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BULLETIN
DE LA
SOCIETE DE GEOGRAPHIE.
Quatrienie Serie*
TOMS XVU.
CO^IPOSITION DU BUREAU DE LA SOClfeXE
POUR 1858-1839.
President.
Vice-Presidents.
Scrntateurs .
Secretaire.
M. le g^n^ral Daiimas, s^naleur.
MM. De la Roolette.
POULAIN DE BoSSAY.
MM. De Quatrefages, de I'lnstitut.
ROI'ILLET.
M. BcissoN.
COMPOSITION DU BUREAU DE LA COJDIISSION CENTRA LE.
POUR 1859.
M. JnM\RD, de I'Insiitut,
President.
Vice-Presidents.
Secretaire general.
Secretaire adjoint.
MM. A. d'Abbadie, corr.de I'lnstitut
C" d'l'^scayr;ic de l.autiire.
E. de Kroidcfoiids des Fargcs.
E. de Proberville.
V. Gu^rin.
Gabriel Lafond.
M.M. D'Avi7AC, Daussy, de I'liislitut.
M. Alfred Mairy, de I'lnstitut.
M. V. A. Malte-Brun,
Section f/c Coriespundance.
MM
De la Roquette.
Ernest Morln.
Nuel des Vergers, corr. de ITost.
Heii.ird.
De Saulcy, de i'lnstitut.
Paulin Talabot.
Section de Publication.
MM. Cortambert.
Demersay.
Ernest Desjardins.
Guigniaut, dc I'lnstitut,
Jacobs.
Lourmand.
MM.
Mauroy.
Morel-Katio.
De Quatrefages, de I'lnstitut.
Scidillol.
Trc^niaux.
Vivien de Saint-Martin.
Section de Coviptabilite.
MM. Albert Mont^mont.
V. A. Barbie du Bocage.
Alex. Bonneau.
MM.
Gamier.
Lcfeb\re-Durufl^.
Poulain de Bossay.
Arcldviste-hihUothecaire,
M.
Tresorier de la Suciete.
M. Meignen, notaire, rue Saint-Honord, 370.
Menibres ad joints.
MM.
Bouillet.
Buisson.
Jules Duval.
Ferd. Fabre.
MM.
Aug. Himly.
Alfed Jacobs.
G. Lejean.
£lis(!e Reclus.
M. Noirot, agent de la Soci^t^, rue Cbristine, 3.
BULLETIN
DE LA
SOCIETE DE GEOGRAPHIE
REDIGE PAR LA SECTION DE PUBLICATION
ET MM. ALFRED MAURY,
SECRETAIRE GENERAL DE LA COMMISSION CENTRALE,
ET
V. . A. MALTE - BRUIV ,
SECRETAIRE ADJOINT.
QUATRIEME SERIE. — TOME DIX-SEPTIEME.
ANNEE 1859.
JANVIER — JUIN.
PARIS,
CHEZ ARTHUS-BERTRAND,
LIBRAIRE DE LA SGClfiTfi DE GfiOGfiAPHIE,
RUE HAUTEFEUILLE, N" 21.
1859.
LISTE DES PRESIDENTS IIONORAIRES DE LA SOCIETE
DEPUIS SA FONDATION.
MM.
Marqnis dc F.aplacf.
Mar()uis dc Pasforkt.
V" de (^HATKAlBftlAND.
C" Chabhol DK VoLVlC.
Bf.coley
B*" Alex, de HusianLDT.
C" ChABROL DK C.ROLSOt..
Baron Gei)r;,'('s CrviER.
B*° IltDK DK NlCUVILI.E.
Due dc DiiUDbAUVlLLE.
J. B. EvRiEs.
Le vice-amiral de Bigny.
MM.
Lecont -amir. d'Uhville.
Due DhXAzES.
Ciiinte (Ic MiiNTALlVET.
baron de BAHANrE.
Lc geiidral baron Pelet.
dUIZOI'.
De Salvandy.
Baron Tupinier.
B;iroii dc 1,as Cases.
VlI.l.F.MAIN.
CiNis Gridaise.
L'umiral baroii Roussin.
MM.
[L'amir. baron dc Mackao
Le vice-aniiral Halgan.
liaroii Walckenaer.
C" Mole.
Jomard.
Dumas.
I-e coulrc-amir. Mathieu.
Le vicc-nmiral La Place.
Hipp. FouToiL.
Lefebvre Duni'FLE.
GuiG^IAUT.
Daussy.
LISTE DES CORRESPONDAISTS ETRANGERS
dans L'ORDRE PE I.El'R NOMINATION.
MM,
H. S. Tanner, h Philadclphic.
W WooDBRiDGE, a Boston.
Le general Edward Sabine, h Londrcs.
Le doctour J. Kichakpson, i Londrcs.
Le profcsscur Rafn, ii Copeuhaguc.
W. AiNswoiiTii, h Londrcs.
Le colonel Long, h I onlsville. Ky.
Le capitaine Maconochh:, h Sydney.
Le CdiisciUcr Macepo, a 1 i>bonne.
Le profcsscur Karl UirrEu, a Berlin.
Le cap. John Washington, a Londrcs.
P. DE Angelis, ;i BiK^nosAyrcs.
Le docieur Kriegk, a Francfort.
Adolphe EiiMAN.i Berlin.
Le.doitcur Wappais. a Goettinguc.
Ferdinand dk Lit.a, h Nai)les.
Le doclcnr Baiuffi, a Turin.
Le colonel Fr. Coello, i Madrid.
MM.
Le profcsscur Munch, a Christiania.
Leg^n. C'°A. de la Marmora, a Turin.
Le profess. Paul Chaix, h (ien^vc.
J. S. Abert, colonel dcsingenicurs to-
pouraphes des Etals-Uiiis.
Le profess Alex. B'e des nations civil isees dn Mexiqne
et de C Aincvique centrale, dont M. I'abb^ Brasseur de
Bourhourg vient de faire paraiti-e le 4' et dernier vo-
lume. Mais il eut fallu que cet estimable et conscien-
cieux missionnaire eut rencontr6 un appui qui lui a fait
mallieureusement d6faut. On se plaint parfois de ce
que nos apotres de I'l^vangile ne t^moignent pas pour
les progr^s de la geographic, cette m6me intelligence,
cette meme ardeur qu'on trouve chez les mission-
naires en Angleterre, en Allemagne et aux l^tats-Unis.
Et quand, par exception, un missionnaire francais, tel
que M. rabb6 Brasseur, se d6voue k la science et la
sert sous I'^tendard de la croix, on I'abandonne k ses
propres forces, et on n'a pour ses eflbrts qu'indifl"6rence
ou ingratitude. Le livre de M. Brasseur n'est pas k
I'abi'i des critiques, j'en conviens, mais son zde eut
m6rit6 des protecteurs puissants et un patronage qui,
au dela de la Manche, ne manque pas ci ses 6mules.
Les antiquit^s am6ricaines ne sont encore que bien
imparfaitement explor6es ; leur 6tude nous promet une
mine f6conde pour Thistoire et I'elhnologie. Le grand
probl6me du peupleniciil dn nouveau monde recevra
sa solution naturelle, quand I'histoire des anciennes tri-
bus indigenes sera mieux connue. Cette liistoire n'in-
t6resse done pas seulement les Am^ricains, et elle
trouve en Europe des amis et des pionniers. Nous
voyonsun symptOme significatif de I'attraitqu'ontpour
(23)
nous les antiquit^s am^ricaines dans ia creation d'une
revue sp6cialement destin6e a leur recherche. LsifuH>iie
ninericaine et orienlale, que vient de fonder M. L. de
Rosny, parait sous les plus heureux auspices, et elle
s'est, dfes le d6but, assure du concours d'ethnologistes
et d'orientalistes distingu6s. Car, dans la pens^e qu'il
faut chercher en Asie les origines des populations du
nouveau monde, le fondateur de celte revue accorde
aux travaux d'ethnologie et de linguistique orientale
une place pr6s de ceux qui ont I'Am^rique pour objet.
Je citerai plus particuliferement la notice sur un ancien
manuscrit am6ricain, antt^rieur a Colooib, que M. Jos6
Perez a ins6r6e dans le premier num^ro du recueil, Le
second num6ro renferme sur les d^couvertes des Scan-
dinavesen Am6rique, un travail estimable de M.E. Beau-
vois, et des 6tudes sur la constitution du nouveau
monde et sur les origines am^ricaines, par M. Ch. de
Labarthe.
Le Texas est assur6ment une des contr^es les plus
import antes a etudier pour I'avenir de la colonisation
europ6enne. Situ6 a la liuiite des terres 6quinoxiales
et de la zone temp6r6e, dot6 de ressources de toute
espfece, qtiemettra bientot h profit une Industrie intel-
ligente, cetEtat ne demande qu'a etre mieux connu et
mieux d6crit. Aussi, depuis que les fr^res Austin sont
venus fonder dans le Texas les premiers etablissements
anglo-americains , c'est-^-dire depuis 1820, le pays
a-t-il totalement change de face. De la I'int^ret particu-
lier qui s' attache au livre de M. Tabbed Domenech ; ce
missionnaire raconte ses travaux apostoliques avec une
V(^rit6 de coloris, une vivacit6 de langage qui rappellent
( 2/i )
le style du regrettable M. de Beliiiare. Un ^gal interet
se retrouve dans la notice que M. J. de C4ordova acon-
sacr6 au meme pays, et qui est dostin6e k acconipa-
gner la nouvelle carte du Texas dress6e par lui.
La Californie 6tait, il y a quelqnes ann6es, le point
de mire de toutes les entreprises hardies et I'esp^rance
d'une foule d'explorateurs et d'aventuriers. Aussi les
bords du San-Francisco se sont-ils promptcment peu-
pl6s. Les navires de commerce s'y pressent par milliers,
et cette navigation active rend indispensable un relev6
iiydrograpliique complet de la cote. Tel est le travail
qua entrcprisM. J. G. Kohl (de Washington), etdont
le Journal )
Biinrips. C'est i\ qnelqups millos an dela. quo s'arrt'te la
relation de M. Swinden ; il serail difficile do la suivre,
sans une carte detaill^e sous les yenx.
En 1856, M. le capitaine Chinmo, de la TorcJie a
explort'' toute la cote du golfe de Carpentarie, et nous
devons a M. le capitaine Legras la traduction de la re-
lation, dont I'original a paru dans le Nautical Maga-
ziii'\ M. Chinmo a rectifi6 la position de divers points
indiqu^s par ses devanciers ; il a relev6 les iles Bailey,
Pentecote, Palm, et ajout6 a Texcellente carte du capi-
taine Blackwood 1' indication des rivieres Mac-Leay,
Clarence el Manning , qui n'avaient point 6t6 port^es
sur les cartes; il a controle I'itin^raire du capitaine
Stakes, bravant les dangers d'une navigation encore
dilFicile , bien que singuli^rement simplifi6e , par les
relev6s hydrographiques ; aussi les navires qui ])assent
le d6troit de Torres sont aujourd'hui fort nonibreux.
Le cap York, en particulier, demeure d'une recon-
naissance perilleuse. Son aspect singulier I'annonce
au loin. Quand on apercoit, flit VI. Chinmo, ses
petits monies d'argile rouge de 30 metres de liaut, on
croirait voir de loin un assemblage de tentes. Enfin,
M. Chinmo visita file Booby, le 17 juillet 1 856, et releva
le reste de la cote. La premiere partie de la relation
de rofficier anglais a seule 6te publico.
Ces voyages, outre qu'ils ouvrent un champ innnciise
a la culture, permettront aussi d'6tudier plus a fond la
geologic du continent australien , dont nous poss6dons
d6ja les premieres donn^es.
Dans I'expedition tent6e aunord, un naturaliste dis-
tingue , M. James S. Wilson , a recueilli les ^Ic'^ments
( 37 )
d'une bonne description physique de lac6tenord-ouest
et Quest, depuis la pointe du golfe de Carpentarie jus-
qu'au cap Leeuwin. Le sol, d'une altitude moyenne de
.1 600 pieds anglais , appartient g6n6ralement a la p6-
riode carboniftre. Au nord, il est couvert d'un gazon
plus varie qu'abondant; nulle part, en eifet, la v^g6-
tation naine n'apparait si riche. De nombreux arbres
a fruit alternent avec difl'6rentes petites esp^ces d'eu-
calyptus. Les quadrupedes sont, dans cette partie
de I'Australie , les memes que dans le midi du conti-
nent ; mais les oiseaux different, Des bandes innom-
brables de chauves-souris obscurcissent parfoisjusqu'^
un mille de distance Fair qu'elles empestent de leur
odeur musqu6e, ou accablent les arbres du poicis de
leurs corps 6nornies. Les eaux sont habitues par plusieurs
int^ressantes espfeces de poissons : I'une fait aux mou-
ches une chasse active, en lancant sur elles des gouttes
d'eau qui les font tomberdans la riviere; d'autres exe-
cutent par-dessus le sable et les rochers des bonds in-
croyables. Cependantl'esjD^ce huuiaine est clair-sem6e
dans ces regions , ou la vie animale s'est si largement
d^velopp^e. Les indigenes sont de la meme race que
celle qui habite le sud ; ils n'elevent pas de huttes,
et se tiennent sous des berceaux de branchages. Quel-
ques tribus savent construire au sonmiet des mon-
tagnes des demeures en pierre, circulaires. L'usage des
canots est partout inconnu. Veulent-ils traverser une
riviere , ces sauvages se placent sur un morceau de
bois qu'ils font flotter, ou bien , comme au golfe de
Carpentarie , ils construisent avec des fascines des
especes de radeaux. On retrouve cliez eux l'usage de
s'arraclier deux des incisives sup^rieures.
( S8 )
On le voit, la g^ographie physique de 1' Ausiralie pr6-
sente \m grand int6ret : elle in6rite d'etre 6tudi6e en
detail, et ])eat-6tre est-il prematura d'en tenter un ta-
bleau coniplet. Cependant , un premier essai de gene-
ralisation a Tavantage d'indiqiier ce qui reste encore
a faire , et nous applaudirons , dans cette pens6e , au
travail que M. George AN indsor Earl a consigne dans
le Jonnuil (le rarcltipel Indien. Un des derniers nuui6-
ros qui nous sont paiTenus renferme , sur les plateaux
sous-marins de cette partie du monde, uue notice inl6-
ressante od M. Earl a indique la hauteur et la direc-
tion des pics volcaniques dontla ligne s'6tend dumont
Ophir a la p^ninsule australienne d'Aniheim.
Je vous ai entretenus I'annee dernifere , Messieurs,
du projet d' expedition h la Nouvelle-Guinee forme
par le gouvernement hollandais. Le navire a vapeur
CEtna a debarque dans le havre de Dorei, au nord-est
de la grande bale de Geelvink , un corps de troupes
charge de proteger les membres de rexpcdilion. On
doit elever sur ce point, dont les Hollandais ont pris
possession depuisun siede etdemi, un fortqu'occupera
une garnison, tandis que I'expedition s'avancera dans
I'interieur. Nous sommes heureux de rencontrer, pour
I'accomplissement de cette ceuvre iniportante , des
hommes aussi distingues que le naturaliste H. Zollin-
ger, I'ingenieur Limburg-Brouvver et les astronomes
Delange et Oudemans.
Les recherches des nouveaux explorateurs compie-
teront et rcctifieront peut-clre en partie les informa-
tions cuvieuses dont , a plusieurs reprises , nous avons
etc rcdevables au savoir de M. Salomon Miiller. Celte
annee encore , la Societe geographiquc de Londres
( 59 )
s'enrichissait d'une communication de cet habile natu-
raliste. Nous y apprenons que la cote occidentale de la
Nouvelle-Guinee est un vaste desert boise ; que le pro-
montoire sud-ouest, jusqu'au 135° 30' de longit. E.
Greenwich, constitue un plateau d'une argile grisatre,
inteiTompue 9a et la par des roches calcaires et quart-
zeuses. Plus k Test pr6domine un sable blanc mel6 de
quartz. Cette composition annonce des terrains juras-
siques, mais les bancs de la riviere Timbona sent for-
mes par des couches tertiaires.
A I'occasion de ces details int6ressant,s, M. J. Craw-
furd a fait remarquer que la Nouvelle-Guin6e est,
aprfes Borneo, la plus grande ile de I'univers; I'Aus-
tralie devant etre regard^e comme un continent. Et
cependant la population en est, a ce qu'il semble,
notablement inferieure a celle de I'ile Bali, dont la
superficie n'en I'epr^sente que la cent vingti6me par-
tie et qui renferme 900 000 ames. Au reste, le savant
voyageur anglais croit que 1' exploration de la Nou-
velle-Guin6e int^resse plus la science que la pros-
p6rit6 materielle de I'Europe. II augure peu de son
avenir commercial ; car, dit-il , except6 la muscade ,
cette ile ne produitque fort peu d' articles utiles k nos
besoins. C'est la patrie par excellence des oiseaux de
paradis, dont on y rencontre cinq ou six esp^ces : c'est
celle du pigeon couronne, I'un des botes les plus 616-
gants des airs enAsie. M. Crawfurd est d' opinion qu'il
n'existe qu'une seule race d'hommes a la Nouvelle-
Guinee, les Papous, ou mieux les Poun'a-poinva, c'est-
a-dire les hommes aux cheveux fris6s. Mais tel u'est
pas I'avis de M. S. xMiiller, qui distingue la population
des montagnes de celle de la c6te : la premiere 6ner-
gique , robuste et menaiit une vie s6dentaire ; la se-
conde essentiellement nouiade.
L' expedition hollandaise aura done ii decider plu-
sieurs questions iniportantes encore en litige. Dans la
memer<5gion du globe, il est d'autres lies qui ont acquis,
depuis quelques annees, inie triste c616brite ; je veux
parler des lies Ari'uu , repaire d'incorrigibles pirates
qu'onl du plusieurs fois chatier les niarins des Etats
europ6ens. Un Anglais deja connu par un int^ressant
voyage sur I'Amazone, M. Alfred R. \\ allace, a reside
six niois dans ces iles. En d6pit des pirates qui infes-
taient leurs cotes , il a recueilli sur cet arcliipel inte-
ressant des informations qui ne man([uent pas de nou-
veaute. Le groupe des Arrou est forme , nous dit-il ,
d'une lie centrale, autour de hujuelle sont en quelque
sorte distribuees un grand nonibre de plus petites.
Cette lie centrale , appelee par les habitants Ta/ma
Busar, c'esta-dire /a grande ile, pr6sente une longueur
d'environ 80 milles du nord au sud , et 50 de Test a
I'ouest. Dans cette derniere direction, elle est travers^e
par trois larges rivieres qui la divisent en quatre par-
tics. Tanna Busar est sans doute, comme on I'admet,
un pays bas, mais elle est loin, selon M. AVallace, d'etre
aussi plate et aussi marecageuse qu'on I'avait avanc6.
La plus grande partie de son sol est au contraire form6e
de coUines rocheuses , pr(^sentant des escarpements ci
pic, et separees par d'etroits ravins. Lo iiombre des
lies secondaires s'el^ve a plusieurs centaines. A I'ouest,
ouelles sont moins multipliees,AVamma et Poulo-liabi
fbrment los principales. A rextremidl' nord-oucst , on
( H )
trouve Ougia et Wassia, qui constitue le point le plus
aA'anc6 au nord-ouest. A Test et au sud, se d6ronle, a
une distance moyenne de 15 a 20 milles de Tanna-
Busar, une cliaine continue d'ilots coralligenes , ou se
peclie a prolusion la nacre de perle. Toutes ces iles
sont couvertes de forets epaisses et elev^es. L'origine
des Arrou parait etre la meme que celle de presque to us
les archipels de la Polynesie. Ce sont des pics de vol-
cans, a I'entour desquels des r6cifs de corail ont, en
s'anjoncelant, donne naissance a des ilots qui se sont
unis au noyau volcanique. Toutefois , la formation de
ces iles donne lieu , pour les dt^tails , a des diflicult^s
que M. ^^'allace examine, mais que nous ne rappelle-
rons pas ici. Ces diflicult6s memes conduisent le voya-
geur anglais a supposer que les iles Arrou auraient pu
avoir 6t6, dans le principe, reunies ala Nouvelle-Guin6e,
dont deux rivieres, I'Utanata et le A\ akua, correspon-
dent, quant a leur direction, aux cours d'eau oularges ca-
naux qui coupent Tanna -Busar. A I'appui de cette liypo-
tliese,M. AVallacelait observer quelafaune des Arrou
est la meme que celle de la Nouvelle-Guinee ; mais il
est a remarquer que cette faune t'lant toute ornitho-
logique, 1' identity des especes devient beaucoup moins
significative. Toutefois, quelques-uns de ces oiseaux ,
tels que le casoar, ne saui-aient traverser les airs ; et il
est a noter que le grand oiseau de paradis, commun a la
Nouvelle-Guinee et aux iles Arrou, ne se retrouve pas
aux iles Ke et Coram , beaucoup plus rapprocJK^es de
la premiere ile que ces dernieres.
L' ensemble de la population des Anou appartienl ;i la
race papoue. Mais il y a eu cntre cette race et les IMalais
de si nombreux melanges, qu'oii y rencontre toutes les
( /i2 )
nuances interm^diaires entre les deux populations, d'lin
type pourtant fort distinct. Les Papous ont la peau
noire, la taille elevt^e, le corps bien d6coupl6 ; les Ma-
lais sont plus petits et ont le teint plus clair. Leur carac-
t6re est aussi different : ils sont plus ri^serves, plus apa-
tbiques que lesMalais; mais ils parlentplus baut, rient
davantage, et constituent en somme une population plus
enjouee que leurs a oisins. L'arc est I'arme nationale des
insulaires des Arrou; ils le manient avec une incroyable
adresse, faisant tomber sous leurs fl^cbes cochons sau-
vages, kangourous, casoars, etles innombrables oiseavuc
qui babitent leurs forets. Ils cultivent les ignames, les
patates donees et une foule de racines, d'ou ils tirent
une f6cule nourrissante. La rocbe coralligfene, en se
d6litant, donne naissance a un terreau abondant, oil
croit la plus belle esp6ce de canne h sucre, qui fournit
aux indigenes un uiasticatoire recbercbe. Le nombre
de langues parl6es aux iles Arrou est prodigieux, mais
ce nc sont que des dialectes d'un meuie idionie.
Les Hollandais ont port6 en plusieurs points de ces
iles un conuuencement de civilisation. Des ecoles sont
etablies k Wamnia, Wokan et Maykor. M. Crawfurd
estinie la population de cet arcbipel a 80 000 ames. 11
fail reniarquer que le nom qui lui est donn6 (Arrou)
est en Malais, celui du CasuaHnd nuincaia. Le climat
des Arrou pr6sente des anomalies curieuses, et les
moussons ne s'y r^glent pas de la meme fa^on qu'aux
Moluques : octobre et novembre sont les deux seuls
mois de secberesse , tandis que la meme 6poque est
marquee dans les arcbipels voisins par les cliange-
mcnls de mousson.
La nouveautu des fails observes par U. Wallace m'a
(A3)
entrain6 un pen loin et ne me laisse gu6re d'espace pour
vous parler du reste de I'Oc^anie. II est vrai que j'ai
peu de choses a vous en dire , si j'en excepte les tra-
vaux de quelques missionnaires et les informations re-
cueillies par des marins. M. Paul Reina, que son d6-
vouement apostolique avait conduit dans les lies Rook,
situ6es non loin de la Nouvelle-Guin^e, a 6t6 a meme
d'6tuclier les mceurs des insulaires et de recueillir, sur
I'archipel et meme sur la Nouvelle-Guin6e, des notes
qui ne sont pas d^pourvues d'int6ret. On retrouve aux
iles Rook a peu prfes les memes mceurs que chez les
indigenes de la Polyn^sie. Une softe de circonci-
sion (1) , difr6 rente de celle que pratiquent les Arabes
et les Juifs, y est en usage, et doit etre regard6e
comme un indice de la parents qui rattache les indi-
genes aux populations australiennes.
Une lettre du P. Poupinel, religieux mariste, sur la
Nouvelle-Cal^donie , a 6t6 publiee par les Annales de
la Propaiiation de la fol (juillet 1858); je n'y rencontre
que peu d' informations nouvelles. Le P. Poupinel a
visits les 6tablissements de Port-de-France, de la Con-
ception, dePoebo et de Balade. II en a trouv6 les mis-
sions florissantes. Les habitants de la Nouvelle-Cal6-
donie sont plus laborieux que les autres insulaires des
tropiques. Dou6s d'un vrai talent pour les irrigations,
ils savent faire monter I'eau sur les collines, afin d'ar-
roser leurs plantations, et trafiquent deja avec les
Strangers. Le P. Poupinel a assist^ a une fete et i un
repas fun^bre, dont il donue une int^ressante des-
(1) XeilschrifL fur allgemeine Erdkunde. Berlin, mai 1858.
( bh)
cription. «Lorsqu'ur)C peuplatlo trouvc que son chef
est trop vieux, 6crit-il, el n'a plus assez d' activity, de
force poiii' la guerre, on le prie de renoncer k son au-
torit6 etde la reniettre a son Ills. Mais conime il pour-
rait elre tent6 de ressaisir le pouvoir et troubler ainsi
la pai\ do la tribu,iln'est pas rarequ'on fasseaussitot
Ics preparalifs de sa fete et qu'on lui donne la mort. »
((Lgs colons francais, ajoute ailleurs le P. Poupinel,
uuiil giiLTC rcussi jusqu'a present, et plusieurs ont 6t6
victinies de la ferocity des habitants, Mais les choses
paraissent devoir changer, grace ti 1' attitude energique
de nos uiarins. »
Nous trouvons dans la Rei^iw coloniale d'autres de-
tails sur les colonies de I'Oceanie. M. le lieutenant de
vaisseau Jouan a fait paraitre dans ce recueil une des-
cription complete de I'archipel des IMarquises, qui ne
laisse presqac plus rien k dire aux explorateurs futurs.
MM. Plancher et Vieillard ont esquiss6 dans quelques
pages sidistantielles la geographic physique de la Nou-
velle-Caledonie.
Esp6rons qu'eclair^ parces informations, notre com-
merce se tournera vers mi nionde qui peut devenir le
theatre d'mi riche mouvement 6conomique , et assurer
a nos produits d'innonibrables d(^bouch6s. D6ja quel-
ques-uns de ces archipels ont cesse de relever de ce
qu'on pourrait appeler 1' humanity primitive on barbare.
Les lies Sandwich sent aujourd'hui regies par des lois
em]n'unt6es a I'Europe, et grace an protectorat francais,
lesKanaks de Tahiti, ilfautl'esperer, suivront rcxcmple
qui leur est donne par leurs frercs des Sandwich.
J'ai hate d'arriver h. I'Asie, oil la g6ographie a fait
(/i5)
line plus riche nioisson. Toutefois, avant de cpiitter ce
monde d'iles qui unit I'ancien au nouveau continent, je
dois mentionner, en premiere ligne, le voyage dans la
partie orientale de rarchipel indien de Reinwardt.
Qnoiqu'il date de 1821, la relation vient senlement
d'en etre publiee par I'lnstitut des Indes n^erlan-
daises. Ce livre, 6crit en hollandais et public avec une
introduction et des notes par M. W. H. de Vriese, ren-
ferme des details qui, malgre leur date, n'ont pas perdu
de leurint^ret. Toute la partie d'histoire naturelle, de
g^ologie, y est savamment trait^e, d'apr^s des doctrines
qui ont nialheureusement un pen vieilli.
Je nientionnerai ensuite un voyage execute dans
I'int^rieur de Sumatra, par M. E. Presgrave , et qu'a
public \q Journal de tdirhipel iiulien. Ce VOyageur s'est
rendu a Passummali et a Gunung-Dempo, Je ne puis
analyser sa relation, Je dirai seulement qu'elle est riche
en informations des plus varices, et donne en particu-
lier, sur la religion des insulaires , des details pleins
d'interet. Le vieux paganisnie de ce peuple s'est peu k
peu p6n6tr6 de croyances et d'id6es emprunt^es a I'isla-
misme. La circoncision est aujourd'luii d'un usage g*^-
n^ral parmi eux. Une de leurs tribus, Iqh y^nak Se-
niiinrio, se fait surtout remarquer par son z61e pour la
religion du Coran. Mais partout ailleurs se retiouvent
en vigueur a Sumatra les antiques superstitions. On
adore, sous le nom d'Orann-^l/ons, des esprits fort
analogues aux atouas des Polynesiens : on olTre aux
ames des morts un culte fervent, et Ton admetla doc-
trine de la m^tempsycose. Le tigre est, par excel-
( A6)
lencp, I'animal dans lo corps diiquel passe, selon ces
insulaires, I'lime humaine. Aussi les habitants de Su-
matra ont-ils pour cette bete f6roce un respect in-
croyable, et ne le traitent-ils qu'avec les plus grands
6gards. On retrouve aussi chez les indigenes de la meme
ile quelques-unes des pratiques asc6tiques des Hin-
dous; il n'est pas rare d'en rencontrer qui, pour s'as-
surer les faveurs de la divinile, s'imposent de cruelles
epreuves, et vont ensuite s't^tablir dans un temple ou
kramni^oix ils y sacrifient aux dieux leurs ancetres, et
observer pendant quinze jours I'abstinence la plus
rigoureuse. II est diilicile, dit M. Presgrave, d'dva-
luer la population du canton de Passununah-L6bar;
mais elle ne saurait etre inftrieure ^100 000 ames.
Un mince d6troit nous s6pare maintenant de I'Asie.
Nousy mettons le pied, en p^n^trant dans la presqu'ile
de Malacca. lA encore nous nous trouvons en pre-
sence d'une population de meme race quecelle qui est
r6pandue de I'autre c6t6 du canal de Singapour. Ce
sont des Malais qui habitent Pinang ct la province de
Wellesley. L' excellent Journal de I'mchipel Indien a
publi6 sur les indigenes de ces contrees un m^moire
modestenient intitule : Notes, et ou nous aurions beau-
coup a. prendre si I'espacc nous le permettait. L'au-
teur est M. J.-D. Vaughan, qui a, pendant sept ans,
r6sid6 au milieu des Malais , et a pu recueillir d'eux
une foule d' informations. Usages relatifs a la nais-
sance et h. 1' Education des enfants , an mariage , aux
rapports soci aux, aux jeux et aux amusements, aux
repas, habillements, armes, croyances, habitations, ma-
( ^7)
ladies, caract6res physiques etmoraux, M. Vaughan
passe tout en revue.
Parmi ces usages , il en est souvent dont I'^lude ,
en apparence frivole , a cependant son importance
ethuologique , et fournit certains traits auxquels pent
se reconnattre une race on une tribu. J'en citerai quel-
ques-uns. Jamais un Malais ne marcbe k c6t6 de son
Spouse. Quand une compagnie se met en route, les
femmes pr6c6dent toujours les homnies. Un enfant
est-il encore trop jeune pour marcher ou se trainer seu-
lement sur les mains , on le place dans un panier qui
est suspendu aux chevrons de la maison , et a I'aide
d'une corde, la m^re ou d'autres enfants balancent la
petite creature. La m6re veut-elle transporter son en-
fant , elle le suspend sur ses 6paules a ra,ide d'un sac
ou d'une sorte de hamac. II est rare, en effet , de voir
les femmes malaies passer, comme les femmes hin-
doues, les jambes du petit sur leurs hanches. Les
Malais ne se font point entre eux de visite. Chaque
maison est, comme un sanctuaire, ferm6 h I'^tranger,
et Ton ne se r^unit que pour les fetes.
Un 6troit lien de filiation rattache la population de
la presqu'ile de Malacca aux tribus indigenes qui sont
aujourd'hui confin^es dans 1' Assam, sorte de plexus
qui relie k la fois les pays mongols aux pays dra-
vidiens et tib6tains. L'6tude des races assamaises pr6-
occupe depuis longtemps les ethnologistes anglais.
Quoique les beaux travaux de M. Hodgson aient gran-
dement 6clair6 ce curieux probl6me ethnologique ,
tout n'est pas fait, tout est loin d'etre expliqu^. Par
quel ensemble de caractferes les races transgang6-
(AS)
tiqnes se rapprochent-ellcs et sVloignent-elles de
celles du Tibet? c'cst ce qu'il faut inaintenant deter-
miner avec precision. M. J. R. Logan a tente de le faire
dans un savant niemoire sur les popidations du Tibet,
du Barnia et de Pegou, insure dans le Jounml de Var-
chipel Indien. Le nom de M. Logan vous est bien fanii-
lier, Messieurs. Vous savez que ce savant met une
noble ardeiir a eclairer I'histoire des nations au milieu
desquelles il vit; en r^unissant toutes les informations,
il cherche a systematiser les faits. Le travail qu'il vient
de publier est indispensable a consulter pour connaitre
les migrations qui se sont accouvplies au sud de I'Asie.
La presqu'ile transgangetique voit graduellement
s'abaisser les barri^res qui en fermaient jadis I'acces
aux voyageurs ; elle nous promet pour les ann6es pro-
cliaines de riches informations. Le Barma se civilise et
appelle k la tele de ses armies des officiers europ6ens.
Siam s'est engage par un traite h. recevoir nos voya-
geurs. Enfin, I'empire annamitique, qui persistait dans
son systeme d'isolement farouche et d" intolerance san-
guinaire, va bientOt se trouver contraint, grace aux
efforts reunis de la France et de I'Espagne, a recon-
naitre les principes du droit des gens. La Cochinchine
et le Tonkin ne pourront opposer k I'intrepidite de nos
marins qu'une resistance impuissante, vaineraent d6jk
tentee par les Chinois contre les deux plus grandcs
marines militaires du monde.
La Chine, en effet, Messieurs, n'est plus cet empire
ferme dont la poi)ulation pref6rait 6touffer an sein
d'unc atmosphere que ricn ne venait renouveler, plu-
tot que de laisser entrer la brise rafraichissante que
fait soufTler le christianisme snr les contrees qu'il civi-
lise. Sans parler des traites qui nous ouvrent mainte-
nant les principaux ports du c61este empire, nous cite-
rons pourpreuve les nombreux voyages qu'ont tenths,
dans ces deniiers temps, des envoy^s anglais, des mis-
sionnaires catholiques et protestants.
Un horticulteur distingue, M. Robert Fortune', qui
s'6taitd6ja fait connaitre, il ya dix ans, par la relation
de son s6jour de trois anntes au nord de la Chine, a
public, I'an dernier, le voyage qu'il fit dans le meme
pays, de'1853 a 185(3. Specialement occup6 de tout ce
qui touche au commerce du the , M. R. Fortune a re-
cueilli , sur la culture de cette plante, sur les pro-
vinces ou elle fleurit, des details d'un grand inti^ret
g6ographique et economique. Son livre nitrite lememe
succfes que son premier voyage a obtenu.
Un missionnaire protestant, le r^v6rend "William
C, Milne a, sous le titre de La Vie reelle en Chine, pu-
blic un ouvrage curieux, r6cemment traduit en fran-
cais. II nous montre a quel degr6 d'avancement social
la Chine , dont il parle la langue en vrai naturel , est
arriv6e par elle-meme. Mais a cette civilisation au-
tochthone pendent toujours, pour ainsi dire , les gue-
nilles de la barbarie ; c'est I'inverse de ce qu'a dit
Horace :
El magna professis
Purpureus, late qui splendeal, unns et alter
Assuitur pannus.
Ce haillon de la barbarie, I'Europe seule le pent
faire disparaitre ; seule , notre civilisation donne aux
peuples un lustre que ne ternissent ni d'absurdes pr6-
XVn. JANVIER ET ri:VRIl'l!. li. li
( 50)
jug6s, ni des lois l'6roces, ui dcs iiislUulions outra-
geantes et inliumaines.
En pendant de la relation de M. Milne, je \ oiuirais
ponvoir citer le r6cit impatiemnient attendu de I'am-
bassade de lord Elgin au Japon. (le pays, d'une civilisa-
tion plus 6tonnante encore que celle de la Chine, s'est
montr6 jaloux a I'exc^s de ne subir aucune influence
6trang6re , et cependant, malgr6 sa fernieture her-
m^tiqne, il a d6j^ adopts, avant que nous les lui
ayons port6es, les d6couvertes de nos sciences et les
merveilles de notre Industrie. Le Japon 6tait rest^jus-
qu'a ]-»r6sent poiu- nous une veritable term iitcogniin ,•
ce que Ton en racontait n'6tait empruntt; qua de vieilles
informations , datant d'lnie 6poque ou son acc6s 6tait
moins difficile. Et d'abord nous ignorions salangue;
ignorance qui 6tait en grande partie la source de
toutes les autres : car la langue est la clef des esprits ,
et il faut que les esprits s'ouvrent pour que les rela-
tions s'etablissent. L'6tude du japonais commence a
fleurir en Europe, et les diflficult^s singuli6res dont
elle est entour^e, grace a la pers6v6rance de quel-
ques jeunes travailleurs, disparaissent graduellement.
Vous avez eutendu le rapport sp<^'cial que je vous ai
fait. Messieurs, sur I'ouvrage de M. L. de Rosny ; il
vous donne la mesure de ce que vous pouvez attendre
de ses efforts. Ce n'est passeulement lapbilologie k la-
quelle cette langue fournit des apercus nouveaux et des
particulaiit6s curieuses, I'ethnologie puiseaussi dans la
coniparaisoii du japonaiset des autres idiomes, desdon-
n6es piecieuses pour I'liisloire du peuplenient du uou-
veau nionde. On pent sen convaincre, en lisant ladis-
( 51 j
sertation que M. HyacintJiede Charencey vientde ['aire
paraitre sur les analogies du japonais el des langues
am6ricaines (1).
En attendant que le trait6 de commerce avec 1' em-
pire japonais ait port6 ses fruits, nous reprenons les
vieilles relations, avec 1' intention de comparer les infor-
mations qu'elles fournissent i celles que nous recevrons
bientot, et de mesurer par la le progres qui s'est accom-
pli, depuis un sitele, chez ce peuple si intelligent. Ce
n' est done pas sans fruit quevous lirez. Messieurs, I'in-
t^ressante publication faite r^ceniment par I'lnstitut
royal des Indes n6erlandaises, de la relation in6dite
d'un voyage accompli au nord et a Test du Japon,
en 16^3. L'auteur de ce journal est C, J. Coen, qui
montait le navire le Castncum, dans I'exp^dition de
Maarten Gerritsz Vries. C'est a M. Leupe que Ton est
redevable de I'impression du manuscrit; il I'a enrichi
de notes savantes. On trouve a la fm de I'ouvrage une
bonne carte et un appendice des plus curieux, tant
sous le rapport g6ographique qu'ethnograplnque. Get
appendice traite des iles Yeso, Krafto et Kouriles et
renferme des details sur la langue des Ainos, commu-
niques par leC^lebre orientaliste P. F. deSiebold.
La cote qui fait face au Japon est de venue , depuis
roccupation russe , le theatre d'une exploration intel-
ligente et circonstanci^e. Je vous ai d6ja entretenus ,
I'an dernier, de la grande expedition sib^rienne orga-
nis6e par notre soeur de Saint-P6tersbourg. La science
recueille tous les jours les fruits de cette lieureuse
entreprise.
[\) lirrue aiiiri iriiiix' ri oriciilnji', 1*'' luimf'ro, IS58.
( 52 )
La Socit'!t6 iniperiale tie g^ographie fie Riissie a
donn6 cette aiinee, clans son Bulletin, deux rapports
enian(!'s dc deux des meuibres de I'exp^dition : I'un est
du k I'astronome SchwartzJ'autre au naturaliste Radde.
Le meme rocueil public en outre de nombreux docu-
ments rclatifs a la geographic de la Sibcric et des con-
trees liniitrophes de la Chine, M. de Sem6now a fait
paraitrcun premier voyage au Tliian-Chan, enl'accom-
pagnant d'une carte (1); on y trouve indiqu6c la topo-
graphic de la region peu connue qui s'6tend au sud du
nouvel etablissement russe de Kopal. AI. Pctermann a
reproduit cette carte avec des additions dans scs Mil-
theiltmgeii. Elle coraprend le cours de I'lli et la region
du lac Issyk-Koule, entre le AS" et Ic /i5* lat. nord.
L'lli , qui va se jeter dansle lacBalkhasch ou Dengis,
s6pare les montagnes de la Dzoungarie du bassin de
rissyk-Koule , et reroit, entre Hoi-Youan et Ilysk,
de nombreux affluents. L'Issyk-Koulc, egalement ali-
ment6 par divers cours d'eau, est borne au nord par'
la chaine transilienne de I'Alatau , et au sud par les
montsThian-Chan, dontla s6pare lavallee dcTcrskey.
A I'oucst de I'Alatau transilien, s'6l6ve le Talgarnyntal-
Tchoukou,hautde5000pieds, et sur Icquel le Tchilik,'
un des principaux affluents de l'lli, prend sa somxc. Au
dela de la rive droite de cette derni6rc riviere, s'etendent
les chahies de I'Alainan et dc Djaugys-Agatch, d'oii
s'6chappent les cours d'eau qui forment le Karatal ,
dont les ondesvont, comnie ccllesde l'lli, grossir Ic lac
(1) Karla tchasli Vnoulrenney Aziy ss Uhrehlami DjoungnrsMmmy
7.ai1iysl;imm Alalnou Tiann Chanemm y OzTomm Yssyk Koufe. L'd-
chclle est dumuV en niilles anglais.
( '^3 )
Balkasch. Au nord du Karatal, court la chaiiie de I\.o]ml,
sur le pied septentrional de laquelle s'616ve la ville du
meme noai, fondle par les Uusses en 18/i7 pour pro-
t^ger, contre les incursions des Kirghises ind6pcndauts, .
les Rirgliiscs qui reconnaissent le gouverneinent du
tsar. Biitie sur la riviere qui lui emprunte son nom et
qui se jette dans le Kisyl-Agatcb, Ropal, situ6e dans
un pays bien cultiv6, est deja une ville florissante.
Les montagnes de la Dzoungarie fornient la ligne de
partage entreles eauxqui se versent dans le Balkascliet
celles qui se rendent au Borotala. Au sud du bassin de
cette dernit;re riviere, le lac Sairam-Koule constitue un
vaste reservoir qui recoit les eaux des monts Iren-Kha-
birgan, arete de partage entre les affluents de I'lli et
ceux du Borotal.
M. Radde, dont j'aiprononcetoutM'hem-e le noni, a
public sur les frontieres de la Daourie et les contr6es
transbaikaliennes , un aper^u substantiel ou sont d6-
crites, sous le raj)port topographique et physique, les
steppes de cette region. M. le lieutenant Ousoletsow a
entrepris, aux sources du Gilioui et sur la rivifere Z6a,
une exploration qui conq)letera cc que nous savons
du bassin de 1' Amour. Dt^ja les principaux affluents de
ce lleuve out 6t6 reconnus , et le bidletin de la Soci^te
de Russie nous en fournit une excellente description.
Les peuples qui habitent les memes rt^gions n'ont pas
moins 6t6 6tudi6s que les lieux. M. Orlow, un des
membres de I'expc'dition de Sib6rie , a fait paraitre,
dans le xxv volume des Memoires de la Societe de geo-
graphie de Saint- Petersbourg, une notice SUr les Ton-
gouses de Bauntowsk et de 1' Angara, dont le Juumal
( '^fx )
lie In Sociefe fie Berlin nous a tlonn6 une version alle-
niande. Les Tongouses forment , comme on salt , un
des chainons interm6diaires enire les races finno-sib6-
riennes ou altaicjues et les races mongoles. De la I'in-
t6ret particulier qui s'attache a leur iiistoire. M. Orlow
a r6uni des details sur leurs uiceurs , sur le calendrier
qui r6gle ce qu'on pourrait appelcr le cycle de leur
existence annuelle.
Je voudrais pouvoir extraire dc la relation d'un
voyageur americain , qui a parcouru les regions sur
lesquelles la Russie 6tend son puissant patronage ,
quelques-uns des curieux 6pisodes qui en rendent la
lecture si attachante. Le livre de M. Th. A^ . Atkinson,
intitule : Orien/nl and IVestern Siberia , est le fruit de
sept anuses d' une exploration bardie et pers6v6rante ,
telle que les liommes de race anglo-saxonne savent les
eflectuer. M. Atkinson a visits la Sib6rie, la Tar-
tarie cbinoise, la steppe des Kirgliises , et une partie
de I'Asie centrale. Son livre n'est pas une ceuvre scien-
tifique, c'est la biographic aniai6e d'un voyageur que la
curiosit6 conduit et que le danger attire. La lecture en
est trfes propre k nous donncr une juste id^e d'une con-
tr6e oh. 1' existence demeure comme le dernier 6cho de
la vie des premiers ages.
Les bords du fleuve Amour out et6 visit6s par un
voyageur qui a suivi une direction oppos^e a celle des
expeditions russes. M. Olio Esche, n^gociant h. San-
Francisco, s'est rendu en I\Iandcbourie, avec la pens6e
de noucr des relations conimerciales entre rembouchure
de I'Amour et les etablissements russes de I'Am^rique.
Dans ce but, il arma un navire, I' Oscar, et gagna, par
■( 55 )
le d^troit de La P6rouse, la baie de Castries. II coupa
I'archipel des Rouriles, entre les iles Simousir et Ou-
loiip. Dans la premiere de ces iles, il a partout troiiv6
es traces de la terrible eruption volcanique dont elle
a eu i soufTrir, il y a environ huit ans.
Le IZi juillet 1857, I' Oscar mouillait dans la baie de
Castries, et une marche de quelques heures conduisail
M. Esche aux bords de lamer de Kisi, d'ou il se rendit,
sur une petite embarcation, a Nikolaiewsk, qu'il attei-
gnit le 8 aout. C'est aujourd'hui une ville ilorissante,
construite sur un large plateau aussi,6tendu que San-
Francisco. Une belle foret entoure la ville, et la
place du march6 peut d6j^ le disputer en superficie
au Washington-Square de la cit6 californienne. De \k
rayonnent de larges rues. Quoiqu'on ne rencontre pas
encore d' hotels a Nikolaiewsk, les ressources sont loin
d'y manquera I'Europ^en. Sansparlerd'un restaurant,
d'une salle de bal, d'un caJjinet de lecture fourni de
tousles journaux allemands, francais et beiges, on y a
6tabli une bibliothfeque dejk riche de h 000 volumes.
C'est la, il faut le dire, un fait des plus honorables
pour I'arm^e russe, car ilt^moignede ses gouts studieux;
Nikolaiewsk n'est gu6re eo efletpeupl6 qued'officiers,
et ne peut etre encore regarde que comme une for-
teresse. Au voisinage de la ville, s'616vent divers villages
oil le paysan russe cultive avec succfes nos cer^ales et
nos plantes potag^res. Le tabac, le chanvre surtout, font,
sur les bords de 1' Amour, I'objet d'un commerce impor-
tant, tandis que les flotsdu fleuveamfenentdans la ville
des trains de bois des essences les plus varices. Quatre
bateaux a vapeur sillonnent I'Amour en tons sens.
( 50 )
Le voyageur californien a ete frapp6 de I'analoglc
qTi'ofTre ce fleuve avec I'Elbe. A mesure qu'on approchc
de son embouchure, I'Amour s'agrandit, et a Cap-
Pronge, aii-dessous de Nikolaiewsk, sa largeur est d'en-
viron /lO milles. Tout annonce que la nouvelle cit6 russe
sera uii jour le centre d'arnienients iniportants pour la
peclie de la baleine, tandis que la presence de riches
houlUeres assure au commerce maritime un avenir quo
nous ne ponvons encore entrevoir. Les m6taux ne font
pas non plusdefaut dans les environs Bref, Nikolaiewsk
nous apparait comme devant elre nii jour un des plus
beaux fleurons de la couronne des tsars.
Taudis que la Russie voit grandir cliaque ann^e sa
puissance en Asie, et son peuple prendre possession du
sol par des conquetes faciles et durables, I'Angleterre
sent s'ebranler sous elle les fondements du gigantesque
empire qu'elleavait fond6 aux Indes. II ne nous appai-
tientpasde parlerici de la guerre fatale qui fait couler
tant de sang, ct que deplorent en lueme temps la civili-
sation et I'humanite. La Grande Bretagne a rendu a la
science des services qu'on ne saurait oubUer sans ingra-
titude ; elle nous a ouvert des tr^sors quelle a gen^reu-
sement mis a la disj^osition de tous les esprits curieux.
Esp6rons done que 1' avenir de tantde recherclies etde
travaux n'est pas compromis, et en attendant, applau-
dissons-nous de rencontrer encore chez les Anglais des
publications qui compl6tent I'ensemble des magnifiques
travaux entrepris par eux sur les Indes orientales.
Et d'abord, je dois citer une ceuvre ca])ilalc, lanl pour
la g6ograpliie que pour la geologic, les Docitmenis ';i:a-
logifjitcs sur I'Ini/e ovcideiitalc, y compri's Ic hoiitc/t, le
( 57 )
Sindh et la cote sud-csl de rArahie, Cet ouvragc , eil-
richi d'excellentes cartes, de coupes et de plans, est
accompagn^ d'un apercii de la geologie de I'lnde en
g6n6ral. L'auteur est M. Henri J. Carter. Mais a ce
m6decin seul ne revient pas tout I'lionneur d'un travail
si etendu ; il a du mettre a contribution et reproduire
un grand nombre de travaux particuliers. L'espace me
manque malheureusement pour en designer les au-
teurs; a plus forte raison me manque-t-il aussi, pour
suivre les explorateurs anglais dans la description qu'ils
nous donnent d'un sol ou Ton rencontre a chaque pas
le granite, le trapp et le basalte. l.a ville de Bombay,
quia donn^le jour a cette i^ublication, poss^de, comrae
vouslesavez. Messieurs, une Societe asiatique dont le
recueil est d'un liaut interet. Je signalerai, parmi les
m^moii'es ins6r6s dans les derniers numeros qui nous
soient parvenus, une notice historique et arch^ologique
de M. H.-B.-E. Frere sur les anciennes villes du Sindli,
travail de nature a r^pandre quelques lueurs dans
cette tenebreuse g^ographie de I'lnde antique, oii notre
confrere, M. Vivien de Saint-Martin , a fait de si lieu-
reuses d^couvertes.
La geographic ancienne de I'lnde est un champ tout
rt^cemment mis en culture. Des orientalistes 6minents,
MM. Lassen et Reinaud , avaient deja jet6 les fonde-
mentsde son etude; mais M. Vivien de Saint-Martin
I'a reprise avec les lumi^res d'un g6ographe de pi'o-
fession. Les memoires qu'il alus a I'lnstitut, celui qu'il
a tout r(3cemment publie sous le titre de Memnire ann-
lytitjiie siir In carte de FJsie cent rale et de Vlnde , can-
itrn/le d'aprcs Ic Si-yii-ki^ lui font le plus grand hou-
( 58 )
neur et ne soiit pas indignes des travaux des meilleurs
critiques en g6ographie. Le dernier m^moire et la carte
qui I'accorapagne, ajoutent un nouveau prix a la pr6-
cieuse pu])lication des Memoires sur /ex contrees ncci^
dentales, tradiiits dii sdiiscrit en cliinois en ran 0^8, par
Hiouen Thsang , et du chinois en francais , par notre
c616bre sinologue M. Stanislas Julien. (-et ouvrage,
dont le second volume a paru r^ceniment, donne un
tableau infiniment curieux de I'lnde, au vii* sifecle de
notre ere. Grace a la carte de notre confrere M. Vivien
de Saint-Martin , on peut suivre I'itineraire du voya-
geur bouddliiste, et se faire une id^e exacte d'unc partie
de I'Asie, a une 6poque oil les Hindous n'olTrent que
des r6cits fabuleux et des reveries po6tiques.
Mais revenons aux publications de la Soci6t6 de Bom-
bay. Son recueil renferme un autre travail 6galement
important pour la g^ographie de I'lnde antique, c'esl
lui uK^moire de M. A.-F. Bellasis sur les restes de
Brahminabad, qui fournira un chapitre a I'histoiredes
cit6s ruin6es de I'Hindoustan.
Je passe h d'autres publications. SirW.-H. Sleemanu,
ancien resident britannique a la cour de Lucknovv, a
fait paraitre k Londres , sous le titre de Journal d'un
voyage dans le royaume d^Onde^ un apercu g^Ogra-
phique complet de cet Etat , auquel I'insurrection de
rinde, dont I'Oude a 6t6 le berceau, donne un int^ret
tout particulier.
Les Anglais ne sont pas les seuls a explorer I'lnde.
La savante Allemagne, qui s'approprie, pour les fi^con-
der, les d6couvertes de la France et de 1' Angleterre ,
fournit aussi son contingent de voyageurs, et leurs
( '^p )
explorations sont marquees de ce meme cachet de pro-
fondeur et de sagacit6 qui est empreint sur toiites
ses oeuvres. Qiiand il s'agit de vesoudre quelque grand
problfeme g^ographique et d'embrasser dans une
meme exploration toutes les branches de la science,
c'est aux Allemands qu'on s'adresse. L'Angleterre, qui
a regu d'eux plusieurs de ses meilleurs ethnologistes,
leur a demand^ Barth , Overweg , Vogel. Trois autres
Allemands , les frferes Schlagin+,weit , se sont partage
les contr6es les moins explor^es de I'Hindoustan et de
la haute Asie. Leur mission produira certainement une
des ffiuvres les plus achev6es dont cttte region du
monde ait fourni la matifere. Pourquoi faut-il que la
nouvelle de la mort de I'un d'eux soit venue attrister
tous les amis de la science et faire 6vanouir quelques-
unes de nos esp6rances. M. Adolphe Schlagintvveit a ,
dit-on, p6ri au voisinage d'Yarkand! II serait trop long
de tenter meme une simple esquisse des voyages des
freres Schlagintweit, aussi renverrons-nous a I'excellent
tableau qu'en a donne dans les Anna les des Voyages (1)
notre z6l6 confrere M. Malte-Brun.
Un autre voyageur, qui a visite I'lnde en touriste,
mais qui n'en est pas cependant pour cela un obser-
vateur moins fin et moins judicieux, a, sous le pseudo-
nyme dH Ononmndej\ r^cemment fait paraitre ses im-
pressions. Le premier volume de son ouvrage, intitule :
L'^nccen et le noiu'eait dans les conlrees de rOrient
[Attes itnd Neiies uus den Landein des Osteits)^ est
consacr6 a I'Hindoustan. Le voyageur, dont il nous
(1) ^Mna(es des Voyages. Fdvrier 1858.
( ^0)
a 6te ais6 de percer ranonyme, et dont nous croyons,
pouvoir, sanstrop d'indiscrc^tion , donner ici le nom ,
M. Ic [)nnce Frederic dc Schleswig-Holstein-Augiis-
teiiburg , a visits Madras et Calcutta ; il a 6tudie la
condition de I'Hindoustan, pr6cis6ment au moment ou
se preparait la grande insurrection , et jug6 a un jjoint
de vue independant ce que nous ne connaissons trop
souvent que d'apres les relations anglaises. Arriv6 par la
route de I'Australie, le prince F. de Schleswig a oper6
son retour en Europe par I'Egypte et I'Asie Mineure ,
a I'etude desquelles il consacre son second volume.
On rccoimait dans cette relation int6ressante un esprit
nourri de fortes Etudes et anim6 des plus nobles sen-
timents.
Je ne doispas quitter I'Hindoustan, sansvous parler
d'une notice int6ressante sur la distribution du coton-
nier et sur le commerce du coton. Ce m^moire, public
par le Journal 'genera! de ii^eogrnpliie de Berlin (1), bieu
que consacre a une industrie qui s'6tend sur les deux
mondes, a son origine dansl'Inde. On saitquec'est de
cette contree que provient le gossypimn herhacenm. A
une 6poque fort reculee, les Pheniciens I'y allaient dt^ja
chercher pourteindre les 6tofles qu'ils en fabriquaient
de leur pourpre magnifique. M. le professeur F.^^ . Schu-
bert (de Roenigsberg) , en composant cette notice, a 6cnt
une page a joindre a une nouvelle Edition du grand
ouvrage de Heeren sur le commerce de I'antiquit^.
L'Asie centrale et I'Asie occidentale me fournissent
cette ann6e, Messieurs, des sujets si nombreux d'ana-
(IjFdvrier 1858.
( 61 )
lyses et d 'indications, que je me vois force de faire un
choix. Et pour ne pas demeurer constamment dans des
regions si lointaines, je me transporterai tout de suite
jiTextreme Occident, dans la Palestine etl'Asie Minenre,
oil les souvenirs liistoriques embellissent encore plus
le tableau que la nature menie. La ferveur religicuse
des Anglais et des Anglo-Auiericains donne tous les jours
naissance a des explorations de quelque nouvelle partie
de la Terre-Sainte, dont la g6ographie fait d'ordinaire
son profit. Je ne dirai rien de la nouvelle edition des
excellentes Recherches d'Edouard Robinson et d'Eli
Smith qui renferme les documents recueillis en 1852 ;
leur reputation est aujourd'hni europ6enne. Le voyage
de M. Cyrille Graham dans le desert oriental d'Hauran,
I'ancien pays de Bachan, foiirnit a la geographic
sacr6e des documents nouveaux qui ne sont pas
sans importance. Le voyageur anglais croit qii'on peut
encore retrouver des traces des villes qui existaient
dans le pays d'Og, au moment de la conquete des Israe-
lites. II a decouvert des inscriptions en langue incon-
nue, et dont les caractferes, suivant la remarque du doc-
teur Barth, offrent une curieuse ressemblance avec ceux
qui sont encore en usage chez les Berbers. Quelques-
uns les croient ph6niciennes ; la philologie r6soudra
sans doute bientot ce cmieux probleme.
L'etude attentive des textes bibliques faite sur les
lieux, a permis a M. le pasteur F. Valentiner, d'^clai-
rer certains points de la topogl'aphie de la tribu de Ben-
jamin. Son travail a 6te insure dans le Journal de la
Societe orivntale de Leipsick.
M. G. llosen s'est attache ix faire mieiix connaitre la
( (^2 )
vall6e d'H6bron et les contrees euvironnaines. Son m6-
moire, public par le menie journal, et r6dig6 k Jeru-
salem en 1856, annonce une vaste et solide Erudition
mise au service d'une parfaite intelligence des lieux.
fidouard Robinson n'cst pas le seul voyageur dont la
mort ait interrompu les excellents travanx ; nous avons
a regretter celle d'un autre explorateur do la Palestine,
M. leprofesseur J.B. Roth, quiasuividepresrinlbrtun^
baron de Neiiuans. Ses travaux sur la mer Morte, surla
m6t6orologie de la Palestine , sur riiypsom6trie du
Wady-el-Arabat , et sur la g^ograpliie des contr6es si-
tu^eskl'estdu Jourdain, forment un ensemble de docu-
ments du plus haut int6ret, Parnii les r6sultats cu-
rieux dus aux recherches du savant voyageur bavarois,
je citerai des Etudes sur I'histoire du commerce de la
pourpre enPh6nicie, histoire 6troitement ]i6e a celle de
la g6ographie. 11 aretrouve, entreFancienneTyr etl'an-
cienne Sidon , le nntrej: fmncu/us, qui fournissait en
abondance une couleur rouge beaucoup plus 6clatante
que notre pourpre actuelle; M. Roth y a reconnu la
pourpre des Tyriens. Un fait non moins important pour
lag6ographiezoologic{ue,c'estla constatation de I'exis-
tence du crocodile dans deux petites rivieres de la
Palestine, le Zerka et le Difleh, qui coulent entre Jaffa
et C6sar6e. Le voyageur a d6couvert dans le sable les
restes de quelques-uns de ces reptiles dont les anciens
nous avaient signal6 la presence, confirmant ainsi ce
qu'avait d(§ja rapporte ifttre confrere M. Victor Gu6rin,
et dissipant les doutes que I'annonce du fait avail
souleves.
La Cilicie est assurement une des provinces del'Asie
(f53 )
Mineure les plus int^ressantes a etuclier pourl'Iiistoire
et la g6ologie. Les anciens ne nous out laisse sur sa
geographie que des details insufFisants. Aussi doit-on
remercier le D' Theodore de Rotschy de la publication de
son savant voyage dans le Taurus de Cilicie. L'liistoire
naturelle trouve, il estvrai, plus a prendre encore que
nos Etudes favorites, dans cette relation qu'ont fait con-
naitre les Ammles des voyages. Mais il n'y a pas de
bonne 6tuded'un pays sansune connaissancedu sol, et
toiitce quele D'' de Kotschy nous apprend en histoire
naturelle, nous donne une vue plus exacte des lieux.
M'"" la princesse Belgiojoso a publie, sous le titre de Sou-
\>riiiis de 7'nyage en Asie Mineure et en Sfiie, une relation
personnelle qui ne saurait avoir les pretentions d'une
ceuvre scientifique, niais ou Ton retrouve le talent d'6-
crivain et la finesse d'aper^usqui caract6rise cet auteur
distingue. C'est 1' ceuvre d'une touriste, mais un esprit
de la trempe de la princesse Belgiojoso ne saurait obser-
ver un pays comme tout le monde, et Ton est assure
de trouver dans son livre des details de ma5urs et une
appreciation des choses qui ont bien aussi leur valeur
scientifique. II semble qu'il restera bientot pen a
faire aux explorateurs de I'Asie Mineure. Car M. de
Tchihatcheff, qui s'est d6ja fait connaitre par un excel-
lent voyage dans cette region, en prepare un nouveau.
Les contr^es situ6es plus a Test de la Turquie et sur
les confins de la Perse et de cet empire redament
niaintenant toute notre attefition. C'est la qu on peut
csp6rer encore de grandes decouvertes pour la geogra-
phic ancienne et I'archeologie. Les bords du lac Our-
mia ont ete, en 1856, I'objet d'une exploration interes-
((54 )
sante de la part de M. Nicolai de Seidlitz. Nous en
devons la relation a rcxcellent journal de Al. Petermann.
Ourmia se distingue de Tabriz et des autres cit6s voisincs
par ses nies larges, ses places elegantes, sos cinietii^res
pittoresques. Toute la contr^e qui environne le lac est
liabitec par dcs tribus de races diverses, entre lesquelles
on est surtout fiappe de rencontrer des Tartares de la
tribu des Karapapaks. Mais ce sont les Kurdes qui do-
niinent; la langiie de cette population int6ressante,
tlont I'originc est encore un probleine pour les ethno-
logistes, a fourni a M. Lerscli le sujct d'un m^nioire in-
terossant. Le Kurdistan parait d'ailleurs renfcrmer des
populations d'origines difT^rentes, sur lesquelles le nie-
moire de M. O. Blau est venu jeter un jour pr6cieux.
Get orientaliste a publie, dans le Journal de la Societe
orientale deLeipsick, une notice tres substantiellc con-
sacr6e aux races du nord-est duRiu'distan. II en distin-
gue quatre principales, les Djelali, les Melanli, les Scha-
kaici et les Haideranli. Les Ktu'des forment entre eux
de veritables clans, et cette organisation les s^pare
compl6tenient des Turcomans et des Armeniens. M. Blau
estimc a 5000 tcntes la population des Djelali.
On retrouvera quelques-uns de ces details, niais
acconipagn6s de beaucoup d' autres informations, dans
le Voyage a Mosxoid et a Oanii/a, dcM. C. Sandreczki,
dontleS* volume aparu I'an dernier aStuttgard. L'au-
teur a visits, en observateur attentif et instruit, toute
la valine du Tigre et su ajouter beaucoup a ce que
nous en savions cW]k.
M. de Kotschi, dont je vous entretenais tout k I'heure,
ne s'est pas seulemenl fait connaitre par son int^ressant
( 65 )
voyage en Cilicie. II a aiissi explore la Perse et op6r6
I'ascension du Demawend. La hauteur de ce volcan,
situ6 ^ environ neuf milles g^ographiques du littoral sud
de la Caspienne, est presque double de celle del'Etna.
Avant M. de Kotschy, on ne connaissait encore qu'un
seal europeen, M. Thompson, qui eut tent6 cette p^i'il-
leiise ascension.
Line expedition a et6 envoy^e par le gouvornement
russe dans le Khoracan. Nous apprenons par le Bulletin
de la Soci^te de Saint-P6tersbourg, que ses merabres
etaient arrives a Tiflis a la fin de Janvier dernier, et
qu'a cette epoque, le capitaine-lieutenant Ristori etait
meme d^jk rendu k Bakou, ou tous les menibres de
I'expedition sont arrives le 15 mars. Le professeur
Bunge, dans son trajet de Tune a 1' autre de ces villes,
avait r6uni quelques faits int6ressants pour I'histoire
naturelle. Des informations pr^cieuses ont 6t6 recueillies
sur le Mazanderan et les environs d'Ast^rabad. Nous
y voyons qu'il existe dans les vall(5es bois6es situ^es an
pied des montagnes de cette province, une population
parlant le meme dialecte persan (le tate) , qui se parle
dans les parties m^ridionales du cercle du Rouban et
dans celui de Bakou, population qui a 6t6 jadis vrai-
semblablement transport^e par les rois Sassanides dans
les parties les plus septentrionales de leur vaste empire.
Le dialecte du Mazanderan proprement dit n'apparait
que dans les montagnes plus 61oign6es ( I ) .
Le Khoracan est appel6 k jouer, dans les destinies
(1) Vieslnikk imperatorsliago rnusslcago yccgrafhitcheslago obch
tcheslva, 1838, n" 7, p. S8, 41.
XVII. JANVIER ET F^VRIER. 5, 5
( 60 )
politiques de I'Asie, un rdle important, et les Russes
n'ont rien n^glig6 pour que leur expedition tournat au
profit de toutes les branches de la science g6ogra-
phique. Sa direction est confiee au savant M. Khanikow,
dontle noni vous est d6ji\ bien connu. Un apergu du plan
qu'embrasse I'exp^dition nous est fourni par le bulletin
de la Soci6t6 imp6riale de Saint-P6tersbourg.
Cette exp(Jdition se rattache au vaste projet d' exten-
sion de son influence en Asie nourri par le gouverne-
ment russe. D6ja, depuis longues annexes, cet empire pre-
pare les voies qui doivent lui ouvrir I'accfes de I'Asie
m6ridionale. Nous en avons la preuAe dans un voyage
fait en 1793 etJ79i!i, a Khiva, par le major Blankenna-
gel, et dont la relation abr6g6e a paru cette ann^e
avec des remarques de M. Grigoriew, dans le Bulletin
de la Soci6t6 de Saint-P6tersbourg. Le major russe
explora tout le bassin de I'Aral, dans le but de connaitre
les ressources du pays et les d6bouch6s qu'il pouvait
offrir au commerce moscovite. II fut frapp6 des richesses
min6rales de Khiva, de I'abondance des poissons de la
mer d' Aral. Les Tartares les savaient alors a peine pren-
dre avec de grossiers engins, et cependant telle 6tait
leur profusion sur le raarch6 que, malgr6 cette negli-
gence des pecheurs, leur prix demeurait presque nul.
M. Blankennagen compril que Khiva devait devenir
pour lallussieun entrepot important avec I'lnde; il re-
connut aussi I'^tat de faiblesse nationale de la petite
horde de Kirghises fix6e entre la mer d'Aral et Oren-
bourg et il apprit i son pays qu'il les rendrait aisement
tributains.
RL Alexis Bontakow a communique a la Soci6t6 de
{ G7 )
Berlin un rapport fait sur 1' exploration du cours inf6-
rieur du Syr-Daryah, a partir du fort Perowski jusqu'k
son embouchure. Cette exploration se rattache aux
grands travaux entrepris par le gouvernement russe
dans le Turkestan ; elle complete ce que nous savions
d6ji sur cette partie de I'Asie centrale , dont M. Bou-
takow aesquiss^ I'ensemble de la geographic physique.
L'Afriqiie est un champ toujours ouvert k nos explo-
rations, sans qu'on soit encore parvenu meme a mesu-
rer I'^tenduede la moisson scientifique quelle promet.
C'est le rendez-vous des voyageurs les plus hardis et
le point de mire de tous les amateurs d'aventures.
Aussi , pour vous entretenir de ce qui s'y est fait ,
6prouv6-je un veritable embarras. Par quelle cote
aborder ce vaste continent , oii les explorateurs entrent
dans toutes les directions ? Que choisir des travaux
des missionnaires ou des entreprises des marchands?
des courses de quelqnes hardis touristes ou des rap-
ports d'administrateurs et de colons ? Afin de tourner
la difficult^ que je rencontre k coordonner des infor-
mations si diverses, je prends le parti de vous parler
des peuples memes , laissant I'^tude du sol et des re-
gions g^ographiques s'oflfrir d'elle-meme a la suite des
questions ethnologiques que ces races nombreuses
soul6vent.
Quand on parled'ethnologie africaine, ilfautd'abord
s'adresser a I'homme dont 1' exploration m6morable a
r^pandutant de lumifere sur I'histoiredes peuples afri-
cains, au docteur Barth , qui vient d'achever la publi-
cation de sa pr6cieuse relation, siriche en informations
k ce sujet. Dans un memoire qu'il a soumis k la Society
( ^^^ )
g^ograpliiqTio tie Loiitlres, sur la condition de rhuma-
nit6 an Soudan, li^ docteur Barlh a presente un tableau
interessant dcs principales races africaines. La phis im-
portante est a ses yeux la race berbfere , qui constitue
comme le chainon par lequel sent ratlacli6es les races
en apparence les plus distantes et les plus 61oign6es du
continent africain. M. Reinaud nous a donne sur cette
race un m6moire fort savant, dont les ylnnales des
voyages oni'^uhWt un extrait. Puis vicnnent lesFulbes
ou Foulahs, qui dominent le long du Mger ; les Haoussa,
distribues dans tout le nord de I'Afrique centrale, et si
remarquables par leur intelligence ct la vivacit6 de
leur caracttjre ; apr6s eux le docteur Barth place les
Yoruba-Nonfe, etablis auxbouchesdu Niger, dans une
contr6e malsaine , mais rachetant ce d6savantage par
une singuli6recapacit6industrielle. L' ensemble de tons
ces peuples forme une masse considerable , ct le doc-
teur Barth estime que la population du Soudan est pro-
portionnellement superieure a celle de I'Alg^rie et du
Maroc. Cette 6tude conduit le savant voyageur^l'exa-
men d'un probl^me d'ethnologie gen6rale bien sou-
vent d6battu : Quelle est rinfluence exerc6e par le cli-
mat sur la coloration do la peau chez ces diilerentes
races? Le docteur Barth a constatt; une dependance
remarquable entre la teinte caracl6ristique des races
et leur habitat. Les AVolofs, 6tablis au delta du Niger
etde la Gamble, c'est-a-dire dansun climat humide et
brulant, sont les plus noirsdo toute TAfrique occiden-
tale. Les Kanouris, les Nt^grcs par excellence de ces
regions , sont fixes autour du lac Tchad , c'est-a-dire
dans des conditions climatologiques analogues A celles
( 69 )
es Wolofs. Les Fulbes appartiennent incontestable-
ment a la meme souche que ceux-ci ; mais ils ha-
bitent des regions plus 61ev6es, et I'onvoiten effetque
la teinte de leur peau n'est pas si fonc6e, que leiirs
formes sont j^lus sveltes et moins ramass6es. Et c'est
eng6n6ral le fait qui s' observe, toutes les fois que Ton
compare des tribus d'un bas pays a celles d'un pla-
teau. N^anmoins, le voyageur reconnait rinfluence
que les m61anges de -races exercent sur la teinte de la
peau.
L'int^ressante discussion a laquelle cette communi-
cation a donn6 lieu au sein de la Soci6t6 g^ographique
de Londres , a mis en relief toute la divergence qui
existe encore a cet 6gard dans les opinions des ethno-
logistes. Et tandis que le docteur Worthington, renche-
rissant sur les observations du docteur Barth,voit dans
le climat comme la mesure de la couleur, nous montre
par exemple les Juifs prenant une peau noire dans I'Hin-
doustan et la Cochinchine, M. Cravvfurd oppose I'eter-
nel arguriient de la persistance de la coloration du
n^gre dans I'Am^rique habitue auparavant par une
race rouge. Les Chinois, ajoute-t-il, out la peaujaune
a toutes les latitudes , et les habitants de Canton ne
different pas pjiysiquement de ceux de Pekin ; les co-
lons espagnols 6tablis au sonunet des Andes offrent
encore la meme peau que les Castillans. C'est qu'il
ne faut pas prendre pour I'eflet du climat ce qui
tient a un croisement interlope des races 6migran-
tes ou indigenes avec les femmes de race dilferente.
Le temps mettra fin a ce grand duel des mono-
g6nistes et des polyg^nistes , dont I'Am^rique est
( 70)
aujoiird'hui le theatre et I'esclavage I'occasion. Les
personnes qui voiulronl approlbndir cette briilante
question I'eront bien tie consulter riiiteressant travail
de M. Georges Pouchet sur la plurality des races Ini-
raaines. Elles y trouveront une exposition habile de la
th^se des pol\ g^nistes ; el si elles ne sont pas convain-
ciies , elles pourront mesnrer du moins la portee des
arguments qu'on oppose aux partisans de I'unil^.
Mais je reviens aux races africaines, si fort int6ress6es
dans ce d^bat ; il s'agit, en efiet, de decider si elles ont
une comniunaut6 d'origine avec la grande famille eu-
rop^enne ; devons-nous voir dans les peuples africains,
non des esclaves, mais des fr^res? ou,' comme on I'a r6-
cemment soutenu , iaut-il reconnaitre en eux les des-
cendants de Cain 6chapp6s au d6luge et exclus du
pacte de reconciliation entre No6 et I'Eternel? Le beau
travail que M. le colonel Faidherbe a joint a son int6-
ressant Aimuaire des etnhiisseiuents /raiicai's au Sene-
gal^ fournit k la solution de ce probl6me des 6l6nients
pr^cieux ; la distribution qu'il adopte mettra sur la vole
d'une meilleure classification des races longtemps con-
fondues sous le noni de nfegres , et abaissfees par ce
motif sous le niveau commun de la servitude.
II n'y a pas de bonne ethnologic sans une ^tude des
langues, et la philologie compar^e prete k I'anthropo-
logie un auxiliaire qui devient parfois le corps d'arni(§e
princi))al. Jc ne crois done pas hors de propos de vous
entretenir des travaux dont les idiomcs africains ont 6t6
I'objet, puisqu'ils jettent sur I'histoirc des races qui les
parlent, des clart6s moins incertainos que les observa-
tions fugitives des voyageurs. D'ailleurs, ces idiomes
(71 )
sont encore trop peu d6velopp6s pour qu'on y voie des
creations litt6raires.
La grammaire de la langue wolofe de M. I'abb^ Boilat
vous a 6t6 oflerte r6cemment , et Fun de nos plus sa-
vants confreres, dont le nom personnifie en quelque
sorte la Soci6t6, M. Jomard vous en a fait connaitre les
m&'ites. II est peu d'ouvrages ou Ton rencontre une
6tude aussi approfondie d'un idiome africain, Fix6
longtemps au milieu des populations noires qu'il 6van-
g61isait en leur propre langue, uni meme a elles parle
sang, M. I'abbe Boilat s'est trouv6 admirablement plac6
pour apporter le dernier degr6 de perfection a une
ceuvre dont nous ne devious a Dard et au baron Roger
que de simples 6bauches.
