII, le 29 juin 1595, se trouve, d’après l'autographe, parmi les pièces justificatives du mémoire. 1 ( 5M ) Au reste, on sait qu'Érasme comptait de nombreux amis à Louvain; s’il y rencontra des adversaires, il les provoqua ordinairement lui-même, en oubliant parfois le beau rôle de restaurateur des lettres, pour s'engager avec toute Ja causticité et la hardiesse de son esprit dans la discussion des matières théologiques les plus délicates. Quand Érasme eut quitté la Belgique , il ne cessa pas de soutenir les professeurs du collége des Trois-Langues dans leur tâche difficile. De Bâle et de Fribourg en Bris- gau , il s'enquit toujours avec sollicitude de leur situation et de leurs efforts; il les encouragea par ses lettres et par ses conseils; il les exhorta au zèle et à la prudence; il in- voqua la protection et la générosité des grands seigneurs et des prélats qui l’estimaient , en faveur du collége dont il désirait voir s’'augmenter l'influence et l’action avec l’ac- croissement de ses ressources. Avant qu'il mourüût (1556), il put voir le collége de Busleiden en plein exercice, con- sidéré à Louvain comme une des institutions académi- ques les plus utiles, et fréquenté par une nombreuse jeunesse. En raison de la part qu'Érasme eut à ce résultat par sa constante intervention auprès des professeurs et auprès des amis des lettres, on ne peut séparer son nom de celui de Busleiden, ni lui dénier le titre de second fon- dateur du Collegium Trilingue. Y. Dans le chapitre IV", qui traite de l’organisation in- térieure et de l'administration du collége, l'auteur énumère toutes les particularités qui caractérisèrent l'établissement comme fondation scolaire. Non-seulement il a dû relever les dispositions prises par Busleiden pour lentretien des ( 542 ) ‘ trois professeurs de son école et les obligations qu’il leur imposait, mais encore il a défini le pouvoir des provi- seurs de l'établissement et le rôle du président qui en avait la direction et la surveillance. La discipline qui régnait dans l'intérieur du collége dut contribuer beaucoup à sa prospérité. À un tableau des devoirs journaliers des boursiers et des autres pension- naires sont joints des aperçus historiques sur l’influence des principaux d’entre les présidents (4). Une attention toute particulière est donnée à la mission d’Adrien Baecx, qui eut l’honneur de rouvrir et de réorganiser le collége, au commencement du XVIL** siècle (1606). Le reste du chapitre est rempli par des détails sur l’état financier du collége, depuis sa fondation jusqu’à sa sup- pression. Il résulte de ces détails, puisés dans un rapport dressé vers 1785, que l'institution de Busleiden ne s’enri- chit point par de nouveaux dons, comme plusieurs autres institutions académiques de Louvain, et qu’elle traversa l'espace d'environ trois cents ans avec les seules ressources qu’elle devait à son fondateur. C'est là un fait qu’on ne peut perdre de vue pour juger la conduite des hommes qui l'ont dirigée ou qui lui ont appartenu à quelque titre : les moyens d'action n’augmentèrent point pour elle avec les besoins de la science qu’elle était parvenue à satisfaire tout d’abord. VI. Dans le chapitre V”*, l’auteur traite des trois langues (1) La série des présidents jusqu’à l'époque de la suppression du collége est l’objet d’une notice à part, dans les pièces justificatives. ( 545 ) savantes au XVI" siècle et de l'utilité de leur enseignement public. Les circonstances de l'érection du collége étant une fois connues, il semble nécessaire de considérer l'opportunité d'une étude régulière des trois langues à chacune des- quelles Busleiden avait assigné une leçon spéciale. L'étude du latin réclamait un enseignement suivi et méthodique pour répondre aux exigences des sciences dont il était l’organe en quelque sorte unique, et pour satisfaire à l’idée que l’on se faisait alors de l'élégance et de l’urbanité du style; c'était, d’ailleurs, le latin qui servait de base à toute étude de grammaire et de rhétorique. Le grec réclamait davantage encore le secours de le- çons orales qui élucidassent les éléments de la grammaire et qui en facilitassent l'application à des textes variés. C'était nécessaire au plus haut degré pour l’hébreu dont les difficultés étaient alors immenses, faute de bons livres élémentaires; la connaissance de la langue sainte ne de- vait cesser d'être réputée mystérieuse et obscure que quand des maitres judicieux auraient exposé les premiers prin- cipes en dehors de toutes les subtilités rabbiniques dont on ne les avait pas encore dégagés. Tous les-hommes éclairés étaient d'accord sur la néces- sité d’un enseignement publie qui comprit les trois lan- gues, présentant le plus d'intérêt littéraire et scientifique; ils ne les séparèrent point l’une de l’autre dans les plans qu’ils concevaient, et quand Busleiden institua un collége affecté à leur enseignement, Erasme et tous les huma- nistes vantèrent l’utilité de l’hébreu, comme celle du grec et du latin. Cependant, pour qu'on ne se figurât point que l'étude de ces trois langues n'aurait guère commencé à Louvain (54) qu'avec les leçons du Collegium trilingue, l'auteur du mé- moire a soin, avant de parler des professeurs de cette école, de passer en revue les tentatives faites immédiate- ment avant eux à Louvain pour réveiller et répandre le goût des langues et des lettres anciennes. Ce n’est pas la partie la moins curieuse de ce travail que l’histoire des hommes qui ont donné des leçons de grammaire et de philologie dans les pédagogies de la faculté des Arts, peu d'années avant l'ouverture du collége de Busleiden. On ne peut dénier une part dans le succès de cette institution, ni à Paludanus, professeur d'éloquence, ni à tous ceux qui donnèrent à la pédagogie du Lys des leçons privées sur les langues grecque et latine, tels que J. Naevius, Jac. Ceratinus, Adrien Barlandus et d’autres; on ne peut non plus oublier les humanistes et les savants étrangers qui ont ouvert dans les mêmes années des cours publics avec l'autorisation de l’université. Citer les leçons du seul Louis Vivès sur les auteurs latins, c’est indiquer un des plus puissants auxiliaires que la cause des lettres ait comptés à Louvain à l’époque où la parole d'Érasme avait donné l'impulsion à leur étude. Le moment n'était pas loin où l’on rendrait grâces à Érasme après lui avoir jeté la pierre; il avait été bon prophète en disant : Exoscula- buntur illum paulo ante lapidatum Erasmum. L VIL Dans le chapitre VI", l’auteur s'occupe des professeurs de langue latine. Y s'étend assez longuement sur la vie, la méthode et les travaux de ces professeurs qui ont at- tré le plus d'élèves à ce collége et qui ont exercé une action fort heureuse sur une grande partie de la jeu- ( 545 ) nesse universitaire. La carrière d’Adrien Barlandus (1), de Conrad Goclenius (2), de Pierre Nannius (5) et de Cor- nelius Valerius est retracée ici avec d'assez amples détails pour que le lecteur reconnaisse le mérite personnel de ces maîtres, leur habileté comme écrivains et le succès de leur enseignement. Ces détails laissent apercevoir combien il y aurait d’attrait et d'instruction dans des recherches nou- velles et spéciales, historiques et bibliographiques, sur chacun de ces latinistes qui ont transformé la manière d'apprendre la langue et celle de l'écrire. L'auteur n’a pas insisté sur la vie et les écrits de Juste Lipse, qui n'a pas enseigné au collége de Busleiden, quoiqu'il ait eu le titre et les honoraires de professeur de latin pendant les années où cet établissement fut fermé; mais il a tenté de montrer l'influence que le ta- lent et les opinions de cet illustre savant ont exercée sur le sort des études latines, à Louvain, pendant le XVII"° siècle (4). L'auteur esquisse ensuite la biographie d’Erycius Pu- teanus, de Vernulaeus et des autres professeurs de latin dans ce même siècle, en faisant ressortir la grande utilité d'ouvrages et de notices biographiques qui seraient con- (1) L'appendice donne une bibliographie curieuse des nombreuses élucu- brations philologiques de Barlandus. (2) Au sujet de ce savant, l’auteur du mémoire entre dans des détails in- téressants tirés de l’Oraison funèbre, par Nannius, pièce très-rare. (5) Divers traités de ce professeur ont été consultés par l’auteur, en vue de signaler la direction qu’il donnait à l'étude des humanités, (4) Selon l'auteur du mémoire, on attend encore une biographie com- plète et critique de Juste Lipse. Le travail de M. de Reiffenberg est loin de combler, sous tous les rapports, cette lacune de notre histoire litté- raire, ALP UMIAN SES. PME F0 2 NU TEEN y ( 246 ) sacrés spécialement à chacun de ces hommes (1).'Il s'est borné, pour rester dans de justes limites, à indiquer les plus célèbres de leurs travaux relatifs à l'étude de la langue et de la littérature latines, et à caractériser les méprises auxquelles ils ont cédé, faute de goût ou de jugement, dans leurs œuvres comme dans leurs leçons et leur critique; il n’a pu leur accorder indistinctement un savoir égal à leur ancienne célébrité. VIII. Le chapitre VIT" est relatif aux professeurs de lan- que grecque. On trouve ici plusieurs biographies élabo- rées avec le plus grand soin. On y remarque les notices relatives à Rutger Rescius, qui a formé un grand nombre d'hellénistes, malgré le tort qu'on a lui reproché de s'être laissé absorber par les travaux de son imprimerie; à Adrien Amerotius, qui donna, en 1520, un abrégé de grammaire grecque très-riche en exemples ei en tableaux des formes de la langue; à P. Castellanus, qui avait une érudition sûre puisée directement aux sources, et qui se préparait à une étude approfondie de l'antiquité grec- que (2); enfin, à Leemput, un des derniers maitres du collége, qui a donné un abrégé de grammaire grecque, clair et méthodique, imprimé deux fois (1782 et 1797), (1) C'est encore un des desiderata de notre histoire littéraire auxquels, selon l’auteur du mémoire, de patients humanistes et bibliographes de- vraient donner satisfaction. (2) L'auteur du mémoire a examiné plusieurs traités de Castellanus qui témoïgnent d’un savoir précis uni à beaucoup de goût dans la forme, et qui l'auraient rendu le digne émule de Meursius et des érudits de la Hollande, s’il eût vécu plus longtemps. ‘ve RS D ie cn nl: Éd Je dd RÉ Sn ( D47 ) et qui, certes, ne mérite pas le dédain qu'a manifesté un de ses élèves, feu M. Van Hulthem (1). La série des professeurs de grec n’est pas aussi bril- lante que celle des professeurs de latin; cependant on doit considérer les premiers d’entre eux comme les fon- dateurs de l'étude et de l’enseignement de cette langue dans les Pays-Bas. À ce titre, quelques-uns auraient droit à une biographie critique et détaillée, embrassant leur méthode et leurs écrits; mais le mémoire, déjà assez étendu, ne comporte pas ces développements, et nous devons savoir gré à l’auteur d’avoir su se borner à l’es- sentiel. IX. Dans le chapitre VIII", l’auteur expose avec assez de développement l’histoire des professeurs de langue hébraï- que (2). En cette branche d'enseignement, le collége ren- dit d’ancienne date et longtemps des services signalés aux sciences théologiques. C'est un beau nom scientifique que celui de Jean Campensis, qui donna, en Belgique, le premier traité sur la langue hébraïque (1528) el qui eut l'honneur de compter à son école Nicolas Cleynaerts. C'est (1) M. de Reiffenberg et d'autres ont entendu comme moi avancer par ce bibliophile que Zeemput n’était pas en état de traduire Ésope. J'ai connu plusieurs anciens étudiants de Louvain qui avaient suivi le cours de Leem- put, et qui parlaient avec éloge et avec reconnaissance des leçons de leur professeur et de la clarté de ses explications des principaux modèles de la littérature grecque. (2) 11y a des renseignements fort instructifs pour la connaissance des relations établies, au commencement du XVIe siècle, entre les principales écoles européennes, dans la biographie des trois étrangers qui occupèrent tout d’abord la chaire d'hébreu, un juif espagnol et deux Anglais. ; Fr re (548 ) encore un nom digne de respect que celui d'André Gennep, dit Balenus, qui forma, pendant une longue suite d’an- nées, une école d’hébraïsants capables de se livrer avec fruit aux études d'exégèse biblique. Valerius Andreas, au siècle suivant, a relevé l’enseigne- ment de l’hébreu , qui n’a plus été suspendu jusqu’à la sup- pression du collége. Son successeur, Jean de Sauter, ne manqua ni de zèle ni d’habileté. Dans la seconde moitié du XVIEF”® siècle, on dut encore rendre un sincère hom- mage au dévouement de Paquot. L'auteur du mémoire nous fait connaître tout ce que ce savant et laborieux membre de notre Compagnie a fait lui-même pour attirer de nouveau l'attention des théologiens sur la langue hé- braïque et les applications de la philologie à la science des Écritures : la plupart de ces travaux de Paquot, auxquels, en présence de ses grandes publications, on n’a point paru jusqu'ici prendre garde, existent encore en manu- serit dans notre Bibliothèque royale. L'auteur pense qu'il ne serait pas inutile de faire, au point de vue de la théo- logie et de l’exégèse , un examen critique de ces travaux, et à ce sujet 1l signale encore une lacune de notre biogra- phie nationale qui n’est certainement pas comblée par la notice de M. Goethals sur Paquot, dans ses Lectures, t. II. X. Les quatre derniers chapitres du mémoire sont réser- vés à l'appréciation des résultats scientifiques et littéraires du collége. Les deux premiers, le IX"° et le X"®°, concer- nent le XVI" siècle, qui fut le temps de la splendeur de cet établissement; dans l’un, on examine avec quels pro- cédés et dans quel esprit furent alors dirigés les études litté- | à \ ( 549 ) raires et philologiques ; dans l’autre, on recherche et on apprécie tour à tour les fruits principaux que la Belgique retira de ces études. . Dans le chapitre IX"*° se présentent d'abord des aperçus historiques et littéraires sur les textes qui servirent à l’en- seignement des langues grecque et latine, sur le choix des classiques paiens et des écrivains chrétiens qui furent expliqués en concurrence dans ce but, ainsi que sur la pré- férence donnée à quelques auteurs pris comme modèles du goût littéraire : c’est à propos de ces questions que l’auteur expose les conseils que Barlandus donnait aux hu- manistes et parle des suffrages d'Érasme acquis à la con- duite prudente des professeurs du collége des Trois-Lan- gues. Puis viennent d’autres aperçus sur les divers genres de composition auxquels s’appliquaient les études latines renouvelées avec plein succès par les maîtres du même collége (1). Ensuite, c’est le tour des études grecques en faveur desquelles le zèle des professeurs fut si bien secondé par l’activité de Thierry Martens et par l'intelligence de Rutger Rescius. Il était juste de faire hommage aux hellé- nistes du collége des Trois-Langues de cette belle collec- tion d’impressions grecques que Thierry Martens offrait à la jeunesse universitaire, remplie d’ardeur pour l'étude des langues anciennes (2). Enfin, il s’agit de la version des auteurs grecs en latin comme d’un des travaux qui ont fait (1) La plupart de ces maîtres appartenaient à l’ordre ecclésiastique, et ont travaillé à répandre la connaissance des classiques anciens dans une juste mesure, (2) L'auteur du mémoire a mis ici à profit les notices bibliographiques qui ornent l'ouvrage du père Van Iseghem sur le célèbre imprimeur d’Alost. Nous avons relevé ailleurs une singulière méprise de cet écrivain sur la Pro- ( 590 ) avancer le mieux la philologie à Louvain; l'exemple de Nannius et les observations judicieuses de ce maître sur les avantages et les difficultés de semblables traductions démontrent l'importance de cette tâche sous le double rapport de la philologie et de la littérature; en même temps que le traducteur mettait en valeur toutes les res- sources de la phraséologie et de la syntaxe latine, il enri- chissait les écoles des monuments d’une autre Jangue et d'une autre civilisation de l’antiquité. Qu'on sache bien, toutelois, que ce labeur n'eut rien d’exclusif, les Pères de l'Église grecque y eurent leur part à côté des écrivains du paganisme , et c’est Érasme lui-même qui, dans une lettre éloquente à un président du collége des Trois-Langues (1), recommanda aux membres de cette école de chercher dans les œuvres des Pères les préceptes de l’art oratoire appliqué aux idées chrétiennes. L’hébreu ne fut pas moins bien partagé que le grec dans le même siècle. L'étude de cette langue avait été fondée par les leçons ainsi que par les livres de Campensis et de Nicolas Cleynarts; André Gennep n'eut plus qu’à la faire fructifier par la lucidité de son enseignement. On ne peut douter que les fruits n’en aient été fort abondants, quand on voit plusieurs théologiens belges s'occuper des saintes Écritures avec le secours des langues, et surtout quand on voit l'appel fait par Arias Montanus à l’université et à fession de Rutger Rescius, méprise qui a été rectifiée par deux cartons. Voyez les Bulletins de l'Académie, t. XXI, part. Ir, p. 865, les Considé- rations sur l’histoire de l’université de Louvain, p. 46, et la Revue catholique, t. III, série 4e, p. 598. (1) Fribourg, 1527. — L'auteur du mémoire a traduit en grande partie celte lettre, ( 91 ) ses théologiens pour l'édition de la Polyglotte d'Anvers. L'auteur du mémoire a déterminé les rapports du docte Espagnol avec l’université, à l’aide de l'éloge historique écrit en espagnol par un membre de l’Académie d'histoire de Madrid, dom Gonzalez Carvajal, et il s’est appuyé sur une pièce inédite (reproduite à l’Appendice) pour éclairer la part de conseil, de surveillance et de travail qui fut de- mandée à l’université, en 1568, par Arias Montanus. Il a aussi recherché ce qu’a fait dans l'exécution des Biblia regia, Augustin Hunnaeus, théologien d'un profond sa- voir, qui avait étudié et enseigné l’hébreu au collége des Trois-Langues, et avec lui Cornelius Reineri, dit Gouda- nus, qui lui fut adjoint dans la révision des textes; il a également indiqué quel fut le mérite d’un jeune linguiste qui leur fut associé, Jean Harlemius, de la Compagnie de Jésus, ancien professeur du collége des Trois-Langues. André Masius, ancien élève du même collége, qui a fourni à la Polyglotte la grammaire et le dictionnaire syriaques, est cilé à la suite de ces théologiens. Le chapitre IX"° est terminé par des extraits des son- nets, composés par Guy Lefèvre de la Boderie, en l’hon- neur des savants de notre pays qui ont concouru , avec des savants étrangers, à l'achèvement des travaux de linguisti- que qu’exigeait la publication des Biblia regia d'Anvers. XI. Tout le chapitre X"° est destiné à mettre en lumière les conséquences fort heureuses que l'érection du collége de Busleiden eut pour la culture intellectuelle de la Bel- gique et des pays voisins, dans le cours du premier siècle de son existence. ( 52 ) Cet établissement, a dit l'historien anglais Hallam (4), produisit une foule d'hommes distingués par leur érudi- tion et par leurs talents. L'auteur du mémoire l’a démontré en examinant tour à tour divers ordres de faits. Le pre- mier qu'il prend en considération, c’est l'éducation litté- raire que reçurent, au collége des Trois-Langues, des hommes de haute naissance destinés à la conduite des affaires et à l'exercice de hautes magistratures. Érasme avait deviné juste quand il énumérait tous les genres de services que rendraient au souverain et à l'État ceux qui sortiraient de cette école. Valerius Andreas n’a pas man- qué de la glorifier de ce chef, dans son panégyrique de l’université prononcé en 1627. Il n’y a pas moins d'intérêt dans la revue que fait en- suite l’auteur de toutes les données qui prouvent l'in- fluence des leçons du collége des Trois-Langues sur plu- sieurs sciences, et spécialement sur l'éducation et sur l’enseignement des humanités; il constate quelle large part les langues anciennes obtinrent alors dans les études d’une foule de théologiens, de jurisconsultes et de méde- cins, et quel changement s’opéra dans la plupart des écoles secondaires, grâce à la diffusion des méthodes et des livres des professeurs de Louvain. Iei sont énumérés de nombreux traités de grammaire grecque et latine qui virent le jour à la faveur de l'impulsion donnée récem- ment aux travaux de philologie; ici encore sont appréciés à leur juste valeur les bienfaits de l’enseignement judi- cieux des Goclenius et des C. Valerius, qui répandit dans toute la Belgique l'usage d’une excellente latinité et les meilleures notions du beau littéraire. (1) Æistoire de la littérature de l'Europe, t. 1, p. 275. ( 595 } Ensuite, l'attention du lecteur est attirée sur diverses circonstances qui révèlent suffisamment l'essor donné aux études littéraires pendant le XVI" siècle, lorsque le col- lége de Busleiden était en pleine activité. Pour satisfaire aux habitudes studieuses de la jeunesse, des leçons publi- ques sur les langues furent faites par des savants étrangers en dehors de celles du collége : aux noms d’Hieronymus Elenus, de Boëtius Epo et d’Amyot, il faut joindre ceux de deux juifs allemands convertis, Jean [saac Levita et son fils Étienne, qui donnèrent, à Louvain, des leçons d’hébreu pendant le professorat de Gennep (1). Puis, tandis que le goût des lettres classiques se répandait dans toutes nos villes, ornait les loisirs de nos anciens magistrats, et pro- voquait même quelquefois des travaux remarquables au milieu des plus modestes fonctions de l'enseignement (2), des bumanisteset des philologues qui étaient sortis du col- lége des Trois-Langues, Suffridus Petri, Godefroid Fabri- cius, Jean Boscius, étaient appelés dans les universités allemandes d'Ingolstadt et d'Erfurt, pour y occuper des chaires d'éloquence et de belles-lettres. Ce sont là des témoignages qui donnent, nous semble- t-il, la meilleure idée de l'aclivité qui avait régné autour des chaires de Busleiden, au grand profit de l’université de Louvain et de toutes les institutions analogues dont celle-ci était alors le centre et la lumière. Mais il est encore un autre résultat qui devait être exposé à la suite de ces premières données, c’est la création d’une (1) Une biographie de ces deux étrangers a été tirée par l’auteur du mé- moire des notes inédites de Paquot et placée parmi les pièces justificatives. (2) L'auteur relève ici le bel exemple de P. Leopardus, professeur à Hond- schole. TOME xxu1. — |" PART. 99 des 4 Ms. ( 204 ) vaste école d’érudition littéraire et philologique qui brilla dans les Pays-Bas et au dehors dans la seconde moitié du XVI" siècle et au commencement du XVII®. Cette école compta parmi ses représentants les plus fameux qui se glorifièrent d’avoir reçu des maitres de Louvain les élé- ments des sciences et des lettres : André Schott, Juste Lipse, Lacvinus Torrentius, Livinaeus, Guillaume Can: terus, et avec eux des latinistes habiles, des critiques exercés, des historiens et des philologues aptes à l’inves: tigalion de toutes les questions et à l'explication de tous les monuments. La Belgique le disputait alors à toutes les autres nations dans le champ de la littérature classique ; et srelle avait pu, au commencement du siècle, revendi- quer la renommée d'Érasme parmi les chefs du mouvement littéraire et les arbitres de l'opinion, elle pouvait se glo- rifier, à la fin du siècle, du nom de Juste Lipse, qui n’était inférieur dans la science à aucun autre du même temps (1). Le chapitre X"° est terminé par deux rapprochèments dignes de remarque. Le collége des Trois-Langues a fondé chez nous l'étude des langues savantes et a produit un mouvement littéraire favorable au progrès de toutes les sciences, à l’époque même où les principaux maitres du parti de la réforme en Allemagne se plaignaient haute- ment du désordre et de l'abandon de leurs écoles; si, à la fin du même sièele, le malheur du temps priva la Belgique des lumières d’un grand nombre de ses enfants les plus (1) Un tableau complet de la Belgique savante et littéraire à cette époque aurait dépassé les proportions du mémoire; ce serait plutôt l’objet d’un ou- vrage à part dans lequel on montrerait ce que les écoles étrangères, celles de Hollande et d'Allemagne, ont dû à la Belgique du XVI" siècle : il convien- drait peut-être d'y faire attention pour le concours de 1857. { | ( 299 } distingués qui se fixèrent sur le sol étranger, 1l est juste de rappeler qu'ils avaient puisé leur savoir à l'université de Louvain. D'autre part, pendant son premier siècle, le collége des Trois-Langues, fondation d’un particulier, a exercé en faveur des lettres anciennes une action fort étendue qui autorise un parallèle avec le collége royal de France, érigé, en 1550, par François I”. Si'ce parallèle manque de toute justesse dans les siècles suivants, puisque l'établis- sement de Paris a été doté par les rois de nombreuses chaires pour diverses sciences, cependant au XVI" siècle, le rôle des humanistes qui enseignèrent dans l’une et l’autre école présente une très-grande ressemblance, et, à l’époque de Juste Lipse, notre école de philologie et de critique n'avait peut-être rien à envier à l’école de Paris. XIE. Le chapitre XF" est une revue des circonstances qui révèlent la situation du collége des Trois-Langues au XVII siècle. L'enseignement des sciences poursuivit alors son cours dans les facultés dé l’université, et la langue latine, qui fut leur organe, se soutint à un niveau assez élevé. Il y eut encore des hommes habiles, laborieux et dévoués dans le nombre de ceux qui occupèrent les chaires de Busleiden; mais ils ne réussirent pas cependant à rendre à cet établissement spécial l'empire qu’il avait eu sur l'éducation de la jeunesse et sur la destinée des hautes études. IL arriva que plusieurs de ses maîtres, d’ailleurs fort renommés de leur temps, abandonnèrent la voie qui leur avait été tracée par leurs prédécesseurs : ils altérèrent sensiblement les principes du goût littéraire qui avaient ( 296 ) dominé naguère dans toutes les productions de la nou- velle littérature latine, etils cessèrent de diriger les forces de l'élite de la jeunesse vers les travaux d’une érudition classique, féconde et solide comme celle de l’âge précé- dent. Quelques abus qui s'étaient introduits dans les habi- tudes du corps enseignant rendent raison de cette diffé- rence si marquée d’un siècle à l’autre, dans les résultats généraux de la même institution. XIIT. Le chapitre XIT"°, résume les conclusions que l’on peut tirer de la biographie des professeurs du collége des Trois- Langues, ainsi que d’autres données historiques sur l’état du collége pendant le XVIH"® siècle. 11 ne manqua pas d'hommes zélés parmi ses maîtres, et il y eut dans le même temps, parmi les théologiens et les autres membres de l'université, des esprits éclairés qui firent valoir l'utilité de l'étude des langues savantes, non-seulement pour la théo- logie et l'Écriture sainte, mais encore pour bien d’autres sciences. L'auteur du mémoire a pris la peine d'indiquer quelques thèses défendues publiquement en faveur de cette opinion, et il a exposé les réclamations faites en 1722, avec beaucoup de sens et beaucoup d'énergie, par J.-B. Schoeps, pléban de Saint-Pierre, dans l'intérêt des études grecques qu’il voyait languir. Malheureusement, on ne s'entendit pas pour prendre des mesures efficaces qui eussent reslitué à l'enseignement des langues et des leitres sa première portée et une partie de son premier éclat : il est à regretter qu'il n'y ait pas eu, au siècle passé, accord entre les pou- voirs constitués pour donner ce genre de secours et d’ap- pui à la culture des différentes sciences que des leçons ‘a ( 557 ) régulières ont maintenues à une hauteur incontestable au sein de l’université jusqu'à ses derniers jours. Le collége de Busleiden avait fourni une carrière d’en- viron trois cents années; il eut un âge glorieux qu'on appellerait volontiers avec l’auteur du mémoire son dge héroïque. Quand le collége fut réduit plus tard aux seules ressources de sa fondation (fondation fort modeste, comme il est démontré au chap. IV"), et quand il ne porta plus son action dans une sphère aussi étendue, on ne peut mettre en doute qu'il n'ait encore rempli une mission d'utilité pratique auprès d'une partie de la jeunesse. XIV. Il nous reste à dire un mot des pièces justificatives et des deux index qui sont placés à la suite du mémoire. Parmi les pièces justificatives qui forment l’Appendice , la plus étendue est l'extrait du testament de J. Busleiden, relatif à la fondation du Collegium Trilingue. Cet extrait est aussi intéressant que curieux, en ce qu'il montre sous son vrai jour la direction et l'élévation de l'esprit du fon- dateur, ainsi que le régime intérieur d'un de ces anciens colléges académiques de Louvain, où les pratiques de la vie chrétienne se conciliaient avec les devoirs et les travaux de l'éducation scientifique. Le testament est publié au tome IV des Diplomata de Miraeus, mais l'extrait dont nous parlons ne nous parait pas inutile ou déplacé à la suite du mémoire. | Les autres pièces de l'Appendice, la plupart inédites, viennent toujours à l'appui de quelque fait important que l'auteur a voulu mettre en lumière dans le corps de son travail. ul ( 558 ) L’Appendice est suivi de l’ébauche de deux tables alpha- bétiques auxquelles l’auteur, comme il le déclare, aimerait à pouvoir donner un plus grand développement. . L'une est un Zndex littéraire, énumérant les auteurs anciens publiés, expliqués, traduits ou commentés, soit par des professeurs du collége, soit par leurs collabora- teurs et leurs élèves, ainsi que les livres de grammaire et de philologie qui appartiennent à la même école, L'autre est un Onomasticon, ou index historique et bio- graphique, renfermant les noms de tous les personnages mentionnés dans le mémoire, à titre de professeurs ou de présidents, de protecteurs des lettres, de savants et d’écri- vains. Puisque plusieurs chapitres du mémoire donnent une sorte de programme des travaux qu’il importerait d'accom- plir pour faire l’histoire des humanités, celle des lettres latines et celle de l’érudition classique en Belgique, nous croyons que le complément de ces deux tables serait d’une grande utilité. Si-l'Académie adopte les conclusions que je vais lui soumettre, l’auteur du mémoire pourrait être autorisé à donner, dans certaines limites, quelques développements aux deux tables : il serait invité à donner à l’/ndex littéraire ce degré d'achèvement qui en rendrait l’usage utile à ceux qui s'occuperont dorénavant de recherches d'histoire litté- raire et de l’histoire de la pédagogie; il serait invité de même à donner à l'Onomasticon assez de développement pour faciliter la consultation du mémoire relativement à chaque personnage, mais sans renseigner dans cette table les faits particuliers attribués à chacun des hommes cités. De la sorte, l’un et l’autre index ne dépasseraient guère, me semble-t-il, une feuille on une feuille et demie d’impres- sion, (559 ) XV. Après une analyse trop longue peut-être, mais que le mérite du mémoire justifie, les conclusions du rapporteur se formulent aisément : L'auteur a rempli de la manière la plus distinguée les conditions du concours, et son œuvre sera, à mon avis, une des plus remarquables monogra- phies historiques éditées par l'Académie; en conséquence, j'ai l'honneur de proposer à la Compagnie de décerner à l’auteur la médaille d’or et de voter l'impression du mé- moire dans le recueil in-quarto des mémoires académi- ques, » Æapport de M, Schayes, «, J'ai lu avec un vif intérêt l'excellent et volumineux mémoire sur le collége des Trois-Langues à Louvain. Notre honorable confrère, M. de Ram, en a fait une analyse si complète, une appréciation si juste, qu’à mon avis, il ne resle rien à ajouter à son rapport. Ce mémoire est certai- nement une œuvre digne de tout éloge, un des travaux les plus remarquables qui aient été présentés jusqu'ici aux concours annuels de la classe. La vaste érudition et la cri- tique judicieuse qui y brillent d’un bout à l’autre accusent un savant vieilli dans l'étude et parfaitement maître de son sujet. Je vote de grand cœur pour la médaille d’or, et j'ac- corderais davantage encore, si c'était possible, » ( 560 ) Rapport de »1. le Laron J. de Saint-Genois. « Nous imiterons notre honorable confrère M. Schayes, en nous ralliant en tout point aux conclusions formulées par le premier commissaire, M. de Ram, à la fin de son rapport sur le mémoire qui a pour objet l’histoire du col- lége des Trois-Langues à Louvain. Ce qui nous a particu- lièrement frappé dans ce vaste travail, c’est la méthode, la ciarté, l'esprit de critique et l'impartialité qui carac- térisent les aperçus de l'auteur. La nouveauté des détails littéraires ajoute beaucoup à l'intérêt du sujet traité. Le style est convenable; les rares incorrections qui le dépa- rent, çà et là, disparaîtront aisément lors de l'impression. Peut-être l’auteur ferait-il bien de retrancher de son tra- vail quelques longueurs biographiques, qui, supprimées, n’enlèveraient rien au mérite de l'ouvrage. Nous sommes donc d'accord avec nos honorables confrères pour vous proposer la médaille d’or, ainsi que la publication de cette savante dissertation dans nos mémoires in-quarto. » La classe adopte les conclusions de ses trois commis- saires et décerne sa médaille d’or à l’auteur du travail, M. Félix Nève, d'Ath, professeur à l’université de Louvain. FR (561) PRIX DE STASSART, apport de M. A, Quetelet. Feu M. le baron de Stassart avait mis à la disposition de l’Académie un capital en rentes sur l'État belge, pour fonder un prix perpétuel à décerner tous les six ans, et destiné à l’auteur d’une notice sur un Belge célèbre, choisi alternativement parmi les historiens ou les littérateurs, les savants ou les artistes. La classe, désireuse de rendre un hommage mérité à la mémoire du donateur, qu’elle venait de perdre, décida tout aussitôt qu'elle inaugurerait la série de ces biogra- phies en demandant : Une notice sur le baron de Slassart. Deux mémoires ont été reçus en réponse à la question proposée; le premier porte la devise : 1! faut plus qu'on ne pense de force d'âme et de courage d'esprit pour ne jamais franchir les bornes de la modération; le second mémoire a pour inscription ces mots empruntés au Petit Caréme de Massillon : I! y a une noble émulation qui méne à la gloire par le devoir. Peut-être le temps fixé pour la réponse était-il trop court, et la crainte de ne pouvoir rendre un hommage suffisant a-t-elle éloigné quelques concurrents; on verra néanmoins que, dans l’un des mémoires que nous avons reçus, lex- pression était au niveau du sentiment de gratitude qui l'avait fait naître. Le premier mémoire envoyé au concours à pour épi- graphe : 1! faut plus qu'on ne pense de force d'âme et de courage d'esprit pour ne jamais franchir les bornes de la ( 562 ) modération, Cet écrit, précédé d’un avant-propos qui en explique le but, se divise en trois parties, traitant succes- sivement de la vie publique, de la vie littéraire et de la vie intime de M. de Stassart. L'auteur rend d’abord compte des premières années de M. de Stassart, de ses fonctions en France, en Allemagne, en Hollande et des missions qu'il eut à y remplir; il le monire ensuite successivement sous le gouvernément hol- landais , sous notre révolution et sous la royauté pendant les opérations du Congrès et du Sénat; plus tard enfin, il nous peint ses paisibles oceupations et ses plaisirs, quand le retour de l’âge le contraignit à adopter. une existence paisible, entièrement consacrée aux lettres. Le récit est fait avec simplicité et une certaine élégance; il annonce un écrivain qui veut payer à la fois la dette des lettres et celle de l’amitié, Sous ce dernier rapport, quelques lec- teurs ombrageux trouveront peut-être que l'amitié a dé- passé un peu la stricte mesure accordée au biographe ; nous ne sommes pas de leur avis, et nous permeltrons vo- lontiers de placer l'éloge à côté des critiques qui se mul- tiplient de nos jours, surtout quand il s'agit d’un homme éminent dont la longue carrière a toujours été tranquille et honorable. Dans la seconde partie de son: travail, l’auteur présente l'analyse des premiers ouvrages de M. de Stassart; il rend ensuite compte des Pensées de Circé, du recueil des fables, de l’ouvrage Dieu est l'amour le plus pur, etc. Dans cette énumération, nous avons regretté cependant de ne pas voir mentionner les notices biographiques de M. de Stassart : elles sont assez nombreuses et ne manquent point d’in- térêt ; quelques-unes, il est vrai, laissent à désirer sous le ( 563 ) rapport de la critique : l'écrivain a quelque peine à oublier qu'il ne doit apporter qu’un jugement imparlial et que les affections ne doivent point l’influencer. Ce qui distinguait particulièrement M. de Stassart, c'était une modération à toute épreuve, qui souvent lui a suscité les oppositions les plus fortes. Cette qualité, quand elle ne dégénère pas en faiblesse, est très-rare, et elle est le résultat de convictions fortement établies. « La mo- dération, en effet, telle est la vertu, suivant les uns, tel est le défaut, suivant les autres, qui domine toute l’exis- tence, tous les actes, toutes les opinions du baron de Stassart. Et, remarquons-le bien, ce n’est pas seulement par inclinati@ naturelle, c'est de parti pris, de propos délibéré, après réflexion et méditation, qu'il s'efforce de faire prévaloir ce principe. En politique, au sein même de la lutte la plus vive, au sein de la révolution, il rêve la conciliation des partis; 1l hait les tyrans, mais il craint la liberté illimitée. Les extrêmes en tout genre lui répugnent; il les attaque l’un après l’autre et souvent à la fois, n'ayant alors pour partisans que certaines gens médiocres, inca- pables de l’appuyer ou de le soutenir, et pour récompense ue sa conscience d'homme de cœur et d'homme de bien (4). » Nous citons avec plaisir ce passage, qui expli- que fort bien la conduite de M. de Stassart et peut faire comprendre comment, en respectant les convictions des autres, 1] pouvait se trouver blessé dans les siennes. L'auteur, on le voit, connaissait fort bien le poële à qui il a voulu rendre un dernier hommage; il s'exprime à son (1) Page 92 du mémoire. Lane " Up. D. j | ( 564 ) égard avec les sentiments d’une profonde conviction. I] ne faut pas croire cependant qu'il le juge avec une partialité aveugle, nous pourrions citer des passages nombreux qui prouvent qu'il a voulu être vrai avant tout, mais sans se départir cependant des sentiments affectueux qui l’ani- maient. Voici dans quels termes il parle du principal ou- vrage de notre poëte; on pourra mieux juger ensuite de la ligne qu’il a suivie dans ses appréciations. « La plupart des observations que j'ai faites sur le style du baron de Stassart, à propos des Pensées de Gircé, s'ap- pliquent également à ses Fables, malgré la différence qui semble exister naturellement entre les vers et la prose. C'est que cette différence est moins profomle qu’on ne le croirait; et ceci ne veut pas dire que le-vers du baron de Stassart soit entaché de prosaisme, mais bien que les mêmes caractères de correction et de purèté se re- trouvent de part et d'autre. Les licences poétiques sont aussi inconnues à l’auteur que le faste et l’apparat qui, aux yeux du X VITE siècle, représentaient le langage des dieux. » L'harmonie seule, mais une harmonie toute particu- lière, propre surtout aux vers libres, distingue le style poé- tique du baron de Stassart; il ne faut point y chercher cette phrase souple, mobile, pittoresque et puissante qui earac- térise à peu près toute la poésie légère de notre époque, mais il faut y reconnaître un rhythme toujours conforme au sens, au sentiment, à l'expression du discours ou du récit (1). > — = =. RE ee —© ————— — ——— — (1) Page 75 du mémoire. bu ( 565 } L'auteur arrive ensuite aux principales fables du baron de Stassart, mais il se borne à les nommer sans en citer les passages les plus remarquables : peut-être, sous ce rap- port, craint-il trop de se prévaloir des avantages de l’écri- vain dont il vante le mérite. Dans la troisième partie de son travail, l’auteur parle de la vie intime du baron de Stassart ; cette partie ne présente pas moins d'intérêt que les deux précédentes ; elle est écrite avec la même persuasion, avec les mêmes sentiments de délicatesse; mais on y sent surtout l’affection que l'écrivain portait à notre confrère, affection qui sera facilement partagée par les personnes qui connaissaient intimement M. de Stassart et qui avaient pu apprécier ses excellentes qualités. Je crois être de ce nombre : l'Académie voudra donc bien me permettre d'énoncer mon avis, sans pré- tendre exercer de l'influence sur celui des autres commis- saires. En somme, je crois que l’ouvrage dont je viens de pré- senter un aperçu mérite d'obtenir l’approbation de l’Aca- démie. Je pense que l’auteur a dignement répondu à l'appel qui à été fait aux gens de lettres. Je ne m'arrêterai pas à judiquer quelques phrases qui ont été écrites peut-être avec précipitation, peut-être sous des sentiments person- nels trop exclusifs : ce sont de légers défauts auxquels il est facile de remédier. Le point essentiel est que le travail apparlienne à une plume exercée et présente un tableau exact d’une existence honorable que l’Académie elle-même a voulu honorer. Le second mémoire présenté au concours se divise éga- lement en trois parties ou chapitres : 4° Généralités sur ( 566 } le baron de Stassart; ® Examen du recueil des fables; 5° Pensées de Circé, idylles, contes et épigrammes. Il porte pour titre : Éloge historique et littéraire de M. le baron de Stassart, et, pour épigraphe, cette devise empruntée au Petit Caréme de Massillon : 1! y a une noble émulation qui mène à la gloire par le devoir. L'auteur consacre toute la première partie de son travail à mettre en relief les qualités particulières de l'écrivain qu'il cherche à faire valoir; mais, nous devons l'avouer avec regret, il ne eite aucun fait qui ne soit connu ou qui même n’ait été décrit déjà par les biographes nombreux de M. le baron de Stassart. Il est vrai, du reste, que l’auteur pe prend la peine de citer aucun de ces écrivains, et qu'il considère le sujet comme complétement nouveau. Mais alors, du moins, il ne devait pas laisser dans son travail des omissions nombreuses sur des points fort intéressants. Nous avons trouvé, par exemple, un silence à peu près absolu sur le rôle que le baron de Stassart a joué à la Chambre et au Sénat de Belgique. L'Académie n’est pas “citée une seule fois, l’Académie cependant à qui le baron de Stassart a laissé tant de souvenirs affectueux ! à qui il a donné sa bibliothèque, les récompenses qu'il a méritées, les prix qui ont été fondés par ses soins; l’auteur ne men- tionne aucun des collègues du défunt et il évite même de parler de ses derniers instants. Nous croyons, en consé- quence, que cette première partie du travail, qui, du reste, laisse beaucoup à désirer sous le rapport du style, ne mé- rite point d'être ici étudiée plus longuement. Dans la seconde partie , l’auteur examine le recueil des fables du baron de Stassart, ou plutôt il met sous les yeux du lecteur les compositions de notre confrère, en lui ( 67 ) laissant à peu près le soin de les analyser. « Dans cet examen, dit-il, nous laisserons à d’autres le soin de rele- ver les beautés littéraires, les expressions élégantes, les tours hardis, mais cependant d'une scrupuleuse exactitude, la finesse d'esprit qu'on découvre à chaque ligne dans ses ouvrages; nous laisserons à d’autres le soin d'analyser ses phrases et le soin d’en faire ressortir l'arrangement symé- trique et cependant harmonieux et varié qui le caracté- rise; nous laisserons à d’autres le soin de signaler la justesse des expressions et des termes; et nous nous adju- gerons un rôle plus modeste mais non moins utile, celui de faire ressortir les préceptes et les maxinies de morale, qui, à nos yeux, ont autant de valeur, même dans leur forme simple et naïve, que les descriptions les plus bril- lantes que puisse inventer le génie le plus fécond de nos romanciers modernes. » La part que l’auteur s’est réservée est, on le voit, des plus minces; la seconde partie de son mémoire ne fait guère que présenter l'aperçu des princi- pales fables du baron de Stassart, encore est-ce moins le mérite que le sujet de la composition qui détermine son choix. Il arrive naturellement de là que plusieurs des fables les plus belles né sont pas même citées. Voici l'ordre que l’auteur a cru devoir suivre : « Pour faire cet examen avec facilité, nous n’avons qu’à parcourir le volume et cucillir dans ce jardin bien fourni de fleurs, celles qui plaisent le plus à notre imagination. Cette marche serait certainement la plus aisée, mais elle ve nous donnerait qu'un bouquet composé, il est vrai, de fleurs brillantes, mais disposées sans ordre et sans symé- trie, et qui n'offrirait pas cet arrangement méthodique qui, tout en faisant mieux sentir la beauté de chaque fleur ( 368 ) en particulier, forme un ensemble harmonieux capable de satisfaire la vue et l'esprit. » Pour introduire cet ordre dans notre examen, nous diviserons les fables du baron de Stassart en deux calégo- ries, celles qui se rapportent à l’art si diflicile de gouverner les hommes ou à la politique; celles qui enseignent à l'homme privé les vertus qu'il doit pratiquer et les vices qu'il doit éviter pour parvenir au bonheur dans ce monde ou dans l'autre. » C'est donc en suivant cette méthode analytique que l’au- teur cite environ une quarantaine de fables du baron de Stassart, et il les cite généralement en entier , sans s'occu- per le moins du monde d’en faire ressortir le mérite poé- tique. Quelques-unes des compositions les mieux faites du fabuliste belge ne sont pas même indiquées. Dans la troisième partie de son travail, l'auteur s'occupe des Pensées du baron de Stassart, et il les résume, en forme de compendium qu’il présente au lecteur; il rend son travail aussi court que possible, en citant constam- ment l’auteur qu'il devrait apprécier. Ce qu'il dit des idylles, des contes, des épigrammes est plus laconique encore; il se borne à copier deux pièces, l’une Malibœæi ou les Victimes, et l’autre le Bon Voisin. Voici comment il explique la marche écourtée qu'il a suivie : « Nous nous sommes contenté de choisir celles (les Pensées) qui nous ont paru les plus applicables aux - diverses circonstances de la vie; nous avons tàché d'en faire un petit traité de morale destiné pour les classes de la société, traité que nous compléterons par un conte en prose qui se rapporte à la politique et une idylle qui se rapporte à la morale privée, le premier pour compléter les ( 569 ) leçons que M. de Stassart donne aux hommes d'État; la seconde, pour prouver que la vertu reçoit Lôt ou tard” sa récompense sur celte terre. » L'auteur ne dit pas un mot des notices scientifiques de M. le baron de Stassart, de ses poésies diverses, de ses tra- vaux académiques, de sa volumineuse correspondance, etc.; il semble qu’il ait été pressé par le temps ou qu’il n'ait pas même eu connaissance du volume que M. de Stassart a fait imprimer avant sa mort. Il n'était sans doute pas tenu d’en faire l'éloge, mais il devait nécessairement lui être interdit de paraitre l'ignorer ou l'oublier. En somme, je considère ce travail comme inférieur en tous points à celui que j'ai examiné d'abord, et auquel Jaccorderais volontiers la récompense promise par l’Aca- démie. » Rapport de M, Gachard, « J'ai examiné les deux notices envoyées au concours ouvert pour l'éloge de M. de Stassart. Celle qui porte pour épigraphe : J{ faut plus qu'on ne pense de force d'âme et de courage d'esprit, etc., me paraît de beaucoup supérieure, et pour le fond et pour la forme, à la seconde, dont la devise est : Il y a une noble émula- tion, etc. Le plan de l’auteur est bien conçu. Le tableau qu'il trace successivement de la vie publique, de la vie littéraire et de la vie intime de M. de Stassart est or- donné avec goût, et les couleurs, sans en être éclatan- tes, ne manquent pas de vivacité. Sauf quelques petites Tome xxH1, — [°° PART. 40 Da ( 70 ) incorrections, quelques négligences qu'il sera facile de faire disparaître à l'impression, le style a droit à des éloges ; il a de la clarté, du naturel, même de l'élégance; il est exempt de recherche et d’enflure, La première partie est peut-être la plus faible des trois; j'y ai remarqué pourtant l'appréciation de la conduite et des actes de M. de Slassart aux états généraux. Je dis que celte partie est peut-être la plus faible : en effet, l'au- teur passe bien légèrement sur les actes du gouverneur de la province de Namur et du gouverneur du Brabant; il au- rait pu, me semble-t-i}, nous faire connaître les principales mesures d'intérêt public qui furent mises à exécution daris ces deux provinces, grâce à l'initiative de M, de Stassart; il aurait Lrouvé tous les matériaux nécessaires pour cela dans les Mémoriaux administratifs, les rapports présentés aux conseils provinciaux, elc. A mon avis, les services rendus au public par M. de Stassart dans l'administration sont un des plus beaux côtés de sa carrière. Je ne trouve rien à redire à la deuxième partie, qui a pour objet lexamen des œuvres littéraires de M. de Slassart; je me plairais même à en citer plusieurs pas- sages, si Je ne craignais d'abuser des moments de l’Aca- démie. En général, les appréciations de l'auteur sont judicieuses et dictées par le goût. La troisième partie nous offre un tableau charmant de la vie intime de M. de Stassart. Je voudrais toutefois que l’auteur w’insistàl pas autant sur l’inimitié, la haine, auxquelles, selon lui, M. de Stassart fut en butte (pp. 91, 108) : sans doute, M. de Stassart, comme tous ceux qui sont dans une posilion semblable à la sienne, eut des que- relles littéraires et politiques : mais des ennemis, des en- nemis acharnés surtout, je ne crois pas qu’il en ait eu en ES ne — CR. DT] ) Belgique; je ne lui en ai pas connu du moins. Je souhai- terais encore que l’auteur fit disparaitre cette expression de l’un de nos GRANDS HOMMES contemporains (p. 91) :1lne faut pas prodiguer la qualification de grand homme, sur- toul aux contemporains. En résumé, je pense, comme mon honorable confrère M. Quetclet, que cette notice est digne de la palme aca- démique. Je. dirai, sur l’autre manuscrit, que l’auteur a eu les méilleures intentions, mais que, si l'on retranche de son travail les pensées, les idylles , les extraits de fables , voire les fables tout entières qu'il a empruutées à M. de Stassart, ce qui en reste donne beaucoup de prise à la critique. L'auteur parait avoir écrit avec quelque précipitation : de là des incorrections assez nombreuses. Son style est très- inégal : irréprochable en certains passages, il est en d’autres lourd et diffus; il y a des phrases d’une longueur démesurée. L'auteur a aussi divisé sa notice en trois parties, dout la première est également consacrée à la vie publique de M. de Stassart; mais il ne nous initie pas, comme son con- current, à la vie intime de notre confrère défunt : il s’oc- cupe uniquement, dans les deux dernières parties de son œuvre, des écrits de M. de Stassart. L'auteur paraît peu partisan du régime parlementaire (pp. 51, 90) : il est possible qu'il se rencontre quelques personnes de son avis sur ce point; mais, à coup sûr, tout le monde blämera le passage que je vais transcrire : « Ce » ne sont pas seulement les avocats qui nous trompent, » la justice elle-méme ne lient pas toujours la balance d'une » main imparliale; trop souvent elle épargne le puissant, » ferme les yeux sur leurs (sic) déprédations, tandis qu'elle (572) » sévit avec la dernière sévérilé contre les moindres pecca- » dilles du faible qui lui tombe entre les mains. La fable » de M. de Stassart, la Brebis, le Cheval et le Bœuf, sert à » démontrer une vérité malheureusement trop commune de » nos jours (p. 124). » Je crois qu’en Belgique cela n’était pas vrai, même avant 1789 : aujourd’hui, c’est plus qu'un anachronisme, c’est une calomnie : grâce au ciel, nous avons le bonheur de posséder une magistrature aussi juste, aussi impartiale, qu’elle est éclairée et ferme. L'auteur se sert de quelques épithètes d’une manière peu heureuse : celle de célèbre, appliquée à M. de Lamartine (p. 4), est d’un goût équivoque; celle de désastreuse, pour qualifier la bataille de Waterloo (p. 40), n’est pas patrio- tique. J’ai repris, dans l’autre notice, l’expression de grand homme ; ici les exagérations en ce genre sont multipliées. « Tantôt l’auteur nous parle de la gloire des ancétres de » M. de Stassart, des avantages brillants que lui donna, » en naissant, la noble et puissante famille à laquelle il » dut le jour (p. 5); » il regrette même que M. de Stassart ne soit pas sorti d’une souche moins illustre (p. 4); tantôt il le compare — pour la probité, il est vrai — aux Turenne et aux Bayard (p. 16); une autre fois, annonçant qu’il va examiner la vie de M. de Stassart « sous le triple point de » vue de fonctionnaire, de législateur et de littérateur » moralisie », il nous dit, en un langage assez peu français, que M. de Stassart s’est illustré dans ces trois « branches, dont une seule suflirait pour rendre son nom immortel. » Les formules de l'admiration se reproduisent en dix endroits différents : or, la mémoire de M. de Stas- sart n’a pas besoin de ces hyperboles, pour être honorée parmi nous. Voila bien des critiques, et je ne sais si l’on ne me (575 ) trouvera pas sévère, alors que je crois n'être que juste. Aussi, je m'empresse d'ajouter que, dans certains passa- ges, l’auteur ne mérite que des éloges : par exemple, le por- trait qu'il fait (pp. 53-56) des qualités physiques et morales de M. de Stassart nous offre une ressemblance frappante, et très-heureusement rendue, de l’éminent confrère que nous avons eu le malheur de perdre; les considérations politiques qu'il déduit (pp. 69 et 70) de plusieurs fables de M. de Stassart ne sauraient aussi qu'être approuvées. En général — et c’est par cette remarque que je termine- rai — il se montre fidèle aux principes de modération qui étaient ceux de-M. de Stassart lui-même. » Rapport de x. P, Devaux, « Notre savant confrère M. Quetelet, ayant bien voulu, à ma demande, faire l'office de premier rapporteur, je n'aurai pas à m'étendre sur les deux notices qui nous ont été envoyées, où plutôt sur celle des deux qui peut seule être prise en considération. Je me borne à une seule ob- _ servation. Le résultat du concours me semble prouver que nous sommes entrés dans une voie dangereuse dont nous ne pouvons trop nous hâter de sortir. Si nous continuions à mettre au concours les biographies des membres que l’Académie a récemment perdus, le prix fondé par M. de Stassart ne nous amènerait, je le crains, que des travaux inspirés par l'amitié ou rédigés sous l'influence des im- pressions du moment, et dès lors sans valeur sérieuse ni durable. De parcils travaux provoqués par l'Académie, et faisant ainsi à ses membres une immortalité factice, pour- à af à ( 574 ) raient finir par jeter de la déconsidération sur le corps tout entier. Je pense donc qu'il faudra nous imposer la loi de ne demander désormais aux concurrents, que l'apprécia- tion des hommes de mérite sur la cendre desquels une généralion aura passé. Si même je pouvais penser que la classe voulüt revenir sur ce qui a été décidé une première fois, je proposerais de ne pas décerner de prix et d'appli- quer la règle dès à présent. Mais la position particulière faite à l'Académie par la générosité de notre défunt con- frère, vous empêchera peut-être d’en agir ainsi. Dans ce cas, je ne m'oppose point aux conclusions de mes confrères les deux autres commissaires, si vous pensez que nous puissions les adopter sans accepter la solidarité de toutes les appréciations indulgentes et exagérées auxquelles se laisse aller la bienveillance de l’auteur du panégyrique, el auxquelles, comme homme politique surtout, je me fe- rais scrupule de souscrire. » Après avoir entendu ses trois commissaires MM. Quete- let, Gachard et Paul Devaux, l’Académie a accordé sa médaille d’or à l’auteur du premier mémoire, M. Eugène Van Bemmel, professeur à l’université libre de Bruxelles. PRIX EXTRAORDINAIRE D'HISTOIRE. Sur la proposition d’une personne qui désire garder l’'anonyme, la classe des lettres avait accepté d'inscrire dans son programme et de juger les mémoires qui devaient lui être adressés en réponse à la question suivante : Char- lemagne est-il né dans la province de Liége? (575) La classe a reçu six mémoires portant les inseriptions suivantes : 1° Cogitate miseri qui et quales estis, Quid in hoc judicio dicere potestis ? Hic non eril codici locus, aut digestis, Jam erit dominus, judex actor, testis ! 90 Veritas temporis filia. 5° Quisnam in Europa habitans hujus progeniei altitudi- nem, nomina et loca ignorat ? (Vita S. Gertrudis , præf.) 4 Si desunt vires , tamen est laudanda voluntas. 5° Notes pour écrire l’histoire de la naissance de Charle- magne. 