BULLETIN du MUSÉUM NATIONAL d’HISTOIRE NATURELLE PUBLICATION BIMESTRIELLE zoologie 170 N° 246 JUILLET-AOUT 1974 BULLETIN du MUSÉUM NATIONAL D’HISTOIRE NATURELLE 57, rue Cuvier, 75005 Paris Directeur : Pr M. Vachon. Comité directeur : Prs Y. Le Grand, C. Lévi, J. Dorst. Rédacteur général : Dr M.-L. Bauchot. Secrétaire de rédaction : M me P. Dupérier. Conseiller pour l’illustration : Dr N. Halle. Le Bulletin du Muséum national d’Histoire naturelle, revue bimestrielle, paraît depuis 1895 et publie des travaux originaux relatifs aux diverses branches de la Science. Les tomes 1 à 34 (1895-1928), constituant la l re série, et les tomes 35 à 42 (1929-1970), constituant la 2 e série, étaient formés de fascicules regroupant des articles divers. A partir de 1971, le Bulletin 3 e série est divisé en six sections (Zoologie — Botanique — Sciences de la Terre — Sciences de l’Homme — Sciences physico-chimiques — Écologie générale) et les articles paraissent, en principe, par fascicules séparés. S’adresser : — pour les échanges, à la Bibliothèque centrale du Muséum national d’His¬ toire naturelle, 38, rue Geoffroy-Saint-Hilaire, 75005 Paris (C.C.P., Paris 9062-62) ; — pour les abonnements et les achats au numéro, à la Librairie du Muséum 36, rue Geoffroy-Saint-Hilaire, 75005 Paris (C.C.P., Paris 17591-12 — Crédit Lyonnais, agence Y-425) ; — pour tout ce qui concerne la rédaction, au Secrétariat du Bulletin, 57, rue Cuvier, 75005 Paris. Abonnements pour l’année 1974 Abonnement général : France, 440 F ; Étranger, 484 F. Zoologie : France, 340 F ; Étranger, 374 F. Sciences de la Terre : France, 90 F ; Étranger, 99 F. Botanique : France, 70 F ; Étranger, 77 F. Écologie générale : France, 60 F ; Étranger, 66 F. Sciences physico-chimiques : France, 20 F ; Étranger, 22 F. International Standard Serial Number (ISSN) : 0027-4070. BULLETIN DU MUSÉUM NATIONAL D’HISTOIRE NATURELLE 3 e série, n° 246, juillet-août 1974, Zoologie 170 Comportement d’une population de Blageons, Leucisciis (Telestes) soujia (Poissons, Cyprinidae), élevés en eau stagnante par Charles-Jacques Spillmann * Résumé. — En l’espace de huit années, le fait d’avoir introduit en eau stagnante une espèce Théophile n’a apporté aucun changement durable des caractères numériques et métriques. En revanche, sont apparues des modifications d’ordre physiologique : impossibilité d’obtenir une repro¬ duction spontanée, extinction de l’espèce survenue par disparition progressive des mâles. Conditions d’élevage La pièce d’eau utilisée représente un total de 13 m 3 d’eau. Elle est composée de trois parties communicantes et de profondeurs différentes. La plus importante, en surface, a une profondeur variant de 20 à 30 cm. Elle a grossièrement la forme d’un haricot, sur une longueur de 12 m. La seconde est rectangulaire, de 2 m de longueur sur 1 m de large, pour une profondeur de 65 cm. La troisième, à la suite, a 2,60 m de longueur, 1 m de large et s’enfonce d’environ 1 m sous une roche, constituant ainsi un abri contre les trop grands écarts de température. Entre les mois de mai et de septembre, les températures extrêmes relevées, à 8 et 19 h, variaient de 10° à 24°5C. Le plus grand écart observé, dans le cours d’une journée, a été de 9°C. Le degré hydrotimétrique (méthode à la liqueur titrée de savon) a varié de 11 à 17 unités, suivant l’abondance de la végétation (potamots, nénuphars, conferves et algues monocellulaires). Aucune nourriture supplémentaire n’est donnée. En dehors des algues, dont ils font une assez grosse consommation, les Blageons avaient à leur disposition une microfaune composée essentiellement de Cyclops, de larves d’Éphémérides, d’Agrions et de Chirono- rnides. Il existe également de nombreuses Limnées. Dans une note précédente (Spillmann, 1966), nous avons donné les chiffres corres¬ pondant à trois lots de Blageons que nous avons successivement qualifiés de : Filière A, poissons adultes pêchés dans leur rivière d’origine. * Laboratoire de Zoologie (Reptiles et Poissons) du Muséum national d’Histoire naturelle. 25, rue Cuvier, 75005 Paris. 