La race berbtjre s'est avanc^e, comme nous I'apprend
le colonel Faidherbe, jusque vers les I'rontiferes du S6n6-
gal, ou elle a port6 sa langue et ses traditions. Un meme
lien ethnologique rattaclie done deux populations 6loi-
gn6es auxquelles la France a impost sa domination :
les Tolba ou Marabouts, et les Kabyles , issus les uns
et les autres, ainsi que les Touaregs, de la grande famille
des Amazigs. La connaissance du kabyle, outre quelle
rrous permettra d'entrer dans des relations plus 6troites
avec des tribus sujettes aujourd'hui de la France, ser-
vira de fil conducteur pour remonter aux origines des
Berbers, dont nous pouvons maintenant lire I'histoire,
grace a I'excellente traduction d'lbn-Khaldoun par le
baron de Slane. lu'Essai de grcunmaire kafy/e qua pu-
blie cetteann6eM. le commandant dug^nie Hanoteau,
est un travail non moins recommandable que celui de
M. I'abbe Boilat, 11 est accompagn6 de divers texteSj dont
(72)
quelques-nns sont int^ressants pour I'histoire ; on y
trouve une coinparaison des neiif dialectes kabyles de
I'Alg^rie et du Maroc, et une notice sur quelques in-
scriptions en caracteres tifmngnes. 11 a fallu toute la
perseverance et toute la sagacite de M. Hanoteau i)our
reconstruire la grammaire d'une population aussi 6tran-
g6re que les Kabyles aux habitudes philologiqucs. Sans
doute, I'auteuravait eu des devanciers ; mais que Ton
rapproche son Essai des principes de grammaire bei-
b6re qu'avaient laiss^s Venture de Paradiset quolqucs
autres, et Ton sera frappe des progrfes considerables
que cet oflicier a fait faire a I'etude d'un idiome curieux,
le plus ancien peut-etre de ceux qui se parlent aujour-
d'hui en Afrique. On fera bien d'accompagner la lec-
ture de X Essai de M. Hanoteau de celle du m^moire
ou un orientaliste allemand, M. G.-A» Wallin, fait
connaitre diverses particularites de la langue des Be-
douins (1).
Je ne vous entretiendrai pas , Messieurs , des noni-
breuses publications dont nos possessions africaines
font tons les jours le sujet ; elles appartiennent g^ne-
ralement plus a Teconomie politique, a la politique,
qu'a la geographic proprement dite. L'ere de la colo-
nisation pacifique parait avoir commenc6 pour I'Alge-
rie ; ses provinces sont rattach^es a la metropole par
une administration plus directe , ^ la tete de laquelle
est place un prince qui a t^moigne pour notre science
de predilection un interet edaire. Esperons que ce nou-
(I) ZeUsclirifl dcr dvuts'.lien inoroenlandischen Gesellschaft, IS^S,
I. XII, p. (}HG ct .Miiv.
( 73 )
vel ordre de choses permettra d'ouvrir avec les popula-
tions indigenes, des relations jounialieres, des rapports
de commerce cent fois plus profitables b. la g6ographie
que la guerre, qui donne sans doute acc6s dans les ter-
ritoires, mais qui ne les f^conde pas.
Si je ne voas parle pas des travaux composes en
France sur 1' Algeria, je veux cependant vous dire un
mot de quelques-uns de ceux qui ont paru a 1' Stran-
ger. Car il nous importe de connaltre ce qu'on pense
au dehors de notre belle colonie. Le Joanud da Gco-
^ntphie dc Berlin a public, sur la region orientale du
Sahara algSrien et les contrees qui s'etendent dans le
sud de la province de Constantine, deux notices 6ten-
dues, dont I'auteur est M. le docteur L. Buvry, Nous
y trouvons une description de Batna et de Lambfese, ct
un apercu de la geographic physique de cette partie de
I'Algerie piiises aux meilleures sources.
L' extension de la domination tVancaise en Algerie
rendra plus facile pour les voyageurs I'acc^s de F Afrique
centrale, et c'est de notre colonie que s'appretent a
partir pour cette region deux explorateurs infatigables,
MM. O. Maccarthy et M. le baron de Kraft. Vous avez,
dans une de vos stances, conf6r6 avec le premier de
ces voyageurs dont I'intelligence et la resolution vous
6taient depuis longtemps connues. M. O. Maccarthy,
chai'g6 en 18Z|9 d'une mission du minist^re de la
guerre, s'est prepare par de longues et consciencieuses
6tudes a la realisation du projet qu'il va bientot effec-
tiier (1). La (j C>o graphic pliysiquc ^ pidilicnie ct ccono-
(I) Voy. iioluimneiit Algeria rvniana, yechvchcs sur 1'uciu^'ation et
(74 )
mique tie I'Jlgerie, qu'il a publi^e cette ann6e, est un
excellent 'r6sum6 des informations qu'il doit en grande
partie h son experience personnelle. Dans ce livre, fait
pour servir de guide h. tons ceux qui veulent visiter
avec fruit I'Alg^rie, les documents statistiques se reu-
nissent aux apercus purenient g6ograj)liiques, pour
fournir les 616ments d'un tableau complet de nos pos-
sessions africaines.
Vous le savez, Messieurs, les missions protestantes
semblent avoir plus particuli^rement choisi I'Afrique
pour le theatre de leurs travaux apostoliques. C'est a
elles que nous devons la plupart des d^couvertes faites
dans la partie australe de ce vaste continent. Le D' Li-
vingstone, qui a attach6 son nom h I'un des plus beaux
voyages accomplis dansces derniers temps, est reparti,
nous promettanl de grossir encore les richesses g6ogra-
pliiques qu'il a, pour ainsi dire, vers6es a pleines mains
en Europe. C'est le h mars qu'il a quitt6 Liverpool,
pourvu de tous les instruments propres h faire des obser-
vations scientifiques, ayant a sa disjiosition un ])etit
bateau a vapeurqui lui permettraderemonter la riviere
Lamb^se. Deux autres missionnaires , MM. Hahn et
Rath, ontentrepris I'ann^e derni^re un voyage dans le
pays d'Ovampo, avec I'intention d'atteindre la riviere
de Cun6n6. Le Journal des missions ei^ange/iq lies contl-
nue a nous donner, sur les 6tablissements de I'Afrique
ni6ridionale, et notamment sur celui de Lessouto, des
renseignements qui ajoutent pen h peu a ce que nous
savions des contr6es oil ils ont 6t6 fond^s.
la colonisation romaines en Algcrie, par .M. 0. Mac Carthy. 1" md-
muirc. Alger, 1857.
( 75 )
Un missioirnaire allemand qui s'est acquis une juste
c61ebnt6, M. J. L. Krapf a r^cemment livr6 a la publicity
le tome I de son voyage (1) dont des extraits et des
analyses avaient pr6c6demment paru dans divers re-
cueils. M. Krapf a tour k tour, seul ou acconipagn6 de
M. Rebmann, visit6 les parties les moins connues de
I'Afrique orientale. II a parcouru les pays d'Ukambani
et d'Usanibara, il a fait trois voyages a Djagga. 11 a
6tudi6 a fond le pays ds Wanikala et effectu^ son re-
tour pari' Abyssinie et la Nubie. Ces circonstances don-
nent a son livre un extreme int^ret. Plus pliilologue
que g6ographe, le courageux missionnaire a malheu-
reusement n6glige d'approfondir une foule de points,
et la preoccupation des int6rets religieux kii a trop sou-
vent inspire une sorte de d6dain pour des informations
pr^cieuses que lui seul pouvait vous donner. Toutefois,
sa relation n'en est pas moins mie des plus importantes
qui aient paru cette ann6e.
Les voyageurs que les int6rets de la science seuleont
conduits en Afrique, ont rivalis6avec les missionnaires
d'intr6pidit6 et de d^vouement. Un naturaliste am6ri-
cain d'origine francaise, M. P. B. du Chaillu, envoy6
par r Academic des sciences naturelles de Philadelphie,
a visite le Congo et la cote du Gabon. Ce savant s'est
assure de 1' existence d'une triple chaine de montagnes
courant a environ cinquante lieues de la cote ; il a re-
nionte la riviere Mounda jusqu'a sa source et suivi le
cours du Mouni, sur les bords duquel il a fait une
(1) Reisen in Ost Africa ausgefiihrt in den Jaliren ■! 837-55, tome I.
Sluttgart, 1858.
( '6 )
aboiidante r^colte d'oiseaux ; enfin il a atteint la source
de cette riviere a environ cent lieues de la c6te. Dans
une lettre datt^e du 17 aoiit 1857, et 6crite de la riviere
Fernando-Paz, M. de Chaillu annoncait qn'il sepropo-
sait de chasser le gorille, ce geant du genre singe,
dont il serait si interessant d'obtenir en Europe des
repr6sentants vivants. Les oiseaux qui se sont olferts k
lui dans la contree, lui ont parn identiques a ceux du
Cap Lopez. Sanga-Tonga, situee dans la baie que forme
ce cap, est la capitale du chef ou roi, al'autorite duquel
sont soumis les indigenes. Le sol du Cap Lopez est par-
tout sablonneux et 16ger, partout il pr6sente des bois
entrecoupt^s de larges prairies dont 1' aspect rappelle
les environs du Cap de Bonne-Esp6rance. Les habitants
se livrent a la culture de la patate, de la canne a sucre
et de diverses autres plantes. Disperses et en petit
nombre, ils n'ont point encore r6ussi a domestiquer les
bestiaux qui vivent autour d'eux a I'etat sauvage.
Je ne vous parlerai 2:)oint du capitaine Burton, dont
une lettre du P6re des Avanchers vous a rd'cemment
donn6 des nouvelles. Vous les avez accueillies avec
d'autant plus de satisfaction que I'annonce de la mala-
die de cet intr^pide voyageur vous avait inspired, surle
succ^s de son entreprise, des craintes bien naturelles.
Vous avez su d' autre part que son compagnon, le ca-
pitaine Speke avait atteint Cujiji par 5° J 5' de lat. sud
et 31" 22' de long, ouest de Greenwich. II se trouvait
done a un 6loignemeni de la cote correspondant a cehii
de Loanda ou du lac Ngami. Une lettre ant^rieure re-
cue ])ar une autre voie, nous dit que les deux voyageiu's,
apres s'Otre rendus par mer de Zanzibar a Bagamoyo,
(77)
6taient arrives le 6 septembre de Fannie derniere, vers
le 6" 30', 36° 30' long. Greenwich. Ainsi les officiers
anglais avaient d6ja accompli, d"apr6s ces lettres, i)liis
du tiers du cliemin qii'ils devaient parcourir pour se
rendre de Bagamoyo au grand lac d'Uker6v6.
Un autre voyageur, enfant, comme le D"" Barlli, de
la ville de Hambourg, a fonn6, lui aussi, le projet de
p6n6trer dans I'int^rieur de 1' Afrique. M. Albert Roscher
s'est pr6par6 depuis longtemps a cette difficile entre-
prise. C'est par Zanzibar qu'il compte aborder le
continent africain, pour poursuivre ensuite la resolu-
tion des nombreux problemes que soulevent les indica-
tions cartographiques incompletes que nous ont four-
nies ses devanciers.
Tandis que les uns partent , d'autres reviennent
charges de documents et riches d' informations. Un sa-
vant hongrois, M. Ladislas Magyar, nous promet la re-
lation de son voyage. 11 avisite lejiays de Kimbounda,
entre le 8* et le 15' degr6 de lat. sud, celui de Moun-
Ganguella entre le 3' et le 11" degr6 de lat. sud, et le
Mombouella, compris, comme le precedent, entre le
19" et le 27" degr6 de long. or. de Greenwich et qui
s'6tend jusqu'au 20" degr6 de lat. australe.
Le&Jufialcs des voyages ont public, au mois de Jan-
vier dernier, un apercu des voyages de M. Ladislas
Magyar, qui ne nous en fait attendre qu'avec jilusd'im-
patience la relation complete.
Nous lisons dans les Mitiheihingen de Gotha le rapport
fait par M. Fernando da Costa Leal sur I'exp^dition
portugaise envoy^een 185Zi de Mossamedes sur lecours
inf^rieur du CauK'-n^ remonlr ])ar le voyageur hon-
( 78 )
grois. Ce fleuve, dont rembouchure est situ^e snr la
c6te orientale d'Afrique, arroseiine contr6e dont la fer-
tility est depiiis longtemps vanti^e par les voyageurs.
Mais les informations recueillies k son sujet (5taientfort
incompletes; car on les devait en partie aux Mouimbas
etaux Mousimbas qui habitentla rive gauche du fleuve.
Le rapport de M, da Costa Leal fixe la direction de celui-
ci, et donne sur la contr^e qu'il parcourt, sur les ani-
maux qui hantent ses bords, des details pleins d'int6ret.
On a- recu des nouvelles de I'intr^pide voyageur
Anderson, occup6 k explorer la m6me contr^e qu'ont
d6ji explor^e MM. Halm et Rath. Une partie de la con-
tr6e visit6e par M. Anderson, I'a 6t6 aussi, comme a^ous
le savez,par ^infortune^\ahlberg. On a piibli6 r6cem-
ment quelques-unes (1) des lettres de ce dernier, oh le
lecteur trouvera sur la zoologie et les moeurs des indi-
genes, des details qui serviront de complement k ceux
que nous devons k son compatriote.
La nouvelle expedition sur le Niger, que dirige le
docteur Balfour Baikie, s'est vue tout k coup arret^e
par la perte, pr^s de Rabba, du steamer /e Day-Spring.
Heureusement I'amiraute britannique amis k la dispo-
sition de M. Mac-Gregor Laird un autre batiment qui
permettra k 1' expedition de reprendre sa marche. La
Societe g6ographique de Londres a publie une lettre de
M. Baikie , datee du "28 septenibre 1857, qui fait con-
naitre les premiers resultats du voyage. Le 20 juillet,
le navire avait jete I'ancre devant Abo, situe ci b pointe
extreme du delta du fleuve. Les voyageurs avaient en-
(1) Mittheilungen, n" x, p, -ilictiv.
( 79 )
suite visits le pays d'lgbo ou mieux d'lho, celui d'Igara,
et le 10 aout ils atteignaient le confluent de la Tcliadda
etdu Niger, a Gli6b6 ou Ig-Begb6, ou M. Baikie, re-
connu par les habitants, trouva la reception la plus
cordiale. Les explorateurs s'6taient avanc6s jusqu'a
Aigau , I'Egga de nos cartes , dernier point qu'eut
atteint, en 1841, le capitaine Trotter. C'estli que com-
mence le grand royaume de Nufi, oil r^gnait dans ces
derni^res ann^es une complete anarchie. Leroi, alors de
retour dans ses 6tats , envoya des messagers aux An-
glais pour les inviter a lui faire une visile , et ceux-ci
recurent bientot pr6s de lui I'accueil le plus gracieux.
C'est le 18 septembre que I'exp^dition a atteint Rabba,
oil elle attendait 1' envoi d'un nouveau steamer.
Le Rev. Sam. Crowther a donn6 dans le Church mis-
sionary Juiel/igencerde cette ann6e, un apercu de la pre-
miere partie du voyage du Dayspring, auquel je ren-
voie ceux qui voudront connaitre les r^sultats d6ji
acquis par I'exp^dition du Niger.
Aucune difficult^ de la part des naturels n'avait en-
core arret6 les voyageurs. Le pavilion anglais est main-
tenant, pour toutes ces contr6es, une vieille connais-
sance , et tout annonce que dans peu elles ouvriront
un vaste d6bouch6 au commerce intelligent de nos voi-
sins. Mais nous aurons nous-memes a profiter des rela-
tions que la reconnaissance complete du Niger va rendre
I'aciles pour 1' Europe. Nos int6rets ne sont ni moins
s6rieux , ni moins importants que ceux de la Grande-
Bretagne, et notre double occupation de I'Algt^rie et
du S6n6gal, semble nous appeler a jouir des avantages
qui appartiennent d'ailleurs a tous ceux qui savent,
( »o)
par leur perseverance, ouvrir dos marches nouveaux.
Aussi regardons-nons conime uii devoir de populariser
les d6couvertes g6ographiques qui ont marqii^ depuis
vingt-cinq ans et phis la presence des Europ^ens dans
le Soudan. Un livre rt^cemment pid)li6 par M. Ferdi-
nand de Lannoye, et intitul6 Le Niger et les e.iplora-
t/'o/is fie rjfrique centrale, altcindra, nous I'esperons,
ee but. Cost la meme intention qui a dictt^ a notre
z616 et lahorieux confrfere M, V.-A. Malte-Brun , son
Resume historiqiie de l' exploration ftiite dans f Afrique
centrale, de 1853 a J 85(>, par le docteur Edonard Vogel.
Ce travail, insere dans les Annales des voyages^ a
le m6rite de tracer netteuient I'itin^raire suivi par
I'illustre et mallieureux voyageur. M. Malte-Brun a su
tirer de la correspondance de Vogel un ensemble d' in-
dications qu'il a babilement coordonnees.
Pnissent des publications de ce genre inspirer pour
la geographic un gout qui ne demande en France qu^a
etre rechauffe. Que les niagnifiquos travaux de I'Alle-
niagne et del'Angleterre soient pour nous un noble et
puissant sujet d' emulation. La France , la patrie des
Sanson , des Danville , des Walckenaer, des Bougain-
ville, des LaPerouse etdes Dumont d'Urville, ne doit
pas renoncer a ses titres de noblesse geographiqne et
abdiquer des 6tudes qui sont une part de sa gloire scien-
tifique. j\Ialheureusemeiit un enseignement qui popu-
larise dans le public des notions dont tout le monde a
besoin, manque dans nos lyc6es et nos facult6s. Ni le
College de France, oil sont exposes les r^sultats les plus
eiev^s de la science ; ni le Conservatoire des arts et
metiers, ou Vindustrie et le commerce apprennent les
( 81 )
ressources qui peuvent accroitre les produits , ne pos-
sedent de chaire de geographie. Eh bien ! que notre
Society tache du moins de suppleer a cette lacune dans
renseignement , que tous les amis de la geographie
reunissent leurs efforts pour inspirer le gout des lec-
tures, oix rhonime apprend ci connaitre le monde qu'il
habite et le theatre sur lequel peut s'exercer son acti-
vity. Je ne mets pas en doute, Messieurs, que cette
superiorite conimerciale et colonisatrice qui distingue
les Anglais, ne soit due, en partie, a la popularity dont
jouissent parmieux les livres de voyages. INous, aucon-
traire, contents de notre belle France, moins soucieux
de savoir ([uelles ressources recelent les autres con-
tr6es , nous oublions trop que , quelque riche que soit
un pays, son seul territoire ne suflit jamais a son acti-
vity, sa population ne saurait s' accroitre , son influence
se uiaintenir, qu'a la condition d'agrandir sans cesse
ses relations et d'etendre ses entreprises,
Les d6bouch6s que I'Afrique peut nous fournir, s'ac-
croitront encore par le percement de I'isthme de Suez. Si,
comuie nous I'esperons, cette grande ceuvre est couron-
nee de succes, on verra s'ouvrir a la curiosite et au com-
merce des Europeens les riches et curieuses contrees qui
bordent le littoral de la mer Rouge. Un voyageurbavarois,
prematurement enleve a la science, le baron Richard de
Neimans, nous a donne une id6e de tout ce que Ton est en
droit d'attendre des relations avec les pays riverains de
la mer Rouge , dans un int^ressant apercu public par
le Journal de la Socle te orlentale de Lc/pstck (1). II y
(I) Tome XU, partie iii, p. 391 et suivanles.
XVII. JANMEU ET I'tVRlER. 6, 0
(82)
passe en revue , sous le rapport dcononiique , les
diverses places commerciales dc ces parages, donne
la statistique dc lours produits, indique les articles
que chaque ville ou chaque contr^e peut ^changer
centre les notres. Je ne saurais trop recommander au
commerce franrais la lecture de ce travail, qui m^rite-
rait d'etre traduit dans quelques-uns de nos recueils.
Comaie complement du travail de M. de Neimans, il
faut citer I'ouvrage de M. le docteur M. T. Schleiden,
sur I'istlnne de Suez, public cette ami^e a Leipsick,
Gt od des recherches sur la marclie des Israelites dans
le desert, viemient ajouter a I'int^ret des documents
qua recueillis ce savant sur le canal projete.
L'Abyssinie , que ses relations commerciales ratta-
chent au littoral dc la mcr Rouge, attire tons les jours
de nouveaux visiteurs, dont les r^cits ajoutent des in-
formations nouvelles a celles que nous devious a des re-
lations plus c616bres. M. de Courval a r^cemment com-
munique h notre BnUetin une notice int^ressante sur le
pays de Barka. M. Werner Miinziger a dress^ une carte
du nord del' Abyssinia, en I'accompagnantd'une notice
importante qui a paru dans les Annales des voyages,
M. Barbie du Bocage, pour lequel le gout dc la geogra-
phic est un glorieux heritage de faniille, a reuni sur
Madagascar un ensemble de documents qui lui out per-
mls dc donner, dans notre BuUedn, une monographie
complete de cette lie. C'est le dernier travail sur
TAiriquc qui me reste k vous signaler. L'an procliaiu,
je I'espere, nous aureus aussi a vous parler des resul-
tats du voyage de M. le docteur Cuny. Parti en fevrier
dernier de Syout pour le Dur-Four, bravant toutes les
( 83)]
difficull6s et les dangers qui d^fendent Y&ccbs de ce
royaume encore si mal connu, le m^decin iVancais a,
d6s ses premiers pas, fait la triste experience des perils
qui s'attachent k une pareille entreprise. Puisse-t-il
elre plus heureux que le baron de Neimans, mort au
Gaire, au moment ou il s'appretait a explorer la nieme
contr6e.
Vous n'attendez pas de moi, Messieurs, que je vous
sign ale toutes les publications g^ograpliiques qui se
rapportent k I' Europe ; car ilme faudrait passer en revue
des milliers d'ouvrages et d' articles de journaux. Quel
est en ellet aujourd'hui Iclivre d'histoire, de statistique
ou d'6conomie politique, dans lequel la g^ographie de
I'Europe ne trouve pas son compte? Je me bornerai
done a vous parler des publications qui se rapportent
aux contr^es les moins connues parmi nous, ou a des
questions qui ont plus particuliferement occupy les g6o^
graphes.
La Gr^ce garde, comme je vous le disais I'an der-
nier, le privilege de nous fournir des sujets toujours nou-
veaux d'exploration. La Turquie, oil les Grecs demeu-
rent encore comme une nation distincte, qui conserve
sa langue, sa religion, ses institutions, ses usages,
reste pour nous un debris de la Gr^ce , et participe a
I'attrait qu'ont a nos yeux les contr^es exclusivement
helleniques. II ne s'agit pas seulement d'6tudier I'^tat
]ir6sont de tant de peuples divers que Tislamisme
s'cfforce de retenir sous son joug oppresseur, mais de
remonter aux temps anciens, afin' de d^couvrir par
quelle s6rie de vicissitudes ont pass6 les peuples et
les territoires. C'est ce qua essays de faire un de nos
( 84 )
plus hiborieux conlreres, M. G. Lejeaii, dans cleu"<;
%oyages siicccssils eiitrepris au nord ct a I'oiiest de
I'enipire ottoman. Ilvousa communique sur le Balkliaii
central une notice redig^e sous I'inipression n)eme des
lieux, et oil s'annoncent les qualites d'un veritable geo-
graphe. Ils'apprete a publierune carte ethnologique de
la Turquie, dress6e avec tout le soin et toute la con-
science que nous somnies habitues a rencontrer dans
ses travaux. D6ja nn recueil p6riodique, la lieuiie con-
feiiipora/ne, a fait paraitre des appreciations ethnolo-
giques et geographiqnes dues a la plume do uotre esti-
mable confrere.
M. G. L. Kriegk (do Francforl-sur-le-Meiuj a fait
de laplaine de la Thessalie, une etude particuliere, qui
est consignee dans un ouvragequ'il vous a ofl'ert. Bien
qu'un assez grand uorabre de voyageurs eusstmt d^ja
visite, depuis undemi-siecle, cette province de la Grece,
ejle est si riclie en localites bistoriques, si feconde en
impressions de tout genre, qu'on ne saurait la parcou-
rir, sans rencontrer encore des sujets nouveaux propres
a interesser I'admirateurde la nature et de I'antiquit^^.
Les cloitres, oi!i se conservent en Turquie lesdenii^res
traditions de la civilisation liellenique, out surtout pour
les voyageurs un charme particulier. lls'exbaledutbnd
de ces retraites un part'um d'antiquite ou les souAe-
nirs de la primitive ^glise se melent a ceux des ages
paiens et de la societ6 byzantine. Un voyageur russe ,
M. P. de Sevastianow (1), mcttait, il y aquelquesmois,
(I) Voyezuuexlrail de sou excursiouau moot Aihus, Rovue atcheo-
logique,wu6e 185S, p- ^l>-
( 85 )
soiisvosyeux des vues photographiees dii mont Atlios,
siirles cimes du(iiipl ft'elevent les plus c(''l^bres de ces
couvents, dont les depots litt6raires out eiirichi nns
bihliotb^ques. M. Rriegk a visite les inonastt;res (\u
Pinde, les met6ores de Stagus, le Kalabak des Turcs :
sa relation est consignee en qnelques pages interes-
santes dans le Journal o-r/icra/ de i^eni^rnplu'r th'
Uerlin (1).
Les Mc/eores, coimiie unappellc ces nionasteres, sent
sitiies a I'extr^mite d'line cbaine montagneiise qui coint
siir la rive gaucbe du Kacbia ou Kratzovo, affluent du
P(^nee. lis s'el^vent a deux lieues environ au N.-E. de
Stagus, sur des cinies abruptes qui avaient d6ja attir^
I'attention de Pouqueville et de Holland, de Leake et
de Vaudoncourt.
Puisque je suis en ce moment sur un sol antique, je
veiix vous dire quelques mots d'un autre travail qui a
t;t6 inspire par le culte des lettres antiques, et qui traite
dela geographie d'une colonic grecquc; celui de M. le
D"' D. Macpherson sur le Bosphore cimm^rien et I'an--
cienne ville de Panticupee, public dans le Rapport ilc
r Association britannique pour rcn'aiiceiiient des sciences.
Notre Soci6te n'avait point encore re^u cet ouvrage,
quand j'ai fait mon dernier rapport, et je n'ai pu vous
en parler en son temps. Ce mt^moire judicieux sur un
point int^ressant de I'histoire des 6tablissements grecs,
est un des meilleurs du recueil ou la geographic et
Tethnologie obiiennent chaque annee (2) une place de
(1) Avril 1858, p. 265 Pt suivantes.
(2) Voyez sur les travaux de cette association mon article dans la
/iei'we des SoL-ietes savantes, mars 1858.
( 86 )
plus en plus honorable. Lo liappc»l de r Asxociatinn
hritanniqne vient. lous lesans, t6moignei' (In zMede nos
voisins ponr les etudes serieuses, et de la po])ularit«^
dont ces 6iudes jouissent panni eux. Notre Socl^t6 est
heureuse d'entretenir avec cette noble Association des
^changes de publications. Les reunions de Clieltenliam
et de Dublin ont tenu, en 185(3 et 1857, de savantes
assises ou nos sciences de predilection firent I'objet d'im-
portantes communications; etnousavons appris ((u'a la
reunion de cette ann^e, qui a eu lieu a Leeds, la geogra-
phie et I'ethnologie n'ont pas 6t6 moins bien traitees.
Je me transporte maintenant dans des montagnes
bien eloign^es de la Thessalie , dans ces Alpes scandi-
naves qui nous sont si mal connues, quoiquc leurs halji-
tants aient depuis longtemps pris place parmi les nations
les plus civilis^es de I'Europe. Mais end^pit des progr^s
de I'instruction, de I'avancement des lumiferesen Scan-
dinavie, cepays, plac6 sous des latitudes glac^es, s'oflVe
toujours a nouf; comme une terre inhabit6e , comme
une sorte d' annexe des regions polaires, ou rien n'est
semblable a notre nature, oil tout nous ^toune, c'est-
k-dire nous instruit , car I'elonnement, Messieurs,
qu'est-ce autre chose que le mobile de lacuriosit6. Nous
recherchons surtout ce qui est Stranger a nos habi-
tudes, ce qui ne frappepasd'ordinairc nos regards, ou
ce qui leur 6cliappc au seiu de rinimensit6 des faits
dont nous sommes environn^s. Ce n'est done point une
injure k fairc aux habitants de la Norvv^ge, de mettre
leur patrie au nombre des contr6es que nous exceptons
du silence gardo dans ce rapport sur tout ce qui rap-
pelle trop notre France.
( 87 )
Les Dovre et les File-Fjeld ont 6t6 traverses par
M. P. A. Siljestrom , pour se rendre du Sogn-Fjord
au glacier de Justedal. Durant cette excursion, donl
M. le I)'' Sebald a communique la relation au Journal
de geographie de Berlin, le voyageur scandinave a
recueilli une foule de faits int6ressants pour la geo-
graplne physique. On suit pas a pas I'auteur dans son
itineraire, qui ne manque jamais d'entremeler le r6cit
de ses aventures personnelles a ses observations.
Les File-Fjekl afTectent, par leurs cimes 61anc6es,
des formes qui rappellent celles des Alpes ; tandis que
les Dovre-Fjeld constituent des montagnes plus arron-
dies. Le voyageur a visits le Nystuen et le Moristuen.
De 1^ il a atteint le sommet du Suletind, qui domine
toute la contree a une hauteur d' environ 6000 pieds
su6dois , et figure une tour flanquant un rempart. Ce
pic est d6coup6 en un grand nombre d' aiguilles, et de
la plus 6lev6e, on apercoit plusieurs des principales
montagnes de la chaine, notamment le g6ant de la
Scandinavie, le Jotun-Fjeld, I'une des cimes du Song-
Fjeld; son altitude est 6valuee a 8000 pieds su6dois.
M. Siljestrom a visit6 , outre les glaciers de Justedal ,
ceux de Nigard et celui de Lodalskaaben, le plus vaste
de tons. Des masses incroyables de glaces sont accumu-
I6es dans laNorwege; elles ont cependantdiminu6 de-
puis un certain nombre d'annees. L'auteur cherche k
df^terminer les causes qui leur ont donn6 naissance. La
neige, en s'accumulant sur les cimes abruptes, deter-
mine de terribles avalanches qui contribuent a entre-
tenir la presence des glaces en ces lieux.
L'6tablissement des telegraphes 61ectriques a fourni
(88 )
un moyen noiiveau pour determiner avec precision la
diflt-rence des longitiides, et I'applicaiion de ce procC'de
a 6t6 tent(^e en divers points de 1' Europe. Une opera-
tion de ce genre vient d'etre laite, grace k I'^tablis-
sement du tel^graphe allant de Roenigsberg a Ber-
lin et de Berlin a Bruxelles. Nous en devons I'expose a
M. C. Briihns qui I'a fait paraitre dans le Journal
general tie geographie de Berlin (1),
Dans la Russie d' Europe , la geograpliie . I'otlino-
logie , sont cultivees avec une ardour qui s'accroU
chaque jour; et ce mouvement studieux dans un pays
si riche en informations, y assure les progr^s de nos
sciences de predilection. Je n'en veux pour preuve que
la liste etendue que je trouve au cinquieme numero du
Bulletin de la Society de Saint-Petersbourg , de cette
anuee, de tons les articles relatifs a la geograpliie . a
I'ethnologie et a la statistique, insures en 1856 dans
les differents journaux de la Russie. Assurement, on
ne trouverait pas pour la meme ann6e, dans les uotres,
une pareille abondauce de matieres.
La Russie d'Europe, quoique infiuinient uiieux connue
que la Russie d'Asie, pr^sente encore, surtout vers ses
frontieres orieutales , des points qui demandent a etre
explores et decrits. Aussi les savants russes clier-
chent-ils k completer graduellemeut la connaissance
que nous leur devons deja des gouvernements qui
avoisinentl'Oural. M. Antipow a publi6, dansle^«//e-
tin de la Societe de Saint-Petersbourg, une description
du pays qu'arrose la Petchora; elle sera lue avec interel
(1) Juiilet t8S8. p. 1.
(89)
par les personnes familiaris6es avec I'idiome dans lequol
elle est compos6e.
Je voiis ai parl6 Tan dernier de la publication du
colonel iM'nest Hofluiann , relative a 1' (Jural septen-
trional et a la chaine Pai-Rlioi ; pennettez-moi de reve-
nir snr cet ouvrage important. L'expedition dans I'Oiiral
septentrional fuL decidee en 1846 par le Conseil de la
Societe de geographie de lUissie, qui en confia le coni-
mandement a 3,1. le colonel Hoflmann ; elle cliai-gea on
outre j)lus particnli^rement cet officier desobsersations
geologiques etmin^ralogiques. M. Hollinann joint a des
connaissances profondes un courage a toute epreuve et
nne experience consomm6e. Rien n'ayant ete neglige,
ni quant au clioix du personnel de l'expedition, ni quant
anx apprets du voyage, on avait le di'oit de compter
sur d'importants resnltats Clette attente n'a pas 6te
tromp^e. L'expedition a rempli glorieusement la taclie
qui lui avait et6 impos^e. Malgr6 les nombreuses difli-
cultesetles dangers contre lesquels elle avait k luttei-,
elle atteignit juscp'aux parties les plus septentrionales
de rOural, en reconnutlesdiverses ramifications, exe-
cuta avec le plus grand soin des determinations astro-
nomiques et des leves topograpliiques, au moyen des-
quels elle dressa une carte exacte des parties uonl de
la chaine, a partir du 61° de latitude bor^ale jusquii la
mer Glaciale : elle y repr^senta en outre tout le cours
de la Petcliora, depnis ses sources jusqu'^ son embou-
chure. L'n des principaux resultats du voyage a ete la
demonstration de ce fait: que TOural n'atteint pas le
goll'e de Kara, mais qu'il descend brusquement dans la
toundra par la montagne Coiistantinow-Kamen, a en-
(90)
viron 50 verstes au sud du golfc, Iji autre fait non
moins important, qu'on a reconnu, c'est que la cliaine
peu 61ev6e de Pai'-Khoi, qui s'6tend vers la c6te ni6ri-
dionale du golfe de Kara , est entierement s6paree de
rOural par uue large plaiiie, et que cette deruiere cliaine
en dillere, taut par la direction que par le caract^re.
Je ne pourrais, sans de longs d6veloppenients, vous
donner une k\^e des immenses recherches que rotluio-
logie, de concert avec la philologie compar6e, poursuit
sur riiistoire des races qui out peuple soit I'Europe
soit le reste du monde. D'une part, je rencontre les ma-
gnifiques travaux de Castren sur les ])euples altaiques
dent j'ai rendu compte ailleurs (1); de I'autre, ce sont
les recherches de M. le baron Roget de Belloguet siu'
I'ethnologie gauloise, oil les elements qui nous restent
de I'idionie gaulois sont sounds a un exanien plus se-
vt^re , plus attentif. Citons encore les comminiications
faites a I'Association hritannique, dans sa reunion de
Dublin, par M. Antoine d'Abbadie sur les caractferes
ethnologiques et physiques des negres; celles de M. John
Beddoe sur le caract^i'e physique des AUemands an-
ciens etmodernes, du docteur Minchin sur les uiacro-
cephales d'Hippocrale, de Faniiral Fitzroy surla migra-
tion des premieres races humaiues, de M. \V. Bullaeit
sur Tetlmologie des races de I'Am^rique du Sud. Un
champ sans limites s'etendrait devant moi et j'essaye-
rais vainement de le parcourir, je vous fatiguerais sans
profit et n'aurais le teuqis de rien analyser.
Aprfes vous avoir fait connaitre, Messieurs, les tra-
(1) Rfvue germanique, novembrc 1858.
(91)
vaux et les entreprises auxqiiels out doling lieu I'^lude
des dift'^rentes contv^es du glol)e , il nie reste a vous
parler de ces expeditions plus vastes destinies a 1' explo-
ration du globe tout entier, deces voyages de circum-
navigation, qui ont sans doute perdu beaucoup de leur
interet, depuis que la forme'de notrc planfete est si con-
niie, mais qui sont cependant toujonrs comme de grands
r4sum6s des progrfes des sciences g^ographiques. Je
vous avais entretenu, Tan dernier, du voyage de la fri-
gate autrichiennpyVocnm, charg(^ed'une mission scien-
tifique. Le 18 novembre 1857, elle quittait le Cap et
falsait route pour Singapour. Avant d'arriver k la
pointe de I'Afrique, elle avait atteint Rio-Janeiro, et
aprfes un s6jour de trois semaines devant la capitale
du Br^sil, avait 6t6 jeterl'ancre, le 2 octobre , a la
bale Simon. C/est de lii quelle se lendit au Cap. Dana
son voyage du Cap a Singapour, elle visita les iles
Saint-Paul , du Prince Edouard , Marion , Crozet , Ker-
guelen et Mac-Donald. S'appliquant a bien determiner
les coordonn^es g^ographiques de plusieurs de ces
groupes, rexp6dition a enrichi d'indications nouvelles
nos tables de position. On doit a I'un de ses membres,
le docteur Charles Scherzen, un travail special sur les
lies Saint-Paul et de la Nouvelle- Amsterdam. Ce natu-
raliste a d^couvert deux nouvelles espfeces d'animaux
dans ces parages. A Saint-Paid, il a trouv^ des peche-
ries dirig^es par un Francais de Tile de la R^iuiion ,
M. Ottovan. Nous attendons prochainement des nou-
velles de la marche ult^rieure de la fr(^gate.
Ces voyages de circumnavigation fournissent h ceux
qui les accomplissent des informations si riches , si
( y2 )
abondaiUes. qu'il rsl laro ((u'cllos piiisspiil toiitos avoir
leur place dans les relations ollicielles. Et parfois,
bien des annc^os apr^s , les i)ieni])res de I'expedition ,
en compulsant Iciirs notes, y ti'oiivent encore la nia-
liere de livres inli-ressants. Nous en avons la pieuve
dans les Su/wfiiirs c[iie M. V. H. de Kii/.lilz vient de
pnblier du vo\ag(^ (pi'il a I'ait jadis snr le Sc/iitnv/n ,
r.ominande parle capitaineliiitke. (le naturalisto passe
en revue Rio-Janeiro, le Chili, la bale de Sitclia, les
iles Aleoutiennes, lesbords tie la livieiv kalaclityrka,
les lies Brown, Carolines el Bonln ; a cliaque i)age, il
donne sur ces contr6es, et principalement sur leur faune
et leur flore , des details, sinon toujours neufs , an
moins toujours instructii's.
Comnie au voisinage tics poles, il suHitde suivre quel-
que temps le nieme parallele, pour avoir accom|)li le tour
du globe, je classerai aussi dans lacategorie des voyages
de circumnavigation ceu\ (jiii on I etc faits dans les
I'egions polaires. line nouvellc ex])cdition, commands
par le capitaine Mac-Clintock , \ a explorer les mers
arctiqucs, non phis, lielas 1 dans I'espoir de retrouver
I'infortune Franklin, rnais au moins pour dticouvrir le
lieu )U"ecis oil il a peri. Les nouvelles qu'on a deja re-
cues du chef de rexpedition sont excellentes. Je ne
d6roulerai pas un itineraire (jui mettrait encore sous
vos yeux des contrties dont les noms vous sont tami-
liers. Disons seulenient que le 20 juilhit, le capitaine
Mac-Clintock etait au cap York, d'oii il comptait se
rendrea Tile lieechey pour y proct^der a une nouvelle
enquete.
Une expedition est partie de Stockholm I'^te dernier.
( ^3 )
pour le Spitzberg, suriuut en viie d'une exploration
g^ologique et min6ralogiqiie des lies de ce nom. Nul
doute qa'elle n'ajoute encore h. nos connaissances sur
la constitution des terres boreales et la climatologie
des regions polaires. Nous avons deja 6t6 inform6s ([ue
MM. Torell et Nordenskold ont ti'ouvc la carte de visite
que lord Duflerin a deposee au Spitzberg en 185(5 ,
conune inie invitation a marcher sur ses traces.
Ces voyages de long cours sont plus specialenient
organises en vue des progr^s de la physique terrestre ;
aussi m'oflrent-ils une transition naturelle pour vous
entretenir de quelques-uns des travaux qui touchent a
cette branchc de la science du globe. Un membre de
I'Acadt^mic de Belgique, M. Houzeau, vous a oflert une
Histnire du sol dc l' Europe , savant pr6cis de nos con-
naissances gen6rales sur la constitution terrestre, oiise
trouvent r^unis les resultats les plus importants de la
geologic et de rorograj)hie appliques a la partie du
monde que nous habitons. Get ouvrage est un nouveau
symptome du gout qui se r6pand cliez le public pour
une science sans laquelle les g^ographes ne pourront
bientot plus marcher, et qui nous promet quelques-uns
des secrets de la creation.
Entre les phenomtjnes physiques dont la geographic
doit plus particulierement s'occuper, je citerai de pri^-
ftrencc les tremblements de terre, a raison des travaux
dont ils sont devenus dans ces derniers temps I'objel.
Un observateur infatigable , M. Andres Poey, vous a
ofTert un catalogue dress6 par lui de ces terribles catas-
trophes, dont nous commencons a entrevoir laloi. Son
travail, intitule : llcpnitition ^cographique de /'unn'or-
( n )
salite dcs mcteores en zones lerrestres, atmospheriques ,
solnires et lunnires , qu'ont publid les Annales dcs
voyages, renferme sur I'ethnologie et plusieuis ques-
tions relatives a la physique du globe, cles apercus in-
g6nieux et liardis qui plaisent parleur nouveaut^, alors
qu'ils lie portent pas encore unc enti^re conviction dans
r esprit. M. Emile kluge a fait paraitre dans le Becueil
de M. le D'' Petermann (1) le croquis d'une carte ou
Ton saisit d'un seul coup d'ceil les directions suivies, en
1855 et 1856, par ces reactions du foyer int6rieur
contre le sol. La notice qui accompagne son dessin
montre dans quelle 6troite relation les Eruptions vol-
caniques sent avec les tremblemcnts de terre.
Toutes les personnes qui ont lu des voyages con-
naissent la mer de varech, cette prodigieuse accumu-
lation de fucus qui eflrayait, en l/i92, les compagnons
de Cliristophe Colomb, et leur faisait croire qu'ils ^taient
arrives aux derniferes limites del'oc^an navigable. M. le
capitaine Leps a 6tudi6 avec une attention particulifere
cette region maritime. II croit avoir remarqu6 que les
fucus ne sont pas, comme on I'a dit, arracb^s d'un
fond rocheux par la violence des eaux , mais qu'ils se
propagent d'eux-memes a la surface de I'oc^an. La mer
des sargasses n'est pas le receptacle des plantes qu'ap-
porte le GuJf-Stream k sa sortie du golfe du Mexique ;
elle est au contraire la source d'oii proviennent les va-
rechs isol6s qu'on rencontre dans la mer des Antilles.
M. Leps, rapprochant les diff^rentes opinions qui ont ete
^mises sur I'^tendue do la mer de varech , montre
[\)mihe\lv,ng6n, 1858, n" 6.
que toutes tendent b. lui assigner pour limites le
20° et le 36" de lat. N.; le SO^ et le 50^ de long. Mais
un examen critique le conduit a regarder ce domaine
comme trop resserre ; il prouve quecette mer d'herbes
s'6tend r^-ellement du 17" ou du 18° de lat. N. jusqu'au
38°, et du 30' au 80" de long. C'est particuli^rement
entrele 81° et le 50" que lesvarechs sont le plus abon-
dauts (1).
Je ne vous parlerai pas, Messieurs, des nombreux
hommages qui vous ont 6t6 faits par des officiers de la
marine imp6riale, etqui t6moignentde leurintelligente
activity. Les uns, comme M. le capitaine E. Tricault (2) ,
s'attachent a faire passer dans notre langue et a popu-
lariserparmi nous les beaux travaux hydrographiques
de M. le lieutenant Maury, dont le nom est aujourd'hui
europ^en. Les autres , comme notre confrere M. de
Kerhallet, composent des trait^s destines h faciliter la
navigation dans les mers que nous frdquentons. Mais
je ne dois pas passer sous silence la Table des positions
geographiques des principaux lieux du globe , qui VOUS
a 6t6 oITerte par notre respectable confrere M. Daussy.
Son nom nous est un sur garant de la rigueur scrupu-
leuse des calculs. M. Daussy nous a depuis longtemps
habitues aux travaux consciencieux et de bon aloi. On
ne saurait d'ailleurs en recevoir d' autres du corps des
ing^nieurs hydrographes, dont notre confrere a 6t6 long-
temps le chef, ct dont il demeure une des illustrations.
La table en question est extraite de la Connaissance des
temps pour I'annee 1860.
(1) Annates hydrographiques, aaa^e 1857, tome XIII, p. 565 et sui-
vantes.
(2) Voyez Annales hydrographiques^ «nn6e 1857,
( 96 )
Aprfesvous avoir donii6 lui apercu, que j'aurais voulu
rendre moins incom[)lct , des principales publications
geographiques de cette annee, jc dois vous signaler les
cartes donl s'est enrichi notre depot, et quelques-unes
de celles qui out paru a I'^tranger. La moisson carto-
graphique a et6 a])ondante en 1858 ; elle denote les
progr^s remarquables qu'ont faits la topographic el le
dessin de la carte, depuis un quart de si6cle. Les arts
qui sout tout d' imagination et qui ne reinvent que du
g^nie createur, ne semblent pas susceptibles d'un pro-
gr6s continu. lis ob^issent a certaines vicissitudes de
I'intelligence ; ils ont des moments d' apogee et des p6-
riodes d'atonie et de di^cadence. Les Grecs, les Italiens
de la renaissance , si fort au-dessous de nous pour la
culture des sciences et ledi^veloppementdel'industrie,
sont encore nos niaitrcs dans les arts plasliques, et la
hauteur a laquelle ils se sont 61ev6s, rien n'annonce
qu'ou puisse aujourd'hui y atteindre. II n'eu est pasde
mexne des arts oii le soin et la precision tiennent lieu
du genie, ou la rigueur des mesures est preferable a
I'invention, ou ce n'est pas la nature qu'il faut saisir
dans ses manifestations passagferes et anim6es , inter-
pr^teret idealiser, mais ou Ton ne cherche qua repro-
duire un relief, qu'a ramener en un cadre 6troitceqae
I'ceil ne pourrait autrement embrasser, (les arts-la so
pcrfectionnent chaque jour; la plume et le tire-ligne
acquiei-ent de plus en plus d'habilete ; les teinles ])lates
se djslribucnt avec une entente plus complete; les
hachures et Ic pointill6 rendent avec plus de vcrite
Faspccl du terrain , le contour des figures geome-
triques, sans qu'on ait besoin, pour y r6ussir, du senti-
ment coloriste de I'^cole v6nitienne, de la puissance
( ^7 )
de composition et do la purete de deb^^in d'uii Michel-
Ange ou d'un Raphael.
La cartographic est done , k certains egards , plus
favorisee que la peinture. Ses ressources ne sont pas
aussi vastes, ses moyens aussi puissants, mais,elle ne
cesse de les accroitre et de les completer. Dans les
cartes dont je dois maintenant vous entretenir, j'ai vu
avec une vive satisfaction cette science, qui fait I'objet
de nos predilections , guider constamment I'artiste et
assurer a son dessin une rigueur et une verity d'expres-
sion geograpliique qui etaient inconnues auparavant.
Pour me conlbrmer a I'ordre que j'ai prec6demment
ndoptu, je commence par TAm^rique. M. le colonel
Joaquim Acosta vous a olfert mie carte de la Nouvelle-
Grenade an ytuIoTTF' pi"esentant la division de cette
republique en Etats {l^stadox) eten territoires. Ainsi
que les Etats-UnisduNord, la Nouvelle-Grenade recon-
iiait deux ordres de subdivisions politiques : les pro-
vinces et les territoires. Deux Etats , ceux de C'.auca et
de Cundinamarca , continent aux territoires de meme
noni, territoires que leur surface moins connue et inoins
habitue n'a point permis au colonel Acosta de repr6-
senter avec une 6gale abondance de details. Tout , en
eflet, est indiqu6 dans la carte des Etats : mines d'or,
d' argent, de cuivre, d'emeraudes, eaux jninerales, vol-
cans actifs, cheminset routes, ruines antiques. Depuis
le golfe du Mexique jusqu'au rio Miia et au Putuniayo,
dontle litsert, au sud, de Ihnites ala Nouvelle-Grenade,
se diploic un ensemble d'indications lopographiques
qui donnent a cette carte un haul int^ret, A I'eiitour sont
disposes dans des cartouches des cartes et des plans
XVII. JANVIER ET FEVaiER. 7. 7
(98)
figures sur une phis petite ^chclle el destines h com-
pleter la geographie cle la Republique. C'est d'abord
un plan de Bogota, un autre du port de Carthagfene,
avecl'mdication des sondages; puis un plan particulier
du Puerto de Sabanilla, dresse par M.le capitaine Jaime
Brun.Dans une coupe de la chaine des Cordilleres, jointe
a la carte, des majuscules, distributes ^ diff^rentes hau-
teurs de leurs cimcs, indiquent la composition du
terrain. La carte de M. le colonel Acosta est un nia-
gnifique travail qui fait le plus grand honneur a son
auteur.
Je vous ai entretenus tout k I'heure du Coast-Siuvey;
car, malgr6 le caract^re 6minemment topographique de
cette entreprise, je ne pouvaisla separer de ce quia t^t6
fait pour la geographie de TUnion. J'ai encore a vous
signaler un autre tra\ail cartographique des I^tats-Unis,
mais moins 6tendu : le Tmck-Siuvey du Paraguay,
dresse par M. le commandant am^ricain Th.-J. Page,
et dont vous avez recu plusieurs feuilles.
L'un de nos correspondants, le savant M. Kiepert,
vousaadresse deuxde ses plus belles publications. En
premier lieu, une nouvelle carte de 1' Am6rique tropicale,
comprenant la partie 6quatoriale des Indes occidentales,
TAmerique centrale , le Mexique, la Nouvelle-Grenade
et le Venezuela. Dans cette ceuvred'ensemble,racad6-
micien de Berlin a mis a contribution tons les documents
qui ont paru jusqu'a ce jour. Sa carte, dedi6e h. Alexandre
de Humboldt, est dignedece grand nom, mais elle n'a-
vait pas besoin d'un autre nom que cclui de Kiepert,
pour inspirer une entifere confiance au monde savant.
Ex(icut6e par le proc6d6 de la lithographic, elle a toute
(99 )
la uettete d'uiie carte gravee; ses six belles feuilles
formeiit uii veritable atlas, line I6gende d6veloj)pee v
indique le nom et la hauteur des montagnes; une
6clielle croissante, conforniement au systfeme de pro-
jection de Mercator, penuet d'obtenir imm6diatenient,
en lailles marins de 60 au degre, les milles g6ogra-
pliiques allemands, repondant a li milles marius, et
donne en pieds anglais les altitudes des montagnes.
Dans une notice, jointe a I'une des feuilles, M. Kiepert
I'ait connaitre les materiaux dont il s'est servi. Je passe
a la seconde carte que nous a ollerte I'habile g6ographe,
c'est une carte plus detaill^e de TAm^rique centrale.
Execut6e ])ar le meme proc6d6, dress6e avec une extreme
abondancede details, abondance pr6cieuse surtoutpour
la connaissance des cours d'eau, qui demeurent en ces
contr^es les divisions naturelles du pays, et bien sou-
vent les seules voies de communication, cette carte sera
lecue avec une vive gratitude par les amis de la geo-
graphic. Des l^gendes non moins d6velopp6es que dans
la carte pr6c6dente, et r6dig6es en francais, donnent
pour certaines provinces la statistique des terrains, celle
de la production des bestiauxet une foule d'autres indi-
cations non moins curieuses. L'(5chelle est de ^- — .
o 0 0 0 0 0
Je vous ai fait connaitre plus haut la publication du
voyage de M. MoUhausen dans la region du Mississipi.
Si uotre bibliotheque a le regret de ne point poss6der
ce bel ouvrage, nous avons du moins refu une de ses
cartes; on y peut suivre I'itin^raire du voyageur dans
la region du Missouri et dans tout le Far-West. Les
rapides progr^s de la colonisation rendent indispensable
aujourd'hui la construction de cartes nouyelles, desti-
( 100 )
iiees a lixer iios ideessnr des conlrees dont Ic iioin re-
leiitit sans cessc dans los jounianx. I)e])nis Ic .Missouri
jus(|ii"a ['ocean PacilKiiie, les villes Ifevent, pour aiusi
dire, comnieriierbe du sol. Destravaux topograpliiqnes
iniportants sont poursnivis depuisquelquesann6es, aux
Etats-Unis, dans le but d'arriver a un figiue complet
du terrain. Maisces oeuvres, encore pen connnes paniii
nous, sont trop Iractionnees, trop in6gales, pour i)rendre
place dans nos atlas. 11 etait n6cessaire der6sumer ces
essaispartiels, et de les soumettre a nn travail de rac-
cordement et de synthase qui leur ser\ it de controle,
avant de les livrer a la circulation. Cest ce qu'a fait
M. Henri Lange dans une carte dessinee en vue de
I'ouvrage de M. Mollhansen, et qu'il vous a gracieu-
senient offerte. Une notice qui y est jointe fait connaitre
tons les materiaux fjfu'il a eus a sa disposition, et per-
met de niesurer les difiicultes de la tache qu'il a acconi-
plie. Cette carte est, il est vrai, dress6e sur une assez
petite echelle, -^^t^oo ; maiscomme il s'agit ici sinqile-
mentde donner une idee generale du pays, et non de
Jigurer toutes les lignes du reseau naturel otlert par le
terrain, Teclielleest tr6s sutlisante. I.a carte comprend
tout le pays qui s'6tend depuis le fort Smith, nn pen au
nord du 35-^ parallelesur I'Arkansas, jus([u'a lacote de
Californie, dont elle donne la partie situee au sud de
San-Francisco. La route suivie par le voyageur Mollhan-
sen, du fort Smith au port de San-Pedro, forme, par
rapport k la carte, une sorte d'6quateur. Une petite
carte d'une moindrc echelle, ,toiVoo6' 'epr^sente
I'etaL dc Kansas, et tous les afiluents orientaux du Mis-
souri. Enfin, une coupe generale permet de suivre
( 10' )
I't^lt^vation dn so], depiiis ]o littoral de San-Francisco
jusqu'aii fort Smith. Celte coupe a son point culminant
presque an milieu de la ligne, a la passe de Campiiell,
sur la Sierra Madre, dont la hauteur estde 7750 pieds
anglais, pr6s du Camino del Obispo, qui lui est supe-
rieur en altitude de 500 pieds environ,
L'Asie ne nous a pas I'ourni, juessieurs, un si riclie
contingent de cartes quelenouveaunionde, II estcepen-
dant one carte d'une grande valeur, que je dois signa-
ler a votre attention. Les nombreux voyages dans I'Asie
occidentale, dont je vous ai parl6, faisaient sentir la ne-
cessity de cartes meilleures, pour cette region si int(^res-
sante au point de vue historique. L'Ann6nie, le Kur-
distan et I'Azerbaidjan reclamaient, en particulier, un
figure nouveau ; cette carte vient d'etre habilement
dressee par M. Kiepert, al'^chelle de roooTo- Divis6e en
/i feuilles, elle reunit tons lesm6rites que nous sonnnes
habitu6s k rencontrer dans les oeuvres de son auteur ;
et la Societ6 est heureuse d'en devoir un exemplaire a
son correspondant berlinois.
La guerre des Indes a fait 6clore un grand nombre
de cartes; destinees simplement a repr6senter les ope-
rations de Tarmeeanglaise, elles sont d'un int^ret gt^o-
graphique secondaire. Je vous signale encore, entre
les cartes des contr^es de I'Asie recemment livrees au
pid)lic, celledu pays d'Israelde M. Van de Velde, qui
vous en communiquait , il y a quelques annees, les
elements ; celle de la Chine, dressee pour suivre les
operations des Europeens sur les cotes de cet empire,
et qui vous a6t6 offerte par MM. Erhardet Basset ; enfin
la carte de 1' empire d'Annam, pour servir a I'histoire
( 102 )
des missions des j^suites, d^pnsef siir voiro biii-cau
au nom du R. P. de Montezoii, i)ai- iiotro cnnfrtM-p
M. d'Avezac.
L'Afrique n'est pas encore asscz connuo pour qu'oii
en puisse dresser des cartes aiissi riches on indications
que celles qui nous ont 6t6 fournies, cctto annee, par
I'Am^rique. On en est rMuit, en bien des points, k des
indications provisoires et grossiSros. Cependant les pro-
gr6s incessants des d6couvertes rendent indis])ensabln
la redaction de cartes nouvelles, tant pour suivre I'iti-
n6raire des voyageurs, que pour efiacer des esprits les
notions erron^es que nous devions aux cartes ant6-
rieures. Dans ce but, M. E. Desbuissonsadresse, sous
la direction d'un de nos confreres, M, Cortambert, une
carte complete de I'Afrique, dont le m^rite et I'int^ret
seront ais^ment appr6ci6s par vous. M. Desbuissons a
en outre place dans un cartouche une carte r^dnite, mais
plus d6taill6e, de I'Alg^rie, allant jusciu'i\ Ouargla, el
comprenant tout le pays situ6 au nord du 32" de lati-
tude, sous lequel cette ville se trouve situ6e. L'auteur
indique dans le Soudan les diverses localit^s et les
populations visit^es paries derniers explorateurs; il
met k contribution les voyages de Livingstone et les di-
verses informations dues f\ceu\ qui ont visits I'int^rieur
de I'Afrique australe. C'est t^galcment h vulgariser les
progrtjs dc la cartographic , que s'est consacr^ notre
confrere M. Malte-Brun. Des cartes aussi consciencieuses
que celles qu'il a dress6csdu voyage de Vogel, de Tile
de P6rim, permettrontk tons ceux qui s'int^ressent aux
questions geugraphiques, politiques et commerciales,
de suivre sur, le terrain, du fond de lour cabinet, la
( 103 )
marche des 6v6nements. M. J. G. Miani a enrichivotre
d6p6t d'une nouvelle carte du bassin du Nil ; elle est
destin^e a faire comprendre ses id6es sur les sources
myst6rieuses de ce fleuve, et montre la commune ori-
gine qu'illui suppose avec la riviere de Zanguebar.
Vous devez, messieurs, aM. le docteur Henri Lange,
outre la carte du Mississipi, une carte du nord-est de
I'Egypte, donnant la partie comprise entre I'isthme et
le Nil, jusqu'un peu au sud de Sakkarah. M. Lange a
prisle soin, et c' est la ce qui ajoute un int^ret tout
particulier a sa carte, de noter les diverses ]ocalit6s ou
se trouvent des ruines. Ex6cut6e par le meme proced6
quecelle qui sert d'itin^raire aux voyages de M. Moll-
hausen, cette carte, kl'^chelle de «3^'o^, int^ressera
particuli6rement les personnes qui s'appretent h suivre
la grande operation du percementde I'isthme de Suez.
L'Europe nous fournit naturellement les cartes les
plus completes et les plus d6taill6es. Le degr6 de pr6-
cision avec lequel le terrain a 6t6 etudi6 trouve dans
la perfection topographique son miroir fidfele. Vous con-
tinuez a recevoir les feuilles de notre: magnifique carte
del'6tat-major, au ^,^,; cinq feuilles nouvelles ont 6t6
d(^pos6es sur votre bureau. L'6tat-major du royaume des
Pays-Basrivaliseaveclenotre, et, ilfaut le reconnaitre,
son ceuvre soutient noblement la comparaison. Quatre
feuilles nouvelles vous ont 6t6 envoy6es. En jetant les
yeux sur les deux derniferes que vous avez recues, les
n" 37 et 38 {Hatten et Gonnchen), j'ai 6t6 frapp6 de
I'habilete avec laquelle les ofliciers n^erlandais sonL
parvenus a rendre dans tons ses details les divisions
infinies du terrain. Vous Ic savez, uiessieurs, les Pays-
( 10/j )
Bas presontent une succession perpetuellr de niarais,
de lourbi^res, de polders, de canaux, de prairies el de
jardins. Lesrouteset leschemins y sontn^cessairenient
plus niultipli6s, parce que I'^tat du sol isole en quelque
sorte les foiids de terre les uns des autres. Eh bien I tout
cela est rendu avec une clai-t6, une v6rit6 de tons et
une distribution de lignes queje n'ai encore observ^es
nuUe part. L'fjciln'y est jamais fatigu6; grace au figurC',
il devine, presque sans 16gende, la nature du terrain,
et se retrouve ais^nient, au milieu des lignes innoni-
brables (jui se croiseni ou courent i)arall(Mpment. La
Soci6t6 sera heureuse de donner un teuioignage de sa
haute estime a I'd'uvre d'uu gouvernement qui s'est
toujours fait remarquer par son zfele intelligent et ^clair^
pour les sciences. Les Hollandais sont un petit peuple,
mais si Ton mesure I'etendue des services qu'il a rendus
k la civilisation, on trouvera que sa place est une des
pins belles et des plus larges sur la carte de I'hii-
manit6.
La maison Perthes, qui est aujoui'd'hai un vaste la-
boratoire d'oii sortent les travaux g^ographiques les
plus divers et les plus consciencieux, vous a oflert un
atlas des contr6es alpestres en neuf feuilles, dressy par
M. J. G. Mayr.
Les contr6es de montagnes sont, connne vous savez,
messieurs, lapierre d'achoppenient de la cartographic.
Le dessinateur d'une carte doit s'attacher surtout k deux
choses : 6tre vrai, etre clair. Or, dans une contr6e for-
tement accidpnt6e, cette double condition devientbien
difiicile ireinplir. Quand on teiite de figurer lesol avec
loiites ses inegalites, r(X'il se brouille. et il kii devient
( 105 )
presqne aussi (lirficile de se retrouver, qu'il Test au
voyageui' de gravir les pentes abruptes de ce sol tour-
ment6. M. Mayr a abord6 hardiraent le probl^me sur
une 6clie]le de -^^u- Par iin habile ajnstemeiitdeha-
chures,tOTir a towr rapprocbees ou 6cart6es, accusees on
l^g^rement indiqu6es, il a reussi k nous doniier iin v6-
ritable relief apparent de la partie la plus montagneuse
de I'Europe. Et cependant les noms sont inscrits pai-
tout, au bord des torrents comme sur lacime des mon-
tagnes ; toutes les localites sont plac^es a leurs diff^-
rentes hauteurs, et, par un heureux artifice, la carte
pr6sente une veritable perspective. La Suisse, la Savoie,
le Pienioiit, la Bavi^re m6ridionale, le Tyrol, le paysde
Salzbourg, I'archiduch^ d'Autriche, la Styrie, I'lllyrie,
la haute Italic, les Vosges, sont compris dans ce bel
atlas, ceuvre prodigieuse de patience et de soin, oii, pour
manager notre vue, les yeux des auteurs ont du, h6las !
etre soumis a de rudes 6preuves.
Le probleme qu'a poursuivi M. Mayr, M. le major
Auguste Papen a cherche a le r^soudre par une autre
voie, demandant aux couleurs les indications que
M. Mayr ne tire que de I'asseinblage des hachures. II
a 6tabli comme une 6chelle ascendante de teintes
correspondantes chacune a une altitude d^terminee ,
depuis le blanc qui donne la surface des eaux, le brun
clair (pii repr6sente une hauteur de I a 100 pieds
francais, jiisqu'au jaune fonc6 qui correspond k une
altitude de 4500 a 5000 pieds. Pour des regions plug
^]ev6es, I'emploi de lignes continues sur un fond de
couleur supplee a I'insuffisance des teintes. L'atlas
de M. Papen. public par I'lnstitut g^ographiquo de
( 106 )
Franclbrt, que dirige M. Ravensten, a ete encourap;^,
messieurs, specialement par vous. Vous y avez vii uiip
ftiuvre s6rieuse eL originale, un lienreux essai d'atlas
hypsometriquc, digne de la sollicitude des amis de
la geographic, M. Papen a adopte la })rojecliou
de Gauss, et fait ex6cuter ses cartes par I'emploi de
la gravure sur pierre et de limpression en couleur.
Peut-etre cet usage nouveau du coloriage en carto-
graphie a-l-il 1' inconvenient de contrarier les habitudes
de notre (cil, accoutume a ne voir dans la couleur
qu'une indication geognostique ou de division poli-
tique. xMais la sim])Ucit6 du proc^de justifie la nou-
veaute du moyen.
Vous devez a la liberalite de M. Alfred Potiquet la
carte g^n^ralc du r^scau concede a la compagnie des
chemins de ferde I'Est, indiquant les relations directes
avec I'Allemagne, la Suisse et la haute Italie. Cette
carte, a l'6chelle metrique de iYo'oFo ^^ divis6e en
quatre feuilles, a 6t6 dress6e par M. A. Letellier et
dessinee par le donateur. Kile doit au petit nombre
d'indications quelle a pour but de fournir une extreme
clarte. Sa grande 6chelle perniet de mieux saisir la
complication des enclaves ottertes par le territoirc de
la Confederation gernianique.
Je mentioimerai encore, i)armi les cartes des con-
tr6es europeennes f(ui out r6cemment paru, celle de
Livonie de M, C. G. Ri'icker, dressce d'apr^s les der-
nieres obsei'vations astronomiqucs et geod6siqiies, v\
puhliee par la Society economique de Livonie ; la nou-
velle carte de Suisse, du D"" H. Kiepert; la carte (hi
cercle deMersebourg,j\ rechello de ^foW' ^^^^' ^^^^-
( 107 )
Plait, revue par M. T. de Bomsdortr; celle de Po-
m6ranie, par M. F. Haiidtke ; la carte du bassin de
I'Elbe, par M. I), H. Sebikoh ; les cartes de diverses
parties du Dauemark, par M. L. Both; la continuation
de I'Atlas topographique de la Saxe, piibli6 sous la
direction de M. Obeirreit ; enfin le magnifiqne ensemble
de cartes ext^cut^es par I'^tat-major russe, dont, grace
k une liberale volenti de S. M. Alexandre II, le public
pent niaintenant obtenir des exemplaires. La liste de
res cartes a (5t6 publico dans les Animles des i>ornges{\) .
MM. Paulin et Lechevalier n'ont pns cesse de vous
adresser les leuilles de I'Atlas universel de geogra-
phic ancienne et nioderne de M. A.-H. Dufour ; elles
sont parfaitement adapt^es aux besoins populaires
que cet atlas est destine a satisfaire. L'une de ces
cartes donne le r^seau des chemins de fer ; une autre
pr6sente la division administrative et physique de
notre pays ; une troisifeme est consacr^e aux £tats
scandinaves, que les derni^res explorations ont permis
de mieux connaltre.
Je ne vous dirai rien des excellentes cartes r^duites
qui continuent d'accompagner les Mittheilungen du
docteur Petermann : je ne dois point omettre ce-
pendant de les recomniander a votre attention, non
plus que la bibliographic des cartes que M. H. Ziegen-
balg faitparaitre dans lemfime recueil, ^ la suite d'une
bibliographic g6n6rale de la geographic.
Tel est I'apercudes cartes que vous aurez, messiem's,
k 6tudier par vous-raemes; je ne saurais en entre-
(1) Mai 1858, p. 258 et suivantes.
( 108 )
prendro ici mi pxainen criliqup oi approfondi. J'ai
il'ailleurs, en vous entretenant prec^deinment de cer-
tains voyages dans des rt^gions iniparfaitement connues,
parlt'' des cartes qui accompagnont leur relation.
C/cst un devoir [xiur la Sociutc derappeler au public
les pertes i'aites par la geographic, dans I'annec dont
ce rai)port expose les travaux ct les decouvertes. Sans
doutc il faut d'abord decornor des lanriors aux vain-
queurs, niais on doit aussi couij)ter ^es riiorts et leur
reudreles siipreiues devoiis: car c'est a eux qu'on est
redevable en partie de la victoirc. J'ai d6ja rappele
quelques-unes des pertes que nous avons eu a deplo-
rer. Ai-je besoin de citer, en conipletant cette triste Enu-
meration, le nomde M. Cochelet, qui vous est si present
a I'esprit, messieurs. Au milieu ties fonctions diplo-
matiques les plus importantes, AI. Cochelet trouva des
loisirs pour cultiverla g6ograpliie, jusqu'au moment ou,
appele au conseil d'Etat, ses occupations administra-
tives absorbferent tous ses moments et nous priv6rent
de son concours. Nous avons perdu en lui un confrere
aussi estimable que distingue, dont le souvenir demeu-
rera cher a la Connnission centrale, ausein de laquelle
il occupa longtemps Tune des places les plus liono-
rables.
Je passe aux voyageurs. Et ])our commencer par
ceux dont les titres sont de plus vieille date et les plus
6clatants, je nommerai Aim6Bonpland, ce compagnon
de 1 'illustre patriarche de la geographic. II est mortsur
le sol americain , plein de jours ct de ronomm^e , sur
ce sol oil il s'etail naturalise par ses travaux , et que,
conmie le colon , il avail lait sien par son labeur. I'n
( m )
geologue sueclois , Keilliau , coiiiiu par son voyage en
Laponie et an Spitzberg, et par son Grca non'egica, a
marque de sa mort le premier jour de cette annee.
Vous aviez recemment recu de Ini \me publication sur
les phenomenes d'erosion en Norvege , et vous vous
etes associ6sau deuil de sa patrie.En Angleterre, I'anu-
ral Beaufort, une des gloires de I'liydrographie, a ter-
mini une carri^re illustr6e par de grands travaux et
par un patriotisme que les 'Vnglais ne sepai-ent jamais
des obligations du savant.
En France, I'liydrographie n"a pas I'ecu de moins
i'atales atteintes. Denx ingenieurs, sortis de cette ecole
polytechnique dont I'enseignement toujours f6conde
par la science ne s'6puise jamais, ont 6t6, dans la force
de Tage, enleves par desmorts impr6vues. Vincendon
Dumoulin et Lieussou , qui avaient attache leurs noms
a des travaux que vous connaissez tons et que poss6de
votre bibliotheque , ont et6 effaces du livre de vie;
inscrivons-les iicelui de I'honneur. Un autre Francais,
rVnne Raffenel , qui avait brave le climat meurtrier du
Senegal, et, a deux reprises dilferentes, p6n6tr6 au
Soudan, a succomb6aux atteintes d'un nial qui desole
les cotes de I'Afrique orientale. ("est dans les memes
parages qu'une fenmie qui 6tonnait I'Europe par sa
resolution, et disputait aux plus intrepides voyageurs
la gloirc d'allronter les dangers et les privations de
toute sorte, M"' Ida Pfeifler, a pris le genne de la
jiiaiadie dont elle est venue mourir dans sa leire na-
tale. A ous aviez recu , avant son depart pour Mada-
gascar, r heroine des touristes, et admire en elle cette
siniplicite et cette modestie qui cachaient tant dc qua-
( 110 )
lit^s viriles. Quelle est done la puissance ties etudes
g^ographiques, quel est I'attiait que la connaissance
du globe ofVre a notre esprit, pour que des dc^vouenients
si nombreux soient, tous les ans, la p6roraison obligee
de ce rapport? Est-i) un mobile qui, ajir^s la reli-
gion et r amour de la I'amille ou de la pati'ie , ait in-
spire taut de resolutions surliumaines, fait braver
taut de d6gouts et de pd'i-ils ? Laissons les d^tracteurs
de la science lui reproclier ses erreurs inevitables el
ses illusions passag^res. Quand un penchant suggere
a i'homme une pareille force et de pareilles resolu-
tions , quand il iniprime a ses opinions une Anergic qui
en fait un heros, peut-on dire que ce penchant, que
I'ainour de la science, c'est delui ici que je parle, ne
soil qu'une vaine et d6cevante curiosit6? N'y faut-il
pas voir au contraire le reflet de la sagesse inlinie
qui nous ravit et nous illumine V
( 111 )
QUELQUES MOTS
SUR LA NOUVELLE-GRENADE.
Trois si^cles et demi se sont ecoules depuis la d6-
coLiverte de la Nouvelle-Grenade par Colomb , et plus
de trois slides depuis sa conquete par Alfinger, Que-
sada, Benalcazar et d'autres; cependant on peut dire
qu'elle est encore inconnue et qu'il s'agit de la d6cou-
vrir une seconde fois. On sait vaguement que tous les
climats , toutes les productions du monde s'y sont
donu6 rendez-vous ; que les deux grands oceans vien-
nent s'y effleurer ; que la se trouve un centre commer-
cial autour duquel tous les peuples doivent graviter un
jour ; mais il y a loin de ces id6es g6n6rales a une con-
naissance r^elle. Heureusement que 1' attention com-
mence k s'6veiller : les derniers 6v6nements de Panama,
de I'Am^rique centrale , I'attente surtout des grands
faits historiques qui se pr^parent dans le continent du
sud , attirent maintenant tous les regards vers cette
partie du monde. Peut-etre nous saura-t-on gr6 de
parler avec quelque detail de la Nouvelle-Grenade,
de son beau climat, de ses productions si diverses, de
sa population, de son 6tat social actuel, et des magni-
fiques destinies que lui reserve I'avenir.
I.
C'est k la structure de ses plateaux et de ses chaines
de montagnes que la Nouvelle-Grenade doit la super-
position et la p6n6tration r6ciproque de toutes les zones
( H--^ )
terrestres dans des limitet; coinparativement etroites.
Les Andes, si reguli^res en apparence dans lein* enonne
longueur, depuis le cap Horn jiisqu'a Tistlinie de Pa-
nama, airectent en reality un mode de formation tout
particulierqui assure a la Nonvelle-Grenade une grande
sui)enorite climaterique sur toutes les autres contrdes
de I'Amerique duSud.
En elTet, la Cordillere ne se deroule pas simplement
commc nnc longue suite devortebrcs gigantesques ali-
gn6es sur le rivage du Pacilique ; de distance en dis-
tance elle se bifurque , se dedoidjle pour ainsi dire , et
forme deu\ lignes de hauts sommets qui se longent
parall^lement , reviennent I'une vers 1' autre, puis se
reunissent et se confondent pour se s6parer encore.
Dans I'espace contenu entre les chaines paralldes s'e-
tendcnt des plateaux plus ou moins vastes , v6ritables
boursoullures de I'ecorcc terrestre, environnees de
tous cot6s par un rebord de montagnes. La Bolivie, ce
Thibet de I'Amerique, se trouve ainsi releguee sur un
plateau, et les sommets neigeux dresses de toutes parts
a son horizon I'isolent presque enti6rement du reste
de la terre.
On conipte dans I'-Vmerique du Sud huit dedouble-
ments de la Cordillere principale, et autant de centres
montagneux ou viennent se renouer les Cordillferes
paralleles. On pourrait comparer I'innnense chaine a
une corde musicale vibrante dont les doubles ondii-
lations se ju'opagent d'une extremity a I'aulre , en se
croisant toujoars par des points fixes et immobiles
appel6s na-uds de vibration.
A ([uelque distance au nord de I'equatcur, la oil se
( lis )
trouvent les frontieres m^ridionales de la Nouvelle-
Grenade, les Andes formenl un de ces noeuds, remar-
quable par I'entasseiuent el la hauteur de ses nion-
tagnes. Autour de ce plateau, que domine le volcan de
Pasto, cinq cours d'eau rayonnent dans tons les sens :
au nord , la Madeleine et son noble affluent le Cauca
se dirigent vers la mer des Antilles ; a I'ouest, le Patia
court se jeter dans 1' ocean Pacifique ; a Test et au sud-
est , le Japura et le Putumayo descendent vers I'Ama-
zone, veritable bras de uier projete par I'Atlantique au
centre uieme du continent. Ainsi I'eau d'un menie
champ de neige s'6coule vers trois mers. Du haut d'une
niontagne on voit en nienie temps les ruisseaux se
hater d'un cote vers la mer du Sud , de I'autre vers
I'Amazone et I'Atlantique ; on pent iiieme plonger son
legard sur la })laine du grand Oct^an , et laisser a la
Xois tremper ses pieds dans une source dont le mince
lilet va se perdre a niille lieues de la sur les cotes du
Bresil.
Le nu3ud montagneux de Pasto , au lieu de se bifur-
quer simplement comme les autres nicuds de la chaine
des Andes, se s6pare en trois branches distinctes. De
plus, les deux iiranches ext^rieures se subdiviseut clia-
cune en deux rameaux , de sorte que le systeme des
Andes grenadines conq)rend cinq chaines divergentes
provenant toutes d'un nieme plateau, comme cinq tiges
sortant d'une meme racine. Ainsi les Andes, avant de
s'all'aisser dans I'isthine de Panama, s'epauouissent en
even tail pour doimer une ossaLure de rocs a toute la
region colombieune situ^e le long de la mer des Antilles.