6° Magnus apex regum. (Alcuin.) Bapport de M. Borgnet. « L'année dernière, à la demande d’une personne qui désirait garder l’anonyme et fondait un prix de 6,000 fr., vous avez posé la question suivante : Charlemagne est-il né dans la province de Liége? On ne déterminait pas le sens de la solution, maïs on en demandait une, affirmative ou négative. Six mémoires ont été envoyés en réponse, et ce nombre, que jamais nos concours historiques n’ont at- teint, prouve le légitime intérêt qu'excite toujours le nom d'un grand homme. Il ne suffit pas de connaître les actes mémorables qui le signalent au respect et à la reconnais- sance de la postérité ; on veut ne rien ignorer de ce qui le concerne, et les moindres circonstances de sa vie devien- nent autant d'objets d’une louable préoccupation. C'est surtout par rapport au lieu où il est né, pour peu qu'il y ait doute, que d'ordinaire le débat s'engage. La conscience publique comprend, sans qu'il soit nécessaire de le lui démontrer, que l'honneur d’avoir produit un héros entre ( 576 ) pour une part notable dans le patrimoine d’un peuple, et qu'il y à là, pour les générations futures, un sujet de noble émulation. Malheur au pays où de telles controverses ne rencontreraient que des cœurs froids et indifférents. Ces considérations suflisent pour justifier, s’il en était besoin, et le citoyen généreux qui a institué le concours, et la classe des lettres qui a consenti à prendre la ques- tion sous son patronage. Six mémoires ont été envoyés en réponse. Un seule- ment n’appelle pas une attention sérieuse : c’est celui qui porte le n° 4 et cette épigraphe : Cogitate miseri qui et quales estis, etc. Si le fond avait quelque importance, je m'arrélerais peu à l’incorrection de la forme, bien excu- sable chez un Allemand qui écrit en français. Mais tous deux sont également faibles. Voici en peu de mots la justi- fication de ce jugement : le possesseur d’un manuscrit du XVI" siècle s’est imaginé que parce que ce manuscrit, dont il s’exagère l'importance, affirme que Charlemagne est né à Ingelheim, il suffisait de nous en transmettre l’analyse pour entraîner notre conviction. Tout ce qu'on y trouve c’est cette affirmation reproduite à deux endroits différents (pages 2 et 25), mais sans la moindre preuve à l'appui. L'analyse, du reste, sufit pour convaincre que le manuscrit même ne doit contenir qu'un travail dépourvu de toute critique. Je juge différemment le mémoire n° 2, qui porte la de- vise : Veritas temporis filia. C’est une œuvre sérieuse, qui, malgré sa concision, contient les principaux arguments à alléguer en faveur de l’opinion soutenue par l’auteur. Les . vingt premières pages sont consacrées à rappeler le carac- ière essentiellement liégeois de la famille carlovingienne. Quoique cette thèse soit bien établie aujourd’hui, il y à ( 271 ) toujours du mérite à grouper, comme on l’a fait ici, les textes propres à servir de démonstration. Après cela vient l'examen spécial de la question. Le texte d'Éginhard est d’abord discuté, et comme ce texte constitue la pièce principale du procès, il convient de le reproduire iei : « On n’a, dit ce biographe, rien écrit sur la naissance, la première enfance et même la jeunesse de Charles. Parmi ceux qui lui ont survécu, je n’en vois aucun qui puisse se flatter de connaître des détails à cet égard; je crois donc absurde d'en parler, et, laissant de côté ce que j'ignore, je passe au récit et au développe- ment des actions, des mœurs et des autres parties de la vie de ce prince (1). » Ce passage me semble indiquer en termes bien clairs que si Éginhard ne signale pas le lieu de naissance de Charlemagne, c’est qu’il n’en sait rien, et qu’il désespère même d'en savoir quelque chose. L'auteur du mémoire ne veut pas de cette explication. A son avis, le silence du biographe prouve que le fait était notoire ; il prouve même que Charlemagne est né dans le pays de Liége : car, ditl, s’il était né hors du territoire qui doit être considéré comme la patrie de ses ancêtres, cette circonstance extraor- dinaire n'aurait pas manqué de frapper l'esprit des contem- porains et eût été, à coup sûr, relevée par tous les annalistes de l'époque (p. 22). Je conviens volontiers qu'il y a dans cette ignorance YO YO VU OV Ov + (1) Decujus nativitate atque infancia, vel etiam pueritia , quia neque scriplis usquam aliquid declaratum est, neque quisquam modo superesse invenitur, qui horum se dicat habere notitiam, scribere ineptum judicans, ad actus et mores , caeterasque vilae illius partes eæplicandas ac demon- strandas , omissis incognitis transire disposui. (Vira Kanozr, cap. IV.) ( 78 ) d'Éginhard quelque chose d'étrange et qui ne s'explique pas aisément. Néanmoins, il m'est impossible d'admettre commesatisfaisante l'interprétation qu'on vient d'entendre. Au passage d'Éginhard succède celui du moine de S'-Gall, que Mabillon a signalé le premier, et qu'il importe aussi de reproduire dans cette discussion. Voici ce que dit ce chroniqueur, à propos de la construction de l'église d’Aix-la-Chapelle : « Dès que le vaillant empereur put jouir » de quelque repos, ce ne fut pas pour languir dans l’oisi- » velé, mais pour s'occuper avec zèle de tout ce qui inté- » ressait le service de Dieu. Son ardeur à bâtir d'après ses » propres plans et sur le sol natal une basilique beaucoup » plus belle que les ouvrages des anciens Romains, fut » telle qu'il eut bientôt le plaisir de jouir de l’accomplisse- » ment de ses vœux (1). » De ce texte, l’auteur déduit cette conséquence : Aix fai- sait partie du diocèse de Liége, et les expressions sol natal s'appliquent à tout le territoire compris dans la circon- seription ecclésiastique : le moine de S'-Gall confirme ainsi l'opinion qui place à Liége même ou dans ses envi- rons le berceau du plus grand des Carlovingiens. L'auteur cherche ensuite à mettre son interprétation du dire du moine de S'-Gall en harmonie avec la tradition qui, à Liége, désigne le palais de Jupille comme étant le lieu où Charlemagne est né. À cet effet, il invoque l’auto- rilé d’un manuscrit qui la recueillie. Mais ce manuscrit (1) Cum strenuus imperator Karolus aliquam requiem habere potuis- set, non otio torpere, sed divinis servitiis voluit insudare , adeo, ut in GENITALI sOLO basilicam antiquis Romanorum operibus praestantiorem fabricare propria dispositione molitus , in brevi compotem se voti sui gauderet. (De Grsris Karozt imperatonts. 1, 28.) ( 579 ) est du XVII siècle, et, fût-il plus ancien, il n'aurait que la valeur bien faible accordée à toute tradition qui se pré- sente sans l'appui de quelque autre mode de preuve. Pour démontrer que Charlemagne naquit en Austrasie, l'auteur recourt à une argumentalion qui me parait peu solide. Il rappelle qu'en 742, année de celte naissance, Pippin le Bref fit une expédition en Aquitaine, et il ajoute que vraisemblablement il n’emmena pas sa femme en- ceinte. Qu'il ne l'ait pas conduite en Aquitaine, je l’admets volontiers. Mais, en supposant qu'il vint d’Austrasie, ce qu’on peut contester, comme nous le verrons bientôt, est-il impossible qu’il l'ait laissée dans quelque ville de Neustrie? C'est ce que fit Charlemagne, lors de sa première expédi- tion au delà des Pyrénées, en 778. Sa femme, Hildegarde, aussi était enceinte et le suivit jusqu’à Casseneuil, où il la quitta pour passer en Espagne. A la page 29 du mémoire vient un appendice de quatre pages. Croyant avoir bien établi la partie principale de sa thèse, l’auteur se demande quel est le lieu précis du pays de Liége où Charlemagne est né. Ici, il laisse compléte- ment de côté la tradition d’abord invoquée en faveur de Jupille, et se prononce pour Liége même; son raisonne- ment n’a d'autre base que des hypothèses plus ou moins ingénieuses, plus ou moins admissibles. Le mémoire n° 5 est écrit en latin et porte la devise : Quisnam in Europa habitans hujus progeniei altitudinem, nomina et loca ignorat? C’est un travail fait avec soin et érudition. L'auteur commence par rejeter les prétentions de Salsbourg , Karlsbourg, Ingelheim , Mayence et Worms, localités qui prétendent toutes à l'honneur d’avoir vu naître Charlemagne. 11 repousse également l'application à Aix- ( 580 ) la-Chapelle du texte du moine de S'-Gall. Son raisonne- ment est assez obscur. Si j'ai bien compris, il prétend que les mots genitale solum, opposés à Romanorum operibus, indiquent le pays barbare ou la Germanie en général. D'ailleurs, ajoute-t-il, comment admettre que Charle- magne soit né dans une ville qui n'est devenue importante que par fui? Tout cela me paraît peu concluant. S'occupant ensuite de Vargula sur l'Unstrutt, dont les prétentions ont élé soutenues par Brower (1), il rappelle ce que Mabillon avait déjà dit avant lui (2) : le diplôme invoqué, en admeltant qu'il soit authentique, constate uniquement que ce bourg aurait été la terra conceptionis de Charlemagne; resterait à prouver qu'il a été la terra nalivitatis, ce qui n’a pas élé fait. Après avoir ainsi combaltu les motifs allégués en faveur de ces diverses localités, l’auteur s'arrête aux deux der- nières hypothèses : Paris, ou quelque autre endroit de la Neustrie non éloigné de cette ville; Liége ou ses environs. D'abord, il s'attache à déterminer l’époque précise de Ja naissance de Charlemagne, ce qu'il fait d’après Éginhard et le calendrier cité par Mabillon (5), puis il commence (page 15) une longue digression qui servira, dit-il, à con- Slater conditiones temporis quo natus est Carolus. Je n'admets pas qu'il soit nécessaire pour cela de re- monter aux origines de la nation franque, et quel que puisse être le mérite de cette partie du travail envisagée isolément, je n’y vois qu'un hors-d'œuvre qui absorbe les deux tiers environ du mémoire. (1) Antiq. Fuld., I, 12. (2) De Re diplom., Suppl., cap. IX. (3) /bid. ( 581 ) Cette excursion se termine avec la page 56, et, dans les trois dernières pages, l’auteur revient aux vrais termes de la question pour formuler ses conclusions que je résume ainsi : Charles Martel mourut en octobre 741, après avoir fait entre ses deux fils le partage de l'empire; Carloman obtint l’Austrasie, Pippin la Neustrie; ce dernier aura vraisemblablement pris sa résidence dans la portion qui lui était échue et que son père n’avait cessé d’habiter de- puis plusieurs années; c’est donc aussi là qu’il faut cher- cher l'endroit où Charlemagne est né quelques mois après le partage. À mes yeux, cet argument a une grande valeur, et l’au- teur, après avoir exposé les conséquences qui en décou- lent, termine par cette réflexion judicieuse : Carolus ne igitur Gallus? Est scilicet FraANCOo-GaLLus sive NEUSTRIACUS, NATIVITATIS LOCO, NATIONE vero AUSTRASIACUS sive GERMANUS, FAMILIA tandem BraABanTo-LEOpIca. Pour des raisons que j'indiquerai plus loin, je passe du n° 5 au n° 5, qui, dépourvu de devise, porte ce titre : Notes pour servir à l'histoire de la naissance de Charle- magne. C’est un travail qui atteste beaucoup de lectures, mais indigeste, désordonné et écrit de façon à lasser la patience d’un saint, à plus forte raison celle d’un acadé- micien. La cause en est sans doute dans l'impossibilité où s’est trouvé l’auteur d’y mettre la dernière main. Une introduction consacrée à l'historique des systèmes sur le lieu de naissance de Charlemagne, un chapitre in- titulé : Sources historiques, et un autre relatif à Berthe ou Bertrade, femme de Pippin le Bref, absorbent les trente premières pages du mémoire. Tout cela atteste des études sérieuses el me prouve que, pour produire quelque chose de bon, l’auteur n’a besoin que de mieux coordonner ses (582) matériaux, Il entre en matière à la page 51, et débate en déterminant la date de la naissance du grand homme, Quoiqu'il semble ne pas tenir pour concluant le fragment de calendrier publié par Mabillon, il reconnaît, cepen- dant, que cette naissance doit avoir eu lieu dans les pre- miers mois de 742. Partant de là, il soutient que l'expé- dition de Pippin contre le duc Hunold d'Aquitaine w’a pas eu lieu à cette époque, comme on le croit assez générale- ment, parce qu'il est impossible d'admettre que le chef franc ait abandonné sa femme alors très-avancée dans sa grossesse; cela étant, elle doit avoir accouché dans un des châteaux de Liége, Jupille ou Herstal. J'avoue ne pas être certain d’avoir bien saisi la pensée de l’auteur. En tout cas, son raisonnement ne parviendra jamais à constituer une preuve, comme il s’en flatte. Après cela viennent douze chapitres consacrés à dis- cuter les textes et les traditions. Les textes sont au nombre de trois, et le plus important est toujours celui du moine de S'-Gall. Selon l’auteur, les mots genitale solum ne s’ap- pliquent pas à Aix-la-Chapelle seul, mais à tout son dis- trict, et conséquemment à Liége. Ces deux villes ayant un droit égal à invoquer le témoignage du chroniqueur, c’est à la tradition qu'il faut demander les motifs de préférence. Les localités qui se disputent encore l'honneur d'avoir donné naissance à Charlemagne sont : Paris, Ingelheim, Carlsbourg, Salzbourg et Vargula. Pour aucune d'elles, pas plus que pour Aix, la tradition ne se présente entourée d'autant de circonstances vraisemblables qu'à Liége. Avant de Lirer une conséquence qu'il est aisé de pres- sentir, l’auteur examine, dans un dernier chapitre, les causes des erreurs sur la naissance de Charlemagne, et il faut aller au supplément, qui comprend les pages 136 à + PERTE DRE ( 585 ) 156, pour trouver sa conclusion, qu'il résume dans ces cinq mots : Charles est né à Liège, Précédemment, il a re- connu que Jupille et Herstal avaient à peu près les mêmes droits que Liége; mais dans une note destinée à expliquer celle espèce de coniradiction, il dit que, s'il était forcé de faire un choix, il se déciderait pour la cité de saint Lambert, les traditions de Jupille et de Herstal lui parais- sant d’une origine plus récente. Le mémoire n° 6, qui a pour devise: Magnus apex regum, alteste aussi beaucoup de recherches. S'il lem- porte sur le précédent par la méthode, il pèche aussi, du moins à MON avis, par une argumentation assez faible. L'auteur commence par une discussion qui me parait oiseuse. On put autrelois, en présence des dates con- tradictoires de quelques chroniqueurs, mettre eu débat l'époque précise de la naissance de Charlemagne. Depuis que Mabillon à publié, dans son ouvrage De re diplomatica, le fragment d'un ancien calendrier provenant du monas- tère de Lorsch, celte question n’en est plus une, et la date du 2 avril 742 n’est plus contestée, On a eu d'autant plus de raison d'agir ainsi, que ce fragment est en parfaite har- monie avec le texte de Ja vie de Charlemagne par Éginhard. En eflet, ce biographe, mentionnant au mois de janvier 814 la mort du grand empereur, dit qu'il mourut dans la soixante el douzième année de son âge (1). En citant le livre de Mabillon, l’auteur se lait sur la pièce décisive publiée par le savant bénédictin, et il cher- che, pour prolonger le débat, à mettre Éginhard en con- tradiction avec lui-même. Je viens de donner le texte de (1) Ænno aetalis suae secpluagcsimo secundo. (Vira KaROLI IMPERATORIS, cap. XXX. ( 584 ) la vie de Charlemagne; mais Éginhard a aussi rédigé des annales, et il use là de termes un peu différents, en disant que ce prince mourut dans la soixante el onzième année de sôn âge environ (1). Il y aurait peut-être moyen d'expliquer pourquoi l’âge de Charlemagne est indiqué d'une manière plus précise dans un ouvrage que dans l’autre; en lout cas, le second texte renferme un adverbe qui l'empêche d’être en contradiction avec le premier. A cette controverse en succède une autre, qui ne me paraît pas soutenue avec plus d'avantage; elle est relative à la légitimité de Charlemagne. L'auteur énumère plu- sieurs textes, d’où il semble résulter que le mariage de Pippin avec Bertrade est postérieur à la naissance du héros. Mais c’est, en fait de témoignages surtout, qu'il faut tenir compte de la qualité, et Éginhard, le guide le plus sûr dans le récit des faits de cette époque, est formel à cet égard : la reine Bertrade est bien la mère de Charle- magne (2). A la vérité, il existe une différence entre ce texte et celui des annales de Lorsch. Ici la femme de Pippin le Bref n’est, aux deux endroits correspondants, indiquée que par les expressions Berta regina. Or, comme ces deux corps d’annales sont unis par un lien de parenté, cette diffé- rence de rédaction indique, selon l’auteur du mémoire, une interpolation frauduleuse imputable à Éginhard. Je ferai remarquer d’abord, tout en admettant la parenté (1) Domnus Karlus imperator, anno actalis circiler sepluagesèmo prèmo rebus humanis excessit. (2) Bertrada mater regum (Caroli et Carolomanni). Bertrada mater regis (Caroli). (Einnanp: Annaes, 770 et 785. MonumEenTA GERM. IUST., t. 1, pp. 149 et 165.) bé uses ( 285 ) qui existe entre les annales de Lorseh et celles d'Éginhard, que ces dernières sont plus détaillées, et que, par consé- quent, la différence de rédaction trouve là son explication naturelle. J'ajouterai que les annales de Fulde, dont l’au- torité est grande aussi pour tous les événements de l’époque carlovingienne, ne sont pas moins précises; Bertrade y figure également comme mère de Charlemagne (1). Veut-on savoir maintenant à quoi tend cette discussion ? A établir que l'ignorance du biographe de Charlemagne n'est pas sérieuse; qu'il n’a pas voulu dire ce qu'il savait; en un mot, qu'il a cherché, en corrompant des textes, à cacher la bätardise de son héros. Je l'ai déjà dit, l’igno- rance d'Éginhard a quelque chose d’étrange; mais l’ex- pliquer de cette manière, c’est, à mon avis, fournir une course par trop hardie dans le champ de l'hypothèse. Après avoir consacré à l'examen de ces diverses ques- tions la moitié de son travail, l’auteur, abordant enfin (feuillet 16) le véritable sujet du concours, s'engage à produire, en faveur de la solution qu'il propose, des preu- ves nombreuses et précises. Voyons S'il a tenu sa promesse, Il débute par des réflexions fort Justes sur le caractère de la révolution qui déposséda, au profit des Carlovingiens, les descendants dégénérés de Clovis ; puis, il examine la manière dont fut partagé l'empire franc à la mort de Charles Martel. On à va que le mémoire n° 5 s'attache tout particulièrement à y trouver la preuve que l’accou- chement de Bertrade n'avait pu avoir lieu en Austrasie, et je ne crois pas qu'on puisse contester sérieusement ce qu'il dit de la manière dont se fit ce partage. Pour ne citer que (1) Ann. 770 et 784, Mon. Germ. hist., (. 1, pp. 348 et 550. TOME xx111, — ['° par. 41 ( 586 ) les deux principales autorités, le continuateur de Fréde- gaire et l’annaliste de Metz disent expressément que Pippiu obtint la Neustrie et Carloman lAustrasie. Par la manière dont il insiste sur ce point, on dirait ce qui, du reste, n’est pas possible — que l’auteur du mé- moire n° 6 a eu connaissance du travail de son adversaire et qu'il a saisi la valeur de son argumentation. Pour y ré- pondre, que fait-il? Il cite un historien contemporain qui attribue la Francia à Pippin , et le continuateur des Gesta Regum, qui parle d’un partage de l’Austrasie entre lés deux frères. Que le mot Francia indique l'Austrasie , c'est ce qui peut fort bien être contesté. Mais quels sont ces deux chroniqueurs, et où se trouvent-ils? Contre son ha: bitude, l’auteur ne fournit à ce sujet aucune indication ; et met son lecteur dans l'impossibilité de discuter la valeur de leur témoignage. En tout cas, je ne vois rien là-dedans qui infirme lau- torilé des deux annalistes que j'ai moi-même indiqués; je n’y vois rien surtout qui autorise à croire avec l’auteur que Pepin régna aux bords de la Meuse et Garloman vers le Rhin. Il est un fait qui suflirait à lui seul pour démon- trer l’inexactitude de l’assertion. En mars 745, onze mois après la naissance de Charlemagne, un synode se réunit aux Estinnes (Liftinas), près de Binche, sur la limite ocei- dentale de l’Austrasie et, par conséquent, à l’ouest de Ja Meuse et du pays de Liége. Or, sait-on par qui fut présidé ce synode, ou du moins par qui furent publiées ses déci- sions? Par Carloman, ce qu'il n'aurait pas fait sans doute, s’il n'avait pas eu le gouvernement de 'Austrasie. L'auteur espère achever la démonstration de sa thèse, en citant plusieurs textes, d’où il résulte que l’Austrasie était regardée comme la patrie de Charlemagne. À cet (587) égard, le doute n’est plus permis, et le pays de Liége est bien certainement la terre carlovingienne par excellence. Mais , éncore une fois, tout cela ne prouve pas que l’illustre empereur y ait vu le jour, et c'est cependant ce qui devrait être démoutré; Pour l’auteur du mémoire, cette démon- stration étant complète, il ne s'agit plus que de choisir entre Liége, Jupille ét Herstal, et il n'hésite pas à douner la préférence à Liége, à cause des séjours fréquents qu'y lit le héros. Les quatre derniers feuillets sont consacrés à combattre sommairement les prétentions d'Aix-la-Chapelle, d'Ingel- heim et de Salzbourg. Je crois inutile de m'y arrêter, et jé passe maintenant à l'examen du mémoire n° 4. Ce mémoire, qui est écrit en allemand, porte la de- vise : Si desunt vires, tamen est laudanda voluntas. Puis- que la classe l’a renvoyé à l'examen de ses commissaires, quoiqu'il soit rédigé dans un idiome non reconnu pur notre règlement, je dois supposer qu’elle ne l’a pas exclu du concours , et je m'en félicite; à mon avis, parmi les tra- vaux qui nous ont été envoyés, c’est le mieux raisonné ct le plus complet. J'ai cette raison à donner, pour expliquer l'analyse assez détaillée que je crois devoir en faire. L'auteur examine d’abord les titres des localités qui ré- clament l'honneur d’avoir vu naître Charlemagne. 1. Vargula sur l’'Unstrutt, dans la Saxe prussienne. Un diplôme de Charlemagne même, cité par Brower (1), qua- lifie cet endroit térra conceptionis nostrae. Comme l’a re- marqué Mabillon, cela ne suflit pas pour établir le fait de la naissance, et, du reste, il est possible que ce prince ait (1) Antig. Fuld., WI, 12. ( 288 ) entendu appliquer ces expressions à la terre franque en général. f 2 et 5. Carlsberg et Salzbourg. Système défendu sans réflexion et qui ne peut soutenir l'examen, la Bavière étant restée à peu près indépendante jusqu'à la condamnation de Tassillon. 4. Carlsbourg. L'auteur ne connaît d'autre motif à allé- guer que le nom même de cette ville. 5. Paris. Mabillon, qui avait d’abord soutenu les titres de cette importante cité, n’allègue en sa faveur d’autre cir- constance que la présence de Charlemagne, âgé de sept ou de douze ans, à la translation des reliques de S'-Germain; cela prouve tout au plus que ce prince a passé une partie de son enfance dans cette ville ou aux environs. 6. Ingelheim. C’est Godefroid de Viterbe qui, le pre- mier, a parlé de la naissance de Charlemagne dans cet en- droit. Mais quelle autorité , autre que celle de la tradition, accorder à un chroniqueur du XIIE** siècle, chroniqueur étranger et dont le témoignage renferme des particularités évidemment fausses? En outre, que devient la tradition elle-même devant ce fait, que le château d’Ingelheim a été bâti par Charlemagne même, et qu’il en est fait mention pour la première fois en 774 seulement? Peut-on, d’ail- leurs, dans cette hypothèse, expliquer le silence des an- nales de Lorsch ? | 7. Aix-la-Chapelle. Les titres de cette ville ont été dé- fendus par Mabillon , après qu’il eut abandonné la cause de Paris. L'autorité du moine de S'-Gall, dont on invoque le témoignage, est insuffisante, ce chroniqueur ayant rempli de fictions et de détails romanesques sa notice Des faits et gestes de l'empereur Charles. L’affection du grand prince pour cette localité ne prouve rien encore, ( 589 ) non plus que son enterrement dans la basilique qu'il y construisit, et Mabillon', qui veut tirer parti de cette der- nière circonstance, oublie son assertion précédente, que les rois francs ne furent jamais enterrés au lieu de leur naissance. Reste à examiner, ajoute l’auteur, la valeur des titres produits en faveur de Liége, Jupille et Herstal. [l convient d'abord de remarquer qu'il n'existe, sur la circonstance même qui fait l'objet du concours, aucun témoignage pré- cis, Éginhard déclare ne rien savoir, et si lui, contempo- rain et ami de Charlemagne, ne savait rien, il n’y a nul fond à faire sur le dire du moine de S'-Gall, pas plus que sur celui de Godefroid de Viterbe. Dès lors, il importe de constater en quel lieu Bertrade tenait sa cour l’année où elle donna le jour à son illustre fils. Impossible d'admettre que son état de grossesse lui ait permis de suivre son mari dans ses expéditions militaires. Elle sera donc restée dans un des domaines de sa famille, ou dans un de ceux de son mari. Toutes les probabilités sont en faveur de la seconde hypothèse, en faveur surtout de ceux de ces domaines situés dans le pays que les Carlovingiens regardaient comme leur véritable patrie, c’est-à-dire Liége et ses en- virons. C’est donc là probablement que Bertrade résidait en 742. | La tradition recueillie au XIV"* siècle par Jean de Klerk (1), et qui déjà signalait Herstal comme le lieu de naissance de Charlemagne, vient se joindre à ces probabi- lités, et la tradition doit être admise quand elle est con- firmée par les faits historiques. (1) Brabantsche Feesten , T, 25 FOOD DN NME LES réa ( 590 ) Cette partie du mémoire me paraît un peu faible d’ar- gumentation. L'auteur ne tient aucun compte du partage fait par Charles Martel à la fin de 741. Cependant, si Pippia le Bref alla, en effet, comme le soutient le mémoire n° 5, résider dès lors en Neustrie, il est évident, que la base manque au raisonnement dont je viens de faire une analyse suceincle et aussi fidèle qu’il m’a été possible, Suit une autre série d'arguments, à laquelle l’auteur attache avec raison une grande importance, et que je vais encore essayer de résumer, I est de principe, dit-il , que les chroniques des monas- tères s'occupent des personnages, bienfaiteurs ou autres, qui les intéressent à un titre tout particulier. J'en conclus que, si là naissance de Charlemagne est indiquée dans quelque corps d’annales, cette naissance a nécessairement eu lieu dans une localité voisine. Mais pour que celte induction soit légitime, il ne suflit pas de pouvoir déduire l’année de Ja naissance de circonstances qui se rattachent à l'indication de la mort, par exemple, l’âge du défunt; il faut que la naissance même soit mentionnée à sa date. Ce principe posé, l'auteur l'applique à la plupart des annales franco-carlovingiennes, et il y apporte un soin minutieux, accompagnant cet examen de remarques ingé- nieuses sur la valeur et le degré de foi de chacune de ces annales, Procédant ensuite à l’application, il montre que les chroniques des monastères belges sont les seules où la naissance de Charlemagne soit rappelée en termes exprès. Enfin, dit-il, on peut ajouter à ce qui précède que l’homme conserve une vive affection pour les lieux où il a | vu le jour. Cest là qu’il aime à se trouver à l’époque des deux plus grandes fêtes du christianisme, Pâques et Noël. Eh bien! consultez les faits —1l produit à cet effet deux ( 591 ) tableaux —et vous verrez que, jusqu’en 785, c’est à Herstal que Charlemagne va presque exclusivement célébrer ces deux solennités. Plus tard, son choix se porte sur Aix-la- Chapelle; mais, même pendant cette dernière époque de sa vie, on le voit encore deux fois se rendre à Herstal , à Pâques et à Noël. Quant aux motifs qui l’engagèrent à changer de résidence après 785, il suflit de rappeler que, forcé de donner une capitale à son empire, el ne pouvant choisir Herstal qui n’était qu'un village, ni Liége où rési- dait l'évêque, il s'attacha néanmoins à trouver une ville qui ne fût pas trop éloignée du berceau de sa famille, de cette localité chérie qu'il visita encore, nous le savons d’une manière certaine, en 797, 798 et 802. C'est donc en faveur de Herstal que l'auteur se pro- nonce. Il le fait, dit-il, dans des considérations toutes par- ticulières d’impartialité, puisqu'il n’est ni belge, ni fran- çais, ni allemand, mais slave, c’est-à-dire d’une nation qui n'a jamais réclamé Charlemagne comme un compa- triote; il le fait avec la conviction que si de nouvelles pièces venaient à être produites, elles confirmeraient son système, Laissez-moi, Messieurs, terminer l’analyse de cet excel- lent travail par les quelques lignes qui lui servent d’épilo- gue. « Félicitez-vous, Belges, de pouvoir appeler le grand » Charles votre compatriote; soyez fiers de celui qui a » ravivé la civilisation romaine, et donné à son empire » un éclat inconnu avant lui; de celui qui a essayé d’éle- » ver l'intelligence de son peuple; de celui enfin, dont la » gloire brillera aussi longtemps qu'il y aura une histoire, » aussi longtemps qu’il y aura des historiens. » S'il ne s'était agi que d'obtenir un bon travail sur le lieu de naissance de Charlemagne, je proposerais sans hésita- ( 592 ) tion de décerner le prix à l’auteur du mémoire n° 4. Mais nous ne devons pas perdre de vue les termes mêmes de la question : ce qu’on a demandé, c’est une solation aflirma- tive ou négative. Or, il faut bien le dire, quoique nous devions nous féliciter de l'accueil qu'a rencontré le con- cours, nous restons en présence d'hypothèses plus ou moins ingénieuses. D'une part, en faveur de l’Austrasie et du pays de Liége en particulier, des traditions sérieuses et le texte du moine de St-Gall, dont il me semble que l’auteur du mémoire n° 4 a fait trop bon marché; d'autre part, en faveur de la Neustrie, les conséquences naturelles du partage effectué à la mort de Charles Martel, conséquences qui, bien déduites dans le mémoire n° 3, me paraissent avoir été faiblement attaquées dans le mé- moire n° 6. Pour obtenir la solution demandée, il faudrait de nouvelles pièces, et je crois qu'on ne les trouvera point, par la raison qu’elles ne doivent pas exister. Un des histo- riens du grand homme (1) a fait cette observation très- judicieuse, qu'il ne faut pas se flatter de débrouiller, au bout de mille ans, une énigme historique qu’un contem- porain, et un contemporain tel qu'Éginhard, déclarait insoluble. J'avais exprimé cette opinion à mon ami M. Devaux, celui de nos confrères qui a été chargé de transmettre à la classe les patriotiques intentions du fondateur du prix. Le résultat n’a fait que confirmer mes appréhensions, et je n’espère pas dans l’avenir autre chose que ce que nous avons obtenu. Néanmoins, on désire que le concours reste ouvert, et nous aurions, je crois, mauvaise grâce à con- (1) Hegewisch, Geschichte der Regierung Kaïser Karls des Grossen. ( 595 ) : trarier une pensée généreuse. Nous le devons d'autant moins que le fondateur da prix m’autorise à déclarer qu'il est disposé à introduire dans le concours les modifications suivantes : La quéstion relative à la naissance de Charle- magne serait maintenue pendant quinze années, et l’en- gagement pris de tenir une somme de 5,000 francs à la disposition de l'Académie, pour le cas où lui parvien- drait une solution; l'inscription de 6,000 francs, engagée dès l’année dernière, servirait de rémunération à un autre concours dont le jugement serait aussi dévolu à la classe des lettres; il porterait sur une question qui, tout en répondant à de généreuses aspirations, fournirait le sujet d’un ouvrage utile et important. Cette question pourrait être ainsi expliquée et for- mulée : La famille carlovingienne est une famille essentielle- ment belge et même liégeoise. Ce caractère ne ressort cependant pas assez des livres où ses destinées ont été retracées. Français ou allemands, les historiens qui ont traité cette importante période des annales du moyen âge ont cédé à l'influence du sentiment national, et vu dans la glorification de Charlemagne et deses illustres ancêtres la glorification de l’un ou de l’autre des deux grands peuples qui nous avoisinent. Désireuse d'obtenir un livre où les - titres de notre pays soient discutés avec impartialité, où les « faits qui concernent ces grands hommes soient envisagés d’un point de vue belge, l'Académie met au concours cette question : Exposer l'origine liégeoise des Carlovingiens. Discuter les faits de leur histoire qui les rattachent à la Belgique. I me reste, Messieurs, une dernière proposition à vous faire : c’est de voter l'impression du mémoire n° 4 et d’y Co ( 594 ) joindre une traduction française ou tout au moins une analyse détaillée. Je ne crois pas qu'il y ait là rien de contraire, ni au règlement, ni aux précédents, et je suis convaincu que cette œuvre consciencieuse sera accueillie, avec une faveur marquée, par tous ceux qu'intéressent de semblables questions. Je propose aussi l'impression du mémoire n° 2, et je dirai que le fondateur du concours est disposé à y consacrer les intérêts échus du capital engagé. » Bapport de M. Polain. « On ignore où est né Charlemagne! La Belgique, l'A lemagne et la France l'ont tour à tour revendiqué sans que, jusqu’aujourd'hui, ce problème ait été résolu. Les contem- porains même de ce grand homme ne semblent pas avoir été mieux informés que nous à cet égard : « On n'a rien écrit sur sa naissance, sa première enfance, ni sa jeunesse, dit Éginard; parmi les gens qui lui survivent, je n’en sais aucun qui puisse se flatter de connaître les détails de ses premières années; ce serait donc folie d'en parler,.et lais- sant de côté ce que j'ignore, je passe au récit et au déve- loppement de ses actions et de ses mœurs (1). » (1) De cujus nativitate atque infancia, vel etiam pueritia, quianeque scriptis usquam aliquid declaratum est, neque quisquam modo super- esse videtur, qui horum se dicat habere notitiam, scribere ineptum judicans, ad actus et mores ceterasque vitae illius partes explicandas ac demonstrandas , omissis incognitis, transire disposui. Einhardus, Fita Karoli imperatoris , apud Pertz, Monumenta Germaniae kistorica , t. IL, p. 445. | à 1 ( 595 ) Après cet aveu d’un homme qui vécut dans l'intimité de l'empereur, et qui fut tout à la fois son secrétaire et son gendre ; après les nombreuses controverses auxquelles ce point d'histoire a donné lieu, peut-on encore utilement établir une discussion là-dessus ? L'Académie a été de cet avis, et, à la prière d'un généreux anonyme, qui a fondé pour cela un prix de six mille francs, elle a placé, dans son programme de 1856, la question suivante : Charlemagne est-il né dans la province de Liége ? La personne qui a proposé le prix, et l'Académie qui a accepté d’être juge du concours, savent fort bien qu'il w’existe, dans les monuments du VIIL”* siècle, aucun texte indiquant le lieu de naissance du fils de Pepin le Bref; ni l’une ni l’autre, par conséquent, n’ont pu songer à im- poser aux concurrents la production d'une pièce semblable; c’eùt été demander l'impossible. La question, telle qu'on l’a formulée, n'avait pas non plus pour objet de faire déterminer, d’une manière précise, la localité où Charlemagne a vu le jour, mais seulement sa palrie, que cette patrie füt la province de Liége ou toute autre contrée de la Belgique, de la France et de l’Alle- magne. \ Dans ces conditions, la solution du problème ne nous parail pas, comme on l’a prétendu, au-dessus des efforts de l'érudition historique. En soumettant à une critique sévère et judicieuse les divers systèmes que la recherche de cette solution a enfantés jusqu'à présent; en combinant ces systèmes avec les renseignements positifs qu’on trouve dans les annalistes de l’époque, on peut arriver à démon- trer le peu de fondement de la plupart des opinions qui ( 596 ) ont été débattues à ce sujet, et donner à l’une d'elles un degré de probabilité équivalent presque à la certitude ; c'est, je pense, tout ce qu'on est en droit d'exiger. Nous suivrons cette marche dans le jugement que nous avons à porter sur les mémoires adressés à l’Académie en réponse à la question proposée. Disons d'abord un: mot de quelques événements qui précédèrent ou qui suivirent le fait en diseussion; ces notions préliminaires Sont indis- pensables pour l'intelligence de notre travail. Parti des bords de la Meuse, le fils de Pepin d'Herstal, Charles Martel, après avoir étendu peu à peu sa domina- Lion sur la plus grande partie de la Gaule, mourut à Kiersy- sur-Oise, près de Compiègne, le 21 octobre de l'an 741. Il avait, avant d’expirer, partagé le royaume entre ses fils Carloman et Pepin , laissant au premier l’Austrasie, avec la Souabe et la Thuringe, au second la Neustrie, la Bour- gogne et la Provence (1). Un autre fils, nommé Griffon, qu’il avait eu de Sonnechilde, sa seconde femme, reçut en apanage une portion de territoire placée entre les États de sesaînés. Mécontent de la part qui lui était faite, Griffon, excité par sa mère, leva aussitôt l’étendard de la révolte, et s'empara de la ville de Laon; mais il ne tarda point à (1) Zgitur memoratus princeps, consilio optimatum suorum eæpetito, filiis suis regna dividit: Tlaque primogenito suo, Carolomanno nomine, Auster et Suaviam , quae nunc Alemannia dicitur, atque Thoringiam tradidit; alteri vero secundo filio juniori, Pippino nomine, Burgun- diam et Neuster et Provinciam permisit. Fredegarii Chronicon contin. » apud Duchesne, Aistoriae Francorum scriptores, t. 1, p. 772. — Voy. également : Gesta regum Francorum, Appendix, ibidem;: p.720. Breve Chronicon, apud Bouquet, Scriptores, t. II, p.566, Annales Mettenses, | apud Pertz, t. I, p. 327. k 4 NS (597) tomber au pouvoir de ses frères, et fut remisentreles mains de Carloman, qui l'enferma à Neufchàteau, près de l’Ar- denne (1). Ces événements se passaient pendant l'hiver de TA à 742. Au printemps suivant, mais pas avant le 21 avril, puis- que, à celte date, Carloman assista à un synode d’évêques, dans ses États (2), les deux frères marchèrent contre Hunald, duc d'Aquitaine, qui ne se montrait point disposé à reconnaître l'autorité des maires du palais. Ils ne revin- rent de cette expédition que vers l'automne de la même année; après quoi, ils envahirent la Bavière, qui voulait également abandonner la confédération des Frances, livrè- rent bataille au duc Odilon, et dispersèrent son armée (3). Charlemagne vit donc le jour pendant le court intervalle qui sépara la fin de la révolte de Griffon de la guerre d'Aquitaine, puisque le 2 avril 742 est la date générale- ment assignée à sa naissance (4). Nous aborderons maintenant l'examen des traditions (1) Zaec illum maligno consilio ad spem totius regni concilavit, in tantum ut sine dilatione Laudunum civitalem occuparet, ac bellum fra- tribus indiceret. Qui celeriter exercitu collecto Laudunum obsidentes, fra- trem in deditionem accipiunt, atque inde ad regnum ordinandum , et provincias quae post mortem patris a Francorum societate desciverant recuperandas, animos intendunt. Et ut in externa profecti domi omnia tuta dimitterent, Karlomannus Grifonem sumens , in Novo Castello, quod juxta Arduennam situm est, custodiri fecit. Einhardi #nnales, ad annum 741 ; apud Pertz, 1. 1, p. 155. (2) Voy. dans les Monumenta de Pertz, t. 1 Zegum, p.16, le capitulaire qui fut publié à l'occasion de ce synode. (5) Einhardi Annales, ad annos 742 et 745, (4) Cette question a aussi été, pendant longtemps, un objet de contro- verse parmi les savants : les #nnales Petaviani, les Annales Laubacen- ses, et l'historien anonyme de la Translation de saint Germain des Prés, ( 298 ) qui existent à ce sujet, en commençant par celles de lAI- lemagne, etnous chercherons à préciser l’époque à laquelle chacune d'elles apparaît. Parmi les localités, situées au delà du Rhin, qui ont réclamé l'honneur d’avoir été le berceau de Charlemagne, il en est plusieurs auxquelles il est inutile de s'arrêter, leurs prétentions n'ayant d'autre fondement que le té- moignage de quelques écrivains modernes, témoignage dénué de preuves, et sans racines dans le passé, Nous nous bornerons à parler de Carlsberg , dans la Bavière, de Vargel, près de l'Unstrudt, sur les contins de la Saxe et de la Thuringe, et d’Ingelheim, dans le voisinage de Mayence. La tradition de Carlsberg remonte au XVI" siècle. Le plus ancien écrivain qui la mentionne est Thurmayer, plus connu sous le nom d’Aventin, à qui l’on doit une histoire de la Bavière. Selon cet auteur, Pepin et Carloman marchant, en 745, contre les Suèves et les Bavarois, suivis par le père le Cointe, ont fixé la naissance de Charlemagne à l’année 747; mais d’autres monuments contemporains, méritant plus de confiance, . la placent à l'année 742, date universellement admise aujourd'hui, et con- forme, d'ailleurs, au témoignage d'Éginard, qui fait mourir l’empereur en 814, à l’âge de 72 ans, dans la. 47%: année de son règne. Voy. notamment les Annales $. Amandi breves, les Annales Fuldenses antiqui, les Annales Juvavenses, les Annales Salisburgenses, etc., apud Pertz, t. I, Il et LIL. — Voy. également le Chronicon Saxonicum , la Pie de saint Goar, et la chronique de Zambert de Schafnabourg, etc., apud Bouquet, t. IL et V. Quant à la date du 2 avril, c'est Mabillon qui l’a découverte dans un vieux calendrier du IX": siècle, provenant de l’abbaye de Lorsch : Z7 nonas aprilis, nativilas domni et glorivsissimi Karoli imperatoris et semper augusli. ( 599 ) s'avancèrent jusqu’au Lech, près d'Augsbourg, et y défi- rent l'armée d'Odilon. Ensuite, les deux frères partagè- rent leurs forces : Carloman se dirigea vers les Saxons, et Pepin passa le Lech, pour achever la conquête de la Ba- vière. C'est alors, au dire d’Aventin, à Carlsberg, non loin de Munich, que la reine Berthe, accompagnant son époux, donna le jour à Charlemagne (1). L'auteur invoque à l'appui de son récit une vieille chanson de geste, qu’on a retrouvée depuis el imprimée à Munich, en 1805; mais il a été reconnu que ce roman n’est qu’une version ampli- (1) Pipinus Lycam superat, superiorem Boiariam invadit : Fruæi- num, quae tunc caput et regia principum în ea regione eral, occupat , politusque tota superiore Boiaria, Utilo se Reginoburgüi continet, Pipi- nus ad se deficientes benigne suscipit, Bertham uxorem accersit: Fruxini et in conterminis regiis et arcibus cum ea quievit, venationibusque ope- ram dedit. Peperit tunc Bertha (sicuti fama constantissina est et anti- quis more patrio celebratum carminibus) Carolum Magnum in ea arce, quae inde Carolobergomum, hoc est Caroli mons, vocatur. Nam isthoc anno Carolum natum esse convenit inter autores. Ostenditur illa arx @tsè semidiruta in Ssuperiore Boiaria, supra Monachium quindecim millia passuum, propter Verrem lacum Vindelicorum maximum, ubi ejusdem nominis fluvius effunditur , etc. J. Aventini Annalium Poio- rum, libri VIT. Basileae, 1580, in-fol., p. 217. — Watus est D. Carolus anno ab orbe servalo septingentesimo allero et quadragesimo; quidam Angilemis , haud procul Mogontiaco, genitum existimaverunt, secuti levem conjecturam, quod ibi vestigia practorii nutrimentorumque ejus . adhuc locus ostendatur : quasi vero non constet inter autores rerum, } PT, Carolum jam rerum potientem illas aedes Palatinas condidisse; nec desunt, qui in Brabantia natum opinentur, decepti affinitate nomi- num, quippe Carolomannos ibi regnasse natosque fuisse, convenit inter scriptores annalium. Sed ut apud nos canitur, certioresque tradunt, natus est in Carlsburg, quae arx est superioris Boïariae et inde hoc nomen relinet ; religioseque adhuc colitur ac monstratur…. Nam apud nos de ea re extat liber versibus antiquis more majorum confectus ; etc. Ibidem, p. 257. ( 600 ) fiée de celui de Berte aux grans piés, postérieur, par con- séquent, à celui-ci, et sans valeur historique. La date assignée par Aventin à la naissance du fils de Pepin, est contraire, d’ailleurs, aux documents les plus dignes de foi, qui la placent à l’année 742, et l'expédition en Bavière, à l’année suivante seulement. La tradition de Vargel a pour fondement une charte dont Brower a donné des extraits, et qui a été également publiée par Schannat (1). C’est une prétendue donation faite à l’abbaye de Fulde, par Charlemagne lui-même, d'une terre située sur les bords de l'Unstrudt, que l’em- pereur désigne comme étant le lieu de sa conception, terram conceptionis nostrae (2). Mais l'authenticité de cette charte, qui ne nous est point parvenue en entier, à été Justement contestée. On n’est pas non plus d'accord sur la vraie signification des mots qui $y trouvent; les uns y voient la terre franque; d’autres une certaine étendue de terrain entouré de haïes, conseptio (5). Mabillon, qui les cite, ne s’en inquiète guère : « Que Charlemagne ait été conçu sur les bords de l'Unstrudt, dit-il, il n’en reste pas (1) Browerus, Antiquitatum Fuldensium libri IF. Antverpiae, 1619, in-4, p. 210.— Schannat, Corpus tradilionum Fuldensium , etc. Lipsiae, 1724, in-fol., p. 56. (2) Donamus et contradimus Domino Nostro Salvatori Jesu Christo sanctoque Bonifacio martyri, qui in Fuldensi requiescit monasterio ; TÉRRAM CONCEPTIONIS NOSTRAE, AOC est tolam comprovinciam circa flumen Unstrut, ipsamque curtem nostram in Fargalaha, cum omnibus com- pertinentiis suis, el cum omnibus villis longe vel prope positis , quac ad eam respiciunt, cum omnt proprietate, sicut nos can a parentibus nostris in proprietatem accepimus. Schannat, loco citato.. (5) J. Heumanni Commentarii de re diplomatica imperatorum ac regqum Germanorum, inde a Caroli Magni temporibus adornati. Norimbergae, 1745, L I, p. 54. Macé, ( GOI ) moins à trouver l'endroit où il est né (1). » Nous n'avons heureusement que ce dernier point à éclaircir; il fau- drait, pour résoudre l’autre, posséder des détails intimes que l'histoire s’abstient assez généralement de transmettre à la postérité. La tradition d'Ingelheim a été longtemps populaire, et c'est l’une des plus anciennes que l’on connaisse; elle remonte au XIT"° siècle. Son premier auteur est un fta- lien, Godefroid de Viterbe, qui s'exprime ainsi dans son Pantheon : Pipinus moritur, consurgit Karolus acer, Natus in Ingelcheim, cui Berta sit Ungara mater. Godefroid de Viterbe, suivant en cela la plupart des productions romanesques de son temps, fait de Berthe une Hongroise; elle a été désignée par d’autres comme la fille du roi de Constantinople. On sait aujourd’hui, à n'en point douter, qu'elle était fille de Caribert ou Heribert, comte de Laon (2). Voilà une première rectification qu'il faut faire au texte de Godefroid de Viterbe; voyons si son té- moignage est plus digne de foi, en ce qui concerne la pa- trie de Charlemagne. Constatons, d’abord, que l’assertion de Godefroid de- meura entièrement inconnue jusqu'au XVI" siècle; elle reparait alors avec le géographe Sébastien Munster, né lui-même à Ingelheim, en 1489, et qui n’en parle, toute- (1) Mabillon, De re diplomatica, Supplementum , caput IX, p. 58. (2) Voy. notamment un diplôme du roi Pepin pour la construction et la dotation de l’abbaye de Prüm, anno XI regn. Pippino, apud Mabillon, Annales ordinis S. Benedicti, t. Il, p. 705.— Voy. également les Annales de St- Bertin à l'année 749. Tome xx. — J'° parT. 42 ( 602 ) fois, qu'avec beaucoup de réserve : « Aulcuns escrivent, dit-il, que Charlemagne estoit natif de là, mais les aultres mettent Liége pour le lieu de sa nativité (4). » On sait le succès qu'obtint la Cosmographie de Sébastien Munster, et les nombreuses éditions qui en furent publiées; c’est ce livre qui a le plus contribué à répandre la tradition d'In- gelheim. Il a suffi d’un mot pour la renverser : le palais d'Ingelheim, où l’on veut que Charlemagne soit né, n'existait point en 742, puisque c’est lui-même qui l'a bâti plus tard (2). Cette circonstance et les fréquents séjours qu'y fit l’empereur ont pu seuls donner lieu à la tradition qui y place. son berceau. Il est d’ailleurs une chose avérée, c’est que ni Carlomau ni Pepin v’envahirent l'Allemagne au printemps de l'an 742, et que leur première expédition au delà du Rhin n'eut lieu qu'à la fin de cette année et au printemps de la suivante. Nous croyons donc inutile de nous arrêter davantage là-dessus; la tradition d'Ingelheim, comme celle de Carlsberg et de Vargel, doit être mise hors de cause dans ce débat, et le mémoire qu’a reçu l’Académie pour la défendre n’est assurément point de nature à modifier notre sentiment à cet égard. C'est un ramassis de fables (1) Munster, La Cosmographie universelle, p. 603. A la page 555 du même ouvrage, l’auteur s'exprime différemment : « Il habitoit en Germanie, dit-il, à savoir à Aix-la-Chapelle et Ingelheim qui est mon pays, où plu- sieurs affirment qu'il naquit; mais les autres disent que ce fust à Frisinge. » Voy. également l'édition latine de Bâle, 1552, in-folio, p. 289 et 491. (2) Znchoavit et palatia operis egregii, unum haud longe a Mogun- tiaco civilate , juæta villam cujus vocabulum est Excirenner. Einhardus, in Vita Karoli imperatoris, cap. 17, p. 452. — Voy. la liste des anciens palais royaux, etc., dans Besselius, Chronicon Gotwicense, p. 484, et dans Mabillon, De Re diplomatica, lib. IV. RTS GE re ( 605 ) et de niaiseries qu'on dirait avoir été écriles par un con- temporain de Jacques de Guyse ou de Lucius de Tongres. On y trouve, entre autres, l’histoire des empereurs de Constantinople et de l’exarchat; la suite des rois lom- bards; celle des papes de Rome depuis Martinus jusqu'à Eugenius ; celle des ducs de Brabant depuis Albero, en 445, jusqu'aux Pepins; les prémiers comtes de Hollande; la description du colosse de Rhodes et celle des orgues en- voyées en France par l'empéreur Constantin Copronyme; la mort de deux seigneurs cléricaux liégeois, tués par la foudre, l’an 1117, dans l’église cathédrale de S'-Lambert, etc.; mais de la question mise au concours, pas un mot, si ce n’est que Karolus était fils de Pipini, roi de France, duc de Brabant, de la Lorraine et de l'Alsace, dont le pére élait lui-méme grand maréchal et connétable de France, et que ce Karolus naquit au chäteau d’'Ingelheim , l'an 741. _ L'auteur en donne pour preuve une œuvre historique et authentique qu'il possède, et dont son mémoire n’est pro- bablement qu'une nouvelle édition revue et fort peu cor- rigée. Cette autorité ne nous a point paru suflisante pour oser proposer à l’Académie de lui adjuger le prix. De toutes les traditions relatives au berceau de Charle- magne , l'une des plus considérables est assurément celle d'Aix-la-Chapellé. Elle a eu pour défenseur l’illustre Ma- billon, et a été adoptée par les savants auteurs de l'His- toire littéraire de la France (1). Cette tradition ne repose, cependant, que Sur un passage du moine de S'-Gall, qui s'exprime de la sorte en parlant de la basilique que (1) Mabillon, De Re diplomatica, Supplem., p. 58. « Histoire lilte- raire de la France, t. IV, p. 569. ( 604 ) Charles fit construire dans cette ville : Cum strenuissimus imperator Karolus aliquam requiem habere potuisset, non otio torpere, sed divinis servitiis voluit insudare, adeo ut in GENITALI SOLO basilicam antiquis Romanorum operibus praeslantiorem fabricare propria dispositione molitus , in brevi compotem se voli sui gauderet (1); c’est-à-dire, selon la traduction de M. Guizot : « Lorsque le vaillant empereur Charles put jouir de quelque repos, ce ne fut pas pour languir dans l’oisiveté, mais pour s'occuper avec zèle de tout ce qui intéressait le service de Dieu. Son ar- deur à bâtir, d’après ses propres plans, et dans son pays natal, une basilique beaucoup plus belle que les ouvrages des anciens Romains, fut telle qu’il eut bientôt le plaisir de jouir de l’accomplissement de ses vœux. » Ces deux mots : genitale solum, ont suffi un moment pour mettre à néant toutes les autres traditions et faire considérer le problème comme résolu. On a cherché, de- puis, à les expliquer, et, tout récemment, un écrivain belge les a repris pour en appuyer les prétentions de Liége (2). Ils ont quelque importance pour Aix, sans doute; mais leur auteur mérite-t-il la confiance qu’on veut bien lui accorder? Son témoignage peut-il se concilier avec les indications qu’on trouve dans les monuments contem- porains? enfin, ces deux mots ont-ils eu, dans son esprit, la signification qu’on leur a prêtée? C’est ce que nous allons examiner. Le moine de S'-Gall, que l’on croit être Notker le Bègue, écrivait, comme on sait, vers l'an 884. Le livre (1) Monachi Sangallensis Gesta Karoli, lib. I, apud Pertz, €. IT, p. 744. (2) F. Henaux, Sur la naissance de Charlemagne à Liége, Recherches historiques. Liége, 1854, in-8. RNA ( 605 ) qu'il nous à laissé et qu'il a intitulé : Des faits et gestes de Charles le Grand, n’est pas, à proprement parler, une histoire, mais un recueil d’anecdotes qui a toujours inspiré fort peu d'estime aux érudits : « Il est inutile, dit dom Bouquet, de nous mettre en peine davantage de rechercher le nom de cet auteur, car son ouvrage le déshonore plutôt qu'il ne l’honore.…. Il est rempli de fables et d’historiettes mal assorties... Enfin, il s’y trouve de nombreuses er- reurs, et des fautes énormes de chronologie (1). » M. Guizot s’est montré plus indulgent envers cet écri- vain, non pas qu'il le considère comme une source au- thentique et sûre : « Il se peut, dit-il, que parmi les anecdotes recueillies par lui, beaucoup soient controu- vées, mais Ce qui nous importe le plus maintenant, ce n'est pas l’exactitude scrupuleuse des souvenirs, c’est leur ensemble, c’est l’état général des mœurs qu’il nous révèle et qui ne s’invente point : authentiques ou altérées, vraies ou fausses même, les anecdotes du moine de S'-Gall sur le caractère et la vie de Charlemagne ne peuvent manquer de nous intéresser vivement, car c'était là ce qu'on disait, ce qu’on racontait de lui soixante et dix ans après sa mort (2). » Nous sommes de l'avis de M. Guizot dans le jugement qu'il porte sur le moine de S'-Gall; il n’en est pas moins vrai que ce chroniqueur manque précisément des qualités (1) Bouquet, Recueil des historiens des Gaules ct de la France, 1. V, Préface, p. x. (2) Des faits et gestes de Charles le Grand, par un moine de S'-Gall, Préface, dans le t. IV de la Collection des mémoires relatifs à l’histoire de France, depuis la fondation de la monarchie française jusqu’au XIIIe siècle, trad. par M. Guizot; Paris, 1824 ,in-8°, — Voy. également ce qu'en dit Pertz, t. 11, p. 750, TS STE TER ( 606 ) propres à gagner notre confiance; que ses récits n’ont d'autre base que les souvenirs d’un vieux moine de son movastère, contemporain de Louis le Débonnaire et de Charles le Chauve, et ceux du père de ce moine, près de qui il avait passé son enfance; enfin que les mots geni- tale solum, tombés de sa plume, en leur supposant même la signification qu’on leur a attribuée, ne sont, en tout cas, que l'expression d’une opinion tout à fait individuelle, émise par un auteur étranger à nos contrées, écrivant cent cinquante ans après la naissance de Charlemagne et qui n’a pu être mieux informé qu'Éginard sur ce point. Son témoignage, en Jui laissant le sens indiqué plus haut, serait, du reste, en désaccord avec les renseigne- ments historiques que nous possédons sur les commence- ments de l’an 742. On a vu qu’à celte époque Pepin faisait la guerre à Griffon, dans les environs de ia ville de Laon, et que, cette guerre terminée, il partit presque aussitôt pour l'Aquitaine. À quel propos la reine Berthe, sur le point d’être mère, aurait-elle été s'établir, au mois de mars, à Aix-la-Chapelle, qui n’était pas compris dans les Etats de son époux, dont l'histoire n'avait jamais fait men- tion jusqu'alors, et où 1l n’est rien moins que certain qu'il y eût un palais pour la recevoir (1)? Le genitale solum du moine de S'-Gall signifie-t-il bien, d’ailleurs, le pays natal? L'un des auteurs des mémoires (1) La plus ancienne mention qui soit faite d’Aix-la-Chapelle existe dans une charte du 26 août 755; v. Baluze, Capitularia, etc., t. IL, p. 1591. Pepin y célébra les fêtes de Noël et de Pâques en 765. Voy. Éginard à cette année; Besselius, Chronicon Gotwicense, p. 453; Mabillon, De Re diplo- matiea, Supplem. Nous ne faisons point état d’une prétendue charte de Sigebert IT, de l'an 655, la fausseté de ce document ayant été suffisamment démontrée, V. Pardessus, Diplomata, ete., t. II, p. 97. ( 607 ) présentés à l’Académie, favorable aux prétentions de Liége, a combattu celte version, en faisant remarquer, avec raison, que le mot solum à un sens très-large; que si le chroniqueur eût voulu désigner un lieu plus circonserit, il avait à sa disposition locus, oppidum, castellum, villa, cinctus, etc. ; enfin, que l'expression solum ne doit servir qu’à faire re- jeter les prétentions de toutes les localités qui ne sont pas situées dans le rayon d’Aix-la-Chapelle, et à restreindre ainsi la question à cette ville, à Liége, à Jupille et à Herstal. C’est fort bien; mais comment préciser les limites de ce rayon? Pourquoi ne pas admettre plutôt que le moine de S'-Gall, par les mots dont il s’est servi, a simplement voulu désigner le pays de ses pères ? Qui ne sait, en effet, que le pays de Liége a été le berceau de la race Carlovin- gienne, la terre glorieuse d’où est sorte cette lignée de héros qui sauvèrent la chrélienté et placèrent la France au rang qu'elle occupe encore aujourd’hui? C’est à Liége et dans les territoires environnants, depuis Landen jus- qu'à Aix-la-Chapelle, qu'étaient leurs domaines patrimo- niaux; c’est là qu'ils aimaient à célébrer les fêtes de Noël et de Pâques; c’est là que Charlemagne vint mourir! Aix garde le tombeau de l’empereur, et cela suffit à sa gloire; jamais cette ville n’a réclamé d’autre honneur; tous ses historiens, ses propres enfants, vantent à l’envi l'affection que Charlemagne eut pour elle, mais, avant Mabillon, pas un, croyons-nous, n’avait songé à y placer son berceau; pas un, aujourd’hui, ne s’est levé pour le revendiquer (1). (1) Pierre de Beeck, lui-même, dans son Aquisgranum, rappelle la plupart des traditions qui avaient cours de son temps, au sujet de la patrie de Charle- magne, sans faire aucune mention des prétentions d’Aix-la-Chapelle. Voici ( 668 ) Nous voici arrivé à l'examen de l'opinion qui fait naître le fils de Pepin sur les bords de la Meuse, à Liége, ou dans l’un de ces palais royaux, Herstal, Jupille, d’où les pre- miers Carlovingiens datèrent parfois leurs diplômes. Pour- quoi n'en ferions-nous point l’aveu, toutes nos sympathies sont pour elle; Liége est notre mère, et nous voudrions pouvoir ajouler ce fleuron à sa couronne! Mais c’est la recherche impartiale de la vérité qui nous est imposée; nous n'avons pas dù l'oublier. Un écrivain a dit : « Tous les historiens liégeois sont unanimes sur le fait de la naissance de Charlemagne dans leur pays! » Un autre a répété : « La tradition liégeoise est seule vivante et manifeste; on la rencontre partout, dans Îles auteurs nationaux et étrangers. » Notre premier soin a naturellement été de constater celte tradition, et de rassembler les textes qui l'ont établie. Eh bien, force nous est de l'avouer, nous l'avons vaine- ment cherchée dans les monuments liégeois antérieurs au XVII® siècle. C'est Fisen, croyons-nous, qui l’a rap- comment il s'exprime à cet égard : De natalitio loco ipsius ambiquum est, contendentibus aliis in aula villae Ingelheïm prope Magonciacum, ad ripam Rheni fluminis in terra Rinconensi, quam aulam Karolus imperator magnus pro castro residentiae majestatis suae cisrhenanae quondam habuit, quamque Karolus IF imperator in monasterium ca- nonicorum regulae $. Augustini commutavit, progenitum ; juxta vetus Godefridi Viterbiensis carmen : Pipinus moritur cum surgit Carolus acer, Natus in Ingelheim, cui Bertha fuit Ungara mater ; aliis mordicus asserentibus Karlsbergi in castro non longe a Honachio dissito lucem primum aspeæisse, nec pauci in regia Jopilla vel Jopilia dimidio miliari ab urbe Leodio natum volunt, e regione Herstalli vict, ele. P. à Beeck, Aquisgranum, etc. Aquisgrani, 1620, in-4°, p. 54. las. ch ne dé mtes el RTL SE US TE I PES ( 609 ) portée l’un des premiers, en invoquant le témoignage de Marliano, géographe italien du XV'* sièele, dont il tron- que le texte en le citant, Marliano avait écrit : « Les ancé- tres de Charlemagne sont, au dire des Liégeois, originaires de Jupille, dans le voisinage de Liége (1). » Après lui, Fisen s'exprime de la sorte : « Charlemagne naquit à Jupille, selon le témoignage de Marliano et l'opinion la plus répandue aujourd'hui parmi nous. » Puis, il ajoute : « Si quelqu'un prétend le contraire, je n’en considérerai pas moins ce grand homme comme nôtre, parce qu'il passa une bonne partie de sa vie dans notre diocèse, qu'il en fit le siége de son empire et qu'il y mourut (2). » Jean de Chokier, chanoine tréfoncier de la cathédrale de S'-Lambert, écrivait en même temps que Fisen : « Aucuns disent que Charlemagne naquit à Liége (3), » et son asser- tion fut reproduite par les pères Foullon et Mantelius (4); (1) Apud Eburones srinpem Caroli Magni, in vico Jupilia, Leodiensi civitati proximo, ortum habuisse tradunt, etc. R. Marliani, Feterum Galliae locorum, populorum, urbium, montium ac fluviorum alpha- betica descriptio. (2) Carolus…. natus est Jupiliae , ut fere nostratibus omnibus placet. Si negat aliquis, nostrum esse nihilominus contendo, quod intra nos- trae dioeceseos fines ut plurimum commoralus sit, imperiique totius re- giam constituerit, ac denique diem obierit et sepultus sit. Fisen, Flores Ecclesiae Leodiensis , etc. Insulis, 1647, in-folio, p. 87. (5) … Quem nonnulli dicunt Leodii natum, teste Munsreno. J. de Chokier, Findiciae libertatis ecclesiasticae. Leodii, 1650, in-4, p. 79. (4) 7n eadem regione Tongrensi dioecesique Leodiensi imperatorum christianissimus vitam posuit ubi acceperat. Jupiliae enim natum constans apud nos fama est, placuitque externis quibusdam scriplori- bus. Foullon, Æistoria Leodiensis, etc. Leodii, 1755, t. 1, p. 141. — Cum laque Carolus Magnus, natalis soi captus dulcedine, Jupiliae aut Heristallii frequens ageret, ete. Mantelius, Æistoria Lossensis, etc. Leodii, 1717, in-4°, p. 21. Lt di da lE L ( 610 } mais cette opinion trouva peu d’écho et demeura oubliée jusqu’à nos jours. Nous venons d'indiquer les seuls textes nationaux qu'on invoque à l'appui des prétentions de Liége; voyons si les autres sont plus anciens et plus concluants. | Le premier écrivain étranger qui ait parlé de Ja tradi- tion liégeoise est Sébastien Munster, dont nous avons tan- tôt cité le passage à propos d'Ingelheim : « Aulcuns escrivent que Charlemagne estoit natif de là, dit-il, mais les autres mettent Liége pour le lieu de sa naissance; » et ailleurs, il remplace Liége par Frisingue, près de Carls- berg. Après Munster, c’est Pierre de Beeck, l'historien d’Aix-la-Chapelle; c'est Charron, l’obseur auteur d'une histoire universelle des Gaulois; c'est du Bosc de Mon- tandré, dans sa suite historique des ducs de la basse Lor- raine; c’est Le Cointe et Mabillon; c’est Pagi, enfin, qui, discutant la question dont nous nous occupons en ce mo- ment, constatent, en se répétant uniformément l’un l'au- tre, l'existence de la tradition liégeoise (4). Cette tradition ne remonte donc pas au delà du XVI"° siècle, et les textes qui l'ont établie se confondent avec ceux où il est dit que les Carlovingiens sont d’origine lié- geoise. Elle a trouvé, néanmoins, quatre ardents défen- seurs daus le concours ouvert par l’Académie. Nous indi- querons rapidement le système de chacun d'eux. (1) Vec pauci in regia Jopilla vel Jopilia natum volunt (P. de Beeck). Aucuns assurent, avec plus d'apparence de vérité, que Charlemagne estoit natif de Liége (Charron). Charles naquit, selon la tradition du pays, dans J'upille, auprès de Liège (Du Bosc de Montandré). Nonnulli ad Mosam Leodii Carolum natum volunt (Le Cointe). VNonnulli Leodii ad Mosam contendunt (Mabillon). Nonnulli ad Mosam Leodii Carolum natum esse volunt (Pagi). A ÿ L L ( 611 ) Le premier mémoire, portant pour épigraphe ces mots : Veritas temporis filia, reproduit les arguments développés dans une brochure publiée à Liége, il y a quelques années, et dont il a paru en peu de temps trois éditions. Charle- magne, selon l’auteur, est né sur le sol d’où sa race était originaire et où fut le berceau de sa puissance; ce fait, tout naturel, n’a pas eu besoin d’être relevé par les anna- listes, de là leur silence. Ce silence, d’ailleurs, n’est pas absolu; on possède un texte contemporain qui résout la question en faveur du pays de Liége, ce sont les deux mots du moine de S'-Gall. Au VIT" siècle, Aix formait un dis- trict du pagus leodiensis ; le chroniqueur a done pu donner à cette ville la qualification de pays natal (genitale solum) de l’empereur. Un siècle avant la naissance de Charlemagne, Liége était déjà réputée ville royale; mais quoique étant une des localités considérables de l’Austrasie, elle n’avait encore qu'une existence assez modeste. Après la translation du siége épiscopal dans cette ville, en 709, grâce à la résidence permanente de l'évêque et de son clergé et aux longs sé- jours que firent dans ses murs Pepin de Herstal, Charles Martel et Pepin le Bref, elle passa tout d’un coup de l'état de ville sans nom à celui de cité noble et célèbre. Sa phy- sionomie intérieure surtout se transforma par les soins des Pepins, qui y entreprirent de grands travaux publics. Vers l’an 725, Ogier le Danois, avoué de la cité, et surin- tendant des premiers Carlovingiens, y construisit un palais qui devint le séjour habituel des membres de cette famille; c'est dans ce palais que naquit Charlemagne! (1). (1) Voici comment l’auteur démontre l'existence, à cette époque, d’un palais, à Liége, sur l'emplacement du palais actuel : « En 740, un matin, ( 612 ) | La mère de ce prince, Berthe aux grands pieds, était liégeoise aussi; elle habita constamment Liége et y mourut. out, dans ce beau pays, parlait donc au cœur du héros; cela explique les nombreuses marques d'affection qu'il lui a prodiguées : ces églises qu'il a relevées et enrichies; ces diplômes qui confirment aux Liégeois leurs franchises et les déclarent les plus nobles citoyens de ses États; l’exemp- tion de tailles et de services militaires qu’il leur a octroyée; la riche bannière dont il fit présent à la cathédrale de S'-Lambert; ces priviléges qui donnèrent naissance au pro- dans l’église St-Pierre, attenante au palais, il s'exhala une odeur suaye du tombeau où était inhumé le corps de l’évêque Hubert : un tel cri d’éton- nement s’éleva parmi la foule, qu’il parvint jusqu'au palais : ad paLATIUM usque pervenit; Carloman, tout surpris, se lève de son siége royal, regali solio exiluit, et avec la reine et primoribus palatii sui accourut en hâte, voir ce miracle, écrivait, en 820, l’évêque Jonas, dans sa Vita S. Huberti. » Nous donnerons maintenant le texte de Jonas, qui sert de base à ce récit : Karlomanno rege, tertio jam anno regni Francorum sceptra regente (744), aeditui basilicae , qua sancti viri Huberti membra tegebantur, de- texere.... et introspicientes , gloriosum ejus corpus nulla detrimenta pas- sum, illaesum a dissolutione atque putredine repperiunt.