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BULLETIN

DE LA

SOCIETE DE GEOGRAPHIE.

Quatrienie Serie* TOMS XVU.

CO^IPOSITION DU BUREAU DE LA SOClfeXE POUR 1858-1839.

President. Vice-Presidents.

Scrntateurs . Secretaire.

M. le g^n^ral Daiimas, s^naleur. MM. De la Roolette.

POULAIN DE BoSSAY.

MM. De Quatrefages, de I'lnstitut.

ROI'ILLET.

M. BcissoN.

COMPOSITION DU BUREAU DE LA COJDIISSION CENTRA LE.

POUR 1859. M. JnM\RD, de I'Insiitut,

President. Vice-Presidents. Secretaire general. Secretaire adjoint.

MM. A. d'Abbadie, corr.de I'lnstitut C" d'l'^scayr;ic de l.autiire. E. de Kroidcfoiids des Fargcs. E. de Proberville. V. Gu^rin. Gabriel Lafond.

M.M. D'Avi7AC, Daussy, de I'liislitut. M. Alfred Mairy, de I'lnstitut. M. V. A. Malte-Brun,

Section f/c Coriespundance.

MM

De la Roquette.

Ernest Morln.

Nuel des Vergers, corr. de ITost.

Heii.ird.

De Saulcy, de i'lnstitut.

Paulin Talabot.

Section de Publication.

MM. Cortambert. Demersay. Ernest Desjardins. Guigniaut, dc I'lnstitut, Jacobs. Lourmand.

MM.

Mauroy. Morel-Katio.

De Quatrefages, de I'lnstitut. Scidillol. Trc^niaux.

Vivien de Saint-Martin. Section de Coviptabilite.

MM. Albert Mont^mont.

V. A. Barbie du Bocage. Alex. Bonneau.

MM.

Gamier.

Lcfeb\re-Durufl^. Poulain de Bossay.

Arcldviste-hihUothecaire,

M.

Tresorier de la Suciete. M. Meignen, notaire, rue Saint-Honord, 370.

Menibres ad joints.

MM.

Bouillet. Buisson. Jules Duval. Ferd. Fabre.

MM.

Aug. Himly. Alfed Jacobs. G. Lejean. £lis(!e Reclus.

M. Noirot, agent de la Soci^t^, rue Cbristine, 3.

BULLETIN

DE LA

SOCIETE DE GEOGRAPHIE

REDIGE PAR LA SECTION DE PUBLICATION ET MM. ALFRED MAURY,

SECRETAIRE GENERAL DE LA COMMISSION CENTRALE,

ET

V. . A. MALTE - BRUIV ,

SECRETAIRE ADJOINT.

QUATRIEME SERIE. TOME DIX-SEPTIEME. ANNEE 1859.

JANVIER JUIN.

PARIS,

CHEZ ARTHUS-BERTRAND,

LIBRAIRE DE LA SGClfiTfi DE GfiOGfiAPHIE, RUE HAUTEFEUILLE, N" 21.

1859.

LISTE DES PRESIDENTS IIONORAIRES DE LA SOCIETE

DEPUIS SA FONDATION.

MM.

Marqnis dc F.aplacf. Mar()uis dc Pasforkt.

V" de (^HATKAlBftlAND.

C" Chabhol DK VoLVlC.

Bf.coley

B*" Alex, de HusianLDT.

C" ChABROL DK C.ROLSOt..

Baron Gei)r;,'('s CrviER.

B*° IltDK DK NlCUVILI.E. Due dc DiiUDbAUVlLLE.

J. B. EvRiEs.

Le vice-amiral de Bigny.

MM.

Lecont -amir. d'Uhville. Due DhXAzES.

Ciiinte (Ic MiiNTALlVET.

baron de BAHANrE.

Lc geiidral baron Pelet.

dUIZOI'.

De Salvandy. Baron Tupinier. B;iroii dc 1,as Cases.

VlI.l.F.MAIN.

CiNis Gridaise. L'umiral baroii Roussin.

MM.

[L'amir. baron dc Mackao Le vice-aniiral Halgan. liaroii Walckenaer. C" Mole. Jomard. Dumas.

I-e coulrc-amir. Mathieu. Le vicc-nmiral La Place. Hipp. FouToiL. Lefebvre Duni'FLE.

GuiG^IAUT.

Daussy.

LISTE DES CORRESPONDAISTS ETRANGERS

dans L'ORDRE PE I.El'R NOMINATION.

MM,

H. S. Tanner, h Philadclphic. W WooDBRiDGE, a Boston. Le general Edward Sabine, h Londrcs. Le doctour J. Kichakpson, i Londrcs. Le profcsscur Rafn, ii Copeuhaguc. W. AiNswoiiTii, h Londrcs. Le colonel Long, h I onlsville. Ky. Le capitaine Maconochh:, h Sydney. Le CdiisciUcr Macepo, a 1 i>bonne. Le profcsscur Karl UirrEu, a Berlin. Le cap. John Washington, a Londrcs. P. DE Angelis, ;i BiK^nosAyrcs. Le docieur Kriegk, a Francfort. Adolphe EiiMAN.i Berlin. Le.doitcur Wappais. a Goettinguc. Ferdinand dk Lit.a, h Nai)les. Le doclcnr Baiuffi, a Turin. Le colonel Fr. Coello, i Madrid.

MM. Le profcsscur Munch, a Christiania. Leg^n. C'°A. de la Marmora, a Turin. Le profess. Paul Chaix, h (ien^vc. J. S. Abert, colonel dcsingenicurs to-

pouraphes des Etals-Uiiis. Le profess Alex. B<che. surintcndant

du Coasl -Survey, aux Etats Unis. Lepsius (Richard), de rAcailemie des

sciences dc Berlin, a Berlin. De Martus, secret, perpcl. dc I'Acad.

dcsScie'iceii dc Bavicre, ■'i Munich. KiEPERT iHcnrii, h Berlin. Peiermann (Augustus', a Gotha. E. Lamansky, a ."^aint-Petersbourg. Beaudoin, chef dcscadr. dYtat -major

en .Mg('rie. Hermann Schlagentweit, k Berlin.

MM.

LISTE DES CORRESPONDAMS ETRANGERS

QUI ONT OBTENII LA GRANDE MEDAILLE. MM.

Le capit. sir J. Franklin, a Londrcs. Le capitaine Graah, h Co|)eiihagiie. Le ca|)itaine sir John Ross, h Loudres. Le capitaine G. Back. Le capit. James Clark Rocs,!! Loudres.

Lc capit. R. Mac-Clure, h Londrcs. Le doc. cur Henri B\rtii, A Londrcs. Lc rev. David Livingstone, ik Londrcs. Le ductcur E. K. Kane.

r«ris.— loiprini'ii* (le L. MiBTINIT, ru* Mignon, t.

BULLETIN

DE LA

SOGIETE DE GEOGRAPIIIE.

JANVIER ET r£VRIER 1859.

iSIeisioires, etc.

RAPPORT

SUR LES TRAVAUX DE LA SOClfilfi DE GfiOGRAPHIE,

ET

SUR LES PROGRES DES SCIENCES OfiOGRAPHIQUES PENDANT L'ANN£E 1858.

(Lu a la seance generale du vendredi 3 ddcembre 1858.)

Messieurs ,

L'ann^e qui touche a son terme n'a point 6t6 mar- quee par ces d6couvertes inattenclues, ces explorations 6tonnantes qui font 6poque en g6ogi aphie. Le globe, cle plus en plus parcouru, commence a ne plus avoir de secrets pour nous; et si Ton fait exception du centre de I'Afriqup, et de I'Australie, de I'interieur de quelques iles de rarchipel indien ou des Moluques, il ne reste plus a atteindre que des points clair-sem^s des deux mondes pour en avoir reconnu toute la surface.

Mais si les grandes oeuvres font d^faUt cette ann^e , j'ai du moins h. vous entretenir de voyages riches en informations ; de relations qui , a des degr6s divers , ajoutent a celles que nous poss^dions d6jk ; de publi- cations ou le lecteur trouve beaucoup a apprendre et k loner.

Quand les sciences sellmitent, quand le champ des explorations cesse de s'agrandir, I'activit^ se reporte sur I'histoire m^me des d6convertes. L'6tude des pro- gr^s de la g6ographie remplace la recherche des con- tr6es nouvelles. Faute de pouvoir aller en avant , on jette les yeux sur la route d6ji parcourue !

Et cette contemplation du pass6 devient bientdt presque aussi f6conde en r^sultats que la poursuite des terres inconnues. On apprend h mieux savoir ce que Ton a decouvert, et, en remontant les voies que Ton avail descendues , on retrouve sur sa route bien des , sujets d'observation qui avaient 6t6 n^glig^s. L'his- toire de la g6ographie vient done suppleer a la p^nu- rie des investigations sur le sol, pour grossir le tr6sor de nos connaissances. Aussi, en 1858, est-ce a des 6tndes de cet ordre que notre Bulletin a 6t6 plus par- ticuli6rement consacr6.

La g^ographie ancienne et I'histoire des d6cou- vertes g^ographiques ont occupy dans nos stances le premier rang. Et en cela, notre Soci6t6 n'a fait que suivre le mouvement qui entraine vers I'histoire et I'ar- ch6ologie les soci6t6s scientifiques de nos d6parte- ments. II est vrai que les preoccupations de la poli- tique ou des rivalites de nations, de provinces merae, ont souvent aliment^ ces d^bats. Mais qu'importe les

( 7 j

mobiles auxquels ob^issent les anteurs de tant et de si consciencieux travaux , si leurs publications servent a la science et en 6clairent mieux le domalne. Notre Soci6t6 , qui ne cherclie cfue le vrai , aime a voir toutes les opinions se produire librement, et elle livre au controle de la publicity les exposes, parfois assez dilT^- rents, que des antagonistes font d'un meme fait.

J'avais besoin , Messieurs , de presenter ici ces r6flexions pour justifier notre Bulletin de la pr6f6- rence donn^e dans ces derniers temps aux questions historiques , et expliquer I'^tendue que nous avons accord6e k certains m^moires.

Ceci pos6, contrairement a la m^thode que j'avais adoptee I'an dernier, je traiterai d'abord des travaux relatifs a I'histoire de la g^ographie; ils ont droit d'ailleurs, ])ar ordre chronologique, a la premiere place.

M. Sardou vous a co)nmunique un judicieux travail sur la geographic ancienne d'une partie de la Gaule narbonnaise. II a voulu fixer la position d'une locality designee, par les itin^raires anciens, sous le nom d^ Ad Honea , et determiner le point de la cote de Provence ou se trouvait le port d'^^itna , que Poly be place dans le territoire des Oxybiens. M. Sardou a apporte dans sa discussion une critique attentive, et par I'examen des lieux, a 6t6 amen6 a cette opinion, deja propos6e avant lui, qu' .j'rl Honea r6pond au vil- lage d'Auribeau, situ6 au sud de Grasse; qxi/Egitna est le port actuel de Cannes. Ce qui le conduit a faire la Siagne de 1' Apron, dont les anciens indiquent le cours non loin ()^yE<^iina.

Un antiquaire z616, M. Dey, vous a adress6 de Sens

(8 ) uiie Geographie ancieiwe da deparlement de I'Vonne. D6ja ce dtipartenient avait founii a son savant archi- viste, M. Max Quantin, le sujet d'nn ra^nioire reniar- quable sur I'ancien pngus tie Sens et la cii-itas d' Auxei re, Mais quelquc coniplet que fut son travail, M. Quan- tin a dii necessairement laisser de cot6 des details qui n'importaient pas a son l)ut ; ses recherches n'em- biassent point, d'ailleurs, la totality du departement de rYonne, et I'ouvrage de M. Dey en pourra combler lieureuseuient les lacunes.

Bien qu'6cnt au point de vue niilitairc , le savant omragedeM. le colonel baron deGcelersurlesguerres de Cesar dans les Gaules {Cdsar''s GnlUsclter Krieg) (1) 6claire une Ibule de points de notre ancienne geogra- phie. C'est I'lruvre d'un oflicier qui nianie les textes presque avec autantd'aisance que Tep^e. A ces guerres se rattache le grand d6bat d'Alise. Loin de toucher k son terme, il menace de d6gen6rer en guerre de parti- sans. Les champions se montrent si acharn6set si va- leureux, qu'il ne faudra rien moinsqu'un Cesar en geo- graphie pour decider la victoire.

Les partisans d'Alaise ont fait entreprendre des fouilles qui ont d6montr6 I'existence de luttes ter- ribles dans cette localite. Des antiquit^s celtiques et romaines ont t^moigiie de la presence des deux nations ennemies. L'un de nous, M. Ernest Desjardins, dans une lettre adressee a M. E. Renan , et dans une s6rie d' articles \)\xhX\^?, 2i\x Moiii(enr imii'ersel , a racont^ le debat, et, se jetant dans Alaise menac6e, il a cherch6

(») Stutt^ard, 1858, in- 8°.

a fixer, au profit de sa cause, le veritable sens du mot oppidnm cliez C6sar. Mais d'un autre c6t6, les liommes de guerre se refusent k accepter, pour un aussi gi'and capitaine , le plan de cauipagne nouveau qu'entraine rassimilation i}i J lesia a Alaise, Lesd6fenseursd'Alise- Sainte-Reine n'ont point depose les armes : ils en puisent dans les textes , dont on ne semble pas avoir 6mouss6 le trancliant; et s'ils laissent a MM. Delacroix et Quicherat reprendre 1' offensive, ce n'est pas qu'ils se bornent k une retraite honorable.

La campagne des Romains centre les Eduens me con- duit naturellement dans le pays des S6gusiaves, long- temps improprement d^sign^s sous le noin de Segn- siens. Ce pays, on en doit une excellente description a M. Auguste Bernard, qui s'est consacr6 tout entier k I'histoire de la province ou il a pris naissance. Sa description est destin^e k servir d'introduction a I'His- toire du Lyonnais. C'est une ojuvre consciencieuse et 6tudi6e ; la parfaite connaissance que I'auteur a des lieux inspire une grande confiance dans les assimila- tions g6ograpliiques qu'il propose. A ses yeux, le I\Je- diolanuin , que la table de Peutinger place k \h lieues de Rodomna (Roanne), n'est autre que Fours {Fomm Segusiavonini) , distinguee par cette table de la premiere ville. La confusion de deux routes a fait croire que les deux noms de la capitale des Segusiaves se rapportaient k des localit6s dilferentes. S'il en est ainsi, la distance de Feurs a Roanne se trouverait indiiment intercal6e sur une ligne qui r6pond a une autre route conduisant de I'une a I'autre de ces cites.

Dans le departement de Seine-et-Marne, des decou-

(10)

vertes d'antiquit6s a Chateaubleau, au voisinage d'une voie roraaine, ont I'ait supposer qu'on avail eiifin trouv6 reniplacement , jusqu'^ present incertain,de la Riobe de la table theodosienne, et des notices inl^res- santes ont 6t6 publi6es ace sujet (1).

M. A. Boreau a publi6 stir la station romaine de Robrica un travail plein de faits curieux et de rap- prochements Inniineux. II identifie avec infiniment de probability cette station de la table de Peutinger h Saiimur, sur la rive gauche du Tliouet, pr^s du pont Fouchard , en meme temps qu'il fixe Tassiaca ^ Tauxigny.

Ces recherches snr la g^ograpliie ancienne de la France auront leur place dans le vaste travail qui se prepare en ce moment sur la Gaule , sous les auspices de I'Enipereur. Bien des efTorts avaient d^jci 6t6 tenths pour arriver a construire la carte de notre patrie, a r6poque de la domination romaine. Adrien de Valois, Sanson, d'Anville, AValckenaer, ont 6crit de savants et curieux ouvrages ou cette carte se trouve discut^e. Mais, quelque profonde qu'ait et6 leur erudition, quel- que 6tendues que semblent leurs recherches, quelque judicieuse que soit leur critique , on ne saurait voir dans leurs ceuvres autre chose que des 6bauches. Ce qui a manqu6 k ces habiles et savants g^ographes , c'est une 6tude suffisante des lieux , une connaissance complete du terrain, auxquelles no sauraient supplier ni la restitution des mesures fournies par les itin6- raires, ni I'etude des noms, ni I'histoire des faits g6o-

(1) Voyez nutamnieut celle de M. E. GailleUc de I'llervilliers.

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graphiques. La determination des voies romaines doit etre la base de ce grand travail cartographiqne ; et ces voies, c'est seulement en les parcourant soi-meme, qn'on en pent faire le relevS et bien marquer la direction, II y a un petit nombre d'ann6es, on n'avait encore d6- termin61e parcoursquedequelques voies romaines, dont les tronrons se retrouvent graduellement, grace a une exploration plus attentive. Lenr presence nous est pres- que toujours r6v6l6e paries noms significatifsde Cliemin de Borne, Chemin ties Romains, Cheiniiide Cesar, Chntis- seede Brunehauf, Estrees, Estrade^ Cauchie, Chemin de la Moimaie {Via Munitn), Chemin de grnnde chevau- chee, etc. , que la tradition populaire leur a conserves. On acceptait jadis, par laseule vertu des distances, des identifications auxquelles I'^tude des lieux oppose une fin de non-recevoir absolue. Le gout de I'arch^ologie a multipli6 les fouilles ; un grand nombre de points sont devenus le theatre d' excavations ; le trac6 des chemins de fer a mis au jour des chauss6es romaines, la ou les antiquaires n'eussent point song6 a interroger le sol. En sorte que des t6moignages nouveaux , qui faisaient d^faut a nos devanciers , apportent a la geo- graphic des Gaules des documents dt^cisifs et inatten- dus. La numismatique gauloise, qui n'6tait, il y a trente ans, qu'un amas d'hypothfeses fondles sur des lectures presque toujours inexactes, devient une science positive, dont la marche m6tliodique et les moyens rationnellement etablis fournissent k la geographic un controle pr^cieux. Enfin, le depouillement de plus en plus complet des anciens diplomes, I'etude plus attentive des chroniqueurs et des hagiographes, apportent a la

{ i2 )

lopogi'aphie aiicienne de la France nne foule d' indica- tions ; et de la sorte se trouve rattach^e sur le sol menie la chainc dos temps.

Je vous ai entreteniis des excellentes theses de M. Alfred Jacobs sur la Gaule de I'Anonyme de Ra- venne et sur la Geographic de Gr6goire de Tours. Le nitrite de ces theses a fait appeler leur auteur au sein de la Commission charg6e de preparer la carte des Gaules.

C'est par des travaux de ce genre qu'on arrivera h asseoir sur nne base solide le monument g^ographique dont I'Empereura concu I'heureuse idee et d6cr6t6 1*6- rection. Aussi la Soci6t6 de geographic, qui compte plusieurs de ses membres dans cette commission, doit- elle applaudir a la pens6e quil'a institute, et en suivre avec atteniion et interet la r(5alisation.

S'il reste beaucoup a faire pour la connaissance de la Gaule antique, il y a des pays dont la geographic ancienne est environnee de bien d'autres obscurit^s, et demande, pom'etreeclaircie, encore plus de science et de labeurs. Je placerai en preuiifere ligne I'l^lgypte, cette terre des Pliaiaons, dont les monuments ont si longtemps r6serv6 le secret des ages les plus recul6s, pour celui qui r6ussirait a.percer le mystere de leurs inscriptions. Le progr^s des etudes hieroglyphiques a permis d'entrevoir quelles etaient les divisions de I't- gypte et des contr6cs limitrophes, de determiner le noni des villes et des provinces, il y a ti'ois ou quatre mille ans. A force de recueillir sur les monuments des men- tions de conquetes, des eiogcs en I'lionncur de monar- ques victorieux, on a fmi par dresser des listes de tous

( 13 ) les peuples qtii 6taient en relation avec les Egyptiens , et cles villes qui florissaient sur leur territoire. La ten- tative pr6matur6e que faisait riuimortel Champollion, en publiant L' Egypte sous les Pharaons, a 6t6 reprise d'unemain plus ferme et plusexerc^e, par un cles pre- miers ^gyptologues de I'Allemagne, M. le D"" Henri Brugsch, dans son bel ouvrage intitule : Inscriptions geogniphiques des nioiiiinie/ifs de PEgypte. Ce travail, qui a paru depuis peu a Leipsick, se compose dedeux volumes petit in-fol. L'un donne la gt^ographie de I'an- cienne Egypte, 1' autre celle des contr^es 6trang6res, d'apr^s les Egyptiens. Fruit de longnes recherclies, et du a un savoir philologique aussi ingenieux que pro- fond, Fouvrage de M. Brugsch est assur^ment une des plus importantes conquetes de la g^ographie antique.

L'auteur 6bauclie la carte du monde, a une epoque souvent plus ancienne que la redaction de la Gen^se raeme. II est peu de cartes qui puissent, on le voit, offrir un pared interet historique, et piquer plus notre cin^iosit6. L'ethnologie y trouve, comme la geographie, les indications les plus pr6cieuses et les lumi^res les plus inattendues.

La geographie du moyen age n'est point encore assez avanc6e pour qu'on enpuisse 6crire un trait6 complet , donnant les divisions territoriales de chaque partie du monde, aux difl'^rents si^cles. Mais les mat^riaux sont d6ja assez abondants pourqu'il soit permis d'en tracer une forte esqiiisse. C'est ce qu'a fait le v6n6rable Joachin Lelewel dans la savante publication dont vous avez recu r^cemment r6pilogue. Cette derni^re partie est un tableau historique des travaux g^ograpliiques

( lA )

et cartographiques acconiplis an luoyen age. La science latiue et arabe, le mouvement de la renaissance y sont exposes dans nn precis substantiel. M. Lelewel conduit jusqu'k nos jours I'histoire de la g^ographie figur6e, et donne one liste des auteurs qu'il a consul- t6s et que, suivant son expression, il a r^unis dans son laboratoire. OEuvre d'une vaste et pers6v6rante Erudi- tion, la Ccograpliie dii nioycn di;e a une place niarqu6e dans la bibliolheque de tous les erudits, et on doit s'6- tonner de ne point la voir encore aussi souvent cit6e qu'elle devraitl'etre. L' extreme modestiede son auteur, qui vit retir6 de toute compagnie savante et nedemande qu'^ses propres labeurs les faits qui abondent dans ses livres, I'a enipech6 d'appeler I'attention d'un pul)lic souvent distrait, sur des recherches d'une inappreciable valeur. C'est aux amis de la geographic de maintenir i Lelewel le rang qui lui est du ; c'est i eux de rappeler que la Belgitpje a recueilli un des plus glorieux debris de r^migration polonaise qui n'acess6de bien m^riter de la science, notre commune patrie. Messieurs.

A cot6 de travaux de cette importance, on craint d'en citer d'autres qui se trouveraient ainsi places dans I'ombre. Toutefois, je ne dois pas n6gliger de vous signaler ceux qui ont droit a votre attention.

L'histoire de la boussole n'est pas un des Episodes les moins importants de cette gEograpliie du moyen age dont M. Lelewel vient d'Ecrire le prEcis. Toujours en quete de faits qui puissent int6resser les vieilles annales de la navigation, M. d' Avezac vous a signals d'anciens tEmoignagesrelatifs k la boussole, que vous avez 6cout6s avec int6r6t.

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La discussion sur les voyages d'Am^ric Vespuce, k laquelle MM. d'Avezac et de Varnhagen ont pris une part si active, touche a un des points les plus d^licats de riiistoire des d^couvertes dans le nonveau monde. Les deux antagonistes ont deploy^ une science des textes et une vigueur d' argumentation qui ont donn6 k ces d6bats toute r animation d'un proc6s. Et en continuant sur riiistoire de la Guyane la discussion soulev^e par nos deux savants collogues, M. le chevalier da Silva a montr6 les ressources d'une Erudition peu commune, mise au service d'une cause ou la France est trop in- t6ress6e pour que nous ayons le droit de porter ici un jugement.

La g^ograpliie de I'Am^rique d'il y a trois sifecles se lie 6troitement a I'exploration actuelle de son territoire ; nous ne pouvons done parler des travaux de M. d'Avezac et des savants bresiliens, sans vous entretenir. Messieurs, du nouveau monde telqu'il nous apparaitaujourd'bui. En consequence, c'est par I'Am^rique que je commencerai la revue des voyages et des travaux geograpliiques aux- quels ce rapport doit etre consacr6. L'Am^rique n'est plus, il est vrai, pour nous cette mine f^conde d'infor- mations qui faisait jadis marcher la curiosity europ6enne de surprise en surprise. Nous nous sommes famiha- ris6s avec ses merveilles, et la soci6t6 civilis6e y a d6fi- nitivement mis le pied. Mais il reste bicn des cantons k explorer, et la vie sauvage, la nature primitive dont cette vie est le reflet, d6fendent avec Anergic le do- maine qui leur reste encore.

Dans rAiii6rique du Sud, le Chili se fait particulife- rement remarquer par ses rapides progrfes et son d6-

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veloppemont scientifique. Et dans les recuoils destines a popiilariscr rinstriiction et k faire avancer nos coii- iiaissances, la g^ograpliic, sous toutes ses formes, trouve iiaturellenient une place iraportaute. Je citerai en premiere ligne la Ret'ue dcs sciences et cles lettres [Rei'istn de scicncias y letras), r6dig6e par les savants les plus distiiigu6sdu Chili, etdont le premier num^ro a para en 1857 a Santiago. Ce num6ro s'ouvre par un m6moire sur le soulevement de la cote du Chili , du a un habile minei'alogiste . Don Ignacio Dom6\ ko , professeur a I'Universit^ du Chili. La question, d'un grand interet pour la geographic physique, est trait^e avec tons les dt^veloppcincuts possibles , et Ton y trouve mises a contrilxition toutes les donn^es de la geologic.

L'Universite du Chili public aussi desA/ma/es, dont les cahiers mensuels fournissent ca et lii a la geogra- phic des informations qu'on ne saurait n6gliger.

M. le colonel Alfred du Graty vous a offert , Mes- sieurs, un livre intitule : La Co n/'e deration argentine (Paris, 1858, in-8°), dont un des chapitrcs traite de la topographic de cet 6tat. Le ]ioint de vue auquel se place I'auteur est , il est vrai , plus 6conomique que g6ographique ; mais les faits qu'il groupe etqu'il exa- mine sont aussi de notre ressort. La R6publique argen- tine pent devcnir un d6bouch6 puissant jiour la France. II ne manque a ce pays qu'une population assez nom- breuse pour en exploiter le sol ; I'accroissement de la richesse y am6nera n6cessairement I'ordre et la paix qui lui out, hclas! jusqu'ici presque toujours manqu^. L' excellent article publi6 par M. K. de Neumann dans

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le journal qu'il dirige (1), sur la population de I'l^tat de Bu6nos-Ayres, servira k completer le livre de M. du Graty. M. le D"" Alfred Demersay vous a lu des Conside- rations historiques et geographiques siir les limites ella circonscription du Parngicay. Vous y avez retrouv6 cette parfaite connaissance des lieux qui n'est pas un des moindres nitrites des publications de notre confrere.

II est peu de chaines de raontagnes qui offrent a la geologic, a rorographie, un sujet aussi neuf d'obser- vations que la Cordillera des Andes. Le c^l^bre pro- fesseur H. Burmeister, dent la reputation comme natu- raliste est europ6enne , a fait paraitre dans le Journal de geographie de Berlin (2) , une esquisse g^Ognostique de la chaine comprise entre le 32° et le 33" de lat. S., et que, d'aprfes Darwin, il nomme Sierra de IJ spell ata. C'est la plus orientale des trois lignes montagneuses qui traversent la province de Mendoza. Aucune ne pr6sente autant de pics volcaniques. L' Aconcagua , le Tupungato , le Maypu , dont les distances respectives n'excdedent pas 20 milles geographiques environ. M. Burmeister, pendant son s^jour k Mendoza, a etu- die en detail les montagnes d'Uspallata, qui detachent de nombreux chainonsvers les Pampas, et ne sont se- parees, les unes des autres, que par d'6troites valiees.

La Patagonie, et surtoutles ilesqui I'avoisinent, re- clament encore des explorations pour etre representees sur nos cartes avec une entifere exactitude. II est une de ces lies dont 1' existence probiematique a plus d'une

(1) Zeitschrift fUr allgemeine Erdkunde, fdvrier 1858. (2) /6«d., avril 1858.

XVII. JANVIER ET FEVRIER. 5. 2

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Ibis occupe les navigatours, c'est I'ile P6pys, qu'on croit avoir apercue sous le A7" parall61e S. M. Duval , conimaiulant du iiavire le Beaumanoir, a vainement cherch6 k retrouver P6pys ; mais si son expedition n'a point 6t6 couronn6e de succ6s, elle lui a permis du moins de visiter des parages rarement explores par nos navires, les iles Malouines et les ilots voisins. La peche des phoques amenait jadis aux environs des Malouines nombre de batiments du commerce; mais les loups ma- rins , poursuivis par les pecbeurs , ont abandonn6 ces parages, et les Am^ricains sont obliges d'allerlcs clier- cber jusqu';\ la Nouvelle-G6orgie etdans des iles plus australes. Voila ce que nous apprend M. Duval , qui a consign^ sa relation dans le xui" volume des Annales hydrographiqiies.

Lc Br6sil garde toujours pour les nouveaux voya- geurs quelques informations qvii avaient 6cbapp6 k leurs devanciers. Nous en avons la preuve en lisant la rela- tion de deux AUemands, MM. C. et Th. Plagg, qui ont visits la province de Maranhao, dont ilsnous donnent, dans le Recneit de M. Petermann, une description bien faite. Un autre Allemand, M. le capitaine J. Hornieyer, a public, cette ann^e, ;\ Hambourg, un /Vo////e/ ^/m voya- geur an lires'd meridional^ qui n'ofl're pas la nouveaut6 d'un travail original, mais a le m6rite d'etre un bon r69um6 de nos connaissances g6ographiques sur cet empire.

Le voyage du c616bre naturaliste J.-J. de Tschudi , auquel on doit un excellent livre sur le P6rou , ajou- tera davantage k nos connaissances, si nous en jugeons par I'extrait qu'en a publie tout r^cemment le Recueil

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de M. le D"^ Petemiann. M. de Tschudi a parcouru la province des Mines, et I'^tude qu'il a faite dii pays, lui a permis de constater un grand nombre d'erreurs dans les cartes qui en avaient 6t6 dress66s.

Nous trouvons dans la Bet'iie trimeslrielle {Rev i St a trimensal), publico par I'lnstitut historique et g6ogra- phique dn Br6sil (Rio-Janeiro, 1857), une description de la capitainerie de Matto-Grosso , d'apr6s un travail manuscrit communique par M. le conseiller Antonio de Menezes Vasconcellos de Drummond. Cette description remonte, il est vrai, a 1797; mais une date si arri6- r6e, loin de lui enlever son iut6ret , y ajoute au con- traire ; puisque nous pouvons ainsi juger du nombre et de r^tat des populations sauvages au Br6sil, il y a soixante ans.

Bien que la publication du Pilote du Brest/, du a I'illustre amiral Roussin, ait donn6 de I'hydrographie de cet empire, un lumineux apercu, il reste encore bien des points de la cote k mieux figurer sur nos cartes, sur- tout pour la partie nord : c'est dans ce but que M. le lieutenant de vaisseau Krantz a prolonge, du Para a Per- nambouc, en passant par le canal S. Roque , le litto- ral bresilien. Le conqjte-rendu de sa reconnaissance a 6t6 public par les Jimales hydrogmphiques (1857). Un autre officier de la marine francaise, M. Lavelaine (de Maubeuge) , a explore la meme c6te sur I'aviso a va- peur le Tenare; un court aperfu de son voyage nous est fourai par les Annales que dirige notre confrere M, Malte-Brun. Ces explorations compl6teront les In- slructions pour nm'/guer sur In cote nord. du Bresil , dont on est redevable au savoir experiments de M. le capitaine Tardy de Montravel.

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La Soci6tt^ recoit aujoiirdhui la Geogmphie de la Heprib/ifjiie de I'Kqnateur [Gcngrafin de la Republicn del Kciindoi), qui lui est oll'erte par rauteur, le D' Ma- nuel Villavicencio. €e magnifiqiie ouvrage, iinprinie a New- York et accompagne d'un excellent atlas, don- nant la carte de toute la Republique, faitle plus grand honneur a son autour. ("est aulanl une statistiquc (|u'une description topographique. Jamais on n'avait present^ de cette contr6e , I'nnc des plus int^res- santes de I'Aiiierique dn Slid, un aperrti si clair et si lieureusemont trac6. Le livre du D"^ Villaviceucio for- mera un digne pendant de celui de M. Codazzi snr le Venezuela.

M. Jules Remy vous a fait lioaunage de sa relation d'une ascension au Plchinclia, dans la Cordilltjre des Andes , r6cit piquant et aniin6 d'une entreprise qui , bien que moiiis difticile qu'elle u'6tait jadis, a encore ses dangers.

MM. Blair, Holms et Campbell , ont efTectue dans le Venezuela, au lavage d'or de Caratal, en 1857, un voyage dont nous devons la relation aux deux derniers. Cette relation , qu'a publiee le Joimud de geographic de Berlin (mai 1858), nous fournit sur les races indi- genes quelques details curienx , particuli^rement sur les Indiens qui habitent entre les rivieres Pomcroon et Amacuru, entre Foc^an Atlantique et le Cuyuni.

La topograpbie du Mexiquc , qui a fait si souvent Tobjet des Etudes d' Alexandre de Humboldt, vient de lui fournir lamati^re d'une lettre 6crite de Berlin, ,\la date de mars 1858. W s'agit de doutes quiavaient 6t6 61ev6s touchant I'exactitude de revaluation qu'avait donnee de la superficie tolalo du Mexique, I'illustre voya-

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geur. Leschitlres en main, M. de Humboldt montre que si Ton tient comple des provinces enlev6es au Mexique et qui ont 6te r6unies aux Etats-Unis, si Ton fait atten- tion k la dilltirence de valeur des lieues, on ne trouve entre son (Evaluation , a laquelle a 6t6 aussi conduit le celfebre physicien Oltmanns, et celle de Don Lucas Alaman, qu'une dilKrence de 853 lieues carries, c'est- a-dire moins de j\-^ de la superficie totale (1).

M. de Saussure, dont le nom rappelle des services eminents rendus a la geographic physique, a continue de vous communiquer, grace a I'interm^diaire de M. de La Roquette, des extraits de son voyage. II vous a signals les ruines d'une ancienne ville qu'il croit avoir d6couverte sur le plateau de I'Anahuac, en memQ temps qu'un cratere situ6 dans la province de M6choa- can. Des d^couvertes de ce genre prouvent que le Mexique n'est point encore aussi connu qu'on serait tent6 de le supposer. Bien des cantons ont echapp6 a la curiosity des Europeens. II faut, h^las ! en accuser la guerre civile, mal endemique da Mexique, auquel on n'entrevoit point de remade. Etcependant, malgr6 cela, la civilisation qu'y ont jadis port^e les Espagnols, s'af- fermit dans I'antique empire des Azteques. Les villes prennent un aspect nouveau. Des constructions a I'eu- rop6enne y remplacent graduellement les vieux Edifices dont les artistes se hatent de dessiner les ruines. Je n'en veux pour preuve que la ville de Mexico et ses en- virons.

La belle collection de dessins executes par MM. E.

(1) Zeitschrift fm- allgemeine Erdkunde, niai 1858.

( 52 ) Castro, J. Campilb, E. Auclaet G. Rodriguez, sous la direction de I'^diteur Decaen, collection qui a6t6 olTerte k la Soci^tt^, vous permettra d'en juger,

II est a regretter qu'un atlas de ce genre n'ait pu accompagnerr//w^o/>'e des nations civil isees dn Mexiqne et de C Aincvique centrale, dont M. I'abb^ Brasseur de Bourhourg vient de faire paraiti-e le 4' et dernier vo- lume. Mais il eut fallu que cet estimable et conscien- cieux missionnaire eut rencontr6 un appui qui lui a fait mallieureusement d6faut. On se plaint parfois de ce que nos apotres de I'l^vangile ne t^moignent pas pour les progr^s de la geographic, cette m6me intelligence, cette meme ardeur qu'on trouve chez les mission- naires en Angleterre, en Allemagne et aux l^tats-Unis. Et quand, par exception, un missionnaire francais, tel que M. rabb6 Brasseur, se d6voue k la science et la sert sous I'^tendard de la croix, on I'abandonne k ses propres forces, et on n'a pour ses eflbrts qu'indifl"6rence ou ingratitude. Le livre de M. Brasseur n'est pas k I'abi'i des critiques, j'en conviens, mais son zde eut m6rit6 des protecteurs puissants et un patronage qui, au dela de la Manche, ne manque pas ci ses 6mules.

Les antiquit^s am6ricaines ne sont encore que bien imparfaitement explor6es ; leur 6tude nous promet une mine f6conde pour Thistoire et I'elhnologie. Le grand probl6me du peupleniciil dn nouveau monde recevra sa solution naturelle, quand I'histoire des anciennes tri- bus indigenes sera mieux connue. Cette liistoire n'in- t6resse done pas seulement les Am^ricains, et elle trouve en Europe des amis et des pionniers. Nous voyonsun symptOme significatif de I'attraitqu'ontpour

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nous les antiquit^s am^ricaines dans ia creation d'une revue sp6cialement destin6e a leur recherche. LsifuH>iie ninericaine et orienlale, que vient de fonder M. L. de Rosny, parait sous les plus heureux auspices, et elle s'est, dfes le d6but, assure du concours d'ethnologistes et d'orientalistes distingu6s. Car, dans la pens^e qu'il faut chercher en Asie les origines des populations du nouveau monde, le fondateur de celte revue accorde aux travaux d'ethnologie et de linguistique orientale une place pr6s de ceux qui ont I'Am^rique pour objet. Je citerai plus particuliferement la notice sur un ancien manuscrit am6ricain, antt^rieur a Colooib, que M. Jos6 Perez a ins6r6e dans le premier num^ro du recueil, Le second num6ro renferme sur les d^couvertes des Scan- dinavesen Am6rique, un travail estimable de M.E. Beau- vois, et des 6tudes sur la constitution du nouveau monde et sur les origines am^ricaines, par M. Ch. de Labarthe.

Le Texas est assur6ment une des contr^es les plus import antes a etudier pour I'avenir de la colonisation europ6enne. Situ6 a la liuiite des terres 6quinoxiales et de la zone temp6r6e, dot6 de ressources de toute espfece, qtiemettra bientot h profit une Industrie intel- ligente, cetEtat ne demande qu'a etre mieux connu et mieux d6crit. Aussi, depuis que les fr^res Austin sont venus fonder dans le Texas les premiers etablissements anglo-americains , c'est-^-dire depuis 1820, le pays a-t-il totalement change de face. De la I'int^ret particu- lier qui s' attache au livre de M. Tabbed Domenech ; ce missionnaire raconte ses travaux apostoliques avec une V(^rit6 de coloris, une vivacit6 de langage qui rappellent

( 2/i ) le style du regrettable M. de Beliiiare. Un ^gal interet se retrouve dans la notice que M. J. de C4ordova acon- sacr6 au meme pays, et qui est dostin6e k acconipa- gner la nouvelle carte du Texas dress6e par lui.

La Californie 6tait, il y a quelqnes ann6es, le point de mire de toutes les entreprises hardies et I'esp^rance d'une foule d'explorateurs et d'aventuriers. Aussi les bords du San-Francisco se sont-ils promptcment peu- pl6s. Les navires de commerce s'y pressent par milliers, et cette navigation active rend indispensable un relev6 iiydrograpliique complet de la cote. Tel est le travail qua entrcprisM. J. G. Kohl (de Washington), etdont le Journal <le geoi^raphie de Berlin a publie en avril dernier une substantielle analyse. M. kohl ne se borne pas iifaireime description detaillee du littoral, il nous raconte encore I'histoire des decouvertes auxquelles est due la prosperite de cette partie de I'Amerique. L'ag- glomt^ration des colons sur les bords du San-Francisco a derni^reraent forc^ les nouveaux arrivants a se porter plus au nord.

La d6couverte de mines d'or prfes de la riviere Fraser a donn6 naissance a une seconde Californie qui, comme sa sa'ur ain6e, a eu ses deceptions et ses revers. Le Fra- ser est un cours d'eau magiiifique, d'une grande lar- geur, sem6 d'une foule de petitcs iles oil poussent les essences les plus varices; il abonde en poissons de toute esp^ce, et surtout en sauiuons que pechent les Indiens et qu'ils preparent pour les etrangers.

Le Fraser a son embouchure pri^s de la frontiere des territoires britannique et am6i-icain; ses rives seront quelque jour le si^ge d'une population llorissante, qui se

( 25 ) rattachera par un commerce actif aux nouveaux 6tats del'ouest, 6tats dont le nombre s'accroit chaque jour. A I'DCcident del' Utah, le congr^sa d6cret6 la formation duterritoire de New Nevada, entre le Colorado, 1' Ore- gon, les Goose creek inonntdiiis, le lac Nicollet, Cedar city et la riviere Vierge. La iertilitt^de cette region, qui 6gale trois fois en superficie celle del'Etatde New- York, en assure la rapide prosperity.

Peu a peu les voyageurs anglo-am6ricains ou anglais remontant la cote nord-ouest , etudiant les ressources et la topographie de contrees longtemps abandonn^es. Tout I'ancien territoire de la bale d' Hudson, qui n'6tait jadis parcouru que par des cliercheurs de pelleteries, sera bientot une riche annexe du Canada. Une popula- tion tout europeenne deposs6dera les dernieres tribus indigenes, qui sont allies chercher plus au nord un refuge centre les envabissements des colons. Une re- cente evaluation ne porte d^jk plus leur chiffre qu'a 147 000. Un officier de la marine anglaise, M. le capi- taine J. Palliser, a ete commissionn6 pour ex6cuter une exploration dans 1' extreme ouest du continent am6ri- cain. Le but de cette expedition est la decouverte d'une voie praticable pour se rendre du Canada a la cote de I'oc^an Pacifique. Nous avons appris que cet ofllcier avait atteint par le \ 09" degr6 de longitude Greenwich la riviere Saskatchewan. Le h aout 1857, il touchait Turtle-Mountain, colline qui s'616ve sur une longueur de 30 milles et une largeur de 10, a 300 pieds anglais au-dessus de la prairie. M. Palliser a rectifie sur

3 cartes le cours du Souris {Mouse Rivet); le 15, il arrivaau fort EUice sur Ic Beaver Creek, et le 18, ilen-

( 26 ) trait dans la chaine de Moose Mountain, couverte, coiiime le Turtle Mountain, de bois, de lacs et de ma- rais. Quelqiies jours apr6s, soncompagnon, le docteur Hector Blakiston, constata la presence dans lesol, dune houille de belle quality. C'est pr^s du Souris que M. Palliser a recu la visite de plusieurs individus de la tribu des Stone indians , blen connus des pionniers conime maraudcurs de chevaux. Le 13 septenibre, I'exp^dition atteignait les lacs Qui nppelle , ou la Coui- pagnie de la bale d' Hudson a 6tabli le poste le plus occidental de son territoire. 11 y rencontra la tribu des Crees, qui semble dispos^e a accepter notre civilisation. Plusieurs jours apr^s , le capitaine Palliser p6n6tra dans ce qu'on pourrait appeler la contiee des bufflcs, tant ces aniniaux y sont abondants. Des troupeaux de plusieurs uiilliers de tetes parcourent incessamment ce vaste territoire, a la recherche d'une nourriture qui leur fait bien souveut d^faut; I'herbe est rare en effet dans ces solitudes ou les poursuites des chasseurs ont contraint les bullies, comme les Indiens, k se retirer, et I'onvoitces ruminants ybrouterjusqu'au bois. Jadis les buffi es n'6taient pas moins nombreux sur les terri- toires oii s'est aujourd'hui fix6 le pionnier am^ricain. Et aux environs du fort Kearney, ils se montrent en- core par troupes de plusieurs centaines de mille. Les Crees et les Pieds-noirs font d'ailleurs aux buffles une guerre impitoyable. C'est au milieu d'octobre que I'exp^- dition quitta Carlton sur le haut Saskatchewan ; et le 1" novembre, elle atteignit lied River. Un froid rigou- reux, des neiges abondantes avaient souvent entrav6 sa marclie. Arrive a ce point, le capitaine Palliser par-

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vint, non sans peine, k se procurer un guide et des che- vaux, pour Crow- f ring dans le Minnesota, d'oii il put gagner ais6ment Saint-Paul et la prairie du Chien. A Red river, I'officier anglais prit en outre ses mesures pour accomplir en mars de cette ann6e une expedition sur la branche meridionale du Saskatchewan, francliir les montagnes de I'Aigle et p6n6trer dans le pays des Indiens pieds-noirs.

Si, comme nous le pensons, le capitaine anglais r6us- sit dans son entreprise, il deviendra facile pour les Canadiens de se rendre k I'ile de Quadra ou Vancouver. Cette ile, nouvellement exploree, semble destin6e a etre, entre I'ancien et le nouveau monde, un entrepot im- portant. Nous devons au colonel Grant un int6ressant apercu de Quadra, qui avait 6t6 jusqu'i present peu visit6e paries Europtens; son sol, en grande partie d'origine volcanique, annonce une assez mediocre fer- tilit6 ; mais le climat est sain et agr^able, I'^te y est cliaud et sec, et des indices certains d^notent la pre- sence d'abondants depots houillers. Depuis peu, la population de cette ile a triple; elle s'eieve aujour- d'hui k SOOOOames.

Un territoire situe dans la meme region" du globe promet a la colonisation un champ plus vaste et plus fertile. L'Utah va s'ouvrir a I'esprit entreprenant des Anglo-Americains, qui en ont force les barrieres reli- gieuses. Les Mormons se voient maintenant contraints de rentrer dans la confederation desEtats-Unisetd'ou- vrir les portes de leur nouvelle terre-promise k d'autres que les saints du dernier jour. Ce sera sans doute I'oc- casion pour les voyageurs d'etudier plus a fond la g6o-

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graphie desbords du lac Sa]6, dont M. E. R. Sclimidt a consigne, dans Je recueil du D' Peterniann, un inte- ressant apeicu.

Vous avez recu le magnifique ouvrage qui resume I'ensendjle des travaux que le gouvernement de r Union a ordonn^s pour la construction de la carte hydrographique generale des Etats-Unis (1). Cette tcuvre fait le plus grand lionneur a la nation qui en a congu I'exi^cution ; elle fait honneur, en particulier, k M. le professeur A. D. Bache , plac6 k la lete de cette vaste operation. Le Coast siuvey ne sera pas un des litres les moins glorieux de la r6publique de rinion a la reconnaissance des g6ograplies.

Je ne puis encore vous parler que du premier volume de la belle relation du voyage de M. Balduin Mbllhausen sur le Mississipi et le littoral sud de^Etats-Unis, publi^e a Leipsick, Ce voyage, qui parait sous les auspices de M. Alexandre de Humboldt, donne une description complete de la contree qu'arrose ce lleuve magnifique et de celui qui baigne le Rio- Grande del Norte. M. Mollhausen donne sur les Indiens, sur I'histoire naturelle, sur la constitution du sol, des apercus ou des details presque toujours nouveaux, qui empruntent mi merite pittoresque non-seulement a I'el^gance de la ])lu)ne qui les expose, mais encore aux belles plan- ches dont I'ouvrage est acconq:)agn6.

Je ne vous entretiendrai pas, messieurs, des publi- cations g6ograpliiques auxquelles ont donn6 lieu di-

(I) Report of the s,uperittlendent of the coast mrvey showing the pro- gress of the survey during the year 1856. Wasbiiigtou, 185(i, in-i.

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verses entreprises organis6es clans le but d'abreger et de rendre plus facile le passage de I'Atlantique a I'oc^an Pacifique. II faut se defier un peu, je crois, de la parfaite exactitude deces documents, plus int^resses qu'int6ressants. L'Am6rique du Nord, qui porte par- tout son esprit industrial, fait quelquefois a la g^ogra- phie le mauvais tour de I'engager dans ses aventures. Les voyages et les descriptions deviennent alors des prospectus, et pourvu qu'on obtienne des actionnaires, on se pr6occupe peu de la rigueur des informations.

Je passe a 1' Australie, cette partie du monde ou gran- dit une future rivale del'Ameriquedu Nord. Maisavant que s'6tablisse ce redoutable antagonisme, il faut que le continent australien ait 6t6 totalement explore, que son sol, ou seront bientot pos6s des rails de chemins de fer et des t6l6graplies 61ectriques, soit reconnu aux quatre points cardinaux. Nos voisins les Anglais n'6- pargnent k cet eflet ni temps, ni fatigues, et Ton ne pent que donner des 61oges a la pers6v6rance dont ils font preuve pour p^n^trer au centre du continent australien.

Au commencement de mars 1855, M. Thomas Baines flit attache a 1' expedition conduite par M. Gregory dans le nord de 1' Australie. Envoy6 avec un petit d6tache- ment sur le schooner Tom Tough , pour se procurer des provisions a Timor, M. Baines mit a la voile de la bale de Morton et passa le d^troit de Torres. II visita la cote de Cap-York, une des contr^es les plus imparfaite- ment connues de 1' Australie. II put en 6tudier la curieuse population , et il pons en a donn6 une interessante description. Ces indigiines se soumettent k un tatouage qui les rendait hideux pour les voyageurs anglais :

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de larges excoriations, renouvel6esd6s qu'elles tendent ^ se cicatriser, couvrent leur peau et ne tardent pas a y determiner des saillies fort pro^niinentes et larges comma le doigt. Leurs armes, faites d'un bois diir et garniesde fragments d'os en guise de lame, sontorn6es de franges d'6corce. Leurs arcs sont faits de bambou , leurs filches de bois ou de roseaux. D6ja habitues .'i la pr(5sence des Europ^ens , ces sauvages s'empressaient d' (^changer leur 6caille de tortue contre du tabac et des mouchoirs de couleur. Le sol de la cOte est une argile rouge, donnaut naissance a des mamelons de 6 metres de haut environ. Du cap York, M. Baines se rendit a I'embouchure de Victoria River. II fit ensuite une excur- sion k Pnlrn-Island, k 30 OU AO milles en remontant la rivifere.

Les eaux du Victoria sont hant6es par de redoutables alligators, qui se pr6cipitent avec voracit6 sur les clie- vaux. Lorsque I'exp^dition eut atteint la branche occi- dentale de la rivifere, en tournant plus au sud , elle rencontra un plateau de380 metres d'altitude environ, qui pr6sentaitde vastes plaines d'un sol volcanique, re- convert par un gazon abondant. Dans les rochers qui li6rissent ce sol, I'agate se recueille pour ainsi dire k chaque pas. La roche trapp6enne fournit aux indigenes la mati^re de leurs pointes de fl6che et de leurs toma- hawks. Les lieux ^taient deserts, mais partout on aper- cevait la trace de I'homme. Les nids gigantesques des fourmis avaient 6t6 creus6s en vue de recueillir les larves et les (Rufs qu'ils rec^lcnt; les ruisseaux ^taient bord6s de coquillages, abandonn^s par les p6cheurs ; les arbres accusaienl , par I'^tat de leurs branches, les

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tentatives faites pour les d6poiiiller du miel d6pos6 par lesabeilles, des nids qii'y avaient faits les oiseaux, des lizards qui se gUssent sous leur feuillage. De grands trous pratiques dans la terre se laissaient reconnaitre pour ces cuisines en plein air oix les naturels pr^parent la chair de I'^meu etdu kangourou, le grand r^gal de ces contr6es. Envelopp6e d'6corces d'arbre , d6pos6e sur des pierres rougies au feu, cetle chair acquiert une saveur d6licieuse. La g6n6ralit6 de ce mode de cuisson en Oc6anie lui donne un veritable caractfere ethnologique. M. Baines avait du rejoindre M. Gregory. Ce der- nier voyageur, en remontant aux sources du Victoria, rencontra un autre cours d'eau qui coule vers le sud- ouest jusqu'au 20° 18' de lat. sud, ou il se jette dans un lac sal6. L' expedition lui imposa le nom de Start Creek. G'est alors qu'en conipagnie de M. Gregory et de quelques autres, M. Baines s'avanca ^ I'ouest pour op6rer la reconnaissance de tons les tributaires du Victoria. Nos voyageurs ne rencontr6rent sur ce sol qiie trapp et basalte ; ils couvaient des yeux , pour la colonisation future, d'immenses paturages abondam- ment arros6s, dont M. Gregory n' lvalue pas la super- ficie k moins de 3 millions d' acres. Sur im des affluents, M. Baines trouva une pecherie d'indigtjnes, 6tablie en un point oi\ la riviere se resserre en meme temps que son fonds s'exhausse. Les naturels placent sur cette dn/)ie des filets en forme de paniers , oil le pois- s'on va se prendre de lui-meme. Rien n'est plus pitto- resque que 1' aspect que prend ici la contr6e. Sur les rochers qui bordent la riviere , les sauvages ont trac6 en rouge, en blanc, en noir ou en jaune de grossi6res

( S2) images , dont qnelqiies-unes repr^sentent nn serpent l)ip6de a. deux cornes. Pr6s de la s'6l6vent des hultes constniites en gros blocs de pierre grossi^rement lad- les. Apr^s quelques jours de marclie, I'exp^dilion attelgnit le grand campement qu'avait 6tabli M. ^^ il- sondurant leur absence, et ou le schooner put etre r6- par^. C'estde la queM. Gr6gory aveclegrosde I'exp^- dition partit pour le golfe de Carpentarie , tandis que M. Baines mettait a la voile pour Timor.

Je n'entrerai pas dans les d6tails de ce voyage ; son auteur en a fait connaitre les principaux incidents. Je dirai seulement qu'il visita les lies Goulburn , oii le langage des indigenes lui r6v6la la presence fr6quente en ces lieux des navires am^ricains ; qu'il se rendit a I'ile du Crocodile, dont on ne poss6dait point de carte pour la partie meridionale ; M. Baines en a trac6 un croquis. Ce fut seulement le 30 mars suivant, c'est- a-dire un an juste depuis son depart, que le voyageur revint a Poit-Jackson , apr^s avoir travers6 le A'lng- George-Soniid.

Deux autres expeditions non moins int^ressantes sont celles qui out 6te dirigc^es au lac Torrens et dans la contree situ6e h. I'ouest de ce lac. Les tentatives faites, il y a plusieurs ann6es, par Eyre et par Frome, donnaient peu d'espoir que les bords du lac Torrens pussent jamais oflVir k la colonisation dc grands avan- tages. Cependant la d6couverte graduelle de cours d'eau avait pcrrais aux eleveurs de bestiaux de s'avan- cer, en 185(i, jusqu'au mont Serle et meme un peu an dela , en d6pit du nom de Hopeless donn6 k la mon- tagne on Eyre s'6tait arrets.

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En aout 1856, MM. Herschel Babbage et Bonner organisferent une exploration gt^ologique pour recher- cher Tor et le charbon dans le district du Mont-Serle. S'avancant pins an nord, M. Babbage parvint, an mi- lieu de perils et de difficnltes sans nombre, jusqu'a un conrs d'eau, le .^Lic Dnnnell Creek, et aux reservoirs abondants du Saint Mary's Pool et de Blanche-]' ater. Cette d6couverte produisit a Adelaide une grande sen- sation. L'ann^e suivante , M, Goyder partit pour lever la carte du pays explor6 par M. Babbage. II suivit pen- dant 16 uiilles le Mac Donncll Creek , et & 6 milles et demi de la, au nord-est, atteignit les bords du lac Torrens. II y reconnut un reservoir d'eau douce, sem6 de plusieurs iles et d'un niveau constant. II estima a 8 000 pieds anglais la hauteur du mont Serle.

Les heureux resultats de cette seconde expedition en firent bientot organiser une troisi6nie. Le capitaine Freeling arriva au lac, le 3 septembre, et confirnia, en les compietant, les d^couvertes de MAI. Goyder et Babbage. Mais , h6las ! toutes les tentatives n'ont pas 6t6 si heureuses. Cette ann6e, I'expedition conduite au centre del' Australie parle major Warburton, s'estvue forc6e de rentrer a Adelaide , sans avoir rencontre sur sa route aucune oasis de nature a etre mise en culture.

La seconde expedition , dirigee par M. Babbage, con- tinue sa marche en avant; sans etre, jusqu'ici, plus heureuse , elle a fait connaitre , par une depeche , aux autorites anglaiscs , le sort deplorable de la troisieme expedition , composee de trois v-oyageurs , MM. Coul- tbard, Scott et Bn oks. II n'est que trop probable que ces trois infortunes ont peri de faim et de soif au

XVII. JANVIER ET F£VRIER. 3, 3

( 34 ) milieu du d6sert. M. Babbage et son compagnon ont tronv6 le corps de M. Coulthard ^'tendu sous un buis- son ; i quelques pas se trouvaient sa cantine et tout son canipenient.

Snr un des c6t6s de cette cantine en ditain , olTrant une surface de 12 pouces de long sur 10 de large, le malheureux voyageur avait grav6 avec un clou ou la pointe de quelque instrument, I'inscription suivante :

(( Je n'ai nulle part rencontr6 d'eau ; je ne sais depuis combien de temps j'ai quitt6 Scott et Brooks : je crois que c'est lundi.

» Aprfes I'avoir saign6 pour vivre de son sang, j'ai pris le cheval noir pour chercher I'eau ; et la dernifere chose dont je me souvienne, c'est de lui avoir 6t6 la selle et de I'avoir laiss6 aller jusqu'i ce qu'il n'ait plus eu de force. Je ne sais combien de temps s'est 6coul6 de- puis : deux ou trois jours? je 1' ignore.

» Ma langue est coll6e k mon palais, et je ne vols plus ce que j'ai 6crit. Je sens que c'est la dernifere fois que je puis exprimer mes sentiments vivant, et le sentiment est perdu faute d'eau.

)) Mes yeux se troublent, ma langue brule. Je n'y vois plus. Dieu me soit en aide ! »

La d^peche de M. Babbage est dat6e du 16 juin ; I'expMition 6tait encore pourvue de toutce qui lui 6tait n6cessaire pour plnsieurs semaines, et quoique 6prou- v6e par la fatigue, elle resistait au d6couragement.

M. Hack a eu aussi sa part de misferes et de tribula- tions; mais a la fin, il en a 6t6 d6dommag6. Parti de Streaky hay, il atteignit, non sans peine, le mont Parla, arriva ensuiie I'l Toondulya: il y rencontra de vastes

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paturages bien arros6s. A Yarlbinda, oil I'avait con- duit rassnrance donn^e par les naturels de tronver des eaux plus abondantes, il iie rencontraqu' un vaste d6sert, dans toute I'^tendue duqnel on n'apercevait pas le moindre mamelon. II poursnivit cependant sa route a travers une succession de lieux arides et de broussailles. Enfin il apercut le grand-lacsal^, qui a recu le nom de lac Gairdiier^ et sur les bords duqiiel croit un gazon abondant, L'herbe est \k partout, grace h la salure du sol, mais I'eau fait presque tonjours d^faut.

L'exp6dition de M. Hack aura de grandes conse- quences pour I'extension de la culture dans I'Australie m^ridionale. Dfesaujourd'hui, elle a enrichi de donn^es topographiques pr^cieuses la carte que les colons doi- vent avoir sans cesse sous les yeux.

Le voyage de M. Swinden, entrepris, la nieme ann^e, k Test dn lac Torrens, n'a pas 6t6 aussi f6cond en r^sul- tats il a fait connaitre cependant I'existence de cours d'eau, question de vie ou de mort pour les cultivateurs australiens. M. Swinden a travers6 le Mudlalpa, situ6 dans I'enfoncement qui s6pare, du golfe Spencer, la pointe m^ridionale du lac Torrens. Get enfoncement n'a pas moins de 2 a 3 milles de long sur iOO yards de large. Le meme voyageur a d^couvert le mont Jonah, colline rocailleuse, d'ou Ton apercoit le mont Deception, auN. 30°O., etlemont Samuel, au N. 83° O.Trois milles plus loin, k Andeniorcha, M. Swinden rencontra trois amas d'eau donee, et les jours suivants, d'autres d'une eau, il est vrai, moins pure. Enfin il atteignit I'aigiiade importante de Carkerooh ; et a 6 milles au sud, se pr6- senta a lui un grand bassin, auquel il imposa le nom dc

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Biinrips. C'est i\ qnelqups millos an dela. quo s'arrt'te la relation de M. Swinden ; il serail difficile do la suivre, sans une carte detaill^e sous les yenx.

En 1856, M. le capitaine Chinmo, de la TorcJie a explort'' toute la cote du golfe de Carpentarie, et nous devons a M. le capitaine Legras la traduction de la re- lation, dont I'original a paru dans le Nautical Maga- ziii'\ M. Chinmo a rectifi6 la position de divers points indiqu^s par ses devanciers ; il a relev6 les iles Bailey, Pentecote, Palm, et ajout6 a Texcellente carte du capi- taine Blackwood 1' indication des rivieres Mac-Leay, Clarence el Manning , qui n'avaient point 6t6 port^es sur les cartes; il a controle I'itin^raire du capitaine Stakes, bravant les dangers d'une navigation encore dilFicile , bien que singuli^rement simplifi6e , par les relev6s hydrographiques ; aussi les navires qui ])assent le d6troit de Torres sont aujourd'hui fort nonibreux. Le cap York, en particulier, demeure d'une recon- naissance perilleuse. Son aspect singulier I'annonce au loin. Quand on apercoit, flit VI. Chinmo, ses petits monies d'argile rouge de 30 metres de liaut, on croirait voir de loin un assemblage de tentes. Enfin, M. Chinmo visita file Booby, le 17 juillet 1 856, et releva le reste de la cote. La premiere partie de la relation de rofficier anglais a seule 6te publico.

Ces voyages, outre qu'ils ouvrent un champ innnciise a la culture, permettront aussi d'6tudier plus a fond la geologic du continent australien , dont nous poss6dons d6ja les premieres donn^es.

Dans I'expedition tent6e aunord, un naturaliste dis- tingue , M. James S. Wilson , a recueilli les ^Ic'^ments

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d'une bonne description physique de lac6tenord-ouest et Quest, depuis la pointe du golfe de Carpentarie jus- qu'au cap Leeuwin. Le sol, d'une altitude moyenne de .1 600 pieds anglais , appartient g6n6ralement a la p6- riode carboniftre. Au nord, il est couvert d'un gazon plus varie qu'abondant; nulle part, en eifet, la v^g6- tation naine n'apparait si riche. De nombreux arbres a fruit alternent avec difl'6rentes petites esp^ces d'eu- calyptus. Les quadrupedes sont, dans cette partie de I'Australie , les memes que dans le midi du conti- nent ; mais les oiseaux different, Des bandes innom- brables de chauves-souris obscurcissent parfoisjusqu'^ un mille de distance Fair qu'elles empestent de leur odeur musqu6e, ou accablent les arbres du poicis de leurs corps 6nornies. Les eaux sont habitues par plusieurs int^ressantes espfeces de poissons : I'une fait aux mou- ches une chasse active, en lancant sur elles des gouttes d'eau qui les font tomberdans la riviere; d'autres exe- cutent par-dessus le sable et les rochers des bonds in- croyables. Cependantl'esjD^ce huuiaine est clair-sem6e dans ces regions , ou la vie animale s'est si largement d^velopp^e. Les indigenes sont de la meme race que celle qui habite le sud ; ils n'elevent pas de huttes, et se tiennent sous des berceaux de branchages. Quel- ques tribus savent construire au sonmiet des mon- tagnes des demeures en pierre, circulaires. L'usage des canots est partout inconnu. Veulent-ils traverser une riviere , ces sauvages se placent sur un morceau de bois qu'ils font flotter, ou bien , comme au golfe de Carpentarie , ils construisent avec des fascines des especes de radeaux. On retrouve cliez eux l'usage de s'arraclier deux des incisives sup^rieures.

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On le voit, la g^ographie physique de 1' Ausiralie pr6- sente \m grand int6ret : elle in6rite d'etre 6tudi6e en detail, et ])eat-6tre est-il prematura d'en tenter un ta- bleau coniplet. Cependant , un premier essai de gene- ralisation a Tavantage d'indiqiier ce qui reste encore a faire , et nous applaudirons , dans cette pens6e , au travail que M. George AN indsor Earl a consigne dans le Jonnuil (le rarcltipel Indien. Un des derniers nuui6- ros qui nous sont paiTenus renferme , sur les plateaux sous-marins de cette partie du monde, uue notice inl6- ressante od M. Earl a indique la hauteur et la direc- tion des pics volcaniques dontla ligne s'6tend dumont Ophir a la p^ninsule australienne d'Aniheim.

Je vous ai entretenus I'annee dernifere , Messieurs, du projet d' expedition h la Nouvelle-Guinee forme par le gouvernement hollandais. Le navire a vapeur CEtna a debarque dans le havre de Dorei, au nord-est de la grande bale de Geelvink , un corps de troupes charge de proteger les membres de rexpcdilion. On doit elever sur ce point, dont les Hollandais ont pris possession depuisun siede etdemi, un fortqu'occupera une garnison, tandis que I'expedition s'avancera dans I'interieur. Nous sommes heureux de rencontrer, pour I'accomplissement de cette ceuvre iniportante , des hommes aussi distingues que le naturaliste H. Zollin- ger, I'ingenieur Limburg-Brouvver et les astronomes Delange et Oudemans.

Les recherches des nouveaux explorateurs compie- teront et rcctifieront peut-clre en partie les informa- tions cuvieuses dont , a plusieurs reprises , nous avons etc rcdevables au savoir de M. Salomon Miiller. Celte annee encore , la Societe geographiquc de Londres

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s'enrichissait d'une communication de cet habile natu- raliste. Nous y apprenons que la cote occidentale de la Nouvelle-Guinee est un vaste desert boise ; que le pro- montoire sud-ouest, jusqu'au 135° 30' de longit. E. Greenwich, constitue un plateau d'une argile grisatre, inteiTompue 9a et la par des roches calcaires et quart- zeuses. Plus k Test pr6domine un sable blanc mel6 de quartz. Cette composition annonce des terrains juras- siques, mais les bancs de la riviere Timbona sent for- mes par des couches tertiaires.

A I'occasion de ces details int6ressant,s, M. J. Craw- furd a fait remarquer que la Nouvelle-Guin6e est, aprfes Borneo, la plus grande ile de I'univers; I'Aus- tralie devant etre regard^e comme un continent. Et cependant la population en est, a ce qu'il semble, notablement inferieure a celle de I'ile Bali, dont la superficie n'en I'epr^sente que la cent vingti6me par- tie et qui renferme 900 000 ames. Au reste, le savant voyageur anglais croit que 1' exploration de la Nou- velle-Guin6e int^resse plus la science que la pros- p6rit6 materielle de I'Europe. II augure peu de son avenir commercial ; car, dit-il , except6 la muscade , cette ile ne produitque fort peu d' articles utiles k nos besoins. C'est la patrie par excellence des oiseaux de paradis, dont on y rencontre cinq ou six esp^ces : c'est celle du pigeon couronne, I'un des botes les plus 616- gants des airs enAsie. M. Crawfurd est d' opinion qu'il n'existe qu'une seule race d'hommes a la Nouvelle- Guinee, les Papous, ou mieux les Poun'a-poinva, c'est- a-dire les hommes aux cheveux fris6s. Mais tel u'est pas I'avis de M. S. xMiiller, qui distingue la population

des montagnes de celle de la c6te : la premiere 6ner- gique , robuste et menaiit une vie s6dentaire ; la se- conde essentiellement nouiade.

L' expedition hollandaise aura done ii decider plu- sieurs questions iniportantes encore en litige. Dans la memer<5gion du globe, il est d'autres lies qui ont acquis, depuis quelques annees, inie triste c616brite ; je veux parler des lies Ari'uu , repaire d'incorrigibles pirates qu'onl du plusieurs fois chatier les niarins des Etats europ6ens. Un Anglais deja connu par un int^ressant voyage sur I'Amazone, M. Alfred R. \\ allace, a reside six niois dans ces iles. En d6pit des pirates qui infes- taient leurs cotes , il a recueilli sur cet arcliipel inte- ressant des informations qui ne man([uent pas de nou- veaute. Le groupe des Arrou est forme , nous dit-il , d'une lie centrale, autour de hujuelle sont en quelque sorte distribuees un grand nonibre de plus petites. Cette lie centrale , appelee par les habitants Ta/ma Busar, c'esta-dire /a grande ile, pr6sente une longueur d'environ 80 milles du nord au sud , et 50 de Test a I'ouest. Dans cette derniere direction, elle est travers^e par trois larges rivieres qui la divisent en quatre par- tics. Tanna Busar est sans doute, comme on I'admet, un pays bas, mais elle est loin, selon M. AVallace, d'etre aussi plate et aussi marecageuse qu'on I'avait avanc6. La plus grande partie de son sol est au contraire form6e de coUines rocheuses , pr(^sentant des escarpements ci pic, et separees par d'etroits ravins. Lo iiombre des lies secondaires s'el^ve a plusieurs centaines. A I'ouest, ouelles sont moins multipliees,AVamma et Poulo-liabi fbrment los principales. A rextremidl' nord-oucst , on

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trouve Ougia et Wassia, qui constitue le point le plus aA'anc6 au nord-ouest. A Test et au sud, se d6ronle, a une distance moyenne de 15 a 20 milles de Tanna- Busar, une cliaine continue d'ilots coralligenes , ou se peclie a prolusion la nacre de perle. Toutes ces iles sont couvertes de forets epaisses et elev^es. L'origine des Arrou parait etre la meme que celle de presque to us les archipels de la Polynesie. Ce sont des pics de vol- cans, a I'entour desquels des r6cifs de corail ont, en s'anjoncelant, donne naissance a des ilots qui se sont unis au noyau volcanique. Toutefois , la formation de ces iles donne lieu , pour les dt^tails , a des diflicult^s que M. ^^'allace examine, mais que nous ne rappelle- rons pas ici. Ces diflicult6s memes conduisent le voya- geur anglais a supposer que les iles Arrou auraient pu avoir 6t6, dans le principe, reunies ala Nouvelle-Guin6e, dont deux rivieres, I'Utanata et le A\ akua, correspon- dent, quant a leur direction, aux cours d'eau oularges ca- naux qui coupent Tanna -Busar. A I'appui de cette liypo- tliese,M. AVallacelait observer quelafaune des Arrou est la meme que celle de la Nouvelle-Guinee ; mais il est a remarquer que cette faune t'lant toute ornitho- logique, 1' identity des especes devient beaucoup moins significative. Toutefois, quelques-uns de ces oiseaux , tels que le casoar, ne saui-aient traverser les airs ; et il est a noter que le grand oiseau de paradis, commun a la Nouvelle-Guinee et aux iles Arrou, ne se retrouve pas aux iles Ke et Coram , beaucoup plus rapprocJK^es de la premiere ile que ces dernieres.

L' ensemble de la population des Anou appartienl ;i la race papoue. Mais il y a eu cntre cette race et les IMalais de si nombreux melanges, qu'oii y rencontre toutes les

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nuances interm^diaires entre les deux populations, d'lin type pourtant fort distinct. Les Papous ont la peau noire, la taille elevt^e, le corps bien d6coupl6 ; les Ma- lais sont plus petits et ont le teint plus clair. Leur carac- t6re est aussi different : ils sont plus ri^serves, plus apa- tbiques que lesMalais; mais ils parlentplus baut, rient davantage, et constituent en somme une population plus enjouee que leurs a oisins. L'arc est I'arme nationale des insulaires des Arrou; ils le manient avec une incroyable adresse, faisant tomber sous leurs fl^cbes cochons sau- vages, kangourous, casoars, etles innombrables oiseavuc qui babitent leurs forets. Ils cultivent les ignames, les patates donees et une foule de racines, d'ou ils tirent une f6cule nourrissante. La rocbe coralligfene, en se d6litant, donne naissance a un terreau abondant, oil croit la plus belle esp6ce de canne h sucre, qui fournit aux indigenes un uiasticatoire recbercbe. Le nombre de langues parl6es aux iles Arrou est prodigieux, mais ce nc sont que des dialectes d'un meuie idionie.

Les Hollandais ont port6 en plusieurs points de ces iles un conuuencement de civilisation. Des ecoles sont etablies k Wamnia, Wokan et Maykor. M. Crawfurd estinie la population de cet arcbipel a 80 000 ames. 11 fail reniarquer que le nom qui lui est donn6 (Arrou) est en Malais, celui du CasuaHnd nuincaia. Le climat des Arrou pr6sente des anomalies curieuses, et les moussons ne s'y r^glent pas de la meme fa^on qu'aux Moluques : octobre et novembre sont les deux seuls mois de secberesse , tandis que la meme 6poque est marquee dans les arcbipels voisins par les cliange- mcnls de mousson.

La nouveautu des fails observes par U. Wallace m'a

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entrain6 un pen loin et ne me laisse gu6re d'espace pour vous parler du reste de I'Oc^anie. II est vrai que j'ai peu de choses a vous en dire , si j'en excepte les tra- vaux de quelques missionnaires et les informations re- cueillies par des marins. M. Paul Reina, que son d6- vouement apostolique avait conduit dans les lies Rook, situ6es non loin de la Nouvelle-Guin^e, a 6t6 a meme d'6tuclier les mceurs des insulaires et de recueillir, sur I'archipel et meme sur la Nouvelle-Guin6e, des notes qui ne sont pas d^pourvues d'int6ret. On retrouve aux iles Rook a peu prfes les memes mceurs que chez les indigenes de la Polyn^sie. Une softe de circonci- sion (1) , difr6 rente de celle que pratiquent les Arabes et les Juifs, y est en usage, et doit etre regard6e comme un indice de la parents qui rattache les indi- genes aux populations australiennes.

Une lettre du P. Poupinel, religieux mariste, sur la Nouvelle-Cal^donie , a 6t6 publiee par les Annales de la Propaiiation de la fol (juillet 1858); je n'y rencontre que peu d' informations nouvelles. Le P. Poupinel a visits les 6tablissements de Port-de-France, de la Con- ception, dePoebo et de Balade. II en a trouv6 les mis- sions florissantes. Les habitants de la Nouvelle-Cal6- donie sont plus laborieux que les autres insulaires des tropiques. Dou6s d'un vrai talent pour les irrigations, ils savent faire monter I'eau sur les collines, afin d'ar- roser leurs plantations, et trafiquent deja avec les Strangers. Le P. Poupinel a assist^ a une fete et i un repas fun^bre, dont il donue une int^ressante des-

(1) XeilschrifL fur allgemeine Erdkunde. Berlin, mai 1858.

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cription. «Lorsqu'ur)C peuplatlo trouvc que son chef est trop vieux, 6crit-il, el n'a plus assez d' activity, de force poiii' la guerre, on le prie de renoncer k son au- torit6 etde la reniettre a son Ills. Mais conime il pour- rait elre tent6 de ressaisir le pouvoir et troubler ainsi la pai\ do la tribu,iln'est pas rarequ'on fasseaussitot Ics preparalifs de sa fete et qu'on lui donne la mort. » ((Lgs colons francais, ajoute ailleurs le P. Poupinel, uuiil giiLTC rcussi jusqu'a present, et plusieurs ont 6t6 victinies de la ferocity des habitants, Mais les choses paraissent devoir changer, grace ti 1' attitude energique de nos uiarins. »

Nous trouvons dans la Rei^iw coloniale d'autres de- tails sur les colonies de I'Oceanie. M. le lieutenant de vaisseau Jouan a fait paraitre dans ce recueil une des- cription complete de I'archipel des IMarquises, qui ne laisse presqac plus rien k dire aux explorateurs futurs. MM. Plancher et Vieillard ont esquiss6 dans quelques pages sidistantielles la geographic physique de la Nou- velle-Caledonie.

Esp6rons qu'eclair^ parces informations, notre com- merce se tournera vers mi nionde qui peut devenir le theatre d'mi riche mouvement 6conomique , et assurer a nos produits d'innonibrables d(^bouch6s. D6ja quel- ques-uns de ces archipels ont cesse de relever de ce qu'on pourrait appeler 1' humanity primitive on barbare. Les lies Sandwich sent aujourd'hui regies par des lois em]n'unt6es a I'Europe, et grace an protectorat francais, lesKanaks de Tahiti, ilfautl'esperer, suivront rcxcmple qui leur est donne par leurs frercs des Sandwich. J'ai hate d'arriver h. I'Asie, oil la g6ographie a fait

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line plus riche nioisson. Toutefois, avant de cpiitter ce monde d'iles qui unit I'ancien au nouveau continent, je dois mentionner, en premiere ligne, le voyage dans la partie orientale de rarchipel indien de Reinwardt. Qnoiqu'il date de 1821, la relation vient senlement d'en etre publiee par I'lnstitut des Indes n^erlan- daises. Ce livre, 6crit en hollandais et public avec une introduction et des notes par M. W. H. de Vriese, ren- ferme des details qui, malgre leur date, n'ont pas perdu de leurint^ret. Toute la partie d'histoire naturelle, de g^ologie, y est savamment trait^e, d'apr^s des doctrines qui ont nialheureusement un pen vieilli.

Je nientionnerai ensuite un voyage execute dans I'int^rieur de Sumatra, par M. E. Presgrave , et qu'a public \q Journal de tdirhipel iiulien. Ce VOyageur s'est rendu a Passummali et a Gunung-Dempo, Je ne puis analyser sa relation, Je dirai seulement qu'elle est riche en informations des plus varices, et donne en particu- lier, sur la religion des insulaires , des details pleins d'interet. Le vieux paganisnie de ce peuple s'est peu k peu p6n6tr6 de croyances et d'id6es emprunt^es a I'isla- misme. La circoncision est aujourd'luii d'un usage g*^- n^ral parmi eux. Une de leurs tribus, Iqh y^nak Se- niiinrio, se fait surtout remarquer par son z61e pour la religion du Coran. Mais partout ailleurs se retiouvent en vigueur a Sumatra les antiques superstitions. On adore, sous le nom d'Orann-^l/ons, des esprits fort analogues aux atouas des Polynesiens : on olTre aux ames des morts un culte fervent, et Ton admetla doc- trine de la m^tempsycose. Le tigre est, par excel-

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lencp, I'animal dans lo corps diiquel passe, selon ces insulaires, I'lime humaine. Aussi les habitants de Su- matra ont-ils pour cette bete f6roce un respect in- croyable, et ne le traitent-ils qu'avec les plus grands 6gards. On retrouve aussi chez les indigenes de la meme ile quelques-unes des pratiques asc6tiques des Hin- dous; il n'est pas rare d'en rencontrer qui, pour s'as- surer les faveurs de la divinile, s'imposent de cruelles epreuves, et vont ensuite s't^tablir dans un temple ou kramni^oix ils y sacrifient aux dieux leurs ancetres, et observer pendant quinze jours I'abstinence la plus rigoureuse. II est diilicile, dit M. Presgrave, d'dva- luer la population du canton de Passununah-L6bar; mais elle ne saurait etre inftrieure ^100 000 ames. Un mince d6troit nous s6pare maintenant de I'Asie. Nousy mettons le pied, en p^n^trant dans la presqu'ile de Malacca. lA encore nous nous trouvons en pre- sence d'une population de meme race quecelle qui est r6pandue de I'autre c6t6 du canal de Singapour. Ce sont des Malais qui habitent Pinang ct la province de Wellesley. L' excellent Journal de I'mchipel Indien a publi6 sur les indigenes de ces contrees un m^moire modestenient intitule : Notes, et ou nous aurions beau- coup a. prendre si I'espacc nous le permettait. L'au- teur est M. J.-D. Vaughan, qui a, pendant sept ans, r6sid6 au milieu des Malais , et a pu recueillir d'eux une foule d' informations. Usages relatifs a la nais- sance et h. 1' Education des enfants , an mariage , aux rapports soci aux, aux jeux et aux amusements, aux repas, habillements, armes, croyances, habitations, ma-

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ladies, caract6res physiques etmoraux, M. Vaughan passe tout en revue.

Parmi ces usages , il en est souvent dont I'^lude , en apparence frivole , a cependant son importance ethuologique , et fournit certains traits auxquels pent se reconnattre une race on une tribu. J'en citerai quel- ques-uns. Jamais un Malais ne marcbe k c6t6 de son Spouse. Quand une compagnie se met en route, les femmes pr6c6dent toujours les homnies. Un enfant est-il encore trop jeune pour marcher ou se trainer seu- lement sur les mains , on le place dans un panier qui est suspendu aux chevrons de la maison , et a I'aide d'une corde, la m^re ou d'autres enfants balancent la petite creature. La m6re veut-elle transporter son en- fant , elle le suspend sur ses 6paules a ra,ide d'un sac ou d'une sorte de hamac. II est rare, en effet , de voir les femmes malaies passer, comme les femmes hin- doues, les jambes du petit sur leurs hanches. Les Malais ne se font point entre eux de visite. Chaque maison est, comme un sanctuaire, ferm6 h I'^tranger, et Ton ne se r^unit que pour les fetes.

Un 6troit lien de filiation rattache la population de la presqu'ile de Malacca aux tribus indigenes qui sont aujourd'hui confin^es dans 1' Assam, sorte de plexus qui relie k la fois les pays mongols aux pays dra- vidiens et tib6tains. L'6tude des races assamaises pr6- occupe depuis longtemps les ethnologistes anglais. Quoique les beaux travaux de M. Hodgson aient gran- dement 6clair6 ce curieux probl6me ethnologique , tout n'est pas fait, tout est loin d'etre expliqu^. Par quel ensemble de caractferes les races transgang6-

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tiqnes se rapprochent-ellcs et sVloignent-elles de celles du Tibet? c'cst ce qu'il faut inaintenant deter- miner avec precision. M. J. R. Logan a tente de le faire dans un savant niemoire sur les popidations du Tibet, du Barnia et de Pegou, insure dans le Jounml de Var- chipel Indien. Le nom de M. Logan vous est bien fanii- lier, Messieurs. Vous savez que ce savant met une noble ardeiir a eclairer I'histoire des nations au milieu desquelles il vit; en r^unissant toutes les informations, il cherche a systematiser les faits. Le travail qu'il vient de publier est indispensable a consulter pour connaitre les migrations qui se sont accouvplies au sud de I'Asie.

La presqu'ile transgangetique voit graduellement s'abaisser les barri^res qui en fermaient jadis I'acces aux voyageurs ; elle nous promet pour les ann6es pro- cliaines de riches informations. Le Barma se civilise et appelle k la tele de ses armies des officiers europ6ens. Siam s'est engage par un traite h. recevoir nos voya- geurs. Enfin, I'empire annamitique, qui persistait dans son systeme d'isolement farouche et d" intolerance san- guinaire, va bientOt se trouver contraint, grace aux efforts reunis de la France et de I'Espagne, a recon- naitre les principes du droit des gens. La Cochinchine et le Tonkin ne pourront opposer k I'intrepidite de nos marins qu'une resistance impuissante, vaineraent d6jk tentee par les Chinois contre les deux plus grandcs marines militaires du monde.

La Chine, en effet, Messieurs, n'est plus cet empire ferme dont la poi)ulation pref6rait 6touffer an sein d'unc atmosphere que ricn ne venait renouveler, plu- tot que de laisser entrer la brise rafraichissante que

fait soufTler le christianisme snr les contrees qu'il civi- lise. Sans parler des traites qui nous ouvrent mainte- nant les principaux ports du c61este empire, nous cite- rons pourpreuve les nombreux voyages qu'ont tenths, dans ces deniiers temps, des envoy^s anglais, des mis- sionnaires catholiques et protestants.

Un horticulteur distingue, M. Robert Fortune', qui s'6taitd6ja fait connaitre, il ya dix ans, par la relation de son s6jour de trois anntes au nord de la Chine, a public, I'an dernier, le voyage qu'il fit dans le meme pays, de'1853 a 185(3. Specialement occup6 de tout ce qui touche au commerce du the , M. R. Fortune a re- cueilli , sur la culture de cette plante, sur les pro- vinces ou elle fleurit, des details d'un grand inti^ret g6ographique et economique. Son livre nitrite lememe succfes que son premier voyage a obtenu.

Un missionnaire protestant, le r^v6rend "William C, Milne a, sous le titre de La Vie reelle en Chine, pu- blic un ouvrage curieux, r6cemment traduit en fran- cais. II nous montre a quel degr6 d'avancement social la Chine , dont il parle la langue en vrai naturel , est arriv6e par elle-meme. Mais a cette civilisation au- tochthone pendent toujours, pour ainsi dire , les gue- nilles de la barbarie ; c'est I'inverse de ce qu'a dit Horace :

El magna professis Purpureus, late qui splendeal, unns et alter Assuitur pannus.

Ce haillon de la barbarie, I'Europe seule le pent faire disparaitre ; seule , notre civilisation donne aux peuples un lustre que ne ternissent ni d'absurdes pr6-

XVn. JANVIER ET ri:VRIl'l!. li. li

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jug6s, ni des lois l'6roces, ui dcs iiislUulions outra- geantes et inliumaines.

En pendant de la relation de M. Milne, je \ oiuirais ponvoir citer le r6cit impatiemnient attendu de I'am- bassade de lord Elgin au Japon. (le pays, d'une civilisa- tion plus 6tonnante encore que celle de la Chine, s'est montr6 jaloux a I'exc^s de ne subir aucune influence 6trang6re , et cependant, malgr6 sa fernieture her- m^tiqne, il a d6j^ adopts, avant que nous les lui ayons port6es, les d6couvertes de nos sciences et les merveilles de notre Industrie. Le Japon 6tait rest^jus- qu'a ]-»r6sent poiu- nous une veritable term iitcogniin ,• ce que Ton en racontait n'6tait empruntt; qua de vieilles informations , datant d'lnie 6poque ou son acc6s 6tait moins difficile. Et d'abord nous ignorions salangue; ignorance qui 6tait en grande partie la source de toutes les autres : car la langue est la clef des esprits , et il faut que les esprits s'ouvrent pour que les rela- tions s'etablissent. L'6tude du japonais commence a fleurir en Europe, et les diflficult^s singuli6res dont elle est entour^e, grace a la pers6v6rance de quel- ques jeunes travailleurs, disparaissent graduellement. Vous avez eutendu le rapport sp<^'cial que je vous ai fait. Messieurs, sur I'ouvrage de M. L. de Rosny ; il vous donne la mesure de ce que vous pouvez attendre de ses efforts. Ce n'est passeulement lapbilologie k la- quelle cette langue fournit des apercus nouveaux et des particulaiit6s curieuses, I'ethnologie puiseaussi dans la coniparaisoii du japonaiset des autres idiomes, desdon- n6es piecieuses pour I'liisloire du peuplenient du uou- veau nionde. On pent sen convaincre, en lisant ladis-

( 51 j sertation que M. HyacintJiede Charencey vientde ['aire paraitre sur les analogies du japonais el des langues am6ricaines (1).

En attendant que le trait6 de commerce avec 1' em- pire japonais ait port6 ses fruits, nous reprenons les vieilles relations, avec 1' intention de comparer les infor- mations qu'elles fournissent i celles que nous recevrons bientot, et de mesurer par la le progres qui s'est accom- pli, depuis un sitele, chez ce peuple si intelligent. Ce n' est done pas sans fruit quevous lirez. Messieurs, I'in- t^ressante publication faite r^ceniment par I'lnstitut royal des Indes n6erlandaises, de la relation in6dite d'un voyage accompli au nord et a Test du Japon, en 16^3. L'auteur de ce journal est C, J. Coen, qui montait le navire le Castncum, dans I'exp^dition de Maarten Gerritsz Vries. C'est a M. Leupe que Ton est redevable de I'impression du manuscrit; il I'a enrichi de notes savantes. On trouve a la fm de I'ouvrage une bonne carte et un appendice des plus curieux, tant sous le rapport g6ographique qu'ethnograplnque. Get appendice traite des iles Yeso, Krafto et Kouriles et renferme des details sur la langue des Ainos, commu- niques par leC^lebre orientaliste P. F. deSiebold.

La cote qui fait face au Japon est de venue , depuis roccupation russe , le theatre d'une exploration intel- ligente et circonstanci^e. Je vous ai d6ja entretenus , I'an dernier, de la grande expedition sib^rienne orga- nis6e par notre soeur de Saint-P6tersbourg. La science recueille tous les jours les fruits de cette lieureuse entreprise.

[\) lirrue aiiiri iriiiix' ri oriciilnji', 1*'' luimf'ro, IS58.

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La Socit'!t6 iniperiale tie g^ographie fie Riissie a donn6 cette aiinee, clans son Bulletin, deux rapports enian(!'s dc deux des meuibres de I'exp^dition : I'un est du k I'astronome SchwartzJ'autre au naturaliste Radde. Le meme rocueil public en outre de nombreux docu- ments rclatifs a la geographic de la Sibcric et des con- trees liniitrophes de la Chine, M. de Sem6now a fait paraitrcun premier voyage au Tliian-Chan, enl'accom- pagnant d'une carte (1); on y trouve indiqu6c la topo- graphic de la region peu connue qui s'6tend au sud du nouvel etablissement russe de Kopal. AI. Pctermann a reproduit cette carte avec des additions dans scs Mil- theiltmgeii. Elle coraprend le cours de I'lli et la region du lac Issyk-Koule, entre le AS" et Ic /i5* lat. nord. L'lli , qui va se jeter dansle lacBalkhasch ou Dengis, s6pare les montagnes de la Dzoungarie du bassin de rissyk-Koule , et reroit, entre Hoi-Youan et Ilysk, de nombreux affluents. L'Issyk-Koulc, egalement ali- ment6 par divers cours d'eau, est borne au nord par' la chaine transilienne de I'Alatau , et au sud par les montsThian-Chan, dontla s6pare lavallee dcTcrskey. A I'oucst de I'Alatau transilien, s'6l6ve le Talgarnyntal- Tchoukou,hautde5000pieds, et sur Icquel le Tchilik,' un des principaux affluents de l'lli, prend sa somxc. Au dela de la rive droite de cette derni6rc riviere, s'etendent les chahies de I'Alainan et dc Djaugys-Agatch, d'oii s'6chappent les cours d'eau qui forment le Karatal , dont les ondesvont, comnie ccllesde l'lli, grossir Ic lac

(1) Karla tchasli Vnoulrenney Aziy ss Uhrehlami DjoungnrsMmmy 7.ai1iysl;imm Alalnou Tiann Chanemm y OzTomm Yssyk Koufe. L'd- chclle est dumuV en niilles anglais.

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Balkasch. Au nord du Karatal, court la chaiiie de I\.o]ml, sur le pied septentrional de laquelle s'616ve la ville du meme noai, fondle par les Uusses en 18/i7 pour pro- t^ger, contre les incursions des Kirghises ind6pcndauts, . les Rirgliiscs qui reconnaissent le gouverneinent du tsar. Biitie sur la riviere qui lui emprunte son nom et qui se jette dans le Kisyl-Agatcb, Ropal, situ6e dans un pays bien cultiv6, est deja une ville florissante.

Les montagnes de la Dzoungarie fornient la ligne de partage entreles eauxqui se versent dans le Balkascliet celles qui se rendent au Borotala. Au sud du bassin de cette dernit;re riviere, le lac Sairam-Koule constitue un vaste reservoir qui recoit les eaux des monts Iren-Kha- birgan, arete de partage entre les affluents de I'lli et ceux du Borotal.

M. Radde, dont j'aiprononcetoutM'hem-e le noni, a public sur les frontieres de la Daourie et les contr6es transbaikaliennes , un aper^u substantiel ou sont d6- crites, sous le raj)port topographique et physique, les steppes de cette region. M. le lieutenant Ousoletsow a entrepris, aux sources du Gilioui et sur la rivifere Z6a, une exploration qui conq)letera cc que nous savons du bassin de 1' Amour. Dt^ja les principaux affluents de ce lleuve out 6t6 reconnus , et le bidletin de la Soci^te de Russie nous en fournit une excellente description. Les peuples qui habitent les memes rt^gions n'ont pas moins 6t6 6tudi6s que les lieux. M. Orlow, un des membres de I'expc'dition de Sib6rie , a fait paraitre, dans le xxv volume des Memoires de la Societe de geo- graphie de Saint- Petersbourg, une notice SUr les Ton- gouses de Bauntowsk et de 1' Angara, dont le Juumal

( '^fx ) lie In Sociefe fie Berlin nous a tlonn6 une version alle- niande. Les Tongouses forment , comme on salt , un des chainons interm6diaires enire les races finno-sib6- riennes ou altaicjues et les races mongoles. De la I'in- t6ret particulier qui s'attache a leur iiistoire. M. Orlow a r6uni des details sur leurs uiceurs , sur le calendrier qui r6gle ce qu'on pourrait appelcr le cycle de leur existence annuelle.

Je voudrais pouvoir extraire dc la relation d'un voyageur americain , qui a parcouru les regions sur lesquelles la Russie 6tend son puissant patronage , quelques-uns des curieux 6pisodes qui en rendent la lecture si attachante. Le livre de M. Th. A^ . Atkinson, intitule : Orien/nl and IVestern Siberia , est le fruit de sept anuses d' une exploration bardie et pers6v6rante , telle que les liommes de race anglo-saxonne savent les eflectuer. M. Atkinson a visits la Sib6rie, la Tar- tarie cbinoise, la steppe des Kirgliises , et une partie de I'Asie centrale. Son livre n'est pas une ceuvre scien- tifique, c'est la biographic aniai6e d'un voyageur que la curiosit6 conduit et que le danger attire. La lecture en est trfes propre k nous donncr une juste id^e d'une con- tr6e oh. 1' existence demeure comme le dernier 6cho de la vie des premiers ages.

Les bords du fleuve Amour out et6 visit6s par un voyageur qui a suivi une direction oppos^e a celle des expeditions russes. M. Olio Esche, n^gociant h. San- Francisco, s'est rendu en I\Iandcbourie, avec la pens6e de noucr des relations conimerciales entre rembouchure de I'Amour et les etablissements russes de I'Am^rique. Dans ce but, il arma un navire, I' Oscar, et gagna, par

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le d^troit de La P6rouse, la baie de Castries. II coupa I'archipel des Rouriles, entre les iles Simousir et Ou- loiip. Dans la premiere de ces iles, il a partout troiiv6 es traces de la terrible eruption volcanique dont elle a eu i soufTrir, il y a environ huit ans.

Le IZi juillet 1857, I' Oscar mouillait dans la baie de Castries, et une marche de quelques heures conduisail M. Esche aux bords de lamer de Kisi, d'ou il se rendit, sur une petite embarcation, a Nikolaiewsk, qu'il attei- gnit le 8 aout. C'est aujourd'hui une ville ilorissante, construite sur un large plateau aussi,6tendu que San- Francisco. Une belle foret entoure la ville, et la place du march6 peut d6j^ le disputer en superficie au Washington-Square de la cit6 californienne. De \k rayonnent de larges rues. Quoiqu'on ne rencontre pas encore d' hotels a Nikolaiewsk, les ressources sont loin d'y manquera I'Europ^en. Sansparlerd'un restaurant, d'une salle de bal, d'un caJjinet de lecture fourni de tousles journaux allemands, francais et beiges, on y a 6tabli une bibliothfeque dejk riche de h 000 volumes. C'est la, il faut le dire, un fait des plus honorables pour I'arm^e russe, car ilt^moignede ses gouts studieux; Nikolaiewsk n'est gu6re eo efletpeupl6 qued'officiers, et ne peut etre encore regarde que comme une for- teresse. Au voisinage de la ville, s'616vent divers villages oil le paysan russe cultive avec succfes nos cer^ales et nos plantes potag^res. Le tabac, le chanvre surtout, font, sur les bords de 1' Amour, I'objet d'un commerce impor- tant, tandis que les flotsdu fleuveamfenentdans la ville des trains de bois des essences les plus varices. Quatre bateaux a vapeur sillonnent I'Amour en tons sens.

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Le voyageur californien a ete frapp6 de I'analoglc qTi'ofTre ce fleuve avec I'Elbe. A mesure qu'on approchc de son embouchure, I'Amour s'agrandit, et a Cap- Pronge, aii-dessous de Nikolaiewsk, sa largeur est d'en- viron /lO milles. Tout annonce que la nouvelle cit6 russe sera uii jour le centre d'arnienients iniportants pour la peclie de la baleine, tandis que la presence de riches houlUeres assure au commerce maritime un avenir quo nous ne ponvons encore entrevoir. Les m6taux ne font pas non plusdefaut dans les environs Bref, Nikolaiewsk nous apparait comme devant elre nii jour un des plus beaux fleurons de la couronne des tsars.

Taudis que la Russie voit grandir cliaque ann^e sa puissance en Asie, et son peuple prendre possession du sol par des conquetes faciles et durables, I'Angleterre sent s'ebranler sous elle les fondements du gigantesque empire qu'elleavait fond6 aux Indes. II ne nous appai- tientpasde parlerici de la guerre fatale qui fait couler tant de sang, ct que deplorent en lueme temps la civili- sation et I'humanite. La Grande Bretagne a rendu a la science des services qu'on ne saurait oubUer sans ingra- titude ; elle nous a ouvert des tr^sors quelle a gen^reu- sement mis a la disj^osition de tous les esprits curieux. Esp6rons done que 1' avenir de tantde recherclies etde travaux n'est pas compromis, et en attendant, applau- dissons-nous de rencontrer encore chez les Anglais des publications qui compl6tent I'ensemble des magnifiques travaux entrepris par eux sur les Indes orientales.