246, 1 1242 CHARLES-JACQUES SPILLMANN Filière B, représentant un lot de poissons pêchés à l'âge d’un an et ayant vécu deux autres années en eau stagnante. Filière C, représentant des poissons âgés de 3 ans et qui étaient nés de la génération précédente. Il sera spécialement question ici d’un quatrième lot dénommé Filière D, correspondant à des poissons nés de la génération Filière C, et ayant à leur tour vécu trois années en eau stagnante. Résultats L’étude entreprise avait pour but de contrôler si le fait, pour les poissons d’une espèce rhéophile, d’avoir été élevés dans des conditions très différentes de leur milieu originel, était susceptible de faire apparaître des caractères distinctifs de ceux des poissons ayant vécu dans leur milieu naturel. Nous avons observé, relativement à la génération Filière C, que le principal changement intervenu intéressait les proportions de la tête, devenue plus petite par rapport à la longueur du corps. Ce caractère tendait à rapprocher le lot Filière C, qui appartient à la sous-espèce « agassizi », de la sous-espèce italienne « muticellus ». Pour les caractères numériques et métri¬ ques, autres que ceux de la tète, il n’y avait, par contre, aucune différence appréciable, pas plus, du reste, que pour la taille et le poids des individus. Ayant pratiqué, en 1955, avec des géniteurs de la Filière C, une fécondation artificielle, nous avons obtenu une nouvelle génération que nous avons qualifiée de Filière D. Ce sont les poissons de cette nouvelle génération, dont nous allons donner les mensurations, effec¬ tuées au même âge que pour les générations précédentes. A la comparaison des résultats inscrits au tableau I, on pourra constater que les carac¬ tères de cette nouvelle génération, au lieu de continuer à s’écarter des chiffres initaux, ainsi qu’on le constatait pour la génération précédente (Filière C), se rapprochent au con¬ traire de ceux des lots Filières A et B. D’autre part, nous constaterons que, malgré les quelques différences relevées entre les lots, ceux-ci ne sont jamais sortis du cadre que nous avions défini pour la forme « agassizi » (Spillmann, 1961). En se reportant aux chiffres donnés dans notre 3 e note (Spillmann, 1962), où l’on observait que les tailles et les poids atteints par les individus de la Filière B étaient sen¬ siblement les mêmes que ceux de la Filière A, nous ajouterons que ceux de la Filière C étaient encore les mêmes, alors que ceux de la Filière D marquent, par contre, une légère diminution, ainsi qu’en témoignent les chiffres suivants : Le 2 juin 1968 la plus grosse des femelles (n = 10) pèse 18,5 g (long. tôt. 116 mm ; long. std. 91 mm). La plus petite pèse 12 g (long. tôt. 105 mm ; long. std. 83 mm). Les huit autres sont sensiblement de même taille, pour un poids individuel moyen de 15 g. Il a fallu attendre 10 mois (le 9-111-1969) pour que ces poissons, alors âgés de 3 ans et 10 mois, atteignent des poids et tailles comparables à ceux atteints par les générations précédentes à 3 ans, soit : — pour la plus grosse des femelles : poids 22 g ; long. tôt. 125 mm ; long. std. 102 mm ; — pour la plus petite des femelles : poids 14 g ; long. tôt. 109 mm ; long. std. 88 mm. Les 23 autres sont sensiblement de même taille pour un poids individuel moyen de 18,5 g. Tableau I. — Rapports des Filière D (n = 10) moyenne variations Esp. préorbit./long. tête 28,76 27,27-30 Esp. préorbit./larg. tête au bord antérieur de l’œil 69,96 63,21-76,92 Esp. préorbit./diam. œil 106,23 100-109 Diamètre œil/long, tête 27,09 25-29,72 Long, tète/long. std. 22,75 21,51-23,52 Ht. anale/long. std. 14,81 13,73-15,38 Filière A (n moyenne = 21) variations 29,45 27,5-31,8 71,39 65-83,3 120,94 110-133,3 24,41 22,2-26,3 22,74 21,5-24,4 15,31 12,38-16,66 Filière B (n moyenne = 26) variations 29,32 25-31,8 71,38 58,8-82,3 108,93 100-125 27 24,4-30 22,85 21-24,7 15,18 12,40-16,66 Filière C (n = 17) moyenne variations 24,35 21,05-27,72 59,70 51,13-69,62 85,32 72,72-100 28,46 26-32,43 20,81 19,8-22,33 15,06 14,28-16,12 1244 CHARLES-JACQUES SPILLMANN Disparition progressive des mâles L’expérience suivie pendant huit années n’a pu être poursuivie, par suite d’extinction de la souche, par défaut d’individus mâles. Nous donnons ci-dessous les chiffres relatifs à la diminution progressive du nombre des mâles. Filière A Filière B Filière C Filière D (population (1 an en rivière, (3 ans (3 ans de la rivière) 2 ans en eau stagnante) en eau stagnante) en eau stagnante ) n = 21 n = 19 n = 17 n = 35 à : 71,42 % c? : 52,63 % : 11,76 % ^ : 0 % Conclusions Après huit années d’observation dans des conditions différentes de son milieu d’origine, c’est-à-dire en eau stagnante au lieu de l’eau courante de la rivière d’origine (la Filière, en Savoie), on note que l’espèce a fait preuve d’une remarquable fixité de l’ensemble de ses caractères. Si, du point de vue des caractères métriques, la génération Filière C, la pre¬ mière étant née et ayant vécu totalement en eau stagnante, a montré un changement notable dans la forme de la tète, changement qui la rapprochait de la forme « muticellus », cette variation ne s’est pas maintenue dans la génération qui lui a fait suite. On peut donc considérer que ce caractère, non