…. Ecce enim, ad augmentandam tui nominis magnificentiam , non modo corporis in- tegrilas, vetusque venustas, sed et indumentorum ejus conservata est pulchritudo , et quodammodo antiqua novitas. EoDEM VERO DIE, HUJUSCE REI FAMA CIRCUNQUAQUE DECURRIT, ET PER CUNCTORUM ORA VOLITANS, AD PALATIUM USQUE PERVENIT. VENIT ENIN ET ILLUC NUNCIUS referens beatissèmi viri corpus, in conditorio quo olim exanime est condilum , nunc oculis visentium se offerre, etc. Quod postquam, fama vulgante, per cuncto- rum aures disseminatum est, certatim tam proximi quam et longinqui quique viri studuerunt illuc adventare.…. Ut autem in tanto miraculo Domini potentia potissimum magnificaretur, et virtus nota redderetur , pars permaxima princeps clarissimus atque orthodoæus extitit Karlo- mannus. Qui talibus auditis, regali solio exiluit, unaque cum uæore et primoribus palatii sui ad vèri Domini corpus pervidendum accessit, Vita S. Huberti, apud Roberti, Historia S. Huberti. Luxemburgi, 1621, in-4°, p. 56-61. ( 615 ) verbe liégeois : Pauvre homme en sa maison roi est; Lous ces faits historiquement constatés, toutes ces traditions qui se rattachent au grand nom de Charlemagne, n’attes- tent-ils point, en l'absence de documents plus positifs, que le grand empereur est liégeois !.… Le système que nous venons d'analyser repose en en- lier, comme on le voit, sur les deux mots du moine de -Gall, que l’auteur applique au pays de Liége, Aix-la- Chapelle formant, dit-il, au VIL"* siècle, un district du pagus Leodiensis. Une première objection à faire à ce système, c’est qu'il n’y avait point de pagus portant ce nom, à l’époque où naquit Charlemagne. Liége, en effet, naissait à peine, et avait encore trop peu d'importance pour qu’on eût songé à en faire la capitale d’une circonscription terriloriale quelconque. Nous attendrons, pour croire à l'existence du pagus Leodiensis, dans la première moitié du VIEIL": siècle, la découverte d’un monument contemporain où il en soit fait mention (1). Il faudra, ensuite, prouver que la ville d'Aix y était comprise, ce qui n’offre pas moins de difficulté (2). (1) L'existence du pagus Leodiensis, dans la seconde moitié du VIIIre siècle, nous paraît même aussi fort contestable. Nous ne considérons point, en effet, comme pouvant s'appliquer à Liége, le pagus Leotincinsis, mentionné dans une charte de 721 (Pardessus, Diplomata, 11, p. 524), ni le pagella Leuchius, cité dans une autre de 779, publiée par Lacomblet (Urkundenbuckh für die Geschichte des Niederrheins, etc. Dusseldorf, 1840, in-4°, 1. I, p. 1), et qui devient, en 844, dans un diplôme du roi Lothaire, rapporté par le même (p. 26), le pagus Lenkius, tandis que Liége est désigné sous le nom de Leodium ou plutôt Leodicum , dans Godescalk, écrivain du VII" siècle, de vwicus Leodicus , dans les annales de Lorsch et dans celles d'Éginard, à l'année 779, et de Ziugas (forme romane), dans le partage de 870. (2) A l'appui de ce qu'il avance, l’auteur du mémoire invoque le témoi- guage de Besselius. C’est une autorité considérable, sans doute, mais Besselius n’a-t-il pas pu se tromper? Rendons lui toutefois justice sur ce point; le savant (614) Que dire des autres arguments de l’auteur! La plupart n'ont de fondement que dans son imagination, ou ont été empruntés aux traditions fabuleuses qu'a mises en vogue parmi nous le chroniqueur Jean d'Outremeuse. Liége, déjà ville royale avant saint Lambert! L'existence dans celle cité, au commencement du VII" siècle, d’un palais qui servait de demeure habituelle aux membres de la fa- mille carlovingienne!... Les longs séjours qu'y firent les Pepins et Charles Martel! La reine Berthe, liégeoise, habitant constamment Liége et y terminant ses jours !.… Il y a là autant d'erreurs que de mots. Et quant aux pré- tendus priviléges que le fils de Pepin le Bref octroya, dit-on, aux Liégeois, l’auteur serait bien embarrassé si on lui demandait de les produire. En quoi, d’ailleurs, pourraient-ils servir à démontrer que Charlemagne est né sur les bords de la Meuse? Le second mémoire, présenté à l’Académie à l’appui de émule de Mabillon n'a cherché qu’à constater l'existence du pagus Leodiensis au IXre siècle, à l’occasion d’une charte à laquelle il assigne la date de 844, et que nous croyons plus récente (862? Besselius, De pagis Germaniae mediae, p. 656 Prodromi chronici Gotwicensis). Cette charte que les bénédictins Martene et Durand ont publiée dans leur Æmplissima collectio ; porte la souscription suivante : Æctum Novo Castro, in pago Leochensi (Leschensi, Bôhmer). Or, en admettant, ce qui nous semble fort douteux, que le pagus Leochensis ou Leschensis figurant ici, signifie bien réelle- ment le pays de Liége, il faudrait encore, pour y comprendre Aix-la-Chapelle, démontrer que les mots Vovum Castrum désignent cette ville. C’est ce qu'a prétendu, avec peu de critique, Aubert le Mire, auquel Besselius se réfère; mais on a depuis longtemps reconnu la fausseté de cette opinion. Voy. Germon, De palatiis, chap. IV de la Diplomatique de Mabillon ; Ernst, Histoire du Limbourg, t. 1, p.332 et suiv.; Lacomblet, Urkundenbuch, etc., loco citato ; Bouquet, etc. La ville d'Aix apparaît dès 753 dans les monuments publics, avec cette désignation qu’elle a gardée pendant toute la période carlovingienne : Aquisgrani, palatio regio. RENE ET LS SL mp. ds el ( 615 ) la tradition liégeoise, ne porte point d'épigraphe; il est intitulé : Notes pour servir à l'histoire de la naissance de Charlemagne, à Liége. C’est un travail volumineux, que le manque de certains livres a empêché l’auteur d'achever et qu’il n’a pas eu le loisir de revoir; cela explique les négligences qui s’y trou- vent. La discussion y est extrêmement confuse, difficile à suivre, et dénuée de critique. Pour faire naître l’empe- reur à Liége, l'écrivain cherche à établir, comme l’auteur du mémoire précédent, qu'il y avait dans cette ville, au commencement du VIII" siècle, un palais royal, et, comme lui, il tronque un passage de l’évêque Jonas, l’ha- giographe de saint Hubert, dont le texte a une significa- lion toute différente de celle qu'il lui prête; il va plus loin, et veut constater l'existence de ce même palais, à l’aide d'un plan de Liége au VIIT"* siècle, qu’il a découvert dans une chronique du XVIL®* (1). Il invoque aussi le témoi- gnage du moine de Saint-Gall, dont le genitale solum, selon lui, ne peut s'appliquer qu'à Liége, et les séjours continuels de l’empereur dans cette contrée lui semblent justifier de tous points cette opinion : c'était le foyer de ses pères et dé ses ancêtres, dit-il; d'Aix, Charlemagne pouvait venir, chaque jour, visiter ses châteaux liégeois, consulter ses évêques , son clergé, ses savants, visiter ses écoles, étudier les archives de sa famille et de son gouver- nement, qui reposaient à Jupille et à Liége?.... Voilà des archives qu'on ne s'attendait guère à trouver là, et qui (1) Cette chronique est conservée à la Bibliothèque royale. On rencontre fré- quemment des plans semblables dans nos manuscrits vulgaires , comme on les appelle; ils sont l'œuvre des rédacteurs mêmes de ces manuscrits, et n’ont d'autre objet que d'indiquer aux lecteurs les premières enceintes de la cité. ( 616 ) seraient bien utiles aujourd'hui, pour débrouiller la ques- tion que nous traitons. En somme, ce travail a coûté beaucoup de recherches à son auteur, notamment pour l'appréciation des diverses traditions relatives à la nais- sance du héros; il dénote des connaissances bibliogra- phiques assez étendues; mais il ne renferme pas un seul argument nouveau, pas une preuve qui ait nécessité de notre part le plus simple examen. Le mémoire portant pour épigraphe : Si desunt vires, Lamen est laudanda voluntas , est écrit en allemand, con- trairement aux règles du concours. Nous n'avons pas cru, toutefois, que, dans une circonstance où il nes’agit, en définitive, que de produire la preuve d’un fait, la question de langue fût un motif d'exclusion, pas plus que ne le serait à nos yeux la forme peu littéraire et même étrange de quelques-uns des mémoires, si la preuve demandée s’y trouvait. Nous avons donc compris l'analyse de celui-ci dans notre rapport, et nous avons été d'autant plus disposé à agir de la sorte que ce travail est le meilleur de ceux qui ont été adressés à l’Académie, celui où l'on découvre le plus de méthode et la connaissance la plus sûre des sources. Dans le doute existant au sujet de la patrie de Charle- magne, en l'absence de tout texte posilif à cet égard, le mieux, selon l’auteur, est de dresser une sorte d'enquête sur ce fait et de l’isoler de tous les renseignements incer- tains ou erronés. En premier lieu, il faut chercher à con- naître la résidence de la reine Berthe pendant l’année 742. Les considérations suivantes peuvent conduire sur la voie de la vérité. Il est reconnu que, à de rares exceptions près, l'épouse - et ea E re ( 617 ) d’un prince, à l'époque dont il s’agit, ne le suivait ni à la guerre, ni dans ses voyages; elle attendait son relour au lieu de sa résidence habituelle. Or, quels étaient les do- maines privés de Pepin le Bref? T1 y avait en Hesbaye ceux de Liége; dans les environs de Metz, les terres provenant du duc Ansegise, el au voisinage de Laon et de l'abbaye de Prüm, les alleux de la reine Berthe. De ces diverses pos- sessions, celles de Liége doivent être réputées le domaine essentiellement patrimonial des Carlovingiens, témoin les séjours fréquents qu'ils y firent; les environs de Metz ne sont presque jamais cités, et les possessions de Prüm ne tardèrent point à passer entre les mains de l’abbaye de ce nom. On peut induire de là que le pays de Liége fut considéré par Charles Martel et Pepin le Bref comme le lieu principal de leur résidence; que généralement leurs femmes y eurent leur demeure, et que c’est là, par con- séquent, qu'il faut chercher le berceau de Charlemagne. D'anciennes tradilions viennent confirmer cette hypo- thèse : l'auteur de la chronique rimée des ducs de Bra- bant, Jean de Klerk, poëte flamand du XIV° siècle, fait naître Charles et Carloman, son frère, à Herstal : Ende waren geboren recht. Tusschen Ludicke ende Maestrecht Staet een dorp ende heet Herstale : Daer stont wilen hare sale. A ces considérations, l’auteur en ajoute d’autres, que voici : S'il est fächeux que pas une seule chronique con- temporaine n'indique le lieu de la naissance de Charlema- gne, il en exisle néanmoins qui en mentionnent l’année. C'est là un fait considérable et qui conduit à admettre que si les auteurs de ces chroniques furent mieux informés que d’autres, c’est que, apparemment, 1ls se trouvaient Tome xx. — ['° parT. 45 (618) plus rapprochés; car chaque église n’a d'abord inséré dans ses annales que les événements accomplis à ses côtés, et particulièrement la date de la mort de ses bien- faiteurs, ou les événements importants relatifs à leurs familles. L'auteur en conclut que Charlemagne a dû naître dans le voisinage des monastères où il a été le plus exac- tement tenu note de sa naissance. C’est là une idée ingénieuse, qui ouvre une perspec- tive nouvelle dans ce débat et qui nous a séduit tout d'abord, bien qu’elle ne puisse, en définitive, conduire qu'à des hypothèses. Malheureusement , l'examen auquel l’auteur se livre, après ces préliminaires, est loin de don- ner raison au système qu'il défend. En effet, s'il est bien vrai que les chroniques belges de Saint-Amand et de Lobbes fassent mention de la naissance de Charlemagne, il en est aussi question dans celles de Fulde, de Salzbourg et de Saint-Emmeran de Ratisbonne qui leur sont anté- rieures (1). Nous laissons de côté celles qui ne peuvent être considérées comme monuments contemporains ou à peu près. Enfin, le document le plus complet et le plus précis à cet égard, puisque seul il mentionne le jour de la naissance du fils de Pepin, le fameux calendrier du (1) Annales Juvavenses majores (742-804): 742. Natus est Carolus; apud Pertz, tom. III, p. 122. — Annales Juvavenses minores (742-814) : 742. Natus est Carolus. Zbidem, tom. I, p. 88. — Annales Fuldenses antiqui (651-814) : 742. Karolus rex Francorum (natus est). Zbidem, tom. IL, p. 116. — Annales $. Emmerani Ratisponensis minores (écrites par différents auteurs qui se sont succédé de 732 à 1062) : 743. Karolus imperator nalus est. Zbidem , tom. I, p. 90. Tous ces textes sont contemporains de Charlemagne; les Annales S: Ainandi breves , au contraire, qu’il ne faut pas confondre avec les Annales S. Amandi et les Annales dites de Lobbes, mais dont la provenance est incertaine, sont de la fin du IXre siècle ou du commencement du Xe, V. Pertz, tom. I et III. ( 619 ) IX siècle, où Mabillon découvrit cette date, provenait du monastère de Lorsch, aux environs d'Ingelheim (1). L'auteur ne s’est point dissimulé la force de cette objec- tion, et a naturellement cherché à la détruire; mais il s’en débarrasse trop aisément , à notre avis, en attribuant, ce qui est inexact, une origine belge et commune aux dif- férentes chroniques que nous venons de citer; en préten- dant que le calendrier découvert par Mabillon n'a pas été rédigé à Lorsch, et qu'il n’est pas, en tous cas, bien certain qu'il fàt du IX"* siècle, Si un calendrier semblable eût existé dans ce monastère, dit-il, comment expliquer l'absence de toute mention relative à la naissance de Charlemagne dans les chroniques qui en proviennent? Comment Éginard, qui travailla d’après elles et les rema- nia, n'a-t:il point profité de la précieuse indication qui s'y trouvait? II faut donc croire que ce calendrier fut primitivement composé ailleurs, en Belgique peut-être, et qu'on ne l’a transporté que plus tard à Lorsch, d’où 1l vint ensuite à Paris. Voilà bien des hypothèses, pour en établir une autre, sur laquelle on ne saurait même asseoir rien de solide, Le plus sûr est de s’en tenir à l’avis de Mabillon, qui a eu le volume entre les mains et qui était assez bon juge dans ces sortes de matières, comme chacun cail. De tout ce qui précède, l’auteur conclut que les chroni- ques belges ont les premières indiqué la naissance de Charlemagne, et que c’est en Belgique, par conséquent, qu’il faut chercher sa patrie. Cette déduction, selon lui, gagne encore en force, quand on prend en considération les chroniques contemporaines qui ont omis ce fait; ni (1) Voy. la note placée au bas de la page 598. (62 ) les chroniques de la Souabe, de l'Alsace et de la Lorraine; ni celles de Lorsch, dans le voisinage d’Ingelheim, ni celles du bas Rhin ou des environs de Paris ne l’ont mentionné. Ce silence témoigne en faveur de nos contrées. Un dernier argument dont s’est servi l’auteur, et qui a également été invoqué dans la plupart des mémoires pré- . sentés à l'appui de la tradition liégeoise, c’est l'affection que Charlemagne eut pour Herstal. De tous les palais où l'empereur a séjourné, Aix et Herstal sont ceux qu'il habi- tait de préférence : c’est à Herstal qu'on le trouve le plus souvent, avant qu'il eût fait d’Aix-la-Chapelle le siége de son empire, avant que les infirmités de l’âge lui eussent renda nécessaire l'usage des bains d’eau chaude existants dans cette ville. Ne doit-on point considérer cette prédi- lection pour Herstal comme une sorte de retour aux lieux qui l’avaient vu naître? Nous avons rapporté plus longuement que nous ne l'avons fait pour les autres mémoires, les considérations développées dans celui-ci, parce qu’elles ont la plupart le mérite d'être neuves; mais est-il nécessaire que nous en démontrions le peu de solidité? Ce ne sont point les fré- quents séjours de Charlemagne à Herstal qu'il faut prou- ver, pour en tirer la présomption que cet empereur a pu y naître, mais ceux de son père et de sa mère. Or, les diplômes émanés de Pepin ne le montrent qu’une seule fois dans cette localité, en 752, et l’on ne voit pas que la reine Berthe y soit jamais venue; les domaines patri- moniaux des environs de Liége, où l’auteur fait séjourner la femme de Pepin, en 742, n'étaient point échus à ce dernier, dans le partage que fit Charles Martel avant de mourir, ils avaient été compris dans la portion du royaume assignée à Carloman, son frère aîné; le texte de tan. à … ( 621 ) la chronique rimée de Brabant, qu’il invoque pour établir l'existence de la tradition de Herstal au XIV siècle, n’est pas de Jean de Klerk, mais d’un copiste du siècle sui- vant, et ce passage interpolé que notre savant et regretté confrère M. Willems a publié dans les notes de son édi- tion des Brabantsche Yeesten n’a pas même le sens qu’on lui attribue : pour l’interpréter comme on l'a fait, il faut l'isoler de ce qui précède et de ce qui suit, modifier la ponctuation de l'éditeur, et admettre une ellipse qui ré- pugne. Quelle valeur historique auraient, en tous cas, deux vers du XV®* siècle dans un débat comme celui-ci? Ils ne pourraient, tout au plus, que reculer de cent ans l'existence de la tradition liégeoise. Nous croyons avoir répondu suffisamment, dans le cours de notre discussion, aux autres arguments de l’auteur; ajoutons, cependant, pour laisser le moins possible à dési- rer à cet égard, que le plus ancien codex des annales de Saint-Amand , qui servent de base à son hypothèse, ne remonte pas, comme on pourrait le croire, à l'époque de la naissance de Charlemagne; qu'il est, tout au plus, de la seconde moitié du IX"*° siècle, les notes chronologiques qu’il renferme étant de la même main, et le dernier évé- nement qu’elles rapportent, la mort du roi Lothaire, - appartenant à l'an 855. Pertz penche même pour le X"*, opinion d'autant mieux fondée que ces notes sont placées en marge d'un document qui est aussi d’une écriture parfaitement uniforme et qui s'étend jusqu’à l’an 914 (1). (1) C'est ce qu'a bien vouly constater pour nous notre savant ami le baron de Saint-Genois, à qui l’on doit une bonne description de ce précieux codex, conservé aujourd’hui à Gand, V. Catalogue méthodique et raisonné des manuscrits de la bibliothèque de la ville et de l’université de Gand. Gand, 1849-1852, in-8°, n° 149, p. 159, — Pertz, Monumenta, t. II, p.184. (622) Ainsi tombent toutes les inductions qu'on voudrait en tirer. Mais ce n’est pas tout ! S'il est une contrée où le souvenir de la naissance de Charlemagne aurait dû se conserver, c'était bien, dans le système de l’auteur, le pays de Liége; et pourtant, on en chercherait vainement la mention dans les annales de ses plus anciens monastères : les cartulaires de toutes ses églises sont également muets sur ce point; enfin, le nécrologe de la cathédrale de Saint-Lambert, con-. servé aux archives de l'État, à Liége, et où se trouvent inscrites les commémorations de plusieurs grands person- nages du VII et du IX"* siècle, du roi Carloman , entre autres, de Louis le Pieux et de Lothaire, des évêques Agil- frid, Fulchaire, Gherbald , etc., ne renferme pas même le nom du grand empereur des Francs. En voilà assez, croyons-nous, sur ce point. “tr sans plus tarder, à l'examen du dernier mémoire qu'a reçu l’Académie à l’appui de la tradition liégeoise. Dans ce travail, portant pour épigraphe ces mots du savant Alcuin : Magnus apex regum, l'auteur cherche d'abord à établir que Pepin le Bref n’épousa la fille du comte de Laon qu'en 749, ce qui rapprocherait de nous la naissance de Charlemagne; mais les monuments histori- ques sont contraires à celte opinion; puis cette date ne saurait se concilier avec celle de la mort de l’empereur, en 814, à l’âge de 72 ans; l’auteur est donc forcé d’en revenir à l’année 742. Il ne croit pas, du reste, à l'ignorance d'Égi- nard sur ce point; peut-être le confident de Charlemagne at-il voulu simplement jeter un voile sur un berceau peu illustre; peut-être le héros est-il le fruit de quelque amour illicite, le fils d’une autre Alpaïde, dont le souvenir n’est ( 623 ) point arrivé jusqu'à nous, car le doute règne aussi, selon lui, touchant le nom de la mère de l’empereur (1). L'auteur s'attache ensuite à préciser les limites du pays qu'on nommait autrefois Francia, le royaume des Francs, Sous les successeurs de Clovis, la capitale de la Francia est tour à tour à Metz et à Soissons; mais, au commence- ment du VIII** siècle, lorsqu'une rapide décadence attei- gnit toute la dynastie de Clovis, la Francia n’est plus que là où le caractère national s'était maintenu dans toute son énergie. À partir des Pepins, la Francia se trouve donc fixée en Austrasie, L'auteur cite, à ce sujet, différents textes tendants à prouver qu’au temps de Charlemagne, le mot Francia s’'appliquait à nos contrées; c'est ainsi qu’on trouve Heristallium in Francia, Herstal au royaume des Francs. Or, selon Ermold le Noir, écrivain du IX"° siècle, qui nous à laissé un poëme consacré à chanter les louanges de Louis le Débonnaire, Charlemagne est né dans la Fran- cia : Francia me genuit, le royaume des Francs m'a vu naitre, lui fait dire cet auteur. Un ancien glossateur des Capitulaires lui donne également la qualification de Franc par la naissance , Francus nativitate. Enfin, l’auteur ano- uyme des Annales Francorum Tiliani, à l'année 777, après avoir parlé de l'expédition de l’empereur en Saxe, le fait revenir dans sa patrie et célébrer la fête de Noël à Her- slal : Reæ reversus est in patriam. Celebravit natale Domini in Heristallio. *(1) Le diplôme du roi Pepin pour la construction et la dotation de l'ab- baye de Prüm, publié par Mabillon, au t. II des Annales ordinis S. Bene- dicti, indique nettement Bertrade ou Berthe comme femme de ce prince : ego Pippinus et conjux mea Bertrada.…. conjugem nostram Pertra- dam... Charlemagne, dans plusieurs actes émanés de lui, appelle égale- ment Bertrade, sa mère. — V. également les Annales Fuldenses ad ann. 770 et 784. ( 624 ) L'expression patria, selon l’auteur du mémoire, doit avoir ici le même sens que le genitale solum da moine de S'-Gall, et désigne une contrée plus ou moins restreinte, qui ne peut être que celle où habitaient autrefois les Pepins, puisqu'elle comprenait Herstal. L'épouse de Pepin , quelle qu’elle soit, que son mariage füt légitime ou non, n’a pu résider que dans quelques-uns des palais ou vici publici de ce prince, situés sur les bords de la Meuse, Liége, Jupille ou Herstal, mais plus proba- blement dans ce dernier, Jupille étant une résidence aban- donnée depuis l’époque d’Alpaïde, et Liége ne pouvant invoquer que des traditions locales douteuses el assez ré- centes. Jugeant, sans doute, qu'il n’y a dans tout cela rien de bien concluant, l’auteur passe à l'examen d'une question qui est de la plus haute importance pour l’éclaireissement du point qui nous occupe : la division du royaume des Francs entre Pepin et Carloman, après la mort de Charles Martel : « D'après un historien contemporain, dit-il, sans l'indiquer autrement, Pepin reçut en partage la France, la Bourgogne et la Provence; Carloman obtint les pro- vinces les plus reculées de l'Austrasie , la Souabe et la Thu- ringe. Le continuateur dgs Gesta regum se borne à remar- quer que Pepin et Carloman se partagèrent l'Austrasie : le premier reçut la partie centrale, où la puissance de sa maison était depuis longtemps affermie, le second, les limites du Rhin, où les races franques étaient sans cesse - menacées par d'autres races germaniques, non moins in- trépides et plus nombreuses. Pepin régna done aux bords de la Meuse et Carloman vers le Rhin, cela doit suffire pour déterminer le pays où naquit Charlemagne. » Si ces faits étaient avérés, on pourrait en tirer un précieux argument en faveur des prétentions de Liége, mais ils sont nt ‘ne #Gr 2 Te TE PPT ( 625 ) inexacts. Nous n'avons trouvé nulle part les divisions que l’auteur indique, ni dans les continuateurs de Frédégaire, qui sont probablement ce qu’il appelle les continuateurs des Gesta regum, ni dans Éginard, ni dans aucun autre monument contemporain. Nous croyons inutile d'insister sur la signification plus ou moins restreinte qu'il faut atla- cher, suivant l’auteur, au mot patria; et, quant à la Fran- ciæ, chacun sait qu’on désignait indistinctement sous ce nom, tout le royaume des Francs, l’Austrasie aussi bien que la Neustrie, la première portant plus particulièrement le nom de France orientale , et la seconde celle de France occidentale (1). Il ne nous reste plus qu’à parler de la tradition qui fait naître Charlemagne en France. L'Académie à reçu, à l'appui de cette opinion, un mé- moire écrit en latin, se composant d’une quarantaine de pages, dont plus de la moitié sont consacrées à l’examen de l’origine des Pepins. Nous nous abstiendrons de rap- porter ce qu’en dit l’auteur : le poëme des Niebelungen , les chroniques de Jacques de Guyse et les autres sources aux- quelles il a principalement eu recours pour cette partie de son travail, appartiennent plus au domaine de la fiction et de la fable qu’à celui de la réalité et de l’histoire; aussi n’a-t-il réussi qu'à rendre plus obscure encore une ques- tion qui l’est déjà bien assez. Il règne un peu plus de critique dans les pages relatives à Charlemagne. Après avoir indiqué rapidement les divers systèmes qui le font naître en Allemagne et en Belgique, et les avoir déclarés inadmissibles, l’auteur cherche à prou- (1) Au IXre siècle, le moine de S'-Gal désigne aussi la première sous le nom de France ancienne, et la seconde sous celui de France moderne. ( 626 ) ver que le fils de Pepin a dû voir le jour au siége principal du majordomat de son père; il passe en revue quelques- uns des documents émanés des deux derniers maires du palais et de Childérie INT, en assignant, dans l'intérêt de sa thèse, aux actes de ce dernier des dates qu'ils ne sauraient avoir (4), et il en conclut que le siége de leur domination était dans le voisinage de Noyon, de Kiersy et de Saint-Denis; que c’est là, par conséquent, et non dans l’Austrasie, qu'il faut placer le berceau du grand em- pereur : « Le héros, dit-il, est franco-gaulois ou neustrien par sa naissance; par sa nationalité, il est austrasien ou germain, et descend d’une famille brabanto-liégeoise, issue des anciens rois sicambres!.…. » L'opinion qui fait naître Charlemagne en France, dans le royaume de Neustrie, est, à notre avis, la seule proba- ble, la seule qui s'accorde avec les événements contem- porains; mais l’auteur ne l’a point suffisamment établie; il ne touche qu’à une seule des questions qu'elle soulève, et en néglige plusieurs qui sont capitales, notamment celle du partage du royaume des Francs entre les fils de (1) C’est ainsi que l’auteur, pour démontrer la présence de Childeric II, aux mois de mars et d'avril 742, dans les palais de Kiersy et de Compiègne, et en induire celle de Pepin dans les mêmes lieux, indique comme portant cette date deux diplômes émanés dans la première année de son règne. Or, ces diplômes ont toujours été considérés par les savants comme appartenant à l’année 745. En effet, bien qu'on ignore la date certaine du couronne- ment de Childeric, il résulte des textes publiés par M. Pardessus, dans les Diplomata , combinés avec les chartes du monastère de Weïssembourg, mises au jour pour la première fois à Spire, en 1849, in-4°, par le savant Zeuss, et réimprimées à Ja suite du recueil de M. Pardessus, que ce cou- ronnement a dû avoir lieu entre le 2 janvier et le 2 mars 743. Voy. à ce sujet L. Oelsner, De Pippino rege Francorum quaestiones aliquot. Vratisla- viae, (18542), in-8°, Bordier, du Recueil des chartes mérovingiennes, etc. M Paris, 1850, in-8°. ( 627 ) Charles Martel. I a entrevu ce que nous croyons être la vérité, mais il n’a pas su la faire luire à nos yeux. Il résulte de la longue discussion à laquelle nous venons de nous livrer, qu'aucun des mémoires adressés à l’Aca- démie ne renferme la solution demandée, et qu'il n’y a pas lieu, par conséquent, de décerner le prix. Qu'il nous soit permis d'ajouter quelques mots, pour - achever d'exposer notre opinion personnelle sur l’objet de ce débat, et tâcher de faire passer dans tous les esprits la conviction qui nous anime, Reprenons, en le serrant, le récit des événements qui précédèrent la naissance de Charlemagne; c'est le seul moyen d'arriver à connaître la vérité. Avant Charles Martel, les Carlovingiens séjournent en Austrasie; ils tiennent leur cour à Herstal et à Jupille; c’est là qu'est le siége de leur puissance. Cette situation change à l'avénement du fils d'Alpaïide, et depuis 722 jus- qu'en 752, on ne trouve plus un seul de leurs diplômes daté de nos contrées. L'autorité des Pepins a grandi; la Neustrie subit à son tour leur domination; ils tiennent sous leur garde, dans les palais des bords de l'Oise et des environs de Paris, ces fantômes de rois qu’ils sont à la veille de détrôner; c’est là qu’on retrouve Charles Martel après ses longues guerres; c’est de là qu’il date le dernier acte que nous avons de lui; c'est à Kiersy, enfin, qu'il meurt, le 21 octobre de l’an 741. Qu'avaient à faire ses fils après sa mort? À prendre aussitôt possession du vaste héritage de leur père. Nous avons dit comment le royaume fut partagé : à Carloman, VAustrasie; à Pepin, la Neustrie. Cela à été contesté; nous n’hésilons pas à déclarer la preuve du contraire im- possible; on possède des documents authentiques, démon- ( 628 ) trant à l'évidence que depuis la fin de l'an 741 jusqu'à 747, époque à laquelle il embrassa la vie monastique au Mont-Cassin, Carloman gouverna nos contrées : il y a le synode qu'il présida le 21 avril 742, et le concile de Leptines qui se tint l'année suivante; il existe également des chartes émanées de lui en 746 et 747, en faveur des abbayes de Stavelot et de Malmédy (4); il y a aussi celles du monastère de Weissembourg, récemment publiées, et dont plusieurs attestent le majordomat de ce prince en Austrasie, pendant la période indiquée plus haut (2); il y a enfin l’énoncé uniforme de tous lés annalistes de l’épo- que; et, pour confirmer ces nombreuses autorités, le pas- sage de l’évêque Jonas, contemporain de Charlemagne, passage cité plus haut et d'où il ressort qu’en 744, Carlo- man séjournait dans les palais voisins de Liége (5). Nous croyons donc inutile d'insister davantage là-dessus. Après avoir élé reconnus par les leudes, dans la partie du royaume qui leur était échue, que firent les deux nou- veaux princes? [ls eurent à réprimer la tentative de Griffon. Sonnechilde et son fils tombèrent entre leurs mains, et celui-ci fut remis à Carloman, qui l’enferma dans l’un de ses châteaux de l’Austrasie, désigné par les chroniqueurs (1) Voy. ces chartes dans les Diplomata, chartae, epistolae, leges, ete., collecta a Brequigny et la Porte du Theil, édit. de Pardessus, t. II. (2) Traditiones possessionesque Wizenburgenses, ed. Zeuss. Spirae, 1842, in-4°. (5) Voy. p. 612, en note. La troisième année du règne de Carloman (744), on découvrit le corps de saint Hubert à l’église de Saint-Pierre, à Liége, dans un parfait état de conservation. De là, grand émoi parmi le peuple; le méme jour, le bruit s'en répandit partout, dans les environs, et arriva jusqu’au palais. A cette nouvelle, dit le chroniqueur, Carloman vint avec sa femme et tous les grands de sa cour contempler et vénérer les restes du saint évêque. nt ( 629 ) sous le nom de Neufchâteau, près de l'Ardenne /{Novum Castellum juxta Arduennam). Les historiens diffèrent entre eux sur un de cette localité : Pertz, d'accord avec le plus grand nombre, penche pour la ville qui porte encore aujourd'hui ce nom dans la province de Luxembourg; Aubert le Mire y voit Aix-la-Chapelle, et le savant curé d’Afden, Chèvre- mont (1). Nous n’avons point à entrer dans cette discus- sion; ce qui importe à notre système, c’est que Neufchà- teau fit partie de l’Austrasie; or, les diverses localités dont nous venons de parler y étaient toutes comprises. Carlo- man emmena donc Griflon, et revint avec lui dans son royaume. Les chroniqueurs sont muets à l'égard de Pepin! Mais ici se place un fait considérable, auquel on n’a jamais pris garde, et qui mérite pourtant la plus sérieuse attention. Griffon n’est pas seul tombé au pouvoir de ses ennemis; Sonnechilde, l’auteur de la guerre, est également prison- nière. Que devient-elle? L’annaliste de Metz répond à cette question : on l’enferme au monastère de Chelles! (2). Chelles! dans les environs de Paris... Chelles! voisin des palais royaux des bords de l'Oise... Chelles! où Pepin, veillant sur cette femme ambitieuse, comme faisait Carlo- man sur Griffon, l'aura probablement conduite lui-même, à son retour de Laon, en allant rejoindre la reine Berthe, qui étail à la veille d’être mère. D’autres circonstances, d’ailleurs, nécessitaient impé- (1) Pertz, 1. 1 des Monumenta, p. 154, en note. — Miraeus, Opera diplomatica , t. 1, p. 496, en note. — Ernst, Histoire du Limbourg, 1.1, p. 554. (2) Sonthildi vero Calam monasterium dederunt. Annales mettenses, ad annum 741, apud Pertz, t. 1, p. 527. ( 630 ) rieusement alors la présence de Pepin dans ses États : les préparatifs d'une nouvelle guerre et les précautions à prendre envers un autre prisonnier, Childeric HT, le der- uier mérovingien, qu'il devait bientôt remplacer sur le trône, et qu'il eût été dangereux d'abandonner aux sug- gestions des mécontents. Aussi lit-on dans Éginard, que les deux frères n’entreprirent l'expédition d'Aquitaine qu'après avoir tout disposé pour que le royaume fût en paix pendant leur absence (1). En admettant même qu'après la révolté de Griffon un événement extraordinaire eût appelé Pepin en Allemagne, sur les bords du Rhin, ou près de Carloman, dans nos contrées, n’en aurait-il pas été fait mention quelque part, et le profond silence que gardent les historiens à ce sujet, ne doit-il pas être envisagé comme une preuve de sa pré- sence en Neustrie, au moment où naquit Charlemagne? Enfin , si l'absence de Pepin, à cette époque, pouvait être constatée, ne faudrait-il pas encore admettre que, dans l'état où elle se trouvait alors, la reine Berthe eût été dans l'impossibilité de suivre son époux? À ces arguments, dont on ne saurait contester la valeur, qu'opposent les partisans de la tradition liégeoise? Ils invoquent les fréquents séjours de Pepin sur les bords de la Meuse. Mais les monuments historiques, avons-nous dit, démentent formellement cette assertion. Qu'on ouvre les chartes émanées de Pepin, une seule est datée de Her- stal, le 25 avril 752, c'est-à-dire à une époque où, par l'abdieation de Carloman, l’Austrasie était, depuis .plu- sieurs années déjà, passée sous la domination de ce prince; au moment même où il venait d'être proclamé roi. Tous (1) … Ut in externa profectt, domi omnia tuta dimillcrent… etc Einhardi Annales, ad annum 741. | | ( 651 ) ses autres diplômes, à part celui du 26 août 755, donné à Aix, au retour de l'expédition de Bavière, sont datés des villes et des palais des bords de l'Oise : c'est Vermeries, c'est Soissons, c’est Attieny, c'est Verneuil, c’est Vern, entre Paris et Compiègne, c'est Compiègne lui-même, c'est Chantilly, c’est Saint-Denis. Enfin, c'est également de Compiègne et de Kiersy que le simulacre royal, Childe- ric LI, gardé à vue par Pépin, en attendant qu'il le fasse raser et enfermer dans un monastère, date, en 745, les premiers actes publics qui paraissent sous son nom (1). Si l’on consulte ensuite les annalistes contemporains, qu'y voit-on ? Pepin revenant sans cesse, après ses guerres, dans cette partie de la France qui fut bien réellement le siége de son empire, et célébrant presque toujours les fêtes de Noël et de Pâques à Kiersy, où son père était mort. Lui-même, enfin, mourut à Paris et fut enterré à S'-Denis (2). C'est là, dans le territoire qu'on nomma plus tard l'Ile de France, qu'est né Charlemagne; c’est là que la France elle-même, par la voix de ses plus vieux trouvères, a placé son berceau ; c’est la plus ancienne de toutes les tradi- tions (5). Et, comme pour l’aflirmer, c’est là aussi qu’ap- (1) Voy. pour l’époque antérieure à l’avénement de Pepin, les Diplomata, chartae, etc., de Brequigny et la Porte du Theil, édit. de Pardessus, t. I, et pour l’époque de la royauté de Pepin : Bühmer, Regesta chronologico- diplomatica Karolorum. Francfort, 1833, in-4. (2) Voy. les Annales d'Éginard, passim et ad annum 768. (5) Il n'y a point, à la vérité, de texte formel à cet égard dans les an- cennes chansons de geste de la France, mais cela ressort évidemment, selon M. Paulin Paris, de l’ensemble de ces compositions romanesques, dont la plupart remontent au XII" siècle. Notre vieux Jean d'Outre-Meuse, qui n’a fait bien souvent que les copier, place également à Paris le berceau de Charlemagne : « De cheis trois enfans, dit-il, ly uns, Charle, li Gis le petit Pepin, en fut neis à Paris ». (Chronique en prose.) PR , (652) paraît pour là première fois à nos yeux le héros, en 754, âgé de douze ans, lors des cérémonies qui eurent lieu pour la translation des restes de saint Germain des Prés (1). Mais là n’est point sa seule patrie. Ce fut sur le vicux sol éburon que se formèrent ces générations de grands hommes qui fondèrent, en France, une dynastie nouvelle et préparèrent les destinées de leur immortel descendant : Pepin de Landen , Pepin de Herstal, Charles Martel, Pepin le Bref! Quels noms à inscrire aux premières pages de nos annales! Joignons y celui qui les surpasse tous : CHARLE- MAGNE !.... Si le hasard l’a fait naître sur les bords de l'Oise ou de la Seine, le vieux domaine de ses ancêtres, le foyer de ses pères était aux rives de la Meuse ! Charles Martel l'avait abandonné; son petit-fils y revint... Que Liége honore éternellement sa mémoire ! » Après avoir entendu les observations qui lui ont été présentées, l’Académie a jugé qu’elle ne pouvait décerner le prix. (1) Vita S. Germani, episcopi Parisiensis, a monacho pratensi ano- nymo scripta, Caroli Magni principatu, apud Mabillon, Acta Sancto- rum ordinis S. Benedicti; Venetiis, 1754, t. Il, p. 88. ( 653 Séance du 27 mai 1856. (9 heures du matin.) M. le baron pe GERLACHE, président. M. A. QuereLer, secrétaire perpétuel. Sont présents : MM. le chevalier Marchal, de Ram, Roulez, Gachard, Borgnet, le baron de Saint-Genois, Schayes, Paul Devaux, Carton, Haus, Polain , de Witte, Faider et Arendt, membres. M. le Ministre de l'intérieur demande des extraits au- thentiques des procès-verbaux de l’Académie, constatant les dons faits par feu M. de Stassart, en 1851 et 1855. « Les indications contenues, à cet égard, dans les procès- verbaux de l’Académie me permettront sans doute, ajoute M. le Ministre, de régulariser sans plus de retard, l'accep- lation des dons dont il s'agit, conformément au vœu qui était exprimé dans ma lettre précitée du 10 novembre 1854. » Re CYR Œr I (La classe, après avoir reçu communication de la cor- respondance, s'occupe, en comité secret, de régler tout ce qui concerne la séance publique du jour suivant, entend - la lecture des principales pièces destinées à être lues en celle circonstance, et qu'on trouvera plus loin.) = CSS Tous xx. — ['° par. ( 634 ) Séance publique du 28 mai 1856. M. le baron DE GERLACHE, président de l’Académie ; M. le chanoine pe Ram, vice-directeur; M. À. Querezer, secrétaire perpétuel. Sont présents : MM. le chevalier Marchal, Roulez, Ga- chard, Borgnet, le baron de Saint-Genoïis, Paul Devaux, Schayes, Carton, Haus, Leclercq, Polain, de Witte, Arendt, Faider, membres ; Nolet de Brauwere Van Stee- land, associé; Ducpetiaux, Mathieu, Chalon, Th. Juste, correspondants. Assistaient à la séance : Classe des sciences : MM. Dumont, directeur; Gluge, vice-directeur; d'Omalius d'Halloy, Sauveur, Timmermans, Wesmael, Martens, Cantraine, Kickx, Stas, De Koninck, Van Beneden, Ad. De Vaux, Nerenburger, Schaar, Lia- gre, Duprez, Lacordaire, Brasseur, membres ; Poelman, Ern. Quetelet, Jules d'Udekem , correspondants. Classe des beaux-arts : MM. De Keyzer, directeur; Alvin, vice-directeur ; Braemt, F, Fétis, G. Geefs, Navez, Roc- Jandt, Suys, Joseph Geefs, Erin Corr, Snel, Fraikin, Par- toes, Ed. Fétis, De Busscher, Portaels, membres; Cala- matta, associé; Balat, correspondant. M. le Ministre de l’intérieur, membre de la classe des lettres , assiste à la séance. Un public nombreux remplit la salle du Musée. Un peu après une heure, S. A. R. le duc de Brabant, ? ( 655 ) accompagné de M. le comte de Lannoy, grand maitre de sa maison, de M. le colonel baron Goethals, son aide de camp, et de M. le baron d'Overschie de Neeryssche, son oficier d'ordonnance, entre dans la salle, introduit par M. le baron de Gerlache, président, et par une députalion de l’Académie. Son Altesse Royale prend place sur le fauteuil qui lui est réservé. Le bureau est occupé par MM. le baron de Ger- lache, président; le chanoine de Ram, vice-directeur ; Quetelet, secrétaire perpétuel; Dumont, directeur de la classe des sciences, et De Keyzer, directeur de la classe des beaux-arts. A 1 heure un quart, M. le baron de Gerlache ouvre la séance par la lecture du fragment historique suivant sur les relations des papes et des princes chrétiens, partieu- lièrement au XVI"* siècle, vers l’époque de la réforme. MowseieneurR , MESSIEURS, La conduite de Charles-Quint à l'égard du Saint-Siége, sa politique, ses atermoiements avec la réforme, telles sont les accusations qui pèsent le plus fortement sur sa mémoire, Mais pour les apprécier à leur juste valeur, il ne faut pas les séparer des circonstances et des nécessités de l'époque. Le pape jouit, encore de nos jours, en qualité de chef de l'Église, d’un très-grand pouvoir, d’un pouvoir d'autant plus étonnant, qu'il est le seul qui ait survécu à l'action irrésistible du temps et à toutes les révolutions du monde; mais, comme prince temporel, son influence est devenue presque nulle dans les guerres qui s'élèvent entre les nations, Il n’en était pas de même au XV" et au XVIsiècle. Alexandre VI, Jules IF, Léon X, Clément VIF, sav. à % ( 636 ) Paul IE, Jules III, Paul IV, se trouvèrent mélés à tous les conflits et à toutes les intrigues politiques qui agitèrent ltalie. Cette cause et bien d’autres encore, telles que le relächement général des mœurs , l'amour des richesses, le goût du luxe, qui envahirent toutes les classes et la cour pontificale elle-même, exercèrent une très-fächeuse in- fluence sur le grand événement du XVI”* siècle. Quand j'étudie l’histoire de la réforme dans les ouvrages les plus accrédités de notre époque, par exemple, dans les Histoires de Luther et de Léon X, par M. Audin, dans l'Histoire universelle de l'Église, par M. l'abbé Robrbacher, et dans beaucoup d’autres, j'ai peine à me rendre un compte bien exact des causes de cet immense incendie qui embrasa l’Europe presque tout entière avec tant de rapidité et de facilité. Pour expliquer le point de départ de la réforme, M. Audin regarde l’état de la religion en Allemagne, où le luthérianisme est né; il compare l’Alle- magne à l'Italie, et le parallèle lui semble tout à l’avan- tage de celle-ci. « En Allemagne, dit-il, comme en Italie, les ordres religieux s'étaient multipliés au commencement de la réforme; mais, il faut le dire, rien ne ressemble moins, en général, à une cellule italienne qu'une cellule allemande. Dans l’une habite ordinairement, comme nous l'avons pu voir , la science unie à la piété; le moineitalien est théologien, philosophe, historien, peintre et sculp- teur... En Allemagne, il n’en est point ainsi : le moine a trop souvent négligé les sciences, parce qu'il n'a pas près de lui un pape pour les précher… Or, qu’on lise l’histoire : les peuples barbares n’ont presque jamais opposé de résis- tance à ceux qui leur ont proposé de changer de religion. » L'Allemagne, qui possédait plusieurs universités , comme celles de Prague, de Vienne, de Cologne, de Bâle, ee i { L % L; à 1 A L ( 637 ) d’Ingolstadt, d'Erfurt, manquait d'écoles élémentaires; l'instruction n'y était pas gratuite, ainsi qu’en Italie. C’est à cette absence d'instruction pédagogique qu'il faut attri- buer ce vice ignoble répandu dans toutes les classes de la société, l'ivrognerie. » Quand on suit attentivement Luther, en chaire, à ta- ble ou dans sa cellule, on voit arriver incessamment sous sa plume ou sur ses lèvres un mot bien capable de remuer les masses, le mot liberté. 11 l’inscrit dans son livre de Libertate christianorum ; il le place en tête de son livre de Captivitate Babylonic ; il le glisse dans sa correspondance avec ses frères. On voit donc quel effet devait produire l'appel à la liberté que Luther fit retentir en chaire. La liberté, c'était, pour l’empereur, suivant le sens que Hut- ten donnait à cette expression, la délivrance du joug du pontife romain, l’affranchissement des taxes de la chan- cellerie romaine ;… pour les villes, la sécularisation d’un grand nombre d’abbayes, dont les biens allaient passer à la commune; pour les pauvres paysans attachés à la glèbe, le droit de pêcher dans l'étang de leur seigneur, de couper l'herbe dans ses prés... » À ces causes diverses, qui hätèrent le triomphe de Luther, ajoutez le mouvement imprimé à l'esprit humain par l'invention de l'imprimerie, etc. (1). » Nous sommes loin de nier l'influence de ces différentes causes, mais nous pensons qu'il en est d’autres, et de plus puissantes, que l’auteur passe sous silence ou dont il tient trop peu de compte : nous voulons parler de celles qui partaient du centre même de la catholicité. En réalité, (1) Æistoire de Léon X,, chap. XX. ( 638 ) Luther et Çalvin n'ont point fait la réforme, pas plus que Voltaire et Rousseau n’ont fait la révolution de 89. Ils en ont été les promoteurs et non la cause : ils ont recueilli et reflété les opinions de leur temps; ils en ont accéléré le mouvement par l’ascendant de leur esprit et le prestige de leur langage. Lorsque je repasse dans ma mémoire cer- tains actes du règne de Louis XIV, qu’ensuite je descends à la régence, puis à Louis XV, puis aux premières années de Louis XVI, je comprends cette grande révolution fran- çaisé, aujourd'hui presque européenne, commé une con- séquence toute naturelle des faits antérieurs. La justice de Dieu se fait sentir dès ce monde, aux peuples et aux rois, et chacun recueille d'ordinaire le fruit de ses œuvres. Quand le sceptre sort d’une famille pour passer dans une autre, c’est que cette famille est dégénérée et réprouvée. Les chefs de l'Église sont punis, tout comme les princes temporels, quand ils abusent de leur autorité. Mais alors, Dieu frappe le prince, tout en maintenant le pape, pour rester fidèle à sa parole et pour consérver toujours de- bout son représentant sur la térre. Lorsque je regarde les règnes de quelques-uns des prédécesseurs de Clément VIF, je comprends mieux le succès de la guerre impie déclarée à l'Église par les hérésiarques du XVI" siècle. Lorsque Clément forma avec la France cette ligue, qui lui fut si fatale; lorsque, suivant les traces d'Alexandre VI (1), (1) En 1484, Charles VIII, roi de France, se disposant à passer en Italie pour conquérir le royaume de Naples, Alexandre V[ chercha à lui susciter partout des ennemis. Mais Charles s'étant emparé de Rome, le pape se dé- clara son allié; puis, lorsque les Français se furent rendus maîtres du royaume de Naples, il forma une ligue nouvelle avec l'empereur et les Vénitiens, pour les en expulser. { L ( 639 ) de Jules IT (1), de Léon X (2), il essayait de soumettre à sa domination toute l'Italie, le pape ne parut plus aux yeux des peuples troublés comme le père commun de la chré- tienté, mais comme un ennemi en face de ses ennemis. Tous ces papes avaient pour but, comme ils le disaient eux-mêmes, de chasser les barbares hors de l'Italie. « La » guerre entreprise par Clément VIT contre les Espagnols, dit M. Ranke (5), fut sa décision la plus hardie et la plus » grandiose, mais la plus malheureuse et la plus rui- » neuse. » Cette idée, avec laquelle on s'efforce encore de nos jours de soulever l'ftalie, peut paraître hardie et gran- diose, au point de vue de la politique humaine; mais elle semble peu compatible avec les devoirs de la papauté. On CA (1) Jules conclut en 1508 la fameuse ligue de Cambrai avec les rois de France, d'Aragon et l’empereur, contré les Vénitiens. Mais ceux-ci ayant restitué au pape les portions de territoire qu'ils lui avaient enlevées, il chan: gea de parti et s’unit aux Vénitiens contre les Français. (2) Léon X fit d’abord alliance avec les Suisses; puis, après la bataille de Marignan, il s’unit à Francois Ir; puis, lorsqu'il vit que celui-ci était le plus faible dans sa lutte avec Charles-Quint, il passa du côté de ce dernier. Au fond, sa politique, comme celle de ses prédécesseurs, était de détruire les étrangers les uns par les autres, afin d’en délivrer le pays. « Nous avons, dit M. Audin, en parlant de Jules IT (a), bien de la peine à nous séparer de ce pontife-roi. Écoutons-le encore un moment : voici ce qu’il écrivait de son lit de mort à son frère : « Mon cher frère (c’est au cardinal » Sixté-Gaza de la Rovère qu'il s'adresse), vous ne comprenez pas pourquoi » je me fatigue ainsi au déclin de la vie. 4 l’Italie , notre mère commune, » je voudrais un seul maître, et ce maître $érait le pape! Mais je me » tourmente inutilement : quelque chose me dit que l’âge m’empêéchera » d'accomplir ce projet. Non! il ne me sera pas donné de faire pour l'Italie » tout ce que mon cœur m'inspire... + Nous verrons bientôt ce qu'il en a coûté à Clément VII pour avoir suivi la politique de ce pontife-roi. (5) Æistoire de la papauté, Y, 148. (a) Histoire de Léon X, chap. XVI. ( 640 ) peut appliquer à Clément VIT ces paroles de Feller sur Jules [T : « Le sublime de sa place lui échappa. Il ne vit » pas, ce que voient si bien aujourd’hui ses sages succes- » seurs, que le pontife romain est le père commun; qu'il » doit être l'arbitre de la paix, et non le flambeau de la » guérre. Tout entier aux armes et à la politique, il ne » paraissait chercher dans la puissance spirituelle que le » moyen d'accroître la temporelle (1). » L'auteur moderne d’une Histoire des papes (M.