La chaine orientale , plus inflechie que les autres , se
XVII. JA^vl^•R et rtvRiKK. 8. 8
( 11^ )
dirige en ligne droile \ers Test , se renfle pour Ibriner
un rebord montagneux entre la mer et les vastes llanos
du Venezuela, et va mourir enfm dans I'ile de la Tri-
nity. La Sierra-Nevada de Sainte-Marthe , ile de mon-
tagnes pariaiteraent distincte de la chaine des Andes
et environn^e de tous c6t6s par la mer, par des lagunes
et des terrains d' alluvion, complete 1' ensemble du relief
grenadin. Aucun autre groupe de soniniets ne s'el^ve a
une aussi grande hauteur comparativement a I'^tendue
de sa base. La Sierra-Nevada couvre une sui'lace quatre
fois luoindre que la Suisse, et cependant elle darde ses
pics a plus de 6000 metres au-dessus dii niveau de
la mer.
La disposition g^n^rale des chaines en forme d'6ven-
tail , et la pente graduelle de la contr^e vers la mer
des Antilles , sont les faits les plus importants de la
g^,ograpliie grenadine, Presque tous les grands pla-
teaux : le Thibet , la Bolivie , le Gobi , couipl6tement
isol6s par leur 6l6vation et leur barri6re de montagnes,
sont restes jusqu'ici inaccessibles au commerce. Mais
danslaNouvelle-Grenade, il est facile de remontergra-
duellenient et d'6tage en 6tagedepuis la mer jusqu'aux
superbes hauteurs de Pasto ou de Cundinamarca. La
Madeleine , le Canca , I'Alrato , tous les fleuves qui
occupent le fond des valines entre les chaines diver-
gentes, sont les chemins naturels par lesquels s'op^re
la circulation des homnies et des produits entre les
provinces de la cote et les hauts plateaux de Fintiirieur.
La mer elle-meme , sollicit6e par les vastes plaines
basses, s'arrondit en golfes entre les extr^mit^s septen-
trionales des chaines , s'6panche au loin dans I'int^-
( 115 )
rieur, multiplie les lignes tie contact entre la terre et
I'eau, et par suite augmente la vitalite clu pays.
Cependant la partie nieridionale de la Nouvelle-Gre-
riade , couple en trois parties par les trois chaines de
ijiontagnes qui rayonnent conime de gigantesques mu-
raillesdu nccud central de Pasto,n'a pas une complete
liouiog6n6it6 ; et par suite, une grande divergence d'in-
t6ret3 et de politique , divergence qui vient de se ma-
nifester par le partage de la r6publique en huit Etats
federalists, a toujours exists entre Socorro et Bogota,
Bogota et Neyva, Neyva et Popayan, Popayan et An-
troquia. Mais en attendant les chemins qui abaissent
les montagnes et les tunnels qui les percent , il est
facile de tourner I'obstacle en passant I'isthme de Pa-
nama. Cette langue de terre a tout aussi bien pour
mission g6ographique de relier en une solide nationa-
lity les diverses parties de la Nouvelle- Grenade que de
r^unir deux oceans et deux mondes. Elle met en pre-
sence I'un de I'autre I'Orient et I'Occident, New-York
et la Californie , Londres et Singapore , et en meme
temps elle juxtapose dans la Nouvelle-Grenade 15s bas-
sins de la Madeleine et du Patia , que s6paraient des
barriferes de monts presque infranchissables.
II
A mesure que les chaines divergentes se d^gagent
du plateau central et s'61oignent I'une de I'autre, les
gorges interm6diaires s'afl'aissent par degr^s et se
changent en valines larges et profondes. Aux sommets
couyerts de neige, aux rochers nus sur lesquels s'atta-
( IJ« )
ciicul h peine tie miserablos lichens, succedeni les
^;lll6es her])eiises, les grands bois et les forets inip6-
netrables. Dans ces regions privil6gi6es, on pent vivre
a son gre dans la saisoii qu'on ainie, et dans I'espace
de quekjues heures descendre de la zone glaciale dans
la zone toriide. En un jour, on peut s'eniparer de la
terre entifere, pour ainsi diie, avec tons ses ph6no-
inenes cliniatiques, toute I'immense vari6t6 de ses
produits, et pour cela, il suflit de gravir une niontagne
ou nienie de regarder allentivement autour de soi.
Car les clinials ne sont pas super])0ses r6gulit!reinent
comnie des stratifications g^ologiques, mais ils se
penetrent reciproquemcnt, et souvent on peut voir a
cote I'uue de 1' autre des plantes de la zone polaire et
de la zone tropicale. Telle liane I'rileuse dont la brise
a porte la semence du fond des plaines inf6rieures, se
cache sous ini roclier pour 6viter la froidure, tandis
que tout pres de la des arbrisseaux accoutumfe aux
neiges se dressent sur les pointes pour recevoir tout
I'effort des vents. A 3500 metres de hauteur au-dessus
de la luer, des cactus et des agaves o oissent encore
dans toute leur majestueust beaut6, et, de meme,
qaelques mousses hardies descendent de lours pla-
teaux et s'oventurent jusque sur le bord des plaines.
En clVel, ne suflit-il pas d'une bouffee d'air chaud
pour porter I'etc jusqu'aux plus hautes cinies, et le
vent qui souffle des glaciers ne vient-il pas m6langer
ses couranls d'air froid a 1' atmosphere brulante?
Ainsi les clunats n'ont point de liniites rigoureuse-
ment d6finics et subissent ['influence de mille cir-
constances particuliferes. Les difT^rences de relief,
(H7)
d'exposition , de terrain, la durSe cIps plules ex des
s6clieresses modifientdiversenientles cliniats typiques,*
et realisent, par leiirs contrastes, les plus beaux
paysages de I'un'vers. Pour avoir I'esprit j'avi d'adnii-
i-ation, il n'est pas "besoin d'a^er conleuip'er la cascade
de Tequendania, qui, d'uu bond, plonge de la zone
temp6r6e dans la zone torr'de, ou les rapides du
Juarez qui se sent tailles a travers la montagne nn lit
de 1000 metres de profondeur : le phis niodeste^vallon
suffit. Vert, 16g6rement ondul6, tout bruyant d'eaux
courantes, 11 se blottit au pied de quelque g6ant nei-
geux, et se penche curieusement sur le vaste horizon
des forets de palmiers.
Les llanos, anciens bassins maritinies aujourd'hui
dess6cb6s, ne manquent pas non plus a la Nouvelle-
Grenade ; ils s'6tendent a Test des cinq chaines diver-
gentes et se d6roulent en plaines interniinables jusque
sur les rives de I'Orenoque et de I'Amazone. Des trou-
l>eaux de bceufs et de chevaux errent dans ces vastes
6tendues lierbeuses qui n'attendent que des habitants
pour acquerir une grande importance agricole. En un
mot, il ne manque a la Nouvelle-Grenade que les
deserts de sable.
Ill
La flore de la Colombie ne le c6de a aucune autre"
du monde entier pour la vari6t6 des esp^ces, et celle
du Br6sil seulement peut lui etre compar6e. Un Euro-
p6en non encore initio aux splendeurs de la v6gt^tation
tropicale 6prouve un sentiment de terreur religieuse,
quand il p6n^tio pour la premiere fois dans une foret
( 118 )
|renatlme. II avance en lu'silant, osani a peine mar-
cher sur les herbes eties raciiie.'^ eiitrclacees, osant a
peine plonger son regard dans I'incompivliensible
fouillis de verdure ou tout seniblc confondu, fleurs,
branches, arbres sveltes et droits, troncs deracin^s.
Au-dessus de sa t6te,les cimes touflues se superposent
aux cimes, et des rameaux bris^'S, suspendus par des
lianas presque invisibles, se balancent avec lenteur; a
ses pieds, sur le versant des pentes. s'6tend une mer
de feuilles de toute esp^ce, dispos6es en panaches, en
6ventails, en bouquets, en guirlandes, en spirales.
Autour de lui, les arbres superbes sont k demi caches
par des colonies de parasites en fleurs. Puis, ce sont
les lianes qui jettent Icur reseau sur la foret : les unes,
fortes comme des cal^les, s'enroulent autour des arbres
et les 6touflent sous une parure de leuilles vertes ;
d'autres se balancent gracieusement entre deux cimes
touffues et les uuissent par des guirlandes de fleurs;
d'autres encore descendent sur les troncs d6racin6s, et
les font disparaitrc sous I'l^clat de leur v6g6tation,
comme pour cacher 1' image de la mort au milieu de
cette nature si pleine de vie.
Dans ces forets, les plantes utiles sont innombra-
bles, la famille des palmiers y est representee par plus
de soixante espfeces; le cedre, I'acajou, le bois de fer
et d'autres arbres pr6cieux s'y trouvent en abondance ;
les plantes tinctoriales y croissent en foule, et plusieurs,
dont le nom botanique est encore a peine connu, don-
nent aux Indiens des couleurs parfaitement inaltera-
bles. Dans ces forfits viennent se rencontrer toules les
plantes medicinales des deux liemispheres, la camo-
( 119 )
millp Pt la salsepareille, la cliicor^e et ie sang-dragon,
la bourrache et 1' ipecacuanha, et tant d'autres plantes
qui out la propn6t6 de gu6rir par leur 6corce, leurs
fruits, leurs fleurs, leurs baumes et leurs gonimes.
IV
Malheureusement ce n'est pas cette magnificence de
la nature qui attira les conqn^rants espagnols dans
rint^rieur de la Colombie : ils n'avaient traverse
rOc6an que dans I'espoir de se gorger d'or. A la
recherche d'un Eldorado on d'une fontaine de Jou-
vence, ces hommes sans peiir avaient traverse sans
guide, sans nourriture souvent, de vastes contr6es ou
chaque pas ne se faisait qixk travers un obstacle. Les
premiers mouraient de faim et de fatigue, ils 6taient
tu6s paries sauvages ou s'entre-d6voraient eux-memes.
JN'importe, d'autres msens6s ne craignaient pas de
s'enfoncer dans les sombres forfits dont I'aspect mys-
t6rieux suffit pour effrayer, passaient les fleuves a la
nage en poussant de grands cris pour intimider les
crocodiles, dormaient au milieu des mar^cages dans
une atmosphere de miasmes, se pr^cipitaient sur les
sauvages dont chaque coup de fl^che donnait la mort
si la blessure n'^tait pas imm^diatement brul6e au fer
rouge. Poiu' leur faire oublier joyeusenient tons les
dangers terribles qu'ils avaient encourus, il suffisait a
ces h^ros d'un pen de poudre jaune ou de quelques
pierres vertes. Sans eux, sans leur avidity sans frein,
les plateaux de Bolivie, de Quito, de Bogota, les boi-ds
de I'Amazoue seraient encore inconnus, et toute la
( 120 )
population hispano-aiiiei'icaiup spimIi dair-sfmee siurle
pourtour malsain dii continent. Ainsi le bien est sorii
de crimes inexcusables, et la aussi la soif sacree do
Tor est devenue iin puissant agent civilisatem'.
Les histoires que nous racontent les chroniqueurs
an snjet des immenses ricliesses poss^d^es par les
tribiis indiennes fhi (Inndinamarca sejnblent tenir de
la fable ; mais tout en faisant la pai-t de I'exageration.
il est Evident que Tor etait coinnuni pariiii certaines
peuplades. On sail que le cacique des Mu\ seas, autre-
ment prodigue que le doge de \'enise, ne se contentait
pas de Jeter une simple bague d'or dans les eaux du
lac sacr6, mais y plongeait lui-uiejne. apr^s s'etre
roul6 dans la poudre d'or.
Si depuis, la production de Tor a diminue dans la
Nouvelle-Grenade , c'esi a I'aviditt^ des conqu^rants
eux-ra6mes qu'il faut s'en prendie : car, dans leur bar-
bare impatience de s'enrichir, ils faisaient travailler
les Indiens sans relache ; et quand ces pauvres betes
de somme furent niortes a la taclie, les maitres espa-
gnols, trop pen nombreux pour exploiter eux-raenies,
furent forc6s d'abandonner leurs mines, et bientot les
lianas et les grands arbres eurent cacht^ jusqu'aux der-
ni6res traces des excavations antiques. Le monopole
que s'6tait arrog6 la com- d'Espagne contribnait aussi
a diminuer la production de Tor. car ponrquoi tra-
vailler qiiand on ne doit pas jouir dn fruit de son
tra\ail ?
Cependant depuis la conquete, le produit des mines
a d6passe la forto \aloin- de 2 milliards de francs,
ce qui donne une inoycnno de 5 millions par an. De
J
( 12-1 )
)ios jours, la production annuelle est de 20 millions,
et, pour obtenir cette augmentation remarquable, il a
sufli d'abolir le monopole et de substituer des ma-
chines an travail grossier do nos ancetres. Bientot,
quand les compagnies sauront niioux ntiliser les noii-
velles ressources que leur oll'rent la mecanique et la
chimie, qnand snrtont rimniigration fournira des bras
et des intelligences, le rendement des mines augmen-
tera ind6finiment, car il est certain que la Nouvelle-
Grenade ne le cede a aucun pays du nionde pour la
richesse m6talliftre. Des Californies et des Australies
inexplor6es dorment encore sous les grands pics nei-
geux de la Cordill6re. Mais leur temps viendra bientot :
on lvalue qu'en 1860, la seule province de Medellin
produira de 30 a tiO millions.
Cette province, situee an centre nord-ouest de la
r6publique, est la plus importante pour I'industrie des
mines. La deuxchaines projettent leurs contre-forts au-
devant I'un de I'autre et se r^unissent dans un d^sordre
apparent. Les montagnes semblent jet6es au hasard,
et les cours d'eau ont 6te obliges de se frayer un lit
sem6 d'6cueils a travers le \aste massif des rochers.
En se rencontrant conuue deux courants maritimes,
les deux chatnes ont 6galement forme leur toiirbillon,
et c'est dans ce tourbillon de montagnes que se trou-
vent les plus riches mines d'or de la Colombie ; des
failles innombrables, des ruptures de rochers, des bou-
leversements de stratification, tons les mouvements
d6sordonn6s du sol ont sans doute contribu6 i\ la
sublimation des m6taux dans les veines de la terre.
Les m^taux qualifn^s de nobles : or, argent, platine.
( 122 )
mercure, et les pierres pr6cieuses, telles que l'6raeraude
pt le saphir, ne constituent pas les seiiles richesses
iiiijii^res cle la Nonvelle-Grenade. La formation sali-
ffere s'6tend snr unc vaste 6tendne, depuis \e^ bords
de la Vladplein^ jnsqu'au milieu des llanos de l'0r6-
noque. Le charJ)on de terre se rencontre aussi sur
plusieurs points, entre autres siir le plateau meme de
Bogota et dans les iles de (Ihiriqui, pr6s d'Aspin-
wall. MallieTireiisement il n'y a pas encore assez
d'indiistrio ]vmv rendre n6cessaire l'ex]iloitation de
toutes ces richesses. Le cliarbon de lerre des ties
de Chiriqiii est le seul qui ait 6veill6 I'-attcntion des
capitalistes. ••■.■ ■ ■ ,■
Que de tr6sors innlileinent prodigu6s par la nature
dans ce beau pays ! Dans la chaine du milieu oil s'est
concentric toute I'^nergie volcanique des Andes, ou
les monts Purac6, Huila, Ruiz et Tolima t6inoignent
par loiH's fum6es et leurs laves de I'activit^ dn travail
int6rieur, la terre pent 6tre consid6r6e comme un im-
mense laboratoire chimique tonjours i!i IVpuvre pour
d^poser dans ses cavit^s ou d6gagcr dans 1' atmosphere
des substances min6rales. Que sont les sources ther-
males de I'Europe, les jets de gaz hydrogfene de Fre-
donia, dans I'Etat de New-York, comparativement aux
sources chimiques de la Noiivelle-Grenade? D'aprte
Bousshigault, le rio Vinagre fournit par jour 38 tonnes
d'acide sulfurique et 31) tonnes d'acide chlorhydrique.
Depuis, Degcndhardt ;i d6couvert inie autre source qui
donne trois fois phis fl'acide sulfurique, /jOOOO tonnes
j);u- .■III. HI' qiioi charL;'')- nuc plus grande armada mie
cplle de Philippe II. Kl coml)icu d'autri's sources onssi
( 123 )
hiiportantes pour rindustrie future n'y a-t-il pas dans
ces regions volcaniques oii une simple pellicule terrestre
recouvre des lacs de niin6raux en fusion?
5(,
V
Ainsi la Nouvelle-Grenade est riche, riche de tous
tes tr6sots de la terre ; mais est-elle salubre ? On ne
saurait r^pondre directeinent a cette question ; car
tous les climats s'y rencontrent, depuis le plus vivi-
fiant jusqu'au plus meurtrier. L'insalubrit6 d'Aspin-
wall et de Chagres est proverbiale, et si Panama n'a
pas 200 000 ou 300 000 habitants, c'est parce que les
Europ^ens y respirent la mort.
Presque tout le pourtour maritime de la Nouvelle-
Grenade est plus ou nioins insalubre, a cause des
miasmeS palud6ens qui vident I'atinosphfere ; mais
aucune region n'est aussi malsaine que la cote du
Pacifique, oil les pluies constantes et les for6ts imp(^-
ndstrables aux rayons du soleil entretiennentune humi-
dite fatale. C'est pourquoi la province de Choco est
comparativement inhabitee, malgr6feesTicl]esses min6~
rales : I'or meme n'exerce pas assez de fascination
pour y attirer les immigrants ct leur faire braver les
dangers du climat,
Dans la Nouvelle-Grenade, le cours des saisons suit
r6guli6rement le cours du soleil. C'est la saison plu-
vieuse, quand le soleil est au zenith ; mais a I'epoque
des solstices, quand I'astre est perpendiculaire a I'un
des tropiques, r^gnent les s^cheresses. Dans les re-
gions 6quatoriales, une bande de nuages, semblable a
( m )
I'une tie celles que nous voyons sur la ])lan^te Jupiter,
s'inlerpose diiectement entre le soleil ot la terro, que
pourralt dessecher une clialeur tiop intense; ce voile
humide oscille du nord an sud de r(''(ii'ateur fii nieme
temps (jne le soleil, et, laissaiil tnniber des pluies
abondantes sur les contrees ([u'il omhrage, produit
ainsi 1' alternative des saisons. Deux ibis dans I'annee,
cette zone de nuages passe sur la Noiivelle-Grenade,
avec son cortege de pluie, de grele et de tonneri-e;
deux fois elle s'6loigne en laissant derri^re elle une
atmosphere pure et d^gagee de vapeurs. Dans la pro-
viuce de Clioco, au contraire, les pluies sont con-
stantes, et le cours des anuses et des siecles n'am^ne
jamais un changement de saison. D'ou vient ce con-
traste si remarquable entre le xersant de la clialiie des
Vntilles et celui du Pacifique?
II est du k la disposition des montagnes grenadines.
Les cinq chaines s'allongent conime une quintuple
barrifere pour empecher les vents alises de propager
leur courant dans la direction de I'ouest, et les forcent
a s'engoulTrer dans les valines de la Madeleine et du
Cauca. La cote du Pacifique, paifaitement abrit^e
contre les vents frais du nord-est, garde son atmos-
phere morte, lourde et immobile. Les couches d'air
ne se renouvellent que lentenient, et mainliennent la
contr6e dans un bain constant de vapcur. L'inunense
bassin de la mer duSud est la pom- i'oinnir sans cesse
au soleil qui 1' aspire des torrents de nuages qui bient(')l
aprte retomJjcnt en torrents de plnie.
Aussi la region du Parifiquc est-elii' fcilik cnivc.
toutes. Des arbres gigantcsques, tollement eidaces des
( 125 )
cordages de liaiies, f(ue la luiui^re y circule a peine,
absorbeni par leurs feuilles a\ ides des couraiits d'acide
carboiiifpie, et par leurs raciiies entrelac6es s'abreu-
venL d'huiiiidite. La tout disparaii sous ]a verdure,
les marais eux-in ernes se cacbent sous des forets flot-
tantes. Cette exuberance de v(^g6tation est accompa-
gnee d'line exuberance de maladies ; les miasmes
absorb6s par I'bonime geruient dans son organisme
ct se developpent aussi rapidernent que les autres
semences.
Dans certaines vallees de I'int^rieur ou ralmospbfere
ne se renouvelle pas et laisse Fbumidit^ ramper con-
staniment sur le sol, la 16pre, 1' elephantiasis et le
goitre torment une hideuse trinity de fl6aux. La 16pre
et les maladies qui lui ressemblent peuvent avoir pour
cause les piqures des insectes, la inauvaise alimenta-
tion, les babi tildes immondes, et peut-etre aussi la
degen6rescence des races m6lang6es au basard dans
line veritable promisciiit6. II est des bameaiix oil tous
les habitants, sans exception, olTrent un aspect ef-
frayant avec leurs visages et leurs corps tachet6s
comme des peaux de panthfere; leurs vetements en
pourriturc se detacbent par lambeaux, et les cabanes
oi!i ils gitent sont f^tides et l^preuses comme eux. Leur
aspect repugne d'autant plus, qu'ils etalent leur lai-
deur au grand air et sous un ciel si beau.
Le goitre est une triste infirmit6, malheureusement
tr6s-comraune dans certaines valines encaiss^es de
I'interieur, et elle est g6neralement accompagnee de
cretiiiisme. Au commencement du si6cle, le c6l6bre
C'-aldas, exagerant sans aucun doute, cbsait que, sur
( 126 )
dix habiiant^i dc la Nouvelle-Greiiadc, il \ avail un
goltreiix. Ce serait un lait crop deplorable que la deci-
mation d'un peuplc par aiie si laide maladie, pour
qu'on puisse cu adiuettre la realite sans des preuves
absolues.
Ces tristes maladies n'aflecteiit millement la salu-
brite g^nerale de la Nuuvelle-Grcnade, pas plus que
ies lifevres de Marennes ou de la Camargue n'aHecteul le
climat general de la France. Les plateaux et la pluparl
des valines n'en restent pas moins des paradis terres-
tres. Dans certains districts, la vie nioyenne depasse
cinquante ans.
NuUe part et a aucune epoque de I'annee, les clia-
leurs ue devienneut insupportables. Sur les cotes de
la mer des Antilles, la chaleur moyenue est de 27° c;
jamais elle ne d6passe 37° c; tandis que dans I'int^-
rieur des Etats-Unis, a Fort-Gibson, on a vu le ther-
mometre indiquer la chaleur infernale de 47° c. Les
oscillations des saisons -s'op^rent toujours d'une ma-
niere si graduelle, qu'on s'en apercoit k peine, et les
variations subites, qui moissonnent tant de vies aux
Etats-Unis , sont parfaitement inconnues dans la
Nouvelle-Grenade.
Cependant on pourrait faire un reproche k ce beau
climat, celui d'etre trop delicieux. L'6nergie physique
s'afiaiblit dans la suave atmosphere oil chaque souffle
d'air que Ton aspire pioduit uiie douce volupt6.
Peut-etre meme I'intelligence perd-elle en vigucur ce
qu'elle gagne en 6tendue ; elle devient plus gi^nerali-
satrice, niais elle est moins incisive ; il faut que la
volont6 r6agisse constamment sur elle, pour I'empe-
( 127 )
cher de se livrer paresseiisement ;i la jouissaiice egoiste
de la vie. Dans les regions temp6r6es, le chaiigement
des saisons prodiiit sur I'liomme un effet procligieux :
il hate ou retarde I'^laboration des sues, aiigmente ou
diminue la combustion int6rieure, faiivarier du tout
au tout le genre de vie, transforme la nature dans
I'espace d'une nuit, et, sans que I'houime change de
place, fait passer tour a tour devant ses yeux les
paysages les plus varies. Ces ph6nom6nes divers
secouent Thomme dans son etre moral aussi bien que
dans son etre physique ; ils donnent sans cesse de
nouvelles impulsions a I'intelligence, et celle-ci, sol-
licit^e par chaque nouvelle transformation de la
nature, pense , et pense sans relache. Le climat de la
INouvelle-Grenade , incomparablement plus riche et
plus beau, donne k I'esprit plus de grandeur, mais
aussi le laisse dans im 6tat de contemplation pares-
seuse : il est trop uniforme. Heureusement que cette
uniformit(^ disparaitra quand les voies de communica-
tion permettront de s' Clever, dans I'espace de quelques
minutes, de I'^t^ des plaines au printemps et a I'hiver
des plateaux.
VI
Un si beau pays devrait avoir une grande popula-
tion, car partout la nature" y invite I'homme ci multi-
plier, et lui fournit en abondance tout ce qui pent
rendre la vie agr^able. En cflet , lors de la conquete ,
les villes et les villages 6taient sem^s par miUiers dans
les hautes valines de I'int^iieur, et le sol 6tait cultiv6
jusque dans les gorges les plus 6troites ; mais une
( 128 )
poignee d'liommes venus de I'Orieiit suflit pour exter-
iiiiner on ie])longer dans la barbarie la plus abjecte ces
tribufii heureuses. Les Espagnols soitirent tout a coup
des forets de la cote comme des betes f^roces d'une
espe.ce inconnue, months sur des aniiiaux superbes, a
la cn'iie'-e flottante , a I'wil de feu , poftant des amies
terrib'es d'ou jaillissent r6clair et la luort, faisant avec
le doigt , sur leur poitrine et sur leur front, uji sigiie
mystcrieux qui leur inspirait uv.e rage diabolique. Les
Indiens trembl6rent a la vue de ces eflrayants demi-
dieux, et se laiss^rent massacrer par niilliers, ou bien
encliainer'pour la niort plus lente, niais plus affreuse,
de I'esclavage.
Les horreurs de la conquete ont 6t6 partout les
mcmes : an Mex'-que, a Saint-Dondngue, a la Nouvelle-
Grenade, au P6rou. La ou se presente I'Enropeen avec
sa civilisation , il faut que le vide se fasse devanl lui
comme il se fait deviant I'oaragan des tropiques. lei
on attachait par le cou des centaines d' Indiens a nnc
meme cliaine , et quand line de ces pauvres betos de
somroe succombaH k la fatigue, on lui coupait la tcte
pour s'epargner la peine de d6gager son cou de Vau-
neau de fer qui I'^treignait. Ailleurs on faisait traqiier
de pauvres fugitifs par des chiens nourris m)iquemeiil
de la chair des Peaux louges, et les chiens feroces se
jetaient sur leurs victimes, noii [)oui- les dechirer, mais
pour les d(5vorer vivantes. Vussi des tribus entieres
s'ensevelirent-elles dans les grottes des montagues^
pref6rant niourir do faim que de re>uir le terrible
visage des conqu^rants; d'autres tribus, homnies, in-
fants et femmes, s'avancaient sur le rebord des preci-
( 129 )
pices, se donnaient la main pour ressentir une supreme
commotion d'amour, levaient les yeiix vers le soleil
leur p6re , en le remerciant de son dernier rayon , et
plongeaient ensemble dans les prolbndeurs de I'abime.
On voit encore leurs os brises au pied des rochers , et
parfois les petits-fds de ces memes Espagnols qui les
firent perir viennent retourner les ossements, dans
I'espoir de trouver (juelque joyau d'or.
C'est avec horreur que nous lisous I'histoire de I'in-
vasion de 1' empire romain par les barbares ; maispour
les Indiens, I'invasion des barbares de I'Est lut bien
plus que la fin d'un empire , ce fut la fin du monde.
Les temples furent saccag6s , les villes bruises , les
campagnes redevinrent incultes, et des populations
entieres furent supprimees. Telle 6tait la mission que
le Dieu d'amour avait confine au\ civilisateurs clire-
tiens.
D'anciennes chroniques, d'une exactitude fort dou-
tfuse, il est vrai, affirment que lors de la conquete, le
nombre des aborigines 6tait de 8 millions. De ces
8 millions, il ne resta bientot plus que les tribus in-
soumises et de mis^rables esclaves ensevelis dans
les mines ; de sorte qu'en 1810, la vaste 6tendue de
la Nouvelle-Grenade , pays trois fois grand comme la
France , ne contenait plus que 800 000 habitants,
Peaux rouges , Peaux blanches et Pea\ix noires. De-
puis, dans I'espace de jnohis de cinquaiite ans, la
population a plus que triple, et iOOOO individus
nouveaux ajoutes par an a la masse des habitants t6-
moignent en faveur de la salubrite g6n6rale du pays.
Quant a linunigration, elle apporte tout au plus un
Wll. JANVIEU ET lE^RirU. 0. 9
( 130)
contingent de 100 personnes chaquc ann6e dan^ la
partie conlinentale de la Nouvelle-Grenade. Bientot
elle s'y portera par mille et par dizaines de mille.
La population actuelle, de 2 millions et demi d'ha-
bitants, est bien peu de chose pour un si vaste pays ,
oil un denii-iiiilliard d'homnics trouverait sans peine
a se nourrir. Toutefois la Nouvelle-Grenade est beau-
coup nioins I'aiblement peupl^e que les autres parties
de rAm6ri({uc du Sud ; elle pent meme se comparer,
sans trop de desavantage, aux Etals-Unis, puisqu'elle
contient prfes de 2 habitants par kilometre carr6, tan-
dis que la r^publique am6ricaine n'en contient gii^re
plus de 3. De plus, il faut remarquer que le pourtour
maritime et les vastes llanos du bassin de I'Or^noque
sont presque inhabit^s, et que toute la population s'est
mass6e sur les flancs uiontagneTix et sur les plateaux
des Andes. Dans plusieurs provinces , dans celle de
Socorro, par exemple,la population est plus dense que
celle de I'Espagne , presque autant que celle de la
France.
C'est egalement a la divergence des Andes, a partir
du nceud central de Pasto, qu'il faut rapporter la re-
partition des habitants sur le territoire de la Nouvelle-
Grenade. Sur le plateau de Pasto vit une population
compacte ; mais au point ou les Andes se tril'urquent,
les villes et les villages se divisent Egalement, et trois
Cordill^res d'hommes s'allongent sar les trois Cor-
dill6res de montagnes. A I'ouest, se d^veloppe la ligne
de population du Cauca , au centre celle de la chaine
volcanique et de la Madeleine , k Test celle des hauts
plateaux de la chaine orientale. Plus au nord , 1^ ofi
( 131 )
cette iiieme cliaiiie orientale se divise en deux raiueaux,
il se forme aussi deux rameaux de population , dont
I'lin se dirige en droite ligne vers la mer des Antilles ,
tandis que 1' autre se recourbe vers Test, p(^n6tre dans
le Venezuela, et coraprend, dans son long d6veloppe-
nient , presque tons les habitants de cette r6publiq;ae.
11 en est de meme dans I'^tat d'Antioquia : la ou se
reunissent par leurs contre-forts les deux chainesprin-
cipales du centre et de Touest, les chaines de popula-
tion se rejoignent aussi, et ferment une soci6t6 riche
et prosp6re ; tandis que vers le nord , c'est au point
' meme oti les Andes s'affaissent sous les vastes forets
que s'^vanouit la popidation, pour ne reparaitre que sur
les bords memes de rOc6an,dans les villes maritimes.
Ainsi , la densite de la population est dans un rap-
port constant avec la hauteur des massifs et des chaines.
C'est entre 1000 et 3000 metres de hauteur au-dessus
du niveau de la mer que se sont fix6s presque tons les
habitants de la r^publique : plus bas, la nature est
trop puissante ^ trop riche, le travail ne peut r6agir
contre elle ; plus haut, I'atmosphfere est trop rude et le
sol trop ingrat; c'est done vers les valines fertiles 6pa-
nouies sur le flanc des montagnes que I'homme se sent
irr6sistiblement entrain^. Si tout d'un coup la mer sor-
tait de son lit et noyait le paysjusqu'a une hauteur de
1000 metres, presque toute la nation grenadine, 6pa-
nouie en 6ventail sur I'^ventail des Andes, 6chapperait
au deluge; mais si I'Oc^an s'61evait jusqui 3000 metres,
quelques patres seulement pourraient voir, du haut
des sommets, leur patrie disparaitre sous le chaos des
vagues.
( 132)
VII
La popiiJatiou se compose de l}lancs , de iioirs , de
rouges et de metis dc toutes les nuances inlerm6-
diaires. Les homrnes de race parfaitement ])ure sont
pi'esf|ue introu\a])lcs; et. dans cliaque province, I'ab-
sorption miitueJIe des races donne aux habitants une
physlonomie deplus en plus lioraogenc. Les types ori-
ginaires sefondent pour reformer denouveaux types en
rapport avec les climals, et dejii la dilTerence de cou-
leur n'est plus un signe certain de la dill^rence d'ori-
gine. Quoi qu'il en soit, c'est en raison de la couleur
de leur peau que les diverses populations se sont 6ta-
gees a diverses hauteurs au-dessus du niveau de la
mer, de jneme que les fluides distlncts se surnagent
I'un r^utre en raison de leur plus on moins grande
densitt^. Dans les ports de mer et dans les valines qui
pen6trent comme des golfes de verdure entre les chaines
divergontes, predominele type noiratre avec toutes ses
\arietes, depuis I'athletique Sambo jusqu'au quarteron
mince et delicat. A mesme qu'on s'eleve sur les mon-
lagnes, on voit le teint de la peau s'6claircir par de-
gradations successives : au-dessus de 1000 metres, la
population est blanchatre ; au-dessus de 2000, elle est
blanche. Ainsi, la nuance de la peau est un siir indice
de la capacity des organisations .pour le calorique, et
les races plus ou moins melanges s'6tagent sur les
j)entes comme un veritable thermom6tre d'hoinmes.
Les anciens maitres du pays, Chibchas, Tunebos,
Motilones et autres, sont parsem^s a toutes les hau-
( 133 )
teurs aii-dessns du nivpaii de la mer, mais ils ne snnt
u ]'6tat de race pure, sans melange de sang espagnol.
que la oiLi la nature du pays qu'ils habitent les a defen-
dus contre I'invasion. Grace a I'insalubrite de leur cli-
inat , les Indiens du (Ihoco out toujours repouss6 les
Espagnols; de meme le manque d'eau potable a sauve
les Goajires de I'oppression, et leslndiens de Casanar."
doivent leur liberte a rimmensite des llanos.
Les indigenes des plateaux qui ont survecu aux mas-
sacres et a I'esclavage n'ont pas tard6 a s'unir avec les
niaitres, et disparaissent I'un aprfes I'autre par suitt'
d'une absorption graduelle. Dans la province de Velez,
la population se compose uniquement d'Indiens, au
nombre de 200 000. Les anciens auteurs nous ra))-
portent que ces Indiens 6taient couleur de brique ; ce-
pendant, grace a leur melange avec deux ou trois mille
blancs , leur peau est devenue semblable k celle des
Europ6ens. Ainsi , d'apr^s cette observation , que I'on
doit a Ancizar, la race blanche possfede une force
d'assimilation tellement puissante, qu'il lui suffit de
peu d'ann^es pour transformer la race d'hommes rouges
avec laquelle elle se melange. Bientot les Indiens au-
ront pacifiquement disparu de la Nouvelle-Grenade, et
les deux sangs ennemis , celui des bourreaux et celui
des victimes, se seront r6concili6s dans les memes
art^res. LeGrenadin, tout fier qu'il est de son origine
espagnole, se vante aussi d'etre fils du soleil.
Les Indiens insoumis sont au nombre d' environ
120 000. II en est qui sont tout a fait sauvages, et se
vetent d'6corces et de feuilles comme nos premiers
p6res. Presque tons se servent, a la cha.sse et dans les
( 13/i )
combats, de fl^clies empoisonnees, dont la pointe sp
brise dans la plaie et donne iirevooahlpiiipiit la nioi t.
Certaines tribus prt^parent a cet diet le fameux poison
curare, d'autresun melange de vonins, d'aiitres encore
recueillent I'liunieur acre qui suinte de la peau d'uno
grenoiiille inoflensive. Heureusenient ({ne la plupari
des Indiens libres sent francs, g6nereux et pacifiques ;
il est extremement rare qu'ils sortent des llanos oii les
a retbules la civilisation, et se presentent dans luie
attitude hostile contre les Grenadins; quaiid ils le font,
il est certain qu'ils ont 6t6 provoqu6s par une insulte
ou par un crime.
De toutes les tribus indomptees , la plus noble est
celle des Goajires. Les honimes de cette peiiplade sont
grands, forts, admirablement proportionn6s. Quand ils
marchent , on dirait voir des statues de bronze d6ta-
ch6es de leur piedestal; quand, penches en avant comnie
avides d'espace , ils lancent leurs chevaux rapides a
travers la plaine , et que le vent fr6mit dans leur cou-
ronne de plumes d'aigle, on les prendrait pour des fds
de la tempfite. Jamais ils ne baissent le regard , et si
la foudre gronde, ils jettent vers le ciel des tisons en-
flanun^s, comme pour rendre k I'esprit de I'orage 6claii-
pour 6clair.
VIII
Tout pays isol6 et sans voies de convnuuiication est
comme un embryon chez lequel le syst^uie circulatoire
n'est pas encore d6velppp6. La Nouvelle-Grenade est
un de ces embryons : elle n'a pas encore 6t6 engendr^e
k la vie ext6rieure, et ne respire qu'^ demi dans la
( 135 )
grande atmosphere des peiiples. Par iin contraste
6trange, la nation grenadine peut etre consid6r6e par
les Strangers comme un organisme presque inactif,
tandis qu'en r6alit6 ceux qui en composent la grande
masse sont des travailleurs infatigables. C'esl que la
distance r6ciproque des centres de ])opulation 6pars sur
nn vaste territoire, la hauteur des montagnes, le mau-
vais 6tatdes chemins, Umitent ractivit6nationaledans
un cercle trfes 6troit et ne lui permettent de r6agir que
sur elle-meme.
Une autre cause de cet isolement prolong^ doit 6tre
cherch6 -dans la richesse meme du pays : car tout ce
qui est n6cessaire a la vie se trouve en abondance dans
cette Am6rique heureuse. Les fruits d'Europe et ceux
de la zone torride, jet6s au hasard dans une telle
vari6t6 que Tceil d'un botaniste ne peut y croire, se
vendent a la fois sur les marches et rempjisscnt
r atmosphere des parfums des deux zones. En certains
endroits, les sentiers des forets sont tellement jonch6s
de fruits , qu'ils forment sous les pas des hommes et
des chevaux comme une boue odorante et savoureuse,
sur laquelle se pr6cipiteraient avec avidit6 les pauvres
mendiants d'Europe. Parmi les productions utiles a
I'alimentation de I'homme, il ne manque gu6re aux
Grenadins que la vigne et le th6 ; or, il ne depend que
d'eux d'acclimater ces plantes ^trangferes qui, dans les
jardins botaniques de Bogota, donnent des produits
d'un arome exquis.
L' abondance universelle est accompagnee d'apatliie
commerciale; car ceux qui n'ont jamais ele j)auvresne
tieunent gu^re h s'enrichir. N'ayant besoin que de rares
( l-'^6 )
niarcl)andisps etranf,'eres, les liahitants de ]a N'ouvelle-
Grenatlp ne soul ))as tonit'-s iioii plus dVxpt^dier leiiis
denr<^es, et qiiclqiies pioduits suraboiKJants desceiuhis
par ]a iMadeleine leiir snfllseiU pour payer les achats
de laine, de cotoiinadeset de quiiicaillerie tails a I'pxtt'
rieiir. En miiltipliant les besoins factices. le pi-ogr^s
mullipliera d'aiilanl les achats et les ventos , lout eel
ensemble d'echanG,es qu'on pourrait api)el('r la respira-
tion d'un pays; car dans la soci(''te tout est actiftii n
reaction, choc et contre-choc.
En g6n6ral, les exportations tWiw pa\s peiivont lou-
jours donner une id^-e approximali\e de son activity.
On pent dire qu'urje nation est d'antant plus elev6e
dans la s6rie des nations coinniercantes , que ses pro-
duits manufactures depassent en yaleur ses prodiiits
agricoles, et que c. x-ci, a leur tour, depassent les pro-
duits naturels doni.cs gratuitement par le sol. Sous ce
rapport, la Nouve'l -Grenade ofTre une tr^s grande
inferiority, puisquj ses exportations se rangent dans
un ordre exactement contraire, et que ses richesses
naturelies forment les deux tiers de la totality de ses
ventes a l'6tranger. L'or, I'^corce de (piincjuina, les
cuirs bruts, tous produits plus ou nioins spontan^s du
sol, represent ent une valeur de 5 000 000 de piastres :
tandis que le caf6 et le tabac figurent seulenient poui-
une somme de 2 000 000, et que les chapeaux de jipi-
japa, seul article manufacture qu'achtjte I'^tranger,
n'atleignent pas une vente de ZiOO 000 piastres. Cliaque
Grenadin n'ach6te et ne vend aux autres peaples que
pour une somnie de (i piastres, c'est-a-dire quatre I'ois
uioins qu'uii Ani('M-icain. sept fois moins qu'un Anglais.
( 137 )
C'est bien pen pour iin si vicliP pays. La Nouvelle-(irp-
nade a bien fait de choisir pour embl^me naturel la
corne d'abondanre qui Iraiue paresseusement sur le
sol, en laissant echapper des fruits an hasard.
Mais rien ne se perd de la vitality des ^^euples , et
ces hommes qui passent leurs journ^es a fabriquer le
poncho national , nu bien ;i cultiver leurs clianips de
mais ou d'arracachas ; ces femmes qui veillent jusque
bien avant dans la unit pour tisser leurs chapeaux de
jipijapa, sauront aussitravaillerpourle reste du monde
avec autant d'assidiiite qu'ils le font aujourd'htii poui-
eux et leurs families. Deja les cliangenients s'op^rent
d'ann^e en ann6e avec une rapidite proportionnelle-
ment plus grande que parmi les nations les plus avan-
c6es. Les montagnes se tournent ou se franchissent ;
les barques se hasardent au pied des cataractes ; les
bateaux a vapeur viennent gronder jusqu'a 800 niilles
dans I'int^rieur du continent, sous les rapides de Honda.
Le tabac et le caf6 , qui forment aujourd'hui la masse
de I'exportation agricole, sont des produits presque
nouveaux entr^s depuis peu dans la circulatioJi du com-
merce grenadin, et prenant tons les ans une plus grande
importance. Dans I'espace des vingt derniferes annees,
I'exportation du tabac a deux fois centuple. Sans doute
le Sucre aussi va bientot faire concurrence au sucre des
Antilles sur les marches d'Europeetd'Am6rique. Main-
tenant c'est a peine si tous les manages en mouvement
suffisent k I'^norijie consommation locale ; mais d^\k
on pent voir en maints endroits la vapeur des usines
tournoyer au-dessus des champs de cannes , et bientot
les machines en foule sui)pl6eront k la raret6 des bras.
( 138 )
Tons les progrfes des aiitres nations s'accomplissent gra
duellement dans la Nouvello-Cirenade et la sonl&vent an
niveau g6n^ral. Tel est le privilege des peuples airii''-
r6s, ils peuvent (run bond franchir I'espace qn'ont si
douloureusement cheniin6 les autres peuples a travers
le sang et la niis6re ; le poids des si6cles ne les accable
pas, et, jennes, ^ igonreux, ils peuvent, d6s le premier
jour de lour vie sociale , posseder la science rjiie les
autres out peniblenicnt acquise. C'est ainsi que les Gre-
nadins aurontlecheuiin defer avant d'avoir en le sen-
tier viciJial, la locomobile avant d'avoir cii la cliarrue,
le t6legraphe electrique avant de savoir dechiflVer I'al-
phabet. A peine le jeune peuple est-il ne , que toutes
les vieilles soci6t6s de la terre viennent disposer Icms
tr6sors dans son berceau .
Dn temps de la domination espagnole , tout souffle
de vie ind^pendante 6tait soigneusement ^toulT^ par le
monopole, toute Industrie ^laitl'objet d'une concession
sp^ciale, et le travail lui-meme dtait im privilege. Car-
thagene seule avait le droit d'importer les niarclian-
dises d'Espagne et d'expedier k la m^re patrie les pro-
duits du sol grenadin; de meme , par suite d'une
centralisation funeste, Bogota s'6tait empare do tout le
commerce int^riem*, et toutes les marchandises, avant
d'arriver a lenr destination , 6taient forc6es de d^crire
une elli])se a travers la capitale. dependant Bogota ,
loin d'etre un centre, est la derniere ville projet6e par
la civilisation espagnole dans la direction dii sud-est .
et plus loin on no trouM' f[ne des plateaux deserts el
d'iminensos llanos plus di'scrts encore. Heureusemenl
que le commerce va l)ient<)t cesser de fnire un absnrdc
( 139 )
detour par Bogota avaiit d'alimenter les provinces de
]'int(§rieur : on travaille activenient i\ la construction
d'nn cheniin qui iniira les riches plateanx du centre
directement k la Madeleine, et alors Bogota, forc6nient
d61aiss6 par le grand moiivenient circnlatoire du pays,
perdra beaucoup de son importance relative, et ne de-
vra plus sa population qu'au centralisiue politique.
Mais cette p6riode de decadence ne durera qu'un temps
etserasuivied'une perioded'accroissement grandiose ;
car Bogota se trouve place an divorce menie des eaux,
entre les affluents de I'Amazone , de I'Or^noque et de
la Madeleine. Quand les bords de ces grands fleuves
seront colonists et que les vapeurs reinonteront le Ca-
queta et le Meta jusqu'aquelques lieues delacapitale,
c'est la que se trouvera le point de croisement entre
les trois bassins, et que viendront se rencontrer les pro-
duits de Carthagfene, d' Angostura et de Pari. Toute-
fois la Madeleine est rest^e jusqu'k nos jours la grande
et presque la seule artfere commerciale de la r6publi-
que. C'est un Mississipi modeste, sillonn^ par une dou-
zaine de timides bateaux a vapeur, et gard6 a son
embouchure par la petite ville de Baranquilla , New-
Orleans en miniature.
Les quatre ports atlantiques de la Nouvelle-Grenade,
Rio-Hacha, Santa-Marta, Savanilla, C.arthag^ne, sont
adniirablement situ6s ]mr ra{)port k cette artere cen-
trale de la Madeleine, et peuvent etre consid6r6s comme
ses quatre embouchures commerciales. L'nn i\e9. bras
ou bayous du fleuve debouche pr6s de C4arthag6ne, un
autre a Savanilla , un autre encore se dirige vers le
beau port de Santa-Marta. L'examen g6ologiqiie dn
( i'»o )
>!ol d^montre qu' autrefois une quatri^nie enil)ouchur(
s'ouvrait dans le port meine de Rio-Haclia, et, bien
que cette embouchure ait 6t6 o])stni6e depuis par le
soul6vement graduel de lacontr6e, cependant le divorce
des eaux entre la riviere actuelle de Rio-Hacha et le
bassin de la Madeleine est tellenienl peu prononct'' ,
qa'il suffirait d'une ecluse pour retablir artificiellement
I'ancienne bouche du fleuve. Ainsi , les quatre grands
ports de la Nouvelle -Grenade, bien qu'espac6s sur une
longueur de plus de 100 lieues de cotes, sont ratta-
ch6s ou facilement rattachables aumenie fleuve jvir un
syst^me d'embouchures et de canaux. Sous le rapport
commercial, le delta de la Madeleine est aussi gi-andiose
que celui du Mississipi , et, de plus, il a I'avantage de
bons ports et d'une mer sans orages. Chose remar-
quable et qui pent donner une idee de la ])eaut6 pitto-
resque de la Nouvelle-Grenade ! c'est dans ce delta
meme, entre ses branches marecageuses, que les cimes
de la Sierra-Nevada se dressent a 6000 metres de hau-
teur. Pour vous faire une idee de nos paysages gran-
dioses, figurez-vous des montagnes d'une lieue et demie
d'6l6vation sur le bord du Rhone, dans la (laniargue.
Savanilla est aujourd'hui le port le plus impoi'tant
de la republique, a cause de la proximite de la bouche
principale du fleuve et de la ville de BaranquiUa. l.a
noble Carthagfene des hides a beaucoup perdu de lim-
portance que lui avaient autrefois procure le iiion(i])ole
et son beau port. Ce port est encore tr6s beau , mais ,
connne frapp6s de d^mence, les Espagnols eu\-meines
out fail tout ce qu'ils out pu pour le gutej-. f^es navires
pouvaient y p^n^trer jadis par deux entrees. Boca-
I
( Ul )
Grande et Boca-Cliica : la premiere, large bras de mer,
etait en outre naturellenient dragu6e et nettoy6e par
les vagiies ; tandis que Boca-Chica, etroit goulot ou les
navires ne peuvent s'insiiuier qu'en faisant des ma-
noeuvres p6rilleuses , s'ensaljle parfois. dependant le
gouvernenient espagnol d'alors (1760) fit semer de
recifs artificiels la grande entree du port pour le de-
i'endre contre les Anglais. On depensa 1 500 000 pias-
Ires pour ce travail insense, et niaintenant il s'agit
d'en depenser peut-etre davantage pour d^blayer le
chenal.
Quant a I'isthme de Panama , on peut le consid^rer
apart, care' est un point d'une importance universelle,
comme Tisthme de Suez et le d6troit de Singapore :
c'est un centre de croisement oil se rencontrent , en
tlieorie du moins, les lignes commerciales menses de
tous les points de la terre. Aussi, par un acte de gen6-
rosite sans exemple jusqu'a nos jours, le gouvernenient
grenadin , avant de f^deraliser la r6publique tout en-
tiere, a I'ait de Panama un Etat presque ind6pendant,
et, renoncant ainsi a ses prerogatives de suzerainete,
a misce territoire sous la protection du monde entier,
I'a proclam6 un nouveau Delphes, dont tous les peuples
sont les Amphictyons.
Elisee Reclus.
( 1A2 )
%otes dc la Ko€*iele
KXTI'.AITS l)i;.S PnOGKS-VKlUiAUX PKS SIUNCE.S.
Sennce du 7 Janvier 1859.
M. G. Poiichet, naturaliste, adiesse ses remercitueiils
a la Societt^, qui vieiit de radniettre au nombre de ses
niembres, ct liii aiiiionce ([u'il se dispose a faire uii
nouveau voyage pour I'avancement des connaissances
liiimaines, sartoul en ce qui concerne rethnologie.
M. A. de Lewchine, president dri (lomit^ central de
slatisti(jue dn ministfere de Tint^riem', 6crit de Saint-
Petersbonrg a M. Jomard, pour le prier d'ofl'rir k la
Soci(5te un exenq^laire du Recueil de tables statisliques
SUV la Ritssie pour I'annee 1856, qui vient d'etre
publie par les soins de ce comit6.
M. de La Roquette annonce que M. Robert Schla-
gintweit, auquel il avait demands un aperfu du voyage
fait dans I'lnde par ses deux fr^res et par lui, pour
etre communique a laSoci6t6, vient de lui transmettre
une relation qui a toutefois besoin d'etre revue. Lorsque
le travail de revision sera termini, M. de La Roquette
s'empressera de le mettre sous les yeux de la Com-
mission centrale, ainsi que les rapports adress6s par
les trois freres k la Compagnic des Indes. Le m6me
membre ajoute que, quoique MM. Hermann et Robert
Schlagintweit soient toujours fort inquiets sur le sort
de leur frfere Adolphe, lis n'ont pas n^anmoins perdu
(US )
encore tout esiioir k son (§gard ; M. le prince tie Gorts-
chakoir a bien voulu les assurer que toutes les d-mar-
ches possibles seraient faites par la Russie dans le but
d'obtenir des informations positives.
Le meme membre communique a la Commission
centrale les renseignements qui viennent de lui par-
venir des Etats-Unis sur une proposition faite a la
Soci6t6 am6ricaine g^ograpliiqiie et statistique de
New- York , et adoptee tant par elle que par la Soci6t6
philosophique et diverses autres Societ^s scientifiques
americaines, d'envoyer en 1859 et 1860 une nouvelle
expedition dans les mers polaires.
Cette expedition, dont I'envoi est fortement appuye
par M. Henri Grinnell, M. le professeur Agassiz et plu-
sieurs autres personnages eminents, a pour but de veri-
fier et de confirmer la d6couverte d'une mer libre de
glaces au nord du Groenland faite par Kane, et que le
savant danois Rink a contest6e.
La Society admet au nombre de ses membres M. Au-
guste Himly, professeur suppliant de geographic a la
faculte des lettres ; M. Alfred Jacobs, docteur ks let-
tres, archiviste paieographe, et M. le docteur don
Mariano Padilla , professeur de medecine a la faculte
de Guatemala.
M. I'abbe Pierre-David Boilat, missionnaire aposto-
lique, est presents comme candidat par MM. Jomard
et Alfred Maury.
M. le secretaire communique la liste des ouvrages
deposes sur le bureau, et plusieurs membres olTrent
separement les ouvrages suivants de la part des au-
teurs : 1" Geographic physique, economique et poli-
( IM )
tique de I'Algerie, i>ai- M. Mac Carthy ; 2° Elements
d'une topographie uiedicale de la JNouvelle-Caledonie
et de File des Pins, these pour le doctoral en medecine
pr6sent6e et soutonuc par L. P. Eugene Vinson, de
Sainte -Suzanne (ile de la Reunion); 3" Notice sur la
Gazette arabe de Beyrouth, par M. Reinaud, meuibre
de rinstitut ; h' Relation de I'ile de Tabago, en 16(56,
par le sieur de Rochetbrt, et carte de I'Asie iMineure,
en deux feuilles, publi^e en russe par le colonel d'^tat-
niajor Wrangel, en 183/1-35, oil'ertes par M.Constantin
de Sabir.
La Conunission centrale , conform6nient aiix ternies
de son reglenient, procfede au renouvellemeut des
menibres de son bureau poui- I'annte 1859, et elle
nonnne au scrutin :
President : M, Joniard.
Fice-prcsideiits : MM. d'Avezac et Daussy.
Secretaire general : M. Alfred Maury.
Secretaire adjoint : M. V. A. Malte-Bnui.
La composition des trois sections demeure la meme
que pour I'ann^e pr6c6dente : M. de Quatrefages prend
seulement, dans la section de publication, la place de
M. Daussy, 61u vice-president.
Aprfes r installation du nouveau bureau, M. Jomard
adresse au president sortant, M. d'Avezac, les remer-
ciments de la Commission centrale; ilajoute que, i)Oui'
sa part, il est vivement touche de la nouvelle marcjue
de synipathie et de confiance que la Commission cen-
trale lui a dunnee, mais qu'il craint que son grand age
ne lui permelte pas de remplir ses Ibnctions avec loute
I'assiduitc necessaire.
( U5 )
A quoi tons les membres presents ont r^poiulu qu'ils
s'estiraent Iieureux que M. Jomard veuille bien conti-
nuer a diriger leurs travaux ; que si ses occupations et
sa sant6 ne lui permettaient pas toujours une assiduity
a laquelle il les a depuis longtemps accoutum^s, les
vice-prdsidents s'empresseraient de le suppl6er; que
d'ailleurs I'ardeur apport6e constamment, etjusque dans
ces derniers temps, par M. Jomard, au sein de la Com-
mission centrale, est le presage d'une longue dur6e a
sa verte vieillesse.
M. Alfred Maury declare que, frapp6 de la n6cessit6
oil est le Bulletin de recruter d'utiles coUaborateurs, il
propose d'augmenter le nombre des membres adjoints,
qui n'est encore que de quatre. Cette proposition 6tant
jug6e contraire a I'article !x du r^glement int^rieur qui
a f]x6 ce nombre, est renvoy^e a la prochaine stance,
afm qu'elle puisse etre discut6e par la Commission cen-
trale , laquelle sera sp6cialement convoqu6e pour cet
objet.
M. le president, en rappelant I'article 'Ih du regle-
ment, relatif aux sujets de prix, engage ses collegues a
presenter a la Commission centrale les sujets de nature
a etre mis au concours dans la prochaine assembl6e
g6n6rale de la Soci6t6.
M. d'Avezac donne lecture d'un apercu des travaux
qui ont 6t6 entrepris sur I'anonyme de Ravenne.
XVII. JANVIER ET F^VRIER. 10. 10
( ''it? ]
Seniice dii 21 /nm'icr IRaW.
M. Holist, socretaire de runiversitc royale de Chris-
tiana, L'Ciit ;i la Soci6te pour lui otrrir ])lusioTirs vo-
lumes de la statistique de la Norvege, pidjlies sous
les auspices de cette university, ainsi qu'nne carte des
royaumes scandinaves au moyen age, j)ar Gerhard
Munthe.
M. le marquis de Blosseville <^crit a, la Soci(^t6 pour
hii faire honimage de la seconde Edition de son liistoirc
tie la coloitisalinn j)cnale et des etahlissemcnis de VJn-
gleievre en AustrnUc. Si la geographic, dit I'anteur dans
sa lettre, ne tient pas le premier rang dans cette etude,
et si elle n'arrivo qu'aprte I'^conomie politique et
I'histoire, il a etc du moins consacr6 quelques pages
;\ ses progres et a la m6moire des decouvreurs. —
W. IJarbie du IJocage est pri6 de rendre comptc do
cet ouvrage.
M. Daussy communique ii la Societe, de la part de
M. '\nioine d'Abbadie, qui les a recus du R. P. L6on
des Avanchers, des documents et inic carte du vicariat
apostolique des pays Oromo ou Galla, des pays Saoniali
ct de la cote orientale d'Afrique. Malgr6 les errcurs
manifestes qui, de son avis, deparent la carte des envi-
rons imm6diats de KafTa et de I'intSrieur de ce pays,
et la difTicnlt^ de faire coucorder ces renseigncnients
avec ceux du savant et z61e missionnairc, M. d'Abba-
die pense que la publication de la notice et de la carte
ne serait pas sans int^r^t pour la geographic de
( i^«7 )
TAIrique iaterieuie. En consequence, la Coiiiuiission
centrale en decide le renvoi au Ballciin.
M. Gabriel Lafond, ministre de Costa-Rica a Paris,
communique nn expose fait au congres de cette r(§pu-
blique, dans lequel le ministre des alTaires etrang^res
et dc I'instruction publjque rend coniptc des relations
de son pays avec les autres contrees de rAnierique et
a\ec I'Europe, ainsi que de la situation de ^instruction
publique, du iiombre des ecoles, de I'avancement des
sciences, etc. II ajoute que le president , don Juau
Rafael Mora, a fait voter un fonds de J5 000 francs
pour le leve de la carte de la republique depuis le lac
Saint-Jean de Nicaragua et le fleuve Saint-Jean jusqu'it
la province de Veragua dans la Nouvelle-Grenade,
-^ Renvoi de ce document au Bulletin.
M. I'abbe Boilat, missionnaire apostolique, est admis
dans la Societe.
M. Edouard-Ernest Saillard, attache au ministere
des aftaires 6trangeres, M. Alphonse Rousseau, consul
de France a Djeddah, et M. le docteur C. Poyet, r^si-
dant a Routchouk, sont pr6sentes comme candidats, le
premier par M. le conite de Cosse-Brissac et M. le
baron d'Avril, le second par MM. Jomard etd'Avezac,
et le troisitjme par MM. Bouillet et Jomard.
M. Lefebvie-I)urufl6 fait au nom dc la section de
comptabilite, dont il est president, un rapport sur les
comptes de J 85 8 et sur le budget de 1859. Ce rap-
port, d'ou il r^sulte que I'etat financier de la Society
est des plus satisfaisants , I'ecoit I'approbation de la
Commission centrale.
II est proced6 a 1' Election des membres de la com-
( "'« )
mission spt^ciale dii concours au pri\ annuel pour la
d^couverte la phis importante en g6ograpliie. Scat
nouHiies au scrutin membres dc cettc commission :
AIM. Daussy, d'Avezac, Jomard, de La Ro((uette et
Vivien de Saint-Martin.'
La Commission centrale passe ensuitc a la discussion
de la proposition de M. Alfred Maury, relative a I'aug-
mentation du iiombrc des membres adjoints de la
Commission centrale. Cette proposition 6tant appuyee
par cinq membres, conform6ment au r^glement, la
Commission decide quelle laissera le cliiffi'e des mem-
bres adjoints indetermine, et que, qnaiit au present,
elle 6lira quatre nouveaux membi'es. En consequence,
une liste de candidats sera dress6e et Ton proc^dera h
I'election dans la prochaine seance.
M. Emm. Rey, membre de la Societe , recemment
rentre en France apres de longues explorations dans
les regions situ^es a Test du Jourdain et dansle bassin
de la mer Rouge , pr6sente une analyse geographique
de la carte de ces contr6es , que vient de publier
M. VandeVelde. — Renvoi de cette notice au Bulletin.
M. d'Avezac poursuit la lecture de son tiavail sur
I'anonynie de Ravenne.
( m )
OUVR/VGES OFFEIITS A LA SOCIETl
STANCES DE JANVIER ET FEVRIEII 1859.
Titrcs dcs ouvrages. Donaleurs.
EUROPE.
Recueil de tublcs st.itisUques sur la Bussic, pour r;iiiiice I80G, public
en 1858 par Ic comild central de slatislique. 1 vol. in-3.
M. DK I.EWCHINK.
Statistiske Tabeller for kongerigct Norgc, 1853, 1854, I8')5, ISoGot
184C-1855. 5 call. in-8. — Belaeiituiog og Indslilling fra ilen vcd
kongelik Resolution ofSaugust 1 853 ncdfattc Commission angaaende
dct oflentlige Fattigvaiseu paa L.andcl. Christiauia, 1850. 1 cah.
in-4. Universite rov de Christiania.
Hisloirc et description de la haute Albanie ou Gu6garie, parllyacinthc
Hecquard, consul de France h Scutari. 1 vol in-8, avec une carte.
Paris, 1859. M. Hecquard.
Souvenirs d'Orient. La Dobroutcha, par le D' Camille Allard. Paris,
1859,broch. in-8. — Mission niedicale dans la Tatarie-Dobroulclia,
par le D' Allard. Paris, 1857, br. in-8. M. le D' Allaiid.
ASIE.
Documents and fails illustrating the origin of the mission to Japan,
authorized by government of the United States, may 10, 1851 ;
and which finally resulted in the treaty concluded by commodore
M. C. Perry, U. S. Navy, with the Japanese commissionners at Ka-
uagawa, bay of Yedo, on the 31 mars 185i, etc., by Aaaron Haight
Palmer. Washington, 1857, br. in-8. M. Palmer.
AKRIQUE.
Gtographie physique, econoniiquc et politi(iue de I'Algerie, par
M. 0. Mac Carthy. Alger ct Paris, IS08, 1 vol. in-12.
M. 0. M.;c (AiiruY.
( 150 )
Titles des uuira'jcs. Donaleuis.
Notice sur la Socii;t(5 dcs tiiissioiis ufiiiaiiics, p.ir Mgr tie ilariuri-ltr<5-
sillac, dv^quc de I'rusc, vicuiio a|)osturKiue dc Sierra-Lcoiie. I. yon,
1838, br. iu-I2. Mgr ne Maiuon-Bresillac.
Nolice sill' la culoiiic ilii Si-iicgal cl sr.r Ics pays (jui soul (ii lelaliuii
avcc die, [uir M. L. laidlicrbo, colonel dii ^oiiic, gouvcrncur dii
Sem'gal. Paris, \SjO, br. iii-S. M. Ic colour) KAioiiF.nBii.
AMEUIQUI-:.
Hi'latioii de Tislc do Tubayo ou dc la Nouvcllc-Oualcrp, i'uiie des isles
Aiililios dc rAiiicri(iiic, pai- Ic sicur de Uoclieforl. Paris, 1660,
1 vol. iii-18. \l. C. Dii Sabiii.
AUSTRALIA.
Hisloire de la coloriisalioii pcuale el dcs clablissoiiiciils dc rAu«lo-
Icrrc cit Aii^lralic, |),".r Ic marquis dc Blos.sc\ille, iiiciiibrc dii corps
Icgislalif. Paris, ISo!), 2 vol.in-8. M. Ic iiiariiiiis dc Bi.ofSiiviLLE.
Ktcmcnts d'une lopogriipliie iiicdicalc de la NoiivclIcCalcdonie cl de
rile dcs Pins. Tticsc pour le doctoral cu imnhciiic, presentee rt
soutcnuc le 'JO mars IsriS par I.. P. luigenc Vinyon, docteiir en
medeciiic. Paris, 185S, iii-l. M. Llgese Vixso.n.
VOYAGES Dii: CIUCUMNAVIGATIOX.
Voyage aulour du inoiide sur la fregate auddoisc VEiujenk, exdcule
peudanl les aiinccs 18o1-18j3, sous le coruuiaudcineul dcC. A. Vir-
gin, public par ordre dc S. M. Ic roi Oscar 1", par rAcail(''niic
royalc dcs sciences dc Slockholm. Stockholm, ls38, u" I a 5.
L'Aca'iisiu; nov. uiis sciencks.
OUVRAGES GENER.XUX, MELANGES.
Physikaiske nieddelelscr ved Adam Arndtscn. Efler Foranslaltning af
del akadcmi^kc (;ollegiuni udgi>nc af l)"^ Chri.sloplier llansleen.
Chribliania, 18j8, br iii-i. L'U.sivcRsirii dk Ciiiustiama.
I
( IM )
Tiires lies uuvrayc^. Donalcurs.
Rapport 111 a I'Acaddmiedcs iiiscriplioiiscl hcilts-Iotlros )
litres des ouvrages. Donateurs.
Uber wichiige neue Errorsiliungcu auf dem ncsammtgebiete dcr
Gcographie, voii D' A. Pctermann, n° X, XI ctXll, iSjS.'— Zeil-
schrifi fur allgcmciiic Hrdkunde. Sc|)lcmbrc ct octobic 1838. —
AbhandbiDgeu fur die Kunde dcs Morgenlandes hcrausgcgebeii von
der Deutschen morgcnlandischen Gesellscbaft, vol. I, n" 4. Uebor
dasCatrutijaya Mahatmyani.— Nolizblatt dcs Voreinsfar Erdluinde,
ii"s 17 a 20. — Bijdragcn tot de Taal Laudcii Volkeuliuiidc van
Ncderlandscb lndio. Ainslprdam, 1858. 1 vol in-8.— Bibliothcquc
universelle, revue sui.sc ct (5traiigerc, mai a decenibre 1858. —
Annalcsducominerceextcrieur.octobrc, novoinbrccldecembrel858.
— Nouvelles Auiialcs des voyages, noveiiibrc et decembre 1S58, Jan-
vier 1839. — Anuales bydrograpbiques, 1857 ct 1838. — Revue co-
loniale, novembrc et ddcenibre 1838.— Bulletin do la Soc\6li gdc-
logique de France, decembre 1838. — Aniiuairede la Societemdli'o-
rologique de France, decembre 1S58. — Revue de lOricnt, de
I'Algeric et des Colonics, scptembre, oclobre, novenibre ct dii-
cembre 1858, el Janvier 1839. — Revue am^ricaine ct oricntale,
oclobre, novembrect decembre 1838. —Journal asiatiquc, vol. XIl,
1838. — Bulletin mcnsuerde la Socicte imperiale zoologiquc d'ac-
dimatation, novembrect decembre 1858. — Aunales de la propa-
gation de la foi, Janvier 1859.— Journal des Missions dvangdliques,
iiovembre et decembre 1858, Janvier 1859. — Journal d'cducalion
populaire, novcmbre et decembre 1S58, Janvier 1859. — M(?moircs
de la Societe impc^riale des sciences uaturolles de Clierbourg, vol. Ill
ctIV, — Memoircs de la Societe d'agricuUure, commerce, sciences
Claris du ddparlement de la Marne, aaaic 1838. — Journal dcs
connaissanccs utiles, decembre 1858, Janvier ct rdvricr 1859.—
L'lngcnieur, revue scienlifique et critique dos travaux publics et dc
rinduslrie, novembre el decembre 1858. — Journal de I'istbme de
Suez, a" 39 i 64. — b'Espdrance, journal grec, u'* 1 U a 12G.
Les Autkl'rs et Cditei'bs.
BULLETIN
DE LA
SOCIETE DE GEOGRAPHIE.
MARS 1859.
lleiiioires, I%'otice!$, etc.
ESQUISSE GEOGRAPHIQUE
DES PAYS OROMO OU GALLA, DES PAYS SOOMALI,
ET DE LA COTE ORIENTALE d'aFRIQUE,
Exti'aitd'uneleltrecluR. P. L(5onde3 A\ anchors, missionnaire apo'stolique,
;i M. Anioine d'Alibadie.
Aden, ce lOd^ceinbre 1858.
J'ai recuici, a mon retoiir de Zanzibar, votre letlre
du 22 aOLit-, je quittais momentan6ment la cote pour
revenir k Aden, afin d' avoir des nouvelles des mis-
sionnaires qui m'avaient et6 annonc6s, et j'ignore en-
core quand ils seront envoy6s, la mission venant d'etre
confine a des Ptjres de I'ordre de la Providence de
France.
II serait trop long de vous d6tailler dans inie lettre
les d^couvertes importantes que j'ai faites dans ce
pays, sous le double point de vue g6ographique et reli-
gieux, ayant 6crit k ce sujet un long m6moirc que j'ai
XVII. MARS. 1. li
( 154 )
atlress6 k rauvre de la propagation de la foi. Cepeii-
daiit , comme vous portez un grand inWret k tout ce
qui regarde la difluslon de I'Evaugile et les progr^s de
la g^ograpliie, je vous donnerai quelques explications
sur la carte que je vous ai promise et que je vous en-
\oie ci-jointe.
D'apr^s les connaissances que vous avez du noi'd
de cette region, vous pourrez la rectifier et corro-
borer ainsi les d6couvertes que j'ai faites dans le
sud. Pendant tout le temps de mon voyage sur la
cote, tout mon temps et tons les moyens qui ont 6t6
en mon pouvoir ont ete employes k me rendre comptc
de la geographic de ces pays, non pas tant pour
bien ni6riter de la science que pour r^veiller 1' atten-
tion des sup6rieurs des missions sur ces pays tout k
fait inconnus , et ou cependant existent des traces de
notre sainte religion , et pour nous ouvrir une voie
de communication avec les missionnaires de Rafia.
Dans ce but, je me suis mis en rapport avec tons
les chefs de cara^anes qui p6n6trent dans I'int^rieur
du continent. Plusieurs d'entre eux m'ont trace des
cartes qui avaient toutes la meme forme et qui, a
quelques corrections pr6s, ont la plus grande ressem-
blance avec celles des missionnaires protestants et avec
celle de M. Mac Queen jointe k I'ouvrage du capitaiiie
Harris.
Mais le chef le plus intelligent que j'aie rencon-
tre, est certainement IJa(/ji Abd-el-Nour, cheikh de
Brawa, qui m'a donn6 de nombreux renseignements ;
il m'a trace une carte qui atteste la connaissance
de tous les pays qu'il a parcourus : il m'a raarqu6 le
( 155 )
cours des rivieres, leurs affluents. J'ai egalement pu
recueillir les distances des divers pays et des positions
connues des pays du GouraqUe, d'Harar, de Kafla, des
Berry et de Ramba, an sud de I'^quateur; j'ai pro-
c6d6 k I'inconnu.
Les Soomali comprennent trois gran des divisions :
les descendants d'Isaak par des femmes Gallas, qui sont
les Habr-Owel,IesHabr-GlierajesetIes Habr-t-Aljaleli,
qui liabitent de Zeila a Ras-Meta.
Les Soomali descendants de I'Arabe Tarood par une
femme Hawa, a savoir les Ahl-AVursungali, les Mejer-
tain, les Dlioolbanti, habitant a Test des pr6c6dents.
Les tribus sud descendants de diverses migrations
arabes m6lang6es avec les aborigines ; la principale
tribu est celle des Gidar-Boorsi.
La cote nord du pays des Soomali est bord^e par
une haute chaine de montagnes appelee Gol^s , qui ,
. dans plusieurs localites, est perpendiculaire a la mer,
et dont les flancs sont couverts d'arbres a encens et a
gonnne ; toutes les villes , ou mieux les villages , sont
composes de huttes de paille prot6g6es par une ou deux
maisons de pierre. — Le principal endroit est Berbera,
oil il se tient une grande foire, de d6cembre en avril,
Les environs du cap Gardafui sont de hautes mon-
tagnes de 5000 k 6000 pieds : elles sont calcaires et
couvertes d'arbres k encens et a gomme. De nombreux
villages sont situ6s au sud de Ras-Fel. La cote Est
est entiferement sablonneuse, de Bas-Hafoon a Moge-
discha : elle est appeld^e par les indigenes J-n/ia, d'ou
est venu I'Ajan des Europ6ens.
Mogedischa , appelee par les indigenes Madischa
( 156 )
(eau du roi), fut la [)rciniL'i-c et la plus iinportante
ville de la cote ; elle est encore la capitale de
Y jizana, et son emplacement doit correspondre a
\ Esseiiid du Periple. L'ancienne ville est en partie
ensevelie sous les sables que les vents du S.-E. y amon-
cellent en grande quantit6 , et qui forment derri^re la
ville des montagnes mouvantes. U y existe encore des
monuments qui doivent remonter k une trfes grande
antiquity ; ce doit etre des tombeanx ou des temples ;
ils sont iiiaintenant a moiti6 ensevelis sous les sables.
Dans I'int^rieur, il y a, dit-on , des inscriptions en
langue abvahamite ou himyarite, en 6thiopien et kou-
fique. Ces monuments sont construits avec de larges
pierres qui out du etre apportees d'une grande dis-
tance. On y entre maintenant par les fenelres.
Voici un proverbe arabe sur cette ville : Madischa
rase/ niedinn knul innm, fern ltd ze/ia , koid ioitiii ful-
tena ^va Dana. Cest-a-dire :
<( Madischa, la tete des villes, tous les jours joyeuse
et bicn vetue, toujours bavarde ot batailleuse. » Les
Makida des cartes sont les habitants dc cette ville.
Les principales villes de la c6tc sont, apr6s Moga-
discha, Merka et Bj-awa. Merkn parait avoir eu une
certaine importance dans les temps passes; elle est
assez bien batie et est entour^e d'une muraille. Les
Maracates des cartes sont les habitantes de cette ville.
Toute cette partie de la c6te est trfes peupl6e et a
de nombreux villages. Umwa est la ville et le port les
plus impoi'tants de tous les pays soom&li. La ville a
deux gouvcrneurs : un arabe , paye par le sultan de
Zanzibar, dont le pouvoir est nul, et qui en m6rne temps
( 157)
percoit un cenaiii droit sur les marchandises arabes
qui y sont importees. Les habitants de cette ville en-
tretiennent un grand commerce avec les Gallas par la
voie de Ganana.
Prfes de Brawa se perd dans les sables le JVebi-
Sooiiiala, par une serie de petites lagunes dont les plus
grandes sont appeldes Gido et Acha. Ce lleuve prend
sa source dans les montagnes de Balli, traverse les pays
Soomali du nord au sud. D'apres les traditions locales,
son embouchure aurait 6te, dans les temps anciens, au
nordde Magadischa ; mais peu a peu les sables rejet6s
par I'ocean lui firent prendre un cours parallfele h,
I'oc^an.
Le trajet de Brawa a Ganana par caravane se fait en
douze et quatorze jours ; un liomme a pied emploie la
moiti6 de ce temps. Les articles de commerce sont les
toiles crois6es am^ricaines, ajDpel^es nxtnloiif ameri-
cnno, et les verroteries.
Le pays s'616ve graduellement , et on rencontre sur
la route trois hautes montagnes de forme conique, qui
, sont Hakabo, Hebo et Degis. .'Vu nord de ces mon-
tagnes, habitent les Rahouin-Soomali, qui sont conti-
nuellement en guerre avec les Gallas.
Aprfes avoir passe une autre montagne, on arrive
sur les bords du IVehi-Jub. Ganana ou Ganaiie est un
^illage du pays de Louk, presqu'ile form^e par le
IFcbi-Jiib. Ce village est compost d'une centaine de
maisons. Soomali est entour6e d'un mur en terre et
pierre de la tribu ties Jirat-llogle. Lc sultan porte le
nom d' Oiiieroanoic.
Le U'eb.-Jiib, qui se jette dans I'Oc^an, a quelques
( 158 )
mimiies sud dc I'^ffuateur, recoit chez les Sooniali le
iiom de IFebi-Gnnnna ou JVebi-Jub, et des Europ^ens,
celui de fleuve Jub , du nom d'un village soomali
situ6 prfes de son embouchure. L' entree dn fleuve est
obstru6e par un banc de sable que Ton ne pent fran-
chir qui haute mar6e, mais qui est presque insensible
dans la saison des vents du nord.
Dans le centre du fleuve, en face du village Jub, est
un petit Hot habits par les Wardai-Gallas.
