BULLETIN du MUSÉUM NATIONAL d’HISTOIRE NATURELLE PUBLICATION BIMESTRIELLE zoologie N° 188 SEPTEMBRE-OCTOBRE 1973 127 BULLETIN du MUSÉUM NATIONAL D’HISTOIRE NATURELLE 57, rue Cuvier, 75005 Paris Directeur : P r M. Vachon. Comité directeur : P rs Y. Le Grand, C. Lévi, J. Dorst. Rédacteur général : Dr. M.-L. Bauchot. Secrétaire de rédaction : M me P. Dupérier. Conseiller pour l’illustration : Dr. N. Halle. Le Bulletin du Muséum national d’Histoire naturelle, revue bimestrielle, paraît depuis 1895 et publie des travaux originaux relatifs aux diverses branches de la Science. Les tomes 1 à 34 (1895-1928), constituant la l re série, et les tomes 35 à 42 (1929-1970), constituant la 2 e série, étaient formés de fascicules regroupant des articles divers. A partir de 1971, le Bulletin 3 e série est divisé en six sections (Zoologie — Botanique — Sciences de la Terre — Sciences de l’Homme — Sciences physico-chimiques — Écologie générale) et les articles paraissent, en principe, par fascicules séparés. S’adresser : — pour les échanges, à la Bibliothèque centrale du Muséum national d’His- toire naturelle, 38, rue Geofîroy-Saint-IIilaire, 75005 Paris (C.C.P., Paris 9062-62) ; — pour les abonnements et les achats au numéro, à la Librairie du Muséum 36, rue Geoffroy-Saint-Hilaire, 75005 Paris (C.C.P., Paris 17591-12 — Crédit Lyonnais, agence Y-425) ; — pour tout ce qui concerne la rédaction, au Secrétariat du Bulletin, 57, rue Cuvier, 75005 Paris. Abonnements pour l’année 1973 Abonnement général : France, 360 F ; Étranger, 396 F. Zoologie : France, 250 F ; Étranger, 275 F. Sciences de la Terre : France, 60 F ; Étranger, 66 F. Écologie générale : France, 60 F ; Étranger, 66 F. Botanique : France, 60 F ; Étranger, 66 F. Sciences physico-chimiques : France, 15 F ; Etranger, 16 F. International Standard Serial Number (ISSN) : 0027-4070. BULLETIN DU MUSÉUM NATIONAL D’HISTOIRE NATURELLE 3 e série, n° 188, septembre-octobre 1973, Zoologie 127 L’encéphale de l’Euprocte des Pyrénées, Euproctus asper (Dugès, 1852) (Amphibia, Caudata, Salamandridae) La relation encéphalo-somatique et le dimorphisme sexuel par Michel Tiiireau * Résumé. — Cette étude est réalisée sur deux échantillons de l’Euprocte des Pyrénées : Euproctus asper castelmouliensis Wolt. (n = 33) et Euproctus asper asper Dug. (n = 9) prélevés au cours de l’été dans deux localités différentes. L’illustration en vue externe de l’encéphale est suivie de l’analyse statistique des diverses données pondérales (somatique Ps, encéphalique Pe) et métriques (longueurs museau-cloaque a, cloaque-pointe de la queue b, totale c), ce travail constituant l’étape préalable à des recherches de neuroanatomie quantitative chez les Urodèles. L’analyse de la variabilité des mesures met en évidence un fort dimorphisme sexuel pondéral. Le calcul du coefficient d’allométrie de la relation Pe/Ps chez Euproctus asper castelmouliensis Wolt., par la méthode de l’axe majeur réduit, fournit une valeur AMR = 0,406 sensiblement diffé¬ rente de celle (AMR = 0,48) qui a été récemment trouvée chez Salamandra salamandra fastuosa Schreiber (n = 82). Pour Euproctus asper castelmouliensis Wolt., la variabilité intrinsèque du poids encéphalique Pe est de l’ordre de 6,7 % de sa valeur moyenne. L’analyse par sexe de la relation Pe/Ps a montré une différence d’allométrie dont la signification est discutée. La comparaison des diverses relations Pe/valeurs métriques et valeurs métriques/Ps chez Euproctus asper castelmouliensis Wolt., montre que la longueur museau-cloaque a doit être retenue à la place du poids somatique Ps, mais l’analyse par sexe de la relation P e/a révèle une mauvaise corrélation (r = 0,3857! chez les mâles ; aussi, le poids somatique est-il la meilleure grandeur de référenee. Les