BULLETIN du MUSÉUM NATIONAL d’HISTOIRE NATURELLE PUBLICATION BIMESTRIELLE zoologie 323 N° 466 JUILLET-AOUT 1977 BULLETIN du MUSÉUM NATIONAL D’HISTOIRE NATURELLE 57, rue Cuvier, 75005 Paris Directeur : Pr M. Vachon. Comité directeur : Prs J. Dorst, C. Lévi et R. Laffitte. Conseillers scientifiques : Dr M.-L. Bauchot et Dr N. Halle. Rédacteur : M me P. Dupérier. Le Bulletin du Muséum national d’Histoire naturelle, revue bimestrielle, paraît depuis 1895 et publie des travaux originaux relatifs aux diverses branches de la Science. Les tomes 1 à 34 (1895-1928), constituant la l re série, et les tomes 1 à 42 (1929-1970), constituant la 2 e série, étaient formés de fascicules regroupant des articles divers. A partir de 1971, le Bulletin 3 e série est divisé en six sections (Zoologie — Botanique — Sciences de la Terre — Sciences de l’Homme — Sciences physico-chimiques — Écologie générale) et les articles paraissent, en principe, par fascicules séparés. S’adresser : — pour les échanges, à la Bibliothèque centrale du Muséum national d’His¬ toire naturelle, 38, rue Geoffroy-Saint-Hilaire, 75005 Paris (C.C.P., Paris 9062-62) ; — pour les abonnements et les achats au numéro, à la Librairie du Muséum, 36, rue Geoffroy-Saint-Hilaire, 75005 Paris (C.C.P., Paris 17591-12 — Crédit Lyonnais, agence Y-425) ; — pour tout ce qui concerne la rédaction, au Secrétariat du Bulletin, 57, rue Cuvier, 75005 Paris. Abonnements pour l’année 1977 Abonnement général : France, 530 F ; Étranger, 580 F. Zoologie : France, 410 F ; Étranger, 450 F. Sciences de la Terre : France, 110 F ; Étranger, 120 F. Botanique : France, 80 F ; Étranger, 90 F. Écologie générale : France, 70 F ; Étranger, 80 F. Sciences physico-chimiques : France, 25 F ; Étranger, 30 F. International Standard Serial Number (ISSN) : 0027-4070. BULLETIN DU MUSÉUM NATIONAL D’HISTOIRE NATURELLE 3 e série, n° 466, juillet-août 1977, Zoologie 323 SOMMAIRE C. Monniot et F. Monniot. — Tuniciers benthiques profonds du Nord-Est Atlan¬ tique. Résultats des campagnes Biogas. 695 C. Monniot et F. Monniot. — Polycarpa itéra n. sp., Ascidie profonde du sud-ouest de l’Irlande. 721 466, 1 Tuniciers benthiques profonds du Word-Est Atlantique Résidtats des campagnes Biogas par Claude Monniot et Françoise Monniot * Résumé. — Trente-neuf espèces de Tuniciers abyssaux ont été récoltées au cours des sept campagnes successives du programme Biogas. La diversité spécifique et la densité des spécimens augmentent avec la profondeur jusqu’à plus de 4 000 m, diminuent ensuite mais lentement. La stabilité du milieu favorise le développement des populations de Tuniciers. La proportion des diffé¬ rents groupes trophiques varie avec la profondeur et la topographie du fond. Abstract. — Thirty-nine species of abyssal tunicates hâve been collected during the seven replicated cruises of the Biogas program. The species diversity and the specimen density increase with depth down to 4 000 m and decrease slowly below. Stability favours the development of tunicate populations. The ratio of the different trophic groups varies according to the depth and bottom topography. De 1972 à 1974 le Centre National pour l’Exploitation des Océans a programmé sept campagnes ayant pour but l’étude du benthos profond du golfe de Gascogne. Ces campagnes se sont déroulées à différentes périodes de l’armée, essentiellement à bord du « Jean Charcot » mais aussi du « Cryos » et de la « Perle ». Elles ont étudié chacune six stations fixes formant deux radiales l’une au nord du bassin l’autre au sud (fig. 4). Le programme a été élaboré par le Centre Océanologique de Bretagne en tenant compte des données déjà acquises au cours des campagnes Noratlante, Polymède, Walda et Bia- çores. Les objectifs de Biogas étaient multiples : dresser un inventaire de la faune benthique profonde, étudier les variations de cette faune en fonction de la profondeur et des modes de sédimentation, en fonction de la variété des fonds, rechercher l’existence possible de cycles biologiques. Une étude quantitative des populations (macrofaune et meiofaune) était mise en œuvre. Les paramètres physico-chimiques du sédiment ont été relevés pour chaque station en vue d’une étude écologique. Le programme avait donc deux buts essen¬ tiels, l’un taxonomique et l’autre écologique. Les stations (tabl. I) Le choix des stations a été déterminé par le programme biologique mais surtout par son caractère d’opérations répétitives en un même point. Les facilités d’accès ont joué un rôle important. La radiale nord comprend quatre stations au large de Brest à des pro¬ fondeurs croissantes de 2 000 à 4 700 m de profondeur. La radiale sud comprend deux * Laboratoire de Biologie des Invertébrés marins et Malacologie, Muséum national d'Histoire naturelle, 55 rue de Bufjon, 75005 Paris. 696 CLAUDE MONNIOT ET FRANÇOISE MONNIOT Tableau I. — Liste des stations. Stations Profondeurs (m) mini. maxi. Coordonnées Lat. Nord EXTRÊMES Long. Ouest Teneur en CaC03 1 o/ /o i 1 985 2 360 47°29'2-47°36T 8°30'7- 8°45'5 55 2 2 695 3 548 47°28T-47°36'4 8°59'5- 9°14' 58 3 3 992 4 300 47°31'5-47°38 / 3 9°28'2- 9°42' 43 4 4 518 4 825 46°27'3-46°32'8 10°19'5-10°30' 36 à 56 5 4 203 4 510 44°20'9-44°30'4 4°50'7- 4°56'3 20 6 1 845 2 150 44°04 / 6-44°ll'3 4015' - 4°21'4 37 stations à 2 000 et 4 400 m à proximité des côtes espagnoles de façon à étudier deux zones où les apports terrigènes sont très différents à des profondeurs équivalentes. La profondeur minimale 2 000 m a été adoptée pour représenter le début de la zone abyssale parce qu’elle correspond, dans le golfe de Gascogne, à la base du talus continental. Chaque station a fait l’objet, d’un grand nombre de prélèvements situés aussi près les uns des autres que possible. Les mêmes engins de pèche ont été utilisés dans toutes les sta¬ tions dans la mesure où la structure du fond et les conditions météorologiques le permettaient. Une étude sédimentologique parallèle effectuée par les géologues a permis de donner les caractéristiques essentielles du sédiment de chaque station (Auffret, Pastouret, Ciiardy, Kerbrat, 1976). Les engins Différents types d’engins traînants ont été utilisés, puis modifiés, mais ils ont été uti¬ lisés dans toutes les stations au cours de chaque campagne. Tous étaient munis d’un dis¬ positif Pinger de façon à pouvoir les suh^re sur le fond et calculer la longueur de leur trajet. Les chaluts ont été de deux sortes : un chalut Blake à double perche métallique (C V) remplacé ensuite par un chalut à une seule perche en bois (CP) construit à la façon de celui utilisé par les pêcheurs de Honfleur. Seule la drague épibenthique Hessler et Sanders modifiée a été retenue (DS). Diffé¬ rents modes de fermeture ont été étudiés ainsi que des dispositifs permettant de mesurer le parcours sur le fond. La maille des poches était de 0,5 mm d’ouverture. Les carottiers Reineck (KR) employés ont une section de 30 X 20 cm. Ils étaient plus spécialement destinés aux études quantitatives de meiofaune et aux mesures physico¬ chimiques. Différents types de nasses ont été utilisés destinés aux poissons et aux invertébrés carnivores. 1. D’après Auffret, G. A., et al , 1976. TUNICIERS BENTHIQUES PROFONDS 697 Tableau II. — Répartition des espèces par stations. Stations 1 2 3 4 5 6 Nb. de prélèvements 29 22 22 16 17 14 Nb. de prelèv. avec Tuniciers 17 18 20 15 11 8 Pseudodiazona abyssa 10 4 9 4 Araneum sigma 10 2 33 10- 5 2 1 1 Ciona imperfecta 2 1 Dicopia antirrhinum 89 14 2 2 1 1 3 2 Situla lanosa 1 1 13 7 Octacnemus ingolfi 1 1 2 1 1 1 Abyssascidia millari 6 4 3 2 Proagnesia depressa 7 4 25 13 24 7 18 4 Agnesia celtica 2 1 50 11 78 10 1 1 Adagnesia charcoti 1 1 17 7 6 3 Adagnesia rimosa 20 7 2 2 Agnesiopsis translucida 1 1 20 8 27 3 21 2 Dicarpa pacifica 1 . 