-Henrion) demande « si Feller attribue au pape le privilége de se » laisser battre quand on l'attaque et dépouiller sans mur- » mure quand on lui prend ses villes (2)? » Telle n’était sans doute point la pensée de Feller. Les guerres soute- nues par les papes étaient justes, nécessaires même, lors- qu’elles avaient pour but leur légitime défense ou celle de la chrétienté. L'auteur de l'Histoire des papes semble recon- naître lui-même la vérité de cette distinction, en avouant que l'on reproche à Jules IT « d’avoir été trop guerrier, » (1) Dictionnaire historique, v° Jules II. (2) M. De Maistre, en relevant le passage de Feller que nous venons de citer, y fait à peu près la même réponse (a). Ce puissant champion de l’Église romaine, qui l'a si hautement vengée des calomnies des gallicans, des jan- sénistes, des protestants et des incrédules, a démontré que la papauté a fait l'Europe ce qu’elle est, en l'organisant chrétiennement; mais, entraîné par l’ardeur de la défense, il semble oublier parfois les faits, en soutenant sa thèse apologétique d'une manière trop absolue. Jules II ne se borna pas, ainsi que nous venons de le remärquer, à reprendre aux Vénitiens les territoires qu'ils avaient usurpés sur l'Église; il voulait seignorier l'Italie, ainsi que le disait Charles-Quint, en parlant de Clément VII (b); or, je ne puis croire que telle fut réellement la mission des successeurs de saint Pierre. (a) Du pape, liv. 2, chap. VI. (b) Lanz, Correspondance de Gharles-Quint; lettre du 11 janvier 1550 , t. 4er, p. 565. Vin. ( G41 ) et, plus loin, en rappelant sa déplorable lutte contre Louis XIT. Excommunié par le pape, Louis XIT le fait ex- communier à son tour, et il frappe des pièces de monnaie portant au revers, perdam Babylonis nomen : c'était déjà, comme on voit, un avant-goût de Luther. Cette vieille lutte, continuée entre Charles-Quint et Clément VIT, où il y eut, pensons-nous, de grands torts de part et d'autre, ne nous semble pas avoir été envisagée sous son véritable point de vue. Nous en dirons quelques mots d’après les monuments de l’histoire contemporaine(1). Charles-Quint reprochait à Clément VIT sa ligue avec François I”, l’allié des Turcs et des protestants; il l’accu- sait d’avoir été jusqu’à relever ce roi de sa parole et de ses serments, alors qu’il était encore son prisonnier (2). « Votre conscience doit vous rappeler, lui dit Charles, avec quels soins et quelles peines vous avez ourdi cette ligue qui devait m’enlever le royaume de Naples et la Sicile... Le roi de France lui-même a déclaré que vous l'aviez sollicité, avant qu'il eût quitté l'Espagne, à con- tracter avec vous une alliance nouvelle contre moi (3). Vous vous êtes hâté de commencer les hostilités, même avant que les lettres qui les dénonçaient pussent m'être remises. Vous ne pensiez qu'aux moyens de me chasser le plus tôt possible de l'Italie... » Mais voyez l'indignité de tels procédés ! Les sommes É 5 ÿ & Y 5 % % % (1) La correspondance de Charles-Quint, récemment publiée par M. Lanz, a jeté un jour nouveau sur cette importante partie de son règne, (2) M. Lanz, Correspondance de Charles-Quint, lettre du 18 septembre 1526. (5) Nam Galliae rex profitetur palam, quod abs te sollicitus, ante- quam ex Hispanis domum rediret, novum foedus inierit; et indicio cognovi te solvisse, eum a juris jurandi vinculo quo mihi tenetur. EE Ee VE to © OI EN Ve et "de 147 be NA ( 642 ) prélevées sur més provinces et mes royaumes, qui sont exportées à Rome chaque année, surpassent de beau- coup ce qu'elle peut percevoir sur toutes les autres na- tions du monde ensemble. J'en trouve la preuve dans les nombreuses réclamations que m’adressent les princes d'Allemagne qui demandent instamment un remède à ces abus. Cependant, tel est mon sincère attachement pour l’Église romaine, que j'ai toujours fermé l'oreille à leurs réclamations... Je ne vous ai jamais donné sujet de plaintes légitimes. J'insiste donc pour que vous quit- tiez enfin les armes. J'en ferai autant de mon côté... » Puisque Dieu nous a constitués l'un et l'autre comme deux grands luminaires pour éclairer le monde , àchons que nos divisions n’y produisent pas une fatale éclipse. Songeons aux affaires de la république chrélienne ; son- geons à résister aux barbares, à comprimer les sectes et les hérésies. Voilà ce qui convient à la gloire de Dieu et dont il faut nous occuper d'abord. Après cela vien- nent nos disputes personnelles! Pour accomplir de tels desseins, vous me trouverez toujours prét. Cependant, si je ne réussis pas à vous persuader ; si vous voulez con- tinuer à guerroyer, j'en appelle au prochain concile, afin que nos différends lui soient soumis; et je demande qu’il soit convoqué le plus tôt possible (1)... » Cette lettre, tout empreinte de colère et de menaces, et qui renferme de si graves accusations, respire pourtant dedi , vehementer abs te peto, ut ab armis discedas. Idem ego faciam. (1) Quod cum îta sint, el quoniam offensionis tibi causam nullam Et cum a Deo simus ambo constituti veluti luminaria duo magna, de- mus operam ut per nos illustretur orbis terrarum. neque per nostrum dissidium oriatur eclypsis : cogitemus de universa republica, de profli- 4 ( 643 ) üne grande hauteur de vues. En effet, s'entendre pour comprimer les barbares et les hérétiques, qui faisaient alors courir à la république chrétienne d'immenses dan- vers , c’est bien là le rôle qui convenait à un empereur et à un pape, à cés deux grands luminaires chargés d'éclai- rer le monde et de le sauver. On regrette de ne pas trou- ver de telles paroles dans la bouche d’un pape plutôt que dans celle d'un prince laïque. Conçoit-on bien, en réalité, les embarras d’un prince qui avait sur les bras presque tout le monde entier : François [* et les protestants, plus les musulmans, plus le pape! On se demande avec une sorte d'effroi cé qué serait devénu le catholicisme en Europe, dans de telles circonstances, si Charles, au lieu de résis- ter seul à Luther, se fût déclaré en sa faveur. Je crois que cette étrange position n’a jamais été bien appréciée dans l'histoire; c'est pourquoi j'y insiste. On ne saurait douter qué la pièce que nous venons de citer ne contint l'expression de la pénsée de Charles- Quint. Une lettre de Marguerite d'Autriche, gouvérnante des Pays-Bas, tante de l'empereur , qui était initiée dans les secrets de sa plus intime politique, ne laisse aucun doute à cet égard (1). Après avoir dit « qu'une étroite » alliance avec le pape est nécessaire (quoiqu'on ne puisse » pas trop s’y fier, si l’on regarde le passé), Marguerite » ajoute que l'empereur et le pape sont les deux principaux » qui doivent défendre la [oi, et porter leurs regards plus gandis barbaris, de sectis et erroribus comprimendis. Hoc nimirum ad gloriam Dei pertinet, et hinc faciendum est initium ; post alia tractentur et audiantur controversiae. Me quidem ad haec omnia paratissimum habebis….. (1) Correspondance de l'empereur Charles-Quint, 98 octobre 1529. » » » ( 644 ) haut; qu'ils ne sauraient acquérir tant d'honneur par delà, qu'ils ne recevront de déshonneur à non résister au Turc. » Marguerite propose une coalition de tonte l'Europe contre le Turc, c’est-à-dire une nouvelle croisade, Et pour subvenir aux frais de cette grande guerre, elle voudrait qu'avec l'autorisation du pape, « on aliénàt une partie des » WU: AN: 2, NE NS - = - PL - ON - 2 | » ) F biens des gens d'église par toute la chrétienté, en leur permettant toutefois, d'en racheter d’autres, par la suite, jusqu’à concurrence de ceux qui auraient été vendus. Marguerite voudrait, en outre, qu’on vendit une partie des biens de la religion de Rhodes, et une partie de ceux de l’ordre de Prusse, dont le grand maître est hérétique et marié, etc. » Il serait bon, dit-elle encore, de trouver quelque ex- pédient (dilatoire) sur le fait des hérésies, pour ôter aux Allemands la crainte d’être châtiés et corrigés; autre- ment, il est à craindre qu'il ne soit diflicile de les faire contribuer à cette expédition; car il serait malaïsé, voire méme impossible , de résister aux Turcs, et de comprimer en même temps les hérésies. » Secourir votre frère (le roi Ferdinand), poursuit Marguerite, et rebouter ledit Ture, le poursuivre, et augmenter encore notre sainte foi, vous sera, sans comparaison, plus grand honneur et mérite que de beaucoup vous amuser au recouvrement d’aucunes villes en Italie. » Toutefois, monseigneur, l'amitié du roi de France est celle de tous les rois et princes chrétiens qui vous est le plus nécessaire, tant pour le repos de tous vos royaumes, » pays et sujets, que pour vous faire obéir en Italie et en » empire, et craindre par vos voisins; et aussi pour être ( 645 ) » mieux assislé en celte sainte entreprise contre ledit » Turc, etc. » Par suite de ces fâcheux démélés entre le pape et l’em- pereur, et où, je le répète, tous les torts n'étaient pas d’un seul côté, le respect pour la personne du pontife allait tou- jours s’affaiblissant, et l'Église en éprouvait le contre- coup. L'empereur voyant le pape mêlé à toutes les guerres d'Italie, le considérait comme une puissance qu'il fallait tâcher d’abaisser, et traiter en ennemie, si elle se rangeait du parti de ses ennemis. Tel était l’état des choses, lorsque l'armée impériale, composée en partie de vieux soudards, d'aventuriers et de brigands de toutes les nations et de toutes les religions, et la plupart sans religion et sans patrie, révoltée faute de paye, ne reconnaissant plus d’au- tres chefs que ceux qui lui obéissaient, résolut de se jeter sur l’une ou l’autre des villes de l'Italie, pour se payer par ses mains. Elle se présenta successivement devant Plai- sance, Parme et Florence, sans pouvoir s’en emparer; puis elle se dirigea vers Rome, où elle était appelée par l'un des deux partis qui divisaient cette malheureuse cilé, alors dominée par la puissante famille des Colonna, op- posée au pape et favorable aux Impériaux (1). Clément VIT, qui n'avait rien prévu, incertain, éperdu à l’approche du danger, se hâta de conclure une trêve avec de Lannoy, vice-roi de Naples, et d’en informer le connétable de Bourbon. Mais celui-ci répondit qu'il n'avait point d'ordre à recevoir de de Lannoy, et qu'il n’acceptait point la trêve (2). Les soldats, apprenant que l’on parlementait, RE ——— ———— — —— " Ù (1) Voy. l'Æistoire générale d'Espagne, par Ferreras, et le Sac de Rome, par Jacq. Bonaparte, dans le Panthéon littéraire de M. Buchon. (2) Voyez, dans la Correspondance de Charles-Quint, par Lanz, une Lis _. ( 646 ) entrèrent en fureur, poussèrent des cris menaçants et demandèrent immédiatement l'assaut. Le connétable de Bourbon y monta le premier, mais 1} tomba atteint d’un coup mortel... L'armée, restée sans chef et n'ayant plus personne pour réprimer son ardeur de vengeance et de pillage, s’empara en deux heures de la cité léonine, à l'exception du château S'-Ange, où Clément VIT s'était réfugié : Romains, Suisses, tous les défenseurs de la ville furent égorgés, et le reste abandonné à la brutalité d'une soldatesque furieuse, « Les sacs terribles des temps d’Alaric n’offrent rien d'aussi hideux ni d'aussi effroyable que ce qui se passa alors en pleine civilisation, au nom du roi catholique. Les couvents furent forcés et les religieuses enlevées pour être livrées aux bras des soldats effrénés, au milieu d’or- gies, où les vases sacrés étaient profanés sur les autels, convertis en tables de banquet. Des Allemands ivres, affublés de chapeaux de cardinaux et d’ornements sacer- dotaux, les livrèrent à la risée, dans des danses obscènes……. Les tombeaux même ne furent pas respectés, et un anneau e lettre de Ferramosca à Pempereur, en date du 4 avril 1527, t. I, pp. 251, 955, 254. Ferramosca raconte que s'étant transporté au camp pour notifier au connétable les ordres du vice-roi qui lui enjoignaient de suspendre sa marche, Bourbon s'y refusa nettement. Ferramosca ajoute qu’il courut per- sonnellement de grands dangers au milieu de ces furieux, qui ne voulaient point lächer leur proie, et il termine par ces mots : « L'armée marche sans » ordre et avec beaucoup d'ardeur vers la Romanie, accompagnée de ses » douze élus. Plaise à Dieu d’y vouloir mettre la main, afin qu’ils eussent une » bonne fin, ce que je ne prévois pas... J'envoie à V. M. la traduction des » ordres donnés (par M. de Bourbon) aux capitaines; par celles il verra les » raisons qu'il allègue pour autoriser sa marche, qui est qu’ils n’ont pas voulu » accepter la capitulation de la trêve, parce qu’elle ne leur étuit pas avan- » tageuse. Ils ne font aucun cas de F..M. ni de son service. » L ( 647 ) d'or fut arraché du doigt de Jules IT. Les luthériens se far- saient une joie de fouler aux pieds les choses sacrées et de détruire l'idolätrie des tableaux et des statues. Le cardinal d'Araceli, qu'ils mirent vivant dans un cercueil, et dont ils célébrèrent les obsèques avec dérision, fut promené par eux dans les rues de Rome; ils s'enivrèrent dans son palais du vin dont ils remplissaient les calices; puis ils l’envoyèrent, en croupe d’un des leurs, mendier sa rançon de porte en porte. Ils jetèrent les bulles papales en litière à leurs chevaux, et s'étant rassemblés dans une chapelle du Vatican, travestis en cardinaux et contrefaisant les usages des conclaves, ils dégradèrent le Pontife et procla- mérent Luther à sa place. » Survinrent encore les paysans du cardinal Colonna pour renouveler le ravage. Italiens , Espagnols, Allemands semblaient rivaliser uniquement à qui ferait le plus de mal, non-seulement aux prélats et au clergé, mais à une population innocente, Clément finit par capituler, en s’obligeant de rester prisonnier de l’armée jusqu’au payc- ment complet de quatre cent mille ducats. La famine à Rome était extrême, les paysans n’osant plus approvi- sionner les marchés. Les généraux ne pouvaient, sans de nouvelles sommes d'argent, arracher les soldats de ces murs, où ils se gorgeaient du sang et de l'or des Romains; les Allemands poussaient d'horribles clameurs, comme prêts à les massacrer. Des évêques, des archevêques et des personnages considérables de Rome, donnés par le pape en ôlages, furent par trois fois conduits au champ des Fleurs, avec menace de les pendre si l'argent tardait davantage. Ils ne purent échapper au danger qu’en eni- vrant ces furieux. Clément VII lui-même réussit à s'enfuir travesti... ( 648 ) » Cependant Rome, ravagée par la peste et par les sol- dats, en était à savoir quel était le pire des deux fléaux. Lorsque ces bandes farouches n’y trouvèrent plus rien à piller, elles se répandirent dans le voisinage, dévastant et rançonnant tout sur leur passage. Pendant tout ce temps, les anciennes factions se ranimaient, et les vengeances s'exerçaient avec furie entre les Orsini et les Colonna, toujours pour la plus grande ruine du pays. » La dévastation continuait depuis huit mois, lorsque le prince Philibert d'Orange, qui avait pris le commande- ment de ce qui restait d’Impériaux, les détermina à sortir du territoire pontifical et se renferma dans Naples (1)... » Voilà, certes, une des plus épouvantables leçons que pût recevoir un prince trop belliqueux! Toute l'Europe s’en émut; les ennemis de l'Église en triomphèrent; Charles lui-même sentit qu'il était horriblement et indignement vengé. Il écrit à Clément VIT, en date du 22 novembre 1527 (2), en termes très-révérencieux, pour lui exprimer ses regrets de ce qui s'était passé, et le féliciter de sa mise en liberté. Mais une telle lettre, à celui qui avait été son prisonnier, qu'il avait mis à rançon, et qui n'avail re- couvré sa liberté qu’en s'échappant de prison, semble dérisoire. A la vérité, la rançon exigée pouvait être con- sidérée comme représentant à peine une partie des frais de la guerre; et le pape était vaincu. Mais, quelles que fussent la fatalité des circonstances et la dure nécessité sous laquelle se trouvait Charles lui-même (5), il semble (1) Cantu, Æistoire universelle. (2) Lanz, Correspondance de l’empereur Charles-Quint, 1. 1, p. 256. Ibid., p. 297. (3) La correspondance des généraux avec l'empereur peut se résumer à D ( 649 ) qu'il supporta beaucoup trop stoïquement celle longue captivité du pape, et qu'il fit trop peu d'efforts pour y mettre fin. Quels que fussent d’ailleurs ses griefs contre Clément VIT, Charles pouvait-il oublier que le pape était le chef de l'Église et de la chrétienté? Quant à cette affreuse dévastation de Rome, qu'il n’avait ni voulue, ni prévue, 1l dut en gémir ‘profondément, car il y perdit presque toute son armée, abimée dans la licence et ra- vagée par les maladies contagieuses. Je pense que l'intervention des papes dans les querelles eutre les puissances pour la possession de l'Italie, notam- ment depuis la fin du XV'* siècle jusque vers le milieu du XVI®, a été des plus fatales à l'Église. Tandis qu'ils ne songeaient qu'à lever de l'argent et des hommes pour se défendre contre leurs ennemis, les abus se multipliaient, et les esprits s'irritaient; et puis vint la réforme! Je crois que ni Léon X, qui se plaisait tant au milieu des fêtes et des solennités littéraires, ni Clément VIT, qui cherchait partout des ennemis à Charles-Quint, ne comprirent la gravité de la crise qui menaçait le catholicisme, crise contre laquelle les forces et l'autorité réunies de la pa- pauté et de l'empire eussent à peine été suflisantes. Cette considération n'échappe point à Robertson. « Les dissen- » sions qui divisèrent le pape et l’empereur, dit-il, furent » extrêmement favorables au progrès du luthérianisme. » Charles, irrité des procédés de Clément, et uniquement » occupé à se défendre contre la ligue que le pape avait » formée, n'avait ni la volonté ni le loisir pour étouffer les peu près tout entière dans ces paroles : « Toute discipline est devenue im- » possible avec des gens qu'on ne paye plus! » Voir, notamment, les lettres des 4 juillet, 50 septembre 1527, et 15 décembre 1529. TOME xxnr, — [°° PART. 45 ( 650 ) » nouvelles opinions qui s’accréditaient en Allemagne... » L'exemple même de l’empereur enhardit les Allemands » à trailer avec peu de respect l’autorité des papes (4). » Léon X, sous le règne duquel éclata la réforme, fit de nobles efforts pour l'arrêter; mais, suivant en politique les errements de ses prédécesseurs, et tout préoccupé de ses rêves de gloire artistique et littéraire, inspiré du génie de l'antiquité paienne plutôt que de l'esprit chrétien, il semble mettre au second rang les plus grands intérêts de la pa- pauté. « Devenu à 57 ans chef suprême de la chrétienté, » dit Pallavieini , il continua à se livrer à des études pro- » fanes; et il fit entrer dans le sanctuaire de la religion » même des hommes qui connaissaient mieux les fables » de la Grèce et les beautés de la poésie que l’histoire de » l'Église et la doctrine des Pères (2).»—« Sadolet, Bembo » et Bibiena, dit Audin, étaient les trois symboles de la » vie intellectuelle que Léon réunit autour de sa per- » sonne. Bembo représentait l'élément lilléraire païen , » Bibiena l'élément artiste païen, et Sadolet l'élément chré- » lien (5). » Ainsi, voilà, dans une cour pontificale, deux païens, favoris et commensaux de Léon X, contre un chrétien ! (1) Æistoire de Charles-Quint, anno 1527. (2) William Roscoe, Vie et pontificat de Léon X. (5) Vie de Léon X, chap. XIX. « Bembo écrit de la chambre apostolique que Léon X a été élevé au pon- tificat par le bienfait des dieux immortels ; il parle des vœux faits, à la Dea Lauretana ; d’apaiser les manes des dieux souterrains ; du souffle du Zéphire céleste, etc. A l'ouverture du concile de Trente, Corneille Masso dit que les prélats doivent s’y rendre, comme les héros de la Grèce, dans le cheval de bois. Bembo, monseigneur Della Casa, le cardinal Hippolyte d'Este et tant d’autres, avaient des mœurs fort peu régulières... » Gantu, Æüstoire univer- selle, t. XY. ( 61 ) On s’est demandé naguères chez nos voisins, si le siècle de la renaissance n’avail pas été plus païen que chrétien? Ou ne peut nier tout au moins qu'il ne füt empreint d’une forte teinte de paganisme. Le niveau de la religion, et par conséquent le niveau des àmes, avail énormément baissé au XV®° et au XVI siècle. Toutes les puissances (les princes de la maison d'Espagne exceplés) couraient au devant du protestantisme. Les intérêts de l'Église les in- quiétaient fort peu, dès qu'ils n'étaient plus d'accord avec ceux de leur politique. Il est curieux de comparer cette époque avec celle des croisades, où la papauté joua un rôle si grand, si glorieux, si incontesté; où l'Europe entière se précipita au devant des inlidèles aux cris de Dieu le veut ! Un autre cri tout différent retentira bientôt par toute l'Al- lemagne : Plutôt ture que papiste ! C’est le cri de la haine, cest le cri de l’hérésie, c'est celui que poussaient les Grecs du Bas-Empire prêts à tomber sous le sabre de Ma- home IT. La corruption était à la fois au centre et aux extrémi- tés : l’histoire nous en offre la preuve évidente. Dieu donne aux Romains, après Léon X, un saint pape, dont le génie politique, dit-on, n’était pas à la hauteur de la piété; mais, certes, nul ne comprit mieux que lui les besoins de la reli- gion, en face des dangers qui la menaçaient, Dans les in- structions qu'il donne à François Chéregat, son envoyé à la Diète de Nuremberg, à l’occasion des troubles suscités par Luther, Adrien VI, ce pape que nous pouvons appeler notre Adrien, et dont les souvenirs sont encore vivants à l’université de Louvain (1), disait : « Avouons ingénüment (1) Né à Utrecht, successivement chanoine de S'-Pierre, professeur de théologie, doyen de S'-Pierre et chancelier de l’université de Louvain, Adrien ( 652 ) que Dieu a permis ce schisme et cette persécution, à cause des péchés des hommes, et surtout de ceux des prêtres et des prélats de l'Église! Car nous savons qu'il s’est passé dans ce Saint-Siége beaucoup de choses abominables; des abus dans les choses spirituelles, des excès dans les ordonnances et les décrets qui en sont » émanés (1). » Ces aveux, échappés avec une naïveté si humble à un saint pape, renfermaient la censure impli- cite de la politique mondaine de quelques-uns de ses pré- décesseurs. La simplicité, la frugalité d’Adrien VI, son dédain pour le luxe, pour les arts païens et les lettres profanes, qui avaient jeté un si grand éclat sur le règne de Léon X, son prédécesseur, déplurent aux Romains, effrayés de la sévérité de ses mœurs et de ses projets de réforme. Le mal était trop général et trop invétéré pour céder à de simples exhortations : il fallait une catastrophe; il fallait le bras de Dieu. Ce n’était pas seulement Rome et la cour qu'il s'agissait de réformer, c'était la chrétienté tout entière, les princes et les peuples, dont la vieille foi VU. JL v fut élevé au pontificat en 1522. Il fonda à Louvain, en faveur des pauvres, un collége qui porte son nom. (1) Et ce n’était point là l'opinion isolée d’un esprit étroit et frondeur. Barthélemy des Martyrs, pieux dominicain, archevêque de Brague, homme généralement vénéré pour sa science et son éminente sainteté, disait au con- cile de Trente, « qu’on ne pouvait atteindre la fin qu'on s'était proposée, dès » son ouverture, qu'en purgeant l'Église de la corruption qui la couvrait » d’ignominie; que cette corruption seule avait enfanté l’hérésie et en favo- » risait le progrès. » Il insistait particulièrement sur l'exemple que devait donner la cour de Rome au clergé et à tout l'univers chrétien. C’est alors qu'il fit entendre, devant les Pères assemblés, ces paroles mémorables, qui produisirent une si grande impression, et que personne n’osa contredire, tant sa parole était respectée : Zllustrèssimi cardinales egent illustrissima reformatione ! | ( 655 ) était profondément altérée avec les mœurs, et qui n’écou- taient plus, comme jadis, la grande voix du pontife. Où donc était le remède ? que demandaient les esprits prévoyants et les plus saints personnages de l'époque? une réforme dans l'Église et par l'Église. C'est ce qu'exécuta un peu plus tard le concile de Trente, sous la haute direction de la papauté. En même temps que le luthérianisme pour- suivait son œuvre de destruction, organisait l’anarchie, rompait le lien d'unité qui existait jadis entre les nations, frappait le christianisme au cœur, et poussait, par son principe même, à l'anéantissement de toute croyance, le concile de Trente démasquait l’hérésie, rétablissait la vé- rité, et raffermissait l'Église et son chef sur leurs antiques fondements. L'un des derniers historiens de l'Église (1), après avoir rapporté les instructions d’Adrien VE à son envoyé, « par » lesquelles il lui ordonnait de confesser ingénument que » la confusion où l’on se trouvait n'était qu'un châtiment » de Dieu infligé aux péchés des hommes, et principale- » ment des prêtres et des prélats, » ajoute (en citant les paroles du cardinal Pallavicini), que « si ces instructions » prouvent la vertu et la piété d’Adrien, elles laissent à » désirer plus de prudence et de circonspection , attendu » que les ennemis et les calomniateurs de la papauté pou- » vaient se prévaloir de tels aveux. » Mais, si les faits étaient patents, comment ne pas les reconnaître? N'était-ce pas, au contraire, en quelque sorte désarmer d'avance ses ennemis que de les prévenir par une sincère confession ? Une telle cause a-t-elle besoin de dissimulation pour être défendue? la simple vérité ne lui suflit-elle pas? C’est là, (1) M. Rohrbacher, t, XXIIT, p. 279, édit. de Liége. (654 ) nous paraît-il, ce qu'il faut répondre aux apologistes im- prudents, qui prétendent tout excuser dans la conduite de certains papes; que nous envisageons d’ailleurs ici, non comme papes, mais comme princes temporels. | M. Rohrbacher lui-même semble en convenir en citant le passage suivant de M. Ranke : « Quelle différence de la MN SON > cour pontificale de la fin du XVI” siècle avec celle du même siècle où les cardinaux faisaient la guerre aux papes, où les papes ceignaient les armes, où là ville et la cour repoussaient'tout ce qui rappelait leur déstina- tion chrétienne! Comme les cardinaux maintenant me- aient une vie religieuse! Quelques papes avaient pu, dans les siècles précédents, se croire au-dessus de toutes les lois et songer à exploiter pour leurs jouissanees l’ad- ministration de leur dignité suprême, mais l'esprit de celle époque ne permettait plus de tels abus, Les haln- tudes individuelles étaient forcées de se réformer et de s’harmoniser avec la sainteté de la mission papale. L’ac- complissement de celle mission devait être toul pour celui qui était appelé à en être chargé. fl n’eût été pos- sible, ni de l'obtenir, ni de la couserver, sans une conduite qui répondit à la haute idée que le monde chré- Lien en avait (1). » — « Voilà donc, continue M. Rohr- bacher, comme parle cet historien protestant! D'après . son témoignage, non suspect, depuis le concile de Trente, non-seulement les papes sont irréprochables, mais il est devenu comme impossible qu'ils ne le soient pas. Gloire à Dieu dans les siècles des siècles (2)! » (1) Ranke, t. HI, 1. 6, 5. (2) Aistoire universelle de l'Eglise catholique, t. XXIV, p. 629. À (635 ) Mais, quel réformateur que ce moine apostat, à la parole injurieuse, obscène et grossière , marié à une religieuse ! Quel successeur des apôtres et de cette longue suite tradi- tionnelle de docteurs, de saints personnages, qui font de l'Église catholique, depuis son origine jusquà nos jours, le corps le plus grand et le plus auguste qui ait jamais paru sur la terre! Quel chef pour constituer une religion nouvelle! Comment a-t-il pu prévaloir? C’est que le sens des peuples et des princes était faussé; c'est qu'il y avait dans le monde, et jusque dans le sanctuaire, des abus réels et criants, et que, comme disait le pape Adrien VI, les hommes avaient besoin d’être châtiés. Jamais Luther n'aurait réussi, avec ses déclamations furibondes et ses calomnies audacieuses, si elles n'avaient eu du moins quel- que apparence de fondement. Comme tous les esprits pas- sionnés, il imputait aux institutions les fautes de l'homme, et à l'Église entière les fautes de quelques hommes. Par malheur, on ne put s'entendre, soit qu’on s’y prit trop lard, soit que la plaie fût trop profonde, soit que le triomphe de la vérité semble toujours la chose dont se soucient le moins les sectaires et les révolutionnaires. Tandis que les uns voulaient une réforme par l'Église et pour l'Église, les autres la voulaient contre l'Église, pour la détruire. Et les masses, dout on flattait les goûts d'indépendance et les grossiers instincts, suivaient en aveugles, sans savoir où on les menait. On bouleversa le monde du XVI" siècle avec le mot réforme, comme on le bouleversa de nos jours avec les mots de liberté et de progrès. Et ces mots, qui ont servi de drapeau à tant de révolutions, sont d’au- tant plus dangereux qu'ils sont plus difliciles à définir; qu'ils offrent un côté vrai et un côté faux, et qu'il est plus malaisé, aux esprits vulgaires ou prévenus d’en discerner . ( 656 ) | les justes limites. Jamais, en effet, la papauté ne subit une épreuve plus décisive. Jamais le pouvoir surhumain qui veille à ses destinées ne se manifesta d’une manière plus visible. L'Église résista aux attaques des rois et des nations conjurés. Après cet affreux déchirement, qui lui ravit la moitié de ses enfants, elle n’en parut que plus grande et plus forte, et elle se prépara à des conquêtes nouvelles. C'est là son côté le plus merveilleux et le plus frappant. Depuis trois siècles, la papauté n’a plus offert au monde que des pontifes vénérables, étrangers aux inté- rêts et aux sanglanis conflits qui le divisent; conrageux, toutefois, et inébranlables , quand il s’agit de défendre les droits imprescriptibles de Dieu ; tandis que les sectes déta- chées vont toujours se ravalant et se décomposant, à me- sure qu'elles s’éloignent de la source éternelle de toute autorité et de toute vérité. M. Ch. Faider, membre de la classe des lettres, estappelé au bureau pour donner lecture du rapport du jury chargé de décerner le prix quinquennal des sciences morales et politiques. M. Ch. Faider s'exprime en ces termes : MoxselGneuR , Monsieur le Ministre, Messieurs, Dans un pays libre, qui use avec tempérance de sa li- berté, le mouvement des sciences morales et politiques offre un admirable spectacle. Ces nobles sciences qui em- brassent ce qu'il y a de plus élevé dans l'esprit humain assurent, lorsqu'elles sont étudiées avec sagesse, tous les ( 697 ) progrès d'un peuple et élargissent la couronne intellec- tuelle du génie qui préside à ses destinées. Nous sommes heureux d’être appelés à exposer au Gou- vernement et au public les résultats de ce mouvement de la science appliquée aux idées générales , au perfectionne- ment moral, à l'amélioration du sort detoutes les classes. Au moment où les écarts de quelques plumes anonymes et coupables attirent à la Belgique des reproches immé- rités, nous pouvons montrer avec orgueil ce que la presse sérieuse a produit chez nous pendant la période quinquen- nale qui vient de s’écouler; nous pouvons, avec le même sentiment, rappeler ce qu’elle a produit depuis vingt-cinq ans, entrevoir ce qu'elle prépare et ce qu'elle produira dans un temps prochain : et c’est là, nous le croyons, que tous ceux sans exceplion qui président à la direction des peu- ples iront puiser des appréciations éclairées et par là même équitables pour nous. En proposant de comprendre les sciences morales et politiques dans la série des prix quinquennaux qui vien- nent, chaque année, récompenser les travaux éminents dans les diverses applications de Pactivité humaine, le Gouvernement a rendu hommage aux progrès que ces sciences avaient accomplis depuis 1850. L'histoire natio- nale, cette puissante manifestation du patriotisme, avait d’abord seule, par de nombreuses et utiles publications, attiré les encouragements; mais les sciences naturelles et physiques, la littérature française et flamande prenaient un élan si vigoureux et montraient une si heureuse fécon- dité, les sciences philosophiques, politiques et morales offraient un caractère si sérieux, qu’il eût été injuste de ne pas compléter un système de récompenses que l'opinion avait approuvées et qui, à côté des expositions des beaux- ( 658 ) arts, de l’industrie et de l’agriculture, devait exercer une visible influence sur l’activité intellectuelle du pays. Car on ne peut le nier, le publie et les écrivains atta- chent une haute valeur aux prix quinquennaux : ils sont un honneur pour le prince qui, en les décernant, favorise le progrès des études, et pour les auteurs qui, en les re- cevant, voient leurs vastes travaux dignement récompensés et sentent en même temps les nouveaux devoirs que leur impose, pour l'avenir, la distinction qui vient les cher- cher, Mais à cause de cela même, il nous a paru que le prix quinquennal des sciences morales et politiques, dont nous avions l'honneur cette fois d’être les dépositaires, ne de- vait être remis qu'à l’auteur d’un ouvrage qui, par la va- leur du fond comme par la perfection de la forme, par la nouveauté de la conception comme par l'étendue de son utilité, se serait en quelque sorte imposé à l'opinion, et, par l’unanime adhésion des lecteurs, aurait emporté la palme : de tels ouvrages, offrant dans un bel ensemble la science, l'originalité, l'utilité, la forme, nous ne les avons pas rencontrés dans la période quinquennale de 1851 à 1856, où les règlements nous obligeaient de rester enfer- més; nous les avons entrevus, encore inachevés, lente- ment et savamment érigés par leurs auteurs; mais il ne nous est pas permis de nous en occuper, et après avoir fait une revne allentive, consciencieuse, aussi exacte que pos- sible des ouvrages complétement achevés pendant les cinq dernières années (1), nous avons unanimement pensé ———————_——_—_—_—————————…—————————————.—— ————— "2 r—" (1) On doit se rappeler l’art. 2 de l'arrêté royal du 29 novembre 1851, ainsi conçu : « Tout ouvrage sur une des branches énoncées dans l’article à précédent est admis au concours s’il est publié en Belgique, s’il est entière- \ ( 659 ) qu'aujourd'hui le grand prix quinquennal ne doit pas être décerné. Tout en le regrettant, nous devons cependant nous féliciter de pouvoir expliquer ce résultat sans dimi- nuer la valeur intellectuelle du pays, de pouvoir signaler en même temps à l'attention du Gouvernement des tra- vaux distingués qui, à côté de lacunes ou de défauts, offrent, dans un ordre moins élevé ou plus spécial, des qualités ou des mérites qui leur valent, suivant nous, la distinc- tion que leur réserve l’art. 5 de l'arrêté royal du 6 juillet 4851 (1). Ces ouvrages sont les suivants : 1° Budgets économiques des classes ouvrières en Belgique, par M. Ed. Ducpetiaux, inspecteur général des prisons et des établissements de bienfaisance, correspondant de l'Académie royale et de l’Institut de France, membre de la commission centrale de statistique (2) ; 2° Considérations politiques et militaires sur la Belgique, par M. A. Brialmont, capitaine d'état-major (5); 5" Le Socialisme depuis l'antiquité, par M. J.-J. Thonis- sen, professeur à l’université de Louvain, correspondant de l'Académie royale (4); ment achevé et si l’auteur est Belge de naissance ou naturalisé. » Cette dispo- sition obligeait le jury à écarter du concours des ouvrages importants, mais inachevés. (1) Voïci le texte de cet article : « Si aucun ouvrage n’est jugé digne d’ob- tenir le prix intégral , il pourra être fait des propositions au Gouvernement pour la répartition de la somme entre les ouvrages qui se seront le plus rap- prochés des conditions requises pour l'allocation du grand prix. » (2) 1 volume in-4° de 340 pages, publié en 1855 dans le Bulletin de la commission centrale de statistique, t. VI. (5) 5 volumes in-8, publiés en 1851-1852. (4) 2 volumes in-8°, publiés en 1852. ( 660 ) & De l'état de la mendicité et de la bienfaisance dans la province de la Flandre orientale, depuis le règne de Marie- Thérèse, par M. P.-C. Vander Mersch, archiviste de cette province, membre de la commission provinciale de stalis- tique (1). Eu mentionnant ces ouvrages qui, par des mérites di- vers, se distinguent entre beaucoup d’autres, nous devons rendre hommage à la plupart de ceux que nous passons sous silence, après les avoir jugés avec soin : parmi ceux- ci, il en est, sans doute, qui ne méritent pas d'attirer les regards et qui w’attestent que Ja malheureuse témérité de leurs auteurs; mais il en est d’autres qui, en droit public, en économie sociale et en statistique, en jurisprudence historique ou appliquée, en philosophie et en morale, en études des Gouvernements étrangers dans leurs rapports avec les émigrations ou les relations commerciales, en tra- vaux sur l'instruction classique ou professionnelle, méri- tent de justes éloges; toutefois ils n’ont point, par l'étendue, Putilité, l'originalité ou la forme, les qualités qu'il con- vient de rencontrer dans un livre digne d’une distinction nationale : et par cela même, conformément à des conve- nances connues et à de nombreux précédents, nous n'avons pas eru devoir les passer ici en revue ct leur accorder une mention spéciale. Et avant d'aborder l'examen sommaire des ouvrages que nous proposons de récompenser, qu'il nous soit permis d'exprimer notre pensée sur le mouvement des sciences morales et politiques en Belgique, et de justifier ainsi les vues générales que nous venons d'émettre. Ce mouvement (1) 1 volume in-4° de 244 pages, publié en 1852, dans le Pulletin de la commission centrale de statistique, t. V. TI ER RP PE NE ( 661 ) est énergique , puissant, plein de réalités et d'avenir : ce fait est incontestable et il est glorieux pour nous. Songeons en effet, que depuis un quart de siècle à peine nous sommes rendus à nous-mêmes; qu'en 1830, presque toutes choses chez nous ont été renouvelées; qu'il a fallu, à peu d’excep- tion près et presque partout, trouver et former des hommes pour le parlement, la magistrature, l'administration, le professorat, l’armée; que, malgré cela, et les éclatants débats, comme les œuvres immortelles du Congrès national l'ont prouvé, un grand nombre ont, dès longtemps, pris une place distinguée parmi nos publicistes et nos écrivains; que, dans un pays qui jouit de la liberté de parler et d'écrire, bien des forces vives sont appliquées aux travaux en quelque sorte spontanés de la tribune, de la chaire, du professorat, de l’association, du journalisme, des revues, des brochures; que bien des études qui, appliquées avec plus de lenteur et de maturité, produiraient de grands ouvrages , s'épandent en quelque sorte par filets dans l’es- _ prit publie et le fortifient par l’action non interompue des hommes éclairés. C'est à des savants moins impatients , plus appliqués que nous devons, que nous devrons des œuvres complètes et durables, qui ajouteront sans cesse à la valeur intellectuelle de notre patrie et égaleront sa ré- putation littéraire à sa réputation artistique et industrielle: chaque jour , dans le monde des lettres comme dans celui des arts et des sciences , de puissantes individualités sur- gissent pour honorer le pays. Mais il faut le reconnaitre : d'importantes mesures prises , à diverses époques, par le Gouvernement, ont con- tribué , avec les efforts des individus ou des associations, à soutenir ce mouvement. Sans insister sur la reconstitu- tion de notre Académie, nous pouvons citer la Commission ( 662 ) centrale de statistique, dont l’organisation a été compléte- ment imitée et les règlements copiés dans plusieurs autres pays et dont les publications, notamment le rapport dé- cennal de 1852 (1), sont hautement appréciés à l'étranger. Nous mentionnons encore la Commission pour la publica- tion des anciennes lois du pays, dont les premiers travaux viennent de paraître par les soins d'un savant académi- cien (2); la commission qui a presque terminé la rédaction du nouveau Code pénal, monument législatif de premier ordre, et dont l’habile rapporteur siége parmi nous (5); la commission qui a dirigé el qui achève la réorganisation des maisons d'aliénés ; les commissions qui surveillent et ad- ministrent les sociétés de secours mutuels et la caisse géné- rale de retraite, institutions dont les bienfaits ne sont pas encore assez. appréciés; la commission qui a dirigé l’en- quête sur le travail des enfants et la police des ateliers. L'établissement du prix quinquennal est venu compléter ce vaste système d'encouragement et de coopération du Gouvernement : à côté des institutions qui ont pour mis- » sion l'étude historique de nos lois, le perfectionnement de notre législation, les œuvres les plus élevées de charité et EE de prévoyance, nous voyons celles qui ont pour but de fa- « voriser les progrès scientifiques. Et pourrions-nous omettre de rappeler ici l’heureuse influence des associations et des sociétés libres, et celle des publications collectives dont la plus vaste et la plus nationale offre, sur les diverses bran- ches des connaissances humaines et spécialement sur les sciences morales et politiques, des traités et des résumés 1) De 1840 à 1850 , publié en 1852, grand in-4° de xx-1116 pages. »>P Ru (2) M. Polain. (5) M. Haus. ( 665 ) dignes d'éloges et dus aux sommités intellectuelles de la Belgique (1)? Nous est-il permis de passer sous silence, dans cette brillante et trop rapide revue, les divers congrès tenus dans la capitale, où tant de sujets importants, fondamen- taux, ont été traités avec éclat, et dont les résolutions sont, pour la plupart, rangées parmi les axiomes de la science appliquée aux améliorations sociales? Fei encore le Gou- vérnement a constamment prêlé un concours moral et pé- cuniaire à ces réunions où étaient conviées et présentes , presque toujours avec un caractère officiel, les sommités de la science et de l'administration des pays étrangers. Et prochainement encore, nous verrons, iei même, une réu- nion consacrée à l'examen des questions qui touchent à amélioration du sort des classes souffrantes, expression essentielle, si l’on peut dire, du génie du siècle, qui veut la diffusion progressive du bien-être chez le plus grand nombre (2). N'oublions pas le bel ensemble de documents, de me- sures pratiques et de vues administratives qu’offrent les publications et les rapports périodiques des divers mini- stères , les exposés annuels de la situation des provinces, si méthodiquement rédigés, les rapports publiés par les colléges échevinaux de nos principales villes et communes : il m'est certe point de pays où la publicité oflicielle soit plus complète, les résultats mieux connus et plus rigou- reusement contrôlés, les améliorations plus soigneusement recherchées et appliquées. (1) Nous parlons de l'Encyclopédie populaire en 125 volumes in-12, publiée par M. Jamar. (2) I s’agit du congrès international de bienfaisance, qui s'ouvrira à Bruxelles, le 15 septembre. ( 664 ) Les commissions législatives si nombreuses, que le Gou- vernement, à défaut d’un conseil d'État ou d’un Comité permanent spécial, est dans la nécessité de former pour préparer les projets de lois les plus importants, ne méri- tent-elles pas d'être iei mentionnées? Combien demembres des deux Chambres, de jurisconsultes et de professeurs éminents, dont les noms sont dans toutes les bouches, ont déposé dans ces travaux préparatoires le fruit de pro- fondes études qui, sous une autre forme, eussent valu au pays des ouvrages spéciaux et des traités méthodiques! Nous ne terminerons pas ce riche inventaire sans re- monter plus haut et sans signaler, aux sommets de l'État, les travaux parlementaires et les remarquables rapports des sections et des commissions des Chambres législatives sur nos principales lois organiques. Sans doute, il ne nous appartient pas de porter un jugement sur ces œuvres qui dépassent de siJoin notre compétence; mais en parlant de politique administrative et d'organisation, on ne peut nous refuser l’heureux privilége de rappeler les travaux des hommes savants, laborieux, pratiques, qui rendent, dans la sphère éminente du pouvoir législatif, de signalés services à la science en même temps qu’à la chose publi- que. Et près d’eux nous rencontrons leurs plus intelligents auxiliaires, nos magistrats qui, dans l'application des lois, montrent à la fois la science, l'indépendance et la sagesse, et qui fournissent à nos recueils de jurisprudence un en- semble d'arrêts, de conclusions et de réquisitoires dignes d'être constamment étudiés. | Ces larges traits, celte esquisse que nous ne pouvons achever ici, ne donnent qu'une faible idée du travail intel- lectuel de notre patrie; ils sufliront pour faire comprendre la satisfaction que doivent éprouver ceux qui mesurent dd: mdr sé ( 665 ) l'espace déjà parcouru par nos travailleurs, et la carrière immense qu'ils ont ouverte devant eux et où ils s'avancent avec vaillance et honneur. Occupons-nous des écrivains auxquels nous proposons de conférer une distinction spéciale. Nous signalons en premier lieu et sans hésitation, le curieux et important ouvrage de M. Éd. Ducpetiaux sur les budgets économiques des classes ouvrières. Dans ce travail, qu'a approuvé et publié la commission centrale de sta- tistique, l’auteur à mis en œuvre des documents officiels recueillis avec zèle, contrôlés avec soin, appréciés avec prudence : inspiré par le cœur et éclairé par l'intelligence, l’auteur a tracé la situation d’un grand nombre d'ouvriers, eu il a appelé l'attention publique sur la nécessité de vouer de persévérants efforts à l'amélioration de cette portion si intéressante de la famille belge. On a pu dire que la publication d’un livre qui met à nu des plaies sociales, est toujours inopportune, lorsqu'elle n'est pas dangereuse, et que mieux vaut, en recherchant et en constatant de douloureuses réalités, les cacher autant que possible , tout en se promettant de les alléger et d’en tarir la source. Mais ne peut-on pas répondre que, dans un pays comme le nôtre, de tels faits ne sauraient être celés ? que d’ailleurs, en les faisant connaître, on provoque les remèdes ? que l’on favorise ainsi la pieuse conjuration du dévouement et de la bienfaisance en faveur d'améliorations pressantes? qu'enfin, en signalant les désordres et les vices de ceux-là même dont on constate les privations, on fait la juste part de leur responsabilité et on leur donne des leçons dont ils seraient coupables de ne pas profiter? La publicité donnée à l'œuvre de M. Ducpetiaux ne nous parait donc pas devoir être critiquée : nous reprocherions Tome xxn1, — 1° PART. 46 ( 666 } plus volontiers à l’auteur d'avoir, par une tendance phi- lanthropique trop facile, assombri le tableau et exagéré la portée des documents spéciaux qu’il a mis en œuvre: il a pris, dans dés circonstances que l’on ne peut pas toujours considérer comme normales, un certain nombre de bud- gets d'ouvriers en déficit, et il a généralisé une position qui peut être considérée comme exceptionnelle ou locale; il n’a pas assez tenu compte de la situation des catégories d'ouvriers qui, dans les conditions ordinaires, trouvent dans leurs salaires des ressources suffisantes. Il n’en est pas moins vrai que des maux réels appellent des remèdes, et c’est à la fois faire un bon livre et une bonne action, que de signaler des douleurs en recherchant les moyens de les alléger. Sans doute , dans cet ouvrage, tout n’est pas de M. Duc- petiaux : les éléments statistiques ne pouvaient pas être inventés par lui; les vues économiques qui appartiennent à la bonne école, il les a empruntées aux auteurs les plus accrédités et les plus populaires, mais en mettant en œuvre des éléments venus de sources si diverses, en les contrô- lant, en faisant la juste part dés erreurs inséparables de tout travail de statistique, M. Ducpetiaux à le mérite d’avoir fait une œuvre originale, de l'avoir marquée de son émpreinté, d'avoir compris dans son Cadre les maux et les remèdes, les fautes et les correctifs, les causes et les moyens dé les faire disparaître. C'est dans la seconde partie de son livre que l’auteur a surtout montré les qualités qui le distinguent, la profonde connaissance des principes, l'appréciation ingénieusé des faits, l'habitude des déductions ; un sentiment de haute philanthropie domine toute l'œuvre, l’inspire et la relève. Et cette philanthropié, que nous ne distinguons pas de la ( 667 ) charité, est, quoi qu'on ait pu dire, la vraie économie so- ciale de notre temps; elle est la vraie fraternité; bien com- prise et bien pratiquée, elle est le tombeau du socialisme, c’est-à-dire de ces utopies toutes d’une pièce, basées sur les prétendues puissances illimitées de la société. Nous proposons d'accorder à M. Ducpetiaux une somme de 2,000 francs pour son livre sur les budgets des ou- vriers : en signalant ce beau livre, nous ne pouvons omettre les intéressantes recherches que l’auteur a pu- bliées, sous forme de rapport officiel en 4851, sur les co- lonies agricoles, les écoles rurales et les écoles de réforme dans les principaux pays de l'Europe : cet ouvrage esti- mable, sans avoir la même importance que celui qui vient . de nous occuper, peut être signalé avec honneur: il sert de point de départ en quelque sorte et de contrôle à l’or- ganisation de nos écoles de réforme, dans lesquelles do- mine l'élément agricole, dont les résultats sont si heureux et dont l’avenir s'offre sous de favorables auspices. S'il nous était permis de remonter plus haut, nous pourrions récompenser d'autres écrits importants qui ont valu à leur auteur, soit la palme académique, soit d’una- nimes suffrages ; mais il ne nous est pas défendu de dire que depuis 25 ans M. Ducpetiaux n'a cessé de produire; que ses nombreux écrits, toujours consacrés à l’améliora- ion des classes souffrantes, jouissent en Europe et en Amérique, comme parmi nous, d’une popularité incon- testée, et nous sommes heureux, en couronrant un bon livre, de rendre un sincère hommage à la fois à l’homme de cœur et à l'infatigable travailleur. Trois autres ouvrages viennent en partage égal de la somme de 3,000 francs qui reste à distribuer : leurs au- teurs, que nous nommons suivant l’ordre alphabétique , ( 668 ) péseront la valeur morale de la distinction qui vient les chercher et l'honneur d’être cités dans ce solennel con- cours. Nous apprécierons rapidement leurs œuvres en si- gnalant sans hésitation les mérites et les défauts. L'ouvrage de M. Brialmont doit être attentivement ap- précié : à côté de défauts , il offre des qualités et celles-ci l’emportent sur ceux-là. De nombreuses recherches ingé- nieusement utilisées, des connaissances historiques , po- litiques et militaires mises au service d'un patriotisme sincère, un sentiment juste de la valeur de la Belgique en Europe, un résumé exact des principes de notre neutralité, qu'une plume habile avait popularisés chez nous (1), un système raisonné sur la défense du pays et sur notre orga- nisation militaire, voilà de quoi justifier l'accueil favo- rable que nous réservons à ce livre : ce qui en fait le prin- cipal mérite, c’est l'originalité; conçu et exécuté sous l'inspiration de sentiments vraiment belges, l’œuvre de M. Brialmont était sans modèle et elle est jusqu'ici restée sans copie; le plan appartient à l’auteur et il l’a exécuté avec talent. Telles sont les qualités qui ont conquis nos suffrages; à côté de ces qualités réelles apparaissent des défauts qu’on doit regretter : un style parfois négligé dans son abon- dance, une verdeur tranchante que n’excusent pas toujours la jeunesse et les bonnes intentions, parfois une boutade imprudente et peu compatible avec l’inviolable respect qui est dû, partout et toujours, à nos libertés et à nos fran- chises, des répétitions provenant de la rapidité avec la- quelle louvrage a été écrit pendant les délibérations de la grande commission militaire, voilà la part de la critique 1 (1) M. Arendt. . * ( 669 } dans l’œuvre de M. Brialmont. Mais le jeune écrivain pro- teste en termes trop clairs « de son respect pour les insti- tutions sous lesquelles nous avons le bonheur de vivre (vol. 3, p. 46); » les qualités de l'œuvre rachètent trop bien ses défauts, pour qu’elle ne reste pas digne du suf- frage que nous lui accordons. L'ouvrage de M. Brialmont mérite done d'être distingué: nulle part nous n'avons vu apprécier avec plus d'énergie et fortifier de plus d’autorités la vraie position de notre pays, et la nécessité, pour l’équilibre européen et pour la paix du monde, de son indépendance; cette position justifie à la fois la neutralité de ce territoire central et l’existence d'une armée bien organisée pour le défendre : en lisant ce livre, on acquiert la certitude historiquement établie que la puissance qui voudrait envahir ou posséder nos pro- vinces si souvent convoitées ne pourrait pas les garder, et qu’elle ferait naître en son sein un germe actif de désordre et d’affaiblissement. A la différence du livre de M. Brialmont, lequel, il faut le dire, n’est pas assez connu, le livre de M. Thonissen à eu de nombreux lecteurs : réimprimé à l'étranger, il s'est répandu rapidement et il a obtenu un succès qui atteste son utilité : après l'avoir attentivement apprécié, nous l'avons admis à partager la récompense nationale dont le Gouvernement dispose. Ce n’est pas, nous le déclarons, comme œuvre originale que nous récompensons ce livre; en cela encore il diffère de celui de M. Brialmont et il lui est inférieur : mais nous avons pensé que la publication de cet ouvrage qui résume avec bonheur et dans un style élégant et facile d'autres ouvrages récemment publiés, montrait dans son auteur assez de dévouement et d’intel- ligence des besoins du moment, pour être particulièrement (670) signalé, M. Thonissen a emprunté à d’autres écrivains l’analyse et l'appréciation des systèmes d'organisation s0- ciale qui ont surgi, depuis l’antiquité, à diverses époques de l’histoire; il a suivi le plan tracé par ses devanciers; mais il n’a dissimulé ni cette imitation ni cés emprunts et il a indiqué ses sources : son but, comme le résultat de son travail, à été de refondre, d’assembler dans un vaste cadre et dé compléter pour certaines époques et pour cer- tains pays négligés avant lui, ee qui se trouvait disséminé daus plusieurs livres ou écrits périodiques. Où peut dire qu’en lisant l'ouvrage de M. Thonissen, on a une juste idée de ce qui s’est publié de plus utile dans ces derniers temps sur le socialisme, et il a fait preuve d’un vrai talent d'exposition. Si l’auteur n’a pas utilisé d'importantes publications allemandes sur le même sujet, il a du moins réuni tout ce qu'on peut dire de concluant sur les utopies les plus connues. Nous avons dit que le succès du livre de M. Thénissen prouvait l'opportunité de sa publication, qui à porté avec honneur le nom de l’auteur à l'étranger. Ajoutons que cette publication montre du dévouement, et c’est un mé- rite dont il faut tenir compte. Car, lorsque M. Thonissen a publié, dans l'Encyclopédie populaire, les résumés qu'il a refondus et développés dans son grand ouvrage, il fallait du dévouement pour s'engager dans cette lice agitée où se heurtaient tant de passions subversives et d'illusions re- doutables. L'utopie grandissait et proclamait son triomphe; elle semblait vouloir faire reculer la raison elle-même et la vaincre; mais heureusement, la raison luttant avec l’uto- pie, ést comme l'Océan luttant avec l'orage; l'Océan triom- phe de l'orage; de même la raison triomphe de l'utopie, RÉ as ton: (671 ) et elle reprend toujours son niveau pour régner dans le calme immense de sa puissance. Soldat de la raison, qui a yaillamment combattu contre l'utopie, M. Thonissen recevra une distinction conquise par de louables efforts; car c’est une œuvre digne d’applaudissements que de com- battre avec énergie cette grande erreur qui, dans ce temps- ci, revêt tant de formes diverses, qui recrute tant d’adeptes égarés et qui consiste en définitive à confondre le désir du mieux avec le désir de l'impossible, et, pour réaliser celui- ci, à mettre en péril l'existence même de la société. MM. Brialmont et Thonissen seront heureux sans doute de recueillir, même au second rang, une palme honorable; nous les convions à de nouveaux succès : jeunes, pleins d’ardeur, voués au travail, les œuvres qu'ils publieront encore marqueront leurs progrès, et nous les verrons sans doute, à de prochains concours, au nombre des plus émi- nents émules, disputant les prix nationaux. Donnops enfin nos justes éloges à l'ouvrage de M. Van- der Meersch. C’est pour répondre à l’appel fait, au mois de juin 4848, par la commission centrale de statistique , que l’auteur a composé ce livre remarquable par la nou- veauté et par l'étendue des recherches. Après avoir tracé à grands traits l'histoire du paupérisme, maladie qui semble sortir du développement même de la richesse, et l’histoire de la bienfaisance, vertu chrétienne et civilisatrice dont l'action devient chaque jour plus puissante, M.. Vander Meersch a pu dresser, grâce à des investigations longues et assidues dans les archives locales, l'état ancien de la population indigente, et décrire la qualité et l'importance des secours; il à tracé le tableau des établissements de charité, de leur organisation, de leurs ressources, de leur administration ; il n’a pas dissimulé les graves abus que ( 672 ) les autorités civiles et ecclésiastiques s’attachaient à y dé- couvrir et à extirper; il a rappelé les efforts de la charité privée, toujours largement exercée parmi nous; il a recher- ché les causes industrielles, agricoles, morales de la mi- sère, en signalant l’état de l'instruction, du vagabondage et de la criminalité; enfin, dans des conclusions assez consolantes, il a montré que le bien-être général, certai- nement plus grand de nos jours qu'au sièele passé, prolite au pauyre lui-même qui, dans ses privations et dans son indigence, est moins malheureux , moins abandonné, re- lativement mieux nourri, mieux vêtu qu’à une époque où le niveau général de la condition des classes inférieures était moins élevé que de nos jours. L'auteur montre encore l'avantage qu'offre la substitution de la charité de pré- voyance à la charité de l’aumône, de la charité du travail à la charité manuelle : la première, qui se propage dans notre temps, est moralisatrice; l’autre, qui dominait ancienne- ment, est délétère; cette différence est nettement établie, et le progrès qu’elle marque est énergiquement signalé. Les recherches de M. Vander Meersch ont produit une œuvre qui mérite des encouragements : nous ne dissimu- lerons pas les erreurs inévitables et l’incertitude des résul- tats pour une époque où la statistique officielle n'existait pas, et où tout était à créer au moyen de poudreuses ar- chives; mais les données générales sont-précieuses, et si un tel travail existait pour toutes les provinces (1), nous devrions nous féliciter hautement de posséder une vaste histoire de la bienfaisance en Belgique : on verrait quelle active sollicitude à toujours veillé sur le sort des miséra- (1) M. le chanoine Carton en a publié un pour la Flandre occidentale, t. IV du Zulletin de la Commission centrale de statistique. | | | | £ (673 ) bles; quelle influence les vertus chrétiennes ont exercée sur l'amélioration du sort des classes souffrantes ; quels efforts les gouvernements ont faits pour régulariser l’ad- ministration de la bienfaisince ; on pourrait vérifier la vérité de ces lignes, que nous copions dans un rapport du conseil privé : « Les pauvres faisant partie du peuple aussi bien que les riches, ont plus besoin d’une puissante protection que les autres. Les princes se sont fait gloire d’en être les défenseurs ainsi que des veuves, orphelins, et tant d’autres dignes de commisération et de tout se- cours (1). » Nous terminons ce rapport. Sans doute, nous pouvons le répéter, nous eussions été heureux et fiers de conseiller au Gouvernement de décerner le grand prix à l’auteur d’un ouvrage éminent qu’auraient, dès l’abord, désigné les ap- plaudissements du public : c’eût été pour la Belgique un grand honneur de signaler, dès aujourd’hui, au monde savant, un monument de haute littérature, marquant un progrès dans le mouvement général des sciences morales et politiques; mais en comptant sur un avenir certain et solidement préparé, obligés, d’ailleurs, de nous renfermer dans une période de cinq années, nous pouvons nous féli- citer des résultats que constate l'examen impartial et ap- profondi auquel nous nous sommes livrés, non sans un long et pénible labeur. Deux livres remarquables, dictés par une philanthropie noble et dévouée; un tableau coloré et original, où le plus pur patriotisme à représenté la Belgique dans sa force politique et militaire; un manuel qui résume avec clarté y Ur 0 M (1) Consulte du conseil privé du 31 janvier 1745, sur la subordination au souverain des institutions pieuses et des fondations. ( 674 ) et vigueur tout ce qui s’est dit de plus coneluant contre de périlleuses théories, tel est le riche contingent que nous avons recueilli dans nos études. Nous affirmons, d’ailleurs, que de nombreux écrits se rapprochent de ceux que nous venons de signaler. Si, parmi les lauréats du concours, l'administration , l’armée, le professorat, l’érudition pro- prement dite sont dignement représentés, nous devons faire remarquer que, dans les autres carrières, des mem- bres de la législature, de la magistrature, de la diplomatie, du barreau, du clergé, comme une foule de particuliers, ont fourni leur contingent : ils viendront à leur tour dis- puter le prix, et la science leur doit dès aujourd’hui, pour leurs louables travaux, un tribut de reconnaissance. C’est done avec un profond sentiment de satisfaction que nous constatons l'énergique mouvement de notre lit- térature appliquée, et que nous signalons les promesses d’un brillant avenir, Rien de ce qui constitue le progrès social bien entendu ne nous est étranger : si, dans Ja car- rière des arts et du travail industriel, la Belgique retrouve, perpétue et développe son antique vitalité, elle fait en même temps voir au monde que la science, étudiée au profit de ce qu’on a appelé l'idéal humain, ce qu'on peut considérer comme l’organisation morale et politique de la société, rencontre chez elle des interprètes habiles et dévoués : l’économie politique et charitable largement comprise et appliquée; la statistique parfaitement orga- pisée et disant la vérité; l’histoire générale librement . étudiée dans une lice où toutes les opinions peuvent être contrôlées, admises ou condamnées; la philosophie et la morale partout enseignées, offrant à la raison ou au sen- timent ses préceptes, ses exemples, ses discussions, et laissant à la religion sa place large et son action libre; nos. (675) lois profondément étudiées dans leur histoire et dans leurs applications; notre droit publie compris avec intel- ligence et pratiqué avec une remarquable sagesse, voilà ce qui satisfait nos esprits. La Belgique dont, depuis mille ans (depuis 845), l'indépendance a été considérée comme le besoin de l’Europe (1), aspire chaque jour avec plus d’ardeur à augmenter sa force morale avec sa valeur intel- lectuelle ; elle veut consolider, par sa prudence et par le patriotisme de ses enfants, une posilion que la politique des puissances a consacrée, qu’elle a fondée sur les traités les plus solennels, qu’elle a entourée des plus fermes ga- ranties, et qu'un Roi sage, aimé de nous tous, puissant par la sagacité et l'intelligence, dévoué au pays, saura maintenir au profit d’une dynastie vraiment belge et na- tionale. Bruxelles, le 20 mai 1856. Le jury : M.-N.