Et d'abord, je dois citer une ceuvre ca])ilalc, lanl pour la g6ograpliie que pour la geologic, les Docitmenis ';i:a- logifjitcs sur I'Ini/e ovcideiitalc, y compri's Ic hoiitc/t, le

( 57 ) Sindh et la cote sud-csl de rArahie, Cet ouvragc , eil- richi d'excellentes cartes, de coupes et de plans, est accompagn^ d'un apercii de la geologie de I'lnde en g6n6ral. L'auteur est M. Henri J. Carter. Mais a ce m6decin seul ne revient pas tout I'lionneur d'un travail si etendu ; il a du mettre a contribution et reproduire un grand nombre de travaux particuliers. L'espace me manque malheureusement pour en designer les au- teurs; a plus forte raison me manque-t-il aussi, pour suivre les explorateurs anglais dans la description qu'ils nous donnent d'un sol ou Ton rencontre a chaque pas le granite, le trapp et le basalte. l.a ville de Bombay, quia donn^le jour a cette i^ublication, poss^de, comrae vouslesavez. Messieurs, une Societe asiatique dont le recueil est d'un liaut interet. Je signalerai, parmi les m^moii'es ins6r6s dans les derniers numeros qui nous soient parvenus, une notice historique et arch^ologique de M. H.-B.-E. Frere sur les anciennes villes du Sindli, travail de nature a r^pandre quelques lueurs dans cette tenebreuse g^ographie de I'lnde antique, oii notre confrere, M. Vivien de Saint-Martin , a fait de si lieu- reuses d^couvertes.

La geographic ancienne de I'lnde est un champ tout rt^cemment mis en culture. Des orientalistes 6minents, MM. Lassen et Reinaud , avaient deja jet6 les fonde- mentsde son etude; mais M. Vivien de Saint-Martin I'a reprise avec les lumi^res d'un g6ographe de pi'o- fession. Les memoires qu'il alus a I'lnstitut, celui qu'il a tout r(3cemment publie sous le titre de Memnire ann- lytitjiie siir In carte de FJsie cent rale et de Vlnde , can- itrn/le d'aprcs Ic Si-yii-ki^ lui font le plus grand hou-

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neur et ne soiit pas indignes des travaux des meilleurs critiques en g6ographie. Le dernier m^moire et la carte qui I'accorapagne, ajoutent un nouveau prix a la pr6- cieuse pu])lication des Memoires sur /ex contrees ncci^ dentales, tradiiits dii sdiiscrit en cliinois en ran 0^8, par Hiouen Thsang , et du chinois en francais , par notre c616bre sinologue M. Stanislas Julien. (-et ouvrage, dont le second volume a paru r^ceniment, donne un tableau infiniment curieux de I'lnde, au vii* sifecle de notre ere. Grace a la carte de notre confrere M. Vivien de Saint-Martin , on peut suivre I'itineraire du voya- geur bouddliiste, et se faire une id^e exacte d'unc partie de I'Asie, a une 6poque oil les Hindous n'olTrent que des r6cits fabuleux et des reveries po6tiques.

Mais revenons aux publications de la Soci6t6 de Bom- bay. Son recueil renferme un autre travail 6galement important pour la g^ographie de I'lnde antique, c'esl lui uK^moire de M. A.-F. Bellasis sur les restes de Brahminabad, qui fournira un chapitre a I'histoiredes cit6s ruin6es de I'Hindoustan.

Je passe h d'autres publications. SirW.-H. Sleemanu, ancien resident britannique a la cour de Lucknovv, a fait paraitre k Londres , sous le titre de Journal d'un voyage dans le royaume d^Onde^ un apercu g^Ogra- phique complet de cet Etat , auquel I'insurrection de rinde, dont I'Oude a 6t6 le berceau, donne un int^ret tout particulier.

Les Anglais ne sont pas les seuls a explorer I'lnde. La savante Allemagne, qui s'approprie, pour les fi^con- der, les d6couvertes de la France et de 1' Angleterre , fournit aussi son contingent de voyageurs, et leurs

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explorations sont marquees de ce meme cachet de pro- fondeur et de sagacit6 qui est empreint sur toiites ses oeuvres. Qiiand il s'agit de vesoudre quelque grand problfeme g^ographique et d'embrasser dans une meme exploration toutes les branches de la science, c'est aux Allemands qu'on s'adresse. L'Angleterre, qui a regu d'eux plusieurs de ses meilleurs ethnologistes, leur a demand^ Barth , Overweg , Vogel. Trois autres Allemands , les frferes Schlagin+,weit , se sont partage les contr6es les moins explor^es de I'Hindoustan et de la haute Asie. Leur mission produira certainement une des ffiuvres les plus achev6es dont cttte region du monde ait fourni la matifere. Pourquoi faut-il que la nouvelle de la mort de I'un d'eux soit venue attrister tous les amis de la science et faire 6vanouir quelques- unes de nos esp6rances. M. Adolphe Schlagintvveit a , dit-on, p6ri au voisinage d'Yarkand! II serait trop long de tenter meme une simple esquisse des voyages des freres Schlagintweit, aussi renverrons-nous a I'excellent tableau qu'en a donne dans les Anna les des Voyages (1) notre z6l6 confrere M. Malte-Brun.

Un autre voyageur, qui a visite I'lnde en touriste, mais qui n'en est pas cependant pour cela un obser- vateur moins fin et moins judicieux, a, sous le pseudo- nyme dH Ononmndej\ r^cemment fait paraitre ses im- pressions. Le premier volume de son ouvrage, intitule : L'^nccen et le noiu'eait dans les conlrees de rOrient [Attes itnd Neiies uus den Landein des Osteits)^ est consacr6 a I'Hindoustan. Le voyageur, dont il nous

(1) ^Mna(es des Voyages. Fdvrier 1858.

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a 6te ais6 de percer ranonyme, et dont nous croyons, pouvoir, sanstrop d'indiscrc^tion , donner ici le nom , M. Ic [)nnce Frederic dc Schleswig-Holstein-Augiis- teiiburg , a visits Madras et Calcutta ; il a 6tudie la condition de I'Hindoustan, pr6cis6ment au moment ou se preparait la grande insurrection , et jug6 a un jjoint de vue independant ce que nous ne connaissons trop souvent que d'apres les relations anglaises. Arriv6 par la route de I'Australie, le prince F. de Schleswig a oper6 son retour en Europe par I'Egypte et I'Asie Mineure , a I'etude desquelles il consacre son second volume. On rccoimait dans cette relation int6ressante un esprit nourri de fortes Etudes et anim6 des plus nobles sen- timents.

Je ne doispas quitter I'Hindoustan, sansvous parler d'une notice int6ressante sur la distribution du coton- nier et sur le commerce du coton. Ce m^moire, public par le Journal 'genera! de ii^eogrnpliie de Berlin (1), bieu que consacre a une industrie qui s'6tend sur les deux mondes, a son origine dansl'Inde. On saitquec'est de cette contree que provient le gossypimn herhacenm. A une 6poque fort reculee, les Pheniciens I'y allaient dt^ja chercher pourteindre les 6tofles qu'ils en fabriquaient de leur pourpre magnifique. M. le professeur F.^^ . Schu- bert (de Roenigsberg) , en composant cette notice, a 6cnt une page a joindre a une nouvelle Edition du grand ouvrage de Heeren sur le commerce de I'antiquit^.

L'Asie centrale et I'Asie occidentale me fournissent cette ann6e, Messieurs, des sujets si nombreux d'ana-

(IjFdvrier 1858.

( 61 ) lyses et d 'indications, que je me vois force de faire un choix. Et pour ne pas demeurer constamment dans des regions si lointaines, je me transporterai tout de suite jiTextreme Occident, dans la Palestine etl'Asie Minenre, oil les souvenirs liistoriques embellissent encore plus le tableau que la nature menie. La ferveur religicuse des Anglais et des Anglo-Auiericains donne tous les jours naissance a des explorations de quelque nouvelle partie de la Terre-Sainte, dont la g6ographie fait d'ordinaire son profit. Je ne dirai rien de la nouvelle edition des excellentes Recherches d'Edouard Robinson et d'Eli Smith qui renferme les documents recueillis en 1852 ; leur reputation est aujourd'hni europ6enne. Le voyage de M. Cyrille Graham dans le desert oriental d'Hauran, I'ancien pays de Bachan, foiirnit a la geographic sacr6e des documents nouveaux qui ne sont pas sans importance. Le voyageur anglais croit qii'on peut encore retrouver des traces des villes qui existaient dans le pays d'Og, au moment de la conquete des Israe- lites. II a decouvert des inscriptions en langue incon- nue, et dont les caractferes, suivant la remarque du doc- teur Barth, offrent une curieuse ressemblance avec ceux qui sont encore en usage chez les Berbers. Quelques- uns les croient ph6niciennes ; la philologie r6soudra sans doute bientot ce cmieux probleme.

L'etude attentive des textes bibliques faite sur les lieux, a permis a M. le pasteur F. Valentiner, d'^clai- rer certains points de la topogl'aphie de la tribu de Ben- jamin. Son travail a 6te insure dans le Journal de la Societe orivntale de Leipsick.

M. G. llosen s'est attache ix faire mieiix connaitre la

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vall6e d'H6bron et les contrees euvironnaines. Son m6- moire, public par le menie journal, et r6dig6 k Jeru- salem en 1856, annonce une vaste et solide Erudition mise au service d'une parfaite intelligence des lieux.

fidouard Robinson n'cst pas le seul voyageur dont la mort ait interrompu les excellents travanx ; nous avons a regretter celle d'un autre explorateur do la Palestine, M. leprofesseur J.B. Roth, quiasuividepresrinlbrtun^ baron de Neiiuans. Ses travaux sur la mer Morte, surla m6t6orologie de la Palestine , sur riiypsom6trie du Wady-el-Arabat , et sur la g^ograpliie des contr6es si- tu^eskl'estdu Jourdain, forment un ensemble de docu- ments du plus haut int6ret, Parnii les r6sultats cu- rieux dus aux recherches du savant voyageur bavarois, je citerai des Etudes sur I'histoire du commerce de la pourpre enPh6nicie, histoire 6troitement ]i6e a celle de la g6ographie. 11 aretrouve, entreFancienneTyr etl'an- cienne Sidon , le nntrej: fmncu/us, qui fournissait en abondance une couleur rouge beaucoup plus 6clatante que notre pourpre actuelle; M. Roth y a reconnu la pourpre des Tyriens. Un fait non moins important pour lag6ographiezoologic{ue,c'estla constatation de I'exis- tence du crocodile dans deux petites rivieres de la Palestine, le Zerka et le Difleh, qui coulent entre Jaffa et C6sar6e. Le voyageur a d6couvert dans le sable les restes de quelques-uns de ces reptiles dont les anciens nous avaient signal6 la presence, confirmant ainsi ce qu'avait d(§ja rapporte ifttre confrere M. Victor Gu6rin, et dissipant les doutes que I'annonce du fait avail souleves.

La Cilicie est assurement une des provinces del'Asie

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Mineure les plus int^ressantes a etuclier pourl'Iiistoire et la g6ologie. Les anciens ne nous out laisse sur sa geographie que des details insufFisants. Aussi doit-on remercier le D' Theodore de Rotschy de la publication de son savant voyage dans le Taurus de Cilicie. L'liistoire naturelle trouve, il estvrai, plus a prendre encore que nos Etudes favorites, dans cette relation qu'ont fait con- naitre les Ammles des voyages. Mais il n'y a pas de bonne 6tuded'un pays sansune connaissancedu sol, et toiitce quele D'' de Kotschy nous apprend en histoire naturelle, nous donne une vue plus exacte des lieux. M'"" la princesse Belgiojoso a publie, sous le titre de Sou- \>riiiis de 7'nyage en Asie Mineure et en Sfiie, une relation personnelle qui ne saurait avoir les pretentions d'une ceuvre scientifique, niais ou Ton retrouve le talent d'6- crivain et la finesse d'aper^usqui caract6rise cet auteur distingue. C'est 1' ceuvre d'une touriste, mais un esprit de la trempe de la princesse Belgiojoso ne saurait obser- ver un pays comme tout le monde, et Ton est assure de trouver dans son livre des details de ma5urs et une appreciation des choses qui ont bien aussi leur valeur scientifique. II semble qu'il restera bientot pen a faire aux explorateurs de I'Asie Mineure. Car M. de Tchihatcheff, qui s'est d6ja fait connaitre par un excel- lent voyage dans cette region, en prepare un nouveau. Les contr^es situ6es plus a Test de la Turquie et sur les confins de la Perse et de cet empire redament niaintenant toute notre attefition. C'est la qu on peut csp6rer encore de grandes decouvertes pour la geogra- phic ancienne et I'archeologie. Les bords du lac Our- mia ont ete, en 1856, I'objet d'une exploration interes-

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sante de la part de M. Nicolai de Seidlitz. Nous en devons la relation a rcxcellent journal de Al. Petermann. Ourmia se distingue de Tabriz et des autres cit6s voisincs par ses nies larges, ses places elegantes, sos cinietii^res pittoresques. Toute la contr^e qui environne le lac est liabitec par dcs tribus de races diverses, entre lesquelles on est surtout fiappe de rencontrer des Tartares de la tribu des Karapapaks. Mais ce sont les Kurdes qui do- niinent; la langiie de cette population int6ressante, tlont I'originc est encore un probleine pour les ethno- logistes, a fourni a M. Lerscli le sujct d'un m^nioire in- terossant. Le Kurdistan parait d'ailleurs renfcrmer des populations d'origines difT^rentes, sur lesquelles le nie- moire de M. O. Blau est venu jeter un jour pr6cieux. Get orientaliste a publie, dans le Journal de la Societe orientale deLeipsick, une notice tres substantiellc con- sacr6e aux races du nord-est duRiu'distan. II en distin- gue quatre principales, les Djelali, les Melanli, les Scha- kaici et les Haideranli. Les Ktu'des forment entre eux de veritables clans, et cette organisation les s^pare compl6tenient des Turcomans et des Armeniens. M. Blau estimc a 5000 tcntes la population des Djelali.

On retrouvera quelques-uns de ces details, niais acconipagn6s de beaucoup d' autres informations, dans le Voyage a Mosxoid et a Oanii/a, dcM. C. Sandreczki, dontleS* volume aparu I'an dernier aStuttgard. L'au- teur a visits, en observateur attentif et instruit, toute la valine du Tigre et su ajouter beaucoup a ce que nous en savions cW]k.

M. de Kotschi, dont je vous entretenais tout k I'heure, ne s'est pas seulemenl fait connaitre par son int^ressant

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voyage en Cilicie. II a aiissi explore la Perse et op6r6 I'ascension du Demawend. La hauteur de ce volcan, situ6 ^ environ neuf milles g^ographiques du littoral sud de la Caspienne, est presque double de celle del'Etna. Avant M. de Kotschy, on ne connaissait encore qu'un seal europeen, M. Thompson, qui eut tent6 cette p^i'il- leiise ascension.

Line expedition a et6 envoy^e par le gouvornement russe dans le Khoracan. Nous apprenons par le Bulletin de la Soci^te de Saint-P6tersbourg, que ses merabres etaient arrives a Tiflis a la fin de Janvier dernier, et qu'a cette epoque, le capitaine-lieutenant Ristori etait meme d^jk rendu k Bakou, ou tous les menibres de I'expedition sont arrives le 15 mars. Le professeur Bunge, dans son trajet de Tune a 1' autre de ces villes, avait r6uni quelques faits int6ressants pour I'histoire naturelle. Des informations pr^cieuses ont 6t6 recueillies sur le Mazanderan et les environs d'Ast^rabad. Nous y voyons qu'il existe dans les vall(5es bois6es situ^es an pied des montagnes de cette province, une population parlant le meme dialecte persan (le tate) , qui se parle dans les parties m^ridionales du cercle du Rouban et dans celui de Bakou, population qui a 6t6 jadis vrai- semblablement transport^e par les rois Sassanides dans les parties les plus septentrionales de leur vaste empire. Le dialecte du Mazanderan proprement dit n'apparait que dans les montagnes plus 61oign6es ( I ) .

Le Khoracan est appel6 k jouer, dans les destinies

(1) Vieslnikk imperatorsliago rnusslcago yccgrafhitcheslago obch tcheslva, 1838, n" 7, p. S8, 41.

XVII. JANVIER ET F^VRIER. 5, 5

( 60 ) politiques de I'Asie, un rdle important, et les Russes n'ont rien n^glig6 pour que leur expedition tournat au profit de toutes les branches de la science g6ogra- phique. Sa direction est confiee au savant M. Khanikow, dontle noni vous est d6ji\ bien connu. Un apergu du plan qu'embrasse I'exp^dition nous est fourni par le bulletin de la Soci6t6 imp6riale de Saint-P6tersbourg.

Cette exp(Jdition se rattache au vaste projet d' exten- sion de son influence en Asie nourri par le gouverne- ment russe. D6ja, depuis longues annexes, cet empire pre- pare les voies qui doivent lui ouvrir I'accfes de I'Asie m6ridionale. Nous en avons la preuAe dans un voyage fait en 1793 etJ79i!i, a Khiva, par le major Blankenna- gel, et dont la relation abr6g6e a paru cette ann^e avec des remarques de M. Grigoriew, dans le Bulletin de la Soci6t6 de Saint-P6tersbourg. Le major russe explora tout le bassin de I'Aral, dans le but de connaitre les ressources du pays et les d6bouch6s qu'il pouvait offrir au commerce moscovite. II fut frapp6 des richesses min6rales de Khiva, de I'abondance des poissons de la mer d' Aral. Les Tartares les savaient alors a peine pren- dre avec de grossiers engins, et cependant telle 6tait leur profusion sur le raarch6 que, malgr6 cette negli- gence des pecheurs, leur prix demeurait presque nul. M. Blankennagen compril que Khiva devait devenir pour lallussieun entrepot important avec I'lnde; il re- connut aussi I'^tat de faiblesse nationale de la petite horde de Kirghises fix6e entre la mer d'Aral et Oren- bourg et il apprit i son pays qu'il les rendrait aisement tributains.

RL Alexis Bontakow a communique a la Soci6t6 de

{ G7 ) Berlin un rapport fait sur 1' exploration du cours inf6- rieur du Syr-Daryah, a partir du fort Perowski jusqu'k son embouchure. Cette exploration se rattache aux grands travaux entrepris par le gouvernement russe dans le Turkestan ; elle complete ce que nous savions d6ji sur cette partie de I'Asie centrale , dont M. Bou- takow aesquiss^ I'ensemble de la geographic physique.

L'Afriqiie est un champ toujours ouvert k nos explo- rations, sans qu'on soit encore parvenu meme a mesu- rer I'^tenduede la moisson scientifique quelle promet. C'est le rendez-vous des voyageurs les plus hardis et le point de mire de tous les amateurs d'aventures. Aussi , pour vous entretenir de ce qui s'y est fait , 6prouv6-je un veritable embarras. Par quelle cote aborder ce vaste continent , oii les explorateurs entrent dans toutes les directions ? Que choisir des travaux des missionnaires ou des entreprises des marchands? des courses de quelqnes hardis touristes ou des rap- ports d'administrateurs et de colons ? Afin de tourner la difficult^ que je rencontre k coordonner des infor- mations si diverses, je prends le parti de vous parler des peuples memes , laissant I'^tude du sol et des re- gions g^ographiques s'oflfrir d'elle-meme a la suite des questions ethnologiques que ces races nombreuses soul6vent.

Quand on parled'ethnologie africaine, ilfautd'abord s'adresser a I'homme dont 1' exploration m6morable a r^pandutant de lumifere sur I'histoiredes peuples afri- cains, au docteur Barth , qui vient d'achever la publi- cation de sa pr6cieuse relation, siriche en informations k ce sujet. Dans un memoire qu'il a soumis k la Society

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g^ograpliiqTio tie Loiitlres, sur la condition de rhuma- nit6 an Soudan, li^ docteur Barlh a presente un tableau interessant dcs principales races africaines. La phis im- portante est a ses yeux la race berbfere , qui constitue comme le chainon par lequel sent ratlacli6es les races en apparence les plus distantes et les plus 61oign6es du continent africain. M. Reinaud nous a donne sur cette race un m6moire fort savant, dont les ylnnales des voyages oni'^uhWt un extrait. Puis vicnnent lesFulbes ou Foulahs, qui dominent le long du Mger ; les Haoussa, distribues dans tout le nord de I'Afrique centrale, et si remarquables par leur intelligence ct la vivacit6 de leur caracttjre ; apr6s eux le docteur Barth place les Yoruba-Nonfe, etablis auxbouchesdu Niger, dans une contr6e malsaine , mais rachetant ce d6savantage par une singuli6recapacit6industrielle. L' ensemble de tons ces peuples forme une masse considerable , ct le doc- teur Barth estime que la population du Soudan est pro- portionnellement superieure a celle de I'Alg^rie et du Maroc. Cette 6tude conduit le savant voyageur^l'exa- men d'un probl^me d'ethnologie gen6rale bien sou- vent d6battu : Quelle est rinfluence exerc6e par le cli- mat sur la coloration do la peau chez ces diilerentes races? Le docteur Barth a constatt; une dependance remarquable entre la teinte caracl6ristique des races et leur habitat. Les AVolofs, 6tablis au delta du Niger etde la Gamble, c'est-a-dire dansun climat humide et brulant, sont les plus noirsdo toute TAfrique occiden- tale. Les Kanouris, les Nt^grcs par excellence de ces regions , sont fixes autour du lac Tchad , c'est-a-dire dans des conditions climatologiques analogues A celles

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es Wolofs. Les Fulbes appartiennent incontestable- ment a la meme souche que ceux-ci ; mais ils ha- bitent des regions plus 61ev6es, et I'onvoiten effetque la teinte de leur peau n'est pas si fonc6e, que leiirs formes sont j^lus sveltes et moins ramass6es. Et c'est eng6n6ral le fait qui s' observe, toutes les fois que Ton compare des tribus d'un bas pays a celles d'un pla- teau. N^anmoins, le voyageur reconnait rinfluence que les m61anges de -races exercent sur la teinte de la peau.

L'int^ressante discussion a laquelle cette communi- cation a donn6 lieu au sein de la Soci6t6 g^ographique de Londres , a mis en relief toute la divergence qui existe encore a cet 6gard dans les opinions des ethno- logistes. Et tandis que le docteur Worthington, renche- rissant sur les observations du docteur Barth,voit dans le climat comme la mesure de la couleur, nous montre par exemple les Juifs prenant une peau noire dans I'Hin- doustan et la Cochinchine, M. Cravvfurd oppose I'eter- nel arguriient de la persistance de la coloration du n^gre dans I'Am^rique habitue auparavant par une race rouge. Les Chinois, ajoute-t-il, out la peaujaune a toutes les latitudes , et les habitants de Canton ne different pas pjiysiquement de ceux de Pekin ; les co- lons espagnols 6tablis au sonunet des Andes offrent encore la meme peau que les Castillans. C'est qu'il ne faut pas prendre pour I'eflet du climat ce qui tient a un croisement interlope des races 6migran- tes ou indigenes avec les femmes de race dilferente. Le temps mettra fin a ce grand duel des mono- g6nistes et des polyg^nistes , dont I'Am^rique est

( 70) aujoiird'hui le theatre et I'esclavage I'occasion. Les personnes qui voiulronl approlbndir cette briilante question I'eront bien tie consulter riiiteressant travail de M. Georges Pouchet sur la plurality des races Ini- raaines. Elles y trouveront une exposition habile de la th^se des pol\ g^nistes ; el si elles ne sont pas convain- ciies , elles pourront mesnrer du moins la portee des arguments qu'on oppose aux partisans de I'unil^.

Mais je reviens aux races africaines, si fort int6ress6es dans ce d^bat ; il s'agit, en efiet, de decider si elles ont une comniunaut6 d'origine avec la grande famille eu- rop^enne ; devons-nous voir dans les peuples africains, non des esclaves, mais des fr^res? ou,' comme on I'a r6- cemment soutenu , iaut-il reconnaitre en eux les des- cendants de Cain 6chapp6s au d6luge et exclus du pacte de reconciliation entre No6 et I'Eternel? Le beau travail que M. le colonel Faidherbe a joint a son int6- ressant Aimuaire des etnhiisseiuents /raiicai's au Sene- gal^ fournit k la solution de ce probl6me des 6l6nients pr^cieux ; la distribution qu'il adopte mettra sur la vole d'une meilleure classification des races longtemps con- fondues sous le noni de nfegres , et abaissfees par ce motif sous le niveau commun de la servitude.

II n'y a pas de bonne ethnologic sans une ^tude des langues, et la philologie compar^e prete k I'anthropo- logie un auxiliaire qui devient parfois le corps d'arni(§e princi))al. Jc ne crois done pas hors de propos de vous entretenir des travaux dont les idiomcs africains ont 6t6 I'objet, puisqu'ils jettent sur I'histoirc des races qui les parlent, des clart6s moins incertainos que les observa- tions fugitives des voyageurs. D'ailleurs, ces idiomes

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sont encore trop peu d6velopp6s pour qu'on y voie des creations litt6raires.

La grammaire de la langue wolofe de M. I'abb^ Boilat vous a 6t6 oflerte r6cemment , et Fun de nos plus sa- vants confreres, dont le nom personnifie en quelque sorte la Soci6t6, M. Jomard vous en a fait connaitre les m&'ites. II est peu d'ouvrages ou Ton rencontre une 6tude aussi approfondie d'un idiome africain, Fix6 longtemps au milieu des populations noires qu'il 6van- g61isait en leur propre langue, uni meme a elles parle sang, M. I'abbe Boilat s'est trouv6 admirablement plac6 pour apporter le dernier degr6 de perfection a une ceuvre dont nous ne devious a Dard et au baron Roger que de simples 6bauches.

La race berbtjre s'est avanc^e, comme nous I'apprend le colonel Faidherbe, jusque vers les I'rontiferes du S6n6- gal, ou elle a port6 sa langue et ses traditions. Un meme lien ethnologique rattaclie done deux populations 6loi- gn6es auxquelles la France a impost sa domination : les Tolba ou Marabouts, et les Kabyles , issus les uns et les autres, ainsi que les Touaregs, de la grande famille des Amazigs. La connaissance du kabyle, outre quelle rrous permettra d'entrer dans des relations plus 6troites avec des tribus sujettes aujourd'hui de la France, ser- vira de fil conducteur pour remonter aux origines des Berbers, dont nous pouvons maintenant lire I'histoire, grace a I'excellente traduction d'lbn-Khaldoun par le baron de Slane. lu'Essai de grcunmaire kafy/e qua pu- blie cetteann6eM. le commandant dug^nie Hanoteau, est un travail non moins recommandable que celui de M. I'abbe Boilat, 11 est accompagn6 de divers texteSj dont

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quelques-nns sont int^ressants pour I'histoire ; on y trouve une coinparaison des neiif dialectes kabyles de I'Alg^rie et du Maroc, et une notice sur quelques in- scriptions en caracteres tifmngnes. 11 a fallu toute la perseverance et toute la sagacite de M. Hanoteau i)our reconstruire la grammaire d'une population aussi 6tran- g6re que les Kabyles aux habitudes philologiqucs. Sans doute, I'auteuravait eu des devanciers ; mais que Ton rapproche son Essai des principes de grammaire bei- b6re qu'avaient laiss^s Venture de Paradiset quolqucs autres, et Ton sera frappe des progrfes considerables que cet oflicier a fait faire a I'etude d'un idiome curieux, le plus ancien peut-etre de ceux qui se parlent aujour- d'hui en Afrique. On fera bien d'accompagner la lec- ture de X Essai de M. Hanoteau de celle du m^moire ou un orientaliste allemand, M. G.-A» Wallin, fait connaitre diverses particularites de la langue des Be- douins (1).

Je ne vous entretiendrai pas , Messieurs , des noni- breuses publications dont nos possessions africaines font tons les jours le sujet ; elles appartiennent g^ne- ralement plus a Teconomie politique, a la politique, qu'a la geographic proprement dite. L'ere de la colo- nisation pacifique parait avoir commenc6 pour I'Alge- rie ; ses provinces sont rattach^es a la metropole par une administration plus directe , ^ la tete de laquelle est place un prince qui a t^moigne pour notre science de predilection un interet edaire. Esperons que ce nou-

(I) ZeUsclirifl dcr dvuts'.lien inoroenlandischen Gesellschaft, IS^S, I. XII, p. (}HG ct .Miiv.

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vel ordre de choses permettra d'ouvrir avec les popula- tions indigenes, des relations jounialieres, des rapports de commerce cent fois plus profitables b. la g6ographie que la guerre, qui donne sans doute acc6s dans les ter- ritoires, mais qui ne les f^conde pas.

Si je ne voas parle pas des travaux composes en France sur 1' Algeria, je veux cependant vous dire un mot de quelques-uns de ceux qui ont paru a 1' Stran- ger. Car il nous importe de connaltre ce qu'on pense au dehors de notre belle colonie. Le Joanud da Gco- ^ntphie dc Berlin a public, sur la region orientale du Sahara algSrien et les contrees qui s'etendent dans le sud de la province de Constantine, deux notices 6ten- dues, dont I'auteur est M. le docteur L. Buvry, Nous y trouvons une description de Batna et de Lambfese, ct un apercu de la geographic physique de cette partie de I'Algerie piiises aux meilleures sources.

L' extension de la domination tVancaise en Algerie rendra plus facile pour les voyageurs I'acc^s de F Afrique centrale, et c'est de notre colonie que s'appretent a partir pour cette region deux explorateurs infatigables, MM. O. Maccarthy et M. le baron de Kraft. Vous avez, dans une de vos stances, conf6r6 avec le premier de ces voyageurs dont I'intelligence et la resolution vous 6taient depuis longtemps connues. M. O. Maccarthy, chai'g6 en 18Z|9 d'une mission du minist^re de la guerre, s'est prepare par de longues et consciencieuses 6tudes a la realisation du projet qu'il va bientot effec- tiier (1). La (j C>o graphic pliysiquc ^ pidilicnie ct ccono-

(I) Voy. iioluimneiit Algeria rvniana, yechvchcs sur 1'uciu^'ation et

(74 ) mique tie I'Jlgerie, qu'il a publi^e cette ann6e, est un excellent 'r6sum6 des informations qu'il doit en grande partie h son experience personnelle. Dans ce livre, fait pour servir de guide h. tons ceux qui veulent visiter avec fruit I'Alg^rie, les documents statistiques se reu- nissent aux apercus purenient g6ograj)liiques, pour fournir les 616ments d'un tableau complet de nos pos- sessions africaines.

Vous le savez, Messieurs, les missions protestantes semblent avoir plus particuli^rement choisi I'Afrique pour le theatre de leurs travaux apostoliques. C'est a elles que nous devons la plupart des d^couvertes faites dans la partie australe de ce vaste continent. Le D' Li- vingstone, qui a attach6 son nom h I'un des plus beaux voyages accomplis dansces derniers temps, est reparti, nous promettanl de grossir encore les richesses g6ogra- pliiques qu'il a, pour ainsi dire, vers6es a pleines mains en Europe. C'est le h mars qu'il a quitt6 Liverpool, pourvu de tous les instruments propres h faire des obser- vations scientifiques, ayant a sa disjiosition un ])etit bateau a vapeurqui lui permettraderemonter la riviere Lamb^se. Deux autres missionnaires , MM. Hahn et Rath, ontentrepris I'ann^e derni^re un voyage dans le pays d'Ovampo, avec I'intention d'atteindre la riviere de Cun6n6. Le Journal des missions ei^ange/iq lies contl- nue a nous donner, sur les 6tablissements de I'Afrique ni6ridionale, et notamment sur celui de Lessouto, des renseignements qui ajoutent pen h peu a ce que nous savions des contr6es oil ils ont 6t6 fond^s.

la colonisation romaines en Algcrie, par .M. 0. Mac Carthy. 1" md- muirc. Alger, 1857.

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Un missioirnaire allemand qui s'est acquis une juste c61ebnt6, M. J. L. Krapf a r^cemment livr6 a la publicity le tome I de son voyage (1) dont des extraits et des analyses avaient pr6c6demment paru dans divers re- cueils. M. Krapf a tour k tour, seul ou acconipagn6 de M. Rebmann, visit6 les parties les moins connues de I'Afrique orientale. II a parcouru les pays d'Ukambani et d'Usanibara, il a fait trois voyages a Djagga. 11 a 6tudi6 a fond le pays ds Wanikala et effectu^ son re- tour pari' Abyssinie et la Nubie. Ces circonstances don- nent a son livre un extreme int^ret. Plus pliilologue que g6ographe, le courageux missionnaire a malheu- reusement n6glige d'approfondir une foule de points, et la preoccupation des int6rets religieux kii a trop sou- vent inspire une sorte de d6dain pour des informations pr^cieuses que lui seul pouvait vous donner. Toutefois, sa relation n'en est pas moins mie des plus importantes qui aient paru cette ann6e.

Les voyageurs que les int6rets de la science seuleont conduits en Afrique, ont rivalis6avec les missionnaires d'intr6pidit6 et de d^vouement. Un naturaliste am6ri- cain d'origine francaise, M. P. B. du Chaillu, envoy6 par r Academic des sciences naturelles de Philadelphie, a visite le Congo et la cote du Gabon. Ce savant s'est assure de 1' existence d'une triple chaine de montagnes courant a environ cinquante lieues de la cote ; il a re- nionte la riviere Mounda jusqu'a sa source et suivi le cours du Mouni, sur les bords duquel il a fait une

(1) Reisen in Ost Africa ausgefiihrt in den Jaliren ■! 837-55, tome I. Sluttgart, 1858.

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aboiidante r^colte d'oiseaux ; enfin il a atteint la source de cette riviere a environ cent lieues de la c6te. Dans une lettre datt^e du 17 aoiit 1857, et 6crite de la riviere Fernando-Paz, M. de Chaillu annoncait qn'il sepropo- sait de chasser le gorille, ce geant du genre singe, dont il serait si interessant d'obtenir en Europe des repr6sentants vivants. Les oiseaux qui se sont olferts k lui dans la contree, lui ont parn identiques a ceux du Cap Lopez. Sanga-Tonga, situee dans la baie que forme ce cap, est la capitale du chef ou roi, al'autorite duquel sont soumis les indigenes. Le sol du Cap Lopez est par- tout sablonneux et 16ger, partout il pr6sente des bois entrecoupt^s de larges prairies dont 1' aspect rappelle les environs du Cap de Bonne-Esp6rance. Les habitants se livrent a la culture de la patate, de la canne a sucre et de diverses autres plantes. Disperses et en petit nombre, ils n'ont point encore r6ussi a domestiquer les bestiaux qui vivent autour d'eux a I'etat sauvage.

Je ne vous parlerai 2:)oint du capitaine Burton, dont une lettre du P6re des Avanchers vous a rd'cemment donn6 des nouvelles. Vous les avez accueillies avec d'autant plus de satisfaction que I'annonce de la mala- die de cet intr^pide voyageur vous avait inspired, surle succ^s de son entreprise, des craintes bien naturelles. Vous avez su d' autre part que son compagnon, le ca- pitaine Speke avait atteint Cujiji par J 5' de lat. sud et 31" 22' de long, ouest de Greenwich. II se trouvait done a un 6loignemeni de la cote correspondant a cehii de Loanda ou du lac Ngami. Une lettre ant^rieure re- cue ])ar une autre voie, nous dit que les deux voyageiu's, apres s'Otre rendus par mer de Zanzibar a Bagamoyo,

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6taient arrives le 6 septembre de Fannie derniere, vers le 6" 30', 36° 30' long. Greenwich. Ainsi les officiers anglais avaient d6ja accompli, d"apr6s ces lettres, i)liis du tiers du cliemin qii'ils devaient parcourir pour se rendre de Bagamoyo au grand lac d'Uker6v6.

Un autre voyageur, enfant, comme le D"" Barlli, de la ville de Hambourg, a fonn6, lui aussi, le projet de p6n6trer dans I'int^rieur de 1' Afrique. M. Albert Roscher s'est pr6par6 depuis longtemps a cette difficile entre- prise. C'est par Zanzibar qu'il compte aborder le continent africain, pour poursuivre ensuite la resolu- tion des nombreux problemes que soulevent les indica- tions cartographiques incompletes que nous ont four- nies ses devanciers.

Tandis que les uns partent , d'autres reviennent charges de documents et riches d' informations. Un sa- vant hongrois, M. Ladislas Magyar, nous promet la re- lation de son voyage. 11 avisite lejiays de Kimbounda, entre le 8* et le 15' degr6 de lat. sud, celui de Moun- Ganguella entre le 3' et le 11" degr6 de lat. sud, et le Mombouella, compris, comme le precedent, entre le 19" et le 27" degr6 de long. or. de Greenwich et qui s'6tend jusqu'au 20" degr6 de lat. australe.

Le&Jufialcs des voyages ont public, au mois de Jan- vier dernier, un apercu des voyages de M. Ladislas Magyar, qui ne nous en fait attendre qu'avec jilusd'im- patience la relation complete.

Nous lisons dans les Mitiheihingen de Gotha le rapport fait par M. Fernando da Costa Leal sur I'exp^dition portugaise envoy^een 185Zi de Mossamedes sur lecours inf^rieur du CauK'-n^ remonlr ])ar le voyageur hon-

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grois. Ce fleuve, dont rembouchure est situ^e snr la c6te orientale d'Afrique, arroseiine contr6e dont la fer- tility est depiiis longtemps vanti^e par les voyageurs. Mais les informations recueillies k son sujet (5taientfort incompletes; car on les devait en partie aux Mouimbas etaux Mousimbas qui habitentla rive gauche du fleuve. Le rapport de M, da Costa Leal fixe la direction de celui- ci, et donne sur la contr^e qu'il parcourt, sur les ani- maux qui hantent ses bords, des details pleins d'int6ret.

On a- recu des nouvelles de I'intr^pide voyageur Anderson, occup6 k explorer la m6me contr^e qu'ont d6ji explor^e MM. Halm et Rath. Une partie de la con- tr6e visit6e par M. Anderson, I'a 6t6 aussi, comme a^ous le savez,par ^infortune^\ahlberg. On a piibli6 r6cem- ment quelques-unes (1) des lettres de ce dernier, oh le lecteur trouvera sur la zoologie et les moeurs des indi- genes, des details qui serviront de complement k ceux que nous devons k son compatriote.

La nouvelle expedition sur le Niger, que dirige le docteur Balfour Baikie, s'est vue tout k coup arret^e par la perte, pr^s de Rabba, du steamer /e Day-Spring. Heureusement I'amiraute britannique amis k la dispo- sition de M. Mac-Gregor Laird un autre batiment qui permettra k 1' expedition de reprendre sa marche. La Societe g6ographique de Londres a publie une lettre de M. Baikie , datee du "28 septenibre 1857, qui fait con- naitre les premiers resultats du voyage. Le 20 juillet, le navire avait jete I'ancre devant Abo, situe ci b pointe extreme du delta du fleuve. Les voyageurs avaient en-

(1) Mittheilungen, n" x, p, -ilictiv.

( 79 ) suite visits le pays d'lgbo ou mieux d'lho, celui d'Igara, et le 10 aout ils atteignaient le confluent de la Tcliadda etdu Niger, a Gli6b6 ou Ig-Begb6, ou M. Baikie, re- connu par les habitants, trouva la reception la plus cordiale. Les explorateurs s'6taient avanc6s jusqu'a Aigau , I'Egga de nos cartes , dernier point qu'eut atteint, en 1841, le capitaine Trotter. C'estli que com- mence le grand royaume de Nufi, oil r^gnait dans ces derni^res ann^es une complete anarchie. Leroi, alors de retour dans ses 6tats , envoya des messagers aux An- glais pour les inviter a lui faire une visile , et ceux-ci recurent bientot pr6s de lui I'accueil le plus gracieux. C'est le 18 septembre que I'exp^dition a atteint Rabba, oil elle attendait 1' envoi d'un nouveau steamer.

Le Rev. Sam. Crowther a donn6 dans le Church mis- sionary Juiel/igencerde cette ann6e, un apercu de la pre- miere partie du voyage du Dayspring, auquel je ren- voie ceux qui voudront connaitre les r^sultats d6ji acquis par I'exp^dition du Niger.

Aucune difficult^ de la part des naturels n'avait en- core arret6 les voyageurs. Le pavilion anglais est main- tenant, pour toutes ces contr6es, une vieille connais- sance , et tout annonce que dans peu elles ouvriront un vaste d6bouch6 au commerce intelligent de nos voi- sins. Mais nous aurons nous-memes a profiter des rela- tions que la reconnaissance complete du Niger va rendre I'aciles pour 1' Europe. Nos int6rets ne sont ni moins s6rieux , ni moins importants que ceux de la Grande- Bretagne, et notre double occupation de I'Algt^rie et du S6n6gal, semble nous appeler a jouir des avantages qui appartiennent d'ailleurs a tous ceux qui savent,

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par leur perseverance, ouvrir dos marches nouveaux. Aussi regardons-nons conime uii devoir de populariser les d6couvertes g6ographiques qui ont marqii^ depuis vingt-cinq ans et phis la presence des Europ^ens dans le Soudan. Un livre rt^cemment pid)li6 par M. Ferdi- nand de Lannoye, et intitul6 Le Niger et les e.iplora- t/'o/is fie rjfrique centrale, altcindra, nous I'esperons, ee but. Cost la meme intention qui a dictt^ a notre z616 et lahorieux confrfere M, V.-A. Malte-Brun , son Resume historiqiie de l' exploration ftiite dans f Afrique centrale, de 1853 a J 85(>, par le docteur Edonard Vogel. Ce travail, insere dans les Annales des voyages^ a le m6rite de tracer netteuient I'itin^raire suivi par I'illustre et mallieureux voyageur. M. Malte-Brun a su tirer de la correspondance de Vogel un ensemble d' in- dications qu'il a babilement coordonnees.

Pnissent des publications de ce genre inspirer pour la geographic un gout qui ne demande en France qu^a etre rechauffe. Que les niagnifiquos travaux de I'Alle- niagne et del'Angleterre soient pour nous un noble et puissant sujet d' emulation. La France , la patrie des Sanson , des Danville , des Walckenaer, des Bougain- ville, des LaPerouse etdes Dumont d'Urville, ne doit pas renoncer a ses titres de noblesse geographiqne et abdiquer des 6tudes qui sont une part de sa gloire scien- tifique. j\Ialheureusemeiit un enseignement qui popu- larise dans le public des notions dont tout le monde a besoin, manque dans nos lyc6es et nos facult6s. Ni le College de France, oil sont exposes les r^sultats les plus eiev^s de la science ; ni le Conservatoire des arts et metiers, ou Vindustrie et le commerce apprennent les

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ressources qui peuvent accroitre les produits , ne pos- sedent de chaire de geographie. Eh bien ! que notre Society tache du moins de suppleer a cette lacune dans renseignement , que tous les amis de la geographie reunissent leurs efforts pour inspirer le gout des lec- tures, oix rhonime apprend ci connaitre le monde qu'il habite et le theatre sur lequel peut s'exercer son acti- vity. Je ne mets pas en doute, Messieurs, que cette superiorite conimerciale et colonisatrice qui distingue les Anglais, ne soit due, en partie, a la popularity dont jouissent parmieux les livres de voyages. INous, aucon- traire, contents de notre belle France, moins soucieux de savoir ([uelles ressources recelent les autres con- tr6es , nous oublions trop que , quelque riche que soit un pays, son seul territoire ne suflit jamais a son acti- vity, sa population ne saurait s' accroitre , son influence se uiaintenir, qu'a la condition d'agrandir sans cesse ses relations et d'etendre ses entreprises,

Les d6bouch6s que I'Afrique peut nous fournir, s'ac- croitront encore par le percement de I'isthme de Suez. Si, comuie nous I'esperons, cette grande ceuvre est couron- nee de succes, on verra s'ouvrir a la curiosite et au com- merce des Europeens les riches et curieuses contrees qui bordent le littoral de la mer Rouge. Un voyageurbavarois, prematurement enleve a la science, le baron Richard de Neimans, nous a donne une id6e de tout ce que Ton est en droit d'attendre des relations avec les pays riverains de la mer Rouge , dans un int^ressant apercu public par le Journal de la Socle te orlentale de Lc/pstck (1). II y

(I) Tome XU, partie iii, p. 391 et suivanles.

XVII. JANMEU ET I'tVRlER. 6, 0

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passe en revue , sous le rapport dcononiique , les diverses places commerciales dc ces parages, donne la statistique dc lours produits, indique les articles que chaque ville ou chaque contr^e peut ^changer centre les notres. Je ne saurais trop recommander au commerce franrais la lecture de ce travail, qui m^rite- rait d'etre traduit dans quelques-uns de nos recueils. Comaie complement du travail de M. de Neimans, il faut citer I'ouvrage de M. le docteur M. T. Schleiden, sur I'istlnne de Suez, public cette ami^e a Leipsick, Gt od des recherches sur la marclie des Israelites dans le desert, viemient ajouter a I'int^ret des documents qua recueillis ce savant sur le canal projete.

L'Abyssinie , que ses relations commerciales ratta- chent au littoral dc la mcr Rouge, attire tons les jours de nouveaux visiteurs, dont les r^cits ajoutent des in- formations nouvelles a celles que nous devious a des re- lations plus c616bres. M. de Courval a r^cemment com- munique h notre BnUetin une notice int^ressante sur le pays de Barka. M. Werner Miinziger a dress^ une carte du nord del' Abyssinia, en I'accompagnantd'une notice importante qui a paru dans les Annales des voyages, M. Barbie du Bocage, pour lequel le gout dc la geogra- phic est un glorieux heritage de faniille, a reuni sur Madagascar un ensemble de documents qui lui out per- mls dc donner, dans notre BuUedn, une monographie complete de cette lie. C'est le dernier travail sur TAiriquc qui me reste k vous signaler. L'an procliaiu, je I'espere, nous aureus aussi a vous parler des resul- tats du voyage de M. le docteur Cuny. Parti en fevrier dernier de Syout pour le Dur-Four, bravant toutes les

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difficull6s et les dangers qui d^fendent Y&ccbs de ce royaume encore si mal connu, le m^decin iVancais a, d6s ses premiers pas, fait la triste experience des perils qui s'attachent k une pareille entreprise. Puisse-t-il elre plus heureux que le baron de Neimans, mort au Gaire, au moment ou il s'appretait a explorer la nieme contr6e.

Vous n'attendez pas de moi, Messieurs, que je vous sign ale toutes les publications g^ograpliiques qui se rapportent k I' Europe ; car ilme faudrait passer en revue des milliers d'ouvrages et d' articles de journaux. Quel est en ellet aujourd'hui Iclivre d'histoire, de statistique ou d'6conomie politique, dans lequel la g^ographie de I'Europe ne trouve pas son compte? Je me bornerai done a vous parler des publications qui se rapportent aux contr^es les moins connues parmi nous, ou a des questions qui ont plus particuliferement occupy les g6o^ graphes.

La Gr^ce garde, comme je vous le disais I'an der- nier, le privilege de nous fournir des sujets toujours nou- veaux d'exploration. La Turquie, oil les Grecs demeu- rent encore comme une nation distincte, qui conserve sa langue, sa religion, ses institutions, ses usages, reste pour nous un debris de la Gr^ce , et participe a I'attrait qu'ont a nos yeux les contr^es exclusivement helleniques. II ne s'agit pas seulement d'6tudier I'^tat ]ir6sont de tant de peuples divers que Tislamisme s'cfforce de retenir sous son joug oppresseur, mais de remonter aux temps anciens, afin' de d^couvrir par quelle s6rie de vicissitudes ont pass6 les peuples et les territoires. C'est ce qua essays de faire un de nos

( 84 ) plus hiborieux conlreres, M. G. Lejeaii, dans cleu"<; %oyages siicccssils eiitrepris au nord ct a I'oiiest de I'enipire ottoman. Ilvousa communique sur le Balkliaii central une notice redig^e sous I'inipression n)eme des lieux, et oil s'annoncent les qualites d'un veritable geo- graphe. Ils'apprete a publierune carte ethnologique de la Turquie, dress6e avec tout le soin et toute la con- science que nous somnies habitues a rencontrer dans ses travaux. D6ja nn recueil p6riodique, la lieuiie con- feiiipora/ne, a fait paraitre des appreciations ethnolo- giques et geographiqnes dues a la plume do uotre esti- mable confrere.

M. G. L. Kriegk (do Francforl-sur-le-Meiuj a fait de laplaine de la Thessalie, une etude particuliere, qui est consignee dans un ouvragequ'il vous a ofl'ert. Bien qu'un assez grand uorabre de voyageurs eusstmt d^ja visite, depuis undemi-siecle, cette province de la Grece, ejle est si riclie en localites bistoriques, si feconde en impressions de tout genre, qu'on ne saurait la parcou- rir, sans rencontrer encore des sujets nouveaux propres a interesser I'admirateurde la nature et de I'antiquit^^. Les cloitres, oi!i se conservent en Turquie lesdenii^res traditions de la civilisation liellenique, out surtout pour les voyageurs un charme particulier. lls'exbaledutbnd de ces retraites un part'um d'antiquite ou les souAe- nirs de la primitive ^glise se melent a ceux des ages paiens et de la societ6 byzantine. Un voyageur russe , M. P. de Sevastianow (1), mcttait, il y aquelquesmois,

(I) Voyezuuexlrail de sou excursiouau moot Aihus, Rovue atcheo- logique,wu6e 185S, p- ^l>-

( 85 ) soiisvosyeux des vues photographiees dii mont Atlios, siirles cimes du(iiipl ft'elevent les plus c(''l^bres de ces couvents, dont les depots litt6raires out eiirichi nns bihliotb^ques. M. Rriegk a visite les inonastt;res (\u Pinde, les met6ores de Stagus, le Kalabak des Turcs : sa relation est consignee en qnelques pages interes- santes dans le Journal o-r/icra/ de i^eni^rnplu'r th' Uerlin (1).

Les Mc/eores, coimiie unappellc ces nionasteres, sent sitiies a I'extr^mite d'line cbaine montagneiise qui coint siir la rive gaucbe du Kacbia ou Kratzovo, affluent du P(^nee. lis s'el^vent a deux lieues environ au N.-E. de Stagus, sur des cinies abruptes qui avaient d6ja attir^ I'attention de Pouqueville et de Holland, de Leake et de Vaudoncourt.

Puisque je suis en ce moment sur un sol antique, je veiix vous dire quelques mots d'un autre travail qui a t;t6 inspire par le culte des lettres antiques, et qui traite dela geographie d'une colonic grecquc; celui de M. le D"' D. Macpherson sur le Bosphore cimm^rien et I'an-- cienne ville de Panticupee, public dans le Rapport ilc r Association britannique pour rcn'aiiceiiient des sciences. Notre Soci6te n'avait point encore re^u cet ouvrage, quand j'ai fait mon dernier rapport, et je n'ai pu vous en parler en son temps. Ce mt^moire judicieux sur un point int^ressant de I'histoire des 6tablissements grecs, est un des meilleurs du recueil ou la geographic et Tethnologie obiiennent chaque annee (2) une place de

(1) Avril 1858, p. 265 Pt suivantes.

(2) Voyez sur les travaux de cette association mon article dans la /iei'we des SoL-ietes savantes, mars 1858.

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plus en plus honorable. Lo liappc»l de r Asxociatinn hritanniqne vient. lous lesans, t6moignei' (In zMede nos voisins ponr les etudes serieuses, et de la po])ularit«^ dont ces 6iudes jouissent panni eux. Notre Socl^t6 est heureuse d'entretenir avec cette noble Association des ^changes de publications. Les reunions de Clieltenliam et de Dublin ont tenu, en 185(3 et 1857, de savantes assises ou nos sciences de predilection firent I'objet d'im- portantes communications; etnousavons appris ((u'a la reunion de cette ann^e, qui a eu lieu a Leeds, la geogra- phie et I'ethnologie n'ont pas 6t6 moins bien traitees. Je me transporte maintenant dans des montagnes bien eloign^es de la Thessalie , dans ces Alpes scandi- naves qui nous sont si mal connues, quoiquc leurs halji- tants aient depuis longtemps pris place parmi les nations les plus civilis^es de I'Europe. Mais end^pit des progr^s de I'instruction, de I'avancement des lumiferesen Scan- dinavie, cepays, plac6 sous des latitudes glac^es, s'oflVe toujours a nouf; comme une terre inhabit6e , comme une sorte d' annexe des regions polaires, ou rien n'est semblable a notre nature, oil tout nous ^toune, c'est- k-dire nous instruit , car I'elonnement, Messieurs, qu'est-ce autre chose que le mobile de lacuriosit6. Nous recherchons surtout ce qui est Stranger a nos habi- tudes, ce qui ne frappepasd'ordinairc nos regards, ou ce qui leur 6cliappc au seiu de rinimensit6 des faits dont nous sommes environn^s. Ce n'est done point une injure k fairc aux habitants de la Norvv^ge, de mettre leur patrie au nombre des contr6es que nous exceptons du silence gardo dans ce rapport sur tout ce qui rap- pelle trop notre France.

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Les Dovre et les File-Fjeld ont 6t6 traverses par M. P. A. Siljestrom , pour se rendre du Sogn-Fjord au glacier de Justedal. Durant cette excursion, donl M. le I)'' Sebald a communique la relation au Journal de geographie de Berlin, le voyageur scandinave a recueilli une foule de faits int6ressants pour la geo- graplne physique. On suit pas a pas I'auteur dans son itineraire, qui ne manque jamais d'entremeler le r6cit de ses aventures personnelles a ses observations.

Les File-Fjekl afTectent, par leurs cimes 61anc6es, des formes qui rappellent celles des Alpes ; tandis que les Dovre-Fjeld constituent des montagnes plus arron- dies. Le voyageur a visits le Nystuen et le Moristuen. De 1^ il a atteint le sommet du Suletind, qui domine toute la contree a une hauteur d' environ 6000 pieds su6dois , et figure une tour flanquant un rempart. Ce pic est d6coup6 en un grand nombre d' aiguilles, et de la plus 6lev6e, on apercoit plusieurs des principales montagnes de la chaine, notamment le g6ant de la Scandinavie, le Jotun-Fjeld, I'une des cimes du Song- Fjeld; son altitude est 6valuee a 8000 pieds su6dois. M. Siljestrom a visit6 , outre les glaciers de Justedal , ceux de Nigard et celui de Lodalskaaben, le plus vaste de tons. Des masses incroyables de glaces sont accumu- I6es dans laNorwege; elles ont cependantdiminu6 de- puis un certain nombre d'annees. L'auteur cherche k df^terminer les causes qui leur ont donn6 naissance. La neige, en s'accumulant sur les cimes abruptes, deter- mine de terribles avalanches qui contribuent a entre- tenir la presence des glaces en ces lieux.

L'6tablissement des telegraphes 61ectriques a fourni

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un moyen noiiveau pour determiner avec precision la diflt-rence des longitiides, et I'applicaiion de ce procC'de a 6t6 tent(^e en divers points de 1' Europe. Une opera- tion de ce genre vient d'etre laite, grace k I'^tablis- sement du tel^graphe allant de Roenigsberg a Ber- lin et de Berlin a Bruxelles. Nous en devons I'expose a M. C. Briihns qui I'a fait paraitre dans le Journal general tie geographie de Berlin (1),

Dans la Russie d' Europe , la geograpliie . I'otlino- logie , sont cultivees avec une ardour qui s'accroU chaque jour; et ce mouvement studieux dans un pays si riche en informations, y assure les progr^s de nos sciences de predilection. Je n'en veux pour preuve que la liste etendue que je trouve au cinquieme numero du Bulletin de la Society de Saint-Petersbourg , de cette anuee, de tons les articles relatifs a la geograpliie . a I'ethnologie et a la statistique, insures en 1856 dans les differents journaux de la Russie. Assurement, on ne trouverait pas pour la meme ann6e, dans les uotres, une pareille abondauce de matieres.

La Russie d'Europe, quoique infiuinient uiieux connue que la Russie d'Asie, pr^sente encore, surtout vers ses frontieres orieutales , des points qui demandent a etre explores et decrits. Aussi les savants russes clier- chent-ils k completer graduellemeut la connaissance que nous leur devons deja des gouvernements qui avoisinentl'Oural. M. Antipow a publi6, dansle^«//e- tin de la Societe de Saint-Petersbourg, une description du pays qu'arrose la Petchora; elle sera lue avec interel

(1) Juiilet t8S8. p. 1.

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par les personnes familiaris6es avec I'idiome dans lequol elle est compos6e.

Je voiis ai parl6 Tan dernier de la publication du colonel iM'nest Hofluiann , relative a 1' (Jural septen- trional et a la chaine Pai-Rlioi ; pennettez-moi de reve- nir snr cet ouvrage important. L'expedition dans I'Oiiral septentrional fuL decidee en 1846 par le Conseil de la Societe de geographie de lUissie, qui en confia le coni- mandement a 3,1. le colonel Hoflmann ; elle cliai-gea on outre j)lus particnli^rement cet officier desobsersations geologiques etmin^ralogiques. M. Hollinann joint a des connaissances profondes un courage a toute epreuve et nne experience consomm6e. Rien n'ayant ete neglige, ni quant au clioix du personnel de l'expedition, ni quant anx apprets du voyage, on avait le di'oit de compter sur d'importants resnltats Clette attente n'a pas 6te tromp^e. L'expedition a rempli glorieusement la taclie qui lui avait et6 impos^e. Malgr6 les nombreuses difli- cultesetles dangers contre lesquels elle avait k luttei-, elle atteignit juscp'aux parties les plus septentrionales de rOural, en reconnutlesdiverses ramifications, exe- cuta avec le plus grand soin des determinations astro- nomiques et des leves topograpliiques, au moyen des- quels elle dressa une carte exacte des parties uonl de la chaine, a partir du 61° de latitude bor^ale jusquii la mer Glaciale : elle y repr^senta en outre tout le cours de la Petcliora, depnis ses sources jusqu'^ son embou- chure. L'n des principaux resultats du voyage a ete la demonstration de ce fait: que TOural n'atteint pas le goll'e de Kara, mais qu'il descend brusquement dans la toundra par la montagne Coiistantinow-Kamen, a en-

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viron 50 verstes au sud du golfc, Iji autre fait non moins important, qu'on a reconnu, c'est que la cliaine peu 61ev6e de Pai'-Khoi, qui s'6tend vers la c6te ni6ri- dionale du golfe de Kara , est entierement s6paree de rOural par uue large plaiiie, et que cette deruiere cliaine en dillere, taut par la direction que par le caract^re.

Je ne pourrais, sans de longs d6veloppenients, vous donner une k\^e des immenses recherches que rotluio- logie, de concert avec la philologie compar6e, poursuit sur riiistoire des races qui out peuple soit I'Europe soit le reste du monde. D'une part, je rencontre les ma- gnifiques travaux de Castren sur les ])euples altaiques dent j'ai rendu compte ailleurs (1); de I'autre, ce sont les recherches de M. le baron Roget de Belloguet siu' I'ethnologie gauloise, oil les elements qui nous restent de I'idionie gaulois sont sounds a un exanien plus se- vt^re , plus attentif. Citons encore les comminiications faites a I'Association hritannique, dans sa reunion de Dublin, par M. Antoine d'Abbadie sur les caractferes ethnologiques et physiques des negres; celles de M. John Beddoe sur le caract^i'e physique des AUemands an- ciens etmodernes, du docteur Minchin sur les uiacro- cephales d'Hippocrale, de Faniiral Fitzroy surla migra- tion des premieres races humaiues, de M. \V. Bullaeit sur Tetlmologie des races de I'Am^rique du Sud. Un champ sans limites s'etendrait devant moi et j'essaye- rais vainement de le parcourir, je vous fatiguerais sans profit et n'aurais le teuqis de rien analyser.

Aprfes vous avoir fait connaitre, Messieurs, les tra-

(1) Rfvue germanique, novembrc 1858.

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vaux et les entreprises auxqiiels out doling lieu I'^lude des dift'^rentes contv^es du glol)e , il nie reste a vous parler de ces expeditions plus vastes destinies a 1' explo- ration du globe tout entier, deces voyages de circum- navigation, qui ont sans doute perdu beaucoup de leur interet, depuis que la forme'de notrc planfete est si con- niie, mais qui sont cependant toujonrs comme de grands r4sum6s des progrfes des sciences g^ographiques. Je vous avais entretenu, Tan dernier, du voyage de la fri- gate autrichiennpyVocnm, charg(^ed'une mission scien- tifique. Le 18 novembre 1857, elle quittait le Cap et falsait route pour Singapour. Avant d'arriver k la pointe de I'Afrique, elle avait atteint Rio-Janeiro, et aprfes un s6jour de trois semaines devant la capitale du Br^sil, avait 6t6 jeterl'ancre, le 2 octobre , a la bale Simon. C/est de lii quelle se lendit au Cap. Dana son voyage du Cap a Singapour, elle visita les iles Saint-Paul , du Prince Edouard , Marion , Crozet , Ker- guelen et Mac-Donald. S'appliquant a bien determiner les coordonn^es g^ographiques de plusieurs de ces groupes, rexp6dition a enrichi d'indications nouvelles nos tables de position. On doit a I'un de ses membres, le docteur Charles Scherzen, un travail special sur les lies Saint-Paul et de la Nouvelle- Amsterdam. Ce natu- raliste a d^couvert deux nouvelles espfeces d'animaux dans ces parages. A Saint-Paid, il a trouv^ des peche- ries dirig^es par un Francais de Tile de la R^iuiion , M. Ottovan. Nous attendons prochainement des nou- velles de la marche ult^rieure de la fr(^gate.

Ces voyages de circumnavigation fournissent h ceux qui les accomplissent des informations si riches , si

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abondaiUes. qu'il rsl laro ((u'cllos piiisspiil toiitos avoir leur place dans les relations ollicielles. Et parfois, bien des annc^os apr^s , les i)ieni])res de I'expedition , en compulsant Iciirs notes, y ti'oiivent encore la nia- liere de livres inli-ressants. Nous en avons la pieuve dans les Su/wfiiirs c[iie M. V. H. de Kii/.lilz vient de pnblier du vo\ag(^ (pi'il a I'ait jadis snr le Sc/iitnv/n , r.ominande parle capitaineliiitke. (le naturalisto passe en revue Rio-Janeiro, le Chili, la bale de Sitclia, les iles Aleoutiennes, lesbords tie la livieiv kalaclityrka, les lies Brown, Carolines el Bonln ; a cliaque i)age, il donne sur ces contr6es, et principalement sur leur faune et leur flore , des details, sinon toujours neufs , an moins toujours instructii's.

Comnie au voisinage tics poles, il suHitde suivre quel- que temps le nieme parallele, pour avoir accom|)li le tour du globe, je classerai aussi dans lacategorie des voyages de circumnavigation ceu\ (jiii on I etc faits dans les I'egions polaires. line nouvellc ex])cdition, commands par le capitaine Mac-Clintock , \ a explorer les mers arctiqucs, non phis, lielas 1 dans I'espoir de retrouver I'infortune Franklin, rnais au moins pour dticouvrir le lieu )U"ecis oil il a peri. Les nouvelles qu'on a deja re- cues du chef de rexpedition sont excellentes. Je ne d6roulerai pas un itineraire (jui mettrait encore sous vos yeux des contrties dont les noms vous sont tami- liers. Disons seulenient que le 20 juilhit, le capitaine Mac-Clintock etait au cap York, d'oii il comptait se rendrea Tile lieechey pour y proct^der a une nouvelle enquete.

Une expedition est partie de Stockholm I'^te dernier.

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pour le Spitzberg, suriuut en viie d'une exploration g^ologique et min6ralogiqiie des lies de ce nom. Nul doute qa'elle n'ajoute encore h. nos connaissances sur la constitution des terres boreales et la climatologie des regions polaires. Nous avons deja 6t6 inform6s ([ue MM. Torell et Nordenskold ont ti'ouvc la carte de visite que lord Duflerin a deposee au Spitzberg en 185(5 , conune inie invitation a marcher sur ses traces.

Ces voyages de long cours sont plus specialenient organises en vue des progr^s de la physique terrestre ; aussi m'oflrent-ils une transition naturelle pour vous entretenir de quelques-uns des travaux qui touchent a cette branchc de la science du globe. Un membre de I'Acadt^mic de Belgique, M. Houzeau, vous a oflert une Histnire du sol dc l' Europe , savant pr6cis de nos con- naissances gen6rales sur la constitution terrestre, oiise trouvent r^unis les resultats les plus importants de la geologic et de rorograj)hie appliques a la partie du monde que nous habitons. Get ouvrage est un nouveau symptome du gout qui se r6pand cliez le public pour une science sans laquelle les g^ographes ne pourront bientot plus marcher, et qui nous promet quelques-uns des secrets de la creation.

Entre les phenomtjnes physiques dont la geographic doit plus particulierement s'occuper, je citerai de pri^- ftrencc les tremblements de terre, a raison des travaux dont ils sont devenus dans ces derniers temps I'objel. Un observateur infatigable , M. Andres Poey, vous a ofTert un catalogue dress6 par lui de ces terribles catas- trophes, dont nous commencons a entrevoir laloi. Son travail, intitule : llcpnitition ^cographique de /'unn'or-

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salite dcs mcteores en zones lerrestres, atmospheriques , solnires et lunnires , qu'ont publid les Annales dcs voyages, renferme sur I'ethnologie et plusieuis ques- tions relatives a la physique du globe, cles apercus in- g6nieux et liardis qui plaisent parleur nouveaut^, alors qu'ils lie portent pas encore unc enti^re conviction dans r esprit. M. Emile kluge a fait paraitre dans le Becueil de M. le D'' Petermann (1) le croquis d'une carte ou Ton saisit d'un seul coup d'ceil les directions suivies, en 1855 et 1856, par ces reactions du foyer int6rieur contre le sol. La notice qui accompagne son dessin montre dans quelle 6troite relation les Eruptions vol- caniques sent avec les tremblemcnts de terre.

Toutes les personnes qui ont lu des voyages con- naissent la mer de varech, cette prodigieuse accumu- lation de fucus qui eflrayait, en l/i92, les compagnons de Cliristophe Colomb, et leur faisait croire qu'ils ^taient arrives aux derniferes limites del'oc^an navigable. M. le capitaine Leps a 6tudi6 avec une attention particulifere cette region maritime. II croit avoir remarqu6 que les fucus ne sont pas, comme on I'a dit, arracb^s d'un fond rocheux par la violence des eaux , mais qu'ils se propagent d'eux-memes a la surface de I'oc^an. La mer des sargasses n'est pas le receptacle des plantes qu'ap- porte le GuJf-Stream k sa sortie du golfe du Mexique ; elle est au contraire la source d'oii proviennent les va- rechs isol6s qu'on rencontre dans la mer des Antilles. M. Leps, rapprochant les diff^rentes opinions qui ont ete ^mises sur I'^tendue do la mer de varech , montre

[\)mihe\lv,ng6n, 1858, n" 6.

que toutes tendent b. lui assigner pour limites le 20° et le 36" de lat. N.; le SO^ et le 50^ de long. Mais un examen critique le conduit a regarder ce domaine comme trop resserre ; il prouve quecette mer d'herbes s'6tend r^-ellement du 17" ou du 18° de lat. N. jusqu'au 38°, et du 30' au 80" de long. C'est particuli^rement entrele 81° et le 50" que lesvarechs sont le plus abon- dauts (1).

Je ne vous parlerai pas, Messieurs, des nombreux hommages qui vous ont 6t6 faits par des officiers de la marine imp6riale, etqui t6moignentde leurintelligente activity. Les uns, comme M. le capitaine E. Tricault (2) , s'attachent a faire passer dans notre langue et a popu- lariserparmi nous les beaux travaux hydrographiques de M. le lieutenant Maury, dont le nom est aujourd'hui europ^en. Les autres , comme notre confrere M. de Kerhallet, composent des trait^s destines h faciliter la navigation dans les mers que nous frdquentons. Mais je ne dois pas passer sous silence la Table des positions geographiques des principaux lieux du globe , qui VOUS a 6t6 oITerte par notre respectable confrere M. Daussy. Son nom nous est un sur garant de la rigueur scrupu- leuse des calculs. M. Daussy nous a depuis longtemps habitues aux travaux consciencieux et de bon aloi. On ne saurait d'ailleurs en recevoir d' autres du corps des ing^nieurs hydrographes, dont notre confrere a 6t6 long- temps le chef, ct dont il demeure une des illustrations. La table en question est extraite de la Connaissance des temps pour I'annee 1860.

(1) Annates hydrographiques, aaa^e 1857, tome XIII, p. 565 et sui- vantes.

(2) Voyez Annales hydrographiques^ «nn6e 1857,

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Aprfesvous avoir donii6 lui apercu, que j'aurais voulu rendre moins incom[)lct , des principales publications geographiques de cette annee, jc dois vous signaler les cartes donl s'est enrichi notre depot, et quelques-unes de celles qui out paru a I'^tranger. La moisson carto- graphique a et6 a])ondante en 1858 ; elle denote les progr^s remarquables qu'ont faits la topographic el le dessin de la carte, depuis un quart de si6cle. Les arts qui sout tout d' imagination et qui ne reinvent que du g^nie createur, ne semblent pas susceptibles d'un pro- gr6s continu. lis ob^issent a certaines vicissitudes de I'intelligence ; ils ont des moments d' apogee et des p6- riodes d'atonie et de di^cadence. Les Grecs, les Italiens de la renaissance , si fort au-dessous de nous pour la culture des sciences et ledi^veloppementdel'industrie, sont encore nos niaitrcs dans les arts plasliques, et la hauteur a laquelle ils se sont 61ev6s, rien n'annonce qu'ou puisse aujourd'hui y atteindre. II n'eu est pasde mexne des arts oii le soin et la precision tiennent lieu du genie, ou la rigueur des mesures est preferable a I'invention, ou ce n'est pas la nature qu'il faut saisir dans ses manifestations passagferes et anim6es , inter- pr^teret idealiser, mais ou Ton ne cherche qua repro- duire un relief, qu'a ramener en un cadre 6troitceqae I'ceil ne pourrait autrement embrasser, (les arts-la so pcrfectionnent chaque jour; la plume et le tire-ligne acquiei-ent de plus en plus d'habilete ; les teinles ])lates se djslribucnt avec une entente plus complete; les hachures et Ic pointill6 rendent avec plus de vcrite Faspccl du terrain , le contour des figures geome- triques, sans qu'on ait besoin, pour y r6ussir, du senti- ment coloriste de I'^cole v6nitienne, de la puissance

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de composition et do la purete de deb^^in d'uii Michel- Ange ou d'un Raphael.

La cartographic est done , k certains egards , plus favorisee que la peinture. Ses ressources ne sont pas aussi vastes, ses moyens aussi puissants, mais,elle ne cesse de les accroitre et de les completer. Dans les cartes dont je dois maintenant vous entretenir, j'ai vu avec une vive satisfaction cette science, qui fait I'objet de nos predilections , guider constamment I'artiste et assurer a son dessin une rigueur et une verity d'expres- sion geograpliique qui etaient inconnues auparavant.

Pour me conlbrmer a I'ordre que j'ai prec6demment ndoptu, je commence par TAm^rique. M. le colonel Joaquim Acosta vous a olfert mie carte de la Nouvelle- Grenade an ytuIoTTF' pi"esentant la division de cette republique en Etats {l^stadox) eten territoires. Ainsi que les Etats-UnisduNord, la Nouvelle-Grenade recon- iiait deux ordres de subdivisions politiques : les pro- vinces et les territoires. Deux Etats , ceux de C'.auca et de Cundinamarca , continent aux territoires de meme noni, territoires que leur surface moins connue et inoins habitue n'a point permis au colonel Acosta de repr6- senter avec une 6gale abondance de details. Tout , en eflet, est indiqu6 dans la carte des Etats : mines d'or, d' argent, de cuivre, d'emeraudes, eaux jninerales, vol- cans actifs, cheminset routes, ruines antiques. Depuis le golfe du Mexique jusqu'au rio Miia et au Putuniayo, dontle litsert, au sud, de Ihnites ala Nouvelle-Grenade, se diploic un ensemble d'indications lopographiques qui donnent a cette carte un haul int^ret, A I'eiitour sont disposes dans des cartouches des cartes et des plans

XVII. JANVIER ET FEVaiER. 7. 7

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figures sur une phis petite ^chclle el destines h com- pleter la geographie cle la Republique. C'est d'abord un plan de Bogota, un autre du port de Carthagfene, avecl'mdication des sondages; puis un plan particulier du Puerto de Sabanilla, dresse par M.le capitaine Jaime Brun.Dans une coupe de la chaine des Cordilleres, jointe a la carte, des majuscules, distributes ^ diff^rentes hau- teurs de leurs cimcs, indiquent la composition du terrain. La carte de M. le colonel Acosta est un nia- gnifique travail qui fait le plus grand honneur a son auteur.

Je vous ai entretenus tout k I'heure du Coast-Siuvey; car, malgr6 le caract^re 6minemment topographique de cette entreprise, je ne pouvaisla separer de ce quia t^t6 fait pour la geographie de TUnion. J'ai encore a vous signaler un autre tra\ail cartographique des I^tats-Unis, mais moins 6tendu : le Tmck-Siuvey du Paraguay, dresse par M. le commandant am^ricain Th.-J. Page, et dont vous avez recu plusieurs feuilles.

L'un de nos correspondants, le savant M. Kiepert, vousaadresse deuxde ses plus belles publications. En premier lieu, une nouvelle carte de 1' Am6rique tropicale, comprenant la partie 6quatoriale des Indes occidentales, TAmerique centrale , le Mexique, la Nouvelle-Grenade et le Venezuela. Dans cette ceuvred'ensemble,racad6- micien de Berlin a mis a contribution tons les documents qui ont paru jusqu'a ce jour. Sa carte, dedi6e h. Alexandre de Humboldt, est dignedece grand nom, mais elle n'a- vait pas besoin d'un autre nom que cclui de Kiepert, pour inspirer une entifere confiance au monde savant. Ex(icut6e par le proc6d6 de la lithographic, elle a toute

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la uettete d'uiie carte gravee; ses six belles feuilles formeiit uii veritable atlas, line I6gende d6veloj)pee v indique le nom et la hauteur des montagnes; une 6clielle croissante, conforniement au systfeme de pro- jection de Mercator, penuet d'obtenir imm6diatenient, en lailles marins de 60 au degre, les milles g6ogra- pliiques allemands, repondant a li milles marius, et donne en pieds anglais les altitudes des montagnes. Dans une notice, jointe a I'une des feuilles, M. Kiepert I'ait connaitre les materiaux dont il s'est servi. Je passe a la seconde carte que nous a ollerte I'habile g6ographe, c'est une carte plus detaill^e de TAm^rique centrale. Execut6e ])ar le meme proc6d6, dress6e avec une extreme abondancede details, abondance pr6cieuse surtoutpour la connaissance des cours d'eau, qui demeurent en ces contr^es les divisions naturelles du pays, et bien sou- vent les seules voies de communication, cette carte sera lecue avec une vive gratitude par les amis de la geo- graphic. Des l^gendes non moins d6velopp6es que dans la carte pr6c6dente, et r6dig6es en francais, donnent pour certaines provinces la statistique des terrains, celle de la production des bestiauxet une foule d'autres indi- cations non moins curieuses. L'(5chelle est de ^- .

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Je vous ai fait connaitre plus haut la publication du voyage de M. MoUhausen dans la region du Mississipi. Si uotre bibliotheque a le regret de ne point poss6der ce bel ouvrage, nous avons du moins refu une de ses cartes; on y peut suivre I'itin^raire du voyageur dans la region du Missouri et dans tout le Far-West. Les rapides progr^s de la colonisation rendent indispensable aujourd'hui la construction de cartes nouyelles, desti-

( 100 ) iiees a lixer iios ideessnr des conlrees dont Ic iioin re- leiitit sans cessc dans los jounianx. I)e])nis Ic .Missouri jus(|ii"a ['ocean PacilKiiie, les villes Ifevent, pour aiusi dire, comnieriierbe du sol. Destravaux topograpliiqnes iniportants sont poursnivis depuisquelquesann6es, aux Etats-Unis, dans le but d'arriver a un figiue complet du terrain. Maisces oeuvres, encore pen connnes paniii nous, sont trop Iractionnees, trop in6gales, pour i)rendre place dans nos atlas. 11 etait n6cessaire der6sumer ces essaispartiels, et de les soumettre a nn travail de rac- cordement et de synthase qui leur ser\ it de controle, avant de les livrer a la circulation. Cest ce qu'a fait M. Henri Lange dans une carte dessinee en vue de I'ouvrage de M. Mollhansen, et qu'il vous a gracieu- senient offerte. Une notice qui y est jointe fait connaitre tons les materiaux fjfu'il a eus a sa disposition, et per- met de niesurer les difiicultes de la tache qu'il a acconi- plie. Cette carte est, il est vrai, dress6e sur une assez petite echelle, -^^t^oo ; maiscomme il s'agit ici sinqile- mentde donner une idee generale du pays, et non de Jigurer toutes les lignes du reseau naturel otlert par le terrain, Teclielleest tr6s sutlisante. I.a carte comprend tout le pays qui s'6tend depuis le fort Smith, nn pen au nord du 35-^ parallelesur I'Arkansas, jus([u'a lacote de Californie, dont elle donne la partie situee au sud de San-Francisco. La route suivie par le voyageur Mollhan- sen, du fort Smith au port de San-Pedro, forme, par rapport k la carte, une sorte d'6quateur. Une petite carte d'une moindrc echelle, ,toiVoo6' 'epr^sente I'etaL dc Kansas, et tous les afiluents orientaux du Mis- souri. Enfin, une coupe generale permet de suivre

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I't^lt^vation dn so], depiiis ]o littoral de San-Francisco jusqu'aii fort Smith. Celte coupe a son point culminant presque an milieu de la ligne, a la passe de Campiiell, sur la Sierra Madre, dont la hauteur estde 7750 pieds anglais, pr6s du Camino del Obispo, qui lui est supe- rieur en altitude de 500 pieds environ,

L'Asie ne nous a pas I'ourni, juessieurs, un si riclie contingent de cartes quelenouveaunionde, II estcepen- dant one carte d'une grande valeur, que je dois signa- ler a votre attention. Les nombreux voyages dans I'Asie occidentale, dont je vous ai parl6, faisaient sentir la ne- cessity de cartes meilleures, pour cette region si int(^res- sante au point de vue historique. L'Ann6nie, le Kur- distan et I'Azerbaidjan reclamaient, en particulier, un figure nouveau ; cette carte vient d'etre habilement dressee par M. Kiepert, al'^chelle de roooTo- Divis6e en /i feuilles, elle reunit tons lesm6rites que nous sonnnes habitu6s k rencontrer dans les oeuvres de son auteur ; et la Societ6 est heureuse d'en devoir un exemplaire a son correspondant berlinois.

La guerre des Indes a fait 6clore un grand nombre de cartes; destinees simplement a repr6senter les ope- rations de Tarmeeanglaise, elles sont d'un int^ret gt^o- graphique secondaire. Je vous signale encore, entre les cartes des contr^es de I'Asie recemment livrees au pid)lic, celledu pays d'Israelde M. Van de Velde, qui vous en communiquait , il y a quelques annees, les elements ; celle de la Chine, dressee pour suivre les operations des Europeens sur les cotes de cet empire, et qui vous a6t6 offerte par MM. Erhardet Basset ; enfin la carte de 1' empire d'Annam, pour servir a I'histoire

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des missions des j^suites, d^pnsef siir voiro biii-cau au nom du R. P. de Montezoii, i)ai- iiotro cnnfrtM-p M. d'Avezac.

L'Afrique n'est pas encore asscz connuo pour qu'oii en puisse dresser des cartes aiissi riches on indications que celles qui nous ont 6t6 fournies, cctto annee, par I'Am^rique. On en est rMuit, en bien des points, k des indications provisoires et grossiSros. Cependant les pro- gr6s incessants des d6couvertes rendent indis])ensabln la redaction de cartes nouvelles, tant pour suivre I'iti- n6raire des voyageurs, que pour efiacer des esprits les notions erron^es que nous devions aux cartes ant6- rieures. Dans ce but, M. E. Desbuissonsadresse, sous la direction d'un de nos confreres, M, Cortambert, une carte complete de I'Afrique, dont le m^rite et I'int^ret seront ais^ment appr6ci6s par vous. M. Desbuissons a en outre place dans un cartouche une carte r^dnite, mais plus d6taill6e, de I'Alg^rie, allant jusciu'i\ Ouargla, el comprenant tout le pays situ6 au nord du 32" de lati- tude, sous lequel cette ville se trouve situ6e. L'auteur indique dans le Soudan les diverses localit^s et les populations visit^es paries derniers explorateurs; il met k contribution les voyages de Livingstone et les di- verses informations dues f\ceu\ qui ont visits I'int^rieur de I'Afrique australe. C'est t^galcment h vulgariser les progrtjs dc la cartographic , que s'est consacr^ notre confrere M. Malte-Brun. Des cartes aussi consciencieuses que celles qu'il a dress6csdu voyage de Vogel, de Tile de P6rim, permettrontk tons ceux qui s'int^ressent aux questions geugraphiques, politiques et commerciales, de suivre sur, le terrain, du fond de lour cabinet, la

( 103 ) marche des 6v6nements. M. J. G. Miani a enrichivotre d6p6t d'une nouvelle carte du bassin du Nil ; elle est destin^e a faire comprendre ses id6es sur les sources myst6rieuses de ce fleuve, et montre la commune ori- gine qu'illui suppose avec la riviere de Zanguebar.

Vous devez, messieurs, aM. le docteur Henri Lange, outre la carte du Mississipi, une carte du nord-est de I'Egypte, donnant la partie comprise entre I'isthme et le Nil, jusqu'un peu au sud de Sakkarah. M. Lange a prisle soin, et c' est la ce qui ajoute un int^ret tout particulier a sa carte, de noter les diverses ]ocalit6s ou se trouvent des ruines. Ex6cut6e par le meme proced6 quecelle qui sert d'itin^raire aux voyages de M. Moll- hausen, cette carte, kl'^chelle de «3^'o^, int^ressera particuli6rement les personnes qui s'appretent h suivre la grande operation du percementde I'isthme de Suez.

L'Europe nous fournit naturellement les cartes les plus completes et les plus d6taill6es. Le degr6 de pr6- cision avec lequel le terrain a 6t6 etudi6 trouve dans la perfection topographique son miroir fidfele. Vous con- tinuez a recevoir les feuilles de notre: magnifique carte del'6tat-major, au ^,^,; cinq feuilles nouvelles ont 6t6 d(^pos6es sur votre bureau. L'6tat-major du royaume des Pays-Basrivaliseaveclenotre, et, ilfaut le reconnaitre, son ceuvre soutient noblement la comparaison. Quatre feuilles nouvelles vous ont 6t6 envoy6es. En jetant les yeux sur les deux derniferes que vous avez recues, les n" 37 et 38 {Hatten et Gonnchen), j'ai 6t6 frapp6 de I'habilete avec laquelle les ofliciers n^erlandais sonL parvenus a rendre dans tons ses details les divisions infinies du terrain. Vous Ic savez, uiessieurs, les Pays-

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Bas presontent une succession perpetuellr de niarais, de lourbi^res, de polders, de canaux, de prairies el de jardins. Lesrouteset leschemins y sontn^cessairenient plus niultipli6s, parce que I'^tat du sol isole en quelque sorte les foiids de terre les uns des autres. Eh bien I tout cela est rendu avec une clai-t6, une v6rit6 de tons et une distribution de lignes queje n'ai encore observ^es nuUe part. L'fjciln'y est jamais fatigu6; grace au figurC', il devine, presque sans 16gende, la nature du terrain, et se retrouve ais^nient, au milieu des lignes innoni- brables (jui se croiseni ou courent i)arall(Mpment. La Soci6t6 sera heureuse de donner un teuioignage de sa haute estime a I'd'uvre d'uu gouvernement qui s'est toujours fait remarquer par son zfele intelligent et ^clair^ pour les sciences. Les Hollandais sont un petit peuple, mais si Ton mesure I'etendue des services qu'il a rendus k la civilisation, on trouvera que sa place est une des pins belles et des plus larges sur la carte de I'hii- manit6.

La maison Perthes, qui est aujoui'd'hai un vaste la- boratoire d'oii sortent les travaux g^ographiques les plus divers et les plus consciencieux, vous a oflert un atlas des contr6es alpestres en neuf feuilles, dressy par M. J. G. Mayr.

Les contr6es de montagnes sont, connne vous savez, messieurs, lapierre d'achoppenient de la cartographic. Le dessinateur d'une carte doit s'attacher surtout k deux choses : 6tre vrai, etre clair. Or, dans une contr6e for- tement accidpnt6e, cette double condition devientbien difiicile ireinplir. Quand on teiite de figurer lesol avec loiites ses inegalites, r(X'il se brouille. et il kii devient

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presqne aussi (lirficile de se retrouver, qu'il Test au voyageui' de gravir les pentes abruptes de ce sol tour- ment6. M. Mayr a abord6 hardiraent le probl^me sur une 6clie]le de -^^u- Par iin habile ajnstemeiitdeha- chures,tOTir a towr rapprocbees ou 6cart6es, accusees on l^g^rement indiqu6es, il a reussi k nous doniier iin v6- ritable relief apparent de la partie la plus montagneuse de I'Europe. Et cependant les noms sont inscrits pai- tout, au bord des torrents comme sur lacime des mon- tagnes ; toutes les localites sont plac^es a leurs diff^- rentes hauteurs, et, par un heureux artifice, la carte pr6sente une veritable perspective. La Suisse, la Savoie, le Pienioiit, la Bavi^re m6ridionale, le Tyrol, le paysde Salzbourg, I'archiduch^ d'Autriche, la Styrie, I'lllyrie, la haute Italic, les Vosges, sont compris dans ce bel atlas, ceuvre prodigieuse de patience et de soin, oii, pour manager notre vue, les yeux des auteurs ont du, h6las ! etre soumis a de rudes 6preuves.

Le probleme qu'a poursuivi M. Mayr, M. le major Auguste Papen a cherche a le r^soudre par une autre voie, demandant aux couleurs les indications que M. Mayr ne tire que de I'asseinblage des hachures. II a 6tabli comme une 6chelle ascendante de teintes correspondantes chacune a une altitude d^terminee , depuis le blanc qui donne la surface des eaux, le brun clair (pii repr6sente une hauteur de I a 100 pieds francais, jiisqu'au jaune fonc6 qui correspond k une altitude de 4500 a 5000 pieds. Pour des regions plug ^]ev6es, I'emploi de lignes continues sur un fond de couleur supplee a I'insuffisance des teintes. L'atlas de M. Papen. public par I'lnstitut g^ographiquo de

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Franclbrt, que dirige M. Ravensten, a ete encourap;^, messieurs, specialement par vous. Vous y avez vii uiip ftiuvre s6rieuse eL originale, un lienreux essai d'atlas hypsometriquc, digne de la sollicitude des amis de la geographic, M. Papen a adopte la })rojecliou de Gauss, et fait ex6cuter ses cartes par I'emploi de la gravure sur pierre et de limpression en couleur. Peut-etre cet usage nouveau du coloriage en carto- graphie a-l-il 1' inconvenient de contrarier les habitudes de notre (cil, accoutume a ne voir dans la couleur qu'une indication geognostique ou de division poli- tique. xMais la sim])Ucit6 du proc^de justifie la nou- veaute du moyen.

Vous devez a la liberalite de M. Alfred Potiquet la carte g^n^ralc du r^scau concede a la compagnie des chemins de ferde I'Est, indiquant les relations directes avec I'Allemagne, la Suisse et la haute Italie. Cette carte, a l'6chelle metrique de iYo'oFo ^^ divis6e en quatre feuilles, a 6t6 dress6e par M. A. Letellier et dessinee par le donateur. Kile doit au petit nombre d'indications quelle a pour but de fournir une extreme clarte. Sa grande 6chelle perniet de mieux saisir la complication des enclaves ottertes par le territoirc de la Confederation gernianique.

Je mentioimerai encore, i)armi les cartes des con- tr6es europeennes f(ui out r6cemment paru, celle de Livonie de M, C. G. Ri'icker, dressce d'apr^s les der- nieres obsei'vations astronomiqucs et geod6siqiies, v\ puhliee par la Society economique de Livonie ; la nou- velle carte de Suisse, du D"" H. Kiepert; la carte (hi cercle deMersebourg,j\ rechello de ^foW' ^^^^' ^^^^-

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Plait, revue par M. T. de Bomsdortr; celle de Po- m6ranie, par M. F. Haiidtke ; la carte du bassin de I'Elbe, par M. I), H. Sebikoh ; les cartes de diverses parties du Dauemark, par M. L. Both; la continuation de I'Atlas topographique de la Saxe, piibli6 sous la direction de M. Obeirreit ; enfin le magnifiqne ensemble de cartes ext^cut^es par I'^tat-major russe, dont, grace k une liberale volenti de S. M. Alexandre II, le public pent niaintenant obtenir des exemplaires. La liste de res cartes a (5t6 publico dans les Animles des i>ornges{\) .

MM. Paulin et Lechevalier n'ont pns cesse de vous adresser les leuilles de I'Atlas universel de geogra- phic ancienne et nioderne de M. A.-H. Dufour ; elles sont parfaitement adapt^es aux besoins populaires que cet atlas est destine a satisfaire. L'une de ces cartes donne le r^seau des chemins de fer ; une autre pr6sente la division administrative et physique de notre pays ; une troisifeme est consacr^e aux £tats scandinaves, que les derni^res explorations ont permis de mieux connaltre.

Je ne vous dirai rien des excellentes cartes r^duites qui continuent d'accompagner les Mittheilungen du docteur Petermann : je ne dois point omettre ce- pendant de les recomniander a votre attention, non plus que la bibliographic des cartes que M. H. Ziegen- balg faitparaitre dans lemfime recueil, ^ la suite d'une bibliographic g6n6rale de la geographic.

Tel est I'apercudes cartes que vous aurez, messiem's, k 6tudier par vous-raemes; je ne saurais en entre-

(1) Mai 1858, p. 258 et suivantes.

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prendro ici mi pxainen criliqup oi approfondi. J'ai il'ailleurs, en vous entretenant prec^deinment de cer- tains voyages dans des rt^gions iniparfaitement connues, parlt'' des cartes qui accompagnont leur relation.

C/cst un devoir [xiur la Sociutc derappeler au public les pertes i'aites par la geographic, dans I'annec dont ce rai)port expose les travaux ct les decouvertes. Sans doutc il faut d'abord decornor des lanriors aux vain- queurs, niais on doit aussi couij)ter ^es riiorts et leur reudreles siipreiues devoiis: car c'est a eux qu'on est redevable en partie de la victoirc. J'ai d6ja rappele quelques-unes des pertes que nous avons eu a deplo- rer. Ai-je besoin de citer, en conipletant cette triste Enu- meration, le nomde M. Cochelet, qui vous est si present a I'esprit, messieurs. Au milieu ties fonctions diplo- matiques les plus importantes, AI. Cochelet trouva des loisirs pour cultiverla g6ograpliie, jusqu'au moment ou, appele au conseil d'Etat, ses occupations administra- tives absorbferent tous ses moments et nous priv6rent de son concours. Nous avons perdu en lui un confrere aussi estimable que distingue, dont le souvenir demeu- rera cher a la Connnission centrale, ausein de laquelle il occupa longtemps Tune des places les plus liono- rables.

Je passe aux voyageurs. Et ])our commencer par ceux dont les titres sont de plus vieille date et les plus 6clatants, je nommerai Aim6Bonpland, ce compagnon de 1 'illustre patriarche de la geographic. II est mortsur le sol americain , plein de jours ct de ronomm^e , sur ce sol oil il s'etail naturalise par ses travaux , et que, conmie le colon , il avail lait sien par son labeur. I'n

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geologue sueclois , Keilliau , coiiiiu par son voyage en Laponie et an Spitzberg, et par son Grca non'egica, a marque de sa mort le premier jour de cette annee. Vous aviez recemment recu de Ini \me publication sur les phenomenes d'erosion en Norvege , et vous vous etes associ6sau deuil de sa patrie.En Angleterre, I'anu- ral Beaufort, une des gloires de I'liydrographie, a ter- mini une carri^re illustr6e par de grands travaux et par un patriotisme que les 'Vnglais ne sepai-ent jamais des obligations du savant.

En France, I'liydrographie n"a pas I'ecu de moins i'atales atteintes. Denx ingenieurs, sortis de cette ecole polytechnique dont I'enseignement toujours f6conde par la science ne s'6puise jamais, ont 6t6, dans la force de Tage, enleves par desmorts impr6vues. Vincendon Dumoulin et Lieussou , qui avaient attache leurs noms a des travaux que vous connaissez tons et que poss6de votre bibliotheque , ont et6 effaces du livre de vie; inscrivons-les iicelui de I'honneur. Un autre Francais, rVnne Raffenel , qui avait brave le climat meurtrier du Senegal, et, a deux reprises dilferentes, p6n6tr6 au Soudan, a succomb6aux atteintes d'un nial qui desole les cotes de I'Afrique orientale. ("est dans les memes parages qu'une fenmie qui 6tonnait I'Europe par sa resolution, et disputait aux plus intrepides voyageurs la gloirc d'allronter les dangers et les privations de toute sorte, M"' Ida Pfeifler, a pris le genne de la jiiaiadie dont elle est venue mourir dans sa leire na- tale. A ous aviez recu , avant son depart pour Mada- gascar, r heroine des touristes, et admire en elle cette siniplicite et cette modestie qui cachaient tant dc qua-

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lit^s viriles. Quelle est done la puissance ties etudes g^ographiques, quel est I'attiait que la connaissance du globe ofVre a notre esprit, pour que des dc^vouenients si nombreux soient, tous les ans, la p6roraison obligee de ce rapport? Est-i) un mobile qui, ajir^s la reli- gion et r amour de la I'amille ou de la pati'ie , ait in- spire taut de resolutions surliumaines, fait braver taut de d6gouts et de pd'i-ils ? Laissons les d^tracteurs de la science lui reproclier ses erreurs inevitables el ses illusions passag^res. Quand un penchant suggere a i'homme une pareille force et de pareilles resolu- tions , quand il iniprime a ses opinions une Anergic qui en fait un heros, peut-on dire que ce penchant, que I'ainour de la science, c'est delui ici que je parle, ne soil qu'une vaine et d6cevante curiosit6? N'y faut-il pas voir au contraire le reflet de la sagesse inlinie qui nous ravit et nous illumine V

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QUELQUES MOTS

SUR LA NOUVELLE-GRENADE.

Trois si^cles et demi se sont ecoules depuis la d6- coLiverte de la Nouvelle-Grenade par Colomb , et plus de trois slides depuis sa conquete par Alfinger, Que- sada, Benalcazar et d'autres; cependant on peut dire qu'elle est encore inconnue et qu'il s'agit de la d6cou- vrir une seconde fois. On sait vaguement que tous les climats , toutes les productions du monde s'y sont donu6 rendez-vous ; que les deux grands oceans vien- nent s'y effleurer ; que la se trouve un centre commer- cial autour duquel tous les peuples doivent graviter un jour ; mais il y a loin de ces id6es g6n6rales a une con- naissance r^elle. Heureusement que 1' attention com- mence k s'6veiller : les derniers 6v6nements de Panama, de I'Am^rique centrale , I'attente surtout des grands faits historiques qui se pr^parent dans le continent du sud , attirent maintenant tous les regards vers cette partie du monde. Peut-etre nous saura-t-on gr6 de parler avec quelque detail de la Nouvelle-Grenade, de son beau climat, de ses productions si diverses, de sa population, de son 6tat social actuel, et des magni- fiques destinies que lui reserve I'avenir.

I.

C'est k la structure de ses plateaux et de ses chaines de montagnes que la Nouvelle-Grenade doit la super- position et la p6n6tration r6ciproque de toutes les zones

( H--^ ) terrestres dans des limitet; coinparativement etroites. Les Andes, si reguli^res en apparence dans lein* enonne longueur, depuis le cap Horn jiisqu'a Tistlinie de Pa- nama, airectent en reality un mode de formation tout particulierqui assure a la Nonvelle-Grenade une grande sui)enorite climaterique sur toutes les autres contrdes de I'Amerique duSud.

En elTet, la Cordillere ne se deroule pas simplement commc nnc longue suite devortebrcs gigantesques ali- gn6es sur le rivage du Pacilique ; de distance en dis- tance elle se bifurque , se dedoidjle pour ainsi dire , et forme deu\ lignes de hauts sommets qui se longent parall^lement , reviennent I'une vers 1' autre, puis se reunissent et se confondent pour se s6parer encore. Dans I'espace contenu entre les chaines paralldes s'e- tendcnt des plateaux plus ou moins vastes , v6ritables boursoullures de I'ecorcc terrestre, environnees de tous cot6s par un rebord de montagnes. La Bolivie, ce Thibet de I'Amerique, se trouve ainsi releguee sur un plateau, et les sommets neigeux dresses de toutes parts a son horizon I'isolent presque enti6rement du reste de la terre.

On conipte dans I'-Vmerique du Sud huit dedouble- ments de la Cordillere principale, et autant de centres montagneux ou viennent se renouer les Cordillferes paralleles. On pourrait comparer I'innnense chaine a une corde musicale vibrante dont les doubles ondii- lations se ju'opagent d'une extremity a I'aulre , en se croisant toujoars par des points fixes et immobiles appel6s na-uds de vibration.

A ([uelque distance au nord de I'equatcur, la oil se

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trouvent les frontieres m^ridionales de la Nouvelle- Grenade, les Andes formenl un de ces noeuds, remar- quable par I'entasseiuent el la hauteur de ses nion- tagnes. Autour de ce plateau, que domine le volcan de Pasto, cinq cours d'eau rayonnent dans tons les sens : au nord , la Madeleine et son noble affluent le Cauca se dirigent vers la mer des Antilles ; a I'ouest, le Patia court se jeter dans 1' ocean Pacifique ; a Test et au sud- est , le Japura et le Putumayo descendent vers I'Ama- zone, veritable bras de uier projete par I'Atlantique au centre uieme du continent. Ainsi I'eau d'un menie champ de neige s'6coule vers trois mers. Du haut d'une niontagne on voit en nienie temps les ruisseaux se hater d'un cote vers la mer du Sud , de I'autre vers I'Amazone et I'Atlantique ; on pent iiieme plonger son legard sur la })laine du grand Oct^an , et laisser a la Xois tremper ses pieds dans une source dont le mince lilet va se perdre a niille lieues de la sur les cotes du Bresil.

