9 (0.?^ S/^o^A- I I BULLETIN l'H SÉANCKS l)i:S CIM.» SKCTIONS : _1" Jii:^ Si'.IENOF.S l'HYSIQlKS ET NATIUEI I.KS ; 2»,l»ES SCIENCES MOriM.KS ET POLITIQUES, D'aIU'.IIEOLOGIK ET D'iIISTOinE; . '■.i' DE LliTÉltATl'HE; 4" HKS HK \( X-AIiTS ; 5" u'iNnL'STrUE ijl ET d'aiîRICI'I.TIUK. N" 1. iriii i(. IN in:c.K>ii;ui-: IK.'),". GENÈVE, KESSMANN, ÉDITEUR, LIBRAIRE DE LINSTITl'T GENEVOIS, i;rr: uv uiiùnf., 17t. 1855 ^ BULLETIN .^c^M.. DE £.,_^. \'^ W SEANCES DES CINQ SECTIONS 1» DES SCIENCES PHYSIQUES ET NATURELLES ; 2° DES SCIENCES MORALES ET POLITIQUES, d' ARCHÉOLOGIE ET d'hISTOIRE ; 3° DE LITTÉRATURE ; ¥ DES BEAUX-ARTS ; 5" d'iNDUSTRIE ET d'agriculture. N« 1. rUDMÉ EN DÉCEMBRE 1853. f^M.:^ GENÈVE, CHEZ KESSMAIVN, ÉDITEUR, LIBRAIRE DE L'INSTITUT GENEVOIS, - RliF, DU RHÔNE, 171. 1855 IMPniMEIE VANEV, CROIX-D'OR, 44 EXTRAIT (]it nèglemenl général de rin.ilihil National Genevois. <( Art. 33. L'Institut publie un Sulletin et des Mémoires. « Akt. 3^. Le Bulletin parait à des époques indéterminées qui n'ex- cèdent cependanl pas trois mois; les Mémoires formeront chaque année un volume. '< Akt. 5ô. Ces publications sont signées par le Secrétaire général. « Akt. 3(). Le Bulletin renferme le sommaire des travaux intérieurs des cinq Sections. La publication en est confiée au Secrétaire général, qui le rédige avec la coopération des Secrétaires de chaque section. « Art. 37. Les Mémoires in-extenso, destinés au Recueil annuel sont fournis par les sections. '( Art. 37. Les Mémoires des trois catégories de membres de l'Insti- tut (effectifs, honoraires, correspondants) sont admis dans le Recueil. « Art. 38. A ce Recueil pourront être jointes les gravures, litho- graphies, morceaux de musique, etc. , dont la publication aura été ap- prouvée par la Section des Beaux-Arts. « Art. 39. Le Recueil des Mémoires sera classé en séries, corres- pondantes aux cinq Sections de l'Institut, de manière à pouvoir être détachées au besoin et être acquises séparément. « Art. 40. La publication du Recueil des Mémoires est confiée au Comité de gestion. » Le Secrétaire général de VInslilul National Genevois, H.-E. GAULLIEUR , professeur. BUREAUX DE L INSTITUT NATIONAL GENEVOIS. Président de i/Institut, M. le professeur Chenevière , recteur de l'Académie de Genève. Secrétaire général, M. E.-H. Gaullieur, professeur d'histoire à l'Aca- démie de Genève. Scciion des Sciences naturelles et malhémaliques, Vrésideut, M. Mayor père, docteur. Vice-Président, M. Vogt, professeur. Secrétaire, M. Th. Lissicnol. Secrétaire adjoint, M. Moulinié Qls. Section des Sciences morales et politiques, d'Archéologie et d'His- toire, Président, M. Chenevière, professeur. Vice-Président, M. James Fazy. Secrétaire, M. Gaullieur, professeur. Vice-Secrétaire, M. Grivel, archiviste. Section de Littérature. Président, M. Cherbuliez-Bourrit, professeur à l'Académie de Genève. Vice-Président, M. Bétant, professeur. Secrétaire, M. Fréd. Amiel, idem. Vice-Secrétaire, M. Vuy, avocat. Section des Beaux-Arts, Président, M. Franc. Diday. Secrétaire, M. Franc. Grast. Section d'Industrie et d'Agriculture, Président, M. Hector Galland. Secrétaire, M. Olivet fils, docteur en médecine. Secrétaire adjoint, M. Bouffier aîné. BlLLETm DE L'INSTITUT NATIONAL GENEVOIS. Première séance générale. — Installation. L'Inslilut National Genevois des Sciences, des Lettres, des Beaux-Arts et de l'Agriculture , créé par une loi émanée du Grand Conseil du canton de Genève, le 7 mai i852, a été définitivement constitué et installé en séance solennelle, le 2 mai 1853. — Cette séance a eu lieu à l'Hôtel-de- Ville, dans la salle du Grand Conseil, en présence du Conseil d'État et du public. M. Tourte, président du Conseil d'Etat, a donné lecture des dispositions réglementaires adoptées pour cette première séance. Aux termes de cet arrêté et en l'absence de M. le Président de la section des sciences physiques et naturelles , la première désignée dans la loi sur l'établissement de l'Institut, M. le pro- fesseur Chenevière , président de la section des sciences mo- rales et politiques, désignée la seconde, est appelé à présider provisoirement l'Assemblée. M. le professeur Gaullieur, secrétaire de la section des sciences morales et politiques , aux termes du même arrêté , tient la li t 6 plume, en qualité de secrétaire, en l'absence de M. le secré- taire de la section des sciences physiques et naturelles. M. le Président provisoire donne la parole à M. Tourte, prési- dent du Conseil d'État. M. Tourte prononce un discours, qui a été livré à l'impression, et dans lequel il énumère les causes qui ont concouru à la création de l'Institut Genevois, et les résultats que le pays et la science attendent de celle institution nouvelle. L'Institut procède ensuite à la nomination de son bureau dé- finitif (art. 9 de la loi). M. Chenevière, professeur et recteur de l'Académie de Genève, est élu président. M. GauUieur, pro- fesseur à l'Académie de Genève , est nommé secrétaire général. MM. Diday, James Fazy, Longchamp , professeur, Hugues Darier et Vogt, professeur, sont désignés comme membres de la Commission qui doit être chargée (art. 10 de la loi) de la gestion des fonds et de l'administration matérielle de l'Institut. Cette Commission est priée d'élaborer, conjointement avec le bureau, un projet de règlement définitif pour tout l'Institut, chaque section ayant déjà des règlements particuliers, lesquels ont servi pour les réunions particulières et la constitution de sec- tions qui ont précédé cette séance générale d'installation. Une discussion s'engage sur les points essentiels qui devront être touchés dans ce règlement, ainsi que sur le budget à pré- senter pour l'année courante. La séance est levée. Deuxième séance générale (jeudi 24 août iH53). (Présidence de M. le professeur Chenevièrc.) Cette séance a eu lieu, comme la précédente, dans la salle du Grand Conseil. Le Président a exposé qu'elle avait pour objets : 1" la discussion du règlement général dont le projet autographié a été distribué aux membres de l'Institut un mois à l'avance; 2» la discussion du budget pour la présente année 1853. M. le Secrétaire général présente, au nom du Comité de ges- tion, le rapport suivant sur ces deux objets : Messieurs, « Dans votre séance générale d'installation , vous avez chargé la commission qui fut nommée en vertu de l'art. 10 de la loi sur l'établissement de l'Institut Genevois, de préparer pour votre prochaine réunion un projet de règlement général et un projet de budget pour la présente année. « Votre Commission s'est occupée de ces deux objets dans une série de séances, et je vais avoir l'honneur de vous exposer brièvement la marche qu'elle a suivie. 1" Règlement général. « Deux projets ont été élaborés , l'un par M. Fazy, conseiller d'Étal; le second par M. le professeur Longchamp. C'est en les combinant tous deux que la Commission s'est arrêtée au projet de règlement général qui vous a été adressé le l-^-- du mois courant avec prière de l'examiner, et de l'étudier pour le mo- ment de la discussion. a La Commission ne s'est pas départie de ce point de vue, que la simplicité et la concision doivent caractériser un travail de ce genre. Elle s'est surtout attachée à écarter tout ce qui 8 aurait pu faire double emploi et établir une confusion avec la loi sur la fondation de l'Institut. Le règlement ne détermine ab- solument que les points sur lesquels se tait cette loi. « Votre Commission, Messieurs, est aussi partie de l'idée, que si un règlement très-serré, plein de détails, prévoyant un grand nombre de cas et d'incidents, est nécessaire à des corps délibérants, où les discussions peuvent devenir compliquées, difficiles, orageuses même; il n'en est pas tout à fait de même pour un corps scientifique et littéraire, dont les membres, par la nature et le but de leurs travaux , sont tout particulière- ment incités à s'entendre amiablement en allant au devant les uns des autres, et en se faisant toutes les concessions que peuvent réclamer la raison, des vues élevées et des tendances libérales; Les divers points que traite le règlement général s'expliquent d'eux-mêmes. 11 passe successivement en revue ce qui concerne : 1° les Assemblées générales et l'ordre à suivre dans les déli- bérations; 2° les attributions du président de l'Institut, et 3° celles du secrétaire général. La section quatrième détermine les fonctions du Comité de gestion. La cinquième est consacrée aux travaux de l'Institut, la sixième aux rapports des sections entre elles, et la septième, enfin, aux publications de l'Institut. Ce dernier point a surtout occupé votre Commission. Elle s'est enfin décidée, après d'assez longues délibérations, à vous proposer de consacrer à l'Institut deux publications, savoir : 1» un bulletin sommaire qui serait rédigé par les secrétaires particu- liers de chaque section, et qui pourrait servir en même temps de procès-verbal pour les séances des diverses sections. Votre Secrétaire général serait chargé de coordonner ces matières, afin de donner de l'unité et des proportions égales à l'ensemble de ces bulletins partiels, et de surveiller leur publication et leur distribution. 9 « Toutefois, Messieurs, votre Comité ne s'est pas dissimulé les objections que l'on pourra élever contre ce bulletin sous le rap- port (les frais (pi'il occasionnera, de son utilité immédiate et de la publicité qu'il recevra. Si, dans quel(|ues corps savants de premier ordre, ces bulletins, qui paraissent d'ordinaire men- suellement, sont envisagés comme indispensables, surtout pour prendre date des découvertes, il est d'autres sociétés, plus mo- destes dans leurs allures, qui ont pu s'apercevoir que dans bien des cas ces bulletins qu'on prenait beaucoup de peine à rédi- ger, n'étaient la plupart du temps ni lus, ni même dépliés, par ceux qui les recevaient. « 2» La seconde publication que vous propose votre Comité est celle des mémoires de l'Institut, que les diverses sections, chacune dans son ressort, auront jugé dignes de l'impression. « Vous partagerez sans doule à cet égard. Messieurs, la con- viction profonde de votre comité. Il estime que de tels mémoires seront la meilleure garantie de Futilité actuelle de l'Institut, et sa sauve-garde dans l'avenir. Les sociétés savantes qui ont su dès leur origine, poser la base de leur réputation sur des tra- vaux de ce genre, ont acquis des titres réels et incontestables à la reconnaissance des générations studieuses. Il est telle de ces collections de mémoires dont l'autorité est si bien établie qu'on s'en dispute les exemplaires à des prix infiniment élevés. Au contraire, les sociétés scientifiques qui ont négligé ce moyen de se recommander au souvenir de la postérité savante, n'ont plus dans l'histoire littéraire qu'un vain titre qui rappelle môme par-' fois une idée de nullité et de ridicule. ft Mais pour que les mémoires de l'Institut de Genève aient une valeur réelle , pour qu'ils puissent être cités avec éloge , comme ceux de telle autre société savante genevoise , notre de- vancière, il faut. Messieurs, que cette publication soit surveillée de près et qu'on n'y insère réellement que des mémoires de na- ture à faire avancer la science, des choses réellement nouvelles 10 et importantes dans le monde des idées. Ceci a conduit votre comité à examiner quels seraient les juges qui offriraient à cet égard les meilleures garanties. Après un ample examen il lui a paru, Messieurs, que l'élément le plus compétent pour apprécier l'utililé, l'originalité, la portée et la valeur scientifique d'un mémoire serait la section même de l'Institut à laquelle il aurait d'abord été soit présenté, soit lu par un membre effectif, un honoraire ou un correspondant. « L'idée d'avoir un comité spécial de publication, composé par exemple d'un ou de deux membres de chaque section, a bien été examinée par votre comité. Mais il lui a semblé , en définitive , qu'il serait peu heureux de faire juger en partie un mémoire de physique ou d'histoire naturelle par des membres de la sec- tion de littérature ou de la section des Beaux-Arts et vice-versà. Sans doute on saurait bien à la rigueur composer un corps res- treint qui pourrait se prononcer sur le mérite d'un travail, à quelque branche de l'universalité des connaissances humaines qu'il appartienne. Mais ce mode de faire offrira dans la pratique des chances d'erreur qu'on pourrait peut-être éviter en procé- dant autrement. Au reste , une fois l'impression d'un mémoire votée par une section, tout n'est pas fini d'après le projet de rè- glement général. Ce mémoire est renvoyé au comité de gestion qui s'entoure encore , avant de déterminer l'ordre et le rang de sa publication , des lumières des membres de l'Institut les plus compétents dans la branche de la science dont traite le mémoire en que.stion. « Une autre considération. Messieurs, qui a porté votre comité à se déterminer pour chaque section en corps comme juge de la valeur d'un mémoire, c'est que cette section aura été en premier lieu appelée à entendre la lecture de ce mémoire en séance ordi- naire. Or il serait à craindre que la section, si elle ne se savait pas compétente pour prononcer sur le mérite de ce travail et sur l'opportunité de sa publication , ne vînt à apporter à la longue II quelque mollesse ou quelque inattention dans l'audition de ces mémoires qui alimenteront à l'ordinaire ses séances. « Une autre objection soulevée par la publication des mé- moires, et au devant de laquelle votre comité n'a pas manqué d'aller, est celle-ci. Messieurs , que toutes les sections, par la nature diverse de leurs travaux, ne sont pas toutes également aptes et qualifiées pour produire en même proportion des maté- tériaux de nature à être publiés sous la forme de mémoires. Je m'explique, Messieurs: la littérature, par exemple, la poésie enire autres, la peinture, la musique, produiront moins sous cette forme que les sciences physiques et naturelles , que l'in- dustrie ou l'agriculture, que les antiquités ou l'histoire peut- être. Mais, Messieurs, vous verrez que ces branches intéressantes n'ont pas été oubliées dans le règlement général. Une large part leur est faite dans le bulletin et sous la forme qui s'adapte le mieux à leur genre de production. « D'ailleurs, Messieurs, la fraternité qui règne entre tous les enfants des muses est assez sérieuse, assez désintéressée et assez généreuse pour que l'idée d'empêcher les uns de donner car- rière à leur talent, parce que d'autres ne pourraient pas fournir autant de feuilles d'impression ou de cahiers de mémoires que les plus privilégiés ; pour que cette idée , dis-je , n'entre pas même dans leur esprit. Enfin n'oublions pas que si telle section réclame pour frais.de mémoires et absorbe une plus forte mise en dehors de fonds que telle autre , il n'est pas rare non plus (d'après les renseignements exacts que nous avons pris auprès de divers éditeurs) de voir tel mémoire scientifique qualifié se vendre à l'étranger à un nombre d'exemplaires suffisant pour couvrir les frais d'impression. 2. Budget. « Je passe, Messieurs, à ce qui concerne notre budget, et j'aurai fini en deux mots : 12 « L'année était déjà fort avancée quand l'Institut a été organisé et définitivement constitué. Il a donc paru quelque peu difTicile à votre Comité d'établir d'une manière bien détaillée et pouvant faire régler à l'avenir les bases du budget de l'Institut pour l'année courante. D'un autre côté, la nécessité bien reconnue de tous ceu.x qui connaissent le prix du temps, de ne pas perdre un seul jour quand on a sous la main une découverte à révéler, une goutte d'eau à apporter dans le vase de la science, a décidé votre comité à mettre immédiatement la main à l'œuvre en commen- çant la publication des mémoires , du moment qu'elle pouvait embrasser quelque travail d'une originalité et d'un mérite in- contestables. «A cet effet, et pour cette année, saul à continuer plus tard si l'Institut se trouve bien de cet arrangement , votre comité vous proposerait de diviser en deux parts égales ou à peu près, les 6,000 francs qui forment l'actif du budget de l'Institut pour 1853. ».; conique; lisse; pé- ristome continu, libre; extrémité du dernier tour ne s'appuyant pas sur le précédent et se jetant en dehors de l'axe; lunule se montrant presque en entier par l'ouverture de la bouche; celle- ci arrondie; lamelle supérieure mince, inférieure très-immergée et comme bairée sur le devant par un pli qui se relève vers le bord columellaire; base extérieure du dernier tour, très-resserrée et formant comme une caréné de navire très-prohéminente. En résumé, les récoltes faites par M. lluel montrent que la faune malacologique de l'Arménie est pour les coquilles aquati- ques analogue et presque semblable à celle de Genève. Pour les coquilles terrestres elle prend un caractère plus particulier. Ce- pendant elle est encore en partie européenne , et les espèces spéciales ont une physionomie plus voisine des espèces d'Europe 38 que de celles qui caractérisent la faune vraiment asiatique. En Arménie , les clausilies et les bulimes pupoîdes sont surtout abondents, c'est ce qui s'observe aussi dans la faune du sud-est de l'Europe. 2§iection des Sciences morales et i»oli- qiies tl^archéologie et d^histoire. Cette section compte comme membres effectifs : MM. Chene- vière, recteur de l'Académie de Genève, James Fazy, Massé, colonel d'artillerie, Gaullieur, professeur d'histoire à l'Académie de Genève, Camperio, professeur et conseiller d'Etat, Castoldi, conseiller d'État, Chaulmontel, président du Tribunal civil, Gide, professeur de droit, et Piguet, inspecteur des écoles du canton de Genève. Elle a reçu comme membres honoraires MM. Carteret , Antoine, ancien conseiller d'État, Hornung, pro- fesseur de droit romain à l'Académie de Lausanne, Marc Viridet, chancelier, Tourte, président du Grand Conseil, Laya, avocat, Richard, membre du Grand Conseil, Burillon, graveur, et Gri- vel, archiviste. Dans sa première séance régulière , qui a eu lieu le vendredi 18 mars 1853, la section a élu pour son Président M. le pro- fesseur Chenevière, et pour son Secrétaire M. Gaullieur, pro- fesseur. Elle a décidé d'ajourner, pour le moment, l'élection du membre effectif qui restait encore à nommer. Dans une seconde séance , du vendredi 25 mars, MM. James Fazy et Gaullieur ont été chargés d'élaborer un projet de règle- 3\) ment parliculicr pour la section. Les bases de ce règlement ont été préalablement discutées. Dans une Iroisième séance, du 8 avril 1853, sur la proposition de M. le colonel Massé, la discussion délinitive de ce règlement particidier a été renvoyée jusqu'après l'adoption du règlement général de l'Institut. La quatrième séance a eu lieu le 9 septembre. Ce jour là, la section a nommé membres correspondanis, MM. Cibrario, séna- teur et ministre d'État du royaume de Sardaigne , le marquis Costa de Beauregard, à Chambéry, de Gingins La Sarraz, pro- fesseur honoraire à l'Académie de Lausanue , Verdei! , docteur en médecine , inspecteur des maisons pénitentiaires du canton de ^a^ul. (^es quatre écrivains sont connus par des travaux re- marquables sur diverses parties de notre histoire nationale. Dans la cnuiuièine séance, du 30 septembre, la section a nommé pour membres correspondants, MM. X. Stockmar et T. de Gonzenbach , tous deux membres du Grand Conseil de Berne, et qui ont publié des travaux importants sur la législa- tion, le commerce, l'économie politique et la statistique de la Suisse. Le projet de règlement particulier, élaboré par MM. Fazy et Gaullieur, a été adopté avec quelques amendements de détail. La section a entendu ensuite la lecture d'un mémoire de M. Gaullieur sur les principaux manuscrits de l'époque carlo- vingienne qui exislenl dans diverses bibliothèques de la Suisse. Ce travail passe essentiellement en revue les manuscrite Caro- lins, contenant la totalité ou des parties des Saintes Écritures et les Evangéliaires ou Livres d'Évangiles. Les conclusions de ce mémoire sont, qu'il faut èlre très-circonspect quand il s'agit d'attribuer à Chailemagne en personne l'origine ou le don de ces antiques manuscrits, recouverts quelquefois de reliures or- nées d'un travail d'orfèvTerie très-précieux au point de vue de l'art, de l'archéologie sacrée et même de l'histoire. L'auteur ter- 40 mine par une description , accompagnée d'un dessin colorié et de fac-iimile, de l'un des manuscrits à couvertures d'orfèvrerie les plus remarquables de l'époque carlovingienne. Il provient du trésor de l'antique église de Valère, près de Sion en Vallais, et il est aujourd'hui la propriété de M. Kûhn, antiquaire à Genève. — L'impression de ce travail dans le premier volume des mé- moires de l'Institut est volée, ainsi que la publication du dessin qui l'accompagne. Dans sa sixième séance, du 28 octobre, la section a pris con- naissance des lettres par lesquelles MM. Cibrario, de Gingins, Costa et Yerdeil remercient la section pour les diplômes de correspondants qui leur ont été adressés. Ces Messieurs assu- rent, dans les termes les plus honorables et les plus obligeants, qu'ils sont prêts à concourir par une collaboration sérieuse et active aux travaux de l'Institut. «Je suis très-flatté, écrit M. Cibrario, de l'honneur que l'Institut National de Genève a bien voulu me faire, et je désire vivement de pouvoir me rendre digne de cette marque d'estime et de bienveillance en lui adressant quelques recherches histo- riques, destinées au recueil de ses actes. Mais ce vœu ne pourra être accompli que le jour où il me sera permis de céder mon portefeuille à quelque autre membre du parlement , après avoir rempli jusqu'au bout tous les devoirs d'un ministre constitu- tionnel. » M. Costa de Beauregard , en remerciant le Secrétaire général de l'Institut Genevois, s'exprime ainsi : « L'institution que vous avez fondée jettera un nouveau lustre sur votre ville, qui a su prendre une position si brillante dans le monde savant, et je serai fort heureux si elle daigne accorder dans ses publications une petite place à mes faiblis essais. Je compte dans quelques mois abandonner la France pour me fixer définitivement en Savoie. Libre alors de bien des préoccupations, et rapproché de ma bibliothèque et des matériaux d'études que j'ai réunis , j'es- 41 père pouvoir reprendre avec quelque suite des travaux qui me sont chers et que depuis trois ans j'ai abandonnés à regret. » « J'apprécie d'autant mieux, écrit iM. de Ghiyins, la distinction flatteuse dont l'Institut m'a honoré ,que vous voulez bien ajou- ter qu'elle a pour principal motif de donner à mes études histo- riques un nouvel encouragement, en même temps qu'un témoi- gnage approbateur. Je me ferai un devoir et un plaisir de con- courir de mon mieux aux succès d'une institution destinée à ouvrir un accès libre et plus général aux travaux scientifiques et littéraires. » « Je vous prie, mande M. Verdeil aas. membres de la Section, de vouloir bien agréer l'expression de la vive reconnaissance que j'ai éprouvée en apprenant l'honneur que vous avez bien voulu me faire, et de croire que je serai heureux de pouvoir prendre part à vos travaux. » MM. Melegari, ancien professeur à l'Académie de Lausanne, aujourd'hui professeur de droit constitutionnel et ministre à Turin, Bacci, professeur de philosophie au Collège de La Miran- dole (Modène), et Raoux, professeui' de philosophie h Lausanne, ont aussi été agrégés en qualité de correspondants. Dans cette même séance, M. le professeur Gaullieur, secré- taire, a fait un rapport sur les nombreux manuscrits, en partie inédits, relatifs à l'histoire de Genève, et faisant partie de l'an- cienne bibliothèque Jailabert, dont il a fait l'acquisition. On peut classer dans cinq catégories principales les manuscrits (au nombre de cent cinquante environ) que renfermait ce dépôt précieux , formé dans le dernier siècle par le professeur Jailabert, le syndic Jailabert et son fils, qui ont formé, dans cette famille, trois générations de savants : 4" Sous le rapport historique et politique, cette collection unique renferme des documents sur toutes les époques de l'hi- stoire de Genève. On y trouve des travaux de l'illustre Abauzit sur Genève à l'époque romaine et aux temps des rois bonrgui- gnons; des actes originaux des qualorzième, quinzième et sei- zième siècles, inédits et importants pour l'histoire de Genève ; des collationnements, faits parJallabert le fils, d'autres actes en- core plus capitaux; des manuscrils complets et anciens des chroniques de Bonivard, Savyon, Hoset, Ami Favre, et autres historiens originaux do Genève ; des volumes de pièces histori- ques réunies en quantité et avec grand soin , et annotées par Jallaberl ; le manuscrit, connu sous le nom de Manuscrit Minu- toli, renfermant 790 pages de pièces intéressantes sur Genève et la Savoie; la Relatione d'i Geneva, de Cardoino , manuscrit dont on ne connaît que de rares copies ; un Armoriai Genevois et des l'ôles des (Conseils depuis l'institution des Syndics ; des Mémoires pour l'Eglise de Genève, des pièces sur les réfugiés français, italiens et allemands pour cause de religion, et des rapports originaux sur les tentatives faites de diverses parts contre la réforme à diverses époques ; des dossiers sur les fortifications, les temples , le commerce , l'industrie , les arts , les mormaies ; des fachims et des procédures célèbres, comme celles de Fiirbiti, de Servet et d'autres pereonnages qui ont marqué à divers titres dans les annales genevoises; de nombreuses lettres originales de Micheli Ducrest, qui donnent beaucoup de détails sur lui et sur toutes les affaires politiques auxquels son nom s'est trouvé rat- taché dans la première partie du dix-huitième siècle ; d'autres let- tres de Charles Bonnet, Trembley, Jallabert, et autres magistrats genevois; enfin une foule de données statistiques, d'éphémé- rides , de pièces historiques de toute espèce , des Begistres des Conseils, de la Chambre des Fortifications et de l'Artillerie ; des pamphlets et des pièces satyriques. 2" Une autre série de manuscrits concerne spécialement la Suisse et les rapports politiques et com'merciaux de Genève avec la Suisse et l'étranger. Un y trouve des données intéressantes sur les tentatives de colonisation et sur les colonies de la Suisse en Amérique, et principalement dans la Caroline, au commen- cement du dix-huitième siècle. 4;j 3» La série des manuscrils juridifjues, concernant l'ancien droit genevois, est très-complète. Ce sont des commentaires liisloriqnes cl juridiqncs de tous les anciens édils , statuts et règlements de la Uépublique , des Oi'donnances ecclésiasliqnes, civiles et politiques. La plupart de ces manuscrits sont de la main du Syndic Jallabert ou de son fds. Parfois le commentaire manuscrit interfolié est placé en face du texte imprimé. A° Les documents littéraires forment une autre série, qui consiste en lettres et correspondances de divers personnages connus dans la littérature ou les arts, et qui ont été en rapport avec Jallabert ou avec ses amis ; des correspondances intimes et de famille. On y remarque surtout des lettres du président de Brosses, qui jettent un jour intéressant sur ses démêlés avec Voltaire, des lettres de Mylord Maréchal , l'ami de J.-.l. Rous- seau, etc., etc. 5" Enfin la dernière série est consacrée aux documents scien- tifiques. Elle comprend des manuscrits des deux Fatio deDuillei-, mathématiciens célèbres, du professeur Cliouet, des Bernouilli, de Jallabert et des divers savants avec lesquels ses découvertes sur Télectricité l'avaient mis en rapport. En un mot, on peut faire avec ces documents divers une histoire complète de Genève, aux points de vue religieux, poli- tique, scientifique, juridique et économique. M. le Chancelier Viridet a écrit à la Section que le Conseil d'État avait fait transporter dans le local de ses séances deux portraits historiques et un tableau qui ont été trouvés dans les combles de l'Hotel-de-Ville. Le Conseil d'État désirerait que la Section voulut lui donner son opinion sur l'âge et le mérite de ces peintures. Apiès examen, il a paru que les deux portraits, richement encadrés, de grandeur naturelle et d'une bonne fac- ture, pouvaient représenter Guillaume d'Orange, Stadtliouder de Hollande, puis roi d'Angleterre sous le nom de Guillaume III, et sa femme Marie, fille de Jacques II Stuart. Quant au tableau. 44 il représente un sujet biblique, et n'a pas de mérite intrinsèque. M. le Cliancelier Viridet a fait aussi part d'une notice sur les portraits en pied de la Chambre dite de la Reine , à l'Hôtel-de- Ville de Genève. Cette notice a été remise par M. l'arcbiviste Sordet au Conseil d'État, le 13 septembre 1850. Premier portrait. — Le premier portrait, en partant de la porte sur l'escalier, est celui de Louh XVI. 11 fut demandé à M. de Vergcnnes, en août 1785, par MM. Marcel et Des Arts, envoyés à Paris pour remercier le roi de sa médiation. Le 10 septembre 1785, le Résident Hcnmn annonça que, s'il n'était pas encore envoyé , c'est que le Roi voulait qu'il fût en pied et du meilleur peintre. (Pièces historiques des Archives, n^SHS.) Il arriva à Genève à la fin d'octobre 1785. (Reg. du Conseil.) Deuxième portrait. — Le second portrait est celui de la Reine Anne d'Angleterre. Le chevalier de Lavuie annonça au Conseil, le 1-4 octobre 1710, le don que lui en faisait cette reine. « Il « plaira, dit-il, à vos Seigneuries faire recevoir ce portrait du « Chevalier Godefroy Kneller, premier peintre de Sa Majesté, « laquelle a ordonné qu'il le tint prêt et qu'il y mit un cadre « conforme à l'ouvrage. » (Pièces historiques, n" 4170.) Ce portrait arriva en août 1 711 , par les soins de M. Frédéric Bonnet, genevois, établi à Londres, où il remplissait les fonctions de Résident de Prusse. Le Conseil écrivit une lettre de remercie- ments le 19 du même mois. (Pièces historiques , n°4178, et correspondance du Conseil.) Il est à remarquer que l'auteur Godefroy A'He//er, de Lubeck, était un artiste de grande réputa- tion. Il fut premier peintre de la cour d'Angleterre depuis Charles II. La Reine Anne s'intéressa beaucoup à Genève depuis son avènement au trône en 1702. Mais, en 1709, le Conseil de la République craignit d'avoir perdu ses bonnes grâces, eu re- fusant, pour ne pas se brouiller avec la France, de recevoir comme Résident d'Angleterre, le marquis dWrzilliers. Anne en fut, en effet, d'abord mécontente, et le Conseil lui écrivit, à 45 celle occasion , pour expliquer les raisons de prudence qui avaienl dicléson refus. M. Frédéiic lionnet Iravailla aussi, de son côlé , à la convaincre des bonnes dispositions de la République, et il parait que ce fut pour montrer qu'elle ne gardait aucun ressentiment, que la Reine d'Angleterre décida, en 1710, d'en- voyer son portrait au Conseil. Troisième porthait. — Le troisième portrait est celui de Louis XV. Il fut demandé par M. Mussard , envoyé à Paris en 1729, au sujet des dillicultés relatives au pays deGex, et chargé ensuite de complimenter le Roi sur la naissance d'un Dauphin. Le 3 mars 1730, le Résident, M. de la Closure, le remit au Con- seil , qui , le 13 du même mois , adressa au Roi une lettre de remerciements. (Registres et correspondance du Conseil.) Quatrième portrait. — Le quatrième portrait est celui de Marie Leczinscka , fdie de Stanislas Leczinscki , Roi de Pologne, et épouse de Louis XV depuis 1725. Ce portrait fut aussi de- mandé par M. Mussard à la Reine, dans une de ses audiences; mais il paraît n'avoir été envoyé que beaucoup plus tard, en 1747, par M. de la Closure, qui. quoique n'étant plus Résident, montrait à Genève beaucoup d'affection. (Registres du Conseil.) Ci.NQUiÈME PORTRAIT. — Le cinquième portrait est celui de Gustave- Adolphe, Roi de Suède. Nous n'avons pas, il est vrai, de pièces qui disent positivement que ce Roi envoya son portrait à la République de Genève. Mais il existe une tradition non inter- rompue à cet égard. D'ailleurs, Gustave- Adolphe entretint, depuis 1629, les relations les plus bienveillantes avec notre État. Il y eut un Résident et y envoya de plus, en 1632, un Ambassadeur extraordinaire, pour s'entendre avec le Conseil sur les moyens de soutenir les protestants. Il reçut aussi parmi ses officiers plu- sieurs citoyens genevois ; Louis Sarasin, l'un d'eux, devint colonel dans son armée. (Registres du Conseil et pièces historiques, n» 2905.) Il paraît que le dit portrait fut envoyé en 1632, une année environ avant la mort du Prince qu'il représente, laquelle 46 eut lieu, en novembre 1633, à la bataille de Lutzen. Ce fut, je pense, un témoignage de reconnaissance pour deux avis que lui avait envoyés le Conseil de Genève au sujet de complots tramés contre sa vie. (Reg. du Conseil de décembre 1G31 et de mars 1632). On reconnaît, au reste, dans le portrait, les insignes et particulièrement la couronne de Suède. Sixième portrait. — Enfin, le sixième portrait est celui de Viclor-Amédée lU, roi de Sardaigne. 11 fut demandé en sep- tembre 1 785 à M. le comte de Perron , ministre des affaii'es étrangères à Turin , dans les mêmes circonstances qui avaient fait demander celui de Louis XVI. Il arriva à Genève 'a la fin de la même année. (Reg. du Conseil et pièces historiques, n" 5185.) Dans sa septième séance du 25 novembre, la Section a entendu la lecture des lettres par lesquelles MM. Stockmar, de Gonzeu- bach et Raoux, témoignent de leur gratitude pour leur nomi- nation de correspondants. M. Stockmar a répondu à l'Institut en ces termes : « Encou- l'ager la culture des sciences , des lettres et des arts est une mission noble et utile , que dans tous les temps Genève a su remplir avec distinction ; l'Institut National saura conserver à celte Ville la belle place qu'elle a toujours occupée parmi les cités savantes, et que des préoccupations trop positives et qui d'ail- leurs tendent à envahir le monde pourraient lui enlever -, je suis heureux de pouvoir contribuer à cette œuvre de dévouement ; mais à une autre des extrémités de la Suisse, il est un coin un peu déshérité des avantages communs et marqué en noir sur sa carte intellectuelle; c'est lur devoir pour ses enfants de lui consa'crer leurs veilles et de réunir leurs effoits pour le rendre capable un jour d'honorer aussi la patrie. Ces soins m'empê- cheront de prendre aux travaux de la Société une part aussi active que mes goûts m'y engageraient ; j'espère cependant pou- voir profiter quelquefois de la faculté qui vient de m'être si gracieusement accord/'e. » « Je vous prie, écrit à son tour M. de Gonzenbach , de vouloir èlre l'inlerprète de mes senlimenls de reconnaissance auprès des membres de la Section des Sciences morales et politiques qui viennent de me conférer cette marque de distinction. Pensant que l'Institut n'admet dans ses recueils que des mémoires en français, j'aurais des scrupules très-légitimes en vous adressant des communications. Afin de ne pas passer pour être un membre entièrement improductif, je vous envoie quelques publications sur des questions internationales de commerce, en vous priant de les accepter pour la bibliothèque de l'Institut. » Il a été procédé ensuite , pour la plus grande facilité 9@S< 58 Section de liitiératiire. I. La Section de Liltératiire fut réunie pour la première fois le 3 février 1853, par son Président provisoire, M. le professeur Bétanl. — Elle comptait dix Membres effectifs, nommés d'après les prescriptions de la loi sur l'Institut (art. 5) , et en consé- quence se déclara constituée. Ces dix membres, destinés à for- mer le centre et, pour ainsi dire, le noyau de la Section, étaient : MM. 1. Cherbuliez-Bourrit, professeur, 2. Bétant, professeur, 3. J.-F. Chaponinière, 4. Petit-Senn, homme de lettres, 5. Albert Richard, professeur, 6. LoNGCHAMP, professeur, 7. Antoine Carteret, conseiller d'État, 8. Marc Viridet, chancelier, 9. Jules VuY, docteur en philosophie, 10. H. -F. Amiel, professeur. Du 3 février au 8 décembre se sont écoulés onze mois. A quoi ont-ils été employés? La Section a eu treize séances , c'est-à-dire plus d'une par mois, malgré les vacances d'été. A la première, elle forma son bureau; M. Gherbuliez fut élu Président, et M. Amiel Secré- taire. Plus tard furent adjoints , comme suppléants , M. Bétant, Vice-Président, et M. Vuy, Vice-Secrétaire. Dès la seconde 59 séance , elle avait son Règlement intérieur, chose toujours dilli- cile. Dès la troisième elle marchait. C'était le 31 mars. Une fois constituée et organisée intérieurement comme Sec- tion, elle songea à devenir section de littérature, et pour cela à s'assurer des lectures et des travaux. Des mémoires pouvaient lui être adressés du dehors; mais il fallait pouvoir se passer de cette ressource et vivre de sa propre vie Dans ce but, la section recourut à la libre coti.sation intellectuelle de ses membres, la- quelle jusqu'ici ne lui a point fait défaut. Tontes los séances ont eu dès lois leur contingent littéraire. Tous les membres, sauf un seul , y ont contribué , inégalement quant au nombre, mais avec une égale bonne volonté. Notons ici brièvement la statistique de leurs travaux. Trente-trois poésies ont été lues par six des membres de la Section, dont sept, de genres variés, par M. Petit- Senn, huit fables par M. Carteret, trois poésies fugitives par M. Yuy, douze chansons ou autres pièces parM. Amiel,Hnefable et un sonnet par M. Richard, enfin une ode latine en vers saphi- ques , pièce inaugurale et patriotique , de M. Longchamp. Six travaux en prose ont été communiqués, savoir : deux de M. Bétant, une notice sur le Treizième congrès des Philologues, Pédagogue et Orientalistes allemands, tenu à Gœtlingen en septemhre 185S, et un compte rendu des Fouilles récemmeiit exécutées aux Propylées de r Acropole d'Athènes, par M. Boulé, élève de l'école française d'Athènes ; — un mémoire de iM. Cherbuliez sur l'Organisation des universités anglaises. — Enfin, trois morceaux littéraires, l'un de M. Petit-Senn (le Portrait béni), le second de M. Yuy {Impressions d'un prisonnier), le troisième de M. Amiel (Pensées et critiques). — Total : 43 travaux. Une fois sûre de pouvoir se suffire à elle-même, la Section songea à compléter son personnel. Elle rappela par les feuilles publiques aux personnes désireuses de s'associer à son œuvre les conditions posées par la loi à la qualité de membres hono- raires des sections. Dès la troisième séance, des honoraires, ins- 60 crits déjà depuis longtemps, furent présentés et admis. Leur nombre actuel se monte à huit, tous, à une exception près, voués à l'étude du langage et à la pratique de l'éducation , tous occupant des places honorables dans l'enseignement public, à Genève ou ailleurs. Nous en donnerons la liste plus bas. Déjà formée de deux cercles de membres, la section avisa en- suite à s'entourer d'un troisième cercle concentrique. Par delà les honoraires, elle alla chercher les correspondants. Elle est occupée maintenant à dresser cette liste essentielle, d'après un double principe, dominé par le point de vue national : « rendre hommage au mérite, rassembler en faisceau ce qui était épars. » La section a été d'abord aux compatriotes dans l'étranger, puis elle est revenue aux cantons de la Suisse et pays circonvoisins , sans s'interdire pourtant des régions plus éloignées. Déjà main- tenant, après une toute première battue, et quoiqu'elle débute seulement, cette liste peut montrer douze correspondants, soit trois à Paris, un à Turin, deux en Allemagne , deux en Savoie et quatre en Suisse. Et elle n'entend point , des noms qui lui manquent, faire des lacunes, mais, au contraire, de ceux qu'elle contient, des pierres d'attente. Nous joindrons les noms des ho- noraires à ceux des correspondants. Jusqu'ici, en s'organisant, en travaillant, en se fortifiant d'honoraires au dedans et de correspondants au dehors, la Sec- tion n'avait pensé encore qu'à elle. 11 est vrai que pour être utile, il faut d'abord être. Mais , dès qu'elle fut consolidée , la Section se donna une autre tâcher» celle de stimuler et de pro- voquer autour d'elle l'activité littéraire sérieuse. Elle prit l'ini- tiative d'un concours, et résolut, le 13 octobre, de décerner deux prix de littérature, dans l'année 1854, l'un pour un tra- vail en prose sur un sujet tiré de l'histoire de Genève et traité d'une manière dramatique ou oratoire ; l'autre pour une pièce en vers, sur un sujet relatif à la Suisse. Insertion dans le Recueil des Mémoires de l'Institut promise aux travaux couronnés, mé- 61 daille d'honneur, rapport public, liberté entière du choix dans la sphère des sujets nationaux, rien ne fut négligé de ce qui pouvait encourager le zèle et le talent, et le guider sans le con- traindre. A l'exception des membres effectifs de la Section, juges naturels du concours, nul n'en fut exclus; et un programme, tiré à 500 exemplaires, ainsi que les annonces dans les jour- naux, furent chargés de répandre dans le public la connaissance des conditions du concours. Tel est, dans un résumé rapide, l'histoire de ces onze mois pour la Section, considérée dans sa vie à part, indépendamment de ses rapports avec l'Institut. Un mot sur son état présent et sur ses espérances. Son état est prospère. Sortie de bonne heure des encombre- ments qui gênent toute institution naissante, elle a pu travailler et agir. Ses séances sont rapprochées et pourtant nourries et fréquentées. Dix à douze membres y assistent déjà en moyenne. Des communications orales s'y entremêlent aux travaux écrits. Des discussions intéressantes , des critiques franches el libres suivent chaque lecture, et la rendent plus fructueuse à l'auteur et aussi à l'auditeur. Les honoraires, dont l'empressement mé- rite d'être remarqué, prennent part à toutes les discussions. L'aisance, la cordialité et l'entrain président à ces réunions, modestes, mais déjà attrayantes. Des encouragements flatteurs lui sont venus, de l'étranger. Des sollicitations, autre forme d'encouragement et de flatterie, ne lui ont point manqué. Tout cela est de bon augure. Et comme la Section n'a encore mis en ligne qu'une petite partie de ses moyens ; comme tous ses membres n'ont pas en- core contribué; comme ses honoraires, après s'être acclimatés chez elle par la parole, saisiront sans doute à leur tour la plume; comme, une fois connue, elle aura quelque chance de recevoir des mémoires ou des travaux sur lesquels les auteurs voudraient attirer l'attention ou obtenir \m jugement ; comme ses corres- pondants, répandus dans diverses contrées , ont pris l'engage- ment de se rappeler leur litre et que leuis communications ont déjà commencé; comme les deux concours ouverts par elle ne resteront sans doute pas stériles , pour toutes ces raisons son activité, déjà suffisante en 1853, a la probabilité , et la Section peut le prévoir avec satisfaction, d'être doublée en 1854. La Section espère donc avoir justifié, en quelque mesure, son existence dans le passé; elle espère réaliser encore mieux son mandat dans l'avenir. Institution neuve et sans antécédents dans le pays, elle croit et sait pouvoir être utile. Un asile ouvert à la pensée désintéressée, où les productions nouvelles trouvent accueil, critique, éloge, en un mot, un auditoire pour les en- tendre et des auditeurs compétents pour les juger; un salon où l'on puisse librement et sérieusement discuter les théories d'é- ducation, d'enseignement, de philologie et de littérature, un endroit à l'abri des querelles qui enflamment et des passions qui divisent, refuge paisible où l'étude rapproche ce que la vie avait séparé, où l'opinion particulière se tait pour faire place à l'homme entier, et sur la porte duquel est écrit : Nul n'entre ici quau nom de la littérature , une maison spacieuse où l'hospita- lité est olîerte à tous les genres, depuis l'épigramme jusqu'à la tragédie, depuis l'analyse d'une inscription jusqu'à un système de linguistique , et depuis la biographie d'un écrivain jusqu'à une histoire littéraire complète, un lieu élevé d'où le regard et la voix puissent porter un peu plus loin que de la fenêtre de chacun ; voilà ce que peut être et veut être la Section de litté- rature , et il est bon, pour ceux qui sont formés comme pour ceux qui se forment, pour les novices comme pour les maîtres, de trouver près d'eux une institution, ainsi faite ; il est bon de réunir toutes ces voix proches et lointaines qui restent éparses, pour que de leur réunion sorte peu à peu un concert; cette institution peut être avantageuse au pays en raison des dangers littéraires (pour ne parler que de ceux-là) qui le menacent de 63 près et de loin, et avantageuse pour les amis étrangers devant lesquels elle représente notre pays. Ce ne sont point là dos espérances démesurées. Elles sont dans la limite du raisonnable , et , sans présomption ni fausse modestie, la Section de littérature aspire à convertir ces vœux en reahte. Qu'on ne lui rende pas sa tâche trop diiïicile par une reserve malveillante ou une défiance systématique. De la justice et un peu de sympathie, c'est tout ce qu'elle demande. Sans cet auxiliaire, elle peut vivre, car elle en a la force, mais elle ne pourrait rendre autant de services, et, sans être sa faute, ce serait pour elle un regret. II. Art. 6. Les membres correspondants sont nommés par les membres effectifs de chaque section. Art. 7. Pour être membre honoraire il suffit de s'inscrire et U être présenté par deux membres de cette section. (Loi sur l'Institut Genevois.) 1. Au 8 décembre 1853, la Section comptait douze corres- pondants, savoir : a) A Paris, \ . M. J.-J. Porchat, l'auteur des Glanures d'Ésope, de Jeanne d'Arc, Trois mois sous la neige, etc. 2. M. Marc Fournier, qu'une longue série de succès à la scène ont amené à la direction d'un des plus importants théâtres de Paris, le théâtre de la Porte Saint-Martin. 3. M. Marc Monnier , l'auteur des Lucioles, de Sic vos non vobis, du Roi Babolein. b) A Francfort sjM., 4. M. Henri Blanvalet, l'auteur de Une lyre à la mer. c) A Heidelberg, 5. M. Christian B^hr, professeur à l'uni- versité et bibliothécaire, l'auteur de la grande Histoire u de la LiUératiire romaine, ouvrage classique en Allema- gne et capital partout. d) A Turin, 6. M. F. Arnulfi , membre de l'Athénée , l'édi- teur et le traducteur de Justi7i. e) A Zurich, 1. M. J.-G. BArTER, professeur à l'université, le successeur d'Orelli, auteur de la meilleure édition de Philostrate. f) A Fribourg , 8. M. Alexandre Daguet, recteur de l'école cantonale de Fribourg, auteur de V Histoire de la Nation Stiisse. 9. M. Doct. Berchtold , ancien chancelier, l'auteur de VHistoire du canton de Fribourg. g) A Porrentrmj, 10. M. Xav. Kôhler, professeur au collège de cette ville, secrétaire de la Société jurassienne d'é- mulation , auteur de diverses publications poétiques, bibliographiques et historiques. h) En Savoie, 11. M. Jacq. Replat, avocat à Annecy, connu, entre autres, par le brillant mémoire, aussi pittoresque qu'érudit, modestement intitulé : Note sur le passage d'Annibal. 12. M. le président de Juge, à Chambéry, l'auteur du Fa- buliste des Alpes. La Section comptait huit membres honoraires, savoir : MM. André Oltramare, régent au Collège de Genève. JOUVET, id. Barry, id. Barbezat, id. Chatetain, régent au Collège de Carouge. Philippe Corsât. Jules MuLHAusER, tradf du Guillaume Tell de Schiller. Gaillet, régent au Collège de Nyon. II. Parmi les lettres d'adhésion que la Section a reçues de ses 65 correspondants, les trois suivantes pourront, à plusieurs égards, intéresser les lecteurs du Bulletin. .... « Genève est mon berceau, et fui le témoin et la patronne de mes premières éludes. Il m'est bien doux , en ai)prochant du terme de ma carrière, d'obtenir dans cette ville, qui m'est doublement chère, une telle récompense de mes faibles travaux. Dans ceux qu'il me sera donné peut-être d'accomplir encore , je ne perdrai jamais de vue ce que de- vrait exiger de moi le titre dont je viens d'être honoré. Veuillez croire , Monsieur le Président , que si je ne réussis pas à répandre , pour ma part, quelque lustre sur votre Société, ce ne sera ni le zèle, ni le dé- vouement, ni la reconnaissance qui m'auront manqué. » Paris, le 7 novembre 1853. J.-J. Porciiat. A Messieurs les Membres de VlnslUul de Genève. Messieurs, « Si je suis heureux de ce bon souvenir qui m'arrive ainsi de la pa- trie , je suis particulièrement fier d'avoir été jugé digne de concourir avec l'élite des citoyens de Genève à la prospérité d'une entreprise qui me parait féconde; et c'est avec la conscience de mon zèle, sinon de mes forces, que j'accepte une part dans vos travaux. (I J'ai toujours regretté que certaines circonstances, peut-être bien même de certains préjugés, eussent tenu jusqu'ici mes compatriotes dans un doute timide, touchant leur propension naturelle aux œuvres de l'esprit et du style. « On ne fait son chemin dans le monde qu'à la condition de s'y prê- ter de bonne grâce, et les nations qui veulent parvenir doivent, comme les individus, aider à la bienveillance du sort eu travaillant quelque peu elles-mêmes à leur propre renommée. « Si notre république s'y fût appliquée plus tôt , et avec cette har- diesse qu'enfante la conviction, elle eût facilement, je crois, popularisé chez elle et au dehors le fait d'une littérature nationale. En définitive cette littérature existe; elle a sa forme, son coloris, ses mœurs; elle a un sentiment propre, un bouquet indigène; elle a des qualités, elle a même des défauts qu'elle doit au sol et à l'histoire, qualités glorieuses car elles ne sont pas eniprimtées, défauts précieux puisqu'il faut y re- 5 66 connaître la pureté de son lignage ; — enfin , elle a eu ses fondateurs et ses disciples ; et s'il est pour une nation une manière efficace d'ho- norer ses grands hommes , c'est de faire tourner au profit de la com- munauté jusqu'aux plus petites parcelles de leur gloire, — c'est de les grandir pour les faire voir au monde, et pour que leur rayonnement, tombant de plus haut, éclaire plus au loin le sol enorgueilli qui a vu naître leur génie. « C'est donc à ce point de vue. Messieurs, que je me réjouis de votre union et que j'applaudis à vos desseins. La littérature de notre répu- blique n'a jamais été racontée, elle attend un inventaire, un recense- ment, une histoire. Vous-mêmes, en y travaillant, et à mesure que vous avancerez dans ces fouilles toutes remplies d'un intérêt pieux, vous se- rez étonnés des proportions que va prendre cette résurrection du passé, comme de l'imporlance qu'elle ne manquera pas d'acquérir aux yeux des hommes éclairés de tous les pays. « Je vous le dis encore. Messieurs, je placerai mon orgueil à me compter, pour si peu de chose que ce soit, dans cette vaillante et noble tâche. Votre très-dévoué serviteur, Marc FouR-MER. Paris, le 7 novembre 1853. M E.-H. Gaullieur, Secrétaire de l'Instilut National, à Genève. Paris, le 9 novembre 1853. Monsieur, « Je remercie l'Institut National de l'honneur qu'il a bien voulu me faire, et je l'accepte de grand cœur ; je l'attribue cependant à mon amour pour les lettres et pour Genève, bien plus qu'à mon mérite personnel, et je le regarde comme un encouragement, bien plutôt que comme une récompense. Plusieurs des membres de l'Institut ont été mes profes- seurs et sont restés mes maîtres ; dites-leur bien , Monsieur, je vous prie, qu'en devenant leur collègue, je ne cesserai pas d'être soumis à leurs leçons. « Quant à la correspondance que vous me demandez, Monsieur, je ne vous la promets pas bien active en ce moment , car je suis en train de faire queue à la porte de trois théâtres, occupation fatigante qui ab- sorbe tout mon temps ; — mais si l'Institut a quelque travail spécial ou 07 qiicl(|uc déinarelic pressante à nie coiuiiiuiidei', je trouverai toiijuiii's un niuiueut pour me mettre ;i ses ordres. » Mare Mo.nmer. III. M. Derchtold, de Frihourg, est le premier des correspon- dants de la Seclion qui, en lui envoyant un travail, ait donné l'exemple de ces communications que la Seclion provoque et dé- sire multiplier. Ce travail est le compte rendu critique d'une brochure de 140 pages, en allemand, publiée à Lucerne en 1853, et intitulée Clément XIV et les Jésuites. Dans celte bro- chure, .M. Burkard-Leu, prévôt et professeur de théologie à Lu- cerne, résume l'ouvrage capital que M. Theiner, prêtre oratoire et consulteur du saint-office à Rome , a publié d'après les ar- cl«ves secrètes du Vatican sur l'Histoire du Pontificat de Clé- ment XIV. IV. Analyse du mémoire de M. Cherbuliez sur les universités anglaises et sur celle de Cambridge en particulier. L'importance et le caractère spécial des intérêts scientifiques et littéraires ne devraient-ils pas fournir l'objet d'une science à part? Tout liés qu'ils sont aux intérêts politiques, religieux et industriels d'un peuple, ils n'en sont pas moins distincts par leur nature ; ils ont leurs lois de développement et de progrès; les connaissances répandues chez une nation , sa puissance de production représentée par ses savants et ses littérateurs, con- stituent ses richesses intellectuelles, qui, tout aussi bien que ses richesses matérielles , doivent avoir leur économie, c'est-à-dire leur mode propre d'accumulation et de propagation. En détachant du tronc commun cette branche de la théorie sociale, on pourrait l'appeler V économie des sciences et des lettres. Entre autres points importants qui recevraient quelque lumière de leur rapprochement systématique, il faut compter lesinstitu- lions consacrées aux sciences et aux lettres, naturellement clas sées on deux grandes catégories : l'une comprend Vinstruclion 68 publique k tous ses degrés, depuis l'école primaire jusqu'à l'uni- versité; à l'autre appartiennent les académies destinées non à l'enseignement, mais à l'avancement direct de la science et de la littérature. Ce sont là deux attrayants objets d'étude, unis par des rapports qui seraient dignes déconsidération; ils réclament l'un et l'autre un examen approfondi des faits considérés dans toute leur éten- due ; l'intérêt palpable du premier en fait de nos jours un objet de vive préoccupation, et pour ce qui concerne particulièrement l'école supérieure ou université , à combien de discussions ani- mées par l'esprit de parti politique et religieux, à combien de rapports savants n'a-t-ellc pas donné lieu 1 Cependant , pour l'examen et la comparaison méthodique des faits, pour la con- stitution d'une théorie régulière , il s'en faut bien que le sujet soit épuisé, Fournir à ces recherches quelques matériaux utiles, peut-être quelques vues théoriques puisées à la source de l'observation , telle est la destination de ce travail. Les universités anglaises ont été différemment jugées, vivement attaquées et défendues par les publicistes de la Grande-Bretagne ; leur réforme est en projet et probablement en voie prochaine d'exécution ; mais, avant qu'elles subissent une refonte plus ou moins totale, il est intéressant de constater leur état actuel avec impartialité, d'en bien saisir le système, et de reconnaître, à côté de leurs éléments défectueux, les avantages réels qu'elles présentent, et qu'une hostilité aveugle a pu seule méconnaître. Une question fondamentale dans l'étude théorique de l'école universitaire et dans l'appréciation des divers systèmes existants, c'est celle des principes qui ont plus ou moins présidé à leur organisation et à leur enseignement. Or, ces principes, il y en a deux qui présentent une opposition tranchée, celui de \a liber té et celui de Vautorité ou de la discipline. On peut chercher à les concilier jusqu'à un certain point ; mais l'un ou l'autre domine et imprime à ces grands corps leur caractère essentiel. 60 Quant à l'enseignement, le principe de la liberté autorise les professeurs i'i présenter la science telle qu'ils la conçoivent, se conlentant des garanties attachées à l'élection; ce régime est celui des universités allemandes, où il a brillé de tout son éclat. Cette nation lui doit le rang supérieur qu'elle occupe encore dans la science; il y constitue une véritable puissance avec la- quelle il faut compter; elle s'est manifestée tout récemment en- core dans les protestations élevées contre les résultats et les tendances du kirchentag de Berlin. Au point de vue du régime disciplinaire, ce principe demande la force et la conservation du système à l'ascendant de la science et des notabilités qui la re- présentent. 11 laisse à l'étudiant la responsabilité de l'emploi de son temps, se contentant des précautions de police nécessaires au maintien de l'ordre général Le régime opposé restreint la liberté de l'enseignement par ses lois et plus encore par son esprit, se renferme timidement dans les bornes que lui imposent l'État et l'Église; la science y subit le joug de l'orthodoxie religieuse et politique. Et, par une analogie de tendance très-naturelle, les étudiants y sont soumis à une règle beaucoup plus étroite ; l'université divisée en collèges les loge, les nourrit, les surveille, les classe avec exactitude, d'après leur force éprouvée par de fréquents examens, et ne cesse d'exciter leur émulation et leur diligence au travail par un système compliqué de grades divers, de distinctions honorifiques et de récompenses. Ce type est celui des vieilles universités de Cambridge et d'Oxford. L'auteur compare ensuite les deux principes et les systèmes contraires dont ils sont l'âme. Il fait ressortir la valeur du stimu- lant intérieur, des hautes influences scientifiques et de l'enthou- siasme qu'elles excitent dans certaines circonstances ou époques favorables. Puis il passe aux inconvénients de ce système dans un état de choses où dominent l'indifl'érence, la dissipation , les préoccupations de la vie positive, où les mobiles intérieurs font défaut. 70 Dans un tel milieu, le système disciplinaire des universités anglaises, qui rappelle l'éducation claustrale du moyen-âge, a ses côtés avantageux; et, à ce point de vue, elles sont imparfaite- ment connues sur le continent, peut être mal appréciées, même en Angleterre. On leur reproche l'étroitesse obstinée qui les ferme aux idées nouvelles, l'intolérance qui exclut, sinon de leurs salles académiques, au moins de leurs titres et de leurs privilèges, tous les dîssenters; on les dépeint comme des citadelles consa- crées aux doctrines surannées, interdites aux grandes questions et au mouvement contemporain. Ces reproches, trop vrais à beau- coup d'égards, renferment pourtant mainte exagération, et ceux qui les répètent ne tiennent pas compte des avantages qui les compensent. D'ailleurs, ces vieilles institutions, qui ont tenté plus d'un effort peu connu pour se compléter et se rajeunir, sont presque toujours jugées du dehors et non d'après leur mouve- ment intellectuel , d'après les détails de leur vie intérieure. Un auteur américain, M. Bristed , qui a étudié quelques années à Cambridge, et dont l'ouvrage est plein de curieux détails, donne de cette haute école une idée plus favorable que ne l'ont fait la plupart des publicistes nationaux. Après ces considérations générales , M. Cherbuliez entre dans l'exposition du système universitaire de Cambridge, dont il em- prunte en partie les détails au livre qui vient d'être indiqué. Les officiers de l'université, la division en collèges, l'importance des iiitors, ou répétiteurs particuliers dans cet enseignement ; les Fellows; des notions générales sur les examens. Tel est le con- tenu de ce premier mémoire; d'autres points d'une égale im- portance feront la matière d'un second. V. Voici le programme détaillé du concours ouvert pour l'an- née prochaine par la Section. C'est sans doute ici le lieu de le reproduire officiellement. c( La Section de littérature décernera, en 1854, deux prix : l'un pour un travail en prose , sur un sujet tiré de l'histoire de Ge- nève et traité d'une manière dramatique ou oratoire ; l'autre pour une pièce de vers, sur un sujet relatif à la Suisse. « Les travaux destinés au concours seront transmis , en deux exemplaires, au Secrétaire de la Section de littérature, au plus tard le 15 avril 1851. « Ils porteront une épigraphe qui devra être répétée dans un pli cacheté renfermant le nom de l'auteur. Les ouvrages inédits seront seuls admis au concours. Les travaux non couronnés seront restitués à leurs auteurs. Les travaux qui agiront obtenus les prix seront publiés dans les Mémoires de l'Institut. Le jury sera libre d'adjuger ou de ne pas adjuger de prix, selon le mé- rite des travaux envoyés au concours. Outre les deux prix , le jury pourra accorder des mentions honorables. Le Président de la Section de littérature rendra compte du résultat des concours, dans une séance publique, où les prix aeront délivrés. Chaque prix sera de la valeur de deux cent cinquante francs, dont une partie sera consacrée à une médaille décernée au nom de l'Ins- titut. Les membres effectifs de la Section de littérature seront seuls exclus du concours. » m. Pour sauver un peu l'inévitable aridité du Bulletin , et ter- miner plus littérairement cette notice, qui n'est et ne pouvait être qu'une statistique, nous ajouterons, sans prétention du reste, et comme délassement pour le lecteur , trois ou quatre petits morceaux de poésie. Quara fuit suspensa, Geneva, quondam Sors tua, Europae dare quum gementi Volverent tandem leviora Marte Fata remisso ! 72 Haud opes juvere tuœ locutam, Artium sed quod memores luaruni Lumen e muiido caderet negarunt Nobile reges. Adfuit sacrae tacitus coronœ Mentium rector Deus, ut libentes Liberam te urbem retulere clarâ Voce futuram. Lege sed certâ tribuit petitum Munus hâc : « et si colerel tuorum Mente cum castà eximium fidelis Gratia donum : Litteris et si foret ara sanctis Structa, semper quse vigili caleret Igni, mansuras reparante Musse Flamine vires. » Quum dies urbi melior reluxit, Artibus nuUis sua defuere Templa, per quas exit Apella clarus Praxitelèsque. Dsedalo fani patuere valvse, Et Gato prudens cecinit colendi Jura ; sed tristi jacuit Gamœna Spreta repulsà, Nec locum sermo tenuit decorus Socratis. Rursus tamen integrare Sancta post annos subiit noveni Fœdera cœtûs, Rite : quid dicas ibi non caducum, Ut fugit pulchri populos bonique Norma ? quarn Musas dare nunc et olim Fas erit orbi. 73 Sis memor, dilecta milii sainte Plus meà, quœ lex libi dicta fali, Patria, et quâ sis pede gressa dextro Fortiter insta. Louis LONGCHAMP. A ELLE DANS SES VIEUX JOURS. (D'après Justin Kerner.) Si, du milieu de cette terre, La mort t'arrachait avant moi. Comment vivrais-je, solitaire Et le cœur brisé — loin de toi? — Je serais pareil au vieux chêne Qu'ont déchiré les vents des cieux, Qui semble se tenir à peine Sur l'abîme silencieux ; Dans le gouffre bientôt il tombe Meurtri, desséché, sans soutien ; — Moi, je te suivrais dans la tombe Et ton trépas serait le mien ! Jules VuY. LES POETES IMPIES. Serait-il vrai ; Grand Dieu ! la sainte poésie Inspirerait des cœurs par le doute infectés, Elle surnagerait cette pure ambroisie. Sur des vases d'impiétés? Quoi ! la fille du ciel méconnaîtrait son père ! Et vers l'astre du jour ne tendrait pas les mains; Pour trouver l'èlre immense en qui notre âme espère Elle ignorerait les chemins ! 74 Quoi des accents d'amour, des sons pleins d'harmonie Ont coloré la prose, ont embelli les chants D'un aveugle athéisme! et l'on vit le génie Servir de coupables penchants ! Honte à ces grands trompeurs, aux poètes sublimes Qui par Dieu même armés d'un ascendant vainqueur, Sous l'or de la pensée et la pompe des rimes Ont mis les poisons de leur cœur. Sur d'ignobles plaisirs leurs muses accroupies Dans un ciel pur, jamais, ne dirigeaient leur vol, Elles aimaient la fange et dans des eaux croupies Se plongeaient en rasant le sol. Du fidèle chrétien elles barraient la route. Lui montrant tout espoir éteint dans le tombeau. Elles obscurcissaient par les vapeurs du doute De sa foi, l'éclatant flambeau. Attisant des désirs la dévorante flamme Jonchant de fleurs l'abîme entr'ouvert sous ses pas, Elles flattaient les sens et disaient à son âme « Ton destin s'achève ici-bas. » Arrière, courtisans des passions humaines Caressant tout instinct criminel ou pervers, Du vice garotté voulant rompre les chaînes Et les limant avec vos vers. 0 Dieu ne permets plus que le souffle céleste Qu'on nomme Poésie et qui nous vient de toi, Serve encore ici-bas à chasser ce qui reste De pieux respect pour ta loi. 75 Que sur des fronts bénis parmi nous il descende Pour confondre l'impie et ses doutes railleurs, Pour unir les mortels dans une foi plus grande Et leur faire des jours meilleurs. J. Petit-Senn. IINE MIT SUR LA GRÈVE. SONNET. Sur le sombre Océan tombait la nuit tranquille; Les étoiles perlaient au ciel silencieux, Le flot montait sans bruit sur le sable de l'île ; 0 nuit, quel souffle alors vint me mouiller les yeux? Le froid saisit mon cœur, quand, muet, immobile, Étendu sur la grève et le front vers les deux. Je sentis, comme on sent un navire qui file, La terre fuir, sous moi, dans les espaces bleus ! Du pont de ce vaisseau qui m'emportait, sublime, Je contemplai, nageant sur l'éternel abîme. Les flottes des soleils au voyage béni ; Et d'extase éperdu, sous les voûtes profondes. J'entendis, ô Seigneur, dans l'éther infini, La musique du temps et le roulis des mondes. H.-Fréd. Amiel. 76 ISection des Beaux- Arts. Aux termes de la loi du 28 avril 1852, les cinq premiei's membres effectifs de la section des Beaux-Arts, nommés par le Conseil d'Etat, savoir: MM. Diday, Grast, Lugardon , Gignoux etDorcière, ayant été officiellement réunis le 20 décembre 1852, par M. le Président du Département de l'Instruction publique, la section s'est trouvée instituée et apte à nommer, à son tour, les cinq autres membres destinés à la compléter. L'avis unanime delà section a été de faire immédiatement un appel officiel aux diverses sommités artistiques de noire pays, et, après délibération, la votation a désigné plusieurs artistes auxquels une lettre circulaire, rédigée séance tenante , a été adressée. Parmi les artistes qui ont répondu à cette invitation, la sec- tion a choisi et nommé membres efl"ectifs : MM. Mejin, Antoine Bovy, Bovy-Lysberg et Spiess. Dans la séance du 1'^'^ juin 1853, M. Diday a donné communi- cation d'une lettre adressée à la section par le Conseil d'Etat, accompagnée de l'envoi et du don de plusieurs morceaux de musique, que, sur la demande de MM. Grast et Alb. Richard, le Conseil d'Etat a pris soin de se procurer en Italie. Ces pièces sont : 1° douze «antates de Porpora, avec accompagnement de clavecin ; 2° un air du même auteur, avec accompagnement de quatuor ; 3° deux cantates du même auteur, avec une basse chif- frée; 4° une fugue à deux voix, d'Alexandre Stradella, tirée de son Oratorio de St-Jean-Bapliste. — A ces pièces, est jointe la correspondance relative à cet objet, qui prouve, d'une part, toute 77 l'obligeance que le Conseil d'Etat a bien voulu mettre dans ses recherches, et de l'autre, l'aimable empressement du Consul suisse à Livourne, à se procurer les pièces indiquées , et pour lesquelles il a fallu écrire à plusieurs villes d'Italie. — Dans la séance suivante, M. Grast a lu un rapport qu'il avait été chargé de rédiger au sujet de cette musique. « Les morceaux ci-dessus désignés, dit ce rapport, sont d'une très-belle facture et du plus beau style. Ainsi que la plu- part des ouvrages des grands musiciens du dix-septième siècle, ilsoiïrent un intérêt particulier en ce qu'ils appartiennent à une époque de transformation de l'art, où la musique, dégagée des anciennes formes du plain-chant, prend un essor nouveau, une allure plus vive, plus passionnée, plus dramatique, résultats inévilables des découvertes et des innovations harmoniques in- troduites dans l'art dès le commencement du siècle ; innova- tions qui ont créé et fixé la tonalité moderne, en la dotant de l'accent expressif et du rhythme qui manquaient absolument dans l'ancienne. « Mais les compositions de Stradella et de Porpora tirent un double intérêt de la biographie même de leurs auteurs. — Les aventures romanesques de celle de Stradella ont donné lieu au bel opéra de notre compatriote L. Niedermeyer, et l'admirable talent de M""> Sand a fait revivre, dans son roman de Consuelo, la poétique figure du vieux Porpora, de cet artiste consciencieux qui fut le maître de liasse , de Haydn , et qui, ainsi que la plu part des artistes de ce temps, ne se contentait pas d'être un ex- cellent maître de chant, mais encore un habile compositeur, deux choses plus étroitement unies qu'on ne le pense commu- nément, et dont la réunion ajoute beaucoup de ciiarme et de pureté aux œuvres des anciens maîtres de l'école italienne. « Nous pouvons compléter ce rapport par quelques notes his- toriques que nous avons recueillies sur les deux musiciens célè- bres qui nous occupent. 78 « Nicolas Porpora, compositeur et célèbre professeur de chant, né à Naples en 1687, fut élève d'Alex. Scarlalli, et devint un des plus savants musiciens de l'école napolitaine. Après avoir rempli quelque temps les fonctions de maître de chant au Conservatoire de San-Onofrio pendant la vieillesse de Scar- latti, il passa en la même qualité à celui des Poveri di Gesu- Cristo. Ce fut aussi vers le même temps qu'il établit la célèbre école de chant d'où sont sortis Farinelli (ou Carlo Uroschi), Caf- farelli, Hubert, surnommé le Porporiiw, la Gabriela, et la plu- part des grands chanteurs de cette époque. La méthode em- ployée alors pour former des chanteurs ne ressemblait guère à celle pratiquée de nos jours. Si l'on veut connaître quelle était celte méthode, en voici un exemple : L'illustre Porpora prend en amitié un jeune homme de ses élèves (qui montre les plus grandes dispositions); il lui demande s'il se sent le courage de suivre constamment la route qu'il va lui tracer, quelque en- nuyeuse qu'elle puisse lui paraître. Sur sa réponse afllrmative, il note sur une page de papier réglé les gammes diatoniques et chromatiques, ascendantes et descendantes , les sauts de tierce, de quarte, de quinte, etc., pour apprendre à franchir les inter- valles et à poser le son ; des trilles, des groupes, des appoggia tures et des traits de vocalisation de différentes sortes. Cette feuille occupe presque exclusivement, pendant un an, l'élève et le maître-, l'année suivante y est encore consacrée. A la troi- sième, on ne parle pas de changer; l'élève commence à mur- murer, mais le maître lui rappelle sa promesse. La quatrième année s'écoule, et toujours rélernelle feuille d'exercices A la cinquième , on ne la quitta point encore, mais on y joignit des leçons d'articulation, de prononciation, et enfin de déclamation et de style ; à la fin de cette année, l'élève, qui ne croyait encore en être qu'aux éléments, fut bien surpris quand Porpora lui dit: Ya, mon fils, tu n'as plus rien à apprendre; tu es le premier ehanleur de l'Italie et du monde! Il disait vrai, car ce chanteur était Caffarelli. 79 « Il n'y a plus maintenant, dans toute l'Europe, une seule école où l'on emploie cinq ou six ans à enseigner le mécanisme du chant ; il est vrai que, pour y consacrer un temps si consi- dérable, il faut prendre les élèves dans une extrême jeunesse, et les y verser tout-à-fait, et encore les chances désavantageuses de la mue peuvent-elles rendre tout d'un coup inutile le travail de plusieurs années ; mais si , après cette crise , la voix ressort pure et brillante, l'élève n'a plus à s'inquiéter des difficultés du mécanisme, et peut se livrer à ses inspirations. « Lorsque le compositeur Hasse arriva à Naples,Porpora, alors âgé de 37 ans, y jouissait d'une grande renommée comme com- positeur et comme professeur de chant et de composition , il ne crut pouvoir mieux s'instruire dans l'art d'écrire qu'en prenant des leçons de ce maître. — Vers 1724, Porpora fit un premier voyage à Vienne avec son élève' Farinelli ', et fut admis à faire exécuter quelques morceaux de sa composition devant l'empe- reur Charles VI ; mais ce prince, qui n'aimait pas les ornements du chant italien et qui avait en aversion les trilles et les mor- dants que Porpora prodiguait dans ses œuvres, ne goûta pas sa musique. L'année suivante , Porpora fut appelé à Venise pour y prendre la direction du Conservatoire , et ce fut à cette époque qu'il écrivit ses belles cantates et quelques-uns de ses meilleurs ouvrages d'Eglise. En 1728, il fut invité à se rendre à Dresde pour enseigner le chant à la princesse électorale de Saxe, Marie- Antoinette. Passant à Vienne dans ce but, il s'y arrêta quelque temps dans l'espoir de faire revenir l'empereur de ses préven- tions contre lui, et obtint la faveur d'écrire cet Oratorio pour lequel on lui avait fait dire d'être plus sobre de ses trilles et de ses mordants. L'empereur, assistant à la répétition de l'ouvrage, fut charmé d'y trouver un style simple où ne paraissait pas un ' Farinelli devint le plus étonnant chanteur du dix-buitième siècle, c'est le même sur qui Scribe a fait un roman intitulé. Carlo Broschi, et l'opéra de la Part du Diable. 80 seul de ces ornements qu'il n'aimait pas. Cependant le compo- siteur avait préparé pour la fin une plaisanterie à laquelle le monarque ne s'attendait pas, et qui eut le succès qu'il s'était promis. Le thème de la fugue finale commençait par quatre notes ascendantes, sur lesquelles il avait mis un trille -, cette série de trilles répétée à toutes les entrées des différentes voix, devint une bouffonnerie des plus plaisantes au s^r^'/fo , quand toutes les parties firent entendre une longue suite de trilles qu'elles reprenaient tour à tour. Quoique d'un caractère fort sérieux, l'empereur fut pris d'un rire convulsif à l'audition de ce morceau grotesque, pardonna à l'auteur sa plaisanterie, et lui fit remettre une récompense pour son travail, qui l'avait beaucoup diverti. « Vers 1731, le maître napolitain obtint la résiliation de son engagement avec la cour de Saxe, et alla à Londres diriger l'Opéra italien, établi en opposition au théâtre dirigé par le cé- lèbre Hpendel. Les succès de son entreprise le retinrent en An- gleterre pendant plusieurs années. Il revint ensuite à Venise, où il écrivit quelques opéras, puis il retourna pour la troisième fois à Vienne, où il passa plusieurs années, et ce fut pendant le séjour qu'il y fit qu'Haydn le connut et en reçut des leçons. Enfin, vers 1760, il quitta Vienne pour retourner à Naples faire représenter son dernier opéra. « Dans sa Jeunesse, Porpora avait beaucoup de gaîté et d'es- prit, et la répartie vive; mais, devenu vieux, il éprouvait sou- vent des impatiences et des accès de mauvaise humeur que son talent et son âge faisaient excuser. Sa misère fut extrême dans ses dernières années; sa seule ressource consistait dans ses le- çons, que son grand âge et ses infirmités l'empêchaient souvent de donner. C'est un grand reproche à la mémoire de Farinelli et de CalTarelli, gorgés d'honneurs et deiichesses, d'avoir laissé languir la vieillesse de leur maître dans les horreurs du besoin. Porpora mourut à Naples en 1767, à l'âge de 80 ans. 81 « Porpora a écrit beaucoup d'oratorios, d'opéras, et un grand nombre de cantates à voix seule, avec accompagnement de cla- vecin, du plus beau style. Celles q^ui ont été données à la section des Beaux-Arts sont de ce nombre. Voici maintenant quelques notes historiques sur Alex. Slra- della. — Ce célèbre compositeur et chanteur, qui fut appelé V Apollon de la immque, naquit à Naples vers 1645. L'on a peu de renseignements sur la première partie de sa vie, sur la di- rection de ses éludes, le nom de ses maîtres, etc., et la touchante histoire de ses malheurs serait aujourd'hui ignorée, malgré la réputation qu'il se lit par ses talents , si le médecin Bourdelot, son contemporain , ne nous l'eût transmise dans ses Mémoires sur la musique : Alex. Stradella, fameux musicien engagé à Ve- nise, pour composer des opéras , ne charmait pas moins par sa voix que par ses compositions. Un noble vénitien chargea Stra- della de donner des cours de chant à sa maîtresse , et après quelque temps , l'écolière et le maître se trouvèrent avoir tant de sympathie l'un pour l'autre, qu'ils prirent le parti de fuir ensemble à Rome. Cette évasion mit au désespoir le noble vé- nitien, qui résolut de s'en venger à tout prix par la mort de l'un et de l'autre, et il envoya aussitôt chercher deux des plus célè- bres assassins de Venise, avec lesquels il convint d'une somme de 300 pistoles pour aller assassiner Stradella et sa maîtresse. Arrivés à Rome, ils surent que le lendemain Stradella devait donner, à cinq heures du soir, un oratorio dans Saint-Jean-de- Lalran, où les assassins ne manquèrent pas de se rendre, dans l'idée de faire leur coup quand Stradella s'en retournerait le soir chez lui, avec sa maîtresse ; mais l'enthousiasme où tout le peuple se trouva, au concert de ce grand musicien, joint à l'impression que la beauté de sa musique et de son chant firent sur le cœur des assassins, changea comme par miracle leur fureur en pitié, et ayant dès lors résolu de lui sauvei- la vie, ils l'attendirent en 6 82 sortant de l'église, lui avouèrent leur dessein et lui conseillèrent de partir immédiatement pour trouver un lieu de sûreté. Stra- della partit, en efl'et, avec sa maîtresse, pour Turin ; mais le noble vénitien le découvrit dans cette ville, le fit poursuivre de plus belle , et un soir il fut attaqué par trois autres bandits qui lui donnèrent chacun un coup de stylet. Cependant, Stradella ne mourut pas de ses blessures, mais il ne put échapper à la ven- geance de son ennemi, qui laissa toujours des espions pour suivre sa marche ; de sorte qu'un an après sa guérison, voulant, par curiosité, aller à Gênes avec sa maîtresse (qu'il appelait Ortensia), ils furent assassinés dans leur chambre dès le lendemain de leur arrivée. Les assassins se sauvèrent sur une barque qui les atten- dait dans le port de Gènes ; de sorte qu'il n'en fut plus parlé depuis. Ainsi périt le plus excellent musicien de l'Italie, environ l'an 1678. Les copies des compositions de Stradella sont très- rares parce qu'on n'imprimait plus de musique en Italie à l'époque où il écrivit. — La bibliothèque du Conservatoire de Naples possède, dit-on, un recueil de ses cantates; la bibliothèque du Conservatoire de Paris possède aussi quelques morceaux de ce musicien, et l'on en trouve d'autres au Musée britannique de Londres et dans la bibliothèque d'Oxford. Enfin, tout le monde connaît l'admirable air d'église : Pieta Signor, qui désarma les assassins à Rome ; mais le principal ouvrage de Stradella paraît être VOratorio di St-Giovani-BatHsto, à cinq voix, daté de Rome 1676 , d'où est tirée la petite fugue qui nous a été envoyée , et dans laquelle on retrouve bien le caractère d'élévation et de dis- tinction de la manière de Stradella. a Nous avons lieu d'espérer que les recherches qui ont été commencées en Italie réussiront à nous faire connaître quelque autre ouvrage de cet éminent artiste, de même que les compo- sitions de quelques anciens maîtres italiens, tels que Casella, ce grand musicien , qui fut l'ami , le maître et le contemporain du 83 Dante, donl il serait si intéressant de retrouver les ouvrages ♦ et sur lesquels on n'a plus aujourd'hui d'indices bien certains', w La section des Beaux-Arts désirant signaler sa première an- née d'existence par quelque œuvre utile à l'art, avait espéré pou- voir faire l'acquisition, pour le Musée, du portrait du général Dufour, peint par notre compatriote, M Favas; acquisition ayant pour but, non-seulement d'honorer le talent d'un artiste de mérite, mais encore de ne pas laisser passer en mains étran- gères un tableau qui pouvait enrichir noire Musée et constituer une jouissance permanente pour tous les Genevois. — La section a décidé de consacrer à cet achat une grande partie de son allo- cation annuelle ; mais celle somme ne pouvant suffire, elle s'esl adressée au Conseil d'Etat en le priant de lui venir en aide. Le Conseil a répondu en oITiant une somme égale à celle dont la section pouvait disposer; mais malheureusement le total s'est trouvé insuffisant pour satisfaire aux justes prétentions de l'ar- tiste, et la section s'est vue forcée, bien à legret, d'abandonner cette espérance. Projet d'exposition. — Dans sa séance du 23 août 4853, la sec- tion a proposé, pour le mois d'août 1854, une exposition de peinture au Musée Rath , dans laquelle seraient admis tous les artistes étrangers. — La section devrait s'entendre, à cet effet, avec le Conseil d'Etat et la Municipalité, pour obtenir leur appro- bation, ainsi que les fonds nécessaires à cette exposition. Il serait fait un choix parmi les artistes étrangers d'un mérite reconnu, et il leur serait adressé des invitations personnelles avec une circulaire relative à l'exposition. * On allribue à Casella quelques-uns de ces canliques, counus sous le nom de Laudi Spiriluali , dont les mélodies ont tant de t-lrai-mes, et qui n'ont point vieilli, malgré leur ancienneté. — Il existe aussi, dit- on, dans la bibliothèque du Vatican, une Ballata, au-dessus de laquell*^ sont t'crils ces mots : '■ Lemno da Pi.stoja, e Casella diode il suono* •• 84 La section des Beaux-Arts serait chargée de tous les détails de cette exposition, qui serait annoncée en son nom. Les frais de transport pour les artistes suisses et étrangers, incomberaient à la section des Beaux-Arts, qui, chargée de l'ad- judication des prix, déterminerait la valeur et la nature de ces prix. Jusqu'à présent nous nous sommes contentés de nos seules ressources, et cependant les expositions bisannuelles ont tou- jours intéressé le public éclairé de notre ville. On comprend facilement combien cet intérêt serait augmenté, etles avantagesin- contestables qui résulteraient du concours des différentes écoles. Ainsi, l'exposition de 1854 étant d'un attrait tout nouveau à Genève, deviendra pour le public et pour les artistes un moyen de s'éclairer et de s'instruire mutuellement; au premier, elle offrira un choix d'ouvrages étrangers qu'il sera appelé à com- parer avec les productions de nos artistes nationaux ; chez ceux-ci, en stimulant leurs efforts, elle provoquera une utile émulation. Nous croyons qu'il serait à désirer qu'à l'avenir nos exposi- tions de peinture prissent un caractère moins exclusif et par- tant beaucoup plus général. C'est ainsi que le mouvement et le développement artistiques se sont accrus dans la plupart des grandes villes de France et d'Allemagne. Du reste, afin de limiter les dépenses qui pourraient résulter de ce mode d'exposition, l'appel qui serait fait par nous aux artistes étrangers ne serait que nominatif, et, par conséquent, suffisamment restreint ; en sorte que nous n'aurions pas à re- douter d'être inondés d'œuvres médiocres pour lesquelles nous n'aurions pas assez de place à donner. En somme, il est probable que les frais qui résulteraient de cette exposition seraient très-modérés, puisque nous pourrions les restreindre à notre gré. — Il y aurait la vente des catalo- gues et même un droit d'entrée à de certains jours, qui paie- raient déjà une grande partie des frais. 85 Quant aux i-écompenses à décerner, l'Administration verrait ce qu'elle pourrait faire à cet égard : ceci est le sujet d'une dé- libération toute particulière. La section des Beaux-Arts, maniant plus volontiers tout autre instrument que la plume, et préférant l'action à la parole, n'en- tretiendra pas plus longtemps le Bulletin du contenu de ses séances. Plus difficile à constituer que les autres sections, pour des raisons qui tiennent à sa nature particulière et à des circon- stances défavorables, elle n'a pu encore songer à se compléter par des membres honoraires et des correspondants; mais, dit un proverbe : « Tout vient à point à qui sait attendre , » et la 'len- teur, dans cette affaire, est peut-être une condition de succès.— La section espère, cette année, se mettre au pas avec ses émules, et pouvoir être moins concise alors. élection d'Industrie et d'Agriculture. La Section d'Industrie et d'Agriculture compte comme mem- bres effectifs : MM. Hector Galland, Président, Moulinié, ancien Conseiller d'État, Vice-Président, Olivet fils, docteur en méde- cine, Secrétaire, Darier (Henri), Penay (Jacques), Lacroix (Pierre), Rambal, Muzy, horticulteur, Darier (Hugues), Bouffier aîné. Secrétaire-adjoint. Elle a reçu comme membres honorai- res, MM. L' Bénit, docteur, F^ Berthoud, Ant. Gaillard, Penay, maire, Jacques et Alphonse Dubois, à Meyrin, Nakwaski(H.-M.)' Nakwaski (Boleslas),JuIliard, docteur, Vaucher-Guédin, Fichard,' à Hermance, Raffard-Passerat, Centlivres, régent, Vignier-Bas- sompierre, Riondel (Ant.), Rochaix (Isaac), Mayor père, Jules fiaillai'd, Monnier-Péchaubais, à Russin, et Revaclier, juge de paix. La Section d'Industrie et d'Agriculture a été installée le pre- mier février 1853 par M. le président du Département de l'In- struction publique , et, aux termes de la loi du 28 avril 1852, elle a procédé immédiatement à la nomination des cinq mem- bres efTectifs destinés à la compléter. Elle a eu dix séances, dont les cinq premières ont été presque exclusivement consacrées à l'organisation intérieure , formation du bureau, admission de membres honoraires, etc. Les deux éléments dont la section se compose ont donné une ou deux fois l'idée de la scinder en une demi-section d'industrie et une demi-section d'agriculture , du moins pour les séances familières, mais cet atis n'a pas prévalu; au début d'une société, les objets dont elle s'occupe ne sont pas assez nombreux pour justifier une semblable séparation, et d'ailleurs l'ordre du jour, connu d'avance , permet de s'absenter à ceux qui ne s'intéres- sent pas à un sujet étranger à leur spécialité. La section s'est occupée activement de la création à Genève d'un marché au gros bétail , dans le genre de celui qui existe à Nyon, le premier lundi de chaque mois. Au moment où les chemins de fer vont faciliter aux mar- chands français le transport des bestiaux dont ils viennent s'ap- provisionner en Suisse, il a paru convenable de chercher à fixer à Genève un marché auquel notre position est si favorable , et où toutes les branches de cette industrie trouveront leur avan- tage. On a cru aussi rendre service par ce moyen à une partie des bouchers de Genève , ainsi qu'aux agriculteurs et aux consom- mateurs, en régularisant les transactions qui se rapportent au commerce de la viande, et en leur donnant, pour amsi dire, le plus de concurrence et de publicité possibles. Dn a généralement pensé que si l'on n'établissait pas à Ge- 87 tiève ce marché, il ne manquerait pas, par la suite, de s'en éta- blir un dans notre voisinage, plus ou moins immédiat, et qu'il fallait en conséquence prendre l'initiative. La Commission chargée de ce projet d'établissement a pensé que les abords de la porte de Cornavin y sont les plus propres, et si les démarches qu'elle a faites auprès de l'Etat et de la Mu- nicipalité n'ont pas encore abouti, c'est que ces deux Corps ont à régler quelques détails relatifs au plan d'agrandissement de la ville, etc. L'on ne s'est pas dissimulé que toute création nouvelle ren- contre des obstacles, et la nouveauté en est un pour un marché ; aussi l'on a parlé de donner, du moins pour les premiers temps, une prime au bœuf le plus gras et une à la vache la plus grasse, ainsi qu'une légère indemnité à chaque tête de gros bétail amenée sur le marché. Le sieur F. Corthay, ouvrier couvreur, avait demandé au Dé- partement des Travaux publics une prime pour un procédé qu'il a imaginé pour couper les tuiles. Une lettre de la Chancellerie a renvoyé à la Section d'industrie et d'agriculture l'examen de ce procédé; il consiste simplement en l'emploi d'une tenaille un peu forte et à long manche , semblable à celles dont se servent les forgerons pour couper les clous. Avec cet instrument, le sieur Corthay a coupé nettement des tuiles vieilles et neuves, et toujours à l'endroit marqué. Quelle que soit la simplicité du procédé, et quoique l'instru- ment ne soit pas nouveau, la Section d'industrie et d'agriculture a donné un préavis favorable sur le mode employé par le sieur Corthay, et a recommandé celui-ci au Département des Travaux publics, qui lui a accordé un encouragement de 50 francs. Il est en outre probable que , pour reconnaître l'utilité d'un procédé destiné à remplacer la méthode loul-à-fait incertaine employée jusqu'ici dans ce genre de travail , et, pour témoigner de son envie d'être utile aux artisans qui sortent de la routine pour 88 perfectionner en quoi que ce soit les détails de leur industrie , la Section allouera dans une prochaine séance une prime d'en- couragement au sieur Corthay. Le dernier objet à l'ordre du jour a été la proposition de M. Revaclier, membre du Grand Conseil, ainsi conçue : tf Je propose que le Conseil d'Etat veuille procéder à une en- » quête sur l'influence que doit exercer la construction des » chemins de fer sur les intérêts agricoles dans le canton de u Genève. » Cette proposition a été renvoyée par la Chancellerie à la Sec- tion, qui a nommé une commission et s'en est occupée pendant plusieurs séances. Voici en substance les principaux traits du rapport qu'elle a adressé à cette occasion au Conseil d'Etat. « Dans un petit pays comme le nôtre, où 4a ville possède une population égale à celle de la campagne, les intérêts de ces deux populations sont étroitement liés , et si , comme c'est très-pro- bable, la population urbaine s'augmente par la création des che- mins de fer, l'agriculture en profitera d'autant par l'augmenta- tion de consommation de certains articles qu'on ne demande qu'à nos campagnes, comme laitage, légumes frais, etc. Les communes qui posséderont une station se trouveront con- verties en banlieues et en auront tous les avantages. La vigne n'aura pas à souffrir de l'importation des vins rouges étrangers, parce que la consommation des vins blancs augmen- tera , comme il a été dit, par l'accroissement de la population urbaine , et que d'ailleurs notre vin servira au coupage des vins du midi. La culture des céréales est celle qui aura le plus à redouter ; il est possible cependant qu'avec des méthodes perfectionnées on puisse la conserver avec avantage dans quelques localités du canton. D'autre part , notre pays gagnera peut-être à l'exportation de 89 divers produits, du bétail par exemple , peut-être du laitage , et enfin de la soie , qui est en voie de progrès et offre déjà des ré- sultats satisfaisants. Le rapport conclut ainsi : i" L'imroduction des chemins de fer ayant amené dans diffé- rents pays les résultats les plus inattendus , et les intérêts de la ville de Genève étant intimement liés à ceux de la campagne , l'on ne peut prévoir les changements que subira notre agriculture ; 2" Si même l'on pouvait arriver à de fortes probabilités, l'on ne saurait dicter d'une manière générale ce qui doit être fait , attendu que l'intérêt privé pourra guider chacun selon les cir- constances où il se trouve , ce qui est d'autant plus facile , que nos exploitations sont très-variées , et relativement peu étendues. Commission d'Administration de l'Institut. Cette Commission, composée de MM. Diday, Longchamp, Ja- mes Fazy, Hugues Darier et Vogt, est présidée par le Président de l'Institut. Le Secrétaire général y siège comme nipporteur, mais il n'a pas voix délibérative. Elle a tenu onze séances, du vendredi 13 mai au mardi 27 décembre, et elle s'est occupée, dans les premières, du règlement général et d'autres objets re- latifs à l'installalion et à la marche de l'Institut, et dans les der- nières, de la" publication des Mémoires et du Bulletin. Elle a voté les crédits nécessaires pour ces publications, el approuvé les conditions proposées par M. Kessmann pour le placement du premier volume des Mémoires. Enfin, elle a décidé qu'ils seraient tirés, ainsi que le Bulletin, à 500 exemplaires, indé- pendamment des 25 exemplaires des Mémoires, que le règle- ment général attribue aux auteurs. Rapports de l'Institut avec le Conseil d'État. Ces rapports, pour lesquels M. le chancelier Viridet a servi d'intermédiaire actif et zélé , ont été assez nombreux depuis la création de l'Institut, jusqu'à la fin de l'année 1853. 90 Le 29 août, M. le Chancelier a adressé au Président de l'In- stitut un exemplaire des planches du Voyage en Egypte et en Nub'ie par Jean-Jacques RifautI, de Marseille, mort récemment à Genève. Cet exemplaire a été donné à l'Institut par le Conseil d'État. Le Conseil d'État, sous la date du 3 novembre 1853, a offert à la Section des Sciences nutureUes et mathématiques un exem- plaire relié et colorié des Chamfiignons comestibles, suspects et vénéneux de la Suisse, dessinés et peints par M J. Bergner et décrits par M. J.-G. Trog père. Le Conseil d'État a transmis à la même Section un exemplaire (. Ami Bovet pour cet objet. Il a élé chargé de s'enquérir du prix auquel reviendraient la lithographie ou la gravure de ce projet. « Tels sont, Messieurs et chers collègues, les principaux objets dont votre Secrétaire général avait à vous entretenir. Pour de plus amples détails et pour ce qui concerne les sections dans leur sphère particulière d'activité, il ne peut que vous renvoyer aux Bulletins de l'Institut Genevois, publiés en décembre 1853 et en avril 1854, et aux rapports particuliers de MM. les Secré- taires. » Une discussion est ouverte, après la lecture de ce rapport sur les différents points qu'il embrasse. M. James Fazy, vice-prési- dent de la Section des Sciences morales et politiques, demande qu'il soit alloué, sur le budget de l'Institut pour l'année cou- rante 185-4, une allocation de 500 francs au Secrétaire général, pour l'indemniser du temps et des soins qu'il consacre à l'Insti- tut Genevois et à ses publications. Cette proposition, appuyée par MM. Chaulmontet et Moulinié père, est adoptée. Le Secré- taire général remercie l'Institut. L'ensemble du rapport est ensuite adopté à l'unanimité. MM. les professeurs Cherbuliezet Amiel, membres de la Sec- tion Littéraire de l'Institut, chargés des rapports sur les concours ouverts par cette Section , s'acquittent de leur tâche de la ma- nière suivante : 168 Rapport sur les deux concours littéraires ouverts par la SECTION DE LITTÉRATURE de I'Institut national Genevois, du 1" novembre 1853 au 15 avril 1854. Messieurs, Le 13 octobre 1853, la Section de Littérature décida d'ouvrir deux concours, réglés par des dispositions qui ont été publiées dans un programme imprimé {voir p. 70 et 71 du Bulletin). Le 1 5 avril 1 854 , dix-sept pièces avaient été remises entre les mains du Secrétaire. Le 20 avril, la Section, convoquée, résolut de former deux Jurys, chacun de quatre personnes, choisies parmi les membres effectifs de la Section, chargés d'examiner l'un les pièces en vers, l'autre les travaux en prose, et devant rapporter dans un délai de quinze jours. Le 4 mai, les Jurys réunis donnèrent leurs conclusions sur les pièces et décidèrent pour les prix. M. le professeur Cherbu- liez fut invité à rendre compte du concours de prose, M. le pro- fesseur Amiel du concours de poésie. Onze jours plus tard, le 15 mai, furent décachetées les let- tres à épigraphes qui contenaient les noms des auteurs cou- ronnés. Tel est, Messieurs, en peu de mots l'histoire de ce double concours, le premier qu'ait ouvert V Institut national Genevois. Voyez maintenant son résultat. 1. Prix «le prose* La prose a peut-être, chez nous, un plus grand besoin d'en- couragement que la poésie. Celte assertion a l'air d'un para- doxe, et, néanmoins, pour qui connaît la littérature genevoise contemporaine, les faits se prononcent en sa faveur. Il semble que la langue des dieux nous soutienne mieux contre certains 169 défauts que nos voisins, malgré la gloire de Jean-Jacques, malgré d'autres renommées moins éclatantes, reprochent vo- lontiers au style genevois, contre ce je ne sais quoi d'abstrait, de roide et d'empesé qui, disent -ils, effarouche les Grâ- ces. A qui contesterait le fait , j'opposerais avec confiance nombre d'essais heureux dans lesquels une versification élé- gante ou vigoureuse captive l'esprit sans blesser l'oreille ni le goût. Nous n'avons, il est vrai, jusqu'à ce jour, point de grande épopée , et nos Racine et nos Molière sont en- core à naître ; mais, dans l'élégie, dans la chanson, dans l'apo- logue, dans le conte en vers, dans le genre plus élevé de la bal- lade héroïque, j'ose alfirraer que nos preuves sont faites, el, en attestant chez nous de vrais talents, nous en promettent peut- être d'autres. Sans chercher en ce moment la clef de ce pro- blème, j'observe que, dans le domaine de la prose, le vrai et le le beau ont des droits rivaux à concilier, et que dans les œu- vres où l'éloquence emprunte au savoir ses ressources, des re- cherches exactes et des études approfondies sont tout à la fois indispensables et insuffisantes au succès. Par cette raison même, il semblerait que c'est dans cette voie que notre génie national, tout à la fois exact et ardent, réfléchi et passionné, devrait marcher avec le plus de sûreté et d'aisance. Quoi qu'il en soit, on comprendra sans peine que la Section littéraire de l'Institut, dans l'ouverture de son premier concours, ait partagé ses soins et son appel entre la prose et la poésie, et qu'entre les genres où le beau se met au service du vrai, elle ait préféré celui où leur alliance est éminemment naturelle et intime, celui où l'homme devient l'objet des éludes elde la contemplation de l'homme, non pas dans une régionabstraite, mais sur le théâtre animé de sa lutte contre la destinée. L'histoire, telle qu'on la conçoit el qu'on l'écrit au dix-neuvième siècle, exige au plus haut degré le travail patient et souterrain du mineur et les in- spirations élevées de l'artiste : jamais, en effet, mieux que de 1-2 170 nos jours, elle ne comprit sa véritable tâche, qui est de ressus- citer le passé, de saisir les phénomènes sociaux dans toute la complexité vivante de leurs éléments, de rendre aux fuils leur pleine réalité, et, par cela même, leur vraie couleur et leur in- térêt palpitant. Aussi, avant même de penser à l'expression, aux formes et aux convenances du style, quel art savant ne dé- ploie-t-elle pas déjà pour arriver à sa première fin, la vérité, pour évo(intr en magicienne des civilisations évanouies, des fi- gures à demi effacées par le temps ! Travail préliminaire d'é- rudilion et de critique, exploration consciencieuse des sources, des documents les plus divers, recherches consacrées à dégager le vrai sous les dehors trompeurs des jugements reçus, des in- justices contemporaines ou des préjugés traditionnels, inter- prétation sagace qui pénètre le sens et la portée latente de maint détail imperceptible à des yeux inatlcntifs, génie de combinaison qui, de mille fuyantes et légères étincelles, éparses dans la poussière des bibliothèques, sait composer un faisceau de lumière, tel est, qui peut le méconnaître? l'art des Niebuhr, des Thierry, des Mignet, des Macaulay, et, malgré la différence des genres, celui d'un Walter Scott, d'unManzoni, d'un Alfred de Vigny. Ces matériaux une fois conquis par des veilles labo- rieuses, le vrai talent trouve en lui-même non-seulement la puissance de les mettre en œuvre, mais encore l'instinct de la forme que son originalité l'appelle à leur donner. Qu'il les jette dans le moule sévère de l'histoire, se bornant à la fidèle reproduction du passé, et renonçant à toute autre ressource pour intéresser et pour plaire que celle d'une mâle et précise éloquence, ou que, sur les ailes de la fantaisie, il s'élève aux confins de la science et de la fiction, son œuvre, interprète du passé, relèvera toujours de l'histoire; à l'histoire seule elle de- vra sa solidité, ses inspirations , sa sève nourricière. Eh bien ! ces affinités entre les études historiques et le génie littéraire, c'est ce que nous avons eu en vue dans notre programme. Les annales de l'humanité ne présentent guère de nation, d'épo- que, de moment, où la nature des faits et des sources ne se prête aux exigences de l'art de peindre , à ces vues d'ensemble ou à ces tableaux saisissants dont l'attrayante succession manifeste le penseur et l'écrivain. Dans ce domaine, point de région en- tièrement stérile; même, il est plus d'un petit Etat qui dé- ploie à nos yeux plus de variété et dn mouvement dans sa vie nationale que bien des empires d'une vaste étendue; d'abord, sans doute, parce que l'énergie des volontés et des caractères, la force des passions et l'éclat du génie politique, ne se mesu- rent pas à la grandeur du territoire, et ensuite, parce que les petites patries, plus chères au cœur de leurs enfants, leur in- spirent de plus grands dévouements, et allument aussi dans leur sein de plus ardentes rivalités, des jalousies plus implaca- bles, rappelant tour à tour l'imaged'une famille heureuse et unie, et ces haines fraternelles du poète, les plus mortelles de toutes : Fraternas acies, allernaque régna profanis Decerlala odns. En ce moment, Messieurs, vous pensez à notre Genève, com- me nous y pensâmes nous-mêmes lorsque nous voulûmes, dans le champ illimité que nous venons de parcourir d'un regard, tracer une arène moins étendue. N'était-il pas naturel, dans ce premier concours, d'inaugurer l'influence littéraire que nous entreprenons d'exercer, en suspendant un de nos prix sous l'é- cusson de notre république? L'histoire de Genève n'est-elle pas faile pour occuper d'habiles pinceaux , pour animer la toile, pour inspirer l'éloquence? Nous en serions-nous exagéré la richesse et la beauté? Epoque romaine, époque burgunde, re- culées dans la nuit des temps, mais en rapport avec des mœurs curieuses à étudier, avec des révolutions qui ont changé la face de l'humanité; puis le développement successif de notre liberté, l'âge héroïque de nos annales, moins problématique et non moins glorieux que celui de la Suisse, ensuite la Réformation 17-2 dont nous devenons le foyei, régime draconien, assombri par de terribles sévérités, mais illustré par de puissants caractères et de mâles vertus ; enfin nos luttes intestines, mettant en scène des passions dramatiques ol des capacités dignes d'un plus grand Ihéâlre; je ne fais ({n'indiquer ce que tout le inonde sait, et je ne démontre point une opinion qui n'a point ici d'adver- saire. Variété, richesse des faits, intérêt moral, religieux, po- litique, rien de tout cela manque-t-il à notre histoire? Ou bien, en provoquant cette étude, aurions-nous fait tort aux écrivains qui l'ont embrassée jusqu'à nos jours? Soit rendue toute justice à leurs mérites divers; mais, ont-ils rempli la tâche d'une ma- nière transcendante, avec un éclat qui efface d'avance tout es- sai nouveau? Avons-nous une histoire de Genève qui réponde au type moderne, aux exigences actuelles, et à cet heureux concours de la crili(|ue, de la philosophie et de l'imagination, qui caractérise les classiques du genre? D'ailleurs, qu'on veuille bien le remarquer, notre espoir n'é- tait nulleme'nt qu'on nous présentât le corps entier de notre histoire ; rien n'autorisait cette prétention de noire part, ni le temps accordé aux concurrents, ni la valeur du prix dont nous avions à disposer, non sans doute ! mais une époque détachée, une des crises, une des évolutions de notre existence nationale, un tableau de mœurs, ou bien une de nos vies illustres, celle de Berlhelier, par exemple, une statue coulée en bronze, à la ma- nière de Plutarque ; ou encore, une de nos localités traitée avec ses souvenirs, comme le château de Chillon l'a été si admira- blement par M. Vuilliemin ; enfin, sous une forme ou sous une autre, une monographie historique, relevée par le pathéti- que et la couleur locale; ou bien, dans un genre plus rappro- ché de la poésie, une situation dialoguée, un drame taillé dans nos annales, ou un épisode de roman dans le goût de Walter Scott : voilà ce que nous avions le droit d'attendre, et, pour nous résumer en deux mots, notre devoir dans l'appréciation 173 des pièces était d'exiger : 1" Uu fond de composition emprunté à notre histoire, 2» une forme vraiment littéraire et soutenue par le mérite du style. Quatre mémoires ont été présentés au concours de prose; ils ne sont pas tous sans mérite ; l'un d'eux surtout a, comme on va le voir, une véritable valeur; mais, en considération des principes que je viens de rappeler, la Section de Littérature n'a pu décerner de prix. L'appiéciation dans laquelle nous allons entrer justifiera, J3 l'espère, la sévérité de cette décision, tout en attoslanl notre sincère estime pour des preuves non équivo- ques de travail et de talent. N" 1. L'œuvre intitulée « Grandeur d'un cœur genevois, » et que je détache la première, parce que, malgré ce que promet le titre, elle est étrangère à notre histoire, porte celte épigraphe : v( Console-toi, homme de bien, en songeant que la vertu est encore plus belle que le vice n'est laid. » C'est un long drame en trois actes, qui nous tient enfermés d'un bout à l'autre dans l'enceinte d'une famille dont le chef est un hypo- crite qui, par de beaux dehors, l'air et le jargon d'une piété af- fectée, et à force de flatteries, s'est insinué dans les bonnes grâces d'une riche veuve, et, une fois maître de sa main et de sa fortune, la trompe en nouant des intrigues avec d'autres fem- mes, et persécute et travaille à ruiner les enfants du premier époux; comme on le voit, sous un crayon habile et vigoureux, ce serait Tartule marié qui, certes, aurait pu fournir le sujet de scènes piquantes et d'effets vraiment dramatiques. Mais, mal- heureusement, l'intrigue de cette pièce tirée de la vie bour- geoise, est romanesque, faible de vraisemblance, les caractères en sont forcés, ainsi que les situations et les sentiments ; ren- dons cependant justice à quelques intentions comiques, à des morceaux où se montre une invention de détail assez ingé- nieuse, où perce l'accent d'une vraie sensibilité; mais ces côtés 174 louables ne compenseiil pas la maladresse dans l'enchaînemenl des scènes, la trivialité et la boursoufflure du style, et le fâ- cheux effet d'un dénoûment difforme par sa longueur démesurée. N" 2. « Caius Julius Csesar et Tilus Labienus, considérés au point de vue de l'histoire de Genève. Essai de critique histori- que et philologique, avec cette épigraphe : « Vicit a solo Cse- sare victos (Légende de la médaille frappée par François I" après la bataille de Marignan). » Ce mémoire, agréablement écrit, est d'un intérêt piquant par les questions qu'il soulève et qu'il résoud d'une manière plus ou moins paradoxale; mais, le jury a été unanime à reconnaî- tre qu'il reste en dehors d'une condition essentielle, n'appar- tenant ni par la forme, ni par les développements, à la. littéra- ture proprement dite; c'est, selon l'expression d'un de nos collègues, « un morceau de critique et d'archéologie fourvoyé au milieu d'un concours purement littéraire. » Mais, après avoir énoncé avec regret ce motif d'exclusion , je me plais à insis- ter quelques moments sur les mérites de cet intéressant travail, qui fait preuve d'un savoir étendu , d'un vrai talent de critique et d'antiquaire, et si quelques doutes ou même des convictions opposées à celles de l'auteur interviennent dans notre éloge, il n'en aura que plus de prix en s'annonçant ainsi comme le ré- sultat d'un examen consciencieux. Trois points importants sont discutés successivement dans cet essai de critique historique, et liés entre eux par des rapports essentiels , de manière à for- mer un corps de recherches sur la condition et les destinées de Genève sous les Romains : 1° Ce qu'était Genève au moment où César j\fit son apparition; 2» Position politique de César, idée précise du récif qui ouvre ses Commentaires; 3° Ce que devint Genève après la guerre que César fit aux Helvéliens ; état de cette cité sous les empereurs romains. — Après quelques notions sur les populations celtiques des Alpes, l'auteur signale les Allo- broges comme celle qui était la plus rapprochée de la civilisation 175 romaine, et rappelle son incorporation à la Narbonnaise, et l'im- portance militaire de Genève, cité fortifiée, oppidum, qui était alors un point d'observation et de défense contre le voisinage menaçant des Holvétiens et d'autres peuples encore indomptés. C'est dans la seconde partie qu'éclatent les preuves d'un esprit paradoxal ; après des considérations judicieuses sur la position politique de César, sur la véritable valeur des griefs de natio- nalité et de famille qui servent de prétexte à la guerre contre les llelvéliens, vient l'examen de l'authenticité et de la crédi- bilité des Commentaires de César; malgré quelques objections indiquées en passant, l'aulhenticité est reconnue, il n'en est pas de même de la crédibilité. Les critères sur lesquels repose l'ar- gurnentation de l'auteur ne nous paraissent pas avoir toute la force qu'il leur suppose; pour n'en citer qu'un exemple, à l'é- loge que Cicéron fait des Commentaires dans son Brutus, ou Galerie des illustres orateurs, à ce témoignage si expi-ès, si po- sitif, qui, certes, de la part d'un homme d'un goût exquis et passionné pour les lettres et d'un ennemi politique, est d'une valeur incontestable, se trouve opposé au passage de la première Philippique où l'orateur jette du discrédit sur les pa- piers, ou notes et mémoires, commeniarii, comme» tari oH, dont Antoine s'était mis en possession et dont il faisait un indigne usage; mais ces notes et mémoires dont Antoine se prévalait pour trafiquer, sous le nom de César, des dignités, de l'argent et des terres étaient sans doute, malgré l'emploi du même mot pour deux choses si différentes, tout autre chose que les mé- moires du grand capitaine sur ses campagnes, et en parliculier sur celles des Gaules. Les Philippiqnes ou Antoniennes de Ci- céron, et les déprédations et actes arbitraires par lesquels .An- toine préludait au règne du sabre et au coup d'étal de Bologne, tombent sur l'an 44 avant l'ère chrétienne, et les mémoires militaires de César étaient déjà publiés, puisque le Brutus où Cicéron en fait un éloge si judicieux et si délicat, parut notoi- [la rernenl l'an 46, deux ans avant l'assassinat du Dictateur. Le caractère, le génie si vaste de l'illustre conquérant qui fut aussi un des hommes les plus lettrés de son siècle , perraet-il de le mettre au même rang que ces guerriers dont les mémoires n'ont tout au plus qu'une demi-authenticité, parce que leur main ne savait tenir que l'épée et que d'autres ont dû les écrire pour eux? Cela ne suïïirait-il pas au besoin pour défendre contre les insinuations de l'auteur son plein droit de propriété sur la partie des commentaires dont les anciens lui attribuaient la composition*? L'assertion d'Asinius PoUion, citée par Suétone, n'établit pas que les commentaires aient été revus et corrigés, mais que César lui-même aurait fait ou dû faire ce travail si la vie ou le temps ne lui eût manqué. Passant aux mesures em- ployées par César pour arrêter les Helvétiens à la frontière de la Narbonnaise, l'auteur examine successivement les opinions de divers militaires, seuls aptes, il semblerait, à l'explication d'un pareil texte, et auxquels pourtant s'est joint honorablement notre illustre Abauzit, qui place le fameux retranchement des Romains sur la rive gauche du Rhône, entre le lac et le Vouache, et non , comme on le faisait avant lui , sur la rive droite ; les remarques de l'auteur du mémoire répandent encore un nou- veau degré de clarté sur cette heureuse solution d'une dilTiculté autrement inextricable. Enfin, Labienus est présenté comme ayant joué le principal rôle dans cette première campagne de la guerre des Gaules, — encore un paradoxe ingénieusement soutenu; mais comme la critique érudite de l'auteur rejette elle- même comme supposée une inscription récemment publiée qui étayait jusqu'à un certain point son hypothèse, il ne lui reste pour la soutenir que quelques mots d'Asinius Pollion, d'une portée bien vague, bien générale ! parum dtligenter parnmque ' Le mémoire dont il est question ici est de M. Ganllieur. Il essaiera de répondre, en le publiant, aux critiques de l'honorable Rapporteur. m integraveritalecompositi ; l'accusai ion est certes des plus graves, et encore, fùl-elle démontrée, il resterait à en prouver l'appli- cation aux rapports de César avec son lieutenant; mais on con- naît l'esprit de dénigrement qui caractérisait celui qui l'a por- tée, ce Pollion, qui se montra l'ennemi de toutes les grandes renommées contemporaines, ce seigneur homme de lettres qui avait la prétention de donner le ton à la littérature de son siècle et d'assigner leur place au-dessous de celle que leur avait con- quise leur génie, à un Cicéron, à un Tite Live, etc. Son témoi- gnage suflit-il pour accuser César de s'êti'e attribué une part de gloire qui revenait à son lieutenant et pour affirmer, ce qui est un peu fort, que César ne vint jamais en personne à Genève? Du reste, nous ne faisons qu'effleurer celle discussion contre le spirituel scepticisme de l'auteur pour passer à la troisième par- tie (|ui n'est pas la moins intéressante des trois, et qui, à notre sens, est la plus solidement traitée; après l'expédition contre les Helvéliens, ou plutôt après la conquête des Gaules, Genève perd celte importance militaire qu'elle avait due au voisinage de peuples indépendants et belliqueux ; recherches curieuses et instructives sur la date et l'existence du régime colonial , ou ce qui, depuis les lois Julia et Plautia Papiria portées à l'orcasion de la guerre Sociale, revenait entièrement au même, du régime municipal à Genève. Le langage des inscriptions démontre celte phase de notre histoire à ceux même qui, comme l'auteur, évi- tent l'erreur où la science des antiquaires s'est engagée en con- fondant les monuments appartenant à Nyon et à Genève. Le critique marche ici d'un pas ferme et sûr; on sent qu'il est maître du terrain. Que le temps ne nous permet-il de commu- niquer à notre auditoire mainte remarque ingénieuse sur les institutions romaines dont Genève conserva l'empreinte sous les Bourguignons ou Burgundes, sur l'affaiblissement de son im- portance dans une société barbare où le souverain n'avait point de capitale, sur l'état social de ces temps reculés, sur le pouvoir 178 des rois, sur celui des évoques dont l'auforilé s'accrut de toutes les attributions des anciens magistrats municipaux, et préparait ainsi de loin l'antagonisme d'où sortit notre liberté! Ces ques- tions pleines d'intérêt sont agitées avec une attrayante lucidité. N° 3. C'est justement à l'époque Burgunde que nous arrête encore le mémoire intitulé : « Épisode de l'histoire de Genève, » dédié à la Section genevoise de la Société de Zoffingue, avec cette épigraphe tirée de Théocrite : C'est le moment où Clovis a fait demander la main de Clothilde, nièce de Gondebaud. Quelques lignes de Chateaubriand, citées dans une espèce de préambule où l'auteur nous fait l'histoire de son travail, vont nous introduire dans son sujet, c Clovis dépèche des ambassadeurs à Gondebaud qui n'ose refuser; les ambassadeurs présentent un sou et un denier selon l'usage, fiancent Clothilde au nom de Clovis et l'emmènent dans une basterne. Clothilde trouve qu'on ne va pas assez vite; elle craint d'être poursuivie par Arridius, son ennemi, qui peut faire chan- ger Gondebaud de résolution. Elle saute sur un cheval et la troupe franchit les monts et les vallées. Arridius , son ennemi , étant revenu de Marseille à Genève, raconte à Gondebaud qu'il a égorgé son frère Childéric, père de Clothilde, qu'il a fait attacher une pierre au cou de la mère de sa nièce, et l'a précipitée dans un puils; que Clothilde ne manquera pas d'accourir se venger, secondée de toute la puis- sance des Francs. Gondebaud, effrayé, envoie à la poursuite de Clothilde; mais elle, prévoyant ce qui devait arriver, avait or- donné d'incendier et de ravager douze lieues de pays derrière elle. » (Études historiques.) Quel parti l'auteur a-t-il su tirer de cette tradition si pleme de caractère ? Il nous montre Clothilde traversant une forêt, assise sur son char avec l'ambassadeur de Clovis ; ses chants nié- 179 lancoliqiies se mêlent aux rudes chansons îles Francs qui l'es- corlenl; bientôl, à un détour du chemin, s'approche d'elle un vieil ermite qui la conduit à l'écart pour l'entretenir et imprime à ses pensées un autre cours en lui rappelant les férocités dont sa famille a été la victime, et en lui recommandant le devoir de la venger. Clothilde remonte sur son char, l'ermile qui la suit des yeux voit dans le lointain l'incendie rougir l'horizon, entend un mélange d'accents de triomphe et de cris de désespoir, et élève vers le ciel une prière qui peut être un mouvement de repentir ou une action de grâces. L'invention , dans ce court épisode de neuf petites pages, se réduit à peu près, comme on voit, à cette apparition d'un vieux leude ou serviteur de l'infortuné Childéric. Le ton , les détails descriptifs qui en remplissent la plus grande partie et qui ne manquent pas d'un certain charme, rapprochent plus cette com- position du genre de l'idylle que des scènes mérovingiennes de Thierry dont on serait d'abord tenté de soupçonner l'heureuse influence. La manière d'écrire annonce un talent déjà exercé, mais qui a besoin de s'exercer encore; ce tableau manque de réalité historique; les traits de mœurs, le lieu de la scène, les caractères sont vaguement conçus. N» 4. Des calamités qui ont sévi sur Genève avant et depuis la Réformation par *"* citoyen protestant, avec cette épigraphe : « Si cet ouvrage vous convient, remerciez. . . . mon maître d'é- cole, qui me vit le quitter à l'âge de douze ans pour entrer en apprentissage. » Ce dernier mémoire ne s'arrête pas, comme on le voit, à une époque déterminée; il les embrasse toutes à peu près, mais sous un point de vue particulier; c'est l'histoire appelée à l'ap- pui d'une opinion très-prononcée, d'une accusation soutenue avec véhémence. Dans cette opinion nous avons démêlé un élé- ment de vérité, c'est que la Réformation à Genève, comme 180 ailleurs, n'a pas toujours été juste et humaine dans les moyens qui lui ont servi à s'établir, ni surtout dans ceux qu'elle a employés pour se soutenir. Plus d'un chapitre de ce mémoire élève jus- qu'à l'évidence ce jugement, qui, d'ailleurs, est devenu celui de tous les esprits éclairés, et j'allais dire sincèrement religieux dans le sein même du protestantisme. Si l'auteur s'était attaché fermement à ce point de vue, s'il n'en avait tiré que les conclu- sions légitimes et plaidé franchement la cause de l'esprit de tolé- rance et de l'équité historique, il aurait fait une œuvre utile et courageuse en face des tendances du jour, opposé des vues sages aux exagérations de la polémique actuelle, et aux impru- dents éloges dont le nationalisme religieux comble un passé dont le retour serait pour le moins fort incommode à ses admi- rateurs. Mais , dans ses appréciations du catholicisme et de la réforme, emporté par la passion, il s'égare dès les premiers pas, et, tout en se déclarant protestant, sacrifie sans ménage- ment le protestantisme à son adversaire. Plus de calme etit été plus favorable à la justice; les services rendus à Genève et au monde par la Réformation et par ses organes eussent été sincè- rement reconnus, et cela sans préjudice au droit qui appartient à l'humanité de notre âge de juger sévèrement la tyrannie du dogmatisme calviniste. Faute de justesse dans le point de vue fondamental , c'est un premier défaut de la logique de l'auteur. Elle en présente un aidre qui n'est pas moins sensible, c'est de se former une idée confuse de la proposition qu'elle veut établir; je dis plus, c'est de confondre même deux thèses diffé- rentes qui s'entrenuisent. Dépassez, si vous le voulez, toutes les limites du vrai; ne vous contentez pas de prouver, avec pleine raison, que le régime imposé à Genève par la Réformation est responsable devant l'histoire pour des actes de despotisme et de violence, pour maint abus, mainte superstition qu'il laissa sub- sister; allez même jusqu'à dire que les protestants eurent tou- jours tort, même lorsque la hache était suspendue sur leur tête, 181 lorsque leur sang coulait, tort de rejeter des doctrines qui s'im- posaient par des supplices, tort vis-à-vis de Louis XIV et même de Charles->'euf, qui avaient bien raison do mater ou plutôt d'exterminer ce parti remuant, ces révolulionnaires! Mais, au moins, sacliez dislinclement ce que vous vouiez établir; n'en- chevêtrez pas maladroitement avec la question essentielle une thèse toute diffôrenle. Genève, nous dites-vous, a été frappée d'autant de Iléaux qu'aucune ville au monde, et Dieu ne l'a jamais protégée! ou plulôt Dieu ne protège personne; ce sont les peuples qui se créent à eux-même leur destinée. Vous faites ainsi intervenir dans une composition que le pro- gramme devait renfermer dans les limites de l'histoire, une question de philosophie ou , si l'on veut, de théodicée. A la vue de tant de calamités qui ont frappé Genève de siècle en siècle, vous niez l'intervention de la Providence dans nos annales ; vos adversaires la proclament et croient que tour à tour Dieu se manifeste par des bénédictions et par des châti- ments, et qu'il éprouve ceux qu'il aime, les peuples comme les ndividus. La négation de ce dogme n'est point démontrée par l'auteur du mémoire, et n'aurait pu l'être sans donner à son œuvre un caractère de dissertation métaphysique absolument étranger à létude des faits, au sage esprit de l'histoire et au programme de l'Institut. Et tant qu'elle ne l'est pas, que signi- fie, dans les nombreux chapitres qui suivent la préface et l'in- troduction, ce dénombrement de toutes les lèpres, de toutes les pestes, de toutes les disettes, de toutes les famines, de toutes les misères publiques, de tous les hivers rigoureux qui ont dé- solé notre pauvre Genève depuis l'oiigine des temps? Ce qui nous fait sentir que nous sommes ici dans le vrai, c'est, malgré les défauts que nous avons reprochés à la thèse essentielle de l'auteur, l'intérêt des chapitres qui s'y rapportent; Je mécon- tente d'en citer un qui fait frémir l'homme du dix-neuvième siècle, celui qui traite des sorciers et de leurs supplices sous le i82 régime catholique et puis sous le régime de Calvin ! Il est des plus curieux et des plus instructifs. Comme on s'y attend sans doute, pas plus de logique dans les détails du raisonnement que dans la conception des idées géné- rales; les contradictions ne répugnent guère à l'auteur; sur le nombre j'en citerai une seule : le protestantisme est pour lui un boute-feu qui, à Genève, en France et ailleurs, n'a semé que troubles, calamités de toute espèce, et rendu impossible l'éta- blissement d'une véritable liberté, et, quelques pages plus loin, pour montrer que la liberté politique, et non la Providence, est la vraie cause de la prospérité des peuples, on nous cite l'An- glpterre et la Hollande, ces deux citadelles de la Réforme, comme des contrées heureuses, auxquelles on oppose la misère de l'Es- pagne et le despotisme de l'Autriche ! ! Quant au ton de cette composition, c'est celui d'un pamphlet rempli d'animosilé et d'amertume ; la véritable éloquence peut être passionnée; mais elle se montre plus digne, plus maîtresse d'elle-même, plus sobre d'invectives et d'épithètes injurieuses, plus forte de raisonnement, moins vague et moins inconséquente dans sa marche; elle restreint son champ de bataille pour y dé- ployer d'autant mieux sa puissance; comme la carabine de nos tireurs, chargée à sa mesure, dirigée par un œil sûr, elle brille, retentit et atteint le blanc, ou, ce qui répond mieux à l'impor- tance de ses victoires, va frapper l'ennemi en pleine poitrine. Du reste, un pamphlet, une diatribe n'est pas nécessairement une déclamation emphatique et monotone; le talent d'écrire s'enrôle quelquefois sous d'autres drapeaux que celui de la rai- son et de la vérité; avec les ressources d'une prose éloquente et pleine de mouvement, d'une argumentation adroite et vive en ses allures, les sophismes de l'esprit de parti et de la haine, condamnés au tribunal de la raison , peuvent se faire acquitter devant celui du goût. Mais le goût ne peut approuver une œuvre dont le style est d'une choquante incorrection, où la langue est i83 souvent outragée; et, malgré l'intérêt d'une riche collection de faits curieux puisés à des sources variées avec une louable in- dustrie, la répélition des mêmes injures et des mêmes apostro- phes ne tarde pas à faire de cette lecture une vraie fatigue. On le voit : ce premier concours de prose, quoiqu'il ne soit point dénué d'intérêt, quoiqu'il soit loin d'être de nature à dé- courager les efforts de la Section Littéraire de l'Institut et ceux des concurrents que nous espérons voir se présenter à nos ap- pels futurs, a laissé à désirer pour l'intelligence des conditions du programme, pour la direction que nous aurions voulu injpri- mer à ce nouveau moyen de réveiller l'amour des bonnes lettres dans le pays. Le jury a dû renoncer à décerner le prix , parce que la première des pièces que nous venons déjuger, la Gran- deur d'un cœur genevois , n'a rien à faire avec l'histoire de Ge- nève, et qu'ainsi, indépendamment des défauts que nous avons relevés dans le plan et le style, elle manque à une des lois fon- damentales du concours ; parce que la seconde, César et Lahié- nus, malgré son vrai mérite, s'éloigne trop par sa forme du domaine de la littérature, que la troisième, l'Episode du cin- quième siècle, pèche par des proportions un peu mesquines, par le vague et la faiblesse de l'exécution, et qu'enfin la quatrième, les Calamités genevoises, malgré l'étendue du travail qu'elle sup- pose, malgré l'intérêt des laits recueillis, présente de graves imperfections dans la méthode, le style et le ton de sa compo- sition. André Cherbuliez, Président de la Section de Littérature de r Institut. 184 Prix de poésie* Treize concurrents étaient en présence. Ayant tous (.< traité en vers un sujet relatif à la Suisse -», ils étaient par conséquent en règle, pour le fond, avec les conditions officiellement imposées^ par le programme. Mais l'un d'entre eux avait négligé d'envoyer deux exemplaires de sa pièce, comme le prescrivait un article de ce même programme. Ce vice de forme ferait-il écarter la pièce? Le jury ne voulut pas être exigeant pour commencer, et ferma, pour cette fois, les yeux sur cette irrégularité. Res- taient donc treize morceaux. — Quelle méthode convenait-il de suivre pour les apprécier comparativement? Le jury, estimant qu'une gradation dans les épreuves servirait en même temps à graduer le mérite relatif des ouvrages, adopta une sorte de mé- thode d'élimination successive, par laquelle les treize pièces, se triant pour ainsi dire elles-mêmes, se disposeraient dans leur ordre de résistance à la critique, les plus laibles succombant les premières, et les meilleures restant le plus longtemps debout. Suivons, dans ce compte rendu, la même méthode. Qui veut écrire en vers, doit d'abord suffire aux exigences de la versification , de la grammaire et aussi de l'orthographe , et, devenu, de son aveu, justiciable de ces trois puissances, encourt par des délits graves ou seulement répétés contre quelques-unes ou même une seule d'entre elles, une exclusion naturelle et certes légitime, puisqu'elle a été consentie d'avance. Cette pre- mière épreuve, quoique peu sévère, mit déjà hors de cause trois pièces, intitulées : I'Helvétie, Sur les Monts et Bords du Léman. Évidemment leurs auteurs, présumant trop de leur zèle, se sont mépris sur l'état actuel de leurs connaissances tech- niques, et doivent, s'ils sentent en eux l'impulsion inté- 1 185 rieure, poursuivre avant toute autre chose, la première de toutes, la moins méritoire, mais la plus indispensable, la correction. Aux pièces qui , ayant traversé la première épreuve, joignent à une correction élémentaire et acceptable certains indices de talent naturel, on est en droit de demander quelque souplesse acquise, un peu d'habitude de cet art de couler la pensée dans sa forme rythmique, et de cadencer la parole tout en lui laissant sa libre expansion et son jeu naturel, qui est proprement le fait et le signe du poète. Celte épreuve, déjà plus forte et plus littéraire que la précédente, arrête à son tour deux pièces : Le Pue LÉo- POLD DEVANT SoLEURE et Berthelier. Toules les deux accusent une assez grande, inexpérience de l'inslrument et de l'allure poé- tiques. L'auteur du Duc Léopold a de la franchise, de l'entrain, de l'aisance, mais il écrit mal et ne sait encore manier ni l'Oc- tave ni la Ballade qu'il a choisies pour le moule de sa pièce. L'auteur de Berthelier a des intentions poétiques, du mouve- ment, du feu même, mais point d'ordre ni de suite, peu de jet, peu de .soufile, et les soubresauts de ses élans entrecoupés jettent dans son dithyrambe patriotique , déjà à l'étroit et à la gène dans des quatrains, une confusion qui avoisine l'obscurité. De la douceur, de la pureté, de l'élégance, une sorte de grâce féminine, pas de défauts, rien qui choque ou blesse, tel est le degré littéraire auquel s'élève la pièce intitulée La Liberté. Mais une poésie très-jeune et sans caractère, matle comme une réminiscence, pâle et vague comme un reflet et un écho, en un mot, dépourvue d'originalité dans les formes et dans les pen- sées , pouvait-elle être déclarée suffisante? Un talent qui a du goût, mais pas encore d'invention, qui n'a que les qualités né- gatives de l'école, et n'est, pour ainsi dire, pas encore person- nel, pouvait-il sauver la pièce? Évidemment non. Elle fut donc écartée encore. Le Mercenaire, auquel nous accordonl'approximativementla septième place, es! une pièce d'une inégalité presque incroyable. 13 i86 Ainsi, par ses 196 premiers vers , elle descend au niveau des trois pièces les plus faibles qui nous ont été présentées, car elle offense souvent, comme elles, la syntaxe, la grammaire et le goût, même parfois l'orthographe ; elle manque de tenue, sort du ton; en un mot, elle est du nombre de celles qui se font mettre de côté sans scrupule ni hésitation. Au contraire , les cinq strophes qui succèdent aux vers continus et terminent le morceau, strophes qui ont de la vigueur, du nombre et presque du style, la feraient remonter jusque dans le voisinage des bonnes pièces de ce concours. Ces trente derniers vers , qui, à leur tout autre façon, semblent écrits par une autre plume, prouvent combien l'auteur a eu tort de s'aventurer dans le genre soutenu, et aussi combien celui-ci est plus difficile que le genre lyrique, où la forme, chantant en quelque sorte toute seule, porte, grandit et anoblit la voix encore peu assurée du poète. Si l'auteur eût soigneusement tracé le cercle de son talent, et qu'il s'y fût renfermé , il eût , en bornant son ambition , doublé ses forces et triplé ses chances. Ida de Toggenbuhg, poëme narratif, en quatre chants, dont le fond est emprunté à la Suisse du douzième siècle, a bien des mérites. Un sujet intéressant et même pathétique, des carac- tères vrais et nettement tracés, des descriptions bien failes, de l'invention dans les détails, le naturel du ton, la simplicilé cou- lante du récit, sont autant de titres qui plaident en sa faveur. Malheureusement le travail vaut mieux que la matière, et laisse assez à désirer ; la facture est molle et négligée ; la phrase traîne ; l'expression est longue, gauche et parfois encore déparée par des impropriétés ou d'autres taches; ces divers défauts du poëme, qui neutralisent une partie de ses avantages, lui permat- tent dépasser les sept pièces précédentes, mais l'empêchent de s'élever au delà du n» 8. Dans ses qualités, comme dans ses imperfections, La Suisse AFFRANCHIE (n" 9) est l'opposé de Ida de Loggenburg, et lui 187 succèile, non qu'elle lui soit proprement supérieure, mais à la fois comme un pendant et un contraste. Ici l'instrument vaut mieux que la musique et la façon est plus habile que l'œuvre n'est bonne. De la verve et des ressources, de "la facilité et de" l'abondance, une imagination vive et alerte qui crée avec plaisir, qui anime ce qu'elle louche, mais qui invente plus de tours et de mouvements dans l'expression qu'elle n'a encore d'idées ou de sentiments à exprimer, une sorte de hardiesse naïve et de bon augure qui se risque bravement à des tons fort divers et tente beaucoup de routes ; voilà ce qu'on découvre dans le petit poëme qui s'appelle la Suisse affrandûe. Mais l'œuvre, très-juvénile, fait soupçonner une main fort jeune : on peut conjecturer l'âge de l'auteur à son inexpérience des hommes, à la manière dont il trace et motive les caractères, aux discours qu'il prête à ses personnages, à l'inutilité de ses efforts pour quitter le lyrisme, cette première octave de la gamme poétique, et à d'autres indices encore. Quoi qu'il en soit, il a des dons heureux et même des qualités acquises, mais il faut qu'il travaille. 11 connaît déjà pas- sablement bien le vers, du moins le vers lyrique ; mais pas en- core assez la langue en général ni la langue .poétique, car il les violente souvent par ses témérités, au lieu de s'en faire obéir; et ce qu'il connaît moins encore, c'est la matière poétique, je veux dire la vie, car il la suppose plutôt qu'il ne l'exprime, et l'imagine au lieu de la peindre. En tout cas, il s'est attaqué à un sujet fort au-dessus des forces dont il dispose actuellement, et, si c'est là un excellent exercice, ce n'est pas le moyen de remporter la victoire. Nicolas de FLUEet la Diète de Stantz (n"* 10 et 11) forment un groupe presque parallèle à Ida de Toggenbiirg et à la Suisse affranchie. Inférieures par certains points, ces morceaux l'em- portent par d'autres ; leur genre est peut-être moins intéressant ; en revanche, et c'est l'essentiel au point de vue littéraire, ils ont mieux réussi dans leur genre. Ces pièces, auxquelles nous assignons la dixième et la onzième place , semblables et même identiques entre elles par le sujet, diffèrent complètement pour tout le reste. Celle qui s'appelle Nicolas de Fine pourrait être définie une chronique en vers, encadrée entre un Prologue et un Épilogue, seuls endroits où la Muse, restée ailleurs stricte- ment pédestre, se rappelle qu'elle a des ailes. Musa aies, et, quittant un moment le sol , s'élève de la réalité à l'émotion de l'histoire. On devine les suites. Nicolas de Fine a toute la précision de langage, la fermeté de trait, la maturité d'une bonne prose , mais son exactitude trop consciencieuse dégénère en sécheresse , et sa sécheresse va parfois jusqu'au prosaïsme. La meilleure partie du poëme est le discours fameux par lequel le saint ermite fit, à Stanlz, rentrer au fourreau les glaives qui allaient trancher le nœud mal affermi des alliances helvétiques, et changea en élan de patriotisme l'irritation menaçante où allait s'embraser la première guerre civile de la jeune Confé- dération. Et cela devait être, puisqu'ici la fidélité au texte de- venait de soi-même de l'éloquence , une éloquence vraie et pénétrante autant que simple et serrée. Cette manière sévère et rigide a aussi la chance de faire renconter des vers bien burinés, tels que ceux-ci : Son cœur était son code et l'univers son livre.... Chez ce grand empereur je cherche le grand homme. Dans la Diète de Stantz, le poète s'empare de son sujet avec beaucoup plus de liberté, et, sans altérer l'histoire, il s'y mêle, il s'en émeut, il y intervient en laissant percer partout sa sym- pathie et son antipathie, ses espérances et ses craintes. Cette manière toute lyrique de raconter a l'avantage de mettre l'his- toire à la portée du poète ; mais elle enlève à l'histoire de sa réalité et de sa grandeur; elle la diminue et , en quelque sorte, l'efTé- mine. Elle tend à convertir l'épopée en ballade, et la ballade en élégie, et cet amoindrissement, qui est une facilité, est comme toute facilité, un piège en définitive pour celui qui la recherche ou 189 l'accepte. Ainsi, dans la Diète tleStanlz,les huit strophes ironiques destinées à comparer l'incrédulité de notre époque à la foi simple des vieux âges, quoique sérieuses d'inlenlion, sont presque fri- voles tant elles sont juvéniles, et nuisent au poëme et à l'elTet au lieu de leur servir. Du reste, toute celte pièce est écrite avec grâce et avec soin ; elle a de bonnes parties, par exemple le pay-- sage de l'introduction, la prière de Nicolas dans sa grotte et son discours devant la Diète, lequel, chose curieuse et caractéristi- que, est en strophes. On pourrait bien remarquer une espèce de monotonie dans le faire de l'auteur; avec plus de fini, son style a moins de variété et de mouvement que celui de la Suisse affranchie, mais le principal défaut du poëme est encore le même : la disproportion entre le sujet et l'œuvre. L'œuvre a certaine- ment du mérite, mais le sujet en réclamait davantage. Deux manuscrits seulement, les derniers champions de la lutte, restaient entre les mains du jury : l'un contenant deux poésies, Les deux Lacs et le Réveil des H'u-ondelles . avec celle épigraphe qui ressemble à une excuse : (• Le veut qui sur nos âmes passe Souffle à l'aurore ou souffle tard. ■> le second, sous cette épigraphe héroïque : Dttlce et décorum pro patriâ mori , portant le litre de Bataille de Sempach, scènes de l'histoire suisse, en deux journées. Le jury l'avoue , sans ce dernier concurrent , il n'eût proba- blement pas accordé le prix de poésie cette année, mais son apparition fit cesser les doutes. Œuvre d'un talent plus mùr, plus mâle, plus fort qu'aucune des pièces antérieurement exa- minées, supérieure encore aux autres par l'étendue comme par la valeur intrinsèque, composée d'ailleurs dans un genre plus difficile et plus haut, le genre dramatique, écrite d'un style franc et ferme, où les vers carrés, sentencieux et fièrement frappés ne sont pas rares, la Bataille de Sempach réunit sur elle les suffrages. Pourtant , comme elle donne encore assez de 190 prise à la critique de détail, comme la seconde journée est sen- siblement inférieure à la première, que le tout ne forme que des scèites dramatiques et pas encore un drame; en un mot, comme sa valeur relative, pour être la plus grande parmi les treize mor- ceaux, est loin d'être absolue, le jury a fait participer au prix Le Réveil des Hirondelles (meilleure que les Deux Lacs), pièce plus achevée dans un genre plus modeste, qui ren^ Ire, par le paysage dont elle s'inspire, dans les limites du con- cours, et dont la fraîcheur, la grâce, la délicatesse et l'harmO' nie ont paru, malgré quelques négligences, surtout dans les rimes, mériter cette distinction. En conséquence, le jury adopte les conclusions suivantes : lo Le prix sera partagé entre la Bataille de Sempach et le Réveil des Hirondelles. La première pièce aura les trois cinquièmes du prix, la seconde les deux cinquièmes. 