-J. Leccerco, président, ArenoT, secrétaire, le chanoine Carron, Pau Devaux, Haus, Cuarces Loomans, Cu. Fainer, rapporteur. (1) Juste Lipse, en 1599, a trop bien défini la position de la Belgique pour que nous ne reproluisions pas ici sa remarquable appréciation, que l'un de nous a rapportée ailleurs, et qui devrait servir d'épigraphe à tout ce qui’s'écrit sur notre pays; nous traduisons le beau style latin de l’im- mortel écrivain : « Tout le monde considère à bon droit la Belgique comme » une puissante individualité : et de même qué l’isthme qui sépare la mer - » Égée de la mer lonienne empêche le choc et le mélange de leurs ondes, LAS m de même notre Belgique, petite province, semble arrêter les grands em- .» pires qui, sans elle, envahiraient toutes choses et s'étendraient de toutes parts. » (Lettre au comte de Starnberg.) (676 ) M. le général Renard, aide de camp du Roi, rapporteur du jury institué pour décerner le prix quinquennal d'his- toire, est appelé au bureau pour donner lecture du rap- port, et s'exprime en ces termes : Monsieur LE MINISTRE, « Le jury institué pour décerner le prix quinquennal d'histoire a terminé ses travaux, et nous avons l'honneur de vous transmettre le résultat de ses délibérations. Nous | avons été guidés dans nos appréciations par des principes . dont il importe, avant tout, de vous exposer la nature et la portée. | Dans notre patrie, la mission de l'historien est impor- tante autant que difficile et ardue. L'importance des travaux historiques ne saurait être méconnue. Nulle part, peut-être, ils ne méritent plus. d'intérêt et de sympathie. Chez les peuples dont l'exis- tence a traversé de longs siècles, chez lesquels l'esprit : national a poussé de profondes racines, là où se trouvent | popularisées des traditions de gloire et de splendeur, on. conçoit fort bien que l'histoire grave et sérieuse ne captive que les esprits d'élite ou les hommes chargés de diriger. les affaires de l'État. L'histoire sans critique, l’histoire louangeuse et men-. teuse, telle que la produisaient les derniers siècles, ne présente même pas de bien grands dangers. Si elle est de nature à nuire au développement des idées ou à la juste: appréciation des annales du pays, elle n’altère en rien les. bases de l'édifice national. (671) Le peuple s'intéresse peu d'ordinaire aux querelles des partis disparus. Pour qu’il ait confiance en lui-même, pour qu'il entoure de son amour et de ses respects la terre où dorment ses aïeux, il lui suffit de savoir que, cette terre, de nombreuses générations se la sont transmise comme un héritage précieux et l’ont défendue au prix de leur sang. Dès lors rien ne coûte à lui-même pour la trans- mettre intacte à ses descendants. En Belgique, le rôle de l'historien a une portée bien plus haute. La chaîne de nos traditions a été rompue, et sa mission est de reconquérir dans l'esprit du monde, et j'ajouterai dans l'esprit d’une partie des Belges, notre rang parmi les vieilles nations de l’Europe, et nos droits à une nationalité séparée. Ici l’histoire sérieuse et vraie ne peut être un simple délassement pour quelques esprits élevés ; il importe qu’elle nourrisse tous les hommes intelligents, afin de descendre par eux dans les masses, et de les im- prégner de cet amour du sol natal que les traditions nationales impriment fortement dans le caractère d’un peuple, en le rendant capable de se soumettre volontaire- ment aux sacrifices que les événements imposent souvent aux États faibles. En 1830, et nous parlons ici des masses, nous n’étions Belges que par instinct. Nous aspirions sans cesse vers la nationalité, sans bien nous rendre compte d'un sentiment qui, sans relàche, nous poussait vers un but aujourd’hui si glorieusement atteint. À cette époque, nos droits étaient enfouis dans la poussière des archives ou dans des livres inconnus au vulgaire. Les souvenirs de tous, les traditions populaires, parlaient de la France, de l’Autriche, de l'Espagne, et non d'une Belgique indépendante et libre. Pour l'étranger, (678) fous étions un accident politique, une terre à compen- sation, un expédient diplomatique; pour quelques-uns même, nous étions une sorte d’épave, un lambéau dé- taché de leur patrimoine en un jour de tempête, et dont la jalousie des souverains de l’Europe les tenait dépouillés. Et cependant l’instinét du peuple belge ne l'avait pas trompé. Ces aspirations vers l'indépendance et la liberté prenaient leur source dans vingt siècles de luttes et de persévérance. La Belgique constitue la plus vieille association poli- tique de l'Europe, et c’est une vérité qu'il faut proclamer jusqu'à la rendre populaire. Nos provinces, il est vrai, n’ont pas toujours été réunies sous le même chef : l’une dèlles à constamment vécu séparée; souvent même, au moyen âge, elles se sont trouvées ennemies ; mais toutes ont su conserver au milieu des grandes nations qui les entouraient, et malgré des épreuves sans nombre, une existence propre et une indépendance de fait. I suffit, pour s’en convaincre, de jeter sur nos nome sl un coup d'œil rapide. Les tribus du nord de la Belgique n’ont jamais été com- plélement soumises à César, malgré sa guerre de sept . années. Sous l'empire, elles furent comprises parmi les peuples libres, et conservèrent leurs lois, leurs mœurs et leurs troupes nationales dont les cohortes combattaient sous les ordres de chefs nationaux. A la chute de l'empire, elles secouèrent le joug des . magistrats romains et formèrent avec les Francs de la Toxandrié la ligne des Francs Saliens. C’est de leur sein | que sortirent les guerriers de Clovis, et la race glorieuse et immortelle des Pepins. Lorsque la trahison et l'ambition ne RE D nn Sn = ( 679 ) des grands feudataires causèrent la ruine des descendants de Charlemagne, nos pères soutinrent, à travers toutes ses infortunes, la lignée du grand empereur, et lui res- tèrent fidèles jusqu’au dernier jour. Après sa chute, nos provinces placées entre l'Allemagne et la France, relc- vèrent, il est vrai, de ces deux pays par les liens féodaux, mais elles ne souffrirent de leurs puissants suzerains qu'uû pouvoir de nom. Chaque fois que ceux-ci prétendirent faire acte de puissance et franchir la frontière avec leurs soldats, ils y trouvaient les lances du Brabant et du Hai- naut ou bien les bonnes piques de Flandre pour leur en disputer le passage. Nos ducs et nos comtes prêtaient foi et hommage, mais ils ne s’en intitulaient pas moins ducs et comtes par la grâce de Dieu. Tandis que le droit du poing déshonorait presque toutes les contrées de l’Europe, nous jouissions de nombreux priviléges, et les libertés de nos ghildes ont pris naissance au sein des libertés germaniques. Réunies sous la souveraineté de la maison de Bour- gogne, les provinces belges auraient constilué un des plus beaux États du monde, si Charles-Quint ne nous avait pas fait reconnaître pour chef le roi des Espagnes. Plus tard, le traité de la Barrière nous livra au même titre à l’'empe- reur d'Autriche; mais encore, pendant cette période dou- loureuse de 254 années, succédant à tant de siècles de bonheur et de gloire, nous n’étions ni Espagnols ni Autri- chiens. Les provinces belges vivaient de leur propre vie et ne reconnaissaient pas de souveraineté étrangère. Ces rois et ces empereurs, absolus dans leurs États, n'étaient ici que comtes et ducs constitutionnels ; ils ne pouvaient exiger le serment d’allégeance, qu'après avoir juré, au préalable, ( 680 ) de maintenir et de sauvegarder nos libertés. Nous n’avons cessé d'être nous-mêmes que de 1794 à 1850, c’est-à-dire trente-six années sur vingt siècles ! Les événements de 1850 n’ont donc pas été une révolu- tion, mais une restauralion. La royauté belge, c’est la puissance de nos dues et de nos comtes réunie en une seule main, et le serment d’inau- guration du 21 juillet 4851 renferme tous les serments de Joyeuse-Entrée prêtés jadis au chef-lieu de chaque province. La souveraineté a reçu une forme nouvelle; mais son prin- cipe est aussi ancien que nous-mêmes et il se perd avec nos annales, nos libertés et notre système représentatif, dans la nuit des temps historiques. Voilà le champ glorieux ouvert aux investigations de nos écrivains; voilà l’édifice que nos historiens sont char- gés de reconstruire comme une protestation de nos droits à l'indépendance et à une nationalité séparée. Les Ger- mains et les Frances, avec Boduognat, Ambiorix, Clovis, Charles Martel et Charlemagne, forment la base du temple consacré à la patrie; sur cette base s'élève, comme un fais- ceau de colonnes puissantes, l'histoire de nos provinces; ces colonnes se réunissent à leur sommet, et portent pour couronnement l'Unité belge, objet des efforts et des vœux ardents de nos ancêtres, et que nous, leurs fils, nous sommes parvenus à édifier et à consolider, guidés par la main du plus aimé et du plus loyal des monarques. Nos historiens n’ont pas, à la vérité, à retracer de ces grands événements qui frappent vivement l'imagination des hommes, de grandes guerres, de vastes conquêtes; ils n'ont pas à élever des arcs triomphaux à des conquérants fameux, à énumérer les peuples soumis à notre joug, _les villes dévastées par nos armes : mais leur rôle, pour ( GS ) être plas modeste, n'est ni moins digne, ni moins noble. Ils ont à narrer comment, peu nombreux et faibles, nous avons conservé notre vieux nom, à raconter les luttes héroïques de nos pères contre les attaques de leurs puis- sants voisins; ils ont surtout à montrer une Belgique libre, alors que l’Europe presque entière gémissait encore dans un quasi-esclavage ;! ils ont à proclamer la prospérité de nos campagnes, la splendeur de notre industrie et de notre commerce déjà arrivés à leur apogée, alors que les autres nations sortaient à peine de la barbarie des temps féodaux. D'un autre côté, ils doivent nous montrer comment nous sommes déchus de cette gloire, comment un État, qui pouvait devenir un des plus puissants et des plus ri- ches du centre de l’Europe, a été amoindri et démembré; ils doivent nous faire toucher du doigt les motifs de ces désastres : l'intolérance qui compromet les causes les plus saintes et qui souille les intentions les plus pures; de froids ambitieux développant et attisant les passions que l'intolérance amèvue toujours à sa suite pour bouleverser l'État à leur profit, l'antagonisme des provinces et des villes; la conduite insensée des partis politiques qui, dans leur acharnement à se nuire, feignent de ne pas s’aperce- voir que c’est l'édifice social qu’ils ébranlent et dont ils préparent la ruine. Oui, nos annales sont remplies de suprêmes leçons dont les esprits orgueilleux peuvent seuls méconnaître la portée. L'homme d’État et l'homme de parti qui restent sourds à leurs enseignements, et prétendent trouver en eux-mêmes les moyens de dominer les événements, res- semblent au libre penseur qui prétendrait refaire le monde avec des mots et la raison pure : il aboutit fatalement au néant. TOME xx. — ]'° PART. 47 ( 682 ) Depuis vingt-cinq ans, les savants de la Belgique n'ont rien négligé pour porter la lumière dans notre passé. Les plus grands noms de notre littérature se sont associés à cette œuvre, et déjà des ouvrages considérables et remar- quables à plus d’un titre sont sortis de leurs mains habiles. Néanmoins, l'édifice avance lentement par des causés qui sont indépendantes de la science et du zèle de nos savants, et qu’il est facile d'apprécier. Les gouvernements étrangers, dont la Belgique relevait , avaient intérêt, non à protéger, mais à étouffer ces études et ces aspirations vers des temps plus heureux. | Nous n'avons donc suivi que de très-loin le magnilique mouvement de recherches qui s’est développé chez les autres nations durant le XVII” et le XVIII"® siècle. Aussi, lors de notre régénération politique, nous étions en retard de plus de cent années. Nous n'avions même pas de bibliothèque publique nationale. Tout était à faire et à créer, et ce sera l'éternel hon- neur de nos historiens de n'avoir point reculé devant une tâche aussi ardue. Le Gouvernement, il faut le reconnaître hautement, n'est point resté inactif. Il a fait, pour parer au mal, tout ce qui dépendait de Jui, dans la limite des ressources beaucoup trop restreintes dont il dispose. La création de la Commission d'histoire est une preuve éclatante de sa protection, et la Biblio- thèque nationale, fondée par ses soins, pourra, dans quel- ques années, compter parmi les dépôts publies les plus riches de l'Europe. Mais ce que l'on doit le plus louer, c'est sa sollicitude pour nos archives historiques, ce sont les efforts qu’il tente pour les mettre en lumière. Ici eu- core, la Belgique se trouvait, à l'égard des autres nations, ( 685 ) dans un état d'infériorité flagrant. Nos trésors les plus précieux n'étaient pas tous entre nos mains. Une grande partie était à Besançon, à Lille, en Espagne, à Vienne; ce qui nous restait gisait entassé dans un désordre déplo- rable. On ne possédait ni catalogues, ni données certaines sur ces richesses enfouies dans des greniers poudreux. Le gouvernement a heureusement trouvé, pour le seconder , un homme dont le zèle et le talent ont été à la hauteur de la tâche. Ce qu’il a fait pour le classement de nos archives vous est connu, et ses publications soit officielles, soit parti- culières , offrent déjà aux historiens de la patrie des res- sources précieuses et inespérées. D'autres favants l'ont suivi dans cette voie que l'État ne saurait assez protéger de ses encouragements et de ses subsides; car c’est seule- ment après qu'on aura fait jaillir toutes les sources de notre histoire, qu'il sera possible de retracer d’une main ferme et sûre le récit de nos splendeurs et de nos revers. Enfin, un des derniers bienfaits du Gouvernement a été l'institution du prix quinquennal d'histoire. Nos devan- ciers, il y a cinq ans, en ont éloquemment apprécié le but et la portée, et nous nous associons à leurs éloges. Le jury, Monsieur le Ministre, en vous exposant les considérations générales qui précèdent, avait pour but de faire pressentir les motifs de quelques-uns de ses votes. Les études historiques se trouvant, en Belgique, dans une situation moins favorisée que chez les autres nations, les ouvrages à signaler au pays, comme les plus dignes de fixer son attention, doivent répondre à des conditions particulières. Pendant longtemps encore, tout en tenant grand compte du style et de la forme, nous serons forcés d'accorder la priorité au fond même du travail, c’est-à-dire - ( 684 ) à la difficulté et à la profondeur des recherches, au choix et à la critique des sources; enfin à l'impartialité de l’au- teur, c'est-à-dire à une scrupuleuse exactitude dans l’ex- position des faits. Nous pensons que la mention et la critique des sources consultées sont: d’une nécessité indispensable. Il ne suffit pas que l’auteur soit convaincu des faits qu'il développe, et de la justesse des déductions qu’il en tire, il faut que le lecteur trouve sous les yeux les éléments de cette convic- tion, et puisse, s’il le désire, y recourir lui-même. Il sera possible d’être moins exigeant, dans la suite, lorsque toutes les parties de nos annales auront été convenable- ment fouilléês et élucidées; mais aujourd'hui on ne saurait se montrer trop sévère sur ce point. C'est ainsi que nous avons été forcés, à notre grand regret, d'écarter un ou- vrage de valeur, rédigé avec un rare talent, par un de nos écrivains les plus éminents, par cela même que, faute de: preuves et de citations suffisantes, les points d'appui, les bases de sa conviction et de ses déductions échappaient à notre appréciation. Parmi les ouvrages historiques de cette période quin- quennale, examinés et commentés par nous, celui qui nous à paru mériter l'honneur d’être placé au premier rang est l'Histoire de la révolution des Pays-Bas sous Philippe II, par M. Théodore Juste. Il n’existait point de sujet à traiter à la fois plus important, plus vaste et plus fécond. Cette période de nos annales se rattache à l’histoire du monde; elle appartient à une révolution qui a changé la face mo- rale et politique de l'Europe. Si nous n’envisageons que notre pays, cette époque marque le passage entre une Belgique glorieuse et partout respectée , et la Belgique rivée à l'Espagne en décadence. sé ? ; | ( 685 ) Avant Philippe If, notre pays était le plus industriel du monde, les arts et les lettres y resplendissaient d’une gloire incontestée, nous marchions à la tête de la eivilisa- tion européenne, Anvers était la rivale préférée de Venise et le plus grand entrepôt commercial de l'univers. Après la paix de Westphalie, la nuit a remplacé le jour : l'Escaut est enchainé, l'herbe croît sur les quais d'Anvers, les lettres et les arts qui, sous le règne national et trop mé- connu d'Albert et Isabelle, avaient jeté un immense éclat, comme une lampe près de s'éteindre, étaient à peine cul- tivés; nos principales industries s'étaient exilées du pays; la misère et le vagabondage envahissaient nos campagnes ; et le cultivateur n’ensemençait plus qu’à regret un champ dont les pas des soldats devaient chaque année fouler les moissons ; nos frontières étaient mutilées, et de riches pro- vinces pour toujours aux mains de nos ennemis; notre belle patrie que l'étranger n’avait jamais impunément en- vahie, était devenue le champ clos des luttes européennes, telle payait, chaque fois, des lambeaux de son sol la ter- “ minaison de querelles qui ne la concernaient pas. Il est utile cependant de le proclamer hautement, la Belgique n’est pas responsable de ces mutilations succes- sives; car la défense de la patrie n’était plus confiée aux bras de ses enfants. Nos pères s'étaient illustrés dans les armes; ils s'étaient montrés aussi héroïques sous la maison d'Autriche qu’au temps des ducs de Bourgogne; nos bandes . d'ordonnance et nos terzes wallons avaient fait la force des armées de Charles-Quint, du prince de Parme et de - l'archiduc Albert. Durant la guerre de trente ans, ils avaient conquis l'admiration de leurs propres ennemis, . sous des chefs comme Tilly, Bucquoi, de Mérode, d’Arem- + berg, de Croy; et à la mort d'Isabelle, et aussi longtemps Le : 4) Lee | | ( 686 ) que nos troupes restèrent nombreuses et honorées, nos frontières du Midi demeurèrent intactes. Et pourtant, malgré tous ces témoignages de courage, de persévérance et de dévouement, les rois d'Espagne, dans leur crainte stupide de tout ce qui portait le nom belge, laissèrent tomber nos institutions militaires. Ils confièrent notre défense à des Allemands, à des Italiens, à des Anglais, à des Frlandais, et S'ils y joignirent quelques régiments in- digènes, ce fut pour les reléguer au dernier rang «et les abreuver de dégoüts. On peut ajouter encore que, par suite du désordre des finances, cette armée étrangère ne présentait pas un effectif de 15/0060 hommes sous les dra- peaux, et c'est avec ce ramassis de vagabonds que l'Es- pagne prétendait protéger le pays contre les armées nom- breuses et aguerries de Louis XIV! La période de quatre-vingt-treize ans qui s’écoula entre l'abdication de Charles-Quint et la paix de Westphalie, est donc la plus funeste de nos annales, et nous devons ajouter qu'elle en est la moins connue. Ce n’est pas que le nombre des ouvrages qui traitent de ces événements ne soit très-considérable, car leur nomen- clature formerait déjà un gros volume. Quelques-uns sont des œuvres de grand mérite, mais, à peu d'exceptions près, tous ces livres ont été écrits par des étrangers au point de vue de l'Espagne ou des Provinces-Unies, et tous sur des documents incomplets. Quant aux Belges qui prirent la plume pour raconter les événements de cette triste époque, ils sont dominés par l'esprit de parti : témoin l’Anversois Van Meteren. Les écrivains du temps n'ont pas ménagé son œuvre, dont on accueille cependant aujourd’hui assez facilement les asser- tions. Tandis que les catholiques, et Adrien Van Meer- « ( 687 ) beeck entre autres, lui reprochent ses mensonges, ses inventions atroces contre les catholiques, ses calomnies de tout genre, le Hollandais Reidanus signale sa crédulité, ses flatieries, ses dissimulations. Aussi les écrivains qui, dans les temps modernes, ont essayé de retracer nos an- nales, en puisant à ces sources, ont-ils échoué, Je citerai, comme exemple, Vandervynckt, dont l'ouvrage, à son apparilion, avait été l’objet d’éloges emphatiques. Cette grande réputation n’a pas tenu devant les premières dé- couvertes opérées dans les archives : c’est là que se trou- vait caché de secret de ces temps orageux. Depuis 1850, des travaux considérables ont vu le jour. Ils rendent fai- sable aujourd’hui ce qui, jusque-là, pouvait être considéré comme impossible. Ce sont : en Allemagne, la Corres- pondance de Charles-Quint, par Lanz; en Hollande, les Archives de la maison d'Orange-Nassau, publiées par Groen Van Prinsterer; en France, les Papiers d'État du cardinal de Granvelle, par M. Weiss; en Belgique, la Correspon- dance de la duchesse de Parme, par de Reiïffenberg ; la Cor- respondance de Guillaume le Taciturne, par M. Gachard, et, par-dessus tout, l’œuvre capitale de notre archiviste général, la Correspondance de Philippe I sur les affaires des Pays-Bas. Cet ouvrage est complété par des documents précieux insérés dans les Analectes belgiques et les Bulletins de la Commission royale d'histoire, et, de plus, par trois autres ouvrages non moins intéressants , les Anciennes assemblées nationales de Belgique ; la Correspondance du duc d’Albe sous l'invasion de Louis de Nassau , et la Corres- pondance d'Alexandre Farnèse. A peine ces trésors avaient-ils vu le jour, qu’un savant académicien montrait tout le parti qu’on pouvait en tirer dans un mémoire sur Philippe IE. Ilest donc équitable de ( 688 ) reconnaître que M. Juste a eu à sa disposition, pour élever son édifice, des matériaux imprimés dont aucun de ses devanciers n'avait eu connaissance; mais il est équitable de proclamer tout aussitôt qu'il a parfait son œuvre avec un véritable talent. L'Histoire de la révolution des Pays-Bas sous Philippe I n’embrasse qu'une partie du règnè de ce monarque. L'au- teur annonce, dans sa préface , qu’il s'arrêtera à la prise de la Brielle au 1° avril 4572. Selon lui, la lutte mémorable des Pays-Bas contre l'Espagne, peut se diviser en deux époques distinctes. « La première, dit-il, comprend les vicissitudes et enfin les succès de la résistance opposée courageusement, par les Belges et les Hollandais, à la domination redoutable de Philippe IH; la seconde est caractérisée par la fondation de la république des Pro- vinces-Unies, qui coïncide fatalement avec le retour des Pays-Bas sous le joug qu'ils avaient d’abord secoué. Chacune de ces deux époques peut devenir l’objet d’un » travail spécial et complet. » L'auteur ajoute que, réser- vant pour d’autres temps l’histoire de la fédération batave, il retrace dans son premier ouvrage le tableau des Pays- Bas, depuis l’avénement de Philippe IL jusqu'au soulève- ment déterminé par les victorieuses entreprises des gueux de mer. A cet égard, nous avons à présenter une première ob- servalion. Si M. Juste avait pris pour sujet l’histoire de la république batave, on concevrait cette division de l’œuvre. En effet, jusqu’à la prise de la Brielle, les Provinces-Unies avaient peu participé au mouvement. Tout le poids de la lutte, toutes les souffrances avaient élé le partage des pro- vinces belges. Après comme avant ce succès, rien ne fut changé pour (CESR RE NS ON ee ie. ( 689 ) celles-ci, et c'est encore en Belgique que Guillaume con- duisit, en cette même année 1572, sa nouvelle armée d'étrangers. Puisque M. Juste écrivait son livre au point de vue belge, il eût dû elore sa première partie après un incident qui intéressät directement nos provinces et qui eût pour elles une importance eapitale. Cela posé, voici la marche de l'Histoire de la révolution des Pays-Bas sous Philippe 11. L'ouvrage forme deux vo- lumes, divisés en seize livres. Le premier volume en con- tient neuf et le second sept. Le livre [°° renferme un coup d'œil rapide sur l’administration de Charles- Quint. 1 développe les causes de son abdication et le suit jusqu’au monastère de Yuste, après la conclusion de la trêve de Vaucelles. Le livre Il" relate les événements survenus après le départ de Charles-Quint, la rupture de la trêve et les ba- tailles glorieuses pour nos armes de Saint-Quentin et de Gravelines. Le livre II" contient les dernières années de Charles- Quint et les négociations de la paix de Câteau-Cambrésis. Ces trois chapitres forment une introduction au drame qui commence avec le livre IV". Le livre IV®* donne un résumé des événements anté- rieurs jusqu’à l'année 1549, et expose les rouages et l’or- ganisation du gouvernement des Pays-Bas. On y trouve - très-bien développés la physionomie et le caractère de Philippe I, du prince d'Orange et du comte d'Egmont. Le livre V' expose la situation et fait la description des Pays-Bas à cette époque. Le livre VI" développe les causes des troubles; il fait . passer sous les yeux du lecteur les principaux acteurs de ce drame fameux, ( 690 ) Le livre VIT" est consacré tout entier à la question de la réforme et des placards. Le livre VITF"® retrace toutes les péripéties de la lutte des seigneurs contre Granvelle, la défaite et la retraite du cardinal, Le livre IX", qui clôt le premier volume, est consacré à l'administration des seigneurs après le départ de Gran- velle, aux progrès de la réforme, aux difficultés suseitées par la publication des décisions du concile de Trente et an voyage infructueux du comte d'Egmont en Espagne. I se termine par les fameuses dépêches de Valladolid et de Ségovie, qui, enlevant aux seigneurs toute espérance, ame- nèrent leur fédération. Le livre X"°, le premier du deuxième volume, renferme l'histoire du Compromis. Le livre XI" débute par l'envoi à Madrid de l'infor- tuné baron de Montigny et du marquis de Berghes. Il donne des notions intéressantes sur les préches et se Ler- mine par les concessions fallacieuses de Philippe IE en 15066, | Le livre XHI”° raconte les dévastations, les pillages, les meurtres accomplis par les iconoclastes et les efforts des seigneur$ confédérés pour y porter remède. Au livre XII, les pillages et les dévastations portent leurs fruits; la scission éclate au camp des confédérés : les catholiques se séparent des protestants. Marguerite de Parme profite de ces circonstances heureuses pour elle, et parvient à rétablir l'ordre. Le livre XIV” introduit le due d’Albe sur la scène. Il décrit son arrivée et celle de son armée ainsi que l’arres- tation des comtes d'Egmont et de Hornes. Le livre XV®° est rempli par l’organisation et les opé- na de 17e we 0 us D . + CPS fe = dei, ÉD TET à La mis (6) ) rations sanguinaires du conseil des troubles et la fin tra- gique des comtes. II se termine par la première campagne infructueuse du prince d'Orange. Le livre XVI" est le dernier de l'ouvrage; l'auteur sem- ble pressé de terminer son œuvre. Les faits y sont accu- mulés : l'émotion de l'Allemagne en apprenant ce qui se passe aux Pays-Bas; l'établissement des 10%, 20" et 100"° deniers; la situation du prince d'Orange après sa défaite; l'origine des gueux de mer; la mort mystérieuse de Montiguy; l'érection de la citadelle d'Anvers; la résis- tance du clergé belge, et en particulier de l'université de Louvain au proconsul espagnol; les négociations de Louis de Nassau en France; enfin, les progrès des gueux de mer et la prise de la Brielle. Telle est la marche du livre de M. Juste. A peine l'ouvrage avait-il vu le jour que l’opinion pu- blique rendait à l’impartialité de l’auteur un éclatant hom- mage. En Belgique, en France, en Allemagne, parmi les écrivains catholiques comme parmi les partisans du libre examen, tous ceux qui ont rendu compte de ce travail, s'accordent pour louer la bonne foi de l’auteur et son amour pour la vérité. Le jury s'associe à ces louanges. Ilest honorable de conquérir un pareil éloge, en diseu- tant un sujet aussi brûlant. Sans chercher à excuser les fautes de Philippe IF et son inqualifiable dissimulation, tout en flétrissant l’odieuse tyrannie qu'il fit peser sur nos contrées par le sanguinaire duc d'Albe, l’auteur montre que cette politique fatale de répression n’a pas été inau- gurée par lui : ce roi était en cela le continuateur de Charles-Quint, dont la mémoire, pourtant, n’a pas été maudite. Il prouve, d’ailleurs, qu'il serait injuste d’envi- ( 692 ) sager les choses de ces temps de trouble à travers le prisme de nos idées actuelles. Au chap. VII", M. Juste fait acte de justice en plaçant, en regard de l’état misérable de nos provinces, le tableau des pays voisins. [l en ressort que Philippe IT n’était pas seul intolérant et coupable. Partout, dans tous les camps, les passions excitées se livraient à des actes honteux, et les protestants ne peuvent rien reprocher aux papistes que la plupart de leurs sectes n'aient elles-mêmes accompli ou surpassé. Ainsi donc, sans excuser Philippe IF, il serait puéril d'en faire le bouc émissaire des iniquités de ces temps , et de le présenter comme ayant seul voulu l’exter- mination de ceux qui ne pensaient pas comme lui. La modération et l’impartialité de l’auteur éclatent en- core dans les portraits qu’il trace des principaux acteurs de ce grand drame historique. Dans ce genre de travail, il est un écueil qu'il faut toujours chercher à éviter : l’im- partialité ne consiste pas à émousser les traits, à arrondir les arêtes, à mitiger, à pallier les actions des partis; elle consiste à être toujours vraie, mais impitoyablement vraie pour tous. L'ouvrage de M. Juste (et tous ses critiques lui rendent encore celte justice) est bien disposé et agencé. L'auteur n'en élait pas à son coup d'essai. Nous avons de lui de nombreux travaux, dont plusieurs jouissent , à juste titre, de la considération publique. Nous citerons, parmi eux, l'Histoire de la Belgique, en deux forts volumes. La troi- sième édition en a été terminée durant cette période quin- quennale. C’est un ouvrage estimable, et le résumé le meil- leur et le plus à la hauteur des découvertes historiques que nous possédions en français. Nous citerons encore la vie de Marie de Hongrie, biogra- ( 693 ) phie très-bien faite, très-bien écrite, pleine d'aperçus peufs et d’an grand intérêt. Mais, à l'exception de ce der- hier opuscule, tous les travaux antérieurs sont, au point de vue de l’art d'écrire, comme à celui du talent et de la mise en scène, de beaucoup inférieurs à l'Histoire de la révolution des Pays-Bas sous Philippe 11 : les progrès de l'écrivain sont remarquables. Nous pouvons citer des chapitres très-beaux sous le tri- ple rapport du style, de l'intérêt et de la Lt fs Qu: par exemple les livres VIT, X, XI, le livre XI, à parur de l’arrivée de Noircarmes à Tournai, et surtout le livre XV, qui se distingue aussi bien par l'importance des notions qu'il renferme que par la manière dont elles sont présen- tées. Nous avons constaté quelques incorrections, mais elles sont inséparables d’un ouvrage de si longue haleine. Nous avons également constaté dans plusieurs parties une narration trainante; cela provient de ce que l’auteur s’est trop souvent assujetti à analyser servilement et trop lon- guement, dans le texte, les pièces ollicielles dont il dis- posait. Nous croyons également que l’agencement des premiers chapitres gagnerait à être remanié; les portraits des principaux personnages sont rejetés dans deux livres différents; les causes des troubles sont aussi scindées ; on les trouve à la fin du livre [* et au livre VI"; la revue, rétrospective du livre IV"*, quoique fort utile en soi, n’est pas à sa place, et elle coupe d’une manière nuisible l ordre chronologique et la succession des faits. Les principales sources imprimées contemporaines ont été consultées et approfondies par M. Juste; il a commenté avec soin les correspondances et les livres publiés de nos jours; il à joint à ces investigations minutieuses ses pro- pres recherches dans les archives de l'État, car il invoque ( 694 ) souvent les notules du conseil d'État, et les volumes des documents historiques manuscrits que possède notre dépôt national de Bruxelles. Il devait jaillir de ce travail con- sciencieux des choses neuves, des notions et des rensei- guements intéressants et précieux. On trouve en effet des détails nouveaux ek curieux sur les divers personnages qui ont pris part aux affaires de ces temps, sur la marche de la réforme, sur le Compromis et sur les faits qui précédé- rent et suivirent la remise de la requête à la duchesse de Parme; les notions sur les prêches, où l’on peut déjà pres- sentir les odieuses réactions auxquelles la réforme va bientôt se livrer, sont d’un haut intérêt; on peut en dire autant de tout ce qui regarde l’arrivée du due d’Albe et de son aymée ; enfin tout le livre XV"®, consacré à l’instal- lation et aux opérations du conseil des troubles, au procès et à l'exécution des comtes d'Egmont et de Hornes, ren- ferme des renseignements qu’on chercherait en vain daus les historiens du XV["* siècle. Néanmoins le jury regrette que les occupations d'État el la position de l’auteur ne lui aient pas permis de pousser plus loin ses investigalions parmi les manuscrits et les « archives de nos provinces et de nos villes. Ces recherches lui auraient permis, peut-être, d'éclairer toute une face du sujet qui reste trop dans l'ombre. A côlé des acteurs principaux : Philippe IT, Marguerite, le prince d'Orange et les autres nobles, on désirerait voir davantage se mou- | voir la nation elle-même, dont les destinées, en définitive, forment l'enjeu des événements. Aujourd'hui on ne peut l’apercevoir qu'à travers quelques éclaircies. On ne suit « pas d’une manière assez lucide les péripéties de l'opinion publique. C’est une lacune que nous signalons à M. Juste. Nous avons une autre lacune à lui signaler. Il tient trop EE ct RS ( 695 ) peu compte de l'influence exercée par les puissances voi- sines sur la révolution belge du XVI®* siècle : nous ne pensons pas qu'il soit possible d'isoler l’histoire de nos troubles des intrigues politiques européennes de celle époque. Les troupes dont les Nassau disposèrent dès l’ori- gine n'étaient ni belges ui hollandaises, mais françaises et allemandes. De son côté, Élisabeth d'Angleterre proté- geait et secondait ouvertement la flotte des gueux de mer, qui, après avoir longtemps menacé nos côtes et éprouvé des échecs divers, réussit enfin à s'emparer de la Brielle. Celle conduite des peuples voisins était-elle guidée par la bienveillance, et avait-elle pour but de nous rendre la liberté politique et la tolérance religiense, en rompant les liens qui nous attachaient au souverain des Espagnes? on bien, était-elle guidée par une pensée égoïste d’agrandisse- ment et de conquête ? Dans ce cas, jusqu'où les nobles qui s'étaient mis à la tête du mouvement entraient-ils dans ces vues ? M. Juste soulève un coin du voile qui recouvre ces secrets d'État; mais il le fait d’une manière incidente à la lin de son ouvrage, à la page 569 du deuxième volume. fl raconte l’entrevue de Louis de Nassau avec Charles IX et la reine mère à Lumigny, entrevue où le frère du Taciturne ne propose rien moins que le démembrement de la Bel- gique, et où il prélend que, pour l'accomplissement. de cette œuvre, les catholiques belges sont prêts à donner la main aux réformés. Il propose donc de céder la Flandre et l'Artois à la France, le Brabant, la Gueldre et le Luxem- bourg à l'Empire, et la Zélande à l'Angleterre. La propo- silion parait si sérieuse que Walsingham, envoyé de la reine Élisabeth à la cour de France, est mis dans la con- lidence, et il écrit à lord Cécil pour l'engager à adopter (696 ) celle combinaison. La dépêche dans laquelle il révèle les propositions de Louis de Nassau nous a été conservée, et voici comment Walsingham développe la combinaison au gouvernement de sa souveraine. L'Artois et la Flandre seraient adjugées à la France, la Zélande (à laquelle il ajoute la Hollande) à l'Angleterre; mais il fait connaître que le Brabant et les autres pro- vinces de l’Empire seraient placés sous l'ancienne dépen- dance de ce pays, et que le gouvernement en serait remis à un prince d'Allemagne, qui, dit-il, ne peut étre raison- nablement que le prince d'Orange. Tout cela constitue évi- demment un fait très-important, très-grave, qui mérilait d'être élucidé. Il est vrai que M. Juste disculpe le prince d'Orange de toute participation à ces menées dans une note que nous trouvons à la page 572. « Il parait tout à fait prouvé, dit-il, que le prince d'Orange n'eut pas connaissance du projet de démembrement des Pays-Bas, et que, en adhérant trop facilement, sous ce rapport, aux vues de l’amiral de Coligny, Louis de Nassau cédait à son carac- tère impétueux, et n’écoutait ainsi que le désir ardent de renverser à tout prix la tyrannie espagnole. » Dans une question aussi sérieuse, une simple dénéga- tion placée en note et qu'aucune preuve n'élaye, ne sau- rait suffire. Cette ignorance de Guillaume, à l'égard des démarches de son frère, a besoin d'être solidement éta- blie, alors surtout que les écrivains modernes de la France soutiennent l'avis contraire. Capeligue, que M. Juste con- naît, avance que le Taciturne avait même élé prévenu de l'époque de l'invasion fixée au printemps de 1572. Nous possédons, du reste, la preuve irréfragable que ce projet de démembrement n’était pas éclos subitement dans D: Ce SM °° F | 4 ; « | ; De RER detre ne 2 ln ane Re Date ent ( 697 ) la tête exaltée de Louis; et cette preuve existe dans M. Juste lui-même. En 1566, cinq ans avant l’entrevue de Lumigny, Marguerite de Parme, par ses lettres des 50 août et 15 sep- tembre, prévient le roi des machinations des trois chefs des nobles. « On l’a assurée que le dessein du prince d'Orange est de se rendre maître de l'État et de partager les villes avec les seigneurs. » — « On changerait totale- ment l'esprit et la forme du Gouvernement pour mettre celui-ci entre les mains des trois. » | Enfin, sous la date du 15 octobre 1566, elle précise son accusation : « Elle sait à quoi s’en tenir à présent sur » les projets de partage qu'on a formés pour ces pro- » vinces; on lui a dit que la Frise et l'Over-Yssel seraient » pour le duc Auguste de Saxe; la Hollande pour Bréde- » rode; la Gueldre se partagerait entre le duc de Clèves » et le duc de Lorraine; le Brabant, à ce qu’on présume, » serait pour le prince d'Orange; la Flandre, PArtois, le » Hainaut seraient pour le roi de France; mais, dans ce » cas, la duchesse pense que le comte d'Egmont en vou- » drait être gouverneur perpétuel. » M. Juste cite ce message en note de son ouvrage à la page 204 du deuxième volume; mais, dans le texte, il qua- lifie ces accusations d’exagérations manifestes; il les con- sidère comme fondées sur des rumeurs vagues, sur des indiscrélions intéressées, sans justifier son opinion. Les négociations de Lumigny semblent cependant donner un grand degré de probabilité à l'existence des projets dénon- cés par Marguerite de Parmé; projets, il faut le remar- quer, conçus avant les désordres des iconoclastes et l’arri- vée du duc d’Albe avec son armée d'étrangers. D'un autre côté, il est diflicile de croire que le prince d'Orange ignorät les négociations de Lumigny. Elles Tome xx, — ['° par. 48 ( 698 ) avaient été précédées de la conférence de Fontainebleau, et elles avaient donné lieu à différents conseils de guerre, dont les envoyés espagnols avaient su pénétrer les se- crels. | Le roi d'Espagne et le duc d’Albe étaient tenus au cou- rant de tout ce qui se passait , el l’on peut se demander si ce n'est pas à ces informations qu'est dû le redoublement de cruauté que Philippe IE déploya, en 1571 et 1572, alors que l’état du pays ne justifiait aucunement celte recru- descence de fureur. Cette ignorance de Guillaume s’ac- corde peu avec l’alliance qu’il contracta, par son mariage, avec les familles de Saxe et de Hesse, qui sans cesse , de- puis quarante ans, poussaient les rois de France à s’em- parer des frontières méridionales de notre pays. Aucun détail des intrigues de Louis ne pouvait être inconnu à ces familles, puisque ce dernier stipulait au nom des princes de l'Allemagne. Enfin depuis la publication, faite par M. Gachet, de la correspondance de Charles IX avec Mon- doucet , il est prouvé que des relations politiques et se- crèles existaient entre le chef de la réforme aux Pays-Bas et le fauteur de la Saint-Barthélemy en France. Tous ces faits importants méritent d’être expliqués et commentés, car il est évident que la participation ou la non-participation du prince d'Orange et des principaux seigneurs belges à ces projets de démembrement change- rait du tout au tout l'appréciation de leurs actes, et le caractère des troubles dont notre pays a été le théâtre. Ce ne seraient plus des hommes aimant leur patrie, animés des sentiments les plus purs, sacrifiant leurs biens M et leurs vies pour conquérir la tolérance religieuse et le M maintien de nos antiques priviléges; ce seraient des ambi- M tieux cachant leurs desseins sous le masque du libéra- M ( 699 ) lisme ; excitant les passions, poussant au désordre pour conquérir la toute-puissance. C'est là, d’ailleurs, le repro- che que leur adresse, en termes formels, un historien français, très-catholique il est vrai, mais profondément initié à la politique de ce temps, et qui, consulté par Charles IX, sur l'expédition de 1572, avait rédigé un mé- moire pour engager le roi à y renoncer : je veux parler du célèbre maréchal Gaspard de Saulx-Tavannes. Voici ce qu'il écrit sous la date de 1565 : « Les princes d'Orange, » d'Aiguemont et d'Orne et autres, s'aydent de la religion huguenote, y mêlent la conservation des priviléges du pays, se déclarent l'ennemi du cardinal de Granvelle qui s’absente pour ne leur servir de prétexte. Leur but estoit de rendre la Flandre comme l'Empire, les grandes villes hors de servitude ainsi que les impériales, et eux, avec semblable autorité que les ducs de Saxe et le comte palatin et autres princes d'Allemagne... » Une pareille accusation, partie de si haut lieu, doit être réfutée; el en présence des autres indices que nous avons signalés, une simple dénégation ne saurait suflire. Nous engageons donc M. Juste, lorsqu'il continuera l'histoire des troubles des Pays-Bas, à traiter à fond celte question importante, que nous posons sans chercher toutefois à en préjuger la solution et que lui à seulement effleurée. La part de la critique étant terminée, le jury, Monsieur le Ministre, éprouve une véritable satisfaction à vous signa- ler l'Histoire de la révolution des Pays-Bas sous Philippe F1 comme une œuvre remarquable et écrite avec talent. C'est incontestablement, au point de vue où nous nous sommes placés , le meilleur livre historique de cette période quin- quennale, et il peut être compté parmi les bons ouvrages qui out vu le jour depuis notre régénération politique. SH VUE © À ( 700 ) Si, par suite des observations que nous venons de vous exposer, la majorité du jury, dans le but d’entourer le prix quinquennal d'histoire d’un très-haut prestige, n’a pas cru devoir vous demander d'assigner à son auteur le montant intégral de la somme dont vous disposez; d’un autre côté, elle désirerait, du moins, de lui voir accorder une dis- tinction qui témoignàt de l'opinion élevée que ses travaux consciencieux nous ont inspirée. Nous vous proposons, en conséquence, de lui remettre la plus grande partie du prix, à savoir une médaille de 3,000 francs. Cette circonstance permet au jury d'attirer vos regards sur deux autres ouvrages fort estimables, fruits de labeurs assidus et dignes d’une récompense nationale. Ils n’em- brassent pas une des grandes périodes de l’histoire de la patrie; ils ne visent pas à l'épopée, mais ils pénètrent dans nos annales intimes. L'une est l'Histoire des environs de Bruxelles, commen- cée en 1852 et achevée en 1855, par M. Wauters, archi- viste de la ville; l’autre est la Geschiedenis van Antwerpen, commencée en 1845 et achevée en 1855, par MM. Mertens et Torfs. Une nation ne saurait prêter assez d’attention à des œuvres de ce genre; c’est là seulement qu’on peut suivre les transformations que le temps a fait subir aux généra- tions diverses; c’est, pour ainsi dire, l’histoire de la vie intérieure d’un pays. On fait trop souvent l’histoire de l'esprit publie, des lois et des idées d’un peuple sans le con- naître suflisamment; on le juge presque toujours posant à la tribune, sur la place publique ou sur un champ de bataille, tandis qu’il faudrait l’examiner également assis au foyer domestique, au milieu de ses occupations de tous les jours et de ses querelles de clocher, où l’homme, TT NT TE ( 108) dépouillé de ses vertus et de ses vices d'emprunt, se montre tel qu'il est. L'Histoire des environs de Bruxelles forme trois volumes grand in-oetavo, et décrit cinquante-six lieues carrées de terrain. Ce terrain atteint : au nord , les limites des com- munes de Puers, Ruysbroek, Wavre-Sainte-Catherine ; au sud, celles d'Elighen, Buysingen, Rosières; à lorient, Loonbeek, Leefdael, Boortmeerbeek ; à l'occident, Meer- beek, Baerdeghem, Buggenhout. Elle est divisée en dix livres, conduisant le lecteur dans dix directions différentes qui, partant de Bruxelles, rayonnent vers Leeuw, Ninove, Alost, Termonde, Grimberghen, Willebroek, Wespelaer, Tervueren, Yssche et Alsemberg. L'ouvrage de M. Wauters, comme ensemble, échappe à l'analyse. Il forme une série de monographies dont le plan doit évidemment varier avec les localités et l'importance des objets que celles-ci contiennent. Ici ce sont les éche- vinages d'Uccle, de Rhode ou de Leeuw; là les princi- pautés de Grimberghen ou d'Yssche; plus loin, les vieux comtés de Crainhem, de Tirimont, d’Erps, ou bien la sei- gneurie de Wemmel, le marquisat de Grand-Bigard, les baronnies de Leefdael, de Huldenberg, etc. Dans cette ‘division, chaque village vient s'enchâsser avec ses abbayes, y ses châteaux, ses églises ou chapelles, ses fermes, avec les monuments que la main prévoyante ou religieuse des hommes à édifiés. Le paysage où ces lieux se dessinent, les ruisseaux qui les arrosent, les bois qui les ombragent sont décrits avec talent, et l’on sent, au style de l’auteur, qu'il a tout parcouru et tout examiné avec soin. L'auteur prend chaque commune et chaque monument à ses origines et il les suit dans tous leurs développements; sa plume évoque des édifices écroulés et des familles éteintes et les ressus- ( 702 ) cite à nos yeux; il raconte en passant les événements dont le sol a été le théâtre : les légendes des saints, les batailles ; il montre les conquêtes opérées par l'agriculture et l'industrie, les fluctuations de la population, et pour toutes ces choses si diverses il donne des renseignements neufs et inédits. On assiste aux mutations des fiefs, on pénètre sans effort dans la législation des vieux temps. L'homme qui, après avoir lu un chapitre de M. Wauters, parcourrait les localités qu’il a décrites, se trouverait en pays de connaissance et saluerait chaque lieu comme un objet ami. Ce que l’auteur a dù feuilleter de livres, et réunir de matériaux pour parachever son œuvre est rémarqua- ble. Hagiographes, chroniqueurs, historiens, manuscrits, archives de l'État, des villes, des abbayes, des églises, 1l a tout compulsé, et des notes placées au bas des pages on extrairait lé catalogue d’une bibliothèque importante. Renseignements sur les mœurs, anecdotes, détails inté- ressants sur les us et les coutumes, rien n'a été épargné pour faire de ce livre un recueil qui, nous le pensons, peut être comparé à ce qui existe de mieux dans ce genre. Dans un travail aussi vaste, aussi chargé, aussi con- densé, il était impossible que l’auteur ne se fourvoyàt pas quelquefois. Nous avons constaté quelques erreurs, quel- ques opinions discutables, des étymologies hasardéés et maintes fois de la confusion dans l'agencement des faits; mais en somme nous estimons que l'ouvrage de M. Wauters mérite l'intérêt du pays et une distinction publique, et nous vous proposons de lui accorder une médaille de 1,000 francs. L'Histoire de la ville d Anvers par MM. Mertens et Torfs est composée de sept volumes de plus de 600 pages. TE EE PTS TS ( 705 ) Les ouvrages destinés à retracer l'existence de nos grandes villes seront toujours reçus avec faveur. Ils n’in- téressent pas seulement l’homme studieux et le penseur, en retraçant à leurs veux les développements de la vie communale, mais ils sont indispensables pour compren- dre et juger sainement les annales du pays. La vie de la nation ne se résume pas dans les faits et gestes d’une cour ou d’une capitale dont toutes les autres parties du pays subissent l'influence et l'impulsion. En Belgique, la vie est partout. L'histoire des provinces constitue les colonnes de notre histoire générale, parce qu'elles sont souveraines et ont une existence qui leur est propre; mais dans les pro- vinces , les grandes villes sont également émancipées, elles se régissent par leurs propres lois. Le tableau de leur civilisation , de leurs luttes intérieures, de leur développe- ment, est aussi nécessaire à bien connaître que celui qui concerne la province elle-même. La base de l’histoire poli- tique et générale de la Belgique, c’est l’histoire de la commune. | L'œuvre de MM. Mertens et Torfs est divisée en six époques. La première comprend lés origines de la cité et du pays d'Anvers et conduit le lecteur jusqu'à l'extinction de la branche ardennaise des ducs de Lorraine, vers 1100. C'est une espèce d'introduction renfermant en 160 pages tous les événements survenus durant onze siècles. La deuxième période renferme 250 ans; elle commence à l'élévation des comtes de Louvain à la dignité de ducs de Brabant, et se termine à Louis de Maele, dont Anvers releva en 1556. Les auteurs développent les relations féo- dales d'Anvers , la naissance et les progrès de ses institu- tions communales, de ses libertés, de ses monuments, de ( 704) ses corporations, de son commerce qui, un siècle plus tard, ne devait avoir de rival en aucun lieu. La troisième période conduit jusqu'à 1500; elle com- prend donc le gouvernement des comtes de Flandre et des ducs de Bourgogne, au moment où Anvers touche à l'apogée de sa splendeur. On y trouve le développement successif de la ville et de ses institutions; on y suit avec grand intérêt l’histoire de ses ghildes, de ses corporations d'artistes, de ses associations pour les lettres qui, à l'époque de la renaissance, jetaient sur la ville un si grand lustre. La quatrième période ne renferme que 98 ans, mais c’est la plus développée de l'ouvrage. Elle décrit les règnes de Charles-Quint et de Philippe IT jusqu'en 1598, date de l’'avénement d'Albert et d'Isabelle. La part que cette ville fameuse a prise à la réforme, et sa chute sous le prince de Parme qui amena celle de sa prospérité et de son com- merce, y sont traitées avec détail. La cinquième période commence en 1598 et se termine, en 1798, avec la domination autrichienne. Enfin, la sixièmepériode contient l'histoire d'Anvers sous les gouvernements de France, des Pays-Bas et de Belgique. Chaque volume de l'histoire d’Anvers est terminé par un appendice rempli de pièces justificatives , et il est orné de gravures très-soignées représentant les monuments d'Anvers anciens et modernes. L'ouvrage est imprimé avec luxe, et il y aurait lieu d'être étonné qu'un particulier eût pu se décider à supporter les sacrifices d’une pareille publication; mais les auteurs n’y ont mis que leur talent. L'histoire d'Anvers est publiée, comme l'indique le titre, sous les auspices de la société littéraire de la Branche d'Olivier (Rederykkamer de Olyftak), qui a donné en cela un noble exemple. Sous ce nom, cette chambre de rhéto- ( 705 ) rique remonte à 1510, et elle eut pour premier doyen un Gasper Van Hafmale. Cette société était désireuse de posséder une histoire complète d'Anvers en flamand. Les seuls ouvrages importants écrits par Gramaye, * Seribanius, Le Roy, Papebrochius, Dierexsens, Goropius L Er res Becanus, étant écrits en latin, n'étaient pas à la portée de tous. Elle confia done le soin d'accomplir ses désirs à MM. Mertens et Torfs, qui étaient bien dignes de ce choix. Les deux auteurs ont accompli avec un zèle très-louable la mission qui leur avait été confiée. Tout ce qui a été dit et écrit sur Anvers, tout ce que les archives renferment de renseignements utiles a été compulsé et rassemblé par eux. Ils se sont adressés à tous les hommes en état de leur procurer quelques documents inédits ou peu connus, et MM. de Marnix, Marchal, Van Duyse, Geelhand, Smol- deren, Willems, Kreglinger, et d’autres encore, ont ré- pondu à leur appel. Sous le double rapport du nombre et de l'importance des matériaux mis en œuvre, l’histoire d'Anvers est un ouvrage très-remarquable. On y trouve une foule de ren- seignements qu’on chereherait vainement ailleurs, surtout en ce qui concerne les relations lointaines de cette mé- tropole commerciale de notre pays. Nous regrettons, néan- … moins, qu'en ce qui concerne les événements externes ou . les faits généraux auxquels les auteurs rattachent souvent * les destinées d'Anvers, ils se soient montrés si peu sé- | vères dans le choix des sources. Nous aurions également - désiré plus de méthode dans l’arrangement des matières + de chaque époque : il y règne parfois de la confusion et de . Ja prolixité, Malgré ces imperfections, la Geschiedenis van Antwerpen ( 706 ) n’en est pas moins une œuvre utile et consciencieusement faite, et, puisque vous en avez l'occasion et le pouvoir, Monsieur le Ministre, il serait équitable et juste de récom- penser le mérite et les travaux assidus des deux honorables écrivains qui l'ont produite. Nous vous proposons, en con- séquence, d'accorder à MM. Mertens et Torfs une médaille de 1,000 francs. D'après ce qui précède, le prix quinquennal de 5,000 francs se trouverait partagé de la manière suivante : A M. Théodore Juste. . . . . . . 3,000 francs. À M. Alphonse Wauters. . . . . : 1,000 — A MM. Mertens et Torfs. . . . : . 1,000 — Notre tâche, Monsieur le Ministre, est achevée. En terminant ce rapport, nous nous permeltrons d’at- tirer une dernière fois vos regards sur une circonstance digne de remarque. Trois des hommes dont nous recom- mandons les travaux sont de modestes fonctionnaires qui, après les fatigues et les labeurs de leurs journées, ont pris sur leurs veilles pour doter la Belgique d'ouvrages qu'une grande nation ne désavouerait pas. Et pourtant vous savez ce que le travail de l'historien à de pénible et de difficile en soi; vous connaissez tout ce qu'il faut de patience, de courage, de savoir et d'érudition pour réunir, analyser les documents historiques, et en faire sortir des pages sus- ceptibles de fixer l'attention. Ce qui les a soutenus dans cette voie si ardue, ce ne peut être l'espoir d’une renom- mée populaire; car leurs œuvres sérieuses ne sont desti- nées qu’à un petit nombre d’esprits sérieux, et les faveurs des masses ne s'attachent d'ordinaire qu'aux travaux de l'imagination, aux littérateurs et aux poëtes. Ce n’est pas non plus l'intérêt, car dans notre pays restreint l'historien trouvera rarement assez de ressources pour se rémunérer L ( 707 ) de ses dépenses et de ses peines, et jamais pour lui per- mettre de vivre de sa plume. Ce qui les a soutenus, c'est le sentiment le plus noble qui puisse animer le citoyen d’un peuple libre : l'amour de la patrie, et le glorieux désir de proclamer ou de défendre l’honneur et les droits de la nation. À défaut de gloire et de fortune, ils recevront du moins une récompense digne de pareils sentiments; ils verront louer leur nom et leurs œuvres en présence de ce que la Belgique compte de littérateurs éminents; ils enténdront dire qu’ils ont bien mérité de la patrie. Du reste, Monsieur le Ministre, ces sentiments élevés sont le partage de tous ceux qui, dans notre pays, se livrent aux travaux de l'intelligence. La seule récompense qu'il leur soit permis d’ambitionner est toute morale ; ils la trouvent dans la conscience d’avoir accompli un devoir énvers la patrie, et dans les témoignages de sympathie dé leurs concitoyens et des esprits d'élite. Sous ce dernier rapport, les paroles prononcées par l'héritier du trône, dans la séance du Sénat du 11 mars dernier, les ont vivement impressionnés. « Un peuple, a » dit le prince, doit vouloir autre Chose qu'une prospérité » toute matérielle, et je ne crains pas d'être démenti, » lorsque j'avance que, pour briller dans la grande famille » européenne, il a besoin d'accorder aux arts d’intelli- » gents et actifs encouragements. Un tel but mérite la sol- » licitude des mandataires de la nation. » — « Un peuple, » disait-il encore, jaloux de son existence indépendante, » doit tenir à posséder une pensée, et à la revêtir d’une » forme qui lui soit propre; en un mot, la gloire litté- » raire est le couronnement de tout édifice national. » — Il ajoutait : « Je le sais, et j'aime à le redire, la protection ( 708 ) » à accorder aux arts et aux lettres est une tâche qui » incombe surtout aux princes. C’est à mes yeux un de » leurs plus beaux priviléges, et si Dieu me prête vie, les » occasions ne me manqueront pas de leur témoigner mes » vives sympathies. » Ce sont de belles paroles et une noble promesse. Tous ceux qui ont eu l'honneur d'approcher le prince et qui connaissent, par conséquent, l'élévation de son esprit et de son cœur, savent que c’est là un engagement sacré qui sera noblement et loyalement tenu. Mais les lettres et les arts ne seront pas ingrats. Ce qu’il fera pour eux, ils le lui rendront avec usure, par les jouissances intellectuelles qu'ils prodiguent toujours à ceux qui les aiment et les protégent : ils illustreront son règne; plus tard, ils con- serveront sa mémoire et la transmettront chérie et res- pectée à nos descendants. Les lettres et les arts servent d'ailes et de clairon à la renommée; ils perpétuent le souvenir des rois et des nations. Là où ils ne sont pas en honneur, les généra- tions s’ensevelissent dans l'oubli et disparaissent sans laisser de traces durables dans la mémoire des hommes. Que ceux qui seraient tentés de nier leur puissance re- gardent la Grèce et prononcent. Les montagnards, jus- qu'à ce jour indomptés du Caucase et de l'Atlas, com- battent, sous nos yeux, pour leur indépendance, avec un courage et un héroïsme dignes de l'admiration du monde. Barbares encore et presque désarmés, ils résistent à des nations colossales, civilisées et abondamment pour- vues des moyens de destruction les plus perfectionnés; pourtant leurs luttes inégales, désespérées , nous trouvent froids et indifférents. Mais lorsque les Grecs, déchus, avilis, par seize siècles de décadence et quatre siècles d’esclavage, ( 709 ) ont lenté de secouer le joug musulman, au bruit des chaînes qu'ils s’efforçaient de briser, tous les yeux se sont dirigés vers le Parthénon comme vers un phare immense; la grande voix des hommes qui avaient illustré la Grèce, il ya plus de vingt-quatre siècles, a rempli l’univers de ses souvenirs, et a fait battre tous les cœurs. Alors a com- mencé ce mouvement d’agitation qai conduisit dans les eaux de Navarin les pavillons unis de la France, de l’An- gleterre, de la Russie, et rendit aux Hellènes l’indépen- dance et la liberté. Le jury : De Raw, président, Gacnar», secrétaire, Av. Boncner, le baron pe Sanr-Genois, Gnezpozr, Kenvyn DE Lerrennove, le général Rexano, rapporteur. — M. Ad. Mathieu a ensuite donné lecture d'une tra- duction en vers français de l’épitre d'Horace à Mécène, liv. 1*, épitre VIT, en faisant précéder cette pièce de quel- . ques vers de sa composition qui ont mérité les suffrages « de l'assemblée. A MM. les Membres de l’Académie royale de Belgique. (CLASSE DES LETTRES.) — Dans ce jour où l'État par votre main dispense A d’utiles travaux leur noble récompense, Où je vois à l'envi se grouper sous vos yeux Tout ce que la Belgique a d'hommes studieux, Tous ceux dont le cœur bat au nom d'une patrie Qui, grande par les lois, grande par l’industrie, ( 710 ) Par la science encore a voulu se grandir... Aux plus humbles efforts empressés d'applaudir, Pour attester des arts la fraternité sainte, Vous avez désiré qu’en cette docte enceinte Un poëte à son tour vint élever la voix, Et c'est sur moi, Messieurs, qu'est tombé votre choix; Non pas, assurément, qu'à cet honneur insigne Vous m'ayez appelé comme le moins indigne, Mais parce qu'à défaut d’un talent constaté J'ai mon mérite à part, ma bonne volonté Qu'en aucun cas du moins personne ne conteste. Puisse-t-elle, en effet, me tenir lieu du reste Alors que, pour remplir dignement ce mandat, Il eût fallu d'abord que le Ciel m’accordât Et l'inspiration compagne du génie, Et ces rhythmes heureux féconds en harmonie, Et ce langage pur, élégant et précis Qui cisèle du vers les contours indécis, Condense la pensée et la jette, immortelle, Au moule musical qui s'ouvre devant elle. Ce ne serait pas trop, je le dis à regret, , De ces dons, qui pour moi sont toujours un secret, Quand j'ose me risquer à prendre la parole; Mais, convié par vous à jouer un tel rôle, Je n'en décline pas l'honneur immérité. Si j'en sens les périls et la difficulté, Ne croyez pas d’ailleurs que cela m'embarrasse : Vous voulez de beaux vers, du talent? j'ouvre Horace. Son texte sous ma plume en vain peut s’altérer, Vous le savez par cœur, et — contraints d'admirer A la fois, dans Horace, et le poëte ct l'homme, Ce pratique bon sens que partout on renomine, Ce respect de soi-même et cette dignité, Qui de son vers encor rchausse la beauté , Alors que, s'excusant d'une trop longue absence, Sans vouloir rien celer de sa reconnaissance, ( 711) Ni de son amitié, ni de son dévoument, I déclare à Mécène, avec un enjoùment, Une désinvolture unie à tant de grâce, Que même, s’il le faut, au prix d’une disgrâce, Toujours libre en ses goûts, il saura maintenir ‘Le droit que le poëte a de s’appartenir, D'être lui, sans baisser la tête et se soumettre, Convaineu que l'ami disparait sous le maitre, Et, plein de déférence envers son bienfaiteur, L’aimant trop pour jamais en être le flatteur ; — Contraints d'admirer, dis-je, et ce fin badinage, Et cet esprit charmant plus jeune d'âge en âge, Et cette grandeur d'âme, ct cette fermeté Si belle, si touchante en sa simplicité, Ce n'est plus moi, mais lui que vous croirez entendre. Or, s’il est un succès auquel j'ose prétendre, C'est... (et bien haut ici je dois le publier) Un succès qui consiste à se faire oublier, N°4 Hrcene. LIVRE 1%, ÉPITRE VI, Quinque dies tibi pollicitus.