caractéristiques pondérales retenues en vue d’études interspécifiques sont pour Euproc- tus asper castelmouliensis Wolt. Ps = 60,10 dg et Pe = 25,19 mg ; pour Euproctus asper asper Dug- Ps = 70,44 dg et Pe = 25,33 mg. Enfin, le calcul d’indices encéphaliques isopondéraux et isométriques ne permet pas de con¬ clure à l’existence d’un dimorphisme sexuel vrai du poids encéphalique d ’Euproctus asper castel¬ mouliensis Wolt. Abstract. — This study is based on two samplings of Euproctus of the Pyrénées : Euproctus asper castelmouliensis Wolt. (n = 33) and E. a. asper Dug. (n = 9), collected in summer from two different localities. The illustration of the brain in external view is followed by statistical analysis of various weight (somatic Ps, encephalic Pe) and metric (snout-vent a, vent-tail tip b, total c) data, this work constituting the preliminary stage of quantitative neuroanatomical researclies in Urodeles. Analysis of the variability of measurements shows a st.rong sexual dimorphism in weight. Cal¬ culation of the coefficient of allometry of the Pe/Ps function in E. a. castelmouliensis, by the method of reduced major axis, furnishes a value AMR = 0,406 obviously different from that found recently * Laboratoire de Zoologie (Reptiles et Poissons), Muséum national d’Histoire naturelle, 57, rue Cuvier, 75005 Paris et Laboratoire de Neuroanatomie comparée, Université de Paris VII, 2, place Jussieu, 75005 Paris. 188 , 1 1498 MICHEL THIREAU in Salamandra s. fastuosa Schreiber (AMR = 0,48), n = 82. For E. a. castelmouliensis, the intrin- sic variation of the brain weight Pe is of the order of 6,7 % of its mean value. The analysis of the Pe/Ps function by sex showed a différence of allometry whose significance is discussed. The comparison of the diverse Pe/metric value and metric value/Ps relationships in E. a. cas¬ telmouliensis shows that the snout-vent length a must be retained in lieu of the somatic weight Ps, but the analysis by sex of the Peja relationship reveals a bad corrélation (r = 0,3857) in the males ; also, the somatic weight is the best standard of reference. The weight characteristics retained in view of the interspecific studies are for E. a. castelmou¬ liensis Ps = 60,10 dg and Pe = 25,19 ni g ; for E. a. as per Ps = 70,44 dg and Pe = 25,33 mg. Finally, the calculation of the isoponderal and isométrie encephalic indices does not permit concluding the existence of truc sexual dimorphism in the encephalic weight of E. a. castelmoulien¬ sis. Introduction Des études récentes sur les Insectivores (Bauchot et Stephan, 1964) et les Reptiles Sauriens (Platel et Bauchot, 1970 ; Platel, 1972) ont permis de mettre en évidence des coefficients d’allométric différents pour la relation pondérale encéphalo-somatique intra- spécifique moyenne (Pe/Ps) : CR (coefficient de régression) = 0,23 pour les Insectivores de base et CR = 0,392 pour les Reptiles Sauriens. Il convenait alors de rechercher ce qu'il en était dans les autres ordres de Vertébrés, par l’étude intraspécifîque (Pe/Ps) d’un Oiseau (Platel, Bauchot et Delfini, 1973), de Poissons (Bauchot, Platel, Ridet et Thireau, 1973; Ridet, Bauchot, Delfini, Platel et Thireau, 1973) et d'un Amphibien (Thi¬ reau, Bauchot, Platel et Ridet, 1973). Ces études confirmèrent en particulier l’exis¬ tence d’une différence de valeur du coefficient d’allométrie et elles accréditent l’hypothèse lui accordant une signification évolutive. Mais il reste encore à définir la valeur moyenne de ce coefficient dans chaque ordre pour apporter des garanties suffisantes. Ce travail sur l’Euprocte des Pyrénées s’inscrit dans une série d’études sur les Uro- dèles dont le but est de fournir des résultats préalables à des études de neuroanatomie quantitative. Comme chez la Salamandre (Thireau, Bauchot, Platel et Ridet, 1973), nous allons principalement analyser la relation pondérale encéphalo-somatique et rechercher une grandeur de référence métrique, capable de se substituer au poids somatique ; ce sera l’occasion aussi d’apprécier les répercussions du dimorphisme sexuel de l’Euprocte des Pyrénées. En effet, à l’encontre de ce qui avait été trouvé chez l’Agame (Bauchot, Pla¬ tel et Petermann, 1972), l’étude de la Salamandre devait laisser soupçonner l’existence d’un dimorphisme sexuel vrai du poids encéphalique. L’étude de l’Euprocte des Pyrénées est intéressante à cet égard, car cette espèce présente un fort dimorphisme sexuel externe de la région eloacale surtout, de l’aspect de la queue et de la tête. Matériel et mesures L’Euprocte des Pyrénées, Euproctus as per (Dugès, 1852), présente des formes locales (Woltf.rstorff, 1925), diversement reconnues par les auteurs modernes. Nous suivrons la terminologie de Mertens et Wermuth, 1960, ou Steward, 1969, qui reconnaissent deux l’encéphale DE l’eüPROCTE DES PYRÉNÉES 1499 Tableau I Ensemble des données numériques d ’ Euproctus asper castelmouliensis Wolt. N» Sexe Ps Pe a b C 01 F 52,8 22,3 63 59 122 02 F 48,0 24,3 62 56 118 03 M 93,7 29,7 67 56 123 04 M 85,3 30,6 63 52 115 05 M 68,0 25,8 62 52 114 06 F 44,8 20,2 60 46 106 07 M 81,5 26,9 61 50 111 08 F 48,3 22,5 61 49 110 09 F 39,0 21,8 57 47 104 10 F 37,2 18,6 53 49 102 11 M 83,3 28,5 68 53 121 12 M 90,2 27,3 67 57 124 13 M 66,4 25,8 62 50 112 14 F 67,8 27,5 68 62 130 15 M 70,0 24,9 64 51 115 16 F 51,2 21,5 62 50 112 17 F 55,3 24,2 65 55 120 18 F 49,2 22,6 61 52 113 19 M 79,8 29,5 66 54 120 20 F 46,3 22,5 65 55 120 21 M 78,6 24,1 70 63 123 22 M 65,0 23,0 62 51 113 23 F 49,0 25,7 69 57 126 24 F 68,9 24,1 66 58 124 25 M 58,0 24,0 56 43 99 26 M 68,0 25,4 60 53 113 27 M 76,0 26,0 62 53 115 28 F 49,0 25,0 62 52 114 29 F 51,0 24,3 65 53 118 30 F 49,0 22,3 61 46 107 31 F 33,4 20,4 54 45 99 32 F 40,3 22,5 55 48 103 33 F 39,0 23,8 60 53 113 Ensemble des données numériques d ' Euproctus asper asper Dug. N° Sexe Ps Pe a b C 65,5 23,1 61 55 116 50,0 21,6 57 52 109 55,5 21,4 60 49 109 01 02 03 F F F 188, 2 1500 MICHEL THIREAU Sexe Ps Pe a b C 04 F 66,0 22,7 64 51 115 05 M 75,0 29,8 60 50 110 06 F 62,0 22,5 61 47 108 07 M 88,0 28,7 62 52 114 08 M 86,0 29,4 62 52 114 09 M 86,0 28,8 64 53 117 N° : numéro d’inventaire ; M : mâle ; F : femelle ; Ps : poids somatique (dg) ; Pe : poids encéphalique (mg) ; a : longueur museau-cloaque (mm) ; b : longueur de la queue (mm) ; c : longueur totale (mm). sous-espèces : Euproctus asper asper (Dugès, 1852) et Euproctus asper castelmouliensis Wolterstorfï, 1925. Cette nomenclature trinominale n’est pas retenue, en particulier par Thorn, 1969, et Clergue-Gazeatj, 1972. Notre travail porte sur deux séries prélevées au hasard, parmi des populations géographiquement distinctes de chaque sous-espèce de l’Euprocte. Neuf individus d’Euproctus asper asper (Dugès) (tabl. I) ont été récoltés le 23 août a a Fig. 1. — Vues ventrales d’un mâle et d’une femelle d’Euproctus asper castelmouliensis Wolt., avec indi¬ cation des mesures effectuées. Longueur museau-cloaque (a), longueur cloaque-pointe de la queue (b longueur totale (c). l’encéphale DE l’eUPROCTE DES PYRÉNÉES 1501 1971, dans un affluent du Garbet, près d’Aulus-les-Bains (Ariège), au cours de la mission MNHN 249 B. L’examen du mamelon cloacal (Despax, 1923) et des gonades permet de reconnaître 5 femelles et 4 mâles. Le poids somatique des femelles n’a pas été pondéré ; le poids des gonades n’a pas été retiré. La pesée des animaux s’effectue au demi-décigramme près, soit avec une précision de l’ordre de 1 %. Trente-trois individus d’Euproctus asper castelmouliensis Wolterstorff (tabl. II) ont été récoltés le 5 