2» Le prix étant partagé et sa valeur matérielle diminuée par le par- tage ; de plus, l'Institut n'ayant pas encore de coin gravé pour ses mé- dailles, rien ne sera distrait cette fois de la valeur du prix, pour être consacré à une médaille, et le prix sera remis intégralement aux lau- réats, 30 Les deux concurrents couronnés sont M. Jules Mulhauser, de Genève, auteur de la Bataille de Sempach, et M. Charles-Louis de Bons, de Sien, conseiller d'État du Valais, auteur du Réveil des Hirondelles. La Section ratifie les conclusions du jury de poésie, et se réserve d'annoncer prochainement les conditions de son deuxiè- me concours. H. -F. Amiel, professeur, Secrétaire de la Section littéraire. La séance est terminée par la lecture de cinq morceaux de poésie. Le premier et le second tirés de la Bataille de Sempach, sont choisis et lus par l'auteur, M, Mulhauser ; pour le troi« 191 sième, M. Amiel lil l'aulre pièce couronnée; les deux derniers se composent de deux fables : Le Vieux Son et Les deux Rats, écrites et lues par M. Carteret. Nous joignons ici deux de ces morceaux, le premier et le troisième, soit le Monologue de Léopold, duc d'Autriche, et le Réveil des Hirondelles. I. La Bataille de Sempacb. Journée I" , Scène VII. LÉOPOLD seul. (// reste un instant absorbé dans ses réflexions.) Morgarten ! mot fatal ! comme un cuisant affront H me suit en tous lieux et s'attache à mon front ! . . Combien de fois déjà ce souvenir infâme Dans des nuits sans sommeil a-l-il rongé mon âme ! Au milieu de ma cour, oh ! combien de rougeurs Il m'a fallu subir devant mes serviteurs ! — (// se lève.) Morgarten ! oui, c'est là que mon aialheureux père D'un destin envieux éprouva la colère; C'est là que des berger>, en quittant leurs troupeaux, Flétrirent d'un seul coup l'honneur de ses drapeaux ; Là, que tomba la fleur de sa chevalerie. Sous un terrain vassal sans gloire ensevelie. . . . Ils purent se vanter, ces insolents pasteurs. D'avoir vaincu le fils des puissants empereurs! — Rodolphe! ô mon aïeul! ombre auguste et sévère, Je saurai maintenir ta gloire hérédilaire; Toi qui portas la pourpre, ô chef de ma maison, Je laverai la tache empreinte à ton blason! — Il est temps, il est temps que cette injure cesse: 192 Elle a sonné pour moi l'heure de la promesse Que je me fis toujours, d'accomplir les desseins Que mes nobles aïeux ont laissés à mes mains. Depuis les Jours de Tell il relève la tête Ce peuple dont il faut décider la conquête : Ce que n'ont pu d'Albert les faibles gouverneurs Le jour l'éclairera demain de ses lueurs ! (// s'assied et dit après une pause :) Mais, d'où vient qu'en mon cœur une angoisse secrète Pénètre malgré moi? — Sans cesse je m'arrête A de tristes tableaux, à des scènes de deuil .... Hier, en rêve, j'ai vu plusieurs fois un cercueil — Songe vain! — il portait la couronne ducale; Je n'ai pu distinguer l'inscription fatale — Un rêve ! qu'est-ce donc pour troubler l'homme fort ! — Oh ! oui, je m'en souviens. . . autour du char de mort Pendaient de tous côtés des cordes enlacées. . . Ce char était — où vont s'égarer nos pensées ! — Ce char était celui d'où Reinach ce matin Promettait châtiment à ce troupeau mutin — On m'en avait parlé ; sans doute c'est la cause De ce rêve bizarre — on trouve à toute chose (Souriant.) Un motif — oui toujours — Étrange épouvantail ! -^ Mais, pourquoi donc, plus tard, ai-je vu le portail De Kœnigsfeld s'ouvrir?. . . ô sanglante mémoire! Kœnigsfeld! c'est l'endroit où du haut de sa gloire Albert tomba frappé par un fer assassin ! — Une invincible horreur avait glacé mon sein — J'ai voulu pénétrer sous ces voûtes funèbres. . . . Tout à coup, au milieu des humides ténèbres Des voix ont retenti — dans ces tristes accents J'ai reconnu bientôt l'office des mourants. . . 193 Le nom, pourtant, le nom — énigme sans pareille — Le nom du trépassé fuyait de mon oreille. . . Je voudrais le savoir. — Une voix, au dehors. Léopold ! LÉOPOLD. 0 terreur! Une autre voix, plus éloignée. Autriche ! (An premier cri, le duc s'est levé convulsivement; il pâlit; sea cheveux se dressent ; un tremblement s'empare de ses membres ; après le second cri il passe lentement sa main sur son front comme pour en essuyer la sueur ; puis, avec un geste de mépris, il s'écrie :) LÉOPOLD. Oh ! rougis donc, rougis de ton erreur, Toi qui dans ton sommeil as cru voir un présage, Toi dont le cri d'un garde a pâli le visage ! (// reste debout, appuyé contre la table, et plongé dans une sombir, rêverie.) Jules MULHAUSER. n. l) on écrivait encore ainsi. Par exemple on trouve: « Salunivs in Christi nomine episcopus Civitatis Genavensiiim. >> 244 aux Rcinaiiis pour contenir les Allobroges et surveiller les Hel- vétiens; ensuite le verbe pertinet, que beaucoup de traduc- teurs ont rendu par « appartient, » ce qui a induit les historiens dans de grands embarras et dans de graves contradictions; car il résulterait de cette version que le pont de Genève aurait ap- partenu aux Helvétiens, ce qui ne pouvait être, ainsi que nous le verrons incessamment. Genève formait donc l'extrémité nord- est du territoire (gau) des Allobroges, dont la ville principale était Vienne. De l'autre côté du Jura étaient les Séquaniens, avec Besançon pour capitale. La vallée de Moutier et l'évêché de Bâle (aujourd'hui le Jura Bernois), avec l'Alsace méridionale, étaient aux Rauraques. Telle était la situation des choses et des lieux quand le fa- meux Helvélien Orgétorix *, de concert avec son gendre Dura- norix ^ qui commandait aux Eduens, de l'autre côté du Jura, sur les bords de la Saône, voulut entraîner les peuplades de sa nation dans une grande émigration du côté de la Gaule transal- pine. On sait quel fut le sort de ces deux personnages qui pa- ' Orgoto-Rex, le chef de cent vallées, en langue celtique ou gauloise, selon M. Amédée Thierry {Histoire de la Gaule); Hor den reicli ou Hor derreich, à'aprks des auteurs allemands. On a des monnaies d'ar- gent, celtiques ou gauloises, portant l'effigie d'une tête casquée, et, au revers, un cheval courant à droite. Ces monnaies portent autour du cheval le mot ORCITRIX en caractères latins. Quelques numismates les attribuent à l'Orgétorix des commentaires. A Autun, ancienne capitale des Éduens, on voit des pièces portant le même nom avec une variante, ORGETIRIX et la ligure d'un ours marchant à droite comme dans la monnaie de Berne (Revue numismatique, Mém. de la Société Éduenne, Autun, 'I8U). ' Dumnorix, Dubnorcx. On a aussi des monnaies gauloises de ce chef des Éduens, gendre d'Orgétorix. Elles représentent une tête de jeune homme, et, sur le revers , un guerrier, la tête nue, tenant d'une main un sanglier et la trompette de guerre des Gaulois , tandis que de l'autre il soulève par les cheveux une tête coupée. Ces pièces portent le mot DUBNOREIX, qui présente la forme gauloise de Dumnorix au nominatif. {Revue numismatique.) 245 raissent réellemenl historiques, non-seulemeut d'après le texte de César, mais encore d'après des monuments numismatiques. Malgré la fin tragique d'Orgétorix, l'impulsion une fois don- née ne s'arrêta pas, et l'émigration dut s'effectuer cinquante- huit ans avant l'ère chrétienne. C'est alors que Jules César, qui jusqu'ici a parlé dans ses commentaires en historien et en géo- graphe, apparaît à Genève comme acteur principal dans celte guerre de Rome contre les Helvétiens. Les détails de cette lutte sont si connus que nous nous garderons de les rappeler, sinon quand ils rentreront dans notre sujet. Trois choses sont à examiner : Quelle était la position politique de Jules-César (comme on dit de nos jours) au moment où il parut à Genève; Quelle foi peut-on ajouter à ses commentaires en ce qui re- garde particulièrement la présence et les actes de César à Ge nève; Quelle part prit à ces actes T. Labienus, lieutenant de César, qui joue après lui le principal rôle dans celle histoire? Voilà notre seconde partie divisée naturellement. II. Caius Julius César, né l'an 99 avant Jésus-Christ , mort l'an 44, avait quarante etun ans au moment de la guerre des Helvé- tiens. Nommé préteur l'an 60, il avait eu une magistrature très- orageuse et le sénat s'était déclaré contre lui. Il gouverna en- suite l'Espagne comme propréteur, et l'armée de Lusitanie le proclama Imperator. De retour à Rome, il sollicita à la fois le triomphe et le consulat. Pour vaincre les obstacles que lui op- posait le parti sénatorial, il conclut avec Pompée et Crassus le premier triumvirat et donna sa fille Julie à Pompée. 246 Parvenu au consulat l'an 59. il se comporta plutôt en tribun qu'en consul, publia des lois agraires, et fiéclara, malgré le sénat, plusieurs peuples barbares amis du peuple romain. En un mot, il reprenait avec l'intelligence du génie le rôle de Marius. Jules-César fut nommé, l'année 58, gouverneur de l'illyrie et de la Gaule cisalpine. Celte nomination, faite pour cinq ans, entrait dans l'arrangement conclu entre les triumvirs qui, très- habilement et sans rien changer aux magistratures ordinaires, en laissant la République suivre en apparence la marche tracée par ses institutions, avaient réussi à se répartir, sous différentes qualités, la direction réelle et virtuelle des affaires : A Crassus? l'Asie, à Pompée l'Espagne, et à Jules-César la Cisalpine et tout à l'heure la Transalpine, les vraies Gaules, la France d'au- jourd'hui. En effet, peu de semaines après. César joignit au gouverne- ment de la Cisalpine celui de la Narbonaise. Il avait été décidé, dans les plans des triumvirs qui n'étaient que la suite des plans du parti conquérant dans le Sénat, que P»ome devait faire des guerres et des acquisitions dans le Nord, aller au-devant des peuples barbares et se les assimiler à tout prix. Or, pour arriver jusqu'à eux, il fallait nécessairement s'assurer des passages des Alpes et des régions alpestres, dont la situation , comme cita- delle au milieu de l'Europe, n'avait pas échappé aux Romains, quelque confuses que fussent encore leurs notions géographi- ques sur ces pays. La conquête de l'Helvétie devenait dès lors absolument néces- saire pour l'exécution de ces plans, et la base des opérations miUtaires de César devait être naturellement le pays des .\llo- broges , assuré depuis peu aux Romains, et particulièrement Genève, située à l'extrême frontière de l'AUobrogie du côté de l'Helvétie. Telle était la tactique arrêtée à Rome depuis l'inva- sion Cimbrique où s'étaient mêlés les Helvétiens. Dans la direction d'influences qui primait à Rome, en ce mo- 24" nient-là, la marche politique officielle, la guerre d'Helvélie, dès longtemps arrêtée peut-être, devenait une aiïaire impé- rieuse. Cela explique l'intérêt que Jules César, qui avait assume sur sa tête la responsabilité de l'entreprise, apporta aux opéra- tions dont Genève devint le théâtre et le centre. Rome qui, dans toutes ses guerres, ne cessa de mettre de son côté, à défaut du droit, du moins les apparences du droit, l'ombre de l'équité à défaut de la justice même; Rome, qui cherchait à se prévaloir de la notion du droit dans tous ses rapports avec les peuples étran- gers , qui s'était attribué une sorte de droit sur le genre humain, et qui finit par conquérir le rtionde, parce qu'elle croyait ou fei- gnait de croire que les dieux protégeaient sa cause et ses con- quêtes ; Rome, enfin, avait contre les Helvétiens des griefs plus réels que ceux qu'elle fit valoir contre maints peuples de l'Italie. Les peuplades de l'Helvétie, et surtout les cantons orientaux et septentrionaux, voisins des Germains, les Tigurins ou Tigu- riens entre autres, avaient donné à la puissance romaine de lé- gitimes sujets d'inquiétude en prenant part, entraînés qu'ils avaient été par l'irrésistible impulsion de ces nations du nord, à l'invasion des Cimbres et des Teutons. Les Tiguriens, dans celte guerre cimbrique où Rome voyait déjà, suivant l'expres- sion d'un auteur, la Gaule devenir Germanie, avaient tué le con- sul L. Cassius et fait passer son armée sous le joug. César, ou- tre l'injure faite au peuple romain, avait à venger une offense personnelle ou de famille; car, l'aïeul de son beau-père, L. Pi- son, lieutenant de Cassius, avait été tué par les Tiguriens dans cette bataille'. César était déjà alors dans une telle position à ' Pagiis Tiguriiius, quiim doiiio exiisset, palrum nostroriim inemoiiâ, L. Cassiuni coiisiileni interf'ecerat, et ejiis exercituni subjuguin miserai. Ita sive casii , sivc cunsilio Dconini ininiortalium , ijuse pars cirKatis Helvelhe iiisigneni calainilalem populo Romaiio iiituleral, ea princeps pœnas persolvil. Qiia in re C:esar non soluni jHiblicas sed eliani privatas injurias ullus esl, cpiod ejus soceri, L. l'isonis avuni, L. Pisoneni lega- 248 Koine, que son injure personnelle se confondait avec celle du peuple romain. 11 y avail double grief. Il agissait pour son compte et pour celui de sa patrie ou de son parti. Aussi, quand il taille en pièces les Tiguriens sur les bords de la Saône, ce gé- néral a-t-il soin de voir une dispensation des dieux immortels dans cette conjoncture qui les précipite isolés sous ses coups. «. Soit effet du hasard, dit-il, soit par la volonté des dieux, « celle partie de la nation (civitas) helvétique qui avait porté « un coup si cruel au peuple romain, fut la première à en por- « ter la peine. Dans cette vengeance publique César vengea « aussi une injure personnelle. » Jules César a écrit, ou on a écrit sous sa dictée, ses campa- gnes dans les Gaules. Elles sont au nombre de huit, pendant lesquelles il fit deux invasions en Angleterre et deux incursions sur la rive droite du Rhin. Il était alors dans la vigueur de l'âge et dans la force de son génie. Sans doute, il fut dès lors plus puissant ; mais, comme un autre grand capitaine qui, dans nos temps modernes, a aussi écrit ses campagnes, il aimail à se reporter à cette première période de sa fortune ascendante. On comprend et on aime à comprendre le soin qu'il apporte au récit de ces grandes opérations militaires dont il fut l'âme. §2. Les Commentaires de César s'ouvrent par la guerre des Helvé- tiens. Cette guerre forme dans ce livre remarquable une sorte d'introduction capitale, qui peut en être détachée comme un ouvrage à part, et auquel, en effet, les critiques et les hommes de l'art se sont particulièrement attachés. Mais, quel est le de- luni, Tigurini eodem prœlio, quo Cassium, interfecerant. (CCBsar de bello Gall. Lib. I.) L'expression « Civila^ Helvetiœ » confirme ici , au lieu de l'infirmer, ce que nous avons dit sur ce mot. Il s'applique au peuple, aux hommes réunis en association politique, et non au pays. 249 gré d'authenlicilé de ces fameux Commentaires, quelle foi peul- on y ajouter comme étant une source de l'histoire? C'est ce qu'il convient d'examiner, en commençant par quelques considérations générales, et en s'attaclianl ensuite plus particulièrement à ce qui concerne la conduite de César à Genève durant la première partie de cette guerre des Helvétiens. Il n'entre pas dans notre plan, circonscrit soigneusement dans les limites de l'histoire ancienne de Genève, d'examiner les Commentaires de César au point de vue de la latinité et de l'éru- dition philologique. Chacun sait, et Suétone nous le dit formel- lement ', que les trois livres de la guerre civile et sept de celle des Gaules sont regardés comme appartenant à César, et que Hirtius, Oppius, ou tel autre de ses secrétaires, écrivirent le hui- tième livre de la guerre des Gaules et les Commentaires sur les guerres d'Alexandrie, d'Afrique et d'Espagne. Ce mélange très- remarquable de deux styles dans le même écrit a fourni l'occa- sion à certains sceptiques, qui aiment à pousser le doute jusqu'à l'extrême, de se donner carrière. lisent prétendu que rien dans \e% Commentaires n'était de Cé- sar. Suétone, sans aller si loin, rapporte d'après Asinius Pol- lion, que cet ouvrage fut composé avec une certaine négligence, et qu'il est loin d'être d'une entière vérité : « César, dit-il, rap- rt porte souvent de confiance, ou comme ayant été accomplies « par lui, des choses faites par ses lieutenants. Soit par manque « de mémoire, soit à dessein, d'autres choses ont été arran- « gées. En un mot, ce livre a été revu et corrigé'. * Le critique Jusle-Lipse a développé ce thème en faisant voir ■ Reliquil Ca?sar reruni suarum Coinmentarios , Galliii, civilis que belli Pompeiani. Nam Alexandrini , Africique et Hispaniensis incertus auctor est. (Surtonii C. Julius C(esar, C. 36.) ' Pollio Asinius parum diligenter parum que intégra veritale coin- posilos putat : eùni f^œsar pleraque et quse per alios gesta erant, tenierè crediderit, et quap per se, vel consullo, vel etiam memoriâ lapsus, per- per àmedideril: Existimat que rescripturum et correcturum fuisse. (Siir- lone, ibid.) 250 ce qui est à reprendre dans la diction et dans le style de César, fc Au reste, ajoute-t-il, ce n'est point à lui que j'en attribue les fautes, mais plutôt à de mauvais copistes qui ont gâté ces ou- vrages. » Le mot Commentaire, dans son acception la plus strictement latine, n'emporte pas, en effet, l'idée d'un ouvrage achevé, d'un livre dans le sens moderne du mot, mais bien plutôt celle de mémoires écrits jour par jour, sans plan ultérieur arrêté, et destinés à subir une rédaction définitive dans la suite '. Cicéron , dont l'autorité contemporaine est très-précieuse, a parlé deux fois des Commentaires et dans deux sens différents. Dans le traité intitulé : Briitus ou VOrateur, Cicéron, Allicus et Brutus conversent sur l'éloquence latine. On passe en revue les orateurs. Quand on arrive à César, Brutus demande : « Il a « aussi écrit des mémoires de ses campagnes? - Oui, répond « Cicéron, et d'excellents. Le style en est simple, pur, gracieux « et dépouillé de toute pompe de langage. C'est une beauté « sans parure. En voulant fournir des matériaux aux historiens VI futurs, il a peut-être fait plaisir à de petits esprits, qui seront v< tentés de charger d'ornements frivoles ces grâces naturelles ; « mais, pour les gens sensés, il leur a ôté à jamais l'envie d é- « crire, car rien n'est plus agréable dans l'histoire qu'une briè- « veté correcte et lumineuse. ^ v) L'autre passage où Cicéron parle des Commentaires est bien différent. C'est dans la première Philippique, en interpellant Marc Antoine sur sa conduite actuelle comparée à celle qu'il avait affectée immédiatement après la mort de César pour don- ' Commenlarii in génère sunt libri in qniijus nieinorito causa res per- scribimus quascumque ; nndè de tabulis expensarum et impensarum, de tabulis censoiiis, libris poutilîcuni sœpè dicnntur. (Leelere, Index lali- nilalis Ciceronis.) " Brutus sive 0/'«/or. Cap. Vil. < Alqne enini rnmmcninnos onos- dani scripsit rernni snanini? etc. » -251 lier le change aux Romains : « Alors, dit Cicéron, on répondait avec la plus itraiule convenance et avec la plus grande dignitt: à tout ce qui était demandé; alors on n'abusait pas des ref/ixtres de César. Nihil Inm, ntsi quod erut notum omnibus in C. Cu'snnx GoMMENTARiis reperiebatur . » On sait qu'après la mort de Jules César, Marc Antoine, comme son exécuteur testamentaire, s'é- tait emparé de ses registres, et comme le Sénat avait confirmé les actes de César. Antoine fit ensuite tout ce qu'il voulut com- me étant porté sur ces registres qu'il avait altérés à sa fantaisie. Pour nous, s'il fallait faire un choix entre ces deux passages, pour les appliquer à ce que pouvait réellement penser Cicéron des notes ou mémoires de Jules César, nous n'hésiterions pas à donner la préférence à ce dernier. Il est plus dans les conditions de probabilité, de réalité et d'humanité que le premier. Sans vouloir soutenir avec quelques aristarques, que le livre intitulé : Brutus ou De VOraleur est apocryphe, nous avouons qu'il nous a toujours paru diflicile de comprendre comment Cicéron, qui, d'après les dates, doit avoir composé ce livre après la bataille de Phar.sale, dans les temps d'angoisse et de mécontentement qui suivaient pour lui le triomphe de César, a pu rédiger alors un traité aussi complet non-seulement de l'éloquence, mais de toute la littérature romaine. Etait-ce bien le moment pour lui, quelle que fût la supériorité de son esprit, de louer si fort les quahtés de son adversaire dont les mémoires ou commentai- res, qui avaient tout au plus quelques années d'existence, de- vaient être bien peu connus? Que nous aimons bien mieux Cicéron à la tribune, apostro- phant Marc Antoine et parlant des notes et des agenda de César dont abusait l'exécuteur de ses volontés! C'est avec ces notes primitives, tracées ou dictées sous l'impression des événements, qu'ont été rédigés les Commentaires tels que nous les avons, évi- demment dans un but politique , pour colorer et arranger l'in- tervention des Romains dans les Gaules. l\ ne faut pas dire que -252 les Gommeniaires ne font pas authenliques. Mais, il ne faut pas non plus les prendre pour un livre d'une parfaite bonne foi. On y trouve, comme nous essaierons de le démontrer, beaucoup de celte manière d'exposer les faits, évidemment apprêtée et de convention, qui rentrait dans les traditions militaires et dans la religion politique des Romains, toutes les fois qu'il s'agissait de leurs rapports avec les peuples étrangers ou les ennemis de Rome (hostes), ce qui pour eux était tout un. Les Commentaires, écrits à la hâte, alla prima, comme disent les Italiens, dans le temps même des expéditions de César, ont été arrangés, comme tous les mémoires de nos généraux mo- dernes, même de ceux qui brillaient par des qualités litté- raires; ils ont été rédigés et mis en beau langage, suivant une vieille expression consacrée. De là, cette inégalité, ce défaut d'unité signalé par les critiques. Mais, en voilà assez sur les Commentaires, envisagés d'une manières générale. Voyons maintenant ce qui, dans ce livre, a trait à Genève et au projet des Helvétiensde se frayer par cette ville un passage jusque dans la Gaule Transalpine. Les écrivains militaires modernes ont prêté une attention particulière à ce début de l'ouvrage, qui fait plus ou moins préjuger du reste. Il est à regretter que deux d'entre eux, Folard et Guischard, qui ont fait preuve de tant d'habileté en examinant les écrits de Polybe, et d'autres guerres de César, entre autres sa guerre d'Afrique, ne se soient pas occupés de la guerre des Helvétiens. Nous avons, pour nous dédommager, d'autres Commentaires des Commentaires de César, écrits par des hommes non moins com- pétents. Nous en prendrons trois qui nous intéressent plus par- ticulièrement, tant parce qu'ils connaissaient bien le pays, qu'en raison de leur incontestable mérite, le duc de Rohan, le général- major de Warnery, et Napoléon. Nous compléterons leurs réflexions, quand cela sera nécessaire, par le travail d'un savant genevois, qui, sans être militaire, a jeté beaucoup de 253 jour sur le sujet qui nous occupe , comme en général sur la géograpliie ancienne et les antiquités de notre pays, Firmin Abauzit. Enfin, nous émettrons, après ces autorités, quelques idées qui nous sont propres. Rohan, si célèbre par le rôle qu'il joua en France dans les guerres de religion, et en Suisse dans les affaires de la Valte- line, au commencement du XVII™« siècle, nous a laissé un li- vre iiililulé : Le parfait Capitaine, ou l'Abrégé des (pierres de César \ Il est à regretter que cet auteur, emporté par des pré- occupations de parti fort louables d'ailleurs, ait cherché sans cesse à tirer de la conduite de César des leçons à l'usage des princes chrétiens de l'Europe. Son livre est plutôt un avertisse- ment continuel qu'il leur donne, dans l'intérêt de la cause ré- formée, qu'un examen critique des guerres de César. Il s'atta- che plutôt à montrer ce que ce capitaine aurait dû faire que ce que les Commentaires disent qu'il a fait. Semblable en cela à Xénophon, dans sa Cyropédie, il s'empare de son héros pour en faire un général-modèle, un parfait capitaine, envisagé plutôt ainsi que comme un conquérant dont les éminentes qualités ne couvraient pas entièrement les défauts. A l'époque où écrivait Rohan, la critique appliquée aux ou- vrages des anciens était loin d'être arrivée au degré de sûreté et d'exactitude qu'elle a atteint dès lors. Dans ses observations sur la guerre des Helvétiens, on trouve, sans doute, d'excellents préceptes de morale, de conduite politique et militaire; mais, le séjour que ce seigneur fit à Genève, la connaissance qu'il devait avoir des localités, ne lui ont inspiré aucune remarque critique, pas le plus léger doute sur l'exactitude de certains détails des Commentaires. Un autre écrivain militaire, qui procède d'une manière abso- ' Les éditions hoUaudaiscs el genevoises de ce livre sont assez nom- breuses. Une des meilleures est celle de Genève, 1642, in-12. 254 lument contraire , qui prend le conlre-pied de la méthode de Rohan et qui pousse le scepticisme jusqu'à ses dernières limi- tes, c'est le général-major de Warnery, originaire de Morges, entré au service du roi de Prusse et ensuite du roi de Pologne, dans la seconde moitié du siècle dernier. Ses nombreux écrits font autorité chez les tacticiens. L'un des plus curieux est celui ({vCû a ir\lku\é : Remarques sur César*. La Biographie univer- selle, quia consacré un article à Warnery, en parle comme d'un livre remarquable, et l'on en fait un grand cas, surtout de l'autre côté du Rhin. Pour donner une idée du style et delà manière de cet auteur, nous citerons quelques passages des réflexions que lui suggérèrent les opéi'ations de César à Genève. Mais, pour les mieux com- prendre, il faut les faire précéder du texte même des Commen- taires. ^ « Les Helvétiens, dit César, n'avaient que deux chemins pour sortir de leur pays. L'un, par les terres des Séquanais, entre le Jura et le Rhône : c'était un défdé étroit et difficile, où un chariot pouvait à peine passer ; il était dominé par une haute montagne, et une faible troupe suffisait pour en garder lepassage; l'autre, plus court et plus aisé, traverse la Province romaine. Le Rhône, qui sépare l'Helvétie du pays des Allobro- ges, nouvellement soumis , est guéable en plusieurs endroits ; et la dernière ville des AUobroges, Genève, qui est aussi la plus rapprochée de l'Helvétie, communique avec elle par un pont {pons ad Helvetios pertinet). Les Helvétiens crurent qu'ils per- ' Les Remarques sur César oui été d'abord imprimées en français à Varsovie en ITS'â, in-S". Ce livre est extrêmement rare ou plutôt in- connu en France et en Suisse. Les œuvres militaires du général-major de Warnery ont été impri- mées en allemand à Hanovre en 1786. Elles forment huit volumes in-S", avec des plans. Le tome V renferme les Remarques sur César. ' Cœsar, de belln Gallico, Liber I, cap. VL « Erant omnino itinera duo, etc., etc. « â55 suaJeraient aisément aux Allobroges, dont les dispositions en- vers les Romains paraissaient douteuses, de leur accorder le passage sur leurs terres, ou qu'ils les y contraindraient par la force. Tout étant prêt, ils fixent le jour où l'on doit se réunir sur la rive du Rhône; c'était le 5 avant les calendes d'avril, sous le consulat de L. Pison et d'Aulus Gabinius '. « César, apprenant que les Helvétiens songent à passer par la Province romaine , part de Rome à la hâte, se rend à grandes journées dans la Gaule Ultérieure , et de là à Genève. Il n'y avait alors qu'une seule légion dans toute la province. César or- donne toutes les levées de troupes qu'elle peut fournir, et fait rompre le pont de Genève. Les Helvétiens, instruits de son arri- vée, députent vers lui les plus nobles d'entre eux , Nameius et Verudoctius, pour dire qu'ils avaient l'intention de traverser la province sans y commettre aucun dommage. « César, se rappelant que ce même peuple avait tué le consul L. Cassius, était peu disposé d'y consentir. Cependant, pour laisser aux troupes qu'il avait commandées le temps de se réu- nir, il répondit qu'il y réfléchirait , et qu'il ferait sa réponse aux ides d'avril-. « Dans cet intervalle, César employa la légion qu'il avait déjà à élever, depuis le lac Léman que le Rhône traverse, à l'endroit où ce lac se convertit en fleuve (a lacu Lemano qui in flumen Wiodaimm inftuit), jusqu'au mont Jura qui sépare la Séquanie de ' Los calendos étant le premier de cliaque mois , le cincpùème , à partir des calendes d'avril, répondait au 28 mars. Le consulat de L. Pison et d'A. Gabinius tombe à l'an de Rome t}96. (Relandi fasti ConsuUires.) Au reste le calendrier romain était dans le plus grand désordre quand César fil sa guerre des Helvétiens. Il avançait de quatre-vingt jours. Le mois d'avril répondait à notre mois de janvier. ' Les ides étaient le 13 pour huit mois de l'année et le 15 pour quatre mois. César a donc mis quinze jours à peu prés pour faire exécuter le rempart de Genève. 18 256 l'Helvétie , un rempart avec un fossé de dix-neuf mille pas de longueur et de la hauteur de seize pieds. Ce travail achevé, il établit des postes pour repousser l'ennemi. Les députés revin- rent au jour marqué; il leur dit que les usages du peuple ro- main lui défendaient d'accorder le passage à travers la pro- vince , et que s'ils tentaient de le forcer, il ne le souffrirait pas. Déçus dans cette espérance, les Helvétiens essaient de passer le Rhône, les uns sur des nacelles jointes ensemble, ou sur des radeaux faits à la hâte, les autres à gué. Mais le rempart les arrête ; nos soldats les repoussent; et ils se voient obligés de re- noncer à leur dessein. » " Il leur restait un chemin par la Séquanie. Dumnorix, puis- sant chez les Séquanais , ami des Helvétiens par son mariage avec la fille d'Orgélorix, obtint pour eux ce passage. On annonce à César que les Helvétiens se disposent à traverser les terres des Séquanais et des Eduens, pour se diriger vers les Santones, peuple voisin de Toulouse, ville de la Province romaine. Il com- prit à quels périls elle serait exposée , si elle a\ait pour voisins des hommes belliqueux et ennemis des Romains. Il confie donc à son lieutenant T. Labienus la garde du retranchement de Ge- nève ; pour lui , il marche en Italie à grandes journées, y lève deux légions, en retire trois de leurs quartiers d'hiver près d'Aquilée, et, à la tête de ces cinq légions, prend par les Alpes le plus court chemin de la Gaule ultérieure. Les populations al- pestres, les Centrons, les Garïoceliens, les Caturiges veulent l'arrêter. César les bat, se rend en sept journées d'Ocèle(Ocelo, Oneille), dernière place de la province citériei>re , au territoire des Vocontiens (en Dauphiné), limite de la province ultérieure (la Transalpine). De là, il pénètre chez les Allobroges, entre à Lyon, arrive à Châlons-sur-Saône , surprend les Tiguriens , qui étaient campés sur cette livière, les détruit, poursuit le reste des Helvétiens pendant quinze jours avec six légions et un corps de cavalerie. Les Helvétiens l'attaquèrent à Timproviste et avec 257 une grande inlrépidité. César les battit après avoir concerté son plan avec T. Labienus, qu'il avait mandé de Genève. Les Hel- vétiens se retirèrent près de Langres, toujours suivis par César, qui, sur leurs supplications, finit par leur faire grâce, les obligea de retourner dans leur patrie et de rebâtir leurs villes. Ces peu- ples étaient réduits à moins d'un tiers (180,000 âmes). » Tel est le récit de César. Ecoutons maintenant Warnery : « Celui qui a écrit les Commentaires de César, dit-il, était un bien mauvais géographe. Depuis que la contrée dont il parle est habitée, il y a eu par le mont Jura, depuis Porrentruy dans l'Evêché de Bâle, jusqu'au Rhône, plusieurs passages plus ou- verts, moins rudes et plus commodes pour aller de Suisse en Bourgogne qu'aucun de ceux qui mènent en Italie par les Alpes. Combien d'armées de Suisses et de Bourguignons ont passé le Jura sans se servir de ce passage si étroit du Fort-de-l'Er luse au bord du Rhône! « César, arrivé à Genève , en fît rompre le pont pour empê- cher les Suisses de s'en servir. C'est donc lui qui commença les hostilités puisque ce pont leur appartenait. Puis, avec une lé- gion, il fît tirer depuis le lac Léman un retranchement de 19,000 pas, avec un mur de seize pieds de haut, garni de forts, afin d'empêcher le passage. Voilà un joli travail pour une légion qui l'achève en si peu de temps! Le pont de Genève appartenant aux Suisses,, ce retranchement fut donc élevé sur leur territoire. Ainsi les Suisses ne commencèrent pas les hostilités, ce dont César les accuse à tort. Au reste , ce mur ne pouvait être de moitié aussi étendu qu'il est dit dans le texte, puisque déjà de- puis Nyon le terrain est partout trop resserré entre le Jura et le lac de Genève. « On prétend, d'après une ancienne tradition, que ce mur était proche de Versoix. Le fait est qu'on n'en a jamais vu de traces nulle part. Qu'il ait été là ou plus proche de Genève, même à Sainl-Gervais, d'abord qu'il était entre le Jura et le lac. 258 il couvrait le pont de cette ville, empêchait les Suisses d'y venir, de même qn'aii bord du Rhône , et au passage étroit entre le Jura et ce fleuve. « Les Suisses, sur le refus que leur fit César de les laisser pas- ser par la Province romaine (la Savoie), tentèrent de passer sur des bateaux, des radeaux ou à gué. César agitalors contre toutes les règles de la guerre, car le pont de Genève étant derrière, et couvert par le retranchement, pourquoi le faire abattre? Com- ment les Suisses, malgré ce retranchement, purent-ils arriver au bord du Rhône, pour tâcher de le passer? Et voilà le diable où je défie le plus habile commentateur de trouver quelque pro- babilité. D'ailleurs, qui connaît le cours du Rhône de Genève au Fort-de-l'Ecluse, où il s'enterre, sait que dans cette partie il ne peut avoir porté ni bateaux ni radeaux. J'ai vu, étant à Genève, que, pour réparer une seule fois un moulin sur pilotis, l'on fit descendre du lac avec bien de la peine, jusqu'à la Couleuvre- nière, un petit bateau plat, en le retirant du rivage avec une corde ou un câble. Pour guéable, jamais homme ni bête ne l'a passé à gué, même dans les basses eaux. Il est pour cela trop bruyant, trop rapide , et depuis sa jonction avec l'Arve, à une portée de canon de Genève, ses bords sont encaissés entre d'af- freux rochers escarpés. Depuis que ce monde existe, c'est uni- (|uement par ce fleuve que s'écoulent les eaux du plus grand et du plus profond lac de l'Europe. « Les Suisses, près de Genève, avaient, en tirant à droite, raille moyens d'entrer dans la Bourgogne et dans la Bresse par le pays de Gex, sans rencontrer des passages si difficiles. « Si l'on examine bien tout cela , l'on découvre que l'auteur qui a écrit cette partie des Commentaires n'avait aucune con- naissance du pays. » Warnery continue de prendre ainsi à partie les Commentaires dans tous les autres détails de la guerre des Helvétiens et des guerre des Gaules qui ne sont pas de notre ressort. l\ dit parfois 259 des choses fort piquantes, et on ne peut lui refuser beaucoup de vivacité d'esprit , et une parfaite connaissance des localités. Mais, en ce qui concerne le point que nous traitons, on voit d'abord qu'il a pris le change en adoptant, avec tous les critiques des siècles derniers qui ont écrit sur la guerre des Helvéliens, l'opinion qui place le fameux mur de César entre le lac Léman et le Jura, sur la rive droite du Rhône. Trompés par cette expression des Commentaires, en parinntde l'emplacement de ce mur , a lacu Lemano qui in /lumen Rhoda- num rniluit , ad montem Juram, ces auteurs ont commencé par |)lacer le mur de César entre Nyon et le pied de la monlagno de la Dôle. P. Merula dit même qu'il en vit des vestiges considérables en cet endroit, prenant pour tels d'anciennes masures. D'autres auteurs plaçaient ce mur dans une position un peu différente, mais toujours du même côté, entre le lac Léman et Crassier, qu'on faisait naturellement dériver de Crassus. Hottmann le rapproche encore davantage de Genève, dans un endroit moins resserré et (|ui s'accorderait un peu mieux (bien que d'une manière très- insuffisante), avec la dislance de 19,000 pas de longueur indi- quée par les Commentaires) entre le Grand-Saconnex et Saint- Genis. Le célèbre géographe Sanson , après avoir rapporté ces opi- nions, ajoute : « D'autres veulent que le mur ait été au delà du Rhône, entre le lac de Genève et le Pas-de-l'Ecluse, là où lu Jura traverse le Rhône et continue dans la Savoie'. » Abauzit, dans une dissertation qui forme un appendice à l'his- ' Dans la grande édition in-folio des Commentaires de César par S. Clarke, publiée à Londres en 171:2 avec un grand luxe de plantbes, et dédiée au duc de Marleberough , on voit figurés le mur de César, la ville de Genève, le Léman, le Rhône et le Jura. Sans doute, il n'y a au- cune fidélité dans tout cela; mais, ce|)endanl, on peut voir (pie dès lors (in regardait comme impossible de placer et de faire figurer le retran- cliement de César entre le lac et le Jura, et qu'on liait ce retranchement :< la défense innnédiate de Genève. 260 loire de Genève par Spo» ', a le premier mis le doigt sur le nœud de la question en montrant que cette dernière opinion pouvait très-bien se concilier avec le texte des Commentaires. Au lieu de lire : a Lacu Lemano qui in flumen Rhodannm infUnt , il propo- serait celte leçon : « Lacu Lemano qua in flumen Rhodanum in- fluil. Alors on obtient, en eiïet, une circonstance, une donnée essentielle, celle du point où commençait le retranchement, à l'endroit précis où le lac se convertit en fleuve. Ad monlem Ju- ram désignant le mont Vuache, en face du mont Credo, César indiquait de même exactement le point où finissait son retran- chement, le Vuache pouvant être considéré comme une conti- nuation du Jura, comme un dernier chaînon projeté à travers le Rhône. Aidé des calculs de Fatio de Duilier, célèbre mathématicien genevois qui dressa, en 1699, une carte des bords du Léman et du Rhône près de Genève, carte qui a servi de base à tous les tra- vaux topographiques postérieurs, Abauzit a trouvé, entre le lac Léman, à l'endroit où le Rhône en sort, et le mont Vuache, (|uatre lieues en ligne directe et plus de cinq lieues en suivant les sinuosités, ce qui fait précisément les 19,000 pas romains des Commentaires. ' Sans même adopter la leçon d'Abauzit, qui du reste n'a été suivie par aucun des nombreux éditeurs modernes des Com- mentaires, en conservant cette belle et pittoresque expression d'un lac, du Léman qui se transforme, qui coule en fleuve, en Rhône, a lacu Lemano qui in flumen Rhodanum influit (ce qui i ndique à la fois le changement de nature et le changement de nom^) ne voit-on pas là clairement désigné le point où devait ' Spon, Histoire de Genève, édition de 1730, in-i», tome II. ■^ Artaud et, en général, tous le.s traducteurs de César écrivent * dr- jUMJS te lac Léman que le Rhône traverse. » Ce n'est évidemment pas cela, car il y aurait quem et non qui. Dans la géographie des anciens, le Rhône n'était à proprement parler le Rhône que depuis sa sortie du '261 commencer le retranchement, c'est-à-dire de Genève au Forl- de-1'Ecluse? Warnery, pour avoir parlé plus en laclicien qu'en philologue, est tombé dans d'étranges erreurs. Il prend trop à la lettre a lacu Lemano pour le lac Léman proprement dit, et ad montem Juram pour le Jura à la droite de Genève. Enfin il traduit pons ad Helvelios perlinet par « le pont appartient aux Helvétiens, » tandis que cela signifie que ce pont tend ou aboutit au pays des Helvétiens. Donc, il résulterait clairement du texte des Commentaires et du récit de César, en les examinant de près, que le retranche- ment était le long de la rive gauche du Rhône, en suivant les sinuosités du fleuve, de Genève au Fort-de-l'Ecluse. A qui pour- rait-on faire croire que Jules César, avec une seule légion, au- rait été faire son retranchement à la droite du Rhône , dans le pays même des Helvétiens, inondé probablement comme il était alors, des populations helvétiennes qui s'étaient portées à l'ex- trémité de leur pays pour émigrer? Pourquoi César se serait-il imposé à plaisir la peine de faire son retranchement en pays en- nemi, et en lui donnant la plus grande étendue possible en ligne droite? S'il est une chose qui étonne à bon droit dans cette aft'aire, c'est que les Helvétiens, qui depuis très-longlemps avaient fait de grands préparatifs d'émigration, qui avaient tout brûlé chez eux, ne se soient point assurés à l'avance du point capital , décisif, nécessaire à l'accomplissement de leur grand projet, c'est-à-dire de Genève, ou du moins du pont sur le Rhône! Cette conduite est bien inexplicable, quelque simplicité qu'on veuille prêter à nos ancêtres, que César nous représente lac Léman. C'est là qu'il se précipite et change de nom et de forme. Quant à ses sources et à la partie supérieure de sou cours, au temps où César doit avoir écrit ses commentaires, on avait encore là-dessus les plus singulières idées. La conquête du Vallais était loin fl'ètre achevée. 262 pourtant comme « très-nombreux, belliqueux, courageux ' , comme la nation la plus puissante des Gaules ^ comme un peuple enfin qui avait appris de ses aïeux à recevoir et non à donner des otages \ ainsi que les Romains le savaient assez. » D'un côté, il semble résulter du texte des Commentaires que les Ilelvétiens du temps de César avaient une politique bien tracée, ce qu'on appelle de nos jours une diplomatie. Ils lui en- voient pour ambassadeurs d'abord à Genève Numeius et Veru- doctius (deux beaux noms de diplomates helvétiens), et ensuite, après la bataille sur la Saône, le fameux Divico. Et, d'un autre côté, les Commentaires nous représentent ces mêmes Helvétiens comme des enfants que César amusait par des échappatoires et des prétextes pour gagner du temps. On ne comprend pas comment les Helvétiens ne prévinrent pas César avant qu'il songeât à faire son retranchement et à concentrer des troupes en nombre suffisant. Comment aussi ne l'interrom- pii'ent-ils pas dans ses travaux gigantesques exécutés si rapide- ment? Si les Helvétiens n'empêchaient pas ces travaux, c'est i° qu'ils n'étaient pas exécutés dans leur pays; 2*^ parce qu'ils n'étaient pas exécutés sur une longue ligne de pays en plaine, où il aurait ' Pro multitudine hominuni et pro gloriâ belli et fortitudinis an- gustos se fines habere arbitrabantur Helvetii. (De bello Gall. L. I.) ' Non esse dubium quin totius Galliœ plurimuni Helvetii possent. (Id.) A la vérité on peut faire observer que ce que dit César de la puissance des Helvétiens se rapporte plutôt au i)assé qu'au présent. Déjà de son temps , comme au temps de Tacite , ils vivaient sous le poids de leur grandeur passée. Helvetii, gens olim wrmis virts que, mox me- moria nominis clara. Avant d'avoir été mêlés à l'invasion des Cim- bres, ils occupaient les deux rives du Rhin. A l'époque de César ils se trouvaient réduits à la rive gauche, et la droite devint le désert Helvé- tien, eremus Hclveliorum. L'amoindrissement de la nation ressort du dénombrement que donne César lui-même. ■' Helvetios, suis a majoribus iustitutos esse uti obsides accipere non flarc consueverint. Ejus rei populum Romanum esse testeni. (Id.) 263 été impossible d'abord de les faire , ensuite de les défendre avec une seule légion en présence des Ilelvéliens armés et frémis- sants ; 3° parce que le Rhône, coulant en avant du retranche- ment, en rendait l'attaque très-diflicile, sinon impossible. Tout semble s'accorder pour prouver que les Romains , re- tranchés dans Genève qui était déjà une ville fortifiée (oppidum) contre les Allobroges et les Ilelvéliens, se précautionnèrent en- core contre l'invasion de ceux-ci à travers la province par trois lignes : 1° celle du Rhône dont César coupa le pont (du moins depuis l'Ile à Saint-Gervais, en supposant, ce qui est probable, que le pont fût où est maintenant encore celui de Bel-Air) ; 2» La ligne des retranchements derrière le fleuve et en sui- vant ses sinuosités; 3" La ligne du Jura et du mont Vuache, au Fort-de-l'Ecluse, pays habité par les Séquanais, alliés des Romains et qui faisaient cause commune avec eux contre les Helvétiens , auxquels ils n'avaient accordé le passage qu'avec peine, grâce à l'interven- tion olficieuse de l'Eduen Dumnorix. Mais, laissons pour le moment les obscurités qui entourent encore l'emplacement du mur de César, ainsi que les diverses contradictions que nous avons fait pressentir, et voyons de quelle espèce était ce mur. Etait-ce une vraie muraille de pierre ou seulement de cailloux? Comment croire que César aurait pu en édifier une pareille, longue de cinq à six lieues et haute de seize pieds, et en moins de quinze jours? César se sert de la double expression murum fossamque. Les traducteurs des Commentaires traduisent, en général, comme si le mur était indépendant du fossé ' . Chez les anciens auteurs murus signifie aussi bien un mur en maçonnerie qu'un tertre ou retranchement en terre. Varron et ■ César éleva un rein|iait do 19,000 pas de long et de 16 pieds de hauteur. Il y joignit un fossé. (César, Coinnient. traduction d'Artaud.) 264 d'autres le disent positivement '. Le mur de César, dans le pays et dans les circonstances où il se trouvait, ne pouvait être que de la seconde espèce. Une haute muraille, fraîchement bâtie de chaux, de pierre et de sable n'aurait eu aucune solidité. Napoléon, qui a voulu nous laisser son avis sur un sujet qui l'intéressait, ne s'y est pas trompé un instant, et il a démontré que le mur ou retranchement et le fossé se complétaient l'un par l'autre; que l'un ne pouvait se faire sans l'autre. Dans les insomnies de sa dernière maladie à Sainte-Hélène, il a dicté à Marchand, son valet de chambre, un Précis des guerres de César ~. Fait par un tel homme et dans de tels moments, cet ouvrage a droite toute notre attention. Napoléon, qui était très- sceptique à l'endroit de plusieurs guerres anciennes, qui ne croyait guère aux récits d'Hérodpte et aux exploits des Grecs dans les guerres médiques, devenait très-coulant quand il s'a- gissait d'expéditions dirigées par un grand capitaine en particu- lier. Le génie aime à croire au génie. Ainsi , Napoléon n'émet pas le moindre doute sur l'authenticité des campagnes d'Alexan- dre en Asie dont il nous a laissé un court et brillant résumé. Il en est de même pour les guerres de César, sauf quand il arrive à la fin des guerres civiles et à la guerre d'Afrique « dont l'au- teur, dit-il, émet des choses si absurdes qu'elles ne méritent aucune réfutation. » Quant au récit que César fait de la guerre des Helvétiens, il en admet en plein la vérité, a César, dit-il, en apprenant le projet des Helvétiens, quitta Rome, arriva en huit jours à Genève, fit couper le pont du Rhône. W n'y avait dans la province qu'une seule légion ; il manda les trois vieilles d'Illyrie et les deux nou- velles qu'il avait levées. W fit construire un retranchement de ' Aggeres qui faciuut sine fossâ eos quidem vocaiU mui-os ut in agro Reatino. (Varro, Lib. I, cap. XIV.) ' Précis des guerres de César, par Napoléon , écrit par M. Marcliand il Saint-Hélène, sous la dictée de l'empereur. Paris, 1836, in-S". â65 seize pieds de hauteur et de six lieues de long du Rhône au Jura. De nos jours, ;ijoute-t-il, César pourrait faire le même trajet de Rome à Genève en quatre jours. Quant à son retranchement, il est dans les conditions ordinaires des travaux de ce genre exé- cutés par les soldats romains. Ces ouvrages étaient composés d'un fossé de douze pieds de large sur neuf pieds de profon- deur, en cul-de-lampe ; avec les déblais ils faisaient un coffre de quatre pieds de hauteur, douze pieds de largeur, sur lequel ils élevaient un parapet de quatre pieds de haut, en y plantant leurs palissades et les fichant de deux pieds en terre, ce qui donnait à la crèle du parapet dix-sept pieds de commandement sur le fond du fossé. La toise courante de ce retranchement cubant 324 pieds (une toise et demie) était faite par un homme en trente- deux heures ou trois jours de travail, et par douze hommes en deux ou trois heures. La légion qui était en service a pu faire ces six lieues de retranchement, qui cubaient 21,000 toises, en cent-vingt heures ou dix à quinze jours de travail'. » On aime à voir Napoléon entrer ainsi dans des calculs de dé- tails pour prouver la possibilité des actes de l'illustre général romain avec lequel il eut bien des rapports tant sous le point de vue militaire que dans la carrière politique qu'il parcourut. Mais s'il croit aux Commentaires, c'est qu'il les explique largement et ' En admettant, ce qui paraît la seule hypothèse soulenable, que le mur de César ait été un parapet élevé avec la terre d'un fossé profond, il est permis de s'étonner qu'un tel ouvrage n'ait pas laissé la moindre trace sur six lieues d'espace. Les retranchements des anciens Romains, construits ainsi sur des lignes étendues pour se protéger contre les Bar- bares, sont presque partout reconnaissables à quelques vestiges. C'est ainsi que le Vallutn Trajani (Karabournou), dans la Dobrutscha, im- mense fossé creusé par l'empereur Trajan pour défendre l'entrée de la Mœsie, aujourd'hui la Bulgarie, contre les Barbares, subsiste encore. Les Turcs n'ont eu que la peine d'y ajouter quelques fortifications pour en faire une de leurs lignes de défense dans la guerre actuelle de la Turquie et de la Russie. Elle forme l'extrême droite de ces lignes sur le Danube de Widdin et Kalafat à la mer. 266 à sa guise, sans se tenir strictement au texte. Ainsi, il ne fait pas voyager à peu près inutilement César de Rome à Genève , puis de Genève à Aquiiée, en Illyrie, pour aller tirer lui même les trois légions qui y étaient. Napoléon dit simplement qu'il les manda ou les envoya quérir, ce qui est contraire au texte. Si l'on veut s'en tenir à ce texte, il faut nécessairement taxer César d'imprévoyance. N'aurait-il pas fort bien pu faire avancer ces légions a son départ de Rome, connaissant l'imminence du dan- ger? ou bien, les faire chercher pendant qu'il donnait les ordres pour la construction du retranchement? Que de temps perdu , en suivant l'itinéraire ancien , dans le voyage de César de Genève à Nice, de Nice à Milan, de Milan à Aquiiée! Pourquoi d'ailleurs trois légions au fond de l'Illyrie, frontière alors parfaitement tranquille, et une seule à la frontière Allo- broge, menacée depuis des années et où tout retentissait dès longtemps du bruit des armes et des préparatifs des Helvétiens? Il faut convenir que de notre temps Napoléon n'aurait proba- blement pas procédé ainsi. Quand on relit les anciens auteurs au point de vue de l'histoire romaine, et aussi de l'histoire suisse, on est conduit à penser que la guerre de César aux Helvétiens était dès longtemps préméditée. Répétons-le, c'était à Rome un parti pris de s'assurer, au moyen de la soumission de leur pays, les passages des Alpes. Sans celte guerre l'avenir de Rome et de César étaient compromis. Le projet d'émigration d'Orgétorix, que sa mort fit manquer, mais qui fut repris après lui d'une manière si singulière, fut plutôt un prétexte qu'un motif de guerre. Ce prétexte paraît même avoir été préparé de longue main, afin de donner aux Helvétiens les torts de l'initiative. Genève, fortifiée dès longtemps peut-être, était désignée comme base des opérations; on est forcé de voir beaucoup d'arrangement et de convention dans la feinte surprise de Rome à une si brusque attaque, dans le voyage précipité de César de Rome, où le retenaient de grandes affaires, à Genève, 267 pour de là courir au fond de l'Illyrie, traverser encore une fois toute la Cisalpine, entrer dans la Transalpine et courir après les Ilelvétiens. Cette guerre des Helvctiens devient une énigme et un non sens, séparée de certains faits qu'il faut brièvement rap- peler. Il résulte évidemment des textes de divers auteurs, surtout de Polybe, que depuis la première expédition des Romains dans le midi des Gaules (la Narbonnaise) ils avaient le dessein arrêté de conquérir toute cette grande contrée. Or, on sait ce qu'était un dessein arrêté dans la politique romaine. Dès l'an 76 avant Jésus-Christ (près de vingt ans avant la guerre des Helvétiens) le sénat, suivant sa politique ordinaire, chercha à diviser les peuples de la Gaule Transalpine qu'il voulait dompter. 11 or- donna à ses préteurs dans la Narbonnaise d'intervenir dans les affaires des peuples de la Gaule orientale, et entr'autros de pro- téger les Eduens contre leurs ennemis. Les AUobroges, qui avaient fait de grands efforts pour résister à Rome, furent battus l'an 61 avant Jésus-Christ. Mais la même année il se forma, au dire de Cicéron, qui certes était bien informé, une ligue formi- dable entre les Helvétiens et les peuples de la Germanie au nord des Alpes. La terreur se répandit dans Rome, où l'on se rappe- lait les Cimbres et les Teutons*. Le sénat prit des mesures ex- traordinaires et envoya dans les Gaules des députés revêtus de grands pouvoirs {cuin aucloritate), afin d'empêcher à tout prix les Helvétiens , qui déjà avaient fait des incursions dans les Gaules, de se réunir aux Gaulois. N'oublions pas que dès l'an • GalHci belli versatur metus; nam Edui , fratres nostri, pugnant. Sequani inalè pugiiarnnt; et Helvelii sine dubio sunt in armis, excur- sioucsque in provinciani facinnt. Senatus deerevit ut consulcs duas Gal- lias sortirentur, delectiis habeietnr, vaoationes ne valerent, legati cum auctoritate mitterentnr, qui adirent Galliœ civitates, darenl que operam ne ha; cuni Helvetiis se jungerent. (Cicfro, Epist. ad Atticwni. Lib. I, Epist. xvm.) 268 107 avant Jésus-Christ les Romains connaissaient les Helvétiens qni, d'après les historiens de Rome, avaient fait passer sous le joug l'armée de L. Cassius. Le passage de Cicéron sur cette in- tervention de Rome pour empêcher les Helvétiens de se mêler aux affaires gauloises est important. Ce fut alors que les mesures prises ayant paru insuffisantes, on donna le commandement des deux Gaules et celui de l'Illyrie à Jules César (59 ans avant Jésus-Christ). César allait donc faire pour Rome la conquête et, en quelque sorte , la découverte de l'ensemble de cette vaste contrée des Gaules audelà des Alpes, que les Romainsconnaissaient àla vérité partiellement par les écrits de Polybe et d'autres auteurs, mais sur lesquels ils n'avaient, à vrai dire, que des notions bien in- complètes et très-imparfaites, surtout pour les parties du centre, du nord et de l'ouest. §3. Une fois qu'il est à peu près établi que la guerre d'Helvétie fut préméditée de longue main ; que les Commentaires de César, tout en méritant notre confiance comme une source authentique, doivent être lus avec circonspection, puisqu'au dire d'historiens contemporains ils ont été revus et remaniés, afin de présenter les faits à l'avantage de Rome ; enfin que ces Commentaires, ré- digés sur les dictées ou les notes de César, attribuent souvent à ce général des faits qui sont ceux de ses lieutenants, on est con- duit à se demander si l'un de ceux-ci n'aurait pas eu une grande part aux faits qui se sont passés à Genève. Les Commentaires nous disent que T. Labienus fut préposé par Jules César à la garde du retranchement; ils ajoutent que plus tard, mandé dans les Gaules, il prit une grande part à la défaite des Helvétiens. Plutarque dit même que ce fut lui qui tailla en pièces les Tiguriens, et que César devint pour cela ja- 269 loux lie lui. Tout, en un mot, nous porte à croire que Labienus joua dans les événements de Genève le même rôle que Sergius Galba dans leVallais, mais que sa part de mérite a été diminuée par l'effet de sa rupture avec César. On sait que Titus Labienus commença sa carrière par un tribunat que l'accusation contre G. Rabirius rendit célèbre. De là datent ses rapports avec César; préteur l'an 695, sous le consulat de celui-ci, il prétendit, sui- vant l'usage, au sortir de charge, au gouvernement d'une pro- vince. On lui destinait la Narbonnaise ou Transalpine, qui com- prenait l'Allobrogie, quand César se la fit adjuger. Il fut obligé de se contenter de servir sous lui comme lieutenant. Depuis l'ouverture de la guerre des Helvétiens, où il joua le plus grand rôle, ou du moins le second rôle si l'on veut admettre que César fit alors tout ce que les Commentaires lui prêtent, on trouve La- bienus mêlé à toutes les grandes affaires du conquérant des Gaules, son nom revient dans toutes les campagnes. Il rendit d'éminents services. Quant César se mit définitivement en guerre contre le sénat, Labienus, soit patriotisme, soit qu'il eût à se plaindre de l'injustice ou de la jalousie de son chef, soit qu'il fût gagné par le parti du sénat, refusa de passer le Rubicon avec lui et alla offrir ses services à Pompée. Ce départ mortifia beau- coup César, dédit illi dolorem dit Cicéron'. Après avoir com- battu à Pharsale, et dans les auti'es guerres des Pompéiens, contre son ancien général, Labienus trouva enfin la mort en Espagne où il avait amené des renforts au jeune Pompée. (L'an 45 avant Jésus-Christ.) En un mot, Titus Labienus fut un de ces hommes d'un grand mérite qui souvent ont le malheur d'être effacés et écrasés par le voisinage d'un génie qui ne souffre pas de rivaux. La découverte prétendue d'une inscription en riioniieur de T. Labienus, dans l'ancienne station ou camp romain, appelée ' {'icero ad Atticuin Lih. l, cap. XVIII. 270 vulgairement le Mont Jules César ou le Mont-Terrible {mont- d'entendre une cité, une ville, dans notre sens moderne. On don- nait ce nom à une nation entière, même composée de plusieurs peuples, aussi bien et même mieux qu'à une seule localité. Nous avons vu César, dans les Commentaires, appeler les Tiguriens une partie de la cité helvétienne, quœ pars civitatis Helvelice in- signem calamitatem populo romano intiilerat. Chaque cité acqué- rait à la longue son pagus , son orbite , son territoire. Nyon commença par être un municipe romain enclavé dans l'extrême territoire des Helvétiens, sur la rive nord-ouest du Léman. Ce fut, à coup sûr, notre plus ancienne colonie, soit qu'elle remonte à César, soit plutôt qu'elle ait été fondée par Auguste (27 ans avant Jésus-Christ). De même que Lyon, elle n'eut pas d'abord de ter- ' On l'a soutenu en vers comme en prose : i< Genevois qui sortis d"uu sang si glorieux, Faites jusqu'aux Tioyens remooter vos ayeux, Taut de titres gravés sous vos toits magnifiques De votre antiquité sont preuves authentiques. L'art du graveur romain nous le vient déclarer El la pierre avec lui parle pour l'annoncer. >> Genève, poëtne héroïque, par H. Fiat, docteur de Sorbonne, 171"2. l 281 riloire rural {pagm, Gau). C'était un point lorlifié |)our proté- ger la grande voie romaine allant d'Italie dans les Gaules par le montJouou le Saint-Beraard , Marligny alla rive septentrionale du Léman. La cité équestre s'étendit plus lard avec son pagus le long de la rive du Léman, depuis St.-Gervais ou du moins depuis Ver- soy jusqu'à l'Aubonne'. Un acte de l'an 1011 dit que l'église de Versoix est fondée iu pago equestrico. Au moyen âge, cette con- trée, entre les rivières de Versois et d'Aubonne, conserva le nom de pays ou comté des équestres ou enquestres. ^yon, qui était au milieu, était comme le chef-lieu de cette communauté ou ci- vitas de gens soumis à la même loi. Cette civitas reconnaissait peut-être le siège de Lausanne avant la circonscription des évê- chés de l'Helvélie occidentale qui étendit celui de Genève jus- qu'à l'Aubonne^. Ou bien, c'était par réminiscence de l'évêché de Nyon, que la monnaie épiscopale de Lausanne, frappée pos- térieurement, portait : civitas equestris, sedes Lausanœ. Mais Genève proprement dite n'a jamais été la cité éques- tre. L'itinéraire d'Antonin la nomme civitas Genavensium et la met dans la province viennoise, et il met Nyon, civitas eques- trium id est Nevidunum, dans la séquanaise. Ce qui prouve cer- tainement que Genève avait déchu, c'est qu'elle est désignée dans des inscriptions qui lui appartiennent bien en propre, com- me un simple vicus, ou bourg ouvert, et non plus comme une ■ Ou a trouvé des inscriptions romaines à Coppet, à Céligny, à Pran- gins, à Viney, à Anbonne, localités qui étaient peut-être comprises dans la Civitas ou Communauté Equestre. ' Nyon avait eu un évêché avant Lausanne, quand le siège épiscopal était à Avenches. Le siège de Nyon lut transféré à Belley et celui d'A- venches à Lausanne. Ce fut alors peiU-ètre que Nyon ou la cité Equestre dépendit un moment du siège de Lausanne, ou bien en souvenir de la grandeur déchue de Nyon, la monnaie épiscopale de Lausanne adopta la légende Civitas equestris, jointe à celle de Sedes Lausane. 282 ville fermée et fortifiée, oppidum. Plusieurs de ces inscriptions appellent les Genevois vicani, convicani genavenses'. Oppidum signifiait, dans le monde romain, d'abord une ville forte, ensuite aussi une ville de second ordre venant immédia- tement après celles de premier ordre. C'était ordinairement le chef-lieu d'un pagus ou district l'ural (civitas riistica) dépendant de la civilas proprement dite. Le vicus ou la simple bourgade ne venait qu'en troisième li- gne. Au reste, les unes comme les autres pouvaient avoir, in- dépendamment de leur importance et de leur population, des droits de cités municipales qui leur permettaient de s'adminis- trer par des magistrats pris dans leur propre sein. Ce fut le cas pour Genève comme pour la cité équestre de Nyon. Ce qui sert à expliquer la déchéance relative de Genève, c'est ce qui se passa immédiatement après la guerre des Ilelvéliens et les guerres des Gaules. Le dieu Terme avança alors, comme disaient les Romains, c'est-à-dire que la Irontière romaine fut portée du Rhône sur le Rhin et le Danube. Viiidotiissa (aujour- d'hui Windisch , dans le canton d'Argovie), ville du canton des Tiguriens, se trouvait dans la meilleure situation pour défendre ces limites. Par cette ville passait un des grands chemins de l'empire, qui allait de Pannonie dans les Gaules , de Pannoniis ' Ainsi, par exemple, la fameuse inscription d'où l'on avait voulu in- férer qu'un certain J. Broccluis, de la tribu Volinienne, avait donné le lac Léman et quelques autres aux Genevois : L. IVL. P. F. VOL. BROCCHVS. VAL. BASSVS. PR^F, FAB. BIS. TRB. MIL. LEG. VIII. AUG. Il VIR IVR DIC III VIR LOC. P. P. AVGVR PONTIF II VIR FLAMEN IN COL EQVESTR VICANIS GENAVENSIBUS LACVVS. D. Par lacus il faut entendre des réservoirs d'eau. Cette in.scription montre que le même personnage avait été Duumvir Juri Dicundo à Genève et dans la Colonie Equestre, ce qui montre bien la coexistence des deux localités. 283 in Gallias. Genève, comme point stratégique, cessait d'avoir de l'importance. Les Romains se fortifièrent, en pénétrant plus avant dans le pays des Helvêtiens, d'abord à Nyon (civilas equeslris), puis à Vindonissa. Les remparts de Genève furent alors sinon démolis du moins négligés ; cette cité forte devint un bourg, un vicvs. La capitale de la province dont Genève faisait partie, la Viennoise, fut naturellement Vienne, placée au centre et non à l'extrémité de l'Allobrogie, et qui, d'ailleurs, devint le siège ar- chiépiscopal quand le christianisme s'introduisit dans l'empire. Il est à remarquer que la hiérarchie ecclésiastique était en rap- port avec la hiérarchie administrative. Vienne devint donc la ca- pitale de la province et le siège métropolitain, et Genève fut en sous-ordre comme ville et comme évèché. Cependant, de cette diminution relative d'importance de Ge- nève sous les Romains, après la conquête des Gaules, on aurait tort de conclure avec Baulacre ' qu'elle ne fut rien sous leur domination, et que jamais elle n'eut d'existence coloniale; en un mot, qu'elle ne commença à renaître que sous le régime bourguignon. Que Genève n'ait pas été une colonie romaine, dans ce sens que des Romains ne la fondèrent pas , c'est ce qui saule aux yeux. Mais que Genève n'ait pas eu une existence coloniale, mu- nicipale, une existence de municipe dès le second siècle de l'ère chrétienne, c'est ce qu'il est impossible de soutenir. A supposer que les inscriptions anciennes qui sont à Genève, et qui portent le mot CoLOMA aient été transportées de Nyon ou de la co- lonie équestre , du moins ne refusera-t-on pas de laisser à Ge- nève cette inscription si controversée qui place les Provinciaux genevois (Genevenses Provinciales) en opposition avec les co- ' Dans Y Histoire critique de la République des Lettres, tome VI, Baulacre, à la fin d'un arlicle sur les Délices de la Suisse, de Rucbat, dit : « Peul-élre publierai-je un jour des observations où je prouverai que Genève n'a jamais été colonie romaine. » b 284 Ions romains établis à Genève. On sait que les citoyens ôii colons romains avaient dans les colonies leur prétoire, leurs as- semblées (conventus civium romanorum), et que les indigènes ou provinciaux avaient les leurs. Ainsi, en Helvétie, il y avait à Avenches le Conventus Helveticns\ Pour ce qui est de prétendre que Genève se serait élevée com- me une ville burgonde ou bourguignonne, même au rang de capitale du roi Gondebaud, comme on dit quelquefois, sans avoir été une cité romaine de quelque importance, au moment où ces Barbares firent invasion dans l'empire, c'est ce qui ne saurait se soutenir non plus ^. Les Bourguignons ou Bourgon- des ne furent pas ainsi appelés, comme le veulent quelques éty- ' Voici cette inscription qxii passait jusqu'ici pour authentique : C. VALERIO T. F. AlV TR. MIL LEG IL PATRONO. OPTVMO GENEVENSËS PROVINCIA B, M. P. VIXIT ANNOS. LX. M. IL DIES XVII. C'est bien à tort qu'on avait voulu inférer de cette inscription qu'il avait jadis existé une Province genevoise ou de Genève sous le régime romain. Au reste le professeur Th. Mommsen, dans ses « Inscripiiones Confederaliones Helvelicœ Lalinœ » (Zurich 1854, in-i»), la déclare fausse et s'étonne qu'Orelli, son devancier, ait pu l'adopter comme au- thentique. Il se fonde sur ce qu'aucun monument, document, diplôme ou monnaie des époques Romaine, Burgonde et Mérovingienne ne porte Geneva, mais toujours Genava. Cette assertion est certainement trop tranchante. (Voyez Blavignac sur le nom de Genève dans l'Armoriai Genevois pag. 186, 187.) " Les inscriptions authentiques qui appartiennent à Genève font men- tion deux fois d'un Dudmvir juridicundo, et plusieurs fois des Duum- viRi ^RARH, une fois d'un édile et plusieurs fois des triumviri loco- RUM PUBLicoRUM PERSEQUENDORUM. Ccs derniers magistrats municipaux étaient chargés de la surveillance des terrains indivis qui appartenaient à toute la colonie ou à la communauté. Ces diverses charges établissent clairement l'existence municipale et la constitution coloniale de Genève romaine. 285 mologisles, parce que, moins barbcires et plus vite convertis que d'aulres peuples de l'invasion, ils bâtissaient des villes et les habitaient. Bien qu'en effet plus vite amenés à l'Evangile, les Bourguignons ne se soumirent pas si facilement aux arts et à la civilisation. S'il n'y avait eu qu'eux pour peupler les villes, celles-ci n'auraient pas eu beaucoup d'habitants. Associés d'a- bord aux Bomains, en vertu d'arrangements conclus entre ceux-ci et Gondioch, chei' des Bourguignons, ils vécurent d'abord sur les terres de l'Aliobrogie et de l'Helvétie occidentale comme des hôtes armés. Plus lard, il y eut un partage. On divisa par lots (sortes) le territoire, de telle sorte que les pagi ou cantons échus aux Bourguignons se trouvaient, de préférence, dans le voisinage des forêts et des pâturages, sur les deux versants du Jura. Les Bomains, rassurés par cette alliance, restèrent dans les villes sur les bords du Lém.m, où se montrent encore, après les désastres de l'invasion, des restes de la splendeur romaine. Sans doute, à la longue, les deux populations se mêlèrent, mais dans les villes la bourguignonne était en grande minorité. La majorité était celto-romaine. Les villes conservèrent leurs insti- tutions municipales, Genève comme les autres. Les magistrats continuèrent à être nommés par les citoyens et tirés de leur propre sein, soit de l'ordre (ordo) ou de la curie. Seulement, l'administration locale était surveillée par un comte urbain (co- rnes civitalis), qui remplaça le magistrat provincial romain ou le recteur (reclor) \ Les évêques, élus par le peuple, continuè- rent toujours, sous les Bourguignons , de garder leurs ancien- ■ Savigny , dans son Histoire du Droit romain au moyen-âge, a clai- rement démontré cette persistance du droit romain et de l'organisation municipale romaine dans les villes du premier royaume de Bourgogne. Saint A vit (Avitus), archevêque de Vienne, mort en 523, dit que du temps de son prédécesseur la Curie de Vienne ( Cukia Roma.na ) était composée d'un grand nombre d'hommes illustres. Or, Genève eut les mêmes destinées que Vienne, qui devint sous le régime romain sa dou- ble métropole religieuse et politique. 286 nés attributions religieuses et même judiciaires et politiques. Us devinrent même plus influents, parce qu'ils servaient natu- rellement d'arbitres entre le Bourguignon et le Romain, le vainqueur et le vaincu. La confiance qu'ils inspiraient aux uns el aux autres faisait qu'on recourait à eux dans l'impossibilité où Ton se trouvait à chaque instant d'exécuter, au milieu de deux populations mêlées, la loi Gombette ou de Gondebaud, qui voulait que chacun fût jugé par ses lois propres, et que les dif- ficultés entre Romain et Bourguignon fussent tranchées par des juges rai-parties. Ce recours à l'évêque, dans mille cas journa- liers, explique l'influence de l'épiscopat dans les anciennes vil- les romaines qui, comme Genève, avaient subi l'invasion bur- gonde. L'élection de l'évêque appartenant au peuple entier, tant Romain que Bourguignon , et cette élection se faisant dans l'é- glise, on fut conduit à se servir aussi de ce local pour d'autres élections, par exemple, les élections municipales. Le pouvoir de l'épiscopat se mêlait ainsi avec celui de la curie. L'ancienne curie romaine formait le conseil naturel de l'évêque. Il serait facile de développer ce thème et de démontrer com- ment le pouvoir épiscopal devint à Genève un véritable pouvoir souverain, et de quelle manière prirent naissance ces attribu- tions de souveraineté desévêquesqui, dans la Genève du moyen âge, souvent confondues avec d'autres pouvoirs, tantôt unies et tantôt opposées aux prétentions des citadins ou bourgeois, ame- nèrent les conflits que l'on sait, surtout quand l'autorité des comtes de Genevois vint encore compliquer la question en éta- blissant un nouvel antagonisme. Ce qu'il nous importe uniquement de prouver aujourd'hui, c'est qu'il est impossible d'admettre que Genève (qui, du reste, ne fut jamais la capitale d'un royaume de Bourgogne) ait été une puissante ou du moins une importante ville bourgonde sans avoir été un centre municipal également important sous I 287 les Romains*. On sait, au reste, que dans aucune institution barbare l'élément romain n'occupa une si large place que dans ' Quand on fait de Genève la capitale du royaume des Bourguignons, on commet une double erreur, en allacbanl à ces deux mots un sens qu'ils n'avaient pas au .sixième siècle , ni môme plus tard au moyen- âge. A cette épo(iue on n'attachait pas encore au titre de roi, Rex, l'idée concrète de la propriété d'un royaume circonscrit dans des bornes certaines. Ce titre im|)li(iuait plutôt une nombreuse clientèle et l'assu- jettissement volontaire ou forcé de grands possesseurs fonciers et des habitants des villes et des campagnes, abstraction faite du territoire politi(|ue auquel ils appartenaient. Le titre de Burgundionim liex pris par le roi Gondebaud lui laissait le champ ouvert sur tous les pays oc- cupés par cette nation. M. de Gingins-Lasarra a fait cette remanpie au sujet de Hoson cpii, dans la dernière charte de son règne, prend le titre de Burgundiorum Ausonorumque Rex qui justifiait en quelque sorte ses prétentions sur toute la Bourgogne et sur le royaume d'Italie, |)ré- tentions qu'il légua à son lils. On disait aussi Rege.i Francorum , du nom de la nation et non du pays. Jean de Muller a |)ris aussi trop à la lettre le partage du royaume de Gondebaud entre ses quatre fils, qui en firent, dit-il, quatre royaumes, dont les capitales étaient Besançon. Genève, Lyon et Vienne. Le fait est qu'il n'y eut ni partage territorial, ni capitales par conséquent. Les quatre frères se partagèrent l'autorité seulement, et gouvernèrent en- semble l'établissement que leur père avait formé. C'est pour cela que le Gaulois les appelaient les Tétrarques. Dijon [Divio), où l'on jilace aussi cpielquefois une de ces capitales, n'était pas alors une ville. C'était un simple château fortifié. Les rois bourguignons, suivant l'instinct de ce peuple, hai)itaient bien plus sou- vent une simple ferme royale, une métairie ou un château isolé dans la campagne. Les actes les plus importants de leurs règnes sont datés de pareils lietix ou de couvents. Genève ne fut pas plus la capitale du royaume de Bourgogne que le couvent de Saint-Maurice d'Agaune en Vallais, par exemple, d'où sont datés les principaux actes du roi Sigismond. fils de Gondebaud. Ce prince fut proclamé par une assemblée de la nation tenue à Quadruviuni, près de Genève, une de ces résidences rurales des rois de Bourgogne. Nous voyons un décret de l'an 308, ajouté à la loi des Bourguignons ou loi Gombelte, qui démonétise les sous de Genève (Genavetises solidos), frappés dans un atelier monétaire de cette ville. Cela n'indique pas une capitale. « De monetis solidorum prœcipimus custodire ul omne au- rum qund cumque pensaveril accipialur, prwler quatuor tanlum mn- 20 288 rétablissement bourguignon. C'est même ce qui finit par le perdre et par le faire absorber par l'empire des Francs, qui avait gardé bien plus de sève germanique et de force barbare. Le roi Gondebaud répétait à ses comtes et à ses leudes , comme Théodoric, roi des Ostrogoths : « Vestimini moribus Togatis. » Il adopta l'usage de la langue latine, et comme il arrive en pa- reil cas, le vaincu finit pas faire insensiblement la loi au vain- queur, parce qu'il était plus civilisé et plus instruit. Les évo- ques, par exemple, héritèrent de plusieurs fonctions romaines dont les Bourguignons ne se souciaient pas ou qu'ils ne sa- vaient pas comment exercer. Il serait facile, avec de la patien- ce, de démêler dans les pouvoirs qu'exercèrent les évêques de Genève, et qui en firent de véritables princes, ces attributions d'anciennes magistratures romaines que les rois bourguignons leur abandonnèrent et qui renforcèrent leur prépondérance po- litique. Mais ce sujet appartient plus particulièrement à la Ge- nève bourguignonne , et nous ne devons pas oublier que ce mé- moire a pour sujet Genève romaine. Cependant, il a bien fallu conduire celle-ci jusqu'à la limite de ses destinées, et montrer comment elle influa encore, tout en perdant son nom, sur le régime politique qui la remplaça. Dans sa séance du vendredi 30 juin, la section, après avoir expédié divers objets d'administration et d'autres affaires cou- rantes, décide que ses vacances de l'année dureront deux mois (ceux de juillet et d'août prochains). La prochaine séance aura lieu le vendredi 22 septembre (la section ayant fixé ses réunions mensuelles au troisième vendredi de chaque mois), dans le local du musée Rath, que le Conseil Administratif a mis à la disposi- tion de l'Institut Genevois. nelas, Valentiniani , Genavensis el Gothium, qui a tempore Alarici régis adaurati sunt et Ardaricianos. » ( Legis Burgundiorum addita- mentum secundum.) ( "289 Section de liittératiire. -=«»«se»*M=-^ SEANCES. D'avril à juillet 1854, soit dans les quatre mois derniers, la Section a eu neuf séances, dont six consacrées à des objets qui ne sont du ressort que des membres effectifs , et trois séances où les honoraires ont pu être convoqués. Les quatre premières sont antérieures à la séance générale du vendredi 19 mai, dont le compte rendu remplit le troisième Bulletin de l'Institut, et s'y rapportent en grande partie. Dix-septième séance, jeudi 6 avril. La Section nomme deux nouveaux correspondants : MM. Char- les Didier, de Genève, actuellement à Alexandrie d'Egypte, l'au- teur de Rome souterraine, de Thécla, du Voyage en Espagne, de la Campagne de Rome, etc., et Joseph Hornung, de Genève, successivement professeur d'histoire littéraire et de philosophie du droit à l'académie de Lausanne , auteur de Y Evolution juri- dique des nations chrétiennes et d'une Etude sur lalittérature de la Suisse française, envisagée dans ses rapports avec les littératu- res européennes. M. Carteret extrait de son recueil inédit quatre nouveaux apologues : \. Le Chat et les Canards, ou le Glouton qui critique les autres, jolie variante de l'éternelle parabole de l'œil à la poutre considérant l'œil à la paille. — 2. Les Deux chevaux, dramatisant dans un tableau de genre le vers immortel de Vir- 290 gile : Non ignara mali iniseris succurrere disco. — S. Le Briquet et r Allumette chimique, ou la Tradition et le Progrès, censure transparente de ces opinions exclusives qui, par haine du chan- gement, anathématisent la diversité des goûts, et prédication de la saine tolérance. — Enfin, Le Vieux Sou, qui attaque à sa manière la morale pessimiste, et montre que le cœur humain a aussi de généreux et bons instincts. — Un tour de consultation à la ronde amène des observations intéressantes sur la facture, le genre, le ton et l'esprit de ces fables, sur leur valeur poéti- que ou morale, enfin sur la théorie esthétique de l'apologue. M. Subit, honoraire, lit ensuite une notice littéraire sur Pas- quale Altavilla, le Molière populaire du théâtre napolitain d'au- jourd'hui. Le secrétaire communique les deux pièces envoyées par M. Fournel : l'Auréole, conte-légende du treizième siècle, ou Glo- rification de l'humilité, et Sainte Elisabeth de Hongrie , ou le Miracle des roses, justification légendaire de la charité, dont la grâce symbolique a souvent inspiré les peintres et les poètes. Ces pièces conduisent à une discussion sur le genre archaïque et religieux. Dix-huitième séance, jeudi 20 avril. Dix-neuvième séance, jeudi 4 mai. Vingtième séance, jeudi 18 mai. Ces trois séances sont consacrées au double concours litté- raire, fermé le 15 avril, lequel a donné dix-sept pièces, soit treize en vers et quatre en prose. Constitution des jurys, dis- tribution du travail, conclusions présentées et acceptées, lec- ture et approbation des rapports, mesures diverses à prendre, tel fut l'emploi de ces séances. Le résultat du concours a été rendu public. 291 Vinyl et unième séance, jeudi i"^ juin. Sur la proposition du secrétaire, la Section décide de com- mencer une double collection : 1" de ses papiei^s et correspon- dances sous le nom iV Archives de la Section; 2" une Bibliothèque particulière de la Section : à celte bibliothèque sera allouée pour commencer, la cotisation annuelle des membres effectifs et ho- noraires ; sa spécialité directe sera la littérature nationale, soit, pour commencer, les poètes suisses des trois langues, et tout d'a- bord ceux de langue française. M. Cherbuliez donne lecture de la seconde partie de son in- structive analyse de l'ouvrage de l'Américain Bristed sur les Universités anglaises, laquelle suscite une conversation familière sur la force comparative des études genevoises et des études an- glaises. M. Carteret lit une poésie élégiaque de M. Henri Blanvalet. un de nos correspondants, intitulée : la Fille du pêcheur, qui rappelle avec bonheur à plusieurs membres une poésie aimée et devenue populaire, la Petite sœur; c'est une charmante carte de visite d'un poète, duquel la Section en espère encore d'autres. M. Vuy lit une poésie d'assez grande étendue, fort goûtée par les auditeurs qui s'accordent à y reconnaître un talent vrai- ment poétique. Cette pièce, qui a pour titre Soir et matin, a pour auteur une jeune femme du Jura bernois, dont plusieurs productions distinguées du genre lyrique, parues dans diver- ses revues de la Suisse, ont fait connaître le nom, M"*^ Félicie Stockmar. Vingt-deuxième séance, vendredi 23 juin. M. Charles-Louis de Bons, l'un des deux lauréats du 19 mai, est nommé membre correspondant de la Section en Vallais. 292 Première délibération sur les concours littéraires à ouvrir, celte année ou la prochaine. La XXIII' et la XXV^ séances sont consacrées au même objet Vingt-quatrième séance, vendredi 7 juillet. Le programme définitif pour 1855 est arrêté le 21 juillet : il sera inséré à la fin de ce Bulletin. Trois pièces de poésie, les deux premières par M. Petit Senn, lues par le secrétaire, la troisième écrite et lue par M. Marc Monnier, correspondant de la Section, présenta la séance, vien- nent faire à ces occupations nécessaires, mais peu agréables, une diversion vraiment littéraire et accueillie avec reconnais- sance. La Place au soleil, de M. Petit-Senn, se fait aisément une autre place au milieu de la réunion, et les Premiers foins ramènent ensuite, à la satisfaction de chacun, avec les sen- teurs des prés, la fraîcheur des souvenirs de jeunesse. Le Sam- son de M. Monnier, allégorie vigoureuse dans la manière des iambes de Barbier, symbolisant, dans l'histoire typique de l'Her- cule hébreu, le peuple el ses destinées, nous le montre, en- fant-colosse , passionné , sensuel et crédule , doux dans sa force et aveugle dans sa vengeance, confiant enDalilah, puis joué par les Philistins , et croyant solder, en un seul jour de ruine uni- verselle, tout l'arriéré de ses colères. Cette pièce fait connaître sous un aspect nouveau et un peu inattendu le talent si souple et si plein de ressources du jeune écrivain. II. NOTES DIVERSES. L Persotsnel. — La Section compte donc maintenant trois correspondants de plus, savoir : 293 MM. France : 23. Charles Didier, homme de lettres. Suisse : 24. Joseph Hornung, professeur. » 25. Gh.-L. de Bons, conseiller d'Etat. II. Correspondance. — Le secrétaire a reçu des lettres de plu- sieurs correspondants : MM. Bovet, Fournel, de Bons, Iloriiung, Olivier, Girard. m. PARTIE LITTÉRAIRE. Nous insérons ici : 1" la suite du Mémoire sur l'université de Cambridge; 2" une pièce de M. Fournel; 3" une pièce de M. Marc Monnier. Suite du Mémoire de M. Cherbuliez sur Vuniversité de Cambridge. M. Cherbuliez fait à la Section des lettres une seconde lec- ture sur les universités anglaises; il entre dans une description plus approfondie du système des examens qui en est l'âme, le ressort vital. Les détails inévitables dans l'explication de cette machine compliquée se refusent à l'analyse. La section a paru accueillir avec intérêt ces faits peu connus sur le continent : c'est un singulier phénomène qu'un foyer de sciences et de hautes études littéraires où l'enseignement officiel et l'action scientifique des titulaires ne jouent, pour ainsi dire, qu'un rôle accessoire , où toute leur importance consiste à fonctionner comme un haut jury chargé de l'appréciation des capacités, à garder et à commander l'entrée de toutes les vocations dont la culture de l'intelligence est une condition indispensable, où, 294 enfin, l'émulation excitée dans les sens les plus divers constitue l'âme de tout le système. L'auteur fait remarquer le cachet de l'originalité anglaise jusque dans les noms familiers et bizarres d'une bonne partie des concours, cette alliance d'une imagination vive avec un esprit positif, ce culte du passé qui a défendu opi- niâtrement jusqu'à nos jours contre l'invasion des théories, contre les tendances niveleuses de la raison , non-seulement les insti- tutions et les choses, mais aussi les dénominations que le temps a consacrées ; enfin, ce qui ne porte pas moins l'empreinte du génie britannique, le conflit ou du moins la juxta-position des pouvoirs, des autorités, la confusion réelle ou apparente qui en résulte, régime qui a ses racines dans le moyen-âge, et qui, à des inconvénients faciles à saisir, réunit des avantages réels. Il faut donc distinguer entre les examens ceux qui relèvent du collège universitaire et ceux qui appartiennent à l'université même. Cependant l'auteur du mémoire s'attache à un autre ordre que celui qui résulterait de cette distinction ; il suit l'étudiant pas à pas dans sa carrière de trois ans et demi, depuis son entrée à l'université jusqu'aux dernières épreuves dont le succès lui as- sure une certaine indépendance et la faculté d'attendre une position dans le barreau ou dans l'Eglise, à moins qu'il ne con- sacre sa vie à l'université. Le premier de ces jalons ou étapes est l'examen d'entrée dans le collège, puis viennent l'examen de mai, qui appartient à la même catégorie, mais qui marque le passage de la première à la seconde année du collège , le Little Go ou Petit Pas, qui met pour la première fois l'étudiant en rap- port direct avec l'université, les examens pour la collation des bourses ou Scholaiships , ce précieux secours offert par diverses fondations soit collégiales , soit universitaires, au talent et au travail, puis les degrés et les honneurs, ou le baccalauréat ordi- naire et supérieur, enfin l'examen pour le titre de FelMi' agrégé. Parmi les traits caractéristiques de cette suite imposante de luttes à soutenir, de palmes à décerner, signalons ici le mode de mar- 295 quer le maximum par un chiffre Irès-éievé que personne ne peut atteindre, le classement sévère et compliqué des résultats, lequel forme une échelle très développée de capacités ou de rangs scientifiques et littéraires, enfin la difficulté de la plupart de ces épreuves , l'étendue des travaux préparatoires qu'elles suppo- sent, l'érudition qu'elles donnent lieu de déployer, le rôle im- portant qu'elles assurent aux maîtres préparateurs ou Private Tutors,.donl l'existence n'est pourtant pas même mentionnée par les règlements universitaires. Sainte Elisabeth de Hongrie* C'était en avril, quand l'aurore Luit sur la montagne, et colore Le haut castel vieux et vaillant De pourpre vif et d'or brillant: Forêts et plaines éveillées Semblaient sourire émerveillées ; Le vent était doux, le ciel clair; Déjà l'oiseau chantait dans l'air; La rose n'était point fleurie. Sainte Elisabeth de Hongrie, Sous le ciel frais d'un beau matin, Sortit de son castel hautain. Le front noble et le cœur modeste, Dans son manteau d'un bleu céleste. Ses longs cheveux blonds, ondoyants. Qui semblaient d'or, et rayonnants; Sous sa paupière, un peu baissée, Le beau regard de sa pensée, Montraient bien à qui la voyait 296 Que Notre Seigneur l'envoyait Comme un mage, sur la montagne, Bénir au matin la campagne Et les pauvres gens des hameaux ; Qui lors souffraient les plus grands maux ; Ayant eu mauvaises années Et récoltes souvent ruinées Par la guerre. Au loin, l'avisant, Tous joignaient les deux mains, disant. Quand son manteau bleu, derrière elle, Allait au vent en forme d'aile : « Voici l'ange de Dieu! » chacun Sentait dans l'air un doux parfuth Comme du ciel, à l'entour d'elle, S'approchant d'eux légère et belle Et souriante. Or ce matin, Timide et d'un pas incertain Dans le sentier, sur la montagne. Elle descend ; mie compagne. Quelque servante du château, La suit, portant sous un manteau Une corbeille lourde et grande, Et, cheminant, elle appréhende D'être aperçue, et, se hâtant. Tourne la tête à chaque instant Vers le castel, craignant le maître. Qui d'une tour les voit peut-être. La sainte avait pour noble époux Le landgrave, vaillant sur tous. Mais, de vrai, ne connaissant guère, Toujours armé, toujours en guerre. Que grands combats, et grands assauts; 297 Et sans pitié pour tous vassaux. Or il advint que le landgrave Prononça la défense grave Que l'on portât aide ou secours A nul, comme on faisait aux jours Où, lui parti, la châtelaine Dominait seule en son domaine. Et, soumise à son fier seigneur. Elle se tut ; mais dans son cœur. Sainte Elisabeth de Hongrie, Entendit la voix bien chérie De son pieux ange gardien, Qui lui dit : « Pour faire le bien, Il n'importe ce qu'il en coûte. C'est Dieu qu'il faut que l'on écoute. » Ce jour donc, elle allait aux champs, Portant secours aux pauvres gens. Eux attendaient leur bonne sainte Sur le chemin. Bientôt sa crainte A disparu dans le bonheur Dont se remplit alors son cœur, C'étaient des vieillards et de^ mères Et des enfants; toutes misères Que peu de pain, et peu d'argent Soulageaient fort. Maint indigent Qui l'attendait sur son passage, A genoux, levant un visage Languissant et tout amaigri, Au lieu de plainte, au lieu d'un cri, A la voir si belle, à l'entendre Souriait de façon bien tendre. Oubliant, dans l'enchantement. 298 Maux et misère, à ce moment. Elle a devant soi sa corbeille; Et la suivante, à l'écart, veille, De peur de surprise. Soudain Dans le silence du matin Voici qu'un coursier sur la route Galope, approche... sans nul doute, Un cavalier vient du château C'est le seigneur! Sous son manteau La sainte voile sa corbeille. Au plus vite, mais c'est merveille S'il ne la voit, car il est là ! Les gens s'enfuient disant : Voilà Le duc ! chacun s'effraie, et gagne, Pour s'y cacher, sur la montagne Une retraite dans le bois Et les ravins. La forte voix Du sire parlant à la dame, Sembla comme un tranchant de lame La navrer, jusqu'au fond du cœur, Et, lors, en proie à la rigueur Du puissant et rude homme d'armes, Ses yeux se remplirent de larmes ; Mais, immobile, implorant Dieu Et tenant, sous le manteau bleu, La corbeille, large et bénie, Encor plus d'à moitié garnie, Les yeux baissés, elle attendit. Quand du cheval il descendit Le courroux embrasait son âme ; Dans ses yeux on en vit la flamme. « Dame, dit-il, que cachez-vous 299 Sous le manteau? Montrez-le nous! Quelqu'un enfreint-il ma défense. C'est, par ma foi, si grave offense Que rien ne me peut retenir De me venger et de punir. Elle, naguère souriante, A présent, pâle et suppliante Voilait la corbeille, et tremblait, Et disait : Seigneur, s'il vous plail, Pardonnez-moi ! Sa voix toucliante Etait la voix qui pleure et chante Sous l'archet pur d'un ménestrel, Et que l'on croit venir du ciel. Mais pour réponse à sa prière, Il prend et rejette en arrière Le pan léger du manteau bleu, Tire à soi la corbeille... ô Dieu ! Il la voit pleine, mais de roses ! Roses d'été, larges écloses. Et d'un brillant tout merveilleux ! La sainte alors lève les yeux Au ciel, avec un doux sourire, Étonnée ; et le noble sire Ému, plus qu'on ne saurait dire. Du miracle, tombe à genoux. Disant : Mon Dieu, pardonnez-nous ! Berlin. Charles Fournel. 300 SamMon* Le peuple n'est point tel qu'on le montre à nos yeux. Il ne ressemble pas au tigre furieux Qui ronge à plaisir sa victime; Il ne ressemble pas à l'homme de douleur Qui disait à son Dieu : Mon Dieu, pardonne leur ! . . . Il est moins vil et moins sublime ! Il se nomme Samson. Dieu bénit son pouvoir. Bien que dans la colère il soit terrible à voir, Le cœur bat sous sa rude écorce. Bien qu'il soit indomptable en la rébellion. Il a trouvé du miel dans le corps d'un lion. Et la douceur est dans sa force. Mais qu'il ait à subir la loi des Philistins, Contre lui qu'on s'épuise en combats clandestins. Qu'à l'esclavage on le condamne. En des cachots impurs qu'on le tienne enfermé, Il se lève aussitôt, brutalement armé. Et brandit la mâchoire d'âne. Le voyez-vous marcher, ses longs cheveux au vent, L'implacable vengeur, le colosse vivant, Samson qui se met en campagne. Il brûle et détruit tout dans les champs dévastés. Sur son épaule il prend les portes des cités Et monte à grands pas la montagne. 11 répond par la force à la force, il répond Par la ruse à la ruse; il franchit d'un seul bond, D'un seul coup ravage une armée ; 301 Il chasse devant lui les ennemis de Dieu El ce mur de soldats, ce tourbillon de feu Tombe en poudre et passe en fumée. Alors le Philistin qui n'a pu l'écraser. Renonce à le combattre. A quoi sert de briser Contre lui l'épée inutile? Il est fort, mais on peut le vaincre en l'énervant. Il ne marchera plus ses longs cheveux au vent : On le débauche, on le mutile, On l'enchaîne, il mourra. Victoire aux Philistins! Ils vont traîner au temple ouvert à leurs festins L'esclave que son Dieu délaisse. Samson paraît, courbé, livide, agonisant. . . Ah! la douceur n'est plus dans sa force à présent, Mais la rage est dans sa faiblesse . . . Il est aveugle — il serre en ses bras deux piliers. Et pendant qu'au festin accourant par milliers, Les vainqueurs s'entassent en foule, Que leur ivresse éclate et monte en cris affreux De l'aveugle sans force au Dieu vaincu, — sur eux La salle à grand bruit tremble et croule ! Paris. Marc MoNNiER. IV. COMMUNICATIONS. I. Bibliothèque de la Section. — Cette modeste bibliothèque devant, d'après l'arrêté qui la concerne, s'alimenter régulière- 302 ment et sans exclusion d'aucune autre source imprévue aux quatre sources suivantes : i" Les publications de l'Institut Genevois; 2" Les mémoires d'académies et sociétés étrangères, reçus par la Section (en échange ou autrement) ; 3» La cotisation annuelle, consacrée exclusivement à la bi- bliothèque littéraire nationale ; 4» Les œuvres des membres (des trois catégories) de la Sec- tion qui, Suisses de naissance , seraient invités à cette offrande toute de bonne grâce et facultative, le Bureau de la Section prend la liberté d'envoyer ici cette itivitation circulaire à MM. les correspondants, honoraires et ef- fectifs auxquels elle s'adresse directement, ainsi qu'aux person- nes bienveillantes qui seraient disposées à favoriser la forma- tion de cette petite bibliothèque spéciale, où l'on pourra plus tard trouver réunis des matériaux intéressants, fort épars aujour- d'hui , et utiles pourtant, chacun dans leur mesure, à la future histoire des lettres dans notre patrie. IL Programme des concours littéraires ouverts par la Section, pour l'année 1855. La Section de littérature décernera, vers le milieu de l'année 1855, deux prix : Le premier, pour le meilleur travail en prose sur ce sujet : La vie littéraire de la Suisse française dans la seconde moitié du XVIIIe siècle. Le second, pour la meilleure composition en vers sur ce sujet : Divicon ou l'Helvétie primitive. Les travaux destinés au concours seront remis au Secrétaire de la Section de hltérature, au plus tard le 1^'" Mai 1855. Ils doivent être présentés en deux exemplaires et porter en 303 lêle une épigraphe qui devra être répétée sur un pli cacheté renfermant le nom de l'auteur. Les ouvrages inédits seront seuls admis au concours. Les deux exemplaires des travaux non couronnés seront res- titués à leurs auteurs avec les plis cachetés. Les travaux qui auront obtenu le prix pourront être publiés dans les Mémoires ou dans le Bulletin de l'Institut. L'auteur reste, en tout cas, propriétaire de son travail. Un des exemplaires manuscrits demeure déposé aux Archives de la Section. Le jury sera libre d'adjuger ou de ne pas adjuger de prix. Il se réserve, selon le mérite des ouvrages envoyés au con- cours, d'accorder des accessits ou des mentions honorables. Le Président de la Section de littérature rendra compte du résultat des concours dans une séance publique, où les prix se- ront délivrés. Chaque prix sera de la valeur de deux cent cinquante francs, dont une partie pourra être consacrée à une médaille décernée au nom de l'Institut. Les membres effectifs de la Section de littérature seront seuls exclus du concours. Adresse de M. le Secrétaire de la Section de littérature : M. le professeur Amiel, Rue des Chanoines, à Genève. Si août 185't. H. -F. A. 21 304 Section des Beaux- Artiii. La Section des Beaux-Arts, dans sa séance du 26 juin, a pris connaissance d'une lettre du Conseil d'État, qui lui demande un préavis sur les deux points importants relatifs à la prochaine Exposition de peinture, savoir: 1° Sttr la distiibution el. la na- ture des prix à décerner pour récompenses aux artistes exposants ; 2° sur le choix des personnes composant le jury , chargé de décer- ner des récompenses. Sur le premier point , la Section des Beaux-Arts a été una- nime pour adopter le mode des médailles d'or, comme étant celui qui lui paraît réunir toutes les conditions essentielles. Elle propose qu'il soit frappé à cette occasion des médailles de 400 fr. et de 200 fr. , et qu'il soit accordé un premier et un second prix à chacun des genres de peinture ci-dessous désignés ; ad- mettant cependant que si l'un de ces genres ne présentait pas des ouvrages dignes d'un premier prix, il sera facultatif de lui en accorder deux de deuxième classe; et si, en échange, l'un des autres genres avait droit à deux premiers prix, ils lui se- raient accordés en remplacement , suivant le classement des genres : 1° Peinture d'histoire et de genre; 2" Paysage, animaux et marines ; 3° Portraits à l'huile et au pastel ; 4° Émaux; 5° Sculpture. Dont 5 prix à 400 fr Fr. 2,000 » 5 prix à 200 fr — 1,000 Total Fr. 3,000 Somme égale à celle dont pourra disposer le Conseil d'État , en y comprenant la somme de 1,000 fr. offerte par la Section des 305 Beaux-Arts de l'Institut , pour récompenses aux artistes expo- sants. Sur le second point, relatif au choix des personnes composant le jury, la Section des Beaux-Arts présente au Conseil d'Etat, avec prière de la prendre en considération , l'idée nouvelle et tout particulièrement démocratique, de laisser aux arlit;tes ex- posants le choix de leurs juges. Cette innovation, devant proba- blement prendre faveur auprès du public genevois, aurait le double avantage de satisfaire entièrement la susceptibilité et les exigences des intéressés, et de lever une responsabilité toujours délicate pour les personnes chargées de juger des œuvres d'art. A cet effet, et pendant la durée de l'exposition, une convocation serait adressé à tous les artistes présents à Genève, sous la prési- dence d'un délégué du Conseil d'État, et soumise à un règlement concernant l'élection du jury, qui serait no(niné séance tenante. La Section des Beaux -Arts estime que, de cette manière, l'artiste qui obtiendra la confiance de ses collègues, se trouvant très-honoré de ce choix, acceptera sans doute bien plus volon- tiers le mandat qui lui sera conféré. Dans le cas où le Département de l'Instruction publique ne jugerait pas ce mode praticable, et qu'il préférât désigner lui- même le jury, il conviendrait alors qu'il voulût bien se charger du choix et de la nomination d'office de ses membres. Toute- fois l'avis de la Section serait de composer entièrement le jury d'artistes spéciaux pour chaque genre. Dès lors, la Section des Beaux-Arts (conjointement avec la commission municipale) a du s'occuper des divers détails de l'exposition , qui seront rapportés dans le prochain Bulletin de l'Institut. — L'ouverture de l'exposition de peinture et de sculpture a eu lieu lundi matin, 14 aoiît, en présence d'une délégation du Conseil d'Etat, de la Municipalité de Genève et de l'Institut Ge- nevois. Le nombre des tableaux et objets d'art exposés est de 306 250, parmi lesquels il en est beaucoup de Uès-reniarquables. On peut déjà bien augurer de cette exposition qui a élé prépa- rée par la sollicitude réunie du Conseil Administratif de Genève et de Vlnstitut Gsnevois. Elle marquera dans les fastes de l'art dans notre patrie et servira à caractériser la transition que l'on signale depuis quelque temps dans notre école de peinture. Le Conseil d'État de Genève a adhéré à la demande des ar- tistes exposants, de nommer eux-mêmes le jury qui sera chargé de distribuer les récompenses et les prix. Il faut espérer que cette innovation produira d'heureux fruits pour les artistes étran- gers et nationaux. On remarque, dans l'exposition de 1854, plusieurs œuvres très-remarquobles de peintres suisses fixés à l'étranger, entre autres de MM. Gleyre, Grosclaude, Morel-Fatio, etc., etc. l§ectioii d^Iodustrîe et d^Agriciiltiire. L'organisation du marché au bétail, récemment créé, et l'éta- blissement d'une ferme-école, dont la convenance est générale- ment reconnue, ont continué pendant le dernier trimestre à occuper presque exclusivement la Section. Marché au bétail. Dans l'origine, on avait objecté que les foires et marchés ne sont pas dans les habitudes de notre pays, et quelques per- sonnes craignaient de voir échouer les tentatives de la Section pour établir à Cornavin un marché mensuel. L'expérience de six mois a montré que ces craintes n'étaient pas fondées. Le marché s'est soutenu , et tout porte à croire qu'il est définitivement acclimaté chez nous. A la vérité , il ne s'y est plus présenté un nombre aussi con- sidérable de bestiaux que le 4 mars dernier, ce (jui s'explique pai- 307 la suppression de l'indemnité accordée la première fois à toutes les bêles amenées, et dont avaient profité plusieurs propriétaires (pour la plupart étrangers au Canton) qui n'étaient nullement dan? l'intention de vendre, et.dont le bétail destiné à leurs tra- vaux journaliers n'aurait d'ailleurs pas trouvé d'acheleurs. Mais si, au point de vue de la quantité, le marché a perdu, comme on s'y attendait, il n'en a pas été de même sous le rap- port de la qualité, et les animaux primés étaient remarquables à plusieurs égards, et tels qu'on en voit rarement chez nous. Le Conseil .Municipal de la ville de Genève a continué encore une ou deux fois sa généreuse subvention, et quelques habitants de Saint-Gervais ont témoigné de leur sympathie pour cet éta- blissement par une souscription qui a permis à laSection.de remplacer l'indemnité accordée les deux premières fois à chaque lête de gros bétail par deux secondes primes pour les bêtes grasses Ferme-école. Après avoir démontré, soit au Conseil d'État, soit au public, la nécessité d'une ferme-école, la Section a nommé une com- mission chargée d'examiner quelle serait la propriété du Canton qui réunirait le plus d'avantages pour son établissement. Cet examen une fois terminé, elle aura à s'occuper d'un projet d'acte de société anonyme pour l'acquisition du domaine qui lui aura paru le plus convenable. Elle s'est adressée aussi au Conseil d'État qui aura à sanc- tionner cet acte. Un projet de loi a été adopté par le Grand Conseil pour garantir l'intérêt aux actionnaires et pour introduire au budget une somme destinée à l'instruction que les élèves re- cevront à la ferme. Tout ce qui a rapport à cet objet se traite activement et a été adopté en principe, mais tout est encore à l'élat de projet. Quatre nouveaux membres honoraires ont été admis. 308 Commission d' administration de l'Institut. Le Comité de gestion s'est occupé avec soin du budget de 1854 et de la répartition de l'allocation accordée par le Grand Conseil pour l'année courante. Le projet de budget qu'il a pré- senté, dans la troisième séance générale du 14 mai dernier, et qui a été adopté à l'unanimité, répartit comme suit les 5,900 fr. lormant l'actif de l'exercice de 1854 (déduction faite de 1,100 fr. qui ont été appliqués a compléter l'allocation de 600 fr. allouée en 1853 à chaque section) : 1° Fr. 3,000 à répartir entre les cinq sections, soit 600 fr. pour chacune d'elles ; 2» — 2,400 pour la publication des Mémoires, du Bulletin et les frais généraux ; 3" — 500 pour indemnité votée au Secrétaire général. Total Fr. 5,900. Cette répartition de l'actif du budget de l'Institut ne laissant au Comité d'administration que peu de latitude pour les publi- cations, il a dû s'occuper de les restreindre dans les plus strictes limites et de les calculer avec une grande économie. A cet effet : 1" le nombre des planches a été réduit à dix (ce qui est la moitié du nombre de celles du 1'^'' volume). Le coût de chaque planche, pour le dessin sur pierre, le tirage, etc., re- vient en moyenne à 90 fr. pour 525 exemplaires, soit environ à 20 centimes la feuille. Total pour 10 planches Fr. 900 2" Le coût de l'impression du second volume des Mémoires a été calculé sur le pied de 35 feuilles d'impression, tirage à 525 exemplaires, grand in-4», à 45 fr. la feuille , ce qui fait — 1,575 A reporter Fr. 2,475 309 Repo7i. ... Fr. 2, 4-75 3» Le coût lie l'impression du Bulletin a été calculé à raison de 20 feuilles in-8°, tirage à 500 exem- plaifes, ce qui donne un total de — 800 4" Couverlure.s, brochage, frais divers, etc — 200 Total.... Fr. 3,475 On voit que malgré cet état de dépenses pour publications, calculé au plus bas, la somme de 2,400 fr. portée au budget de 1854 pour publications, est encore dépassée de plus de 1,000 fr. A la vérité, la Section des Sciences naturelles a déclaré qu'elle était prête à consacrer encore le total de son allocation de 600 fr. au paiement du prix des planches qui concernent en entier cette Section. Peut-être une autre Section, celle des Sciences morales et politiques, qui a fait aussi , l'an dernier, le sacrifice de la moitié de son allocation, le répétera-t-elle encore cette fois-ci. De cette manière l'équilibre se trouvera rétabli. En un mot, on voit par cet exposé que le Comité de gestion a tenu avant tout à ce que l'Institut Genevois se maintînt cette année-ci à la hauteur de l'idée et du but scientifiques qui ont présidé à sa création. C'est par des travaux et des mémoires à la fois sérieux, originaux et nationaux qu'il justifiera sa raison d'être aux yeux de tous. Sans doute il y aurait eu moyen de ré- duire encore davantage ou de supprimer peut-être même tout ou partie des publications de l'Institut Genevois. Mais alors ce corps n'aurait plus mérité cette qualification. Il y aurait bien eu encore une association littéraire encourageant les jeunes talents par des concours, une société d'artistes ouvrant des expositions et donnant des médailles, un comice agricole distribuant des primes et s'occupant d'améliorer le sol et ses produiis, mais il n'y aurait plus eu d'Institut national Genevois. Telles sont les raisons qui ont engagé le Comité de publica- tion, après avoir fait la part des sections, à faire aussi et néces- 310 sairement la part de la science dans le budget de l'Institut. Ce corps, en votant le budget de 1854, est entré dans ses vues, et il faut espérer que ce seront toujours celles qui présideront à ses destinées. Le produit de la vente du premier volume des Mémoires ne sera connu qu'à la fin de l'année, aux termes de l'accord fait avec les libraires chargés de placer les exemplaires. On n'a donc pas pu le faire figurer sous un chiffre précis à l'actif de l'Insti- tut pour 1854. Mais on a quelque lieu d'espérer que ce produit contribuera aussi à couvrir les frais de publication. Des mémoires importants, recommandables à la fois par leur caractère original, à la fois national et scientifique, ont été en- voyés ou annoncés par des correspondants. C'est ainsi qu'outre les mémoires de MM. les professeurs Hisely et de Gingins, dont il a déjà été fait mention dans le précédent Bulletin, M. Félix Bovet, bibliothécaire à Neuchâtel, a annoncé l'envoi d'un mé- moire sur les nombreux manuscrits inédits de Jean-Jacques Rousseau qui sont dans la bibliothèque de Neuchâtel. C'est un sujet qui occupe en ce moment toute la république des lettres. C'est par des travaux de ce genre que l'Institut continuera à bien mériter de la patrie et de la science. Le Comité de gestion de l'Institut a eu sa dernière séance le H août. Il a ajourné à une prochaine séance l'examen du projet de diplôme pour les membres de l'Institut, et le choix du mode d'exécution par la gravure ou la lithographie. — L'impression de ce Bulletin, commencée an mois de juillet, a été achevée le 15 août 1854. Errata de l' avant-dernier Bulletin. Page 109, ligne i"^, au lieu du présent lisez précédent. Page ISd, ligne fi, au lieu de 2S0 vaches, lisez S90. N« 5. — 1854. JANVIER. BULLETIN DE L'INSTITUT NATIONAL GENEVOIS. Beaxième séance générale annuelle , da vendredi 22 décembre 1854. Présidence de M. le prof. Chenevière, président de i Institut Genevois. Cette séance, qui a été publique comme les précédentes, et à laquelle de nombreux auditeurs ont assisté, a été ouverte par le discours suivant, prononcé par M. le Président de l'Institut : Messieurs, Depuis notre dernière séance générale, l'Institut a continué de marcher avec ensemble, conformément à nos règlements et au but que nous nous sommes proposé. De nouveaux corres- pondants ont été nommés: un second volume de mémoires et deux bulletins trimestriels ont été publiés, grâce à notre Secré- taire-général, dont le zèle éclairé ne se ralentit jamais. Les sections se sont réunies à des époques déterminées. Celle des Beaux-Arts a organisé avec le Conseil Administratif de Ge- nève une exposition publique d'oeuvres de peinture et de sculp- ture, dont tous nous avons pu constater le succès ; et il s'offre 23 312 ici une occasion bien naturelle de remercier M. Diday, prési- dent de cette Section, et ceux qui l'ont si bien secondé. La Section d'Agriculture a régularisé et complété l'institution des marchés mensuels ; elle a tout préparé pour l'établissement d'une ferme-école, qui rendra, nous l'espérons, de bons ser- vices à l'agriculture de notre canton. La Section de Littérature a décerné un prix de poésie, par- tagé entre deux auteurs suisses, MM. J. Mulhauser et Ch.-L. de Bons. Elle a ouvert de nouveaux concours. La Section des Sciences morales et politiques a ouvert un concours, dont l'heureux résultat sera proclamé tout à l'heure. Messieurs, les événements qui pèsent sur l'Europe ne sont pas favorables aux sciences , aux lettres et aux arts ; les Muses aiment la paix. Quand des temps plus heureux auront succédé aux préoccupations actuelles , notre Institut pourra songer à étendre plus encore ses relations. Ce n'est pas le moment de s'adresser à des hommes absorbés par des intérêts d'une toute autre nature. Tout aurait été bien pour nous pendant les six derniers mois, si nous n'avions eu à déplorer la pei'te de l'un des membres les plus éminents de notre Institut, M. le docteur Mayor père, pré- sident de la Section des Sciences naturelles et mathématiques, qu'une mort soudaine a enlevé à la science, à ses concitoyens et à sa famille. L'un de nos honorables collègues vous parlera. Messieurs, des travaux et des titres du savant; je dirai quelques mots de l'homme que vous avez connu, apprécié, aimé : Vous savez quels services il a rendus à ceux qui l'appelaient à leur aide dans leurs maladies, pleins de confiance dans son talent. 11 avait un coup d'œil juste et rapide ; quand il avait re- connu et constaté le mal , il travaillait à l'extirper ; il l'a fait souvent, et dans des cas remarquablement difficiles, avec une dextérité et un succès qui, plus d'une fois, ont retenti au delà 313 des limites élroites de notre pays, et ont été consignés dans les bulletins des corps savants des plus grandes capitales. Ah ! si tous ceux qu'il a soutenus, secourus et guéris, pouvaient se réu- nir et prendre la parole , combien de témoignages de gratitude parviendraient à nos oreilles et à nos cœurs! Combien de gens et de malheureux ont répété avec émotion ces mots significatifs qui jettent un trait de lumière sur la bonté qui le caractérisait : « Il ne sait pas se faire payer cet excellent homme! » Comme citoyen, il a dévoué bien des heures d'un temps pré- cieux à la nouvelle patrie qu'il avait adoptée, sans cesser de s'intéresser vivement à celle où il avait reçu le jour. Dans le Grand Conseil , auquel il a été appelé à plusieurs reprises avec une unanimité qui prouvait la confiance qu'inspirait son patrio- tisme, il prenait souvent la parole, non pour étaler un langage disert, mais pour faire ou pour appuyer des propositions appli- cables et utiles. Lorsqu'encore dans la plénitude de ses facultés, il se décida à la retraite dans le Conseil , pour qu'on y appelât de plus jeunes membres, et dans l'art dans lequel il excellait, « ce fut, me dit-il, parce que dans une ou deux occasions déli- cates, où il importait de se déterminer et d'agir avec prompti- tude, il n'avait pas retrouvé sa prestesse accoutumée ; et parce qu'il laissait pour lui succéder un fils capable d'occuper la place qu'il avait remplie. » Bel exemple donné à ceux qui ne savent pas se retirer à temps, et qui croiraient renoncera l'existence parce qu'ils mettraient un intervalle, et prendraient du repos entre la vie active et la mort. Mais quel repos que celui de M. Mayor! Pour bien d'autres, c'eût été la plénitude de l'activité. Il n'était pas un instant sans agir, et sans songer à quelque amélioration utile. Dans sa jolie campagne, sur le bord de notre beau lac, il se voua à l'agriculture; il mit à faire prospérer sa propriété l'in- telligence et le savoir-faire qu'il avait déployés dans la carrière de son choix. 11 continua, comme Vice-Président du Conseil de Santé, à rendre des services, et à se charger de ce qu'il y avait 3U à faire, comme un jeune homme, qui de plus serait riche d'ex- périence. Il essayait de doter notre lac de plusieurs espèces de poissons, qu'il allait chercher au loin , malgré la rigueur des hivers, afln d'augmenter cette nourriture précieuse, dont le prix est exagéré chez nous, vu l'abondance et la variété des eaux qui nous entou- rent. Il faisait venir de contrées lointaines des animaux domes- tiques à quelques égards supérieurs aux nôtres, et il en distri- buait libéralement à ses alentours et à ses amis. Quels services n'a-t-il pas rendus à Hermance, comme homme bienveillant et comme conseiller municipal, pendant les trop courtes années qu'il a fait sentir son influence , et qu'il y a dé- ployé son amour du bien ! Les finances, la laiterie, la propreté des rues, tout s'est ressenti de son activité bienfaisante. Il aimait ses voisins, il conciliait leurs différends, il leur donnait des dir reclions avec gaieté et sans pédanterie; il était bon et généreux toujours. Aussi, lorsqu'une mort imprévue le frappa, quand il se disposait à monter sur le bateau à vapeur, pour venir à la ville, y remplir quelque devoir, ou y rendre quelque service, les habitants d'Hermance, surpris et affligés comme ceux de la ville, rendirent tous honneur à son convoi funèbre, en l'accom- pagnant à pied pendant les trois heures de roule qui les sépa- raient du champ du repos où l'on allait déposer les restes glacés de ce citoyen utile , de ce savant aimable , de cet homme pré- cieux. Et s'il a été regretté de la sorte par de nouveaux amis, on comprend de quel coup ont été Irappés ceux qui, comme quelques-uns de nous, l'avaient aimé pendant toute leur vie, el avaient enregistré dans leur cœur les preuves de son affection vive et désintéressée. Le seul vœu que j'aie à former dans un moment qui nous retrace avec vivacité la perte que nous avons faite, c'est qu'il y ait souvent des hommes qui lui ressemblent, et dont le passage sur cette terre soit aussi honorable et aussi utile à la société. 315 M. le professeur Gaullieur, secrétaire-général de l'Institut, appelé à faire son rapport sur la situation générale de l'Institut Genevois , l'a fait en ces termes : Messieurs et très-honorés collègues, Sept mois se sont écoulés depuis que nous avons eu , dans cette salle, notre première séance générale de cette année. Celle d'aujourd'hui est de même obligatoire aux termes de la loi qui nous a institués et du règlement qui nous régit. Mais elle l'est Lien plus encore par le sentiment de sollicitude qu'é- prouvent votre Bureau et votre Comité de gestion , sentiment qui les porte à rendre compte sans retard aux sections réunies de la situation générale de l'Institut et des actes de leur admi- nistration. Pour me conformer à l'ordre suivi dans un précédent rapport, je passerai successivement en revue, 1" le personnel de Vlnsti- tut Genevois; 2» ses publications; 3» ses relations avec le de- hors; 4» sa situation financière; 5" enfin, quelques objets divers et secondaires. 1" Personnel. Le personnel des membres effectifs ou titulaires est demeuré ce qu'il était au commencement de cette année, à l'exception de la perte douloureuse, difficile à réparer, qu'a faite la Sec- tion des Sciences naturelles et mathématiques dans la personne de son ancien président, M. le docteur Mayor père. Cet homrûe d'élite a été enlevé à l'humanité et à la science au moment où il achevait de corriger les épreuves d'un travail qui est inséré dans le second volume de nos mémoires '. Le traité de M. le docteur ' Mémoire sur la Nécrose des os, par le docteur Mayor père, prési- dent de la Section des Sciences naturelles et mathématiques de l'Ins- titut Genevois, i8b4, in-t», fig., dans le tome II des Mémoires de cet Institut. 316 Mayor père, sur la Nécrose des os, prouve qu'après avoir élé un chirurgien des plus distingués, il était aussi bien qualifié pour écrire sur cet art qu'il avait pratiqué si longtemps et avec tant de succès. De justes tributs d'éloges seront rendus à sa mé- moire dans celte séance même. Le chiffre des membres honoraires s'est surtout accru dans la Section d'Agriculture et d'Industrie, qui a fait preuve d'une remarquable activité dans le courant de l'élé dernier. Ce chiffre est resté stationnaire ou à peu près dans les autres sections, qui ont pris, comme il est d'usage, leurs vacances durant quel- ques mois de cette même saison. Conformément à notre règle, très-sagement établie, de viser à l'utilité immédiate et réelle, à l'accroissement des éléments scientifiques de l'Institut plutôt qu'au nombre et au brillant dans le choix des membres correspondants, nous avons élé, en général, sobres de ces sortes d'appels. La Section des Sciences naturelles et mathématiques s'est accrue de deux, celle des Sciences morales et politiques aussi de deux , et la Section de Littérature de trois correspondants. Les autres sections, à notre connaissance du moins, n'en ont point nommé encore. Peut- être serait-il convenable, ne fût-ce que pour établir la parité et de l'harmonie dans le personnel et dans le mode de vivre de toutes les sections , qu'elles voulussent en désigner incessam- ment. La Section des Beaux-Arts, qui a fait naguère un heu- reux appel aux artistes étrangers, lors de l'exposition de pein- ture, aurait, ce nous semble, une occasion toute naturelle d'in- téresser à son existence et à ses travaux quelques notabilités du dehors. 2» Publications. Le second volume des Mémoires de ïlnslitut Genevois a paru dans le mois d'octobre de celte année '. Tiré, comme le pre- * Le tome II des Mémoires de rinstitut Genevois, grand in-^", avec planches, contient : 1" un mémoire de M. Gabriel Mortillet, membr un mémoire de M. le docteur CL. Vogt, sur les Mé- duses et les Mollusques de la mer de Nice ; 2» un mémoire de M. Fréd. de Gingins-Lasarra, correspondant, sur quelques localités du Bas-Val- lais et des bords du Léman, aux premiers siècles de notre ère, et en particulier sur l'éboulement de Tauretunum en 363; 3» un mémoire de M. Félix Bovet, correspondant, sur les manuscrits inédits et les pa- piers de Jean-Jacques Rousseau, conservés dans la bibliotlièquc de Neuchâtel. sommes en négociation avec d'autres. Nous pouvons espérer d'obtenir bientôt tout ce que nous voudrons en pareille matière, parce qu'encore ici notre second volume, qui a suivi de près le premier, et l'annonce du troisième , qui est sous presse, ont donné confiance à ceux auxquels on avait insinué que l'Institut Genevois était une création peu sérieuse. « C'était, njoutait-on même, une plaisanterie qui ne pourrait se soutenir. » Ce lan- gage. Messieurs, a circulé à Genève et au dehors par une sorte de mot d'ordre très-bien donné. Il a fini par se résumer dans une espèce de statistique scientifique et intellectuelle de l'Eu- rope qui se publie annuellement à Paris-. Que faire. Messieurs et honorés collègues, en présence de cette hostilité systématique et dont les preuves surabondent? Laisses dire et redoubler d'el- forts. Ij'ïnslitut Genevois, Messieurs, ne pourrait-il donc vivre à côté de la Société des Arts, qui n'a avec lui qu'une analogie par- tielle? Les fondateurs de l'Institut, en créant deux sections de littérature et des sciences morales et politiques, ont rempli une lacune des plus regrettables, et fait droit aux justes exigences des amis des lettres et de la philosophie. L'essor qu'ont pris im- médiatement ces deux sections prouvent combien ceux qui or- ganisèrent précédemment des institutions scientifiques à Genève, avaient été préoccupés en ne leur assignant pas leur place. Ici ■ Voici ce qu'on lit dans V Annuaire des Deux-Mondes pour 1854 : d A Genève , et dans l'intentioif de porter préjudice à la Société des n Arts, qui lui déplaisait, M. James Fazy a créé un Institut national, 'i institution singulièrement prétentieuse pour un petit canton de 60,000 '• âmes, et dans lequel ne figurent précisément pas les notabilités scien- « tifîques du pays. Toutefois, de semblables expédients ne peuvent « prévaloir sur les habitudes et les traditions d'une antique liberté. f. Leur unique résultat est de ranimer le zèle des citoyens, en y ajou- i< tant l'appât de l'opposition. >> Le reste de l'article, dans lequel on prétend donner une statistique de la Suisse intellectuelle , est fort in- complet. Il est écrit, dit-on, par un Genevois. 320 donc, il n'a pu y avoir intention de porter préjudice à la Société des Arts, qui n'avait rien fait pour ces études importantes. Je n'examine pas si le pouvoir qui a senti et comblé ce vide était radical ou conservateur. Je dis qu'il a été intelligent. Pourquoi aussi cette Société des Arts nous rfe/^/ai^-ai^-elle? Nous applau- dissons à ses travaux loin de les dénigrer. Nous comptons dans l'Institut des collègues qui en sont membres et membres très- actifs. Quant au reproche de prétention, Messieurs et très- hono- rés collègues, c'est certainement le plus injuste qu'il soit pos- sible de nous adresser. L'Institut Genevois n'a d'autre préten- tion que celle de bien faire et de mériter les encouragements du pays. Ce n'est pas dans son sein que l'on trouvera la moin- dre trace de pédantisrae, ets'il existe quelque part une prétention au monopole de la science, ce n'est certes point ici qu'il faut venir la chercher. « Les notabilités scientifiques du pays ne figurent pas dans l'Institut Genevois, » nous dit-on! Mais à qui la faute? N'avons-nous pas commencé nos travaux d'installation en en- registrant les lettres de refus par lesquelles nous ont répondu celles de ces notabilités que le gouvernement et l'Institut avaient priées de bien vouloir siéger avec nous? Ces lettres, dont une ou deux n'ont été ni convenables ni polies, sont déposées dans nos archives, a U Institut , ajoute-t-on , serait un expédient , en op- position avec l'antique liberté du paiis.h) Cette liberté consis- tait-elle alors dans une sorte de monopole qu'on voudrait don- ner ou perpétuer à une société privée, et qu'elle serait certai- nement la première à repousser ? Mais c'est bien cela qu'on pourrait appeler une prétention, et une prétention inqualifiable dans notre patrie et dans notre temps. Pour nous, nous aimons mieux la liberté qui se manifeste par une large concurrence, par une noble émidation, celle qui veut la science pour tous et partout. Enfin, Messieurs, on nous annonce dans le petit manifeste dont je vous ai donné lecture, que « la création de l'Institut a 321 eu déjà pour résultat de ranimer le zèle des citoyens /)ar l'appàl de r opposition . » Certes, on ne pouvait choisir des termes plus maladroits. Celte opposition on nous la fera donc sans relâche et à outrance, pour le plaisir de la (aire C'est alors la guerre et une guerre implacable. Eh bien, nous l'acceptons. Va pour la guerre ! Aussi bien elle est partout maintenant dans le monde Pourquoi l'Institut Genevois en serait-il e.xempt? Oui, Messieurs, la guerre ou la lutte, voilà notre lot! Soule- nons-la vigoureusement , mais d'une manière intelligente et courtoise. Les temps sont bien loin où l'on disait : « un Dieu, une foi, une loi, un roi. » Genève a pris une large initiative dans la révolte qui a fait cesser ce concert des esprits , cette unité dans les croyances humaines , soit religieuses , soit politi- ques. Depuis longtemps l'ancienne Genève a déclaré cette guerre de la pensée qui règne encore aujourd'hui dans son enceinte rajeunie. Ce n'est plus maintenant la lutte du catholicisme et du protestantisme; c'est la lutte dans le protestantisme même» dans son enseignement théologique; en politique dan.': l'appli- cation des théories démocratiques; en pédagogie dans les études supérieures et secondaires, à peu près partout, enfin. — Mes- sieurs, il faut savoir profiler de ce qu'on ne peut empêcher, et prendre de préférence le bon côté des choses, être optimiste plu- tôt que pessimiste. Ah, sans doute , il serait plus édifiant, plus commode, moins irritant de n'avoir qu'une église, qu'une faculté de théologie, qu'une faculté des sciences et des lettres, qu'un gymnase, qu'un collège, qu'une institution pour l'encouragement des arts ! Mais puisqu'il ne peut en être ainsi, sachons faire tourner la guerre, c'est-à-dire ici la concurrence, au profit de la science, et au perfectionnement, à la réforme même, s'il le faut, de nos institutions scientifiques. Redoublons d'efforts, en ce qui nous concerne, pour ne pas être inférieurs à ces notabilités qui n'ont pas voulu marcher avec nous, et dont nous regrettons vivement l'absence. Si ceux qui parlent au nom de ces honorable.? .sa- 322 vaiils, et qui les compromettent en prétendant les exaller, avaient l'intelligence de la situation et le bien de leur pays en vue, loin de se lamenter d'une création qui dérange leurs habi- tudes, loin de crier à la prétention, ils reconnaîtraient haute- ment que c'est un honneur pour Genève d'avoir, en 1854, un nombre assez grand de citoyens qualifiés scientifiquement pour fournir le personnel de deux établissements consacrés à la pro- pagation des arts et des lettres, établissements parfaitement dis- tincts, rivaux d'émulation seulement , et qu'on voudrait rendre hostiles l'un envers l'autre. Quant à nous, Messieurs, si, comme il n'est que trop certain, on tente encore de nous desservir et de nous nuire, montrons-nous plus chrétiens et plus généreux. Disons-nous bien que la guerre qu'on nous fait nous impose de plus grands devoirs. Un empereur romain du commencement de la décadence, brave et courageux malgré la difficulté des temps , envoyé pour repousser une invasion des Barbares dans un moment où l'empire était déchiré par les factions intestines, écrivait au Sénat : « L'armée est plus affligée par les divisions, les défections, les trahisons, l'ambition et la rivalité des chefs que menacée par l'ennemi. Elle manque de tout. Aussi, quoi que nous fassions, si peu que nous agissions dans une situation aussi périlleuse, soyez persuadés, ô pères conscrits , que nous aurons toujours assez fait ! » Messieurs, l'Institut de Genève n'a certes aucun rapport avec un empereur romain, et ceux qui le combattent sont bien loin d'être des barbares. Convenez, cependant, que s'il n'a pas mieux fait jusqu'à présent, ce n'est pas entièrement sa faute, mais en grande partie celle des obstacles qu'il a eus à vaincre, et des élé- ments qui lui ont fait défaut à son grand regret. Au reste, ne nous faisons pas pauvres et humbles à plaisir. Récapitulons uu peu nos actes depuis une année et demie seulement que nous sommes constitués, et écoutons ensuite tranquillement non pas des imputations gauches et passionnées, mais le verdict du pays : 323 En dix-huit mois, nous avons publié deux volumes de mé- moires, qui ont déjà pris une place honorable à côté des recueils académiques du même genre, et qui, bon gré mal gré, feront honneur à Genève et à la science genevoise. Nous avons publié régulièrement un bulletin de nos travaux, qui s'est fait lire partout avec intérêt. L'Institut a ouvert cinq concours, qui ont eu déjà pour résul- tats de couronner deux morceaux de littérature nationale, et de faire décerner un prix à l'auteur d'un mémoire tout à fait re- marquable sur la question si difTicile, si actuelle, et d'un intérêt tout à fait capital de la comparaison des institutions fédérales qui régissent la Confédération Suisse depuis 1848, avec l'ancien pacte de 1815. L'Institut aura eu l'honneur de l'initiative sur ce sujet, qui sera de plus en plus à l'ordre du jour. La Section des Beaux-Arts a consacré ses allocations de deux années à organiser, conjointement avec l'autorité municipale de Genève, une exposition de peinture et de sculpture qui a parfai- tement réussi, qui s'est distinguée des précédentes en divers points importants, notamment en ce qu'elle a fait connaître à Genève les œuvres de divers artistes étrangers ou suisses établis à l'étranger, et en ce que les prix ont été décernés par un jury nommé par les artistes exposants eux-mêmes. La Section d'Agriculture et d'Industrie a doté Genève d'un marché mensuel, qui joue déjà un rôle important dans l'alimen- tation de cette grande ville. Elle a pris l'initiative de la création d'une ferme-école , initiative qui a eu pour résultat de contri- buer puissamment à la mise à exécution d'un semblable établis- sement, par manière d'essai, dans le canton de Vaud. Ces choses. Messieurs, et d'autres encore que j'omets, ne sont pas absolument rien. Ce ne sont pas des plaisanteries, et elles suffiraient pour justifier amplement la création de l'Institut et la dépense pour laquelle il figure au budget. On supprimerait demain l'Institut, qu'il laisserait des traces visibles et honora- 324 blés de son passage. Mais, heureusement, nous n'en sommes pas là. Déjà nous avons appris avec plaisir et reconnaissance, que le Conseil d'État proposait le maintien de notre allocation pour l'année prochaine , et nous espérons que le Grand Conseil n'y fera pas d'objection. 4° Situation financière. Le Comité de gestion de l'Institut a perçu dans le courant de celte année, en différents termes, la somme de 7,000 francs qui lui avait été allouée par le Grand Conseil. Vous vous rap- pellerez. Messieurs, qu'il avait à répartir sur cette somme, entre les sections, d'après votre décision du 19 mai passé, mille francs, comme complément de leur allocation de 600 francs à chacune d'elles pour 1853, qui n'avait pu être prise intégralement sur le premier budget d'installation ou de 1853, soit 1,000 francs. Restait donc une somme de 6,000 francs, dont moitié à répartir en 1854 entre les sections, et moitié à appliquer aux publica- tions et aux frais généraux. Cette somme a reçu son emploi de la manière suivante : Les Sections des Lettres, des Beaux-Arts et de l'Agriculture et de l'Industrie ont reçu la totalité de leur allocation , soit 600 francs chacune, et la Section des Sciences morales et poli- tiques a perçu 250 francs de la sienne. Elle a fait, comme cela avait été prévu, l'abandon du reste de son allocation, soit de 350 francs, pour les frais de publication. La Section des Sciences naturelles et mathématiques a fait encore une fois l'abandon de toute la sienne dans le même but Total Fr. 2,050 Le coût de l'impression du second volume des mé- moires, calculé dans notre budget' à 1,575 fr., s'est élevé à — 1 ,543 A reporter. . . Fr. 3,593 Voir le Bulletin de Vlnslilul Genevois, n" -i, juillet 1854, p. 508. 325 Report..^ Fr. 3,593 Le coût de l'impression du bulletin, calculé à 800 fr.. n'a été que de — 540 Les frais de couvertures, brochages, ployages, ex- péditions et autres, calculés à 200 fr.,nese sont éle- vés qu'à — m Le coût du dessin, de la gravure et de l'impression des planches, calculé à 900 fr., s'est élevé à — 975 L'indemnité allouée au Secrétaire-général a été de. . — 500 Les frais généraux de ports, affranchissages, auto- graphies, annonces de journaux, indemnités, fourni- tures diverses, étrennes, se montent à — 215 Total Fr. 6,000 Le détail de cette comptabilité, qui a été approuvé par votre Comité de gestion, dans sa séance du 45 décembre 1854, et dont les pièces sont déposées sur le bureau , a été envoyé au Département de l'Instruction publique, dans les attributions duquel a été placé ce qui concerne l'Institut. Nous avons ouvert un crédit particulier pour le produit de la vente du premier volume des Mémoires, soit parce que les comptes qui concernent cet objet, bien qu'arrêtés, n'ont pas en- core été soldés, soit afin que l'on puisse savoir annuellement ce qui rentre dans la caisse de l'Institut, des dépenses faites pour cet objet. Au 15 décembre 1854, il avait été vendu, d'après les comptes qui sont également déposés, des exemplaires de nos mémoires et du bulletin pour 561 fr. 60 c. , déduction faite de tous frais et de la 1res- forte remise allouée aux libraires. 5" Objets divers, diplômes, médailles. Voire Comité de gestion avait chargé M. Diday, président de la Section des Beaux-Arts, de bien vouloir faire dessiner et graver un modèle de diplôme pour les divers membres de Tins- 326 litut. M. Diday s'est acquitté de celle commission. Le coût du diplôme, dont la pierre «ravée nous reste, est de 440 fr. Vingl- cinq exemplaires, signés par le Président et le Secrétaire-géné- ral de rinslilul, sont dès ce moment mis à la disposition de MM. les Secrétaires des sections. Celles qui auront besoin d'un plus grand nombre d'exemplaires les obtiendront du Secrétaire- général. Resterait à voir si les sections veulent faire les frais de ce diplôme, sauf à rentrer dans leur avance au moyen d'un droit qu'elles percevraient sur chaque diplôme délivré, ou bien si cette dépense doit être mise à la charge des frais généraux. Celles des sections, qui ouvrent des concours et qui distri- buent des prix, avaient chargé votre Comité de gestion d'aviser aux moyens de faire graver et frapper des médailles appropriées à cette destination. Il résulte des informations que nous avons prises, que la gravure ad hoc de semblables médailles reviendrait fort cher. Mais l'État de Genève possède le coin d'une médaille aux armes et avec la légende du Canton, de la grosseur d'une pièce de cinq francs, qui pourrait être employée utilement pour le but que nous nous proposons. Elle l'a déjà été pour les prix décernés à la suite de la dernière exposition des beaux-arts. Il ne resterait aux frais de l'Institut que la gravure du revers, laquelle porterait l'inscription : Institut national Genevois, gravée en relief La désignation de la section et le nom de l'au- teur couronné seraient graves en creux pour chaque cas spé- cial. L'auteur aurait de plus le choix de recevoir une médaille d'or, absorbant le montant entier du prix décerné, ou une mé- daille d'argent, ou, enfin, une médaille de bronze, qui n'en absorberaient qu'une fraction, le reste étant délivré en espèces. C'est ainsi que les choses se passent à l'Institut de France, d'a- près les exemples que nous avons eus sous les yeux. Du reste, il a paru juste que les frais de gravure, évalués environ à 150 fr., fussent à la charge des sections seulement qui décernent des prix. Les frais de frappe sont d'habitude prélevés sur le montant du prix décerné. 