1 3 3 2 2 1 1 Polycarpa pseudoalbatrossi 16 4 24 10 11 6 10 4 Polycarpa biscayensis Cnemidocarpa bythia 16 7 100 3 11 6 154 5 Cnemidocarpa digonas 1 1 7 4 6 4 Cnemidocarpa dévia 2 1 2 1 Cnemidocarpa sp. 1 1 Styela similis 1 1 6 1 Styela charcoti 10 8 12 4 Styela chaini 1 1 5 2 4 2 5 3 Styela crinita Styela loculosa 2 1 3 2 Styela calva 6 2 Bathystyeloides enderbyanus 3 1 101 16 30 9 2 1 Bathystyeloides laubieri 47 13 11 1 Bathyoncus herdmani 2 1 6 3 Bolteniopsis sessilis Bathypyura celata 41 12 1 1 8 2 Culeolus suhmi 1 J 26 7 61 8 Minipera pedunculata 2 2 2 1 Minipera papillosa 1 1 108 15 21 8 3 3 Pareugyrioides chardyi Eugyrioides borealis 2 2 3 2 2 1 Molguloides crenatum 19 4 3 3 Hexacrobylus indicus 19 7 20 8 1 1 1 1 Gasterascidia lyra 1 1 98 8 77 15 3 3 4 2 Sorbera unigonas 1 1 34 8 3 3 Indéterminables et jeunes 2 9 45 36 6 1 Nb. d’individus 117 302 745 383 230 22 Nb. d’espèces Nb. total d’individus : 1799 9 18 31 26 11 6 Dans chaque colonne à gauche, nombre d’individus; à droite, nombre de prélèvements contenant l’espèce. 698 CLAUDE MONNIOT ET FRANÇOISE MONNIOT Des Tuniciers ont été récoltés par tous les engins utilisés, mais surtout par les dragues et les chaluts. Le sédiment était lavé à bord sur une colonne de tamis. Les refus les plus grossiers ont d’abord été triés à, l’œil nu, puis l’ensemble des prélèvements a été fixé au for¬ mol neutralisé pour être trié à terre. Le tri de la faune fixée a été réalisé par le Centre National de Tri d’Océanographie Biologique. La totalité des animaux a été comptabilisée par groupes jusqu’à la taille mini¬ mum de 0,5 mm. Des échantillonnages seulement ont été faits dans les refus de 250 pm. Les échantillons destinés à l’étude de la meiofaune ont été confiés aux spécialistes. La liste et le nombre de Tuniciers récoltés par les campagnes Biogas sont indiqués dans le tableau If. Trente-neuf espèces ont été dénombrées et 1799 individus. Les différents engins de prélèvement ne récoltent pas les mêmes espèces. D’autre part des prélèvements successifs dans une même station, pratiqués de façon identique, ne con¬ tiennent pas la même chose. Nous avons donc été amenés à ne pas comparer les prélèvements entre eux mais à considérer toutes les opérations en une même station comme un seul prélèvement. Les stations deviennent alors comparables. Taxonomie La plupart des Tuniciers récoltés au cours des campagnes Biogas avaient déjà été décrits (campagnes Biaçores, Noratlante, Walda, Polygas A). Quelques espèces atlantiques sont signalées pour la première fois dans le golfe de Gascogne. Ce sont : Octacnemus ingolfi, Styela loculosa, S. calva, S. similis, S. crinita et Bolteniopsis sessilis. Des compléments de description peuvent être apportés pour trois espèces : Polycarpa biscayensis n. sp. qui avait déjà été décrite partiellement sous le nom de Polycarpa sp. Monniot et Monniot, 1974, Pareugyrioides chardyi et Eugyrioides borealis. Ciona irnperfecta n. sp. est décrite. Ciona irnperfecta n. sp. (Fig. 1) Biogas 5, DS 67 st. 3. Lames Pl-50 et Pl-53. Flacon Pl-Ciol4 (tunique seule). Deux individus de 1,5 mm et 2 mm de diamètre. Les deux spécimens ont une forme à peu près triangulaire ; ils sont extrêmement mous et déformables car leur tunique très mince est incrustée seulement de quelques éléments sableux. Le corps est très rétracté dans la tunique. Les siphons sont écartés, non saillants, et portent 2 à 3 lobes filiformes (fig. IA). Une touffe de très fins rhizoïdes est insérée sur la face ventrale du corps. Le manteau est transparent et sa musculature très lâche est peu visible même après coloration. Les tentacules sont filiformes, peu nombreux et insérés sur un cercle situé très haut dans le siphon buccal. Le sillon péricoronal est extrêmement sinueux (fig. IC) ; il s’infléchit jusqu’au milieu de la face dorsale. La branchie n’a pu être observée que chez l’exemplaire le plus grand. Elle comprend 700 CLAUDE MONNIOT ET FRANÇOISE MONNIOT 4 rangées de stigmates droits surmontés de sinus longitudinaux complets pour la plupart (5 ou 6 de chaque côté). Le raphé est composé de trois languettes. Le tube digestif (fig. IB) est situé sous la branchie, en boucle courte. L’oesophage est long et droit. L’estomac ovale a une paroi mince et lisse. L’intestin à peu près isodiamétri- que se termine par un anus simple à bord entier. La gonade (fig. IB) est entièrement située dans la boucle intestinale. Le testicule est formé d’un seul lobe logé dans le fond de la boucle digestive ; le spermiducte suit le rectum et la papille mâle est placée contre l’anus. L’ovaire n’est constitué que de quelques ovo¬ cytes logés entre l’œsophage et l’intestin. Remarques Un animal aussi petit et aussi réduit est difficile à classer. Nous le plaçons dans les Cionidae parce que son tube digestif n’est pas situé franchement sur la face gauche mais sous la branchie. L’absence de vésicules d’accumulation et le raphé en languettes indiqueraient qu’il ne s’agit pas d’une Ascidiidae. Le silon péricoronal ondulé est analogue à ce que l’on observe dans les genres Araneum et Pseudodiazona qui sont également des Cionidae. Cette nouvelle espèce est très différente des autres espèces du genre Ciona mais aucune différence structurale importante n’existe entre C. imperfecta et les espèces littorales. Il y a une disparité de taille et une réduction indiscutable mais qui ne justifient pas la création d’un genre, surtout pour deux exemplaires. Polycarpa biscayensis n. sp. part Polycarpa pseudoalbatrossi, Monniot et Monniot, 1973 : 429, 1 spécimen st. Biaçores 64, 1 240 à 1 200 m. Polycarpa sp. Monniot et Monniot, 1974 : 750, fig. 11. Lames Sl-361 à 362, Sl-578 à 583, Sl-856 à 865. Flacon Sl-Pol. B-39. Polycarpa biscayensis n’a été trouvée qu’aux stations 1 et 2 et ne semble vivre qu’à des profondeurs assez faibles depuis le golfe de Gascogne jusqu’aux Açores. La population est peu variable. A une exception près, tous les spécimens examinés possédaient deux endo¬ carpes à droite, éloignés de la gonade. Tous les spécimens ont un ganglion nerveux court, globuleux, un vélum cloacal découpé en nombreux lobes minces et quelques rares tentacules cloacaux filiformes. L’espace dorsal entre les deux siphons est toujours moins grand que le diamètre d’un siphon. Le sillon péricoronal ne s’incurve pas en V prononcé au niveau du tubercule vibratile. L’estomac possède en général 8 plis. Le nombre de sinus branchiaux varie de 6 à 9 à gauche et de 7 à 10 à droite. La ressemblance de cette espèce avec P. pseudoalbatrossi est grande et seule une étude attentive de l’anatomie interne permet de les distinguer. Polycarpa pseudoalbatrossi Monniot et Monniot, 1968 Dans tout l’Atlantique à partir de 2 500 m on trouve P. pseudoalbatrossi. Ses carac¬ tères anatomiques sont peu variables. Nous avons examiné des exemplaires provenant de TUNICIERS BENTHIQUES PROFONDS 701 la côte américaine de 2 495 à 5 000 m, du Mid-Ocean canyon vers 4 100 m, de l’ouest des Açores à 3 360 m, du golfe de Gascogne de 2 700 à 4 700 m. Tous les spécimens avaient en commun un seul endocarpe à droite accolé à la face dorsale de la gonade, un ganglion ner¬ veux allongé, des tentacules cloacaux filiformes et un vélum cloacal court ondulé. A ces caractères constants il faut ajouter un espace important entre le sillon péricoronal et le cercle de tentacules cloacaux, équivalent au diamètre des siphons, une indentation en V du sillon péricoronal, un estomac marqué de 5 à 8 plis (en général 6), une branchie ayant 6 sinus à gauche et 7 à droite, au maximum 8. Des exemplaires du golfe de Guinée, rapportés à cette espèce, présentent un certain nombre de différences avec la population nord-atlantique : la longueur du ganglion nerveux est variable ainsi que la distance dorsale entre les siphons. Le nombre de sinus longitudi¬ naux branchiaux peut atteindre huit ou dix, les plis de l’estomac sont en nombre variable : sept à dix. La variabilité relative de cette population s’oppose à la constance de celle de l’Atlantique Nord. Sur la pente du plateau continental à une profondeur plus faible, dans l’Atlantique Nord on trouve trois autres espèces qui semblent avoir une répartition géographique beau¬ coup moins étendue. Ce sont P. delta du côté américain et, du côté européen, P. biseayensis dans le golfe de Gascogne et aux Açores et P. itéra au large de l’Irlande. La spéciation des Polycarpa profonds de l’Atlantique Le genre Polycarpa est un bon exemple des difficultés de détermination des Tuniciers