Le Jub esttr^s large et pro fond, et navigable pour
les grands bateaux jusqu'a Ganana; il forme de noni-
breux detours; plusieurs branches sc dirigent le long
de la cote et doivent recevoir les rivieres Maro, Tabedo,
Burgno , Anole , qui se jettent dans I'oc^an entre la
pomte nord de I'ile Pata et Jub.
D'aprfes les indigenes, I'Ozi, qui a son embouchure
dans la bale Gormozn, serait identique au/«i, oumieux
il y aurait communication entre les deux fleuves par
une branche transversale. Et comme entre ces deux
points le pays est trfes bas et tr^s plat , il est probable
que la communication a lieu par des bras de mer, dont
plusieurs s'avancent a plus de \h millcs dans I'int^-
rieur des terres. Toute cettc partie de la c6te est la
moins connue des Souah61i, les Gallas qui I'habitent ne
laissant p6n6trer chez eux aucun Stranger. Le Webi-
Jub s6pare les Soomali des Gallas ; sur la rive droite il
y a de nombreux villages qui entretiennent un com-
merce assez considerable avec les Wardai.
Au nord de ces villages, est la chahie Kouret^, qui,
dans sa partie ouest, forme la presqu'ile de Louk. De
1;\ le fleuve prend unc direction N.-O. Sur la rive droite,
( 159 )
a deux jours de Louk, est le village de Degreba, liabit6
par les Gallas. A une jouni6e plus liaut, se trouve le
confluent du IVehi-Juh avec la riviere Sasva ou Daouai,
grand affluent venant du c6t6 de I'ouest, qui, dans son
cours sup6rieur, recoit \ Afalata et VJt'oita, et ce der-
nier le So/corn, \e Monnora et le Gorjoa. Ce lieu parait
etre le pays de Daouaro, c6l6bre dans les annales 6thio-
piennes par les victoires du N6gus Jmeda-Sioju
Au confluent du Webi et du Dnoua, est situe le pays
de Mara. II est compris entre les rivieres Daoua et
YAvoita; ce pays porte le nom d'Odo le petit. Je crois
que le terme Odo signifie, en langue kua/i, montagne.
Celui qui est compris entre le Daoua et le JFebi porte
le nom d^Odo le grand, et encore de Did-al-Liwen,
C'est 1^ que, tous les ans, les Gallas se -rassemblent
pour c6l6brer la fete de la riviere Daoua; elle con-
siste en danses et courses de chevaux. II y a encore
dans cette region une grande foret d'arbres cam's,
dont le fruit ressemble au gland du chene; je lui ai
trouve une grande analogic avec les chataignes.
Le fleuve Jub prend sa source dans le pays de Kaffa,
traverse un petit lac , au dela duquel sont des cata-
ractes ; il recoit deux affluents , YJbouIu et le Bou-
chnne. A une jom'n6e de distance au nord de Mnra, il
recoit* un autre grand affluent venant du N.-N.-O.,
appel6 IVebi-Simana. Dans les pays compris entre ces
deux riviferes sont les Koocha, quiforment un royaume
galla ; ce sont de grands cavaliers, qui portent des v6te-
ments de couleur rougeatre ; au-dessus sont les Walamo
ou IVaramoi.
Tous les pays a droite du // cbl-Sidama sont habitus
( 100 )
par diverses tribus du nom de Sidama; ils paraisseut
avoir 6t6 d'anciennes provinces de I'empire ^tliiopien.
Ces pays sont Sidama, Kurchassi, Bahargamo (la mer
fondue), Balli , Sngania. Ce fleuve revolt d'autres
affluents venant des montagnes sud du Gouragu^.
Les Sidama, qui liabitent acinq joiirnt^es de distance
de Mara, ont une langue 6crite et des livres. Les Soo-
niali appellent cette langue abrahamine (ils donnent le
ni6me nom a la langue liimyarite). Peut-etre ces
peuples auraient-ils conserve les anciens caract^res de
cette langue ; ils paraissent etre clir6tiens.
Les Sidama cultivent les grains et sont repr6sent6s
comme des tribus tr6s paisibles.
Au midi de KafTa, est un pays qui parait 6galement
habit6par des Chretiens ; il est appel6 Sasa, Sasouson
Sako. Plus au sud, en est un du nom de Jf'aragua ou
JVaratn; et qiiatre jours plus au midi, se trouvent les
pays des ^/iiahara etdes Ao/iso.
Les pays situ6s au sud du Webi sont habites par
les Gallas, qui se donnent le nom d'Oroma ou Orma.
Au dire des Soomali, ceux-ci ont occupe anciennement
Beibera, Dajis leur emigration meridionale, ils chas-
strent devant eux toutes les petites tribus qui se
trouvent maintenant au sud de Monbaga, entre cette
ile et la riviere Pangani. Au xv sitele, ils furent repous-
ses dans le nord par les Massai et les M a-Kuali , et
firent irruption en Abyssinie.
On donne pour le pere des (iailas Oromo ou Onna,
qui out (juatre fds : Boren, Wardai, Arousa et Jiajan,
tk; ({ui (lescendcnt, dit-on, toutes les aulrcs tribus
gallas.
( K^l )
Les Boren habitent \ Ard-el-LUven et s'elendent a
I'ouest cle Louk. Leur peau est rougeatre, ils ont les traits
r^guliers et laissent croitre leurs cheveux; ils portent
des pantalons et par-dessiis iin large manteau qu'ils
appellent woia^ et qui a plusieurs bandes rouges dans
le bas. Tous les iieuf ans, ils choisissent leurs chefs, a
qui ils donnent le nom de Motti. Les Boren en ont
vingt-quatre qui, en temps de guerre, font cause com-
mune, lis donnent a Dieu le nomde IJ ak. La personne
d'un Stranger est, chez eux, sacr6e. Leurs richesses
consistent en nombreux troupeaiix, sp6cialement en
clievaux ; ils sont tous nom'ades. Leur pays , d'une
grande salubrity, est un grand plateau qui s'6tend
jusqu'au pied des montagnes des Amaliara et des
Kovso. De Brawa chez les Boren, il faut constam-
ment monter. De la chez les Rendil6 , il faut au con-
traire toujours descendre.
Les Arousl ou Arousa sont des Gallas qui habitent
au nord de Louk, \ Test des SUlama; leur pays est trfes
montueux , et ils sont en guerre continuelte avec les
Soomali,
Les Jiajan habitent le haut du DUl-el-Liwen , le cours
sup6rieur de tous les affluents du Jf'ebi-Jub et du Daoua,
et le versant des montagnes qui forment la separation
des eaux qui se jettent dans le Bahar-el-Abiad et le Jub.
Les principaux pays sont Sa sou ou Sakou et IFaragua.
Au sud de ces diverses rivieres, sur les derni6res
montagnes, avant d'arriver au lac Boo, se trouvent
deux peuples qui doivent etre d'origine 6lhiopienne.
Ce sont les Amakara et les Konso. lis ont une langue
6crite et poss^dent des livres. lis sont a vingt journees
( 1(52 )
d I'ouest de Ganan6. Leur pays est tr6s riclie en grains
et en caft; d'une qualit6 trfes superieure a celui de Ber-
bcra. Ces indigenes habitent dans de grands villages
dont les maisons sont en terre et en pierres. Les chefs
portent le nom de Fagele. Ces pays jouissent d'un bien-
etre et d'une civilisation tr6s superieure a celle des tri-
bus environnantes. Le coton y abonde, et les habi-
tants I'abriquent eux-ni6nies leurs toiles.
Les Soomali ne sont point admis cliez ces peuples.
Les Konso, les Amahara, de meme que les Jiajan, les
Boren , portent pour vetements des pantalons , et les
Soomali, en se rendant chez ces derniers, sont obliges
de disposer leur toile de cette mani^re. La selle et le
harnachement des chevaux des Amahara et des Konso,
leurs armes oflensives et defensives, sont comme celles
des Abyssins. Au delcid'y^w2rt/ibaznr, dont ni vous ni
moi ne savions les noms, sont leStavitza et le Graoi>o,
La vall6e du Stavitza conduit de Novibazar au S.-S.-O.
au mont Vreni6 et k I'lbar; et, a I'ouest de cette der-
ni^re, court parallfelement, du N,-N.-E. au S.-S.-O.,
celle de Graovo. (Yoy. mes lUneraires, Vienne, 1854,
vol. II, p, 183.) Les autres, k Test du Stavitza, sont
la Rnava et I'llidja, Ces details viennent de M, Gavri-
lovitch, I'auteur dela Geogrnphie statistique de Serbie,
ou dictionnaire topographique de ce pays.
( 192 )
Analyses, RispportN, etc.
CARTE
DE i/am£;rique tropicale au nord de l'equateur,
Par M. II. KiEPtBT,
Mcmlire dc rAcadcmie royatc des Sciences dc Berlin, et menilire corrcspoiidaiit
de la Societe ile Cuogiapliie dc Paris.
Rapport III a la stance de la Commissiou ccnlrale du 17 ddcembrc 1 858.
Je viens, messieurs, vous entretenir d'une des noii-
velles cartes qui vous ont 6t6 adress^es par noire hono-
rable confrere M. H. Kiepert, doiit le zfele infatigable
pour la science g^ographique nous vaut chaque ann6e
quelque nouvelle production cartographique , expres-
sion judicieuse et critique des plus r6centes acquisi-
tions de la science ; je veux parler de sa carte de 1' Am6-
rique Tropicale au nord de I'liquateur (I).
(lette carte, publi^e a Berlin en 1858, est en 6 1'cuilcs
in-folio. Dress6e d'apr^s la projection de Mercalor, elle
est a l'6chelle de 1/iiOOOOOO et s'6tend du 58« au
112° degrt^ de longitude occidcntale du m^ridien de
Paris, et du 1" au 31' dcgr6 de latitude septentrio-
nale. Elle comprend les Indes occidentales (grandes et
(1) New-Map of Tropical-America, north of the Equator comprising
the West-Indies, Central-America, Mexico, New-Granada, and Vene-
zuela, dedicated by permission, H. live, baron Alexander von Hum-
boldt, by D' Kiepert. — Berlin, 1858, Just Ueimer.
( 193 )
petites Antilles), l'Am6riqiie Centrale, le Mexique, la
Nouvelle-Grenade et le V6n^zu61a, c'est-a-clire cette
partie de I'Amerique sur laquelle 1' attention pnblique
se trouve plus particuli^rement fix^e depuis quelque
temps ; elle vient done fort a propos pour r^pondre a
un besoin de curiosity g6n6rale, non-seulement relati-
vement aux 6v6nements politiques, mais encore pour
suivre les grands projets de communication inter-
oc6anique de I'Atlantique au Pacifique.
Nous avons dit que la projection adoptee par
M. H. Kiepert 6tait la projection de Mercator, celle de
nos cartes marines; une telle projection est en effet
pr6ftrable lorsqu'il s'agit de contr6esvoisines de I'fiqua-
teur ; elle permet de mieux se rendre compte des posi-
tions relatives des lieux et de leurs distances. La gra-
duation qu'il a adoptee pour ses longitudes est celle du
m6ridiende Greenwich (55° a 109°), mais ila pris soin
d'indiquer par des amorces , dans la partie sup^rieure
du cadre, la graduation du m^ridien de Paris (58°
a 112°). Par une ing^nieuse et nouvelle disposition,
les degr6s de longitude et de latitude sont plus forte-
ment traces de cinq en cinq; il en r^sulte que, sur le
carroiement compliqu6 form6 par les nombreux degr6s
qui couvrent cette grande carte , on en distingue un
second qui offre a I'ceil des divisions plus g6n6rales et
qui permet de se guider plus facilement sur une carte
dont le d6veloppement n'est pas moindre de l'",60 de
largeur sur 0'",95 de hauteur.
La carte de I'Amerique Tropicale du nord comprend
dans Tangle nord-ouestles Etats conf6der6s du Mexique,
moins une partie de la Sonora et de la basse Californie
( 'JO/1 )
qui restent en dehors du cadre. M. H. Kiei)ert a fait
usage pour les fiiats du nord : ceux de Nuevo-Leon,
Cobahuila, Chihuahua, de la carte drcss^epar AAVis-
lizenus, qui avait fait, en 18/|G-18Z|7, partie de I'exp^-
dition du colonel Doniphans, charg6 d'une exploration
scieutifique et mililaire de ces contr^es.
Pour les ttats du centre du Mexique, ceux de Mexico,
Michoacan, Queretaro, Guauaxato, et partie de ceux
de Jalisco, de Zacatecas et de Sau-Luis, les travauxde
MM. de Humboldt, Gerolt et Berghaus ont 6t6 mis a
contribution, ainsi que les itin6raires de Joseph Bur-
kart , et le Bulletin de statistique et de gepgraphie
publi6 k Mexico depuis 1839. On trouve dans ce der-
nier des cartes particuliires des Etats et Territoires de
Tamaulipas, Tlascala, Michoacan, Colima, qui ren-
ferment des renseignements geographiques importants,
principalement sur le gisement des mines.
La carte du naturaliste autrichien C.-B. Heller,
publi6e en 1853 en langue espagnole, a servi pour les
fitats du sud, ceux de Vcra-Cruz, Tabasco et Yucatan.
Pour I'Am^rique Centrale I'auteur a eu entre les
mains les cartes et les livrcsde MM. Thompson, Dunn,
Legh-Page, Montgomery, Stephens, Galindo, Dunlop,
Alexandi-e de Bulow, Vaguer, Scherzer, et principale-
ment les cartes nouvellement coirigees de Baily, de
Squier , la carte du Honduras, publico par Well k New-
York en 1857, et le lev6 de I'isthme de Tehuantepec,
fait en 1851 par le colonel Barnard (1).
(1) M. Gabriel Lafond de Lurry, membre de la Commission centrale
et Minislro pienipolcnliaire de Cosla-Rica pr^s deS. M. I., nous ap-
( 195 )
La partie de rAmerique du Sud comprise dans le
cadre de la carte de M. H, Kiepert, n'a pas 6t6 I'objet
de moins de recherches que celle de TAm^rique du
Nord, dont nous venous de nous occuper. En outre des
travaux de Humboldt et de Bonpland, auxquels il fau-
dra toujours revenir lorsque Ton voudra s' occuper de
la geographic de TAm^rique espagnole, I'auteur a eu
sous les yeux la carte de la Nouvelle-Grenade de M. le
colonel Joaquim Acosta, avec les corrections et les
annotations qui y ont 6t6 faites par MM. Raulin,
Ristrepo et Anguiana. II a aussi profit^ de quelques
notes et additions fournies, pour cette carte de la Nou-
velle-Grenade, par I'ancien president Mosquera, et des
r^sultats du dernier voyage de M. le professeur Holton
dans ce pays (1857) , qui y avaient 6t6 consign6s. Enfin,
le consul g6n6ral de Prusse ci Bogota a fourni k notre
savant confrere I'indication precise des nouvelles divi-
sions administratives en huit I^ltats adopt^s par le gou-
vernement de la Nouvelle-Grenade depuis le 15 juin
1857.
Le beau travail du colonel Augustin Codazzi a servi
de base a M. H. Kiepert pour son trac6 de la r6pu-
blique v6n6zu61ienne ; il a meme profit^ de quelques
corrections relatives aux determinations des positions
prend que le gouvernement de cette R^publique vient de voter les
fouds necessaires pour le levt? g(5ndral d'une carle topographique de
Costa-Rica. D(?jk le gouvernement de la Ri^-publique de la Nouvelle-
Grenade venait d'eu entreprendre une a Tiustar de la grande carte
topographique du V6n6zu6la; ce sont Ik d'heureux indices qui nous
font esp^rer que, dans un avenir prochaiu, I'Am^rique n'aura plus
rieu h euvier ci I'Europe sous le rapport des lev^s topographiques.
( 196 )
faites par M. Boussingault. La carte de la Guyanean-
glaise dc Sclioiiiburgk, celle de la Guyane liollandaise de
M. Melvill dc Carnbee, ont 6galeuient 6t6 mises a con-
tribution pour les parties de ces pays qui restent dans
le cadre de la carte. Quant aux Antilles, nos cartes de
la marine, celles de rAmiraut6 anglaise, ont fourni de
nombreux et precieux documents. L'autenr aegalement
eu sous les yenx les travaux de M. Francesco Goello
sur les lies espagnoles, la carte de Cuba du general
Tomas O'Ryan (1853) , cellc de I'ile de Porto-Rico,
pul3li6een 1851.
On pent juger, par cette longue Enumeration de docu-
ments mis en ceuvre par M. H. Kiepcrt, du soin qu'il a
apport6 k sa carte de rAm^riqueTropicalc du nord. Ce
n'est qu'en s'appuyant sur un choix judicieux et cri-
tique de tels travaux originaux que Ton pent esp6rcr
dresser de bonnes cartes; et ce n'est pas sans intention
que j'ai cit6 les sources auxqnelles M. H. Kiepert avait
puis6. II donne ici un exemple que tout geographe
ou cartograplie consciencieux devra s'enipresser dc
suivre.
L'exEcution de ce beau travail ne laisse rien a d6sirer ;
il est grav6 sur pierre avec cette nettet6, cette suret6
de burin que nous retrouvons chez les artistes alle-
mands ; la lettre est claire et bien dispos6e ; les mon-
tagnes n'6crasent pas le texte, et, chose k noter dans
une carte allemande, les encaissements y ont 6t6 me-
nag6s avec reserve et sobri6t6.
Nous signalerons bien quclques l^g^res corrections
de detail a faire, mais dies sont rares et ne sauraienl
porter prejudice a I'ensemble de la carte : ainsi, Ic gra-
( 197 )
veur a eu tort d'6crire Santo-Domingo-del-Palemiuin
pour Santo-Domingo-Palenque: et dans la Vera-Paz, il
faut lire San-Augusiiii-Lanquiit, ou plutot 1 amjuin, au
lieu de San-^lugustin-Polenquin. M. H. Kiepert igno-
rait sans doute encore, au moment ou il dressait sa
carte, que la capitale de la r6publique de San-Salvador
venait d'etre transport6e a trois lieues environ plus au
sud-ouest de I'ancienne, h I'liacienda de Santa-Tec/a,
apr^s la presque entiere destruction de I'ancienne, a la
suite du tremblement de terre de 185Zi. La nouvelle
capitale, Nuevo-San-Sahador, a 6t6 inaugur6e le jour
de Noel 1855 : le president et I'^veque, avec le gou-
vernement civil et eccl6siastique, qui, depuis la mine
de I'ancienne ville, habitait Cojutepec, s'y sont officiel-
lement install6s.
L' angle sud-est de la carte del'AmeriqueTropicale
du nord, pr6sente dans un cartouche, a une jjIus grande
6chelle, au millionifeme, la partie centrale de la r6pu-
blique mexicaine, d'aprfes les lev6s de MM. de Hum-
boldt, de Gerolt, Heller et Smith ; I'auteur y a laiss6 en
blanc les parties qui n'avaient pas 6t6 I'objet de lev6s
ofiiciels.
Une note sur les documents et les mat^riaux employes,
une liste des principales abr6viations et de leur syno-
nymie en espagnol et en anglais , des 6chelles propor-
tionnelles pour les diff6rentes mesures itin^raires des
pays represent^s, completent cette belle et importante
carte, destin6e certainement a combler un grand vide
dans la cartographic am6ricaine. Lenom de I'auteur, la
rc^putation m6rit6e qu'il s'est acquise par ses nombreux
travaux g^ographiques , nous dispensent ici de tout
( 198)
61oge , nous nous bornerons done k remercier notre
honorable confrere de 1' envoi des belles cartes dont il
vient d'enricliir les collections de notre Soci6t6.
V. A. Maltl-Brun.
EXAJMEN
DE QUELQUES PARTIES
DE LA CARTE 1)E LA PALESTINE
DE M. Van de Velde,
parM.G.Rey.
De retour en France aprfes de longues et p6nibles
explorations dans les regions situees k Test dn Jour-
dain et dans le bassin de la mer Morte, je me propose
de publier prochainement le r6sultat de mes observa-
tions ; ce qui me conduira naturellement k faire la part
des travaux de mes devanciers. Pourcette fois jcd6sire
uniquement attirer votre attention, d'une maniere sp6-
ciale, sur une carte de la Terre-Sainte , r^cennncnt
pnbli6e par M. Van de Velde, et c'estl'exanien de quel-
ques sections de cette carte queje demande k laSociete
la permission de lui soumettre (1) .
(1) Map of the Holy Land constructed by C. W. M. Van de Velde
late lieul. Dutch R. N. from his own surveys in 1851 and 1852, from
those made in 1841 by majors Robe and Rochfort Scott, licul. Symonds
and others officeers of their Majesty's corps of Royal Engineers and from
the Results of researches made by Lynch, Robinson, Wilson, Burckhardt,
Seetzcn, etc. , clc.,Maasstab : 1 : 315000. 8 feuillesgravdessurcuivre,
avec un m^nioire a I'appui formant 1 vol. in-8" de 22 feuilles 1/2.
Golha, a I'^tablisscnicnt g^ographiyuc de Justus Perlhcs.
( 199 )
La carte de la Terre-Sainte est compos^e de 8 feuilles
gravies snr cuivre; elle a 6t6 publi^e chez Justus
Perthes, le savant 6diteur de Gotlia, au z^le bien
connu duquel la science g6ographique est redevable
de tant de pnblications du plus haiit int^ret. Mon exa-
men critique portera plus particuli^rement sur quel-^ .
ques-unes des feuilles de la carte repr^sentant les Gen-
tries que j'ai parcourues depuis le retoiir de M. Van
de Velde en Europe. Si nous jetons les yeux sur la sec-
tion IV du travail de M. Van de Velde, nous devons
le ieliciter des renseignements qu'il a empruntt^s au
D"' Porter sur la plaine qui s'6tend k Test de Damas,
et oil se trouvent les trois lacs Baharet-esch-Shur-
kiyeh, Baharet-el-Ribliyeh et Baharet-Hijaneh.
En descendant vers le Hauran, nous trouvons qu'il
a 6t6 assez lieureux pour sa premiere chaine de mon-
tagnes le Djebel-Kessou6, qu'il nomme Djebel-Assouad,
et dont il a emprunt6 la configuration k I'excellent tra-
vail topograpliique de mon savant ami le docteur Gail-
lardot. II a aussi emprunt6 le Djcbel-Mania au D"' Por-
ter, pour qui j'ai la plus liaute estime quand il s'agit
de r identification d'une localite, mais dont I'^chelle
trop reduite laisse fort k d^sirer.
Vient ensuite le Djebel-Rliiyarali. Le D-" Gaillardot,
mes compagnons de voyage et moi , avons constats ,
par nos travaux topograpbiques , que cetle cbaine se
dirigeait du nord-est au sud-ouest pour se terminer au
TellouUi-Haicha, niontagiie d'une assez grande 6l6va-
tion, et dont le sommet principal est juste en face de
Missemieh. J'ai done lieu d'etre ^tonn6 de la trouvcr
^ndiquee dans la carte de M. Van de Velde comnie se
( 200 )
(lirigeant de Test k I'ouest. Quant an Telloulli-HaTclia,
il ii'cn a fait aucune mention.
Si iiiaintenant nous contournons la pointe nord dii
Ledja, un peu au dela de Bourak, nous rencontrons nn
beau ouady, c'est le Lowa. Mais reniontons son cours
et chorchons la ligne des Tells, qui doit commencer au
Tell-Rhaldyeh et s'6tendie jusqu'au Tell-Hazzan. Qu'a
fait I'auteur des Tells-Ha, llozzal, Ainrc, il les a coui-
pl6tement passes sous silence.
Le D' Porter, a qui la science est redevablc de la
d^couverte des iiiines de Bathanyeh, les indique dans
sa carte comme 6tant en plaine ; c'est bien la en effet
que je les ai vues; mais M.^Van de Velde les a plac6es
sur un monticule qui fait partie, toujours d'aprfeslui,
d'un contre-fort du Djebel-Hauran, dontje soupconnais
si peu I'existence que, dans mon lev6 topograpliique,
j'ai indiqu6 la une plaine oii s'6l6vent les Tells-Maaz,
Alia, OEilei'an, Ardemeh et Arragetani.
Si de la nous reportons les yeux sur Sliobba, nous
trouvons d'abord le Tell-Seheihan, que contourne le
ouady Lowa : il est tr6s convenablement plac6, et I'au-
teur indique merae le petit onn/y qui est au sommet.
Mais aprfes cela nous trouvons un Tell-Eszub et un
Tell-Shobba. Je me hate d'avertir M. Van de Velde
qu'aucun des Tells de Sliobba ne porte le nom de
Eszub ; les trois Tells sont d6sign6s sous les noms de
Garrara 1", Djcmal et Garrarall; c'est ce dernier qui,
quelquefois, est appel6 Tell-Shobba par les gens Stran-
gers au pays. Ce sont autant de puits volcaniques dont
les crat^res sont encore beants; il y a done en tout
quatre Tells, quoiquc M. Van de Velde n'cn indique
( 201 )
que trois , le Scheihan compris. Toutefois, si plusieurs
montagiies d'une certaine importance ont 6te omises ,
nous voyons en revanche apparaitre un TeU-Al)ou-
Tenur, que nous n'avons jamais rencontr^.'
Je dirai aussi que mes compagnons de voyage et
moi n'avons point constat^ I'avancee des pontes du
Djebel-Hauran indiqu^e par I'auteur entre le village de
Murduk et Sleim, I'ancienne Neapolis.
Nous n'examinerons pas le Djebel-Hauran propre-
ment dit, car il serait trop long de demander a I'auteur
ce qu'il a fait des Tells el Arf, Berga, Esserawieh,
Immersbeb, Abou-Hez, Aioun-el-Oroun , Tarba, el
Rhess6, Scbah-Nasarah, Mousphan, Djefne, Om-el-
Hauran et tant d'autres qu'il serait fastidieux
d'(5num6rer ici, sans compter le Tell-el-Akmar. Je ne
parlerai pas non plus des montagnes qu'il hasarde au
sud-ouest du Kleib, la ou il y a une plaine dans
laquelle s'61event seulement trois ou quatre miserables
tertres : le Tell-Hebran et les Telloulli-Tahouabine.
Dansle m^moire annexe a sa carte, M. Van de Velde
nous parait fixer un peu arbitrairement la longitude et
la latitude de Missemieh, de Kennaouat, du Kleib, de
Bozra, d'Ezra et autres points du Hauran, sur desdon-
n6es fort incompletes.
Passons maintenant a I'examen de la partie infe-
rieure du Rlior, du Jourdain et du bassin de la nier
Morte, qui occupent les sections V et VII de M. Van
de Velde. Je me bornerai a dire un mot relativement a
la vall6e du Jourdain. 11 indique Beit-Haran et Er-Rama
coinme des ruines difterentes. Je lui ferai observer
qu'iln'ya qu'ime seule etmenie locality qui se nomme
XVTI. M\RS. h. \Ix
( 202 )
Rharbet-cl-Ram, dont j'ai visit6 les mines et qiie j'espfere
identifier avec Livias. Kefrein, qu'il n'indique que
comme ruines, est un lieu de campement ou les Arabes
Edouants passent I'hiver. Les environs de ce point
forment le Rhor-Kefrein aussi 6tendu que le Rhor-
Safieh. J'en ai clierch6 en vain la trace dans sa carte.
Dans la description de la mer Morte proprement
dite, nous croyons que le graveur aurait pu accentuer
davantage les falaises k pic qui constituent la plus
grande partie du bassin du lac Asphaltite. En partant
de la pointe nord, pour suivre la rive occidentale,
nous trouvons d'abord les ruines de Goumran, signa-
16es par M. de Saulcy. M. Van de Velde indique bien
des ruines, mais en omettant leurs noms, car les
Arabes les nomment Rarbet-Goumran, Rarbet-Fecli-
khah, et une petite partie plus proche de la Grfeve,
Redjoura-el-Bahar, ce qui veut dire monceau de mer
ou situ6 au bord de la mer.
Quant aux environs du Birket-oI-Klialil, je deman-
derai k I'auteur ce qu'il a fait de la plaine mame-
lonn6e qui s'6tend de la grfeve de la mer Morte
jusqu'au pied du Djebel-Rhabarah, sur quatre kilo-
metres de long k peu pr6s et environ deux de large k
sa partie la plus resserr^c entre le Ouady-el-Rha-
barali d'une part, et le Ouady-el-Rhalil de I'autre. Dans
la carte que nous avons sous les yeux, je trouve k la
place de cette plaine une montagne en tons points
semblable k celles qui constituent les escarpements de
cette rive. Mais nous voici k Zouera, 1' antique cit6
biblique de Zoar, que M. Van de Velde nonime
Zuweirah ; et nous touchons cnfin k Sdoum , qui va
( 203 )
devenir le point principal de mes observations. M. Van
de Velde, qui a visits les lieux, pretend que ces mines
sont I'invention d'un voyageur francais, M. de Saulcy.
II s'appuie, pour nier leur existence et pour corroborer
son opinion, de celle de M. Poole.
Malheureusement pour lui, tons ceux qui, avec
moi, ont visits ces lieux, en ont reconnu 1' existence,
et je suis heureux de profiler de la circonstance pour
declarer hautement que toutes les ruines signalees par
M. de Saulcy et ses compagnons, je les ai 6galement
retrouv^es : celles de Sodome aussi bien que celles
de Goumran ou de Zoar. Mais continuous le tour de la
mer Morte, et voyons sur la rive orientale quels pas
aura fait faire a la science le travail de M. Van de
Velde. D'abord, au sud d'el Lican, le capitaine Lynch
a indique une petite presqu'ile k laquelle il a donn6
le noni de pointe Molyneux. L'auteur de la carte
de la Terre-Sainte en indique bien le nom, mais il
nous semble qu'il aurait dii 1' accuser davantage, ainsi
que I'a fait M. de Saulcy dans sa carte d'assemblage,
qui, pourtant, n'est qua I'^clielle d'un million i6me.
L'auteur annonce ensuite que, pour les environs de
Rarak et de Rabbah-Moab, il s'est servi des itineraires
de M. de Saulcy. Nous aurions peine a le croire, car ses
directions ne coincident nnllement avec celles de notre
savant confrere. II dit, dans son m^moire, avoir d(iter-
niin6 la position de Karak par une triangulation dont
il ne nous fait pas connaitrc les autres points. M. de
Saulcy a plac6 Rabijah au nord-nord-est de Karak ;
l'auteur a jug6 a propos de placer ces ruines au nord-
ouest. Si, pour cette parlic de la carte, nous exanii-
( '20li )
nous le dessin topographique, la proini^re chose qui
nous frappe, c'est rexlrerae disproportion qni existe
entre le monticule de Schihan et les montagiies domi-
nant les Karbct-Fouquoua, qui, dans I'itin^raire de
M. de Saulcy, sont indiquees connne phis escarp6es et
plus considerables que le Tell et Schihan.
M. Van de Velde passe encore sous silence les
localites biblitjues reconnues sur le plateau de Moab
par M. de Saulcy. D'aillenrs , ici comma dans le reste
de la carte, les noms sont encore defigui-^s ; ainsi, pour
Beit-el-Kerm , qui signifie /a maison de Id vignc, il a
6crit Beit-el-kiirm, ce qni n'a aucune signification.
En terminant cet examen, il ne me reste qua ex-
primer mes regrets a M. Van de Velde d'a\oir dii
critiquer autant de points de detail dans un travail qni
parait lui avoir coute tant de recherches ; mais le
rfeultat de mes explorations ne m'obligeait-il pas k
t6moigner ici de I'exactitude des faits avanc6s par
lAI. de Saulcy, dont les r^centes decouvertes avaient
soulev6 tant de critiques peu justifi^es, ainsi qu'on
commence aujourd'hui a le reconnaltre.
E. GUILLAUME PiEY.
( 205 )
i^oiivelles et coeiiiisiBiiieatioiis.
NOUVELLES DES CAPITAINES BURTON ET SPEKE ,
Refues a Londres au mois de Janvier 1859.
Le lac Ujigi existe a I'ouest de Zanzibar, il a et6
explore entierement par les deux voyageurs ; son
6tendue est d' environ deux cents milles de^ong sur
vingt-sept milles de large. Les voyageurs ont eu a
combattre d'extremes difficult^s provenant de I'^tat
malsain du pays et des attaques des insectes morti-
f^res; le capitaine Burton a eu I'oreille perc^e par un
petit insecte c[ui Fa fait cruellement soufirir, et, par
cette cause, ajoutee a I'insalubrit^ du climat, il a 6t6
affect6 de surdity et de cecit6, ce qui cependant ne I'a
pas empech^ de continuer son voyage, mais en se
faisant porter ; le capitaine Speke a souffert presque
autant. Tons les anes de I'exp^dition sont morts, et
beaucoup des natifs qui accompagnaient les voyageurs
les ont abandonn6s.
Sans le secours qu'ils ont recu du consul de France,
aprfes la mort du consul anglais ^.Zanzibar, ils n'au-
raient pas pu continuer leur course. Malgr6 toutes ces
difticult^s, ils sont arrives au lac; ils ont pass6 beau-
coup de temps pour en faire le tour, et ils en ont rap-
ports une grande carte, qui en fait voir I'etendue et
les directions. Non contents de ce succ^s, ils ont 6t6 a
la recherche du grand lac central dont on parle beau-
coup, et ils en ont recu des informations dignes de foi
qui le representent comme situe a la distance de seize
journ6es dans le nord. •
A la date de ces nouvelles (juin dernier), le capi-
( 200 )
taine Burton, ^tant trop nial pour accompagner le capi-
taine Speke, 6tait rest6 a moitie chcinin environ entre
le lac Ujiji et Zanzibar, attendant son retour avec
impatience et inquietude.
A I'occasion de ces nouvelles, sir Murchison a dit a
la Soci6t6 royale g^ograpliique que cette exploration
lui paraissait la seconde en importance aprte celle du
D' Livingstone, le lieu jusqu'oii ont pen6tr6 les voya-
geurs 6tant a cinq cents niilles de la cote orientale, et
une grande partie de ce pays n'ayant jamais 6t6 visit^e
par les Europ6ens. Leurs d^couvertes, a-t-il dit, con-
firment celles du D' Li\ ingstone et font voir que dans
la partie centrale de I'jVfrique, il y a un immense pla-
teau convert d'eaux {platenn o/'ivafer) ; elles tendent
aussi, selon lui, a montrer que les pr^tendues monta-
gnes (le la Iiine n' existent pas ; car il n'y en a aucune
apparence dans la route qu'ont suivie les voyageurs,
bien que cette route ne fiit pas 61oign6e de la latitude
supposee de ces montagnes. Une coupe du pays a 6t6
trac6e sur leur carte : la plus haute montagnequ'ils ont
traversee n'a pas plus de cinq milles pieds de liaut, et
le lac Ujiji est 61ev6 de dix-liuit cents pieds seulement.
M. Mac Queen a r6pondu qu'il croyait a I'existence
de ces montagnes, d'apres les missionnaires qui les
ont vues couvertes de neige.
A la mort du consul anglais k Zanzibar, on a
nomm6 a sa place M. Rigby, et on I'a cliarg6 dc
donner toute 1' assistance possible a 1' expedition des
capitaines Burton et S])eke, qui sent des officiers de
I'armee indiennc, et qui ne soudViront pas des chan-
gements survenus dans le gouverneaient de I'lnde.
( 207 )
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( 20S )
Notes.
I" Note. — La population de la Conftd6ration grena-
dine s'est gronp(:^e par des nuances de castes, selon les
cliniats, c'est-a-dire selon I'^l^vation etTexposition des
lieux. Ainsi, la population blanclie couvre les plateaux
de Pasto et de Popaynn, dans la grande Cordill^re des
Andes et le faisceau gt^nerateur des trois chaines de
niontagnes, ainsi que les plateaux de Medellin (chaine
centrale) et de Bogota, Funja, Velez, Pamplona et
Ocana (cliaine orientale).
La population noire ou africaine et ses m^-tis est dis-
s6min6e sur les cotes des deux Oceans, et au fond des
valines brulees de la Magdalena, du Cauca, de I'Atrato
et du Patia; regions ou les travaux des mines et de la
navigation exigent le concours d'une race fort vigou-
reuse.
Dans ces memes valines, sur les cotes, ainsi que sur
les premieres pentes des chaines de montagnes , se
trouve la population mel6e de blancs, d'Indiens et de
mulatres, dans laquelle predomiiient la couleur, la phy-
sionomie et I'intelligence des Europ6ens, et la force
et r indolence des n6gres.
Sur les plateaux de Pasto et Popayan, de Bogota et
Funja, de Velez et Pamplona, la majority des habi-
tants des campagnes est issue du croisement de la race
europ^enne avec les Indiens. Mais I'^l^ment indien
y a tenement dispani aujoiird'liui que Ton ne pent
reconnaitre les descendants de ces m6tis indiens, les-
qucls d'ailleurs sontcntieremenl blancs, qu'aleurtaille,
( 200 )
gen6ralenieiit moyenne, et qu'a un certain accent forte-
inent guttural ou prqfond. Cet accent est bien remar-
quable dans leur manifere cle prononcer I'espagnol, qui
est la seule langue de la population utile.
D'aprfes les donn^es les plus approximatives, on peut
classerla population totale utile, delanianifere suivante :
Race europ6enne pure 1,357,000
Race europ^enne et indienne m^l^es {blanche aussi). . . . 600,000
Africaine pure 90,000
Divers melanges 465,614
2,692,614
II faut encore signaler une autre espfece singuli^re
deracemel^e : c'est la partie blanche de la population
dg rfitatd'intioquia, issue du croisement de la pure
race espagnole avec une colonic nombreuse de juifs
venus d'Espagne pour s'6tablir, avec la permission de
Philippe III, dans la province d'Antioquia.
IP Note. — II ne reste aujourd'hui d'autres groupes
d'Indiens purs que les suivants :
1° Celui des Goajiros , qui peuplent la p^ninsule
deGoajira (Etat du Magdalena). lis sont encore insou-
mis ; mais ils sont en general inoflensifs et entretiennent
avec les cr6oles des relations commerciales tr^s fr6-
quentes.
2° Les Goajibos , tribu quelquefois agressive , qui
habite dans les forets du Meta et du Sarare (Etat de
Boyaca); etles Fimebos, peuplade intelligente et paci-
fique habitant les niontagnes de la grande chaine
orientale vers les sources du Sarare.
3° La famille considerable des Andaquies , etablic
( 210 )
sur les lleuves Caguan et Yupura ou Caqufeta , dans
I'Etat du Caiica. •
Zj" Les Indiens till Darien, peuplade tr6s peu nom-
breuse aiijourd'hui, cpii habite entre le golle de San-
Miguel, du Pacifique et celuid'Uraba, de rAtlantiquc.
Ainsi done, soit par destniction , soit par absorption,
les Sou 9 millions d'Indiens que les conqu6rants trou-
vferent dans la Nouvelle-Grenade, sout rciduits mainte-
nanti 126,000!
Ill* Note. — Abstraction faite de la population in-
soumise et du territoire non occup6 , la density de la
population est la suivante :
Dans I'Etat de Ayitioquia 8 habitants par kil. carr6.
— Bolivar 6 —
— Boyaca 15 1/2 —
— Cauca 5-1/2 —
?— Cundinamarca 9 1/8 —
— Magdalena 2 1/13 —
— Panama 4 1 /3 —
— Santander 20 1/2 —
Dans toute la Confede'ralion 7 6/8 —
IV Note. — Les races primitives (on divisions de
la grande race sud-am6ricaine), d'ou est issue la
population actuelle m61ang6e de blancs et d'Indiens,
6taient :
1" Sur les plateaux de Pasto et de Popayan, divers
groupes appartenant a la grande famille p6ruvienne
des Qaichuas ;
2° Dans la chaine centrale des Andes grenadines, la
famille guerri^re, tr6s nombreuse et puissante des
Pantagoros, qui peuplait aussi les flancs des mon-
( 211 )
tagnes et s'6tenclait sur I'lm et 1' autre versant, sur
quelqiies parties cles valines du haut Magdalena et du
haut Cauca ;
30 Dans le fond de la meme valine du haut Magda-
lena, les families tr6s nombreuses des Paczes, des
Manjuetones, etc. , issue peut-etre du croisement des
Pantagoros avec les Patiches;
h' Sur les flancs du rameau int^rieur de la chaine
orientale, et k ses bases dans la valine du haut Mag-
dalena (rive droite), la famille fort belliqueuse des
Panc/tes, derivation 6vidente des Chibchas ;
5° Sur les plateaux de Bogota et de Funja, la race
CUbcha, qui 6tait la plus civilis6e de toute rAm6-
rique du Sud aprfes celle du Cuzco (P6rou) ;
60 Dans les contr6es de Velez et de Socorro (entre la
chaine orientale et le bas Magdalena) , les families des
Muzos et Guanes qui 6taient extremement belli-
queuses ;
7° Sur les plateaux de Pamplona (chaine orientale) ,
les families des Funebos, des MotHones, etc.
V* Note. — Dans la Nouvelle-Grenade, la popula-
tion double tous les vingt-cinq ans, d'une mani^re
persistante, par le seul fait de sa situation climat6-
rique, 1' immigration 6trang6re ^tant tout a fait nulla.
J. M. Samper.
( 212 )
;%c\'ahll)erg, secretaire perp^tuel de rAcad6mic
royale des sciences de Stockholm, adresse k la Soci6t6
les cinq premieres livraisons de la relation du voyage
de la frigate royale su6doise I' Eugenie.
M. L. de Rosny adresse un num6ro de la Revue
americnine orientnle, et en demande I'^cliangc avec le
Bulletin de la Soci6t6. — Renvoi a la section de comp-
tabilite.
M. Joniard conimunique les nouvelles qu'il a rcrucs
de Londres concernant le voyage des capitaines Burton
et Speke aux lacs de I'Afrique centrale. Le lac Ujiji a
6t6 explore dans une partie de son 6tendue. — Voir
au Bulletin.
M. Malte-Brun lit un passage d'une lettre a lui
adressec par le D' B;irll), duqiiol 11 rcsultc que le
ceiebre voyagour, pour se reuiettre de ses fatigues
litt6raires, vient de laire une excursion dans I'Asie
( 213 )
Mineure ; ce nonveau voyage fait esp^rer que le
D'' Barth reprendia les travaux g6ographiqiies et
ethnographiques qu'il avait d'abord eiitrepris sur
I'Asie, et que son depart pour sa grande exploration
de I'Afriqiie centrale I'avait forc6 d'ajourner,
M. le secretaire donne lecture de la liste des ou-
vrages d6pos6s sur le bureau. M. Arthus Bertrand
fait hommage, au nom de M. Hecquard, consul de
France a Scutari, de I'ouvrage qu'il vient de publier
sous le titre de : Histoire et description de la haute
Albanie on Gnegririe, avec une carte. — M. Lejean est
pri6 d'en rendre compte.
M. Guigniaut presente le Rapport qu'il a fait a
I'Academie des inscriptions et belles-lettres, au nom
de la Commission charg6e d'examiner les travaux en-
voy6s par les membres de I'^cole francaise d'Atlifenes.
La Society admet au nombre de ses membres
M. Saillard, attache au minist^re des affaires 6tran-
gferes; M. Rousseau, consul de France a Djeddah, et
M. le D"" C. Poyet, r^sidant a Routchouck.
M. le professeur Parlatore, directeur du Mus6e
d'histoire naturelle de Florence, est presente comme
candidat par M. Jomard et M. le comte d'Escayrac.
La Commission centrale precede a 1' Election de
quatro membres adjoints, et elle nomme au scrutin
MM. Jules Duval, Auguste Himly, Alfred Jacobs et
ilis^e Reclus.
M. Vivien de Saint-Martin lit en communication
une Note sur les d^couvertes du R6v. Rebmann et du
D' Rrapf dans la region orientale del'Afrique australe.
Les rapports g6n6raux qui existent 6videmment entre
( 2ia )
la region des montagnes neigeuses, reconnues par les
deux missionnaires, et les sources du iNil out ete deji
signal^es plus d'une fois, notamment par M. Joniard,
le savant et v6n6rable president de la Soci6t6 ; mais
M. Vivien de Saint-Martin s' attache a pr6ciser davan-
tage ces rapports, tant par les indications arabes que
par le rapprochement d'inlormations concordantcs re-
cueillies, d'une part, par le D"^ Krapf, et de I'autre,
par M. Werne, qui accouipagnait I'cxp^dition de
M. d'Arnaud, en 1840, pour 1' exploration du fleuve
Blanc, et il arrive k cette conclusion que la source
priucipale du fleuve Blanc, celle qui a 6t6 regard^e de
tout temps par les indigenes comme la vraie source du
Nil, est au niont R6nia, k une tr6s petite distance au
sud de ri^quatcur. Le domaine g6n6ral des sources du
fleuve, c'est-ci-dire de ses branches alTluentes, doit
occuper une zone d'une 6tendue considerable k I'ouest
du mont R6nia ; mais M. Vivien ne croit pas, d'aprSs
les doun6es actuellenient acquises, et les inductions
qu'on en peuttirer, qu'aucune de ces sources descende
beaucoup au midi de la ligne 6quatoriale.
L'auteur de la Note signale aussi le tr6s grand int6-
ret, pour I'ethnologie g6n6rale, des notions que Ton
possede aujourd'hui sur la distribution des peuples et-
des langues de I'Afrique australe. Ces notions rcposent
sur les recherches de plusieurs savants, et, en parli-
culier, sur celles de M. Eugfeue do Froberville ; les
travaux philologiques du D"" Krapf les out confirmees
et en ont encore 6tendu I'application.
M. Jomard ajoute, aprfes cette lecture, qu'il se feli-
cite de voir sa conjecture sur 1' emplacement probable
( 215 )
d'une ties sources principales du Nil-Blanc, embrass6e
et confirm6e par 1' opinion d'un g6ographe aussi 6clair6
que M. Vivien de Saint-Martin, conjecture 6mise d6s
le premier moment de la d6couverte des montagnes
neigeuses par le D' Krapf et le R6v. Rebmann, et qu'il
a corrobor^e par le t6moignage d'un capitaine de vais-
seau anglais naviguant au service du sultan de
Zanzibar.
M. ]^lis6e Reclus lit une Notice sur la Nouvelle-
Grenade. — Renvoi au Bulletin,
Seance da 18 fcvrier 1859.
MM. Duval, Jacobs et Reclus adressent leurs remer-
ciments k la Commission centrale qui vient de leur
accorder le titre de membres adjoints, et promettent
de prendre une part active a ses travaux.
M. Jomard annonce, d'aprSs une communication de
M. Delessert, qu'une nouvelle Soci6t6 de geographic
est sur le point de se constituer a Geneve, et qu'on
sollicite les documents ou les renseignements qui peu-
vent facditer Tex^cution de ce 'projet. Cette Soci6t6
est la neuvi^me qui se sera formee ^ I'instar de la
Soci^te de Paris, qui a donn6 I'impulsion en 1821.
Ces Soci6t6s sont celles de Londres, de Bombay,
de Francfort, de Berlin, de Russie, de Darmstadt,
de New- York, et de Vienne, sans parler de plusieurs
Soci6t6s qui s'occupent de statistique ou d'autrcs
branches de la science g6ographique.
( 216 )
M. le president aiinonce que, sur sa locomiuanda-
lion, M. le docteur Norton Shaw, secretaire dc la
Soci6t6 royale g^ographique de Londrcs, a fait iin
accueil des plus synipathiques a M. Lejean, membra
de la Commission centrale, pendant son s6jour dans
cette ville.
M. le secretaire communique la liste des ouvrages
d^pos6s sur le bureau. M. Cortambert y ajoute deux
opuscules de M. le docteur AUard sur la Dobroutcha,
ct M, Malte-Brun, uue Notice de M. le colonel Faidlierbe
sur le Senegal.
M. le professeur Parlatorc , directcur du Mus6e
d'histoire naturelle de Florence, est adiuis au no(nbre
des membres de la Soci6t6.
M. Elis^e Reclus lit la suite de son travail sur la
Nouvelle-Grenade, et M. Bouillet, une Notice de M. le
docteur Poyet sur les Zeibeks de I'Anatolie. — Ces
deux communications sont renvoy^es au Bulletin.
Seance dn h nuirs 185i>.
M. Jomard depose sur le bureau un M^moire adresse
;\ la Societe par M. le docteur Cuny, avec pri^re de le
comnumiquer d'abord a M. le comte d'Escayrac. M. le
ministre du commerce, de I'agriculture et des travaux
publics, qui a transmis cc Memoirc a la Society, an-
nonce qu'il a fait prendre pour son departement un
extrait des renseignements utiles que renferme ce
travail sur les productions, les (ichanges et les usages
(217 )
commcrciaux do plusiciirs dcs tribiis do I'Afriquc inl6-
rieure.
M. Jomard annoncc ensiiite le depart de M. le D' Cuny
pour le Darfour, ou il parait etre appel6 par le sultan :
il a quitt6 le Kordofan en conipagnie de plusieui-s
Foriens vers la fin de I'ann^e derni^re.
Le menie membre annonce une perte bien sensible
que vient de faire la Society dans un de ses plus
anciens membres, le colonel Coraboeuf, ancien chef
de section au d6p6t de la guerre, et qui a attach^ son
nom a la publication de la nouvelle carte de France.
Ce savant officier, sorti de I'Ecole polytechnique en
1796, 6tait parti en qualite de capitaine, en 1798, pour
I'exp^dition d'Egypte, et, pendant tout le cours de
I'exp^dition, il avait ete attache a I'astronome Nouet,
De retour en France, il s'etait successivement occup6
des travaux g6odesiques en Pigment, en Italic etsurla
frontitire d'Espagne. Son travail sur la chalnc des
Pyr6n6es avait refu une liaute approbation de 1' Aca-
demic des sciences.
M. Malte-Brun communique une lettre qu'il a refue
de Londres, dans laquelle il est rendu compte du
r^sultat des d(5marclies faites par le gouvernemcnt
anglais des Indes, pour connaitre la destin^e du voya-
geur Adolphe SchlagintMeit, dont on n'a plus de
nouvelles depuis son entree dans le Tibet en mai 1857.
On pense qu'il se sera vu fermer le chemin du retour
vers rinde, et se sera dirig6, en traversant le Tur-
kestan (khanat de Kokand) , sur les possessions russes
de la mer Caspienne.
M. Cortambert annonce que M. de Halin, consul
XVll. MARS. 5. 15
( 218 )
autrichien a Syra, a fait r^cemmeni nn voyage a tra-
vers la Turquiecl'Euro])e,depuis Belgrade jusqu'aSalo-
niquc; il a communique ses notes a M, Ami Boul', qui
Jes adresse k son tour a la Soci6te par Tinterm^diaire
de i\I. Viqucsnel. M. Cortambert donne lecture d'uno
partie de ces notes, qui indiqueut plusieurs positions
nouvelles, et oii se trouvent des details surdes popula-
tions albanaises qui occupent d'iuiportants d^fdesdela
grande chalne de laTurquieceiitrale. — Cette commu-
nication est renvoy(5e an Bulletin.
M. Vivien de Saint-Martin lit en communication des
extraits d'un travail historique sur la recherche des
sources du Nil. 11 s' attache principalement ii la fin do
son Memoire, comme il I'a deja fait dans une commu-
nication pr6c6dente, a montrer quels doivent etre d6-
sormais le point de depart et la direction h donner
aux explorations de cette region de I'Afrique centrale.
Seance dn 18 viars 1859.
M. Justus Perthes, directeur de I'etablissement g6o-
graphique de Gotha, 6crit k la Soci6t6 pour lui faire
don de carte de la Palestine de M. Van de Velde,ainsi
(pic du Mt^moire qui I'accompagne.
M. Ic secretaire comnmnique la liste des autres
Guvragcs ofTerts a la Society.
M. de Quatrefagcs depose sur le bureau des Notes
([u'il a rcfues de M. Antoine d'Abbadie sur les nfegres
do I'Kthiopie. — Renvoi au Bulletin.
M. le comte d'Esrayrnc nimonce fpi'il a reni do l.i
( 219 )
Soci6t6 le M^moire et la lettre qti'elle a bien voulu lui
transmettre de la part de M. le doctenr Cuny, ancien
m^decin en chef dans la haute Egypte.
Cette lettre, k la date du 25 niai 1858, lui apprend
I'arrivee de ce voyageur dans le Kordofan. M. Cuny
allait se rendre dans le Darfour, et il doit y etre depuis
longtemps; il a rencontre quelques obstacles et couru
quelques dangers de la part des autorites du pays pen
d^sireuses de voir les Europ6ens p6n6trer dans I'inte-
rieur de I'Afrique, et le secret avait du etre garde
d'une maniere a peu prfes complete sur son voyage
jusqu'au moment ou, p6n6trant enfin dans le Darfour,
il s'est vu k I'abri d'un p6ril que la publicity donn6e
en Europe k son entreprise eut notablement accru.
M. d'Escayrac ajoute que, d'apr^s le d^sir de
M. Cuny, il reverra son M6moire relatif k la premiere
partie de son voyage dans la Nubie et le Kordofan, et
qu'il le publiera dans le Bulletin, si la Soci6t6 Ten juge
digne.
M. Joniard lit une Notice f{ui lui a 6t6 adress(5e
par M. le chevalier Leon de Pontelli, voyageur dans
I'Am^rique centrale ; ses observations portent prin-
cipalement sur les productions du pays et sur les
antiquit6s.
Le meme niembre doniie connaissance d'une lettre
par lui 6crite, apr6s la decouverte de la montagne nei-
geuse de KC^nia, par MM. Krapf et Rebmann, et dans
laquelle il avance que la source de la branche la plus
orientale du Bahr-el-Abyad doit etre peu 61oign6e de
cette montagne, de maniere qu'il faudrait plutot se
(linger de cf cote que de rcinonler le Nil-Blanc, a
( !>20 )
[>;irlii' tlu posli' ill' l;i mission juilricirK'iiiic. route plus
longue et probaMcmeul plus dillicilc.
M. Vivien dc Saint-.Martin ajoute qiiclques mols a
cette communication. II apprend avec ini vif intOrOt
(pi'il y a trois ans dcja, dans I'intimite dc sa corrcs-
pondance priv6e, M. Jomard avait eu, sur la iiouvcUe
direction et le point dc dispart nouveau qu'il imporlc-
rait de donncr aux explorations dc la region des sources
du Nil, Ics mcmes idees que lui-mcme, M. Vivien dc
Saint-AIartin, a emiscs ct developp6es dans une com-
munication recente qu'il a faitc a la Soci6t6. II se fcli-
citc de s'etre ainsi rencontr6 avec iin liommc qui a
acquis sur ce sujet une si grande et si legitime auto-
rite. 11 y a la une question dont la Soci6t6 appreciera
r importance.
M. d'Avezac sigualc ^ 1' attention dc la Societc deux
cartes manuscrites du moyen age, dont la ventc pro-
chaine est annoncee a la suite de celle des livres dc
M. Boissonadc. Ce sont deux portulans de la Medi-
lerranee et de la mer Noire, avec les cotes voisines sur
r Ocean, dessines sur peau de v61in par deux cosmo-
graphes mayorquins. Pourl'un et pourl'autre, il y a,
quant a leur age, erreur evidente dans les indications
du catalogue : la plus recente des deux cartes a etc
ox6cutec par Barthelemi Olives, a Messinc, en I'an-
'n6e 1575, comme ou peut le lire avec assurance sur
I'original, et non en 1075, comme cela est imprimd'
tlans le catalogue. L' autre carte, non dalee, et desi-
gnee simplement comme anterieure au milieu du
xV si^cle, est beaucoup plus ancieune, etM. d'Avezac,
qui I'a examinee, sigualc divorscs indications lieraldi-
( 221 )
qucs qui Ion I rcinontor avcc certitude la date probable
do la rt'daction k une 6poque ant(5rieure a la conquete
de la Bidgarie par les Tartares, c'est-i-dire h I'an-
n6e 1391 , tout en restant en deci de I'ann^e 1375, ou
la petite Armenie fut envahie par les Musulmans. Cette
carte appartient ainsi a une periode dont les monu-
ments ont une valeur historique bien sup6rieure a celle
des productions plus recentes ; et malgre d'assez graves
atteintes qu'elle a subies a sa marge inferieure de la
part des rats qui Font dentelec, cllc olTrc, pour le sur-
plus, un des echantillons les mieux conserves de la
cartographic du moyen age.
Le nom dc Soleri, dont elle est sign^e, est d^j^connu
par une carte de 1385 qui se trouve aux archives
diplomatiques de Florence.
M. d'Avezac annonce qu'au surplus il conmiuni-
quera ulterieurement a la Societe une iNotice sp6ciale
de ce beau portulan.
M. Jos6 Maria Samper lit une Note sur la statisti({ue
de la Confederation grenadine a la fin de 1858. — Cct
int^ressant document est renvoye au Bulletin.
La Commission centrale accepte Tcchange de la
Rei'iic aiiu'ricaiiie et nriciitale avec SOU Bnllelin,
La premitire assemblee g6n6rale de 1859 est fix6e
au 8 avril prochain. '
( '2'2i )
OUVilAGES OFFEllTS A LA SOCIETE.
SfiANCES DE MA15S 1859.
Tilres des ouvrages. Donateuis.
ASlt:.
Memoir to accompagny the map of the Holy Land, by C.-W. M.Vaii
dc Veldo. Gollia, 1S58, 1 vol. in-8. M. Justus Pehthes.
AMERIQUE.
Pcregrinacion de Alpha por las provincias del Norte de la Nueva Gra-
nada en 1830-1851. Bogota, 1833, 1 vol. ia-12. M. Ancizar.
A statistical view of amcrican agriculture, its home resources and
foreign markets, with suggestions for the sdieduies of the federal
census in 1860, by John Jay, esq. New-York, 1839, br. ia-8.
M. John Jay.
Canal dc Nicaragua. Notice sur la navigation Iraiisatlantique des pa-
qncbols intcroceaniques ou Recherchcs sur Ics routes de plus court
Irajet d'Europe a Saint-Jcan de Nicaragua et retour, et sur le
regime des courants, des vents et des tempAtes dans I'oc^an Atlan-
lique septentrional, par M. Keller, ingcnieur hydrographe de la
marine. Paris, 1839, 1 vol. in-8.
COMPAGNIK l)U CkSKl. DE NiCMlAUUA.
CARTES.
Map of the Holy Land, by C.-W. M. Van de Velde. Golha, 1858,
8 feuillcs. M. Justus Perthes.
Carte de IWIIemagnc occideutale, avec Notice dressce par M. Dufour
et publi^c par MM. Paulin et Le Chevalier, 1 feuillc.
MM. PaUMN Cl LECHEVALlEn.
OUVRAGES GliNERAUX, MEL\NGE.S.
Annales de lobservatoire physique central de Uussie, publiees par
ordredc S. M. 1., sous les auspices deS. Kxc. M dc IJrock, niinistre
( 2-23 )
Titles (les ouvi-agca. Dotiatews.
des finances el chef du corps des ingi^iiicurs des mines, par
A.-T. KuplTer, dirccteur de I'observatoirc physique central. An-
n^e 1855. Sainl-l'elersbourg, 1857, 2 vol. in-4.
S. Exc. M. DE Brock.
Almaiiaque naulico para 1860, calcuiado de orden de S. M. en el
obscrvatorii) de marina de la ciudad de San Fernando. Cadix, 1858,
I vol in-8. L'Obseiivatoire de San Fernando.
ME.MOIRES DES ACADEMIES ET SOCIETGS SAVANTES,
RECUEILS PERIODIQUES.
Proceedings of the royal geographical Society of London, vol. Hi,
a° 1, 1859. — Mittheihingen duD' A. Petcrmann, n° 1, de 1859.
— Zeitschrifl filr allgemeine Erdkunde , novembre et decem-
bre 1858. — Journal of the Franklin Institute, fevrier. — Archives
des missions scientiOques ct litt^raires, tome VIII, 1858. — Nou-
velles Aunales des voyages, fevrier. — Revue de I'Orient, de I'Al-
g6rie et des colonics, fevrier. — Dulletin de la Soci^t^ g^ologique
de France, fi^vrier. — Bullelin de la Societe impc-riale zooiogique
d'acclimaliou, Janvier et fdvrier. — Annuaire de la Soci(*t^ ra^t^o-
rologique de France, fevrier. — Nouvcau journal des connaissances
utiles, mars. — Journal des Missions (^vangt'liques, fdvrier. —
— Journal dYducalion populaire, fevrier. — Bulletin de la Soci6t6
d'agriculture el de commerce de Caen, cahiers d'octobre 1858 a
fevrier 1859. — L'Isthme de Suez, n° 66.
Les Auteurs et Editeurs,
Erratum des cahiers de Janvier- fevrier .
Page 151, ligne 20, au lieu de : Carte de I'Asie Miueure, par
)rca(i(/e/, lisez ; Carte de I'Asie Mineure, par Wronlchenko.
4
i
BULLETIN
DE LA
SOCIETE DE GEOGRAPHIE.
AVRIL 1859.
ISIeuioires, IVotices, etc.
Assemblee generals du 8 avril 1859.
OUVERTURE DE LA STANCE PAR M. DE LA ROQUETTE,
V. president de la Soci6t6.
Messieurs,
L' absence prolong^e de M. le g6n6ral de division
Daumas, que les hautes fonctions qui lui ont 6t6 con-
fines par I'empereur retiennent encore au camp de Lun6-
ville, m'appelle pour la seconde fois dans cette session
i i'honneur de pr6sider votre assemble.
Je regrette, Messieurs, de ne pas voir votre honorable
president assis aujourd'hui sur ce fauteuil qu'il eut si
dignement occupy ; etj'oseesp6rerquevousaccorderez
h. celui qui le remplace la meme bienveillance qu'il a
obtenue de vous en 1858 (1).
(1) Voirle procfes-verbal de I'Assembl^e g^o^rale, p. 309.
IVII, AVRIL. 1. 1(5
( 226 )
RAPPORT SUR LE PRIX ANNUEL
POUR LA DtCOUVERTE LA PLUS IMPORTANTE EN GtOGRAPHIE
PENDANT LE GOURS DE l'aNN£e 1856.
Commissaircs : MM.Daussy, d'Avezac, Jomard, Vivien de Saint-Martin,
ct de La Roquelte, rapporteur.
Messieurs,
Tous les ans, la Soci6t6 de g6ographie oiTre, sur le
Rapport d'lme Commission sp6ciale, uii grand prix au
voyageur qiii, pendant le cours d'une ann6e determi-
n6e, a fait la d6coiiverte la plus importante.
La Commission speciale 61ue en 1859 par votre
Commission centrale, a I'efTet d' examiner la question
du prix pour I'annee 1856, s'est trouv6e compos6e de
MM. Daussy, d'Avezac, Jomard, Vivien de Saint-Martin
et de la Roquette, que gcs collogues ont bien voulu
designer comme rapporteur.
C'est le r(^sultat des deliberations de votre Com-
mission speciale qup je viens mettre sous vos yeux ;
elle s'est accord6e a I'unaniinit^, aprfes un exameii
long et consciencicux, pour deccnier votre graude
medaille d'oraMM. Adolplic, Hermann et Robert Schla-
gintweit, voyageurs, geologues, naturalistes et pliysi-
ciens bavarois, pour leurs explorations du Tibet et
du Turkestan oriental, et pour les d(^couvertes qu'ils
ont faites a I'ouest, au nord et au nord-ouest des monts
Himalaya.
( 227 )
Ces trois frferes vous 6taient d6j& fort avantageuse-
mentconnus, Messieurs, par les beaux travaux ex6cut6s
par eux, de I8Z16 a i 8A8 et de 1850 a 185Zi, sur la g6ogra-
phie physique et la geologic des Alpes, travaux qui leur
avaient acquis une place distingu6e parmi les g6ogra-
phes et les naturalistes, dont notre Acad6mie des
sciences appr6cia le m^rite, et dont votre Bulletin a
fait plusieurs fois mention, lorsque s'offrit une occa-
sion unique d'6tendre leurs explorations sur le plus
vaste des theatres!
La mort du capitaine William Elliot, arriv6e k
Masulipatam le li aout 185*2, ayant laiss6 inachev6 le
lev6 magn6tique de I'lnde {The magnetic Suri'ey of
India), la Compagnie anglaise des Indes orien tales
cherchait a lui donner un digne successeur. Inform6
de cette circonstance, M. Bunsen, ambassadeur de
Pnisse k Londres, la fit connaitre a M. le baron
Alexandre de Humboldt, et ce v6n6rable et illustre
doyen de la science, qui avait concu une haute id6e
des talents, du zele et de I'activite des frferes Schla-
gintweit, lesrecommanda a M. le colonel William Sykes,
membre dela Chambre des communes, I'un des direc-
teurs influents de la Compagnie des Indes, lui-meme
savant distingu6, connu par d'excellents ouvrages, en
6tat, par consequent, d'appr6cier le m^rite des autres.
Adolphe Schlagintweit fut invito a se rendre a Lon-
dres, et dans les premiers mois de 1854 il entra au
service de la Compagnie des Indes (1).
Cette puissante Compagnie, qui, dans une multitude
(1) Le brevet purtait : r ou lui, ou I'un de ses fr^res. »
( 228 )
d' occasions, s'est montr^e la protectrice 6clair6e et
g6n6reuse des plus importantes entrepriscs scientifiques
en faisant abstraction des nationalit6s, se montra en-
core en cette occasion on ne pent plus lib6rale. Outre
une importante allocation annuelle accord6e a Adolphe
Schlagintweit, elle consacra une somme d'environ
trente mille francs a 1' acquisition des instruments de
toute nature dont il manifesta le besoin, ct se chargea,
de plus, de tous les frais.
G'eiait Adolphe Schlagintweit seul, le second des
trois frferes, gui avail d'abord trait6 avec la Compa-
gnie, mais Hermann et Robert avaient 6t6, sur sa
demande, autoris6s a I'accompagner. A peine eurent-
ils touch6 le sol indien que lord Dalhousie, alors gou-
verneur general, chargea ces deux derniers de concou-
rir aux travaux d' Adolphe; ils devinrent ainsi, comme
lui, attaches a la Compagnie, qui leur alloua le meme
traitement et leur accorda les memes avantages.
Embarques a Southampton le 20 septembre 1854
k bord du navire a vapeur V Indus, MM. Schlagintweit
se dirigerent d'abord sur Bombay, par la voie de
I'Egypte. De Bombay, ou ils 6taient arrives le 16 oc-
tobre, les trois freres, apr^s avoir termine qudques
pr6paratifs preliminaires, firent, chacun de leur c6t6,
I'exploration des parties int6rieures du pays, 6tudi6-
rent successivement le Dekkan et d'autrcs provinces
m^ridionales de I'lnde et se r(^unircnt k Madras. De
cette ville, ils se rendirent par mer a Calcutta, oil ils
sejournferent environ trois semaines.
MM. Schlagmtweit se s6parant alors pour la scconde
fois, Hermann visita pendant I'ann^e qui s'6coula du
( 229 )
mois de mars 1855 au mois de mars 1856, le Bengale,
la region de 1' Himalaya comprise dans le Sikkim, la
fronti^re orientale du N6pal, les terrains montagneux
des Nagas et des Rhassias, le Bouthan, I'Assam, le
delta du Gange et du Brahmapoutre, I'Oude, etc. Ce
fut de la crete Singalila qui s6pare le N^pal du Sikkim
qu'Hermann mesura le pic de Ganrisankar, qu'il con-
sidSre comme la plus haute sommit6 du globe. C'est
6videmment le mont Everest dont le colonel Waugh,
qui, ne I'ayantvu que des plaines et k une assezgrande
distance, n'avait pu apprendre le nom que lui don-
naientles habitants, lvalue I'd^vation a 8840 metres (1)
au-dessus du niveau de la mer.
Pen de temps aprfes, Hermann mesura aussi dans le
Sikkim^ parmi un grand nombre de pics tres 6lev^s, le
Kanchinjinga, voisin et rival du Ganrisankar, auquel le
colonel Waugh avait donn6 8582 metres de hauteur (2).
Deux magnifiques aquarelles de ces deux pics gigan-
tesques, ceuvre d'Hermann, qu'il a bienvoulume com-
muniquer, sont depos6es sur le bureau.
MM. Schlagintweit n'ayant point calculi encore les
hauteurs de ces deux pics, ont cru devoir adopter pro-
visoirement celles du colonel Waugh, qui, par unexcfes
de modestie vraiment scientifique, 6crivait dans une
lettre du 5 aout 1857, ins6r6e dans les Proceedings de
la Soci6t6 geographique de Londres (vol H, no 2) :
(( Nous ne savons pas d'une manifere certaine que le
» mont Everest est le point le plus 61ev6 : tout ce que
(1) 29 002pipds anglais.
(2) 28 1S6 pieds auglaii.
( 230 )
» nous savous, c'est qu'il est le point le plus 61ev6 que
n nous avons mesure. »
A la station anglaise de Simla, plac6e an sud-est de
Lahore, Hermann rencontra Adulphe et Robert, qui,
dans le mois d'avril 1855, s'^taienl rendus de Calcutta
il'Himalaya, occidental par Benares, Allahabad, Agra
et Fatihgarh , et avaient Iranchi la frontifere du
Tibet.
Quoique compl6tement deguist^s en Bouthias (c'est
le nom des habitants des parties les plus 61ev6es de
I'Himalaya), les inspecteurs chinois reconnurent n6an-
moins qu'ils 6taient Europ^ens et voulurent les forcer
de retourner sur leurs pas. Mais apr^s une resistance
opiniatre, nos intr6pides, et peut-etre imprudents ex-
plorateurs, persist^rent dans leur resolution, menacant
d' employer la force si cela dcvenait necessaire. Leur
attitude r6solue, et surtout quelques sommes offertes
par eux aux inspecteurs, lev6rent tons les obstacles. lis
purent continuer leur voyage dans le Tibet, mais avec
une escorte chinoise dont ils parvinrent h. obtenir
bientot le d6vouement, probablement par le meme
moyen. Ils visitferent alors sans diflicult6s les sources
de r Indus et du Sutlej, les environs des lacs sacr^s de
Mansaraur et de Rakus, ainsi que Gartok, ville de
commerce la plus importante de cette contr6e.
£n se rendant de Gartok dans le Gerhval , ils
reconnurent un vaste groupc de glaciers qui en-
tourent I'lbi-Gamin , montagne eiev^e de plus de
7 700 mitres (1). Apr6s etre rest6s dans ces regions
(1) 25 600 pieds anglaii.
( 231 )
glaciales une huitaine de jours qu'ils employ6rent a
I'examen des glaciers, a dresser des cartes, et a faire
des observations physiques, nos deux voyageurs con-
tinuerent leur route, et ce ne fut qu'au bout de six
mois, qu'avait dur6 leur excursion, qu'ils revirent
des arbres.
Pendant qu'Adolphe retournait du Gerhval dans le
Tibet, et descendait ensuite a Massuri, situe au pied
de r Himalaya, par le col de Nelong et la vallee du
Gauge sup6rieur, Robert visitait les valines 6troites et
peu connues situ^es entre la Jumna et le Gauge, et
s6par6es entre elles par des defiles quelquefois de plus
deiOO metres (1).
Le 17 octobre, Adolphe et Robert se trouvferent r6u-
nis a Massuri, qu'ils ne tardferent pas a quitter pour
continuer ensemble leur voyage en traversant Dehli,
Agra et Sager. Adolphe, marchant ensuite vers le sud,
parvint a Madras vers le milieu de f^vrier 1856. II
explora alors la contr6e situ6e entre Trichinapoli et le
cap Comorin, la chaine des Nilgheris ou montagnes
Bleues ; il se rendit plus tard, a Calcutta, et ensuite
par la route d6ja connue le long de la vallee du
Gange, de Calcutta a Simla, qu'il atteignit au mois
d'avril suivant.
Pendant I'hiver de 1855, Robert avait examine les
parties centrales de I'lnde, et sp6cialement les monts
Vindhya, qu'on en doit regarder comme le nceud. Les
forets 6paisses et malsaines et I'^tat sauvage des ha-
bitants appartenant aux races primitives de cette vaste
(1) 1300 k liOO piedi aoglaU.
( 232 )
contr^e, ont jusqii'ci present ferm6 prcsque enti6re-
ment ces int6ressantes montagncs et leurs vall6es aux
voyage urs Strangers; aussi les notions g6ographiques
qu'on est parvenu k recueillir k leur sujet n'6tant fon-
dles que sur les vagues rapports des habitants, n'of-
fraient, pour la plupart, que des erreurs. On avait cru,
parexemple, d'aprfes ces rapports, pouvoir donner
une trfes grande 616vation moyenne a I'Amarkantak,
plateau dans les environs duquel plusieurs des
principaux fleuves de I'lnde prennent leur source,
tandis que , d'apr^s la determination de Robert ,
cette 616vation ne d6passe pas neuf cents et quelqnes
metres (1).
Les diff^rentes races primitives, celles des Bhils,
desKols, etc., dont on ne connaissait, pour plusieurs
du moins, que les noms, ont 6t6 6tudi6es par lui
avec le plus grand soin ; et il a eu occasion de me-
surer plusieurs individus, de faire leurs photogra-
phies, ainsi que des moules plastiques de leurs figures,
et de recueillir des vocabulaires de la langue parl6e
par ces races, idiomes qui lui semblent prfes de s'6tein-
dre. Ces observations ont d'autant plus d'importance
que ces tribus, autrefois trfes nombreuses, mais r6-
duites en ce moment k un trfes petit nombre d' indi-
vidus, ne tarderont probablement pas, suivant notre
voyageur, a disparaitre compl6tement, ainsi que cela
a eu lieu pour plusieurs tribus indigenes de TAm^-
rique.
En qnittant I'Amarkantak, Robert se dirigea sur
(2) 3000 piedi aaglaii.
( 233 )
Allahabad, visita Agra et Dehli, d'oii il se rendit h
Simla ; la il ne tarda pas k etre rejoint par Hermann et
Adolphe.
Pendant les quatre semaines de leur s6jour dans
cette station, les trois frferes employferent leur temps k
verifier et a comparer les differentes observations faites
par eux, ainsi que les instruments dont ils s'6taient
servis, k se preparer enfin pour le prochain voyage
qu'ils se proposaient de faire dans le Ladak, le Cache-
mire et au Balti. lis furent second6s de la manifere la
plus amicale et la plus active par lord "William Hay, k
cette 6poque premier ofiicier civil de la Compagnie a
Simla, dont ils reconnaissent que les conseils leur fu-
rent d'une grande utility, et avec lequel ils discut^rent
le plan d'une nouvelle excursion, dont Ja realisation
leur promettait les r^sultats les plus brillants.
Dans le nouveau plan qu'ils s'6taient trac6, de nou-
velles d^couvertes purement geographiques ne de-
vaient, nous le reconnaissons, figurer qu'en seconde
ligne; c'6tait principalement sur les d^couvertes stric-
tement scientifiques, sur le magnetisme terrestre, sur
la geologic et sur la physique g^n^rale de la terre
qu'ils devaient fixer, et qu'ils ont, en effet, fix6 plus
sp6cialement leur attention. Mais on apprend nean-
moins, par leurs rapports ofTiciels adress^s mensuelle-
ment a la cour des directeurs de la Compagnie des
Indes, dont plusieurs dat^s d'Agra, de Simla, de Leh,
de RawuU-Pindee, de Bhooj dans le Rutch, ont 6t6
imprimis par ordre de la Compagnie, soit a Lahore,
soit k Agra, soit a Calcutta ; qu'en explorant des con-
tr6es peu ou point connues, surtout dans 1' Himalaya,
( nil )
ainsi qu'au nord et a I'ouest ilu Tibet, les frferes
Schlagintweit out constamment clierch6 et sont par-
venus a fairc faire des progr^s remarquables k la g6o-
graphie dii globe. Des informations tout a fait neuves
sur la configuration des pays qu'ils ont visit^s les
premiers, sur la direction et la hauteur de plusieure
chaines de montagnes et des valines qu'elles enserrent,
sur les races et les idiomes de leurs habitants, enfin
les cartes dress6es par eux, d'aprfes des observations
astronomiques sur lesquelles la situation de plusieurs
localit6s inconnues jusqu'alors a (''t6 plac6e, tandis que
d'autres ont 6t6 rectifi^es, d6niontrent suflisanunent
quelle part de reconnaissance les g6ographes doivent
aux trois savants bavarois.