3-27 Tels sont, Messieurs et très-honorés collègues, les divers ob- jets que nous avions à vous soumettre. Vous voudrez bien excu- ser la longueur de ce rapport, en considération du nombre et de la diversité des matières dont il avait à traiter. M. le Pré.sidenl métaux voix les différentes parties du rapport de M. le Secrétaire-général. Elles sont adoptées sans discussion et à l'unanimité. M. James Fazy, vice-président de la Section des Sciences mo- rales et politiques, est appelé par M. le Président de t'Institut à présenter le rapport dont il a été chargé sur le concours ouvert par cette Section. Ce concours avait pour objet un prix de 250 francs à décerner à l'auteur du meilleur mémoire sur la Comparaisot}. de la Constitution actuelle de la Suisse avec V ancien Pacte de 1815, (Le rapport de M. James Fazy paraîtra dans le prochain Bulletin de l'Institut Genevois.) Le mémoire couronné a pour auteur M. le colonel fédéral Rilliet de Constant. Il portait pour épigraphe : « La lettre tue et V esprit vivifie. » Aux termes d'une décision prise dans sa séance du 15 dé- cembre 1854, par la Section des Sciences morales et politi- ques, le Mémoire de M. le colonel fédéral Rilliet de Constant doit être inséré dans le Bulletin de Ylnslilul Genevois. Nous le donnons in extenso à la suite du compte rendu de la séance générale, dont nous rendons compte aujourd'hui. M. le Président donne la parole à M. Moulinié fils, secrétaire de la Section des Sciences naturelles et mathématiques, pour la lecture d'une notice nécrologique sur la vie et les travaux de M. le docteur Mayor père , ancien président de cette Section 24 328 décédé dans l'intervalle qui s'est écoulé entre les deux séances générales de 1854. Notice nécrologique sur feu le docteur Maijor père, ancien président de la Section des Sciences naturelles et mathématiques. François-Isaac Mayor, naquit en 1779 au château de Bières, une des propriétés de M. Necker, et dont son père, Georges Mayor, était commissaire à terrier. Son éducation première se fit à la maison paternelle , et fut continuée ensuite dans un pensionnat à Morges. Très-incomplète, elle laissa des lacunes que plus tard il fut obligé de combler pendant le cours de ses études médica- les. C'est ainsi qu'il dut apprendre le latin à l'âge de 28 ans, alors que désirant s'établir à Genève, il fut obligé de prendre son grade de docteur pour pouvoir y pratiquer. Eu 1793, son père le plaça comme apprenti auprès du chirurgien en chef de l'hôpital de l'Ile à Berne, nommé Brunner, lequel devait, dans l'espace de trois ans, lui apprendre la pratique de son métier. Voici en quels termes était conçu l'acte d'apprentissage : A sçavoir est, qu'il a été contracté l'acte d'apprentissage sui- vant entre M. George Mayor, Lieutenant de Bière, baliage de Morges, et M. Brunner, Chirurgien de l'Isle, et Bourgeois de Berne : 1» M. George Mayor donnera son fils François Mayor à Mou- sieur Brunner, comme apprentis, pour aprendre la profession de chirurgie, pour trois ans, depuis le 1^'' juin 1793, que l'ap- prentissage commencera, jusques à même date 1796; â» M. Brunner aura soin que le garçon soit bien ïiourri de sa table aux deux repas ordinaires, et pour son déjeûné il aura la soupe ; son linge lui sera lavé deux fois par an , aux deux les- sives ordinaires de sa maison; B° M. Brunner promet de procurer au garçon tous les se- cours pour bien apprendre la profession de chirurgie, et de J 329 l'employer auprès des malades et pansements ordinaires de risle, et lui donnera tous les indices nécessaires ; il veillera sur sa conduite et ses mœurs ; 4» M. G. Major, le père, payera à M. Brunner. pour toutes les trois années d'apprentissage, deux cents écus blancs et deux louis neufs, dans les termes suivants : La moitié sera payée en commençant l'apprentissage, et l'autre moitié après un an et demi. Ou en entrant, deux cents francs et un louis neuf; en commençant la seconde année deux cents francs, — de même au commencement de la troisième année, deux cents francs et un louis neuf; 5° Le garçon sera fourni par son père pendant l'apprentis* sage avec des habillements propres, livres et instruments néces- saires ; 6» Si en cas que le garçon sortira de l'apprentissage sans raison essentielle, ou mourra avant d'avoir fini son apprentis- sage, ce que Dieu préserve, ce qui est payé ne doit pas être res- titué; il sera tenu de même avec l'autre moitié; 1" Au contraire, si M. Brunner vient à mourir avant la fin de l'apprentissage, ses héritiers seront obligés de placer le gar- çon auprès d'un autre habile chirurgien de la ville, sans autres frais du père, où il puisse finir son apprentissage. En foi de cet accord, les deux parties contractantes se sont signées et mis leurs cachets à côté. Ce 4 juin 1793. Chaque partie aura un double signé de même. L. Brunner, chirurgien de l'Ile. G. Mayor. Ses premières études faites à Berne furent, comme on le voit, toutes pratiques, et servirent, ainsi qu'il le dit lui-même dans une lettre à M. Coindet, surtout à lui former la main. En quittant Berne, il .se rendit à Zurich en 1796, y suivit 330 comme élève de l'Institut, les cours, l'hôpital , et y fit ses pre- mières dissections. L'année suivante, après avoir ainsi com- mencé et poussé assez avant ses premières études théoriques à Zurich, il vint séjourner quelques mois à Vevey. Pendant ce temps, il fut appelé par le gouvernement vaudois.à diriger la partie chirurgicale d'un hôpital militaire , et assista , à l'âge de 48 ans comme Chirurgien, à la bataille de Sion, qui lui fournit une excellente occasion d'études chirurgicales, et lui apprit à opérer avec hardiesse et promptitude. En 1798, il partit pour Paris, où il resta presque deux ans, pendant lesquels il contracta des relations avec Bichat, Roux, Marjolin et quelques autres, qui, comme lui, se sont fait depuis un beau nom dans la science. C'est aussi à Paris qu'il fit la connaissance de Coindet, méde- cin genevois; celte liaison, devenue bientôt très-intime, nous intéresse tout particulièrement, car c'est en grande partie à elle que Genève a dû de compter M. Mayor parmi ses illustrations médicales. Au bout de dix-huit mois d'études, il quitta Paris san.s aucun titre officiel, mais emportant des témoignages flatteurs de Boyer, Dubois et Jadelot, ses maîtres. Après avoir subi, en 1801 , des examens de docteur devant le Collège de Médecine de Lausanne , il vint pratiquer quelque temps à Bières , puis s'établit définiti- vement à Vevey, où il fut nommé médecin des pauvres, et ne tarda pas à se faire une clientèle satisfaisante. Pendant son sé- jour à Vevey, à l'âge de 24 ans, il entra en relations avec M. Maunoir, de Genève, à l'occasion d'une opération de taille qui n'avait pu réussir, et pour laquelle il réclama le concours de ce praticien distingué. Quelques années après, désireux de pra- tiquer sur une scène plus vaste, et cédant aux sollicitations de son ami Coindet , qui ne cessait de l'engager à venir auprès de lui, il se décida et résolut de se fixer à Genève. Mais aupara- vant il se rendit à Montpellier pour y prendre le grade de doc- 331 leur; y fit ses examens en 1808, en revint aussitôt avec le litre de'dorteur, sans lequel il ne pouvait pratiquera Genève, et s'y établit. Les premières années de sa pratique dans notre ville n'offrent rien de marquant. Mais, en 1814, à l'époque de notre restaul-alion, il fut appelé par la Société de bienfaisance à remplacer, à l'iiôpital de Genève, les deu.\ médecins de cet établissement, auxquels l'état présent de leur santé ne leur per- mettait pas de continuer leur service. Il fut donc seul chargé de soigner les militaires autrichiens blessés à Archamp et à Saint- Julien, tâche pénible el dangereuse à la fois par suite de la pré- sence du typhus qui sévissait alors avec violence parmi les bles- sés. Le dévouement dont il fit preuve dans cette circonstance, lui valut de la part du Conseil d'État l'octroi gratuit du droit de cité, sans lequel il n'eût pu continuer à pratiquer depuis la re- mise en vigueur des anciennes lois sur la médecine. Il reçut sa lettre de bourgeoisie le 5 janvier 1815; elle se termine ainsi : « En conséquence de bons et loyaux services rendus A la Répu- blique par le dit François-Isaac Mayor, nous lui accordons le droit de cité el cela sans finance. » Depuis celle époque, sa clientèle alla toujours croissant, et ne tarda pas à devenir une des plus belles de la ville. Les exi- gences de sa pratique ne l'empêchèrent pas de consacrer ses loisirs aux sciences naturelles qu'il cultiva toujours avec ardeur, el à la politique à laquelle il prit plus lard surtout, une part assez active. Lorsqu'on 1817, quelques savants genevois , MM. Boissier, de Luc, Necker, Soret et Moricand, eurent l'idée de réunir leurs collections particulières, pour commencer la fondation d'un Musée d'hisloire naturelle, devenu nécessaire à l'enseigne- ment scientifique , ils trouvèrent en M. Mayor un précieux col- laborateur. Il se chargea de la collection anatomique qu'il fonda par l'abandon de la sienne, et qu'il enrichit successivement d'un grand nombre de pièces intéressantes. Nommé adjoint à la 332 Direction du Musée en 1818 , il porla surtout son attention suf les animaux inférieurs, malgré la difficulté que présentait alore leur étude presque entièrement négligée par les naturalistes, encore tous attirés vers les parties plus brillantes de l'histoire naturelle. En 1822, il fit au Musée un cours sur l'histoire naturelle des reptiles et des poissons, concurremment avec un cours de bota- nique, fait par De Candolle. Ces deux cours marquent, si je ne me trompe, l'iiîtroduction de l'histoire naturelle dans l'ensei- gnement académique. Quelques années plus tard, en 1835, il donna à l'Académie de Genève le premier cours de médecine légale qui ait été professé dans cet établissement. En 1824, il entra au Conseil Représentatif, et prit part aux délibérations de ce corps par plusieurs propositions d'utilité pu- blique. En 1825, il proposa au noble Conseil d'État la création d'un Conseil de Santé, en vue de remédier à l'état de désordre où se trouvait alors la police médicale de la ville de Genève. Une com- mission, nommée au sein du Conseil d'Étal, fut chargée d'exa- miner la question , et , peu de temps après , le Conseil d'Étal prit un arrêté portant la création d'un Conseil de Santé, consti- tué à peu de chose près d'après le plan Iracé par l'auteur de la proposition. Plus tard , il s'occupa activement de l'établissement d'une caisse de secours pour les noyés, création qui avait été provoquée par les dons d'un honorable citoyen, dont nous voudrions pou- voir faire figurer le nom resté inconnu à côté de celui de l'homme qui a le plus contribué à utiliser sa généreuse idée. Depuis 1824, époque à laquelle il entra au Conseil Représen- tatif, jusqu'en 1848, M. Mayor ne cessa pas de faire partie des Conseils de la République, et s'y montra toujours partisan des idées libérales, auxquelles il demeura fidèle jusqu'à son der- nier jour, même lors de leur triomphe. 333 Un des fondateurs du premier Journal de Genève, il fit partie du comité de rédaclion de cette feuille pendant les sept pre- mières années de son existence, et commença déjà à y attirer l'attention publique sur les défauts de l'hôpital actuel de Genève, ce qui le conduisit à concevoir le plan d'un hôpital cantonal, à peu près tel qu'il a été réalisé dans ces dernières années. Il fut membre de l'association du 3 Mars, qui amena la révo- lution du a novembre, et la formation d'une constituante dont il fut un des premiers élus. Il futéijalement membre du Conseil Municipal , et y appuya toutes les améliorations qui y furent successivement débattues. C'est dans le sein de ce Conseil qu'il proposa h vente dissé- minée de la viande et la construction d'un nouvel abattoir, en insistant sur la nécessité d'en choisir l'emplacement de façon à ce que la machine hydraulique ne se trouvât pas sur le trajet des débris animaux qu'un pareil établissement rejette sans cesse. En 1846, il assista comme membre du Conseil Administratif aux événements qui aboutirent aux journées d'octobre. Chacun a encore présents à la mémoire les efforts que fil, mais inutile- ment, ce vénérable vieillard pour empêcher un conflit, que l'ir- ritation des partis en présence, lendait à peu près inévitable. M. Mayor fut encore membre du Grand Conseil qui succéda à la révolution de 1846, mais l'année suivante il se retira complè- tement des affaires puliliques. — Arrivé à un âge déjà avancé, il éprouvait le besoin de prendre du repos et de rétablir sa santé un peu altérée par les fatigues de la vie politique, et les ennuis qu'elle lui avait attirés, tant sur le terrain de sa pratique, que sur celui des relations sociales. Il se relira alors dans sa propriété d'Her- mance, où il s'adonna à l'agriculture avec celte ardeur qu'il apportait à tousses travaux. Sa santé entièrement rétablie, grâce à l'exercice, au calme de l'esprit que lui procuraient son nou- veau genre de vie, fut de nouveau compromise par la douleur que 334 lui causa la mort de sa femme, qu'il perdit au printemps de 1851. Celle perle l'affecta beaucoup el le plongea dans un élat d'abattement moral, dont il eut peine à se relever. Quoique retiré des affaires publiques, il suivit avec intérêt les développements de la nouvelle révolution, et prit entre au- tres un part active à l'organisation des plans du nouvel hôpital cantonal. Appelé, après 1846, à la vice-présidence du Conseil de Sanlé, il continua à diriger celle institulion, pour laquelle il fit, ainsi que pour la suivante, exception à sa retraite complète des affai- res publiques. Lors de la création de l'Institut Genevois, il fut nommé par le Conseil d'État un des cinq membres fondateurs de la Section des Sciences naturelles et malhémaliques. Ici encore il chercha à rallier sur le terrain neutre de la science quelques-uns de ses savants concitoyens , mais adversaires politiques. Cet appel, au nom de la science , fait à des hommes dont les noms et les ré- putations scientifiques eussent dû assurer le concours loyal à une inslilulion purement scientifique, demeura sans résultat. La section une fois constituée, M. Mayor en lut nommé le pré- sident, le 40 mars 1853. Enfin, Messieurs, le 4 octobre de cette année nous eûmes la douleur d'apprendre que M. Mayor venait de nous être subite- ment enlevé par une attaque d'apoplexie foudroyante, au mo- ment où il se disposait à venir en ville pour présider une séance du Conseil de Santé. Belle mort pour un homme qui, malgré une carrière bien remplie el bien fatigante, était arrivé à l'âge avancé de 75 ans, en conservant jusqu'au dernier moment la plénitude de ses facultés et une vigueur d'espril et de corps qui attestaient un caractère demeuré jeune sous une lêle blan- chie par les années, au service de son pays et de l'huma- nité. L'homme éminenl dont je viens de retracer rapidement la 335 vie, que quarante ans d'une pratique brillante, ont placé à un rang élevé parmi les célébrités médicales de notre pays, et ont mis en relation avec des noms devenus Européens, comme Aslley, Cooper, Dupijytren,Lallemand, et la plupart des mé- decins ou chirurgiens illustres de l'époque ; méritait sa réputa- tion autant par son habilité et le succès avec lequel il triom- phait presque toujours des plus grandes difficultés de son art, que par le dévouement et le désintéressement avec lesquels il se consacrait au soulagement de l'humanité souffrante, sou- vent au péril de sa vie. C'est ainsi qu'en 1835 alors que le choléra après avoir pen- dant trois ans ravagé tour à tour différents points de l'Europe occidentale, parut se rapprocher de nous et commença à inspi- rer de sérieuses inquiétudes, M. Mayor quitta sa clientèle et partit volontairement pour Marseille, où l'épidémie sévissait avec une rare intensité, pour en étudier les symptômes, les phases et les traitements en usage, et en même temps pour prendre con- naissance des mesures sanitaires adoptées par le gouvernement français et que l'expérience pouvait faire regarder comme les meilleures. Cette dangereuse étude qu'il alla faire au foyer même de l'épidémie pour être prêt à l'affronter et à la combattre si elle se fut présentée à Genève, resta fort heureusement sans application chez nous, le choléra ne vint pas. Voici un autre trait qui fait encore le plus grand honneur aux sentiments d'hncnanité et de philanthropie que M. Mayor ap- portait dans l'exercice de sa profession. En 1840 la ville de Sallanches fut détruite de fond en comble par un terrible incen- die. Dès que la nouvelle du sinistre fut arrivée à Genève , M. Mayor sevendit aussitôt à Sallanches pour porter les secours de son art aux victimes de cette catastrophe qui le reçurent avec reconnaissance, et trouvèrent encore auprès de lui de pré- cieuses directions sanitaires pour la reconstruction de leur nou- velle ville. 336 Au commencement du siècle, les sciences naturelles encore dans l'enfance, n'entraient point dans le champ des études mé- dicales, dont elles sont devenues depuis une base essentielle. M. Mayor ne tarda pas à en reconnaître l'importance et à voir que la connaissance de l'homme seul, si parfaite soit-elle d ail- leurs, ne suffit point pour constituer le bon médecin, et qu'il peut puiser d'utiles enseignements dans l'étude du règne animal dans son entier. Ces motifs, joints à l'attrait qui s'attache natu- rellement à ce genre d'investigation, le poussèrent à l'étude de l'anatomie comparée, de la physiologie et de la zoologie, aux- quelles il consacrait le peu de loisirs que lui laissaient les de- voirs de sa profession. Il ne négligeait aucune occasion d'étendre ses connaissances sur ces différentes branches, comme l'attestent les carions pleins d'observations, de notes et de travaux auxquels malheureusement les incessantes interrup- tions occasionnées par la pratlcjuc ne lui ont pas toujours per- mis de travailler avec la suite et la rapidité nécessaires pour les livrer à temps à la publicité. Ceci fut surtout regrettable pour un mémoire assez considérable sur les Ammonites, auquel il travailla longtemps, et dans lequel il exposa le premier des idées nouvelles alors, sur les formes et les rapports des ani- maux qui avaient dû habiter ces coquilles maintenant toutes enfouies au sein de la terre. — Ce travail fort intéressant et dont quelques fragments ont été lus à la Société de Physique et d'Histoire Naturelle, n'a jamais été publié, car l'apparition suc- cessive de plusieurs autres travaux sur le même sujet et arri- vant à des résultats semblables, en rendit la publication su- perflue. Plus tard, il étudia beaucoup les Eponges, suj^ difficile sur lequel il travaillait encore dans ces derniers temps et préparait un travail étendu que la mort ne lui a pas laissé achever. Il a con- signé quelques-uns des résultats de ses recherches sur ce sujet dans une note insérée dans les Mémoires de la Société deBio- 337 . logie de Paris. 11 travailla avec Jurine à l'Histoire Naturelle des Poissons du Lac Léman. Dans ces derniers temps, il porta sou at- tention sur une question pratique d'un haut intérêt qui commen- çait à préoccuper vivement les esprits, et était dans plusieurs points de l'Europe l'objet de sérieuses recherches-, nous voulons par- ler de la pisciculture. Il commença sur ce sujet une série d'ex- périences, en vue surtout d'arriver à la naturalisation du sau- mon dans le lac Léman. — Ces expériences continuées mainte- nant par son fils et le docteur Duchosal, ont donné des résultats sur lesquels je n'ai pas à m'élendre ici, mais qui permettent de croire que bientôt la pisciculture pourra devenir une des plus heureuses applications industrielles de la zoologie. Nous connaissons encore de lui une courte notice sur les Tae- nias, publiée dans le Journal de Pharmacie de ISSi. Quoique ayant peu publié, M. Mayor était fort connu comme naturaliste, et fut en relations scientifiques avec Cuvier, Blainville, Dumas , Duvernoy et beaucoup d'autres savants étrangers. Comme praticien, l'art médical lui doit une découverte assez importante : Celle des bruits du cœur du foetus, qu'il fit en 1818 et qui prit date par une petite note insérée par M. Piclet dans la Bibliothèque universelle de la même année. Il avait commu- niqué sa découverte à plusieurs médecins étrangers qui avaient visité Genève, et l'un d'entre eux, M. Lejumeau de Kerkaradec, publia peu après une brochure sur ce sujet, dans laquelle il paraissait s'attribuer la découverte. Quoique cette prétention n'ait été l'objet d'aucune réclamation de la part de M. Mayor, trop modeste poui' engager une polémique au sujet d'une question de priorité, justice lui fut rendue, et sa découverte se trouve bien maintenant rapportée à son véritable auteur dans les ou- vrages modernes sur l'Auscultation. Le travail le plus important et auquel M. Mayor attachait le plus de prix, est son Mémoire sur la Nécrose qui a été publié 338 dans le Tome II des Mémoires de notre Institut. Fruit de sa lon- gue pratique, ce n'est que vers ces dernières années qu'il crut avoir recueilli assez de matériaux pour établir solidement le mode de traitement que depuis longtemps déjà il avait adopté pour cette maladie. Dans ce mémoire, il consacre quelques pré- ceptes nouveaux sur le mode à suivre dans l'extraction des fragments d'os morts ou séquestres, qui résultent des fractures. Il démontre que cette extraction peut et doit se faire beau- coup plus tôt qu'on ne la fait ordinairement, et pendant que le nouvel os est encore mou, ce qui rend l'opération moins dou- loureuse et plus facile, et évite surtout les dangers des suites auxquelles l'extraction, telle qu'on la pratiquait avant lui peut donner lieu, suites qui vont souvent jusqu'à entraîner l'obli- gation d'amputer le membre malade. Membre de plusieurs sociétés savantes de France et d'Al- lemagne, sa réputation comme chirurgien lui valut en 4850 le titre d'associé étranger de la Société de Chirurgie de Paris ; titre que cette Société venait de créer pour les douze prati- ciens européens étrangers à la France et les plus en renom , et parmi lesquels M. Mayor fut choisi pour représenter la Suisse. Distinction honorable, et qui jamais ne fut mieux méritée. M. Mayor fut en outre : Membre de la Société de physique de Genève, depuis 1817 ; » Helvétique des sciences naturelles, dep. 1815; » de Médecine et de Chirurgie de Berne ; ^ » Wetteravienned'Hanau, depuis 1834; Membre correspondant de la Société Philomalique de Paris, depuis 1824; Membre associé de la Société de Biologie, depuis 1850; Membre de la Société Suisse d'utilité publique, depuis 1837; » des classes d'Agriculture et des Beaux Arts, de la Société des Arts, en 1 822 ; » de la Société d'Histoire naturelle de Dresde ; 339 Membre de la Faculté de Médecine de Genève, et générale- menl de toutes les sociétés scieniifiques ou autres qui ont existé à Genève ; enfin : Président de la Section des Sciences Naturelles de l'Institut Genevois, qui perd en lui un membre aussi dévoué que distin- gué, aussi modeste que savant, que ces nobles et aimables qua- lités personnelles rendaient cher à ses collègues, et dont le nom vivra longtemps encore dans le souvenir de tous ceux qui ont eu le bonheur de le connaître. M. le Président prie MM. les membres de la Section de Lit- térature , qui ont bien voulu annoncer la lecture de quelques pièces de poésie, de bien vouloir les communiquer. M, Jules Vuy lit quatre pièces dont nous reproduisons la sui- vante : Le dernier adieu '. Dors en paix dans la tombe, ô vieillard des meilleurs ! — Elle a sonné, là-haut, l'heure de délivrance, Dieu te décharge enfin du poids de la souffiance, Le céleste repos il te l'accorde ailleurs ! Oh! qu'ici-bas pour toi de jours sombres, arides ! Tu connus de la vie et la peine et l'affront; Que de pleurs étouffés dans tes yeux ! sur ton front, Combien l'àpre infortune avait creusé de rides! ' Les Echos des bords de l'Arve renferment , sous le même litre, une pièce qui fut composée à propos de la mort douloureuse d'un de nos concitoyens dans la grande gorge du Salève. Les quelques stro- phes que je publie aujourd'hui s'adressent au père de ce malheureux jeune homme, au vieillard éprouvé par une perte cruelle ; c'est aussi un dernier adieu. i. V. 340 Un souvenir rongeur, le long de ton chemin, Te poursuivait toujours, 6 vieillard solitaire ; Toujours comme un exil te pesait celte terre, Loin d'un fds bien-aimé qui t'eût donné la main. — Qu'amers au naufragé sont les flots et les ondes! — Mais caliile, patient, tu dévorais tes pleurs, Tu remerciais Dieu, du sein de tes douleurs. D'un cœur humble acceptant tes épreuves profondes. Privé de tous les tiens, tu marchais à pas lents, Tu portais sans faiblir une existence éteinte, De ta bouche jamais ne jaillissait la plainte. Tu restais digne et fort avec tes cheveux blancs. Ton amitié loyale était fidèle et sûre ; Homme droit, lu croyais au bien, à la vertu, Et, tout meurtri, navré, déchiré, combattu. Oui, tu cachais encor ta sanglante blessure. Enfin, la coupe est vide, et tu l'as bu le fiel ; Dieu juste et bon te tend une main secourable ; Dors en paix dans la tombe, ô vieillard vénérable, 0 vieillard des meilleurs, dors en paij dans le ciel! Jules ViiY. Bords de l'Arve. M. le professeur Amiel, secrétaire de la Section de Littéra- ture, lit une pièce sous forme d'anecdote , dont le père est M. John Petit-Senn, membre effectif de cette Section de l'Ins- titut de Genève. Cette pièce est intitulée : 341 J'ai retrouvé ma craie ! Je suis né dans la maison de campagne de mon excellent grand-père, il en orcupail le rez-de-chaussée et ma famille le premier étage. Là s'écoula mon enfance, entourée de cette au- réole de soins providentiels dont nos meilleurs amis , c'est-à- dire nos parents, sont seuls capables. C'est dans celle sereine atmosphère, dans ce milieu de tendresse et de bonté que s'en- vola mon âge d'or. Mais si ce bonheur, auquel chaque habitant de la maison pa- ternelle prenait plaisir à contribuer, fut grand pour moi, je ne saurais affirmer qu'il fut toujours aussi réel pour ceux à qui j'en étais redevable : mon enfance fut turbulente, étourdie, et je mis aussi souvent à l'épreuve la patience de mes parents que leur afifection; mille petits méfaits de ma pari durent être sup- portés par eux , je me trouvais sans cesseplacé entre une faute et un pardon; trop certain de leur indulgence, il n'était pas de journée à laquelle je ne fusse obligé d'y avoir recours, et je me souviens en ce moment d'une espièglerie assez marquée qui m'a valu, il y a une année, l'émouvante surprise d'en retrouver encore les traces aux lieux chéris qui furent mon berceau et le théâtre de mes plus innocents plaisirs. Je ne sais trop où ni comment je me trouvai un jour le possesseur d'un gros mor- ceau de craie rouge; mais si j'ai oublié la manière dont il tomba enlre mes mains, je me souviens admirablement de l'usage que j'en fis aussitôt. Il m'inspira le goût le plus vif pour le dessin, tout en me donnant le moyen de m'y livrer, et me voilà barbouillant les portes, les murs, les contrevents, toute surface unie qui favo- risait l'essor de mon nouveau penchant. Là je plaçais en senti- nelle un guerrier de la tenue la plus martiale; ici, revenu à des idées moins belliqueuses, je me livrais aux charmes d'esquisser un paysage peu compliqué, et qui ne se composait guère que 342 d'une maison et d'un arbre; ailleurs je faisais glisser "sur la mer rouge, à coup sûr, un bateau à voiles ; j'allais manquer d'espaces favorables pour y tracer mes essais en tout genre , lorsque l'un de mes oncles, n'appréciant que fort peu leur mérite, me tança vertement sur celte manie de peinture murale qui s'était em- parée de moi, et s'empara lui-même pour m'en guérir du mor- ceau de craie rouge, instrument de mes délits, puis il le jeta dans son indignation au sein d'un carreau de cardons armés de piquants acérés et nombreux, espérant sans doute que je n'irais pas l'y chercher ou que je ne pourrais point le trouver. On conçoit mon désappointement, ma douleur, en me voyant privé de l'instrument de me> joies enfantines; aussi, plus cour- roucé contre mon oncle que honteux de mon méfait, j'attendis le moment où je fus seul dans le jardin pour me précipiter au milieu des cardons, braver leurs piqûres, et chercher ma craie à l'endroit où la barbarie d'un parent l'avait lancée. Je la trou- vai, enfin, non sans m'èlre mis les mains en sang, pour arriver jusqu'à elle; mais, enfin , je la tenais, j'étais vengé, et, pour signaler mon triomphe et braver un oncle capable de mépriser mes croquis , j'allai chercher une échelle chez le jardinier, et, l'appliquant contre la maison, je gravis les bâtons les plus éle- vés et je traçai en lettres rouges sur une large pierre de roche ces mots gigantesques et vainqueurs : J'ai retrouvé ma craie! Cependant, ce premier moment d'audace passé, je tremblai quelque peu pour ses suites, je trouvai mon inscription bien visible, bien flamboyante, et je ne crus pas devoir ajouter au ressentiment qu'elle pouvait inspirer à mon oncle, en confec- tionnant de nouveaux dessins rouges, sur le petit nombre de surfaces planes qui restaient encore à ma disposition dans la campagne. 343 DEUXIÈME PARTIE. Hélas ! ce doux nid de mon enfance, ma jeunesse dut l'aban- donner; je le quittai ainsi que l'oiseau des champs, non sans regretter comme lui, durant les moments d'orage, l'abri sûr et tutélaire où mes premiers jours trouvèrent tant de bonheur et de repos. Comme lui aussi je n'y revins plus; les vicissitudes d'une carrière errante, la mort des miens, le changement de proprié- taires de la maison paternelle, des chagrins et des maux, en un mot. cet ensemble de circonstances, au sein desquelles le sort de l'homme est ballotté, me détourna de l'envie ou de la possi- bilité de visiter encore ce bien chéri, dont l'aspect, en évoquant un passé si rempli de charmes, devait assombrir le présent où je suis parvenu et l'avenir où je m'enfonce. Il y avait quarante années que je n'avais revu ce séjour, quand, durant l'automne passé, soudain l'envie me prit d'y retourner encore une fois. C'était alors le règne de ces derniers beaux jours où l'air est si pur, si frais, si limpide, où la nature près d'être dépouillée de sa beauté, semble ajouter à ses charmes pour les faire re- gretter davantage, où l'on jouit de ses faveurs que l'on va per- dre, avec de douces rêveries qui s'alimentent de nos bonheurs évanouis et semblent revêtir notre âme du deuil des illusions qu'elle pleure et des amis qu'elle a perdus. La journée s'annonçait avec magnificence; le soleil à son lever ceignait d'une couronne d'or la cîme des hauts peupliers, ses rayons effleuraient la campagne, sur laquelle ils descen- daient par degrés; un souffle matinal et frais, sans courber les branches des arbres, en agitait les feuilles, dont quelques-unes déjà jaunies, tombaient en tournoyant sous le poids de la rosée, et me forçaient à fouler aux pieds l'ombrage qui, quelques se- maines plus tôt, aurait encore rafraîchi ma tête. 25 Dès que j'eus gravi le coleau qui domine le lac, et bien que je fusse habitué à l'aspect de cette majestueuse nappe d'eau, elle m'émut toutefois parla pensée que, dans quelques instants, j'allais retrouver sur sa rive le séjour de mes pères, déserté par moi depuis si longtemps. Je n'approchai qu'en tremblant du but de ma lointaine promenade, et quand j'y louchai presque, le cœur me faillit, et je m'arrêtai incertain si je ne devais pas re- brousser chemin, plutôt que d'aller braver tant de ressouvenirs à la fois si doux et si pénibles. Toutefois, une circonstance qui me sembla d'un heureux au- gure me décida. Je trouvai toute grande ouverte une des portes du clos qui semblait m'en faire les honneurs en m'invitant à y entrer. Hélas! si souvent je l'avais franchie, qu'elle paraissait reconnaître sous les traits flétris du vieillard qui s'approchait d'elle, l'enfant rose et vermeil«devant lequel elle s'ouvrait jadis. Je pénétrai dans la campagne, non certes au pas de charge qui battait dans ma poitrine, mais lentement, presque comme un malfaiteur qui craint d'être vu; je me rassurai bien vite ce- pendant, les habitants de la maison n'étaient pas encore éveil- lés, les contrevents étaient clos, aucun bruit n'annonçait la vie dans l'intérieur de l'édifice , que je regardai longtemps en silence, plongé dans le tumulte de mes pensées, lesquelles re- montaient tristes ou rieuses la longue avenue du passé. Mes premiers parents m'apparaissaient les uns après les autres aux lieux où je fus habitué à les voir ; ils étaient entourés d'une auréole de vertus et de bonté, et me semblaient des anges. Ah ! certes ils furent comme toutes les créatures humaines, entachés de passions et de défauts inhérents à notre faible nature; mais ils jouissaient pour moi de ce bénéfice des morts , qui fait que nous ne nous souvenons que des qualités qu'ils eurent, sans nous rappeler celles qui leur manquaient : puis l'enfance igno- rante de la vie, ne voit de la conduite de ceux qui l'entourent que le dehors, sans pouvoir apprécier les motifs qui la dirigent ; 345 et de là, sans doute, sozi indulgence pour ses parents, indul- gence d'ailleurs que lui inspire la mémoire de leurs bontés et de leurs soins : il est peu de vieillards qui ne soient disposés à juger très-favorablement les auteurs de leurs jours ; ils sont de bonne foi en les croyant supérieurs à la génération qui les a suivis ; car cette génération ils l'apprécient avec leur vieille ex- périence; tandis que leur gratitude seule prononce sur le mé- rite de leurs premiers bienfaiteurs. Avec quelle émotion je contemplai le bel ormeau contre le- quel ma mère appuyait sa chaise dans les jours d'été, lisait les Saintes-Écritures à ma sœur et à moi assis près d'elle sur le gazon. Je ne pouvais trouver alors dans cette lecture que l'in- térêt que m'inspiraient les péripéties de l'histoire du peuple Juif; mais l'air grave et recueilli que prenait ma mère en ou- vrant le livre, la prière fervente qu'elle faisait avant de com- mencer un chapitre, ses mains jointes au bas du grand in-folio posé sur ses genoux, la solennité de sa parole, toute sa pieuse pantomime enfin , m'inspirait un respect profond pour cette Bible, dont je devais plus lard apprécier mieux la divine morale et les hauts enseignements. L'ormeau avait grandi, les branches s'en étaient accrues, mais leur disposition laissait les mêmes passages aux rayons du soleil qui éclairaient alors le gazon ; la scène de cette sainte lecture était si peu changée, le beau ciel qui resplendissait sur ma tête produisait si bien les accidents de lumière et d'ombre qui l'environnaient jadis, j'entendais le bourdonnement sourd de mille insectes voletant sous le feuillage, dont mon oreille avait si bien gardé la souvenance; que je me crus un instant revenu à celte époque bénie, et que je cherchai presque d'un regard inquiet la pieuse mère et la bonne sœur qui me sem- blaient devoir la compléter et qui manquaient à mon pauvre cœur malade de leur absence. Je fis successivement la revue de tous les endroits où mon 346 imagination évoquait les incidents dont ils furent le théâtre. J'allai visiter le vieux abricotier qui me valait chaque année plus de réprimandes qu'il ne portait de Iruits; dans le voisi- nage duquel on me trouvait souvent épiant la maturité de ses produits, et la prévenant quelquefois pour les dérober plus sû- rement; la petite plate-bande qu'on m'avait donnée pour y cul- tiver des fleurs était envahie par des pommes de terre, et le carreau de cardons où ma craie avait été jetée était couvert de superbes artichauts. Mais ce que je considérai surtout et longtemps fut la façade du bâtiment; il s'y trouvait un balcon sur lequel s'ouvrait le petit salon de mon grand-père; salon où je vis réunis tant d'hommes d'élite, dans la compagnie desquels on me permet- lait de venir et de demeurer lorsque ma conduite était jugée digne de cet insigne honneur ; et pourquoi ne dirais-je pas les noms de ces gens pleins d'esprit et de savoir, qui firent long- temps pour moi le principal charme de la maison de mon aïeul? plusieurs, sans doute, furent connus et appréciés justement par mes contemporains et vivent dans leurs souvenirs ainsi que dans les miens. C'étaient d'abord deux étrangers d'un haut mérite que les révolutions politiques de leur pays avaient amenés dans le nô- tre : M. Hill, anglais, ami de David Hume et qui donnait sur ses relations avec l'illustre historien des détails remplis d'in- térêt ; M. de Gorani, de Milan, dont une rue de cette ville porte encore le nom, qui avait visité toutes les cours de l'Europe, et qui avait composé un livre de ses observations sur chacune d'elles ; homme d'un esprit fin, délié. Sa conversation riche de faits reflétait les connaissances acquises dans ses nombreux voyages. M. -Bérenger, auteur de l'Histoire de Genève, et qui était d'une philosophie pleine de candeur et de joviale bonhomie ; 347 M. Saint-Ours, grand peintre d'histoire, qui racontait avec charme les anecdotes relatives à son séjour en Italie, dont il était revenu depuis peu ; MM. Mouchon, Thouron et Anspach, trois ministres protes- tants, les deux premiers, enthousiastes de Jean-Jacques Rous- seau qu'ils avaient connu, le dernier, auteur de plusieurs livres de théologie fort estimés; M. Pourlalès, enfin, le plus habile des négociants de son temps, qui, durant ses courts passages dans notre ville, amar- rait quelques instants sa constante activité chez mon grand-père son ami et comme lui neuchâtelois. On concevra aisément le plaisir que je goûtai dans ce céna- cle d'hommes tous remarquables à divers litres, et comme je devais contempler avec intérêt le salon où j'eus le bonheur de m'asseoir an milieu d'eux. Mais un incident vint troubler ma rêverie et y mettre fin. Une des fenêtres de la chambre occupée autrefois par mon grand-père s'ouvrit avec fracas, une figure qui m'était étrangère y parut et me lança des regards inquiets, témoignant la mé- fiance et la surprise. Hélas ! celte fenêtre où si souvent j'avais été salué et accueilli par un sourire plein d'aménité et de bien- veillance, maintenant un visage soupçonneux et presque mena- çant m'en repoussait Je tournai de ce pas l'édifice pour sortir de la campagne, et comme je regardais encore une fois sa façade du côté du nord, je reconnus avec émotion les mots écrits par moi il y avait cin- quante afts : J'ai retrouvé ma craie! Le temps et la pluie avaient bien affaibli quelque peu la teinte des lettres, mais cependant elles étaient encore lisibles ; surtout pour le vieillard qui les avait tracées enfant. « Quoi, me dis-je, de tout le bonheur qui m'entoura jadis « dans ces lieux, il ne reste plus que ce faible vestige? Cet 34S « album animé de ma rieuse et folâtre enfance, où mon œil « reconnaît tant de choses matérielles ; mon cœur n'y retrouve « plus rien. « Ah ! lorsque bonillonnant de joie, j'écrivis ces mots, au- « rais-je pu prévoir que je ne les reverrais aujourd'hui que « pour me faire mieux sentir l'isolement où le sort m'a jeté, et « qu'un morceau de craie, alors retrouvé, me ferait amèrement « songer à toutes les pertes que j'ai faites depuis. » J. Petit-Senn. M. Antoine Carteret lit deux fables de sa composition, inti- tulées le Bluet et VEpi et les deux Chevaux, qui excitent vive- ment l'hilarité et les applaudissemenLs de l'Assemblée. M. Jules Mulhauser lit des fragments tirés d'une composition lyrique, intitulée le Château de Rossberg. La séance est levée après ces différentes lectures. MÉMOIRE SUR CETTE aUESTIOK MISE AU COIVCOdKS PAR Ii'I]VI§iTITUT OGIVKTOIISI, Section des Sciences morales et politiques : f( Comparer la Constitution actuelle de la Suisse (c avec le Pacte fédéral de 1815, que cette c( Constitution a remplacé. » « La lettre tue et l'esprit vivifie. » Avant d'entrer dans l'examen du point spécial mis en discus- sion par l'Institut, il est bon de jeter rapidement une vue ré- trospective sur l'état antérieur au Pacte de 1815 ; sur les causes qui lui donnèrent naissance , et sur sa valeur relativement aux circonstances qui entourèrent son berceau. Nous ne redirons pas toutefois ce qu'était l'ancienne Confédération avant 1798, avant ce jour solennel et fatal , où cet édifice fondé cinq siècles auparavant par la passion de la liberté dans quelques vallées ignorées des Alpes, édifice qui avait été affermi par la triple influence du courage, du patriotisme et de la sagesse dans les 26 350 conseils qui avait monté avec tant d'éclat dans la vie politique, puis qui était demeuré stationnaire lorsque les nobles mobiles n'avaient plus eu assez de puissance , qui avait déchu lorsque le patriotisme et la sagesse avaient fait place à l'égoïsme, à l'es- prit d'intrigue, aux vues personnelles. Avant ce jour fatal et solennel avons nous dit, où la vieille Suisse, après avoir jeté un dernier rayon de gloire sur son agonie, était tombée palpitante aux pieds des oppresseurs, que Dieu avait chargés de la punir. Cet ancien étal de la Suisse mérite sans doute d'être étudié, et il peut jeter beaucoup de jour sur son état actuel , mais les termes dans lesquels nous sommes obligés de nous renfermer nous interdisent d'étendre nos recherches jusque-là. Conten- tons-nous de dire que cette ancienne Confédération renfermait tous les germes bons ou mauvais qui se sont développés plus tard, et qui sont encore pleins de vigueur dans la Suisse nou- velle. Le lien politique était impuissant à combattre les ferments de discorde qui ne tardèrent pas à se manifester entre les Con- fédérés, aussitôt que ceux-ci furent rassurés sur leur indépen- dance; jalousie entre les villes et les campagnes; arrogance et privilège des premiers; dureté des cantons souverains envers les pays sujets; haine de ceux-ci pour leurs maîtres; querelles religieuses, qui se traduisirent trois fois en guerres civiles, et, par-dessus tout, influence étrangère. On sentit, dans le dix-septième siècle, que les anciens traités ne liaient plus les cantons; on en essaya une refonte, on échoua et ce fut avec peine qu'on obtint le Défensional , cet acte qui posait le principe d'une défense commune, réciproque, et après avoir fixé le contingent de chaque canton, laissait à ceux-ci le soin d'organiser leurs troupes comme ils l'entendoient. La Diète, sans force et sans volonté, n'inspirait ni intérêt, ni considération. Les envoyés étrangers ne s'en occupaient plus. Les véritables Diètes étaient, celle des catholiques à Lu- 351 cerne, el celle des protestants à Aarau. Ce fut dans celte ville que s'assembla, le 27 décembre 4797, pour la dernière fois la Diete générale de l'ancienne Confédération ; le 25 janvier 1798, les députés renouvelèrent solennellement le serment de l'al- liance. Ils jurèrent de vivre et de mourir ensemble, puis ils se séparèrent, et , six semaines après , la vieille Suisse avait dis- paru. A Dieu ne plaise que le souvenir de ces jours de lutte et de malheur trouve jamais en Suisse des cœurs indifférents. La perte de l'indépendance est la plus affreuse calamité qui puisse affliger un peuple, et le.concours de l'étranger le plus déplo- rable remède pour guérir les maux d'un pays. Cependant, il faut le reconnaître , les événements qui s'ac- complirent eu Suisse à la fin du siècle dernier, et les maux qui les accompagnèrent, furent une épreuve salutaire par ses con- séquences. Le lien qui unissait les cantons était sans force et rien ne pouvait la lui rendre; les cantons eux-mêmes n'of- fraient dans leur régime intérieur que confusion et contradic- tion dans les faits avec les principes sur lesquels reposaient son existence. On ne pouvait songer à restaurer cet édifice miné de toutes parts. Il fallait reconstruire à neuf; c'est ce que tenta le Directoire français, aidé du parti suisse, qui avait appelé son intervention', qui l'avait saluée , ou qui se ré.signait dans l'at- tente d'un meilleur avenir. Les premiers essais ne furent pas heureux ; ils furent tous au reste, avec quelques variations une pâle copie de la constitution française. Dès le 16 mars 1798, on vit paraître une république rhodanique, composée de cinq cantons, Léman, Sarine et Broyé, Oberland , Valhis, Tes- st7i. Elle devait avoir deux républiques sœurs, l'une le Tellgau devait comprendre les petits cantons. Le reste de la Suisse au- rait été réuni sous le nom de république helvétique. Ces com- binaisons durèrent dix-sept jours. Dès le 22 mars, le généra- lissime français Brune décréta qn'il fallait travailler à la^consli- tution d'une république helvétique une et indivisible. 352 Dix cantons obéirent et envoyèrent des députés à Aarau pour y délibérer sur l'acceptation du projet élaboré par les agents français, dont il n'était pas permis de s'écarter. La lâcheté et la peur étouffèrent toute résistance dans l'assemblée d' Aarau. Tl n'en fut pas de même dans le pays, la résistance se mani- festa non-seulement dans les cantons primitifs , dont chacun connaît l'héroïque dévouement et les glorieuses infortunes, mais encore dans les pays sujets qui voulaient la liberté, mais qui la repoussaient de la main d'un insolent proconsul ; les paysans thurgoviens mirent en pièces l'arbre de la liberté à Weinfelden. Cependant, la constitution fut acceptée et mise en activité le 42 avril 1798. « La République Helvétique y était déclarée une et indivisible. » Les frontières de canton à canton furent abolies, les pays sujets appelés à l'égalité des droits. La souveraineté résidait dans l'universalité des citoyens. Cette constitution consacrait, la liberté individuelle, la liberté de conscience , la liberté de la presse , la suppression des titres et des privilèges. Elle établissait l'égalité des charges; elle con- sacrait le droit de propriété , sauf le cas d'utilité publique constatée, le droit de libre établissement. Tous les principes étaient délayés dans beaucoup de phrases pompeuses. Le territoire était divisé en vingt-deux cantons. Ceux-ci en districts et communes. La capitale de la République était fixée provisoirement à Lucerne. Le titre trois déterminait l'état politique des citoyens. Tons les bourgeois des pays, sujets ou non sujets, devenaient des citoyens actifs , mais l'étranger ne pouvait obtenir le droit de cité qu'après vingt ans de résidence et sa renonciation à tout autre droit de cité. 353 Tout citoyen était soldat à vingt ans, et prêtait solennelle- ment le serment civique. Les ministres des cultes ne pouvaient exercer de fonctions publiques. Le pouvoir législatif était exercé par deux Conseils indépendants l'un de l'autre. Le Sénat, composé de quatre députés par canton. Le Grand Conseil, où chaque canton envoyait des députés à proportion de sa population; pour la première formation, chaque canton en envoyait huit. Les Sénateurs , nommés pour huit ans, étaient renouvelés tous les deux ans par quart. Les membres du Grand Conseil, nommés pour six ans, étaient re- nouvelés tous les deux ans par tiers. Il fallait avoir 25 ans accomplis pour être membre du Grand Conseil. Le pouvoir exécutif était confié à un directoire de cinq mem- bres, élus pour cinq ans et se renouvelant chaque année par cinquième. Il fallait avoir 40 ans, être marié ou veuf pour être directeur. Un des deux Con.seils faisait une liste de cinq can- didats, et l'autre Conseil choisissait sur cette liste le direc- teur c'i nommer ; le sort décidait quel serait le Conseil électeur. Le Directoire avait ses ministres sous ses ordres. La Consti- tution instituait un tribunal suprême, composé d'un juge nommé par chaque canton. Ce tribunal se renouvelait par quart chaque année; il y avait autant de suppléants que de juges. Il jugeait les causes criminelles emportant peine de mort, de dé- portation ou de réclusion. Au civil, il était cour d'appel et de cassation. La force armée devait se composer d'un corps de troupes soldées, et dans chaque canton de corps de milices. Les trois premières autorités de chaque canton étaient : le préfet national, la chambre administrative et le tribunal canto- nal ; nous n'énumérons pas leurs attributions. Remarquons toutefois que le Directoire pouvait destituer les tribunaux et la chambre administrative. 354 Enfin, la Constitution prévoyait un mode de révision. Le Sénat proposait les changements, il ne pouvait les décréter définitivement qu'après un intervalle de cinq ans, puis, si le Grand Conseil les acceptait, ils étaient soumis aux assemblées primaires. 11 était utile de retracer les traits principaux de cette Consti- tution du 12 avril! 798, Au milieu d'une grande exubérance de paroles, on y retrouve l'énoncé des principes que la révolution française venait de consacrer ; conquêtes qui devaient être assez disputées, outrées ou faussées, mais qui néanmoins jetaient les fondements du droit public européen. Nous nous écarterions de l'objet essentiel de ce travail , si nous indiquions les travaux législatifs qui furent la conséquence de la Constitution nouvelle et les modifications qu'elle eut à subir. La guerre qui désola notre patrie , devenue le champ de bataille des grandes puis- sances de l'Europe, lanimosité des partis à l'intérieur, les in- trigues de la diplomatie étrangère, ne permirent pas à cette Constitution de se développer librement et paisiblement ; les efforts de quelques citoyens, amis de la patrie et qui voulaient son bonheur, furent étouffés par ceux qui ne travaillaient que pour leurs intérêts. Quelques pâles copies des lois françaises, et la réaction que les événements politiques de la France faisaient éprouver à la Suisse ; les convulsions intérieures qui en furent la consé- quence ; l'oppression du fort sur le faible , le désespoir et la misère de ce dernier, voilà le résumé de l'histoire de la Suisse pendant les trois années qui suivirent l'établissement du gou- vernement helvétique. Le gouvernement directorial de France, qui avait donné une Constitution à l'Helvélie, venait d'être remplacé par le Consulat, disons même par Bonaparte, premier Consul; celui-ci, après avoir été le vainqueur du continent et son pacificateur à Lune- ville,- voulut être le législateur de la Suisse ; il appela des dé- 1 355 pulés suisses à Paris , et, le 23 mai , il leur remit un projet de Constilulion, qu'il recommandait à l'acceptation des Conseils. Les bases de cette Constitution étaient : 1" Une République belvétiquc, dont Berne était la capitale, divisée en dix-sept cantons ; 2" Le gouvernement central consistant en une Diète géné- rale de soixante et dix-sept membres, un Sénat composé de deux landammans et de vingt-trois conseillers ; 3» Un petit conseil de quatre membres, présidé par le pre- mier landamman, pris dans le Sénat, et cliargé du pouvoir exé- cutif. Au pouvoir central appartenait la disposition de la force ai'- mée, sa fixation et son organisation; les relations diplomati- ques, la haute justice, l'administration uniforme de la justice; la régie des sels, des postes, des raines, des douanes et des péages; les monnaies; la police du commerce, les règlements généraux d'instruction publique. L'organisation cantonale pour- voyait au surplus des besoins administratifs. Il est intéressant d'étudier les modifications introduites dans ce nouveau projet, et les rapports que l'on peut y trouver soit avec l'ordre ancien, soit avec les institutions qui nous régissent aujourd'hui. Acceptée parles Conseils législatifs le 29 mai 1801, elle fut soumise le 7 septembre de la même année à une Diète générale; celle-ci, après l'avoir amendée de manière à renfor- cer le principe contraire aux dépens du fédéralisme qui s'était flatté de reconquérir le terrain qu'il avait perdu, l'adopta le 24 octobre 1801. Dès le 27 du même mois, un coup d'État, auquel ne furent pas étrangers les partisans de l'ancien régime, unis à la diplo- matie française , déclara la Diète dissoute, et mit à exécution d'une manière arbitraire et extra-légale la nouvelle Constitu- tion, Bientôt le parti fédéraliste, si longtemps comprimé, se manifesta de nouveau en appelant à la dignité 'de landamman 356 Aloys de Reding et Frisching. Le premier, envoyé à Paris , y reçut un bon accueil du premier Consul, qui promit son appui à la nouvelle Constitution si l'on maintenait les conquêtes essen- tielles faites par la Révolution. Le Sénat était déjà nanti de changements à faire à la nou- velle Constitution. Après de longs débats, cet acte important fut adopté dans la forme amendée le 26 février 1802, pour être soumis à la sanction des Diètes cantonales. Il maintenait l'unité de la République, le droit de libre éta- blissement pour les citoyens suisses dans toutes les parties de l'Helvétie, avec la faculté d'y exercer leurs droits civils et poli- tiques. La division du territoire en vingt et un cantons. La liberté religieuse pour les communions chrétiennes, la garantie des corporations religieuses et de leurs propriétés, toutefois soumises à l'impôt et sous la surveillance de l'État. Au pouvoir central appartenaient les relations diplomatiques, et les concordats avec l'autorité ecclésiastique. La direction de la force armée. Les travaux publics d'une utilité générale. La police sanitaire, la police de sûreté, la police sur l'indus- trie et les métiers, la direction des péages. Mais les règlements généraux sur ces matières étaient soumis à la sanction constitu- tionnelle des cantons, qui demeuraient chargés de l'exécution. Le pouvoir central avait encore la surveillance sur l'admi- nistration de la justice; la détermination des contingents en ar- gent à payer par les cantons pour les dépenses générales. L'administration des sels, des postes, des poudres, des mines, des impôts directs , des droits d'entrée et de sortie , les mon- naies, la surveillance du commerce, principalement sur les den- rées de première nécessité ; l'inspection des poids et mesures ' l'inspection supérieure de l'instruction publique ; l'établisse- ment d'une université nationale , avec une faculté de théologie 337 pour chacune des deux communions et la direction générale de ces établissements, la garantie des Constitutions cantonales. L'autorité centrale était composée d'une Diète et d'un Sénat. La Diète se formait de députés des cantons, selon une propor- tion approximative de leur population. Berne en nommait six, et les petits cantons n'en avaient qu'un. Le nombre total était de cinquante-deux. Le Sénat se composait de deux landammans, de deux statl- lialters et vingt-six conseillers. Chaque canton devait y avoir au au moins un membre; le Sénat était élu par la Diète; les can- tons présentaient chacun trois candidats, sur lesquels la Diète choisissait, les autres sénateurs étaient élus de manière à ce qu'aucun canton n'en eût plus de trois. La proposition des lois et décrets appartenait au Sénat, la dé- cision à la Diète. Il élisait pour dix ans les deux landammans et leurs substituts ; les autres sénateurs étaient élus pour cinq ans. Le pouvoir exécutif était attribué à un Petit Conseil pris dans le Sénat et choisi par ce corps ; il était composé de sept membres, outre les deux landammans et leurs substituts. Les relations extérieures étaient dirigées par les deux lan- dammans et leurs substituts. Les fonctionnaires de l'administra- tion centrale étaient nommés par le Sénat sur la proposition en nombre triple du Petit Conseil. Ces magistrats étaient assez bien rétribués pour l'époque dont il s'agit. Le landamman en charge recevait 15,000 francs. Les membres du Petit Conseil 6,000, et ceux du Sénat 4,000 francs. Chaque canton avait son organisation particulière ; un ma- gistrat y représentait le gouvernement central. L'administration de la justice était aussi cantonale ; mais il était créé un tribunal suprême de onze membres ; il ne pouvait y avoir plus d'un membre par canton Les membres étaient nommés par la Diète, suivant un système de présentation au- quel participaient le Sénat et les cantons. 358 Il y avait appel à ce tribiuial, l" dans les causes civiles dont l'objet dépassait la valeur de 30,000 francs ; 2" lorsque l'État helvétique, un canton , une personne étrangère , ou un citoyen d'un autre canton, étaient en cause. Il y avait également appel à ce tribunal dans les causes cri- minelles, emportant la peine d« mort ou une détention de plus de dix ans. Il connaissait aussi de toutes les plaintes contre les fonctionnaires publics; enfin, il surveillait la conduite de tous les tribunaux cantonaux. Pour exercer les droits politiques et être éligible aux fonc- tions nationales ou cantonales, il fallait être citoyen helvétique, avoir vingt ans accomplis , être propriétaire ou exercer une profession indépendante. L'importance de la propriété variait suivant la nature des fonctions auxquelles on pouvait être ap- pelé. Telle était cette Constitution mélangée d'unitarisme et de fédéralisme; nous nous y sommes arrêtés précisément pour constater cette lutte incessante entre ces deux principes, qui, l'un et l'autre, aspiraient à diriger la vie politique de l'Helvétie. Des troubles continuèrent à agiter le pays; nous n'avons pas mission de les reproduire; dès le 28 avril, un nouveau Conseil d'Etat, organisé dans le Petit Conseil au profit du parti con- traire, mit au néant la Constitution du 27 février. Ce fut le quatrième changement que le gouvernement éprouvait depuis trois ans. Le 28 mai 1802, une nouvelle Constitution sortit des délibé- rations d'une assemblée de notables. C'est toujours la répu- blique, le territoire divisé en cantons (18). Un pouvoir légis- latif composé d'un Sénat proposant et d'une Diète décrétant. Un Conseil exécutif formé d'un landamman, d'un statthaller et de cinq secrétaires d'État. Les membres de la Diète et ceux du Sénat sont renouvelés chaque année par cinquième. Les membres du pouvoir exécuti' 359 sont nommés ponr neuf ans. La Constitution décide qu'il y auin une université fédérale et deux établissements distincts pour l'enseignement religieux catholique et réformé. Elle décide qu'il n'y aura en Suisse qu'un seul code criminel, une seule procédure criminelle, un seul code forestier, un code de com- merce et une organisation spéciale de tribunaux de commerce obligatoires; il sera élaboré aussi un code civil et un code de procédure civile ; mais celui-ci ne sera introduit dans les can- tons que de leur consentement. La Constitution établit une cour suprême fédérale ayant une compétence civile et criminelle. Enfni, elle attribue à la répu- blique la vente du sel, les postes, le timbre, les mines, les pou- dres et salpêtres, les forêts publiques, les monnaies, les péages. Elle donne à la législature le droit d'établir de nouveaux im- pôts, et de fixer des contingents en argent à payer par les can- tons. Cette Constitution , soumise au peuple , ne reçut pas un ac- cueil favorable ; 72,453 votants l'acceptèrent, 9-2,453 la refu- sèrent; mais, en vertu du procédé commode et ingénieux qui fait compter comme acceptants ceux qui se taisent, elle fut dé- clarée acceptée par 239,625 suffrages. Cet acte, qui ne put guérir les maux intérieurs de la Suisse, ni donner au gouvernement qu'elle créait la force de surmon- ter les difficultés dont il était environné, prolongea sa chétive existence jusqu'à la dissolution du gouvernement helvétique. L'objet de cet écrit n'est point de retracer les événements qui précédèrent et qui accompagnèrent la chute de ce gouver- nement; il tomba comme les plantes exotiques, que des mains inhabiles s'efforcent de transplanter dans notre climat , qui ne poussent point de racines et que la première rafale jette bas. La main qui soutenait le frêle roseau étant retirée; les trou- pes françaises ayant quitté la Suisse , le fédéralisme releva la tête en fous lieux ; il triompha de la faible résistance qu'on 360 essaya de lui opposer, et il s'apprêtait à rejeter le gouverne- ment helvétique au delà des Irontières, ou dans le lac de Ge- nève, pour emprunter les expressions pittoresques du premier Consul à M. de Mnlinen et E. de Watteville. Mu par d'autres considérations, Bonaparte étendit sa main puissante, et arrêta un mouvement dont il ne désapprouvait pas le principe, mais qu'il se réservait de régler selon ses vues Elles n'étaient pas hostiles à la Suisse, dont la haute intelligence avait compris les besoins; il réunit une consulte helvétique à Paris; les unitaires et les fédéralistes y plaidèrent leur cause, et le médiateur donna raison aux derniers. Le résultat de ces travaux fut l'acte dit de médiation , sous lequel , du commencement de l'année 1803 à la fin de l'année 1813, la Suisse retrouva- au milieu des perturbations de l'Eu- rope la paix, et ne craignons pas d'ajouter, le bonheur, qui ne se mesure pas au nombre de lieues carrées que compte un pays, mais à la vie qu'on y mène, aux événements qui s'y pas- sent, au développement moral et intellectuel dont ils sont ac- compagnés. Cet acte reconstitua la Suisse sur la base du fédéralisme, en établissant sa division en dix-neuf cantons égaux en droits; il consacra le principe de la défense commune par l'établissement des contingents d'hommes et d'argent Il vaut la peine d'en reproduire le texte entier. L'acte fédéral proprement dit, en trois titres et quarante articles. TITRE p'. Dispositions générales. Art. 1'='. Les dix-neuf cantons de la Suisse, savoir : Appen- zell, Argovie, Bâle, Berne, Fribourg, Claris, Lucerne, Saint- 301 Gall, Schaffouse, Schwytz, Soleure, Tessin , Thurgovie, Unter- wald, Uri, Vaud, Zug et Zurich, sont confédérés entre eux, conformément aux principes établis dans leurs Constitutions respectives. Ils se garantissent réciproquement leurs Constitu- tions, leur territoire , leur liberté et leur indépendance, soit contre les puissances étrangères , soit contre l'usurpation d'un canton ou d'une faction particulière. Art. 2. Les contingents de troupes ou d'argent qui devien- draient nécessaires pour l'exécution de cette garantie seront fournis par chaque canton dans la proportion convenue. L'armée fédérale s'élevait à 15,203 hommes. En argent, le contingent était de iOO.SO" fr. anc. monnaie, répartis dans la proportion convenue entre les cantons. Art. 3. Il n'y a plus en Suisse ni pays sujets, ni privilèges de lieux, de naissance, de personnes ou de familles. Art. 4. Chaque citoyen suisse a la faculté de transporter son domicile dans un autre canton et d'y exercer librement son in- dustrie ; il acquiert ses droits politiques, conformément à la loi du canton où il s'établit; mais il ne peut jouir à la fois des droits politiques dans deux cantons. Art. 5. Les anciens droits de traite intérieure et de traite foraine sont abolis. La libre circulation des denrées, bestiaux et marchandises est garantie. Aucun droit d'octroi, d'entrée, de transit ou de douane ne peut être établi dans l'intérieur de la Suisse. Les douanes aux limites extérieures sont au profit des can- tons limitrophes de l'étranger; mais les tarifs doivent être sou- mis à l'approbation de la Diète. Art. 6. Chaque canton conserve les péages destinés à la ré- paration des chemins , chaussées et berges des rivièi'es. Les ta- rifs ont besoin de l'approbation de la Diète. Art. 7. Les monnaies fabriquées en Suisse ont un litre uni- forme, qui est déterminé par la Diète. 362 Art. 8. Aucun canton ne peut donner asile à un criminel légalement condamné, non plus qu'à un prévenu légalement poursuivi. Art. 9. Le nombre des troupes soldées que peut entretenir un canton est borné à deux cents personnes. Art. 10. Le gouvernement ou le corps législatif de tout can- ton qui viole un décret de la Diète , peut être traduit comme rebelle devant un tribunal composé des présidents des tribu- naux criminels des autres cantons. Art. h. Toute alliance d'un canton avec un autre canton ou avec une puissance étrangère est interdite. Art. 12. Les cantons jouissent de tous les pouvoirs qui n'ont pas été expressément délégués à l'autorité fédérale. TITRE IL Du Canton directeur. Art. 13. La Diète se réunit, tour à tour et d'une année à l'autre, à Fribourg, Berne, Soleure, Bàle, Zurich et Lucerne. Art. 14. Les cantons dont les villes sont les chefs-lieux de- viennent successivement cantons directeurs ; l'année du direc- lorat commence le l'"' janvier. Art. 15. Le Canton directeur fournit aux députés à la Diète le logement et une garde d'honneur; il pourvoit aux frais des séances. Art. 16. L'avoyer ou bourgmestre du Canton directeur joint à son titre celui de landamman de la Suisse. Il a la garde du sceau de la république ; il ne peut s'éloigner de la ville. Le Grand Conseil de son canton lui accorde un traitement par- ticulier, et fait payer les dépenses extraordinaires attachées à celte magistrature. Art. 17. Les ministres des puissances étrangères remettent au landamman de la Suisse leurs lettres de créance ou de rap- 363 pel, et s'adressent à lui pour les négociations. Il est l'intermé- diaire des autres relations diplomatiques. Art. 18. A l'ouverture des Diètes, il donne les renseigne- ments qui lui sont parvenus à l'égard des affaires intérieures et extéiieurcs qui intéressent la Confédération. Art. 19, Aucun canton ne peut dans son sein requérir et mettre en mouvement plus de cinq cents hommes de milice sans en prévenir le landamman de la Suisse. Art. 20. En cas de révolte dans l'intérieur d'un canton ou de tout autre besoin pressant, il fait marcher des troupes d'un canton à l'autre, mais seulement sur la demande du Grand ou du Petit Conseil du canton qui réclame le secours, et après avoir pris l'avis du Petit Conseil du Canton directeur, sauf à convo- quer la Diète après la répression des hoslililés, ou si le danger continue. Art. 21. Si, durant les vacances de la Diète, il s'élève des contestations entre deux ou plusieurs cantons, on s'adresse au landamman de la Suisse , qui , selon les circonstances plus ou moins pressantes, nomme des arbitres conciliateurs ou ajourne la discussion à la prochaine Diète. Art. 22. Il avertit les cantons si leur conduite intérieure compromet la tranquillité de la Suisse , s'il se passe chez eux quelque chose d'irrégulier et de contraire, soit à l'acte fédéral, soit à leur Constitution particulière. Il peut alors ordonner la convocation du Grand Conseil ou celle desLandsgemeindes dans les lieux où l'autorité suprême est exercée immédiatement. Art. 23. Le landammann de la Suisse envoie, au besoin, des inspecteurs chargés de l'examen des routes, des chemins et rivières. Il ordonne, sur ces objets, des travaux urgents, et, en cas de nécessité, il fait exécuter, directement et aux frais de qui il peut appartenir, ceux qui ne sont pas commencés ou achevés en temps prescrit. Art. 24. Sa signature donne crédit et caractère national aux actes qui en sont revêtus. 364 TITRE III. De la Diète. Art. 25, Chaque canton envoie à la Diète un député, auquel on peut adjoindre un ou deux conseillers, qui le remplacent en cas d'absence ou de maladie. Art. 26. Les députés à la Diète ont des instructions et des pouvoirs limités, et ils ne votent pas contre leurs instructions, Art. 27. Le landamman de la Suisse est de droit député du Canton directeur. Art. 28. Les dix-neuf députés qni composent la Diète for- ment vingt-cinq voix dans les délibérations. Les députés des cantons dont la population est de plus de cent mille habitants, savoir : ceux de Berne, Zurich, Vaud, Saint-Gall, Argovie et Grisons, ont chacun deux voix; les députés des cantons dont la population est au-dessous de cent mille âmes, savoir : ceux du Tessin, deLucerne, Thurgovie, Fribourg, Appenzell, Soleure, Bàle, Schwytz, Claris, Schaffouse, Unterwald, Zug etUri, n'ont qu'une voix chacun. Art. 29. La Diète, présidée par le landamman de la Suisse, s'assemble le premier lundi de juin, et la session ne peut excé- der le terme d'un mois. Art. 30. Il y a lieu à des Diètes extraordinaires : 1° Sur la demande d'une puisssance limitrophe ou de l'un des cantons, accueillie par le Grand Conseil du Canton direc- teur, qui est convoqué à cet effet, s'il se trouve en vacances ; 2" Sur l'avis du Grand Conseil, delà Landsgemeinde de cinq cantons, qui trouvent fondée, à cet égard, une demande que le canton directeur n'a pas admise; 3° Lorsqu'elles sont convoquées par le landamman de la Suisse. Art. 31. Les déclarations de guprre et les traités de paix ou 365 d'alliance émanent do In Diète ; mais l'.issenliment des trois quarts des cantons est nécessaire. Art. 3'2. Elle seule conclut des traités de commerce et des capitulations pour le service étranger. Elle autorise les cantons, s'il j a lieu, à traiter particulièrement sur d'autres objets avec une puissance élrangère. Art. 33. On ne peut, sans son consentement, recruter dans aucun canton pour une puissance étrangère. Art. 34. La Diète ordonne l'appel du contingent de troupes dé- terminé pour chaque canton par l'art 2. Elle nomme le général qui doit les commander, et elle prend d'ailleurs toutes les me- sures nécessaires pour la sûreté de la Suisse et pour l'exécution des autres dispositions de l'article l*'". Elle a le même droit si des troubles survenus dans un canton menacent le repos des autres cantons. Art. 35. Elle nomme et envoie les ambassadeurs extraordi- naires. Art. 36. Elle prononce sur les contestations qui surviennent entre les cantons, si elles n'ont pas été terminées par voie d'ar- bitrage. Elle se forme en syndicat à la fin de ses travaux ordi- naires ; mais alors chaque député a une voix, et il ne lui est pas , donné d'instructions. Art. 37. Les procès-verbaux de la Diète sont consignés dans deux registres, dont l'un reste au Canton directeur, et l'autre, avec le sceau de l'État, est transporté à la fin de l'année au chef-lieu du nouveau Canton directeur. Art. 38. Un chancelier et un secrétaire, nommés par la Diète pour deux ans et payés par le Canton directeur, confor- mément à ce qui est réglé par la Diète, suivent toujours le sceau et les registres. Art, 39. La Constitution de chaque canton, écrite si:r par- chemin et scellée du sceau du canton, est déposée aux archives de la Diète. 27 366 Art. 40. Le présent acte fédéral, ainsi que les Constitutions particulières des dix-neuf cantons ci-dessus transcrites, abro- gent toutes les dispositions antérieures qui y seraient contraires, et aucun droit, en ce qui concerne le régime intérieur des can- tons et leurs rapports entre eux, ne peut être fondé sur l'ancien état politique de la Suisse, Nous reviendrons sur quelques-unes de ces stipulations en nous occupant du Pacte de 1815, On no peut méconnaître que l'acte de médiation , en liant le passé au présent et à l'avenir, faisait à chacun la part que per- mettaient les circonstances, et nous nous joignons au jugement qu'en a porté un de nos historiens : « L'Acte de Médiation doit demeurer comme un monument de la prudence, de la sagesse et de la sagacité du médiateur. » Il est vrai que les événements extraordinaires qui se succé- daient pendant cette période, l'état général de l'Europe, les guerres incessantes , la pression exercée par la France sur tout ce qui était dans son voisinage immédiat , et la tutelle sévère dans laquelle le médiateur maintenait sa petite amie, la Suisse, ne permettent pas de porter sur les résultats politiques et éco- nomiques de l'acte de médiation un jugement aussi complet qu'on le ferait, si la Suisse avait pu se mouvoir librement dans le champ d'activité qu'il ouvrait devant elle. Cependant, nous le répétons, il procura à la Suisse de la paix et du repos, il ne mit obstacle à aucun développement utile, et ce ne fut pas la voix d'un peuple opprimé et malheureux qui réclama sa chute en 1813. Ce furent les passions égoïstes et l'ambition qui atta- quèrent avec violence les institutions fédérales. Une véritable fièvre de restauration fit surgir de toutes parts d'étranges pré- tentions ; c'est bien de plusieurs Suisses de cette époque qu'on peut dire « qu'ils n'avaient rien appris et rien oublié; » hommes, 3G7- qui, ainsi que l'a dit un de nos écrivains: « ne veulent pas l'expé- « rience du passé au profit de la génération présente, mais la « négation du présent pour ramener les institutions du passé, « cherchant loin derrière eux l'espérance , cette espérance qui « marche à l'avant-garde du genre humain '. » Mais il faut le reconnaître, le régime de l'acte de médiation, s'il mérite les justes éloges que nous lui avons accordés , si la conscience du pays les proclama au moment où cet acte allait périr, si l'on peut dire avec vérité que, sous son égide, il y eut en Suisse plus de prospérité et moins de souffrance que dans les autres États de l'Europe, que les cantons anciens virent cicatriser leurs blessures, et les nouveaux affermir leur existence, qu'un es- prit fraternel commença à remplacer les anciennes distinctions odieuses de souverains et de sujets ; si toutes ces choses sont vraies, il faut reconnaître aussi qu'elles furent obtenues au prix de l'asservissement à une domination étrangère, et une telle do- mination affaiblit le ressort moral. On put le reconnaître et en gémir dans le moment solennel de la grande crise européenne. La Suisse n'était pas préparée à tirer de ces événements , qui ne se reproduisent qu'une fois dans la vie des peuples, les con- séquences qui pouvaient en découler pour son indépendance et la libre disposition de son sort-. Le régime de la médiation ne l'avait pas enrichie d'un de ces hommes forts qui, au moment où la tempête se déchaîne, saisissent, sans avoir besoin de mis- sion, le gouvernail, et cheminent hardiment à travers les écueils. Tout fut mesquin. Les cpeurs des soldais étaient aussi vaillants et leurs bras aussi vigoureux que ceux de leurs pèrc^-, et pourtant la Suisse confédérée n'eut sur les bords du Rhin, ni son Grauliolz, ni sa Singine, ni son Rothenthurn. , ni oon Nid- waW ; aucun de ces élans furieux qui, quinze am aujai avant, lorsque la vielle Suisse succombait sous la dccrepiiude, avaient ' Monnard, Histoire de la Confédération Suisse, tom. XVIH, p, 20î>. 368 couvert ses débris sanglants d'une couronne de lauriers : Oui, ce fut une triste époque, et les derniers soupirs de l'acte de médiation ne le recommandent pas aux regrets de l'avenir. Quoique les événements auxquels nous faisons allusion soient connus de tous, il faut les rappeler brièvement, on pourra plus lard en tirer des conséquences, sur le système politique qui peut paraître le meilleur pour garantir à la Suisse son honneur, son indépendance et la libre disposition de son sort. On comprend que nous voulons parler de la déclaration de neulralilé, de sa violation et de la manière dont elle fut défen- due. Celte neutralité, conforme aux intérêts permanents de la Suisse, fut acceptée par toutes les puissances belligérantes; par Napoléon, à qui, il est vrai, elle convenait fort, puisqu'elle cou- vrait cinquante lieues de ses frontières , par les alliés qui, mar- chant sous le prétexte apparent de restaurer le droit dans tous les lieux d'où la violence l'avait expulsé, reconnurent solennel- lement à Francfort la légitimité de la mesure que la Suisse venait d'adopter. « Votre neutralité est reconnue , dit le géné- ralissime prince de Schwartzemberg aux envoyés suisses, mili- tairement je le réglette. » Cependant, par un ordre, sous la date du 2 décembre , adressé à un des généraux sous ses or- dres , ce prince lui enjoignit de recbnn.ûtre la neutralité de la Suisse. Peu de jours après, le même général donnait ordre de violer celte neutralité ! On profita, pour décider cette infraction au droit des gens, de l'éloignement momentané du généreux et loyal Alexandre ; il fut indigné de ce manque de foi, mais il ne pou- vait par une opposition absolue à cette mesure risquer d'affai- blir le lien si fragile de la coalition , et d'ailleurs l'éloignement de la plus grande partie de ses troupes, du point où il se trou- vait lui-même, l'empêcha de parler aussi haut qu'il l'aurait sou- haité. Ajoutons» avec une douloureuse réprobation, que des Suisses ;jti9 indignes de ce nom, réunis en comité près du lien où se trou- vni( le quartier général, eurent la bassesse de solliciter cette entrée des troupes alliées , qui, disaient-ils, était dans le vœu du peuple suisse. Ils furent justement payés de leurs œuvres par l'épilhète que leur appliqua l'empereur Alexandre, dans une conversation qu'il eut à Fribourg en Brisgau avec un envoyé suisse. En parlant des membres du comité de Waldshut. il les appela de vils mlngants. Toutefois, il est permis de croire, qu'en présence de la réprobation d'Alexandre et avec la conscience de la déloyauté de l'acte chez ceux qui l'avaient décidé, une ré- sistance énergique eût arrêté le mouvement. Les alliés ne vou- laient ni détruire la Suisse, ni acheter trop cher le passage sur son sol. Celle résistance n'eut pas lieu; le régime de l'acte de médiation avait formé les hommes d'État de la Suisse à la sou- plesse, à la ruse, aux expédients, lorsqu'ils avaient à faire aux puissances de la terre. C'était en particulier le caractère du landamman de la Suisse, le bourgmestre Reinhardt, de Zurich, il y joignait une économie, louable pour les temps ordinaires, mais fatale lorsque les événements demandent de grandes réso- lutions et de grands sacrifices. L'acte de médiation , en confé- rant au landamman de la Suisse des pouvoirs d'exécution fort étendus en l'absence de la Diète, faisait courir au pays toutes les chances résultant du caractère personnel de ce magistrat. La Diète avait nommé pour généra! en chef M. de Wattewiiie, appelé déjà deux fois à cette dignité. Les moyens mis à sa dis- position n'étaient pas proportionnés au grand but qu'il devait atteindre; 10,000 hommes pour garder une frontière décent lieues. 11 le sentit, mais obligé de recourir au landamman Rein- hardt, il ne put vaincre la fausse économie de ce magistrat ; peut-être ne fut-elle qu'un prétexte. Quoiqu'il en soit, il se re- fusa à un développement de troupes suffisantes; il fit plus, aux demandes d'instructions précises de la part du général pour certains cas possibles, il répondait par des phrases banales qui 370 font plus d'honneur à sa diplomatie qu'à son patriotisme. Ne le condamnons pas Irop sévèrement, il appartient à une école qui compte encore en Suisse de nombreux adeptes, ce sont ces pré- tendus sages qui prennent en pitié le dévouement et la con- fiance, et qui, à toute détermination généreuse, répondent : « A quoi bon, nous ne pouvons pas résister. » De plus, l'armée fédérale, en 1813, n'avait aucune ressem- blance pour le nombre, l'organisation et l'état-major avec ce qu'elle est aujourd'hui. Oui, l'armée a changé, plaise à Dieu que les hommes d'État ne soient pas restés les mêmes! Nous nous écarterions tout-à-fait du but de ce travail, en re- traçant les événements qui précédèrent la violation de la neutra- lité suisse et en discutant les mesures qui furent adoptées pour la faire respecter. Cette violation eut lieu le 20 décembre 1813. — Sur l'ordre de leur général, les Suisses se retirèrent sans combattre. Cet ordre ne répondait pas à leurs sentiments, la petite armée suisse ne reculait point devant la chance de se mesurer avec les masses des alliés, elle n'éprouvait pas plus de terreur que n'en avait éprouvé vingt-un ans auparavant les Suisses qui défendirent les Tuileries au 10 août 1792 contre les masses populaires; elle n'avait pas plus d'émotion que n'en a montré le régiment suisse qui, au 20 mars 1815, rentrait silencieux dans Paris, pressé par une armée enthousiaste et une population fana- tique, qui vociférait à ses oreilles le cri ■ de vive l'empereur. Elle aurait combattu , à Bâle, Schivartzemberg, comme ses neveux ont combattu à Vlcence Radetzki et l'armée autrichienne en 1848. Qui saitmême si elle eut eu besoin de combattre? Dans la dernière conférence que le commandant des troupes suisses eut le 19 décembre à Lôrrach avec le quartier-maître général du prince de Schwartzemberg, qui annonçait impé- rieusement son intention d'entrer à Bâle le jour même ; un of- ficier suisse, ayant dit qu'il ne resterait aux Suisses qu'à suivre '371 l'exemple donné quatre" siècles auparavant A Sl-Jacques, cette parole fit retarder l'entrée de vingt-quatre heures. Il est possible et peut-être vraisemblable que la rupture des ponts du Rhin et un seul coup de canon, pour appuyer la déclaration de la résis- tance, eussent suffi pour arrêter le mouvement. Canons pour ca- nons, il valait mieux pour les alliés essuyer le feu de ceux d'Hu- ningue, à quelques pas de là, que de se charger de l'odieux d'écraser un petit peuple qui n'avait aucune prétention au-delà du sol qui l'avait vu naître, et qui combattait pour conserver ce que les alliés disaient vouloir relever. La ville de Bàle, malgré tant d'intérêts qui lui faisaient sou- haiter la paix, ne reculait pas à l'idée de la résistance, faisant amsi la preuve que si elle est habile à amasser les trésors de ce monde, elle sait aussi les dépenser à propos. Le général de Watteville avait bravement combattu en 1798 pour l'indépendance de la patrie, il avait honorablement com- mandé l'armée fédérale en 1805 et en 1809; aucun nuage ne peut planer sur son caractère personnel. L'ordre de retraite lui fut sans doute dicté par son patriotisme, au prix de son renom personnel ; mais ne craignons pas de le dire, c'était un patrio- tisme égaré et nous partageons sans réserve,, sur ce point, les sentiments exprimés dans les lignes suivantes par l'historien déjà cité ' : « Il est deux politiques : l'une s'émeut de l'intérêt » le plus prochain et recule devant les souffrances imminentes. » L'autre, pleine de foi dans la puissance des idées morales, » fonde au milieu des douleurs présentes la grandeur et la sé- » curité de l'avenir » C'était le moment de faire voir aux descendants des cheva- liers, que la Suisse a des Thermopiles. « Les Confédérés n'eu- rent, en 1813, qu'un moyen de défense militaire : la résolution » de mourir; qu'un moyen de raffermer la neutralité pour les •Monnard. 372 » âges à venir, le courage de se faire écraser par la supériorité » du nombre ; sanglante protestation au nom de l'indépendance, » leçon de patriotisme et legs de gloire pour la postérité ! » Si des hauteurs où l'historien a porté sa pensée, nous redes- cendons vers la terre, nous pouvons encore recueillir une leçon, c'est que les calculs mesquins sont rarement de bons calculs. Le landamman Reinhardt, afin de ne pas appeler aux armes les forces disponibles de la Suisse, objectait la dépense, il ne l'é- vita pas. Le passage des troupes alliées fut accompagné de vexa- tions et de misère pour le pays ; des fléaux épidémiques im- portés par les armées décimèrent la population des cantons qu'elles traversèrent. — En 1813, comme en 1798, il en coûta davantage pour avoir abandonné la patrie que pour la défendre avec honneur. Ajoutons, pour en finir avec ce déplorable incident, que la direction ne fut pas meilleure en 1815 qu'en 1813. Une armée suisse nombreuse et pleine de zèle fut réunie; on lui fit donner ce qu'on appelle, avec raison, le coup de pied de l'àne au lion vaincu. La marche en avant du général Bachman fut aussi pi- toyable que l'ordre de retraite du général de Waltewille et lorsqu'enfin un prince étranger brave et généreux, l'archiduc Jean, qui aimait les Suisses et qui avait appris à les juger ail- leurs que sous les murs de Bâle et au camp de Walleyres, voulut leur fournir l'occasion d'effacer l'impression produite à la fin de 1813, et demanda leur coopération, 12,000 hommes et de la grosse artillerie pour prendre part au siège d'Huningue, qu'un général français, Barbanègre, peu soucieux de tenir tête à l'Eu- rope en armes, s'obtinait à défendre, en envoyant des bombes jusque dans la ville de Bûle ; la diplomatie de la Diète accorda l'artillerie, mais fit une réponse évasivesur les 12,000 hommes; quelques détachements de troupes fédérales prirent seuls part au siège. Cette faible participation suffit à l'archiduc pour l'au- toriser à donner aux troupes suisses des témoignages publics de son estime et de son affection. 3T3 Cette digression n'était pas peut-être hors de propos au mo- ment où nous devons examiner quelles furent les conditions des nouvelles alliances qui devaient relier les cantons entre eux , pour arriver à la solution de ce grand problème , quelle est la Constitution du pouvoir central qui garantira le mieux à la Suisse son indépendance, sa neutralité et son honneur? Revenons à la fin de 1813 et aux premiers jours de 1814. Les Alliés, poursuivant en tous lieux les derniers vestiges de cette puissance qui avait ébranlé tous les trônes, trouvèrent très-bon que la Diète de Zurich proclamât l'abrogation de l'acte de médiation. Cette abrogation fut-elle spontanée? Nous ne pouvons l'admettre en présence. de la note du 8 décembre 1813 de l'envoyé d'Autriche, qui , en faisant part à la Suisse de l'al- liance conclue entre l'Autriche, la Russie, la Prusse, la Ravière, le Wurtemberg, contre la France, annonçait la ferme intention des alliés de recourir au retour de l'ancien et respectable ordre de choses dans tous les Etats de rEurope. Cette déclaration reçut de larges commentaires de la part des agents que le parti réactionnaire de la coalition ne cessa d'en- tretenir dès ce moment, à côté des envoyés officiels en Suisse, Berne, ou plutôt le comité dit Viennois, saisit avec ardeur ces insinuations. Le 23 décembre, le Grand Conseil décréta l'abro- gation de l'acte de médiation, sa propre abdication et la remise de ses pouvoirs à fAvoyer Petit et Grand Conseil de la Ville et République de Berne. Le lendemain , 2-4 décembre , ces souve- rains-là annoncèrent dans une proclamation qu'ils reprenaient possession de leurs sujets , et notamment des cantons de Vaud et d'Argovie. Ils enjoignaient aux administrations de ces cantons de mettre à leur disposition les caisses publiques et les arse- naux. Cette énormilé, qui ulcéra profondément les nouveaux cantons, fut désavouée par les alliés et devint la source des troubles et des divisions qui aflligèrent la Suisse pendant plus d'un an et on firent le jouet des intrigues étrangères. Cependant, 374 au premier moment la majorité des États suisses était loin de s'associer à ces projets réactionnaires ; on en eût la preuve dans la convention du 29 décembre 1813. Ce jour-là, dix des anciens cantons se réunirent sous la présidence du landamman Rein- hardi et arrêtèrent ce qui suit : « Les députés assemblés à Zurich des anciens Etats confédé- rés, Uri , Schwytz , Lucerne, Zurich, Claris, Zug, Fribourg, Bàle , Schaffouse et Appenzell , les deux Rhodes , après mûre déUbéralion sur la situation critique où se trouve la commune patrie , se sont convaincus unanimement que , d'après les évé- nements qui se sont passés tant à l'extérieur qu'à l'intérieur de la Suisse, la Constitution fédérale actuelle, telle qu'elle est con- tenue dans l'acte de médiation , ne saurait subsister plus long- temps; que, cependant, il est d'une nécessité absolue pour le bonheur de la patrie, non-seulement de maintenir l'ancien lien fédéral, mais encore de l'affermir; dans ce but, ils soumettent à la ratification, la plus prompte que possible, de leurs com- mettants la convention suivante : » « 1" Les cantons accédants , d'après l'esprit des anciennes liaisons et des rapports heureux qui ont existé depuis des siè- cles entre les Confédérés, se promettent de nouveau conseil fra- ternel, secours et fidèle appui ; « 2" Sont formellement invités à prendre part à ce pacte fédé- ral renouvelé, tant les autres anciens États conlédérés , que les États qui déjà depuis une longue suite d'années ont fait partie de la Confédération ; « 3» Pour le maintien de l'union et de la tranquillité de la pa- trie, les cantons anciens se réunissent à ce principe , qu'aucun rapport de sujets, incompatible avec les droits d'un peuple libre, ne doit ctre^rétabli ; « 4" Jusqu'à ce que les relations des États entre eux et la di- rection des affaires générales de la Confédération aient été dé- terminées d'une manière plus précise et plus stable, Zurich, 375 ancien chef-lieu confédéré, est invité à se charger de cette di- rection ; < 5» Dans le sentiment de l'urgence de donner une réponse convenable aux déclarations des hautes puissances alliées, en date du 20 décembre de cette année, relatives à la position de la Suisse, jusqu'à la paix générale, les États accédants sont prêts à entrer en négociations à cet égard. » Fait à Zurich, le 29 décembre 1815. Chancellerie fédérale, (Signé) Mousson '. Les députés des nouveaux cantons qui étaient à Zurich invités à se joindre à cet acte, y adhérèrent sans hésiter. Ce fut un moment d'union qui semblait promettre des jours heureux à la patrie. Berne, Grisons et Tessin restèrent seuls en dehors de cette convention. Grisons et Tessin adhérèrent bientôt après. ^ Berne demeura d'abord isolé ; on imputait aux hommes que l'abdication du 23 décembre venait de placer à la tête des affai- res, d'avoir pris part à l'entrée des alliés, et de solliciter le con- cours de ceux-ci pour appuyer des projets réactionnaires. Nous ne justifierons pas la conduite de Berne, ni son égoïsme, ni son ambition ; disons mieux , son avidité. Remettons- nous en sur ce point au jugement d'un homme dÉtat, sur l'appui de qui Berne crut pouvoir compter. Le prince de Metternich dit, en lisant la proclamation où Berne annonçait la prise de possession de Vaud et de l'Argovie : « C'est moins l'appel d'une mère à ses enfants que le cri du « vautour fondant sur sa proie, x ^ Cependant, répétons-le , c'est une leçon dont il faut profiter; l'asservissement à une influence impérieuse et dominatri;e avait ' Cette traduction est celle que Ht immédiatement un des députés à la Diète. *^ 376 enlevé à la Confédération toute force morale; délivrée du joug qu'elle avait porté pendant dix ans, elle eut hâte d'en solliciter un autre; cherchant vainement chez ses hommes d'État une idée grande ou une volonté énergique, elle se tourna vers ce qu'on appelait les puissances et réclama d'elles sinon une charte, au moins de bons offices et des conseils; on sait ce que signifient ces mots de la part des forts qui les adressent à des faibles. Cependant, il faut rendre justice à ces puissances; elles n'é- pousèrent pas les vaines querelles qui furent la suite des réso- lutions inconsidérées de Berne , et ne prêtèrent pas le concours de leur pouvoir à ceux qui rêvaient un impossible retour. Ne craignons pas d'ajouter que la bienveillance et la modération des souverains alliés préservèrent la Suisse d'une effroyable anarchie, dont elle portait tous les éléments dans son sein. L'empereur Alexandre fut le sauveur des nouveaux cantons, c'est à lui surtout qu'ils durent la conservation de leur indépen- dance. Le canton de Vaud, en particulier, ne doit pas oublier que si, en 1814, il ne devint pas Bernois ou Savoyard, c'est à l'empereur de Russie qu'il le doit. Il ne faut pas perdre de vue qu'au mois de janvier 1814, Napoléon n'était pas définitivement abattu, et il avait trop accou- tumé l'Europe à des prodiges pour que les alHés ne pussent craindre de sa part un retour de fortune. Ils se mirent sans hésiter en rapport avec l'Assemblée fédérale , issue de la con- vention du 29 décembre. Ce qu'ils souhaitaient alors, c'était la prompte reconstitution de la Suisse sans l'intervention de la France ; ils lui laissaient le choix des moyens et des conditions. Leurs envoyés, MM. Lebeltzern et Capo d'istrias, écrivaient le l^"" janvier au landamman Reinhardt : « Leurs Majestés Impé- riales et Royales reconnaîtront solennellement un acte sanc- tionné par le suffrage de la nation dès qu'il sera porté à leur connaissance. » Ce but semblait facile à atteindre alors; dix- huit cantons étaient représentés à Zurich, Berne seul manquait, 37" cet État ne voulait reconnaître d'autre Suisse que celle des treize anciens cantons. Il y avait donc deux systèmes en présence; l'un, celui de la légalité récente consacrée par onze années de vie heureuse et commune ; l'autre, celui de l'ordre ancien sou- tenu par Berne, qui attira bientôt d'autres cantons dans sa sphère d'action. Les deux partis, impuissants qu'ils étaient à terminer eux- mêmes leurs affaires, en\oyèrent des députés à Bàle , chercher un appui auprès des monarques alliés qui venaient d'y faire leur entrée. Combien d'intrigues , de bassesses se firent jour autour des princes; nous tirons un voile sur ces tristes détails L'his- toire impartiale nous force à déclarer que la plus bienveillante pour la Suisse, de toutes ces puissances, fut la Russie, et la plus mal disposée , l'Angleterre. Le représentant de ce dernier Etat ne témoignait de sympathie que pour les réactionnaires de Berne et l'aristocratie de Genève. Berne entraîna d'autres États dans son parti ; Soleure opéra une contre-révolution et rappela ses députés de Zurich. Fribonrg fit de même. Les Grisons virent leur gouvernement envahi à main armée par un chef de factieux, nommé Salis , et ce canton prétendit se détacher de la Suisse. Lucerne n'alla pas aussi loin, mais il fit sa contre-révolution, grâce au con- cours de l'avoyer Buttimann, toujours prêta accepter le régime qui lui offrait le pouvoir. Les cantons primitifs, on le conçoit, ne demandèrent pas mieux que de rebrousser vers le passé. 11 n'y eut pas jusqu'à Gersau qui se reconstitua en république indépendante. Chacun revendiquait ses anciens droits, ses anciens territoires, en offrant tout au plus d'admettre les habitants à l'égalité des droits. Le plus naïf dans ses prétentions fut le canton de Zug; il récla- mait une portion des anciens baillages libres d'Argovie, par le seul motif qu'ils étaient à sa convenance ; comme il était fort petit, il lui serait agréable, disait-il, de s'agrandir. Pour con- 378 liante le détail ae toutes ces aberrauons, il faut consulter les recès de la Diète de janvier et février 1814. Ce fut dans ce moment et sous ces tristes auspices que com- mença la discussion du nouveau Pacte fédéral. Il était difTicile que les cantons qui y prenaient part se missent à l'œuvre avec courage et confiance. — Indépendamment des difficultés dont l'intérieur était hérissé , l'extérieur n'était pas rassurant. Le 6 février, l'Assemblée fédérale reçut une note commune des ministres d'Autriche et de Russie. Elle portait en substance « que, lorsqu'à la paix générale , la Suisse connaîtrait l'étendue de ses frontières et l'ensemble des relations fédérales, une Diète générale devrait avoir lieu pour procéder : (( 1° A l'organisation des nouveaux rapports fédéraux; « 2" A des rectifications de frontières, en faveur des cantons qui, à l'époque de la révolution, avaient vu se détacher des por- tions de leur ancien territoire ; « 3° Pour apporter au Pacte fédéral les modifications qu'exi- geraient ces changements. » On comprend quelle perturbation cette note devait jeter dans la discussion ; elle remettait tout en question. L'Assemblée passa outre, et adopta l'article 1", ainsi conçu : « Les cantons « .... se garantissent réciproquement , d'après les conditions « du nouveau Pacte fédéral, leur liberté, leur indépendance, « leur territoire et leurs Constitutions , aussitôt qu'elles seront « convenablement déterminées ; soit contre les attaques de l'é- « Iranger, soit contre les agressions violentes de cantons sépa- « rés ou de factions. » La note des ministres tomba au pro- tocole. C'était bien ; mais de quels arguments se servit-on pour com- battre cette note ? On opposa la parole des souverains à celle de leurs envoyés; ce furent des appels et des contre-appels in- cessants, à l'influence étrangère. Mais de volonté nationale, de la ferme intention d'être les maîtres de son sort , il ne fut pas dit un mot ! 379 On sentait si bien que le dernier mot de ces questions ne se disait pas dans l'Assemblée fédérale, que les articles de ce Pacte donnèrent lieu à peu de discussions, à l'exception du 14*, qui accordait deux votes à chacun des cantons de Zurich et de Berne. Les trois petits cantons s'y opposèrent avec force, et furent soutenus par tous les autres. Ce projet différait, au reste , peu de celui qui est devenu le Pacte définitif en 1815, seulement Zurich était seul directoire, et l'on adjoignait au Président fédéral un Conseil de trois mem- bres pour les affaires diplomatiques. Il avait été question d'établir le gouvernement central dans une ville qui aurait appartenu à toute la Confédération, Vaud en fit la proposition. A défaut de cela, on avait demandé un Conseil fédéral adjoint à un landamman, et composé d'un cer- tain nombre de députés des cantons qui siégeraient à tour pen- dant un nombre d'années déterminé, et se renouvelleraient suc- cessivement ; mais tout ce qui tendait à centraliser fut toujours repoussé, surtout par les petits cantons. Au projet de Pacte était joint un conchisum raisonné, sur la nécessité de revoir les Constitutions des anciens cantons aristo- cratiques et des nouveaux cantons; on exhortait à les combiner de manière que « la culture de Vesprit , les connaissances utiles, l'expérience des affaires et la propriété, surtout la propriété ter- ritoriale, obtinssent d'une manière durable et rassurante, une influence convenable et désirable pour le bien public dans l'ad- ministration » On invitait les cantons à ne pas autoriser des changements trop fréquents dans le personnel gouvernemental. Tous ces grands intérêts, nous l'avons dit, furent traités avec une tiédeur qui annonçait que l'on regardait cette œuvre comme n'étant rien moins que solide. Cependant, on adressa une invi- tation sérieuse et pressante aux cantons de se prononcer sur cet Acte fédéral pour le 3 mars suivant, jour où l'Assemblée devait se réunir de nouveau. 380 On écrivit aussi aux minisires étrangers pour leur communi- quer les travaux de l'Assemblée, et pour les prier de lever les obstacles qui s'opposaient à la réunion complète des dix-neuf cantons de la Suisse ! Avant de se séparer, Uri, Schivylz et Unterivald firent insérer au protocole : « i° Qu'ils ne s'opposaient pas à l'existence indépendante des anciens baillages communs, mais qu'ils réclamaient un dédom- magement équitable ; « 2° Ils demandaient une garantie pour l'existence et les pro- priétés des couvents. » Ces demandes ne furent appuyées que par Ziig ; les autres cantons les combattirent avec force. N'importe, elles étaient faites et ne devaient pas être retirées. Ainsi, six semaines après cette séance du 29 décembre, où il semblait que les Confédérés avaient reconnu que leur salut dé- pendait de l'union et de l'union seule ; ils étaient plus désunis que jamais. L'égoïsme cantonal s'était substitué à l'amour pour la commune patrie ; aussi la Confédération entièrement livrée à l'influence étrangère n'attendait que de l'étranger la guérison de ses maux. Pendant l'ajournement de la Diète, les petits cantons et Lu- cerne renouvelèrent leurs conférences à Gersau, et demandèrent la convocation d'une Dièle des treize anciens cantons. Zurich s'y l'efusa; mais il ajourna la Diète au 21 mars, et convoqua deux jours auparavant une conférence des treize anciens cantons. En attendant, il y avait réellement deux Diètes, l'une à Zurich, où se trouvaient onze cantons , dont tous les nouveaux taisaient partie; l'autre à Lucerne où Berne, Fribourg et Soleure exci- taient les petits cantons à une scission. Entre deux, les minis- tres étrangers allaient de l'une à l'autre, soi-disant pour conci- lier. D'ajournements en ajournements, la Diète ne put se réunir que le 6 avril. Les dix -neuf cantons y étaient représentés, mais 38i ils y venaient avec des dispositions différentes de celles qu'ils avaient manifestées dans la Diète de novembre 1813 et au 29 décembre. Cetle Diète fut surnommée, la longue Diète. Berne ne craignit pas de faire insérer au protocole une déclaration, portant que les Bernois ne se réunissaient « qu'en vertu de la « noie des puissances alliées, qui ne voulaient reconnaître que la « Suisse constituée en dix-neuf cantons, en sorte qu'ils voyaient « dans cetle décision la continuation provisoire des dix-neuf can- « tons constitnés en Suisse par l'acte de inédiation en 1803. » La Diète nomma une commission pour examiner les articles du projet du Pacte sur lesquels on avait élevé des objections ; on la nomma, commission diplomatique. Le député de Yaud (M. Monod) en fit partie. La diplomatie étrangère apporta son contingent aux discussions sur le Pacte et elle les compliqua. Ne l'accusons pas toutefois d'avoir procédé ainsi par esprit brouillon; la conduite des ministres était le reflet des événe- ments qui s'accomplissaient au dehors de la Suisse. Tant que la lutte entre Napoléon et les alliés ne se décidait pas, ceux-ci eurent l'intention de constituer une Suisse à laquelle ils don- neraient des institutions solides; un accroissement de forces et une bonne frontière pour pouvoir au besoin opposer une bar- rière aux retours d'ambition du conquérant. Mais lorsque les événements de la fin de mars amenèrent la chute de Napoléon, les alliés, délivrés de leurs craintes, purent laisser la Suisse faible sans courir de risques. Toutes sortes d'idées germaient dans les têtes sur la Consti- tution définitive du pays; on eut un moment la pensée de lui donner un Statuouder dans la personne du duc de Kent. La reine Victoria eut été princesse suisse, et se fut bornée à pré- sider nos fêles nautiques, au lieu de diriger les foudres de ses navires sur la Baltique et le Pont Euxin; ceci fut bien vite abandonné. Les deux partis qui divisaient la Diète se manifestèrent dans 28 382 les débats sur le Pacte. L'opposition de Berne avait pour motif réel ses prétentions territoriales. On ne saurait croire quels ressorts elle sut faire jouer pour alteindr» son but, Les hommes qui la dirigeaient avaient assez de perspicacité pour avoir com- pris que le pays de Vaud était définitivement perdu pour eux, aussi concentrèrent-ils tous leurs efforts sur l'Argovie ; tantôt on voyait arriver de prétendues pétitions de ce canton, qui de- mandaient sa réunion à Berne; tantôt on agissait auprès des Vaudois pour leur persuader d'abandonner la cause de l'Argo- vie, leur promettant qu'à cette condition, on ne les inquiéterait plus. Les Vaudois furent inébranlables; sans se préoccuper des avantages qui pourraient en résulter pour eux, ils répondirent noblement par l'organe de leur député (M. Monod) : « L'Ar- « govie est dans la même position que nous ; nos intérêts sont « identiques ; y aurait-il de l'honnêteté , de la bonne foi à la « jeter dans l'abîme pour nous tirer d'affaires? Est-ce donc sur « une aussi lâche perfidie que l'on voudrait que se fondât un « État naissant? Je conçois que nos ennemis puissent nous le « conseiller, mais un ami de son pays!. . . » Les événements qui suivirent justifièrent la conduite de Vaud, même au point de vue utilitaire. Puisse-t-elle servir d'exemple aux descendants des hommes de 1814, et leur apprendre que la meilleure politique n'est pas de craindre le danger, mais de garder la foi promise. La discussion du Pacte se continuait au milieu de ces pour- parlers particuliers. On ajournait les articles sur lesquels on n'était pas d'accord ; entre autres le premier sur la garantie du territoire; on en adoptait d'autres. Quelques cantons les pre- naient presque tous ad référendum; cette marche et le Ion de défiance qui régnaient ne montraient que trop la fâcheuse dis- position des esprits qui s'éloignaient toujours davantage, au lieu de se rapprocher. Son individualité, les siens, sa caste, puis son 383 canton. Tel était le point de vue de la plupart des membres de l'Assemblée. Que l'un de ces intérêts compromît celui de la Suisse entière, c'était ce dont on s'inquiétait le moins. Des vues larges et fécondes se firent jour néanmoins, mais elles rencontrèrent peu de faveur. Vaud représenta vainement, quant à la constitution de l'autorité centrale, que, dans l'état actuel de l'Europe, un lien fédéral aussi relâché que celui de l'ancienne Confédération et même que celui que l'on proposait, n'aurait d'aulre effet que de nou.s rendre le jouet des puissances qui nous environnent, si l'on se bornait à ne faire de l'autorité centrale, qu'un bureau d'adresse pour la correspondance exté- rieure. C'était introduire dans les affaires une lenteur qui pou- vait avoir quelque avantage pour le courant, mais qui compro- mettait la Suisse dans les moments de crise, et dans les cas pressants et subits. Lorsque le danger est là, il faut, pour le parer, une mesure prompte ; comment la prendre quand il faut aviser et attendre la réponse de tous les cantons? Par ces motifs , et pour éviter de donner à la magistrature d'un seul canton formant l'autorité centrale un droit trop étendu , on en revenait à la proposition d'un Conseil fédéral, adjoint au Président du Directoire et pris à tour parmi les dé- putés des divers cantons. A cette proposition , on joignait celle de droits légers perçus aux frontières pour former une caisse fédérale. Ces idées, auxquelles on est revenu depuis, furent écartées alors. La centralisation de la régale des monnaies, des postes et des poudres, proposée par Berne, n'obtint pas de faveur. Les péages, les ponlonnages, toutes ces entraves au commerce, furent au contraire décidées dans le sens de la fiscalité cantonale ou mu- nicipale. Berne céda habilement le double vote, que le projet lui attri- buait ainsi qu'à Zurich; elle comptait par là capter la faveur des petits cantons. Ce droit, d'ailleurs peu important, était en- 384 taché du vice de provenir de l'acte de médiation. Zurich con- serva provisoirement , en lui adjoignant une chancellerie dis- tincte à la nomination de la Diète, le pouvoir directorial. La discussion sur les couvents fut très-animée. Argovie, ceci est étrange, réserva expressément « que l'on ne pourrait ni sup- « primer les couvents , ni altérer leur position sans le consen- « lement de l'autorité supérieure ecclésiastique. » Toutefois, il fallut toute l'habileté du nonce apostolique pour faire insérer dans le Pacte la garantie des couvents. Berne, lorsqu'elle n'était pas aveuglée par l'ambition et l'in- térêt, avait des vues d'avenir auxquelles on doit rendre hom- mage. A la fin de la discussion, elle proposa d'insérer un article relatif à un mode de révision du Pacte; elle se fondait sur deux motifs principaux. Le premier était tiré des circonstances défa- vorables sous l'empire desquelles l'œuvre était élaborée; le se- cond avait pour objet de prévenir toute atteinte à l'indépendance de la Suisse. Si les puissances prétendaient garantir le Pacte, il fallait qu'il contînt un article sur lequel la Suisse pût s'appuyer pour faire les modifications commandées par la nécessité. Cette sage pensée ne fut pas comprise. Les questions territoriales n'étant pas vidées, tout le travail auquel la Diète venait de se livrer ne pouvait avoir de caractère définitif. Ces questions étaient complexes; les unes étaient rela- tives aux compensations et aux territoires réclamés à l'intérieur par certains cantons ; d'autres concernaient le retour à la Suisse de pays qui en avaient été détachés et qui en faisaient partie jadis, soit à titre d'alliés, soit à titre de sujets. Ceci s'appliquait à l'évéché de Bâie, au Yalais, à Neuchâtel, à Genève, à la Val- teline, Chiavenna et Bormio. Enfin, il s'agissait de territoires destinés à assurer à la Suisse une bonne frontière militaire; tels que le pays de Gex, le Cha- blais, une partie du Faucifiny et du Genevois et la ville de Cons- tance. 385 Nul doute que dans l'origine, les promesses faites à la Suisse ne fussent sincères. Les puissances n'y attachaient qu'une con- dition, savoir, que la Suisse se constituât, et que les peuples qui lui seraient réunis jouissent d'une parfaite égalité de droits. La conduite des États suisses , dans leur travail de reconstitution, fut un motif ou un prétexte plausible pour les alliés de revenir sur des promesses que, depuis l'heureuse issue de la guerre, ils étaient moins pressés de tenir. Cependant, la Suisse avait reçu l'invitation de faire occuper les territoires en question. La première tentative qu'elle fit pour répondre à cet appel ne fut pas heureuse. On mil sur pied quel- ques troupes; on les plaça sous le commandement d'un colonel fédéral ; sUes s'acheminèrent vers les Grisons. Une lettre com- mune des ministres d'Autriche, de Russie et de Prusse, adres- sée aux généraux des troupes alliées, les invitait à seconder le colonel suisse dans l'accomplissement de ses devoirs. Les Gri- sons impatients le devancèrent en envoyant quatre compagnies à Chiavenna, d'où elles chassèrent la garnison italienne ; à peine y étaient-elles établies, que le commandant autrichien, sans se soucier de la lettre des ambassadeurs, les somma de se retirer, annonçant qu'au besoin il les y contraindrait. Les Suisses pro- testèrent et obéirent. Avec un peu plus de fermeté ils seraient restés les maîtres de ce territoire, qui n'aurait plus été contesté. Cet incident n'encouragea pas la Diète à continuer l'occupation des territoires réunis. Elle envoya cependant des troupes à Ge- nève et à Bienne. Le spectacle que présentaient les cantons pendant ce temps, n'était pas consolant. La campagne à Soleure se soulevait contre la ville; Thurgovie et Saint-Gall s'agitaient. Uri soufflait le feu dans le Tessin, à qui il réclamait la Léventine; d'autres partis, les uns démagogiques ; les autres lombards, enlre- tenaient l'anarchie. Le gouvernement du Tessin s'enfuit. Schwytz et Glarts réclamaient, l'un Utznach et Gaster; l'autre Sarganz et le Verdenberg; Appenzell intérieur voulait le Rheinthal', Zug 386 continuait à demander ce qui était à sa convenance pour s'ar- rondir; Zurich avait aussi quelques velléités sur une partie des balliages libres, mais il ne l'affichait pas trop. Berne se frottait les mains, il espérait récolter sur le terrain bouleversé. Les ministres étrangers, M. de Gapo d'Istrias en particulier, répétaient, non sans raison que, pour mettre fin à ces déchire- nients, il fallait se hâter de pourvoir à l'organisation intérieure des cantons. Mais ce qui était de trop, c'était d'intervenir direc- tement dans ce travail , avec l'intention avouée de renforcer le principe aristocratique et de faire cesser les défiances , en rap- prochant, autant que possible , entre les cantons les différents systèmes de gouvernements. Ce n'étaient pas seulement des idées générales que les ministres énonçaient; ils entraient dans tous les détails; déterminaient le nombre des districts ou des cercles ; ils voulaient que l'on rétablît les privilèges des bour- geois, sans trop savoir ce qu'étaient ces bourgeoisies ; ils étaient poussés parles hommes qui se servaient d'eux. Us se prononçaient aussi sur le nombre des membres des Grands Conseils, le mode de leur élection, etc. ; puis ils disaient carrément que l'adoption de ces propositions était le moyen de s'assurer la haute bien- veillance des alliés. Il est bon de tenir note de ces faits , afin d'apprécier le degré d'indépendance dont jouissaient alors les Etats suisses, surtout les nouveaux cantons, que la diplomatie plaçaient dans rallernative de se soumettre à son bon vouloir, ou de compromettre leur existence. Il est vrai que, plus tard, les cantons aristocratiques ne furent pas épargnés. Ainsi dans les instructions que reçut le baron de Krudener, comme ministre de Russie, au moment où le comte Capo d'Istrias partait pour le congrès de Vienne , il était formellement dit qu'il fallait s'opposer au retour des privilèges, engager Berne à changer de système, et s'il n'y consentait pas, l'y forcer. Exiger de Fribourg l'abolition du patriciat , et que la fampagne eût au moins un tiers dans la représentation, etc. 387 Si du moins par de telles concessions on eût obtenu la paix ; mais la défiance et l'animosité paraissaient sur le point de dé- générer en querelles sanglantes. Argovie et Vaud d'une part, Berne de l'autre, se mettaient en mesure soit pour se défendre, soit pour attaquer. Les écrits anonymes envenimaient les que- relles, et l'on se permettait les plus mauvais procédés. Ainsi Berne fit arrêter un exprès que le député de Vaud envoyait à son gouvernement; en ouvrit les dépêches et en prit con- naissance. — Ce fut au milieu de ce chaos que la Diète reprit pour la troisième fois la discussion du Pacte. On fut arrêté dès le premier article, qui traitait les questions de territoire. Il fallut le laisser sans solution et passer aux autres, dont le sort ne fut pas plus satisfaisant ; chacun les prenait ad instruendum ou ad ralïficandum, selon qu'il les voulait ou ne les voulait pas. Cepen- dant l'ouverture du congrès de Vienne approchait, il importait à la Suisse d'y être représentée, de peur, qu'ainsi que l'avait dit un homme d'État, si elle ne l'était pas, elle n'y lût considérée comme tant d'autres pays, c'est-à-dire comme une marchandise dont on pouvait disposer. En conséquence , après avoir épuisé tous les articles, on mit aux voix l'ensemble le 8 août 1814'. Les divagations recommencèrent jusqu'au vote de Bàle, dont ou ne peut assez louer le caractère ferme, calme et conciliant. Après avoir rappelle tous les faits qui venaient de s'accomplir, le député donna lecture de la déclaration suivante : « Les Bourg- « meslres, Petit et Grand Conseils du canton de Bàle, ont ac- « cepté l'acte fédéral entre les dix-neuf cantons, soumis à la « ratification. Ils se regardent comme liés fédéralement dès ce « jour avec tous les louables États qui y ont accédé ou qui y « accéderont encore, et ils rempliront tous les devoirs et toutes « les obligations fédérales envers eux. Ils approuveront tous les « moyens qui pourront porter les États encore en arrière à ad- « hérer au Pacte. Ils prendront part volontiers dans ce but à « tous les projets de modification suivant lesquels, sans toucher 388 « aux principes de la Constitution adoptée, on pourra obtenir la « réunion des dix-neuf cantons , et ils sacrifieront volontiers « toute vue particulière à la volonté générale. » Neuf et demi États adhérèrent à ce vote. On serait probable- nr)ent arrivé à un conclusum , si le désir de tenter encore des accommodements n'avait amené des atlermoiemenfs ; bientôt lout fut compromis par la proposition d'introduire à côté du Pacte une convention , suivant laquelle on s'engageait à sou- mettre les réclamations et les questions de territoire à un arbi- trage. — Les débats orageux recommencèrent et les affaires semblèrent loin de leur conclusion. La Diète se réunit de nouveau au commencement de sep- tembre ; il s'agissait, outre le Pacte, de donner des instructions à la députation qui allait représenter la Suisse au congrès de Vienne, dont on attendait la solution de toutes les difficultés qui préoccupaient l'Europe. Grande illusion. On put voir bien vile ce que risquent les petits peuples, lorsque, dans leurs démêlés, ils font la sottise de recourir aux grands. C'était la convention additionnelle au Pacte qui était la pierre d'achoppement ; on y fit quelques modifications, et on voulut la faire accepter avec le Pacte. Vaud et d'autres Etats s'y refusè- rent. Le Pacte fut adopté unanimement, le 9 septembre. On décida qu'à une époque prochaine il serait corroboré par un serment solennel. Tout semblait fini ; erreur : Berne fit enfin connaître ses de- mandes ; il renonçait à ses prétentions sur Vaud , mais il de- mandait à cet État la modeste somme de 4,600,000 francs de Suisse; environ 6,700,000 francs actuels! Les Bernois avaient établi ce compte en imputant toutes les dépenses qu'ils avaient faites dans le pays de Vaud avant 1798, mais sans compensation de l'argent qu'ils en avaient retiré; à cette somme ils ajoutaient la demande, que Vaud abandonnât sa part des fonds placés en Angleterre par l'ancien Etat de Berne ; 389 qu'il indemnisât les propriétaires de lods bernois, et qu'il pour- vût encore à d'autres frais. — Vaud résista à ces prétentions exorbitantes. — Les députés envoyés au congrès de Vienne furent Mes- sieurs Reinhardt, bourgmestre de Zurich ; de Montenach, avoyer de Fribourg; Wieland , de Bàle. Les instructions données à ces Messieurs consistaient essentiellement à demander la réintégration des pays détachés de la Suisse , et une frontière qui facilitât la défense de son territoire et celle de sa neutralité. Les puissances n'avaient cessé de promettre cette neutra- lité, si on réunissait le Valais, Genève et Neuchâtel. Celle réunion fut prononcée le jour même ou furent nommés les députés au congrès. — Pendant qu'on s'agrandissait d'un côté, le désordre augmentait de l'autre : Tcssin fut pendant quelque temps dans une anarchie complète; Berne eut aussi sa part d'agitation dans l'Oberland. Aux embarras que donnaient au gouvernement de Saint-GaU\e Rheinthal, Sargans, Utznach, vinrent s'ajouter les prétentioi\s de l'abbé. A Fribourg , un pa- triciat bourgeois, aussi antipathique à la vraie noblesse qu'au peuple, s'était emparé du gouvernement; les mécontents en- voyèrent des délégués à Zurich réclamer l'inlervenlion des mi- nistres étrangers , qui leur accordèrent un sauf-conduit. Le gouvernement de Fribourg ne le respecta guère et fit jeter les délégués en prison. Enfin, Uri, Schwytz et Untenvald, ne trou- vant plus la Suisse digne d'eux , décidèrent de se reconstituer sur le principe de l'Union de 1315. La Diète, inquiète de celte tendance, leur envoya des députés qui parvinrent à rassurer Uri et VObwald. Schwylzei le Nidwald persistèrent et renouvelè- rent à eux deux la ligue de 1315 ; néanmoins Schwtjtz ne tarda pas à venir à résipiscence. Nous verrons ce qu'il advint de Nidwald. Le ministre de Russie en Suisse , le comte Capo d'Istrias, allait se rendre au congrès où il élait appelé pour donner des informations sur l'état de la Suisse. Avant de partir, il réunit la 390 Commission diplomatique de la Diète et lui parla en ces termes : « Je désirerais vous laisser calmes et tranquilles; il n'a pas tenu « à moi qu'il en fût ainsi, peut-être ai-je échoué, parce que j'ai « trop respecté votre indépendance et votre susceptibité natio- « nales. Vous savez qu'à notre retour de Chaumont, nous étions « porteurs d'instructions signées de l'empereur mon maître, de « l'empereur d'Autriche et du roi de Prusse , par lesquelles, « dans le cas où vous ne tomberiez pas d'accord promplement « sur votre organisation, nous serions autorisés à nous environ- « ner d'hommes probes, connaissant les intérêts de votre pays, « et à vous donner une Constitution! Mais nous avons cru que « vous vous entendriez. Pourquoi cela n'a-t-il pas eu lieu'f « C'est qu'à cette époque, comme à toutes celles de votre his- « toire, les événements du dehors ont trop influé sur ceux de l'in- « térieur! Lorsqu'en février les alliés s'avançaient en France, le « système des treize cantons prévalait parmi vous. Bientôt après, « Napoléon paraissant reprendre quelque ascendant , vous con- <{ sentîtes à revenir au système des dix-neuf cantons , qui avait « obtenu , au mois de décembre passé, un assentiment à peu « près général , et qui, par notre déclaration de février, avait « été pris pour base de l'organisation de la Suisse. Vous pen- ce sâtes qu'en y adhérant, si celui qui avait gouverné l'Europe « devait régner encore en France, il pourrait être satisfait. La « paix de Paris étant survenue, vous avez cru pouvoir vous rai- « dir de nouveau. Vous avez préparé un Pacte fédéral fondé « sur les principes que nous vous avions développés, ensuite de (( ce que chacun de vous nous avait dit. Cependant, vous l'avez > Puis, après avoir fait l'exposé de ce qui s'était passé, api"ès avoir rappelé les bonnes intentions de la Russie, il termine par ces mots : « En ce qui me touche personnellement , je ne cacherai pas « que j'ai dû être vivement affecté de la manière dont mes « efforts ont clé méconnus. Je n'en porte pas moins un vif inté- « rêt à la Suisse, et dans le compte fidèle que je dois rendre à « l'empereur de ce qui s'est passé, il ne tiendra pas à moi que « le résultat n'en soit heureux pour la Suisse, et ne satisfasse « autant que possible les partis qui la divisent » Il nous a paru que ce discours offrait un résumé remarquable de la position de la Suisse. Position de dépendance complète vis-à-vis des puissances étrangères, parce qu'elle ne pouvait pas se présenter à elles avec cet esprit de fraternité et de dévoue- ment à la commune patrie, qui relève les faibles et les rend respectables même aux yeux des forts. Les discours de plusieurs députés en réponse à celui du comie Capod'htnas, entre autres de m\. Escher, de Mulinen et Mouod, seraient aussi curieux à consulter comme expression des vœux et des prétentions des cantons que ces magistrats re- présentaient, et comme exposé des causes et des divisions de la Suisse; mais leur reproduction dépasserait les bornes de ce travail ; nous citerons seulement les dernières paroles du dé- puté de Vaud ;sarcasme amer à l'adresse du gouvernement de Berne. 392 « Le bonheur de notre peuple , voilà l'uaique but de notre « gouvernement ; si ailleurs ce but n'est qu'en seconde ligne, ce ou si peut-être on ne voit le bonheur du peuple que dans celui « de la classe qui gouverne, et si on prétend nous obliger à en « faire autant , je dois déclarer que l'on n'y parviendra pas. » — Le résultat de celte réunion n'en fut pas moins, comme dans toutes les autres : Verba atque voces, prœterea que nihil. Rendons toutefois hommage et à la mission du comte Capo d'Istrias , et au caractère de ce ministre , l'une et l'autre cher- chaient les vrais intérêts de la Suisse. Les instructions qu'il laissa en partant au chargé d'affaires , baron de Krudener, le témoignent assez. Elles se résumaient ainsi : appuyer dans une juste mesure les droits des nouveaux cantons, résister à l'esprit réactionnaire que Berne répandait autour de lui. Dans cet état d'incertitude , on trouva prudent de renvoyer la prestation de serment au nouveau Pacte. Les partis mirent ce temps à profit pour essayer de faire prévaloir leurs vues au moyen de sourdes intrigues. Le gouvernement des Bourbons en prit sa part, et fut aisément gagné à la cause que défendait Berne. Nous ne nous arrêterons pas aux détails de cette guerre de chicane; les armes employées étaient de mauvais procédés et des pamphlets; parmi ces derniers on peut citer celui qui parut sous le titre de Cor- respondance et autres pièces secrètes, et la réponse qu'elle pro- voqua, intitulée: Quelques mots d'un Yaudois sur la correspon- dance secrète. — Ce fut l'époque où de jeunes Vaudois qui étu- diaient la médecine à Paris, et dont l'un d'eux est devenu l'his- torien distingué du canton de Vaud * , dirigés par le professeur Manget , s'amusèrent à mystifier les journaux français , en leur faisant part de comlats livrés entre Vaudois et Bernois; de charges de cavalerie sur les dents de Morde et de Jaman, et autres bévues topographiques, qui finirent par exposer à la ■ M. VerdeJl. 393 risée du public les journaux et les partis qui les accueillirent, et les forcèrent au silence. La France avait réuni quelques troupes dans un but plus sé- rieux en Franche-Comté. Ce furent précisément celles à la tête desquelles le maréchal Ney marcha plus tard pour aider Napo- léon à renverser le trône des Bourbons '. Outre la dépulation fédérale , chargée de représenter les intérêts de la Suisse au congrès de Vienne, plusieurs cantons y avaient envoyé des hommes chargés de plaider leur cause. MM. Rengger, représen- tait Argovie ; de la Harpe, Vaud ; Zeerleder, Berne ; de Salis, Albertini, et Toggembtirg , les Grisons; Piclet de Rochemont, d'Ivernois et Eynard, Genève ; de Bilieux et de la File, l'Evé- ché de Bàle; Heilmann, la ville de Bienne. Rappelons ici que les grandes affaires se décidaient dans un comité central, formé par les ministres des huit puissances qui avaient signé le traité de Paris ; savoir, l'Angleterre, l'Autriche, l'Espagne,, la France, la Prusse, le Portugal , la Russie et la Suède. Les affaires particulières des différents pays étaient préparées par des comités composés de quelques membres des puissances les plus immédiatement intéressées à la conclusion de ces ' Les intentions agressives qui avaient présidé à ce rassemblement de troupes sont positives ; un plan d'attaque du canton de Vaud avait été fait et signé par le baron de Préchamp, chef d'élat-major de M. de Bourmont. Toute la frontière de Porrentruy, au Fort-de-l'Écluse, avait été reconnue. Le point d'attaque désigné était Tveidon. Dans ce but, un bataillon destiné à être l'avanl-garde de la colonne principale, avait été dirigé sur Pontarlier à l'insu du minislrc de la guerre ; deux au- tres colonnes devaient s'avancer, l'une par le Porrentruy , l'autre par le Fort-de-l'Écluse. Toutes ces troupes devaient combiner leurs mou- vements avec ceux des Bernois. Ces plans n'étaient pas ceux du gou- vernement français, mais de ce pouvoir occulte qui siégeait au pavillon Marsan, et dont les extravagances contribuèrent pour beaucoup à l'évé- nement du 20 mars. 394 affaires. Celui de la Suisse étail formé de lord Sh^art, ministre d'Angleterre; du baron de Wessemberg , pour l'Autriche, de M. de Humboldt , pour la Prusse , et du baron de Stein pour In Russie. On adjoignit plus tard le duc de Dalberg, pour la France. MM. Capo d'Istrias et Canningy faisaient l'office de rap- porteurs. Ces comités faisaient rapport au comité central, qui décidait et faisait ratifier par les souverains. Il y eut beaucoup de retard dans les opérations de ces comités. M. de Capo d'Istrias défen- dit avec chaleur dans celui de la Suisse, le principe de l'inté- grité des dix-neuf cantons. Les députés fédéraux et les députés des cantons furent entendus. Après eux vint une note du duc de Dalberg, qui otTrait de céder Versoix et un petit territoire au canton de Genève, moyen- nant que Moûtiers et le Val-Saint- 1 inier , ainsi que YArgovie bernoise, fussent réunis au canton de Berne; le Porrentruy et la Vallée des Dappes à la France , et, pour indemnité de celte dernière cession, Céligny au canton de Vaud. Les puissances rejetèrent cette proposition. Lord Stuart vou- lait qu'on donnât le Porrentruy à Genève, comme moyen d'é- change contre le pays de Gex; mais il fut décidé que les com- pensations réclamées par Berne se prendraient dans le Por- rentruy. L'Autriche annonça qu'elle consentait à rendre la Valteline, Bormio et Chiavenne aux Grisons; sous la seule condition que ces pays obtinssent les mêmes droits que les Grisons eux-mêmes. Rien de plus juste que cette proposition. On eut la maladi^esse de marchander et de ne pas profiler de ce moment unique , l'Autriche retira l'offre. Ces pays furent perdus pour la Suisse et les Grisons. Bienne voulait faire un canton avec sa banlieue, Moûtiers être réuni à Berne, le reste de l'évêché former un can- ton sons la souveraineté de son évêque a peu près comme Neu- chàlel. Enfin, la Suisse, par l'organe de sa députalion, deman- dait des frontières, qu'elle pût défendre. 395 Après avoir entendu toutes ces députations et un rapport lumineux du comte Capo d'Istrias, dans la séance du lOjanvier, on se croyait près de conclure , lorsque les séances du comité furent suspendues pendant plus d'un mois. On laissa traîner les affaires jusqu'au commencement de mars, et Dieu sait ce qu'il serait advenu , si la nouvelle du débarquement de Bonaparte, tombée comme une bombe au milieu de ces grands de la terre qui sommeillaient, ne les eût tiré de leur assoupissement. Il fallait se hâter de courir pour éteindre l'incendie qui se rallu- mait, et par conséquent s'entendre et terminer les différents. La Suisse n'y gagna rien, ou ne lui rendit ni ses anciennes limites, ni une compensation équivalente. Le récit des événements militaires , suites du retour de Na- poléon, est étranger à ce travail. Nous avons parlé de la part que la Suisse y prit; son rôle ne fut ni grand, ni glorieux. Arrêtons-nous plutôt à la déclaration de Vienne du 20 mars (1815), qui fut dès ce moment, avec le Pacte fédéral, la base du droit public de la Suisse. Ces stipulations garantissaient la neutralité perpétuelle de la Suisse , consacraient l'intégrité des dix-neuf cantons, et leur ajoutaient trois nouveaux : Valais, Neu- châtel et Genève. La Vallée des Dappes était destinée au canton de Vaud ; l'Évêché de Bâle et le territoire de Bienne étaient incor- porés au canton de Berne. La France s'engageait à laisser en tout temps libre la route de Genève par Versoix. On imposait aux cantons d'Argovie, de Vaud, du Tessin et de Saint-Gall, le paiement d'un subside de 500,000 francs anciens (725,000 francs), en faveur des cantons de Schtvijiz, Unlerwald, Uri, Zug, Claris et Appenzell intérieur. Les petits cantons n'a- vaient rien demandé aux nouveaux cantons, et reconnaissaient loyalement qu'ils n'avaient rien à en réclamer. Ils ne furent donc pas scandalisés (on ne l'est guère quand il s'agit de re- cevoir de l'aigent) ; mais très-su rpris de celte décision, à laquelle ils ne s'attendaient pas du tout. 390 Celte déclaration statuait encore que les États de Zurich et de Berne conserveraient la propriété des fonds placés en Angle- terre ; mais que les intérêts échus et accumulés dès l'année 1798 à 1814 seraient affectés au paiement de la dette helvétique, dont le surplus serait à la charge des autres cantons. Vaudàal payera Berne 300,000 fr. anciens (435,000 fr.), pour être répartis entre les Bernois, propriétaires de lods. Enfin, Saint-Gall eut à payer une pension viagère au prince-abbé et à ses employés. Il n'est pas question dans cette déclaration d'une garantie du Pacte fédéral ; d'où l'on pût inférer, comme on l'a prétendu plus tard, que la Suisse était fatalement enchaînée à ce Pacte, et n'avait pas le droit de le changer. L'Autriche se fit reconnaître par le congrès la propriété des trois vallées, qui appartenaient aux Grisons. Ajoutons que, quelqu'onéreux que fussent les sacrifices pécuniai- res exigés des nouveaux cantons; ces États, sans l'intervention de la Russie, eussent été moins bien traités. Ce fut encore cette puissance qui, en consentant à abandonner l'Évêché de Bâie au canton de Berne, y mit pour condition , que les habitants ob- tiendraient l'égalité des droits. La Piussie défendait la liberté des peuples que le gouvernement anglais livrait pieds et poings liés! Celte déclaration fut acceptée par l'unanimité des cantons ; elle mit un terme aux divisions qui déchiraient la Suisse depuis quinze mois. Mais ce serait mal connaître les hommes que de croire à l'in- fluence magique d'un document de chancellerie pour calmer des passions aussi longtemps excitées. Le malencontreux traité conclu aussitôt après avec les alliés, et qui faisant sortir la Suisse de la neutralité qu'on venait de lui garantir, l'entraînait à participer activement à la guerre contre la France, fût un nouveau sujet de luttes et de discussions entre les cantons. Le parti réactionnaire voulait la guerre ; les hommes qui appréciaient mieux les intérêts nouveaux de la Confédéra- tion ne voulaient que la neutralité. Trente-deux ans plus tard, 397 les hommes du mouvement en Suisse voulurent la guerre, à leur tour, et le parti de la résistance s'y opposa. Les uns et les autres aveuglés par leurs passions, ou leur intérêt personnel, affectèrent de méconnaître que notre armée , (et c'est son bon- heur comme le nôtre,) admirable pour défendre son pays, ne vaut pas grand'chose pour envahir le pays d'autrui. Le repos de l'Europe fut de nouveau assuré par la chute de Napoléon. Rien ne s'opposait plus à la sanction du Pacte fédé- ral; le 7 août 1815 fut le jour fixé pour cette cérémonie. Elle eut lieu dans l'église principale de Zurich. Avant ce moment, les députés réunis dans la salle de la Diète y avaient signé et scellé de leur sceau particulier le Pacte écrit sur parchemin, puis ils se rendirent processionnellement à l'église ; chaque dé- putation, suivie de l'huissier aux couleurs de son canton, avec le cérémonial qui fut renouvelé chaque année , pendant trente- trois ans ; cérémonie empreinte d'un caractère original et sim- ple, qui seyait à une nation républicaine, et dont ceux qui y ont pris part conserveront toujours un profond souvenir. L'archiduc Jean , venu de Bâle , et les envoyés de toutes les puissances représentées auprès de la Confédération, assistèrent à cette solennité. Ils venaient saluer la réunion des représen- tants de vingt-deux petits États souverains, resserrés au centre de l'Europe monarchique , dans les hautes régions qu'enfer- maient le Jura et les cîmes les plus élevées des Alpes; ilsvenaient aussi, ces députés, oubliant l'acharnement dont souvent ils avaient donné le triste exemple , se tendre la main de paix, se jurer amitié fraternelle, fidélité dans le bonheur comme dans rin- fortune, et prendre Dieu à témoin de la sincérité de leurs ser- ments. Nidiuald seul manquait à celte réunion de Confédérés , fidèle à ses traditions de défiance, trompé par les intrigants qui avaient si longtemps travaillé à semer la division entre les Suisses, abusé par quelques fanatiques , il avait persisté à rester en de- 29 398 hors du rapprochement des Confédérés. La Diète, après avoir épuisé les moyens de conciliation, essaya de la rigueur; elle enleva à ce demi-canton la vallée d'Engelberg, la réunit à Obwald , et déclara Nidwald exclu de la Confédération. Il tint ferme, et ne parut pas faire état du reste delà Suisse. On ne de- vait pas laisser subsister ce foyer de discordes qui pouvait rallu- mer un feu mal éteint. La Diète se décida à agir vigoureusement ; elle fil marcher quelques troupes. Leur présence suffit pour dis- siper une faction qui n'était pas soutenue par les convictions du peuple, et Nidwald reprit sa place au milieu des Confédérés, mais la vallée d'Engelberg ne lui fut pas rendue. Ainsi fut accompli le laborieux enfantement du Pacte '. Il substitua une Confédération d'Etats à FEtat fédératif, créé par l'acte de médiation. La durée et le bonheur de la Confédération helvétique étaient maintenant remis à la sagesse des peuples qui la composaient. C'est à l'histoire des années qui se sont dérou- lées sous nos yeux à nous enseigner si cette sagesse fit défaut. Le 31 août suivant eut lieu la clôture de la Diète ; Diète la plus longue dont fassent mention les annales de la Suisse. Elle dura de la fin de décembre 1813 au 31 août 1815. Aucune ne fut témoin d'événements aussi extraordinaires. Malheureuse- ment, elle fut loin d'être à leur hauteur; il n'eut fallu cepen- dant pour cela qu'une chose: avoir pour but unique le plus grand bien de tous et non l'avantage de quelques-uns Si l'on a suivi avec quelque attention l'exposé historique que nous avons présenté, on aura reconnu, nous le pensons, que le Pacte de 1815 fut, comme son devancier l'acte de médiation, conçu et élaboré sous l'influence étrangère. Cette tache origi- nelle dans la Constitution d'un peuple libre ne lui appartient donc pas exclusivement, et si nous voulions remonter an delà de l'acte de médiation, nous trouverions dans toutes les constitu- • Voir le texte annexé plus loin. 390 lions qui se sont succédées sous le gouvernement unitaire, l'esprit, l'induence, les conseils ou la volonté de l'étranger. Mais l'intelligence qui présida à la rédaction de l'acte de média- tion était plus élevée, et comprit mieux les besoins de la Suisse et de l'époque, que les hommes qui firent connaître à la Suisse les intentions de l'Europe depuis le mois île décembre 1813 au 7 août 1815. Ces hommes représentaient des systèmes diffé- rents ; leur lien était la haine envers la révolution et la France ; sur le reste, ils divergeaient; comment auraient-ils imprimé à la Suisse une direction unique et constante? Aussi , comme l'a dit avec raison un historien ' : « Si l'acte de médiation fut un « tout harmonique, juste milieu entre l'ancienne Confédération « et l'unitarisme helvétique, le Pacte de 1815, résultat d'expé- « dienls, était une œuvre incohérente et inconsistante, triste « intermédiaire entre la médiation et le vieil état de choses. » Cependant les germes jetés dans le sol fédéral sous l'acte de médiation ne furent pas étouffés, ils continuèrent, en partie du moins, à se développer, soit à l'abri du Pacte nouveau, soit à l'aide des concordats qui suppléèrent à son insuffisance. Parcourons rapidement les principales dispositions de cet acte. Art. l^"". Les cantons se garantissent leur territoire; ceci est clair; plus de prétentions de l'un sur l'autre, la paix territoriale est assurée. Mais la garantie mutuelle des constitutions est tel- lement vague et indéterminée, que la pratique en a prompte- ment démontré la nullité, et lors de la crise de 1830, la Suisse, sous la pression des événements qui s'accomplissaient autour d'elle, a substitué de fait, à cette stipulation, une déclaration qui laissait à chaque Etat la faculté de se constituer comme bon lui semblait. La garantie ne peut s'entendre sans reconnaître un , droit d'investigation et de contrôle sur l'objet garanti. ' M. de Tillier. 