Le nu3ud montagneux de Pasto , au lieu de se bifur- quer simplement comme les autres nicuds de la chaine des Andes, se s6pare en trois branches distinctes. De plus, les deux iiranches ext^rieures se subdiviseut clia- cune en deux rameaux , de sorte que le systeme des Andes grenadines conq)rend cinq chaines divergentes provenant toutes d'un nieme plateau, comme cinq tiges sortant d'une meme racine. Ainsi les Andes, avant de s'all'aisser dans I'isthine de Panama, s'epauouissent en even tail pour doimer une ossaLure de rocs a toute la region colombieune situ^e le long de la mer des Antilles. La chaine orientale , plus inflechie que les autres , se XVII. JA^vl^•R et rtvRiKK. 8. 8

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dirige en ligne droile \ers Test , se renfle pour Ibriner un rebord montagneux entre la mer et les vastes llanos du Venezuela, et va mourir enfm dans I'ile de la Tri- nity. La Sierra-Nevada de Sainte-Marthe , ile de mon- tagnes pariaiteraent distincte de la chaine des Andes et environn^e de tous c6t6s par la mer, par des lagunes et des terrains d' alluvion, complete 1' ensemble du relief grenadin. Aucun autre groupe de soniniets ne s'el^ve a une aussi grande hauteur comparativement a I'^tendue de sa base. La Sierra-Nevada couvre une sui'lace quatre fois luoindre que la Suisse, et cependant elle darde ses pics a plus de 6000 metres au-dessus dii niveau de la mer.

La disposition g^n^rale des chaines en forme d'6ven- tail , et la pente graduelle de la contr^e vers la mer des Antilles , sont les faits les plus importants de la g^,ograpliie grenadine, Presque tous les grands pla- teaux : le Thibet , la Bolivie , le Gobi , couipl6tement isol6s par leur 6l6vation et leur barri6re de montagnes, sont restes jusqu'ici inaccessibles au commerce. Mais danslaNouvelle-Grenade, il est facile de remontergra- duellenient et d'6tage en 6tagedepuis la mer jusqu'aux superbes hauteurs de Pasto ou de Cundinamarca. La Madeleine , le Canca , I'Alrato , tous les fleuves qui occupent le fond des valines entre les chaines diver- gentes, sont les chemins naturels par lesquels s'op^re la circulation des homnies et des produits entre les provinces de la cote et les hauts plateaux de Fintiirieur. La mer elle-meme , sollicit6e par les vastes plaines basses, s'arrondit en golfes entre les extr^mit^s septen- trionales des chaines , s'6panche au loin dans I'int^-

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rieur, multiplie les lignes tie contact entre la terre et I'eau, et par suite augmente la vitalite clu pays.

Cependant la partie nieridionale de la Nouvelle-Gre- riade , couple en trois parties par les trois chaines de ijiontagnes qui rayonnent conime de gigantesques mu- raillesdu nccud central de Pasto,n'a pas une complete liouiog6n6it6 ; et par suite, une grande divergence d'in- t6ret3 et de politique , divergence qui vient de se ma- nifester par le partage de la r6publique en huit Etats federalists, a toujours exists entre Socorro et Bogota, Bogota et Neyva, Neyva et Popayan, Popayan et An- troquia. Mais en attendant les chemins qui abaissent les montagnes et les tunnels qui les percent , il est facile de tourner I'obstacle en passant I'isthme de Pa- nama. Cette langue de terre a tout aussi bien pour mission g6ographique de relier en une solide nationa- lity les diverses parties de la Nouvelle- Grenade que de r^unir deux oceans et deux mondes. Elle met en pre- sence I'un de I'autre I'Orient et I'Occident, New-York et la Californie , Londres et Singapore , et en meme temps elle juxtapose dans la Nouvelle-Grenade 15s bas- sins de la Madeleine et du Patia , que s6paraient des barriferes de monts presque infranchissables.

II

A mesure que les chaines divergentes se d^gagent du plateau central et s'61oignent I'une de I'autre, les gorges interm6diaires s'afl'aissent par degr^s et se changent en valines larges et profondes. Aux sommets couyerts de neige, aux rochers nus sur lesquels s'atta-

( IJ« )

ciicul h peine tie miserablos lichens, succedeni les ^;lll6es her])eiises, les grands bois et les forets inip6- netrables. Dans ces regions privil6gi6es, on pent vivre a son gre dans la saisoii qu'on ainie, et dans I'espace de quekjues heures descendre de la zone glaciale dans la zone toriide. En un jour, on peut s'eniparer de la terre entifere, pour ainsi diie, avec tons ses ph6no- inenes cliniatiques, toute I'immense vari6t6 de ses produits, et pour cela, il suflit de gravir une niontagne ou nienie de regarder allentivement autour de soi. Car les clinials ne sont pas super])0ses r6gulit!reinent comnie des stratifications g^ologiques, mais ils se penetrent reciproquemcnt, et souvent on peut voir a cote I'uue de 1' autre des plantes de la zone polaire et de la zone tropicale. Telle liane I'rileuse dont la brise a porte la semence du fond des plaines inf6rieures, se cache sous ini roclier pour 6viter la froidure, tandis que tout pres de la des arbrisseaux accoutumfe aux neiges se dressent sur les pointes pour recevoir tout I'effort des vents. A 3500 metres de hauteur au-dessus de la luer, des cactus et des agaves o oissent encore dans toute leur majestueust beaut6, et, de meme, qaelques mousses hardies descendent de lours pla- teaux et s'oventurent jusque sur le bord des plaines. En clVel, ne suflit-il pas d'une bouffee d'air chaud pour porter I'etc jusqu'aux plus hautes cinies, et le vent qui souffle des glaciers ne vient-il pas m6langer ses couranls d'air froid a 1' atmosphere brulante?

Ainsi les clunats n'ont point de liniites rigoureuse- ment d6finics et subissent ['influence de mille cir- constances particuliferes. Les difT^rences de relief,

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d'exposition , de terrain, la durSe cIps plules ex des s6clieresses modifientdiversenientles cliniats typiques,* et realisent, par leiirs contrastes, les plus beaux paysages de I'un'vers. Pour avoir I'esprit j'avi d'adnii- i-ation, il n'est pas "besoin d'a^er conleuip'er la cascade de Tequendania, qui, d'uu bond, plonge de la zone temp6r6e dans la zone torr'de, ou les rapides du Juarez qui se sent tailles a travers la montagne nn lit de 1000 metres de profondeur : le phis niodeste^vallon suffit. Vert, 16g6rement ondul6, tout bruyant d'eaux courantes, 11 se blottit au pied de quelque g6ant nei- geux, et se penche curieusement sur le vaste horizon des forets de palmiers.

Les llanos, anciens bassins maritinies aujourd'hui dess6cb6s, ne manquent pas non plus a la Nouvelle- Grenade ; ils s'6tendent a Test des cinq chaines diver- gentes et se d6roulent en plaines interniinables jusque sur les rives de I'Orenoque et de I'Amazone. Des trou- l>eaux de bceufs et de chevaux errent dans ces vastes 6tendues lierbeuses qui n'attendent que des habitants pour acquerir une grande importance agricole. En un mot, il ne manque a la Nouvelle-Grenade que les deserts de sable.

Ill

La flore de la Colombie ne le c6de a aucune autre" du monde entier pour la vari6t6 des esp^ces, et celle du Br6sil seulement peut lui etre compar6e. Un Euro- p6en non encore initio aux splendeurs de la v6gt^tation tropicale 6prouve un sentiment de terreur religieuse, quand il p6n^tio pour la premiere fois dans une foret

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|renatlme. II avance en lu'silant, osani a peine mar- cher sur les herbes eties raciiie.'^ eiitrclacees, osant a peine plonger son regard dans I'incompivliensible fouillis de verdure ou tout seniblc confondu, fleurs, branches, arbres sveltes et droits, troncs deracin^s. Au-dessus de sa t6te,les cimes touflues se superposent aux cimes, et des rameaux bris^'S, suspendus par des lianas presque invisibles, se balancent avec lenteur; a ses pieds, sur le versant des pentes. s'6tend une mer de feuilles de toute esp^ce, dispos6es en panaches, en 6ventails, en bouquets, en guirlandes, en spirales. Autour de lui, les arbres superbes sont k demi caches par des colonies de parasites en fleurs. Puis, ce sont les lianes qui jettent Icur reseau sur la foret : les unes, fortes comme des cal^les, s'enroulent autour des arbres et les 6touflent sous une parure de leuilles vertes ; d'autres se balancent gracieusement entre deux cimes touffues et les uuissent par des guirlandes de fleurs; d'autres encore descendent sur les troncs d6racin6s, et les font disparaitrc sous I'l^clat de leur v6g6tation, comme pour cacher 1' image de la mort au milieu de cette nature si pleine de vie.

Dans ces forets, les plantes utiles sont innombra- bles, la famille des palmiers y est representee par plus de soixante espfeces; le cedre, I'acajou, le bois de fer et d'autres arbres pr6cieux s'y trouvent en abondance ; les plantes tinctoriales y croissent en foule, et plusieurs, dont le nom botanique est encore a peine connu, don- nent aux Indiens des couleurs parfaitement inaltera- bles. Dans ces forfits viennent se rencontrer toules les plantes medicinales des deux liemispheres, la camo-

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millp Pt la salsepareille, la cliicor^e et ie sang-dragon, la bourrache et 1' ipecacuanha, et tant d'autres plantes qui out la propn6t6 de gu6rir par leur 6corce, leurs fruits, leurs fleurs, leurs baumes et leurs gonimes.

IV

Malheureusement ce n'est pas cette magnificence de la nature qui attira les conqn^rants espagnols dans rint^rieur de la Colombie : ils n'avaient traverse rOc6an que dans I'espoir de se gorger d'or. A la recherche d'un Eldorado on d'une fontaine de Jou- vence, ces hommes sans peiir avaient traverse sans guide, sans nourriture souvent, de vastes contr6es ou chaque pas ne se faisait qixk travers un obstacle. Les premiers mouraient de faim et de fatigue, ils 6taient tu6s paries sauvages ou s'entre-d6voraient eux-memes. JN'importe, d'autres msens6s ne craignaient pas de s'enfoncer dans les sombres forfits dont I'aspect mys- t6rieux suffit pour effrayer, passaient les fleuves a la nage en poussant de grands cris pour intimider les crocodiles, dormaient au milieu des mar^cages dans une atmosphere de miasmes, se pr^cipitaient sur les sauvages dont chaque coup de fl^che donnait la mort si la blessure n'^tait pas imm^diatement brul6e au fer rouge. Poiu' leur faire oublier joyeusenient tons les dangers terribles qu'ils avaient encourus, il suffisait a ces h^ros d'un pen de poudre jaune ou de quelques pierres vertes. Sans eux, sans leur avidity sans frein, les plateaux de Bolivie, de Quito, de Bogota, les boi-ds de I'Amazoue seraient encore inconnus, et toute la

( 120 ) population hispano-aiiiei'icaiup spimIi dair-sfmee siurle pourtour malsain dii continent. Ainsi le bien est sorii de crimes inexcusables, et la aussi la soif sacree do Tor est devenue iin puissant agent civilisatem'.

Les histoires que nous racontent les chroniqueurs an snjet des immenses ricliesses poss^d^es par les tribiis indiennes fhi (Inndinamarca sejnblent tenir de la fable ; mais tout en faisant la pai-t de I'exageration. il est Evident que Tor etait coinnuni pariiii certaines peuplades. On sail que le cacique des Mu\ seas, autre- ment prodigue que le doge de \'enise, ne se contentait pas de Jeter une simple bague d'or dans les eaux du lac sacr6, mais y plongeait lui-uiejne. apr^s s'etre roul6 dans la poudre d'or.

Si depuis, la production de Tor a diminue dans la Nouvelle-Grenade , c'esi a I'aviditt^ des conqu^rants eux-ra6mes qu'il faut s'en prendie : car, dans leur bar- bare impatience de s'enrichir, ils faisaient travailler les Indiens sans relache ; et quand ces pauvres betes de somme furent niortes a la taclie, les maitres espa- gnols, trop pen nombreux pour exploiter eux-raenies, furent forc6s d'abandonner leurs mines, et bientot les lianas et les grands arbres eurent cacht^ jusqu'aux der- ni6res traces des excavations antiques. Le monopole que s'6tait arrog6 la com- d'Espagne contribnait aussi a diminuer la production de Tor. car ponrquoi tra- vailler qiiand on ne doit pas jouir dn fruit de son tra\ail ?

Cependant depuis la conquete, le produit des mines a d6passe la forto \aloin- de 2 milliards de francs, ce qui donne une inoycnno de 5 millions par an. De

J

( 12-1 )

)ios jours, la production annuelle est de 20 millions, et, pour obtenir cette augmentation remarquable, il a sufli d'abolir le monopole et de substituer des ma- chines an travail grossier do nos ancetres. Bientot, quand les compagnies sauront niioux ntiliser les noii- velles ressources que leur oll'rent la mecanique et la chimie, qnand snrtont rimniigration fournira des bras et des intelligences, le rendement des mines augmen- tera ind6finiment, car il est certain que la Nouvelle- Grenade ne le cede a aucun pays du nionde pour la richesse m6talliftre. Des Californies et des Australies inexplor6es dorment encore sous les grands pics nei- geux de la Cordill6re. Mais leur temps viendra bientot : on lvalue qu'en 1860, la seule province de Medellin produira de 30 a tiO millions.

Cette province, situee an centre nord-ouest de la

r6publique, est la plus importante pour I'industrie des

mines. La deuxchaines projettent leurs contre-forts au-

devant I'un de I'autre et se r^unissent dans un d^sordre

apparent. Les montagnes semblent jet6es au hasard,

et les cours d'eau ont 6te obliges de se frayer un lit

sem6 d'6cueils a travers le \aste massif des rochers.

En se rencontrant conuue deux courants maritimes,

les deux chatnes ont 6galement forme leur toiirbillon,

et c'est dans ce tourbillon de montagnes que se trou-

vent les plus riches mines d'or de la Colombie ; des

failles innombrables, des ruptures de rochers, des bou-

leversements de stratification, tons les mouvements

d6sordonn6s du sol ont sans doute contribu6 i\ la

sublimation des m6taux dans les veines de la terre.

Les m^taux qualifn^s de nobles : or, argent, platine.

( 122 )

mercure, et les pierres pr6cieuses, telles que l'6raeraude pt le saphir, ne constituent pas les seiiles richesses iiiijii^res cle la Nonvelle-Grenade. La formation sali- ffere s'6tend snr unc vaste 6tendne, depuis \e^ bords de la Vladplein^ jnsqu'au milieu des llanos de l'0r6- noque. Le charJ)on de terre se rencontre aussi sur plusieurs points, entre autres siir le plateau meme de Bogota et dans les iles de (Ihiriqui, pr6s d'Aspin- wall. MallieTireiisement il n'y a pas encore assez d'indiistrio ]vmv rendre n6cessaire l'ex]iloitation de toutes ces richesses. Le cliarbon de lerre des ties de Chiriqiii est le seul qui ait 6veill6 I'-attcntion des capitalistes. ••■.■ ,■

Que de tr6sors innlileinent prodigu6s par la nature dans ce beau pays ! Dans la chaine du milieu oil s'est concentric toute I'^nergie volcanique des Andes, ou les monts Purac6, Huila, Ruiz et Tolima t6inoignent par loiH's fum6es et leurs laves de I'activit^ dn travail int6rieur, la terre pent 6tre consid6r6e comme un im- mense laboratoire chimique tonjours i!i IVpuvre pour d^poser dans ses cavit^s ou d6gagcr dans 1' atmosphere des substances min6rales. Que sont les sources ther- males de I'Europe, les jets de gaz hydrogfene de Fre- donia, dans I'Etat de New-York, comparativement aux sources chimiques de la Noiivelle-Grenade? D'aprte Bousshigault, le rio Vinagre fournit par jour 38 tonnes d'acide sulfurique et 31) tonnes d'acide chlorhydrique. Depuis, Degcndhardt ;i d6couvert inie autre source qui donne trois fois phis fl'acide sulfurique, /jOOOO tonnes j);u- .■III. HI' qiioi charL;'')- nuc plus grande armada mie cplle de Philippe II. Kl coml)icu d'autri's sources onssi

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hiiportantes pour rindustrie future n'y a-t-il pas dans ces regions volcaniques oii une simple pellicule terrestre recouvre des lacs de niin6raux en fusion?

5(,

V

Ainsi la Nouvelle-Grenade est riche, riche de tous tes tr6sots de la terre ; mais est-elle salubre ? On ne saurait r^pondre directeinent a cette question ; car tous les climats s'y rencontrent, depuis le plus vivi- fiant jusqu'au plus meurtrier. L'insalubrit6 d'Aspin- wall et de Chagres est proverbiale, et si Panama n'a pas 200 000 ou 300 000 habitants, c'est parce que les Europ^ens y respirent la mort.

Presque tout le pourtour maritime de la Nouvelle- Grenade est plus ou nioins insalubre, a cause des miasmeS palud6ens qui vident I'atinosphfere ; mais aucune region n'est aussi malsaine que la cote du Pacifique, oil les pluies constantes et les for6ts imp(^- ndstrables aux rayons du soleil entretiennentune humi- dite fatale. C'est pourquoi la province de Choco est comparativement inhabitee, malgr6feesTicl]esses min6~ rales : I'or meme n'exerce pas assez de fascination pour y attirer les immigrants ct leur faire braver les dangers du climat,

Dans la Nouvelle-Grenade, le cours des saisons suit r6guli6rement le cours du soleil. C'est la saison plu- vieuse, quand le soleil est au zenith ; mais a I'epoque des solstices, quand I'astre est perpendiculaire a I'un des tropiques, r^gnent les s^cheresses. Dans les re- gions 6quatoriales, une bande de nuages, semblable a

( m )

I'une tie celles que nous voyons sur la ])lan^te Jupiter, s'inlerpose diiectement entre le soleil ot la terro, que pourralt dessecher une clialeur tiop intense; ce voile humide oscille du nord an sud de r(''(ii'ateur fii nieme temps (jne le soleil, et, laissaiil tnniber des pluies abondantes sur les contrees ([u'il omhrage, produit ainsi 1' alternative des saisons. Deux ibis dans I'annee, cette zone de nuages passe sur la Noiivelle-Grenade, avec son cortege de pluie, de grele et de tonneri-e; deux fois elle s'6loigne en laissant derri^re elle une atmosphere pure et d^gagee de vapeurs. Dans la pro- viuce de Clioco, au contraire, les pluies sont con- stantes, et le cours des anuses et des siecles n'am^ne jamais un changement de saison. D'ou vient ce con- traste si remarquable entre le xersant de la clialiie des Vntilles et celui du Pacifique?

II est du k la disposition des montagnes grenadines. Les cinq chaines s'allongent conime une quintuple barrifere pour empecher les vents alises de propager leur courant dans la direction de I'ouest, et les forcent a s'engoulTrer dans les valines de la Madeleine et du Cauca. La cote du Pacifique, paifaitement abrit^e contre les vents frais du nord-est, garde son atmos- phere morte, lourde et immobile. Les couches d'air ne se renouvellent que lentenient, et mainliennent la contr6e dans un bain constant de vapcur. L'inunense bassin de la mer duSud est la pom- i'oinnir sans cesse au soleil qui 1' aspire des torrents de nuages qui bient(')l aprte retomJjcnt en torrents de plnie.

Aussi la region du Parifiquc est-elii' fcilik cnivc. toutes. Des arbres gigantcsques, tollement eidaces des

( 125 ) cordages de liaiies, f(ue la luiui^re y circule a peine, absorbeni par leurs feuilles a\ ides des couraiits d'acide carboiiifpie, et par leurs raciiies entrelac6es s'abreu- venL d'huiiiidite. La tout disparaii sous ]a verdure, les marais eux-in ernes se cacbent sous des forets flot- tantes. Cette exuberance de v(^g6tation est accompa- gnee d'line exuberance de maladies ; les miasmes absorb6s par I'bonime geruient dans son organisme ct se developpent aussi rapidernent que les autres semences.

Dans certaines vallees de I'int^rieur ou ralmospbfere ne se renouvelle pas et laisse Fbumidit^ ramper con- staniment sur le sol, la 16pre, 1' elephantiasis et le goitre torment une hideuse trinity de fl6aux. La 16pre et les maladies qui lui ressemblent peuvent avoir pour cause les piqures des insectes, la inauvaise alimenta- tion, les babi tildes immondes, et peut-etre aussi la degen6rescence des races m6lang6es au basard dans line veritable promisciiit6. II est des bameaiix oil tous les habitants, sans exception, olTrent un aspect ef- frayant avec leurs visages et leurs corps tachet6s comme des peaux de panthfere; leurs vetements en pourriturc se detacbent par lambeaux, et les cabanes oi!i ils gitent sont f^tides et l^preuses comme eux. Leur aspect repugne d'autant plus, qu'ils etalent leur lai- deur au grand air et sous un ciel si beau.

Le goitre est une triste infirmit6, malheureusement tr6s-comraune dans certaines valines encaiss^es de I'interieur, et elle est g6neralement accompagnee de cretiiiisme. Au commencement du si6cle, le c6l6bre C'-aldas, exagerant sans aucun doute, cbsait que, sur

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dix habiiant^i dc la Nouvelle-Greiiadc, il \ avail un goltreiix. Ce serait un lait crop deplorable que la deci- mation d'un peuplc par aiie si laide maladie, pour qu'on puisse cu adiuettre la realite sans des preuves absolues.

Ces tristes maladies n'aflecteiit millement la salu- brite g^nerale de la Nuuvelle-Grcnade, pas plus que ies lifevres de Marennes ou de la Camargue n'aHecteul le climat general de la France. Les plateaux et la pluparl des valines n'en restent pas moins des paradis terres- tres. Dans certains districts, la vie nioyenne depasse cinquante ans.

NuUe part et a aucune epoque de I'annee, les clia- leurs ue devienneut insupportables. Sur les cotes de la mer des Antilles, la chaleur moyenue est de 27° c; jamais elle ne d6passe 37° c; tandis que dans I'int^- rieur des Etats-Unis, a Fort-Gibson, on a vu le ther- mometre indiquer la chaleur infernale de 47° c. Les oscillations des saisons -s'op^rent toujours d'une ma- niere si graduelle, qu'on s'en apercoit k peine, et les variations subites, qui moissonnent tant de vies aux Etats-Unis , sont parfaitement inconnues dans la Nouvelle-Grenade.

Cependant on pourrait faire un reproche k ce beau climat, celui d'etre trop delicieux. L'6nergie physique s'afiaiblit dans la suave atmosphere oil chaque souffle d'air que Ton aspire pioduit uiie douce volupt6. Peut-etre meme I'intelligence perd-elle en vigucur ce qu'elle gagne en 6tendue ; elle devient plus gi^nerali- satrice, niais elle est moins incisive ; il faut que la volont6 r6agisse constamment sur elle, pour I'empe-

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cher de se livrer paresseiisement ;i la jouissaiice egoiste de la vie. Dans les regions temp6r6es, le chaiigement des saisons prodiiit sur I'liomme un effet procligieux : il hate ou retarde I'^laboration des sues, aiigmente ou diminue la combustion int6rieure, faiivarier du tout au tout le genre de vie, transforme la nature dans I'espace d'une nuit, et, sans que I'houime change de place, fait passer tour a tour devant ses yeux les paysages les plus varies. Ces ph6nom6nes divers secouent Thomme dans son etre moral aussi bien que dans son etre physique ; ils donnent sans cesse de nouvelles impulsions a I'intelligence, et celle-ci, sol- licit^e par chaque nouvelle transformation de la nature, pense , et pense sans relache. Le climat de la INouvelle-Grenade , incomparablement plus riche et plus beau, donne k I'esprit plus de grandeur, mais aussi le laisse dans im 6tat de contemplation pares- seuse : il est trop uniforme. Heureusement que cette uniformit(^ disparaitra quand les voies de communica- tion permettront de s' Clever, dans I'espace de quelques minutes, de I'^t^ des plaines au printemps et a I'hiver des plateaux.

VI

Un si beau pays devrait avoir une grande popula- tion, car partout la nature" y invite I'homme ci multi- plier, et lui fournit en abondance tout ce qui pent rendre la vie agr^able. En cflet , lors de la conquete , les villes et les villages 6taient sem^s par miUiers dans les hautes valines de I'int^iieur, et le sol 6tait cultiv6 jusque dans les gorges les plus 6troites ; mais une

( 128 ) poignee d'liommes venus de I'Orieiit suflit pour exter- iiiiner on ie])longer dans la barbarie la plus abjecte ces tribufii heureuses. Les Espagnols soitirent tout a coup des forets de la cote comme des betes f^roces d'une espe.ce inconnue, months sur des aniiiaux superbes, a la cn'iie'-e flottante , a I'wil de feu , poftant des amies terrib'es d'ou jaillissent r6clair et la luort, faisant avec le doigt , sur leur poitrine et sur leur front, uji sigiie mystcrieux qui leur inspirait uv.e rage diabolique. Les Indiens trembl6rent a la vue de ces eflrayants demi- dieux, et se laiss^rent massacrer par niilliers, ou bien encliainer'pour la niort plus lente, niais plus affreuse, de I'esclavage.

Les horreurs de la conquete ont 6t6 partout les mcmes : an Mex'-que, a Saint-Dondngue, a la Nouvelle- Grenade, au P6rou. La ou se presente I'Enropeen avec sa civilisation , il faut que le vide se fasse devanl lui comme il se fait deviant I'oaragan des tropiques. lei on attachait par le cou des centaines d' Indiens a nnc meme cliaine , et quand line de ces pauvres betos de somroe succombaH k la fatigue, on lui coupait la tcte pour s'epargner la peine de d6gager son cou de Vau- neau de fer qui I'^treignait. Ailleurs on faisait traqiier de pauvres fugitifs par des chiens nourris m)iquemeiil de la chair des Peaux louges, et les chiens feroces se jetaient sur leurs victimes, noii [)oui- les dechirer, mais pour les d(5vorer vivantes. Vussi des tribus entieres s'ensevelirent-elles dans les grottes des montagues^ pref6rant niourir do faim que de re>uir le terrible visage des conqu^rants; d'autres tribus, homnies, in- fants et femmes, s'avancaient sur le rebord des preci-

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pices, se donnaient la main pour ressentir une supreme commotion d'amour, levaient les yeiix vers le soleil leur p6re , en le remerciant de son dernier rayon , et plongeaient ensemble dans les prolbndeurs de I'abime. On voit encore leurs os brises au pied des rochers , et parfois les petits-fds de ces memes Espagnols qui les firent perir viennent retourner les ossements, dans I'espoir de trouver (juelque joyau d'or.

C'est avec horreur que nous lisous I'histoire de I'in- vasion de 1' empire romain par les barbares ; maispour les Indiens, I'invasion des barbares de I'Est lut bien plus que la fin d'un empire , ce fut la fin du monde. Les temples furent saccag6s , les villes bruises , les campagnes redevinrent incultes, et des populations entieres furent supprimees. Telle 6tait la mission que le Dieu d'amour avait confine au\ civilisateurs clire- tiens.

D'anciennes chroniques, d'une exactitude fort dou- tfuse, il est vrai, affirment que lors de la conquete, le nombre des aborigines 6tait de 8 millions. De ces 8 millions, il ne resta bientot plus que les tribus in- soumises et de mis^rables esclaves ensevelis dans les mines ; de sorte qu'en 1810, la vaste 6tendue de la Nouvelle-Grenade , pays trois fois grand comme la France , ne contenait plus que 800 000 habitants, Peaux rouges , Peaux blanches et Pea\ix noires. De- puis, dans I'espace de jnohis de cinquaiite ans, la population a plus que triple, et iOOOO individus nouveaux ajoutes par an a la masse des habitants t6- moignent en faveur de la salubrite g6n6rale du pays. Quant a linunigration, elle apporte tout au plus un

Wll. JANVIEU ET lE^RirU. 0. 9

( 130) contingent de 100 personnes chaquc ann6e dan^ la partie conlinentale de la Nouvelle-Grenade. Bientot elle s'y portera par mille et par dizaines de mille.

La population actuelle, de 2 millions et demi d'ha- bitants, est bien peu de chose pour un si vaste pays , oil un denii-iiiilliard d'homnics trouverait sans peine a se nourrir. Toutefois la Nouvelle-Grenade est beau- coup nioins I'aiblement peupl^e que les autres parties de rAm6ri({uc du Sud ; elle pent meme se comparer, sans trop de desavantage, aux Etals-Unis, puisqu'elle contient prfes de 2 habitants par kilometre carr6, tan- dis que la r^publique am6ricaine n'en contient gii^re plus de 3. De plus, il faut remarquer que le pourtour maritime et les vastes llanos du bassin de I'Or^noque sont presque inhabit^s, et que toute la population s'est mass6e sur les flancs uiontagneTix et sur les plateaux des Andes. Dans plusieurs provinces , dans celle de Socorro, par exemple,la population est plus dense que celle de I'Espagne , presque autant que celle de la France.

C'est egalement a la divergence des Andes, a partir du nceud central de Pasto, qu'il faut rapporter la re- partition des habitants sur le territoire de la Nouvelle- Grenade. Sur le plateau de Pasto vit une population compacte ; mais au point ou les Andes se tril'urquent, les villes et les villages se divisent Egalement, et trois Cordill^res d'hommes s'allongent sar les trois Cor- dill6res de montagnes. A I'ouest, se d^veloppe la ligne de population du Cauca , au centre celle de la chaine volcanique et de la Madeleine , k Test celle des hauts plateaux de la chaine orientale. Plus au nord , 1^ ofi

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cette iiieme cliaiiie orientale se divise en deux raiueaux, il se forme aussi deux rameaux de population , dont I'lin se dirige en droite ligne vers la mer des Antilles , tandis que 1' autre se recourbe vers Test, p(^n6tre dans le Venezuela, et coraprend, dans son long d6veloppe- nient , presque tons les habitants de cette r6publiq;ae. 11 en est de meme dans I'^tat d'Antioquia : la ou se reunissent par leurs contre-forts les deux chainesprin- cipales du centre et de Touest, les chaines de popula- tion se rejoignent aussi, et ferment une soci6t6 riche et prosp6re ; tandis que vers le nord , c'est au point ' meme oti les Andes s'affaissent sous les vastes forets que s'^vanouit la popidation, pour ne reparaitre que sur les bords memes de rOc6an,dans les villes maritimes. Ainsi , la densite de la population est dans un rap- port constant avec la hauteur des massifs et des chaines. C'est entre 1000 et 3000 metres de hauteur au-dessus du niveau de la mer que se sont fix6s presque tons les habitants de la r^publique : plus bas, la nature est trop puissante ^ trop riche, le travail ne peut r6agir contre elle ; plus haut, I'atmosphfere est trop rude et le sol trop ingrat; c'est done vers les valines fertiles 6pa- nouies sur le flanc des montagnes que I'homme se sent irr6sistiblement entrain^. Si tout d'un coup la mer sor- tait de son lit et noyait le paysjusqu'a une hauteur de 1000 metres, presque toute la nation grenadine, 6pa- nouie en 6ventail sur I'^ventail des Andes, 6chapperait au deluge; mais si I'Oc^an s'61evait jusqui 3000 metres, quelques patres seulement pourraient voir, du haut des sommets, leur patrie disparaitre sous le chaos des vagues.

( 132)

VII

La popiiJatiou se compose de l}lancs , de iioirs , de rouges et de metis dc toutes les nuances inlerm6- diaires. Les homrnes de race parfaitement ])ure sont pi'esf|ue introu\a])lcs; et. dans cliaque province, I'ab- sorption miitueJIe des races donne aux habitants une physlonomie deplus en plus lioraogenc. Les types ori- ginaires sefondent pour reformer denouveaux types en rapport avec les climals, et dejii la dilTerence de cou- leur n'est plus un signe certain de la dill^rence d'ori- gine. Quoi qu'il en soit, c'est en raison de la couleur de leur peau que les diverses populations se sont 6ta- gees a diverses hauteurs au-dessus du niveau de la mer, de jneme que les fluides distlncts se surnagent I'un r^utre en raison de leur plus on moins grande densitt^. Dans les ports de mer et dans les valines qui pen6trent comme des golfes de verdure entre les chaines divergontes, predominele type noiratre avec toutes ses \arietes, depuis I'athletique Sambo jusqu'au quarteron mince et delicat. A mesme qu'on s'eleve sur les mon- lagnes, on voit le teint de la peau s'6claircir par de- gradations successives : au-dessus de 1000 metres, la population est blanchatre ; au-dessus de 2000, elle est blanche. Ainsi, la nuance de la peau est un siir indice de la capacity des organisations .pour le calorique, et les races plus ou moins melanges s'6tagent sur les j)entes comme un veritable thermom6tre d'hoinmes.

Les anciens maitres du pays, Chibchas, Tunebos, Motilones et autres, sont parsem^s a toutes les hau-

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teurs aii-dessns du nivpaii de la mer, mais ils ne snnt u ]'6tat de race pure, sans melange de sang espagnol. que la oiLi la nature du pays qu'ils habitent les a defen- dus contre I'invasion. Grace a I'insalubrite de leur cli- inat , les Indiens du (Ihoco out toujours repouss6 les Espagnols; de meme le manque d'eau potable a sauve les Goajires de I'oppression, et leslndiens de Casanar." doivent leur liberte a rimmensite des llanos.

Les indigenes des plateaux qui ont survecu aux mas- sacres et a I'esclavage n'ont pas tard6 a s'unir avec les niaitres, et disparaissent I'un aprfes I'autre par suitt' d'une absorption graduelle. Dans la province de Velez, la population se compose uniquement d'Indiens, au nombre de 200 000. Les anciens auteurs nous ra))- portent que ces Indiens 6taient couleur de brique ; ce- pendant, grace a leur melange avec deux ou trois mille blancs , leur peau est devenue semblable k celle des Europ6ens. Ainsi , d'apr^s cette observation , que I'on doit a Ancizar, la race blanche possfede une force d'assimilation tellement puissante, qu'il lui suffit de peu d'ann^es pour transformer la race d'hommes rouges avec laquelle elle se melange. Bientot les Indiens au- ront pacifiquement disparu de la Nouvelle-Grenade, et les deux sangs ennemis , celui des bourreaux et celui des victimes, se seront r6concili6s dans les memes art^res. LeGrenadin, tout fier qu'il est de son origine espagnole, se vante aussi d'etre fils du soleil.

Les Indiens insoumis sont au nombre d' environ 120 000. II en est qui sont tout a fait sauvages, et se vetent d'6corces et de feuilles comme nos premiers p6res. Presque tons se servent, a la cha.sse et dans les

( 13/i ) combats, de fl^clies empoisonnees, dont la pointe sp brise dans la plaie et donne iirevooahlpiiipiit la nioi t. Certaines tribus prt^parent a cet diet le fameux poison curare, d'autresun melange de vonins, d'aiitres encore recueillent I'liunieur acre qui suinte de la peau d'uno grenoiiille inoflensive. Heureusenient ({ne la plupari des Indiens libres sent francs, g6nereux et pacifiques ; il est extremement rare qu'ils sortent des llanos oii les a retbules la civilisation, et se presentent dans luie attitude hostile contre les Grenadins; quaiid ils le font, il est certain qu'ils ont 6t6 provoqu6s par une insulte ou par un crime.

De toutes les tribus indomptees , la plus noble est celle des Goajires. Les honimes de cette peiiplade sont grands, forts, admirablement proportionn6s. Quand ils marchent , on dirait voir des statues de bronze d6ta- ch6es de leur piedestal; quand, penches en avant comnie avides d'espace , ils lancent leurs chevaux rapides a travers la plaine , et que le vent fr6mit dans leur cou- ronne de plumes d'aigle, on les prendrait pour des fds de la tempfite. Jamais ils ne baissent le regard , et si la foudre gronde, ils jettent vers le ciel des tisons en- flanun^s, comme pour rendre k I'esprit de I'orage 6claii- pour 6clair.

VIII

Tout pays isol6 et sans voies de convnuuiication est comme un embryon chez lequel le syst^uie circulatoire n'est pas encore d6velppp6. La Nouvelle-Grenade est un de ces embryons : elle n'a pas encore 6t6 engendr^e k la vie ext6rieure, et ne respire qu'^ demi dans la

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grande atmosphere des peiiples. Par iin contraste 6trange, la nation grenadine peut etre consid6r6e par les Strangers comme un organisme presque inactif, tandis qu'en r6alit6 ceux qui en composent la grande masse sont des travailleurs infatigables. C'esl que la distance r6ciproque des centres de ])opulation 6pars sur nn vaste territoire, la hauteur des montagnes, le mau- vais 6tatdes chemins, Umitent ractivit6nationaledans un cercle trfes 6troit et ne lui permettent de r6agir que sur elle-meme.

Une autre cause de cet isolement prolong^ doit 6tre cherch6 -dans la richesse meme du pays : car tout ce qui est n6cessaire a la vie se trouve en abondance dans cette Am6rique heureuse. Les fruits d'Europe et ceux de la zone torride, jet6s au hasard dans une telle vari6t6 que Tceil d'un botaniste ne peut y croire, se vendent a la fois sur les marches et rempjisscnt r atmosphere des parfums des deux zones. En certains endroits, les sentiers des forets sont tellement jonch6s de fruits , qu'ils forment sous les pas des hommes et des chevaux comme une boue odorante et savoureuse, sur laquelle se pr6cipiteraient avec avidit6 les pauvres mendiants d'Europe. Parmi les productions utiles a I'alimentation de I'homme, il ne manque gu6re aux Grenadins que la vigne et le th6 ; or, il ne depend que d'eux d'acclimater ces plantes ^trangferes qui, dans les jardins botaniques de Bogota, donnent des produits d'un arome exquis.

L' abondance universelle est accompagnee d'apatliie commerciale; car ceux qui n'ont jamais ele j)auvresne tieunent gu^re h s'enrichir. N'ayant besoin que de rares

( l-'^6 )

niarcl)andisps etranf,'eres, les liahitants de ]a N'ouvelle- Grenatlp ne soul ))as tonit'-s iioii plus dVxpt^dier leiiis denr<^es, et qiiclqiies pioduits suraboiKJants desceiuhis par ]a iMadeleine leiir snfllseiU pour payer les achats de laine, de cotoiinadeset de quiiicaillerie tails a I'pxtt' rieiir. En miiltipliant les besoins factices. le pi-ogr^s mullipliera d'aiilanl les achats et les ventos , lout eel ensemble d'echanG,es qu'on pourrait api)el('r la respira- tion d'un pays; car dans la soci(''te tout est actiftii n reaction, choc et contre-choc.

En g6n6ral, les exportations tWiw pa\s peiivont lou- jours donner une id^-e approximali\e de son activity. On pent dire qu'urje nation est d'antant plus elev6e dans la s6rie des nations coinniercantes , que ses pro- duits manufactures depassent en yaleur ses prodiiits agricoles, et que c. x-ci, a leur tour, depassent les pro- duits naturels doni.cs gratuitement par le sol. Sous ce rapport, la Nouve'l -Grenade ofTre une tr^s grande inferiority, puisquj ses exportations se rangent dans un ordre exactement contraire, et que ses richesses naturelies forment les deux tiers de la totality de ses ventes a l'6tranger. L'or, I'^corce de (piincjuina, les cuirs bruts, tous produits plus ou nioins spontan^s du sol, represent ent une valeur de 5 000 000 de piastres : tandis que le caf6 et le tabac figurent seulenient poui- une somme de 2 000 000, et que les chapeaux de jipi- japa, seul article manufacture qu'achtjte I'^tranger, n'atleignent pas une vente de ZiOO 000 piastres. Cliaque Grenadin n'ach6te et ne vend aux autres peaples que pour une somnie de (i piastres, c'est-a-dire quatre I'ois uioins qu'uii Ani('M-icain. sept fois moins qu'un Anglais.

( 137 )

C'est bien pen pour iin si vicliP pays. La Nouvelle-(irp- nade a bien fait de choisir pour embl^me naturel la corne d'abondanre qui Iraiue paresseusement sur le sol, en laissant echapper des fruits an hasard.

Mais rien ne se perd de la vitality des ^^euples , et ces hommes qui passent leurs journ^es a fabriquer le poncho national , nu bien ;i cultiver leurs clianips de mais ou d'arracachas ; ces femmes qui veillent jusque bien avant dans la unit pour tisser leurs chapeaux de jipijapa, sauront aussitravaillerpourle reste du monde avec autant d'assidiiite qu'ils le font aujourd'htii poui- eux et leurs families. Deja les cliangenients s'op^rent d'ann^e en ann6e avec une rapidite proportionnelle- ment plus grande que parmi les nations les plus avan- c6es. Les montagnes se tournent ou se franchissent ; les barques se hasardent au pied des cataractes ; les bateaux a vapeur viennent gronder jusqu'a 800 niilles dans I'int^rieur du continent, sous les rapides de Honda. Le tabac et le caf6 , qui forment aujourd'hui la masse de I'exportation agricole, sont des produits presque nouveaux entr^s depuis peu dans la circulatioJi du com- merce grenadin, et prenant tons les ans une plus grande importance. Dans I'espace des vingt derniferes annees, I'exportation du tabac a deux fois centuple. Sans doute le Sucre aussi va bientot faire concurrence au sucre des Antilles sur les marches d'Europeetd'Am6rique. Main- tenant c'est a peine si tous les manages en mouvement suffisent k I'^norijie consommation locale ; mais d^\k on pent voir en maints endroits la vapeur des usines tournoyer au-dessus des champs de cannes , et bientot les machines en foule sui)pl6eront k la raret6 des bras.

( 138 ) Tons les progrfes des aiitres nations s'accomplissent gra duellement dans la Nouvello-Cirenade et la sonl&vent an niveau g6n^ral. Tel est le privilege des peuples airii''- r6s, ils peuvent (run bond franchir I'espace qn'ont si douloureusement cheniin6 les autres peuples a travers le sang et la niis6re ; le poids des si6cles ne les accable pas, et, jennes, ^ igonreux, ils peuvent, d6s le premier jour de lour vie sociale , posseder la science rjiie les autres out peniblenicnt acquise. C'est ainsi que les Gre- nadins aurontlecheuiin defer avant d'avoir en le sen- tier viciJial, la locomobile avant d'avoir cii la cliarrue, le t6legraphe electrique avant de savoir dechiflVer I'al- phabet. A peine le jeune peuple est-il ne , que toutes les vieilles soci6t6s de la terre viennent disposer Icms tr6sors dans son berceau .

Dn temps de la domination espagnole , tout souffle de vie ind^pendante 6tait soigneusement ^toulT^ par le monopole, toute Industrie ^laitl'objet d'une concession sp^ciale, et le travail lui-meme dtait im privilege. Car- thagene seule avait le droit d'importer les niarclian- dises d'Espagne et d'expedier k la m^re patrie les pro- duits du sol grenadin; de meme , par suite d'une centralisation funeste, Bogota s'6tait empare do tout le commerce int^riem*, et toutes les marchandises, avant d'arriver a lenr destination , 6taient forc6es de d^crire une elli])se a travers la capitale. dependant Bogota , loin d'etre un centre, est la derniere ville projet6e par la civilisation espagnole dans la direction dii sud-est . et plus loin on no trouM' f[ne des plateaux deserts el d'iminensos llanos plus di'scrts encore. Heureusemenl que le commerce va l)ient<)t cesser de fnire un absnrdc

( 139 )

detour par Bogota avaiit d'alimenter les provinces de ]'int(§rieur : on travaille activenient i\ la construction d'nn cheniin qui iniira les riches plateanx du centre directement k la Madeleine, et alors Bogota, forc6nient d61aiss6 par le grand moiivenient circnlatoire du pays, perdra beaucoup de son importance relative, et ne de- vra plus sa population qu'au centralisiue politique. Mais cette p6riode de decadence ne durera qu'un temps etserasuivied'une perioded'accroissement grandiose ; car Bogota se trouve place an divorce menie des eaux, entre les affluents de I'Amazone , de I'Or^noque et de la Madeleine. Quand les bords de ces grands fleuves seront colonists et que les vapeurs reinonteront le Ca- queta et le Meta jusqu'aquelques lieues delacapitale, c'est la que se trouvera le point de croisement entre les trois bassins, et que viendront se rencontrer les pro- duits de Carthagfene, d' Angostura et de Pari. Toute- fois la Madeleine est rest^e jusqu'k nos jours la grande et presque la seule artfere commerciale de la r6publi- que. C'est un Mississipi modeste, sillonn^ par une dou- zaine de timides bateaux a vapeur, et gard6 a son embouchure par la petite ville de Baranquilla , New- Orleans en miniature.

Les quatre ports atlantiques de la Nouvelle-Grenade, Rio-Hacha, Santa-Marta, Savanilla, C.arthag^ne, sont adniirablement situ6s ]mr ra{)port k cette artere cen- trale de la Madeleine, et peuvent etre consid6r6s comme ses quatre embouchures commerciales. L'nn i\e9. bras ou bayous du fleuve debouche pr6s de C4arthag6ne, un autre a Savanilla , un autre encore se dirige vers le beau port de Santa-Marta. L'examen g6ologiqiie dn

( i'»o )

>!ol d^montre qu' autrefois une quatri^nie enil)ouchur( s'ouvrait dans le port meine de Rio-Haclia, et, bien que cette embouchure ait 6t6 o])stni6e depuis par le soul6vement graduel de lacontr6e, cependant le divorce des eaux entre la riviere actuelle de Rio-Hacha et le bassin de la Madeleine est tellenienl peu prononct'' , qa'il suffirait d'une ecluse pour retablir artificiellement I'ancienne bouche du fleuve. Ainsi , les quatre grands ports de la Nouvelle -Grenade, bien qu'espac6s sur une longueur de plus de 100 lieues de cotes, sont ratta- ch6s ou facilement rattachables aumenie fleuve jvir un syst^me d'embouchures et de canaux. Sous le rapport commercial, le delta de la Madeleine est aussi gi-andiose que celui du Mississipi , et, de plus, il a I'avantage de bons ports et d'une mer sans orages. Chose remar- quable et qui pent donner une idee de la ])eaut6 pitto- resque de la Nouvelle-Grenade ! c'est dans ce delta meme, entre ses branches marecageuses, que les cimes de la Sierra-Nevada se dressent a 6000 metres de hau- teur. Pour vous faire une idee de nos paysages gran- dioses, figurez-vous des montagnes d'une lieue et demie d'6l6vation sur le bord du Rhone, dans la (laniargue. Savanilla est aujourd'hui le port le plus impoi'tant de la republique, a cause de la proximite de la bouche principale du fleuve et de la ville de BaranquiUa. l.a noble Carthagfene des hides a beaucoup perdu de lim- portance que lui avaient autrefois procure le iiion(i])ole et son beau port. Ce port est encore tr6s beau , mais , connne frapp6s de d^mence, les Espagnols eu\-meines out fail tout ce qu'ils out pu pour le gutej-. f^es navires pouvaient y p^n^trer jadis par deux entrees. Boca-

I

( Ul )

Grande et Boca-Cliica : la premiere, large bras de mer, etait en outre naturellenient dragu6e et nettoy6e par les vagiies ; tandis que Boca-Chica, etroit goulot ou les navires ne peuvent s'insiiuier qu'en faisant des ma- noeuvres p6rilleuses , s'ensaljle parfois. dependant le gouvernenient espagnol d'alors (1760) fit semer de recifs artificiels la grande entree du port pour le de- i'endre contre les Anglais. On depensa 1 500 000 pias- Ires pour ce travail insense, et niaintenant il s'agit d'en depenser peut-etre davantage pour d^blayer le chenal.

Quant a I'isthme de Panama , on peut le consid^rer apart, care' est un point d'une importance universelle, comme Tisthme de Suez et le d6troit de Singapore : c'est un centre de croisement oil se rencontrent , en tlieorie du moins, les lignes commerciales menses de tous les points de la terre. Aussi, par un acte de gen6- rosite sans exemple jusqu'a nos jours, le gouvernenient grenadin , avant de f^deraliser la r6publique tout en- tiere, a I'ait de Panama un Etat presque ind6pendant, et, renoncant ainsi a ses prerogatives de suzerainete, a misce territoire sous la protection du monde entier, I'a proclam6 un nouveau Delphes, dont tous les peuples sont les Amphictyons.

Elisee Reclus.

( 1A2 ) %otes dc la Ko€*iele

KXTI'.AITS l)i;.S PnOGKS-VKlUiAUX PKS SIUNCE.S.

Sennce du 7 Janvier 1859.

M. G. Poiichet, naturaliste, adiesse ses remercitueiils a la Societt^, qui vieiit de radniettre au nombre de ses niembres, ct liii aiiiionce ([u'il se dispose a faire uii nouveau voyage pour I'avancement des connaissances liiimaines, sartoul en ce qui concerne rethnologie.

M. A. de Lewchine, president dri (lomit^ central de slatisti(jue dn ministfere de Tint^riem', 6crit de Saint- Petersbonrg a M. Jomard, pour le prier d'ofl'rir k la Soci(5te un exenq^laire du Recueil de tables statisliques SUV la Ritssie pour I'annee 1856, qui vient d'etre publie par les soins de ce comit6.

M. de La Roquette annonce que M. Robert Schla- gintweit, auquel il avait demands un aperfu du voyage fait dans I'lnde par ses deux fr^res et par lui, pour etre communique a laSoci6t6, vient de lui transmettre une relation qui a toutefois besoin d'etre revue. Lorsque le travail de revision sera termini, M. de La Roquette s'empressera de le mettre sous les yeux de la Com- mission centrale, ainsi que les rapports adress6s par les trois freres k la Compagnic des Indes. Le m6me membre ajoute que, quoique MM. Hermann et Robert Schlagintweit soient toujours fort inquiets sur le sort de leur frfere Adolphe, lis n'ont pas n^anmoins perdu

(US )

encore tout esiioir k son (§gard ; M. le prince tie Gorts- chakoir a bien voulu les assurer que toutes les d-mar- ches possibles seraient faites par la Russie dans le but d'obtenir des informations positives.

Le meme membre communique a la Commission centrale les renseignements qui viennent de lui par- venir des Etats-Unis sur une proposition faite a la Soci6t6 am6ricaine g^ograpliiqiie et statistique de New- York , et adoptee tant par elle que par la Soci6t6 philosophique et diverses autres Societ^s scientifiques americaines, d'envoyer en 1859 et 1860 une nouvelle expedition dans les mers polaires.

Cette expedition, dont I'envoi est fortement appuye par M. Henri Grinnell, M. le professeur Agassiz et plu- sieurs autres personnages eminents, a pour but de veri- fier et de confirmer la d6couverte d'une mer libre de glaces au nord du Groenland faite par Kane, et que le savant danois Rink a contest6e.

La Society admet au nombre de ses membres M. Au- guste Himly, professeur suppliant de geographic a la faculte des lettres ; M. Alfred Jacobs, docteur ks let- tres, archiviste paieographe, et M. le docteur don Mariano Padilla , professeur de medecine a la faculte de Guatemala.

M. I'abbe Pierre-David Boilat, missionnaire aposto- lique, est presents comme candidat par MM. Jomard et Alfred Maury.

M. le secretaire communique la liste des ouvrages deposes sur le bureau, et plusieurs membres olTrent separement les ouvrages suivants de la part des au- teurs : 1" Geographic physique, economique et poli-

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tique de I'Algerie, i>ai- M. Mac Carthy ; Elements d'une topographie uiedicale de la JNouvelle-Caledonie et de File des Pins, these pour le doctoral en medecine pr6sent6e et soutonuc par L. P. Eugene Vinson, de Sainte -Suzanne (ile de la Reunion); 3" Notice sur la Gazette arabe de Beyrouth, par M. Reinaud, meuibre de rinstitut ; h' Relation de I'ile de Tabago, en 16(56, par le sieur de Rochetbrt, et carte de I'Asie iMineure, en deux feuilles, publi^e en russe par le colonel d'^tat- niajor Wrangel, en 183/1-35, oil'ertes par M.Constantin de Sabir.

La Conunission centrale , conform6nient aiix ternies de son reglenient, procfede au renouvellemeut des menibres de son bureau poui- I'annte 1859, et elle nonnne au scrutin :

President : M, Joniard.

Fice-prcsideiits : MM. d'Avezac et Daussy.

Secretaire general : M. Alfred Maury.

Secretaire adjoint : M. V. A. Malte-Bnui.

La composition des trois sections demeure la meme que pour I'ann^e pr6c6dente : M. de Quatrefages prend seulement, dans la section de publication, la place de M. Daussy, 61u vice-president.

Aprfes r installation du nouveau bureau, M. Jomard adresse au president sortant, M. d'Avezac, les remer- ciments de la Commission centrale; ilajoute que, i)Oui' sa part, il est vivement touche de la nouvelle marcjue de synipathie et de confiance que la Commission cen- trale lui a dunnee, mais qu'il craint que son grand age ne lui permelte pas de remplir ses Ibnctions avec loute I'assiduitc necessaire.

( U5 )

A quoi tons les membres presents ont r^poiulu qu'ils s'estiraent Iieureux que M. Jomard veuille bien conti- nuer a diriger leurs travaux ; que si ses occupations et sa sant6 ne lui permettaient pas toujours une assiduity a laquelle il les a depuis longtemps accoutum^s, les vice-prdsidents s'empresseraient de le suppl6er; que d'ailleurs I'ardeur apport6e constamment, etjusque dans ces derniers temps, par M. Jomard, au sein de la Com- mission centrale, est le presage d'une longue dur6e a sa verte vieillesse.

M. Alfred Maury declare que, frapp6 de la n6cessit6 oil est le Bulletin de recruter d'utiles coUaborateurs, il propose d'augmenter le nombre des membres adjoints, qui n'est encore que de quatre. Cette proposition 6tant jug6e contraire a I'article !x du r^glement int^rieur qui a f]x6 ce nombre, est renvoy^e a la prochaine stance, afm qu'elle puisse etre discut6e par la Commission cen- trale , laquelle sera sp6cialement convoqu6e pour cet objet.

M. le president, en rappelant I'article 'Ih du regle- ment, relatif aux sujets de prix, engage ses collegues a presenter a la Commission centrale les sujets de nature a etre mis au concours dans la prochaine assembl6e g6n6rale de la Soci6t6.

M. d'Avezac donne lecture d'un apercu des travaux qui ont 6t6 entrepris sur I'anonyme de Ravenne.

XVII. JANVIER ET F^VRIER. 10. 10

( ''it? ]

Seniice dii 21 /nm'icr IRaW.

M. Holist, socretaire de runiversitc royale de Chris- tiana, L'Ciit ;i la Soci6te pour lui otrrir ])lusioTirs vo- lumes de la statistique de la Norvege, pidjlies sous les auspices de cette university, ainsi qu'nne carte des royaumes scandinaves au moyen age, j)ar Gerhard Munthe.

M. le marquis de Blosseville <^crit a, la Soci(^t6 pour hii faire honimage de la seconde Edition de son liistoirc tie la coloitisalinn j)cnale et des etahlissemcnis de VJn- gleievre en AustrnUc. Si la geographic, dit I'anteur dans sa lettre, ne tient pas le premier rang dans cette etude, et si elle n'arrivo qu'aprte I'^conomie politique et I'histoire, il a etc du moins consacr6 quelques pages ;\ ses progres et a la m6moire des decouvreurs. W. IJarbie du IJocage est pri6 de rendre comptc do cet ouvrage.

M. Daussy communique ii la Societe, de la part de M. '\nioine d'Abbadie, qui les a recus du R. P. L6on des Avanchers, des documents et inic carte du vicariat apostolique des pays Oromo ou Galla, des pays Saoniali ct de la cote orientale d'Afrique. Malgr6 les errcurs manifestes qui, de son avis, deparent la carte des envi- rons imm6diats de KafTa et de I'intSrieur de ce pays, et la difTicnlt^ de faire coucorder ces renseigncnients avec ceux du savant et z61e missionnairc, M. d'Abba- die pense que la publication de la notice et de la carte ne serait pas sans int^r^t pour la geographic de

( i^«7 ) TAIrique iaterieuie. En consequence, la Coiiiuiission centrale en decide le renvoi au Ballciin.

M. Gabriel Lafond, ministre de Costa-Rica a Paris, communique nn expose fait au congres de cette r(§pu- blique, dans lequel le ministre des alTaires etrang^res et dc I'instruction publjque rend coniptc des relations de son pays avec les autres contrees de rAnierique et a\ec I'Europe, ainsi que de la situation de ^instruction publique, du iiombre des ecoles, de I'avancement des sciences, etc. II ajoute que le president , don Juau Rafael Mora, a fait voter un fonds de J5 000 francs pour le leve de la carte de la republique depuis le lac Saint-Jean de Nicaragua et le fleuve Saint-Jean jusqu'it la province de Veragua dans la Nouvelle-Grenade, -^ Renvoi de ce document au Bulletin.

M. I'abbe Boilat, missionnaire apostolique, est admis dans la Societe.

M. Edouard-Ernest Saillard, attache au ministere des aftaires 6trangeres, M. Alphonse Rousseau, consul de France a Djeddah, et M. le docteur C. Poyet, r^si- dant a Routchouk, sont pr6sentes comme candidats, le premier par M. le conite de Cosse-Brissac et M. le baron d'Avril, le second par MM. Jomard etd'Avezac, et le troisitjme par MM. Bouillet et Jomard.

M. Lefebvie-I)urufl6 fait au nom dc la section de comptabilite, dont il est president, un rapport sur les comptes de J 85 8 et sur le budget de 1859. Ce rap- port, d'ou il r^sulte que I'etat financier de la Society est des plus satisfaisants , I'ecoit I'approbation de la Commission centrale.

II est proced6 a 1' Election des membres de la com-

( "'« )

mission spt^ciale dii concours au pri\ annuel pour la d^couverte la phis importante en g6ograpliie. Scat nouHiies au scrutin membres dc cettc commission : AIM. Daussy, d'Avezac, Jomard, de La Ro((uette et Vivien de Saint-Martin.'

La Commission centrale passe ensuitc a la discussion de la proposition de M. Alfred Maury, relative a I'aug- mentation du iiombrc des membres adjoints de la Commission centrale. Cette proposition 6tant appuyee par cinq membres, conform6ment au r^glement, la Commission decide quelle laissera le cliiffi'e des mem- bres adjoints indetermine, et que, qnaiit au present, elle 6lira quatre nouveaux membi'es. En consequence, une liste de candidats sera dress6e et Ton proc^dera h I'election dans la prochaine seance.

M. Emm. Rey, membre de la Societe , recemment rentre en France apres de longues explorations dans les regions situ^es a Test du Jourdain et dansle bassin de la mer Rouge , pr6sente une analyse geographique de la carte de ces contr6es , que vient de publier M. VandeVelde. Renvoi de cette notice au Bulletin.

M. d'Avezac poursuit la lecture de son tiavail sur I'anonynie de Ravenne.

( m )

OUVR/VGES OFFEIITS A LA SOCIETl

STANCES DE JANVIER ET FEVRIEII 1859.

Titrcs dcs ouvrages. Donaleurs.

EUROPE.

Recueil de tublcs st.itisUques sur la Bussic, pour r;iiiiice I80G, public en 1858 par Ic comild central de slatislique. 1 vol. in-3.

M. DK I.EWCHINK.

Statistiske Tabeller for kongerigct Norgc, 1853, 1854, I8')5, ISoGot 184C-1855. 5 call. in-8. Belaeiituiog og Indslilling fra ilen vcd kongelik Resolution ofSaugust 1 853 ncdfattc Commission angaaende dct oflentlige Fattigvaiseu paa L.andcl. Christiauia, 1850. 1 cah. in-4. Universite rov de Christiania.

Hisloirc et description de la haute Albanie ou Gu6garie, parllyacinthc Hecquard, consul de France h Scutari. 1 vol in-8, avec une carte. Paris, 1859. M. Hecquard.

Souvenirs d'Orient. La Dobroutcha, par le D' Camille Allard. Paris, 1859,broch. in-8. Mission niedicale dans la Tatarie-Dobroulclia, par le D' Allard. Paris, 1857, br. in-8. M. le D' Allaiid.

ASIE.

Documents and fails illustrating the origin of the mission to Japan, authorized by government of the United States, may 10, 1851 ; and which finally resulted in the treaty concluded by commodore M. C. Perry, U. S. Navy, with the Japanese commissionners at Ka- uagawa, bay of Yedo, on the 31 mars 185i, etc., by Aaaron Haight Palmer. Washington, 1857, br. in-8. M. Palmer.

AKRIQUE.

Gtographie physique, econoniiquc et politi(iue de I'Algerie, par M. 0. Mac Carthy. Alger ct Paris, IS08, 1 vol. in-12.

M. 0. M.;c (AiiruY.

( 150 )

Titles des uuira'jcs. Donaleuis.

Notice sur la Socii;t(5 dcs tiiissioiis ufiiiaiiics, p.ir Mgr tie ilariuri-ltr<5- sillac, dv^quc de I'rusc, vicuiio a|)osturKiue dc Sierra-Lcoiie. I. yon, 1838, br. iu-I2. Mgr ne Maiuon-Bresillac.

Nolice sill' la culoiiic ilii Si-iicgal cl sr.r Ics pays (jui soul (ii lelaliuii avcc die, [uir M. L. laidlicrbo, colonel dii ^oiiic, gouvcrncur dii Sem'gal. Paris, \SjO, br. iii-S. M. Ic colour) KAioiiF.nBii.

AMEUIQUI-:.

Hi'latioii de Tislc do Tubayo ou dc la Nouvcllc-Oualcrp, i'uiie des isles Aiililios dc rAiiicri(iiic, pai- Ic sicur de Uoclieforl. Paris, 1660, 1 vol. iii-18. \l. C. Dii Sabiii.

AUSTRALIA.

Hisloire de la coloriisalioii pcuale el dcs clablissoiiiciils dc rAu«lo- Icrrc cit Aii^lralic, |),".r Ic marquis dc Blos.sc\ille, iiiciiibrc dii corps Icgislalif. Paris, ISo!), 2 vol.in-8. M. Ic iiiariiiiis dc Bi.ofSiiviLLE.

Ktcmcnts d'une lopogriipliie iiicdicalc de la NoiivclIcCalcdonie cl de rile dcs Pins. Tticsc pour le doctoral cu imnhciiic, presentee rt soutcnuc le 'JO mars IsriS par I.. P. luigenc Vinyon, docteiir en medeciiic. Paris, 185S, iii-l. M. Llgese Vixso.n.

VOYAGES Dii: CIUCUMNAVIGATIOX.

Voyage aulour du inoiide sur la fregate auddoisc VEiujenk, exdcule peudanl les aiinccs 18o1-18j3, sous le coruuiaudcineul dcC. A. Vir- gin, public par ordre dc S. M. Ic roi Oscar 1", par rAcail(''niic royalc dcs sciences dc Slockholm. Stockholm, ls38, u" I a 5.

L'Aca'iisiu; nov. uiis sciencks.

OUVRAGES GENER.XUX, MELANGES.

Physikaiske nieddelelscr ved Adam Arndtscn. Efler Foranslaltning af del akadcmi^kc (;ollegiuni udgi>nc af l)"^ Chri.sloplier llansleen. Chribliania, 18j8, br iii-i. L'U.sivcRsirii dk Ciiiustiama.

I

( IM )

Tiires lies uuvrayc^. Donalcurs.

Rapport 111 a I'Acaddmiedcs iiiscriplioiiscl hcilts-Iotlros <lai)s la seance puliliqiie ilii 13 novcnibre 185S, au iioni de la coininissioii iliaigt'c d'cxainiiicr Ics tiavaiis cnvoycs par li's incinbrcs de rccolc fran- Caisc d'Alhenes, par M. Guigniaut. Br. iii-4. M. Gdigniait.

Niilicc sur la gazcUc arabc deBeyroiilh, par M. Rcinauil, nicmbrc do rinslitiU. Paris, 1858, br. in-8. Ouestion siicnlifiquc et per- soniiello soulcvee ou sein dc I'luslitut par MM. Guigniaut et Sta- nislas Julicu, avccia roponse dc M. Reiiiatid, nicmbro de I'lnslitut. Paris, 1859, br. iii-8. M. Reinai'd.

Hints to craniographers, etc., by J. Ailken Meigs, M. D, Philadelphia, 1858, br. in-S. M. A. Meigs.

Organisation und I'ortschrist der militarisch Kartographischen Arbei- teain Osterreich, von August v. Fligely. Wien, 1859, br. in-8.

SociiiTii GiinGn, de Vienne.

CARTES.

Noregr, Sviariki, Danmork, historisk ovcrsigtskart ober detre nordiske Riger i Middelaldercn. Til skolebrug udarbeidct of GerhordMunthc. 1842. 1 feuille. Universite de Ciiristiania.

Carte de I'Asic Mineure, par Wrangcl, en 2 fcuillesct publico en russc.

M. C. DE Sadir.

ludcs. Colonies anglaisos, feuille 25 de I'Atlas universe! drcss^ par Dufour et public |)ar Pauliii et Lc Chevalier, 1 feuille.

MM Paui.in ET Le CiiEVALn:n.

MliVlOIRES DES ACADEMIES ET SOCIETES SAVANTES, RECUEILS PERIODIQUES.

Bulletin dc la classe physico-malhiiniatique dc I'Acadiimie impdrialc des sciences dc Saint-P(?tcrsbourg, tome XVI. Proceedings of llic Royal Society of Edinburgh. Session 1857-58. Pajjcrs read to the Botanical Society of Edinburgh, by George Lawson, 1858. Proceedings of the Royal Geographical Society of London, octobre 1858. Journal of the Franklin Institute of the State of Pennsyl- vania. Novcnibre ct ddcembre 1858, Janvier 1859. Mitthcilungen

( i^v> )

litres des ouvrages. Donateurs.

Uber wichiige neue Errorsiliungcu auf dem ncsammtgebiete dcr Gcographie, voii D' A. Pctermann, X, XI ctXll, iSjS.'— Zeil- schrifi fur allgcmciiic Hrdkunde. Sc|)lcmbrc ct octobic 1838. AbhandbiDgeu fur die Kunde dcs Morgenlandes hcrausgcgebeii von der Deutschen morgcnlandischen Gesellscbaft, vol. I, n" 4. Uebor dasCatrutijaya Mahatmyani.— Nolizblatt dcs Voreinsfar Erdluinde, ii"s 17 a 20. Bijdragcn tot de Taal Laudcii Volkeuliuiidc van Ncderlandscb lndio. Ainslprdam, 1858. 1 vol in-8.— Bibliothcquc universelle, revue sui.sc ct (5traiigerc, mai a decenibre 1858. Annalcsducominerceextcrieur.octobrc, novoinbrccldecembrel858. Nouvelles Auiialcs des voyages, noveiiibrc et decembre 1S58, Jan- vier 1839. Anuales bydrograpbiques, 1857 ct 1838. Revue co- loniale, novembrc et ddcenibre 1838.— Bulletin do la Soc\6li gdc- logique de France, decembre 1838. Aniiuairede la Societemdli'o- rologique de France, decembre 1S58. Revue de lOricnt, de I'Algeric et des Colonics, scptembre, oclobre, novenibre ct dii- cembre 1858, el Janvier 1839. Revue am^ricaine ct oricntale, oclobre, novembrect decembre 1838. —Journal asiatiquc, vol. XIl, 1838. Bulletin mcnsuerde la Socicte imperiale zoologiquc d'ac- dimatation, novembrect decembre 1858. Aunales de la propa- gation de la foi, Janvier 1859.— Journal des Missions dvangdliques, iiovembre et decembre 1858, Janvier 1859. Journal d'cducalion populaire, novcmbre et decembre 1S58, Janvier 1859. M(?moircs de la Societe impc^riale des sciences uaturolles de Clierbourg, vol. Ill ctIV, Memoircs de la Societe d'agricuUure, commerce, sciences Claris du ddparlement de la Marne, aaaic 1838. Journal dcs connaissanccs utiles, decembre 1858, Janvier ct rdvricr 1859.— L'lngcnieur, revue scienlifique et critique dos travaux publics et dc rinduslrie, novembre el decembre 1858. Journal de I'istbme de Suez, a" 39 i 64. b'Espdrance, journal grec, u'* 1 U a 12G.

Les Autkl'rs et Cditei'bs.

BULLETIN

DE LA

SOCIETE DE GEOGRAPHIE.

MARS 1859.

lleiiioires, I%'otice!$, etc.

ESQUISSE GEOGRAPHIQUE

DES PAYS OROMO OU GALLA, DES PAYS SOOMALI, ET DE LA COTE ORIENTALE d'aFRIQUE,

Exti'aitd'uneleltrecluR. P. L(5onde3 A\ anchors, missionnaire apo'stolique, ;i M. Anioine d'Alibadie.

Aden, ce lOd^ceinbre 1858.

J'ai recuici, a mon retoiir de Zanzibar, votre letlre du 22 aOLit-, je quittais momentan6ment la cote pour revenir k Aden, afin d' avoir des nouvelles des mis- sionnaires qui m'avaient et6 annonc6s, et j'ignore en- core quand ils seront envoy6s, la mission venant d'etre confine a des Ptjres de I'ordre de la Providence de France.

II serait trop long de vous d6tailler dans inie lettre les d^couvertes importantes que j'ai faites dans ce pays, sous le double point de vue g6ographique et reli- gieux, ayant 6crit k ce sujet un long m6moirc que j'ai

XVII. MARS. 1. li

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atlress6 k rauvre de la propagation de la foi. Cepeii- daiit , comme vous portez un grand inWret k tout ce qui regarde la difluslon de I'Evaugile et les progr^s de la g^ograpliie, je vous donnerai quelques explications sur la carte que je vous ai promise et que je vous en- \oie ci-jointe.

D'apr^s les connaissances que vous avez du noi'd de cette region, vous pourrez la rectifier et corro- borer ainsi les d6couvertes que j'ai faites dans le sud. Pendant tout le temps de mon voyage sur la cote, tout mon temps et tons les moyens qui ont 6t6 en mon pouvoir ont ete employes k me rendre comptc de la geographic de ces pays, non pas tant pour bien ni6riter de la science que pour r^veiller 1' atten- tion des sup6rieurs des missions sur ces pays tout k fait inconnus , et ou cependant existent des traces de notre sainte religion , et pour nous ouvrir une voie de communication avec les missionnaires de Rafia. Dans ce but, je me suis mis en rapport avec tons les chefs de cara^anes qui p6n6trent dans I'int^rieur du continent. Plusieurs d'entre eux m'ont trace des cartes qui avaient toutes la meme forme et qui, a quelques corrections pr6s, ont la plus grande ressem- blance avec celles des missionnaires protestants et avec celle de M. Mac Queen jointe k I'ouvrage du capitaiiie Harris.

Mais le chef le plus intelligent que j'aie rencon- tre, est certainement IJa(/ji Abd-el-Nour, cheikh de Brawa, qui m'a donn6 de nombreux renseignements ; il m'a trace une carte qui atteste la connaissance de tous les pays qu'il a parcourus : il m'a raarqu6 le

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cours des rivieres, leurs affluents. J'ai egalement pu recueillir les distances des divers pays et des positions connues des pays du GouraqUe, d'Harar, de Kafla, des Berry et de Ramba, an sud de I'^quateur; j'ai pro- c6d6 k I'inconnu.

Les Soomali comprennent trois gran des divisions : les descendants d'Isaak par des femmes Gallas, qui sont les Habr-Owel,IesHabr-GlierajesetIes Habr-t-Aljaleli, qui liabitent de Zeila a Ras-Meta.

Les Soomali descendants de I'Arabe Tarood par une femme Hawa, a savoir les Ahl-AVursungali, les Mejer- tain, les Dlioolbanti, habitant a Test des pr6c6dents.

Les tribus sud descendants de diverses migrations arabes m6lang6es avec les aborigines ; la principale tribu est celle des Gidar-Boorsi.

La cote nord du pays des Soomali est bord^e par une haute chaine de montagnes appelee Gol^s , qui , . dans plusieurs localites, est perpendiculaire a la mer, et dont les flancs sont couverts d'arbres a encens et a gonnne ; toutes les villes , ou mieux les villages , sont composes de huttes de paille prot6g6es par une ou deux maisons de pierre. Le principal endroit est Berbera, oil il se tient une grande foire, de d6cembre en avril,

Les environs du cap Gardafui sont de hautes mon- tagnes de 5000 k 6000 pieds : elles sont calcaires et couvertes d'arbres k encens et a gomme. De nombreux villages sont situ6s au sud de Ras-Fel. La cote Est est entiferement sablonneuse, de Bas-Hafoon a Moge- discha : elle est appeld^e par les indigenes J-n/ia, d'ou est venu I'Ajan des Europ6ens.

Mogedischa , appelee par les indigenes Madischa

( 156 )

(eau du roi), fut la [)rciniL'i-c et la plus iinportante ville de la cote ; elle est encore la capitale de Y jizana, et son emplacement doit correspondre a \ Esseiiid du Periple. L'ancienne ville est en partie ensevelie sous les sables que les vents du S.-E. y amon- cellent en grande quantit6 , et qui forment derri^re la ville des montagnes mouvantes. U y existe encore des monuments qui doivent remonter k une trfes grande antiquity ; ce doit etre des tombeanx ou des temples ; ils sont iiiaintenant a moiti6 ensevelis sous les sables. Dans I'int^rieur, il y a, dit-on , des inscriptions en langue abvahamite ou himyarite, en 6thiopien et kou- fique. Ces monuments sont construits avec de larges pierres qui out du etre apportees d'une grande dis- tance. On y entre maintenant par les fenelres.

Voici un proverbe arabe sur cette ville : Madischa rase/ niedinn knul innm, fern ltd ze/ia , koid ioitiii ful- tena ^va Dana. Cest-a-dire :

<( Madischa, la tete des villes, tous les jours joyeuse et bicn vetue, toujours bavarde ot batailleuse. » Les Makida des cartes sont les habitants dc cette ville.

Les principales villes de la c6tc sont, apr6s Moga- discha, Merka et Bj-awa. Merkn parait avoir eu une certaine importance dans les temps passes; elle est assez bien batie et est entour^e d'une muraille. Les Maracates des cartes sont les habitantes de cette ville.

Toute cette partie de la c6te est trfes peupl6e et a de nombreux villages. Umwa est la ville et le port les plus impoi'tants de tous les pays soom&li. La ville a deux gouvcrneurs : un arabe , paye par le sultan de Zanzibar, dont le pouvoir est nul, et qui en m6rne temps

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percoit un cenaiii droit sur les marchandises arabes qui y sont importees. Les habitants de cette ville en- tretiennent un grand commerce avec les Gallas par la voie de Ganana.

Prfes de Brawa se perd dans les sables le JVebi- Sooiiiala, par une serie de petites lagunes dont les plus grandes sont appeldes Gido et Acha. Ce lleuve prend sa source dans les montagnes de Balli, traverse les pays Soomali du nord au sud. D'apres les traditions locales, son embouchure aurait 6te, dans les temps anciens, au nordde Magadischa ; mais peu a peu les sables rejet6s par I'ocean lui firent prendre un cours parallfele h, I'oc^an.

Le trajet de Brawa a Ganana par caravane se fait en douze et quatorze jours ; un liomme a pied emploie la moiti6 de ce temps. Les articles de commerce sont les toiles crois6es am^ricaines, ajDpel^es nxtnloiif ameri- cnno, et les verroteries.

Le pays s'616ve graduellement , et on rencontre sur la route trois hautes montagnes de forme conique, qui , sont Hakabo, Hebo et Degis. .'Vu nord de ces mon- tagnes, habitent les Rahouin-Soomali, qui sont conti- nuellement en guerre avec les Gallas.

Aprfes avoir passe une autre montagne, on arrive sur les bords du IVehi-Jub. Ganana ou Ganaiie est un ^illage du pays de Louk, presqu'ile form^e par le IFcbi-Jiib. Ce village est compost d'une centaine de maisons. Soomali est entour6e d'un mur en terre et pierre de la tribu ties Jirat-llogle. Lc sultan porte le nom d' Oiiieroanoic.

Le U'eb.-Jiib, qui se jette dans I'Oc^an, a quelques

( 158 ) mimiies sud dc I'^ffuateur, recoit chez les Sooniali le iiom de IFebi-Gnnnna ou JVebi-Jub, et des Europ^ens, celui de fleuve Jub , du nom d'un village soomali situ6 prfes de son embouchure. L' entree dn fleuve est obstru6e par un banc de sable que Ton ne pent fran- chir qui haute mar6e, mais qui est presque insensible dans la saison des vents du nord.

Dans le centre du fleuve, en face du village Jub, est un petit Hot habits par les Wardai-Gallas.

Le Jub esttr^s large et pro fond, et navigable pour les grands bateaux jusqu'a Ganana; il forme de noni- breux detours; plusieurs branches sc dirigent le long de la cote et doivent recevoir les rivieres Maro, Tabedo, Burgno , Anole , qui se jettent dans I'oc^an entre la pomte nord de I'ile Pata et Jub.

D'aprfes les indigenes, I'Ozi, qui a son embouchure dans la bale Gormozn, serait identique au/«i, oumieux il y aurait communication entre les deux fleuves par une branche transversale. Et comme entre ces deux points le pays est trfes bas et tr^s plat , il est probable que la communication a lieu par des bras de mer, dont plusieurs s'avancent a plus de \h millcs dans I'int^- rieur des terres. Toute cettc partie de la c6te est la moins connue des Souah61i, les Gallas qui I'habitent ne laissant p6n6trer chez eux aucun Stranger. Le Webi- Jub s6pare les Soomali des Gallas ; sur la rive droite il y a de nombreux villages qui entretiennent un com- merce assez considerable avec les Wardai.

Au nord de ces villages, est la chahie Kouret^, qui, dans sa partie ouest, forme la presqu'ile de Louk. De 1;\ le fleuve prend unc direction N.-O. Sur la rive droite,

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a deux jours de Louk, est le village de Degreba, liabit6 par les Gallas. A une jouni6e plus liaut, se trouve le confluent du IVehi-Juh avec la riviere Sasva ou Daouai, grand affluent venant du c6t6 de I'ouest, qui, dans son cours sup6rieur, recoit \ Afalata et VJt'oita, et ce der- nier le So/corn, \e Monnora et le Gorjoa. Ce lieu parait etre le pays de Daouaro, c6l6bre dans les annales 6thio- piennes par les victoires du N6gus Jmeda-Sioju

Au confluent du Webi et du Dnoua, est situe le pays de Mara. II est compris entre les rivieres Daoua et YAvoita; ce pays porte le nom d'Odo le petit. Je crois que le terme Odo signifie, en langue kua/i, montagne. Celui qui est compris entre le Daoua et le JFebi porte le nom d^Odo le grand, et encore de Did-al-Liwen, C'est 1^ que, tous les ans, les Gallas se -rassemblent pour c6l6brer la fete de la riviere Daoua; elle con- siste en danses et courses de chevaux. II y a encore dans cette region une grande foret d'arbres cam's, dont le fruit ressemble au gland du chene; je lui ai trouve une grande analogic avec les chataignes.

Le fleuve Jub prend sa source dans le pays de Kaffa, traverse un petit lac , au dela duquel sont des cata- ractes ; il recoit deux affluents , YJbouIu et le Bou- chnne. A une jom'n6e de distance au nord de Mnra, il recoit* un autre grand affluent venant du N.-N.-O., appel6 IVebi-Simana. Dans les pays compris entre ces deux riviferes sont les Koocha, quiforment un royaume galla ; ce sont de grands cavaliers, qui portent des v6te- ments de couleur rougeatre ; au-dessus sont les Walamo ou IVaramoi. Tous les pays a droite du // cbl-Sidama sont habitus

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par diverses tribus du nom de Sidama; ils paraisseut avoir 6t6 d'anciennes provinces de I'empire ^tliiopien. Ces pays sont Sidama, Kurchassi, Bahargamo (la mer fondue), Balli , Sngania. Ce fleuve revolt d'autres affluents venant des montagnes sud du Gouragu^.

Les Sidama, qui liabitent acinq joiirnt^es de distance de Mara, ont une langue 6crite et des livres. Les Soo- niali appellent cette langue abrahamine (ils donnent le ni6me nom a la langue liimyarite). Peut-etre ces peuples auraient-ils conserve les anciens caract^res de cette langue ; ils paraissent etre clir6tiens.

Les Sidama cultivent les grains et sont repr6sent6s comme des tribus tr6s paisibles.

Au midi de KafTa, est un pays qui parait 6galement habit6par des Chretiens ; il est appel6 Sasa, Sasouson Sako. Plus au sud, en est un du nom de Jf'aragua ou JVaratn; et qiiatre jours plus au midi, se trouvent les pays des ^/iiahara etdes Ao/iso.

Les pays situ6s au sud du Webi sont habites par les Gallas, qui se donnent le nom d'Oroma ou Orma. Au dire des Soomali, ceux-ci ont occupe anciennement Beibera, Dajis leur emigration meridionale, ils chas- strent devant eux toutes les petites tribus qui se trouvent maintenant au sud de Monbaga, entre cette ile et la riviere Pangani. Au xv sitele, ils furent repous- ses dans le nord par les Massai et les M a-Kuali , et firent irruption en Abyssinie.

On donne pour le pere des (iailas Oromo ou Onna, qui out (juatre fds : Boren, Wardai, Arousa et Jiajan, tk; ({ui (lescendcnt, dit-on, toutes les aulrcs tribus gallas.

( K^l )

Les Boren habitent \ Ard-el-LUven et s'elendent a I'ouest cle Louk. Leur peau est rougeatre, ils ont les traits r^guliers et laissent croitre leurs cheveux; ils portent des pantalons et par-dessiis iin large manteau qu'ils appellent woia^ et qui a plusieurs bandes rouges dans le bas. Tous les iieuf ans, ils choisissent leurs chefs, a qui ils donnent le nom de Motti. Les Boren en ont vingt-quatre qui, en temps de guerre, font cause com- mune, lis donnent a Dieu le nomde IJ ak. La personne d'un Stranger est, chez eux, sacr6e. Leurs richesses consistent en nombreux troupeaiix, sp6cialement en clievaux ; ils sont tous nom'ades. Leur pays , d'une grande salubrity, est un grand plateau qui s'6tend jusqu'au pied des montagnes des Amaliara et des Kovso. De Brawa chez les Boren, il faut constam- ment monter. De la chez les Rendil6 , il faut au con- traire toujours descendre.

Les Arousl ou Arousa sont des Gallas qui habitent au nord de Louk, \ Test des SUlama; leur pays est trfes montueux , et ils sont en guerre continuelte avec les Soomali,

Les Jiajan habitent le haut du DUl-el-Liwen , le cours sup6rieur de tous les affluents du Jf'ebi-Jub et du Daoua, et le versant des montagnes qui forment la separation des eaux qui se jettent dans le Bahar-el-Abiad et le Jub. Les principaux pays sont Sa sou ou Sakou et IFaragua.

Au sud de ces diverses rivieres, sur les derni6res montagnes, avant d'arriver au lac Boo, se trouvent deux peuples qui doivent etre d'origine 6lhiopienne. Ce sont les Amakara et les Konso. lis ont une langue 6crite et poss^dent des livres. lis sont a vingt journees

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d I'ouest de Ganan6. Leur pays est tr6s riclie en grains et en caft; d'une qualit6 trfes superieure a celui de Ber- bcra. Ces indigenes habitent dans de grands villages dont les maisons sont en terre et en pierres. Les chefs portent le nom de Fagele. Ces pays jouissent d'un bien- etre et d'une civilisation tr6s superieure a celle des tri- bus environnantes. Le coton y abonde, et les habi- tants I'abriquent eux-ni6nies leurs toiles.

Les Soomali ne sont point admis cliez ces peuples. Les Konso, les Amahara, de meme que les Jiajan, les Boren , portent pour vetements des pantalons , et les Soomali, en se rendant chez ces derniers, sont obliges de disposer leur toile de cette mani^re. La selle et le harnachement des chevaux des Amahara et des Konso, leurs armes oflensives et defensives, sont comme celles des Abyssins. Au delcid'y^w2rt/<ara,est un grand (leuve sur lequel il y a de grands bateaux qui viennent du pays de Masser.

A I'ouest des Amahara et des Konso, sont les Arbore- Gallas, qui se subdivisent en Oditou, Malmale, Karaiu, II y a chez eux beaucoup de doura et de nonibreux troupeaux. lis ont pour tributaires les Jmamkokc. A I'ouest, sont diverses tribus de n^gres, telles que les Koitle, les Meronle, les Galaba, les Semidero. Chez ces derniers, lorsqu'un homme vient a mourir, on ense- velit vivante sa femme avec lui. Les Semidero inangent les chiens, les serpents, les anes et toutes sortes d'ani- maux immondes.

Le mont Tertal6 est habit6 par les Boren. De \k il faut une journ6e pour descendre au plateau sur lequel est situ6 le lac Elbbb. Au pied de la montagne ,

( 163 ) k son extr^mite orientale, est un puits de sel natron appel6 Ma^ad. Les Soomali m61angent ce sel avec du tabac. II y en a deux autres k Makahw et Koroule.

Le lac Boo est le meme que le lac Abbola marqu6 dans le bassin du Bahar-el-Abiad. Seulement sa posi- tion est beaucoup plus sud ; car dans le pays des Boren, il n'y a aucun lac.

J'ai vu des Souah61i qui se sont rendus plusieurs fois en cet endroit. Hadji Abd-el-Nour m'a dit qu'il fallait cinq jours pour le contourner. II en sort un grand courant d'eau qui va se jeter dans le Nil, et les habi- tants affirment que Ton peut aller de la en bateau jus- qu'a Masser.

Les environs du lac sont habitus par les Rendile- Gallas, qui sont de couleur rougeatre, portent de longs cheveux et ont de nombreux troupeaux. A Test, est le pays de Did-el-Salmat et des Wardai-Gallas , qui s'6tendent jusqueprfes de Monbaca.

Le lac Boo est entour6 par de tr^s hautes montagnes coniques, dont les plus hauts pics sont converts par des neiges. Elles portent les noms d'^«/:o, Souk, Abaio- Derlou, Fertito-Merele, Merondadi et Soiikou; ces trois derniferes n'ont pas de neiges,

A la montagne Jnko, prend naissance une autre ri- viere qui coule dans la direction N.-O. Pr^s de \k est un petit peuple, les Wa-Berikimo. Cette riviere doit etre celle des Pygmies dont parlent les g^ograplies arabes.

A plusieurs journ6es au sud du lac, est une petite chaine de montagnes appel6e Obada , dont quelques sommets ont 6galement des neiges. Dans ces montagnes

( 16/i )

est le pays de Dar-el-Shiani, ou encore P.'nder-Sinani. Au sud-ouest de lamontagne est le pays de Baharingo, prfes duquel il y a un grand lac.

Au sud de la niontagne est un volcan en activite, et aTextr^mite estde la cliaine, Tuie source d'eau cliaude.

Tons les pays au niidi du lac Elboo sont habiles par les Wa-Kuafi (uri signilie peuple). Ces tribus sont aborigenes. Le pays d' E/^'og, au nord de la montagne Kourtainc , parait etre leur veritable patrie, lis out la plus grande ressemblance avec lesGallas, soitpar leurs mcEurs, soit par la physionouiie ; ils difl'tjrent par leiu" langage. Ils s'appellent eiix-menies Eloigol (hommes libres) , et se subdivisent en deux grandcs tribus : les Massed et les Knafi ; la premiere est la terreur de toutes les paisibles tribus du bord de la raer, ou ils se rendent annuellement pour voler leurs troupeaux.

Au nord de la montagne Kourtaine est un lac dans lequel prennent leurs sources YOzi , le Sabaki et le Pengani, qui, dans leurs cours superieurs, ne ferment qu'ua seul cours d'eau, puis se subdivisent en trois grands fleuves qui recoivent de nombreux' affluents et se jettent dans I'oc^an Indien : YOzi dans la baie de Formosa, par deux embouchures; le Sabaki pr6s des ruines de Malindi, et le Pangani i I'ouest de la pointe nord de I'ile de Zanzibar.

A Test du mont Kourtaine, est le pays de Kamba, et, en redescendant le long du fleuve, sont les Barva- ratra-Gallas, qui forment les dcrni^res tribus galla dans le sud de I'^quateur. J'ai rencontre plusieurs de ces indig{!nes a Takaongo, prtjsde Malindi; ils avaient tout le type des Abyssins.

( 165 )

De r^quateur k Monbaca, tout rinterieiir dii pays est

occup6 par les Gallas-^^ ardai ; les bords de la mer le

-sont par quelques tribus aborigines. Les Soiiah61i mii-

sulmans habitent les iles Kisanio, Tbola, Faza, Sivy,

Patta, Lamo. L'ile de Patta est tr6s grande, basse et

sablonneuse ; elle a trois villes a moiti6 d6truites, qui

sont S^vy, Patta, Faza. Lamo est aussi sablonneuse

et couverte de mauvais cocotiers. Les sables ont ense-

veli I'ancienne ville, dont on voit encore les mines.

Derrifere ces iles, de nombreux bras de mer s'avancent

a plusieurs milles dans I'int^rieur des terres. L'ile de

Manda est 6galement basse, mais couverte d'une tr6s

rlche vegetation.

Les bords du fleuve Ozi sont babites par les Pokomo, peuplade aborigtjne tributaire des Dnni-Gallns. Le long de la bale Formosa habitent les Dahalo, qui sont tributaires des Bararatra-Gallas. Malindi est situ6e sur le bord d'une mauvaise rade, au sud de I'embouchure du fleuve Sabaki (ou Saba), sur les rives duquel 6tait situ6e la capitale des pays Zingy, lieu qui doitcorres- pondre au Rapia-Metropolis duP6riple ; je n'y ai trouv6 que des restes insignifiants de maisons , de citernes et de mosquees. Cependant, au nord de la ville sont deux beaux tombeaux surmont6s de deux colonnes en briques, et au sud, une tr6s haute colonne en macon- nerie, surmont6e d'une croix latine. Ce monument a et6 erig6 par les Portugais et porte le nom de yasco- de-Gama. Toute cette cote d'Afrique est couverte d'une belle et riche vegetation; elle est assez saine ; mais plus on s'avance dans le sud, les fleuves deve- nant plus nombreux et les pluies plus fr6qucntes, plus

( 166 )

'air est impregn6 d'humiditc et les fifevres plus fr6- quentes.

L'ilede Monba^a pr^sente denombreusesruines por- tugaises, et principalement un magnifique fort sur la porte duquel est une inscription rapi)elant les faits d'armes de cette nation jadis si celebre. Les environs sont liabit(^s par les Wanika et autres tribus paiennes cliez lesquelles les missionnaires protestants onlouvert une mission qui jusqu'a ce jour n'a pas fait grands progrfes.

Le pays compris entre Moubaca et Pangani est d'une grande fertility et est de toute beaut6, 6tant 6lev6 de 700 k 800 pieds au-dessus du niveau de I'Oc^an. II est habit6 par les debris de tribus qui r6sidaient ancien- nementa I'ouestde Lanio, sur les bords du fleuve Ozi, d'ou elles ont 6t6 chass6es par les Gallas.

Au sud du cap Wasin commence le pays de I'Usam- bara (pays bris6) , qui parait avoir une grande analogic avec I'Abyssinie. II est form6 par de tr^s liautes mon- tagnes de 2000 a 3000 pieds d' altitude, qui courentdu sud au nord, comprenant entre elles de larges vall(5es arrosees par de nombreux torrents. Ce pays est divis6 en deux parties par la large valine de Karenge. La partie littorale porte le nom de Bandei; elle est habitec par les Wa-sinji. La partie ouest porte plus exclusive- ment le nom d' Usambarn.

Ce pays est le seul de toute la cote orientale, ou il y ait un roi exerf ant une v<^'ritable autorit6 sur son peui)le ; son pouvoir resserable a celui du roi du Sclwa. 11 y a dans r Usambara dcs villes de refuge et un espece de code, qui semblc annoncer les restes d'une ancienne

(167)

civilisation. Ces peuples n'ont aiicune religion. II < est de meme de toute's les autres tribus de la cote qni n'ont point d'ailleurs de gouvernement. Au sud de ces belles et hautes montagnes, coule tranquillement le fleuvePangani, qui recoit de nombreux affluents venus des montagnes d'Usambara, de Leite et des Jngga. Dans ce dernier jaays, est la haute montagne AwKelimanjaio dont les sommit^s sont couvertes de neige, ainsi que Font reconnu les missionnaires protestants Krapf et'Rebmann.

A I'ouest des Jagga, sont les Massai. Tout leur pays estconstitu6 par de vastes plateaux s'6levantinsensible- ment vers I'int^rieur du continent et converts, de dis- tance en distance, par des petites chaines de mon- tagnes, isol6es les unes des autres.

Le grand lac africain est situ6 k I'ouest de Zanzibar, ^troismois de distance. Mais les missionnaires protes- tants ont confondu son prolongement inf^rieur avec deux grandes rivieres qui sortent de ce lac : le Lafji, qui se jette dans I'Oc^an, pr6s de Mosia, et le Ru- fama qui, dans son cours inf^rieur, forme lelac Niassa ou Maravi, et de 1^ SB partage en deux branches, dont Vune rejoint le fleuve Zambezi et I'autre va se jeter a rOc6an, pr6s du cap Belgado.

II me serait trop long de vous 6num6rer les nombreux renseignements que j'ai recueillis sur ces pays et que j'ai consign^s dans un petit ouvrage que j'envoie en Europe pour etre iinprim6.

Voici la distance par terre des divers pays que je viens de vous indiquer :

De Brawa a Berbera 1 mois et demi.

De Brawa a Ganane 12 jours.

( 168 )

De Ganan^ a Schabale 8 jour3.

De Schabale ii Berbera \9 »

De Schabale a Augadene 9 »

Do Ganane a Sidama 5 «

De Sidama a KalTa 11 »

Dc Ganane a Kaffa 20 »

De Ganane chezMes Jiajan 12 »

De Ganan6 chez les Balli 14 »

De Ganan6 a Odole grand 11 »

D'Odoa Kaffa 12 »

De Koocha a Kaffa 7 »

De chez les Jiajan a Kaffa 7 » allantauN.

De Koocha chez les Jiajan 7 »

De Ganane chez les Amhara et les Konso 20 » allant a TO.

De Ganane chez les Tertale 20 »

De Tertaleaulac B66. ....... 7 »

De Ganane au lac Boo 27 »

Du lac Boo au Baharingo 20 »

•o^

A la montagne Obada 10 »

-■o

De la monlagne Obada a Baharingo. . . 11 »

D'Elgog a Baharingo 8 »

De Baharingo k Lorian 5 »

De Boo a Lorian 20 »

De Lorian chez les Besegajiou 9 »

De Boo chez les Karaote 3 «

De Karaol6a Loujane 21 »

De Boo a Loupety .' . 29 »

De Loupely chez les Amahara 18 »

De Boo chez les Berry 27 »

De Loupety chez les Berry 7 »

Do B()o a Galbo 5 »

De Galbo chez les Amahara 7 »

De Galbo a Terlal^ 3 »

I

( 169 )

De Boo k Did-el-Salmat. 4 »

De Did-el-Salmat cliez lesWardai. . . 8 »

De Boo a Ferlit o Merely. ■. •. . ... 3 »

De Boo a Ausol Nakouda. ...... 21 »

D'Ausol Nakouda chez les Wardai. . . 7 »

D' Ausol Nakouda chez les Pokomo. . . 7 »

Du lac B66 chez les Kamba 20 » an S.

Du lac Boo chez les Wardai 10 »

Du lac B66 chez les Tartal6 7 »

chez les Galaba 1 » \ ■zs.'k'^'i

chez les Seinidero 5 » J gS^^

chez les Meroui^ '6 » f ^^Is*?

chez les Koule 5

chez les Kira 6 » ^ "Zf-^^

3 « -;-

chez les Girata 12 «

De chez les Semidero a Malb6 8 »

De Malbe chez les Amahara 8 »

De Semidero a Meroule 1 »

De Meroul6 d Koul6 1 » i/2.

D'Arbore a Meroule 2 »

Du lac Boo chez les Amahara 12 »

DeWaragaouWaratla chez les Amahara. 3 »

De Waralta a Sokoro 5 »

De Sokoro a Kaffa 5 »

D'Amahara a Kaffa 12 »

De Waraga a Kaffa 8 »

D'Amahara chez les Baditou 2 »

chez les Darimou 8- »

chez les Mousala 9 »

chez les Waso 17 »

chez les Wako 7 » allantauN.

chez les Gogela 6 »

chez les Bobel6 2C » allanlauN.-O

XVn. MARS. 2. 12

( 170 )

De Bobdl^ a Kaffa 14 » allanlaTE.

Bobele est sur Ic versant 0. et Kaffa a I'E.

D'Amahara cliez les Wardai 20 »

chez les Testale 7 »

chez les Konso 3 »

chez les Semidero 6 »

J'envoie mes manuscrits k Turin, ils pourront for- mer deux volumes. La premiere partie comprend I'his- toire des missions et de la religion en Abyssinie ; la seconde traite des pays de la c6te orientale de 1' Afrique. La carle que je vous envoie ici n'est qu'une partie de celle qui paraitra avec mon ouvrage. Si vous vouliez entrer en communication avec ces messieurs, vous pourriez aider a la bonne impression de 1' ouvrage et surtout de la carte que je d6sirerais que vous pussiez perfectionner pour la partie nord. A I'ouvrage, il sera annex6 un petit vocabulaire de la langue souah^li.

