LES OEUVRES D E MONSIEUR DE MAUPERTUIS. Digitized by the Internet Archive in 2010 with funding from University of Ottawa * http://www.archive.org/details/c2lesoeuvresdemr00maup LL LES OEUVRES D E Mr. DE MAUPERTUIS. 4 DRESD.E, CHEZ GEORGE CONRAD WALTHER, L I B R A I,R ED .U R+0,. 17 5% À A MONSIEUR DANSE, L AE" KR DIRECTEUR DE LA COMPAGNIE DES INDES À PARIS. “Ja dedie fes Livres à des Princes pour augmenter fa fortune; on les dedie à des Sçavants pour étendre fa reputation: Je vous dedie ce- lui-cy pour fatisfaire les fentiments de mon Coeur, Ce n'eft pas que vous ne puifliez rendre d'aufli grands Services que les Princes, ni que le jugement que vous portez d'un ouvrage, ne pue aflurer la reputation d'un Auteur peut- | a 3 être CENPOUREURUE: être mieux que le jugement qu'en por- tent les Sçavants de Profeffion: mais c’eft que graces à Dieu je ne fuis aflujetti à aucun de ces deux motifs; Et qu’ avec vous je puis avoir un motif plus pur. C'eft de me retracer l'hiftoire de cette Amitié qui dure entre nous depuis fi longtems ; & de comparer enfemble deux vies aufli différentes que les nôtres, malgré ce que jai à perdre dans cette comparaifon. J'ai encor préfent à l'Esprit le moment où, après une Education qui avoit été la même dans cette Ville où nous nous fai- {ons tant d'honneur d’être nés, nous nous feparames. Vous vous deftinates au com- mer- mn Pr Da T K° EÆ merce, je refolus de m’appliquer aux {ciences. Dix ans après nous nous retrouvames. La fortune avoit fecondé la fagefle de toutes vos entreprifes : Et dans la partie même que javois embraflée, vous n'aviez pas fait de moindres progrès, Quoique les connoiflances étrangeres à votre ob- je principal n’euflent été qu'un amufe- ment pour vous, le talent vous avoit aus- fi bien fervi qu'auroit fait l'Etude la plus aflidue, Je n’avois pas eu le même avan- tage : avec beaucoup d'application je n'a- vois que peu avancé dans la carriere des fciences; Et rien n'avoit fuppléé au peu de foin que javois pris de ma fortune, Tel- ELPIME TEMPS Telle étoit la Situation où nous nous trou- -vions par rapport à nous mêmes; celle où nous étions par rapport à la focieté étoit encor plus différente. Après avoir porté jufqu'aux Extremi- tés de l'Afie PEsprit & les vertus de notre Nation, & avoir menagé fes intérets chez le Peuple le plus habile de l'Univers, vous raportiez dans votre Patrie le Ci- toyen le plus utile; Je ne fuis pas aflez vain pour croire que mes travaux foyent jamais d’une grande utilité. Quand mê- me ils auroient eu tout le fuccès qu'ils pouvoient avoir, ils nétoient guères du oeñre de ceux qui peuvent accroître le bonheur d’un Etat. Les ENS CR KR E. Lesfciences auxquelles je me fuis le plus longtems appliqué, nous préfentent le fuperfilu, & nous refufent le neceflaire: elles nous decouvrent quelques verités peu intéreflantes, & laiflent dans les te- nebres celles qui nous intéreflent le plus. Je parle ici des bornes que la nature des chofes met à notre connoïflance ; ilen eft d'autres bien plus etroites que ma pro- pre foiblefle nva prefcrites. | Vous jugerez auxquelles des deux il faut attribuer ce qui manque à mes ouvra- ges : II feroit inutile de vous demander les complaifances de Amitié. Vous mei- rezavec cette juitefle d'Esprit que vous por- tezen tout: Et je ferai content: parce que b vous ER MIT À vous me lirez dans cettedispofition fi rare chez les Lecteurs ordinaires, que lorsque vous trouverez quelque défaut dans mon Livre vous fouhaiteriez qu’il n'y füt pas. Je vous demande cependant grace fur la trop grande varieté des Ouvrages qui forment ce Receuil ; Et jefpere que vous la pardonnerez à la différence des tems où ils ont été écrits. L'’Editeur les vou- loit donner tous : J'ai fupprimé ceux qui étoient purement mathematiques, pour lesquels il faut une langue à part; Et ceux que javois faits dans des tems po- lemiques qui pourroient deplaire à des perfonnes dont aujourd'huy je veux con- {erver l'amitié. TABLE Be AND EYE DES OUVRAGES CONTENUS DANS CE VOLUME. Ta nn Efay de Cosmologie - - - pag. 3 Difcours fur les différentes figures des Aftres 5s Mefure de la Terre au Cercle Polaire - 95 . Elements de Géographie. - - 143 Lettre fur la Comete qui paroïfoit en 1742 - 183 Venus Phyfique - - - 207 Harangue de Mr. de Maupertuis prononcée dans l'Academie Françoife ms |» - 27I Difcours prononce dans l’Academie des Sciences le jour de la naïffance du Roy - - - 277 Des devoirs de l’Academicien + - - 283 b' 2 Eloge Le AYPÈL'E, Eloge de M. de Keyferlingk - - 293 Eloge de M. de Borck = : - 296 Eloge de M. Le Marechal de Schmettau - 299 Relation d’un Voyage fait dans la Lapponie fepten- trionale pour trouver un ancien monument 311 Lettre fur le progrès des Sciences MORTE Reflexions Philofophiques fur l'origine des Lan- gues - ° : - L 353 Effay de Philofophie Morale - - - 369 ESSA# ESS A y DONS MeO"TL"0"CT E Mens agitat Molem. Virgil. Æneid. Lib, VI b 3 PREFACE DE L'ESSAY DE COSMOLOGIE. ns ous les tems il s'ef? trouvé des Philo- Jophes qui ont entrepris d'expliquer le Syfteme du Monde; Mais Jans parler des Phil){pbes de P Antiquité qui Pont tenté, L'un Des- cartes y a fi peu réuffi, fi un Newton y à laifé tant de chofes à defirer, quel Jeru L'homme qui ofèra l’ en- treprendre? Ces voyes fi Jinples, qua fuivies dans fes produétions le Créateur, deviennent pour nous des Lu- byrinthes dès que nous y voulons porter nos pas. Il nous à accordé une lumiére Jufifante pour fout ce qui nous étoit utile, mais 1l femble qu'il ne nous ait permis de voir que dans P obfturité le refte de fon plan. Ce #'eft pas qu'on ne foit parvenu à lier enfemble plufieurs Phenomenes, à les deduire de quelque Phenome- 7e PRET AC'E. ne antérieur, & à les foumettre au Calcul: fins doute méme les tems & l'expérience formeront dans ce genre quelque chofè de plus parfait que tout ce que nous avons. Mais un Syfteme complet, je ne crois pas qu il foit per- is de l'efperer : Samais on ne parviendra à fuivre l'or- dre & la dependance de toutes les parties de l'Univers. Ce que je me Juis propofé ici eft fort différent ; je ne me Jüuis attaché qu'aux premiers principes de la Nature, qu'à ces Loix que nous voyons Ji conftamment obfervées dans tous les Phenomènes, & que nous ne pouvons pas douter qui ne foyent celles que l'Etre fupreme s’elt propo- fées dans la formation de P Univers. Ce font ces Loix que jen'applique d'découvrir, & à puifer dans la Jource infinie de fagefe d’où elles font emanées : je Jerois plus flatté dy avoir réuffl, que ji j'étois parvenu par les calculs les plus dificiles à en Juivre les effets dans tous les détails. Cet ouvrage a effuyé deux fortes de Critiques. Les uns ont femblé vouloir perfuader, que j avois cherché à detruire les preuves de lexiftence de Dieu que la Nature ofireaux yeux de tous les bommes, pour leur en fub/tituer une qui wétoit à la portée que d’un petit nombre: Les autres ont parlé du principe Mctaphifico-Dynamique que PREFTACE. que j'ai decouvert, comme fi ce principe avoit été déja emploié où connu. La gravité du premier reproebe quel. que mal fondé qu'il Joit, ne me permet pas de demeurer dans le filence : l'ignorance ou P'injuftice du Jecond me- ritent qu'on les releve. S°il étoit queftion ici d'examiner Ji pour établir une opinion faufle quon croiroit utile, il feroit permis d’ent- ployer des Argumens fpecieux ; on auroit bientôt ré- pondu, en difant qu'il eft impoffible que le faux foit ja- mais utile. Outre que l'admiflion du faux renver- Jant l'ordre & la Jurcté de nos connoilances nous ren- droit des Etres deraifonnables, s'il eft que/tion de por- ter les hommes à quelque chofè qui foit veritablement utile ; la verité prétera toujours de bons argumens Jäans qu'on foit obligé d’avoir recours au menfonge. Mais nous fommes bien eloignés d'être ici dans ce cas: L Exiflence de Dieu ef? de toutes les verités la plus Jeure: ce qu'il faut examiner, c'eft fi pour demon- trer ünetelle verité, il eft permis d'employer de faux ar- gumens ; ou de donner à des argumens foibles une force qu'ils n'ont pas? Orcette queftion fera auffi d'abord re- Jolue par le principe que nous avons pofé: Le faux ne É pou- PFREFPTACE. pouvant jamais être utile, on ne doit jamais l’employer ; & donner à des preuves plus de force géelles m'ont, étant un efpece de faux, l'on ne doit pas plus Je le permettre. Non feulement des principes contraires degrade- roient la lumiére naturelle ; ils feroient tort aux veri- tés mêmes qu on veut prouver : On rend Jifpeite la ve- rité la plus Jure lorJqu on n’en préfente pas les preuves avec afez de bonne foy ou avec affez de juftefle; C°eft cela que j'ai attaqué dans mon avant-propos ; Cet uniquement cela. Tai d'abord averti, que l'examen que je faifois des preuves de l’exiftence de Dieu ne portoit fur aucune de celles que la Metaphyfique fournit. Quant à celles que la Nature nous offre, je les trouve en fi grand nomt- bre, & de degrés d'evidence fi differens, que je dis qu'il Jeroit peut-étre plus à propos de les faire paller par un examen judicieux, que de les multiplier par un Zele mal entendu: qu'il faut plutôt leur affigner leur veritable degré de force, que leur donner une force imaginaire: Qu'il faut enfin ne pas laifler gliffer par- mices preuves des preuves contraires. Woila ce que J'ai dit. Le PREFACE Le Syfieme entier de la Nature Jufit pour nous conoaincre qu'un Etre infiniment puiffant & infiniment Jageen ft l’Auteur & y préfide : maïs Ji, comme ont fait plufieurs Philojophes, on s'attache Jeulement à quelques parties, nous ferons forcés d'avouer que les Argumens qu'ils en tirent, n’ont pas toute la force qu'ils penfent. Tly a afez de Bon et affez de Beau dans l'Univers pour qu'on ne puifle y méconnoïtre la main de Dieu ; mais cha- que chofe grife à part w'eft pas toñjours affez bonne ni afez belle pour nous la faire reconnoitre. Se n'ai pi m'empecher de relever quelques raifonnc- mens de ces pieux Contemplateurs de la Nature, dont l’Athée fe pourroit fervir aufft bien qu'Eux. J'ai dit que ce n'étoit point par ces petits détails de la conftru- tion d'une plante ou d’un infèéte,par ce parties detachées dont nous ne voyons point affez le raport avec le Tout, qu'il falloit prouver la puiflance & la fageffle du Créa- teur: que c'étoit par des Phénomenes dont la fimplicité E l’Univerfalité ne fouffrent aucune exception. Pendant que par ce difcours je blefois des oreilles füuperftitieufes, & qu'on craignoit que je vouluffe anéantir toutes les preuves de l'exifience de Dieu: D'autres pre- c2 noîent PREFACE noient pour une demonftration Géométrique, celle que je tivois de mon principe. Te tomberois moi méme en quel- que forte dans ce que je reprens, Ji je donnois à cette preuve un genre de force gwelle ne peut avoir. Les Demonfirations Géométriques tout evidentes quelles font, ne Jont point le plus propres à convaincre tous les Efinits. La plupart feront mieux perfuadés par un grand nombre de probabilités que par une Jeule preuve Géométrique, dont la force depend d'ung certaine précilion. Aujfi la Providence n-a t-elle Joumis à ce gen- re de preuves que des verités qui nous étoient en quelque Jorte indifférentes, pendant qu'elle nous a donné les pro- babilités pour nous faire connoître celles qui nous étoi- ent utiles. Et il ne faut pas croire que la fureté qu'on acquert par ce dernier moyen foit inférieure à celle qu'on acquert par l'autre. Un nombre infini de probabilités ef} une demonftration complete, & pour l'Efprit humain la plus forte de toutes les Demonftrations. La Nature fournit abondament ce genre de preuves, & Les fournit par gradation felon les différences des Efprits. Toutes ces preuves n'ont pas la méme force, mais toutes prifes enfemble font plus que Jufifantes pour NOUS PR EFACE, nous convaincre + veut-0n en faire un Choix, On juge mieux du degré de clarté qui appartient à celles qui re- tent: poulle-t-on la Jéverité plus loin, le nombre des preuves diminue encor, & leur lumiére devient plus pure. C’eft ainft que malgré quelques parties de l'Univers dans lefquelles on n'appercoit pas bien l'ordre & la con- venance, le Tout en préfènte affez, pour qu'on ne puiffe douter de l'Exifience d'un Créateur tout puiflant & tout Jage:_ C’eft ain/ique pour ceux qui voudront retran- cher des preuves celles qui peuvent paroître équivoques, ce qui refte eft plus que fufifant pour les convaincre de cette verité: C'eft ainfi enfin que le Philafophe qui la cherche dans les Loix univerfelles de la Nature, la voit encor plus diftinéfement. Voila ce que j'avois à dire fur les ‘preuves de l'Exiftence de Dieu que nous offre la contemplation de P Univers : & penfunt Jur cette importante verité comme je penfe, je ferois bien malheureux fi je n''étois exprimé de maniére à faire naître quelque doute. Fe palfe au Jecond point: j'ai decouvert un princi- pe Metaphi/ique für lequel toutes les Loix du mouvement E du repos Jont fondées. Ÿ'ai fait voir la conformité ca de PRE FACE. de ce principe avec la puiffance & la Jagefle du Créateur € de l'Ordonnateur des chofes. Ce principe eft que dans toutes les Diftributions de mouvement qui fe font dans la Nature, la Quantité d’Aion (qui eft la fomme des produits des Mafles par les Efpaces qu'elles parcourent & par les vitefles avec lefquelles elles les parcourent) étoit toüjours la plus petite qu’il fut poflible: Que dans le Repos, les corps qui fe tenoient en équilibre devoient être pla- cés de maniére que s’il y arrivoit quelque petit mou- vement, la Quantité d’Aétion fut la moindre. Se donnai ce principe duns un Memoire l& le 15 d'Avril 1744. dans l'afjemblée publique de l'Academie Royale des Sciences de Paris, comme les Ales de cette Academie en font foy. M. le Profeffeur Euler donna enfuite à la fin de la même année fon excellent Livre: Methodus inveniendi linças curvas maximi minimive proprietate gauden- tes. Dans le Suplement qui y avoit. été ajouté, cet it luftre Géométre demontre; Que dans les Trajeëtoires, que des Corps decrivent par des forces Centrales, la vite]fe multipliée par l'Element de la Courbe, fait toñjours un Mini- PRE FACE. Minimum. Æf cette remarque me fit d'autant plus de plaifir, qu'elle ejt une belle application de mon principe au mouvement des Planctes ; dont en effet il eft la Regle. Cependant, ceux qui ne font pas affez inftruits dans ces matiéres, ont cr que te ne fuifois ici que rebattre l’ancien Axiome qui porte, que la Nature agit totjours par les voyes les plus fimples. Mais cet Axiome, qui n'en eftun qu'autant que l’Exiftence de Dieu ef? déja prouvée, et fivague que perfonne n'a encor Jr 6 dire en quoi ilconfifte. 