400 Art. 2. Cet article pose les bases de l'organisation militaire de la iSuisse ; il lui fait faire un progrès ; il est le fondement sur lequel s'est élevé successivement l'édifice de cette organisation. Le règlement militaire de 1817, qui a été une véritable annexe au Pacte, en établissant une réserve égale au contingent, a don- blé les forces disponibles de la Suisse, et a fait reposer leur for- mation et leur institution sur des principes qui ont reçu dès lors un développement graduel. Art. 3. En fixant les contingents d'argent, en établissant une caisse militaire, en l'alimentant par la perception de droits d'en- trée, a jeté les bases du système financier actuel de la Confédé- ration , bien modestement, il est vrai. Cet article a conservé le principe posé par le gouvernement unitaire , principe qui a été développé plus tard. Art. -4. Qui détermine les droits et les obligations récipro- ques des cantons en cas de troubles ou de danger subit , n'est pas clair dans sa rédaction, et l'application n'en a pas été tou- jours heureuse. Art. 5. Substitue le droit à la force pour régler les contes- tations qui peuvent s'élever entre les cantons. Le mode d'arbi- trage, prévu par cet article, n'est pas une idée nouvelle, mais le principe est bon, et il ne faut pas perdre de vue que lorsqu'il fut établi , les cantons se lançaient depuis plusieurs mois des défis, et armaient ouvertement pour soutenir leurs prétentions. Art. 6. Était excellent dans son intention ; il avait pour objet de prévenir le retour de ces ligues de canton à canton, de ca- tholiques et de protestants, qui avaient été si fatales à l'ancienne Confédération. L'article était positif, mais que peuvent les lois contre les passions. Les alliances particulières se sont refor- mées, toujours colorées du prétexte qu'elles n'étaient pas préju- diciables au Pacte ; elles ont amené la chute de ce Pacte même. Art 7. Qui consacre légalité des droits politiques, et qui déclare qu'il ne peut exister en Suisse de pays sujet, mérite une 401 entière approbation; il réglait les deux grandes questions qui avaient divisé la Suisse et attiré sur elle 4ant d'orages et de malheurs. Art. 8. Nous ne pouvons accorder un éloge aussi complet à cet article, qui détermine la compétence de la Diète. Il est vague, incomplet, et soumet à une majorité des trois quarts des voix, la question de la paix et de la guerre. Ce qui, en d'autres termes remet la décision des plus grands intérêts de la patrie entre les mains de la minorité. On pouvait comprendre que l'on réclamât celte garantie des trois quarts pour déclarer la guerre; mais pour rendre la paix au pays, s'enchaîner à la volonté ou au caprice de six cantons contre quinze, semble peu justifiable! Dans le droit, très-élastique, conféré à la Diète, de prendre toutes les mesures nécessaires pour la sûreté intérieure et exté- rieure de la Suisse, on déposait le germe de tous les actes arbi- traires qui ont troublé le pays pendant plusieurs années. C'était l'article 14 de la charte française ; selon cet article et avec la majorité de douze voix, qui pouvaient être celles des cantons les plus faibles en population, la Diète pouvait tout faire, et en réalité elle a fait des choses considérables. Elle a démoli le can- ton de Bâle ; elle a démoli, puis reconstruit le canton de Schivytz ; elle a dissous le Sonderbund. Art. 9. Il conférait à la Diète le droit de donner des pou- voirs particuliers au Vorort et de lui adjoindre des représen- tants ; mais cette institution n'a pas eu de résultats ; on n'a pu l'organiser, et l'essai que l'on a tenté en 1836 fut dérisoire. Le système des représentants se concevait lorsque le directoire était composé d'un seul homme, le landamman de la Suisse; l'adjonction d'un collège de représentants modifiait son pou- voir. Mais, avec un directoire indéterminé, et si peu déterminé, que l'on a vu le Grand Conseil d'un Canton directeur prétendre exercer les fonctions de directoire fédéral, avec un tel sys- tème, les représentants pouvaient être facilement absorbés et 402 n'exercer aucune action sur les résolutions qu'ils (levaient con- tracter. Art. 10. Laisse beaucoup de vague, au lieu de décrire d'une manière nette et précise les attributions du directoire fédéral ; il se contente de se référer à l'état de choses existant avant 1798, c'est-à-dire à un état indéterminé , sans force, où rien n'était spécifié. Le directoire , insignifiant pour faire le bien, pouvait faire du mal par des moyens subreptices. Art. 11. Posait un principe sage en faveur de la liberté du commerce; mais il le restreignait immédiatement dans l'appli- cation, sous deux points de vue : 1° En subordonnant la garan- tie donnée à la libre circulation des denrées, aux mesures auto- risées contre le monopole et l'accaparement , ces vieux fantômes avec lesquels on peut légitimer les mesures les plus absurdes, les plus contraires à l'intérêt bien entendu des peuples. Aussi ne s'est-on pas fait faute de créer des droits de sortie sur les bois, des droits d'entrée sur les vins, de véritables douanes comme en Valais; le tout, pour prévenir le monopole et l'accaparement. Le second principe contenu dans cet article 11, et qui annu- lait, en grande partie, en fait les belles déclarations en faveur de la liberté du commerce, c'était la conservation des péages, des droits de chaussée et de pontonnage , et la faculté de les' aug- menter ; faculté dont on a largement usé , malgré les précau- tions dont le Pacte avait prétendu l'entourer. Art. 12. On sait ce qu'il est advenu de cet article, qui con- sacrait l'existence des couvents. Les trois derniers articles, pu- rement réglementaires, ne peuvent donner lieu à aucune obser- vation. Voilà ce Pacte de 1815; combien de choses on y cherchait sans les y trouver! Rien sur le libre établissement des Suisses d'un canton dans l'autre. Rien sur la liberté d'industrie ; rien sur la liberté de la presse ; rien sur l'institution d'une justice commune pour con- 403 • naître des objets d'un intérêt commun au moyen de tribunaux fédéraux. Rien, enfin, sur un mode légal et constitutionnel de révision, comme s'il était possible d'enchaîner l'avenir à des mesures d'expédients , sorte de compromis entre des vues opposées et des intérêts ennemis ; comme s'il est possible de croire qu'on puisse fonder quelque chose de durable avec des négations ! Aussi peut-on dire que tout ce qui se développa de vie fédérale fut le résultat des concordats, traités volontaires entre les cantons, destinés à satisfaire à des besoins que le Pacte laissait en souf- france , et à combler les nombreuses lacunes qu'il présentait. Ce dont il y a lieu de s'étonner, ce n'est pas que le Pacte ait pris fin, mais qu'il ait duré aussi longtemps. On ne peut expli- quer cette durée que par son insuffisance même, par la latitude sans contrôle qu'il laissait à la souveraineté cantonale, qui est d'un grand prix aux yeux des Suisses de tous les cantons. Il est un point bien important dans l'existence politique d'un peuple, que l'on s'étonnerait à bon droit de ne pas trouver ici mentionné d'une manière spéciale. Nous voulons parler des moyens que le Pacte donnait à la Suisse pour maintenir sa po- sition et soutenir des relations sûres et honorables avec les puis- sances étrangères. — Notre point de vue diffère de celui qui a été et qui est encore le point de vue dominant. En effet, on s'est appliqué généralement à faire ressortir la nullité de la diplo- matie suisse , l'absence totale de direction forte, constante et éclairée dans les tractations avec les États étrangers; la nullité des directoires , conséquence nécessaire de la nullité des attri- butions; l'incohérence des instructions venues de tous les points de la Suisse , et passées à l'étamine des milliers de citoyens membres des Grands Conseils ou des Landsgemeinde ; l'étrange abus de la publicité des notes; l'impossibilité de traiter avec le secret diplomatique en usage, avec mesure et prudence, les affaires les plus délicates, et, en définitive, la nullité de ces . 404 tractations. On a ajouté que, si dans le régime intérieur du pays la plupart des lacunes, que présentait le Pacte, pouvaient être comblées par des concordats ; ses relations extérieures devaient être toujours mal conduites, et présenter l'aspect décourageant de vingt-deux volontés divergentes contre une volonté forte et unique avec laquelle il fallait lutter. Ces reproches peuvent se justifier par des raisonnements plausibles , et , suivant le point de vue auquel on se place , on peut les appuyer par des faits. Toutefois, nous ne partageons pas, avons-nous dit, cette opinion. Voici sur quoi la nôtre se fonde : Les communications que la Suisse est appelée à recevoir des États étrangers sont en grande partie des réclamations poli- tiques , délicates , ou relatives au règlement de quelques inté- rêts économiques sans importance. Placée comme l'est la Suisse au débouché de cinq États, plus ou moins prescripteurs, la question des réfugiés politiques tiendra toujours une grande place dans les débats internationaux. Ne craignons pas de le dire, les neuf dixièmes des demandes qu'on adresse à la Suisse sont pour elle des embarras. Eh bien, nous soutenons que le Pacte de 1815 était commode pour traiter ces questions. La diplomatie suisse ne peut être grande et hautaine ; ne sou- haitons pas qu'elle devienne rusée et astucieuse; nous aurions préféré qu'elle eût conservé la grande force dont elle disposait sous le Pacte de 1815, la force d'inertie. Napoléon l'avait com- pris, il répondait, en 1803, aux hommes qui réclamaient un gouvernement unitaire : « Yous ne savez pas ce que vous deman- « dez; si vous avez un pouvoir central, je serai pour lui un « rude voisin, je pourrai lui demander bien des choses, s'il peut « faire droit à mes demandes. Mais si votre landamman, simple « organe de la Diète, me répond, la Constitution à la main, qu'il « est sans pouvoir, qu'il doit référer de mes demandes à cette « Diète ; celle-ci ne sera pas réunie , il faudra la convoquer, lui « donner des instructions, il s'écoulera du temps, ma colère, si 405 « j'étais en colère, sera passée, ou j 'aurai oublié mes exigences, « et vous aurez esquivé une difficulté. » Napoléon avait compris la Suisse, il savait que le temps est une grande puissance; la Suisse en a fait l'épreuve; elle a sou- vent opposé ses désespérants référendum à la parole hautaine et péremploire de ses puissants voisins, et ce n'est point une po- sition misérable ; le sang-froid et la lenteur sont au moins aussi dignes que la violence. Le directoire se retranchait toujours derrière son incompétence, et si les questions devaient finir par arriver à la Diète, celle-ci , pourvue d'instructions , faisaijt con- naître carrément l'opinion des cantons. Cette publicité, si peu d'accord avec la diplomatie, était un bouclier pour la Suisse. Lorsque le directoire devait transmettre aux Etals par circulaire toutes les notes qu'il recevait; il ne pouvait être question de ces développements intimes, captieux et souvent dangereux; il n'y avait pas de confidences possibles, a\ec \es deux mille citoyens, formant le personnel des Grands Conseils. C'était un grand embarras pour les puissances étrangères, mais elles ne pouvaient s'en plaindre ; c'était le résultat de celle Constitution qu'elles avaient soufflée à la Suisse, et que, plus tard , elles prétendirent lui avoir garantie à perpétuité. Elles pouvaient se consoler, au demeurant, de ces référendum, par la pensée que chaque puissance venait se heurter contre eux, et qu'ainsi aucune ne pouvait, par sa diplomatie, acquérir en Suisse une influence préjudiciable aux autres États. En fait, le rôle de la Suisse dans ses transactions avec l'étran- ger sous le Pacte de 1815 n'a pas été misérable. Sans doute, en certaines occurences, elle a dû céder en dépit de ses convictions et de ses droits; témoin les fameux conclusa de 1823 contre la liberté de la presse et le droit d'asile, qui lui furent imposés par la Saitite Alliance, mais c'est le sort de tous les États faibles lorsque les forts se coalisent. Dans d'autres occasions, en re- 406 vanche, elle sut, tout en remplissant ses devoirs internationaux, conserver sa dignité républicaine et faire la preuve que la diplo- matie des peuples libres peut être aussi intelligente que celle des rois. . . Dans l'examen que nous aurons à faire du Pacte de ISiS, nous verrons si les relations extérieures de la Suisse ont obtenu de meilleures garanties. Avant de quitter le Pacte de 1815, nous devons faire remar- quer qu'outre les concordats , dont nous avons parlé, un excel- lent règlement pour la tractation des affaires, dans le sein de la Diète, assura à ses délibérations, une marche aussi bonne que l'étendue de ses attributions constitutionnelles le comportait: A peine la révolution de juillet 1830 eût-elle fait tomber le système de la Sainte Alliance , qui comprimait la Suisse et le reste de l'Europe, que la question de la révision du Pacte fut mise à l'ordre idu jour. La Diète s'en saisit, et dès lors elle a figuré pendant dix-sept ans dans les tradanda sans arriver à une solution. En fait, il y eut un moment où elle aurait pu amener un ré- sultat; c'était immédiatement après 1830. Les gouvernements européens, dans la stupeur, ne pensaient pas à gêner la Suisse dans l'exercice de ses droits constitutionnels, et dans l'intérieur du pays , les gouvernements anciens tombaient les uns après les autres. Ceux qui les remplaçaient avaient intérêt à trouver dans une réforme constitutionnelle la garantie et la consécration des changements qui avaient été opérés dans les cantons. 11 est vrai qu'au premier mot de réforme du Pacte, certains cantons, parmi ceux-là même qui avaient le plus entravé l'adoption du Pacte de 1815, se déclarèrent les champions de cet acte et pro- testèrent contre toute atteinte qui lui serait portée. On le con- çoit, les craintes que le Pacte leur avait inspirées ne s'étaient pas réalisées, leur souveraineté cantonale avait vécu commodé- ment sous son abri protecteur. Elle ne pouvait que perdre à un changement. 407 Cependant, une majorité imposante d'Étals reconnut la né- cessité d'une révision. Elle confia le soin d'en rédiger le texte à cet homme distingué, qu'une bizarre destinée associa aux plus grands intérêts de trois pays dillérents : l'Italie, la Suisse el la France , homme remarquable que les révolutions élevèrent et abaissèrent tour à tour, et qui mourut frappé par un obscur assassin, au moment où il se préparait à acheminer le rêve de sa jeunesse : l'émancipation de l'Italie. Le Pacte Rossi, qui prit le nom de l'homme qui en avait conçu et rédigé les dispositions, était une œuvre remarquable; il liait admirablement le passé, le présent et l'avenir. En substituant aux Vororts ambulants une autorité fédérale stable et perma- nente, il constituait une Suisse, unie en corps de nation ; ce qui avait manqué jusqu'alors; et il la constituait sur la base de l'é- galité des droits entre les cantons, cette égalité si chère aux petits cantons. Tout était là. Avec quelques lumières et quel- que peu de patriotisme , les petits cantons auraient dû saisir cette branche de salut, accepter avec empressement l'œuvre nouvelle, qui consacrait pour un long avenir celte souveraineté cantonale donl ils étaient si jaloux. Aveuglés par leur défiance; écoutant avec trop de complaisance les voix intéressées de quel- ques meneurs ambitieux et de quelques prêtres intolérants, ils se rehisèrent à toute transaction. Toutefois l'œuvre aurait fait son chemin, si les chefs de la majorité avaient mieux compris la valeur du moment, la nécessité de saisir l'occasion aux che- veux, et n'avaient pas laissé à l'opposition intérieure le temps de s'étendre, et à la diplomatie étrangère celui de revenir d'émo- tions plus sérieuses, pour s'occuper de nouveau de la Suisse et la gêner dans ses mouvements. La majorité avait été bien ins- pirée dans sa conception; l'exécution la trouva faible. Le canton qui semblait le plus intéressé à l'adoption du Pacte, puisqu'il devenait le centre de la Confédération et qu'il lui don- nait sa capitale, Lucerne, jouet de ténébreuses intrigues, rejeta 408 le Pacte, et par là tout espoir s'évanouit de voir la Confédéra- tion régie par une œuvre suisse, uniquement suisse, conçue avec maturité, adoptée sans violence, monument de transaction et de sages concessions, où les grands cantons ne se prévalaient point de leur force numérique pour réclamer des avantages de position, et où les plus puissants cantons directeurs, Zurich et Berne , abandonnaient leur privilège directorial en faveur du Vorort catholique. Dès ce moment l'impuissance de la Diète fut démontrée, les partis et les passions se jouèrent sans scru- pule de cette Confédération, qui ne manifestait ni vouloir, ni pouvoir; des scissions éclatèrent dans divers cantons ; les réfu- giés politiques compromirent sans ménagement le pays qui leur accordait l'hospitalité; des partis intérieurs, qui prétendaient à la qualité de patriotes par excellence,' s'appuyèrent souvent pour réaliser leurs vues sur ces éléments étrangers. L'étranger ne manqua pas d'attiser le feu qui consumait len- tement la Suisse; enfin, des questions religieuses ressuscitèrent un antagonisme confessionnel, dont on avait espéré que les col- lines de Vilmergen avaient vu pour la dernière fois les déplo- rables effets. 11 faut reconnaître cependant que lorsque les circonstances devinrent très-critiques, il se trouva en Diète une majorité qui sut se placer à leur hauteur. Ainsi lorsqu'on 1833 , la ligue dite de Sarnen prit les armes à Bâle et à Sckwytz, la Diète , sans scru- ter rigoureusement l'étendue de ses attributions constitution- nelles, comprit qu'elle était gardienne avant tout de la sûreté et de l'existence de la Confédération ; elle montra par des mesures énergiques, rapidement conçues et promptement exécutées, qu'elle savait appliquer à propos la maxime : Salus populi su- prema lex esto. En 1833, dans les troubles intérieurs; en 1836 et 1838, dans les complications qui survinrent avec l'étranger et notamment avec la France, la Suisse fit la preuve qu'elle possédait des res- m sources qui ne demandaient qu'à être bien employées, et que l'on ne faisait pas appel en vain au dévouement de ses enfants. Mais celte force se dépensait dans des incidents, et la réforme du Pacte, ce remède préventif contre les secousses qui mena- çaient le pays; la réforme du Pacte ne faisait aucun progrès. On le retrouvait d'année en année sur les tractanda de la Diète à côté de certains articles stéréotypés, la vallée des Dappes, le collège Boromée, etc. ; les discussions n'offraient plus de carac- tère. Les cantons et les hommes qui se respectaient ne cachaient pas la répugnance qu'ils éprouvaient à prendre part à ces débats dérisoires. L'antagonisme politique et religieux devenait chaque jour plus prononcé. Le signal partit d'Argovie. Par son décret de suspension du noviciat d'abord , puis de suppression des cou- vents, le Grand Conseil de ce canton excita les plus violentes récriminations de la part des petits cantons , de Fribourg et du Valais. Lucerne, qui avait été jusqu'alors libéral modéré, tomba sous l'influence exclusive du parti ullrfimontain; il répondit au défi d'Argovie en appelant les jésuites pour diriger son ensei- gnement. La légalité de cet acte était moins contestable que la suppression des couvents , mais il annonçait bien plus que cette dernière mesure, un esprit d'intolérance confessionnelle et d'é- loignemenl pour la Suisse protestante et libérale. Celle-ci avait toutefois des amis dans le canton de Lucerne; ils appelèrent à leur aide l'arme dangereuse des mouvements populaires; elle se brisa dans leurs mains , et de là des proscriptions qui ame- nèrent un grand nombre de fugitifs lucernois dans les cantons voisins. Ils y rencontrèrent de vives sympathies dans la partie ardente de la population, et se formèrent en bandes armées sous les yeux de l'autorité fédérale, qui feuilletait en vain le Pacte de 1815 pour y chercher le moyen de comprimer cet essor. Ce fut l'origine des corps francs. Confiants dans les promesses dont les réfugiés politiques sont toujours prodigues, ils accordèrent 410 toute créance à ceux de Lucerne, et s'imaginant que le peuple de ce canton allait accourir au-devant d'eux, ils tentèrent cette fameuse expédition, où les deux partis luttèrent d'impéritie. Le gouvernement de Lucerne trouva de braves défenseurs dans ses alliés des petits cantons et dans le sentiment légitime de ré- probation que l'expédition excita chez la population du canton même. On connaît les circonstances de cette déroute et la rançon que durent payer à Lucerne les cantons qui avaient fourni leur contingent de corps francs. De tels procédés réciproques ne sont jamais oubliés; les représailles ne se firent pas attendre. Au milieu de celte anarchie , de ces attentats contre l'union fédérale, la Diète fit des proclamations et appela des troupes lorsque les événements furent accomplis. Lucerne et ses amis déclarèrent que cette Diète était impuissante à protéger la paix publique, et qu'ils devaient chercher autre part de meilleures garanties. Ils crurent les trouver dans une alliance séparée (Sonderbund) , qu'ils prétendirent être en harmonie avec le Pacte, et que la majorité de la Suisse soutint être contraire à l'article 6 du Pacte , « comme préjudiciable au Pacte fédéral et « aux droits des autres cantons » (art. 6). Il fut dit et écrit beaucoup de paroles à cette occasion, il nous semble qu'elles auraient pu toutes se réduire au dilemne du Calife Omar, « ou l'alliance dit la même chose que le Pacte, <( et ainsi elle est inutile, ou elle dit autre chose , et alors elle « est dangereuse. » Aussi longtemps qu'on ne put obtenir de majorité légale, on se borna à discourir; mais une politique plus décidée à Saint- Gall, et la révolution de Genève ayant procuré cette majorité de douze voix, il devint évident pour tous que la Diète de 1847 allait résoudre les questions qui divisaient la Suisse. Le pays souhaitait une solution; elle devait mettre fin à un état de malaise qui paralysait les ressources publiques. Elle devait sur- 411 tout rendre inutiles toutes ces tentatives de révolutions canto- nales, dont le but principal était d'arriver à une majorité contre le Sonderbund. Les meneurs de la majorité avaient compris depuis longtemps que, pour séduire l'imagination des peuples, il faut des idées simples, très-saillantes, et surtout des mots auxquels on attache un sens caractéristique. Le substantif Son- derbund n'avait pas encore reçu cette consécration ; il représen- tait un dissentiment politique sur lequel certains esprits étaient partagés. Le Sonderbund était pour quelques-uns une revanche des corps francs. Le mot jésuite avait un tout autre empire sur les imaginations. Il représentait une idée d'intolérance qui ex- cluait toute possibilité de paix entre les communautés protes- tantes et celles qui se rangeaient sous les étendards du jésui- tisme ; il rappelait celte longue suite de crimes , de complots ténébreux, vrais, exagérés ou prétendus, mais tenus pour cer- tains par les peuples et attribués aux jésuites. Le canton de Vaud avait accompli sa révolution en 1845 au cri: à bas les jésuites. En joignant leur expulsion de la Suisse à la dissolution du Sonderbund , on était assuré d'obtenir pour cette dernière mesure un grand assentiment. La conséquence de ces deux me- sures était la réforme du Pacte; on ne pouvait s'y méprendre, ni en Suisse, ni au dehors. La majorité avait donc à lutter contre une minorité qui se débattait avec énergie, qui récriminait avec audace, et qui opposait à ses adversaires non-seulement le pro- jet d'une résistance matérielle, mais encore le prestige de vieux noms respectés et de magiques souvenirs. Il fallait lutter, en second lieu , contre les intrigues étrange-, res. En effet, les puissances commencèrent à faire entendre leurs voix , ne prétendant à rien moins qu'à se porter garantes du Pacte de 1815 ; or, le mot de garantie du Pacte ne fut jamais prononcé. Le congrès de Vienne n'avait garanti qu'une seule chose : « La neutralité perpétuelle de la Suisse dans l'intérêt de « l'Europe. » 11 n' a pas manqué de publicistes qui ont prétendu 412 que celte garantie de la neutralité de la Suisse était liée à l'im ■ mutabilité du Pacte de 1815, argumentation aussi contraire ai bon sens, qu'au texte même des traités ; le bon sens permet-il, en effet , de soutenir que dans une époque de progression , de perfectionnement, de changements incessants , un pays ait été enchaîné à perpétuité au pilori d'un Pacte, sans pouvoir en changer une syllabe? En sorte qu'il n'y aurait eu dans ce monde que deux choses immuables, la. Parole de Dieu elle Pacte de 1815. Nous disons que cette prétention n'est pas moins contraire aux textes des traités. La déclaration du congrès , du 20 mars 1815, reconnaît l'indépendance de la Suisse, sa formation en vingt-deux cantons, les dix-neuf anciens et trois nouveaux ; elle établit des compensations pécuniaires et territoriales. Par un acte postérieur au 19 mars, le congrès assigne une augmenta- lion de territoire au canton de Genève et renferme dans la neu- Iralité suisse, garantie par les puissances, une portion de la Savoie appartenant au roi de Sardaigne. Enfin, par le second traité de Paris du 2 décembre 1815, qui stipule certains avan- tages en faveur de la Suisse ; les puissances déclarent et pro- clament : « Que la neutralité et l'inviolabilité de la Suisse, ainsi « que son indépendance de toute influence étrangère, sont con- « formes aux vrais intérêts de l'Europe. » Du Pacte, pas un mot. Quant à la valeur que peut avoir cette garantie de neutralité, la Suisse sait à quoi s'en tenir. Relativement aux puissances, la garantie vaut ce que valent aujourd'hui pour l'Europe les trai- tés de 1815: la neutralité n'a qu'une seule garantie, le courage des Suisses et les armes dont ils savent se servir. Il est peut-être bon d'examiner avec quelque détail cette ques- tion. Une publication postérieure à la querelle du Sonderbund et à la réforme du Pacte * , publication faite par un homme sérieux, ■ De la politique extérieure de la France depuis 1830, par 0. d'Haus- souville. 413 et qui n'a point été étranger au maniement des aiTaires publiques, insiste beaucoup sur celte relation intime entre la garantie de la neutralité et le maintien du Pacte de 1815; ne craignons pas de le suivre sur le terrain où il s'est placé. — Ne pouvant in- voquer le texte même de la déclaration de Vienne, M. dHaus- souville insiste sur le rapport du comité institué pour les affaires de la Suisse, rapport qui motive, suivant lui , et développe la déclaration du congrès : « Les puissances alliées , dit ce rapport , se sont engagées à « reconnaître et à faire reconnaître la neutralité perpétuelle du « corps helvétique, à lui restituer les pays qui lui furent enle- « vés, à renforcer même, par des agrandissements territoriaux, a la ligne de défense militaire de cet Etat; mais elles ne consi- « dèrent ces engagements comme obligatoires, qu'autant que la « Suisse, en compensation des avantages qui lui sont réservés, « offrirait à l'Europe , tant par ses institutions cantonales , que « par le caractère et le système fédératif, une garantie suffisante « de l'aptitude de la nouvelle Confédération à maintenir la tran- « quillité intérieure, et en même temps à faire respecter la « neutralité de son territoire. » Que trouve-t-on dans ce passage? La promesse pour la Suisse d'une neutralité perpétuelle et des restitutions. Nous avons déjà parlé de la neutralité. Comment les puissances ont-elles en- tendu le mot restitution? Genève a retrouvé dans quelques communes du pays de Gex une très-faible partie de ce qu'elle avait possédé jadis, après l'avoir conquis sur le duc de Savoie. UEvêché de Dûle, Bienne et Neuchâlel, anciens membres alliés du corps helvétique, lui ont été réunis de nouveau , mais la France a gardé Mulhouse ; le Wurtemberg , Rottweill , qui fai- saient partie de l'ancienne Confédération. L'Autriche a gardé la Valteline , Chiavenna, Bormio, belles provinces, riches, peu- plées de 100,000 habitants, couvertes par VAdda. Elles avaient 30 414 été enlevées par la France aux Grisons dix-huit ans auparavant. Elles donnaient à la Suisse tout le versant méridional des Alpes rhéliques du Tessin, au Tyrol italien. Voilà les restitutions! Restent les agrandissements territoriaux pour établir une ligne de défense. Elle ne pouvait se trouver que dans la réunion de Constance, qui donnait à la Suisse toute la rive gauche du Rhin, et dans le bassin du Léman jusqu'au mont de Sion. Ces adjonc- tions compensaient à peine la partie de la Valteline , de Bormio ei de Chiavenna ; elles n'étaient une injustice pour personne. Le roi de Sardaigne , restauré sur le trône de ses pères , rece- vait, dans la république de Gêne, une bien belle compensation à la partie de la Savoie , que dans un intérêt proclamé européen ; la neutralité suisse, en aurait détaché de ses États. Voilà ce que l'Europe a fait pour la Suisse ; on peut placer les faits en i-egard des promesses Que demandait-elle en retour? «. de trouver dans nos institutions cantonales et dans notre système fédératif une garantie suffisante d'aptitude à défendre notre neu- tralité. » On croirait que ces paroles signifient : la Suisse devra être assez fortement constituée pour pouvoir se défendre contre une attaque extérieure, et maintenir l'ordre à l'intérieur. Non, ce n'est pas ce qu'entendait l'école de publicistes à laquelle nous répondons. Elle le dit nettement : « Ces avantages furent accor- « dés à la Suisse fractionnée en vingt-deux États isolés , trop « différents d'origine, do religion, de langage et de mœurs pour « s'abandonner à de communs entraînements, etc. » Voilà un tableau d'impuissance tracé de main de maître, telle aurait été selon les vues du congrès de Vienne cette organi- sation débile qui aurait été indispensable pour maintenir la neutralité et assurer l'ordre intérieur! Étonnons-nous plutôt que les puissances n'aient pas réclamé contre l'insuffisance du Pacte de 1815. Les puissances, elles sont restées muettes pen- dant les seize années où la révision du Pacte a figuré sur les tractanda des Diètes! Elles n'ont commencé à s'émouvoir que 415 lorsque cette révision a passé du domaine des impossibilités présumées dans celui des faits. Après avoir établi le droit de la Suisse à se reconstituer, re- prenons l'exposé des faits qui ont précédé et accompagné cette constitution. Au J6 août 1847, la Diète avait décidé de traiter la question du Pacte comme toute autre question, et d'en renvoyer l'examen à une commission spéciale. Dans une conférence particulière, elle avait désigné les membres de cette commission , et ils avaient été nommés, dans la séance du 16 août, au nombre de quatorze ; mais celte commission ne se rassembla pas ; la Diète changea d'avis, elle crut qu'avant de procéder à la révision du Pacte, il fallait terminer l'affaire du Sonderhmd et adopter un autre mode de procéder. En conséquence , elle renonça à la commission spéciale, et la remplaça par une grande commission, où devait entrer un député de chacun des cantons qui voudraient prendre part à la révision. Il fut entendu que cette commission necommen- cerail ses travaux qu'après la campagne du Sonderbund. Elle tint sa première séance à la fin de janvier 1848; bientôt tous les cantons , à l'exception de Neuchâtel, y furent successivement représentés. Au fond, c'était la Diète transformée en commis- sion discutant librement; c'était le moment, comme on l'a dit, (( de faire agir vivement la faucille, afin de mettre à couvert la « moisson avant que le temps vînt à changer. » La commission se subdivisa en sections , auxquelles la préparation des ques- tions fut renvoyée , et elle nomma deux rédacteurs, l'un pour l'allemand , l'autre pour le français , chargés de coordonner les décisions prises. Il semblait que l'on dût être promptement d'ac- cord, toute opposition politique avait cessé par la chute du Son- derbund ; ce fut peut-être par ce motif même que les questions d'organisation des pouvoirs et les questions économiques, exa- minées avec plus de liberté, prirent plus de temps et furent plus débattues. 416 Examen du Pacte de 1848. Nous suivrons, dans l'examen des dispositions de la Constitu- tion fédérale, l'ordre établi par la Constitution elle-même. — Elle comprend 144 articles, non compris les dispositions transi- toires. Nous nous bornerons pour le moment à en faire con- naître la substance , nous réservant de les commenter, lorsque, suivant les conditions du programme, nous les comparerons au Pacte de 1815. — Sans nous arrêter au préambule, ni à cer- taines déclarations de principes, que l'on peut consulter dans le texte même, nous devons remarquer que l'article 3 pose le prin- cipe de la souveraineté des cantons, souveraineté limitée par la Constitution fédérale. Uart. 5 définit la garantie ; garantie qui s'étend à la souve- raineté cantonale, aux constitutions, aux droits des citoyens et aux attributions des pouvoirs publics. Uart. 6 détermine les conditions d'après lesquelles cette ga- rantie est accordée. Les constitutions cantonales ne doivent rien renfermer de contraire à la constitution fédérale ; elles doivent être républicaines ; être acceptées par le peuple ; contenir le principe d'une révision. L'art. 7 interdit les alliances et les traités politiques entre cantons, il permet les conventions sur d'autres sujets, mais en les soumettant au contrôle de l'autorité fédérale. D'après les articles 8 et suivants : à la Confédération seule appartient le droit de faire la guerre et la paix, de conclure des traités et des alliances. Les cantons, sous la surveillance fédérale, peuvent régler avec les États étrangers quelques objets concernant l'écono- mie publique, ainsi que des rapports de voisinage et de po- lice. Mais aucune correspondance ne peut avoir lieu que par l'in- termédiaire du Conseil fédéral, sauf entre agents inférieurs. Les capitulations militaires sont interdites. L'acceptation, le 417 port de décorations et de pensions étrangères sont interdits aux autorités et aux fonctionnaires fédéraux. Uart. 13 établit le principe que la Confédération ne peut en- tretenir de troupes permanentes. Il restreint, au maximum de 300 hommes, le nombre que les cantons peuvent en avoir. Les art. 14, 15, 16 et 17 disposent la marche à suivre lors- qu'il s'élève des différends entre cantons , si ces derniers sont menacés d'un danger subit, ou s'il éclate des troubles dans leur intérieur. Les art. 18, 19 et SO établissent les principes généraux de l'organisation militaire, de l'instruction de l'armée et de la con- cordance des organisations cantonales avec l'organisation géné- rale de la Confédération. L'art. 21 donne à la Confédération. le droit d'ordonner, à ses frais, des travaux d'utilité publique, et d'interdire les construc- tions dangereuses pour la sûreté mihtaire de la Confédération. Uart. 22. La Confédération peut établir une université et une école polytechnique. Vart. 23 établit en principe que ce qui concerne les péages relève de la Confédération. Les articles suivants disposent sur cette matière, en particu- lier sur la conversion des péages, droits de transit, etc., dans l'intérieur, en droits perçus aux frontières suisses. Us détermi- nent aussi quel sera l'emploi du produit de ces péages fédéraux et le mode d'indemnité à percevoir par les cantons. Uart. 29 consacre le Hbre commerce et la libre circulation des denrées, du bétail et des marchandises; en un mot, des produits du sol et de l'industrie, sous diverses restrictions, dans lesquelles on remarque avec quelque surprise des dispositions contre V accaparement. L'art. 32 autorise les cantons à percevoir des droits de con- sommation sur les vins et autres boissons spiritueuses , sous quelques restrictions, dont les plus saillantes sont celles qui ont 418 pour objet de favoriser les produits d'origine suisse , et de sou- mettre les lois et arrêtés sur cette matière au contrôle fédéral. L'art. 33 établit au profit de la Confédération le droit de ré- gale des postes, les principes sur lesquels doit reposer l'exercice de ce droit et le mode de paiement de l'indemnité due aux can- tons. Cette régale des postes et péages est liée aux prescriptions de Vart. 35 , qui donne à la Confédération la surveillance sur l'entretien des routes et des ponts, et le droit de retenir aux can- tons les indemnités qui leur sont dues, s'ils négligent les voies de communication. L'art- 36 donne à la Confédération la régale des monnaies. L^att. 37 pose le principe de l'uniformité des poids et me- sures sur la base du concordai existant. Uarl. 38 attribue à la Confédération exclusivement la fabri- cation et la vente de la poudre du canton. Les art. 39 et 40 contiennent des dispositions financières, et établissent le principe du paiement par les cantons de contin- gents d'argent, dont le tarif doit être revisé tous les vingt ans. Uart. 41 contient, en faveur des Suisses appartenant à une des confessions chrétiennes, le droit de libre établissement dans toutes les parties de la Suisse, moyennant certaines conditions. Uart. 42, plus explicite, donne au citoyen suisse le droit d'exercer ses droits politiques dans tout canton où il est établi. Les art. 44, 45, 46 et 47 contiennent la garantie, o) de la liberté religieuse pour les confessions chrétiennes ; h) de la liberté de la presse ; c) du droit d'association ; d) du droit de pétition, sauf des restrictions et précautions sur lesquelles nous revien- drons. Uart. 48 établit le principe de l'égalité de tous les Suisses chrétiens, dans quelque canton qu'ils se trouvent, en ce qui con- cerne les voies juridiques. Les art. 49 et 50 décident que les jugements civils sont exé- cutoires dans toute la Suisse, et déterminent comment doivent s'opérer les poursuites pour actions personnelles. 419 L'art. 53 prononce l'interdiction de tribunaux exceptionnels. L'art. 54 abolit la peine de mort en matière politique. L'art. 55 interdit l'extradition pour les délits politiques et les délits de la presse. L'art. 56' stipule, pour mettre fin à VHeimathlosat. L'art. 57 donne à la Confédération le droit de renvoyer les étrangers qui compromettent la Suisse. L'oît. 58 interdit {'ordre des jésuites et les sociétés qui lui sont affiliées. Tels sont les objets essentiels contenus dans le chapitre pre- mier de la Constitution fédérale. Le chapitre second est consacré à déterminer les pouvoirs pu- blics, c'est-à-dire les autorités législatives, judiciaires et execu- tives suprêmes de la Confédération. En faisant connaître les dispositions adoptées, nous dirons quelques mots des débats qui eurent lieu à cette occasion, principalement sur la constitution du pouvoir législatif et sur celle du pouvoir exécutif. Quant au dernier, on était généralement d'accord , que le système direc- torial ne pouvait plus subsister, et qu'il fallait lui substituer une autorité indépendante des pouvoirs cantonaux. Mais il faut remarquer que l'idée, assez naturelle, puisqu'elle était déposée dans l'acte de médiation, et que toutes les Constitutions améri- caines en offrent le modèle; savoir, de nommer un magistrat suprême, président, landamman, n'importe, qui aurait formé sous sa responsabilité un collège de ministres, ne fût pas abor- dée. On s'arrêta du premier abord à un collège gouvernemental d'un certain nombre de membres égaux en droits, sous le nom de Conseil fédéral. Craignait-on de choquer la susceptibilité ré- publicaine par l'institution de cette magistrature unique? Recula- l-on devant la difficulté de faire un choix acceptable? Ou, peut- être les hommes qui avaient pris la plus grande part au résultat des événements qui venaient de s'accomplir, pensèrent-ils qu'ils avaient chacun de's droits à être convenablement pourvus dans 420 rorganisation nouvelle? Nous ne décidons pas. Ce qui cepen- dant pourrait donner quelque crédit à cette dernière assertion, c'est l'augmentation qui eut lieu plus tard dans le nombre des membres du Conseil fédéral, augmentation qui parut à plusieurs avoir plutôt pour objet de satisfaire à certaines exigences per- sonnelles, qu'à procurer de grands avantages à la communauté. La constitution du pouvoir législatif ne fut pas aussi facile. Il n'était plus question, comme au temps du PacteRossi, de conser- ver l'égalité de représentation entre les cantons ; cependant, les hommes du mouvement, comme ceux de la résistance, ne pou- vaient consentir à se trouver complètement primés par un can- ton dont la population était telle, qu'avec le principe de la re- présentation rigoureusement proportionnelle , il aurait fourni à lui seul plus d'un cinquième de la législature fédérale. Pour concilier ces exigences, le système américain se présen' tait naturellement. La nation suisse, représentée par une assem- blée dont les membres seraient élus dans un certain rapport avec la population sans distinction des cantons. Pais les mêmes cantons, représentés comme Etats souverains dans une autre chambre selon le principe de l'égalité. Cette idée, toute simple qu'elle semblait être pour sortir de la difliculté où l'on se trou- vait, ne fut point adoptée de prime abord ; les plus habiles ne comprenaient pas cette double délibération sur le même sujet'. On essaya d'autres systèmes; celui qui eut le plus de faveur, était celui d'une assemblée unique à proportion de la popula- tion, mais en réservant la sanction des cantons pour certaines questions importantes : la paix, la guerre, les alliances et les lois financières. Ce système présentait l'avantage, que dans les grandes quesr tions, qui intéressent l'existence même du pays, les cantons, ■ Cependant, les diverses Constitutions Mn*7rt*'»r.v avaient institué deux chambres, un Sénat et «n Gratid Conseil. 421 c'est-â-dire, en fait le pays même, étaient bien réellement con- sultés et décidaient de leur sort. Les décisions auraient été em- preintes d'une toute autre autorité que celles d'une chïimbre des États, irresponsable et votant sans instructions. Peut-être même cet avantage rachetait-il les nombreux inconvénients qu'on pouvait reprocher à ce système. Il était, en effet, difficile de tracer la limite entre les objets qui méritaient d'être sanc- tionnés par les cantons, et ceux que l'Assemblée fédérale était compétente pour traiter. Il était aussi difficile de donner aux États cette part aux affaires fédérales, et de les écarter en même temps d'une manière absolue de la tractation des autres affaires d'une nature analogue. De plus, les objets importants sont souvent de ceux qui exigent du secret et de la célérité. Le renvoi aux États devait aller à fin contraire de ces exigences, puisqu'il entraînait avec lui la publicité et les délais. Quoi qu'il en soit, cette combinai- son étant écartée, on essaya d'une autre ; on consentait à créer les deux chambres, mais on voulait leur donner des attributions différentes ; on faisait la part du lion au Conseil National , et on laissait quelques chétives tractations au Conseil des Etats. In- conséquence flagrante, puisqu'elle était le fait des mêmes hom- mes qui avaient voulu dans le système d'une chambre unique réserver à la sanction des cantons les objets les plus impor- tants. On ne farda pas à reconnaître l'inanité de toutes ces idées, et l'on se familiarisa peu à peu avec le système des deux chambres, dont l'une, sous le nom de Conseil National, devait représenter l'unité nationale du peuple suisse, et dont l'autre, appelée Con- seil des Etats, représentait la souveraineté cantonale. On comprit que sans cette garantie contre l'unitarisme dont on redou- tait l'invasion, on ne pourrait faire accepter la nouvelle Consti- tution que par la force, et personne ne se souciait d'avoir re- cours à ce moyen odieux. Une fois d'accord sur cette division 422 de l'Assemblée fédérale en deux chambres, il s'agissait de sa- voir selon quel mode on les constituerait. La nomination des membres du Conseil des Etats ne présen- tait aucune difficulté ; elle appartenait naturellement aux gou- vernements cantonaux; chaque canton complet élirait deux députés, chaque demi-canton en aurait un ; par là cessait pour ces derniers la nécessité de se mettre d'accord , sous peine de perdre leurs voix. Il n'était pas aussi aisé de constituer le Con- seil National, il fallait avant tout fixer la proportion de la re- présentation à la population, et dans cette fixation tenir compte de deux circonstances opposées. Si l'on abaissait trop le chiffre de population nécessaire pour donner droit à un député; on augmentait le nombre de ces députés d'une manière effrayante, et cela tout au profit des grands cantons. Ainsi décidait-on que 10,000 âmes de population donnaient droit à un député. Berne en aurait eu quarante-quatre. Si on élevait trop le chiffre de population nécessaire , les petits cantons se trouveraient com- plètement foulés. On décida que les députés seraient élus à rai- son d'un député par 20,000 âmes de la population totale. Mais, avec les deux réserves suivantes : 1" que les fractions en sus de iO,000 âmes seraient comptées comme 20,000; 2" que, dans les cantons partagés, chaque demi-canton nom- merait un député au moins; on adoucit ainsi ce que les inéga- lités avaient de trop choquant. Mais on n'avait fait que la moitié du chemin. Comment se feraient les nominations au Conseil National? En d'autres termes, après avoir admis que l'élection serait directe et le suffrage universel, il s'agissait de déterminer la formation des collèges électoraux. Des systèmes très-divers furent discutés dans la commission. Il y en eut un, entre autres, qui fut présenté sérieusement par un homme de grand sens et très-expérimenté dans la vie pratique, M. Miinzinger. Il ne s'a- gissait de rien moins que de constituer un collège unique de tous les citoyens suisses aptes à voter dès l'âge de vingt ans. 423 Chaque électeur de cet immense collège votant dans sa commune aurait fait une liste de cent vingt noms. Tous les procès-verbaux de commune, accompagnés des bulletins originaux, auraient été dépouillés dans un bureau central , et les cent vingt noms qui auraient réuni le plus de suffrages auraient été proclamés députés au Conseil National. Deux membres de la commission voulurent éprouver ce système; ils connaissaient mieux que d'au- tres le personnel législatif disponible en Suisse; ils essayèrent de faire leur liste, et ne purent dépasser le soixantième nom. Cette conception ne fut pas discutée ; on s'arrêta plus longtemps à un autre projet. Il fut proposé de former des collèges qui ne seraient pas exclusivement cantonaux ; ainsi, de mélanger les populations frontières, afin de rompre la cantonalité, sans ce- pendant rendre trop difficile l'usage du droit électoral par un déplacement lointain ; mais on renonça à cette combinaison, on comprit que ce serait un système boiteux, mesquin, applicable sur une échelle restreinte , et qui amènerait des choix singu- liers. On s'arrêta donc au mode exprimé par l'art. 62 de la Consti- tution fédérale , qui détermine que les collèges s'appelleront collèges fédéraux, mais qu'ils ne pourront être formés de diffé- rents cantons. Nous examinerons plus tard le mérite de cette combinaison. A côté de l'autorité législative et de l'aulorité executive, la Constitution fédérale crée un tribunal fédéral ; création déjà existante dans les Constitutions antérieures dont nous avons donné une esquisse ; elle est à la lois cour de justice civile et cour de justice criminelle ; dans cette dernière position, elle juge avec l'assistance du jury. La Constitution détermine qu'il y aura un ministère public fédéral ; elle renvoie à la loi son or- ganisation. Tels sont les pouvoirs publics créés par la Constitution. L'accès pour y parvenir est large. Est éligible au Conseil National, tout 424 citoyen suisse laïque, ayant le droit de voter, et l'on peut voter à vingt ans. Est éligible au tribunal fédéral tout citoyen suisse éligible au Conseil National. On peut avoir des juges de vingt ans, à moins toutefois que la législation cantonale n'exclue le candi- dat qui lui appartient du droit de citoyen actif. Il nous paraît qu'il y a quelque chose de confus dans ces stipulations. Les législations cantonales seules ont capacité pour statuer sur les conditions d'éligibilité au Conseil des Etats. Les conditions d'éligibilité au Conseil fédéral sont les mêmes que pour le Conseil National et le Tribunal fédéral. Le Conseil National, le_ Conseil Fédéral et le Tribunal fédéral sont nommés pour trois ans. Les députés au Conseil des États sont nommés suivant la volonté des gouvernements cantonaux, pour une ou plusieurs sessions. Ce n'est pas seulement par les garanties que présentent la composition des corps qu'il faut apprécier leur valeur; c'est dans leurs attributions qu'on peut les juger. Ces deux Conseils sont considérés par la Constitution comme deux sections d'une même assemblée , appelée Y Assemblée fé- dérale. Les attributions de cette assemblée sont : o) Toutes les lois, décrets et arrêtés qui concernent la mise en vigueur de la Constitution fédérale ; b) Le traitement et les indemnités des membres des autorités de la Confédération, la création de fonctions fédérales et la fixa- tion des traitements ; c) L'élection du Conseil fédéral , du Tribunal fédéral , du gé- néral, des représentants ; d) La reconnaissance d'États et de gouvernements étrangers ; e) Les alliances et les traités avec les États étrangers, et l'approbation des traités des cantons entre eux ; f) Les mesures pour la sûreté extérieure, les déclarations de guerre, les traités de paix ; 425 g) La garantie des Constitutions et du territoire des cantons, les mesures pour la sûreté intérieure, Vammsl'ie et le droit de grâce? Les mesures pour faire respecter la (Jonslitution ; pour obtenir l'accomplissemeni des devoirs fédéraux; h) Les dispositions relatives à l'organisation militaire de la Confédération, l'instruction des troupes, la disposition de l'ar- mée; i) L'établissement de l'échelle fédérale des contingents d'hom- mes et d'argent, la levée des contingents d'argent, les emprunts, le budget et les comptes ; k) Les lois et décrets touchant les péages , les postes et les monnaies, les poids et les mesures ; la vente et la fabrication de la poudre, des armes et des munitions, /) La création d'établissements publics et les constructions fédérales, les mesures d'expropriation y relatives ; m) Les dispositions relatives aux heimathloses , la police des étrangers et les mesures sanitaires ; n) La haute surveillance de l'administration et de la justice fédérale ; o) Les réclamations des cantons et des citoyens contre les mesures prises par le Conseil fédéral ; p) Les différends entre cantons, qui louchent au droit public; q) Les conflits de compétence ; r) La révision de la Constitution fédérale. Les deux Conseils délibèrent séparément, sauf, pour les élec- tions et lorsqu'il s'agit de statuer sur les recours en grâce , ou sur les conflits de compétence. Les décisions se prennent alors à la majorité des votants , et l'Assemblée est présidée par le Président du Conseil National. Les députés des deux Conseils votent sans instructions; cha- cun de leurs membres a le droit d'initiative. Au Conseil Fédéral appartient : a) La direction des affaires fédérales; 426 b) De faire observer la Constitution et les lois fédérales; c) De faire observer la garantie des Constitutions ; d) Il a aussi l'initiative des lois et décrets auprès de l'As- semblée ; e) Il fait exécuter les lois, les décrets, les jugements fédé- raux et les sentences arbitrales ; f) Il fait les nominations que la Constitution n'attribue pas à l'Assemblée ou au Tribunal fédéral; g) Il nomme les commissions pour des missions à l'intérieur ou à l'étranger ; h) Il examine les traités des cantons entre eux ou avec l'é- tranger, et les approuve, s'il y a lieu ; i) Il est chargé des relations extérieures ; k) Il veille à la sûreté extérieure de la Suisse; /) En cas d'urgence, il peut lever des troupes; si le nombre dépasse 2,000 hommes, ou si elles restent sur pied plus de trois semaines, il doit convoquer les Conseils ; m) Il examine les lois des cantons qui doivent être soumises à son approbation, et il les surveille sous le rapport du mili- taire, des péages, des routes et des ponts ; n) Il est chargé du militaire fédéral et des autres branches d'administration fédérale ; o) Il administre les finances de la Confédération et en rend compte; p) Il surveille la gestion de tous les tonctionnaires fédéraux ; q) Il rend compte de sa gestion à l'Assemblée et lui fait des rapports spéciaux ; Le Tribunal fédéral se compose de onze membres et a des suppléants. Il connaît au civil : 1» o) Des différends entre cantons; b) Des différends entre la Confédération et un canton, pour autant qu'ils ne touchent pas au droit public. 427 2" Des différends entre la Confédération d'un côté et des cor- porations ou particuliers de l'autre, lorsque ces derniers sont demandeurs et qu'il s'agit de questions importantes. Il est tenu de juger d'autres causes , lorsque les parties s'accordent à le nantir, et que l'objet en litige dépasse une valeur considérable. Comme cour d'assises , avec le jury , le Tribunal fédéral con- naît : a) Des cas concernant des fonctionnaires déférés à la justice pénale par l'autorité fédérale qui les a nommés; h) Des cas de haute trahison envers la Confédération ; de ré- volte ou de violence envers les autorités fédérales ; c) Des crimes et délits contre le droit des gens ; d) Des délits politiques qui sont la cause ou la suite des trou- bles par lesquels une intervention fédérale a été nécessaire. C'est à l'occasion de ces crimes et de ces délits que l'Assem- blée peut accorder une amnistie ou faire grâce; e) Le Tribunal fédéral connaît de la violation des droits ga- rantis par la présente Constitution, lorsque les plaintes à ce sujet sont renvoyées devant lui par l'Assemblée fédérale ; f) La législation fédérale peut placer d'autres affaires dans la compétence du Tribunal fédéral. Sous le titre dispositions diverses : Les articles 108, 109 et 110 renvoyent à la législature la dé- termination du siège des autorités fédérales. Ils décident que l'allemand , le français et l'italien sont les langues officielles de la Confédération. Ils établissent , enfin , le principe de la responsabilité des fonctionnaires fédéraux. Les dernières dispositions essentielles de la Constitution qui en forment le chapitre troisième, et qui sont contenues aux arti- cles 111, 112 et 113, sont celles qui établissent le mode suivant lequel cette Constitution peut être révisée; il faut pour cela l'initiative d'une des sanctions de l'Assemblée fédérale ou celle de 50,000 citoyens suisses. 428 Les cantons comme États sont forclos de prendre part à cet acte important, à moins qu'on ne veuille se référer au para- graphe second de l'article 81, qui permet aux cantons d'exercer rinitiative par correspondance. Sur ce point, comme sur d'au- tres , que nous avons mentionnés plus haut , on pourrait sou- haiter plus de précision dans les dispositions de la Constitution. L'aî-t. 114 et dernier décide, que la Constitution fédérale entre en vigueur lorsqu'elle a été acceptée par la majorité des citoyens suisses prenant part à la votation, et par la majorité des cantons. Après avoir fait connaître les stipulations de la Constitution fédérale, et avant de les mettre en regard de celles du Pacte de 1815, nous jetterons un coup d'œil sur les circonstances qui accompagnèrent son acceptation. Nous l'avons dit plus haut, la Diète de 1847 avait fait preuve d'habileté en ajournant la révision, et en procédant d'abord à la dissolution du Sonderbund. Avant cet événement, elle eut éla- boré un projet de douze voix, qui vraisemblablement aurait eu le sort de tant d'autres projets antérieurs. Sans compter tous les obstacles dans le pays même, il est évident qu'alors les quatre grandes puissances y auraient mis leur veto , déclarant qu'elles ne reconnaîtraient pas le nouveau Pacte avant qu'il eût obtenu l'assentiment de tous les Etats suisses , c'est-à-dire jamais. La Diète montra une sagacité non moins réelle en s'occupant sé- rieusement de la révision aussitôt que la chute du Sonderbund et la révolution de février 1848 lui eurent rendu toute liberté au dedans comme au dehors. Les événements qui furent la consé- quence de cette révolution amenèrent une telle perturbation dans tous les États voisins, que la Diète put continuer son œuvre sans être inquiétée, et procéder avec une lenteur et une matu- rité qui étaient, il faut en convenir, un élément de succès et dfi durée. 429 Dans le cours de la première discussion , qui dura jusqu'au 8 avril i848, il y eut sans doute des retours vers le passé, mais le peuple ne s'en émut pas. La révision chemina librement dans la voie qui devait faire d'une Confédération d'Etats un État con- fédéré. Pendant la même époqup, la Diète, dont nous n'avons pas mission d'approuver tous les procédés, sut également, avec prudence et fermeté, se tenir à l'écart des convulsions qui bou- leversaient les États voisins , malgré tous les éléments dissol- vants qui fermentaient en Suisse. La chute du Sonderbund et les révolutions de l'Europe semblaient à la fois mettre un terme aux longs tiraillements politiques dont la Suisse avait souffert chez elle, et consacrer au dehors les principes politiques sur lesquels reposait son existence. La Diète n'eut donc à vaincre aucun obstacle ; tout ce qui partait de Berne était accepté sans contestation. On donna aux cantons un mois pour se prononcer sur le projet de la grande commission, et ces fières démocraties se laissèrent, sans mot dire, enfermer dans ce cercle de Popilius. Au terme fixé, la Diète se réunit de nouveau, et les députés ouvrirent leurs dernières instructions. Dans ce moment suprême, des États appartenant à la majorité laissèrent entrevoir que le char avait roulé plus vite qu'ils ne l'avaient pensé. Les deux Rhodes d' Appenzell, réu- nies cette fois, par exception, dans un même amour pour l«ur an- cienne indépendance, et, avec Schaffouse, avaient les mêmes scru- pules, et dans les rangs opposés; les petits cantons invoquaient à rencontre de l'œuvre nouvelle, non-seulement leurs anciennes libertés , mais les déclarations contenues dans la proclamation de la Diète du 20 octobre 1847. Schaffouse l'exprima avec netteté ; il demandait le retour à la Confédération de 1815, ou un système franchement unitaire, au lieu du système intermédiaire proposé. Grisons prit une po- sition qui n'était pas bien dessinée. Berne elArgovie étaient les plus prononcés en faveur d'une assemblée unique pourvue de 31 430 fortes attributions. Zurich se fut rangé au système indiqué plus liant , d'une assemblée unique avec le veto réservé aux cantons sur certaines questions importantes. Seize voix tranchèrent la difficulté par la création du Conseil des États. Nous ne mentionnerons pas les discussions plus ou moins prolongées qui s'élevèrent à l'endroit des intérêts matériels. Ce fut en réservant une considération ultérieure de ces intérêts, que, le 27 juin 1848, treize Etats et un demi-Etat acceptèrent le projet amendé, savoir : Zurich, Lucerne, Claris, Zug, Fri- bourg, Soleure, Schaffouse, Saint-Gall, Grisons, Argovie, Thur- govie. Valais, Cenève et Bâle-Campagne. Vaud , Neuchâtel , Bâle-Yille et Appenzell extérieur prirent le référendum. Tessin, Schwytz, Uri, Unterwald et Appenzell intérieur refusèrent, en donnant une déclaration. Berne, enfin, ne vota pas , parce que son instruction portait , que la révision aurait dû s'opérer par une constituante et non par la Diète. Ces diverses votations étaient les derniers hommages rendus à la souveraineté cantonale , et aux instructions qu'elle avait don- nées jusque-là sur les objets qui touchaient à ses intérêts les plus chers. La question éiait maintenant portée devant la nation entière. — Nous ne croyons pas nous tromper, en disant qu'il existait alors en Suisse trois partis assez nettement caractérisés : Un parti unitaire qui ne reculait point devant la chance d'une répu- blique une et indivisible. Un autre qui voulait se rapprocher de l'unité, sans sacrifier tout à fait le fédéralisme. Un troisième, enfin, qui reconnaissant le fédéralisme comme la loi d'existence de la Suisse, voulait se borner à donner plus de force et de liberté d'action au pouvoir central. Ces divers partis se seraient probablement heurtés longtemps sans pouvoir s'entendre, si les événements qui se succédaient en Europe, depuis le commence, ment de l'année, n'avaient inspiré à tous le plus ardent désir d'une prompte décision, pour sauver la Suisse de l'abîme où les 431 commotions étrangères, secondées par la lutte des partis an dedans, pouvaient la précipiter. En conséquence, on ne voulait d'abord accorder aux citoyens qu'un délai de six semaines pour se prononcer sur l'acceptation ou le rejet du projet du Pacte. Cependant , ce terme fut reculé jusqu'au premier septembre; Uri, Grisons, Vaud et Bàle-Cam- pagne, quatre États appartenant à des nuances d'opinions très- diverses auraient voulu prolonger le terme jusqu'au premier décembre. A l'appui de cette proposition, dans la séance du 27 juin, le député de Vaud laissa tomber des paroles qui inquiétè- rent les partisans de la réforme: « Il déclara que, dans son « canton, il régnait une grande indifférence, quant à l'œuvre de « la révision. On pensait que le Pacte de 1815 était suffisant, « puisqu'avec lui on avait vaincu le Sonderbund, prévenu l'infer- « vention et conservé la neutralité ; il terminait, en disant que, « selon lui, la même indifférence régnait généralement dans « d'autres parties de la Suisse. » Ce n'était pas là le langage que tenaient les députés de Berne, de Zurich et de Lucerne, armés de leurs nouvelles instructions. Us ne prétendaient à rien moins qu'à déclarer le Pacte obliga- toire, aussitôt que douze cantons, représentant la majorité de la population suisse, l'auraient adopté. Nous dépasserions les bornes de cet exposé, si nous faisions connaître, quelqu 'intéressantes qu'elles soient, les opinions qui se firent jour, à cette occasion, dans les Grands Conseils de la Suisse. Nous ne craignons pas de dire toutefois que, selon nos vues, beaucoup d'hommes, dans le vote approbatif qu'ils donnè- rent, se préoccupèrent moins du mérite intrinsèque de l'œuvre que de son opportunité, ou, si l'on aime mieux de son actualitér La grande majorité des Grands Conseils recommanda donc aux citoyens l'acceptation; d'autres, tels que Sch^vylz, s'asbtin- rent de toute recommandation; Tessin, Uri, Unterwald et Ap- penzell intérieur recommandèrent le rejet. Fribourg, prenant 432 une position exceptionnelle , déclara que le Grand Canseil vote- rait au nom du peuple sans demander son avis. A la votation populaire, il se présenta des circonstances cu- rieuses ; à Zurich, la moitié des citoyens habiles à voter prirent part au vote; dans le canton de Berne seulement la sixième partie ; à Soleure, la moitié des électeurs prit part au vote. Sur 15,011 citoyens actifs, l'acceptation réunit 4,600 voix. En Ar- govie, grâce à l'amende de quatre francs (anciens) , contre les non votants , le chiffre des votants fut plus élevé. Il ne s'éleva pas très-haut à Saint-Gall, nonobstant l'amende. Dans quelques cantons catholiques et à Appenzell, par exemple, on se heurtait contre l'article qui consacre la liberté des cultes et contre celui qui garantit le libre établissement; à Zug, la landsgemeinde rejeta à une grande majorité; à Uri de même, à 1,000 voix contre 30 ; dans le Nidwald à une grande majorité ; dans YOb- wald à l'unanimité. Au Tessin, le peuple vota une acceptation conditionnelle, qui fut comptée comme un rejet. Dans le Valais, il y eut 2,751 ac- ceptants contre 4,171 rejetants. A Lucerne, 11,191 citoyens rejetèrent et 6,000 acceptèrent; mais, en vertu de l'ingénieuse application du vieux proverbe : qui ne dit mot consent, les ab- sents furent comptés pour acceptants, ce qui augmenta de près de 10,000 le nombre de ceux-ci. Le 12 septembre, la Diète se réunit de nouveau pour consta- ter le résultat de la votation. Elle reconnut que sur 437,103 citoyens aptes à voter, 241,642 avaient accepté. Il est vrai que pour arriver à ce résultat, elle admit l'expédient de Lucerne, et • compta la population de Fribourg au nombre des acceptants. D'autre part, elle déduisit de ceux-ci la population du Tessin, en sorte que le résultat définitif présenta 169,743 acceptants contre 71,899 rejetants. En conséquence, quinze cantons et demi, représentant une population de 1,897,887 âmes; ayant admis la Constitution fédérale, celle-ci fut déclarée acceptée par la Confédération ! 433 Cent et un coups de canon annoncèrent ce résultat. Du Sen- tis au mont Salève ; des rives du Rhin à celles du Tessin, bien des cœurs battirent, bien des prières se ûrenl entendre. Il y eut des regrets et des espérances , et celte émotion générale qui s'empare des âmes, lorsqu'un passé se termine et lorsqu'on s'a- vance, sur ses ruines, vers un incertain avenir. Il est temps maintenant d'examiner cet acte lui-même, indé- pendamment des circonstances qui ont accompagné son adop- tion, en le comparant, suivant le programme qui nous est indi- qué, avec le Pacte de 1815. On doit s'attacher dans cette comparaison aux points de vue historique, politique, économique et juridique. Le point de vue historique nous paraît se rapporter surtout aux circonstances qui ont accompagné l'adoption de l'une et de l'autre de ces deux Constitutions. Nous avons donné trop de dé- veloppement à cette partie de notre travail pour qu'il soit néces- saire de nous étendre sur ce point. Il nous semble qu'il est un fait commun aux deux Pactes , c'est l'influence considérable , disons plus , déterminante que les circonstances extérieures ont exercée sur la reconstitution de la Suisse. Ce n'est pas sans motif que nous avons fait remonter nos recherches jusqu'à la chute de l'ancienne Confédération en 1798. Nous avons voulu montrer par les faits, que l'action de la Suisse, dans les nombreuses Con- stitutions qui se sont succédées depuis la fin du siècle dernier, n'a jamais été spontanée et dégagée d'un entourage d'influences. Hàtons-nous d'ajouter que ces influences se sont exercées d'une manière et dans des mesures difl'érentes. Le régime unitaire de 1798 a été imposé directement sans détours par la puissance des baïonnettes étrangères. Les diverses modifications que ce régime a éprouvées jusqu'en 1803, ont été uniformément le résultat de l'influence que les agents étrangers exerçaient sur les partis qui divisaient la Suisse. L'acte de médiation, monument de sagesse, de bienveillance et d'une véritable entente des vœux et des 434 intérêts de la Suisse , a été l'octroi d'une volonté forte qui sut dominer les passions de la Suisse, comme elle avait dominé les conseils des rois de l'Europe. Le Pacte de 1815, qui nous a occupés plus particulièrement, a été, nous l'avons vu, non pas le résultat du malaise occasionné par l'acte de médiation ; non pas l'acte d'une nation calme et réfléchie qui mettait avec confiance ses destinées sous l'égide de nouvelles institutions, mûrement disculées et librement con- senties ; mais le fruit d'une nécessité fatale provoquée par de folles passions, par des prétentions insensées, inconciliables, qui forcèrent, sans intention préalable, les monarques qui s'oc- cupaient de la pacification de l'Europe, à interposer leur volonté dans un pays qui paraissait ne plus posséder ni le pouvoir, ni le vouloir. Tache originelle, qui a été en grande partie la cause des tiraillements et des divisions qui ont déchiré la Suisse. Mécon- tentement sourd et comprimé, aussi longtemps que la pression de la Sainte Alliance s'est étendue sur le pays, et qui, depuis 1830, se faisant essor, a amené les luttes dont nous avons été témoins ou acteurs. La Constitution fédérale de 1848 a donc été bien plus que celles qui, depuis cinquante années, ont passé sur la Suisse, la conséquence du vœu de la majorité et d'un besoin généralement senti. Mais, sans la révolution de 1848, nonobstant la chute du Sonderbund, ce vœu eût-il été accompli? L'ouvrage de M. d'Hous- souville ' répond à cette question. Il nous apprend que « la dé- « termination était prise par les puissances continentales d'ou- « vrir sur les affaires de la Suisse, le 15 mars 1848, dans une « ville rapprochée de la frontière (à Besançon) une conférence « dont l'Angleterre aurait été exclue ». Nous copions ses pro- pres expressions. « Le jour était pris , les arrangements étaient * De la politique extérieure du gouvernement français de 1830 à 1848. 435 « débattus ; il ne s'agissait que de leur donner une forme arrê- « tée et fixe. » Que serait devenue la reconstitution de la Suisse, en présence de cette conférence? Poser la question, c'est la résoudre. Ainsi les barricades de février ont rendu à la Suisse sa liberté d'ac- tion. C'est donc sous le point de vue historique un trait com- mun au Pacte de 1815 et à la Constitution fédérale de 1848, que , sous des vues diamétralement opposées , les circonstances extérieures ont exercé une grande influence sur l'adoption des deux Pactes. Nous pourrions étendre et développer ces rappro- chements. Il nous paraît plus intéressant d'aborder le second point indiqué par le programme, savoir, la comparaison des deux Constitutions sous le point de vue politique. Comparaison détaillée. La différence fondamentale peut s'énoncer en deux mots. La Suisse, régie par le Pacte de 1815, était une Confédé- ration d'Etats; La Suisse, sous la Constitution de 1848, est un Etat confédéré. En 1815, ce sont les cantons souvei'ains delà Suisse qui se réunissent dans un certain but, défini à l'article premier du Pacte. En 1848 , ce sont les peuples des cantons sou- verains qui déclarent former la Confédération suisse. Il y a là une nuance qui nous échappe; cette distinction entre la souveraineté des cantons et l'alliance des peuples; il semblerait que le peuple a une existence distincte de celle de l'État souverain auquel il appartient. Sans nous arrêter à celte subtilité, contenions-nous de faire remarquer que, dans l'une comme dans l'autre Constitution, l'idée de la souveraineté can- tonale est en relief. Or, la souveraineté est un bien indivisible, et si on parvenait à le diviser, la primauté, c'est-à-dire la souveraineté véritable. 436 doit appartenir à c«ilui qui a la plus grosse part. Quels sont donc les attributs essentiels de la souveraineté? à) Quant aux relations intérieures, ce sont les rapports avec les Etats étrangers, sur un pied d'égalité diplomatique ; le droit de se faire représenter librement en tous lieux par des envoyés de son choix et sous la garantie du droit des gens. A l'intérieur la complète disposition de la force armée; le droit de haute et moyenne justice; le droit absolu de vie et de mort; le droit de déterminer les dépenses administratives et d'y pourvoir. Voilà quelques-uns des attributs de la souveraineté ; il en est beaucoup d'autres, mais nous ne voulons pas compliquer cet exposé. Tous ces droits essentiels étaient demeurés réservés aux can- tons par le Pacte de 1815; ils étaient souverains en fait et en droit. Les seules restrictions à cette souveraineté étaient les suivantes : a) La détermination d'un contingent de troupes et d'un con- tingent d'argent indépendants de la volonté des cantons ; le droit d'inspection sur ce contingent de troupes; b) L'établissement d'un droit d'entrée aux frontières de la Suisse sur les marchandises qui ne sont pas de première néces- sité; c) L'interdiction de voies de fait et de l'emploi des armes pour terminer les différends qui s'élevaient entre cantons. L'en- gagement d'accepter la sentence arbitrale rendue dans ce cas, selon le mode prévu par le Pacte ; d) L'interdiction de former entre cantons des liaisons préju- diciables au Pacte ou aux droits d'autres cantons ; e) L'interdiction de rétablir en Suisse des pays sujets et de faire des droits politiques un privilège exclusif en faveur d'une classe de citoyens ; f) La délégation à la Diète du droit de déclarer la guerre et de faire la paix, de former des alliances et de conclure les trai- tés de commerce ; 437 g) L'obligation d'accorder le libre achat des produits du sol et de l'industrie, leur libre sortie et leur libre passage d'un can- ton à un autre ; h) L'interdiction d'établir de nouveaux péages sans l'autori- sation de la Diète ; i) La garantie des couvents et chapitres; k) La plus importante concession, la plus redoutable par rai- son de son vague, est consentie par l'article 8, § 7, qui donne à la Diète le droit de prendre toutes les mesures nécessaires à la sûreté intérieure et extérieure de la Suisse; expressions élastiques qui pouvaient conduire et qui ont conduit en effet à une dicta- ture absolue , dont la portée n'avait pas été prévue par les ré- dacteurs du Pacte de 1815. Telles étaient les concessions de souveraineté que les cantons, par le Pacte de 1815, faisaient à la Confédération. Voici main- tenant celles qui résultent de la Constitution fédérale de 1848. A . Toutes les relations di'plomatiqnes sont exclusivement attri- buées à la Confédération; toute communication avec les Etats étrangers doit avoir lieu par l'intermédiaire du pouvoir fédéral. Outre les alliances et le droit de guerre et de paix, réservés par le Pacte de 1815 à la Confédération, à elle seule appartient le droit de conclure des traités de péages et de commerce. Les autorités subalternes des cantons frontières peuvent cor- respondre sur certains objets avec les autorités de même na- ture des États voisins ; mais les cantons eux-mêmes ne le peu- vent pas {art. 10). B. Les cantons ne peuvent conclure de capitulations mili- taires (art. J I). C. Les cantons ne peuvent entretenir qu'un nombre limité de troupes permanentes. D. La Confédération peut ordonner, sur le territoire des can- tons et sans leur participation, des travaux qui, selon ses vues, intéressent une partie considérable du pays; elle peut décréter 438 l'expropriation ; elle peut interdire les constructions publiques ordonnées par les cantons (art. Î1). E. Elle peut créer des établissements universitaires, nonobs- tant les dispositions des cantons à cet égard {art. 2Î). F. L'administration des péages, des postes, des poudres, passe du canton à la Confédération (art. 23, 33, 38). G. La régale des monnaies passe à la Confédération {art. 36). H. Elle introduit l'uniformité des poids et des mesures {ar- ticle 37). I. Elle garantit la liberté des cultes , le libre établissement des Suisses dans les divers cantons, la liberté d'industrie, la jouis- sance des droits politiques. Elle interdit aux cantons la faculté de priver un de leurs ressortissants du droit de cité. Elle pose des limites au droit d'accorder la naturalisation. Elle garantit la liberté de la presse ; elle donne au pouvoir fédéral le contrôle des lois rendues par les cantons sur cette matière ; elle peut en faire elle-même et établir des pénalités; elle garantit le droit d'association, sans égard à la volonté des cantons ; elle garantit le droit de pétition; elle garantit l'égalité complète des citoyens, à quelque canton qu'ils appartiennent , en matière de législa- tion. Elle rend exécutoire dans toute la Suisse les jugements civils rendus dans un canton. Elle supprime la peine de mort en matière politique; elle dé- cide qu'il ne pourra être établi de tribunaux extraordinaires; elle statue sur l'extradition des accusés d'un canton à un autre; elle règle souverainement les questions relatives aux Heimath- losen; elle exerce la haute police sur les étrangers; elle interdit aux cantons d'autoriser l'établissement de l'ordre des jésuites et des sociétés affiliées. Enfin , elle est autorisée à prendre des mesures sanitaires. Tous ces droits mentionnés aux art. 41 , 42 , 43 , 4-4 , iS , 46, 47 , 48 , 49 , 50 , 53 , 54 , 55 , 56 , 57 , 58 , 59 , faisaient tous 439 partie des droits réservés à la souveraineté cantonale par le Pacte de 1815, et ont passé à la Confédération par le Pacte de 1848. Ce dernier agit encore indirectement sur la souveraineté can- tonale sous d'autres points de vue. Le Pacte de 1848 fixe à vingt ans accomplis l'Age où l'on peut devenir membre de l'As- semblée fédérale, du Tribunal ou du Conseil fédéral. Il est évi- dent qu'il devient difficile aux cantons d'introduire d'autres limites de capacité politique pour leurs affaires intérieures. Le rapprochement que nous venons de faire de l'abandon de souveraineté que firent les cantons en 1815 et de celui qu'ils ont fait en 1848, nous autorise à conclure, en empruntant des ter- mes de droit, que tout le domaine utile de la souveraineté était demeuré aux cantons en 1815, et qu'il a passé à la Confédéra- tion en 1848. Ce n'est pas tout. Il est des points communs aux deux Pactes ; ainsi la garantie réciproque des Constitutions. Selon le Pacte de 1815, la seule condition de la garantie était l'acceptation de la Constitution par l'autorité suprême du canton , et sa conformité aux prin- cipes du Pacte fédéral. Selon le Pacte de 1848, la garantie dépend de conditions plus spécifiées ; il faut que la Constitution assure l'exercice des droits politiques d'après des formes républicaines ; il faut qu'elle ait été acceptée par le peuple; il faut qu'elle puisse être révisée. A la comparaison des rapports politiques que l'on peut établir entre les deux Pactes, se joint nécessairement l'examen des pouvoirs fédéraux créés par les deux Constitutions. La représentation de la Suisse, sous le Pacte de 1815, se trouvait dans la Diète. Le principe de ce Pacte était la souve- raineté cantonale; cette souveraineté suivait dans la Diète ceux qu'elle y déléguait pour l'y représenter. En conséquence, on donnait des instructions aux députés. Les pleins pouvoirs dont 440 ils pouvaient être nantis, étaient une affaire de confiance d'un canton vis-à-vis de sa députation. Le principe des instructions était formellement exprimé dans Yart. 8 du Pacte. — Chaque canton avait une voix; libre à lui de faire entendre cette voix par autant de bouches qu'il le trouvait bon et qu'il lui convenait de payer. Les demi-cantons devaient s'entendre et voter unifor- mément, sinon leurs voix étaient perdues.. A côté de la Diète, à laquelle nous donnons, tout en recon- naissant ce que cette dénomination a d'impropre, le nom d'au- torité législative, se trouvait le Directoire, chargé de la direction des affaires générales avec les pouvoirs que possédait le même Directoire avant 1798; c'est-à-dire avec des attributions indé- terminées, se réduisant à de certaines manifestations extérieures et sans aucun pouvoir légal. 11 est vrai qu'en vertu de l'art. 9 , la Diète pouvait déléguer des pouvoirs extraordinaires au Directoire, mais elle ne pouvait déléguer plus qu'elle ne possédait elle-même, c'est-à-dire les pouvoirs que des instructions lui donnaient, dans les limites du Pacte et aux trois quarts des voix. Pour les cas les plus impor- tants (art. 8) elle pouvait encore (art. 9) adjoindre au Direc- toire des représentants nommés suivant un certain ordre de cantons. Pour décider celte adjonction , il fallait les deux tiers des voix. Cette institution n'avait pas un caractère pratique, et l'expérience a fait reconnaître qu'elle était inutile pour faire sortir la Suisse des complications qu'elle a éprouvées en mainte circonstance. Ajoutons, enfin, que si l'on reconnaissait, dans la Diète , les délégués des cantons ; dans les représentants fédé- raux, les délégués de la Diète : on n'était pas au clair sur ce qu'é- tait en réalité le Directoire. Le Pacte (art. 10) parlait d'un Canton directeur, alternant entre Zurich, Berne et Lucerne, mais il ne disait pas à qui était spécialement dévolu dans ces cantons la direction des affaires fédérales. Était-ce au pouvoir exécutif du canton ? Était-ce à un 44i collège? ou à un fonctionnaire spécial pris en dedans ou en dehors de ce pouvoir? Le Grand Conseil avait-il l'inspection, la surveillance et la haute direction du pouvoir directorial? Toutes ces questions pouvaient se présenter, et, en fait, elles se sont présentées, sans recevoir des solutions satisfaisantes. Les pouvoirs fédéraux, créés par le Pacte de 1848, sont diffé- rents dans leur source et dans leur nature. Les cantons s'effa- cent; le peuple qui les habite est mis en relief. Nous l'avons remarqué, ce ne sont plus les cantons qui s'unissent par la pré- sente alliance, ce sont les peuples des vingt-deux cantons souve- rains de la Suisse. Cette déclaration , contenue à Vart. i", a servi de point de direction dans la Constitution des pouvoirs fédéraux. Le premier, le plus important, celui qui a la prééminence en fait et en droit, comme nous le démontrerons tout à l'heure, c'est le Conseil National. Contrairement à l'ancienne égalité entre les cantons , il est formé de députés nommés à raison de la population. Berne en a vingt-deux; Uri, Zug, Bâle en ont un. Ces députés sont les députés du peuple suisse (art. 61). Tout est prévu : la détermination de la capacité électorale et de celle d'éligibilité, la durée des fonctions, le mode d'élection et de renouvellement, la présidence, le mode de voter, la stipulation que les députés sont indemnisés par la caisse fédérale, tout se réunit pour donner à ce Conseil un caractère exclusivement fédéral. Cependant, un membre de phrase, à Vart. 62, amoindrit le résultat qu'on avait en vue. Les collèges sont bien appelés fédé- raux, mais ils ne peuvent être formés de parties de différents can- tons. Nous avons déjà fait connaître que l'on avait essayé plu- sieurs combinaisons pour échapper à cette nécessité. Aucune n'avait paru suffisante; il a fallu s'en tenir à la règle que nous venons de rappeler. Elle a peut-être conduit à des résultats inattendus, dont le plus frappant est celui-ci : l'élection fédérale 442 se fait sous des points de vue cantonaux; ce sont des partis can- tonaux qui s'y mesurent sur le terrain fédéral. La lutte canto- nale est-elle acharnée? l'élection fédérale est accompagnée d'une grande animation. Le calme règne-t-il dans ce canton' l'urne fédérale est délaissée, et, pour lui donner plus d'attraits, on n'a pas encore tenté jusqu'à présent , sauf à l'égard d'une seule personne ' , placée dans des circonstances tout à fait ex- ceptionnelles, d'introduire parmi les candidats un nom étranger au canton où le collège est établi. Preuve à ajouter à bien d'au- tres , des profondes racines qui lient le cantonalisme au sol de la Suisse. Il ne nous est pas démontré cependant, que le passé soit une garantie complète pour l'avenir. Il a fallu dans certains cantons, pour amener les citoyens au scrutin, leur imposer des amendes s'ils y font défaut. Nous avons mentionné le Conseil des Etals; nous avons dit comment cette institution, qui, au commencement de la discus- sion sur la Constitution fédérale , n'avait rencontré aucune fa- veur ; avait fini par se faire jour et rallier des opinions, que la pression possible d'une assemblée unique effrayait. Mais l'on ne doit pas, selon nous, établir de rapprochement entre le Conseil des États et l'ancienne Diète ; entre ces mêmes Conseils et le Sénat américain, que disait-on, on avait copié. Quoi de com- mun , en effet , entre des députés de cantons votant obligatoire- ment en vertu d'instructions et responsables de l'exécution de leur mandat, mais aussi appuyés par les cantons dont ils por- taient la parole, et des députés votant aussi obligatoirement sans instructions, et, par conséquent, n'ayant point de compte à rendre, ni de responsabilité à encourir ; mais aussi n'ayant pas d'appui à attendre de leurs cantons, surtout si, comme on Ta ' M. le général Dufour. Pendant que nous tracions ces lignes, nous avons appris que M. le conseiller fédéral Franscini, évincé dans le Tessin cette année, avait été élu à Schaffousc. 443 vu, les deux députés du même canton votent différemment dans des questions importantes? Il ne faut pas davantage comparer les députés au Conseil des États, aux membres du Sénat améri- cain, élus pour six ans, devant avoir au moins trente ans, nan- tis du droit de contrôler certaines parties importantes de l'ad- ministration, formant une sorte de Conseil d'État, sous la présidence du vice-président de l'Union; corps vraiment modé- rateur et occupant une grande place dans l'organisation poli- tique. Il nous semble que, dans le travail qui nous est demandé, nous n'avons pas mission de juger l'institution par les résultats qu'elle a pu avoir depuis sa création jusqu'au moment où nous écrivons, si rapproché encore de sa naissance. Nous devons nous borner à signaler des rapprochements ou des différences tels qu'ils résultent des textes que nous avons sous les yeux , sans qu'il nous soit interdit de faire connaître notre point de vue. Or, selon nous, dans le plus grand nombre des cas , le système des instructions obligatoires était déplorable, c'était une ma- chine à enrayer, bien plus qu'un instrument propre à donner l'impulsion. Le vole libre présente des avantages incontestables; mais comme toute institution humaine, il y a un revers. La vieille Diète avait une force d'inertie quelquefois précieuse pour un État faible; elle se retranchaitderrière le rempart inexpugnable de ses référendum. L'Assemblée votant librement est privée de cette ressource. Dans certains cas, cette liberté peut devenir un danger. Peut-être l'opinion qui eut voulu faire des Etats eux-mêmes, un Conseil des Étals, en réservant aux cantons la sanction des dé- cisions les plus importantes, celles des lois de finance, par exemple; peut-être cette opinion, disons-nous, méritait-elle d'être plus appréciée ; c'est ce que l'avenir apprendra. Terminons sur ce point, en faisant remarquer que le Conseil des Etats n'est pas sur un pied d'égalité avec le Conseil National. 444 Dans certain cas, nous l'avons vu, les deux Conseils volent en- semble comme Assemblée fédérale ; d'où il résulte que les qua- rante-quatre membres du Conseil des États sont confondus avec les cent vingt membres du Conseil National ; en d'autres termes, l'Assemblée étant, nous le supposons, au complet de cent soixante-quatre membres, le Conseil National y figure pour '^"/jg^, et le Conseil des États seulement pour "/lei *• De plus, dans le même cas, la Présidence des deux Conseils réunis est dévolue d'une manière absolue et sans alternative au Président du Consil National ; c'est un symbole de prééminence sur lequel on ne peut se méprendre. Pouvoir Exécutif. Si du pouvoir législatif nous passons à l'autorité suprême exe- cutive de la Confédération, nous signalerons des dissemblances bien frappantes avec l'autorité executive que créait le Pacte de 1815. Nous venons de montrer que cette autorité ne reposait pas sur un collège, sur un magistrat unique, sur un Conseil d'État, sur un Grand Conseil ; elle était dévolue à trois cantons à tour de rôle pendant deux ans. C'était à eux à régler la chose, dans leur régime intérieur, selon leur convenance. Le seul élément exclusivement fédéral était une chancellerie de deux personnes nommées par la Diète, attachée au directoire ; personnel ambu- lant, qui changeait de résidence lorsque le directoire passait d'un canton à un aulre. Il en est autrement sous la Constitution fédérale de 1848, ' Cette anomalie n'avait point échappé à la commission, et il y avait été proposé, mais sans succès, 1° que dans les opérations communes aux deux Conseils, le Conseil National fût réduit par la voie du sort à un nombre de membres égal à celui des députés du Conseil des États; 2" que la présidence alternât entre les présidents des deux Conseils. i45 l'autorité suprême executive est dévolue à un Conseil spécial, nommé par l'Assemblée en dehors de toute combinaison can- tonale. Il est choisi dans son sein ou hors d'elle, sans exiger d'autre condition d'éligibilité que d'être citoyen suisse et d'avoir vingt ans accomplis. La seule disposition restrictive est l'inter- diction de prendre plus d'un membre dans un même canton. Ce collège est de sept membres ; il est nommé pour trois ans, et renouvelé intégralement. Nous renvoyons au texte des deux Pactes pour faire apprécier la différence des attributions; mais nous signalerons encore ici une différence essentielle avec la Constitution américaine, que l'on accuse la Suisse d'avoir ser- vilement copiée dans la reconstitution fédérale de ISiS. Aux États-Unis, l'autorité suprême executive est dévolue à un seul homme nommé pour quatre ans. En Suisse, elle est remise à un collège dont les membres sont élus pour trois ans. Aux États- Unis, le Président est élu par un corps électoral spécial qui n'a rien de commun avec les deux chambres du congrès. En Suisse, le Conseil fédéral est élu par l'Assemblée fédérale. Aux États-Unis, on ne pent être élu président, 1° si l'on n'a pas trente ans accomplis ; 2» si l'on n'est enfant du sol américain. En Suisse, on peut être président de la Confédération à vingt et un ans , et il suffit de justifier qu'on est naturalisé Suisse de- puis cinq ans. Aux États-Unis, enfin, c'est le Président qui nomme ses mi- nistres. En Suisse, les membres du Conseil fédéral ont une double capacité; ils sont chacun une partie aliquote d'un sou- verain constitutionnel , et individuellement ministres à dépar- tement. La sphère d'action des anciens directoires était à peu près nulle ; celle du Conseil fédéral est considérable ; elle s'étend sur la vie intérieure et la vie extérieure de la Suisse, et se rattache directement ou indirectement à tous les intérêts géhéraux de» citoyens. 3i 446 En sorte que, si nous devions appliquer une devise à chacune de ces deux autorités, nous donnerions pour motto aux anciens directoires le mot impuissmice, et celui de puisssance au Conseil fédéral, né de la Constitution de 1848. Nous avouons que, selon le point de vue où l'on se place, on peut rattacher beaucoup de crainte ou beaucoup (Tespérance à l'une comme à l'autre de ces deux expressions. Il n'est pas hors de propos de dire deux mots du siège des autorités fédérales. La Constitution avait remis à la législature à statuer sur ce point. Elle s'est prononcée, et Berne a été dé- signée pour être la capitale de la Suisse. Nous signalons ici une différence notable avec le régime de 1815. La Confédéra- tion alors n'avait point de demeure à elle, nous l'avons dit; représentée par la chancellerie fédérale, elle cheminait d'un chef-lieu directorial à un autre chef-Heu. Aujourd'hui , les au- torités fédérales ont une résidence fixe, mais beaucoup d'esprits sont encore indécis sur ce point. Nous ne parlons pas delà pré- dilection pour telle ou telle ville ; Berne a ses partisans comme ses détracteurs , et tout autre lieu serait exposé à la même chance ; mais nous disons que des esprits sérieux et préoccupés de l'avenir ont regretté que, dans ce grand remaniement de 1848, on n'ait pas examiné avec plus d'attention la possibilité de constituer un petit comté de Washington, une circonscription exclusivement fédérale, au moyen d'indemnités et de compensa- tions en faveur des cantons intéressés. Ces mêmes personnes pensaient que par là, la position réciproque des cantons et de la Confédération aurait été mieux déterminée , et à l'abri de con- flits qui ne sont pas en dehors des éventualités de l'avenir. Comparons maintenant le Pacte de 1815 à la Constitution fédérale de 1848, sous le point de vue économique. Ce point de vue comprend, selon nous, deux choses distinctes. La première, est la recherche de l'effet de ces institutions sur l'économie gé- nérale du pays. La seconde, l'augmentation ou la diminution 447 qui peut en résulter dans les dépenses et les revenus, soit pour la Confédéralîon, soit pour les cantons. Le Pacte de 1815 renfermait certaines prescriptions qui se rapportent à ce sujet. Il décrétait la création d'une caisse de guerre, qui devait se former essentiellement par la perception d'un droit d'entrée sur les marchandises qui ne sont pas des objets de première nécessité. Le maximum de celte caisse ne devait pas dépasser un double contingent d'argent , savoir : i, 080, 000 knncs, ancienne valeur, environ /, 6^0,000 francs nouveaux. Ces dispositions furent étendues par des dispositions postérieures ; l'importance de la caisse fut élevée à quatre con- tingents d'argent, et dépassa plus tard cette valeur , à mesure que l'accroissement des importations augmenta le produit des droits d'entrée. La fixation de ce contingent d'argent, dont le total s'élevait à 540,000 francs, ancienne valeur, suivant une échelle de répartition, devait être revue tous les vingt ans. Le Pacte de 1815 garantissait : «. le libre achat des denrées, des produits du sol et des marchandises; leur libre .«ortie et leur passage d'un canton à un autre , sauf les mesures de police né- cessaires pour prévenir le monopole et l'accaparement; mais les mesures de police devaient être les mêmes pour les Suisses et pour les habitants du canton. » Les péages et pontonages , existant en 1815, étaient conser- vés, on ne pouvait prolonger la durée de leur concession ou en établir de nouveaux sans l'autorisation de la Diète. Les droits de traite foraine, d'un canton à l'autre, étaient abolis. Voilà ce que nous pouvons appeler les stipulations éco- nomiques contenues dans le Pacte de 1815. Cependant, nous pensons que l'on peut encore ranger sous ce chef les presta- tions militaires, qui, en raison des sacrifices qu'elles imposent aux citoyens, intéressent à un haut degré l'économie générale du pays. Ces prestations avaient pour objet de constituer une 448 armée de 32,806 hommes, suivant une répartition faite à rai- son de deux soldats par cent âmes. Par des arrêtés successifs, la Diète constitua une réserve de pareille force. La crainte d'une guerre générale, en 1831, amena l'organisation d'une Land- wehr ; mais sans décider si elle serait une obligation perma- nente des cantons. Plus tard , on pensa que, dans l'intérêt d'une instruction et d'une organisation uniforme, il était nécessaire de mettre sur le même pied le contingent et la réserve; en sorle qu'après bien des résistances, cette réunion fut prononcée en 1841, et l'armée portée à 64,000 hommes. Le nouveau Pacte est allé plus loin : il a conservé une élite qui, formée seulement à raison de trois hommes pour cent âmes, atteint en raison de l'accroissement de la population le chiffre de 69,568 combattants. L'ancienne Landwehr, dont le caractère était resté indécis, devient partie effective de l'armée, sous le nom de resen-e , avec le chiffre de 34,784 hommes, ce qui porte l'effectif total à 104,352 combattants, avec le matériel nécessaire. De plus, la Confédération a le droit, lorsqu'elle estime qu'il y a danger, d'appeler le reste des forces militaires des cantons. L'armée ac- tive, trois fois plus forte que celle qu'avait prévu le Pacte de 4815, est complètement soustraite à la volonté des cantons; son habillement, son équipement, son instruction et sa disposition sont fédérales. Les lois postérieures ont développé sous ces di- vers rapports les principes posés dans la Constitution fédérale. Aux cantons reste attribué la fourniture d'un matériel très- coûteux , des livraisons de chevaux, toujours plus difficiles et plus onéreuses, et la disposition de leurs troupes pour le cas de trou- bles intérieurs, avec des restrictions, toutefois, qui ne permet- tent pas d'envisager leur pouvoir comme absolu, même dans ces limites. Le matériel de guerre fourni par les cantons a été estimé à treize millions de francs; mais ces évaluations ne présentent 449 jamais un haut degré de certitude jusqu'à ce que les dépenses soient effectivement accomplies. Toutefois, si l'on faille compte des charges résultant pour les citoyens des dispositions de la Constitution, et des lois et ordon- nances qui en ont été la conséquence, sous le rapport des pres- tations, soit pour l'instruction, soit pour d'autres causes; nous ne pensons pas qu'il y ait de l'exagération dans l'assertion avan- cée par un puhlicisle ', « que ces charges sont le quadruple de ce qu'elles étaient suivant le Pacte de 1815. » Nous nous bornerons à ces aperçus, parce qu'ils se rapportent d'une manière Irès-directe à l'économie générale du pays, et nous nous abstiendrons de faire une excursion dans le vaste champ de la politique militaire de la Suisse. Nous applaudissons volontiers à ce qui a été fait; nous applaudirons volontiers à ce qui peut être fait encore; sans nous dissimuler que ces inslitu-" lions, si précieuses pour la Suisse sous tant de rapports, peu- vent périr par l'exagération de leur principe ; si l'application en est confiée à des mains inhabiles ou passionnées. Portons maintenant nos regards sur les autres dispositions de la Constitution fédérale qui touchent à l'économie générale des pays. Nous trouvons : A. L'intervention facultative de la Confédération pour ordon- ner ou encourager des travaux d'utilité publique. Le Pacte de 1815 se laisail sur ce point, dont on ne saurait contester la haute importance; il rend possible l'exécution de travaux qui, sous l'ancien Pacte, pouvaient rencontrer une résistance invin- cible dans l'obstination cantonale; mais aussi il mel à néant, dans certains cas, l'autorité des cantons ; il est encore un moyen d'influence bien puissant par l'appât que des subventions habi- lement accordées peuvent présenter, pour rompre certaines ré- sistances. ' L'ancien landamman Baumgartner (Schweizerspiegel). 450 La faculté d'interdire les constructions qui porteraient atteinte aux intérêts de la Confédération , excellente dans son but, peut aussi exercer une influence fâcheuse sur les intérêts économi- ques du canton intéressé, s'il n'est pas fait usage de ce droit avec discrétion. Le Pacte de 1815 était muet sur ce point. B. La centralisation des péages; les dispositions qui s'y rap- portent, les mesures d'exécutions qui en ont été la conséquence, sont au premier rang des objets qui se rattachent intimement à l'économie générale du pays. Nous avons vu dans quelles limites le Pacte de 1815 avait circonscrit la compétence de la Diète sous ce rapport ; il avait eu plus en vue d'arrêter les progrès du mal que de le détruire dans son germe. La Constitution de 1848 a porté la cognée au pied de l'arbre , et les effets ont prompte- menl suivi les promesses. Chaque citoyen peut les apprécier sans que nous ayons besoin d'en faire le tableau. Ainsi ont dis- paru, avec une rapidité que l'on n'aurait jamais cru possible en Suisse, tous les péages intérieurs, tous les droits de chaussée, de pontonage; toutes ces entraves onéreuses de circulations qui, de Genève à Rohrschach, de Bâle à Mendrisio, arrêtaient à chaque pas les voyageurs et les marchandises. On ne peut mé- connaître les avantages de ce changement ; mais, comme toutes les choses importantes de ce monde, cet avantage a été acheté; il l'a été par la perception à la frontière suisse des droits d'im- portation, d'exportation et de transit, connus sous le nom de péages fédéraux. Nous sommes décidés à ne pas grossir ce travail, déjà trop long, par les dits et les redits qui ont été et qui sont encore échangés chaque jour sur la question des péages. Nous sommes tentés de croire que, dans cette discussion , ainsi que dans toutes celles qui s'élèvent entre les hommes, surtout quand il s'agit d'intérêts matériels ; il y a exagération dans l'attaque comme dans la défense. Ce qui nous paraît toutefois hors de 451 doute, c'est que la création des péages fédéraux, en remplace- ment des péages intérieurs, a été un bienfait pour les cantons de l'intérieur de la Suisse ; bienfait qui leur est procuré par un sacrifice imposé aux cantons frontières. En conséquence, il eut valu peut-être la peine d'examiner si l'on n'aurait pas pu attein- dre le même résultat par un système qui aurait réparti la charge d'une manière plus égale, en demandant aux contingents d'ar- gent, exigibles des cantons, une partie du produit que l'on ob- tient des péages. Au reste, il nous paraît d'autant moins opportun de traiter cette question à fond dans ce moment, qu'elle est loin d'être résolue; le produit des péages a tellement dépassé les prévisions les plus ambitieuses, que les Conseils seront nécessairement appelés dans un avenir rapproché à réduire les tarifs, et, par conséquent, les charges qu'ils imposent, ou à accorder dans la répartition de ce produit net, une pari beaucoup plus grande aux cantons les plus lésés. Disons de plus que, dans cette espèce d'impôts , le mode de perception exerce une grande influence sur l'appréciation que fait le public de l'institution en général. Une administration prudente et qui tient à demeurer populaire doit souvent répéter à ses employés ce mot de M. Talleyrand : « Surtout, pas de zèle. >,> C. Sur le libre achat, la libre vente, le libre passage des den- rées et des marchandises, la Constitution reproduit, sans les élargir beaucoup, les dispositions essentielles du Pacte de 1815; elle les rend plus explicites, tout en les soumettant aux mêmes restrictions, et, en particulier, à ces mesures contre l'accapare- ment, qui, dans l'état actuel de la science sociale, sont diflîciles à justifier. La Constitution de 1848 place toutes ces garanties sous un meilleur contrôle de l'autorité fédérale que ne le faisait le Pacte de 1815. La perception des droits a lieu sous la sur- veillance du Conseil fédéral; on ne peut sans la permission de l'Assemblée fédérale, ni les hausser, ni en prolonger la durée. 452 On peut regretter que le même article (31, § 2) laisse la fa- culté de créer de nouveaux péages particuliers. Il entoure, il est vrai, l'exercice de ce droit, de précautions. L'expérience a prouvé combien en cette matière les précédents peuvent deve- nir abusifs. La Constitution permet (art. 32) l'élablissement de droits de consommation sur les vins et autres liqueurs. Concession sur laquelle le Pacte de 4815 était muet, probablement parce qu'elle était superflue sous le régime de la souveraineté cantonale com- plète, D. La régale des postes et messageries, qui était cantonale sous le Pacte de 1815; est devenue fédérale , à teneur de la Consti- tution de 1848. Il serait difficile d'accorder des regrets à l'an- cien ordre de choses , quelques vœux que l'on puisse former pour l'amélioration de l'ordre nouveau. — La centralisation de cette branche d'administration était généralement souhaitée. La difficulté de faire concorder les volontés et souvent même les caprices de vingt-deux souverainetés, pour un service qui, plus que tout autre, a besoin d'une impulsion unique, se faisait sen- tir chaque jour dans les rapports intérieurs, et plus encore dans les rapports avec les États étrangers ; les traités de postes , les plus avantageux avec ces États, étaient souvent impossibles. Nous ne craignons donc pas d'exprimer l'opinion qu'en ceci la Constitution de 1848 est supérieure au Pacte de 1815. E. Le quatrième objet principal qui se rattache à l'économie générale du pays, est la surveillance attribuée à lo Confédéra- tion sur les routes et les ponts dans rintérieur des cantons. Le Pacte de 1815 était muet sur cet article; il est accompagné d'un comminatoire important, la retenue facultative des indemnités à payer aux cantons pour les postes et les péages, si les routes et les ponts ne sont pas convenablement entretenus. Celte dis- position se justifie comme corrélative du paiement de ces mêmes indemnités ; mais elle peut soulever des questions difficiles à 453 résoudre , surtout si une administration fédérale tracassière s'emparait du droit qui lui est dévolu, pour intervenir, sans né- cessité urgente, dans l'administration intérieure des cantons. Ceux-ci réclameraient probablement, dans ce cas, une réparti- tion dans les bénéfices faits par la Confédération, sur le produit des postes et péages, en sus de la part qui leur est allouée par les art. Î6 et 33. F.a réponse à ces craintes éventuelles se trou- vera sans doute dans l'usage discret que la Confédération fera de ses droits, F. La régale de la fabrication et de lu vente de la poudre à canon passe également des cantons à la Confédération. Cette disposition, qui n'existait pas dans le Pacte de 1815, ne nous paraît offrir que des avantages. Ces diverses régales sont autant de sources de revenus destinées à former le cba pitre Recettes des budgets fédéraux; leur importance est nécessairement subor- donnée à l'intelligence de l'administration et aux circonstances générales dont dépend en tout pays le produit plus ou moins élevé des impôts indirects. — Il est encore deux sources de re- venu plus fixes de leur nature, ce sont les intérêts des fonds de guerre et les contributions des cantons; celles-ci ne peuvent être levées que par un arrêté de l'Assemblée fédérale; elles ne figurent pas dans les budgets ordinaires. Nous devons mentionner encore deux articles qui se ratta- chent très-directement à l'économie intérieure du pays; l'un, Yart. 36, attribue à la Confédération tous les droits compris dans la régale desmonnaies, el interdit aux cantons débattre monnaie. Selon les traditions consacrées, le droit de battre monnaie était considéré, plus que tout autre, comme le symbole de la souve- raineté. Les collections numismatiques de la Suisse offrent un témoignage de la jalousie avec laquelle toutes les souverainetés diverses, comprises , sous le nom commun de Suisse, mainte- naient ce droit, quel que fût du reste le domaine utile de souve- raineté qui demeurât en leur pouvoir. La seigneurie d'Haï- 454 denstein, aussi bien que la ville et VEvêché de Coire, ses voisins, tenaient à honneur de continuer la frappe de leurs monnaies. L'étranger, à qui une pièce d'Haldenstein tombait entre les mains, devait faire des recherches longues et minutieuses pour découvrir l'hôtel des monnaies où se frappaient les écus de cette imperceptible souveraineté. 11 faut le reconnaître, ce n'était pas seulement une question d'honneur, c'était aussi une question de profit. Le métier de faux-monnayeur est dangereux pour les particuliers; il est pro- fitable pour les Etats qui l'exercent au grand jour et abrités par leur drapeau national. La Suisse présentait à cet égard un spec- tacle déplorable, et dont la génération actuelle a conservé un souvenir trop vif pour qu'il soit nécessaire de lui en offrir le tableau ; c'était une confusion de monnaies qui, sous des noms semblables, représentaient des valeurs diverses, en raison de la différence des titres et du bon ou du mauvais aloi. Désespoir de l'étranger, qui ne pouvait s'y reconnaître ! et qui s'en défiait à juste titre. Elle isolait la Suisse, sous ce rapport, des autres pays et les cantons entre eux. Ceux-ci avaient cru trouver un remède dans des dispositions concordataires qui n'avaient aucun caractère obligatoire pour les cantons étrangers au concordat. D'autres cantons, plus en rapport par la nature de leurs affaires avec les États étrangers rapprochés d'eux , avaient adopté , les uns en fait, les autres légalement , le système monétaire de ces pays-là. Genève avait introduit le système français; la Suisse orientale suivait, sans en avoir fait l'objet d'une décision for- melle, le système allemand. La Constitution de 1848 a mis un terme à cette anarchie mo- nétaire par l'article de cette charte que nous venons de rappe- ler. Avec beaucoup d'adresse, la Constitution avait renvoyé à la loi à fixer le pied monétaire, afin de ne pas compromettre sa propre adoption, en prenant un parti tranché entre des systèmes inconciliables. 455 Dès lors la loi a parlé, et nous connaissons son verdict. Quoique nous nous soyons interdit de parler des résultais ac- quis par la mise à exécution de la Constitution, nous devons cependant nous rendre attentifs au succès qui a accompagné une opération qui contrariait des habitudes invétérées et de nom- breux intérêts. Preuve irréfragable que tout ce qui est vrai, utile, conforme au bien général, fait son chemin sans qu'il soit besoin de violence; lorsqu'on ne veut pas devancer les temps; lorsqu'on laisse les convictions se former avant de prononcer définitivement. Deux ans s'étaient à peine écoulés et tous les batzen, les crentzers, les schellings et leurs dérivés, avaient dis- paru. La Suisse orientale, bien que regrettant vivement le sys- tème allemand, s'était soumise aux nouvelles dispositions, et, d'un bout de la Suisse à l'autre, le système décimal règne sans conteste. Dans les plus modestes boutiques de village, comme dans les plus opulents magasins de nos villes, les francs et les centimes parfaitement compris et appréciés, ont remplacé la vieille monnaie. Le changement monétaire est un des objets acquis par la Constitution de 1848, que nous signalons comme un bienfait. En dirons-nous autant de l'art. 37, qui prescrit « l'uniformité des poids et des mesures sur la base du concordat fédéral sur cette matière ? » Il est fâcheux que cet article soit complexe. L'uniformité des poids et des mesures est chose utile. Ses avantages économiques sont trop évidents pour avoir besoin d'être démontrés. Mais la Constitution a-t-elle bien agi en s'écartant de la réserve dont elle avait fait preuve à l'article des monnaies? En allant plus loin que la simple déclaration du principe, et en déterminant que cette uniformité résultera de l'introduction dans tous les cantons du concordat fédéral existant entre plusieurs? Les rédacteurs de la Constitution se sont-ils défiés du sort que la discussion pourrait faire éprouver au concordat, et ont- 456 ils voulu l'imposer en le glissant dans la Constitution ? Ce sont des questions sur lesquelles il est permis d'être partagé. Nous pensons, toutefois, qu'il y a eu des motifs plus sérieux à l'appui de cette disposition. Le concordat sur les poids et les mesures a coûté beaucoup de temps, beaucoup de peine et beaucoup d'argent aux cantons qui l'avaient conclu. Ils sont satislaits de ses résultais, on ne peut les blâmer s'ils n'ont pas voulu les compromettre par l'introduction d'un autre système. Nous regrettons' cette disposition, sans nous joindre aux cris de désespoir que nous avons entendu pousser, parce que le pied suisse a trente centimètres, au lieu de trente- trois et une fraction; nous ne pensons pas que tout rapproche- ment soit impossible. Finances. Nous joignons ici le chiffre du dernier budget fédéral voté sous le régime du Pacte de 1815, le budget pour 1848 et celui qu'a voté l'Assemblée fédérale pour 1854. Le budget pour 1848, intitulé dépenses de la Suisse centrale, s'élevait à Fr. 78,000 (ancienne valeur), soit (Fr. 113,100 nouveaux.) Ce total se composait des valeurs suivantes, exprimées en ancienne valeur. 1° Agences diplomatiques Fr. 28,000 2" Missions extraordinaires, commissions dans l'intérieur — 12,000 2° Traitement des fonctionnaires de la chancelle- rie et de ses employés — 17,050 4° Correspondance et ports de lettres — 1,800 5" Frais de chancellerie et d'archives — 9,000 6" Imprimés — 8,500 1" Objets divers — 1,650 Total... Fr. 78,000 457 Le budget mililaire s'élevait à Fr. 244,900 (ancienne valeur), soit — 334,008 nouveaux. Il se divisait en budget ordi- naire , s'élevant à Fr. 157,100 A V. budget extraordinaire de — 87,800 A V. Total du budget militaire en 1848 Fr. 244,900 Total des budgets réunis AV Fr. 322,908 Soit (en francs nouveaux) .*.... Fr. 408,105 Ces dépenses étaient couvertes par les intérêts des fonds de guerre, et par la mieux-value du produit des péages, dont l'ex- cédant était porté en accroissement des fonds de guerre fédé- raux. Ces fonds s'élevaient au 31 décembre 1846: à Fr. 4,050,419 AV. soit à (francs nouveaux) 5,882,107. 55 c. Le budget de 1854 présente des chiffres différents. Il s'élève, quant aux dépenses, à Fr. 13,091,483. 07 qui se décomposent dans les rubriques générales suivantes : Intérêts divers Fr. 134,973. 07 Administralion générale. Conseil National Fr. 67,525 Conseil des États — 4.825 Conseil fédéral — 52,200 > — 264,250. » Chancellerie fédérale — 104,700 Pensions — 35,000 .4 reporter. . . Fr. 399,223. 07 458 Report... Fr. 399,223. 07 Départements. Département politique Fr. 51,500 » de l'Intérieur . . — 32,500 » Militaire — 11,000 » des Finances... — 29,250 » du Commerce et des Péages... — 5,000 » des Postes et Tra- vaux publics. — 7,700 » de Justice et Po- lice — 33,700 Administrations spéciales. Administration militaire . Fr. 1,434,955 )) des Péages — 5,650,040 » des Postes — 7,300,000 » des télégraphes — 160,000 » des poudres. . . — 442,694 » des capsules . . — 21,831 170,650. » 12,521,610. » Total général... Fr. 13,091,483. 07 Pour avoir un résultat complet , il conviendrait d'ajouter les frais du commissariat dans le Tessin , et les dépenses dans ce canton , résultant du crédit illimité ouvert dans ce but au Con- seil fédéral par l'Assemblée générale. Les dépenses sont couvertes par les receltes fixes ou présu- mées comprises sous les rubriques suivantes : 459 I. Produits d'immeubles et de capitaux : a) Immeubles Fr. 27,694, » 6) Capitaux — 160,000. » II. Intérêts d'avoir et d'avance — 29,456. 09 III. Régales et administrations : a) Recette brute des péages — 5,500,000. » b) y> » des postes — 7,300,000. » c) » » des télégraphes — 125,000. » d) )> » des poudres — 502,604. » c) » » des capsules — 19,510. » IV. Recettes de chancellerie et indemnités: a) Recettes de chancellerie — 5,650. » b) » du Département Militaire. . — 97,585. 91 c) B de Justice — 1 ,000. » Fr. 13,768,500. » Les dépenses du budget s'élèvent à — 13,091,483. 07 Excédant présumé des recettes sur les dé- penses Fr. 677,016. 93 Nous avons parcouru les articles de la Constitution de 1848, qui nous ont paru apporter dans l'économie générale du pays des modifications profondes à l'état de choses créé par le régime de 1815; il faudrait, sans doute, pour les bien apprécier, y joindre l'examen des lois et arrêtés d'exécution qui ont donné action et vie aux prescriptions de la Constitution ; mais cet exa- men, qui ne nous est pas demandé, grossirait outre mesure un exposé déjà trop long; il pourra trouver sa place dans un travail spécial. Nous ne clorons pas , toutefois , l'énoncé de ces points com- paratifs, sans faire remarquer que la Constitution de 1848 a remplacé le silence complet du Pacte de 1815 par la garantie, très-explicite, à tous les Suisses, de l'une des confessions chré- 460 tiennes; ilii droit de s'établir dans toute l'étendue du territoire suisse, moyennant certaines dispositions. Dispositions puisées en partie dans les concordats, sur ce point, existant entre plu- sieurs cantons ; mais auxquelles d'autres Etats s'étaient refusés obstinément de prendre part. Nul autre objet n'avait excité pen- dant trente ans de plus constantes el de plus légitimes observa- tions. Les dispositions de la Constitution telles qu'elles sont énoncées à l'article M, concilient à la fois ce qu'exige la com- munauté d'intérêts de tous les Suisses, dans toutes les parties du pays, et un juste respect pour les droits de haute police qui appartiennent aux cantons. Elles forment, sous ce rapport, un des traits les plus honorables de la Constitution fédérale de 1848. Vart. 42 va plus loin; il accorde l'exercice des droils politi- ques, dans les affaires cantonales, à tous les citoyens suisses après un maximum de résidence de deux ans. Beaucoup d'es- prits sérieux ont trouvé que la Constitution avait outrepassé une juste mesure, sous ce rapport, el faisait trop bon marché de la souveraineté cantonale dont elle avait prétendu consacrer le principe. Il nous reste à dire quelques mots du régime judiciaire établi par la Constitution fédérale de 1848. C'est là une création nou- velle, importante , dont le Pacte de 1815 n'offrait aucune trace. Cette création était désirée depuis longtemps; on doit y trou- ver une précieuse garantie contre l'influence que les passions politiques n'exercent que trop souvent dans l'administration de la justice; mais, ne craignons pas de le dire, celte garantie dé- pend d'une condition ; c'est que la séparation des fonctions judi- ciaires et des fonctions politiques soit une réalité, et qu'elle s'étende aux personnes. Un homme dont l'autorité dans ces matières ne sera jamais rérusée à Genève, M. le professeur Bcllot, l'a dit : « Le cumul des différents pouvoirs de l'État est la mort de toute liberté. » Celte grande vérité , avouons-le , a été méconnue dans l'éta- if.l blissenient du Tribunal fédéral. Les membres des deux Conseils qui, en raison de leur caractère politique, sont mêlés aux inté- rêts les plus importants de la Confédération, des cantons et des citoyens, qui ont en particulier à décider sur des questions de compétence. Ces membres, disons-nous, sont éligibles au Con- seil fédéral , et, en fait, ils y sont élus. Peut-être faut-il attri- buer ce tort à la hâte qui a présidé à la première formation du tribunal. Il fallait faire la part de beaucoup de personnes, qui ne pouvaient trouver place au Conseil fédéral, et on les a pour- vues au moyen du tribunal. Une plus miire considération de l'objet aurait amené de meilleures combinaisons. Elles pour- ront venir plus tard. Nous pensons aussi que le mode de com- position de la liste des jurés a besoin d'être revu, pour que cette institution prenne, aux yeux du pays l'importance et la gravité dont elle est digne. Le temps et le calme peuvent amener le perfectionnement de ces détails. Nous bornant pour le moment à signaler la création en elle- même, il nous paraît difficile de lui refuser une haute approba- tion. L'institution de la jusiice fédérale, circonscrite dans le domaine qui lui appartient, sans empiétement .sur ce qui est du domaine de la juridiction cantonale, mais aussi, agissant sur son terrain, avec gravité, liberté, indépendance et absence d'es- prit de parti, est une des institutions les plus propres à imprimer le respect et l'amour pour la nouvelle Constitution fédérale ; comme aussi , il faut le reconnaître , elle ne produirait que ré- pulsion, si elle se mettait au service des passions et des intérêts politiques de tel ou tel parti. Avant de terminer ce travail , nous pourrions être tentés de nous livrer à une appréciation plus étendue de la Constitution fédérale. Nous ne le ferons pas ; nous avons cherché à montrer ce qu'elle est ; nous laissons à l'intelligence de chacun à augu- rer de son avenir. Nous croyons qu'il serait imprudent de la juger sur les résultats obtenus jusqu'à présent; la vie des peu- 33 40-2 pies ne se compte pas par des moments aussi courts que l'exis- tence des individus. — Succédant à une époque tourmentée, et prenant naissance dans un temps où le monde n'est pas dans une période de calme et de repos ; la Constitution fédérale de 1848 a été un grand bienfait. Elle a, dans une année éminem- ment critique, resserré le lien social en Suisse, au moment où partout ailleurs il était prêt à se dissoudre. Elle a prévenu peut- être le morcellement ou le décliirement de la Suisse ; elle l'a maintenue en corps de nation, et lui a permis de traverser, sans dommage réel, une des phases les plus critiques de son exis- tence. Ce véritable bienfait, que l'on ne saurait jamais oublier, ne doit pas, cependant, nous faire fermer les yeux sur la valeur réelle de celte œuvre. A nos yeux , elle est un progrès , abstraction faite de toute question d'opportunité. Elle contient en germe des principes propres à assurer un développement heureux de la société suisse. Bien supérieure en ceci au Pacte de 1815, elle donne à la Confédération une autorité suffisante pour maintenir l'ordre intérieur. Cette autorité, quelques-uns la trouvent exorbitante; mais elle est régulière et légale; elle n'est pas vague et indéter- minée comme sous le Pacte de 1815. En sorte que la Suisse ne doit plus être exposée , comme elle ne l'a été que trop sous ce Pacte , à subir le fléau et le despotisme de la dictature que la Diète s'arrogeait, à défaut d'autre moyen de se faire écouter. Selon nous , les défauts principaux de ce Pacte peuvent se résumer en ceci : il n'offrait qu'une seule solution possible, trancher les difficultés à coups de majorité. Dans une séance de la dernière Diète, celle du 16 août 1847, un député s'écriait, « qu'il préférerait une Suisse unitaire au despotisme des majori- tés.. » Ce député avait raison; on pouvait tout avec le Pacte de 1815, excepté la modération. Bâle, Schwytz, Neuchâtel, en 1833 et l'année 1847 , l'ont prouvé. Avec la Constitution fédérale de 1848, nous croyons que l'on peut obtenir des décisions impar- 463 liales et éclairées ; mais ces principes salutaires doivent être fé- condés par le patriotisme et par une sage entente des intérêts, des sympathies, des traditions et des nécessités de la Suisse. La Constitution de 1848 porte, en elle-même, les éléments du bien; mais elle contient, comme toute chose humaine, la possibilité des abus. Que les pouvoirs institués par elle n'ou- blient jamais que le fédéralisme est la loi de la Suisse. Que toute tendance trop forte à l'unité serait repoussée , à la fois, par les intérêts comme par les souvenirs. Qu'ils veillent à ce qui leur a été confié, mais qu'ils se tiennent en garde contre la propension de trop faire; propension si naturelle chez les hommes placés en évidence, et qui ont le sentiment de leur valeur personnelle. Que, d'autre part, le pays n'exige que ce que l'œuvre nouvelle peut lui donner, qu'il surveille ses mandataires avec intérêt et avec exactitude, mais avec bienveillance; qu'il se montre prêt à les soutenir comme à les arrêter s'il le faut. Que les uns et les autres se rappellent que cette Constitution ne contient rien de nouveau, que toutes les idées qu'elle renferme, toutes les insti- tutions qu'elle crée, ont été proposées ou tentées depuis 1798. C'est pour le rappeler que nous n'avons pas voulu borner notre examen comparatif au Pacte de 1815, et qu'il nous a paru né- cessaire de reproduire le texte de ces diverses Constitutions éphémères, afin qu'il fût démontré que la Constitution de 1848 n'a rien créé de neuf: Division du pouvoir légistatif en deux chambres ; pouvoir exécutif fédéral , attributions de certaines régales à la Confédération ; jurisprudence fédérale; tout a été essayé et essayé en vain. — La connaissance de ces faits doit avoir, selon nous, deux résultats généraux. Elle doit, en premier lieu, conduire à la recherche des causes qui ont amené la chute si rapide d'institutions auxquelles nous attachons aujourd'hui beaucoup d'espérances, et, par conséquent, elle doit faire trou- ver les moyens de prévenir le retour de semblables mécomptes. Chacun devrait avoir sans cesse à l'esprit les paroles que nous 464 avons citées (page 41 de ce mémoire) , et que M. Capo d'Istrias adressait aux hommes qui élaboraient le Pacte de 1815 : « Si « vous le voulez tous de bonne foi et qu'il ne soit pas un chiffon «. de papier, il marchera de manière à vous sauver, car ce sont « les hommes, plus que les institutions , qui sont l'affaire im- « portante dans tout gouvernement. » En second lieu , la con- naissance des faits doit rappeler, que la Constitution de 1848 est une œuvre perfectible; que le dernier mot du progrès n'a pas été exprimé dans son texte; qu'en réalité ce texte n'est qu'une lettre, une lettre morte, mais qu'en notre épigraphe se trouve la vérité éternelle : « La lettre tue et l'esprit vivifie. » N»6. — i85r). AVRIL. BULLETIN L'INSTITUT NATIONAL GENEVOIS. Section fies Sciences naturelles et mathématiques. Séance dtiSOjuin 1854. Le Président communique une lettre de M. Brun , ancien secrétaire de la Section , par laquelle ce membre annonce ne pouvoir, pour des motifs de santé , continuer à faire partie de l'Institut. M. Moulinié, secrétaire, est nommé membre effectif de la Section , en remplacement de M. Lissignol , dont la démission avait été communiquée dans la séance de mars. Développement des Trématodes. M. Moulinié communique à la Section une série d'observa- tions sur le développement d'une larve de Dislome (Cercaire), parasite de la Limace grise (Limas cinerea). Cette larve ou Cercaire se développe dans des Sporocystes, qui occupent en nombre considérable l'intérieur de la cavité générale du corps 466 du mollusque, et la surface du foie et des autres organes. Ces Sporocystes y sont à différents états d'évolution en rapport avec leur taille et leur contenu ; les plus petits étant les moins avan- cés et en même temps les plus agiles; les plus grands étant au contraire bien développés et presque immobiles. Dans l'intérieur des premiers, on trouve des gemmes dont le nombre, d'abord peu considérable, s'accroît jusqu'à douze environ, et qui, d'a- bord arrondis et informes, finissent par se transformer en vraies larves de Distomes. Ces larves ont deux ventouses très-distinctes et très-développées; une antérieure, au fond de laquelle s'ouvre la bouche , qui se continue avec un pharynx assez gros, et pro- bablement un canal intestinal double, mais que l'état de con- traction de ces petits animaux empêchait de distinguer nette- ment; l'autre, médiane, imperforée. — En avant de la ventouse antérieure , un stylet dur, semblable à celui de quelques cer- caires aquatiques. Enfin, à l'extrémité postérieure du corps, il y a une cavité contractile, allongée, et le tout se termine par une petite queue rudimentaire, insérée dans une échancrure du bord terminal postérieur du corps. L'analogie de ces animaux avec les Cercaires, qui se déve- loppent de Sporocystes dans tous les mollusques aquatiques, est évidente, et ils font la transition naturelle entre les cer- caires proprement dites, qui vivent dans l'eau et ont une longue queue nécessaire à leur locomotion , et les cercai- res sans queue, auxquelles pour celte raison ou refuse ce nom de cercaires, qui doit maintenant au point où en sont les choses, exprimer une phase bien caractérisée du développement des Trématodes, et non point une forme particulière de larve; exactement comme le terme Chenille signifie une larve quel- conque de Lépidoptère , sans rien impliquer d'ailleurs sur sa forme ou ses mœurs. Quand les Sporocystes ont atteint leur taille complète, et quand les cercaires qu'ils contiennent sont comme nous les avons décrites plus haut, ils sortent de la limace 407 en perforant la peau et arrivent à l'extérieur, où ils sont entraî- nés avec le mucus sécrété par le mollusque , et déposés ainsi sur les corps environnants L'individu unique jusqu'à présent qui m'a fourni ces obser- vations, vécut en captivité une quinzaine de jours, et, pendant tout ce temps , déposait chaque jour de 50 à 60 Sporocysles. En l'ouvrant, je trouvai sa cavité générale remplie de Sporo- cysles de différents âges, et formant entre autres sur un lobe du foie un amas de la grosseur d'une noisette. Dans nos pays, les limaces attaquées ainsi par ce parasite pa- raissent rares, car, jusqu'à présent, je n'en ai trouvé qu'une sur une centaine d'individus examinés. Séance du 2i novembre i854. La Section choisit pour son Président, M. C. Vogt, en rem- placement de M. Mayorpère, décédé le 4 octobre 1854. M. OUramare communique un travail de mathématiques sur le Calcul des Résidus. Il sera inséré dans le loine III des Mé- moires de YInstitut Genevois. M. Tkury communique le Plan d'une Flore suisse tel qu'il de- vrait être pour que, rempli dans toutes ses parties, il en résulte un traité complet de la botanique suisse. M. Ritter présente une courte analyse des expériences nou- vellement entreprises par M. Airy, dans les mines de Harton (Norlhumberland), pour arriver à une détermination plus pré- cise encore de la densité de la Terre. M. Gabriel Mortillet communique quelques faits observés à la suite des recherches entreprises sur des tourbières de la Savoie •• L'exploitation de la tourbe dans les marais de Poisi, près d'Annecy, a amené la découverte d'un pliant pour s'asseoir, en fer tout incrusté de cuivre doré, dont le dessin et le travail 468 dénotent clairement l'époque carlovingienne. Ce pliant était enfoui sous deux mètres d'excellente tourbe, d'où l'on peut conclure qu'il n'a fallu qu'un millier d'années pour former ces deux mètres. Dans les tourbières du Mont-Cenis, on trouve d'énormes sou- ches de mélèzes encore en place, et pourtant le mélèze ne croît plus sur le plateau. Ceux qu'on y a plantés ne font qu'y végéter, sans prendre de l'accroissement. Ce fait prouve que la région des forêts s'élevait davantage autrefois, et il est à présumer qu'il y a eu sur ce point un abaissement de température. Un fait analogue peut s'observer à la Grande-Chartreuse, dans le département de l'Isère. En allant de la chapelle de Saint-Bruno à Bovinanl, on gravit un couloir planté de sapins. Vers le haut se trouvent en grand nombre des troncs magnifiques tous morts ou souffreteux, sans que de nouveaux plants viennent remplacer la végétation qui souffre et s'en va. Ici encore la zone des forêts s'abaisse. Le troisième fait a été observé dans les marais du Viviers, au bord du lac du Bourget, et communiqué par M. Genin, de Cham- béry. Lorsqu'on établissait le chemin de fer de Chambéry au lac, on a découvert une voie romaine enfouie sous une couche de tourbe et se trouvant inférieure au niveau actuel du lac. Les eaux du lac du Bourget ont donc maintenant im niveau plus élevé qu'à l'époque de l'occupation romaine. Celte observation est d'autant plus intéressante, que généralement les canaux d'é- coulement des lacs tendent à se creuser, et que, par conséquent, le niveau doit baisser. Le lac du Bourget ferait exception; les atterrissements du Rhône à Chanaz gênant l'écoulement de ses eaux. Séance du 26 janvier 1855. M. Adam Jundzill, présenté par MM. Vogl et Moulinié, est inscrit au nombre des membres honoraires de la Section. 469 Astronomie. M. Hitter, lecteur d'office , communique un travail considé- rable sur une Nouvelle Méthode pour déterminer, au moyen de trois observations, les éléments de Vorbite d'un astre, par la- quelle on arrive à la solution du problème par une série de cal- culs moins longs et moins difficiles que ceux auxquels conduisent les autres méthodes actuellement en usage. Ce mémoire sera inséré dans le tome III des Mémoires de Vlnslitut Genevois. Géologie. M. Vogt donne lecture d'un travail géologique de M. G. Mor- tillet, membre correspondant de la Section, intitulé : Prodrome d'une Géologie de la Savoie, dans lequel l'auteur donne l'énumé- ralion des terrains qu'on peut observer dans ce pays et la liste de leurs fossiles caractéristiques. Médecitie. M. Mayor fils communique une observation sur la sensibilité de la peau , qui tend à démontrer toujours plus que l'apprécia- tion de la température par le loucher est distincte de l'appré- ciation d'un contact mécanique : Une malade, âgée de 47 ans, à laquelle l'auteur de l'obser- vation donne des soins depuis plus d'une année pour un cancer du sein avancé, a présenté depuis deux mois environ des symp- tômes du côté du système nerveux, qui indiquent que la maladie s'est généralisée et a envahi le centre nerveux. Il y a chez elle paralysie du mouvement avec contracture douloureuse des mem- bres inférieurs ; paralysie de la vessie et du rectum. Elle présente en outre un phénomène physiologi.^ue important, que M. Mayor a déjà observé une fois dans un autre cas : C'est l'abolition des sensations de température avec persistance des sensations de contact. L'expérience suivante, répétée plusieurs fois, a toujours donné les mêmes résultats : Après avoir touché telle ou telle 470 partie de la peau des jambes ou des cuisses, et constaté que la malade accusait parfaitement le contact, quoiqu'elle ne put le voir, et pourvu cependant qu'il ne fût pas trop léger ; si on tou- chait les mêmes points de la peau, tantôt avec de l'eau à cinq degrés, tantôt avec de l'eau bouillante , jamais il n'a été possible à la malade de distinguer si le contact était chaud ou froid, quoique l'expérience se fit en appliquant sur une large surface de la peau un linge trempé dans l'eau chaude ou froide. Cette malade se plaint continuellement du froid, aussi lui en- veloppe-t-on sans cesse les jambes de linges chauds, dont elle n'apprécie aucunement la chaleur, quelque brûlants qu'ils soient. Elle est donc complètement indifférente aux diverses im- pressions de température,au point, qu'une allumette enflammée appliquée contre la peau ne produit au premier moment aucun effet; ensuite, elle accuse une sensation, qu'elle qualifie de •pin- cement. Ce fait vient à l'appui de l'opinion de quelques physiologistes, qui veulent que les sensations de température soient essentiel- lement distinctes et indépendantes des sensations de tact et de douleur, et encore est-il plus concluant peut-être que tous les faits de ce genre cités jusqu'à ce jour. Le physiologiste anglais , Darwin , base son opinion sur ce qu'il a observé l'abolition du tact avec persistance de la sensa- tion de température. M. Landry, dans un mémoire fort intéressant publié dans les Archives de Médecine (1852), cite des cas semblables à ceux de Darwin ; puis un cas où les sensations de température étaient exaltées sans qu'il y eût de changements dans celles de contact ; enfin, deux autres cas où ces deux genres de sensations étaient abolis en même temps ; ce qui ne prouve rien quant à l'opinion émise ci-dessus. L'observation qui fait l'objet de cette notice a l'intérêt d'offrir 471 la contre-partie, et comme la preuve des observations que nous venons de rappeler , en montrant rabolition de la sensation de température sans la disparition de celle de contact. M. Louis Michaud communique le travail suivant : Sur les rapports qui peuvent exister entre les caractères bota- niques des plantes, et les circonstances terrestres et atmosphériques sous rinfluence desquelles elles se développent. Depuis quelques années les botanistes ont tellement multiplié le nombre des espèces végétales, qu'il devient parfois fort diffi- cile de distinguer les caractères essentiels de plusieurs de ces espèces. Dans les cas où des différences caractéristiques ne sé- parent pas nettement deux espèces végétales, on ne peut les considérer comme de véritables espèces botaniques. Une qualité essentielle que doit présenter tout caractère d'espèce , c'est la constance dans ses formes. En effet, si une espèce, développée dans un terrain et sous une exposition atmosphérique particu- lière, change la forme de ses tiges, de ses feuilles, de ses fleurs ou de ses fruits , lorsque ses graines sont semées sur un autre sol et que la plante renouvelée s'y développe sous d'autres in- fluences atmosphériques, on ne peut la considérer que comme une variété, et non comme une espèce. La plupart des botanistes savent que certaines plantes présen- tent des formes plus ou moins différentes, suivant les terrains dans lesquels elles croissent, les influences atmosphériques sous lesquelles elles se développent et les eaux qui les arrosent. C'est ainsi, par exemple, que le thlaspi bursa pastoris (iahouvel bourse à pasteur) présente souvent des modifications dans la forme de ses tiges et de ses feuilles; la mentha aquatica (menthe aqua- tique) présente les mêmes modifications dans ses feuilles et ses inflorescences. Plusieurs espèces de roses, et entre autres le rosa canina (rosier commun) varient beaucoup dans leurs formes, des 472 haies aux taillis , de la plaine aux collines. Quelques épilobes sont aussi dans ce cas. Ces inconstances de formes se remar- quent surtout dans les plantes soumises d'une manière toute particulière à l'influence de la culture de nos jardins. Il ne faut cependant pas confondre ces modifications dues à l'inconstance des formes physiques avec celles qui sont dues à la fécondation d'une espèce par une autre, fécondation qui forme les hybrides; car dans les hybrides, qu'on peut souvent admettre comme espèces, il y a des caractères constants. Seulement ces caractères sont peu tranchés, peu caractéristiques et par con- séquent, peu applicables dans certains cas. Ainsi, on trouve un grand nombre d'hybrides formées dans nos montagnes alpines, entre les diverses espèces de gentianes, et surtout entre la yen- tiana purpurea (gentiane purprée) et la gentianu punctata (gen- tiane ponctuée. De l'influence du sol, du climat, des eaux, et de plusieurs autres causes peut-être peu connues, il résulte une inconstance de caractères, qui fait que souvent on a de la peine à saisir les véritables caractères spécifiques de certaines plantes , et qu'on donne le nom d'espèce à ce qui n'est qu'une variété. L'espèce en botanique n'est pas assez bien définie, et plusieurs botanistes sentent le besoin de lui voir donner pour base des caractères aussi tranchés que possible et surtout très-constants. C'est sur ce point essentiel que M. le professeur Thury paraît insister dans sa brochure intitulée : Qu'est-ce que l'espèce en botanique? Ayant eu l'occasion d'observer plusieurs fois, tant dans les champs que dans nos montagnes, et aussi au Jardin Botanique de Genève, ces modifications de formes sous l'influence des cir- constances terrestres et atmosphériques , je me suis demandé si en établissant, par V analyse chimique, les rapports qui existent entre le sol , les eaux et les plantes , on n'arriverait peut-être pas à jeter un peu de lumière sur les véritables causes de ces 473 modilkations; si on arrive à bien établir les rapports qui exis- tent entre les végétaux, le sol, l'atmosphère, la chaleur, le Iroid, etc., on pourra peut-être en tirer quelques lois qui éclai- reront la question de l'espèce, et permettront de l'asseoir sur des bases tirées de caractères constants. 