Li: ON DES AVANCHERS.

NOTES

SUR LES NEGRES DE l'eTHIOPIE,

ficriles de memoire el adress^es par M. Antoine d'Abbadie, a M. dc Qualrefaij'cs, membre de riuslilut.

Avant de partir pour mes voyages, j'avais lu les Merits sur I'anthropologie de Lawrence, Bory-Saint- Vincent, V. de Bomarc, Edwards I'aln^ et Pritchard. Ce dernier, qui est pour I'unit^ d'origine, et dont les vues me plaisaient, ne me semblait pas avoir assez

( 171 )

prouv6 sa thfese. L'6tude de I'ongine des nfegres f'ul I'lin des trois grands buts qui m'ont pouss6 en fithiopie. La transition de la race nfegre a la race rouge 6thio- pienne, qui passait alors et je crois aujourd'hui, mais h. tort, pour caucasique, m'avait 6t6 indiqu6e par le D' Hodgkin (de Loridres) , qui me montra le crane d'un nfegre sawahly, en remarquant que son angle facial 6tait bien plus ouvert que celui des nfegres des cotes occidentales d'Afrique.

En d6barquant a Mucawwa, dans la mer Rouge, je fus frapp6 par la vue d'une race d'esclaves qu'on vend rarement k I'^tranger. lis 6taient d'un noir de jais, avaient Tangle facial notablement plus ouvert que les nfegres de Guin6e, et je remarquai souvent le nez droit et meme aquilin, qui est regards, je crois, comme anti- pathique aux vrais n^gres. Ceux-ci 6taient des Guinza qui demeurent sur les pentes inconnues et malsaines qui, sur les rives de la riviere Abbay (dite souvent fleuve Bleu) , relient les basses terres du Sennar aux plateaux sains et 6lev6s de I'tthiopie cbr6tienne. Le type antinfegre 6tait encore plus marqu6 chez les Ba- rya et les Marga, qui sont, si Ton veut, les n^gres de la cote orientale d'Afrique, dont I'habitat s'avance le plus vers le nord. lis vivent dans ce triangle inconnu et mal d^fini qui serait born6 par le Guang ou Tak- kaze, le Marab et le haut plateau duTigray. Leur fron- tifere septentrionale d^passerait la ligne qui joint Sawa- kyn sur la mer Rouge et Kartum , la capitale actuelle de la Nubie. Les gens qui parlent la langue tigray ou kasy, el dont Aqyq ou Badur et Muca^^vva sont les ports, m'ont dit expressement que les Baryajie sont

( 172 )

pas des Jangalla ou nfegres. Les Tigray, au contraire, afTirment que ces memes Barya sont des n^gres, et ils leur font une guerre continuelle, en descendant du pla- teau Tigray, dont Aksum est la ville principale. Dans la langue giiz, ou langue sacreeet ecrite de I'Ethiopie, dc mome que dans les laiigues des Tigray et des Auiara, le mot barya, qui me parait etre dans I'originc un nom de race, signifie eschwe et s' applique meme aux esclaves de race rouge. Les aflii'uiations contradictoires des Badur et des Tigray proprement dits, relativement ^ la quality n6gre des Barya, viennenta I'appui de men idt^e que cette peupladc est, par ses qualities physiques au moins, interm6diaire entre les n6gres et les Ethiopiens a peau rouge. Les Barya m'ont d'ailleurs parl6 de gens a peau rouge cliez eux , et qu'ils regardent comme 6tant de pure race barya.

II me semble que les auteurs ont ete trop domin^s par une habitude de classification , et qu'ils ne se sont pas arret^s ^ I'id^e tr6s naturelle et trfes r^elle, h. men sens, que les races humaines, en Ethiopie du moins, passent insensiblement du rouge au noir et, comme diraient les naturalistes , du cancasique au n6gre. Je regardais les Guinza comme 6videmment n6gres et les Barya comme I'^tant trfes probablement. Mon senti- ment 6tait bas6 sur les id6es que suggere en Europe la vue d'un nfegre de Guin6e mis au milieu des blancs. Mais ce classement involoiitaire en deux types, et je dirais cet 6chalaudage intellectuel, tombi^rent i la vue des Doqqo. C'cst le nom de i)lusieurs peuplades qui vivent au sud du RuUo, dont ils sont separes par la riviere Uma. Sauf leur couleur, qui est presque noire,

( 173 )

les Doqqo me semblaient de la meme race que les habi- tants de Kullo et de Ralla. Plusieiirs de ceiix-ci, qu'on disait de pure race, 6taient plus noirs que certains Doqqo. En un mot, si j'avais la liberty de prendre parmi les individus en Ethiopie, tout en excluant tous les m^tis entre deux peuplades ou races, je me ferais Ibrt de nuancer tellement mes clioix , qu'il serait im- possible de dire oii commence le n^gre et ou finit I'homme rouge. J'affirme ce fait de toute la force d'une conviction form6e tr6s lentement pendant onze ann6es de voyages en Ethiopie, et d'autant plus sincere que j'avais eu priniitivement une oj^inion opposee.

Mais quelques personnes ne venlent pas croire un fait s'il n'est pas 6tay6 par une explication au moins vraisemblable. Je dirai done la mienne. Dans le ques- tionnaire que je r6digeai avant de me mettre en voyage, je trouve cette note Est-ce que les nfegresont 6t6 pro- duits par rinfluence combin^e du soleil et d'une noar- riture v6g6tale? » Aujourd'hui je reponds que cette double influence me parait noircir la peau. On a dit en elTet que les bouchers, qui consomment leurs restes de viande , ont la peau plus claire que celle de leurs voisins. Quoi qu'il en soit, la tribu des Hazzo attribue son origine k un homme qui aima niieux manger sa vache que de la conserver. Aujourd'hui les Hazzo vivent surtout de viande et de lait : tous les Hazzo que j'ai vus 6taient tres rouges, et tous mes renseignements s'accordent a dire qu'un Hazzo noir est plus rare qu'un Arabe noir. Les Hazzo n'aiment pas a manger des c6- reales. Les Tigray, au contraire, voisins des Hazzo et vivant dans le meme climat brCdant , fourmillent de

( i"-'< )

gens noirs. Plnsicurs d'entre eux se disent issus dYini- gr6s turcs, portent des nouis de faniille turques, et ils ont introduit des mots turcs dans la langue tigray, qui ' esttrfes 6videmment s^mitique et plus pr^s de I'h^breu que de I'arabe. Les Tigray vivent surtout de c^r^ales et mangent peu de viande: comme les Hazzo, ils ont les formes des races rouges , mais leur teint passe par toutes les nuances du rouge bien franc au noir des n^gres. La premiere fois qu'au milieu des Tigray j'ai vu un Hazzo , je me suis extasi6 sur la clart6 de son teint devant un camarade de route qui me dit : « Cela n'est pas ^tonnant, tons les Hazzo sont rouges. » Dans la langue de cette tribu, le mot hazzo signifie chair. Les Saho, leurs voisins, qui parlent la meme langue et qui vivent de c6r6ales et de lait , sont tous plus fonc6s en couleur et plusieurs d'entre eux sont noirs. Et qu'on n'explique pas cette difference de couleur des Hazzo en disant que leur habitat est plus 6lev6 que celui des Tigray, car les Tigray voisins des Hazzo du r6t6 de Test, et dont plusieurs sont noirs, vivent sur un ])la- teau plus 61ev6 que celui des Hazzo. Les Tigray man- gent rarement de la chair.

Bien loin de ces tribus, dans le sud du Jawa, vivent les Gurage : cette race fournit les plus beaux esclaves de I'Ethiopie; j'en ai vu un grand nombre dans les marcli^^s , et toujours je les ai vus rouges. Un Gurage intelligent m'a dit que les hommes k peau noire sont tr6s rares chez eux ; il m'a dit une autre fois que ses compatriotes mangent beaucoup de chair.

Comme la couleur du n6gre vrai frappc le monde bien plus que ses autres caracteres, je me permets

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d'insister sur nia croyaflce qii'il y a dans les terreS basses de rEthiopie quelque influence qui noircit 1 peau. Pr6s de Mu^awwa, j'ai souffert longtemps de la plaie de I'yemen, sorts d' ulcere qui se produit sponta- n^nient sur les jambes. J'ai gu^riles miens avec peine au milieu de mes courses : les ulc6res cicatrises dans les terres basses laiss6rent un contour dessin6 par une aureole noire, etuneFrancaise, qui demeurait dans ces memes terres, me fit la meme remarque pour ses plaies. Cette aureole disparut lentement en quelques mois. Ce changement de couleur n'eut pas lieu autour de mes ulcferes cicatris6s sur le haut plateau Tigray.

Le noircissement de la peau a lieu journellement en Ethiopie, oil les Amara lui donnent le nom de mnclyat. Le madyat se declare par larges plaques et ordinaire- ment a la suite de la syphilis. II persiste le plus sou- vent apr^s qiie tous les symptomes v6n6riens ont dis- paru. J'ai vu le madyat occuper toute la tete et le col, le reste du corps restant rouge. « Comme tu es noirci » , dit un voyageur en ma presence a la rencontre inopi- n6e d'un ancien ami. « Je le crois bien, r6pondit ce dernier, j'ai eu la syphilis. » Je faisais alors subir k cet homme un traitement mercuriel , et comme je le voyais tous les jours, je n' avals pas vu le changement de teinte dans la peau. Je conclus de la que le madyat se d6veloppe graduellenient. Du reste , il ne fait pas soulTrir le sujet qu'il atteint et on ne le regarde pas couuue une maladie. On m'a assure qu'il se d^veloppe parfois sans etre pr6c6d6 de syphilis.

Les Ethiopiens au milieu dcsquels j'ai v6cu, et qui se nourrissent habituellement de c6r6ales , distinguent

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soigneusement les nuances de leur teint. Ainsi , les Amarca, qui ^^ont la race gouvernante, appellent (ya;- I'homme a teint d'un rouge clair, c'est-ci-dire nioins fonce que le cuivre rouge; dcuna la teinte caf6 au lait clair; ^fl777«5 la nuance en tre le dama etle noir; enfni, un homme noir est nomm6 tigur, mot qui n'implique aucunement une origine ou alliance n^gre.

Comme nos cr6oles , les Ethiopiens out une classifi- cation fastidieuse pour les m6tis de rouges etden6gres. Si un Ethiopien non nfegre s'allie avec une n^gresse et que sa descendance 6pouse toujours dans la race non n6gre , la post6rit6 est successivemenl nomm6e Wulaj (mulatre), Qannaj (quarteron), Fannaj (octavon), Asa- lat, Amalat, Manbete. L'enfant d'un Manbete et d'un parent rouge se nomme Duibabete, et il jouit dans les tribunaux du privilege de n'etre pas regards comme nfegre, quoique ce terme puisse 16galement s'appliqiier a ses sept ascendants.

On admet partout en I^thiopie la preeminence d'un teint blanc. Je m'en suis bien apercu aux march6s d'esclaves et ailleurs, et meme dans ces tribus oii les gens qay sont les plus rares. Jc nie formellement que les peintres (il y en a) aient jamais song6 h, donncr un teint blanc au diable. Dans toutes les races les enfants parlent avec plus de franchise : ceux d'Ethiopie m'ont toujours dit qu'ils aimeraient k avoir une peau moins noire. Du reste , les n6gres comme les gens rouges admettent I'inferiorite du ndgre.

Comme les Sanqilla ou n6gres oiu souvent Tangle facial trfes ouvert, et que la couleur noire de la i)eau n'appartient pas uniquement au n6gre, j'ai demands a

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des Ethiopiens a qiioi ils reconnaissaient ce dernier. (( Nous le distinguoiis, me disaient-ils, k son pied plat, k son talon saillant, a la ride transversale sur son orteil, k ce qu'enfin ses cheveux ne s'allongent giifere au del^ de cinq centimetres. » Ces cheveux-la sent laineux et cr6pus, et dfes leur apparition sur une tete ras6e , ils s'agglomferent en touffes s6par6es par des taclies blan- ches. Les peuples rouges de rEthiopie, dont la majo- rity est du teint tayyim , ont les cheveux forts , frisks naturellement, et ne descendent jamais aii-dessous du coccyx. Les cheveux droits, dits /azn paries Amara, existent, maissont tr6s rares en Ethiopie. Quoiqu'il soit par trop systematique de classer les hommes par leurs cheveux , il me semble que la m6thode naturelle exige une precision plus grande dans les caract^res tir6s de la longueur et du diamfetre lineaire des cheveux. Dans son grand ouvrage, Pritchard s'est laiss6 tromper par Fall au point d' avoir 6crit que les Ethiopiens rouges ont les cheveux droits. Cet auteur rectifia cette asser- tion dans son abr6g6, d'aprfes une lettre que je lui en- voyai d'l^gypte en 1839 avec divers 6chantillons de cheveux. Faute de renseignements dans les ouvrages , j'ai du m'adresser k des coiffeurs pour avoir sur les cheveux bien des particularit6s que je recommande aux professeurs d'anthropologie, et qu'il serait peut-etre oiseux de relater ici. Ainsi, Ton pretend que les che- veux des Anglais sont devenus successivement plus fences depuis un sifecle, etc.

Ces indications 6tant un peu vagues^ je rappellerai un caractfere ccinmun aux Ethiopiens rouges et aux n^gres, qui est rare dans les races europ6ennes, et

( 178 ) dont il convicndrait de l)ien constater la non-absence clicz nous avant de lui accorder la \-d\vnv que je suis tent6 de lui attribuer. Je dois dire que les auteurs de chiromancie reconnaissent que cette ligne de la main, qu'ils appellent ligne du foie, manque parfois en Eu- rope; c'esl la ligne qui part du milieu du poignet et se dirige vers le doigt du milieu en traversanl la paunic de la main. Je n'ai jamais vu cette ligne manquer en- tiferement dans la main d'un Europeen, et par contre je ne I'ai jamais trouvee chez les Etliiopiens, excepts dans les paumes des Borana on patriciens gallas, dont la tradition attribue leur originc h un Stranger rouge. Ladite ligne manque chez tons les nfegres et chez tous les Ethiopiens rouges que j'ai examines , sauf dans les mains de deux individus. On salt qu'il y a en fithiopie un 16ger melange de sang portugais, et dans une por- tion du pays j'ai meme trouv6 des physionomies por- tugaises; j'ai done cru que ces deux individus, dont les mains 6taient pourvues de ladite ligne, devaient avoir du sang europeen dans les veines.

Dans le dessein d'6tudier au moins le teint des fithiopiens, j'avais port6 dans leur pays une sorte de m61anoscope compost d'une trentaine de teintes gra- du6es du rouge au noir. Je ne tardai pas b, reconnaitre que le ton de la peau varie fr^quemment dans ces con- tr6es, et que lesfithiopiens en avaient dt'ji fait la re- marque, en ajoutant que le teint des voyageurs devient plus sombre quand ils passent des terres basses aux terres hautes ou plateaux. Cette opinion assez g6n6rale dans ces contr^es devint pour moi une certitude, dans un cas du moins.

I

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En 18/i8, une ophthalmie intermittente, contractee dstns line plaine 6lev6e de 1800 metres, me priva de la vue pendant qnelques semaines. J'6tais servi alors par un esclave damn , ag6 de dix k douze ans, fitant all6 cherclier la sant6 stir un plateau 6lev6 de 3000 metres, je trouvai , en recouvrant la vue , que mon serviteur 6tait franchement Tayyin, et je dois ajouterque j'6tais seul a m'ea 6tonner. Ce fait milite, je I'avoue, contre mon opinion que la peau noircit surtout dans les basses terres, Mais en fithiopie du moins, il n'y a pas de nSgres vivant sur les plateaux 61ev6s.

Une n^gresse Sure fort intelligente m'a confirm^ r opinion g^n^rale en fithiopie, que les nfegres sont une race qui a d6g6n6r6 d'une plus grande beaut6 ant6- rieure. Cette Suro 6tait paienne comme ses compa- triotes, et ne me semblait pas avoir pu 6tre influenc6e ni par I'Evangile ni par le Koran.

II ne me semble pas qu'on ait insist^ assez sur le caract6re interm^diaire des Peuls del'Afrique occiden- tale. lis ne sont ni Caucasiens ni nfegres.

On a d6ja cit6 I'absence des mollets en Australie , meme cliez les Anglais de pure race qui y sont n6s. Les fethiopiens rouges ont pen ou point de mollets ; par contre , ceux des nfegres 6thiopiens sont ordinairement fort d6velopp6s, et, comme ils sont plus vigoureux que leurs voisins rouges, il semblerait que leur constitution physique est plus en harmonic avec les influences du climat.

Mon 6chantillon de la langue guinza commence par une liste de mots designant d'assez faibles id^es de civilisation , et que mon interpr^te d^clarait ne pas

. ( 180 ) exister dans son pays. Ainsi, la langue parl^e vient a I'appui tie mon assertion, que les nfegres sont inf^rieurs en intelligence, meme aux races rouges. Tons les Kthio- piens, uieine nc^gres, disent que le blanc est la couleur naturelle do riion)me , parce qu'il nait avec cette couleur.

Je n'ai parl6 jusqn'ici que de la couleur; il reste k expliquer les formes des n^gres. J'ai a cet 6gard une theorie au moins plausible, mais n'ayant pas de preuves directes pour I'appnyer, il me faudrait la rendre pro- bable par une longue s6rie de considerations puisnes dansl'histoire, les traditions, etdans des analogies qui n'acquerraient de valeur que par leur reunion en fais- ceau. Le temps me manque compl^tement pour mettre tout cela par 6crit.

Amoixe d'Abbadie.

NOTES

DE M. LE CHEVALIER LeON DE PONTELLI ( 1 ) ,

SUR QUELQUES PARTIES DU CHIAPA

Ou'il a visiteesen 183*, 1833. 1836 et 1837.

La region la plus curieuse que j'aie explor^e est cette partie du Mexique qui s'6tend vers leslimitesdel'Ame- rique centrale, et qui comprend le Chiapa (avec son dt'partcment de Soconusco), le Tabasco, cnfin une por-

(1) M. L6ou (le Pontelli est fils du marquis do Pontelli, qui futgou- verncur de la Toscane sous la doniiualiou fian(,aisc.

( 1«1 )

tiondu Yucatan. Cequi m'int^ressa d'abord dans cette contr6e, ce sont les mines nombreuses que j'ai visit^es. J'ai d^ja signal^ aux soci6t6s g^ographiques de New- York et de Paris les mines de Copanaquista et d' Ostuta . Je pourrais indiquer sept ou huit autres villes antiques et de nombreux teocali ou tombeaux des anciennes families; d'anciens temples portant des traces hi^ro- glyphiques et des sculptures curieuses. On voit avec 6tonnement des tombeaux de rois, des sarcophages, des tours, des debris de palais, de belles mosaiques, des aqueducs bien conserves, mais en partie ensevelis dans le sol ; des tourelles carries en porphyre ou en jaspe, d'un seul bloc. La beaut6 de ces ruines surpasse tout ce qu'on en pent dire. II y a peut-etre la, ind6pen- damment de grandes richesses pour la science, des tr6sors immenses ; ce qui me porte a le croire, c'est qu'k present encore, dans certains endroits, les Indiens gardent, en se relevant tour a tour, 1' entree des sepul- tures, ainsi que les grottes, lieux de leurs adorations.

J'appellerai 1' attention sur le beau port de Zacapulco, form6 par le Grand Oc6an dans le departement de So- conusco. L'entr6e, que j'ai mesur6e , a 500 varas (450 metres); 1' immense bassin qui est a la suite pour- rait contenir plusieurs flottes, bien abrit6es et d6ro- b6es k la vue, en mer, par une barre de 500 metres au moins de largeur ; cette barre est couverte de toute sorte d'arbres d'une belle hauteur et d'une v6g6tation admirable.

J'ai sonde, en temps de grande s^cheresse, Tentr^e de ce port ; j'ai trouv6 de trois a quatre brasses d'eau ; toute cette cOte est trfes saine, I'eau y est tr^s bonne.

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Elle a beaucoup d'avantages sur la c6te de Tehuan- tepec, qui est sablonneuse , entour6e de salines, oii I'eau est mauvaise et dont les abords sout converts de bas-fonds ct n'oflVent qii'une rade sans abri.

J'ai parcouni I'espace qui separe la cote de Tabasco de la cote de Soconusco : il m'a senibl6 qu'on pourrait y 6tablir un canal inter-oc^anique. J'ai decouvert I'an- cienne route indienne qui communiquait des villes aujourd'hui en mines avec les deux oceans.

Les productions de cette contr6e sont trfes riches : dans le quartz des montagnes, comnie dans les ravins etles rivieres, on rencontre del'or ; 1' argent s'y trouve aussi, et le cuivre, Ic fer, le plondj pourraient etre exploit6s, mais sont encore n(;^glig6s. Les Indiens, pour leurs ^changes, se contentent de faire fondre un pen 4e Tor et de I'argent qu'ils recueillent, k mesure de leurs besoins.

II y a de I'aimant, des marbres, du jaspe, du por- phyre, du granit de plusieurs couleurs, de la mala- chite, du mercure, des pierres precieuses, de magni- fiques cristaux de roche, de I'amiantc, dont les propri6t6s ne sont pas ignor6es des indigenes.

On remarque un grand nonibre d'arbres a gomnies pr6cieuses et k baumes, tels que lecopahu; des arbres k cire, a suif, a sole : car une sorte d'araign^e fde sur une esp6ce d'arbre une sole abondante et utile. II y a des acajous, des 6benicrs, des bois de rose, de noni- breuses esptees de palniicrs, le bois de fer, des c6dres, des bois do teinlure, des arbres ci quinquina, le capul- chi, d'innombrables arbres fruitiers, counnc les sapo- tiers, les manguiers, les grenadiers, les Grangers, les

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frangipaniers, dont les fruits s'appellent mamay, les cacaoyers, qui donnent trois r^coltes par an ; la canne k Sucre et le meilleur indigo sont encore des produc- tions de ce pays, de meme que le coton, la salsepa- reille, la cochenille, la vanille, des febrifuges excellents, mais anssi des arbres v6n6neux tr^s dangereux, dont un, entre autres, procure instantanenient la folie.

Dans les blessures ou fractures graves, c'est toujours par les plantes que les Indiens se gu^rissent : jamais ils ne pratiquentl' amputation ; deux lattes leur servent k maintenir le membre fractur6.

La v6g6tation est d'autant plus vari6e, qu'en peu d'heures on peut franchir toutesles zones de tempera- ture : la plus chaude, la plusfroide et la plus agr^able- ment temp^ree.

Les serpents sont tr6s multiplies. II y a trois esp^ces de sangliers : le rouge, le brun et le noir ; le rouge est le plus redoutable. Les jaguars, lesconguars, les chats- tigres, les tapirs. Tours noir et le gris, beaucoupd'es- p6ces de singes, dont un k peau soyeuse et oifrant une belle fourrure, des cerfs, des chevreuils, un mou- ton indigene d'une laine trfes longue, des tortues, dont quelques-unes sont d'une grosseur extraordinaire et ont une belle 6caille, des vautours, des aigles, mille oiseaux aux riches couleurs, entre autres le quezal, les colibris, les oiseaux-mouches, plusieurs esp^ces de faisans qu'on pourrait facilement acclimater en Europe, tels sont quelques-uns des traits qui m'ontfrapp6 dans lazoologie de cette belle partie de I'Amerique.

Un mot sur les mceurs des habitants. Les cotes sont peuplees d'Espagnols et d' autres Europeens dont les

( 184 )

habitudes ne sont pas sans reproche : le jcu et I'usage des boissons se partagent presque uniqiiemeut leur temps. Les Indiens Mayos et Sapot^ques habiteiit I'in- t6rieur; pour p6n6trer avec frait chez eux, il est important d'avoir des connaissances approf'ondies en cliimie, en botanique, en mineralogie ; c'est le'moyen d'acquerir dela consideration et de I'estimeaupr^s des cheis et des anciens, et de recueillir les nombreux se- crets des vertus des plantes et les renseignements sur la nature du sol. L'Indien, excellent obseryaleur, dou6 d'un regard aussi sur que p6n6trant, honore un Stran- ger s'il reconnait en lui descapacit6s sup6rieures ; mais il ne faut pas que les Strangers se prSsentent, ainsi que Font fait plusieurs voyageurs, comme des dominateurs et des hommes fiers de leur origine ; lis doivent avoir I'apparence simple, des gouts sobres, mais un caractSre Snergique, qui commande tout k la fois I'estime et la confiance; estime et confiance que I'lndien n'accorde d'ailleurs qu'aprSs que I'Stranger a bien des fois fait ses preuves.

L'Indien est fort laconique, et parle frSquemment par signes. S'il est aborde par un voyageur, il lui demande ce qu'il vient faire chez lui ; pour I'Sprouver, il luiprS- sente soit du quartz contenant des nietaux, soit des mamay ou des sapotes, ou des mangues; voit-ilque le nouveau venu ne reconnait pas le mStal cache dans la pierre, ou le parfum dSlicieux du fruit, il le voue au mSpris; dans le cas contraire, etsurtout s'il remarque que I'Stranger le surpasse en connaissances, il lui tS- moigne une admiration sans bornes.

Ces populations sont frugalcs et sobres, et d'une

( 185 ) rigidite cle mceurs extraordinaire. Quelqu'un de la tribu se rend-il coupable d'un crime, il est aussitot juge par le conseil des anciens : non-seulement il est chati6 selou son crime, mais ses parents jusqu'au degr6 le phis 6loign6 sent obliges de s'expatrier avec lui; il n'y a plus de place pour eux dans la peuplade,

Le moyen qu'ont les Indiens de se transmettre des avis de tribu a tribu est trfes simple : ils embouchent un cor qui, par des sons particuliers, indiqne k la tribu voisine telle ou telle nouvelle. Qu'un Stranger apparaisse chez eux, sa presence estsignalee h. 25 lieues de la en moins d'une heure; s'il est hostile k la nation, des embuches sont dress6es sous ses pas, et il y tombe bientot.

Ces Indiens montagnards, d'un temperament trfes robuste, ne se nourrissent, dans leurs voyages, que de pouso/, mais tremp6 pendant vingt-quatre heures, 6cras6, mis en motte ; au premier roclier donnant de I'eau, ils cassent un morceau de cette motte, ils le d6- layent dans I'eau froide, dans une sortede calebasse, et boivent cette pate d6lay6e; avec lepignol, mais grille, r6duit en poudre , melang6 d'une esp6ce d'araande amfere, voilk leur nourriture. Plusieurs d'entre eux portaient mes bagages, parce que souvent ni les clle- vaux ni les mules ^ne pouvaient gravir des hauteurs presque inaccessibles ; chacun d'eux n'^tait pas charg6 de moins de dix a douze arrobas (deux k trois cents livres) , faisant neuf a dix lieues par jour, et cela par monts et par vaux, ruisselant de sueur, traversant avec cette charge beaucoup de rivieres, et en mettant de longues perches en travers, pourempecher delaisser mouiller les bagages.

XVII. MARS. 3. 13

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Les femmes de ces memes peuplades sont fort belles, elles portent les cheveux tr6s longs, elles se drapent coninie les Romaines, elles sont d'un temperament robuste, il semble que la nature les ait privil6gi6es ; lorsqu' elles sont sur le point de faire leurs couches, elles n'emploient niniMecin, ni sage-femme, elles n'en ont pas besoin ; elle vont prfes d'lme riviere, d6posent leur enfant sur la berge, apr6s 1' avoir lav6 et enduit d'une certaine graisse; puis elles se jettent a I'eau, se lavent, nagent pendant quelques instants ; elles sortent de I'eau, reprennent leur enfant, I'enveloppent, s'en- veloppent elles-memes, et sen retournent avec leur pr6cieux fardeau dans leur tribu, sans jamais s'aliter.

Je ne quitterai pas cette int^ressantc contr6e, sans rappeler le v6n6rable et vertueux 6veque Bartholonieo de LasCasas, d^fenseur des Indiens. J'ai eulebonheiir de faire batir une chapplle en m6moire de ce grand pr61at, dent les bienfaits sont rest6s grav6s dans le cceur des indigenes. L£on de Pontelli.

NOTICE

Srn LE VOYAGE DE M. DE HAHN, CONSUL ACTnrCHIEN A SVRA,

A TRAVERS LE CENTRE DE LA TURQUIE,

DE liELGRADE A SALONIQLE.

Par M. Ami Boue.

(Extrait d'une lettre de M. Ami Boud i M. Viquesnel; conunuuiqufi

i la Soci6t6 par M. Cortambert.)

F6vrier 1859.

Ayant eu confiance en nos renseigncnients,

M. de Hahn n'a pas 6t6 tronip6 dans son attente.

( 187 ;

Ce savant voyageur a constate quon pouvait se remlre en voiture ou caleche legere de Belgrade a Saloiiique par plusieiirs routes, savoir :

l^Roiite par la valine de la grande Morava, Alexinitza, Nisch, la valine de la Toplitza, Pristina, Ratchanik, Uskup, Keuprili, et de 1^ probablentent plus loin , le long du Vardar ;

2" Route par Nisch, la valine de la Morava bulgare, Leskovatz, Vrania, Guilan, Katchanik, etc.;

3" Route par Nisch et la valine de la Morava bulgare, la valine de la Moravitza, Romanova, Uskup, Reu- prili, Babouna, Monastir et Vod6na ;

Route par Nisch et la valine de lajVIorava bulgare, la valine de la Moravitza, Romanova, Reuprili, Istib etle long du Vardar.

11 a parlont pit renter eii uoiture et n i'erse nuHepart, excepts au passage du col de Babouna, entre Reuprili et Prilip, oii, vu I'^tat de la route et la saison de no- ueinbre, il a fallu le secours de vingt personnes pour faire franchir ce point a sa voiture.

Quant a I'^tablissement possible d'un chemin de fcr propos6 par nous, il confirme encore tout ce que nous avons publit^ a cet 6gard sur celui qui irait de Belgrade k Salonique par la valine de la Morava bulgare, la Moravitza, le Ptchinia, le V6lika et le long du Vardar. II n'y trouve que des plans tres peu inclines. Or, comme cette ligne fait partie de celle qui est la plus courte pour se rendre de J'Angleterre en Egypte, elle aurait une grande importance, soit comme chemin de fer, soit comme ligne t6l6graphique.

Outre ces deux points capitaux pour la civilisation,

( 188 )

il a aiissi reconmi quej'avaiscu raison de placer au siul (III milieu de la Servie, ou plus exactement cntre le rnont Ropaonik el le cours du Lep^natz (qui passe k Kalchanik et se jette dans le Vardar), au nord, et la Mac^doine, au sud, 7in pens inontagneux occupc par des Albnnais^ qui se relient au sud-ouest par le Karadagh au Schar et a la haute Albanie. lis s'avancent jusqu'iuneheure au uord de Komanova. A Test, ils se tienuent toujours i deux ou trois lieues de la Morava, la plaine ou le fond cultivable de la vallee 6tant occnp6 par de laborieux Bitlgnres. A I'ouest de ce district des Lab-Golak, se trouvent le bassin 6lev6 de Kosovo, et plus k I'ouest, celui de la Metoia, oil il y a un melange de villages albanais, slaves et serbes.

M. de Hahn estime que les Albanais occupent dans cette partie de I'ancienne Dardanie 80 milles carr6s allemands, et, d'apr^s le nombre des recrues, dans la proportion deSpour 100, c'est-a-dire d'apr6s413 recnies (39 pnnr Kourchoumli6, SZi pour Leskovatz, 80 pour Vrania. hh pour Prokop (Pr6kopli6) , 82 pour Pristina et le Lab-Golak, et 83 pour Giiilan), il calculequ'il y a \h. une population albanaise de 82 000 ames.

Ces habitants actuels sont vcnus positivement de I'Albanie, a I'^poque ou les Serbes ont 6vacue en masse le territoire montueux, au temps de Picolomini, pour venir se fixer en Syrraic. Les Albanais savent encore par tradition de quels endroits de I'Albanie leurs ancetres sont venus. Ils ont tous les usages des Alba- nais d' Albanie. lis avancent et s'6tendent encore dans le pays, tandis que les Bulgarcs rcculent et le (jiiittent.

M. de Hahn, parlant la langue schkipetare, pouvait

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mieiix que personne nons faire connaitre cette frac- tion int6ressante de la population de la Turquie d'Eu- rope. Les Turcs ont eu la finesse diplomatique de faire occuper le centre du pays par une race antipathique aux Slaves, tant Bulgares que Serbes, et de constituer, pour ainsi dire, ces intrus en quality de portiers de la seule route militaire de Bosnie s'ouvrant a Mitrovitza et allant a S6rai6vo et a la Save. Voila pourquoi les Serbes n'ont jamais pu pousser jusqu'a la Macedoine ; et si cela avait pu avoir lieu, le regime turc aurait cess6 depuis longtemps en Europe.

M. de Hahn a fait porter par le major serbe M, Zach, son compagnon de voyage, toutes ses annotations to- pographiques sur une carte a une 6chelle quatre fois plus grande que celle de Riepert. Son m^moire complet ne sera acliev6 que dans trois a quatre mois.

En attendant, il nous detaille ses excursions, savoir : de Nisch, par le d6fil6 trfes ouvert de Kurvingrad, k Prokop, et, le long de la Toplitza, a Kourchoumli6. De la au sud-ouest, par la valine du Pousta-Ri6ka , affluent de la Morava bulgare, au sud de la Toplitza.

De Leskovatz, en remontant la lablonitza, autre affluent occidental de la Morava, et retour a Leskovatz par la valine du V^ternitza, plac6e plus au sud ; et qui fournit un quatrifeme affluent a la Morava de ce c6t6. De Leskovatz k Vrania, par un d6fil6 a deux heures au sud de Leskovatz, et durant hult heures de parcours ; route sur la live droite.

De Vrania, descente a Uskup par la \a\l6e de la Mora- vitza, mont^e et descente insensibles, partagc des caux imperceptible et situ6 dans une longue galne ouverte, mar6cageuse, et courant du nord au sud ; Komanova ;

( 190 )

vall6e fhi Ptchinia, teiTasse et descente au Vardar, a Usku}) ou Skopia, De Skopia k Pristina par Ratchanik, le ruisseau de Lab-Golak, et la Sitnitza, qui recoit ce dernier. Les niontagnes k Test de Pristina et an nord de Guilan s'appellent aussi Lab-Golak.

De Pristina, M. de Halm a visit6 le village rat/io- liqiie de lani^vo, snr la route de Guilan, et a 6te dans ce dernier lieu, tandis que le major Zach a visits Novo- Bzdo, que j'avais vu aussi percli6 sur le haut d'une Crete de montagne pen 61ev6e, a Test de la route de lani^vo a Guilan. Novo-Bzdo est une ancienne forte- resse serbe ayant encore ses miirailles cr6nel6es.

Revenu a Skopia (Uskup) , M. de Halm a visit6, entre Uskup et Reuprili, Taor, le Tnnriniwn des anciens, et Bader, le Bederiana, lieu de naissance de Justinien. Taor est h. quatre heures sud de Skopia ou Jastiniana prima, sur la gauche du Vardar et sur le premier ma- melon du d^ril6 de ce fleuve, encaiss6 sur ce point. Ce lieu dominait I'entr^e du d6fil6. Bader est a uue heure et demie plus au sud, non loin du debouch^ du Ptchiiiia dans le Vardar. II y a laun convent grec dont la Ibndation remonterait, d'apr^s I'inscription slave, a Justinien?

M. de Halm a eu le malheur de partir trop tard de Vienne, et de voyager pendant une ann6e oti il est survenu en novembre un froid inaccoutum6. Cela I'a emp6cli6 d'ex^cutcr son projet de visiter les valKes inconnues entrc Uskup et Rritchovo, comme aussi tout le cours du Tzerna-lli6ka ouRarasou, c'est-k-dire le Vardar qui arrose la plaine de Monastir. Stobi I'atti- rait 1^. II aurait voulu, plus tard, se rcndre de Reu- prili il Salonique en descendant le Vardar, qui passe a Uskup et recoit, en aval de Reuprili, le Vardar de

( 191 )

Monastir. L'homme fait des plans, les Elements en em- pechent la realisation, Esp^rons qu'il tiendra sa parole de retourner sur les lieiix, et menie de completer nos connaissances sur la moyenne Albanie, le pays de Mat, celui des Myrdites, etc, II a aussi le projet si important de descendre en bateau le Drin noir depuis le lac d'Ochrida, par Dibre, jusqu'^ la mer, Voil^ une partie que votre consul Hecquard devrait bien lui enlever : c'est un morceau de dessert en geo graphic, et il n'y en a plus beaucoup de cette taille en Europe.

Je ne crois pas qu'il y ait la aucune cascade, ni m6me de rapides h craindre, et il y a des bateaux en abondance a Ochrida.

Pour les trouvailles arch6ologiques, elles ont 6t6 trSs minces; mais M. Kreil, dans son voyage enTurquie, a trouv6 Outchilz6 (Oujitz6), en Servie, int^ressant sous le rapport d'antiquit^s romaines, Ce pays 6lev6 a 6t6, dans les W et xii° sifecles, le refuge de savants moines grecs ; on y a imprim6 des livres d'6glise slaves, etc. II m'a parl6 d'un pont romain,

Les cours d'eau pr6s de Noi>ibaznr, dont ni vous ni moi ne savions les noms, sont leStavitza et le Graoi>o, La vall6e du Stavitza conduit de Novibazar au S.-S.-O. au mont Vreni6 et k I'lbar; et, a I'ouest de cette der- ni^re, court parallfelement, du N,-N.-E. au S.-S.-O., celle de Graovo. (Yoy. mes lUneraires, Vienne, 1854, vol. II, p, 183.) Les autres, k Test du Stavitza, sont la Rnava et I'llidja, Ces details viennent de M, Gavri- lovitch, I'auteur dela Geogrnphie statistique de Serbie, ou dictionnaire topographique de ce pays.

( 192 ) Analyses, RispportN, etc.

CARTE

DE i/am£;rique tropicale au nord de l'equateur,

Par M. II. KiEPtBT,

Mcmlire dc rAcadcmie royatc des Sciences dc Berlin, et menilire corrcspoiidaiit

de la Societe ile Cuogiapliie dc Paris.

Rapport III a la stance de la Commissiou ccnlrale du 17 ddcembrc 1 858.

Je viens, messieurs, vous entretenir d'une des noii- velles cartes qui vous ont 6t6 adress^es par noire hono- rable confrere M. H. Kiepert, doiit le zfele infatigable pour la science g^ographique nous vaut chaque ann6e quelque nouvelle production cartographique , expres- sion judicieuse et critique des plus r6centes acquisi- tions de la science ; je veux parler de sa carte de 1' Am6- rique Tropicale au nord de I'liquateur (I).

(lette carte, publi^e a Berlin en 1858, est en 6 1'cuilcs in-folio. Dress6e d'apr^s la projection de Mercalor, elle est a l'6chelle de 1/iiOOOOOO et s'6tend du 58« au 112° degrt^ de longitude occidcntale du m^ridien de Paris, et du 1" au 31' dcgr6 de latitude septentrio- nale. Elle comprend les Indes occidentales (grandes et

(1) New-Map of Tropical-America, north of the Equator comprising the West-Indies, Central-America, Mexico, New-Granada, and Vene- zuela, dedicated by permission, H. live, baron Alexander von Hum- boldt, by D' Kiepert. Berlin, 1858, Just Ueimer.

( 193 )

petites Antilles), l'Am6riqiie Centrale, le Mexique, la Nouvelle-Grenade et le V6n^zu61a, c'est-a-clire cette partie de I'Amerique sur laquelle 1' attention pnblique se trouve plus particuli^rement fix^e depuis quelque temps ; elle vient done fort a propos pour r^pondre a un besoin de curiosity g6n6rale, non-seulement relati- vement aux 6v6nements politiques, mais encore pour suivre les grands projets de communication inter- oc6anique de I'Atlantique au Pacifique.

Nous avons dit que la projection adoptee par M. H. Kiepert 6tait la projection de Mercator, celle de nos cartes marines; une telle projection est en effet pr6ftrable lorsqu'il s'agit de contr6esvoisines de I'fiqua- teur ; elle permet de mieux se rendre compte des posi- tions relatives des lieux et de leurs distances. La gra- duation qu'il a adoptee pour ses longitudes est celle du m6ridiende Greenwich (55° a 109°), mais ila pris soin d'indiquer par des amorces , dans la partie sup^rieure du cadre, la graduation du m^ridien de Paris (58° a 112°). Par une ing^nieuse et nouvelle disposition, les degr6s de longitude et de latitude sont plus forte- ment traces de cinq en cinq; il en r^sulte que, sur le carroiement compliqu6 form6 par les nombreux degr6s qui couvrent cette grande carte , on en distingue un second qui offre a I'ceil des divisions plus g6n6rales et qui permet de se guider plus facilement sur une carte dont le d6veloppement n'est pas moindre de l'",60 de largeur sur 0'",95 de hauteur.

La carte de I'Amerique Tropicale du nord comprend dans Tangle nord-ouestles Etats conf6der6s du Mexique, moins une partie de la Sonora et de la basse Californie

( 'JO/1 )

qui restent en dehors du cadre. M. H. Kiei)ert a fait usage pour les fiiats du nord : ceux de Nuevo-Leon, Cobahuila, Chihuahua, de la carte drcss^epar AAVis- lizenus, qui avait fait, en 18/|G-18Z|7, partie de I'exp^- dition du colonel Doniphans, charg6 d'une exploration scieutifique et mililaire de ces contr^es.

Pour les ttats du centre du Mexique, ceux de Mexico, Michoacan, Queretaro, Guauaxato, et partie de ceux de Jalisco, de Zacatecas et de Sau-Luis, les travauxde MM. de Humboldt, Gerolt et Berghaus ont 6t6 mis a contribution, ainsi que les itin6raires de Joseph Bur- kart , et le Bulletin de statistique et de gepgraphie publi6 k Mexico depuis 1839. On trouve dans ce der- nier des cartes particuliires des Etats et Territoires de Tamaulipas, Tlascala, Michoacan, Colima, qui ren- ferment des renseignements geographiques importants, principalement sur le gisement des mines.

La carte du naturaliste autrichien C.-B. Heller, publi6e en 1853 en langue espagnole, a servi pour les fitats du sud, ceux de Vcra-Cruz, Tabasco et Yucatan.

Pour I'Am^rique Centrale I'auteur a eu entre les mains les cartes et les livrcsde MM. Thompson, Dunn, Legh-Page, Montgomery, Stephens, Galindo, Dunlop, Alexandi-e de Bulow, Vaguer, Scherzer, et principale- ment les cartes nouvellement coirigees de Baily, de Squier , la carte du Honduras, publico par Well k New- York en 1857, et le lev6 de I'isthme de Tehuantepec, fait en 1851 par le colonel Barnard (1).

(1) M. Gabriel Lafond de Lurry, membre de la Commission centrale et Minislro pienipolcnliaire de Cosla-Rica pr^s deS. M. I., nous ap-

( 195 )

La partie de rAmerique du Sud comprise dans le cadre de la carte de M. H, Kiepert, n'a pas 6t6 I'objet de moins de recherches que celle de TAm^rique du Nord, dont nous venous de nous occuper. En outre des travaux de Humboldt et de Bonpland, auxquels il fau- dra toujours revenir lorsque Ton voudra s' occuper de la geographic de TAm^rique espagnole, I'auteur a eu sous les yeux la carte de la Nouvelle-Grenade de M. le colonel Joaquim Acosta, avec les corrections et les annotations qui y ont 6t6 faites par MM. Raulin, Ristrepo et Anguiana. II a aussi profit^ de quelques notes et additions fournies, pour cette carte de la Nou- velle-Grenade, par I'ancien president Mosquera, et des r^sultats du dernier voyage de M. le professeur Holton dans ce pays (1857) , qui y avaient 6t6 consign6s. Enfin, le consul g6n6ral de Prusse ci Bogota a fourni k notre savant confrere I'indication precise des nouvelles divi- sions administratives en huit I^ltats adopt^s par le gou- vernement de la Nouvelle-Grenade depuis le 15 juin 1857.

Le beau travail du colonel Augustin Codazzi a servi de base a M. H. Kiepert pour son trac6 de la r6pu- blique v6n6zu61ienne ; il a meme profit^ de quelques corrections relatives aux determinations des positions

prend que le gouvernement de cette R^publique vient de voter les fouds necessaires pour le levt? g(5ndral d'une carle topographique de Costa-Rica. D(?jk le gouvernement de la Ri^-publique de la Nouvelle- Grenade venait d'eu entreprendre une a Tiustar de la grande carte topographique du V6n6zu6la; ce sont Ik d'heureux indices qui nous font esp^rer que, dans un avenir prochaiu, I'Am^rique n'aura plus rieu h euvier ci I'Europe sous le rapport des lev^s topographiques.

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faites par M. Boussingault. La carte de la Guyanean- glaise dc Sclioiiiburgk, celle de la Guyane liollandaise de M. Melvill dc Carnbee, ont 6galeuient 6t6 mises a con- tribution pour les parties de ces pays qui restent dans le cadre de la carte. Quant aux Antilles, nos cartes de la marine, celles de rAmiraut6 anglaise, ont fourni de nombreux et precieux documents. L'autenr aegalement eu sous les yenx les travaux de M. Francesco Goello sur les lies espagnoles, la carte de Cuba du general Tomas O'Ryan (1853) , cellc de I'ile de Porto-Rico, pul3li6een 1851.

On pent juger, par cette longue Enumeration de docu- ments mis en ceuvre par M. H. Kiepcrt, du soin qu'il a apport6 k sa carte de rAm^riqueTropicalc du nord. Ce n'est qu'en s'appuyant sur un choix judicieux et cri- tique de tels travaux originaux que Ton pent esp6rcr dresser de bonnes cartes; et ce n'est pas sans intention que j'ai cit6 les sources auxqnelles M. H. Kiepert avait puis6. II donne ici un exemple que tout geographe ou cartograplie consciencieux devra s'enipresser dc suivre.

L'exEcution de ce beau travail ne laisse rien a d6sirer ; il est grav6 sur pierre avec cette nettet6, cette suret6 de burin que nous retrouvons chez les artistes alle- mands ; la lettre est claire et bien dispos6e ; les mon- tagnes n'6crasent pas le texte, et, chose k noter dans une carte allemande, les encaissements y ont 6t6 me- nag6s avec reserve et sobri6t6.

Nous signalerons bien quclques l^g^res corrections de detail a faire, mais dies sont rares et ne sauraienl porter prejudice a I'ensemble de la carte : ainsi, Ic gra-

( 197 )

veur a eu tort d'6crire Santo-Domingo-del-Palemiuin pour Santo-Domingo-Palenque: et dans la Vera-Paz, il faut lire San-Augusiiii-Lanquiit, ou plutot 1 amjuin, au lieu de San-^lugustin-Polenquin. M. H. Kiepert igno- rait sans doute encore, au moment ou il dressait sa carte, que la capitale de la r6publique de San-Salvador venait d'etre transport6e a trois lieues environ plus au sud-ouest de I'ancienne, h I'liacienda de Santa-Tec/a, apr^s la presque entiere destruction de I'ancienne, a la suite du tremblement de terre de 185Zi. La nouvelle capitale, Nuevo-San-Sahador, a 6t6 inaugur6e le jour de Noel 1855 : le president et I'^veque, avec le gou- vernement civil et eccl6siastique, qui, depuis la mine de I'ancienne ville, habitait Cojutepec, s'y sont officiel- lement install6s.

L' angle sud-est de la carte del'AmeriqueTropicale du nord, pr6sente dans un cartouche, a une jjIus grande 6chelle, au millionifeme, la partie centrale de la r6pu- blique mexicaine, d'aprfes les lev6s de MM. de Hum- boldt, de Gerolt, Heller et Smith ; I'auteur y a laiss6 en blanc les parties qui n'avaient pas 6t6 I'objet de lev6s ofiiciels.

Une note sur les documents et les mat^riaux employes, une liste des principales abr6viations et de leur syno- nymie en espagnol et en anglais , des 6chelles propor- tionnelles pour les diff6rentes mesures itin^raires des pays represent^s, completent cette belle et importante carte, destin6e certainement a combler un grand vide dans la cartographic am6ricaine. Lenom de I'auteur, la rc^putation m6rit6e qu'il s'est acquise par ses nombreux travaux g^ographiques , nous dispensent ici de tout

( 198) 61oge , nous nous bornerons done k remercier notre honorable confrere de 1' envoi des belles cartes dont il vient d'enricliir les collections de notre Soci6t6.

V. A. Maltl-Brun.

EXAJMEN

DE QUELQUES PARTIES

DE LA CARTE 1)E LA PALESTINE

DE M. Van de Velde,

parM.G.Rey.

De retour en France aprfes de longues et p6nibles explorations dans les regions situees k Test dn Jour- dain et dans le bassin de la mer Morte, je me propose de publier prochainement le r6sultat de mes observa- tions ; ce qui me conduira naturellement k faire la part des travaux de mes devanciers. Pourcette fois jcd6sire uniquement attirer votre attention, d'une maniere sp6- ciale, sur une carte de la Terre-Sainte , r^cennncnt pnbli6e par M. Van de Velde, et c'estl'exanien de quel- ques sections de cette carte queje demande k laSociete la permission de lui soumettre (1) .

(1) Map of the Holy Land constructed by C. W. M. Van de Velde late lieul. Dutch R. N. from his own surveys in 1851 and 1852, from those made in 1841 by majors Robe and Rochfort Scott, licul. Symonds and others officeers of their Majesty's corps of Royal Engineers and from the Results of researches made by Lynch, Robinson, Wilson, Burckhardt, Seetzcn, etc. , clc.,Maasstab : 1 : 315000. 8 feuillesgravdessurcuivre, avec un m^nioire a I'appui formant 1 vol. in-8" de 22 feuilles 1/2. Golha, a I'^tablisscnicnt g^ographiyuc de Justus Perlhcs.

( 199 )

La carte de la Terre-Sainte est compos^e de 8 feuilles gravies snr cuivre; elle a 6t6 publi^e chez Justus Perthes, le savant 6diteur de Gotlia, au z^le bien connu duquel la science g6ographique est redevable de tant de pnblications du plus haiit int^ret. Mon exa- men critique portera plus particuli^rement sur quel-^ . ques-unes des feuilles de la carte repr^sentant les Gen- tries que j'ai parcourues depuis le retoiir de M. Van de Velde en Europe. Si nous jetons les yeux sur la sec- tion IV du travail de M. Van de Velde, nous devons le ieliciter des renseignements qu'il a empruntt^s au D"' Porter sur la plaine qui s'6tend k Test de Damas, et oil se trouvent les trois lacs Baharet-esch-Shur- kiyeh, Baharet-el-Ribliyeh et Baharet-Hijaneh.

En descendant vers le Hauran, nous trouvons qu'il a 6t6 assez lieureux pour sa premiere chaine de mon- tagnes le Djebel-Kessou6, qu'il nomme Djebel-Assouad, et dont il a emprunt6 la configuration k I'excellent tra- vail topograpliique de mon savant ami le docteur Gail- lardot. II a aussi emprunt6 le Djcbel-Mania au D"' Por- ter, pour qui j'ai la plus liaute estime quand il s'agit de r identification d'une localite, mais dont I'^chelle trop reduite laisse fort k d^sirer.

Vient ensuite le Djebel-Rliiyarali. Le D-" Gaillardot, mes compagnons de voyage et moi , avons constats , par nos travaux topograpbiques , que cetle cbaine se dirigeait du nord-est au sud-ouest pour se terminer au TellouUi-Haicha, niontagiie d'une assez grande 6l6va- tion, et dont le sommet principal est juste en face de Missemieh. J'ai done lieu d'etre ^tonn6 de la trouvcr ^ndiquee dans la carte de M. Van de Velde comnie se

( 200 )

(lirigeant de Test k I'ouest. Quant an Telloulli-HaTclia, il ii'cn a fait aucune mention.

Si iiiaintenant nous contournons la pointe nord dii Ledja, un peu au dela de Bourak, nous rencontrons nn beau ouady, c'est le Lowa. Mais reniontons son cours et chorchons la ligne des Tells, qui doit commencer au Tell-Rhaldyeh et s'6tendie jusqu'au Tell-Hazzan. Qu'a fait I'auteur des Tells-Ha, llozzal, Ainrc, il les a coui- pl6tement passes sous silence.

Le D' Porter, a qui la science est redevablc de la d^couverte des iiiines de Bathanyeh, les indique dans sa carte comme 6tant en plaine ; c'est bien la en effet que je les ai vues; mais M.^Van de Velde les a plac6es sur un monticule qui fait partie, toujours d'aprfeslui, d'un contre-fort du Djebel-Hauran, dontje soupconnais si peu I'existence que, dans mon lev6 topograpliique, j'ai indiqu6 la une plaine oii s'6l6vent les Tells-Maaz, Alia, OEilei'an, Ardemeh et Arragetani.

Si de la nous reportons les yeux sur Sliobba, nous trouvons d'abord le Tell-Seheihan, que contourne le ouady Lowa : il est tr6s convenablement plac6, et I'au- teur indique merae le petit onn/y qui est au sommet. Mais aprfes cela nous trouvons un Tell-Eszub et un Tell-Shobba. Je me hate d'avertir M. Van de Velde qu'aucun des Tells de Sliobba ne porte le nom de Eszub ; les trois Tells sont d6sign6s sous les noms de Garrara 1", Djcmal et Garrarall; c'est ce dernier qui, quelquefois, est appel6 Tell-Shobba par les gens Stran- gers au pays. Ce sont autant de puits volcaniques dont les crat^res sont encore beants; il y a done en tout quatre Tells, quoiquc M. Van de Velde n'cn indique

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que trois , le Scheihan compris. Toutefois, si plusieurs montagiies d'une certaine importance ont 6te omises , nous voyons en revanche apparaitre un TeU-Al)ou- Tenur, que nous n'avons jamais rencontr^.'

Je dirai aussi que mes compagnons de voyage et moi n'avons point constat^ I'avancee des pontes du Djebel-Hauran indiqu^e par I'auteur entre le village de Murduk et Sleim, I'ancienne Neapolis.

Nous n'examinerons pas le Djebel-Hauran propre- ment dit, car il serait trop long de demander a I'auteur ce qu'il a fait des Tells el Arf, Berga, Esserawieh, Immersbeb, Abou-Hez, Aioun-el-Oroun , Tarba, el Rhess6, Scbah-Nasarah, Mousphan, Djefne, Om-el-

Hauran et tant d'autres qu'il serait fastidieux

d'(5num6rer ici, sans compter le Tell-el-Akmar. Je ne parlerai pas non plus des montagnes qu'il hasarde au sud-ouest du Kleib, la ou il y a une plaine dans laquelle s'61event seulement trois ou quatre miserables tertres : le Tell-Hebran et les Telloulli-Tahouabine.

Dansle m^moire annexe a sa carte, M. Van de Velde nous parait fixer un peu arbitrairement la longitude et la latitude de Missemieh, de Kennaouat, du Kleib, de Bozra, d'Ezra et autres points du Hauran, sur desdon- n6es fort incompletes.

Passons maintenant a I'examen de la partie infe- rieure du Rlior, du Jourdain et du bassin de la nier Morte, qui occupent les sections V et VII de M. Van de Velde. Je me bornerai a dire un mot relativement a la vall6e du Jourdain. 11 indique Beit-Haran et Er-Rama coinme des ruines difterentes. Je lui ferai observer qu'iln'ya qu'ime seule etmenie locality qui se nomme XVTI. M\RS. h. \Ix

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Rharbet-cl-Ram, dont j'ai visit6 les mines et qiie j'espfere identifier avec Livias. Kefrein, qu'il n'indique que comme ruines, est un lieu de campement ou les Arabes Edouants passent I'hiver. Les environs de ce point forment le Rhor-Kefrein aussi 6tendu que le Rhor- Safieh. J'en ai clierch6 en vain la trace dans sa carte. Dans la description de la mer Morte proprement dite, nous croyons que le graveur aurait pu accentuer davantage les falaises k pic qui constituent la plus grande partie du bassin du lac Asphaltite. En partant de la pointe nord, pour suivre la rive occidentale, nous trouvons d'abord les ruines de Goumran, signa- 16es par M. de Saulcy. M. Van de Velde indique bien des ruines, mais en omettant leurs noms, car les Arabes les nomment Rarbet-Goumran, Rarbet-Fecli- khah, et une petite partie plus proche de la Grfeve, Redjoura-el-Bahar, ce qui veut dire monceau de mer ou situ6 au bord de la mer.

Quant aux environs du Birket-oI-Klialil, je deman- derai k I'auteur ce qu'il a fait de la plaine mame- lonn6e qui s'6tend de la grfeve de la mer Morte jusqu'au pied du Djebel-Rhabarah, sur quatre kilo- metres de long k peu pr6s et environ deux de large k sa partie la plus resserr^c entre le Ouady-el-Rha- barali d'une part, et le Ouady-el-Rhalil de I'autre. Dans la carte que nous avons sous les yeux, je trouve k la place de cette plaine une montagne en tons points semblable k celles qui constituent les escarpements de cette rive. Mais nous voici k Zouera, 1' antique cit6 biblique de Zoar, que M. Van de Velde nonime Zuweirah ; et nous touchons cnfin k Sdoum , qui va

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devenir le point principal de mes observations. M. Van de Velde, qui a visits les lieux, pretend que ces mines sont I'invention d'un voyageur francais, M. de Saulcy. II s'appuie, pour nier leur existence et pour corroborer son opinion, de celle de M. Poole.

Malheureusement pour lui, tons ceux qui, avec moi, ont visits ces lieux, en ont reconnu 1' existence, et je suis heureux de profiler de la circonstance pour declarer hautement que toutes les ruines signalees par M. de Saulcy et ses compagnons, je les ai 6galement retrouv^es : celles de Sodome aussi bien que celles de Goumran ou de Zoar. Mais continuous le tour de la mer Morte, et voyons sur la rive orientale quels pas aura fait faire a la science le travail de M. Van de Velde. D'abord, au sud d'el Lican, le capitaine Lynch a indique une petite presqu'ile k laquelle il a donn6 le noni de pointe Molyneux. L'auteur de la carte de la Terre-Sainte en indique bien le nom, mais il nous semble qu'il aurait dii 1' accuser davantage, ainsi que I'a fait M. de Saulcy dans sa carte d'assemblage, qui, pourtant, n'est qua I'^clielle d'un million i6me.

L'auteur annonce ensuite que, pour les environs de Rarak et de Rabbah-Moab, il s'est servi des itineraires de M. de Saulcy. Nous aurions peine a le croire, car ses directions ne coincident nnllement avec celles de notre savant confrere. II dit, dans son m^moire, avoir d(iter- niin6 la position de Karak par une triangulation dont il ne nous fait pas connaitrc les autres points. M. de Saulcy a plac6 Rabijah au nord-nord-est de Karak ; l'auteur a jug6 a propos de placer ces ruines au nord- ouest. Si, pour cette parlic de la carte, nous exanii-

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nous le dessin topographique, la proini^re chose qui nous frappe, c'est rexlrerae disproportion qni existe entre le monticule de Schihan et les montagiies domi- nant les Karbct-Fouquoua, qui, dans I'itin^raire de M. de Saulcy, sont indiquees connne phis escarp6es et plus considerables que le Tell et Schihan.

M. Van de Velde passe encore sous silence les localites biblitjues reconnues sur le plateau de Moab par M. de Saulcy. D'aillenrs , ici comma dans le reste de la carte, les noms sont encore defigui-^s ; ainsi, pour Beit-el-Kerm , qui signifie /a maison de Id vignc, il a 6crit Beit-el-kiirm, ce qni n'a aucune signification.

En terminant cet examen, il ne me reste qua ex- primer mes regrets a M. Van de Velde d'a\oir dii critiquer autant de points de detail dans un travail qni parait lui avoir coute tant de recherches ; mais le rfeultat de mes explorations ne m'obligeait-il pas k t6moigner ici de I'exactitude des faits avanc6s par lAI. de Saulcy, dont les r^centes decouvertes avaient soulev6 tant de critiques peu justifi^es, ainsi qu'on commence aujourd'hui a le reconnaltre.

E. GUILLAUME PiEY.

( 205 )

i^oiivelles et coeiiiisiBiiieatioiis.

NOUVELLES DES CAPITAINES BURTON ET SPEKE , Refues a Londres au mois de Janvier 1859.

Le lac Ujigi existe a I'ouest de Zanzibar, il a et6 explore entierement par les deux voyageurs ; son 6tendue est d' environ deux cents milles de^ong sur vingt-sept milles de large. Les voyageurs ont eu a combattre d'extremes difficult^s provenant de I'^tat malsain du pays et des attaques des insectes morti- f^res; le capitaine Burton a eu I'oreille perc^e par un petit insecte c[ui Fa fait cruellement soufirir, et, par cette cause, ajoutee a I'insalubrit^ du climat, il a 6t6 affect6 de surdity et de cecit6, ce qui cependant ne I'a pas empech^ de continuer son voyage, mais en se faisant porter ; le capitaine Speke a souffert presque autant. Tons les anes de I'exp^dition sont morts, et beaucoup des natifs qui accompagnaient les voyageurs les ont abandonn6s.

Sans le secours qu'ils ont recu du consul de France, aprfes la mort du consul anglais ^.Zanzibar, ils n'au- raient pas pu continuer leur course. Malgr6 toutes ces difticult^s, ils sont arrives au lac; ils ont pass6 beau- coup de temps pour en faire le tour, et ils en ont rap- ports une grande carte, qui en fait voir I'etendue et les directions. Non contents de ce succ^s, ils ont 6t6 a la recherche du grand lac central dont on parle beau- coup, et ils en ont recu des informations dignes de foi qui le representent comme situe a la distance de seize journ6es dans le nord.

A la date de ces nouvelles (juin dernier), le capi-

( 200 )

taine Burton, ^tant trop nial pour accompagner le capi- taine Speke, 6tait rest6 a moitie chcinin environ entre le lac Ujiji et Zanzibar, attendant son retour avec impatience et inquietude.

A I'occasion de ces nouvelles, sir Murchison a dit a la Soci6t6 royale g^ograpliique que cette exploration lui paraissait la seconde en importance aprte celle du D' Livingstone, le lieu jusqu'oii ont pen6tr6 les voya- geurs 6tant a cinq cents niilles de la cote orientale, et une grande partie de ce pays n'ayant jamais 6t6 visit^e par les Europ6ens. Leurs d^couvertes, a-t-il dit, con- firment celles du D' Li\ ingstone et font voir que dans la partie centrale de I'jVfrique, il y a un immense pla- teau convert d'eaux {platenn o/'ivafer) ; elles tendent aussi, selon lui, a montrer que les pr^tendues monta- gnes (le la Iiine n' existent pas ; car il n'y en a aucune apparence dans la route qu'ont suivie les voyageurs, bien que cette route ne fiit pas 61oign6e de la latitude supposee de ces montagnes. Une coupe du pays a 6t6 trac6e sur leur carte : la plus haute montagnequ'ils ont traversee n'a pas plus de cinq milles pieds de liaut, et le lac Ujiji est 61ev6 de dix-liuit cents pieds seulement. M. Mac Queen a r6pondu qu'il croyait a I'existence de ces montagnes, d'apres les missionnaires qui les ont vues couvertes de neige.

A la mort du consul anglais k Zanzibar, on a nomm6 a sa place M. Rigby, et on I'a cliarg6 dc donner toute 1' assistance possible a 1' expedition des capitaines Burton et S])eke, qui sent des officiers de I'armee indiennc, et qui ne soudViront pas des chan- gements survenus dans le gouverneaient de I'lnde.

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( 20S )

Notes.

I" Note. La population de la Conftd6ration grena- dine s'est gronp(:^e par des nuances de castes, selon les cliniats, c'est-a-dire selon I'^l^vation etTexposition des lieux. Ainsi, la population blanclie couvre les plateaux de Pasto et de Popaynn, dans la grande Cordill^re des Andes et le faisceau gt^nerateur des trois chaines de niontagnes, ainsi que les plateaux de Medellin (chaine centrale) et de Bogota, Funja, Velez, Pamplona et Ocana (cliaine orientale).

La population noire ou africaine et ses m^-tis est dis- s6min6e sur les cotes des deux Oceans, et au fond des valines brulees de la Magdalena, du Cauca, de I'Atrato et du Patia; regions ou les travaux des mines et de la navigation exigent le concours d'une race fort vigou- reuse.

Dans ces memes valines, sur les cotes, ainsi que sur les premieres pentes des chaines de montagnes , se trouve la population mel6e de blancs, d'Indiens et de mulatres, dans laquelle predomiiient la couleur, la phy- sionomie et I'intelligence des Europ6ens, et la force et r indolence des n6gres.

Sur les plateaux de Pasto et Popayan, de Bogota et Funja, de Velez et Pamplona, la majority des habi- tants des campagnes est issue du croisement de la race europ^enne avec les Indiens. Mais I'^l^ment indien y a tenement dispani aujoiird'liui que Ton ne pent reconnaitre les descendants de ces m6tis indiens, les- qucls d'ailleurs sontcntieremenl blancs, qu'aleurtaille,

( 200 )

gen6ralenieiit moyenne, et qu'a un certain accent forte- inent guttural ou prqfond. Cet accent est bien remar- quable dans leur manifere cle prononcer I'espagnol, qui est la seule langue de la population utile.

D'aprfes les donn^es les plus approximatives, on peut classerla population totale utile, delanianifere suivante :

Race europ6enne pure 1,357,000

Race europ^enne et indienne m^l^es {blanche aussi). . . . 600,000

Africaine pure 90,000

Divers melanges 465,614

2,692,614

II faut encore signaler une autre espfece singuli^re deracemel^e : c'est la partie blanche de la population dg rfitatd'intioquia, issue du croisement de la pure race espagnole avec une colonic nombreuse de juifs venus d'Espagne pour s'6tablir, avec la permission de Philippe III, dans la province d'Antioquia.

IP Note. II ne reste aujourd'hui d'autres groupes d'Indiens purs que les suivants :

Celui des Goajiros , qui peuplent la p^ninsule deGoajira (Etat du Magdalena). lis sont encore insou- mis ; mais ils sont en general inoflensifs et entretiennent avec les cr6oles des relations commerciales tr^s fr6- quentes.

Les Goajibos , tribu quelquefois agressive , qui habite dans les forets du Meta et du Sarare (Etat de Boyaca); etles Fimebos, peuplade intelligente et paci- fique habitant les niontagnes de la grande chaine orientale vers les sources du Sarare.

La famille considerable des Andaquies , etablic

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sur les lleuves Caguan et Yupura ou Caqufeta , dans I'Etat du Caiica.

Zj" Les Indiens till Darien, peuplade tr6s peu nom- breuse aiijourd'hui, cpii habite entre le golle de San- Miguel, du Pacifique et celuid'Uraba, de rAtlantiquc.

Ainsi done, soit par destniction , soit par absorption, les Sou 9 millions d'Indiens que les conqu6rants trou- vferent dans la Nouvelle-Grenade, sout rciduits mainte- nanti 126,000!

Ill* Note. Abstraction faite de la population in- soumise et du territoire non occup6 , la density de la population est la suivante :

Dans I'Etat de Ayitioquia 8 habitants par kil. carr6.

Bolivar 6

Boyaca 15 1/2

Cauca 5-1/2

?— Cundinamarca 9 1/8

Magdalena 2 1/13

Panama 4 1 /3

Santander 20 1/2

Dans toute la Confede'ralion 7 6/8

IV Note. Les races primitives (on divisions de la grande race sud-am6ricaine), d'ou est issue la population actuelle m61ang6e de blancs et d'Indiens, 6taient :

1" Sur les plateaux de Pasto et de Popayan, divers groupes appartenant a la grande famille p6ruvienne des Qaichuas ;

Dans la chaine centrale des Andes grenadines, la famille guerri^re, tr6s nombreuse et puissante des Pantagoros, qui peuplait aussi les flancs des mon-

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tagnes et s'6tenclait sur I'lm et 1' autre versant, sur quelqiies parties cles valines du haut Magdalena et du haut Cauca ;

30 Dans le fond de la meme valine du haut Magda- lena, les families tr6s nombreuses des Paczes, des Manjuetones, etc. , issue peut-etre du croisement des Pantagoros avec les Patiches;

h' Sur les flancs du rameau int^rieur de la chaine orientale, et k ses bases dans la valine du haut Mag- dalena (rive droite), la famille fort belliqueuse des Panc/tes, derivation 6vidente des Chibchas ;

Sur les plateaux de Bogota et de Funja, la race CUbcha, qui 6tait la plus civilis6e de toute rAm6- rique du Sud aprfes celle du Cuzco (P6rou) ;

60 Dans les contr6es de Velez et de Socorro (entre la chaine orientale et le bas Magdalena) , les families des Muzos et Guanes qui 6taient extremement belli- queuses ;

Sur les plateaux de Pamplona (chaine orientale) , les families des Funebos, des MotHones, etc.

V* Note. Dans la Nouvelle-Grenade, la popula- tion double tous les vingt-cinq ans, d'une mani^re persistante, par le seul fait de sa situation climat6- rique, 1' immigration 6trang6re ^tant tout a fait nulla.

J. M. Samper.

( 212 )

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KXIRAITS DES PHOGKS- VEHBAUX DES SEArsCES.

Seance du h fevrier 1859.

M. le ministre de I'instruction publique infornie la Soci6t6 qu'il vient cle lui attribuer, a titre de subven- tion pour I'ann^e 1859, une somme de 600 francs en ^change de 50 exemplaires de son Bulletin. Des remer- ciments seront adress6s a S. Exc. pour ce nouveau t6moignage d'int6rel.

M. >\'ahll)erg, secretaire perp^tuel de rAcad6mic royale des sciences de Stockholm, adresse k la Soci6t6 les cinq premieres livraisons de la relation du voyage de la frigate royale su6doise I' Eugenie.

M. L. de Rosny adresse un num6ro de la Revue americnine orientnle, et en demande I'^cliangc avec le Bulletin de la Soci6t6. Renvoi a la section de comp- tabilite.

M. Joniard conimunique les nouvelles qu'il a rcrucs de Londres concernant le voyage des capitaines Burton et Speke aux lacs de I'Afrique centrale. Le lac Ujiji a 6t6 explore dans une partie de son 6tendue. Voir au Bulletin.

M. Malte-Brun lit un passage d'une lettre a lui adressec par le D' B;irll), duqiiol 11 rcsultc que le ceiebre voyagour, pour se reuiettre de ses fatigues litt6raires, vient de laire une excursion dans I'Asie

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Mineure ; ce nonveau voyage fait esp^rer que le D'' Barth reprendia les travaux g6ographiqiies et ethnographiques qu'il avait d'abord eiitrepris sur I'Asie, et que son depart pour sa grande exploration de I'Afriqiie centrale I'avait forc6 d'ajourner,

M. le secretaire donne lecture de la liste des ou- vrages d6pos6s sur le bureau. M. Arthus Bertrand fait hommage, au nom de M. Hecquard, consul de France a Scutari, de I'ouvrage qu'il vient de publier sous le titre de : Histoire et description de la haute Albanie on Gnegririe, avec une carte. M. Lejean est pri6 d'en rendre compte.

M. Guigniaut presente le Rapport qu'il a fait a I'Academie des inscriptions et belles-lettres, au nom de la Commission charg6e d'examiner les travaux en- voy6s par les membres de I'^cole francaise d'Atlifenes.

La Society admet au nombre de ses membres M. Saillard, attache au minist^re des affaires 6tran- gferes; M. Rousseau, consul de France a Djeddah, et M. le D"" C. Poyet, r^sidant a Routchouck.

M. le professeur Parlatore, directeur du Mus6e d'histoire naturelle de Florence, est presente comme candidat par M. Jomard et M. le comte d'Escayrac.

La Commission centrale precede a 1' Election de quatro membres adjoints, et elle nomme au scrutin MM. Jules Duval, Auguste Himly, Alfred Jacobs et ilis^e Reclus.

M. Vivien de Saint-Martin lit en communication une Note sur les d^couvertes du R6v. Rebmann et du D' Rrapf dans la region orientale del'Afrique australe. Les rapports g6n6raux qui existent 6videmment entre

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la region des montagnes neigeuses, reconnues par les deux missionnaires, et les sources du iNil out ete deji signal^es plus d'une fois, notamment par M. Joniard, le savant et v6n6rable president de la Soci6t6 ; mais M. Vivien de Saint-Martin s' attache a pr6ciser davan- tage ces rapports, tant par les indications arabes que par le rapprochement d'inlormations concordantcs re- cueillies, d'une part, par le D"^ Krapf, et de I'autre, par M. Werne, qui accouipagnait I'cxp^dition de M. d'Arnaud, en 1840, pour 1' exploration du fleuve Blanc, et il arrive k cette conclusion que la source priucipale du fleuve Blanc, celle qui a 6t6 regard^e de tout temps par les indigenes comme la vraie source du Nil, est au niont R6nia, k une tr6s petite distance au sud de ri^quatcur. Le domaine g6n6ral des sources du fleuve, c'est-ci-dire de ses branches alTluentes, doit occuper une zone d'une 6tendue considerable k I'ouest du mont R6nia ; mais M. Vivien ne croit pas, d'aprSs les doun6es actuellenient acquises, et les inductions qu'on en peuttirer, qu'aucune de ces sources descende beaucoup au midi de la ligne 6quatoriale.

L'auteur de la Note signale aussi le tr6s grand int6- ret, pour I'ethnologie g6n6rale, des notions que Ton possede aujourd'hui sur la distribution des peuples et- des langues de I'Afrique australe. Ces notions rcposent sur les recherches de plusieurs savants, et, en parli- culier, sur celles de M. Eugfeue do Froberville ; les travaux philologiques du D"" Krapf les out confirmees et en ont encore 6tendu I'application.

M. Jomard ajoute, aprfes cette lecture, qu'il se feli- cite de voir sa conjecture sur 1' emplacement probable

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d'une ties sources principales du Nil-Blanc, embrass6e et confirm6e par 1' opinion d'un g6ographe aussi 6clair6 que M. Vivien de Saint-Martin, conjecture 6mise d6s le premier moment de la d6couverte des montagnes neigeuses par le D' Krapf et le R6v. Rebmann, et qu'il a corrobor^e par le t6moignage d'un capitaine de vais- seau anglais naviguant au service du sultan de Zanzibar.

M. ]^lis6e Reclus lit une Notice sur la Nouvelle- Grenade. Renvoi au Bulletin,

Seance da 18 fcvrier 1859.

MM. Duval, Jacobs et Reclus adressent leurs remer- ciments k la Commission centrale qui vient de leur accorder le titre de membres adjoints, et promettent de prendre une part active a ses travaux.

M. Jomard annonce, d'aprSs une communication de M. Delessert, qu'une nouvelle Soci6t6 de geographic est sur le point de se constituer a Geneve, et qu'on sollicite les documents ou les renseignements qui peu- vent facditer Tex^cution de ce 'projet. Cette Soci6t6 est la neuvi^me qui se sera formee ^ I'instar de la Soci^te de Paris, qui a donn6 I'impulsion en 1821. Ces Soci6t6s sont celles de Londres, de Bombay, de Francfort, de Berlin, de Russie, de Darmstadt, de New- York, et de Vienne, sans parler de plusieurs Soci6t6s qui s'occupent de statistique ou d'autrcs branches de la science g6ographique.

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M. le president aiinonce que, sur sa locomiuanda- lion, M. le docteur Norton Shaw, secretaire dc la Soci6t6 royale g^ographique de Londrcs, a fait iin accueil des plus synipathiques a M. Lejean, membra de la Commission centrale, pendant son s6jour dans cette ville.

M. le secretaire communique la liste des ouvrages d^pos6s sur le bureau. M. Cortambert y ajoute deux opuscules de M. le docteur AUard sur la Dobroutcha, ct M, Malte-Brun, uue Notice de M. le colonel Faidlierbe sur le Senegal.

M. le professeur Parlatorc , directcur du Mus6e d'histoire naturelle de Florence, est adiuis au no(nbre des membres de la Soci6t6.

M. Elis^e Reclus lit la suite de son travail sur la Nouvelle-Grenade, et M. Bouillet, une Notice de M. le docteur Poyet sur les Zeibeks de I'Anatolie. Ces deux communications sont renvoy^es au Bulletin.

Seance dn h nuirs 185i>.

M. Jomard depose sur le bureau un M^moire adresse ;\ la Societe par M. le docteur Cuny, avec pri^re de le comnumiquer d'abord a M. le comte d'Escayrac. M. le ministre du commerce, de I'agriculture et des travaux publics, qui a transmis cc Memoirc a la Society, an- nonce qu'il a fait prendre pour son departement un extrait des renseignements utiles que renferme ce travail sur les productions, les (ichanges et les usages

(217 )

commcrciaux do plusiciirs dcs tribiis do I'Afriquc inl6- rieure.

M. Jomard annoncc ensiiite le depart de M. le D' Cuny pour le Darfour, ou il parait etre appel6 par le sultan : il a quitt6 le Kordofan en conipagnie de plusieui-s Foriens vers la fin de I'ann^e derni^re.

Le menie membre annonce une perte bien sensible que vient de faire la Society dans un de ses plus anciens membres, le colonel Coraboeuf, ancien chef de section au d6p6t de la guerre, et qui a attach^ son nom a la publication de la nouvelle carte de France. Ce savant officier, sorti de I'Ecole polytechnique en 1796, 6tait parti en qualite de capitaine, en 1798, pour I'exp^dition d'Egypte, et, pendant tout le cours de I'exp^dition, il avait ete attache a I'astronome Nouet, De retour en France, il s'etait successivement occup6 des travaux g6odesiques en Pigment, en Italic etsurla frontitire d'Espagne. Son travail sur la chalnc des Pyr6n6es avait refu une liaute approbation de 1' Aca- demic des sciences.

M. Malte-Brun communique une lettre qu'il a refue de Londres, dans laquelle il est rendu compte du r^sultat des d(5marclies faites par le gouvernemcnt anglais des Indes, pour connaitre la destin^e du voya- geur Adolphe SchlagintMeit, dont on n'a plus de nouvelles depuis son entree dans le Tibet en mai 1857. On pense qu'il se sera vu fermer le chemin du retour vers rinde, et se sera dirig6, en traversant le Tur- kestan (khanat de Kokand) , sur les possessions russes de la mer Caspienne.

M. Cortambert annonce que M. de Halin, consul

XVll. MARS. 5. 15

( 218 )

autrichien a Syra, a fait r^cemmeni nn voyage a tra- vers la Turquiecl'Euro])e,depuis Belgrade jusqu'aSalo- niquc; il a communique ses notes a M, Ami Boul', qui Jes adresse k son tour a la Soci6te par Tinterm^diaire de i\I. Viqucsnel. M. Cortambert donne lecture d'uno partie de ces notes, qui indiqueut plusieurs positions nouvelles, et oii se trouvent des details surdes popula- tions albanaises qui occupent d'iuiportants d^fdesdela grande chalne de laTurquieceiitrale. Cette commu- nication est renvoy(5e an Bulletin.

M. Vivien de Saint-Martin lit en communication des extraits d'un travail historique sur la recherche des sources du Nil. 11 s' attache principalement ii la fin do son Memoire, comme il I'a deja fait dans une commu- nication pr6c6dente, a montrer quels doivent etre d6- sormais le point de depart et la direction h donner aux explorations de cette region de I'Afrique centrale.

Seance dn 18 viars 1859.

M. Justus Perthes, directeur de I'etablissement g6o- graphique de Gotha, 6crit k la Soci6t6 pour lui faire don de carte de la Palestine de M. Van de Velde,ainsi (pic du Mt^moire qui I'accompagne.

M. Ic secretaire comnmnique la liste des autres Guvragcs ofTerts a la Society.

M. de Quatrefagcs depose sur le bureau des Notes ([u'il a rcfues de M. Antoine d'Abbadie sur les nfegres do I'Kthiopie. Renvoi au Bulletin.

M. le comte d'Esrayrnc nimonce fpi'il a reni do l.i

( 219 )

Soci6t6 le M^moire et la lettre qti'elle a bien voulu lui transmettre de la part de M. le doctenr Cuny, ancien m^decin en chef dans la haute Egypte.

Cette lettre, k la date du 25 niai 1858, lui apprend I'arrivee de ce voyageur dans le Kordofan. M. Cuny allait se rendre dans le Darfour, et il doit y etre depuis longtemps; il a rencontre quelques obstacles et couru quelques dangers de la part des autorites du pays pen d^sireuses de voir les Europ6ens p6n6trer dans I'inte- rieur de I'Afrique, et le secret avait du etre garde d'une maniere a peu prfes complete sur son voyage jusqu'au moment ou, p6n6trant enfin dans le Darfour, il s'est vu k I'abri d'un p6ril que la publicity donn6e en Europe k son entreprise eut notablement accru.

M. d'Escayrac ajoute que, d'apr^s le d^sir de M. Cuny, il reverra son M6moire relatif k la premiere partie de son voyage dans la Nubie et le Kordofan, et qu'il le publiera dans le Bulletin, si la Soci6t6 Ten juge digne.

M. Joniard lit une Notice f{ui lui a 6t6 adress(5e par M. le chevalier Leon de Pontelli, voyageur dans I'Am^rique centrale ; ses observations portent prin- cipalement sur les productions du pays et sur les antiquit6s.

Le meme niembre doniie connaissance d'une lettre par lui 6crite, apr6s la decouverte de la montagne nei- geuse de KC^nia, par MM. Krapf et Rebmann, et dans laquelle il avance que la source de la branche la plus orientale du Bahr-el-Abyad doit etre peu 61oign6e de cette montagne, de maniere qu'il faudrait plutot se (linger de cf cote que de rcinonler le Nil-Blanc, a

( !>20 )

[>;irlii' tlu posli' ill' l;i mission juilricirK'iiiic. route plus longue et probaMcmeul plus dillicilc.

M. Vivien dc Saint-.Martin ajoute qiiclques mols a cette communication. II apprend avec ini vif intOrOt (pi'il y a trois ans dcja, dans I'intimite dc sa corrcs- pondance priv6e, M. Jomard avait eu, sur la iiouvcUe direction et le point dc dispart nouveau qu'il imporlc- rait de donncr aux explorations dc la region des sources du Nil, Ics mcmes idees que lui-mcme, M. Vivien dc Saint-AIartin, a emiscs ct developp6es dans une com- munication recente qu'il a faitc a la Soci6t6. II se fcli- citc de s'etre ainsi rencontr6 avec iin liommc qui a acquis sur ce sujet une si grande et si legitime auto- rite. 11 y a la une question dont la Soci6t6 appreciera r importance.

M. d'Avezac sigualc ^ 1' attention dc la Societc deux cartes manuscrites du moyen age, dont la ventc pro- chaine est annoncee a la suite de celle des livres dc M. Boissonadc. Ce sont deux portulans de la Medi- lerranee et de la mer Noire, avec les cotes voisines sur r Ocean, dessines sur peau de v61in par deux cosmo- graphes mayorquins. Pourl'un et pourl'autre, il y a, quant a leur age, erreur evidente dans les indications du catalogue : la plus recente des deux cartes a etc ox6cutec par Barthelemi Olives, a Messinc, en I'an- 'n6e 1575, comme ou peut le lire avec assurance sur I'original, et non en 1075, comme cela est imprimd' tlans le catalogue. L' autre carte, non dalee, et desi- gnee simplement comme anterieure au milieu du xV si^cle, est beaucoup plus ancieune, etM. d'Avezac, qui I'a examinee, sigualc divorscs indications lieraldi-

( 221 )

qucs qui Ion I rcinontor avcc certitude la date probable do la rt'daction k une 6poque ant(5rieure a la conquete de la Bidgarie par les Tartares, c'est-i-dire h I'an- n6e 1391 , tout en restant en deci de I'ann^e 1375, ou la petite Armenie fut envahie par les Musulmans. Cette carte appartient ainsi a une periode dont les monu- ments ont une valeur historique bien sup6rieure a celle des productions plus recentes ; et malgre d'assez graves atteintes qu'elle a subies a sa marge inferieure de la part des rats qui Font dentelec, cllc olTrc, pour le sur- plus, un des echantillons les mieux conserves de la cartographic du moyen age.

Le nom dc Soleri, dont elle est sign^e, est d^j^connu par une carte de 1385 qui se trouve aux archives diplomatiques de Florence.

M. d'Avezac annonce qu'au surplus il conmiuni- quera ulterieurement a la Societe une iNotice sp6ciale de ce beau portulan.

M. Jos6 Maria Samper lit une Note sur la statisti({ue de la Confederation grenadine a la fin de 1858. Cct int^ressant document est renvoye au Bulletin.

La Commission centrale accepte Tcchange de la Rei'iic aiiu'ricaiiie et nriciitale avec SOU Bnllelin,

La premitire assemblee g6n6rale de 1859 est fix6e au 8 avril prochain. '

( '2'2i ) OUVilAGES OFFEllTS A LA SOCIETE.

SfiANCES DE MA15S 1859.

Tilres des ouvrages. Donateuis.

ASlt:.

Memoir to accompagny the map of the Holy Land, by C.-W. M.Vaii dc Veldo. Gollia, 1S58, 1 vol. in-8. M. Justus Pehthes.

AMERIQUE.

Pcregrinacion de Alpha por las provincias del Norte de la Nueva Gra- nada en 1830-1851. Bogota, 1833, 1 vol. ia-12. M. Ancizar.

A statistical view of amcrican agriculture, its home resources and foreign markets, with suggestions for the sdieduies of the federal census in 1860, by John Jay, esq. New-York, 1839, br. ia-8.

M. John Jay.

Canal dc Nicaragua. Notice sur la navigation Iraiisatlantique des pa- qncbols intcroceaniques ou Recherchcs sur Ics routes de plus court Irajet d'Europe a Saint-Jcan de Nicaragua et retour, et sur le regime des courants, des vents et des tempAtes dans I'oc^an Atlan- lique septentrional, par M. Keller, ingcnieur hydrographe de la marine. Paris, 1839, 1 vol. in-8.

COMPAGNIK l)U CkSKl. DE NiCMlAUUA.

CARTES.

Map of the Holy Land, by C.-W. M. Van de Velde. Golha, 1858, 8 feuillcs. M. Justus Perthes.

Carte de IWIIemagnc occideutale, avec Notice dressce par M. Dufour et publi^c par MM. Paulin et Le Chevalier, 1 feuillc.

MM. PaUMN Cl LECHEVALlEn.

OUVRAGES GliNERAUX, MEL\NGE.S.

Annales de lobservatoire physique central de Uussie, publiees par ordredc S. M. 1., sous les auspices deS. Kxc. M dc IJrock, niinistre

( 2-23 )

Titles (les ouvi-agca. Dotiatews.

des finances el chef du corps des ingi^iiicurs des mines, par A.-T. KuplTer, dirccteur de I'observatoirc physique central. An- n^e 1855. Sainl-l'elersbourg, 1857, 2 vol. in-4.

S. Exc. M. DE Brock.

Almaiiaque naulico para 1860, calcuiado de orden de S. M. en el obscrvatorii) de marina de la ciudad de San Fernando. Cadix, 1858, I vol in-8. L'Obseiivatoire de San Fernando.

ME.MOIRES DES ACADEMIES ET SOCIETGS SAVANTES, RECUEILS PERIODIQUES.

Proceedings of the royal geographical Society of London, vol. Hi, 1, 1859. Mittheihingen duD' A. Petcrmann, 1, de 1859.

Zeitschrifl filr allgemeine Erdkunde , novembre et decem- bre 1858. Journal of the Franklin Institute, fevrier. Archives des missions scientiOques ct litt^raires, tome VIII, 1858. Nou- velles Aunales des voyages, fevrier. Revue de I'Orient, de I'Al- g6rie et des colonics, fevrier. Dulletin de la Soci^t^ g^ologique de France, fi^vrier. Bullelin de la Societe impc-riale zooiogique d'acclimaliou, Janvier et fdvrier. Annuaire de la Soci(*t^ ra^t^o- rologique de France, fevrier. Nouvcau journal des connaissances utiles, mars. Journal des Missions (^vangt'liques, fdvrier.

Journal dYducalion populaire, fevrier. Bulletin de la Soci6t6 d'agriculture el de commerce de Caen, cahiers d'octobre 1858 a fevrier 1859. L'Isthme de Suez, 66.

Les Auteurs et Editeurs,

Erratum des cahiers de Janvier- fevrier .

Page 151, ligne 20, au lieu de : Carte de I'Asie Miueure, par )rca(i(/e/, lisez ; Carte de I'Asie Mineure, par Wronlchenko.

4

i

BULLETIN

DE LA

SOCIETE DE GEOGRAPHIE.

AVRIL 1859.

ISIeuioires, IVotices, etc.

Assemblee generals du 8 avril 1859.

OUVERTURE DE LA STANCE PAR M. DE LA ROQUETTE, V. president de la Soci6t6.

Messieurs,

L' absence prolong^e de M. le g6n6ral de division Daumas, que les hautes fonctions qui lui ont 6t6 con- fines par I'empereur retiennent encore au camp de Lun6- ville, m'appelle pour la seconde fois dans cette session i i'honneur de pr6sider votre assemble.

Je regrette, Messieurs, de ne pas voir votre honorable president assis aujourd'hui sur ce fauteuil qu'il eut si dignement occupy ; etj'oseesp6rerquevousaccorderez h. celui qui le remplace la meme bienveillance qu'il a obtenue de vous en 1858 (1).

(1) Voirle procfes-verbal de I'Assembl^e g^o^rale, p. 309. IVII, AVRIL. 1. 1(5

( 226 )

RAPPORT SUR LE PRIX ANNUEL

POUR LA DtCOUVERTE LA PLUS IMPORTANTE EN GtOGRAPHIE PENDANT LE GOURS DE l'aNN£e 1856.

Commissaircs : MM.Daussy, d'Avezac, Jomard, Vivien de Saint-Martin, ct de La Roquelte, rapporteur.

Messieurs,

Tous les ans, la Soci6t6 de g6ographie oiTre, sur le Rapport d'lme Commission sp6ciale, uii grand prix au voyageur qiii, pendant le cours d'une ann6e determi- n6e, a fait la d6coiiverte la plus importante.

La Commission speciale 61ue en 1859 par votre Commission centrale, a I'efTet d' examiner la question du prix pour I'annee 1856, s'est trouv6e compos6e de MM. Daussy, d'Avezac, Jomard, Vivien de Saint-Martin et de la Roquette, que gcs collogues ont bien voulu designer comme rapporteur.

C'est le r(^sultat des deliberations de votre Com- mission speciale qup je viens mettre sous vos yeux ; elle s'est accord6e a I'unaniinit^, aprfes un exameii long et consciencicux, pour deccnier votre graude medaille d'oraMM. Adolplic, Hermann et Robert Schla- gintweit, voyageurs, geologues, naturalistes et pliysi- ciens bavarois, pour leurs explorations du Tibet et du Turkestan oriental, et pour les d(^couvertes qu'ils ont faites a I'ouest, au nord et au nord-ouest des monts Himalaya.

( 227 )

Ces trois frferes vous 6taient d6j& fort avantageuse- mentconnus, Messieurs, par les beaux travaux ex6cut6s par eux, de I8Z16 a i 8A8 et de 1850 a 185Zi, sur la g6ogra- phie physique et la geologic des Alpes, travaux qui leur avaient acquis une place distingu6e parmi les g6ogra- phes et les naturalistes, dont notre Acad6mie des sciences appr6cia le m^rite, et dont votre Bulletin a fait plusieurs fois mention, lorsque s'offrit une occa- sion unique d'6tendre leurs explorations sur le plus vaste des theatres!

La mort du capitaine William Elliot, arriv6e k Masulipatam le li aout 185*2, ayant laiss6 inachev6 le lev6 magn6tique de I'lnde {The magnetic Suri'ey of India), la Compagnie anglaise des Indes orien tales cherchait a lui donner un digne successeur. Inform6 de cette circonstance, M. Bunsen, ambassadeur de Pnisse k Londres, la fit connaitre a M. le baron Alexandre de Humboldt, et ce v6n6rable et illustre doyen de la science, qui avait concu une haute id6e des talents, du zele et de I'activite des frferes Schla- gintweit, lesrecommanda a M. le colonel William Sykes, membre dela Chambre des communes, I'un des direc- teurs influents de la Compagnie des Indes, lui-meme savant distingu6, connu par d'excellents ouvrages, en 6tat, par consequent, d'appr6cier le m^rite des autres. Adolphe Schlagintweit fut invito a se rendre a Lon- dres, et dans les premiers mois de 1854 il entra au service de la Compagnie des Indes (1).

Cette puissante Compagnie, qui, dans une multitude

(1) Le brevet purtait : r ou lui, ou I'un de ses fr^res. »

( 228 )

d' occasions, s'est montr^e la protectrice 6clair6e et g6n6reuse des plus importantes entrepriscs scientifiques en faisant abstraction des nationalit6s, se montra en- core en cette occasion on ne pent plus lib6rale. Outre une importante allocation annuelle accord6e a Adolphe Schlagintweit, elle consacra une somme d'environ trente mille francs a 1' acquisition des instruments de toute nature dont il manifesta le besoin, ct se chargea, de plus, de tous les frais.

G'eiait Adolphe Schlagintweit seul, le second des trois frferes, gui avail d'abord trait6 avec la Compa- gnie, mais Hermann et Robert avaient 6t6, sur sa demande, autoris6s a I'accompagner. A peine eurent- ils touch6 le sol indien que lord Dalhousie, alors gou- verneur general, chargea ces deux derniers de concou- rir aux travaux d' Adolphe; ils devinrent ainsi, comme lui, attaches a la Compagnie, qui leur alloua le meme traitement et leur accorda les memes avantages.

Embarques a Southampton le 20 septembre 1854 k bord du navire a vapeur V Indus, MM. Schlagintweit se dirigerent d'abord sur Bombay, par la voie de I'Egypte. De Bombay, ou ils 6taient arrives le 16 oc- tobre, les trois freres, apr^s avoir termine qudques pr6paratifs preliminaires, firent, chacun de leur c6t6, I'exploration des parties int6rieures du pays, 6tudi6- rent successivement le Dekkan et d'autrcs provinces m^ridionales de I'lnde et se r(^unircnt k Madras. De cette ville, ils se rendirent par mer a Calcutta, oil ils sejournferent environ trois semaines.

MM. Schlagmtweit se s6parant alors pour la scconde fois, Hermann visita pendant I'ann^e qui s'6coula du

( 229 )

mois de mars 1855 au mois de mars 1856, le Bengale, la region de 1' Himalaya comprise dans le Sikkim, la fronti^re orientale du N6pal, les terrains montagneux des Nagas et des Rhassias, le Bouthan, I'Assam, le delta du Gange et du Brahmapoutre, I'Oude, etc. Ce fut de la crete Singalila qui s6pare le N^pal du Sikkim qu'Hermann mesura le pic de Ganrisankar, qu'il con- sidSre comme la plus haute sommit6 du globe. C'est 6videmment le mont Everest dont le colonel Waugh, qui, ne I'ayantvu que des plaines et k une assezgrande distance, n'avait pu apprendre le nom que lui don- naientles habitants, lvalue I'd^vation a 8840 metres (1) au-dessus du niveau de la mer.

Pen de temps aprfes, Hermann mesura aussi dans le Sikkim^ parmi un grand nombre de pics tres 6lev^s, le Kanchinjinga, voisin et rival du Ganrisankar, auquel le colonel Waugh avait donn6 8582 metres de hauteur (2). Deux magnifiques aquarelles de ces deux pics gigan- tesques, ceuvre d'Hermann, qu'il a bienvoulume com- muniquer, sont depos6es sur le bureau.

MM. Schlagintweit n'ayant point calculi encore les hauteurs de ces deux pics, ont cru devoir adopter pro- visoirement celles du colonel Waugh, qui, par unexcfes de modestie vraiment scientifique, 6crivait dans une lettre du 5 aout 1857, ins6r6e dans les Proceedings de la Soci6t6 geographique de Londres (vol H, no 2) : (( Nous ne savons pas d'une manifere certaine que le » mont Everest est le point le plus 61ev6 : tout ce que

(1) 29 002pipds anglais.

(2) 28 1S6 pieds auglaii.

( 230 )

» nous savous, c'est qu'il est le point le plus 61ev6 que n nous avons mesure. »

A la station anglaise de Simla, plac6e an sud-est de Lahore, Hermann rencontra Adulphe et Robert, qui, dans le mois d'avril 1855, s'^taienl rendus de Calcutta il'Himalaya, occidental par Benares, Allahabad, Agra et Fatihgarh , et avaient Iranchi la frontifere du Tibet.

Quoique compl6tement deguist^s en Bouthias (c'est le nom des habitants des parties les plus 61ev6es de I'Himalaya), les inspecteurs chinois reconnurent n6an- moins qu'ils 6taient Europ^ens et voulurent les forcer de retourner sur leurs pas. Mais apr^s une resistance opiniatre, nos intr6pides, et peut-etre imprudents ex- plorateurs, persist^rent dans leur resolution, menacant d' employer la force si cela dcvenait necessaire. Leur attitude r6solue, et surtout quelques sommes offertes par eux aux inspecteurs, lev6rent tons les obstacles. lis purent continuer leur voyage dans le Tibet, mais avec une escorte chinoise dont ils parvinrent h. obtenir bientot le d6vouement, probablement par le meme moyen. Ils visitferent alors sans diflicult6s les sources de r Indus et du Sutlej, les environs des lacs sacr^s de Mansaraur et de Rakus, ainsi que Gartok, ville de commerce la plus importante de cette contr6e.