août 1972, dans le torrent de Castelmouly, près de Bagnères-de-Bigorre (Hautes-Pyrénées), au cours de la mission MNHN 207 B. Comme précédemment, nous avons reconnu les individus des deux sexes, soit 19 femelles et 14 mâles. Le poids soma¬ tique des femelles a été diminué du poids des gonades, le poids somatique « corrigé » ainsi obtenu étant seul retenu dans les calculs. Sa mesure se fait au centigramme près, soit avec une précision d’environ 0,2 % 0 . Tous les Euproctes ont été mesurés le dos placé sur une feuille de papier millimétré (fig. 1). La longueur totale c a été estimée au millimètre près, soit avec une précision de l’ordre de 1 %. L’ouverture cloacale a servi de point de repère pour les deux autres mesures a et b. Chez le mâle, sa commissure antérieure permet de distinguer la limite du tronc et de la queue. Chez la femelle, l’ouverture cloacale est petite, circulaire, située au sommet d’un mamelon cloacal allongé et projeté vers l’arrière ; la base de ce mamelon correspond à la limite du tronc et de la queue. L’ouverture cloacale est un repère précis que nous rete¬ nons dans la mesure de a , longueur museau-cloaque, et de b, longueur cloaque-pointe de la queue. La longueur a est appréciée au millimètre près, soit avec une précision d’envi¬ ron 2 %. La longueur b est déduite par calcul, la précision de sa valeur est évidemment moindre puisqu’il y a addition des erreurs relatives sur a et sur c. L’encéphale de l’Euprocte des Pyrénées subit un protocole de préparation particulier (Thireau, Bauchot, Platel et Ridet, 1973) ; son poids est estimé au dix-millième de gramme près, soit avec une précision d’environ 4 % 0 . L’aspect externe de l’encéphale ne diffère pas qualitativement d’une sous-espèce à l’autre. La figure 2 donne la représentation en vues dorsale, ventrale et latérale gauche de l’encéphale d’ Euproctus asper castelmoulien¬ sis. Son aspect est très voisin de celui de Salamandra Laurenti (Francis, 1934 ; Thireau, Bauchot, Platel et Ridet, 1973) et Pleurodeles Michahelles (Signoret, 1959). L’étude quantitative des grandes structures cérébrales permettra de mettre en évidence les diffé¬ rences interspécifiques qu’un simple examen externe ne permet pas de déceler. Étude de la variabilité pondérale et métrique (Tabl. II) La méthode d’étude de la variabilité a déjà été expliquée dans un article précédent (Bauchot, Platel, Ridet et Thireau, 1973). Elle a été appliquée ici pour chacune des deux sous-espèces d’Euprocte des Pyrénées, en distinguant les trois classes suivantes : ensemble des individus (T), femelles (F) et mâle (M). Au sein d’une même classe, l’erreur standard pour cent (Sm %) du poids somatique (Ps) est toujours la plus élevée, tandis que le poids encéphalique (Pe) a une variabilité beau¬ coup plus faible ; c’est l’une des données pondérales les plus stables de tous les organes (Bauchot, Platel et Petermann, 1972). La variabilité pondérale est supérieure à la 1502 MICHEL TIIIREAU O 1mm. te V Fig. 2. — Dessins de l’encéphale d ’Euproctus asper castelmouliensis Wolt. ; vues dorsale (1), ventrale (2) et latérale gauche (3). a.c., auricule du cervelet ; b.o., bulbe olfactif ; c.o., chiasma optique ; ce., cervelet ; ép., épiphyse ; h.c., hémisphère cérébral ; ha., habénula ; hy., hypophyse ; in., infundibulum ; m.é., moelle épinière ; m.o., medulla oblongata ; n.r., nerf rachidien (l re paire) ; pa., paraphyse ; r.p., région préoptique ; s.i., sillon interhémisphérique ; s.v., sillon ventral de la moelle épinière ; t.m., toit du mésencéphale ; te., tegmentum ; I—X, nerfs crâniens ; 4 e ve., quatrième ventricule. Tableau ii Variabilité pondérale et métrique chez Euproctus asper castelmouliensis. 33 M individus a Sm % M 19 femelles ct Sm % M 14 mâles ct Sm % Test de Student t (