L'un des rapports officiels dont nous avons d6ji
parl6, portant le n" 8 et dat6 de Leh, 26 septem-
bre 1856, ou ils avaient 6tabli un observatoire magn6-
tique et le d^pot de leurs instruments, nous fait
connaitre qu'Hermann et Robert ayant quitt6, le
24 juillet, cette capitale du Ladak, ou ils s'etaient
rendus d6guis6s, suivant Icur habitude, par des routes
diff^rentes, explor^rent le Turkestan proprement dit.
En traversant et en contournant le Karakorum et le
Ruen-Lun, qu'on avait repr6sent6s jupf|u'a eux comme
une seule et meme chaine (1), ils reconnurent qu'ils
(1) Eo cffet, la chatue de montagnes que le major Alex. Guunin-
gham appclle Karakoram-Range, dans la carte qui accompagne son
voyage au Ladak (Londres, 185i), est uumm6c Mustagh ou Kucn-
Lun par Ic D' Thomas Thomson, dans la carle joinic h son voyage
n Western Himalaya and Tibet, » public h Londres en 1852. Ces
deux chaines ont la m^me forme, sont sitndes k la m6me latitude,
( 235 )
en formaient r^ellement deux tout k fait distinctes et
ayaiit une orientation diff^rente. Ce fut aprfes avoir
pass6 la chaine plus septentrionale du Kuen-Lun, que
nos explorateurs descendirent dans la grande vall6e
de Yarkand, vaste depression de 900 a 1200 metres,
qui s6pare le Kuen-Lun du Saian-Slian, ou plus g6-
n6raleinent, ainsi que le disent MM. Schlagintweit, les
montagnes de la haute Asie au nord de I'lnde, des
montagnes de I'Asie centrale au sud de la Russie. lis
visitferent cette region, d'autant plus int6ressante k
explorer, qu'elle n'avait 6t6 travers^e par aucun Euro-
p6en, et qu'en outre des observations de magn6tisme
terrestre, de temperature, etc., on pouvait y 6tudier
la formation,!' age et les directions de chaines de mon-
tagnes que les voyageurs modernes considferent comme
compietement, ou en grande partie inconnues (1).
enlre les m^mes degr^s de longitude, et offrent toutes deux h leur
centre le col « Karakoram-Pass » que nous appelons, avec presque
tousles voyageurs etg^ographes, M. le baron de Humboldt entreautres,
Karakorum. II nous paralti utile de citer textuellement k cette occa-
sion une phrase dc la prc^face du voyage du D' Thomas Thomson dans
I'Himalaya occidental et le Tibet : « The orthography of oriental names
« is a question of great difficulty, and grave objections may be urged
» against any system which has been proposed... »
(1) « TheKardkoram, or rrans-Tibeton chain, dit le major Alexander
Cunningham, p. 43 de sa description du Ladak, imprimde a Londres
en 183i, « forms the natural boundary of Ladak, and the small
» Musulman districts of Baiti, Hunza-Nager, and Gilgit on the north.
« Nothing whatever is hioivn of this range to the eastward of the
» upper Shayok river, and of the northern portion we know but little. »
Et je vois dans une lettre que M. le baron de Humboldt m'a fait
houneur de m'ecrire de Berlin, le 15 mars dernier, la citation tui-
( 236 )
Rcvenus au point do, depart de Leh, les deux freres
gagnerent le Penjab par des chemins differents k tra-
vers le Caclieinii-e.
Presqiie pendant le meme temps, c'est-a-dire de
mai a novembre 1856, Adolphe, qui avait quitt6 Simla
le 28 mai, arriva, le 26 juin, en se dirigeant par Rulu
et Lahoul, a Zanskar, dans le Tibet, et s'occupa par-
ticuli^rement de I'examen des parties occidentales de
cette region et d'une portion considerable de la chainc
du Rucn-Lun, situee plus au nord. Le 19 octobre, il
se trouvait dans le Cachemire, et le 17 novembre sui-
vant a Rawull-Puudee, dans le Penjab, d'oii son rap-
port officiel portant le n" 9 est dat6, et ou il rencontra
ses deux frferes.
Robert, parti de RawuU-Pundee le 18 d6cembre 1856,
explora le Chakowal en traversant la chaine des rnon-
tagnes de set, et arriva a Moultan le h Janvier 1857.
Parvenu ensuite, le 14 mars, b. Bhooj, capitale du
Kutch, il se dirigea sur Bombay, ofi il s'embarqua
au mois d'avril pour I'EuFope; son frfere Hermann,
aprfes avoir visit6l6 Nepal, partit de Calcutta et retourna
dans sapatrie.
Yanle, exlraite par lui de rintrodurtion de la Flora indka de Joseph
Hooker ft Thomas Thomson, ouvragc imprim(! it I.ondres en 1855, quo
je u'ai pu Irouvcr dans aucunc de nos grandes bibliolhtques : « The
u chain of the Kuenlun where it forms ihe boundary of western Tibet
J) is not lesselevated thatlhe Himalaya and is covered troughouta great
» part of ils length with perpetual snow, lis axis has not been crosfed
v by any European traveller, but w as reached by I)' Thomson who visi-
>i ted the Karakoram Pass elevated 18 300 feet. This chain has been
>> called the Muttagh, Karakoram, lliudu-kush and Tsungliug. »
( 237 )
Quant k Adolphe, que nous avons laiss6 dans le
Penjab, il manifesta I'intention de sojourner encore
une ann6e dans le Tibet et le Turkestan, pour visiter
de nouveau ces deux contr6es, et en particulier la
chaine du Ruen-Lun et celle du Karakorum, a I'effet
de completer les observations de ses deux frferes
et les siennes propres sur ces int6ressantes regions
qu'ils avaient , on doit le reconnaitre , travers6es
et d6cntes exactement les premiers; il se propo-
sait de rentrer ensuite en Europe par le Penjab et
Bombay.
On salt que le 16 d^cembre 1850 il quitta Rawull-
Pundee, que, dans les premiers jours de juillet 1857,
il passa la chaine du Karakorum par le col d'Aksae-
Chin, situ6 a trois marches au sud-est du col de
Karakorum , route nouvelle et non fr6quent6e , et
le 20 du meme mois, le Kuen-Lun, pr6s de Karon-
gatak.
Au commencement du mois d'aout (1857), Adolphe
6tait aux environs de Yarkand, et quelques jours plus
tard k Kashgar. Depuis on n'a plus recu de nouvelles
positives sur son sort.
Mais il parait aujourd'hui (1859) malheureusement
certain, d'aprfes un document ofliciel parvenu par le
dernier courrier k la Compagnie des Indes, et qui nous
a 6t6 communique, le 17 mars dernier, par M. le co-
lonel Sykes, qu' Adolphe Schlagintweit a et6 assassin^
k Kashgar par un fanatique Spid ou Sajad, appel6
WuUee-Khan, et qu'on n'a trouv6 auprt;s du malheu-
reux et si regrettable voyageur que quelques fragments
de papiers et un telescope bris6, tristes reliques
( 238 )
qu'on s'est empress^de faire parvenir k sa famille (1).
Essayer d'exposer, meme d'unc «uani6re sommaire,
les immenses travaux si varies des frercs Schlagintweit
et les services qu'ils ont rendus h presque toutes les
branches des connaissances humaines pendant les trois
ann6es consacr6es par ces savants k I'exploration de
rinde entifere et des parties septentrionales et occiden-
tales du Tibet et' des pays voisius, c'est-k-dire do con-
tr6es s'etendant en ligne directe sur plus de 30 degr^s
de latitude et sur une moyenne de prfes de vingt en
longitude, qu'ils ont sillonn^es dans tous les sens,
serait une ceuvre impossible en ce moment, et que,
dans aucun cas, votre rapporteur n'aurait os6 entre-
prendre.
Nous dirons seulement pour en donner une faible
id6e, en nous restreignant meme k ce qui a le plus de
rapport k la g^ographie, que, sur les quarante-trois
volumes manuscrits d6pos6s a X India-House, sit^ge de
la Compagnie des Indes, que MM. Hermann et Robert
Schlagintweit sont au moment de publier, et dont ils
nous ont fait connaitre en detail le contcnu, i)lus de ,
huit traitent de topographie, de mesures trigonom6tri-
ques, d' observations astronomiques, d'hydrographie,
des races humaines , de vocabulaires g^ographi-
ques, etc., et que, parmi les nombreux atlas qui ac-
(t) MM. H. et R. Schlagintweit prt^parent un rdsuni^ sommaire des
informalious parvenues sur le meurtre d'Adolphe. Le nom de I'assas-
sin et les details qui accompagneat son crime di(T6rent ea quelque
points, mais le lieu et I'dpoque oil il s'est accompli ne s'accurdent que
Irop bien.
( 239 )
compagneront leur publication, figurera un grand atlas
g^ographique.
Pour nous r6suraer, et ne parlerici que d'une seule
de leurs principales d6couvertes g6ographiques, sur
laquelle nous avons obtenu des renseignements plus
6tendus, nous croyons pouvoir dire que les fr6res
Schlagintweit sent les premiers Europ6ens qui ont
franchi la Crete du Karakorum et celle du Ruen-Lun,
qui ont d6terniin6 exactement la position geograpliique,
r^l^vation et la direction de ces deux chaines de
montagnes de la haute Asie, que I'illustre baron de
Humboldt, avec sa sagacite instinctive, avaitpour ainsi
dire devinees et trac6es en partie, d'apr^s quelques
indications de voyageurs chinois, dans une carte de
18Zi3 jointe a son bel ouvrage sur I'Asie centrale, et
quelesautres voyageurs ont confondues ensemble (1);
Que les frferes Schlagintweit sont les premiers qui
ont p6n6tre dans plusieurs des valines voisines de ces
chaines, dont ils ont 6tudi6 les populations, sous dif-
f6rents aspects, en faisant des observations astrono-
miques et ruagn^tiques combinees avec leurs observa-
tions g6n6rales de geologic et de physique terrestre ;
et qui, en passant la chaine du Ruen-Lun par le col
de Bushia, 6lev6 de 5250 metres (2) au-dessus du ni-
veau de la mer, ont constat^ que sa direction 6tait de
I'ouest a Test, tandis que celle de Rarakorum avait
une direction parall6le a 1' Himalaya, c'est-a-dire du
nord-ouest au sud-est;
(1) Voir les notes pages 234 et 233.
(2) 17 200 pieds auglais.
( 240 )
Que c'est enfin en longeant la chalne du Kuen-Lun
qu'ils se sont convaincus que cette chaine ne forme
point la ligne de s6paration des eaux, ainsi qu'on I'avait
cru jusqu'alors, puisqu'elle est travers6e par la riviere
de Yarkand qui passe b. son extremity occidentale, et
par deux autres grands cours d'eau, le Karakash et le
Keria qui s'unissent au Yurunkash et au Rhotan et
disparaissent enti6rement au lac Lop.
Ges d6couvertes des trois fr^res Schlagintweit sont
constat^es par les rapports ofliciels adress^s par eux k
la Compagnie des hides orientales; elles r^sultent des
explications 6crites que MM. Hermann et Robert nous
ont transmises, sur notre deniande sp6ciale, en les
accompagnant d'une carte coniprenant I'lnde, la chaine
de I'Himalaya, le Tibet occidental et une portion du
Turkestan , sur laquelle leurs itineraires sont traces,
et, de plus, d'un croquis des syst^mes des chalnes de
montagnes et des rivieres de la haute Asie, d'aprfes
leurs voyages (1), et d'une table g6n6rale des castes
et des tribus representees dans leur collection de deux
cent soixante-et-dix photographies, et des moules pla-
stiques des figures de naturels de I'lnde et de la haute
Asie, pour servir aux recherches ethnographiques.
Nous appuyons, en outre, les conclusions prises par
nous sur des explications de memo nature que nous
devons a 1' extreme bienveillance de M. le baron de
Humboldt et de M. le colonel William Sykes, I'un des
directeurs de la compagnie des Indes, vice-president
(1) Cc croquis, ainsi que la table g^Dcrale des castes et tribiu, accom-
pagDCDl cc rapport.
( Ul )
de la Soci6t6 g(?ographique de Londres, ou que nous
avons puisnes dans les rapports present^s aux deux
dernieres r^imions g6n6rales de la meme Societ6 geo-
graphique, par sir Roderick Murchison, son president.
Apr^s avoir combl6 d'eloges les travaux gigantesques
de MM. Schlagintweit pendant leurs dernieres explora-
tions, les homines si distingues que nous venons de
citer s'accordent k reconnaitre que ces trois fr^res sont
les premiers Europ6ens qui ont visits une partie des
localit6s signal6es dans notre rapport, et leur t6moi-
gnage, confirm^ indirecternent par de c616bres voya-
geurs anglais, tels que le docteur Thomas Thomson et
le major Alexandre Cunningham, qui signalent plu-
sieurs des points explores par nos voyageurs comme
pays inconnus (1), a d'autant plus de poids qu' outre
leur caractfere Eminent et leur connaissance approfon-
die de I'lnde et de la haute Asie, MM. de Humboldt,
Sykes et sir R. Murchison ont eu k leur disposition
tons les rapports manuscrits, ainsi que la correspon-
dance officielle des savants bavarois, dont quelques
portions seulement ont pu passer sous nos yeux,
G'est par tous ces motifs que nous avons accord^,
en votre nom, Messieurs, la grande m^daille d'or de
la Soci6t6 de g6ographie aux trois freres Schlagintweit
pour leurs explorations dans le Tibet et le Turkestan
oriental, et plus sp^cialement pour les decouvertes
qu'ils ont faitesdans les parties ouest et nord-ouest des
monts Himalaya.
Nous dirons en terminant que la Commission, en
(1) Voir la note 1, p. 234 et suivanles.
XYII. AVRIL. 2. 17
( 242 )
ftdjugeant le prix aux trois fr6re^ Schlagintweit, reserve
les droits de M. Vogel et du capitainc Burton ponr
leurs derni^res explorations en Afrique, et, en g6n^ral,
ceux de tons les voyageurs dont on pourrait connaitre
les travaux post6rieurement.
De la Roquette.
TABLE GENERALE
DBS
CASTES ET TRIBL'S REPR£SENT£ES PAR MM. SCHLAGIISTWEIT
DatM leur collection des tfites ethnographiques
de rinde et de la Haute-Asie.
BRAHMANES.
De
Calcutta,
Bengale.
>»
Nepal,
Himalaya.
))
Gerhval,
Himalaya,
RAJPUTS.
De
Naddea,
Bengale.
)>
Kamaon
Himalaya
(Thakur).
»
Joliar,
Himalaya
(Bhot-Rajput)
»
Gerhval
Himalaya
(Thakur).
»
Gerhval,
Himalaya
(Bhot-Rajpiit)
»
Chamba,
Himalaya.
B
Simla,
Himalaya
(Thakur),
9
Kulu.
Himalaya.
[ 248 )
BAIS OR VHAYSIAS.
De Sattara, Dekkan.
» Audh, Hindoustan.
» Chamba, Himalaya.
SODBAS.
De
Calcutta,
Bengale.
»
Patna,
Bengale.
u
Kdttak,
Bengale.
»
Amark4ntak,
Inde centrale.
»
Agra,
Hindoustan.
»
Sattara,
Dekkan (Mahar4ta).
ABOEIGfiNES.
G5d3 de
rinde centrale.
Bhils .)
Inde centrale.
Kols •»
Inde centrale.
Sdntals
des Montagnes Rajmahal.
Nigas
\ des provinces voisines de
Rhassias
> la frontifere nord-est de
Assamese
) I'lnde.
MDSULMAN3 DE l'INDE.
De
Calcutta,
Bengale.
»
Jassar,
Bengale.
»
Agra.
Hindoustan,
»
Malva,
Inde centrale.
u
Bellari,
Mysore.
1)
Shikarpour,
Sindh.
»>
6eluchist4n»
( Uh )
MUSULMANS DE LINDE.
De Hazara, Penjab.
B Multan,
» Peshdur,
De Bombay.
De Lahore,
De Bombay.
De Ceylan.
Penjab.
Penjab.
PARSIS.
SIKHS.
Penjab.
INDO-PORTUGUAia.
SINGBALAIS.
MUSULMANS DE LA HAUTE ASIE.
De Cachemire, Himalaya.
» Candahar,
n Hazareh,
» Balti,
n Hazora,
» Badakslidn,
» Kokand,
» Khotan,
» Ydrkand,
De Nepdl,
De Bhutan,
• Sikkim,
Cabul (Afghan).
Cabul.
Tibet.
Tibet.
Asie centrale.
Asic centrale.
Turkestan (Mogols).
Turkestan (Mogols).
GOBRHAS.
Himalaya.
BUDDHISTES.
Himalaya.
Himalaya
L^pchas.
Bhiitlas.
( 245 )
BUDDHISTES.
De Nep41, Himalaya.
» Spfti, Himalaya.
» Guarik6rsum, Tibet.
» Ladik, Tibet.
B Rukchu, Tibet
u Niibra, Tibet.
» Ava, Birmanie.
BACES M£l£ES de la HAUTE ASIE.
a) Argmis.
(Bicegmfeleesentreles Cacliemiriens, lesTib^tainsetle»Turkest«nien«. )
De Cachemire, Himalaya.
)) Yarkand, Turkestan.
b) Kanets.
(Race vakMt entre les tribus Himalayenes et Tib^taiaes.j
De Rulu, Himalaya.
» Lahol, Himalaya,
u Biss6r, Himalaya,
n Kanaur, Himalaya.
luirs.
De Bokh^a.
CHINOIS.
De Canton.
SIDI.
De Zanzibar, Afrique.
La totality de la collection devait se composer d'cnviron 300 t^tes;
mais, dans leur correspoodance, MM. Schlagintweil m'ont fait cou-
nattre qa'elle serait de 270. D. L. R.
( 246 )
LA RECHERCHE
DES SOURCES DU NIL.
La recherche dea sources du Nil, dont jo me pro-
pose d'esquisser I'histoire, est tout a la fois la question
la plus ancienne et la plus r6cente qui ait 6t6 soulev6e
dans le domaine des d6couvertes g6ogi-aphiques.
L'origine inconnue de ce fleuve majestueux qui f6-
conde I'figypte a excit6 la curiosity et occup6 I'atten-
tion de I'antiquit^ tout entifere depuis les temps pha-
raoniques ; et de uos jours, aprfes une interruption de
dix-huit siteles, plusieurs expeditions successives ont
tout k coup ramen6 la pensde de I'Europe vers levieux
probl^me. En ce moment encore, diverses entreprises
plus ou moins s6rieuses, plus ou moins entour6es de
garanties scientifiques, tiennent en 6veil I'int^ret ge-
neral. II n'est done pas hors de propos de r6sumer
depuis son origine I'historique de cette recherche, de
dire quels r6sultats on y a jusqu'i present obtenus, et
aussi d'exposer quelques vues qui pourront avoir leur
utility pour la direction et le succ6s des futures explo-
rations.
Ces explorations ont d'autant plus droit b. notre int6-
ret, que c'est a la France qu'en appartiennent la pens6e
premiere et I'impulsion la plus active. Notre expedition
d'l^lgypte en a 6t6 la premiere occasion. En reportant
I'attention vers la terre des Pharaons, ce grand 6v6ne-
ment de la fin du dernier sifecle rappcla aussi l'int6ret
( 247)
sur les parties sup6rieures de la vall6e oii ies auciens
souverains de I'Egypte avaient 6tendu leur domination
et qu'ils couvrirent de leurs monuments; en meme
temps que le nom meme du Nil a fait remonter la pen-
s6e vers la r6gion inexploree ou sont situ6es les sources
du fleuve.
Me sera-t-il permis, sans blesser les sentiments de
discretion et de retenue d'un de nos propres coUegues
qui appartint a cette memorable expedition de 1798,
de rappeler tout ce qu'il a fait, dans le cours de sa
longue carrifere si fructueusement remplie, pour I'avan-
cement des decouverles africaines ? Nul, assar6ment,
n'a servi d'une maniSre plus efficace et avec une acti-
vity plus soutenue, par ses avis, par ses directions, par
son intervention incessante, la cause de la regenera-
tion egyptienne, qui interesse k un si haut point la
science et I'lmmanite; personne, peut-etre, n'a plus
utilement etplus directementcontribue aux entreprises
qui, depuis vingt ans, ont eu pour objet la recherche
des sources du Nil. Vous avez tons nomme M. Jomard,
notre savant et honore president. Rappeler de tels ser-
vices, dont la Societe a droit d'etre fiere, c'est faire
acte tout a la fois de reconnaissance et de patriotisme.
Les droits de la France ne datent pas seulement
de I'expedition d'figypte. Les premieres informations
que Ton ait eues sur la Nubie, ce sont aussi des Francais
qui les ont donnees.
Un medecin nomm6 Charles Poncet, attache k I'am-
bassade francaise residant au Cairo, se rendit a Gondar
en 1698 avec la caravane du Sennar, et publia sur
I'Abyssinie quelques details auxquels leur nouveaut^
donnait alors beaucoup d'inter^t.
( 248 )
Bient6tapr6s (en 1703), des informations plus cu-
i-leuses et plus circonstanci6es furent recueillies au
Caire par M. du Roule, que Louis XIV avait charg6
d'une mission pr6s du N6gous, le voyage de Poncet
ayant paru presenter une ouverture favorable pour
renouer des relations avec TAbyssinie. On connait la
triste fin de M. du Roule, que le roi du Sennar lit
massacrer avec toute sa suite ; mais les informations
qu'il avait rassembl6es ne furent pas perdues pour la
g6ographie. Elles avaient 6t6 communiqu6es ;\ Guil-
launie Delisle, qui en fit usage pour son m6moire sur
Tile de M6ro6 (1708) ; et plus tard, d'Anville s'en
servit ^galement pour son m6moire sur les sources du
Nil (17/i5).
Ces notes de renvoy6 francais confirmaient, avec
des circonstances nouvelles, les notions fournies par le
g^ographe Eratosthene dans le iii* si^cle avant notre
hre, et ensuite par quelques auteurs arabes, sur les
grands aflluents dont se forme le fleuve d'^gypte dans
sa partie superieure; elles revelaient ce fait important,
que la riviere qui traverse I'Abyssinie sous le nom de
Takazz6 prend en Nubie le nom d'Atbara, sous Icquel
elle va se joindre k la droile du Nil, ce qui conduisit
Delisle et d'Anville a ridenlification certaine de I'Js-
taboras des anciens, et Icur fit reconnaitre la vraie
situation de I'ile de M6ro6, dont Ptol6m6e lui-meme
s'^tait fait une fausse id6e. La sagacity de d'Anville
alia plus loin. Rapprochant de ce renseignement sur le
confluent de I'Atbara une indication sur I'emplacement
de M6ro6 donn6e, sous le r^gne de N6ron, par des e\-
plorateurs romains, I'habile g^ographe marqua le site
( 249 )
de la vieille m6tropole Sthiopienne au point pr6cis oil
soixante-sept ans plus tard M. Cailliaud en a retrouv6
les mines. Pour la premit;re foia aussi les informations
transmises par M. du Roule firent connaitre le nom de
Bahr-el-Abyad ou fleuve Blanc, nom que les tribus
arabes de la haute Nubie donnent b. la branche occi-
dentale du Nil au-dessus de son confluent avec le Bahr-
el-Azrak ou fleuve Bleu, qui vient d'Abyssinie.
Le xvm* sifecle et les douze premieres ann^es du
xix° n'ajoutferent rien aux informations fournies par
Poncet et par M. du Roule ; mais k partir de 1813, la
Nubie et la region du haut Nil out reconquis tout ^
coup une importance extreme dans la reprise, devenue
alors si active, des explorations de I'Afrique. Des
voyageurs d'un m6rite Eminent se portferenl vers
les pays si longtemps n6glig6s que le Nil arrose avant
d'entrer en l^lgypte. Burckhardl, un des noms illustres
parmi les explorateurs des temps modernes, y p^netra
le premier de 1813 a ISlZi. L'architecte Gau en 1817.
notre compatriote Cailliaud en 1820, le docteur Riip-
pell en 1823, Champollion en 1828, M. Joseph Rus-
segger en 1836, ont tour a tour porte leurs recherches
sur rarch^ologie et I'histoire naturelle, sur I'^tude du
pays et celle des populations. Tons ont beauccfup
ajout6 k la somme de nos connaissances sur ces con-
trees int^rieures ; plusieurs, et au premier rang Cail-
liaud et Rtissegger, en ont consid6rablement recul6 les
limites.
Jusque-lS, r^tude des explorateurs ou s'6tait exclu-
sivement renferm6e dans les limites propres de la
Nubie, ou s'^tait port6e vera le Bahr-el-Azrak (le
( 250 )
fleuve Bleu) , i\. cause de la region aurif^re que ceite
riviere traverse immt^diatement apr6s avoir franchi la
frontifere occidentalc de rAbyssinie.
Nous touchons au moment ou les investigations,
prenant une nouvelle direction, vont se porter sur la
branche occidentale du fleuve, celle qui en fut regardee
de tout temps comme le bras principal, ou pour niieux
dire comme I'evraiNil, dont le fleuve Bleu n'estqu'uue
branche secondaire.
Si nous avions h retracer le detail historique de la
recherche des sources du Nil dans I'antiquite et k rap-
peler les speculations des philosophes sur I'origine de
ce grand fleuve, dont la renomm6e franchit de bonne
heure les limites de I'Egypte, nous montrerions, par
Tautorite directe ou par rinterpr^tation naturelle des
textes et des monuments, que, d^s une 6poque recul6e,
les Pharaons pouss6rent leur domination jusqu'au pays
des Nfegres, tr6s-haut, cons^quemmenl, dans le bassin
du fleuve. Ni alors, ni plus tard, on ne sut pr6cis6menT
d'oii venait le Nil ; mais on savait que parmi les grands
aflluents dont il se forme dans sa partie superieure, le
courant principal, celui qui avait droit k etre regards
comme la tetc du fleuve d'Egypte, 6tait la branche la
plus occidentale, cello qui vient directcment du Sud.
Pins tard, au temps des Ptolemies, on retrouve les
memos informations, plus precises peut-etre et mieux
d6finies, mais renferm^es dans les memes limites; plus
tard encore, au temps des Remains, on (it pour les
depasser une tentative qui resta sans r6sultat. C'est
dans I'ouvrage du g^ographe Ptol6m6e, vers le milieu
du u* si6cle, qu'on trouve pour la premiere fois Tin-
( 251 )
dice de notions nouvelles sur rorigin© du fleuve. On
voit chez lui les sources marquees directement au sud,
trfes avant dans rint6rieur du continent, oil les eaux
qui descendent des montagnes, aprfes s'etre r^unies
dans de grands lacs, s'6panchent en deux courants
principaux, qui, r6imis, forment le Nil. De plus, cette
branche du Sud, k laquelle est sp6cialement appliqu6
le nom de Nil, est bien distingu6ed'mi affluent oriental
appel6 XJstapits, qui sort d'un autre lac d'l^thiopie,
situ6 tr^s loin des prt^c^dents vers le nord-est :
c'est le Bahr-el-Azrak ou fleuve Bleu, qui traverse,
pr6s de sa source dans I'interieur de I'Abyssinie, le
grand lac Tzana; de meme que YJstaboras, second
afluent qui vient aussi se joindre au Nil apr^s I'As^
tapus, est I'Atbara ou Takazz6, seule rivifere que re-
foive le Nil aprfes le fleuve Bleu. Abstraction faite de
la precision des details, les grands traits de cette dis-
position hydrographique sont indiqu6s de mani6re a
ce qu'on ne peut les meconnaitre.
Ces remarquables informations que Ptol6m6e nous
donne ne provenaient, du reste, ni d'une expedition
nouvelle h la recherche des sources, comme il y en
avait eu une sous le rfegne de N6ron, ni d'aucune d6-
couverle proprement dite ; elles 6taient le r^sultat, le
g^ographe lui-meme nous I'apprend, de renseigne-
ments fournis par les indigenes a des marchands qui
fr^quentaient par mer les contrees du Sud. Elles ont
d'autant plus d'int^ret, qu' elles s'accordent de tout
point avec celles que rapport^rent de I'Afrique australe
les premiers Portugais qui en fr^quentferent les parages
maritimes au comjuencement du xvi« si^cle, et que leg
( 252 )
recherches aussi bien que les dScouvertes r6centes les
confirment dans leur g6n(^'raliie. EUes sont 6galement
conformes i celles que r6pet6rcnt les autcurs arabes,
non-seulement les g6ographes compilateurs qui ont
suivi Touvrage niGme de Ptol6m6e, traduit dc bonne
heure dans la langue du Goran, mais aussi des 6cri-
vains et des voyageurs plus anciens, qui s'appuient
^videmment d'informations personnelles. Depuis le
si^cle de Ptol6m6e et le temps des Arabes, les notions
acquises sur les parties sup6rieures du bassin du Nil,
loin d' avoir gagn6 quelque chose, avaient plutot r6-
trograd6 par Toubli ou la confusion des anciennes
informations ; et I'erreur des missionnaires portugais
du xvi° sifecle qui visit^rent en Abyssinie les sources du
Bahr-el-Azrak {I'Jsinpus des anciens), et qui crurent,
sur la foi des Abyssins, avoir vu les sources du Nil,
cette erreur, r6p^t6e au xviir sifecle par I'J&cossais
Bruce, et qui n'a 6tt^ clairement reconnue que de notre
temps, contribua davantage encore a obscurcir une
question qui, du moins chez les anciens, 6tait claire-
ment pos6e, si elle 6tait incompletement r(5solue.
Voilc\ oil en 6taient les choses il y a vingt ans, &
rSpoque du voyage de M. Riissegger; depuis lors elles
ont grandement chang6 de face.
Cailliaud, en 1821, avait essay6, sans r^sultat,
d'appeler sur le fleuve Blanc I'attention d' Ismail-
Pacha, le chef de I'exp^dition 6gyptienne envoy6e par
Mohammed-Ali dans la haute Nubie ; on fut plus heu-
reux en 1838 pr6s de Mohammed-Ali lui-meme.
Le vice-roi, dont I'age n'avait amorti ni I'dnergie
ni ractivit6, avait voulu voir de ses propres yeui ce
( 253 )
pays aurif6re de Fazokl, qu'on lui avait si souvent
dSpeint comme un nouvel Eldorado, et d'ofi le tr6sor
n' avait tir6 jusque-li qu'un prodnit insignifiaiU. A I'uge
de pr6s de quatre-vingts aiis, il ne craignit pas d'en-
treprendre ce voyage de plus de sept cents lieues.
Pendant son s6jour k Khartoum, au retour du Fazokl,
la vue du Bahr-el-Abyad reporta sa pensde vers la
myst6rieuse origine de ce grand fleuve dans les pro-
fondeurs inconnues de I'Afrique; plus d'une fois d'ail-
leurs, les Europ^ens, dont il aimait h. s'entourer, lui
avaient parl6 de la gloire qu'il y aurait pour lui k
effectuer une d(icouverte que plusieurs princes de I'an-
tiquit(J avaient inutilement tent^e. Mohammed 6tait
sensible k tout ce qui pouvait grandir son nom en
Europe : 1' exploration du fleuve Blanc fut r^solue.
Le vice-roi avait voulu que cette expedition fut tout
6gyptienne. Quatre cents soldats montaient la flottille ;
un capitaine de la marine 6gyptienne, S61im Bimbachi,
en eut le commandement. Un seul Europ6en, M. Thi-
baut, 6tait du voyage, mais sans fonctions ni autorit6,
II est clair que 1' expedition ne pouvait avoir aucun
caract6re scientifique. II ne paralt pas meme que des
rel^vements de hauteur solaire aient 6t6 pris pour
jalonner I'itineraire (peut-6tre faute d'instruments); la
determination de la route reposa uniquement sur I'es-
time, et ces estimes aboutirent k une erreur conside-
rable. Seiiui croyait etre arrive au 3" degr6 1/2 de lati-
tude nord, tandis qu'il a 6t6 reconnu depuis que le point
oil s'arreta I'expedition se trouve au plus bas sous le
6" paralieie.
Si peu precis qu'en fussent les resultats, le voyage
( ?5/i )
fut cependant loin d'etre inutile. Ce fut une premiere
reconnaissance qui pr^para les voies a des expeditions
plus fruclucuses.
Dans la route de plus de quatre cents licues qu'on
avait parcourue depuis Khartoum, on avait pu d6ji
constater plusieurs faits importants. On avait pris une
connaissance gt^n^rale des peuples et des tribus qui
bordent en Irfes-grand nombre les deux rives du Nil ;
on avait pu reconnaitre que la direction g6n6rale de la
riviere, nonobstant un grand coude quelle pousse h
I'ouest vers le 9' parallele, est au sud; enfin, on
n'avait rencontr6 aucune niontagne un pcu conside-
rable dans I'intervalle qui avait 6t(j parcouru. C'est un
pays plat et d'une faible inclinaison (ce qu'on recon-
nait ais^ment h la lenteor du courant) ; d'ou Ton pou-
vait conclure que la r6gion 61ev6e oii les sources d'un
aussi grand fleuve sont n^cessairement situ^es devait
6tre encore i une bien grande distance. Le voyage
avait employ 6 prSs de quatre mois et demi, depuis le
milieu de novembre 1839 jusqu'aux derniers jours de
mars 1840.
Le journal de S61im 6tait done de nature k faire
dfisirer une suite plus complete d' observations ; il im-
portait surtout d' avoir une carte du lleuvc. II fut d6-
cidd au Cairo qu'unc secondc expedition aurait lieu.
Cette fois on comprit le besoin dc confier i des Euro-
p6ens le soin des observations scientifiques. S61im,
dont Texp^ricnce pouvait etre utile, conserva le com-
mandement de la flottille ; mais deux des ing^nicurs
franfais au service de I'Egypte, M. d'Arnaud et M. Sa-
batier, furent principalcmeat charges des rel^vements
( 555 )
et des observations astronomiques. M. Thibaut leur fut
adjoint comme naturaliste. Un m6decin allemand, le
D' Werne, qui avait d6ja fait une intdressante excur-
sion dans les plaines de I'Atbara, obtint i'autorisation
de se joindre an voyage comme simple passager. Cette
adjonction accidentelle s'est trouv6e, en definitive,
d'un tr^s grand int^ret pour la science, car c'est k
M. Werne que I'Europe a dii la seule relation circon-
stanci^e que Ton poss^de encore de rexp6dition (1).
Poursuivons I'historique des explorations du fleuve. A
peine de retour k Khartoum, la flottille remit a la voile,
dans les derniers jours de septembre I8Z1I, pour une
troisifeme expedition dont M. d'Arnaud eut encore la
direction scientifique.
Rien n'a et6 public de cette troisieme expedition,
sauf deux ou trois notes trfes courtes de M. d'Arnaud,
imprimees au Bulletin de la Societe de Geographic. II
n'est dit nuUe part jusqu'i quel point elle s'avanfa;
11 ne semble pas qu'elle ait remonte aussi loin que la
seconde.
DSs 1843, immediatement apr6s le retour de
M. d'Arnaud au Caire, le gouvernement egyptien son-
geait k une expedition nouvelle au fleuve Blanc, von-
(1) Le chef de I'eip^ditioD, M. d'Aroaud, eo a ^crit aussi une ample
relation, avec le detail de ses observations. Des considerations qui
nous sont inconnues en ont empech6 jusqu'd present la publication ;
on ne d(5sespere cependant pas encore que cette publication puisse
avoir lieu. Bien qu'apres un intervalle de vingt ans elle doive perdre
quelque chose de Tiut^rfit qu'elle aurait eu dans sa nouveaut^, 11 u'en
est pas tnoins fort a d^sirer qu'un document de cette importance r la hauteur absolue du point
extreme oil se sont arret^es les reconnaissances du
fleuve, une altitude absolue de 3000 pieds en nombre
rond, on est plutot au-dessus qu'au-dessous du chillre
vrai.
Ces approximations et ces calculs, malgr6 leur s6-
ch«resse, ont cela de particuliferement int^ressant que
jusqu'a un certain point ils permettent de se former
une premiere id6e de la hauteur a laquelle peut attein-
dre la region centrale ou se trouvent les sources du
fleuve. Les Baris donnent a la partie du Bahr-el-Abyad
qui leur est connue le nom de Toubirih ; et dans les
informations que 1' expedition de 18/i0 put obtenir du
chef meme de ce peuple, on apprit que depuis le point
extreme qu'avait atteint 1' expedition, il y avait encore
une lune, c'est-adire un mois de chemin, pour arriver
aux lieux ou la riviere se partage en plusieurs bras
DoDgola 757
Solib 560
Korosko 450
AssouSa 342
De Khartoum a Assou4u, la difference est de 1089 pieds, pour une
dtendue d'enviroa 400 lieues, en suivant le cours du fleuve, ce qui
donne 2 pieds 3/4 en moyenne par lieue pour la pente gen^rale.
Bien que ces chiffres ne doiveat etre pris que comme une approxi-
mation, venant d'un observateur aussi exact que M. Russegger ils ne
peuvent s'^loigner beaucoup de la verity, surlout pour la nioyeune qui
t'eo ddduit.
XTII. AVRIL. h. 19
( 274 )
u que I'on traverse en n' ay ant de I'eau que jusqu'ci la
cheville,)) disaient les gens du Bari. D'un autre c6t6,
le D' Krapf apprit des indigenes, lors de son voyage
de Monibaz au pays d'Oukambani, que les eaux qui
descendent de la montagne neigeuse de K6nia se por-
tent au nord-est vers un grand lac, et que de ce lac
s'6coulentplusieurs rivieres, dont I'une lui fut d6sign6e
sous le nom de Toumbiri.
On est amen6 n^cessairement a conclure de cette
remarquable coincidence, aussi bien que de plusieurs
autres rapports non moins significalifs, que la source
principale du Bahr-el-Abyad est au mont K6nia, point
qui doit se trouver a une tr(is faible distance au sud
de r^quateur, ct a 300 milles anglais environ deMom-
baz dans la direction du nord-ouest.
Dfes 1851, dans la preface qu'il a mise en tfite de la
relation arabe du Ouaday par le cheikh IMoliammed-
el-Tounsy, traduite par le D' Perron, M. Jomard signa-
lait le mont Kenia, d'apres les rapports alors tout
r6cents du R6v. Krapf, comme devant rcnfermer une
des sources principalcs de la tete du lleuve Blanc. Ce
qui n'etait alors qu'une pr^soniption bas6e sur des
considerations purement physiques, recoit presquc le
caractfere d'une demonstration par le rapprochement
que nous venous de signaler entre le Tonbiiih des Baris
du nord et la Toumbiri du mont Kenia.
Diverses circonstances des relations du D' Krapf et
de son compagnon de travaux apostoliques, le R6v6rend
Rebmann, montrent d'ailleurs que la region que do-
minent les montagnes neigeuses du Kilimandjaro et du
K6nia est un plateau d'une 616vation considerable. II
( 275 )
y a toute apparence que ce plateau s'abaisse vers le
nord en gradins successifs et rapproches ; car il results
encore des renseignements obtenus parmi les Baris, et
consign^s dans la pr^cieuse relation du D' Werne, que
la Toubirih, au-dessus de Tile Tchanker (non loin du
point extreme de nos reconnaissances), est remplie
d'un grand nombre de chutes et de rapides qui ne
permettent plus d'y conduire ais6ment les barques. On
sail que I'obstacle qui arreta Texp^dition 6gyptienne
de 1840, un peu au-dessus de I'ile de Tchanker {h.
U degr6s et quelques minutes de latitude nord, selon
la determination de M. d'Arnaud), est une barre de
rochers qui forme en cet endroit, dans le lit de la ri-
viere, un ressaut qu'on ne pent franchir qu'au temps
des hautes eaux.
L' expression une lune, employee par les Baris, im-
plique une distance considerable, car ces peuples sent
bons marcheurs. II n'est cependant pas encore possible,
dans retat actuel de nos connaissances, de determiner
cet espace d'une manifere im peu precise. Cette deter-
mination doit resulter de la position relative du mont
Renia et de Tile Tchanker ; or, nous n'avons encore,
surtout pour le second point, que des donnees tres
incertaines. La position assignee au mont Kenia est
deduite uniquement de I'estime des marches du
D' Rrapf depuis Mombaz, tant pour la distance que
pour la direction ; neanmoins, comme ces estimes ont
ete prises par un observateur attentif, habitue de
longue date aux pays de montagnes par ses courses
en Abyssinie, il ne semble pas que les observations
directes des futurs explorateurs doivent apporter un
276 )
changement notable dans Templacement provisoire
donn6 au mont Kenia, — environ un dcmi-degr6 de
latitude sud, et 35" de longitude orientale comptte du
m^ridien de Paris. Mais, chose assez 6trange, le point
extreme des reconnaissances du fleuve Blanc cliez les
Barisestbien loin d'etre fix6 d'une manii^re aussi sa-
tisfaisante, quoiqu'on y ait fait a plusieurs reprises des
observations astrononiiques. C'est que pr^cis6ment ces
observations, un peu pour la latitude et beaucoup
pour la longitude, pr^sentent des divergences presque
incroyables. On en jugera par les rapprochements
suivants :
LATIT. «. LOWG. E.
DE PARIS.
La petite lie Tchanker, terme extreme de I'ex-
pddition de 1840, est, sclou M. d'Arnaud, par 4° 42' 29* 18'
Ou seloa une premiere estime (1) du inline
Toyageur 29' 42' I
Seloo Selim Bimbachi, le commandaat ^gyp- I
tieade la ra^me expedition (Werne, p. 311)... 4' 35' 30* '
Selon la carte h grand point de M. Werne. . . 4° 04' 30» 05'
Mais selon le Rev. Knoblecher [Bulletin de la
SocieU de geographic, 1852, III, page 27), le
mime point se trouverait par 4* 37 26* 20'
(1) Selon la longitude eslimee, dit expressdment M. d'Arnaud dans
une premiere letlrc adressde a M. Joniard, et iraprimde au Bulletin
de la Societcde geographic, l. XYII, 1812, p. 377. Si, comme on I'a —
penso, et comme scmblerait I'iudiiiuer cetlc expression, les determi- fl
nations de longitude faites par I'cxpddilion de 1840 sont principalc- ^|
meul deduitos des directions journaliijres donndes par la boussolc, en
8'appuyanl sur la position de Khartoum qui fut le puiutde depart de
I'expddition, un nioyeii aussi iucerlain ponr uuc navigation cxtreme-
meut sinueuse, sufCsait bien h cxpliquer la graade dilliircuce de*
chiffres deM. d'Arnaud et de ceux deM. Knoblecher.
( 277 )
Pour la latitude, les divergences extremes se mon-
tent k prfes de 40 minutes, les deux tiers d'un degr6 ;
mais c'est bien autre chose pour la longitude. Entre la
determination de M. d'Arnaud (soit par observation
directe, soit par estime, nous ne savons), et les obser-
vations du R6v6rend Knoblecher, la difT6rence est de
trois degres et plus ; cette difference s'augmente encore
de 45 minutes, ou des trois quarts d'un degr6, si on
prend pour point de comparaison la carte de M. Werne,
dont M. Kiepert, le savant geographe de Berlin, a
suivi les donn6es. II est bien clair que I'^tat actuel de
I'astronomie pratique n'admet pas de telles anomalies.
Un des deux chiffres au moins est entach6 d'une grave
erreur. Lequel? c'est ce qu'on ne saurait dire ; car
aucun des voyageurs n'a rendu public le detail de
ses observations, ce qui aurait permis aux astronomes
d'en verifier les 616ments. La nature meme de ces ob-
servations n'est pas indiqu^e. En cet 6tat, on ne pent
que snspendre son jugement ; mais aussi, quelle que soit
celle des deux determinations vers laquelle on penche,
on ne pent I'accepter que comme provisoire.
Cette divergence est d'autant plus grave, qu'elle
change du tout au tout I'aspect et le trac6 du fieuve
Blanc. Avec les chiffres de M. d'Arnaud et de Seiim,
le fleuve, depuis le lac mar^cageux du Bahr-el-Ghazal,
se porte droit au sud-est jusqu'a I'ile Tchankfer; selon
les donnSes de M. Knoblecher, la valine, sauf de 16-
gferes deviations, remonte directement au sud. II y a
aussi une difference considerable, tout k la fois pour
la direction et pour la distance, dans la position rela-
tive de I'ile Tchanker et du mont Kenia, selon qu'on
( 278 )
se base sur les indications de I'cxp^dition de iShO ou
sur celles du missionnairc autrichien. Dans le premier
cas, rintervalle d'un point k I'autre est de sept degr^s
^quatoriaiix i Touverture du compas, sur une ligne
inclin6e du nord-ouest au sud-est; dans le second
cas, rintervalle est de dix degr6s, et rinclinaison va
presque de Touest k Test. On pent remarquer, sans
rien pr^juger aufond, que, d'apr^s le dire des indi-
genes, la route de ceux qui remontent la Toubirih se
dirige principalement vers le soleil levant, ce qui serait
bien en accord avec les donn^es du Rev. Knoblecher.
Ce qui ressort de tout ceci, c'est que dans ces par-
ties extremes de la region du baut Nil, vers laquelle
se portent depuis si longtemps les regards du monde,
bien des recherches de detail, bien des verifications, et
aussi bien des d^couvertes importantes rest'ent encore
h faire, ratals que d^sormais le champ des investigations
y est bien delimit^. On ne marche plus k I'aveugle et
dans I'inconnu. Le but est nettement d6sign6, il est en
quelque sorte sous les yeux de I'explorateur, et la route
pour I'atteindre est d6jci 6clair6e a demi. Que Ton
remonte de I'ile Tchankfer, \k oil se terminent les
reconnaissances actuelles du fleuve Blanc, a la region
du mdnt R6nia, ou que, reprenant les traces du
D' Krapf, on parte de la cote orientalc pour gagnerle
mont R6nia, et du mont R^nia pour rejoindre I'ile
Tchankfer, ce n'est plus, on pent dire, qu'une entre-
prise ordinaire parmi celles qui ont marqu6 dans
I'histoire des explorations africaincs, une entreprise
maintenant moins difficile ct moins hasardeuse que
cells des Mungo Park, des Bartb et des Livingstone. Et
( 279 )
pourtant elle n'en sera pas moins couronnee d'une
gloire immortelle.
Nous n'avons a ajouter qu'une seule remarque, mais
elle est importante.
II est sans doute fort a desirer qu'un voyageur sa-
vant, un nouveau Riissegger, reprenne bientot 1' ex-
ploration tout enti^re du Bahr-el-Abyad , qu'il en
remonte le cours a partir de Khartoum, et que, mar-
quant ses stations principales par de bonnes observa-
tions astronomiques et barom6triques, il 16ve enfin
d'une maniere d6ilnitive les doutes qui planent encore
sur la vraie direction du fleuve et sur le relief du pays.
Mais il nous parait evident, a la seule inspection de la
carte, que la n'est plus maintenant la route des grandes
d^couvertes. Les grandes decouvertes qui restent k
faire en Afrique, c'est de la cote orientale qu'il faut
les entreprendre. Les voyages du R6v. Rebmann au
Djagga et du D' Rrapf a FOukambani en ont ouvert la
voie et montr6 la direction, C'est de la region meme
du mont K6nia qu'elles doivent d6sormais partir (1).
Les lignes d' exploration qui rayonnent de la dans
(1) A I'occasion de la communication actucUe, qui avait 6t6 faite
dans une des stances parliculieres de la Soci^te avant d'etre lue en
stance publique, M. Jomard, president de la Commission centrale, a
donai connaissance de lettres privees ^crites il y a trois ans a un ofD-
cier de marine qui avait dessein d'expiorer ces parages, et ou la cote
de Mombaz est (^galement signalee comme le raeilleur point de depart
a donner dcsormais aux explorations int^ricures de la region des
sources du Nil. Nous n'avons pas besoin d'ajouter combien nous nous
felicitous de nous etre rencontrd rn ceci avec un savant a qui les tra-
vaux de sa vie entiere ont acquis sur ce sujel une si haute et si legitime
autorite.
1
( 280 )
toTites Ics directions conduiront toiites a des d6cou-
vertes d6cisives. Au nord et au nord-est, elles iront se
relier aux reconnaissances du fleuve Blanc ; ou bion, i
travers la contr^e des Gallas, elles iront rejoindre les
explorations de M. d'Abbadie dans I'Enarea, et celles
de M. Burton chez les Somal. Au nord-ouest, elles
viendront se rattacher, h. travers toute I'^tendue de la
■6gion 6quatoriale, aux d6couvertes de Barth et de
Baikie, dans le bassin de la B6nou6, aprfes avoir coup6
probablement tout le r6seau des afiluents encore incon-
nus de la gauche du Bahr-el-Abyad. Au sud-ouest
enfin, elles p6n6trent au cceur meme du continent aus-
tral, coupent la region des grands lacs, et viennent
aboutir au Zaire inCerieur ou au bassin du Zambezi, se
rattachant ainsi aux voyages r^cents de Burton et de
Livingstone. Ily a la de quoi alimenter largement I'ac-
tivit6 des explorateurs ; et cependant telle est I'ardeur
actuelle pour les d^couvertes africaines, que Ton peut
pr^voir d6ja le moment oil ces grandes et difficiles tra-
vers6es seront accomplies, et oii nous verrons ainsi
disparaitre les derni^res lacunes qui restent a combler
sur la carte de I'Afrique et du monde.
Vivien de Saint-Martin.
( 281)
NOTICE SUR LE DARFOUR
ET SUR LE VOYAGE DE M. LE DOCTEUR CUNY
DANS CETTE CONTR£e,
Par M. le comte D'Escatrac db Lactcrb.
II y a pr6s de dix-huit mois, lorsque je quittai
i'Egypte pour revenir en France, je cherchai s'il ne
se trouverait pas dans le pays meme quelque Europ6en
d^sireux et capable d'entreprendre une exploration et
de faire des d6couvertes g^ographiques, c'est-i-dire
intelligent, 6clair6, actif, courageux, et en meme temps
acclimat6 dans les pays chauds, fait aux usages de
Torient, parlant la langue arabe avec facility. Je vou-
lais engager cet Europ6en k visiter le Darfour et le
Waday. L' exploration de ces deux Etats me paraissail
presenter le plus vif int6ret; en meme temps quelle
devait etre plus facile et moins dispendieuse que la
recherche des sources d'un grand fleuve, recherche qui
n6cessite I'emploi de moyens de transport toujours
difficiles k se procurer dans des contr6es que la civili-
sation n'6claire pas encore. 11 faut observer, de plus,
que les populations du haut Nil vivant entiferement k
r6tat sauvage, il n'est pas sans danger de p6n6trer au
milieu d'elles ; tandis que les peuples dn Darfour et
du Waday, comme ceux du Bornou, 6tant soumis k
des gouvernements k pen pr6s r^guliers, le voyageur
a peu de chose k en redouter d6s qu'il s'est mis en
r^gle avec rautorit6 qu'ils reconnaissent, et dfes lors
( 282 )
peut voyager sans escorte et presque sans armes.
La partic occidentale du Soudan a cte visitce depuis
Denham et Clappcrton par un grand nonibre de voya-
geurs : le Niger et la Tcliadda ont m^mc 6te d(?ja re-
montd'S sur une partie notable de leur cours par des
bateaux a vapeur, et tout porte a. croire que d'ici a peu
d'annees, uu commerce important se fera entre I'Eu-
rope et le Soudan par le Niger.
Le Soudan oriental, au contraire, nous est encore
bien peu connu. Le voyageur Vogel, qui avait r6cem-
ment p^n6tr6 dans le ^^■aday, parait y avoir 6t6 mis
h raort, et les r6sultats de son exploration seiiiblent
elre perdus pour la science. Le Darfour a 6tevisite par
Browne, qui y passa meme trois ans, de 1793 b. 1796.
Mais Browne, dcnoncc au roi de Darfour comme es-
pion, emprlsonne ou garde a vue, longtemps malade,
n'a pu donner que peu de rcnseignements sur un pays
dont il n'avait vu qu'un district, et sur un pcuplc avec
lequel il n'avait pu nouerde relations. Fresnel, consul
h Djeddah, ecrivit il y a quelques annees un m^moire
tr6s remarquablc sur le AVaday. J'ai moi-meme plus
tard, sur des indications obtcnues au Cairo, trait6 du
Darfour, du Waday et des autres Etats du centre de
TAfrique. Je citerai aussi les voyages du cheikh
Mohammed el Tounsy, traduits par M. le docteur
Perron ; on y rencontre quelques faits assez curieux b.
c6t6 de beaucoup de ces fables auxquelles so laisse
entrainer 1' esprit cr6dule et born6 des Arabes.
Le grand capitaine qui commandait I'exp^dition
d'Egypte avait song6 a nouer avec le Darfour quelques
relations. II avait 6crit meme au roi de ce pays pour
( 283 )
lui demander des esclaves dont il eut probablement
form6 un corps militaire : c'eut 6t6 un renfort tr6s
utile pour I'arm^e francaise priv6e de communications
avec la mfere-patrie, et qui ne pouvait sans imprudence
armer les vaincus ; le peu de dur6e de I'occupation de
rtgypte fit 6chouer le projet.
Le Darfour a toujours entretenu avec I'flgypte un
certain commerce. La caravane du Darfour arrive k
Siout chaque ann6e vers le mois de rhamadan, ame-
nant avec elle les d6vots qui veulent entreprendre le
p^lerinage de la Mecque. Les marchands de la cara-
vane passent trois mois a Siout pour les attendre, et
pendant ce temps, se r6pandent dans la ville et font
leurs ventes et leurs achats par I'entremise du chef
de la caravane, qui est un grand personnage, souvent
meme un parent du roi de Darfour.
M. Cuny, docteur en m6decine de la faculty de
Paris, longtemps m6decin en chef de la province de
Siout, avait eu I'occasion d'entretenirdes rapports trfes
longs et assez intimes avec les chefs et les marchands
de plusieurs de ces caravanes. II avait eu I'occasion de
faire vacciner plusieurs milliers d' esclaves amends par
ces caravanes ; il avait donn6 ses soins a bon nombre
d'hommes importants du Darfour; et curieux de visiter
cette contr6e , qui n'est 6loign6e de Siout que de
45 journ6es, ce qui, en Afrique, est regarde comme
peu de chose, il avait il y a quelques ann^es fait pro-
poser au roi de Darfour d'aller levoir et de lui donner
les soins que r6clamait une maladie dont il 6tait atteint,
Le roi de Darfour accepta cette ouverture avec joie ;
mais les marchands de la caravane, craignant que le
( 284 )
D' Cuny ne voulut se livrer au commerce et ne leur
fit une concurrence redoutable, refusferent de Tem-
mener avec eux. Loin de se d6courager, M. Cuny s'af-
fermit plus que jamais dans sa resolution de visiter le
Darfour et de passer de la au Waday, si cela 6tait
possible. Je I'y engageai beauconp moi-meme lorsquc
je le vis au Caire peu de temps avant men depart, et
nous en parlames longuenient, discutant toutes les
chances, ct traitant de ce voyage comme d'une conspi-
ration. II fallait, en effet, t-chapper k une triple sur-
veillance, celle des marchands dont nous avons parl6,
telle des autorit^s 6gyptiennes qui 6prouvent naturel-
lement quelque jalousie des progrtjs que les Europ6ens
peuvent faire dans TAfrique centrale; enfin, celle
d'ambassadeurs que le roi de Darfour avait envoy^s
en Egypte, et dont la presence au Caire, tenue assez
secrete, avait 6t6 6vent6e par nous. Nous allames tou-
tefois voir ces ambassadeurs ; mais sans leur rien dire
qui put faire soupconner le projet de M. Cuny. lis me
rendirent cette visite ; mais la se bornferent nos rela-
tions, on ne leur permit plus de voir des Strangers.
Son long s6jour k Siout avait initio M. Cuny a tous
les usages et a tous les petits secrets du Darfour. ll
fait partie, de plus, du petit nombre d'Eiirop6ens qui
parlent bien la langue arabe, et du nombre, moindre
encore, de ceux qui I'^crivent facilement. II fut con-
venu qu'il ne chercherait plus a se joindre a la cara-
vane; qu'au lieu de cela, il remonterait le Nil jusqu'en
Nubie, se rendrait au Kordofan et k Lobeidh, c'est-a-
dire a sept journ6es du Darfour, et attendrait une
occasion favorable.
( 285 )
J'ai reru il y a peu de jours des lettres et un m6-
moire de lui dat6s de Lobeidh et du 25 mai 1858. II
partait le lendeniain pour le Dai four ou il doit etre en
ce moment depuis pr^s d'une ann6e. M, Cuny s'6tait
adjoint quelques Europ6ens qui ont recul6 devant la
grandeur de la tache ou ont renonc6 k I'entreprise par
quelque autre raison. Leur concours ne lui 6tait pas
indispensable, et leur presence eiit pu 6tre genante en
bien des occasions. Le secret le phis grand fut gard6
jusqu'au dernier moment, et c'est k ce secret qu'est du
le commencement de succ^s dont nous avons a, nous
f^liciter aujourd'hui. Toutefois un vague soupcort des
intentions de M. Cuny a pu le pr6c6der quelquefois.
Ainsi k Derr en Nubie, il a 6t6 retenu plusieurs se-
maines par un gouvernement peut-etre plus rus6 que
fanatique.
On ne se fait pas en g6n6ral une id6e bien exacte
de ces regions africaines au sein desquelles M. Cuny
va se hasarder. II me sera done permis de placer ici
quelques mots sur FAfrique en general, et sur le Dar-
four en particulier. En g6ographie comme en toute
science, il faut arriver a des id6es g6n(^rales, a quel-
ques grands faits qui sent comme la somme et le r6-
sum6 des autres, et qui, servant de jalons, permettent
k I'esprit de poursuivre utilement sa marche. Relative-
ment a la geographie de cette partie de FAfrique, situ6e
au nord de F^quateur et la plus rapproch^e de nous,
assez de faits particuliers ont 6t6 recueillis, comment6s,
compares, pour qu'il soit aujourd'hui possible de tra-
cer, en n'employant que peu de mots, une esquisse
assez fidde, et en meme temps assez nette et assez
( 286 )
simple pour que I'esprit en soit satisfait et s'y attache.
Do I'autre c6t6 de cette M6(litcrran6e que bordent
nos rivages, et sur laquelle se projettent les trois plus
belles p6ninsules de ruiiivers, s'^tend une cote st6rile,
k peu pr6s dcpourvue de ports, I'un des derniers re-
fuges de la barbaric turque ou arabe, du fanatisme
musulman, du brigandage meme et de la piraterie,
jusqu'au jour oil le drapeau de la France sut en triom-
pher en Egypte d'abord, et en Alg6rie plus tard.
Cette region m6diterraneenne de I'Afrique, sans etre
bien fertile, n'est pas entiirement inculte. La zone
cultiv6e n'y a pas partout la meme 6tendue; elle y ac-
quiert d'autant plus do largeur et d'autant plus de
f6condit6, que la cote s'avance plus loin vers le nord :
le Maroc, 1' Alg6rie, Tunis, ont des champs et des forets ;
Tripoli, plac6 plus au sud, n'a que des oasis. En eflet,
d6s que, parti de la M6diterran6e et marchant vers le
Sud, on a franchi une certaine limitc que marquent
en Alg6rie les derniers contre-forts de I'Atlas, on aper-
foit au loin devant soi cette r6gion vaste et d6sol6e, ce
d6sert dont des portions diverses ont recu des noms
divers, mais qui partout semblable a lui-meme, sablon-
neux ou h6riss6 de rochers volcaiiiques, coup6 de col-
lines calcaires ou d' aretes granitiques, est partout
priv6, a peu prtis entit;rement, des pluies du ciel, et
n'accueille la vie que dans quelques oasis bien rares,
sortes d'iles groupies en archipels, ou dessinant de
longues chaines, formant sur le fond morne et d6soI6
du D6sert, ainsi que I'a dit un ancien, comme les mou-
chetures de la peau d'un 16opard, Les eaux descendues
de I'Atlas et des chaines voisines de la M6diterran6e,
( 287 )
6gar6es sous le sol et reparaissant tout ci coup au sein
de quelque valine, ou au milieu d'une vaste plaine
sous la forme d'un maigre ruisseau ou d'un lac sau-
matre , ont donn6 naissance k ces oasis, ont permis la
culture de quelques parcelles de terre, et, en ^change
de leur Industrie, fourni a quelques families humaines
les premieres n6cessit6s de la vie.
L'Egypte n'est r^ellement qu'une immense oasis,
car en l^gypte comme dans les oasis, ce n'est point sur
I'eau du ciel que compte le cultivateur, etl'Egypte est,
comme les autres oasis, 6troitement emprisonn6e entre
un double desert.
Quelques tribus arabes, restes de ces pillards que
I'islamisme amena jusqu'en Europe, se montrent encore
dans la partie septentrionale du grand Dissert ; mais
ces grandes solitudes sont parcourues par des peuples
de races dilT^rentes : les Tibous k Test et vers le Nil,
les Touaregs a I'ouesi et vers rOc6an. Ces derniers
poussent toutefois encore quelques ramifications jus-
qak Audjelah et jusqu'a Siwah, c'est-a-dire bien prSs
de I'Egypte.
Mais le Desert a dans le sud comme dans le nord
ses iimites naturelles , et au deli de Portendick au
S6n6gal, au dela de Tombouctou et de Bilma, vers le
centre de I'Afrique, au dela de Dongolah en Nubie,
c'est-a-dire a peu pr^s par le 17* degr6 de latitude
nord, les pluies intertropicales commencent a se faire
sentir. C'est k ces pluies abondantes, dont la clmte
coincide avec la saison cliaude, quest due la richesse
de toutes les colonies ou se cultivent le sucre, le caf6,
les 6pices. EUes doteraient I'Afrique centrale d'une
( 288 )
f6coiidit6 pareille, si les Africains 6taient d'autres
honimes, ou si I'Europe, exercant sur eux une utile
domination, venait a dinger leurs efforts.
Cette rt^gion centrale de I'Afrique a 6t6 appel6e par
lesanciens Nigritie; les Africains modernes I'appellent
le Soudan, denomination qui a le meme sens que 1' au-
tre. Le Soudan est, en effet, peupl6 de races nSgres
dans le voisinage desquelles errent qnelques tribus
arabes r6pandues depuis I'Abyssinie jusqu'au Senegal
sur lalisifere duD6sert et du Soudan, et qui paraissent
avoir gagn6 I'Afrique, en traversant la mer Rouge,
pour se soustraire au joug de I'islamisme, que d'autres
Arabes portaient avec eux, et que ceux-memes du
Soudan ont fini par subir.
Une portion de la Nigritie, celle qui avoisine le plus
le D(^sert, sur une largcur variable, mais qui sou vent
atteint cent cinquante lieues, a recu I'islamisme. Quel-
ques-unes des peuplades ainsi converties, le sont depuis
quelques si^cles; d'autres depuis quelques annees i
peine. Les N6gres plus meridionaux sont encore feti-
chistes ou idolatres, ou depourvus de tout culte et
peut-etre de toute id6e religieuse. Les Nfegres musul-
mans leur font la guerre, moins pour acqu6rir des
ames au Proph6te que pour se procurer des esclaves
qu'ils emploient aupr^s d'eux ou qu'ils vendent aux
Musulmans Turcs ou Arabes de la cote. Je n'ai pas
besoin de le dire. En effet, I'esclavage et la traite ne
peuvent pas plus etrc abolis de fait par les Musulmans,
que la justice ou la tol6rance ne peuvent etre raises en
pratique par eux, quclque fr^quemment d'ailleurs
qu'ils aient I'audace d'en prononcer les noms.
( 289 )
Le Soudan musulman compts plusleurs vastes ttats
soumis a la jurisprudence du Coran, gouvern^s par
des princes h6r6ditaires ; le regime feodal existe dans
quelques-uns d'entre eux, et n' existe point encore ou
a cess6 d'exister dans d'autres; quelques-uns ont un
rudiment d' organisation militaire et mettent en cam-
pagne des armies assez nombreuses.
La plupart n'ont point encore d'impots proprement
dits et de tr^sor public ; barbares, ils ont du moins ce
privil(^ge de la barbaric, de ne pas payer cher pour
etre mal gouvern^s ; ils sont en cela plus heureux que
la g6n6ralit6 des autres musiilmans.
Le Darfour est le plus oriental des Etats musulmans
de I'Afrique centrale ; il est Yimit6 au sud par I'Omm
et Timan ou Reilak, vaste affluent du Nil, a pour voisin
k I'ouest le royaume de Waday, et a Test la province
6gyptienne de Cordofan, conquise ou plutot d6vast6e
et saccag^e en 1821 par le gendre de M6h6met-Ali,
homme d'une ferocite digne de sa race. Depuis I'occu-
pation du Cordofan par les ligyptiens, le Darfour se
sent menac6 et montre quelque inquietude. J'ai meme
lieu de croire qu'il accueillerait avec joie des instruc-
teurs europ6ens, qu'il acheterait a 1' Europe beaucoup
d' amies k feu, si les pachas turcs, qui gardent Tripoli
et rfigypte, laissaient parvenir jusqu'au Darfour ce
gage de I'ind^pendance el de la s6curit6 des peuples
qu'ils ont toujours convoit^s. Les Musulmans les plus
perspicaces commencent aujourd'hui a tourner leurs
regards vers I'Asie centrale et vers I'Afrique centrale,
berceau de leur race barbare, dernier asile de la bar-
baric ; ils y voient an refuge ; ils pr6voient un dernier
XVII. AVBIL. .'). 20
( 290 )
combat, dont I'Europe iiicl6cise retarde seule I'instant,
et leur esprit decoiirag6 ne pr^voit plus que des d6-
faites. Les Soudaniens acce]")tent volontiers en th^orie
la preeminence du sultan des Turcs, comme chef de
I'islamisme; ils le croient le maitre du moude, tant les
illusions sont faciles a la devotion ignorante. Ainsi,
dans ces regions eloign6cs, le prestige de I'enipire
d'Osmansurvit a cette puissance que depuis la bataille
de L^pante I'Europe a vue d^cliner sans cesse.
Le Darfour, comme les Etats voisins, comme le Cor-
dofan, que j'ai eu I'occasion de visiter moi-meme, est
couvert surune partie notable de son 6lendue, et sur-
tout vers le sud, de forets principalement compos6es
d'arbustes epineux et de gommiers. Le Baobab domine
les forets que coupenl 9a et la de vastes clairieres,
quelquefois cultivees, et an milieu desquelles s'6l6vent
alors des villages ou des villes qui, k une seule excep-
tion pr^s, ne different que par leur 6tendue. Ces ag-
glomerations, comme celles des Germaiiis que Tacite
nous d6crit, occupent toujours une surface tr6s 6ten-
due. Cha(jue habitation est entour^e d'un enclos form6
par une haie 6pineuse ; au milieu de cette enceinte, de
forme souvent carr6e, se dressent quelques hultes a
base cylindrique, et dont le toit coniqueestal'epreuve
des grandes pluies. Ces huttes sont appel6es des tuk-
koli. Des huttes plus 16g6res et simplement en paille
et a toits plats, appel6es recouba, servent pendant les
beaux jours. Chacun de ces tukkoli a, comme chaquc
piece de nos maisons, une alTectation dilferente : I'une
est le harem, I'autre la cuisine, 1' autre la salle de re-
ception ; il y en a aussi une aflectee a la mouture du
( 291 )
Dokhn, grain jaune et amer qui fournit aux Fouriens
leur principa.1 aliment et leur principale boisson, la
bousa, sorte de biere 6paisse et d'un gout douceatre.
La ville de Caube, qui n'est point la capitale, mais
la ville de commerce et comme le port du Darfour, a
seule des rues et des maisons qui ressemblent un peu
h celles que Ton voit dans les villes 6gyptiennes, k
Siout particulierement ; ce sont meme les maisons de
Siout qui ont servi de modules k celles de Caub6, car
c'est a Siout que se rend chaque ann6e la caravane du
Darfour, et c'est par cette ville que les produits du
Darfour p6n6trent en Egypte et s'ecoulent dans tout
rOrient. La capitale ou facher du Darfour estFendelly.
Le Darfour a eu d'autres capitales et en changera
peut-etre encore. Oncomprend qu'il en soit ainsi dans
une con tree barbare ou la residence royale n'est d6ter-
min6e ni par 1' existence de monuments et de palais
somptueux, ni par celle d'un mouvement intellectuel
qui ne se d6place pas facilement.
Le souverain actuel du Darfour s'appelle Hossein. II
rSgne depuis dix-sept ans environ. II est, d'aprfes une
liste royale que j'ai publi6e il y a trois ans, le onzieme
successeur de Soliman Solon, ou de Soliman le Bedouin,
apotre musulman et premier roi du Darfour.
L' organisation du Darfour est feodale. et le pays est
divis6 en quatre grands gouvernements habituellement
h6r6ditaires. Les gouverneurs se r^voltent quelquefois ;
s'ils sont d6faits et faits prisonniers, il est rare que le
roi ose les faire mettre a mort ; il se contente de les
. exiler dans les monts Marrah, berceau de sa famille,
et dont la population a toujours 6t6 d'autant plus
( 292 )
fiddle, qu'on I'a toujours laiss6e se gouverner k sa
guise. Le Darfour a dans les monts Marrah ses forte-
resses natiirelles ; il y existe, m'a-t-on (lit, une valine
entour6e de toute part de somuiels inaccessibles, que
les indigenes regardcnt comine leur place forte, et
dont ils ne laissent pas meme approcher les Strangers.
Le roi a une garde assez nombreuse conipos6e de
cavaliers armes d'epees droites a pomnieaux en croix
et de masses d' armes. CeS' cavaliers sont prot6g6s
centre la lance et la flfeche par des casques de la forme
des anciens casques normands, des cuirasses et surtout
des sayes ou gaubesons ouat6s.
Lorsque la guerre 6clate, le ban et I'arritre-ban
sont convoqu^s a son de trompe dans chaque village
pour un nombre de jours d6termin6 par I'usage. Les
Fouriens sont arm6s de lances, de javelots, et portent
un bouclier ovale. II y a au Darfour quelques archers
provenant des peuplades idolatres.
Le Darfour n'a que tr^s peu d' armes a fcu; il a ce-
pendant, a ce que j'ai entendu dire, un ou deux
canons. -*
Je ne m'6tendral pas davantage ici sur le Darfour.
Je n'ai voulu qu'en indiquer les principaux traits ; j'en
ai parle plus longuement dans le m6moire sur le
Soudan que j'ai public en 1856. Mais les rcnseigne-
ments que je donnais, r^sultat d'une simple enquSte
faite a distance, n'avaient pas une grandevaleur. C'est
a M. Cuny de nous faire connaitre ce pays, qu'il visite
eii ce moment. En attendant qu'il ait eu le temps de
le faire, je dcmandcrai la permission de vous entrete-
nir de son travail actuel. J'aurais voulu en lire ici
I
( 293 j
quelques passages ; mais outre que M. Cuny est trop
Africain, c'est-a-dire trop technique pour 6tre facile-
ment entendu par ceux qui n'ont point pratiqu6
I'Afrique, il a adopts la forme du journal, forme cxcel-
lente en elle-meme, mais qui a I'inconv^nient de ne
point traiter avec m^thode les questions diverses qui
se pr6sentent, d'^parpiller, au contraire, les faits ou
les id^es de meme nature, sur une etendue trop vaste
pour qu'il soit facile de les r^unir et de les coordonner.
Le travail de M. Cuny, d'ailleurs, sera prochainement
public in extenso dans le Bitlletin de la Societe de geo-
graphie. Les personnes qu'int6resse sok r(^tude de
I'Afrique, soit a un point de vue philosophique I'^tude
de la Barbaric, y trouveront un veritable attrait. Les
physiciens liront avec curiosity la description donn^e
par M. Cuny du mirage auquel il a si souvent assists
dans les plaines brulantes de la Nubie ; les naturalistes
et les m6decins trouveront dans son travail un grand
nombre de renseignements et d'indications pr6cieuses
relativement aux veg6taux des pays qu'il a traverses
et aux medicaments employes avec plus ou moins de
succ^s par les populations de ces pays. On sait que
I'Abyssinie nous a donn6 deja le Cousso ; esp^rons que
le Darfour, visits par un m6decin instruit et intelligent,
fournira quelque moyen nouveau a notre th^rapeu-
tique.
Notrevoyageurd6critminntieusement,amesurequ'il
les observe, les coutumes, les habitudes, lesvetements
des Arabes, des Nubiens, des Nt^gres. Chose remar-
quable! les premieres institutions, les premieres armes,
les premiers sentiments de tous les peuples sont pareils.
( 294 )
Animal que I'instinct gouvenie, I'homme barbare, d'lm
bout du monde ii 1' autre, ressemble a I'liomme bar-
bare, comme la Iburmi ressem])le a la fourmijl'abeille
il'abeille. Profonds sujets d'etude pour le philosophe,
Ics faits de cet ordre sont comme des germes ft^conds
d'ou pcut naitre toute une nouvelle philosophie de
riilstoire.
M. Cuny ne se borne pas a enregistrer les noms des
villages ou des puits dont il a connaissance ; il donne
le sens de chacun de ces noms dans un idiome arabe
qui n'est point I'idiome corrompu de I'Egypte ou de
I'Algerie, et c^ui n'est pas tout i fait non plus le Ian-
gage si pur du Goran.
Peut-etre cette langue des Arabes du Soudan est-
elle la langue meme que parlaient les conteuqiorains
et les compatriotes de Mohammed, car il y a peu de
pays oil le meme langage se parle par Ic peuplc et
s' derive dans les livres.
Enfm iM. Cuny nomme et d^crit avec detail les oasis
du Gab. II indique, d'apr6s le rapport des indigenes,
un volcan qui aurait eu quelques Eruptions encore dans
ce sifecle, et qui serait situe k "NVadi-Hadjiar, k Test
d'un point appel6 Morrad, dans la haute Nubie, a une
grande distance dela mer, mais non point de toute eau
saline ou saumatre. L' existence dc ce volcan serait
int6ressante k constater. Notre voyageur indique aussi
un prolongeraent de la valine appelc^e Bahar-el-Ghzal,
qu'il appelle le Wadi-el-Mck, et par lequel le Soudan
central, k I'^poque des grandes pluies, non peut-etre
chaque annec, mais lorsque les pluies atteignent une
grande intensity, diverse ses eaux dans le Nil k une
faiblo distance de Dongolah.
( 29^ )
Telles sont les principales questions abord^es dans
le journal de M. Guny. Ceux qui voudront lire ce tra-
vail y trouveront cet int6ret vif et profond qui s' attache
a tous les tableaux vrais et a tons les r6cits naifs et
fidfeles. Esp6rons que bientot M. Guny nous enverra de
nouvelles pages, remplies cette fois de faits entifere-
ment nouveaux , car jusqu'a present M. Guny n'a tra-
verse que la Nubie et le Gordofan. Le voila dans le
Darfour, le Darfour qu'il connait d6ja, qu'il verra,
mieux que personne, et sur lequel il ne pent manquer
de nous fournir les plus pr^cieux renseignements.
M. Guny n'a malheureusement pu emporter que
quelques instruments assez imparfaits; je desirerais
vivement lui en faire parvenir d'autres. Entre Paris et
le Darfour, les communications ne sont ni frequentes
ni faciles; peut-etre cependant arriverai-je a 6tablir
quelque communication avec mon intrepide et lointain
correspondant,
Faisons des vceux, Messieurs, pour que son entre-
prise r^ussisse, et qu'apr^s avoir accompli sa tache, il
puisse reveuir au milieu de nous. Gette tache est glo^
rieuse, elle m6rite toutes nos sympathies, car tout
Europ6en qui p^n^tre dans ces regions y porte avec
lui comme un reflet et comme un germe de notre
civihsation et du christianisme. G'est un pionnier de
I'Europe; il lui ouvre des routes dans lesquelles elle
eptrera demain.
Comte d'Esgayrac de Lauture.
( 296 )
IVouTclIes ct couiiuuiiicalioiiifi.
I
NOTE
ilJB LA KOOVELLE DinECTION A DONKER A LA BECHEBCllB
DES SOURCES DU NIL.
^Eitrait d'une lellre adress^e h la Commission centrale par M. Jomard .)