£n se rendant de Gartok dans le Gerhval , ils reconnurent un vaste groupc de glaciers qui en- tourent I'lbi-Gamin , montagne eiev^e de plus de 7 700 mitres (1). Apr6s etre rest6s dans ces regions

(1) 25 600 pieds anglaii.

( 231 )

glaciales une huitaine de jours qu'ils employ6rent a I'examen des glaciers, a dresser des cartes, et a faire des observations physiques, nos deux voyageurs con- tinuerent leur route, et ce ne fut qu'au bout de six mois, qu'avait dur6 leur excursion, qu'ils revirent des arbres.

Pendant qu'Adolphe retournait du Gerhval dans le Tibet, et descendait ensuite a Massuri, situe au pied de r Himalaya, par le col de Nelong et la vallee du Gauge sup6rieur, Robert visitait les valines 6troites et peu connues situ^es entre la Jumna et le Gauge, et s6par6es entre elles par des defiles quelquefois de plus deiOO metres (1).

Le 17 octobre, Adolphe et Robert se trouvferent r6u- nis a Massuri, qu'ils ne tardferent pas a quitter pour continuer ensemble leur voyage en traversant Dehli, Agra et Sager. Adolphe, marchant ensuite vers le sud, parvint a Madras vers le milieu de f^vrier 1856. II explora alors la contr6e situ6e entre Trichinapoli et le cap Comorin, la chaine des Nilgheris ou montagnes Bleues ; il se rendit plus tard, a Calcutta, et ensuite par la route d6ja connue le long de la vallee du Gange, de Calcutta a Simla, qu'il atteignit au mois d'avril suivant.

Pendant I'hiver de 1855, Robert avait examine les parties centrales de I'lnde, et sp6cialement les monts Vindhya, qu'on en doit regarder comme le nceud. Les forets 6paisses et malsaines et I'^tat sauvage des ha- bitants appartenant aux races primitives de cette vaste

(1) 1300 k liOO piedi aoglaU.

( 232 )

contr^e, ont jusqii'ci present ferm6 prcsque enti6re- ment ces int6ressantes montagncs et leurs vall6es aux voyage urs Strangers; aussi les notions g6ographiques qu'on est parvenu k recueillir k leur sujet n'6tant fon- dles que sur les vagues rapports des habitants, n'of- fraient, pour la plupart, que des erreurs. On avait cru, parexemple, d'aprfes ces rapports, pouvoir donner une trfes grande 616vation moyenne a I'Amarkantak, plateau dans les environs duquel plusieurs des principaux fleuves de I'lnde prennent leur source, tandis que , d'apr^s la determination de Robert , cette 616vation ne d6passe pas neuf cents et quelqnes metres (1).

Les diff^rentes races primitives, celles des Bhils, desKols, etc., dont on ne connaissait, pour plusieurs du moins, que les noms, ont 6t6 6tudi6es par lui avec le plus grand soin ; et il a eu occasion de me- surer plusieurs individus, de faire leurs photogra- phies, ainsi que des moules plastiques de leurs figures, et de recueillir des vocabulaires de la langue parl6e par ces races, idiomes qui lui semblent prfes de s'6tein- dre. Ces observations ont d'autant plus d'importance que ces tribus, autrefois trfes nombreuses, mais r6- duites en ce moment k un trfes petit nombre d' indi- vidus, ne tarderont probablement pas, suivant notre voyageur, a disparaitre compl6tement, ainsi que cela a eu lieu pour plusieurs tribus indigenes de TAm^- rique.

En qnittant I'Amarkantak, Robert se dirigea sur

(2) 3000 piedi aaglaii.

( 233 )

Allahabad, visita Agra et Dehli, d'oii il se rendit h Simla ; la il ne tarda pas k etre rejoint par Hermann et Adolphe.

Pendant les quatre semaines de leur s6jour dans cette station, les trois frferes employferent leur temps k verifier et a comparer les differentes observations faites par eux, ainsi que les instruments dont ils s'6taient servis, k se preparer enfin pour le prochain voyage qu'ils se proposaient de faire dans le Ladak, le Cache- mire et au Balti. lis furent second6s de la manifere la plus amicale et la plus active par lord "William Hay, k cette 6poque premier ofiicier civil de la Compagnie a Simla, dont ils reconnaissent que les conseils leur fu- rent d'une grande utility, et avec lequel ils discut^rent le plan d'une nouvelle excursion, dont Ja realisation leur promettait les r^sultats les plus brillants.

Dans le nouveau plan qu'ils s'6taient trac6, de nou- velles d^couvertes purement geographiques ne de- vaient, nous le reconnaissons, figurer qu'en seconde ligne; c'6tait principalement sur les d^couvertes stric- tement scientifiques, sur le magnetisme terrestre, sur la geologic et sur la physique g^n^rale de la terre qu'ils devaient fixer, et qu'ils ont, en effet, fix6 plus sp6cialement leur attention. Mais on apprend nean- moins, par leurs rapports ofTiciels adress^s mensuelle- ment a la cour des directeurs de la Compagnie des Indes, dont plusieurs dat^s d'Agra, de Simla, de Leh, de RawuU-Pindee, de Bhooj dans le Rutch, ont 6t6 imprimis par ordre de la Compagnie, soit a Lahore, soit k Agra, soit a Calcutta ; qu'en explorant des con- tr6es peu ou point connues, surtout dans 1' Himalaya,

( nil )

ainsi qu'au nord et a I'ouest ilu Tibet, les frferes Schlagintweit out constamment clierch6 et sont par- venus a fairc faire des progr^s remarquables k la g6o- graphie dii globe. Des informations tout a fait neuves sur la configuration des pays qu'ils ont visit^s les premiers, sur la direction et la hauteur de plusieure chaines de montagnes et des valines qu'elles enserrent, sur les races et les idiomes de leurs habitants, enfin les cartes dress6es par eux, d'aprfes des observations astronomiques sur lesquelles la situation de plusieurs localit6s inconnues jusqu'alors a (''t6 plac6e, tandis que d'autres ont 6t6 rectifi^es, d6niontrent suflisanunent quelle part de reconnaissance les g6ographes doivent aux trois savants bavarois.

L'un des rapports officiels dont nous avons d6ji parl6, portant le n" 8 et dat6 de Leh, 26 septem- bre 1856, ou ils avaient 6tabli un observatoire magn6- tique et le d^pot de leurs instruments, nous fait connaitre qu'Hermann et Robert ayant quitt6, le 24 juillet, cette capitale du Ladak, ou ils s'etaient rendus d6guis6s, suivant Icur habitude, par des routes diff^rentes, explor^rent le Turkestan proprement dit. En traversant et en contournant le Karakorum et le Ruen-Lun, qu'on avait repr6sent6s jupf|u'a eux comme une seule et meme chaine (1), ils reconnurent qu'ils

(1) Eo cffet, la chatue de montagnes que le major Alex. Guunin- gham appclle Karakoram-Range, dans la carte qui accompagne son voyage au Ladak (Londres, 185i), est uumm6c Mustagh ou Kucn- Lun par Ic D' Thomas Thomson, dans la carle joinic h son voyage n Western Himalaya and Tibet, » public h Londres en 1852. Ces deux chaines ont la m^me forme, sont sitndes k la m6me latitude,

( 235 )

en formaient r^ellement deux tout k fait distinctes et ayaiit une orientation diff^rente. Ce fut aprfes avoir pass6 la chaine plus septentrionale du Kuen-Lun, que nos explorateurs descendirent dans la grande vall6e de Yarkand, vaste depression de 900 a 1200 metres, qui s6pare le Kuen-Lun du Saian-Slian, ou plus g6- n6raleinent, ainsi que le disent MM. Schlagintweit, les montagnes de la haute Asie au nord de I'lnde, des montagnes de I'Asie centrale au sud de la Russie. lis visitferent cette region, d'autant plus int6ressante k explorer, qu'elle n'avait 6t6 travers^e par aucun Euro- p6en, et qu'en outre des observations de magn6tisme terrestre, de temperature, etc., on pouvait y 6tudier la formation,!' age et les directions de chaines de mon- tagnes que les voyageurs modernes considferent comme compietement, ou en grande partie inconnues (1).

enlre les m^mes degr^s de longitude, et offrent toutes deux h leur centre le col « Karakoram-Pass » que nous appelons, avec presque tousles voyageurs etg^ographes, M. le baron de Humboldt entreautres, Karakorum. II nous paralti utile de citer textuellement k cette occa- sion une phrase dc la prc^face du voyage du D' Thomas Thomson dans I'Himalaya occidental et le Tibet : « The orthography of oriental names « is a question of great difficulty, and grave objections may be urged » against any system which has been proposed... »

(1) « TheKardkoram, or rrans-Tibeton chain, dit le major Alexander Cunningham, p. 43 de sa description du Ladak, imprimde a Londres en 183i, « forms the natural boundary of Ladak, and the small » Musulman districts of Baiti, Hunza-Nager, and Gilgit on the north. « Nothing whatever is hioivn of this range to the eastward of the » upper Shayok river, and of the northern portion we know but little. »

Et je vois dans une lettre que M. le baron de Humboldt m'a fait houneur de m'ecrire de Berlin, le 15 mars dernier, la citation tui-

( 236 )

Rcvenus au point do, depart de Leh, les deux freres gagnerent le Penjab par des chemins differents k tra- vers le Caclieinii-e.

Presqiie pendant le meme temps, c'est-a-dire de mai a novembre 1856, Adolphe, qui avait quitt6 Simla le 28 mai, arriva, le 26 juin, en se dirigeant par Rulu et Lahoul, a Zanskar, dans le Tibet, et s'occupa par- ticuli^rement de I'examen des parties occidentales de cette region et d'une portion considerable de la chainc du Rucn-Lun, situee plus au nord. Le 19 octobre, il se trouvait dans le Cachemire, et le 17 novembre sui- vant a Rawull-Puudee, dans le Penjab, d'oii son rap- port officiel portant le n" 9 est dat6, et ou il rencontra ses deux frferes.

Robert, parti de RawuU-Pundee le 18 d6cembre 1856, explora le Chakowal en traversant la chaine des rnon- tagnes de set, et arriva a Moultan le h Janvier 1857. Parvenu ensuite, le 14 mars, b. Bhooj, capitale du Kutch, il se dirigea sur Bombay, ofi il s'embarqua au mois d'avril pour I'EuFope; son frfere Hermann, aprfes avoir visit6l6 Nepal, partit de Calcutta et retourna dans sapatrie.

Yanle, exlraite par lui de rintrodurtion de la Flora indka de Joseph Hooker ft Thomas Thomson, ouvragc imprim(! it I.ondres en 1855, quo je u'ai pu Irouvcr dans aucunc de nos grandes bibliolhtques : « The u chain of the Kuenlun where it forms ihe boundary of western Tibet J) is not lesselevated thatlhe Himalaya and is covered troughouta great » part of ils length with perpetual snow, lis axis has not been crosfed v by any European traveller, but w as reached by I)' Thomson who visi- >i ted the Karakoram Pass elevated 18 300 feet. This chain has been >> called the Muttagh, Karakoram, lliudu-kush and Tsungliug. »

( 237 )

Quant k Adolphe, que nous avons laiss6 dans le Penjab, il manifesta I'intention de sojourner encore une ann6e dans le Tibet et le Turkestan, pour visiter de nouveau ces deux contr6es, et en particulier la chaine du Ruen-Lun et celle du Karakorum, a I'effet de completer les observations de ses deux frferes et les siennes propres sur ces int6ressantes regions qu'ils avaient , on doit le reconnaitre , travers6es et d6cntes exactement les premiers; il se propo- sait de rentrer ensuite en Europe par le Penjab et Bombay.

On salt que le 16 d^cembre 1850 il quitta Rawull- Pundee, que, dans les premiers jours de juillet 1857, il passa la chaine du Karakorum par le col d'Aksae- Chin, situ6 a trois marches au sud-est du col de Karakorum , route nouvelle et non fr6quent6e , et le 20 du meme mois, le Kuen-Lun, pr6s de Karon- gatak.

Au commencement du mois d'aout (1857), Adolphe 6tait aux environs de Yarkand, et quelques jours plus tard k Kashgar. Depuis on n'a plus recu de nouvelles positives sur son sort.

Mais il parait aujourd'hui (1859) malheureusement certain, d'aprfes un document ofliciel parvenu par le dernier courrier k la Compagnie des Indes, et qui nous a 6t6 communique, le 17 mars dernier, par M. le co- lonel Sykes, qu' Adolphe Schlagintweit a et6 assassin^ k Kashgar par un fanatique Spid ou Sajad, appel6 WuUee-Khan, et qu'on n'a trouv6 auprt;s du malheu- reux et si regrettable voyageur que quelques fragments de papiers et un telescope bris6, tristes reliques

( 238 )

qu'on s'est empress^de faire parvenir k sa famille (1).

Essayer d'exposer, meme d'unc «uani6re sommaire, les immenses travaux si varies des frercs Schlagintweit et les services qu'ils ont rendus h presque toutes les branches des connaissances humaines pendant les trois ann6es consacr6es par ces savants k I'exploration de rinde entifere et des parties septentrionales et occiden- tales du Tibet et' des pays voisius, c'est-k-dire do con- tr6es s'etendant en ligne directe sur plus de 30 degr^s de latitude et sur une moyenne de prfes de vingt en longitude, qu'ils ont sillonn^es dans tous les sens, serait une ceuvre impossible en ce moment, et que, dans aucun cas, votre rapporteur n'aurait os6 entre- prendre.

Nous dirons seulement pour en donner une faible id6e, en nous restreignant meme k ce qui a le plus de rapport k la g^ographie, que, sur les quarante-trois volumes manuscrits d6pos6s a X India-House, sit^ge de la Compagnie des Indes, que MM. Hermann et Robert Schlagintweit sont au moment de publier, et dont ils nous ont fait connaitre en detail le contcnu, i)lus de , huit traitent de topographie, de mesures trigonom6tri- ques, d' observations astronomiques, d'hydrographie, des races humaines , de vocabulaires g^ographi- ques, etc., et que, parmi les nombreux atlas qui ac-

(t) MM. H. et R. Schlagintweit prt^parent un rdsuni^ sommaire des informalious parvenues sur le meurtre d'Adolphe. Le nom de I'assas- sin et les details qui accompagneat son crime di(T6rent ea quelque points, mais le lieu et I'dpoque oil il s'est accompli ne s'accurdent que Irop bien.

( 239 )

compagneront leur publication, figurera un grand atlas g^ographique.

Pour nous r6suraer, et ne parlerici que d'une seule de leurs principales d6couvertes g6ographiques, sur laquelle nous avons obtenu des renseignements plus 6tendus, nous croyons pouvoir dire que les fr6res Schlagintweit sent les premiers Europ6ens qui ont franchi la Crete du Karakorum et celle du Ruen-Lun, qui ont d6terniin6 exactement la position geograpliique, r^l^vation et la direction de ces deux chaines de montagnes de la haute Asie, que I'illustre baron de Humboldt, avec sa sagacite instinctive, avaitpour ainsi dire devinees et trac6es en partie, d'apr^s quelques indications de voyageurs chinois, dans une carte de 18Zi3 jointe a son bel ouvrage sur I'Asie centrale, et quelesautres voyageurs ont confondues ensemble (1);

Que les frferes Schlagintweit sont les premiers qui ont p6n6tre dans plusieurs des valines voisines de ces chaines, dont ils ont 6tudi6 les populations, sous dif- f6rents aspects, en faisant des observations astrono- miques et ruagn^tiques combinees avec leurs observa- tions g6n6rales de geologic et de physique terrestre ; et qui, en passant la chaine du Ruen-Lun par le col de Bushia, 6lev6 de 5250 metres (2) au-dessus du ni- veau de la mer, ont constat^ que sa direction 6tait de I'ouest a Test, tandis que celle de Rarakorum avait une direction parall6le a 1' Himalaya, c'est-a-dire du nord-ouest au sud-est;

(1) Voir les notes pages 234 et 233.

(2) 17 200 pieds auglais.

( 240 )

Que c'est enfin en longeant la chalne du Kuen-Lun qu'ils se sont convaincus que cette chaine ne forme point la ligne de s6paration des eaux, ainsi qu'on I'avait cru jusqu'alors, puisqu'elle est travers6e par la riviere de Yarkand qui passe b. son extremity occidentale, et par deux autres grands cours d'eau, le Karakash et le Keria qui s'unissent au Yurunkash et au Rhotan et disparaissent enti6rement au lac Lop.

Ges d6couvertes des trois fr^res Schlagintweit sont constat^es par les rapports ofliciels adress^s par eux k la Compagnie des hides orientales; elles r^sultent des explications 6crites que MM. Hermann et Robert nous ont transmises, sur notre deniande sp6ciale, en les accompagnant d'une carte coniprenant I'lnde, la chaine de I'Himalaya, le Tibet occidental et une portion du Turkestan , sur laquelle leurs itineraires sont traces, et, de plus, d'un croquis des syst^mes des chalnes de montagnes et des rivieres de la haute Asie, d'aprfes leurs voyages (1), et d'une table g6n6rale des castes et des tribus representees dans leur collection de deux cent soixante-et-dix photographies, et des moules pla- stiques des figures de naturels de I'lnde et de la haute Asie, pour servir aux recherches ethnographiques.

Nous appuyons, en outre, les conclusions prises par nous sur des explications de memo nature que nous devons a 1' extreme bienveillance de M. le baron de Humboldt et de M. le colonel William Sykes, I'un des directeurs de la compagnie des Indes, vice-president

(1) Cc croquis, ainsi que la table g^Dcrale des castes et tribiu, accom- pagDCDl cc rapport.

( Ul )

de la Soci6t6 g(?ographique de Londres, ou que nous avons puisnes dans les rapports present^s aux deux dernieres r^imions g6n6rales de la meme Societ6 geo- graphique, par sir Roderick Murchison, son president.

Apr^s avoir combl6 d'eloges les travaux gigantesques de MM. Schlagintweit pendant leurs dernieres explora- tions, les homines si distingues que nous venons de citer s'accordent k reconnaitre que ces trois fr^res sont les premiers Europ6ens qui ont visits une partie des localit6s signal6es dans notre rapport, et leur t6moi- gnage, confirm^ indirecternent par de c616bres voya- geurs anglais, tels que le docteur Thomas Thomson et le major Alexandre Cunningham, qui signalent plu- sieurs des points explores par nos voyageurs comme pays inconnus (1), a d'autant plus de poids qu' outre leur caractfere Eminent et leur connaissance approfon- die de I'lnde et de la haute Asie, MM. de Humboldt, Sykes et sir R. Murchison ont eu k leur disposition tons les rapports manuscrits, ainsi que la correspon- dance officielle des savants bavarois, dont quelques portions seulement ont pu passer sous nos yeux,

G'est par tous ces motifs que nous avons accord^, en votre nom, Messieurs, la grande m^daille d'or de la Soci6t6 de g6ographie aux trois freres Schlagintweit pour leurs explorations dans le Tibet et le Turkestan oriental, et plus sp^cialement pour les decouvertes qu'ils ont faitesdans les parties ouest et nord-ouest des monts Himalaya.

Nous dirons en terminant que la Commission, en

(1) Voir la note 1, p. 234 et suivanles.

XYII. AVRIL. 2. 17

( 242 )

ftdjugeant le prix aux trois fr6re^ Schlagintweit, reserve les droits de M. Vogel et du capitainc Burton ponr leurs derni^res explorations en Afrique, et, en g6n^ral, ceux de tons les voyageurs dont on pourrait connaitre les travaux post6rieurement.

De la Roquette.

TABLE GENERALE

DBS

CASTES ET TRIBL'S REPR£SENT£ES PAR MM. SCHLAGIISTWEIT

DatM leur collection des tfites ethnographiques de rinde et de la Haute-Asie.

BRAHMANES.

De

Calcutta,

Bengale.

Nepal,

Himalaya.

))

Gerhval,

Himalaya,

RAJPUTS.

De

Naddea,

Bengale.

)>

Kamaon

Himalaya

(Thakur).

»

Joliar,

Himalaya

(Bhot-Rajput)

»

Gerhval

Himalaya

(Thakur).

»

Gerhval,

Himalaya

(Bhot-Rajpiit)

»

Chamba,

Himalaya.

B

Simla,

Himalaya

(Thakur),

9

Kulu.

Himalaya.

[ 248 )

BAIS OR VHAYSIAS.

De Sattara, Dekkan.

» Audh, Hindoustan.

» Chamba, Himalaya.

SODBAS.

De

Calcutta,

Bengale.

»

Patna,

Bengale.

u

Kdttak,

Bengale.

»

Amark4ntak,

Inde centrale.

»

Agra,

Hindoustan.

»

Sattara,

Dekkan (Mahar4ta).

ABOEIGfiNES.

G5d3 de

rinde centrale.

Bhils .)

Inde centrale.

Kols •»

Inde centrale.

Sdntals

des Montagnes Rajmahal.

Nigas

\ des provinces voisines de

Rhassias

> la frontifere nord-est de

Assamese

) I'lnde.

MDSULMAN3 DE l'INDE.

De

Calcutta,

Bengale.

»

Jassar,

Bengale.

»

Agra.

Hindoustan,

»

Malva,

Inde centrale.

u

Bellari,

Mysore.

1)

Shikarpour,

Sindh.

»>

6eluchist4n»

( Uh )

MUSULMANS DE LINDE.

De Hazara, Penjab.

B Multan, » Peshdur,

De Bombay.

De Lahore,

De Bombay.

De Ceylan.

Penjab. Penjab.

PARSIS. SIKHS.

Penjab.

INDO-PORTUGUAia. SINGBALAIS.

MUSULMANS DE LA HAUTE ASIE.

De Cachemire, Himalaya.

» Candahar,

n Hazareh,

» Balti,

n Hazora,

» Badakslidn,

» Kokand,

» Khotan,

» Ydrkand,

De Nepdl,

De Bhutan, Sikkim,

Cabul (Afghan).

Cabul.

Tibet.

Tibet.

Asie centrale.

Asic centrale.

Turkestan (Mogols).

Turkestan (Mogols).

GOBRHAS.

Himalaya.

BUDDHISTES.

Himalaya. Himalaya

L^pchas. Bhiitlas.

( 245 )

BUDDHISTES.

De Nep41, Himalaya.

» Spfti, Himalaya.

» Guarik6rsum, Tibet.

» Ladik, Tibet.

B Rukchu, Tibet

u Niibra, Tibet.

» Ava, Birmanie.

BACES M£l£ES de la HAUTE ASIE.

a) Argmis. (Bicegmfeleesentreles Cacliemiriens, lesTib^tainsetle»Turkest«nien«. )

De Cachemire, Himalaya. )) Yarkand, Turkestan.

b) Kanets.

(Race vakMt entre les tribus Himalayenes et Tib^taiaes.j De Rulu, Himalaya.

» Lahol, Himalaya,

u Biss6r, Himalaya,

n Kanaur, Himalaya.

luirs. De Bokh^a.

CHINOIS.

De Canton.

SIDI.

De Zanzibar, Afrique.

La totality de la collection devait se composer d'cnviron 300 t^tes; mais, dans leur correspoodance, MM. Schlagintweil m'ont fait cou- nattre qa'elle serait de 270. D. L. R.

( 246 ) LA RECHERCHE

DES SOURCES DU NIL.

La recherche dea sources du Nil, dont jo me pro- pose d'esquisser I'histoire, est tout a la fois la question la plus ancienne et la plus r6cente qui ait 6t6 soulev6e dans le domaine des d6couvertes g6ogi-aphiques.

L'origine inconnue de ce fleuve majestueux qui f6- conde I'figypte a excit6 la curiosity et occup6 I'atten- tion de I'antiquit^ tout entifere depuis les temps pha- raoniques ; et de uos jours, aprfes une interruption de dix-huit siteles, plusieurs expeditions successives ont tout k coup ramen6 la pensde de I'Europe vers levieux probl^me. En ce moment encore, diverses entreprises plus ou moins s6rieuses, plus ou moins entour6es de garanties scientifiques, tiennent en 6veil I'int^ret ge- neral. II n'est done pas hors de propos de r6sumer depuis son origine I'historique de cette recherche, de dire quels r6sultats on y a jusqu'i present obtenus, et aussi d'exposer quelques vues qui pourront avoir leur utility pour la direction et le succ6s des futures explo- rations.

Ces explorations ont d'autant plus droit b. notre int6- ret, que c'est a la France qu'en appartiennent la pens6e premiere et I'impulsion la plus active. Notre expedition d'l^lgypte en a 6t6 la premiere occasion. En reportant I'attention vers la terre des Pharaons, ce grand 6v6ne- ment de la fin du dernier sifecle rappcla aussi l'int6ret

( 247)

sur les parties sup6rieures de la vall6e oii ies auciens souverains de I'Egypte avaient 6tendu leur domination et qu'ils couvrirent de leurs monuments; en meme temps que le nom meme du Nil a fait remonter la pen- s6e vers la r6gion inexploree ou sont situ6es les sources du fleuve.

Me sera-t-il permis, sans blesser les sentiments de discretion et de retenue d'un de nos propres coUegues qui appartint a cette memorable expedition de 1798, de rappeler tout ce qu'il a fait, dans le cours de sa longue carrifere si fructueusement remplie, pour I'avan- cement des decouverles africaines ? Nul, assar6ment, n'a servi d'une maniSre plus efficace et avec une acti- vity plus soutenue, par ses avis, par ses directions, par son intervention incessante, la cause de la regenera- tion egyptienne, qui interesse k un si haut point la science et I'lmmanite; personne, peut-etre, n'a plus utilement etplus directementcontribue aux entreprises qui, depuis vingt ans, ont eu pour objet la recherche des sources du Nil. Vous avez tons nomme M. Jomard, notre savant et honore president. Rappeler de tels ser- vices, dont la Societe a droit d'etre fiere, c'est faire acte tout a la fois de reconnaissance et de patriotisme.

Les droits de la France ne datent pas seulement de I'expedition d'figypte. Les premieres informations que Ton ait eues sur la Nubie, ce sont aussi des Francais qui les ont donnees.

Un medecin nomm6 Charles Poncet, attache k I'am- bassade francaise residant au Cairo, se rendit a Gondar en 1698 avec la caravane du Sennar, et publia sur I'Abyssinie quelques details auxquels leur nouveaut^ donnait alors beaucoup d'inter^t.

( 248 )

Bient6tapr6s (en 1703), des informations plus cu- i-leuses et plus circonstanci6es furent recueillies au Caire par M. du Roule, que Louis XIV avait charg6 d'une mission pr6s du N6gous, le voyage de Poncet ayant paru presenter une ouverture favorable pour renouer des relations avec TAbyssinie. On connait la triste fin de M. du Roule, que le roi du Sennar lit massacrer avec toute sa suite ; mais les informations qu'il avait rassembl6es ne furent pas perdues pour la g6ographie. Elles avaient 6t6 communiqu6es ;\ Guil- launie Delisle, qui en fit usage pour son m6moire sur Tile de M6ro6 (1708) ; et plus tard, d'Anville s'en servit ^galement pour son m6moire sur les sources du Nil (17/i5).

Ces notes de renvoy6 francais confirmaient, avec des circonstances nouvelles, les notions fournies par le g^ographe Eratosthene dans le iii* si^cle avant notre hre, et ensuite par quelques auteurs arabes, sur les grands aflluents dont se forme le fleuve d'^gypte dans sa partie superieure; elles revelaient ce fait important, que la riviere qui traverse I'Abyssinie sous le nom de Takazz6 prend en Nubie le nom d'Atbara, sous Icquel elle va se joindre k la droile du Nil, ce qui conduisit Delisle et d'Anville a ridenlification certaine de I'Js- taboras des anciens, et Icur fit reconnaitre la vraie situation de I'ile de M6ro6, dont Ptol6m6e lui-meme s'^tait fait une fausse id6e. La sagacity de d'Anville alia plus loin. Rapprochant de ce renseignement sur le confluent de I'Atbara une indication sur I'emplacement de M6ro6 donn6e, sous le r^gne de N6ron, par des e\- plorateurs romains, I'habile g^ographe marqua le site

( 249 )

de la vieille m6tropole Sthiopienne au point pr6cis oil soixante-sept ans plus tard M. Cailliaud en a retrouv6 les mines. Pour la premit;re foia aussi les informations transmises par M. du Roule firent connaitre le nom de Bahr-el-Abyad ou fleuve Blanc, nom que les tribus arabes de la haute Nubie donnent b. la branche occi- dentale du Nil au-dessus de son confluent avec le Bahr- el-Azrak ou fleuve Bleu, qui vient d'Abyssinie.

Le xvm* sifecle et les douze premieres ann^es du xix° n'ajoutferent rien aux informations fournies par Poncet et par M. du Roule ; mais k partir de 1813, la Nubie et la region du haut Nil out reconquis tout ^ coup une importance extreme dans la reprise, devenue alors si active, des explorations de I'Afrique. Des voyageurs d'un m6rite Eminent se portferenl vers les pays si longtemps n6glig6s que le Nil arrose avant d'entrer en l^lgypte. Burckhardl, un des noms illustres parmi les explorateurs des temps modernes, y p^netra le premier de 1813 a ISlZi. L'architecte Gau en 1817. notre compatriote Cailliaud en 1820, le docteur Riip- pell en 1823, Champollion en 1828, M. Joseph Rus- segger en 1836, ont tour a tour porte leurs recherches sur rarch^ologie et I'histoire naturelle, sur I'^tude du pays et celle des populations. Tons ont beauccfup ajout6 k la somme de nos connaissances sur ces con- trees int^rieures ; plusieurs, et au premier rang Cail- liaud et Rtissegger, en ont consid6rablement recul6 les limites.

Jusque-lS, r^tude des explorateurs ou s'6tait exclu- sivement renferm6e dans les limites propres de la Nubie, ou s'^tait port6e vera le Bahr-el-Azrak (le

( 250 )

fleuve Bleu) , i\. cause de la region aurif^re que ceite riviere traverse immt^diatement apr6s avoir franchi la frontifere occidentalc de rAbyssinie.

Nous touchons au moment ou les investigations, prenant une nouvelle direction, vont se porter sur la branche occidentale du fleuve, celle qui en fut regardee de tout temps comme le bras principal, ou pour niieux dire comme I'evraiNil, dont le fleuve Bleu n'estqu'uue branche secondaire.

Si nous avions h retracer le detail historique de la recherche des sources du Nil dans I'antiquite et k rap- peler les speculations des philosophes sur I'origine de ce grand fleuve, dont la renomm6e franchit de bonne heure les limites de I'Egypte, nous montrerions, par Tautorite directe ou par rinterpr^tation naturelle des textes et des monuments, que, d^s une 6poque recul6e, les Pharaons pouss6rent leur domination jusqu'au pays des Nfegres, tr6s-haut, cons^quemmenl, dans le bassin du fleuve. Ni alors, ni plus tard, on ne sut pr6cis6menT d'oii venait le Nil ; mais on savait que parmi les grands aflluents dont il se forme dans sa partie superieure, le courant principal, celui qui avait droit k etre regards comme la tetc du fleuve d'Egypte, 6tait la branche la plus occidentale, cello qui vient directcment du Sud. Pins tard, au temps des Ptolemies, on retrouve les memos informations, plus precises peut-etre et mieux d6finies, mais renferm^es dans les memes limites; plus tard encore, au temps des Remains, on (it pour les depasser une tentative qui resta sans r6sultat. C'est dans I'ouvrage du g^ographe Ptol6m6e, vers le milieu du u* si6cle, qu'on trouve pour la premiere fois Tin-

( 251 )

dice de notions nouvelles sur rorigin© du fleuve. On voit chez lui les sources marquees directement au sud, trfes avant dans rint6rieur du continent, oil les eaux qui descendent des montagnes, aprfes s'etre r^unies dans de grands lacs, s'6panchent en deux courants principaux, qui, r6imis, forment le Nil. De plus, cette branche du Sud, k laquelle est sp6cialement appliqu6 le nom de Nil, est bien distingu6ed'mi affluent oriental appel6 XJstapits, qui sort d'un autre lac d'l^thiopie, situ6 tr^s loin des prt^c^dents vers le nord-est : c'est le Bahr-el-Azrak ou fleuve Bleu, qui traverse, pr6s de sa source dans I'interieur de I'Abyssinie, le grand lac Tzana; de meme que YJstaboras, second afluent qui vient aussi se joindre au Nil apr^s I'As^ tapus, est I'Atbara ou Takazz6, seule rivifere que re- foive le Nil aprfes le fleuve Bleu. Abstraction faite de la precision des details, les grands traits de cette dis- position hydrographique sont indiqu6s de mani6re a ce qu'on ne peut les meconnaitre.

Ces remarquables informations que Ptol6m6e nous donne ne provenaient, du reste, ni d'une expedition nouvelle h la recherche des sources, comme il y en avait eu une sous le rfegne de N6ron, ni d'aucune d6- couverle proprement dite ; elles 6taient le r^sultat, le g^ographe lui-meme nous I'apprend, de renseigne- ments fournis par les indigenes a des marchands qui fr^quentaient par mer les contrees du Sud. Elles ont d'autant plus d'int^ret, qu' elles s'accordent de tout point avec celles que rapport^rent de I'Afrique australe les premiers Portugais qui en fr^quentferent les parages maritimes au comjuencement du xvi« si^cle, et que leg

( 252 )

recherches aussi bien que les dScouvertes r6centes les confirment dans leur g6n(^'raliie. EUes sont 6galement conformes i celles que r6pet6rcnt les autcurs arabes, non-seulement les g6ographes compilateurs qui ont suivi Touvrage niGme de Ptol6m6e, traduit dc bonne heure dans la langue du Goran, mais aussi des 6cri- vains et des voyageurs plus anciens, qui s'appuient ^videmment d'informations personnelles. Depuis le si^cle de Ptol6m6e et le temps des Arabes, les notions acquises sur les parties sup6rieures du bassin du Nil, loin d' avoir gagn6 quelque chose, avaient plutot r6- trograd6 par Toubli ou la confusion des anciennes informations ; et I'erreur des missionnaires portugais du xvi° sifecle qui visit^rent en Abyssinie les sources du Bahr-el-Azrak {I'Jsinpus des anciens), et qui crurent, sur la foi des Abyssins, avoir vu les sources du Nil, cette erreur, r6p^t6e au xviir sifecle par I'J&cossais Bruce, et qui n'a 6tt^ clairement reconnue que de notre temps, contribua davantage encore a obscurcir une question qui, du moins chez les anciens, 6tait claire- ment pos6e, si elle 6tait incompletement r(5solue.

Voilc\ oil en 6taient les choses il y a vingt ans, & rSpoque du voyage de M. Riissegger; depuis lors elles ont grandement chang6 de face.

Cailliaud, en 1821, avait essay6, sans r^sultat, d'appeler sur le fleuve Blanc I'attention d' Ismail- Pacha, le chef de I'exp^dition 6gyptienne envoy6e par Mohammed-Ali dans la haute Nubie ; on fut plus heu- reux en 1838 pr6s de Mohammed-Ali lui-meme.

Le vice-roi, dont I'age n'avait amorti ni I'dnergie ni ractivit6, avait voulu voir de ses propres yeui ce

( 253 )

pays aurif6re de Fazokl, qu'on lui avait si souvent dSpeint comme un nouvel Eldorado, et d'ofi le tr6sor n' avait tir6 jusque-li qu'un prodnit insignifiaiU. A I'uge de pr6s de quatre-vingts aiis, il ne craignit pas d'en- treprendre ce voyage de plus de sept cents lieues. Pendant son s6jour k Khartoum, au retour du Fazokl, la vue du Bahr-el-Abyad reporta sa pensde vers la myst6rieuse origine de ce grand fleuve dans les pro- fondeurs inconnues de I'Afrique; plus d'une fois d'ail- leurs, les Europ^ens, dont il aimait h. s'entourer, lui avaient parl6 de la gloire qu'il y aurait pour lui k effectuer une d(icouverte que plusieurs princes de I'an- tiquit(J avaient inutilement tent^e. Mohammed 6tait sensible k tout ce qui pouvait grandir son nom en Europe : 1' exploration du fleuve Blanc fut r^solue.

Le vice-roi avait voulu que cette expedition fut tout 6gyptienne. Quatre cents soldats montaient la flottille ; un capitaine de la marine 6gyptienne, S61im Bimbachi, en eut le commandement. Un seul Europ6en, M. Thi- baut, 6tait du voyage, mais sans fonctions ni autorit6,

II est clair que 1' expedition ne pouvait avoir aucun caract6re scientifique. II ne paralt pas meme que des rel^vements de hauteur solaire aient 6t6 pris pour jalonner I'itineraire (peut-6tre faute d'instruments); la determination de la route reposa uniquement sur I'es- time, et ces estimes aboutirent k une erreur conside- rable. Seiiui croyait etre arrive au 3" degr6 1/2 de lati- tude nord, tandis qu'il a 6t6 reconnu depuis que le point oil s'arreta I'expedition se trouve au plus bas sous le 6" paralieie.

Si peu precis qu'en fussent les resultats, le voyage

( ?5/i )

fut cependant loin d'etre inutile. Ce fut une premiere reconnaissance qui pr^para les voies a des expeditions plus fruclucuses.

Dans la route de plus de quatre cents licues qu'on avait parcourue depuis Khartoum, on avait pu d6ji constater plusieurs faits importants. On avait pris une connaissance gt^n^rale des peuples et des tribus qui bordent en Irfes-grand nombre les deux rives du Nil ; on avait pu reconnaitre que la direction g6n6rale de la riviere, nonobstant un grand coude quelle pousse h I'ouest vers le 9' parallele, est au sud; enfin, on n'avait rencontr6 aucune niontagne un pcu conside- rable dans I'intervalle qui avait 6t(j parcouru. C'est un pays plat et d'une faible inclinaison (ce qu'on recon- nait ais^ment h la lenteor du courant) ; d'ou Ton pou- vait conclure que la r6gion 61ev6e oii les sources d'un aussi grand fleuve sont n^cessairement situ^es devait 6tre encore i une bien grande distance. Le voyage avait employ 6 prSs de quatre mois et demi, depuis le milieu de novembre 1839 jusqu'aux derniers jours de mars 1840.

Le journal de S61im 6tait done de nature k faire dfisirer une suite plus complete d' observations ; il im- portait surtout d' avoir une carte du lleuvc. II fut d6- cidd au Cairo qu'unc secondc expedition aurait lieu. Cette fois on comprit le besoin dc confier i des Euro- p6ens le soin des observations scientifiques. S61im, dont Texp^ricnce pouvait etre utile, conserva le com- mandement de la flottille ; mais deux des ing^nicurs franfais au service de I'Egypte, M. d'Arnaud et M. Sa- batier, furent principalcmeat charges des rel^vements

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et des observations astronomiques. M. Thibaut leur fut adjoint comme naturaliste. Un m6decin allemand, le D' Werne, qui avait d6ja fait une intdressante excur- sion dans les plaines de I'Atbara, obtint i'autorisation de se joindre an voyage comme simple passager. Cette adjonction accidentelle s'est trouv6e, en definitive, d'un tr^s grand int^ret pour la science, car c'est k M. Werne que I'Europe a dii la seule relation circon- stanci^e que Ton poss^de encore de rexp6dition (1).

Poursuivons I'historique des explorations du fleuve. A peine de retour k Khartoum, la flottille remit a la voile, dans les derniers jours de septembre I8Z1I, pour une troisifeme expedition dont M. d'Arnaud eut encore la direction scientifique.

Rien n'a et6 public de cette troisieme expedition, sauf deux ou trois notes trfes courtes de M. d'Arnaud, imprimees au Bulletin de la Societe de Geographic. II n'est dit nuUe part jusqu'i quel point elle s'avanfa; 11 ne semble pas qu'elle ait remonte aussi loin que la seconde.

DSs 1843, immediatement apr6s le retour de M. d'Arnaud au Caire, le gouvernement egyptien son- geait k une expedition nouvelle au fleuve Blanc, von-

(1) Le chef de I'eip^ditioD, M. d'Aroaud, eo a ^crit aussi une ample relation, avec le detail de ses observations. Des considerations qui nous sont inconnues en ont empech6 jusqu'd present la publication ; on ne d(5sespere cependant pas encore que cette publication puisse avoir lieu. Bien qu'apres un intervalle de vingt ans elle doive perdre quelque chose de Tiut^rfit qu'elle aurait eu dans sa nouveaut^, 11 u'en est pas tnoins fort a d^sirer qu'un document de cette importance <oit livr^ \ U science.

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lant avoir enfin le dernier mot de cette difficile 6nigme. Diverses circonstances, et surtout la mort de Moham- med-Ali, ont entrav6 la realisation de ce projet ; niais il n'a jamais 6t6 abandonn^. L' organisation d'une grande expt^dition scientifique qui devait avoir lieu en 1856 a retenti dans loute I'Europe. La conduite en 6tait confine k un voyageur savant, M. d'Escayrac de Lauture, familiarise depuis longtemps avec I'Afrique et la vie de I'Orient; un pareil choix, et la Iib6ralit6 que le gouvernement ^gyptien apportait dans les sub- sides de I'entreprise, devaient en garantir la reussite. La fatalitti qui semble s'altacher k la recherche des sources du Nil a fait 6chouer ce nouveau projet, avanl meme que rex6cution en ait 6t6 serieusement com- menc6e. ,

Sur ces entrefaites, la region du fleuve Blanc n'a pas 6t6 sans s'enrichir de notions nouvelles.

Ces notions proviennent de deux sources.

Les unes ont 6t6 fournies par des Europ6ens que le trafic de la gomme et de I'ivoire a conduits depuis quinze ans jusqu'aux dernicres limites des reconnais- sances effectu6es par les expeditions egyptiennes ; on doit les autres aux missions que le zele religieux a portfees jusque dans ces coutrees extremes.

M. Brun-RoUet, sujet sarde d'origine savoisienne, appartient k la premiere cra6gorie. Sans etre un homme de science, M. Brun-Rollet est loin d'etre illet- tre ; aussi les notes d6tachees qu'on a de lui, et fina- lement le volume qu'il a donn6 sur cette haute region du fleuve, contiennent-ils des renseignements d'un trfes grand interfit. La plupart se rapportent k des tri-

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bus avec lesqnelles le voyageur s'est trouv6 en rela- tion, ou dont il a eu connaissance par les rapports indigenes. Les informations recueillies par les mission- naires 6tendent plus loin encore le cercle des notions nouvelles. Cette mission de I'Afrique centrale fut fon- dle il y a dix ans par le gouvernement pontifical de Pie IX; un savant religieux autrichien, le R6v6rend Ignaz Knoblecher, en eut la direction. Don Rnoble- cher arriva k Bal6nia, point extreme des i-econnais- sances 6gyptiennes, vers le milieu de Janvier 1850; c'est 1^ qu'il fonda un 6tablissement d'ou la Parole devait rayonner dans les contr^es environnantes. On a imprim^, d'aprfes les lettres de M. Knoblecher, une courte notice de son voyage, qui renferme, sur le trac6 du fleuve et les populations riveraines, des apercus et des donn6es d'une importance capitale; malheureusement les mat^riaux plus considerables que le missionnaire avait r^unis n'ont pas jusqu'i present 6t6 livr6s k la publicity, non plus que le detail de ses observations astronomiques, detail d'autant plus n^ces- saire que les notations du savant missionnaire sont, nous le verrons tout a I'heure, trfes dilT6rentes de celles qui ont 6t6 donn^es par I'expf^dition ^gyptienne de 18/iO. Un des Pferes de la mission de Bal^nia, Angelo Vinco, a pu r^unir, dupant un s6jour de plusieurs an- n6es, nombre d'informations pr6cieuses sur les pays et les populations situ^es plus au sud, dans la direc- tion de ri^quateur. Le P. Angelo, ainsi que le R6v. Knoblecher et M. Brun-Rollet, ont tons les trois, k peu d'intervalle, pay6 le tribut fatal auquel peu d'Eu- roptens 6chappent sous le climat des tropiques.

XVII. AVRIL. 3. 18

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P^n6trons maintenant dans ces terres inconnues que nous ont ouvertes les expeditions (^gyptiennes et le z6le des missionuaircs. Esquissons k grands traits la phy- siouoniie de la region du fleuve Blanc et des races qui riiabitent; disons a quel point pr6cis sont arriv6es les notions acquises, quels doutes restent encore a 6clair- cir, quelles incertitudes a r^soudre, quelles lacunes a remplir pour achever la d6couverte que Ton poursuit depuis vingt ans, et inscrire enfin sur la carte de I'Alrique ces mots sacramentels qui couronneront les efforts de tant de generations : ici est la source DU Nil.

Quand on embrasse du regard le bassin du Nil dans son immense 6tendue, on voit que le domaine de ce roi des fleuves de 1' Afrique so partage en deux grandes regions bien distinctes, parfaitement tranch6es, et presque de longueur ^gale : au sud, depuis I'^quateur jusqu'aux environs du 17* degr6 de latitude, la region des pluies p^riodiques; au nord, depuis le 17" parall^le jusqu'a la Mediterran^e, sous le 32% la region priv6e de pluies. Ceci est une demarcation frappante, parce qu'^ cette grande division climatologique que produit la marche annuelle du soleil d'un tropique a I'autre correspond exactement la division physique du bassin du Nil. La zone des pluies est» aussi la region des af- fluents superieurs du fleuve ; tandis que dans la zone sans pluie, durant un parcours de plus de cinq cents lieues, le Nil ne rccoit pas une seule riviere, pas un seul ruisseau. Dans la moitie superieure du bassin, sur une 6tendue de quatre k cinq cents lieues de Test a I'oiiest, se diploic comme un immense 6ventail le

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vaste r^seau des rivieres afllueiites, les unes descen- dant des hauteurs inconnues qui avoisinent I'equateur, les autres roulant a travers les profondes coupures du plateau abyssin, toutes arrosant des contr6es oti la vie animale et v6g6tale d6borde dans une exuberance inouie ; dans la moiti6 inf6rieure, au contraire , les eaux du Nil, resserr6es en un canal unique, s'6coulent silencieusement a travers les solitudes arides de la Nubie et de I'Egypte, et la vie s'y est concentr6e sur les rives m6mes du lleuve, 15, seulement 0(1 il porta avec lui la f6condit6. Le dernier affluent du Nil sup6- rieur, I'Atbara ou Astabams, se r6unit au lleuve entre le 11" et le 18' degr6, a pen pr6s h. la limite extreme de la zone des pluies tropicales.

lei I'aridite des plaines sablonneuses touche encore et se mele a la vegetation verdoyante des premiers paturages.

Mais que I'on remonte de deux ou trois degr^s plus au sud, jusqu'aux plaines oi viennent se joindre le fleuve Blanc et le fleuve Bleu, ces deux grands bras sup6- rieurs du Nil, on voit d6ja se deployer la splendide v6g6tation des tropiques. M. Blissegger, remontant de Khartoum k Elais, depeint ainsi les magnificences de cette nature vigoureuse : « L' aspect que pr6sente le fleuve aux approches d'Elais est le type de la beaut6 tropicale : une immense 6tendue d'eau toute remplie d'iles couvertes de bois, et des bois sur les deux rives. On ne voit rien que de I'eau, et le vert sombre des lor6ts de mimosas que la hache n'a jamais tou- ^ ch6es. Des plantes grimpantes aux fleurs ^clatantes courent et s'enlacent de mani6re i rendre les bois im-

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p(^^n<^trables ; les arbres, qui etendent au loin leurs ramcaux au-dessus dii courant, couvrent entitreuient la plage, et c'est dans le fleuve nieme que tombent les oiscaux que le plomb atteint sur les branches ex- tremes. Nulle part encore je n'ai vu une pareille mul- titude de crocodiles et d'hippopotames »

Toute cette premiere partie de la valine du fleuve Blanc, sur une longueur do plus de cent lieues (1) a partir de Khartoum, est occupee par des Iribns pas- torales de sang arabe. Ce sont, de ce c6t6, les derniers rameaux de cette race f^conde, qui, non-seulement depuis les premiers temps de I'islam, mais bien plus anciennement, depuis des 6poques inconnues (2), a partag6 avec la race 6thiopienne ])roprement dite, qui appartient indubitablement a la famille berberc, la possession de la Nubie et des oasis orientaux du d6sert libyque. La limite extreme des tribus arabes est entre le XV et le xii* degr6 de latitude ; c'est \k que com- mence le domaine des peuples noirs.

Les premiers que Ton rencontre en remontant ainsi le fleuve sont les Chillouks et les Dinkas, deux nations populeuses qui occupent parall^lement les bords du Bahr-el-Abyad, sur une etendue de pr6s de quatre- vingts lieues, les premiers a I'ouest sur la rive gauche, les seconds a I'orient sur la rive oppos6e. Le nom des Chillouks est connu au loin et trfes redouts dans cette partie de I'Afrique. C'est un peuplc belliqueux et pil- lard, dont les Arabes limitrophes ont beaucoup i

(1) Quatre dcgres en ligne directe,

(2) Sinum (arabicuin) undique Arabes incingunt, a dit Mdla.

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souffrir. lis possfedent de nombrenx canots qui leur fournissent a la fois un moyen d'attaque rapide et une retraite assur^e. Les Dinkas, dont le pays est plus d6- couvert, ne montrent pas des dispositions aussi agres- sives.

Depuis Khartoum, la direction g6n6rale du fleuve Blanc a 6t6 au sud, sauf une deviation au sud-ouest chez les Chillouks; mais a partir du confluent du Sobat, au degr6 de latitude, le courant tourne droit k I'ouest et garde assez longtemps cette direction, for- mant la separation de deux nouveaux peuples noirs : au nord les Yengh6h, au sud les Nonehrs. A un degr6 environ du Sobat, celui qui reraonte le fleuve arrive k une grande expansion d'eau qui forme un veritable lac, auquel les Noirs donnent le nom de Nou, et que les Arabes appellent Bahr-el-Ghazal, le lac des Ga- zelles. Ce lac recoit du sud-ouest une autre riviere, le Keilak, qui apporte au fleuve un volume d'eau consi- derable.

Ici, ou pourmieux dire depuis la jonction du Sobat, le Nil Blanc a pris un nouvel aspect. Aux rives bois^es et pittoresques de la terre des Chillouks ont succ6d6 des bords plats, monotones, caches sous des forets de hautes herbes, et oil les inondations annuelles laissent d'innombrables lagunes. C'est le commencement d' une v6ritable region de marais qui borde le fleuve sur une 6tendue de plus de quatre-vingts lieues. Rien de plus tristement accablant que cette partie de la navigation. L'eau, impr^gn^e d'une vase f6tide et couverte de ve- getations spongieuses ou de plantes en decomposition, a pris une couleur noiratre qui fait songer au Styx

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I'ancienne mythologie. Des Ibr^ts dc roseaux gigan- tesques ne laissent pas reconnaitre oii finisseiit les eanx lerreuses du courant, od commencent les terres d6tremp6es de la plage. L'hippopotanie et le crocodile infestent la rivitire, les reptiles pullulent dans les lies ^fleurd'eau, et des niyriades d'insectes avides, qui semblent sortir du sol, sont le fl6au des hommes et des animaux. On pent se flgurer combien est perni- cieux le voisinage de ces hideux receptacles, et Ton coinprend pourquoi cette partie mar6cageuse de la valine fut le terme oil s'arret^renl les notions positives des anciens siir le haut Nil. Naturellement, on ne trouve plus ici les indices d'une population exub6- rante dont on a 6t6 frapp6 au nord du Sobat ; au lieu des villages presses qui se succ^dent sans interruption cbez les Chillouks, on n'apercoit plus que des huttes isol6es, toutes plac^es a distance du fleuve. Ajoutons qu'au temps des inondations annuelles, quand le soleil remonte de I'^quateur vers le tropique d'6t6, les eaux mal encaiss6es couvrent la valine sur une tr6s grande 6tendue, et que toute cette partie du fleuve doit alors presenter 1' aspect d'un lac sans limites. Les Nouehrs occupent les deux cot6s de la valine au-dessus du Bahr-el-Ghazal, presquejusqu'au point oi finissentles marais.

Ala region pestilentielle succ^de la region des mon- tagnes. Pour ce que Ton y connait jusqu'a present de la valine du fleuve, depuis le degre jusqu'au h' environ au nord de I'^quateur, cette qualification de region montagneuse ne pent n6anmoins se prendre encore que dans un sens relatif. Le pays s'6I6ve et

I

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devient plus accidents ; ck et ]k des coUines surgisseiit du milieu des plaines, ou dessinent a I'horizon de fai- bles ondulatioiis : mais c'est la seulement ou se sont arret^es les explorations, que Ton voit apparaitre dans lelointain des signes de hauteurs plus marquees, d'ou se d^tachent sur plusieurs points des pics tr^s 6lev6s. On peut pressentir d6ja la nature alpestre de la con- tr6e encore inconnue que la riviere remonte de ce point jusqu'a ses sources. Diff^rentes peuplades de la meme famille que les Chillouks et les Nouehrs bordent les deux rives entre le 5' et le 7' degr*^, les Keks ou Ki6ks d'abord, puis les Boundourials et les Toutouis, les Bohrs et les Elliabs, les Tchirs et les Li^ns, outre un assez grand nombre de tribus moins notables ; apr6s ceux-la vient un autre peuple sup^rifeur aux pr6c6dents a plusieurs 6gards, et dont la langue diff^- rente semble denoter une autre origine, les Baris. C'est chez eux que se sont arret^es les explorations effectu6es jusqu'a cette heure ; mais leur territoire remonte beaucoup plus haut.

Essaierons-nous maintenant de r^sumer en quel- ques points essentiels les notions les plus g6n6rales, tant g6ographiques qu'etbnographiques, qui ressortent des relations jusqu'a present publi^es sur le fleuve Blanc ?

A partir du territoire des Cbillouks, qui commence seulement, nous I'avons vu, a quatre-vingts lieues et plus au-dessus de Khartoum, les differents peuples des bords du fleuve sont tous ranges par les voyageurs dans la classe si nettement tranchee des populations negres. Cette denomination convient a une partie d' entre

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eux, mais non pas ^ tous; il en est plusieurs qu'il sera plus exact de qualifier seulement de peuples noirs (1). II est bien express6ment parl6 des Chillouks et des Dinkas, les premiers en venant du nord, comme de v6ritables n^gres (2). Les Nouehrs, qui leur succ^dent, et qui poss^dent toute la partie mar6cageuse de la val-

(!) Nous ne voulons pas affliger nos lecteurs d'line dissertation en forme sur la dislinctiou fondamculale des peuples uegres et des peu- ples uoirs. I, a laague cominuDe confoud liabituellemeut les deux ex- pressions, et cela n'a pas uq grand inconvx-nient ; mais la languc scienti- fiquene doit pas tomberdanscette confusion. Les populations negresde TAfriquc et de I'Oceatiie, bien qn'au premier aspect on ne mettcpasune bien graude difference entre elles, pr^sentent a I'observateur des par- ticularil^s de ronformation, et m^me de nuances dans la couleur de la peau (sans parler de la division ct de I'agroupement des langues), qui etablissent dans cette classe de populations des races non moins distinctes et non moins nombreuses que celles qui o:it dte reconnues dans la grandeet noble famille des peuples blancs; mais au-dessus de ces distinctions secondaires il y a un trait gdndral qui les domine toutes et leur sert de lien commun, c'est la nature laineuse des che- veux. C'est la le veritable cachet du Negre. Tout pcuple qui n'en est pas marqud, (luelque foncec que puisse 6tre d'ailleurs la teinle de son cpidernie, quelle que soil m^me la coupe de sa physionomie, n'appartient pas a celte classe infcrieure de la famille humainc. Ce pourra Atre un people noir,- ce ne sera pas un pcuple negre. Les Cafres sont des Noirs; ce ne sont pas des N^gres. Les Fellatas ou Foullas, cette grande nation qui duniiue aujourd'hui la moitid du Soudan, sont un peuple noir; ce n'cst pas un peuplc n^gre. On cu peut dire aulaut des Tibods, branche adulldri'e de la race berberc, aussi bien que des Biscliarts ct des autrcs tribus nubicnnes, qui sont les Ethiopiens des Grecs ; on peut ('•lendre i^galcnient cette distinction aux Abyssins et a bien d'aulros tribus de I'Afriquc oricntale.

(2) Particuli^rement par M. RUssegger, qui apporte dans ses obser- TatioQt et dans ses classiGcatious d'cthnographie toute la rigueur

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16e, semblent aussi devoir 6tre ranges dans la mfime classe; mais k partir de ces derniers, depuis le 7% peut-etre meme flepuis le degr6 de latitude, les penples qui occupent les parties plus hautes jusqu'au 4* degr6 appartiennent k une autre classe, du moins au point de vue physique.

A une autre classe, disons-nous, mais non ^ une autre "race. Toutes ces populations indistinctement, depuis les Chillouks jusqu'aux Baris, sont certainement de souche n^gre : I'analogie fondamentale des idiomes atteste ici I'unit^ d'origine ; mais chez les peuples les plus me- ridionaux de la valine, chez les Keks, chez les Bohrs, chez lesTchirs, chez les Baris et chez d'autres, il s'est introduit un 6l6ment 6tranger, un 6l6ment d'une na- ture sup6rieure, qui a profond^ment modifi^ le type primordial et a cr66 un type interm^diaire. M. Thibaut, M. Werne, les missionnaires, tous ceux qui ont apport6 quelque attention k ce point important d' observation, ont remarqu6 que la chevelure de ces peuples du sud est non plus laineuse, mais presque lisse. La physio- nomie a 6prouv6 un changement analogue. Ce ne sont plus les pommettes saillantes, le nez 6pat6, les l^vres 6paisses, toute la physionomie simique des Chillouks et de leurs voisins les Noubas : le nez s'est relev6, la bouche s'est amincie, la coupe du visage s'est r^gula- ris6e, la physionomie tout entifere s'est ennoblie. Le changement est g6n6ral, nonobstant les nuances ; il est

icientifique. N^anmoins, comme M. RQssegger ne les a vus que sur quelqucs points extremes, il pourrait biwi y avoir, et nous croyoQj qu'il y a, en effet, quelques reserves a faire cet egard.

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snrtout 'frappant chez les chefs. « Leur chef, cormue celiii des Boundourials, dit M. Werne en parlant dcs Bolirs, avail le nez arque et la physit)nomie plus noble que les autres, ainsi que j'en avals deja fail la re- uiarque g6n6rale. La noirceur de la peau est surlout ce dont on est frapp6 pour les raltacher a la race nfegre, hien que dans son ensemble la physionomie de ces honmies ne soit pas pr6cis6ment la physionomie n6gre. La pluj)art des Europ^ens, s'ils 6taient enduits d'line couleur noire, ressembleraient k ces peuples. » Le meme observateur nous trace en ces termes le por- trait du chef des Baris et de son fds : « La beauts de ces deux hommes est frappante, quoique, dans la mul- titude m^me du peuple, il n'y en a pas un seul qu'on puisse vraiment appeler laid. lis sont grands et forte- ment charpent^s. .Le nez est un peu large, k la v6rit6, mais non pas 6cras6 ; sa forme, doucement arrondie, rappelle la lete de Ramses. La bouche est marquee, sans avoir cependant rien du n6gre, pr6cis6ment comme dans les tableaux 6gyptiens. Le front est large et ar- rondi, I'oeil expressif et franx. » Enlin dans un autre passage, parlant du peuple bari, le D' Werne dit en- core : <( La figure et la tete sont chez eux tout k fait r^guliSres ; nos propres soldats noirs, bien qu'on ne puisse pas dire qu'ils soient laids, ont des traits plus nfegres qui contrastent fortement avec ceux des Baris... La figure est ovale, le front arrondi, le nez droit ou arqu6, les narines un peu ouvertes, la bouche forte commc chez les anciens tgyptiens, et, comme chez ceux-ci 6galement, i'ouverture de I'oreille large et les tempes d^primees. »

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Dans I'ensemble de cette conformation, qui se d6- tache d'une manifere si frappanle du fond des popula- lations n^gres, on ne pent m6connaitre une formation mixte, une race m6tis. Nous sommes 6tonn6 que per- sonne n'en ait fait la remarque. Ceci est d'autant plus digne d' attention, qu'un grand ensemble de faits ana- logues [se r6v61e dans toute I'Afrique orientale. Une suite ininterrompue de peuples de sang mel6, trfes pro- bablement un 616aient galla sur un fond n^gre, couvre, sous les deux appellations g6n6rales de Cafres et de Souah6lis, toute la zone litt^rale qui borde la mer des Indes depuis le canal de Mozambique jusqu'aux envi- rons de r^quateur. Ici, dans la haute valine du fleuve Blanc, nous retrouvons le meme ph6nom6ne ethnogra- phique, probablement depuis I'^quateur jusqu'au 8' de- gr6 de latitude nord. S'il pouvait encore y avoir quelque doute quant a la nationality de I'^lfement ex- t^rieur, qui, dans le Sud, a des 6poques inconnues, est venu greifer le type caucasien (1) sur un fond n^gre, ce doute meme, ou plutot ce scrupule (auquel nous ne voyons pas de raison legitime) , ne peut gu6re exister en ce qui se rapporte aux populations sup^rieures du fleuve Blanc. La, en effet, nous voyons les n^gres du haut Nil en contact imm^diat avec les peuples gallas (de type caucasien) qui enveloppent tout le pourtour meridional de I'Abyssinie; et la fusion partielle de deux races limitrophes est un fait a peu pr^s general dans I'histoire des races humaines. Les Founghis, qui

(1) Nous employons ici ce mot, tres-iiiipropre en ethoologie, dans uti sens pureiaent physique qui iaisse intacles les questions de race et d'origiue.

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ont jou6 autrefois un grand rOle clans la haute Nubie, oil ils avaient 61ev6 une domination comparable, au moins pour I'^tendue, a celle de I'antique Mero6, les Founghis sont, comme les Baris, un peuple de race mixte.

Une autre particularite de la constitution physique des populations noires du Bahr-el-Abyad est leur taille 6lev6e. Tous les voyageurs sont d' accord sur ce point. Tons en parlent comme de v6ritables g6ants, chez lesquels une taille de six picds n'est qu'unc mesure tr^s ordinaire. On salt que chez les anciens 6galement, chez les Grecs comme chez les Egyptiens et chez les Semites, la haute taille des Ethiopiens du Sud 6tait pass6e en adage. Nous en avons ici une confirmation remarquable.

La vigueur et la beaut6 physique d'une partie au moins de ces tribus ne rendent que plus sensible leur affaissement intellectucl et moral. NuUe part en Afrique on n'a trouv6 despeuples moins avanct^s dans la civilisation. A certains 6gards, ce sont de vrais en- fants, bien que chez plusieurs d'entre eux, chez les Chillouks notamment, les mauvais instincts de ce qu'on a quelquefois nomm6 les fils de la nature, les instincts de guerre et de destruction, soient tr6s d6ve- lopp6s. La notion religieuse est a pen prfes nulle. Ils semblent n' avoir aucune id6e d'une intelligence sup6- rieure qui preside a I'ordre du monde. « Qui a cr6e le ciel, le soleil, les 6toiles? demandait Dom Angelo k quelques Keks. Nous avons toujours vu ces choses comme elles sont, r6pondent-ils ; nous n'en savons pas davantage. Qui a cre6 I'homme? C'est I'^l^-

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phant, le plus grand des animaux. L'homme est de- venu petit en devenant mediant. » lis inontrent une sorte de v6n6ration pour la lune, sans doute parce que sa douce clart6 les repose de la d^vorante ardeur du soleil. Us semblent aussi adorer les arbres et la vache, peut-etre parce qu'ils trouvent sous les uns une ombre bienfaisante, et que 1' autre les nourrit de son lait. Ge naturalisme tout a fait primitif est general chez les peuples sauvages; on I'a trouve 6galement chez les Agaous, qui sont les aborigines du plateau abyssin. Quant au culte de la vache, on sait combien il a 6t6 r6pandu dans I'ancien monde; il suflit de rappeler rfegypte et I'lnde.

II y a toujours chez ces tribus un personnage qui a su s'entourer d'une sorte de v6n6ration superstitieuse, c est \e faisenrde pluie, le roi de la pluie, comme on le nomme. II pent paraitre singidier qu'une telle fonction soit en honneur dans une contr6e oii il pleut r^guliferement pendant huit ou neuf mois de I'ann^e. Cette singularity s'explique quand on a vu le pays. Sous le soleil presque vertical de ces regions, deux mois de s6cheresse suffisent pour tout d^trnire. L'herbe des plaines se dess6che, les troupeaux d6p6rissent, et si cet 6tat de I'atmosphfere se prolonge de quelques jours seulement au dela du terme rigoureux, c'est une desolation generale. C'est alors qu'on vient implorer I'intervention de celui qui a su faire croire a Tefficacit^ de ses Evocations. Les presents de bestiaux lui arri- vent de toutes parts. C'est le moment des grands pro- fits. Mais si le role a ses avantages, il a aussi ses perils. Si, aprSs deux demandes successives, la pluie

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n'est pas venue, on saisit le proplifete impuissant, et on lui ouvre le ventre, ni plus ni moins. Cela ne laisse pas d'arriver aSsez frequemuient. 11 n'est pas n^ces- saire d'aller si loin pour trouver, toute proportion gar- d6e, quelque chose d' analogue. On raconte que dans certaines contr^es du midi de I'Europe, quand un saint populaire n'a pas exauc6 les vroux qu'on lui adressait, la statue est arracli6e de sa niche avec force injures. L'ignorance nivelle tous les hommes.

Dans la plupart des contr^es qui avoisinent I'^qua- teur ou les tropiques, les niemes causes ont prodiiit des r6sultats semblables. Comme la pluie est la condi- tion vitale de ces regions, elle est aussi I'objet des plus frequentes invocations que Ton adresse- aux puis- sances superieures. Chez les Aryas de I'lnde, cette invocation supreme revient dans une foule d'hymnes du V6da ; de toutes les fonctions dont Indra, le grand dieu des Aryas vediques, est investi, la premiere est d'entr'ouvrir les nuages qui rectilent les eaux du ciel, et d'en abreuver la terre. Les Remains avaient aussi leur Jupiter Pluvius. La meme aspiration, 6pur6e par la notion chretienne, se traduit dans nos Rogations. C'est partout le meme besoin et le m6me sentiment, difl'6remnient exprim6s selon les temps, les races et les civilisations.

Nous en avons dit assez pour faire comprendre qu'il ne faut s'attendre a trouver chez les peuples du haut Nil rien qui ressemble a une Industrie quelconque. L' agriculture meme leur est k pen pr6s 6trang6re ; lis vivent prcsque enti^rement du lait de leurs troupeaux et du produit de leur peche ou de leur chasse. Dans

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la plupart des tribus, les liommes vont entiSrement nus; inais les femmes s'attachent a la ceinUire ou une etroite lanitire de peau, ou quelques minces pendelo- ques d'6corce ou de verroterie, qui t6moignent au moins de leur pudeur instinctive, line meilleure de- fense est leur salet6 repoussante ; les couches de beurre ou de graisse dont ils s'enduisent le corps, hommes et femmes, I'ocre dont ils se peignent, la cendre et la fiente de vaclie dans lesquelles ils se roulent pour se garantir de la piqure des insectes, tout cela, on le concoit, non-seulement leur donne un aspect peu en- gageant, mais les environne d'une atmosphere qui tient a distance I'Europ^en le plus intr^pide. II est rare qu'une ablution complete mette en relief la beaut6 naturelle de leur corps.

Une singuli^re coutume qui chez eux est universelle, et qui se retrouve, diversement modifi6e, chez beau- coup d'autres peuples africains, est de s'arracher les quatre dents incisives de la rang6e sup^rieure. Leur seule raison pour expliquer cet usage barbare, est qu'ils ne veulent pas ressembler aux animaux- Aussi leur m6pris est grand pour les tribus des contrees voi- sines qui n'ont pas adopt6 cette pratique. En parlant d'une de ces tribus des montagnes du sud, qu'ils appe- laient les Chiens, les Baris affirmaient trfes s^rieuse- ment que ces hommes avaient bien r6ellement une tete de chien, et meme qu'ils marchaient k quatre pattes. Ce n'est qua, force de questions et d' explications qu'on arriva au vrai sens de cette qualification. Ce sont des rapports de ce genre, r^pandus de proche en proche et propag^s par des voyageurs crc^dules, qui ont donn6

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naissance k ces monstres multilbrmes dorit les anciens peuplaient I'inli^rieur de I'Afrique, ainsi qui des crea- tions hors nature, qui, menie de nos jours, ont encore trouv6 des d6fenseurs.

Quelques mots maintenant du r6sultat purement g^ographique des expeditions.

Un des premiers dont on soit frapp6 est le peu de pente de I'ensemble du fleuve. On n'a pas jusqu'i present une s6rie continue d' observations de hauteurs qui permette de determiner en cliillrcs precis la quan- tity exacte de I'inclinaison de la riviere au-dessus de Khartoum; mais la faiblesse de cette inclinaison se fait assez connaitre par la lenteur meme du courant, par sa nature extremeuient sinueuse au-dessus du lac Notj, et surtout par I'existence de ces eaux stagnantes qui changent en marais une si longue etendue des rives du fleuve. Les observations d' altitude de M. Riissegger, faites au moyen du barom^tre, lui ont donne pour I'eie- vation de Khartoum au-dessus de la mer 1/131 pieds, et pour la position d'Elai's, a environ soixante-cinq licues au-dessus de Khartoum sur le fleuve Blanc, 1<5(57 pieds. 11 en reaulte, pour la pente du fleuve dans cet inter- valle, une moyenne d'un peu nioins de 4 pieds par lieue, moyenne qui s'accorde bien avec la pente gene- rale du Nil k travers la Nubie, depuis Khartoum jus- qu'i Assouan ou Sy^ne, a I'entree de I'Egypte (1). On

(1) Voici les chiffres de M. Russcggor, ddduits de I'observalion du baromfelre {neise, t. II, 3' partie, p. 142, ct 1" pariie, p. 544) :

Kliartuutn 1431 pieds.

M6t£meh 1354

M^raouii (pr^s du M. Barkal) 830

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peut poser en fait qa'au-dessus d'Elais jusqu'au pays des Baris, la pente g6n6rale ne d^passe pas, si elle regale, la moyenne observ^e entre Elais et Khartoum, et qii'en adoptant, poi>r la hauteur absolue du point extreme oil se sont arret^es les reconnaissances du fleuve, une altitude absolue de 3000 pieds en nombre rond, on est plutot au-dessus qu'au-dessous du chillre vrai.

Ces approximations et ces calculs, malgr6 leur s6- ch«resse, ont cela de particuliferement int^ressant que jusqu'a un certain point ils permettent de se former une premiere id6e de la hauteur a laquelle peut attein- dre la region centrale ou se trouvent les sources du fleuve. Les Baris donnent a la partie du Bahr-el-Abyad qui leur est connue le nom de Toubirih ; et dans les informations que 1' expedition de 18/i0 put obtenir du chef meme de ce peuple, on apprit que depuis le point extreme qu'avait atteint 1' expedition, il y avait encore une lune, c'est-adire un mois de chemin, pour arriver aux lieux ou la riviere se partage en plusieurs bras

DoDgola 757

Solib 560

Korosko 450

AssouSa 342

De Khartoum a Assou4u, la difference est de 1089 pieds, pour une dtendue d'enviroa 400 lieues, en suivant le cours du fleuve, ce qui donne 2 pieds 3/4 en moyenne par lieue pour la pente gen^rale.

Bien que ces chiffres ne doiveat etre pris que comme une approxi- mation, venant d'un observateur aussi exact que M. Russegger ils ne peuvent s'^loigner beaucoup de la verity, surlout pour la nioyeune qui t'eo ddduit.

XTII. AVRIL. h. 19

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u que I'on traverse en n' ay ant de I'eau que jusqu'ci la cheville,)) disaient les gens du Bari. D'un autre c6t6, le D' Krapf apprit des indigenes, lors de son voyage de Monibaz au pays d'Oukambani, que les eaux qui descendent de la montagne neigeuse de K6nia se por- tent au nord-est vers un grand lac, et que de ce lac s'6coulentplusieurs rivieres, dont I'une lui fut d6sign6e sous le nom de Toumbiri.

On est amen6 n^cessairement a conclure de cette remarquable coincidence, aussi bien que de plusieurs autres rapports non moins significalifs, que la source principale du Bahr-el-Abyad est au mont K6nia, point qui doit se trouver a une tr(is faible distance au sud de r^quateur, ct a 300 milles anglais environ deMom- baz dans la direction du nord-ouest.

Dfes 1851, dans la preface qu'il a mise en tfite de la relation arabe du Ouaday par le cheikh IMoliammed- el-Tounsy, traduite par le D' Perron, M. Jomard signa- lait le mont Kenia, d'apres les rapports alors tout r6cents du R6v. Krapf, comme devant rcnfermer une des sources principalcs de la tete du lleuve Blanc. Ce qui n'etait alors qu'une pr^soniption bas6e sur des considerations purement physiques, recoit presquc le caractfere d'une demonstration par le rapprochement que nous venous de signaler entre le Tonbiiih des Baris du nord et la Toumbiri du mont Kenia.

Diverses circonstances des relations du D' Krapf et de son compagnon de travaux apostoliques, le R6v6rend Rebmann, montrent d'ailleurs que la region que do- minent les montagnes neigeuses du Kilimandjaro et du K6nia est un plateau d'une 616vation considerable. II

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y a toute apparence que ce plateau s'abaisse vers le nord en gradins successifs et rapproches ; car il results encore des renseignements obtenus parmi les Baris, et consign^s dans la pr^cieuse relation du D' Werne, que la Toubirih, au-dessus de Tile Tchanker (non loin du point extreme de nos reconnaissances), est remplie d'un grand nombre de chutes et de rapides qui ne permettent plus d'y conduire ais6ment les barques. On sail que I'obstacle qui arreta Texp^dition 6gyptienne de 1840, un peu au-dessus de I'ile de Tchanker {h. U degr6s et quelques minutes de latitude nord, selon la determination de M. d'Arnaud), est une barre de rochers qui forme en cet endroit, dans le lit de la ri- viere, un ressaut qu'on ne pent franchir qu'au temps des hautes eaux.

L' expression une lune, employee par les Baris, im- plique une distance considerable, car ces peuples sent bons marcheurs. II n'est cependant pas encore possible, dans retat actuel de nos connaissances, de determiner cet espace d'une manifere im peu precise. Cette deter- mination doit resulter de la position relative du mont Renia et de Tile Tchanker ; or, nous n'avons encore, surtout pour le second point, que des donnees tres incertaines. La position assignee au mont Kenia est deduite uniquement de I'estime des marches du D' Rrapf depuis Mombaz, tant pour la distance que pour la direction ; neanmoins, comme ces estimes ont ete prises par un observateur attentif, habitue de longue date aux pays de montagnes par ses courses en Abyssinie, il ne semble pas que les observations directes des futurs explorateurs doivent apporter un

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changement notable dans Templacement provisoire donn6 au mont Kenia, environ un dcmi-degr6 de latitude sud, et 35" de longitude orientale comptte du m^ridien de Paris. Mais, chose assez 6trange, le point extreme des reconnaissances du fleuve Blanc cliez les Barisestbien loin d'etre fix6 d'une manii^re aussi sa- tisfaisante, quoiqu'on y ait fait a plusieurs reprises des observations astrononiiques. C'est que pr^cis6ment ces observations, un peu pour la latitude et beaucoup pour la longitude, pr^sentent des divergences presque incroyables. On en jugera par les rapprochements suivants :

LATIT. «. LOWG. E. DE PARIS.

La petite lie Tchanker, terme extreme de I'ex- pddition de 1840, est, sclou M. d'Arnaud, par 42' 29* 18'

Ou seloa une premiere estime (1) du inline Toyageur 29' 42' I

Seloo Selim Bimbachi, le commandaat ^gyp- I

tieade la ra^me expedition (Werne, p. 311)... 4' 35' 30* '

Selon la carte h grand point de M. Werne. . . 04' 30» 05'

Mais selon le Rev. Knoblecher [Bulletin de la SocieU de geographic, 1852, III, page 27), le mime point se trouverait par 4* 37 26* 20'

(1) Selon la longitude eslimee, dit expressdment M. d'Arnaud dans une premiere letlrc adressde a M. Joniard, et iraprimde au Bulletin de la Societcde geographic, l. XYII, 1812, p. 377. Si, comme on I'a penso, et comme scmblerait I'iudiiiuer cetlc expression, les determi- fl nations de longitude faites par I'cxpddilion de 1840 sont principalc- ^| meul deduitos des directions journaliijres donndes par la boussolc, en 8'appuyanl sur la position de Khartoum qui fut le puiutde depart de I'expddition, un nioyeii aussi iucerlain ponr uuc navigation cxtreme- meut sinueuse, sufCsait bien h cxpliquer la graade dilliircuce de* chiffres deM. d'Arnaud et de ceux deM. Knoblecher.

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Pour la latitude, les divergences extremes se mon- tent k prfes de 40 minutes, les deux tiers d'un degr6 ; mais c'est bien autre chose pour la longitude. Entre la determination de M. d'Arnaud (soit par observation directe, soit par estime, nous ne savons), et les obser- vations du R6v6rend Knoblecher, la difT6rence est de trois degres et plus ; cette difference s'augmente encore de 45 minutes, ou des trois quarts d'un degr6, si on prend pour point de comparaison la carte de M. Werne, dont M. Kiepert, le savant geographe de Berlin, a suivi les donn6es. II est bien clair que I'^tat actuel de I'astronomie pratique n'admet pas de telles anomalies. Un des deux chiffres au moins est entach6 d'une grave erreur. Lequel? c'est ce qu'on ne saurait dire ; car aucun des voyageurs n'a rendu public le detail de ses observations, ce qui aurait permis aux astronomes d'en verifier les 616ments. La nature meme de ces ob- servations n'est pas indiqu^e. En cet 6tat, on ne pent que snspendre son jugement ; mais aussi, quelle que soit celle des deux determinations vers laquelle on penche, on ne pent I'accepter que comme provisoire.

Cette divergence est d'autant plus grave, qu'elle change du tout au tout I'aspect et le trac6 du fieuve Blanc. Avec les chiffres de M. d'Arnaud et de Seiim, le fleuve, depuis le lac mar^cageux du Bahr-el-Ghazal, se porte droit au sud-est jusqu'a I'ile Tchankfer; selon les donnSes de M. Knoblecher, la valine, sauf de 16- gferes deviations, remonte directement au sud. II y a aussi une difference considerable, tout k la fois pour la direction et pour la distance, dans la position rela- tive de I'ile Tchanker et du mont Kenia, selon qu'on

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se base sur les indications de I'cxp^dition de iShO ou sur celles du missionnairc autrichien. Dans le premier cas, rintervalle d'un point k I'autre est de sept degr^s ^quatoriaiix i Touverture du compas, sur une ligne inclin6e du nord-ouest au sud-est; dans le second cas, rintervalle est de dix degr6s, et rinclinaison va presque de Touest k Test. On pent remarquer, sans rien pr^juger aufond, que, d'apr^s le dire des indi- genes, la route de ceux qui remontent la Toubirih se dirige principalement vers le soleil levant, ce qui serait bien en accord avec les donn^es du Rev. Knoblecher. Ce qui ressort de tout ceci, c'est que dans ces par- ties extremes de la region du baut Nil, vers laquelle se portent depuis si longtemps les regards du monde, bien des recherches de detail, bien des verifications, et aussi bien des d^couvertes importantes rest'ent encore h faire, ratals que d^sormais le champ des investigations y est bien delimit^. On ne marche plus k I'aveugle et dans I'inconnu. Le but est nettement d6sign6, il est en quelque sorte sous les yeux de I'explorateur, et la route pour I'atteindre est d6jci 6clair6e a demi. Que Ton remonte de I'ile Tchankfer, \k oil se terminent les reconnaissances actuelles du fleuve Blanc, a la region du mdnt R6nia, ou que, reprenant les traces du D' Krapf, on parte de la cote orientalc pour gagnerle mont R6nia, et du mont R^nia pour rejoindre I'ile Tchankfer, ce n'est plus, on pent dire, qu'une entre- prise ordinaire parmi celles qui ont marqu6 dans I'histoire des explorations africaincs, une entreprise maintenant moins difficile ct moins hasardeuse que cells des Mungo Park, des Bartb et des Livingstone. Et

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pourtant elle n'en sera pas moins couronnee d'une gloire immortelle.

Nous n'avons a ajouter qu'une seule remarque, mais elle est importante.

II est sans doute fort a desirer qu'un voyageur sa- vant, un nouveau Riissegger, reprenne bientot 1' ex- ploration tout enti^re du Bahr-el-Abyad , qu'il en remonte le cours a partir de Khartoum, et que, mar- quant ses stations principales par de bonnes observa- tions astronomiques et barom6triques, il 16ve enfin d'une maniere d6ilnitive les doutes qui planent encore sur la vraie direction du fleuve et sur le relief du pays. Mais il nous parait evident, a la seule inspection de la carte, que la n'est plus maintenant la route des grandes d^couvertes. Les grandes decouvertes qui restent k faire en Afrique, c'est de la cote orientale qu'il faut les entreprendre. Les voyages du R6v. Rebmann au Djagga et du D' Rrapf a FOukambani en ont ouvert la voie et montr6 la direction, C'est de la region meme du mont K6nia qu'elles doivent d6sormais partir (1).

Les lignes d' exploration qui rayonnent de la dans

(1) A I'occasion de la communication actucUe, qui avait 6t6 faite dans une des stances parliculieres de la Soci^te avant d'etre lue en stance publique, M. Jomard, president de la Commission centrale, a donai connaissance de lettres privees ^crites il y a trois ans a un ofD- cier de marine qui avait dessein d'expiorer ces parages, et ou la cote de Mombaz est (^galement signalee comme le raeilleur point de depart a donner dcsormais aux explorations int^ricures de la region des sources du Nil. Nous n'avons pas besoin d'ajouter combien nous nous felicitous de nous etre rencontrd rn ceci avec un savant a qui les tra- vaux de sa vie entiere ont acquis sur ce sujel une si haute et si legitime autorite.

1

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toTites Ics directions conduiront toiites a des d6cou- vertes d6cisives. Au nord et au nord-est, elles iront se relier aux reconnaissances du fleuve Blanc ; ou bion, i travers la contr^e des Gallas, elles iront rejoindre les explorations de M. d'Abbadie dans I'Enarea, et celles de M. Burton chez les Somal. Au nord-ouest, elles viendront se rattacher, h. travers toute I'^tendue de la ■6gion 6quatoriale, aux d6couvertes de Barth et de Baikie, dans le bassin de la B6nou6, aprfes avoir coup6 probablement tout le r6seau des afiluents encore incon- nus de la gauche du Bahr-el-Abyad. Au sud-ouest enfin, elles p6n6trent au cceur meme du continent aus- tral, coupent la region des grands lacs, et viennent aboutir au Zaire inCerieur ou au bassin du Zambezi, se rattachant ainsi aux voyages r^cents de Burton et de Livingstone. Ily a la de quoi alimenter largement I'ac- tivit6 des explorateurs ; et cependant telle est I'ardeur actuelle pour les d^couvertes africaines, que Ton peut pr^voir d6ja le moment oil ces grandes et difficiles tra- vers6es seront accomplies, et oii nous verrons ainsi disparaitre les derni^res lacunes qui restent a combler sur la carte de I'Afrique et du monde.

Vivien de Saint-Martin.

( 281) NOTICE SUR LE DARFOUR

ET SUR LE VOYAGE DE M. LE DOCTEUR CUNY

DANS CETTE CONTR£e,

Par M. le comte D'Escatrac db Lactcrb.

II y a pr6s de dix-huit mois, lorsque je quittai i'Egypte pour revenir en France, je cherchai s'il ne se trouverait pas dans le pays meme quelque Europ6en d^sireux et capable d'entreprendre une exploration et de faire des d6couvertes g^ographiques, c'est-i-dire intelligent, 6clair6, actif, courageux, et en meme temps acclimat6 dans les pays chauds, fait aux usages de Torient, parlant la langue arabe avec facility. Je vou- lais engager cet Europ6en k visiter le Darfour et le Waday. L' exploration de ces deux Etats me paraissail presenter le plus vif int6ret; en meme temps quelle devait etre plus facile et moins dispendieuse que la recherche des sources d'un grand fleuve, recherche qui n6cessite I'emploi de moyens de transport toujours difficiles k se procurer dans des contr6es que la civili- sation n'6claire pas encore. 11 faut observer, de plus, que les populations du haut Nil vivant entiferement k r6tat sauvage, il n'est pas sans danger de p6n6trer au milieu d'elles ; tandis que les peuples dn Darfour et du Waday, comme ceux du Bornou, 6tant soumis k des gouvernements k pen pr6s r^guliers, le voyageur a peu de chose k en redouter d6s qu'il s'est mis en r^gle avec rautorit6 qu'ils reconnaissent, et dfes lors

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peut voyager sans escorte et presque sans armes.

La partic occidentale du Soudan a cte visitce depuis Denham et Clappcrton par un grand nonibre de voya- geurs : le Niger et la Tcliadda ont m^mc 6te d(?ja re- montd'S sur une partie notable de leur cours par des bateaux a vapeur, et tout porte a. croire que d'ici a peu d'annees, uu commerce important se fera entre I'Eu- rope et le Soudan par le Niger.

Le Soudan oriental, au contraire, nous est encore bien peu connu. Le voyageur Vogel, qui avait r6cem- ment p^n6tr6 dans le ^^■aday, parait y avoir 6t6 mis h raort, et les r6sultats de son exploration seiiiblent elre perdus pour la science. Le Darfour a 6tevisite par Browne, qui y passa meme trois ans, de 1793 b. 1796. Mais Browne, dcnoncc au roi de Darfour comme es- pion, emprlsonne ou garde a vue, longtemps malade, n'a pu donner que peu de rcnseignements sur un pays dont il n'avait vu qu'un district, et sur un pcuplc avec lequel il n'avait pu nouerde relations. Fresnel, consul h Djeddah, ecrivit il y a quelques annees un m^moire tr6s remarquablc sur le AVaday. J'ai moi-meme plus tard, sur des indications obtcnues au Cairo, trait6 du Darfour, du Waday et des autres Etats du centre de TAfrique. Je citerai aussi les voyages du cheikh Mohammed el Tounsy, traduits par M. le docteur Perron ; on y rencontre quelques faits assez curieux b. c6t6 de beaucoup de ces fables auxquelles so laisse entrainer 1' esprit cr6dule et born6 des Arabes.

Le grand capitaine qui commandait I'exp^dition d'Egypte avait song6 a nouer avec le Darfour quelques relations. II avait 6crit meme au roi de ce pays pour

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lui demander des esclaves dont il eut probablement form6 un corps militaire : c'eut 6t6 un renfort tr6s utile pour I'arm^e francaise priv6e de communications avec la mfere-patrie, et qui ne pouvait sans imprudence armer les vaincus ; le peu de dur6e de I'occupation de rtgypte fit 6chouer le projet.

Le Darfour a toujours entretenu avec I'flgypte un certain commerce. La caravane du Darfour arrive k Siout chaque ann6e vers le mois de rhamadan, ame- nant avec elle les d6vots qui veulent entreprendre le p^lerinage de la Mecque. Les marchands de la cara- vane passent trois mois a Siout pour les attendre, et pendant ce temps, se r6pandent dans la ville et font leurs ventes et leurs achats par I'entremise du chef de la caravane, qui est un grand personnage, souvent meme un parent du roi de Darfour.

M. Cuny, docteur en m6decine de la faculty de Paris, longtemps m6decin en chef de la province de Siout, avait eu I'occasion d'entretenirdes rapports trfes longs et assez intimes avec les chefs et les marchands de plusieurs de ces caravanes. II avait eu I'occasion de faire vacciner plusieurs milliers d' esclaves amends par ces caravanes ; il avait donn6 ses soins a bon nombre d'hommes importants du Darfour; et curieux de visiter cette contr6e , qui n'est 6loign6e de Siout que de 45 journ6es, ce qui, en Afrique, est regarde comme peu de chose, il avait il y a quelques ann^es fait pro- poser au roi de Darfour d'aller levoir et de lui donner les soins que r6clamait une maladie dont il 6tait atteint, Le roi de Darfour accepta cette ouverture avec joie ; mais les marchands de la caravane, craignant que le

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D' Cuny ne voulut se livrer au commerce et ne leur fit une concurrence redoutable, refusferent de Tem- mener avec eux. Loin de se d6courager, M. Cuny s'af- fermit plus que jamais dans sa resolution de visiter le Darfour et de passer de la au Waday, si cela 6tait possible. Je I'y engageai beauconp moi-meme lorsquc je le vis au Caire peu de temps avant men depart, et nous en parlames longuenient, discutant toutes les chances, ct traitant de ce voyage comme d'une conspi- ration. II fallait, en effet, t-chapper k une triple sur- veillance, celle des marchands dont nous avons parl6, telle des autorit^s 6gyptiennes qui 6prouvent naturel- lement quelque jalousie des progrtjs que les Europ6ens peuvent faire dans TAfrique centrale; enfin, celle d'ambassadeurs que le roi de Darfour avait envoy^s en Egypte, et dont la presence au Caire, tenue assez secrete, avait 6t6 6vent6e par nous. Nous allames tou- tefois voir ces ambassadeurs ; mais sans leur rien dire qui put faire soupconner le projet de M. Cuny. lis me rendirent cette visite ; mais la se bornferent nos rela- tions, on ne leur permit plus de voir des Strangers.

Son long s6jour k Siout avait initio M. Cuny a tous les usages et a tous les petits secrets du Darfour. ll fait partie, de plus, du petit nombre d'Eiirop6ens qui parlent bien la langue arabe, et du nombre, moindre encore, de ceux qui I'^crivent facilement. II fut con- venu qu'il ne chercherait plus a se joindre a la cara- vane; qu'au lieu de cela, il remonterait le Nil jusqu'en Nubie, se rendrait au Kordofan et k Lobeidh, c'est-a- dire a sept journ6es du Darfour, et attendrait une occasion favorable.

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J'ai reru il y a peu de jours des lettres et un m6- moire de lui dat6s de Lobeidh et du 25 mai 1858. II partait le lendeniain pour le Dai four ou il doit etre en ce moment depuis pr^s d'une ann6e. M, Cuny s'6tait adjoint quelques Europ6ens qui ont recul6 devant la grandeur de la tache ou ont renonc6 k I'entreprise par quelque autre raison. Leur concours ne lui 6tait pas indispensable, et leur presence eiit pu 6tre genante en bien des occasions. Le secret le phis grand fut gard6 jusqu'au dernier moment, et c'est k ce secret qu'est du le commencement de succ^s dont nous avons a, nous f^liciter aujourd'hui. Toutefois un vague soupcort des intentions de M. Cuny a pu le pr6c6der quelquefois. Ainsi k Derr en Nubie, il a 6t6 retenu plusieurs se- maines par un gouvernement peut-etre plus rus6 que fanatique.

On ne se fait pas en g6n6ral une id6e bien exacte de ces regions africaines au sein desquelles M. Cuny va se hasarder. II me sera done permis de placer ici quelques mots sur FAfrique en general, et sur le Dar- four en particulier. En g6ographie comme en toute science, il faut arriver a des id6es g6n(^rales, a quel- ques grands faits qui sent comme la somme et le r6- sum6 des autres, et qui, servant de jalons, permettent k I'esprit de poursuivre utilement sa marche. Relative- ment a la geographie de cette partie de FAfrique, situ6e au nord de F^quateur et la plus rapproch^e de nous, assez de faits particuliers ont 6t6 recueillis, comment6s, compares, pour qu'il soit aujourd'hui possible de tra- cer, en n'employant que peu de mots, une esquisse assez fidde, et en meme temps assez nette et assez

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simple pour que I'esprit en soit satisfait et s'y attache.

Do I'autre c6t6 de cette M6(litcrran6e que bordent nos rivages, et sur laquelle se projettent les trois plus belles p6ninsules de ruiiivers, s'^tend une cote st6rile, k peu pr6s dcpourvue de ports, I'un des derniers re- fuges de la barbaric turque ou arabe, du fanatisme musulman, du brigandage meme et de la piraterie, jusqu'au jour oil le drapeau de la France sut en triom- pher en Egypte d'abord, et en Alg6rie plus tard.

Cette region m6diterraneenne de I'Afrique, sans etre bien fertile, n'est pas entiirement inculte. La zone cultiv6e n'y a pas partout la meme 6tendue; elle y ac- quiert d'autant plus do largeur et d'autant plus de f6condit6, que la cote s'avance plus loin vers le nord : le Maroc, 1' Alg6rie, Tunis, ont des champs et des forets ; Tripoli, plac6 plus au sud, n'a que des oasis. En eflet, d6s que, parti de la M6diterran6e et marchant vers le Sud, on a franchi une certaine limitc que marquent en Alg6rie les derniers contre-forts de I'Atlas, on aper- foit au loin devant soi cette r6gion vaste et d6sol6e, ce d6sert dont des portions diverses ont recu des noms divers, mais qui partout semblable a lui-meme, sablon- neux ou h6riss6 de rochers volcaiiiques, coup6 de col- lines calcaires ou d' aretes granitiques, est partout priv6, a peu prtis entit;rement, des pluies du ciel, et n'accueille la vie que dans quelques oasis bien rares, sortes d'iles groupies en archipels, ou dessinant de longues chaines, formant sur le fond morne et d6soI6 du D6sert, ainsi que I'a dit un ancien, comme les mou- chetures de la peau d'un 16opard, Les eaux descendues de I'Atlas et des chaines voisines de la M6diterran6e,

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6gar6es sous le sol et reparaissant tout ci coup au sein de quelque valine, ou au milieu d'une vaste plaine sous la forme d'un maigre ruisseau ou d'un lac sau- matre , ont donn6 naissance k ces oasis, ont permis la culture de quelques parcelles de terre, et, en ^change de leur Industrie, fourni a quelques families humaines les premieres n6cessit6s de la vie.

L'Egypte n'est r^ellement qu'une immense oasis, car en l^gypte comme dans les oasis, ce n'est point sur I'eau du ciel que compte le cultivateur, etl'Egypte est, comme les autres oasis, 6troitement emprisonn6e entre un double desert.

Quelques tribus arabes, restes de ces pillards que I'islamisme amena jusqu'en Europe, se montrent encore dans la partie septentrionale du grand Dissert ; mais ces grandes solitudes sont parcourues par des peuples de races dilT^rentes : les Tibous k Test et vers le Nil, les Touaregs a I'ouesi et vers rOc6an. Ces derniers poussent toutefois encore quelques ramifications jus- qak Audjelah et jusqu'a Siwah, c'est-a-dire bien prSs de I'Egypte.

Mais le Desert a dans le sud comme dans le nord ses iimites naturelles , et au deli de Portendick au S6n6gal, au dela de Tombouctou et de Bilma, vers le centre de I'Afrique, au dela de Dongolah en Nubie, c'est-a-dire a peu pr^s par le 17* degr6 de latitude nord, les pluies intertropicales commencent a se faire sentir. C'est k ces pluies abondantes, dont la clmte coincide avec la saison cliaude, quest due la richesse de toutes les colonies ou se cultivent le sucre, le caf6, les 6pices. EUes doteraient I'Afrique centrale d'une

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f6coiidit6 pareille, si les Africains 6taient d'autres honimes, ou si I'Europe, exercant sur eux une utile domination, venait a dinger leurs efforts.

Cette rt^gion centrale de I'Afrique a 6t6 appel6e par lesanciens Nigritie; les Africains modernes I'appellent le Soudan, denomination qui a le meme sens que 1' au- tre. Le Soudan est, en effet, peupl6 de races nSgres dans le voisinage desquelles errent qnelques tribus arabes r6pandues depuis I'Abyssinie jusqu'au Senegal sur lalisifere duD6sert et du Soudan, et qui paraissent avoir gagn6 I'Afrique, en traversant la mer Rouge, pour se soustraire au joug de I'islamisme, que d'autres Arabes portaient avec eux, et que ceux-memes du Soudan ont fini par subir.

Une portion de la Nigritie, celle qui avoisine le plus le D(^sert, sur une largcur variable, mais qui sou vent atteint cent cinquante lieues, a recu I'islamisme. Quel- ques-unes des peuplades ainsi converties, le sont depuis quelques si^cles; d'autres depuis quelques annees i peine. Les N6gres plus meridionaux sont encore feti- chistes ou idolatres, ou depourvus de tout culte et peut-etre de toute id6e religieuse. Les Nfegres musul- mans leur font la guerre, moins pour acqu6rir des ames au Proph6te que pour se procurer des esclaves qu'ils emploient aupr^s d'eux ou qu'ils vendent aux Musulmans Turcs ou Arabes de la cote. Je n'ai pas besoin de le dire. En effet, I'esclavage et la traite ne peuvent pas plus etrc abolis de fait par les Musulmans, que la justice ou la tol6rance ne peuvent etre raises en pratique par eux, quclque fr^quemment d'ailleurs qu'ils aient I'audace d'en prononcer les noms.

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Le Soudan musulman compts plusleurs vastes ttats soumis a la jurisprudence du Coran, gouvern^s par des princes h6r6ditaires ; le regime feodal existe dans quelques-uns d'entre eux, et n' existe point encore ou a cess6 d'exister dans d'autres; quelques-uns ont un rudiment d' organisation militaire et mettent en cam- pagne des armies assez nombreuses.

La plupart n'ont point encore d'impots proprement dits et de tr^sor public ; barbares, ils ont du moins ce privil(^ge de la barbaric, de ne pas payer cher pour etre mal gouvern^s ; ils sont en cela plus heureux que la g6n6ralit6 des autres musiilmans.