11 y a deux ans, j'ai eu l'occasion dans mes herborisations d'exa- miner des changements de formes dans plusieurs armoires, et surtout dans Varlemisia campestris, Vartemisia vulgare, croissant dans nos environs, et aussi dans Vartemisia valeriaca. J'ai fait l'analyse des cendres de ces trois espèces et du sol dans lequel elles végétaient. Cette analyse, de laquelle j'ai tiré quelques rap- ports proportionnels entre les sels terreux de la plante et les sels terreux du sol , a été lue dans une séance de la Société Hallé- rienne Suisse de Botanique. Depuis cette époque, j'ai eu l'occasion d'observer dans quel- ques pieds de tabac de l'espèce Nicotiana tahacum, cultivée dans un jardin, des modiflcations intéressantes qui faisaient passer l'espèce-mère à l'état de variété. Dans le but d'amasser de nou- veaux matériaux pour la question des espèces et des variétés, j'ai fait l'analyse des cendres de ces tabacs , ainsi que des sols où ils se sont développés. Sans entrer ici dans les détails longs et minutieux de l'ana- lyse, je me bornerai à en citer seulement les résultats. 'Les variétés du tabac qui m'ont occupé provenaient des graines récoltées par moi sur un pied du Nicotiana tahacum, cultivédansle Jardin Botanique de Genève en 1851. Ces graines, semées en 1852 dans le jardin de mes parents, offrirent des pieds présentant les caractères de variétés, tandis que les autres conservèrent les caractères de l'espèce primitive. Étonné de ce fait, je semai de nouvelles graines de l 'espèce-type dans trois localités , présentant des différences très-sensibles dans la na- ture du sol, de l'exposition et de l'humidité. A l'époque de la floraison, je reconnus que l'espèce-lype avait ici encore été 474 modifiée dans deux localités, tandis que dans la troisième, elle était restée fidèle à ses caractères. Voici les caractères botaniques de ces trois variétés, avec l'analyse de leurs cendres et du sol où elles se sont développées: N" 1 . — C'est le Nicotiana tabacum, cultivé dans un jardin à Prangins. Racine grande, très-épaisse et fibreuse ; tige haute d'environ 5 V2 pieds, pubescente et glutineuse dans toutes ses parties, droite, arrondie, épaisse et rameuse à la partie supérieure. Feuilles grandes, oblongues, lancéolées, acuminées, entières, décurrentes , sessiles et embrassantes. Fleurs en panicules lâches, pyramidales, pedicellées, avec bractée lancéolée linéaire ; calice oblong à divisions droites, aiguës et un peu inégales; corolle trois fois environ plus longue que le calice, poilue, à tube verdâtre, à limbe rosé, étalé et divisé en cinq lobes ovales et marqué d'un pli; étamines ayant des filets munis à leur base de poils réfléchis ; capsule ovoïde, de trois à quatre centi- mètres de longueur et sortant légèrement du calice. Analyse des cendres, sur 100 parties : Potasse 20,52 Chaux 21 , Soude 7,40 Magnésie 14,50 Chlorure de potassium 6,20 » de sodium 2, Phosphate de fer 3,30 » de chaux traces. Sulfate de chaux 1,80 Azotates de potasse et de chaux 17,70 Silice 5,10 Perte 0,50 100. 475 Cette espèce, cultivée dans un jardin gras à terre noirâtre, profonde et légèrement humide. Exposition légèrement abritée contre les vents du nord par une muraille. L'analyse du sol a donné le résultat suivant, sur 100 parties : Silice 16,40 Alumine 3, Azotate de potasse 9,10 Gravier et sable siliceux 40,50 Carbonate de chaux 6,20 » de magnésie 2,10 Oxide de fer 1 , Sulfate de chaux 0,50 Matières organiques 21 ,20 100. N» 2. — Ce pied a tous les caractères du Nicotiana tabacum, variété palescem de Schranck. En effet, ses feuilles sont ovales, légèrement acuminées, atténuées à la base , sessiles et presque décurrentes. Les fleurs rose pâle, souvent blanchâtres, avec des veines rosées sur le bord de la corolle , corolle à lobes aigus et à plis légèrement ondulés. Les autres caractères sont ceux de l'espèce précédente. Du reste, dans plusieurs pieds, j'ai observé des modifications qui annonçaient un passage graduel de l'espèce précédente à la variété palescens. Analyse des cendres, sur 100 parties : Potasse 16,40 Chaux 34, Soude 2,50 Magnésie 10, Chlorure de potassium 3,80 Chlorure de sodium 4,10 A reporter . . . 70,80 476 Report... 70,80 Phosphate de chaux 5, Phosphate de fer 1,50 Sulfate de chaux 4,60 Azotates de potasse et de chaux 6,50 Silice H,60 Alumine traces. 100. Cette espèce, cultivée ou plutôt semée sur le bord d'un champ de la colline sablonneuse du Boiron , près de Myon , n'a pas présenté des tiges aussi hautes et aussi vigoureuses que celles de l'espèce précédente. L'analyse du sol a donné le résultat suivant, pour 100 parties : Silice 18,40 Alumine 3,60 Azotate de potasse 3,80 Sable siliceux et gravier 57,40 Carbonate de chaux 7,30 » de magnésie 3,30 Oxide de fer 2,10 Sulfate de chaux 1,80 Matières organiques 2,10 Perte 0,20 100. N° 3. — Nicotiana tabacum, variété serotinum (de Schranck). Il se distingue par une tige plus basse, plus épaisse et plus ra- meuse que celle des numéros précédents. Les feuilles, presque pétiolées, sont ovales, brièvement acuminées et à peine décurren- les. Les fleurs épanouies plusieurs jours après celles des espèces précédentes sont d'un rose rougeâtre, à corolle plus longue et plus étroite vers le haut , légèrement retroussée à son ouver- 477 ture ; les lobes du calice et de la corolle sont plus aigus que dans la variété palescens. Celle variélé s'est développée sur les bords d'un cbamp à terre fort maigre, légère , et dont la surface avait été deux ans aupa- ravant recouverte d'une couche de marne. J'ai aussi trouvé mé- langé avec elle quelques pieds se rapprochant un peu de la va- riété palescens, par la forme des feuilles et de la corolle. Analyse des cendres, sur 100 parties : Potasse 15,80 Chaux 36,20 Soude 3, Magnésie 1 1 ,40 Chlorure de potassium 2,50 » de sodium 5,30 Phosphate de chaux 3, » de fer 0,80 Sulfate de chaux 4,10 Azotates de potasse et de chaux 5,20 Silice 9,40 Alumine 3, Perte 0,30 L'analyse du sol a donné le résultat suivant, sur 100 parties : Potasse 0,53 Soude 0,08 Oxide de fer 4,12 Alumine 3,50 Carbonate et sulfate de chaux et de magnésie.. 5,02 Chlorure de sodium 0,20 Argile 1 ,35 Matières organiques 1 ,02 Sable 79,50 Perte 0,26 lôô. ■ 478 En comparant ces divers résultats analytiques, on voit que la composition chimique de ces trois variétés de tabacs est assez différente, et cette différence s'observe aussi dans la composi- tion des terrains. On peut remarquer en même temps que quel- ques substances ont passé du sol à la plante en suivant cer- taines proportions; c'est le cas du nitre, de la silice, de la chaux, de la potasse et de la soude. Je ne pense pas que l'on puisse, d'après les résultats men- tionnés ici, tirer quelques conclusions, car les faits sur lesquels ils reposent sont trop isolés; mais en les rattachant à d'autres faits en aussi grand nombre que possible , et en établissant les rapports qui existent entre les parties du sol et les parties du végétal, entre les substances dissoutes dans les eaux et les subs- tances fixées dans la plante, on verra peut-être les changements de formes s'expliquer en partie. Il me paraît que pour compléter un travail de ce genre, il ne faudrait pas seulement se borner à l'appliquer à des plantes végétant dans certaines localités; mais il faudrait provoquer les changements de formes botaniques en opérant les semis d'une espèce-type dans des conditions de sol, de température, etc., aussi variées que possible. Il serait aussi fort important de tenir note de la température du sol et de l'air, de l'humidité du sol et de l'air, ainsi que de toutes les autres circonstances qui peu- vent influer sur le développement du végétal. Ces observations et ces analyses devant embrasser de nom- breux sols et de nombreux végétaux, elles ne pourront être comparées pour en tirer des lois, qu'au bout de plusieurs années. Pour ma part, je me propose de continuer ces recherches chaque fois que quelque sujet favorable se présentera. 479 Section des Sciences morales et poli- tiques, cl^archéologie et d^liistoire. Séance du 27 octobre 1854. M. le colonel Massé, membre effectif, fait lecture des der- nières parties de son Mémoire sur l'organisation militaire de l'ancienne république de Genève. Nous reproduisons ce travail historique intégralement ': Suite de VEssai historique sur V organisation des Milices à Genève, par M. J. Massé. Seconde partie, 1543 à 1574. Le travail de la commission de révision des lois de la Répu- blique ne fut terminé qu'en 1543; cet ouvrage fut soumis au Grand Conseil et approuvé le 28 janvier. L'original en existe encore dans les Archives. Sous le rapport militaire, cet édit de 1543 n'apporta pas au fond^de grandes modifications à ce qui existait; mais il fut le premier règlement écrit et eut le mérite de consacrer d'une manière positive ce qui jusqu'alors n'avait existé qu'en suite de traditions, d'us et de coutumes. Il contient cependant quelques dispositions nouvelles sur des objets de détails ; quelques charges militaires furent créées, d'autres furent définies beaucoup plus exactement. Ainsi on y trouve les dispositions relatives aux offices de Banderet général, de maître d'artillerie, de commis à la munition, d'enseignes, ■ Pour la première partie du Mémoire de M. le colonel Massé, voyez le Bulletin de l'Institut Genevois (n» 4, juillet 1854), tom. !«■•, p. 250, 231 et 23-2. 480 de gouverneur des boulevards, des gardes des tours, clochers, portes, etc. L'office du capitaine général fut conservé , et il continua d'être la première autorité militaire. Sous lui subsistèrent tou- jours les chefs ou capitaines de quartiers, les dizeniers et les autres grades subalternes existant auparavant. Quoique cet office eut été conservé, cependant, depuis quel- que temps on avait eu le projet de supprimer cette haute dignité militaire, à cause de la trop grande influence que pouvait pren- dre auprès du peuple celui qui en était revêtu et des abus qui pouvaient en résulter. Aussi, peu d'années après l'édit de 1543, l'élection tumultueuse de Jean-Philippe, sa conduite comme chef des séditieux , le procès fait à Ami Perrin et d'autres con- sidérations engagèrent les Conseils de la République à suppri- mer pour toujours cet office, regardé dès lors comme dange- reux. Le 15 septembre 1555, le Grand Conseil décida celle suppression. Le peuple lui-même confirma cet édit : On dé- créta même la peine de mort contre quiconque proposerait le rétablissement de celle place. Du reste, par l'édit de 1543, le mode de service et de fournir au guet pour la garde de la ville, ne subit pas de grands chan- gements, et l'organisation avec les modifications introduites parut suffisante pour les besoins ordinaires de la République. Troisième partie, 1574 à 1782. Bien qu'en 1568 il eut été procédé encore à une révision des édits de la République, il n'avait été alors rien changé aux insti- tutions militaires. Mais, en 1574, une grande innovation fut introduite dans l'organisation et la classification des milices. En France, à Berne, à Zurich, et dans d'autres pays, aux vieilles organisations des bandes avait succédé une organisation 481 plus fixe et l'établissement des corps dénommés Bataillons et Régiments. A Genève, également à cette époque, ces nouvelles dénomi- nations prirent faveur, et, le 21 septembre 1574, le Grand Con- seil décréta que les milices de la République seraient organisées et classées en régiments et en compagnies. Cette innovation produisit sûrement alors un grand effet. Et en fait, pour la suite, cette nouvelle organisation eut assez d'importance ; car, comme on le verra, cette classification a été la base de toutes celles qui ont eu lieu postérieurement. L'édit de 1574 répartit tous les bourgeois en état de porter les armes , sans distinction d'âge , en quatre régiments, formés d'après les quatre anciens quartiers de la ville ; savoir : Le régiment du Bourg-de-Four ; Le régiment de Rive ; Le régiment de Neuve ; Le régiment de Saint-Gervais. Chaque régiment comprenait quatre compagnies, formées des hommes habitant les rues et les dizaines adjacentes. Chaque régiment était commandé par un colonel choisi parmi les syndics en charge, et par un lieutenant-colonel choisi dans le Petit-Conseil. Les compagnies étaient commandées par des capitaines choi- sis parmi les membres du Conseil des Deux-Cents. Elles avaient en outre chacune un lieutenant, un enseigne, un lieutenant d'enseigne, deux sergents et quatre caporaux. Le nombre des soldats était illimité. Le tableau de cette nouvelle organisation existe encore dans les registres du Conseil. Les noms des chefs des régiments, des fhefs de compagnies , des dizaines composant les compagnies, et les lieux de rassemblements de celles-ci , sont donnés en dé- tail. Il est ajouté dans l'édit : « En attendant que les nonveUes capitaineries soient en ordre, le guet ordinaire se commandera 35 482 comme par le passé jusqu'à Vendi'edi prochain, qu'une des capitai- neries pourra commencer. Et sur ce que les enseignes demandent, si venant de garde , ils porteront les enseignes , il est arrêté que ceux qui voudront le faire, le fassent et qu'on en fournisse à ceux quin'aui'ont pas le moyen d'en faire. Quant aux tabourinsqui sui- vront les dites compagnies, on devra les payer ' . » Il paraît que ces nouvelles capitaineries ou compagnies étaient exercées de temps en temps, et qu'on avait coutume de les pas- ser quelquefois en revue; car on trouve à différentes reprises dans les registres, que des montres générales avaient lieu au Pré de Palais, afin que chacun se montre en bon équipage et bien armé. On voit aussi dans un registre de cette époque , que les exercices militaires avaient lieu les dimanches de grand matin, et que le Consistoire fit des représentations sur le choix du jour; mais le Conseil ne s'arrêta pas à ces réclamations; seule- ment il ordonna que ses exercices fussent finis, de manière à ce que les citoyens pussent aller aux sermons de sept heures du matin. Dans les édits de 1543 et de 1574 il n'est point fait mention de la formation de corps spéciaux dans les milices, ni pour l'artillerie, ni pour la cavalerie, ni pour autre service, La créa- tion de corps spéciaux, soit de corps d'élite, n'était pas dans les mœurs, ni dans les idées de cette époque. Ceux des citoyens chargés de ces différents services étaient requis à ces fins, et ils s'en acquittaient sans pour cela être classés autrement que dans l'organisation générale de la milice bourgeoise. Dans chaque compagnie il y avait un certain nombre d'hom- mes désignés temporairement pour le service de l'artillerie ; en cas d'alarme ils devaient se rendre aux batteries , mais ils ne ' Il paraît qu'anciennement les tambours marchaient en queue de leurs compagnies, et non en avant comme maintenant. On peut se rappeler qu'en 1813, quand les Autrichiens entrèrent à Genève , les tambours marchaient les derniers de la compagnie. 483 cessaient pas de faire partie de leur compagnie de quartier, et devaient figurer avec elle en temps ordinaire. Ce ne fut que bien postérieurement que, la nécessité s'en étant fait sentir, on créa des corps spéciaux pour les autres ser- vices que l'infanterie. Ainsi premièrement, en 1685, sur la de- mande et les représentations des chefs des batteries ou des bas- tions, on leur laissa le choix de leurs hommes; puis, en 1705, le Deux-Cents décréta positivement qu'on prendrait dans chaque compagnie bourgeoise un certain nombre d'hommes pour en former un corps spécial de canonniers et de bombardiers, sous le titre de compagnie d'ordonnance distincte des autres corps. Quelques années plus tard (l^"" juillet 1708), le Conseil régla d'une manière précise tout ce qui était relatif au service d'artil- lerie. Ce règlement renfermait des dispositions excellentes , et peut être regardé comme l'un des documents les plus remarqua- bles des institutions militaires de la République. Le Conseil fit plus encore ; jugeant indispensable de donner au nouveau corps d'artillerie les moyens d'acquérir les connais- sances nécessaires pour son service, il institua une école spé- ciale d'artillerie, composée d'un certain nombre d'élèves aux- quels divers professeurs désignés pour cela devaient donner les cours théoriques et pratiques nécessaires. Cependant, il ne faut pas croire qu'avant ces mesures, ce qui était relatif à l'artillerie fut négligé à Genève. Sous le rapport matériel, comme sous le rapport théorique, on fit toujours beau- coup pour celle branche de l'art militaire. Les inventaires an- ciens prouvent que, dès la première moitié du quinzième siècle, la ville posséda déjà un certain nombre de bouches à feu, et que des membres du Conseil étaient spécialement commis pour les faire tenir toujours en bon état. A diverses reprises on fit venir des maîtres canonniers de l'étranger, et déjà, en 1511 , on voit sur les registres que les canonniers de Saint-Gervais étaient exercés à l'ordonnance du maréchal de Savoie. En 1568, on 484 publia une ordonnance complète sur tout ce qui concernait la défense de la ville et le service de l'artillerie '. Déjà auparavant, en 1559, un citoyen, nommé Pierre Simon, avait dédié au Con- seil un traité d'artillerie pour les bourgeois, contenant beau- coup de prescriptions et beaucoup de desseins extraordinaires pour l'époque^. En 1589, les officiers d'artillerie genevois de- vaient jouir d'une bonne renommée, puisque le roi de France demanda au Conseil de lui en prêter deux pour quelque temps, qui passaient pour distingués, mais le Conseil refusa. Quant à la cavalerie, on trouve bien çà et là qu'il est fait mention dans les documents historiques de Genève de quelques troupes à cheval; mais ce n'étaient que des formations tout à fait temporaires, soit pour des escortes ou gardes d'honneur, soit pour des expéditions extérieures; dans ces derniers cas, ces corps étaient levés exlraordinairement et le plus souvent à l'é- tranger. Ainsi, en 1457, lorsque l'empereur Frédéric vint à Genève, on forma, pour cette occasion, un corps de deux cents cavaliers choisis parmi les jeunes gens les plus opulents, et, en 1589, des arquebusiers à cheval firent partie des troupes à la solde de la République ; mais, dans les édits, il n'en fut jamais question, et ce ne fut qu'à la fin du dix-septième siècle qu'un petit corps de dragons fut organisé régulièrement. Environ aussi ' D'après les règlements et ordonnances ci-dessus , la ville pour le service de l'artillerie était divisée en trois départements ; un pour Saint- Gervais et deux pour la ville. Ces trois départements contenaient dix batteries. A la tête de l'artillerie était le général d'artillerie, et à la tête de chaque département un lieutenant. Chaque batterie avait son chef. Dans chaque batterie les pièces étaient toujours prêtes , ainsi que les armements et munitions nécessaires. Chaque chef de batteries avait la clé de sa batterie , et tous les hommes destinés au service des pièces, répartis d'avance, savaient qu'ils devaient toujours, en cas d'alarme, se rendre à leui-s batteries respectives, où ils trouvaient leur chef par- ticulier et toutes choses nécessaires. " Cet ouvrage était eu 1S25 dans la Bibilothèque de la Société de lecture, où nous l'avons vu et lu. 485 à celte époque, par arrêté du Conseil, on institua des grenadiers et des brigades de pompiers. Mais ces pelotons ne formaient pas des corps distincts et restaient attachés au régiment duquel ils étaient tirés '. L'édit de 1508, ni l'ordonnance de 1574, ne contiennent au- cune disposition spéciale sur le commandement supérieur des milices. L'office du capitaine général avait été supprimé, comme on l'a vu ci-dessus , et il n'avait point été fait mention du fonc- tionnaire qui devait le remplacer. Chaque colonel commandait son régiment, et le Petit Conseil était le seul directeur des forces militaires. L'un des syndics ou des conseillers était chargé tour à tour de la surveillance des objets militaires; mais l'office du syndic de la garde proprement dit n'était pas encore réglemen- tairement consacré. Ce n'est que dans le registre du 15 janvier 1651 qu'on trouve pour la première fois l'expression de syndic de la garde, à l'occasion d'une inspection d'une troupe envoyée par Genève à Berne et à Zurich *. Depuis lors, on voit cette ex- pression adoptée, et un serment spécial imposé à ce magistrat qui, pendant le temps de son office, remplissait les fondions de chef des forces militaires de la République. A différentes re- prises, dans lesquelles Genève se trouva en péril, on remplaça le capitaine général par un Conseil de guerre (comme en 1589), ou même par un syndic, qu'on nomma colonel général, ainsi, en 1567, J.-F, Bernard, et, en 1589, Ami Varro ; mais ces ' Chaque brigade de pompiers était composée de quinze maçons, de dix charpentiers et de deux serruriers. Cette formation fut décrétée le 28 décembre 1706. Cette même année, il fut décidé que l'instruction des tambours se ferait d'une manière uniforme. Deux anciennes mar- ches genevoises de cette époque ont survécu, et se font encore enten- dre les jours de la fête de la navigation et le jour de la fête des pro- motions. On ne pensa pas à les défendre sous le régime français. ' Ainsi, en 100.2, le syndic Blondel se trouvait au 1-2 décembre chargé, i* son tour, de la direction des aflaires militaires , mais il n'était pas syndic de la garde, comme cet office a existé plus tard. 486 commissions étaient extraordinaires et uniquement temporaires pour l'expédition qu'on avait en vue. D'après l'édit de 1574, comme aussi d'après ceux de 1543 et de 1568, l'organisation des milices n'était toute relative qu'aux besoins intérieurs et n'avait point en vue des expéditions exté- rieures. Quoique dans plusieurs circonstances la République fut obligée de prendre des mesures offensives plus ou moins sé- rieuses, quoiqu'elle pût être appelée à envoyer des secours à ses alliés, néanmoins, dans les lois militaires de cette période, il ne fut jamais question de formation permanente d'un corps de milice pins jeune ou plus disponible l'un que l'autre. Dans les cas extraordinaires, comme en 4450, 1531 , 1589, 1651 , etc., ce fut toujours au moyen de corps soldés, levés à l'étranger, commandés par des capitaines expérimentés, ou par voie d'en- rôlements volontaires , annoncés dans la ville , que le Conseil pourvoyait temporairement aux besoins du moment '. Dans les édits et ordonnances rappelés ci- dessus, on ne trouve pas de dispositions relatives à l'armement , ni à l'habil- lement des milices. L'ordonnance de 1574 ne mentionne point les armes dont devaient être pourvus les soldats des nouvelles capitaineries , ni l'arrangement spécial dans les compagnies des hommes diversement armés. Tout ce que statue cette ordon- nance à cet égard , c'est que, provisoirement, comme ces nou-: velles capitaineries ne pouvaient être sitôt pourvues d'armes, il serait délivré par l'État aux divers capitaines, pour les besoins de la garde ordinaire, des piques, des arquebuses et des corsets à la suisse. Ce qu'on peut donc voir par cette disposition, c'est qu'à cette ' Ainsi on trouve dans les registres du Conseil du mois de mars 1S88, qu'étant obligé d'entretenir 2,000 hommes pendant trois mois, on dé- créta diverses mesures. On augmenta les impôts, on exhorta, ceux qui le pouvaient, à prêter de l'argent à l'Étal, etc.— En 160i, la Répu- blique était endettée de 1:28,000 écus. 48T époque les piques étaient encore l'arme de l'infanterie , et que les armes à feu commençaient à être en usage dans les rangs. En elTet, en Suisse, ce fut en 1540 qu'on commença à prescrire aux milices l'acquisition des arquebuses; en 1589, le mélange des armes dans rinfanterie était de deux tiers de piquiers et de liallebavdiers, et d'un tiers seulement d'arquebuses. En 1600, l'usage des armes à feu fut autant encouragé que possible, prin- cipalement à Berne ; car, dans les autres cantons on ne voulait pas abandonner les anciennes armes. Ce ne fut qu'en 1700 que l'arquebuse et le mousquet furent remplacés par le fusil. Dans la guerre de 1712, les soldats des troupes bernoises étaient ar- més en général de fusils, mais les officiers et sous-officiers con- servaient les piques. Les autres troupes suisses dans cette guerre étaient encore très-mal armées , et se servaient encore de pi- ques, de massues, et de quelques mauvais et pesants mousquets ; même les Zuricois étaient restés fort en arrière sous ce rapport. Genève, à ce qu'il paraît, suivit assez les progrès, étant située entre la France d'un côté et Berne de l'autre, deux pays où l'art militaire était fort développé. On peut juger par les relations et les gravures du temps de l'Escalade, qu'à cette époque, comme en Suisse, bien que les piques, les hallebardes et les cui- rasses fussent encore les armes ordinaires, cependant il y avait déjà plusieurs citoyens armés d'arquebuses. En 1627, le Conseil des Deux-Cents ordonna que le corps soldé de la garnison fût armé de mousquets, et on prescrivit dans ce corps l'arquebuse. Les sous-officiers et officiers devaient conserver la cuirasse et le grand hausse-col, Cependant, ce ne fut qu'en 1655' qu'un ' En 1646 il y eut à Genève un grand tir d'arquebuse et de mous- quel. Les arquebusiers des villes de Nyon , Morges , Lausanne , Vevey, Aubonne, etc., furent invités pour la première fois à venir tirer un prix au mousquet à Genève. Il y eut alors de grandes réjouissances, le corps des arquebusiers genevois voulut fraterniser avec les arqiiebusiers du pays de Vaud. 488 arrêté du Conseil invita les plus commodes des soldats des com- pagnies bourgeoises , à avoir des mousquets , permettant aux non-commodes de conserver les hallebardes. En 1707, à Ge- nève comme à Berne, on avait armé les soldats de la garnison du fusil avec la baïonnette; on peut en juger par le récit de l'exécution de Fatio à cette époque'. Quant aux uniformes, il est difficile de préciser exactement l'époque de la transition des antiques vêtements aux habits plus modernes. Dans les histoires de la guerre de Bourgogne, on voit que, bien que les Suisses fussent encore cuirassés, ils portaient des casaques de différentes couleurs avec une croix blanche. Dans les premiers temps, à Genève, on porta aussi des casaques d'un gris brun foncé. En 1705 , la mode prussienne ayant pré- valu, on commença à habiller le corps soldé, appelé la garnison, de casaques bleues et rouges, dont les pans étaient retroussés en rouge, avec gilets et bas rouges, chapeaux bordés en blanc. Aussi le contingent de ce corps, envoyé à l'armée suisse, y produisit un grand effet. Peu après, on décida de régulariser aussi les vêtements des compagnies bourgeoises. Tous les hommes durent être habillés d'un habit large, gris clair, uniforme pour tous, avec doublure et parements rouges, veste, culotte et bas rouges, boutons blancs ' On voit par les anciens inventaires des magasins de l'État qu'ils renfermaient toujours une assez grande quantité d'armes. Ainsi, d'après l'inventaire de 1507, on possédait entre autres 500 piques, 500 armes à feu , et un certain nombre de cuirasses , de corsets à la suisse , de casques, etc. Le nombre des cuirasses s'augmenta en 1602 de celles provenant des Savoyards, tués ou pris dans la nuit du 12 décembre; ces dernières étaient noires , tandis que celles des Genevois étaient de couleur ordinaire. Parmi les noires, il y en avait quelques-unes avec des ornements dorés. L'inventaire de l'arsenal , fait en 1 798 lors de la réunion à la France, énumérait 228 cuirasses, tant noires que blanches, 500 casques en fer, 8 cottes de maille, 9t hallebardes, 500 faulx, 24 vicn\ drapeaux, etc., etc. 489 et chapeau bordé en blanc, afin, élait-il dit dans le registre, que les milices genevoises pussent paraître conrenablement et se rapprocher des troupes réglées. Plus tard, on remplaça la culotte et les bas rouges par une culotte grise et des guêtres noires. Cet uniforme s'est maintenu jusqu'en 1782, et c'est celui au- quel on a donné le nom d'uniforme brecaîion. Celui des canon- niers fut noir et rouge, et celui des dragons rouge et noir. Les cocardes des milices genevoises furent toujours noires. Les drapeaux varièrent de couleur. Dans des anciens inven- taires on en trouve des gris et noirs. L'inventaire de 1707 men- tionne des banderias civitalis barratas rubri et nigri coloris. En 1705, un arrêté du Conseil décida (comme cela était la mode ailleurs), que chacun des quatre régiments bourgeois aurait un drapeau distinct, l'un rouge, l'autre vert, le troisième jaune et le quatrième bleu. Chaque compagnie devait avoir un guidon blanc, barré avec la couleur de son régiment ; cette mesure a duré jusqu'en 1782. En 1712 , le contingent fourni par Genève pour la guerre partit sur des barques auxquelles on avait mis des banderolles orange et rouge, couleurs de la ville ; c'est la pre- mière fois qu'il est fait mention de ces couleurs pour drapeaux. Dans le courant de la période dont nous venons de parler, on trouve quatre épisodes dans le récit desquels on peut parti- culièrement puiser des renseignements sur l'organisation des milices de la République , et sur l'importance qu'on attachait alors aux moindres questions militaires. Le premier est l'attaque nocturne de la ville au 12 décembre 1602. Cet événement eut alors du retentissement en Europe, et des écrivains militaires étrangers n'onl pas dédaigné de traiter en détail ce haut fait d'armes qui fit tant d'honneur aux Gene- vois. On ne doit pas s'attendre à trouver des détails de tactique dans le récit des combats de cette illustre nuit où les citoyens, arrachés de leur repos presque nus et mal armés, accourant 490 de toutes parts, combattirent vaillamment corps à corps, comme cela arrive dans ces sortes de surprises; mais on peut juger de l'esprit patriotique qui animait les citoyens et de l'ordre qui régna dans cette mêlée acharnée , où l'on ne voit pas que per- sonne ait commandé en chef. Dans le récit de l'ensevelissement de ceux qui succombèrent pour la patrie (donné par une chro- nique particulière) , on trouve des détails qui se rapportent à l'organisation dont nous avons parlé. Les seize compagnies bourgeoises, formant les quatre régi- ments, furent convoquées pour celte importante cérémonie. Soixante des plus valeureux citoyens, revêtus des cuirasses noires prises sur les Savoyards, précédèrent le convoi funèbre se rendant au cimetière de Saint-Gervais. Le corps du syndic Canal fut porté au milieu du Conseil et des professeurs marchant en rangs, suivis de Messieurs de l'audience. Après le Conseil ve- naient les quatre régiments , leurs colonels en tête , l'épée à la main ; chacun des corps des seize autres victimes était porté au centre d'une des compagnies bourgeoises. Celles-ci portaient les armes basses et les drapeaux garnis de crêpe noir traînaient à terre en signe de deuil. Les tambours battaient la marche des morts, et les trompettes de la ville sonnaient des airs lugubres. Pendant toute cette cérémonie solennelle, la canon tira par inter- valles sur les remparts. Au retour tout le cortège vint défiler à la maison de ville devant le Conseil et le clergé réunis. Le second épisode est celui de l'envoi de deux contingents genevois pour la guerre de 1712. Nos registres et nos historiens donnent beaucoup de détails sur le mode de formation de ces troupes, sur leur belle conduite dans les combats et sur les cir- constances de leur retour. Le troisième est relatif à la révision des ordonnances mili- taires projetée en 1730 par le Petit Conseil. Par la lecture des registres , des brochures du temps et par l'effervescence qui se manifesta à l'occasion des dispositions contenues dans ce 491 projet, attaquées comme attentatoires à la sûreté de la ville et aux privilèges des citoyens composant les milices, on peut juger de la grande importance que ceux-ci apportaient aux aflaires militaires, de leur susceplibilité à cet égard, et, enfin, des règles du service de garde dans la ville à cette époque. Le quatrième événement, enfin, qui peut fournir beaucoup de détails sur l'organisation et les moyens militaires de la Ré- publique, est l'invasion de la Savoie par une armée espagnole eu 1742. A celte occasion, Genève, comme en 1838, courut un grand danger ; elle fut menacée d'être envahie et de devenir la résidence d'un prince espagnol et d'un évêque. Aussi prit-elle les mesures les plus sérieuses pour se défendre. Pendant dix- huit à vingt-mois, les milices furent toujours sur pied ; cent bouches à feu furent constamment sur les remparts , approvi- sionnées et prêtes à être servies; et, pendant tout ce temps, les tableaux des hommes de garde se monta de 450 à 700 hommes par jour. Tout le service roula sur un effectif de 5,500 hommes de milices, y compris le corps soldé de 700 hommes, et sur 800 Bernois et Zuricois envoyés comme auxiliaires. A celte oc- casion, plusieurs règlements furent rédigés parla commission de défense, qui contenaient les plus excellentes dispositions. Un registre spécial de cet épisode fut tenu dans le temps ; il existe aux archives, et peut fournir à ceux qui le liront les renseigne- ments les plus intéressants. Quatrième partie, 1782 à 1852. Ensuite de la médiation de 1782, une nouvelle ère sous le rapport militaire succéda à la période précédente. Toutes les anciennes institutions militaires de la République furent anéanties; toutes les milices, tant de la ville que du ter- ritoire, furent dissoutes et abolies. Tous les tirages, tous les exercices militaires, arquebuse, navigation, canon, furent sup- itrimés et interdits. 492 Tous les citoyens et les habitants furent désarmés, et dès lors les Genevois durent renoncer à ce sentiment inné chez eux, de se regarder comme la seule et véritable force nationale de leur pays. Ils durent abdiquer ce droit auquel ils tenaient de toute ancienneté, et durent renoncer à ces jouissances d'amour-propre national et de patriotisme. La force miUtaire résida uniquement dans un corps soldé, auquel on donna le nom de garnison. Ce régiment, de 1,200 hommes était commandé par un colonel et un major qui devaient absolument être étrangers. Il devait être caserne, et, dans ce but, le gouvernement fit bâtir de belles casernes dans le bastion d'Hollande, et sur l'emplacement de l'ancien Arsenal , vis-à-vis l'église de Saint-Germain et de la maison de ville '. Celte organisation , si peu en harmonie avec les habitudes et le caractère des Genevois,, ne pouvait avoir les sympathies de la République. Aussi ce régime militaire ci-dessus ne dura que sept ans, et fut renversé à la suite de scènes violentes. Parunédit du 10 février 1789, la milice bourgeoise fut réor- ganisée ; mais celte réorganisation différa en ce point important des anciennes règles, c'est qu'il n'y eut point obligation d'en faire partie comme autrefois, et qu'il n'y avait que ceux qui se présentaient sous certaines conditions qui fussent admis , aussi fut-elle beaucoup moins nombreuse qu'auparavant. On forma ' Un avis ainsi conçu fut envoyé à l'étranger : Avis à la brillante Jeunesse : La Répul)lique de Genève lève un régiment; on y admet des hommes de toutes nations non mariés, bien bâtis, n'ayant pas les poils roux , et non flétris par la justice ; on fournit à chaque homme arme- ment, équipement, un habit tous les deux ans et une culotte toutes les années. Ils sont logés dans de belles casernes, chauffés et blanchis. Ils ne courent point les hasards de la guerre, ni la fatigue des longues marches , car ils sont sédentaires à Genève; ils sont rasés et médica- mentés. On donne à chaque soldat 5"2 sols de France tous les cinq jours, 22 onces 1/2 de pain par jour, 48 fr. d'engagement , 18 fr. toutes les années pour le petit habillement, etc. 493 un régiment auquel on donna le nom de volontaires ; conformé- ment aux anciens usages, ce régiment fut composé de quatre bataillons, chacun de quatre petites compagnies. Quant au service de l'artillerie, on en revint aux anciennes idées, hostiles à la création de corps spéciaux. Dans chaque compagnie quelques hommes furent désignés pour le service des pièces, mais ils ne sortaient point à cet effet de leurs com- pagnies respectives. L'ancien uniforme gris fut remplacé par un nouvel uniforme plus brillant; savoir, un habit noir avec revers, parements et retroussés rouges, avec des boutons jaunes portant un soleil en relief; veste et culotte de drap blanc, avec grandes guêtres noires; chapeau bordé en or; la cocarde noire fut conservée. Chaque bataillon avait son drapeau comme autrefois de diverses couleurs. Cet édit de 1789, tant applaudi lors de son apparition, ne devait pas être de longue durée. Le Code genevois de 1791 vint apporter diverses modifications à cet édit. On rétablit l'obliga- tion de faire partie de la milice ; aussi supprima-t-on le nom de régiment de volontaires, et on le remplaça par celui légion ; tou- jours conformément aux anciens usages, elle fut composée de quatre bataillons, chacun de quatre compagnies. Dans cette or- ganisation , on commença à faire quelque différence entre les âges des légionnaires; dans chaque compagnie il y avait deux classes d'hommes ; l'une comprenait ceux de vingt à quarante ans; l'autre ceux de quarante à soixante ans. Les premiers de- vaient être pourvus de l'armement et de l'uniforme complet. Les seconds, appelés auxiliaires, étaient dispensés de l'uniforme. Chaque bataillon portait au chapeau une houppe différente ; l'une jaune, l'autre verte, St-Gervais blanche et le quatrième rouge. L'uniforme noir et rouge fut conservé, ainsi que la cocarde noire. Il ne fut rien changé au mode de fournir des hommes pour le service de l'artillerie; il fut seulement encore plus for- 494 niellement décrété que les légionnaires appelés au service du canon ne pouvaient porter à leur uniforme aucune marque distincte, et qu'ils ne pourraient passer aucune revue parti- culière. Après les déplorables années d'anarchie de 1793 et 1794, où les clubs armés furent la force militaire de la République, le calme s'étant rétabli, le titre XI de la Constitution de 1796 ré- gla de nouveau ce qui était relatif aux institutions militaires du pays. L'organisation de la milice différa peu au fond de celle de 1791 ; cependant quelques modifications de détails et de déno- minations la distinguèrent des précédentes. D'abord, les nouveaux législateurs , imitant ce qui se faisait en France, adoptèrent, pour la milice, la dénomination de garde nationale, nom inconnu jusqu'alors à Genève. Toujours encore suivant l'ancien mode de classification, elle fut divisée en quatre régiments, portant chacun le nom de l'arrondissement de la ville qui leur était affecté; c'est alors qu'on adopta les noms du Collège, du Parc, de la Douane et de Jean-Jacques Rousseau. Le territoire de la campagne, pour la première fois, fut divisé en un certain nombre de compagnies spéciales avec leurs chefs particuliers. Pour le service de l'artillerie , chaque compagnie de la ville dut fournir un escouade de vingt hommes ; ils continuaient bien à faire le service de fusiliers avec les compagnies desquelles ils étaient tirés; mais, comme artilleurs, ils formèrent un bataillon à part et purent faire une revue spéciale. Le syndic de la garde était le chef de ce bataillon. L'uniforme de 1789 fut conservé, mais les cocardes et les drapeaux durent être aux couleurs tricolores genevoises, savoir, rouge, jaune et noir. Conformément aux anciennes coutumes, l'article 556 stipule que, dans le cas où la République serait requise par ses alliés de leur envoyer des secours , ceux-ci seraient formés par des enrôlements volontaires et subsidiairement par le fort. 495 Telle fut la dernière organisation militaire de l'anciemie Ré- publique genevoise. Depuis lors, ayant été envahie, le 15 avril 1798, par la France, elle dut être subordonnée aux lois et aux ordonnances militaires françaises. En effet, dès le mois de juin 1798, une réorganisation de la garde nationale fut ordonnée. Tous les citoyens de seize à soixante ans furent répartis en quatre bataillons, et durent ar- borer la cocarde française ; dans différentes occasions, l'autorité ayant éprouvé l'inconvénient de ne pas avoir une petite troupe un peu présentable pour les fêtes et les réceptions d'honneur (surtout pendant le séjour du premier consul à Genève) , il fui décrété, en 1801, que dans chacun des quatre bataillons de la ville il serait formé des compagnies d'élite, composées de volon- taires. La formation de ces compagnies fut assez prompte ; on leur donna un uniforme bleu , à passepoils rouges, et pour coiffure des schakos, qui étaient alors tout à fait nouveaux. (Aussi on les appela les Schakotiers.) Enfin, en 1806 , l'empereur ayant, d'après un nouveau plan, réorganisé en entier toutes les gardes nationales de France, celle de Genève dut aussi être réformée. Ensuite de ce nouveau décret, la garde nationale du déparlement du Léman forma une légion composée de six cohortes ou bataillons. La ville de Genève comprit pour elle seule deux cohortes, chacune de dix compagnies. Chaque cohorte devait avoir deux compagnies d'élite. Les compagnies du centre ne furent guère organisées que sur le papier ; les capitaines , quelques officiers et sous-officiers furent nommés ; mais elles n'eurent pas d'occa- sion d'être réunies. Les quatre compagnies d'élite (nombre toujours sacramentel pour la ville), au contraire, durent être promptement et conve- nablement formées. Elles furent composées de jeunes gens et d'hommes dans la force de l'âge. Ces hommes durent s'armer. 496 s'équiper et s'habiller à leurs frais ; on leur donna l'uniforme de la garde nationale française, bleu et revers blancs; la coif- fure était le bonnet à poils pour les grenadiers et le schako pour les chasseurs. Les sentiments de patriotisme genevois qui animaient quelques-uns des chefs qui les commandaient, l'es- prit de corps qu'elles prirent dans d'anciennes fêtes genevoises où elles figuraient, et dans des occasions fréquentes de réunion, eurent pour Genève une importance immense dont le gouver- nement français ne se doutait pas et dont il s'aperçut trop tard. Les derniers jours de 1813 trouvèrent ces quatre compagnies admirablement bien disposées, et Genève leur dut en grande partie, ainsi qu'aux représentations officieuses que firent quel- ques-uns de leurs chels au général français, de ne pas éprouver les malheurs d'une prise d'assaut par les Autrichiens et de grands désordres à l'intérieur. Le 30 décembre, faisant un service actif déjà depuis quelques jours, elles se trouvèrent toutes prêles pour remplacer la garnison française au moment de sa retraite aux portes et dans les différents postes qu'elle occupait. Longtemps encore ces compagnies firent un service fréquent, aussi le Conseil d'État provisoire, en reconnaissance de leur dé- vouement et du zèle qu'elles avaient montré, leur distribua quatre-vingts médailles en argent et quatre en or pour les offi- ciers. Dès 1815, on voulut s'occuper d'une réorganisation de la mi- lice genevoise; une commission, chargée de ce travail, proposa le rétablissement des quatre régiments ou bataillons d'antique usage, sans corps spéciaux; mais ce projet ne fut pas adopté, et comme les circonstances étaient urgentes, on se contenta pro- visoirement, en conservant les quatre compagnies d'élite aussi nombreuses que possible , d'organiser complètement les autres compagnies des deux cohortes, ainsi que celles de la campagne de l'ancien territoire, Mais, en outre, malgré l'opposition de quel- ques chefs de ce temps, on se hâta de former un bataillon d'ar- 491 lillerie auquel on adjoignit une compagnie d'arquebusiers pour le service des mousquets de remparts. Le 19 mars 1815, toutes les milices auxquelles on avait donne le nom provisoire de garde genevoise , furent rassemblées au Molard pour prêter serment à la République et pour recevoir les drapeaux aux couleurs rouge et jaune, qui, pour la première fois, flottaient dans les rangs des troupes genevoises. Dès cette époque aussi, les milices, ne goûtant pas la cocarde noire qu'on avait reprise de fait en 1814, commencèrent à porter la co- carde à ces couleurs , qui fut sanctionnée par un arrêté du Conseil d'État le 21 mai '. En 1818, l'état provisoire militaire cessa; le 18 février fut promulguée la première loi d'organisation des milices du canton de Genève. Les temps avaient amené de nouvelles idées , une augmentation de population et de nouvelles obligations durent apporter nécessairement de grandes modifications aux anciennes institutions. Tous les hommes des milices du canton, depuis l'âge de vingt ans à soixante ans, formèrent six bataillons d'infanterie, un ba- taillon d'artillerie et un corps de cavalerie; quatre bataillons furent affectés à la ville; savoir, le bataillon d'artillerie et trois bataillons d'infanterie. Par suite des exigences fédérale> , la loi dut nécessairement établir deux classes distinctes d'hommes dans les milices. L'une sous le nom de contingent, comprenant les jeunes gens de vingt ' Dans la même année, l'autorité fédérale ayant requis Genève d'en- voyer à l'armée fédérale un bataillon de 300 hommes, le Conseil d'État, comme autrefois , annonça la formation de celte troupe par voie d'en- rôlement volontaire. Les jeunes gens, joyeux alors de figurer dans les rangs suisses, s'empressèrent de s'inscrire. En moins de trois à quatre jours, plus de 1 ,700 hommes concoururent pour la formation de ce ba- taillon, qui entra au service fédéral le b juin , et partit peu de jours après muni d'un drapeau rouge et jaune, brodé par les dames genevoises . 30 498 à vingt-sept ans, destinés au service fédéral, et l'autre, sous le nom de réserve, comprenant les hommes destinés au service cantonal. Cette dernière classe fut beaucoup plus nombreuse que la première, et, chaque bataillon, sur six compagnies, en comprenait quatre de réserve et deux de contingent ; de plus, la loi ordonna des mesures d'instruction aussi complètes que pos- sible pour toutes les milices, et fonda entre autres pour les jeunes gens de vingt ans à leur entrée dans la carrière militaire, l'institution toute nouvelle pour Genève du camp d'instruction, institution devenue si nationale, et dont l'efficacité a consacré le maintien jusqu'à nos jours. La direction des affaires militaires fut confiée à un Conseil militaire composé d'officiers de la milice, présidé par le syndic de la garde, dont faisaient partie trois conseillers d'État, dont l'un était inspecteur de la milice , et les autres directeur d'artillerie et inspecteur des fortifications. Le syndic de la garde était le chef supérieur des troupes. Depuis 1818 à 185^2, à diverses reprises le Conseil législatif apporta quelques modifications à cette première loi; ainsi, en 4839, les compagnies d'infanterie du contingent furent réunies en bataillons spéciaux, et on abolit l'ancienne organisation du service des pompes à incendie, qui n'avait rien de fixe ni de militaire, et on forma un bataillon spécial de sapeurs pompiers pour la ville de Genève, composé de trois compagnies et d'un état-major, qui prit rang parmi les bataillons de la milice, dont le nombre fut ainsi porté à dix. En 1847, la magistrature syndicale étant abolie parla nou- velle Constitution , celle du syndic de la garde dut nécessaire- ment être supprimée. Le président du département militaire, ayant pour chef d'élal-major un colonel-inspecteur des milices, devint le chef supérieur des troupes. Enfin, la dernière loi de 1852 est encore venue modifier en quelques points les lois précédentes. Ainsi, entre autres, l'obli- 499 galion de faire partie de la milice a cessé avec l'âge de quarantc- qualre ans , et celle obligalion ne s'est plus étendue aux étran- gers; mais une modilication essentielle apportée à toutes les lois anciennes et modernes dont nous avons fait mention , est celle contenue dans l'art. 10 die celle dernière loi. Autrefois, comme on l'a vu, la milice était toute sédentaire et ne pouvait jamais être appelée à l'extérieur; depuis la loi de 1818, ensuite des obligations fédérales, une partie fut destinée au service fédéral ; mais, d'après les dispositions de cet art. 10 de la nouvelle loi de 1852, la landwehr, aussi bien que le contingent, a été rendue disponible. Telle est l'histoire sommaire des diverses organisations tant anciennes que modernes des milices genevoises. On a pu voir combien les citoyens y ont toujours porté d'intérêt et d'impor- tance. Puissent nos nouvelles institutions militaires avoir autant d'efficacilé pour le pays, qu'elles lui nécessitent de frais, et qu'elles imposent de sacrifices aux citoyens. M. Gaullieur communique les observations que M. le général Dufour a bien voulu lui adresser touchant son mémoire sur Jules César considéré au point de vue de l'histoire de Genève et dé l'ancienne Helvétie '. L'honorable général, si versé dans l'étude des historiens mi- litaires, et qui a fait des Commentaires de César une étude par- ticulière et approfondie , estime que l'auteur a rencontré juste sur la plupart des points. 1° Il cro"it aussi que le mur de César n'était pas un rempart continu. Une légion n'aurait pas suffi à ce travail en si peu de temps. C'était sans doute une ligne à intervalles. Il n'y avait, en effet, que certains points à fortifier. Un rempart eût été inu- tile et même ridicule en certains endroits. Jules-César ne peut ■ Voir Ifi Biillptin de l'Instilul Genevois, n» 4. 500 y avoir songé. Que penser de ceux qui ont traduit murus par muraille (en maçonnerie) ? 2» Malgré l'imposante autorité de Napoléon , qui calcule qu'une seule légion a pu faire six lieues de retranchement qui cubaient 4,000 toises en cent vingt heures, soit dix à quinze jours, le général Dutour croit que ce travail est impossible dans un si court espace de temps. 11 estime qu'il faut interpréter largement, comme l'a fait Napoléon, certains passages des Com- mentaires sur les allées et venues de César. Ainsi il n'alla pas à Aquilée chercher les légions dont il avait besoin contre les Hel- vétiens , mais en Italie , d'où il appela les légions qui station- naient à Aquilée. d" Le général Dufour estime que I'Ocèle des Commentaires, où César se rendit après avoir battu les populations alpestres des Centrons , des Garioceliens et des Caturiges , est YExilles de notre géographie moderne plutôt qa'Oneille , comme quelques- uns l'ont traduit. 4° Examinant l'opinion du général Warnery sur le récit des Commentaires, au sujet de la marche des Helvétiens dans les Gaules et de leur poursuite par César, le général Dufour croit que l'écrivain militaire vaudois raisonne complètement à faux quand il dit que « les Helvétiens voulaient passer le Jura pour aller en Bourgogne. » Les Helvétiens ne voulaient certainement pas monter dans cette partie des Gaules pour redescendre à Toulouse. Leur chemin naturel est bien celui indiqué par Jules- César, et il n'y avait, en effet, que celui-là. César ne. courait pas après les Helvétiens. 11 leur barrait le chemin de- Toulouse. 5» La tactique que Warnery prête à César, pour empêcher les Helvétiens de passer, est complètement erronnée. Comment penser que qui que ce soit ait pu écrire une pareille absurdité? Warnery commet encore une erreur, quand il dit que « jamais homme, ni bête , a passé le Rhône à gué, à sa sortie du lac de Genève, même dans les basses eaux. » Warnery, avec tout son 501 esprit , a montré peu de jugement dans sa dissertation. Il est presque inutile de discuter quelques-unes de ses assertions où il prête à César des choses absurdes. 6° Le moût Vuache, vu de Genève, semble être la continua- tion du Jura, et l'expression ad montem Juram, pour indiquer le lieu où finissait le retranchement de César, paraît bien dési- gner celle montagne en face du mont Credo. 7" En ce qui touche la participation qu'un ou plusieurs lieu- tenants de Jules-César auraient eue aux actes de la campagne contre les Helvétiens , le général Dufour penche à croire avec l'auteur du Mémoire, que des généraux de César ont eu une grande part aux faits qui se sont passés à Genève. Mais il ne saurait croire, en ce qui touche T. Labienus en particulier, que sa part d'action et de mérite ait été diminuée dans les Cotnmen- taires par suite de sa rupture avec César. Ce grand capitaine, en maint endroit des Commentaires, fait l'éloge de T. Labienus. On en a dit autant de Napoléon à l'égard de Moreau. La jalousie n'entre pas dans les grandes âmes et chez les hommes qui sen- tent leur supériorité, quand celle-ci est hors de ligne , comme c'était le cas pour Jules-César, 8" Le général Dufour ne peut admettre le doute sur la pré- sence- en personne de Jules-César à Genève. Que T. Labienus ait joué 1& premier rôle comme lieutenant de César, dans la défense du Rhône, à la bonne heure. C'est ce qu'on voit tous les jours dans les actions de guerre, sans que pour cela on prétende que le général en chef y était étranger. 9» La réponse de Jules-César aux ambassadeurs helvétiens, que les usages et la dignité du peuple romain ne lui permet- taient pas d'accorder à un peuple étranger le passage à travers la province, pourrait bien être en effet, ainsi que ledit l'auteur du Mémoire, une convention historique , comme le fameux mot du général Cambrone à Waterloo : 'ille elle château d'Orbe furent adjugés aux deux villes de Berne et de Fribourg, qui en firent un bailliage médiat, comme de Grandson, d'Échal- lens et de Morat. Ici s'arrête la tâche du savant historien. Un dernier chapitre fort intéressant est néanmoins consacré à la Clergie , soit aux églises et à l'état religieux d'Orbe avant la réforme. On peut juger d'après ces détails quelle était au moyen-âge l'importance d'Orbe, et combien celte ville a déchu dès lors. Des planches très-soignées offrent les détails de l'église principale, encore très-remarquable malgré diverses restaurations, de l'ancien châ- teau et de la ville. M. Alphonse de Mandroz, capitaine de l'élat-major fédéral, vient de publier ' un Atlas historique de U Suisse, grand-infolio, qui facilitera l'étude sérieuse des annales nationales. L'auteur a suivi, mais dans des proportions plus restreintes, le plan que Gabriel Walser, pasteur à Berneck, dans le Rheinthal, avait ap- pliqué à chaque canton ou pays allié et sujet des Suisses dans son atlas, publié à Zurich en 1770. Des couleurs différentes, affectées aux différentes parties d'un pays ou canton confédéré, permettent d'étudier sa formation et son développement. ■ Chez M. Kessmann, éditeur à Genève, libraire de l'Institut Gene- vois. Prix : 1^ francs. 51 G L'atlas de M. de Mandroz se compose de sept feuilles , dans lesquelles le territoire de la Confédération, colorié couleur car- min , va sans cesse en s'agrandissant à mesure que la Suisse absorbe les diverses souverainetés semées sur son sol. La première carte représente la Suisse en 1300, immédiate- ment avant sa formation et à l'apogée de la maison d'Autriche. Les trois cantons primitifs sont déjà liés par une sorte de con- fédération. Berne et Zurich, villes impériales, n'ont d'autre territoire que leur banlieue. Cependant, elles comptaient parmi les seigneurs environnants nombre de combourgeois, qui es- sayaient par ce moyen de se soustraire à la domination des mai- sons d'Autriche, de Kybourg, de Savoie. Cette circonstance est vraie, surtout pour Berne. Le territoire, possédé par les sei- gneurs bourgeois de celte ville, forma plus tard les quatre juri- dictions (Landgerichte) de Seftigen , Slernberg , Konolfmgen et Zollikofen. La seconde carte montre la Confédération en 1387, après la guerre de Sempach. Zurich, Berne, Lucerne, Claris et Zug, se sont alliés aux cantons primitifs. Les trois premiers cantons ont accru leurs territoires. Berne, en entrant dans la Confédéra- tion, a presque doublé son étendue. C'est le commencement de la décadence de la maison d'Autriche. La troisième carte représente la Suisse en 1415, après la mise au ban de l'empire de l'archiduc Frédéric et la conquête de l'Argovie; et la quatrième, après la conquête de la Thurgovie et l'extinction de la famille comtale de Toggenbourg. La cinquième carie figure la Suisse en 1501, après les guerres de Bourgogne et de Souabe; la sixième , après la réforraation, quand la plupart des seigneuries ecclésiastiques ont disparu; et la septième, enfin, la Suisse depuis la paix de Westphalie jus- qu'en 1798. Un texte historique, expliquant les causes des changements territoriaux, encadre chaque carte. Nous engageons beaucoup 517 M. de Mandroz à compléter son intéressant travail par une hui- tième carie, celle de la Suisse divisée, comme elle le fut un moment à l'époque de la révolution helvétique , en cantons ou préfectures; et même par une neuvième, celle des dix-neuf can- tons do l'acte de médiation. 3° M. Gustave /?evJ//iod , l'éditeur du Levain du Calvinisme ou du commencement de l'hérésie à Genève, par la sœur Jeanne de Jttssie , vient de rendre un nouveau service à l'histoire de Genève et aux amateurs de l'ancienne langue française, en pu- bliant dans un très-beau volume, digne pendant du précédent, les Actes et Gestes merveilleux de la cité de Genève, nouvellement convertie à r Evangile, par Anthoine Froment '. Anthoine Froment, ami et compatriote de Farel, méritait à tous égards les peines que M. G. Revilliod s'est données pour illustrer sa chronique. C'est un de ces ouvriers obscurs de la réforme, qui disparaît tout à coup dans l'oubli après son triom- phe. On sait combien étaient rares les manuscrits de sa chro- nique, qui, à vrai dire, a servi de guide et de base à tous les historiens et à toutes les histoires de la réforme à Genève. C'était justice de restituer à Froment une multitude de récits, d'his- toires et d'anecdotes populaires, qui ont passé un peu partout depuis trois siècles, et dont l'auteur était devenu absolument étranger au public, même lettré. Il y a gros à parier, par exemple , que lorsque le doyen Bridel raconta , dans le Conser- vateur Suisse, le combat de Gingins, alors que des volontaires de Neuchàtel voulurent venir à travers le Jura au secours de Genève , serrée de près par le duc de Savoie , il n'avait pas de- vant lui le texte de Froment, où cet épisode est raconté primi- ' Un volume in-S", imprimé par Guillaume Fick , sur papier couleur chamois, MCCCLIV, avec des lettres ornées, empruntées aux anciennes éditions de Conrad Badins, et soixante sujets historiques , dessinés par M, Gandon, représentant d'anciennes vues, et des traits de l'histoire de- Genève au moment de la réformation. Prix : 10 francs. 518 tivement d'une manière si naïve et si énergique. On voit que Bridel ne s'est servi que des récits intermédiaires. Le livre de Froment est en quelque sorte la contre-partie de celui de la sœur Jeanne de Jussie, précédemment illustré par M. Revilliod. La bonne religieuse invective de toutes ses forces les réformés , et ses saillies n'ont pas trouvé moins d'accueil chez ceux-ci que chez les catholiques , tant sa colère est origi- nale. Le ministre huguenot, au contraire, tombe à bras rac- courci sur les papistes et ne leur épargne pas les injures. Triste polémique que celle de ce seizième siècle, où l'on trouve plus de bouffonnerie rabelaisienne, que de véritable charité chrétienne. Nous verrons si les apostrophes de Froment seront reçues par les catholiques avec autant d'impassibilité que celles de la reli- gieuse l'ont été par les prolestants. La différence de sexe pour- rait bien amener une différence d'appréciation. M. Revilliod a complété heureusement sa publication par les extraits des registres publics des Conseils de Genève de 1532 à 1536. Ces extraits, copiés avec une scrupuleuse fidélité sur les originaux d'après Flournois , servent de Preuves à la chronique de Froment. L'éditeur s'est contenté d'en retrancher les passages déjà donnés précédemment par le baron de Grenus , en ren- voyant à cet auteur dans l'occasion. Ces extraits des registres publiés forment un ouvrage à part, non moins curieux que la chronique de Froment, et dans lequel la vie poUtique, municipale et religieuse de Genève, au com- mencement du seizième siècle , est mise dans son jour le plus vrai et le plus lumineux. Les amis de l'histoire nationale ne sauraient trop louer et encourager des publications semblables à celles que M. Revilliod a entreprises et menées à bonne fin, avec un zèle, une patience et un goût si remarquables. L'exécution typographique, le choix du papier et de la justification , des ornements et des illustra- tions sont irréprochables à tous égards. Nous espérons bien que 519 M. G. Revilliod ne s'arrêlera pas en si bon chemin , et , qu'en- couragé par les applaudissements du public lettré, il nous don- nera prochainement quelque histoire manuscrite du même temps. Pourquoi, par exemple, ne pas imprimer la vie manuscrite de Farel, dont il existe des copies dans les bibliothèques de Neu- châtel, de Lausanne et de Genève, si souvent citée et copiée par tous les auteurs qui ont écrit sur la réforme, mais dont le texte intégral n'existe nulle part imprimé? C'est ici une simple indi- cation que nous donnons en passant. Sans doute , il existe d'au- tres ouvrages inédits, ou à peu près, qui méritent tout autant et même plus d'attirer l'attention d'un éditeur intelligent et actif. 4" La livraison onzième et la douzième de la Savoie historique, par M. Joseph Dessaix, ont paru à Chambéry '. Elles complètent le premier volume de cette intéressante publication. L'auteur a fait entrer dans son pian la publication des traités po- litiques et des documents diplomatiques qui se rattachent direc- tement à l'histoire de la Savoie, et à ses vicissitudes politiques et territoriales. C'est ainsi que dans les deux livraisons que nous analysons, il donne successivement : 1" Le traité passé à Paris , le 5 janvier 1354, entre Jean , roi de France, Charles son fils aîné, dauphin de Viennois, et Amédée VI, comte de Savoie ; 2» La vente du comté de Genevois par Odo de Villars , sei- gneur de Baux, à Amédée VIII, comte de Savoie (Paris, 5 août 1401); 30 Le traité passé à Lausanne, en 1564, entre les seigneurs du canton de Berne et Philibert Emmanuel, duc de Savoie (avec l'approbation de Charles IX) ; • La Savoie historique, pittoresque, statistique et biographique pa- rait à Chambéry chez l'éditeur F. Perrin, et chez les principaux libraires de la Savoie et de la Suisse, par livraisons de deux à trois feuilles, avec deux à trois desseins , de format très-grand ia-80 , ou petit-infolio , au prix de 2 fr. la livraison. 520 A" La paix de Lyon, pour Saluées, Bresse, Bugey, Valromay et Gex (17 janvier 1601) ; 5» La cession faile par le roi de Sardaigne au canton de Ge- nève (26 et 29 mars 1815) ; 6» Les extraits des actes du congrès de Vienne du 9 juin 1815, concernant Gênes, la Sardaigne et la Savoie ; 7» Le traité du 20 novembre 1815, touchant la neutralité d'une partie de la Savoie et de la Suisse. On voit que l'ouvrage de M. Dessaix est riche en documents diplomatiques sur l'histoire de la Savoie. Sans doute que les livraisons suivantes contiendront un texte qui illustrera et ex- pliquera ces actes, qui peuvent bien convenir au savant et à l'historien, mais qui sont un peu arides pour le gros du publie. Des vues pittoresques, des portraits et des cartes lithographies avec soin, accompagnent chaque livraison de la Savoie historique. Dans cette même séance (du 9 mars), la Section des Sciences morales et politiques a nommé membres correspondants : 1» M. Edouard Secretan, ancien recteur et professeur d'histoire et de philosophie du droit à l'académie de Lausanne, maintenant avocat dans celte ville; 2« M. Ernest Grégoire, ancien élève de l'école des Chartes, auteur d'un mémoire sur la syntaxe latine, couronné par l'Institut de France , maintenant professeur de paléographie à Lausanne ; 3" David Martignier, ancien pasteur à Arzier, auteur de savants mémoires sur diverses parties de l'histoire nationale; 4° L.-E. Gaullieur-U Hardy , à Bordeaux, auteur de divers ouvrages d'architecture historique et d'archéo- logie, entre autres du portefeuille ichnographique de V. Louis, et qui publie en ce moment une histoire de la réforme et du pro- testantisme à Bordeaux , puisée entièrement dans les archives publiques et particulières de Bordeaux et du département de la Gironde. 521 ISection de liitfératiire. I. SÉANCES. Après ses vacances d'automne, la Section a repris, en no- vembre de l'année dernière, la série de ses séances mensuelles. Elle en a eu cinq, de novembre i854 à mars 1855. Le 24 novembre (26"" séance) , le Secrétaire donne lecture d'une lettre de M. Ch. Fournel , membre correspondant de la Section ; cette lettre qui contient une théorie de la poésie légen- daire, amène une discussion sur celte intéressante question esthétique. — M. Yuy lit une poésie de M. de Bons, les Oiseaux voyageurs, pièce d'un souffle vraiment poétique, et dont la fraî- cheur élégante est fort appréciée des auditeurs. M. Amiel lit une poésie d'une anonyme, intitulée Pauvre Mère! pièce gra- cieuse et touchante, mais sur laquelle les avis sont plus partagés. Le 8 décembre (57™« séance) , la Section s'occupe d'abord de la prochaine séance générale de l'Institut, puis elle entend la première partie d'une Ehide critique sur Diodore de Sicile , par M. André OItramare, régent de la première classe latine, membre honoraire de la Section. Cette première partie d'un travail ap- profondi ne comprend encore que l'introduction. La Section, très-intéressée par cette première communication, en réclame la suite, que l'auteur promet. — M. Amiel lit quatre poésies d'auteurs absents ou étrangers : Une tombe et La fleur ignorée, par M. Pelit-Senn; Le dernier chemin, par M. de Bons; VEtoUc 522 filante, par M"* la comtesse de V. — Les appréciations suivent les lectures comme à l'ordinaire. Le 26 janvier 1855 (28'^° séance), M. Vuy lit une lettre de M. de Bons, renfermant des détails sur quelques écrivains valai- sans peu connus : le capucin Bérodi, au dix-septième siècle, et, dans le dix-neuvième, le bourgmestre Rtedmatten, M. Louis Gard et M. Roten, quatre poètes qui ont écrit, le premier en français, le second en latin , le troisième en patois local , le dernier en allemand ; ce rapprochement caractéristique n'est point sans in- térêt pour l'histoire intellectuelle du Valais. — M. Vuy commu- nique ensuite quatre poésies inédites de M. Xavier Kohler, autre correspondant de la Section : Noël, Rosius, Ce que j'aime, (son- net), Le Château sur la mer (traduit d'Uhland). Le 23 février (25"^ séance) , [s'achève pour la Section sa pre- mière période de deux années , et les fonctions de son premier bureau expirent. — M. le professeur Bétant lit une monographie détaillée et faite d'après les sources officielles d'un des plus an- ciens établissements d'instruction publique à Genève, du Collège de Rive, antérieur à Calvin. — Le nouveau bureau élu par la Section pour deux années, de février 1855 à février 1857, se compose de : MM. Vuy, président ; Amiel, secrétaire. Ont été élus également : MM. Cherbuliet, vice-président ; A. Oltramare, secrétaire-adjoint. Avant le renouvellement du bureau, le secrétaire présente à la Section une revue de ses travaux pendant cette session de deux ans, et donne un Etat de situation de son Personnel, de sa 523 Bibliothèque et de sa Caisse. — La seconde session de la Section de Littérature commencera avec le mois de mars. Le 16 mars 1855 (/'• séance) , M. Oltramare donne la suite de son travail sur Diodore de Sicile; cette étude roule sur les deux premiers livres de l'historien grec. — M.Blanvalet, membre correspondant, actuellement à Genève, lit une satire intitulée Silhouette, dont le vrai sujet est Tartufe devenu spéculateur, et dont la facture et l'accent, en rappelant à tous les auditeurs les divers accords de la Lyre à la mer, rappellent à quelques-uns, par endroits, la vigoureuse manière de Mathurin Régnier, d' Agrippa d'Aubigné , et des fougueux satiriques du seizième siècle. — M. Amiel présente une critique d'un ouvrage récent : le Ré- dempteur, par M. Edmond de Pressensé. — Le même donne ensuite lecture d'une pièce envoyée par M. Petit-Senn, et qui s'appelle le Bonnet de nuit. Celte poésie humoristique obtient un succès de gaieté, et renouvelle les joyeux souvenirs du Fantasque, de littéraire et patriotique mémoire. II. PARTIE LITTÉRAIRE. Nous communiquerons : 1» Le Mémoire de M. Bétant ; 2" une pièce de W. Blanvalet; 3» une pièce de M. Petit-Senn. i° Le Collège de Rive. Après l'établissement de la Réforme à Genève, un des pre- miers soins des citoyens fut de mettre l'instruction publique en harmonie avec les nouveaux besoins de l'Église et de l'État. A cet égard tout se trouvait à faire. L'ancienne école, dite de Ver- 524 sonex, ne subsistait plus. Pendant les troubles de 1534 et 1535, le directeur avait quitté la ville , la désertion s'était mise parmi les écoliers, et finalement l'école avait été fermée. Le 19 mai 1536, les ministres Farel, Delamare et Sonier (note A) se présentèrent en Conseil , et, après une grande ex- hortation à vivre conformément à l'Évangile, ils recommandè- rent de donner ordre aux écoles, afin d'éviter que la jeunesse ne perdît son temps. Le petit Conseil prit en considération cette remontrance, et arrêta de porter la question d'abord en Deux- Cents, puis en Conseil Général. Deux jours après, les citoyens furent solennellement consultés pour savoir s'ils voulaient vivre suivant la nouvelle Réformation, et confier la direction de l'école à IVP Antoine Sonier, avec un traitement suffisant pour lui per- mettre d'entretenir à ses frais deux sous-maîtres ou bacheliers, et d'instruire gratuitement les enfants pauvres. Le Conseil Gé- néral approuva à l'unanimité (21 mai 1536). Le réformateur dauphinois Antoine Sonier fut donc nommé directeur ou régent de la nouvelle école. Il fut convenu que, tant pour lui que pour deux subalternes, il aurait de salaire an- nuel cent écus d'or soleil (215 fr. 38) ' , à condition qu'il n'y aurait point d'autre école , que les enfants des pauvres ne paie- raient rien, et les autres trois sols par trimestre. Ainsi le Collège fut organisé comme pourrait l'être une insti- tution particulière, le directeur étant seul responsable, ensei- gnant lui-même, et choisissant ses inférieurs. La ville traita pour ainsi dire à forfait avec Sonier, qui, moyennant une somme fixe et annuelle, dut satisfaire à tout. Le local du nouveau Collège était à Rive , dans le bâtiment affecté de vieille date aux écoles, et situé immédiatement au- dessous du couvent des Frères Mineurs ou Cordeliers, sur l'em- placement où fut percée, en 1569, la rue actuelle du Vieux- ' l : vu J-i ' En lb48, l'écu d'or valait quatre florins, huit sols. 525 Collège. De là un pré, destiné aux ébats des enfants, descen- dait jusqu'à Rive. Ce local était délabré, incommode et malsain. Sonier fut obligé de le réparer et de le meubler à ses frais. En décembre 1537, le Conseil lui alloua deux écus d'or pour chauf- fer le poyeîle (poêle) cet hiver pour les petits enfants. On a peu de détails sur l'état intérieur du Collège de Rive. Du taux des écolages, on peut conclure que c'était un collège d'externes. Le maître avait des pensionnaires chez lui, et c'était là probablement son principal bénéfice. En fait, l'instruction était gratuite; car, bien que les trois sols par trimestre fussent exigibles de ceux qui avaient de quoi, on peut juger aux fré- quentes réclamations du maître de l'école, que ce casuel était fort irrégulièrement payé. A plusieurs reprises, on voit le Con- seil obligé de faire effectuer la recelte par ministère d'huissier ; et, avec le temps, l'habitude de payer les mois d'école se perdit toujours davantage. Du reste , on ne trouve aucune mention de corps directeur, ni de contrôle exercé sur la manière dont l'ins- truction était donnée. Ce ne fut que plus tard, et d'après l'ordre établi par Calvin en 1559 , que l'élection des régents et la sur- veillance générale du Collège furent attribuées à la Vénérable Compagnie des Pasteurs. 11 ne paraît pas non plus que dans le Collège de Rive les élèves fussent classés, comme ils le furent dans celui de Calvin , par années d'enseignement, réglées par une promotion annuelle. Celte subdivision régulière fut un pro- grès introduit par le réformateur dans l'organisation des études. La cérémonie des promotions ne date que de 1559. Du temps de Sonier, les élèves passaient par plusieurs degrés d'une lon- gueur indéterminée, d'abord sous les bacheliers ou pédagogues, puis sous le grand maître ou recteur de l'école. Le degré infé- rieur ne concernait que la lecture et l'écriture. Le grand défaut de ce Collège était qu'il ne conduisait à rien. Il n'y avait aucun établissement d'instruction supérieure, qui maintînt le niveau de l'enseignement. Un fait peut faire appré- 526 cier la portée des études au Collège de Rive. En 1559, lors de la fondation du Collège de Calvin, le directeur de l'ancien Col- lège fut placé comme régent de la troisième classe dans le nou- veau, et ses trois bacheliers passèrent en quatrième, cinquième et sixième. Si donc, comme il est permis de le croire, leurs nouvelles fonctions correspondaient à celles qu'ils avaient exer- cées jusqu'alors, on peut présumer que le Collège de Rive con- duisait ses élèves à peu près au même degré que la troisième classe dans celui de Calvin. Au surplus, la clause stipulée par Sonier, qu'il n'y aurait point d'autre école , doit s'entendre d'institutions du même genre que le Collège. En effet, les petites écoles disséminées dans la ville, et où les enfants apprenaient à lire et à écrire, ne furent jamais interdites. C'est ce que prouve le grand nombre des autorisations données à cette fin par le Conseil. Seulement, les maîtres de ces petites écoles étaient astreints à conduire leurs élèves à la grande une fois par semaine. Il y avait aussi un maître pour les enfants élevés à l'hôpital. Le Collège de Rive, dirigé par un homme capable et respecté, prit un développement rapide, et attira même des élèves étran- gers '. Mais celte prospérité fut de courte durée. Dès le com- mencement de l'année 1538, alors que les Conseils de la Répu- blique étaient en majorité composés de la faction anticalvinique, dite des Articulants, Sonier en qualité d'ami et de partisan de Calvin, se vit en butte à des attaques. D'abord on se récria sur la grandeur de ses émoluments, et il fut question en Deux- Cents de voir si l'on continuerait à lui donner si gros gage, attendu qu'il ne servait pas la ville en prédication. Puis on se plaignit qu'il ne faisait pas son devoir , n'obéissait pas au ma- gistrat, et n'instruisait pas les enfants en la grammaire. Cepen- dant le Conseil des Deux-Cents maintint le traitement de cent écus d'or. ' Voir la Chronique de Froment, publiée par M. G. Revilliod, p. 239. 527 Ensuile, on s'en prit à ses deux bacheliers, Eynard et Gaspard, qui furent bannis sous prétexte qu'ils ne faisaient que contrôler les prédicants , qu'ils appartenaient à une secte de gens qui ne cherchaient qu'à mettre noise les uns entre les autres, qu'ils ne voulaient point obéir aux magistrats, et qu'ils avaient refusé de s'aider à distribuer la Cène. Sonier intercéda inutilement en leur faveur; ils furent obligés de quitter la ville. A leur place, Sonier appela d'abord Mathurin Cordier, un des hommes en bien petit nombre qui se sont fait une réputa- tion durable sans sortir du rôle d'instituteur. Cordier, alors âgé de cinquante-neut ans, quitta le Collège de Bordeaux, où il était professeur, pour venir à Genève retrouver Calvin, son ancien disciple du Collège de La Marche. Sonier s'adjoignit encore deux autres bacheliers, Claude Vaultier et Jérôme Vindons, un de plus que ne le portait son cahier des charges. Malgré cela, il ne put changer le mauvais vouloir du Conseil. Au mois de décembre 1538, la place étant devenue intenable, Sonier demanda son congé sous prétexte d'aller en Allemagne suivre les intérêts des fidèles de ce pays. Le Conseil lui répond que, s'il veut s'en aller, la porte est ouverte; mais que, s'il demeure, il ait à obéir aux ordres qui lui sont donnés, et à s'aider à la Cène. Or, c'était là, comme on^le sait, le point litigieux à celte époque. Déjà Farel et Calvin avaient été bannis de Genève pour cause de désobéissance aux lois et de refus de se conformer aux déci- sions du synode de Lausanne , dont un des articles prescrivait l'usage du pain sans levain dans l'eucharistie. A l'approche de Noël 1538, vu le petit nombre des ministres demeurés en charge, le Conseil [manda Sonier et ses trois bacheliers, pour qu'ils aidassent à administrer la Cène d'après les cérémonies bernoises. Ils ne voulurent pas s'y engager, et même, Noël venu, ils ne se présentèrent point à la| table sacrée. Le Conseil arrêta aussitôt que M^ Antoine Sonier, avec ses bacheliers et leurs familles, quit- teraient la ville dansle délai de trois jours. 528 L'arrêt fut confirmé en Deux-Cents , toutefois sous la réserve, que Sonier serait ouï en sa défense. Sonier comparut donc de- vant le Grand Conseil. En vain allégua-t-il que la Sainte-Cène était un acte de conscience, dont nul n'était responsable qu'à Dieu; que ni lui, ni ses bacheliers, ne s'étaient engagés à servir au culte, mais seulement à enseigner les enfants au Collège, ce dont ils s'étaient régulièrement acquittés ; qu'il avait même été au delà de ses engagements , en entretenant un nombre de ba- cheliers supérieur à celui qui était exigé; que, d'ailleurs, le délai de trois jours était insuffisant, puisqu'il avait de nombreux pensionnaires appartenant à de bonnes familles de Berne , de Bâle, de Bienne et de Zurich , un ménage et une petite fille âgée de dix-huit mois, qu'on ne pouvait sans inhumanité mettre en roule par une saison rigoureuse. Sonier eut beau faire appuyer ces représentations par un bon nombre de bour- geois, le Conseil des Deux-Cents n'en confirma pas moins la sentence; seulement il accorda un délai de quinze jours. Le compte de ses gages fut réglé jusqu'au moment de son départ. Mais ce ne fut que cinq ans après qu'il fut indemnisé d'une somme de treize écns et trois florins, qu'il prouva avoir dépen- sée en réparations faites au Collège. Antoine Sonier se retira à Lausanne, et contribua activement à la fondation du Collège de cette ville*. Mathurin Cordier, frappé du même bannissement, trouva un asile à Neuchàlel, où il devint principal du Collège. Sonier avait dirigé le Collège de Rive pendant deux ans et sept mois. Après le départ de Sonier et de tous ses sous-maîtres, il y eut pour l'école un temps de malaise prolongé. Claude Chanis- sier, dauphinois, fit des offres qui ne furent pas acceptées (Note B). Claude Vigneri, de Thiez, et Aguet, de Prangins, di- rigèrent l'école une année chacun. Le premier fut renvoyé pour ' Plus tard il devint pasteur à RoUe. (Reg. de la Conipe g niai 1437.) 5-2'.» sa bi'utalilc el son iiisuflisance; le second oblinl sa décharge pour inolif de sanlé. L'insalubrité du local de l'école la fit trans- férer pour un temps dans la maison de la Chantrerie, située devant Saint-Pierre ; mais cet emplacement ayant été reconnu peu commode, l'école fut de rechef placée à Rive. Ainsi dépourvu de directeur, le Collège chemina quelque temps sous la conduite des deux bacheliers restants , assavoir Estienne Roph el Pierre Mossard, de La Charité sur Loire. Ce qui n'empêchait pas le Conseil et Calvin de chercher activement un nouveau maître. Depuis 1541, le règne des Articulants avait cessé. Calvin était de retour à Genève, et son attention se portait avec sollicitude sur les besoins de l'instruction publique. On crut avoir trouvé un maître convenable dans la personne de Sébastien Chastillon, natif de Saint-Martin du Fresne, prè» de Nantua '. C'était un homme d'un mérite réel, d'un caractère indépendant et d'une érudition peu commune, même au seizième siècle. Bayle, Morery et autres biographes, lui ont consacré des articles étendus. Montaigne parle de Chastillon dans ses Essais (liv. I, ch. 34), en se plaignant qu'on eût laissé languir dans la misère un personnage si distingué. Chastillon écrivait le latin avec élégance, et possédait bien le grec et l'hébreu. En lbi'2, étant encore régent à Genève, il publia, sous le titre de Dialogi sacn, un ouvrage élémentaire en latin et en français, pour exer- cer ses élèves à parler latin. C'est une série d'entretiens, où il met en scène des personnages de la Bible. L'année d'après il en donna la suite en deux livres, ceux-ci en latin seulement: Dialogorum sacrorum liber secundus et lertitis per Sebastianiim Caslalionem, 1543. Plus tard, il y ajouta un quatrième livre. Cet ouvrage utile et correctement écrit fut plusieurs fois réimprimé, ' .\tKun l)iogiaphc, que je sache, n'a bien déterminé le lieu de nais- sance do Séb. Chastillon. Il se trouve indique avec piécisiou dans les re-iislrcs dii Petit Conseil de Genève, sous la date du o avril 154:2. 38 530 et longtemps employé pour l'enseignement élémentaire de la langue latine , jusqu'à ce qu'il fut éclipsé par les Colloques de Mathurin Cordier. Chaslillon fit paraître plusieurs autres ou- vrages, la plupart à Bàle, où il se retira après que Calvin eut obtenu son renvoi. Le plus considérable est une traduction de la Bible, pour laquelle il s'attira de violentes critiques de la part des catholiques et des protestants. Après le supplice de Servet, il fut le seul qui s'éleva avec indignalion contre de telles procé- dures, et qui (ce sont les paroles de M. Micbelet) posa pour tout l'avenir la grande loi de tolérance '. Chastillon mourut à Bàle en 1563, à l'âge de quarante-huit ans et dans une extrême in- digence, bien qu'il fût, dit-on, professeur de grec. Sébastien Chastillon fut d'abord établi au Collège de Rive d'une manière provisoire et en attendant la venue de Mathurin Cordier, qu'on cherchait à rappeler de Neuchâtel à Genève. Mais celui-ci, par lettre du 9 juin ISil, s'excusa de ne pouvoir revenir, par la raison que le Conseil de Neuchàlel ne voulait pas lui donner son congé (Note C). Neuchâtel avait déjà refusé la même demande au gouvernement de Berne, qui aurait voulu mettre Cordier à la tête du Collège de Lausanne récemment fondé ^. Par une autre lettre également conservée, écrite le 12 mars 1541, Cordier recommande pour régent un Bordelais, nommé Claude Budin , proposition qui n'eut pas de suite (Note D). En 1542, Chastillon fut définitivement nommé maître des écoles , avec charge d'aller de temps en temps prêcher à Vandœuvres, paroisse qui, à cette époque, n'avait pas encore de pasteur attitré. Mais, dès le commencement de 1543, Calvin ♦ Renaissance, par J. Michelet, p. 314. " Voyez la lettre adressée par LL. EE. de Berne au Conseil de Neu- châtel, le M septembre 1540, et celle des mêmes à leur baillif de Lau- sanne, du 30 octobre 1510. Ces lettres se trouvent dans l'Histoire de rinslruclion publique dans le Pays de Vaud, par M. Gindroz. Appen- dice, p. 273. 531 paraît êlre avec lui en mésintelligence. Il rapporte au Conseil que, bien que M« Baslian soit un savant homme, il a cependant quelque opinion qui l'empêche d'être capable pour le ministère, et il demande que remontrances lui soient faites de mieux veil- ler sur les enfants. On ne lui reprochait encore que quelques divergences en matière de doctrine. Mais voici bien une autre affaire. Le 31 mai 1544, Calvin rapporte en Conseil que la veille en la congrégation, après qu'il eut lui-même exposé un texte de saint Paul, M' Bastian prit la parole pour le contredire, et prétendit «que les ministres fai- saient tout le contraire de saint Paul; que saint Paul était hum- ble, et que les ministres sont fiers; saint Paul était sobre, et eux n'ont cure que de leur ventre ; saint Paul était vigilant sur les fidèles, et eux veillent à jouer ; saint Paul fut emprisonné, et les ministres font emprisonner les autres, etc. » Je laisse à penser l'orage qu'excitèrent de pareilles excentricités. Le Conseil évo- qua à lui la connaissance de l'affaire , fit comparaître l'inculpé et les députés de la Vénérable Compagnie le 12 juin, et, après l'audition de l'un et des autres , ordonna que bonnes remon- trances fussent faites à chacun d'eux, que toute haine, rancune et malveillance fussent mises bas, qu'ils eussent à se pardonner réciproquement et à vivre désormais en bonne intelligence. Et quant à ce que M" Bastian n'avait pas suffisamment justifié ses proposiles, arrêté qu'il soit démis du ministère jusqu'à la bonne volonté de la Seigneurie. Comme on le voit , l'arrêt n'entraînait que la suspension des fonctions ecclésiastiques, et ne disait rien de la charge que Chastillon exerçait comme maître de l'école. Néanmoins, il est elair qu'après un tel esclandre, il ne la pouvait pas longtemps conserver. Aussi, le 11 juillet 1544, demanda-t-ilsa démission, qui lui fut immédiatement accordée. C'est alors qu'il se rendit à Bâle, ainsi que nous Pavons dit. A sa place, Calvin proposa pour maître de l'école Charles 532 Damont, de Naves ', auparavant professeur à Orléans. Il fut agréé par le Conseil , sous le traitement de quatre cents florins par année, à condition d'entretenir deux bacheliers à ses dépens, sans rien exiger des élèves. Ce nouveau maître satisfit peu. A peine établi, on se plaignit qu'il tolérait divers désordres dans l'école, et qu'il était en dissension continuelle avec ses bache- liers. Alors Calvin obtint du Conseil l'autorisation de faire les démarches nécessaires pour obtenir le retour de Mathurin Cor- dier encore à Neuchâtel. Le Conseil s'y prêta avec empresse- ment, et vota en sa faveur une augmentation de cinquante flo- rins par an, avec indemnité pour ses frais de voyage. Cependant , le retour de ce maître si généralement regretté, devait se faire attendre longtemps encore. Le motif qui retint Cordier à Neuchâtel lui fait trop d'honneur pour ne pas être rapporté. Cordier écrivit au Conseil (4 mai 1545) que, malgré son désir de revenir à Genève pour mettre ordre à l'école, il ne lui était pas possible de quitter Neuchâtel en ce moment, attendu que, par décision récente, les biens des églises ayant été cédés au prince de Neuchâtel, l'école de cette ville se trouvait entiè- rement dépouillée, et qu'en pareille circonstance, il ne pouvait sans honte abandonner l'État qui l'avait accueilli dans des temps meilleurs. Calvin et le Conseil de Genève respectèrent ce géné- reux scrupule. Pendant que Calvin tournait ses vues d'un autre côté, et s'a- dressait à Strasbourg , à Lausanne et ailleurs , afin d'avoir un maître pour l'école, celle-ci était encore une fois dirigée par les simples bacheliers, savoir parEslienneRoph et Pierre Mossard. Celui-ci paraît avoir été un type de brutalité. A maintes reprises on se plaint de lui pour avoir maltraité des enfants, dont l'un est foi't malade, l'autre mort. Une information juridique est or- donnée ; mais elle demeure sans résultat. ' Près de Tulle en Limousin. 533 Au commencement de 1546, sur la demande de Calvin, le Conseil nomma comme maître de l'école Erasme Cornier, au- paravant régenta Montbéliard. A celte époque, l'école paraît avoir été florissante ; car il est question de donner au bachelier du degré inférieur, autrement dit le petit maître, un aide pour apprendre à lire et à écrire aux petits enfants. Erasme Cornier gouverna l'école pendant quatre ans, sans qu'il soit fait de lui autre mention que de ses quatre cent cinquante florins de gages, et de ses différends avec les bacheliers, notamment avec Pierre iMossard , dont il sollicita en vain la destitution. Joignez-y les plaintes de Calvin sur la mauvaise conduite des élèves , et vous aurez le résumé des registres du Conseil en ce qui concerne le Collège sons la direction de Cornier. Au surplus , ce maître n'y fit pas fortune, malgré ce qui est dit de Télévation de son trai- tement ; car, lorsqu'il mourut, au mois d'avril -1550, le Conseil paya pour lui les médicaments employés dans sa maladie. Enfin, Calvin découvrit un homme véritablement capable dans Louis Enoch, de la ville d'Issoudun en Bcrri, et le fil élire par le Conseil , le 12 mai 1550, pour maître de l'école ou recteur principal. Le Collège avait grand besoin d'une réforme. L'in- subordination des bacheliers, l'indiscipline des élèves, dont plu- sieurs quittaient l'école à la première punition pour aller vers des maîtres étrangers ; tous les défauts qui se glissent si vite dans un établissement dénué d'une surveillance active et jour- nalière, appelaient la sérieuse attention du Conseil. Aussi prit- il la résolution de mander devant lui les maîtres, recteur et pédagogues, pour leur adresser des remontrances. Durant les fréquentes interruptions qu'avait subies la charge de recteur ou de principal, le Conseil avait contracté l'habitude de nommer directement les bacheliers. Il en était résulté que ceux-ci, con- sidérant leur position comme indépendante du maître de l'école, n'avaient pas pour lui toute la déférence requise. Enoch était un homme d'énergie. Il réclama nettement auprès du Conseil 534 l'autorité qui lui manquait, et finit par faire rentrer dans le de- voir ses subalternes, en obtenant la destitution de Jean Colinet et de Pierre Mossard, qu'il remplaça, après quelques lâlonnemenls, par Jean Barbier, de Baillecourl en Picardie , Pierre Duc, de Toysse en Dombe, et Jean Du Perril, fils d'un bourgeois de Ge- nève. C'est le premier enfant du pays qu'on voit figurer dans l'instruction publique. Jusque-là , tous les maîtres avaient été des étrangers, pour la plupart Français. Enoch fut reçu bourgeois le 21 janvier 1556. Élu ministre à la ville le A mai suivant', il quitta ainsi l'école, qu'il avait diri- gée avec distinction pendant l'espace de dix ans. 11 fut le second recteur de l'Académie, ayant succédé dans celte charge à Théo- dore de Bèze en 1563. La fonction de maître d'école fut confiée après lui à Jean Barbier, qui, depuis trois ans, servait déjà comme bachelier. Il l'exerçait encore lors de la reconstitution du Collège en 1559. Il fut le premier principal du nouveau Collège, en même temps que régent de la troisième classe. Parmi les services rendus par Enoch à l'instruction publique, on doit compter les ouvrages qu'il publia. Le premier fut une grammaire latine, intitulée Ludovici Enoci Uxelodunensis parli- tiones grammaticœ , dédiée au Sénat et au peuple de Genève, 1551, réimprimée on 1563. Le second est une grammaire élé- mentaire de la langue grecque , De puerili Grœcarttm Uterarum dodrina liber, imprimée par Robert Estienne en 1555, et dédiée à la jeunesse genevoise et à ses autres élèves. Ces deux gram- maires, où il ne faut pas chercher l'analyse raisonnée du lan- gage, mais seulement l'ancien système grammatical, exposé d'une manière claire et synoptique, ne sont certainement pas sans mérite , et peuvent très-bien soutenir la comparaison avec ' Reg. de la Comp. 24 avril ISSe : Élection fut faite au ministëre de la parole, de M. Lois Enoch, principal du Collège. 535 celles de Despaulère et de Clénard , si longtemps sans rivales dans les Collèges de France. Enoch a encore composé des Com- mentaires sur Cicéron, que Robert Estienne a imprimés avec le texte de cet auteur. En 1554, Enoch profita de la bonne volonté d'un étranger savant en hébreu, pour faire donner des leçons, sans doute fa- cultatives, de celte langue dans le Collège. A cet effet , il de- manda au Conseil, en faveur de cet étranger, une chambre com- mode, et l'exemption du guet ou service militaire, dont les maiti;'es et pédagogues étaient ordinairement dispensés. Le chant sacré fit aussi partie des études collégiales. On sait que la première traduction des Psaumes de David fut faite par Clément Marot, qui en mit en vers cinquante; que le reste fut traduit par Théodore de Bèze, et que la musique fut l'œuvre de Goudimel '. Dès l'année 1543, on institua une leçon de chant au Collège. Le premier maître fut Guillaume Franc, de Rouen, auquel on alloua cent florins par an , avec un logement près du cloître de Saint-Pierre. Il devait chanter à l'église et enseigner la musique aux enfants. Guillaume Franc s'acquitta de cette fonction jusqu'en 1545, où elle fut confiée à Guillaume Fabri, puis, en 1547, à Louis Bourgeois, et, enfin (29 décembre 1556), à Pierre Dagues, qui fut confirmé lors de la création du nouveau Collège. Un autre genre d'occupation accessoire, qui se rencontre de temps en temps au Collège de Rive, consiste dans les représen- tations dramatiques. Calvin n'y était donc pas aussi opposé que le fut plus lard la Vénérable Compagnie des Pasteurs. En effet, du vivant de Calvin et à l'époque de sa toute-puissance, non- seulement de telles représentations ne sont pas interdites, mais encore elles sont hautement encouragées par le Conseil. Le 17 mars 1546, on donna deux écus à un maître d'écriture, demeu- * Voir Bonnet, Lettres de Calvin, tom. I, p. 540. 536 i-ant en la terre de Berne , pour avoir composé une histoire à l'honneur de Genève, laquelle histoire fut représentée dans le pré de Rive, qui était, comme on l'a vu plus haut, une dépen- dance du Collège. Le 7 juin 154-7, les écoliers débitent un dia- logue latin, tiré du livre de Joseph. Le Conseil y assiste et les gratifie des frais de leur souper. Le 1" avril 1549, Érasme Cor- nier obtient la permission de faire jouer par ses élèves , au pré de Rive, une comédie de Térence en latin, afin de les habiliter. Le Conseil fournit deux écus aux dits enfants pour leur banquet. Enfin, le 29 août 4552, Louis Enoch annonce l'intention de faire réciter par ses écoliers une histoire. Le Conseil l'y auto- rise, et ordonne que l'on dresse un petit échafaud , afin que la chose puisse être mieux eiUendue. Puis, selon l'usage, il donne aux enfants qui ont joué l'histoire deux écus pour leurs dépens. Durant toute la dernière période de l'existence du Collège de Rive , on s'aperçoit à chaque instant de la surveillance exercée par Calvin. Les registres du Conseil contiennent une série de représentations faites par lui pour remédier aux désordres, amé- liorer l'établissement, amener le progrès des éludes, et obtenir une inspection fréquente de la part du Conseil. En 4546 eut lieu la première publication des Ordonnances ecclésiastiques (Note E). Elles contiennent quelques articles relatifs à l'école , et destinés à maintenir ce qui existait alors, tout en faisant espérer mieux. Une disposition spéciale de ces Ordonnances interdisait la tenue de toute autre école dans la ville pour les petits enfants, excepté cependant pour les jeunes tilles. Le Collège seul devait fournir à l'instruction des jeunes garçons. Mais l'usage des petites écoles disséminées dans les di- vers quartiers avait tellement passé dans les habitudes , que le Conseil ne crut pas devoir les supprimer tout à fait. Seulement, n la requête de Calvin , il en réduisit le nombre à six , dont les maîtres durent être autorisés par l'État, et s'engager à amener une fois la semaine, assavoir le mercredi, tous leurs enfants à la urande école. 531 Il me reste à consigner quelques délails historiques sur le local du Collège. Depuis l'année 1542, l'ancienne maison de l'école de Rive avait été abandonnée pour cause de vétusté, et le Collège établi dans le couvent des Cordeliers, qui en était très-proche. Mais ce nouvel emplacement ne valait guère mieux que l'ancien. A dilTérentes repi'ises, Calvin avertit le Conseil des dangers que couraient les enfants dans un édifice qui mena- çait ruine. En 4544-, le Conseil ordonna que les cellules et l'église du couvent fussent démolies, le reste restauré pour ser- vir au Collège, et la place laissée vide abergée à des particuliers pour y bâtir des maisons. Les orgues et les formes ou stalles de la dite église furent transportées au temple de Saint-Pierre. Le reste du couvent dut être réparé et enti;ptenu pour l'école ; mais le détail suivant peut faire juger de la parcimonie qui présidait à ces réparations. Comme il n'y avait dans le couvent aucun appareil de chauffage, le Conseil ordonna de faire un fornet à l'école, et d'y transporter celui qui était à l'ancienne, « afin que les enfants pussent étudier chaudement l'hiver. » Notez bien ce fornet : ce doit être le même que le poyelle de Sonier ; et celte particularité servirait seule à démontrer , contrairement à l'as- sertion de quelques historiens de Genève, que l'école de Rive ne fut pas placée dés l'origine dans le couvent des Cordeliers. A plusieurs époques, des réparations furent instamment réclamées. Enoch, en particulier, représenta que plusieurs de ses élèves étaient morts et d'autres malades, ce que les médecins attri- buaient à l'insalubrité du bâtiment. Lui-même fut contraint de se loger dans une maison particulière. En 1552 (9 août), la Seigneurie acquit de N. S' Lambert la maison dite de Bolomier, sise rue Verdaine, au-dessus du cou- vent des Cordeliers. Il n'était point encore question d'employer cette maison pour y placer le Collège. Elle ne servit d'abord que (le grenier. Seulement, en 1556, une partie en fut annexée à l'école, << afin de l'élargir. y> 538 On peut dire que la nécessité de construire un nouvel édifice pour le Collège fut un des principaux motifs qui provoquèrent la réforme complète de cet établissement. Ce fut vers la fin de 1557 que ce projet prit de la consistance. Le Conseil s'en occupa dès lors avec activité , et, dès l'année 1559, Genève fut dotée d'un système d'éducation publique nouveau , qui fit oublier le Collège de Rive, malgré les incontestables services que celui-ci avait rendus pendant sa courte existence de vingt-trois ans. APPENDICE. Note A. Orthographe du nom de Sonier. Les registres écrivent ordinairement Saunier ou Saulnier. La vraie manière d'écrire ce nom résulte de la pièce suivante con- servée aux archives de Genève. « Je Antoine Sonier Recteur des Escolles de Genève confesse «. avoir reçeudu Sire Jacques Pignard trésorier gênerai de la dicte « ville de Genève la somme de vint et cincq escus dor au soleil « pour mes gaiges du quartier commenceant le 13 de décembre « 1537 et finissant le 13 de mars 1538 et en signe de vérité me « suis soubscript le 18 de may 1538. Antoine Sonier. 539 Note B. Archives de Genève. Portefeuille des pièces historiques, N" 1213. Les conditions esquelles Claude Chanisier du Daulphine offre au Conseil de MM. de Genève. 1° S'il est admis pour eslre Recleur du Colege de Genève, qu'il ne soit point permis a aultre de tenir eschoUe en aullre lieu de la ville que au dict Colege. Item qu'il soit en luy et par le conseil et bon advis des Mi- nistres de la dicte cite de Genève de admettre et recevoir les Regens et Bacheliers. Semblablement faire leçons et prendre livres et aulheurs pour lire au dict Colege selon la capacité des escholiers. Item que le dict Colege soit franc et libre a tous escholiers venans, pour les recevoir a sa discrétion, se soumettant a la peine du droit en cas que l'on y fasse chose qui ne se doive faire. Item que tout le Colege avec ses appartenances , comme prez et aultres, lui soient laissées ainsi que au précèdent recteur W Anlhûine Sonier a este faicl. Item que les gaiges lui soient donnes ainsi qu'au dict Sonier c'est asçavoir tous les ans cent escus dor au soleil payes en quatre termes, oultre le salaire des enfans escholiers ordinaire- ment paye. Item que pour recouvrer le salaire ordinaire des dicls enfants parmi la ville lui soit donnez un ou deux officiers pour cela faire. Item que les dicts S" l'ayderonta fornir de meubles pour sou argent. Du 25 d'Apvril 1539. Claude Chanisier. 5i0 Note C. ATckives de Genève. Portefeuille des pièces historiques, N" 126^. Du 9 juin 1541. Malhurin Cordier au Conseil pour s'excuser de ne pouvoir revenir. « Très honnores Seigneurs i'ay receu voz lettres desquelles ie vous remercie très humblement a cause de l'honneur quil vous a pieu de me faire en m'escrivant si humainement. Au surplus Mess" quant a ce quil vous a pieu me mander, il me desplaist fort grandement de ce que ie ne puis satisfaire a voslre mandement, lequel sans point de faulte est bon et honneste et selon Dieu. Mais vous pouez scavoir et entendra que ie ne suis pas en ma puissance. Car attendu l'humanile que me feirent Mess" de ceste ville en me recepuant si facilement alors que Ion nous donna congie en voslre cite, ie ne pourroys sans grand reproche me absenter de leur escole sans leur bon vouloir et consentement. Les frères et moy avons faict nostre debuoir de les prier et leur remonstrer la nécessite du cas, mais ils nous ont coppe la broche si trescourt et si tressoubdain quil ny a plus fallu retourner après leur première response. Laquelle chose vous pourrez mieulx entendre par les lettres mesmes qu'ilz vous en escri- vent. Parquoy Très honorez Seigneurs me recommandant très humblement a vostre bonne grâce ie vous supplie de mavoir pour excuse, et me reputer tousiours vostre humble serviteur en tout ce que me sera possible de faire pour vous ayder a avancer la gloyre du Seigneur Dieu , a laquelle chose ie voy que vous travaillez d'ung grand courrage et affection. Laquelle vous veuille tousiours maintenir et augmenter celuy mesme qui a commence une si bonne œuvre en vous et par vostre moyen. De Neufchastel le IX^ iour de Juin Le tout vostre humble serviteur Maturin Cordier 541 Annexe . Le Conseil de Neucliatel sur ce qu'il a besoin de Mathuriii Cordier. « Très honnores Seigneurs De bien bon cueur a vous bonnes grâces nous recommandons honnores Seigneurs nous avons ré- cent voslre rescription atoucbant nostre 1res cliier et bien aymez maistre descolle Corderius et par icelle entendus que le desires pour quelque temps a vostre Colege, et pour ce que le dict Corderius a profite merveilleusement par cy devant a instruire noslre iunesse, donques mersions nostre Seigneur de nous auoir pourveu dung tel personnage. Joingt quil est de besoin quil persévère de iour en iours a notre dicte escolle. Vous prions ne lauoir a déplaisir, car a nous nest possible pour le présent nous en déporter pour les gros domages que nous en pourrions adue- iiir. Et sonimes mary que en ce ne vous pouvons graliflîer sans noslre grandi preiudise. Priant Dieu le créateur, honnores Sei- gneurs, quil vous donne l'entier de vous bons désirs. . De Neufchastel le 1X'= ioingl 1541 Les vostres bon ami et voisin Les quatre Menistral el Conseil de ISeufchaslel Note D. Dibliothèqne publique de Genève. Lettres el Pièces diverses con- cernant les églises réformées. Portefeuille, N" 1 . Lettre de Mathurin Cordier aux Magnificques Seygneurs Mess'* les Syndicques el Conseil de Genève. « Le Seigneur Dieu, père de toute bonté et miséricorde, soil benist el glorifié des grandes et inestimables grâces qu'il a faictes envers vous et principalement en ce que dernièrement il luy a pieu de confondre les perverses et dangereuses machi- 542 nations de Salan , en chassant de vostre cité toutes mutineries et divisions, et vous reduysant a une si belle concorde et alliance fraternelle, que maintenant d'ung noble cueur et affection 1res chrestienne vous estudiez tous ensemble a pourchasser la gloire de noslre Seigneur, en chassant et destruysant a vostre pouvoir tout ce qui peult empescher etdestourber le cours de sa saincte parolle et l'avancement d'icelle : et au contraire cherchant tous les moyens qu'il vous est possible pour restaurer et relever toutes bonnes choses , ainsi que desia vous avez bien monstre par cy devant en plusieurs cas, et mesmement a la peine et di- ligence que vous avez employée a ravoir nostre frère Calvin, vostre bon Minisire, et fidèle serviteur de noslre Seigneur Jésus, tellement que plusieurs qui paravant avoient este fort troublez et scandalisez a cause de la division de vostre église, sont main- tenant grandement consolez et très bien édifiez, voyans la grande bénédiction que le Seigneur Dieu vous a faicte, voire si très évidente que mesme les ennemys de Dieu en sont si estonnez qu'ils ne savent plus ou ils en sont, et si vous persévérez a rendre a Dieu son honneur, ainsi que devez poursuyvre envers le dict Cavin, et comme vous avez este adverliz de faire touchant Courault, vous en verrez une edificalion merveilleuse, et serez de plus en plus consolez et reiouys. « Or donc , mes bons Seigneurs et très chers frères , après avoir cogneu et bien entendu la singulière affection que nostre bon Père céleste vous a donnée, en vous touchant ainsi le cueur par son Sainct Esprit, entre nous qui sommes vos frères en Jésus, pensons iour et nuyct (ainsi que sommes lenuz) tous les moyens qu'il nous est possible pour aydcr vostre bon vouloir, selon la grâce que Dieu nous faict , et mesmes en pensant a vostre Collège , lequel vous avez si grand désir de relever a l'honneur de Dieu, il m'est venu en mémoire d'ung bon frère et honneste personnage nomme Claude Budin, lequel est de présent a Bour- deaulx en Gascongne demourant au Collège de la dite ville, et la 543 il travaille a instruyre la ieunesse, en telle sorte que depuis quatre ou cinq ans qu'il y est, il a faict courir un merveilleux bruyt touchant le dict Collège. « Or est ainsi que des le temps qu'il pleut au Seigneur de m'appeiler par le moyen de nos bons frères Antoyne Sonier, Farel et Calvin, pour ayder a instruyre les eiifans en vostre Col- lège, le dict personnage estoit fort affecte a s'en venir avec moy, s'il eust eu une telle occasion de venir au pays de l'Evangile, pour s'employer au service et à la gloire de nostre Seigneur, et de faict il luy faisoit grand mal de me veoir ainsi départir, non pas en tant que i'eslois appelle a ung tel bien, mais a cause de nostre séparation corporelle , car des nostre ieune aage luy et moy avons touiours esté si bons amys et si familiers ensemble, que nous avions selon nostre pourete et argent et livres et aul- tres choses en commun. « Quant aux grâces que le Seigneur Dieu a mises en ce bon frère, il seroit long a racompter, mais seulement ie vous ay voulu advertir que ie ne sache homme de lettres plus convenable pour ayder a relever vostre dicl Collège. Vray est que vous trou- verez assez de gens de grand savoir et d'une grosse apparence : mais croyez que pour le présent il est bien difficile d'en trouver ung tel quant a la tradifive, ne qui ayt sa grand' industrie et di- ligence pour donner bon ordre a toute vostre escole, et pour y planter et introduyre une telle discipline, qu'il en sera parle (aydant le Seigneur) non seulement es pays de l'Evangile, mais aussi es aultres contrées comme France et Italie. « Et mesme longtemps y a que le dict frère a compose ung ordre et manière d'enseigner les enfans , lequel il avoit grand désir que fust introduict en vostre cité. Car il esperoil par ce moyen la que vos enfans proufiteroient plus en ung an que le temps passé on ne faisoit en deux ou troys, et par ainsi que les autres escoles prendroient exemple sur la vostre, laquelle chose seroit grandement a l'honneur de Dieu, et d'une merveilleuse 544 édification a toutes gens de bon vouloir. Voila, Messieurs et très bons frères, quant au bien et proufit que peult venir, si vous avez le personnage dessus dict. « Touchant la manière de le retirer de la ou il est , ie ne doubte pointdeluy qu'il ne vienne volontiers, s'il luyest possible : mais ie crains fort une chose , c'est qu'on luy face enipesche- ment de par la ville, a cause qu'il est fort aymé et en grosse réputation par de la. Mais touleffois, si vous concluez ensemble de l'envoyer quérir , vous estes assez discretz pour adviser les moyens de le faire venir, et puis en ayant faict votre debvoir, i'espere que le Seigneur Dieu qui vous conduict et qui gouverne voz affaires, vous acconduyra aussi son serviteur en bonne pros- périté : pourveu que ce soit son bon vouloir de s'en servir en vostre ville. Car le tout gist en sa disposition et providence, par quoy ie luy recommande l'affaire au nom de son filz nostre Sei- gneur Jésus Christ. a Au surplus plaise vous savoir que l'en ai traiclé et conféré avec nostre bon frère, celuy qui vous porte en ses entrailles, lequel est bien de cest advis que vous n'espargnez l'ien pour avoir ung tel homme et si grandement nécessaire a vostre église. Car comme il dit, vous ne sauriez faire chose plus saincte ne de plus grande édification pour le temps a venir que de commen- cer par ce moyen, c'est a savoir de procurer que voz enfans soyent bien instruiclz en la crainte de nostre Seigneur et en toutes sciences par lesquelles on peult servir a la gloire d'iceluy, et pour édifier le prochain. Mes Seigneurs et frères bien aymez, congnoissant vostre bon vouloir et sagesse , ie ne vous en escri- ray plus amplement, tant seulement ie vous laisseray a penser ce petit mot : si vous travaillez tant a fortifier vostre ville (la- quelle chose est fort bonne et louable) quel bien ferez vous si vous faictes que les pierres vives soient mises et assemblées en l'édifice de l'Eglise de Jésus? « Il vous plaira, Messieurs, excuser la hardiesse qui i'ay prinse 545 de vous escrire si privement, vous suppliant humblement que vous preniez le tout en bonne part , comme de celuy qui est vostre humble serviteur, frère et amy, et qui ne demande rien plus que le bien de vostre église et cité a la louange de Dieu nostre bon Père, a qui seul soit rendue toute seigneurie, toute puis- sance et toute gloire éternellement, Amen. Aussi nous le prions au nom de son filz Jésus qu'il luy plaise vous augmenter tous- iours ses grâces et bénédictions , vous conduysant et adressant en toutes choses selon sa saincte volonté , alfin que de mieulx en mienix vous puissiez vous employer en toutes bonnes œuvres a luy plaisantes et agréables. De Neufchastel le XII« iour de mars 1541. Vostre serviteur, frère et amy Maturin Cordier Note E. La première édition des Ordonnances ecclésiastiques conte- nait, relativement à l'école, quelques articles qui furent omis dans les éditions subséquentes, dans lesquelles ce sujet était renvoyé à l'Ordre des Escholes de 1559. « Le degré plus prochain au ministère et plus conjoinct au gouvernement de l'Eglise est la Lecture de Théologie, dont il sera bon qu'il y en ait au vieil et nouveau Testament. « Mais pource quon ne peult proufiter en telles leçons que premièrement on ne soit instruict aux langues et sciences hu- maines, et aussi £st besoing de susciter de la semence pour le temps advenir , affin de ne laisser l'esglise déserte a nous en- fans, il faudra dresser Collège pour instruyre les enfans, affin de les préparer tant au ministère que gouvernement civil. « Pour le premier fauldra assigner lieu propre tant pour 39 546 faire leçons que pour tenir enfans et aultres qui vouldront prou- fyter, avoir homme docle et expert pour disposer tant de la Maison comme des Lectures, et qui puysse aussi lire, le prendre et soldoyer a ycelle condition qu'il ayt soubz sa charge Lecteurs tant aux langues comme en dialectique , s'il se peut faire. Item des Bacheliers pour apprendre les petits enfans. Et de ce espé- rons pourvoistre en brief a l'ayde du Seigneur. « Que tous ceulx qui seront la soient subjectz a la discipline ecclésiastique comme les Ministres. « Qu'il n'y'ail aultre escolle par la ville pour les petitz enfans, mais que les fdles ayent leur escolle a part , comme il a este faict par cy devant. « .Que nul ne soit receu s'il n'est approuve par les Ministres layant premièrement présente a la Seigneurie et fait assavoir. Et lors de rechef qu'il nous soyt présente avec leur tesmonage de peur des inconveniens. Touteffois le présentement debvra estre faict présent deux des Seigneurs du petit Conseil. 2" Silhouette. Beym Satan mag er heilig seyn ! Gleiji. — Taisez-vous donc! — Non pas, je le dis : j'abomine Cet insigne barbon à face pateline, Qui va chaque dimanche au temple prier Dieu, Et que tout autre jour voit en tout autre lieu, Enflant sans honte aucune intérêts et courtage. Calculer comme on peut détourner davantage Sans se heurter de front au .piloris bavard Qui conte à tout venant les hauts faits d'un gueusard. 547 Peut-être croyez-vous qu'à l'heure de l'église, Si, mettant l'habit noir et la fine chemise, Il s'y rend l'air penaud, le visage contrit, Et fait des yeux plus blancs que ceux d'un poisson frit, C'est qu'il sent des remords, qu'il gémit sur lui-même, Maudit ses péchés lourds et sa faiblesse extrême. . . Bah ! ne vous leurrez point à l'endroit d'un fripon Dont le cœur est' ma foi ! plus crasseux qu'un lapon. Si son front à l'autel d'un rayon s'illumine. Il songe en ce moment à creuser quelque mine; Son œuvre va bientôt l'attester — ça suffit : De tout, hormis du prône, il sait faire profit. Je me trompe; il en fait profit à sa manière, De l'Église à la Bourse il se creuse une ornière. Et sait, à deux sous près, ce qu'un renom chi'étien Peut donner de crédit quand on manœuvre bien. — Pauvre chère âme! il faut, dit-on, c'est conscience, Lui donner à gérer, en toute confiance. Les deniers que l'aumône a glanés pas à pas Afin que l'indigent eût parfois son repas. Et puis qu'un pauvre diable innocemment s'avise De crier : Au voleur ! quand il le dévalise ; La ville est en rumeur et dans chaque quartier On entend maugréer vieille femme et rentier. Il n'est pour le criard pas de nom qui le nomme, Car Satan, c'est tout dire, épargnerait notre homme. — Est-ce tout? — Pardonnez, je suis loin d'en finir. Coutumier comme il est de toujours retenir, De la Sainte Écriture il retient maint passage ; Mon père en fit autant, c'est le propre du sage, 548 Mais le blé qui nourrit l'ârae des pénitents, N'est plus qu'affreux poison sous de certaines dents. Pour moi, je m'ébahis à voir comme il applique Avec un saint aplomb la parole biblique, Comme en un bénitier, préparant son repas, 11 s'engraisse, et parvient à duper saint Thomas. Un maigre besoigneux, bourgeois de la grand'route, La béquille à l'aisselle et la jambe en déroute, Vient-il, pâle, transi, l'estomac aux abois. Implorer sa pitié d'une dolente voix, Mon cafard, le voyant sans force et sans ressource. Ouvre aussitôt sa Bible à défaut de sa bourse ; Lui prêche les bienfaits de l'ordre, du travail, Et les trésors d'un ciel qu'il semble avoir à bail. Qu'un traitant, son rival, ait une heureuse chance. Un emprunt de l'État, une offre d'importance : « Chacun de nous est irère, un frère est un ami, Nous faisons, n'est-ce pas? cette affaire à demi. » Mais qu'au rebours, l'ami, sa caisse étant peu ferme, S'il est son débiteur demande un nouveau terme : « L'accorder, Dieu le sait, lui ferait grand plaisir ; Mais la morale, hélas ! s'oppose à son désir. En telle occasion se montrer magnifique. C'est faire un tort immense à la gent qui trafique, C'est tremper dans l'abus d'un crédit dangereux Qui, débâclant un jour, fait mille malheureux. » Le pauvret faillit-il par trop de confiance : a Les gens, on le voit bien, n'ont plus de conscience; Ils ne distinguent plus le mien d'avec le tien ; Privez-les, s'il vous plaît, du titre de chrétien. H ne sait vraiment pas comment on peut survivre 549 A la honte d'avoir déposé son grand livre. » Or que l'inlortuné qu'ainsi frappa le sort Cherche, à son désespoir un recours dans la mort . . « Le monde ne va plus ; il faut à tel scandale Contre le genre humain secouer sa sandale » Et Dieu n'a plus d'abri, c'est à croire vraiment, Que dans le cœur béat du pieux garnement. Fi ! je sens le dégoût qui me prend à la gorge. Et ce n'est point ici fictions que je forge, Cet homme est là ; peut-être ignorez-vous son nom Mais dimanche, bien sûr, il était au sermon, Il était au sermon, feignant quelque prière, Les yeux ensevelis sous leur flasque paupière, Tandis qu'un crucifix sur l'autel étalé Dominait, au coup d'oeil, son front gras et pelé. Si bien que, me trouvant acculé vers la porte, Moi qui voyais fort peu, je voyais de la sorte M'apparaître à la fois la palme et le chardon, L'Homme de Nazareth et l'homme de Sidon. Jésus ! quand sur ta croix tu mourais en silence, Cloué, roide, le flanc transpersé d'une lance, Pâle, abreuvé de flel, couronné d'un sang noir, Comme en ces vieux tableaux si douloureux à voir ; Jésus! ô doux Jésus! savais-tu que le vice Prendrait pour s'étayer ton divin sacrifice? Que de vils trafiquants trafiqueraient un jour De les saintes vertus, de ton sublime amour? Que Golgotha, du lucre aplanirait la roule? 0 toi ! qui savais tout, lu le savais sans doute. Et ton regard mourant voyait dans l'avenir Mammon te dérober ton œuvre, et la honnir. 550 Voilà pourquoi ton front si tristement s'incline, Pourquoi ce grand soupir qui brisa ta poitrine ; Ce n'est pas ta douleur, mais nos hontes à nous, Qui dans Gethsémané te jetaient à genoux. Oui, c'est le faux croyant qui, dans ta voix éteinte , Mit du triste abandon la gémissante plainte; C'est lui qui, se parant de ton nimbe terni. Te fit crier : ELI LAMMA SABBACHTHANI ! Henri Blanvalet. 3" La Prière dans les Ténèbres. Quand le sommeil a fui de ma couche nocturne, Quand le silence et l'ombre ont envahi les airs, L'aile du temps emporte en son vol taciturne Mon hommage et mes vœux au Roi de l'Univers. Ma muette pensée a jailli vers la nue , Elle monte et s'élève aux pieds de l'Éternel Sans que ma bouche emploie une langue connue Qui trouble de la nuit le calme solennel. Mon âme parle seule et j 'ignore la route Qu'elle doit se frayer pour parvenir à Dieu , Pourtant je suis certain que sa bonté m'écoute Quel que soit le moment, et quel que soit le lieu. 0 miracle d'amour! ineffable tendresse ! A travers mes regrets un peu d'espoir me luit, Dieu même a soulevé leur fardeau qui m'oppresse ; Il entend mon silence et me voit dans la nuit. l 551 Il semble qu'à mes vœux sa Majesté réponde Qu'il accorde à mon âme indulgence et pardon : Qu'il couronne mon front d'une paix qui l'inonde Et daigne illuminer mon obscur abandon ! Oui : ma prière à Dieu dans l'ombre ensevelie Que seule ma pensée épancha dans son sein Au calme qui la suit, je la sens accueillie El sur moi le sommeil redescend plus serein. J. Petit-Senn. Commission d'Administration. Dans sa séance du 9 mars, le Comité de gestion a reçu la dé- mission de M. Chenevière, président de l'Institut. M. le profes- seur C. Vogt, président de la Section des Sciences naturelles et mathématiques, prend la présidence de l'Institut ad intérim aux termes de la loi. Le sceau de la présidence est remis à M. Vogt. M. le Secrétaire général présente , 1» une note de M. Ami Bovet, graveur, s'élevant à 440 fr., pour dessin, gravure, im- pression et tirage de deux cents exemplaires du diplôme destiné aux membres de l'Institut; 2° une note de 1,012 fr. de M. Vaney, pour impression d'une partie des Mémoires et du Bulletin de l'Institut. M. le Secrétaire général est autorisé à solder ces comptes et à prendre pour cela les fonds nécessaires sur l'allo- cation portée au budget pour l'année présente 1 855. TABLE DES MATIÈRES TOME le> DU BULLETIN DE L'INSTITUT GENEVOIS, Pages. iV» 1 {décembre 4833). — Extrait du règlement, composition des bureaux, séance générale d'installation 1 — 7 Deuxième séance générale 7 — 14 Section des Sciences naturelles et mathématiques .... 15 — 58 » des Sciences morales et politiques, d'Archéologie, etc. 38—57 » de Littérature 58 — 75 » des Beaux-Arts 76 — 83 » d'Industrie et d'Agriculture 83 — 89 Commission d'Administration de l'Institut 89 — 90 Pièce annexe. Discours de M. Tourte , président du Conseil d'État, pour l'installation de l'Institut 9i — 96 N» 2 {avril 48S4). — Section des Sciences naturelles et ma- thématiques 98 — H6 Section des Sciences morales et politiques , etc 116 — 154 >) de Littérature 155 — 147 )) des Beaux-Arts 147 — 149 )) d'Industrie et d'Agriculture 149 — 152 Commission d'Administration 132 N" S {juillet 1834). — Troisième séance générale. Rapports sur les Concours ^55 — 198 N<> 4 (juillet 1834), — Section des Sciences naturelles et ma- thématiques . 200—229 Section des Sciences morales et politiques ...... 230 — 288 w de Littérature 289 — 505 » des Beaux-Arts 504 — 306 » d'Industrie et d'Agriculture 306 — 307 Commission d'Administration 308 — 310 N° 3 {janvier 1833). — Quatrième séance générale. — Rap- ports, etc 312 — 348 Mémoire de M, Rilliet de Constant, sur la Constitution actuelle de la Suisse comparée au Pacte de 1813 349 — 364 iV» 6 {avril 1835). — Section des Sciences naturelles et ma- thématiques 465 — 478 Section des Sciences morales et politiques, etc 479 — 520 » de Littérature 521-351 Commission d'Administration 531 4 BULLETIN SÉANCES ET TRAVAUX DES CINQ SECTIONS : i » DES SCIENCES PHYSIQUES ET NATURELLES ; 2» DES SCIENCES MORALES ET POLITIQUES, D' ARCHÉOLOGIE ET d'hISTOIRE; 3» DE LITTÉRATURE; 4» DES BEAUX-ARTS; 5» D' INDUSTRIE ET d'agriculture. Tome JI. / *■ ^i *:m GENÈVE, CHEZ KESSMANiN, ÉDITEUR, LIBRAIRE DE L'INSTITUT GENEVOIS, ET CHEZ LES PRINCIPAUX LIBRAIRES DE LA SUISSE. 1855. IMPRIMERIE VANEY, CROIX-D'OR, 24. TABLE DES MATIÈRES DU TOME U DU BULLETIIN DE L'INSTITUT GENEVOIS. H" 7 (Juin 1855). Pages. Première séance annuelle de l'année 1855. . . . 1 Nouveaux programmes des concours ouverts en 1855. . 6 Rapport de M. Vuy sur le concours de poésie ouvert par la Section de littérature. ....... 7 Rapport de M. Marc Viridet sur le concours de prose ouvert par la même Section. . . . . . . . 17 Poésie par M. Petit-Senn (A mes compagnons d'enfance). 28 ÉTUDES SDR LA TYPOGRAPHIE GENEVOISE, du XV au X/A"« siècle, et sur l'introduction de l'imprimerie en Suisse. Mémoire |iré>eDté à la Section des Sciences morales et politiques, par E.-H. Gadllibur. Introduction. 33 I. Râle 33 II. Munster (Beromiinster) 34 III. BurgdorffBerf/iOMd) 48 IV. Genève. .50 § 1. Livres imprimés à Genève et à Promenthous au XV» siècle 63 g 2. Editions sans date du XV» siècle. ... 80 § 3. Livres imprimés à Genève de 1501 à 1535. . . 89 § 4. Livres imprimés à Genève de 1535 à 1600. . . 124 § 5. L'imprimerie à Genève dans le XVII« siècle. . 211 § 6. La presse genevoise au XVIII» siècle. . . 252 § 7. La presse genevoise dans la première moitié du XIX» siècle 275 N° 8 (Juillet 1855). — Compte-rendu des séances. Section des Sciences naturelles et mathématiques. . . 292 — des Sciences morales et politiques 308 — de Littérature 323 — d'Industrie et d'Agriculture 332 EXTRAIT du Règlement général de l'Institut National Genevois. « Art. 33. L'Institut publie un Bulletin et des Mémoires. « Art. 34. Le Bulletin parait à des époques indéterminées qui n'ex- cèdent cependant pas trois mois ; les Mémoires formeront cbaque année un volume. « Art. 3o. Ces publications sont signées par le Secrétaire général. « AiiT. 36. Le Bulletin renferme le sommaire des travaux intérieurs des cinq Sections. La publication en est confiée au Secrétaire général, qui le rédige avec la coopération des Secrétaires de cbaque section. « Art. 37. Les Mémoires in-extenso, destinés au Recueil annuel, sont fournis par les sections. « Art. 38. Les Mémoires des trois catégories de membres de l'Ins- titut (effectifs, bonoraires, correspondants) sont admis dans le Recueil. « Art 39. A ce Recueil pourront être jointes les gra\-ures, litbo- grapbies, morceaux de musique, etc., dont la publication aura été ap- prouvée par la Section des Beaux-Arts. « Art. 40. Le Recueil des Mémoires sera classé en séries corres- pondantes aux cinq Sections de l'Institut, de manière à pouvoir être détacbées, au besoin être acquises séparément. Art. 41. La publication du Recueil des Mémoires est confiée au Comité de gestion. » Le Secrétaire général de l'Institut National Genevois, H.-E. GAL'LLIEUR, professeur. BUREAUX DE L'INSTITUT NATIONAL GENEVOIS. Président de l'Institut, M. James Fazy. Secrétaire général, M. E.-H. Gaullieur, professeur d'histoire à l'Aca- démie de Genève. Section des Sciences naturelles et mathématiques, Président, M. le professeur Ch. Vogt. Vice-Président, M. Elle Ritter, docteur es sciences. Secrétaire, M. Moulinié fils. Section des Sciences morales et politiques, d'Archéologie et d'His- toire, Président, M. James Fazy. Vice-Président, M. Massé, président du tribunal criminel. Secrétaire, M. Gaullieur, professeur. Vice-Secrétaire, M. Grivel, archiviste. Section de Littérature, Président, M. Jules Vuv, avocat. Vice-Président, M. Cherbuliez-Bourrit, professeur. Secrétaire, M. Fréd. Amiel, idem. Vice-Secrétaire, M. André Oltramare. Section des Beaux-Arts, Président, M. Franc. Diday. Secrétaire, M. Franc. Grast. Section d'Industrie et d'Agriculture, Président, M. Hector Galland. Secrétaire, M. Olivet fils, docteur en médecine. Secrétaire adjoint, M. Bouffier aine. Trésorier, M. Hugues Darier. N» 7. — 1855. jriN. BULLETIN L'INSTITUT NATIONAL GENEVOIS. Première séance générale anntielledu vendredi 18 juin 1855. Présidence de M. le professeur Ch. VOGT. Comme les précédentes, cette séance générale a eu lieu en présence du public, dans la salle du Grand Conseil. Après la lecture et l'adoption du procès-verbal de la dernière assemblée (le 22 décembre 1854), le secrétaire général a pré- senté le rapport suivant sur la marche et les travaux de l'Institut genevois pendant les six derniers mois : « Messieurs et très-honorés Collègues , «. Je suivrai dans ce compte-rendu le même ordre que dans les précédents, et je passerai en revue X" le personnel de l'Ins- titut genevois, 2" ses publications, 3* ses relations avec le de- hors, A' sa situation financière, et enfin quelques points do détail. « L'Institut, dans l'intervalle qui s'est écoulé depuis sa der- nière séance générale du 22 décembre I85i, a fait quelques 1 acquisitions de membres associés au dehors. La seclion des sciences naturelles et mathématiques compte aujourd'hui 7 mem- bres correspondants ; la section des sciences morales et poli- tiques 22, et la section de littérature 27. Les deux autres sec- tions n'en ont point encore nommé. L'Institut n'a eu à regretter la perte d'aucun de ses membres. « 2" Le 3™^ volume des mémoires de l'Institut, dont l'im- pression est très-avancée, paraîtra dans le courant de cet été. Il comprendra 1" un mémoire de M. de Gingins La Sarraz, mem- bre correspondant, sur quelques localités du Bas-Valais au com- mencement de notre ère et sur l'éboulement de Tauredunum en l'an 563 : 2° Le Prodrome d'une géologie de la Savoie par M. Ga- briel Mortillet, directeur du musée d'Annecy, membre corres- pondant; 3» Un mémoire sur une nouvelle méthode pour déter- miner les éléments de l'orhUe des astres qui circulent autour du soleil Tpav M. Elie Rilter, docteur es sciences , membre effectif de la section des sciences naturelles et mathématiques ; 4" Un mémoire de M. Moulinié fils, secrétaire de la même section, sur les transformations des vers intestinaux; 5° Un mémoire sur le calcul des résidus par M. le professeur G. Oltramare, membre effectif de la même section. « Nous espérons pouvoir joindre à ce volume le mémoire déjà annoncé de M. Félix Bovet, correspondant de la section des lettres, sur les manuscrits inédits de J.-J. Rousseau qui sont con- fiés à sa garde dans la bibliothèque publique de Neuchâtel. — Si le manuscrit de ce dernier travail ne nous parvenait pas à temps pour faire partie de notre 3"' volume, il entrerait dans le -i^s, pour lequel nous avons déjà un mémoire très-important de M, le professeur Jules Thurmann, correspondant de la section des sciences naturelles, intitulé Recherches sur r orographie ju- rassique, a Le mémoire de M. Félix Bovet pourrait aussi paraître dans 3 le 5' volume du Bulletin de l'Institut, qui sera terminé avant la la fin de l'année actuelle. « Autant que possible, votre Comité de gestion a cru qu'il était convenable de donner place dans vos mémoires, en pre- mière ligne, aux travaux qui ont un caractère plus exclusive- ment scientifique et qui sont accompagnés de planches comme complément nécessaire du texte. « Le Bulletin de l'Institut, d'un format plus modeste et d'une périodicité plus fréquente, a été réservé pour les compte-rendus des séances générales et des sections, et pour les mémoires qui ont un caractère plutôt philosophique, poétique ou littéraire que scientifique. Le premier volume du Bulletin, comprenant les six premiers numéros et le mémoire couronné de M. Rilliet de Constant sur la comparaison des institutions fédérales de la Suisse, est complètement terminé. II a été distribué à tous les membres correspondants, effectifs et honoraires de l'Institut, ainsi qu'aux principales autorités du canton et de la Suisse, dans le courant du mois d'avril de cette année. « L'impression du n" 7, commençant le 2» volume du Bulletin, est assez avancée. Il paraîtra peu de jours après cette séance générale. Celte livraison contiendra sous le titre d'études sur la typographie genevoise du XV^ au XIX^ siècles et sur les ori- gines de l'imprimerie en Suisse, une histoire de cet art dans les cantons de la Suisse occidentale et à Genève particuliè- rement, depuis sa découverte jusqu'à nos jours, (par M, E. H. GauUieur). « L'Institut genevois a continué d'entretenir avec des sociétés savantes étrangères des rapports mutuellement avantageux par l'échange des mémoires et des publications. Quelques sociétés sont mêmes venues au devant de notre Institut naissant. C'est ainsi que l'Académie royale des sciences de Munich nous a fait l'honneur de nous écrire ( le 22 mars dernier ) : > 35 réimporté la typographie à Strasbourg, d'où elle était sortie avec Gulteriberg, quand il alla s'établir à Mayence. Quoi qu'il en soit, Berthold Rot imprimait à Bâle vers 1460. Bien qu'il n'ait mis sonnomqn'à un seul ouvrage*, on sait qu'il imprima, enlr'autres, le premier volume d'une Bible dont l'impression est fixée par les bibliographes de 1460 à 1465^, et dont le second volume fut imprimé par Bernard Richel, dont on a des impressions bàloises datées de 1474. M. Âug. Bernard, dans son livre remarquable sur YOrigine et les débuts de l'Imprimerie en Europe', estime que ce livre doit être considéré comme le dernier de Berthold Rot. Richel, citoyen de Bàle, avait appris son art chez lui, et fut peut-être son associé dans les dernières années qui précé- dèrent sa mort. Cela expliquerait naturellement comment il con- tinua la Bible commencée par lui. Quelques bibliographes pensent qu'elle pourrait avoir été le produit d'une association de deux imprimeurs, qui auraient exécuté chacun de leur côté un volume; mais cette supposition est moins naturelle. Quoi qu'il en soit, il est certain que Berthold Rot imprimait avant 1468, car sur un exemplaire d'un livre imprimé sans date avec ses caractères, intitulé Moralia in Job, on lit que cet ouvrage fut acheté en 1468, par Joseph de Vergers, prêtre de l'église de Saint-Hilaire de Mayence \ Or, pour que ce livre ait été acheté • Conradi de Mure, canonici Turecensis, Repertorium vocabulo- rum exquisUorumoratonœ,prœseos et hisloriarum. In-Mio sans date. On lit dans une pièce de vers latins qui se trouve au verso du premier feuillet : Bertholdus nitidè hune impreiserat in Basileâ. Sur ce renseignement, on a attribué, par analogie, à Berthold Rot plus de dix ouvrages imprimés avec le même caractère, mais sans au- cun autre indice typographique. ' Braun, Xoticia hist., t. I, p. 32. ' Paris, 1833, 2 vol 8». * Hune solvi anno 31. CCCC. LXVIIJ, Joseph de Vergers, près- biter ecrksiœ Sancii IJylarii Moguntini. 36 en 1468, il faut au moins, comme le fait observer M. Aug. Ber- nard, qu'il ait été commencé un an auparavant, car c'est un énorme in-folio de 421 feuillets, à deux colonnes de 48 lignes chacune. On ignore la date de la mort de Berlhold Rot. Elle doit être placée, selon les probabilités, vers l'année 1474, où nous voyons Bernard Ricliel continuer son œuvre et exécuter le second vo- lume de sa Bible, qui était aussi, pour l'époque et avec l'exi- guïté des raoyeiis et des procédés typographiques dont dispo- saient les premiers imprimeurs , une œuvre de fort longue haleine. A cette date, l'imprimerie était déjà parfaitement établie et naturalisée à Bàle, ville qui devint si fameuse dans les annales typographiques du seizième siècle, la cité des Amerbach, des Froben, des Oporin, des Hervagius, et de tant d'autres artistes savants et habiles. En 1474, on y comptait deux ou trois impri- meries en pleine activité ; bientôt leur nombre fut beaucoup plus considérable, et il est très-difficile de suivre l'ordre dans lequel elles se succédèrent, et leurs associations et leur filiation. Sur le témoignage, solide en apparence et trompeur en réa- lité, d'un livre qui porte la date certaine de 1444 comme année de son impression, par conséquent antérieure de treize années au Psautier de 1457, quelques érudits avaient réclamé dans le temps pour Bàle la gloire de l'invention de l'imprimerie. Au- jourd'hui, il est bien reconnu que ce livre * ne porte cette date que par l'effet d'une faute d'impression. Ce n'est pas la seule qui ait donné lieu, dans l'histoire littéraire, à de semblables er- reurs et à de telles prétentions. Le savant Lucernois Joseph-Ant. -Félix de Balthasar, l'ami de ■ Voici son titre : Reformalorium vilœ morumque et honestati sa- luberrimum, cum cxpressione quorumdam signorum et tribulatio- num Ecclesiœ, Basiteœ. H44, 8°. 37 Haller, l'auteur de la Défense de Guillaume Tell et de nombreux écrits sur l'histoire de la Suisse, publia, dans le Journal Helvé- tique de Neuchàtel, au mois de juillet 1760', une Ebauche de la Suisse littéraire, sous forme de lettre adressée à un Français. Il fixe à l'année 1459 l'établissemeni de Berthold à Bâie, et par conséquent la date de la première édition bâloise. Malheureuse- ment le savant Lucernois a négligé d'indiquer sur la foi de quel document repose son assertion. Elle peut être fondée, et elle n'a rien d'improbable d'après ce que nous avons dit précédemment, mais elle peut aussi avoir été mise en avant un peu à la légère. Ballhasar, dans ses ouvrages sur les antiquités et l'histoire de la Suisse, est quelquefois fort exact et scrupuleux dans l'indication de ses sources; d'autres fois, il ne l'est pas suffisamment. Le mieux sera donc de s'en tenir, en attendant de nouvelles lu- mières, à ce que nous avons dit , et d'envisager Berthold Rot comme un de ces habiles ouvriers imprimeurs contemporains et compagnons immédiats des inventeurs de l'art, qui se répan- dirent dans un certain rayon autour des lieux où il prit nais- sance, pour le pratiquer et le propager^. Berthold, manquant des fonds nécessaires pour imprimer des ouvrages de longue haleine, eut recours à ceux de quelques bourgeois, comme .Bernard Richel, qui furent imprimeurs après lui. Nous verrons le même fait se reproduire à Lyon, à Genève et ailleurs. II. MUMSTEB EU ABGOVIE, (Beromanster.) Un des berceaux de l'art typographique, qui doit sa célébrité à une série d'éditions avec dates certaines, de 1470 à 4473, et ■ Pages 263 à 289. » Dans un manuscrit qui a appartenu à Schœffer, on lit une note qui nous apprend qu'il fut acheté à Paris par un Allemand appelé Jean Rot « Johanni Rot, nalionis Alemanie, en io73. » Peut-être était-ce un parent de Bertliold Rot, le premier imprimeur de Bàle. Ce manus- crit est aujourd'hui à Strasbourg. 