1 s’agifloit de tirer toutes les Loix du Mouvement E du repos d'un Jeul principe Metaphifique; ou feule- ment de trouver un principe unique avec lequel toutes ces Loix s'accordaffent: Et les plus grands Philoft- phes l'avoient entrepris. Defiartes s'y trompa ; c'eft affez dire que la chofe étoit difficile : il crut que dans la Nature lamême quantité de mouvement fe confervoit toûjours; Qw'à la rencontre des différentes parties de la Matiere, lx Modification du mouvement étoit telle, que les Maffes multipliées chacune par Ja vitele, formoient toñjours une méme fomme. 1 deduifit de la Jes Loix du Mouvement : L'Expérience les dementit , parce que le principe n'eft pas vray. Leyb- PREFACE. Leybnitz enpritun autre: C'eft que dans la Nature la force vive fe confervoit toûjours la même. C’e/t à dire, que dans le choc des Corps la modification du mou- vement étoit telle, que la fomme des Mafles multipliées cha- cune par le quarré de Ja vite]]e formoit totjours une mé- me Quantité. Ce Théoreme étoit plutôt une fuite de quel ques Loix du mouvement qu'un veritable principe: Et Leybnitz qui avoit totjours promis de l'établir à pri- ori, ne l’a jamais fait. Cette confervation a lieu dans le choc des Corps Elaftiques ; mais comme elle ne l'a plus dans le choc des Corps Durs ; © que non Jeulement on en fauroté deduire les Loix de ces Corps, mais que les Loix qu'ils Juivent dementent cette Confervation, les Leybnitziens ont étéreduits à dire qu'il n'y avoit point de Corps Durs dans la Nature: C'ejt à dire à en exclure les Jeuls Corps peut -étre qui y foyent. Prendra-t-on cette prétendue confervation pour un principe? et pour un principe univerfel? En vain donc jufqu'ici les Philofophes ont-ils cher- ché un principe général des Loix du Mouvement dans une Force inalterable, dans une Quantité qui Je confer- vât la méme dans toutes les Collifions des Corps + ilu'en cf “ PRE FMÛUE. ef? aucune qui foit telle. Mais il en eft une qui quoique produite de nouveau, et créée pour ainfi dire à cha- que inftant, eft toûjours la plus petite qu'il foit poflible. Nemton fentit que cette Force inalterable ne fe trout- œant point dans la Nature; qu'y ayant plus de cas où la Quantité de mouvement diminuoit qu'il y en a où elle augmente, tout le mouvement feroit à la fin detruit ; toute la machine de l'Univers reduite au Repos, ft Jon Auteur de tèms en tems ne la remontoit, et ne lui tut- primoit des forces nouvelles. Leybnitz et fes feéfateurs crurent par leur Force vive mettre les chofès à Pabri de ce peril: cette force qui Je conferve inalter able dans le choc des Corps Elaftiques, leur parut propre à étre cet Agent éternel et immuable, dont, #e voulant point recourir à chaque inftant à la puiffance du Créateur, ils avoient befoin: Mais cette force devant étre diminuée ou detruite dans le choc des Corps Durs, ils furent reduits à dire, Qu'il n’y avoit point de Corps : Dars dans la Nature. Paradoxe le plus etrange auquel L'amour d'un fyfteme ait jamais pi conduire. Car les Corps primitifs, les Corps qui Jont les Elemens de tous les au- tres, peuvent-ils étre autre chofe que des Corps Durs ? d C'étoit PRETUEEr. | C'étoit donc en vain que Deftartes avoit imaginé un Monde qui pt Je paller de la main du Créateur : ce fut en vain auf que Leybnitz fur un autre principe, forma le même projet. Aucune Force, aucune Quantité qu'on puiffe regarder comme caufe dans la difiribution du Mouvement, ne fe conferve inalterable. Tout dans l'Uni- vers fait Jentir la dependance & le befoin où il eft de la préfence de Jon Auteur. Mais ce n'eft pas tout : on voit que cet Auteur eJtun Etre non feulement infiniment puiffant,mais encor infini- ment fage. Les Forces qu'il introduit de nouveau dans la Nature, fonttotjours difhenftes avec la plus grande æco- momie, Aion par laquelle tous les Mouvemens fe produr- Jènt& fe difiribuent, ef? toñjours la plus petite qu'il Joit pofible. Voila FUnivers dans la dependance: le voila foumis à l'Etre fuprème, qui à tous moments v fait écla- ter Ju Jageffe & fa puiflance. Fene parle ici qé'âregret d'un evenement auquel ceb ouvrage a donné lieu; mais ila fait trop de bruit pour que je puiffe me difpenfèr d'en parler. M. Kænig fit paroître PAhmée derniére dans les Aftes de Leypzig une differta- tion dans laquelle ilattaquoit plufieurs articles de cet ou- DI'ULC, FRE I ATCE vrage,& vouloit en attribuer d'autres, auf bien que quel ques Decouvertes de M. Euler, à M. de Leybnitz dont sl citoit le fragment d'une Lettre. M. Kænig Membre de l'Academie attribuant à M. de Leybnitz des chofes que d'autres Acudemiciens avoient données comme d'eux dins des ouvrages leus dans fes Afemblées, & inferés duns fes Memoires, l'Academie fe trouva intéreflee à verifier le Fuit, & à 6" an ce qui appartenoit à chacun. Elles fommr M. K. de produire la Lettre oil dont il avoit cité le fragment: Er le Roy comme Protec- teur de l’Academrie écrivit lui méme à M. M. les Magi- Jtrats de Berne pour les prier de faire la recherche de cette Lettre dans les Jources que M. K. avoit indiquées. Après les per quifitions les plus exactes Meffieurs de Ber- ne affurérent Sa Mujefté par le Certificat le plus authenti- que, qu'il ne s'étoit trouvé aucun veftige de Lettres de M. de Leybnitz. 1} Academie en donna avis à ML. K. Elle lui repeta plufieurs fois fon inftance : & x ayant rect de lui que quelques Lettres,d'abordpour decliner l'obligation où tlétoit de produire l'original qu'on lui demandoit, enfüui- tepour alleguer la difficulté de le trouver ; Après un delai 6 fois PENSE THE E. G fois plus long que le Terme qu Elle lui avoit donné : Elle porta enfin fon jugement *. | S la Lettre de M. de Leybnitz cut en effet exifté; je me Jerois felicité de n'étre rencontré avec un fi grand Homme. eme feliciterois encor d'avantage d'avoir été le premier qui ait fait voir qéily avoit dans la Nature une Loi générale pour determiner le mouvement des Corps Durs, des Corps Elaftiques, enfin de toutes les Subftances Corporelles : Et d’avoir par là delivré la Phi/ofophie de cette étrange propolition ; Qu'in’y avoit point de Corps Durs dans la Nature: 4 laquelle faute de cette Loi une f'ameufe Svéte vouloit la reduire. Ceux qui connoiffent le culte que M. K.rendaunom de A1. de Leybnitz, trouveront qu'il ne pouvoit pas nous faire plus d'honneur que de lui attribuer-une partie de notre ouvrage: Quant aux objettions qu'il a faites contre le refte,les Philofophes & les Géométres jugeront de leur valeur. Mon intention w'eft pas d'y répondre. * Voyez ugement de l'Academie Royale des Sciences & Belles Lettres Jus une Lettre prétendue de M. de Leybnitz. Ou Memoires de l'Academie Ro. Yale des Sciences ES Belles Lettres de Pruffe. Tom. VE d ENP er CAS ESSAY Son DAC AE à hé < D E CON TOM OC LE 1 AVANT-PROPOS. Où l’on examine les preuves de l’exifience de Dieu, sirées des Merveilles de la Nature. oit que nous demeurions renfermés en nous mêmes, foit que nous en fortions pour parcourir les merveilles de l Univers, nous trouvons tant de preuves de l’exiftence d’un Etre tout puiffant & tout fage, qu’il eft en quelque forte plus néceflaire d'en diminuer le nombre que de chercher à laugmenter: qu'il faut du moins faire un choix entre ces preuves, examiner leur force ou leur foibleffe, & ne donner à chacune que le poids qu’elle doit avoir: car on ne peut faire plus de tort à la vérité, qu’en voulant l'appuyer {ur de faux raifonnemens. Je n’exanine point ici l'argument qu’on trouve dans l’idée d’un Etre infini; dans cette idée trop grande pour que nous la puiffions tirer de nôtre propre fond, ou d’aucun autre fond fini, & qui paroit prouver qu’un Etre infiniment parfait exifle. Je ne citerai point ce confentement de tous les hommes fur l'exiftence d’un Dieu, qui a paru une preuve fi forte au Philofophe del’ ancienne Rome (*). Je ne difcute point, s’il eft vrai qu’il y ait quelque peuple qui s’écarte des autres fur cela; fi une poignée d'hommes, qui penferoient autrement que tous les autres habitans de la terre, pourroient faire une exception; ni fi la diverlité, qui peut fe trouver dans les idées, qu’ont de Dieu tous ceux qui ad- mettent fon exiftence, empécheroit de tirer grand avantage de ce confentement, A 2 Enfin C#) Cicer, Tufcul. L, 3, _ 4 AVANT-PROPOS. Enfin je n’inffterai point fur ce qu'on peut conclure de l’in- telligence que nous trouvons en nous mêmes, de ces étincelles de fagefle & de puiflance que nous voyons répandues dans les Etres finis; & qui fuppofent une fource immenfe & éternelle d’où elles tirent leur origine: Tous cés argumens font très forts: mais ce ne font pas ceux de cette efpèce que j examine. De tout tems ceux qui fe {ont appliqués à la contemplation de l'Univers, y ont trouvé des marques de la fageffe & de la puiffance de celui qui le gouverne. - Plus l'étude de la Phyfique a fait de pro- grès, plus ces preuves fe font multipliées. Les uns frappés con- fufémeut des charaétères de Divinité qu’on trouve à tous momens dans la Nature; les autres, par un zèle mal à propos religieux, ont donné à quelques preuves plus de force qu'elles n’en devoient avoir; & quelquefois ont pris pour des preuves ce qui n’en étoit pas. Peut-etre feroit-il permis de fe relacher für la rigueur des argu- mens, fi l’on manquoit de raifons pour établir un Principe utile: mais ici les argumens font affez forts; & le nombre en eft affez grand pour qu'on puiffe en faire l'examen le plus rigide & le choix le plus fcrupuleux. Je ne nv’arréterai point aux preuves de l’exiftence de l’Etre fu- préme, que les Anciens ont tirée de la beauté, de l'ordre, & de Parrangement de l'Univers. On peut voir celles que Ciceron rap- porte (*}, & celles qu’il cite d’après Ariftote (**). Je n''attache à un Philofophe, qui par fes grandes découvertes étoit bien plus qu'eux à portée de juger de ces merveilles, & dont les raifonne= mens font bien plus précis que tous les leurs. Newton paroit avoir été plus touché des preuves qu'on trouve dans la contemplation de l Univers, que de toutes les autres qu'il auroit pu tirer de la profondeur de fon efprit. Ce grand homme a cru (f), que les mouvemens des corps céleftes démontroient affez l exiftence de celui qui les gouverne. Six Planètes , Mercure, Vénus, Ja Terre, Mars, Jupiter, © Saturne, C*) ITuful. L. 28. & 29. (t) Newt, Opticks III. Book. Query 31. (**) De Nat, Deor. IL. 37. 38. AVANT - PROPOS. 5 Saturne, tournent autour du Soleil. Toutes fè meuvent dans le même fens, & décrivent des orbes à peu près concentriques: pen- dant qu’une autre efpèce d’Aftres, les Comères, décrivent des orbes fort différens, fe meuvent dans toutes fortes de directions, & par- courent toutes les régions du Ciel. Newton a cru qu’une telle uniformité ne pouvoit être que leffet de la volonté d’un Etre fuprême. Des objets moins élevés ne lui ont pas paru fournir des argumens moins forts. L’Uniformité obfervée dans la conftruction des Animaux, leur organifation merveilleufe & remplie d’utilités, étoient pour lui des preuves convainquantes de l’exiftence d'un Créateur tout puiflant & tout fage. Une foule de Phyficiens, après Newton, ont trouvé Dieu dans les Aftres, dans les Infèétes, dans les Plantes, dans l Eau (*). Ne diffimulons point la foibleffe de quelques-uns de leurs rai- fonnemens: & pour mieux faire connoitre l'abus qu’on a fait des preuves de lexiftence de Dieu, examinons celles même qui ont paru fi fortes à Newton. L’Uniformité, dit-il, du mouvement des Planètes prouve néceflairement un choix. Il nétoit pas poffible qu'un deftin | aveugle les fit toutes mouvoir dans le même fens, & dans des orbes à peu près concentriques. Newton pouvoit ajouter à cette uniformité du mouvement des Planètes, qu’elles fe meuvent toutes presque dans le même plan. La Zone, dans laquelle tous les orbes font renfermés, ne fait qu'à peu près la 17". partie de la furface de la Sphère. Si l’on prend donc l’orbe de la Terre pour le plan auquel on rapporte les autres, & qu’on regarde leur pofition comme Peffet du hazard, la proba- . bilitt, que les cinq autres orbes ne doivent pas étre renfermés dans cette Zone, cft de 17°—1.