Le Darfour est le plus oriental des Etats musulmans de I'Afrique centrale ; il est Yimit6 au sud par I'Omm et Timan ou Reilak, vaste affluent du Nil, a pour voisin k I'ouest le royaume de Waday, et a Test la province 6gyptienne de Cordofan, conquise ou plutot d6vast6e et saccag^e en 1821 par le gendre de M6h6met-Ali, homme d'une ferocite digne de sa race. Depuis I'occu- pation du Cordofan par les ligyptiens, le Darfour se sent menac6 et montre quelque inquietude. J'ai meme lieu de croire qu'il accueillerait avec joie des instruc- teurs europ6ens, qu'il acheterait a 1' Europe beaucoup d' amies k feu, si les pachas turcs, qui gardent Tripoli et rfigypte, laissaient parvenir jusqu'au Darfour ce gage de I'ind^pendance el de la s6curit6 des peuples qu'ils ont toujours convoit^s. Les Musulmans les plus perspicaces commencent aujourd'hui a tourner leurs regards vers I'Asie centrale et vers I'Afrique centrale, berceau de leur race barbare, dernier asile de la bar- baric ; ils y voient an refuge ; ils pr6voient un dernier XVII. AVBIL. .'). 20

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combat, dont I'Europe iiicl6cise retarde seule I'instant, et leur esprit decoiirag6 ne pr^voit plus que des d6- faites. Les Soudaniens acce]")tent volontiers en th^orie la preeminence du sultan des Turcs, comme chef de I'islamisme; ils le croient le maitre du moude, tant les illusions sont faciles a la devotion ignorante. Ainsi, dans ces regions eloign6cs, le prestige de I'enipire d'Osmansurvit a cette puissance que depuis la bataille de L^pante I'Europe a vue d^cliner sans cesse.

Le Darfour, comme les Etats voisins, comme le Cor- dofan, que j'ai eu I'occasion de visiter moi-meme, est couvert surune partie notable de son 6lendue, et sur- tout vers le sud, de forets principalement compos6es d'arbustes epineux et de gommiers. Le Baobab domine les forets que coupenl 9a et la de vastes clairieres, quelquefois cultivees, et an milieu desquelles s'6l6vent alors des villages ou des villes qui, k une seule excep- tion pr^s, ne different que par leur 6tendue. Ces ag- glomerations, comme celles des Germaiiis que Tacite nous d6crit, occupent toujours une surface tr6s 6ten- due. Cha(jue habitation est entour^e d'un enclos form6 par une haie 6pineuse ; au milieu de cette enceinte, de forme souvent carr6e, se dressent quelques hultes a base cylindrique, et dont le toit coniqueestal'epreuve des grandes pluies. Ces huttes sont appel6es des tuk- koli. Des huttes plus 16g6res et simplement en paille et a toits plats, appel6es recouba, servent pendant les beaux jours. Chacun de ces tukkoli a, comme chaquc piece de nos maisons, une alTectation dilferente : I'une est le harem, I'autre la cuisine, 1' autre la salle de re- ception ; il y en a aussi une aflectee a la mouture du

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Dokhn, grain jaune et amer qui fournit aux Fouriens leur principa.1 aliment et leur principale boisson, la bousa, sorte de biere 6paisse et d'un gout douceatre. La ville de Caube, qui n'est point la capitale, mais la ville de commerce et comme le port du Darfour, a seule des rues et des maisons qui ressemblent un peu h celles que Ton voit dans les villes 6gyptiennes, k Siout particulierement ; ce sont meme les maisons de Siout qui ont servi de modules k celles de Caub6, car c'est a Siout que se rend chaque ann6e la caravane du Darfour, et c'est par cette ville que les produits du Darfour p6n6trent en Egypte et s'ecoulent dans tout rOrient. La capitale ou facher du Darfour estFendelly. Le Darfour a eu d'autres capitales et en changera peut-etre encore. Oncomprend qu'il en soit ainsi dans une con tree barbare ou la residence royale n'est d6ter- min6e ni par 1' existence de monuments et de palais somptueux, ni par celle d'un mouvement intellectuel qui ne se d6place pas facilement.

Le souverain actuel du Darfour s'appelle Hossein. II rSgne depuis dix-sept ans environ. II est, d'aprfes une liste royale que j'ai publi6e il y a trois ans, le onzieme successeur de Soliman Solon, ou de Soliman le Bedouin, apotre musulman et premier roi du Darfour.

L' organisation du Darfour est feodale. et le pays est divis6 en quatre grands gouvernements habituellement h6r6ditaires. Les gouverneurs se r^voltent quelquefois ; s'ils sont d6faits et faits prisonniers, il est rare que le roi ose les faire mettre a mort ; il se contente de les . exiler dans les monts Marrah, berceau de sa famille, et dont la population a toujours 6t6 d'autant plus

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fiddle, qu'on I'a toujours laiss6e se gouverner k sa guise. Le Darfour a dans les monts Marrah ses forte- resses natiirelles ; il y existe, m'a-t-on (lit, une valine entour6e de toute part de somuiels inaccessibles, que les indigenes regardcnt comine leur place forte, et dont ils ne laissent pas meme approcher les Strangers.

Le roi a une garde assez nombreuse conipos6e de cavaliers armes d'epees droites a pomnieaux en croix et de masses d' armes. CeS' cavaliers sont prot6g6s centre la lance et la flfeche par des casques de la forme des anciens casques normands, des cuirasses et surtout des sayes ou gaubesons ouat6s.

Lorsque la guerre 6clate, le ban et I'arritre-ban sont convoqu^s a son de trompe dans chaque village pour un nombre de jours d6termin6 par I'usage. Les Fouriens sont arm6s de lances, de javelots, et portent un bouclier ovale. II y a au Darfour quelques archers provenant des peuplades idolatres.

Le Darfour n'a que tr^s peu d' armes a fcu; il a ce- pendant, a ce que j'ai entendu dire, un ou deux canons. -*

Je ne m'6tendral pas davantage ici sur le Darfour. Je n'ai voulu qu'en indiquer les principaux traits ; j'en ai parle plus longuement dans le m6moire sur le Soudan que j'ai public en 1856. Mais les rcnseigne- ments que je donnais, r^sultat d'une simple enquSte faite a distance, n'avaient pas une grandevaleur. C'est a M. Cuny de nous faire connaitre ce pays, qu'il visite eii ce moment. En attendant qu'il ait eu le temps de le faire, je dcmandcrai la permission de vous entrete- nir de son travail actuel. J'aurais voulu en lire ici

I

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quelques passages ; mais outre que M. Cuny est trop Africain, c'est-a-dire trop technique pour 6tre facile- ment entendu par ceux qui n'ont point pratiqu6 I'Afrique, il a adopts la forme du journal, forme cxcel- lente en elle-meme, mais qui a I'inconv^nient de ne point traiter avec m^thode les questions diverses qui se pr6sentent, d'^parpiller, au contraire, les faits ou les id^es de meme nature, sur une etendue trop vaste pour qu'il soit facile de les r^unir et de les coordonner. Le travail de M. Cuny, d'ailleurs, sera prochainement public in extenso dans le Bitlletin de la Societe de geo- graphie. Les personnes qu'int6resse sok r(^tude de I'Afrique, soit a un point de vue philosophique I'^tude de la Barbaric, y trouveront un veritable attrait. Les physiciens liront avec curiosity la description donn^e par M. Cuny du mirage auquel il a si souvent assists dans les plaines brulantes de la Nubie ; les naturalistes et les m6decins trouveront dans son travail un grand nombre de renseignements et d'indications pr6cieuses relativement aux veg6taux des pays qu'il a traverses et aux medicaments employes avec plus ou moins de succ^s par les populations de ces pays. On sait que I'Abyssinie nous a donn6 deja le Cousso ; esp^rons que le Darfour, visits par un m6decin instruit et intelligent, fournira quelque moyen nouveau a notre th^rapeu- tique.

Notrevoyageurd6critminntieusement,amesurequ'il les observe, les coutumes, les habitudes, lesvetements des Arabes, des Nubiens, des Nt^gres. Chose remar- quable! les premieres institutions, les premieres armes, les premiers sentiments de tous les peuples sont pareils.

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Animal que I'instinct gouvenie, I'homme barbare, d'lm bout du monde ii 1' autre, ressemble a I'liomme bar- bare, comme la Iburmi ressem])le a la fourmijl'abeille il'abeille. Profonds sujets d'etude pour le philosophe, Ics faits de cet ordre sont comme des germes ft^conds d'ou pcut naitre toute une nouvelle philosophie de riilstoire.

M. Cuny ne se borne pas a enregistrer les noms des villages ou des puits dont il a connaissance ; il donne le sens de chacun de ces noms dans un idiome arabe qui n'est point I'idiome corrompu de I'Egypte ou de I'Algerie, et c^ui n'est pas tout i fait non plus le Ian- gage si pur du Goran.

Peut-etre cette langue des Arabes du Soudan est- elle la langue meme que parlaient les conteuqiorains et les compatriotes de Mohammed, car il y a peu de pays oil le meme langage se parle par Ic peuplc et s' derive dans les livres.

Enfm iM. Cuny nomme et d^crit avec detail les oasis du Gab. II indique, d'apr6s le rapport des indigenes, un volcan qui aurait eu quelques Eruptions encore dans ce sifecle, et qui serait situe k "NVadi-Hadjiar, k Test d'un point appel6 Morrad, dans la haute Nubie, a une grande distance dela mer, mais non point de toute eau saline ou saumatre. L' existence dc ce volcan serait int6ressante k constater. Notre voyageur indique aussi un prolongeraent de la valine appelc^e Bahar-el-Ghzal, qu'il appelle le Wadi-el-Mck, et par lequel le Soudan central, k I'^poque des grandes pluies, non peut-etre chaque annec, mais lorsque les pluies atteignent une grande intensity, diverse ses eaux dans le Nil k une faiblo distance de Dongolah.

( 29^ )

Telles sont les principales questions abord^es dans le journal de M. Guny. Ceux qui voudront lire ce tra- vail y trouveront cet int6ret vif et profond qui s' attache a tous les tableaux vrais et a tons les r6cits naifs et fidfeles. Esp6rons que bientot M. Guny nous enverra de nouvelles pages, remplies cette fois de faits entifere- ment nouveaux , car jusqu'a present M. Guny n'a tra- verse que la Nubie et le Gordofan. Le voila dans le Darfour, le Darfour qu'il connait d6ja, qu'il verra, mieux que personne, et sur lequel il ne pent manquer de nous fournir les plus pr^cieux renseignements.

M. Guny n'a malheureusement pu emporter que quelques instruments assez imparfaits; je desirerais vivement lui en faire parvenir d'autres. Entre Paris et le Darfour, les communications ne sont ni frequentes ni faciles; peut-etre cependant arriverai-je a 6tablir quelque communication avec mon intrepide et lointain correspondant,

Faisons des vceux, Messieurs, pour que son entre- prise r^ussisse, et qu'apr^s avoir accompli sa tache, il puisse reveuir au milieu de nous. Gette tache est glo^ rieuse, elle m6rite toutes nos sympathies, car tout Europ6en qui p^n^tre dans ces regions y porte avec lui comme un reflet et comme un germe de notre civihsation et du christianisme. G'est un pionnier de I'Europe; il lui ouvre des routes dans lesquelles elle eptrera demain.

Comte d'Esgayrac de Lauture.

( 296 ) IVouTclIes ct couiiuuiiicalioiiifi.

I

NOTE

ilJB LA KOOVELLE DinECTION A DONKER A LA BECHEBCllB

DES SOURCES DU NIL. ^Eitrait d'une lellre adress^e h la Commission centrale par M. Jomard .)

A la Stance du Zi mars, un de nos savants collogues lut une int6ressante dissertation ayant pour objet de retracer les efTorts tentt^s depuis les temps les plus recul6s, pour d^couvrir la source du Nil ; sa conclu- sion 6tait qu'il fallait la chercher au mont K6nia, sans remonter le conrs du fleuve Blanc, h partir du point atteint par M. d'Arnaud et la mission autrichienne.

Aussitot la lecture achev6e, je pris la parole pour rappeler que depuis longtemps cette conjecture avail 6t6 6mise, et que je me f6licitais de voir un habile g^ograpbe comme M. Vivien Saint-Martin confirraer une opinion que j'avais d6ji eu Toccasion d'^noncer h diverses reprises.

En effet, dans uije lettre que j'avais 6crite en 1857 sur le meme sujet k un savant Stranger, et dont j'ai donn6 communication k la stance du 18 mars, se trouve le paragraphe suivant :

« Quant au Nil Blanc, tout annonce que sa

source, ou du moins I'une de ses sources orienta/es, n'est pas loin du mont K^nia, peut-6tre enCre le mont

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K^nia et le Kilimandjaro, si heiireusement d6couverts par les r6v6rends Rrapf et llebmann. Vous savez que depuis cette d6couverte j'ai toujours profess6 cette opinion, que c'est lb. qu'on doit chercher cette tete du fleuve, dont les Latins ont dit :

Nee contigit ulli Hoc vidisse caput.

)) Bien plus, j'ai renonc6 a recommander la voie du Nil meme, pour gagner, pour alteindre la source; c'est la plus longue, la plus dangereuse, la plus diffi- cile. J'ai donn6 des instructions dans ce sens b. des voyageurs partant pour I'Afrique orientale ; je les ai engages k prendre la voie de la mer Rouge, et a re- monter I'un des aflluents de la mer des Indes entre le 1 " et le W degr6 de latitude sud : peu de jours suffiraient pour atteindre le point chercli6. Ce qui m'a engag6 h changer d'opinion pour cette recherche (qui m'a oc- cupy depuis I'expt^dition francaise) , a abandonner le plan que j'avais recommande pendant pr6s d'un demi- sifecle au gouvernement 6gyptien, avec lequel vous connaissez mes relations, c'est-a-dire remonter le Bahr- el-Abyad jusqu'a sa tete : ce qui m'y a engag6, dis-je, c'est la d6couverte du mont K6nia.

» Si cette montagne, plac6e h i degr6 1/2 sud environ, est, en effet, couronn^e de neiges perp^tuelles (comme je n'en doute pas, malgr6 les d6n6gations de plusieurs savants distingu6s) , il faut bien que les eaux prove- nant de \a fonte des neiges inf6rieures 5. la limite con- nue, succulent en divers sens selon la configuration du terrain. Or, celles qui s'6coulent vers le nord et le

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nord-oiiest ne peuvent lumber que dans le bassin du Nil; cela est incontestable. Se joignant aux pluies tro- picales, ces caux forment une masse qni cxplique I'ac- croisseraent peiiodiquc du ^'\\,&\x fleuve beni. J'ignore s'il existe a cette latitude une chaine de moniu^nes, une chaine propremcnt dite; 1' existence en a 6t6 con- testae ; on peut admettre le pour et le contre ; il y a des raisons pour en douter, il y en a de plus fortes peut-etre pour les supposer ; mais quand il n'y aurait que des montagnes isolees, si elles 6taient d'une alti- tude suffisantc, elles pourraient nt^anmoins donner naissance a de grands cours d'eau.

» Si Ton m'objecte que les eau.\ descendant du mont K6nia ne peuvent pas expliquer I'immense crue du Nil en Egypte, je r^pondrai qu'il ne faut pas ou- blier le Bahr-el-Azraq, ni surtout le grand affluent que d'Arnaud a decouvert en 1839, entre le 9" et le 10" degre nord, le Keilak, mal a propos appel6 par' quelques-uns Bahr-el-Ghazal.

u En resum6, je ne serai nullement 6tonne d'appren- dre qu'un voyageur sera bientot, ou est deja parvenu i une des sources du grand fleuve, en atteignant le mont Renia, ou le Kilimandjaro; c'est mon esperance et ma conviction depuis plusieurs annees »

J'ai 6galement communique a la Soci6te, dang la s6ance du 1" avril, une copie des instructions que j'avais donnC-es, en mon prive nom, le 12 aout 1858, it un officier de la marine impt'riale francaise partant pour la mcr Rouge, lequcl m'avait demande dc lui poser certaines questions au sujet des sources du Nil, pour le cas oil il pourrait aborder en Afrique.

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Void ce que je lui disais sur le point special en question :

(( L' Europe, et la France surtout, ne sauraient trop tourner leurs regards du c6t6 de ce continent myst6- rieux, qui leur tient en reserve bien des surprises et la solution de biens graves questions. Les hommes qui ont 6tudi6 la mati^re travaillent depuis soixante ans k provoquer, de ce c6te-\k, des excursions scientifiques et 6conomiques, dans I'int^ret de I'liumanit^ tout en- ti^re : R6ussirons-nous dans nos efforts ? C'est ce que le temps nous apprendra.

» Depuis que je vois, k partir du 3' et du 4' degr6 de latitude nord, le Nil se r6tr6cir de plus en plus et devenir presque innavigable, ma pens6e s'est tourn^e d'un autre cot6 que le 30* m^ridien. Les derniers voyageurs ont constats que des marchands venus de Mombaz (mer des Indes, comme on dit) 6changeaient des verroteries centre I'ivoire des Barry ; ces hommes sont dits de couleur rouge, ce qui veut dire tout sim- plement qu'ils ne sont pas des nfegres. II n'est pas sur qu'un voyageur europeen pourrait suivre la merne route, et arriver ainsi cliez les Barry ; mais il me semble, d'aprfes les r6cits de Rebmann, que Ton pourrait, sans de grandes difficult^s, remonter en canot, ou de pied, Tune des rivieres qui arrivent k la mer des Indes, vers le 1" et le 2* degr6 de latitude sud; on arriverait k la vue du mont K6nia par 1 degr6 30' de latitude sud; et qui pourrait bien r6ellement porter a la cime des neiges perpetiielles. La visite du mont K6nia serait, k elle seule , une grande d^couverte de physique, de m6l6orologie et de geographic; surtout si de \k on

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ponvait rejoindre le mont Kilimandjaro, qui est k deux degr^s plus au sud, et qui olTre la nieine apparence que le mont K6nia. II faudrait s' assurer qu'il y a la une chaine continue a deux versants opposes.

» Je ne doute pas que la source la plus importante du Nil ne soit de ce cOt(^ : on la cherche ou elle n'est pas.

3) Le mont K6nia est la clef du probl6me, ou bien le Kilimandjaro. Comme on connait la position exacte du point de Combiran sur le Nil blanc, il est facile de reconnaitre que les eaux qui s'6coulent au nord-nord- ouest par suite de la fonte des neiges et par les pluies tropicales, vers le mois d'avril, doivent se diriger de ce cote. Voila en peu de mots les raisons qui me font croire qu'il faut se diriger par la mer Kouge et sur Mombaz, pour la solution du probl^me, et je ni'y suis attach6 de plus en plus; c'est ce que j'ai indiqu6 en termes g^n^raux dans une lettre a M. de Lesseps, sur I'avantage que pr^sentera le canal maritime de Suez aux voyageurs qui voudront p6n6trer dans Tint^rieur de I'Afrique par I'Orient.

n J'ai lieu de penser que mon opinion sera gout^e et partag6e, et que les explorateurs profiteront ainsi des d6couvertes des PP. RebmannetKrapf. Depuis qu'elles ont 6t6 publi^es dans le Churck-Dlissionnatj, etc., j'ai constamment pens6 et pouss6 a cette nouvelle voie comme la plus courte et la meilleure.

)) J'oubliais de dire qu'un capitaine anglais au ser- vice du sultan de Mascate (aujourd'hui de Zanzibar) declarait, il y a quelque temps, qu'il avail vu, 6tant en pleine mer, une longue Ugue blanche au loin dans

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I'ouest. Serait-ce Ik cette chaine couverte de neiges dont je parlais plus haut ? »

Outre ces indications, qui demeuraient renferm6es dans le cercle de correspondances priv6es, j'avais aussi fait part au public d'une opinion qui me semblait m6- riter son attention : il rae sera permis de rappeler la preface du Foyage na Oudday\ relation traduite de I'arabe du cheyhk Mohammed-el-Tounsy par le savant D' Perron.

Dans cette preface, § VI, intitule Du haut Nil, on lit le passage ci-apr6s (pages xliv a xlvi) :

<( Je crois superflu de parler ici du mont Rili-

mandjaro, situ6 a sud, qu'ont apercu les r6v6rends Rebmann et Krapf, et qui est couronn6 de neiges per- p6tuelles, attendu qu'il n'est pas certain que la mon- tagne ait un versant du c6t6 du nord-ouest ou de la region du Nil. La distance est, d'ailleurs, bien conside- rable. II n' en est pas tout afaitdememe diujiontKe/tia, qui n'est qa'k sud environ, et qui est 6galement con- vert de neiges persistantes : il parait etre aussi plus occidental que le mont Riliuiandjarb. Le fait de la neige perp6tuelle sur cette montagne suppose une trfes graiide Elevation, d'au moins liliOO metres (1). Or, au-dessous de ce niveau, les neiges accumul6es doi- vent fondre en totality a une certaine epoque, et ajouter beaucoup a I'elTet des pluies p^riodiques. La regular! t6 du ph6nom6ne des crues ne saurait en etre derang^e, puisque 1' epoque de la fonte des neiges est la meme

(1) Voir Comptei rendus de I' Academic des sciences, 1851, t. xiiii, p. 221.

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que celle i laqnelle tombent les pluies tropicales. S'il en est ainsi, comme on pent le presumer, si le bassin du INil se prolonge jusqu'au monl Kenia, Ic revers septentrional de cette moutagne et de la chaine dont il fait peut-etre partie, doit alimenter les sources sup^rieures et leurs aflluents, et ce fait expliquera Timmense accroissement que prend le Nil moyen comme le bas Nil, apr^s le solstice d'6t6.

)) J'ai toujours soupconn6 un lac dans ces parages, c'est-a-dire la ou Ton j)lace le mont K6nia, ou un peu plus a I'ouest. Pourquoi ne serait-ce pas le lac meme que les ecrivains arabes niettent sous I'ecfuateur (Edrici, climat. I, section iv, etc.). In grand lac a 6t6 signals auvoyageur anglais Tuckey vers cette latitude, k la Yf^rite plus a I'ouest. Or, les phiies et les neiges fondues qui descendent du mont Renia, arret^cs dans leur marche parun obstacle quelconque, suflisent pour expliquer la presence d'un grand lac dans cette region ; maintenant que ces caux en sortent et se dirigent vers le nord, ef/es n out plus d' issue que par la vallee ihi Nil. »

L'ouvrage sur le Ouaday a 6t6 mis a I'impression en 1850; le volume a paru en 1851; il s'agit, non plus de correspondances privees, mais d'un li\Te pu- blic il y a environ neuf ans, livre qui a obtenu 1' atten- tion du public francais et 6tranger. C'6tait la premiere relation importantc d'un voyage fait au royaume du Ouaday (un volume in-8o, lxxv, et 755 pages) , pleine de renseignements sur la topographic, sur I'histoire du pays, sur les mceurs et les lois, les productions du sol, le langage, le commerce, I'industrie, les cdrt^mo- nies, les costumes et une multitude d'autres sujets,

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sans parler des rapports de ce royaume avec les royaumes voisins du Darfour et le Rordofan. II parait done Evident que I'aiiteur de la preface du voyage au Ouaday est le premier qui ait 6mis I'opinion qu'une des sources principales du Nil Blanc (c'est-a-dire de la raaitresse branche du grand fleuve) doit se trouver vers le mont R6nia. Et il ne s'est pas born6 k avancer cette opinion : ill'a fondle sur des considerations phy- siques et g^ographiques dont la base est a peu prfes incontestable.

Mes collogues me pardonneront d' avoir cru n6ces- saire cette revendication de priority ; il m'a sembl6 que je ne pouvais me dispenser de garder pour moi la responsabilit6 entifere de mon opinion pour le cas ou elle viendrait k etre d6montr6e inexacte par la future d^couverte ; et, si elle venait k se confirmer, je ne *veux m'en pr^valoir que comme d'une conjecture un peu bardie et sans autre pretention.

JOMARD.

PROCEEDINGS

DE LA SOClfiTfi ROYALE GfiOGRAPHIQUE DE LONDRES.

Le num^ro 2 du volume III de ces Proceedings vient de paraitre ; il contient 1' analyse des stances du 22 no- vembre et du 23 d6cembre 1858.

Dans la stance du 22novembre, la Soci6t6 a entendu la lecture d'un m6moire intitule :

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Notes geographiqiies et comriierciales recueillies pen- dant le voyage du batiment de S. M. B. Furious, de Shanghai an golfe de Petcheli et retour, par le capi- taine Sherard Osborn, avec des instructions nautiques par M. S. Court.

Ce ni6nioire donne des d6tails extreraement int^res- sants sur cette partie de la cote de Chine, sur ses pro- duits, sa population, le commerce que Ton pourrait y faire, etc. On y trouve une description d6taill6e de la riviere de Peiho et de la villede Tientsin.

Un faitassez curieux, cite dans ce m^moire, est celui du d6placement de I'embouchure de la riviere Jaune (Hoang-ho), qui se jetait autrefois dans la mer Jaune, et qui, s'etant port^e au nord du cap Shantung, se jette aujourd'hui dans le golfe de Petcheli.

On a lu ensuite un memoire du rev. ^^^ B. Clarke de Sydney sur les rechcrches entreprises pour retrou- verle voyageur Leichardt qui, parti enl8/i8pour une expedition dans I'int^rieur de la Nouvelle-HoUande, n'a pas reparu depuis cette 6poque. Deux expeditions ont 6t6 envoy^es ti sa recherche, en 1852 et 1856. M. Clarke pense que les indices que Ton avait cru re- connaitre du passage de Leichardt ne peuvent pas se rapporter a lui, et qu'on doit le chercher a Test du i/i8' mtridien (de Greenwich).

Cette lecture a donn(!i lieu k une discussion a laquelle ont pris part, le capitaine Byron-Drury, I'amiral Fitz- Roy, lord Churchill et d'autres membres, sur les moyens i prendre pour explorer la Nouvclle-Hollande, sur la salubrity du pays et la possibilit6 de son exploitation par des Europ6ens.

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Dans la stance du 23 decembre, il a 6t6 donn6 lec- ture d'un m6nioire sur la rivifere Amur et les pays adjacents, par MM. Peschurof, Vasilief, Radde, etc.

Ge m^moire est un extrait des rapports faits a la Soci6t6 de G(!!Ographie de llussie sur les dill'erentes expeditions qui ont 6te envoyees pour explorer ces con- tr6es.

Le capitaine CoUinson, qui a pris la parole aprSs cette lecture, a cru devoir exprimer son admiration du soin avec lequel cette exploration a 6t6 faite. « Quoique, » dit-il, je puisse ressentir quelque jalousie nationale » de voir I'acquisition d'un si vaste territoire faite par » une puissance dont les possessions en Europe et en )) Asie sont d^ja si 6tendues, en quality de g^ographe » je ne puis que me r6jouir de voir ces contr6es ou- » vertes aujourd'hui k la civilisation : et bien qu'il ne » nous soit pas 6chu d'y remplir les fonctions gouver- )) nementales, cependant je suis persuade que cette » route ouverte jusqu'au centre de I'Asie pr6sentera un » nouveau d6bouche au commerce anglais. »

On a lu ensuite un memoire intitule :

Explorations dans la republiqne de I'Equateur, exe- cuteesen 1856 et 1857, parM. G. J. Pritchett.

La route actuellement suivie pour se rendre de Quito, capitale de la republique de 1' Equate ur a 1' ocean Paci- fique, traverse les Andes aupr^s du Gliimborazo, et aboutit a Guayaquil; elle oflre a I'ceil une suite de vues magnifiques, mais elle pr^sente, comme route com- merciale, des difficult6s 6normes. M. Pritchett a cher- che une autre route plus directe pouraboutir^l'Oc^an ; il a suivi pour cet effet la riviere Mira et est arrivt^ au

XVII. AVRIL. 6. 21

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port de Tola situ6 prfes de Pailon (1). Lc plan de ce dernier point avait 6t6 lev6 il y a qnelques ann^es, et sa position trouv6e tr^s favorable ; une route avait menie 6t6 commenc6e, mais elle a 6t6 abandonn^e.

M. Pritchett parcourut ensuite en canot la province de Cuenca et la riviere des Amazones, et enfin il suivit la rive nord de la riviere Pastaza, un des tributaires de I'Amazone et qui est navigable pour des navires de SOO tonneanx jusqu'a une distance de moins de 150milles de Quito ; « en sorte que Ton pourrait dire, fl fait-il observer, que cette capitale est plus facilemcnt » accessible du cote de rOc6an atlantique que de celui » de rOc^an Pacifique. »

Cette lecture a et6 suivie d'une discussion qui a roul6 principalement sur les limites desr(5publiques de I'Equa- teur et du Pt^rou, et del'empire br^silien ; ainsi que sur la n6cessit6 que le vaste fleuve des Amazones soit con- sidf^r6 comme un long port dont la navigation ouverte h toutes les nations ne soit pas restreinte aux seuls batiments br^siliens et p6ruviens.

Daussy.

(1) Ce point est 8itu6 par 7' de latitude nord et 76* 45' de lou- fitudeouest.

( 307 ) Acteis dc la Society

EXTRAITS DES PROCES-VERBAUX DES Sl!:AISlCES.

Seance du 1" avril 1859.

M. le professeur Parlatore, de Florence, admis r6cemment dans la Soci6t6, lui adresse ses remerd- ments et proniet de concourir a ses travaux.

M. Alex. Keith Johnston, menibre de la Soci6t6, k fidimbourg, Ini fait don de la premiere livraison de son atlas royal de g^ographie moderne, et lui annonce la suite de cette publication.

M. le D' Wappaus, correspondant de la Soci6t6 h. Goettingue, lui fait hommage du premier volume de son Jllgeineine Bei'olkerwigs Statlstik.

M. tlie de Beaumont, s^nateur, secretaire perp6- tuel de rAcad6ime des sciences, est admis dans la Soci6te sur la proposition de .MM. Jomard et Daussy.

M. de la Roquette annonce qu'une lettre datee de Londres, 17 mars 1859, lui apprend que des rensei- gnements officiels parvenus par le dernier courrier [the last vinil) a la Compagnie des Indes orientales, font connaitre en ces termes le meurtre d'Adolphe Schlagintweit, I'un des trois fr^res qui viennent de terminer avec tant de succfes Fexploration de I'lnde et des r6gions de la haute Asie au noi'd et k I'ouest de r Himalaya : « Le sort de M. Adolphe Schlagintweit

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» est confirmd', et il paralt maintenant qu'il a 6t6 as- )) sassm6 de la inanitjre la plus barbare a Kashkar par » un Sindy lanalique appele AVollee-Kliaii. Ce qii'on a » pu recueillir de lui consiste en quelques fragments )) de papiers et uu telescope de poclie bris6 qui ont el6 » transmis k sa famille. »

M. Jomard doniie communication : 1" D'une lettre qu'il a 6crite, il y a plusieurs ann^es, a im savant an- glais, memhi'e de la Soci6t6 royale geographique de Londres, relativement a la nouvelle direction a donner aux recherclics des sources du Nil ; De questions sur le raeme sujet qu'il a adressees, le 12 aoiit 1858, a un officier de la marine imperiale partant poiu' 1' Arabic par la mer des Indes. Ces deux pieces sont depos6es sur le bureau.

M. de la Roquette annonce que la Commission du concour^ an prix annuel, dont il est rapporteur, a ac- cords la grande m6daille d'or destin6e par la Society h r6corapenser la d^couverte la plus importante en geographic, a MM. Adolplie, Hermann et Robert Schla- gintweit, voyageurs, naturalistes et physiciens bava- rois, pour leurs explorations du Tibet et du Turkestan oriental, et pour Ics decouvertes qu'ils ont faites b. I'ouest, au nord et au nord-ouest des monts Himalaya. Le rapport sera lu a la s6ance g^nerale. ' M. Jomard annonce que Ton vicnl de traduirc en anglais et de publicr le premier voyage des Francais en Chine en 1098. Cette relation avait, au commence- ment du xviir siecle, paru en francais dans un volume devenu assez rare aujourd'hui. La traduction anglaise a L't6 faite a Londres d'apr{;s un manuscrit du temps par les

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soins de M. Saxe-Bannister. Une Edition allemande doit paraitre a Berlin sous les auspices du l)aron de Hrmil)oldt. Enfin, Ton s'occupe d'une nouvelle Edition francaise, pr6c6d6e des documents qui se rapportent a la mission ordonnee par Louis XIV, sur le vaisseau V Ampldtrite, command^ par le chevalier de Laroque. Le voyage dura trois ans. L'empereiir de la Chine accueillit par- faitement le Pfere Bouvet, M. de Laroque et tons les Francais de 1' expedition, ainsi que le peintre Gherardini qui 6tait a bord.

M. Daussy pr6sente une analyse succinate des prin- cipaux documents ins6r6s dans le 2 du volume III des Proceedings de la Societ6 royale g^ographique de Londres.

M. le secretaire general exprime, a cette occasion, dans I'interet du Bulletin, le d6sir de voir ses collfegues suivre I'exemple de M. Daussy.

Proces-i'erbal de la seance i>enerale da 8 ai>ril 1859

b^

A huit heures et un quart, M. de la Roquette, vice- president de la Societe, en 1' absence de M. le general Daunias, president, commandant le camp de Luneville, ouvre la stance,

M. Buisson, secretaire, lit le procfes- verbal de la derniere seance generale.

M. de la Roquette olTre a la Societe une notice bi- bliographique sur le professeur et voyageur norvegien Keilhau. Un ouvrage ayant pour titre : Madagascar,

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possession francaise clejmis lGi2, par M. Barbi6 du Bocage, menibre de la Commission centrale, et line Carte de Pile de Madagascar, par M. Malte-Brun, secre- taire adjoint de cette meme Commission, sont ensuite d6pos6s sur le bureau au nom de leurs auteurs.

M. Jomard, president de la Commission centrale, lit une courte notice sur la fondation r^cente d'une Soci6t6 de G(^ographie h. Geneve. II rappelle que la Soci6t<^ de G6ograpliie de Paris fut la premit;re 6tablie, en 1821, dans I'intention de provoquer et encourager les d6cou- vertes; en 1829 fut cr66e la Society g^ographique de Londres; puis, successivement, cellos de Francfort, Berlin, Bombay, Saint-P6tersbourg, Darmstadt, Vienne, New-York, et enfin celle de Gen6ve. La Soci6t6 de Paris appelaitau meme litre les Strangers et les natio- naux, pour 1' aider dans son entrcprise. Aujourd'bui que la plupart des nations civilis6es ont adopts le m^me plan, notre Soci6t6, tout en continuant d'etre cosmopo- lite, et de distribuer ses prix aux Strangers comme aux Fran^ais, doit moins compter sur les associ<§s du dehors et faire surtout appel a nos compatrioles. Les Soci6t6s de Fiussie et d'Anglelerre, jouissant d'une grande pros- p6rit6, hautement prot6g<5es, richement dot^es par les princes, ont pu r6compenser de la mani^re la plus 6clatante les voyages de d^couvertes, entretenir des explorateurs , leur fournir des instruments, publier leurs cartes et relations de voyages. Ce n'est pas, dit en terminant M. Jomard, le patriotisme fran^ais qui restera en arri^re dans cette entreprise de bien public : personne n'ignore quels fruits peut produire pour le

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commerce et les sciences, I'extension des d^couvertes et des connaissances g6ographiques.

M. le president lit les iioms des membres admis dans la Soci6t6 depuis la derniere seance g6n6rale. Ce sont :

MM. lilie de Beaumont, secretaire perp6tuel de 1' Aca- demic des sciences ;

Himly, professeur suppliant de g^ographie k la Faculty des lettres ;

Alfred Jacobs, docteur 6s lettres, archiviste-paieo- graphe ;

Le D' Padilla, professeur a 1' University de Gua- temala ;

Le professeur Parlatore , directeur du Mus6e d'histoirenaturelle de Florence ;

Le D' Poyet, m^decin a Routschouk ;

Alfred Rousseau, consul de France h Djeddah ;

Ernest Saillard, attache au ministere des Affaires ihrang^res.

M. Ed. Charton, ancien conseillerd'Etat, est presents par MM. d'Avezac et G. d'Eichthal pour faire partie de la Societe.

M. de la Roquette, comme rapporteur de la Com- mission du prix annuel, fait connaitre que cette Com- mission a decerne lagrande medaille cFor dela Society, pour I'annee 1856, a MM. Schlagintvveit. II litun apercu de leurs explorations dans THindoustan, le Tibet et le Turkestan oriental, et annonce que des renseignements officiels, r6cenmient parvenus en Angleterre, ont mal- heureusement coufirm6 la nouvelle de la mort de I'un d'eux, M. Adolphe Schlagintvveit, assassin^ par un fana-

( 312 ) tique, a Kashkar. La Comniission, tout en d^cernantla grandc n.^daille iALM. Sclilagintweit, reserve les droits du D' Vogel et du capitaine IJnrton,

M. Vivien de Saint-Martin, meudjre de la Conmiis- sion centrale, donne ensuitc lecture d'un travail ayant pour titre : La JlecJierche des sources du A7/. Apr^s avoir rappele les connaissances des anciens et des Arabes, et fait riustorique des nombreuses explorations dontla rdgion parcourue par ce fleuve a 6t6 I'objet, tant de la part des voyageurs que de celle des missionnaires et des commercants, M. Vivien de Saint-Martin constate qu'il est heureux de s'etre rencontrd avee M. Jomard, pour conseiller de tenter la recherche des sources du Nil, non plus en remontant le fleuve, niais bien en partant de la cote d'Afrique sur I'Ocean indien, pour de \h gagner la fhahie neigeuse d^couverte par les reverends Krapf et Rebmann, et qui, selon toute pro- bability, renferme les sources clierch6es.

M. le comte d'Escayrac de Lauture, membre de la Commission centrale, lit une notice sur le Dar-Four, et le voyage que fait pr6sentement en ce pays M. le D' Cuny. Longtemps medecin en chef de la pro- vince de Siout, en communication continuelle avec des Fouriens, M, Cuny avait fait proposer au sultan du Dar-Four, de Taller voir ; inais les marchands refusc;rent de rcmmencr. Loin de se d^courager, M. Cuny s'alfer- mitdans la rt'solution de visiter ce pays, etM. d'Escay- rac, lorsqu'il quitta I'Egypte, I'engagea fortement h y perseverer. II fut convenu qu'au lieu de se joindre i la caravane, il remonterait le Nil jusqu'en Nubie, se rcn- drait de 1^ k L'obeidh, a sept journ6es du Dar-Four, et

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y attendrait une occasion favorable. Des lettres de lui, dat6es de L'obeidh, 25 mai 1858, recues il y a peu de jonrs, annoncent qu'il partait le lendemain. Dans un long m^moire 6galement adress6 par M. Cuny, outre des observations de toute nature, Ton trouve la des- cription des oasis du Gab, et I'indication, d'apr^s les rapports des indigenes, d'un volcan situ6 k Wadi Had- jiar dans la haute Nubie, et qui aurait eu quelques Eruptions j usque dans ce sifecle; il mentionne aussi un prolongement de la valine appel6e Bahar-el-Ghzal qu'il nomme Wadi-el-Mek, et par lequel le Soudan oriental, k r^poque de pluies exception nelles, diverse ses eaux dans le Nil a une faible distance de Dongolah. Esp6- rons, dit M. d'Escayrac, que M. Cuny nous enverra de nouvelles pages, faisons des vceux pour que son entre- prise r^ussisse et qu'il puisse revenir au milieu de nous.

M. le president procMe ensuite au d^pouillementdu scrutin qui a eu lieu au commencement dc la s6ance, et proclame 61us membres du bureau de la Soci6t6 pour 1859 :

President : M. filie de Beaumont.

Fice-presiclents : MM. De Quatrefages.

Vivien de Saint-Martin.

Scrutateurs : MM. Demersay.

Jacobs.

Secretaire : M. Barbi6 du Bocage.

(3U) Seance du 15 avril 1859.

M. d'Avezac, vice-president, occupe le fauteail en I'absence de M. Jomard, qui s'est excused de ne pouvoir assister h. la sdancc.

II est donn6 communication du procfes-verbal de rassembl6e g^n^rale du 8 avril, qui doit etre imprim6 dans le Bulletin.

M. Elie de Beaumont, secretaire perp6tuel de I'Aca- demie des Sciences, adresse ses remerciments k la Society qui vient de I'Slire son president ; il fera, 6crit-il, tons ses efforts pour justifier cette distinction, et pretera aux travaux de la Soci6t6 le concours le plus em- presse.

M. le docteur Mariano Padilla, de Guatemala, admis r6cemment dans la Society, lui adresse ses remerci- ments pour cette nomination et promet de lui comniu- niquer tons les documents qui pourront I'interesser sur le pays qu'il liabite,

M. Malte-Brun annonce a cette occasion que M. I'abbe Brasseur de Bourbourg vient de partir pour rAm6rique centrale, et qu'il se propose de demander i.M. Padilla la communication de ses travaux statis- tiques sur le Guatemala.

Le mSme membre communique, d'aprfes le compte rendu d'une des stances de la Society geograpliique de Berlin, quelques details sur la dernifere excursion du D' Bartb en Asie Mineure, et il depose sur le bureau une note de M. Jules Laroche, de Clermont-Ferrand,

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Sur les communications a etahlir entre l^Jlgerie et le Senesal.

M. d'Avezac donne lecture d'une note que lui a re- mise M. Jomard, et dans laquelle I'lionorable president de la Commission centrale rappelle qu'il a le premier 6mis I'idee developp6e r6cemment par M. Vivien de Saint-Martin dans une int6ressante lecture sur la nou- velle direction h donner k la recherche des sources du Nil. Cetteid^e, il I'a 6nonc6e, il y a neuf ans, dans la preface du voyage au Ouaday du cheikh El Tounsy.

M. Vivien de Saint-Martin s'empresse de declarer que loin de m6connaitre, pour sa part, la priority de M. Jomard sar le point dont il s'agit, il I'a, au con- traire, formellement rappelee dans son m(§moire sur la Recherche des sources duNii, lu k I'assembl^e g6n6rale du 8 avril, et que ce passage, compris dans. les cou- pures que n6cessite la brifevet6 d'une lecture a haute voix, sera naturellement imprim^ avec le m^moire dont il fait parlie. La seule part que M. Vivien tienne a revendiquer comme sienne dans cette question, c'est le rapprochement des indices concordants recueillis en deux points opposes par les voyageurs Verne et Rrapf, et qui lui paraissent amener a I'^tat de demons- tration ce qui n'avait 6t6 jusqu'alors qu'une con- jecture.

Aprfes diverses observations 6chang6es entre MM. Pou- lain de Bossay, Maury, d'Avezac, dela Roquette et Albert Mont6inont, la Commission centrale reconnait que le sujet est assez hit^ressant pour justifier I'impression au Bulletin des divers passages que M. Jomard desire y voir insures, cette insertion n'impliquant d'ailleurs,

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ni au fond ni en la forme, aucune id6e de controvcrse.

M, le chevalier de Paravcy adressc i la Soci6te iin m6moire surquelqiies points do la g6ographie de I'Asie cent rale.

M. le secretaire lit la liste des ouvrages deposes sur le bureau. D'autres dons laits par divers membres, dans le cours de la s6ance, sont ajout6s a celte liste.

M. fidouard Charton, ancien conseiller d'Etat, est admis dans la Soci6t6.

M. Vivien de Saint-Martin donne lecture d'une note de M. Ami Boue, adress6e a M. Yiquesnel, ct conte- nant 1' analyse d'un livre alleniand sur la constitution sociale des peuples slaves. Ucnvoi an Bnllcim.

M. Henri Duveyrier, present i la stance, entretient la Soci6t6 de son projet de voyage en Afrique. Ce jeune voyageur, muni d'instruments , of pr6par6 a cette grande entreprise pnr de pr6c6dentes excursions aussi bien que par des Etudes sp('3ciales, se propose de p6n6- trer dans le centre du Sahara, de visiter plusieurs con- tr6es int6rieures de TAfrique, et d'op^rer son retour soit par le Maroc, soit par Tunis ou I'Algerie.

La Soci6t6 entend cette communication avec beau- coup d'int6ret, adresse quelques conseils a M. Duvey- rier, en lui souhaitant tout le succ^s dont son entre- prise lui parait digne.

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( 317 )

OUVRAGES OFFERTS A LA SOCIETlL STANCES d'avril 1859.

Tilres des ouvrages. Donateurs.

EUROPE.

Collection de documents in^dits sur rhistoire de France, publies par les soins du niinistrc de Tinstruclion piiblique : Mdnioires do Claude Haton contenantle r^citdes dveneinents accomplis de 1553 h 1582 principaleraent dans la Champagne et la Brie, publics par M. Felix Bourquelot, Paris, 1857, tome I et II, in-4. Cartulaire de I'abbaye de Saint-Victor de Marseille, public par M. Gu6rard, membre de I'lusiitut, tomes I et II, iu-4, Paris, 1857. Recueil des lettres missives de Henri IV, public par M. Berger de Xivrey, membre de I'lnstilut, tome VII, in-4, Paris, 1858. Lettres, iu- jtructious diplomatiques ct papiers d'Etat du cardinal de Richelieu, recueillis et publics par M. Avenel, tome III, in-4, Paris, 1838. Histoire de la guerre de Navarre en 1276 et 1277, par Guillaume Anelier, de Toulouse, publi^e avec une traduction, une introduc- tion et des notes par Francisque Michel. Paris, 1856, 1 vol. iu-4.

M. LE MlNISTKE DE l'iNSTRUCTION PUBUQUE.

Geographic hintorique de la France. Le Pagus aux dilT^rentes ^po- ques de notre histoire, par M. Alfred Jacobs, docteur es lettres, archiviste pal6ographe. Paris, 1859, br. in-8. M. A.Jacobs.

ASIE.

Description de FAmour, observations hydrographiques et ethnogra- phiques, par M. Peichtschurorr. Extrait, in-8.

M. le capilaine Le Grai.

( 3^8 ) Titres des ouvrages. Donateurt.

AFRIQUE.

Madagascar, possession francaise depuis 1642, par V.-A. Barbie du Bocage. Ouvrage accompagn^ d'une graude tarte dress^e par M. V.-A. Malte-Brun. Paris, 1859, 1 vol. iu-8.

M. Babbie dd Bocagr.

OUVRAGES GfiNfiRAUX, MELANGES.

Allgemeine Bevolkcrungs Stalislik. Vorlesungen von D' J.-E. Wap- piius, 1"' vol. Leipzig, 1S59, in-8 M. le D' Wappaus.

Explanations and sailing directions to acconipagny the' wind and cur- rent charts, approved by captain D. N. lugrabam, chief of the bu- reau of ordnance and hydrography, and published by aulority of hon. Isaac Toucey, secretary of the navy, by M.-F. Maury, super- intendent of the U. S. observatory and hydrographicul office, vol. I, 8* 6dit. Washington, 1858. M. F. Maury.

Mer duNord. 1" panic, Les ties Shetland et les tics Orcades. Tra- duction du pilote public par ordre de rAniiraule anglaisc, par M. A. Le Gras, capitaine do frdgate. Paris, 1858, 1 vol. in-8,

M. A. Le Gras,

£tude des isthmes de Suez ct de Panama. Reduction au quart du temps et des ddpcnses de leur ouverlure, par F.-N. Mellet, iug6- nieur civiL Paris, 1859, br. in-8, M. Mellet.

Tableaux de population, de culture, de commerce et de navigation, formant, pour Tannde 1855, la suite des tableaux insdrds dans les notices statistiques sur les colonies fraufaises. Paris, 1858.

MiNISTURE DES COLONIES.

Fragment d'un mdmoirc sur I'histoire de I'astrologie et de la magie dans I'antiquit^ ct au moyen age, par M. Alfred Maury, menibro dcl'lnslitut. (Eitrait do la Revue archeologique.) Paris, 1859, br. ia-8. M. A. Macbv.

( 31» )

Tilres des ouvrages. Donateun.

Notice biographique surlavie el les travaux du professeur norwdgien Keilhau, par M. de la Roquette, br. in-S, 1858.

M. DELA ROQCGTTB.

ATLAS ET CARTES.

Royal Atlas of modern geography exhibiting, in a series, of entirely original and authentic maps, the present condition of geographical discovery and research in the several countries, empires, and states of the work) with a special index to each map, by Alexander Keith Johnston. Edinburgh and London, 1839, 1"' partie, 5 fcuilles avec texte. M. Alex. Keith Johnston.

Carte de la Gaule ancienne, dressde par Dufour, feuille 5 de I'Atlas universel de gdographie ancienne et moderne.

MM. Paulin et Le Chevalier.

Carte de I'Ue de Madagascar, par V.-A. Malte-Brun. Paris, 1859, 1 feuille. M. V.-A. Malte-Brdh.

MEMOIRES DES ACADEMIES ET SOClfiTes SAVANTES, RECUEILS PERIODIQUES.

Miltheilungen der Geographie von D' A. Pctcrmann, 13 de 1858 etn° 2 del859. Mittheilungen der kaiscrlich-koniglichen geo- grapbischen Gcsellschaft, von Franz Foetterle, n"' 2 et 3 de 1858. Zeitschrift fur allgemciae Erdkunde, Janvier et fevrier. Pro- ceedings of the royal geographical Society of London, n" 2.— Journal of the Franklin institute, mars. Annales du commerce extdrieur, Janvier et fevrier. Nouvelles annales des voyages, mars. Bul- letin de la Society g6ologique de France, mars. Bulletin de la Soci6t6 impdriale 2ooIogiquo d'acclimatation, mars. Revue de rCricnt, de I'Algerie et des colonies, mars. Revue aradricaine et orientate, Janvier, fevrier et mars. Nouvelles annales de la ma- rine cl revue coloniale, Janvier. L'luvestigateur, jourual de riuslitut historique, Janvier et fevrier. Annales de la propaga-

( 320 )

Tiires des ouvrages. Donateurt.

tion de la foi, mars. Journal des missions ^vang(?liqucs, mars. Journal d'cduration populairc, mars. Exlrait des travaui de la Soci^t6 centrale d'agriculturc du departomeiit de la Seine-Infe- rieure, 1", 2* et 3* Irimeslres 1838.— L'lslluue de Suez, 67. L'Esperauce, journal grec.

LeS ACTEDBS et LES E0ITEUB3.

BULLETIN

DE LA

SOCIETE DE GEOGRAPHIE.

MAI ET JUIN 1859.

Memoirets, I^otices, ete.

ETUDES

6UR LETimOGRAPHIE, LA PHYSIOLOGIE, l'aNATOMIU ET LES MALADIES

DES RACES DU SOUDAN.

Eu r^pouee a diverses questions pos6es par I'Acad^mie des sciences,

Par M. Peney,

M^deciii en chef de laimee du Soudan.

Sous la denomination de Beled-el-Soudan on pays des Noirs je d6signe ici les contr^es comprises entre la premiere cataracte et le h" degr6 de latitude nord, contr6es seules connues des voyageurs europ6ens et dans lesquelles ont p6n6tr6 les armees 6gyptiennes ; entre la mer Rouge, I'Abyssinie et les provinces Galla, al'ouest ; le royaume de Four et le Fertitt, a Test. Cette vaste etendue de terrain constitue le Soudan 6gyptien.

Elle est habitue par une population variee, qui, par

XVII. MAI ET JUIN. 1. 22

( 522 )

ses melanges el se.-? cruiseinems. a duiino lieu a, tie uouvelles races, oli'iaiit une vari^te cle types infinis. Ce])eu(laiit, an milieu de ce melange, on distingue en- core les origines primitives des habitants du Soudan, inoins il est vrai jiar les caracteres analomiques que par le langage et les liaditions qui se sont conserves jusqa'aujourd'hui.

En classant les popuk'ifibns du Soudan d'apres leurs oiigines, on les distingue d'abord en deux grandes ca- l^gories : 1" indigenes ou alricaines ; 2" 6trangeres ou asiatiques. Parmi les premieres on comptc, en com- mencanl j)ar la basse Nubie, et en remontant les rives du JN'il :

Les C/ic//a/j-, riverains tlu (Uiellal ou catariictes;

Les Mahass, liabitant la proAince du meme now ;

Les Danag/a, residant dans le Dongolah ;

Les Jl/abclah, 6cbelonnesau-dessous d' Assouan, sui les rives du Nil, et remontant jusqu'a la province de Berber. Bienqu'ilsse pretendent d'origine 6gyptienne, les Ababdah semblent moulds sur le type des Nubiens, et doivent etre classes avec eux, a. cause des nombreux points de ressemblance qu'ilsont avec ces peuples. Ces ditft^rentes peuplades possfedeiit des idiomes, variant suivant les localit6s, mais qui derivent d'une langue unique, dont on retrouve encore les restes non-seule- ment dans la Nubie, niais dans toute la province de 'faka, ancienne ile de Meroe;

Les hyc/mryn/i, ancieus Blfriuieli, quon rencontre avec leurs drouiadaires, dans toutes les valines entre le Nil et k mer Rouge, depuis la liauleur d'A><souaii jusqu'a cellc tie Kbartoun ;

( 32S )

Les A (I end ah ;

Les Halanga ;

Les 3Ji'tkina/e, les Sniikinah, qiii soiit fixes egalemen dant la province de Taka font partie de la population indigene da Soudan. lis ont conserve un des idiomes dont je viens de parler, et quoique convertis depuis plusieurs si^cles a I'islamisme, la plupart d'entre eux ignorent compl^tement la langue arabe.

Toiates ces peiiplades indigenes olTrent entre elles, au physique comme au moral, des traits de ressem- blance, qui les font reconnaitre au premier abord, et les distinguent des autres races qui les avoisinent. Diff6- rents des Egyptiens, dont cependant on les pretend les ancetres, bien distincts de la race n^gre avec laquelle ils n'ont de commun qu'une coloration plus ou moins ibncee du derme, les Nubiens oflfrent le plus de points de similitude avec la race arabe emigr6e dans le Sou- dan : aussi est-ce avec cette race qn'il est plus facile de les confondre.

La race arabe transfuge, a diverses epoques, des montagnes du Yemen , du Tehama et des immenses vallees qui avoisinent M6dine, occupe au Soudan, sur les rives du Nil, sur celles de VJtbara, du binder et du Rahdt s.'s afiluents, de vastes plaines, ou paissent de nombreux troupeaux de dromadaires, de bceufs, de moutons et de chfevres. Cette race a conserve, dans" la vie nomade, ses habitudes primitives, et n'a emprunte au\ populations avec lesquelles elle s'est trouv6e en contact que les coutumes qui s'adaptaient le mieux a son genre de vie, aux exigences du chmat, aux produc- tions du sol. Ainsi 1' Arabe a conserve et conserve en-

(32A)

core api^s I't'iuigiation, la laiigue tie scs p6res, sans daigncr emprimter les itliomes des peuples avec les- quels il est vcnu cohabiter. fivitant soignciisenienl dc contracter des alliances dc fauiillc avcc les indigenes, il n'a pas voulu soumettie ses fiUes a la pratique bar- bare et ridicule de riufibulation qu'il a trouv^e etablie fi son arrivee dans le pays. Plein de m6pris pour I'exis- tence sedentaire des gens des villes, il d^daigne le tra- vail, qu'il trouve contraire a la liberie de I'liouime, il passe sa vie a errer au milieu des bois et des valines, contemplant ses troupeaux qui paissent, et clierclie de nouveaux paturages pour remplacer ceux qu'ont brou- t6s ses troupeaux.

Habillements. Comme I'indigfene nubien, I'Arabe du Soudan n'a pour vetemcnt qu'un large calecon avec une chemise plus large encore, faite comme le prece- dent en coton tissi^, le tout recouvert d'une vaste piece d'6tofre blanche, qui sert a cacher chemise et calecon, et a former une draperie plus ou moins gracieuse au- tour du corps. La tete g6n6ralement nue est pr6sen'6e des ardeurs du soleil par une chevelure 6paisse et lon- gue, tress^e de diverses mani6res suivant le gout de la tribu. La chaussure, quand elle existc, est repre- sentee par des sandales. Tel est, dans sa com})osition la plus ordinaire, le vetement des hommes arabes el nubicns.

Celui des femmes est aussi simple et n'oflre avec celui des hommes que de legeres modifications. La ^ jeune fiUe, dans son bas age, est nue comme I'cnfant J male. Libres de tout vetement et, par consequent, dc V toute entrave, jusqu'a I'age de trois ou quatre ans, les

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enfanls sp d6veloppent comme les petits des animaux, exempts de ces difformit^s qui ne sont que trop sou- vent le r^sultat de I'emploi des maillots. Vers sa qua- tri^me ann^e, la jeune fille ceint le raat. C'est une es- p6ce de pagne, fait en cuir, qui s' attache au-dessus des handles, fait le tour du corps et vient retomber en lani6res sur la partie sup6rieure des cuisses. Get orne- nient de la jeune fille, quelquefois surmont6 d'une large piece d'etofle blanche, qui forme draperie, est port6 par les Arabes et les Nubiennes jnsqu'a I'^jDoque de leur mariage. A ce moment, le rant est mis en lam- beaux et remplac6 par une large ceinture en 6toffe, de couleur fonc6e, qui fait autour des reins I'office dn pagne. Comme les hommes, les femmes ont la tete nue, mais la chevelure tress^e avec plus de soin, et ornee de morceaux d'ambre. de fragments de corail et de grains de verroteries. Hommes et femmes s'oignent la tete de graisse on d'huile ; tons pratiquent i^galenient des frictions graisseuses sur la surface du corps, et ont souvent recours a une operation connue au Soudan sous le nom de delkh. Comme cette operation joue un role important dans les habitudes et dans la sant6 des Soudaniens, Nubiens et Arabes, qu'elle a ses avan- tages comme ses inconv6nients, je crois utile d'en parler avec quelques details, pour mieux faire appr6- cier les consequences qui en d^coulent.

Oiicdons (lelkh. Les ingredients qui entrent dans la composition de la delkh sontle umldeh (semences du Prunus mahleb);le defn^ substance cartilagineuse pro- venant d'une esp6ce de mollusf[iie, et les fleurs non epanouies du i::(h-oflier, pulv6ris6es et rael6es a de ia

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farine torr^fiee de doum (holclius sorgho). Ce me- lange, aiufucl on ajoute line certaine quantity d'huilc ai'omatique, el qui oflfre Ig. consigtance d'unc pate oi-- dinaire, s' applique et s'etend sur toutc la surface du corps, a I'aide de la main, et an moyen de frictions pratiquees dans tons les sens. C'est surtout le soir, avant de se livrer au repos de la nuit, que les Souda- niens ont I'liabitude de se fairc pratiquer la delkti. Cette preparation, en vertu des ingredients qui la coiu- posent, adoucit la peau, ralentit I'intensitedcla trans- piration, et, de la sorte, diminue considerablement les affections cutan6es qui, sans cela, jie manqiieraient pas de se d6velopper a cause de I'activit^ considerable dont la peau est le si6ge dans des climats tels que ceu,\ du Soudan. Aussi c'est grace f^px frictions graisseuses que les habitants du Soudan sont redevables d'echapper a ces d'ruptions si d^sagreables et si fr6quentes en Egypte et dans tout I'int^rienr de I'Afrique, tiniptiong qu'on a designees mal a propos sous le nom de linutous flu Ail (car le Nil n'a qu'y ftiire), et qui se devcloppenl en figypte pendant r6t6, a r6poque ou la chalcur es), le plus intense et la sueur le plus abondante, epoqne aussi qui coincide avec celle de I'inqndation. C'est grace aux onctions, comme je le dirai plus tard en par- lant des maladies, que les Nubiens et les Arabes flu Soudan se trouvent exempts de la gale, des maladies herpetiques et autres affections si frequentes en Egypte. en Abyssinie, et clans les contrees oii les frictions hui- leuses ne sont point en usage. Quant a rimmunilt'; dont jouissent les parties graissees, corps ou tete, a I'cgard de certains insectes parasites, c'est une propri6te attri-

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biK'^e gratnitement a la gi-aisse el a riniile, ei qnon rencontre, si ejle .exjsle, ])icn sonveni en defani.

Si les onctiqns ont Icin's nvantages, il fant dire ans?i r{n'elles sonf loin fVetre ,exer|iplc,s d'inconvenients. f^a suppression et mejiie une diminution sensible de La iranspiralion dans des cliinats tels que ceux dont d s'a- git, n'ont lici) qu'a la condition de d6tourner etde porter sur d'autres parties internes ractivife qui 6taii mise en jeu a I'exl^rieur. Aussi les organes ajKlpminaux et les articulations subissent-ils squvent, h leur detrim.ent, r influence du deplacenient d'unp fopction physiolp-; gique aussi importante que celle dont jc viens d.e l^arler. Je reviendrai plus tard suv ce sujet.

NQiuriiure. Compar^e a I'art culinaire des Euro- p6ens, la cuisine des Soudaniens ep est epporp aux pre- miers Elements ; et la vari6te des mets est, pour 1' Arabe connno pour le Nubien, un luxe qu'ils ne soupconnenl pas. Je ne dis rien du Negre, chez lequel lapourriture, comnie tout le reste, se ressent encore de Tetat de nature, dans lequel il vit. C.e sera le sujet d'un nrticle il part.

La base du regime alimentaire des Soudaniens, Nu- liiens et Arabes est le douva (holcus sorgho), dont il existe sept on huit variet6s au Soudan, et le dohn, une espece de millet conuu en botanique sous la denomi- nation de G'est avec ces deux graminees que

se confectionne le pain, ou du moins 1' aliment qui passe pour lei an Soudan. Cost uno espece de pale trfes aci^e, plus ou moins epaisse, quelquefois aussi mince qu'unc leuille de papier : cetle derniero Tornie crt la plus dtMieate, et celle af1o])t(^e par la c]^sse riclie. {)p

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Texpose au feu snr fie larges plaques de fer ou de terre cuite, pendant qaelques minutes, et de facon k I'^chaul- ferplutot qua la cuire. La portion de pain la plus mince peut seule se durcir par Taction si peu prolongee dn contact du feu. Le pain plus 6pais n'est, k proprenient parler, que de la bouillie, sous une forme aplatie. On concoit que cet aliment qui, en raison de son degre avanc6 de fermentation, seraitd' une digestion facile, le soit beaucoup moins, a cause de son degr6 de cuisson. La pate de doura et de do/cn, apr^s avoir subi la cuisson, sous forme de feuillets amincis, est quel([ue- fois soumise a Faction du soleil et de I'air pour se des- s6cher compl6tement. Sous cette forme, et sous le nom A'abrdy, elle sert a preparer avec de I'eau du bouillon de viande, du lait, une espfece de panade tr6s usitee en voyage. On prepare 6galement une boisson 16gere- ment acide, et assez agr6able avec le meme nbrdr, sur lequel on diverse alors une plus grande quantite d'eau, quelques instants avant de s'en servir. Le pain ordi- naire, d6sign6 sous le nom de itsreh, se mange en Nubie comnie Va/jiay, assaisonnii d'cau simplement, de beurre fondu ou de lait, ou bien encore d'une sauce pr6paree avec de la viande dess6cht'e et pilee, de la hantieh (bibiscus esculentus) , dcs oignons, du consbme (coriandre) , et une forte quantite de piment de la petite et de la plus forte esptice (capsicum minimum). On ajoute quelquefois a ces ingredients de Yassa firtida, qui jouit, chez les Arabes, d'une grande reputation comme stomacbicjue, mais (fui donne a la sauce un goiit et une saveur fort peu agreables pour les 6trangers. La sauce en question porte le nom de melah. G'est le mets

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viaiment national de la basse et de la haute Nubie, ' comme aussi d'une partie du Soudan.

Diverses vari6t6s de haricots, quelques espfeces de potirons, de pastfeques, la viouhukhieh (corchorus oli- torius), le tamal^k (cleome pentaphylla) , sont a peu pr6s les seuls v6g6taux employes par les Soudaniens, avec ceux dont j'ai parl6 pr6c6demment. Quant aufro- ment et aux dift"6rentes plantes potagferes introduites dans I'int^rieur de I'Afrique par les Europ6ens et les Turcs, ces substances n'ont jusqu'^ present joui d'au- cune faveur aux yeux ni aux app6tits soudaniens. En revanche, ceux-ci sont all6s chercher des aliments dans d'autres substances, oii la partie alimentaire est assez pauvre sous le double rapport de la quantity et de la qnalite. Certains tubercules appartenant aux families des Aroid6es et des Convolvulac6es, diverses racines et rhizomes d'especes v6g6tales non cultivees et qu'on trouve attenantes aux parties radicales de certains aca- cias, sont employes par les Soudaniens comme ali- ments. D'autres fois ce sont des champignons qui four- nissent a I'alimentation, pendant une partie de I'ann^e, de quelques populations, chez lesquelles les Agarics^et les Bolets se trouvent en grande abondance, et sans oU'rir d'esp6ces v6n6neuses.

Usa^e de la gomme. Enfin, je ne puis passer sous silence une des derniferes ressources alimentaires du Soudan, mais a laquelle on n'a recours qu'au pis aller aux 6poques de disette, quand, par I'efTet de la s6che- resse ou par tout autre accident, les r6coltes de sorgho et de dokn ont fait d6faut. Dans ces circonstances mal- heureuses, on s'adresse a la gomme, qu'on trouve dans toutes les provinces du Soudan, et surtout dans celle

(111 Koidofan. Par iine rninridenco assoz Ij.euveuse en apparciicp. o\ q\ii senibloiail pj-ovidfiiliollo si oll(? pro- (luisait d'auUes i-esultats, c'est iQujoprs pendant Ips aunees de si6cliRresse, alors rpio lp,«i j-^ipnltes des c^- ijS^Ips ont Dianqut'i par le defaut des pluies, c'est aloys, djs-je, que la secretion gomnjpusG se prod nit avec plus d' activity, pt que la gonime nsiirpp la place d'alimcni. Alais, lj61as, quel triste aliment ! J^n L)o\U dp quelqiies jours de r6gimp a la gomme, les nialhenicux qui n'onl que cetle substance pour toute alintenta^iqp conimen- cent a uiaigrir ; la coloraliqp du derine s'allpre cliez eux ; I'estpuiac se refq^e a digerer la n]^ti6re gpip- nieuse, et les iudi\"idus ne lardept pa^ a tpmher daus le marasme et a perir d'iuanition. jj'^j vu ^quvent de pauvres gens sucppnd)er de Iq, softp a 1^ suite d'un v^,- *giiue pareil ; et ce§ faits n'onl; pa^ peq contrijuie a nip prqqver (si deja je p'ppssp 6tp pr6venii cpntre les qua- lit^s nulritivps attributes a cptte su|)sta]]pe) que, si la gomme sufllt seule a la nourriture de certains quadru- maues, pile est impj-opre ;\ I 'alimentation de I'espftcc liumaine.

Puisqiie Ic sujet m'a conduit a parlor d'une sub- stance si aboudante au Soudan, et, nialgrc soi^ impor- tation journaliere en Europe, si ppu coiinue dans ce pay? sous le rapport des vegetaux qui la produisenl, je crois quil n'est pj^s inutile de fpurnir ici qiielques }'enseignemei|ts ci spp egard.

(.a gomme pst s6cr6t(5e dans tqpt le Sppdqp pav dif- ferpnts acnci.a.s qssez peu connus dps botanistes, et que je designerai par Ipurs noms indigenes pour ^viler toule ronfusion a ce sujet.

Arbvp.'; h gnrn^a^r. Ce sont. ep cppimeupaui pnrle?

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especefi les plus i^pmbreuses : 1" I'acacia talak^ a fleurs jauno Ibiicfi, spliiBfoidales, ;i ecovce roiigeatrc, ii hois blanp. Get arbre, tie laille pioyenpe se trouve flans tout le Soudan ; U ba])ite <le prefih'epce les terrains arjdes el j-Qcailleux; 2" I'acacia hachnb, d6signe par quelques bptanistes sous le noni d' acacia ^/^a ; a fleurs blanches cylindriformes, a 6corce grisatre, a ])ois blanc. H est Tjn pen plus d6veloppe que le pr6c6dent, et habite de p}'ef6rencL' les endroits sablonneux. Trfes commun dans la province de Rordofan, c'est lui qui fournit la belle gonnne blanche, designee sous le nom de gomine ara- bique non color^e ; Facacia kakamnrett, gros arbre a fleurs cylinfjriques, en forme de panaches blancs, qui croit gen^rajement sur les rivages des fleuves ; /|0 I'a- cacia ^jal, ifloins gros que le precedent, a fleurs sph6- roides, d'un jaune pale, croissant dans les terrains hu- i|iides ; 5- I'acacia niloticn, d6signe pp f}.}-abe sous le worn de sontt, croissant, comme le prc^cedent, dans les lieux humides et sur les bords des fleuves ; 0" enfni, diff^rents arbustes a tiges multiples, connus sous les noms de J. Aoudd, A, [\eti\ J. Fass, etc. Telles sojil les principales espfeces de gommiers.

Le prjnteraps et I'automne, mais principalement ce dernier, sont les deux saisons pendant lesquelles s'o- p6re la s6cr6tion de la gomme. On a dit que, pour I'a- ciUter I'excretion de cette substance , les indigenes avaient rhabitiide de fairp des incisions a l'6corce dps arbres. J'ignoi-e si la chose se pratique de la sorfo dans quelques contrees ; mais dans le Soudan egyp- tien, oil I'pn ramasse chaque annec plus de ceni raijle quintnux de gonnne, le!^ indigenes nc se donnent pas

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taut tie fatigue pour faire une operation que la nature pratique d'elle-meme et sans avoir ])esoin de leur in- tervention, lis sc (lonnent tout au plus la peine, quand ils veulent obtenir la gomme pure et nette, de la deta- cher des arbres : celle qui se trouve k terre etant tou- jours plus ou moins salie par les substances 6trang6res avec lesquelles elle s'est trouv6e en contact.

Usage de la chair cnie, dn sang, etc, Dans les grandes occasions, quand il s'agit, par exeniple, de fetes, de la venue d'un bote important, de circoncire nil garcon, de marier on d'cnterrer un des membres de la famille, on tue ordinairement une chamclle, un taureau ou un mouton, et alors on se repait de viande. En Nubie, et chez les populations du Soudan autres que les N6gres, la chair des animaux se mange cuite, bouillie ou rotie. On ne mange, a I'^tat decrudit6, que le foie des animaux, celui de la chamelle surtout, qui est le plus estim6 k cause de sa consistance et du cra- quement qu'il prodnit sous la dent. Le foie cru s'assai- sonne avec des tranches d'oignons 6galement crues, du sel et une forte quantity de petit piment nomm6 chite- tah (capsicum minimum). Los indigenes ajoutent, en outre, aux condiments indiques pr6c6demment, le fiel de I'animal, ce qni a fait designer le mets en question sous le nom de marara, c'est-fi-dire anier.

Les Abyssins et les Galla, connne on le sait, font usage, non pas du foie des animaux a I'^tat de erudite, a I'instar des gens du Soudan, inais de toute la partie musculaire de ces memes animaux ; scmblables en cela aux N6gres, qui se passcnt souvent de feu pour pre- parer leurs aliments. II fant dire, cependant, que les

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Abyssins ne mangeiit crue que la chair des anitnaux qu'ils ont abattus pour cet objet : tantlis que les Negres fort avares de leurs troupeaux, ne sacrifient jamais uue bete a leur appetit, et ne se regalent de viande que lorsqu'un accident, une maladie ou los progrfes de I'age ont occasionn6 le trepas de la bete. Ajoutons encore que la chair de ces animaux crev^s, se deconiposant rapidement par I'eftet de la chaleur et de I'lnimidit^ qui rfegnent dans ces contr^es, les Negres, quand il leur arrive de manger <de la viande, ne la mangent ge- n6ralement que pourrie. Et cependant ce genre d' ali- mentation, qui semblerait convenir davantage a I'esto- mac d'une hy6ne qu'a celui d'une creature humaine, n'indispose nullement le N6gre. J'indiquerai encore, en passant, et pour montrer quels effets I'habitude pro- dnit sur I'organisme, un genre d' alimentation assez r6fractaire a Taction de nos estomacs, et qui pourtant est fr(5quent chez certaines peuplades de I'int^rieur de I'Afrique : c'est 1' alimentation par le sa?)g. Chez les yldjeba, tribu nfegre qui habite un des affluents de la rivifere Sobatt, on a I'habitude de pratiquer des saignees sur les troupeaux pour boire le sang, soit pur, soit m61ang6 avec le kit des femelles. Cet aliment sc prend indiff6remmeut a I'tJtat de erudite ou bien bouilli, et il est la principalc nourriture de cette peuplade, (|ui me- prise I'agriculture, ne poss^de aucune cer6ale, et qui, a I'exemple de toutes les autres tribus nfegres, ne sa- crifie jamais d' animal domestique dans le but de s'en repaitre. (('.haque saign^e pcut se rep6ter impunement et durant plusieurs anuees sur le meme animal, a sept ou huit jours d'intervalle.)

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(Julie les iroupcaux d'aniniaiix donio'stiqucb duiil jc viens de parlei", les forets du Soudan, les eaux des tleuves qui le parcour^nt, les itiar^cages si liombieux ilaiis certaines t6cant^s foiirnissent aux indigenes de iiombieuses patures, auxquelles riioinihc drfesse des einbficlies |)our les fai^e toniber cntre ses rtiains. 11 ii'est guere d'esp6ces animales, terrestres ou aquati- ques, carnassi6res ou herbivores, pasd'oiseaux rapaces, echassiers ou palmipedes, pas de poissons et mfeine de reptiles qui rie servent k repaifi-e les N6gres et mem'e certains Arabes dri Soudan, en d6pit du Coi'an, qui perniet sexilement I'usage des ruminants, de qrelfpies poissons, et de certaines gallinac6es. Mais, je ler^pfete, ce geni'e de nourriture n'est pas g6n6ral et ne peut etre liabituel. Car les indigenes sont trop mal arui^s, tro|) mal eqiiip6s , pour pouvoir se livrer frequemment aux plaisirs et aux dangers de la chasse ei de la p^clie, et compter snr leUr produit pour Icuv noiu'riture journaliere. L'hippopotan.e, comme le cro- codile, la grue couime le vautour ou la pintado, I'ane sauvage comme la pantlifere, sont des mets qu'on ne se procure qu'i\ de rares occasioiVs ; le reste du temps c'est le lait, le donra et qrielquefois le i/u'/ti/t qui font tous les frais du festin.

Succi'danees da sel. J'ai parle ])recedemmc'ni des condiments de haut gout dont usent les Soudaniens })Our assaisomier leurs aliments, et qui leur sont four- nis par les v6g6taux, dont la nature a ubondammenl pourvu les contrdes Iropicales. Cependant le plus n6- cessaire de ces condiments, le sel, fait souvent rfi^faut; et en raison du peu dc communications etablies erttfe

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elles, certaiues Iribiis manqueul souveiii de cet assai- sonnemeiit tie premiere n6cessit^, et mmie n'en coiU uaisseiit pds I'lisage ; de ce nombre sont la plupartdes tribiis iiegres, qui habitent les rives du lleuve Blauc. Le sel, qu'on trouve en abondance dans les terrains de la basse et de la haute iNubie, dans la province dc Berber, les presqu'ilesde M6roe et de Sennar, ou il est le plus souvent m61ang6 dans la terre v6g6tale avec du natron et du sulfate de niagn6sie, et qui se rencontre (igalenient a I'^tat de sel gemme dans la pi'ovince de Dongolali, nese retrouve plus, ou du rnoins n'a jamais ete exploits dans une grande 6tendue des provinces liverain'es du fleuve Blanc. Mais comme il parait que la saveur sal6e est autant dans les gouts et les besoins des Negres que dans ceux des autres races, ceux-la, ne pouvant se procurer I'^l^ment salin dans les conditions ordinaires, sont all6s lui chercher des sitccedanees dans les substances dont la saveur se rapproche plus ou moins de celle qui leur manque. C'est ainsi qu'ils ont eu recours aux cendres de certains vegetans, surtout a celles du doura (holcus sorgho) , pour m^langer avec leurs aliments : mais ce dont les JNfegres usent le plus fr^quemnient, c'est de I'urine de vache. Chez les Dinka^ les Schlouk, les Nouair, et parrni tons les riverains du lleuve Blanc, compris entre le il» et le h" dcgr6 de la- titude nord, r urine de vache se trouve mel6e a toutes les substances qui sefvent a 1' alimentation de ces peuples. Le beurre, le lait, le miel lui-m6me sont in- I'ect^s dc cettc odeur d' urine ; et ce fat unc surprise assez desagreable pour les })remiers Europeens qui vi- siterent ces populations, et qui voulurent se procurer

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chez elles dea provisions fraichcs, de reucontrer, dans tous les produits alimentaires qu'ou leiir oITiit, cette odeur particuli^re qui ne se dissimule jamais.

Usage des boissons fernientees. Toutes les peu- plades de I'Afrique coniiaissent le mode de prt^paration des boissons ferment^es, et en font un usage jounia- lier. Les musulmans eux-memes, malgr6 les pr^ceptes du Goran, siiiveut les pratiques indigenes, et ne sont pas les moins partisans du fruit defendu. Ces boissons se preparent, suivant les localites, avec les mati^rcs fermentescibles qu'on a sous la main. Ainsi, dans les coiitr6es ou se trouve le dattier, les indigenes font avec la datte une boisson qui ressemble plus ou moins au vin ; ils en distillent aussi de 1' eau-de-vie. En Abys- sinie, c'estle raisin sauvage et le miel, unis a d'autres substances am^res, qui servent a fabriquer une espfece de piquette avec le premier produit, et, avec le second, un hydromel tr6s capiteux, connu sous le nom de ledj.

Mais la boisson la plus conununc dans tout I'int^- rieur de I'Afrique est une espece do Iji^re confection- n6e avec le doum ou le dokn, et qui, suivant son degr6 de fermentation et de cuisson, est connue sous les noras de merissa et onbllbil. Ges boissons, toujours troubles et plus ou moins ^paisses, contiennent a I'etat de suspension une grande quantite de f(5cule, ce qui les rend tr6s nourrissantes. Aussi les grands buveurs de merissa consomment-ils tr6s pcu d' aliments.

En r6sumant ce que j'ai dit sur le regime alimentaire des Soudaniens, on a pu \o\v (pie son caractfere dis- tinctif est sa grande siuiplicilc. Generalement vegetal oulacte, ilcst adapte au climat et a la vie pea labo-

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rieuse des habitants. Les substances excitantes qui en- trent dans la composition dn mclah, ce mets national dont j'ai parl6, les boissons ferment6es qui sont d'lm usage habituel, sont probablement une n6cessit6 de ces contrees, oti, pendant une grande partie de I'ann^e, les organes en g6n6ral, et le systfenie digestif en par- ticulier, se tiouvent, en raison de la clialeur humide, dans un 6tat de langueur et d'inertie qui reclame I'u- sage des excitants. II est vrai que la n6cessit6 d'un re- gime alimentaire cotnme celui dont je parle n'est pas exempt d'inconv^nients. Ainsi 1' usage continuel des condiments tels que la chiteiah (capsicum minimum) doit favoriser le d6veloppement des maladies du foie, maintenir une irritation permanente dans I'estomac, et, plus tard, donner naissance a des affections graves de cet organe. Je ne ])arle pas des h6morrhoides, sui" le developpement desquelles, comnie on le sait, les substances irritantes ont tant d'action. Mais je citerai encore les exces v6n6riens, auxquels la vie inoccup(3e des Soudaniens et la plurality des femmes pr^disposent singuli^rement, et qui trouvent un aliment nouveau dans les excitants dont je viens de parler. L'abus des boissons fermenti^es offre peut-etre moins d'inconv6- nients que celui des substances 6pic6es. Par I'effet des sueurs si abondantes qu'on 6prouve au Soudan, les li- queurs alcooliques, de meme que toutes les autres boissons, s6journent peu de temps dans I'^conomie : I'irritation qu'elles procurent est moins prolong6e que celle qui est produite paries excitants sous forme solide ; et I'excitation generale, qui resulte de 1' absorption de ces liquidcs, dure beaucoup moins longtemps au Soudan

XYll. MAI ET JUN. "2. 23

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<liie dans d'autres clinutls muins cliauds, ou la transpi- ration a l)eaucoiip inoins d'activit6. Je ne dirai rieii de i'u.sage dii cafe dans les conlr6es donl je ni'occupe ici, car c'est a peine s'il est connu. Queiqucs musidiuans etrangers a TAfriqiie, et un certain nombre d'Egyp- tiens etablis au Soudan usent seuls de cette liqueur. ()uant aux Abyssins et aux Galla, dans les provinces tlcs([uels le cafe croit a I'^tat sauvage, ils en boivent * quelquefois, mais 6, la nianiere des Arabes de VVe- meii , c'est-a-dire sans faire torr^fier la graino, et en se coutentant de la faire bouillir avec son enveloppe dans luie certaine quantity d'eau, qu'ils edulcorenl avantdc la boire.

Inflbniation. Apr6s avoir parl6 de Thabillement et de la nourriture des Soudaniens, il me reste a faii-c con- naitre quelques usages qui ont un cachet particulier, et qu'on ne retrouve que chez ces peuples, et d'abord je commencerai par Y infibnlativn. Sous ce nom on de- signe une pratique qui consiste a fermer presque her- m6tiquement, au moyen d'une operation chirurgicalc, les organcs g6nitaux de la jeune fdle jusqu'au moment ofi elle deviendra en possession du mari.

Cette operation, tr6s ancienne, a ce qu'il parail, puisque les Arabes I'ont trouvee Stabile au Soudan, a r^poque oil lis vinrent s'y fixer, scmble avoir pris nais- sance en Nubie et s'etre repaudue de la dans la pro- vince de Taka, et jusqu'ii la mer Rouge, a Test ; au Kordol'an et au Darfour h. I'ouest, et au sud jusqii'aux conlins des provinces habitees par les N^gres. Expli- quer les motifs qui ont donne lieu a une coutume aussi barbare est chose tr6s difllcile; car les traditions du pays n'out laisse aucun renseiguement a cet egard.

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Quoi qu'il en soit de son origine, voici comment se pratique cette opei'ation. C'est vers I'age de sept on huit ans que la jeune idle est livr6e a la matrone cliar- g6e de Top^rer. Quelques jours avant Tepoque iixee pour cet objet, la m6re de famille invite les parents et connaissances du sexe ftminin a se r^unir chez elle, et c'est par des fetes qu'on prelude a la c6r6iiionie san- glante. Le moment 3rriv6, la victime, environn^e de toutes les fennnes pr6sentes, est couch6e sur un lit oh elle est mainteuue par les assistantes, tandis que la matrone, ann6e d'un rasoir et agenouill6e entre les cuisses de la patiente, precede a reparation. Celle-ci commence par I'ablation d'une partie du clitoris et des nymphes ; de la le rasoir descendant sur le rebord des grandes levres, enl6ve sur leur bord interne et en con- tournant la vulve une languette de chair, large de deux centimetres environ. Cette operation dure quatre ou cinq minutes ; et, pour empecher les cris de la patiente de se faire entendre, les assistantes out soin de pousser des clameurs sur le diapason le plus aigu, tant que durent les manoeuvres op6ratoires. L' ablation des par- ties achev6e et le sang 6tanch6, la jeune fdle est cou- ch6e sur le dos, les jambes 6tendues et li6es forteraent I'une a I'autre, de facon a leur interdire tout mouve- ment, Cette precaution est necessaire pour manager la formation de la cicatrice. Avant d'abandonner I'oper^e aux soins de la nature, la matrone introduit dans la partie inf6rieure du vagin, entre les Ifevres saignantes de la plaie, un petit cylindre de bois, de la grosseur d'une plume d'oie. L'oflice de ce cylindre qui doit rester en place jusqu'au moment oil le travail de la cicatrisa-

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tion sera acliev6, est de meuager uue issue au\ uiuil'^ et plus tard aux menstrues. C'est tout cc qui restc dc permeable dans le vagin.

Quand la jeune Nubienne prend un 6poux, c'est en- core a la matrone qu'elle s'adresse pour que celle-ci rende au.\ parties sexuelles les dimensions necessaires a Taccomplissement du mariage. Car I'ouverture exis- tante est trop etroite et trop peu dilatable {k cause de la cicatrice dont elle est eutouree) pour que le mari le plus vigoureux puisse compter siu' ses seuls eflbrts pour p6n6trer dans la place. La matrone intervient alors, et, par une incision longitudinale, elle produit une plaie par laquelle s'accomplira la copulation. Mais conune cette plaie nouvelle tendrait a se reformer, si les par- ties saignantes restaient en contact, la matrone intro- duit entre les l^vres de la plaie, et k deux ou trois pouces de profondeur dans le vagin, un nouveau cy- lindre v6g6tal, beaucouj) plus volumineux que le pre- mier : car ce dernier doit figurer les dimensions du penis du mari. Ce deuxitjme cylindre reste en ])lace une quarantaine de jours, 6poque ou la cicatrisation est complete et oii sa presence devient inutile.

Mais tout n'est pas dit pour la mallieureuse qui s'esL une premiere et une deuxi^me fois soumise a repara- tion. Si elle conceit, ce qui arrive ordinairement, elle ne pourra pas accouclier sans subir encore les 6preuves de I'instrument tranchanl ; car la meme bride resis- tante cpii entoure la vulve et qui s'opposait a la cojju- lation, s'opposera encore a la dilatation de cette partie par ou doit passer I'enfant. il I'audra done encore dc- bridcr, au nioyen de larges et piofondes incisions, le?

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parlies qui refusent de se dilaler. Souvent an raoTnenl oil roiifant, en sortant |la bassiii, vient s'apjjiiyer sur la cloison interne des parties g6nitales , souvent, dis- je, il arrive alors que la matrone, qui doit saisir cet instant pour inciser profond6ment les grandes Ifevres, blesse grifevement le produit qui cherche a s'6chapper au-dehors. J'ai vu moi-meme, dans des cas semblables, des coups de rasoir, port6s mal habilement, produire chez I'enfant des blessures mortelles. Et cependant, malgre les douleurs qui accompagnent toujours cette horrible pratique de Finfibulation, malgre les dangers qu'elle fait courir k la femme et a I'enfant qui va naitre, malgr6 toutes les tentatives essay^es par les agents du gouvernement 6gyplien pour bannir cette alfreuse coutume, les Soudaniens n'en persistent pas moins dans leurs id6es a cet 6gard : quant aux jeunes filles, elles y semblent encore plus attach^es que les hommes, car elles pr6tendent que sans I'infibulation elles ne trouveraient aucun mari.

Extraction des dents chez les enfants. Si la pra- tique de V infibulation est aussi cruelle qu'absurde, il en est une autre qui ne Test gut;re moins, mais qui ce- pendant s'explique si on se place au point de vue des Soudaniens et qu'on veuille faire, pour un moment, la part des idees qui out donne naissance a cette pra- tique. Je veux parler de 1' evulsion des dents chez les enfants. L'6poque de la premiere dentition, celle qui s'accomplit depuis I'age de six mois environ jusqu'a celui de deux ann^es, s'accompagne de la plupart des ph6nom6nes pathologiques qu'on observe gen6ralement partout, et qui, dans les regions brulantes dont je

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parle, se d6veloppent enroro avec plus d' intensity qu'ailleurs, surtoiit i r6gard des orgaiies enc6pliali- ques, Quand Ics accidents qui accoinpagnent cetto pe- riode do la Ibirnation deiitaire devieunenl inteuses, on a recours alors a revulsion d'une, deux, trois et jus- qu'a quatre des dents qui annoncent par ces signes or- dinaircs leur prochaine sortie. Le chiruvi^ien indigene (car c'est lui qui remplace la uialrone dans cette ope- ration), muni pour unique instrument d'uu clou ou d'un morceau de fer affile a une de ses extr^mit^s, in- troduit dans la gencive et au-dcssous de la racine de la dent qu'il veut enlever, la pointe de cet instrument. Celle-ci etanten place au fond de 1' alveole, rextr6niit6 libre d6crit k I'aide de la main un mouvement de bascule qui, d6cliirant la gencive, entraine apr6s elle la dent, souvent accompagn6e de sa matrice ou follicule. I/o- peration se r6p6te autant de fois que le cliirurgien sup- pose de germes dentaires susceptiJjles d'entretenir les germes morbides. Cette operation, on le comprend, s'accompagne d'une forte h6morrhagie et d'un d6clii- rement de la gencive, d' autant ]ilus considerable que reparation s'est renouvel6e sur un plus grand nombro de points. Mais ce qu'il y a de plus horrible encore dans cette manoeuvre, c'est la position dans laquelle I'operateur ou pour mieux dire I'executeur place la pauvre cr6ature. (<elle-ci est couch^e sur le dos, la tfete inclin6e, et celle-ci est saisie et comprim6e par les ge- noux du bourrean faisant oflice d'litau, pour prcneuir tout mouvement de cette partie. Aussi arrive-t-il sou- vent que, par I'eiret de cette position, le sang qui s'e- coule suivant la ligne la plus declive suit la direction de

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I'isthme du gosier, et p6n6tre souvent, au milieu des cris deTenfant, dans le larynx, ou il occasionne des accidents si violents que la mort par suObcation en est quelquefois la cons6quence. Dans les cas plus heu- reux et qui sont, il faut le dire, en majority, I'opera- tion se termine sans accidents niajeurs, et les syni- ptOmes d'excitation encephalique s'apaisent k la suite du degorgement procure par rop6ratiou. II est done inutile de dire que, quand la v6sicule niembraneuse dans laquelle se forme la dent a ete arracli6e avec elle, aucune autre dent ne se reproduit a I'avenir dans ce point mutile.

Les Soudaniens, pour motiver la cruelle operation k laquelle lis soumettent leurs enfants, pretendent que les accidents morbides qui se developpent a I'epoque de la dentition sont dus a la formation d'un t'er dans la racine dentaire; et que c'est en arrachant le germe de la dent qu'on enl6ve avec lui i'entozoaire cause de tout le mal. Or, ce i'er, que vous monlre I'op^rateur a la suite de I'extraction de la partie, n'est autre chose que le follicule dentaire qui a 6t6 enleve, ou bien les vais- seaux et les nerfs dont les extrt^mites rompues sont rest6es fix6es k la dent. Heureux celui qui pourra prouver a ces pauvres gens qu'ils sont dans I'erreur ; que le vern'existeque daiis leur imagination, et qu'une operation plus rationnelle et moins cruelle remplacerait heureusement celle que leurs ancetres leur ont 16gu6e. Pour moi, je I'avoue, j'ai completenient echou6 dans les teniatives de relbrme que j'ai faites a cet egard, et je crains fort que d'autres ne soient pas i^lus heureux que nioi.

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A coif do Trvulsion des donts chez Jos rnfiinls en has age, pratique adoptee par toute la population dn Soudan, Ics N^gres exceptes, il faut citcr une autre evulsion, qui est particulifere aux Noirs riverains du fleuve Blanc a partir du 10"= degr6 de latitude nord en- viron jusqu'au li' et peut-etre au dela : car ces contr6es n'ont point encore 6t6 explor6es. Mais avant de parler de cette noiivelle operation, qui n'ofTre en elle-meme aucune esp6ce d'int6ret, je crois opportun d'esquisser quelques-uns des caract^res anatomiqnes propres aux tribus nfegres, 6chelonn6es le long delavall6e du fleuve Blanc, caract^res qui distinguent ces tribus de celles qui habitent les montagnes du Soudan, et dont le spe- cimen nous est oflert par les iXonbn dans le Rordofan , les Comljnrn au Darfour, les Djebelnouynn dans la pro- vince de Fazoglo.

Les riverains du fleuve Blanc [Schlouk , Dinka , Nouair, Kidj, Eliab, etc.) qui, par leurs formes ana- tomiques, leur langage et leur intelligence paraissent tous appartenir a la raSme famille, sont, de toutes les peuplades noires du Soudan, les moins favoris^es sous le rapport physique et intellectucl. G6n6ralement dou6s d'une taille au-dessus de la moyenne , ils ont des formes efilanquees et anguleuses, des membres sup6- rieurs et inf('rieurs trop longs par rapport au ti-onc, des genoux tresgros, !e calcnn^um pro6minent, lepicd presque plat ; en revanche, ils n'ont pas de mollets. Quant k la tete, elle est petite, fuyant en arri^re et d'un diamfetre lateral plus consid(!'rable qu'elle ne Test dans les autres races, S'il 6tait permis de comparer I'espfece humainc i d'aulres cspeces animales, on

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pourrait rlire que Ips Nfegres on quostion ofirent phis d'lin point de ressemblance avec le cinqiiifeme ordre de la classe des Oiseaux, celui des Echassiers. En elTet, a voir ces gens aux jambes longues et greles, au corps mince et efflanqii^, debout sur les rives du fleuve, une jambe en I'air et appuy^s sur leur lance, attendant pa- tiemment 1' apparition d'un poisson pour lui d6cocher un coup de leur arme, I'esprit les compare naturelle- ment aux marabouts, herons ou cigognes qui font con- - currence aux N^gres pour le butin du fleuve. Les habitudes et les mceurs des Echassiers semblent avoir d6teint sur celles de I'homme. Ajoutons que, chez les N6gres dont il est question, Tangle facial est encore plus aigu que chez les autres, et les deux plans ante- rieurs des machoires, au lieu de tomber directement I'un sur I'autre, sont inclines en avant de mani^re a former a la reunion des maxillaires un angle plus ou moins obtus. Cette conformation anatomique fait pro6- miner les dents au devant de la bouche, rend la masti- cation difficile, la prononciation embarrass6e, en meme temps quelle donne a la physionomie une expression toute particulifere et tr6s peu agr6able. Je ne parte pas ici d'autres singularit6s anatomiques qui sont com- munes a toiite la race n6gre. Celles-la sont indiqu^es partout. Mais il t^tait necessaire d'expliquer la confor- mation toute particulifere des parties maxillaires chez les Noirs en question, pour qu'on put se rendre compte d'une coutume aussi r6pandue, coutume que chaque voyageur a voulu interpr6ter a sa mani^re sans avoir trouv6, selon moi, le mot de r6nigme. C'est celle qui consiste, comme je I'ai dit plus haut, dans revulsion des

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quatre incisives de la maclioire sup^rieure. Cette extrac- tion so pratique apit>s la sejilicme ann^c, c'est-ii-diro. apres I;! cinite ties dents de lait et la sortie des dents pennaneiites : le vide qui s'optre dans cette partie sub- siste, par consequent, pendant toute la vie.

Cette coutunie, qui senibla si otrange aux premiers explorateurs du flenve Blanc, fat inlerpret6e, coninie je I'ai dit, de beaucoup de nianiferes. Quolques-uns, et ce I'nl la majority, crnrent y voir une c6r6monie religieuse analogue au baptemc on k la circoncision ; d'autres prc^endirent que cette operation avait pour but d'^vitei- les blessures qui pourraient se produire ])endant I'acte du coit, assiinilant de la sorte les caresses des N6gies a celles des chats, lorsque ces animaux se livrcnt ;i leurs ('bats amoureux. Cette derni^re explication, (onte ridicule qu'elle paraissc, pouvait cependant seinbler rationnelle aux voyageurs qui sont au coiu'ant de cer- taines habitudes des indigtjnes du Soudan, habitudes consistant a laisser pousser dejnesur^ment les ongles de la main gauche pour les fairs servir ii iniiter les caresses f6lines, et k assaisonner de coups de grilles les jouissances liibriques.

Cependant, hatons-nous de dire que la crainte des morsures n'entre ])Our rien dans les raisons qui uioti- vent I'extraction des dents ; et ces raisons, que les N6- gres eux-memes sont inca])ables de vous indi([ucr, et qn'on a pu rattacher a (|ucl([ue cer6nionie icbgieuse. ne sont autres, d'apres moi, que celles que j'.ii men- tiounc'^es, c'est-a-dire la mauvaise conlorniolion des niJichoires dans les tribus parnii lesquelles se pi'atiqiie l'op(;^ration indicpioc pr^cedeuinienl.

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Si les IJinka, les Schlouks, les Barry et antres s'arra- chent (lea dents pour laisser fonctionner plus corunio- (leiuent leurs machoires, d'autres peuplades, dans un but a pen pr6s semblable, mais dans des conditions dil- ferentes, faconnent leurs dents a I'aide de la lime, d(^ maniere a donner aux incisives des deux machoires la forme aigue des dents canines.

Les Fertitt et d' autre tribus r^pandues sur les rives du Bahr-el-Ghazal (un des affluents du fleuve Blanc) ont invent^ ce singulier usage qui, du reste, s'adajite paifaitement a I'habitude qu'ont ces peuples de se nourrir de chair crue, et meme de chair humaine, en admettant comme fondee la reputation d'anthropo- phages dont ils jouissent ainsi que leurs voisins.

Niamninm est la qualification que donnent aux an- thropophages les Arabes et les indigenes du Soudan. Ce n'estpas un nom de tribu ni de province : il signifie encore moins hommes h queue, comme on I'a pretendu. Niamniam est un terme soudanien qui exprime Faction de manger. On I'a applique par extension aux nian- geurs par excellence, c'est-a-dire aux anthropo])hages. Doit-on atlmettre, comme le racontent les Arabes, que I'interieur de I'Afrique recele un grand nombre de niamnmm, de peuplades anthropophages ? Les Arabes, il est vrai, sont de grands conteurs, pour me servir ;i leur 6gard du terme le plus poll que je puisse trouver. dependant, bien qu'il faille se tenir en garde centre les r6cits des enfants d'Ismael, ineme de ceux qui habitent le Soudan, des renseignements r6cents semblent indi- quer positivement I'existence de peuplades aulhro])o- phages dans les contr6es m6ridionales qui avoisinent le Darfour; et, I'ann^e derni^re, unecaravanc de Nii-

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biens qui voyageait dans ces conlrc^os pour le comptP d'un n6gociant europeen pretend avoii- assiste a un repas dans lequel on offrit aux convives des memlires huniaius.