38 qui eut l'insigne honneur de former les imprimeurs qui por- tèrent cet art à Paris, ainsi que nous espérons le démontrer, c'est le monastère fondé dans le huitième siècle, vers l'an 720, dans l'ancien comté d'Argau ou d'Argovie, par Beron, comte de Lenzbourg {Beromunstei-, Beroiia, Ecclesia Beronensis). Ce monastère célèbre a donné naissance au bourg lucernois du même nom, Miinster in Aërgau, situé à égale distance (cinq lieues environ) de Lucerne et de Lenzbourg, à deux lieues de Sursee et du lac de Sempach '. En 1469, le monastère de Bero ou Beromunster avait pour prévôt le célèbre Joost de Sillinen, administrateur de l'évêché de Grenoble, et plus tard évêque de Lyon, l'agent le plus actif de Louis XI en Suisse, ce- lui qui ménagea, dans la diète de Lucerne, le 20 janvier 1474, la paix entre les confédérés et l'Autriche, au moment où écla- tèrent les guerres de Bourgogne^. Pour ceux qui savent l'intérêt si vif que mit le monarque français à l'introduction de l'impri- merie dans sa bonne ville de Paris, la présence d'un personnage tel que Joost de Sillinen à Munster, en qualité de prévôt du cha- pitre, ne paraîtra pas indifférente. A cette époque figurait parmi les chanoines du monastère de Bero, Elie de LautTen, qui se signe Helïas Helye autrement dit de Louffen. C'est ce dignitaire qui figure comme fondateur de l'imprimerie du Beronmnster dans la souscription d'une série d'ouvrages qui ont paru de 1470 à 1473 ou 1474. Tout le monde sait le rôle considérable que jouèrent les mai- sons religieuses dans la propagation de l'art de l'imprimerie. Chaque établissement religieux de quelque importance voulut avoir sa presse. Des villes de premier ordre n'avaient pas en- core d'imprimeries, que des localités très-secondaires, où se trouvait un couvent un peu lettré, en avaient déjà. Nous citerons ' Miinster est la patrie du philosoplie Troxler. ' Diebold Schilling. Guerres de Bourgogne. Edition de 1745, page 108. 39 seulement celui de Subiaco, dans un coin reculé de l'Apennin, à dix lieues de Rome, qui eut une imprimerie fameuse dans les annales de la typographie, alors que celte cité n'en possédait point encore '. Des couvents de femmes s'en mêlaient même, et l'on a un Décaméron exécuté, en 4483, par les religieuses du cou- vent de Ripoli ^. Quelquefois on est allé trop loin, et l'on a voulu voir des presses dans tous les monastères. C'est ainsi qu'on a longtemps attribué, dans notre Suisse romande , au prieuré de Rougemont, dans le pays d'En haut Vaudois, une édition de 1481, du Fusciciilits Temporum du chartreux Werner Rollwinck, qui sort évidemment des presses d'Allemagne^. Re- lias Hélye, du Beromunsler, pour en revenir à lui, fut un de ces religieux zélés pour la science, qui fit exécuter sous ses yeux, par des ouvriers qu'il fit venir auprès de lui, des livres bien connus dans la série des Incunables, c'est-à-dire du berceau de l'art de l'imprimerie. R est en effet plus que douteux qu'il ait imprimé lui-même, car il avait près de soixante-dix ans quand parut, en 1470, le premier de ces livres avec date. Peut-être l'imprimerie de Munster existait-elle déjà depuis quelques an- nées avant 1470, mais on n'en a pas la preuve matérielle, bien qu'il y ait des probabilités. Un autre Relie, Conrad, probable- ment de la même famille, mort en 1424, figure déjà comme chanoine et prévôt à Zurich en 1417, et comme envoyé de l'é- ■ Sweiiiheim et Pannartz, deux typographes allemands, imprimèrent dans le monastère de Subiaco dès 146i. Leur édition (Prhiceps) de Lactance fut terminée le 29 octobre 1463, comme nous l'apprend la souscription. ' Descrizione di una edizione del Decamerone del Boccacio che cre- desi esequita nella stamperia di Ripoli circa il 1483, di S. L. G. E. Audin, Firenze, 1831. 3 Tout ce qu'on peut inférer d'un passage de cette dixième édition du Fasciculus, c'est qu'elle fiit revue et augmentée par Henri Wirczbourg de Wach, religieux du monastère de Rougemont. 40 vêque de Constance au Concile de cette ville. Il s'est élevé des doutes sur le lieu d'origine de cette famille. Helias Hélye s'appelle lui-même Hélie de Louffen, mais il existe en Suisse plusieurs lo- calités de ce nom, entre autres Lauffen (en français Lanffon) chef- lieu de la partie allemande du district deDelémont, dans l'évéché de Bâle (canton de Berne) ;Laufen, commune du district d'Adel- fmgen (canton de Zurich); Lauffen dans le canton de Schaffouse ; et enfin Lauffen, groupe de bâtiments avec un ancien château qui domine la chute du Rhin, à l'extrémité du territoire Zuricois, dans l'ancien comté de Kybourg, sur la rive gauche du fleuve. C'est sur ce dernier que les biographes et les bibliographes ont paru tomber d'accord. 1° Le premier livre daté du monastère de Bero ou de Berone est intitulé : Mammotreetus seu expositio vocabulorum quœ in Bibliis occurrunt. C'est un in-folio de 299 feuillets, à deux colonnes de 32 lignes chacune, et à la fin duquel on lit la sou- scription suivante : « Explicit Mamotrectus sive primicerus, arte imprimendi seu « caracterizmidi per me Helyam Helye, alias de Llouffen, ca- « nonicum ecclesie ville Beronensis, in pago Ergowie site, « absque calami exaratione, vigiliâ sancti Martini Episcopi, sub « anno ab Incarnacione Domini millesimoquadragentesimo sep- « tuagesimo Deo laus et gloria per infinita secula seculorum ! « Amen etc. 0 Archangele Micahel, princeps et propagator « nos ter. >•> Le Mammotreetus, ou Mammotractus , et mieux encore Mam~ motrepton, est un vocabulaire des mots de la Bible. Il a été im- primé au mois trente fois dans le quinzième siècle, ce qui prouve sa grande utilité '. Son auteur, Jean Marchesinus, l'a appelé ainsi, dit Sixte de Sienne, parce que ce livre était destiné aux ' Sans parler des éditions sans date, il en parut deux en JiTô, deux en 1478, deux en 1479, deux eu 1489, deux en 1492, deux en 1493. 41 clercs encore novices dans la langue latine, pour lesquels il de- vait faire en quelque sorte l'office de nourrice '. Schœfler a publié à Mayence, la même année, et aussi avec la date du jour de saint Martin -, une autre édition de ce livre; ce qui avait porté quelques bibliographes à supposer que le cha- noine de Berone n'avait (ail que copier l'édition de l'imprimeur Mayençois, y compris la souscription. Us se fondaient sur ce que le Mammotrectus d'Helie de Louffen porte des signatures, c'est- à-dire des lettres mises comme points de repère au bas des pages, dont on ne faisait pas encore usage en 1470. Mais M. Aug. Ber- nard a prouvé que l'édition de Berone est totalement dilférente de celle de Mayence ; que les souscriptions n'ont aucune analogie; que ce qu'on avait pris pour des signatures est tout simplement une lettre de l'alphabet placée au bas de chaque co- lonne, qui se combine avec un chiffre arabe placé dans le haut pour tenir lieu de folio; enfin, que le Mammotrectus de Berone est bien une édition originale de 1470. C'est dans ce volume qu'on a fait pour la première fois usage des chiffres arabes en typographie. 2» En 147â,Helie de Louffen publia le Spéculum vilœ huma- nœ Roderici Zamorensis, en se servant de l'édition qu'en avait donnée, l'année précédente, Gunther Zainer, imprimeur d'Augs- bourg. C'est un in-folio de 109 feuillets, ou de 217 pages, y compris Yindex, qui en occupe cinq. Cette fois-ci, le texte n'est pas disposé sur deux colonnes, mais à longues lignes (41 lignes à la page) ^. Le caractère est d'un genre tout particulier. C'est • Rudibus clericis et adhuc in linguâ latinâ, veluti mammam sugen- dam et infantibus manibus Iractandam, instar pise nutricis exhi- buerat. (Bibl. Sanclœ lib. IV., p. 343 et 344.) ' Il y a plusieurs saints de ce nom. ' Le papier du Spéculum de Munster a pour marque ou filigrane tantôt un instrument ressemblant à une petite scie ou à un P gothique. 42 une sorte d'intermédiaire entre le gothique et le romain, d'en- viron dix-sept points typographiques; les lettres sont maigres, allongées, inégales, et attestent l'enfance de l'art. Les biblio- graphes ont insisté souvent sur ce que les caractères d'Helie de LaufTen présentaient de disgracieux. Mais on doit tenir compte des difficultés que durent offrir aux premiers imprimeurs la gra- vure et la fonte des lettres. Le moulage laissait naturellement beaucoup à désirer, ainsi que la matière employée. C'était pri- mitivement du plomb ou de rétain,elnondu bois, comme on l'a répété pendant longtemps, avant que l'impossibilité d'imprimer en caractères mobiles gravés sur bois eût été démontrée. Le Spéculum de 1472 d'Helie de Lauffen porte aussi une sou- scription, qui n'est que la répétition, avec le changement de date, de celle du Mammotrecius de 1470 '. 3° L'année suivante, 1473, il réimprima ce même livre, qui avait alors une grande vogue. Cette seconde édition ne diffère de la première qu'à partir du feuillet 44^ On a encore du même imprimeur, ou plutôt de la même im- primerie et exécutés avec le même caractère, plusieurs autres livres : 4" Un Psautier de 68 feuillets , in-folio sans date et sans nom d'imprimeur ni de lieu d'impression, qui se trouve à Paris à la Bibliothèque impériale, et que le bibliographe Van Praet estimait antérieur au Mammotrecius et aux Spéculum. L'ou- vrage est à longues lignes, à 31 à la page. La première ligne commence ainsi I _o ) eatus vir qui non en lettres majuscules gothiques qui occupent toute la première ligne. 5" Tractatus de Missa editus a Magistro Nicolas Andreae de civilale Theatinà. et tantôt une couronne traversée par un bâton surmonté d'une étoile à cinq rayons. Ces marques se retrouyent dans les éditions des premiers imprimeurs de Cologne et d'autres villes du Rhin. ' Voyez le fac-siniile, n» 1, planche 2«. 43 6» (Conradi) Thurecensis physili (sic) Tradattts de cometis. Dans la seconde partie, il est question de la comète de 1472, ce qui reporterait celle édition à cette année-là ou à la précédente. 7» Oratio lamentabilis egregii Doctoris Dni Johannis savageti Constantiens et Basileensis Ecclesiarum canonici etc., super tur- batione dicte ecclesie Constantiens. ad. S. D. N. Pupam SijctumlV. — Ejusdem savageti tractattis super controversiis eccicsiœ Cons- tantiensis. Le premier de ces opuscules a 4 feuillets, et le se- cond 17. Les pages ont 40 lignes longues sans signatures. 8" Tractatits qui Viator inscribitur. (Charactere eodera Elise de Lauffen. Laire Ind. 1 , p. 208.) Il résulte de cette nomenclature que la liste des éditions plus ou moins authentiques de l'imprimerie de Berone est de huit en tout. Il y en eut probablement davantage; mais on sait quelles chances de destruction ont couru ces premiers livres imprimés. En 1810, dans le catalogue de la bibliothèque Hei- degger, à Zurich, riche en ouvrages des premiers temps de l'im- primerie, la série des éditions de Berone était offerte pour le prix de 300 florins. On faisait observer que nulle part ailleurs, même en Suisse, elle n'avait été réunie '. Le chanoine Ilelie de Lauffen, décéda eu 1475, date à la- quelle, comme nous le verrons bientôt, une imprimerie fut éta- blie à Berlhoud (en allemand Burgdorf) dans le canton de Berne. Mais avant de parler de ce nouvel atelier typographique, il nous reste à prouver, comme nous nous y sommes engagé, que l'imprimerie fut importée à Paris par des ouvriers de la ty- pographie de Berone. La capitale de la France fut la première ville du royaume à ' Selecta ards lypographirœ monumenla, sive Catalogus librorum secula AT impressorum. Turici Hclvet. J810, petit in-S". — Page (î9 : Origo arlis (ypographicw in Helvetia. Berone monasterii edition^s seriem integram componunl, et nunqunm ne in Helvetia quidem tant inlegrop ncrurunt. u recevoir l'imprimerie. Cet art lui fut apporté, à la fin de 1469 ou au commencement de 1470 ', par deux hommes qui appar- tenaient de très-près à la Suisse, un Bâlois et un Savoisien. Le premier, Jean Heyniein de Stein (appelé en latin Lapideus, et en français De la Pierre ou La Pierre), appartenait, à ce qu'il paraît, à la branche bâioise de la famille de Stem, parente de la maison de Stein établie à Berne -. L'une et l'autre étaient originaires de la ville Schaffhousoise de Stein sur le Rhin {Stein am Rhein), située à l'endroit où ce fleuve sort du lac de Constance et non loin de la cité de ce nom. Le second, Guil- laume Fichet, était né non loin des bords du lac Léman, au village de Crêt, dans la commune du Petit-Bornand, près de Bonneville en Savoie ^. De 1467 à 1470, Jean de Stein et Guil- laume Fichet étaient préteur et recteur de la Sorbonne, à Paris. En 1469, le premier succéda au second dans le redorât de celte illustre maison, dont l'un et l'autre avaient été élèves. C'est à ces deux membres de l'Université de Paris, venus des bords des deux grands lacs de la Suisse , appartenant aux dio- cèses de Constance et de Genève, et représentant en quelque sorte l'Helvétie allemande et l'Helvétie romande, que cette capi- tale dut l'introduction de l'imprimerie. Ils agissaient, comme on ■ Bien que Paris n'ait reçu l'imprimerie que vers t470, on sait que les premiers typographes de Mayenee \inrenty vendre leurs livres dès l'origine de l'art. On conserve à la bibliothèque de Genève un exem- plaire des Offices de Ciceron, de 1466, ayant appartenu à Louis de la Vernade, qui dit, dans mie note manuscrite, que ce livre lui fut donné à Paris par Jean Fust, proprid manu, en 1466. » Hartman de Stein, du Conseil souverain de Berne, a joué un rôle dans les guerres de Bourgogne. ' Ficliet, dans quelques-uns de ses livres, prend le surnom d'Alne- tanus. Quelques auteurs ont cru qu'il fallait entendre par là Aulnay, Aunay, ou même Annecy en Savoie. D'autres disent que cette épithète venait d'un bénéfice que Guillaume Fichet possédait près d'Anet, aux environs de Paris. 45 sait, sur l'invitation expresse de Louis XI, et c'est ici qu'il est bon de se rappeler que Joostde Sillinen était alors prévôt du mo- nastère de Berone en Argau, où Hélie de Lauffen était chanoine. Jean de Stein, à la sollicitation de Guillaume Fichet, alors recteur de l'Université de Paris, s'adressa naturellement dans son pays où l'imprimerie était déjà acclimatée, pour avoir des ouvriers typographes. Ceux qui acceptèrent ses propositions furent Ulrich Guering, de Constance ou des environs, le compa- triote de Jean de Siein ou à peu près ; Michel Friburger, établi à Colmar, mais qui pouvait être originaire de Fribourg en Uchlland, dans l'Helvétie romande, et Martin Crantz ou Grantz, peut-être un fils de Pierre Crantz, qui figure comme témoin dans le procès de Gultenberg et de Fusl, en 1455. On a même supposé que ce Martin Crantz, venu de iMayence en Suisse, au- rait été le véritable chef de l'atelier typographique de Munster en Argau. Ainsi serait confirmée la supposition de M. Aug. Bernard, « qui reste convaincu (dit-il) que l'imprimerie de Munster est plus ancienne qu'on ne le croit, ou du moins avait été précédée d'une autre établie dans les environs '. La Biographie universelle, dans l'article qu'elle a consacré à Ulrich Guering, dit qu'il était du canton de Lucerne, mais elle n'expose pas les apparences qui le lui font croire. M. Didot, dans l'article de l'Encyclopédie nouvelle qu'il a consacré à la ty- pographie (tome XXYl, colonne 670), va jusqu'à dire que Gue- ring était l'associé d'Hélie de Lauffen, avec Jean Dorfling de Winterthour. Cela trancherait nettement la question en faveur de Munster, comme imprimerie mère de celle de Paris. Mais M. Didot ne cite pas la source où il a puisé ce renseignement, de sorte que nous ne voulons rien conclure de son assertion en faveur de notre hypothèse ^. Qu'il suffise de rappeler que Jean ' De VOrigine de l'Imprimerie, tome II, page lôô. ' André Cheviller, dans ses Origines de l'Imprimerie de Paris, avait 46 de Steiu devait s'adresser naturellement à son pays natal, avec lequel il ne cessa d'avoir des relations et où il revint passer les dernières années de sa vie. Nous n'avons pas à nous occuper des destinées de l'imprimerie parisienne, qui devint la première du monde. On sait que le premier livre sorti des presses de Guering, de Crantz et de Friburger fut un recueil des lettres de Gasparin de Bergame, autrement dit Barzizio (lilO). 11 com- mence par une épître de Guillaume Fichet, docteur en théolo- gie, à Jean de la Pierre (de Stein), prieur de la maison de Sor- bonne, dans laquelle il est dit que c'est à lui qu'on doit la venue à Paris de -Guering et de ses associés ; et il se termine par une souscription où on lit ces quatre vers, adressés à la Tille de Paris : Primos ecce libros quos liaec industria finxit Francorum in terris, fedibus atqiie tuis. Michael, l'idaricus, Martinus que Magistri Hos impresserunt ac faciunt alios. En effet, Michel Friburger, Ulrich Guering et Martin Crantz imprimèrent, immédiatement après, Florus, Salluste et la Rhé- torique de Fichet (Guillelmi Ficheti Alnelani rhetoricorum libri très), et bien d'autres livres. Ils obtinrent de Louis XI des lettres de nationalité, en 147-i. Alors Guering imprima seul jusqu'à sa mort, arrivée le 23 avril 1510. Il laissa sa fortune, qui était de- venue considérable, aux collèges de Sorbonne et de Montaigu. Quant à Jean de Stein, nommé à un canonicat, à Bâle, sa pa- trie, il retourna dans cette ville, où il exerça divers emplois. En 1480, les conseils et les bourgeois du canton de Berne, voulant donner de l'essor à leurs établissements supérieurs d'éducation, appelèrent ce savant docteur à venir les diriger, avec un traite- lement de cent écus d'or payable par trimestre, une quantité de dit, il y a longtemps (en 1694) : « 11 y a des conjectures assez fortes pour croire que Jean de Lapierre était de la même ville on du même diocèse qu'Ulrich Guering. » 47 mesures de blé, de tonneaux de vin et de toises de bois en suf- fisance, avec un logement convenable. (Séance du 7 avril 1480.) En 1482, Jean de Slein fut obligé de résigner ces fonctions, dont il s'était acquitté avec zèle et distinction, à cause de sa mauvaise santé'. Bien qu'il eût à se louer des autorités de Berne et du zèle des écoliers, il dut se retirer dans la Chartreuse de Bâle, où il mourut au commencement du seizième siècle. Fidèle jusqu'au bout à son goût et à son zèle pour l'art typographique, Jean de Stein seconda, du fond de sa retraite, le célèbre impri- meur Amerbach. On trouve une lettre de lui en têle du premier tome des Œuvres de saint Ambroise, données par cet éditeur, en 1492 ^ Guillaume Fichet, emmené à Rome, en 1474, par le cardinal Bessarion, mourut au moment où il allait être élevé au cardi- nalat. On conserve de lui, dans l'Université de Turin, un résumé manuscrit de l'histoire de Savoie, sous forme de lettre aux princes de cette maison (Amedœo Sabaudiœ duci ejusque fratri- bus), qu'il exhorte à s'unir aux autres princes d'Italie pour faire la guerre aux Turcs. Il se fait honneur, dans cet écrit, de son origine savoisienne : a Guillelmus Fichetus, Parisiensis theolo- gus doclor, patriâ vero Sabaudus. » Cette digression, qu'on nous pardonnera en faveur de son in- tention, qui était de revendiquer pour la Suisse l'honneur d'a- voir envoyé à Paris ses premiers imprimeurs, nous a conduit un peu loin de l'imprimerie de Munster et de son fondateur. Hélie de Lauffen mourut en 1474. La typographie helvétique ne périt pas avec lui. Nous allons la retrouver dans une ville suisse peu éloignée du monastère de Berone, à Burgdorf ou Berthond, dans le canton de Berne. * Aut de Tillier. GeschicMe der Republik Bern. Tome II. * Trois vol. in-folio. 48 III. BIJRCSDORF (Berttaoad). A peine l'imprimerie a-t-elle disparu de Munster, que nous la retrouvons, en 1475, à Burgdorf ou Berthoud, une des villes de Berthold IV, duc de Zseringen et recteur de la Bourgogne Transjurane, située entre Lucerne et Berne. Il est vrai qu'on a prétendu disputer cet honneur à la ville bernoise de Burgdorf, parce qu'il y a en Allemagne d'autres endroits de ce nom. Pan- zer se contente de dire que le Burgdorf en question pourrait être le Burgdorf suisse {Forte in Helvetia). Ebert affirme que les ouvrages imprimés dans la ville de Burgdorf (in oppido Burg- dorf), en 1474, pourraient bien provenir de Burgdorf, petite ville du Hanovre près de Lunebourg. Pour nous, sans nous ar- rêter à ces endroits d'Allemagne , moins considérables que Burgdorf en Suisse, nous n'hésitons pas à réclamer pour celui- ci les éditions de 1475. Si l'on veut bien réfléchir qu'il y avait tout près de là, à Munster et à Bâle, et un peu plus loin à Strasbourg, des imprimeries depuis plusieurs années ; que les caractères employés par l'imprimeur anonyme de Burgdorf sont évidemment d'origine strasbourgeoise ; que nulle ville ne mé- ritait mieux le nom â'Oppidutn, puisqu'elle avait été fortifiée et entourée de murailles par Berthold IV; on se rangera facilement à notre avis. D'ailleurs, l'établissement d'une imprimerie à Burgdorf, dans le canton de Berne, coïncide avec celui d'un moulin à papier dans la même localité. Il n'est pas rare de voir ces deux indus- tries marcher de front. Burgdorf et son territoire formaient, en 1475, un décanat du canton de Berne, et l'Argovie, conquise par les Bernois sur l'archiduc Léopold d'Autriche, à l'époque du concile de Constance , en formait un autre. Cette ville venait d'obtenir del'évêque de Constance le droit de s'ériger en paroisse particulière. C'était le moment où, dans le canton de Berne, les établissements ecclésiastiques et scolaires prenaient une vie 49 el une extension nouvelles '. L'historien le plus moderne et le plus complet du canton de Berne, Antoine de Tillier, n'hésite pas à constater l'établissement d'une imprimerie à Burgdorf, « alors que, dit-il, on n'en trouvait pas trace dans le chef-lieu du canton. » Il ajoute même que c'est là qu'on imprima pro- bablement, en 1480, les quinze cents exemplaires du bref du pape qui accordait le droit de faire des quêtes, dans le canton et hors du canton, pour la continuation de la construction de l'église de Saint-Vincent *.0n sait que l'usage primitif de l'im- primerie fut de multiplier les pièces de ce genre, particulière- ment les lettres d'indulgences, dont on a des exemplaires portant les dates imprimées de 1454 et 1455, et provenant de Mayence, d'Erfurth, de Wirtzbourg, etc. Il nous reste à donner la liste des éditions plus ou moins au- thentiques de l'imprimerie de Burgdorf. i° Traetalns de apparitionibus animarum post exitum earum a corporibus etc., editus in exfordia ab excellentissimo viro Jacobo de Clusa, ordinis Cartusiensis. Impressus in opido Burgdorf anno Dni millesimo quadringentesimo septuagesimo quinto. (Edition in-folio, sans chiffres.) 2» Legenda S. Wolfgangie Episcopi Ratisponensis. Impressum in opido Burgdorf. Anno Domini MCGCCLXXV. In-folio de vingt feuillets. Ces deux éditions portent bien, comme on voit, la désignation du lieu de l'impression. Elles sont imprimées avec un caractère gothique absolument semblable à celui qu'a employé, à la même époque, un imprimeur anonyme de Strasbourg auquel on doit de nombreuses éditions, entre autres une du Mammotrectus. Ce caractère, que l'on a fait remonter jusqu'à Gultenberg, est re- connaissable à la forme particulière de la lettre §S. ' Wirtz, Helvetische kirchengeschicMe, III, 38. ' Ant. de Tillier GescMchle dcr republik Bern. Tome H. 4 50 Comme celle même lellre de forme particulière se relrouve encore dans deux éditions recueillies en Suisse, on les a attri- buées aussi à l'imprimerie deBurgdorf, bien qu'elles ne portent pas de nom de lieu. Ce sont : 3° S. Benhar'di Sermo de hnmanâ miseriâ. In 4". ^o Matheoli Perusini medici tractatus de memoriâ agenda per régulas et medicinas. In-4*'. Celte collection de quatre ouvages, fut mise en vente à Zurich, en 1810, provenant de la bibliothèque Heidegger, pour le prix de 300 florins. Le catalogue affirme qu'elle n'avait jamais été réunie, même en Suisse. Mais quant aux deux derniers numéros (3 et 4), ils pouvaient aussi bien provenir de l'imprimerie ano- nyme de Strasbourg que de celle de Burgdorf. L'imprimerie disparut du canton de Berne, en 1475, avec les produits de la presse de Burgdorf. Il faut aller assez avant dans le seizième siècle, jusqu'en 1528, pour l'y retrouver. Le 7 fé- vrier de celle année, on imprima à Beriie un Edit de réforma- tion. Les premières éditions de Mathias Apiarius, le premier imprimeur bernois connu, sont de l'année 1530. Nous devons abandonner maintenant la Suisse allemande et les bords du Rhin et de l'Aar, pour nous transporter dans la Suisse française, sur les rives du Rhône et du Léman, à Gèenve et à Promenthoux. C'est là que nous voyons figurer des éditions datées de 1478 et des années suivantes, en assez grand nombre, et d'une toute autre espèce de livres que ceux que nous avons décrits jusqu'ici. Les premiers et les plus intéressants sont écrits en français et traitent de sujets historiques ou divertissants. Ce sont pour la plupart des romans de chevalerie ou des livres de dévotion, en langue vulgaire, dans lesquels sont racontées des anecdotes merveilleuses et incroyables. Ces sortes de livres fran- çais sont aujourd'hui recherchés avec une extrême avidité, et on les paie des prix exlraordinairement élevés quand on a le bon- heur de les rencontrer. Comment l'imprimerie fut-elle importée à Genève? Vint-elle d'Allemagne ou de France? A en juger par le nom de son pre- mier imprimeur, Adam Steinschaber de Schweinfurth ', ce se- rait par l'Allemagne ou la Suisse allemande; mais d'après l'exa- men des premiers livres, extraordinairement français, qui sor tirent des presses genevoises, il faudrait conclure pour la France. L'une et l'autre opinion peuvent se concilier, si l'on veut appli- quer à Genève, par analogie, ce qui se passa à Lyon. Cette ville, la première de la France après Paris, futaussi la première, après cette capitale, à recevoir l'imprimerie. Son premier livre connu avec date, est de 1473. C'est un Compendium de Lothaire, diacre, qui, depuis, fut pape sous le nom fameux d'Jnnocent IIL C'est un petit in-4°de 82 feuillets, en caractère gothique, qui a beaucoup de rapport avec celui de l 'imprimerie de Munster dans l'Argovie. Il porte une souscription constatant qu'il fut imprimé « par maître « Guillaume Régis (Kônig ou le Roi), expert dans l'art typogra- « phique, sur l'ordre et aux frais de Barthélémy Buyer. » On ignore le lieu de naissance de Régis, qui est appelé le Roy dans plusieurs éditions lyonnaises en français ; mais Buyer était citoyen de Lyon et le bailleur de fonds, le patron ou l'associé de Régis. Comme Elle de Lauffen, Buyer, fils d'un conseiller de la ville de Lyon, conseiller lui-même en 148*2 et 1483, ayant étudié lui-même à Paris, était déjà d'un certain âge quand l'im- primerie fut établie à Lyon. Son frère, Jacques Buyer, eut après lui, et au même titre, un atelier typographique, en 1487, en commun avec Mathieu Hus, « de la nation d'Allemaigne -. » ' Schweinfurth est une ville du royaume de Bavière, dans la basse Franconie, jadis ville impériale. ' Voyez la souscription du Grant vita Christi, imprimé en la cité de Lyon sur le Rosne, l'an 1487. 2 vol. in-folio, goth. fig. sur bois. 52 Après eux, les imprimeurs de Lyon du quinzième siècle sont tous Allemands ou à peu près. Ce sont Jean Siber, Trechsel, Jean l'Allemand, de Mayence, Heremberck et beaucoup d'autres. Ils imprimaient néanmoins des ouvrages presque exclusivement français, parce qu'ils obéissaient à une impulsion locale et fran- çaise. S'ils imprimaient aussi des livres latins, c'était pour l'É- glise, et d'ailleurs le latin, étant alors la langue scientifique et universelle, devait s'imprimer partout. Mais ces éditions latines n'étaient que l'exception ; la plupart étaient en français. L'es- prit français, dès qu'il fut en possession de l'imprimerie, qu'il l'eut à sa disposition, sut en tirer des produits conformes à sa nature et à son génie. Il ne se contenta pas longtemps des livres sortis de la docte Sorbonne. Il lui fallut des Romans, c'est-à- dire des ouvrages écrits en langue vulgaire ou romane, car ce mot n'eut pendant longtemps d'autre signification. Mais il arriva que, petit à petit, comme c'est dans cette langue vulgaire ou romane que furent composées les histoires fabuleuses destinées à l'amu- sement des seigneurs féodaux, de la noblesse, qui tenaient à honneur l'ignorance du latin, cet emploi le plus ordinaire de l'idiome roman ou du roman a restreint peu à peu ce mot au sens particulier que nous y attachons aujourd'hui. Ainsi sous le nom de roman, on désigna longtemps des histoires fort sérieuses; on disait le roman de Charlemagne ou de Bayard ': on entendait même quelquefois par là des livres de dévotion. C'est à Philippe le Bon, ou plutôt aux ducs de la seconde maison de Bourgogne en général, que l'on doit l'introduction et la propagation des livres en langue vulgaire ou des romans. Le ' « Qui en voudra plus savoir sur le chapitre du chevalier Bayard, lise son roman, qui est un aussi bon livre qu'on saurait voir, et que la jeu- nesse et noblesse devraient autant lire. Tout vieux roman qu'il est, il parle en aussi bons termes qu'il est possible. 11 y en a deux, mais le plus grand est le plus beau.» (Brantôme, Fifs des capitaines français.) 53 duc Philippe de Bourgogne en fit traduire ou composer et co- pier un grand nombre pour enrichir sa bibliothèque, dont on admire encore à Bruxelles les splendides débris '. Le goût des livres se répandant autour de ces princes, donna naissance à plusieurs célèbres bibliothèques ou librairies^. Mais le prix de ces manuscrits, enrichis presque toujours de minia- tures, étant exorbitant, à cause de la main-d'œuvre, on com- prend avec quel empressement on eut recours à l'imprimerie, dès qu'elle fût connue, pour les multiplier. Aussi, avant qu'au- cun livre français ou roman ait été imprimé en France, avant que la typographie eût été introduite dans ce royaume, voyons- nous sortir d'une ville d'Allemagne , de Cologne , vers l'an 1406, le « Recueil des histoires de Troye , composé par vé- nérable homme Raoul le Febvre, prestre chappelain de mon 1res redoubté Seigneur Monseigneur le duc Philippe de Bour- goingne, en l'an de grâce M. CCCC. LXIII. » C'est l'histoire des malheurs de la destruction de Troie, ville d'où l'on disait qu'était sorti Francus, fils de Priam et le père de la nation française. Cologne, étant une ville enclavée dans les états de la maison de Bourgogne, et la seule qui possédât une imprimerie à cette époque, imprima donc le premier livre français ou le premier Roman. Les Anglais ont attribué cette édition princeps ou pri- mitive à Caxton, leur premier imprimeur, qui débuta dans les Pays-Bas, mais il est plus probable qu'elle provient d'Ulrich Zell, le premier imprimeur de Cologne ^. Après les Histoires de ' Bibliothèque prolypographique des ducs de Bourgogne, par M. Barrois. Paris, 1830, in-i». ' Van Praët, Recherches sur Louis de Bruges, seigneur de la &ru- Ihuyse, et Notice sur Colard Mansion, premier imprimeur de Bruges. ' Le papier de ce livre présente dans son Dligrane l'ccnsson fleurde- lysé de la couronne de France, ou ce P gothique dont le haut est sur- 54 Troye, on imprima le Jasoîi, du même auteur, roman allégo- rique sur l'ordre de la Toison-d'Or, que venait de fonder le duc Philippe le Bon. On l'a attribué aussi à Caxton, qui était alors à Bruges, où vivait aussi un célèbre calligraphe enlumineur de manuscrits, Colard Mansion. Ce Colard Mansion fut le premier imprimeur de Bruges, ville qui, bien que située dans la Flandre, appartenant au duo de Bourgogne, prince français, ressortissait féodalement à la France. Colard Mansion imprima à Bruges, vers 1-476, le Jardin de dévotion, l'Œuvre de Boccace du dechiet des nobles hommes et femmes , Boèce de la consolation de Philo- Sophie, les Métamorphoses d'Ovide moralisées, les dits moraux des Philosophes, et d'autres livres en roman. Ainsi, les secondes édi- tions françaises sortirent d'une ville belge. Il ne faut pas s'éton- ner, après cela, si Genève et Chambéry, qui reçurent l'impri- merie immédiatement après Lyon, bien que n'étant pas des villes françaises dans le sens strict du mot (non plus que Lyon, du reste), n'imprimèrent presque, au début, que des livres fran- çais. Ces villes gravitaient dans l'orbite de la France et subis- saient son influence. Le premier livre sorti de la presse genevoise , le livre des Saints Anges, fut imprimé en 1478, et il fut suivi, dans la même année ou à peu près , de plusieurs autres dans la même lan- gue , qui sont , le Roman de Mélusine , le Livre de Sapience, le Roman de Fierabras le Géant, le Roman du noble roi Ponthus. Tous sont dus à cet Adam Steynschaber, imprimeur franconien, dont nous avons parlé plus haut. Le même donna, en 1480, quelques éditions latines, le Manipulus Curatorum, les Legendœ Sanctorum, qui sont des livres de dévotion usuelle. A cet impri- meur étranger, qui probablement avait assisté aux débuts del'im- monté d'une espèce de fleur à quatre feuilles, et dont la haste se ter- mine au bas en forme de fourche, comme dans les éditions de Munster en Argau. .)0 primerie en Allemagne, succède, comme à Lyon, un citoyen du pays, un Genevois qui fut peut-être son élève ou son associé, Loys ou Louis Cruse, qui s'appelle aussi lui-même Louis Guerbin,a/ias Guerbini, ou Garbin '. Le premier livre avec date de ce second imprimeur genevois est du 10 septembre 1481. Il est intitulé : Thomas de Aquino, de modo predicandi. C'est encore un livre de dévotion usuelle, en ce sens qu'il est destiné aux ecclésiastiques. Il leur enseigne les règles de l'art de prêcher et d'obtenir par leurs prédications des résultats édifiants. L'année d'après, 1482, nous voyons Louis Cruse, ou Louis Garbin, se mettre à impri- mer des romans ou des livres français, et, à part quelques ou- vrages de dévotion à l'usage des diocèses de Genève et de Lau- sanne, il ne produisit plus guère que de ceux-là. Nous sommes redevables a M. le docteur Chaponnière de ren- seignements très-précis sur la famille de cet imprimeur. Dans son savant Mémoire sur Vétat matériel de Genève, pendant la se- conde moitié du quinzième siècle -, il nous apprend que Maître Guerbin de la Cruse, le père de l'imprimeur probablement, était docteur en médecine et demeurait dans la rue de la Cité ou des Cordonniers {de Civitate seu Sutoriim), au coin de la rue de la Tour de Buel, à droite. C'est peut-être là que Maître Louis Guerbin, l'imprimeur, eut son atelier. Au reste, il imprima aussi hors de Genève; car, dès l'année d'après, 1482, nous voyons une édition du Doctrinal de Sapience \ le même ouvrage ' Voyez sa souscription, dont nous donnons le fae-simile d'après notre exemplaire de son édition de Thomas d'Aquin , de modo predi- candi. Planche I, n» . =■ Slémoires et documents de la Société d'Histoire et d'Archéologie de Genève. Tome 8. Genève 18b2. ' On pourrait croire, d'après le titre, que le Livre ou le Doctrinal de Sapience, dont trois éditions successives à douze ans de distance, à Genève et à Promenthoux , prouvent la popularité , est proprement un livre de morale très-sérieux. Ce n'est pas tout-à-fait cela, et on pourrait appeler ce livTC un Roman tout aussi bien que Mélusine ou 56 que le Livre de Sapieiice donné en 1478 par "^Steinschaber, imprimée à Promentour (Promontorium), aujourd'hui Promen- Fierabras, non-seulement à cause de la langue dans laquelle il est écrit, mais encore en raison de son contenu. L'auteur primitif est Guy de Roye, archevêque de Sens, qui le composa en latin, en 1388 ; mais il fut ensuite traduit en français par un religieux de l'ordre de Cluny dont on ignore le nom. Le Livre de Sapience est une explication du Pater, du Credo, du Décalogue et des Commandements de l'Église. Le but de l'auteur, comme il en avertit dès le commencement, est de fournir des matériaux aux Pasteurs pour instruire leur troupeau ; il a travaillé surtout, dit-il, pour les gens laïcs et aussi pour les simples Prestres qui n'entendent ni le latin, ni les escriplures. Pour rendre sensibles ses leçons, il les appuie de quantité d'exemples populaires, et c'est ce qui fait le carac- tère de son Livre. Ainsi, en expliquant le Pater, quand il en est au pain quotidien, après avoir parlé du pain corporel, il dit qu'il est aussi un pain spirituel, que nos pères spirituels doivent nous donner. « Les « Pères espirituels , dit-il , sont les Prelas et les Prestres qui nous (■ doibvent donner le Pain espirituel, c'est la Doctrine de la sainte es- « cripture, si comme Dieu les commande a levangile, mais las le Monde « est tout plain de Prestres, et il y en a peu qui veullent dire la parole « de Dieu ! Hélas que diront plusieurs Prestres au jour du jugement « qui ont prise l'ordre de Prestrise, et toutefois ils n'ont point de honte « de vivre desordonnément. Pour lesquieulx dit le Sage que les mau- « vais Prestres sont la ruyne du peuple pour les mauvais exemples « qu'ils leurs donnent. Tu ne les trouveras pas en leglise pour ensei- K gner le peuple mais pour recepvoir les offrandes. » Dans l'explication du Credo, l'auteur mêle quelques traits de Légende parmi les principaux articles de la religion. Décrivant la passion du Sauveur, il le représente arrivé au Calvaire : « Là, dit-il, fut le Roy « des Angels despouUie tout nud devant tout le peuple, couvert tant « seulement dung viel suayre environ les rains, et dient aucuns que ce « fut une pièce du mautel de sa doulce mère doulante qui y estoit « présente qu'elle couppa pour le couvrir et peult estre legierement « cru, et dient que en tous lieux où le crucifiement est paint de main « de bon maistre que le mantel de nostre Dame et le drap qui est en- « viron les rains de nostre Seigneur doibvent être d'une couleur. » 11 dit ensuite : « que la benoiste croix en quoi fut crucifié nostre Sei- « gneur fust de quatre bois, c'est assavoir de palme, de cèdre , de cy- n près et dolive. » Le Livre de Sapience s'étend beaucoup sur les vertus de la croix : 57 thoux, près de Nyon, dans le canton de Vaud actuel, mais dans l'ancien ressort épiscopal de l'évêché de Genève '. Celte Irans- « Saint Loys avoit de coutume que quand il passoit par dessus quelque « pont il disoit tousiours : surrexit domi7uts de sepulcro qui pro no- « bis pependis in ligna. Et disoit se le pont est de pierre je ne doubte « point à passer, car le sepulchre ou nostre Seigneur fut ensepveli « estoit de pierre, et se le pont est de bois je ne doubte point a pas- « ser, car la croix ou nostre Seigneur Jesu-Cbrist fut mis pour le cru- « cifier estoit de bois, et par ainsi il passoit sûrement. » L'efficace du signe de la croix vient à son tour. Un Chrétien doit toujours débuter par là en se mettant à table, et un jour il en prit mal à ime religieuse pour l'avoir oublié. « Une nonnain entra uneffois en son jardin et vit « une lettue et en eult voulente d'en mengier, et la cueillit tantost et la « menga sans faire le signe de la croix, et tantost elle fust prise du « Diable qui entra en elle et cheut a terre; ung saint homme qui « avait nom Acquin vint a elle et la conjura, et tantost le Diable « commença a crier et a dire : Que tay je fait, je me seoye ci sur cette « lettue, elle est venue et ma mors, et tantost par le commandement « du saint homme et par la vertu du signe de la croix le Diable s'en « alla et la laissa. » Voici comment l'auteur décrit le dernier jugement : « Il sera en la « vallée de Josaphat laquelle est entre Iherusalem et le mont dolivet... « Adonc toutes manières de gens tous entiers resusciteront sans faillir « un seul poil de la teste et tous vifs en corps et en âmes en tel eage « comme nostre Seigneur fut crucifié, c'est assavoir en leage de trente « et deux ans et trois mois, et jeunes et vieux enfaas mors nez tous « viendront au baptême. » Sur les dîmes, le Livre de Sapience nous apprend que « c'est péché « davarice de mal payer les dismes. Tu me pourres dire. Sire je ne « sçay pas bien de quoy je doys dismes ne comme je doy les payer, « je te dy que tu dois dismes de tes blés, de tes vins et de tes prez, « de tes courtils, lectages, fruis, bestes, oyseaulx, plumes, eulx, fours, « molins, marchandises et de tout le gain que tu fais en quelque ma- « nière que ce soit. Et dient les maistres en droit que les usuriers et « les folles femmes doibvent le disme de leur gain. » Sur V Excommunication : « Moult de gens simples ne doublent point « les sentences dexcommeniement et dient que leur pot n'en laisse ' Voyez la souscription du Doctrinal de Sapience, de Piomenlhoux, dont nous donnons le fac-similé d'après notre exemplaire. Plan- che l"", n" 0. 58 lalion de l'imprimerie de Louis Guerbin de Genève à Promeii- menthoux a donné lieu à toutes sortes de conjectures. Bien des bibliographes, fort savants du reste, ont été fort embarassés de savoir ce que c'était que cette localité de Promentour et où il « point a bouUir au feu. A Troyes en Champaigne eubt un evesque qui « excommenia le bailly de la cite, puis le absolut, et le convia a disner « avecques luy. Après disner Icvesque luy demanda s'il nestoit pas plus « aise que quant il estoit excommenie. Le bailly lui respondit que il « nen faisoit pas grant compte. Et tantost levesque pour luy montrer « son erreur fist apporter un pain blanc et fist nne roye parniy, puis « dist : Pain de l'auctorite de Dieu et de saint Pierre lapostre je te « excommenie par cy. Et tantost la moitié du pain devint noire comme (i charbon. Quant le bailly vit ce luy et toute la compagnie furent « moult esbahis. Adonc dit levesque au bailly : Certainement vous es- <( tiez ainsi noir quand vous esties en sentence. Et puis dist, de l'auc- « torite de Dieu et de saint Pierre je te absoux. Tantost le pain fut « tout blanc comme il estoit par avant. Or voys tu comment on doit « doubler la sentence d'excommeniement. » Terminons cette analyse du Livre ou Doctrinal de Sapience par le récit de la manière dont le supérieur d'un couvent fit comprendre à ses religieux le danger qu'il y avait d'employer une servante, quoique vieille : « Ung Abbe estoit aile en lointain pays, quant il revint « il trouva que ses moynes avoient mis pour deuiourer en labbaye « une bonne femme et bien vielle pour laver et nettoyer leurs choses, « et non pas pour pécher. Quant il en parla aux moynes ils luy res- « pondirent quelle nestoit pas suspicieuse. Labbe commanda au cuisi- « nier qu'il sallat fort toutes les viandes du soupper, et luy commanda « que après le soupper il fermast si bien tout que on ne peust trouver « a boire si non les laveures des escuelles. Advint quant les moynes « furent couchez il en y eust qui avaient si grant soif quils se levèrent « et queroient par labbaye a boire, mais ils ne trouvèrent rien que la « laveure des escuelles lesquels pour la grant soif quils avoient en « beurent tout leur saoul. Le matin labbe demanda que cestoit quil « avoit oy toute la nuit par l'abbaye. Les moynes luy disdrent que ce « avoient ete ils qui queroient a boire; mais ils ne peurent trouver « fors que la laveure des escuelles que ils avoient beu pour la très « grande soif que ils avoient. Labbe leur respondit et dist, que ce par « lardeur de la soif ils avoient ainsi beu celle eaue orde, aussi bien « par l'ardeur de la chair pourroient ils faire leurs voulentes de celle « vielle femme. Et par ainsi la femme sen alla de labbaye. » 59 Callail la placer. Avant d'émeltre notre avis là-dessus, nous de- vons dire quelque chose de l'exécution matérielle des livres sortis des presses des deux premiers imprimeurs genevois. — L'un et l'autre ont employé le format petit in-folio ou un in-quarto qui n'est quelquefois qu'un in-4° réduit. Leurs papiers présentent dans le filigrane l'empreinte d'une tête de veau ou de bœuf, ou bien le P gothique. Ces deux signes se reproduisent avec des va- riantes dans beaucoup d'anciens papiers. Le caractère dont s'est servi Steinschaber est un gothique d'une forme particulière et qui ne manque pas d'élégance. Il a beaucoup de rapport avec le caractère de la fameuse Bible de 1462, dite Bible Mazarine, ce produit si renommé de l'association de Jean Fust et de Pierre Schœffer. Dans les premières éditions d'Adam Steinschaber, il y a parfois un peu d'inégalité dans l'alignement des lettres, mais dans les dernières, et surtout dans le Manipulus Curatorum de 1480, on remarque une netteté et une assurance particulières. Au reste, l'aspect extérieur varie un peu suivant les exemplaires, bien que le tirage de Steinschaber soit généralement très-égal et dénote un pressier consommé. Le caractère gothique des pre- mières éditions de Louis Guerbin de la Gruse est beaucoup plus carré que celui de Steinschaber. Il n'est pas sans anologie, bien que plus petit, avec le caractère de la Bible non moins fameuse, dite de 42 lignes, de Guttenberg, ce rarissime et splendide mo- nument des débuts de l'imprimerie à Mayence. On voit que c'est ce caractère qui a servi de modèle au fondeur de Louis Guer- bin, comme le caractère de Fust et de Schœffer a guidé celui de Steinschaber. Les premières éditions de Loys Guerbin, sur- tout celle du Doctrinal de Promenthoux, laissent à désirer quant au tirage, qui indique, dans quelques feuilles, un ouvrier novice '. ' Nous ne pouvons en juger que d'après notre exemplaire, le livre (Hant tellement rare, que nous n'avons pu encore en rencontrer un second. 60 Adam Steinschaber, venu le premier, n'a pu employer aucun ornement typographique. Les grandes lettres capitales ou les initiales, dans ses éditions, sont tracées à la main et au pinceau, en couleur rouge. Louis Guerbin de laCruse, au contraire, montre, dès ses premières éditions, un véritable luxe et un goût réel dans ses accessoires. On pourra en juger d'après les fac- similé que nous avons joints à ce mémoire *. A partir de 1482, on ne trouve plus d'éditions de Louis Gar- bin, datées de Promentour. La seule que l'on connaisse est le Doctrinal de Sapience, qui porte ce millésime. Toutes ses éditions postérieures, assez nombreuses et qui se prolongent au moins jusqu'à 1509, sont datées de Genève, ce qui ne voudrait pas dire à la rigueur que cet imprimeur n'eût pas un atelier à Promen- tour. Dans le dix-septiéme siècle, nous avons l'exemple d'édi- tions d'Hermann Widerhold qui portent : « A Genève, dans l'Imprimerie de Dtiillier, » parce qu'en effet ce typographe avait son imprimerie au château de Duillier, près de Rolle, dans le pays de Vaud. Il serait facile de faire des conjectures sur les causes qui por- tèrent Louis Guerbin à s'établir momentanément à Promen- thoux, au pied de l'ancien château de Prangins, célèbre dans l'histoire de l'Helvétie romande. Il y avait dans cette localité une cure qui était à la collation de l'évêque de Genève (Permontouz, en 1 344 ; ad collationem Domini Episcopi Gebennensis.) et nous avons fait voir quel rapport intime a existé entre l'Église et certaines imprimeries primitives. Il se trouve encore à Pro- ' Voyez planche 1"', n" 6, et planche 2, n» 6. Le premier figure la grande initiale C, qui se trouve au folio a iiij du Doctrinal de Sapience. imprimé à Promenthoux en 1482. C'est le portrait en pied de Guy de Roye, archevêque de Sens, auteur de ce livre. Le second représente quatre lettres initiales appartenant à deux alphabets particuliers àLoys Garbin.etquel'on trouve entre autres dans les deux premières éditions que l'on connaît de lui, le Thomas d'Aquino, de modo predicandi, de Genève, 1481, et le Doctrinal, de Promenthoux, 1482. 61 nienlhoux, hameau dépendant de la commune de Frangins, un vieux bâliment qui porte le nom d'Abbaye de Promen- thoux. C'est du côté de l'emplacement de ce village que s'é- tendait la ville romaine de Nyon , l'antique colonie Equestre. D'après la fréquence des transactions où l'on voit ligurer ce nom dans les anciens actes, il paraîtrait que Promenthoux tut jadis plus considérable qu'aujourd'hui. On y a décou- vert récemment un ancien cimetière dans lequel étaient des tombes murées en très-grand nombre. La cause de l'établisse- ment momentané de Louis Garbin à Promenthoux pourrait être attribuée à la protection de l'évêque de Genève, comme aussi à l'économie, à la crainte d'une maladie contagieuse qui lui faisait quitter Genève, et à d'autres motifs particuliers que nous igno- rons. Quoiqu'il en soit, il imprimait encore à Genève trente ans après, en 1509, le Bréviaire Lausannais, aux frais de deux mar- chands de Lausanne. Nous donnerons ci-après la série de ses éditions. En même temps que lui, nous trouvons comme impri- meurs à Genève, dans le quinzième siècle, Jacques Arnollet (1490), que nous voyons plus tard établi à Lyon ; Jean Fabri (1481), de Langres, qui avait porté l'imprimerie et exercé cet art à Turin, de 1474 à 1483 ; Jean Belot, de Rouen ' (1498), qui avait imprimé précédemment à Lausanne (1493), et qui avait, à Genève , son imprimerie en face de l'église de Saint-Pierre (anle Sanctum Petrum). Au commencement du seizième siècle, Jacques Vivien (1517), Wigand Koln (1523), et plusieurs autres impriment successivement ou simultanément à Genève. M. Favre Bertrand a publié, sur les édifions genevoises du quinzième siècle, une savante notice dans les Mémoires de la < M. Brunet, à l'occasion du Missel de l'Eglise de Valence, le pre- mier Untc connu qu'ait produit la typographie de cette ville du Dati- phiné (U90), confond Jehan Belon, qui en est l'imprimeur, et «qui, dit-il, avait déjà exercé à Genève,» avec notre Jehan Belot. 62 Société d'Histoire et d'Archéologie de Genève '. Nous ne pouvons faire mieux, pour la partie de notre travail embrassant cette époque, que de suivre cet excellent guide, en complétant son intéressant mémoire par l'indication de quelques éditions de cette époque qui ont été retrouvées et décrites depuis sa publi- cation. M. Favre Bertrand s'étant arrêté en 1500, nous avons continué son œuvre sur le même plan jusque vers l'année 1535, époque où la Réformation imprima aux destinées religieuses, politiques et littéraires de Genève des tendances et des allures absolument nouvelles. Dès celte époque, il serait presque im- possible de donner la nomenclature complète de tous les produits des imprimeries genevoises. Cette ville alimentait de ses livres à peu près tout le monde protestant, et la typographie devint la grande industrie des Genevois, comme aujourd'hui l'horlogerie et la bijouterie. Pour les temps postérieurs à 1535, nous nous sommes donc borné à indiquer les traits généraux, les faits no- tables qui se rattachent à l'histoire littéraire de l'Europe et de la langue française en particulier. Plus nous nous sommes rap- proché des époques modernes, et plus nous avons été bref et concis, parce qu'alors les faits, encore récents, existent dans la mémoire de tout le monde. Cette partie de notre travail se trouve donc divisée ainsi : 1° Les livres imprimés à Genève dans le quinzième siècle, à dater de 1478; 2» Les livres imprimés dans la même ville au commencement du seizième siècle, jusqu'à l'établissement de la Réformation, en 1535; 3» L'Imprimerie genevoise au seizième siècle, à partir de la Réformation , et surtout depuis l'établissement des Estienne (1551); 4" L'Imprimerie genevoise au dix-septième siècle: 5» L'Imprimerie genevoise pendant le dix-huitième siècle; * Tome I^'. 63 6° Coup-d'œil sur l'Imprimerie à Genève, dans la première moitié du dix-neuvième siècle. Nous terminerons par un appendice sur les premières im- pressions de Lausanne au quinzième et au seizième siècles. I. LIVRES IMPRIMÉS A GENÈVE (eT A PROMENTHOUX ) AL QUINZIÈME SIÈCLE. 1499. LE LIVRE DES SALNTS ANGES. Ce livre, qui ne porte point de titre, commence au recto du premier feuillet par ces mots : « C'est le prologue de cest présent livre appelé le livre des Sains Anges , compilé par frère Francoys Eximines de l'or- dre des frères mineurs, a la requeste de Messire Pierre Dar- tès chevalier chambellan et raaistre d'hôtel du roi d'Arra- gon » La souscription suivante termine le volume : « Cy finist le livre des Sains Anges. Imprime a Genefve lan de grâce mil. cccc. Ixxviij. le xxiiij jour de mars. » (In-folio, — à longues lignes, — caract. goth. — 31 lignes à la page.) {Voir PL /, le fac-similé n" 1). LE ROMAN DE MÉLUSINE. Ce roman se trouve complet à la bibliothèque de Wolfenbu- tel, et on y lit à la fm : « Cy llnist le livre de Mélusine en francoys imprimé par maistre Adam Steynschaber natif de Suinfurl en la noble cité de Genève l'an de grâce mil cccc Ixxviij au mois doust. » (In-folio, — caract. golh. — fig. en bois.) 64 LE LIVRE DE SAPIENCE. On lit à la fin du volume : « Cy finist le livre de Sapience imprimé à Genève l'an mil quatre cens Ixxviij. le neufiesme jour du moix doctobre. » (In-folio, — à longues lignes, — caract. goth. — 31 lignes à la page.) (Voir PL 1 , le fac-shmle n° 2). Le prologue apprend le nom de l'auteur : « .... Et la fait trascrire révérend père en Dieu Monseigneur Guy de Roye parla miseracion divine Archevesque de Sens, pour le salut de son ame et des âmes de tout son peuple. » LE ROMAN DE FIERADRAS LE GÉANT. Le volume est terminé par la souscription : « Cy finist le romant de Fierabras le Géant imprimé à Çeneve lan dé grâce mil cccc Ixxviij. le xxviij^ jour de no- vembre. » (In-folio, — caract. goth. — à longues lignes, — 31 lignes à la page.) C'est la première édition de ce roman, qui dans le quinzième siècle a été plusieurs fois réimprimé à Lyon. L'auteur nous apprend, dans le prologue et la fin de son ou- vrage, qu'il l'a entrepris à la demande de Henri Bolomier, cha- noine de Lausanne, et qu'il a principalement traduit et extrait le premier et le troisième livre de son roman d'ung livre qui se dit le miroir historial, c'est-à-dire du fameux ouvrage de Vin- cent de Beauvais, et que pour le second livre il l'a tant seulle- ment i^eduit dung roman ancien en francois, et sans aultre infor- macion que de celhiy livre, il l'a réduit en prose. Au commence- ment du livre second, il annonce de nouveau qu'il en tire la matière dung roman fait a lancienne façon sans grant ordon- nance dont jai été insité a le réduire en prose par chapitres or- donnez. 65 La bibliothèque de Genève conserve un manuscrit qui contient exactement le même ouvrage. M. le marquis Costa de Beaure- gard, à Chambéry, en possède un aussi. L'auteur déclare, tout comme dans l'édition imprimée, qu'il a été excité à le composer par Henri Bolomier, et s'excuse de l'imperfection de son style en disant « qu'il est natif de Savoye en Vaux, » ce qui signifîe, comme le remarque Senebier, qu'il était du pays de Vaud, alors soumis au duc de Savoie. Le Roman de Fterabras le Géant peut être revendiqué par la Suisse romande comme le plus ancien monument de son histoire littéraire. Le plus ancien typographe de l'Angleterre, William Cax- ton, né vers 1412, qui était aussi auteur, a traduit en anglais l'extrait que l'auteur anonj-me de Lausanne ou du pays de Vaud avait fait en français du Miroir historial (Spéculum historiale) de Vincent de Beauvais, et de l'ancien Roman de Fier à bras d'A- Hxandre, écrit en rimes françaises. (Ce roman existe aussi en vers provençaux.) Caxton fit paraître le tout en Angleterre, en 1485, sous ce titre : « The life of Charles te great. » C'est un livre d'une extrême rareté. L'auteur du pays de Vaud dit, dans sa préface, que son ouvrage est « tout à l'honneur des François, et au proffit d'ung chacun, » et Caxton de même : « For the most part of tins book is made to the honour of the Frenchmen, and for profit of every man ' . » (Pour une autre édition genevoise du Roman de Fierabras. voyez plus bas les éditions sans date du quinzième siècle.) ' L'intérêt que présente, pour l'histoire littéraire de la Suisse ro- mande, le Roman en question, nous engage à transcrire textuellement quelques passages du premier et du dernier chapitres, où l'auteur parle de lui et de la composition de son livre : « Souventefois j'ai été e\ité de la part de vénérable homme, messire Henri Bolomier, chanoine de Lausanne, pour réduire à son plaisir au- cimes histoires , tant en latin comme en romant , et en aultre façon escripte, c'est assavoir de celuy très-puissant, virtueux et noble Charles le'^rant.roy de France et empereur de Romme, filz du grant roy Pe- '■^^''' 3 66 1479. LE NOUBLE ROY PONTHUS. Au recto du dernier feuillet : Explicit Ponthiis. Après ce titre, vient la table : « Cy commencent les rubrices de ce présent livre intitulé le Rommant du noble roy Ponthus fils du roi de Galice et de la belle Sidoine fille du roi de Bretaigne, » Cette table occupe le premier feuillet et le recto du second. Le volume, in-4», est imprimé à longues lignes, au nombre de 31 par pages, sans chiffres, signatures ni réclames. Il a 70 pin, et de ses princes et barons, comme Rollant, Olivier et aultres Et pour ce que le dit Henry Bolomier a vu ceste matière desjointe, sans grant ordonnance, à sa requeste, selon la capacité de mon petit entendement, et selon la matière que je en ai pu trouver, j'ay ordonné cestuy livre, et peut-être que, si je feusse informé à plain, je eusse mieulx fait, car je n'ay intention de déduire matière que je n'en soye informé premièrement Le premier et le tiers livres, je les ay prins et extraits d'ung livre qui se dit Miroir historial, pour la plus grant partie, et le second livre j'ay tant seulement réduit d'un rommant an- cien en françois, et sans aultre information que de celluy livre je l'ay réduit en prose substanciallement sans faillir par ordonnance de cha- pitres et parties du livre selon la matière en celluy contenue. Et se aulcunement en tout cestuy livre j'ay mespris ou parlé aultrement que bon langage substancieulx, plain de bon entendement à tous facteurs et clercs, j'en demande correction et amendement, et des fautes par- don; car se la plume a mal escript, le cuer ne pensoit que bien dire : Et aussi mon sens et entendement, qui est bien petit, ne porte pas de déduire telle matière sans errer » Henri Bolomier, qui encouragea l'anonyme vaudois à arranger le Jïo- man de Fierabras, était l'un des principaux dignitaires de l'évêcLé de Lausanne, et frère de Guillaume Bolomier, chancelier de Savoie, qui fut condamné, en 144-6, pour crime politique, et noyé dans le lac de Genève. Ce roman fut donc composé vers le milieu du quinzième siècle, d'après les sources que nous avons indiquées. Le poème de Fierabras, en langue provençale, a été publié par Bekker, en 1839, dans les Mé- moires de l'Académie de Berlin, et aussi à part (Der Roman von Fie- rabras provenzalisch). Le poème provençal est composé de 3084 vers rie douze pieds, disposés en tirades monorimes. 67 feuillets, y compris le premier qui doit être blanc, et qui manque dans le seul exemplaire connu, parce qu'il a été enlevé en re- liant le volume, comme c'est malheureusement l'usage de quel- ques relieurs maladroits. Les caractères avec lesquels cette édi- tion est imprimée étant ceux du Fier à bras, de la Mélusiney du Livre de Sapience et du Livre des Saints Anges, imprimés par Adam Steinschaber, à Genève, en 1478, et du Manipulas Cura- torum, donné par le même imprimeur en 1480, nous l'avons placé entre ces deux années, un peu arbitrairement sans doute, mais comme devant servir de transition entre les éditions de 4478 et de 1480, qui appartiennent authentiquement à Steins- chaber. II n'est pas probable qu'il soit resté oisif dans l'année intermédiaire 1479. Au reste, cela importe fort peu. L'essentiel est que cette édition soit très-antique, genevoise et rarissime. Or, elle réunit ces trois caractères. Le seul exemplaire que l'on connaisse est dans la bibliothèque de M. Yemeniz, célèbre ama- teur de Lyon. Il provient de la vente des livres de Louis-Phi- lippe, où il fui vendu, sous le n" 1311, fr, 1,765, avec une autre édition genevoise {Apollin de Tyr), que nous décrirons plus bas avec les éditions genevoises sans date , du quinzième siècle. L'édition genevoise de Ponlhus est très-probablement la pre- mière, comme celle de Fierabras. La seconde a été imprimée à Lyon, vers 1480, avec les caractères du Boèce de Consolation de Guillaume le Roy. Il y en a plusieurs autres. Nous avons cherché à suivre les destinées de cet exemplaire du Nouble Roy Ponlhus, de l'édition princeps et genevoise, en remontant vers le passé. Nous l'avons trouvé dans le Catalogue de la bibliothèque du château de Rambouillet , appartenant au comte de Toulouse, sous le n» 30, G, romans de chevalerie (page 226 de ce catalogue rédigé par Gabriel Martin, et imprimé à Paris en 1726, S") C'est bien le même exemplaire, puisqu'il est déjà relié avec V Apollin de Tyr, aussi édition genevoise. Il avait été acquis, en 1725, pour la bibliothèque du château de 68 Rambouillet, à la vente de celledeCisternay DuFay {BMotheca Fayana), amateur célèbre du dix-huilième siècle. Il est porté, dans le Catalogue de Du Fay (rédigé aussi par Gabriel Martin, et imprimé en 1725), sous le n° 2366, toujours relié avec YA- pollin de Tijr ; les deux ensemble furent achetés 20 fr. 10 sous, pour la bibliothèque de Rambouillet. Celle-ci ayant passé par héritage à la famille d'Orléans, le roi Louis- Philippe devint, avec le temps, propriétaire de ce livre ', qui porte les armes du comte de Toulouse. ' Le fond du roman de Ponthus est assez simple. « Il était fils de Ti- bour, roi de Galice, qui fut tué par Broadas, fils du Soudan de Baby- lone, lequel avait débarqué au port de la Corogne et conquis la Galice. Le jeune Ponthus ayant échappé à ce désastre avec quelques jeunes gens ses compagnons, se présenta avec eux, sans se faire connaître, à Broadas, qui les reçut à sa cour, dans l'espérance qu'ils se converti- raient à l'Islamisme. Ponthus et ses amis résistèrent deux mois à toutes les suggestions, et parvinrent à se sauver dans une barque qui alla se bri- ser sur les côtes de Bretagne. Herlaut, sénéchal de la cour de Rennes, les recueillit et les conduisit au roi son maître. » Le roi de Bretagne tenait alors à Rennes sa cour plénière. Il avait une fille d'une rare beauté, la princesse Sidoine, qui ne put voir Pon- thus avec indifférence. De son côté, le prince de Galice s'enflamma pour elle de l'amour le plus violent, mais le plus respectueux. Un jour, la princesse de Bretagne fit prier Ponthus de passer dans son apparte- ment. Il s'y rendit avec un air timide et embarrassé. Sidoine, pour l'enhardir, « le print par la main et le cuida faire seoir emprès elle sur un carreau. — Madame, dit le jouvenceau, ne est pas raison de me seoir emprès votre siège. — Pourquoy, reprint la pucelle? N'êtes- vous pas fils de Roy comme je suis? — Adoncques grande différence ci-gît, car êtes vous issue d'un Roy puissant et séant sur son trône, et moi d'un Roy deshérité, et si n'ay rien fors les bienfaits de Monseigneur votre père. — Que fait, dit la pucelle? Ores voye-je pas ce que valiez et que aurez autant de biens et d'honneur qu'oncques vostre père en eût, et priez Dieu qu'il vous les octroie. » Ces douces paroles rassurèrent le prince de Galice, qui osa supplier Sidoine d'agréer ses services. Ils prononcèrent involontairement à l'u- nisson le mot je vous aime, et dès-lors Ponthus brilla dans tous les exercices comme le chevalier de la princesse. « Oncqiies dans aucune cour ne se voyait si beau couple. Toutes les Dames et gentes pucelles 69 1480. Liber qui MANIPULUS CURATORUM dicilur in quo per necessaria officia eorum quibus animarum cura commissa est brevitcr pertraclantur. On lit à la fin de l'ouvrage (in-quar(o de 238 feuillets) : « Doctissimi viri Domini Gnidonis de monte rocheriiliberqui Manipulus Curatorum inscribilur : finit féliciter. Impressus in civitate Geben : per magistrum Adam Steynschauwer deSchuin- fordia. Anne Domini millesimo quadringentesimooctuagesimo. die vero vicesima nona mensis marcii. » (Voyez le fac-similé, planche 1 , n" 3.) L'auteur de cet ouvrage est appelé Guy de Montrocher, de monte Rochen, de Montrottier, et enfin du mont du rocher. LEGENDiE SANCTROUM quas coUegit frater Jacobus Januensis. Ce litre se trouve en tête du prologue, et au commencement de l'ouvrage on lit : disoient : « que bienheureuse seroit la Dame qui si bel ami auroit que Ponthus ; et Sidoine n'osoit rien répondre, sinon : Beau est sans doute, mais vertu, couraige et lidélité se connaissent avec le temps. » Cependant, un fils du Soudan de Babylone, frère de Broadas, nommé Carados, ayant jeté l'ancre dans le port de Brest, vint déclarer la guerre au roi de Bretagne. Celui-ci frémit d'indignation quand il entendit le défi de l'ambassadeur de l'infidèle, qui venait le sommer de se faire musulman. Mais Ponthus, quoiViue simple varlet, sans proférer une pa- role jeta son gant devant l'insolent député, qui le releva avec dédain. Ponthus ayant reçu l'accolade du roi de Bretagne, et Sidoine lui ayant ceint l'écharpe, le combat singulier s'engagea. Ponthus coupa la tète au Sarrazin, alla combattre Carados, le vainquit, fut nommé connétable de la Petite-Bretagne, et, après une multitude d'aventures, épousa la belle Sidoine. Le vieux roi de Bretagne leur remit le soin du gouver- nement. Ils eurent deux fils, dont l'un fut roi de Galice, et le second la tige des rois et ducs de Bretagne. 70 « Legenda Sanctorum que Lombardicanominalurhystoria; » et à la fin : « Anno Domini M. cccc. Ixxx. die vero xv mensis octobris per magistrum Adam Steynschaber de Schuinfordia magna cura diligentia impressum majorique correctum in florentissima Ge- benensi civitate. Reverendissimo ac illustrissimo domino dompno Joanne Ludovico de Sabaudia féliciter supra dictas civitatis epis- copatum gubernante. » (In-folio, — caract. golh. — à 2 col. — sans signatures.) 1481. Thomas de Aquino , TRACTATULUS DE ARTE ET VERO MODO PREDICANDI. A la fin : « Explicit traclatulus famosissimus de arte et vero modo pre- dicandi. In civitate Gebennensi impressus per M. Ludovicum Cruse alias Garbini. Anno Domini M. cccc. Ixxxi. die x sept. » (Voir, planche 1 , le fac-similé n° 4.) Édition in-folio gothique, à longues lignes, 31 à la page; onze feuillets soit 22 pages, sans chiffres, réclames ni signatures. C'est la première édition de Louis Guerbin de la Cruse avec date. Il pourrait se faire aussi que ce fut son début dans la typographie , car le caractère , dont on verra un spécimen dans la signature (PI. 1, n° 4), paraît absolument neuf. Dans notre exemplaire, l'édition est exécutée avec un soin tout particulier et dénote en quelque sorte l'intention de produire ce qu'on appelait du temps des maîtrises et des jurandes, un chef-d'œuvre. On trouve dans ce livre des grandes capitales appartenant à deux alphabets ornés, gravés en taille de bois , et qui appartiennent exclusivement à Louis Guerbin (Voir pi. 2, n" 6). Les initiales L G (gothiques) sont intercalées dans les lettres de l'un de ces alphabets. Jj'ouvrage est divisé en chapitres : Definitio predicationis ; 74 ViTiA SERMONUM ul Ignoranlio predicantis , Infocundia , uimia Clamositas , Somnolenta locutio , digitorum demonstratio , capitis jactatio, digressio remonta; Comparatio Sehmoxis et Arboris REALis , etc. 1482. HISTOIRE D'OLIVIER DE CASTILLE ET D'ARTUS D'AL- GARBE ET DE HELLEYNE FILLE AU ROI D'ANGLETERRE ET DE HENRI FILS D'OLIVIER QUI GRANDS FAITS D'ARMES FIRENT EN LEUR TE.MS. A la fin : c Imprimé à Genefve lan mil cccc. Ixxxij. le iij jour de juing. f> (Sans nom d'imprimeur, — avec des signatures, — in-folio,— 67 feuillets.) LE DOCTRINAL DE SAPIENCE par Guy de Roye. Imprimé à Promentour par maistre Loys Guerbin. M. cccc. Ixxxij. le ij jour d'août. Deo gratias. Amen. (In-folio, — caract. goth.) Le même ouvrage que le Livre de Sapience, de 1478. (Voyez planche I , fac-similé 5.) Notre exemplaire du Doctrinal de Sapience compte 10-i feuil- lets, y compris le premier, qui est blanc, avec des signatures depuis a ij jusqu'à m iiij. La date se trouve au dernier feuillet. L'édition est à longues lignes, à 31 par pages. C'est par erreur queM.Brunet dit, d'après une fausse indication, que les majus- cules sont les mêmes que celles du Manipulus Curaiorum de Ge- nève, 1480. On y remarque la différence que nous avons signa- lée entre les caractères des deux premiers imprimeurs de Genève, Adam Steinschaber et Loys Garbin. Dans le Doctrinal de Pro- menthoux, toutes les grandes lettres initiales sont tracées à la main, au pinceau, en couleur rouge, à l'exception du premier C de la préface, qui est gravé sur bois, avec les initiales L, G. 72 liées ensemble dans l'intérieur de la lettre, et du grand G ma- juscule qui commence l'ouvrage (folio a iiij), lequel représente l'archevêque de Sens, Guy de Roye, auteur du livre. (Voir le fac-similé qui accompagne ce mémoire, pi. 1, n° 6.) Nous ferons observer ici que la plupart des premières éditions de Louis Garbin commencent par un feuillet blanc, sans aucun litre imprimé. Ce feuillet ayant été souvent retranché par les relieurs, plusieurs bibliophiles, en voyant que le livre commen- çait au feuillet a ii, en ont conclu que le titre manquait. C'est seulement un feuillet blanc qui manque, lacune regrettable, mais moins cependant que celle d'un titre imprimé ou portant une gravure sur bois, 1483. LE ROMAN DES SEPT SAGES DE ROME. Genève, 1483, In-folio. Le Roman des Sept Sages est le livre qui a été le plus sou- vent imprimé à Genève dans le quinzième siècle. Depuis 1483 à 1494 on y en aurait fait quatre éditions, en 1483, 90, 92 et 94. LE ROMAN DE FIERABRAS, Genève, Loys Garbin, 1483. (In-folio, — caract. goth.) Edition indiquée dans le grand catalogue des livres du roi d'Angleterre, vol. III, page 41. — Brunet. (Voir plus bas aux livres sans date du quinzième siècle.) 1487. VOCABULAIRE LATIN-FRANÇOIS. Au verso du dernier feuillet : a Le présent vocabulaire fut achevé le xv^ jour de juin mil quatre cens quatre vingfz et sept pour maistre Loys Garbin imprimeur demeurant à Genève. Pe- tit in-4° goth. de 114 ff. non chiffrés, à deux colonnes de 39 lignes, sig. a-p iiii. Ce vocabulaire, inconnu aux bibliographes avant que Brunet l'eût signalé dans sa dernière édition du Manuel du Libraire (1843), est le plus ancien dictionnaire latin et français que l'on ait pu découvrir. L'exemplaire de la bibliothèque de Sainte-Ge- neviève, à Paris, d'après lequel Brunet a décrit ce livre, n'a que 113 feuillets, par la raison que nous avons donnée plus haut (art. Doctrinal de Sapience, 1482). Le premier, qui était blanc, a été retranché par le relieur, comme inutile. Le deuxième, marqué a ij, commence ainsi : la premiè- re lettre de abc. A^ 1488-89. LA DANCE DES AVEUGLES. (Par Pierre MichauU, auteur du Doctrinal du temps présent ou Doctrinal de Court.) L'édition de Lyon, vers 1483, passait pour la plus ancienne de ce singulier ouvrage, quand Delandine en a indiqué une, dans le catalogue de la Bibliothèque de Lyon, (Belles lettres n° 2603) comme imprimée à Genève sans date ni nom d'impri- « meur, petit in-4'' sans chiiTres , réclames ni signatures , avec X des caractères, dit Delandine semblables à ceux de Loys Cruse « qui publia en 1479 le Bréviaire de Genève et aus^ à ceux du « livre des Bonnes Mœurs sorti des mêmes presses vers 1490. On y « voit la figure de l'aveugle et trois autres figures en bois. Nous n'avons pas vu cette édition , et nous ne demandons pas mieux que de l'inscrire sous le nom de Louis Garbin de la Cruse, bien qu'il y ait lieu quelquefois de se défier des assertions de Delandine , bibliographe trop peu exact. C'est ainsi qu'il avance à tort que notre Loys Cruse publia en 1479 le Bréviaire de Genève. On n'a ni bréviaire ni édition quelconque de Genève 74 sous cette date. Ce qui pourrait corroborer l'attribution à Loys Cruse de cette antique et primitive édition de la Danse aux aveu- gles, c'est l'indication donnée par Mercier de Saint-Léger d'un exemplaire qui se trouvait relié avec le livre des Bonnes mœurs, imprimé à Genève sans date par Loys Cruse ( voyez ci-après. ) Pierre Michault, auteur de la Danse aux aveugles et du Doc- trinal de Court (voyez à l'année 1522) était Franc-Comtois, attaché au Comte de Charolois, qui fut ensuite le Duc Charles le Téméraire. On l'appelait Michault le Rhétoricien. La Danse des aveugles ou plutôt aux aveugles est un drame satyrique en prose et en vers dont les personnages sont la For- tune, V Amour et la Mort , trois aveugles, Devant qui chacun doit danser. LoïseLabbé, la fameuse poétesse de Lyon, a rendu la même idée dans son conte d'AtroposetCupido. Son Débat de Folie et d'Amour, d'où La Fontaine a tiré une de ses fables, a aussi quelque analogie avec la donnée de Pierre Michault. On croit que cet auteur ne fut pas étranger à la composition des cent nouvelles nouvelles attribuées à Louis XL LE LIVRE DES BONNES MŒURS , fait et composé par frère Jacques Legrant de l'ordre Saint-Augustin. La première édition est de Lyon , 1478 , par Pierre Le Rouge. L'abbé Mercier de Saint-Léger , continuateur de l'Histoire de rimprimerie de Prosper Marchand, bibliographe aussi savant qu'exact, cite une édition du livre des Bonnes Mœurs imprimée à Genève par Loys Cruse avant 1490 in-4» sans date. Elle se trouvait , dit-il , reliée avec la Dance aux aveugles. Si cette indi- cation est exacte , elle servirait à corroborer le dire de Delan- dine au sujet de l'édition de la Dance aux aveugles qu'il attribue à Loys Cruse. Il n'y a rien d'improbable à ce que cet imprimeur ait fait l'une et l'autre édition de ces deux livres. Mais nous ne 75 pouvons rien affirmer de plus précis, n'ayant vu ni l'une ni l'autre. 1490. PASSIONALE CHRISTI, Genevae, Jacobus Arnollet, 1490, cum figuris. LES SEPT SAGES DE ROME. — Traduit du latin. Genève, Jacques Arnollet, 1490. (In-folio.) Ces deux derniers ouvrages sont les seuls que J. Arnollet ait imprimés à Genève. Il travailla à Lyon en 1495 et en 1503. 1491. MISSALE AD USUM GEBENNENSIS DYOCESIS. Per Johannera Fabri, 1491, in-fol. golh. (très-gros caractères.) Après le calendrier on trouve un feuillet dont un côté pré- sente une grande vignette. Le Missel commence par ces mots : « In nomine sancte et individue trinitatis. ptris et filii etspi- ritus sancti incipit ordo missalis scdm usas cathedralis dyocesis Gebenn. » A la fin du 261 « feuillet : « Missale ad usum Gebenn. dyocesis per magistrum Fabri impressum etaccuratissime emendatum ad opus honorabil : viri Johanis de Stalle Burgen : Gebenn : explicit felicit : Anno Dni. Millésime quadringentesimo nonagesimo primo, die ultima men- sis Mail. » 1492. LE LIVRE DES SEPT SAGES DE ROME. A la fin : a Sy finist le présent livre des Sept Sages de Rome Imprimé à Genève l'an M. cccc. Ixxxxij. le xxij jour de may. Deo gras. » 76 1493. CONSTITUTIONES SYNODALES DIOECESIS GEBENNENSIS, editse in Sancto Synodo anno M. cccc. Ixxxxiij, diebus vij, viij et viiij mensis Mail. Genevae, 4493. in-4. Le livre commence par un paragraphe : De vitâ et honestate clericorum : « Item cum clerici qui ex eo potissime quod in domini sor- «. tem sunt electi honestate debent perfulgere polior, etc. » Le caractère est gothique, avec quelques capitales gravées sur bois. STATUTA ECCLESI^E GEBENNENSIS. Sans date, mais peut-être de la même année que les Cons- titutions synodales. Ce livre, comme le précédent, commence par un paragraphe : De vitâ et honestate clericorum, mais avec quelques variantes : « Licet clerici qui ex eo in Domini sortem sunt electi hones- « tate debeant perfulgere polior, etc. » Les lettres capitales gravées sur bois sont plus petites que daiisles Constitutions synodales. La fin manque dans l'exemplaire de la bibliothèque de Genève, de sorte que ce n'est que par sup- position que l'on peut rapporter celle édition à l'année 1493. Les caractères gothiques sont plus gros que ceux des Constitu- tions synodales. Au reste, c'est à peu près le même ouvrage ; seulement les articles sont disposés dans un autre ordre. LE DOCTRINAL DE SAPIENCE, très-utile à toute personne pour le salut de son âme. Imprimé à Genève l'an de grâce M. cccc. Ixxxxiij, le viij jour de novembre. In-folio. 77 1494. LES SEPT SAGES DE ROME. - Genève, U94. (In-folio, — car. goth. — fig. en bois.) A la fin : a Cy finist le présent livre des Sept Sages de Rome. Imprimé à Genève en l'an M. cccc. xciiij. le xxi jour de juillet. 1495. LES FLEURS ET LES MANIÈRES DES TEMPS PASSÉS ET DES FAITS MERVEILLEUX DE DIEU, tant en l'ancien Tes- tament comme au nouveau et des premiers seigneurs, princes et gouverneurs temporels en ceslui monde. Translatées de la- lin en françoys par maistre Pierre Farget, docteur en théo- logie, de l'ordre des Augustins du couvent de Lyon, l'an M. cccc. Ixxxxiij. — Genève. M. Loys. Cruse. mil cccc. Ixxxxv. le xxviij avril. (In-folio, — car. goth. — fig. en bois.) FASGICULUS TEMPORUM en françoys. « C'est le Fardelet hystorial contenant en brief quasi toutes les hystoires tant de l'ancien Testament que du nouveau et gé- néralement tous les merveilleux faits dignes de mémoire qui ont esté depuis la Création jusques à cestui an mil. cccc. Ixxxxv. (In-fol. min. — caract. goth. — fig. en bois.) A la fin du volume et après une table en trois colonnes oc- cupant cinq feuillets, on lit la souscription suivante : « Imprimé à Genefve l'an mille, cccc. xcv. au quel an fist si très grat vent le ix^ jour de javier quil fist remonter le rosne dedans le lac bien ung quart de lieue audessus de Genefve et sem- bloit estre une montagne deaux et dura bie lespace dune heure que leaue ne pouvoit descendre. » 78 1497. LE KALENDRIER DES BERGIERS. Ensuyt ce que contient le présent Kalendrier des Bergiers. Premièrement est le pro- logue de lacteiir qui a rédigé ce dit livre par escript. Après est autre prologue du grand bergier. Le Kalendrier des festes de lan auquel sont signes les heures et minutes des nouvelles lunes, etc., etc, Au verso du dernier feuillet : « Cy fine le grand compost et Kalendrier des Bergiers Imprimé à Genesue. » Petit in-folio golh. de 86 ff. non chiffrés, avec figures sur bois. A côté de la souscription se trouve la marque de Jean Bellot, avec ses initiales L B., surmontées d'un R (Rouen). Cet imprimeur, ori- ginaire de Rouen, imprima à Lausanne, en 1493, le Missel à l'usage du diocèse de Lausanne. (Voyez, à la fin de ce travail, l'appendice sur l'imprimerie à Lausanne aux quinzième et sei- zième siècles.) l\ imprima à Genève, en 1498, le Missel gene- vois. (Voyez ci-après) Ce qui fait reporter à l'année 1497 la date de l'impression de l'almanach si curieux et si populaire connu sous le nom de Com- post et Kalendrier des BergierSy c'est qu'elle se trouve indiquée au verso du dix-neuvième feuillet avant la fin, de la manière suivante : « Cy dessoubs est noté l'an que ce présent compost a été fait et corrigé. L'an mil quatre cens quatre vingtz et xvii. est l'an que ce présent Kalendrier a été fait en impression. » 1498. MISSALE AD USUM GEBENNENSEM. — Gebeunis, 1498, in-folio. On lit à la fin, avec la marque de Jean Belot (L B.) : In Geben. civitate impressum, minime require tali folio one- 1 79 ralum sed solerti industria correctu et emendatum eu additione pluriu novor officiorum. Anno Domini M. cccc. nonagesimo oc- tavo. Die vero qntamensis februarii. 1500. LE KALENDRIER DES BERGIERS, etc. In-folio de 89 feuillets, à 41 lignes par page. On lit à la fin : « Imprimé à Genesve Mil V. C. » (1500), avec la marque et les initiales de Jean Belot, de Rouen, I. B., sur- montées d'un R. Ces éditions genevoises de Talmanach populaire, connu sous le nom de Kalendrier des Bergiers, sont des premières et des plus précieuses. On n'en connait que trois antérieures, dont deux de Paris (1493 et 1497). Ce livre est très-curieux pour le texte et pour les figures. On y trouve des pièces de poésie, comme les ditz des oiseaux, et YOraison de Noslre Dame (par Pierre de Nes- son) commençant : La lettre finit par des recommandations et des exhortations à l'union. L'ambassadeur demande une réponse, afin qu'il puisse la soumettre au roi. Nous trouvons, dans les registres du Conseil de Genève pour l'année 1534 la mention suivante de celte lettre : « On a reçu des lettres de M. de Baux-Rigaud, louchant un livre intitulé la Confession de maître Noël Beda. On lui répond que nous ne con- naissons pas l'imprimeur. » On voit, par ce document qu'en 1534 il existait à Neuchàlel une imprimerie qui fonctionnait avec une certaine activité. Outre la grande entreprise de la Bible française d'Olivetan, qui parut à Neuchàlel, en un volume in-folio, le iv^ jour de juin 1535 , cet atelier typographique, qui était celui de Pierre de Wingle, dit Pirol Picard, qui se dit (à la fin de l'interprétation des mots hébreux) bourgeois de Neuchàlel', mil au jour diverses produc- ' Jean de Wingle imprimait à Lyon, en 149b et 1497, deux éditions gothiques du roman populaire des Quatre fit: Aymon. 92 lions. Cette première et rare édition de la Bible entière fut pré- cédée, entre autres, d'une édilion aussi in-folio du Nouveau Tes- tament en français, dont un exemplaire est conservé dans la Bibliothèque de la ville de Nenchàtel. On attribue aussi à Pierre de Wingle un certain nombre d'opuscules de controverse reli- gieuse et de pamphlets réformateurs. Mais, comme il ne mettait pas son nom à ces sortes de productions, on ne pouvait les don- ner à la première imprimerie de Neuchâtel qu'en raison de la conformité des types ou des caractère d'impression, ce qui est souvent un indice trompeur. En effet, la grande fabrique et la fonderie principale de tous les caractères gothiques, encore gé- néralement employés alors, était la ville de Lyon.. C'est de ce grand centre typographique que la plupart des imprimeurs de la France orientale et méridionale, de la Savoie et de la Suisse française tiraient leurs caractères. Dès lors, les livres imprimés dans ces contrées, sans nom d'imprimeur et sans lieu d'impres- sion, peuvent souvent se ressembler. La lettre de l'ambassadeur du roi de France en Suisse , adressée au gouvernement de Genève pour se plaindre des pro- duits de la presse Neuchâteloise , sert à corroborer ce qu'on savait déjà de l'existence de cette typographie, antérieurement à l'année 1535, et ce qu'on supposait sur le genre de livres que mettait au jour Pierre de Wingle. Cet imprimeur appar- tenait à une famille originaire d'Allemagne, bien connue dans la typographie, et qui avait été établie à la fin du XY^ et au commen- cement du XV1« siècles en Picardie et à Lyon. Avant de se fixer à Neuchâtel où il fut reçu bourgeois par la protection de Farel , Pierre de Wingle, plus connu sous le nom de Pirot ou Perrot Picard , avait voulu s'établir à Genève. Mais on sait que le permis d'imprimer certains livres de controverse lui fut refusé, parce que le gouvernement Genevois , qui était encore sous la double influence Savoisienne ducale et épiscopale, craignait de s'attirer 1 à 93 des embarras par la présence dans son ressort d'un imprimeur auxiliaire de la réforme. On lit dans les registres du Conseil de Genève, (séance du 13 mars 4533) : « On permet â Pierre de Wingle, libraire, d'impri- mer la Bible conformément à celle qui a été imprimée à An- vers, sans y ajouter ni retrancher, et on lui refusela permission d'imprimer un livre de Farel intitulé VUnion. » La Bible, traduite par Le Fèvre d'Etaples, avait été imprimée à Anvers en 1530 (in-folio, goth.). Mais celte traduction, bien que censurée par le parlement de Paris, est cependant une version catholique de la Bible. On comprend donc qu'il ne pou- vait convenir à Calvin et à Olivelan de reproduire ce travail sans y rien changer. De là l'obligation où ils se trouvèrent d'établir à Neufchâtel, où le mouvement de la réforme était le plus avancé, l'imprimerie de Pierre de Wingle. Ils avaient là plus de liberté et pouvaient imprimer autre chose que la Bible. Quant à maître Noël Beda, que l'agent de François P'' en Suisse prend sous sa protection, on sait qu'il était docteur en Théologie à Paris et syndic de sa faculté vers 1520; qu'il pour- suivit les écrits de plusieurs auteurs comme suspects d'hérésie, entre autres ceux de Lefèvre d'Etaples, et d'Erasme , et qu'il s'attaqua même, mais en vain, au Miroir de l'âme pécheresse de la reine de Navarre. D'un esprit inquiet et turbulent il finit par se brouiller avec le gouvernement de François I", auquel il re- prochait son alliance avec Henri VIII, roi d'Angleterre, qui avait rompu avec Rome. En 1533 il était encore en faveur au- près du monarque français, sa disgrâce n'ayant eu lieu qu'en 1534 lors de l'affaire du divorce d'Henri VIII et de Cathe- rine d'Aragon, contre lequel Bède se prononça avec véhé- mence. La Confession de foi de maître Noël Beda en français est rangée par les bibliographes et par la Bibliographie universelle parmi les ouvrages qui appartiennent réellement à cet auteur. 94 On voit que c'était un pamphlet qu'un auteur réformé avait mis sur le compte de ce fougueux adversaire de la ré- forme. Les imprimeurs du commencement du 16« siècle à Genève sont en partie les mêmes que ceux de la fin du 15% et en partie nouveaux. Louis Garbin imprime au moins jusqu'à 1509 et Jean Belot jusqu'à 1512. Alors celui-ci est remplacé par Jacques Vivien, aussi citoyen de Genève. Un peu plus tard viennent Wygand Kôln qui se dit originaire de la Franconie comme Steinschaber (ex Francia orientali ), et Gabriel Pomard , d'ori- gine espagnole et qui paraît avoir été aussi auteur ou éditeur. Le nom de Wygand Kôln figure à la fin d'ouvrages favorables à la réforme, et il imprime même pour le gouvernement installé à Genève après 1535. Gabriel Pomard au contraire, comme nous le verrons dans la période suivante, se retira à Annecy parce que son commerce de livres d'église catholique fut ruiné à Genève par l'abolition de la Messe. Il n'est plus question d'Adam Steinschaber après 1480, ni de Jean Fabri après 1491. Le premier avait été contemporain et peut-être le compagnon ou l'élève des inventeurs de la typogra- phie. Le second ne fut établi à Genève que très-peu de temps. Il existait peut-être aussi à Genève, à l'époque dont nous al- lons parler une imprimerie anonyme. Les caractères continuent d'être exclusivement gothiques. La variété des formats augmente. L'in-folio à 31 lignes à la page, qui paraît presque exclusive- ment dans les premières éditions genevoises du quinzième siècle, disparaît ou à peu près. 1503. BREVIARIUM AD USUM LAUSANENSEM. Genève M. ccccciii. Jehan Belot. La môme année, ou l'année d'après, 1504, il parut du même 95 Bréviaire Lausannais une autre édition sans nom d'imprimeur. Lausanne n'ayant plus d'imprimerie depuis que Jean Belot, établi temporairement dans celte ville en 1493 pour l'impres- sion du Missel Lausannais, était venu se fixer à Genève, faisait imprimer les livres d'église à l'usage du diocèse, à Genève. Au reste, comme le diocèse de Lausanne était très-vaste, puisqu'il comprenait les territoires de Neuchâtel et de Berne , on impri- mait aussi dans d'autres villes des livres d'église adusnm Lau- sanensetn. C'est ainsi que parut à Bâle, en 1517 un Office de Saint-Vincent, patron de Berne, ( Officinm sancli Vincentii Ecclesiœ Bernensis.) A Genève même , quoiqu'il ne manquât pas d'imprimerie, on employait pour les livres d'église à l'usage du diocèse, une impri- merie de Lyon, quand l'édition demandait beaucoup de luxe et de soin. C'est ainsi que Gabriel Pomard, citoyen et imprimeur Genevois, fit imprimer à Lyon, en 1522, le beau Missel de Lausanne (in-folio avec des gravures et des ornements en taille de bois) qu'il vendait à Genève. (Missale ad usum Lausanensem de novo impressum et correctumper R. inXtopatrem et dominum Sebasliannm de Monte falcone episcopum et principem Lausanen- sem. Unâcum suo venerabili capitula. Impressum Lugduni. Ex- pensis Gabrielis Pomardi, hnpressoris et librarii Gebennensis. Anno Dni M. CCCCG XXIl. die vero prima meusis Julii. 1505. MISSALE AD USUM LAUSANENSEM, peroptime ordinatum ac diligenti cura castigatura cum pluribus aliis missis devotissi- mis eidem de novo adjunctis. (Gebennis. Jo : Belot. 1505, in-folio.) Voici la souscription qui est à la fin de ce volume : Finiunt missalia ad usum Lausane. — Impressa 96 Gebennis, sedente Lausane reverendissimo presule. Aymone de Monlefalcone Lausane epo et Comité ac adrninistratore Geben, principe iraperii dignissirao. On trouve ensuite une gravure sur bois portant au centre lë- cusson de Jean Belot, de Rouen ' , qui est désigné par ces vers : Rhotomago genitus Beloti crede Johannes Hoc docte frontïs lima pressii acutâ Emptor ne duhites sumere : quippe valet. Enfin la date : M. ccccc. v. Idibus Decembris. (Le V désigne l'année, 1505, et non le jour des Ides. Celte édition n'est donc pas de 1500.) 1507. LES LIBERTÉS ET FRANCHISES DE GENÈVE. « Imprimées lan mille cinq cens et sept par maistre Jehan Belot imprimeur bourgoys deladile cite, le xxvii. iour de juillet. » In-S", — caractères gothiques, — 27 pages d'impression, titre compris. Traduction française de Montyon, imprimée en 1507. Le texte original latin des Franchises était connu par des co- pies plus ou moins répandues. Ce moyen ne suffisant pas pour rendre ce code familier aux citoyens , qui étaient loin de savoir tous le latin, Michel Montyon , citoyen de Genève et notaire, le traduisit en français en 1455, 78 ans seulement après la rédac- tion de l'original. Au-dessous du titre est un encadrement de branches entre- • Voir le fac-similé, pi. 2, n» 4. 97 lacées et passées en sautoir, en dehors duquel sont écrits, sur les quatre côtés, les quatre vers suivants : (fMotre soit a la trtntte Pair, l)onneur d tousiours Ixtett (Sl (Ùtntvt tt bonne unité ^u commun, egltst tt noblesse. Dans l'encadrement est un arbre aux branches duquel sont suspendus deux écussons posés obliquement. Celui de droite re- présente les armes de l'empire, l'aigle à deux têtes; celui de gauche les armes du pouvoir ecclésiastique , deux clefs en sau- toir. Au-dessous de ces écussons se trouvent les armes de la ville de Genève, formées de la combinaison des éléments des deux écussons supérieurs, et telles qu'on les connaît aujourd'hui. L'é- cusson aux armes de la ville occupe le centre de l'arbre; il est accosté des deux lettres I. et B., qui sont les initiales du nom de l'imprimeur, Jean Belot. Au verso du titre, on lit les vers suivants : Ponv bien public et a luttltte Pes citoyens et aussi tsts bourgots Pe <Ùtntve et leur communite ^ont libertés et frandjises pour ïiroits Pe leurs ancestces establijs comme lays n ne pourroit ou tiroi îiire estimer §t tour ne quant premier furent construites Cor par devant quoncque on fist intimer l'otjs ^empereurs il3 ont este escriptes €t si iamois par nuls furent prescriptes ^ais confermees tousiours par les maieurs , avec quelques bordures et ornements gravés sur bois, porte en tête cette dédicace : « Magnifico ac preslantissimo viro Dno Hugoni Marmier, supe- rioris Burgundie presidi dignissimo. Toussanus Muyssart artiura medicine professer. S. P. D. Ce livret montre combien, avant la réformation, les rapports étaient plus nombreux et plus régulièrement établis avec les deux Bourgognes qu'avec la Suisse. Genève se réglait sur le mé- ridien de Salins. L'exemplaire que nous avons vu appartient à M. le docteur Chaponnière. • Planche 1, n» 2. 1527. JOHANNIS ALBERTINI, PRESBYTERI VALLESIENSIS. Ad orthodoxe fidei cultores. De Ecclesiasticâ unione charitativa exhortatio. Excussum Gebenn , in officinâ Vuygandi Koln natum ex Francia orienlali. * Spes M Mea ^^ Deus y^ ln-4'' de 13 pages, y compris le titre encadré et orné de deux snjets religieux, l'Annonciation et l'Adoration des bergers. LIBELLUS ÎN QUO OSTENDITUR FIDES ET INTELLECTUS JOHANNIS ALBERTINI PRESBYTERI SEDUNENSIS DYO- CESIS quo ad sacrosanctam Corporis et Sanguinis Dni nri Jesu-Christi Sacramentum. Conscriptus contra quorumdam libres émanâtes ad auferendum atque cessare faciendum hoc venerabile sacramentum. ImpressumGeben et completumdie xiii menais mail mdxxvii. Renovationis regni Christi anno tertio. In-i" de 13 pages, plus une addition ou un postscriptum de A pages. Le titre, gravé sur bois, représente deux anges sou- tenant une légende. Ce livret sort, comme le précédent, de la presse de Wygand Kôln. Le prêtre vallaisan, Jean Alberlini, était un espèce de réfor- mateur avant la réforme. Il proclame la nécessité d'une réfor- malion dans l'Église, mais il ne voudrait la pousser quejusqu'à une certaine limite. Les innovations luthériennes l'épouvantent. Il Afoudrait conserver tous les sacrements et combat surtout avec force pour la présence réelle dans l'Eucharistie. Nous don- nons quelques extraits de ses factums demeurés à peu près, si- 115 non lont-à-fait inconnus aux écrivains de l'Iiistoirc de la ré- forma lion : Voici d'abord le tableau qu'Albertini trace de l'Église chré- tienne au moment où il écrit: « Vidi Ecclesiam universalem nune scissam esse in très partes : «f (juarum una est Ecclesia occidenlalis, cu']\is caput est Roman a ; <( alia est orkntalis cujus ritus antiquus nunc introducitur ; '( et illae duae ceciderunt in terrain. Unde tertia est de quà dicit '< Esaias, in persona Christi ad Ecclesiam : Ecce ego sternam « per ordinem lapides tuos et fundabo te in saphiriis. Ego « autem presbyterorum simplicissimus; atlentis occultis inspira- « lionibus ; visis signis mirabilibus; sacrée etiam scripturae tes- te limonis (hiis consonaniibus) intellecfis; certificatus sum quod « Deus (cujus judicia abyssus multa) sic me vocavit hoc saluti- « ferum opus lanquam Dei instrumentum perficiendi, homines « que ad illud exhorlandi. » Après avoir ainsi annoncé sa vocation, l'auteur expose que la réforme qu'il proclame doit, d'après certaines prophéties, sortir du pays le plus élevé de l'Europe, par conséquent de la Suisse et du Yallais, sa patrie : « Christus veritas est qui dicit : Ego sum lux mundi. Vult que « recognosci ab universo génère humano in venerabili Euciia- « ristie sacramentum et maxime in sancta sanclorum inviolala « intégra et castissima virgine Maria. Ista vero lux, juxla pro- (c phelcie oraculum dicentis : Erit fîrmamenlum in terra in sum- « mis montium, in altissimis Europae montibus primo radiare « cœpit; in quorum cacumine Vallesii patria sita est. Ex qua « Deus prsesenlis operis commissarium miraculose suscilavit. « Sic que simplex veritas progreditur ; ut videatur non humana « potentia nec scientia naturali procedere, scd deo operare. Cui <( sit laus et gloria. Per infînita seculorum. Amen. «f -|- Firma + Fides + Vieil. * 116 Dans le second de ses écrits, Jean Albertini établit que pour arriver à une régénération dans l'Église, il faut partir d'une nouvelle ère et rompre avec l'ancien monde, comme aussi avec l'ancienne manière de compter les années. La rénovation du règne du Christ date, pour l'auteur, de la fête de l'Annonciation de la sainte Vierge, de l'année 1525. Cette époque solennelle lui a été désignée et comme prescrite par une inspiration céleste. Au reste, Albertini proteste de son horreur pour le schisme et la discorde. Il ne veut autre chose qu'un retour à la vraie doctrine du Saint-Esprit : « Est idem Spiritus qui in primoribus diis ferebatur super « aquas; qui locutus est per prophetas ; qui régit atque docet « Ecclesiam sanctam catholicam; qui in renovatione evangelicse '( doctrinse in Ecclesia renovatur (et sic novus datur), sicut « ipsam ecclesiam eumdem in ipsa renovari petit. » « Sequitur declaratio (dafi,') renovationis regni Christi. » « Inchoatum est hoc novum datum renovationis Jesu Christi. « In festo Annunciationis sacratissime virginis Marie. Anno a « nalivilate ejusdem Dni nostri Christi. Millesimo quingente- « simo vigesimo quinto ; non novi causa erroris in ecclesia se- rt minandi, sed gratia errores in ecclesia seminatos exlirpandi, « et omnes gentes ad unionem catholicse fidei congregandi; ut « vocem unici pasloris (qui Christus est) audiat. » Albertini termine en comparant le mouvement qui s'opérait dans les esprits, au commencement du seizième siècle, à un ca- taclysme ou à un déluge spirituel. De même qu'après le déluge matériel on vit naître dans le monde un ordre nouveau ; ainsi après le déluge spirituel, il faut partir et dater d'une nouvelle ère. Pour cette innovation, l'auteur s'en remet à la décision de l'Église et au prochain concile: (f Sicut in diebusNoë, post materiale diluvium, nova potestas •i in terra orta est, et novum regimen ; sic nunc post hoc spi- (ic rituale diluvium regnum et potestas Christi in terra reno- 117 » L'exemplaire de la bibliothèque de Genève, d'après lequel nous analysons cet opuscule, porte au bas du titre cet envoi, probablement de la main de l'auteur: « Pro Domino Curato et parvo clero Sedunensi. » Nous avons du même auteur un autre écrit, imprimé en 1532, mais en langue allemande. Jean Albertini y persiste dans sa de- mande d'une réforme, mais d'une réforme limitée, et qui n'o- pérât pas de scission dans l'Église chrétienne. Il est rempli de bonne volonté et d'excellentes intentions ; mais son eccleclisme ne pouvait plaire ni aux catholiques ni aux protestants. Il devait mécontenter ces deux confessions ; aussi les attaques et les per- sécutions paraissent-elles n'avoir pas fait défaut au prêtre Val- laisan. Voici le titre au long de l'opuscule allemand, aussi rare que ceux écrits en latin par Albertini. Il ne porte pas de nom d'imprimeur, et ils sort probablement des presses de Bâle ou de Zurich ' : « Uff das Jar so man zellet nach der Geburt Christi mccccc. « xxxii wôlches ist das Sybendt jar her Eruuwerung des Reichs « Christi, won der sâligkait, welche uns verkiindent die astro- « logi, etc « Beschreiben dtirch Johannem Albertinum priestertn Walles. « Geschrieben zu Sytten in Walles, am xiiii tag novembris, « des jars nach der Geburt Christi mcccccxxxxi. » ' Haller paraît avoir ignoré l'existence de ces opuscules latins et al- lemands d'Albertini. 11 cite seulement de lui , dans sa Bibliothèque Suisse (tome 111. n»» 237 et 238), deux exhortations aux confédérés (Ermahnungen ai} ein Lobl. Eydgenossenschaft) pour la paix et la réformation de l'Eglise. Elles sont datées de Baden et de Lucerne, en lo2.o. 118 L'auteur explique encore, dans son écrit allemand, pourquoi il a choisi, pour inaugurer une nouvelle ère, l'an 1525 et le jour de l'Annonciation de la sainte Vierge, jour auquel, selon certaines conjonctions des astres, tous les climats, empires , pays, dignités, États, hommes, animaux et fruits de la terre ont dû subir une rénovation. 1532. LESPERON DE DISCIPLINE pour inciter les humains aux bonnes lettres, stimuler a doctrine, animer a science, inviter a toustes bonnes œuvres vertueuses et morales. . . . par noble homme fraire Antoine du Saix. Sam lieu d'impression, 1532. La seconde partie. . . en laquelle est traicte de la nourriture et instruction des enfants. 1532. 2 part, en 1 vol. pet. in-4», goth. bordures sur bois. Le livre est sans lieu d'impression, mais on voit sur le titre la marque de J. Vivian, imprimeur à Genève. Antoine Du Saix, né à Bourg en Bresse, fut précepteur du duc de Savoie, commandant de Saint-Antoine de Bourg, et am- bassadeur vers François 1". VEsperon de discipline, écrit en vers de dix syllabes, est partagé en deux parties. L'auteur traite de l'utilité de la lecture, des bons et des mauvais livres, de la théo- logie, de la philosophie, du droit, de l'éducation, etc. On y trouve des préceptes utiles mais noyés dans des lieux communs. Le style est d'ailleurs dur et presque barbare. A la fin de la seconde partie l'auteur a mis sa devise « Quoy qu'il advienne. » M. Cailhava, célèbre bibliophile de Lyon, pos- sède un exemplaire imprimé sur vélin de cette édition qui, à en juger par la marque de Jaques Vivien qui se voit sur chacune des deux parties, est évidemment Genevoise. J 119 1534. LE LIVRE DES MARCHANDS FORT UTILE A TOUTES GENS pour cognoistre de quelles marchandises on se doit garder destre trompé. Achevé de imprimer le pénultième jour du mois de décembre 1534, petit in-8" goth. de 31 feuillets non chiffrés. C'est une satyre violente contre l'église Romaine. L'édition de 1534 paraît être la première et la plus rare. Le catalogue de Dufay, (Paris 1725) par Gabriel Martin, l'indique comme étant de 1533 et 1534, comme s'il avait fallu deux ans pour im- primer ce petit livret. Le même bibliographe attribue cette première édition à Pierre de Wingle, qui imprimait à Neuchâ- tel en 1535, à cause de la conformité du caractère avec ceux de la Rible d'Olivetan, exécutée dans cette ville. Il est effec- tivement fait mention de quelques livres exécutés par Pierre de Wingle dans celte ville. Ou a de lui un Nouveau Testament de 1534, dont on voit un exemplaire dans la Bibliothèque publique de Neuchâtel '. Le caractère gothique de la première édition du livre des marchands ressemble tout autant à celui du Nouveau Testament ' Voici la souscription de ce Nouveau Testament rarissime : « Ce Nouveau Testament FUT achevé d'imprimer le xxvn iour du MOYS DE Mars. Lan mil cinq cens xxxiiii. A Neufcliastel par Pierre de Vingie. « A la louange de Dieu soit » La version est celle de Lefèvre d'Etaples. C'est un petit in-folio imprimé sur deux colonnes de bS lignes à la page. Le caractère est le môme que celui de la Bible d'Olivetan, qui parut plus d'un an après (le 4 juin 1535). Il est à remarquer que, dans le Nouveau Testament de 1534, Pierre de Wingle écrit son nom avec un V simple. Il n'emploie pas le double W, et il ne se qualifie pas bourgeois de Neuchâtel, comme dans la Bible de 153.7. Jean de Viugle, à Lyon, mettait aussi un V. 120 petit in-12, dont nous donnons plus bas la description (année 1538.) Ce Nouveau Testament qui a les armes de la ville de Ge- nève gravées sur son litre, porte à la fin la marque de Pierre de Wingle, un cœur surmonté d'une couronne dans un écusson en- touré de la devise : « Cor contritum et humiliatum Deiis non despi- ciet. Ps. 50. » Aurait-il été imprimé à Neuchâtel en 1538 pour Genève et avec les armes de Genève? C'est peu probable. On sait que Pierre de Wingle avait demandé à s'établir à Genève avant la réformation et que celte permission lui avait été refusée. Ne serait-il pas revenu à la charge et n'aurait-il pas été plus heureux à la fin de 1534 lorsque déjà le mouvement de la ré- forme était pour ainsi dire consommé? N'y aurait-il pas eu peut- être à Genève une succursale de son imprimerie de Neuchâtel, et d'où serait sorti le livre des marchands de 1534, et plusieurs impressions gothiques en français de 1537 et de 1538, que nous citons ci-après entre autres le Nouveau Testament qui porte sa marque ? La préface de ce Testament est la même que celle de l'éditon de Neuchâtel 1535. A la suite du livre des marchands de l'édition de 1534 on trouve quelquefois un autre opuscule : SUMAIRE ET BRIEFVE DÉCLARATION d'aucuns lieux fort nécessaires à un chacun chrestien Hitem un traité du Purgatoire. Achevé de imprimer le kkiii""^ jour du moys de décembre 1534. Petit in-S» goth. de 104 feuillets. . Cet écrit polémique a aussi toutes les apparences d'une pro- duction Genevoise. Enfin nous dirons que le livre des marchands a élé réimprimé plusieurs fois à Genève, en 1555 in-16 par Jean de Laon et Lucas de Mortière, en 1561 petit in-S", en 1582 in-16 par Gabriel Cartier. 121 LETTRES CERTAINES D'AUCUNS GRANDS TROUBLES ET TUMULTES ADVENUS A GENÈVE avec la disputation faite l'an 1534 par Monsieur nostre maistre frère Guy Furbiti, docteur de Paris, en la faculté de théologie, de l'ordre Saint- Dominique, du couvent des frères presçheurs de Montmellian. A rencontre d'aucuns qu'on appelle prédicants qui étaient avec les ambassadeurs de la seigneuerie de Berne. Petit in-8» goth. de 95 pages non numérotées A 1 — 5 à F 1 — 5. La souscription porte : « De Genève le P avril 1534. » L'épigraphe porte : « Vestez-vous de l'armeure de Dieu affin que puissiez être fermes contre les embusches du Diable. » Cet ouvrage est de Farel, qui le composa à Genève et le fit imprimer à Neuchâtel, immédiatement après la fameuse dispute qu'il soutint, avec Viret et Caroli, contre Furbiti, dans l'église de Saint-Pierre, de Genève, devant les députés de Berne. Farel l'a fait précéder d'une préface qui commence ainsi : « L'Imprimeur au Lecteur. « Ung notaire demeurant à Genève, après avoir bien et en- « tierement veu, ouy, et selon la pure vérité rédigé par escript c aucuns tumultes, contradictions et dispulations qui sont en- « suyvies à cause d'aucuns articles publiquement preschez par « notre maistre Furbiti, qui prêchoit alors les Advents en la a dite cité. Il envoya icelle lettre à un des ses amis et compa- a gnons de Vienne. Lequel, comme mon familier ami, me la « communiqua. Et moy voyant la chose être d'importance, veu « et considéré le gros bruit qui couroit partout de Genève, « comme nostre dit maistre Furbiti triumphoit de prescher, « disputer et avec grande hardiesse résister aux Luthériens, « trouvay le moyen d'avoir les dites lettres missives, les ay voulu « fidellement imprimer, sans y adjouster ne diminuer aucune- t ment. A celle fin que tous puissent veoir (comme s'ils eussent 122 « été présents) toutes ces grandes novelles de Genève que tant a on désire savoir. » En envoyant son manuscrit à Fabri, ministre à Neuchâtel, Farel lui recommandait de donner ses soins à l'exécution de cet ouvrage, et à bien conserver les apparences, afin qu'il fut attri- bué à un notaire, domicilié à Genève, qui l'aurait envoyé à un de ses amis demeurant à Vienne en Dauphiné. « Poterit typo- graphiis profari qiiam ahhornierit scribens a nominihus Conciona- torum , intereà tain honorificè de Fiirbito mm scribat. (Farel ad Fabri. Gebennis, 22 mai 1534.) » Haller, dans sa Bibliothèqtie Suisse (tome III, page 136), a été trompé par les apparences. « Ce livre, dit-il, est d'un catholique romain, mais il est écrit avec bonne foi (Sehr treu). » L'an 1644 on fit une réimpression de cet opuscule, qui était devenu introuvable ; on y ajouta une traduction latine et des notes de François Manget. Le titre de cette réimpression, in-8" de 189 feuillets, porte le nom de Genève. Mais les armes de Berne et le nom de l'imprimeur Jaques de La Pierre, {Jacob von Stein) qu'on voit sur le frontispice, font croire à Haller qu'elle a été exécutée à Berne. ( Bibliothèque der Sclnveitzer Geschichte. T. 3. n" 373.) Nous la croyons genevoise. 1535. EXTRAITS D'AUCUNS REGISTRES ET AUTRES ENSEIGNE- MENTS TROUVÉS EN LA TRÉSORERIE DE POLIGNY ET AILLEURS, touchant les rois, et princes et autres saints per- sonnages, issus de la très noble et très ancienne maison de Bourgogne ; par Gabriel Pomar, Hispaniol. A Genève. Mdxxxv. in-S» goth. (Panzer). Gabriel Pomar, qui figure comme auteur de ce livre, était libraire à Genève en 1522. C'est à ses frais que fut imprimé à 1-23 Lyon, en \H±2, le Missel de Lausanne, comme le témoigne la souscription suivante, qui nous montre aussi que Gabriel Pomar était en même temps imprimeur. «Missale ad usum Lausann de novo impressum et correctum, Impressum Lugduni. Expensis Gabrielis Poinardi impressoris et librarii Gebenn. Anno Dni M.cccccxxii, die vero prima mensis Julii. (Au dessous se voit la marque de Gabriel Pomar ou Pomard, un G et un P gothiques). Il paraîtrait que l'impression de ce beau missel était trop compliquée à cause du plain-chanl, des ligures et des caractères rouges et noirs, pour être faite à Genève, Le libraire Genevois s'était adressée Lyon où l'on faisait un grand commerce de ces sortes de livres. En 1523, Gabriel Pomard vendait à Genève les constitutions synodales du diocèse, imprimées par Wygand Kôln. Nous retrouverons cet imprimeur dans la période suivante. LES PSEAUMES DE DAVID, mis en rimes françaises, caractères gothiques et gravés,. Genève, 1535, io-12. Nous trouvons ce livre indiqué dans le troisième catalogue de la bibliothèque de Morges, dressé en 1781. Nous avons inutilement voulu le chercher dans cette collection de livres. Il ne s'y trouve plus ou du moins on n'a pu nous le faire voir. Il est estimé L 2 dans ce catalogue. C'est un peu tôt pour être la première édition des pseaumes de Clément Marot, à l'usage des églises réformées. CONFESSION DE LA FOY, laquelle tous bourgeois et habitans de Genève et sujects du pays, doivent jurer de garder et tenir extraicte de l'instruction dont on use en l'église de la dicte ville. Genève, mdxxxv. Petit in-12 gothique de 16 pages. Signât. A — A 4. Senebier, dans son histoire littéraire de Genève, tom. 1, p. 124 1446, parle de ce livret qu'il dit extrêmement rare. Nous l'avons décrit d'après l'exemplaire appartenant à M. le docteur Cha- pon nière. « Ce petit livre, dit Senebier, fut le signal de la rébellion pour quelques anabaptistes, effrayés par la sévérité de la disci- pline qu'il établissait. Le Conseil les fit sortir de la ville. » Ruchat (tome V, p. 801) dit que a depuis cet édit de réfor- mation (que les dizeniers eurent ordre de distribuer au peuple), on ne célébra plus la messe publiquement dans les églises, et que Farel et ses collègues prêchèrent avec une entière liberté, faisant tous les exercices de la religion réformée, sans aucune opposition. » IV. LITRES IMPRIMÉS A GENÈVE DE 1535 A 1600. Cette période est l'une des plus féconde et la plus remarquable des annales de la typographie Genevoise. Elle se distingue par la nature et le genre des livres imprimés, et par l'habileté et la science de quelques imprimeurs. C'est alors que parurent à Genève tous ces ouvrages de Calvin (qui seuls formeraient une bibliographie spéciale), de Théodore de Bèze et d'autres réfor- mateurs. C'est alors aussi que Robert, Henri et François Es- tienne, d'une famille illustre dans la typographie parisienne, vinrent se fixer à Genève. Il serait impossible de donner par ordre la nomenclature complète des produits de l'imprimerie Genevoise à cette époque ; ils sont innombrables. Nous nous bornerons à mentionner ceux qui, par leur caractère histori- que ou littéraire, ont conservé un intérêt bibHographique plus particulier, soit en raison de leur rareté, soit parce qu'ils se lient intimement avec l'histoire du pays. Mais avant de dresser 125 cette liste, il importe de dire quelque chose des lois et des usages qui régissaient la presse à Genève au commencement de l'ère de la réformation. C'est un sujet curieux et nouveau. Pour le traiter, nous avons consulté deux sources également authen- tiques, les registres des conseils et des pièces détachées qui sont aux archives de Genève, et les registres du Consistoire. Ces deux sources se complètent l'une par l'autre. Il ne paraît pas qu'avant la réformalion, la presse fut soumise à Genève à des règlements particuliers. On ne trouve dans les registres publics et dans les documents de l'époque rien qui semble l'indiquer. Elle était sans doute placée sous l'inspection spéciale de T'évéque et de ses officiers, car cette industrie était devenue presqu'exclusivement une affaire d'église. Elle n'avait pas encore pris assez de développement pour avoir besoin d'une législation particulière. Nous avons vu, dans la période précé- dente, le gouvernement de Genève, auquel l'ambassadeur de France avait déféré un délit de presse, répondre « qu'il ne savait ce que c'était. » C'est immédiatement après la révolution de 1535, que nous trouvons dans les archives de Genève un cas particulier inté- ressant la presse. Au nombre des citoyens qui avaient quitté celte ville, par suite de quelque grief contre le nouveau régime, était l'imprimeur Gabriel Pomard, que nous avons vu plusieurs fois figurer dans la période précédente. Son industrie, qui con- sistait surtout dans la vente des livres à l'usage du culte catho- lique, avait été atteinte d'une manière toute particulière. On comprend donc, que sous ce rapport du moins, il n'ait pas eu beaucoup de sympathie pour le régime nouveau. On l'accusait même (et il s'en défendait avec vivacité), d'avoir fait usage de sa presse pour répandre certains pamphlets hostiles à la ré- forme, entr'autres la Désolation de la Cité, dans lequel étaient énumérés tous les maux que l'abolition de l'ancien ordre de choses allait faire fondre sur Genève. Les pièces que nous allons transcrire exposeront l'affaire dans ses détails. Elles sont curieuses comme étant le plus ancien cas connu d'une poursuite pour délit de presse dans l'ancienne république de Genève. Les lettres de Gabriel Pomard, datées d'Annecy, où il s'était retiré en quittant Genève, forment aux archives un dossier particulier qui porte cet intitulé : ft Lettres de Gabriel Pomard au Conseil de Genève, principa- lement pour se justifier de l'accusation d'avoir imprimé ceHames compositions de la Désolation de la Cité. (20 mars 1536.) « Magnifiques et très honorés seigneurs et supérieurs, « J'ay entendu par aulcuns que je suis chargé d'avoir imprimé certaines compositions de la désolation de la cité de Genève, donc la vérité est au contraire, car je ne vis oncque la dite composi- tion, combien que j'en aye ouy parler. Et cela ainsi étoit, parce que la dite impression était des mêmes caractères et lettres dont je suis accoutumé user à impression. Et si par aventure on me veut arguer que ie suis sorty de la cité, ce a été du consen- tement et congé des seigneurs d'icelle, et à bonne cause ; car moy estant constitué en maladie, chargé de grande famille, et ayant peu de biens pour soutenir cette charge, et ne ayant aultre moyen de vivre que des livres que j'avoys comme Mes- sanlxel Brevières, les dits seigneurs syndics me donnèrent congé et à mon fds de pouvoir transiger sur le diocèse, visitant mes balles sans trouver aulcune chose contre le vouloir, autorité et franchise de la dite cité. Je serois bien marry d'avoir fait chose qui fut au préjudice et dommaige de la dite cité, car je n'ai aultre retrait ni maison que en icelle, attendu que depuis mon départe- ment j'ai supporté les charges ordinaires selon ma qualité, comme mon beau-frère, Loys Sanard, m'a donné d'entendre, et auquel j'ai restitué ce que il avait avancé pour les dites charges. Si vous trouvez que j'aye en rien offendu, vous me trouverez prêt pour répondre, car pour avoir perdu tout mon vaillant, ne voudroys 127 êJre exilé de la ville où j'ai la plupart de ma vie usée. Et s'il y a quelqu'un qui me veuille charger d'avoir commis le moindre cas contre la dite ville, en me faysant avertir, je feray apparaistre le contraire. « Messeigneurs, il vous playra à moy mander et commander vos bons playsirs pour à iceulx, obéir et complayre de mon pouvoir. « Votre très humble et très obeyssant serviteur et com- bourgeois. a GABRIEL POMARD. » Dans une seconde lettre, Gabriel Pomard, revient à la charge. Il expose « qu'appelé devant leurs seigneuries pour entendre ouyr ce qu'il leur plaira lui demander, il ne lui est pas pos- sible de se transporter par delà sans danger. La pauvreté à la- quelle il s'est trouvé réduit est la cause qui l'a fait sortir de la cité de Genève. » car, dit-il, je ne pouvais gagner ma vie ni celle de ma femme et de mes pauvres filles. Et sans mon fils, je crois que fussions morts de faim, car c'est celui-là que j'ay nourry et qui maintenant doit être le bâton de ma vieillesse et qui prend beaucoup de peine pour gagner et nous procurer nos vies. Pour quoy vous plaira avoir pour excuses nos nécessitez. Et plût à Dieu que je eusse la puissance de supporter tant de frais et charges, etc., etc. « D'Annecy, le 12 de juillet 1536. » Il y a une troisième lettre du 20 juillet de la même année, dans laquelle Gabriel Pomard expose « qu'il ne peut aller de pied, vu son état de maladie, sans le détriment de sa personne.» Il s'enquiert de la seigneurie « pourquoy on l'a fait citer à voix de trompe par la ville, le voulant banir de la cité de Ge-- nève avec les autres. » Il assure n'avoir pas mérité ce traitement étrange, car «je ne pensay (dit-il) , oncques chose sinistre contre la dite ville. » Il répète qu'il n'est point sorti sans congé et 128 licence. « C'est nécessité qui me l'a fait faire, car je n'y pour- rois gagner ma vie ni celle de la famille dont je suis chargé. Il me déplaît fort d'être banni sans cause du lieu où la plupart j'ai usé ma vie, etc. » « D'Annecy, le 20 de juillet 1536. » Nous n'avons trouvé, dans les registres des conseils, aucune mention de l'affaire de Pomard. Il paraît qu'on ne la jugea pas assez importante pour mériter une mention dans les procès- verbaux, et les registres où l'on inscrivait les affaires des parti- culiers, manquent pour cette époque. Il n'est plus fait mention de cet imprimeur dans les annales de la typographie genevoise. Il est probable qu'il ne revint pas à Genève, ou que s'il y revint, il ne pratiqua plus l'imprimerie. A partir des années qui suivent immédiatement, on commence à trouver quelques traces, dans les registres des conseils, de la sollicitude que le gouvernement s'efforçait de mettre aux actes qui concernaient la presse. On commença par régler chaque cas particuliers, puis on en vint, à mesure que les cas devenaient plus nombreux et plus importants, à rédiger un code spécial ou un règlement Irès-délaillé pour les imprimeurs et l'imprimerie. Nous transcrivons par ordre chronologique les diverses dispo- sitions que nous avons trouvées concernant cet objet, avant les ordonnances de 1560 qui réglèrent la chose à fond : Le 9 mai 1539. « Arrêté qu'on fasse publier à voix de trompe que nul n'aye à imprimer chose que soit dans la ville sans li- cence de Messieurs, sous peine d'être pris et puni jouxte le droit. » Le 19 septembre id. « Pour obvier qu'il ne soit imprimé nul livre auquel, l'honneur et la gloire de Dieu ne fussent rejetés, a été arrêté et conclu que tous imprimeurs doivent apporter le premier livre qu'ils auront imprimé, lequel demeurera en la maison de ville » 129 Le 6 janvier 1540. Aymé Chapeaurouee, citoyen, est mandé pour avoir joué aux dés et pour avoir de mauvais livres dans son cabinet de bibliothèque, telle- ment que par les dits livTes il en devient pire. A été advisé de lui faire remontrance sévère, même de l'excommunier comme un malheureux rebelle et désobéissant. En outre Nos Seigneurs sont adverlis de telle bibliothèque^ afin d'autoriser M. le Recteur ou tel autre qu'il leur plaira députer pour icelle visiter et y pourvoir selon leur prudence. « Du 12 février 1382. Jehan Bandais, habitant, est appelé pour avoir tenu un livre prophane parlant de Questions d'amour et même fait des extraits desdites questions. A confessé lesdits faits, et même a dit que mardi dernier il acheta un livre d'Amadis des Gaules, d'un libraire de cette ville, qui le vendait publiquement. Quant au premier livre dont il a extrait les questions, il dit l'avoir apporté avec lui de Paris. Il est advisé de lui faire bonne censure à cause de telles infections dont il a le cœur souillé, même les mains, desquelles il a fait l'extrait de telles villenies. « Du 8 juillet 1396. Gabriel Patru, Pierre Badollet, Pierre Baudil et Isaae Jacquel ont comparu pour avoir joué à la lansquenetle. Le dit Baudil accuse le dit Patru qu'il lient en sa boutique des livres de chan- sons et de paillardises, lesquels il lui a ouy lire en présence de Bar- tholomé Daiz. Celui-ci, enquis, dit luy avoir ouy lire quelque peu du livre de Gargantua. Reprins de son oisiveté, dit qu'il ne prend aucun exercice que au jeu de l'arquebuze. » (Extrait des procès-verbaux des séances du Consistoire de l'Eglise de Genève, recueillis par M. Cramer, ancien syndic, 1 vol. petit in-folio de 459 pages, autographié.) 135 relativement aux privilèges , à la censure et aux autres points. Telle fut l'origine de l'ordonnance du 15 février 1560, qui est aussi appelée l'Edit des Imprimeurs. Comme ce document important est inédit, nous le reproduisons textuellement. C'est un monument de l'état intellectuel et économique de la Répu- blique de Genève au milieu du seizième siècle : ORDONNANCES TOUCHANT l'iMPRIMERIE, (du 15 février 1560.) § 1. Premièrement en général. a) Levée d'imprimerie. D'autant que plusieurs se sont introduits et ingérés en l'art de l'imprimerie lesquels n'y étaient idoines ni suffisants , et ont été cause que les livres de Genève ont à bon droit été descriés, si le mal ne se peut du tout corriger qu'au moins pour l'avenir il ne soit permis de lever ni dresser une imprimerie si non avec congé de la Seigneurie laquelle commettra gens experts et en- tendus pour savoir si celui qui demande telle licence est rece- vable. b) Scholarques. Et pour obvier à tant de choses qui se commettent au grand blâme de l'Evangile et aussi aux fraudes qui se pourraient com- mettre d'imprimer livres en cachette, la Seigneuerie or- donne trois hommes de savoir et expérience auxquels elle com- met la superintendance tant pour vider les querelles et visiter de trois mois en trois mois ou pour le moins de demi an en demi an tous les ouvrages qui auront été déjà faits ou qui seront sous presse. Ils auront la charge de remontrer à ceux qui auront failli. Et en ce cas qu'ils les vissent continuer, qu'ils en fassent leur rapport afin que l'on y pourvoie selon l'exigence du cas. 136 c) Impression de livres. Que nul n'ait à mettre sous la presse livre qui ne soit ap- prouvé et qu'il n'en ait obtenu permission de la Seigneurie. § 2. Comment les maîtres se devront gouverner les uns envers les autres, d) Apprentifs. Que nul maître n'ait à retirer ni recevoir un apprenlif lequel sera parti d'avec son maître , sans savoir s'il a achevé son ap- prentissage bien et duement, et si le terme duquel il avait con- venu est accompli. Même qu'il l'exhorte de retourner vers son dit maître, et quand il le verrait obstiné, qu'il en avertisse quelqu'un des députés pour y remédier. Item qu'aucun maître ne prenne apprentif à moins de deux ans pour la presse, et de trois ans pour la composition, (si non que par les seigneurs commis sur l'imprimerie il fut connu qu'un ap- prentif a tellement pouufité, qu'on lui puisse abrévier son temps); afin que par ce moyen les apprentifs puissent comprendre l'art, et que la corruption ne se nourrisse en l'imprimerie. e) Réception de compaignons. Que nul maître n'ait à mettre à chaque presse plus d'un ap- prenlif. Item qu'il ne soit licite à aucun maître de recevoir com- pagnon imprimeur ni compositeur, sans savoir du maître avec lequel il est parti, s'il a achevé la besogne commencée et s'il est d'accord avec son dit maître. f ) Copies et concurrence d'impression . Afin que nul n'entreprenne sur l'autre par concurrence, en premier lieu quand quelqu'un aura imprimé quelque livre de nouveau, et dont il aura eu le premier la copie, que nul ne 137 tente de l'imprimer jusqu'à ce qu'il en ait fait la première vente, si non que lui-même n'imprimât le dit livre pour la seconde fois. g) Pnvïlèges. Toutefois cela s'entend avec exception des privilèges, lesquels seront en la puissance et discrétion de la Seigneurie, assavoir des livres nouvellement composés et desquels l'auteur voudra gratifier à qui bon lui semblera. h) Copies communes. Et alin que les privilèges soient modérés, et que nul n'en soit grevé par trop , la Seigneurie ordonne pour le présent que l'im- pression des cathéchismes, prières et psaumes qui sont pour l'usage commun de l'église soit commun à tous. i) Nouvelle version de r Écriture sainte. — Annotations. Que le semblable soit du texte de la Sainte Écriture, soit la Bible entière ou le Nouveau-Testament ou certains autres livres à part. Excepté toutefois si quelqu'un avoit recouvré une trans- lation nouvelle d'auteurs de l'escripture, laquelle on eût connu être meilleure et plus exquise que les autres. Que cetuy là tant par son industrie et labeur, que pour le fait et dépens qu'il aurait fait, puisse obtenir privilège et en jouir, ou bien qu'après qu'il aura vendu la première impression, si les autres veulent être participants de la copie, qu'ils contribuent pro rata. Et en ce cas, que tous les imprimeurs soient assemblés pour déclarer s'ils veulent fournir à la contribution. k) Figures de la Bible. Et pour ce que journellement on fait beaucoup de figures nouvelles ajoutées au texte de l'escripture, qui ne sont pas de grand profit, et qui ne font qu'enrichir la besoigne, la sei- gneurie ordonne qu'il n'en sera donné nul privilège à l'auteur, 13S 1) Copies dont les auteurs sont vivants. Touchant les copies dont les auteurs sont vivants, que nul après le terme expiré ne tente de les imprimer sans leur permis- sion et aveu, sinon qu'ils se veulent mettre en liazard de perdre leur argent quand les auteurs voudront augmenter ou enrichir leurs copies ou y changer, selon qu'ils le trouveront bon. m) Privilèges de livres imprimés ailleurs. Que nuls privilèges ne se demandent pour livres imprimés ailleurs, sinon qu'ils fussent translatés d'une langue en autre. n) Concurrence d'impressio7i. Cependant, en tant qu'il sera possible que les maîtres impri- meurs se déportent de contrefaire les ouvrages les uns des autres, ou les déguiser tellement, que celui qui aura travaillé le premier soit fraudé de son labeur et industrie. 0 ) Compagnie d'impression. Si deux maîtres font imprimer ensemble par société quelque livre, qu'ils advisent de tellement portionner qu'il n'en sourde différend ni querelle pour une seconde ou troisième impression. Item pour éviter contention, quand deux ou trois se rencon- treront ensemble pour demander congé, de faire traduire ou imprimer une copie, laquelle chacun d'eux aura, que congé leur soit donné pour la faire imprimer en commun, en contri- buant chacun pour sa part aux frais et dépens, et que celui qui refusera soit exclu et débouté de sa requête. § 3. Comment les maistres devront se comporter envers les compagnons et réciproquement les compagnons envers les maitres. Que les maîtres n'aient à comploter ensemble ni faire loi entre 139 eux, de ne pas donner gage aux compaignons sinon tels qu'ils auront taxé. Mais que chacun convienne en raison et équité avec ceux qu'il voudra mettre en besogne selon la portée et dextérité d'un chacun. Et aussi que les compagnons n'aient à conspirer ni s'obliger l'un à l'autre de ne point besoigner sinon aux prix qu'ils auront advisés. Et au cas qu'aucun se trouve avoir su- borné et induit l'autre à faire tel complot, qu'il en soit châtié selon son démérite. Que le semblable aussi soit fait quand tous se trouveront coupables. Que le maître soit vigilant et prenne garde que les compa- gnons, devant que se mettre à l'œuvre, invoquent Dieu. Qu'il ne souffre qu'il se tienne propos scandaleux, ni qu'un compagnon outrage l'autre. Mais qu'il réprime ou appointe toute noise qui serait pour s'émouvoir; et si quelqu'un était rebelle à la cor- rection, que le rapport en soit fait aux députés pour y remédier. p) Congés. Qu'il ne soit permis à un maître de donner congé à un com- pagnon avec lequel il aura convenu d'un ouvrage pour en mettre un autre en son lieu jusqu'à ce que le dit ouvrage soit achevé, sinon que le dit labeur fut trop pesant ou difficile pour le dit compagnon ou qu'il fut trop négligent ou qu'il y eut quelque défaut en lui ou quelque malversation dont le maître eut averti le dit compagnon et dont il sera connu par les députés. q) Abandon d'ouvrage. Semblablement qu'il ne soit licite aux compagnons de laisser les ouvrages qu'ils auront entrepris pour aller besoigner ailleurs si le labeur n'étoit trop pesant, comme dit a été. Mais que nul compagnon ne soit reçu à cette excuse que si dedans huit jours après l'œuvre commencée il en aura averti le maître, et en cas do 140 nécessité el de maladie. Que celui qui chomme, afin de ne faire cesser toute la presse, en substitue un autre en son lieu, sinon qu'il avertisse le maître afin qu'il se pourvoye. Et si d'aventure, nul ne se trouvait à temps, que le reste des compagnons soit tenu d'attendre le maître jusqu'à deux jours, moyetmant qu'il se soit mis en devoir, et ce sans salaire, d'autant que la besogne cessera sans sa faute. Mais si après les deux jours il les veut retenir, qu'il leur baille leurs gages accoutumez, encore qu'ils ne fassent rien. Que tout maître qui a pris apprentif soit tenu de lui montrer fidèlement ce qui est de l'art, tellement qu'au bout du terme, il soit propre pour tenir lieu de compagnon. Autrement qu'il soit tenu de le récompenser de ce qu'il ne l'aura pas enseigné comme il le devoil. Sinon qu'il apparut que le mal soit advenu par la nonchalance et incapacité du dit apprentif. Et afin d'ob- vier à tout différend, que les marchés se concluent par écrits. Et afin que les besoignes se fassent comme il appartient, et soyent loyales au profit des acheteurs, que les maîtres n'aient à charger les compagnons de labeurs excessifs, et dont ils ne puissent venir à bout en s'acquittant de leur devoir. Et aussi que les compagnons ne se hâtent point pour être bientôt dépressés afin d'avoir temps et loisir pour s'ébattre. Que nul ne besogne à gage de compagnon s'il n'a accompli son temps d'apprentissage. Toutefois, ayant fait son temps, qu'il ne soit licite aux autres compagnons d'exiger rien de lui pour être reçu, ni de le contraindre, voire même de l'induire ni ex- horter à payer banquet, pour ce que cela attire beaucoup de corruption, et est une coutume inique et inhumaine. Qu'un compagnon ne refuse besoigner avec un apprentif qui sait tenir place dfe compagnon. Que les compagnons ne retardent l'un l'autre par nonchalance ni malice aucune, ains se supporteront selon raison et charité. \ii Pour éviter les débauches et relardements des labeurs, qu'il ne soit licite aux compagnons d'accorder entr'eux aucune jour- née sans le consentement du maître et du correcteur. Les journées perdues, demies ou entières, tomberont sur celuy ou ceux qui en auront été cause, soit le maître soit les compagnons. Item, s'il arrivait qu'il se perdit quelque forme ou journée, comme par rompement de page, forme ou quelque chose en la presse, que le maître n'en soit tenu rien payer. Pour éviter les pertes ci-dessus, les compositeurs se rendront ordinairement à six heures du matin pour besogner à midi, et à trois heures du soir pour besogner au matin. Et imposeront le soir pour tirer le lendemain à midi, et à midi pour tirer le len- demain au matin. Excepté toutefois que le maître et le com- positeur seront supportés par les compagnons, comme aussi si quelquefois il survenait quelque retardation extraordinaire, comme quelque difficulté de passage en la correction ou quel- qu'égarement de copie ou autre cause semblable, pourvu que cela ne se fasse ordinairement et que la correction ne soit pas trop longue. Pareillement les correcteurs rendront leurs correc- tions à temps et demanderont rencontre en la refiration pour incontinent avertir s'il y a transpositions ou telle autre faute. r ) Des additions en la correction. Que nul correcteur ne sera empêché de prendre tel grand la- beur que portera la dextérité que Dieu lui aura donnée. Qu'un compositeur ne refusera ce qui lui sera marqué par le correcteur, encore qu'il ne soit en la copie, pourvu que cela ne soit un ordinaire, et que cela ne le retarde pas plus d'une demie heure ou d'une heure au plus, surtout le jour. Et si en ce fai- sant, le compositeur se trouve foulé, le maître y aura égard, lui haussant ses gages et lui baillant. Et si en ce cas ne se peuvent 142 accorder, le dit compositeur pourra se pourvoir ailleurs, quinze jours après avoir averti le maître. Que toute besogne non-recevahle sera compensée par celui qui a commis la faute principale. Mais une besogne ne sera jugée telle que s'il y a quelque faute notable qui rendent l'ouvrage difforme comme celle qui s'ensuyvent: A savoir, quand au compositeur, si la composition est fort difforme ou brief ou long, si une page passe l'autre de deux lignes, ou s'il y a une qualité grande entre les lignes d'une même page ou de diverses ; et quant au tireur, s'il y a un grand renversement de lettres ou ce qu'on appelle une matrice ou un cheval, ou quelque ligne entière et demie qui morde ou qui soit couverte, ou si quelques lettres auraient été tirées en battant, dont on auroit averti le correcteur assez à temps, de sorte que l'ouvrage en fût rendu difforme, ce qui se doit entendre aussi à l'endroit du batteur, si cela étoit devenu l'avant forme. Toute- fois, quand les dites fautes surviendront au papier blanc, ceux auxquelles elles altoucheront seront excusés jusqu'à trente feuilles, pourvu qu'ils en mettent autant de blanches à leur place, mais en la réitération, ils seront tenus de recomposer ou de re- tirer la forme à leurs dépens, s'il semble bon à leur maistre. S'il arrive que par faute de papier ou de copie, ou pour quel- qu'autre bonne raison, il faille laisser pour un temps le labeur commencé, que les compagnons se refusent d'en faire cependant un autre qui leur sera présenté. Et d'autant qu'aucune fois quand un maitre retiendrai ban- que à un compagnon pour se payer ce qui lui est dû par lui, le compagnon dépité ne reviendra point pour besogner, et sera cause de faire perdre le temps aux autres, à ce cas on luy pourra faire commandement par un officier de retourner sur le champ. Après telle signification, qu'il soit tenu pour rebelle et puni selon l'exigence du cas. 143 Pour aussi que les premiers peuvent abuser les maîtres en emportant la tierce ou la quarte de chaque forme, qu'il ne leur soit permis d'emporter hors de la maison de leur maitre aucune feuille pendant le labeur. Seulement, le maître leur permettra de garder en sa maison une feuille, celle qu'ils tirent la pre- mière en se mettant en train, pour se servir de défense contre le correcteur ou le maître, en un besoin. Comme aussi pour celte raison il a été enjoint qu'ds les garderaient, et en la fin du labeur ils rendront au maître les dites feuilles, lequel leur payera à papier impression s'il les veux avoir. s) Remise de la copie. Que les compagnons remettent la copie entière et feuille à feuille entre les mains du correcteur, lequel à la fin du labeur les rendra au maître. Que les compagnons se servent de leurs chandelles pour aller et venir sans emprunter celles des maîtres, et que les maîtres leur paient la chandelle en argent au dire des commis. Item, qu'il soit défendu aux compagnons d'avoir de mauvais propos à l'égard des apprentis, soit pour leur faire perdre cou- rage, soit pour leur faire exécuter une chose au dommage du maître, sous peine d'être châtiés comme subornateurs. En outre, parce que les compagnons peu à peu veulent intro- duire dans les imprimeries des coutumes nouvelles, au cas que pour telles choses il advint débat, entre le maître et eux, qu'ils soient tenus de se présenter devant les commis si le maître les y fait appeler. t) Papier. Et d'autant qu'une des choses qui fait décrier et mépriser l'imprimerie de cette ville, est que le papier est mauvais en toutes sortes, que les ordonnances faites ci-devant pour le rè- 144 glement des papeteries soient renouvelées et que les commis les fassent observer en les signifiant aux papetiers '. » Mais ce n'était pas assez d'avoir un code complet sur l'impri- merie. 11 fallait encore des surveillants pour le faire exécuter. Le 12 mars 1560, le conseil arrêta « que pour premiers scho- larques, on commettrait Spectables Théodore de Bèze, François Chevalier, lieutenant, et Jehan Budé. Soit que la nouveauté de ces fonctions entrainât des difficultés dans l'exécution, soit que la législation ne fut pas assez précise, il paraît que tout ne marcha pas, dès le début, au gré de Calvin, qui, en semblable matière prenait toujours l'initiative, soit dans le consistoire, soit devant le conseil. Voici en effet ce que nous lisons dans les registres des conseils après la promulgation de l'ordonnance des imprimeurs : Le lundi 12 janvier 1562. « M. Calvin requiert que les com- missaires sur les imprimeries soient bien admonestés à réprimer jcs désordres qui s'y sont introduits. Il arrive que bien souvent, combien qu'on ait reconnu quehju'un insuffisant, il obtient une autorisation pour lever une imprimerie, tellement que si on n'y remédie, il n'en pourra résulter que confusion. Si l'on veut maintenir l'honneur de Dieu et de la ville, il convient tenir la main aux commis sur l'imprimerie, afin que ceux qui connaî- tront n'être propres, soient déboutés d'une telle maîtrise. Sur ce, il est arrêté que les commissaires devront s'assurer lesquels sont idoinset lesquels non, affin d'agir en conséquence. » 25 juin 1563. On a lu en conseil les édits et ordonnances faits et dressés par bons advis sur l'imprimerie et papeterie, et pa- reillement sur les presses que chacun des dits imprimeurs pourra avoir, et toutefois à la charge que ceux qui ne sont pas bour- ■ Voir notre article sur Yhisloire littéraire et manufacturière du papier, dans la Bibliothèque universelle de Genève, année J8i7, page .•505 à 539. 145 geois ne puissent imprimer sans avoir obtenu le privilège de bourgeoisie, à peine de 25 écus pour les contrevenants, desquels a été ordonné que le collège en ait les trois quarts et les commis et députés sur l'imprimerie l'autre quart. 