A la Stance du Zi mars, un de nos savants collogues
lut une int6ressante dissertation ayant pour objet de
retracer les efTorts tentt^s depuis les temps les plus
recul6s, pour d^couvrir la source du Nil ; sa conclu-
sion 6tait qu'il fallait la chercher au mont K6nia, sans
remonter le conrs du fleuve Blanc, h partir du point
atteint par M. d'Arnaud et la mission autrichienne.
Aussitot la lecture achev6e, je pris la parole pour
rappeler que depuis longtemps cette conjecture avail
6t6 6mise, et que je me f6licitais de voir un habile
g^ograpbe comme M. Vivien Saint-Martin confirraer
une opinion que j'avais d6ji eu Toccasion d'^noncer
h diverses reprises.
En effet, dans uije lettre que j'avais 6crite en 1857
sur le meme sujet k un savant Stranger, et dont j'ai
donn6 communication k la stance du 18 mars, se
trouve le paragraphe suivant :
« Quant au Nil Blanc, tout annonce que sa
source, ou du moins I'une de ses sources orienta/es,
n'est pas loin du mont K^nia, peut-6tre enCre le mont
(297 )
K^nia et le Kilimandjaro, si heiireusement d6couverts
par les r6v6rends Rrapf et llebmann. Vous savez que
depuis cette d6couverte j'ai toujours profess6 cette
opinion, que c'est lb. qu'on doit chercher cette tete du
fleuve, dont les Latins ont dit :
Nee contigit ulli
Hoc vidisse caput.
)) Bien plus, j'ai renonc6 a recommander la voie du
Nil meme, pour gagner, pour alteindre la source;
c'est la plus longue, la plus dangereuse, la plus diffi-
cile. J'ai donn6 des instructions dans ce sens b. des
voyageurs partant pour I'Afrique orientale ; je les ai
engages k prendre la voie de la mer Rouge, et a re-
monter I'un des aflluents de la mer des Indes entre le
1 " et le W degr6 de latitude sud : peu de jours suffiraient
pour atteindre le point chercli6. Ce qui m'a engag6 h
changer d'opinion pour cette recherche (qui m'a oc-
cupy depuis I'expt^dition francaise) , a abandonner le
plan que j'avais recommande pendant pr6s d'un demi-
sifecle au gouvernement 6gyptien, avec lequel vous
connaissez mes relations, c'est-a-dire remonter le Bahr-
el-Abyad jusqu'a sa tete : ce qui m'y a engag6, dis-je,
c'est la d6couverte du mont K6nia.
» Si cette montagne, plac6e h i degr6 1/2 sud environ,
est, en effet, couronn^e de neiges perp^tuelles (comme
je n'en doute pas, malgr6 les d6n6gations de plusieurs
savants distingu6s) , il faut bien que les eaux prove-
nant de \a fonte des neiges inf6rieures 5. la limite con-
nue, succulent en divers sens selon la configuration
du terrain. Or, celles qui s'6coulent vers le nord et le
(298)
nord-oiiest ne peuvent lumber que dans le bassin du
Nil; cela est incontestable. Se joignant aux pluies tro-
picales, ces caux forment une masse qni cxplique I'ac-
croisseraent peiiodiquc du ^'\\,&\x fleuve beni. J'ignore
s'il existe a cette latitude une chaine de moniu^nes,
une chaine propremcnt dite; 1' existence en a 6t6 con-
testae ; on peut admettre le pour et le contre ; il y a
des raisons pour en douter, il y en a de plus fortes
peut-etre pour les supposer ; mais quand il n'y aurait
que des montagnes isolees, si elles 6taient d'une alti-
tude suffisantc, elles pourraient nt^anmoins donner
naissance a de grands cours d'eau.
» Si Ton m'objecte que les eau.\ descendant du
mont K6nia ne peuvent pas expliquer I'immense crue
du Nil en Egypte, je r^pondrai qu'il ne faut pas ou-
blier le Bahr-el-Azraq, ni surtout le grand affluent que
d'Arnaud a decouvert en 1839, entre le 9" et le
10" degre nord, le Keilak, mal a propos appel6 par'
quelques-uns Bahr-el-Ghazal.
u En resum6, je ne serai nullement 6tonne d'appren-
dre qu'un voyageur sera bientot, ou est deja parvenu
i une des sources du grand fleuve, en atteignant le
mont Renia, ou le Kilimandjaro; c'est mon esperance
et ma conviction depuis plusieurs annees »
J'ai 6galement communique a la Soci6te, dang la
s6ance du 1" avril, une copie des instructions que
j'avais donnC-es, en mon prive nom, le 12 aout 1858,
it un officier de la marine impt'riale francaise partant
pour la mcr Rouge, lequcl m'avait demande dc lui
poser certaines questions au sujet des sources du Nil,
pour le cas oil il pourrait aborder en Afrique.
( 299 )
Void ce que je lui disais sur le point special en
question :
(( L' Europe, et la France surtout, ne sauraient trop
tourner leurs regards du c6t6 de ce continent myst6-
rieux, qui leur tient en reserve bien des surprises et
la solution de biens graves questions. Les hommes qui
ont 6tudi6 la mati^re travaillent depuis soixante ans k
provoquer, de ce c6te-\k, des excursions scientifiques
et 6conomiques, dans I'int^ret de I'liumanit^ tout en-
ti^re : R6ussirons-nous dans nos efforts ? C'est ce que
le temps nous apprendra.
» Depuis que je vois, k partir du 3' et du 4' degr6
de latitude nord, le Nil se r6tr6cir de plus en plus et
devenir presque innavigable, ma pens6e s'est tourn^e
d'un autre cot6 que le 30* m^ridien. Les derniers
voyageurs ont constats que des marchands venus de
Mombaz (mer des Indes, comme on dit) 6changeaient
des verroteries centre I'ivoire des Barry ; ces hommes
sont dits de couleur rouge, ce qui veut dire tout sim-
plement qu'ils ne sont pas des nfegres. II n'est pas sur
qu'un voyageur europeen pourrait suivre la merne
route, et arriver ainsi cliez les Barry ; mais il me semble,
d'aprfes les r6cits de Rebmann, que Ton pourrait, sans
de grandes difficult^s, remonter en canot, ou de pied,
Tune des rivieres qui arrivent k la mer des Indes, vers
le 1" et le 2* degr6 de latitude sud; on arriverait k la
vue du mont K6nia par 1 degr6 30' de latitude sud;
et qui pourrait bien r6ellement porter a la cime des
neiges perpetiielles. La visite du mont K6nia serait, k
elle seule , une grande d^couverte de physique, de
m6l6orologie et de geographic; surtout si de \k on
( 300 )
ponvait rejoindre le mont Kilimandjaro, qui est k deux
degr^s plus au sud, et qui olTre la nieine apparence
que le mont K6nia. II faudrait s' assurer qu'il y a la
une chaine continue a deux versants opposes.
» Je ne doute pas que la source la plus importante
du Nil ne soit de ce cOt(^ : on la cherche ou elle
n'est pas.
3) Le mont K6nia est la clef du probl6me, ou bien le
Kilimandjaro. Comme on connait la position exacte du
point de Combiran sur le Nil blanc, il est facile de
reconnaitre que les eaux qui s'6coulent au nord-nord-
ouest par suite de la fonte des neiges et par les pluies
tropicales, vers le mois d'avril, doivent se diriger de
ce cote. Voila en peu de mots les raisons qui me font
croire qu'il faut se diriger par la mer Kouge et sur
Mombaz, pour la solution du probl^me, et je ni'y suis
attach6 de plus en plus; c'est ce que j'ai indiqu6 en
termes g^n^raux dans une lettre a M. de Lesseps, sur
I'avantage que pr^sentera le canal maritime de Suez
aux voyageurs qui voudront p6n6trer dans Tint^rieur
de I'Afrique par I'Orient.
n J'ai lieu de penser que mon opinion sera gout^e et
partag6e, et que les explorateurs profiteront ainsi des
d6couvertes des PP. RebmannetKrapf. Depuis qu'elles
ont 6t6 publi^es dans le Churck-Dlissionnatj, etc., j'ai
constamment pens6 et pouss6 a cette nouvelle voie
comme la plus courte et la meilleure.
)) J'oubliais de dire qu'un capitaine anglais au ser-
vice du sultan de Mascate (aujourd'hui de Zanzibar)
declarait, il y a quelque temps, qu'il avail vu, 6tant
en pleine mer, une longue Ugue blanche au loin dans
( 801 )
I'ouest. Serait-ce Ik cette chaine couverte de neiges
dont je parlais plus haut ? »
Outre ces indications, qui demeuraient renferm6es
dans le cercle de correspondances priv6es, j'avais aussi
fait part au public d'une opinion qui me semblait m6-
riter son attention : il rae sera permis de rappeler la
preface du Foyage na Oudday\ relation traduite de
I'arabe du cheyhk Mohammed-el-Tounsy par le savant
D' Perron.
Dans cette preface, § VI, intitule Du haut Nil, on
lit le passage ci-apr6s (pages xliv a xlvi) :
<( Je crois superflu de parler ici du mont Rili-
mandjaro, situ6 a 4° sud, qu'ont apercu les r6v6rends
Rebmann et Krapf, et qui est couronn6 de neiges per-
p6tuelles, attendu qu'il n'est pas certain que la mon-
tagne ait un versant du c6t6 du nord-ouest ou de la
region du Nil. La distance est, d'ailleurs, bien conside-
rable. II n' en est pas tout afaitdememe diujiontKe/tia,
qui n'est qa'k 1° sud environ, et qui est 6galement con-
vert de neiges persistantes : il parait etre aussi plus
occidental que le mont Riliuiandjarb. Le fait de la
neige perp6tuelle sur cette montagne suppose une trfes
graiide Elevation, d'au moins liliOO metres (1). Or,
au-dessous de ce niveau, les neiges accumul6es doi-
vent fondre en totality a une certaine epoque, et ajouter
beaucoup a I'elTet des pluies p^riodiques. La regular! t6
du ph6nom6ne des crues ne saurait en etre derang^e,
puisque 1' epoque de la fonte des neiges est la meme
(1) Voir Comptei rendus de I' Academic des sciences, 1851, t. xiiii,
p. 221.
( 802 )
que celle i laqnelle tombent les pluies tropicales. S'il
en est ainsi, comme on pent le presumer, si le bassin
du INil se prolonge jusqu'au monl Kenia, Ic revers
septentrional de cette moutagne et de la chaine dont
il fait peut-etre partie, doit alimenter les sources
sup^rieures et leurs aflluents, et ce fait expliquera
Timmense accroissement que prend le Nil moyen
comme le bas Nil, apr^s le solstice d'6t6.
)) J'ai toujours soupconn6 un lac dans ces parages,
c'est-a-dire la ou Ton j)lace le mont K6nia, ou un peu
plus a I'ouest. Pourquoi ne serait-ce pas le lac meme
que les ecrivains arabes niettent sous I'ecfuateur
(Edrici, climat. I, section iv, etc.). In grand lac a 6t6
signals auvoyageur anglais Tuckey vers cette latitude,
k la Yf^rite plus a I'ouest. Or, les phiies et les neiges
fondues qui descendent du mont Renia, arret^cs dans
leur marche parun obstacle quelconque, suflisent pour
expliquer la presence d'un grand lac dans cette region ;
maintenant que ces caux en sortent et se dirigent vers le
nord, ef/es n out plus d' issue que par la vallee ihi Nil. »
L'ouvrage sur le Ouaday a 6t6 mis a I'impression
en 1850; le volume a paru en 1851; il s'agit, non
plus de correspondances privees, mais d'un li\Te pu-
blic il y a environ neuf ans, livre qui a obtenu 1' atten-
tion du public francais et 6tranger. C'6tait la premiere
relation importantc d'un voyage fait au royaume du
Ouaday (un volume in-8o, lxxv, et 755 pages) , pleine
de renseignements sur la topographic, sur I'histoire
du pays, sur les mceurs et les lois, les productions du
sol, le langage, le commerce, I'industrie, les cdrt^mo-
nies, les costumes et une multitude d'autres sujets,
( 303 )
sans parler des rapports de ce royaume avec les
royaumes voisins du Darfour et le Rordofan. II parait
done Evident que I'aiiteur de la preface du voyage au
Ouaday est le premier qui ait 6mis I'opinion qu'une
des sources principales du Nil Blanc (c'est-a-dire de
la raaitresse branche du grand fleuve) doit se trouver
vers le mont R6nia. Et il ne s'est pas born6 k avancer
cette opinion : ill'a fondle sur des considerations phy-
siques et g^ographiques dont la base est a peu prfes
incontestable.
Mes collogues me pardonneront d' avoir cru n6ces-
saire cette revendication de priority ; il m'a sembl6
que je ne pouvais me dispenser de garder pour moi la
responsabilit6 entifere de mon opinion pour le cas ou
elle viendrait k etre d6montr6e inexacte par la future
d^couverte ; et, si elle venait k se confirmer, je ne
*veux m'en pr^valoir que comme d'une conjecture un
peu bardie et sans autre pretention.
JOMARD.
PROCEEDINGS
DE LA SOClfiTfi ROYALE GfiOGRAPHIQUE DE LONDRES.
Le num^ro 2 du volume III de ces Proceedings vient
de paraitre ; il contient 1' analyse des stances du 22 no-
vembre et du 23 d6cembre 1858.
Dans la stance du 22novembre, la Soci6t6 a entendu
la lecture d'un m6moire intitule :
( 504 )
Notes geographiqiies et comriierciales recueillies pen-
dant le voyage du batiment de S. M. B. Furious, de
Shanghai an golfe de Petcheli et retour, par le capi-
taine Sherard Osborn, avec des instructions nautiques
par M. S. Court.
Ce ni6nioire donne des d6tails extreraement int^res-
sants sur cette partie de la cote de Chine, sur ses pro-
duits, sa population, le commerce que Ton pourrait y
faire, etc. On y trouve une description d6taill6e de la
riviere de Peiho et de la villede Tientsin.
Un faitassez curieux, cite dans ce m^moire, est celui
du d6placement de I'embouchure de la riviere Jaune
(Hoang-ho), qui se jetait autrefois dans la mer Jaune,
et qui, s'etant port^e au nord du cap Shantung, se
jette aujourd'hui dans le golfe de Petcheli.
On a lu ensuite un memoire du rev. ^^^ B. Clarke
de Sydney sur les rechcrches entreprises pour retrou-
verle voyageur Leichardt qui, parti enl8/i8pour une
expedition dans I'int^rieur de la Nouvelle-HoUande,
n'a pas reparu depuis cette 6poque. Deux expeditions
ont 6t6 envoy^es ti sa recherche, en 1852 et 1856.
M. Clarke pense que les indices que Ton avait cru re-
connaitre du passage de Leichardt ne peuvent pas se
rapporter a lui, et qu'on doit le chercher a Test du
i/i8' mtridien (de Greenwich).
Cette lecture a donn(!i lieu k une discussion a laquelle
ont pris part, le capitaine Byron-Drury, I'amiral Fitz-
Roy, lord Churchill et d'autres membres, sur les moyens
i prendre pour explorer la Nouvclle-Hollande, sur la
salubrity du pays et la possibilit6 de son exploitation
par des Europ6ens.
( 305 )
Dans la stance du 23 decembre, il a 6t6 donn6 lec-
ture d'un m6nioire sur la rivifere Amur et les pays
adjacents, par MM. Peschurof, Vasilief, Radde, etc.
Ge m^moire est un extrait des rapports faits a la
Soci6t6 de G(!!Ographie de llussie sur les dill'erentes
expeditions qui ont 6te envoyees pour explorer ces con-
tr6es.
Le capitaine CoUinson, qui a pris la parole aprSs
cette lecture, a cru devoir exprimer son admiration du
soin avec lequel cette exploration a 6t6 faite. « Quoique,
» dit-il, je puisse ressentir quelque jalousie nationale
» de voir I'acquisition d'un si vaste territoire faite par
» une puissance dont les possessions en Europe et en
)) Asie sont d^ja si 6tendues, en quality de g^ographe
» je ne puis que me r6jouir de voir ces contr6es ou-
» vertes aujourd'hui k la civilisation : et bien qu'il ne
» nous soit pas 6chu d'y remplir les fonctions gouver-
)) nementales, cependant je suis persuade que cette
» route ouverte jusqu'au centre de I'Asie pr6sentera un
» nouveau d6bouche au commerce anglais. »
On a lu ensuite un memoire intitule :
Explorations dans la republiqne de I'Equateur, exe-
cuteesen 1856 et 1857, parM. G. J. Pritchett.
La route actuellement suivie pour se rendre de Quito,
capitale de la republique de 1' Equate ur a 1' ocean Paci-
fique, traverse les Andes aupr^s du Gliimborazo, et
aboutit a Guayaquil; elle oflre a I'ceil une suite de vues
magnifiques, mais elle pr^sente, comme route com-
merciale, des difficult6s 6normes. M. Pritchett a cher-
che une autre route plus directe pouraboutir^l'Oc^an ;
il a suivi pour cet effet la riviere Mira et est arrivt^ au
XVII. AVRIL. 6. 21
( 306 )
port de Tola situ6 prfes de Pailon (1). Lc plan de ce
dernier point avait 6t6 lev6 il y a qnelques ann^es, et
sa position trouv6e tr^s favorable ; une route avait menie
6t6 commenc6e, mais elle a 6t6 abandonn^e.
M. Pritchett parcourut ensuite en canot la province
de Cuenca et la riviere des Amazones, et enfin il suivit
la rive nord de la riviere Pastaza, un des tributaires de
I'Amazone et qui est navigable pour des navires de
SOO tonneanx jusqu'a une distance de moins de
150milles de Quito ; « en sorte que Ton pourrait dire,
fl fait-il observer, que cette capitale est plus facilemcnt
» accessible du cote de rOc6an atlantique que de celui
» de rOc^an Pacifique. »
Cette lecture a et6 suivie d'une discussion qui a roul6
principalement sur les limites desr(5publiques de I'Equa-
teur et du Pt^rou, et del'empire br^silien ; ainsi que sur
la n6cessit6 que le vaste fleuve des Amazones soit con-
sidf^r6 comme un long port dont la navigation ouverte
h toutes les nations ne soit pas restreinte aux seuls
batiments br^siliens et p6ruviens.
Daussy.
(1) Ce point est 8itu6 par 1° 7' de latitude nord et 76* 45' de lou-
fitudeouest.
( 307 )
Acteis dc la Society
EXTRAITS DES PROCES-VERBAUX DES Sl!:AISlCES.
Seance du 1" avril 1859.
M. le professeur Parlatore, de Florence, admis
r6cemment dans la Soci6t6, lui adresse ses remerd-
ments et proniet de concourir a ses travaux.
M. Alex. Keith Johnston, menibre de la Soci6t6, k
fidimbourg, Ini fait don de la premiere livraison de
son atlas royal de g^ographie moderne, et lui annonce
la suite de cette publication.
M. le D' Wappaus, correspondant de la Soci6t6 h.
Goettingue, lui fait hommage du premier volume de
son Jllgeineine Bei'olkerwigs Statlstik.
M. tlie de Beaumont, s^nateur, secretaire perp6-
tuel de rAcad6ime des sciences, est admis dans la
Soci6te sur la proposition de .MM. Jomard et Daussy.
M. de la Roquette annonce qu'une lettre datee de
Londres, 17 mars 1859, lui apprend que des rensei-
gnements officiels parvenus par le dernier courrier
[the last vinil) a la Compagnie des Indes orientales,
font connaitre en ces termes le meurtre d'Adolphe
Schlagintweit, I'un des trois fr^res qui viennent de
terminer avec tant de succfes Fexploration de I'lnde et
des r6gions de la haute Asie au noi'd et k I'ouest de
r Himalaya : « Le sort de M. Adolphe Schlagintweit
( 308 )
» est confirmd', et il paralt maintenant qu'il a 6t6 as-
)) sassm6 de la inanitjre la plus barbare a Kashkar par
» un Sindy lanalique appele AVollee-Kliaii. Ce qii'on a
» pu recueillir de lui consiste en quelques fragments
)) de papiers et uu telescope de poclie bris6 qui ont el6
» transmis k sa famille. »
M. Jomard doniie communication : 1" D'une lettre
qu'il a 6crite, il y a plusieurs ann^es, a im savant an-
glais, memhi'e de la Soci6t6 royale geographique de
Londres, relativement a la nouvelle direction a donner
aux recherclics des sources du Nil ; 2° De questions sur
le raeme sujet qu'il a adressees, le 12 aoiit 1858, a un
officier de la marine imperiale partant poiu' 1' Arabic
par la mer des Indes. — Ces deux pieces sont depos6es
sur le bureau.
M. de la Roquette annonce que la Commission du
concour^ an prix annuel, dont il est rapporteur, a ac-
cords la grande m6daille d'or destin6e par la Society
h r6corapenser la d^couverte la plus importante en
geographic, a MM. Adolplie, Hermann et Robert Schla-
gintweit, voyageurs, naturalistes et physiciens bava-
rois, pour leurs explorations du Tibet et du Turkestan
oriental, et pour Ics decouvertes qu'ils ont faites b.
I'ouest, au nord et au nord-ouest des monts Himalaya.
Le rapport sera lu a la s6ance g^nerale. '
M. Jomard annonce que Ton vicnl de traduirc en
anglais et de publicr le premier voyage des Francais
en Chine en 1098. Cette relation avait, au commence-
ment du xviir siecle, paru en francais dans un volume
devenu assez rare aujourd'hui. La traduction anglaise a
L't6 faite a Londres d'apr{;s un manuscrit du temps par les
( 309 )
soins de M. Saxe-Bannister. Une Edition allemande doit
paraitre a Berlin sous les auspices du l)aron de Hrmil)oldt.
Enfin, Ton s'occupe d'une nouvelle Edition francaise,
pr6c6d6e des documents qui se rapportent a la mission
ordonnee par Louis XIV, sur le vaisseau V Ampldtrite,
command^ par le chevalier de Laroque. Le voyage
dura trois ans. L'empereiir de la Chine accueillit par-
faitement le Pfere Bouvet, M. de Laroque et tons les
Francais de 1' expedition, ainsi que le peintre Gherardini
qui 6tait a bord.
M. Daussy pr6sente une analyse succinate des prin-
cipaux documents ins6r6s dans le n° 2 du volume III
des Proceedings de la Societ6 royale g^ographique de
Londres.
M. le secretaire general exprime, a cette occasion,
dans I'interet du Bulletin, le d6sir de voir ses collfegues
suivre I'exemple de M. Daussy.
Proces-i'erbal de la seance i>enerale da 8 ai>ril 1859
b^
A huit heures et un quart, M. de la Roquette, vice-
president de la Societe, en 1' absence de M. le general
Daunias, president, commandant le camp de Luneville,
ouvre la stance,
M. Buisson, secretaire, lit le procfes- verbal de la
derniere seance generale.
M. de la Roquette olTre a la Societe une notice bi-
bliographique sur le professeur et voyageur norvegien
Keilhau. Un ouvrage ayant pour titre : Madagascar,
( 810 )
possession francaise clejmis lGi2, par M. Barbi6 du
Bocage, menibre de la Commission centrale, et line
Carte de Pile de Madagascar, par M. Malte-Brun, secre-
taire adjoint de cette meme Commission, sont ensuite
d6pos6s sur le bureau au nom de leurs auteurs.
M. Jomard, president de la Commission centrale, lit
une courte notice sur la fondation r^cente d'une Soci6t6
de G(^ographie h. Geneve. II rappelle que la Soci6t<^ de
G6ograpliie de Paris fut la premit;re 6tablie, en 1821,
dans I'intention de provoquer et encourager les d6cou-
vertes; en 1829 fut cr66e la Society g^ographique de
Londres; puis, successivement, cellos de Francfort,
Berlin, Bombay, Saint-P6tersbourg, Darmstadt, Vienne,
New-York, et enfin celle de Gen6ve. La Soci6t6 de
Paris appelaitau meme litre les Strangers et les natio-
naux, pour 1' aider dans son entrcprise. Aujourd'bui que
la plupart des nations civilis6es ont adopts le m^me
plan, notre Soci6t6, tout en continuant d'etre cosmopo-
lite, et de distribuer ses prix aux Strangers comme aux
Fran^ais, doit moins compter sur les associ<§s du dehors
et faire surtout appel a nos compatrioles. Les Soci6t6s
de Fiussie et d'Anglelerre, jouissant d'une grande pros-
p6rit6, hautement prot6g<5es, richement dot^es par les
princes, ont pu r6compenser de la mani^re la plus
6clatante les voyages de d^couvertes, entretenir des
explorateurs , leur fournir des instruments, publier
leurs cartes et relations de voyages. Ce n'est pas, dit
en terminant M. Jomard, le patriotisme fran^ais qui
restera en arri^re dans cette entreprise de bien public :
personne n'ignore quels fruits peut produire pour le
( 311 )
commerce et les sciences, I'extension des d^couvertes
et des connaissances g6ographiques.
M. le president lit les iioms des membres admis dans
la Soci6t6 depuis la derniere seance g6n6rale. Ce sont :
MM. lilie de Beaumont, secretaire perp6tuel de 1' Aca-
demic des sciences ;
Himly, professeur suppliant de g^ographie k la
Faculty des lettres ;
Alfred Jacobs, docteur 6s lettres, archiviste-paieo-
graphe ;
Le D' Padilla, professeur a 1' University de Gua-
temala ;
Le professeur Parlatore , directeur du Mus6e
d'histoirenaturelle de Florence ;
Le D' Poyet, m^decin a Routschouk ;
Alfred Rousseau, consul de France h Djeddah ;
Ernest Saillard, attache au ministere des Affaires
ihrang^res.
M. Ed. Charton, ancien conseillerd'Etat, est presents
par MM. d'Avezac et G. d'Eichthal pour faire partie de
la Societe.
M. de la Roquette, comme rapporteur de la Com-
mission du prix annuel, fait connaitre que cette Com-
mission a decerne lagrande medaille cFor dela Society,
pour I'annee 1856, a MM. Schlagintvveit. II litun apercu
de leurs explorations dans THindoustan, le Tibet et le
Turkestan oriental, et annonce que des renseignements
officiels, r6cenmient parvenus en Angleterre, ont mal-
heureusement coufirm6 la nouvelle de la mort de I'un
d'eux, M. Adolphe Schlagintvveit, assassin^ par un fana-
( 312 )
tique, a Kashkar. La Comniission, tout en d^cernantla
grandc n.^daille iALM. Sclilagintweit, reserve les droits
du D' Vogel et du capitaine IJnrton,
M. Vivien de Saint-Martin, meudjre de la Conmiis-
sion centrale, donne ensuitc lecture d'un travail ayant
pour titre : La JlecJierche des sources du A7/. Apr^s avoir
rappele les connaissances des anciens et des Arabes,
et fait riustorique des nombreuses explorations dontla
rdgion parcourue par ce fleuve a 6t6 I'objet, tant de la
part des voyageurs que de celle des missionnaires et
des commercants, M. Vivien de Saint-Martin constate
qu'il est heureux de s'etre rencontrd avee M. Jomard,
pour conseiller de tenter la recherche des sources du
Nil, non plus en remontant le fleuve, niais bien en
partant de la cote d'Afrique sur I'Ocean indien, pour
de \h gagner la fhahie neigeuse d^couverte par les
reverends Krapf et Rebmann, et qui, selon toute pro-
bability, renferme les sources clierch6es.
M. le comte d'Escayrac de Lauture, membre de la
Commission centrale, lit une notice sur le Dar-Four,
et le voyage que fait pr6sentement en ce pays
M. le D' Cuny. Longtemps medecin en chef de la pro-
vince de Siout, en communication continuelle avec des
Fouriens, M, Cuny avait fait proposer au sultan du
Dar-Four, de Taller voir ; inais les marchands refusc;rent
de rcmmencr. Loin de se d^courager, M. Cuny s'alfer-
mitdans la rt'solution de visiter ce pays, etM. d'Escay-
rac, lorsqu'il quitta I'Egypte, I'engagea fortement h y
perseverer. II fut convenu qu'au lieu de se joindre i la
caravane, il remonterait le Nil jusqu'en Nubie, se rcn-
drait de 1^ k L'obeidh, a sept journ6es du Dar-Four, et
( 313 )
y attendrait une occasion favorable. Des lettres de lui,
dat6es de L'obeidh, 25 mai 1858, recues il y a peu de
jonrs, annoncent qu'il partait le lendemain. Dans un
long m^moire 6galement adress6 par M. Cuny, outre
des observations de toute nature, Ton trouve la des-
cription des oasis du Gab, et I'indication, d'apr^s les
rapports des indigenes, d'un volcan situ6 k Wadi Had-
jiar dans la haute Nubie, et qui aurait eu quelques
Eruptions j usque dans ce sifecle; il mentionne aussi un
prolongement de la valine appel6e Bahar-el-Ghzal qu'il
nomme Wadi-el-Mek, et par lequel le Soudan oriental,
k r^poque de pluies exception nelles, diverse ses eaux
dans le Nil a une faible distance de Dongolah. Esp6-
rons, dit M. d'Escayrac, que M. Cuny nous enverra de
nouvelles pages, faisons des vceux pour que son entre-
prise r^ussisse et qu'il puisse revenir au milieu de nous.
M. le president procMe ensuite au d^pouillementdu
scrutin qui a eu lieu au commencement dc la s6ance,
et proclame 61us membres du bureau de la Soci6t6 pour
1859 :
President : M. filie de Beaumont.
Fice-presiclents : MM. De Quatrefages.
Vivien de Saint-Martin.
Scrutateurs : MM. Demersay.
Jacobs.
Secretaire : M. Barbi6 du Bocage.
(3U)
Seance du 15 avril 1859.
M. d'Avezac, vice-president, occupe le fauteail en
I'absence de M. Jomard, qui s'est excused de ne pouvoir
assister h. la sdancc.
II est donn6 communication du procfes-verbal de
rassembl6e g^n^rale du 8 avril, qui doit etre imprim6
dans le Bulletin.
M. Elie de Beaumont, secretaire perp6tuel de I'Aca-
demie des Sciences, adresse ses remerciments k la
Society qui vient de I'Slire son president ; il fera, 6crit-il,
tons ses efforts pour justifier cette distinction, et pretera
aux travaux de la Soci6t6 le concours le plus em-
presse.
M. le docteur Mariano Padilla, de Guatemala, admis
r6cemment dans la Society, lui adresse ses remerci-
ments pour cette nomination et promet de lui comniu-
niquer tons les documents qui pourront I'interesser
sur le pays qu'il liabite,
M. Malte-Brun annonce a cette occasion que
M. I'abbe Brasseur de Bourbourg vient de partir pour
rAm6rique centrale, et qu'il se propose de demander
i.M. Padilla la communication de ses travaux statis-
tiques sur le Guatemala.
Le mSme membre communique, d'aprfes le compte
rendu d'une des stances de la Society geograpliique
de Berlin, quelques details sur la dernifere excursion
du D' Bartb en Asie Mineure, et il depose sur le bureau
une note de M. Jules Laroche, de Clermont-Ferrand,
( 315 )
Sur les communications a etahlir entre l^Jlgerie et le
Senesal.
M. d'Avezac donne lecture d'une note que lui a re-
mise M. Jomard, et dans laquelle I'lionorable president
de la Commission centrale rappelle qu'il a le premier
6mis I'idee developp6e r6cemment par M. Vivien de
Saint-Martin dans une int6ressante lecture sur la nou-
velle direction h donner k la recherche des sources du
Nil. Cetteid^e, il I'a 6nonc6e, il y a neuf ans, dans la
preface du voyage au Ouaday du cheikh El Tounsy.
M. Vivien de Saint-Martin s'empresse de declarer
que loin de m6connaitre, pour sa part, la priority de
M. Jomard sar le point dont il s'agit, il I'a, au con-
traire, formellement rappelee dans son m(§moire sur la
Recherche des sources duNii, lu k I'assembl^e g6n6rale
du 8 avril, et que ce passage, compris dans. les cou-
pures que n6cessite la brifevet6 d'une lecture a haute
voix, sera naturellement imprim^ avec le m^moire
dont il fait parlie. La seule part que M. Vivien tienne
a revendiquer comme sienne dans cette question, c'est
le rapprochement des indices concordants recueillis
en deux points opposes par les voyageurs Verne et
Rrapf, et qui lui paraissent amener a I'^tat de demons-
tration ce qui n'avait 6t6 jusqu'alors qu'une con-
jecture.
Aprfes diverses observations 6chang6es entre MM. Pou-
lain de Bossay, Maury, d'Avezac, dela Roquette et Albert
Mont6inont, la Commission centrale reconnait que le
sujet est assez hit^ressant pour justifier I'impression
au Bulletin des divers passages que M. Jomard desire y
voir insures, cette insertion n'impliquant d'ailleurs,
( 316 )
ni au fond ni en la forme, aucune id6e de controvcrse.
M, le chevalier de Paravcy adressc i la Soci6te iin
m6moire surquelqiies points do la g6ographie de I'Asie
cent rale.
M. le secretaire lit la liste des ouvrages deposes sur
le bureau. D'autres dons laits par divers membres,
dans le cours de la s6ance, sont ajout6s a celte liste.
M. fidouard Charton, ancien conseiller d'Etat, est
admis dans la Soci6t6.
M. Vivien de Saint-Martin donne lecture d'une note
de M. Ami Boue, adress6e a M. Yiquesnel, ct conte-
nant 1' analyse d'un livre alleniand sur la constitution
sociale des peuples slaves. — Ucnvoi an Bnllcim.
M. Henri Duveyrier, present i la stance, entretient
la Soci6t6 de son projet de voyage en Afrique. Ce jeune
voyageur, muni d'instruments , of pr6par6 a cette
grande entreprise pnr de pr6c6dentes excursions aussi
bien que par des Etudes sp('3ciales, se propose de p6n6-
trer dans le centre du Sahara, de visiter plusieurs con-
tr6es int6rieures de TAfrique, et d'op^rer son retour
soit par le Maroc, soit par Tunis ou I'Algerie.
La Soci6t6 entend cette communication avec beau-
coup d'int6ret, adresse quelques conseils a M. Duvey-
rier, en lui souhaitant tout le succ^s dont son entre-
prise lui parait digne.
I (^ y e '• '
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JHota: On a /ajss^ a'te 7fyvn.y dp lieur
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'''■''f'''n''11fll'^'M,i||(^|lllllM^VM«'
■'jiKlr' ifr (rrt'qruf^i/.
f.'-,<.,,t r r.^„. />„,
( 317 )
OUVRAGES OFFERTS A LA SOCIETlL
STANCES d'avril 1859.
Tilres des ouvrages. Donateurs.
EUROPE.
Collection de documents in^dits sur rhistoire de France, publies par
les soins du niinistrc de Tinstruclion piiblique : Mdnioires do
Claude Haton contenantle r^citdes dveneinents accomplis de 1553
h 1582 principaleraent dans la Champagne et la Brie, publics par
M. Felix Bourquelot, Paris, 1857, tome I et II, in-4. — Cartulaire
de I'abbaye de Saint-Victor de Marseille, public par M. Gu6rard,
membre de I'lusiitut, tomes I et II, iu-4, Paris, 1857. — Recueil
des lettres missives de Henri IV, public par M. Berger de Xivrey,
membre de I'lnstilut, tome VII, in-4, Paris, 1858. — Lettres, iu-
jtructious diplomatiques ct papiers d'Etat du cardinal de Richelieu,
recueillis et publics par M. Avenel, tome III, in-4, Paris, 1838. —
Histoire de la guerre de Navarre en 1276 et 1277, par Guillaume
Anelier, de Toulouse, publi^e avec une traduction, une introduc-
tion et des notes par Francisque Michel. Paris, 1856, 1 vol. iu-4.
M. LE MlNISTKE DE l'iNSTRUCTION PUBUQUE.
Geographic hintorique de la France. — Le Pagus aux dilT^rentes ^po-
ques de notre histoire, par M. Alfred Jacobs, docteur es lettres,
archiviste pal6ographe. Paris, 1859, br. in-8. M. A.Jacobs.
ASIE.
Description de FAmour, observations hydrographiques et ethnogra-
phiques, par M. Peichtschurorr. Extrait, in-8.
M. le capilaine Le Grai.
• ( 3^8 )
Titres des ouvrages. Donateurt.
AFRIQUE.
Madagascar, possession francaise depuis 1642, par V.-A. Barbie du
Bocage. Ouvrage accompagn^ d'une graude tarte dress^e par
M. V.-A. Malte-Brun. Paris, 1859, 1 vol. iu-8.
M. Babbie dd Bocagr.
OUVRAGES GfiNfiRAUX, MELANGES.
Allgemeine Bevolkcrungs Stalislik. Vorlesungen von D' J.-E. Wap-
piius, 1"' vol. Leipzig, 1S59, in-8 M. le D' Wappaus.
Explanations and sailing directions to acconipagny the' wind and cur-
rent charts, approved by captain D. N. lugrabam, chief of the bu-
reau of ordnance and hydrography, and published by aulority of
hon. Isaac Toucey, secretary of the navy, by M.-F. Maury, super-
intendent of the U. S. observatory and hydrographicul office,
vol. I, 8* 6dit. Washington, 1858. M. F. Maury.
Mer duNord. 1" panic, Les ties Shetland et les tics Orcades. Tra-
duction du pilote public par ordre de rAniiraule anglaisc, par
M. A. Le Gras, capitaine do frdgate. Paris, 1858, 1 vol. in-8,
M. A. Le Gras,
£tude des isthmes de Suez ct de Panama. Reduction au quart du
temps et des ddpcnses de leur ouverlure, par F.-N. Mellet, iug6-
nieur civiL Paris, 1859, br. in-8, M. Mellet.
Tableaux de population, de culture, de commerce et de navigation,
formant, pour Tannde 1855, la suite des tableaux insdrds dans les
notices statistiques sur les colonies fraufaises. Paris, 1858.
MiNISTURE DES COLONIES.
Fragment d'un mdmoirc sur I'histoire de I'astrologie et de la magie
dans I'antiquit^ ct au moyen age, par M. Alfred Maury, menibro
dcl'lnslitut. (Eitrait do la Revue archeologique.) Paris, 1859, br.
ia-8. M. A. Macbv.
( 31» )
Tilres des ouvrages. Donateun.
Notice biographique surlavie el les travaux du professeur norwdgien
Keilhau, par M. de la Roquette, br. in-S, 1858.
M. DELA ROQCGTTB.
ATLAS ET CARTES.
Royal Atlas of modern geography exhibiting, in a series, of entirely
original and authentic maps, the present condition of geographical
discovery and research in the several countries, empires, and states
of the work) with a special index to each map, by Alexander Keith
Johnston. Edinburgh and London, 1839, 1"' partie, 5 fcuilles avec
texte. M. Alex. Keith Johnston.
Carte de la Gaule ancienne, dressde par Dufour, feuille 5 de I'Atlas
universel de gdographie ancienne et moderne.
MM. Paulin et Le Chevalier.
Carte de I'Ue de Madagascar, par V.-A. Malte-Brun. Paris, 1859,
1 feuille. M. V.-A. Malte-Brdh.
MEMOIRES DES ACADEMIES ET SOClfiTes SAVANTES,
RECUEILS PERIODIQUES.
Miltheilungen der Geographie von D' A. Pctcrmann, n° 13 de 1858
etn° 2 del859. — Mittheilungen der kaiscrlich-koniglichen geo-
grapbischen Gcsellschaft, von Franz Foetterle, n"' 2 et 3 de 1858.
— Zeitschrift fur allgemciae Erdkunde, Janvier et fevrier. — Pro-
ceedings of the royal geographical Society of London, n" 2.— Journal
of the Franklin institute, mars. — Annales du commerce extdrieur,
Janvier et fevrier. — Nouvelles annales des voyages, mars. — Bul-
letin de la Society g6ologique de France, mars. — Bulletin de la
Soci6t6 impdriale 2ooIogiquo d'acclimatation, mars. — Revue de
rCricnt, de I'Algerie et des colonies, mars. — Revue aradricaine et
orientate, Janvier, fevrier et mars. — Nouvelles annales de la ma-
rine cl revue coloniale, Janvier. — L'luvestigateur, jourual de
riuslitut historique, Janvier et fevrier. — Annales de la propaga-
( 320 )
Tiires des ouvrages. Donateurt.
tion de la foi, mars. — Journal des missions ^vang(?liqucs, mars.
— Journal d'cduration populairc, mars. — Exlrait des travaui de
la Soci^t6 centrale d'agriculturc du departomeiit de la Seine-Infe-
rieure, 1", 2* et 3* Irimeslres 1838.— L'lslluue de Suez, n° 67. —
L'Esperauce, journal grec.
LeS ACTEDBS et LES E0ITEUB3.
BULLETIN
DE LA
SOCIETE DE GEOGRAPHIE.
MAI ET JUIN 1859.
Memoirets, I^otices, ete.
ETUDES
6UR LETimOGRAPHIE, LA PHYSIOLOGIE, l'aNATOMIU
ET LES MALADIES
DES RACES DU SOUDAN.
Eu r^pouee a diverses questions pos6es par I'Acad^mie des sciences,
Par M. Peney,
M^deciii en chef de laimee du Soudan.
Sous la denomination de Beled-el-Soudan on pays
des Noirs je d6signe ici les contr^es comprises entre
la premiere cataracte et le h" degr6 de latitude nord,
contr6es seules connues des voyageurs europ6ens et
dans lesquelles ont p6n6tr6 les armees 6gyptiennes ;
entre la mer Rouge, I'Abyssinie et les provinces Galla,
al'ouest ; le royaume de Four et le Fertitt, a Test. Cette
vaste etendue de terrain constitue le Soudan 6gyptien.
Elle est habitue par une population variee, qui, par
XVII. MAI ET JUIN. 1. 22
( 522 )
ses melanges el se.-? cruiseinems. a duiino lieu a, tie
uouvelles races, oli'iaiit une vari^te cle types infinis.
Ce])eu(laiit, an milieu de ce melange, on distingue en-
core les origines primitives des habitants du Soudan,
inoins il est vrai jiar les caracteres analomiques que
par le langage et les liaditions qui se sont conserves
jusqa'aujourd'hui.
En classant les popuk'ifibns du Soudan d'apres leurs
oiigines, on les distingue d'abord en deux grandes ca-
l^gories : 1" indigenes ou alricaines ; 2" 6trangeres ou
asiatiques. Parmi les premieres on comptc, en com-
mencanl j)ar la basse Nubie, et en remontant les rives
du JN'il :
1° Les C/ic//a/j-, riverains tlu (Uiellal ou catariictes;
Les Mahass, liabitant la proAince du meme now ;
Les Danag/a, residant dans le Dongolah ;
Les Jl/abclah, 6cbelonnesau-dessous d' Assouan, sui
les rives du Nil, et remontant jusqu'a la province de
Berber. Bienqu'ilsse pretendent d'origine 6gyptienne,
les Ababdah semblent moulds sur le type des Nubiens,
et doivent etre classes avec eux, a. cause des nombreux
points de ressemblance qu'ilsont avec ces peuples. Ces
ditft^rentes peuplades possfedeiit des idiomes, variant
suivant les localit6s, mais qui derivent d'une langue
unique, dont on retrouve encore les restes non-seule-
ment dans la Nubie, niais dans toute la province de
'faka, ancienne ile de Meroe;
Les hyc/mryn/i, ancieus Blfriuieli, quon rencontre
avec leurs drouiadaires, dans toutes les valines entre
le Nil et k mer Rouge, depuis la liauleur d'A>s la sejilicme ann^c, c'est-ii-diro.
apres I;! cinite ties dents de lait et la sortie des dents
pennaneiites : le vide qui s'optre dans cette partie sub-
siste, par consequent, pendant toute la vie.
Cette coutunie, qui senibla si otrange aux premiers
explorateurs du flenve Blanc, fat inlerpret6e, coninie je
I'ai dit, de beaucoup de nianiferes. Quolques-uns, et ce
I'nl la majority, crnrent y voir une c6r6monie religieuse
analogue au baptemc on k la circoncision ; d'autres
prc^endirent que cette operation avait pour but d'^vitei-
les blessures qui pourraient se produire ])endant I'acte
du coit, assiinilant de la sorte les caresses des N6gies
a celles des chats, lorsque ces animaux se livrcnt ;i
leurs ('bats amoureux. Cette derni^re explication, (onte
ridicule qu'elle paraissc, pouvait cependant seinbler
rationnelle aux voyageurs qui sont au coiu'ant de cer-
taines habitudes des indigtjnes du Soudan, habitudes
consistant a laisser pousser dejnesur^ment les ongles
de la main gauche pour les fairs servir ii iniiter les
caresses f6lines, et k assaisonner de coups de grilles les
jouissances liibriques.
Cependant, hatons-nous de dire que la crainte des
morsures n'entre ])Our rien dans les raisons qui uioti-
vent I'extraction des dents ; et ces raisons, que les N6-
gres eux-memes sont inca])ables de vous indi([ucr, et
qn'on a pu rattacher a (|ucl([ue cer6nionie icbgieuse.
ne sont autres, d'apres moi, que celles que j'.ii men-
tiounc'^es, c'est-a-dire la mauvaise conlorniolion des
niJichoires dans les tribus parnii lesquelles se pi'atiqiie
l'op(;^ration indicpioc pr^cedeuinienl.
( 3^7 )
Si les IJinka, les Schlouks, les Barry et antres s'arra-
chent (lea dents pour laisser fonctionner plus corunio-
(leiuent leurs machoires, d'autres peuplades, dans un
but a pen pr6s semblable, mais dans des conditions dil-
ferentes, faconnent leurs dents a I'aide de la lime, d(^
maniere a donner aux incisives des deux machoires la
forme aigue des dents canines.
Les Fertitt et d' autre tribus r^pandues sur les rives
du Bahr-el-Ghazal (un des affluents du fleuve Blanc)
ont invent^ ce singulier usage qui, du reste, s'adajite
paifaitement a I'habitude qu'ont ces peuples de se
nourrir de chair crue, et meme de chair humaine, en
admettant comme fondee la reputation d'anthropo-
phages dont ils jouissent ainsi que leurs voisins.
Niamninm est la qualification que donnent aux an-
thropophages les Arabes et les indigenes du Soudan.
Ce n'estpas un nom de tribu ni de province : il signifie
encore moins hommes h queue, comme on I'a pretendu.
Niamniam est un terme soudanien qui exprime Faction
de manger. On I'a applique par extension aux nian-
geurs par excellence, c'est-a-dire aux anthropo])hages.
Doit-on atlmettre, comme le racontent les Arabes, que
I'interieur de I'Afrique recele un grand nombre de
niamnmm, de peuplades anthropophages ? Les Arabes,
il est vrai, sont de grands conteurs, pour me servir ;i
leur 6gard du terme le plus poll que je puisse trouver.
dependant, bien qu'il faille se tenir en garde centre les
r6cits des enfants d'Ismael, ineme de ceux qui habitent
le Soudan, des renseignements r6cents semblent indi-
quer positivement I'existence de peuplades aulhro])o-
phages dans les contr6es m6ridionales qui avoisinent
le Darfour; et, I'ann^e derni^re, unecaravanc de Nii-
( 3fl8 )
biens qui voyageait dans ces conlrc^os pour le comptP
d'un n6gociant europeen pretend avoii- assiste a un
repas dans lequel on offrit aux convives des memlires
huniaius.
II est done possible cpie les Fertitt ou leurs voisins,
aux incisives aigues conime les premiers, ne se fassent
pas scrupule de manger de la chair humaine, quand
I'occasion se pr6sente. Le gout prononc6 de ces peu-
plades pour la chair crue semblc venir, jusqu'a un
ceitain point, a I'appui de la reputation qu'on leur a
faite; et, l)ien que les Fertitt (pi' on rencontre dans le
Soudan 6gyptien protestent gen6ralenient contre cette
reputation , comme ils rejettent d'un autre cot6 sur
leurs voisins 1' accusation d'antluopophagie, il faut ad-
mettre I'existence de tribus anthropophages dans les
contr6es limitrophes dn sud du Darfour, si ce n'est
dans d'autres parties de TAfrique.
Puisque le sujet m'a conduit aparler des niainniam,
dont on a voulu faire mal a proposle synonyme d'/iommes
a queue, je dirai deux mots de ces pr6tendus porteurs
de ])rolongements coxaux, qui ont excit6 la curiosity do
bien des gens, et qui ont 6t6 le sujet d'une question
formulae, il y a deux ans, par une commission de I'A-
cademie des sciences aux membres de I'exp^dition
d'Afriqiie command6e par M. le comte d'Escayrac. Bien
que, pour ma part, j'aie souvent cntendu racontei- au
Soudan des histoires d'/iommes a queue , et encore
d'autres exploits d'une tribu non moins extraordinaire
nomm^e Abou-Kilab (dont les p6res sent chiens) (1),
comme ces histoires ne sont que des variantes plus ou
(1) Ou plutdt ressemblant aux chiens.
( U9 )
moins drolatiques de tons les contes arabes, je n'ai ja-
mais era devoir m'occuper de ces extravagances. Ce-
pendant, comme I'existence d'individus a queue a et6
annoncee et attest6e iion pas seulement par des Arabes,
mais par des voyageurs europ6ens qui se sent fails les
echos de ces bruits 6tranges, j'ai du rechercher les
causes qui avaient pu donner lieu a une croyance qui,
bien qu'en contradiction avec les faits observes jusqu'a
ce jour, n'en devait pas moins reposer sur quelque
fondement plus ou moins mal assis.
Or voici, je le suppose, ce qui a pu donner lieu a cette
fable : parmi les nombreuses peuplades noires qui lia-
bitent I'Afrique centrale, et qui sont g6n6ralemeiit de-
pourvues de vetements, quelques-unes recouvrent les
organes g^nitaux a I'aide d'un morceau de peau : car
les tissus de fil ou de coton sont inconnus chez elles.
D'autres laissent ces parties tout a fait a d6couvert :
quelques-unes enfm, soit qu' elles cachent ou qu' elles
exhibent les organes sexuels, attachent a la partie in-
f^rieure du tronc une ceinture en peau, laquelle se ter-
mine par derri^re par une v6rible queue de bete fauve
ou d' animal domestique. Les premiers Strangers qui
apercurent ces sauvages, et qui, probablement, n'os6-
rent pas s'aventurer jusqu'au milieu d'eux , devaient
supposer que I'appendice caudal qu'ils voyaient'a dis-
tance 6tait nature!.
lis raconterent a d'autres le phenomene qu'ils avaienl
eu devant les yeux : I'histoire se r6p6ta, et I'existence
des liommes a queue passa bientot pour un fait avere.
II m'est arrive souvent, dans mes peregrinations, de
rencontrer des Negres dont tout le costume consislait
( 350 )
ilaiis la queue en question. Or, je puis assurer que,
vues d'une certaine distance et alors que les ficelles de
I'appendicc sont cacli^espar I'eloignenicnt, ces queues
out I'air tr^s pen postiches. Supposez niainteuanl que
I'observateur soit un Arabe, c'est-i-dire un individu
conq5l6leuient d6poun'u de notions scientifiques, dis-
pose, en outre, par la nature de ses id6es et son Edu-
cation, a accepter sans controle tout ce qui frappe son
imagination : on concoit de quelle manitre un tel indi-
vidu observera, et comment il fera de I'histoire qui par-
viendra facilement a acqu6rir du credit parmi ses au-
diteurs.
Pour mon compte, j'ai hate de le proclamer, je n'ai
jamais eu le bonheur d'entrevoir le moindre indice de
queue dans la race humaine, et je ne puis accepter b6-
n6volement I'existence d'une penplade pour laquclle il
faudrait cr6er ime nouvelle race anthropologique. La
queue humaine, conuiie lalicorne, resteront, je pense,
coniin6es dans le chapitre des mystifications des voya-
ges (1).
Le tatouage est, on le sail, d'un usage irfes commun
parmi les races de couleur. Au Soudan, cet usage com-
mence vers les conlins septentrionaux de I'ancienne
Ethiopie, je veux dire dans la Nubic inftrieure. La on
remarque, pour la premiere fois, en quittant I'l^gypte,
(1) Je ne parlc pas ici des cas de mouslruosit(^ qui pourraient se
produire a regard du coccyx, conimc ils out lieu pour d'aulres or-
ganes. Un ou deux fails auormaux semlilables ne prouveraient ricu en
faveur des honimes h qunie; et ces fails prdlendus u'ont ^16 cit^s que
par MM. Ducourret el Alexandre Dumas*!!!
( ;^5t )
ties traces d'incisions sur la figure. Ces incisiois, au
uonibre cle trois ou quatre cle cliaque c6t6 cles joues,
repr6seiitent des ligiies parall^les, longues de 25 a 30
iiiilljmetres et renfl^es a leur partie moyenne. Elles li-
gurent un losange etroit et allonge, resultant de la
forme du lambeau de chair qu'on a taill6 sur les par-
ties. Cette operation se pratique principalement sur les
enfants du sexe feminin.
Le tatouage, qui se borne chez les Nubiens et les
Soudaniens autres que les nfegres, a la reproduction de
quelques lignes grav6es sur le visage, necessite, chez
certaines races noires, une operation longue et couipli-
qu6e, qui embrasse toute la surface du corps, et fait
de la peau un vaste dessin repr^sentant les formes les
plus curieuses et souvent d'une execution tr6s delicate.
Les Nfegres des montagnes du Fazoglo semblent avoir
pGrt6, jusque dans ses derni^res limites, la fantaisie
de ce luxe cutan6. Au fleuve Blanc, le tatouage delicat
et gracieux des lN6gres du Fazoglo est reuq3lac6 i)ar
de gros traits en relief, qui font sur la peau une saillie
analogue a celle qu'y produirait une corde. La tribu
des Kidy et quelques autres limitrophes offrent de fre-
quents exemples de ces renflements artificiels sur le
devant et les c6t6s du sommet de la face. Pour produire
ces reliefs, les Nfegres font a la peau de profondes et
longues incisions, dont ils maintiennent les^bords 6car-
t6s, et entre les 16vres desquelles ils introduisent des
substances v6g6tales irritantes. Par TeU'et de ces sub-
stances les parties incis6es se boursouflent, les humours
affluent dans la plaie, et bient6t on y observe un d6p6t
de mati^re adipeuse, qui se recouvre d'une couche de
igmentum plusou moins 6paisse.
( 35-2 )
Quelquei'ois la inatifere colorante, au lieu de se d6-
poser seulement a la surface de la nouvelle cicatrice,
s'insinuc entre les parties graisseuses sous-jacentes, et
les p6n6tre dans une profondcur plus ou moins consi-
derable. Dans des cas semblablcs, la dissection de ces
renflcinents produits par le tatouagc met a jour une
niatiere qu'on prendrait facilemcnt pour de la wclanosc.
Ce que j'ai dit de la facilit6 avec laquelle se repro-
duit le pigmentum, sur les parties dont le derme a 6t6
pr6alablement enlev6, fera comprendre comment les
cicatrices qui succfedent aux grandcs d6perditions de
substance, aux amputations, aux ablations de tu-
meurs, etc. , recupferent toujours apres la gu6rison la
coloration qu'elles avaient auparavant. Quand certains
points de la peau pr^sentent des nuandes dift'6rentes de
la coloration gen6rale, cela indique un 6tat anormal du
derme dans ces points-li, ou bien le r^sultat d'une af-
fection g6n6rale de nature herp^tique, syphilitique, etc.
Je parlerai plus au long de cette alteration du pigmen-
tum chez les N6gres, a 1' article des maladies. Cependant
je ne puis passer outre sans dire deux mots d'un des
modes d' alteration du principe colorant, connu sous le
nom A' albinisine.
Cette affection, bien qu'on la disc tres commune
parmi les N^gres, est assez rare dans les provinces du
Soudan pour qu'il ne m'ait pas 6t6 possible d' observer,
pendant une p6riode de dix-huit ann^es, un seul cas
d'albinisme complet. Quant aux exeuiples d'albinisme
partiel, ceux-la sont assez frequents, bien que je ne
comptc ici ([ue les cas congenitaux cl iion ccux (jiii sont
produits accidcntellemcjil par I'ellci de (lilferente.s
alfcclions.
( 353 )
L'albinisme congenital partiel semble afl'ecter de
preference, au Soudan, les membres abdominaux ; quel-
quefois un cot6 de 1' abdomen ou de la poitrine ; d'autres
fois, mais plus rarement, la face. Dans un cas seule-
ment j'ai ete a meme d' observer la decoloration des
cheveux et de I'iris, la tete et la face etaient les seules
parties atteintes d'albinisme.
Le petit Nfegre, k sa naissance, ne presente pas la
teinte foncee qui plus tard se developpe sur ses tegu-
ments. Au sortir du sein de sa mere, il est de couleur
cuivree presque sur tout le corps. Quelques parties seu-
lement oft'rent une coloration plus obscure que les autres.
Cast le scrotum, le raphe et le mamelon. D'autres
parties, en revanche, sont moins colorees que le reste
du corps ; de ce nombre sont les surfaces palmaires et
plantaires des membres sup6rieurs et inferieurs et les
levres buccales. La coloration moins foncee de ces
parlies persiste pendant toute la vie.
Les Abyssins comme les Galla, de meme que toutes
les races colorees et tons les produits croises, offrent k
leur naissance un degre de coloration moindre que celui
qu'ils acquerront par la suite, et ils presentent la meme
variete de nuances dans les parties que nous avons in-
diquees precedeniment.
Mais le faible degre de coloration qu'apportent les
enfants en venant au monde, ne tarde pas a revetir,
petit a petit, des teintes plus obscures. En sorte que,
desl'age d'un an, le petit Negre a atteint son maximum
de noirceur. II en est de meme pour les races de cou-
leur indigenes, abyssine ou galla : la couleur moins
foncee des enfants a leur naissance acquiert tout son
XVII. MAI ET JUIN. 3. X 2A
( 354 ■)
d^veloppement vers la fin de la premifere ann6e. Ce-
pendant il existe k cet ^gaid une dill^rence pour les
m6tis ou mulatres. Chez ceux-ci la coloration fonc6e
se d6veloppe plus lentement, et ce n'est gnere que vers
la septitjnie annee qu'ils ont acquis la teinte qu'ils con-
serveiit g6n6ralement pentlant toute la vie.
Les choses se passent de lameme aianiere, qiiel'en-
fant naisse en AiVique ou partout ailleurs. Quelque part
que ce soit, et ind^pendamment de la localite, de la
temp6rature et du climat, la formation et le d^velop-
pementdu pigmentum s'op^rent d'apr^sles conditions
de races, sans que le soleil ni la chaleur soient capa-
bles d'entraver ou de modifier ce d6veloppement.
Je ne veux cependant pas pr^tendre que la lumi6re
solaire n'ait aucune influence evidentesur la surface cu-
tan6e, qu'elle colore en rouge d'abord par Teffet de
rafllux sanguin. Cette couleur rouge passe ensuite par
une nuance plus ou moins fonc6e, suivant les iudividus
souniis a faction du soleil et suivant f intensity de ses
rayons. Je dirai menie que cette premiere coloration
rouge se laisse apercevoir chez le N6gre, bien qu'avec
des tons differents de ceux que pr6sente la race
blanche.
Mais il y a loin de cette coloration accidentelle et
tout a fait temporaire a celle qui r^sulte de la naissance
et qui est propre k la race. Car, de juenie que le climat
n'esl pour rien dans la coloration dii Negre u6 et 6lev6
a Constantinople, a Alexandrie ou a Moscou, de meme
aussi le climat est incapable de donner k I'Arabe du
Soudan, 6niigr6 en Afrif[ue depuis des si^cles, la teinte
obscure dn N^gre ni de modifier la coloration de
( 555 )
1' Abyssin et du Galla qui coiiservent, depuis des milliers
d'ann6es, dans le centre de I'Afrique et au milieu des
Nfegres, la coloration qui leur est propre et leur type
primitif qui se confond presque avec celui des races du
Caucase,
Que, si Ton me demande maintenant comment j'ex-
plique la teinte noire des Africains, je demanderai k
mon tour comment on expliquera la couleur rouge des
Am^ricains, la nuance jaune de certains Asiatiques, et
le teint rose et blond de la plupart des Europ^ens. Car
ces difl'6rentes colorations sont aussi naturelles I'une que
I'autre ; etla teinte noire n'a rien de plus nide moins
myst6rieux que les autres couleurs r^pandues k profu-
sion sur notre globe.
EXPOSfi SUCCINCT
DES D£C0UVERTES ET DES VOYAGES FAITS EN AUSTRALIE
Depuis 1842 h 1858.
Par M. p. Chaix.
Le premier 6tablissement des Anglais en Australie
date de I'ann^e 1788. — En moins de soixaiite-dix ans
la population, d'origine europ^enne, y a d6pass6 un
million d'habitants. Elle est concentr6e sur rextr6mit6
sud-est dn continent dont la connaissance est due aux
voyages de Cunningham, du comte Streleczki, et par-
ticuli6rement k ceax du colonel sir Thomas Mitchell,
{ 356 )
niort a I'age de soixante-trois ans, au niois d'octobre
1855. Aiijoiird'Imi on pent considcrer coinme connu,
si ce n'est coniiiie entieroinent colonise, le territoire
compris cntre la nier, le coiirs de la riviere Darling et
renibuiichure dn fleiive Murray. Avant Tepoqiie oil la
d^couverte des mines d'or a concentre reaiigratinn sur
la province de Victoria, d'abord noniniee par Mitchell
I'Australie Heureuse (Australia Felix), X Austmlie me-
ndioiiale 6tait devenue le si6ge d'une nouvelle colonic
agricole coinme la Nouvelle-Galles meridionale. La na-
ture du cliniat et du sol semblait devoir lui etre favo-
rable, ainsi que I'aspect de ses cotes decoupees par les
golfes de Spencer et de Saint-Vincent. M. Eyre fut in-
fatigable a en explorer I'interieur, et ses courses le con-
duisirent, en 18/i"2, a la st6rile d^couverte du lac Tor-
rens ou du Fer-a-Cheval, dont la longueur 6gale celle
de la peninsule italique, niais dont le bassin est alter-
nativement un marais fangenx on une nappe de sable.
Des I'ann^e suivante le capitaine du genie Frome
s'avanca aussi d' Adelaide vers le nord jusqu'a la
branche orientalc du Fcr-it-Clwiuil, sur une ligne plus
orientale mais parall61e a celle qu'avait suivieM. Eyre.
I/ann6e IS/i'i vit organiser, sur une plus grande
6chelle, I'exp^dition conimand6e par Ic capitaine Sturt
pour p6n6trer dans le ccrur du continent australien. La
ville d'Ad^'laide Ini oHVil un dejouiior d' adieu, le 10
aout 18/i/i. Je me bornerai a lappeler qu'elle parvint,
le 8 septembre '18ii5, a vingt-ciuq lieues du tropique
du (lapricorne, en un ])oinl egalenient eloigne de la
cote meridionale et du golfc de (larpentarie. Le capi-
taine Sturt vit un de ses coinpagnons p6rir des suites
( 357)
de leurs soufTrances et fut lui-m^me rapports ma-
lade, le 19 Janvier I8Z16, dans la ville d' Adelaide,
qii'il avail qnilt6e dix-sept mois auparavant. II n'avait
parcouru qu'un eflVoyable desert, faibleinent sem^ do
sommitt^s insignifiantes et nues, et coupe de vastes ra-
vins sans eau. Dans un rayon nioins 6tendu les explo-
rations de ses devanciers, MM. Eyre et Fronie, n'a-
vaient gu6re 6X6 plus encourageantes. Cependant les
dix ann^es qui out suivi leurs voyages ont 6t6 em-
ployees, par des colons entreprenants, a s'avancer sur
leurs traces dans I'espace enferm6 entre Adelaide et
le Fer-a-Chcv(il, qu'ils ont sem6 de stations pour y
Clever du b6tail ; de riches mines de cuivre ont 6t6
mises en exploit?.tion a Barrabarra, et le gouvernement
a fait proc^der au lev6 g6om6trique de ce territoire, qui
n'a pas moins de 130 lieues de longueur et /|0 de lar-
geur, et snr lequel sont dispers^es une quarantaine de
soramitds escarpees de 1000 a 3000 pieds de hauteur.
— Au mois de juin de 1856, M. Babbage fit, non loin
des routes suivies par ses devanciers, la d^couverte dn
Mac-Donnell, rivit;re alaquelle il suppose une longueur
de 00 milles, au travers d'un pays fertile, et qui parte
ses eaujc dans le lac Tonenx. II vit aussi deux ivbs
petits lacs d'eau douce et les nomma Blanche et Sninte-
Mnrie. Dans le cours de ces travaux M. Goyder par-
vint, le 3 juin 1857, au coude septentrional du Fer-a-
Cheval ou lac Torrens, et trouva ce lac assez large,
plein d'eau douce, sem6 d'iles et borde de verdure;
mais les effets du mirage y 6taient si puissants
qu'ils donnaient une hauteur apparente de 3000 pieds
k une Eminence qui n'en avait que 60. II suivit 18
( 358 )
niilles du cours de la riviere Mac-Donnell et d^coiivrit
un troisi^me petit bassin d'eau douce, le lac Frceling,
profond , entour6 de beaux aibres et de rochers.
M Goyder revint au chef-lieu par un pays accident^,
dont il d^crit le paysage comme romanliqae.
A la reception de ces nouvelles qui contrastaient fa-
vorablement avec les rapports d'Eyre et de Frome,
I'ing^nieur en chef [sun'eyor ^encml) capitaine Free-
ling partit, einportant deux bateaux destines au lac
Torrens, qu'il atteignit le 3 sept^^mbre 1857; mais il
lui fallut patauger h six milles en avant du rivage dans
une boue profondeet dangereuse avant de trouver iine
profondeur de six poucesd'm//. II revint declarant que
les seules iles de ce lac sont deux Hots insignifiaiits,
61ev6s d'un pied au-dessus de I'eau, et que les autres
merveilles dont les yeux de M. Goyder avaieiit 6t6 r6-
jouis n'6taient que les effets du mirage. Le colonel
Gavvler, tr^s au fait de la nature du sol et du climat de
I'Australie mdsridionale, et remarquant que les environs
de la capitale, Adelaide, sont des terres h. bl6 d'un
admirable produit, (pii pr^sentent toutefois 1' aspect
d'un desert calcine dans une partie de I'ann^e, pense
que, pour prononcer un jugement impartial entre des
t6moignages aussi opposes il faiit tenir conipte de la
saison oil le voyage s'est accompli. Quoiqu'un isthme
bien explore de moins de 5 lieues de largeur s6pare le
fond du goife de Spencer de I'extr^mit^ m6ridionaledu
lac Torrens, le colonel Gawler pense que ces deux
nappes d'eau ont eu autrefois une communication na-
turelle.
Dans cette meme ann6e 1857, I'espace p6ninsulaire
( 359 )
conipris entre le golfe de Spencer et Streaky-Bay, k
I'ouest, travers6 pr6c6demnient par M. Eyre, a dt6 sil-
lonn6 simultan^ment par plitsieurs voyageurs ind^pen-
dants les uns des autres , le major W'arburton ,
M. Hack, etc.; ils y out reconnu 1' existence de (piel-
ques terres assez bonnes et d'une chaine de montagnes
d'une mediocre 6tendue {Gawler range), maismalheu-
reiisement aussi de pays converts de cailloux et de
taillis, d^pourvus d'eau douce, avec une multitude
d'6tangs salt^s, parnii lesqnels est un lac d'une 6tendue
double du Leman, lelac Gairdner. Dans le meme temps
MM. Thomson, Campbell et Swindon faisaient dans le
pays inconnu, a I'ouest du lac Torrens, une excursion
rapide de 200 milles, avec assez de succfes pour que le
parlement colonial de rA.ustralie meridionale, avec ce
patriotisme 6clair6 qui inq^rime un progr^s si rapide a
la prosp6rit6 des colonies anglaises, ait jug6 opportun,
aprfes avoir ordonn6 la publication de ces diverses re-
lations de voyages, d'en faire entreprendre un uouveau
sons les ordres du g6ologue Babbage. II s'est mis en
route pour la terre de Swindon avec sept hommes,
seize chevaux et cent quatre-vingts moutons.
Apr6s cet expos6 rapide mais complet de I'^tat de
nos connaissances sur I'Australie m6ridionale, je tra-
cerai de meme I'historique de ce qui s'est fait dans la
colonic plus ancienne de la Nouvelle-Galles meridio-
nale.
Le premier voyage du docteur Leichhardt est trop
connu pour que j'en rappelle autre chose que la date.
Parti de Brisbane, sur la bale de Moreton, au niois
d'octobre de ISIili, il arriva au port Essington k Vex-
( 360 )
tr^mit^ scptentrion'ale du continent australien an mois
de novembre 18/i5, en suivant, dans la direction du
nord-ouest, une route d'environ 800 lieues et en se
tenant a une distance nioyennc de 50 lieues des c6tes
orientales de ce continent. Les travaux de I'intrtjpide
AUemand furent appr^cit^s coniuie ils le niuritaient par
les colons anglais ; les ovations et les ri^conipenses ne
lui firent pas dtifaut a Sydney ; et, ce qui semblait en-
core mieux, on profita de son d^vouement pom- lui
confier une nouvelle expedition. Se proposant de tra-
verser le continent dans sa plus grande largeur, en
coupant la route suivie dans un autre sens par le capi-
taine Sturt, Leichhardt partit de Brisbane en 18Zi8 ;
niais le plus grand myst^re plane encore sur son sort,
qui n'a pu etre que fatal,
Dans I'intervalle entre le premier et le second voyage
de Leichhardt, sir Thomas Mitchell, chef du g(§nie de
la Nouvelle-Galles du Sud, et deji veteran dans la car-
ri^re, rentra dans la lice, et, partant du cours supe-
rieur de la riviere Darling, dont la d^couverte lui 6tait
due, trouva plusieurs cours d'eau qui en sont les tri-
butaires, la Baloiie, la Maranoa, qu'il remonta jusqu'i
sa source dans un syst^me de chaines partiellenient
volcaniques de plus de 2000 pieds de hauteur. Plus au
iiord, il en decouvrit une autre, la Belyando ; il s'at-
tacha k en suivre le cours jusqu'au 21' degrd de lati-
tude sud, parce que la voyantse dirigerau nord-nord-
cuest, il esp^rait aboutir ainsi au golfe de Carpentarie;
mais il fut disappoints en trouvant que cette riviere
^tait identiqtie avec la Rivi6re du Cap df^couvcrte par
Leichhardt, dont leseaux aboutissent a la c6te orientale.
( 3(51 )
Revenant sur ses pas jnsqu'aux groupes montagneux
qu'il avait d6ji parcourus entre le 24" et le 25* degr6
de latitude, il trouva snr leur revers occidental un dis-
trict dont I'aspect riant lui arracha le nom d' Heureuse
Fal/c'i- (Happy Valley) ; il donna celui de la reine Vic-
toria au Barcon, riviere qui y prenait naissance et qu'il
suivit pendant dix jours vers le nord-oycst, c'est-i-dire
vers le centre du continent. Le pays lui parut le mieux
arros6 de I'Australie, habits par des Nfegres inoiTensifs
et en petit nombre. Une nouvelle Flore et une nouvelle
Faune semblaient caract6riser une region diff^rente du
reste de I'Australie. Forc6 de s'arreter par 2/i° 14' de
latitude autrale et 144° 34' k Test du m^ridien de
Greenwich, sir Thomas Mitchell crut voir la riviere de
Victoria se diriger a perte de vue au nord et il revint
sur ses pas, convaincu que celle-la du moins a son em-
bouchure dans le golfe de Carpentarie.
Pour r^aliser les esp6rances autoris6es par cette d6-
couverte, le capitaine Kennedy, excellent ingenieur,
qui venait d'accompagner sir Thomas Mitchell, fut
renvoy6 sur ses traces, d6s le mois d'avril de I'annee
suivante (1847), avec une nouvelle expedition. II re-
trouva le groupe de montagnes volcaniques, la Fallec
heureuse, d'un vert d61icieux, rafraichie par des nappes
d'eau et anim^e par un grand nombre de catacoas, de
coqsd'Inde,d'6mus et de kangarousd'une taille gigan-
tesque. Pour acc6l6rer ses niouvements tandis qu'il
allait descendre la riviere Victoria ou Barcou, il enterra
successivement, dans plusieurs cachettes, ses chariots
el une partie de ses provisions (8 aout 1847). — Con-
trairementa ce que sir Thonoas Mitchell avait cru voir,
( 862 )
la riviere ne se dirigeait pas au nord ; il la snivit plus
de 100 lieues au sud-ouest, jusqu'au dela du 26'degr6
de latitude sud, et ne se d6cida au retour, le 9 sep-
terabre, que lorsqu'il ne put plus douter que le Bar-
cou ne soit la uienie rivifere nomni6e deux ans aupara-
vant, par le capitaine Sturt, Cnupei's-Creek, ot qui se
jette {)eut-etre dans le lac Torrens. — Revenant alors
vers le nord pour y accomplir la seconde partie de ses
instructions, qui 6tait d'atteindre le golfe de Carpen-
tarie, par une route directe mais encore probl6niatique,
le capitaine Kennedy n'en 6tait plus s6par6 que par
une distance de 180 lieues en ligne droite. Mais il fut
, arrets par le manque de provisions suffisanles ; les in-
digenes, qui avaient paru I'ann^e pr6c6dente bienveil-
lants et pen nombreux, se niontrferent, au contraire,
en grand nombre et g6n6ralenient bostiles. lis avaiont
decouvert et pill6 une partie dcs depots de farine ct de
Sucre enterr^s par Kennedy. Priv6 de provisions qui
lui eussent sufii pendant dix semaines, il dutreprendre
le chemin de Sydjiey ; mais, pour faire contribuer son
retour h de nouvelles d6couvertes, il descendit, depuis
sa source situ6e dans le m6me massif volcanique oil
nait la riviere Victoria, une nouvelle riviere nomm^e
Warrego ; il en suivit le cours au travers d'un desert,
vers le S. S. 0. sur qiiatre degr6s de latitude ; mais ne
pouvant subsister dans ce lit de torrent absolument des-
s6cb6, il I'abandonna pour rejoindre le Darling et la
colonic par Une marclie de AO lieues an travers d'un
desert qui lui couta sept clievaiix et quarante jours
d'angoisses. II arriva a Sydney, au mois de Janvier de
18/18. — Les talents dont il fit preuve le firent placer
( 365 )
par le gouvernement colonial a la t6te d'une troisifeme
expedition, a laquelle 6tait confine 1' exploration de la
p6ninsule septentrionale du continent, qui se termine
au cap York. Mais il a 6t6 tii6 d'un coup de lance par
les indigenes ; trois de ses compagnons sur treize ont
sauv6 leur vie, et le gouvernement n'a pu que recouvrer
ses papiers.
Quiconque a pr^sente a la m^moire la relation des
voyages de Perron se rappelle le tableau s^duisant qu'il
trace de I'embouchure de la riviere des Cygnes {S^van
nt'er). II a entrain^ un millier de personnes, que j'ai
vues quitter I'Angleterre a la fin de 1829, a y aller
fonder une colonie, Elle est restee la moins florissante
de TAustralie, car la pAuvret6 naturelle du sol a donn6
un dementi amer aux peintures agr^ables qu'une in-
spection superficielle avait fait tracer de ce pays pres-
que d^pourvu d'eaux courantes, de montagnes et de
terres fertiles. Les colons ont mis de la perseverance
a chercher, par des voyages de decouvertes dans I'in-
terieur, a s'ouvrir des regions moins desheritees de la
nature. ((M. Auguste Gregory et ses frferes ont accom-
pli , pendant les mois d'aout et de septembre de 1846,
un voyage de 958 milles, ou ils ont parcouru un pays
de quatre degr^s d'etendue en longitude et autant en
latitude. — Dans la meme annte, le lieutenant Help-
man a reconnu I'existencede mines de cliarbon sur la
riviere Irwin, au nord de la colonie. On ne decouvrit
aucune riviere, mais seidementpeu de terres fertiles et
un tres grand nombre de lacs ct de marecages sales.