II est done possible cpie les Fertitt ou leurs voisins, aux incisives aigues conime les premiers, ne se fassent pas scrupule de manger de la chair humaine, quand I'occasion se pr6sente. Le gout prononc6 de ces peu- plades pour la chair crue semblc venir, jusqu'a un ceitain point, a I'appui de la reputation qu'on leur a faite; et, l)ien que les Fertitt (pi' on rencontre dans le Soudan 6gyptien protestent gen6ralenient contre cette reputation , comme ils rejettent d'un autre cot6 sur leurs voisins 1' accusation d'antluopophagie, il faut ad- mettre I'existence de tribus anthropophages dans les contr6es limitrophes dn sud du Darfour, si ce n'est dans d'autres parties de TAfrique.

Puisque le sujet m'a conduit aparler des niainniam, dont on a voulu faire mal a proposle synonyme d'/iommes a queue, je dirai deux mots de ces pr6tendus porteurs de ])rolongements coxaux, qui ont excit6 la curiosity do bien des gens, et qui ont 6t6 le sujet d'une question formulae, il y a deux ans, par une commission de I'A- cademie des sciences aux membres de I'exp^dition d'Afriqiie command6e par M. le comte d'Escayrac. Bien que, pour ma part, j'aie souvent cntendu racontei- au Soudan des histoires d'/iommes a queue , et encore d'autres exploits d'une tribu non moins extraordinaire nomm^e Abou-Kilab (dont les p6res sent chiens) (1), comme ces histoires ne sont que des variantes plus ou

(1) Ou plutdt ressemblant aux chiens.

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moins drolatiques de tons les contes arabes, je n'ai ja- mais era devoir m'occuper de ces extravagances. Ce- pendant, comme I'existence d'individus a queue a et6 annoncee et attest6e iion pas seulement par des Arabes, mais par des voyageurs europ6ens qui se sent fails les echos de ces bruits 6tranges, j'ai du rechercher les causes qui avaient pu donner lieu a une croyance qui, bien qu'en contradiction avec les faits observes jusqu'a ce jour, n'en devait pas moins reposer sur quelque fondement plus ou moins mal assis.

Or voici, je le suppose, ce qui a pu donner lieu a cette fable : parmi les nombreuses peuplades noires qui lia- bitent I'Afrique centrale, et qui sont g6n6ralemeiit de- pourvues de vetements, quelques-unes recouvrent les organes g^nitaux a I'aide d'un morceau de peau : car les tissus de fil ou de coton sont inconnus chez elles. D'autres laissent ces parties tout a fait a d6couvert : quelques-unes enfm, soit qu' elles cachent ou qu' elles exhibent les organes sexuels, attachent a la partie in- f^rieure du tronc une ceinture en peau, laquelle se ter- mine par derri^re par une v6rible queue de bete fauve ou d' animal domestique. Les premiers Strangers qui apercurent ces sauvages, et qui, probablement, n'os6- rent pas s'aventurer jusqu'au milieu d'eux , devaient supposer que I'appendice caudal qu'ils voyaient'a dis- tance 6tait nature!.

lis raconterent a d'autres le phenomene qu'ils avaienl eu devant les yeux : I'histoire se r6p6ta, et I'existence des liommes a queue passa bientot pour un fait avere. II m'est arrive souvent, dans mes peregrinations, de rencontrer des Negres dont tout le costume consislait

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ilaiis la queue en question. Or, je puis assurer que, vues d'une certaine distance et alors que les ficelles de I'appendicc sont cacli^espar I'eloignenicnt, ces queues out I'air tr^s pen postiches. Supposez niainteuanl que I'observateur soit un Arabe, c'est-i-dire un individu conq5l6leuient d6poun'u de notions scientifiques, dis- pose, en outre, par la nature de ses id6es et son Edu- cation, a accepter sans controle tout ce qui frappe son imagination : on concoit de quelle manitre un tel indi- vidu observera, et comment il fera de I'histoire qui par- viendra facilement a acqu6rir du credit parmi ses au- diteurs.

Pour mon compte, j'ai hate de le proclamer, je n'ai jamais eu le bonheur d'entrevoir le moindre indice de queue dans la race humaine, et je ne puis accepter b6- n6volement I'existence d'une penplade pour laquclle il faudrait cr6er ime nouvelle race anthropologique. La queue humaine, conuiie lalicorne, resteront, je pense, coniin6es dans le chapitre des mystifications des voya- ges (1).

Le tatouage est, on le sail, d'un usage irfes commun parmi les races de couleur. Au Soudan, cet usage com- mence vers les conlins septentrionaux de I'ancienne Ethiopie, je veux dire dans la Nubic inftrieure. La on remarque, pour la premiere fois, en quittant I'l^gypte,

(1) Je ne parlc pas ici des cas de mouslruosit(^ qui pourraient se produire a regard du coccyx, conimc ils out lieu pour d'aulres or- ganes. Un ou deux fails auormaux semlilables ne prouveraient ricu en faveur des honimes h qunie; et ces fails prdlendus u'ont ^16 cit^s que par MM. Ducourret el Alexandre Dumas*!!!

( ;^5t )

ties traces d'incisions sur la figure. Ces incisiois, au uonibre cle trois ou quatre cle cliaque c6t6 cles joues, repr6seiitent des ligiies parall^les, longues de 25 a 30 iiiilljmetres et renfl^es a leur partie moyenne. Elles li- gurent un losange etroit et allonge, resultant de la forme du lambeau de chair qu'on a taill6 sur les par- ties. Cette operation se pratique principalement sur les enfants du sexe feminin.

Le tatouage, qui se borne chez les Nubiens et les Soudaniens autres que les nfegres, a la reproduction de quelques lignes grav6es sur le visage, necessite, chez certaines races noires, une operation longue et couipli- qu6e, qui embrasse toute la surface du corps, et fait de la peau un vaste dessin repr^sentant les formes les plus curieuses et souvent d'une execution tr6s delicate. Les Nfegres des montagnes du Fazoglo semblent avoir pGrt6, jusque dans ses derni^res limites, la fantaisie de ce luxe cutan6. Au fleuve Blanc, le tatouage delicat et gracieux des lN6gres du Fazoglo est reuq3lac6 i)ar de gros traits en relief, qui font sur la peau une saillie analogue a celle qu'y produirait une corde. La tribu des Kidy et quelques autres limitrophes offrent de fre- quents exemples de ces renflements artificiels sur le devant et les c6t6s du sommet de la face. Pour produire ces reliefs, les Nfegres font a la peau de profondes et longues incisions, dont ils maintiennent les^bords 6car- t6s, et entre les 16vres desquelles ils introduisent des substances v6g6tales irritantes. Par TeU'et de ces sub- stances les parties incis6es se boursouflent, les humours affluent dans la plaie, et bient6t on y observe un d6p6t de mati^re adipeuse, qui se recouvre d'une couche de igmentum plusou moins 6paisse.

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Quelquei'ois la inatifere colorante, au lieu de se d6- poser seulement a la surface de la nouvelle cicatrice, s'insinuc entre les parties graisseuses sous-jacentes, et les p6n6tre dans une profondcur plus ou moins consi- derable. Dans des cas semblablcs, la dissection de ces renflcinents produits par le tatouagc met a jour une niatiere qu'on prendrait facilemcnt pour de la wclanosc.

Ce que j'ai dit de la facilit6 avec laquelle se repro- duit le pigmentum, sur les parties dont le derme a 6t6 pr6alablement enlev6, fera comprendre comment les cicatrices qui succfedent aux grandcs d6perditions de substance, aux amputations, aux ablations de tu- meurs, etc. , recupferent toujours apres la gu6rison la coloration qu'elles avaient auparavant. Quand certains points de la peau pr^sentent des nuandes dift'6rentes de la coloration gen6rale, cela indique un 6tat anormal du derme dans ces points-li, ou bien le r^sultat d'une af- fection g6n6rale de nature herp^tique, syphilitique, etc. Je parlerai plus au long de cette alteration du pigmen- tum chez les N6gres, a 1' article des maladies. Cependant je ne puis passer outre sans dire deux mots d'un des modes d' alteration du principe colorant, connu sous le nom A' albinisine.

Cette affection, bien qu'on la disc tres commune parmi les N^gres, est assez rare dans les provinces du Soudan pour qu'il ne m'ait pas 6t6 possible d' observer, pendant une p6riode de dix-huit ann^es, un seul cas d'albinisme complet. Quant aux exeuiples d'albinisme partiel, ceux-la sont assez frequents, bien que je ne comptc ici ([ue les cas congenitaux cl iion ccux (jiii sont produits accidcntellemcjil par I'ellci de (lilferente.s alfcclions.

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L'albinisme congenital partiel semble afl'ecter de preference, au Soudan, les membres abdominaux ; quel- quefois un cot6 de 1' abdomen ou de la poitrine ; d'autres fois, mais plus rarement, la face. Dans un cas seule- ment j'ai ete a meme d' observer la decoloration des cheveux et de I'iris, la tete et la face etaient les seules parties atteintes d'albinisme.

Le petit Nfegre, k sa naissance, ne presente pas la teinte foncee qui plus tard se developpe sur ses tegu- ments. Au sortir du sein de sa mere, il est de couleur cuivree presque sur tout le corps. Quelques parties seu- lement oft'rent une coloration plus obscure que les autres. Cast le scrotum, le raphe et le mamelon. D'autres parties, en revanche, sont moins colorees que le reste du corps ; de ce nombre sont les surfaces palmaires et plantaires des membres sup6rieurs et inferieurs et les levres buccales. La coloration moins foncee de ces parlies persiste pendant toute la vie.

Les Abyssins comme les Galla, de meme que toutes les races colorees et tons les produits croises, offrent k leur naissance un degre de coloration moindre que celui qu'ils acquerront par la suite, et ils presentent la meme variete de nuances dans les parties que nous avons in- diquees precedeniment.

Mais le faible degre de coloration qu'apportent les enfants en venant au monde, ne tarde pas a revetir, petit a petit, des teintes plus obscures. En sorte que, desl'age d'un an, le petit Negre a atteint son maximum de noirceur. II en est de meme pour les races de cou- leur indigenes, abyssine ou galla : la couleur moins foncee des enfants a leur naissance acquiert tout son

XVII. MAI ET JUIN. 3. X 2A

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d^veloppement vers la fin de la premifere ann6e. Ce- pendant il existe k cet ^gaid une dill^rence pour les m6tis ou mulatres. Chez ceux-ci la coloration fonc6e se d6veloppe plus lentement, et ce n'est gnere que vers la septitjnie annee qu'ils ont acquis la teinte qu'ils con- serveiit g6n6ralement pentlant toute la vie.

Les choses se passent de lameme aianiere, qiiel'en- fant naisse en AiVique ou partout ailleurs. Quelque part que ce soit, et ind^pendamment de la localite, de la temp6rature et du climat, la formation et le d^velop- pementdu pigmentum s'op^rent d'apr^sles conditions de races, sans que le soleil ni la chaleur soient capa- bles d'entraver ou de modifier ce d6veloppement.

Je ne veux cependant pas pr^tendre que la lumi6re solaire n'ait aucune influence evidentesur la surface cu- tan6e, qu'elle colore en rouge d'abord par Teffet de rafllux sanguin. Cette couleur rouge passe ensuite par une nuance plus ou moins fonc6e, suivant les iudividus souniis a faction du soleil et suivant f intensity de ses rayons. Je dirai menie que cette premiere coloration rouge se laisse apercevoir chez le N6gre, bien qu'avec des tons differents de ceux que pr6sente la race blanche.

Mais il y a loin de cette coloration accidentelle et tout a fait temporaire a celle qui r^sulte de la naissance et qui est propre k la race. Car, de juenie que le climat n'esl pour rien dans la coloration dii Negre u6 et 6lev6 a Constantinople, a Alexandrie ou a Moscou, de meme aussi le climat est incapable de donner k I'Arabe du Soudan, 6niigr6 en Afrif[ue depuis des si^cles, la teinte obscure dn N^gre ni de modifier la coloration de

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1' Abyssin et du Galla qui coiiservent, depuis des milliers d'ann6es, dans le centre de I'Afrique et au milieu des Nfegres, la coloration qui leur est propre et leur type primitif qui se confond presque avec celui des races du Caucase,

Que, si Ton me demande maintenant comment j'ex- plique la teinte noire des Africains, je demanderai k mon tour comment on expliquera la couleur rouge des Am^ricains, la nuance jaune de certains Asiatiques, et le teint rose et blond de la plupart des Europ^ens. Car ces difl'6rentes colorations sont aussi naturelles I'une que I'autre ; etla teinte noire n'a rien de plus nide moins myst6rieux que les autres couleurs r^pandues k profu- sion sur notre globe.

EXPOSfi SUCCINCT

DES D£C0UVERTES ET DES VOYAGES FAITS EN AUSTRALIE

Depuis 1842 h 1858.

Par M. p. Chaix.

Le premier 6tablissement des Anglais en Australie date de I'ann^e 1788. En moins de soixaiite-dix ans la population, d'origine europ^enne, y a d6pass6 un million d'habitants. Elle est concentr6e sur rextr6mit6 sud-est dn continent dont la connaissance est due aux voyages de Cunningham, du comte Streleczki, et par- ticuli6rement k ceax du colonel sir Thomas Mitchell,

{ 356 )

niort a I'age de soixante-trois ans, au niois d'octobre 1855. Aiijoiird'Imi on pent considcrer coinme connu, si ce n'est coniiiie entieroinent colonise, le territoire compris cntre la nier, le coiirs de la riviere Darling et renibuiichure dn fleiive Murray. Avant Tepoqiie oil la d^couverte des mines d'or a concentre reaiigratinn sur la province de Victoria, d'abord noniniee par Mitchell I'Australie Heureuse (Australia Felix), X Austmlie me- ndioiiale 6tait devenue le si6ge d'une nouvelle colonic agricole coinme la Nouvelle-Galles meridionale. La na- ture du cliniat et du sol semblait devoir lui etre favo- rable, ainsi que I'aspect de ses cotes decoupees par les golfes de Spencer et de Saint-Vincent. M. Eyre fut in- fatigable a en explorer I'interieur, et ses courses le con- duisirent, en 18/i"2, a la st6rile d^couverte du lac Tor- rens ou du Fer-a-Cheval, dont la longueur 6gale celle de la peninsule italique, niais dont le bassin est alter- nativement un marais fangenx on une nappe de sable. Des I'ann^e suivante le capitaine du genie Frome s'avanca aussi d' Adelaide vers le nord jusqu'a la branche orientalc du Fcr-it-Clwiuil, sur une ligne plus orientale mais parall61e a celle qu'avait suivieM. Eyre. I/ann6e IS/i'i vit organiser, sur une plus grande 6chelle, I'exp^dition conimand6e par Ic capitaine Sturt pour p6n6trer dans le ccrur du continent australien. La ville d'Ad^'laide Ini oHVil un dejouiior d' adieu, le 10 aout 18/i/i. Je me bornerai a lappeler qu'elle parvint, le 8 septembre '18ii5, a vingt-ciuq lieues du tropique du (lapricorne, en un ])oinl egalenient eloigne de la cote meridionale et du golfc de (larpentarie. Le capi- taine Sturt vit un de ses coinpagnons p6rir des suites

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de leurs soufTrances et fut lui-m^me rapports ma- lade, le 19 Janvier I8Z16, dans la ville d' Adelaide, qii'il avail qnilt6e dix-sept mois auparavant. II n'avait parcouru qu'un eflVoyable desert, faibleinent sem^ do sommitt^s insignifiantes et nues, et coupe de vastes ra- vins sans eau. Dans un rayon nioins 6tendu les explo- rations de ses devanciers, MM. Eyre et Fronie, n'a- vaient gu6re 6X6 plus encourageantes. Cependant les dix ann^es qui out suivi leurs voyages ont 6t6 em- ployees, par des colons entreprenants, a s'avancer sur leurs traces dans I'espace enferm6 entre Adelaide et le Fer-a-Chcv(il, qu'ils ont sem6 de stations pour y Clever du b6tail ; de riches mines de cuivre ont 6t6 mises en exploit?.tion a Barrabarra, et le gouvernement a fait proc^der au lev6 g6om6trique de ce territoire, qui n'a pas moins de 130 lieues de longueur et /|0 de lar- geur, et snr lequel sont dispers^es une quarantaine de soramitds escarpees de 1000 a 3000 pieds de hauteur. Au mois de juin de 1856, M. Babbage fit, non loin des routes suivies par ses devanciers, la d^couverte dn Mac-Donnell, rivit;re alaquelle il suppose une longueur de 00 milles, au travers d'un pays fertile, et qui parte ses eaujc dans le lac Tonenx. II vit aussi deux ivbs petits lacs d'eau douce et les nomma Blanche et Sninte- Mnrie. Dans le cours de ces travaux M. Goyder par- vint, le 3 juin 1857, au coude septentrional du Fer-a- Cheval ou lac Torrens, et trouva ce lac assez large, plein d'eau douce, sem6 d'iles et borde de verdure; mais les effets du mirage y 6taient si puissants qu'ils donnaient une hauteur apparente de 3000 pieds k une Eminence qui n'en avait que 60. II suivit 18

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niilles du cours de la riviere Mac-Donnell et d^coiivrit un troisi^me petit bassin d'eau douce, le lac Frceling, profond , entour6 de beaux aibres et de rochers. M Goyder revint au chef-lieu par un pays accident^, dont il d^crit le paysage comme romanliqae.

A la reception de ces nouvelles qui contrastaient fa- vorablement avec les rapports d'Eyre et de Frome, I'ing^nieur en chef [sun'eyor ^encml) capitaine Free- ling partit, einportant deux bateaux destines au lac Torrens, qu'il atteignit le 3 sept^^mbre 1857; mais il lui fallut patauger h six milles en avant du rivage dans une boue profondeet dangereuse avant de trouver iine profondeur de six poucesd'm//. II revint declarant que les seules iles de ce lac sont deux Hots insignifiaiits, 61ev6s d'un pied au-dessus de I'eau, et que les autres merveilles dont les yeux de M. Goyder avaieiit 6t6 r6- jouis n'6taient que les effets du mirage. Le colonel Gavvler, tr^s au fait de la nature du sol et du climat de I'Australie mdsridionale, et remarquant que les environs de la capitale, Adelaide, sont des terres h. bl6 d'un admirable produit, (pii pr^sentent toutefois 1' aspect d'un desert calcine dans une partie de I'ann^e, pense que, pour prononcer un jugement impartial entre des t6moignages aussi opposes il faiit tenir conipte de la saison oil le voyage s'est accompli. Quoiqu'un isthme bien explore de moins de 5 lieues de largeur s6pare le fond du goife de Spencer de I'extr^mit^ m6ridionaledu lac Torrens, le colonel Gawler pense que ces deux nappes d'eau ont eu autrefois une communication na- turelle.

Dans cette meme ann6e 1857, I'espace p6ninsulaire

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conipris entre le golfe de Spencer et Streaky-Bay, k I'ouest, travers6 pr6c6demnient par M. Eyre, a dt6 sil- lonn6 simultan^ment par plitsieurs voyageurs ind^pen- dants les uns des autres , le major W'arburton , M. Hack, etc.; ils y out reconnu 1' existence de (piel- ques terres assez bonnes et d'une chaine de montagnes d'une mediocre 6tendue {Gawler range), maismalheu- reiisement aussi de pays converts de cailloux et de taillis, d^pourvus d'eau douce, avec une multitude d'6tangs salt^s, parnii lesqnels est un lac d'une 6tendue double du Leman, lelac Gairdner. Dans le meme temps MM. Thomson, Campbell et Swindon faisaient dans le pays inconnu, a I'ouest du lac Torrens, une excursion rapide de 200 milles, avec assez de succfes pour que le parlement colonial de rA.ustralie meridionale, avec ce patriotisme 6clair6 qui inq^rime un progr^s si rapide a la prosp6rit6 des colonies anglaises, ait jug6 opportun, aprfes avoir ordonn6 la publication de ces diverses re- lations de voyages, d'en faire entreprendre un uouveau sons les ordres du g6ologue Babbage. II s'est mis en route pour la terre de Swindon avec sept hommes, seize chevaux et cent quatre-vingts moutons.

Apr6s cet expos6 rapide mais complet de I'^tat de nos connaissances sur I'Australie m6ridionale, je tra- cerai de meme I'historique de ce qui s'est fait dans la colonic plus ancienne de la Nouvelle-Galles meridio- nale.

Le premier voyage du docteur Leichhardt est trop connu pour que j'en rappelle autre chose que la date. Parti de Brisbane, sur la bale de Moreton, au niois d'octobre de ISIili, il arriva au port Essington k Vex-

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tr^mit^ scptentrion'ale du continent australien an mois de novembre 18/i5, en suivant, dans la direction du nord-ouest, une route d'environ 800 lieues et en se tenant a une distance nioyennc de 50 lieues des c6tes orientales de ce continent. Les travaux de I'intrtjpide AUemand furent appr^cit^s coniuie ils le niuritaient par les colons anglais ; les ovations et les ri^conipenses ne lui firent pas dtifaut a Sydney ; et, ce qui semblait en- core mieux, on profita de son d^vouement pom- lui confier une nouvelle expedition. Se proposant de tra- verser le continent dans sa plus grande largeur, en coupant la route suivie dans un autre sens par le capi- taine Sturt, Leichhardt partit de Brisbane en 18Zi8 ; niais le plus grand myst^re plane encore sur son sort, qui n'a pu etre que fatal,

Dans I'intervalle entre le premier et le second voyage de Leichhardt, sir Thomas Mitchell, chef du g(§nie de la Nouvelle-Galles du Sud, et deji veteran dans la car- ri^re, rentra dans la lice, et, partant du cours supe- rieur de la riviere Darling, dont la d^couverte lui 6tait due, trouva plusieurs cours d'eau qui en sont les tri- butaires, la Baloiie, la Maranoa, qu'il remonta jusqu'i sa source dans un syst^me de chaines partiellenient volcaniques de plus de 2000 pieds de hauteur. Plus au iiord, il en decouvrit une autre, la Belyando ; il s'at- tacha k en suivre le cours jusqu'au 21' degrd de lati- tude sud, parce que la voyantse dirigerau nord-nord- cuest, il esp^rait aboutir ainsi au golfe de Carpentarie; mais il fut disappoints en trouvant que cette riviere ^tait identiqtie avec la Rivi6re du Cap df^couvcrte par Leichhardt, dont leseaux aboutissent a la c6te orientale.

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Revenant sur ses pas jnsqu'aux groupes montagneux qu'il avait d6ji parcourus entre le 24" et le 25* degr6 de latitude, il trouva snr leur revers occidental un dis- trict dont I'aspect riant lui arracha le nom d' Heureuse Fal/c'i- (Happy Valley) ; il donna celui de la reine Vic- toria au Barcon, riviere qui y prenait naissance et qu'il suivit pendant dix jours vers le nord-oycst, c'est-i-dire vers le centre du continent. Le pays lui parut le mieux arros6 de I'Australie, habits par des Nfegres inoiTensifs et en petit nombre. Une nouvelle Flore et une nouvelle Faune semblaient caract6riser une region diff^rente du reste de I'Australie. Forc6 de s'arreter par 2/i° 14' de latitude autrale et 144° 34' k Test du m^ridien de Greenwich, sir Thomas Mitchell crut voir la riviere de Victoria se diriger a perte de vue au nord et il revint sur ses pas, convaincu que celle-la du moins a son em- bouchure dans le golfe de Carpentarie.

Pour r^aliser les esp6rances autoris6es par cette d6- couverte, le capitaine Kennedy, excellent ingenieur, qui venait d'accompagner sir Thomas Mitchell, fut renvoy6 sur ses traces, d6s le mois d'avril de I'annee suivante (1847), avec une nouvelle expedition. II re- trouva le groupe de montagnes volcaniques, la Fallec heureuse, d'un vert d61icieux, rafraichie par des nappes d'eau et anim^e par un grand nombre de catacoas, de coqsd'Inde,d'6mus et de kangarousd'une taille gigan- tesque. Pour acc6l6rer ses niouvements tandis qu'il allait descendre la riviere Victoria ou Barcou, il enterra successivement, dans plusieurs cachettes, ses chariots el une partie de ses provisions (8 aout 1847). Con- trairementa ce que sir Thonoas Mitchell avait cru voir,

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la riviere ne se dirigeait pas au nord ; il la snivit plus de 100 lieues au sud-ouest, jusqu'au dela du 26'degr6 de latitude sud, et ne se d6cida au retour, le 9 sep- terabre, que lorsqu'il ne put plus douter que le Bar- cou ne soit la uienie rivifere nomni6e deux ans aupara- vant, par le capitaine Sturt, Cnupei's-Creek, ot qui se jette {)eut-etre dans le lac Torrens. Revenant alors vers le nord pour y accomplir la seconde partie de ses instructions, qui 6tait d'atteindre le golfe de Carpen- tarie, par une route directe mais encore probl6niatique, le capitaine Kennedy n'en 6tait plus s6par6 que par une distance de 180 lieues en ligne droite. Mais il fut , arrets par le manque de provisions suffisanles ; les in- digenes, qui avaient paru I'ann^e pr6c6dente bienveil- lants et pen nombreux, se niontrferent, au contraire, en grand nombre et g6n6ralenient bostiles. lis avaiont decouvert et pill6 une partie dcs depots de farine ct de Sucre enterr^s par Kennedy. Priv6 de provisions qui lui eussent sufii pendant dix semaines, il dutreprendre le chemin de Sydjiey ; mais, pour faire contribuer son retour h de nouvelles d6couvertes, il descendit, depuis sa source situ6e dans le m6me massif volcanique oil nait la riviere Victoria, une nouvelle riviere nomm^e Warrego ; il en suivit le cours au travers d'un desert, vers le S. S. 0. sur qiiatre degr6s de latitude ; mais ne pouvant subsister dans ce lit de torrent absolument des- s6cb6, il I'abandonna pour rejoindre le Darling et la colonic par Une marclie de AO lieues an travers d'un desert qui lui couta sept clievaiix et quarante jours d'angoisses. II arriva a Sydney, au mois de Janvier de 18/18. Les talents dont il fit preuve le firent placer

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par le gouvernement colonial a la t6te d'une troisifeme expedition, a laquelle 6tait confine 1' exploration de la p6ninsule septentrionale du continent, qui se termine au cap York. Mais il a 6t6 tii6 d'un coup de lance par les indigenes ; trois de ses compagnons sur treize ont sauv6 leur vie, et le gouvernement n'a pu que recouvrer ses papiers.

Quiconque a pr^sente a la m^moire la relation des voyages de Perron se rappelle le tableau s^duisant qu'il trace de I'embouchure de la riviere des Cygnes {S^van nt'er). II a entrain^ un millier de personnes, que j'ai vues quitter I'Angleterre a la fin de 1829, a y aller fonder une colonie, Elle est restee la moins florissante de TAustralie, car la pAuvret6 naturelle du sol a donn6 un dementi amer aux peintures agr^ables qu'une in- spection superficielle avait fait tracer de ce pays pres- que d^pourvu d'eaux courantes, de montagnes et de terres fertiles. Les colons ont mis de la perseverance a chercher, par des voyages de decouvertes dans I'in- terieur, a s'ouvrir des regions moins desheritees de la nature. ((M. Auguste Gregory et ses frferes ont accom- pli , pendant les mois d'aout et de septembre de 1846, un voyage de 958 milles, ou ils ont parcouru un pays de quatre degr^s d'etendue en longitude et autant en latitude. Dans la meme annte, le lieutenant Help- man a reconnu I'existencede mines de cliarbon sur la riviere Irwin, au nord de la colonie. On ne decouvrit aucune riviere, mais seidementpeu de terres fertiles et un tres grand nombre de lacs ct de marecages sales.

Le 8 septembre 18Z|S, M. Roe et M. Henri Gregory qnitterent la ville de Perth, chef-lieu de I'Australie

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occidentale , pour explorer I'extr6mit6 sud-ouest du continent. Dans le premier tiers de leur niarclie vers Test, leur ardeur fut soutenne par I'aspect agr^able d'lin pays gen^ralement ondule, plein de kangarous et d'6mus et ou la fertility du sol 6tait indiqu6e par Ta- bondance d'une esp6ce d'eucalyptus appel^e yeit. La frequence despluiesrendait la niarclie difficile dans les terres amollies. Mais plus tard, etplus^ Test, lepays reprenait I'aspect d'aridite naturel a I'Australie. La route se perdait dans un d^dale de lacs sal6s et de buissons6piueux, jalonn6s, a de grands intervalles, de pics isoles. Le niont Madden etait une masse de granit rouge de 1000 pieds de hauteur. Du mont de Fitzg(^- rald le regard planait sur une vaste mer de broussailles epineuses, de sombres taillis (scrubs) et de marais sa- 16s. Les chevaux restferent cinq jours sans herbe k manger, puis trois autres jours sans eau. II fallut en abandonner plusieurs, que Ton retrouva cependant .tu retour. Parvenus, le 23 novembre, par 123" 2A' de lon- gitude- est et 33" 27' 1 5" de latitude australe, a un massif qu'il nomnia Russell, M. Roe donna quatre jours de repos a ses chevaux. Du liaut de ce pic de granit 61ev6 de 600 pieds , il n'enibrassait, a 40 milles de distance, qii'un oc6an de broussailles imp6n6tral)les qu'aucune colline ne venait interrompre et tout sem6 de petits lacs sal6s et de marais. C'6tait un nee /i/us 1(1 tin; il fallut revenir, pour ne pas p6rir, en suivant lesbords de lamer. Les soulTrances y furentles memes. Les chevaux, lorsqu'ils d^couvraient un 6tang, s'y pr6- cipitaient et s'y abattaient irr^sistiblement avec leur charge, compos6e quelquefois de sucre et de farine.

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Le seul chien adjoint h I'expedition avail les pieds dans un 6tat qui le rendait incapable d'atteindre le gibier ; on lui metlait des chaiissures, sans poiivoir les fixer. Harnais et vetements restaient en lambeaux aux brous- sailles.

M. Roe eut cependant la satisfaction de d^couvrir dans les gr6s rouges de la cote des veines considera- bles de charbon de terre voisines de mines de fer et situ^es pr6s d'nn assez bon niouillage. La fin de son voyage s'accomplit an travers d'un pays \ii\vis fertile et deja colonist, et il revint a Perth, le 2 fevrier 18i!i9, aprfes une absence de cent quarante-nenf jours; em- ployes a parcourir 4800 milles,

II apprit, a son retour, le r6sultat d'une expedition entreprise vers le nord par M. Auguste Gregory, aux frais des colons de Swan River, et d'un voyage du gouverneur Fitz-Gerald dans la mfeme direction. Parti de Perth le 2 septembre 18/18, M. Auguste Gregory avait traverse d'abord la riviere Irwin, dont les patu- rages devaient un aspect verdoyant a des pluies r6- centes. Mais, au dela, il n'y eut plus que le pays sterile etdesseche, qui est la regie presquegenerale. Arrive au bord de la rivifere Murchison, il y decouvrit des nines de ploQib dans une roche de gneiss grenatifere. Elles furent nominees Geraldine. M. A. Gregory revint a Perth, le 12 novembre ISZiB, apres avoir, en dix se- maines , parcouru une distance de 1500 milles. Sa derniere decouverte engagea le gouverneur Fitz-Gerald a reparlir avec lui, des le mois suivant, pour la riviere Murchison. Le fdon de galene a une epaisseur moyenne d'un pied. Dans le voyage precedent, M. A. Gregory

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avait 6t6 assailli i coups de pierres dans un precipice par une troupe de lejnnies indigenes irrit6es de ce qu'il avait refus6 de leur part certaines oflres aussi peu d^centes que s6duisantes. i\Iais, lorsque, quul- ques semaines apr^s, il y revint avec le gouverneur, il falhit s'ouvrir un passage au travers d'uue arui6e de sauvages et d'une grele de zagayes et de lances dont uue per^a la cuisse au gouverneur et ressortit de deux pieds au dela.

Malgr6 cet accueil d6favorable, les points derni^re- ment d6couverts ont cte colonises; un M. Bnrges a en- trepris 1' exploitation des mines de gal6ne de Geraldine. M. Auguste Gregory a remont6 la riviere de Murchison ; en 1852, il est pai^enu jusqu'a la bate da Rcqnin, ou se d6charge une riviere nominee Gascoyne, qui parait Jeter, dans certaines saisons, avec un grand volume d'eau, des quantit^s considerables de troncs d'arbres; ces bois appartiennent a I'esp^ce de \ Eucalyptus ro- bustus que les colons nomment acajou.

M. Robert Austin, ing6nieur, consacra les mois de juillet, aout, septembre, octobre et novembre de Tan- nic 1854 i une nouvelle exploration de I'interieur, dans laquelle il croisa les itin6raires pr6c6dents de MM. Gregory, et s'avanca h. 6 degres de latitude au nord de Perth, le chef-lieu de la colonic. 11 p^n^tra, au nord de la riviere de Murchison, dans un alTreux d6sert ou le thermomttre centigrade niarquait, au mi- lieu d' octobre, k 8 heures du matin , Sl'VC; a midi, AS'C; a 2 heures, i3°l/3C ; et, 4 8 heures du soir, 33oC. Le lit meme de la rivifere de Murchison ne renfermait pas une goutte d'eau. Ce voyage a ajout6

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un marais de 25 lieues de longueur au catalogue des lacs sal6s d6ji decouverts par les devanciers de M. Aus- tin, quelques sommit6s dont la hauteur ne d6passe pas 2500 pieds, quelques gisements de fer, et en outre, dans le d6sert aupr^s de la riviere de Murchison, un en- semble de roches quartzenses, de gres, de gneiss, de feldspath, de mineral de fer, de brfeches granitiques et de serpentines que M. Austin, d' accord avec sir Ro- derick Murchison, consid^re comme promettant une des mines d'or les plus riches du monde.

MM. F. T. Gregory et Roe, d6ja connus par d'autres voyages, conduisirent, aux frais des colons, une expe- dition destin<^e a explorer le bassin septentrional de la riviere Gascoyne. Partis de Perth, le 26 mars ISSS, ils atteignirent la riviere Murchison par les mines de Ge- raldine et la remonterent jusqu'^ un point oil ils n'6- taient plus s6par6& de la Gascoyne que par un inter- valle de '25 Ueues. lis descendirent cette derni6re rivifere jusqu'a son embouchure, puis remonterent au nord un tributaire considerable qu'ils nomm6rent Lyons, lis explor^rent, au retour, le eours sup^rieur des trois ri- vieres Lyons, Gascoyne et Murchison, sans approcher toutefois de la source d'aucune d'elles. Dans ce voyage de cent sept jours et de 2000 milles , ils n'estiment pas avoir d^couvert un million d'acres de bonnes terres ; mais ils out trouve le tabac sauvage sur plu- sienrs centaines d'acres des meilleures terres au bord de la Murchison et de grandeur suffisante pour etre manufacture , un melon d'eau fort petit, un fruit semblable a une poire port6 par une petite plante grim- pante et la patate douce [cnrwohulus batatas) servant

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de nourrituie aux indigenes, lis ont observe, au pied du raont Auguste, sur les Lords de la rivitire Lyons, des preuves irr6cusables du cannibalisine des ntjgres australiens.

Nous avons vu les chaleurs extremes que M. Austin avail 6prouvees sur la riviere Murchison, au milieu du mois d'octobre 185/i; a cinquante lieues plus prfes de la ligne 6quinoxiale, iVlM. Roe et Gregory ont ob- serv6, au mois de juin, le therniom6tre a 86°F, 2°C. k sept heures du matin, et a 82°F. 2S°C a une heure apres midi, soit une difference de 25° J /3 dans un inter- valle de six heures. lis ont vu de la glace jus(iu'a Zh" 30' de latitude australe ou a nn degr6 du tropicjue du Capricorne.

La partie nord-ouest du continent 6tait rest(ie la moins connue. Les pluies tropicales y donneni plus de vigueur a la vegetation; mais la chaleur y est intense. Grey et Lushington n'avaient gu6re, en J 830, explor6 que quelques niilles de la riviere a laquelle lis donni- rent le nom de lord Glenelg. Le 18 octobre 1839, le capitaine^\ ickham, du Beagle, d6couvritrembouchure de la riviere Victoria, que le capitaine Stokes renionta, en 1842, jusqu'a une distance de 00 lieues. La repu- tation, jnstemeut acquise a MM. Auguste et Henri Gre- gory pour leurs voyages dans I'Australie occidentale, les fitappeler k Sydney (21 mai 1855} par le gouver- nenient qui leur confia la conduite d'une expedition destin6e b. I'exploration de I'Australie septentrionale depuis Tembouchure de la rivifere Victoria jusqu'a la riviere Albert dans le golfe de Carpentarie et k la baie de Moreton. Un schooner les transporta de la baie Mo-

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reton (12 aoiit) a rembouchure de la Victoria (14 sep- tembre), avec deux cents moutoiis, cinquante chevaux et dix-huit homines. Parmi ces derniers 6tait M. Tho- mas Baines, qui vient de repartir comme artiste atta- che a I'exp^dition de Livingstone en Afrique, Neuf chevaux se noy6rent au d6barquement (25 septembre 1855). N6anmoins, on renionta la riviere jiisqu'i 360 milles de son embouchure ; puis on franchit une chaine 6lev6e de 1600 pieds seulement , et qui sert de point de partage entre les eaux dirig^es vers la cote et celles d'une riviere qui coule vers I'int^rieur du continent. M. Gregory lui donna le nom du capitaine Sturt, eten suivit le cpurs I'espace de 300 milles jus- qak un lac (5 mars 1856) sal6, dess6ch6 et encore 61ev6 de 900 pieds ou elle se termine. Cette rivifere sert de limite entre un d6sert, qui en borde la rive gauche, et la region maritime qui est peut-etre moins st6rile. La region exploree par cette expedition est re- marquable non-seulement pour I'abondance de ses prai- ries, mais encore pour la vari6t6 des herbes qui les couvrent. « Nulle part dans le monde, dit M, \\ ilson, le naturaliste de I'expdidition, je n'ai vu le gazon aussi luxuriant, n Certaines esp6ces inftrie res d'eucalyptus peuvent fournir le bois de construction en abondaiice. Parmi les fruits mangeables, quisonten giandnombre, il mentionne trois sortes de fignes, deux fruits res- S3rablant au raisin, I'adansonia, le viz sauvage, les ignames sauvages et le convolvulus batatas. Les oiseaux different de ceux de I'Australie m^i'idionale. On vit un jour le ciel noirci, sur une longueur d'un raille, par un vol de quelques milliers de chauves-souris en migration XVII. MAI ET JUIN. U. 2a

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presque aussi grosses que des polatouches {flying foxes). Elles r6pandaient une forte odour de muse, et les arbres pliaient sous leur poids.

Les indigenes sont de la menie race que ceux dif sud et pratiquent parlielleraent la circoncision. Les seuls mln^raijx di^couverts fureiit un peu de fer et des agates qui couvraient en abondance la chaine du point de partage, et dent les indigenes arment leurs lances. Partout oil se pr6sente le grfes ferrugineux qui forme une couche de plus de 300 pieds d'6paisseur sur une si grande partie du continent australien, on ne trouve que des plaines sablonneuses et st^riles. Mais des terres trfes fertiles sont le produit de la'd^composition des roches calcaires et trapp^ennes situ^es plus loin de la c6te. M. Gregory lvalue k trois millions d' acres r^tendue des terres fertiles dont il a fait la d6couverte dans le nord-ouest de I'Australie; mais, au sud de la ligne du point de partage , il ne paraissait pas 6tre tomb6 d'eau depuis douze mois, conime I'attestait I'apparence des lacs dess6ch6s et reduits a un tiers de leur surface habitnelle.

Le schooner qui avait amen6 I'exp^dilion, ayant 6chou6 dans la riviere, avait soufTert des avaries qui oblig^rent de le renvoyer a Java pour le r^parer, et qxii causferent la perte des trois quarts des moutons et de plus de la moiti6 des provisions. /Vinsi priv6 d'une partie de ses ressources, M. A. Gregory s'ouvrit une route nouvelle vers Test, et, parti le 21 Juin 1856 de la riviere de Victoria, il arriva le 31 aout ili I'enibou- chure de la riviere Albert dans le golfe de Carpentarie. II y trouva la preuve de la soUicitude du gouverne-

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ment colonial , une leltre du lieutenant Chimmo , qui, sur le vaisseau la Torche, 6tait arriv6 k cette rivifere un mois avant Gregory et, ne I'y trouvant pas, 6tait all6 le chercher a I'embouchure de la Victoria. Gregory, se voyant encore pourvu de vivres en quan- tity suffisante pour arriver k la colonie de la Nouvelle- Galles, se remit courageusement en marche sans at- tendre plus d'une semaine le retour incertain du lieutenant Chimmo et de son navire, et, prenant au sud-est une direction qui lui fit couper quelquefois la route que Leichhardt avail suivie en sens inverse onze ans auparavani, il accomplit lieureusement cette mar- che prodigieuse et arriva, le 16 d6cembre 1866, k la ville de Brisbane, sur la bale Moreton.

Treize mois plus tard (11 Janvier 1858), Auguste Gregory partait avec un de ses frcres et une expedition destin6e a chercher les traces du mallieureux Leich- hardt. De la baie Moreton il se rendit a la riviere Bar- cou nomm6e Victoria par sir Thomas Mitchell. Un desert sans eau paralysa toutes ses tentatives pour p6n6trer plus a I'ouest dans la direction suppost^e de Leichhardt. Force fut de descendre la riviere Barcou dans une autre direction et plus au sud que ne I'avait fait Kennedy onze ans auparavant. M. Gregory trouva partout les forets d6truites par la s6cheresse, les inexo- rables buissous 6pineux {scrubs), les rivieres marquees par des lits ravineux dont 1' immense largeur et les de- pots abondants de sable et de boue attestent les ra- vages, lorsque par hasard elles roulent un volume d'eau incalculable. Le capitaine Freeling avait vu dans le lit U"t;s large du Siccus la preuve que les eaux s'y

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^hh'ent qnelquefois de SOpieds. M. Gregory fut r^duit k traverser Taffreux d6sert explore treize ans aupara- vant par le capitaine Sturt, et ilarriva, au inoisd'aoul, it la ville d' Adelaide, capitale de I'Australie m6ri- dionale, dont les habitants et le goiivernement hii firent un accneil proportionne a ses fatigues, a ses m^rites et a sa reputation.

Nous terminerons ici I'analysc de vingt-neuf voyages dont sept ont eu pour but I'exploration de la partie orientale du continent australien, douze celle de I'Aus- tralie meridionale, huit au sud-ouest, deux au nord. lis pr6sentent un parcours total de 38 000 niilles an- glais. En admettant que le regard des voyageurs ait pu se porter a une distance moyenne de 5 milles h. droits et a gauche de leur route, on leur doit la con- naissance approximative d'une surface collective de 380 000 niilles carr6s, qui, ajout6e k une surface {'gale de terres d6ja connues et partiellemenl colonisees, porte nos connaissances sur une etendue de 7(50 000 milles carr^s on a un quart du continent australien (3 200 000 milles carr6s). C'est beaucoup sans doute au point de vue d'une simple exploration; mais la co- lonisation ne semble pas devoir y g^'^gner dos avantages proportionn^s au\ peiues des explorateurs. Ces vingt- neui expeditions n'ont pas fait decouvrir plus de deux rivi6res permanentes rl), et les terres cultivables y sont en faible proportion. La partie exploree dans le

(I) Nous suspendons notrc jugompnt sur Ips df'tails un peu roma- DPsques doun^s par le Sydney Herald, d'un vojage recent sur la riviferc Filzroy.

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nord ne pr6sente pas, il est vrai, la st6rilit6 au mfime clegr6; les plaies Iropicales y (16veloppent inieiix la v6g6tation et rendent possible la culture du cotonnier; mais les Anglais se demandent avec raison si c'estbien a la race anglo-saxonne que peut convenir le s6jour d'une region soumise au climat de la zone torride,

Reste la grande question sur les d^couvertes que r6- serve aux explorateurs la partie encore inconnue du centre de ce continent. Le colonel Gawler, qui a s6- journ6 dans I'Australie meridionale, a observe que, dans ce pays, les vents du nord-ouest sont acconipa- gnds de fraicheur et d'l)uniidit6, et il en conclut la pr6sence d'une grande etendue d'eau interieure, Mais, d'autre part, M, Eyre, a qui le s^jour de I'Australie meridionale est egalement familier, dit que, lorsque le vent souffle de rint6rieur, il a la temperature d'une fournaise ardente. Comment conclure entre des temoi- gnages aussi discordants ? Le dernier est malheureuse- ment d' accord avec les d^couvertes du capitaine Sturt au centre du continent.

P. Chaix.

( S7A)

NOTE

fiOK LE9 COHHDMICATIONS A BTlBLIt EMTBB

L'ALGERIE ET LE St NfiGAL,

Adressde a MM. les membres de la Commission cenlrale

de la Soci(ile de Geographic,

PAR M. LAROCllE, DE CLEUilOST-FERRAND.

Les d6couvertes que d'illustres voyageurs ont ac- complies et poursuivent encore en Afrique reniplissent le voeu des porsonnes qui suivent avec int6ret les pro- grfes des sciences g^ographiques ; uiais elles ne peu- vent qu'affliger am^rement ceux de nos conipatriotes qui remarquent qu'aucun nom francais ne s'esi attache k des conqiietes qui seront une des gioires de notre si6cle. II faut bien reconnaitre qu'une grande indifl't^- rence rfegne en France k I'endroit de la g6ographie et de toutes les connaissances qui en dependent. Quelles sont les causes de cette deplorable apathie de 1' esprit public, et surtout quels sont les moyens k adopter pour y rem6dier et ramener la pens6e et les efforts de notre pays vers des 6tudes et des contr6es qui ne peuvent 6tre impunement n6glig6es par une grande nation ? La question est aussi ardue qu'int6ressante; et alors que les 6crivains les plus autoris6s (1) ont paru craindre d'entrer dans son examen, ce n'est pas a moi, le plus obscur de vos adherents, qu'il appartiendrait d'6mettre

(1) M. Vivien de Saint-Martin ; Sur la cartographie Europe. BuUelinAt novembrc 1855.

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un avis sans influence. Mais ne nie sera-t-il pas permis d'appeler sur cette situation facheuse I'attention de la Soci6t6 de geographic et de I'inviter a prendre plus ^nergiquement I'initiative sur une question sp^ciale : je veux parler de I'exploration a faire pour joindre nos deux colonies de I'Algt^rie et du S^n^gal, en passant par Tombouctou. II n'est pas besoin de parler ici de I'immense utility et des vastes consequences qu'aurait I'ouverture de cette route entre les deux possessions francaises.

II faut le dire, personne jusqu'a ce jour ne s'est preoccnp6 suffisamaient , ni le gouvernement, ni le commerce tVancais, de diriger 1' esprit public vers le but que nous indiquons ici. Aucun encouragement n'a 6td donn6 : la munificence imp6riale, qui a distribu6 des prix multiplies pour des cultures en Alg^rie, n'a point offert de recompenses pour les voyageurs qui repren- draient la route si dangereuse du Soudan.

La Soci4t6 de g^ographie a seule fait plus que tons nos gouvernements. Elle a ouvert une souscription et un prix de 5 500 fr. est destine auvoyageur qui se sera rendu du Senegal a Alger, et vice vci.sd, en passant par Tombouctou (1). Cet itineraire, ainsi formula en deux mots, comprend les points du continent les plus utiles a connaitre, au double point de vue de la science et des interets IVancais. Je ne dirai pas que la somme promise est d'un chifTre mediocre, eu egard h la diffi- culte de I'entreprise et a Timportance des r6sultats k

(1) Une autre condition consiste a faire connaitre aver exarlilud es routes des caravanes qui parcourent cet espace. E. J.

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en attendre; par I'ofTie qu'elle fait, la Soci^t6 de g^o- graphie ^puise louies ses ressources el donne un exem- ple qui n'a pas did imit6. Je me perineltrai tonlefois une critique, un avis : la Soci6t6 de g6ographie n'au- rait-elle pas du faire connaitre au public le prix qu'elle oITre et les conditions du programme ? Je n'etonnerai ni n'indisposerai aucun de ses membres, en disant que son Bulletin n'est lu que de quelques personnes stu- dieuses, et qu'il est plus recherche, niieux appr6ci6 a r^tranger que dans notre pays meme. Ce n'est done pas assez de promettre une recompense ; il Taut la pro- clamer, la porter a la connaissance de tons.

Mais la Soci6t6 de g^ographie ne pent pas borner son action b. cette simple mesure. Elle a un grand role & remplir, je dirai meme un devoir h acconiplir. II lui appartient de prendre I'initiative et la direction d'un mouvement, de ce que j'appellerai, a I'exemple de nos voisins d'outre-Manche, d'une agitation a organiser en France , non pour un but politique ou industriel , mais pour le progr^s des connaissances humaines, pour le revcil et 1' encouragement des sciences g6ogra- phiques.

Votrc Soci6t6 n'a point les larges ressources finan- ciferes de ses stjeurs puln6es, les Soci6t6s g6ographi- ques de Londres et de Saint-P6tersbourg; mais elle possfede sans conteste une c616brit6 et une induence scientifiques, qui font rechercher avant tons autres les prix et les m6dailles qu'elle distribue. L'opinion pu- blique, alors qu'une autorit6 respect^e lui aura signale et r6v6l6 ces voies nouvelles, ces recherches a tenter el k suivre a travers tant de perils , embrassera avec ar-

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deur ces nobles projets, et les soldats ne manqueroiit pas pour ces lointaines expeditions. Je ne m'6tendrai pas plus sur cette proposition, qu'il sufTit d'exposer.

A notre 6poque, pour frapper I'opinion publique et agir sur elle d'line manifere vive et durable, il est un levier tout-puissant ; c'est ce Briar6e aux cent bras, la presse. La Soci6t6 de g^ographie , employant cet in- strument, pent faire appel au pays par I'organe des journaux, qui s'empresseront tons d'ouvrir leurs co- lonnes. Elle pent surtout eniettre elle-meme des pu- blications diverses traitant la question dont je m'oc-

cupe

(Ici suit une proposition dont la commission centrale aurait k s'occuper dans une de ses prochaines stances.)

La propagande dont la Soci6t6 de geographic pren- drait ainsi I'initiative et la direction rappellera a bien des esprits celle que de nombreuses societ^s anglaises, institutes dans des buts differents, mais qui oftrent une grande analogic, poursuivent avec cette opinia- tret6 et cette largeur de ressources qui caract6risent ^ les entreprises de nos voisins d'outre-Manche. C'est par des publications, faites h bas prix, quoique 6ina- nant des meilleurs 6crivainsde la Grande-Bretagne, et r^pandues parmi le peuple avec une veritable profu- sion, que la Soc'i^t^ for t/ie difj'usion of the useful know- ledge, dont lord Brougham est I'un des fondateurs et le directeur permanent, a fait faire de si grands pro- grfes h I'instruction populaire en Angleterre. Les so- ci6t6s bibliques, celles de temperance et, dans une autre sphere d'idees, la grande ligue pour I'abroga-

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tion des lois sur les c6r6ales, onl obtenu par le nieme instrument tout-puissant les plus vastes r^sultats et accompli pacifi'quement des revolutions morales et po- litiques.

Pour la France, pour la Soci6t6 de g6ographie, la tache a remplir ne manque pas de grandeur. Reserver 11 notre pays I'honneur d'une des plus belles explora- tions qui restent encore a faire ; ouvrir la route entre nos deux colonies; soumettre a notre influence, a notre commerce, a la civilisation, au christianisme , ces vastes et fertiles contr6es, ou tant de millions d'hom- mes croupissent dans le plus abject et le plus sanglant 6tatde d^sordre : tons les moyens doivent etre accep- t6s, qui peuvent conduire a d'aussi importants r6- sultats.

La proposition que je viens d'exposer n'est qu'un pr61iminaire aux mesures qui tot ou tard seront prises, pour 6tablir les communications entre nos deux grandes colonies africaiiies : communications dont la conve- nance et la n6cessit6 meme sont, d'aprfes I'expression de I'illustre M. Jomard (1), si 6videntes, qu'on doit insister, jusqu'a ce qu'elle soit r6alis6e. Ces id6es et ces projets sont rest^s jusqu'a ce jour a I'^tat d'6tudes pour les esprits 6clair6s, qui sont trop peu nombreux ; et il m'a sembl6 qu'il importait avant tout de popula- riser ces projets, en les mettant k la connaissance et a la port6e de la masse du public, dont le concours pent seul donner a leur execution une impulsion vigoureuse.

(I) Voir Bulletin de juin 185t. Instructions pour M. Kaidherbe, aujourd'hui gouverneur du S6n(fgal, et dont radmiuistraliou fera ^poque dam Tbistoire de cetlecolonie.

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Tel est le but de la proposition que je soumets k la Society de g^ographie.

Le 9 avril 1859. LaROCHE.

NoTA. J'apprends par les journaux que M. 0. Mac- earthy vient de quitter Paris, charg6 d'une mission par le ministfere de I'Alg^rie, et qui est d' explorer le che- min d' \lger a Tombouctou et de cette ville au S6n6- gal, D'autre part, et sans doute sur la demande de M. le commandant Faidherbe, le gouvernement fait construire a Toulon un bateau a vapeur d'un tr^s fai- ble tirage pour naviguer sur les affluents du S6n6gal et le haut Niger. On ne pent qu'applaudir a ces deux r6solutions, tout en regrettant qu'elles aient 6t6 prises si tardivement. II y a dix ans que Richardson voulut associer k son expedition dans le Soudan un Francais d6ja connu par quelques explorations et appartenant a I'administration coloniale; ses propositions g6n6reuses furent repoussees. D6s 1853, un armateur de Liver- pool a fait construire exprfes et 6quiper a ses frais le steamer /n Pleinde, qui a explore avec un remarquable succ6s la Tchadda. La France a dans tons ces parages des int6rets commerciaux au moins aussi considerables que ceux de la Grande-Bretagne. Quel n^gociant fran- cais cependant, quel armateur organiserait une expe- dition semblable au profit du commerce de son pays? L' intelligence certes ne fait point defaut a nos com- merfants; niais 1' opinion publique est rest^e jusqu'a ce jour etrang^re ou indiffeiente k toutes les questions que fait naitre la possession simultan^e de I'Algerie et du Senegal sur le continent africain.

( 3S0 )

f%iiul;j^scs, S^apporliM; etc.

RAPPORT

Sur Voiwrage de M. le marquis dc Blosseville ^ intitule HISTOIRE DE LA COLONISATION P6NALE

tTABLISSEMENTS DE l'aNGLETERUE EN AUSTRALIE,

La G^ographie, que quelqiies personnes regardent a tort comnie nne science n'olTrant pas un grand int^ret, perd toute aridity lorsqu'elle se trouve mel6e soit a rinstoire, soit a la statistique : de meme quelle sert in expliquer la premiere, elle est compl^tee par la seconde ; et son int6ret s'accroit encore lorsque la politique vient lui preter son caractfere d'actualite. Cette heureuse fusion de plusieurs branches des connaissances liu- mainesne pr^sentenulle part un ensemble plus attrayant que dans les questions qui se rapportent aux colonies. Li, eneflet, I'int^ret qu'olTrent I'histoire ou la position actuelle des nietropoles, augmente en proportion des recherches tendant a accliuiater leurs populations sous des temperatures les plus disscmblables , dans des pays difT^rant essentiellement entre eux.

Quelques auteurs ont entrepris d'initier le public & ees int6ressantcs 6tudes et ils ont 6t6 recompenses de leur peine par la popularit6 sans cesse croissante de leurs travaux. Parmi leurs ouvrages, le luoins remar-

( S81 ) quable n'est certainemenl pas celui de M. le marquis de Blosseville.

En entreprenant 1' Histoii e. de la colonisation penale et (les ctablisscuieiits de l' Angleterve en Justralie, cet auteiir a rendu un grand service, les travaux de ce genre etant raalheureusement trop rares ; et, en con- statant par des fails acquis les r^sultats produits par tel on tel systfeme, il a epargn6 bien des reclierches aux 6conomistes qui lui succ^deront.

L'histoire des 6tablissenients anglais en Australie presentait a 6crire une grande difticulte que son auteur a heureusement resolue. Les fails saillanls faisaient presque absolumenl d^faul, el en relalanl les progrtjs successifs de ces 6lablissemenls, progres pour lesquels chaqueann6e demandail une constatalion nouvelle, on se serait expos6 a n' avoir plus qu'une froide nomencla- ture, une sorte de diclionnaire, auquel des repetitions conslantes, mais n6cessaires, auraient 616 lout int6ret. M. de Blosseville a su eviter habilement cet 6cueil en divisant son livre en plusieiu's parties. Dans une pre- miere, il rend compte des tentalives de deportation qui ont eu lieu dans tous les pays, depuis les temps les plus recalls jusqu'a I'epoque ou les Anglais prirenl pied sur le sol auslralien ; dans une seconde il nous apprend quels sont les fails principaux qui ont precede ou suivi rarriv6e des Anglais a Botany -Bay et au port Jackson ; puis dans une troisieme, la plus eiendue, et celle, ou, pour les raisons que nous venonsd'enumerer, la monotonie 6lait le plus a craindre , il a scinde ses chapitres d'aprfes la lisle des gouverneurs, division qui tient en quelque sorte lieu de jalons dans rhistoire

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australienne et qui 6pargne bien des redites. Enfin, arriv6 i I'ann^e 1832 , il abandonne cette division pour passer en revue les dilTerents 6tablisseinonts par- venus a un degr6 de prosp6rit6 qui leur perniet de ne plus r6clamer les secours de la mt^tropole. Cette revue une fois faite, il ne s'occupe plus que des questions qui int6ressent I'Australie tout enti6re ; c'est ainsi : qu'il nous met au courant des jugements contraires port6s soit en Angleterre, soit en Australie sur la colonisation par les convicts ; qu'il constate les progr^s de I'^migia- tion anglaise, et qu'en dernifere analyse, il nous fait assister au d6veloppement incroyable que notre 6poque a vuse produire sur le continent australien et dans les lies voisines par suite du d61ire resultant de la fifevre de I'or.

M. de Blosseville termine son ouvrage par une sorte d'appendice qu'il nomme : Considerations generates , dans lequel ont trouv6 place les projets et les essais de la France pour imiter 1' Angleterre dans la plus belle de ses conquetes, celle quelle a su faire sur la nature, au profit de riiumanit6.

L'histoire et la statistique tienneiit dans ce travail une large part, inais le but de notre Society, comme les limites de ce rapport, nous font un devoir i\o n'y toucher qu'incidemment. Nous nous bornerons done k extraire de ces deux int6ressants volumes les notions g6ographiques qu'ils renferment , n'entrant dans les d6veloppements liistoriques ou economiques qu'autant qu'ils nous paraitront indispensables.

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Lorsqu'aprte le traits de Versailles, en 1783, I'An- gleterre eut reconnu I'ind^pendance des fitats-Unis, seshommes d'fitat virent surgir une complication qui, bien que de second ordre, n'6tait pas sans importance pour I'avenir. La deportation legale dans FAm^rique anglaise avait du cesser pendant la guerre et les con- damn6s avaient 6t6 internes sur des pontons , systfeme qui exigeait non-seulement d'^normes d6penses, mais qui avait le grave inconvenient de laisser au milieu des populations les malfaiteurs lib6res. Bien des plans furent proposes pour parer k cet inconvenient, mais tous etaient plus ou moins defectueux. Les dilKrents partis ne s'ac- cordaient que sur un point, eloigner k tout prix les condamnes de la terre natale. En partant de ce prin- cipe, il se pr^sentait une nouvelle difficult^ : dans quel territoire pouvait-on les d^porter? Toutes les posses- sions anglaises furent pass^es en revue, mais on les ecarta successivement, les unes, parce que d6ji peu- piees de colons europeens, elles se refuseraient certai- nement k recevoir de pareils immigrants, les autres, comme le Canada ou la Nouvelle-Ecosse dans lesquelles de vastes espaces etaient encore inhabites, parce qu' elles etaient trop voisines des fitats-Unis, et que, secondees par une population aussi rerauante que les condamn^s liber^s, on pouvait craindre qu'elles ne suivissent leur exemple.

L'embarras etait done a son comble lorsqu'on se sou- vint de la grande terre australe que Cook (1) avait si-

(1) On peut consulteri propos dela d^couverlepar lecapitaine Cook de la panic orientale de la Nouvelle- Hollande, une notice de M. J.-D.

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gnal^e qiielques ann^cs aiiparavanl couime formant nnc He immense. Larade de Botany-Bay, dans laquclle ce voyageur avail relach6, -^tait particulierement re- commandee comine ofTrant toutes les facilites desira- bles. Une vegetation puissante, I'abondance des bois et des poissons, la facilite de I'aiguade, la commodity du mouillage, vant6s dans ses r6cits, donnferent de cet endroit I'opinion la plus favorable et en d6terniint;renl le choix comme s6jour alTect6 a la deportation.

L'etat politique de 1' Europe etaitacette epoque sin- guliferement propice aux vues de I'Angleterre, les grands 6venements qui se priparaient en France 6taient devenus 1' unique pr6occupation des gouvernements comme des peuples, et nul ne s'inquietaitde la forma- tion d'un petit etablissement p^nal aux Antipodes. Ed consequence un ordre du Conseil, date du 6 decembre 1786, designa le siege du nouvel etablissement, et le capitaine de vaisseau Arthur Phillip fut nomm6 « capi- » taine general et gouverneur en chef de tout le terri- » toire appeie la Nouvelle-Galles du Sud, s'etendant )) depuis le cap York, ou extremite nord de la cote, par )) la latitude deiO° 37' sud, jusqu'al' extremite sud, ou » cap Sud de la meme terre, par la latitude de 43' 39' )) sud; ct de tout I'interieur du pays a I'ouest, jusqu'au » 135' degre de longitude est, en comptant du meridien » de Gi'eenwich, sans en exceptor ni le^ iles adjacentes » de I'ocean Pacifique, entre les latitudes ci-dcssus

Barl)i(' du Borage sur un manuscrit de la biblollK'qiie Je M. le prince de Talleyrand, nniiie lue en sesame publique de lluslitut, le 3 juillet 1807, oil il esl deniuulrd que ceUe cdie avail et^ recoQDuedei 1525 par les rortugais.

( 385 ) ') cl6taill6es, ni les villes, ganiisons, citadelles, forts ou » autres fortifications et ouvrages militaires qui pour- ') raient etre 61ev6s par la suite sur le territoire ou sur » quelques-unes des iles enclav^es dans cette prise de » possession. »

Depuis la iameuse bulle d' Alexandre VI, jamais pa- reil envahissement n'avait 6t6 commis par aucun peuple, et I'Angleterre sentait tellement I'iniportance d'un pa- reil acte, qu'elle en fitun secret d'lfetat.- Le nionde civi- lise ne le connut que 16 ans apr^s la prise de posses- sion.

Toute intervention europ6enne cMant done 6cart6e, les hommes d'Etatde la Grande-Bretagne n'eurentplus k se pr^occuper que des obstacles mat^riels qui pou- vaient nuire a leurs projets ; et le premier coiivoi en destination de I'Australie, compose de 11 navires, por-' tant outre le materiel et les approvisionnements ueces- saires, un personnel de 565 hommes, 192 femmes et 18 enfants, extraits des prisons, plus 265 passagers ou soldats, en tout 10^0 personnes, mit a la voile le 13 mai 1787. II se trouva r^uni a Botany-Bay au mois de mai de I'ann^e suivante.

Le pays dans lequel cette expedition allait aborder 6tait loin de presenter I'aspectseduisant que lui avaient attribue les r^cits de Cook, Banks et Solander. Aussi, dit M. de Blosseville, <, le Gouverneur Phillip chercha- )) t-il en vain ces belles prairies, cette terrfr f^conde et » bien arros^e, dont la description avait determine le .. choix de I'Angleterre. Partout, il est vrai, s'offraient » a ses regards des paysages pittoresques et des sites » enchanteurs; mais il demandait un sol propre a I'agri-

XVII. MAI ET JUIN. 5. 2(3

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» culture et ses yeux ne rciicontraient qu'un sable » arlde ; il demandait des patnrages fcrtiles, et ne de- )) couvi'ait que des mar6cages entretenus par les eaux H saumatres de la riviere Cook ; inmienses uiar^cagcs, » aussi profonds qu'insalubrcs. Plus loin, le terrain pa- I) raissait devoir etre moins rebelle aux travaux de I'a- 1) griculteur ; mais le manque d'eau douce pr6sentait » un nouvel obstacle k I'^tablissement projett^. La bale » elle-meaie, cette bale si vant^e pour la surety dn » mouillage, 6tait obstru6e par de grands bancs de vase » et n'oflrait pas assez de profondeur. Bien que spa- V cieuse, elle exposait les navires a tous les dangers I) d'une rade ouverte. Les chefs de rexpedition recon- B nurent avec douleur que, malgr6 son exactitude ordi- ') naire, Cook s'^tait beaucoup trop abandonn6 k son » imagination dans la description de Botany-Bay. »

II falhit done chercher sur la cote orientale de 1' Aus- tralie une position plus convenable pour la formation d'un premier etablissement. Les cartes de Cook indi- quaient a 16 milles dans le nord de Botany-Bay, une anse nomm6e port Jackson, du nom d'un obscur ma- telot; Quelques clialoupes y furent envoycies et les hommes qui les montaient revinrent emerveill^s, racon- tant qu'ils avaient d^couvert, non pas une petite anse ou des bateaux pourraient trouver un abri, mais un immense bassin ou dans des eaux bleiies, tranquilles et profondes, pourraient manoeuvrer toutes les flottes de I'univers.

Apr6s une courte exploration , Philipp cnthousiasm6 de la beaute du port Jackson, quoique le sol environ- nant n'y fut pas beaucoup plus fertile qu'k Botany-

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Bay, ph6nomfene commun du reste i presque tout le littoral de la Nouvelle-Galles jusqu'^ pliisieurs milles dans I'int^rieur, prit sur lui de placer sur ces rivages la ville qui devait devenir le si6ge de la nouvelle colo- nie, h. laquelle il donna le nom delord Sydney.

Au moment oii la flottille anglaise allait quitter Bo- tany-Bay pour entrer dans le port Jackson, deux voiles parurent a I'liorizon. On les prit pour des vaisseaux hollandais venant s'opposer k la formation d'une colo- nie sur des rivages dont ils pouvaient revendiquer la possession, mais cette crainte s'6vanouit bientot quand on reconnut les deux navires francais I' Jstrolabe et la Boussole, qui, SOUS le commandement de La Peyrouse, poursuivaient au profit de la science leur grand voyage de circumnavigation, Ainsi, la fm de la meme journ6e vit entrer les frigates de La Peyrouse a Botany-Bay et les fondateurs de I'empire australien au port Jackson. Les commencements del'^tablissement anglais furent singuliferement difficiles , les convicts amends en Australie avaient 6t6 en grande partie choisis parmi les malfaiteurs de Londres, et les agriculteurs faisaient presque absolument defaut. La maladie avait atteint un grand nombre des membres de I'exp^dition, Beau- coup de bestiaux avaient p6ri pendant la travers6e. A ces pertes se joignaient celles que pouvaient causer des d6sertions nombreuses dont la suite naturelle dans un pays inconnu et inculte 6tait la mort du d^serteur. D6s le principe, le gouverneur Phillip dut 6tablir une cour de justice civile, line cour de justice crimi- nelle fut ^galement cr66e. En peu de temps, cette der- ni^re eut h. prononcer de nombreuses condamnations,

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et la jeune colonie dut chercher k (Eloigner de son sein ses propres malfaiteiirs. Dans ce but, die devint elle- meme m^tropole et la petite ile Norfolk, de 6 millcs de longsur 2 1/2 de large situ6eau nord-onest dela Nou- velle-Zeiande k 300 lieues de Botany-Bay, futalVect^e k cette destination. Sa salubrity, la f6condit6 du sol el la beaut(i de la v(jg6tation larecommandaient suftlsam- ment.

La plus grande difficulie centre laquelle Phillip eut k lutter dans les premiers moments, fut le manque de vivres. Les bestiaux amenes d'Angleterre diminnaienl sensiblement ; quel({ue3-uns etaienl morts demaladie, quelques antres avaient pris la I'nite dans cette con- tree encore inconnue ou il n'6tait pas possible de les poursuivre.

L' administration des vivres manquait de surveillants, il falhit en choisir parmi les convicts eux-memes, et, de li, prirent naissancc des vols et des pillages sans nombre.

Les pcuplades indigenes dont on avait espere tirer quelques secours pour seconder 1' extension des cultures, se refusaient a toute esp6ce de travaux. L'amiee 1790, entre autres, commenca sous de Iristes auspices, I'An- gleterrc semblait avoir abandonn6 sa jeune colonie, et depuis deux ans, pas un naviie europ6en n'6tait arrive en Australie. La tlisclle se fitsentii', il fallut diminuer autant que possible les rations et cnvoyer un grand nombre de convicts a I'ile Norfolk ou les r6coltes avaient 6t6 plus abondantes. Sydney n'olTrit bient6t plus que le triste spectacle d'un village depeupk'" par la famine. Enfin, le 20 juin 1790, plusicurs vaisseaux charges de

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vivres, d'animaux domestiques et de colons, entrferent au port Jackson et les privations cess^rent. Les travaux commences furent repris, et d6s lors s'ouvrit pour la colonic une fere de prosp6nt6. Onvit s' Clever a Sydney plusieurs maisons particuliferes et qnelques Edifices publics, autour desquels se groupaicnt des cabanes construites par les convicts. Les demandes de conces- sions augmentferent. Cette nieme ann6e fut cependant signalee par une mortality effrayante eu egard au petit nombre des habitants. On compta 159 d^c6s, la plu- part causes ])av la maladie ; mais la mort, en frappant presque exclusivement sur les nouveaux d6barqu6s, prouva bien plus une absence presque enti^re de pre- cautions sanitaires a bord des vaisseaux, que 1' insalu- brity du pays.

On doit signaler aussi comnie un des obstacles au d6velopperaent de la colonisation le nombre tonjours croissant des desertions. Beaucoup de convicts quit- taient secr^tement la colonic, soit qu'ils trouvassent moyen de se cacher k bord des navires, soit qu'ils fus- sent pouss6s par Tid^e inv6ter6e chez eux, qu'en sui- vant les cotes vers le nord, on pouvait gagner par terre, soit la Chine, soit I'ile Timor. Cette pens^e etait surtout r^pandue chez les convicts irlandais.

Quant aux indigenes, les relations entretennes avec eux par les colons furent pen fr^quentes, lacrainteles eiojgnait du centre de la colonic, et il fallut employer la force pour en amener qnelques- uns a Sydney et essayer de les civiliser. On n'obtint du reste aucun succfes, et quand par hasard ils s'approchaient des eta- blissements, c'6tait presque toujours dans le but de

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commettre quelques vols, bientOlsuivis, de la part des convicts, de sanglantes repr6saillGs qui Icur faisaient fuir, de plus en plus, le contact des Europ6ens. Les naturels ont lapeau noire, moins fonc6e cependaut que celle des Africains, leur front est plus 61ev6, leur nez plus preeminent, leursl^vres moins epaisses, leur corps est plus grele et moins musculeux : (( D'hypotli6se en n hypoth^se, dit M. de Blosseville, on en est venu k » pen pr6s d' accord h. adniettre une suite de migrations » qui donne pour ancetres ou pour fr6res aux naturels » de I'Australie, les Alfourous et les Endam6ncs des )) hautes terres de la Malaisie, peut-etre meme de Ma- il dagascar, en se r6pandant de proclic en proclie des » Nouvelles-Hebrides alaNouvelle-Calctidoine, etde la » Nouvelle-Guin6e au continent, par le d6troit de Tor- » r6s, d'ile en ile, d'6cueil en 6cueil. Mais ces conjec- )) tures n'ollVent rien de tr6s satisfaisant a I'esprit; et » Ton se demande comment cette race d'hommes dilTiire » autant des insulaires cuivr6s du grand Archipel d' Asie » et de la plupart des groupes polyn6siens (1). »

D'autres autcurs, comme M. Agassiz, qui repoussent les traditions bibliques, admettcnt que les Australiens sont une race k part, n6e surle sol. Quoi qu'il ensoit, au point de vue physique,- comme au point de vue moral, les indigenes de I'Australie sont classes paries naturalistes au dernier degre de I'ecbelle humaine.

(1) L'hypothese qui fprait vpnir les Aiislralims de Madajiasrar, nous gemble d'autant moins fondce, qu'au contraire, uup partie do la po- pulaiioH de celte j^raude ile representee par les Hovas et les Uelsil^os eil ^videmment venue de la Malaisie.

( 391 ) Le 11 d6cembre 1792, aprfes cinq ann^es d'exercice, le gouverneur Phillip quittait la colonie qu'il laissait en pleine voie de prosp6rit6. lleut pour successeur le major Grose, sous lequel I'^tablissenient anglais continua 4 se d6velopper. Les cultures s'^taient etendues au point de suffire a la nourriture des colons 1^'ile Norfolk put meme, a un moment donn6, exporter un exc6dant de r6coltes ; et lorsqu'en 1795, Hunter, qui avait com- niand6 un des vaisseaux de la premiere expedition, revint en Australie, comme gouverneur, apres cinq ann6es d' absence, il fut a meuie de constater une ame- lioration graduelle, beaucoup plus sensible qu'un si court espace de temps ne pouvait le faire supposer ; mais il dut remarquer aussi I'existence de nombreux abus. Le vice de I'ivrognerie avait pris surtout chez l^s convicts des proportions eflVayantes. II fallut restre^;^ dre a uu tr6s petit nombre d'individus le drQi,t,^e^,YeMdue les spiritueux, qui avait donn6 lieu a (Je^^^pecnlat^oiis

dangereuses pour la sant6 publiqw^^^^r, n :'f9brtfimraoo Les convicts liber6s forpi^rent ,p€n4&ixt,. Ipp^t^mps un des plus grands obsta,Qles au developpenient <ie.ia colonie , et un element permanent de rdesordr^^ a peine leur temps, fini, ilsa"eJusaij^jiJ,-,tQiJ.t;tra-y;aiJ.^..q'.,^- pirant qii'a quitter FAustralie, pour ri^tp_u^-iigr;e}i ^p- gleterre ,_ recom|uei)cer la . vi^ tl^ f f^"f^^9 ; ^4 ^^^^^clie

n hommesr dit M. de Blosseville, ejis,sent,6t6 bien con-

» vaincus de la ni6cessit6 de terminer leurs ioui-s a la

-r<^i : : ".-i'!'^-; ", •■'! ,0 'i^rn '^o '':i':a ruf n 3oaoj=?i:'^ ! mot

» Nouvelle^Galles, Jls auraient tons form6 fles etablis-

,>^meiite durably ,.>^^^ j^^ ^^a^sami fiJ? ah qnoh nn Les indigenes aussi 6taient, pour les autbrit^s, la

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cause de graves preoccupations ; tour k tour amis ou ennemis des Anglais, ils ont dt>ploy6 dans toutes les circonstances un caract6re jaloux , vindicatif ct tur- bulent. Quclques enfants du pays, pris ct 61cv6s par les colons, leurdonnaient autant denial que leuis com- patriotes les plus sauvages. Notre auteur cite nieme ce fait : Un jeune indigt;ne, connu sous le nom de Bennil- long, instrait par les Anglais eth moiti6civilis6, partit pour I'Angleterre avec Phillip. Revenu avec Hunter, il se montra aussi turbulent que le dernier des indi- genes.

JusquW I'ann^e 1797, les notions g6ograpliiques des colons sur I'Australie ne s'6tendaient qu'a quel- ques milles dans Tint^rieur ; et sur les cotes, outre les d6couvertes de Cook, que mSnie ils n'avaient pas v(^ri- fi6es, elles se bornaient k quelques baies ou havres tout a fait voisins de Port-Jackson. Hunter fut le pre- mier gouverneur qui fit quelques efforts pour amener la connaissance du pays dans lequel il 6tait appel6 k commander ; il donna ainsi quelque activity aux voyages de d6couvertes. Le lieutenant Bowen p6n6tra dans la baie de Jervis, d6ji indiquee par Cook et situ(5e un peu au sud du 35" latitude sud, et MM, Grimes et Broughton signalerent le port Stephen vers le nord du 33° latitude sud.

L'ann6e suivante, les deux plus intr6pides explora- teurs de la nouvelle colonic, Bass et flinders, que des voyages pr6c6dents avaient mis a menie de soupcon- ner I'existence d'un bras de mcr entre la terre de Van- Diemen et I'Australie, parti rent du port Jackson, sur un sloop de 25 tonneaux, qui leur fiU confi6 par le gou-

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verneur. lis avaient pour mission de traverser le d6- troit qu'ils pensaientexister entre I'Australie et laterre de Van-Diemen ; de plus, ils devaient revenir a Syd- ney, en contournant cette derni^re. Aprfes une navi- gation p6nible, ils franchirent en effet le d^troit, et le 11 Janvier 1799, apr^s avoir suivi I'itint^raire indiqu6, ils ^taient de retonr a Sydney. Hunter donna a leur d^couverte le nom de d6troit de Bass. Peu de temps apr6s, Flinders, toujoursinfatigable, poussases explora- tions jusqu'aux baies reconnnes par Cook, de Glass- House ou Moreton entre 26"5Zi'et 27" lili' latitude sud, et d'Hervey, par 25° latitude sud.

Le "28 septembre 1800, le gouverneur Hunter s'em- barqua pour retourner en Angleterre, laissant la colo- nic d^k sure de I'avenir. L'ordre r^gnait dans les 6ta- blissements. Un fort avait 6t6 construit et arm6 a Sydney. Les convicts perdaient peu apeuleurs babitudes de pa- resse et s'adonnaient davantage a 1' agriculture. Un cer- tain nombre de colons libres avaient form6 des etablisse- ments. Les troupeaux s'etaient notablement accrus. Quelques explorateurs avaient commence a p6n6trer dans I'interieur du pays et plusiei:rs routes avaient et6 trac6es. Un certain nombre de navires de commerce, attires par des speculations particuli^'res, atterrissaient chaque ann6e au port Jackson. Hunter fut remplac6 par le capitaine Pbilip Gidley King, de la marine royale, qui avait le premier rempli les fonctions de surinten- dant et commandant de I'ile Norfolk.

Pendant que King gouvernaitla colonic, en 1800, le lieutenant Grant explora la cote nieridionale de la Nou- velle-Hollande et donna son nom au territoire qui s'6tend

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entre le port Western et le cap Norlhiimberland. Vers la meme 6poque, le capitahio Nicolas Baxulin, de la marine francaise (1), commandant les navires le Natura/iste et le Geoifrap/ie, vint aborder au cap Leeu- vviu sur la cote occidentale du continent et visita suc- cessivement la bale du Geograplic, I'ile Rotte-Nest, la riviere des Cygnes (Swan river), la baie des chiens marins ^Shark Bay) oil se trouvent la peninsule P6ron et les goll'es Hanielin etFreycinet, puis la terre d'Edel, celle d'Endragt, celle de Witt et enfin I'ile Timor. II repartit bientot de ce dernier point et arriva le 13 Jan- vier ISOl au sud de la terre de Van Diemen, dont il visita les parties sud, sud-est et est ; puis, traversant les detroits de Banks et de Bass dans lesquels il laissa le Natura/iste, il visita avec le Geo<;rnfjlie\a partiealova inconmie des c6tes m^ridionales de 1' Australie comprise entre le cap Northumberland, limite occidentale "des decouvertes de Grant, et les lies Saint-Pierre et Saint- Francois. 11 imposa a touts cette 6tendue de cotes le nom de terre Napoleon, niais les Anglais ont depuis efl'ac6 ce nom et divise cette c6te en deux parties ; ils ont laiss6 a la premifere, qui s'6tend entre la baie de la D6couverte et le cap Jervis, le nom de terre Baudin, tandis qu'ils ont nomm6 la seconde, terre Flinders. Au dela du cap Jervis, Baudin signala I'ile Decr6s que les Anglais nomment I'ile du Kangaroo, et il entrevit lesgolfes Saint-Vincent et Spencer dans lesquels le trop grand tirant d'eau de son navire ne lui permit pas de p6n6trer. En passant au cap .Monge, il avail rencontr6

(I) Qu'il ne faul pas confoadre avec lamiral de ce nom.

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Flinders qui, mont6 sur r Investigator, faisait pour le compte de I'Angleterre le meme voyage, mais en sens inverse. De retourau port Jackson, Baudin s'empressa de freter une petite goelette nomm6e la Casuari/ia; confi6 k M. Freycinet, ce navire p6n6tra dans les deux golfes Saint-Vincent et Spencer, qui recurent les noms de Josephine et de Bonaparte, qu'ilsont perdus depuis.

C'est pendant le gouvernement de King , que les Anglais formferent leurs premiers etablissements sur la terre de Van-Diemen ou Tasmanie. Le lieutenant Bowen y installa quelques colons sur les rivages du Derwent, nom anglais donn6 a la riviere que d'Entrecasteaui avait le premier nomm6e rivifere du Nord.

Un peuplus tard, en mars 180/1, le lieutenant gou- verneur Collins partit de Sydney, dans le but de con- duire une expedition coloniale au port Phillip dans le sud de la Nouvelle-Galles ; mais ayant trouv6 le sol plus ingrat sur ce point qu'on ne le supposait, il changea sa destination et conduisit 6galement les colons dont il s'6tait charg6 sur les rivages du Derwent, un pen plus au nord que I'^tablissement form6 par le lieutenant Bowen. La, il jeta les fondements d'Hobart-town. A peu pr6s vers la meme 6poque, ladifficult6 de la navi- gation autour de I'ile Norfolk, son peu d'6tendue et les ravages causes par de trop grands vents ayant engag6 le gouvernement a d6cr6ter son abandon, les colons qui la peuplaient furent transport's au port Dalrymple a r embouchure de la rivi6re Taniar dans la terre de Van- Diemen ou ils formferent T'tablissement de York-town dans des conditions bien plus avantageuses qu'a I'ile Norfolk.

( 390 )

En 1800, aprfes six annees d'exorcice, King retonrna en Augleterre. Son successcur fiit lo capitaine A\'illiam Bligli que sa fermet^ excessive fit bientot detester par tousles habitants, colons libres, niilitaires ou convicts. Son manque de respect pour les droits individuels et le systtjme de rigueur outr^c f[u'il employa, amenferent bientot une conspiration militaire. Saisi paries revokes, 11 fill mis en ])risoi! et cmbarqij6 pour la Grande-Bre- tagne; niais, chose remarquable , nialgre la revolte, I'ordre ne cessa pas un instant de regncr dans la colo- nic, oil Ton commencait a connaitre le prix du temps.

L'ann6e 1810 vit arriver le lieutenant-colonel La- chlan Macquarie, gouverneur. Ln recensement fait a cette ^poque donne 10 Z|5/i habitants a la Nouvellc- Galles, dont ?.220 femmes et 2721 enfants ; parmi cos derniers , pr6s des deux tiers 6taient illegitimes. 21000 acres de terre avaient 6t6 mis en culture et 14 000 convertis en paturages; le nombre des betes a laine atteignait 26 000, celui des betes a cornes 1 2 500, celui des chevaux 1200. On comptait en outre 1321 habitants a la terre de Van-Diemen et 173 k Tile Norfolk.

Loin de ressembler a son pred^cesseur, Macquarie 6tait6claire, affable, populairo et avided'auK^liorations. II essaya encore une iois d'initicr Ics indigenes a la ci- vilisation. Pour y parvenir, il cr('!a un village modelc ou des concessions defrichi^es furent donn6es k des Australiens, avec tout le materiel n^cessaire etun chef pris parmi eux. Cette tentative n'eut pas un mcilleur succ^s que les pr6c6dentes.

Au moment ou Macquarie prit les rfenes du gouver-

( 397 )

nement, le pays n'^tait pas encore connu au dela des Montagues bleues, chaine qui court paralltjlement h. la cote est, a une profondeur dans les terres variant entre 50 et 100 milles. La colonic n'occiipaitqu'nn espace de 80 milles du nord au sud, et de ZiO de Test kl'ouest; mais son territoire allait bientot s'etendre. En 1813, le lieutenant Lawson, Blaxland et "\^'entwortll trou- v6rent un passage a travers les Montagnes bleues. Peu aprfes, le sous-ing6nieur Ewans p6n6tra au dela de ces montagnes jusqu'a 100 milles de ce passage. Une route fut immediatement entreprise dans cette direction, et d6s 1815, les voitures chargees pen^traient au deli des montagnes. Macquarie explora cette route et ayant 6t6 s6duit par la beauts et la fertilite du pays, il jeta sur les bords d'une rivifere qui porte son nom et qui coule du sud-est au nord-ouest les fondements de la ville de Bathurst, capitale d'une nouvelle province.

La fondation de Bathurst donna une grande impul- sion aux voyages de decouvertes dans I'interieur. En 1817, I'inspecteur g6n6ral Oxley partit de cette ville, dans le but de determiner le cours de la riviere Lach- lan, et de reconnaitre si elle se jetait dans un lac ou dans la mer. II put suivre ce cours d'eau dans la direc- tion de I'ouest, jusqu'aux environs du 1Z|7' longitude est de Creenvvich ; mais des marais 1' ayant arrets en cet endroit, il dut descendre assez loin dans le sud, pour remonter ensuite au nord, oii il retrouva le Lacli- lan, vers 33" 20' latitude sud. A partir de ce point, il suivit encore cette rivifere dans la direction sud-ouest, jusqu'a de nouveaux et immenses marais situes par 34° latitude sud, entre liS" et Ihlx" longitude est. Ne

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pouvant cette fois les tourner 6. cause de leiir 6tendue, il revint sur ses pas ; cependant, au lieu de repasser au sud da Lachlan, il reraonta an nord-est, jusqu'i la riviere i\Iac([uai-ie, d'oi il gagna Bathurst, sans avoir d6couvert de fleuve navigable ayant son embouchure dans r Ocean, mais en rapportant des documents pr6- cieux pour la colonisation future des pays qu'il avait parcourus.

Au moment ou Oxley suivait les rives dn Lachlan, une autre expedition, commandee par le lieutenant Phillip Parker King, fils du troisi^me gouverneur de la Nouvelle-Galles, longeait les cotes nord et nord- ouest de I'Australic pour reconnaitre les embouchures des fleuves. A peine de retour de ce voyage qui avait dur6 sept mois, Ring repartit pour le nord, iraversa le d6troit de Torres et d6couvrit la riviferc Livei'pool et le golfe de Caml^ridge. Dans une troisieme exploration, il parcourut la cote nord-ouest, de I'ile Cassini a la rivifere du Prince-Regent, et enfni, dans une quatrieme, la plus importante, il passa de nouveau par ]e detroit de Torres, visita toute la cote nord, puis alia relacher a I'ile do France, Aprtis six semaines de s6jour dans cette colonic, il revint au port du Roi Georges, d'oii il parcourut toute la cote ouest, jusqu'a I'ile Rotte- Nest.

Dans les derniers temps de son gouvcrnoinent, Mac- quarie, voulant etendre les limites de la colonic, forma un d6p6t de convicts dans le port auquel on a donn6 son nom, au nord de Port-Jackson, a I'enibouchure de la riviere Hastings. Enfin, cet homme, dont la m6- moire est rest6e I'une des plus v6n6r6es en Australie,

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quitta ce pays, aprfes douze ann6es d'exercice. II mou- ruten Angleterre, en 182/1.

Un recensement fait en 1821, pen de temps aprfes son depart, donna, pour les 6migr6s volontaires et pour les convicts 6mancip6s, un total de 12 608 hommes, 3/122 femmes, et pour les convicts des deux sexes un nombre de 13 81 A, plus 722/i enfants : total g6n6ral, 37 068 habitants. II y avait alors dans la colonie prfes de 200 000 betes a laine et /iOOO chevaux.

M. le marquis de Blosseville consacre les premiers chapitres de son second volume al'esquisse d'un tableau de r^tat social, de I'administration, du commerce et des progres agricoles de la colonie de 1822 a 1831. II nous montre la civilisation se d^veloppant rapide- ment dans cette soci6t6 nouvelle oil les diff^rents cultes chr6tiens commencent a s'organiser; oil, sous reffort combin6 des souscriptions particuli^res et des 6pargnes du tr6sor, on voits'elever pourainsi dire, chaque jour, des eglises, des hospices et tontes sortes de monu- ments d' utility publique ; ou I'instruction s'6tend avec rapidite, ou se forment des soci6tes savantes , des bibliothfeques, des imprimeries. Les distractions memes de la vieille Angleterre sont imit^es dans la colonie, les spectacles, les bals, les courses, les chasses, s'or- ganisent aussi bien a Sydney qu'a Hobart-town. II y a cependant une ombre a ce brillant tableau, ombre qui formera par la suite la grande plaie de I'Australie et qui en a deja sensiblement retards les progrfes : c'est I'antagonisme existant entre les Emigres volontaires qui veulent former 1' aristocratic du pays, et les riches 6mancip6s qui repoussent cette pretention.

( 400 )

Ces d6sirs tie domination d'line classe siir une autre, doivent etre regardcs comnie los premiers symptomesd'unenationalite qui se forme et qui recla- mera bieutot sa liberty politique.

Vers 182/i, en ellet, eut lieu la premiere demons- tration des colonies australiennes en faveur d'une representation nationale. Vingt-quatre des plus riches colons demand^rent, par une petition a la metropole, I'etablissement d'une assemblee coloniale. Le gouver- nement anglais, n'osant refuser entierement, cr^a pour quatre ans un conseil l^gislatif de cinq ou sept membres choisis par le roi. Ce conseil etait purement consultatif pour les mesures d'ordre et de surete. II recut une modification en 1829, le nouibre de ses membres fut angmente.

Pendant la periodc qui s'6coule de 1822 a 1831 , les impots 6tablis sur la base de la consommation, 6videm- ment la moins sujettc a erreur, suftisent et au dela aux besoins de la colonie ; le commerce s'^tend consid6ra- blement, tant avec I'Europe, qu'avec I'lnde, la Chine et rOccanie. Sydney devient un jiort de construction et la marine y emploie frequcmment les bois memes de I'Australie. Cependant, malgrei'extension des cultures, les produits v^getaux restent sur le second plan ; ce sent les bestiaux, qui, beaucoup multiplies, deviennent le principal element de la prosperite d'un pays dans lequel les paturages fournissent toute I'annee une 6gale nourriture. Les chevaux eux-memes s'exportent avantageusement pour I'lndc et Java. La peche de la baleine prend un grand accroissement.

Outre les richesses vegetales el animales qu'on trouve

( 401 )

en Australie, on y rencontre encore d'immenses mines de houille, placees soil sur les cotes, solt k I'interieur, des marbres, du cuivre, de I'ardoise , de I'arsenic et de la chaux. II y existe sur tout d'inepuisables mines de fer, situ6es, soit sur les bords du golfe de Carpen- tarie, soit a la riviere des Cygnes ou au port Macquarie.

La Nouvelle-Galles et la grande ile de Van-Diemen ne sont pas les seules parties des terres australiennes oil se soient 6tablis les Anglais. Avec leur pr6voyance habituelle, ils voulnrent s' assurer pour I'avenir la pos- session du continent tout entier en prenant successi- vement pied sur tons les points ou se rencontraient quelques-uns des avantages pouvant favoriser la crea- tion d'etablissements coloniaux : ils y installtirent soit des colons libres, soit, sous le titre de stations penales, des depots de convicts. C'est ainsi qu'avant 1831, on les vit, dans la Nouvelle-Galles, s'ditablir en peu de temps au port Stephend sur les rives du Karua, au port Macquarie, a Moreton-Bay , a I'emboucliure de la riviere Brisbane et dans les petites iles Maria' et Sarah sur les cotes de la Tasmanie (terre de Van-Diemen) . Au nord, ils jetferent les fondements de la ville de Dundas, dans I'ile Melville, sur le d(itroit d'Apsley, i peu de distance de I'ile Bathurst, position d'une grande importance politique en ce qu'elle est voisine de Timor et de la Nouvelle-Guin6e et qu'elle permettra par la suite, aux Australiens, defaire une concurrence redou- table aux 6tablissements liollandais de la Malaisie. Le port ^\ estern et I'ile Phillip, au nord du d^troit de Bass, recurent aussi des colons.

L'ann^e 1826 vit les Anglo-australiens former une

XVII. MM ET JUIN. 0, 27

I( AOS ) petite colonic a la partie sud-ouest de leur continent, an port du lloi-Georges, non loin du cap Leeuwin, position recouimand^e par une excessi\e fertility et plus voisine que Sydney de I'lnde, de Maurice et du Cap. Mais le plus important de ces 6tablissements secon- daires est sans contredit celui de la rivifere des Cygnes dans le nord du cap Leeuwin. Cette nouvelle colonie, dont le territoire tr6s salubre est en menie temps d'une extreme fertility, lut fondle au moyen de colons libres, par une compagnie particuli^re a laquelle le gouvernement fit la concession d'un million d' acres. Ces avantages, joints k sa position g6ographique, la font envisager pour I'avenir comme un rival heureux de la Nouvelle-Galles, et nul ne doute que dans la suite elle ne justille pleinement le nom d'Hesp^rie australe.

Les premiex's mois de 1830 lurent signal6s par les d4couvertes les plusimportantesauxquelles puisse don- ner lieu le continent austr alien. Le capitaine Sturt embarqu6 sur le Murrumbidgee, dont la source est situee non loin de la cote orientale de la Nouvelle- Galles et qui traverse les valines entre les Montagues bleues et les Alpesaustraliennes,descendit cette riviere jusqu'a sou confluent avec le Darling qui vient du nord, 3 degr^s environ plus a I'ouest que le point oii s'etait arrets Oxley, dans son exploration du Lachlan. Le Murrumbidgee forme avec le Darling un large lleuve auquel M. Sturt donna le nom de Murray. Le Murray a son embouchure dans le grand lac de Victoria, non loin des rivages de la bale d'Encounter, tr6s pr6s du golfe Saint-Vincent.

Le successeur de Macquaiie fut le general Brisbane,

463 )

astronome 6cossais, hbmme faible et irr^solu. L'his- toire de son goiivernement liendrait peu de place dans les annales australiennes, s'iln'avaitpas6t6signal6 par qiielques d^couvertes g6ographiques. Ainsi Hovell et Hume, ce dernier natif de la Nouvelle-Galles, partis du lac Saint-Georges a la hauteur de la bale de Jervis, se dirigferent vers le sud k travers le continent et par- vinrent au port Phillip, an nord du d^troit de Bass. Cunningham trouva nn passage pour p6n6trer dans les vastes plaines signal^es dans le nord et I'ouest par I'intendant g6n6ral Oxley qui, lui-merae, d6couvrait k la meme 6poque une grande rivifere navigable ayant son embouchure dans la baie de Moreton. Cette riviere recut le nom du gouverneur.

Les Anglais doivent aussi au g6n6ral Brisbane une institution qui activa consid^rablement la prosp6rit6 de I'Australie, Ce fut la creation des Clearing-Gangs ou bandesded6fricheurs, compos6esde convicts au ser- vice du gouvernement qui, sous la responsabilit6 d'un inspecteur, entreprennent, pour les propria taires, le d6frichement du sol k un prix fix6 par acre, prix sou- vent payable en grains et trfes minime, relativement k celui de la main-d'ceuvre libre.

Jusqu'en 1832, les terres avaient 6t6 conc6d6es k peu prfes suivant le libre arbitre des gouverneurs, mais, k cette 6poque, un nouvel acte du pouvoir m^tropo- litain ne laissa plus au pouvoir local que le droit de r^server des terres pour les 6glises, les 6coles et les 6tablisseraents publics. Tout le reste dut etre vendu aux ench^res, et sur un minimum de 5 livres sterling par acre.

( hOli )

De 1830 a 1859, mi grand nombre tie courageux voyageurs parmi lesquels il faut cilerle major !Milcholl, Grey, Hawdon, Eyre, le cointe Strzelecki. le baron Hugel, les capitaines C.adell et Robertson , Robert Austin, Auguste Gregory et enfin lecapitaine Scoresby, ont amen6 la connaissancc d'un tiers aumoins du con- tinent australien. Mais le detail de leurs explorations demanderait uii volume entier, et M. le marquis de Blosseville a du se borner a citer leurs nonis dans un chapitre special intitule Les Decouv rears.

Les colons de I'Australie, dont le nombre augmen-

tait journellement, reclam6rent bientot avec plus d'in-

stances un pouvoir 16gislatif local. Les uns denian-

daient, par toutes les voies legales, un gouverneur

nomme et pave par la com'onne d'Angleterre , un

conseil legislatif viager et une assembl6e a ternie, elue

directement par les colons ; les autres voulaient, outre

le gouverneur, deux charabres legislatives, dont une

h6r6ditaire. Ces demandes causferent dans la colonic

une agitation assez vive, dont le resultat fut une sorte

de compromis par lequel la Nouvelle-Galles obtint une

chambrc haute, sorte de pairie viagere imitee de

riicosse. La premiere session ouvrit le 10 mai 1853 ;

mais ces vceux, timides encore en J853, dit notre

auteur, prirent une grande extension les annees sui-

vanles, el Ic gouvcrncment metropolitain fut force, en

185(5, d'accorder a la Nouvelle-Galles une assembl6e

legislative librenient elue et parfaitement iudepen-

dante, dont les decisions firent loi dans les affaires

int6rieures en tant qu'elles ne touchaicnt pas au droit

de souverainete.

( 405 )

M. de Blosseville traite ensuite s6par(5ment des dif- f6rents points du continent dont la colonisation a 6t6 entreprise et qui , en pen de temps, sont devenus en qnelque sorte des colonies ind^pendantes dans la grande colonie australieinie.