à1.; c’eft-à-dire, de 1419856. à 1. Si Fon conçoit comme Newton, que tous les corps céleftes, attirés vers le Soleil, fe meuvent dans le vuide; il eft vrai qu'il n'étoit guères probable que le hazard les eût fait mouvoir comme ii ils (%) Thcol. Aftron. de Derham. Theol. Theol. des Coquilles, de Lefler, Theol, Phyfq. du même. Theol. des Infeétes, de l’ Eau de Fabricius, 6 AVANT-PROPOS. ils fe meuvent: Il y reftoit cependant quelque probabilité, & dès lors on ne peut pas dire que cette uniformité foit l'effet néceffaire d’un choix. Mais il y a plus: l’alternative d’un choix ou d’un hazard ex- trème, n’eft fondée que fur limpuiflance, où étoit Newton, de donner une caufe phyfique de cette uniformité. Pour d’autres Phi- lofophes qui font mouvoir les Planètes dans uns Fluide qui les em- porte, ou qui feulement modère leur mouvement, luniformité de leur cours ne paroit point inexplicable: ‘elle ne fuppofe plus ce fingulier coup du hazard, ou ce choix, & ne prouve pas plus l'exiftence de Dieu, que ne feroit tout autre mouvement imprimé à la Matière (*). Je ne fai fi Pargument, que Newton tire de la conftruction des Animaux, eft beaucoup plus fort. Si luniformité, qu’on obferve dans plufieurs, étoit une preuve, cette preuve ne féroit-elle pas démentie par la variété infinie qu’on obferve dans plufeurs autres? Sans fortir des mêmes Elémens, que l’on compare un aigle avec une mouche, un cerf avec un limaçon, une baleine avec une huitre; & qu’on juge de cette uniformité. En effet d’autres Phi- lofophes veulent trouver une preuve de l’exiftence de Dieu dans la variété des formes, & je ne fui lesquels font les mieux fondés. L’ Argument tiré de la convenance des différentes parties des Animaux avec leurs befoins paroit plus folide. Leurs piés ne font- ils pas faits pour marcher, leurs ailes pour voler, leurs yeux pour voir, leur bouche pour manger, d’autres parties pour reproduire leurs femblables? Tout cela ne marque-t-il pas une intelligence & un deffein qui ont préfidé à leur conftruction? Cet argument avoit frappé les Anciens comme il a frappé Newton: & c’eft en vain que le plus grand ennemi de la Providence y répond, que l'ufage n’a point été le but, qu’il a été la fuite de la conftruction des parties des Animaux: que le hazard aïant formé les yeux, les oreil- les, la langue, on s’en eft fervi pour entendre, pour parler ( ee ais (*) Voyez la Pièce de M. Dan.Bernoulli Planètes, qui remporta le prix de l'Acad. fur l’inclinaifon des plans des orbites des des Sc, de France 1734. AVANT- PROPOS. . ‘Mais ne pourtoit-on pas dire, que dans la combinaifon fortuite des productions de la Nature, comme il ny avoit que celles où fe trouvoient certains rapports de convenance, qui puffent fublifer, il n’eft pas merveilleux que cette convenance fe trouve dans toutes les efpèces qui actuellement exiftent? Le hazard, diroit-on, avoit produit une multitude innombrable d’Individus; un petit nombre fe trouvoit conftruit de manière que les parties de l Animal pou- voient fatisfaire à fes befoins; dans un autre infiniment plus grand, il n’y avoit ni convenance, ni ordre: tous ces derniers ont péri: des Animaux fans bouche ne pouvoient pas vivre, d’autres qui manquoient d'organes pour la génération ne pouvoient pas fe per- pétuer: les feuls qui foient reftés forit ceux où fe trouvoient l’ordre & la convenance: & ces efpèces, que nous voyons aujourd’ hui, ne font que la plus petite partie de ce qu’un deftin aveugle avoit produit. Presque tous les Auteurs modernes, qui ont traité de la Phyfi- ue ou de l'Hiftoire naturelle, n’ont fait qu’ étendre les preuves qu'on tire de lorganifation des Animaux & des Plantes; & les” pouffer jusques dans les plus petits détails de la Nature. Pour ne pas citer des exemples trop indécens, qui ne feroient que trop com- muns, je ne parlerai que de celui (F) qui trouve Dieu dans les plis de la peau d’un rhinoceros; parce que cet Animal étant couvert d'une peau très - dure n’auroit pas pu fe remuër fans ces plis. N'eft-ce pas faire tort à la plus grande des vérités, que de la vouloir prouver par de tels argumens? Que diroit-on de celui qui nieroit la Providence, parce que l’écaille de la tortue n’a ni plis, ni join- tures? Le raifonnement de celui qui la prouve par la peau du rhi- noceros eft de la même force: laiflons ces bagatelles à ceux qui n’en fentent pas la frivolité. Une autre efpèce de Philofophes tombe dans l'extrémité op- pofée. Trop peu touchés des marques d’Intelligence & de Deffein qu'on trouve dans la Nature, ils en voudroient bannir toutes les caufes finales. Les uns voient la fuprême Intelligence par tout; les (%*) Lucret, L, IV, (f) Philof, Transad, No. 470. e AVANT - PROPOS. les autres ne la voient nulle-part: ils croient qu’une Méchanique aveugle a pu former des corps les plus organilés des Plantes & des Animauxg & opérer toutes les merveilles que nous voyons dans l'Univers (*). | On voit par tout ce que nous venons de dire, que le grand argument de Descartes, tiré de l’idée que nous avons d’un Etre parfait, ni peut-être aucun des argumens métaphyfiques dont nous avons parlé, n’avoit pas fait grande impreffion fur Newton; & que toutes les preuves que Newton tire de l’uniformité & de la conve- nance des différentes parties de l Univers, n’auroient pas paru des preuves à Descartes. Il faut avouer qu’on abufe de ces preuves: les uns en leur don- nant plus de force qu’elles n’en ont; les autres en les multipliant trop. Les corps des Animaux & des Plantes font des machines trop compliquées, dont les dernières parties échappent trop à nos fens, & dont nous ignorons trop l'ufage & la fin, pour que nous puiffions juger de la fageffe & de la puiffance qu’il a fallu pour les conftruire: Si quelques-unes de ces Machines paroiffent pouflées à un haut dégré de perfection, d’autres ne femblent qu’ ébauchées. Plufeurs pourroient paroitre inutiles ou nuifibles, fi nous en jugions par nos feules connoiffances; & fi nous ne fuppoñons pas déja que c’eft un Etre tout fage & tout puiffant qui les a mifes dans l'Univers. Que fert-il, dans la conftruétion de quelque Animal, de trouver des apparences d’ordre & de convenance, lorsqu’ après nous fom- mes arrêtés tout à coup par quelque conclufon fâcheufe? Le fer- pent, qui ne marche ni ne vole, w’auroit pu fe dérober à la pour. fuite des autres Animaux, fi un nombre prodigieux de vertèbres ne donnoit à fon corps tant de flexibilité, qu’il rampe plus vite que plufieurs Animaux ne marchent: il feroit mort de froid pen dant l'hyver, fi fa forme longue & pointue ne le rendoit propre à s’enfoncer dans la Terre; il fe feroit bleffé en rampant continuelle- ment, ou déchiré en paffant par les trous où il fe cache, fi fon corps n’eût été couvert d’une peau lubrique & écailleufe: tout cela r'eft. il pas admirable? Mais à quoi tout cela fert-il? à la confervation d'un (*) Descartes Princip. L'Homme de Descartes. AVANT - PROPOS. 9 d'un Animal dont la dent tue l'homme. Oh! replique-t-on, vous ne connoiffez pas l'utilité des Serpens: ils étoient apparemment né- ceflaires dans l Univers: ils contiendront des remèdes excellents qui vous font inconnus. Taïfons-nous donc: ou du moins n’admi- rons pas un fi grand appareil dans un Animal que nous ne connoif. fons que comme nuifible. Tout eft rempli de femblables raifonnemens dans les Ecrits des Naturaliftes. Suivez la produétion d’une Mouche, ou d’une Four- mi: ils vous font admirer les foins de la Providence pour les oeufs de linfecte; pour la nourriture des petits; pour l Animal renfermé dans les langes de la Chryfälide; pour le développement de fes par- ties dans fa métamorphofe: tout cela aboutit à produire un infecte incommode aux hommes, que le premier oïfeau devore, ou qui tombe dans les filets d’une Araignée. Pendant que l’un trouve ici des preuves de la fageffle & de la puiflance du Créateur, ne feroit-il pas à craindre que l’autre n’y trouvât de quoi s’affermir dans fon incrédulité ? De très- grands Elprits, auf refpectables par leur piété que par leurs lumières (*), n’ont pu s’empécher d'avouer, que la conve- nance & l’ordre ne paroiflent pas fi exattement obfervés dans lUni- vers, qu'on ne fut embarraffé pour comprendre comment ce pou- voit être l’Ouvrage d’un Etre tout fage & tout puiffant. Le mal de toutes les efpèces, le desordre, le crime, la douleur, leur ont paru difciles à concilier avec l’Empire d’un tel Maitre. Regardez, ont-ils-dit, cette Terre; les mers en couvrent la moitié; dans le refte, vous verrez des rochers efcarpés, des ré- gions glacées, des fäbles brulans. Examinez les mœurs de ceux qui l'habitent; vous trouverez le menfonge, le vol, le meurtre, & par tout les vices plus communs que la vertu. Parmi ces Etres infortunés, vous en trouverez plufieurs desefpérés dans les tourmens de la goutte & de la pierre, plufeurs languiffans dans d’autres in- firmités que leur durée rend infupportables ; presque tous accablés de foucis & de chagrins. Quel- (*) Médit, Chrét. & Métaph, du P. Malebranche Medit. VII. Oeuv. de Maupert. B 10 AVANT - PROPOS. Quelques Philofophes paroiffent avoir été tellement frappés de cette vuë, qu’oubliant toutes les beautés de l'Univers, ils mont cherché qu’à juftifier Dieu d’avoir créé des chofes fi imparfaites. Les uns, pour conferver {à Sagefle, femblent avoir diminué fà. puiffance; difant gw’il a fair rour ce qu'il pouvoir faire de mieux (*): qu'entre tous les Mondes poffibles, celui-ci, malgré fes défauts, étoit encore le meilleur. Les autres, pour conferver fa puiffance, {emblent faire tort à fa fagefle. Dieu, felon eux, pouvoir bien faire un Monde plus parfait que celui que nous babitons: maïs 1l auroit fallu qu il y employat des moïens trop compliqués ; € ilaeu plus en vuë la manière dont il opéroit, que la per feétion de l Ouvrage ®*). Ceux-ci fe fervent de l Exemple du Peintre, qui crut qu’un Cercle tracé fans compas prouveroit mieux fon habilité, que n’auroient fait les figures les plus compolées & les plus régulières, décrites avec des inftrumens. Je ne fai fi aucune de ces réponfes eft fatisfaifante: mais je ne crois pas l’objection invincible. Le vrai Philofophe ne doit, ni fe laifler éblouïr par les parties de F Univers où brillent l’ordre & la convenance, ni fe laiffer ébranler par celles où il ne les découvre pas. Malgré tous les come qu’il remarque dans la nature, il y trouvera affez de caractères de la fagefle & de la puiffance de fon Auteur, pour qu’il ne puifle le méconnoitre. Je ne parle point d’une autre’efpèce de Philofophie, qui foutient qu'il »y a point de mal dans la Nature: Que rour ce qui ef, ft biens (PET Si l'on examine cette propofñtion, fans fuppofer auparavant l'exiftence d’un Etre tout puiffant & tout fage, elle n’eft pas foute- nable: fi on la tire de la fuppoñtion d’un Etre tout fage & tout puiflant, elle n°eft plus qu’un acte de foi. Elle paroit d’abord faire honneur à la fupréme Intelligence; mais elle ne tend au fond qu’à foumettre tout à la néceffité. C’eft plûtôt une confolation dans nos mifères, qu’une louange de notre bonheur. ’ è (*) Leibnitz. Theod. I. part. N. 224. 