abyssaux à l’échelon spécifique. Nous sommes en présence maintenant de quatre espèces, P. albatrossi, P. pseudoalbatrossi, P. biseayensis et P. itéra, très proches les unes des autres, probablement issues d’une souche commune. La quasi-totalité des auteurs actuels estiment que l’origine de la faune abyssale est à rechercher dans la zone littorale, à une époque géolo¬ gique impossible à déterminer, faute de restes paléontologiques en ce qui concerne les Tuni¬ ciers. A l’occasion de périodes froides, de régressions etc., certains animaux se seraient adaptés au milieu bathyal ou abyssal et y seraient demeurés. Les quatre espèces profondes de Polycarpa auraient pu s’isoler grâce à leur localisation bathymétrique différente et leur isolement géographique relatif, P. albatrossi restant dans l’Ouest-Atlantique, P. itéra et P. biseayensis dans i Est. Seul P . pseudoalbatrossi aurait colonisé tout l’Atlantique Nord, cette espèce étant aussi celle qui vit le plus profondément. Il est possible que la spéciation effectuée dans l’Atlantique Nord soit seulement en cours dans les bassins de l’Atlantique Sud-Est (golfe de Guinée), là où l’on trouve une population à caractères variables sans que l’on puisse vraiment isoler plusieurs espèces. Nous avons supposé ( sous presse) que la rareté de la nourriture en profondeur pourrait provoquer une nécessité d’adaptation et par conséquent une spéciation. La réduction de taille, la simplification des structures et la néoténie constitueraient des formes d’adapta¬ tion au milieu abyssal. Sur le talus continental européen on peut suivre du plateau conti¬ nental jusqu’à la plaine abyssale les réductions progressives de taille et de structure des Polycarpa des fonds meubles (tabl. III). Seules des prospections intensives ont permis d’établir cette succession d’espèces. Il serait intéressant de vérifier s’il existe une répartition équivalente en bordure d’autres bassins profonds. 466, 2 702 CLAUDE MONNIOT ET FRANÇOISE MONNIOT Tableau III. — Caractéristiques des Polycarpa des fonds meubles européens. Espèces Profondeur Taille Nb. de Ne. de Nb. total Nb. de Nb. d’en- PLIS SINUS PAR DE GONADES DOCARPES (m) (mm) branchiaux pli sinus droite gauche à droite P. kornogi Glemarec et Monniot, 1966 15 à 150 10 à 15 4 8 à 17 50 à 70 40 26 35 P. comata (Aider, 1863) 15 à 150 13 à 20 4 6 à 11 34 à 38 20 à 30 15 40 P. pusilla Herdman, 1884 200 à 900 10 4 7 à 16 50 à 55 13 à 17 12 25 P. itéra 1 500 1 à 4 3 3 à 10 18 à 22 2 2 3 P. biscayensis 1 200 à 2 900 3,5 2 2 à 5 6 à 10 1 1 2 P. pseudoalbatrossi 2 500 à 5 000 2 à 4 1-0 2 à 3 6 à 8 1 1 1 Cnemidocarpa sp. (Fig. 2, D) Lame Sl-1030. L'exemplaire unique, couvert de sédiment, mesurait 2,8 mm de diamètre. La muscula¬ ture du manteau est diffuse. Les tentacules sont insérés en bordure d’un vélum. Le sillon péricoronal est circulaire et forme un U évasé au niveau du tubercule vibratile. Celui-ci forme un bouton saillant à ouverture simple. Le ganglion nerveux allongé est net, le raphé lisse est peu élevé. La branchie possède trois plis de chaque côté assez nets. G. R. 0 8 4 6 1 3 J E. D. R. 3 8 3 5 1 2 1 E. Entre les plis il y a deux à trois stigmates allongés par maille, recoupés par un sinus parastigmatique. Il n’y a qu’un stigmate par maille sur les plis. On ne trouve pas de pro¬ tostigmates à la base de la branchie. Le tube digestif (fig. 2D) forme une boucle fermée. L’estomac globuleux est marqué par six plis longitudinaux. Nous n’avons pas observé de cæcum pylorique. L’anus a un bord retroussé lisse. Il existe une gonade de chaque côté, formée d’un ovaire allongé dans l’exemplaire observé. Les canaux génitaux sont longs. La partie mâle n’était pas développée mais représentée seulement par les spermiductes si bien qu’une incertitude demeure quant au genre Cnemidocarpa ou Styela. Les gonades sont accompagnées chacune de deux endocarpes. Il en existe un supplé¬ mentaire dans la boucle intestinale. Les tentacules cloacaux sont fins et disposés en cercle. Le présence d’un endocarpe dans la boucle intestinale n’a encore jamais été signalée chez un Cnemidocarpa ou une Styela de profondeur. Si ce caractère est confirmé par des TUNICIERS BENTHIQUES PROFONDS 703 Fig. 2. — A à C : Bathyoncus herdmani Michaelsen, 1904 ; A, exemplaire ouvert Franchie enlevée ; B et C, face gauche et droite. D : Cnemidocarpa sp. : exemplaire ouvert, branchie enlevée. récoltes ultérieures, il justifiera la création d’une espèce. Cnemidocarpa sp. présente quelques ressemblances avec C. bathyphila par le nombre des endocarpes entourant les gonades, 704 CLAUDE MONNIOT ET FRANÇOISE MONNIOT par la position des gonades et la forme dn tube digestif, mais le nombre des plis de l’estomac est ici de six au lieu de douze. Bathyoncus herdmani Michaelsen, 1904 (Fig. 2, A, B, C) Lames Sl-688 à 689, Sl-743 à 745. Flacon Sl-BAT. A-3. Cette espèce figure dans les stations 2 et 3. Elle avait déjà été retrouvée dans le golfe de Gascogne (Monniot et Monniot, 1973 et 1974) mais en si mauvais état qu’une descrip¬ tion complète ne pouvait être donnée. Les animaux vivent fixés sur un support, même s'il est de petite taille (caillou, morceau de charbon, etc.). Le pédoncule est court et trapu mais bien marqué. La zone de fixation au support est entourée d’une couronne de rhizoïdes assez longs qui agglomèrent les fora- minifères. Le pédoncule est cylindrique, guère plus long que large et porte un corps sphé¬ rique. Le siphon buccal, le plus proche du pédoncule, lui est perpendiculaire, le siphon cloacal étant opposé au pédoncule. La hranchie sort par le siphon cloacal comme chez les Culeolus. Le corps est entièrement couvert de sédiment. Le plus grand spécimen mesurait 25 mm de haut (13 + 12 mm). Le pédoncule est turgescent et comprend une masse de tissus lâches centrale et de forts muscles longitudinaux. La musculature du corps est également forte : en dehors des sphinc¬ ters des siphons et du feutrage de fihres courtes continu, il existe dans le manteau un réseau de rubans musculaires entrecroisés formant des mailles carrées. La contraction des muscles provoque un resserrement du manteau dans ces mailles ce qui lui donne l’aspect cloqué que l’on observe aussi chez les Culeolus. Les tentacules buccaux sont longs et sortent par le siphon buccal. On en compte 25 à 30 de 2 ou 3 ordres mais irrégulièrement disposés. Les plus longs sont implantés sur la face dorsale du siphon. Chaque tentacule a une section triangulaire et s’implante sur un coussi¬ net. Ce tétraèdre possède une face interne étroite bordée de deux arêtes glandulaires. Les faces latérales sont plus larges que la face interne et l’arête dorsale ne présente pas de diffé¬ renciations particulières. Un fort muscle circulaire entoure la base en coussinet des tenta¬ cules. Les tentacules sont turgescents. Le sillon péricoronal est ondulé et s’indente en U au niveau du tubercule vibratile. Celui-ci a une forme de C ouvert sur la gauche. Le ganglion nerveux, allongé, est sinueux, ce qui est sans doute le résultat de la contraction du manteau. Le raphé, lisse, augmente de hauteur du tubercule vibratile à l’entrée de l’œsophage. La hranchie n’a pas de stigmates ciliés et est réduite aux sinus transverses et longitu¬ dinaux. G. R. 2 9 6 3 1 3 5 2 7 1 E. D. R. 2 9 1 i 2 - 4 3 4 2 E. Il n’y a que 3 plis nets de chaque côté de la branchie. Les mailles branchiales sont de grande taille, jusqu’à 4 mm 1 2 . 1. Seulement dans la partie moyenne de la branchie. 