La Nouvelle-Galles a continue k se d6velopper. Ainsi, ilnonsapprendqu'enl848 elle comptait220 000ames, et sa capitale, Sydney, 60 000. Desprogrfes ont eu lieu dans tous les genres, en proportions 6quivalentes. A la meme 6poque, Texportation des laines s' devait a 23 millions de livres, celle des suifs repr^sentait une valeurde 167 000 liv. sterl. Lesacresdeterreexploit^es montaient a 152 000. Malheureusement certains abus s'etaient gliss6s au milieu de ces progr^s. Malgr6 les efforts d'une police presque absolue dans la repression, la consommation des spiritueiix s'est accrue d'une mani6re incroyable; en 'J 835 elle s'61evait a 7 gallons (pr6s de 32 litres) par tete, tandis qu'en Angleterre elle atteignait a peine un gallon et demi.

En 18/i7, la population de la terre de Van-Dienien montait a 67 000 ames. En 1838, le port d'Hobart- Town avait 6t6 visits par 370 batiments, et la marine coloniale en comptait 101. L'abondance et le bon march6 des vivres lui avaient permis de secourir la Nouvelle-Galles pendant les ann6es de s6cheresse et de disette, de 1825 a 1829. Elle est aujourd'hui reside plus agricole et la Nouvelle-Galles plus pastorale. A c6t6 d'Hobart-ToAvn, la villede Launceston a pris une importance r6clle. Des carriferes de marbre, des mines de fer, de sel, de charbon, sont en pleine exploitation. Trois 6tablissements p^nitentiaires a divers degr6s ont

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6t6 cr66s pour les convicts les moins capables de vivre au milieu des populations. Quant aux indigenes de la Tasmanie, la, comme dans loutes les colonies anglaises, ils ont disparu devantla civilisation, et d6s rann6e 1S38 les tableaux de la population portent seulement 82 in- digenes rel6gu6s dans I'ile Flinders. Enfm, en 1852, les memes tableaux constatent que, parmi les anciens possesseurs du pays, les naissances ont cess6 et que quelques vieillards survivent seuls.

Vers J 851, la Nouvelle-Galles, dont les limites int6- rieures n'etaient pas d^terminees, mena^aitde prendre une trop grande extension pour former un seul gouver- nement, et d'autres parties du continent australien,qui avaient 6galement re^u une population nombreuse, demandaient a la m6tropole une existence administra- tive ind6pendante de Sydney. Ces raisons determi- n^rent la creation d'un gouvernement nouveau dans la partie sud-sud-est del'Australie, etlacoloniede Victoria, capitale Melbourne, fut d6finitivement constitute. Ses limites interieures partent du cap Howe sur la c6te orientale, traversent les Alpes australiennes, prolon- gation m6ridionale des Montagues bleues, et suivent le cours du fleuve Murray jusqu'au 34" latitude sud, ou elles sont fornixes par une ligne imaginaire partant du fleuve et aboutissant a Discovery-Bay. Les cotes m6ri- dionales de cette nouvelle province, qui forment le nord du d^troit de Bass, comprennent entre autres, le port Western, le port Phillip et, la bale de Portland. La colonie de Victoria, dont la temperature rappelle celle de I'Espagne, enibrasse un espace de plus de 100 000 uiilles carr6s. Elle est divis6e aujourd'hui en

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21 comt6s. EUe avait recu comme premiers habitants, en 1833, des colons de la Tasmanied^jatropresserr^s dans cette position insulaire. Vingt ansaprfes, en 1853; elle pouvait nourrir le double de sa population. Elle exportait, en 1850, 16 millions de livres de laine, et en 1855, 22 millions et demi. La meme ann6e, outre d'im- menses paturages, 22 000 acres de terre 6taient en culture et 3 millions d'acres 6taient conc6d6s, dans une proportion de ZiOO 000 par an, au prix moyen de 3 livres sterling par acre. Le recensement du l"' de- cembre 1857, a donne Zi63 000 ames. La population de la capitale, Melbourne, plac6e dans une position delicieuse, sur le versant d'une coUine , a 8 milles de la mer, au bord du Yarra-Yarra, fleuve que remontent les navires de 200 tonneaux, s'est fabuleusement aug- ment6e. Sous ce rapport, Melbourne laisse aujourd'hui Sydney bien loin derrifere elle. Le nombre de ses habi- tants qui, III ans apr6s sa fondation, s'61evait a 111 000, 6tait de 100 000 en 1857, et le nombre des niaisons de 10 000. Melbourne apris I'aspect d'une desgrandes cit6s des Etats-Unis. On y remarque deux evech^s, I'un catholique, I'autre protestant, et en somme, toutes les fondationsn6cessaires a une grande ville. La colo- nic de Victoria est aujourd'hui couverte de routes, on y compte trois ehemins de fer. Enfm, Melbourne, s6par6e administrativement de la Nouvelle-Galles en 1851, demandait, d6s 1852, au gouvernement de la reine, a devenir la capitale de tout I'empire anglo- australien. Cette pretention fut rejet^e.

Si la colonic de Victoria s'est d6velopp6e d'une mani6re prodigieuse, il n'en a pas 6t6 de meme de

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r^tablissement form6 par les Anglais, aunorddel'Aus- tralie, d'abord dans I'ile Melville et ensuite a la bale de Raffles sur le continent, dans la presqu'ile de Vic- toria. Les colons n'ont jamais pu s'y acclimater, et le port de Victoria, sa capitale, est reste a I'^tat de port de refuge, jusqu'au moment ou, malgr6 I'importance politique et commerciale de cette position, son aban- don fut d6cr6t6. Cependant I'iiifatigable activity des exploratcurs anglais a fait d^couvrir, depuis peu, dans le bassin du fleuve Victoria a Test du golfe de Cam- bridge, un territoire immense, fertile et salubre, qui par la suite remplacera avantageusement les plages inhospitali6res de I'ile Melville et de la baiede Raffles.

La destin(^e d'une autre colonic form^e par les Anglais, sur la cote occidentale de I'Australie, k la riviere des Cygnes, dans le but av^r6 d'empecher les Francais de prendre pied dans ces parages quiauraient du leur appartenir suivant le droit de possession fond6 sur la d^couverte, fut toute diff^rente de celle del'^ta- blissementde I'ile Melville (1).

La colonic de Swan-River, qui n'admettait dans son sein que des colons ou des travailleurs libres, langnit en peu de temps, malgr6 I'excessive fertility du sol. Les travailleurs libres voulant tous devenir propri6- taires, voulant tous obtenir leur part du desert, la main-d'ceuvre atteignit un prix tel, qu'il fut bientdt

(1) C'esl ici le lieu de rappeler qu'au rctour de la corvette la Coquille, un jpune officier de ce hAlimpnt,M. Jules do Blossrvillo, frrrn do ndtre auteur, remit nu ministre un mdinoirc contenant un projet d'occupa- tion de la riviere des Cygnes.

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impossible de continuer les cultures, et qu'on eut 6t6 contraint a I'abandon si le gouvernement ne se fut d6cid6 a en former un 6tablissement p6nal et si, k ce titre, il n'y eut envoy6 un grand nombre de convicts. Aujourd'hui, I'etablissement de Swan-River, consid6- rablement 6tendu, est devenu le centre de la civilisa- tion dans la region vaste comme un grand empire qui porta le nom d'Australie occidentale , territoire im- mense, encore presque inconnii, malgr6 le d6vouement des nombreux voyageurs qui ont essay6 d'en p6n6trer le secret. On doit citer parmi ces intr6pides explora- teurs, les Dale, les Roe, les Hillman, les Moore, les Bannister, les Grey, les Frazer, les Gregory et les Austin. En 1850, I'Australie occidentale comptait 5300 habitants, presque tous cultivateurs , attires par I'appat des b6n6fices que peut donner un sol vierge, sur lequel d'immenses prairies naturelles permettent d'entretenir d'innombrables troupeaux, et ou le tabac, r opium et le coton, donnent des produits de qualit^s sup^rieures; ou des mines de houille, de cuivre, de plomb argentiftre, promettent a I'industrie un d6ve- loppement qui sera second^ encore, par des ports surs et d'une facile d6pense. Perth, la capitale, situ^e sur la rivifere des Cygnes, et Freemantle qui hii sert d'avant- port, peuvent etre regard^es aujourd'hui comme des villes de second ordre.

La dernifere grande division administrative du con- tinent de la Nouvelle-Hollande est I'Australie du sud k I'ouest de la Nouvelle-Galles et de la province de Vic- toria. Son territoire, ^quivalant en surface au double du Royaume-Uni, fut reserve par acte du Parlement k

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1' Emigration volontaire. Cette colonie, qui avait •10 000 habitants en 1839, cinq ans apres sa creation, en comptait en 1850, 63 000. Cette meme ann6e, le nombre des acres de terre d^frich^es s'61evait a 74 000 ; et Ton pouvait voir dans les paturages 00 000 boeufs et pr6s d'un million de moutons. Les bl6s de la pro- vince d' Adelaide, I'une de ses parties, sont regardi^s comme les plus beaux de I'Australie. Les mines de cuivre les plus f6condes que Ton connaisse etdes mines de plomb d'une exploitation facile, ont donn6 lieu k un grand commerce d'exportation.

L'Australie m6ridionale, d6coijp6e par les vastes golfes de Spencer et de Saint-Vincent, ollre a la navi- gation un grand nombre de ports parmi lesquels on remarque surtout Adelaide la capitale, sur le golfe Saint-Vincent et le port Lincoln sur celui de Spencer, Cette partie de la Nouvelle-Hollande est la plus fr6- quent^e par les Emigrants allemands; ainsi, le seul port de Breme a exp6di6 en 1847-48, 1157 Emigrants pour cette destination.

AprEs avoir envisagE chacune des parties qui com- posent r Empire anglo-australien, on peut dire comme rEsumE, que, parmi les progrEs rEalisEs jusqu'^ I'Epoque actuelle, la production des laines a pris le premier rang. En ellet, non-seulenient les laines australiennes peuvent concourir sur les marches europEens, mais encore elles y obtiennent la prEEminence. L' augmen- tation du nombre des betes a cornes a eu lieu a peu prEs dans memes proportions et elles seront dans I'ave- nir un des principaux articles de commerce. L'ElEve des chevaux a aussi beaucoup prospErE. Ce sont les

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chevaux de I'Australie qui s'acclimatent le mieux dans le Bengale,

Beaucoup d'arbres, de fruits ou de legumes de 1' Eu- rope ont 6t6 introduits en Australie et donnent de tr6s beaux produits. La culture de Ja vigne s'y est meme fort 6tendue ; mais I'olivier, lecaf^ier, lacannea sucre et I'arbre a th6, n'ont pas aussi bien r6ussi. On espfere beaucoup dans la culture ducoton etl'Angleterreserait heureuse que sa colonic de la Nouvelle-Hollande fit pour ce produit une concurrence s^rieuse aux Etats- Unis.

Un grand nombre de mines sont en cours d' exploi- tation ; Sydney, Melbourne et Adelaide sont reliees par un t6l6graphe 6lectrique. Trois grandes lignes de ba- teaux a vapeur rapprochent aujourd'hui I'Australie de r Europe : la premiere part de Southampton et passe par le Cap ; la seconde, partant du meme point et de Marseille, passe a Alexandrie et k Suez, elle touche h Melbourne etk Sydney ; la troisifeme, enfm, traverse le Pacifique et aboutit a Panama.

Ce n'est pas avec la seule Europe que I'Australie est en rapports commerciaux, mais avec tous les rivages de rOc6an indien, la Chine, TOc^anie et la c6te occi- dentale de I'Amerique. Le mouvement commercial de I'Australie s'est 61ev6, en 1852, k 800 millions de francs.

Au point de vue intellectuel, ce vaste pays n'a pas fait autant de progr6s qu'au point de vue materiel. La litt6rature s6rieuse est encore dans I'enfance, et, dans eette branche, quelques noms seulement sont sortis de la foule. En revanche, le journalisme s'y est pr6matu- r6ment d6velopp6.

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Depuis quelques annees, le gouvernemcnt anglais a prc'te dans la colonie un appui plus ferme aux intu- rets religieux, iiiais on y signale deji autant de sectes protestantes que dans les Etats-Unis, sans en exceptor les Mormons. Le clerge anglican s'y est, du reste, fait remarquer par son amour du lucre, et ses membres comptent an nombre des plus grands propri6taires terriens. Get abus a pris de telles proportions, que le gouverneur Darling s'est vu i'urc6 de liniiter k 1280 acres, I'etendue des concessions a faire aux mi- nistres du culte. Une extreme intolerance accueillit toujours les catholiques en Australie. Ce n'est qu'en 1832 qu'ils purent obtenir quelques concessions de ter- rain. Leur nombre represcntait alors le tiers de la po- pulation totale.

Le gouvernementn'eut pas a se plaindre d' avoir se- couru le clerge catholique, car les membres de ce clerg6 devinrent, en Australie, les propagateurs les plus d6sint6ress6s et les plus sinc^res de la civilisation. Ainsi, quelques pretres catholiques et quelques ministres anglicans ont entrepris concurrenmient d'appeler a la jouissance de la civilisation plusieurs tribus sauvages de I'interieur ; les premiers ont obtenu un r6snltat comparable a celui qui signalait autrefois k I'attention du monde chr6tien les missions du Paraguay, et les seconds n'ont recueilli que des desastres, termines par I'an^antissement de la population dont ils s'6taient charges.

La Jieure de I'or, tel est le titre donn6 par M. de Blosseville au cliapitre dans lequel il traite des elTets produits par la d6couverte en Australie de ce pr6cieux m6tal.

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La presence de I'or fut signal^e vers le milieu de 1851, 6poque oil 1' emigration europeenne, attiree par les gisements si riches de la Callfornie, commencait k d6laisser la Nouvelle-Hollaiide. Au r^cit de cette d6- couverte, mi grand nombre d' Emigrants changferent subitement lenr destination, et, en pen de temps, I'Anstralie qui semblait abandonn6e eut a redouter un envahissement trop prompt. Ce ne fut plus la seule Europe qui lui envoya ses enfants, les immigrants af- flu6rent de toutes les parties du monde.

Anterieurement a 1851, on avait eu, dans la Nou- velle-Galles, quelques soupcons de la presence de Tor, mais aucun iiidice s6rieux ne venant les confirmer, ils 6taient tombes dans I'oubli, et le colon Margraves qui, le 8 avril 1851, en apporta la preuve palpable, fut reconnu pour le veritable d6couvreur, et recut, en re- compense, 10 000 livres sterling (250 000 francs). C'est dans la Nouvelle-Galles, au sud des Montagnes bleues, a une faible distance a I'ouest de Bathurst, dans le groupe des Conobolas, au vallon de Summer- hill-Creek, qu'Hargraves fitsadecouverte ; mais bien- tot de nouveaux explorateurs annoncerent que les ter- rains auriferes avaient une etendue bien autre qu'on ne le supposait ; non-seulement I'or existait aux monts Conobolas, mais sa presence etait constat6e dans le bassin de la rivifere Macquarie, et surtout sur les bords du Turon, torrent passant k SO milles au nord de Bathiirst.

Ces nouvelles eurent dans le principe un effet d6- sasti'eux pour la colonisation s^rieuse ; la fi6vre de I'or saisit tous les habitants libres ou convicts ; la culture

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fut abandonn^e, les villes se d6peupl6rent, Sydney, entre autres, devint presque d6serle. Le mouvement vers les mines ne se borna pas k la Nouvelle-Galles des chercheurs d'or accoururent de tons les points des colonies australiennes. Les soldats, les raarins eux- memes se rendaient aux mines, et la Nouvelle-Galles eut absorb^ la population de I'Australie enti^re, si, quelques mois apr6s, la presence de gisements auri- ftres plus riches que les siens n'eut 6t(3 signalee dans la province de Victoria, au centre de la chalne nom- m6e Pyrent^es, ou les mines du Ballarat et du mont Alexandre, dans lesquelles Tor jaillit presque a la sur- face sous la pioche du travailleur, sont restees les plus c616bres du continent. L'ensemble des renseignenients accuse aujourd'hui la presence de For dans les deux provinces de la Nouvelle-Galles et de Victoria, sur une surface estimee 20 000 milles carr6s ; et des calculs par- tant n6cessairement d'une base inexacte, 6va,luent la richesse des gisements a 2(3 milliards sterling.

Le resultat le plus r6el de ces d^couvertes fut 1 'intro- duction en Australie des Emigrants du inonde entier; population qui, accrue avec une promptitude inouie, finit par se classer et forme aujourd'hui les 6l6ments d'un grand peuple, parce qu'une partie a compris ce mot d'uii voyageur, « que la plus belle mine c'est du » bl6 et du vin avec la nourriture du betail. »

Ici se termine la partie principale de I'ouvrage de M. Blosseville. Sur les quatre chapitres dont il nous reste k rendre compte, I'auteur en a consacr6 deux, sous le litre de considerations g6n6rales, a une sorte de revue retrospective sur les essais tenths de nos

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jours soit par les Francais, soit par d'autres nations dans le but d' employer les malfaiteurs a la formation d'6tablissements coloniaux. Ces chapitres 6taient le complement n^cessaire d'un ouvrage qui commence par un expose de la deportation dans les temps anciens et dans les temps ant6rieurs a 1793,

L'avant-dernier chapitre est un resume des diverses opinions et controverses sur le principe de la deporta- tion, et en derni^re analyse, M. de Blosseville conclut que la France a deja trop tard6 a employer la coloni- sation p^nale dont il y a tant de r^sultats heureux k attendre. II admet, comme M. Barbaroux, que Mada- gascar peut seule permeltre line colonisation penale fran- caise sur les larges bases de Vexemple anglais, et avec le concours prevu, regie et encourage de l' immigration volontaire. Conclusion dont nous nous sommes fait nous- meme I'interprfete, et que nous ne saurions trop recommander.

V.-A. Babbi£ du Bocage.

17 juiQ 1859.

( ae )

LETTRES SUR L'ASTRONOMIE,

Par M. ALBERT-MONTBaONT (1;.

RAPPORT PAR M. E. CORTAMBERT.

La science, comme I'antique Janus, a deux visages : I'un grave, serieux, d'une beautu inajestueuse, mais s6- v6re, regarde le petit nombre des adeptes, des initios, les pretres de son temple, pourrai-je dire;. 1' autre, doux et aimable, est tourn6 vers la foule de ceux qu'attirent une curiosit6 noble, mais peu savante, un culte sincere, mais peu 6clair6 encore. C'est de ce second visage que M. Albert-Montemont a voulu fa- fonner les traits ; il a voulu representer, sous un aspect attrayant et gracieux, I'astronomie, cette sccur de la g^ographie (parente qui, pour le dire en passant, m'a seule permis de parler ici d'une telle science, ordinai- rement en dehors et au-dessus de mes 6tudes); il a cherch6 a la faire connaitre sans les calculs, les signes, les parentheses, les formules dont elle est ordinaire- ment accompagn^e, et qui en rcndent I'abord diflicile pour ce qu'on appelle les gens du monde. Par un style clair, simple et elegant, il est parvenu a rendre intel- ligibles a tous les esprits les merveilleuses d6couvertes de la science ; il a jet6 du charme et de la vari6t6 sur cette lecture par des morceaux de poesie tantut dus i sa propre muse, tantOt emprunt6s a celle des Daru, des Lemercier, des Boscovich, des Delillc, et de beaucoup

(1) 4«6ditiou, 2 vol. in-8", 1859.

(I'autres qui ont exprim6 en beaux vers leur admiration pour la magnifique organisation de I'univers.

Notre ing^nieux confri^re a ciioisi trfes convenable- mentle titre de Letues, pour men trerqu'il ne veutpas faire de la science propreaient dite, inais plutot es- quisser, d'une plume 16g6re et facile, les grandes v6- rit6s astronomiques. Nous d6sirerions seulement f[u'on sut davantage a qui il adresse ses lettres : par un mot saisi en passant, j'ai pu voir que c'est h. I'un de ses amis, et non ^unedame, ce que j'avais cru d'abord, et ce qui serait peut-etre pr6f6rable, pour forcer le style k s'assouplir encore plus par un besoin puissant de clart6 et d'interet : I'auteureut en celasuivi de c61t;bres exemples : Euler, Fontenelle, Demoustier, Aim6 Martin. Sice cachet 6pistolaire 6taitplus prononce, les Lettres surVastronomie, si int^ressantes d6ja, acquerraientplus d'attrait encore ; le d6sir de faire comprendre les grands faits de la science a une personne a laquelle on est lii^ par une douce amiti6 inspire certains tours de redaction, en- gage a multiplier certaines formes de langage, qui font entrer forc6ment et intimement dans I'esprit ce qu'on veut exprimer. Si done j'ai un reproclie a adresser a cet estimable ouvrage, c'est de ne pas avoir peut-etre assez ce caract6re de Lettres, dont le titre a 6t6 cependant si heureusement adopts par I'auteur. Je n'en dticlarc pas moins les explications claires, simples, naturelles ; des notes etdes eclaircissements tr6s instructifs sont des- tines aexposer les details scientifiques qui ne pouvaient entrer dans le cadre des Lettres, et a mettre le lecteur au courant des d6couvertes les plus r^centes, sans deran- ger le plan primitif de 1' ouvrage.

XVll. MAI ET JUIN. 7. 28

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Les premieres Leltres jettent un coup d'csil sur I'ob- jet et les avantages de 1' astronomic, sur les astres en g6n6ral, sur leurs mouvements, leurs distances, I'liar- monie dc cc sublime ensemble de I'univers. M. Albert- Mont6niont trace ensuite rapidement I'histoire de la science astrononiiquc, histoire qu'il a deja esquissde dans son introduction, et sur laquelle il reviendra plus tard vers la fm dc son livre : peut-etre aurais-je mieux aim6 voir tout ce r6snm6 liistorique d'un seul trait et dans une seule lettre.

La forme, et le double mouvement de la Terre retien- nent assez longtemps le lecteur; puis on trouve la des- cription du Soleil, termin6e par unc belle ode que I'auteur adresse i cet admirable flambeau de notre sys- t^me. II nous ofire, imun^diatement apr6s, I'histoire des plan^tes : on suit avec int6r6t les details nombreux qu'il donne sur ces corps, dont on compte aujour- d'hui soixante-trois ; il n'est pas surprenant que, dans un si grand nombre, notre auteur ait oubli6 quclques- unes des petites planfetes telescopiques r6ccmment d6couvertes. '

La Lune a ensuite son tour : ses revolutions assez compliquees, ses phases, sa constitution, ses taches, ses volcans probables, sont I'objet d'instructivcs expli- cations; je regrette cependant (juc M. Albert-Mont6- mont insiste sur I'opinion qui attribue k ces volcans les a6rolithes que nous voyons de temps en temps tomber sur la Terre : car, aujourd'hui, il est a peu pr6s prouv6 qu'il faut rattaclicr ces 6tranges pierres a I'histoire des 6toiles filantes. L' astro des nuitsm6ritait bien une ode; I'auteur lui aconsacre une de ses plus po6tiques inspi- rations. Ce morceau termine agreablement le tome I".

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, Le tome II s'ouvre par la description des comfetes : M. Albert-Mont6mont traite ce sujet curieux avec tout rint6ret qu'il m^rite ; il rappelle les opinions diverses 6mises snr Taction de ces corps myst6rieux, sur I'effet que produirait le choc de Tun d'eux contre la Terra, effet terrible suivant Laplace et Delambre, tout a fait insignifiant suivant M. Babinet ; Tauteur des Lettres ne so prononce pas, et nous laisse dans une incertitude bien naturelle entre de si graves autorit^s.

Les deux lettres suivantes sont consacr^es aux 6toiles. Ces mondes merveilleux, ces soleils innom- brables sem6s dans les champs de Tinfmi, ont en- flamme Timagination de notre poete, qui leur a adress6 un hymne plein d'enthousiasme. II a donn6 des expli- cations trfes d6velopp6es sur les constellations, sur leurs noms, sur les diverses origines- des signes du zodiaqae, surtout sur celle qui se rattache a la brillante mythologie grecque.

L'auteiu' compare ensuite les divers syst^mes astro- nomiques de Ptol6m6e, de Copernic, de Tycho-Brah6, de Descartes. Puis il explique les d^couvertes de Newton ; et Tune de ses plus belles Lettres est celle qui traite de la pesanteur universelle : ce magnifique sujet lui inspire encore une ode.

Vient ici une notice biographique des principaux astronomes depuis Newton jusqu'a nous; pour ne pas interroinpre la marche et Teuchainement de ses descriptions, Tauteur aurait peut-etre bien fait de re- jeter cette biographic tout a fait a la fin de Touvrage. J'adresserai une critique du meme genre au chapitre du calendrier, qui vient ensuite, et qui me sembleraii

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plus convenablenient plac6 k cot6 des signes du zodia- que, ou, mieux encore, h la suite des niouvements de la Terre, qui sont I'origine des divisions du temps. Je reconmiande ces 16geres modifications a notre confrere pour sa cinquicme Edition, qui suivra sans doute de pr6s celle-ci.

Lesmarees, dont la description vientmaintcnant im- mediatement apr6s le calendrier, ne seraient plus se- par6es, dans le plan niodifii que je propose, de la pe- santeur universelle, a laquelle elles se rattachent si directement.

M. Albert-Montemont a cru devoir donner, a la fin de son ouvrage, quelques explications sur les princi- paux m6t6ores, sur les vents, sur les volcans : ce n'est pas de I'astronomie, il est vrai : c'est d6ja de la g6o- grapliie physique. Mais la transition de I'astronoinie k la geographic est facile : c'est a travers I'atniosphtjre que nous voyons les astres : il faut tenir compte, dans leur observation, d'une foule de phenomenes meteoro- logiques dc refraction, de reflexion, etc. On concoit done que I'auteur ait pu traiter cc sujet dans son livre, et ma critique s'en felicite puisqn'elle se trouve repla- c6e ainsi sur le terrain g^ographique, oil elle se sent plus libre et plus ferme que dans ces espaces celestes, k travers lesquels elle nes'elancaitqu'avec timidity. La cause des vents alis6s fest parfaitement expliquee ; les Eruptions des volcans sont bien decrites. Les plieno- mencs electriques, galvaniques, magnetiques, 61ectro- magnetiqucs, trouvent menie leur place dans cette esquissc, et I'auteur parlcnaturcilcnicntdecettemcrveil- leuse tel6graphienouvelle qui auime, pour ainsi dire, la

{ un )

pens^e humaine de notre globe tout entier. 11 admire avec raison, a ce sujet, le genie de I'liomme, et il ter- mine par ces belles paroles, qui sont comme Ic resume des nobles id^es qui rfegnent dans tout son livre :

(( Les decouvertes successives que le temps am^ne dans le vaste empire des sciences ne font que rehausser I'id^e de I'esprit de I'homme, glorieux de saisir I'en- semble de I'univers et de pouvoir apprecier, autant qu'ilestenlui, cetle supreme intelligence qui gouverne toutes choses et en pondtTe Timrauable harmonie. En jetant un regard sur la nature et sur nous-memes, notre respectueuse admiration remonte vers cette su- blime intelligence qui est Dieu, unique source du beau et du juste, centre et flambeau divin de Teternelle v6rite. » E. Cortamdert.

( 422 ) rVonvelles et coMiiuuffileati^inM.

ON MANUSCRIT DE tA GfiOGRAPHIE DE PTOL£m£E, D£C0UTERT AU MONT ATHOS.

On savait depuis longtemps qu'il cxistait d'anciens manuscrits dans les couvents du raont Athos et meme on avait enttndu parler de cartes grecques datant du commencement du moyen age. Jiisqu'i pr6sent ces cartes modernes ne se sont pas retrouv^es dans les monast^res, et Ton ne connait gu6re que deux on trois portulants grecs des xvr et xvir slides. Le voyage que vient de faire au mont Athos un savant russe, M. Pierre de S6vastianoff, a amen6 la d^couverte de plusicurs manuscrits pr6cieux, non moins anciens, et relatil's k la g^ographie. En Tannic 1856, il 6tait au monast^re dit de Vatopfede; entre autres manuscrits, il en a trouv6 un qui "renferme la geographic dc Ptol6m6e avec les cartes, ainsi que des fragments de la geogra- phic de Strabon. Avec le secours du nouvel art de la photographic, il aprisunc copie enti6re et complete de ces manuscrits, avec la fiddite qui appartient h. ce pro- c6d6, aussi sur que rapide. Le Ptoiem6e ne porte pas Vindication del'auteur des cartes, Agathod6mon, comme dans les manuscrits de Venise, de Paris et dc Vienne ; d' autres diflerences importantes sc remarquent dans ces cartes, soit pour le dessin, soil pour la nomcncla-

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ture; les variantes du texte ajouteront, a I'mt^rSt de cette ddcouverte.

La notice suivante que j' avals tlemand^e a M. de Se- vastianoff pour accompagner un fac-simile dont je lui suis redevable, ajoutera encore a cet int6ret ; elle est de M. Gabriel Destounis, attach^ au d6partement asia- tique du ministfere des affaires 6trang6res de Russie, k qui M. de Sevastianoff avait donne a 6tudier le fac- simile COmplet. JOMARD.

REMARQUES

Sur le manuscrit de la Geographie de Ptoleinee, troiwe au monastere de Vntopede { inont /i'fhos), reproduit Ijliotographiquement , en entier ct en grandeur natu- relle, par P. de Sevastianoff.

Occup6 a 6tudier la copie photographique du ma- nuscrit de Ptol6m6e, qui se trouve au convent de Vato- pfede, au mont Atlios, j ai du me borner a quelques observations. Aucun manuscrit grec de Ptol6m6e ne se trouvant a Saint-P6tersbourg, il m'a 6t6 impossible de coUationner le nouveau fac-simile.

Quant a rexterieur du manuscrit, il doit representor quelque ressemblance avec le manuscrit de la Biblio- thfeque imp6riale de Vienne, selon la description qu'en a donn6e M. Wachsmut (1). Ici, comme dans I'exem-

(l) Voyez-en la description detaill^e daus lexcellente dissertation de Heeren : De fontibus Geographice Ptolemoii. (Commentationes Sotting. Recent. VI.)

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plaire de Vienne, cliaqiie carte, h bion peu d'exceptions prfes, occupc denx pages en regard. Dans toutes les deux, les chaines de montagnes sont indirpiees par des Hgnes ; on y voit les m^ridiens et les paranoics ; les henres des plus longs jours sont a la droite; I'ortho- graphe y est assez soignee ; enfm ces cartes sont colo- rizes ; mais voici la dilT^rcnce : a la fin del'exemplaire de Vatopfede, on ne lit point, comme k la fin de ceux de Vicnne et de celuide Venise, Tinscription suivante :

Toiv KXocij'Jtou riToAtijiai'ovi piSXi'tov ovtw tv;v oix5UU£'yr,v itauav Aya-

eoJai'fjiw; ih^a-Aptv; uTrtruittocc En outrc , daus le texte de Vatopi^de, on trouve inscrit, sur le front de cliaque carte, un sommairc tir6 dn livrc VIII' de la G^ogra- phie ; dans celui de Vienne, ce sommaire se trouve sur le revers des cartes. Lc mannscrit de Vienne a 6t6 6crit en ih^li par Jean Santariote, Thessaliote; la date de celui dc Vatopfede n'est point indiquZe, maisil n'en est pas moins sur, a en jugerpar I'Zcriture, qu'il est beau- coup plus ancien que celui de Vienne.

Pour nic rendre compte de la valeur du manuscrit en question, j'ai profits de I'accfes facile et bienveillant qu'ofTre la Biblioth6que imperiale de Saint-P6torsbourg, et j'ai mis h contribution ses Editions grecqucs et la- tines de Ptol6ra6e.

Je commence par le cliapitre sur la Macddoine, rfipire, la Thossalie, etc. En collationnant le fac- simile photograpliique avcc diflerentes editions, j'ai trouv6 dans le texte dc Vatopede quelques dillerences dans les noms proprcs -, par exemple : le golfc Maliaque y est nomm(^ Malinaque; la Paraxie, Parexie; la Bisal- tie, Bixaltie ; le nom du district des Dassaretes y est

( li2b )

m^connaissable ; mais il en est de m^me dans d'autrea manuscrits. C'est ainsi que dans le meme passage, nous trouvons, Edition de Montanus (1605), dans le texte grec, Erigonon au lieu d'Erigon; le district des Albotes a la place de celui des Almopes, etc. Dans l'^- dition de Montanus, on trouve la meme faute que dans le manuscrit de Vatopfede ; la riviere appel6e \A'oioussa, de nos jours, qui anciennement se nommait Ala; ou A(oo;{Aousi, estnomm^e, dans Tune comme dans I'autre, Loiis (A wo?), sur la carte de Vatopkle, dans la traduc- tion latine de Montanus, de meme dans la traduction italienne de Piuscelli (1561, Venise), Loio. Cette faute a du se glisser primitivementpar suite dela res- semblance du lambda et de I'alpha.

Le dessein principal de la Geographic de Ptol6m6e 6tant de determiner les longitudes et les latitudes, il m'a 6t6 indispensable de fixer mon attention sur ce sujet. II est bien constats que la villa de Pydna se trou- vaitau sud de I'Aliacmon (I'lndje-Karassou des Turcs); cependant Ptolem6e la place au nord de cette rivifere ; il indique 39" Zi5' pour la ville et 39" 40' pour I'em- bouchure de la rivifere. Mais cet 6cart ne se voit pas seulement dans le manuscrit de VatopMe, il est encore dans r^dition de Montanus , meme dans celle de M. Nobbe, qui a confront^ plus de manuscrits que tout autre. Si ce n'etait qu'une faute dans le chiflre des minutes, I'ordre meme dans lequel se succfedent ces noms viendrait confirmer le fait que Ptol^m6e lui- meme plagait Pydna au nord de I'Aliacmon : car dans ce passage du texte, c'est du nord ausud que se dirige notre g6ographe. Pourr6soudre cette difficult^, atten-

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dons les variantes de la grande Edition, promise par le professeur Nobbe, de Leipzig (1).

Aigostht'ne se trouve indiqu6e par 60' lib' de lati- tude ; Syphae, par 51°, par const^quent, la premiere de ces villes i I'occident dela seconde. Bien plus, Aigos- thSne y est nominee parmi les villes de I'int^rieur de la Phocide. L'une et 1' autre se Irouvent ainsi plac6es dans toutes les Editions que j'ai pu comparer. Le manuscrit de Vatopfede venant k I'appui de la vulgate, relative- ment k la longitude, ainsi qui la situation ni6diter- ran6enne d'Aigosth^ne, la question suivante s'olTre d'elle-ineme : ne pourrait-on pas admettre cette lefon comme exacte ? Mais elle est en contradiction avec un fait av6r6, savoir : le gisement d' Aigosth^ne a I'orient de Syphae, au bord de la mer, constate, non-scule- ment par I'accord unanime de tons les savants qui se sont occupes ad^terminerl'emplacement de cette ville, mais, qui plus est, il y a une inscription trouv6c de- puis pen par M. Forchhammer dans la place indiqu6e avant lui par les autres savants ('2). A quoi nous en tenir? Ne saurait-on pas admettre qu'au milieu de la Phtiotide, il pouvait y avoir une autre Aigosth^ne, diffe- rente de I'Aigosthfene maritime ?

Je passe a la carte qui correspond au texte du ma- nuscrit de Vatopfede. D'un cot6, on est frapp6 par I'a- nalogie qui existe entre le texte et la carte ; d'un autre

(1) Voyez la preface de son edition st^rdotype, en trois volumes. Leipzig (1843-1845).

,2) Voyez cette inscription dans la brochure intitulde : Halkyonia, ar P. W. Korchhamer, Berlin, 1857, pages 33 etl5.

{ 427 ) on n'est pas moins frapp6 par le manque d'analogie. On ne trouve pas sur la carte de Mac6doine (Epire, Thessalie, etc. ) , un seul nom qui ne se trouve dans le texte, pas un seul nom r6cent. G'est ainsi que les hearts des manuscrits, peut-etre les erreurs de Ptolt^m6e lui- meme, que je viens de signaler, se repfetent sur la carte. Ainsi il n'y a aucune innovation dans les noms. En quoi diff6re done le texte de la carte? G'est qu'on ne trouve point indiqu6 sur celle-ci ce qui se lit dans le texte. D'ailleurs ceci a 6t6 observ6 sur les cartes des autres manuscrits. Sur la carte du manuscrit de Vato- p6de, la plupart des noms des districts, les noms de quelques villes, de quelques chaines de montagnes, de quelq lies caps, sont omis. II est hors de doute que celui qui a dessin6 les cartes annex6es h I'ouvrage du grand g6ographe, que ce fut lui-meme ou un autre person- nage, y a plac6 toutes les villes, les riviferes, etc., qui se sont trouv6es dans le texte de Ptol6m6e : uue fois qu'on les voit astronomiquement d6termin6es dans le texte, comment aurait-on pu les omettre dans la carte ; ou bien quel savant aurait eu la hardiesse d' omettre k dessein ce qui a 6t6 cm indispensable par un homme comme Ptol6mee, dont I'autorit^ est demeur6e irrecu- sable h travers les si6cles jusqu'a I'^poque de la re- naissance? Les sifecles qui les suivirent n'6taient pas en 6tat de completer ni de corriger Ptol6m6e : ils 6taient passes ces temps oi Strabon corrigea Eratosthfene , ou Ptol6m6e corrigea Marin de Tyr (1) . II serait par consequent bien hasard6 d'admettre des omissions faites

(1) Voyei le texte de Ptol6m^e, livre I, chap. 6 et 17.

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a dessein. Ces omissions sont arriv6es plus tard : par suite des copies rt-iterees des cartes , les noms ecliap- paicnt iniperceptiblement, ce qui a du passablement abreger I'onoinasticou du fameux geographo. Ainsi, quoique Ic nombre des noms ([ui so trouvent sur la carte soit bien reduit, compare au nombre primitif des noms de Ptol6m6e, en revanche nous n'y apercevons pas de noms postericurs a I'epoque de Ptolemee. Cette carte, quoique incomplete, repose sur une base ancienne, sur la base du texte meme : on y apercoil des omis- sions qui ne sont pas faites a dessein, mais qui se sont accumulees par la marche des si^cles ; personne n'y a ajoute du sien, personne n'y a exerc6 son esprit. Ceci lui donne un caractSre tout archaique. 11 en est bien autrement des textes imprimis. Les ancienncs 6ditions, celle de Rome (li78, lat), celle d'Ulm, (l/i82, lat.), n'ont fait, il est vrai, qu'incliner un peu les mdnidiens vers le p61e, pour donner aux terres une configuration plus rapprochec de la r6alit6, les denudes des noms n'y 6tant suppl^^es que d'apr^s les lacunes du texte de Ptolemee lui-meme (1). Quant a Mercator, on sait qu'iln'avaitpas grav6 ses cartes d'apris ccUes qui sont annex6es aux manuscrits, mais bien sur des cartes im- prim6es. C'est pourquoi vous lisez sur sa carte, au lieu d'Erignon, Drilon (ce qui rappelle le nom moderne Drill) ; la ville de Stobce au nord d'Axius (2) , tandis que la carte de Vatop6de a bien raison de la placer au

(1) Voyez la disserlation ritce cidessus, de Hecren, pap;ps 68-71.

(2) Voycz la carlo de Mcrcalor, anucxde a I'edition do Montanu 1605.

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sud. II reste hors de doute qu'iine carte ancienne ma- miscrite, quelque incomplete, quelque difforme qu'elle fut, olTre d'excellents niateriaux, tandis que les cartes imprimees, pour 6tre corrig6es et augraentees, ne sau- raient servir de mat^riaux.

Avant de quitter cet int6ressant facsimile, je me suis decide a en collationner un passage avec la meilleure des Editions, celle de M. Nobbe, et avec un trfes ancien manuscrit latin de Ptolemee, conserve k Saint-Petersbourg, dans la biblioth^que de I'titat-major. Une partie de ce manuscrit renfermant les pays qui correspondent a la Piussie, a et6 ins&'^e dans le X* vo- lume du Bulletin de V Academie des Sciences, par le D'E. Muralt. En voici quelques donnt^es (les mots 6tant mis en latin) .

La latitude de Chersiui suivanl !e manuscrit de I'^tat-major est

de 59M/2 Manusc. VatopWe. . . 59'

Acra 49*2/3 49" 1/2

Orthographc des noms : Hypenis. Ilypainios.

» Rosolani. Roiolaiije.

u Sulones. Soulaues.

« Phengiticef _ Pieneita.

PoengitE. ' '«°g"^-

Au sujet de la carte de la Sarmatie europ^enne, j'ai la meme remarque a faire qu'au sujet de la carte de Macedoine, Epire, etc. II n'y a pas un seul mot de change ; ce sont tous les memes noms , et il y a des omissions.

Le texte et les cartes qui vont etre livr6s aux Etudes des savants, pr^sentent un interet particulier mfime

( 4:^0 )■

S0U3 le rapport philologique. Je veux parler de la di- versitc d'6criture des noms propres, qui nous t6moigne du changementsuccessif que subissait la prononciaiion des noms propres. C'est ainsi que M. Nobbe lit, conime de raison, :up,ja<iov; sur la carte de Vatoptide, \ex^ '^^~ g6n6r6 en «; puis le texte de Valopedf change I'u (iipsilon) en ou; et ce Auppixiov nous rapproche insensi- blement du Durazzo des Italiens. Dans le texte de Vato- pMe, vous lisez iix-jwv, forme ancienne ct sur la carte de Vatnpfcde, iixu';DVT!, forme allong6cpost6rieure. (Vest de cette mani^re qii'a du se former n\ivyo.r> (texte de Va- toptide) de nXtuwv qui est plus ancien ; c'est pourquoi M. Nobbe, tout en introdnisant cette lecon, n)nuc«v»). ne mancjue pas d'intercaler cette (jcrniere voyelle. Ajou- tons que le texte est plus correct et plus exact que la carte.

Je demandcrai la permission d'arrfiter I'attcntion sur un fait particulier. Le texte de Vatopfede conserve le district d'Albanon et la villc d'Albanopolis ; la carte ne porte que cette derniere ; car dans la carte, corame d'ordinaire, on aomis le district, tout en maintenantla ville. Ce nom repute r^'cent vient done de nouveau frapper les yeux de rethnologue. On saif ({u'autrcfois, lorsqu'on penchait a considerer les Albanais comnie une des tribus amen6es par les migrations du moyen dge, ces deux noms qui figurent dans Ptolemee ont 6t6 mis en doute : c'etait rautorii6 du fameux Mannert qui decidait alors la question. Mais la reproduction de ces noms dans plusieurs nianuscrits de Ptok'm^e, dans ses cartes, le mont Albion dans Strabon (dans le voi- sinage des Albanais) que Ptolem6e appelle Albanon,

( A31 )

rile d'Arbe (ou Albe) dans I'archipel illyrien, le nom d'Arb^nie donn6 au district qui avoisine le golfe de Vallone, le sens plus 6tendu donn6 h. I'Arbiinie par I'usage, toutes ces donn^es, rapprocli6es par M. Hahn, ne permettent plus de mettre en doute 1' existence du district d'Albanon et d'Albanopolis a I'^poque de Pto- 16mee. On sait que les Grecs appellent ce peuple

A),§ofyo'i.

Enfin, I'autochthonisme dcs Albanais prouv6 par Hahn, par Pott, au moyen de la linguistique, ne laisse plus lieu aux doutes. L'ancien manuscrit qu'on vient de faire connaitre ne fait que confirmer toutes ces donn6es de la science.

TcUes sont les observations qu'on a pu faire sur deux localit6s et qu'on se garde d'applirjuer k tout le texte et a toutes les cartes du manuscrit de Vatopfede. L'appelfait par M. de S6vastianon' aux personnes sp6- cialement vers6es dans la g6ographie ancienne, ainsi que dans la critique des textes de Ptol6mee, ne tardera point i amener une veritable appreciation du manuscrit de Vatopfede.

DE LA CONSTITUTION PRIMITIVE

DE LA SOCltTfi 5ERBE. (Extrait d'uue letlre de M. Boa^ ^ M. Viquesael).

Vieane, le 26 niai, 1859.

M. Utieschenovitch, savant create, conseiller minis- t6riel au ministere de I'int^rieur, a donne surlaconsti-

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sous le rapport philologique. Je veux parler de la di- versity d'6criture des nomspropres, qui nous t6moigne du changement successif que subissait la prononciation des noms propres. C'est ainsi que M. Nobbe lit, conime de raison, :upii«<iov; sur la carte de Vatop6de, le ;;^ a d6- g6n6re en %; puis le texte de Vatopede change W (upsilon) en ou ; et ce Auppaxiov nous rapproche insensi- blement du Durazzo des Italiens. Dans le texte de Vato- p6de, vous lisez Iix-jwv, forme ancienne et sur la carte de Vatop6de,Sixucovr), forme allong6e posterieure. C'est de cette manifere qu'a du se former nXtuiwvn (texte de Va- top^de) de nXcup^v qui est plus ancien ; c'est pourquoi M. Nobbe, tout en introdnisant cette lecon, nXtuptivm, ne manque pas d'intercaler cette (Jcrniere voyelle. Ajou- tons que le texte est plus correct et plus exact que la carte.

Je demanderai la permission d'arrfiter I'attcntion sur un fait particulier. Le texte de Vatopfede conserve le district d'Albanon et la ville d'Albanopolis ; la carte ne porte que cette derniere -, car dans la carte, comma d' ordinaire, on a omis le district, tout en maintenant la ville. Ce nom r6put6 recent vient done de nouveau frapper les yeux de I'ethnologue. On saif qu'autrefois, lorsqu'on penchait a considerer les Albanais comme une des tribus amen^es par les migrations du moyen age, ces deux noms qui figurent dans Ptol^mee ont 6t6 mis en doute : c'6tait I'autorii^ du fameux Mannert qui d6cidait alors la question. Mais la reproduction de ces noms dans plusieurs manuscrits de Ptok'm6e, dans ses cartes, le mont Albion dans Strabon (dans le voi- sinage des Albanais) que Ptol(^m6e appelle Albanon,

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rile d'Arbe (ou Albe) dans I'archipel illyrien, le nom d'Arb^nie donn6 au district qui avoisine le golfe de Vallone, le sens plus 6tendu donn6 k I'Arb^nie par I'usage, toutes ces donnties, rapproch6es par M. Hahn, ne permettent plus de mettre en doute 1' existence du district d'Albanon et d'Albanopolis a I'^poque de Pto- 16mee. On salt que les Grecs appellent ce peuple

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Enfin, I'autochthonisme des Albanais prouv6 par Hahn, par Pott, au moyen de la linguistique, ne laisse plus lieu aux doutes. L'ancien manuscrit qu'onvient de faire connaitre ne fait que confirmer toutes ces donn6es de la science.

Telles sont les observations qu'on a pu faire sur deux localit6s et qu'on se garde d'appliquer k tout le texte et a toutes les cartes du manuscrit de Vatopfede. L'appelfait par M. de Sevastianoff aux personnes sp6- cialement vers^es dans la g6ographie ancienne, ainsi que dans la critique destextes de Ptol6mee, ne tardera point a amener une veritable appreciation du manuscrit de VatopSde.

DE LA CONSTITUTION PRIMITIVE

DE LA SOCI£t£ 5ERBE. (Extrait d'uae lellre de M. Bou6 a M. Viquesnel).

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Vienne, le 26 mai, 1859.

M. Utieschenovitch, savant croate, conseiller minis- t6riel auministere de I'int^rieur, a donn6 surlaconsti-

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( A32 ) tution cle la famille Scrbe dite Zailrui^a on l)rntscln>o, de curieux renseignements. La Zadruga estpropreaux Serbes. Lcs Kusscs n'ont que la propriiite communale, les paysans russes de chaque commune nepossedant indi- viduelleiiicnt rien; et cultivant leurs champs en commun sous les ordres de leurs maires de village pour se par- tager les produits des r^coltcs d'aprSs le chiffre num6- rique de chaque famille. La communion de famille des Slaves du midi 6tait, telle quelle existait autrefois et quelle existe encore en partie aujourd'hui, un 6tat in- term6diaire de possession territoriale, qui serait peut- 6tre applicable au passage des paysans russes de leur 6tat actuel a I'^tat libre et au droit individuel de pos- session territoriale. Malgre ces deux facons de posseder des immeubles (si etrange aux yeux de I'oucstde I'Eu- rope) , les individus des families russes et slaves peu- vent posseder de I'argent, des papiers, des meubles, dulinge, desbestiaux, etc., comme fortune particulifere pourlaquelle ils peuvent tester, tandis que pour le bien d'unc communion de famille aucun testament n'est possible et valable, exccpte le cas d'un seul survivant de famille. Le bien reste i la famille ; tant pis pour celui qui s'ensepareetvacourirle monde. llpourrabicnquelque- fois etresecouru par la famille ou aide dans ses6tudes, son commerce, etc.; mais il n'a part aux benefices des travaux executes en commun dans la famille que lors- qu'il y rentre. Voila la solution de I'enigme de Y absence des pauvres slaves dans toule la Turquie d' Europe, lis n'ont pas besoin de mendier, puisque dans la misfere leur famille doit leur fournir de quoi vivoter sans desho- norer leurs proches. D'une autre part, les Slaves peuvent

C /i33 )

exercer toutes sortes de professions, sans pour cela sortir tout a fait du lien de la communaut6 de famille ; ils y rentrent quand ils veulent. Pour donner aux tra- vaux de campagne et a I'administrationdes biens d'une famille une suite et la r6gularit6 n^cessaire, la famille se choisit a la majority des voix un chef, qui ordonne, distribue les travaux a sa guise, loue des ouvriers s'il le faut, r^primande les paresseux, apaise les dissen- sions, decide sur les pretentions qui s'616vent et punit memejusqu'a un certain point les membres de la famille qui se montrent reveches. C'est a la fois un p6re de fa- mille soigneux, un directeur de police de famille etun agent surveillant. Ce Starescldna estloin d'etre touj ours le plus ag6; c'est au contraire d'ordinaire le plus en- tendu, le plus actif. L' Election est^DOur un temps illi- mit6, court ou long; si la famille est m6contente, on va aux voix et on change son chef de file. Ce dernier a bien le droit d'emprunter sur les biens de la famille jusqu'a la moitie de lew valeiir, mais il ne pent le faire qu'avec I'assentiment de la famille.

Ce droit slave paraitrait avoir 6t6 aussi en pratique trfes anciennement chez les Czfeches. Aujourd'hui on le trouve dans toute la Turquie d'Europe, la Dalmatie, laCroatie, la Slavonic, la Syrmie et le Bannat. Or dans ces cinq derniers pays autrichiens, il n'y en a qu'environ la moitie ou les deux tiers, qui fassent partie de lafron- ti6re militaire, c'est-a-dire du pays limitrophe de la Turquie, car toute la population est censee militaire et n'est regie que militairement. Le gouvernement avait trouv6 dans les communaut6s de famille un moyen facile d'entretenir toujours sur la frontifere, et ipeu de frais,

XVU. MAI ET JUIN. 8. 29

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une force arm6e exerc6e, car chaqiie commiinaut6 de faraille 6tait obligee d'entretenir en tous temps un ou deux soldats, de les 6quiper, armer et uourrir, de les remplacer lorsqu'ils meurent.On comprend que le temps de ce service peut pour I'individu se prolonger ou se raccourcir, parce que la famille pouvait a volenti remplacer Pierre par Jean. Dans le service ordinaire de postes a la fronti^re, un honune est tout au plus s6par6 de sa famille six semaines ; en temps de guerre c' est autre chose, et il y a alors le cas fatal que tous se mariant de bonne heure, les dec6s produisent beaucoup de veuves et d'orphelins. La derni^re guerre des Au- trichiens avec les Hongrois a donn6 i2()00 veuves slaves du midi, dit-on.xiujourd'hui la famille create ne nonrrit ni ne vetit les hommes qu'elle fournit, mais ils recoivent pour chaque fois qu'ils se mettent sous les armes pour aller surveiller la frontifere un boni mal taill6, qui doit leur servir a payer leurnourriture ; mais le fait est qu'ils emploient Ic tout, ou du moins une partie de cet argent-paye, k s'humecter legosier de vin et d' eau-de-vie, et que la famille est n6anmoins obligee de leur donner du pain a emporter.

Un second point capital est le norabre des individus soldats que le gouvernement peut lever ou exiger de cha(iue famille dans les districts militaires; or c'est nd libitum : par exemple, sihors des districts fronti^res militaires on 16ve dans un canton deux cents hommes, il peut arriver qu'on premie dans un canton de meme o-randeur situ6 dans le district militaire des fronti6res jusqua deux mille hommes et meme plus. Vous voyez que c'est faire sortir de terre des armies exerc6es.

( 435 )

D'une autre part, dans les pays slaves hors de la fron- ti^re militaire, le goiivernement aiitrichien, dtant en- tr6 depuis 18A8 dans desvuestoutesnouvelles, lepay- san devenant partout propri6taire foncier et vos lois civiles ayant gagn6 pied, le gouvernement, dis-je, n'a su que faire de ce qui lui a paru au premier abord, bien que bas6 sur la legislation romaine , une absurdity contraire au d^veloppement des facult6s individuelles et de I'industrie. Comme M. Utieschenovitch le dit fort bien, au moment o^ on salt a fond I'esp^ce de civili- sation des Cafres et des Hottentots, on ne parait pas meme connaitre enti^rement en Autriche la cheville ouvri6re du droit ou de la vie slave, et encore bien moins hors des limites de I'empire. Ce droit coutumier a pourtant 1200 ans d' existence.

Par suite de cette iucurie, le gouvernement s'est mon- tr6 passif envers ces communautt^s de famille hors du pays militaire des fronti6res, et ne s'est point oppos6 k ces intrus Strangers qui out prech6 contre la betise de ce droit. II en est r6sult6 que certaines commu- nions se sont dissoutes, des partages ont eu lieu, des membres ont d6sob6i aux ordres du chef de famille et se sont laiss6 6blouir par des sophistes. Or la fm malheureuse n'a pas tard6 a arriver. R6unis en famille et composes de deux, trois ou quatre manages (ou plutot maisons oii ils couchent, car ils dinent ensemble) avec 25 a hO iock de terrain, avec plusieurs paires de bceufs ou chevaux, Zi ^ 8 vaches, 10 a 20 pi6cesdeb6- tail, 15 a 20 cochons ou moutons, de la volaille et les instruments aratoires n6cessaires, ils pouvaient culti- ver le sol et en vivre ; mais s6par6s, isol6s avec trop

( hM) )

peu d' instruments et de betail, ils n'ont pas toujours pu arriver a cultiver leur terrain ainsi niorcele. Ils se sont meme partage quelqueibis des arbres, et jusqu'aux solives de leur niaison ! Ils se sont endettes, ont vendu, et sont tombes dans la misere. Voila done une nouvelle source lie proletariat en /lulriclie.

En Croatie, le droit romain, ycomprisle droit de pri- mogeniture pour les nobles, est suivi dans les villes ; raais a la campagne il n'y a que le droit de la commu- naut6 de famille. Ces coutumes demandent, il est vrai, des id6es que n'ont pas nos paysans. D'abord un chef de famille se d6met de sa place lorsqu'il sent que ses forces diniinuent, d'apr6s le proverbe, Ko mdi onaj valja i da sudi, que celui qui travaille doit gouverner. Les slaves sont accoutumes a discuter leurs afl'aires de famille ; ils se plaisent a ces tournois d'eloquence d'interieur, et sont prets a c6derlorsqu'on leur oppose de bonnes raisons ; ils parlementent meme avec leurs ouvriers Strangers a la famille. Ils sont done faits pour un regime parlementaire eclair^ ; ils ne sont done pas tetus et brutaux connne les paysans allemands. Les fa- milies s'entr'aident pour les travaux de campagne, pour les moissons, etc. : c'est ce qu'on appelle une moba, une meute d' ouvriers ; les travaux s'ex6cutent alors en chan- tant des chansons appropri^es a I'occasion. La mai- tresse de maison rest? chez elle avec les enfants et prepare le manger; les enfants plus ages condulsentles bestiaux sur lespaturages, ou vonl al'^cole. Les femmes vont aux champs en hlant ou en portant leurs enfants :\ la mamelle sur leur dos. Le produit des recoltcs est mis de c6t6 par le maitre et la maitresse de la famille,

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pour payer les impots. Dans certaines contr^es, le sur- plus des recoltes est partage entre les paires d'^poux. N6annioins chacun de ces derniers a sa petite fortune, ses 6pargnes, le produit de son travail, par exemple pour la fabrication d'instruments de campagne, etc., quelquefois quelques bestiaux. Le Stareschiim ne nourrit pas seulement toute la famille, il fournit aussi les vetements et la chaussure. La toile se fabrique dans la famille; pour cela chaque paire d'6poux a quelques carr6s de chanvre et de lin. Le soir et dans la nuit, surtout en hiver, on fde.

Dans certains pays les femmes alternent dans les soins du manage, a savoir, pour la cuisine, la cuisson du pain, la nourriture de la volaille, pour traire les vaches, etc. Ces changements ont lieu de huit en huit jours ; cela s'appelle « venues a leur toiu- » , Redusclui. Les femmes ag6es sont exemptesde travail, parce que les jeunes ou les belles-fillesles remplacent. Lorsqu' une fdle se marie, on lui donne une dot tiree de la fortune mobilifere de la famille ; elle sort du ressort de possession de la famille. Plus rarement on y admet au contraire des hommes 6pousant des fiUes de la famille. Le principe slave est que riiomme doit poun'oir aiix besoins de sa fern me.

Cette administration de famille y rend les vols et autres d61its presque impossibles. Les membres m6- contents quittent ordinairement la famille. Les chefs arrogants, injustes, sont bientot mis de cote. L'harmo- nie dans les families est par cela nieme assez g6n6rale. D'ailleurs la plupart ne sont pas si nombreuses qu'on se I'imagine. En auoyenne, ce nombre ne d6passe pas dix

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a douze individus, ce qui provient de la quantity des individus qui s't^loignent de la famille poiir suivre une autre carrifere. Dans certaines families, les jeunes gens quittent la niaison a tour de r6le pendant deux ou trois ans pour aller gagner de I'argent d'une ma- nifere ou d'une autre. L'argent gagn6 reste leur pro- pri6t6 en entier, ou ils en donnent un trentifeme k la famille, ce qui arrive surtout lorsqu'ils s'absentent en 6t6 at reviennent en hiver.

Les exceptions a cette r6gle sontci etlkdes families riches et compos6es de cinquante a soixante individus, ou bien I'oppos^, de families r^duites kune seulepaire d'6poux, comme dans les comitats de Fiume et Wa- rasdin.

Tel est le r6suni6 fid61e de cette coutume enracin6e par I'usage chez les Slaves du sucl et ent6 sur leur ca- ract^re particulier ; mais pour nos jurisconsultes actuels les lois ne reconnaissent plus les droits coutumiers.

La communaut6 de famille a 6t6 r6gl6edans les dis- tricts militaires par une loi de 1807, renouvel6e le 7 mai 1850.

Les Hongrois ont voxdii ignorer ces coutumes et im- proviser une legislation civile d'h^ritage comme chez eux, ce qui n'a fait qu'exciter en 1848 les Croates et les Serbes a se r6volter. En Servie, un chapitre entier du code civil traite du Zadriign ou des communaut^s de famille, mais il contient des articles si difTus et si con- tradictoires qii'ils n'existent pas dans la pratique. En 1855 on y ajouta un conmientaire, dans lequel on n'a- vait recours qu'a des may ens moratix pour enipecher la ruine de rasage ties cormnimautes de famille, Ainsi

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pour rimpot personnel on d6cr6ta que dans une familie de quatre a cinq individus on serait Iib6r6 de cet im- pot, que dans une faniille de six a sept individus deux jouiraient de cette faveur, trois dans celles de huit a ■neuf individus, quatre dans les families de dix individus. Ce sont ces essais de remplacer des usages antiques par une legislation emprunt^e a des pays europ6ens plus civilises, qui sont en partie I'origine du m6contente- ment en Servie, ou Ton ne put entrevoir, accoutum6 que Ton 6tait a des procedures courtes et a une legisla- tion simple, les bons effets de lois si antipathiques au sens du pays. A 1' observation d'un Stranger que la Ser- vie ne pouvait avancer en civilisation sans litt^rature et sans livres, un Serbe de I'ancienne roche r^pondit tout crument a la turque : A schta su -vasche knjige^ la od knjige staria Je glava, eh! que SOnt VOS livres ? la tete est plus ancienne cpie vos bouquins. Bolje kaschto nosche i polovno, nejin iiirlje iziiova krojeno, le uotre fnotre habit) est souvent meilleur, quoiqu'il soit use, que retranger nouvellement repare.

Dans le cas oii une Zndnign se trouve reduite h une familie composee d'un seul enfant male etd'enfantsdu sexe feminin, le fils continue de posseder la propriete, et lesfdlesrecoivent leur avoir en argent, et sortent dela familie et de la propriete. Le Zadruga drui s china ou Dntthrn ne doit pas etre appele un usuge paUiarcnl^ corame quelquespersonnesl'ont fait, car unpatriarche doit etreobei en toute occasion par ses enfants, et ces der- niers ont seuls des devoirs aremplir, tandisque dans le Zadm^a il n'y apaslamoindre trace de soumission sem- blable a celle d'un esclave relativement au Gospodar

( liliO )

ou administrateur de la niaison. On n'y trouve pas meiiie la soumission stricte aux ordres patcrnels. Tons les membres out les memes droits a la propri6te ou fortune commune com me dans une soci6t6 d'action- naires, eton sesubordonnerationnellementa I'adminis- tration du gospodar, tout en se r6servant ses droits de discussion et de d6bat, d6cid6s a la majorite des voix. Les Turcs trouvant ces coutumes etablies chez les Slaves et y apercevant tout de suite un excellent moyen non couteux de gouvernement, n'eurent garde d'y toucher. Le Staresc/iina de chaque famille estcelui seul avec lequel ils ont affaire, soiten fait d'impot, soit en fait de police ou de d6lit. Le Zadru^a et la juridiction eccl^siastique grecque, ainsique les enchferes des places, tel est le reliquat de 1' empire byzantin que les Osman- lis ont continue et dont ils se sont fort bien trouv6s. D'une autre part, on comprend ais6ment combien un tel 6tat de clioses facilite une unit6 et une r^volte nationale, regard6e comme la propagation d'une id6e nationale. La reunion des 6"frt/e*cA//ia conduit naturcllement a des assenibl6es communales peu nombreuses ; de celles-ci on passe a des assemblies de district, et enfin k des assemblees de province, lorsque les Stareschina choi- sissent entre eux des d6put6s : telle est I'origine de la Skoitpschtina serbe. On comprend que des institutions aussi d6mocratiques ne peuvent trouver grace devant un gouvernement imperial juxlapos6.

( Ml ) itctcs fic la Socicfd;

EXTRAITS DES PROCES-VERBAUX DES SEAiNCES.

Seance du 6 mai 1859.

MM. les fr^res Hermann et Robert Schlagintweit adressent de Berlin, a la Soci6t6, leurs remerciments de la grande m^daille d'or qu'elle vient de leur d6cer- ner pour leurs decouvertes dans le Tibet et le Tur- kestan, lis la remercient 6galement des regrets sym- patbiques qu'elle leur a exprim6s sur la niort de leur frfere Adolphe, victime deson d6vouementa la science. MM. Schlagintweit annoncent leur procbaine arriv^e a Paris et leur intention de faire a la Soci^te des commu- nications sur leur voyage.

M. le D' Poyet, admis r6cemment dans la Soci6t6, lui 6crit de Ternova (Bulgarie), pour lui adresser ses remerciments et lui promettre son concours, M. le D"" Poyet se propose de continuer ses voyages en Bul- garie et d'6tudier cette contr6e interessante a tant de litres; il annonce qu'il recevra avec gratitude les in- structions que la Societ6 voudra bien lui adresser.

M. Jomard depose sur le bureau une lettre et un m6moire de M. Paul Chaix, de Geneve, contenant un expos6 succinct des decouvertes faites en Australie de- puis 1842 jusqu'en 1858. La Commission centrale de- cide qu'il sera donn6 lecture a la procbaine stance de ce m6moire qui est accompagn^ d'une carte. M. Jomard

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communique ensuite I'extrait d'une lettredu D' Peney, m(^decin en clief de I'ann^e 6gyptienne au Soudan oriental. Cette lettre , dat6e du Soudan , annonce le depart de M. le D"" Cuny pourle Darfour et son arriv^e dans cepays.

M. d' A vezac annonce que Y edition du geographe ano- nyme de Ravenne, pr(^par6e a Berlin par MM. Parthey etPinder, ct qui 6tait attendue comme prochaine, se trouve momentan6ment retard6e par un contre-temps dont il n'y a du reste qua se f6liciter : la recension, nouvellement faite a Bale, d'un manuscrit non encore consult^, a offert aux savants 6diteurs des variantes nombreuses et importantes, qui entraineront une revi- sion complete da texte, et de notables additions ; cette circonstance permettra sans doute aux nouveaux 6di- teurs de profiter du manuscrit de la bibliothfeque du marquis Louis de Angelis, vendue en 1838 k Ferrare ; ils tentent aujourd'hui de nouveaux efforts pour en d6couvrir la trace. ^

M. d' Avezac entretient aussi la Soci6t6 d'une ancienne boussole dont il vient d' avoir commiuiication : ceuvre de Hans Troschel, de Nuremberg, qui I'a ex6cut6e en \ 592, elle est d'un beau travail, form6e de deux plaques 6paisses d'ivoire, ajust^es a charni^res et s'ouvrant a angle droit. Dans celle des deux plaques qui reste horizontale, est creus^e la cuvette renfermant 1' aiguille aimant6e ; dans I'aulre est perc6 un trou circulaire destine a viser I'^toile polaire pour prendre des azi- muts. Une soie tendue entre les deux plaques sert k la fois de ligne directrice pour ces observations, et de gnomon pour un double cadran solaire correspondant

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k hS" d'6l6vation dn pole, et donnant, outre les heures, la longueur relative des jour§etdesnuitsd'un tropique k I'autre. Quand la boite est ferm^e, les deux faces ext^rieures, garnies cbacune d'une alidade ou indica- teur mobile de cuivre, ofTrent respectivement, en des- sous nn calendrier lunaire perp6tuel, en dessus une rose de seize vents pour 1' orientation de laquelle le trou circulaire du couvercle laisse apercevoir la pointe nord de 1' aiguille.

Mais une particularity qui donne a cet instrument un int^ret special, c'est que la ligne nord et sud tra- c6e au fond de la cuvette qui renferme 1' aiguille, est, 6videmment a dessein, a 5" environ de d6clinaison vers Test du nord vrai, tel qu'il est signal6 soit par 1' ombre m6ridienne du gnomon, soit par I'observation directe de I'etoile polaire.

M. Jomard remarque a cette occasion qu'il existe au D6partement des cartes de la Bibliothfeque imp6riale, une carte xylographique allemande de 1' Europe cen- trale, non dat6e, mais qu'il suppose ex6cut6e vers 1 Zi60, et sur laquelle on voit, outre un curieux itin6raire me- sur6 par milles, la figure d'une boussole avec indica- tion expresse d'une d6clinaisoq orientale d' environ 10".

M. d'Avezac rappelle, a cesujet, que I'atlas d'Andr6 Bianco contient d6ja en lZi36 une figure sp6cialement relative a la d^clinaison magn6tique ; il ajoute que, dans sa pens6e, non-seulement la connaissance de ce ph6nom6ne, mais meme celle de la variation correla- tive k la diversity des lieux remonte beaucoup plus haut qu'on ne le croit g^n^ralement : il cite des obser- vations de Ghristophe Colouib d'ou il r^sulte que ce

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grand homme avail constat^, sans en avoir conscience, la variation diiu'ne de 1' aiguille aimantOe ; que de meme I'illustre navigateur a constat^ I'usage, d6ja 6tabli de son temps, de boussoles corrig^es de la declinaison, telles qu'on les retrouve au xvi' sifecle.

Au surplus, M. d'Avezac croit possible de recueillir des donn6es assez nombreuses sur Tangle de d6clinai- son corr61atif a diverses 6poques anciennes en certains parages tr6s frequent6s : il prepare un travail a co su- jet, et il a I'cspoir d'oflVir prochainenient aux pliysi- ciens qui se preoccupent d'une translation plus ou moins sensible des coordonn6es niagneliques d'Orient en Occident, une s6rie de determinations liistoriques anterieures aux observations connues et remontant jusqu'au commencement du xiv° si6cle, de mani^re a agrandir notablenient le champ des verifications rela- tives k la loi des variations s6culaires de lad6clinaison.

M. Vivien de Saint-Martin communique une lettre de M. Bou6 a M. Viquesnel, ajoutant quelques details a ceux que le savant g^ologue lui adressait dans une lettre pr6c6dente sur les populations slaves. La Com- mission centrale decide que cette seconde lettre servira ft completer les extraits que le BuUetin doit donner de la premiere. M, le secretaire general est charge de ce travail.

M. Malte-Bnm fait un rapport verbal sur I'atlas clas- sique de geographie moderne de M. Tli. Joly, profes- seur k I'Athenee royal de Bruxelles. Get atlas, princi- palement destine a I'education secondaire, presente entre autres ameliorations un figure des niontagnes qui permet au simple coup d'oeil d'en 6valuer les hauteurs

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proportionnelles. Les vides de chacune des cartes soiit de plus remplis par des gravures bien execut6es repre- sentant les objets des trois rfegnes de la nature qui sont plus particulieremeiit propres a chaque pays et peuvent familiariser I'^lfeve avec les connaissances 6l6mentaires de la g6ograpbie naturelle.

Le meme membre lit la notice que M. Laroche a adress(5e k la Soci(^t6 ^lans sa derni^re stance, sur les communications a 6tablir entre le Senegal et I'Alg^rie. Un extrait de ce travail est renvoy6 an Bulletin.

M. le chevalier Pontelli met sous les yeux de I'asseni- bl6e deux cartes manuscrites des contr^es de Tabasco, de Chiapas et de Soconusco, qu'il a levies dans le cours de son voyage dans I'Amerique centrale. La Soci6t6 examine ces cartes avec intt^ret et adresse ses felicita- tions a I'auteur, en lui exprimant le d^sir de les voir bientot devenir I'objet d'une publication.

Seance du 20 mai 1859.

M. le president prend la parole pour annoncer k r Assemble la perte que la Soci6te vient de faire dans la personne de M. le baron Alexandre de Humboldt, I'un de ses presidents honoraires. 11 demande que I'ex- pression des sentiments de la Society et des profonds regrets quelle 6prouve soit consignee au procte-verbal. La Commission centrale decide qu' une notice sera consa- cr6e i perp6tuer le souvenir des travaux du baron de Humboldt et des services qu'il a rendus k la g^ographie.

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M, De la Roquette est pri6 de vouloir bien se charger dece travail.

M. raiuiral Lutke, vice-pr6sident delaSocieteimp6- riale g6ographique de llussie, adresse le compte rendu des travaux decetle Soci6t6 pour I'ann^e 1858. Conune le fait remarquer M. I'amiral Lutk6, la Soci6t6 g^ogra- phique de Russie pers6v6re dans la voie qu'elle s'est trac6e, et continue de diriger ses efforts vers I'^tude des diverses parties de I'Asie, afin de combler les lacunes qui existent encore dans la geographic de ces contr^es.'

M. Malte-Brun entretient rAsseinbl6e de la discus- sion qui s'est 61ev6e au sein de la Society royale g6o- graphique de Londres, entre iVlM. Macqueen et Speke k propos des sources du Nil. Le premier pense que le Nil Blanc ne prend pas sa source seidement sur les hauteurs du Kilimandjaro, mais qu'il se nourrit d'un filet d'eau sortant de la chaine du K6nia, un peu au nord del'Equateur; le capitaine Speke, rc^cemment de retour en Angleterre de sa p6rilleuse expedition faite en compagnie du capitaine Burton, son ami, difT(ire d'opinion, il a visit6 les grands lacs de Tanganyka et Nyanza et ne doute pas que de ce dernier sortent les sources du Nil.

M. De la Roquette depose sur le bureau, de la part de M. Paul Chaix, une note rectificative sur la carte qui accompagne le m6moire sur les voyages de d6cou- vertes en Australiede 1842 k 1858, que ce correspon- dant a adress6 k la Soci6te dans sa derni^re stance.

M. Henri Dunant, de Gen6vc, est pr6sent6 comme candidal par MM. De la Roquette et Jomard.

M. Cortambert rend compte des Lett res sur L' astrono-

{kin )

mie de M. Albert-Mont6mont. Ce rapport, qui donne lieu k quelques observations de M. Alfred Maury, est renvoy6 au Bulleiin.

M. Jomard donne lecture d'un m6moire sur le U des Cliinois et les aulres mesures de la Chine d'apr^s la carte chinoise de I'ile Formose, pub]i6e r^cemment par la Soci6t6. Ce m6moire est renvoy6 au Bulletin.

M. le secr6taire adjoint donne lecture du 7ii6moire sur les voyages de d^couvertes en Australie, de 18Zi2i 1858, adresse a la Soci6t6 par M. Paid Chaix de Ge- neve. — Renvoi au Bulletin.

A r occasion de la communication faitepar M. d'Ave- zac, sur la boussole, dans la derni^re s6ance. M. Lour- mand fait liommage a la Soci6t6 de deux vieilles bous- soles qui ne portent point dedate, mais qui pr^sentent d'autres caractferes d'anciennet6. L'une est francaise; I'autre, fabriqute a Augsbourg,estaccompagn6ed'une notice imprimee en allemand, d6pos6e dans la boite. M. Lourmand exprime le d6sir que ces objets soient I'origine d'une collection d'instruments d'observation qui pourrait devenir curieuse. M. le president lui adresse les remerciments de la Soci6t6.

Seance du 3 juin 1859.

M. le ministre de I'instruction publique annonce ci la Soci6t6 qu'il vient de mettre a sa disposition un exemplaire des JSIegociaiious diplouiatiques. entre la France et la Toscane, publi6es par M. Abel Desjardins.

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Des remerciments sont adress(is a M. le ministre.

M. le conite Francis de Castelnau, consul de France a Bangkok (Siam) , adresse a la Societ6 quelques ren- seignements snr ce pays dont I'interieur lui parait aussi peu connu qne les parties centrales de I'Afrique. llexiste deux rois k Siani, mais c'est le premier qui gouverne; le second n'est qu'un grand mandarin, son fr6re, entour6 d'lionneurs, mais sans foiictions ni puis- sance. Rest asscz dans les usages de I'lndo-Chine d'a- voir ainsi plusieurs chefs portant le meme titre. La cour de Siam a un harem compost d'au moins douze cents femmes dont la garde est confiee a des Amazones vetues de rouge et portant le fusil. La magnificence des pa- godes qui 6tincellent d'or et de pierres pr^cieuses, presente un singulier contraste avec les huttes mis6- rablesqui, danscette grande ville de Bangkok, servent de demeures a quatre cent mille crt^atures de la race humaine. M. de Castelnau ajoute qu'il se fera un plai- sir et un devoir de r6pondre aux questions que la So- ci6t6 voudra bien lui adresser sur la Geographic de ce pays.

M. Malte-Brun donne comnmnication d'une note qu'il a recuedeM. Aucapitaine, au sujet de rinfluencc dela nourriture animale sur le teint des N6gres. Cette note vient a I'appui de la th6orie d6velopp6c par M. Antoine d'Abbadie dans sa lettre a M. de Quatrefages, publi^e dans le Bitlletin du mois de mars dernier.

M. Alfred Jacobs offre a la Soci6t6, par I'organe de son president, M. Jomard, sa brochure sur les Fleiwes et rivieres de In Gniile et de la France an moyen age. Invito a donner quelques explications sur ce travail ,

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M. Jacobs dit qu'il a cru utile de dresser une liste des rivieres mentionn6es dans les principaux textes de l'^- poque m6rovingienne, d'en rechercher la traduction et de mettre leur nom actuel en regard. A cet efiet, il a d6pouill6 les textes de Gr^goire de Tours, de Fr6d6- gaire, de leurs continuateurs, les chartes et diplomes m6rovingiens. De plus afin de rendre ce travail le moins incomplet possible, il a pris aux ouvrages d'Adrien de Valois et de Masson les noms latins des rivieres que ces deux savants ont eu occasion de citer et les a joints en annexe. Malgr6 les soins qu'il a apport6s a ce tra- vail, M. Jacobs ne se dissimule pas que son travail pent encore presenter bien des lacunes qui s'expliquent par I'extreme difficult^ des recherches de ce genre. Aussi fait-il remarquer que dans son introduction il a fait appel aux savants des diverses parties de la France dans I'espoir de pouvoir mettre k profit leurs connais- sances locales ; en effet un grand nombre d'entre eux lui ont adress6 avec une bienveillance dont il est heu- reux de les remercier, des avis, des additions et des rectifications que I'auteur se propose de mettre k pro- fit pour une revision et pour un travail suppl6men- taire.

M. Henri Dunant, de Geneve, est admis dans la soci6t6.

M. Malte-Brun rend compte de la dernifere stance publique de la Soci6t6 royale g6ographique de Londres. La m6daille d'or du Fondateur, ou duroi Guillaume, a 6t6 d6cern6e au capitaine Richard F. Burton pour ses di{r6rentes explorations et notamment pour son r6cent et p6rilleux voyage en compagnie du capitaine J.-H. Speke

XVII. MAI ET JUIN. 9. no

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aux grands lacs de 1' Alrique orientale, et la mddaille d'or du Patronage ou de la reine Victoria a 6te accoid6e au capitaine John Palliser pour les importants r6sultats de son exploration dans I'Amerique anglaise du nord et dans les montagnes Rocheuses. Le conseil a en outre accorde un chronomfetre en or de la valeur de 25 gui- n6es, a M. Mac Dougal Stuart, pour sa d6couverte d' un vaste district de paturages au sud et au centre de I'Australie.

M. Jomard d6pose sur le bureau un m6moire de M, le docteur Peney sur rethnographie, la physio- logic, I'anatomie et les maladies des races du Soudan, en r6ponse a diverses questions pos6es par 1' Academic des sciences, lors de I'exp^dition aux sources du Nil. Ce menioire est lu et renvoy6 au Bulletin.

Apres la lecture des premieres pages de I'extrait d'un journal de voyage de M. le docteur Cuny, au Dar-Ber- gou, en passant par le Darfoiu", et d'un in6moire de M. de Paravey sur dilKrents points de la G6ographie de I'Asie centrale, la Commission decide que le tra- vail de M. le docteur Cuny sera ren.voy6 de nouveau h M. le comte d'Escayrac pour une r6vision complete ; quant au m6moire de M. de Paravey, sans m6connaitre les renseignements utiles qu'il renferme, on decide qu'il n'est pas de nature a etre public dans le Bulletin de la Soci6t6. Ce m^mou'e ainsi qu'un travail de M. Rabusson sur r emplacement delaville d' Alger serontrendus aux auteurs.

M. le President fait remarquer qu'il s'est mtroduit depuis quel(|ues ann6es, une irregularite pour I'j^pofpje des61ection5 quinquennalesde la Commission centr?le ;

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ttiais, comme la derni6re Election a eu lieu en 1855, il propose que le renouvellement de cette commission ait lieu dans la premiere assembl6e g6n6rale de 1860 et ainsi de suite de cinq en cinq ans. Cette proposition est accept6e.

Seance du 17 juin 1859.

M. Jomard communique une lettre dans laquelle M. de Beaumont, president de la Soci6t6 de geogra- phic de Gen6ve, fait connaitre I'^tat actuel de cette nou- velle association et sollicite la bienveillance de la Soci6t6 m6re : au sujet de la formation de sa biblio- thfeque qu'elle voudrait enricliir des publications de la Soci6t6 de Paris; 2" k I'occasion du depart d'un mis- sionnaire qui se rend dans I'Afrique centrale et pour lequel elle d^sirerait des instructions.

M. le capitaine Speke, compagnon de voyage du capitaine Burton dans I'Afrique orientale, de retour avec lui k Londres, 6crit k la Soci6t6 pour lui donner un apercu succinct de leurs d6couvertes ; il annonce, pour une 6poque prochaine, une carte de leur voyage, et il demande un expos6 des observations faites par les voyageurs frangais sur le Nil blanc sup6rieur pendant les trois expeditions qui ont eu lieu, avec les latitudes et les altitudes observ6es qui m6ritent le plus de con- fiance. M. le president se propose de r^pondre au- tant qu'ilsera possible au d6sir du capitaine Speke.

M. Poisson adresse a la Soci6t6 un itin6raire de

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Mondori k Sainte-Marie de Batlnirst, el il y joint une liste de quolques mots de la laiigue parlee dans le Guey, qu'il arecueillis dans unde ses voyages ;\B<akel.

M. Gamier communique une lettre qu'il a recue de M. S. Bertlielot, ancien secretaire general de la com- mission centrale, consul de France a Sainte-Croix de Tenerille. M. Bertlielot annonce le prochain envoi de quelques travaux destines au Bulletin dans leqnol il vient de lire avec le plus vif int6ret la notice annuelle des travaux de la Soci6t6 par M. Alfred Maury, et la notice de M. Elis6e Reclus sur la Nouvelle-Grenade. Cette opinion, ajoute M. Garnier, a d'autantplus d'au- torit6 quelle concorde parfaitement avec colle de M. J.-M. Samper, qui s' est lui-meme occup6 avec beau- coup de zfele des matiferes traitees dans le m6moirc de M. Reclus.

M. Malte-Brun donne, d'aprfesune communication de M. Norton Shaw, secretaire de la Societe royale g6ogra- phique de Londres, quelques details sur la derni6re seance de cette Societe (I'ijuin), dans laquclle il a 6te f(uestion de I'exploi-ation aux grands lacs de I'Afrique orientale entreprise par MM. Burton et Speke. M. le capitaine Speke , dans sou expos6 , consid^re le lac Nyanza comme la vraie source du Nil.

M. d'Avezacpr6sente a la Soci6t6, au nom du s6na- teur espagiiol don Vicente Vasquez Queipo, de 1' Aca- demic des sciences de Madrid, uu ouvrage en trois volumes, que I'auteur vient de publier lui-meme en France, et en langue francaise, sous le titre de : Essai sur Ics systemes nietnques et moiutaires des anciens peuples depuis let premiers temps historiques Justjua la

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fm du khalifat d' Orient. La Soci6t6 accueille avec re- connaissance rhomniage de cet important travail, et se reserve de designer, dans une autre stance, un de ses menibres pour lui en faire un rapport special.

M. Jomard offre, de la part de M. V.-A. Barbie du Bocage, un ouvrage de son aieul J.-D. Barbie du Bo- cage, I'un des fondateurs de la Soci6t6. Ce livre est intitul6 : Description topograpliique et historique de la plaine d^ Argos etd.^ une par tie de i' Argolide. Le inanus- crit de cet ouvrage avait6t6 comminiiqu6 a I'Acad^mie des Inscriptions et Belles-Lettres en 1 809 et remis a Fimprimerie imp6riale. Ce n'est que dans ces derniers temps que I'Mition a 6t6 mise au jour et sans les cartes qui devaient y figurer. L'auteur avait consult^ toutes les sources anciennes et r6centes pour composer cet ouvrage de geographic compar^e, mais seulement jus- qu'au voyage de Pouqueville. Les positions anciennes sont I'objet principal du livre. L'auteur a corrige plu- sieurs fausses indications, notamment cellede I'empla- cement de Tirynthe que d'Anville, tromp6 par Four- mont, avait mal determine.

M. Jomard entretient TAssembl^edes travaux entre- pris au mont Athos par un savant russe, par M. Se- vastianofT, qui vient de repartir pour le monastfere de Vatop^de, accompagn6 de six artistes photographes. Ce voyageur se propose cette fois de photograpliier les fragments du manuscrit de la geographic de Strabon qu'il a d^couverts au mont Athos ; quant k. la geogra- phic de Ptoiemee, manuscrit qu'il croit du xi" ou du xir siede, la copie des cartes et du texte est aujour- d'hui complete ; il n'y manque que la mappemonde et

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la carte de la Bretagnc qui ne se trouveiil plus dans le manuscrit. M. Sevastianofl' cspere pouvoir reproduire le texte et les cartes de manifere a donner une Edition au public ; il en sera de meme des fragments de Strabon et d'autres manuscrits qu'il va faire photographier. M. Joniard fait remarquer que le nom d'Agathod6mon ne figure pas sur le manuscrit de Ptol6m6e, comme dans ceux de Paris, de Vienne et autres, et aussi que les cartes different notablement decelles qu'on connait et qui ont 6t6 grav6es et publi^es au xv« si6cle.

Le meme membre a'nnonce que M. Fr6d(^ric Kunst- mann vient de publier a Munich un atlas de plusieurs an- ciennes cartes de 1' Am^rique, ouvrage colori^ d'une ma- gnifique execution, et accompagne d'un cahier de texte. M. d'Avezac s'empresse k cette occasion de donner qiielques details sm' I'ouvrage du savant bavarois, d6jk bien connu par un pr6c6dent m6moire sur I'Afrique avant les d6couvertes portugaises, et par d'autres tra- vaux qui int6ressent la Geographic. La publication ac- tuelle de M. Kunstmann se compose d'un m6moire sur la d6couverte de TAm^rique, travail plein d'6rudition, formant un gros cahier in-quarto, et d'un splendide atlas grand in-folio renfermant une s6rie de treize cartes in^dites du xvi* siecle, reproduites en fac-siniile d'apr6s les originaux existants a Munich, soita la i)ibhoth6que royale, soit a celle de 1' University, soit au Conservatoire g6n6ral militaire. La premiere de ces cartes, sign6e de Pedro Reinel (Pierre Ren6) pent etre rapport^e k una date voisine de 1520 ; la 3* et la A' font partie d'un re- cueil on se rencontre, sur une autre feuille, le nom du mayorquin Salvat de Pilestrina, avec la dale de 1511 ;

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la 5" porte le noin de Vesconte de Majolo, et parait appartenir au milieu du xvi" si6cle; cinq feuilles nu- m^iolees de 8 a 12, sont extraites d'lm bel atlas de Vaz Dourado, ex6cut6 entre 1571 et 1580 ; enfin la 13* est dat6e de 1592 -et sign6e de Thomas Hood ; les autres n'ont ni date ni nom d'auteur.

En faisant I'^loge de la beaut6 remarquable de ces cartes, eten applaudissant al'id^e qu'aeuel'auteur de joindre a son m6moire de si magnifiques illustrations, M. d'Avezac ne peut cependant dissimuler I'expression d'un regret; c'est que ces belles feuilles ne soient qu'une representation partielle des originaux, n' ay ant qu'une application circonscrite a une th6se sp^ciale, de meme qu' autrefois une s6rie de fragments de cartes fut publi6e a I'appui d'une pol6mique relative aux d6couvertes portugaises sur les cotes occidentales . d'Afrique : tandis que I'int^ret pressant de tons les amis de la geographic historique est d'obtenir, ainsi que I'a si bien compris M. Jomard, la reproduction complete des originaux dont I'acces est difficile, afin d'etre mis k port^e de les 6tudier dans leur entier.

M. Vivien de Saint-Martin annonce que divers jour- naux ont parl6 de la decouverte que M. Pertz, de Berlin, aurait nouvellement faite d'un temoignage historique important sur 1' expedition des Genois Doria et Vivaldi dans r Ocean vers la fm du xiir siede.

M. d'Avezac rappelle a cette occasion la communica- tion qu'il adejafaite a laSociete, il y a plusieurs mois, d'un passage de la chronique de Jacques Doria, I'un des continuateurs de Caffaro, trfes explicite acet egard, et qui se trouve dans les manuscrits les plus complets

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des Annates genuenses, mais qui manque en d'autres, notaniment dans ccxlx qui ont servi a I'^dition de Mu- ratori, et qui sera r6tabli dans I'^dilion nouvelle que M. Canale estcharg6 dc preparer au compte de la com- mune de Genes. M. Pertz, qui s'est appliqu6 de son cote a r6unir les variantes des divers manuscrits des Annales de Callaro, a du relever le mume passage, et de la, sans doute, le bruit d'une decouverte nouvelle, de sa part, sur ce point int^ressant.

M. Barbi6 du Bocage fait un rapport sur I'ouvrage de M. le marquis de Blossevillc, intitule : IHstoire de la Colonisation penale et des etnblissements de V Angleterre en Australie. Renvoi au Bulletin.

( A57 ) OUVRAGES OFFERTS A LA SOClfiT^.

SfiANCES DE MAI ET JOIN 1869.

Tilres des ouvrages. Donateurs.

EUROPE.

Description topograpbique et historique de la plaine d Argos et d'uue partie de I'Argolide, par J. D. Barbie du Bocage. Paris, 1834, I vol. in-8. M. V.-A. Barbie do Bocage.

N^gociations diplomatiques de la France avec la Toscane. Documents recueillis par Giuseppe Canestrini et publics par Abel Detjardini, doyen de la Faculty des letlres de Douai. Paris, 1859, 1 vol. in-4. (Collection des documents in^dits sur rhistoire de France).

M. LE MINISTRE DE l'INSTRUCTION PDBLIQCE.

Gdographie historique de la Gaule : Fleuves et rivieres de la Gaule et de la France au moyen Age, par M. Alfred Jacobs. Paris, 1859, br. in-8. M. A. Jacobs.

OUVRAGES GfiNfiRAUX, MELANGES.

Essai sur les systimes m^triques et mondtaires des anciens peuples, depuis les premiers temps historiques jusqu'^ la fin du Khalifat d'Orient, par don V. Vazquez Queipo, docteur en droit, membre de I'Acad^mie royale des sciences de Madrid, etc., etc. Paris, 1859, 3 vol. grand in-8. Don Vazqdez Qoeipo.

Instructions nautiques destinies k accorapagner les cartes de vents et de courants, par M. F. Maury, directeur de I'Observatoire de Washington, traduitesparEd. Vaneechout, lieutenani.de vaissean. Paris, 1859, 1 vol. in-fol. Dir^t Dt i* marine.

( {^bS )

Titres d«s ouvmges. Donateurs.

Hints to crgniographors, upon the importance and feasibility of enta- blishing some uniform system ly which the collection and pro- mulgation of craniological statistics and the exchange of duplicate crania may be promoted, by J. Aitken Meigs, M. D. Philadelphia, 1858, br. in-8. M. Aitken Meigs.

CARTE.

Guerre de I'ind^pendance italienne. Carte du bassin du P6, compre- nant les lignes slrat(^giques du Tessin, de I'Adda, du Mincio et de I'Adige, dress^e par E. Desbuissons, g^ographe, d'apres les cartes des 6tats-majors sarde et autrichien, et publi^e par la Direction du Spectateurmilitaire. Paris, 1859. 1 feuille. M, Noibot.

MEMOIRES DES ACADEMIES ET SOClfiTES SAVANTES, RECUEILS PERIODIQUES.

Tradsactions of the Cambridge philosophical Society, vol. X, part. 1, in-4. Proceedings of the royal Society, vol. IX, n" 32, 33. The church missionary intelligencer, vol. IX. Bijdragcn tot de Taal-Land-en Volkcnkuude, Van Nederlandsch Indiij, Amster- dam, 1858. Compte rendu de la Soci(*t(^ impf'riale geographique de Russie, pour I'ann^e 1838. Milthcilungeu iiber wlchtige ucue Erforschungen aufdem Gesammtgebiete der Geographic, von D. A. Petermann, 3, 1859. Zeitschrift fur allgemeine Erdkuude, mars 1859. Zeitschrift der Deutschen niorgenlandisrhen Oesell- schaft, n" 2, 1859. Abhandlungen fur die Kunde des Morgen- landes, 5. Ueberdas Verhaltniss desTexles der drei syrischen Briefe des Ignatios zu den (ibrigen Recensionen der Ignatiani- schen Literatur, von Richard A. Lipsius, Leipzig, 1859. Notiz- blatt des Vcreius fUrErdkunrie dc Darmstadt, n"" 21 a 26. Jour- nal ofthe Franklin Institute, maj. Annalcs du commerce extt'rieur, mars. Nouvelles annales des voyages, avril et mai. Bulletin de la Society g6ologique de France, avril el mai. Annuaire dc la

( A59 )

Titres des ouvrages. Donateurs.

Soci^t6 mdt^orologique de France, avril. Bulletin de la Soci^l^ imp^riale zoologique d'acclimatation, avril et mai. Revue de rOrient, de I'Alg^rie et des colonies, avril. La France coloniale et maritime, n°' 10, 11 et 13. I/Alg(^rie agricole, comnierciale, industrielle, 1" ann^e, 1. Revue aro^ricaine et orientale, avril et mai. Annales de la propagation de la Foi, mai. Jour- nal des missions ^vang^iiques, avril. L'Investigateur, journal de rinstitut historique, mars. Nouveau journal des connaissances utiles, avril, mai et juin. Journal de I'lsthme de Suez, n" 69 k 72. Journal d'^ducalion populaire, avril. Extrait des travaux de la Soci^t^ centrale d'agriculture du d^partementde la Seine-In- f^rieure, 4' trimestre, 1858.

LeS AcTEURS et LES fioiTEURS.

( 4l)0 )

TABLE DES MATIERES

COMESCES

DANS LE TOME XVII DE LA SfiRlE.

IN"' 97 a 102. (Janvier a juia 1859.)

MEMOIUES, ^OTICES, ETC.

Rapport sur les travaiix de la Societe rte geographic ct sur les progresdes sciences g^ographiques pendant I'anu^e 1858, par M. Alfred Maury 5

Quelques mots sur la Nouvelle-Grenade, par M.filisdc Reclus. HI

Esquissegdograpliiquedes pays OromoouGalla, despaysSooniali et de la c6te orientaie d'Afrique. (Extrait d'une iettre du R. P. L^on des Avanchers, missionnaire apostolique, h M. Antoine d'Abbadie) 153

Notes sur les negres de I'Ethiopie, ecrites de ra^moire et adrcs- s^es par M. Antoine d'Abbadie, iM. de Quatrefages, membre de rinstitut nO

Notes de M. le chevalier L^oa de Pontelli sur quelques parties du Chiapa qu'il a visit^es de 1854 i 1857 180

Notice sur le voyage de M. de Hahn, consul autrichien a Syra, li travers le centre de la Turquic, de Belgrade h Salonique, par M. Ami Bou6 186

Ouverture de I'Assemblee g^nerale du 8 avril 1859, par M. de la Roquetie, vice-|)resident de la 8001(^16 225

Rapport sur le concours au prix annuel pour la d^couverte la plus importanteen geographic, fait au nom d'une Commis- sion sp^ciale, par M. de la Roquelte 226

La recherche des sources du Nil, parM. Vivien de Saint- Martin. 245

Notice sur le Darfour el sur le voyage de M. le docleur Cuny danscette contrce, par M. le romte d'Escayrac de l.aulurc. . 281

( 461 )

Etudes sur I'ethnographie, la physiologic, ranatomie el les ma- ladies des races du Soudan, en rdponse h diverses questions posees par I' Academic des sciences, par M. Peney, m^decin en chef de Tarmce du Soudan 32 1

Exposd succinct des d^couvertes et des voyages fails en Australie, de 1842 a 1858, par M. P. Chaix 35'.

Note sur les communications h ctablir eatre I'Alg^rie et le S^n^- gal. adressde h MM. les membres de la Commission centrals de la Soci^t6 de Geographic, par M. Laroehe (de Clermont- Ferrand) 374

ANALYSES, IIAPPOUTS, ETC.

Rapport de M. Malte-Brun sur la carte de I'Amerique tropicale au nord de I'^quateur, par M. H. Kiepert 192

Examendequelques parties de la carte dela Palestine de M. Van de Velde, par M. G. Rey 198

Rapport sur I'ouvrage de M. de Blosseville, intitule : Histoire de la Colonisation penalc el des elablissements de I'Angleterre en Australie, par M. V.-A. Barbie du Bocage 380

Lettres sur I'astronomie, par M. Albcrt-Montemont. Rapport par M. E. Cortambert 41C

NOUVELLES ET COUMUNICATIONS.

Nouvelles des capitaines Burton et Speke 205

La Confederation argentine, son terriloire et sa population a la fjn de 1858, par M. Jos6 Maria Samper 207

Notice sur la nouvelle direction a donner i la recherche des sources du Nil, par M. Jomard 296

Extraits des Proceedings de la Soci6t6 royale g^ographique de Londros, par M. Daussy 303

Remarques de M. Jomard et de M. Destounis sur le manuscrit de la Geographic de Ptol(5mee , trouve au monast6re de Valopede (Mont-Athos) , reproduit pholographiquement en entier et en grandeur naturelle, par P. de SevastianolT. . . . 422

( A6'i )

De la coDstitution primitive <le la Soci^t^ serbe. (Exlrait d'uae lettre de M. Bou6 a M. Viquesael) 431

ACTES DE L4 SOCIETE.

Extraits des proc^s-verbaux des stances de la Commission cen-

trale 142, 212, 307, 441

Ouvrages offerls 149, 222, 317, 457

Table des malieres du XVII' volume 460

PLANCHES.

Esquisse d'une carte des pays Oromo ou Galla, des pays Soomali et

de la cdte orieDtaie d'Afrique, par ie R. P. L^on des Avaochers,

missionaaire apostolique. Esquisse des chaiues de montagnes et des systemes de rivieres de

I'Himalaya au Sayan Shan, par Hermann et Robert Schlagintweit. Carte de i'Australie pour suivre les derni^res d^couvertes dans ce pays,

de 1841 h 1858. par M. P. Chaix.

FIN DU D1X-SEPT1£ME VOLUME.

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