225. (**) Malebranche Médit. Chxét. & Métaph. VIL. (***) Pope. Effai fur l homme, AVANT - PROPOS. nl Je reviens aux preuves qu’on tire de la contemplation de Ia Nature: & j'ajoute encore une réflexion: c’eft que ceux qui ont le plus raffemblé de ces preuves, n’ont point affez examiné leur force ni leur étendue. Que cet Univers dans mille occalions nous préfente des fuites d’effets concourans à quelque but, cela ne prouve que de l'Intelligence & des defleins: c’eft dans le but de ces deffeins qu’il faut chercher la fagefle. L’habilité dans l'exé- cution ne füufñt pas; il faut que le motif foit raifonnable. On n’admireroit point, on blâmeroit l'Ouvrier; & il feroit d'autant plus blimable, qu’il auroit employé plus d’adreffe à conftruire une machine qui ne {éroit d’aucune utilité, ou dont les effets feroient dangereux. Que fert-il d'admirer cette régularité des Planetes, à fe mou- voir toutes dans le même fens, presque dans le même plan, & dans des orbites à peu près femblables? fi nous ne voyons point qu’il füt mieux de les faire mouvoir ainfi qu’autrement. Tant de Plantes vénimeufes & d’ Animaux nuifibles, produits & confervés foigneufement dans la Nature, font-ils propres à nous faire con- noître la fagefle & la bonté de celui qui les créa? fi lon ne de- couvroit dans l'Univers que de pareilles chofes, il pourroit n’ étre que l'Ouvrage des Démons. Il eft vrai que notre vuë étant auf bornée qu’elle P eft, on ne peut pas exiger qu’elle pourfüuive affez loin l’ordre & l enchaine- ment des chofes. Si elle le pouvoit, fans doute qu’elle feroit autant frappée de la fageffe des motifs, que de l’Intelligence de l’exé- cution: mais dans cette impuiffance où nous fommes, ne confon- dons pas ces différens attributs. Car quoiqu’une Intelligence infinie fuppofe néceffairement la fagefle, une Intelligence bornée pourroit en manquer: & il vaudroit autant que l Univers dût fon origine à un deftin aveugle, que s’il étoit l Ouvrage d’une telle Intelligence. Ce n’eft donc point dans le petits détails, dans ces parties de FUnivers, dont nous connoiffons trop peu les rapports, qu'il faut chercher l’Etre fuprême: c eft dans les Phénomènes dont l’univer- falité ne fouffre aucune exception, & que leur fimplicité expofe entièrement à notre vué. “ B 2 Il I 12 AVANT - PROPOS. Il eft vrai que cette recherche fera plus diffcile que celle qui ne confifte que dans l'examen d’un infecte, d’une fleur, ou de quel- que autre chofe de cette efpèce, que la Nature offre à tous momens à nos yeux. Mais nous pouvons emprunter les fecours d’un guide affuré dans fà marche, quoiqu'il n’ait pas encore porté fes pas où nous voulons aller. Jusqu'ici la Mathématique n’a guères eu pour but que des befoins grofliers du Corps, ou des fpéculations inutiles de lEfprit. On n’a guères penfé à en faire ufage pour démontrer ou découvrir d’autres vérités que celles qui regardent l Etenduë & les Nombres. Car il ne faut pas s’y tromper dans quelques Ouvrages, qui n’ont de Mathématique que l'air & la forme, & qui au fond ne font que de la Métaphyfique la plus incertaine & la plus ténébreufe. L'Exemple de quelques Philofophes doit avoir appris que les mots de Lemme, de Théorème, & de Corollaire, ne portent pas par-tout la certitude mathématique; que cette certitude ne dépend, ni de ces grands mots, ni même de la méthode que fuivent les Géo- mètres, mais de la fimplicité des objets qu’ils confidèrent. Voyons fi nous pourrons faire un ufage plus heureux de cette fcience: les preuves de l’Exiftence de Dieu qu’elle fournira auront fur toutes les autres l’avantage de l’évidence, qui caractérife les vé- rités mathématiques. Ceux qui n’ont pas affez de confiance dans les raifonnemens métaphyfiques, trouveront plus de füreté dans ce genre de preuves: & ceux qui ne font pas aflez de cas des preuves populaires, trouveront dans celles - ci plus d’élévation & d’exactitude. Ne nous arrétons donc pas à la fimple fpéculation des objets les plus merveilleux. L’organifätion des Animaux, la multitude & la petitefle des parties des Infeétes, limmenfité des corps céleftes, leurs diftances, & leurs revolutions, font plus propres à étonner notre efprit qu’à l’éclairer. L’ Etre fuprême eff par-tout; mais il n’eft pas par-tout également vifble. Nous le verrons mieux dans les objets les plus fimples: cherchons le dans les prémières loix qu'il a impofées à la Nature; dans ces règles univerfelles, felon lesquel- les le mouvement fe conferve, fe diftribue, ou fe détruit, & non pas dans des Phénomènes qui ne font que des fuites trop compli- quées de ces loix. Jj'aurois AVANT - PROPOS. 13 «& Jaurois pu partir de ces loix, telles que les Mathématiciens les donnent, & telles que l’expégience les confirme; & y chercher les caractères de la fagefle & de la puiffance de l'Etre fupreme. Ce- pendant, comme ceux qui les ont découvertes, fe font appuyés fur des hypothéfes qui n’étoient pas purement géomètriques; & que par-là leur certitude ne paroit pas fondée fur des démonftrations rigoureufes; j'ai cru plus für & plus utile de déduire ces loix des attributs d’un Etre tout puiffant & tout fage. Si celles que je trouve par cette voie, font les mêmes qui font en effet obfervées dans l Univers, n’eft-ce pas la preuve la plus forte que cet Etre exifle, & qu'il eft l’auteur de ces loix? Müäis, pourroit-on dire, quoique les règles du mouvement & du repos n’ayent été jusqu’ici démontrées que par des hypothèfes & des expériences, elles font peut-être des fuites néceffaires de la nature des corps; & n’y ayant rien eu d’arbitraire dans leur établis- fement, vous attribuez à une Providence ce qui n’eft l'effet que de la Nécefité. S'il eft vrai que les loix du mouvement & du repos foient des fuites indispenfables de la nature des corps, cela méme prouve encore la perfèction de l'Etre fuprême: c’eft que toutes chofes foient tellement ordonnées, qu’une Mathématique aveugle & nécef- faire exécute ce que l’Intelligence la plus éclairée & la plus libre prefcrivoit. B 3 ESSAY 14 FLN TREND LIRE LNTEONRERI LANDES EN TRE LNREELNTERFLITERLELIREE ELA ES SPA: y DE COSMOLOGI E. LES LOIX DU MOUVEMENT ET DU REPOS DE DU TU ECS DES ATTRIBUTS DE LA SUPREME {:N°T EL LANG EN CE. , le Mouvement: fans lui tout feroit plongé dans une mort éter- nelle, ou dans une uniformité pire encore que le Cahos: c’eft lui qui porte par-tout l’action & la vie. Mais ce Phénomène, qui ef fans ceffe expolé à nos yeux, lorsque nous le voulons expliquer, paroit incompréhenfble. Quelques Philofophes de l'antiquité fou- tinrent Qw’il n° y avoit point de mouvement. Un ufage trop fubtil de leur Efprit démentoit ce que leurs Sens appercevoient: les difficul- tés, qu’ils trouvoient à concevoir comment les corps fe meuvent, leur firent nier qu’ils fe meuflent, ni qu’ils puffent fè mouvoir. Nous ne rapporterons point les argumens fur lesquels ils tâchèrent de fonder leur opinion: mais nous remarquerons qu’on ne fauroit nier le mouvement que par des raifons qui détruiroient, ou ren- droient douteufe l'Exiftence de tous les objets hors de nous; qui reduiroient l Univers à notre propre Etre, & tous les Phénomènes x : À nos perceptions. Des Philofophes plus équitables, qui admirent le mouvement, ne furent pas plus heureux, lorsqu'ils entreprirent de l’expliquer. Les uns le regardèrent comme eflentiel à la matière: dirent que tous | A plus grand Phénomène de la Nature, le plus merveilleux, eft ESSAMWY DE COSMOLOGIE,: 15 tous les corps par leur nature devoient fe mouvoir; que le repos apparent de quelques-uns n’étoit qu'un mouvement qui fe dèro- boit à nos yeux, ou unétat forcé: les autres à la tête desquels eft Ariflote cherchèrent la caufe du mouvement dans un prémier Mo. reur immobile & immatériel. Si la prémière caufe du mouvement refte pour nous dans une telle obfeurité, il fembleroit du moins que nous puflions efpérer quelque lumière fur les Phénomènes qui en dépendent : Mais ces Phénomènes paroïffent enveloppés dans les mémes ténèbres, Un Philofophe moderne très-{ubtil, qui regarde Dieu comme l Auteur du prémier mouvement imprimé à la Matière, croit encore l’adtion de Dieu continuellement nécefaire pour toutes les diftributions & les modifications du mouvement. Ne pouvant comprendre com- ment la puiffance de mouvoir appartiendroit au corps, il s’eft cru fondé à nier qu’elle lui appartint: & à conclure que lorsqu'un corps choque ou prefle un autre corps, c’eft Dieu feul qui le meut: limpulfion n’eft que Poccafon qui détermine Dieu à le mouvoir (*). D’autres ont cru avancer beaucoup, en adoptant un mot qui ne fert qu’à cacher notre ignorance. Ils ont attribué aux corps une certaine Force pour communiquer leur mouvement aux autres. Il ny a dans Ja Philofophie moderne aucun mot repété plus fouvent que celui-ci; aucun qui foit fi peu exactement défini. Son obfcu- rité l’a rendu fi commode qu’on n’en a pas borné l’ufage aux corps ue nous connoiffons ; une école entière de Philofophes attribuë aujourd’hui à des Etres qu’elle n’a jamais vus une force qui ne fe manifefte par aucun Phénomène. Nous ne nous arréterons point ici à ce que la Force repréfenta- tive qu’on fuppofe dans les Elémens de la matière peut fignifier: je me reftrains à la feule notion de la Force morrice, de la force en a qu’elle s'applique à la production, à la modification, ou à la de- ftruction du mouvement. = Le mot de force dans fon fens propre exprime un certain fenti- ment que nous éprouvons, lorsque nous voulons remuër un corps qui (*) Malebranche, 16 ESSAY DE COSMOLOGIE qui étoit en repos, ou changer, ou arrêter le mouvement d’un corps qui {e mouvoit. La perception que nous éprouvons alors eft fi conftimment accompagnée d’un changement dans le repos ou le mouvemetit du corps, que nous ne faurions nous empécher de croire qu’elle en ef la caufe. Lors donc que nous voyons quelque changement arriver dans le repos ou le mouvement d’un corps, nous ne manquons pas de dire que c’eft l'effet de quelque Force. Et:fi nous n’avons le fen- timent d’aucun effort que nous ayons fait pour y contribuër, & que nous ne voyions que quelques autres corps auxquels nous puiffions attribuër ce Phénomène, nous plaçons en eux la force, comme leur appartenant. . On voit par-là, combien eft obfcure l'idée que nous voulons nous faire de la force des corps, fi même on peut appeller idée ce qui dans fon origine n’eft qu’un fentiment confus. Et l’on peut juger combien ce mot qui n’exprimoit d’abord qu’un fentiment de notre ame eft éloigné de pouvoir dans ce fens appartenir aux corps. Cependant comme nous ne pouvons pas dépouiller entièrement les corps d’une espéce d'influence les uns fur les autres, de quelque nature qu’elle puiffe être, nous conferverons fi l’on veut le nom de force: mais nous ne la méfurerons que par fes effets apparens; & nous nous fouviendrons toujours que la Force motrice, la puiffance qu’ a un corps en mouvement d’en mouvoir d’autres, n’eft qu’un mot inventé pour fuppléer à nos connoiffances, & qui ne fignifie qu’un refultat des Phénomènes. Si quelqu'un qui n’eût jamais touché de corps, & qui n’en eût jamais vu fe choquer, mais qui eût l'expérience de ce qui arrive lorsqu’on méle enfemble différentes couleurs, voyoit un corps bleu fe mouvoir vers un corps jaune, & qu’il fût interrogé fur ce qui arrivera lorsque les deux corps fé rencontreront? Peut-être que ce qu'il pourroit dire de plus vraifemblable feroit que le corps bleu deviendra verd dès qu'il aura atteint le corps jaune. Mais qu'il prévit, ou que les deux corps s’uniroient pour fe mouvoir d’une vitefle commune; ou que l’un communiqueroit à l'autre une pärtie de E SSP DECO S MO LOG TE: 17 de fa vitefle pour & mouvoir dans le même fens avec une vitefle différente; ou qu'il fe refléchiroit en fens contraire; je ne crois pas cela poffible. Cependant, dès qu’on a touché des corps; dès qu’on fait qu’ils font impénétrables; dès qu’on a éprouvé qu’il faut un certain effort pour changer l’état de repos ou de mouvement dans lequel ils font: on voit que lorsqu'un corps fe meut vers un autre, s’il Patteint, il faut, ou qu'il fe refléchifle, ou qu’il s'arrête, ou qu'il diminuë fa vitefle: qu’il déplace celui qu’il rencontre, sil eft en repos, ou qu’il change fon mouvement, s’il fe meut. Mais com- ment ces changemens fe font-ils? Quelle eft cette puiffance, que femblent avoir les corps pour agir les uns für les autres? Nous voyons des parties de la matière en mouvement; nous en voyons d’autres en repos: le mouvement n’eft donc pas une propriété cflentielle de la matière: c’eft un état dans lequel elle peut {e 4 ou ne pas fe trouver: & que nous ne voyons pas qu’elle puifle fe procurer d’elle-même. Les parties de la matière qui fe meuvent, ont donc reçu leur mouvement de quelque caufe étrangère qui jusqu'ici neft inconnuë. Et comme elles font d’elles-mêmes indifférentes au mouvement ou au repos, celles qui font en repos y reftent; & celles qui fe meuvent une fois, continuent de fe mou- voir, jusqu’à ce que quelque caufe change leur état. Lorsqu'une partie de la matière en mouvement en rencontre une autre en repos, elle lui communique une partie de foh mouve- ment, ou tout fon mouvement même. Et comme la rencontre de deux parties de la matière, dont l’une eft en repos & l’autre en mouvemeñt, ou qui font en mouvement l’une & l’autre, eft tou- jours fuivie de quelque changement dans l’état des deux: le choc paroit la caufe de ce changement: quoiqu’il füt abfurde de dire qu’une partie de la matière qui ne peut fe mouvoir d'elle-même en put mouvoir une autre. Sans doute la connoiffance parfaite de ce Phénomène ne nous a pas été accordée; elle furpañfe vraifemblablement la portée de notre intelligence. Je renonce donc ici à Fentreprifle d'expliquer les moyens par lesquels le mouvement d’un corps pafle dans un autre à Oeuv. de Maupert. C leur 18 ESSAY SD'E “C0 SMOLCOGTIE leur rencontre mutuelle: je ne cherche pas même à fuivre le phyf- que de ce Phénomène auffi loin que le pourroient permettre les foibles lumières de mon Efprit & les connoiffances dans la Mécha- nique qu’on a acquifes de nos jours: je nv’ attache à un principe plus intéreffant dans cette recherche. Les Philofophes, qui ont mis la caufe du mouvement en Dieu, n’y ont été reduits que parce qu’ils ne favoient où la mettre. Ne pouvant concevoir que la matière eût aucune efficace pour produire, diftribuër, & détruire le mouvement, ils ont eu recours à un Etre immatériel. Mais lorsqu'on faura que toutes les loix du mouve- ment & du repos font fondées fur le Principe du Mieux, on ne pourra plus douter qu’elles ne doivent leur établiffement à un Etre rout puiflant € tour age. Soit que cet Etre agiffe immédiatement, {oit qu'il ait donné aux corps le pouvoir d'agir les uns fur les autres; {oit qu’il ait employé quelque autre moyen qui nous foitgencore moins connu. Ce n’eft donc point dans la Méchanique que je vais chercher ces loix; c’eft dans la fageffe de l Etre fuprême. La plus fimple des loix de la Nature, celle du repos ou de l'équi- libre, eft connue depuis un grand nombre de fiècles: mais elle na paru jusqu'ici avoir aucune connexion avec les loix du mouvement, qui étoient beaucoup plus difficiles à découvrir. Ces recherches étoient fi peu du gout, ou fi peu à la portée des Anciens, qu’on peut dire qu’elles font encore aujourd hui une Science toute nouvelle. Comment en effet les Anciens auroient- ils découvert les loix du mouvement, pendant que les ans redui- foient toutes leurs fpéculations fur le mouvement à des difputes fophiftiques; & que les autres nioient le mouvement même. Des Philofophes plus laborieux ou plus fenfés ne jugèrent pas que des difficultés, attachées aux prémiers principes desschofks, fuflent des raifons pour desefpérer d’en rien connoitre, ni des ex- cufes pour fe difpen{er de toute recherche. Dès que la vraie manière de philofopher fut introduite, on ne fe contenta plus de ces vaines difputes fur la nature du mouvement: on ESSAY DE COSMOLOGIE. 