Le 8 septembre 18Z|S, M. Roe et M. Henri Gregory
qnitterent la ville de Perth, chef-lieu de I'Australie
( 36Zi )
occidentale , pour explorer I'extr6mit6 sud-ouest du
continent. Dans le premier tiers de leur niarclie vers
Test, leur ardeur fut soutenne par I'aspect agr^able
d'lin pays gen^ralement ondule, plein de kangarous et
d'6mus et ou la fertility du sol 6tait indiqu6e par Ta-
bondance d'une esp6ce d'eucalyptus appel^e yeit. La
frequence despluiesrendait la niarclie difficile dans les
terres amollies. Mais plus tard, etplus^ Test, lepays
reprenait I'aspect d'aridite naturel a I'Australie. La
route se perdait dans un d^dale de lacs sal6s et de
buissons6piueux, jalonn6s, a de grands intervalles, de
pics isoles. Le niont Madden etait une masse de granit
rouge de 1000 pieds de hauteur. Du mont de Fitzg(^-
rald le regard planait sur une vaste mer de broussailles
epineuses, de sombres taillis (scrubs) et de marais sa-
16s. Les chevaux restferent cinq jours sans herbe k
manger, puis trois autres jours sans eau. II fallut en
abandonner plusieurs, que Ton retrouva cependant .tu
retour. Parvenus, le 23 novembre, par 123" 2A' de lon-
gitude- est et 33" 27' 1 5" de latitude australe, a un
massif qu'il nomnia Russell, M. Roe donna quatre jours
de repos a ses chevaux. Du liaut de ce pic de granit
61ev6 de 600 pieds , il n'enibrassait, a 40 milles de
distance, qii'un oc6an de broussailles imp6n6tral)les
qu'aucune colline ne venait interrompre et tout sem6
de petits lacs sal6s et de marais. C'6tait un nee /i/us
1(1 tin; il fallut revenir, pour ne pas p6rir, en suivant
lesbords de lamer. Les soulTrances y furentles memes.
Les chevaux, lorsqu'ils d^couvraient un 6tang, s'y pr6-
cipitaient et s'y abattaient irr^sistiblement avec leur
charge, compos6e quelquefois de sucre et de farine.
( 865 )
Le seul chien adjoint h I'expedition avail les pieds dans
un 6tat qui le rendait incapable d'atteindre le gibier ;
on lui metlait des chaiissures, sans poiivoir les fixer.
Harnais et vetements restaient en lambeaux aux brous-
sailles.
M. Roe eut cependant la satisfaction de d^couvrir
dans les gr6s rouges de la cote des veines considera-
bles de charbon de terre voisines de mines de fer et
situ^es pr6s d'nn assez bon niouillage. La fin de son
voyage s'accomplit an travers d'un pays \ii\vis fertile et
deja colonist, et il revint a Perth, le 2 fevrier 18i!i9,
aprfes une absence de cent quarante-nenf jours; em-
ployes a parcourir 4800 milles,
II apprit, a son retour, le r6sultat d'une expedition
entreprise vers le nord par M. Auguste Gregory, aux
frais des colons de Swan River, et d'un voyage du
gouverneur Fitz-Gerald dans la mfeme direction. Parti
de Perth le 2 septembre 18/18, M. Auguste Gregory
avait traverse d'abord la riviere Irwin, dont les patu-
rages devaient un aspect verdoyant a des pluies r6-
centes. Mais, au dela, il n'y eut plus que le pays sterile
etdesseche, qui est la regie presquegenerale. Arrive au
bord de la rivifere Murchison, il y decouvrit des nines
de ploQib dans une roche de gneiss grenatifere. Elles
furent nominees Geraldine. M. A. Gregory revint a
Perth, le 12 novembre ISZiB, apres avoir, en dix se-
maines , parcouru une distance de 1500 milles. Sa
derniere decouverte engagea le gouverneur Fitz-Gerald
a reparlir avec lui, des le mois suivant, pour la riviere
Murchison. Le fdon de galene a une epaisseur moyenne
d'un pied. Dans le voyage precedent, M. A. Gregory
( 356 )
avait 6t6 assailli i coups de pierres dans un precipice
par une troupe de lejnnies indigenes irrit6es de ce
qu'il avait refus6 de leur part certaines oflres aussi
peu d^centes que s6duisantes. i\Iais, lorsque, quul-
ques semaines apr^s, il y revint avec le gouverneur,
il falhit s'ouvrir un passage au travers d'uue arui6e
de sauvages et d'une grele de zagayes et de lances
dont uue per^a la cuisse au gouverneur et ressortit de
deux pieds au dela.
Malgr6 cet accueil d6favorable, les points derni^re-
ment d6couverts ont cte colonises; un M. Bnrges a en-
trepris 1' exploitation des mines de gal6ne de Geraldine.
M. Auguste Gregory a remont6 la riviere de Murchison ;
en 1852, il est pai^enu jusqu'a la bate da Rcqnin, ou
se d6charge une riviere nominee Gascoyne, qui parait
Jeter, dans certaines saisons, avec un grand volume
d'eau, des quantit^s considerables de troncs d'arbres;
ces bois appartiennent a I'esp^ce de \ Eucalyptus ro-
bustus que les colons nomment acajou.
M. Robert Austin, ing6nieur, consacra les mois de
juillet, aout, septembre, octobre et novembre de Tan-
nic 1854 i une nouvelle exploration de I'interieur,
dans laquelle il croisa les itin6raires pr6c6dents de
MM. Gregory, et s'avanca h. 6 degres de latitude au
nord de Perth, le chef-lieu de la colonic. 11 p^n^tra,
au nord de la riviere de Murchison, dans un alTreux
d6sert ou le thermomttre centigrade niarquait, au mi-
lieu d' octobre, k 8 heures du matin , Sl'VC; — a midi,
AS'C; — a 2 heures, i3°l/3C ; — et, 4 8 heures du
soir, 33oC. Le lit meme de la rivifere de Murchison
ne renfermait pas une goutte d'eau. Ce voyage a ajout6
( »67 )
un marais de 25 lieues de longueur au catalogue des
lacs sal6s d6ji decouverts par les devanciers de M. Aus-
tin, quelques sommit6s dont la hauteur ne d6passe pas
2500 pieds, quelques gisements de fer, et en outre,
dans le d6sert aupr^s de la riviere de Murchison, un en-
semble de roches quartzenses, de gres, de gneiss, de
feldspath, de mineral de fer, de brfeches granitiques
et de serpentines que M. Austin, d' accord avec sir Ro-
derick Murchison, consid^re comme promettant une
des mines d'or les plus riches du monde.
MM. F. T. Gregory et Roe, d6ja connus par d'autres
voyages, conduisirent, aux frais des colons, une expe-
dition destin<^e a explorer le bassin septentrional de la
riviere Gascoyne. Partis de Perth, le 26 mars ISSS, ils
atteignirent la riviere Murchison par les mines de Ge-
raldine et la remonterent jusqu'^ un point oil ils n'6-
taient plus s6par6& de la Gascoyne que par un inter-
valle de '25 Ueues. lis descendirent cette derni6re rivifere
jusqu'a son embouchure, puis remonterent au nord un
tributaire considerable qu'ils nomm6rent Lyons, lis
explor^rent, au retour, le eours sup^rieur des trois ri-
vieres Lyons, Gascoyne et Murchison, sans approcher
toutefois de la source d'aucune d'elles. Dans ce voyage
de cent sept jours et de 2000 milles , ils n'estiment
pas avoir d^couvert un million d'acres de bonnes
terres ; mais ils out trouve le tabac sauvage sur plu-
sienrs centaines d'acres des meilleures terres au bord
de la Murchison et de grandeur suffisante pour etre
manufacture , — un melon d'eau fort petit, un fruit
semblable a une poire port6 par une petite plante grim-
pante et la patate douce [cnrwohulus batatas) servant
( 868 )
de nourrituie aux indigenes, lis ont observe, au pied
du raont Auguste, sur les Lords de la rivitire Lyons,
des preuves irr6cusables du cannibalisine des ntjgres
australiens.
Nous avons vu les chaleurs extremes que M. Austin
avail 6prouvees sur la riviere Murchison, au milieu du
mois d'octobre 185/i; a cinquante lieues plus prfes
de la ligne 6quinoxiale, iVlM. Roe et Gregory ont ob-
serv6, au mois de juin, le therniom6tre a 86°F, 2°C. k
sept heures du matin, et a 82°F. 2S°C a une heure
apres midi, soit une difference de 25° J /3 dans un inter-
valle de six heures. lis ont vu de la glace jus(iu'a Zh"
30' de latitude australe ou a nn degr6 du tropicjue du
Capricorne.
La partie nord-ouest du continent 6tait rest(ie la
moins connue. Les pluies tropicales y donneni plus de
vigueur a la vegetation; mais la chaleur y est intense.
Grey et Lushington n'avaient gu6re, en J 830, explor6
que quelques niilles de la riviere a laquelle lis donni-
rent le nom de lord Glenelg. Le 18 octobre 1839, le
capitaine^\ ickham, du Beagle, d6couvritrembouchure
de la riviere Victoria, que le capitaine Stokes renionta,
en 1842, jusqu'a une distance de 00 lieues. La repu-
tation, jnstemeut acquise a MM. Auguste et Henri Gre-
gory pour leurs voyages dans I'Australie occidentale,
les fitappeler k Sydney (21 mai 1855} par le gouver-
nenient qui leur confia la conduite d'une expedition
destin6e b. I'exploration de I'Australie septentrionale
depuis Tembouchure de la rivifere Victoria jusqu'a la
riviere Albert dans le golfe de Carpentarie et k la baie
de Moreton. Un schooner les transporta de la baie Mo-
( r>69 )
reton (12 aoiit) a rembouchure de la Victoria (14 sep-
tembre), avec deux cents moutoiis, cinquante chevaux
et dix-huit homines. Parmi ces derniers 6tait M. Tho-
mas Baines, qui vient de repartir comme artiste atta-
che a I'exp^dition de Livingstone en Afrique, Neuf
chevaux se noy6rent au d6barquement (25 septembre
1855). N6anmoins, on renionta la riviere jiisqu'i
360 milles de son embouchure ; puis on franchit une
chaine 6lev6e de 1600 pieds seulement , et qui sert
de point de partage entre les eaux dirig^es vers la cote
et celles d'une riviere qui coule vers I'int^rieur du
continent. M. Gregory lui donna le nom du capitaine
Sturt, eten suivit le cpurs I'espace de 300 milles jus-
qak un lac (5 mars 1856) sal6, dess6ch6 et encore
61ev6 de 900 pieds ou elle se termine. Cette rivifere
sert de limite entre un d6sert, qui en borde la rive
gauche, et la region maritime qui est peut-etre moins
st6rile. La region exploree par cette expedition est re-
marquable non-seulement pour I'abondance de ses prai-
ries, mais encore pour la vari6t6 des herbes qui les
couvrent. « Nulle part dans le monde, dit M, \\ ilson,
le naturaliste de I'expdidition, je n'ai vu le gazon aussi
luxuriant, n Certaines esp6ces inftrie res d'eucalyptus
peuvent fournir le bois de construction en abondaiice.
Parmi les fruits mangeables, quisonten giandnombre,
il mentionne trois sortes de fignes, deux fruits res-
S3rablant au raisin, I'adansonia, le viz sauvage, les
ignames sauvages et le convolvulus batatas. Les oiseaux
different de ceux de I'Australie m^i'idionale. On vit un
jour le ciel noirci, sur une longueur d'un raille, par un
vol de quelques milliers de chauves-souris en migration
XVII. MAI ET JUIN. U. 2a
( 370 )
presque aussi grosses que des polatouches {flying
foxes). Elles r6pandaient une forte odour de muse, et
les arbres pliaient sous leur poids.
Les indigenes sont de la menie race que ceux dif sud
et pratiquent parlielleraent la circoncision. Les seuls
mln^raijx di^couverts fureiit un peu de fer et des agates
qui couvraient en abondance la chaine du point de
partage, et dent les indigenes arment leurs lances.
Partout oil se pr6sente le grfes ferrugineux qui forme
une couche de plus de 300 pieds d'6paisseur sur une
si grande partie du continent australien, on ne trouve
que des plaines sablonneuses et st^riles. Mais des
terres trfes fertiles sont le produit de la'd^composition
des roches calcaires et trapp^ennes situ^es plus loin
de la c6te. M. Gregory lvalue k trois millions d' acres
r^tendue des terres fertiles dont il a fait la d6couverte
dans le nord-ouest de I'Australie; mais, au sud de la
ligne du point de partage , il ne paraissait pas 6tre
tomb6 d'eau depuis douze mois, conime I'attestait
I'apparence des lacs dess6ch6s et reduits a un tiers de
leur surface habitnelle.
Le schooner qui avait amen6 I'exp^dilion, ayant
6chou6 dans la riviere, avait soufTert des avaries qui
oblig^rent de le renvoyer a Java pour le r^parer, et qxii
causferent la perte des trois quarts des moutons et de
plus de la moiti6 des provisions. /Vinsi priv6 d'une
partie de ses ressources, M. A. Gregory s'ouvrit une
route nouvelle vers Test, et, parti le 21 Juin 1856 de
la riviere de Victoria, il arriva le 31 aout ili I'enibou-
chure de la riviere Albert dans le golfe de Carpentarie.
II y trouva la preuve de la soUicitude du gouverne-
< 871 )
ment colonial , une leltre du lieutenant Chimmo ,
qui, sur le vaisseau la Torche, 6tait arriv6 k cette
rivifere un mois avant Gregory et, ne I'y trouvant pas,
6tait all6 le chercher a I'embouchure de la Victoria.
Gregory, se voyant encore pourvu de vivres en quan-
tity suffisante pour arriver k la colonie de la Nouvelle-
Galles, se remit courageusement en marche sans at-
tendre plus d'une semaine le retour incertain du
lieutenant Chimmo et de son navire, et, prenant au
sud-est une direction qui lui fit couper quelquefois la
route que Leichhardt avail suivie en sens inverse onze
ans auparavani, il accomplit lieureusement cette mar-
che prodigieuse et arriva, le 16 d6cembre 1866, k la
ville de Brisbane, sur la bale Moreton.
Treize mois plus tard (11 Janvier 1858), Auguste
Gregory partait avec un de ses frcres et une expedition
destin6e a chercher les traces du mallieureux Leich-
hardt. De la baie Moreton il se rendit a la riviere Bar-
cou nomm6e Victoria par sir Thomas Mitchell. Un
desert sans eau paralysa toutes ses tentatives pour
p6n6trer plus a I'ouest dans la direction suppost^e de
Leichhardt. Force fut de descendre la riviere Barcou
dans une autre direction et plus au sud que ne I'avait
fait Kennedy onze ans auparavant. M. Gregory trouva
partout les forets d6truites par la s6cheresse, les inexo-
rables buissous 6pineux {scrubs), les rivieres marquees
par des lits ravineux dont 1' immense largeur et les de-
pots abondants de sable et de boue attestent les ra-
vages, lorsque par hasard elles roulent un volume
d'eau incalculable. Le capitaine Freeling avait vu dans
le lit U"t;s large du Siccus la preuve que les eaux s'y
(872 )
^hh'ent qnelquefois de SOpieds. M. Gregory fut r^duit
k traverser Taffreux d6sert explore treize ans aupara-
vant par le capitaine Sturt, et ilarriva, au inoisd'aoul,
it la ville d' Adelaide, capitale de I'Australie m6ri-
dionale, dont les habitants et le goiivernement hii firent
un accneil proportionne a ses fatigues, a ses m^rites
et a sa reputation.
Nous terminerons ici I'analysc de vingt-neuf voyages
dont sept ont eu pour but I'exploration de la partie
orientale du continent australien, douze celle de I'Aus-
tralie meridionale, huit au sud-ouest, deux au nord.
lis pr6sentent un parcours total de 38 000 niilles an-
glais. En admettant que le regard des voyageurs ait
pu se porter a une distance moyenne de 5 milles h.
droits et a gauche de leur route, on leur doit la con-
naissance approximative d'une surface collective de
380 000 niilles carr6s, qui, ajout6e k une surface {'gale
de terres d6ja connues et partiellemenl colonisees,
porte nos connaissances sur une etendue de 7(50 000
milles carr^s on a un quart du continent australien
(3 200 000 milles carr6s). C'est beaucoup sans doute
au point de vue d'une simple exploration; mais la co-
lonisation ne semble pas devoir y g^'^gner dos avantages
proportionn^s au\ peiues des explorateurs. Ces vingt-
neui expeditions n'ont pas fait decouvrir plus de deux
rivi6res permanentes rl), et les terres cultivables y
sont en faible proportion. La partie exploree dans le
(I) Nous suspendons notrc jugompnt sur Ips df'tails un peu roma-
DPsques doun^s par le Sydney Herald, d'un vojage recent sur la riviferc
Filzroy.
( 375 )
nord ne pr6sente pas, il est vrai, la st6rilit6 au mfime
clegr6; les plaies Iropicales y (16veloppent inieiix la
v6g6tation et rendent possible la culture du cotonnier;
mais les Anglais se demandent avec raison si c'estbien
a la race anglo-saxonne que peut convenir le s6jour
d'une region soumise au climat de la zone torride,
Reste la grande question sur les d^couvertes que r6-
serve aux explorateurs la partie encore inconnue du
centre de ce continent. Le colonel Gawler, qui a s6-
journ6 dans I'Australie meridionale, a observe que,
dans ce pays, les vents du nord-ouest sont acconipa-
gnds de fraicheur et d'l)uniidit6, et il en conclut la
pr6sence d'une grande etendue d'eau interieure, Mais,
d'autre part, M, Eyre, a qui le s^jour de I'Australie
meridionale est egalement familier, dit que, lorsque le
vent souffle de rint6rieur, il a la temperature d'une
fournaise ardente. Comment conclure entre des temoi-
gnages aussi discordants ? Le dernier est malheureuse-
ment d' accord avec les d^couvertes du capitaine Sturt
au centre du continent.
P. Chaix.
( S7A)
NOTE
fiOK LE9 COHHDMICATIONS A BTlBLIt
EMTBB
L'ALGERIE ET LE St NfiGAL,
Adressde a MM. les membres de la Commission cenlrale
de la Soci(ile de Geographic,
PAR M. LAROCllE, DE CLEUilOST-FERRAND.
Les d6couvertes que d'illustres voyageurs ont ac-
complies et poursuivent encore en Afrique reniplissent
le voeu des porsonnes qui suivent avec int6ret les pro-
grfes des sciences g^ographiques ; uiais elles ne peu-
vent qu'affliger am^rement ceux de nos conipatriotes
qui remarquent qu'aucun nom francais ne s'esi attache
k des conqiietes qui seront une des gioires de notre
si6cle. II faut bien reconnaitre qu'une grande indifl't^-
rence rfegne en France k I'endroit de la g6ographie et
de toutes les connaissances qui en dependent. Quelles
sont les causes de cette deplorable apathie de 1' esprit
public, et surtout quels sont les moyens k adopter pour
y rem6dier et ramener la pens6e et les efforts de notre
pays vers des 6tudes et des contr6es qui ne peuvent
6tre impunement n6glig6es par une grande nation ? La
question est aussi ardue qu'int6ressante; et alors que
les 6crivains les plus autoris6s (1) ont paru craindre
d'entrer dans son examen, ce n'est pas a moi, le plus
obscur de vos adherents, qu'il appartiendrait d'6mettre
(1) M. Vivien de Saint-Martin ; Sur la cartographie Europe.
BuUelinAt novembrc 1855.
( 375 )
un avis sans influence. Mais ne nie sera-t-il pas permis
d'appeler sur cette situation facheuse I'attention de la
Soci6t6 de geographic et de I'inviter a prendre plus
^nergiquement I'initiative sur une question sp^ciale :
je veux parler de I'exploration a faire pour joindre nos
deux colonies de I'Algt^rie et du S^n^gal, en passant
par Tombouctou. II n'est pas besoin de parler ici de
I'immense utility et des vastes consequences qu'aurait
I'ouverture de cette route entre les deux possessions
francaises.
II faut le dire, personne jusqu'a ce jour ne s'est
preoccnp6 suffisamaient , ni le gouvernement, ni le
commerce tVancais, de diriger 1' esprit public vers le but
que nous indiquons ici. Aucun encouragement n'a 6td
donn6 : la munificence imp6riale, qui a distribu6 des
prix multiplies pour des cultures en Alg^rie, n'a point
offert de recompenses pour les voyageurs qui repren-
draient la route si dangereuse du Soudan.
La Soci4t6 de g^ographie a seule fait plus que tons
nos gouvernements. Elle a ouvert une souscription et
un prix de 5 500 fr. est destine auvoyageur qui se sera
rendu du Senegal a Alger, et vice vci.sd, en passant
par Tombouctou (1). Cet itineraire, ainsi formula en
deux mots, comprend les points du continent les plus
utiles a connaitre, au double point de vue de la science
et des interets IVancais. Je ne dirai pas que la somme
promise est d'un chifTre mediocre, eu egard h la diffi-
culte de I'entreprise et a Timportance des r6sultats k
(1) Une autre condition consiste a faire connaitre aver exarlilud
es routes des caravanes qui parcourent cet espace. E. J.
( «^76 )
en attendre; par I'ofTie qu'elle fait, la Soci^t6 de g^o-
graphie ^puise louies ses ressources el donne un exem-
ple qui n'a pas did imit6. Je me perineltrai tonlefois
une critique, un avis : la Soci6t6 de g6ographie n'au-
rait-elle pas du faire connaitre au public le prix qu'elle
oITre et les conditions du programme ? Je n'etonnerai
ni n'indisposerai aucun de ses membres, en disant que
son Bulletin n'est lu que de quelques personnes stu-
dieuses, et qu'il est plus recherche, niieux appr6ci6 a
r^tranger que dans notre pays meme. Ce n'est done
pas assez de promettre une recompense ; il Taut la pro-
clamer, la porter a la connaissance de tons.
Mais la Soci6t6 de g^ographie ne pent pas borner
son action b. cette simple mesure. Elle a un grand role
& remplir, je dirai meme un devoir h acconiplir. II lui
appartient de prendre I'initiative et la direction d'un
mouvement, de ce que j'appellerai, a I'exemple de nos
voisins d'outre-Manche, d'une agitation a organiser en
France , non pour un but politique ou industriel ,
mais pour le progr^s des connaissances humaines, pour
le revcil et 1' encouragement des sciences g6ogra-
phiques.
Votrc Soci6t6 n'a point les larges ressources finan-
ciferes de ses stjeurs puln6es, les Soci6t6s g6ographi-
ques de Londres et de Saint-P6tersbourg; mais elle
possfede sans conteste une c616brit6 et une induence
scientifiques, qui font rechercher avant tons autres les
prix et les m6dailles qu'elle distribue. L'opinion pu-
blique, alors qu'une autorit6 respect^e lui aura signale
et r6v6l6 ces voies nouvelles, ces recherches a tenter el
k suivre a travers tant de perils , embrassera avec ar-
(877)
deur ces nobles projets, et les soldats ne manqueroiit
pas pour ces lointaines expeditions. Je ne m'6tendrai
pas plus sur cette proposition, qu'il sufTit d'exposer.
A notre 6poque, pour frapper I'opinion publique et
agir sur elle d'line manifere vive et durable, il est un
levier tout-puissant ; c'est ce Briar6e aux cent bras, la
presse. La Soci6t6 de g^ographie , employant cet in-
strument, pent faire appel au pays par I'organe des
journaux, qui s'empresseront tons d'ouvrir leurs co-
lonnes. Elle pent surtout eniettre elle-meme des pu-
blications diverses traitant la question dont je m'oc-
cupe
(Ici suit une proposition dont la commission centrale
aurait k s'occuper dans une de ses prochaines stances.)
La propagande dont la Soci6t6 de geographic pren-
drait ainsi I'initiative et la direction rappellera a bien
des esprits celle que de nombreuses societ^s anglaises,
institutes dans des buts differents, mais qui oftrent
une grande analogic, poursuivent avec cette opinia-
tret6 et cette largeur de ressources qui caract6risent
^ les entreprises de nos voisins d'outre-Manche. C'est
par des publications, faites h bas prix, quoique 6ina-
nant des meilleurs 6crivainsde la Grande-Bretagne, et
r^pandues parmi le peuple avec une veritable profu-
sion, que la Soc'i^t^ for t/ie difj'usion of the useful know-
ledge, dont lord Brougham est I'un des fondateurs et
le directeur permanent, a fait faire de si grands pro-
grfes h I'instruction populaire en Angleterre. Les so-
ci6t6s bibliques, celles de temperance et, dans une
autre sphere d'idees, la grande ligue pour I'abroga-
( 378 )
tion des lois sur les c6r6ales, onl obtenu par le nieme
instrument tout-puissant les plus vastes r^sultats et
accompli pacifi'quement des revolutions morales et po-
litiques.
Pour la France, pour la Soci6t6 de g6ographie, la
tache a remplir ne manque pas de grandeur. Reserver
11 notre pays I'honneur d'une des plus belles explora-
tions qui restent encore a faire ; ouvrir la route entre
nos deux colonies; soumettre a notre influence, a notre
commerce, a la civilisation, au christianisme , ces
vastes et fertiles contr6es, ou tant de millions d'hom-
mes croupissent dans le plus abject et le plus sanglant
6tatde d^sordre : tons les moyens doivent etre accep-
t6s, qui peuvent conduire a d'aussi importants r6-
sultats.
La proposition que je viens d'exposer n'est qu'un
pr61iminaire aux mesures qui tot ou tard seront prises,
pour 6tablir les communications entre nos deux grandes
colonies africaiiies : communications dont la conve-
nance et la n6cessit6 meme sont, d'aprfes I'expression
de I'illustre M. Jomard (1), si 6videntes, qu'on doit
insister, jusqu'a ce qu'elle soit r6alis6e. Ces id6es et
ces projets sont rest^s jusqu'a ce jour a I'^tat d'6tudes
pour les esprits 6clair6s, qui sont trop peu nombreux ;
et il m'a sembl6 qu'il importait avant tout de popula-
riser ces projets, en les mettant k la connaissance et a
la port6e de la masse du public, dont le concours pent
seul donner a leur execution une impulsion vigoureuse.
(I) Voir Bulletin de juin 185t. — Instructions pour M. Kaidherbe,
aujourd'hui gouverneur du S6n(fgal, et dont radmiuistraliou fera
^poque dam Tbistoire de cetlecolonie.
( 379 )
Tel est le but de la proposition que je soumets k la
Society de g^ographie.
Le 9 avril 1859. LaROCHE.
NoTA. J'apprends par les journaux que M. 0. Mac-
earthy vient de quitter Paris, charg6 d'une mission par
le ministfere de I'Alg^rie, et qui est d' explorer le che-
min d' \lger a Tombouctou et de cette ville au S6n6-
gal, D'autre part, et sans doute sur la demande de
M. le commandant Faidherbe, le gouvernement fait
construire a Toulon un bateau a vapeur d'un tr^s fai-
ble tirage pour naviguer sur les affluents du S6n6gal
et le haut Niger. On ne pent qu'applaudir a ces deux
r6solutions, tout en regrettant qu'elles aient 6t6 prises
si tardivement. II y a dix ans que Richardson voulut
associer k son expedition dans le Soudan un Francais
d6ja connu par quelques explorations et appartenant a
I'administration coloniale; ses propositions g6n6reuses
furent repoussees. D6s 1853, un armateur de Liver-
pool a fait construire exprfes et 6quiper a ses frais le
steamer /n Pleinde, qui a explore avec un remarquable
succ6s la Tchadda. La France a dans tons ces parages
des int6rets commerciaux au moins aussi considerables
que ceux de la Grande-Bretagne. Quel n^gociant fran-
cais cependant, quel armateur organiserait une expe-
dition semblable au profit du commerce de son pays?
L' intelligence certes ne fait point defaut a nos com-
merfants; niais 1' opinion publique est rest^e jusqu'a
ce jour etrang^re ou indiffeiente k toutes les questions
que fait naitre la possession simultan^e de I'Algerie et
du Senegal sur le continent africain.
( 3S0 )
f%iiul;j^scs, S^apporliM; etc.
RAPPORT
Sur Voiwrage de M. le marquis dc Blosseville ^ intitule
HISTOIRE DE LA COLONISATION P6NALE
tTABLISSEMENTS DE l'aNGLETERUE EN AUSTRALIE,
La G^ographie, que quelqiies personnes regardent a
tort comnie nne science n'olTrant pas un grand int^ret,
perd toute aridity lorsqu'elle se trouve mel6e soit a
rinstoire, soit a la statistique : de meme quelle sert in
expliquer la premiere, elle est compl^tee par la seconde ;
et son int6ret s'accroit encore lorsque la politique vient
lui preter son caractfere d'actualite. Cette heureuse
fusion de plusieurs branches des connaissances liu-
mainesne pr^sentenulle part un ensemble plus attrayant
que dans les questions qui se rapportent aux colonies.
Li, eneflet, I'int^ret qu'olTrent I'histoire ou la position
actuelle des nietropoles, augmente en proportion des
recherches tendant a accliuiater leurs populations sous
des temperatures les plus disscmblables , dans des
pays difT^rant essentiellement entre eux.
Quelques auteurs ont entrepris d'initier le public &
ees int6ressantcs 6tudes et ils ont 6t6 recompenses de
leur peine par la popularit6 sans cesse croissante de
leurs travaux. Parmi leurs ouvrages, le luoins remar-
( S81 )
quable n'est certainemenl pas celui de M. le marquis
de Blosseville.
En entreprenant 1' Histoii e. de la colonisation penale
et (les ctablisscuieiits de l' Angleterve en Justralie, cet
auteiir a rendu un grand service, les travaux de ce
genre etant raalheureusement trop rares ; et, en con-
statant par des fails acquis les r^sultats produits par
tel on tel systfeme, il a epargn6 bien des reclierches
aux 6conomistes qui lui succ^deront.
L'histoire des 6tablissenients anglais en Australie
presentait a 6crire une grande difticulte que son auteur
a heureusement resolue. Les fails saillanls faisaient
presque absolumenl d^faul, el en relalanl les progrtjs
successifs de ces 6lablissemenls, progres pour lesquels
chaqueann6e demandail une constatalion nouvelle, on
se serait expos6 a n' avoir plus qu'une froide nomencla-
ture, une sorte de diclionnaire, auquel des repetitions
conslantes, mais n6cessaires, auraient 616 lout int6ret.
M. de Blosseville a su eviter habilement cet 6cueil en
divisant son livre en plusieiu's parties. Dans une pre-
miere, il rend compte des tentalives de deportation qui
ont eu lieu dans tous les pays, depuis les temps les
plus recalls jusqu'a I'epoque ou les Anglais prirenl
pied sur le sol auslralien ; dans une seconde il nous
apprend quels sont les fails principaux qui ont precede
ou suivi rarriv6e des Anglais a Botany -Bay et au port
Jackson ; puis dans une troisieme, la plus eiendue, et
celle, ou, pour les raisons que nous venonsd'enumerer,
la monotonie 6lait le plus a craindre , il a scinde ses
chapitres d'aprfes la lisle des gouverneurs, division qui
tient en quelque sorte lieu de jalons dans rhistoire
( 382 )
australienne et qui 6pargne bien des redites. Enfin,
arriv6 i I'ann^e 1832 , il abandonne cette division
pour passer en revue les dilTerents 6tablisseinonts par-
venus a un degr6 de prosp6rit6 qui leur perniet de ne
plus r6clamer les secours de la mt^tropole. Cette revue
une fois faite, il ne s'occupe plus que des questions qui
int6ressent I'Australie tout enti6re ; c'est ainsi : qu'il
nous met au courant des jugements contraires port6s
soit en Angleterre, soit en Australie sur la colonisation
par les convicts ; qu'il constate les progr^s de I'^migia-
tion anglaise, et qu'en dernifere analyse, il nous fait
assister au d6veloppement incroyable que notre 6poque
a vuse produire sur le continent australien et dans les
lies voisines par suite du d61ire resultant de la fifevre de
I'or.
M. de Blosseville termine son ouvrage par une sorte
d'appendice qu'il nomme : Considerations generates ,
dans lequel ont trouv6 place les projets et les essais de
la France pour imiter 1' Angleterre dans la plus belle
de ses conquetes, celle quelle a su faire sur la nature, •
au profit de riiumanit6.
L'histoire et la statistique tienneiit dans ce travail
une large part, inais le but de notre Society, comme
les limites de ce rapport, nous font un devoir i\o n'y
toucher qu'incidemment. Nous nous bornerons done k
extraire de ces deux int6ressants volumes les notions
g6ographiques qu'ils renferment , n'entrant dans les
d6veloppements liistoriques ou economiques qu'autant
qu'ils nous paraitront indispensables.
( 383 )
Lorsqu'aprte le traits de Versailles, en 1783, I'An-
gleterre eut reconnu I'ind^pendance des fitats-Unis,
seshommes d'fitat virent surgir une complication qui,
bien que de second ordre, n'6tait pas sans importance
pour I'avenir. La deportation legale dans FAm^rique
anglaise avait du cesser pendant la guerre et les con-
damn6s avaient 6t6 internes sur des pontons , systfeme
qui exigeait non-seulement d'^normes d6penses, mais
qui avait le grave inconvenient de laisser au milieu des
populations les malfaiteurs lib6res. Bien des plans furent
proposes pour parer k cet inconvenient, mais tous etaient
plus ou moins defectueux. Les dilKrents partis ne s'ac-
cordaient que sur un point, eloigner k tout prix les
condamnes de la terre natale. En partant de ce prin-
cipe, il se pr^sentait une nouvelle difficult^ : dans quel
territoire pouvait-on les d^porter? Toutes les posses-
sions anglaises furent pass^es en revue, mais on les
ecarta successivement, les unes, parce que d6ji peu-
piees de colons europeens, elles se refuseraient certai-
nement k recevoir de pareils immigrants, les autres,
comme le Canada ou la Nouvelle-Ecosse dans lesquelles
de vastes espaces etaient encore inhabites, parce
qu' elles etaient trop voisines des fitats-Unis, et que,
secondees par une population aussi rerauante que les
condamn^s liber^s, on pouvait craindre qu'elles ne
suivissent leur exemple.
L'embarras etait done a son comble lorsqu'on se sou-
vint de la grande terre australe que Cook (1) avait si-
(1) On peut consulteri propos dela d^couverlepar lecapitaine Cook
de la panic orientale de la Nouvelle- Hollande, une notice de M. J.-D.
( 88/i )
gnal^e qiielques ann^cs aiiparavanl couime formant
nnc He immense. Larade de Botany-Bay, dans laquclle
ce voyageur avail relach6, -^tait particulierement re-
commandee comine ofTrant toutes les facilites desira-
bles. Une vegetation puissante, I'abondance des bois
et des poissons, la facilite de I'aiguade, la commodity
du mouillage, vant6s dans ses r6cits, donnferent de cet
endroit I'opinion la plus favorable et en d6terniint;renl
le choix comme s6jour alTect6 a la deportation.
L'etat politique de 1' Europe etaitacette epoque sin-
guliferement propice aux vues de I'Angleterre, les
grands 6venements qui se priparaient en France 6taient
devenus 1' unique pr6occupation des gouvernements
comme des peuples, et nul ne s'inquietaitde la forma-
tion d'un petit etablissement p^nal aux Antipodes. Ed
consequence un ordre du Conseil, date du 6 decembre
1786, designa le siege du nouvel etablissement, et le
capitaine de vaisseau Arthur Phillip fut nomm6 « capi-
» taine general et gouverneur en chef de tout le terri-
» toire appeie la Nouvelle-Galles du Sud, s'etendant
)) depuis le cap York, ou extremite nord de la cote, par
)) la latitude deiO° 37' sud, jusqu'al' extremite sud, ou
» cap Sud de la meme terre, par la latitude de 43' 39'
)) sud; ct de tout I'interieur du pays a I'ouest, jusqu'au
» 135' degre de longitude est, en comptant du meridien
» de Gi'eenwich, sans en exceptor ni le^ iles adjacentes
» de I'ocean Pacifique, entre les latitudes ci-dcssus
Barl)i(' du Borage sur un manuscrit de la biblollK'qiie Je M. le prince
de Talleyrand, nniiie lue en sesame publique de lluslitut, le 3 juillet
1807, oil il esl deniuulrd que ceUe cdie avail et^ recoQDuedei 1525
par les rortugais.
( 385 )
') cl6taill6es, ni les villes, ganiisons, citadelles, forts ou
» autres fortifications et ouvrages militaires qui pour-
') raient etre 61ev6s par la suite sur le territoire ou sur
» quelques-unes des iles enclav^es dans cette prise de
» possession. »
Depuis la iameuse bulle d' Alexandre VI, jamais pa-
reil envahissement n'avait 6t6 commis par aucun peuple,
et I'Angleterre sentait tellement I'iniportance d'un pa-
reil acte, qu'elle en fitun secret d'lfetat.- Le nionde civi-
lise ne le connut que 16 ans apr^s la prise de posses-
sion.
Toute intervention europ6enne cMant done 6cart6e,
les hommes d'Etatde la Grande-Bretagne n'eurentplus
k se pr^occuper que des obstacles mat^riels qui pou-
vaient nuire a leurs projets ; et le premier coiivoi en
destination de I'Australie, compose de 11 navires, por-'
tant outre le materiel et les approvisionnements ueces-
saires, un personnel de 565 hommes, 192 femmes et
18 enfants, extraits des prisons, plus 265 passagers ou
soldats, en tout 10^0 personnes, mit a la voile le
13 mai 1787. II se trouva r^uni a Botany-Bay au mois
de mai de I'ann^e suivante.
Le pays dans lequel cette expedition allait aborder
6tait loin de presenter I'aspectseduisant que lui avaient
attribue les r^cits de Cook, Banks et Solander. Aussi,
dit M. de Blosseville, <, le Gouverneur Phillip chercha-
)) t-il en vain ces belles prairies, cette terrfr f^conde et
» bien arros^e, dont la description avait determine le
.. choix de I'Angleterre. Partout, il est vrai, s'offraient
» a ses regards des paysages pittoresques et des sites
» enchanteurs; mais il demandait un sol propre a I'agri-
XVII. MAI ET JUIN. 5. 2(3
( 386 )
» culture et ses yeux ne rciicontraient qu'un sable
» arlde ; il demandait des patnrages fcrtiles, et ne de-
)) couvi'ait que des mar6cages entretenus par les eaux
H saumatres de la riviere Cook ; inmienses uiar^cagcs,
» aussi profonds qu'insalubrcs. Plus loin, le terrain pa-
I) raissait devoir etre moins rebelle aux travaux de I'a-
1) griculteur ; mais le manque d'eau douce pr6sentait
» un nouvel obstacle k I'^tablissement projett^. La bale
» elle-meaie, cette bale si vant^e pour la surety dn
» mouillage, 6tait obstru6e par de grands bancs de vase
» et n'oflrait pas assez de profondeur. Bien que spa-
V cieuse, elle exposait les navires a tous les dangers
I) d'une rade ouverte. Les chefs de rexpedition recon-
B nurent avec douleur que, malgr6 son exactitude ordi-
') naire, Cook s'^tait beaucoup trop abandonn6 k son
» imagination dans la description de Botany-Bay. »
II falhit done chercher sur la cote orientale de 1' Aus-
tralie une position plus convenable pour la formation
d'un premier etablissement. Les cartes de Cook indi-
quaient a 16 milles dans le nord de Botany-Bay, une
anse nomm6e port Jackson, du nom d'un obscur ma-
telot; Quelques clialoupes y furent envoycies et les
hommes qui les montaient revinrent emerveill^s, racon-
tant qu'ils avaient d^couvert, non pas une petite anse
ou des bateaux pourraient trouver un abri, mais un
immense bassin ou dans des eaux bleiies, tranquilles
et profondes, pourraient manoeuvrer toutes les flottes
de I'univers.
Apr6s une courte exploration , Philipp cnthousiasm6
de la beaute du port Jackson, quoique le sol environ-
nant n'y fut pas beaucoup plus fertile qu'k Botany-
( 887 )
Bay, ph6nomfene commun du reste i presque tout le
littoral de la Nouvelle-Galles jusqu'^ pliisieurs milles
dans I'int^rieur, prit sur lui de placer sur ces rivages
la ville qui devait devenir le si6ge de la nouvelle colo-
nie, h. laquelle il donna le nom delord Sydney.
Au moment oii la flottille anglaise allait quitter Bo-
tany-Bay pour entrer dans le port Jackson, deux voiles
parurent a I'liorizon. On les prit pour des vaisseaux
hollandais venant s'opposer k la formation d'une colo-
nie sur des rivages dont ils pouvaient revendiquer la
possession, mais cette crainte s'6vanouit bientot quand
on reconnut les deux navires francais I' Jstrolabe et la
Boussole, qui, SOUS le commandement de La Peyrouse,
poursuivaient au profit de la science leur grand voyage
de circumnavigation, Ainsi, la fm de la meme journ6e
vit entrer les frigates de La Peyrouse a Botany-Bay et
les fondateurs de I'empire australien au port Jackson.
Les commencements del'^tablissement anglais furent
singuliferement difficiles , les convicts amends en
Australie avaient 6t6 en grande partie choisis parmi les
malfaiteurs de Londres, et les agriculteurs faisaient
presque absolument defaut. La maladie avait atteint
un grand nombre des membres de I'exp^dition, Beau-
coup de bestiaux avaient p6ri pendant la travers6e. A
ces pertes se joignaient celles que pouvaient causer
des d6sertions nombreuses dont la suite naturelle dans
un pays inconnu et inculte 6tait la mort du d^serteur.
D6s le principe, le gouverneur Phillip dut 6tablir
une cour de justice civile, line cour de justice crimi-
nelle fut ^galement cr66e. En peu de temps, cette der-
ni^re eut h. prononcer de nombreuses condamnations,
( 388 )
et la jeune colonie dut chercher k (Eloigner de son sein
ses propres malfaiteiirs. Dans ce but, die devint elle-
meme m^tropole et la petite ile Norfolk, de 6 millcs de
longsur 2 1/2 de large situ6eau nord-onest dela Nou-
velle-Zeiande k 300 lieues de Botany-Bay, futalVect^e
k cette destination. Sa salubrity, la f6condit6 du sol el
la beaut(i de la v(jg6tation larecommandaient suftlsam-
ment.
La plus grande difficulie centre laquelle Phillip eut
k lutter dans les premiers moments, fut le manque de
vivres. Les bestiaux amenes d'Angleterre diminnaienl
sensiblement ; quel({ue3-uns etaienl morts demaladie,
quelques antres avaient pris la I'nite dans cette con-
tree encore inconnue ou il n'6tait pas possible de les
poursuivre.
L' administration des vivres manquait de surveillants,
il falhit en choisir parmi les convicts eux-memes, et,
de li, prirent naissancc des vols et des pillages sans
nombre.
Les pcuplades indigenes dont on avait espere tirer
quelques secours pour seconder 1' extension des cultures,
se refusaient a toute esp6ce de travaux. L'amiee 1790,
entre autres, commenca sous de Iristes auspices, I'An-
gleterrc semblait avoir abandonn6 sa jeune colonie, et
depuis deux ans, pas un naviie europ6en n'6tait arrive
en Australie. La tlisclle se fitsentii', il fallut diminuer
autant que possible les rations et cnvoyer un grand
nombre de convicts a I'ile Norfolk ou les r6coltes avaient
6t6 plus abondantes. Sydney n'olTrit bient6t plus que
le triste spectacle d'un village depeupk'" par la famine.
Enfin, le 20 juin 1790, plusicurs vaisseaux charges de
( 389 )
vivres, d'animaux domestiques et de colons, entrferent
au port Jackson et les privations cess^rent. Les travaux
commences furent repris, et d6s lors s'ouvrit pour la
colonic une fere de prosp6nt6. Onvit s' Clever a Sydney
plusieurs maisons particuliferes et qnelques Edifices
publics, autour desquels se groupaicnt des cabanes
construites par les convicts. Les demandes de conces-
sions augmentferent. Cette nieme ann6e fut cependant
signalee par une mortality effrayante eu egard au petit
nombre des habitants. On compta 159 d^c6s, la plu-
part causes ])av la maladie ; mais la mort, en frappant
presque exclusivement sur les nouveaux d6barqu6s,
prouva bien plus une absence presque enti^re de pre-
cautions sanitaires a bord des vaisseaux, que 1' insalu-
brity du pays.
On doit signaler aussi comnie un des obstacles au
d6velopperaent de la colonisation le nombre tonjours
croissant des desertions. Beaucoup de convicts quit-
taient secr^tement la colonic, soit qu'ils trouvassent
moyen de se cacher k bord des navires, soit qu'ils fus-
sent pouss6s par Tid^e inv6ter6e chez eux, qu'en sui-
vant les cotes vers le nord, on pouvait gagner par
terre, soit la Chine, soit I'ile Timor. Cette pens^e etait
surtout r^pandue chez les convicts irlandais.
Quant aux indigenes, les relations entretennes avec
eux par les colons furent pen fr^quentes, lacrainteles
eiojgnait du centre de la colonic, et il fallut employer
la force pour en amener qnelques- uns a Sydney et
essayer de les civiliser. On n'obtint du reste aucun
succfes, et quand par hasard ils s'approchaient des eta-
blissements, c'6tait presque toujours dans le but de
( 390 )
commettre quelques vols, bientOlsuivis, de la part des
convicts, de sanglantes repr6saillGs qui Icur faisaient
fuir, de plus en plus, le contact des Europ6ens. Les
naturels ont lapeau noire, moins fonc6e cependaut que
celle des Africains, leur front est plus 61ev6, leur nez
plus preeminent, leursl^vres moins epaisses, leur corps
est plus grele et moins musculeux : (( D'hypotli6se en
n hypoth^se, dit M. de Blosseville, on en est venu k
» pen pr6s d' accord h. adniettre une suite de migrations
» qui donne pour ancetres ou pour fr6res aux naturels
» de I'Australie, les Alfourous et les Endam6ncs des
)) hautes terres de la Malaisie, peut-etre meme de Ma-
il dagascar, en se r6pandant de proclic en proclie des
» Nouvelles-Hebrides alaNouvelle-Calctidoine, etde la
» Nouvelle-Guin6e au continent, par le d6troit de Tor-
» r6s, d'ile en ile, d'6cueil en 6cueil. Mais ces conjec-
)) tures n'ollVent rien de tr6s satisfaisant a I'esprit; et
» Ton se demande comment cette race d'hommes dilTiire
» autant des insulaires cuivr6s du grand Archipel d' Asie
» et de la plupart des groupes polyn6siens (1). »
D'autres autcurs, comme M. Agassiz, qui repoussent
les traditions bibliques, admettcnt que les Australiens
sont une race k part, n6e surle sol. Quoi qu'il ensoit,
au point de vue physique,- comme au point de vue
moral, les indigenes de I'Australie sont classes paries
naturalistes au dernier degre de I'ecbelle humaine.
(1) L'hypothese qui fprait vpnir les Aiislralims de Madajiasrar, nous
gemble d'autant moins fondce, qu'au contraire, uup partie do la po-
pulaiioH de celte j^raude ile representee par les Hovas et les Uelsil^os
eil ^videmment venue de la Malaisie.
( 391 )
Le 11 d6cembre 1792, aprfes cinq ann^es d'exercice,
le gouverneur Phillip quittait la colonie qu'il laissait en
pleine voie de prosp6rit6. lleut pour successeur le major
Grose, sous lequel I'^tablissenient anglais continua 4
se d6velopper. Les cultures s'^taient etendues au point
de suffire a la nourriture des colons 1^'ile Norfolk put
meme, a un moment donn6, exporter un exc6dant de
r6coltes ; et lorsqu'en 1795, Hunter, qui avait com-
niand6 un des vaisseaux de la premiere expedition,
revint en Australie, comme gouverneur, apres cinq
ann6es d' absence, il fut a meuie de constater une ame-
lioration graduelle, beaucoup plus sensible qu'un si
court espace de temps ne pouvait le faire supposer ;
mais il dut remarquer aussi I'existence de nombreux
abus. Le vice de I'ivrognerie avait pris surtout chez l^s
convicts des proportions eflVayantes. II fallut restre^;^
dre a uu tr6s petit nombre d'individus le drQi,t,^e^,YeMdue
les spiritueux, qui avait donn6 lieu a (Je^^^pecnlat^oiis
dangereuses pour la sant6 publiqw^^^^r, n :'f9brtfimraoo
Les convicts liber6s forpi^rent ,p€n4&ixt,. Ipp^t^mps
un des plus grands obsta,Qles au developpenient ^meiite durably ,.>^^^ j^^ ^^a^sami fiJ? ah qnoh nn
Les indigenes aussi 6taient, pour les autbrit^s, la
( 392 )
cause de graves preoccupations ; tour k tour amis ou
ennemis des Anglais, ils ont dt>ploy6 dans toutes les
circonstances un caract6re jaloux , vindicatif ct tur-
bulent. Quclques enfants du pays, pris ct 61cv6s par
les colons, leurdonnaient autant denial que leuis com-
patriotes les plus sauvages. Notre auteur cite nieme ce
fait : Un jeune indigt;ne, connu sous le nom de Bennil-
long, instrait par les Anglais eth moiti6civilis6, partit
pour I'Angleterre avec Phillip. Revenu avec Hunter, il
se montra aussi turbulent que le dernier des indi-
genes.
JusquW I'ann^e 1797, les notions g6ograpliiques
des colons sur I'Australie ne s'6tendaient qu'a quel-
ques milles dans Tint^rieur ; et sur les cotes, outre les
d6couvertes de Cook, que mSnie ils n'avaient pas v(^ri-
fi6es, elles se bornaient k quelques baies ou havres
tout a fait voisins de Port-Jackson. Hunter fut le pre-
mier gouverneur qui fit quelques efforts pour amener
la connaissance du pays dans lequel il 6tait appel6 k
commander ; il donna ainsi quelque activity aux voyages
de d6couvertes. Le lieutenant Bowen p6n6tra dans la
baie de Jervis, d6ji indiquee par Cook et situ(5e un
peu au sud du 35" latitude sud, et MM, Grimes et
Broughton signalerent le port Stephen vers le nord du
33° latitude sud.
L'ann6e suivante, les deux plus intr6pides explora-
teurs de la nouvelle colonic, Bass et flinders, que des
voyages pr6c6dents avaient mis a menie de soupcon-
ner I'existence d'un bras de mcr entre la terre de Van-
Diemen et I'Australie, parti rent du port Jackson, sur
un sloop de 25 tonneaux, qui leur fiU confi6 par le gou-
( 393 )
verneur. lis avaient pour mission de traverser le d6-
troit qu'ils pensaientexister entre I'Australie et laterre
de Van-Diemen ; de plus, ils devaient revenir a Syd-
ney, en contournant cette derni^re. Aprfes une navi-
gation p6nible, ils franchirent en effet le d^troit, et le
11 Janvier 1799, apr^s avoir suivi I'itint^raire indiqu6,
ils ^taient de retonr a Sydney. Hunter donna a leur
d^couverte le nom de d6troit de Bass. Peu de temps
apr6s, Flinders, toujoursinfatigable, poussases explora-
tions jusqu'aux baies reconnnes par Cook, de Glass-
House ou Moreton entre 26"5Zi'et 27" lili' latitude sud,
et d'Hervey, par 25° latitude sud.
Le "28 septembre 1800, le gouverneur Hunter s'em-
barqua pour retourner en Angleterre, laissant la colo-
nic d^k sure de I'avenir. L'ordre r^gnait dans les 6ta-
blissements. Un fort avait 6t6 construit et arm6 a Sydney.
Les convicts perdaient peu apeuleurs babitudes de pa-
resse et s'adonnaient davantage a 1' agriculture. Un cer-
tain nombre de colons libres avaient form6 des etablisse-
ments. Les troupeaux s'etaient notablement accrus.
Quelques explorateurs avaient commence a p6n6trer
dans I'interieur du pays et plusiei:rs routes avaient et6
trac6es. Un certain nombre de navires de commerce,
attires par des speculations particuli^'res, atterrissaient
chaque ann6e au port Jackson. Hunter fut remplac6 par
le capitaine Pbilip Gidley King, de la marine royale,
qui avait le premier rempli les fonctions de surinten-
dant et commandant de I'ile Norfolk.
Pendant que King gouvernaitla colonic, en 1800, le
lieutenant Grant explora la cote nieridionale de la Nou-
velle-Hollande et donna son nom au territoire qui s'6tend
394 )
entre le port Western et le cap Norlhiimberland.
Vers la meme 6poque, le capitahio Nicolas Baxulin,
de la marine francaise (1), commandant les navires
le Natura/iste et le Geoifrap/ie, vint aborder au cap Leeu-
vviu sur la cote occidentale du continent et visita suc-
cessivement la bale du Geograplic, I'ile Rotte-Nest, la
riviere des Cygnes (Swan river), la baie des chiens
marins ^Shark Bay) oil se trouvent la peninsule P6ron
et les goll'es Hanielin etFreycinet, puis la terre d'Edel,
celle d'Endragt, celle de Witt et enfin I'ile Timor. —
II repartit bientot de ce dernier point et arriva le 13 Jan-
vier ISOl au sud de la terre de Van Diemen, dont il
visita les parties sud, sud-est et est ; puis, traversant
les detroits de Banks et de Bass dans lesquels il laissa
le Natura/iste, il visita avec le Geo<;rnfjlie\a partiealova
inconmie des c6tes m^ridionales de 1' Australie comprise
entre le cap Northumberland, limite occidentale "des
decouvertes de Grant, et les lies Saint-Pierre et Saint-
Francois. 11 imposa a touts cette 6tendue de cotes le
nom de terre Napoleon, niais les Anglais ont depuis
efl'ac6 ce nom et divise cette c6te en deux parties ; ils
ont laiss6 a la premifere, qui s'6tend entre la baie de la
D6couverte et le cap Jervis, le nom de terre Baudin,
tandis qu'ils ont nomm6 la seconde, terre Flinders. —
Au dela du cap Jervis, Baudin signala I'ile Decr6s que
les Anglais nomment I'ile du Kangaroo, et il entrevit
lesgolfes Saint-Vincent et Spencer dans lesquels le trop
grand tirant d'eau de son navire ne lui permit pas de
p6n6trer. En passant au cap .Monge, il avail rencontr6
(I) Qu'il ne faul pas confoadre avec lamiral de ce nom.
( 395 )
Flinders qui, mont6 sur r Investigator, faisait pour le
compte de I'Angleterre le meme voyage, mais en sens
inverse. De retourau port Jackson, Baudin s'empressa
de freter une petite goelette nomm6e la Casuari/ia;
confi6 k M. Freycinet, ce navire p6n6tra dans les deux
golfes Saint-Vincent et Spencer, qui recurent les noms
de Josephine et de Bonaparte, qu'ilsont perdus depuis.
C'est pendant le gouvernement de King , que les
Anglais formferent leurs premiers etablissements sur la
terre de Van-Diemen ou Tasmanie. Le lieutenant Bowen
y installa quelques colons sur les rivages du Derwent,
nom anglais donn6 a la riviere que d'Entrecasteaui
avait le premier nomm6e rivifere du Nord.
Un peuplus tard, en mars 180/1, le lieutenant gou-
verneur Collins partit de Sydney, dans le but de con-
duire une expedition coloniale au port Phillip dans le
sud de la Nouvelle-Galles ; mais ayant trouv6 le sol plus
ingrat sur ce point qu'on ne le supposait, il changea
sa destination et conduisit 6galement les colons dont il
s'6tait charg6 sur les rivages du Derwent, un pen plus
au nord que I'^tablissement form6 par le lieutenant
Bowen. La, il jeta les fondements d'Hobart-town. A
peu pr6s vers la meme 6poque, ladifficult6 de la navi-
gation autour de I'ile Norfolk, son peu d'6tendue et les
ravages causes par de trop grands vents ayant engag6
le gouvernement a d6cr6ter son abandon, les colons qui
la peuplaient furent transport's au port Dalrymple a
r embouchure de la rivi6re Taniar dans la terre de Van-
Diemen ou ils formferent T'tablissement de York-town
dans des conditions bien plus avantageuses qu'a I'ile
Norfolk.
( 390 )
En 1800, aprfes six annees d'exorcice, King retonrna
en Augleterre. Son successcur fiit lo capitaine A\'illiam
Bligli que sa fermet^ excessive fit bientot detester par
tousles habitants, colons libres, niilitaires ou convicts.
Son manque de respect pour les droits individuels et le
systtjme de rigueur outr^c f[u'il employa, amenferent
bientot une conspiration militaire. Saisi paries revokes,
11 fill mis en ])risoi! et cmbarqij6 pour la Grande-Bre-
tagne; niais, chose remarquable , nialgre la revolte,
I'ordre ne cessa pas un instant de regncr dans la colo-
nic, oil Ton commencait a connaitre le prix du temps.
L'ann6e 1810 vit arriver le lieutenant-colonel La-
chlan Macquarie, 5« gouverneur. Ln recensement fait
a cette ^poque donne 10 Z|5/i habitants a la Nouvellc-
Galles, dont ?.220 femmes et 2721 enfants ; parmi cos
derniers , pr6s des deux tiers 6taient illegitimes.
21000 acres de terre avaient 6t6 mis en culture et
14 000 convertis en paturages; le nombre des betes a
laine atteignait 26 000, celui des betes a cornes 1 2 500,
celui des chevaux 1200. On comptait en outre
1321 habitants a la terre de Van-Diemen et 173 k Tile
Norfolk.
Loin de ressembler a son pred^cesseur, Macquarie
6tait6claire, affable, populairo et avided'auK^liorations.
II essaya encore une iois d'initicr Ics indigenes a la ci-
vilisation. Pour y parvenir, il cr('!a un village modelc
ou des concessions defrichi^es furent donn6es k des
Australiens, avec tout le materiel n^cessaire etun chef
pris parmi eux. Cette tentative n'eut pas un mcilleur
succ^s que les pr6c6dentes.
Au moment ou Macquarie prit les rfenes du gouver-
( 397 )
nement, le pays n'^tait pas encore connu au dela des
Montagues bleues, chaine qui court paralltjlement h. la
cote est, a une profondeur dans les terres variant entre
50 et 100 milles. La colonic n'occiipaitqu'nn espace
de 80 milles du nord au sud, et de ZiO de Test kl'ouest;
mais son territoire allait bientot s'etendre. En 1813,
le lieutenant Lawson, Blaxland et "\^'entwortll trou-
v6rent un passage a travers les Montagnes bleues. Peu
aprfes, le sous-ing6nieur Ewans p6n6tra au dela de ces
montagnes jusqu'a 100 milles de ce passage. Une route
fut immediatement entreprise dans cette direction, et
d6s 1815, les voitures chargees pen^traient au deli
des montagnes. Macquarie explora cette route et ayant
6t6 s6duit par la beauts et la fertilite du pays, il jeta
sur les bords d'une rivifere qui porte son nom et qui
coule du sud-est au nord-ouest les fondements de la
ville de Bathurst, capitale d'une nouvelle province.
La fondation de Bathurst donna une grande impul-
sion aux voyages de decouvertes dans I'interieur. En
1817, I'inspecteur g6n6ral Oxley partit de cette ville,
dans le but de determiner le cours de la riviere Lach-
lan, et de reconnaitre si elle se jetait dans un lac ou
dans la mer. II put suivre ce cours d'eau dans la direc-
tion de I'ouest, jusqu'aux environs du 1Z|7' longitude
est de Creenvvich ; mais des marais 1' ayant arrets en
cet endroit, il dut descendre assez loin dans le sud,
pour remonter ensuite au nord, oii il retrouva le Lacli-
lan, vers 33" 20' latitude sud. A partir de ce point, il
suivit encore cette rivifere dans la direction sud-ouest,
jusqu'a de nouveaux et immenses marais situes par
34° latitude sud, entre liS" et Ihlx" longitude est. Ne
( 398 )
pouvant cette fois les tourner 6. cause de leiir 6tendue,
il revint sur ses pas ; cependant, au lieu de repasser
au sud da Lachlan, il reraonta an nord-est, jusqu'i la
riviere i\Iac([uai-ie, d'oi il gagna Bathurst, sans avoir
d6couvert de fleuve navigable ayant son embouchure
dans r Ocean, mais en rapportant des documents pr6-
cieux pour la colonisation future des pays qu'il avait
parcourus.
Au moment ou Oxley suivait les rives dn Lachlan,
une autre expedition, commandee par le lieutenant
Phillip Parker King, fils du troisi^me gouverneur de
la Nouvelle-Galles, longeait les cotes nord et nord-
ouest de I'Australic pour reconnaitre les embouchures
des fleuves. A peine de retour de ce voyage qui avait
dur6 sept mois, Ring repartit pour le nord, iraversa
le d6troit de Torres et d6couvrit la riviferc Livei'pool et
le golfe de Caml^ridge. Dans une troisieme exploration,
il parcourut la cote nord-ouest, de I'ile Cassini a la
rivifere du Prince-Regent, et enfni, dans une quatrieme,
la plus importante, il passa de nouveau par ]e detroit
de Torres, visita toute la cote nord, puis alia relacher
a I'ile do France, Aprtis six semaines de s6jour dans
cette colonic, il revint au port du Roi Georges, d'oii il
parcourut toute la cote ouest, jusqu'a I'ile Rotte-
Nest.
Dans les derniers temps de son gouvcrnoinent, Mac-
quarie, voulant etendre les limites de la colonic, forma
un d6p6t de convicts dans le port auquel on a donn6
son nom, au nord de Port-Jackson, a I'enibouchure de
la riviere Hastings. Enfin, cet homme, dont la m6-
moire est rest6e I'une des plus v6n6r6es en Australie,
( 399 )
quitta ce pays, aprfes douze ann6es d'exercice. II mou-
ruten Angleterre, en 182/1.
Un recensement fait en 1821, pen de temps aprfes
son depart, donna, pour les 6migr6s volontaires et pour
les convicts 6mancip6s, un total de 12 608 hommes,
3/122 femmes, et pour les convicts des deux sexes un
nombre de 13 81 A, plus 722/i enfants : total g6n6ral,
37 068 habitants. II y avait alors dans la colonie prfes
de 200 000 betes a laine et /iOOO chevaux.
M. le marquis de Blosseville consacre les premiers
chapitres de son second volume al'esquisse d'un tableau
de r^tat social, de I'administration, du commerce et
des progres agricoles de la colonie de 1822 a 1831.
II nous montre la civilisation se d^veloppant rapide-
ment dans cette soci6t6 nouvelle oil les diff^rents cultes
chr6tiens commencent a s'organiser; oil, sous reffort
combin6 des souscriptions particuli^res et des 6pargnes
du tr6sor, on voits'elever pourainsi dire, chaque jour,
des eglises, des hospices et tontes sortes de monu-
ments d' utility publique ; ou I'instruction s'6tend avec
rapidite, ou se forment des soci6tes savantes , des
bibliothfeques, des imprimeries. Les distractions memes
de la vieille Angleterre sont imit^es dans la colonie,
les spectacles, les bals, les courses, les chasses, s'or-
ganisent aussi bien a Sydney qu'a Hobart-town. II y a
cependant une ombre a ce brillant tableau, ombre qui
formera par la suite la grande plaie de I'Australie et
qui en a deja sensiblement retards les progrfes : c'est
I'antagonisme existant entre les Emigres volontaires
qui veulent former 1' aristocratic du pays, et les riches
6mancip6s qui repoussent cette pretention.
( 400 )
Ces d6sirs tie domination d'line classe siir une
autre, doivent etre regardcs comnie los premiers
symptomesd'unenationalite qui se forme et qui recla-
mera bieutot sa liberty politique.
Vers 182/i, en ellet, eut lieu la premiere demons-
tration des colonies australiennes en faveur d'une
representation nationale. Vingt-quatre des plus riches
colons demand^rent, par une petition a la metropole,
I'etablissement d'une assemblee coloniale. Le gouver-
nement anglais, n'osant refuser entierement, cr^a pour
quatre ans un conseil l^gislatif de cinq ou sept
membres choisis par le roi. Ce conseil etait purement
consultatif pour les mesures d'ordre et de surete. II
recut une modification en 1829, le nouibre de ses
membres fut angmente.
Pendant la periodc qui s'6coule de 1822 a 1831 , les
impots 6tablis sur la base de la consommation, 6videm-
ment la moins sujettc a erreur, suftisent et au dela aux
besoins de la colonie ; le commerce s'^tend consid6ra-
blement, tant avec I'Europe, qu'avec I'lnde, la Chine
et rOccanie. Sydney devient un jiort de construction
et la marine y emploie frequcmment les bois memes de
I'Australie. Cependant, malgrei'extension des cultures,
les produits v^getaux restent sur le second plan ; ce
sent les bestiaux, qui, beaucoup multiplies, deviennent
le principal element de la prosperite d'un pays dans
lequel les paturages fournissent toute I'annee une
6gale nourriture. Les chevaux eux-memes s'exportent
avantageusement pour I'lndc et Java. La peche de la
baleine prend un grand accroissement.
Outre les richesses vegetales el animales qu'on trouve
( 401 )
en Australie, on y rencontre encore d'immenses mines
de houille, placees soil sur les cotes, solt k I'interieur,
des marbres, du cuivre, de I'ardoise , de I'arsenic et
de la chaux. II y existe sur tout d'inepuisables mines
de fer, situ6es, soit sur les bords du golfe de Carpen-
tarie, soit a la riviere des Cygnes ou au port Macquarie.
La Nouvelle-Galles et la grande ile de Van-Diemen
ne sont pas les seules parties des terres australiennes
oil se soient 6tablis les Anglais. Avec leur pr6voyance
habituelle, ils voulnrent s' assurer pour I'avenir la pos-
session du continent tout entier en prenant successi-
vement pied sur tons les points ou se rencontraient
quelques-uns des avantages pouvant favoriser la crea-
tion d'etablissements coloniaux : ils y installtirent soit
des colons libres, soit, sous le titre de stations penales,
des depots de convicts. C'est ainsi qu'avant 1831, on
les vit, dans la Nouvelle-Galles, s'ditablir en peu de
temps au port Stephend sur les rives du Karua, au port
Macquarie, a Moreton-Bay , a I'emboucliure de la
riviere Brisbane et dans les petites iles Maria' et Sarah
sur les cotes de la Tasmanie (terre de Van-Diemen) .
Au nord, ils jetferent les fondements de la ville de
Dundas, dans I'ile Melville, sur le d(itroit d'Apsley, i
peu de distance de I'ile Bathurst, position d'une grande
importance politique en ce qu'elle est voisine de Timor
et de la Nouvelle-Guin6e et qu'elle permettra par la
suite, aux Australiens, defaire une concurrence redou-
table aux 6tablissements liollandais de la Malaisie. Le
port ^\ estern et I'ile Phillip, au nord du d^troit de
Bass, recurent aussi des colons.
L'ann^e 1826 vit les Anglo-australiens former une
XVII. MM ET JUIN. 0, 27
I( AOS )
petite colonic a la partie sud-ouest de leur continent,
an port du lloi-Georges, non loin du cap Leeuwin,
position recouimand^e par une excessi\e fertility et
plus voisine que Sydney de I'lnde, de Maurice et du Cap.
Mais le plus important de ces 6tablissements secon-
daires est sans contredit celui de la rivifere des Cygnes
dans le nord du cap Leeuwin. Cette nouvelle colonie,
dont le territoire tr6s salubre est en menie temps
d'une extreme fertility, lut fondle au moyen de colons
libres, par une compagnie particuli^re a laquelle le
gouvernement fit la concession d'un million d' acres.
Ces avantages, joints k sa position g6ographique, la
font envisager pour I'avenir comme un rival heureux
de la Nouvelle-Galles, et nul ne doute que dans la suite
elle ne justille pleinement le nom d'Hesp^rie australe.
Les premiex's mois de 1830 lurent signal6s par les
d4couvertes les plusimportantesauxquelles puisse don-
ner lieu le continent austr alien. Le capitaine Sturt
embarqu6 sur le Murrumbidgee, dont la source est
situee non loin de la cote orientale de la Nouvelle-
Galles et qui traverse les valines entre les Montagues
bleues et les Alpesaustraliennes,descendit cette riviere
jusqu'a sou confluent avec le Darling qui vient du nord,
3 degr^s environ plus a I'ouest que le point oii s'etait
arrets Oxley, dans son exploration du Lachlan. Le
Murrumbidgee forme avec le Darling un large lleuve
auquel M. Sturt donna le nom de Murray. Le Murray
a son embouchure dans le grand lac de Victoria, non
loin des rivages de la bale d'Encounter, tr6s pr6s du
golfe Saint-Vincent.
Le successeur de Macquaiie fut le general Brisbane,
463 )
astronome 6cossais, hbmme faible et irr^solu. L'his-
toire de son goiivernement liendrait peu de place dans
les annales australiennes, s'iln'avaitpas6t6signal6 par
qiielques d^couvertes g6ographiques. Ainsi Hovell et
Hume, ce dernier natif de la Nouvelle-Galles, partis
du lac Saint-Georges a la hauteur de la bale de Jervis,
se dirigferent vers le sud k travers le continent et par-
vinrent au port Phillip, an nord du d^troit de Bass. —
Cunningham trouva nn passage pour p6n6trer dans
les vastes plaines signal^es dans le nord et I'ouest par
I'intendant g6n6ral Oxley qui, lui-merae, d6couvrait k
la meme 6poque une grande rivifere navigable ayant
son embouchure dans la baie de Moreton. Cette riviere
recut le nom du gouverneur.
Les Anglais doivent aussi au g6n6ral Brisbane une
institution qui activa consid^rablement la prosp6rit6
de I'Australie, Ce fut la creation des Clearing-Gangs
ou bandesded6fricheurs, compos6esde convicts au ser-
vice du gouvernement qui, sous la responsabilit6 d'un
inspecteur, entreprennent, pour les propria taires, le
d6frichement du sol k un prix fix6 par acre, prix sou-
vent payable en grains et trfes minime, relativement k
celui de la main-d'ceuvre libre.
Jusqu'en 1832, les terres avaient 6t6 conc6d6es k
peu prfes suivant le libre arbitre des gouverneurs, mais,
k cette 6poque, un nouvel acte du pouvoir m^tropo-
litain ne laissa plus au pouvoir local que le droit de
r^server des terres pour les 6glises, les 6coles et les
6tablisseraents publics. Tout le reste dut etre vendu
aux ench^res, et sur un minimum de 5 livres sterling
par acre.
( hOli )
De 1830 a 1859, mi grand nombre tie courageux
voyageurs parmi lesquels il faut cilerle major !Milcholl,
Grey, Hawdon, Eyre, le cointe Strzelecki. le baron
Hugel, les capitaines C.adell et Robertson , Robert
Austin, Auguste Gregory et enfin lecapitaine Scoresby,
ont amen6 la connaissancc d'un tiers aumoins du con-
tinent australien. Mais le detail de leurs explorations
demanderait uii volume entier, et M. le marquis de
Blosseville a du se borner a citer leurs nonis dans un
chapitre special intitule Les Decouv rears.
Les colons de I'Australie, dont le nombre augmen-
tait journellement, reclam6rent bientot avec plus d'in-
stances un pouvoir 16gislatif local. Les uns denian-
daient, par toutes les voies legales, un gouverneur
nomme et pave par la com'onne d'Angleterre , un
conseil legislatif viager et une assembl6e a ternie, elue
directement par les colons ; les autres voulaient, outre
le gouverneur, deux charabres legislatives, dont une
h6r6ditaire. Ces demandes causferent dans la colonic
une agitation assez vive, dont le resultat fut une sorte
de compromis par lequel la Nouvelle-Galles obtint une
chambrc haute, sorte de pairie viagere imitee de
riicosse. La premiere session ouvrit le 10 mai 1853 ;
mais ces vceux, timides encore en J853, dit notre
auteur, prirent une grande extension les annees sui-
vanles, el Ic gouvcrncment metropolitain fut force, en
185(5, d'accorder a la Nouvelle-Galles une assembl6e
legislative librenient elue et parfaitement iudepen-
dante, dont les decisions firent loi dans les affaires
int6rieures en tant qu'elles ne touchaicnt pas au droit
de souverainete.
( 405 )
M. de Blosseville traite ensuite s6par(5ment des dif-
f6rents points du continent dont la colonisation a 6t6
entreprise et qui , en pen de temps, sont devenus en
qnelque sorte des colonies ind^pendantes dans la
grande colonie australieinie.
La Nouvelle-Galles a continue k se d6velopper. Ainsi,
ilnonsapprendqu'enl848 elle comptait220 000ames,
et sa capitale, Sydney, 60 000. Desprogrfes ont eu lieu
dans tous les genres, en proportions 6quivalentes.
A la meme 6poque, Texportation des laines s' devait
a 23 millions de livres, celle des suifs repr^sentait une
valeurde 167 000 liv. sterl. Lesacresdeterreexploit^es
montaient a 152 000. Malheureusement certains abus
s'etaient gliss6s au milieu de ces progr^s. Malgr6 les
efforts d'une police presque absolue dans la repression,
la consommation des spiritueiix s'est accrue d'une
mani6re incroyable; en 'J 835 elle s'61evait a 7 gallons
(pr6s de 32 litres) par tete, tandis qu'en Angleterre
elle atteignait a peine un gallon et demi.
En 18/i7, la population de la terre de Van-Dienien
montait a 67 000 ames. En 1838, le port d'Hobart-
Town avait 6t6 visits par 370 batiments, et la marine
coloniale en comptait 101. L'abondance et le bon
march6 des vivres lui avaient permis de secourir la
Nouvelle-Galles pendant les ann6es de s6cheresse et
de disette, de 1825 a 1829. Elle est aujourd'hui reside
plus agricole et la Nouvelle-Galles plus pastorale. A
c6t6 d'Hobart-ToAvn, la villede Launceston a pris une
importance r6clle. Des carriferes de marbre, des mines
de fer, de sel, de charbon, sont en pleine exploitation.
Trois 6tablissements p^nitentiaires a divers degr6s ont
( 406 )
6t6 cr66s pour les convicts les moins capables de vivre
au milieu des populations. Quant aux indigenes de la
Tasmanie, la, comme dans loutes les colonies anglaises,
ils ont disparu devantla civilisation, et d6s rann6e 1S38
les tableaux de la population portent seulement 82 in-
digenes rel6gu6s dans I'ile Flinders. Enfm, en 1852,
les memes tableaux constatent que, parmi les anciens
possesseurs du pays, les naissances ont cess6 et que
quelques vieillards survivent seuls.
Vers J 851, la Nouvelle-Galles, dont les limites int6-
rieures n'etaient pas d^terminees, mena^aitde prendre
une trop grande extension pour former un seul gouver-
nement, et d'autres parties du continent australien,qui
avaient 6galement re^u une population nombreuse,
demandaient a la m6tropole une existence administra-
tive ind6pendante de Sydney. Ces raisons determi-
n^rent la creation d'un gouvernement nouveau dans la
partie sud-sud-est del'Australie, etlacoloniede Victoria,
capitale Melbourne, fut d6finitivement constitute. Ses
limites interieures partent du cap Howe sur la c6te
orientale, traversent les Alpes australiennes, prolon-
gation m6ridionale des Montagues bleues, et suivent le
cours du fleuve Murray jusqu'au 34" latitude sud, ou
elles sont fornixes par une ligne imaginaire partant du
fleuve et aboutissant a Discovery-Bay. Les cotes m6ri-
dionales de cette nouvelle province, qui forment le nord
du d^troit de Bass, comprennent entre autres, le port
Western, le port Phillip et, la bale de Portland. La
colonie de Victoria, dont la temperature rappelle
celle de I'Espagne, enibrasse un espace de plus de
100 000 uiilles carr6s. Elle est divis6e aujourd'hui en
( /i07 )
21 comt6s. EUe avait recu comme premiers habitants,
en 1833, des colons de la Tasmanied^jatropresserr^s
dans cette position insulaire. Vingt ansaprfes, en 1853;
elle pouvait nourrir le double de sa population. Elle
exportait, en 1850, 16 millions de livres de laine, et en
1855, 22 millions et demi. La meme ann6e, outre d'im-
menses paturages, 22 000 acres de terre 6taient en
culture et 3 millions d'acres 6taient conc6d6s, dans
une proportion de ZiOO 000 par an, au prix moyen de
3 livres sterling par acre. Le recensement du l"' de-
cembre 1857, a donne Zi63 000 ames. La population
de la capitale, Melbourne, plac6e dans une position
delicieuse, sur le versant d'une coUine , a 8 milles de
la mer, au bord du Yarra-Yarra, fleuve que remontent
les navires de 200 tonneaux, s'est fabuleusement aug-
ment6e. Sous ce rapport, Melbourne laisse aujourd'hui
Sydney bien loin derrifere elle. Le nombre de ses habi-
tants qui, III ans apr6s sa fondation, s'61evait a 111 000,
6tait de 100 000 en 1857, et le nombre des niaisons
de 10 000. Melbourne apris I'aspect d'une desgrandes
cit6s des Etats-Unis. On y remarque deux evech^s,
I'un catholique, I'autre protestant, et en somme, toutes
les fondationsn6cessaires a une grande ville. La colo-
nic de Victoria est aujourd'hui couverte de routes, on
y compte trois ehemins de fer. Enfm, Melbourne,
s6par6e administrativement de la Nouvelle-Galles en
1851, demandait, d6s 1852, au gouvernement de la
reine, a devenir la capitale de tout I'empire anglo-
australien. Cette pretention fut rejet^e.