2. Deux sinus se rapprochent dans la partie moyenne et postérieure de la branchie. TUNICIERS BENTHIQUES PROFONDS 705 Le tube digestif (fig. 2A) est volumineux, mais il n’est que faiblement lié au manteau par une bride qui s’insère dans la région pylorique de l’estomac. L’œsophage, de longueur moyenne, donne accès dans l’estomac globuleux marqué d’une vingtaine de sillons courts et superficiels. Il n’y a pas de cæcum. L’intestin, d’assez gros diamètre, forme une boucle fermée et débouche par un anus irrégulièrement lobé et béant dans le siphon cloacal. Il existe une gonade allongée de chaque côté. L’ovaire interne et médian repose sur une double rangée d’ampoules testiculaires. Les canaux déférents se réunissent en un spermi- ducte commun qui longe la face interne de l’ovaire. Les papilles mâle et femelle sont allon¬ gées et s’ouvrent ensemble près du siphon cloacal. Il existe un endocarpe volumineux et charnu de chaque côté du corps. Les tentacules cloacaux sont nombreux, filiformes. Ils s’implantent à la base d’un court vélum. Cette espèce correspond très bien à la description de Michaelsen. Pareugyrioides chardyi nom. nov. ?Pareugyrioides galatheae, Monniot et Monniot, 1976 : 770, fig. 21. Type : lames S3-229 à 230. Lames S3-271 à 273 et S3-309. Flacon S3-Par A-7. Cinq nouveaux exemplaires de cette espèce ont été trouvés aux stations 3 et 4 et la description est confirmée. Nous avons retrouvé le véritable P. galatheae dans le sud de l’océan Indien (Monniot et Monniot, 1976). Le type de l’espèce (provenant du golfe de Guinée) étant perdu, nous avons communiqué nos échantillons de l’océan Indien au Dr Millar qui en a confirmé la détermination. P. chardyi diffère de P. galatheae par sa taille plus petite, la forme du sillon péricoronal et le nombre de sinus branchiaux longitudinaux. Eugyrioides borealis n. sp. ( Fi g- 3) Eugyra ou Pareugyrioides Monniot et Monniot, 1973 : 455. Pareugyrioides sp. Monniot et Monniot, 1974 : 772. Lames S3-231 à 232, S3-270, S3-380. Flacon S3-Eug-B-4. Deux nouveaux exemplaires de cette espèce ont été retrouvés à la station 2. Les exem¬ plaires sont en mauvais état et leur description est fragmentaire. Les animaux sont nus et ont un aspect d’Agnesiidae dû à la disposition de leur muscula¬ ture presque exclusivement constituée d’un champ médio-dorsal de fibres transversales. Il y a une douzaine de tentacules larges et fins. Les ramifications de premier et second ordre sont larges et éloignées les unes des autres. Le sillon péricoronal forme un Y net dans les exemplaires de Biogas, il était moins marqué pour le spécimen de Noratlante. Le raphé est double. Il est formé à gauche d’une lame lisse moyennement élevée et à droite d’une lame plus basse. Entre ces deux lames se trouve une large bande imperforée. La branchie est variable. Il y a 6 rangées de 6 infundibula. Chez deux exemplaires il 706 CLAUDE MONNIOT ET FRANÇOISE MONNIOT Fig. 3. — Eugyrioides borealis n. sp., individu ouvert, branchie enlevée. y a à droite 4 sinus complets plus un sinus incomplet qui est soit ventral soit dorsal. A gauche, sur le seul exemplaire où il est possible de les compter, il y en a 4. Les stigmates (2 par infundibulum) décrivent jusqu’à 5 tours de spire ; ils sont indivis. Le réseau de sinus paras- tigmatiques est net ; il porte des papilles constantes dans la partie ventrale de la branchie, irrégulièrement ailleurs. Des infundibula monospiralés peuvent exister ventralement. Nous n’avons pu déterminer la forme du tube digestif toujours en très mauvais état. L’anus est lisse. Les gonades, une de chaque côté, sont massives. La gauche est incluse dans le tube digestif ce qui justifie l’appartenance de cette espèce au genre Eugyrioides. L’ovaire est central, l’oviducte soudé au manteau est court. Les acini testiculaires entourent l’ovaire ; le spermiducte n’a pas pu être observé. Le rein est situé contre la gonade droite. 11 existe un grand vélum cloacal. Le genre Eugyrioides ne figurait pas encore dans la faune abyssale. L’espèce littorale nord-atlantique E. glutinans vit dans la zone arctique où elle a été signalée jusqu’à 1 200 m. Sa musculature est très différente de celle de E. borealis et sa gonade est allongée. Les adaptations réalisées en milieu abyssal L’étude taxonomique montre immédiatement plusieurs caractéristiques particulières de la faune des Tuniciers. Déjà à bord, à la remontée des engins on distingue les grandes formes pédonculées à tunique solide, les grandes espèces très molles qui ont plus l’allure de lambeaux que de Tuniciers, et enfin une multitude de petites boules couvertes de sédiment dont la taille est de l’ordre du millimètre. L’étude de l’anatomie interne montre davantage les difïé- TUNICIERS BENTHIQUES PROFONDS 707 rences qui existent entre la structure des animaux littoraux et celle des animaux plus pro¬ fonds (Monniot et Monniot, 1975). Tout d’abord les formes de grande taille (10 cm) très molles, à siphons hypertrophiés ne représentent qu’une seule famille : les Octacnemidae (genres Octacnemus, Situla, Dicopia). Ils n’existent pas dans le littoral. Ces animaux extrêmement modifiés ont un siphon buccal énorme qui fonctionne comme un piège pour la capture des petits invertébrés. Il existe bien une branchie mais celle-ci non ciliée est très modifiée. Le régime alimentaire de ces animaux est mixte : microphage et macrophage. Ces animaux pièges, par leur adaptation alimentaire, ont pu se développer sur des fonds considérés comme très pauvres en matières nutritives en suspension (Monniot et Monniot, 1975). Les formes pédonculées qui atteignent également une grande taille posent des pro¬ blèmes que nous n’avons pas encore pu résoudre. Leur anatomie particulière avec des tissus épais et denses, leur musculature développée, leur branchie sans stigmates et sans cils suggèrent des organismes bien nourris et par conséquent une adaptation poussée au milieu abyssal. Or ces adaptations se sont réalisées de façon identique chez quelques représentants de toutes les familles de Tuniciers (ici dans le golfe de Gascogne : Bathyoncus Styelidae et Culeolus Pyuridae). Il s’agit donc d’une convergence, et nous pensons être en présence d’un nouveau procédé de capture des particules en suspension. Les mailles branchiales sont extrê¬ mement grandes et non ciliées ce qui exclut une rétention des particules en suspension dans l’eau par la ciliature. Il est possible que la branchie soit couverte intérieurement d’un film de mucus agissant comme un filtre très fin, ce qui est le cas des Tuniciers littoraux. Mais l’absence de ciliature ne peut permettre la progression de ce film de mucus sur la bran¬ chie ! Pourtant ces animaux sont microphages comme on peut le constater en examinant le contenu de leur tube digestif. Line proportion assez forte de Tuniciers profonds est constituée d’individus nains, 0,5 à 3 mm dont tous les organes sont régressés et qui sont néoténiques (Minipera Molgu- lidae, Bathypyura Pyuridae, Dicarpa Styelidae). Ces animaux ont une branchie ciliée mais qui reste à. un état juvénile. Il est possible que la rareté de la nourriture ne permette pas un développement normal de ces espèces qui acquièrent pourtant à un certain âge la maturité sexuelle ; mais l’ensemble du corps reste à un stade juvénile, bloqué par un état de famine permanent (Monniot et Monniot, sous presse). Le caractère nain se serait fixé au cours des générations successives. Enfin la zone abyssale comprend également des Ascidies de structure normale, avec une branchie simple peu développée et ciliée. Ce sont des animaux qui sans être nains ont une taille modeste ( Styela , Polycarpa, Bolteniopsis, etc.). Les Sorbéracés tout à fait originaux par leur régime carnivore, leur absence de branchie et leur système nerveux ne peuvent être considérés comme adaptés puisqu’ils représentent une classe d’animaux particuliers. Ils forment un groupe trophique indépendant (Monniot, Monniot et Gaill, 1975). Toutes ces adaptations dont nous venons de parler touchent le régime alimentaire. Ces groupes trophiques ont une répartition différente selon les profondeurs et il est intéres¬ sant de remarquer que les groupes les plus adaptés au point de vue morphologique corres¬ pondent bien à ceux qui vivent et prospèrent dans les zones les plus profondes (fig. 4). 