19 on voulut favoir felon quelles loix il fe diftribue, fe conferve, &fe détruit: on fentit que ces loix étoient le fondement de tonte la Philofophie naturelle. . Le grand Descartes, le plus audacieux des Philofophes, chercha ces loix, & fe trompa. Mais comune fi les tems avoient enfin con- duit cette matière à une efpèce de maturité, l’on vit tout à coup paroitre de toutes parts les loix du mouvement inconnuës pendant tant de fiècles: Huygens, Wallis & Wren, les trouvèrent en même tems. Plufieurs Mathématiciens après eux, qui les ont cherchées par des routes diférentes, les ont confirmées. - Cependant, tous les Mathématiciens étant aujourd’ hui d'accord dans le cas le plus compliqué ne s’accordent pas dans le cas le plus fimple. Tous conviennent des mêmes diftributions de mouvement dans le choc des Corps élafliques ; mais ils ne s’accordent pas fur les loix des Corps durs: & quelques-uns prétendent, qu’on ne fauroit déterminer les diftributions du mouvement dans le choc de ces corps. Les embarras qu’ils y ont trouvés leur ont fait prendre le parti de nier l’exiflence, & même la poffibilité des corps durs. Ils prétendent que les corps, qu’on prend pour tels, ne font que des corps élaftiques dont la roideur très-grande rend la flexion de leurs parties imperceptible. Ils allèguent des expériences faites fur des corps qu’on appelle vulgairement durs, qui prouvent que ces corps ne font qu'élaftiques. Lorsque deux Globes d’yvoire, d’acier, ou de verre, fe choquent; on leur retrouve peut-être après le choc leur première figure; mais il eft certain qu’ils ne l'ont pas toujours confervée: On s’en aflüre par fes yeux, fi l’on teint l'un des Globes de quelque couleur qui puifle s effacer & tacher l’autre: on voit par la grandeur de la tache, ue ces Globes pendant le choc fe font applatis, quoiqu’après il ne Soit refté aucun changement fenfble à leur figure. On ajoute à ces expériences des raifonnemens métaphyfiques : on prétend que la dureté, prife dans le fens rigoureux, exigeroit dans la nature des effets incompatibles avec une certaine Loi de Continuire. Il faudroit, dit-on, lorsqu'un corps dur rencontreroit un ob- facle inébranlable, qu’il perdit tout à coup fa viteffe, fans qu’elle C 2 pañat 20 ESSAY: DE COSMOLOGIE,: pañfät par aucun dégré de diminution; ou qu’il la convertit en une vitefle contraire, & qu’une vitefie pofitive devint négative, fans avoir pañlé par le repos (*). Mais j'avoue que je ne {ens pas la force de ce raifonnement. Je ne fai fi l’on connoit affez la maniere dont le mouvement fe produit ou s'éteint, pour pouvoir dire que la loi de continuité füt ici violée: je ne fai pas trop méme ce que c’eft que cette loi. Quand on fup- poféroit que la vitefle augmentät ou diminuât par dégrés, n’y auroit- il pas toujours des pañlages d’un dégré à l’autre? & le pañage le plus inperceptible ne viole-t-il pas autant la continuité, que feroit la deftruction füubite de l Univers? à Quant aux expériences, dont nous venons de parler, elles font voir qu’on a pu confondre la dureté avec l’élafliciré; mais elles ne prouvent pas que l’une ne foit que l’autre. Au contraire, dès qu’on a refléchi fur limpénétrabilité des corps, il femble- qu’elle ne foit pas différente de leur dureté; ou du moins il femble que la dureté en eft une fuite néceffaire. Si dans le choc de la plupart des corps, les parties dont ils font compolés fe féparent ou fe plient, cela n'arrive que parce que ces corps font des amas d’autres: les corps primitifs, les corps fimples, qui font les élémens de tous les autres, doivent être durs, inflexibles, inaltérables. Plus on examine lélafticité, plus il paroit que cette propriété ne dépend que d’une ftrudture particulière, qui laifle entre les par- ties des corps des intervalles dans lesquels elles peuvent 18 plier. Il femble donc qu’on feroit mieux fondé à dire, que tous les corps font durs, qu’on ne left à foutenir qu’il n’y a point de corps durs dans la nature. Mais je ne fai fi la manière dont nous con noiflons les corps nous permet ni l’une ni Pautre aflertion. Si l'on veut l’avouer, on conviendra que la plus forte raifon qu’on ait eüe pour n’admettre que des corps élaftiques, a été limpuiffanceroù lon étoit de trouver les loix de la communication du mouvement des corps durs. Descartes admit ces corps; & crut avoir trouvé. les loix de leur mouvement. Il étoit parti d’un principe affez vrailemblable: Que (*) Difours fur les loix de la conuuunication du mouvement par M. Jean Bernouilli. ————— ————... ES SÆ@Y DE 4C 0 MO L'OIGIES 21 Que la quantité du mouvement fè conférvoir toujours la même dans la nature. M en déduifit des loix faufles; parce que le principe n'eft pas vrai. Les Philofophes, qui font venus après lui, ont été frappés d’une autre confervation: c’eft celle de ce qu’ils appellent /a force vive, qui eft /e produit de chaque maffè par le quarré de Ja viteffè. Ceux- ci n’ont pas fondé leurs.loix du mouvement fur cette confervation, ils ont déduit cette confervation des loix du mouvement, dont ils nt vu qu’elle étoit une fuite. Cependant, comme la confervation de la force vive n’avoit lieu que dans le choc des corps élaftiques, ongeft affermi dans l'opinion qu’il n’y avoit point d’autres corps ue ceux - là dans la nature. Mais La confervation de la quantité du mouvement n eff vraie que dans certains cas. La conférvation de la force vive 1 à lieu que pour certains corps. Ni l’une ni Pautre ne peut donc pañfer pour un principe univer{el, ni même pour un refüultat général des loix du mouvement. dé Si l’on examine les principes fur lesquels fe font fondés les Auteurs qui nous ont donné ces loix, & les routes qu’ils ont füuivies, on s étonnera de voir qu’ils y foient fi heureufement parvenus; & lon ne pourra s'empêcher de croire qu’ils comptoient moins fur ces principes, que. fur Pexpérience. Ceux qui ont raifonné le plus jufte ont reconnu que le principe, dont ils fe fervoient pour expli- quer la communication du mouvement des corps élaftiques, ne pouvoit s'appliquer à la communication du mouvement des corps durs. Enfin aucun des principes qu’on a jusqu'ici employés, foit pour les loix du mouvement des corps durs, {oit pour les loix du mouvement des corps élaftiques, ne s’étend aux loix’du repos. Après tant de grands Hommes qui ont travaillé fur cette matière, je noie presque dire que j'ai découvert le principe univerfel fur lequel toutes ces loix font fondées ; qui s’étend également aux Corps durs & aux corps élafliques ; d’où depend le mouvement & le repos de toutes les fubftances corporelles. - C’eft le principe que j’appelle De Ja moindre quantité d’aëtion : principe fi fage, fi digne de Etre fuprême, & auquel la nature paroit | C3 fi con- 22 ESSAY DE COSMOLOGIE: fi conftamment foumife, qu’elle l’obferve non feulement dans tous fes changemens, mais que dans fa permanence, elle tend encore à l’obferver. Dans le choc des corps, le mouvement fe diflribue de manière, que læquantité d’atfion, que fuppofe le changement arrivé, eff la plus perite qu'il Joit polfible. Dans le repos, les corps, qui - Je tiennent en équilibre, doivent être tellement firués, que $ il leur arrivoit quelque petit mouvement , la quantité d ébon Jèroit la moindre (*). Non feulement ce principe répond à l'idée que nous avons de l'Etre fupréme entant qu’il doit toujours agir de la manière la plus fage; mais encore entant qu’il doit toujours tenir tout fous fà dépendance. Le principe de Descartes fembloit fouftraire le Monde à l'empire de la Divinité: il établifloit que quelques changemens qui arrivaflent dans la nature, /4 même quantité de mouvement $ y confervoit tou- jours: Les expériences & des raifonnemens plus forts que les fiens firent voir le contraire. Le principe de la confervation de la force vive fembleroit encore mettre le monde dans une efpèce d’indépen- dance: quelques changemens qui arrivaflent dans la Nature, la quantité abfolue de cette force fe conferveroit toujours & pourroit toujours reproduire les mêmes effets. Mais pour cela il faudroit qu’il n° y eût dans la Nature que des corps élaftiques: il faudroit en exclure les corps durs; c’eft-à-dire, en exclure les feuls peut-être qui y foient. Notre principe, plus conforme aux idées que nous devons avoir des chofes, laiffe le monde dans le befoin continuel de la puiffance du Créateur; & eft une füite néceffaire de l’emploi le plus fage de cette puiffance. { Les loix du mouvement & du repos, ainfi déduites, fe trouvant précifément les mêmes qui font obfèrvées dans la nature, nous pouvons en admirer l’application dans tous les Phénomènes, dans le mouvement des Animaux, dans la végétation des Plantes, dans Ja Revolution des Aftres; & le fpeétacle de l'Univers devient bien plus (*) NB. On a renvoyé Ja Recherche du repos à la fin de cet ouvrage, afin de mathématique des loix du mouvement & n’en pas interrompre la lecture, ES SAM EDIE (C0 SM'O L'O.G TE’ 23 plus grand, bien plus beau, bien plus digne de fon Auteur. C’eft alors qu’on peut avoir une jufte idée de la puiflance & de la fagefle de l'Etre faprême; & non pas lorsqu'on en juge par quelque petite partie dont nous ne connoiflons ni la conftruction, ni l’ufage, ni la connexion qu’elle a avec les autres. Quelle fätisfation pour l Efprit humain en contemplant ces loix, qui {ont le principe du mouvement & du repos de tous les corps de P Univers, d'y trouver la preuve de lexiftence de celui qui le gouverne! Ces loix fi belles & fi fimples font peut-être les feules que le Créateur & l’Ordonnateur des chofes a établies dans la matière pour y opérer tous les Phénomènes de ce Monde vifble. Quelques Phi- lofophes ont été aflez témeraires pour entrependre d’en expliquer par ces feules loix toute la Méchanique, & même la prémière forma- tion: donnez-nous, ont-ils dit, de la matière & du mouvement, & nous allons former-un Monde tel que celui-ci. Entreprile véri- tablement extravagante ! D’autres au contraire, ne trouvant pas tous les Phénomènes de la Nature affez faciles à expliquer par ces feuls moyens, ont cru néceffaire d’ en admettre d’autres. Un de ceux que le befoin leur aprefenté, eft l'Arrracfion, ce monfire métaphyfique fi cher à une partie des Philofophes modernes, fi odieux à l’autre: une force par laquelle tous les corps de l'Univers s’attirent. Si l’Attraction demeuroit dans le vague de cette prémière défini- tion, & qu’on ne demandât aufli que des explications vagues, elle fufhroit pour tout expliquer: elle feroit la caufe de tous les Phéno- mênes: quelques corps attireroient toujours ceux qui {e meuvent. Mais il faut avouer que les Philofophes, qui ont introduit cette force, n’en ont pas fait un ufäge auffi ridicule. Ils ont fenti, que pour donner quelque explication raifonnable des Phénomènes, il falloit par quelques Phénomènes particuliers remonter à un Phéno- mène principal, d’où l'on pût enfüuite déduire tous les autres Phéno- mènes particuliers du même genre. C’eft ainfi que par quelques fymptomes des mouvemens céleftes, & par des obfervations fur la chûte des corps vers la Terre, ils ont été conduits à admettre dans la Matière