…. Je n'avais demandé que cinq jours à mon hôte Pour visiter les champs; cinq jours... je suis en faute, Car, le mois d'août passé, point d'Horace! (1) Pourtant, (1) Sextilem. Le sixicme mois de l’année, laquelle commençait au mois de mars et dont les mois de septembre, octobre, novembre et décembre, qui ont (712) Si tu tiens à m'avoir frais, dispos ct content, Sois pour moi, quand d’un mal la crainte me possède, Aussi bon qu'on te voit lorsque ce mal m'obsède; Pardonne. C’est le temps des figues (4), la saison Où le.ciel empourpré pèse sur l'horizon, Où l’on n'a devant soi que l’appariteur sombre Recrutant de la mort les victimes sans nombre (2), Où sous l'ardent soleil aux rayons étouffants Les parents inquiets tremblent pour leurs enfants, Où devoirs du barreau, services, soins à rendre, Tout nous expose aux maux que la fatigue engendre. Et crée à chaque pas de nouveaux hériticrs. Lorsque la plaine d’Albe aux agrestes sentiers Aura pris sous la neige un aspect plus sauvage, Tu verras ton poëte, amoureux du rivage, Devenu studieux pour les longs soirs d'hiver, Reprendre, homme prudent, le chemin de la mer (5), Et te rejoindre enfin, à son vieux toit fidèle, Quand les premiers zéphyrs ramènent l'hirondelle. Tu m'as fait riche, non comme ce paysan (4) Qui vous offre des fruits et vous dit : « Mangez-en Ce qui vous plait. » — «Merci.» — « Prenez à poche pleine, passé dans notre calendrier, étaient par conséquent, ainsi que l’indiquent leurs noms, le 7€, 8°, 9€ et 10€. Ce sixième mois ne prit que plus tard le nom d'Au- guste (août), comme le mois précédent avait pris celui de Julius (juillet), en me- moire du vainqueur des Gaules. (1) Les figues mürissant bien plus tôt en Italie, ik est probable qu'Horace veut parler de l’époque où l’on en faisait à Rome la plus grande consommation. (2) Designatores. Un huissier était chargé de régler l’ordre et la marche des cérémonies, pompes funèbres. elc.... dans lesquelles il prenait place, habille de noir, immédiatement après les licteurs, qui marchaïient en tête des convois. (5) De sa maison de campagne de Tarente, au sud de l'Italie. (4) Calaber, Calabrois, habitant de la Calabre; pour paysan, lourdaud , pro- vincial mal dégrossi. | L4 (715) Vos moutards au retour n’en seront point en peine. » — « Je ne vous en sais pas un gré moindre : il suffit. » — « Soit; nos pourceaux alors en auront le profit. » En faisant des ingrats ainsi jette un prodigue Les biens dont il a trop et dont il se fatigue, Quand le sage, avec soin dispensant son trésor, Oblige, mais du vrai sépare le faux or (1). Je saurai, si du moins je ne n'en fais accroire, Honorer tes bienfaits, l'en assurer la gloire; l Mais près de toi toujours s'il me faut demeurer, | Raffcrmis ma santé trop prompte à s'altérer, Fais de mes cheveux noirs que la toison renaisse, Rends-moi le charme heureux, l'éclat de la jeunesse, Son souris caressant, son parler velouté, * Mes jours d’incandescente et mâle puberté, * Pour qu'un peu pris de vin, dans ma fiévreusce attente, * Je cherche encor Cynarc et la pleure, inconstante! Un campagnol à jeun, (2) entré par quelque trou Dans un tonneau de blé, s’en donne tout son soù + Et tant que l’'embonpoint empêche qu'il ne sorte. Une belette alors lui parle de la sorte : a À quoi tous tes eflorts peuvent-ils aboutir, Pauvre sot! Maigre entré, maigre il te faut sortir (3). » Ce conte, si jamais pour moi je dois le prendre, (1) Quid distent aera lupinis. On donnait au lupin la forme d'une pièce de monnaie; il servait de jelon au jeu et figurait l'argent au théâtre. C'est l'aurum comicum de Plaute. (2) Nitedula, dimiautif de nitella, campagnol, souris des champs, brune, à queue courte. Le rat d’eau est l'espèce type du genre. (3) Voir la 161€ fable d’Ésope et la 18° (liv, IL) de La Fontaine (La belette entrée dans un grenier.) TOME xxur. — [°° parr. 49 (714) Tout ce que j'ai reçu je suis prêt à le rendre. Je ne veux point, au prix d’un succulent-repas, Envier le sommeil du dernier des pieds-plats, Échanger contre tous les trésors de l'Asie Mon repos bien-aimé, ma libre fantaisie ; Je ne suis pas si fou, cher Mécène, et ta voix M’a de cette pudeur loué plus d’une fois. Toujours je t’aiparlé de ma reconnaissance A l'épreuve du temps ainsi que de l'absence, Mais les biens dont ton cœur se plut à m’entourer Tu sais si sans regret je puis m'en séparer! À Ménélas un jour répondit Télémaque : « Le cheval dépérit dans notre pauvre Ithaque, L’herbe y manque, la plaine est peu vaste, et je sens Qu'à vous bien plus qu'à moi conviennent vos présents. » Chacun le sien; mon âme, au luxe indifférente, Déjà préfère à Rome et Tibur et Tarente. Philippe (4), homme de tact, noble cœur, esprit prompt, Un jour, quand son grand âge avait courbé son front, Retournait du palais devers la huitième heure (2) Aux Carènes (5), gagnant à pas lents sa demeure Et libre de soucis jusques au lendemain, . Lorsque, chez un barbier logé sur son chemin, A l'ombre de l’auvent qui ferme la boutique 1! distingue un quidam, assez piètre pratique, Frais rasé, se faisant les ongles dans un coin. « Démétrius, — dit-il à son valet, — prends soin De connaître les mœurs, les entours de cet homme, (1) Non pas le celebre orateur qui florissait de 60 à 70 ans plus tôt, mais Phi- lippe qui épousa Atia, veuve de C. Octavius, et trés-célèbre aussi, par consé- quent,.…. comme beau-père d’Auguste. | (2) A deux heures de l'après-midi. Le jour naturel, chez les Romains, commen- çait à six heures du matin et le jour légal à minuit. (5) Quartier de Rome, au pied du mont Célius. (745) Son état, sa fortune, et comment il se nomme (4). » Le valet court, revient, garcon intelligent : « Ménas (2), crieur public, assez léger d'argent, Mais d’une probité que pas un ne soupçonne; Allant, se reposant; payant de sa personne Quand il faut travailler ; puis homme de loisir. Tout entier au travail, tout entier au plaisir; Content de ses amis, de son sort; idolâtre Des merveilles du cirque et des jeux du théatre, » — « Eh! mais... j'en veux juger par moi-même, Dis-lui Qu'à souper avee moi je l’attends aujourd'hui, » Ménas, tout stupéfait, de tant d'honneur s'excuse. — «Eh! bien, reprend le maître, il refuse? » — « 11 refuse, Soit mépris de votre offre ou bien-timidité. » Le lendemain, Philippe avise à son côté Le même homme étalant sur le forum antique Mille brimborions offerts à la pratique, L'aborde, et, le premier, le salue. A l'instant, Ménas est aux regrets qu'un travail important, Les soins que chaque jour son élat nécessite, L'aient empêché plus tôt de lui faire visite; ” Puis de ne pas l'avoir salué tout d'abord. — « Soit, mais si c'en est un, pour réparer ee tort A tantôt, n'est-ce pas? — De très-grand cœur. — Sans faute, (1) Unde domo, quis, Cujus forltunae, quo sit patre, quove palrono , dit Philippe à son valet. A quoi Démétrius apporte pour réponse : Vulteium nomine Maenam , Praeconem, lenui censu , sine crimine notum.….… , el... J'ai cru pouvoir préciser davantage la demande, pour rendre la réponse plus adéquate et faire mieux ressortir l'intelligence du valet. (2) Vulteium nomine Maenam. Ménas, eomme {ous les affranchis, portait le nom de son ancien maitre ( Vultéius). (76) À neuf heures? — A neuf. — Bonne chance, notre hôte! » A neuf heures, Ménas était à la maison, Babillant, dissertant à tort comme à raison, Tant et si bien qu'il part pour dormir d'un bon somme. Philippe s'en amuse, et, dès qu’il a vu comme De lui-même à l’appât le compère a mordu, Client devancant l’aube et convive assidu, Pour la fête latine (1) il veut qu’à sa campagne, Chez les Sabins, Ménas quelques jours l'accompagne ; Et Ménas, près de lui, cavalier sans rival, Chemine bravement, juché sur son cheval, Écarquille les yeux, vante tout haut, admire Le climat, le terroir... (2) Et Philippe de rire... Pour qu'il achète un bien s’offrant sans hésiter À donner la moitié du prix, sauf à prêter Le reste. Rien ne vaut un petit coin de terre. Sitôt dit, sitôt fait. Ménas, propriétaire, Devenu villageois de brillant citadin, Renonce à son passé, change de gouts soudain, Ne parle que sillons, provins.. taille, retaille, A grossir son trésor s’ingénie et travaille, Sans cesse tourmenté du besoin d'acquérir; Mais, quand il voit voler ses brebis, et mourir Ses chevreaux, la moisson tromper son espérance, Ses bœufs exténués succomber de souffrance, Le cœur gros, se plaignant de ce que tout lui nuit, Vite, il saute à cheval au milieu de la nuit, Et chez Philippe arrive efflanqué, hors d’haleine. — « Peut-on pour s'enrichir se donner tant de peine! Je te trouve envers toi bien dur, mon pauvre ami. » x (4) Instituée par Tarquin le Superbe. (2) C'etait le sol le moins fertile de l'Italie. PE SE PRE PC EEE (717) — «Bien dur! ne faites pas les choses à demi : Donnez-moi mon vrai nom, dites que jamais homme Ne fut, de par Pollux! plus malheureux en somme. Que si vous professez pour moi quelque amitié, Tenez, mon cher patron, par grâce, par pitié, Par vous, par vos aïeux, par ce puissant génie Dont l'étrange existence à la vôtre est unie, A mon premier état laissez-moi revenir! » Pour qui peut perdre au change exemple à retenir. Le proverbe a dit vrai, qui veut qu’on se mesure À son aune, et qu'au pied s'adapte la chaussure. + M. Quetelet, secrétaire perpétuel de l’Académie, a fait alors la proclamation des prix, qui ont été remis aux auteurs présents par S. A. R. le duc de Brabant, avec des paroles bienveillantes. (Voy. pour les noms des auteurs couronnés, pp. 560, 574, 667, 671 et 706. : Le secrétaire perpétuel a fait connaître également les élections que la classe des lettres avait faites dans une réu- nion précédente. (Voy. p. 550.) La séance a été levée à quatre heures, et S. A. R. le duc de Brabant a été reconduit avec le même cérémonial qu'à son entrée. (718) CLASSE DES BEAUX-ARTS. Séance du 28 mai 1856. M. DE KeY2ER, directeur. M. A. QuereLer, secrétaire perpétuel. Sont présents : MM. Alvin, F. Fétis, G. Geefs, Navez, Roelandt, Suys, Van Hasselt, Joseph Geefs, Érin Corr, Suel , Fraikin, Partoes, Baron, Ed, Fétis, De Busscher, Portaels, membres ; Calamatta, associé; Demanet, Balat, correspondants. 1 M. d'Omalius, membre de la classe des sciences, assiste à 1a séance. CORRESPONDANCE. M. le Ministre de l’intérieur transmet à l'Académie le premier rapport de M. P. Demol , lauréat du concours de composition musicale de 1855. [l est donné communica- tion de cette pièce. Après avoir fait connaître ce qui se rapporte à l’objet « de sa mission, M. P. Demol ajoute qu'il a composé, de- « puis son départ, deux quatuor et une fugue pour instru- | (49 ) ments à corde, une ouverture à orchestre et plusieurs autres travaux non achevés. — Le Secrétaire perpétuel rend compte de la correspon- dance qu’il a eue au sujet du mémoire couronné de M. Héris, mémoire dont M. Van Hasselt à bien voulu revoir les épreuves, pendant l'absence de l’auteur. — Le même membre fait connaître le degré d’avance- ment du travail relatif à la table générale des Bulletins de l'Académie, depuis la création de cette publication. M. A. Siret s'est chargé obligeamment de ce travail, qui aura à peu près deux volumes in-octavo. ’ COMMUNICATIONS ET LECTURES. M. F. Féuis entretient la classe de la nécessité qu'il y aurait de s’occuper.de l’histoire de l’art en Belgique et des moyens à prendre pour élaborer un pareil travail. Il im- porterait, dit-il, de faire d'abord un catalogue de ce qui existe en chaque genre; il se chargerait volontiers de ce qui concerne les monuments de la musique. On a com- mencé par décider a priori que l’histoire générale de l'art se ferait; mais une pareille histoire ne peut même être essayée sans un fonds spécial : elle entraîne à des recher- ches, à des voyages, à des transcriptions et à défaut d’un pareil fonds, il faut nécessairement renoncer au projet. La même chose a eu lieu à Paris : on s’occupait d'un _ravail de ce genre depuis 50 ans, quand enfin M. Halevy, ( 720 ) étant devenu secrétaire perpétuel, a recherché par quels moyens on pourrait réussir. I a soumis un plan à ses col- lègues, et a fait prendre une décision qui a eu pour résul- tat utile de faire mettre la main à l'œuvre. On pourrait suivre cet exemple ; mais il faudrait que les travaux fussent rémunérés. En tout cas, on ne peut rester en suspens : il faut entreprendre le travail imposé à la compagnie ou y renoncer faute d'appui. La question sera reprise dans une prochaine séance, et M. Fétis est invité à mettre ses idées par écrit. M. Van Hasselt demande que M. Fétis joigne à sa pro- position un aperçu de la division du travail et des règles adoptées à cet égard en France. M. Fétis répond que le cadre des travaux diffère : en France, on compose un dictionnaire de l’art; il s'agirait ici de faire une histoire. Il annonce, du reste, que son écrit déterminera le travail qu’il s'agirait d'exécuter. M. Alvin rappelle, ainsi que M. Fétis, que l’Académie s’est déjà occupée du projet qu’on discute en Belgique, et M. le Secrétaire perpétuel ajoute qu'il existe une commis- sion qui s’est occupée de cet objet et qui a été chargée d'y donner suite, mais que ses travaux ont été suspendus faute de documents qu’elle espérait recevoir. D'après quelques nouveaux renseignements donnés par MM. Fétis et Baron, la commission, déjà nommée, se réunira avant la prochaine séance de la classe. — M. Roelandt fait observer que la commission des inscriptions historiques ne s’est plus réunie depuis long- temps. Des membres font remarquer que la commission a pro- posé au Gouvernement un certain nombre d'inscriptions, 4 ( 721 ) et qu’elle n’a pas cru devoir continuer son travail, dans l'ignorance où elle était si l’on en ferait usage. — M. Érin Corr met sous les yeux de la classe le dessin d’une belle et minutieuse réduction de l'Élévation de la croix de Rubens; elle servira de base à la gravure de son estampe destinée à servir de pendant à la Descente de croix qu'il términe en ce moment. , 2 — OUVRAGES PRÉSENTÉS. Het groot schietspel en de rederykersspelen te Gent, in mei tot july 1498; door F. Van Duyse. Gand, 1856; 1 broch. in-8°. Inventaire analytique et chronologique des chartes et docu- ments appartenant aux archives de la ville de Bruges; publié par J.-L.-A. Diegerick. Tome III. Bruges, 1856; 1 vol. in-8°. Chants liturgiques de Thomas a Kempis; publiés par E. de Ceussemaker. Gand, 1856; 1 broch. in-8, Nouveau producteur alimentaire philhygiène ; — À propos de la loi en discussion (25 février 1856), sur la sophistication des denrées alimentaires ; — Études et relations sur l'hygiène morale du peuple; par A. Colson. Bruxelles, 1856; 3 broch. in-8°. Annuaire de la Société libre d'Émulation de Liége. Liége, 1856; 1 vol. in-8°. Où est Le bonheur? Essai de tablettes liégeoises; par M. Alb. d'Otreppe de Bouvette. 18" Jivr. Mars. Liége, 1856; 1 broch. in-12. Verklaring der Psalmen; — De ware bruid van Jesus-Chris- tus; naer het italiaensch in het vlaemsch uitgegeven, door den Eerw, Pater J.-A. Juten, Turnhout, 1856 ; 2 vol. in-12. Qu Le à ÿ Li J l ( 122 ) Revue de l'administration et du droit administratif de la Bel- gique. 3% année, tome HF, 4'° à 4e livr. Liége, 4856; 1 broch, in-4°, Revue de la numismatique beige. 2e série, tome VI, 4" livr. Bruxelles, 1856 ; 4 broch. in-8°. Annales de l'Académie d'archéologie de Belgique. Tome XI, qe et 2e livr. Anvers, 4856; 2 broch. in-&. Messager des sciences historiques, des arts et de la bibliogra- phie de Belgique. Année 1856, 1'° livr. Gand, 1856; 1 broch. in-8°. Annales de la Société royale des beaux-arts et de liltérature de Gand. 1855-1856, 3e et 4e livre. Gand, 1856; 1 broch. in-8°. Mémoires de la Société royale des sciences de Liége. Tome X. Liége, 1853; 1 vol. in-8°. Bulletin de la Sociélé scientifique et littéraire du Limbourg. Tome Il; 4" fascicule. Tongres, 1856; 1 broch. in-8. Mémoires et publications de la Société des sciences , des arts. et des lettres du Hainaut. 2" série, tome HT. Mons, 1856; 1 vol. in-8°, Moniteur des intérêts matériels. 6" année, n° 8 à 24. Bruxelles, . 1856 ; 17 feuilles in-4°. Journal de l'imprimerie et de la librairie en Belgique. l'°, IP®° années et n°° 4 à 5 de la III" année. Bruxelles, 1854-1856; 2 vol. et 6 broch, in-8°. Moniteur de l'enseignement, publié par Frédéric Hennebert. 3e série, tome IH, n° 17 à 25, tome IV; n% 1 à 6. Tournai, 4856; 13 broch. in-8°. Bulletin des Sociétés savantes et littéraires de Belgique. V° an- née, n° 11 et 12; I" année, n° 1 et 2. Bruxelles, 1855; 4 broch. in-8°. | Comptes rendus hebdomadaires des séances de l'Académie des sciences ; par MM. les Secrétaires perpétuels, Tome XLII, n° 41 à23. Paris, 14856; 13 broch. in-4°. Bulletin des séances de la Société impériale centrale d'agricul- LÉ te, “ha ER ( 725 ) ture. Compte rendu mensuel rédigé par M. Payen. 2° série, tome XI, n° 3. Paris, 1853; 1 broch, in-8°. Journal de la Société de la morale chrétienne. Tome VE, n°* 2 à 4. Paris, 1856; 3 broch. in-8&. Note sur la machine suédoise de MM. Schutz pour calculer les tables mathématiques ; par M. Ch. Babbage. Paris, 1855; 1 broch. in-8°. Lettres à M. F. de Saulcy, membre de l'Institut, sur les plus anciens monuments numismaltiques de la série mérovingienne ; par Ch. Lenormant, Paris, 1848-1854 ; 1 vol. in-4°. Essai sur le classement des monnaies d'argent des Lagides; par F. Lenormant. Blois, 1855; 1 vol. in-8°. Fouilles exécutées à Thèbes dans l'année 1855; textes hiéro- glyphiques et documents inédits, par J.-B. Greene. Paris, 1855; in-plano. Mémoire sur le Soudan; par M. le comte d'Escayrac de Lau- ture, 2e et 3m cahiers. Paris, 1855 et 1856; 2 broch. in-8°. Recherches sur Pierre l'Hermite et la Croisade; par Léon Paulet. Paris, 4856; 1 vol. in-8°. Dissertation sur les droits des femmes en matière civile et com- merciale; par C. Le Gentil. Paris, 1856; 1 broch. in-8°. Exposé des travaux de drainage et de desséchement, exécutés par M. Ch. de Bryas, dans sa propriété du Taïllan. Paris, 4855; 4 vol. in-18. Congrès scientifique de France. 21% session, Sciences nalu- relles et physiques. Dijon, 1855 ; 4 broch. in-8°. Congrès scientifique de France. 25"° session. Saint-Jean d'An- gely, 1856; 1 broch. in-#. Bulletin de la Société des antiquaires de Picardie. Année 1856, n° 4. Amiens; 1 broch. in-8°, Mémoires de la Société impériale des sciences naturelles de Cherbourg. Tome IL. Cherbourg, 1854: 1 vol, in-8°. Mémoires de la Société impériale d'agriculture, sciences et arts, séant à Douai. 2% série, Tome HE. Douai, 4856; 4 vol. in-8°. ( 724 ) Recueil des publications de la Société havraïse d'études diverses de la 20% et de la 21% année (1852 à 1854). Havre, 1855; 1 vol. in-8°, Mémoires de la Société impériale des sciences, de l'agricullure et des arts de Lille. Suppl. à l'année 1855 et table générale de la 1" série. Lille, 4856; 1 vol. in-8&. Mémoires de l'Académie impériale de Metz. 56" année (1854- 1855). Meiz, 1855; 1 vol. in-S&. Revue agricole, industrielle et litléraire de l'arrondissement de Valenciennes. 7"° année, n° 10-11. Valenciennes, 4856 ;2 broch. in-8°. Mémoires de l'Académie impériale des sciences, arts et belles- lettres de Dijon. 2% série, tome IV. Dijon, 1836; 1 vol. in-S. Journal d'agriculture publié par le comité central d'agriculture de la Côte-d'Or. 18" année. Dijon, 1855; 4 vol. in-8°. Siluria. Histoire des roches les plus anciennes contenant des restes d'êtres organisés, avec une esquisse de la distribution de l'or sur la terre, par Sir Roderick Impey Murchison; par Alph. Favre. — Recherches sur les minéraux artificiels ; par le même. Genève, 1855-1856; 2 broch. in-S&. Abhandlungen der Küniglichen Akademie der Wissenschaften zu Berlin. Aus dem Jahre 1854. 15° Supp.-Band. Berlin, 4856; 1 vol. in-folio. Monatsbericht der küniglichen preuss. Akademie der Wissen- schaften zu Berlin. Juillet à décembre 1855. Berlin, 5 broch, in-8°. Abhandlungen der X. bayerischen Akademie der Wissenscha[- ten. — Math.-physikalischen Classe. VH'* Bandes; 3'° Abth. — Historischen Classe. VII" Bandes; 45 Abth.— Philos.-philolog. Classe, VU“? Bandes; 3*° Abth. Munich, 1855-1856 ; 3 broch. in-4°. Gelehrte Anzeigen; herausgegeben von Mitgliedern der K. bayer. Akademie der Wissenschaften. 415t* Band. Munich, 1856; 4 vol. in-#. NT eS. Ven PR (725 ) Rede in der üffent. Sikung. K. Akademie der Wissens. am 28 November 1855 über die Grenzscheide der Wissenschaften ; gchalten von F. von Thiersch. Munich, 1855; 4 broch. in-4. Abhandlungen der küniglichen Gesellschaft der Wissenschaften zu Güttingen: VI Band. Gottingue, 1856, 4 vol. in-8°. Güttingische gelehrte Anzeigen. 1855. Gottingue; 3 vol. in-12. Nachrichten von der Georg -Augusts- Universität und der K. Gesells. der Wiss. zu Gottingen 1855. Gottingue; 1 vol. in-12. Verhandlungen der naturhistorischen Vereines der preussis- chen Rheinlande und Westphalen. XH Jahr. 2-3-4 Heft, XII Jahr., 4 Heft. Bonn, 1855-1856; 3 broch. in-8°. Verhandlungen der physicalisch-medicinischen Gesellschaft in Würzburg ; herausgegeben von der Redactions-Commission der Gesellschaft. VI Band, 5 Heft. Wurztbourg, 1856; 1 broch. in-8°. Denkschrifien des Germanischen-Nationalmuseums. 15° Band, {se Abth. Nuremberg, 1856; 1 vol. in-8&. Die Landtafel des Markgrafthumes Mähren. N-VI Lieferung. Brünn, 1856; in-4°, Schädel abnormer Form in geometrischen Abbildungen, nebst Darstellung einiger Entwickelungs-Zustände der Deckknochen; von D' J.-C.-G. Lucae. Francfort S/M, 1855 ; in-4°. Ragguaglio delle cose operate nel Ministero del commercio, belle arti, industria ed agricoltura, durante l'anno 1854. E per i lavori pubblici durante l'anno 4855. Rome, 1855 ; 1 vol. in-4°. Rettificazione geometrica e rigorosa della periferia del circolo; colla geometria elementare di Giambatista Malacarne. Vicence, 1856, 1 broch. in-8°. IL nuovo cimento; giornale di fisica, di chimica; compilato dai prof. C. Matteucci e R. Piria. Tome I, décembre 1855. Pise ; 1 broch. in-8°. Corrispondenza scientifica in Roma. Anno IV, n° 31 à 40. Rome, 1856; 10 feuilles in-4°. L'Ateneo italiano, raecolta di documenti e memorie relative al progresso delle scienze fisiche; compilato da S. de Luca e LM FA ST 7 («726 ) D. Müller. Anno IL, n° 1 et 2. Décembre 1854 à janvier 1855. Paris, 1855; 2 broch. in-8°. On the swedish tabulating machine of Mr. G. Scheutz; by Ch. Babbage. Londres, 1856; 4 broch, in-8°. A word Lo the wise. Observations on peerage for life; by Ch. Babbage, Londres, 1856; 4 broch. in-8. Royal Society : the morality of its members. Londres, 1854; 1 broch. in-8°. The quarterly Journal of the chemical Society. Nol. IX, n° 25. Londres, 1856 ; 1 broch. in-8. Disputes in the royal and royal astronomical Societies. Lon- dres, 1855; 1 broch. in-S, Experimental researches in elechricity. 30 series; by M. Fara- day. Londres, 1856; 4 broch.in-4. On the action of non-conducting bodies in electrie induction ; by prof. Faraday and D' P.Riess. Londres, 1856; 4 broch. in-S°. Diplomatarium Norvegicum. WI Samling. 2. Christiania , 1855; 1 vol. in-8°. Das Christiania-Silurbecken; chemisch-geognostieh Unter- sucht von Th. Kjeralf, Christiania, 1855; 1 broch. in-4°. Nyl magazin for naturvidenskaberne, Vie Binds, 4% Hefie. Christiania, 1855; 1 broch. in-8°. Kong Christian den Fjerdes norske Lovbog af 1604; udgiven È af Fr, Hallager og Fr. Brandt, Christiania, 4855; 4 vol. in-8°. Norske Stifielser. I$t° Binds, 24t Hefte; It Binds, 15! Hefte. Christiania, 1854-1855; 2 vol. in-8°. Det kongelige norske Frederiks Universitets, Aarsberetning for M 1853. Christiania, 1855; 1 broch. in-12. Index scholarum in: universitate regia Fredericiana. Chris- M tania, 4855; 2 broch. in-4°. Om Dodeligheden à Norge. Bidrag til Kundskab om Folkets (] kaar; af Eïlert Sundt, Christiania, 1855; 1 broch. in-12. | Beretning om Bodsfœngslets Virksomhed à Aaret 1854. Chris- tiania, 1855; 4 broch. in-8&°. dt Mg 2C sos D D eu AS us NI NET CP OC te Lu (:784) Midlertidigt Reglement for Gaustad Sindssyge-Asyl. Christia- nia, 1835 ; 4 broch. in-6°. Foreloesninger og Ovelser à det praktisk-theologiske Semina- rium à forste semester 1855. Christiania; ‘/2 feuille in-4°. Gaea Norvegica. Von mechreren Verfassern. Herausgegeben von B.-M. Keïlhau. Christiania, 4850; 1 vol. in-4°. Recueil d'observations sur les maladies de la peau; par MM. W. Boeck et D.-C. Danielssen. 4'° livre. Christiania, 1855 ; in-folio. Beskrivelse til Kartet over den Norske Kyst ; udgivet af Direc- tionen for norges geographiske Opmaaling. Christiania, 1835- 1855 ; 15 cahiers in-4° et un atlas de 18 cartes, grand in-plano. Mindesmerker af Middelalderens Kunst à Norge. Udgivne af N. Nicolaysen. 1-5 Heftes. Christiania, 1854-1855; 3 cahiers obl. in-4°. Zur Toxikologie der Cyanmetalle; — Toxikologisches über dus Nitroglycerin (Glonoïin) und andere Knallkôrper ; von Prof. Eug. Pelikan. S'-Pétersbourg, 1855; 2 broch. in-8°. ARRATA. Bulletin n° 4, page 551, ligne 15, au lieu de La déclinaison , lisez L'inclinaison. — page 428 (une élégie de Properce), vers 6, lisez ces bords ; ibidem, notes , ligne 5, lisez Un des Titans. “à à —— PTT BULLETIN DE L'ACADÉMIE ROYALE DES SCIENCES, LETTRES ET DES BEAUX-ARTS DE BELGIQUE. 1856. — No 6. "#4 — CLASSE DES SCIENCES. Séance du 14 juin 1856. M. GLuGE, vice-directeur. M. An. Querezer, secrétaire perpétuel. Sont présents : MM. d'Omalius d’Halloy, Sauveur, Tim- mermans, Wesmael, Martens, Plateau, Stas, De Koninck, Van Beneden, Ad. De Vaux, de Selys-Longchamps, Du Bus, Nerenburger, Melsens, Schaar, Liagre, Duprez, Bras- seur, membres ; Lamarle, associé; Galeotti, Ern. Quetelet, correspondants. M. Ed. Fétis, membre de la classe des beaux-arts, assiste à la séance. TOME xxu1. — Ï"° parT. 50 ( 730 ) CORRESPONDANCE. M. le Ministre de l’intérieur transmet un écrin renfer- mant deux exemplaires, l’un en argent, l’autre en bronze, d'une médaille frappée, en Hanovre, à la mémoire de M. Gauss, professeur à l’université de Gôttingue et associé de l’Académie royale de Belgique. Ces médailles ont été envoyées par le gouvernement de Hanovre, pour être remises à l’Académie. — Remerciments. — M. le comte Aloïs de Robiano écrit qu'il a observé pour la troisième fois, après un violent orage, une pluie de vers. « J’ai l'honneur, dit-il, de vous en offrir une ving- taine que je recueillis cette fois, pensant que cette chute intéressera la savante assemblée. » Par une seconde lettre, M. de Robiano fait connaître que M. Berckmans a ramassé également, des vers qu'il nomme tenias, placés dans l'endroit de son jardin où le vent chassait la pluie. — M. Alexis Perrey, professeur de physique à Dijon, présente un mémoire manuscrit sur les tremblements de terre en 1855, avec des suppléments pour les années anté- rieures. (Commissaires : MM. Ad. Quetelet et Duprez.) M. le docteur Valérius, professeur à l’université de . Gand, fait parvenir également un mémoire manuscrit sur l’accommodation de l'œil à la vision , à différentes distances. (Commissaires : MM. Plateau, Duprez et Schwann.) + ù (731 ) RAPPORTS. Rapport sur un travail de M. Montigny, intitulé : Anpirions AU MÉMOIRE SUR LA SCINTILLATION (1); par M. Plateau. « Dans ce second travail, M. Montigny répond d’abord à une objection que j'avais émise dans mon rapport sur le mémoire précédent; il fait voir, par des considérations qui me paraissent fondées, l'impossibilité de l'apparition perceptible d’une seconde image d’une étoile scintillante par suite d’une, et, à plus forte raison, de deux réflexions totales sur des ondes aériennes. Pour cela, il démontre ce qui suit : 4° Dans les conditions les plus favorables à une appari- tion de cette espèce, c’est-à-dire lorsqu'on observe à l'œil nu, et qu’à l'endroit où s'effectue la réflexion totale tous les faisceaux colorés émanés de l’étoile sont sensiblement réunis en un seul, soit parce que l'étoile est peu éloignée du zénith, soit parce que l’onde aérienne s’interpose très- près de l'observateur, la formation d’une seconde image complète de l’astre exigerait que la surface réfléchissante de l'onde fût parfaitement plane sur une étendue d’au moins 4 mètre en longueur et 5 millimètres en largeur; 2° Dans le cas d’une étoile située près de l'horizon et vue de même à l'œil nu, si l’onde réfléchissante s’inter- pose à 100 mètres de distance de l'observateur, distance (1) Voir le rapport précédent, t. XXII, n° 9, des Bulletins. ( 752') où les faisceaux colorés sont nettement distincts les uns des autres, la longueur de la partie plane de l'onde devrait être, au minimum, de 13 mètres, pour produire une se- conde image par l'ensemble de tous ces faisceaux; 5° Si l’on sort de ces conditions, en d’autres termes, si l'étoile est observée à l’aide d’une lunette, et si, dans le cas d'une étoile située près de l'horizon, la réflexion totale s’opère à une distance beaucoup plus considérable, l’éten- due en longueur de la surface plane nécessaire pour la concentration dans l’œil de tous les faisceaux colorés devra être bien plus grande encore; 4° Lorsmême qu’une onde aérienne traversant la tranche lumineuse formée par les faisceaux colorés présenterait une portion plane d’une étendue suffisante, en même temps qu'une inclinaison convenable, pour réfléchir tous ces fais- ceaux vers l'œil de l'observateur, il faudrait, pour que l’image fictive de l'étoile se produisit d’une manière com- plète en un point déterminé du ciel, ajouter à ces condi- tions déjà pour ainsi dire impossibles, cette autre condition également bien difficile, que l’onde réfléchissante se mût tout à fait parallèlement à elle-même pendant qu’elle tra- verse la tranche lumineuse; . 5° Même avec l’ensemble de ces conditions, le temps pendant lequel tous les faisceaux colorés subiraient simul- tanément la réflexion, serait tellement court, que l’im- pression produite sur la rétine serait loin d’être complète, et l’image fictive, qui ne pourrait être éloignée de l’image réelle de l’astre que de quelques minutes au plus, serait encore affaiblie par l'éclat prépondérant de cette dernière; 6° Si l’onde plane, au lieu de se mouvoir parallèlement à elle-même, change d’inclinaison par rapport aux rayons lumineux, l’image fictive aura un mouvement de transla- ( 755 ) tion qui l’affaiblira encore considérablement, en sorte que là trace lumineuse ainsi produite ne pourra laisser dans l'œil une impression sensible; 7° Enfin, bien probablement, avant d'atteindre l'œil de l'observateur, les rayons réfléchis qui pourraient lui arriver rencontrent de nouvelles surfaces qui les réflé- chissent dans d’autres directions. Après avoir établi ainsi l'impossibilité de la perception d’une image fictive, M. Montigny passe à l’examen cri- tique d’une note récemment publiée par M. Donati; il cite d’abord deux observations de ce dernier qui sont en faveur de sa théorie : en premier lieu, M. Donati a également constaté, au milieu des ondulations d'objets terrestres produites par les ondes aériennes, des disparitions mo- mentanées de certaines parties ; en second lieu, M. Donati déclare qu’il ne lui est jamais arrivé d'apercevoir des varia- tions de couleur pour une étoile voisine du zénith, quoique, dans des cas très-rares, on y remarque des variations d'éclat. M. Montigny réfute ensuite une théorie de la scintilla- tion proposée par le savant italien dans la note dont il s’agit; enfin, il termine par de nouvelles considérations explicatives sur le peu de scintillation des planètes. Ce travail est le complément naturel du précédent, et je pense, d’après cela, qu'il doit figurer à la suite de celui-ci dans le recueil de l’Académie. » Conformément à ces conclusions, le travail de M. Mon- tigny sera imprimé dans le recueil de l’Académie. (754 ) Sur uñ mémoire d'analyse de M. Meyer, correspondant de l’Académie. apport de M. J.-H. Brasseur. « La question à laquelle donne lieu le théorème de Ber- noulli, étendu aux événements futurs, peut s’'énoncer comme il suit : Étant données les probabilités simples de deux événements contraires, dont l’un est arrivé m fois et l’autre n fois en x épreuves, déterminer la probabilité que le nombre inconnu » de fois que le premier événe- ment arrivera en ? nouvelles épreuves sera compris entre des limites données. Les formules qui répondent à ces deux questions ont été données par M. Bienaymé, mais sans démonstration, dans les procès-verbaux de la Société philomatique de Paris (25 avril 1849). k étant le plus grand nombre entier contenu dans MED, ji] a trouvé que le nombre » est compris entre les limites : 9 mn kæ+ :V Res m5 avec une probabilité : —7Yy? o) à 2 Q — Lune f eTé dt + PES vz. vies m5 aux quantités près de l'ordre: C’est la démonstration de ces formules qui fait l'objet de la note de M. Meyer. L'auteur cherche d’abord une première valeur de la probabilité T, que l'événement arrive » fois en exprimant, ( 735 ) sous forme de fonction gamma, les deux intégrales définies auxquelles conduit la mise en équation du problème. Cette forme de la valeur de T;, lui permet de déduire d’une manière facile les relations entre m, n, «, p,», pour le maximum de T, ; et il trouve que la valeur k de » qui répond à ce maximum , est égale au plus grand nombre entier contenu dans “+. 1 simplifie ensuite les relations trouvées pour le maximum de T,, en y négli- geant les quantités de l’ordre ë , ce qui lui fournit, pour ces conditions du maximum , les deux équations : y MT pipes Lie qui, combinées convenablement, donnent huitrelations (A) dont il se sert plus tard. Pour évaluer l'expression générale de T,, donnée sous forme de fonction gamma, il faudrait la transformer par la formule de Stirling; mais l’auteur trouve plus simple d'exprimer cette valeur, en effectuant directement les in- tégrales mentionnées ci-dessus , au moyen de la formule : f'= Er LU ET , (p+q}P FI donnée par Laplace, pour le cas où p et q sont de très- grands nombres. En introduisant dans la valeur de T,, fournie par cette formule, les relations (A) mentionnées plus haut, il obtient la probabilité maæimum M, de T, que l'événement arrivera » fois (v étant égal à k). Après avoir substitué cette valeur de M, dans la valeur générale de T,, il en déduit les valeurs de T4, et de T,_4, ( 736 ) lesquelles étant réduites au moyen des relations (A), four- nissent les probabilités maximum M,,4 et M;_; que l’évé- nement demandé arrive respectivement v + { et »—l fois (v étant égal à 4). Cela fait, d’après un principe connu, la probabilité Q que l'événement arrivera un nombre de fois compris entre v + | sera donnée par l'équation Q = S (M4: Din M, _1) — M,, qui, réduite par la formule sommatoire de Mac-Laurin, conduit l’auteur aux deux formules qu’il s'agissait de dé- montrer. L'analyse de l’auteur est exacte, et nous avons l’hon- neur de proposer à la classe de faire insérer la note de M. Meyer dans les Bulletins de l’Académie. » « Cette note de M. Meyer se rapportant à d’autres du même auteur pour lesquelles M. Schaar a été nommé com- missaire, celui-ci demande que l’Académie ne se prononce que dans une prochaine séance. Ces conclusions sont adoptées par la classe, Sur le GAGEA sPATHACEA. Notice par M. J.-E. Bommer. apport de M. J. Kickæx. « La plante qui fait l’objet de la note envoyée à notre examen est bien la Gagea spathacea, si nous en jugeons par l’ensemble des caractères. Mais l’auteur a eu tort d’at- tribuer à l'espèce des fleurs solitaires, qu’elle présente ra- rement, et qui sont le résultat d’une anomalie. Le type, en effet, présente, d’après les descriptions de Kunth et de PCR SL PT PE AT PRESS CDS VC RTS DUR UT OU RS SE AS (757) Koch, ainsi que d’après un échantillon recueilli, il y a plusieurs années, dans les environs de Soignies et faisant partie de notre herbier, une ombelle longuement pédon- culée à rayons simples. L'existence de cette liliacée en Belgique n'ayant pas reçu jusqu'à présent de publicité, nous estimons que la note de M. Bommer figurerait utilement dans les Bulletins de l’Académie. Cet avis, partagé par M. Martens, second commissaire, est adopté par la classe. COMMUNICATIONS ET LECTURES. Sur les théories récentes de la constitution des veines liquides lancées par des orifices circulaires ; par J. Plateau. Lorsque j'ai publié, en 1849, à la fin de la deuxième série de mes Recherches expérimentales et théoriques sur les figures d'équilibre etc. (1), une théorie complète de la con- stitution des veines liquides lancées par des orifices cireu- laires et soustraites à toute influence étrangère, je croyais que cette théorie, déduite avec une absolue nécessité de résultats d'expériences précises, et donnant, par suite, l'explication de tous les détails et de toutes les lois du phé- nomène, serait immédiatement adoptée. Je me trompais : au commencement de l’année dernière, deux théories diffé- rentes ont été exposées , l’une par M. Dejean (2), l’autre (1) Mém. de l’ Acad. de Belgique, t. XXI. (2) Comptes rendus, t. XL, p. 467. ( 758 ) par M. Magnus (1). Cependant, comme je ne trouvais, ni dans la courte analyse que M. Dejean a donnée de son tra- vail non publié jusqu'ici, ni dans le mémoire de M. Magnus, aucune mention de ma théorie, et conséquemment aucune objection dirigée contre elle, j'étais résolu à attendre et à laisser au temps le soin de la faire prévaloir; mais une nouvelle théorie vient encore de surgir : dans le rapport présenté, en janvier dernier, à l’Académie (2) sur ma troisième série, où j'explique l’action des mouvements vibratoires sur les veines, M. Maus revient sur la consti- tution des veines non soumises à cette action; il déclare ne pouvoir adopter ma théorie, et il indique les motifs de ce jugement; puis il développe ses propres idées. Je ne pouvais, dès lors, garder plus longtemps le silence; je me suis donc déterminé à établir, le plus brièvement possible, un parallèle entre les trois théories ci-dessus et la mienne. Savart, dans son beau travail sur les veines liquides (3), après avoir découvert, au moyen d'ingénieuses expériences, toutes les particularités de la constitution des veines lan- cées par des orifices circulaires, présente, on le sait, sous la forme d’une simple conjecture, un essai de théorie de ces phénomènes : il cherche à montrer que le fait même de l'écoulement peut, à lui seul, occasionner, dans le liquide du vase d'où la veine s'échappe et dans celui qui franchit l’orifice, un mouvement vibratoire dirigé norma- lement au plan de cet orifice, et que ces vibrations, ou pulsations à l'orifice, exerçant sur le liquide qui sort une suite de pressions et de tractions alternatives, elles doi- (1) Ann. de M. Poggendorff, t. XCVY, p. 1. (2) Bullet. de l’ Acad. de Belgique ,.t. XXII, 17° part., p. 4. (5) Ann. de chim. et de phys., t. LITE, année 1835, p. 537. ( 739 ) vent donner naissance aux renflements annulaires dont il avait constaté l'existence, le mouvement de translation, le développement, et la conversion finale en masses isolées. M. Dejean admet les pulsations, mais il les explique autrement que Savart; il ne dit point, dans son analyse, à quelle cause il attribue la séparation des masses qui composent la partie discontinue de la veine. M. Magnus, dont le mémoire, fort intéressant d’ailleurs, traite surtout des phénomènes qui se manifestent lorsque deux veines se rencontrent sous certains angles et des aspects singuliers que prennent les veines sortant d'ori- fices de différentes formes, s'étend peu sur ce qui concerne la constitution des veines lancées par des orifices cireu- laires; il n’a point recours aux pulsations, et, dans le cas d’une veine s’écoulant de haut en bas et soustraite à toute influence étrangère, il attribue la séparation des masses au tiraillement résultant de l'accélération de la vitesse du liquide, tiraillement qui, à une distance suffisante de l'orifice, deviendrait assez fort pour vaincre la cohésion entre deux tranches de la veine. Enfin M. Maus adopte, comme M. Dejean, les pulsa- tions, qu’il explique, de son côté, par des considérations qui lui sont propres; mais, sentant bien que les pulsations seules ne sauraient déterminer la formation des masses isolées, il assigne à la discontinuité la même cause que M. Magnus. Les théories que je viens de mentionner reposent, on le voit, sur deux hypothèses, savoir celle des pulsations à l'orifice, et celle du déchirement produit par accélération de la descente du liquide. Or je vais montrer que ces hypothèses sont l’une et l’autre inadmissibles. Qu'il me soit permis auparavant de protester de ma ( 740 ) profonde vénération pour la mémoire de Savart. Dans mes recherches relatives à la veine, je me suis constamment appuyé sur les belles expériences de cet illustre physicien, et, bien que je combatte ici l'hypothèse des pulsations, je reconnais encore, dans cette hypothèse, un trait de génie; en effet, si les pulsations n'existent pas dans une veine soustraite à toute action étrangère, il n’en est plus de même lorsque des vibrations sont transmises de l'extérieur au liquide; alors les pulsations deviennent une réalité, elles exercent sur la veine les pressions et tractions que Savart leur attribue, et c'est en considérant ces pressions et tractions que je suis parvenu à expliquer, dans ma troi- sième série, récemment publiée, tous les phénomènes qui dépendent de l'influence des mouvements vibratoires. Abordons maintenant l’examen des deux hypothèses en question, et commençons par celle du déchirement. L'idée d'un effet de ce genre produit par l'accélération de la vi- tesse est antérieure au travail de M. Magnus : dans un mé- moire présenté, en 1849, à l’Académie de Berlin, Sur les disques qui se forment à la rencontre de deux veines liquides et sur la résolution en gouttes des veines liquides isolées (1), M. Hagen, qui a fait beaucoup d'expériences sur les veines lancées par des orifices circulaires , parle de l’idée dont il s’agit, mais pour la réfuter. Après quelques considérations à priori sur la probabilité de l'existence d’une autre cause, il s'exprime ainsi : « Cette probabilité devient une certitude, lorsqu'on » remarque que la même veine, qu’elle soit lancée vertica- » lement de bas en haut ou verticalement de haut en bas, (1) Ce mémoire est inséré dans les Annales de M. Poggendorff, vol. LXX VII, p. 451. ed : ( 741 ) » se résout en goultes à fort peu près à la même distance » de l'orifice. Dans le premier cas, la vitesse du liquide » peut être déjà en grande partie détruite par l’action de la gravité, tandis que, dans le second, elle peut être doublée, et cependant le phénomène n’est pas essen- tiellement différent. La chose est plus frappante encore dans les veines horizontales, où l'effet de la gravité est presque nul; la vitesse ne varie dans celles-ci qu’à me- sure de l'accroissement d'inclinaison; sous de fortes charges et avec de petits orifices, cette inclinaison est insiguifiante dans la partie de la veine que nous consi- dérons, et, par suite, il en est de même des variations de la vitesse et du diamètre; on conclurait de là que la veine doit présenter un état tout à fait uniforme, et néanmoins elle se résout en gouttes à un endroit déter- miné. » À ces faits ajoutons-en un autre déduit des expériences de Savart. Lorsqu'une veine est lancée obliquement de bas en haut entre certaines limites d’inclinaison , la partie dis- continue s’éparpille, dans le plan vertical, en une sorte degerbe; or, si l’on jette les yeux sur la figure qui repré- sente une semblable veine dans les planches qui accompa- gnent le mémoire de Savart, on verra que la gerbe naît à fort peu près au sommet de la courbure du jet, et consé- quemment en un point où la vitesse, retardée à partir de l'orifice, n’a pu encore commencer à devenir sensiblement - accélérée. | Ainsi, en premier lieu, dans les veines lancées horizon- talement sous des charges suflisantes et par des orifices de petit diamètre, la discontinuité s'établit en un point où la vitesse est à peine accrue, et où conséquemment le tiraillement entre deux tranches contiguës ne pourrait être GE + + Ù € YO © % y vw ( 742 ) quelque peu notable; en second lieu, dans les veines lan- cées obliquement de bas en haut sous une charge et par un orifice convenables, la discontinuité naît en un point où l'accroissement de la vitesse est moindre encore; enfin, dans les veines lancées verticalement de bas en haut, la dis- continuité se produit malgré le retard de la vitesse, retard qui, au lieu de tendre à séparer deux tranches contiguës, les appuie, au contraire, évidemment l’une contre l’autre. Bien que ces raisons doivent être regardées comme pé- remptoires, M. Magnus pourrait cependant essayer d'y répondre; en effet, ni Savart, ni M. Hagen ne disent que les veines dont il s’agit fussent soustraites aux petites influences vibratoires provenant des bruits extérieurs et du choc de la partie discontinue contre le liquide dans lequel elle tombe; or, dans les idées de M. Magnus, les vibrations propagées dans une veine sont une cause puis- sante de déchirement, parce que, dit-il, par suite de ces vibrations, une tranche liquide est tirée en arrière, tandis que la tranche immédiatement antérieure est, au con- traire, poussée en avant. Mais alors, dans les veines ascen- dantes, le déchirement devrait s'effectuer à la section con- tractée même, c'est-à-dire très-près de l’orifice, puisque c'est là que la veine a le moins d'épaisseur, et qu'en ce point la vitesse de translation n’a pas encore éprouvé de * retard sensible; plus loin , en eflet, l'épaisseur croissante de la veineet la diminution graduelle de la vitesse, dimi- nution d’où résulte, comme je l'ai fait remarquer, une tendance des tranches liquides à s'appuyer les unes contre . les autres, rendraient de plus en plus difficile l’action déchirante des vibrations. J'ai, d’ailleurs, répété l'expérience de la gerbe, d’abord, en laissant toute liberté aux petites influences vibratoires, ( 745 ) puis en employant les précautions indiquées par Savart pour amortir ces influences. Dans le premier cas, le ré- sultat s’est trouvé sensiblement conforme à la figure gravée dont j'ai parlé, figure qui se rapporte sans doute à des conditions de charge et d’orifice analogues à celles de mon expérience, et, dans le second cas, il n’en différait pas considérablement , ainsi qu'on le verra. La veine jaillissait d'un orifice de 5 millimètres de diamètre, sous un angle d'environ 55° avec l'horizontale; l'amplitude du jet, c’est- à-dire la distance horizontale de l’orifice au filet le plus extérieur de la gerbe, a varié, par suite de la diminution de la charge, de 1",45 à 1°,27, et la hauteur verticale du sommet du jet au-dessus de l’horizontale menée par l’ori- fice, a varié de 0,54 à 0",52. Dans la seconde observation, le vase d’où s’échappait la veine reposait, par l'intermé- diaire d’un tapis replié plusieurs fois et formant une épais- seur de 8 centimètres, sur une table massive sous les pieds de laquelle on avait placé des coussins; le vase dans lequel se rendait la gerbe était posé sur un tas de foin , et la gerbe léchait une planche épaisse conve- nablement inclinée, J'avais, en outre, fait munir l’ori- fice, en dessous, d’un système analogue à celui que décrit M. Magnus pour éviter certains mouvements de rotation du liquide; aussi la portion limpide de la veine était-elle régulière, ou à fort peu près. Malgré les précautions mul- tipliées ci-dessus, l'effet des petites vibrations provenant des bruits extérieurs n'était pas complétement annulé, car la partie continue et la portion limpide du jet éprou- Waient, par intermittences, des raccourcissements, et il » suffisait de parler dans le voisinage de Ja veine pour rendre ces raccourcissements plus prononcés; mais 1l est clair - que ce qui restait encore des mouvements vibratoires de- ( 7144 ) vait être bien faible. Or la gerbe se montrait tout aussi bien que sous l'influence libre de ces mouvements, et son point de naissance n’a jamais dépassé le sommet du jet de plus de 12 centimètres. D'un autre côté, si, dans une veine s'écoulant de haut en bas et soustraite à toute influence étrangère, le tiraille- ment occasionné par l'accélération de la vitesse était la cause de la désunion, la longueur de la partie continue devrait être indépendante du diamètre de l’orifice. En effet, sous une même charge, le tiraillement total exercé entre deux tranches moléculaires qui se suivent immédiate- ment, et la résistance totale due à la cohésion qui unit ces tranches, seraient évidemment l’un et l’autre proportion- nels au nombre des molécules qui composent ces mêmes tranches; si donc, pour un orifice déterminé et à une cer- taine distance de celui-ci, l'action du tiraillement égalait la cohésion, de manière que l’adhérence entre deux tranches fût détruite, il devrait en être de même, à la même dis- tance, dans une veine sortant, sous la même charge, d’un orifice plus grand ou plus petit : car, à cette distance, l'accroissement de la vitesse serait le même que dans la première veine, et les actions totales du tiraillement et de la cohésion auraient augmenté ou diminué toutes deux dans la même proportion; or l'expérience montre, au contraire, que, sous une même charge, la longueur de la partie continue est à peu près proportionnelle au diamètre de l’orifice. | Enfin il est aisé de voir à priori que le tiraillement dû à l'accélération de la vitesse ne produit , en réalité, aucune tendance à la désunion; en effet, si ce tiraillement écartait les molécules liquides, la densité irait en décroissant du haut en bas de la partie continue; or, pour peu que l'on Rd cms, ( 745 ) songe à la mobilité relative des molécules des liquides , on demeurera bientôt convaineu que ce décroissement de den- silé est impossible : car dès que deux molécules tendent à s’écarter, une autre molécule se déplace et vient s'inter- poser entre elles, d’où 1l résulte que le tiraillement ne peut produire autre chose que d’allonger la veine en l’amincis- sant; et comme l’accélération existe uniformément dans toute l’étendue de la veine, il est évident qu’elle tend uni- quement à diminuer, d’une manière parfaitement continue et régulière, le diamètre de la veine à partir de l’orifice, sans faire naître, à aucune distance de ce dernier, de ten- dance à la séparation. Ainsi, le raisonnement et l'expérience s'accordent pour établir la complète inadmissibilité de l’hypothèse du déchi- rement. Passons à celle des pulsations. Remarquons d'abord que cette dernière parait, en elle- même, bien diflicile à justifier, puisque M. Dejean ne s’est pas contenté de l'explication de Savart, et que M. Maus en a cherché une autre encore. Et, en effet, dans l’écou- lement d'une veine complétement soustraite aux influences étrangères, phénomène où tout semble disposé pour la con- tinuité, la seule manière naturelle de concevoir des dimi- nutions et des augmentations alternatives dans la vitesse de sortie du liquide, ou des pulsations à l’orifice, serait, comme l’idée s’en est immédiatement présentée à l'esprit de Savart, de supposer que le frottement du liquide contre le bord de l’orilice met ce bord en vibrations, et que ces vibrations se communiquent au liquide; or Savart s’est assuré que si l’on touche, avec un corps solide et résistant, le pourtour de l’orifice, ce qui devrait en arrêter, ou au moins en amortir les vibrations , on n’aperçoit aucun changement dans l’état de la veine. Ce ne sont donc point Tong xxu1. — ['° PART. o1 ( 746 ) les vibrations du bord de l’orifice qui pourraient donner naissance aux pulsations du liquide; mais, à quelque cause que l’on veuille attribuer ces pulsations, elles constitue- raient toujours, si elles existaient, un mouvement vibra- toire du liquide, mouvement qui se communiquerait né- cessairement au bord de l’orifice; et alors, en entravant, comme l’a fait Savart, les vibrations de ce bord, on devrait entraver aussi les pulsations du liquide, et l’état de la veine s’en ressentirait; comment se fait-il donc que cet état n'é- prouve aucune modification appréciable ? Allons plus loin. Savart, en observant, à l’aide du pro- cédé qu'il décrit, les renflements de la partie continue de la veine, n’a pu constater leur existence qu’à partir d’une petite distance de l’orifice, et M. Hagen, qui a imaginé aussi un procédé particulier pour ce genre d'observations, affirme la même chose dans le mémoire cité plus haut. Il résulte de là que si ces renflements, qui sont emportés par le mouvement de translation du liquide, partent de l’orifice même, ils y sont excessivement peu saillants. Mais, d’après les expériences de Savart, ils sont d'autant plus prononcés qu'on les observe plus loin de l’orifice, jusqu'à ce qu’en approchant de l'extrémité de la partie continue, ils prennent un très-grand développement, et qu'enfin, à cette extrémité même, ils se détachent l’un après l’autre à l'état de masses isolées. Savart ne parle point en termes exprès d'étranglements alternant avec ces renflements, mais il est évident que les renflements ne peuvent se former et acquérir plus de volume, qu'aux dépens des portions intermédiaires, en sorte que celles-ci doivent se creuser et s’amincir, et cela d'autant plus que les renfle- ments forment de plus fortes saillies. Maintenant, suppo- sons, pour un instant, que les renflements et les étrangle- ( 747 ) ments soient dus à des pulsations à l’orifice, et que, comme le pensait Savart, ce mouvement vibratoire se communique à toute la partie continue de la veine. Dans cette hypothèse, chaque portion du liquide renflée, à sa sortie de l’orifice, par une pulsation comprimante, serait bientôt, pendant qu'elle se transporte, changée en un étranglement par la vibration opposée qu’elle exécuterait, pour passer de nou- veau à l’état de renflement, redevenir étranglement, et _ ainsi de suite, et chaque portion primitivement étranglée par une pulsation étirante, subirait en même temps des variations inverses. Mais, d’après ce qui précède, ces chan- gements successifs de chacune des portions du liquide, ou ces vibrations qu’elles éprouveraient pendant leur mouve- ment de translation, iraient en augmentant d'amplitude à partir de l’orifice jusqu’à l'extrémité de la partie con- tinue, et cela dans une énorme proportion, puisque, près de l’orifice, les renflements et les étranglements sont si peu prononcés, que les procédés les plus délicats ne peuvent en constater le passage; or il est impossible de se rendre raison de cet accroissement d'amplitude des vibrations dans la veine, accroissement qui constituerait un effet sans cause. Concluons de cet examen, que l'hypothèse de pulsations à l’orifice engendrées par l'écoulement lui-même et pro- pageant dans la veine un mouvement vibratoire, doit être rejetée aussi bien que celle d’un déchirement produit par l'accélération de la vitesse de translation du liquide. Pour ne rien omettre, je dois dire ici que M. Magnus nie l'existence des renflements dans une veine soustraite à toute influence étrangère, Mais M. Magnus ne motive cette négation que sur l'aspect de la portion limpide d’une semblable veine, portion qui se montre parfaitement lisse : ( 748 ) « On la prendrait», dit-il, « pour un solide de révolution » formé du verre le plus blane, car on n’y aperçoit pas le » moindre mouvement, » Or Savart, en parlant de la por- ton limpide des veines librement soumises aux petits mou- vements vibratoires provenant des bruits extérieurs et de la chute du liquide dans le vase qui le reçoit, s'exprime ainsi : « Nulle part cette portion du jet ….…. ne laisse aper- » cevoir de traces de renflement. » Et, dans le résumé qui termine le mémoire : « Cette première partie de la veineest » calme et transparente, et ressemble à une tige de cristal.» Et cependant c’est dans cette même portion des veines dont il s’agit, qu’il a constaté, au moyen de son ingénieux pro- cédé, le passage de renflements d'autant plus prononcés qu'on les observe à une plus grande distance de l’orifice. On ne peut done pas se baser sur l’aspect calme et lisse de la portion limpide d’une veine pour affirmer qu'il n’y existe point de renflements : cet aspect n’est qu’une illusion due au peu de saillie des renflements dans cette portion de la veine, et à la rapidité de leur mouvement de translation. Si M. Magnus avait employé soit le procédé de Savart, soit celui de M. Matteucci (1), soit l’un de ceux de M. Billet- Sélis (2), il aurait indubitablement reconnu l'existence des renflements, bien que la veine fût soustraite à toute action vibratoire : car, puisque le déchirement est impossible, il faut bien que la séparation des masses soit amenée par la formation d'étranglements qui acquièrent d'autant plus de profondeur qu'ils se rapprochent davantage de l'extrémité de la partie continue, étranglements qui exigent des ren- (1) Comptes rendus, 1846, t. XXII, p. 260. (2) Ann. de chim. et de phys., 1851, t. XXXI, p. 526. ( 749 ) flements dont les saillies passent par les mêmes phases d'augmentation. En regard des difficultés inhérentes aux hypothèses que je viens de discuter, plaçons actuellement les principes de ma théorie. Tous les physiciens connaissent aujourd’hui le procédé par lequel je neutralise l’action de la, pesanteur sur une masse liquide considérable, en laissant à cette masse la liberté d’obéir aux actions moléculaires. A l’aide de ce procédé d’abord, puis d’un autre tout différent, j'ai réalisé des cylindres liquides et j'en ai étudié les propriétés. J'ai constaté ainsi les faits suivants (voir ma deuxième série, $$ 57 à GS) : 4° Un cylindre liquide constitue une figure d'équilibre stable, tant que le rapport entre sa longueur et son dia- mètre n’atteint pas une certaine limite comprise entre 5 et 5,6. J’ajouterai ici qu'une méthode à priori, dont je n'ai publié jusqu’à présent que le résultat (1), m’a donné pour valeur exacte la quantité T, c’est-à-dire le rapport de la circonférence au diamètre. 