708 CLAUDE MONNIOT ET FRANÇOISE MONNIOT Abondance et variété de la faune de Tuniciers Le programme Biogas représente une prospection intensive : 66 dragages et 53 chalu¬ tages. Il serait normal de penser que toutes les espèces vivant dans cette région entre 2 000 et 5 000 m de profondeur ont été récoltées. Ce n’est pas le cas. Trois espèces supplémentaires ont été trouvées au cours d’autres campagnes : Boltenia pilosa (campagne Noratlante, station B 17), Molgula dextrocarpa (campagne de la « Thalassa ») et Styela loculosa (station Na02 de Biogas). II est vraisemblable que bien d’autres espèces de Tuniciers sont encore à décrire pour le golfe de Gascogne. Chaque prélèvement est loin de contenir la totalité de la faune représentée dans la station considérée. Parmi les 119 prélèvements, seuls 3 d’entre eux ont capturé plus de la moitié des espèces connues au même emplacement. L’elficacité d’une drague varie et 10 à 35 % des espèces de Tuniciers y sont généralement présents. En un chalutage on obtient rarement plus de 20 % des espèces connues dans la station. Tableau IV. — Rendement des différents engins de récolte pour les Tuniciers. Stations Engin Nb. d’engins Nb. d’engins avec Tuni¬ ciers Nb. TOTAL D* ESPÈCES TROUVÉES N b % DE diver- SITE TOTAL D’ SPÉCIFIQUE DU EXEMPLAIRES MEILLEUR TROUVÉS ENGIN % DE DIVER¬ SITÉ SPÉCIFIQUE MOYEN i D S 16 8 5 37 44 10 9 espèces C V 8 5 4 25 44 10 116 indiv. C P 5 4 2 54 22 il 2 D S il 10 15 287 67 22 18 espèces C V 7 5 7 9 17 6 302 indiv. C P 3 3 4 6 17 11 3 D S 12 12 29 538 55 35 31 espèces C V 7 6 18 90 32 18 679 indiv. C P 3 2 12 51 23 12 4 D S 8 7 21 181 38 20 26 espèces C V 3 3 4 19 II 8 383 indiv. C P 5 5 21 183 58 32 5 D S 10 7 9 65 36 14 11 espèces C V 2 0 230 indiv. C P 5 4 8 165 45 22 6 D S 9 6 5 20 33 15 6 espèces C V 3 0 22 indiv. C P 2 2 2 2 17 17 TUNICIERS BENTHIQUES PROFONDS 709 L’efficacité des dragues et chaluts est résumée dans le tableau IV. Ceci montre que le principe des prélèvements répétés en un même point est indispensable à un inventaire com¬ plet des Tuniciers en ce point. Le faible rendement des engins peut avoir plusieurs causes : le chalut ou la drague récoltent mal la faune, les animaux ont une répartition hétérogène due soit à la diversité du milieu soit à la structure des populations elles-mêmes, ou encore les populations sont réparties de façon non uniforme sur le fond. 1. L’efficacité des dragues et chaluts n’est pas satisfaisante, tous les animaux présents sur leur trajet ne sont pas capturés. Cette certitude nous est donnée par le calcul de la den¬ sité des Invertébrés qui peut être fait à partir des carottiers. Le trajet des dragues et chaluts sur le fond peut être calculé grâce aux données Pinger (Laubier, Martinais, Reyss, 1971), la surface de sédiment touchée par les engins peut donc être évaluée. Les résultats comparés de la densité des Invertébrés capturés par les carottiers et les engins traînants sont indiqués dans le tableau ci-dessous (tabl. V). Il apparaît immédiatement que les dragues ou les chaluts ne capturent qu’un faible pourcentage de la faune et ceci d'une manière aléatoire. Ces résultats valables pour les Tableau V. — Densité des animaux benthiques récoltés avec des engins différents en station 3. Engins Nb. MAX. ANIM. 1 PRÉLÈV. Nb. MIN. ANIM. 1 PRÉLÈV. Nb. MAX. ANIM. RAPPORTÉS m 2 Nb. MIN. ANIM. RAPPORTÉS m 2 Nb. moy. ANIM. m 2 Car. Reineck 0,06 m 2 59 16 983 267 613 Drague épib. 4 250 190 9,5 0,32 2,2 Chalut Blake 100 43 0,03 0,003 0,01 Chalut perche 981 426 0,16 0,12 0,13 Invertébrés en général doivent être du même ordre pour les Tuniciers qui ne sont capturés que dans de faibles proportions. 2. La répartition des animaux est hétérogène, le milieu étant lui-même hétérogène. Ceci n’est pas valable pour toutes les stations mais se trouve particulièrement marqué au niveau de la station 2 située sur une ride sous-marine, dans la pente du plateau continental (tabl. VI). Au centre de la ride, seulement 7 espèces de Tuniciers ont été trouvées, dont 4 appar¬ tiennent également à la station 1. Au nord se situe une zone de cailloutis qui n’a fourni que 3 espèces. Par contre au sud et au bas de la pente de cette station, sur la vase molle, 13 espèces sont présentes dont 12 sont connues dans la station 3 sur la plaine abyssale. La station 2 a fait l’objet d’un dragage exceptionnel qui contenait à lui seul 12 espèces de Tuniciers. Cette drague contenait aussi un nombre important d’invertébrés : 5 857 indi¬ vidus, alors que la moyenne des autres prélèvements est de moins de 1 500 Invertébrés. Dans ce cas deux phénomènes se sont conjugués : un engin particulièrement efficace et un parcours très favorable. 710 CLAUDE MONNIOT ET FRANÇOISE MONNIOT Tableau VI. — - Détail du contenu des dragues en station 2. Centre de LA ZONE SUR LAXE ZONE Zone sud DE LA RIDE NORD 2 700 à 3 000 m 3 345 m 3 250 à 3 590 m Stations DS 31 57 58 59 73 74 40 41 60 66 75 Pseudodiazona abyssa 7 1 1 Araneum sigma 1 9 Dicopia antirrhinum 1 Situla lanosa 1 4 4 Octacnemus ingolfi 2 Proagnesia depressa 3 2 1 Adagnesia charcoti 1 Polycarpa pseudoalbatrossi 4 9 2 Polycarpa biscayensis 93 6 Cnemidocarpa digonas 1 1 4 1 Bathyoncus herdmani 2 Mimpera papillosa 1 Eugyrioides borealis 1 /fexacrobylus indicus 4 3 1 2 2 6 Gasterascidia lyra 4 2 64 11 5 10 Sorbera unigonas 1 7 espèces 3 esp. 13 espèces La répartition des Tuniciers récoltés par dragage en station 2 est résumée dans le tableau VI. 3. La station 3 à 4 000 m correspond à un fond à peu près uniforme. Cependant les résul¬ tats des différents prélèvements diffèrent sensiblement (tabl. VII). La répartition des Tuni¬ ciers par taches doit alors être envisagée. Ces groupements d’animaux, très probables, semblent confirmés par le hasard d’une récolte. En effet, au cours du largage d’une filière de nasses comprenant deux petites nasses à crevettes grillagées, 66 Tuniciers sont restés accrochés sur les mailles métalliques par leurs expansions tunicales. Le cable reliant les nasses aux bouées de surface étant court et les nasses fortement lestées, le trajet sur le fond n’a pas pu être long. Au cours des 4 200 m de remontée, beaucoup d’individus ont dû être perdus. La densité des animaux devait donc être considérable en ce point. Il est inté¬ ressant de noter que cette récolte exceptionnelle comprenait 12 espèces de Tuniciers mais deux étaient particulièrement bien représentées : Bathystyeloides laubieri avec 11 individus et Bathystyeloides enderbyanus avec 40 exemplaires. Or nous n’avons jamais trouvé plus de 12 spécimens de cette dernière espèce dans une seule drague ! Dans ce cas particulier une répartition par taches semble une hypothèse valable. Diversité spécifique et abondance des Tuniciers en fonction de la profondeur Pour comparer l’abondance des Tuniciers dans les différentes stations il est nécessaire d’employer le même engin de récolte. Nous avons choisi d’utiliser les dragues épibenthiques Tableau Vil. — Détail des récolt es de T uniciers en station 3. Espèces 20 21 22 Dragues épibenthiques 30 42 44 45 55 56 67 76 77 Chaluts 13 14 18 A DEUX PERCHES 27 28 29 36 Chaluts a UNE PERCHE 4 13 14 Nasse Na02 Pseudodiazona abyssci 1 4| i 3 Araneum sigma 1 1 i 1 18 i 5 2 i 2 Ciona imperfecta 2 Dicopia antirrhinum 1 Octacnemus ingolfi 1 Abyssascidia millari 3 1 1 î Proagnesia depressa 4 3 i 1 2 4 2 2 1 i 2 1 1 Agnesia celtica 6 9 1 2 12 1 1 1 16 1 1 Adagnesia charcoti 2 1 10 1 1 1 1 Adagnesia rimosa 1 1 1 12 3 i 1 Agnesiopsis translucidei 1 4 7 1 2 1 1 3 Dicarpa pacifica 1 1 i Polycarpa pseudoalbatrossi 4 1 2 1 3 3 3 5 1 i Cnemidocarpa digoncis 1 1 2 2 Cnemidocarpa dévia 2 Cnemidocarpa sp. 1 Styela similis i Styela charcoti 1 1 i 2 i 2 i 1 Styela chaini 1 Styela crinita i Styela loculosa 2 Bathystyeloides enderbyanus 6 3 4 3 2 3 4 2 12 5 3 5 7 1 1 40 Bathystyeloides laubieri 1 1 5 2 2 7 1 i 8 6 1 1 11 Bathyoncus herdmani 1 1 4 Bcithypyura celata 7 1 2 6 1 1 7 2 8 3 1 2 Culeolus suhmi 1 3+ + 2 2 12 4 2 Minipera pedunculata 1 i Minipera papillosa 9 3 5 3 4 26 2 10 27 12 1 i 3 1 Pareugyri.oides chardyi 1 2 Hexacrobylus indicus 2 3 3 7 1 1 2 1 Gasterascidia lyra 7 8 2 2 12 2 12 8 6 2 6 1 3 4 2 Sorbera unigonas 9 3 1 7 9 2 1 2 Indéterminables et jeunes fi 11 3 2 3 2 1 8 2 7 Nombres d’individus 63 54 28 30 5 4 18 131 21 39 92 53 19 24 2 15 24 6 25 26 66 Nombres d’espèces 13 17 8 11 4 3 11 16 10 11 14 13 9 10 i 4 10 5 7 9 12 + Présence de fragments de pédoncules dans le sédiment. TUNICIERS BENTHIQUES PROFONDS 711 712 CLAUDE MONNIOT ET FRANÇOISE MONNIOT pour deux raisons : elles ont été les plus fréquentes et la longueur de leur parcours sur le fond a toujours été sensiblement de même ordre. Le nombre de dragages n’a pas toujours été exactement le même dans toutes les sta¬ tions et nous avons vu qu’ils donnent des résultats irréguliers. Pour avoir une estimation moins faussée nous avons envisagé dans chaque station un nombre moyen de Tuniciers par drague. Pour la station 4, la moins intensivement exploitée et la plus profonde, il y a eu huit dragages épibenthiques (tabl. IV). L’abondance des Tuniciers varie avec la profondeur, mais elle est sans rapport avec la variation globale du nombre moyen d’invertébrés dans une drague. Le nombre total d’individus récoltés dans un dragage diminue régulièrement avec la profondeur (tabl. VIII) aussi bien dans les stations de la radiale nord que dans les stations sud. Par contre le nombre de Tuniciers croît rapidement avec la profondeur jusqu’à 4 200 m puis diminue mais reste aussi important à 4 700 m qu’à 3 000 m. Le pourcentage de Tuniciers par rapport aux Inver¬ tébrés croît avec la profondeur. 