13 mai 1568. Sur ce qu'il a été arrêté de réformer les or- donnances faites sur les imprimeurs, les seigneurs de la cham- bre, joints avec eux le seigneur lieutenant et le seigneur de Verasse, ont rapporté avoir avisé que désormais soit permis aux imprimeurs qui seront jugés capables et qui le demanderont, de tenir autant de presses qu'ils pourront, afin d'entretenir davan- tage d'ouvriers en la ville. Néanmoins, ils ne pourront imprimer aucun livre nouvellement composé ou traduit ou qui n'aura pas encore été imprimé en celte ville, sans licence, laquelle ob- tenant, ils devront jouir du terme établi par les dernières or- donnances ou qui leur seroit plus outre octroyé, par privilège, soit qu'il soit loisible à autre imprimeur de l'imprimer pendant ledit temps, en délivrant aux seigneurs du conseil et à la bi- bliothèque à chacun un des dits livres nouvellement composés ou traduits, au cas qu'ils ne soient de grande valeur et en grand volume. Et d'autant que les imprimeurs et libraires souffrent grand dommage en ce qu'ils n'osent imprimer le vieil et le nou- veau Testament avec annotations, parce qu'il y a environ quatre ans qu'on avait remis à les revoir et corriger, qu'on en parle à M. de Bèze pour bailler la charge à quelqu'un qui puisse achever celles que M. Calvin avait bien avancées, ou autrement y pour- voir au plustôt. 1" juillet 1578. Les ministres delà parole de Dieu prient Messeigneurs de pourvoir à ce que les libraires et imprimeurs ne vendent aucun livre lascif et impudique, ou d'autres pleins d'impiétés. Arrêté qu'on le leur défendra à peine de 25 florins d'amende et de la confiscation des dits livres ; qu'il soit de même défendu d'en vendre aux expéditions et encans; et que par même 10 146 moyen il seroil défendu aux gagiers et frippiers d'acheter aucuns livres des jeunes escoliers sans licence de leurs parents. Le 10 mars 1580. On revise les ordonnances sur le fait de l'imprimerie passées en petit conseil le 15 février 1560. Elles sont ensuite reconfirmées. 6 mars 1593. Suivant l'avis du Consistoire, d'autant que quelques-uns, pour donner leurs fadums en avertissement de procès, se servent de l'imprimerie, a été arrêté de défendre aux imprimeurs de pratiquer telles impressions, qui ont été intro- duites contre toute honnêteté. 8 décembre 1595. Les seigneurs commis sur le fait de l'im- primerie ont trouvé les articles suivants être propres et néces- saires pour remédier aux abus qui s'y commettent : « 1 . Que dorénavant tout le papier qui arrivera sera porté à un magasin public de celte cité, pour y être visité chacun samedi par les commissaires de l'imprimerie. 2. Que quiconque n'aura conduit le dit papier au dit maga- gasin public avant de l'exposer en vente, paiera l'amende de 25 florins au public et autant au révélateur. 3. Que les papetiers qui auront fait papier jugénon-recevable seront aussi amendés de 25 florins et confiscation de leur mar- chandise. 4. Que tout papier devra être marqué aux formes, dedans et dehors, et que chacun devra bailler sa marque aux commis, afin qu'on puisse connaître par qui le mauvais papier aura été fait. 5. Que les papetiers sujets de cette seigneurie ne pourront vendre aucun papier ailleurs qu'en cette cité, sous peine d'être châtiés. 6. Que le papier qui sera ici apporté ne pourra être vendu dehors ou transmarché, qu'au préalable les imprimeurs de la ville ne soient pourvus. Il a été arrêté qu'on approuve les dits articles, et en outre UT de commander aux papetiers qu'ils laissent battre leurs pattes par l'espace de vingt-quatre heures pour le moins et aussi qu'ils les laissent pourrir en suffisance. » De bonne heure l'ancienne république de Genève avait com- pris l'extrême connexion qui existe entre l'industrie de l'impri- meur et celle du fabricant de papier. Des plaintes avaient été émises à l'étranger, surtout aux foires de Francfort, sur la mau- vaise qualité des papiers dont se servaient les imprimeurs de Genève depuis le milieu du seizième siècle. Fabriqués avec des chiffons infimes, recueillis en Savoie et dans d'autres pauvres contrées, déjà pourris avant d'être triturés et mis dans la cuve, ces papiers n'avaient ni consistance, ni apparence. Cette infériorité était d'autant plus fâcheuse, que les papiers d'Angoulême, d'Auvergne et de Hollande commençaient à avoir la vogue '. A Genève, les imprimeurs se plaignaient surtout du mono- pole exercé par un citoyen, le marchand Du Pan, dans la fabri- cation du papier. Le mémoire suivant, adressé par les intéressés au gouvernement genevois, en 1565, atteste ces griefs : REQUÊTE des Imprimeurs, sur le Papier ei Articles concernant l'état de la Papeterie et Patetterie, selon qu'elles se trafiquent à présent dans la ville de Genève. « Premièrement, toute l'altération et décale survenue dans la manufacture du papier à imprimer est provenue de ce que le Seigneur Du Pan s'est arré à lui seul toutes les papeteries qui se trouvent dressées tant en Suisse qu'en Savoie et environs de cette cité, tellement que nul maître ouvrier n'a pu ni ne peut faire aucun papier pour autre que pour le dit Du Pan, auquel ils sont obligés. • Voyez notre article sur Vhisloire littéraire et manufacturière du papier, en général, dans la Bibliothèque univeiselle de Genève, an- née 1847. 148 a Item. A l'égard des pattes qui arrivent dans cette ville, il se trouve qu'il y a mis l'enchère d'un florin par quintal, voire plus, afin d'avoir occasion de surcharger chacune rame de pa- pier de 8 ou 9 sols, et selon la sorte dont on a le plus de be- soin. Par ce moyen, toutes les dites pattes lui sont affectées à lui seul. (t Item. Quant à la façon du papier, au lieu de le faire tra- vailler et façonner à la forme, jouxte l'ordonnance, tant s'en faut que pour le haussement des prix qu'il y a mis, il ait fait faire de meilleurs papiers, comme il l'avait promis, qu'au con- traire il semble que depuis il soit plutôt empiré qu'amendé. Cela appert par les reproches et les plaintes qui de toutes parts ont été faits et se font à l'occasion du papier empiré de beau- coup, n'étant de la forme, largeur ni longueur voulues, encore moins collé, battu, ni de poids porté par l'ordonnance, d'autant qu'il ne donne temps ni loisir aux ouvriers de pourrir les pattes comme il appartient, comme aussi de battre et coller le papier, et cela à cause de la grande quantité dont il a besoin pour en- voyer et transporter en Allemagne, où ils ne prennent pas de si près garde, l'ayant à meilleur prix qu'il n'est par deçà. « A quoi pour remédier et faire que le tout soit réformé, il sera expédient de considérer les articles ci-après : al" Ledit Seigneur Du Pan sera prié de se vouloir contenter de deux ou trois battoirs au plus pour manifacturer son pa- pier, et de laisser les autres libres pour ceux qui les voudront ou auront moyen de les prendre et faire travailler. « 2° Et pour le regard des pattes, il se contentera d'en rete- nir ce qui lui parfaudra pour les dits battoirs, laissant le reste libre sans y mettre enchère. « 3» Item, que tout le papier qui arrivera en la ville de Ge- nève ne sera transporté dehors, ains demeurera pour servir aux imprimeurs de cette cité, à un prix raisonnable comme il était par-cidevant. » 149 Ces représentations ne restèrent pas sans effet, comme le prouvent les mesures qui furent prises ultérieurement et le rè- glement que nous avons publié plus haut. 11 y eut encore des ordonnances supplémentaires et des articles exceptionnels. Par exemple, quant au poids du papier : <( i» On exceptera le papier qui sera pour les livres im- primés en caractère no»pareille, en très-petit caractère, touchant lequel l'imprimeur accordera avec le marchand de papier pour le poids qu'il advisera, à la charge que tant plus il sera léger, tant plus il doive être fin. « 2" Que les pateniers feront le papier selon qu'il est contenu aux ordonnances, sous la peine de 5 florins pour la première fois ; de 10 pour la seconde; pour la troisième, de 15, et ainsi jusqu'à 25 florins, applicables selon que la Seigneurie advisera. a 3° Et afin que les façonniers aient commodité de se pré- parer, il leur sera donné terme jusqu'au 15 d'octobre, com- mençant toutefois dès le l*' de septembre à porter la marque. « Que le patenier ne pourra, pour parachever ses rames, y mêler d'autre papier, soit qu'il le déclare au marchand à qui il le vendra, ou non. » Pour les Imprimeurs, outre les anciens articles : « 1° Il est advisé de leur remontrer et de leur donner ordre que l'encre soit bon, à défaut de quoi seront condamnés à 10 florins d'amende, sauf leur recours contre celui qui l'aura fait. a 2° Que les livres soient bien marges, tant au fond qu'à la marge, sous la peine de 10 florins d'amende. « 3° Sur l'article de la correction des épreuves sera ajouté que les épreuves soient corrigées par correcteur jugé suffisant au jugement des commis sur l'imprimerie, pour être corrigées soigneusement sur le plomb. « 4» Que les copies des auteurs ne seront changées par les 150 imprimeurs sans le consentement des auteurs ou des commis sur l'imprimerie. » Après avoir passé en revue la législation qui régissait l'impri- merie et les industries accessoires à Genève dans la première période de la Réformation, soit de 1535 à 1600, il nous reste à indiquer les productions les plus remarquables de cette époque. Nous nous bornerons à celles que leur ancienneté ou leur rareté font surtout rechercher et à celles qui ont un caractère histo- rique ou littéraire réellement national. Nous n'irons guère au- delà de l'année 1560 dans cette nomenclature, parce qu'arrivé là, il n'est plus possible de compter, tant les produits des presses genevoises sont innombrables. D'ailleurs (sauf les éditions Sté- phaniennes ou des Eslienne, qui ont une valeur scientifique trop universellement connue pour être considérées exclusivement comme des produits de l'imprimerie genevoise), il n'y a plus rien à citer, ni sous le rapport de l'antiquité typographique, ni au point de vue de la beauté d'exécution. Nous réunirons donc dans un seul article tout ce que nous avons à dire de Ro- bert, d'Henri et de François Estienne, sans entrer dans le détail de chacune de leurs éditions. Ce travail a déjà été fait par M. Renouard, dont nous nous bornerons à compléter ou à rec- tifier en quelques points les patientes et laborieuses recherches. 1536. CE QUE LES HOSTES OU HOSTESSES OBSERVERONT et feront observer chez eulx, sur la peyne contenue en la Criée faicte le dernier Jour de Febvrier. L'an Mil cccc. xxxvi. (En tête les armes de Genève entourées d'une couronne de chêne, 1 feuillet in-folio, — caractères gothiques.) ®ue nul ne blaepljcme, ne jure le nom ïif pien ntj i>t ara taxncte. 151 Oue Von fact baxoet terre à celuij qui jurera lefliercment. Ct s'il ne s'en djastie ijue Ion te reoelle à la justice. «Sue l0n n») joue point à jeur be betj ne ïie cartes, nij à autres jeur île sort. <Ûue Ion nt, retire point gens lie mesd,ante t.ie, comme pail- lorÎJs, paiUarbes, larrons, larroncins, iécipans le leur par les tajiernes. ©ue Ion nt) boioe point iaultant, mais rjue bn ij use iu v'xn et bcs oionîJes sobrement, come |)ieu lljo orîione, ®ue Ion ue taoeme point ce peniant qnt Ion presdjero, ne aussi be nuict, passe neuf Ijeurcs. e pois raisonnable; à juste mesure; comptont à pièces; sons tromperie. «lue nul ne tienne tooerne en lettres rondes de 631 feuillets, sans la table qui porte un titre particulier et qui n'a pas de pagination. La date deMoxxxviest au bas du titre de la table. A la fin on lit : Imprimé à Genesve. Les caractères ronds, semblables à ceux d'Eslienne Dolet, de Lyon, sont ceux qui remplacèrent immédiatement les gothiques. Version d'Olivetan. Les pièces liminaires et la disposition du 152 titre feraient croire que cette édition a été donnée parlai ; c'est l'une des premières, si ce n'est la première édition du Nouveau- Testament français à Genève. Elle est précédée de la préface ou de l'épitre que Calvin mit en tête du Nouveau Testament de la Bible d'Olivetan (Neuchâiel, 1535), et de la Bible à l'Epée (Genève, 1540). M. Paul Henry, dans sa Vie de Calvin (tome III, page 198 de l'appendice), est dans l'erreur, quand il dit que cette Epitre, montrant que Christ est la fin de la loi, ne se trouve dans aucune édition du Nouveau Tes- tament antérieur à 1540. Cette même épitre se trouve aussi dans le suivant, de 1537, 1537. LES PSALMES DE DAVID. Translatez d'Ebrieu en françois. Mdxxxvii. a la fin delà page 213: « Fin du livre des Psalmes, translaté et reveu par Belisem de Belimakon. Imprimé à Ge- nève. Petit in-12 en lettres rondes, imprimé avec les caractères que l'on retrouve dans les éditions de Jehan Gérard, de 1537 à 1543. La disposition particulière du titre, entouré d'un cadre de bois pour le mot principal : « Les Psalmes », est absolument la même que dans la Bible de Neuchâtel ou de Serrières, dite la Bible de 1535 ou d'Olivetan. La traduction est aussi celle d'Olivetan avec quelques tournures rendues plus modernes. Sans doute que cet ancien maître de Calvin avait adopté ce pseudonyme. LES LIVRES DESALOMON, les Proverbes, l'Ecclesiaste, le Can- tique des Cantiques, translatés d'Ebrieu en françois. M.dxxxvii In-12, caractères ronds. A la fin, on lit : « Translatez et reveu, par Belisem de Beli- makon (Olivelan ?). Imprimé à Genève, par Jehan Gérard, im- primeur. 153 On retrouve dans ce petit volume in-12 la même disposition de titre et les mêmes caractères que dans les Psaumes de 1537. C'est une des premières impressions de Jehan Gérard qui fut l'imprimeur de Calvin pendant les premiers temps de son établis- sement à Genève '. L'INSTRUCTION DES ENFANTS, contenant la manière de prononcer et escrire en François ; les dix commandements ; les articles de la foy ; l'Oraison de Jésus-Christ ; la Salutation évangélique, M. dxxxvii. Petit in-12. A la fin, on lit: « Fin du recueil de Belisem d'Utopie (Robert Olivetan?), im- primé à Genève par J. Gérard. » L'épigraphe porte: « Mon peuple a été captif, et pourtant il n'a pas eu science. » « Laissez les petits enfants, et ne les empêchez point de venir à moi : car à telz est le royaume des Cieux. » Ce volume est extrêmement précieux comme le premier mo- nument de l'instruction publique primaire dans Genève ré- formée, avant que Calvin eût mis la main à cette matière. Au " La traduction de ces livres de Saloinon est celle d'Olivetan, avant la révision que Calvin en fit pour la Bible de 5340 (la Bible à l'Epée). A la fin du Cantique des Cantiques on lit un avertissement au lec- teur : « Il y a grandement à regarder de ne prendre ce livre charnel- lement, de léger et à la volée, comme aucuns blasphémateurs, gens impurs et vilains, malaffectionnez et dissolus, pires encore que pour- ceaux Epicuriens qui de leurs pieds sales et ordz foulent les perles de la parole de Dieu ; ains le recevoir et interpréter en toute révérence et crainte de Dieu, en tant que toute Escritnre divine est pure et chaste, utile, afin que l'homme de Dieu soit entier et consommé en tout, cpmme un chef-d'œuvre. « Votre parole soit toujours confite en sel avec grâce, affin que sachiez comment il vous faut respondre à un chacun. » verso du titre, on trouve un Alphabet en diverse sorte de lettres. Viennent ensuite les sons, les noms des lettres et les syllabes. A la fin des diverses matières énoncées dans le litre, on trouve une note sur la Salutation angélique, autrement dite l'Ave- Maria. « Tu noieras, dit l'auteur, la différence d'oraison et saluta- tion. Car oraison est prière, requête faite envers Dieu ; salu- tation est bénédiction, bien vouloir et gracieux accueil, comme quand la personne salue, l'autre disant: Dieu te salue et garde, Dieu te doint bon jour, ou bon soir, ou bonheur. Laquelle forme de saluer a tenu l'ange vers Marie, item Jésus-Christ vers ses apôtres. » Vient ensuite un paragraphe intitulé : « Exemples des ver- tueuses femmes qui pareillement ont été bénites en l'escripture. » Ce rare volume renferme aussi plusieurs instructions aux régents et maîtres d'écoles, pour enseigner les enfants à pro- noncer plus correctement. On y trouve des notions de linguis- tique très-curieuses. « Quand lu voudras prononcer la lettre S (dit l'auteur), tu pourras ensuyvre le son et sibilation du serpent ou oye, mais courte et subite sans queue. Pour R, la voix du chien rechignant. Pour Q, la voix de l'anelte ou canne. Pour Z, le son et bruit de la guespe, et ainsi conséquemment des autres. » ce II faut aussi considérer cette figure Q nommée C à queue, (ainsi observée jà passé longtemps par ceux qu'on dit les A^al- dois), laquelle se prononce doucement comme en ce mot : « Leçon » afin qu'on ne dise : Lekon. » « Item noieras en la langue françoise être plus de diphtongues qu'en grec ny en latin, es quelles diligemment on doit avoir égard pour les sonner. « Item en icelle langue, comme en Ebrieu, la lettre E est mas- culine et féminine, ainsi qu'avons discerné par deux accents et 155 points, dont l'un s'appelle grave, l'iiutre aigu ligures perdes lignes abaissant le haut en arrière ou au contraire le abaissant devant. » « Laquelle distinction est assez utile, tant pour les estrangers que pour les enfants du pays pour distinguer certains temps et certains mots douteux. Par ce moyen pourront les enfants éviter beaucoup de solécismes etvices, tant en escrivant qu'en pronon- çant. Comme aucuns mal instruits disent, Espirittis pour Spiritus, escriplura pour scrïptura. Autres au contraire disent arte et trope pour art et trop, etc. Que si pareilles considérations eussent été jadis obtenues, les mots qu'avons des latins usurpés, nous fus- sent demeurés entiers et non si misérablement décriés et cor- rompus. » « Davantage on pourra observer en notre langue (comme an- ciennement en latin et grec, et aujourd'hui en toute l'Italie ; ainsi que appert es ouvrages de Pétrarque et d'Antes), certaines figures, tant en prose qu'en rymne, comme apostrophe, qui est un terme grec, figuré comme un traict courbé en forme de petits croissants de lune, les deux pointes vers la main sénestre. Et sert la dite figure pour absorber et encrer la voyelle de dedans le mot, en suyvant pour éviter la rude et mauvaise prononciation comme as exemple aux dix commandements en ce mot l'Eternel qui vaut autant que le Eternel. « Synaleiphe est une autre figure (principalement permise aux factistes et rimeurs) qu'on nomme collésion ou conjonction, la- quelle s'occouple avec la voyelle suyvante, laquelle toutefois s'escrit, à la différence de l'apostrophe. Us ont encore apocope, laquelle veut dire raclure ou déposition. Mais de ces figures en est escrit amplement en Quintilian. Et si en attendons de Jac- ques Sylvius, qui ja nous a promis de restituer la langue fran- çoise. Pourquoi je m'en déporte. » On trouve à la suite de ces instructions des exercices d'arilh- 156 mélique, les noms de nombre et siphres, avec leurs valeurs, le livret et d'autres choses nécessaires pour apprendre à conter. Il y a aussi un chapitre de loffice ou Estât d\m chascun, où l'on dit « que le surveillant, autrement dit Evesque et ministre de la parole de Dieu doit être irréprochable, mari d'une seule femme, bien pourvoyant à sa famille, non accusé de dissolution ou incorrigible. » Au chapitre des vierges et continens, l'auteur s'exprime ainsi : « Tous ne comprennent pas ce mot, mais ceux auxquels il est donné. Car il y a aucuns chastrés qui sont ainsi naiz du ventre de leur mère. Et aucuns l'ont été par les hommes. Et aucuns se sont chastrés eux-mêmes pour le royaume des Cieux. Qui peut comprendre ce, qu'il le comprenne. Je voudroye tous hommes être comme moi-même; mais un chacun a son propre don de Dieu. Or, je dis à ceux qui ne sont pas mariés et aux veufves, qu'il leur est bon s'ils demeurent comme moy. Mais s'ils ne se con- tiennent, qu'ils se marient, car il vaut mieux se marier que de brûsler. Es-tu lié àfemme, ne cherche point séparation. Es-tu dé- livré de femme, ne veuille point chercher femme. Qui n'est point marié, a souci de choses qui sont de nostre Seigneur, comme il plaira au Seigneur. Mais qui est marié, il a souci des choses de ce monde, comme il plaira à sa femme. » Nous sommes entré dans quelques détails sur ce livre rare, curieux et inconnu, parce qu'il est un signe de la transition du catholicisme à la réforme. Il porte, comme les précédents, les apparences typographiques de l'imprimerie de Neufchâlel, transférée de Neufchâtel à Genève, et ayant passé de Pierre de Wingle à Jehan Gérard. L'auteur est sans doute Robert Olivetan. Cela paraîtrait, à l'afTeclation qu'il met dans les paral- lèles du français avec l'hébreux. On sait aussi qu'il aimait à prendre un nom à tournure hébraïque ou étrange, comme Belisem de Belimalrom ou Belimakon. Il adressait sa Bible de 157 Neufchâlel (1535), à ses frères Hilerme Cusraeth, Cephas Chlo- rotes et Antoine Almeutès. Olivetan mourut à Ferrare, auprès de Renée de France, en 1538. J. CALVINI, sacrarum lilterarum in Ecclesia Genevensi professons, Epistolae duae, de fugiendis impiorum illicitis sacris et pu- ritate Christian;» religionis observanda. Altéra de Christiani hominis officio in sacerdotiis Papalis ecclesiae vel adminis- trandis vel observandis. Genevae, 1537. In-S". Ces deux lettres, l'une des premières productions de Calvin à Genève, sont en français dans ses Opuscules (Genève, 1566, in-folio). Il yen a une édition de Bàle, aussi de 1537, in-i". 1538. LE NOUVEAU TESTAMENT, c'est-à-dire la nouvelle alliance de Nostre Seigneur et seul Sauveur Jésus-Christ. Translaté du grec en français. En Dieu tout. (Les armes de Genève. ) 1538. Petit in-12 goth. de 711 pages. On lit à la fin : « Translaté par Belisem de Belimalrom. Sur le dernier feuillet, on voit la marque dont Pierre de Wingle, dit Pirot Picart, s'est servi dans la Bible d'Olivetan, imprimée à Neufchâlel, en 1535. In-folio goth., avec cette de- vise : Cor contritum et humiliatum Deus non despiciet. P. S. 50, La préface de celte rarissime édition commence ainsi: a A tous amateurs de Jésus-Christ et de son Evangile. » « Dieu le créateur très parfaict et excellent ouvrier de toutes « choses, encore par dessus les autres créatures, èsquelles il 158 (c s'étail desjà monstre plus que admirable, avoit faict l'homme « comme un chef d'œuvre, auquel on peut contempler une sin- « gulière excellence, etc., etc. » DUNG SEUL MEDIATEUR ET ADVOCAT entre Dieu et les hommes, Notre Seigneur Jésus-Christ. A la fin: « Imprimé à Genève, par Jehan Gérard. M.dxxxviii. Petit in-12. Lettres italiques. Signât, a 5 — d 5. A la fin on lit une digression sur le culte de la sainte Vierge et sur les raisons pour lesquelles « l'auteur a mué ceste louenge accoustumée à la Vierge en l'attribuant à Jésus-Christ, à qui vraiment elle appartient ; honorant en cela la Vierge, laquelle ne demande point qu'on lui attribue ce qui appartient à Dieu ; mais que ce qui est à Dieu soit à Dieu, et ce qui est à elle soit à elle. Elle est vraymeut bien heureuse, mère du fils de Dieu ; vrayment elle crut aux paroles de Dieu ; elle fut faicte vraye an- celle de Dieu, demourant à toujours vierge et mère du Fils de Dieu, et toute autre chose qui d'elle se trouve en la sainte Es- cripture. » « Dieu doit être appelé et invoqué, non point la Vierge Marie. Le Père céleste (dit saint Jean), a vie en luy-même. Tous les autres qui vivent ont leur vie du Père et du Fils et non point d'eux-mêmes. La Vierge n'avait donc point sa vie d'elle-même ; tant moins peut elle être la nôtre. Notre vie est celle de laquelle vivent tous les chrestiens ; c'est une vie en esprit par la voye et con- naissance d'un seul et vrai Dieu, et de Jésus-Christ qu'il aenvoyé.» L'Eglise catholique est définie dans ce petit livre, « la totale Communité de tous les Esleus de Dieu, prédestinée en adoption des enfants de Dieu et devant la constitution du monde, assem- blée et unie par le Saint-Esprit en unité de foy. » « Cette église est ung corps duquel non pas l'homme, mais Christ est le chef, auquel tout le corps est assemblé et uny par 159 toute joincture de la subministration selon l'opération, en la mesure d'un chascun membre, faisant accroissement du corps en l'édification de soy-même, par charité. » 1540. LA BIBLE en laquelle sont contenus tous les livres canoniques de la sainte Escrilure, etc. (par P. R.Olivetan, aidé de J. Cahin, avec un indice par Nie. Malingre). Mdxl (Genève), petit in- 4» golh. à deux colonnes. Celte édition, de la Bible protestante, dite d'Olivetan, la pre- • mière après celle de Neufchâlel, 1535, est connue sous le nom de Bible à Vépée, à cause du fleuron du frontispice où l'on voit une main qui tient une épée, et à côtelés lettres J et G, initiales de l'imprimeur Jean Gérard. Après le frontispice se trouvent 5 ff préliminaires, puis le texte, fol. 1 à 350 pour l'Ancien- Testament; ensuite les livres apocryphes, loi. 1 — 84, et enfln le Nouveau-Testament, folio 1 — 107. La même année, Jean Gérard a réimprimé cette Bible in- folio, et en 15-46, en lettres rondes. C'est d'après ces éditions qu'ont été exécutées toutes les Bibles protestantes dédales postérieures, de -Lyon (Jean de Tourne, 1557, et Sébastien Honorât, 1566, in-folio); de Genève, Ant. Reboul, 1561 , Jacques Sloër, Esaïe Lépreux, Vignon, les frères Chouet; de Sedan, J. Janon; de Francfort, Wechel ; d'Amsterdam , etc. Mais le texte français a reçu des corrections, et des notes ont été ajoutées dans les éditions successives. P. Robert Olivetan profila beaucoup, pour sa version de la Bi- ble, de l'édition d'Anvers, 1534 (Martin L'Empereur), qui est une nouvelle édition corrigée de la Bible de 1530, version de Lefèvre d'Etaples, avec des notes et l'interprétation des notes hébraïques en marge, comme dans la Bible d'Olivetan. Celui-ci, dans son 160 édition de 1535, a tantôt laissé subsister ces notes, tantôt il en a substitué d'autres. (Il y a une troisième édition de cette Bible d'Anvers, 1541, chez Ant. des Gois.) Calvin, dans sa préface de la Bible de Genève, 1540, et dans les éditions suivantes, parle en ces termes d'Olivetan et de sa traduction : a Touchant la translation de la Sainte Bible en la « langue Françoise, entre ceux qui ont travaillé après, feumais- (I tre Pierre Robert, en son vivant fidèle serviteur de l'Eglise « Chrestienne, et maintenant après son trépas de bonne et heu- « reuse mémoire, s'y est porté en sorte que son labeur est « digne de grande louange. Touttefois il ne faut pas s'esbahir s'il « lui étoil eschappé beaucoup de fautes en un tel ouvrage si « long et si difficile. Parce que en sa translation le langage « étoit rude et aucunement eslongné de la façon commune et « receue, il s'est trouvé homme qui a mis peine de l'adoucir, « non-seulement en le polissant, mais aussi en l'accomodant à « une plus grande facilité pour être mieux entendu de tous « Il dédie en bonne conscience son labeur tel qu'il est à Dieu. » Tous les biographes des réformateurs, à commencer par Th. de Bèze, dans ses Portraits des hommes illustres en piété, semblent s'être donné le mot pour passer Olivetan sous silence. EPISTRE DE JACQUES SADOLET. CARDINAL, envoyée au Conseil et peuple de Genève : Par laquelle il tasche de les ra- mener à l'obéissance du Pape de Rome. Avec la réponse de JEHAN CALVIN, in-8°. (Chez Michel Du Bois.) C'est un des plus rares, parmi les opuscules de Calvin, en éditions originales. Il avait paru en latin à Strasbourg, en sep- tembre 1539, 161 1541. DE LA CÈNE DU SEIGNEUR. Imprimé à Genève, par Michel Du Bois, 1541, petit iii-12. — Le nom de l'auteur, Jean Calvin, se trouve à la première page du texte. C'est à cette même année 1541 que l'on fait remonter la pre- mière édition française et genevoise de l'Institution chrétienne de Calvin. Quelques bibliographes ou biographes de Calvin la font paraître en 1540 et 1539. Il est probable, en effet, que les premières éditions sans date remontent jusque-là. Bayle parle avec certitude d'une édition de 1543, chez Jean Gérard. On sait que la première édition latine, que l'on trouve assez souvent en Suisse et qui n'est certainement pas si rare qu'on l'a dit, est de Bâle, en 1536. In-S" de 514 pages. 1542. LA FORME DES PRIÈRES ET CHANTS ECCLÉSIASTIQUES, avec la manière d'administrer les Sacrements, etc., selon la coutume de l'Église ancienne et comme on l'observe à Genève, 1542. In-8». Cette édition a été suivie de plusieurs autres dans le XVI^ siècle (1559, 1571, 1582). On trouve ordinairement cette li- turgie réunie auxPseaumes. C'est la seconde liturgie protestante. Dès 1533, Farel avait donné, à Neufchâle! la Manière et fasson qu on tient en baillant le sainct baptême etc. (Imprimé à Neuchâ- tel. par Pierre de Yingle, le 29* jour d'août 1533, in-S" goth. de 87 pages.) Il 162 1543. LE NOUVEAU TESTAMENT, translaté de grec en françois, reveu par M. Jehan Calvin (à l'enseigne de l'Epée), imprimé à Genève par J. Girard, 1543. — In-24. A la £n de l'indice, on lit ces vers : « Clément Marot, aux amateurs de la Sainte Escritiire. Bien peu d'enfants on treuve qui ne gardent Le Testament que leur père a laissé Et qui dedans de bien près ne regardent Pour veoir comment il l'a fait et dressé. Ce Testament de Dieu notre bon père Afin qu'à l'œil son vouloir nous appère Voulez-vous point le lyre voulentiers? C'est pour le moins, et plus de vous j'espère, Comme de vrajs célestes héritiers. Ces vers sont un souvenir du passage et du séjour de Marot à Genève, en 1543. A la fin du volume, on lit encore : (( Estienne Delafontaine aux enfans de Dieu. Le seul sauveur du monde Jésus-Christ, Nous a laissé le Nouveau Testament, Ou il a mis et couché par escript Le bon vouloir de son père amplement. Lequel est tel qu'il veut qu'également Ayons tous part (comme ses héritiers Et avec Christ son fils cohéritier) En Paradis. Lisez donc en ce livre Où vous prendrez je pense voulentiers Plaisir à Dieu qui d'enfer vous délivre. 16:î TRAITÉ DES RELIQUES ou avertissement très-utile du grand profit qui reviendrait à la Chrestienté, s'il se faisait inventaire de tous les corps saints qui sont tant en Italie qu'en France, Allemaigne, Espaigne et autres royaumes et pays, par Jelian Calvin. Genève, Jean Gérard, 1543, petit in-S". C'est l'édition originale de ce Traité, qui a été plusieurs fois réimprimé à Genève, en 1544, 8», 1551, in-16, 1579, 8% etc., et avec des adjonctions, entre autres en 1599, Genève, de la Ro- vière, 8°. Ce Traité a été traduit en plusieurs langues dans le seizième siècle. PSAUMES DE DAVID Mis en rime françoise par Clément Marot et Théodore de Besze, avec les dix commandements de Dieu, le cantique de Siméon et le cantique de Moyse. Item la prose correspondante verset par verset. Petit in-8" de 144 pages, ai — s iiij. Le titre porte cette épigraphe au-dessous d'un fleuron gravé sur bois, représentant deux hommes dont l'un tient une sphère éle- vée vers le ciel, et l'autre une sphère brisée qu'il laisse tomber par terre : Mieux vaut avoir en Dieu fiance Qu'en l'homme, qui est moins que riens : Mieux vaut avoir en Dieu fiance Qu'aux princes et grands terriens. (Psaume H8.) « Hominum varia salus. > L'épitre de Calvin « à tous chrestiens et amateurs de la pa- role divine, » qui est reproduite dans toutes les éditions pos- térieures, est datée dans celle-ci, « de Genève, le 10 de juin 1443. » La musique est imprimée avec le texte. A la suite on 164 trouve le Formulaire des prières ecclésiastiques et le Catéchisme de Calvin. Il y aurait, d'après Brunet, une autre édition antérieure in- titulée a Psalmes de David, translatés de plusieurs autheurs et principalement de Cl. Marot. Anvers. Ant. des Gois, 1541, petit in-8°. 1544. BRIEFVE INSTRUCTION, pour armer tout bon fidèle contre la secte commune des Anabaptistes, par Jehan Calvin, Genève, 1544; chez Jean Girard. In-8" de 170 pages. Cette édition, comme beaucoup d'autres de Jean Girard, porte pour fleuron le glaive tenu par une main au milieu des flammes, avec la légende : « Non veni pacem mittere iîi terrain, sed gla- dium. » Ce traité est précédé d'une épi Ire : « Jehan Calvin atix ministres des Eglises du comté de Neufchastel, du 1^'' juin 154A. » Nicolas des Gallars, qui écrivit lui-même contre les Anabaptistes, tra- duisit ce traité en latin. AUX MINISTRES DE L'ÉGLISE DE NEUFCHASTEL, contre la secte fanatique et furieuse des LIBERTINS qui se nomment Spirituelz. Genève, 1544. In-S". L'année d'après, 1545, il parut de cet opuscule une autre édition avec un changement dans le titre : «r Contre la secte phantastiqtie des libertins^ qui se disent spirituels. « In-S». TRAITÉ DE FUIR LES SUPERSTITIONS. Ensemble l'excuse de Jehan Calvin à Messieurs les Nicodémites sur la complainte qu'ils font de sa trop grande rigueur. (Ge- nève, à l'enseigne de l'Epée, 1544, in-S^min.) Il existe une autre édition de ces deux opuscules, 1451, in-16. Ils parurent d'abord séparés. 165 1546. LA SOMME DE THÉOLOGIE DE MELANCHTOiN. In-S" (Genève), 1546. A l'enseigne de l'Epée. L'avertissement est signé par Calvin, ce qui fait attribuer tout le livre, qui est un très-fort in-8°, à cet auteur, bien qu'il ne figure pas clans la liste dressée par Th. de Bèze (en 1564). Une seconde édition est datée de 1551, chez Jean Crespin. On donne encore comme des éditions genevoises de cette an- née 1546 : La nouvelle du révérend père en Dieu, et bon prélat de noire mère sainte Eglise, demorant en Avignon , et le moyen comme il ressussita de mort à vie; avec le deschiffrement de ses tendres amourettes, etc., par maistre Colin Boyer. A la fin du livre, on voit la marque de Jean Girard, de Ge- nève, qui l'a mise à plusieurs ouvrages de Viret. « Comme le nom de l'auteur est supposé, il ne serait pas impossible, dit Brunet, que Pierre Viret lui-même fut l'auteur de cet ouvrage salyrique. » La vie et les ouvrages triomphants d'une très illustre Damoiselle, nommée Catherine de Bas Souhaits, par Jehan de la Roche, baron de Florigny. Ce volume rare, qui contient les aventures de la femme d'un conseiller au parlement de Bordeaux, nommé Jean de la Borne, doit aussi avoir été imprimé à Genève. Il porte la fausse indi- cation de « Troyes, chez maistre Nicole Paris. » 1547. CONTRE LA SECTE PHANTASTIQUE ET FURIEUSE DES LIBERTINS, qui se nomment spirituels, avec une épitre de la même matière contre un certain cordelier, suppôst de la dicte secte, lequel est prisonnier à Roan. Genève, 1547, in-S". 166 LES VISIONS DE PASQUILLE. Le jugement d'iceluy, ou Pasquille prisonnier, avec le dia- logue de Probus. (Genève), 1547, petit in-12 de 344 pages. C'est une traduction assez libre de la fameuse satyre « Pas- quilli Exlatici colloquium cum Marphorio » de Cœlius Curio Se- cundus. « Comme il appert, dit le traducteur (qui ne se nomme pas), par le devis nocturne de ces deux Marmosets, combien tout est déguisé dans telles tragédies intitulées du nom de religion chres- lienne, où l'on a si bien amusé et embabouiné les spectateurs, qu'ils croyent que Dieu par telles batelleries ridicules soyt de- venu servy et honoré ; ung fidèle notaire a recueilly et rédigé par escrit ce que ces deux, posés au lieu le plus éminent du théâtre, ont dit dans un devis nocturne en beau langage ro- main. » Pasquin raconte à Morforio les choses de la réformalion « com- me il les ouyt dire à son hôte, retournant de Genève en passant par le pays de Suysse. » 1549. ADVERTISSEMENT CONTRE L'ASTROLOGIE qu'on appelle judiciaire, et autres curiosités qui régnent aujourd'hui dans le monde, par M. Jean Calvin. Genève, par Jean Girard, 1549. In-8», 55 pages. 1551. DES SCANDALES qui empeschent aujourd'hui beaucoup de gens de venir à la pure doctrine de l'Evangile. Traité com- posé nouvellement par Jehan Calvin. A Genève, de l'impri- merie de Jean Crespin, 1551 , in-16. 167 1552. QUATRE SERMONS de M, Jean Calvin, traitant de matières fort utiles pour notre temps. Genève, 1552. In-8°. Ce sont les premiers sermons imprimés de Calvin. Le nombre de ceux qui le furent ensuite, comme aussi de ses commentaires sur des livres de la Bible, est si considérable qu'il serait im- possible de lesénumérer ici. Nous ne citons que les éditions ori- ginales qui présentent un double caractère d'intérêt et de rareté. LES CENSURES DES THÉOLOGIENS DE PARIS, par les- quelles ils avoyent faulsement condamné les Bibles imprimées par Robert Estienne, imprimeur du Roy ; avec la réponse d'iceluy Robert Estienne. Traduictes du latin en françois. (Genève), Mo. lu. Le xiii juillet. In-8°. Ce fadum expose les causes qui forcèrent ce célèbre impri- meur à quitter Paris pour s'établir à Genève où il consacra son industrie à l'impression des Bibles protestantes et des ouvrages des théologiens réformés, entr'autres de Calvin. (Voyez ci-après, VElablissement des Estienne à Genève.) Cette édition de 1552 est la seule qui ait été faite. Elle est fort rare et réellement précieuse. 1553. LA BIBLE (traduction française revue par Jean Calvin). L'Oli- vier de Robert Estienne (Genève), m. DLiii.le ix juin. In-folio. En lettres rondes, comme toutes les éditions des Estienne et en général des imprimeurs genevois depuis 1540 ouendiron. C'est la première édition de la Bible donnée à Genève par les Estienne, depuis l'arrivée de Robert Estienne, chef de la branche de cette illustre famille, qui s'établit dans cette ville en 1551. i6i8 En i551, Robert avait déjà publié une édition du Nouveau Tes- tament, 2 vol. in-16 ou in-S" à trois colonnes, contenant avec le texte grec la double traduction latine de la Vulgate et d'E- rasme. En 1552, il avait imprimé à Genève le Nouveau Testa- ment en latin et en français les deux translatiotis répondantes Vune à Vautre verset par verset. Dans l'édition complète de la Bible donnée par Robert Es- tienne, à Genève, en 1553, Calvin a fait divers changements à la traduction française d'Olivetan, plus considérables que ceux de l'édition gothique de 1540, dite de la Bihle à VEpée. On sent qu'une nouvelle ère commence, tant pour la typographie que pour la langue française, à Genève. L'usage des caractères go- thiques d'imprimerie cesse en même temps que certaines ma- nières de parler, anciennes et très-gothiques aussi, qui rap- pellent la Genève épiscopale et savoisienne. On sent que la ré- forme religieuse entraîne à sa suite une réforme du langage et aussi des moyens d'exécution typographique. CATÉCHISME par Jehan Calvin. L'Olivier de Robert Eslienne. M. D. LIIL In 8» ou plutôt in-16. C'est la première édition française de ce Catéchisme donnée par les Estienne. En 1551, Robert Estienne en avait déjà donné une version grecque, faite par Henri, son fils, qui devint plus tard le célèbre Henri Estienne. La version grecque de ce Catéchisme célèbre fut donc publiée par les Estienne deux ans avant l'édition française. Ant. Aug. Renouard a supposé que l'auteur et l'éditeur voulaient ainsi faire un essai et produire le livre au loin, dans la langue classique que les savants du seizième siècle venaient de remettre en hon- neur, avant de le publier en langue vulgaire. « Il est avéré, dit « l'auteur des Annales de V Imprimerie des Estienne C^ édit., « Paris, 1843, page 81), que la version grecque fut publiée « deux ans avant l'original français, et peut-être voulut-on ainsi « produire ce livre au-tleliors, avant de s'exposer ù l'effet de sa « publication Françoise. » Cette supposition est tout-à-fait gratuite. Le Catéchisme fran- çais de Calvin eut bien des éditions avant celle de 1553 par Ro- bert Estienne. On le trouve aussi imprimé à la suite de plusieurs éditions des psaumes, entre autres de celle de Genève 1543 (Voyez plus haut). Tout ce qu'on peut dire, c'est que ces éditions anté- rieures à celles de 1553, sont étrangères à Robert Estienne. L'imprimeur J.-G. Fick a donné, en 1853, une édition fac- similé du Catéchisme de Calvin, calquée sur celle de 1553. 1554. DÉCLARATION POUR MAINTENIR LA VRAYE FOY etc. par Jean Calvin, contre les erreurs détestables de Michel Ser- vet Espagnol, où il est aussi montré qu'il est licite de punir les hérétiques ; et qu'à bon droit ce méchant a été exécuté par justice en la ville de Genève. Chez Jean Crespin, à Genève, M. duiii, in-8" de 556 pages. Nous citons cette édition française d'un livre de Calvin qui a aussi paru en latin et qui a été réimprimé dans les Opuscules ( iu-folio 1566 ) et dans les œuvres complètes, à cause de sa grande rareté et de l'intérêt douloureux du sujet. Ce livre est divisé en quatre parties : La première, dans laquelle Calvin montre qu'il est licite de punir les hérétiques , f 3. La seconde qui renferme trois questions proposées par escrit à M« Jehan Calvin par Michel Servel, et les réponses de Calvin, avec les répliques de Servet, f 60. La troisième qui contient les articles blasphématoires extraits 170 des livres de Michel Servet que produisent les ministres de Ge- nève, f* 99. La quatrième contient une plus ample déclaration des erreurs de Servet faite par Calvin, f" 180. A la fin de cette dernière partie Calvin s'exprime ainsi : « Combien que je n'ay fait qu'un simple récit des erreurs de Servet, sans amener les raysons par lesquelles je le pouvais réprouver: toutefoys il y a de l'absurdité si lourde, laquelle se monstre de soy-méme, que les lecteurs non seulement en de- vront être faschés, mais aussi avoir en détestations un tel mons- tre. S'il y en a qui ne s'en trouvent point estonnez, malheur sur leur subtilité brutalle. Sur un avant-dernier feuillet non paginé on lit: « Les ministres et pasteurs de l'Eglise de Genève qui ont ap- prouvé ce livre et y ont souscrit sont : Jehan Calvin, Abel Poup- pin. Jaques Bernard, Nicolas des Gallars, François Bourguoin, Nicolas Petit, Remond Chauvet, Mattieu Malésian, Michel Cop, Léon Piret, Jean de Sainct-André, Jean Baldin, Jean le Fèvre, Jean Maccard, Nicolas Colladon. » Et sur un dernier feuillet, également non paginé, se trouve au recto cette souscription : « De l'imprimerie de Jean Crespin, le vingt-quatrième jour de febvrier l'anaprèsla nativité de N. S. J. C. m. dliiii. » DEUX EPISTRES PRÉPARATOIRES aux histoires et actes de Genève : l'une dédiée au sénat; l'autre exhortatoire à tout le peuple de Genève, composées par Ant. Froment. Genève, Jean Gérard, 1554. Petit in-1'2, signal, a iiij — d iii. On lit à la fin ce dixain : Mon nom tourné porte ce mot : Vengée Qui bien me sied et \ient tout à propos; 171 Car Dieu, voyant qu'on m'avait affligée. Vengée m'a de mes mescbauts suppôts. Or vaj-ie et vien, je trotte, j'ai campes En liberté Sainte et Evangéliquc, Sans craindre plus la secte Papistique Ne tout Enfer; car Jésus est mon maistre. Lequel, de toute Idolâtrie inique. M'a délivrée, à lui gloire en puisse être. 1555. CHANT DE VICTOIRE chanté à Jésus-Christ, en vers latins, par M. Jehan Calvin, l'an Mdxli, le premier jour de janvier, à la Diète, qui pour lors se tenait à Worms. Nouvellement traduit en rithme française, en vers alexandrins, par Conrad Badius, de Paris, et imprimé par iceluy. (Genève), 1555. In- 4" de 16 pages. Cet ouvrage avait paru à Genève sous le titre à'Epinicium Christo cantatum, 1544, in-8°. On attribue aussi à Calvin, bien qu'il ne figure pas dans ses œuvres, un petit livre fort rare qui parut en français, en 1541 : «i Les Actes de la journée impé- riale tenus en la cité de Regensbourg, dicte Ratisbonne. » Petit in- 8". Mais il est douteux que l'édition soit Genevoise. 1556. L'ALCORAN DES CORDELIERS, tant en latin qu'en françois ; c'est-à-dire la mer des blasphèmes et mensonges de cet idole stigmatisé qu'on appelle saint François, recueilli par le doc- teur Martin Luther, du livre des Conformistes de ce beau saint François, imprimé à Milan, en 1510, et nouvellement traduit à Genève, par Conrad Badius; et cela fut imprimé à Genève chez lui-même, en 1556. Piemière édition de la traduction, par Conrad Badius, de 172 l'extrait qu'Alber (Erasme), disciple de Luther, avait fait de l'ouvrage de Barthélémy Albizzi, de Pise, intitulé: Liber confor- mitatum S. Francisci ad vitam Jesii-Christi, où la vie et les mi- racles de saint François sont représentés comme fort supérieurs à ceux de Jésus-Christ. Le traducteur, Conrad Badius, fils de Jodocus (Josse) Badius Ascensius d'Asch, célèbre imprimeur de Paris, s'était retiré, vers 1549, pour cause de religion, à Genève, où il s'associa succes- sivement avec les imprimeurs Jean Crespin el Robert Estienne; ce dernier son beau-frère. Maître Conrad Badiusétait fort lettré, et les livres qu'il imprimait sont enrichis des préfaces de sa façon, dont plusieurs sont citées comme des modèles de préci- sion et d'érudition. On a de lui plusieurs ouvrages, et proba- blement qu'il est l'auteur d'un plus grand nombre que ceux qu'on lui attribue. Le genre qu'il préférait était la satyre. Il fit de YAlcoran des Cordeliers un ouvrage nouveau en l'augmentant d'un second livre. Dans une nouvelle édition (Genève, 1560, 2 vol. in-12), Conrad Badius ajouta la figure d'un arbre, contenant par branches la conférence de saint François avec Jésus-Christ, Une troisième édition fut faite à Genève, en 1578, in-S". chez Guillaume de Laimarie. Enfin, VAlcoran des Cordeliers reparut modernisé à Amsterdam, en 1734 (2 vol. in-12), avec des figures de Bernard Picard. RÉFORMATION POUR IMPOSER SILENCE A UN CERTAIN BÉLÎTRE, nommé Anth. Cathelan, jadis cordelier d'Albi- geois. (Par Jean Calvin). Genève, 1556, in-S". 1557. TRAITÉ DE LA GRAMMAIRE FRANÇOISE, par .Robert Es- tienne (Genève), in-S". n3 DICTIONNAIRE DES MOTS FRANÇOIS, selon l'ordre des Jellres, ainsi qu'il les faut escrire, in-4". VOlivier de Robert Estienne, 1557. C'est la première et. la plus rare édition dé cette grammaire célèbre. « Ce qui pourroit rester, dit l'auteur, à savoir comment chaque mot se doit escrire, et les plus communes manières de parler françois se trouveront au petit dictionnaire latin françois que nous avons imprimé cette année. » Il suffit de parcourir la grammaire de Robert Estienne, pour mesurer les pas immenses que l'étude de la langue française avait faits à Genève depuis l'année 1537, qui est celle où parut V Ins- truction des enfants, dont nous avons donné plus haut quelques extraits. Les méthodes d'enseignement avait été aussi singuliè- rement perfectionnées, entr'autres par Mathurin Cordier, qui mourut à Genève, en 1564, principal du collège. LE MARCHAND CONVERTI, tragédie nouvelle, dans laquelle la vraie et fausse religion, au parangon l'une de Vautre, sont au vif représentées. Genève, Jean Crespin, 1558. In-S" de 166 pp., non compris 4 ff. préliminaires. Cette satyre, sous la forme dramatique, a été réimprimée à Genève, en 1561, in-8° et in-16, et par Gabriel Cartier, dans ce dernier format, en 1582. Elle a été aussi imprimée, avec la Comédie da pape malade, en ibS'i, pour Claude d'Augny ou Jean Durant, in-16, et en 1591, dans le même format, par Fr. Fo- rest, en 1594, par Jacques Chouet. Cette satyre, fut composée primitivement en latin, par Kirch. meyer ( Naogcorgus ), auteur du Regnum Papisticum. La pre mière édition latine est de Bàle, 1540, sous ce titre : TRAGŒ- DIA NOVA MERCATOR, seu jndicium in quâ in conspectu po- nuntur apostolica et papistica doctrina. 174 1560. SATYRES CHRESTIENNES DE LA CUISINE PAPALE. Genève, 1560, in-8° de 131 pages. Impression de Conrad Badins. Brunet attribue cette pièce rare et singulière à Pierre Virel. Nous la croirions plutôt de Conrad Badius lui-même, d'après cette indication fournie par les procès- verbaux du petit conseil ou conseil d'État de Genève, à l'année 1560 : « Conrad Badius, homme lettré, requiert pour les Satyres de la cuisine papale. » (Archives de Genève.) On trouve entr'autres, dans ces satyres, un dialogue entre Friquandouille, frère Thibaut et messire Nicaise. 1561. COMÉDIE DU PAPE MALADE ET TIRANT A SA FIN. Tra- duite du vulgaire arabic, par Thrasibule Phénice (attribuée à Théodore de Bèze), Mdlxi. In-16 de 72 ff. (Genève, Conrad Badius.) — Autre édition in-S», sous la rubrique de Rouen, 1561. Le titre de ce drame satyrique, en cinq actes, sans distinction d'actes ni de scènes, avec prologue, donné tout au long, porte : « Comédie du Pape malade et tirant à sa fin, où ses regrets et complaintes sont au vif exprimées, et les entreprises et machi- nations qu'il fait avec Satan et ses suppôts pour maintenir son siège apostolique et empêcher le cours de l'Evangile, sont caté- goriquement découvertes. » Cette pièce, d'après Mercier de Saint-Léger, aurait dû pa- raître aussi en latin. Ce bibliographe en cite dans cette langue une édition de Genève, 1584, in-16. 175 1562. LES ORDONNANCES ECCLÉSIASTIQUES DE L'ÉGLISE DE GENÈVE, ilem l'ordre des Escholes, etc. Genève, 1562. fn-8». Ces ordonnances sont datées du 13 novembre 1561. Elles sont en grande partie l'œuvre de Calvin. Un supplément de 8 pages contient les ordonnances en matière matrimoniale et de moeurs. (Réimprimé en 1578, 1609, 1677.) 1564. TAXE DE LA PÉNITENCERIE ET CHANCELLERIE RO- MAINE. Réimprimé sous le titre de: Taxe des parties ca- suelles de la boutique du Pape, en latin et en François. A Lyon (Genève), 1564. In-8» de 173 pages. Le titre porte une gravure sur bois, qui a trait au sujet du livre, et que nous reproduisons : 176 Le tarif de la chancellerie romaine avait été plusieurs fois imprimé à Rome et ailleurs (pour la première fois en 1474, par ordre de Sixte IV). Dans l'édition de 1564 que nous indiquons, ce livre est de- venu un ouvrage satyrique et de polémique. « J'ay mis au vray le texte latin, dit l'auteur, qui ne se fait connaître que par ses initiales A.D.P. (Antoine Du Pinet),avec traduction françoise, y ajoutant quelques annotations pour servir à l'Église ; car le contenu du texte est si vilain et si détestable, que je vous sup- plierai, mes frères, me pardonner de l'avoir présenté à une compagnie si sainte que la vôtre, où on n'oyt résonner que can- tiques, psalmes et louanges au Seigneur notre Dieu. Mais il convient de monstrer au vilain sa violence et au fol sa folie, » Cette édition de 1564, la première de l'ouvrage de Du Pinet, est fort rare et recherchée. Il y en a d'autres de 1607 et de 1608. Toutes sont de Genève, ainsi que l'indiquent les appa- rences typographiques, et une au moins semble sortir de l'im- primerie d'Eustache Vignon qui imprima vers le même temps (1578), V'Antithesis Christi et Anie-Christi , qui contient des 177 gravures sur bois d'un bon maître (probablemenl le Petit Ber- nard), dont nous donnons deux spécimens '. Du Pinet, de Deaume-les-Dames, en Franche- Comté, avait embrassé la réforme de Calvin. On lui doit une traduction de l'histoire naturelle de Pline, imprimée plusieurs fois à Lyon et à Genève, et divers ouvrages de polémique religieuse, La satyre domine dans la plupart des livres qui traitent des matières de controverse, imprimés à cette époque à Genève. Pierre Viret et Théodore de Bèze avaient mis à la mode l'usage de cette arme. Les catholiques répondaient sur le même ton. On sait que c'est précisément à celte époque que parut à Lyon (4572), la Gé- néalogie et la fin des Huguenaux et descouverle du Calvinisme, par Gabriel de Saconay, archidiacre et comte de l'Eglise de Lyon. « Huguenau, dit l'auteur, est un Guenau ou un singe. Le françois hérétique a pris ce nom pour s'être plustôt transformé en guenon et en singe qu'en autre bête, suivant un certain naturel d'aucuns françois qui se rendent assez souvent imitateurs des nations es- trangères es mœurs, gestes et habillements; qui est le propre du singe. » ' Nous les devons à l'obligeance de M. J,-G. Fick, qui possède les bois originaux de plusieurs graveurs du seizième siècle. 12 178 1567. BIBLE (la) qui est tovte la Saincte Escriture : contenant le Vieil et le Nouveau Testament. (A Genève), de imprimerie de François Estienne, Md.lxvii, in-8°. Cette Bible est très-remarquable par son exécution typogra- phique. Elle se compose ainsi: le titre, YEspitre aux lecteurs, la somme de tout ce que novs enseigne VEscriture, le nom de tous les Livres de la Bible., 4 ff ; le texte de : 1" 370 ff. chiffrés d'un seul côté (dans cette partie, il doit se trouver entre les feuillets 1 et 2 une figure représentant la situation du jardin d'Eden, qui est non chiffrée et qui peut manquer; un tableau généalogique 179 entre les ff. ÎA et 5:2, aussi non chiffré; entre les ff. 69 et 70. on voit une carte de la marche des Israélites ; entre 97 et 98, un tableau du partage de la terre do Canaan). 2° Les Livres apocryphes qui recommencent le chiffrage de 1 à 90. 3° Le Nouveau Testament, avec un titre, de 162 ff. chiffrés, plus 11 ff. pour l'interprétation des mots et l'indice. (Celte partie contient entre les ff. 3 et 4 une carte de la terre sainte, elle se déploie ; entre 55 et 56 une autre de la Carte des pays et autres lieuec mentionnez dans le livre des Apôtres.) 4» Une partie composée de 82 ff. comprend un : Avis à tovs Chrestiens,\es Psaumes mis en rimes frunçoises,par Théod. deBèze et Clément Marot, avec la musique notée ; prières et table des Psaumes ; la forme des prières ecclésiastiques, et le Cathéchisme. 5° Calendrier histojnal de 8 ff,, avec un titre. Nous ajouterons que le texte, imprimé en très-petits caractères, est orné de fi- gures sur bois très-finement gravées, dont nous donnons un spécimen d'après la planche originale, Vaccoustrement du grand sacrificateur. Il existe plusieurs éditions postérieures de celte Bible faites à Genève dans le même format ou dans un format plus petit, en- tr autres celle de 1588 (avec la marque de Leymarie). En tête, se trouve un avertissement aux marchands libraires et imprimeurs, où on lit : « Les frais de cet ouvrage, imprimé en trois différentes formes en même temps, ont été libéralement fournis par quelques gens de bien, qui n'ont cherché de gagner pour leur particu- lier, mais seulement de servir à Dieu et à son Église. Or, nous avons jugé nécessaire de notifier cela, afin qu'outre la louable coutume observée par gens d'honneur, maniant la librairie, de ne faire concurrence, ni pocher les labeurs d'autrui, la charité 180 qui commande à tous chresliens d'avoir pitié d'une infinité de pauvres personnes, malades, impotents, vieux, orphelins , pas- sants et autres recevant quelques subventions de la dite com- munauté, vous avertissent de ne faire tort à vous-même en moissonnant par tel sacrilège où vous n'auriez pas semé, ni aux susdits poures, en les privant de ce peu que notre Seigneur leur présente pour les soulager. « L'intention des dits gens de bien est que, tout étant déduit et satisfait, s'il y avait quelque petit avantage par dessus, cela fut voué et dédié à la communauté des poures réfugiés de divers pays et nations de cette Eglise. ETABLISSEMENT DES ESTIEMË A GENÈVE. a) Robert ESTIENIWE. Les causes qui amenèrent à Genève une partie de la famille de ces illustres typographes Parisiens, dont la réputation égale celle des Aide de Venise, tiennent au mouvement général de la réformation. Robert Estienne, fils de Henri Estienne, premier de nom, imprimeur à Paris, de 1502 à 1520, fut plus savant et plus célèbre que son père. Protégé par François I^"", imprimeur du roi pour les lettres Hébraïques et Latines, connu par ses belles éditions grecques, imprimées avec les élégants caractères gravés par Garamond, à la fois auteur et éditeur du Trésor de la langue latine (Thésaurus linguœ latinœ), Robert fut l'un des hommes remarquables de ce seizième siècle qui en a tant pro- duit. Le zèle qu'il mit à propager les éditions latines de la Bible dans les formats grands et petits, lui attira les censures de la 181 Sorbonne '. Il y répondit par un pamphlet célèbre, adressé: « Aux lecteurs qui cherchent en vérité le sauveur Jésus-Christ. » (Voyez plus haut, à l'année 1552.) Robert Estienne avait épousé la fille du savant imprimeur Josse Bade (Jodocus Badius). De ce mariage étaient nés plu- sieurs enfants. Après la mort de François I", en 1547, voyant qu'il ne pouvait compter sur son successeur, Henri II, Robert résolut de s'établir avec sa famille à Genève où la reforme flo- rissait. Mais ce transport demandait des précautions et même du mystère. Il confia à son beau-père, Conrad Badius, qui parta- geait ses idées protestantes, un de ses jeunes fils, Robert, pour le conduire à Lausanne, sous prétexte de le mener à Troyes chez un fabricant de papier qui fournissait sa maison. Les autres en- fants suivirent peu après et furent placés à Lausanne chez un maître d'école. Enfin, en 1550, le chef de la famille, Robert, avec Henri, son fils aîné, âgé d'environ vingt ans, se transpor- ta à Genève où il réunit tous les siens. Les frères de Robert, imprimeurs et éditeurs comme lui, restèrent à Paris où ils fu- rent rejoints par une partie de la famille établie à Genève, qui quitta cette ville. Nous n'avons pas à nous occuper de cotte branche qui continua à faire fleurir la typographie parisienne. Robert, chef delà branche Genevoise, imprima à Genève, dès 1551, le Nouveau Testament en grec et en latin. Ces éditions sont très-rares. Il avait emporté les matrices des types grecs qui avaient' été gravés par l'ordre de François P', et qu'on appelait les caractères royaux (typiregii). Lui appartenaient-ils où était- ce une propriété nationale ? C'est une question qui a été bien souvent débattue et jamais résolue. Il est certain qu'au com- ' Robert Estienne imprimait aussi en placards, pour être affichés dans les écoles, des extraits de la Bible en latin (Sutnma tolius scn'p- turœ), et les Dix Commandements. « Qui est-ce qui ne connoil les fas- cheries qu'on m'a faites pour cela? » dit-il dans sa réponse aux cen- seurs Sorbonistes. 182 mencement du dix-septième siècle, ces caractères furent rendus à la France, mais contre une somme d'argent, ainsi que nous le verrons plus tard. Dès l'année 1552, Robert Estienne consacrait ses talents, son activité et ses presses à la reproduction de la Bible et des parties de la Bible, des psaumes et d'autres ouvrages protestants. Son édition de la Bible in-folio, de 1553, est célèbre. Il conserva à Genève la marque qui distinguait ses livres quand il était établi à Paris, un olivier avec celte devise : « Noli altum sapere, sed time », et quelquefois seulement: « Noli allum sapere. » Ne t'élève point par orgueil, mais crains. (Saint Paul, Epitre aux Romains, xi, 20.) -/J/é L'olivier de Robert Estienne, OLIVA ROBERTI STEPHANl, devenu si célèbre dans les annales typographiques, est une al- lusion figurée à ce passage de l'apôtre : « Que si quelques-unes * des branches ont été retranchées , et toi qui étois olivier '( sauvage, a été enté en la place d'icelles, et as été fait parti- « cipant de la racine et de la graisse de l'olivier, ne te glorifies '< point contre les branches. » 183 En 1554, Robert Estienne imprimait les écrits apologétiques de Calvin et de Bèze touchant le jugement de Servet. 11 avait, dit-on, dépêché à Francfort un commis pour faire saisir et brûler tous les exemplaires qui y avaient été envoyés du livre sur la Restitution du Christianisme (Christianismi restitutio), qui avait fait brûler cet infortuné. Persécuté naguères, Robert était devenu à Genève assez enclin à la persécution. Dans une de ses préfaces de 1553 (Prœfatio ad Glossœ novœ spécimen), il reproche aux Théologiens de France, qui avaient voulu le persécuter, de n'avoir pas seulement songé à brûler Rabelais '. A côté des livres de religion et de controverse, Robert Es- tienne imprima à Genève des dictionnaires, des grammaires et en général les ouvrages qui, à Paris, lui avaient valu une si bonne renommée desavant éditeur. En 155G, le gouvernement de Genève, pour le récompenser de l'heureuse impulsion qu'il avait donnéeà la typographie de Genève, lui conféra gratuitement la bourgeoisie. Il est certain que l'arrivée de Robert fut heu- « ■ yullam operam dederunt ut libri Gargantua et Panlagructis, Alhei F. Rabtesii aini autore cremarentur. » Rabelais était à Genève l'objet de nombreuses poursuites. Le nom de cet auteur revient souvent dans les registres du Consistoire. On lit, sous la date du 6 février 1370 : « Lucas Copin est renvoyé par Mes- sieurs, pour avoir abusé en ses études de plusieurs livres prophanes, comme Rabelex et Catulle. Pour laquelle faute lui a été la Cène inter- dite. Et, au reste. Messieurs sont priés de lui ordonner de se retii-er de la ville, avec injonction, s'il ne peut être euti-elenu en bon chemin dans la maison paternelle, qu'il soit réduit à prison en lieu propre, sans maniement d'aulcuns deniers. Et pour ce qu'il est avéré qu'il a acquis les dits livres dEmerand, libraire à Lausanne, qui encore en pourroit avoir en sa librajrie , qu'il plaise à nos Seigneurs de les faire re- chercher. » On voit aussi le Consistoire prendre l'initiative pour faire arrêter l'impression d'une édition de Rabelais, qui se faisait clandestinement à Montluel, et donner les ordres les plus sévères pour la punition de tous ceux qui seraient trouvés détenteurs des ouvrages du curé de Meudon . 184 reuse pour l'imprimerie de Genève. Il tendit à la perfectionner ; souvent il fut consulté sur les mesures à prendre pour arriver à des améliorations, et il fut loin d'être étranger aux dispositions qui se résumèrent dans l'ordonnance de 1560 dont nous avons donné la teneur. Robert Esiienne mourut à Genève, le 7 septembre 1559, à l'âge de 56 ans. Père de nombreux enfants, il fit un testament qui est conservé aux archives de Genève '. Il y déshérite ses deux fils, Robert et Charles, qui étaient retournés à Paris, et « s'é- taient pollués à la messe et autres superstitions de la pa- pauté ^. » Il institue son héritier universel, Henri, son fils aîné, aux charges: 1° De payer toutes ses dettes et de donner 2,000 livres tournois à son fils François, « à condition qu'il reste dans la réformation. » 2» De donner 1,600 livres à chacune de ses filles, Jeanne et Catherine, déjà auparavant dotées, 3° De con- tinuer l'établissement paternel. » Cette dernière clause, qui fut plus fard l'objet de nombreuses contestations devant les autorités de Genève, estainsu^orroborée : « Au cas que le dit Henri vint à rompre l'état, train et vacation de la dite imprimerie, pour prendre autre état, ou bien aussi qu'il s'en allast demeurer hors cette église, le testateur ordonne que le dit Henri soit privé el décheu de tous ses dits biens, et qu'ils accroissent au dit François, son frère, pourvu toutefois que celui-ci ait bon témoignage de Dieu el de ses ministres, et aussi qu'il maintienne le dit état d'imprimeur. » En défaut, par Henri et François, de satisfaire à ces condi- tions, le dit testateur veut que ses biens soient acquis à ses filles» en baillant toutefois à la bourse des pauvres étrangers et au ' Minutes du notaire J. Ragueau, vol. de 1339 à 1360, fol. 183, ' Les enfants de Robert Estienne, retournés à Paris, avaient été mis en possession de l'établissement et des livres délaissés par lui dans celte ville. 185 collège de cette cité, à chacun la somme de 400 livres tournois, outre d'autres legs déjà faits. b) Henri BSTIEHHîb. Henri, second de nom, fut le plus savant et le plus célèbre de tous les membres de la famille Stéphanienne. Mais les iné- galités de son caractère nuisirent à ses intérêts et à son bon- heur. Sa vie est une lutte incessante contre les hommes et l'ad- versité, lutte qu'il soutint avec une énergie et un courage ex- traordinaires. Il est inouï qu'un homme, au milieu de telles tra- verses, ait produit tant de choses et d'une telle valeur. Dès l'année 1546, Henri, qui avait reçu à Paris une éducation particulièrement distinguée, avait été associé aux travaux de son père, entr'autres sur Denis d'Halicarnasse. Pendant trois ans il visita l'Italie et d'autres pays où il fut accueilli avec empresse- ment a cause de son père et de ses propres talents. Du vivant même de Robert, il avait établi aussi à Genève une imprimerie a lui, qui se confondit en 1559 avec l'établissement paternel. Les produits des presses genevoises se répandaient alors dans le monde entier. La réforme était au plus haut période de son mouvement de propagation. Tant par zèle religieux que par spéculation, on venait de tous côtés en aide aux auteurs et aux imprimeurs de Genève. Des Français, des Anglais, des Alle- mands, des Italiens, s'étaient établis dans celte ville, tant pour fuir les persécutions, qu'afm de pouvoir consacrer leurzèle et leur fortune au développement des doctrines nouvelles. Il se faisait donc à Genève d'assez grosses affaires en imprimerie et en li- brairie. Les foires de Francfort et d'autres villes d'Allemagne étaient le grand marché de cette industrie que commanditaient plusieurs capitalistes étrangers. Au nombre de ceux-ci, on citait un fameux banquier d'Augsbourg, Ulrich ou Huidrich Fug-er 186 célèbre par sa libéralité et pour ses goûts littéraires. L'opu- lence de cette famille était devenue proverbiale. On disait qu'elle avait le secret de la pierre philosophale. Les Fuggers étaient concessionnaires des mines de mercure d'Almaden, en Espagne. On contait qu'ils avaient chauffé la cheminée de l'empereur Charles-Quint, qui logea chez eux à son retour de Tunis, avec des créances qu'ils avaient sur ce monarque. Rabelais parle des Fuckers ou Fourques d'Augsbourg, comme on parle aujourd'hui des Rothschild '. L'empereur Maximilien les avait créés barons. Huldrich Fugger, né en 1528, avait d'abord embrassé l'état ec- clésiastique et devait même être camérier du pape Paul III. Mais, de retour en Allemagne, il embrassa la réformation et fit pour elle des sacrifices si considérables, de même que pour la recherche des manuscrits et des livres précieux, que sa famille finit par le faire interdire. Il entretenait à Genève, vers 1560, un agent spécial dont nous avons déjà parlé, Henri Scrimger, écossais, professeur à l'Académie de Genève et reçu bourgeois de cette ville. Scrimger, qui devint plus tard le parent d'Henri Estienne, lequel épousa en secondes noces, Barbe de Wille, écossaise, était chargé par Huldrich Fugger, de lui chercher des manuscrits et des livres précieux, comme aussi de faire tra- vailler des imprimeurs de Genève. Le riche Allemand avait pris le savant Henri Estienne en affection particulière. Dès 1558, on voit Henri s'intituler, dans ses premières éditions: « L'im- primeur d'Uldrich Fugger (Uldrichi Fuggeri, typogiaphus), tout en conservant sa marque typographique, le glorieux olivier de son père. * « Après les Fourques de Auxbourg en Alleniaigne, Philippe Strozzi est estimé le plus riche marchand de la chrétienté. (Rabelais, Epilre à Vévêque de Maillezais.) « Au doigt médical de la dextre, il avait un anneau fait en forme spirale de prix inestimable. Car il fut estimé à la valeur de soixante- neuf millions hni cent nouante et quatre mille dix-huit moutons à la grand'Iainc par les Fourques d'Auxbourg. {Gargantua, L. I, ch. 8.) 187 Mais Henri Estienne, était encore plus artiste qu'imprimeur. Le goût des voyages et des recherches scientifiques, qu'il avait contracté de bonne heure, le dominait. A peine fut-il laissé à lui-même, après la mort de son père, qu'il voulut s'y livrer de nouveau. Les moyens pécuniaires dont il disposait, n'étaient, d'ailleurs, pas en rapport avec les grandes entreprises typogra- phiques qu'il méditait dès ce moment. Mais la sollicitude d'Uld- rich Fugger, peut-être intéressée, peut-être seulement pré- voyante et cachant une bienveillance réelle sous un air intéressé, réussit à conserver pour bien des années, bien qu'avec des inter- mittences très-orageuses, Henri Estienne à Genève et à l'im- primerie. Les faits que nous allons rapporter, sur les premiers temps qui suivirent la mort de Robert et l'établissement de Henri Estienne à Genève, sont d'autant plus dignes d'attention, qu'ils étaient complètement inconnus. On s'était épuisé en conjectures sur les rapports qui avaient unis Uldrich Fugger et Henri Es- tienne. Teissier, Maittaire, M. Renouard et d'autres avaient émis des avis différents, mais qui ne reposaient sur aucun do- cument précis. A la fin de 1501, nous trouvons Uldrich Fugger et Henri Estienne, en procès à Genève, au sujet d'un traité qui avait été fait entr'eux. Par cet acte, en bonne et due forme, Henri Estienne s'était engagé, moyennant une rente que lui faisait Fugger, à être son imprimeur et à lui imprimer un exemplaire sur parchemin, soit vélin, de tous les livres qu'il éditerait. Fugger absent chargea l'Écossais Scrimger, son agent à Ge- nève, de le représenter en justice, conjointement avec M. Col- ladon, auquel il donna à cet effet procuration. Voici l'exposé des faits du procès, tel qu'il est détaillé dans les Registres des parti- culiers (années 1564 — 1562), qu'il ne faut pas confondre avec les registres des Conseils de Genève. Comme le nom l'indique, les )'egistres particuliers traitaient spécialement des affaires privées : 188 « Les sieurs Colladon et Scrimger exposent (le vendredi 26 décembre 1561), au nom d'illustre Huidrich Fugger d'Augs- bourg, que celui-ci a fait rechercher en divers pays tous les an- ciens et meilleurs exemplaires des bons auteurs, pour dresser une belle librairie utile au profit public, et que pour la bonne affec- tion qu'il portait à cette république de Genève, il avait destiné y mettre cette librairie et bibliothèque. Pour cela, il avait même acheté une des plus belles maisons de la ville, qui lui revient bien deux mille écus ; et, pour mieux conserver la dite librairie, il avait résolu de faire imprimer les plus beaux livres destinés à ycelle sur du parchemin. De plus, il aurait convenu avec le sieur Henri Estienne, qu'en lui payant annuellement 300 florins il serait son imprimeur et qu'il devrait imprimer de chaque sorte un livre sur parchemin pour ledit seigneur Fugger. Le dit Es- tienne devait fournir le parchemin et mettre ses soins à faire de bons exemplaires. Maintenant, outre le gage stipulé , Fugger aurait encore donné à Henri Estienne 1500 florins, se confiant qu'il y employerait son industrie et savoir. Et toutefois depuis demi an Henri Estienne aurait cessé de imprimer, vendu et destruit les choses nécessaires à sa dite imprimerie, sans qu'il ait averti le seigneur Fugger de son entreprise. A cette cause, les exposants requèrent qu'Henri Estienne soit sommé de ses devoirs, promesses et obligations qu'il a envers le dit sieur Frug- ger pour le profit de cette république et eschole. » Après cet exposé de la cause, on trouve les conclusions des commissaires rapporteurs : « Les seigneurs commis à cela ont fait leur relation, et le tout ayant été débattu de part et d'autre, le sieur Henri Estienne s'est engagé de satisfaire à ses obligations envers Scrimger, agent de Fugger, avec proteste expresse de n'avoir jamais pensé y contre- venir, ni de se distraire de son devoir, ni d'agir contre la volonté de son père, déclarée au testament dudit père, Robert Es- tienne. » i89 « Ayant premièrement réconcilié les dites parties, touchant quelques propos qui avaient été tenus entre elles, il a été en- joint à toutes deux d'observer les pactes faits par le dit noble Fugger avec le dit Henri Eslienne, par cela même que ce sera un bien et honneur inestimable pour cette ville et collège. Et que d'autant que le dit Henri Estienne a fait un contrat avec son frère François, par lequel il lui a vendu des outils d'imprimerie pour la valeur d'environ 1200 à 1500 florins, ce qui peut pré- judicier à l'avenir au droit de la bourse des pauvres et du col- lège, qui sont substitués dans le testament de Robert Estienne, au défaut que le dit François Estienne substitué ne maintienne la dite imprimerie en cette cité ; parce que par ce moyen il a hvré ce qu'il devait garder, et frustré d'autant son dit frère, premier substitué, qui au défaut de son dit frère Henri, a déjà droit dessus. » « H est ordonné que les meubles susmentionnés demeureront à Henri Estienne, sans qu'il lui soit loisible de les aliéner, afin qu'ils restent en gage pour la substitution. Mais si, pour le sou- lager de l'imprimerie, le dit Henri désire avoir ayde, qu'il fasse quelque compagnie avec son frère pour trois ou quatre ans, afin que tous deux, d'un bon accord, puissent accomplir envers le dit Fugger ce qu'il appert qu'Henri lui a promis. Celui-ci don- nera de plus caution pour assurer le bien aux substitués. » On trouve encore, dans les séances qui suivent, quelques faits relatifs à cette même affaire : « Le vendredi 2 de janvier, Henri Estienne présente requête pour demander qu'il soit fait inventaire de l'état de l'imprime- rie que lui a laissé son père, afin que plus tard il ne puisse être tenu de choses dont il n'est pas responsable. » « François Estienne demande qu'il lui soit permis de lever une imprimerie pour son compte. Cela lui est accordé, moyen- nant qu'en attendant il continue de travailler avec son frère. » 190 Ce procès on pUilôt cette complication d'incidents litigieux nous donne la clef de plusieurs choses restées obscures dans les annales des Estienne. D'abord nous y voyons la provenance des rares exemplaires sur vélin des éditions d'Henri Estienne. On n'en connaît que deux, l'/lnacréo/ï grec-latin, de 1554 (grand in-4»), et le Xenoplion grec, de 1560, in-folio '. Plus tard, on ne trouve plus qu'un seul livre imprimé sur vélin par un Es- tienne, c'est le Nouveau Testament grec, en deux volumes in-16, donné, en 1568 et 1569, par Robert Estienne , second de nom, et fils de Robert premier, à Paris, où il avait maintenu l'établis- sement primitif de la famille. \l est actuellement dans la biblio- thèque de lord Spencer, et provient de celle de de Thou '. Cette parcimonie de vélin, celte rareté des éditions Stépha- niennes sur du parchemin ou du vélin, le grand luxe des quin- zième et seizième siècle, s'expliquent par la rigidité protestante. Imprimer sur vélin, c'était en quelque sorte contrevenir aux lois somptuaires. D'ailleurs, la pénurie trop fréquente de la fa- mille s'opposait à ce qu'elle donnât essora ce goût dispendieux. Henri Estienne prit encore, dans un certain nombre d'éditions, le titre d'imprimeur d'Huldrich Fugger et de sa famille U. Fug- geri et Fuggeroriim lypographus) jusque vers 1568 où l'on trouve encore une fois cette qualification dans un petit volume , les Apophtegmala Grœea ■\ Mais souvent dans sa correspondance il se * Les Estienne ont très-peu imprimé sur vélin. De 1503 à 1519, Henri, premier de nom et père de Robert Estienne, imprima un ou plusieurs exemplaires de dix-sept ouvrages, entr'autres de la Bible de 1540, du Psallerium quintuplex de 1509, de VArislote de 150(3. L'Anacréon de 1554, grec-latin, fut édité à Paris avec privilège royal. Il en existe un exemplaire sur vélin, à la reliure de Grolier, à Blenheini, dans la bibliothèque du duc de Marleborough, en Angleterre. " Dibdin, dans son Bibliophical Decameron, a donné la gravure de la reliure à la grecque de cet exemplaire, t. II, page 483. ' Elle figure encore »me fois plus tard dans Visocrate de 1593, fol. 191 plainl de n'êlrc pas soutenu par son prolecleur, et il demande à son tour l'exécution d'un traité (ipso chirographo) en réclamant un solde de quelques centaines de florins. Ulrich n'était plus maître, d'ailleurs, de suivre ses généreuses inspirations. Sa fa- mille, inquiète de sa prodigalité quand il s'agissait de manuscrits, délivres et d'objets d'art, l'avait fait interdire. Il mourut à Ileidelbcrg en 1584, laissant sa riche bibliothèque , non à ia ville et au collège de Genève, mais à l'électeur palatin. Henri Estienne, privé de cet appui, qui d'ailleurs n'était ni aussi fort ni aussi désintéressé qu'on a bien voulu le dire, ne compta plus que sur lui-même. Bon gré mal gré il continua l'œuvre de son père et voua tout particulièrement sa sollicitude aux impressions grecques qui ont rendu son nom fameux chez les Hellénistes. De 1562 à 1566 nous le voyons dans toute l'ac- tivité de ces travaux qui illustrèrent l'imprimerie de Genève dans tout le monde savant du seizième siècle , et qui contri- buèrent à la faire sortir de la voie où l'avait engagée la polé- mique violente et désordonnée des premiers temps de la réforme. En 1566 Henri Estienne commença des impressions en langue hébraïque. L'impression des livres dans les langues anciennes ne lui faisait pas négliger le français. Le traité de la conformité du langage français avec le grec plaça Henri Estienne au rang des bons écrivains et des meilleurs philologues. En 1569 il pu- blia deux ouvrages intéressants sur son industrie, la lettre sur l'état de sa typographie (Epistola de siiœ typographiœ statu) et un pamphlet contre les imprimeurs ignorants (Artis typogra- phicœ qiiœrimonia). Il faut lire ces écrits pour avoir une idée juste de ce qu'était un imprimeur savant au seizième siècle, et des difficultés qu'eurent à vaincre ces hommes qui se dévouèrent à la publication des anciens manuscrits, à la correction des textes tronqués ou corrompus, et à la restitution des bonnes leçons, c'est-à-dire au rétablissement de la pensée des anciens auteurs. 19-2 En 1472, après la publication de son Hérodote grec qui parut en 1470, Henri Estienne donna le Trésor de la langue grecque (Thésaurus linguœ grœcce) qui est l'ouvrage capital de la double carrière d'Henri Estienne comme philologue et comme impri- meur. (') Cette entreprise immense épuisa ses forces et ses res- sources. Dès l'année 1565 il écrivait à ce sujet : « Vous ayant ' Pour faire embrasser dans son ensemble la carrière typographique d'Henri Estienne, nous citerons sommairement ses principales éditions genevoises, par ordre chronologique, en faisant observer que presque toujours il était auteur, réviseur et imprimeur. 1560. Leonis Augusti Constitutiones. Pindari Carmina. Appiani opéra nunc primùm édita (grœcè). 1561. Catena ex theologibus protestantibus excerpta. Xenophontis (y)era (en grec et en latin). Disticha moralia. 1562. Genesis. Psalmi. Sexti philosophi libri très. Themistii philo- sophi orationes. 1363. Mosis libri V cum comment. J. Calvini. Theodori Bezae res- ponsio ad Castellion. Calvini rudimenta fldei Christ. De abusu de lin- guse graecae. 1564. Esaiœ Prophetia. Novum Testamentum. Dictionarium medicum. Fragmenta veter. poetar. latin. Thucydidis opéra. 1565. La Bible in-fol. Novum Testamentum grœcè; id. latine. Calvini rudimenta etc. Traicté de la conformité du langage franc, avec le grec. 1566. Psalmorum paraphrasis. Alphabetum Hebraicum. Florilegium Epigammat. veter. Pœtœ grœci principes. Pindari Carmina. L'intro- duction au Traité de la conformité des merveilles anciennes avec les modernes ou Apologie pour Hérodote. Herodoti historia. 1567. Novum Testament. Gr. Hebraicse linguse rudimenta. Medicse artis principes. Polemonis declamationes. ^Eschyl. Sophocl. et Euripid. Tragœdiae sélect. Jani Parrhasii liber de rébus per epist. quaesitis etc. 1568. Psalmi Davidis métro Anacreont. et Saph. Synesii hymni. So- phoclis tragœdiœ. Annotât, in Sopbocl. et Euripid. Apophtegmata grse- ca. C'est dans ce livre qu'Henri Estienne s'intitule pour l'avant-dernière fois Fuggeri typographus. HISTORIE ROMAND SCRIPTORES. 1569. Testam. nov. gr .-latin. Grammatica Chaldea et Syra. Comico- rum sententiae. Theod. Bezœ poemata. Artis typogr. qnaerimonia. H. Steph. Epist. de typographise suse statu. Remonstrances du prince de Condé. Litterae Ludov. Borbonii ad Carol. IX. 1370. Novi Test. Expositio Athanasii Dialogi de Sancta Trinitate. Coii- ciones grec et lat. Epigram. griec. Herodoti opéra, id. Diogenis. Laert. 103 dès longtemps donné espérance d'un grand Thésaur de la langue grecque , je veux vous déclarer le secret de cette affaire. C'est qu'il est bien vray que d'une part la pesanteur de cest ouvrage 1571. Cette année, Henri Esticnne fut totalement absor))é par la pré- paration et l'impression de son Trésor de la laugue grecque. 1572. Scaligeri poeniata. Plularchi opéra gr. lat. THESAURUS LIN- GUiE GR/E(vE, o volumes fol. Juris orientalis Libri III. De abusu lin- },'U3e gnecœ. H. Steph. Poesis pliilosoph. Homeri et Hesiodi Certamen. Virtutum Encomia. Hotomani (jutestiones, etc. 1574. Apollonii Argonautiron. Francofordiense Eraporium. tolo. Psalmorum metaphrasis. Oratorum veterum orationes. Virgilii poeraata. Arriani historiîe. Discours merveilleux de la vie, aclioiis et déportemenis de Catherine de Médicis (par Henri Estienne et Théodore de Bèze?). 157G. Nov. Testam. Tbeod. Bezx poemata. De latinitate faiso sus- pecta (par Henri Estienne). Fr. Hotomani quaestionum liber. 1577. Ciceronis Epist. Pseudo-Cicero, dialogus H. Stepb. Callimachi hyrani. Epistolse dialogietc. Diouys. Alex, et Pomponii Melae geograpli. opéra. 1578. PLATOMS OPERA, 5 vol fol. Nizoliodidascalus. Z)eMjr diatoffue* du nouveau langage français italianisé (par Henri Estienne). Honie- rici Ceiitones. 1579. Theocriti Ulyllia. 1580. Nov. Testam. Be?.?e. Juris Civilis tontes. Thésaurus lingu;e gi-sp- cifi. (C'est en partie une seconde édition.) 1581. Paralipomena Grammatic. Terentii opéra. Plinii E])ist etc. Xé- uophontis opéra graecè Herodiani Historiîe gr. lat. 1582. J. C. Nov. Testam. Hyporaneses de Gallicâ linguà. 1583. Mercerii Comment, in minor. Prophet. P. Virgilii poemata. 1585. Bezœ poemata. Auli Gellii noctes atticœ. Macrobii libri 11. (Edition de Paris.) 158fi. Ad Senecae lectionem Prodopœia. Pindari Carmina. Theocriti Idyllia. 1.587. Nov. Testam. De criticis vet. De germanà pronunciat. graecae lingua; Commentarii. H. Steph. de bene instituendis grsecae linguaestudiis. 1588. Homeri opéra. Horatii poemata. Macrobius. Thucydides. Dio- nysius Halicarnass. i589. Nov. Testam. Schediasmatum libri très. Dicœarchi Geogra- ))hica. 1590. Musa principum monifrix Aulh. H Stephano (Bâie). 15 194 me fait craindre et chercher des délais, sachant qu'elle me fera ployer les reins ; mais d'autre part la pesanteur de la perte qu'il me faudra porter à faute de pouvoir poursuivre l'entreprise de cesl ouvrage (à cause d'une grosse somme d'argent engagée aux préparatifs d'iceluy), me donne une seconde crainte, laquelle estant plus grande, chasse la première et m'aiguilonne à bazar- der et avanturer la faiblesse de mes reins. Ce que l'expérience monslrera , avec l'aide de Dieu , pluslôt qu'on ne pense. » (Préface de la conformité du langage françois avec le grec.) Le Trésor de la langue grecque forme cinq volumes in-folio, dont le dernier, très-volumineux , renferme un appendice, des suppléments et un Index. Henri Estienne avait fait, pour impri- mer cet ouvrage important sur un papier supérieur à celui que lui fournissaient les papeteries ordinaires de Genève, des efforts 1591. Append. ad Terentium. C. Plinii Epistol. 1592. Justini martyris Epist. De Martinalitia venalione. Herodoti liistor. Appiani histor. Dionys. Gassii Histor. 1593. Isocratis orationes et Epistolae. 1594. Concordantise gr. lat. novi Testam. Oratio H. Steph. ad Cse- sar. Rodulph. Les Proverbes épigrammatiques, par H. Estienne. Ex Memnone excerptse historiae. Diogen. Laert. de vitis philosoph. l.'>9o-98. S. Jusliui martyr Epist. De J. Lipsii latinitate. Carmen. H. Slepb. de senatulo feminarum. Th. Bezae poemata. Lectii paraphr. ad Jonam. Nov. Testam. Scbediasmata II ad Dichœarchum. Emenda- liones in Petronii Epigramm. Tels sont les principaux produits des savants labeurs d'Henri Es- tienne. Nous avons omis bien des ouvrages de peu d'importance et des éditions usuelles à l'usage des écoles et notamment du Collège de Ge- nève. C'est le cas de rappeler que Robert Estienne et Henri, son fils, imprimèrent pour le Collège et l'Académie de Genève. Plusieurs gram- maires grecques sont à l'usage des écoliers de Genève , entr'autres celle de Louis Enoch. 1555 (Adolescentulis Genevensibus) . Henri Es- tienne publia aussi, chez son père, en 1558, une grammaire grecque. Plusieurs ouvrages de Maturin Cordier ont été imprimés par les Es- tienne. Enfin, c'est de l'imprimerie de Robert Estienne que sortirent, en 1559, les premiers règlements de l'Académie de Genève {Leges Aca- démie Genevensis. Genevœ Oliva Rob, Stephani MDLIX. in-i".) 195 extraordinaires. Mais il ne réussit qu'a denii. La Savoie, la Suisse et Genève même ne fournissaient que des matières de qualité inférieure. Le papier avait assez de corps, mais il était jaunâtre , inégal et sans apparence. C'était l'écueil de l'impri- merie genevoise dès cette époque là. Celte infériorité, vis-à-vis des imprimeurs de Paris et de Lyon, devait porter à la typo- graphie genevoise de très-rudes coups. La défaveur s'était mise à ce que l'on appelait les papiers de Suisse et les papiers de Genève. Toute la science, tout le goût des Estienne ne pouvaient rien contre un tel discrédit. Henri Estienne avait dédié le Thésaurus à l'empereur d'Alle- magne Maximilien , au roi de France Charles IX , à Elisabeth , reine d'Angleterre, à Frédéric, comte palatin, et au.\ électeurs de Saxe et de Brandebourg. Il en avait obtenu des privilèges, mais pow son argent, parce que les chancelleries ne les expé- diaient pas autrement, quelque fut le mérite du requérant. Ces privilèges ne garantirent pas l'illustre imprimeur contre la con- trefaçon. Son propre correcteur, qui sortait de l'académie de Lausanne, Jean Scapula, fit un abrégé ou Compendium qui, plus usuel et moins cher, nuisit singulièrement à la vente du Trésor dont le prix était relativement très-élevé. Aujourd'hui encore, bien qu'on ait fait en Angleterre et tout récemment à Paris, par les soins de M. Didol, des réimpressions de ce grand lexique, il vaut encore quelques centaines de francs, quand l'exemplaire est complet et bien conservé. Ces contrariétés altérèrent le caractère d'Henri Estienne. Dès ce moment il cessa d'être sédentaire et on le trouve presque continuellement en voyage dans différents pays, soit qu'il cherchât à trouver au dehors, surtout en Allemagne, en Italie et en France, des débouchés pour ces masses de volumes qui encombraient ses magasins, soit qu'il voulût se distraire par des recherches de nouveaux manuscrits. Son esprit naturellement frondeur et sa- tyrique lui avait (ait dans Genève de nombreux et puissants 196 ennemis. On ne ie trouvait pas aussi bon calviniste que son père. On lui reprochait aussi un certain laisser-aller, une sorte de cynisme dans ses propos et dans ses actions. Ces inégalités de caractère l'exposèrent à plusieurs désagréments. Dès l'année 1567 (le 13 mai) nous Voyons Henri Estienne traduit devant le consistoire où il est dit qu'il a imprimé un livre sans une autorisation préalable. Il ne s'agissait que d'un ouvrage latin, et le délit était purement de forme. « Néanmoins « Henri Estienne ne voulant confesser sa faute , entant qu'il ne « la confessoit pas à l'endroit d'avoir fait imprimer le dit livre « sans le congé de messieurs, fut renvoyé à quelques jours, « attendu qu'il pensera mieux en sa conscience et reconnaîtra « sa faute. » Les ouvriers qui étaient employés dans l'imprimerie d'Henri Estienne, Français pour la plupart et compagnons assez joyeux, furent aussi plusieurs fois des objets de scandale. La même an- née (le 6 mars) Jaques Pugnier, Jehan Anastase (allié à la fa- mille des Estienne), Jehan Maigre, Pierre le Bourguignon, Guillot Bernard, imprimeurs chez Henri et François Estienne, sont mandés au consistoire, a Hs confessent qu'ils s'appellent compagnons de Lyon et non de Genève , à cause qu'ils ont acquis leur métier et leur banquet là. Touchant d'appeler Far- faux ceux de Genève, et qu'eux s'appellent Golfarins le dit Maigre prétend n'en rien savoir, et dit n'avoir fait autre serment sinon de ne faire tort aux maîtres et compagnons. 11 dit aussi ne savoir qu'il y ait forme de justice entr'eux , et qu'il a deux ans qu'il est en cette cité. » (') ' Le compagnonage des ouvriers imprimeurs, fort nombreux à Ge- nève au seizième siècle, donnait quelquefois de l'inquiétude aux auto- rités de la ville. On leur reprochait d'avoir introduit des usages exo- tiques et sentant le libertinage, de se moquer tout bas des ordonnances civiles et même ecclésiastiques, d'appartenir à une sorte de franc-ma- çonnerie ou de compagnonnage occulte qui professait des doctrines ir- 197 Un peu plus tard, c'est Henri Eslienne lui-même, alors tout préoccupé de son trésor de la langue grecque, que nous voyons traduit devant le Consistoire « pour son inhumanité à l'endroit de son frère Robert, décédé ', et pour lui avoir refusé de l'ay- der, même sur l'argent qu'il luy devoit, encore que le terme ne religieuses. C'est ce qui ressort d'autres interrogatoires d'autres ou- ouvriers d'Henri Eslienne : « Roy dit qu'il a fait son serment à Lyon, d'où il est sorti à la St.- Jean, et qu'il a payé 12 francs, dont huit pour les pauvres. Le serment est de demander leur vivre, si on ne le leur baille en travaillant, et garantir les droits du maître et des compagnons; et on leur présente un poignard, comme de fait il lui a été présenté. » Bernard dit avoir fait serment audit Lyon, où Oii lui dit qu'il se gar- dât bien de hanter les Farfaux, et lui présenta-t-on le poignard. Jean Magne et le dit Roy y étoient, et il bailla ô francs pour des parements. « Pugnier dit Bergeon déclare qu'il ne lui a point été parlé de Far- faux en façon que ce soit. « J. Lexert le Bourguignon, confesse avoir été appelé au Consistoire de Lyon, mais non pas pour avoir médit de Messieurs de cette cité. « Le Bohémien, nommé Jehan Bollier, dit n'avoir point fait serment sur le poignard, et c'est qu'il paya le gouster et donna deux écus pour bailler aux parements. « J. Anastase dit que ceux qui les passent compaignons s'appellent le père de Claude Duchesne, JuUien et deux ou trois autres qui sont de Paris et des noms desquels il ne se souvient. » Dans d'autres occasions encore, des ouvriers furent déférés au Con- sistoire pour mauvais propos, comme pour avoir dit qu'il y avoit plus d'hypocrisie à Genève qu'ailleurs ; pour vie dissipée ; pour avoir con- trevenu aux règlements. « Le 24 septembre 1579, Guillaume Major, Italien Calabrois, est appelé pour avoir usé de blasphèmes, disant, dans l'action de grâces après le repas : « Père éternel, nous te rendons grâces. Notre chien « porte des braies, notre chat un chapperon, bon prou vous fasse bons « compaignons. » A confessé avoir dit cela, l'ayant ouy dire à un autre apprentif. Le fait est renvoyé à Messieurs, avec prière de lui faire une aumône à l'hôpital, et de le faire bien fouetter au dit lieu. « ' Robert Estienne, second de nom, frère de Henri, était le second des neuf enfants de Robert Estienne, premier de nom. Il avait été em- mené à Genève dans sa jeunesse, mais il était retourne à Paris. Son 198 fût pas écheu. » Henri répond « avoir été malade, comme son frère, et il l'a assisté de ce qu'il Ta pu, comme de chaponneaux, poussins et autres vivres. Il liiy a bien été parlé d'avances d'ar- gent, mais lui-même ne vit que de provisions, et achepte ses viandes d'un repas à l'autre, et par ce n'a le moyen d'avancer de l'argent. » Henri interpellé ensuite pourquoi il ne s'est pas trouvé à l'en- terremenl de son dit frère, dit qu'il était en volonté d'aller faire baptiser ses enfants à Viry.«Sur ce, le dit Estienne, admonesté de la dureté dont il avait usé à l'endroit de son dit frère, quoi qu'il aitsceu dire, a été renvoyé au jugement de Dieu. » Les Dialogues du nouveau langage français italianizé parurent sans nom et sans date, en 1578, et ce livre ingénieux et savant attira sur Henri Estienne de nouvelles censures. Le H sep- tembre 1578, il fut mandé au Conseil pour n'avoir pas fait pa- raître cet ouvrage tel qu'il l'avait présenté aux scholarques. Henri ne comparut pas et jugea à propos de faire un voyage à Paris où il fut bien accueilli par le roi Henri HI, qui écrivit à Ge- nève en sa faveur, pour lui avoir un sauf conduit, recommandant au Conseil cet imprimeur « qui se fâchait de ne pouvoir s'em- ployer à l'impression comme il le désirait. » Le 10 décembre 1579, le syndic, Michel Roset, bien connu comme chroniqueur de Genève, répondit à M. de Sancy, ambassadeur du roi en Suisse, « qu'Henri Estienne s'était rendu suspect en demandant un sauf conduit, et que, du reste, il était bien libre d'abandonner Genève et de rentrer en France. » On voit par le ton de cette père l'avait déshérité. M. Raynouard, dans ses Annales de l'Imprimerie des Estienne, page 480 de l'édition de 1843, fait mourir Robert II, à Paris, en 1571. M. Raynouard parait avoir confondu Robert II, fds de Robert Estienne I, avec un antre Robert, lils, à ce «lu'on croit, de François Estienne I, imprimeur du roi à Paris, et mari de Denysc Rar- hé, qui, ayant obtenu le privilège après la meut de .son mari, épousa Mamerl Pali.sson, vers l.iTS. 199 lettre, que le gouvernement genevois tenait peu à conserver cet imprimeur savant, mais d'humeur difficile, qui l'occupait souvent à cause de mille affaires qu'il s'attirait. Henri Estienne, que des intérêts majeurs rappelaient à Genève, y revint après dix-huit mois d'absence, et l'affaire des Dialogues fut reprise le 12 avril 1580. Le Conseil lui rappela que déjà il s'était attiré de sem- blables censures à propos de son Apologie pour Hérodote et de ses Epigrammes. Henri répondit que Théodore de Bèze avait lu le livre entier et n'y avait rien trouvé à changer. Le Conseil arrêta « de lui faire bonnes remontrances et de lui défendre de plus imprimer aucun livre sans avoir été revu. » Trois jours après tous les exemplaires furent saisis, à la requête de Théodore de Bèze, qui tenait sans doute à se laver du soupçon de complicité. Mais tout ne finit pas là: Le 12 mai, c'est-à-dire un mois après, le Consistoire se nantit de l'affaire. Yoici ce que nous lisons à cette date dans ses re- gistres dont les extraits ont été relevés par M. Cramer, ancien syndic : «. Henri Estienne, bourgeois de Genève, est appelé, parce que le dil Henry aurait fait des dialogues où il y a plusieurs passages scandaleux. A dit que quand on lui montrera quelque passage ou il dit aultrement qu'il ne se doive faire, qu'il avisera d'en répondre et sur tous les faits pernicieux qui lui seront re- montrés, et en dira ce qu'il pensera. » « Et en somme, le dit Henri Estienne, s'est montré du tout enflé et présomptueux. Pourquoy, suivant celte réponse et les fautes qui sont en lui, à cause de plusieurs livres scandaleux et hors d'édification, on lui défend la cène et aussi lui fait-on bonnes remontrances et censures, même exhorté à ne se adonner à imprimer de telles folies, ains choses dédiées pour le service de Dieu. Après ce, il a dict qu'on lui fesait tort, et qu'il n'en- dureroit jamais qu'on lui dil qu'il y eût de l'athéisme, et que si 200 c'étoil ailleurs il endureroit plustôt la mort. Et en somme, il s'est monstre du tout incorrigible et a dit que des ministres de Paris lui avaient dit que V Apologie d'Hérodote a beaucoup servi à montrer les vices, et que les ministres sont bien contraints de dire en chaire beaucoup de choses pour reprendre les vices. Et despuis, attendu telle rébellion et fierté, qu'on l'excommunie à bon escient. Ce néanmoins lui ayant été laites les dites censures et excommunications comme à un homme prophane et du tout incorrigible, il a dit que quant à lui, il n'y feroit autre jusqu'à ce qu'on lui aye montré la faute et qu'on l'ave ouy, et qu'il voit bien qu'on le condamne sans l'ouyr et que si on veut bien faire, qu'il faut être un peu hypocrite. L'advis a été que nos seigneurs seront advisés de ces faits, et à ces fins ont été députés spectables Théod. de Bèze et Jacquemot, ministres, et M. de Châteauvieux. » Le Conseil ne put faire autrement que de condamner Henri Estienne à la prison. Mais il fut relâché au bout de huit jours après qu'il eût reconnu ses torts. Une telle rigidité ne devait pas rendre le séjour de Genève plus agréable à Henri Estienne. Dès-lors^ il y demeura le moins qu'il pût, affectant de plus en plus de reprendre le litre de Parisien, Typographus Parisiensis. Au fait, Henri Estienne, par la tournure de son esprit, était bien réellement de Paris. Il faisait de toutes manières un assez mauvais Genevois. On l'appelait, dans la patrie d'adoption de son père, le Pantagruel de Genève et le Prince des athéistes. On lui reprochait la licence de ses écrits satyriques en français. Une question littéraire qu'il serait fort intéressant de débattre (mais ce n'est pas notre affaire en ce moment), serait celle de savoir si le Moyen de parvenir, ce recueil si singulier de contes de toutes les espèces, dans lesquels il est fait des allusions con- tinuelles à Genève, à ses rues, à ses environs, à ses ministres et à ses habitants, ne doit pas être attribué à Henri Estienne. H 201 y a longtemps qu'on a reconnu que c'était bien à tort qu'on imputait ce livre à Verville, chanoine de Tours. Nous retrouvons notre savant typographe à Paris, en 1581, toujours plus avant dans la faveur d'Henri IH, qui même lui avait assigné une pension sur le trésorier des ligues suisses. Il eut aussi à la cour de France, une fâcheuse affaire, au sujet de laquelle il fit imprimer à Bâie sa Musa principum monitrix. En 1585, il réimprima à Paris, son Aulu-Gelleel ses NoctesPa- risinae, ce qui montre qu'il abandonnait à peu près son établis- sement de Genève. On lit dans ses préliminaires d'Aulu-Gelle, une lettre adressée à son fils Paul, qui lui avait mandé que leur maison de campagne de Grières, près de Saint-Julien, sur terro de Savoie, venait d'être bouleversée par un tremblement de terre : « Je ne trouve pas dans ta lettre le moindre stoïcisme. J'exige de toi plus de fermeté. Ne crois pas que j'aie été plus ébranlé par la nouvelle de ce tremblement de terre et des désastres qu'il a occasionnés, qu'alors que cette même maison de campagne fut saccagée de fond en comble, durant la guerre, pendant que je voyageais en Suisse. Il faut plutôt se réjouir de ce que la com- motion n'a pas jeté bas par terre la tour de notre demeure. » Henri Estienne prenait quelquefois, plutôt par amusement qu'autrement, le titre de sire ou de seigneur de Grières, à cause de cet immeuble, situé à Viry, près de Saint-Julien, à deux lieues de Genève. On a vu que c'était là qu'il faisait en partie sa résidence, et que même il y avait une sorte de domicile. Les désastres des guerres civiles contraignirent Henri Estienne à quitter Paris, et les dernières années de sa vie ne sont plus qu'un espèce de voyage perpétuel, sans but bien déterminé. Pendant ce temps, ses affaires allaient comme elles pouvaient. De temps en temps, il faisait une apparition à Genève, où le rap- pelaient son établissement et sa famille. En 1587, l'imprimeur 202 Jean De Tournes, second de nom, qui venait de quitter Lyon, où son père avait eu un établissement d'imprimeur très en renom, pour se fixer à Genève, écrivait à Scaliger : « H.Estienne avait commencé depuis un mois à imprimer ici, mais son train fut in- terrompu la semaine passée. » Il paraît que l'auteur du Trésor de la langue grecque n'avait pas de quoi payer ses ouvriers. Enfin, en 1597, Henri Estienne quitta Genève pour la dernière fois ', et se rendit à Montpellier, où résidait le fameux Isaac Ca- saubon (Hortibonus), son gendre, qui faisait imprimer dans le même moment à Genève, chez Commelin, son commentaire d'Athénée ("2 vol. in-folio, 1597-1600). Ce fait seul tendrait à prouver combien la typographie Stéphanienne avait déchu dans cet abandon. Comme il revenait de Montpellier à Genève, Henri fut atteint à Lyon, où il se trouvait complètement isolé, d'une maladie dangereuse. On le conduisit à l'Hôtel-Dieu où il mourut dans les premiers jours de mars 1598, à l'âge de soixante-dix ans. L'abbé Pernetti, dans ses Recherches sur la ville de Lyon ^, dit qu'à l'occasion de l'enterrement de Henri Estienne, « il fut « établi que le convoi funèbre des Protestants serait escorté par «. un détachement du guet, précaution devenue nécessaire pour « les préserver des insultes de la populace. » Henri Estienne avait été marié trois fois, avec Marguerite Fillot, dont il eut quatre enfants, avec Barbe de Wille, écossaise et parente de ce Scrimger, agent d'Uldrich Fugger, dont nous avons parlé, dont il eut huit enfants, et en troisième noces, avec Abigaïl Pouppart. De ce dernier mariage, naquirent deux en- fants. De ces quatorze, dix moururent fort jeunes. Paul, Judith, Florence et Denise, survécurent seuls à leur père. Judith épousa, le 20 avril 1580, François le Preux, fils de ' Ce tut J. Stoer qui acheva d'impriiiier les Poésies elles Emblèmes lie Th. de Bèze, qui portent celte date. =■ Tome 1, page 303. 203 Jean le Preux, d'une famille tie typographes parisiens, qui im- prima à Lausanne en 1571 et les années suivantes, puis à Morges en 1579 et enfin à Berne jusque vers 1616. Flo- rence Estienne fui mariée en 1586 au savant Isaac Casaubon ; on ne sait rien de Denise qui mourut fille, à ce qu'on croit, vers 161-4. Paul, qui avait étudié à Leyde, travaillé à Heidelberg chez Commelin, à Lyon chez Jean de Tournes, qui avait été aussi en Angleterre, fut mis en possession, dans des conditions assez défavorables, de la typographie paternelle. Mais avant que nous abordions ce qui le concerne, il convient de dire quelque chose de la vie et des travaux de son oncle François, frère de Henri Eslienne , le même que nous avons vu en procès avec lui après la mort de leur père Robert Estienne. c) François BSiTIE^ME. François, fils de Robert premier, travailla quelque temps avec son père, mais dès 1562 jusqu'en 1682 nous le voyons avec une imprimerie à lui. Il travaillait esssentiellement pour les libraires et il n'est guère connu comme éditeur. Il imprimait de concert avec Jean et Estienne Anastase, ses beaux-frères, qui avaient épousé deux filles de Robert premier, Jeanne et Catherine. On a de François Estienne des éditions des sermons et des commen- taires de Calvin. Le plus remarquable de ses produits est l'élé- gante Bible in-8» de 1566-67, qui est ornée de ces vignettes gravées sur bois, produits de l'art lyonnais, dont l'ordonnance de 1560 regrette l'introduction dans les produitsde la typographie genevoise. Nous avons donné plus haut comme spécimen la fi- gure qui porte pour légende Vaccoustrement du grand sacrifica- teur. En 1569 François Estienne imprimait le Traité de l'Eglise par Duplessis-Mornay, le Traité des Dances par Lambert Daneau, et en 1781-82 V Histoire de Portugal d'Osorius, traduite par Si- mondGoulard,ctles Œuvres morales i\e Plularque, François avait 204 conservé pour marque l'olivier paternel, mais avec des varia- tions. Ainsi dans la Bible de i 567 on lit celte légende : Defracti siint rami ulego msererer. Après 1582 il rentra en France et alla résider en Normandie où il se remaria , ayant perdu sa première femme Blanche de Corguilleray, qu'il avoit épousée à Genève en 1563. à) Panl ÈSTIEIWIVE. Pour en revenir à Paul , fils de Henri et neveu de François Estienne, il édite à Genève, jusqu'au commencement du dix- septième siècle, des ouvrages remarquables. (') Mais alors il est malheureusement compromis dans la conspiration savoyarde de VEscalade, avec le syndic Blondel, et proscrit jusque vers l'an 1620 où nous le voyons revenir à Genève, avec un sauf-conduit, pour liquider l'affaire des matrices des types grecs de l'impri- merie royale, apportées par son aïeul en 1551. Ces matrices avaient été mises en gage par Henri Estienne chez Nicolas Le Clerc, grand-père du célèbre professeur de ce nom. Henri, à sa mort, était loin d'avoir pu se libérer entièrement. En 1613 Le Clerc vendit le solde de sa créance aux frères Chouet, libraires, fils de Jean Chouet, de Châtillon-sur-Seine, qui avait été reçu habitant de Genève en 1585. En 1616, sur l'ordre exprès de Louis XHI, qui voulait ravoir ces matrices , « pour Vhonneur de la France, » et qui offrait de payer leur valeur, elles furent vendues et adjugées au gouvernement français pour le prix de 5005 florins de Genève (2310 francs de France). La créance des frères Chouet fut liquidée à 3888 florins et celle de l'hôpital de Genève réduite à 500 florins. L'ambassadeur d'Angleterre ayant ' Parmi les principales éditions de Paul Estienne, nous citerons le Pindare de 1399; 1» Virgile de la nièuiè année; l'Horace et le Pline de l«00; l'EURIPIDE de 160-2; le SOPHOCLE de J«05; l'Homère de l*)04(2 vol. in-16); le Diogène Laerce de 1616; rHérodote de 1618. 205 voulu se porter adjudicataire, l'ambassadeur de France fit en- tendre au conseil de Genève que c'était une affaire entre son gouvernement et celui de Genève, les matrices appartenant ori- ginairement à François I. Paul qui était à Genève pour le compte (lu gouvernement français, afin de prendre livraison de ces ca- ractères grecs, dont l'histoire est devenue célèbre, vendit tout le reste de son fonds d'imprimeur et de libraire aux frères Chouet, et dès lors il n'est plus question de lui. On conserve de lui aux archives de Genève des lettres écrites de 1608 à 1616 aux pasteurs de Genève, par lesquelles il réclame contre les procédures dont il avait été l'objet. Il expose « qu'il n'a pas le moyen d'envoyer ses fils aux écoles de Genève et il rend respon- sables du sortdel'àmede ses enfants ceux qui le contraignent de les faire rentrer en France pour y faire abjuration. » Antoine l'aîné, emmené à Lyon, rentra en effet dans le catholicisme à Paris. Toute cette histoire de la famille des Estienne à Genève est pleine de tristesse et d'enseignements. Son intérêt historique finit ici. De quelques Imprimeurs genevois, à la Gn du 46^ siècle. Nous avons vu, du vivant même de Henri Estienne et dès la seconde génération de l'établissement de cette famille à Genève, l'imprimerie Stéphanienne languir. L'inaction forcée de Paul Estienne, après l'affaire de l'Escalade, acheva ce que l'activité trop fiévreuse de son père avait commencé. D'autres établisse- ments contemporains profitèrent de ces fautes, mais sans pou- voir faire rejaillir sur eux l'éclat dont les Estienne avaient fait briller la typographie genevoise. Les Crespin, les Vignon, les 206 Jean Durant, les Chouet produisirenl des milliers de volumes, mais dont les plus estimables ne peuvent être mis en parallèle avec ceux de l'imprimerie de l'un ou de l'autre des Estienne. Plusieurs de ces successeurs des Estienne parvinrent à l'opu- lence, mais ce fut par l'effet de combinaisons mercantiles qui n'avaient rien à démêler avec les procédés sléphaniens, et qui furent même tout l'opposé, comme nous le verrons dans l'his- toire de cette imprimerie au XVII'= siècle. Pour le moment il nous reste à dire quelques mots de ceux des imprimeurs qui, à la suite des Estienne, éditèrent à Genève, dans la seconde moi- tié du XVI« siècle et surtout dans les vingt-cinq dernières années, une multitude infinie de volumes, la plupart de théologie réfor- mée ou d'érudition classique. Le premier en date est Jean Crespin d'Arras, qui vint à Ge- nève vers 1548 avec Théodore de Bèze. Savant dans les lettres grecques et latines, Crespin (Crispinius) imprima beaucoup de livres classiques. Ecce iterum Crispinns, « Voici encore un produit des presses de Crespin, » disait-il, dans ses pré- faces. De même que Conrad Badius , son contemporain, Jean Crespin fut aussi auteur. On lui attribue le Marchand converti, comédie satyrique de la réforme, traduite du latin de Naogeor- gus (Th. Kirchmayer), {'Histoire des Martyrs persécutés pour la vérité de l'Evangile (Genève 1570, 1597 et 1619, in-folio). Ce martyrologe protestant est aujourd'hui fort recherché. Daniel Crespin, de la même famille, professa avec distinction. Il habi- tait Lausanne et prenait dans ses livres le titre d'Helvetius. Jean Crespin fut remplacé à Genève, comme imprimeur, par Eus- tache Vignon, son gendre, qui a édité une multitude de livres, dontplusieurs,sur l'histoire de la réformation ou sur les décou- vertes des Européens en Amérique , ont conservé une certaine valeur. Crespin et Vignon avaient adopté une ancre pour marque typographique, sans doute en souvenir des Aide. Mais l'ancre de Jean Crespin (Aneora Joannis Crispini) est aujourd'hui à peu 207 près oubliée. Eustaciie Vignon mil autour de son ancre . Sacra anchora Christus. Jean Durant, de Cliàtillon-sur-Seine, trésorier du roi, se re- tira à Genève vers le milieu du seizième siècle, pour motif de religion, comme Crespin. C'était un homme considéré et instruit qui jouit de la protection toute particulière des membres les plus inlluenls du gouvernement et du clergé genevois. Il fut l'impri- meur du ci.llége et l'on a de lui un grand nombre d'éditions de livres à l'usage des écoles depuis 1565 jusque vers 1588. Il eut pour première marque un rocher entouré d'un serpent qui se mord la queue et pour devise « Qui endure dure » ou bien « Ma durée est en Dieu. » Il jouait ainsi sur son nom : Comme est environné le rocher dur el ferme , Dans le cercle qui n"a fin ni commencement Ainsi Durant seray perpétuellement Circiiy de celui qui n'a ni fin ni terme. Nous possédons le livre de souvenirs, ou comme on dirait au- jourd'hui Yalbum de Jean Durant, dans lequel tous les person- nages célèbres de la réforme à Genève, et tous les étrangers illustres de divers pays qui passèrent dans celte ville ou qui y résidèrent pendant qu'il y vécut, ont déposé par écrit le témoi- gnage de l'estime ou de l'affection qu'ils lui portaient. Après la mort de Jean Durant, et dès 1590, on lit sur les éditions de livres à l'usage des écoles : « Apud viduam Johannis Duranlii, » ou « pour la veuve de Jean Durant. » Cette dernière désignation se voit encore en 1613 dans une jolie édition des colloques de Mathurin Cordier en français, imprimée en caractères dits de civilité. Michelle Nicod succéda aux Durant dans cette industrie, en prenant pour marque une vignette dont Jean Durant s'était aussi servi dans ses dernières éditions, un livre ouvert d'où sortent des flammes, entouré de deux branches de chêne et d'olivier entre- 208 lacées. L'imprimerie Nicod eut aussi pour fleuron un boisseau de blé aveccette légende: De telle mesure que vous mesurerez, je vous mesurerai. Jean Chouet, qui était aussi de Châtillon-sur-Seine, et qui acheta le fond de Paul Estienne, eut pour première marque, avant d'adopter l'olivier de cette famille, auquel ses inombrables éditions ne firent guère honneur, une chouette tenant un serpent avec la devise : « In nocte consilium. » Au reste, les fleurons des imprimeurs Genevois varient très- souvent dans le seizième siècle. Ils les changeaient à dessein, pour dérouter la censure étrangère, car les livres imprimés à Genève étaient dès-lors frappés de réprobation dans toute l'Eu- rope catholique. Les Estienne s'étaient bien gardés de mettre le nom de Genève à leurs éditions On le trouve seulement dans les dernières éditions de Paul Estienne. Thomas Courteau, imprimeur à Genève, vers 1566, avait pour fleuron ordinaire un arbre illuminé par un rayon du ciel, autour duquel Paul et Apollos plantent et arrosent. Conrad Badius (1560), a pour marque « le temps qui fait sortir la vérité d'un puits taillé dans le roc. » Knoblauch, de Strasbourg, imprimeur célèbre, vers 1520, avait déjà eu à peu près le même sujet et avec la devise : « Verum qnum latebris delituit diù, emergit. » Gabriel Cartier (1598), se sert tantôt d'un fleuron, représen- tant un quartier de roc que des moines cherchent à miner, avec ce distique : Tout art et toute force s'use. Qui à saper ce roc s'amuse Tantôt il a pour marque, une femme armée d\m compas, qui se trouve aussi dans les éditions genevoises de François Lépreux (1593). -209 Pierre de Saint-Aiidrc (1574), adopta une Bible enlr ouverte, aumilieu d'une couronne d'olivier. Charles Pesnot, qui imprima à Lyon el qui fit imprimer à Genève, avait pris pour emblème la salamandre de François 1, avec cette devise : Durare, mort el non perire. Gamonet et Bardin, qui appartiennent plutôt au siècle sui- vant, multiplièrent leurs marques à l'infini : Tantôt Gamonet met à ses éditions un vase de parfums, tantôt un serpent dans un fraisier, tantôt des portes que Sainson emporte avec la devise : Omniu mecum porto. Il était successeur de Hugues de la Porte, imprimeur de Lyon, et il s'était établi à Genève, comme la plu- part des autres, pour cause de religion. Saint-André met aussi dans ses Vwres Jésus- Christ assis sur une roue horizontale, avec ces mots : Stante et currente rotâ, ou bien une hache engagée dans un tronc d'arbre (emblème d'Élienne Dolet), avec ceux-ci : « La coignée est déjà mise à la racine de l'arbre. D'autres fois il adopte un couteau qu'une main aiguise, sur un instrument de fer : Ferriim ferro acuitur, ou des forgerons battant le fer sur une enclume. (PI. III, fig, 5.) Jaq. Planchant avait un poisson pour insigne. Ant. Leymarie mettait à ses livres un ange foulant une tête de mort. (PI, m, fig. 6.) Antoine Reboul, en 1561, avait dans son fleuron deux portes, l'une large, au milieu de laquelle croissent des fleurs el surmontée de flammes: Vautre très-étroite, avec des épines au centre et une couronne sur le chapiteau. Autour est écrit : « Entrez par la porte estroite, car c'est la porte large et le chemin spacieux qui mènent à la perdition. » Malt. 7. Il serait facile de prolonger celte nomenclature, mais cela n'aurait guère d'intérêt, car les livres auxquels ces marques sont attachées et en général les éditions de tous ces éditeurs Genevois 14 210 de la fin du quinzième et du commencement du seizième, ne sont nullement recherchées. Nous nous bornerons donc à in- diquer les noms de quelques autres imprimeurs ou libraires de cette époque, parmi les plus connus : Ce sont : Perrin, qui imprimait à Gologny, près Genève, vers 1565; Barbier, 1560; Pinereul, 1562 ; Bonnefoy, 1563; Gym- nicus, 1569; Jean et François Le Preux, 1589; Guillaume Maurice, de Paris, 1580 ; Rivery, 1559 ; Berthet, 1561; Com- melin, 1596; Estienne Anastase, 1559; Jean de Laon (Lao- nius), 1580 ; J. Georges, 1571 ; Hamelin, 1552; Chauvin (Ant.), frère de Calvin, 1562 ; Math. Berjon, 1597 ; Pierre de Saint-An- dré, 1581; Olivier Fordrin, 1575; Jean Mirard, 1552; Vin- cent Brès, 1562, etc., etc. Mais une famille d'imprimeurs, qui vint s'établir à Genève, vers la fin du seizième siècle, bien que ce soit dans le dix-sep- tième siècle que s'exerce son immense activité , mérite une mention spéciale. C'est celle des De Tournes. Nous nous bor- nons à constater ici son établissement à Genève, en 1585 ', dans la personne de Jean de Tournes, fils d'un bien célèbre im- primeur de Lyon. Dès 1590, on trouve quelques éditions du Jean De Tournes, genevois, mais à partir de 1600, elles deviennent innombrables. ' C'est par erreur que Panzer attribue à Jean de Tournes, dès 1 522, une édition genevoise, Deploralio Lappianœ Gentis. Le même biblio- graphe donne à Genève des éditions génoises, par ex. Jac. BracelU lu- cubrationes de Genuensibus. Genuae 1522. Il fait aussi imprimer à Genève dès 1552 les œuvres d'Ecolampade, ce qui est impossible. De même, Senebier indique comme imprimée à Genève, chez Jean Belot, en 1535, la Guerre et délivrance de Genève. Nous avons vu qu'en 1535 Jean Belot n'imprimait plus, depuis vingt ans au moins. -211 IV. L'IMPRIMERIE GENEVOISE AU XVir SIÈCLE. (1600 à 1700.) lies DE TOVB.VES. Cette famille, fameuse dans les fastes de l'imprimerie et de la librairie, eut deux phases et deux genres de célébrité : Dans la première, elle est surtout réputée pour l'élégance, la beauté, le choix de ses éditions. C'est la période Lyonnaise. Dans la se- conde, elle est plutôt renommée pour leur multiplicité, l'étendue de ses affaires et de ses relations. C'est la période Genevoise. Avant de parler de cette seconde époque, qui nous intéresse plus particulièrement, il convient de dire un mot de la première et de l'origine de la famille. Jean De Tournes (Tornœsius en latin), le premier qui se soit distingué dans l'imprimerie, naquit en 1504, à Lyon, où sa fa- mille, originaire de Noyon, en Picardie, était établie depuis quelques années. Il travailla d'abord dans l'atelier de Sébastien Gryphe, célèbre imprimeur Lyonnais, et en 1540 il eut une imprimerie à lui. Il débuta par imprimer sous le nom et pour le compte de Gryphe, mais en 1544, il commença à mettre son nom à ses éditions, qui furent signalées pour leur correction ' et ' Nous citerous entr'aulres le Pétrarque italien de lo4o, in-lfi, avec une lettre de de Tournes à Maurice Scève sur la découverte du tom- beau de la belle Laure ; le Dante de 1347, aussi in-16; les Margue- rites des Marguerites de la reine de \avarre io47, in-S» ; les œuvTes de Loyse Labbé, Lyonnaise, in-S» ; le Vitruve de ioS2; le Froissard de 1359 à 1361, i vol. in-folio. 212 leur belle exécution. Le goût et l'élégance étaient les caractères dislinctifs des éditions de De Tournes à cette époque. Elles lui valurent le titre d'imprimeur du roi. Le fleuron qu'il mettait en tête de ses livres, représentait deux vipères formant un cercle ; la femelle dévore la tête du mâle et est elle-même dévorée par ses petits qui sortent de son ventre; l'épigraphe porte: « Quod tibi fieri non vis, alteri ne feceris. » Jean De Tournes second soutint le renom de son père qui mourut de la peste, en 1564. Il le surpassa du côté de l'érudi- tion et des connaissances, mais il resta en arrière de lui dans l'art typographique proprement dit. Les caractères sont toujours beaux et l'impression soignée ; ses éditions sont très-correctes, grâce aux correcteurs qu'il employait et dont plusieurs se firent un nom dans les lettres, en France et à l'étranger. Mais le papier et l'encre sont de qualités inférieures. Jean De Tournes, le fils, était aussi auteur, et on a de lui des traductions du latin et des éditions annotées. Les éditions Lyonnaises des De Tournes sont souvent illustrées de gravures sur bois, du célèbre Salomon Bernard, dit le Petit Bernard, élève de Jean Cousin, et l'un des meilleurs parmi les artistes français du seizième siècle. La Bible, les Métamorphoses d'Ovide, les Psaumes de Marot, les Fables d'Esope et beaucoup d'autres livres furent ornés de ces jolies vignettes dont les an- ciennes et premières épreuves sont encore très-recherchées des amateurs. Jean De Tournes second, aussi imprimeur du roi, quitta Lyon, en 1585, pour cause de religion et se retira à Genève, où il commença d'imprimer, vers 1590. Il apporta les planches gravées sur bois de ses éditions Lyonnaises et il continua de les employer; mais, comme les imprimeurs de ce temps-là, il n'eut à sa disposition que des papiers de qualité inférieure, ce qui nuisit à la longue à ses éditions. Reçu bourgeois de Genève, en 213 1596, il fut élu, en 1604, membre du Conseil des Deux Cents, et mourut en 1615, âgé de soixante-seize ans. Ses descendants^ Jean de Tournes troisième, son fils, et Jean-Antoine et Samuel,' ses petits-fils, continuèrent la même profession, mais en n'ap- portant pas le même soin aux ouvrages qui sortaient de leurs presses. Us étaient devenus riches ; ils étaient les imprimeurs du Gouvernement et de l'Académie, et ils se trouvaient lancés dans de grandes spéculations. Les agents qu'ils employaient dans leur imprimerie étaient trop enclins à viser dans leurs éditions, au bon marché et à ce qu'on appelle les procédés de la basse fabrication. Jean-Antoine mourut sans avoir été marié • le second eut deux fils, Samuel et Gabriel, qui donnèrent tou- jours plus d'extension à leurs affaires, la quantité des éditions remplaçant la qualité. Nous insérerons dans cette notice, comme spécimens de leurs éditions Genevoises, quelques gravures im- primées avec les bois du Petit-Bernard, que le second des De Tournes avait apportés à Genève *. Les De Tournes Genevois, avaient apporté à l'emblème de leurs pères, quelques changements. Vers 1635, ils supprimèrent les deux vipères, qui se trouvent remplacées dans leur fleuron, par une couronne d'olivier entrelacée d'une légende, portant! « Vinm de mille unumreperi. » (Eccles. v. ii). L'ancienne de- vise est inscrite sur une tablette suspendue à une main dans l'intérieur de la couronne ^. « Ces petites planches dessinées et gravées avec un esprit qui rap- pelle le bon siècle, sont conservées avec soin par M. Jules-G Fick imprimeur genevois, dont l'établissement remonte directement aux de lournes par une succession non interrompue d'imprimeurs. On connaît le soin et le goût que G. Fick apporte à toutes ses éditions. Il a réimprime avec luxe plusieurs anciens ouvrages genevois. ' Cette marque et cette légende figurent déjà dans quelques éditions du premier de Tournes, entr'autres dans les propos rusliqtm de L. La- dulphi, facétie de N. du Fail, Lvon 1547. 214 En lêle de leurs éditions d'une certaine époque (à la fin du XVI^ et au commencement du XVII* siècles), on voit cette devise: « SON ART EN DIEU, » qui est l'anagramme de leur nom : De Tornasius », inscrite sur une banderolle qu'un ange soutient de ses deux mains levées. A partir de 4640, on trouve sur les éditions Genevoises des De Tournes : « Reipiiblicœ et Academiœ typographus. » L'imprimerie des De Tournes absorba à Genève celle des frères Chouet, qu'on appelait « Messieurs les Chouet », depuis qu'ils s'étaient enrichis grâce à des procédés typographiques plus éco- nomiques que ceux des Estienne, mais qui contribuèrent beau- coup à discréditer les imprimeurs Genevois. Rien de plus désa- gréable que la qualité et la couleur de leur encre et de leurs papiers ; rien de plus mesquin que leurs caractères, qui sont en partie ceux des Estienne, mais usés et méconnaissables. Leur Bible italienne de 1641 fait exception. Les fils de Messieurs les Chouet parvinrent au professorat et au syndicat. PYB.tMlIS de CAlVDOIilili. Ce n'est plus d'une famille entière de typographes, c'est d'un seul individu, voué à l'industrie de l'imprimerie, que nous avons à parler maintenant. Pyramus de Candolle, né à Fréjus en Provence, fut reçu bour- geois de Genève en 1566, en égard, disaient ses lettres de bour- geoisie, au service qu'il a fait au port d'armes et à celui qu'il pourra faire ci-après. M. Galiffe dit qu'il avait été cornette de cavalerie au service de la république de Genève, dans les der- nières années du seizième siècle, lorsqu'il vint à Genève où sa famille avait déjà eu précédemment un étabHssement vers 1574. Suivant le même généalogiste elle était d'ancienne noblesse pro- vençale et elle se disait identique avec celle de Caldora de 215 Naples, qui avait possédé le duché de Bari et lourni un grand sénéchal aux deux Siciles. Il paraît que les de Candolle avaient été établis à Marseille, et l'on trouve un Bertrand de ce nom parmi les défenseurs de cette ville dans le siège de quarante jours qu'elle soutint en 1524 contre le connétable de Bourbon et les in)périaux. Une branche alla se fixer à Montbéliard, ville et principauté sur la limite de la France, de l'Allemagne et de l'évéché de Bàle, qui appartenait alors aux princes de Wur- temberg. C'est de cette ville que Pyramus de Candolle intro- duisit à Genève, au commencement du seizième siècle, une im- primerie à laquelle il voulait donner du développement. La po- sition de cette cité, devenue un grand centre de propagande protestante, offrait un vaste champ à son activité. Le gouverne- ment genevois favorisa son installation. Pyramus de Candolle avait épousé (le 25 novembre 1591) Anne, fille d'Eustache Vignon, l'imprimeur. Il était par conséquent au fait de cet art *. Il ne tarda pas à se rendre utile à Genève par son activité et par son intelligence. On lui confia des messages, et en 1603 nous le voyons député auprès des églises françaises pour leur de- mander des secours. En 1609 Pyramus fut chargé d'une mission qui concernait spécialement l'imprimerie de Genève dans une affaire très-im- portante et très-délicate, où cette industrie voulait détourner un coup fatal, qui, depuis longtemps déjà, menaçait de l'atteindre. Les livres imprimés à Genève étaient frappés de réprobation dans les pays catholiques, surtout depuis la mise à exécution des décrets du concile de Trente contre les ouvrages hérétiques. Une ■ Pyramus de Caûdolle était fort instruit, et comme Jean De Tournes il mettait parfois à ses éditions des préfaces et des annotations. On lui a môme attribué des traductions, antr'autres celle de Tacite qui est de Claude Fauchet. 11 lit une dédicace au roi Henri IV pour la tra- duction de Xenophon qui sortit de ses presses en J603. Voyez aussi l'histoire de Guichardin, traduite par Chemedey, avec des notes par Pyramus de Candolle. Genève 1613, 2 vol. in-S". 216 ordonnance était inlervenne en France, pendant les guerres ci- viles de religion, qui prohibait l'entrée dans le royaume des livres imprimés à Genève. Déjà les Eslienne qui pressentaient celte réprobation , s'étaient bien gardés de mettre le nom de Genève à leurs éditions publiées dans cette ville. D'autres im- primeurs s'étaient avisés de quelques expédients. Ainsi, dès 1565, Perrin mettait sur ses livres le nom de Cologny. On dé- signait aussi le lieu de l'impression, dans les livres latins, sous le titre de Colonia Allobrogmn, et à la rigueur il était facile de confondre cette désignation avec celle de Colonia Agrippina, c'est-à-dire Cologne sur le Rhin où l'on imprimait aussi beau- coup. A Bàle, pour le même motif, on se servait de la désignation Colonia Munatiana, à cause de Munatius Plancus qu'on disait fondateur de cette ville. On usait enfin de la rubrique de Saint- Gervais, et l'on mettait au bas des titres : « Ex typis San Ger- vasii » ou « San Gervasiaiiis » ou enfin : a De rimprimerie de Saint-Gervais, » C'était Simon Goulard, de Senlis, pasteur à Genève, auteur et traducteur très-fécond, intéressé dans plu- sieurs affaires de librairie, qui avait imaginé cet expédient. Mais tout cela n'avait pallié le mal que très-imparfaitement. Les im- primeurs de Lyon, qui supportaient avec peine la concurrence que leur faisaient ceux de Genève, étaient sans cesse prêts à les dénoncer et à sonner l'alarme. Les imprimeurs genevois en etfet, au moyen de combinaisons mercantiles, plus réalisables dans leur pays qu'à Lyon ou en France, étaient parvenus à établir les livres à meilleur compte. A Genève, si cette indus- trie était soumise à des règlements sévères, elle était cependant plus libre dans ses procédés qu'à Lyon où les imprimeurs for- maient une corporation qui avait un syndicat, des maîtrises et des règlements très-serrés. Les imprimeurs genevois du dix- septième siècle ne sacrifiaient rien à l'élégance, et leurs édi- tions sont établies en général avec une parcimonie excessive. Ils s'autorisaient des principes de la réforme qui défendaient le 217 luxe et la somptuosité dans les ameublements, les habits, les armes et en général dans toutes les choses de la vie. Le papier de Genève semblait choisi, malgré les règlements, parmi ce qui pouvait se trouver de plus commun. Les formats sont mesquins. En un mot les impressions genevoises de cette époque attestent une volonté systématique de tout faire en vue de l'économie. La typographie, avec les Chouet, les Vignon, les Stoer surtout, n'était plus un art; c'était une fabrication telle quelle, une basse fabrication, comme disent les experts. Il arrivait ainsi que, manufacturiers à prix restreints, ces imprimeurs écoulaient leurs produits plus vite et plus lucrativement qu'aucun de ces typo- graphes d'élite qui dévouèrent leur vie entière à la recherche de la perfection. Leurs établissements prospérèrent et ils firent fortune. On est étonné, quand on consulte les catalogues de l'époque, surtout ceux des foires de Francfort où était alors le grand marché de la librairie, de voir dans quelle proportion fi- gurent les éditions de Genève '. On comprend donc que les imprimeurs lyonnais, voisins et de tous temps rivaux de ceux de Genève, cherchassent à prévenir et à écraser cette redoutable concurrence. Ils étaient sans cesse en représentations auprès des autorités lyonnaises et même à Paris, pour dénoncer les artiflces au moyen desquels la librairie genevoise éludait les prohibitions. Ce fut pour mettre fin à ces vexations, qui prenaient parfois le caractère de persécutions, que le gouvernement de Genève ' Dans la Bibliotheca Classica de George Draud, Francfort 1623, les éditions de Genève forment plus des trois quarts de la partie Lis- torique et politique, plus d'un tiers des parties philosophique et mé- dicale, et environ un quart de la partie poétique. En dépit des défenses, les imprimeurs genevois fabriquaient pour la foire de Francfort beaucoup de livres de théologie catholique, et aussi des livres désignés sous le nom du lihri ludini et jornsi dans les anciens catalogues. 218 cliargea Pyramus de CandoUe d'une mission auprès du roi Henri IV, pour réclamer contre cet état, de choses. Il devait récla- mer un mode de vivre qui permît l'entrée en France des livres imprimés à Genève, moyennant toutes les précautions de police ou de censure que le gouvernement du roi croirait devoir or- donner pour empêcher l'entrée des ouvrages dangereux pour les mœurs, ou seulement hostiles à la religion catholique, qui était celle de la majorité des Français et du roi lui-même. Il est à remarquer que, malgré l'édit de Nantes, les livres de contro- verse prolestante étaient en France frappés de réprobation, et que les jésuites, qui avaient pris sur Henri IV un certain as- cendant vers la fin de son règne, étaient sans cesse à lui de- mander des mesures répressives contre les auteurs réformés. Pyramus de Candolle était d'ailleurs appelé en France par des affaires particulières. Il rendit compte du résultat de ses démarches dans deux lettres que nous avons trouvées aux ar- chives de Genève et qui jettent du jour sur toute cette affaire. Ces deux lettres sont du mois de septembre 1009. « De Paris le 17 septembre 1609. « Magnifiques et très-honorés Seigneurs ! (S. J'ai reçu celle qu'il a pieu à vos Seigneuries m'escrire, du 26 aoust, sur le commandement qu'il vous a plu me donner à poursuivre une provision du roy sur les difficultés qui se pré- sentoient journellement pour le fait de la librairie en la France. Ce que j'ay effectué sitôt que j'ay été arrivé à Monceaux où le roy estait, où après que le président Piichardot fut expédié, le roy me commanda m'approcher de luy durant son dîner pour scavoir de voslre Etat duquel il s'enquit de moi. Après lui avoir fait le compliment du remerciement à la déclaration que Mons. de Savoie avoit faite pour le fait d'Armoy, je luy remontrai les difficultés et empeschements que les subjets de Sa Majesté de 210 Paris et de Lyon donnoient aux marchands libraires de vosli-e ville, faisant entendre à S. M. que vos Seigneuries ne croient point qu'elle fut avertie de ces difficultés au préjudice dune ville à qui elle faisoit cet honneur que de l'aimer et désirer sa conservation entière et non desmembrée; la suppliant très- liumblement de vouloir donner telles provisions quesa prudence jugeroit nécessaire pour le soulagement du libre commerce, ainsi qu'il avait permis par ci-devant. « Le roy me répartit qu'il ne l'entendoit pas ainsi et que vé- ritablement il aimoit vos Seigneuries. Il commanda à M. de Bullion qu'il parlât à Monseigneur Je chancelier lequel nous allâmes trouver en présentant les lettres de vos Seigneuries sur le sujet desquelles il fit plusieurs difficultés. Mais finalement ■I accorda de mettre sur la première page Sancti Gervasii, et non Aureha Allohrogum, quoique je lui puisse remontrer. J'ai fait sur ce fait dresser des lettres-patentes en bonne forme, etc- a Votre très-humble et très-obéissant bourgeois et serviteur, « Pyramus de Candolle. » La seconde lettre, encore plus explicite, est datée de Paris le 27 septembre 1609 : « Magnifiques et très-honorés seigneurs,. « Suivant le commandement qu'il vous a plu de me faire de poursuivre le libre commerce des livres par la France, et suivant la requête qui vous a été présentée par les libraires et impri- meurs de votre cité, j'ai obtenu du roy et de son conseil plein et entier commerce pour tout cet état et terres de son obéissance ainsi qu'il appert par les lettres patentes que Sa Majesté nous a octroyées, signées de sa main et scellées in forma, pour tout ce qui regarde le commerce de la librairie. » « Particulièrement, il sera permis de mettre à tous les livres 220 de humanités et autres, qui ne traitent de théologie, CoUoniœ Allohrogum, qui étoil tout ce que vos demandants se pouvoient promettre, afin que leurs livres puissent, sans soupçons, être débités par tout. Ayant fait allusion à Colonïa Alpina, cela a été trouvé bon, plutôt que d'y apposer, Aureliœ Allohrogum *. J'en ai retiré rière moy les patentes, desquelles je serai porteur, s'il vous plaît, après les avoir faites signifier aux libraires d'ici, de Lyon et autres villes capitales où je passerai, afin qu'ils n'en prétendent cause d'ignorance. Suppliant très-humblement vos Seigneuries, avoir pour agréables mes services, etc. « Votre très-humble serviteur et bourgeois. « Pyrame de Candolle. » Pyramus de Candolle revint à Genève, et nous le voyons, en 1610, mettre au bas du titre de ses livres : Ex typographia Cal- doriana. La mort malheureuse de Henri IV, cette même année, remit tout en question. On sait quelles concessions le parti qui voulait rétablir en Europe la domination universelle du catholicisme, arracha à Marie de Médicis, régente pendant la minorité de Louis XIIL Les facilités obtenues de Henri IV, en faveur de la librairie de Genève, ne reçurent pas leur exécution. Celle-ci avait beau dé- clarer qu'elle n'introduisait en France aucun livre traitant de théologie ou de controverse, on lui saisissait à la frontière ou à Lyon, tous ses ballots. Quelques imprimeurs de Genève, voulant détourner l'orage, s'avisèrent de demander des privilèges à Paris pour leurs éditions. Moyennant finance on les leur accorda et on trouve sur quelques-uns de leurs livres cette indication : « Avec privilège du roi très-chrétien ^. » Cela ne remédia pas ' D'après certaines chroniques, Genève, détruite sous le règne de l'empereur Aurélien, aurait été rebâtie par ordre de ce prince. ' De même pour l'Allemagne les Genevois mettaient : « Cuvi pri- vilegio sacrœ Cœsareae Majestatis. » -221 aux poursuites, ou du moins très- imparfaitement. Les douanes avaient appris à connaître les livres Genevois et toutes les dé- signalions pseudonymes de Colofjny, de Colonie Allobroge, de Colonie Alpine ou Alpestre n'y faisaient rien '. Les imprimeurs Genevois diversifiaient aussi leurs fleurons et leurs marques, de manière à mettre en défaut les perquisifeurs étrangers. Ces marques passaient d'une imprimerie à l'autre, dans les fréquentes mutations du personnel, et même plusieurs de ces ornements finirent par devenir des espèces de passe- partout, que l'on mettait indifféremment sur toutes sortes de livres. Les emblèmes, si fort recherchés au seizième siècle, et sur lesquels Théodore de Bèze avait composé un livre orné des gravures^, étaient passés de mode. On retrouve les vignettes des éditions genevoises du seizième siècle, dans les Chansons de VEscalade et dans d'autres imprimés populaires des dix-septième et dix-huitième siècles. Le fleuron de l'imprimerie Caldoresque, représentant une renommée debout sur un globe, avec la lé- gende : « Fama per orbem virtute comparattir, » figure dans des livrets très-vulcaires ^. ' Il y eut bien réellement des imprimeries dans le quartier de Saint- Gervais, et celle de Perrin avait été établie à Cologny, dans le seizième siècle. Mais ces désignations avaient pris, au dix-septième siècle, un caractère général pour désigner les éditions de Genève, de même que celles de Colonia Allobrogum et de Aureliœ Allobrogum. On voit le nom de Cologny sur les impressions des CLouet, de Dixmier, de Le- febvre, et G. Aubert (Albertinus), en 1675, mettait encore Colo.nf.v. ' Quarante-quatre Emblèmes Chrétiens traduits du latin de Tliéo- dore de Bèze par Simon Goulart. Genève 1781, in-S» fig. imprimés par Jean de Laon, à la suite des vrais portraits des homtnes illustres en piété et en doctrine, et dans les œuvres de Théodore de Bèze. ' Ce fleuron se trouve entr'autres, aevc d'autres médaillons gravés sur bois , dans un opuscule intitulé : Justification du beau sexe , ouvrage Irés-ulile aux hommes pour les désabuser de leurs faux préjugés, qu'ils ont sur l'imperfection des femmes par M™e Horten- 222 Pyrame deCandoUe, paraît avoir été un homme très-vif et en- tier dans ses idées, que les contrariétés affectaient vivement. Soit qu'il n'ait pas trouvé chez les magistrats de Genève tous les égards et la protection auxquels ses services lui donnaient droit, soit pour d'autres motifs, il commença à vivre mal avec le gouver- nement de cette ville. Dès l'année 1612, on le voit occupé à chercher un établissement ailleurs, où il fût moins gêné dans ses allures. Il crut l'avoir trouvé à Yverdon, dans le pays de Vaud, sur les terres de Berne. Le gouvernement de cette république avait plus de liberté d'action que celui de Genève, sans cesse harcelé par la Savoie d'une part, qui n'avait pas renoncé à re- conquérir ce point important, soit par la France, dont la pro- tection était quelquefois chèrement payée par les Genevois. Quoiqu'il en soit, P. deCandolle se décida, en 1617, à trans- porter ses pénates et son industrie dans la ville d'Yverdon, sous la protection immédiate du baillif, Nicolas de Diesbach. Plusieurs patriciens Bernois l'encouragèrent dans son établis- sement, et il se forma même une société en commandite pour fournir les fonds à l'imprimerie d'Yverdon, qui prit dans ses éditions le nom un peu bizarre de Société helvétiale Caldoresqne, (dans les éditions latines : Ebroduni typogi'aphia Caldoriana). Pyrame avait voulu que le nom de ses ancêtres les Caldora de Naples, présidât à cette création '. sia. — A Gingins, chez Jean Guibert, à l'enseigne de la Victoire, imprimée cette année-ci. Petit in-S». Bien qu'il y ait eu près de Genève, entr'autres à Gex, des impri- meries clandestines dans le dix-septième siècle, comme nous le ver- rons bientôt, nous doutons fort qu'il y ait jamais eu d'imprimeur h , Gingins, au-dessus de Nyon. ' Parmi les seigneurs de Berne qui prirent part à l'établissement typographique d'Yverdon, on remarque François-Henri Graffenried de Gerzensee, capitaine en Piémont, baillif de Nyon en 163S et d'Yver- don en 1651. Savant botaniste, Graffenried publia dans l'imprimerie d'Yverdon, en 1651, l'histoire des plantes de Jean Bauhin de Mont- 223 Avant de quitter Genève, de Gandolle éprouva de nombreux ennuis, inséparables de la liquidation d'un établissement du genre du sien. Ces contrariétés agirent, à ce qu'il paraît, sur son caractère naturellement vif et impressionnable. Il se laissa aller à des menaces, à des récriminations qui occupèrent le gouvernement de Genève. Il faillit même être poursuivi au cri- minel. Nous trouvons des détails précis sur ce qui le concerne dans les procès-verbaux des Conseils d'Etat de Genève, pour l'année 1618, et dans les pièces séparées qui sont aux archives. On lit dans les registres du Conseil : « Dans la séance du 21 janvier 1618, le syndic Sarrazin rap- porta au Conseil de Genève, que Jean Chappuis, de Versoix, avait déclaré que Pyramus de Gandolle, passant à Versoix pour aller à Yverdon, lui avait demandé s'il n'avait point quelques droits de la ville de Genève ; sur quoy le dit Chappuis lui ayant montré des livres de vieilles franchises et privilèges d'icelle, le dit de Gandolle le pria de les lui laisser, avec promesse qu'il les lui ren- drait. Il se plaignait alors de ce que messeigneurs avaient écrit béliard et de Bàle, en trois volumes in-folio. L'histoire de l'imprime- rie Helvétiale Caldoresque est une histoire à part, que nous espérons publier un jour. Cette imprimerie d'Yverdon , après avoir eu un moment de faveur et de prospérité au commencement de son établissement, finit par échouer devant les mêmes difficultés ([ui nuisirent aux presses gene- voises au milieu du dix-septième siècle, savoir : le changement de di- rection dans les esprits, qui furent beaucoup moins préoccupés de théo- logie et de littérature classique; les procédés de basse fabrication; la mauvaise qualité du papier et l'usure des caractères, qui n'étaient pas renouvelés. A la fin de leur carrière, les imprimeurs d'Yverdon passaient pour s'occuper d'alchimie et de la recherche du grand Œuvre beaucoup plus que de typographie. On disait même dans la contrée qne le nom de Caldoresque leur venait de la chaudière où ils opéraient la fusion des métaux. Un siècle après, vers 1765, un moine napolitain. Fortu- né Barthelémi de Felice [de Felici) , releva l'imprimerie d'Yverdon, tombée dans l'oubli, et lui donna un éclat nouveau par de nombreuses publications et surtout par une édition de l'Encyclopédie (7170-1780. ^224 contre lui à messieurs de Berne, mais que maintenant Genève était mal gouvernée. Le dit Chappuis bailla aussi au dit seigneur syndic une lettre à lui écrite par de CandoUe, sans date, sous le nom du seigneur de Jullian, de laquelle lettre lecture a été faite comme suit: « Lettre de Pyramus de CandoUe, sous le nom du sieur de Jul- lians à Jean Chappuis, demeurant à Versoix, en lui envoyant le titre d'un traité contre le gouvernement de Genève. « Monsieur, en récompense du vieux manuscrit des anciens édils que me baillattes passant par Versoix, je vous envoyé le frontispice du traité qu'en a été extrait d'iceluy et d'autres mé- Oioires qui m'ont été mis en main pour montrer la corruption qui s'est glissée d'un jour à l'autre dans la ville où vous et moy avons de l'intérêt, en son nouveau et mauvais gouvernement, au grand regret de tous les gens de bien et bons patriotes qui vou- draient apporter du soulagement à ce qui se fait journellement. Ainsi que vous le verrez dans ce traité, sitôt qu'il sera imprimé et duquel vous en recevrez des premiers, pourra satisfaire à votre désir et bonne volonté de voir quelque meilleur ordre s'y établir. Et en attendant qu'ayez ce contentement, je vous en- voyé ce frontispice par lequel vous pourrez juger quel sera le bâtiment à la honte des mauvais et contentement des gens de bien, et reconnaître au vrai leur mauvaise conduite. Me recom- mande à vos bonnes grâces comme celui qui est le plus affectueux à vous servir. » « De Jullians *. » Dans cette lettre était inséré le prospectus suivant, d'une écriture imitant les caractères imprimés : TROIS LIVRES D'OLIGARCHIE contenant le mespris des loix ecclésiastiques et politiques et Vindeu gouvernement de l'Estat. ' Jullians était le nom d'une terre seigneuriale que les de Candolle avaient possédée en Provence. 