une force, par laquelle toutes fes parties s’attirent fuivant une 24 ESSAY DE COSMOLOGIE. une certaine proportion de leurs diflances; & il faut avouer, que dans l'explication de plufieurs Phénomènes, ils ont fait un ufage merveilleux de ce principe. Je n’ examine point ici la différence qui peut fe trouver dans la Nature de la Force impulfive & de la Force artratfive : fi nous con- cevons mieux une force qui ne s'exerce que dans le contact, qu'une autre qui s'exerce dans l'éloignement: mais la Matière & le Mou- vement une fois admis dans l Univers, nous avons vu que l’établiffe- ment de quelques loix d’impulfion étoit néceflaire: Nous avons vu que, dans le choix de ces loix, Etre fuprême avoit füivi le prin- cipe le plus fage: il feroit à fouhaiter pour ceux qui admettent F At- traction, qu'ils lui puflent trouver les mêmes avantages. Si les Phénomènes du mouvement de ces corps immenfes, qui roulent dans l'Univers, ont porté les Aftronomes à admettre cette Attraction, d’autres Phénomènes du mouvement-des plus petites parties des corps on fait croire aux Chimifles qu’il y avoit encore d'autres Attractions:-enfin on eft venu jusqu’à admettre des For- ces répullives. j Mais toutes ces forces feront-elles des loix primitives de la Nature, ou ne feront-elles point des fuites des Loix déT impulfon ? Ce dernier »eft-il point vraifemblable, fi P on confidère, que dans la Méchanique ordinaire, tous les mouÿemens, qui feimblent s'exé- cuter par Traction, ne font cependant produits que par une véritable Pulfion? Enfin le grand homme, qui a introduit les Attractions, n’a pas of les regarder comme des loix primitives, ni les fouftraire à l'empire de l’'impulfon. Il a au contraire infinué dans plus d’un endroit de fon merveilleux ouvrage, que lAttraction pouvoit bien n'être qu'un Phénomène dont l'Impulfon étoit la véritable caufe (*): Phénomène principal dont dépendoient plufieurs Phénomènes par- ticuliers, mais foûmis comme eux aux loix d’un principe antérieur. Plufeurs Philofophes ont tenté de découvrir cette dépendance: mais, fi leurs efforts jusqu'ici mont pas eu un plein fuccès, ils peuvent du moins faire croire la ‘chofe poffible. Il y aura tou- jours bien des vuides, bien des interruptions entre les parties de nos {yftémes (*) Newton Phil. Nat. pag. 6. 160. 188. 530. Edit. Londin. 1746. ESSAY DE" COS MO LO GIE: 25 fyièmes les mieux liés: & fi nous réfléchiflons fur limperfeion de l’Inftrument avec lequel nous les formons, fur la foibleffe de notre efprit, nous pourrons plutôt nous étonner de ce que nous avons découvert, que de ce qui nous refte caché. Ouvrons les yeux; parcourons l'Univers; livrons-nous hardi- ment à toute l'admiration que cefpeacle nous caufe: tel Phéno- mène qui, pendant qu'on ignoroit la fagefle des loix à qui il doit fon origine, n’étoit qu’une preuve obfcure & confufe de lexiflence de celui qui gouverne le Monde ; devient une démonftration: & ce qui auroit pu caufer du fcandale ne fera plus qu’une fuite néceffaire des loix qu’il falloit établir. Noux verrons, fans en être ébranlés, naître des Monflres, commettre des Crimes, & nous foufirirons avec patience la Douleur. Ces maux ne porteront point atteinte à une vérité bien reconnue: quoique ce ne foit pas eux qui la fiffent connoitre, ni rien de ce qui renferme quelque mélange de mal ou d’inutilité. Tout eft lié dans la Nature: l'Univers tient au fil de l'araignée, comme à cette force qui pouffe ou qui tire les planètes vers le Soleil: mais ce n’eft pas dans le fil de l’araignée qu’il faut chercher les preuves de la fageffe de fon Auteur. © Qui pourroit parcourir toutes les merveilles que cette figeffe opère! Qui pourroit la fuivre dans l'immenfité des Cieux, dans la profondeur des Mers, dans les Abimes de la Terre! Il n’eft peut- être pas encore tems d'entreprendre d’expliqueur le Syftème du Monde: il eft toujours tems d’en admirer le fpectacle. Oeuv. de Maupert. D ABRÉGE 26 ESSAY DE COSMOLOGIE. é+ip dre 4444 LURLAE LS @4t dt He AM SEE +4 4-2 4 Sr SEE +R HAE AYAR AH4R AY 4h 4 ABRÉGE D U SYSTÈME ou MONDE: e Soleil eft un Globe lumineux, gros environ un million de fois comme la Terre. La matière dont il eft formé n’eft pas homogène, il y paroit fouvent des inégalités; & quoique plufeurs de ces taches difparoiflent avant que d’avoir parcouru tout {on disque, le mouvement réglé de quelques-unes, & le retour au même lieu du disque, après un certain tems, ont fait voir que le Soleil immobile, ou presque immobile dans le lieu des Cieux, où il eft placé, avoit un mouvement de revolution fur fon Axe, & que le tems de cette revolution étoit d’environ 25. jours. Six Globes qu’il échauffe & qu’il éclaire fe meuvent autour de lui. Leurs groffeurs, leurs diflances, & leurs revolutions font différentes: mais tous fe meuvent dans le même fens, à peu près dans le même plan, & par des routes presque circulaires. Le plus voifin du Soleil, & le plus petit, eft Mercure: fa plus grande diftance du Soleil n’eft que de 5137. diamètres de la Terre, fa plus petite de 3377. fon diamètre n° eft qu’ environ la 300€, partie de celui du Soleil. On n’a point encore découvert s’il a quelque revolution fur lui-même; mais il tourne autour du Soleil dans l'efpace de 3. mois. Vénus eft la feconde Planète: fa plus grande diflance du Soleil eft de Soo8. diamètres de la Terre, fà plus petite de 7898: fon diamètre eft la room, partie de celui du Soleil: elle tourne für elle- méme; mais les Aftronomes ne font pas encore d’accord für le tems de cette revolution. M. Caffini par l’obfervation de quelques taches la failoit de 23. heures; M. Bianchini, par d’autres obferva- tions, la fait de 24. jours. _ Sa revolution autour du Soleil eft de 8. mois. Le ESSAY DE COSMOLOGIE. > Le troifième Globe eft la Terre que nous habitons; qu’on ne peut {& difpenfer de ranger au nombre des Planètes. Sa plus grande diftance du Soleil eft de 11187. de fes diamètres; fa plus petite de 10813. Elle tourne fur fon Axe dans l’efpace de 24. heures, & employe un an à faire fa revolution autour du Soleil dans un orbe qu'on appelle l'Ecliptique. L’Axe de la Terre, l'Axe autour duquel Elle fait fà revolution diurne, weft pas perpendiculaire au plan de cet orbe: il fait avec lui un angle de 662 dégrés. Pendant les revo- lutions de la Terre, autour du Soleil, cet Axe demeure presque paral- lèle à lui-même. Cependant ce Parallélisme n’eft pas parfait; P'Axe de la Terre coupant toujours le plan de VEcliptique fous le même angle, tourne fur lui-même d’un mouvement conique dont la Période eft de 25000. ans; & que les obfervations d’Hipparque comparées aux nôtres nous ont fait connoitre. On doute encore fi l'angle fous lequel Axe de la Terre coupe le plan de PEcliptique eft toujours le même: quelques obfervations ont fait penfer qu’il augmente, & qu'un jour les plans de PEcliptique & de l’Equateur viendroient à 1e confondre. Il faudra peut-être des milliers de fiècles pour nous Papprendre. Cette Planète, qui eft celle que nous connoiffons le mieux, nous peut faire croire que toutes les autres, qui paroifent de la même nature qu'elle, ne font pas des Globes déferts fufpendus dans les Cieux, mais qw’Elles font habitées comme elle par quel- ques Etres vivants. Quelques Auteurs ont hazardé fur ces habitans des conjeétures qui ne fauroient étre ni prouvées, ni démenties: mais tout eft dit; du moins tout ce qui peut-étre dit avec proba- bilité, lorsqu'on a fait remarquer, que ces vaftes corps des Pla- nètes, ayant déja tant de chofes communes avec la Terre, peuvent encore avoir de commun avec elle, d’être habitées. Quant à la nature de leurs habitans, il feroit bien téméraire d’entreprendre de la deviner, Si l'on obferve déja de fi grandes variétés entre ceux, qui peuplent les différens Climats de la Terre, que ne peut-on pas penfer de ceux qui habitent des Planètes fi éloignées de la nôtre; leurs variétés pañlent vraifemblablement toute l’étenduë de notre imagination, D 2 La 28 ESSAY DE COSMOLOGIE. La quatrième Planète eft Murs. Sa plus grande diftance du Soleil eft de 18315. diamètres de la Terre; fa plus petite de 15213. fon Diamètre eft la r7ome. partie de celui du Soleil. Sa revolution fur fon Axe eft de 25. heures; & celle qu’il fait autour du Soleil s'achève dans 2. ans. La cinquième Planète & la plus groffe de toutes eft Fupirer. Sa plus grande diftance du Soleil eft de 59950. diamètres de la Terre; fa plus petite de 54450. fon diametre eft la 9® partie de celui du Soleil. Il fait dans 10. heures fa revolution fur fon Axe: fon cours autour du Soleil s achève dans r2. ans. Enfin la fixième Planète & la plus éloignée du Soleil eft Saturne. Sa plus grande diftance du Soleil éft de 110935. diamètres de la Terre; fa plus petite de o80or. fon diamètre ceft la re, partie de celui du Soleil. On ignore sil tourne fur fon Axe. Il employe 30. ans à faire fa revolution dans fon orbe. : Voilà quelles font les Planètes principales, c’eft-à-dire, celles qui tournent immédiatement autour du Soleil; foit que pendant ce tems-là, elles tournent fur elles-mêmes ou non.- On appelle ces Planètes principales par rapport aux autres ap- pellées fécondaires. Celles-ci font leurs revolutions, non immé- diatement autour du Soleil, mais autour de quelque Planète du pre- mier ordre, qui fe mouvant autour du Soleil transporte avec elle autour de cet Aftre celle qui lui fert de fatellite. L’Aftre qui éclaire nos nuits, la Lune eft une de ces Planètes fecondaires; fa diftance de la Terre n’eft que de trente diamètres de la Terre; fon diamètre neft guères que la quatrième partie du diamètre de la Terre; Elle fait 12. revolutions autour de la Terre, pendant que la Térre en fait une autour du Soleil. Les corps des Planètes fècondaires, opaques comme ceux des Planètes du prémier ordre, peuvent faire conjeéturer qu’elles font habitées comme les autres. # Depuis l'invention des Télefcopes on a découvert quatre fatel- lites à Jupiter: quatre Lunes qui tournent autour de lui, pendant que lui-même tourne autour du Soleil. : Enfin E S'SAUY CDIE: CO SM O L 0 G IE. 29 Enfin Saturne en a cinq. Mais on découvre autour de cette Planète une autre merveille, à laquelle nous ne connoiflons point de pareille dans les Cieux: c’eft un large Aneau dont clle eft environnée. Quoique les fatellites paroiffent deftinés à la Planète autour de laquelle ils font leurs revolutions, ils peuvent pour les autres avoir de grandes utilités; & l’on ne peut omettre ici celle que les habi- tans de la Terre retirent des fatellites de Jupiter. C’eft que ces Aîtres ayant un mouvement fort rapide, pañent fouvent derrière les corps de leur Planète principale, & tombent dans Poimbré de cette Planète; qui ne recevant {à lumière que du Soleil, a toujours derrière elle un efpace ténébreux, dans lequel le ftellite, dès qu’il entre, s’éclipfe pour le Speétateur, & duquel refortant, il paroit a nos yeux. Or ces éclipfes & ces retours à la lumière étant des Phénomènes qui arrivent dans un inftant; fi l'on obferve dans diffé rens lieux de la terre l'heure de limmerfion ou de l’émerfion du fatellite, la difference, qu’on trouve entre ces heures, donne la différence des Méridiens des lieux où lon aura fait les obfervations: chofe fi importante pour le Géographe & pour le Navigateur. Deux grands Fluides appartiennent à la Planète que nous habi- tons: lun eft la Mer qui en couvre environ la moitié, l’autre ef V Air qui l’environne de toutes parts. Le prémier de ces fluides eft fans ceffe agité d’un mouvement qui Pélève & labaiffe deux fois chaque jour. Ce movement beaucoup plus grand dans certains tems que dans d’autres, variant aufMi felon les diférentes régions de la Terre, a une telle correfpon- dance avec les pofitions de la Lune & du Soleil, qu'on ne fauroit y méconnoitre l'effet de ces Aftres, quoique l'effet de la Lune foit de beaucoup le plus fenfble:. à chaque paffage de la Lune par le Méridien, l'on voit les Mers inonder les rivages qu’elles avoient abandonnés. + L'autre fluide eft l Air; il enveloppe de tous côtés la Terre, & s’étend à de grandes diflances au-deflus.. Soumis comme la Mer D 3 aux 30 ESSAY DE COSMOLOGIE: aux afpeds de la Lune & du Soleil, des propriétés particulières ajou- tent de nouveaux Phénomènes à fes mouvemens. C’eft l'aliment de tout ce qui refpire. Malgré fa légèreté les Phyfciens font venus à bout de le pefer, & de déterminer le poids total de fà mafle par les expériences du Baromètre; dans lequel une Colonne de Mercure d'environ 27. pouces de hauteur eft foutenuë par la Colonne d'air qui s’étend depuis le furface de la Terre jusqu'à l'extrémité de l'Atmosphère. Deux propriétés fort remarquables de l'Air font fa compreffibi- lité & fon reffort; c’eft par celle-là que l'Air transmet les Sons. Les Corps fonores par leur mouvement excitent dans l'Air des vibrations qui fe communiquent jusqu’à notre oreille, & la viteffe avec laquelle les Sons fe transmettent eft de 170. toiles par chaque feconde. Lorsqu’on confidère les autres Planètes, on ne peut pas douter qu'elles ne foient formées d’une matière femblable à celle de la Terre, quant à l'Opacité. Toutes ne nous paroiflent que par la reflexion des rayons du Soleil qu’elles nous renvoient: nous ne voyons jamais de la Lune notre Satellite que l'Hémifphère qui en eft éclairé: fi, lorsqu'elle eft placée entre le Soleil & la Terre, on y apperçoit quelque légère lueur, ce n’eft encore que la lumière du Soleil qui eft tombée fur la Terre renvoyée à la Lune & refléchie de la Lune à nos yeux: enfin dès que la Lune entre dans l'ombre que forme la Terre vers la partie oppolée au Soleil, le corps entier de la Lune ou les parties qui entrent dans l'ombre s’éclip{ent, comme font les fatellites de Jupiter & de Saturne dès qu'ils entrent dans l’ombre de ces Afkres. Quant aux Planètes principales, la Terre en étant une, fa feule analogie conduiroit à croire que les autres font opaques comme elle; mais il y a des preuves plus füres qui ne permettent pas d’en douter. Celleñdes Planètes, dont la fituation à l’égard du Soleil demande qu’elle nous préfente les mêmes Phafèes que la Lune, nous les préfente en effet: Vénus obfèrvée au Télescope nous montre tantôt un Disque rond, & tantôt des Croiflants, plus ou moins grands ESSSAY°DE 'COSMOLOGTIE. 