transmissible, était dû, vraisemblablement, à l’influence des nouvelles conditions extérieures, influences que n’a plus subies la génération suivante, peut-être mieux préparée déjà à ses nouvelles conditions d’existence. C’est au point de vue physiologique que l’on a pu noter deux changements appré¬ ciables. Le premier est qu’en eau stagnante la reproduction ne se fait pas spontanément et qu’il est nécessaire d’avoir recours à une fécondation artificielle. Il y a lieu de noter, à cet égard, que les femelles inutilisées pour réaliser une fécondation artificielle et laissées dans le bassin ont, sans difficultés, résorbé leurs ovules arrivés à maturité et qu’aucune émission spontanée des œufs n’a pu être constatée. De même, aucun alevin n’a pu être décelé et nous n’avons jamais retrouvé dans le bassin d’autres alevins que ceux que nous y avions placés nous-même, à la fin de l’été, après avoir soigneusement visité ledit bassin et avoir enlevé les adultes que nous y avions laissés. Le second changement est le fait de la réduction progressive du nombre relatif des mâles, qui a mis fin à l’expérience entreprise. Un fait curieux est que, malgré l’absence des mâles, les femelles de la génération Filière D aient donné des ovules arrivés à maturité, puisqu’elles nous ont permis d’obtenir des hybrides en utilisant de la laitance de Vairons, Phoxinus phoxinus, qui se trouvaient, avec quelques Poissons rouges, en compagnie des Blageons. COMPORTEMENT D’UNE POPULATION DE LEUCISCUS (TELESTES) SOUFIA 1245 La disparition progressive des mâles de Blageons permet d’émettre l’hypothèse que, dans la nature, l’extinction d’une espèce peut se produire par disparition d’un des sexes, consé¬ cutive à des variations d’ordre écologique. RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES Spillmann, C. J., 1961. — Sur la systématique de Telestes soufia (Risso) (2 e note). Bull. Mus. nain. Hist. nat., Paris, 2 e sér., 32 (5), 1960 (1961) : 411-414. — 1962. — Sur la systématique de Telestes soufia (Risso) (3 e note). Variations de certains caractères numériques et métriques de l’espèce. Bull. Mus. natn. Hist. nat., Paris, 2 e sér., 34 : 435-452. — 1966. — Sur la systématique de Telestes soufia (Risso) (4 e note). Variation d’un caractère métrique chez une souche transplantée. Bull. Mus. natn. Hist. nat., Paris, 2 e sér., 37 (5), 1965 (1966) : 760-763. Manuscrit déposé le 15 juin 1973. Bull. Mus. natn. Hist. nat., Paris, 3 e sér., n° 246, juillet-août 1974, Zoologie 170 : 1241-1245. Achevé d’imprimer le 15 février 1975. IMPRIMERIE NATIONALE 4 564 003 5 Recommandations aux auteurs Les articles à publier doivent être adressés directement au Secrétariat du Bulletin du Muséum national d’Histoire naturelle, 57, rue Cuvier, 75005 Paris. Ils seront accompa¬ gnés d’un résumé en une ou plusieurs langues. L’adresse du Laboratoire dans lequel le travail a été effectué figurera sur la première page, en note infrapaginale. Le texte doit être dactylographié à double interligne, avec une marge suffisante, recto seulement. Pas de mots en majuscules, pas de soulignages (à l’exception des noms de genres et d’espèces soulignés d’un trait). Il convient de numéroter les tableaux et de leur donner un titre ; les tableaux compliqués devront être préparés de façon à pouvoir être clichés comme une figure. Les références bibliographiques apparaîtront selon les modèles suivants : Bauchot, M.-L., J. Daget, J.-C. Hureau et Th. Monod, 1970. — Le problème des « auteurs secondaires » en taxionomie. Bull. Mus. Hist. nat., Paris, 2 e sér., 42 (2) : 301-304. Tinbergen, N., 1952. — The study of instinct. Oxford, Clarendon Press, 228 p. Les dessins et cartes doivent être faits sur bristol blanc ou calque, à l’encre de chine. Envoyer les originaux. Les photographies seront le plus nettes possible, sur papier brillant, et normalement contrastées. L’emplacement des figures sera indiqué dans la marge et les légendes seront regroupées à la fin du texte, sur un feuillet séparé. Un auteur ne pourra publier plus de 100 pages imprimées par an dans le Bulletin, en une ou plusieurs fois. Une seule épreuve sera envoyée à l’auteur qui devra la retourner dans les quatre jours au Secrétariat, avec son manuscrit. Les « corrections d’auteurs » (modifications ou addi¬ tions de texte) trop nombreuses, et non justifiées par une information de dernière heure, pourront être facturées aux auteurs. Ceux-ci recevront gratuitement 50 exemplaires imprimés de leur travail. Ils pourront obtenir à leur frais des fascicules supplémentaires en s’adressant à la Bibliothèque cen¬ trale du Muséum : 38, rue Geoffroy-Saint-Hilaire, 75005 Paris.