11 y a vingt fois plus de Tuniciers à 4 200 m qu’à 2 000 m. La diversité spécifique varie dans le même sens que l’abondance des Tuniciers et le nombre d’espèces croît jusqu’à 4 200 m pour diminuer un peu à 4 700 m (tabl. VIII). Tableau VIII. — Évolution de la faune en fonction de la profondeur, d’après les dragues. Prof. (m) Stations Nb. moy. indiv. PAR DRAGUE Nb. moy. Tuniciers PAR DRAGUE O/ /o de Tuniciers Nb. d’espèces Tuniciers 2 000 i 1 748 1,8 0,11 9 3 000 2 1 325 24 1,8 18 4 200 3 1 195 46,5 3,9 31 4 700 4 967 23 2,3 26 4 400 5 539 6,5 1,2 11 2 000 6 5 709 2 0,03 6 Si l’on considère le profil du fond et non plus la profondeur, la station 1 se trouve placée sur la pente du talus continental, la station 2 à la base de cette pente, la station 3 sur la bordure de la plaine abyssale et la station 4 sur la plaine abyssale. Les stations de la radiale sud comprennent aussi un point sur la plaine abyssale : st. 5 et un point sur la pente du talus continental : st 6. Les stations 5 et 6 étant très proches de la côte contiennent une beaucoup plus grande proportion de matière organique (fig. 4). Comme nous l’avons déjà remarqué au cours d’études précédentes, l’abondance des Tuniciers semble être en corrélation avec l’homogénéité et la stabilité du sédiment. La plaine abyssale constitue la zone la plus riche aussi bien en individus qu’en espèces. La profondeur en elle-même n’est certainement pas un facteur déterminant. Par contre l’éloignement de la côte doit avoir une influence sur les populations de Tuniciers. Auffret, Pastouret, Chardy et Kerbrat, 1976, dans l’analyse sédimentologique des stations, signalent l’abon¬ dance des micas dans les stations 5 et 6. L’influence terrigène est par conséquent très sen- TUNICIERS BENTHIQUES PROFONDS 713 si!>le pour la radiale sud. Les Tuniciers y sont moins abondants et moins diversifiés. Le même résultat avait déjà, été constaté à propos des stations proches de la côte ouest-africaine de la campagne Walda (Monniot et Monniot, 1974). Les Tuniciers du golfe de Gascogne par rapport aux autres bassins atlantiques Quarante et une espèces sont connues dans le golfe de Gascogne. Beaucoup appartien¬ nent également à la faune d’autres bassins atlantiques. Dans un autre travail (Monniot et Monniot, sous presse ) nous avons représenté les relations entre les différents bassins .1 atlantiques en utilisant l’index de similarité de Kulczynski : i = - s = nombre d’espèces communes à deux bassins ; u = nombre d’espèces connues en A et non en B ; v = nombre d’espèces connues en B et non en A. La faune du golfe de Gascogne est celle du bassin européen en général, 4 espèces seule¬ ment y sont absentes et ont été trouvées plus au large. L’indice de similarité est de 96 %. La région des Açores n’offre pas de grandes différences, l’indice de similarité est de 66 % et il est encore plus fort, 75 %, pour les zones plus nordiques à l’ouest de l’Irlande (campagne WHOI du Chain, n° 106). La similarité est encore très importante avec tout le Nord et l’Est-Atlantique : environ Tableau IX. s -+ — 1x100 s -j— u s + v y Nb. d’espèces Nb. esp. Index COMMUNES SIMILARITÉ avec g. Gascogne (%) Mer Norvège 3 2 36 Labrador 28 18 54 B. N. Américain 19 11 42 Surinam 10 6 37 Brésil 6 3 29 Angola-Guinée 23 14 48 B. Argentin 17 4 17 B. du Cap 17 12 50 B. Européen 45 41 87 Sud Irlande 23 22 75 Açores 26 21 66 91% si l’on considère les deux espèces signalées, non retrouvées. 714 CLAUDE MONNIOT ET FRANÇOISE MONNIOT 50 %. Par contre, les affinités faunistiques avec l’Ouest-Atlantique sont plus faibles et diminuent du Nord au Sud. Les valeurs de l’index de similarité sont de 42 % pour le bassin nord-américain, 29 % pour le bassin brésilien et 17 % seulement pour le bassin argentin. Les affinités du golfe de Gascogne avec la face sud de la dorsale de Walvis Bay sont impor¬ tantes : 50 %, plus importantes que les affinités avec le bassin nord-américain. 11 se dessine nettement une différence faunistique entre une grande région nord et est-atlantique jusqu’à, la région subantarctique et les grands bassins ouest-atlantiques. Certaines espèces ont une répartition mondiale, on les retrouve également dans l’océan Indien et le Pacifique. Les divers types d’organisation des Tunicieus ET LEUR RÉPARTITION SELON LA PROFONDEUR Cette étude ne peut être tentée que sur la radiale nord où nous disposons de quatre stations suffisamment différentes. Il n’est pas possible de mettre en évidence une succession de faunes, un remplacement de certaines espèces par d’autres. Nous avons déjà vu qu’il s’agissait surtout d’un enrichissement progressif de la faune avec la profondeur. Dans un travail précédent (1975) nous avons défini cinq groupes de Tuniciers abyssaux à partir de leur mode de nutrition, celui-ci n’ayant pas toujours de rapport avec la position systématique des animaux. Nous les rappellerons ici : 1. Les espèces à branchie ciliée normale qui se nourrissent selon le même processus de filtration que les espèces littorales et qui appartiennent à des genres littoraux. 2. Des espèces naines à branchie ciliée simplifiée qui filtrent l’eau mais qui par régression et néoténie constituent des genres typiquement abyssaux : Bathystyeloides, Dicarpa, Mini- pern, Bathypyura ainsi que des genres d’Agnesiidae. 3. Des espèces pédonculées de grande taille (plusieurs cm) dont les branchies non ciliées n'ont pas de stigmates, mais qui gardent une alimentation micropliage. Ces genres, Culeolus, Bathyoncus, Fungulus etc., appartiennent à toutes les grandes familles d’Ascidies. 4. Des animaux très modifiés dont le siphon buccal est hypertrophié et la branchie, très réduite, non ciliée. Ces animaux « pièges » sont capables d’ingérer de petits Invertébrés divers et ont une alimentation mixte micro et macrophage. Ils constituent la famille des Octacnemidae qui est inconnue dans la zone littorale. 5. Des animaux exclusivement macrophages, sans branchie, qui forment la classe des Sorberacea. La répartition de ces divers groupes trophiques semble liée à la pente du fond, donc à la profondeur (tabl. X, fig. 4) non seulement dans le golfe de Gascogne mais dans tous les bassins atlantiques étudiés. La présence des Octacnemidae (g. Dicopia, Situla, Octacnemus) semble liée, dans le golfe de Gascogne, à la pente du talus continental et au début de la plaine abyssale. Le nombre de spécimens aux stations 1 et 2 est équivalent bien que le pourcentage par rapport à l’en¬ semble des Tuniciers soit écrasant dans la station 1 (tabl. X, fig. 4). Les Octacnemidae disparaissent plus au large, mais il peut s’agir d’un hasard des récoltes. En effet, au cours de la campagne Biaçores nous en avons trouvé des exemplaires à mi-chemin entre Brest et les Açores. Ils sont moins abondants sur la plaine abyssale, mais ils réapparaissent dans les fosses océaniques (Vinogradova, 1969, 1975). 