Si la colonic de Victoria s'est d6velopp6e d'une
mani6re prodigieuse, il n'en a pas 6t6 de meme de
( 408 )
r^tablissement form6 par les Anglais, aunorddel'Aus-
tralie, d'abord dans I'ile Melville et ensuite a la bale
de Raffles sur le continent, dans la presqu'ile de Vic-
toria. Les colons n'ont jamais pu s'y acclimater, et le
port de Victoria, sa capitale, est reste a I'^tat de port
de refuge, jusqu'au moment ou, malgr6 I'importance
politique et commerciale de cette position, son aban-
don fut d6cr6t6. Cependant I'iiifatigable activity des
exploratcurs anglais a fait d^couvrir, depuis peu, dans
le bassin du fleuve Victoria a Test du golfe de Cam-
bridge, un territoire immense, fertile et salubre, qui
par la suite remplacera avantageusement les plages
inhospitali6res de I'ile Melville et de la baiede Raffles.
La destin(^e d'une autre colonic form^e par les
Anglais, sur la cote occidentale de I'Australie, k la
riviere des Cygnes, dans le but av^r6 d'empecher les
Francais de prendre pied dans ces parages quiauraient
du leur appartenir suivant le droit de possession fond6
sur la d^couverte, fut toute diff^rente de celle del'^ta-
blissementde I'ile Melville (1).
La colonic de Swan-River, qui n'admettait dans son
sein que des colons ou des travailleurs libres, langnit
en peu de temps, malgr6 I'excessive fertility du sol.
Les travailleurs libres voulant tous devenir propri6-
taires, voulant tous obtenir leur part du desert, la
main-d'ceuvre atteignit un prix tel, qu'il fut bientdt
(1) C'esl ici le lieu de rappeler qu'au rctour de la corvette la Coquille,
un jpune officier de ce hAlimpnt,M. Jules do Blossrvillo, frrrn do ndtre
auteur, remit nu ministre un mdinoirc contenant un projet d'occupa-
tion de la riviere des Cygnes.
( AGO )
impossible de continuer les cultures, et qu'on eut 6t6
contraint a I'abandon si le gouvernement ne se fut
d6cid6 a en former un 6tablissement p6nal et si, k ce
titre, il n'y eut envoy6 un grand nombre de convicts.
Aujourd'hui, I'etablissement de Swan-River, consid6-
rablement 6tendu, est devenu le centre de la civilisa-
tion dans la region vaste comme un grand empire qui
porta le nom d'Australie occidentale , territoire im-
mense, encore presque inconnii, malgr6 le d6vouement
des nombreux voyageurs qui ont essay6 d'en p6n6trer
le secret. On doit citer parmi ces intr6pides explora-
teurs, les Dale, les Roe, les Hillman, les Moore, les
Bannister, les Grey, les Frazer, les Gregory et les
Austin. En 1850, I'Australie occidentale comptait
5300 habitants, presque tous cultivateurs , attires par
I'appat des b6n6fices que peut donner un sol vierge,
sur lequel d'immenses prairies naturelles permettent
d'entretenir d'innombrables troupeaux, et ou le tabac,
r opium et le coton, donnent des produits de qualit^s
sup^rieures; ou des mines de houille, de cuivre, de
plomb argentiftre, promettent a I'industrie un d6ve-
loppement qui sera second^ encore, par des ports surs
et d'une facile d6pense. Perth, la capitale, situ^e sur
la rivifere des Cygnes, et Freemantle qui hii sert d'avant-
port, peuvent etre regard^es aujourd'hui comme des
villes de second ordre.
La dernifere grande division administrative du con-
tinent de la Nouvelle-Hollande est I'Australie du sud k
I'ouest de la Nouvelle-Galles et de la province de Vic-
toria. Son territoire, ^quivalant en surface au double
du Royaume-Uni, fut reserve par acte du Parlement k
( 410 )
1' Emigration volontaire. Cette colonie, qui avait
•10 000 habitants en 1839, cinq ans apres sa creation,
en comptait en 1850, 63 000. Cette meme ann6e, le
nombre des acres de terre d^frich^es s'61evait a 74 000 ;
et Ton pouvait voir dans les paturages 00 000 boeufs
et pr6s d'un million de moutons. Les bl6s de la pro-
vince d' Adelaide, I'une de ses parties, sont regardi^s
comme les plus beaux de I'Australie. Les mines de
cuivre les plus f6condes que Ton connaisse etdes mines
de plomb d'une exploitation facile, ont donn6 lieu k
un grand commerce d'exportation.
L'Australie m6ridionale, d6coijp6e par les vastes
golfes de Spencer et de Saint-Vincent, ollre a la navi-
gation un grand nombre de ports parmi lesquels on
remarque surtout Adelaide la capitale, sur le golfe
Saint-Vincent et le port Lincoln sur celui de Spencer,
Cette partie de la Nouvelle-Hollande est la plus fr6-
quent^e par les Emigrants allemands; ainsi, le seul
port de Breme a exp6di6 en 1847-48, 1157 Emigrants
pour cette destination.
AprEs avoir envisagE chacune des parties qui com-
posent r Empire anglo-australien, on peut dire comme
rEsumE, que, parmi les progrEs rEalisEs jusqu'^ I'Epoque
actuelle, la production des laines a pris le premier
rang. En ellet, non-seulenient les laines australiennes
peuvent concourir sur les marches europEens, mais
encore elles y obtiennent la prEEminence. L' augmen-
tation du nombre des betes a cornes a eu lieu a peu
prEs dans memes proportions et elles seront dans I'ave-
nir un des principaux articles de commerce. L'ElEve
des chevaux a aussi beaucoup prospErE. Ce sont les
( an )
chevaux de I'Australie qui s'acclimatent le mieux dans
le Bengale,
Beaucoup d'arbres, de fruits ou de legumes de 1' Eu-
rope ont 6t6 introduits en Australie et donnent de tr6s
beaux produits. La culture de Ja vigne s'y est meme
fort 6tendue ; mais I'olivier, lecaf^ier, lacannea sucre
et I'arbre a th6, n'ont pas aussi bien r6ussi. On espfere
beaucoup dans la culture ducoton etl'Angleterreserait
heureuse que sa colonic de la Nouvelle-Hollande fit
pour ce produit une concurrence s^rieuse aux Etats-
Unis.
Un grand nombre de mines sont en cours d' exploi-
tation ; Sydney, Melbourne et Adelaide sont reliees par
un t6l6graphe 6lectrique. Trois grandes lignes de ba-
teaux a vapeur rapprochent aujourd'hui I'Australie de
r Europe : la premiere part de Southampton et passe
par le Cap ; la seconde, partant du meme point et de
Marseille, passe a Alexandrie et k Suez, elle touche h
Melbourne etk Sydney ; la troisifeme, enfm, traverse le
Pacifique et aboutit a Panama.
Ce n'est pas avec la seule Europe que I'Australie est
en rapports commerciaux, mais avec tous les rivages
de rOc6an indien, la Chine, TOc^anie et la c6te occi-
dentale de I'Amerique. Le mouvement commercial de
I'Australie s'est 61ev6, en 1852, k 800 millions de
francs.
Au point de vue intellectuel, ce vaste pays n'a pas
fait autant de progr6s qu'au point de vue materiel. La
litt6rature s6rieuse est encore dans I'enfance, et, dans
eette branche, quelques noms seulement sont sortis de
la foule. En revanche, le journalisme s'y est pr6matu-
r6ment d6velopp6.
( 412 )
Depuis quelques annees, le gouvernemcnt anglais a
prc'te dans la colonie un appui plus ferme aux intu-
rets religieux, iiiais on y signale deji autant de sectes
protestantes que dans les Etats-Unis, sans en exceptor
les Mormons. Le clerge anglican s'y est, du reste, fait
remarquer par son amour du lucre, et ses membres
comptent an nombre des plus grands propri6taires
terriens. Get abus a pris de telles proportions, que
le gouverneur Darling s'est vu i'urc6 de liniiter k
1280 acres, I'etendue des concessions a faire aux mi-
nistres du culte. Une extreme intolerance accueillit
toujours les catholiques en Australie. Ce n'est qu'en
1832 qu'ils purent obtenir quelques concessions de ter-
rain. Leur nombre represcntait alors le tiers de la po-
pulation totale.
Le gouvernementn'eut pas a se plaindre d' avoir se-
couru le clerge catholique, car les membres de ce
clerg6 devinrent, en Australie, les propagateurs les plus
d6sint6ress6s et les plus sinc^res de la civilisation. Ainsi,
quelques pretres catholiques et quelques ministres
anglicans ont entrepris concurrenmient d'appeler a la
jouissance de la civilisation plusieurs tribus sauvages
de I'interieur ; les premiers ont obtenu un r6snltat
comparable a celui qui signalait autrefois k I'attention
du monde chr6tien les missions du Paraguay, et les
seconds n'ont recueilli que des desastres, termines par
I'an^antissement de la population dont ils s'6taient
charges.
La Jieure de I'or, tel est le titre donn6 par M. de
Blosseville au cliapitre dans lequel il traite des elTets
produits par la d6couverte en Australie de ce pr6cieux
m6tal.
( 413 )
La presence de I'or fut signal^e vers le milieu de
1851, 6poque oil 1' emigration europeenne, attiree par
les gisements si riches de la Callfornie, commencait k
d6laisser la Nouvelle-Hollaiide. Au r^cit de cette d6-
couverte, mi grand nombre d' Emigrants changferent
subitement lenr destination, et, en pen de temps,
I'Anstralie qui semblait abandonn6e eut a redouter un
envahissement trop prompt. Ce ne fut plus la seule
Europe qui lui envoya ses enfants, les immigrants af-
flu6rent de toutes les parties du monde.
Anterieurement a 1851, on avait eu, dans la Nou-
velle-Galles, quelques soupcons de la presence de Tor,
mais aucun iiidice s6rieux ne venant les confirmer, ils
6taient tombes dans I'oubli, et le colon Margraves qui,
le 8 avril 1851, en apporta la preuve palpable, fut
reconnu pour le veritable d6couvreur, et recut, en re-
compense, 10 000 livres sterling (250 000 francs).
C'est dans la Nouvelle-Galles, au sud des Montagnes
bleues, a une faible distance a I'ouest de Bathurst,
dans le groupe des Conobolas, au vallon de Summer-
hill-Creek, qu'Hargraves fitsadecouverte ; mais bien-
tot de nouveaux explorateurs annoncerent que les ter-
rains auriferes avaient une etendue bien autre qu'on
ne le supposait ; non-seulement I'or existait aux monts
Conobolas, mais sa presence etait constat6e dans le
bassin de la rivifere Macquarie, et surtout sur les bords
du Turon, torrent passant k SO milles au nord de
Bathiirst.
Ces nouvelles eurent dans le principe un effet d6-
sasti'eux pour la colonisation s^rieuse ; la fi6vre de I'or
saisit tous les habitants libres ou convicts ; la culture
( 414 )
fut abandonn^e, les villes se d6peupl6rent, Sydney,
entre autres, devint presque d6serle. Le mouvement
vers les mines ne se borna pas k la Nouvelle-Galles
des chercheurs d'or accoururent de tons les points des
colonies australiennes. Les soldats, les raarins eux-
memes se rendaient aux mines, et la Nouvelle-Galles
eut absorb^ la population de I'Australie enti^re, si,
quelques mois apr6s, la presence de gisements auri-
ftres plus riches que les siens n'eut 6t(3 signalee dans
la province de Victoria, au centre de la chalne nom-
m6e Pyrent^es, ou les mines du Ballarat et du mont
Alexandre, dans lesquelles Tor jaillit presque a la sur-
face sous la pioche du travailleur, sont restees les plus
c616bres du continent. L'ensemble des renseignenients
accuse aujourd'hui la presence de For dans les deux
provinces de la Nouvelle-Galles et de Victoria, sur une
surface estimee 20 000 milles carr6s ; et des calculs par-
tant n6cessairement d'une base inexacte, 6va,luent la
richesse des gisements a 2(3 milliards sterling.
Le resultat le plus r6el de ces d^couvertes fut 1 'intro-
duction en Australie des Emigrants du inonde entier;
population qui, accrue avec une promptitude inouie,
finit par se classer et forme aujourd'hui les 6l6ments
d'un grand peuple, parce qu'une partie a compris ce
mot d'uii voyageur, « que la plus belle mine c'est du
» bl6 et du vin avec la nourriture du betail. »
Ici se termine la partie principale de I'ouvrage de
M. Blosseville. Sur les quatre chapitres dont il nous
reste k rendre compte, I'auteur en a consacr6 deux,
sous le litre de considerations g6n6rales, a une sorte
de revue retrospective sur les essais tenths de nos
( 415 )
jours soit par les Francais, soit par d'autres nations
dans le but d' employer les malfaiteurs a la formation
d'6tablissements coloniaux. Ces chapitres 6taient le
complement n^cessaire d'un ouvrage qui commence
par un expose de la deportation dans les temps anciens
et dans les temps ant6rieurs a 1793,
L'avant-dernier chapitre est un resume des diverses
opinions et controverses sur le principe de la deporta-
tion, et en derni^re analyse, M. de Blosseville conclut
que la France a deja trop tard6 a employer la coloni-
sation p^nale dont il y a tant de r^sultats heureux k
attendre. II admet, comme M. Barbaroux, que Mada-
gascar peut seule permeltre line colonisation penale fran-
caise sur les larges bases de Vexemple anglais, et avec
le concours prevu, regie et encourage de l' immigration
volontaire. Conclusion dont nous nous sommes fait nous-
meme I'interprfete, et que nous ne saurions trop
recommander.
V.-A. Babbi£ du Bocage.
17 juiQ 1859.
( ae )
LETTRES SUR L'ASTRONOMIE,
Par M. ALBERT-MONTBaONT (1;.
RAPPORT PAR M. E. CORTAMBERT.
La science, comme I'antique Janus, a deux visages :
I'un grave, serieux, d'une beautu inajestueuse, mais s6-
v6re, regarde le petit nombre des adeptes, des initios,
les pretres de son temple, pourrai-je dire;. 1' autre,
doux et aimable, est tourn6 vers la foule de ceux
qu'attirent une curiosit6 noble, mais peu savante, un
culte sincere, mais peu 6clair6 encore. C'est de ce
second visage que M. Albert-Montemont a voulu fa-
fonner les traits ; il a voulu representer, sous un aspect
attrayant et gracieux, I'astronomie, cette sccur de la
g^ographie (parente qui, pour le dire en passant, m'a
seule permis de parler ici d'une telle science, ordinai-
rement en dehors et au-dessus de mes 6tudes); il a
cherch6 a la faire connaitre sans les calculs, les signes,
les parentheses, les formules dont elle est ordinaire-
ment accompagn^e, et qui en rcndent I'abord diflicile
pour ce qu'on appelle les gens du monde. Par un style
clair, simple et elegant, il est parvenu a rendre intel-
ligibles a tous les esprits les merveilleuses d6couvertes
de la science ; il a jet6 du charme et de la vari6t6 sur
cette lecture par des morceaux de poesie tantut dus i
sa propre muse, tantOt emprunt6s a celle des Daru, des
Lemercier, des Boscovich, des Delillc, et de beaucoup
(1) 4«6ditiou, 2 vol. in-8", 1859.
(I'autres qui ont exprim6 en beaux vers leur admiration
pour la magnifique organisation de I'univers.
Notre ing^nieux confri^re a ciioisi trfes convenable-
mentle titre de Letues, pour men trerqu'il ne veutpas
faire de la science propreaient dite, inais plutot es-
quisser, d'une plume 16g6re et facile, les grandes v6-
rit6s astronomiques. Nous d6sirerions seulement f[u'on
sut davantage a qui il adresse ses lettres : par un mot
saisi en passant, j'ai pu voir que c'est h. I'un de ses
amis, et non ^unedame, ce que j'avais cru d'abord, et
ce qui serait peut-etre pr6f6rable, pour forcer le style
k s'assouplir encore plus par un besoin puissant de
clart6 et d'interet : I'auteureut en celasuivi de c61t;bres
exemples : Euler, Fontenelle, Demoustier, Aim6 Martin.
Sice cachet 6pistolaire 6taitplus prononce, les Lettres
surVastronomie, si int^ressantes d6ja, acquerraientplus
d'attrait encore ; le d6sir de faire comprendre les grands
faits de la science a une personne a laquelle on est lii^ par
une douce amiti6 inspire certains tours de redaction, en-
gage a multiplier certaines formes de langage, qui font
entrer forc6ment et intimement dans I'esprit ce qu'on
veut exprimer. Si done j'ai un reproclie a adresser a cet
estimable ouvrage, c'est de ne pas avoir peut-etre assez
ce caract6re de Lettres, dont le titre a 6t6 cependant si
heureusement adopts par I'auteur. Je n'en dticlarc pas
moins les explications claires, simples, naturelles ; des
notes etdes eclaircissements tr6s instructifs sont des-
tines aexposer les details scientifiques qui ne pouvaient
entrer dans le cadre des Lettres, et a mettre le lecteur au
courant des d6couvertes les plus r^centes, sans deran-
ger le plan primitif de 1' ouvrage.
XVll. MAI ET JUIN. 7. 28
( 418 )
Les premieres Leltres jettent un coup d'csil sur I'ob-
jet et les avantages de 1' astronomic, sur les astres en
g6n6ral, sur leurs mouvements, leurs distances, I'liar-
monie dc cc sublime ensemble de I'univers. M. Albert-
Mont6niont trace ensuite rapidement I'histoire de la
science astrononiiquc, histoire qu'il a deja esquissde
dans son introduction, et sur laquelle il reviendra plus
tard vers la fm dc son livre : peut-etre aurais-je mieux
aim6 voir tout ce r6snm6 liistorique d'un seul trait et
dans une seule lettre.
La forme, et le double mouvement de la Terre retien-
nent assez longtemps le lecteur; puis on trouve la des-
cription du Soleil, termin6e par unc belle ode que
I'auteur adresse i cet admirable flambeau de notre sys-
t^me. II nous ofire, imun^diatement apr6s, I'histoire
des plan^tes : on suit avec int6r6t les details nombreux
qu'il donne sur ces corps, dont on compte aujour-
d'hui soixante-trois ; il n'est pas surprenant que, dans
un si grand nombre, notre auteur ait oubli6 quclques-
unes des petites planfetes telescopiques r6ccmment
d6couvertes. '
La Lune a ensuite son tour : ses revolutions assez
compliquees, ses phases, sa constitution, ses taches,
ses volcans probables, sont I'objet d'instructivcs expli-
cations; je regrette cependant (juc M. Albert-Mont6-
mont insiste sur I'opinion qui attribue k ces volcans les
a6rolithes que nous voyons de temps en temps tomber
sur la Terre : car, aujourd'hui, il est a peu pr6s prouv6
qu'il faut rattaclicr ces 6tranges pierres a I'histoire des
6toiles filantes. L' astro des nuitsm6ritait bien une ode;
I'auteur lui aconsacre une de ses plus po6tiques inspi-
rations. Ce morceau termine agreablement le tome I".
( 419 )
, Le tome II s'ouvre par la description des comfetes :
M. Albert-Mont6mont traite ce sujet curieux avec tout
rint6ret qu'il m^rite ; il rappelle les opinions diverses
6mises snr Taction de ces corps myst6rieux, sur I'effet
que produirait le choc de Tun d'eux contre la Terra,
effet terrible suivant Laplace et Delambre, tout a fait
insignifiant suivant M. Babinet ; Tauteur des Lettres ne
so prononce pas, et nous laisse dans une incertitude
bien naturelle entre de si graves autorit^s.
Les deux lettres suivantes sont consacr^es aux
6toiles. Ces mondes merveilleux, ces soleils innom-
brables sem6s dans les champs de Tinfmi, ont en-
flamme Timagination de notre poete, qui leur a adress6
un hymne plein d'enthousiasme. II a donn6 des expli-
cations trfes d6velopp6es sur les constellations, sur
leurs noms, sur les diverses origines- des signes du
zodiaqae, surtout sur celle qui se rattache a la brillante
mythologie grecque.
L'auteiu' compare ensuite les divers syst^mes astro-
nomiques de Ptol6m6e, de Copernic, de Tycho-Brah6,
de Descartes. Puis il explique les d^couvertes de
Newton ; et Tune de ses plus belles Lettres est celle
qui traite de la pesanteur universelle : ce magnifique
sujet lui inspire encore une ode.
Vient ici une notice biographique des principaux
astronomes depuis Newton jusqu'a nous; pour ne
pas interroinpre la marche et Teuchainement de ses
descriptions, Tauteur aurait peut-etre bien fait de re-
jeter cette biographic tout a fait a la fin de Touvrage.
J'adresserai une critique du meme genre au chapitre
du calendrier, qui vient ensuite, et qui me sembleraii
( 420 )
plus convenablenient plac6 k cot6 des signes du zodia-
que, ou, mieux encore, h la suite des niouvements de
la Terre, qui sont I'origine des divisions du temps. Je
reconmiande ces 16geres modifications a notre confrere
pour sa cinquicme Edition, qui suivra sans doute de
pr6s celle-ci.
Lesmarees, dont la description vientmaintcnant im-
mediatement apr6s le calendrier, ne seraient plus se-
par6es, dans le plan niodifii que je propose, de la pe-
santeur universelle, a laquelle elles se rattachent si
directement.
M. Albert-Montemont a cru devoir donner, a la fin
de son ouvrage, quelques explications sur les princi-
paux m6t6ores, sur les vents, sur les volcans : ce n'est
pas de I'astronomie, il est vrai : c'est d6ja de la g6o-
grapliie physique. Mais la transition de I'astronoinie k
la geographic est facile : c'est a travers I'atniosphtjre
que nous voyons les astres : il faut tenir compte, dans
leur observation, d'une foule de phenomenes meteoro-
logiques dc refraction, de reflexion, etc. On concoit
done que I'auteur ait pu traiter cc sujet dans son livre,
et ma critique s'en felicite puisqn'elle se trouve repla-
c6e ainsi sur le terrain g^ographique, oil elle se sent
plus libre et plus ferme que dans ces espaces celestes,
k travers lesquels elle nes'elancaitqu'avec timidity. La
cause des vents alis6s fest parfaitement expliquee ; les
Eruptions des volcans sont bien decrites. Les plieno-
mencs electriques, galvaniques, magnetiques, 61ectro-
magnetiqucs, trouvent menie leur place dans cette
esquissc, et I'auteur parlcnaturcilcnicntdecettemcrveil-
leuse tel6graphienouvelle qui auime, pour ainsi dire, la
{ un )
pens^e humaine de notre globe tout entier. 11 admire
avec raison, a ce sujet, le genie de I'liomme, et il ter-
mine par ces belles paroles, qui sont comme Ic resume
des nobles id^es qui rfegnent dans tout son livre :
(( Les decouvertes successives que le temps am^ne
dans le vaste empire des sciences ne font que rehausser
I'id^e de I'esprit de I'homme, glorieux de saisir I'en-
semble de I'univers et de pouvoir apprecier, autant
qu'ilestenlui, cetle supreme intelligence qui gouverne
toutes choses et en pondtTe Timrauable harmonie. En
jetant un regard sur la nature et sur nous-memes,
notre respectueuse admiration remonte vers cette su-
blime intelligence qui est Dieu, unique source du beau
et du juste, centre et flambeau divin de Teternelle
v6rite. » E. Cortamdert.
( 422 )
rVonvelles et coMiiuuffileati^inM.
ON MANUSCRIT DE tA GfiOGRAPHIE DE PTOL£m£E,
D£C0UTERT AU MONT ATHOS.
On savait depuis longtemps qu'il cxistait d'anciens
manuscrits dans les couvents du raont Athos et meme
on avait enttndu parler de cartes grecques datant
du commencement du moyen age. Jiisqu'i pr6sent
ces cartes modernes ne se sont pas retrouv^es dans
les monast^res, et Ton ne connait gu6re que deux on
trois portulants grecs des xvr et xvir slides. Le voyage
que vient de faire au mont Athos un savant russe,
M. Pierre de S6vastianoff, a amen6 la d^couverte de
plusicurs manuscrits pr6cieux, non moins anciens, et
relatil's k la g^ographie. En Tannic 1856, il 6tait au
monast^re dit de Vatopfede; entre autres manuscrits, il
en a trouv6 un qui "renferme la geographic dc Ptol6m6e
avec les cartes, ainsi que des fragments de la geogra-
phic de Strabon. Avec le secours du nouvel art de la
photographic, il aprisunc copie enti6re et complete de
ces manuscrits, avec la fiddite qui appartient h. ce pro-
c6d6, aussi sur que rapide. Le Ptoiem6e ne porte pas
Vindication del'auteur des cartes, Agathod6mon, comme
dans les manuscrits de Venise, de Paris et dc Vienne ;
d' autres diflerences importantes sc remarquent dans
ces cartes, soit pour le dessin, soil pour la nomcncla-
( 423 )
ture; les variantes du texte ajouteront, a I'mt^rSt de
cette ddcouverte.
La notice suivante que j' avals tlemand^e a M. de Se-
vastianoff pour accompagner un fac-simile dont je lui
suis redevable, ajoutera encore a cet int6ret ; elle est
de M. Gabriel Destounis, attach^ au d6partement asia-
tique du ministfere des affaires 6trang6res de Russie, k
qui M. de Sevastianoff avait donne a 6tudier le fac-
simile COmplet. JOMARD.
REMARQUES
Sur le manuscrit de la Geographie de Ptoleinee, troiwe
au monastere de Vntopede { inont /i'fhos), reproduit
Ijliotographiquement , en entier ct en grandeur natu-
relle, par P. de Sevastianoff.
Occup6 a 6tudier la copie photographique du ma-
nuscrit de Ptol6m6e, qui se trouve au convent de Vato-
pfede, au mont Atlios, j ai du me borner a quelques
observations. Aucun manuscrit grec de Ptol6m6e ne se
trouvant a Saint-P6tersbourg, il m'a 6t6 impossible de
coUationner le nouveau fac-simile.
Quant a rexterieur du manuscrit, il doit representor
quelque ressemblance avec le manuscrit de la Biblio-
thfeque imp6riale de Vienne, selon la description qu'en
a donn6e M. Wachsmut (1). Ici, comme dans I'exem-
(l) Voyez-en la description detaill^e daus lexcellente dissertation
de Heeren : De fontibus Geographice Ptolemoii. (Commentationes
Sotting. Recent. VI.)
( liU )
plaire de Vienne, cliaqiie carte, h bion peu d'exceptions
prfes, occupc denx pages en regard. Dans toutes les
deux, les chaines de montagnes sont indirpiees par des
Hgnes ; on y voit les m^ridiens et les paranoics ; les
henres des plus longs jours sont a la droite; I'ortho-
graphe y est assez soignee ; enfm ces cartes sont colo-
rizes ; mais voici la dilT^rcnce : a la fin del'exemplaire
de Vatopfede, on ne lit point, comme k la fin de ceux
de Vicnne et de celuide Venise, Tinscription suivante :
Toiv KXocij'Jtou riToAtijiai'ovi piSXi'tov ovtw tv;v oix5UU£'yr,v itauav Aya-
eoJai'fjiw; ih^a-Aptv; uTrtruittocc En outrc , daus le texte de
Vatopi^de, on trouve inscrit, sur le front de cliaque
carte, un sommairc tir6 dn livrc VIII' de la G^ogra-
phie ; dans celui de Vienne, ce sommaire se trouve sur
le revers des cartes. Lc mannscrit de Vienne a 6t6 6crit
en ih^li par Jean Santariote, Thessaliote; la date de
celui dc Vatopfede n'est point indiquZe, maisil n'en est
pas moins sur, a en jugerpar I'Zcriture, qu'il est beau-
coup plus ancien que celui de Vienne.
Pour nic rendre compte de la valeur du manuscrit
en question, j'ai profits de I'accfes facile et bienveillant
qu'ofTre la Biblioth6que imperiale de Saint-P6torsbourg,
et j'ai mis h contribution ses Editions grecqucs et la-
tines de Ptol6ra6e.
Je commence par le cliapitre sur la Macddoine,
rfipire, la Thossalie, etc. En collationnant le fac-
simile photograpliique avcc diflerentes editions, j'ai
trouv6 dans le texte dc Vatopede quelques dillerences
dans les noms proprcs -, par exemple : le golfc Maliaque
y est nomm(^ Malinaque; la Paraxie, Parexie; la Bisal-
tie, Bixaltie ; le nom du district des Dassaretes y est
( li2b )
m^connaissable ; mais il en est de m^me dans d'autrea
manuscrits. C'est ainsi que dans le meme passage,
nous trouvons, Edition de Montanus (1605), dans le
texte grec, Erigonon au lieu d'Erigon; le district des
Albotes a la place de celui des Almopes, etc. Dans l'^-
dition de Montanus, on trouve la meme faute que dans
le manuscrit de Vatopfede ; la riviere appel6e \A'oioussa,
de nos jours, qui anciennement se nommait Ala; ou
A(oo;{Aousi, estnomm^e, dans Tune comme dans I'autre,
Loiis (A wo?), sur la carte de Vatopkle, dans la traduc-
tion latine de Montanus, de meme dans la traduction
italienne de Piuscelli (1561, Venise), — Loio. Cette
faute a du se glisser primitivementpar suite dela res-
semblance du lambda et de I'alpha.
Le dessein principal de la Geographic de Ptol6m6e
6tant de determiner les longitudes et les latitudes, il
m'a 6t6 indispensable de fixer mon attention sur ce
sujet. II est bien constats que la villa de Pydna se trou-
vaitau sud de I'Aliacmon (I'lndje-Karassou des Turcs);
cependant Ptolem6e la place au nord de cette rivifere ;
il indique 39" Zi5' pour la ville et 39" 40' pour I'em-
bouchure de la rivifere. Mais cet 6cart ne se voit pas
seulement dans le manuscrit de VatopMe, il est encore
dans r^dition de Montanus , meme dans celle de
M. Nobbe, qui a confront^ plus de manuscrits que tout
autre. Si ce n'etait qu'une faute dans le chiflre des
minutes, I'ordre meme dans lequel se succfedent ces
noms viendrait confirmer le fait que Ptol^m6e lui-
meme plagait Pydna au nord de I'Aliacmon : car dans
ce passage du texte, c'est du nord ausud que se dirige
notre g6ographe. Pourr6soudre cette difficult^, atten-
( /r26 )
dons les variantes de la grande Edition, promise par le
professeur Nobbe, de Leipzig (1).
Aigostht'ne se trouve indiqu6e par 60' lib' de lati-
tude ; Syphae, par 51°, par const^quent, la premiere de
ces villes i I'occident dela seconde. Bien plus, Aigos-
thSne y est nominee parmi les villes de I'int^rieur de la
Phocide. L'une et 1' autre se Irouvent ainsi plac6es dans
toutes les Editions que j'ai pu comparer. Le manuscrit
de Vatopfede venant k I'appui de la vulgate, relative-
ment k la longitude, ainsi qui la situation ni6diter-
ran6enne d'Aigosth^ne, la question suivante s'olTre
d'elle-ineme : ne pourrait-on pas admettre cette lefon
comme exacte ? Mais elle est en contradiction avec un
fait av6r6, savoir : le gisement d' Aigosth^ne a I'orient
de Syphae, au bord de la mer, constate, non-scule-
ment par I'accord unanime de tons les savants qui se
sont occupes ad^terminerl'emplacement de cette ville,
mais, qui plus est, il y a une inscription trouv6c de-
puis pen par M. Forchhammer dans la place indiqu6e
avant lui par les autres savants ('2). A quoi nous en
tenir? Ne saurait-on pas admettre qu'au milieu de la
Phtiotide, il pouvait y avoir une autre Aigosth^ne, diffe-
rente de I'Aigosthfene maritime ?
Je passe a la carte qui correspond au texte du ma-
nuscrit de Vatopfede. D'un cot6, on est frapp6 par I'a-
nalogie qui existe entre le texte et la carte ; d'un autre
(1) Voyez la preface de son edition st^rdotype, en trois volumes.
Leipzig (1843-1845).
,2) Voyez cette inscription dans la brochure intitulde : Halkyonia,
ar P. W. Korchhamer, Berlin, 1857, pages 33 etl5.
{ 427 )
on n'est pas moins frapp6 par le manque d'analogie.
On ne trouve pas sur la carte de Mac6doine (Epire,
Thessalie, etc. ) , un seul nom qui ne se trouve dans le
texte, pas un seul nom r6cent. G'est ainsi que les hearts
des manuscrits, peut-etre les erreurs de Ptolt^m6e lui-
meme, que je viens de signaler, se repfetent sur la
carte. Ainsi il n'y a aucune innovation dans les noms.
En quoi diff6re done le texte de la carte? G'est qu'on
ne trouve point indiqu6 sur celle-ci ce qui se lit dans
le texte. D'ailleurs ceci a 6t6 observ6 sur les cartes des
autres manuscrits. Sur la carte du manuscrit de Vato-
p6de, la plupart des noms des districts, les noms de
quelques villes, de quelques chaines de montagnes, de
quelq lies caps, sont omis. II est hors de doute que celui
qui a dessin6 les cartes annex6es h I'ouvrage du grand
g6ographe, que ce fut lui-meme ou un autre person-
nage, y a plac6 toutes les villes, les riviferes, etc., qui
se sont trouv6es dans le texte de Ptol6m6e : uue fois
qu'on les voit astronomiquement d6termin6es dans le
texte, comment aurait-on pu les omettre dans la carte ;
ou bien quel savant aurait eu la hardiesse d' omettre k
dessein ce qui a 6t6 cm indispensable par un homme
comme Ptol6mee, dont I'autorit^ est demeur6e irrecu-
sable h travers les si6cles jusqu'a I'^poque de la re-
naissance? Les sifecles qui les suivirent n'6taient pas
en 6tat de completer ni de corriger Ptol6m6e : ils 6taient
passes ces temps oi Strabon corrigea Eratosthfene ,
ou Ptol6m6e corrigea Marin de Tyr (1) . II serait par
consequent bien hasard6 d'admettre des omissions faites
(1) Voyei le texte de Ptol6m^e, livre I, chap. 6 et 17.
( 428 )
a dessein. Ces omissions sont arriv6es plus tard : par
suite des copies rt-iterees des cartes , les noms ecliap-
paicnt iniperceptiblement, ce qui a du passablement
abreger I'onoinasticou du fameux geographo. Ainsi,
quoique Ic nombre des noms ([ui so trouvent sur la
carte soit bien reduit, compare au nombre primitif des
noms de Ptol6m6e, en revanche nous n'y apercevons
pas de noms postericurs a I'epoque de Ptolemee. Cette
carte, quoique incomplete, repose sur une base ancienne,
sur la base du texte meme : on y apercoil des omis-
sions qui ne sont pas faites a dessein, mais qui se sont
accumulees par la marche des si^cles ; personne n'y a
ajoute du sien, personne n'y a exerc6 son esprit. Ceci
lui donne un caractSre tout archaique. 11 en est bien
autrement des textes imprimis. Les ancienncs 6ditions,
celle de Rome (li78, lat), celle d'Ulm, (l/i82, lat.),
n'ont fait, il est vrai, qu'incliner un peu les mdnidiens
vers le p61e, pour donner aux terres une configuration
plus rapprochec de la r6alit6, les denudes des noms n'y
6tant suppl^^es que d'apr^s les lacunes du texte de
Ptolemee lui-meme (1). Quant a Mercator, on sait
qu'iln'avaitpas grav6 ses cartes d'apris ccUes qui sont
annex6es aux manuscrits, mais bien sur des cartes im-
prim6es. C'est pourquoi vous lisez sur sa carte, au lieu
d'Erignon, Drilon (ce qui rappelle le nom moderne
Drill) ; la ville de Stobce au nord d'Axius (2) , tandis
que la carte de Vatop6de a bien raison de la placer au
(1) Voyez la disserlation ritce cidessus, de Hecren, pap;ps 68-71.
(2) Voycz la carlo de Mcrcalor, anucxde a I'edition do Montanu
1605.
( /l29 )
sud. II reste hors de doute qu'iine carte ancienne ma-
miscrite, quelque incomplete, quelque difforme qu'elle
fut, olTre d'excellents niateriaux, tandis que les cartes
imprimees, pour 6tre corrig6es et augraentees, ne sau-
raient servir de mat^riaux.
Avant de quitter cet int6ressant facsimile, je me
suis decide a en collationner un passage avec la
meilleure des Editions, celle de M. Nobbe, et avec un
trfes ancien manuscrit latin de Ptolemee, conserve k
Saint-Petersbourg, dans la biblioth^que de I'titat-major.
Une partie de ce manuscrit renfermant les pays qui
correspondent a la Piussie, a et6 ins&'^e dans le X* vo-
lume du Bulletin de V Academie des Sciences, par le
D'E. Muralt. En voici quelques donnt^es (les mots 6tant
mis en latin) .
La latitude de Chersiui suivanl !e manuscrit de I'^tat-major est
de 59M/2 Manusc. VatopWe. . . 59'
Acra 49*2/3 — 49" 1/2
Orthographc des noms : Hypenis. — Ilypainios.
» Rosolani. — Roiolaiije.
u Sulones. — Soulaues.
« Phengiticef _ Pieneita.
PoengitE. ' '«°g"^-
Au sujet de la carte de la Sarmatie europ^enne, j'ai
la meme remarque a faire qu'au sujet de la carte de
Macedoine, Epire, etc. II n'y a pas un seul mot de
change ; ce sont tous les memes noms , et il y a des
omissions.
Le texte et les cartes qui vont etre livr6s aux Etudes
des savants, pr^sentent un interet particulier mfime
( 4:^0 )■
S0U3 le rapport philologique. Je veux parler de la di-
versitc d'6criture des noms propres, qui nous t6moigne
du changementsuccessif que subissait la prononciaiion
des noms propres. C'est ainsi que M. Nobbe lit, conime
de raison, :up,ja (texte de Va-
toptide) de nXtuwv qui est plus ancien ; c'est pourquoi
M. Nobbe, tout en introdnisant cette lecon, n)nuc«v»). ne
mancjue pas d'intercaler cette (jcrniere voyelle. Ajou-
tons que le texte est plus correct et plus exact que la
carte.
Je demandcrai la permission d'arrfiter I'attcntion sur
un fait particulier. Le texte de Vatopfede conserve le
district d'Albanon et la villc d'Albanopolis ; la carte ne
porte que cette derniere ; car dans la carte, corame
d'ordinaire, on aomis le district, tout en maintenantla
ville. Ce nom repute r^'cent vient done de nouveau
frapper les yeux de rethnologue. On saif ({u'autrcfois,
lorsqu'on penchait a considerer les Albanais comnie
une des tribus amen6es par les migrations du moyen
dge, ces deux noms qui figurent dans Ptolemee ont 6t6
mis en doute : c'etait rautorii6 du fameux Mannert
qui decidait alors la question. Mais la reproduction de
ces noms dans plusieurs nianuscrits de Ptok'm^e, dans
ses cartes, le mont Albion dans Strabon (dans le voi-
sinage des Albanais) que Ptolem6e appelle Albanon,
( A31 )
rile d'Arbe (ou Albe) dans I'archipel illyrien, le nom
d'Arb^nie donn6 au district qui avoisine le golfe de
Vallone, le sens plus 6tendu donn6 h. I'Arbiinie par
I'usage, toutes ces donn^es, rapprocli6es par M. Hahn,
ne permettent plus de mettre en doute 1' existence du
district d'Albanon et d'Albanopolis a I'^poque de Pto-
16mee. On sait que les Grecs appellent ce peuple
A),§ofyo'i.
Enfin, I'autochthonisme dcs Albanais prouv6 par
Hahn, par Pott, au moyen de la linguistique, ne laisse
plus lieu aux doutes. L'ancien manuscrit qu'on vient de
faire connaitre ne fait que confirmer toutes ces donn6es
de la science.
TcUes sont les observations qu'on a pu faire sur
deux localit6s et qu'on se garde d'applirjuer k tout le
texte et a toutes les cartes du manuscrit de Vatopfede.
L'appelfait par M. de S6vastianon' aux personnes sp6-
cialement vers6es dans la g6ographie ancienne, ainsi
que dans la critique des textes de Ptol6mee, ne tardera
point i amener une veritable appreciation du manuscrit
de Vatopfede.
DE LA CONSTITUTION PRIMITIVE
DE LA SOCltTfi 5ERBE.
(Extrait d'uue letlre de M. Boa^ ^ M. Viquesael).
Vieane, le 26 niai, 1859.
M. Utieschenovitch, savant create, conseiller minis-
t6riel au ministere de I'int^rieur, a donne surlaconsti-
( A32 )
tution cle la famille Scrbe dite Zailrui^a on l)rntscln>o,
de curieux renseignements. La Zadruga estpropreaux
Serbes. Lcs Kusscs n'ont que la propriiite communale,
les paysans russes de chaque commune nepossedant indi-
viduelleiiicnt rien; et cultivant leurs champs en commun
sous les ordres de leurs maires de village pour se par-
tager les produits des r^coltcs d'aprSs le chiffre num6-
rique de chaque famille. La communion de famille des
Slaves du midi 6tait, telle quelle existait autrefois et
quelle existe encore en partie aujourd'hui, un 6tat in-
term6diaire de possession territoriale, qui serait peut-
6tre applicable au passage des paysans russes de leur
6tat actuel a I'^tat libre et au droit individuel de pos-
session territoriale. Malgre ces deux facons de posseder
des immeubles (si etrange aux yeux de I'oucstde I'Eu-
rope) , les individus des families russes et slaves peu-
vent posseder de I'argent, des papiers, des meubles,
dulinge, desbestiaux, etc., comme fortune particulifere
pourlaquelle ils peuvent tester, tandis que pour le bien
d'unc communion de famille aucun testament n'est
possible et valable, exccpte le cas d'un seul survivant de
famille. Le bien reste i la famille ; tant pis pour celui qui
s'ensepareetvacourirle monde. llpourrabicnquelque-
fois etresecouru par la famille ou aide dans ses6tudes,
son commerce, etc.; mais il n'a part aux benefices des
travaux executes en commun dans la famille que lors-
qu'il y rentre. Voila la solution de I'enigme de Y absence
des pauvres slaves dans toule la Turquie d' Europe, lis
n'ont pas besoin de mendier, puisque dans la misfere
leur famille doit leur fournir de quoi vivoter sans desho-
norer leurs proches. D'une autre part, les Slaves peuvent
C /i33 )
exercer toutes sortes de professions, sans pour cela
sortir tout a fait du lien de la communaut6 de famille ;
ils y rentrent quand ils veulent. Pour donner aux tra-
vaux de campagne et a I'administrationdes biens d'une
famille une suite et la r6gularit6 n^cessaire, la famille
se choisit a la majority des voix un chef, qui ordonne,
distribue les travaux a sa guise, loue des ouvriers s'il
le faut, r^primande les paresseux, apaise les dissen-
sions, decide sur les pretentions qui s'616vent et punit
memejusqu'a un certain point les membres de la famille
qui se montrent reveches. C'est a la fois un p6re de fa-
mille soigneux, un directeur de police de famille etun
agent surveillant. Ce Starescldna estloin d'etre touj ours
le plus ag6; c'est au contraire d'ordinaire le plus en-
tendu, le plus actif. L' Election est^DOur un temps illi-
mit6, court ou long; si la famille est m6contente, on va
aux voix et on change son chef de file. Ce dernier a
bien le droit d'emprunter sur les biens de la famille
jusqu'a la moitie de lew valeiir, mais il ne pent le faire
qu'avec I'assentiment de la famille.
Ce droit slave paraitrait avoir 6t6 aussi en pratique
trfes anciennement chez les Czfeches. Aujourd'hui on le
trouve dans toute la Turquie d'Europe, la Dalmatie,
laCroatie, la Slavonic, la Syrmie et le Bannat. Or dans
ces cinq derniers pays autrichiens, il n'y en a qu'environ
la moitie ou les deux tiers, qui fassent partie de lafron-
ti6re militaire, c'est-a-dire du pays limitrophe de la
Turquie, car toute la population est censee militaire et
n'est regie que militairement. Le gouvernement avait
trouv6 dans les communaut6s de famille un moyen facile
d'entretenir toujours sur la frontifere, et ipeu de frais,
XVU. MAI ET JUIN. 8. 29
( 434 )
une force arm6e exerc6e, car chaqiie commiinaut6 de
faraille 6tait obligee d'entretenir en tous temps un ou
deux soldats, de les 6quiper, armer et uourrir, de les
remplacer lorsqu'ils meurent.On comprend que le temps
de ce service peut pour I'individu se prolonger ou se
raccourcir, parce que la famille pouvait a volenti
remplacer Pierre par Jean. Dans le service ordinaire
de postes a la fronti^re, un honune est tout au plus
s6par6 de sa famille six semaines ; en temps de guerre
c' est autre chose, et il y a alors le cas fatal que tous se
mariant de bonne heure, les dec6s produisent beaucoup
de veuves et d'orphelins. La derni^re guerre des Au-
trichiens avec les Hongrois a donn6 i2()00 veuves
slaves du midi, dit-on.xiujourd'hui la famille create ne
nonrrit ni ne vetit les hommes qu'elle fournit, mais ils
recoivent pour chaque fois qu'ils se mettent sous les
armes pour aller surveiller la frontifere un boni mal
taill6, qui doit leur servir a payer leurnourriture ; mais
le fait est qu'ils emploient Ic tout, ou du moins une
partie de cet argent-paye, k s'humecter legosier de vin
et d' eau-de-vie, et que la famille est n6anmoins obligee
de leur donner du pain a emporter.
Un second point capital est le norabre des individus
soldats que le gouvernement peut lever ou exiger de
cha(iue famille dans les districts militaires; or c'est
nd libitum : par exemple, sihors des districts fronti^res
militaires on 16ve dans un canton deux cents hommes,
il peut arriver qu'on premie dans un canton de meme
o-randeur situ6 dans le district militaire des fronti6res
jusqua deux mille hommes et meme plus. Vous voyez
que c'est faire sortir de terre des armies exerc6es.
( 435 )
D'une autre part, dans les pays slaves hors de la fron-
ti^re militaire, le goiivernement aiitrichien, dtant en-
tr6 depuis 18A8 dans desvuestoutesnouvelles, lepay-
san devenant partout propri6taire foncier et vos lois
civiles ayant gagn6 pied, le gouvernement, dis-je, n'a
su que faire de ce qui lui a paru au premier abord, bien
que bas6 sur la legislation romaine , une absurdity
contraire au d^veloppement des facult6s individuelles
et de I'industrie. Comme M. Utieschenovitch le dit fort
bien, au moment o^ on salt a fond I'esp^ce de civili-
sation des Cafres et des Hottentots, on ne parait pas
meme connaitre enti^rement en Autriche la cheville
ouvri6re du droit ou de la vie slave, et encore bien
moins hors des limites de I'empire. Ce droit coutumier
a pourtant 1200 ans d' existence.
Par suite de cette iucurie, le gouvernement s'est mon-
tr6 passif envers ces communautt^s de famille hors du
pays militaire des fronti6res, et ne s'est point oppos6 k
ces intrus Strangers qui out prech6 contre la betise
de ce droit. II en est r6sult6 que certaines commu-
nions se sont dissoutes, des partages ont eu lieu, des
membres ont d6sob6i aux ordres du chef de famille
et se sont laiss6 6blouir par des sophistes. Or la fm
malheureuse n'a pas tard6 a arriver. R6unis en famille
et composes de deux, trois ou quatre manages (ou
plutot maisons oii ils couchent, car ils dinent ensemble)
avec 25 a hO iock de terrain, avec plusieurs paires de
bceufs ou chevaux, Zi ^ 8 vaches, 10 a 20 pi6cesdeb6-
tail, 15 a 20 cochons ou moutons, de la volaille et les
instruments aratoires n6cessaires, ils pouvaient culti-
ver le sol et en vivre ; mais s6par6s, isol6s avec trop
( hM) )
peu d' instruments et de betail, ils n'ont pas toujours pu
arriver a cultiver leur terrain ainsi niorcele. Ils se sont
meme partage quelqueibis des arbres, et jusqu'aux
solives de leur niaison ! Ils se sont endettes, ont vendu,
et sont tombes dans la misere. Voila done une nouvelle
source lie proletariat en /lulriclie.
En Croatie, le droit romain, ycomprisle droit de pri-
mogeniture pour les nobles, est suivi dans les villes ;
raais a la campagne il n'y a que le droit de la commu-
naut6 de famille. Ces coutumes demandent, il est vrai,
des id6es que n'ont pas nos paysans. D'abord un chef
de famille se d6met de sa place lorsqu'il sent que ses
forces diniinuent, d'apr6s le proverbe, Ko mdi onaj
valja i da sudi, que celui qui travaille doit gouverner.
Les slaves sont accoutumes a discuter leurs afl'aires
de famille ; ils se plaisent a ces tournois d'eloquence
d'interieur, et sont prets a c6derlorsqu'on leur oppose
de bonnes raisons ; ils parlementent meme avec leurs
ouvriers Strangers a la famille. Ils sont done faits pour
un regime parlementaire eclair^ ; ils ne sont done pas
tetus et brutaux connne les paysans allemands. Les fa-
milies s'entr'aident pour les travaux de campagne, pour
les moissons, etc. : c'est ce qu'on appelle une moba, une
meute d' ouvriers ; les travaux s'ex6cutent alors en chan-
tant des chansons appropri^es a I'occasion. La mai-
tresse de maison rest? chez elle avec les enfants et
prepare le manger; les enfants plus ages condulsentles
bestiaux sur lespaturages, ou vonl al'^cole. Les femmes
vont aux champs en hlant ou en portant leurs enfants
:\ la mamelle sur leur dos. Le produit des recoltcs est
mis de c6t6 par le maitre et la maitresse de la famille,
( 437)
pour payer les impots. Dans certaines contr^es, le sur-
plus des recoltes est partage entre les paires d'^poux.
N6annioins chacun de ces derniers a sa petite fortune,
ses 6pargnes, le produit de son travail, par exemple
pour la fabrication d'instruments de campagne, etc.,
quelquefois quelques bestiaux. Le Stareschiim ne
nourrit pas seulement toute la famille, il fournit aussi
les vetements et la chaussure. La toile se fabrique
dans la famille; pour cela chaque paire d'6poux a
quelques carr6s de chanvre et de lin. Le soir et dans
la nuit, surtout en hiver, on fde.
Dans certains pays les femmes alternent dans les soins
du manage, a savoir, pour la cuisine, la cuisson du pain,
la nourriture de la volaille, pour traire les vaches, etc.
Ces changements ont lieu de huit en huit jours ; cela
s'appelle « venues a leur toiu- » , Redusclui. Les femmes
ag6es sont exemptesde travail, parce que les jeunes ou
les belles-fillesles remplacent. Lorsqu' une fdle se marie,
on lui donne une dot tiree de la fortune mobilifere
de la famille ; elle sort du ressort de possession de la
famille. Plus rarement on y admet au contraire des
hommes 6pousant des fiUes de la famille. Le principe
slave est que riiomme doit poun'oir aiix besoins de sa
fern me.
Cette administration de famille y rend les vols et
autres d61its presque impossibles. Les membres m6-
contents quittent ordinairement la famille. Les chefs
arrogants, injustes, sont bientot mis de cote. L'harmo-
nie dans les families est par cela nieme assez g6n6rale.
D'ailleurs la plupart ne sont pas si nombreuses qu'on se
I'imagine. En auoyenne, ce nombre ne d6passe pas dix
( 438 )
a douze individus, ce qui provient de la quantity des
individus qui s't^loignent de la famille poiir suivre une
autre carrifere. Dans certaines families, les jeunes gens
quittent la niaison a tour de r6le pendant deux ou
trois ans pour aller gagner de I'argent d'une ma-
nifere ou d'une autre. L'argent gagn6 reste leur pro-
pri6t6 en entier, ou ils en donnent un trentifeme k la
famille, ce qui arrive surtout lorsqu'ils s'absentent en
6t6 at reviennent en hiver.
Les exceptions a cette r6gle sontci etlkdes families
riches et compos6es de cinquante a soixante individus,
ou bien I'oppos^, de families r^duites kune seulepaire
d'6poux, comme dans les comitats de Fiume et Wa-
rasdin.
Tel est le r6suni6 fid61e de cette coutume enracin6e
par I'usage chez les Slaves du sucl et ent6 sur leur ca-
ract^re particulier ; mais pour nos jurisconsultes actuels
les lois ne reconnaissent plus les droits coutumiers.
La communaut6 de famille a 6t6 r6gl6edans les dis-
tricts militaires par une loi de 1807, renouvel6e le 7
mai 1850.
Les Hongrois ont voxdii ignorer ces coutumes et im-
proviser une legislation civile d'h^ritage comme chez
eux, ce qui n'a fait qu'exciter en 1848 les Croates et
les Serbes a se r6volter. En Servie, un chapitre entier
du code civil traite du Zadriign ou des communaut^s
de famille, mais il contient des articles si difTus et si con-
tradictoires qii'ils n'existent pas dans la pratique. En
1855 on y ajouta un conmientaire, dans lequel on n'a-
vait recours qu'a des may ens moratix pour enipecher
la ruine de rasage ties cormnimautes de famille, Ainsi
( 439
pour rimpot personnel on d6cr6ta que dans une familie
de quatre a cinq individus on serait Iib6r6 de cet im-
pot, que dans une faniille de six a sept individus deux
jouiraient de cette faveur, trois dans celles de huit a
■neuf individus, quatre dans les families de dix individus.
Ce sont ces essais de remplacer des usages antiques par
une legislation emprunt^e a des pays europ6ens plus
civilises, qui sont en partie I'origine du m6contente-
ment en Servie, ou Ton ne put entrevoir, accoutum6
que Ton 6tait a des procedures courtes et a une legisla-
tion simple, les bons effets de lois si antipathiques au
sens du pays. A 1' observation d'un Stranger que la Ser-
vie ne pouvait avancer en civilisation sans litt^rature
et sans livres, un Serbe de I'ancienne roche r^pondit
tout crument a la turque : A schta su -vasche knjige^ la
od knjige staria Je glava, eh! que SOnt VOS livres ? la
tete est plus ancienne cpie vos bouquins. Bolje kaschto
nosche i polovno, nejin iiirlje iziiova krojeno, le uotre
fnotre habit) est souvent meilleur, quoiqu'il soit use,
que retranger nouvellement repare.
Dans le cas oii une Zndnign se trouve reduite h une
familie composee d'un seul enfant male etd'enfantsdu
sexe feminin, le fils continue de posseder la propriete, et
lesfdlesrecoivent leur avoir en argent, et sortent dela
familie et de la propriete. Le Zadruga drui s china ou
Dntthrn ne doit pas etre appele un usuge paUiarcnl^
corame quelquespersonnesl'ont fait, car unpatriarche
doit etreobei en toute occasion par ses enfants, et ces der-
niers ont seuls des devoirs aremplir, tandisque dans le
Zadm^a il n'y apaslamoindre trace de soumission sem-
blable a celle d'un esclave relativement au Gospodar
( liliO )
ou administrateur de la niaison. On n'y trouve pas
meiiie la soumission stricte aux ordres patcrnels. Tons
les membres out les memes droits a la propri6te ou
fortune commune com me dans une soci6t6 d'action-
naires, eton sesubordonnerationnellementa I'adminis-
tration du gospodar, tout en se r6servant ses droits de
discussion et de d6bat, d6cid6s a la majorite des voix.
Les Turcs trouvant ces coutumes etablies chez les
Slaves et y apercevant tout de suite un excellent
moyen non couteux de gouvernement, n'eurent garde
d'y toucher. Le Staresc/iina de chaque famille estcelui
seul avec lequel ils ont affaire, soiten fait d'impot, soit
en fait de police ou de d6lit. Le Zadru^a et la juridiction
eccl^siastique grecque, ainsique les enchferes des places,
tel est le reliquat de 1' empire byzantin que les Osman-
lis ont continue et dont ils se sont fort bien trouv6s.
D'une autre part, on comprend ais6ment combien un tel
6tat de clioses facilite une unit6 et une r^volte nationale,
regard6e comme la propagation d'une id6e nationale.
La reunion des 6"frt/e*cA//ia conduit naturcllement a des
assenibl6es communales peu nombreuses ; de celles-ci
on passe a des assemblies de district, et enfin k des
assemblees de province, lorsque les Stareschina choi-
sissent entre eux des d6put6s : telle est I'origine de la
Skoitpschtina serbe. On comprend que des institutions
aussi d6mocratiques ne peuvent trouver grace devant
un gouvernement imperial juxlapos6.
( Ml )
itctcs fic la Socicfd;
EXTRAITS DES PROCES-VERBAUX DES SEAiNCES.
Seance du 6 mai 1859.
MM. les fr^res Hermann et Robert Schlagintweit
adressent de Berlin, a la Soci6t6, leurs remerciments
de la grande m^daille d'or qu'elle vient de leur d6cer-
ner pour leurs decouvertes dans le Tibet et le Tur-
kestan, lis la remercient 6galement des regrets sym-
patbiques qu'elle leur a exprim6s sur la niort de leur
frfere Adolphe, victime deson d6vouementa la science.
MM. Schlagintweit annoncent leur procbaine arriv^e a
Paris et leur intention de faire a la Soci^te des commu-
nications sur leur voyage.
M. le D' Poyet, admis r6cemment dans la Soci6t6,
lui 6crit de Ternova (Bulgarie), pour lui adresser ses
remerciments et lui promettre son concours, M. le
D"" Poyet se propose de continuer ses voyages en Bul-
garie et d'6tudier cette contr6e interessante a tant de
litres; il annonce qu'il recevra avec gratitude les in-
structions que la Societ6 voudra bien lui adresser.
M. Jomard depose sur le bureau une lettre et un
m6moire de M. Paul Chaix, de Geneve, contenant un
expos6 succinct des decouvertes faites en Australie de-
puis 1842 jusqu'en 1858. La Commission centrale de-
cide qu'il sera donn6 lecture a la procbaine stance de
ce m6moire qui est accompagn^ d'une carte. M. Jomard
( M2 )
communique ensuite I'extrait d'une lettredu D' Peney,
m(^decin en clief de I'ann^e 6gyptienne au Soudan
oriental. Cette lettre , dat6e du Soudan , annonce le
depart de M. le D"" Cuny pourle Darfour et son arriv^e
dans cepays.
M. d' A vezac annonce que Y edition du geographe ano-
nyme de Ravenne, pr(^par6e a Berlin par MM. Parthey
etPinder, ct qui 6tait attendue comme prochaine, se
trouve momentan6ment retard6e par un contre-temps
dont il n'y a du reste qua se f6liciter : la recension,
nouvellement faite a Bale, d'un manuscrit non encore
consult^, a offert aux savants 6diteurs des variantes
nombreuses et importantes, qui entraineront une revi-
sion complete da texte, et de notables additions ; cette
circonstance permettra sans doute aux nouveaux 6di-
teurs de profiter du manuscrit de la bibliothfeque du
marquis Louis de Angelis, vendue en 1838 k Ferrare ;
ils tentent aujourd'hui de nouveaux efforts pour en
d6couvrir la trace. ^
M. d' Avezac entretient aussi la Soci6t6 d'une ancienne
boussole dont il vient d' avoir commiuiication : ceuvre
de Hans Troschel, de Nuremberg, qui I'a ex6cut6e en
\ 592, elle est d'un beau travail, form6e de deux plaques
6paisses d'ivoire, ajust^es a charni^res et s'ouvrant a
angle droit. Dans celle des deux plaques qui reste
horizontale, est creus^e la cuvette renfermant 1' aiguille
aimant6e ; dans I'aulre est perc6 un trou circulaire
destine a viser I'^toile polaire pour prendre des azi-
muts. Une soie tendue entre les deux plaques sert k la
fois de ligne directrice pour ces observations, et de
gnomon pour un double cadran solaire correspondant
( /i/i3 )
k hS" d'6l6vation dn pole, et donnant, outre les heures,
la longueur relative des jour§etdesnuitsd'un tropique
k I'autre. Quand la boite est ferm^e, les deux faces
ext^rieures, garnies cbacune d'une alidade ou indica-
teur mobile de cuivre, ofTrent respectivement, en des-
sous nn calendrier lunaire perp6tuel, en dessus une
rose de seize vents pour 1' orientation de laquelle le
trou circulaire du couvercle laisse apercevoir la pointe
nord de 1' aiguille.
Mais une particularity qui donne a cet instrument
un int^ret special, c'est que la ligne nord et sud tra-
c6e au fond de la cuvette qui renferme 1' aiguille, est,
6videmment a dessein, a 5" environ de d6clinaison vers
Test du nord vrai, tel qu'il est signal6 soit par 1' ombre
m6ridienne du gnomon, soit par I'observation directe
de I'etoile polaire.
M. Jomard remarque a cette occasion qu'il existe au
D6partement des cartes de la Bibliothfeque imp6riale,
une carte xylographique allemande de 1' Europe cen-
trale, non dat6e, mais qu'il suppose ex6cut6e vers 1 Zi60,
et sur laquelle on voit, outre un curieux itin6raire me-
sur6 par milles, la figure d'une boussole avec indica-
tion expresse d'une d6clinaisoq orientale d' environ 10".
M. d'Avezac rappelle, a cesujet, que I'atlas d'Andr6
Bianco contient d6ja en lZi36 une figure sp6cialement
relative a la d^clinaison magn6tique ; il ajoute que,
dans sa pens6e, non-seulement la connaissance de ce
ph6nom6ne, mais meme celle de la variation correla-
tive k la diversity des lieux remonte beaucoup plus
haut qu'on ne le croit g^n^ralement : il cite des obser-
vations de Ghristophe Colouib d'ou il r^sulte que ce
( lihk )
grand homme avail constat^, sans en avoir conscience,
la variation diiu'ne de 1' aiguille aimantOe ; que de meme
I'illustre navigateur a constat^ I'usage, d6ja 6tabli de
son temps, de boussoles corrig^es de la declinaison,
telles qu'on les retrouve au xvi' sifecle.
Au surplus, M. d'Avezac croit possible de recueillir
des donn6es assez nombreuses sur Tangle de d6clinai-
son corr61atif a diverses 6poques anciennes en certains
parages tr6s frequent6s : il prepare un travail a co su-
jet, et il a I'cspoir d'oflVir prochainenient aux pliysi-
ciens qui se preoccupent d'une translation plus ou
moins sensible des coordonn6es niagneliques d'Orient
en Occident, une s6rie de determinations liistoriques
anterieures aux observations connues et remontant
jusqu'au commencement du xiv° si6cle, de mani^re a
agrandir notablenient le champ des verifications rela-
tives k la loi des variations s6culaires de lad6clinaison.
M. Vivien de Saint-Martin communique une lettre
de M. Bou6 a M. Viquesnel, ajoutant quelques details
a ceux que le savant g^ologue lui adressait dans une
lettre pr6c6dente sur les populations slaves. La Com-
mission centrale decide que cette seconde lettre servira
ft completer les extraits que le BuUetin doit donner de
la premiere. M, le secretaire general est charge de ce
travail.
M. Malte-Bnm fait un rapport verbal sur I'atlas clas-
sique de geographie moderne de M. Tli. Joly, profes-
seur k I'Athenee royal de Bruxelles. Get atlas, princi-
palement destine a I'education secondaire, presente
entre autres ameliorations un figure des niontagnes qui
permet au simple coup d'oeil d'en 6valuer les hauteurs
( 445 )
proportionnelles. Les vides de chacune des cartes soiit
de plus remplis par des gravures bien execut6es repre-
sentant les objets des trois rfegnes de la nature qui sont
plus particulieremeiit propres a chaque pays et peuvent
familiariser I'^lfeve avec les connaissances 6l6mentaires
de la g6ograpbie naturelle.
Le meme membre lit la notice que M. Laroche a
adress(5e k la Soci(^t6 ^lans sa derni^re stance, sur les
communications a 6tablir entre le Senegal et I'Alg^rie.
Un extrait de ce travail est renvoy6 an Bulletin.
M. le chevalier Pontelli met sous les yeux de I'asseni-
bl6e deux cartes manuscrites des contr^es de Tabasco,
de Chiapas et de Soconusco, qu'il a levies dans le cours
de son voyage dans I'Amerique centrale. La Soci6t6
examine ces cartes avec intt^ret et adresse ses felicita-
tions a I'auteur, en lui exprimant le d^sir de les voir
bientot devenir I'objet d'une publication.
Seance du 20 mai 1859.
M. le president prend la parole pour annoncer k
r Assemble la perte que la Soci6te vient de faire dans
la personne de M. le baron Alexandre de Humboldt,
I'un de ses presidents honoraires. 11 demande que I'ex-
pression des sentiments de la Society et des profonds
regrets quelle 6prouve soit consignee au procte-verbal.
La Commission centrale decide qu' une notice sera consa-
cr6e i perp6tuer le souvenir des travaux du baron de
Humboldt et des services qu'il a rendus k la g^ographie.
( lihQ )
M, De la Roquette est pri6 de vouloir bien se charger
dece travail.
M. raiuiral Lutke, vice-pr6sident delaSocieteimp6-
riale g6ographique de llussie, adresse le compte rendu
des travaux decetle Soci6t6 pour I'ann^e 1858. Conune
le fait remarquer M. I'amiral Lutk6, la Soci6t6 g^ogra-
phique de Russie pers6v6re dans la voie qu'elle s'est
trac6e, et continue de diriger ses efforts vers I'^tude des
diverses parties de I'Asie, afin de combler les lacunes
qui existent encore dans la geographic de ces contr^es.'
M. Malte-Brun entretient rAsseinbl6e de la discus-
sion qui s'est 61ev6e au sein de la Society royale g6o-
graphique de Londres, entre iVlM. Macqueen et Speke
k propos des sources du Nil. Le premier pense que le
Nil Blanc ne prend pas sa source seidement sur les
hauteurs du Kilimandjaro, mais qu'il se nourrit d'un
filet d'eau sortant de la chaine du K6nia, un peu au
nord del'Equateur; le capitaine Speke, rc^cemment de
retour en Angleterre de sa p6rilleuse expedition faite
en compagnie du capitaine Burton, son ami, difT(ire
d'opinion, il a visit6 les grands lacs de Tanganyka et
Nyanza et ne doute pas que de ce dernier sortent les
sources du Nil.
M. De la Roquette depose sur le bureau, de la part
de M. Paul Chaix, une note rectificative sur la carte
qui accompagne le m6moire sur les voyages de d6cou-
vertes en Australiede 1842 k 1858, que ce correspon-
dant a adress6 k la Soci6te dans sa derni^re stance.
M. Henri Dunant, de Gen6vc, est pr6sent6 comme
candidal par MM. De la Roquette et Jomard.
M. Cortambert rend compte des Lett res sur L' astrono-
{kin )
mie de M. Albert-Mont6mont. Ce rapport, qui donne
lieu k quelques observations de M. Alfred Maury, est
renvoy6 au Bulleiin.
M. Jomard donne lecture d'un m6moire sur le U des
Cliinois et les aulres mesures de la Chine d'apr^s la
carte chinoise de I'ile Formose, pub]i6e r^cemment par
la Soci6t6. — Ce m6moire est renvoy6 au Bulletin.
M. le secr6taire adjoint donne lecture du 7ii6moire
sur les voyages de d^couvertes en Australie, de 18Zi2i
1858, adresse a la Soci6t6 par M. Paid Chaix de Ge-
neve. — Renvoi au Bulletin.
A r occasion de la communication faitepar M. d'Ave-
zac, sur la boussole, dans la derni^re s6ance. M. Lour-
mand fait liommage a la Soci6t6 de deux vieilles bous-
soles qui ne portent point dedate, mais qui pr^sentent
d'autres caractferes d'anciennet6. L'une est francaise;
I'autre, fabriqute a Augsbourg,estaccompagn6ed'une
notice imprimee en allemand, d6pos6e dans la boite.
M. Lourmand exprime le d6sir que ces objets soient
I'origine d'une collection d'instruments d'observation
qui pourrait devenir curieuse. — M. le president lui
adresse les remerciments de la Soci6t6.
Seance du 3 juin 1859.
M. le ministre de I'instruction publique annonce ci
la Soci6t6 qu'il vient de mettre a sa disposition un
exemplaire des JSIegociaiious diplouiatiques. entre la
France et la Toscane, publi6es par M. Abel Desjardins.
( US )
— Des remerciments sont adress(is a M. le ministre.
M. le conite Francis de Castelnau, consul de France
a Bangkok (Siam) , adresse a la Societ6 quelques ren-
seignements snr ce pays dont I'interieur lui parait
aussi peu connu qne les parties centrales de I'Afrique.
llexiste deux rois k Siani, mais c'est le premier qui
gouverne; le second n'est qu'un grand mandarin, son
fr6re, entour6 d'lionneurs, mais sans foiictions ni puis-
sance. Rest asscz dans les usages de I'lndo-Chine d'a-
voir ainsi plusieurs chefs portant le meme titre. La cour
de Siam a un harem compost d'au moins douze cents
femmes dont la garde est confiee a des Amazones vetues
de rouge et portant le fusil. La magnificence des pa-
godes qui 6tincellent d'or et de pierres pr^cieuses,
presente un singulier contraste avec les huttes mis6-
rablesqui, danscette grande ville de Bangkok, servent
de demeures a quatre cent mille crt^atures de la race
humaine. M. de Castelnau ajoute qu'il se fera un plai-
sir et un devoir de r6pondre aux questions que la So-
ci6t6 voudra bien lui adresser sur la Geographic de ce
pays.
M. Malte-Brun donne comnmnication d'une note qu'il
a recuedeM. Aucapitaine, au sujet de rinfluencc dela
nourriture animale sur le teint des N6gres. Cette note
vient a I'appui de la th6orie d6velopp6c par M. Antoine
d'Abbadie dans sa lettre a M. de Quatrefages, publi^e
dans le Bitlletin du mois de mars dernier.
M. Alfred Jacobs offre a la Soci6t6, par I'organe de
son president, M. Jomard, sa brochure sur les Fleiwes
et rivieres de In Gniile et de la France an moyen age.
Invito a donner quelques explications sur ce travail ,
( 449 )
M. Jacobs dit qu'il a cru utile de dresser une liste des
rivieres mentionn6es dans les principaux textes de l'^-
poque m6rovingienne, d'en rechercher la traduction et
de mettre leur nom actuel en regard. A cet efiet, il a
d6pouill6 les textes de Gr^goire de Tours, de Fr6d6-
gaire, de leurs continuateurs, les chartes et diplomes
m6rovingiens. De plus afin de rendre ce travail le moins
incomplet possible, il a pris aux ouvrages d'Adrien
de Valois et de Masson les noms latins des rivieres que
ces deux savants ont eu occasion de citer et les a joints
en annexe. Malgr6 les soins qu'il a apport6s a ce tra-
vail, M. Jacobs ne se dissimule pas que son travail pent
encore presenter bien des lacunes qui s'expliquent par
I'extreme difficult^ des recherches de ce genre. Aussi
fait-il remarquer que dans son introduction il a fait
appel aux savants des diverses parties de la France
dans I'espoir de pouvoir mettre k profit leurs connais-
sances locales ; en effet un grand nombre d'entre eux
lui ont adress6 avec une bienveillance dont il est heu-
reux de les remercier, des avis, des additions et des
rectifications que I'auteur se propose de mettre k pro-
fit pour une revision et pour un travail suppl6men-
taire.
M. Henri Dunant, de Geneve, est admis dans la
soci6t6.
M. Malte-Brun rend compte de la dernifere stance
publique de la Soci6t6 royale g6ographique de Londres.
La m6daille d'or du Fondateur, ou duroi Guillaume, a
6t6 d6cern6e au capitaine Richard F. Burton pour ses
di{r6rentes explorations et notamment pour son r6cent et
p6rilleux voyage en compagnie du capitaine J.-H. Speke
XVII. MAI ET JUIN. 9. no
( hbO )
aux grands lacs de 1' Alrique orientale, et la mddaille d'or
du Patronage ou de la reine Victoria a 6te accoid6e au
capitaine John Palliser pour les importants r6sultats de
son exploration dans I'Amerique anglaise du nord et
dans les montagnes Rocheuses. Le conseil a en outre
accorde un chronomfetre en or de la valeur de 25 gui-
n6es, a M. Mac Dougal Stuart, pour sa d6couverte
d' un vaste district de paturages au sud et au centre de
I'Australie.
M. Jomard d6pose sur le bureau un m6moire de
M, le docteur Peney sur rethnographie, la physio-
logic, I'anatomie et les maladies des races du Soudan,
en r6ponse a diverses questions pos6es par 1' Academic
des sciences, lors de I'exp^dition aux sources du Nil. —
Ce menioire est lu et renvoy6 au Bulletin.
Apres la lecture des premieres pages de I'extrait d'un
journal de voyage de M. le docteur Cuny, au Dar-Ber-
gou, en passant par le Darfoiu", et d'un in6moire de
M. de Paravey sur dilKrents points de la G6ographie
de I'Asie centrale, la Commission decide que le tra-
vail de M. le docteur Cuny sera ren.voy6 de nouveau
h M. le comte d'Escayrac pour une r6vision complete ;
quant au m6moire de M. de Paravey, sans m6connaitre
les renseignements utiles qu'il renferme, on decide qu'il
n'est pas de nature a etre public dans le Bulletin de la
Soci6t6. Ce m^mou'e ainsi qu'un travail de M. Rabusson
sur r emplacement delaville d' Alger serontrendus aux
auteurs.
M. le President fait remarquer qu'il s'est mtroduit
depuis quel(|ues ann6es, une irregularite pour I'j^pofpje
des61ection5 quinquennalesde la Commission centr?le ;
( libl )
ttiais, comme la derni6re Election a eu lieu en 1855, il
propose que le renouvellement de cette commission ait
lieu dans la premiere assembl6e g6n6rale de 1860 et
ainsi de suite de cinq en cinq ans. — Cette proposition
est accept6e.
Seance du 17 juin 1859.
M. Jomard communique une lettre dans laquelle
M. de Beaumont, president de la Soci6t6 de geogra-
phic de Gen6ve, fait connaitre I'^tat actuel de cette nou-
velle association et sollicite la bienveillance de la
Soci6t6 m6re : 1° au sujet de la formation de sa biblio-
thfeque qu'elle voudrait enricliir des publications de la
Soci6t6 de Paris; 2" k I'occasion du depart d'un mis-
sionnaire qui se rend dans I'Afrique centrale et pour
lequel elle d^sirerait des instructions.
M. le capitaine Speke, compagnon de voyage du
capitaine Burton dans I'Afrique orientale, de retour
avec lui k Londres, 6crit k la Soci6t6 pour lui donner
un apercu succinct de leurs d6couvertes ; il annonce,
pour une 6poque prochaine, une carte de leur voyage,
et il demande un expos6 des observations faites par les
voyageurs frangais sur le Nil blanc sup6rieur pendant
les trois expeditions qui ont eu lieu, avec les latitudes
et les altitudes observ6es qui m6ritent le plus de con-
fiance. — M. le president se propose de r^pondre au-
tant qu'ilsera possible au d6sir du capitaine Speke.
M. Poisson adresse a la Soci6t6 un itin6raire de
( ^^^ )
Mondori k Sainte-Marie de Batlnirst, el il y joint une
liste de quolques mots de la laiigue parlee dans le
Guey, qu'il arecueillis dans unde ses voyages ;\Biiittiifi' .i|jriiliilii(iJt
1859
- fj^anl K.TIaiarnrV »
doaelt- (/c 6rc<>e)
BuJlUut cU^Jfac el Jiun- 1869
iSC
Timii, l^.iv ^
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|(Our suivn-
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