2 Au delà de cette limite, le cylindre constitue une figure d'équilibre instable, en sorte qu’on ne peut l'obtenir à l'état permanent, à moins qu’on ne le maintienne par certaines entraves. 3° Un cylindre liquide dont la longueur est très-grande relativement au diamètre, se convertit, par la rupture spontanée de léquilibre, en une série de sphères isolées, égales en diamètre, équidistantes, ayant leurs centres sur la droite qui formait l'axe du cylindre, et dans les inter- (1) Ann. de M. Poggendorf, 1850, t, LXXX, p. 566, ( 780 ) valles desquelles sont rangées, suivant cette même droite, des sphérules de différents diamètres. 4 Cette transformation commence par la naissance d'étranglements régulièrement espacés et alternant avec des renflements; puis les uns et les autres se prononcent de plus en plus, le creusement des premiers et la saillie des seconds allant toujours en augmentant. Lorsque les milieux des étranglements sont devenus assez minces, ils ne se rompent pas brusquement : le liquide, en se retirant des deux côtés de chacun de ces milieux vers les renfle- ments, laisse encore, pendant un court instant, ceux-ci unis deux à deux par un filet sensiblement cylindrique; enfin ces filets se transforment eux-mêmes à la manière des cylindres, et, par la rupture des filets plus déliés ré- sultant de leurs propres étranglements, laissent isolées de petites masses qui forment les sphérules ci-dessus, tandis que les grosses masses provenant des renflements du cylindre primitif, masses qui se trouvent alors également isolées, prennent de leur côté la figure sphérique. 5° Cette altération spontanée et cette transformation qui donne pour résultat final des sphères isolées avec des sphérules rangées dans leurs intervalles, ne sont point particulières aux cylindres; elles appartiennent aussi à toute figure liquide dont une dimension est considérable relativement aux deux autres. Enfin, j'ai reconnu d’autres propriétés encore, qui se trouvent exposées dans ma deuæième série, mais qu’il n’est pas indispensable de rappeler ici. Pour les personnes qui n'ont point répété mes expé- riences, je citerai, à l’appui des faits ci-dessus, un phé- nomène que tous les physiciens ont observé. Lorsqu'on fait passer, à travers un mince fil de fer tendu horizonta- mn cité di tt RE (781) lement, une décharge électrique capable de le fondre et non de le volatiliser, on voit d’abord le fil rougir à blanc et s’infléchir en même temps par suite de sa dilatation en longueur; puis on le voit se résoudre en un grand nombre de globules séparés, qui tombent, et dont on peut con- stater la forme arrondie après leur refroidissement. Or ce fil, au moment de sa fusion par le passage de l'électricité, constitue une figure liquide qui satisfait à la condition énoncée ci-dessus (n° 5). J’ajouterai que M. Beer, dans un mémoire publié en 1855 (1), après avoir appliqué l'analyse mathématique aux faits décrits dans ma première série, traite incidemment la question de la stabilité des cylindres liquides; or, en par- tant des seules données relatives à la constitution molé- culaire des liquides, il arrive à priori, el uniquement par le calcul, au résultat que j'avais obtenu moi-même, mais par une méthode entièrement différente : c’est-à-dire qu'il trouve, pour la valeur exacte de la limite de cette stabi- lité, la quantité x. Ce calcul, qui confirme pleinement le mien, vient donc sanctionner l’un des principaux résul- tats de mes observations; il en montre l’absolue nécessité, et donne la mesure précise du phénomène. Maintenant, une veine liquide lancée dans une direc- tion quelconque se trouve aussi dans la condition du n°5, c’est-à-dire qu'elle constitue une figure liquide dont la lon- gueur est considérable relativement aux dimensions trans- versales ; elle doit donc, de toute nécessité, s’altérer d’elle- même, pour se convertir graduellement et d’une manière continue en une série de sphères isolées avec des sphé- rules interposées, et le phénomène doit s’'opérer par la (1) Ann. de M. Poggendorff, t. XGVI, pp. 1 et 210. ( 152) formation d'étranglements et de renflements qui se pro- noncent de plus en plus, sans changer de nature, jusqu’à la génération et la rupture des filets dont j'ai parlé. Mais le liquide de la veine étant animé d’un mouvement de translation qui emporte les renflements et les étrangle- ments, c’est pendant ce trajet que chacun d’eux accomplit toutes ses modifications progressives, en sorte que chaque renflement partant du voisinage de l’orifice à l’état rudi- mentaire, n’alteint celui de masse isolée qu’à une distance plus ou moins grande de cet orifice. En outre, le liquide de la veine se renouvelant sans cesse, la transformation deit aussi aller en se renouvelant incessamment. De là donc la partie continue et la partie discontinue de la veine; de Jà aussi la naissance, près de l’orifice, de ren- flements et d'étranglements d’abord à peine indiqués et marchant avec le liquide en se prononçant de plus en plus, jusqu'à ce que les renflements, arrivant l’un après l’autre à l'extrémité de la partie continue, s’en détachent successi- vement et poursuivent leur course à l’état de masses isolées qui prennent ou tendent à prendre la forme sphérique; de là encore les sphérules intercalées entre ces masses; de là enfin, mais en recourant en même temps aux faits que la crainte de donner trop d'extension à cette note m'a em- pêché de rappeler, les lois découvertes par Savart et qui lient la longueur de la partie continue ainsi que le son. produit par le-choc de la veine, à la charge et au diamètre © de l’orifice. On le voit, dans ce que ma théorie a de fondamental, point d’hypothèses, mais des faits et les conséquences iné- vitables de ceux-ci; conséquences d’une telle netteté, que si l’admirable travail de Savart ne nous avait point dévoilé la vraie constitution des veines liquides lancées par des ( 755 ) orifices circulaires, mes expériences auraient dû la faire prévoir, avec ses détails et ses lois. Ma théorie va même plus loin, car elle montre que les lois indiquées par Savart ne sont que des limites dont on approche d'autant plus que les charges sont plus fortes et les orifices plus petits, et les tableaux des observations de l’illustre physicien français confirment pleinement cette déduction. Il me restait à établir la liaison de ma théorie avec les phénomènes résultant de l'influence des sons; c’est ce que j'ai fait dans ma troisième série, ainsi que je l'ai déjà dit. Lorsque des vibrations sont en réalité communiquées au vase et au liquide qu'il contient , le principe des pulsations à l’orifice cesse d’être une hypothèse vague et improbable, pour devenir presque une certitude; or je démontre que lorsque le son qui agit sur la veine est exactement à l’unis- son de celui qui naïîtrait du choc de la partie discontinue contre une membrane tendue, la production des renfle- ments et des étranglements dus aux vibrations qui s’ac- complissent à l’orifice coïncide parfaitement avec celle des renflements et des étranglements dus aux forces molécu- laires, en sorte qu'il y a concours absolu entre les deux genres d'action ; puis de ce principe simple, je déduis l’ex- plication de tous les phénomènes observés par Savart. Si, dans cet ensemble de recherches théoriques, j'ai eu recours à quelques hypothèses, elles sont purement acces- soires, et ne servent qu'à expliquer certains faits trop complexes pour que l’on puisse bien apprécier l’action de chacun des éléments qui concourent à leur production. Passons enfin aux raisons sur lesquelles s’appuieM. Maus pour justifier son opposition. Elles sont énoncées dans le passage suivant du rapport : &.…. j'ai peine à admettre avec M. Plateau, que dans V VV YO VW VU & VU VY CCC do an We ( 754 ) un phénomène principalement produit par la gravité, cette force soit complétement écartée pour attribuer la configuration de la masse en mouvement, exclusivement à la force moléculaire fort inférieure à la gravité. » Mon hésitation s’est accrue lorsque j'ai remarqué que, pour justifier l'élimination de la gravité, M. Plateau considère cette force comme n’agissant sur la veine liquide qu’à partir de l’orifice d'écoulement, sans con- sidérer son action sur le liquide contenu dans le vase, action qui, par la manière dont elle attire les molécules liquides vers l'orifice, exerce, sur la forme de la veine sortie du vase, un effet que les phénomènes connus sous la désignation de contraction et inversion de la veine ne permettent pas de révoquer en doute. » Les belles expériences de veines liquides que M. le professeur Richelmi renouvelle chaque année à l’établis- sement hydraulique de La Parella, près de Turin, en me faisant voir une sorte d'opposition entre les diverses figures d’orifice expérimentées et les profils qu’elles fai- saient naître dans la veine à peu de distance, ne m’a- vaient point préparé à faire abstraction de l’action inté- rieure sur la forme de la veine. » Il est impossible que l’on voie là des objections réelles. Sans doute c’est la gravité qui chasse le liquide et produit ainsi la veine; mais une fois le liquide sorti de l’orifice et animé de son mouvement de translation , les forces molé- culaires, forces intérieures au système, peuvent évidem- ment exercer leur action avec une liberté entière, qu'elles soient, ou non, moins énergiques que la gravité, absolu- ment comme le ressort d’une montre continue à faire marcher les aiguilles pendant que l’on transporte la mon- « tre d’un lieu dans un autre; et M. Maus lui-même admet mio moon een me mme tt ES (755 ) si bien cela, qu'il dit plus loin , en parlant de l’accéléra- tion de la vitesse comme cause de déchirement : « et lors- » que cette action aura été assez prolongée pour diviser la » masse liquide, la force moléculaire interviendra pour » donner aux masses isolées la forme sphérique que pren- » nent les gouttes. » La contraction de la veine joue un rôle important FPE la théorie de M. Maus; mais, dans la mienne, il résulte simplement du phénomène de la contraction, que je n’ai à considérer l’action des forces moléculaires qu’à partir de la section transversale de la veine où finit cette contrac- tion, parce que c’est à partir de là seulement que la veine prend sa forme allongée. Quant aux inversions qui se montrent dans les veines sortant d’orifices non cireulaires, je ferai remarquer qu’elles n'ont rien de commun avec les renflements et les étrangle- ments qui préparent la séparation en masses isolées, puis- que ceux-ci sont emportés par le mouvement de translation du liquide, tandis que les inversions occupent, dans la portion limpide de la veine, des positions fixes. Et, d’ail- leurs, M. Maus pourra voir dans la partie du mémoire de M. Magnus relative à l’influence de la forme des orifices, que c’est précisément en faisant intervenir les forces molé- culaires, que l’auteur parvient à expliquer d’une manière complète les inversions dont il s’agit. Je ne terminerai pas sans payer à l’ensemble du travail de M. Magnus le tribut d’éloges qu'il mérite. Les passages que j'ai attaqués n’en forment, comme je l'ai déjà dit, qu’une petite partie, et tout le reste me paraît fort remar- quable , tant au point de vue théorique qu’au point de vue expérimental. Note sur le GAGEA SPATHACEA, plante nouvelle pour la flore belge; par M. J.-E. Bommer, attaché au Jardin bota- nique de Bruxelles. GAGEA Salisb. Périanthe persistant, à 6 divisions libres jusqu’à la base, plus ou moins étalées, dépourvues de fossettes nectari- fères. Étamines hypogynes ou insérées à la base des divi- sions, Filets filiformes, quelquefois légèrement dilatés à leur base (1). Style filiforme. Capsule à loges oligospermes. Graines subglobuleuses à teste jaunâtre. Souche bulbeuse. Tige munie, au sommet, de feuilles bractéales et parfois d'une spathe. Fleurs jaunes en corymbe ou solitaires ter- minales. Embryon droit, plus long que la moitié de l’al- bumen, extrémité de la radicule atténuée, atteignant l’ombilic. GAGEA SPATHACEA Ker. Synonymie : Ornirnocazun minimum, FL. Dan. — Onnirnocarun MINIMUM 8. sPATHACEUM Wahlenberg. — Ornrrno- caLuM Hevner Roth. — ORNITHOGALUM SPATHACEUM Heyne. — OnNITHOGALUM TRANSVERSALE Pallas. Souche bulbeuse donnant naissance à un grand nombre de bulbilles très-petites, agglomérées, recouvertes par une tunique fibreuse. Tige d’un décimètre environ, munie d'une spathe aussi longue que les fleurs. Pédoncule uni- flore pourvu de trois feuilles bractéales, du sein desquelles nait quelquefois une seconde fleur dont le pédicelle porte aussi une bractée. Deux ou trois feuilles filiformes, demi- (1) Les mots en italique sont des caractères ajontés à la description du genre. ] . | ii mm là dat | | ( TR ] cylindriques, obtuses, non fistuleuses, dépassant les fleurs et la spathe. Fleurs solitaires à sépales glabres , lancéolés aigus, d’un jaune verdàtre en dessous et d’un beau jaune à leur face supérieure. Filaments des étamines légèrement dilatés à la base. 2. Dans les éclaircies humides des bois. Forêt de Soignes, où je lai trouvé en pleine floraison, le 45 avril 1856 et ensuite le 29 du même mois. J'ai analysé consciencieusement plusieurs échantillons de cette plante et les ai comparés avec les espèces décrites dans les Flores de MM. Lejeune et Tinant; le Gagea bel- gica de M. Lejeune (F1. Spa, p. 67) est celui qui a le plus de rapport avec ma plante, mais il en difière par ses feuilles fistuleuses , ses fleurs disposées en ombelle et surtout par l’absence de spathe. Je suis done porté à croire que j'ai eu le bonheur d'ajouter une espèce nou- velle à la flore de notre pays. Dans l'endroit où j'ai trouvé cette plante l’herbe. est rare, mais, par contre, les Anemone nemorosa, les Allium ursinum et principalement les Ficaria ranunculoïdes y croissent en abondance; il est donc très-probable que c’est à cause de l’aspect herbiforme des feuilles, ainsi que par la légère ressemblance de la fleur du Gagea avec celle de la Ficaria ranunculoïdes, que cette plante a échappé jus- qu’à présent à l'œil des botanistes qui ont herborisé dans cette localité. — MM. Van Beneden et de Selys-Longchamps font à l'Académie différentes communications verbales sur les- quelles ils lui promettent des renseignements plus précis, qui seront présentés dans l’une des prochaines séances. (758 ) CLASSE DES LETTRES. Séance du 9 juin 1856. M. le baron DE GERLACHE, président de l’Académie. M. Ad. Querecer, secrétaire perpétuel. Sont présents : MM. le chevalier Marchal, de Ram, Roulez, Gachard, Borgnet, David, Schayes, Snellaert, Bormans, Leclercq, Polain, Bagüet, Faider, Arendt, membres; Nolet de Brauwere Van Steeland, associé; Cha- lon, Mathieu, Defacqz, Th. Juste, correspondants. CORRESPONDANCE. MM. E. Defacqz et Th. Juste, nommés correspondants à la séance précédente, adressent leurs remerciments à l’Académie; il est également donné lecture des lettres de remerciments de MM. Dieterici et Paulin-Paris, nommés associés étrangers. — MM. Eugène Van Bemmel et Félix Nève expriment . leurs remerciments pour les distinctions honorifiques qui ont été accordées à leurs travaux dans la séance publique. ( 759 ) — M. de Ram remercie l’Académie pour le tome XX VII de ses Mémoires couronnés, envoyé à l’université de Lou- vain. — MM. Ad. Borgnet, Renier Chalon, Ch. Babbage et C. Dieterici, de l’Académie royale de Bruxelles, font hom- mage de différents ouvrages de leur composition. — Re- merciments. PROGRAMME DE 1857. PREMIÈRE QUESTION. Établir la véritable origine du droit de succession. Re- chercher si ce mode de transmission découle de la nature des choses ou s'il n’est qu'un établissement créé dans un but d'utilité civile. Exposer la doctrine des principaux auteurs qui ont traité cette question; proposer une solution motivée. DEUXIÈME QUESTION. Constater les analogies que présentent les langues fla- mande, allemande et anglaise, malgré les modifications qu’elles ont subies, et rélablir la signification des mots tom- bés en désuétude dans l’un de ces idiomes par celle qu'ils ont conservée dans un autre. TROISIÈME QUESTION, Paix DE LITTÉRATURE FRANÇAISE : — De l'influence de la civili- salion sur la poésie. ( 760 ) QUATRIÈME QUESTION. Quelle a été l'influence liltéraire, morale et politique des sociétés et des chambres de rhétorique dans les dix-sept pro- vinces des Pays-Bas et le pays de Liege? Outre la médaille académique, le lauréat du concours recevra de la société royale de Wyngaerd, uné médaille en vermeil , frappée à l’occasion de la fête bisséculaire de la fondation de cette société. CINQUIÈME QUESTION. Faire l'histoire, au choix des concurrents, de l'un de ces conseils : le grand conseil de Malines, le conseil de Brabant, le conseil de Hainaut, le conseil de Flandre. SIXIÈME QUESTION. Tracer un tableau historique et politique du règne de Jean 1”, duc de Brabant. Outre le récit circonstancié des événements, ce tableau devra faire connaître l’état social du duché de Brabant, sous le rapport de la législation, du commerce, de l'industrie, de l'agriculture, des lettres et des arts. La classe inscrit, dès à présent, dans son programme de l’année 1858, les questions suivantes : PREMIÈRE QUESTION. Faire sommairement l'histoire des doctrines qui ont in- flué sur l'élat social, principalement en Belgique, depuis le commencement du XVI" siècle jusqu'à nos jours. (761) DEUXIÈME QUESTION. Quels ont été les rapports entre la littérature thioise (fla- mande) et la littérature française pendant le XL", le XL“ et le XIV" siècle, et quelle est l'influence que l’une a exercce sur le développement de l’autre? Le prix , pour chacune de ces questions, sera une mé- daille d’or de la valeur de 600 francs. Les mémoires doi- vent être écrits lisiblement en latin, en français ou en flamand, et seront adressés, francs de port, à M. Quetelet, secrétaire perpétuel, Ils seront envoyés, pour les six pre- mières questions, avant le 1° février 1857; et, pour les deux dernières, avant le 1" février 1858. L'Académie exige la plus grande exactitude dans les ci- tations; à cet effet, les auteurs auront soin d'indiquer les éditions et les pages des livres qu'ils citeront. On n'ad- meltra que des planches manuscrites. Les auteurs ne mettront point leur nom à leur ouvrage, mais seulement une devise, qu'ils répéteront dans un billet cacheté, renfermant leur nom et leur adresse. Les ouvrages remis après le terme prescrit ou ceux dont les auteurs se feront connaître, de quelque manière que ce soit, seront exclus du concours. L'Académie croit devoir rappeler aux concurrents que, dès que les mémoires ont été soumis à son jugement, ils - sont déposés dans ses archives, comme étant devenus sa propriété. Toutefois, les intéressés peuvent en faire tirer des copies à leurs frais, en s'adressant, à cet cflet, au Se- crélaire perpétuel. L ns. À 22 ToME xx, — °° parr, © LC) (162) - CONCOURS EXTRAORDINAIRE. M. le Secrétaire perpétuel donne lecture de la lettre suivante qu’il a reçue de M. le Ministre de l’intérieur. « J'ai l'honneur de vous adresser une expédition de mon arrêté du 2 mai, qui institue un concours entre les écrivains belges pour la composition de morceaux de poé- sie, tant en langue flamande qu’en langue française, des- ünés à célébrer l'anniversaire national du 21 juillet 1856. » L'art. 2 dispose que des jurys de cinq membres nom- més sur une liste double de présentation faite par la classe des lettres de l’Académie royale de Belgique, seront appelés à désigner les ouvrages qui mériteront la préférence. » Je vous prie, Monsieur le Secrétaire perpétuel, de vouloir bien inviter la classe des lettres à former, dans sa prochaine séance, les listes mentionnées à l’art. 2. » Il y aura nécessairement des jurys distincts pour les pièces en langue française et pour les compositions en langue flamande... » La classe procède à la nomination des membres des deux jurys mentionnés dans la lettre de M. le Ministre. Les noms seront transmis au Gouvernement par les soins de M. le Secrétaire perpétuel. . eva (765) COMMUNICATIONS ET LECTURES. Examen de la question : Les deux Germanies faisaient-elles partie de la province de la Gaule belgique? par M. Rou- … lez, membre de l’Académie. \ Dans mon Mémoire sur les magistrats romains de la Belgique, publié par l'Académie (1), j'ai admis l'existence de la Germanie inférieure, comme province distincte de la Belgique à partir de Tibère, sinon déjà d’Auguste. Cet écrit lui-même m'a paru renfermer des preuves si nom- breuses et si évidentes de ce fait, que j'ai cru ne pas devoir tenir compte de l'opinion émise, quelque temps aupara- vant, par M. Walckenaer (2), qui rapporte au règne de Dioclétien l'érection en provinces des deux Germanies. L'hypothèse de l’auteur de la Géographie ancienne des Gaules à été réfutée plus tard par M. Poinsignon (5); mais, dans ces dernières années, M. Théodore Mommsen (4) l’a reproduite sous une autre forme, en soutenant que les deux Germanies étaient simplement des diocèses ou districts de la Belgique, soumis, comme frontières militaires, à des commandants particuliers. La grande autorité dont ce (1) Nouveaux Mémoires , t. XVII (1844). (2) Géographie des Gaules , t. Il, pp. 519, 525. (5) Essai sur le nombre et l’origine des provinces romaines , depuis Auguste jusqu’à Dioclétien. Paris, 1846, pp. 26 et suivv. (4) Epigraphische Analecten (aus den Berichten der philologisch- historischen Classe der K. sächsischen Gesellschaft der Wissenschaften 1852), n° 21, p. 230, fT. ( 764 ) savant jouit à juste titre a engagé tout récemment M. Mar- quardt (1) à se rallier à son avis et à rétracter le sentiment contraire qu’il avait adopté dans son Manuel d’antiquités romaines. La question présentant, outre un intérêt géné- ral, un intérêt particulier pour l’histoire et la géographie anciennes de notre pays, je l’ai examinée de nouveau avec plus de soin, et je vais avoir l'honneur de soumettre à la classe le résultat de cet examen. Strabon (2), Pline (5) et Ptolémée (4) divisent la Gaule en quatre provinces, la Narbonnaise, l’Aquitaine, la Cel- tique et la Belgique. Pour eux toute la contrée jusqu’au Rhin est comprise implicitement dans cette dernière pro- vince; du moins Pline (5) et Ptolémée en mentionnent les habitants parmi les peuples de la Belgique. Cependant l'un et l’autre connaissent la division en basse et haute Germanie; Pline applique même le mot provincia à l'une d’elles (6). Mais nous ne devons pas perdre de vue une (1) Zur Statistik der rümischen Provinzen, ein Nachtrag zu Becker- Marquardt, Æandbuch der rümischen Alterthuemer , III , 1. Leipzig, 1854, p. 11. (2) Geog., lib. IV, 51, p. 177 (t. I, p. 252, éd. Coray.) (5) Aist. Nat., IV, 51, 17, sqq. Cf. II, 5, 4. (4) IL, cap. 6, p. 155, ed. Wilberg. Cf. cap. 8, p. 159. (5) Dans le même endroit, le naturaliste romain assigne, par une étrange contradiction, l'Escaut pour frontière à la Belgique (4 Scaldi ad Sequanam Belgica), préoccupé qu'il est de la division ethnographique de César (C£. Ukert, Geogr. der Griechen und Roemer, I1, 2, p. 258), ou plutôt de la division administrative qui existait de son temps. Ailleurs (IV, 28, 15), il prolonge les côtes germaniques également jusqu’à l'Escaut et range la Meuse parmi les fleuves de la Germanie. (6) Piolem., LI, 8, p. 142, l'epuuvix Ÿ xdre — Tepuayio 4 ay2. Plin., XIX, 8, 145. Superioris Germaniae campis, XXX1F, ? (acs) feruntque nuper in Germania provincia repertum. ent Dm 52 P Y ne re ne st ( 765 ) observation faite par Strabon, précisément à propos des Gaules. Les géographes, dit-il, ont à s'occuper principa- lement des divisions physiques et ethnographiques; les divisions administratives ne sont pour eux qu’une chose secondaire, et ils doivent laisser à d’autres le soin de les indiquer avec exactitude. Les divisions sur lesquelles les géographes passent légèrement sont celles qui fixent plus particulièrement l'attention des historiens. Il semble, en conséquence, que, dans une question où elles sont seules en cause, nous devions donner la préférence au témoi- gnage de cette dernière classe d'écrivains. En exposant les changements opérés par Auguste dans l'administration de l'État, Dion Cassius mentionne le par- tage des provinces entre le sénat et l’empereur, et cite au nombre des provinces impériales la Belgique, la Germanie supérieure et la Germanie inférieure; mais la manière dont il s'exprime (1) peut laisser du doute s’il a entendu dire qu’elles formaient trois provinces distinctes ou bien que la première renfermait les deux autres. On ne peut invoquer de plus sûr interprète de la pensée d’un auteur que cet auteur lui-même. Or, dans la suite de son ouvrage, l'historien parle de la Germanie comme d’une province par- ticulière déjà même sous Auguste (2), omettant le plus sou- (1) Lib. LIIE, 12. 2. III, p. 188. Sturz : KeArtixot, a«ÜToi Te koi of droxoi cyy %. 7. À. Cependant, dans les lignes précédentes, pour indiquer que deux contrées sont réunies en une seule province, Dion se sert, trois fois de suite, de la préposition weré, par exemple : BSuyis mer To mpocxemméyou oi Tléyrov. (2) LV, 98. t. II, p. 106 : (sous Auguste) Datou Seyriou rod r%s l'epua- io pyevtoss LNIL, 5. t. IT, p. 518 : (sous Tibère) l'epuayixèy Tfs Tére Depunviss aptes LXT, 92. p. 696 : (sous Caligula) [ Arvrodaoy] rc N'ADPTPAL T4 ( 766 ) vent, à la vérité, de spécifier de laquelle des deux Germanies il veut parler (1). Si, à ses veux, cette division administra- live n’eût pas remonté au partage du premier des empe- reurs, il n’eût pas plus gardé le silence sur le fractionne- ment de la Belgique qu’il ne l’a fait sur celui de l'Afrique (2). Tacite n’a pas eu à parler des changements apportés par Auguste à l’organisation provinciale; mais la séparation des deux Germanies de la Belgique semble pour lui un fait accompli dès le règne de Tibère; car il cite dans di- vers passages (3) des légats-propréteurs placés à la tête de l’une ou de l’autre de ces provinces. On objecte (4), il est vrai, que, dans un autre endroit (5), l'historien, jetant un coup d’œil sur les diverses parties de l'empire, nomme les Gaules, puis, au lieu des Germanies, les armées germani- ques. À mon avis, le choix de cette expression ne prouve l'epuayins du Sreriy GpEayca; LXIII, 24. t. IV, p. 154: (sous Néron) Podgos DE Goes +75 l'epuasiss; LXVII, 11. t. IV, p. 272 : (sous Domitien) "Ayréyioc dE Tis y Tepuavia &pyav ; LXVIIL, 5. t. IV, p. 296 : (sous Domi- tien et Nerva) Zpve Où rfc lepmaios. (1) Il est précis cependant dans deux passages : LXIIT, 17. t. IV, p.122: Très l'epuaoyins dÈ amyotépas ; LXIV, 4. t. IV, p. 155 : BiTéA AY Tic xd To Tepuaviac Gpy0yTo. (2) LIX, 20. t. IT, p. 690 sq. (5) Annal., UT, 41 : (s. Tibère) P’isellius Varro inferioris Germaniae legatus (Cf. Annal. 1, 51); IV, 75 : Quod ubi L. Apronio énferioris Germaniae propraetori cognitum vexilla legionum e superiore PRovIx- cra accivit; XI, 18: (s. Claude) Zt Corbulo PRovincran (inferioris Ger- mañniae) ingressus ; XIII, 55 : (s. Néron) Aelius Gracilis Belgicae legatus deterrendo Veterem (superioris Germaniae legatum) ne legiones alienae provinciae inferret. Ibid. 54: Dubius Avitus accepta a Paulino rro- vincrA (inferioris Germaniae). (4) Mommsen, /. c., p. 251. (5) Æistor. I, 8 et 9. ( 767 ) rien; car, immédiatement après, il nomme également l'ar- .-mée britannique, quoique la Bretagne fût déjà alors réduite en province romaine. Suétone, à son tour, raconte que Galba envoya Vitellius dans la basse Germanie (1) et que, sous Domitien, L. Antonius, gouverneur de la haute Ger- manie, alluma la guerre civile (2). Enfin, nous lisons dans Spartien (5) que Didius Julianus passa du gouvernement de la Belgique au gouvernement de la Dalmatie, puis fut appelé à celui de la Germanie inférieure. A ces témoi- gnages précis des historiens vient se joindre l'autorité im- posante d’une série d'inscriptions consacrées à des légats- propréteurs de la basse ou de la haute Germanie et appartenant les unes au I["°, les autres au IIL"* siècle de notre ère (4). (1) Pitell. c. 7. À Galba in inferiorem Germaniam contra opinio- nem missus est. ” (2) Domit. c. 6. Bellum civile motum est a L. Antonio superioris Germaniae praeside. (5) Did. Jul. Germaniam inferiorem reæit. rior. Zell. Delect. inscr. Rom. 1651. (Sous Antonin Pie) Z. Dasumio.….. Legato Pr. provinciarum Germa- niae superior. et Pannoniae superior. Zell. 1599. Her (Ger)maniue infer….. Praesidi sanctissimo. Lersch, Centralmu- seum , etc., IL, 2. p. 4. C. Popilio Legato imp. Caes. Antonini Aug. Pii Propr. Germaniae super. et exercitus in ea tendentis. Gruter. p. 457, 6. (Sous Sévère et Caracalla) Z. Mario, Maximo, Perpetuo Aureliano…. Leg. Pr. Pr. provinciae Germaniae inferioris item province. Belgicae. Muratori, 1, p. 597, 4. Z. Mario... Pracsidi provinc. Germaniae infer. Tbid, p. 719, 2. L. Calvinianus Leg. Aug. Pr. (pr.) province. (Ger)maniae | infer.]. Lersch, Centralmus., IL, 18. p. 20. (Sous Sévère Alexandre) 7. Flavi Apri Commodiani Legati Aug. Pro= ( 768 ) Mais tous ces légats-propréteurs, dit M. Mommsen (1), sont des -commandants militaires, et, à l’appui de cette assertipn, il produit deux inseriptions, dont l’une men- tionne un legatus propraelore exercilus Germaniae infe- rioris (2); l'autre un legatus propraetore Germaniae supe- rioris et exercitus in ea tendenlis (5). Il faut, selon moi, tirer de ces inscriptions des conclusions tout opposées. Si, par exception, un légat-propréteur se donne comme investi simplement du commandement des légions stationnées dans la basse Germanie, c'est que les autres légats-pro- préteurs de celle province réunissaient, suivant la règle générale, le pouvoir militaire et civil. Quant au person- nage de la seconde inscription, il ne s'annonce aucune- ment comme simple commandant militaire; il se borne à nous apprendre qu'il a sous ses ordres non-seulement les troupes de la Germanie supérieure, mais encore celles qui sont en marche pour se rendre dans cette province. Bien plus, les verbes Xoxei (4), praesidere (5), regere (6), praetore. Trouvée dans les limites de la Germanie inférieure. Lersch, JT, 14, p. 16. C. Caesonio….. imp. Severi Alexandri Leg. Aug. Pr. Praet. German. superioris. Gruter. p. 581, n° 1. (Sans date certaine) Z. Domitio Gallicano Papiniano…….. Prop. pro- vinciae Germaniae inferioris. Gruter, p. 402, G. Cociavio Tidio..… Prisco Leg. consulari province. Germ. superioris. Muratori, t. II, p. 791, 7. (1) L. c. (2) Muratori, p. 765, 2. (5) Gruter. p. 457, 6. (4) Dion Cassius, LVI, 18. t. III, p. 452 : rfv re #yemoyiay Tÿc l'ep- : pavias AaBéoy, oi Ta rap Éneivois Êx Ts dpxfe dom; LXIIL, 17. t. IV, p. 129 : réc l'epuayiag JS auyorépas x) mod aux Ooxyour. (5) Plin. Panegyr. 9 : Cum (Trajanus) Germaniae praesideret. (6) Voy. le passage de Spartien ci-dessus, p. 767, not. 5. Pet ne ne à Re + ( 769 ) dont les auteurs se servent pour exprimer l'exercice des fonctions de nos légats-propréteurs, ont plutôt rapport à l'administration civile qu'à un commandement militaire. Il en faut dire autant du titre de praeses, qui leur est attri- bué plusieurs fois (1). Pouvons-nous admettre que les his- toriens se soient trompés sur le caractère du pouvoir des légats-propréteurs des Germanies, et devons-nous donner raison à deux inscriptions d’un sens au moins très-con- testable contre toutes les autres? On veut encore attacher de l'importance à cette circonstance, que le mot provincia manque plus souvent devant le nom de Germanie que de- vant ceux des autres pays réduits en provinces romaines. Je constaterai, relativement à ce point, que Tacite (2) applique le mot deux fois à la Germanie inférieure et une fois à la Germanie supérieure, et que des inscriptions arrivées jus- qu’à nous et relatives aux Germanies, celles où le mot pro- vincia se trouve ajouté sont plus nombreuses que celles où il fait défaut. D'une autre part, des inscriptions (5) mentionnent des procuraleurs de la Belgique et des deux Germanies. Wale- kenaer (4) y a vu une preuve de l'unité de l’administra- tion civile et financière pour ces trois contrées. On serait tout aussi fondé à prétendre, en s'appuyant de faits ana- (1) Voy. le passage de Suétone ci-dessus, p. 767, not. 1, et les inscrip- tions, ébid., not. 4. (2) Voy. ci-dessus, p. 766, n. 5. (5) Maffei, Mus. V’eron., p. 519, 5. Cf. Bull. de l’Acad. de Brux., 1841, t. VIII, part. 1, p. 195, svv.; Muratori, t. III, p. 1088, 4; Grut. p.575, 1. Cf. Kellermann, Z'igil Rom. lat., p. 57, n° 42; Spon, HMiscellan. erud. ant., p. 148; Bulletins de Acad. de Belgique, t. XIV, part. II, nv 12. C. Mémoire sur les Magist. rom. de la Belgique, p. 39 svv. (4) Ouvr. e., &. IT, p. 519. (710 ) logues, que la Belgique a été réunie administrativement tantôt à l’Aquitaine (1), tantôt à la Lyonnaise (2); mais il est reconnu que les procurateurs envoyés par l'empereur exerçaient leurs fonctions financières souvent dans plu- sieurs provinces. Du reste, nous ne rencontrons des pro- curateurs de la Belgique et des deux Germanies que pour l'époque des Antonins et de leurs successeurs. Pour les temps antérieurs, nous trouvons des procurateurs de la Belgique seule (5), et la perte des noms des procurateurs des Germanies, à la même époque, est, selon toute vrai- semblance, un effet du hasard. Nous ne manquons pas de preuves directes de la sépa- ration de l'administration civile de la Belgique et des deux Germanies. Une inscription (4) mentionne un censor Germ. inferior. ; une autre (5), un envoyé impérial ad census acceptandos per prov. Delgicam. Les opérations du recense- ment se faisaient donc séparément et par des magistrats différents dans la Belgique et dans la Germanie inférieure. L. Vetus, commandant de la haute Germanie, ayant formé le projet d’unir la Moselle à la Saône par un canal, L. Apro- nius, propréteur de la Belgique, poussé par un sentiment de jalousie, l'en empêcha : il ne fonda pas son opposition (1) Muratori, t. Il, p. 917,9 : Proc. Aug. Provinciar. Belg. et Aqui- tanicae. (2) Grut. p. 589, 2, Proc. XX. Hered. per Gallias Lugdunensem et Pelgicam et utramg. Germaniam. (5) Plin., Æist. Nat., VII, 16, 17: Zn filio Cornelii Taciti, equitis Romani Belgicae Galliae rationes procurantis; Tacit., Hist., 1, 12, Pompeii Propinqui procuratoris e Belgica literae afferuntur ; Gruter. p. 516,6, Proc. provinciae Belgicae. (4) Schiassi , Guida al Museo di Bologna , p. 72. (5) Bulletins de l’ Acad. de Belgique, t. XVIX, I° part., n° 10. (771) sur sa qualité de gouverneur civil des deux contrées, dans les attributions duquel rentraient plutôt de tels travaux, mais bien sur la séparation des deux provinces, dont le gouverneur de l’une était sans autorité dans l’autre (1). Les Germanies n'étaient pas seulement indépendantes de la Belgique, elles formaient elles-mêmes des provinces sépa- rées : un individu né dans lune était considéré en droit comme étranger à l’autre et pouvait, en conséquence, y remplir les fonctions d’assesseur (2). Je ne comprends pas qu’en présence de tous ces faits, on se refuse (5) à reconnaître les deux Germanies comme des provinces, dans le sens officiel du mot. Que leur man- quait-il donc pour avoir ce caractère? Leur indépendance était complète; leurs gouverneurs étaient égaux en rang à celui de la Belgique et ne relevaient aucunement de lui. Elles avaient, en outre, une plus grande importance que cette dernière province, puisque Didius Julianus, après avoir gouverné longtemps la Belgique et ensuite la Dal- matie, obtint, sans doute pour récompense de ses services antérieurs, le gouvernement de la basse Germanie (4). En résumé, aussitôt après la conquête, on considéra le Rhin comme la limite naturelle des Gaules de ce côté, et (1) Tacit. Annal., XIII, 55. (2) Digest., lib. I, t. XXII, de offic. assessor., fr. 5 : Si eadem provin- cia, postea divisa, sub duobus praesidibus constituta est, velut Ger- mania, Mysia, eæ altera ortus in altera assidebit nec videtur in sua provincia assedisse. (5) Mommsen, p. 255 : PBeide Germanien waren also im officiellen Sprache-gebrauch kein Provinzen, sondern Regiones oder Dioceses der Provinz. Belgica im weiteren sinn welche, genau wie Africa, unter mehreren von einander unabhängigen Gouverneuren stand. (4) Spartien, Jul. Did., 1. ( 112 ) tous les habitants en decà du fleuve furent rangés parmi les peuples gaulois. Dans la division physique suivie par les géographes et à laquelle ils se sont tenus, les Germanies se trouvent naturellement réunies ou annexées à la Bel- gique; elles y furent probablement comprises aussi dans le principe, sous le rapport administratif, mais à une époque indéterminée, peut-être déjà sous Auguste ou sous Tibère, au plus tard au temps des Antonins, elles en furent détachées et formèrent deux provinces particulières. S'il faut en croire le témoignage de Macer (1), il n’y eut d’abord qu'une seule province de Germanie, partagée ensuite en deux. Dans la pensée du jurisconsulte romain, la sépara- tion à dû avoir lieu avant Trajan; car il cite la Germanie avant la Moesie, et c’est, comme on sait, sous le règne de ce prince au plus tard que cette dernière contrée fut aussi divisée en deux provinces (2). Quoique devenues entière- ment indépendantes de la Belgique, les Germanies ne ces- sèrent pas de faire partie des Gaules; cet état de choses durait encore sous le Bas-Empire; la Notice (3) compte les deux Germanies au nombre des provinces gauloises. (1) Voy. le fragm. du Digeste, cité ci-dessus, p. 771, not. 2. (2) Voy. Becker-Marquardt, Æandbuch der Rom. Alterthümer , NI, 1, p. 106. (5) Motitia dignitatum in partibus Occidentis, cap. HI, N 1, et cap. XXI, (1. (175) M. Augustin Thierry. Notice par M. Kervyn de Letten- hove, correspondant de l’Académie. La tombe s’est fermée, il y a quelques jours à peine, sur l’homme illustre que M. de Chateaubriand appelait l'Homère de l’histoire. Autant la vie de M. Augustin Thierry était calme et silencieuse, autant sa mort à eu un vaste et légitime retentissement. Les hommages les plus éclatants, les plus mérités, ont été rendus à sa mémoire, et en ve- nant m'y associer, je n’invoque d’autres titres que ceux que je dois à un.lien affectueux et reconnaissant. M. Augustin Thierry était l’éloquent représentant de l’école: historique du XIX"° siècle. Il avait commencé comme elle et avait grandi avec elle, ou pour mieux dire, elle avait commencé et grandi en lui. Dans les premières années de la restauration, les passions politiques avaient eu recours, pour combattre la monarchie, à toutes les armes qu’elles trouvaient dans l’arsenal des vieux temps dont elle était la fille et l’héritière. Ce ne fut pas toutefois sans qu'elles y laissassent leur empreinte. Ainsi, dans les Lettres sur l'histoire de France, publiées en 1820, où se révéla à un public encore trop peu instruit pour la com- prendre et l’apprécier, la forte et puissante érudition de M. Augustin Thierry, il suffit que l’auteur rencontre le nom des jurés de la commune, conjurati, pour qu'il ne voie dans les libertés des villes que le résultat uniforme d’une conjuration. S'il retrace en détail l'histoire d’une de ces communes, celle de Cambray, il dépeint comme l'ennemi des bourgeois le saint évêque Lietbert dont le nom, par un divin présage, dit son biographe, signifiait liberté du (774) peuple, et qui mérita que la commune écrivit au pied de ses statues ces mêmes mots : Libertas populi. Dès la pre- mière page, le célèbre épisode de Philippe-Auguste, of- frant sa couronne au plus digne, était présenté comme une légende due à l’unique autorité d’un moine retiré au fond des Vosges; mais tout ce récit se retrouve dans Jean Villani, qui recueillit lui-même, dans les champs de Bou- vines, les détails de ces guerres. Rien ne démontre mieux combien les hommes, animés de passions poliliques, quelque sincère que soit leur conviction, se dérobent difficilement à leur funeste in- fluence qui exclut à la fois la justice et l’impartialité. Mais les passions s’affaiblissent el passent, et chez un esprit loyal et consciencieux, le désir de chercher la vérité, désir qui va toujours s’élevant et se fortiliant plus on s'approche du but, survit à ce que les passions ont de vain et d'éphé- mère. Ces nobles recherches qui se dégagent peu à peu de l'esprit de parti ont créé ces chefs-d'œuvre de l’histoire moderne qui ont pour titre : l'Histoire de la conquéte de l'Angleterre par les Normands; les Récits des temps méro- vingiens ; l’Essai sur l'histoire du tiers état. Il ne m’appartient point de louer cette clarté, cette vi- gueur du récit, ces couleurs vives et presque poétiques qui, grâce à la magie de l’historien, évoquent devant nous, pleines de vie, les générations descendues depuis tant de siècles dans la tombe, et si je me suis arrêté un in- stant sur le travail de transformation dans le système his- torique de M. Augustin Thierry, qui s'accomplit peu à peu, par la science et par la méditation, dans une longue et pénible période de trente-cinq ans, c'est que M. Thierry lui-même aimait à proclamer que, de l'enthousiasme de sa jeunesse pour ce que l’on est convenu d'appeler les idées (77 ) de 1789, il n'avait conservé que la conviction que les seules libertés utiles et durables étaient celles qu'on ne conquérait pas en renversant la Bastille, mais bien au contraire celles qui, se développant de siècle en siècle, selon les besoins, les mœurs et les lumières, couron- nent lentement une longue ère de progrès par des progrès nouveaux. L'histoire bien comprise et bien interprétée ne doit être que le tableau de ce lien qui rend toutes les générations solidaires les unes des autres, en imposant aux dernières le respect vis-à-vis de celles qui les ont précédées. Je parlais tout à l'heure d’une pénible période de trente- cinq années, et personne n'ignore que, sur ces trente- cinq années, M. Augustin Thierry en avait passé trente dans une cécité complète ; mais ces ténèbres mêmes étaient une espèce d’auréole. Tous ceux qu’il voulut bien admettre dans sa retraite de l'avenue des Champs-Élysées ou de la rue du Mont-Parnasse n’oublieront jamais cette parole grave et digne d’où se répandaient à grands flots tous les trésors de la science, plus abondants que jamais depuis que l’illustre historien aimait à placer le nom de Dieu, comme la sanction des agitations et des révolutions du monde, au-dessus des enseignements de l’histoire. Rien n’était plus touchant que sa sérénité, rien n’était plus ad- mirable que sa résignation, et je ne saurais mieux la peindre qu’en citant la lettre qu’un autre aveugle, Jean Milton, adressait à l’Athénien Philaras : Ut in re insana- bili me paro et compono, illudque saepe cogito, cum destinati cuique dies tenebrarum , quod monet sapiens, multi sint, meas tenebras, singulari numinis benignitate, inter otium el studia, vocesque amicorum , mullo esse mitiores. M. Augusuin Thierry avait la dignité du malheur; il ( 776 ) n'én contiut jamais l'orgueil, de même qu’il potta dans ses études le désir d’être utile, et non pas cette vaine ambi- tion de la gloire qui se dérobe toujours à ceux qui la cherchent. | IL s'était imposé à lui-même, dans ces derniers temps, le devoir de soumettre à un vaste travail de révision tout ce qu’il avait écrit, et dans sa ferme volonté de ne chercher que la vérité, il accueillait avec un indulgent empresse- ment toutes les notes qu’il réclamait de ceux-là mêmes qui étaient le moins dignes de venir en aide à sa science. Dans une page de l'Histoire de Flandre (1), j'avais eru pouvoir invoquer contre M. Thierry, au sujet de l'interpré- tation des mots libertas romana conservés dans l’histoire d'une ville d'Alsace, la chronique de Vézelay qu'il con- naissait si bien. M. Thierry revint sur son opinion dans son Histoire du tiers état (2). En même temps, 1l deman- dait à M. Henri Martin de ne pas iusérer dans son Jlistoire de France la lettre de Marcel aux communes de Flandre, qu'il voulait reproduire et commenter lui-même (5). Il y a quelques mois encore, il m'écrivait à plusieurs reprises, lantôt pour me faire part de son intention de retracer la part prise par la Flandre à l'expédition de Guillaume le (1) Ie éd., t. IL. pp. 19 et 20 (note). (2) Comparez les Considérations sur l’Histoire de France, chapitre V, et l'Histoire du tiers état, chapitre I‘ (note). (3) « Nous avions annoncé la reproduction, d’après M. Kervyn de Letten- hove, de la lettre écrite par Marcel, le 11 juillet 1558, aux communes de Flandre; mais, une grande publicité étant assurée à cette pièce importante par l'insertion que M. Augustin Thierry se propose d’en faire dans une nou- velle édition de l'£ssai sur l’histoire du tiers élat, nous ne réimprimerons ici que la première des deux lettres du célèbre prévôt, celle du 11 avril 1558. » (Æisioire de France par M. Henri Martin, 4" édition, . V, p. 565.) (TT ) Conquérant, tantôt pour m’entretenir de l'asile que l'ar- chevêque fugiuif de Cantorbéry avait trouvé près de Phi- lippe d'Alsace, et après avoir rappelé combien le livre I° de l'Histoire de la Conquête qu'il remaniait lui donnait de peine, il ajoutait, en parlant du livre IE : « Je voudrais que, de ce côté, vous eussiez quelque chose à m’apprendre. Si je puis espérer là-dessus une note de vous, je vous prie, Mon- sieur et ami, de la faire à votre aise; je ne suis pas arrivé encore à ce point de mon travail. » Ce point, M. Thierry ne devait jamais l’alteindre; mais il y a dans cette noble détermination de corriger lui-même, aveugle et assiégé de douleurs intolérables, au nom de la vérité, tout ce qu'au- trefois avaient pu lui dicter les passions, un immortel exemple et une leçon qui ne peut être oubliée. Il faut aussi proclamer bien haut que jamais la science n’inspira tant de zèle ni tant de dévouement, et c’est à M. Augus- un Thierry que j’emprunterai quelques lignes admirables écrites 11 y a plus de vingt ans, et auxquelles il est resté fidèle jusqu’à son dernier jour. « Si l'intérêt de la science est compté au nombre des grands intérêts nationaux, j'ai donné à mon pays tout ce que lui donne le soldat mutilé sur le champ de bataille. Quelle que soit la destinée de mes travaux, cet exemple, je l'espère, ne sera pas perdu. Je voudrais qu'il servit à combattre l'espèce d’affaissement moral qui est la maladie de la génération nouvelle, qu’il püt ramener dans le droit chemin de Ja vie quelqu’une de ces âmes énervées qui se plaignent de manquer de foi, qui vont cherchant partout, sans le trouver nulle part, un objet de culte et de dévoue- ment. L'étude sérieuse et calme n'est-elle pas là? Et n’y a-t-il pas en elle un refuge, une espérance, une carrière à la portée de chacun de nous”? Avec elle, on traverse les TOME xxur, — J'° PART. 55 (778) mauvais jours sans en sentir le poids, on se fait à soi- même sa destinée, on use noblement sa vie. Voilà ce que j'ai fait et ce que je ferais encore; si j'avais à recommencer ma route, je prendrais celle qui m'a conduit où je suis. Aveugle et souffrant sans espoir et presque sans relâche, je puis rendre ce témoignage qui, de ma part, ne sera pas suspect : il y a au monde quelque chose qui vaut mieux que les jouissances matérielles, mieux que la for- tune, mieux que la santé elle-même, c'est le dévouement à la science. » (779 ) CLASSE DES BEAUX-ARTS. Séance du 5 juin 1856. M. ALvin, vice-directeur. M. An. QuereLer, secrétaire perpétuel. Sont présents : MM. Alvin, Braemt, F. Fétis, Geefs, Navez, Roelandt, Suys, Van Hasselt, Erin Corr, Jos. Geefs, Snel, Partoes, Baron, Ed. Fétis, De Busscher, membres : Calamata, associé; Balat, correspondant. M. Schayes , membre de la classe des lettres , assiste à la séance. CORRESPONDANCE. M. le Ministre de l’intérieur redemande les panneaux du char de Sainte-Gertrude de Nivelles, qu'il a fait par- venir à l’Académie. Il sera répondu que ces panneaux ont été transmis au ministère de l’intérieur après la dernière séance. M. le comte A. de Beauflort, président de la commis- sion royale des monuments, fait connaître que, confor- mément aux recommandations de l’Académie, le conseil de fabrique de l’église primaire de Nivelles est disposé à faire restaurer complétement le char de Sainte-Gertrude. ( 780 ) « Le train moderne serait remplacé par un train de style de la renaissance, les 24 panneaux seraient peints d'après les anciens panneaux, qui sont tellement ver- moulus qu’il est impossible de les remplacer, bes figures sculptées seraient réparées avec le plus grand soin, puis peintes et dorées, etc. » — Un anonyme demande que l’Académie veuille bien conserver, dans son prochain programme de concours, la question relative à la conservation des peintures à l'huile. Cette demande sera examinée lors de la rédaction du programme. COMMISSION POUR L'HISTOIRE DE L'ART. M. F. Fétis fait connaître que la commission pour l'his- toire de l'art en Belgique s’est réunie avant la séance, et qu'il se propose de signaler à ses confrères quelques-uns des travaux qui lui paraissent les plus utiles à entre- prendre. Il annonce qu'il fera cette communication lors de la prochaine séance. MM. F. Fétis, Van Hasselt, Alvin, Baron, etc., exami- nent successivement quels doivent être la portée des tra- vaux de la commission et le caractère de l'ouvrage qu'il s’agit de publier. M. le vice-directeur demande qu'un nouveau membre soit adjoint à la commission pour la partie de la sculp- ture; M. Edouard Fétis est désigné à cet effet, et complète ainsi la commission, déjà composée de MM. A. Quetelet, président, Van Hasselt, secrétaire, Alvin, Bock, F, Kétis et Schayes. (781 ) COMMUNICATIONS ET LECTURES. M. Ed. Fétis fait observer que, faute de cantate cou- ronnée à exécuter dans la prochaine séance publique du mois de septembre, il conviendrait que la classe des beaux- arts s'occupàt de composer le programme d’une séance entièrement littéraire. Quelques membres appuient cette proposition. M. le Secrétaire perpétuel croit que le manque d’une cantate ne constitue pas un empêchement absolu et ne doit pas priver l’Académie d’une de ses réunions les plus intéressantes, celle où le publie se présente avec le plus d'empressement. Si un poëme couronné fait défaut, on peut choisir avec avantage un morceau saillant composé par un de nos maitres les plus estimés; il pense que per- sonne n'a plus d'autorité et de compétence pour organiser un pareil concert que le savant directeur de notre Con- servaloire. M. le Secrétaire perpétuel est chargé d'écrire au Gou- vernement dans ce sens, afin de savoir s’il est disposé à seconder les vues de l’Académie. ee Les Artistes belges à l'étranger : François Du Quesnoï; par M. Ed. Fétis, membre de l'Académie. François Du Quesnoi est né à Bruxelles en 1594. Son père, sculpteur de quelque mérite, lui enseigna les pre- miers principes du dessin et de la statuaire. Doué d'une de ces organisations privilégiées qui ont en elles leur ( 782 ) force d’impulsion, il n'avait pas besoin d'être stimulé, mais seulement dirigé dans ses études. Peu d'années s’écoulè- rent avant qu'il eût dépassé le point où pouvait le conduire l'expérience de son maître. Celui-ci s'arrêta donc, et le laissa marcher seul dans la route qui conduit aux régions élevées du domaine de Part. Tout allait bien du côté paternel; mais François Du Quesnoïi avait malheureusement une belle-mère, N'est-ce pas plutôt heureusement qu'il faudrait dire ? La marâtre s’'indignait de voir le jeune artiste se livrer à des études, suivant elle, improductives, Que ne se bornait-il à être un laborieux praticien? Il aurait subvenu à ses besoins, au lieu d’être à la charge de son père. Pour garder la paix de la maison, François Du Quesnoi travaillait du ciseau le jour , et passait Ja plus grande partie des nuits à dessiner. Son ardeur pour l'étude s'irritait des obstacles et n’en était que plus vive. C’est en ce sens que nous considérons comme favorable l'opposition qu’il rencontra chez sa belle- mère. Cependant les choses en vinrent à ce point, qu'il fut obligé de quitter la maison paternelle et de chercher dans la pratique de son art des moyens d'existence. Les premiers ouvrages de François Du Quesnoi furent, suivant quelques auteurs, une statue de la Justice pour la chancellerie de Bruxelles, deux anges pour le portail de l’église des Jésuites, un saint Jean pour le château de Tervueren et les figures de la Vérité et de la Justice pour le frontispice de l’hôtel de ville de Hal. D’autres écrivains pensent que ces sculptures lui ont été faussement attri- buées, et qu'il ne laissa dans sa ville natale aucun ouvrage avéré de sa façon. Quoi qu’il en soit, si ce furent là vé- ritablement ses essais ; ils n’offraient qu’un faible indice du développement que prit son talent par la suite. Un ( 785 ) saint Sébastien en ivoire, qu'il avait terminé avec un soin particulier, fut mis sous les yeux de l’archiduc Albert et lui valut la protection de ce prince. On à supposé avec raison que Rubens, habituellement consulté par l’archiduc sur tout ce qui avait rapport aux arts, fut pour quelque chose dans la faveur qu'obtint Du Quesnoi d’être envoyé en Italie, avec une pension dont il devait jouir pendant tout le temps que l'y retiendrait le soin de ses études. D'une part, Rubens savait bien mieux que l’archidue combien le séjour de Rome était utile à un artiste, et surtout à un statuaire; de l’autre, on peut juger par le ton d'intimité qui règne dans sa correspondance avec Du Quesnoi, dont on verra plus loin un spécimen, qu'il avait connu personnellement celui-ci avant son départ des Pays-Bas. Philippe Baert, qui nous a laissé un éloge de Du Quesnoi dont le manuscrit existe à la Bibliothèque royale, s’est trop avancé sur le terrain mouvant de ses conjec- tures, lorsqu'il à cru pouvoir tirer de cette intimité épis- tolaire la conclusion que Rubens avait enseigné à Du Quesnoi les grands principes du dessin, et qu'il l'avait dirigé de ses conseils vers le but élevé proposé à ses efforts. L’intention de celui qui a établi cette hypothèse a été de rattacher plus intimement le grand sculpteur flamand à l'école nationale; mais on est obligé de reconnaître qu'il n’y à aucune analogie entre le dessin de Du Quesnoi et celui de Rubens. Arrivé à Rome, François Du Quesnoi vit s'ouvrir devant lui un monde nouveau. Exempt de préoccupations, grâce aux libéralités de l’archiduc, il s’abandonna sans con- trainte au penchant qui l’entrainait vers les trésors de l'antiquité, dont la soudaine révélation l'avait frappé d’en- ( 784 ) thousiasme. Son premier sentiment, en présence de ces monuments immortels, fut un pénible retour sur lui- même. Plus il contemplait les chefs-d'œuvre des beaux temps de la Grèce, plus il reconnaissait son impuissance à rien produire qui en approchàt. Ce découragement s'em- pare de tous les artistes à imagination vive qui visitent Rome pour la première fois; mais bientôt après leurs forces se relèvent, et une noble émulation succède à l’abatte- ment. Cette période de réaction ne se fit pas attendre chez Du Quesnoi. Il se mit au travail avec une infatigable ardeur, dessinant successivement toutes ces belles statues antiques auxquelles il avait voué un culte passionné, et qu'à vrai dire, on ne peut aimer à demi. Sa résolution fermement arrêtée était de ne rien produire par lui-même, avant d'avoir terminé les études au moyen desquelles il espérait pénétrer le secret de la perfection réalisée par les anciens maîtres. Une circonstance malheureuse vint renverser l’écha- faudage des illusions de lartiste flamand. Peu de temps après son arrivée à Rome, il apprit la mort de l’archidue Albert. Avec son protecteur, il perdait la pension dont il vivait. Dès lors plus de loisirs studieux, plus de tranquilles méditations : il fallut revenir aux choses matérielles de ce monde. Que faire? Les sculpteurs sont nombreux à Rome; comme partout, les plus renommés absorbent les com- mandes d’une certaine importance; les autres végètent, Végéter, c’est tout ce que demandait Du Quesnoi. Il était habitué aux privations ; mais de si peu qu'il se contentät, encore fallait-il qu'il obtint d’être chargé de quelques travaux. Comment le pouvait-il, sans amis influents, sans protecteurs? Modeste, mais fier, il lui répugnait de jouer le rôle de solliciteur. Un seulpteur ou plutôt un entrepre- ( 785 ) neur d'ouvrages de sculptures pour les églises , appelé Claude Lorenese, sachant sa fâcheuse position, lui offrit de l'employer, en attendant mieux, à faire des figures de saints, pour des reliquaires. Il fut obligé d'accepter et se logea chez son patron. Celui-ci le nourrissait mal, le payait peu, et, en revanche, tirait de lui de fort beaux ou- vrages qui lui procuraient de grands profits. Un marchand flamand du nom de Pescator, qui faisait à Rome le commerce des objets d'art, entra un jour dans la boutique de Claude Lorenese pour acheter une statuette en bois qu'il avait vue à l’étalage et dont la beauté l'avait frappé. Apprenant qu’elle était l’œuvre d’un de ses compa- triotes, il voulut en connaitre l’auteur et se fit présenter Du Quesnoi, auquel il commanda une statue en marbre. L'artiste fut très-accommodant sur le prix. Il se sentait heureux de pouvoir quitter un métier où ses facultés s’amoindrissaient , et d'appliquer son talent à de plus dignes objets. Pescator l'avait laissé maître du choix de son sujet. Il fit un groupe de Vénus avec l'Amour, dans lequel il déploya un rare sentiment de la beauté antique. Le succès de ce premier essai lui valut de nouvelles commandes , qui étaient trop peu rétribuées , à la vérité, pour le conduire à la fortune, mais qui avaient l'avantage de lui laisser toute latitude sur la direction qu’il jugeait utile d'imprimer à ses travaux, car il s'était réservé le droit de déterminer lui-même la nature des œuvres dont il en- treprendrait l'exécution. C’est ainsi qu’il fit plusieurs bas- reliefs pour acquérir la pratique de ce genre de sculpture qui a ses règles à part, et qu'il traita par la suite avec une haute supériorité. Il étudiait donc en quelque sorte aux frais du marchand flamand, auquel il abandonnait seu- lement, comme indemnité, les résultats matériels de ses ( 786 ) études. Envisagée de cette manière et avec Pespoir dela voir s'améliorer un jour, sa situation était supportable. Son protecteur intéressé avait plus lieu encore d’être satisfait d’un marché dont les clauses étaient, en effet, principale- ment en sa faveur. Bellori explique très-bien les avantages réciproques que le spéculateur et l'artiste retiraient de leurs rapports, dans ses Vite de pittori, scultori ed archi- tetti, où il a donné une longue notice de Du Quesnoi : « Le marchand Pierre Pescator avait pris, dit-il, KFran- çois en grande affection, comme compatriote d’abord et ensuite pour son talent et ses bonnes qualités, puis, parce qu'il était commode de le satisfaire avec des ca- deaux, ainsi qu'avec une reconnaissance honorable pour ses travaux. Cela mit François à même de jouir souvent de la société des Flamands, ses compatriotes, qui se réu- nissaient dans l’hospice de Saint-Julien. Quoique je fusse fort jeune à cette époque, je me rappelle ly avoir vu souvent. » Ainsi que nous l’apprend Bellori dans le passage qu'on vient de lire, Du Quesnoi voyait à Saint-Julien des Fla- mands ceux de ses compatriotes qui visitaient la ville éter- nelle et qui se rencontraient dans cette maison ouverte aux pèlerins de l’art, comme à ceux de la religion; mais il n'avait pas, depuis son arrivée en Italie, formé de liaison intime. D’après le portrait qu’en ont tracé des contempo- rains, c'était un beau jeune homme blond, aux yeux bleus, au regard doux et spirituel. Son caractère était mélanco- lique et soupçonneux; il