5 716 CLAUDE MONNIOT ET FRANÇOISE MONNIOT Tableau X. — Répartition verticale des Tuniciers en fonction de leur régime alimentaire. Station Prof. Br. normale Br. simplifiée Grandes mailles OCTACNEMIDAE SORBERACEA (m) NON CILIÉES i 2 000 15 % (0,3) 5% (0,2) — 79 0/ /O (1,4) 1 % (0,02) 2 3 000 46 % (11) 7% (1,7) 1% (0,2) 6% (1,4) 40 % (9,6) 3 4 200 10% (4,6) 67% (31) 4% (1,8) 0,3 % (0,1) 19 % (8,8) 4 4 700 20% (4,6) 60 % (13,8) 17% (3,9) - - 2% (0,5) 5 4 400 79 % (5,1) 19% (1,2) — - - 2% (0,1) 6 2 000 68% (1,4) 10% (0,2) — 16% (0,3) 5% (0,1) Entre parenthèses : nombre moyen d’individus par drague Les Sorberacés sont très abondants aux stations 2 et 3 puis deviennent moins fréquents en station 4. Là encore il semble bien que le phénomène soit local puisque dans l’Ouest- Àtlantique ces animaux sont particulièrement abondants très au large entre les Bermudes et Woods Hole ou au centre du bassin argentin (Monniot et Monniot, 1976). Les Ascidies pédonculées à branchie sans stigmates ciliés de grande taille, ou les formes naines régressées à branchie normale mais simplifiée, représentent la plus grande part de la faune de Tuniciers sur la plaine abyssale, 70 à 77 % aux stations 3 et 4. Ce sont sans aucun doute des formes adaptées que l’on trouve d’ailleurs dans toutes les familles d’Ascidies. Ces Tuniciers modifiés se rencontrent rarement sur les pentes et dans les zones où les apports terrigènes sont importants (radiale sud). Les Ascidies à branchie normale, semblables à leurs homologues côtières, n’appartien¬ nent cependant pas à des espèces littorales. Ce sont des formes sans modifications parti¬ culières, si ce n’est une taille réduite. On les trouve dans toutes les stations mais elles sont plus rares à la fois à faible profondeur en station 1 et à grande profondeur en station 4. Leur abondance à la station 2 est due à Polycarpa biscayensis qui vit en populations denses semble-t-il. La répartition en taches denses semble être le cas de beaucoup de Polycarpa de moyenne profondeur dans les divers bassins atlantiques. Le genre Polycarpa à l’exception de P. pseudoalbatrossi, semble surtout lié à la pente du talus continental ; sur la plaine abys¬ sale il est remplacé par les genres proches Cnemidocarpa (C. bythia) et Styela (S. crinita, S. caloa). Le genre Molguloides (. M. crenatum) apparaît sur la plaine abyssale. Les Molgu- lidae en général ne font leur apparition que sur la plaine abyssale et cela également dans les autres bassins atlantiques. Densité des Tuniciers La densité des Tuniciers ne peut être calculée qu’à partir des dragues dont la maille est inférieure au diamètre des animaux et dont le trajet sur le fond est connu. En fait, comme TUNICIERS BENTHIQUES PROFONDS 717 nous l’avons déjà, dit, la récolte des animaux n’est pas totale mais les stations peuvent être comparées entre elles, sachant que les densités obtenues sont très en dessous des densités réelles. Pour avoir une idée chiffrée de la densité de Tuniciers aux différentes stations nous avons pris dans chacune les chiffres correspondant à la meilleure drague et la moyenne de ceux correspondant à toutes les dragues de cette station. Les résultats figurent dans le tabl. XI. Tableau XL - Densité des Tuniciers calculée à partir des dragues épibenthiques. Station Prof, (m] | Nb. MAX. Tira. DS 1 DRAGUE Nb. moy. Tun. DS 1 DRAGUE Densité m 2 MEILLEURE DR. Densité m 2 MOY. DES DR. 1 2 000 16 1,8 0,04 0,0004 2 3 000 102 21 0,14 0,03 3 4 200 131 45 0,3 0,09 4 4 700 88 23 0,08 0,03 5 4 400 44 7,2 0,04 0,01 6 2 000 8 2 dist. parcourue inconnue 0,003 Il apparaît immédiatement que la densité des Tuniciers augmente avec la profondeur jusqu’à 4 000 m et ne diminue que peu ensuite. La valeur maximale obtenue pour une drague provient de la station 3 où elle représente 0,3 individus au m 2 . Cette densité calculée est certainement inférieure à la densité réelle. En effet les carottiers ont rapporté deux fois une Ascidie, l’un en station 2 l’autre en station 3. Dans les deux cas 5 carottiers de 0,06 m 2 ont été triés. La chance de prélever un Tunicier avec cet engin devrait théoriquement être faible. Aussi insuffisantes que soient les dragues épibenthiques utilisées elles permettent cepen¬ dant de montrer que la densité des Tuniciers augmente sensiblement avec la profondeur aussi bien le long de la radiale nord que sur la radiale sud. Cette évaluation devrait permettre l’amélioration des procédés de récolte. Il est probable que la drague pénètre trop profon¬ dément dans le sédiment et qu’elle s’emplit trop vite, la plus grande partie du trajet devient alors inutile. La vitesse de trait peut également intervenir, si l’allure est trop rapide les ani¬ maux peuvent être dégorgés par la drague. Cycles Il n’a pas été possible de mettre en évidence une période de l’année montrant des caractéristiques biologiques particulières chez les Tuniciers. Les différentes campagnes 718 CLAUDE MONNIOT ET FRANÇOISE MONNIOT ont eu lieu durant les mois de février, avril, juin, août, septembre-octobre, novembre. Les proportions d’animaux adultes par rapport aux individus immatures ont toujours été sen¬ siblement les mêmes et les variations entre différentes campagnes ne sont pas plus impor¬ tantes qu’entre divers prélèvements d’une même campagne. Pour une espèce donnée, la maturité sexuelle est toujours atteinte à, la même taille. A partir de 1 acquisition des gonades, 1 animal semble fournir des éléments reproducteurs de façon continue, alternativement mâles et femelles pour certaines espèces, ou simultané¬ ment pour d autres. Nous n avons jamais trouvé d’animaux adultes avec des gonades tota¬ lement au repos comme on en trouve dans la zone littorale. La reproduction aurait donc lieu de façon continue à partir du moment où les animaux ont une taille suffisante pour acquérir des gonades. Conclusions L ensemble des campagnes Biogas a présenté de multiples intérêts pour l’étude des Tuniciers abyssaux. La présence de très nombreux Tuniciers sur les sédiments profonds se trouve confirmée ainsi que leur diversité spécifique équivalente sinon supérieure à celle des milieux littoraux les plus riches. Le grand nombre d individus récoltés a permis non seulement une systématique précise, mais il a donné une confirmation à des hypothèses biologiques. Des contenus stomacaux ont été analysés régulièrement. Ils ont montré que l'on pouvait répartir les Tuniciers en différents groupes trophiques bien individualisés. Chacun de ces groupes a une répartition en profondeur qui lui est propre. Les indications que 1 on possède sur d autres régions de l’Atlantique permettent de penser qu’à une exception près (les Sorberacea) les conclusions données pour Biogas peuvent être généralisées. Il existe deux faunes de Tuniciers abyssaux : l’une liée à la pente du pla¬ teau continental dont 1 abondance décroît avec la profondeur et une autre, numériquement plus importante, typiquement abyssale, ayant développé des adaptations trophiques pour vivre dans ce milieu particulier. Des études de densité, de micro-répartition sur le fond ont donné quelques résultats et prouvent que si la faune de Tuniciers est abondante, elle est inégalement répartie. La faune du golfe de Gascogne permet de comparer maintenant le bassin européen aux autres bassins de 1 Atlantique et même de déterminer les affinités qui existent entre divers bassins. L’emploi répétitif des différents engins de pêche sur les mêmes fonds permet d’envisager des améliorations techniques pour mieux écrémer le sédiment. Il n’a malheureusement pas été possible, au cours des campagnes Biogas, de récolter les larves des Tuniciers abyssaux qui restent absolument inconnues puisque toutes les espèces récoltées sont ovipares. La composition de la faune de Tuniciers, comparée à celle des autres campagnes s’avère un peu différente, surtout par rapport à la faune située plus au large. Il serait nécessaire maintenant d effectuer quelques radiales en dehors du golfe de Gascogne, qui prolongeraient utilement le programme Biogas. TUNICIERS BENTHIQUES PROFONDS 719 RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES Auffret, G. A., L. Pastouret, P. Chardy, et R. Kerbrat, 1976. — Observations sur les fonds marins de la marge continentale et de la plaine abyssale du Golfe de Gascogne. Bull. Union Oceanogr. France, 7 (3-4) : 18. Chardy, P., 1975. — Les Isopodes asellotes