31 grands felon que P'Hémifphère qui eft tourné vers nous ef plus ou moins éclairé du Soleil. Mars nous préfente auf différentes Phafes, quoique fon orbite étant extérieure à celle de la Terre, fes Phafes {vient moins inégales que celles de Vénus. Le pañage de Vénus & de Mercure fur le Soleil, qui s’obferve quelquefois, pendant lequel on les voit parcourir fon disque comme des taches obfcures, eft une nouvelle preuve de leur Opacité. Ju- piter & Saturne, dont les Orbes renferment l'Orbe de la Terre, ne fauroient étre expolés à ce Phénomène: mais les Eclipfès de leurs Satellites, lorsqu'ils fe trouvent dans leur ombre, prouvent aflez que ce font des corps opaques. Les Taches, qu’on obferve avec le Télescope fur le disque des Planètes, & qui confervent conftamment leur figure & leur fituation, prouvent qué les Planètes font des corps folides. La Lune la plus voifine de nous nous fait voir fur fa furface de grandes cavités, de hautes montagnes, qui jettent des ombres fort fenfibles vers la partie oppofée au Soleil: & la furface de cette Planète paroit aflez femblable à celle de la Terre, fi on l’obfervoit de la Lune; avec cette difté- rence que les montagnes de celle-ci faat beaucoup plus élevées que toutes les nôtres. Quant au Soleil; on ne peut douter que la matière, dont il eft formé, ne foit lumineufe & brulante. Il eft la fource de toute la lumière qui éclaire la Terre & les autres Planètes, & de tout le feu qui les échauffe; fes rayons étant condenfées au foyer d’un miroir brulant, & fi leur quantité & leur condenfätion font aflez grandes, ils font un feu plus puiffant que tous les autres feux que nous pou- vons produire avec les matières les plus combuftibles. Une fi grande adivité fuppoie la fluidité, mais on voit encore que la matière qui compofe le Soleil eft fluide par les changemens conti- nuels qu’on y obferve. Les taches qui paroiffent dans le disque du Soleil & qui disparoiffent enfuite font autant de corps qui nagent dans ce fluide; qui en paroiflent comme les Ecumes, ou qui sy confument. On 32 ESSAY DE COSMOLOGTE. On a toujours {u que le Soleil étoit la caufe de la lumiere ; mais ce neft que dans ces derniers tems qu'on a découvert que la lumière étoit la matière même du Soleil: fource inépuifäble de cette matière précieufe, depuis la multitude de fiècles qu'elle coule, on ne s’ap- perçoit pas qu’elle ait fouffert aucune diminution! Quelle que foit fon immenfité, quelle fubtilité ne faut-il pas fuppolëer dans les ruiffeaux qui en fortent! Mais f leur ténuité paroit merveilleufé, quelle nouvelle merveille n’eft-ce point, lorsqu'on verra qu’un rayon lumineux, tout fubtil qu’il eft, tout.pur qu'il paroit à nos yeux, eft un mélange de différentes matières. Lors- qu’on faura qu’un mortel a fu analy{er la lumière, découvrir le nombre & les dofes des ingrédients qui la compolent? Chaque rayon de cette matière, qui paroit fi fimple, eft un faifceau de rayons rouges, orangés, jaunes, verds, bleus, indigots, & violets, que leur mélange confondoit à nos yeux (*). Nous ne faurions déterminer avec précifion, quelle eft la fineffe des rayons de lumière, mais nous connoiffons leur viteffe; dans 7. ou 8. minutes ils arrivent à nous; ils traverfent dans un tems fi court tout l’efpace qui fépare le Soleil & la Terre; c’eft-a-dire, plus de trente millions de lieuës. Tout effrayantes pour l'imagination que font ces chofes, des expériences inconteflables les ont fait connoitre (**). Revenons aux Planètes & examinons un peu plus en détail leurs mouvemens. Les routes qu’elles décrivent dans les Cieux font à peu près circulaires, mais ce ne font pas cependant abfolument des cercles, ce font des Ellipfes qui ont fort peu d’excéntricité. Nous avons auffi confidéré les Planètes comme des Globes, & ileft vrai qu'elles approchent fort de la figure fphérique: ce ne font pourtant pas, du moins ce ne font pas toutes, des Globes parfaits. . L] 4 . Dans ces derniers tems on fouppçonna que la Terre n’étoit pas parfaitement fphérique. Quelques expériences firent penfer à Newton (*) Newton Optik. (**) Philof. Transaét. No. 406. ESSAY DE CCOSMOLOGTE. 43 Newton & à Huygens qu’elle devoit étre plus élevée à l Equateur qu'aux Poles; & être un fphéroïde applati. Des melures actuelles de diflérens dégrés de la Ffance fembloient lui donner une figure toute oppolée, celle d’un Sphéroïde allongé. Ces mefures prifes par de très-habiles Obfervateurs fembloient détruire la figure applatie, qui n’étoit prouvée que par des expériences indirectes & par des raifonnemens. Telle étoit l'incertitude : lorsque le plus grand Roi que la France ait eu ordonna la plus magnifique entreprile qui ait jamais été formée pour les Sciences. C’étoit de méfurer vers l’Equateur & vers le Pole les deux dégrés du Méridien les plus éloignés qu’il füt poffible. La comparaifon de ces dégrés devoit décider la queftion, & déter- miner la figure de la Terre. M. M. Godin, Bouguer, la Conda- mine, partirent pour le Perou; & je fus chargé de l'expédition du Pole avec M. M. Clairaut, Camus, le Monnier & Outhier. Nous méfurames, dans les déferts de la Laponie, le dégré qui coupe le Cercle polaire, & nous trouvames la Terre applatie: fon Axe eft de 6525600. toifes; & le diamètre de fon Equateur eft de 6562500. La Planète de Jupiter, dont la revolution autour de l'Axe ef beaucoup plus rapide que celle de la Terre, a un applatiffement beaucoup plus confidérable, & fort fenfible au Télescope. Voilà quelle eft l œconomie la plus connuë de notre fÿftême folaire. On y obferve quelquefois des Afres que la plûpart des Philofophes de l'Antiquité ont pris pour des Météores pañagers ; mais qu'on ne peut fe dispenfèr de regarder comme des Corps durables, & de la même Nature que les Planètes. La différence la plus confidérable qui paroit être entre les Pla- nètes & ces nouveaux Aftres, c’eft que les orbes de celles-là font presque tous dans le même plan, ou renfermés dans une Zone de peu de largeur, & font des Ellipfes fort approchantes du Cercle; les Comètes au contraire fe meuvent dans toutes les direétions, & décrivent des Ellipfes fort allongées. Nous ne les voyons que quand elles paffent dans ces régions du Ciel où fe trouve la Terre, quand Oeuv. de Maupert. E elles 34 ESSAY‘:DE :COSMOLOGTE. 5 elles parcourent la partie de leur orbite la plus voifine du Soleil: dans le refte de leurs orbites elles disparoiffent à nos yeux. LA Quoique leur éloignement nous empêche de fuivre leurs Cours; plufeurs apparitions de ces Aftres, après des intervalles de tems égaux, femblent n’étre que les retours d’une même Comète. C’eft ainfi qu'on croit que celle qui parut en 1682. étoit la même qui avoit été vuë en 1607, en 1531, & en 1456. Sa revolution feroit d’en- viron 75. ans, & l’on pourroit attendre fon retour vers l’année 1757. De même quatre apparitions de la Comète qui fut remarquée à la mort de Jules Céfar, puis dans les années 531, 106, & en dernier lieu en 1680, doivent faire penfer que c’eft la même, dont la revo- lution eft de 575. ans. La Poftérité verra fi la conjecture eft vraie. Celle-ci, en 1680. s’approcha tant du Soleil, que dans fon Pecrihélie elle n’en étoit éloignée que la fixième partie de fon dia- mètre. On peut jugér par-là à quelle chaleur cette Comète fut. expofée: elle fut 28000. fois plus grande que celle que la Terre éprouve en Eté. Quelques Philofophes confidérant les routes des Comètes, qui parcourent toutes les régions du Ciel: tantôt s’approchant du Soleil jusqu’à pouvoir y être englouties, tantôt s’en éloi- gnant à des diftances immenfes, ont attribué à ces Aftres des ufages affez finguliers. Ils les regardent comme fervant d’ali- ment au Soleil, lorsqu'elles y tombent, ou comme deftinées à rapporter aux Planètes l’humidité, qu’elles perdent: en effet, on voit aflez fouvent les Comètes environnées d’épaiffes Atmofphères, ou de longues queuës qui ne paroiffent formées que d’exhalaifons & de vapeurs. Quelques Philofophes au lieu de ces favorables in- fluences, en ont fait appréhender de très-funeftes. Le Choc d’un de ces Aftres qui rencontreroit quelque Planète fans doute la détrui- roit de fond en comble. Il eft vrai que ce féroit un terrible hazard, fi des corps, qui fe meuvent dans toutes fortes de directions dans l’immenfité des Cieux, venoient rencontrer quelque Planète. Car malgré la groffeur de ces corps, ce ne font que des Atomes, dans l’efpace où ils & meuvent : la chofe n’eft pas impoñlible, Lu > ut ESSAY DE COS$SMOLOGIE. 35 fût ridicule de la craindre. La feule approche de corps auffi bru- lants que le font quelques Comètes, lorqu’elles ont pañlé fort près du Soleil, la feule inondation de leurs Atmofphères ou de leurs Queuës, cauferoit de grands désordres für la Planète qui s’y trou- veroit expolée. On ne peut douter que la plüpart des Animaux ne périffent, s’il arrivoit qu’ils fuffent reduits à fupporter des Chaleurs auffi excefi- ves, ou à nager dans des fluides fi diférens des leurs, ou à relpirer des vapeurs auffi étrangères. Ils n’y auroit que les Animaux les plus robuftes & peut-être les plus vils qui confervaffent la vie. Des efpèces entières féroient détruites; & l’on ne trouveroit plus entre celles qui refteroient l’ordre & l’harmonie qui y avoit été d’abord, Quand je réfléchis fur les bornes étroites dans lesquelles font renfermées nos connoiffances; fur le delir extrème que nous avons de favoir, & fur l’impuiffance où nous fommes de nous inftruire; je {erois tenté de croire que cette disproportion, qui fe trouve au- jourd’hui entre nos connoiffances & notre curiofité, pourroit être la fuite d’un pareil désordre. Auparavant, toutes les efpèces formoient une fuite d’Etres qui n’étoient pour ainfi dire que des parties contigues d’un même Tout, Chacune liée aux efpèces voifines, dont elle ne difléroit que par des nuances infenfibles, formoit entr’elles une communication qui s’étendoit depuis la prémière jusqu’à la dernière. Mais cette chaine une fois rompué, les efpèces, que nous ne pouvions connoitre que . par l’entremile de celles qui ont été détruites, font devenues in- compréhenfibles pour nous: nous vivons peut-être parmi une in- finité de ces Etres dont nous ne pouvons découvrir, ni la Nature, ni méme l’exiftence. Entre ceux que nous pouvons encore appercevoir, il fe trouve des interruptions qui nous privent de la plüpart des fecours que nous pourrions emretirer: car l'intervalle, qui eft entre nous & les derniers des Etres, n’eft pas pour nos connoiffances un obftacle moins invincible que la diftance qui nous fépare des Etres fupérieurs. Chaque éfpèce, pour l’'univerfälité des chofes, avoit des avantages E°2 qui 36 ESSAY DE COSMOLOGIE. qui lui étoient propres. Et comme de leur affemblage refültoit la beauté de l’univers, de même de leur communication en refüultoit la Science. - Chaque efpèce ifolée ne peut plus embellir , ni faire connaitre les autres: la plupart des Etres ne nous paroiffent que comme des Montres; & nous ne trouvons qu’obfcurité dans nos connoiffances. C’eft ainfi que l'édifice le plus régulier, après que la foudre Fa frappé, n'offre plus à nos yeux que des ruines; dans lesquelles on ne reconnoit ni la fymmetrie que les parties avoient entr’elles, ni le deffein de l Architecte. Si ces conjectures paroïflent à quelques-uns trop hardies; qu'ils jettent la vuë fur les marques inconteftables des changemens arri- vés à notre Planète? Ces coquillages, ces poiflons petrifiés, qu’on trouve dans les lieux les plus élevés, & les plus éloignés des rivages, ne font-ils pas voir que les eaux ont autrefois inondé ces lieux? ces Terres fracaflées, ces Lits de différentes fortes de matières interrompus &fàns ordre, ne font-ils pas des preuves de quelque violente fecouffe que la Terre a éprouvée? Celui qui dans une belle nuit regarde le Ciel, ne peut fans admiration contempler ce magnifique fpeétacle. Mais fi fes yeux font éblouis par mille Etoiles qu'il apperçoit, fon Efprit doit être plus étonné, lorsqu'il faura que toutes ces Etoiles font autant de Soleils femblables au nôtre; qui ont vraifemblablement comme lui leurs Planètes & leurs Comètes : lorsque l’Aftronomie lui apprendra que ces Soleils font placés à des diftances fi prodi- gicufes de nous, que toute la diftance de notre Soleil à la Terre n’eft qu'un point en comparaïfon: & que quant à leur nombre que notre vuë paroit reduire à environ 2000, on le trouve tou- jours d’autant plus grand, qu’on fe fert de plus longs Télefcopes; toujours de nouvelles Etoiles au de-là de celles qu’on appercevoit, point de fin, point de bornes dans les Cieux. Toutes ces Etoiles paroiffent tourner autour de la Terre en 24. heures: mais il eft évident que la revolution de la Terre autour ESSAWY DE COSMOLOGIE. 