225 Ensemble trois traités y adjoints: de l'envie, de la médisance, de V ingratitude. Avec l'apologie et deffence pour le seigneur de Jullians contre les calomnies à lui imputées par M. D. G. (Mes- sieurs de Genève), en l'an 1617. Lecture faite de cette lettre, la délibération fut ouverte. On lit au registre : a Le syndic Sarrazin ayant demandé à Chappuis s'il croyait qu'il fût vrai que Pyramus de Candolie voulût faire imprimer la dite lettre, ou si ce n'était qu'une feinte, Chappuis ajouta qu'il croyait cela être vrai et qu'il le soutiendrait toujours. Chap- puis pria de plus qu'on ne l'exposât pas à des injures, d'autant plus qu'il avait rencontré le seigneur de Fernex qui lui avait dit : « Yous allez à Genève pour le fait du sieur de Candolie, p A été avisé que le seigneur syndic dira à M. Turettini, ministre, et M. de Chapeaurouge à M. Goulard, » qu'ils écrivent en leur particulier au dit de Candolie, qu'ils ont eu avis qu'il voulait écrire le dit livre, mais qu'il se gardât bien de le faire. » Il a été aussi arrêté que le dit Chappuis serait ouy par serment sur ce que dessus, et que sa déposition serait rédigée par escript, ce qui a été fait. ï « Sur ce même fait, Monsieur Savion a dit que lorsque le sieur Turettini alla au pays de Vaud, de Candolie lui parla de quelques livres qu'il voulait livrer à l'impression ; mais qu'enfin il dit qu'il ne les mettrait point au jour. Une fois quitte de ces difficultés, et établi à Yverdon, Pyrame de Candolie ne fut pas au bout. Il eut encore à soutenir des procès à Genève, et cela par une suite naturelle des choses. Les principau.Y ouvriers de l'imprimerie Caldorienne de Genève, entr'autres Jean Berjon, d'une famille de français réfugiés * et ' Jacques Berjon est reçu bourgeois pour quatre écus et un seillot (seau pour l'incendie), en 1576. (Regiitres des admissions à la bour- geoisie de Genèfe.) 15 226 Jacques Stoer, d'origine allemande, étant initiés à tous les procédés de la fabrication, avaient continué l'établissement et monté des imprimeries sous leurs noms particuliers. Ces nou- veaux imprimeurs cherchaient à faire concurrence à la typo- graphie d'Yverdon sur les marchés étrangers, et ils y réussis- saient. Ils imprimaient aussi de préférence les livres qu'ils sa- vaient être d'un débit prompt et assuré, et qui avaient donné des bénéfices à Pyrame de Candolle. De là des accusations et des procès de contrefaçon. Par suite de quelques arrangements antérieurs, le même livre était quelquefois commun aux deux fonds. Ainsi « DURET (CL.) Thrésor des langues de riiistoire de cet wnivers (publié par Pyrame de Candolle), porte la rubrique et la date de Cologny, Matth. Berjon, 1613, et celles iVYverdon, imprimerie de la Société hel- vétiale Caldoresque 1619. Ces deux dates se rapportent à une seule édition dont on a changé le titre. Quelquefois le nom du lieu d'impression est effacé ou recouvert par un fleuron ou une bordure gravée, et au-dessous ou au-dessus on en a substitué un autre. Ces changements étaient nécessités par les variations survenues dans la manière de procéder des administrations de France vis-à-vis des produits de l'imprimerie Genevoise. Le gouvernement Bernois n'abandonna pas Pyrame de Can- dolle dans ses tribulations. Cela ressort des mêmes registres des Conseils de Genève où on lit à diverses dates : Le 22 novembre 1618, on lit en conseil une lettre de MM. de Berne écrite en faveur du sieur Pyramus de Candolle, pour lui être rendues certaines pièces par lui produites dans son procès, pour quelques soupçons de faussetés qui y auraient été remar- quées. Ces pièces, en après, se sont trouvées perdues et égarées. c( Le mardi 16 décembre, on a lu la réponse faite à MM. de Berne, concernant la difficulté entre le sieur Pyramus de Can- dolle et les sieurs Stoër et Berjon, imprimeurs, touchant l'im- 22" pression de Calepin, par laquelle leur est remontré le tort que fait le dit de Gandolle au dit Berjon. (( Le mardi 2 décembre, a été remise une lettre de Berne, portant plainte contre honorable Joseph Stoër et Jean Berjon, de laquelle lettre la teneur est telle : « Ayant été informés des molestes et inconvéniens que vos imprimeurs de Genève, principalement Jean Berjon et Joseph Stoër, dressoient à nos subjects, imprimeurs et libraires de la société de notre ville d'Yverdon, en leur contrefaisant la prin- cipale part des livres qu'ils ont acquis avec grandes mis- sions, frais et dépenses , tant de la copie que de l'impression, qui leur vient à plus de 4,000 écus d'or, et la vente desquels leur étant retardée par la dite concurrence faite contre tout droit et ordre observé de tout temps dans notre ville même ; nous vous prions de ne vouloir permettre que les dits Berjon et Stoër parachèvent leur impression du Calepin à la ruyne de notre dite société, ainsi que cela se pratique avec nos alliés de Bâle et autres lieux d'imprimeries bien réglées. » « Nos dits sujets de la société d'Yverdon se plaignent des mêmes molestes qui leur sont données lorsqu'ils trafiquent et achètent outils et presses d'imprimerie, comme s'ils étoient en- nemis ou étrangers. » Les seigneurs de Berne, en terminant, offrent le réciproque et représentent que de leur part il n'y a jamais eu aucune es- pèce d'entrave mise au commerce, « Il est fait sur cette lettre réponse dilatoire, attendu qu'il faut faire assembler les libraires et imprimeurs de Genève afin de savoir ce qu'il faut opposer. On donnera alors réponse, article par article, et l'on priera aussi Messieurs de Berne de prendre des mesures pour empêcher que leurs imprimeurs ne nuysent à ceux de Genève. » Ces réclamations ne paraissent pas avoir mis fin à la rivalité 228 des imprimeries de Genève et d'Yverdon, qui luttaient d'ému- lation pour imprimer beaucoup, si n'est pour imprimer bien. Le nom de manufacture que Messieurs de Berne donnent à leur typographie helvétiale Caldoresque, rend parfaitement la chose, et il suffit d'avoir- tenu des livres imprimés à Genève et à Yver- don dans ce temps-là, pour juger de l'identité des procédés et des produits. La seule différence gît dans l'indication du lieu d'impression. Pyrame de CandoUe ne s'enrichit pas dans son nouvel éta- blissement, dont il n'était, à vrai dire, que le gérant. Les mêmes difficultés continuèrent après sa retraite. Voici ce que nous trouvons dans un autre endroit des registres : « Le h^ mai 1626, le Conseil de la ville de Berne écrit à celui de Genève, au nom des conseillers associés de la manufac- ture d'Yverdon, pour réclamer contre la taxe mise sur certains livres que Pyrame de Candolle, jadis administrateur de leur fabrique et imprimerie, avait fait mettre sous presse. Le Conseil prie amicablement Messieurs de Genève, de vouloir favoriser ses Consénateurs et consorts, en offrant le réciproque. » Nous n'en dirons pas davantage sur de Candolle et la typo- graphie Caldoresque, dont le principal mérite (et c'en est un réel, après tout), est d'avoir mis le prix des livres, jusqu'alors extrêmement élevé, à la portée d'un plus grand nombre de bourses et de lecteurs. A dater de cette époque, chaque mi- nistre, chaque régent de collège put avoir sa petite bibliothèque. L'instruction générale y gagna. DÉPUTATION DE GENÈVE A LYON POUR l'imprimerie. Procès de Paul HARCBAU. • La translation de l'imprimerie Caldorienne ou Caldoresque de 229 Genève à Yverdon ne changea rien aux dispositions dont les im- primeurs-libraires français, surtout ceux de Lyon, étaient animés à l'égard de ceux de Genève. Outre la concurrence, que les ty- pographes lyonnais soutenaient à grand'peine , ils se plaignaient de ce que les Genevois leur débauchaient leurs meilleurs ouvriers par l'appât d'un plus fort salaire et d'une plus grande liberté. Le fait est que dès le quinzième siècle la concurrence commer- ciale entre Genève et Lyon avait existé. On sait les débats poli- tiques qui eurent lieu à l'occasion des anciennes foires de Ge- nève, qui jouent un si grand rôle dans l'histoire de cette ville. Ces foires avaient contribué, on ne saurait en douter, à amener de très-bonne heure et presqu'en même temps qu'à Lyon, l'im- primerie à Genève. Les missels et les romans de chevalerie se vendaient à ces foires en bien plus grande quantité que dans d'autres villes et dans des temps ordinaires. Outre cette con- currence, que les impressions de Genève faisaient à celles de Lyon, il existait encore d'autres griefs. Le syndicat des imprimeurs- libraires de Lyon se plaignait de l'esprit indépendant d'une partie des compagnons lyonnais, qui allaient puiser à Genève des idées peu catholiques. En revanche, le Consistoire genevois condamnait, comme nous l'avons vu, les allures libertines et frondeuses des ouvriers lyonnais qui travail- laient dans les imprimeries genevoises.' Les griefs des Lyonnais, empruntant une couleur de zèle reli- gieux, amenèrent de nouvelles confiscations et même l'empri- • La sympathie des ouvriers imprimeurs Lyonnais pour Genève pa- raît remonter assez haut. Nous lisons dans Ruchat, Histoire de la ré- formation de la Suisse, tome V, page 597 de l'édition de 17^8 : « Une troupe de 300 aventuriers français, parmi lesquels étaient des imprimeurs de Lyon, partirent ensemble de celte ville, au mois de novembre 1.303, pour aller au secours de «ieuève, pressée par les Sa- voyards. Ils étaient sous le commandement d'un gentilhomme fran- çais nommé De Veray, et les imprimeurs sous la conduite d'un hom- me de leur métier nommé Roboam. >» 330 sonnement d'un imprimeur genevois, Paul Marceau (Marcellus dans ses éditions latines) '. Il était accusé d'avoir voulu intro- duire et débiter à Lyon des livres imprimés à Genève sous la rubrique d'4nî;ers^, ce qui constituait, aux yeux du syndicat des maîtres imprimeurs de Lyon, un délit des plus graves, et qui était encore aggravé par la nature du livre incriminé, dont les imprimeurs de Lyon réclamaient la propriété. Le gouvernement de Genève jugea la chose assez sérieuse pour envoyer une députation chargée d'aplanir les difficultés entre les imprimeurs des deux villes, et en même temps de procurer la mise en liberté de l'imprimeur genevois, Paul Marceau. Les instructions données au:: députés, les conseillers Godefroy et Crespin (celui-ci ancien imprimeur et bien au fait de ce dont il s'agissait), les rapports de la députation et les lettres du mal- heureux Marceau forment un dossier très-complet aux archi- ves de Genève. Le dépouillement de ces pièces offre plus d'un genre d'intérêt. L'intitulé de ce dossier résume déjà toute l'af- faire : « Requête, mémoires et lettres à des députés envoyés à Ge- « nève pour faire maintenir la permission donnée par Henri IV « de mettre sur les livres imprimés à Genève Coloniœ Allobro- « gum ou Cologny. « Les députés étaient MM. Crespin et Godefroy. Ils avaient charge aussi de travailler à l'élargissement de Paul Marceau, imprimeur à Genève, accusé d'avoir imprimé un livre sous la rubrique d'Anvers. » ' Paul Marceau avait imprimé à Geuève, en 1623, les Àuclores la- tinœ lingucB in unum redacli. Iu-4». ' Déjà, dans le XVI'' siècle, des imprimeurs genevois paraissent avoir emprunté le nom d'Anvers, par exemple dans la Vie du très- inique et pervers Antéchrist. Anvers, Corneille du Cimetière, 1380, jn-8". 231 (Janvier à mai 1625.) La teneur des instructions données aux députés porte : « Vous vous acheminerez audit lieu de Lyon et présenterez vos lettres de créance. Vous exposerez que le principal but de votre députation regarde les moyens d'établir une bonne corres- pondance et intelligence avec les libraires et imprimeurs de Lyon. Vous insisterez à ce que le nom ^' AUohrogum pour les livres latins et de Cologny pour les français ne soit plus contro- versé, mais qu'il nous soit permis d'user des licences octroyées par le roi Henri le Grand, confirmées par le roi d'aujourd'hui, et dont l'usage a été entravé par les lyonnais pendant quelques années. « Vous promettrez au nom du Conseil de Genève, qu'il ne sera plus imprimé dans cette ville ancuns commentaires des Jésuites et autres sur la religion romaine, pourvu que par réciproque les imprimeurs de Lyon n'impriment aussi les livres de controverse faits par ceux de notre religion. » Le dossier renferme une première lettre des députés, du 16 février 1625, par laquelle ils annoncent qu'ils ont obtenu des promesses quant au prochain élargissement de Marceau, et qu'ils se sont abouchés avec les délégués des libraires. » a Touchant une édition d'Accurse faite à Genève, les commis- saires ont tâché de lui faire avoir libre entrée à Lyon, mais ils n'ont pu l'obtenir parce que les libraires de Lyon en font une pour laquelle ils ont déjà passé des marchés avec les papetiers de Nantua. « Quant au nom de Coloniœ Allobrogum, pour toute réponse les libraires nous renvoyèrent à Sa Majesté, disant n'être en leur pouvoir d'aller contre les édits souverains. » Les députés reçurent aussi à Lyon un mémoire des impri- meurs-libraires de Genève portant en substance l'exposé de la question tel qu'ils l'avaient fait au Conseil de Genève : ^32 « Les marchands libraires de Genève exposent que le roi Henri IV leur avait permis de mettre sur les livres qui s'impri- ment en notre cité le mot latin de Colonies Allohrogum et de Cologni, pour, par ce moyen, éviter les scrupules et difficultés que faisaient des personnes d'acheter des dits livres sous le nom de Genève qui leur est odieux à cause de la religion. Mais les li- braires de Lyon, pour abattre le peu de négoce de livres qui reste encore à Genève, ont obtenu depuis peu de temps qu'il n'entrerait aucun livre à Lyon, imprimé à Genève, sans le nom exprès de cette ville, sous peine de confiscation. Les imprimeurs et libraires de Genève, qui ont joui, par la grâce de Dieu, de l'octroi du roy Henri IV, au profit du public et d'un graiod nom- bre de familles, supplient Vos Excellences qu'il leur plaise écrire de cela à M. Anjorrant comme d'une affaire importante afin de faire maintenir les licences obtenues. » Le gouvernement ajouta ce qui suit : « Il faudra insister à ce que les noms de Coloniœ Allobrogum et de Cologni ne soient plus controversés ; promettre à MM. de Lyon qu'aucuns commentaires des jésuites ni autres docteurs de la religion romaine ne seront plus imprimés dans cette ville, et réciproquement lesdils Lyonnais n'imprimeront les livres de controverse faits par les docteurs de notre religion. Et en ce n'entendons comprendre les Pères et autres anciens docteurs qui seront à la bienséance de ceux qui les feront mieux et sur les plus fidèles copies qui se pourront trouver. » Les libraires de Genève ajoutaient leurs recommandations : « Il faudra promettre que les livres portant privilège du roy, desquels les libraires auront payé les copies à l'auteur, ne se- ront contrefaits à Genève durant le terme porté par iceluy, passé lequel ils pourront être vendus à Lyon et ailleurs. « Et comme les Lyonnais ont demandé qu'il ne soit introduit à Lyon aucun livre qui aurait déjà été imprimé à Lyon, il s'y 233 faudra opposer, car ce serait du tout mellre à bas le négoce, qui consiste la plus grande part aux livres d'escole, faits tant à Ge- nève qu'à Lyon et ailleurs, ces livres n'étant que les textes sim- ples des auteurs dont l'impression est permise à chacun, » Signé Crespin, P. Chouet, J. Chonet, Stoër, De Tournes, Au- bert, Gamonet. Les députés avancèrent très-lentement dans leur négociation. Il leur fallut au préalable débattre une liste d'ouvrages que les imprimeurs lyonnais prétendaient avoir le droit exclusif d'impri- mer. A cette liste les députés genevois en opposaient une autre, dressée par les imprimeurs de leur ville, qui tendaient aussi à une sorte de monopole. Il n'est pas sans intérêt de parcourir ces deux listes. Elles mettent en un instant au courant du genre de librairie et de lit- térature qu'exploitaient les imprimeurs des deux villes. Beau- coup de ces ouvrages sont tombés aujourd'hui dans un tel oubli, que bien des gens auront peine à comprendre qu'on ait pu se disputer pour avoir le privilège d'imprimer de tels bouquins. C'est le nom qu'on leur donnerait aujourd'hui. Le député de Genève, Godefroy, écrivait à son gouvernement: « Nous vous envoyons, magnifiques et très-honorés Seigneurs, le catalogue des livres que MM. de Lyon disent leur demeurer propres. Ce catalogue n'a été en aucune façon consenti par nous, et nous l'envoyons sans autres. Quant au nom de Coloniœ Allo- brognm, ils ne se veulent ranger au devoir et ils gardent encore une telle haine contre nous, qu'on ne peut passer outre. Et puis- qu'il plait à votre Seigneurie de nous rappeler, nous le ferons au plus tôt. Pour le fait de Marceau, le procès a été rapporté. Il aurait besoin d'un solliciteur expert, qui n'eût ici que cette seule affaire et qui fût muni d'une bonne bourse. J'envoie à vos Seigneuries l'extrait du registre de la chambre de justice pour le fait de l'emprisonnement. 1^'' mars 1625. Crespiv. » 234 Suit la liste des ouvrages revendiqués par les imprimeurs des deux villes. Copie de ceux de Lyon. Corpus canonicum, in-folio glossatum, 3 vol. Concordantise biblise 4.° vel fol. Pontificiaj. Despautère de Behout, 8». Gretheri Grammatica grseca, 8". Lexicon Morelli, 4°. Minsingeres super instituta, 4°. Apparatus in Ciceronem. Decisio Guidonis Papse, (". Syntagma Juris, f". Summa D. Thomse. Maison rustique, 4". Corpus civile, 6 vol. fol. cum glossis. Biblise, in-16. Graramatica grseca Scoti. Apophtegmata Licosthenis, reveu par les Jésuites, etc., etc. Copie de ceux de Genève. Calepinus Passerati. Lexicon Scapulae, grec-lat. Dispensaire de Wecker, 4». Notitia imperii Romani, fol, Fernelii opéra. Mantica de conjecturis. fol. Corpus civile Gottofredi, 2 vol. fol. — in-4°, etc., etc. Menochius de Praesumptionibus, fol. Practica Halleri, 4». Sententise Stobœi, gr.-lat., fol. 235 Théâtre d'Agriculture. Anthonii Fabri opéra, 1" et A". Arrests de Papon, 4». Cicero Godofredi, in-folio et 4". Dictionnaire de Nicod '. Restait l'affaire de Paul Marceau, qui était toujours en prison, et pour lequel les députés avaient intercédé en vain. Cet im- primeur crut qu'il intéresserait mieux le gouvernement gene- vois en exposant lui-même son affaire. Il le fit dans une série de lettres qui ne manquent ni d'originalité ni d'esprit. Elles donneraient à entendre qu'il y avait dans son affaire des intérêts genevois en jeu, et que quelques-uns de ses concitoyens et com- pères n'étaient pas fâchés de le voir loin d'eux et hors d'état de leur faire concurrence. Nous reproduisons celles de ces lettres qui peuvent apprendre quelque chose sur l'industrie et les mœurs de ce temps. Mais avant de les transcrire, nous donnerons un dernier mot des en- voyés genevois : « Nous avons été conjurés d'attendre ici le jugement de Mar- ceau, attendu la passion violente de ses parties. Etant retirés d'ici, on pourrait plus facilement arrivera une condamnation du livre où serait engagé l'honneur de vostre ville. Les informa- tions chargent Marceau d'avoir distribué les premières feuilles du livre dont s'agit, sous le nom d'Anvers. Nous appréhendons pour les dépens. Ceux de la geôle seuls montent déjà à 135 livres. ' Ce dernier ouvrage a seul conservé sa valeur aux yeux des biblio- philes. On peut niènie dire que son prix a décuplé. Cela tient à ce que c'est le premier dictionnaire de la langue française. On voit, par cette liste, que le plus grand commerce de livres con- sistait alors en ouvrages de théologie et de jurisprudence. Ils s'expor- taient surtout en Allemagne, en Italie et en Espagne. 236 c< Quant au mot de Coloniœ Allobrogum, n'ayant à combattre que l'opiniâtreté de quelques imprimeurs de Lyon, M. l'inten- dant a désiré nous ouïr sur ce sujet et nous a donné pour cela jour à mardi prochain. « Lyon, le 9 mars. « Crespin, Godefroy. » Voici maintenant quelques traits des lettres de P. Marceau, qui expose que six mois se sont écoulés depuis le départ de MM. Crespin et Godefroy. Dès-lors, il a été réduit à l'état le plus pi- toyable et misérable. Il demande qu'on lui fasse passer argent pour s' en tirer. « L'état lamentable auquel je me trouve réduit depuis six mois, surtout depuis la subite retraite de M. Crespin, dépasse toute idée. M. Crespin avait répondu verbalement au concierge pour ce que je devais, mais le dit concierge n'ayant rien reçu, menace de me faire mettre dans les cachots avec les fers aux pieds, de soixante livres. Je suis obligé de me tenir au plus mi- sérable lieu de la prison pour ne pas paraître devant ses yeux. Je vous supplie donc, Messeigneurs, d'avoir égard, non-seule- ment à moi, mais à ma pauvre famille désolée, attristée et ter- rassée. Tel me doit, qui peut-être usera de moleste envers les miens. Je ne sais encore à quoy je suis tenu par la sentence donnée contre moi. «f Je suppute en gros, que je serai tenu à payer 420 livres ou environ, sans toucher à ce qu'ay déboursé et qui est payé, sauf six livres six sols que M. Crespin a payé à mon solliciteur. Pour l'effect de cette somme, les intéressés sont les sieurs Berjon, Gamonet, Albert, et s'il les faut croire, les sieurs frères Chouet qui ont donné conseil et contribué à la copie, de laquelle ils se sont faits payer trois pour un à la fin de l'œuvre. Et je n'ai entrepris la vente d'aucun exemplaire, qu'en vertu d'une lettre écrite et signée Berjon et Gamonet, laquelle j'ai exhibée. Tout prouve que je ne suis que commissionnaire. 237 « Ce qui m'attriste le plus, c'est que je ne reçois aucune nouvelle, et ne sais comment mon pauvre ménage subsiste. La cause de mon départ de Genève ici était à plusieurs fins, car n'ayant aucune besogne des marchands de Genève, force était de chercher ailleurs coimaissanre de livres bons à faireet à débiter; joint était que quelques marchands de Lyon avaient écrit qu'ils n'oseraient écrire à Genève et qu'il étoit besoin d'abouchement. Il y avait aussi quelques marchands qui voulaient traiter pour Accurse, et de fait parole était donnée pour le nombre de douze cents exemplaires à cinq escus pièce. Celte considération tournée en jalousie par les imprimgurs lyoïmais m'a fait arrêter, jointe à cela la haine que les imprimeurs de Lyon portent ordinaire- ment contre ceux de Genève. Mon but principal étoit d'attirer besogne pour moy et pour d'aultres de Genève, et le principal contraste m'en arrive de ceux du dedans par avis occultes en- voyés à ceux qui se sont rendus mes parties *. ' Les passages suivants dans les registres du Conseil jettent du jour sur l'affaire de Paul Marcel : « Du 8 avril. Messieurs du Conseil ayant eu avis que M. Crespin, sous ombre de quelques notes et additions, voulait traiter avec ceux de Lyon pour l'impression nouvelle du cours d'Accurse, ce qui nuirait singulièrement au sieur Juge qui le fait imprimer à Genève, écrivent au dit sieur Crespin qu'il ne commence rien avant de savoir au préa- lable la volonté de Messieurs. « Du 16 avril. A été représenté que Paul Marceau est détenu de- puis plusieurs semaines dans les prisons de Lyon pour avoir imprimé la Somme de Thomas d'Acquin, dont les exemplaires ont été vendus anx sieurs Berjon, Gamonet et Albert. » « Du 27 avril. Les frères Chouet ayant été priés par la femme de Paul Marceau, prisonnier à Lyon, de faire tenir de l'argent à son mari, ils ont offert de fournir l'argent nécessaire à son élargissement, moyen- nant que l'imprimerie du dit Marceau leur soit remise, ou qu'ils soient privilégiés sur les deniers qui proviendront de la vente d'icelle. Arrêté que les frères Chouet prennent les clefs des chambres où consiste la dite imprimerie, les déclarant privilégiés pour le remboursement dece qu'ils débourseront pour le dit Marceau, moyennant que la dite im- primerie ne soit ni déplacée ni transportée. » « L'hoirie du feu sieur Vignon me doit plus de douze cents flo- rins pour salaires de deux cents in-i" nompareille,textuaire et glose. Outre ce, on me doit des marchandises pour plus de huit cents florins que je ferai rentrer étant en liberté. Pour ce, vous supplie avoir égard à mon afl"aire et ne me laisser croupir da- vantage en prison. Si quelque commodité m'est faite, nul ne perdra à mou fait. » Dans une lettre postérieure du 20 avril 1625, Paul Marceau annonce qu'il a été condamné au fond, et qu'on le retient en prison pour le paiement de l'amende et des dépends. Monsieur Huguetan, l'avocat, m'a visité et m'a dit qu'il étoit expédient que je vous suppliasse de me faire toucher argent pour moy relascher, ou escrire de bon encre à ceux qui ont moyen d'en fournir, de peur de tomber de fièvre en chaud mal. Dans une lettre du 4 mai, Marceau s'exprime ainsi: « Je vous envoyé ci inclus un billet qui m'a été remis par M. Hu- guetan , l'avocat. Si je voulois prêter l'oreille je n'aurois afl"aire d'argent et serois bientôt élargi, mais ce seroit au péril de mon âme et scandale de l'Église. Je pourrirais plutôt en prison. « En la sentence conire moy donnée sont cités deux arrêts contre MM. les Chouet pour cause d'impression de livres privi- légiés et pour fausses feuilles. C'est ce qui m'a fait traiter si durement encore que je les ignorasse. Ainsi l'innocent pâlit pour le coupable. Il se trouve aussi à la douane trois balles ar- rêtées, sorties des magasins des dits sieurs Chouet et Comp'"', pleines de fausses feuilles et de livres privilégiés, qui m'ont aussi donné une entorse en justifiant les plaintes de mes parties. » « Le 24 mai. » « Comme je tâchais de digérer ma calamité, méditant les sentences de Dieu et notamment du Prophète royal en ces mots : « Quand je n aurais pour moi mère ni père, mon Dieu sera 239 pour moi, qmiqiiil en soit, » et cet autre psaume : « Tire-moi de ma prison afin que je chante ton nom, » m'est arrivée es main une lettre bien agréable qui me fait espérer en bref ma délivrance et qui me donne juste occasion de vous remercier. Me semble que c'est une renaissance d'être remis à la liberté après un esclavage de huit mois au milieu de personnes de diverses re- ligions. J'ai eu à mes côtés plusieurs docteurs qui sont venus faire des sermons à la prison, et unanimement ont voulu que j'y assistasse. Après quoi ils me demandaient ce que j'y trouvais à redire ; ce quej'ay fait fort hardiment, et à diverses fois avons parlé du franc arbitre, de l'origine de l'Église, d'un chef visible pour icelle, de la militante, de la triomphante, de l'invocation des saints trépassés, du purgatoire, du sacrement de l'autel qui est leur messe, et quelques autres points touchés par accident. « Seulement dirai-je un mot du franc arbitre, par lequel un Jésuite me pensoit bouleverser de prime abord. Auquel ré- pondis pour le trousser court, « qu'à bien dire Adam n'a point été créé du franc arbitre, qu'il n'y a que Dieu qui soit de franc arbitre, besognant toujours puissamment et instamment, étant aussi seul immuable là où l'homme a été créé muable et feuda- taire à son Dieu. Témoin le commandement à lui donné de garder et cultiver le jardin, permission de manger du fruit de tout autre, excepté de l'arbre de science de bien et de mal. Quel franc arbitre peut avoir l'homme décheu, si avant sa chute il ne l'avait pas? Le Jésuite comprit maintenant mes raisons et de cet article passa à un autre. Mais me défaillant le papier, je prie Dieu, magnifiques seigneurs et demeure votre très-humble et affectionné serviteur et sujet. « Paul Marceau, ce 31 mai 1625. » Cet imprimeur genevois du dix-septième siècle, discutant au fond de sa prison avec un jésuite sur le franc arbitre et la pré- destination, tient à la fois de Calvin et de Jean-Jacques. Desem- 240 blables correspondances, conservées au milieu du bouleverse- ment des archives, nous apprennent souvent beaucoup plus que maint livre composé ex professa sur l'état intellectuel des diver- ses classes de la société à telle ou telle époque. LOIS, ACTES ET FAITS relatifs à l'Imprimerie genevoise, de 1600 à 1700. Après les deux établissements des De Tournes et de Pyramus de Candolle, on ne rencontre plus à cette époque, dans la typo- graphie de Genève, d'imprimeurs dont l'individualité mérite un chapitre spécial. Les typographes sont nombreux, et leurs produits innombra- bles. Mais leurs livres ont tous un tel cachet, une telle ressem- blance, qu'on peut, sans faire tort à l'un, lui attribuer les vo- lumes d'un autre. Nous citerons les principaux : Samuel Cres- pin, 1616; Ant. Tardif, 1604; Matth. et Jean Berjon, 1600 ; Eust. Vignon, 1600; Michelle Nicod, 1605; Esaie Lépreux, 1610; Etienne Gamonel, 1612; De la Rovière, 1619;' God- dseus, 1611 ; De la Planche (Plancœus), 1620; Alex. Pernet, id.; Arnaud, 1608; Jaques Planchant, 1620; Gabr. Cartier, 1601; Stoer, 1630; Pernet, 1625; Jean de Baptista, 1649; Du Pré, 1649; Fontaine, 1642; Maupeau, 1649;^ Cellerier, 1629; Du ' L'imprimerie de la Rovière (Typis Rover iants) avait pris pour marque la Salamandre de François I*"", empruntée à Pesnot, de Lyon. (Voyez le fac-similé, planche IV. n» 6.) On lui doit quelques beaux volumes, entr'autres Scaliger, de Emendalione lemporum. Ou remar- que dans des exemplaires de cet in-folio, imprimé en 1629, que la dé- signation Coloniœ Allobrogum, en caractères rouges, a été recouverte par un fleuron noir, et que l'on a mis au-dessus postérieurement Ge- nevœ. Ce fait se retrouve dans maintes éditions genevoises de ce temps. Le nom de Coloniœ Allobrogum faisait repousse, après 1630, les édi- tions genevoises en France et en Allemagne. ' Dans une édition d'Estienne Maupeau, les Thrones de G. Span- heira, nous trouvons un titre gravé par A. Candolle. Dans d'autres Poirier, 1070; J. Hermann Widerliold, 1670; Cramer, 1685; Léonard Chouet, 1679; Delà Pierre,' 1641 ; JeanPictet, 1682; Riller, 1690; De Monlhou, à Cologny, 1636; Juge, 1625. Voilà à peu près ce qui concerne le personnel de la typogra- phie genevoise dans le cours du dix-septième siècle. Quant aux faits, nous les donnerons par ordre de dates, tels que nous les avons trouvés aux archives ou dans les registres des Conseils ou du Consistoire de Genève. i603. « Que le papier soit marqué et conditionné, selon les or- donnances, bien façonné, blanc, bien collé, et recevable quand il sera du poids qui s'ensuit : « Assavoir le petit papier à croix blanche, du poids de 1 à 8 livres, le papier messel et longuet de 10 livres, le petit bâtard de 10 livres, et le grand bâtard de 14 livres. « Que le papier qui viendra dans la ville soit porté es mai- sons des marchands, après avoir été consigné, et non plus aux halles, ce qui sera plus commode. De même les commis sur le papier pourront aller visiter les papiers chez les marchands, et ils pourront assermenter lesdits marchands pour qu'ils aient à exhiber tout le papier qu'ils auront. « Que les commis fassent bien observer les ordonnances sur les pattes, car cela seul peut réformer l'abus qui est aux mauvais papiers. 25 février 1605. Un préposé sera commis pour ramasser les pattes qui viendront en la ville et les faire distribuer à chacun fabricant à rate des couches de son battoir. livres, nous trouvons de jolies vignettes de Diodati, qui n'était pas un simple amateur, comme le dit M. le syndic Rigaud, dans ses Essais sur les Beaux Arts à Genève. ' Jean de la Pierre n'était pas l'imprimeur Atn. Stein, de Berne, comme le croit Haller, dans sa Bibliothèque suisse, tome III, page 137. (Voyez, à l'année 1534, Lettres certaines d'aucuns grands troubles, etc., etc.) 16 242 •< Ledil commis ne domiera du quintal que 9 florins 9 sols, sur lesquels il prendra un sol pour ses peines. « Sont exhortés tous imprimeurs de n'entreprendre aucun œuvre sans avoir fait voir au commis pour la visite du papier et imprimeries, la provision de papier nécessaire pour la dite im- pression. « Les imprimeurs feront avertir les commis le jour que le papier arrivera. ((.11 juin 1606. Sur la plainte des imprimeurs que les or- donnances sur le papier ne sont observées dans le pays de Gex par ceux delà ville qui y ont des battoirs, est avisé qu'on recour- rera aux officiers dudit balliage qui ont juridiction sur lesdits battoirs. « 12 août 1607. Défense est renouvelée de dresser imprime- rie sans l'autorisation de la seigneurie. Il est enjoint à tout im- primeur de ne garder aucun correcteur qui n'ait été présenté à M. le recteur pour être examiné à suffisance. Il leur est or- donné de ne mettre aucun livre sur la presse, tant petit ou commun soit-il, qu'il n'ait été présenté aux commis, à peine d'amende de 25 écus. « 4 juillet 1608. Sur les diverses plaintes qui se font tous les jours, tant dedans que hors la ville, sur les mauvais papiers dont les imprimeurs se servent, il est arrêté de donner pou- voir aux seigneurs commis sur l'imprimerie de faire observer exactement les ordonnances sur le papier. (Registres du Consistoire.) Le jeudi 11 de mai 1609, compa- raissent Samuel Crespin et Samuel Boreau, par renvoi de nos très-honorés Seigneurs, touchant: 1° le droit canon, imprimé à Montbéliard, auquel le dit Crespin a dû prendre part; 2» les livres qui s'imprimaient à Gex, et 3" aussi des missels pour la foire de Francfort, qu'ils appellent des assortiments. Au pre- 243 mier répond que Jacques Foillet ' lui éloil débileur de grandes sommes, et qu'il fit marché de l'achepter; au ^econd qu'il est vray que de ceux qui impriment à Gex les cours canon, il a promis quand ils seroient finis de le leur acheter-, quantau troi- sième, il se trouva dix exemplaires, parmi le fond qu'il acheta de Paris, des missels. Il dit n'avoir vendu aucun livre ni contre l'État ni contre des particuliers. Et le dit Boreau dit avoir eu part au quart du cours ca«on, imprimé à Montbéliard, et avoir promis du papier pour imprimer les Décrets de Gratian à Gex, et de se payer soit en argent soit en livres quand ils seroient parachevés d'imprimer. Que c'est un certain Chausson qui avait le nom de dresser la dite imprimerie à Gex. Avis a été qu'ils ne se présen- teront point à la Cène sans venir recognoitre leurs fautes. fid.) Le jeudi 16 de juin 1609, il est dit que Debora, fille de dame Michelle Nicod , se serait adressée à un particulier de céans, et lui aurait présenté des livres qu'il aurait refusés ; joint qu'il y a quelque temps qu'elle, Debora, achepta une masse d'armes dont nos seigneurs ont dû avoir avis, et y ont pourvu par M. le lieutenant, qui jusqu'à présent n'y a encore donné ordre. Ajouté que ces jours passés elle emprunta une râpe du menuisier voisin, le tout n'étant sans soupçon. Et que la mère s'est plainte qu'on lui a déjà rompu sa boutique et dérobé une boutique entière de livres. Renvoi à Messieurs. « 31 mai 1619. Plaintes du recteur de l'Académie sur la mauvaise impression des livres. Sur quoi on mande aux sei- gneurs scholarques de revoir les ordonnances sur l'imprimerie. 28 avril 1620. Lettre de Francfort au sujet de la confisca- tion des Harmoniœ Chemnitzi et des Symbola Reusneri, éditions envoyées à Francfort, par les libraires de Genève, en contraven- tions des privilèges obtenus par d'autres libraires. Le 12 novembre 1620, le duc de Lesdiguières. gouverneur de ' Foillet imprimait à Montlx-liard depuis 1603. Ui Lyon, écrit au Conseil de Genève : « J'ai su de l'un des pasteurs de l'Eglise de Grenoble que l'imprimeur de votre ville qui avait mis sur la presse •• « Le discours des persécutions du marquisat de Saluées, avait été mis en prison pour ne pas vous avoir de- mandé permission. Il ne pensoit point commettre de faute, parce qu'il savait que ce livre avait passé par les mains de quel- ques pasteurs de votre Église qui n'y avaient rien trouvé qui pût offenser le duc de Savoie ni son illustre maison. Celte impression a été entreprise par l'avis de la dernière assemblée de Lodun, pour mettre aux yeux de tout le monde l'iniquité de l'inquisi- tion papale. Je vous supplie donc, Messieurs, de vous relâcher pour l'amour de moi , de la sévérité de vos ordonnances à l'endroit de ce pauvre imprimeur et de tous les autres qui ont trempé à celte besogne, lesquels n'ont péché ni par malice ni par mépris. » c( 12 avril 1625. Sur les plaintes qui se font louchant les abus commis en fait d'imprimerie, et pour maintenir l'honneur et réputation de cette cité, et ouy le rapport des seigneurs scho- larques, les anciennes ordonnances sur la matière sont revues. . Il y avait réuni les plus remarquables impressions dues à ses ancêtres, et aussi une collection d'ouvrages modernes en exemplaires superbes 256 b) Etablissement A GencTe de nooTeaux Imprl- ■nears-llbralres français* Nous avons dit que des imprimeurs de Lyon vinrent se fixer à Genève au commencement de ce siècle. Ils y furent conduits par les perséculions religieuses qui atteignirent encore les pro- testants français après la révocation de l'édit de Nantes. On sait que ces réfugiés avaient voué à ce monarque et à sa politique une haine violente. Nul ne poussa ce sentiment plus loin qu'un imprimeur dont l'histoire est devenue une sorte de légende. « Jean Huguetan, d'une famille d'imprimeurs très-connue à Lyon, dans le commencement du seizième siècle, sortit de France à l'occasion de la révocation de l'édit de Nantes, vint à Genève et passa de là en Hollande, où il fit un grand commerce de librairie et de banque. Il avait établi à Genève des agents et une maison qui traitaient avec les gouvernements et les généraux de la coalition armée contre Louis XIV, dans la guerre de la succession d'Espagne, pour l'entretien des troupes. i Les envoyés diplomatiques de Louis XIV en Suisse étaient sans cesse en alarmes à cause de l'activité de cet homme, et en re- présentations auprès du gouvernement genevois qui, disaient-ils, compromettait la neutralité helvétique en le tolérant chez eux. Les auteurs d'anecdotes du dix-huitième siècle parlent de cet Huguetan comme d'un homme immensément riche, qui, en 1727, vendit pour un million d'effets de librairie qu'il avait fait et richement reliés. Cette bibliothèque fut vendue à M. de Joffrey, de Vevey, où elle était connue, au commencement de ce siècle, sous le nom de Bibliothèque de la Cour aux Chantres. Dès-lors elle a été en partie dispersée. Ce qui reste est encore à Vevey chez MM. Davall de Joffrey et Wurstemberger de Jofirey. ' Voir là-dessus notre opuscule sur la neutralité de la Suisse et de la Savoie pendant les guerres de Ixi succession d'Espagne, (1702-1714). Genève, 1830, in-8». 257 passer en Ilollnnde. Le rédacteur des mémoires de madame de Maintenon, La Baumelle, dit avoir vu à Copenhague ce même Jean Iluguetaii, âgé de cent trois ans, jouissant en Danemarck d'un grand crédit à cause des compagnies de commerce maritime qu'il avait formées. Il ne serait moit qu'en 1750, a de douleur, c dit La Baumelle, de n'avoir pu obtenir le cordon bleu de < l'ordre de l'Eléphant. » Ce serait un exemple bien étrange de la passion des décorations princières. N'est-ce pas le cas de dire que la mort a toujours des excuses ? Quoiqu'il en soit, le passage de Jean Huguetan à Genève fut suivi de l'établissement, dans celte ville, de plusieurs Lyonnais, en qualité d'imprimeurs. C'étaient Philibert,' les Barilliot,- Marc-Michel Bousquet' et quelques autres. Ces nouveaux venus imprimèrent concurremment avec les De Tournes, les Cramer et autres genevois plus anciens. Quant aux Chouet, ils étaient totalement retirés des affaires et le chel de la famille occupait le fauteuil de Syndic à Genève. Ce fut de la Hollande que l'imprimerie genevoise reçut alors son impulsion. Le grand commerce de librairie de ce pays, ayant été troublé et déplacé, à la suite des guerres de Louis XIV et de celles qui conduisirent les Français dans les Pays-Bas sous le règne de son successeur, reflua en partie sur Genève où il trou- vait plus de tranquillité. C'est ainsi que Henri et Albert Gosse, ' Gédéou Philibert de Lyon est reçu bourgeois de Genève en 1705, pour 6,300 florius. ' Jaques-François Barilliot de Lyon et son flls sont reçus bourgeois de Genève en 1726 pour .5,000 florins, un assortiment à l'arsenal et dix éeus à la Bibliothèque. ' Marc-Michel Bousquet, bourgeois de Grancy, dans le balliage de .Morges, fils de Michel Bousquet du Languedoc , est reçu bourgeois de Genève en 1724 pour 5,500 florins, un assortiment à l'arsenal et dix écus à la Bibliothèque. Marc-Michel Bousquet eut plus tard à Lausanne un grand établissement de librairie. 17 258 père et fils, libraires de la Haie, vinrent s'établir à Genève pour exercer leur industrie'. Bientôt nous voyons les Gosse associés des Philibert et fondant avec eux à Copenhague, où peut-être le mystérieux Huguetan les appela, une maison de librairie qui édita des livres français pour tout le nord de l'Europe, entre autres des voyages, des récits de missions, des ouvrages de piété et toutes sortes d'écrits littéraires. Barilliot s'associa, vers 1712, avec Fabri, d'une anciemie famille de Genève, qui y imprimait déjà au seizième siècle. Duvillard et Jacquier, nouveaux-venus dans la typographie genevoise, s'établirent vers 1720. L'industrie des gazettes et des recueils littéraires vint en aide, à cette époque, à celles de l'imprimerie et de la librairie. Les Philibert eurent leur revue mensuelle delà littérature qui, mal- heureusement, ne dura pas longtemps. Elle fut remplacée par la Bihliolhèque Italique que publia Marc-Michel Bousquet à partir de 1728. Plus tard Duvillard édita le Choix littéraire de Vernes^. Pendant la longue guerre de la succession d'Espagne, alors que les événements excitaient vivement l'intérêt, et que les questions religieuses se trouvaient mêlées aux questions poli- tiques, on commença à rechercher avidement les gazettes de Hollande dans la Suisse française, et on se mit à les contrefaire ou à les imiter à Genève'. C'est ce qui résulte de divers para- graphes des registres des Conseils. On.y lit par exemple : « L'an 1702, le mardi 5 septembre, M. le premier syndic a ' Gosse père et fils , libraires de la Haie, sont reçus bourgeois pour 700 écus blancs, un fusil assorti et 10 écus pour la bibliothèque, en 1747. La réception à la bourgeoisie supposait toujours, à moins de cas extraordinaires, un séjour plus ou moins long comme habitant. =■ Pour tout ce qui concerne ces recueils littéraires et leurs rédac- teurs, voyez nos Eludes sur l'histoire lilléraire de la Suisse fran- çaise. Nous ne parlons ici que des imprimeurs. ^ Le Consistoire mit d'abord opposition à l'impression des journaux politiques le dimanche. On lit dans ses registres, sous la date du 7 dé- 259 rapporté que malgré les défenses de vendre les Mercnres histori- ques, on les débitait publiquement dans la ville; qu'il savait d'ailleurs qu'on se proposait d'établir une imprimerie dans les environs de la ville pour les réimprimer. Dont opiné, il a été dit qu'on appelle céans ceux qui vendent les Mercures et ceux qui les font imprimer et ceux qui prétendent établir une im- primerie dans le voisinage, pour leur défendre, sous de grandes peines, de vendre et de débiter des Mercnres et de favoriser l'impression d'iceux. 0 En 1712, le 25 juin, le Conseil décide que les imprimeurs et libraires seront appelés à la Chambre des comptes, et qu'on expédiera le privilège d'imprimer seul les Gazettes de Hollande à celui qui fera le meilleur parti à la Seigneurie. » On est surpris, quand on parcourt les journaux littéraires de l'époque, de la quantité d'ouvrages, la plupart très-considérables, qu'imprimaient les éditeurs genevois, et plus encore du genre de ces ouvrages qu'on ne lit plus guère aujourd'hui. Ce sont pour la plupart des volumineux traités de théologie, de droit canonique, de droit public ou de droit civil, des histoires en dix ou douze volumes in-4°. Les éditeurs genevois avaient réussi à se procurer un papier infiniment meilleur que dans le siècle précédent. Il a de la consistance, de la blancheur, mais il est souvent inégal et rempli de petites aspérités. Quant à l'impres- sion elle est tout juste ce qu'il faut, sans que rien soit sacrifié à l'apparence et à l'élégance. Paraissait-il en France ou en Hollande un livre destiné à quelque succès, on voyait immédia- ment paraître à Genève un prospectus qui en annonçait une cembre ï702 : « Le sieur Marillac, imprimeur, ayant avoué qu'il était allé, le dimanche, achever la Gazelle, M. le conseiller Mestrezat est prié d'avoir l'œil sur les gazettes qui s'impriment, et d'avertir le sieur Miége, imprimeur, de n'y plus travailler, ni permettre que ses ouvriers y travaillent le dimanche. » Ces observations furent plusieurs fois renouvelées. 260 édition genevoise à infiniment raeilleur marché ; à la vérité on en retranchait d'ordinaire tout ce qui était de luxe afin d'arriver à ce minimum de prix. C'est ainsi que Marc-Michel Bousquet et C'% dans leur sous- cription pour l'impression du Dictionnaire de la Bible de Dom Calmet, en 4 tomes in-i», annoncent « qu'ils en ont retranché (( toutes les figures et les plans de bataille, les premières parce « qu'elles sont presque toutes d'imagination ou copiées d'après (c Paul Lucas, ce charlatan ignorant, et les seconds par ce que a le chevalier Folard, toujours préoccupé des combats par co- « lonnes par grands corps profonds, a ramené toutes ses conjec- « tures militaires à propos des batailles qui sont décrites trop « laconiquement dans les livres saints pour qu'on puisse leur « appliquer les principes de la tactique de Polybe, » (Pros- pectus de 1729.) Le Cicéron des Cramer est un exemple du bon marché des éditions genevoises comparées à celles de Paris. On lit dans le prospectus de 1742 : « Les héritiers Cramer et frères Philibert proposent au pu- blic une nouvelle édition de Cicéron avec commentaire de d'Oli- vet, en beau papier et caractères neufs de Saint-Augustin pour le texte et de Garamond pour les notes, conformément à l'édi- tion de Paris et très-correcte, s'engageanl à réimprimer les feuillets où il y aurait des fautes essentielles. Il y aura 9 vol. in-4» pour le prix de L. 67 de France, ce qui est presque la moitié moins que celle de Paris, On donnera séparément les divers ouvrages en payant L. 8, 16 sols de France chaque volume. On donnera les noms de tous les souscrivants. Au reste celte édition se fait sous l'approbation de M. l'abbé d'Olivet lui-même qui veut bien faire quelques changements. » Gosse et C'^, dans leur projet de souscription pour Vhistoiî-e d'Angleterre de Rapin Thoiras, offrent seize volumes in-4" pour 261 72 livres et il y aura même des cartes, des portraits et des vi- gnettes. Mentionnons ici en passant l'imprimerie particulière que Gauf- fecourt, l'ami de Jean Jacques Rousseau, établit dans sa maison de Montbrillant. Il en sortit en 1743 une édition, tirée à petit nombre, de VEssai sur les sentimenls agréables el sur le mérite attaché à la vertu, par Levesque de Pouilly, in-8°. GaufTecourt, riche amateur auquel lesafTaires laissaient des loisirs, s'amusait à relier les opuscules sortis de sa presse. Charles Nodier a exa- géré la rareté de V Essai imprimé à Monlbrillant, en 1743, quand il dit qu'il n'en fut tiré que 12 exemplaires. (Mélanges lires d'une petite bibliothèque.) En 1748, Barilliot et fds, éditeurs-libraires à Genève, pu- blièrent la première édition de VEsprit des lois de Montesquieu, en 2 volumes in-4". L'auteur avait remis au professeur Jacob Vernet, avec lequel il s'était lié en Italie, le soin de surveiller l'impression et de lui faire passer les épreuves pour les corriger. En 1749 les mêmes éditeurs donnèrent une édition in-8" du même ouvrage, en 3 volumes. La marque de Barilliot est une colonne avec la devise « Ex recto decus. » celle de Bousquet représente un nègre qui ramasse des fruits, avec cette légende : « Industria mala levât. » Au reste ces vignettes n'ont plus au- cun caractère d'artiste. L'apparition de VEsprit des lois à Genève est un événement important pour l'histoire littéraire de cette république. Nous avons fait ressortir ailleurs ' tout ce qu'il faut inférer du choix que l'illustre président flt de cette ville, et quelles furent ses conséquences pour le développement politique de la république de Genève. Voltaire vint s'établir aux Délices, près de Genève, en 1755, ' Etudes sur l'histoire littéraire de la Suisse française , principale- ment dans le dix-huitième siècle, ouvrage couronné par l'institut ge- nevois. 262 et un peu plus tard à Ferney. On sait quelle influence il exerça sur la république, ses querelles, etl'immense propagande qu'il fit autour de lui par ses ouvrages grands et petits. Dès son arrivée nous le voyons aux prises avec Grasset, agent de la librairie de Bousquet, qui venait de fonder à Lausanne, cette même année 1755, un grand établissement typographique dont les prin- cipaux intéressés étaientMM. Polier de Saint-Germain, d'Arnay, professeur, Clavel de Brenles pour Madame du Theil, et Sigis- raond d'Arnay. L'éclat de cette affaire eut un grand retentisse- ment.' Voltaire se lia d'intimité avec MM. les frères Cramer, qui devinrent ses imprimeurs en titre dès ce temps là. La correspon- dance du patriarche de la littérature du XVIll» siècle avec les frères Gabriel et Philibert Cramer est encore à publier. Elle renferme bien des détails intimes et piquants. En leur envoyant V Histoire Générale à imprimer, il leur écrivait : a Vous com- mencerez quand il vous plaira. Il n'y a point de griffoneur plus à votre service que moi. Imprimez, imprimez, imprimez. » L'ac- tivité de Voltaire était telle qu'en effet il aurait pu à lui seul occuper plusieurs ateliers typographiques. Cependant les ou- vriers de la maison Cramer ne restaient pas en arrière, et comme ils lui faisaient demander de la copie, ils recevaient cette réponse : « De la copie ! Vous allez donc un train de chasse ! Ah, donnez-moi du temps. Je ne vas pas si vite. » Une autre fois Voltaire donnait à ses imprimeurs des instructions et des directions techniques. « Au nom du bon goust, Ailobrogesque vous êtes, ayez des formes moins larges, marge plus grande pour la prose. Que ces longues lignes pressées font un mauvais effet à l'œil. Ah barbares ! » « N'oubliez pas de recommander expressément qu'on coupe • Voir là-dessus, Voltaire et les Tronchin. articles que nous avous publiés dans la Revue sume de 1833, et les explications fournies au même recueil, par M. le professeur C. Du Fournet, de Lausanne (nu- méro de mai). 203 les cartons' de mes œuvres mêlées où des changements ont été faits. Cela est d'une importance extrême. Il arrive tous les jours que des relieurs relient ensemble la page qui devait être sup- primée et le carton qui devait être seul employé. Alors le lec- teur voit les sottises de l'auteur et le libraire ne s'en trouve pas mieux. » Dans une lettre du 21 décembre 1755, Voltaire se plaint à ses nouveaux libraires genevois des contrefaçons et des imprimeurs de Hollande. « L'histoire de la guerre de J74i, écrit-il à Gabriel Cramer, est aussi défigurée, aussi falsifiée, aussi barbarement imprimée que la prétendue histoire universelle de Jean Neaume. Vous me ferez plaisir de faire imprimer dans tous les journaux de Hol- lande la lettre que j'adresse à l'Académie française. Cet autre ouvrage dont vous prétendez qu'on affolle (la Pucelle) est pres- qu'entièrement terminé. Je vais me remettre à Vhistoire générale. Elle est absolument prête. En voilà pour employer longtemps lés presses. Mais il faut auparavant que je remplisse la tâche que les encyclopédistes m'ont donnée. Après cela je vous donnerai quelques petits chapitres, quelques épiceries pour relever le goût de vos sauces. Je vous avertis seulement que ce temps ci n'est pas propre à donner tant d'ouvrages à la fois. Ces infâmes édi- tions subreptices, données coup sur coup, font grand tort à la véritable que vous préparez. Patientons, la terre ne tremblera pas toujours ; je ne serai pas toujours volé et barbouillé. « Caro Gabriele, je voudrais bien avoir une douzaine d'exem- plaires de cette relation, petit caractère, pour l'édification des fidèles. *. Si vous êtes embarrassé sur les moyens de faire entrer en ' On sait que dans le langage typographique, ou appelle carton un feuillet qu'on refait, à cause de quelques fautes qu'on veut y corriger ou de quelques changements qw'on y veut faire. â64 France et à Lyon, on vous les indiquera. Il n'y a rien de plus facile '. Les Cramer ont donné une édition des œuvres complètes de Voltaire, qui est connue sous le nom à'édition encadrée. Elle conserve sa valeur comme ayant été faite sous les yeux de l'au- leur et corrigée très-attentivement par lui, feuille après feuille^. La grande édition du Théâtre de Pierre Corneille, avec les com- mentaires de Voltaire, faite par souscription, pour doter la petile- nièce de l'auteur du Cid, est aussi l'un des produits notables des presses genevoises de cette époque, bien qu'elle soit tombée à vil prix. Toute l'industrie typographique des frères Cramer n'était pas absorbée par Voltaire et ses ouvrages '. Ils avaient trouvé dans leur famille même un homme devenu célèbre par ses grandes connaissances en philosophie, en physique et en mathématiques, le professeur Gabriel Cramer, né en 1 704, pour donner à Ge- nève une impulsion heureuse à la publication des ouvrages de mathématiques. Le professeur Cramer, lié avec les savants les plus distingués, comme Halley, S'Gravsende, Fontenelle, de Mairan, Réaumur, Mauperluis, Clairaut, BufTon, Cassini, La Condamine, Montes- ' Pour plus de détails, on peut lire un article intitulé : Jean-Jac- ques Rousseau et Voltaire, dans leurs rapports avec leurs impri- meurs; et un autre intitulé Autographes suisses, dans nos Elrennes nationales, années 1845 et 1833. In-12. ' L'édition des Cramer est supérieure à certains égards aux deux édi- tions du Voltaire de Baumarchais ou de Kehl, in-8" et in-12. Celles- ci et les éditions postérieures n'ont été préférées que parce qu'elles renferment la Correspondance générale, une des parties des œuvres complètes du patriarche de Ferney qu'on lit et qu'on apprécie encore le plus. ' Voltaire écrivait encore à Gabriel Cramer : '<. Tant qu'il y aura dans mon corps je ne sais quoi qu'on appelle mon àme^ je planterai des arbres et je ferai rouler la presse. ■< 265 quieu, etc., dirigea à Genève les éditions in-4<'de mathématiques éditées par la maison de son nom. Nous citerons entr'autres celles des Eléments de mathématiques de Wolff, des Œuvres des BernouiUy (Jean et Jacques), des lettres de Leibnitz et de Ber- nouilly, etc. C'est aussi à Genève que Dulens publia son édition complète des œuvres deLeibnitz. Les volumes de mathématiques des Cramer ont conservé toute leur valeur parmi les savants. Ils en expédiaient dans toute l'Europe et particulièrement en Italie, pays avec lequel ils faisaient un grand commerce. Vers 1765, les Cramer commencèrent à ralentir singulière- ment leurs affaires d'imprimerie. Comme les De Tournes, ils étaient entrés dans les charges publiques, et ils fournirent à Genève plusieurs magistrats d'un grand mérite. Nous les voyons refuser de se charger de l'impression de V Histoire de la fin de la République Romaine du président de Brosses, en 3 volumes in- 4», que ce magistrat, homme de lettres, offrait de leur confier, par l'intermédiaire du professeur Jalabert. Us ne se souciaient pas d'entrer dans toutes les considérations d'exécution par où il voulait les faire passer. Le président se plaignait déjà que son Histoire des dieux félirhes, un simple in-12 ', eût été imprimé par MM. Cramer, sur un papier et avec des caractères et dans un format d'almanach. « J'augurais mieux, dit-il, de la grande ré- putation de cette maison. Je vois qu'à Genève on ne fait pas si bien qu'à Paris. » Cela était parfaitement vrai. Seulement on y avait plus de liberté. La rigidité des ordonnances du XVI« siècle avait dégénéré, dans le XVIIP, en une toiériince telle, que le môme président de Brosses, écrivait à M. Jalabert, alors syn- dic : « Vous à qui rien n'est impossible à Genève, trouvez-moi donc les livres sur le Despotisme oriental et l'antiquité expliquée, de Boulanger. Je meurs d'envie de lire ce dernier livre et je sais ' Bistoire des Dieux fétiches, on Parallèle de l'ancienne religion de l'Egypte avec la religion actuelle de la Nigritie. d7(>0, in-12. (Sans nom de lieu ni d'impression.) 366 que c'est à Genève qu'on se le procure. Le président de Dijon indique ensuite au syndic de Genève, le moyen de lui faire tenir ce livre défendu par une voie détournée. Ce fait résume toute la situation. M. de Saïgas écrivait à M'"'^ de Gharrière, qui voulait faire imprimer à Genève un de ses romans: « Je trouverai bien moyen de corrompre les Scholarques, de manière à ce qu'ils laissent faire. » Cela sans doute était dit en jouant et sans aucune intention sérieuse. Mais un tel langage est néanmoins significatif. Il faut observer, pour compléter ce tableau, qu'en même temps ou à peu près, le gouvernement brûlait à Genève, par la main du bourreau, VEmile et le Contrat social de Jean-Jacques Rous- seau, qui avaient paru en Hollande, et alors qu'il n'y avait eu à Genève ni délit de presse ni corps de délit. Et Voltaire inondait le monde de ses ouvrages imprimés à Genève par des ge- nevois! ' L'illustre citoyen de Genève parle à plusieurs reprises, dans ses confessions et dans ses lettres, de son ami Barilliot. C'est chez Barilliot et fils, que parut en 1750 le Discours sur la ques- tion proposée par l'Académie de Dijon : € Si le rétablissement des sciences et des arts a contribué à épurer les mœurs. » Du- villard édita le Discours sur VEconomie 'politique. Ce sont les seuls ouvrages de Jean-Jacques qui aient paru dans sa patrie en éditions premières ou originales^. Le second était un travail ' Sur ces faits voyez nos Éludes sur l'histoire lillérairede la Suisse française, particulièrement au XVIW siècle. ' On lit dans les registres du Consistoire, sous la date du 22 jan- vier 17()o : « On rapporte qu'il paraît depuis peu en cette ville un livre intitulé Julie ou la nouvelle Héloïse, dont le sieur Jean-Jacques Rousseau s'avoue être l'auteur; qu'il paraît tant par la préface que par une partie du premier volume, que ce livre dont les tableaux sont peints avec un crayon si hardi et des couleurs si vives, ne peut être que très-dangereux aux mœurs des jeunes gens; que quoique des li- vres de ce genre ne soient que trop communs, cependant le nom de l'auteur, sa célébrité, sa qualité de citoyen de Genève méritent l'at- 267 qu'il avait préparé pour V Encyclopédie. Celle-ci occupa aussi beaucoup les presses genevoises de Pellet, qui avait succédé aux De Tournes', et qui cherehait comme eux et comme précédem- ment les Chouet, à absorber toutes les imprimeries qu'on li- quidait ou dont les propriétaires étaient obligés de se débar» rasser. Le prospectus dont nous donnons l'extrait, publié en 1778, montre quel était le débit de ces Encyclopédies, que les imprimeurs de Genève, de Lausanne etd'Yverdon réimprimaient à l'envi : « J. L. Pellet, imprimeur libraire, propose une troisième souscription de l'Encyclopédie qui contiendra 32 volumes in-i", sur le même papier et avec le même caractère que les deux pre- mières qui sont en vente chez moi, à Genève, depuis 1777. Je connaissais, dit l'éditeur dans son prospectus, l'utilité de l'Encyclopédie, mais je ne me serais jamais attendu que deux grandes éditions ne suffiraient pas. J'annonce donc une troisième édition. Je dois des remerciements aux personnes qui ont en- couragé mon travail. J'ose espérer qu'elles seront encore plus satisfaites, lorsqu'elles auront donné au papier le temps néces- saire pour reprendre la force et le poli que l'eau lui a fait per- dre. J'achèterai pour la nouvelle édition des caractères neufs et tention du Consistoire; sur quoi l'avis a été de rapporter à Nos Sei- gneurs ce qui a été dit céans sur cet objet. » Le 29 janvier le Conseil défendit provisoirement aux loueurs et loueuses de livres de prêter la nouvelle Héloïse, sans préjudice d'or- donner dans la suite ce qu'il appartiendra. * Pellet était devenu aussi, après les De Tournes, imprimeur du Gouvernement et de l'Académie genevoise. Cela donna lieu h une dé- claration faite au Consistoire par les pasteurs de Genève, le 12 juillet 1781. « La vénérable Compagnie donne connaissance d'une lettre qu'elle adresse à plusieurs journalistes pour protester contre l'impres- sion de Vhisloire philosophique des deux Indes de l'abbé Raynal, faite malgré ses représentations par un imprimeur de iJenève qui prend le titre d'imprimeur de l'Académie, sans que l'ouvrage ait été soumis à la censure de la vénérable Compagnie ou à celle de l'Académie. » 268 je monterai une nouvelle presse. Les souscripteurs paieront pour chaque volume de discours (texte), 10 livres en feuilles, et 18 livres pour chaque volume de planches. Je ne reçois au- cune souscription pour la première et la seconde édition dont je n'ai plus aucun exemplaire. Je ne lais aucune suppression à l'édition de Paris et je proteste que le libraire de Genève n'a aucune société avec M. Panckouke, le libraire de Paris. Nous observerons que la première édition de l'Encyclopédie de Paris, la seule que le public ait accueillie avec empressement, coûte plus de liv. 1400, » et que la nôtre coûtera seulement 344 livres. » La fabrication des pamphlets et des brochures politiques avait déjà pris, en 1734, avant la première médiation, une certaine extension à Genève. Mais rien n'égale le débordement de ces sortes d'écrits à partir des années 1766,1767 et 1768, alors des fameux démêlés des natifs et plus tard lors de la grande affaire des représentants. La bibliographie complète de ces brochures genevoises, que l'on compte alors par centaines, est encore à dresser. On comprend que l'autorité, le pouvoir politique que ce déluge de publications à la main menaçait chaque matin, eut souvent à s'en alarmer. Dès ce moment, les Conseils de Genève n'eurent plus guère à s'occuper que de cela en fait de presse, si ce n'est de quelques infractions aux lois sur l'imprimerie, si- gnalées par des gouvernements ou des agents genevois à l'é- tranger. Voici par exemple ce que le célèbre Necker, qui faisait alors les fonctions de résident genevois près du gouvernement du roi de France, écrivait au Conseil : « Paris, le 9 janvier 1772. « Le duc d'Aiguillon s'est plaint à moi de ce qu'on a laissé imprimer à Genève le Gazetier cuirassé \ livre plein de faussetés et ■ Par Thévenol de Morande^ pamphlétaire qui cherchait, comme l'A- rélin, à rançonner les souverains. 269 d'insultes infâmes. Il dit qu'on en a inondé Lyon et qu'il a écrit à M. Hénin (résident de France à Genève), pour demander la punition de l'imprimeur. Vous m'informerez là-dessus, je vous prie. » « La truite du nouvel an est arrivée et fit beaucoup d'effet à la table de M. d'Aiguillon, mardi, où dînait aussi M"* la com- tesse Dubarry. « J'ai l'honneur d'être, etc. « Necker. » On lit dans une lettre suivante, du H février 1772: « L'affaire du Gazetier cuirassé est entièrement terminée. » Il était procédé alors dans Genève à la poursuite et à la saisie des pamphlets de la manière qui est indiquée dans les procès- verbaux des auditeurs : « f773, le i 5 janvier. Les auditeurs Dentand et Jean-Louis Piclet dressent procès-verbal de visites faites chez les libraires pour rechercher un livre intitulé : « Histoire de Genève, par Bé- renger,et des brochures politiques, entr'autres, le Patriotisme. » Les libraires Chirol et les frères Téron, disent avoir placé des exemplaires de cette histoire, mais par souscription. La dame Holm, loueuse de livres, dit qu'on lui a lancé, en lui faisant peur, deux exemplaires de la brochure en question. « Les mêmes s'étant transportés chez le sieur Grasset', à la • François Grasset, français d'origine, était employé chez les frères De Tournes, à Genève. 11 les quitta en 1734, et entra chez M. Bous- quet, qui venait d'établir à Lausanne une Société typographique. Gras- set allait commencer à voyager pour cette maison nouvelle, quand il eut avec Voltaire une affaire qui fit beaucoup de bruit. En 1761, Gras- set se brouilla avec Bousquet, et trouva moyen d'acquérir cinq des sept portions dont l'ancien fonds de la société M. M. Bousquet et C'« était composé. En 17tî2, Grasset imprima à Lausanne une édition de Télémaque en 270 rue des Belles-Filles, n'y ont rien trouvé, non plus que chez l'imprimeur Pellet. Chez le sieur Caille, relieur, on a trouvé un exemplaire de l'histoire de Bérenger, prêt à être relié, et les au- diteurs l'ont fait enlever par leur huissier Gaillard. » « Chez l'imprimeur Bonnant, au Molard, on a trouvé un exem- plaire du Patriotisme qui a été saisi et remis aux syndics. » Voici quelques autres cas de pamphlets ou de livres pour- suivis à cette époque : i767. Libelle très-injurieux pour le Conseil, intitulé: Lettre d'un ami, traduite de l'anglais. 1769. Lettre et informations du bourgmestre et du Conseil de Lausanne sur l'impression d'un libelle, intitulé : Chanson nou- velle *. 2 volumes in-12, avec des notes contenant des allusions à l'histoire de Louis XIV. A la fin de cet ouvrage, l'éditeur oppose aux attaques et aux poursuites dont il avait été l'objet, divers certificats. En parlant de Voltaire, Grasset dit : « Puisse cet homme célèbre, dont les écrits « font l'admiration de toute l'Europe, dans lesquels il peint si bien « les sentiments de l'humanité, faire cesser les persécutions qu'il me « fait essuyer depuis plusieurs années, pour avoir participé à l'impres- « sion de la Guerre liUéraire, qu'il a traité de libelle détestable, mais « qui m'avait cependant été conseillé par plusieurs Pasteurs et autres « personnes pieuses de Lausanne. » ' Le Conseil de Genève ayant déféré à celui de Lausanne une chanson sur les affaires des natifs, que l'on croyait imprimée à Lau- sanne, en offrant cinq cents écus blancs à celui qui en découvrirait • l'auteur, les magistrats de Lausanne dressèrent une longue enquête et répondirent : « Illustres nobles, magnifiques seigneurs, chers et honorés voisins et amis! « L'intérêt particulier et sensible que nous prenons au bonheur de votre gouvernement, nous a fait voir avec un vrai déplaisir l'odieux li- belle que vos magnifiques seigneurs ont pris la peine de nous commu- niquer. Nous avons sur le champ pris les mesures nécessaires pour tâcher de découvrir si cette pièce avait été imprimée dans notre ville. 271 Lettre de M. Necker, de Paris, concernant des libelles. 1771. L'avoyer et conseil secret de la ville de Berne écri- Le Conseil a délégué pour cela MM. Lemaire, banneret de Saint- Laurent et le boursier Secretan,qui ont fait appeler par devant eux, le 28 novembre 1769, les sieurs Grasset et Tarin, imprimeurs, associés pour l'imprimerie, lesquels sérieusement exhortés ont déclaré n'avoir point imprimé le libelle intitulé Chanson nouvelle. Après avoir exa- miné le papier et le caractère ils ont dit que celui-ci est commun à plusieurs imprimeurs, non-seulement de Lausanne, mais encore de Berne, Neuchâtel, Yverdon et même de Genève; c'est un Saint-Au- gustin qui leur parait avoir été fondu à Genève, et pour les notes un Petit-Romain soit Garamond italique, fondu à Bâle. Quant au papier il est des papeteries de Vouvray ou de Saint-Gingolphe en Valais. » « Les dits ont déclaré que pour l'impression des chansons ils consul- tent toujours les professeurs en théologie établis par LL. EE. pour examiner ce qui concerne l'imprimerie. Requis de dire les noms des ouvriers qui travaillent à leur imprimerie, ils ont nommés J. Hignou, J.-A. Regamey, J, Schwabre, P. Setgman, Isaac Joli, F. Henchoz, un Allemand dont ils ne savent pas le nom, et l'apprentis Guyar. Tous les dits ouvTiers, cités sous serment, ont déclaré ne rien connaître du dit libelle ou Chanson nouvelle. « Le sieur J.-P. Heubach, imprimeur en cette ville, a déclaré que sur l'invitation de son associé de Genève il a déjà fait des démarches, mais qu'il n'a rien pu découvrir touchant le dit libelle. « Les ouvriers ont répondu de même. Ant. Chappuis, imprimeur, citoyen de Lausanne, dit qu'il a eu connaissance de cette chanson qui regarde les natifs, par un nommé Pignat, marchand papetier de Vou- vray. Il ajoute qu'à la vue du caractère, il la croit imprimée à Genève. Tous ses ouvriers n'ont rien pu dire, non plus que les sieurs Varney, Martin, Milliato, Aulembach, marchands libraires. Le sieur J.-M. Bar- rat, négociant, a dit qu'il avait ouï parler de la chose au sieur Dailliers, libraire à Genève, comme d'une chose très-sérieuse, le Conseil ayant promis bOO écus de récompense au révélateur, et fait brûler les exem- plaires qu'on avait pu recouvTcr, par la main de l'exécuteur. Le sieur Martin dit de son côté qu'on lui avait assuré que le dit libelle avait été imprimé à Annecy. » Non contente de cela , la noble commission , sur Tavis qu'on lu» avait donné, que le même caractère du libelle se retrouvait dans VHomme au latin, livre sorti de l'imprimerie du sieur Grasset, a fait chercher chez lui le dit livTe. La cnmmission a, en effet, trouvé beau- 272 vent au Conseil de Genève, louchant un libelle intitulé : Voyage de Lausanne à Londres . i772. Procès-verbaux au sujet des libelles intitulés : Histoire coup de rapports entre les deux caractères. Le sieur Franc. Grasset ayant été rappelé pour donner des édifications sur ces rapports de ca- ractères, dit que cela ne pouvait être autrement, puisqu'ils avaient été frappés du même poinçon et fondus par le même maître, Guillaume Haas. Il ajouta que les caractères du Mercure qu'il fait imprimer cha- que mois sont absolument les mêmes, et que les trois imprimeurs de cette ville, de même que celles du pays, avaient de ce caractère-là. La dite commission s'est fait apporter le Mercure de Grasset et des livres de riniprimerie d'Yverdun , et elle a pu se convaincre qu'ils avaient été frappés du même poinçon, et fondus par le même maître. Donné à Lausanne, sous notre sceau plublic, les 28, 29 novembre , 1er et 2^ décembre 1769. — Bojsot, secrétaire. ' Nous donnons les lettres du gouverraent de Berne concernant cet ouvrage, qui fit un scandale immense : (( Du 7 juillet 1771. « Magnifiques et très-honorés Seigneurs, « Nous avons reçu des avis certains qu'on doit imprimer dans votre ville une brochure intitulée Voyage de Lausanne à Londres, dans la- quelle notre gouvernement est maltraité d'une manière très-offensante. Comme il est de l'intérêt de tous les gouvernements de faire supprimer de telles impressions, nous vous prions de vouloir bien, en bons voisins et amis, donner pour cela les ordres nécessaires, et de faire prendre des informations auprès de tous les imprimeurs de votre ville, spécia- lement auprès du nommé Grasset, qu'on dit s'être chargé de cette édi- tion. Nous vous prions aussi de nous faire parvenir soit le maimscrit, soit l'un des exemplaires, afin que nous puissions l'examiner plus sûrement. » « Du 2-2 juillet 1771. « Nous vous devons des remerciements très-affectueux pour la dili- gence avec laquelle vous avez donné vos ordres pour la découverte du manuscrit intitulé Voyage de Lausanne à Londres, et de ce que vous nous avez envoyé non-seulement ledit manuscrit, mais aussi les deux papiers y relatifs qui se sont trouvés chez l'imprimeur Grasset. Le Slallhallcr et Conseil secret de la ville de Berne. 11 résulte des procès-verbaux dressés par les auditeurs délégués à cet effet, qu'ils avaient saisi le manuscrit du voyage en question dans 273 critique de Jésus-Chiist, Lettres de Muinmitts à Cicéron, et Cor- respondanee secrète. 1773. Leltres de M. de Royer, lieuleiiant-général de police à Lyon, au sujet de plusieurs libelles séditieux. 1777. Procès-verbaux concernant des libelles contre le gou- vernement, intitulés : Requête d'un père de famille, Chanson de Michelin l'aveugle, Chanson nouvelle, etc. 1779. Procès-verbaux contre des brochures jugées séditieuses. 1780. là., au sujet d'écrits jugés dangereux. 1782. Actes de MM. de Jaucourt, de la Marmora et de Wat- teville, commandants des forces de l'intervention à Genève, au sujet de libelles. 1784. Lettres des comtes de Serraval et de Perron, au sujet de libelles injurieux pour le gouvernement de Genève. Réquisitoires relatifs à quelques écrits et entr'autres aux Etrennes aux négatifs. 1787. Libelle qui accusait le gouvernement de tyrannie. 1789. Libelle mis dans la boëte des suffrages au Conseil gé- néral. 1791 . Libelle excitant les Savoyens à la révolte. 1795. Libelle se débitant dans Genève. 1797. Lettre du résident de France à Genève, au sujet de libelles sur le pays de Yaud. / 798. Lettresur un libelle dangereux au gouvernement français. le tiroir d'un meuble de l'apparleinent de Grasset; que celui-ci avait d'abord voulu imprimer le dil livre, mais qu'il y avait renoncé, parce qu'il lui avait paru suspect. Le Journal d'un voyage de Genève à Londres en passant par la Suisse, entremêlé d'aventures tragiques, n'en parut pas moins uu peu plus tard, en 1783, sans nom de lieu ni d'imprimeur, avec les initiales J. M. L. (Jean Manget, libraire), en un volume in-S» L'auteur était M. Gaudard de Cliavanncs. (Voyez notre Histoire littéraire de la Suisse française au div-Jnii- liènie siècle, présentée uu concours littéraire ouvert eu I8.">i. 18 274 Toutes ces intractions engagèrent le gouvernement genevois à rappeler les ordonnances sur la presse età prendre de nouvelles dispositions dont voici la teneur : RÈGLEMENT SUR LES IMPRIMEURS Approuvé au magnifique Conseil des Deux-Cents, le 22 avril 1788. Art. 1. Nul ne pourra tenir une imprimerie que la permis- sion ne lui en ait été accordée par le Conseil. Art. 2. Les imprimeurs ne pourront imprimer aucun livre en aucun lieu secret, ni tenir leurs presses que là où ils auront déclaré aux seigneurs scholarques. Art. 3. Les seuls imprimeurs autorisés par le Conseil pour- ront tenir des presses et des caractères servant à imprimer ; défenses sont faites à toute autre personne d'en ouvrir en quel- que lieu et sous quelque prétexte que ce soit. Art. 4. Tous les libraires et imprimeurs seront tenus de donner à la bibliothèque publique deux exemplaires en blanc (non reliés) ou un exemplaire relié de tous les livres qu'ils imprime- ront pour leur compte ou pour celui d'aulrui. Et de tous ceux qu'ils réimprimeront, ils en doimeront un exemplaire à la bi- bliothèque publique à chaque réimpression '. Art. 5. Défenses sont faites à tous libraires et imprimeurs d'imprimer ou réimprimer aucun livre ou brochure quelconque, sans une permission par écritde l'un des seigneurs scholarques; à la réserve néanmoins des factums ou mémoires destinés, dans des procès civils, à l'instruction des juges, lesquels devront être signés par les avocats et les parties, qui en répondront. Art. 6. A l'égard des bibles, psaumes, liturgies et catéchis- mes, avant que de les imprimer on devra en informer la vénérable ' On voit, par les registres des Conseils, que les imprimeurs consti- tuèrent un avocat pour protester contre cette dispostion. 275 Compagnie des pasteurs, qni en donnera son avis d'après lequel le Conseil staluera ce qu'il appartiendra. Art. 7. Il sera fait, de temps en temps et toutes les fois que cela sera jugé convenable, des visites dans toutes les imprimeries pour voir s'il ne s'y commet point de contraventions. Art. 8. Les dites contraventions seront punies par amende, confiscation, interdiction on autre peine plus griève, selon l'exi- gence du cas. Mandant au seigneur lieutenant et aux seigneurs scholarques de tenir la main au présent règlement, comme aussi de veillera ce qu'il ne se débite dans cette ville aucun livre, imprimé soit ici soit ailleurs, contre la religion, les mœurs, le bon ordre ou le gouvernement. De Rochemont. (Chez J. J. Pellet, imprimeur de la république.) Les dernières années du xviii* siècle, celles qui constituent la période révolutionnaire proprement dite, ne présentent rien de remarquable sous le rapport typographique. La guerre de bro- chures polémiques continue et redouble de vivacité. On en im- prime non-seulement à Genève, mais aussi à Carouge, à Nyon et à Saint-Claude. Les entreprises de librairie cessent. Les voya- ges dans les Alpes d'Horace-Benedict de Saussure, qui consti- tuent l'un des titres littéraires de Genève, s'impriment à Neu- châtel. Quant aux ouvrages d'auteurs français, la presse étant devenue libre et plus que libre en France, il n'est plus besoin de recourir aux imprimeurs de Genève. VI. lA PRESSE GENEVOISE DANS LA 1" MOITIÉ DU XIX' SIÈCLE. (1800 à 1855.) Les premières années de cette époque ne sont que la conli- 276 nuation de la précédente. Il y aurait à citer maint opuscule po- litique devenu fort rare, mais qui pour cela n'est pas classé dans les raretés bibliographiques. La législation sur la presse se ressent de l'état violent et transitoire où se trouve la ré- publique. a) Période Impériale. Sous l'empire de Napoléon I les choses changent de face. Alors l'imprimerie se trouve soumise à des règlements qui, pour être d'un autre genre et inspirés par un autre esprit que ceux du seizième siècle, n'en sont pas moins gênants. Un décret im- périal du 5 février 1810, régularisant et complétant d'autres décrets antérieurs, établit un inspecteur général de l'imprimerie et de la librairie pour les déparlements du Léman, du Mont- Blanc, de l'Ain, de l'Isère et du Simplon. Ce fonctionnaire était placé sous les ordres du directeur général de la librairie (le gé- néral baron de Pommereuil, dont Chateaubriand parle ample- ment dans ses mémoires), lequel relevait à son tour du ministre de l'intérieur. Un préposé était chargé d'estampiller à la préfecture les livres que l'on voulait faire passer de Genève en France et à l'étranger, ou ceux que l'on faisait venir du dehors'. Il fallait une permis- sion spéciale pour ces opérations. Les imprimeurs-libraires ne pouvaient exercer cet état qu'au- tant qu'ils étaient munis d'un brevet du directeur général de l'imprimerie, soumis à l'approbation du ministre de l'intérieur. Us prêtaient serment devant le tribunal de première instance de Genève. Les deux professions pouvaient être exercées ensemble, mais il était nécessaire d'avoir deux brevets. Il n'y avait pas dans le département du Léman d'autres imprimeurs ni d'autres libraires que ceux de Genève. Les imprimeurs-libraires étaient, ' En 1814, l'inspecteur de la librairie à Genève était M Louvrier, £i le commissaire-vérificateur à l'estampille M. Pottier. 277 à la fin de la période impériale, Jean-Jaques Paschoud, Luc Sestié et Gaspard-Joel Manget; les imprimeurs seulement les héritiers Donnant et Pierre-Antoine Pelet; les libraires MM. Ab. Cherbuliez, Guers, David Dunant, Donod, Desrogis et Madame la veuve de Châteauvieux. Sous un régime aussi sévère, il n'y eut que très- peu de vie littéraire, et les délits de presse furent naturellement peu nom- breux. De temps en temps Madame de Staël et les personnes lettrées qui constituaient sa société à Coppet, essayaient de se servir des imprimeurs de Genève pour mettre au jour quelque écrit. Mais la surveillance était si ombrageuse que le préfet du Léman lui-même, M. de Darante, malgré sa bienveillance per- sonnelle et quelque fut l'innocuité de l'ouvrage à faire paraître, était obligé de donner un préavis négatif ou tout au moins de déconseiller de poursuivre la tentative. Nous avons recueilli quelques faits, les seuls caractéristiques de cette époque, que nous citons par ordre de date. Ils suffiront pour indiquer la situation. « 1801 , le 16 janvier. Le ministre de la police Fouché écrit au préfet du Léman de renouveler la défense faite aux journalistes de parler de la religion, des ministres et des cultes. II se plaint aussi de la trop grande publicité que les prêtres catholiques re- commencent à donner aux cérémonies de leur culte. « Défense est faite aux journalistes de rien insérer sur le mouvement des armées, sur la rentrée des émigrés. « 1S06, le 29 novembre. Le conseiller d'Etat chargé de la police générale de l'empire écrit au préfet du Léman qu'il a cir- culé dans le département du Léman une prétendue proclamation imprimée de l'empereur. Il le charge de rechercher les auteurs et les propagateurs de cette pièce apocryphe. » 1810, 6 décembre. Le duc de Rovigo, minisire de la police, écrit au préfet du Léman, pour l'inviter à donner des ordres, à 278 fin qu'aucun arlicle sur le prix des grains et sur les grains ne soit inséré dans les journaux. Malgré cette défense, le mécontentement parvint à se faire jour au moyen de panyihlets que l'on affichait. Le 1" avril, le sieur Noblet, commissaire de police, signale à M. Maurice, maire de Genève, l'apposition d'un placard dans la place du Molard. Ce pamphlet était ainsi conçu : De Ventre vuide, le 30 mars 18H- AU GRAND NAPOLÉON. Tu vois ce peuple immense, Qui, sans pain ni vin. Célèbre ta naissance : Puisse le destin, Pour accomplir ses vœux, Te faire autant de bien Que ton peuple est heureux ! Signé Grande Misère, maire. Le premier qui ôtera cela Que le diable lui casse les doigts ! Pour copie conforme, Crève-Faim. Le maire de Genève, en transmettant celte pièce au préfet, lui écrit que cette affaire lui a paru de la nature de celles dont Son Excellence le ministre de la police générale désire d'être ins- truit directement. Il a préparé une lettre en conséquence. Dans cette lettre, adressée au duc deRovigo, M. Maurice dit a que ce fait dont il a la douleur d'occuper le minisire, est unique à Genève, où la population jouit d'une parfaite tranquillité. » La même pièce lui avait été adressée par la poste. Il n'y avait que deux ou trois individus sur la place du Molard lorsque ce placard a été arraché par le commissaire de police. 1812, le 4 février. Le général baron de Pommereuil, con- seiller d'État, directeur de l'imprimerie et de la librairie, de- 279 mande des détails sur la feuille d'avis, le prix auquel elle est affermée, le prix des annonces. Le préfet répond que sous le gouvernement de la République de Genève, la Feuille d'avis était donnée i\ ferme. Le prix du dernier bail était d'environ 3,400 fr. L'imprimeur Sestié, sous le régime français, conti- nua sur ce pied, en payant de plus fr. 500 au bureau de bien- faisance. La feuille a 800 abonnés et le prix d'abonnement est de fr. 6. Sestié, dans l'espoir d'avoir un plus grand nombre d'articles, ne perçoit que 15 centimes par ligne. Si l'État veut prendre pour lui le produit net de la Feuille d'avis, évalué à fr. 4,000, voici comment le préfet en propo- serait la distribution : « 500 fr. au bureau de bienfaisance ; « 1000 fr. à l'imprimeur; « 2500 fr. à la caisse d'amortissement. » « En 1795, Luc Sestié avait poussé jusqu'à 7000 florins la ferme de la Feuille d'avis, criée à 4000 florins. » 18 J 2. 18 avril. — Police générale (3* division). « Au commissaire de police à Genève. « Paris, le 12 avril 1812. a Veuillez donner les ordres pour empêcher la circulation d'un Recueil de poésies de L. J. de Colin. Vienne, 1812, chez le libraire A. Straulz, et faire saisir cette brochure allemande dans le cas où l'on tenterait de l'introduire. « Le maréchal duc de RoviGO. » Le régime impérial en était donc arrivé à faire donner, par la direction générale de la police, des ordres pour faire saisir à Genève (et dans tous les départements de l'Empire), des poésies allemandes publiées à Vienne et dont l'auteur était probable- ment tout-à-fait incoimu, ainsi que ses productions, aux habi- tants du département du Léman. 280 b) Période de la Restauration. La chute de l'édifice napoléonien, à la fin de 1813, et la res- tauration de la république de Genève comme canton suisse, ren- dirent à la presse une partie de sa liberté. Nous disons une partie, parce que pendant bien des années encore, il y eut sur les pro- duits de l'imprimerie une surveillance très-sévère, surveillance à la vérité plutôt tacite qu'écrite dans le texte de la loi. Celle qui fut faite pour régir la presse, par les premiers législateurs de cette période, était d'une sévérité draconienne, et il ne fut presque ja- mais question de l'appliquer. Dans des moments d'efferves- cence, comme pendant les années d'enthousiasme pour la cause des Grecs, il y eut bien des avertissements de donnés, des cen- sures semi - paternelles administrées. Un poète ayant publié dans VAhnanach genevois, recueil de chansons et de pièces lé- gères, un morceau où un personnage moscovite était traité un peu lestement, i\I. Schmidtmeyer, alors syndic, fit mander devant lui l'auteur trop hardi, pour l'admonester et lui rappeler que Genève devait en grande partie le rétablissement de son indé- pendance à la Russie. Il fallut insérer une sorte d'amende ho- norable ad libitum dans le journal du temps. La presse, gênée d'ailleurs sous le rapport politique par les eonclusa que l'autorité fédérale fut contrainte de prendre vers 1825, sur les réclamations de la diplomatie étrangère, se donna carrière dans le domaine de la polémique religieuse. Le mou- vement caractérisé sous le nom de Réveil religieux, qui com- mença vers 1817, fit éclore des myriades de traités méthodistes et autres, de rapports de missions et de brochures de ce genre, La plus grande activité de l'imprimerie genevoise se porta de ce côté-là, et cette tendance a continué, avec quelques intermit- tences, jusqu'à nos temps. L'imprimeur libraire qui produisit le plus dans cette période et à la fin de la précédente, fut Paschoud. Ses éditions sont faites sur du papier assez solide, mais grossie- 284 remeiil fabriqué. Elles sont en général sans grâce et sans élé- gance. c) Période contemporaine depuis 1830. La révolulicn de juillet acheva de rendre à la presse gene- voise la liberté qui lui avait été rendue en 1814, bien plus en théorie qu'en fait. L'introduction du papier à la mécanique et son adoption par les imprimeurs de Genève , de Lausanne et de Neuchâtel , fut fatale à leurs éditions. Les procédés employés pour sa fabrica- tion donnèrent, au commencement, des papiers de belle appa- rente, mais tellement mous et spongieux, que les livres im- primés avec ces feuilles sont en partie aujourd'hui maculés, pourris et presque hors d'usage. La presse genevoise ressembla à toutes celles des pays où une liberté pareille avait été proclamée. Elle ne retrouva pas son an- cienne originalité et ses anciens débouchés. Un ou deux éditeurs entreprirent bien de s'établir à la fois à Genève et à Paris ou dans tel autre grand centre intellectuel. Mais ces tentatives n'ont guère réussi. On a essayé aussi, à plusieurs reprises, de faire de Genève un foyer de contrefoçons comme naguères Bruxelles et la Belgique. Mais cela n'a pas produit non plus de grands résultats, et c'est à peine si l'on cite quelques ouvrages, qui aient récompensé les imprimeurs contrefacteurs de leurs peines et de leurs risques. Aujourd'hui, l'imprimerie de Genève occupe toujours un rang honorable dans le monde typographi- que, mais elle ne se distingue plus comme jadis, par un carac- tère sut generis, ou par quelque spécialité à elle. Ce qui l'occupe le plus, avec les journaux politiques et quelques recueils pério- diques, ce sont les ouvrages traitant de matières religieuses dans le sens protestant. Les principes politiques et économiques qui dirigent notre société moderne, semblent s'opposer à ce que Genève sorte désormais d'une certaine moyenne en fait d'essor à 282 donner à ses presses. La loi des imprimeries n'est plus faite par l'État et le gouvernement comme au XVI* siècle, ni par les édi- teurs capitalistes, comme dans les deux siècles suivants. Elle est dictée jusqu'à un certain point par les ouvriers qui, en 1850, ont formé une association qui impose aux maîtres-imprimeurs des conditions très-serrées et qui les mettent à la merci des ou- vriers sociétaires s'ils ne parviennent pas à s'en procurer d'au- tres au dehors, ce qui est toujours une ressource précaire et momentanée. La société typographique, qui comptait en 1850 environ quatre-vingts membres, a fait reconnaître et adopter ses statuts par les douze propriétaires d'imprimeries existant alors à Genève. Nous devons faire connaître les dispositions es- sentielles de ces statuts : EXTRAIT DES STATUTS DE LA SOCIÉTÉ HPOGRAPHiaUE, Fondée à Genève, en 1850. « La Société a pour but de travailler, par tous les moyens qu'elle jugera convenables, à la prospérité de la typographie ge- nevoise. « Tous les typographes travaillant à Genève sont membres de la Société, s'ils paient un droit d'inscription de cinq francs, et leur cotisation hebdomadaire. « Tout sociétaire malade, reconnu incapable de travailler, reçoit 1 fr. 50 cent, par jour, pendant les trois premiers mois de sa maladie. Ce secours ne sera accordé qu'une fois par année. « Quand un sociétaire marié sera appelé au service militaire de la Confédération, pour un temps qui dépasserait cinq se- maines, sa femme recevra un secours de la Société jusqu'à son retour. « Le sociétaire qui aura fait partie de la Société Typographique pendant 10 ans, et qui serait dans l'incapacité de travailler, re- 283 cevra, par mois, la somme de 10 francs ; au bout de 15 ans, 15 francs, et ainsi proportionnellement. « Un typographe venant de l'étranger et qui n'aura pas trouvé de l'occupation à Genève, recevra, sur sa demande, un viaticum de 3 francs, s'il a fait au moins quinze lieues de chemin. « Un sociétaire ne pourra pas travailler au-dessous des prix indiqués aux tarifs. « S'il est débauché pour cette raison, la Société lui allouera 1 fr. 50 cent, par jour, s'il ne trouve pas de l'occupation immé- diatement. « Tout sociétaire convaincu d'avoir travaillé au-dessous des prix des tarifs, tant aux pièces qu'en conscience, sera exclu de la Société, sans aucun recours contre elle. Tarif des pmx pour la case. Le mille d'n en Saint-Augustin 50 cent. Cicéro.... 50 — Philosophie 50 — Petit-romain 50 — Gaillarde 55 — Petit-texte 60 — Mignonne 60 — Nonpareille 70 — « Le prix est le même pour le manuscrit ou la réimpression, soit pour la prose, soit pour la poésie. Mises en pages. — In-folio, la feuille, 1 fr, 50 c; in-i", 1 fr. 50 c; in-8°, 2 fr.; in-12, 3 fr.; in-16, 4 fr.; in-18, 4 fr. 50 c; in-24, 5 fr.; in-32, 7 fr.; in-36, 8 f. « A deux colonnes, à raison de 75 cent, pour 100 en sus de la mise en page ordinaire. « La mise en pages à trois colonnes se réglera de gré à gré. 284 « La mise en pages des journaux, à une ou plusieurs co- lonnes, variera de 2 à 5 francs, suivant la grandeur du format. « Lorsque les titres-courants sont non-changeants pour tout un volume , la surcharge n'est payée que pour les feuilles établies. « Le vieux français (appelé aussi gau/ois), se paiera 5 centimes de plus par mille. « Le latin et les autres langues étrangères qui se composent avec les caractères français, 5 centimes de plus par mille. « L'allemand, avec les caractères allemands, compté sur les n allemandes, 5 centimes de plus par mille. <ï Le grec, compté sur les n françaises, le double du français. « Pour les ouvrages à deux justifications différentes, pour ali- gnement plus régulier des bouts de ligne, 5 centimes de plus par mille. « Les ouvrages à' algèbre, de mathématiques, de géologie, etc., en conscience. « Pour les ouvrages de marginales, ou qui présentent d'autres difficullés, le prix en sera réglé de gré à gré. « Les changements des garnitures, des folios simples, ou des folios avec titres-courants, dans les impressions accessoires, en conscience. « Les remaniements sur formats différents, après le premier tirage, la moitié du prix de la composition première. « La journée de conscience ne peut être de plus de dix heures de travail par jour, ni au-dessous de quatre francs. Les heures «n sus seront payées à raison de 40 centimes. « La correction se paiera au moins 45 centimes par heure. « La gratification est de 50 centimes par franc pour l'ouvrage fait en dehors des heures de travail, les dimanches et les jours de fête, soit aux pièces, soit en conscience. f{ La présence exigée de l'ouvrier rend la gratification obli- gatoire. ■ 285 Tarif des prix pour la presse. € Ouvrages ordinaires, par forme : 100 de tirage, 1 fr.; par feuille: 100 de tirage, 2 fr. « Ouvrages soignés, par forme .• 100 de tirage, 1 fr. 35 c; par feuille : 100 de tirage, 2 fr. 70 c. « 25 feuilles ep sus du 100 et du chaperon ordinaire, se paie- ront comme 50. Lorsqu'il y en aura 75, on les comptera comme 100. « Un relevage se paiera 50 centimes. « La journée de conscience ne peut être de plus de dix heures de travail par jour, ni au-dessous de quatre francs ; les heures en sus seront payées à raison de 40 centimes. « La gratification est de 50 centimes par franc pour l'ouvrage fait en dehors des heures de travail, les dimanches et les jours de fête, soit aux pièces, soit en conscience. « Les formes encadrées, telles que tableaux, registres, affi- ches en couleur, ainsi que les ouvrages qui exigent que l'on se serve de capucins pour éviter le maculage, et que l'on ne peut tarifer, se régleront de gré à gré. « Il est beaucoup d'ouvrages appelés de ville, qui demandent peu de soin, tels que bordereaux de contributions, calendriers, étiquettes, etc.; ils se paieront 4 fr. le mille. « Aucun ouvrage quelconque ne se tirera au-dessous de 4 fr. le mille. Des apprentis. « Il n'y aura qu'un apprenti par atelier, ou pour la compo- sition, ou pour la presse. a Les fils d'ouvriers typographes devront être acceptés de préférence à tous autres. « L'apprentissage ne peut être de moins de trois ans, soit pour les compositeurs, soit pour les imprimeurs. » 286 Nous n'avons pas à examiner ici les effets produits par l'asso- ciation des ouvriers typographes. Ils sont du ressort de l'éco- nomie politique et chacun peut avoir là-dessus son point de vue particulier. Il nous suffira de dire que Genève est une des villes de l'Europe où Timpression d'un ouvrage revient le plus cher. Les prix sont sensiblement plus élevés que dans d'autres villes de la Suisse, comme Neuchâtel et Berne par exemple. Il en ré- sulte que les libraires-éditeurs de Genève, dont l'industrie tend à se séparer de plus en plus de celle des imprimeurs (sauf quel- ques exceptions), font imprimer à l'étranger et surtout en France les ouvrages qu'ils éditent '. Le même fait s'est mani- festé à Lausanne où existe aussi une société typographique dont l'influence n'a pas été heureuse pour les éditeurs ^. Les droits protecteurs que le gouvernement fédéral a mis sur les papiers de provenance étrangère, en faisant disparaître l'émulation et la concurrence entre les fabricants du dehors et ceux de l'intérieur, nuisent aussi et nuiront de plus en plus à l'im- primerie genevoise. Les papiers étrangers, ceux de France sur- tout, sont à peu près bannis du marché. Les papiers indigènes, loin de diminuer de prix et de s'améliorer, tendent à renchérir sans que leur fabrication paraisse y gagaer beaucoup. Il y a ce- pendant des exceptions^. Nous terminons par une statistique de l'imprimerie à Genève, telle qu'elle est au moment où nous écrivons. ' M. Joël Cherbuliez, éditeur de Genève, a une maison à Paris. » On nous signale le fait suivant : L'ouvrage de M. le professeur Vulliemin, sur le château de Chilien, se réimprime en ce moment en Picardie, à 200 lieues de Lausanne, pour le compte d'un éditeur Lau- sannois. ' Les produits des papeteries réunies de la Sarraz, Clarens et la Bâtie (cantons de Vaud et de Genève) ont été remarqués à rexposition uni- verselle de Paris en 1833. La papeterie de Serrière (canton de Neuchâtel), l'une des plus an- ciennes de la Suisse, soutient sa réputation séculaire. 287 Imprimeries de Genève en 1855. 1 IMPRIMERIES TYPOGRAPHIQUES. = i O u 8 i '5 m 6 a M 4 ô 2 .a 1 U a. s s s .2" 1 1 Gruaz, Ch. 18 2 1 g!""* 2 Ramboz et Schoukardl. 9 4 4 17 3 1 p»" 3 Vaney , Marc. 2 9 2 13 3 }> 4 Fick, G. 2 3 3 8 3 }» 5 Carey, E. 4 2 1 7 2 » 6 Bonnant frères. 3 1 2 6 5 » 7 Sabot. 3 2 1 6 •2 » 8 Javel et C». » » 5 5 1 » 9 Becker et C'«. ■» 3 1 4 1 » 10 Jarrys. 3 0 0 3 1 » 11 Impr'« catholique de Carouge. •• Total 0 34 1 0 27 2 28 2 89 1 75 » 2 Lithographies et Imprimeries en taille-douce , en 1855. MM. Gruaz, Ch.; Pilet et Cougnard; Ricou et Décor; Ei- senhardt ; Ledoux ; Kubli ; Binet et Baumann ; Suardel; Saugy. (I) M. Gruaz a succédé à Alexandre Lador, en 1831. Lador avait acheté, eu 1823, la petite imprimerie qui avait été fondée par Sestié fils, en 1820. — (2) Fondée par Lador fils et Ramboz, en 1836. — (5) Fondée en 1840. — (4) Successeur de son père. — (b) Fondée vers 1858. — (6) Successeurs de leur père. — (7) Fondée en 1832. — (8) Fon- dée en 1831. — (9) Fondée en 1833. — (10) Successeur de Luc Sestié en 1830. — (H) Fondée en 1831. 288 Note sur une ancienne Edition genevoise, incunable, sans date, non classée. On peut aussi bien placer à la fin du quinzième siècle qu'au commencement du seizième siècle, l'édition que nous allons décrire et qui n'a pas été mentionnée dans cette notice. OVIDE DE ARTE AMANDI, translaté de latin en français. A la fin, on lit : « Cy finist Ovide de Lart d'aymer avecqs les sept arts libéraulx, nouvellement imprimé à Genesve. » Petit in-i" goth, de 42 feuillets à deux colonnes, signât. A.-K. Cette traduction abrégée de VArt d'aimer est en vers de huit syllabes avec le texte en marge. Comme, dans cette édition de Genève, le titre porte le chiffre ^. taif. en caract. gothiques (dixième cahier) , on a mal interprêté ces lettres par la date de 1490. Au verso du dernier feuillet du cahier 9« commence un poëme à part intitulé : ft (Ù\)\tf V^monx. Cette édition genevoise s'est vendue reliée avec le Remède d'amour et les EpUres d'Ovide (traduits en vers français par Des Avenelles et Octavien de Saint-Gelais et imprimés à Paris) 13 fr., à la vente du duc de La Vallière (n" 2580) . M. Brunet cite une autre édition genevoise du même livre, également sans date, in-S", goth, vendue 3 fr. chez Mac-Carthy, (n» 2632) et 2 liv. 15 sh. chez Heber. C'est peut-être la même. L'Art d'aimer, le Chief d'amour ou plutôt la Clef d'amour et les Sept arts libéraux en vers de huit syllabes, imprimés d'abord à Genève, ont été réimprimés à Paris chez Estienne Groulleau en 1548, petit in-8'', avec le Remède d'amour d'Albin Des Ave nelles. C'est ce qui avait fait attribuer toutes ces pièces à cet auteur, bien qu'il n'ait fait que la dernière. Le président Bouhier a attribué par erreur cette traduction libre ou plutôt cette imitation de VArt d'aimer à Raoul de Beauvais, poète du treizième siècle. S'il nous était permis d'émettre une con- 289 jecture, nous la donnerions à Pierre Micliault dont on impri- mait à Genève, en 1522, le Doctrinal de Court (voir pages 211 et 212 de cette notice), et peut-être même la Dance aux aveu- gles en 1488 ou 1489 (voirpag. 73 et 74). Le Doctrinal de.Court est en vers de huit syllabes comme l'imilalion de Y Art d'aimer. D'après les indices typographignes, nous serions porté à attri- buer l'édition genevoise de ce dernier poème à Jacques Vivian, de 1517 à 1525. Le genre de cet ouvrage se concilierait peu avec ceux des livres imprimés à Genève au quinzième siècle. APPENDICE Sur les premières imprimeries de £iausanne et de lUorges* Le savant Ruchat, dans son histoire de la l'éformation de la Suisse\ fait remonter l'établissement de l'imprimerie à Lausanne seulement eu 1556. « Alors, dit-il, il vint un imprimeur nommé maître Jean Rivery, qui, pour son premier coup d'essai, im- prima ]es proverbes de Salomon en \ers français. Je ne sais si LL. EE. trouvèrent mauvais qu'on eût reçu à Lausanne un impri- meur sans leur permission. Quoiqu'il en soit, le Conseil fut obligé de leur demander le privilège d'avoir une imprimerie. On le lui accorda, sous certaines conditions, le 18 mai 1557. Cet impri- meur ne fit pas un long séjour à Lausanne. Il se retira à Ge- nève dès l'an 1560. » Ruchat était dans l'erreur touchant la première imprimerie de Lausanne, comme aussi à l'égard de celle de Genève qu'il fait remonter seulement à Jean Belot en 1505, au lieu de 1478. Nous avons déjà dit en passant (page 78 de ces études) que Jean Belot de Rouen imprima à Lausanne, en 1493, avant de s'éta- blir à Genève, un missel à l'usage du diocèse de Lausanne. C'est le cas de faire la description de ce rare volume. • Tome VI, page 531 de réditioii de 1728 (Genève, M. M. Bousquet.) 49 290 1593. MISSALE IN USUM LAUSANNENSEM. Yol. in-folio, à deux colonnes de 36 lignes à la page; carac- tère gothique ; orthographe ancienne ; rubriques et initiales en rouge ; gravures sur bois ; signatures. Au bas de la seconde et dernière colonne, verso du dernier feuillet paginé CLXXXV, on lit : « LausannenseMissalein Lausannacivitateimpressumde jussu Reverendissimi in Christo patris et Domini. d. Aymonis de Montefalcone Episcopi et Comitis Ecclesie Lausannensis. Ac ve- nerabilium Dominorum Capituli predicte ecclesie Consensu. Et per deputatos par ipsos magna diligentia correctum emendatum atque ordinatum finit féliciter. » Suivent 18 feuillets sans pagination, mais avec signatures, contenant des proses. La seconde colonne du recto du dernier feuillet porte : « Impressa Lausanne urbeantiquissima impensa arte etindus- tria solertis et ingeniosi viri Magistri Johannis Belot insigni ci- vitate Rothomag : ortum ducentis. Nulla calami exaratione sci- licet quadam arlificiosa characterizandi ac imprimendi inven- tione missalia summacum diligentia féliciter finiunt. Anno salu- tis nostre M.cccc. nonagesimo tertio Kalendas decembris. » Les caractères de ce missel lausannois sont les mêmes dont se servit Jean Belot pour ses éditions postérieures imprimées à Genève. La bibliothèque du séminaire de Fribourg en possède deux exemplaires, dont un sur vélin, qui a appartenu à Mermet de Gruyère, prieur à Broch en 1514 (Notice de M. Xavier Kohier, dans la Revue Suisse d'avril 1848) '. ' Il résulte des recherches sur les livres liturgiques du diocèse de Lau- sanne, de M. l'abbé J. Gremaud de Riaz, que tous ceux signalés jusqu'ici consistent en trois espèces : 1° des Bréviaires, "2° des Missels , 3" un Rituel. (Nous les avons décrits avec les livres imprimes à Genève au 291 Jean Rivery paraît avoir été établi comme imprimeur à Lau- sanne et à Genève (de 1556 à 1561 à Lausanne). On a de lui des éditions à ces dates qui portent le nom de ces deux villes, notam- ment des ouvrages de Pierre Viret d'Orbe, auquel il était parti- culièrement attaché. Sans doute qu'il abandonna Lausanne peu après que ce réformateur eût quitté l'église de cette ville pour aller en France. La dernière édition de Lausanne que nous ayons quinzième et au seizième siècles.) Aujourd'hui nous avons à faire con- naître une quatrième sorte d'ouvrages de cette catégorie dont aucun bibliographe n'avait fait mention. Ce sont des Heures de la Vierge, imprimées à Paris en 1309, par Simon Vostre pour l'usage du diocèse de Lausanne. Ce volume, dans lequel l'Almanach ou table du temps, est pour 41 ans (de 1508 à 1528), contient cent feuillets, c'est-à-dire deux cents pages, dont les marges extérieures, à l'exception du titre, sont entou- rées de dessins très-variés et gravés très-ingénieusement. Après le calendrier viennent, dans les marges des différents offices, des dessins avec des inscriptions gothiques en vers français. Mais ce qu'il y a de plus curieux parmi ces dessins si variés , c'est sans contredit la grande danse macabre ou Danse des morts , dans laquelle on voit figurer le pape, l'empereur, le cardinal, le roi, le pa- triarche, l'archevêque, l'escujer, le moine, l'enfant, le curé, la rojne, la cordelière, la chambrière, la bourgeoise, la bergère, la sorcière, la ninote, l'amoureuse, la sotte, et des personnages des deux sexes de tous états, au nombre de plus de soixante. M. l'abbé J. Gremaud, si versé dans les questions de bibliologie sacrée, a peine à croire qu'un livre, nous écrit-il, aussi splendidement orné ait été fait uniquement pour le diocèse de Lausanne. Mais au bas de chaque feuillet, à côté de la signature qui sert à coUationner le livre, l'imprimeur a eu soin de mettre les trois lettres Lau., comme pour donner à entendre qu'il s'agit bien d'une édition lausannoise spéciale et non point seulement d'un livre d'heures cosmopolite avec le litre de Lausanne. Les Heures de Lausanne, que nous venons de décrire, forment donc bien une édition particulière et spéciale pour l'usage de ce diocèse important. Elles ne coïncident parfaitement, ni quant au nombre des feuillets ni quant à l'arrangement des encadrements, avec aucune des nombreuses éditions de ces mêmes heures à l'usage d'autres diocèses que nous avons consultées ou dont nous nous sommes procuré l'in- dication. 292 vue de lui est le Sommaire des principaux points de la foy et religion chrestienne par Pierre Viret, avec le brie f sommaire de la doctrine chrétienne, 2 parties in-16. D'un autre côté on a des éditions de lui, datées de Genève, de 1560 à 1561. Sa marque consiste en trois arbres dont le principal est entamé par une hache, avec cette légende : La coignée est déjà mise à la racine des arbres, etc. (Matth. III.) Le troisième imprimeur de Lausanne fut Jean Lépreux (Johannes Probus) qui s'intitule dans ses éditions de 1770 et des années suivantes : « Imprimeur de leurs Excellences de Berne dans la ville de Lausanne. » En 1571 ce typographe venu de Paris, où Poncet-Lepreux était imprimeur et libraire, donna à Lausanne une édition des Commentaires de César avec des notes de Jean Rosset, d'Ormont {Aurïmontamis). Cet auteur a dédié son travail au Conseil de la ville de Lausanne (D. D. Con- suli et Senatoribiis urhis Lausannensis) , en reconnaissance des ressources qu'il a trouvées dans cette ville pour ses études. Il dit avoir profité, pour son édition, de plusieurs bons manuscrits. Jean Lépreux quitta Lausanne avec sa famille pour aller s'établir à Morges, où il imprima de 1579 à 1587. Il fut remplacée Lausanne par Jean Chiquelle (Chiquellœus), quatrième impri- meur. A partir de cette année, 1587, un Jean Lépreux, le fils, imprime à Genève où son frère, François Lépreux, avait épousé le 24 avril 1580, Judith, fille d'Henri Estienne. Jean Lépreux mettait à ses éditions Genève ou Lyon comme lieu d'impression, mais son établissement était dans la première de ces villes. François Lépreux faisait de même. Après François on voit en- core figurer Esaïe Lépreux dans des éditions de Genève jusqu'en 1614. Un autre Lépreux, sans doute fils du premier qui vint en Suisse, fut à Berne imprimeur de Leurs Excellences au com- mencement du dix-septième siècle. On fait mourir le père dans cette ville en 1604. Peut-être l'a-t-on confondu avec le fils, qui imprimait encore dix ans après. Nos. — 1855. JUILLET. BULLETIN L'INSTITUT NATIONAL GENEVOIS. Section Ae» Sciences naturelles et mathématiques. Séance du 23 février 1855. M. Vogt communique l'extrait suivant d'une lettre de M. Théo- bald, membre correspondant à Coire (Grisons), en date du 18 février, a La neige noire s'est trouvée ici en très-grande quantité sur la lisière d'un bois, dans le voisinage de la ville. On en a apporté d'abord à mon ami, M. le docteur Papon. Nous avons examiné ensemble les petites Podurelles, qui sont la cause de cette colo- ration, et nous les avons comparées avec les descriptions et les dessins que H. Nicolet a donnés dans les mémoires de la société suisse d'histoire naturelle. C'est évidemment une Desorie, voi- sine de la Desoria glacialis ; mais différente par la forme du corps plus large et plus trapue, par les poils et par la couleur cons- tante brun-rougeâtre des pieds et de la queue bifurquée. L'es- 20 294 pèce n'est pas décrite; nous la regardons comme nouvelle, ef nous la nommons provisoirement Desoria nivalis. M. Papon, au- quel revient incontestablement la priorité de cette découverte, a envoyé un dessin et une description de notre Podurelle à M. Ileer, à Zurich, sans avoir obtenu une réponse jusqu'à ce moment. En attendant, les journaux ont publié un article de M. Heer, dans lequel cet entomologiste dit, que la Podurelle qui produit la neige noire, est la Podura arborea Lin. Degeeria arborea Nicolet. Ceci est évidemment faux, quant à notre espèce, mais il se pourrait très-bien, que plusieurs espèces de Podu- relles aient la faculté de produire le même phénomène. Vous recevez ci-joint un dessin fort bien fait, de M. Papon, et dont je garantis l'exactitude. » M. Vogt, ayant apporté le mémoire de M. Nicolet, donne à la Section un résumé de cet important travail. Il entre dans quel- ques développements sur les différences entre les genres Degeeria et Desoria, et démontre que l'appréciation de MM. Papon et Théobald est parfaitement jusle. La Podurelle colorante de Coire est donc, sans aucun doute, une Desorie. Quant à l'espèce, M. Vogt ne voudrait pas porter un jugement définitif, les diffé- rences de coloration et de forme, signalées par MM. Papon et Théobald, pouvant bien être aussi des caractères de variété. L'espèce paraît avoir aussi de grandes ressemblances avec la Desoria Vialica Nie. laquelle a, d'après cet auteur, les filets de la queue d'un brun foncé. La Desorie viatique étant, suivant Nicolet, « très-commune sur les bords des chemins, où elle vit en rassemblements nombreux, » il se pourrait bien que la nou- velle Podure décrite par MM. Papon et Théobald ne fût qu'une forme hibernale de cette espèce connue depuis longtemps. Séance du 30 mars 1855. M. E. Ritter, est nommé Vice-Président de la Section. M. E. Mouchon, pliarmacien à Lyon, présenté par M. G. 01- tramare, est élu membre correspondant. MM. Mayor et Duchosal, communiquent à la Section quelques faits relatifs au développement et à la croissance des poissons, résultats d'une année d'expériences et de leurs premiers essais sur la pisciculture envisagée au point de vue industriel, et dont nous espérons pouvoir donner dans notre prochain Bulletin un résumé plus détaillé. Séance du 27 avril 1855. M. le professeur Thury, donne lecture d'un travail sur la ma- ladie de la vigne et de la pomme de terre, maladie qui paraît avoir attaqué avec plus on moins d'intensité plusieurs autres végétaux moins répandus, et d'une utilité moins générale que les deux premiers. M. Mayor présente quelques échantillons vivants de monstruo- sités doubles de la Truite, à l'occasion desquelles il entre dans quelques considérations tératologiques et erabryogéniques, qui démontrent que les monstruosités doubles des poissons pro- viennent de la présence de deux germes sur un même vitellus, et point comme on l'a prétendu quelquefois, de l'existence de deux vitellus dans un même œuf. Cette dernière hypothèse n'ex- plique point certaines particularités constantes dans les mons- truosités doubles des poissons, particularités qui sont au con- traire parfaitement explicables et même inévitables dans le cas d'un vitellus à deux germes; cas qui s'observe assez fréquem- ment, et dont M. Mayor présente quelques exemples à la Section. Séance du 25 mai 1855. M. Jundzill, lit à la section la description d'un nouveau 5296 Théodolite à héliomèlre, construit par lui, et dans lequel se trouvent réalisés plusieurs perfectionnements destinés à en faire un instrument géodésique d'une plus grande précision, et d'un emploi plus facile que ceux dont on se sert généralement. (Ce mémoire paraîtra dans le Tome IV des Mémoires de l'Institut genevois). M. JundzUl. communique ensuite un procédé de son inven- tion, pour faire enregistrer à un piano la musique qui est jouée dessus, basé sur la décomposition chimique instantanée du cyanure de potassium au moyen de la pile électrique. Nous don- nerons dans un prochain numéro la description détaillée de ce procédé- M. Rïtler, rend compte à la Section d'un débat engagé à l'a- cadémie des Sciences de Paris, au sujet de la Réfraction astro- nomique, sur des objections élevées contre l'exactitude des ta- bles de Réfraction de Laplace, objections réfutées avec un rare talent, par M. Biot, dans un travail d'une grande profondeur, plein d'aperçus nouveaux et ingénieux, et remarquable sous tous les rapports. M. Thury, examine la question de l'économie qu'on pourrait réaliser dans le chauffage du nouvel Hôpital cantonal de Genève, en puisant dans des galeries souterraines, à la profondeur de la température sensiblement constante, l'air aspiré par les appareils de ventilation, ce qui aurait aussi l'avantage de procurer une température froide pendant l'été. L'auteur arrive à la conclusion que, les frais de construction des galeries souterraines absor- beraient l'économie des fraisde chauffage, s'élevant à850 fr. pour trois tnois d'hiver; mais il pense que l'on pourrait peut-être utiliser dans ce but les boyaux souterrains des fortifications de la ville, qui s'étendent assez loin dans ses environs. M. Vogt, fait un rapport succint sur des travaux récents de M. Gegenbaur, de Wiirzbourg, qui ont rapport aux Ptéropodes et aux Héléropodes. 297 Les recherches de M. Gegenbaur, fruil d'observations assi- dues faites pondant un séjour prolongé à Messine, signalent une nouvelle époque dans la connaissance de ces deux groupes inté- ressants des Mollusques. M. Gegenbaur donne un résumé complet de l'anatomie de ces animaux, et de la formation microscopique des tissus de leurs différents organes. 11 nous est impossible de suivre cet exposé anatomique parfaitement bien fait, nous ne relèverons donc qu'un seul point, — la conformation du rein qui existe dans tous ces animaux sous forme d'un sac d'une structure plus ou moins compliquée. M. Gegenbaur prouve que ce rein joue non- seulement le rôle d'une glande excrétoire, mais qu'il est aussi un organe d'échange entre le sang et l'élément ambiant, l'eau de la mer. Le sac rénal a constamment deux ouvertures ; une commu- niquant au dehors, que l'animal peut ouvrir ou fermer à vo- lonté ; et une seconde pratiquée au fond du sac, laquelle ou- verture communique directement avec l'espace constamment rempli de sang, qui entoure le cœur, (le péricarde). Celte der- nière ouverture est toujours garnie de cils vibratils, qui par leurs tourbillons empêchent le passage de tous les corps solides à travers cette ouverture, tout en laissant libre l'échange des li- quides. Les recherches de M. Gegenbaur embrassent aussi l'embryo- génie de ces Mollusques, et en donnent presque une image com- plète. Ici les difficultés des recherches étaient bien plus grandes, puisque les jeunes animaux et les larves presque microscopi- ques doivent être péchés en pleine mer. Les fécondations arti- ficielles, tout en permettant d'observer les premiers états lar- vaires, ne fournissent pas l'occasion de conduire les observations bien loin, les larves ne se conservant pas en vie dans les bo- caux. M. Vogt, prouve à la Section par un exemple palpable, combien les recherches de M. G. ont fait avancer la science. Il 298 avait trouvé lui-même, en décembre 1851, des gousses d'œufs flottants, dont le développement avait d'abord beaucoup de res- semblance avec celui des Gastéropodes marins ordinaires. Mais bientôt ces œufs présentaient des phénomènes insolites. M. Vogt vit deux ailes s'élever sur les bords du pied, qui, gran- dissant outre mesure, devenaient bientôt l'organe locomoteur exclusif de ses larves. M. Vogt se croyait autorisé à conclure que ces œufs appartenaient à un Ptéropode, et que les aîles de ces animaux, dont les mouvements leur ont fait donner le nom de Papillons de mer, n'étaient qu'une dépendance du pied des Gastéropodes. Dans ce temps-là, on ne connaissait encore aucune observation touchant le développement des Ptéropodes. Aujourd'hui, M. Gegenbaur fait connaître plusieurs types de larves dans les Ptéropodes, qu'il représente admirablement dans ses belles planches, il prouve, par la connaissance des lar- ves de toutes les familles de cet ordre connues dans la Méditer- ranée, que les larves de M. Yogt n'appartiennent à aucune d'elles, et qu'elles sont probablement les petits d'un Gastéropode anormal, le genre Gasteropteron, qui nage par les aîles latérales du pied. M. Vogt, en faisant voir à la Section les belles planches de M. G., explique les figures et fait ressortir les différents types de larves, que M. G. a décrit dans son excellent ouvrage. OBSERVATIONS SUR LES CAUSES DES MALADIES QUI ONT AFFECTÉ UN GRAND NOMBRE DE VÉGÉTAUX PENDANT CES DERNIÈRES ANNÉES. Par M. THCaY. La coïncidence des deux grandes maladies de la pomme de terre et de la vigne, qui ont fait irruption chez nous à quelques 299 années l'une de l'autre, puis désolé nos champs de concert ; cette coïncidence désastreuse a dû frapper les imaginations et dispo- ser beaucoup de personnes à croire que ces deux maladies sont de même nature et procèdent d'une cause commune. L'étude scientifique n'a pas semblé d'abord justifier cette im- pression irréfléchie; car la maladie de la vigne a paru dépendre uniquement de la présence d'un champignon entophyle, Voïdium tuckeri. Sa présence signale toujours le commencement des al- térations visibles des tissus ; inoculé sur le raisin sain, il le rend peu à peu malade. A mesure que les crampons du petit végétal se collent avec force sur l'épiderme de la grappe, au-dessous de ces crampons le tissu brunit, les cellules s'altèrent, il se forme des taches fauves qui vont grandissant de plus en plus; alors l'épiderme cesse de se développer, la maladie existe avec tous ses caractères essentiels. Dans la pomme de terre, on voit bien il est vrai, des taches brunes qui naissent à la surface, et de là, s'étendent en largeur et en profondeur jusqu'à l'altération presque totale des tissus ; on voit bien aussi des champignons qui se développent, mais la présence de ces champignons semble être beaucoup plus ac- cidentelle, beaucoup moins nécessaire ; le plus souvent, ils se développent après que l'altération des tissus a eu lieu, et ils semblent être un effet de la maladie, plutôt que sa cause première. Cependant les observateurs habiles qui, dans ces derniers temps, ont étudié la maladie de la pomme de terre, M. Tulasne entr'autres, se déclarent disposés à croire que le champignon dont la présence a été le plus souvent constatée, le Botrytis infes- tant Montagne, ou Peronospora trifurcata unga, joue ici un rôle beaucoup plus essentiel, beaucoup moins innocent que bien des savants ne le pensent. Il est certain, en effet, que le mode de végétation des Pero- nospora est très-différent de celui des Oïdium. Les Oïdium sont 300 purement épiphytes, et leur présence peut être facilement cons- tatée dès l'origine. Les Peronospora, au contraire, végétant dans l'intérieur même des cellules sous-épidermiques, ne se montrent au dehors qu'au moment où ils fructifient '. Ils peuvent donc facilement échap- per à l'observation, et sembler postérieurs à l'altération que peut-être ils déterminent. Si l'on fait la part de cette différence remarquable, la maladie de la pomme de terre et celle de la vigne paraîtront moins diffé- rentes l'une de l'autre, car elles ont pour caractères communs : l» La même altération brune des tissus, marchant de l'exté- rieur à l'intérieur, et s'étendant en surface avec les mêmes ca- ractères chimiques et microscopiques. 2» La même invasion rapide et presque subite sur des plantes saines, la même extension sur des étendues considérables de pays, au milieu de circonstances météorologiques très-diverses. 11 est bien remarquable que ces mêmes caractères appartien- nent, du plus au moins, à d'autres maladies contemporaines de celles de la pomme de terre et de la vigne, mais qui ont été moins remarquées, parce qu'elles ont sévi avec moins d'inten- sité, ou sur des plantes d'un intérêt moins général, telles que les bâtâtes, les tomates, les aubergines, la betterave, etc,... puis les ormeaux, les cerisiers, les robinia, les tilleuls, etc. Les maladies des tomates et de l'aubergine, plantes de la fa- mille des Solanées, paraissent identiques à celle de la pomme de terre, et se sont développées sous les mêmes influences. Il en est de même de la maladie qui a sévi sur les plantations de bâtâtes dans le midi de la France en 1853, et de l'une des ma- ladies qui ont affecté les betteraves h sucre. La maladie qui s'est manifestée sur les chaumes du blé, pour ' Ces champignons ont même un second mode de fructiflcalion, qui est sous-épidermique, ainsi que l'a démontré M. Tulasne. 301 la première fois en 1851, et qui a sévi de nouveau l'année sui- vante dans presque toute l'étendue de la France, est également caractérisée par une altération brune du pied des tiges, et par la présence d'un champignon ; et cette altération brune enva- hissait d'abord les parties périphériques, et s'étendait graduelle- ment aux tissus plus profonds. En dehors de ces faits généralement connus, des observateurs attentifs, nous ont certifié que dans ces dernières années, un grand nombre de végétaux paraissent avoir subi l'influence d'une cause générale morbide, laquelle ne produisait pas son effet sur tous les végétaux simultanément, mais tantôt sur l'un, tantôt sur l'autre, et cela, pendant trois ou quatre années consé- cutives. Dans la première année, celle de \mvasion. la maladie est en général peu intense ; puis elle atteint bientôt son maximum d'in- tensité, en général dans la seconde année (période de règne) ; et dès lors diminue graduellement, jusqu'à disparaître tout-à-fait, (période de diminution et d'extinction). Ces trois périodes ne coïncident pas toujours d'une localité à l'autre. .Les exemples que je vais citer, se rapportent surtout au nord du canton de Vaud, et à deux localités distantes seulement de 37 kilomètres, le Vully et les environs d'Yverdon. Ormeaux. Dessèchement subit des jeunes branches et desfeuil- les, végétation languissante ; altération observée dans le Vully mais non pas à Yverdon ; invasion en 1851 ; règne, 1852; di- minution graduelle, 1853 et 1854. Platanes. Même genre d'altération ; les platanes végètent mal, cependant aucun ne périt. Le Vully et Yverdon. 1850, invasion dans le Vully. En 1854, ils sont de nouveau en bon état dans les deux localités, et pèlent énormément. En 1852, 302 ces arbres étaient déjà malades à Yveidon ; en 1853, dans le même lieu, ils montraient une verdure rare et fauve. Cerisiers. Idem. Vully, 1853, règne; plusieurs périssent; 1854, ils semblent être bien portants. Yverdon, 1853, un peu malades ; 1854, très-malades. Acacias. Idem. Vully, altération observée de 1852 à 1854, mais presque disparue en 1854. Yverdon, 1853, année de règne; 1854, la maladie diminue. Tilleuls. Idem. Yverdon; quelques individus malades, leurs feuilles se dessèchent ; tout auprès, d'autres individus en bon état ; 1854, quelques-uns périssent dans la même localité. Certainement on peut croire que l'attention ayant été fixée d'une manière toute particulière sur les maladies des plantes, à cause de celles dont la vigne et la pomme de terre étaient at- teintes, on a dû remarquer davantage les maladies des autres végétaux, auxquelles, en temps ordinaire, on n'accorde que peu d'attention. Cependant, déduction faite de cette cause très-réelle, il a sem- blé évident à plusieurs observateurs judicieux que l'ensemble de la végétation a été, dans ces dernières années, sous l'influence d'une cause générale d'altération morbide, et que les maladies plus remarquées de la pomme de terre et de la vigne ne doivent être considérées que comme des cas particuliers où les effets de cette influence sont plus frappants. S'il en était réellement ainsi, on aurait à se demander quelle est cette influence. Or, si l'on en juge par ses eff'ets, dans les cas les mieux étudiés, voici, il me semble, à quel genre de con- sidération on peut être conduit : 1» La présence de champignons inférieurs a joué certaine- ment un grand rôle comme cause d'altérations morbides. 3U3 Or, leur présence suppose : o) Une apparition première ; b) Des conditions favorables de développement et de dis- sémination. L'apparition première date probablement de l'époque de créa- tion où toutes les autres espèces d'animaux et de plantes se sont montrées pour la première fois sur le globe ; car il n'y a aucun exemple avéré d'espèces nées dans la période actuelle. Ces champignons existaient donc quelque part, — soit sous leur forme actuelle, soit sous une forme différente de leur forme actuelle, et encore indéterminée. Mais ils ne trouvaient pas les conditions de développement nécessaires, soit pour que leur espèce prit une extension considé- rable, soit pour qu'elle passât de sa forme habituelle à la forme particulière sous laquelle le champignon est capable de prendre une extension considérable. Or, ces conditions particulières de développement, le cham- pignon les a rencontrées dans ces dernières années; et non pas une seule espèce de champignon, mais plusieurs. Quelles sont les circonstances connues qui favorisent le déve- loppement des champignons inférieurs? Jusqu'à présent, l'on n'en connaît que trois : 1" L'obscurité; — 2" Une chaleur humide; — 3» Un état particulier de la matière organique dans laquelle et aux dépens de laquelle le champignon croit et se nourrit. La première circonstance, le défaut de lumière, n'a évidem- ment joué aucun rôle. Quant à la seconde, il suffît évidemment que l'influence d'une température chaude et humide se fasse sentir sur une étendue un peu grande de pays, pour que les régions voisines se Soi trouvent infestées, même en l'absence de conditions météorolo- giques particulièrement efficaces.— En effet, sous l'influence des causes favorables, le champignon végète abondamment et pro- duit des myriades de spores, qui, se disséminantau loin, portent les germes de la maladie, et ceux-ci rachètent par leur nombre la difficulté qu'ils éprouvent à se développer. Aussi, beaucoup de savants admettent cette cause météorolo- gique comme entièrement suffisante à l'explication des faits ob- servés ; ils insistent sur ce que, depuis 1814, il a régné en Eu- rope, pendant plusieurs années consécutives, une température douce et humide éminemment favorable au développement des champignons. Cependant, la maladie de la vigne et celle de la pomme de terre se sont étendues sur des espaces tellement considérables, elles ont sévi sous des climats si divers, du Cap de Bonne-Es- pérance à l'Europe et à l'Amérique, qu'il faudrait admettre sur toute cette immense étendue : a) Ou bien une uniformité de conditions météorologiques peu vraisemblable et d'ailleurs démentie par l'expérience, puisque l'on sait qu'au Cap de Bonne-Espérance, par exemple, la maladie de la pomme de terre a sévi par un temps sec. fcj A défaut de cette uniformité inadmissible des conditions météorologiques, il faudrait croire à une immense étendue de dissémination des spores, à une immense facilité de transport par les courants d'air. Mais nous voyons parfois, dans nos jardins et dans nos champs, le mal se propager avec peine d'une moitié à l'autre de la même treille, ou d'un champ au champ voisin. L'étendue et la rapidité de la dissémination, quand l'espace à franchir se mesure par centaines de lieues, seraient donc bien 305 difficiles à comprendre. On se demande aussi comment ces in- vasions n'ont pas été fréquentes dans les temps antérieurs, où, certainement, l'on a vu régner plus d'une fois, pendant quelques années consécutives, une température plus chaude et plus hu- mide que celle de la période qui vient de s'écouler. Il semble donc qu'il faille chercher ailleurs que dans les cir- constances météorologiques de cet ordre, les causes véritables du développement exagéré des champignons. La troisième cause propre à favoriser ce développement, c'est : «. Un état particulier de la matière organique aux dépens de la- quelle chaque espèce de champignon se nourrit et se développe. C'est ainsi qu'un morceau de pain abandonné à lui-même dans un lieu chaud, humide et sombre, se couvre de petits champignons mucédinés d'espèces déterminpés. Cela a lieu au bout d'un certain temps, lorsque la substance du pain a éprouvé un premier degré d'altération moléculaire tout-à-fait imper- ceptible à la vue. 11 en est de même d'une foule de substances organiques et de parties de plantes, telles que le grain de raisin, le citron, les sucs de beaucoup de végétaux, etc., lorsque ces corps sont parvenus à un état d'altération déterminé. On peut conclure de ces faits, connus de chacun, qu'un état particulier des sucs des plantes pourrait rendre celles-ci émi- nemment aptes à devenir le siège de la végétation de cham- pignons inférieurs. Or, comme toutes les autres circonstances connues ne suf- fisent point à expliquer l'étendue et les circonstances du déve- loppement cryptogamique observé, il peut y avoir quelque inté. rêt à suivre aussi les conséquences de l'hypothèse d'une altéra- ration des sucs, afin de reconnaître si une telle supposition expliquerait mieux l'ensemble des faits constatés. S'il en était ainsi, on serait conduit à soumettre cette hypothèse à l'épreuve 306 (le l'expérience directe, et peut-être à constater quelque fait nou- veau, important pour l'explication des épidémies des plantes. S'il y a prédisposition à la maladie par l'altération mofécu- laire des sucs, cette altération elle-même doit avoir une cause. Les faits connus donnent à ce sujet les deux inductions sui- vantes : 4° La cause essentiellement prédisposante à la maladie, c'est- à-dire la cause de l'altération des sucs ne réside pas dans la plante elle-même, elle vient du dehors. Car, dans l'épidémie de la pomme de terre, par exemple, le mal sévit presque indifférem- ment sur des individus de provenances très-diverses : sur des plants venus récemment d'Amérique, en raême temps et de la même manière que sur des plants indigènes ; sur des individus nés récemment de graines, en même temps et de la même ma- nière que sur ceux propagés dès longtemps par gemmes. Le mal, au contraire, sévissait bien plus différemment d'une localité à l'autre. La cause essentielle qui le favorisait tenait donc au pays plus qu'à la plante, en d'autres termes, cette cause était extérieure . S» Cette cause est probablement atmosphérique, et son influence ne se fait point sentir dans les heures du jour. Car, au milieu d'un champ de pommes de terre qui fut complètement infesté, on préserva douze pieds, pris au hasard, en les recouvrant chaque soir d'une cloche de verre que l'on enlevait le matin. (Expériences de Metz.) Nous savons d'ailleurs que la cause cherchée n'est probable- ment aucune circonstance de chaleur ou de froid, d'humidité ou de sécheresse ; cela résulte des considérations développées précédemment. C'est donc une influence atmosphérique spé- ciale, telle, par exemple, que la présence d'un élément gazeux, produit dans l'atmosphère ou bien émané du sol. Cet élément pourrait exister en quantité très-petite, et cependant produire 307 des eflels sensibles, comme celero Piccfima nonaDDenlismarcn. (£xpHot trarfatus famoTtlÏÏmuô » attect tjpro moûopte&icâ ni. ^acratilTini! c^riftianc ecdefie cortojia ttijîme S 2?tqno- Jn (Cmitate(6ub' Anno ab incarnacione dcmjnj.^illenmo (f^adiingeotefimo rêptuâgefimo • Secundo '■ 3. ©mcapatreetfpiritufan. fu//!^ w. 1 ^ , ,- , ,- .. aopiut9#cre0rt8aoeu8. r^iilX)* SJncipmttjcpebtemacie* Tf vVoï77\\ gisfcÙmofUeccCegebetin O ^n nomine 'oomini tmen. « f^^Cob*^ S>m\neifi* \ïliop(u{regul«5«ner,Ie_Eaut Tr^^Tl fo^l bJameaSpe m»):inia para iprurumKciidum l-^^ ira ^^=^) ■ . ■rriq«ccl«Re1É.flilf).pioboji8i3Î \ o (<^ rJ] ^b^ ° / ^^^a^ ir 6]cnUTum<5d)Ctttn offmna ©MygâDi Uijln/natttttt e;rf vaw 5 '5{.ww.v^ Je/ Wuu.^vvO iCiW. rcv'llVll') I l.S /i^jimi^^'^'^" riPiEssiiiiseiiiiiisis iiir h in, l'i.iii. " /, / . Le>. Prophéles, /lenron pour la Bible ries De Timrnes. ->. Vii/tielle pour les guerres r.imles de France. :l. Vifiiielli' pour l'Iiisloire lies murilirs de Crespiii. 4. Vignette pour les plaisvs de la n. rusti.po' de hjbrae. 5. Hargne de l>. de Sainl-Amhr. a. )hrqve d'Aiil. Uijmarie. iiPii$$iSii!S iiiif ii^i^ (if p If xf ||B siisiiii, l'l,.IV. / . Mgnell, de. iiualrains do la vie el de lu mort, de P. Mallhun. -^. Vifim-llr de Bernard Sahmoi, fOur /ci Métamorphoses d'Dnde. ■I. Viiinelle pimr les MIrs d'Esope. 4. Fleuron d'édilioiiî Genevoises d'Heures catholiques, i). Fleuron pour les imitations Eheviriennes, à la Sphère II. in l^alnmnndre. Marque de P. de la noviére, rie.