de la plaine abyssale atlantique, exploitation mathé¬ matique des données. Thèse Paris. Laubier, L., J. Martinais, et D. Reyss, 1971. — Opérations de dragages en mer profonde. Opti¬ mation du traict et détermination des trajectoires grâce aux techniques ultrasonores. Rap. sci. techn. C.N.E.X.O., 3 : 1-25. Monniot, C., et F. Monniot, 1973. — Ascidies abyssales récoltées au cours de la campagne océano¬ graphique Biaçores par le « Jean Charcot ». Bull. Mus. natn. Ilist. nat., Paris, 3 e sér., n° 121, Zool. 93 : 389-475. Monniot, C., et F. Monniot, 1974. — Ascidies abyssales récoltées par le « Jean Charcot » (campagnes Noratlante, Walda. Polygas A). Bull. Mus. natn. Hist. nat., Paris, 3 e sér., n° 226, Zool. 154 : 721-786. Monniot, C., et F. Monniot, 1975. — An ecological paradox : abyssal Tunicates. Annls Inst, océanogr., Paris, 51 (1) : 99-129. Monniot, C., et F. Monniot, 1975. — The feeding behaviour of abyssal tunicates. Proc. 9th Europ. mar. biol. Symp., 357-362. Monniot, C., et F. Monniot, 1976. — Quelques Ascidies bathyales et abyssales du Sud-Est Atlan¬ tique. Bull. Mus. natn. Hist. nat., Paris, 3 e sér., n° 387, Zool. 269 : 671-680. Monniot, C., et F. Monniot, 1977. — Quelques Ascidies abyssales du Sud-Ouest de l’Océan Indien. C.N.F.R.A. , 42 : 305-327. Monniot, C, et F. Monniot, 1978. — Recent work on deep sea Tunicates. Océanog. mar. Biol., 16 (sous presse). Monniot, C., F. Monniot et F. Gaill, 1975. — Les Sorberacea : une nouvelle classe de Tuniciers. Archs Zool. exp. gén., 116 (1) : 77-122. Monniot, C., F. Monniot, et R. II. Mili.ar. 1977. — An account of six species of abyssal Styelidae (Ascidiacea). Three of wich are new species. Deep Sea lies., 23 : 1187-1197. Vinogradova, N. G., 1969+ — On the finding of new aberrant ascidian in the ultrabyssal of the Kuriles-Kamtchatka trench. Priroda, 74 : 27-43. — 1975. — On the discovery of two new species of an aberrant deep-water Ascidiacean genus Situla in the South Sandwich Trench. Trans. Shirshoa hist. Océan. Moscow, 103 : 289-306. Manuscrit déposé le 3 décembre 1976. Bull. Mus. natn. Ilist. nat., Paris, 3 e sér., n° 466, juillet-août 1977, Zoologie 323 : 695-719. Achevé d’imprimer le 15 décembre 1977. Polycarpa itéra n. sp., Ascidie profonde du sud-ouest de l’Irlande par Claude Monniot et Françoise Monniot * Résumé. — Une nouvelle espèce de Styelidae est décrite. Le nombre élevé de spécimens récol¬ tés par le navire océanographique américain « Chain » confirme l’hypothèse selon laquelle les espèces de Polycarpa bathyales peuvent vivre en populations denses. Abstract. — A new species of Styelidae is described. The large number of specimens collected bv the US vessel « Chain » corroborâtes the hypothesis of bathyal Polycarpa species being able to live in dense populations. Cette espèce vit sur la pente du plateau continental. Une population dense, 1284 indi¬ vidus dans une seule drague, a été récoltée par la campagne américaine n° 106 du « Chain » à une profondeur de 1 491 à 1 500 m à 51°32’2N et 12°35’9W. Cette population semble équivalente à celle de Polycarpa biscayensis sur la bordure nord du golfe de Gascogne. Polvcarpa itéra n. sp. (Fig. 1) Lames Sl-826 à 828, Flacon Sl-FOL. B-41. L’animal se présente sous la forme d’une sphère de 1 à 4 mm de diamètre. Il est couvert de vase fine et de foraminifères. Les siphons sont larges, rapprochés l’un de l’autre et aussi couverts de vase. Ils peuvent être saillants ou non. Sur la partie postérieure du corps se développe un bouquet de rhizoïdes inégaux. L’un d’entre eux est parfois beaucoup plus développé. Les rhizoïdes peuvent mesurer jusqu’à 5 mm de long et emmêlés ils peuvent simuler une sorte de pédoncule. La tunique est souple. Le manteau ne laisse voir qu’une musculature diffuse. On compte vingt à trente tentacules coronaux longs et fins qui peuvent sortir par le siphon buccal. Cet état est d’ailleurs fréquent chez les Styelidae profondes et provient cer¬ tainement d’une décompression rapide. Les tentacules sont unis à leur base par un court vélum. Le sillon péricoronal est circulaire et peu mdenté au niveau du tubercule vibratile. Ce dernier saillant a une ouverture circulaire. Le raphé entier est élevé. La branchie forme deux à trois plis de chaque côté G. R. 0 8 0 6 1 3 0 E. D. R. 0 10 2 7 0 3 0 E. * Laboratoire de Biologie des Invertébrés marins et Malacologie, Muséum national d’Hisloire naturelle, 55 rue de Buffon, 75005 Paris. 722 CLAUDE MONNIOT ET FRANÇOISE MONNIOT Fig. 1. — Polycarpa itéra n. sp. : A, exemplaire ouvert, Franchie enlevée ; B, détail de l’espace dorsal situé entre les siphons. Les plis branchiaux sont bas et représentent plutôt des groupements de sinus. Les stigmates sont allongés et parfois recoupés par des sinus parastigmatiques. Ils sont au nom¬ bre de deux ou trois par maille entre les plis et de un sous les plis. II existe un grand espace entre le raphé et le premier pli à droite. Cet espace contient de six à dix stigmates. On observe à. la partie postérieure de la branchie des fragments de protostigmates. Le tube digestif (fig. 1, A) forme une boucle courte fermée. L’œsophage court donne accès à un estomac globuleux marqué d’une douzaine de sillons. Le cæcum est très petit en bouton. L’intestin est court et l’anus lobé. Il y a deux gonades de chaque, côté (fig. 1, A) formées de deux lobules mâles et d’un petit ovaire. Les canaux génitaux sont très courts. Il existe trois endocarpes à droite et deux à gauche. Le siphon cloacal est situé très près du siphon buccal (fig. 1, B). Il est bordé par un court vélum digité. Un cercle de tentacules cloacaux s’insère à la base du vélum. Cette espèce présente des caractères un peu intermédiaires entre P. biscayensis du golfe de Gascogne et P. albatrossi de la plaine abyssale ouest-atlantique. Cette dernière espèce, plus grande, possède une cinquantaine de tentacules coronaux, quatre plis branchiaux, au moins quatre gonades sur la face droite et de nombreux endocarpes. Le tube digestif et la structure du vélum cloacal sont identiques dans les deux espèces. Manuscrit déposé le 3 décembre 1976. IMPRIMERIE Achevé d'imprimer le 15 décembre 1977. NATIONALE 7 564 003 5 Recommandations aux auteurs Les articles à publier doivent être adressés directement au Secrétariat du Bulletin du Muséum national d’Histoire naturelle, 57, rue Cuvier, 75005 Paris. Ils seront accompa¬ gnés d’un résumé en une ou plusieurs langues. L’adresse du Laboratoire dans lequel le travail a été effectué figurera sur la première page, en note infrapaginale. Le texte doit être dactylographié à double interligne, avec une marge suffisante, recto seulement. Pas de mots en majuscules, pas de soulignages (à l’exception des noms de genres et d’espèces soulignés d’un trait). Il convient de numéroter les tableaux et de leur donner un titre ; les tableaux compli¬ qués devront être préparés de façon à pouvoir être clichés comme une figure. Les références bibliographiques apparaîtront selon les modèles suivants : Bauchot, M.-L., J. Daget, J.-C. Hureau et Th. Monod, 1970. — Le problème des « auteurs secondaires » en taxionomie. Bull. Mus. Hist. nat., Paris, 2 e sér., 42 (2) : 301-304. Tinbergen, N., 1952. — The study of instinct. Oxford, Clarendon Press, 228 p. Les dessins et cartes doivent être faits sur bristol blanc ou calque, à l’encre de chine. Envoyer les originaux. Les photographies seront le plus nettes possible, sur papier brillant, et normalement contrastées. L’emplacement des figures sera indiqué dans la marge et les légendes seront regroupées à la fin du texte, sur un feuillet séparé. Un auteur ne pourra publier plus de 100 pages imprimées par an dans le Bulletin, en une ou plusieurs fois. Une seule épreuve sera envoyée à l’auteur qui devra la retourner dans les quatre jours au Secrétariat, avec son manuscrit. Les « corrections d’auteurs » (modifications ou addi¬ tions de texte) trop nombreuses, et non justifiées par une information de dernière heure, pourront être facturées aux auteurs. Ceux-ci recevront gratuitement 50 exemplaires imprimés de leur travail. 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