ne se plaisait que dans la soli- tude. On ne lui connut qu'un ami; ce fut Nicolas Poussin. Une certaine conformité d'humeur et de situation avait rapproché Poussin et Du Quesnoi; les rapports intimes qui existaient entre leurs idées sur l’art les attachèrent ( 787 ) l'un à l’autre. Le grand artiste qui devait être un jour l'honneur de l’école française, n’avait encore trouvé aucun encouragement à Rome où il vivait dans la gêne, presque dans le besoin, heureux de vendre pour sept ou huit écus romains des tableaux qui se payent aujourd’hui plusieurs milliers de francs. Le sculpteur flamand faisait aussi fort maigre chère du produit de ses ouvrages. Poussin et Du Quesnoi associèrent leurs infortunes et prirent un loge- ment commun. Ils supportèrent dès lors avec plus de patience les rigueurs du sort. Un même désir les animait, celui de parvenir aux sphères les plus élevées de l’art. Leurs entretiens n'avaient pas d'autre objet; leurs efforts n'avaient pas d'autre but. Ils s’aidaient mutuellement à réaliser l'idéal de leurs rêves et oubliaient, tout en étu- diant, les prosaïiques besoins de la vie, auxquels il ne leur était pas , d'ailleurs, toujours facile de satisfaire. L'influence que leur talent a ressentie de cette commu- nauté d'idées et de travaux, a été indiquée par les histo- riens du Poussin. Félibien en parle en ces termes: « Il logeoit (le Poussin) avec cet excellent sculpteur François Du Quesnoy, Flamand. Comme ils étudioient l’un et l’autre d’après les antiques, cela donna lieu à Poussin de modeler et de faire quelques figures de relief, et ne contribua pas peu à rendre François le Flamand plus sçavant dans la sculpture, parce qu'ils mesuroient ensemble toutes les statues antiques et en observoient les proportions. » Ainsi donc , tandis que le Poussin enseignait à Du Quesnoi la grande manière de dessiner dont celui-ci fit une si heu- reuse application dans ses ouvrages, il apprenait de son compagnon l’art de reproduire en relief les beaux modèles antiques dans lesquels il étudiait l'élégance et la pureté de la forme. ( 788 ) C’est à cette époque de la carrière de Du Quesnoi qu'il faut rapporter les réductions des chefs-d'œuvre de la sta- tuaire antique exécutées par notre arliste avec une con- science rare, et dans lesquelles il fit passer toutes les beautés des originaux. Tel était le zèle patient avec lequel il s'acquittait de cette tâche délicate, qu'il ne passa pas moins de six mois à modeler en petit le groupe du Lao- coon. Pour donner une idée de l’estime qu'on faisait à Rome même des copies de Du Quesnoi d’après l'antique, nous dirons que le cardinal Massimi, cité par Bellori comme en possédant plusieurs dans sa collection, paya 400 scudis ou plus de deux mille francs, somme qu’il faudrait tripler aujourd’hui pour en représenter l'équivalent, la réduction du Laocoon. M. Crozat, le célèbre amateur français, n'avait pas réuni moins de soixante-cinq morceaux de notre ar- tiste, parmi lesquels on remarquait un Bacchus, le buste d’Antinoüs, celui d'Horace et la tête du Gladiateur d’après l'antique. Mariette possédait également une belle collection de terres cuites de Du Quesnoi où se trouvaient, entre des œuvres originales d’un haut prix, des copies de l'Herma- phrodite et du torse antique. Bien que notre timide Flamand ne fit aucune démarche pour se procurer les avantages de la publicité, le bruit du succès qu'il obtenait dans la reproduction des modèles antiques se répandit dans Rome. Les artistes, qui connais- saient ses travaux, ne purent lui refuser leurs suffrages et attirèrent sur lui, sans trop le vouloir peut-être, l'attention des amateurs. Le connétable Philippe Colonna fut le pre- mier qui mit la science archéologique de Du Quesnoi à l'épreuve, en lui confiant la restauration de plusieurs sta- tues de sa galerie. Dans le grand nombre d'objets de sculp- De er tit DÉS buné Ÿ à. M d'/ À - {e ( 189 ) ture que faisaient découvrir les fouilles pratiquées dans le sol romain, il s’en trouvait rarement d’intacts. La plupart étaient mutilés et les connaisseurs préféraient les laisser dans cet état, que de les faire réparer par les sculpteurs qui se livraient habituellement à ce genre d'industrie, et qui, n'ayant ni goût, ni connaissance du style des artistes grecs, gâtaient les statues auxquelles il s'agissait de refaire des parties plus ou moins essentielles. Du Quesnoi s’ac- quitta avec autant d'intelligence que d’habileté pratique de la mission que lui avait donnée le connétable. Plein d'un religieux respect pour ces monuments échappés comme par miracle à une complète destruction, 1l s’effor- çait de les rétablir dans leur état primitif qu'une sorte d'intuition lui faisait découvrir. Voici comment Mariette apprécie une de ces ingénieuses restaurations de notre artiste, dans une note accompagnant la description d’un Bacchus antique qui faisait partie de la collection de M. Crozat : « Bacchus, dans cette aimable fleur de l’âge où le corps, ayant achevé de se former, a acquis son en- tière perfection. La figure est debout; son bras est appuyé sur un tronc d'arbre, et elle tient de la main gauche une coupe qu’elle semble vouloir porter à la bouche. Cette statue, qui est de marbre blanc, a 4 pieds de haut. Elle est antique et a appartenu au sieur Girardon, sculpteur célèbre. Il la regardait comme un des plus beaux mor- ceaux de son cabinet. On ne peut assez priser la justesse de ses contours et l’élégance de ses proportions. Il ne res- tait d’entier que la tête et le corps; les bras, les jambes et les cuisses manquaient et ont été ajoutés par François Flamand. Quel restaurateur! Y eut-il jamais un homme qui sût mieux manier le marbre et mettre dans lexpres- sion de la chair plus de vérité et plus de souplesse ? » ( 790 ) Les études d’après l'antique n'étaient pas les seules que Du Quesnoi et Poussin fissent en commun. En visitant la villa Ludovisi, il s'arrêtèrent avec admiration devant un tableau du Titien où sont représentés des enfants qui jouent en se jetant des pommes. A l'aspect de ce chef- d'œuvre qui, depuis lors, est passé en Espagne, nos deux amis eurent une même pensée ; c’est qu’ils voyaient pour la première fois l'enfance rendue avec toutes ses grâces, l'enfance telle qu'elle apparaît aux yeux du poëte et de l'artiste. Tous deux se mirent à étudier avec amour la délicieuse bacchanale du maître vénitien. Du Quesnoi mo- dela ces beaux enfants aux mouvements souples, aux atti- tudes naturelles et variées. Telle est, dit-on, l’origine de sa supériorité, non-seulement sur tous les sculpteurs de son temps, mais sur ceux mêmes de l'antiquité, dans le rendu des formes et des mouvements de l'enfance. Cico- gnara explique fort bien, dans son Histoire de la sculpture, quels sont les caractères distinctifs du talent de Du Ques- noi, dans un genre où, de l’aveu de tous, il n’a point eu de rivaux. L'artiste flamand n’a pas été égalé, dit-il, dans le moelleux des chairs et dans la vérité des attitudes qu'il a su donner aux enfants. Plus qu'aucun autre, il est arrivé à l'expression juste de cet âge. Son ciseau semble jouer en quelque sorte sur le marbre; il exprime la nature sans jamais la forcer; le modelé de ses figures est dans un rap- port exact avec l'anatomie. Suivant le critique italien, Du Quesnoï a évité de prendre les enfants à l’âge où l’allonge- ment des membres donne des proportions plus sveltes et présente plus de difficultés à l'artiste. L'auteur de la Storia della scultura, copiant d’Argen- ville sans le citer, indique les manières diverses dont l’en- fance a été rendue par les plus grands peintres des écoles (791 ) d'Italie. Les enfants de Raphaël se distinguent par la sim- plicité, par la noblesse et par un choix de formes qui les élève pour ainsi dire au-dessus de la nature; ceux du Corége ont dans leurs mouvements une chaleur qui fait pardonner à l'artiste les licences par lesquelles il a obtenu cette grâce animée. Avec un tact dont on ne peut trop le louer, Du Quesnoi comprit qu'il fallait faire un mélange des beautés de Raphaël et de celles du Corége, et il s'in- spira des œuvres du Titien, qui les avait résumées en les complétant l’une par l’autre. Il n’est pas inutile d’ajouter que le statuaire flamand ne fit pas le sacrifice de son ori- ginalité en appliquant à son art le principe développé dans la peinture du maitre vénitien. Du Quesnoi a étudié le Titien, mais il ne l’a pas copié. S'il a envisagé la nature sous le même aspect, il l’a exprimée par des moyens qui lui étaient propres, et l’on peut affirmer que, dans ses sta- tues et dans ses bas-reliefs, où l’enfance est si admirable- ment représentée , la forme ne lui appartient pas moins que la pensée. M. de Hagedorn, au chapitre consacré à la Grâce, dans ses Réflexions sur la peinture, dit, après avoir détaillé les traits caractéristiques de la physionomie des enfants : « Tels folâtraient autour du chevalet de leur père, les enfants de l’Albane, d'après lesquels le Fiamingo et l’AI- garde ont formé les Amours qui ont immortalisé leur ciseau. » L’Algarde s'était, en effet, lié avec Du Quesnoi et Nicolas Poussin. Ajoutant une troisième partie à leur duo sympathique, il était devenu le compagnon de leurs tra- vaux, et, par leurs conseils, il s'était mis à étudier l’art des anciens plus sérieusement qu’il ne l'avait fait jusqu'alors. I conduisit Du Quesnoi chez l’Albane, son ami de longue date. Le peintre bolonais avait une femme charmante et . ( 792 ) douze enfants les plus beaux du monde. Celle-là posait pour ses Vénus; ceux-ci lui fournissaient les modèles des Amours qui servaient de cortége à la déesse de Cythère. Du Quesnoi put dessiner à son aise les gracieux bambini, et cette étude de la belle nature eut au moins autant d’in- fluence sur son talent que celle qu'il avait faite d’après la Bacchanale de la villa Ludovisi. D'où vient que, faits d’après les mêmes types, les enfants de l'Albane et ceux de Du Quesnoi diffèrent entre eux ? C’est que ce dernier, n'étant pas dominé par le sentiment de la tendresse pa- ternelle, rendit la nature telle qu’elle était, au lieu que le peintre s’exagéra à lui-même les grâces de ses chers modèles, et tomba involontairement dans le maniéré. A plusieurs reprises, M. de Hagedorn, dont nous ve- nons de citer quelques lignes relatives à Du Quesnoi, revient sur le mérite du sculpteur flamand : « Veut-on traiter l'enfance ingénue, dit-il, il faut fréquenter l'école de l’Algarde et du Fiamingo », et ailleurs : « L'Algarde et le Fiamingo ont excellé à rendre la beauté des enfants; ce dernier semble même avoir étendu l’art du statuaire par rapport aux figures suspendues en l'air. » Le judicieux auteur des Réflexions sur la peinture n'aurait pas dû citer en celte circonstance l’Algarde en même temps que Du Quesnoi, non que l’Algarde ne fût un habile statuaire, mais parce qu'il n’égala point l'artiste de Bruxelles dans la reproduction des formes de l'enfance. Le passage suivant de Bellori fera connaître l'opinion qu'avaient les Italiens de la perfection apportée par Du Quesnoiï dans le rendu des types gracieux du premier âge : « Tout ce qu'il a fait dans ce gence, dit l’auteur italien, sert de modèle aux professeurs. On trouve de ses statuettes dans les ateliers de beaucoup de peintres et de sculpteurs | È | ( 395 ) de Rome, qui les emploient à leurs études. Enfin quelques grands personnages, comme le cardinal Massimi et le ca- valier del Pozzo conservent dans leurs collections de ses modèles qui excitent une admiration générale. » . Leconnétable Colonna , qui avait commencé, ainsi que nous l'avons dit, par employer Du Quesnoi à la restaura- tion de ses statues antiques, lui fit faire ensuite des mo- dèles d’ornements pour servir à la décoration de son palais. Notre artiste exécuta pour le même personnage une écritoire surmontée d’un groupe de deux enfants dont l’un dormait, la tête appuyée sur un coussin, tandis que l’autre faisait des bulles de savon à l’aide d’un chalumeau. Le connétable voulut encore avoir de Du Quesnoi un spécimen de son talent à traiter la sculpture en ivoire, et en obtint un christ d'environ trois pieds de hauteur, qui fut proclamé le chef-d'œuvre du genre. La sculpture en ivoire, portée chez les anciens à un haut degré de perfection, comme toutes les autres branches des beaux-arts, et dont les artistes du moyen âge, ainsi que ceux de la renaissance ont tiré un si grand parti, n'avait pas, au XVII"* siècle, de représentants plus habiles que les maîtres flamands. Du Quesnoi était le premier entre tous. Rien de plus parfait que ses ivoires sculptés, ceux qui sont véritablement de sa main bien entendu; car les col- lectionneurs et les marchands ont si étrangement abusé de son nom, qu'on aurait une bien fausse idée de son mérite, si l’on en jugeait par la plupart des pièces qui lui sont attribuées. I n’est pas un christ en ivoire, il n’est pas une statuette d'enfant, si médiocre qu'ils soient , que les marchands ou les amateurs ne soutiennent impertur- bablement être de Du Quesnoi. On peut citer, d’ailleurs, des exemples plus singuliers * Tong xx, — ['° parr. 54 ( 794 ) encore de ces fausses attributions mises en avant par igno- rance ou par calcul. Ainsi, Cicognara fait la remarque que les sculptures en ivoire données comme de Michel- Ange sont en si grand nombre, qu’il aurait à peine suffi à les exécuter, lors même qu'il y eût consacré toute sa vie. Or, on met très-sérieusement en doute, et avec grande apparence de raison, que Michel-Ange ait jamais travaillé l'ivoire. Il en est de même de Benvenuto Cellini. On ne doit pas s'étonner, après cela, que Du Quesnoi, qui a incontestablement traité ce genre, et de la manière la plus remarquable, ait à répondre devant la postérité d’une foule de productions auxquelles il n’a jamais mis la main. Tout excès cependant provoque une réaction. On a tant abusé du nom de Du Quesnoi, et les amateurs ont vu si souvent leur crédulité exploitée, qu'ils hésitent devant les œuvres les plus authentiques du sculpteur flamand. Ami des arts, possesseur de l’une des plus riches gale- ries de tableaux et de statues qu'il y eût à Rome, le marquis Vincent Giustiniani voulut ajouter à sa collection plusieurs morceaux de Du Quesnoi dont il avait admiré les travaux faits pour le connétable Colonna. Notre artiste exécuta, à la demande du marquis, plusieurs statues qui furent placées dans le palais Giustiniani et qui ne déparè- rent pas ce splendide musée. Ce furent : une madone en marbre, un Apollon en bronze et un Mercure tourné vers un Amour qui lui ajuste une courroie au pied. Le marquis Giustiniani avait conçu une si grande estime pour le talent de Du Quesnoi que, lorsqu'il fit plus tard graver sa galerie, il chargea notre artiste de fournir aux graveurs une partie des dessins qu'ils devaient reproduire, et de surveiller l’ensemble de la publication. Le connétable Colonna, jugeant le christ en ivoire de ( 795 ) Du Quesnoi digne d’être offert au pape, en fit hommage à Urbain VIIT. Le saint-père apprécia la beauté de ce travail et promit au connétable que l'artiste qu'il protégeait serait employé aux grands travaux entrepris à Saint-Pierre sous la direction du Bernin. En effet, peu de temps après que cet espoir lui eut été donné, Du Quesnoi fut chargé de composer et de modeler les ornements du baldaquin de bronze qu'Urbain VIII faisait élever au-dessus du maitre- autel avec le métal arraché au portique du Panthéon. Les motifs principaux de ces ornements étaient des enfants dans de gracieuses attitudes, reliés entre eux par des guir- landes de feuillage. Ses rivaux furent obligés d’avouer qu’il s'était acquitté de sa tâche avec un talent supérieur; mais ils s’efforcèrent de diminuer son mérite, en faisant remar- quer que cette fois encore il s'agissait de groupes d’en- fants, et en affirmant qu'il ne réussirait jamais dans la reproduction d’autres modèles. Du Quesnoi désirait ardemment de trouver une occasion d'imposer silence à ses détracteurs. Elle ne se fit pas atten- dre. La corporation des boulangers de Rome décida qu’elle ferait la dépense de quatre statues de marbre pour orner l'église de Notre-Dame de Lorette qui lui appartenait. Du Quesnoi obtint la commande de l’une de ces statues, I fit une sainte Suzanne, figure de marbre blanc un peu plus grande que nature. Faut-il dire qu'il y mit tous ses soins, tout son art, toute son âme. Ses efforts ne furent pas sté- riles : ils aboutirent à une œuvre d’une haute valeur, de- vant laquelle la critique envieuse n’avait plus qu’à se taire. Sainte Suzanne est d’une beauté rare, mais d'une beauté chrétienne et empreinte d’un sentiment religieux admira- blement exprimé; l’attitude est simple et noble; les dra- peries sont au-dessus de tout éloge, Les connaisseurs ont ( 796 ) été unanimes à reconnaître les grandes qualités qui bril- lent dans cette production de l'artiste flamand. D’Argen- ville en parle en ces termes : « Bientôt après, Du Quesnoïi travailla à la sainte Suzanne qu'on voit à Notre-Dame de Lorette. Plusieurs années furent employées à faire des modèles d’après nature pour cette statue où il a transmis les véritables beautés de l'antique. Son attitude est noble; elle tient d’une main une palme et de l’autre montre l'autel au peuple vers lequel elle a la tête tournée. Son expression douce et pieuse est celle d’une vierge soumise à Dieu; tout en elle retrace la pudeur et la beauté. On admire surtout la manière dont la draperie est jetée. L'auteur a pris pour modèle l’Uranie, belle figure du Capitole; mais il mit plus de grâce dans la sienne. » Les témoignages des critiques italiens en faveur de l'œuvre de notre artiste ne nous manqueront pas, et certes ils ne sont point suspects, puisque celui dont ils font l'éloge fut le rival du Bernin , rival heureux sous le rap- port du mérite comme statuaire, si ce n’est sous celui de la fortune. « La forme de ses vêtements (ceux de sainte Suzanne), dit Bellori, est une religieuse imitation de l’an- tique. Cette statue est une des plus belles qu'on puisse voir. André Sacchi la tenait en si grande estime qu'il l’a placée dans son tableau réprésentant le miracle de saint Antoine de Padoue, peint pour l’église des Capucins à Rome. » Cicognara ne donne pas une appréciation moins louangeuse de la sainte Suzanne, dans son Histoire de la sculpture : « Du Quesnoi ne fut pas seulement célèbre, dit-il, pour la supériorité avec laquelle il a traité les figures d'enfants. La sainte Suzanne est une des plus belles statues sculptées à Rome dans le XVII" siècle, tant par le modelé du visage et des mains, que par l’excellente dispo- (797) sition des draperies. Un critique anglais (Richardson) a dit, en parlant de la sainte Suzanne, que c’est l'expression la plus forte et la plus touchante de la piété dans une jeune vierge d’une beauté achevée. Ce jugement est confirmé par Fuessli, dans ses notes sur les statues modernes de Rome, recueillies pendant le voyage qu’il fit en Italie à la sollicitation de Winckelmann, et certes ce savant historien et théoricien des arts ne s'est pas, en général, montré favorable à la statuaire moderne. La sainte Suzanne a été comprise par Rossi dans son Choix des plus belles statues antiques et modernes (Rac- colta di statue antiche e moderne). La planche où elle est représentée a été gravée par un artiste flamand, par Robert van Audenaerde, auteur des meilleures estampes de cette collection. - Qui ne croirait que l'élévation du talent dont fit preuve Du Quesnoi, dans sa statue de sainte Suzanne, ne dût aplanir tous les obstacles contre lesquels s'était jusqu'alors débattue vainement sa pauvreté; qui ne croirait qu’à dater de ce moment, on ne recherchàt sa coopération pour les travaux considérables de sculpture qui se faisaient à Rome? Il avait certes assez viclorieusement répondu à ceux qui l'avaient accusé de ne pas savoir traiter les figures en grand. La fortune ne l’en favorisa cependant pas davan- tage, et ce fut son succès même qui lui devint une entrave. Le Bernin était en possession de la faveur du pape; la _ haute direction de tout ce qui concernait les beaux-arts lui avait été confiée. Rien ne se faisait que par lui; aucune décision m'était prise, sans qu'il l’eût suggérée ou du moins approuvée. Jaloux de son influence, il faisait bonne garde pour qu’elle ne reçüt point d'atteinte, et pour qu’au- cun artiste de mérite ne pût s'élever à côté de lui. Il n'avait ( 798 ) pas été, on le pense bien, le dernier à s’apercevoir de la portée du génie de Du Quesnoi, Ses efforts tendirent à écarter celui dont il aurait sufli de quelques encourage- ments pour lui faire un rival dangereux , et il n’y réussit que trop. Il est loin de notre pensée de vouloir, pour exalter le mérite d’un de nos Flamands, réduire au-dessous de sa valeur celui d’un artiste dont la renommée a rempli non-seulement l'Italie, mais l’Europe, Nous savons que le Bernin l’emportait sur Du Quesnoi par l'imagination, par la fécondité, par la hardiesse des conceptions,, par la facilité du travail; mais nous savons aussi qu’il lui était très-inférieur sous le rapport du goûtet de la sévérité du style. Pour s’en convaincre, il suffit de comparer la statue de sainte Bibiane du premier, à celle de sainte Suzanne du second. Toutes deux sont à Rome. Autant il y a de sen- timent religieux, de noblesse, de grâce naturelle dans celle-ci, autant celle-là est forcée d'expression, maniérée, théâtrale même, et plus semblable à l'héroïne d’un drame, qu’à une vierge martyre. Cependant, en dépit de l'influence du Bernin, Du Quesnoi obtint de la cour de Rome une commande impor- tante. Le pape, ayant vu sa sainte Suzanne, voulut qu'il fût chargé de faire l’une des quatre statues colossales des- tinées à remplir les niches des pilastres qui soutiennent la coupole de Saint-Pierre. Du Quesnoi reçut avec joie la nouvelle de la faveur qui lui était accordée par Urbain VIT. Convaincu que du succès de la tentative qu’il allait faire, dépendait la suite de sa carrière, il s'y prépara comme à un effort suprême. Il fallait qu'il réussit pleinement; il le fallait pour justifier l'espoir fondé sur son talent par de bienveillants protec- teurs, et pour déjouer les manœuvres d’une cabale en: ( 799 ) vieuse. Le Bernin avait dit que sa statue colossale serait sans doute un gros enfant. Ce propos lui fut rapporté et l'irrita vivement. La colère est quelquefois, dans les arts, un utile stimulant. Du Quesnoi voulut faire un chef- d'œuvre, ne fût-ce que pour se venger. C’est dans cette disposition d'esprit que notre artiste en- treprit l'exécution de la figure colossale de saint André. Il y eut, parmi les artistes et parmi les amateurs, un grand mouvement de curiosité, lorsqu'on annonça que le modèle de cette statue, terminé en beaucoup moins dé temps qu'on ne s'y serait attendu, d’après la lenteur habituelle de Du Quesnoi, allait être exposé. La foule se porta à Saint- Pierre, le jour où, pour bien juger de son effet, on plaça ce modèle dans la niche que la statue devait remplir. Nous ne soutiendrons pas que les suffrages en faveur de Du Quesnoiï furent unanimes, maïs nous dirons que tous les juges désintéressés se prononcèrent pour lui, et que rien ne manqua à son triomphe, pas même les critiques injuste des jaloux. Du Quesnoi avait donc réussi selon ses espérances dans Faccomplissement de l’œuvre qui devait servir de base à l'édifice de sa fortune. Ne vous hâtez pas de croire néan- moins qu’il ait vaincu la rigueur du sort. De nouvelles et de plus cruelles déceptions que cellés qu'il a éprouvées jusqu'alors vont l’atteindre. El fallait transporter le modèle de la statue de saint André dans l'atelier où devait s’exé- cuter le marbre. Soit fatalité, soit, comme on le supposa, que les ouvriers aient été gagnés par les ennemis de Du Quesnoi, il se trouva que la machine dont on se servit avait été mal ajustée. La statue tomba et se brisa. S'armant de courage, l'artiste refit un nouveau modèle qui fut trouvé supérieur encore au premier. Toutes les précautions furent ( 800 ) prises cette fois pour éviter un accident fortuit ou prémé- dité. On employa cinq années à tailler le marbre que Du Quesnoi termina avec le plus grand soin. Voici la statue entièrement achevée. Il ne s’agit plus que de la placer. C’est alors que surgit un nouvel incident d'une autre nature que le premier ; mais aussi imprévu et presque aussi funeste pour l’infortuné sculpteur, La place que devait occuper le saint André avait été désignée à Du Quesnoi; 1l avait disposé sa figure relativement au jour qu’elle devait recevoir. Au dernier moment; la congréga- tion changea l'ordre primitivement fixé pour l’arrange- ment des statues, et celle de Du Quesnoi occupa la niche précisément opposée à celle qui lai avait été assignée, Elle était done éclairée d’une tout autre manière que ne l'avait voulu l'artiste, et son mouvement n’était plus dans le même rapport avec l’ensemble du monument. Pour comble d’injustice, tandis que les commandes pontificales étaient d'habitude largement payées, on lui marchanda le prix de sa statue, Il ne reçut que trois mille scudis (environ 16,000 francs) qui farent en grande partie absorbés parles frais. Ce ne fut même qu'avec beaucoup de peine qu'il par- vint à faire payer par la congrégation de Saint-Pierre 150 scudis (800 francs) au fondeur qui avait moulé la croix et qui menaçait de le poursuivre. On comprend que de telles injustices aient dû révolter notre artiste. Bellori fait à ce sujet de singulières ré- flexions. « Le Fiamingo, dit-il, exposa ses plaintes avee une aigreur qui ne pouvait que lui nuire. Dans les grandes affaires et avec des ennemis puissants, la dissimulation est une vertu. » Nous ne pouvons blämer Du Quesnoi de n'avoir point pratiqué la vertu vantée par l'écrivain ita- lien. La dissimulation vis-à-vis des ennemis puissants ( 801 ) peut avoir été en honneur dans le pays qui a donné nais- sance à Machiavel; mais elle était incompatible avec la franchise flamande. Du Quesnoi exposa ses griefs avec amertume, Il est vrai que cela ne lui profita guère. Tout ce qu'il obtint fut de Saliéner les dispensateurs des com- mandes oflicielles et de n'avoir plus de ns désormais aux faveurs pontificales. } + Ea statue de saint André se distinguait, comme celle de sainte Suzanne, par la beauté de l’expression et-par la no- blesse du style. Des quatre figures colossales enchâssées dans les pilastres qui soutiennent la coupoledeSaint-Pierre, elle est incontestablement la plus remarquable. C’est une vérité reconnue par tous les critiques qui ont décrit les richesses de la basilique romaineet que les Italiens n’ont pas cherché à dissimuler. Sur ce terrain encore, le Bernin fut vaineu par Du Quesnoi, car sa statue de saint Longin, placée en regard de celle du saint André de ce maître, lui est ‘très-inférieure, de l’aveu de tous: Nous pourrions, comme nous l'avons fait pour la sainte Suzanne, citer de nombreux passages d'écrivains de différentes nations qui rendent hommage à la puissance du talent déployé par Du Quesnoi dans la conception et dans l'exécution de cette belle figure de saint André; mais ce serait nous exposer à des redites. Nous nous bornerons à reproduire la très- judicieuse appréciation qu’en donne l'abbé Ricard , dans sa Description historique et critique de l'Italie : « La statue de saint André, dit l'écrivain français, est traitée avec la pureté de style et la beauté d'expression de l'antique le plus parfait; on y voit la résignation et la joie de lapôtre qui allait au supplice avec une satisfaction dont son cœur était pénétré, parce qu'il était sur le point de se réunir à son divin maître. La draperie est excellente; on peut la ( 802) comparer avec tout ce qu'on connaît de mieux dans ce genre, soit antique, soit moderne. » Il yâurait une lacune dans cette notice, si nous ne trans- crivions pas une lettre adressée par Rubens au sculpteur de Bruxelles, pour le féliciter de l’impression causée par l'apparition de sa statue et des suffrages qu’elle lui avait valus. Cette lettre est précieuse également en ce qu’elle contient l'expression du sentiment personnel de Rubens sur les œuvres de Du Quesnoi. Elle est ainsi conçue : YO VY 7 © 6 L LA M D M EE © D° à VW © me « Jé ne puis vous exprimer les obligations que je vous ai pour les modèles que vous m'avez envoyés, ainsi que pour les plâtres de ces deux enfants admirablés dont vous avez orné l’épithaphe de M. Van Ufflen, dans l’église de l’'Animà. Ce n’est point l’art, c’est la nature même qu'on remarque dans ce marbre ainsi attendri et plein de vie. Que dirai-je des applaudissements universels et bien mérités que vous attire la statue de saint André qu’on vient de découvrir ? Votré gloire et votre célébrité, Monsieur, rejaillissent sur notre nation entière. Si mon âge et une goutte funeste qui mé dévore ne me rete- naient ici, je partirais à l'instant, j'irais admirer de mes propres yeux dés choses si dignes d’admiration ; mais puisque je ne puis me procurér cette satisfaction, j’es- père du moins avoir celle de vous revoir incessamment parmi nous, ét je ne doute pas qué notre chère patrie ne se glorifié un jour des ouvrages dont vous l'aurez enrichie. Plaise au ciel que cela arrivé avant que la mort, qui va bientôt mé fermer les yeux pour jamais, me prive du plaisir inexprimable de contempler les merveilles qu'exécute cette main habile que je baise du plus profond de mon cœur, priant le Seigneur qu'il vous accorde une vie longue et heureuse. » | L | ; 1 | È À ( 803 ) . Du Quesnoi n’a fait que deux grandes statues : sainte Suzanne et saint André. Il semble bien démontré, par les circonstances de sa vie rapportées d’après les biographes italiens, que s’il ne produisit pas plus d'œuvres capitales, c'est que les occasions lui manquèrent, Cependant, sans nier précisément les obstacles que lui opposa l'envie, Ci- cognara attribue principalement au manque de facilité dans le travail la rareté de ses grands ouvrages. « Préoc- eupé de l'idée qu'il devait avant tout s’écarter des tradi- tions du mauvais goût, dit l’auteur que nous citons, il faisait et défaisait sans cesse. De là la froideur des mor- ceaux sortis de ses mains. [l n’était pas doué du génie qui fait faire les grandes choses. Le Bernin avait ce génie; mais son goût n’égalait pas celui du Fiamingo. » Du Ques- noi était, en effet, difficile avec lui-même : pour chaque statue, pour chaque groupe qu'il exécutait, il faisait des études partielles terminées avec le plus grand soin. Sa pensée allait toujours au delà de ce que sa main pou- vait rendre. Il fallait que les amateurs lui arrachassent, pour ainsi dire, les travaux qu’ils lui avaient commandés et auxquels il ne croyait jamais avoir donné le dernier degré de fini. On rapporte qu'un ami le pressant un jour de ne pas pousser plus loin lexécution d’une figure qui lui semblait parfaite : « Vous parlez, ainsi, répondit-il, parce que vous ne voyez pas l'original que j'ai dans la tête, et dont cette copie que vous croyez achevée n’ap- proche pas. » Comme tous les artistes doués d’une imagi- nation poétique, Du Quesnoi poursuivait un idéal qui échappait à ses efforts. La lenteur que lui reproche Ci- cognara, l'indécision signalée par Bellori comme ayant exercé la plus fâcheuse influence sur sa carrière, sont le partage des hommes qui se donnent pour but la perfec+ ( 804 ) tion, et qui, présumant trop de la puissance du génie hu- main, ne savent pas qu'il est une limite devant laquelle l’art doit forcément s'arrêter. N'est-il pas étrange de voir un maitre flamand donner des leçons de goût à l'Italie, et lutter, dans la patrie de Raphaël, pour rappeler au culte de la pureté de la forme les artistes égarés dans la voie d’un style faux et maniéré? Les qualités que nos peintres, nos statuaires, nos graveurs allaient chercher jadis à Rome, Du Quesnoi les y porte et semble en être le seul dépositaire; les défauts qu’on avait l'habitude de leur reprocher, sont maintenant ceux de la nation qui leur avait si longtemps fourni des modèles. C'est là un fait unique dans l'histoire des arts, et sur lequel on a le droit de s'étonner que les biographes du sculpteur de Bruxelles n'aient pas insisté. - Personne n’ignore de quelle importance est; dans l’art statuaire, l'étude sévère du style des draperies. Pour traiter cette partie qu'on ne saurait qualifier d’accessoire, Du Quesnoi s'était inspiré de l’antique. Le noble et simple ajustement de ses figures contrastait avec la confusion des plis formés par les étolfes dont les sculpteurs italiens de son temps chargeaient leurs statues. Falconnet, en com- parant le style des draperies des anciens avec celui des modernes, dit que Du Quesnoi a montré quelles beautés les étoffes larges et jetées de grande manière ajoutent à la sculpture, et il en cite pour preuve la statue de saint André de notre artiste. « Je ne saurais m'empêcher de faire observer, dit également Richardson, dans son Traité de la peinture et de la sculpture, que les draperies de Du Quesnoi sont si belles, qu'elles peuvent être mises en pa- rallèle avec ce qu’il y a de plus beau dans ce genre, tant pour la disposition des plis, que pour la manière dont les ( 505 ) étofles s'appliquent sur les formes du corps qu’elles lais- sent deviner. » Ainsi donc, pour en finir avec les œuvres capitales de notre artiste, il est bon de remarquer que si Du Quesnoi n’a fait que deux grandes statues , elles sont citées comme ce qui a été produit de plus remarquable dans la sculpture da XVIF®* siècle. Nous ne dirons pas avec Cicognara qu’il aurait pu difficilement laisser un plus grand nombre de morceaux considérables à cause de la lenteur de son tra- vail. Il nous paraît plus juste de tenir compte des difficultés qu'il dut rencontrer dans l’exécution des statues de sainte Suzanne et de saint André, dont les proportions différaient tant de celles de ses autres ouvrages , et d'affirmer qu'avec l'expérience qu'il avait acquise, il aurait employé beaucoup moins de temps à modeler, par la suite, des figures de même grandeur, si on lui en avait ensuite fourni l’occasion. Reprenons l’ordre chronologique des travaux de Du Quesnoiï , que nous avons interrompu pour ne pas séparer ses deux œuvres principales auxquelles se rattachaient des observations de même nature, et suivons-le dans les di- verses applications d’un talent qui à fait aussi preuve de fécondité. Nous avons dit que Du Quesnoi était d’un caractère mélancolique. Il à fait avec une sorte de prédilection les sculptures de monuments funéraires où se manifeste un profond sentiment de tristesse, et où la pensée religieuse s'allie à celle de la fragilité humaine. On peut citer comme particulièrement remarquables dans ce genre deux tom- beaux qui se trouvent à Rome dans l’église Santa-Maria dell” Anima. Le premier est celui de l'amateur hollandais Van Ufflen : deux enfants soulèvent un voile qui découvre l'inscription du monument; l’un d'eux, en signe d’aflic- ( 806 ) tion, se cache la figure avec une partie de la draperie et tient à la main une clepsydre qui marque l’heure fatale. L'autre tombeau est celui d'Adrien Vryburg. La disposi- tion est à peu près la même. Deux enfants, modelés comme Du Quesnoi savait le faire, déploïent une draperie sous laquelle apparaissent divers ornements entourant l’in- scription. : Dans l’église Santa-Maria della Pieta in Campo Santo se trouve le tombeau du peintre flamand J. de Hase sur- monté d'une charmante figure de Du Quesnoi. C’est encore un enfant, tenant un mouchoir d’une main et s'appuyant de l’autre sur une torche qu'il éteint. Lalande, en par- lant de cette figure, dans son Voyage en Italie, dit que le caractère en est charmant et qu'on ne pouvait la faire pleurer avec plus de grâce. Pour le tombeau de Pierre Pescator, le marchand flamand dont il a été parlé plus haut, Du Quesnoi fit un médaillon soutenu par deux ché- rubins. Le tombeau de Gaspard de Visscher, dans l'église de PAnima, à Naples, est décoré d’un buste et de deux génies par Du Quesnoi. L'église des Saints-Apôtres , de la même ville, possède un des chefs-d'œuvre du maître. C’est un grand bas-relief qui orne la chapelle du cardinal Filoma- rini, et qui est connu sous le nom du Concert d’anges. Cochin en parle en ces termes : « Il est du plus beau fini et il à toutes les vérités naïves que ce sculpteur a si bien rendues dans les enfants, en quoi il surpasse tous ceux qui en ont fait. » Passeri cite encore les bas-reliefs qui fu- rent faits sur ses dessins pour la famille de Castel-Rodrigo et envoyés en Portugal. Aux morceaux de sculpture religieuse dont nous avons fait mention dans le courant de cette notice, il faut ( 807 ) ajouter, pour compléter cette partie de l'œuvre de notre artiste, un christ en marbre ayant les mains attachées à la colonne, fait pour M. Hesselin, maitre de la chambre aux deniers de Louis XIII; les têtes du Christ et de la Vierge, en argent ciselé, qui faisaient partie de la collection du cardinal François Barberin , ainsi qu’un grand nombre de figures de saints placées dans les chapelles des églises de Rome, et dont quelques-unes, en métaux précieux du plus beau fini, sont exposées aux jours de fête. Pour donner une idée de la variété de ses travaux, nous citerons la masse d'argent du cardinal Montalto, entourée d'enfants et de figures de lions. Bien qu’il fût doué à un haut degré du sentiment reli- gieux, ainsi que le prouvent les ouvrages dont nous ve- nons de donner l’'énumération , Du Quesnoi avait fait une étude trop assidue des monuments de la Grèce et de Rome, pour ne pas traiter d’une manière supérieure les sujets mythologiques. Il y a merveilleusement réussi, en effet, et l’on peut aflirmer que, parmi les sculpteurs mo- dernes, il n’en est aucun qui ait fait preuve d’une aussi grande connaissance de l’antiquité paienne. Ses baccha- nales sont des modèles de grâce et d'esprit. L'un de ses plus beaux ouvrages est un bas-relief tiré de la sixième églogue de Virgile, dont l'original se trouvait dans la célèbre collection du commandeur del Pozzo et dont l’ar- tiste fut obligé de faire plusieurs copies à la sollicitation de grands personnages. C’est une composition tout impré- gnée du génie antique et que Virgile a bien véritablement inspirée, Silène est appuyé contre une vigne, à l'entrée d’une grotte, les veines encore gonflées, suivant sa cou- tume , du vin qu'il avait bu la veille : Inflatum hesterno venas, ut semper , taccho. ( 808 ) De jeunes bergers l’enchainent des débris de ses guir- landes : Dix Injiciunt ipsis ex vincula sertis. Églé, la timide Églé, la plus belle des naïades, lui bar- bouille la figure de jus de müres, pendant que de petits satyres s'efforcent de faire lever de terre sa rustique mon- ture. : Une autre bacchanale de même grandeur et représen- tant des enfants jouant avec une chèvre fut offerte, par le cardinal Barberini, au roi d'Espagne Philippe IL. I est au palais de Madrid, où l’on voit également un autre groupe de Du Quesnoi ayant pour sujet Hercule au berceau étouf- fant le serpent. Notre artiste fit, pour être enchässé dans un meuble du somptueux palais Farnèse, une troisième bacchanale de six enfants jouant avec un bouc. Les figures sont de pierre de touche sur un fond de lapis. Elles sont belles d’ex- pression et de mouvement; mais elles n’ont pas la‘délica- tesse de modelé qu'on admire dans les autres bas-reliefs de Du Quesnoi , à cause de la dureté de la matière. Parmi les objets d'art précieux provenant du cabinet du cardinal de Polignac, dont Frédéric le Grand enrichit ses collections, figurait un bas-relief en marbre, par Du Quesnoi, représentant un concert d'enfants. Ce n’est pas seulement dans ses bacchanales que le sculpteur flamand s'est montré le digne émule des anciens; c'est aussi dans plusieurs figures où , par une prédilection qui se rattachait peut-être à quelque mystère de sa vie intime dont nous n'avons pas le secret, il personnifia le fils de Vénus. Le célèbre amateur EH. Van Ufflen, dont nous avons vu que son ciseau illustra la tombe, avait eu ( 809 ) de lui un Amour en marbre occupé à polir son are. Après la mort du riche Hollandais, les magistrats d'Amsterdam achetèrent 6,000 florins cette charmante figure pour l’of- frir à la princesse d'Orange. L'Amour profane terrassé par l'Amour divin fournit à notre artiste le sujet d'une com- position pleine de grâce où il présenta, sous une forme nouvelle, la pensée déjà exprimée par Annibal Carrache dans une de ses peintures de la galerie Farnèse. Enfin on connaît un troisième Amour de Du Quesnoi. L'enfant malin, qu'on n’a pas sans raison surnommé le maître du monde, décoche une flèche; son regard et son mou- vement indiquent qu'il suit la direction du trait perfide. Ce fut son dernier ouvrage; il mit fort longtemps à le ter- miner, et il fallut que le gentilhomme anglais, qui l'avait commandé, le fit, pour ainsi dire, enlever de force de son atelier. Il passa par la suite dans l'hôtel de Kent. Du Quesnoi faisait admirablement le portrait. Le plus remarquable des bustes que l'on connaisse de lui est celui du cardinal Maurice de Savoie qui le protégeait. C'était, disent les contemporains, un chef-d'œuvre de ressem- blance et de modelé. Lorsqu'on le transporta à Turin, le duc Victor Amédée fit remettre à l'artiste une chaîne d’or avec une médaille à son effigie, pour lui en témoigner sa reconnaissance. Le destin ne se lassait pas de poursuivre Du Quesnoi. Il gravit un jour une échelle pour placer une palme de bronze dans la main de sa statue de sainte Suzanne; le pied lui manque, il tombe et se blesse grièvement; on le transporte chez lui sans connaissance, et un temps assez long s'écoule avant qu'il ne puisse reprendre ses travaux. Son humeur s'aigrit de ces continuelles infortunes, il tombe dans une noire misanthropie, sa santé s’altère et ToME xxu1. — ['° PART. 55 (810 ) sa raison même ne résiste pas complétement aux tour- ments qui l’assiégent. Il sembla se faire une éclaircie dans l'orage de sa vie; mais ce n’était qu’une ruse de la fortune, qui feignait de l'épargner enfin, pour le frapper d’un coup plus inattendu et plus cruel. Dans un des voyages que Poussin avait faits en France, le cardinal de Richelieu l'avait entretenu du désir qu'il avait de relever l’art de la sculpture fort déchu dans la patrie de Jean Gougeon, et lui avait demandé quel serait, suivant lui, l'artiste le plus capable de le seconder dans l'exécution de ce projet. Le grand peintre parla de Du Quesnoi avec tant de chaleur et de conviction , que le choix du cardinal-ministre s'arrêta dès lors sur l'artiste flamand, bien qu'il se fût attendu peut-être à voir Poussin lui re- commander un sculpteur romain ou florentin. M. de Chan- teloup allait partir pour l'Italie, chargé, par Louis XIIT, d'accomplir un vœu que la reine avait fait à Notre-Dame de Lorette, à l'occasion de la naissance du Dauphin. En même temps que celte pieuse ambassade, il reçut une autre mission : ce fut de voir Du Quesnoi à son passage à Rome et de lui transmettre les propositions de la cour de France. Voici en quoi consistaient ces propositions : trois mille livres de traitement, outre le payement deses ou- vrages, le brevet de premier sculpteur du roi, un loge- ment au Louvre et mille écus pour frais de voyage. Arrivé à Paris, Du Quesnoi devait prendre sous sa direction douze jeunes gens qui, leur éducation terminée, formeraient une académie de seulpture. Faut-il dire impression que produisit sur notre artiste ce changement de condition. Il se crut le jouet d’un rêve, la dupe de quelque illusion trompeuse que devait dissiper bientôt le souffle de la réalité. Cependant M. de Chante- ( 8114 ) loup renouvela les offres de son souverain et remit à Du Quesnoi la somme qui lui était allouée pour les dépenses de son voyage. Le moyen que celui-ci doutât encore? Il se mit à faire ses apprets de départ, heureux de quitter une ville où l'avait fixé le désir de profiter des moyens d'étude qu’elle offre aux artistes, mais dont la jalousie de ses rivaux lui avait rendu le séjour insupportable. Au moment où il allait se mettre en route pour la France, il tombe malade. La fièvre l’a saisi et s’est compliquée d’un délire qui oblige à le garder à vue. Sa pauvre tête, affaiblie par tout ce qu'il avait souffert, n’a pu supporter la joie d’une fortune inespérée. Au délire de la fièvre succède un état de stu- peur qui laisse aux médecins peu d’espoir de guérison. Ne sachant plus que faire, ils ordonnent le changement d’air. C’est partout et toujours le grand moyen de la Faculté à bout de ressources. | Du Quesnoi quitta Rome, souffrant et inquiet, car il avait une vague conscience de sa situation morale. Arrivé à Florence, il éprouva le besoin d’un repos de quelques jours. Ainsi que le fait remarquer Bellori, on avait commis une grave imprudence en lui faisant entreprendre un voyage long et fatigant à l’époque des plus grandes chaleurs. En effet, c’est dans les premiers jours de juillet 14642, qu’il arriva à Livourne, où son intention était de s’embar- quer pour un des ports de France. Vain espoir, ses forces s'étaient épuisées; la fièvre le reprit, et après quelques jours de souffrances, il rendit le dernier soupir, sans avoir pu quitter l'Italie où le destin voulait qu’il laissät sa dé- pouille mortelle. Cette dépouille est déposée à Livourne, dans l’église des Cordeliers. Un bruit étrange se répandit en France et dans les Pays-Bas après la mort de Du Quesnoi, fut généralement ( 812 ) accueilli, bien qu’on puisse assurer qu’il n’ait aucun fon- dement, et se trouve consigné dans toutes les biographies : le célèbre artiste aurait été empoisonné par son frère Jérôme, statuaire de mérite, mais homme dissolu , et qui, pour ses déréglements, subit à Gand un supplice emprunté à la législation barbare du moyen âge. S'il fallait en croire les écrivains qui ont reproduit cette fable, Jérôme Du Quesnoi, au moment de mourir, se serait accusé lui-même d’être l’auteur de la mort de son frère. Bellori fait remar- quer qu’on peut fort bien entendre par là qu'il reconnais- sait avoir abrégé les jours de François par les chagrins qu'il lui avait causés. A quoi lui eût servi de commettre ce crime? Les seuls biens que possédät François Du Ques- noi étaient son génie et sa renommée. Jérôme pouvait-il espérer de se les approprier? Il est évident par ce que dit Bellori qu’on ne croyait pas en Italie à l’'empoisonnement du célèbre statuaire; or, on savait beaucoup mieux là que partout ailleurs à quoi s’en tenir sur ce point. Les médecins de Rome qui ont donné leurs soins à Du Quesnoi auraient sans doute reconnu les effets du poison et ne se seraient pas trompés au point de conseiller au patient une simple mesure d'hygiène telle qu'un changement d’air. Cependant, les biographes n’y ont pas regardé de si près, et pour eux François Du Quesnoi est mort empoisonné par son frère. On est allé plus loin dans la voie de l'erreur à l’occasion dela mort de Du Quesnoi. Un écrivain désigna, par igno- rance ou par inadvertance, sous le nom de François, le coupable brûlé à Gand , et d’autres après lui chargèrent la mémoire du grand artiste d’un crime abominable. Florent le Comte s'exprime ainsi à la suite d’une courte notice sur les travaux de François Du Quesnoi : « On lui rend pour son talent toute la justice qu’on lui doit ; mais sa conduite ( 813 ) a été si déréglée, que l’eau n’a pu la nettoyer et qu'à son défaut il a fallu employer l'élément contraire. » Florent le Comte est copié à son tour par plusieurs compilateurs, et voici François Du Quesnoi non pas empoisonné par son frère, mais confondu avec celui-ci et brûlé en son lieu et place. Voulant dissiper les doutes que laissaient dans son esprit les allégations contradictoires des historiens de Du Quesnoï, le savant iconographe français, P. Mariette, écri- vit à M. Eydama, qu'il savait au courant de cette question embrouillée, et en reçut une réponse où les faits relatifs aux deux frères étaient présentés sous leur véritable jour. Cette longue lettre vient d’être donnée dans l’Abecedario de Mariette, publié pour la première fois par MM. de Chen- nevièves et de Montaiglon. Elle se termine par le para- graphe suivant : « Je ne sais par quelle fatalité Sanderus, qui étoit à Gand même, curé aux environs de cette ville dans le temps de l'exécution de Jérôme Quesnoy, et ami de Triest, ait pu avancer que ce fut François qui commit le erime dont il est question et qui en subit la punition. Je ne m'étonne donc plus que tant de compilateurs, tels que Florent le Comte, Audibert, Alstein, Roger nous aient répété la même chose, ni que les trois quarts des Flamands et des Hollandais et la moitié des Français tiennent le fait pour certain. Je sais bien que plusieurs auteurs ont parlé pertinemment de la mort de François Quesnoy; mais tout le monde ne possède pas ces auteurs, et de ceux qui les possèdent ou qui les ont lus, la plupart n’en croient pas moins le contraire de ce qu'ils contiennent, parce que, n'ayant jamais rien vu de détaillé sur la vie et sur la mort de ce Jérôme Quesnoy, ils confondent sans cesse son frère avec lui. Ils savent en gros que François a eu un frère qui ( 814 ) étoit très-habile homme; mais chez eux, pour tous les ouvrages dont l'auteur est un Quesnoy, ce Quesnoy était François, et ce malheureux François étoit un scélérat qui a été brülé ! Ne se trouvera-t-il jamais quelque honnête homme qui désabusera entièrement le public sur cet arti- cle, et tous les honnêtes gens ne pourront-ils enfin admirer les ouvrages d’un artiste célèbre, sans ressentir l’horreur qu'inspirent les abominations prétendues de leur auteur? » Le tombeau de l’évêque Triest, élevé à Gand dans l’église S'-Bavon, est généralement attribué à Jérôme Du Ques- noi. On s'étonne du manque d'ensemble de ce monument dont quelques parties sont d’une beauté achevée, tandis que d’autres laissent fort à désirer. Cette inégalité s'ex- plique parfaitement lorsqu'on sait que l’œuvre n’est pas d'une seule main, et que Jérôme Du Quesnoi n’a fait que compléter le travail commencé par son frère. La lettre de M. Eydama transcrite par Mariette, et dont nous venons de citer un extrait, donne à cet égard les indications les plus précises. En 1642, l'année même de la mort de Fran- çois Du Quesnoi, l’évêque Triest envoya son portrait au célèbre statuaire, en le priant d'exécuter le monument qu'il avait le dessein de s’ériger à S'-Bavon. Du Quesnoi entre- prit cette tâche; mais son départ pour la France ne lui permit pas de l’achever. Il envoya seulement, à l’évêque la statue dont il avait ébauché la tête et deux figures d’en- fants destinés à orner le tombeau. Il reçut du prélat une lettre de félicitation accompagnée d’un présent de cent pistoles d’Espagne. Le soin de compléter le monument fut confié à Jérôme Du Quesnoi, qui termina la statue et fit les parties accessoires. En parlant des deux figures d'enfants qui ornent le tombeau de l’évêque Triest, M. Moke, qui les croit de ( 815 ) Jérôme Du Quesnoi, s'exprime ainsi dans les Splendeurs de l'art en Belgique : « Deux petits génies, placés des deux côtés du tombeau et traités avec amour, captivent davan- tage; ce sont de charmantes figures, les plus enfantines qu’ait jamais conçues l'imagination d’un artiste, et dont tous les contours portent le cachet gracieux de leur âge. » Donné par erreur à Jérôme Du Quesnoi, cet éloge s’ap- plique de lui-même à François, dont la supériorité dans les travaux qui ont pour objet la représentation de l’en- fance est un fait acquis à l’histoire de l’art. Les deux enfants du tombeau de l’évêque Triest sont les seuls ouvrages de François Du Quesnoi que possède la Belgique. La ville de Gand doit s'empresser de les inscrire dans l'inventaire de ses richesses artistiques. La belle statue en marbre blanc représentant la mére des douleurs, placée dans la niche qui surmonte l'autel de la chapelle de Rubens, dans l’église S'-Jacques à Anvers, n'est pas de François Du Quesnoi, comme le prétendent les auteurs des descriptions de cette ville. Suivant les uns, Rubens la rapporta d'Italie; suivant d’autres, Du Quesnoi l’exécuta avant son départ des Pays-Bas. M. Van Hasselt a parfaitement démontré, dans la vie du prince des peintres flamands, la fausseté de ces deux hypothèses. M. Van Lérius en fait voir également le peu de fondement dans sa Notice des œuvres d'art de l’église S'-Jacques et restitue la statue de la Vierge à Luc Fayd’herbe, qui paraît en être le véritable auteur. Plusieurs graveurs nous ont laissé des reproductions des œuvres de Du Quesnoi. On peut citer particulière- ment : le saint André par Van Audenaerde et P. Clouwet. — La sainte Suzanne par Van Audenaerde. — Le Mercure de la galerie Giustiniani par CI, Mellan et par G. Ambling. { 816 ) — Le bas-relief de Silène par G. Vascellini. — Différents groupes d'enfants par Schmidt, A. Bartsch, Rauschmayr, Matham et Pfeiffer. Il existe de nombreux portraits de François Du Quesnoi. Le plus célèbre est celui de Van Dyck, gravé par G. Ede- linck. C’est un chef-d'œuvre. OUVRAGES PRÉSENTÉS. Notice sur Simon Stevin; nouvelle édition; par A. Quetelet. (Extrait de la Biographie Nationale). Bruxelles, 1856; 1 broch. in-4°. Histoire politique du règne de l'empereur Charles-Quint; par le chevalier Marchal. 4e à 7e liv. Bruxelles, 1854-1856; 4 broch. in-8°. Rapports sur les archives de L'État dans les provinces, adressés à M. le Ministre de l'intérieur par M. l'Archiviste général du royaume, pour les années 1853, 1854 et 1855. Bruxelles, 1856; 4 broch. in-8°. Tableau synoptique des archives de l'État dans les provinces, présenté à M. le Ministre de l'intérieur par M. l'Archiviste gé- néral du royaume. Bruxelles, 1856; 1 broch. in-4°. L'instruction des sourds-muets mise à la portée des instituteurs primaires et des parents ; par l'abbé C. Carton. Bruxelles, 1856; 4 vol. in-8°. Description des médailles et des antiquités du cabinet de M. l'abbé H. G***; par J. De Witte. Paris, 1856 ; 1 vol. in-8°. Notice sur les sceaux du chapitre de Sainte- Waudru, à Mons; par M. Renier Chalon. Paris, 1855; 1 broch. in-8°. dé ie ne. ème ts té né én : « ci ( S17 ) Récits historiques belges; par A. Siret. Bruxelles, 1856; 4 vol. in-8°. Essai d'un cours élémentaire de topographie ; par A. Pâque. Liége, 1856; in-4°. Notions générales de paléontologie végétale. Traduit de l'alle- mand du D° M. Seuberi, de Carlsruhe, par A.-P. de Borre. Liége, 4856; 1 broch. in-8. Mémoire sur la vie d'Eugène Jacquet, de Bruxelles: par F. Nève. (Extrait des Mém. des savants étrangers de l’Académie royale de Belgique). Bruxelles, 1856; in-4°. Guide du voyageur en Ardenne, ou excursions d'un touriste belge en Belgique; par Jérôme Pimpurniaux. Bruxelles, 1836; 4 vol. in-12. Spa et ses eaux; par le D' Cutler. Bruxelles, 1856; 1 vol. in-12. Annuaire de l'enseignement moyen pour 1856, présenté à M. le Ministre de l'intérieur, par Fréd. H. VIH année. Bru- xelles, 4856; 4 vol in-16. Schets van Belgies toestand, door L. Vandewalle; — Door- zichtkunde of perspectief, door Ad. Sunaert; — Bedenkeningen op de nederlandsche schilderschoo!, door Eug. Zetternam; — Inleiding tot de kruidkunde, door C.-A. Fredericq. (Uitgaven van het Willems-fonds, n° 12, 14, 15 et 20.) Gand, 1855- 1856; 4 broch. in-8°. Verslag over de werkzaemheden van het bestuer, gedurende het jaer 1855, gedaen in de algemeene vergadering der inteeke- naren den 50 maert 1856. (Willems’- fonds.- 5% jaër). Gand, 4856; 1 broch. in-8°. Annales des travaux publics de Belgique. Tome XIV ; 27° cah. Bruxelles, 1856; 1 broch. in-8°. Revue trimestrielle. 5° à 14% vol. Bruxelles, 1855-1856; 7 vol. in-16. Revue universelle des arts; publiée par M. P. Lacroix. 2° vol. , n% 4 à 4. Bruxelles, 4856 ; 4 broch. in-8°. TOME xxH1, — ['° PART. 56 dde (818 ) Journal historique et littéraire. Tome XXIF, liv. 11 et 12. Tome XXI, liv. 1 à 3. Liége, 1856 ; 5 broch. in-S°. L'ubeille, revue pédagogique pour l'enseignement primaire ; publiée par Th. Braun. 2% année. 17° à 5e liv. Bruxelles, 1836; 5 broch. in-8e0. Annales de médecine vétérinaire, publiées, à Bruxelles, par MM. Delwart, Husson et Thiernesse. V"® année. 44 à 5e ca- hiers; janvier à mai. Bruxelles, 1856; 5 broch. in-8°. Journal de pharmacie, publié par la Société de pharmacie d'Anvers. {2"€ année. Janvier à juin. Anvers, 1856; 6 broch. in-8°. La santé, journal d'hygiène publique et privée. VI" année. N°5 16 à 24. Bruxelles, 1856: 9 feuilles in-4°. L'illustration horticole, rédigée par Ch. Lemaire et publiée par Amb. Verschaffelt. I vol.; 3% à 7m liv. Gand, 1856: 5 broch. in-8°. Codex diplomaticus neerlandicus ; uitgegeven door het histo- risch genootschap gevestigd te Utrecht. I* serie; 3% deel. Utrecht, 1855 ; 1 vol. in-&°. Kronyk van het historich genootschap gevestigd te Utrecht. Illde serie; 45 deel. Utrecht, 1855; 1 vol. in-8°. Flora batava; door wijlen J. Kops, vervolgd door P.-M.-E. Gevers Deijnoot. 179%"? aflevering. Amsterdam, 1856; 1 broch. in-4°. L'Athenaeum français. 5" année. N°5 13 à 26. Paris, 1856; 14 doubles feuilles in-4°. Revue de l'instruction publique. 16° année. N° 1 à 13. Paris, 1856; 13 doubles feuilles in-4°. L'Investigaleur, Journal de l'Institut historique. 22% année. 259me à 958% Jiv. Paris, 1855-1856; 4 broch. in-8°. Revue et magasin de zoologie pure et appliquée; par M. F.-E. Guérin-Méneville. 2% série, tome VII, n°° 1 à 6. Paris, 1856: 6 broch. in-8°. Mémoire sur l'ensilage rationnel, par M. L. Doyère. Paris, 1856; 1 broch. in-8°. ( 819 ) Des végélaux non alimentaires propres à fournir à l'industrie les matières féculentes qu'elle prend dans les substances publiques: par MM. Thibierge et Remilly. Versailles, 1856; in-4°. Moyens de libérer les céréales et la pomme de terre de l'impôt en nature prélevé sur elles par l'industrie; par les mêmes. Ver- sailles, 1856 ; 1 broch. in-8°. Projet d'une hagiographie diocésaine; par M. Yabhé I. Cor- blet. Amiens, 1856 ; 1 broch. in-8°. Extraits originaux d'un manuscrit de Quentin de la Fons, intitulé Histoire particulière de l'église de Saint-Quentin ; publiés pour la première fois, par Ch. Gomart. Tome [*. S'-Quentin. 1854; 4 vol. in-S°. Über die Fortschritte der Industrie und die Vermehrung des Wohlstandes unter den Vülkern; von C.-F.-W. Dieterici. Berlin. 1856; 1 broch. in-4°. Tübinger Universitätschriften aus dem Jahre 1855. Tubingue. 1856; 1 vol. in-4°. Zweites Zuwachsverzeichnis der K. Universitätsbibliothek zu Tübingen. 1854-1855. Tubingue. 1856; 1 broch. in-#. Über Melanose; inaugural- Dissertation von D' V. Bruns. Fubingue, 1848; 1 broch. in-8°. Beschreibung eines Bruchs der Schüdelbasis ; inaugural- Ab- handlung von D' V. Bruns. Tubingen, 1855; 1 broch. in-8°. Ucber die Verbreitung der europäischen Land- und Siüss- wasser- Gasteropoden ; inaugural- Dissertation von D" W. von Rapp vorgelegt von E. von Martens. Tubingue, 1855; ! broch. in 8°. Württembergische naturwissenschaftliche Jahreshefte. VH'"° Jahe., 5° Heft; VIII Jahrg., 1e Heft. — XII Jahr.. iste-9te Heft. Stuttgart, 1835; 4 broch. in-8°. Jahresbericlt des physikalischen Vereins zu Frankfurt am Main, für das Rechnungsjahr 1854-1855. Franefort SM. 1856; 1 broch. in-8°. De symmetria et assymmetria organorum animalitatis, im- ( 820 ) prinus cran. Dissertatio per J.-C.-G. Lucae. Marbourg, 1859; 4 broch. in-4°. Zur versinnlichenden Darstellung der Zeitgleichung; von Riedl von Leuenstern. Vienne, 1856; in-8°. Metodo per trovare quattro radici reali oppure immaginarie di una equazione numerica; per R. von Leuenstern. Rome, 1855 ; in-8°. Rendiconti delle adunanze della R. academia economico- agraria dei Geogofili di Firenze. Anno W. Janvier à juin. Flo- rence, 4856: 6 broch. in-&°. FIN DE LA PREMIÈRE PARTIE DU TOME XXII, L ñ ui [ Li à ù HS 7 #1 qu AN EU N uw enr RATS