37 autour de fon Axe doit caufer cette apparence. Elles paroiffent encore toutes faire autour des Poles de l’Ecliptique une revolu- tion dans l’efpace de 25000. ans; ce Phénomène eft la fuite du mouvement conique de l'Axe de la Terre. Quant au chan- sement de fituation de ces Etoiles qu’il femble qu'on dût at- tendre du mouvement de la Terre dans fon orbe, toute la diftance, que la Terre parcourt depuis une Saifon jusqu’à la Saifon oppo- fée, n'étant rien par rapport à {à diftance aux Etoiles, elle ne peut caufer de différence fenfble dans leur afpect. Ces Etoiles, qu’on appelle Fxes, gardent entre elles conftam- ment la même fituation: pendant que les Planètes ou Etoiles Er- rantes changent continuellement la leur, dans cette Zone, où nous avons vu que tous leurs orbes étoient renfermés, & que les Comètes plus errantes encore parcourent indifféremment tous les lieux du Ciel. Quelquefois on a vu tout à coup de nouvelles Etoiles paroitre: on les a vuës durer quelque tems, puis peu à peu s’obfcurcir & s'éteindre. Quelques-unes ont des Périodes connuës de lumière & de ténèbres. La figure que peuvent avoir ces Etoiles & le mou- vement des Planètes qui tournent peut-être autour, peuvent être les caufes de ces Phénomènes. Quelques Etoiles qu’on appelle Nébuleufès, qu’on ne voit jamais que comme à travers d’Atmofphères dont elles paroiffent environ- nées, nous font voir encore qu’il y a parmi ces Aftres beaucoup de diverfités. Enfin des yeux attentifs, aidés du Télefcope, découvrent de nouveaux Phénomènes : ÉE font de grands Efpaces plus clairs que le refte du Ciel; à travers lesquels F Auteur de la Théologie Affrono- mique a cru voir l'Empirée: mais qui plus vraifemblablement ne font que des efpèces d’Aftres moins lumineux & beaucoup plus grands que les autres, plus applatis peut-être, & ‘auxquels difié- rentes fituations femblent donner des figures irrégulières (CY E'3 Voilà (*) Voyez le Difcours fur la Figure des Aftres. 38 ESSAY DE COSMOLOGIE. Voilà quels font les principaux objets du Spectacle de la Nature. Si lon entre dans un plus grand détail, combien de nouvelles mer- veilles ne découvre-t-on pas? Quelle terreur n'infpire pas le bruit du Tonnerre, & l'éclat de la foudre, que ceux méme qui nioient la Divinité ont regardés comme fi propres à la faire craindre? Qui peut voir fans admiration cet Arc merveilleux qui paroit à l'oppo- fite du Soleil; lorsque par un tems pluvieux les goutes repanduës dans l'air féparent à nos yeux les couleurs de la lumière? fi vous allez vers le Pole, quels nouveaux Spectacles fe préparent? Des feux de mille couleurs, agités de mille mouvemens, éclairent les nuits dans ces Climats, où l’Aftre du jour ne paroiït point pendant l'hyver. J'ai vu de ces nuits plus belles que les jours; qui faifoient oublier la douceur de l Aurore, & l'éclat du midi. Si des Cieux on defcend fur la Terre: fi après avoir parcouru les plus grands objets, l’on examine les plus petits, quels nouveaux prodiges! quels nouveaux miracles! Chaque Atome en offre autant que la Planète de Jupiter. RECHER- E SAM AD E CC OSMOLOGIE. 30 PNR RE SE VERT» ele 7 ah LYON Eau TE SNS" TE eue UNS Veu US SL LS Le RECHERCHE MATHÉMATIQUE DES LOIX DU MOUVEMENT HELD BP RE OS: es Corps foit en repos, foit en mouvement, ont une certaine Force pour perfifter dans l’état où ils font: cette Force, appar- tenant à toutes les parties de la Matière, eft toujours proportionelle à la quantité de Matière que ces corps contiennnent, & s’ appelle leur Iuertie. L’Impénétrabilité des Corps, & leur inertie, rendoient nécef- faire l’établiffement de quelques loix, pour accorder enfemble ces deux propriétés, qui font à tout moment oppofées l’une à l’autre dans la Nature. Lorsque deux Corps fe rencontrent, ne pouvant fe pénétrer, il faut que le Repos de l’un & le Mouvement de l’autre, ou 8 Mouvement de tous les deux foient altérés: mais cette altéra- tion dépendant de la Force avec laquelle les deux Corps fe cho- quent, examinons ce que c’eft que le Choc; voyons de quoi il dépend; & fi nous ne pouvons avoir une idée aflez claire de la Force, voyons du moins les circonftances qui le rendent le même. On füuppofe ici, comme l'ont fuppolé tous ceux qui ont cherché les loix du mouvement; que les Corps foient des Globes de Matière homogène; & qu’ils fe rencontrent direétement, c’eft - à - dire, que leurs centres de gravité foient dans la ligne droite qui eft la direction de leur mouvement. Si un Corps fe mouvant avec une certaine vitefle, rencontre un autre Corps en repos; le Choc eft le même que fi ce dernier Corps, fe mouvant avec la viteffe du prémier, le rencontroit en repos. Si deux Corps fe mouvant l’un vers l’autre fe rencontrent; le Choc eft le même que fi lun des deux étant en repos, l’autre le rencontroit avec une vitefle qui füt égale à la fomme des vitefles de l'un & de l'autre. SI Ceci a déjà paru dans les Mém, de l’Acad. R. des Sciences de Pruffe. Année 1747. 40 “ESSAY DE COSMOLOGIE. Si deux Corps fe mouvant vers le même côté fe rencontrent; le Choc eft le même que fi lun des deux étant en repos, l’autre le rencontroit avec une vitefle qui füt égale à la différence des vitefles de l’un & de l’autre. En général donc: fi deux Corps fe rencontrent, {oit que l'un des deux foit en repos, foit qu’ils fe meuvent tous les deux Pun vers l’autre, foit qu’ils fe meuvent tous deux du même côté: quel- les que foient leurs viteffes, fi la fomme ou la différence de ces vitefles (ce qu’on appelle /4 vireffle refpeélive’) eft la même, le Choc eft le même. La grandeur du Choc de deux Corps donnés depend uniquement de leur virefle refpettive. La vérité de cette propofition eft facile à voir, en concevant les deux Corps efnportés fur un plan mobile, dont la viteffe détruifant la vitefle de l’un des deux, donneroit à l’autre la fomme ou la dif- férence des vitefles qu’ils avoient. Le Choc des deux Corps fur ce plan feroit le même que fur un plan immobile, où lun des Corps étant en repos, l’autre le viendroit frapper avec la fomme ow la différence des viteffes. e Voyons maintenant la différence que la Dureté ou l'Elafticité des Corps caufe dans les effets du Choc. Les Corps parfaitement Durs font ceux, dont les parties font inféparables & inflexibles; & dont, par conféquent, la figure eft inaltérable. Les Corps parfaitement Elafliques font ceux, dont les parties, après avoir été pliées, fe redreffent, reprennent leur prémière fitua- tion, & rendent aux corps {à prémière figure. Quant à la nature de cette Elafticité, nous n’entreprenons pas de l'expliquer; il füuffit ici d’en connoitre l’effet. Je ne parle point des Corps Moûs, ni des Corps Fluides; ce ne font que des amas de Corps Durs ou Elaftiques. Lorsque deux Corps Durs fe rencontrent, leurs parties étant inféparables & inflexibles, le Choc ne fauroit altérer que leurs vitefles. Les deux Corps fe preffent & fe pouflent, jusqu’à ce que la viteffe de l'un foit égale à la vitefle de l'autre. Les Corps Durs, après le Choc, vont donc enfemble d'une vitefle commune. Mais ESSAY DE COSMOLOGIE: 41 Mais lorsque deux Corps Elaftiques fe rencontrent, pendant qu’ils fe preffent & fe pouffent, le choc eft employé aufñfi à plier leurs parties, & les deux Corps ne demeurent appliqués l’un contre l'autre, que jusqu’à ce que leur reffort, bandé par le Choc autant qu'il le peut être, les fépare en fe débandant; & les fafle s'éloigner avec autant de vitefle qu’ils s'approchoient: car la viteffe refpective des deux Corps étant la feule caule qui avoit bandé leur reflort, il faut que le débandement reproduile un effet égal à celui, qui comme caufe avoit produit le bandement: c’eft-à-dire une viteffe relpective, en fens contraire, égale à la prémière. La vireffe refpective des Corps Elaftiques ef} donc, après le Choc, la méme qu'auparavant. Cherchons maintenant les loix, felon lesquelles le Mouvement fe diftribuë entre deux Corps qui fe choquent, foit que ces Corps foient Durs, foient qu’ils foit Elaftiques. Nous déduirons ces loix d’un feul Principe, & de ce même Prin- cipe nous déduirons les loix de leur Repos. PRINCIPE GENERAL. Aie arrive quelque changement dans la Nature, la Quan- tiré d’Aëfion, nécefaire pour ce changement, ef la plus perire qu'il Joit pofible. La Quantité d’Aion eft le produit de la Mañle des Corps, par leur vitefle & par l’efpace qu’ils parcourent. Lorsqu’un Corps eft transporté d’un lieu dans un autre, PAction eft d'autant plus grande, que la Mañe eft plus grofle, que la viteffe eft plus rapide, que V'efpace, par lequel il eft transporté, eft plus long. PAR OB L'EMEUT: Trouver les Loix du Mouvement des C! orps Durs. Soient deux Corps Durs, dont les Mañles font À & B, qui fe meuvent vers le même côté, avec les vitefles 4 & b: mais À plus vite que B, en forte qu’il l'atteigne & le choque. Soit la vitefle commune de ces deux corps après le choc=x<4&>b. Le chan- gement arrivé dans l'Univers, confifte en ce que le corps À, qui {e mouvoit avec la vitefle 4, & qui dans un certain tems parcouroit Oeuv. de Maupert. à un 42 E SS'AY : DE" COS MD L O'GTE: un efpace — 4, ne fe meut plus qu'avec la vitefñfle x, & ne parcourt qu'un efpace = x: Le corps B, qui ne fe mouvoit qu'avec la vi- teffe b, & ne parcouroit qu’un efpace — b, fe meut avec la vitefle x, & parcourt un efpace = x. | Ce changement eft donc le méme qui feroit arrivé, fi pertdant que le corps À fe mouvoit avec la vitefle 4, &parcouroit l'efpace=, il eût été emporté en arrière fur un plan immatériel, qui fe fût mû avec une viteffe 4 — x, par un efpace = 2 — x: & que pendant que le corps B fe mouvoit avec la viteffe b, & parcouroit l’ efpace = b, il eût été emporté en avant fur un plan immateriel, qui fe fût müû avec une vitefle x—b, par un efpace — x — b. Or, que les corps À & B fe meuvent avec des viteffes propres fur les plans mobiles, ou qu’ils y foient en repos, le mouve- ment de ces plans chargés des corps, étant le méme: les Quan- tités d'Action, produites dans la Nature, feront À (a—x})?, & B (x—b}?; dont la fomme doit étre la plus petite qu’il foit poffible. On a donc Aaa — 2Aax + Axx + Bxx — 2Bbx + Bbb= Minimum. Ou — 2Aadx +2Axdx+2Bxdx— 2Bbdx=0. D'où l’on tire pour la viteffe commune Aa+Bb . A+B Dans ce cas, où les deux corps fe meuvent du même côté, la quantité de mouvement détruite & la quantité produite, font égales: & la quantité totale de mouvement demeure, après le choc, la méme qu’elle étoit auparavant. Il eft facile d'appliquer le même raifonnement au cas; où les corps fe meuvent l’un vers l'autre: ou bien il füuffit de confidérer à comme négatif par rapport à a: & la vitefle commune fera Aa— Bb. A + B Si l'un des corps étoit en repos avant le choc, b=0; & la vitefle commune €it Aa À + B Si un corps rencontre un obflacle inébranlable, on peut confi- dérer cet obflacle comme un corps d’une Maffe infinie en repos: Si donc B eft infini, la viteffe x = 0. Voyons X = ESSAY DE COSMOLOGIE. 43 Voyons maintenant ce qui doit arriver, lorsque les Corps font Elañtiques. Les Corps, dont je vais parler, font ceux qui ont une parfaite Elafticité. PROBLENELCUIT Trouver les Loix du Mouvement des Corps Elafliques. Soient deux Corps Elaftiques, dont les Maffes {ont À & B, qui fe meuvent vers le même côté, avec les vitefles 4 & D; mais À plus vite que B, enforte qu’il l'atteigne & le choque: & foient x & Z les vitefles des deux corps après le choc: la fomme ou la différence de ces viteffes après le choc, eft la mème qu’elle étoit auparavant. Le changement, arrivé dans l'Univers, confifte en ce que le corps À, qui fe mouvoit avec la viteffe 4, & qui dans un certain tems parcouroit un efpace —4, ne fe meut plus qu'avec la vitefle «, & ne parcourt qu’un efpace = «: le corps B, qui ne fe mouvoit qu'avec la vitefle b, &.ne parcouroit qu’un efpace —b, fe meut avec la vitefle B, & parcourt un efpace — /. Ce changement eft donc le même qui féroit arrivé, fi pendant que le corps À fe mouvoit avec la vitefle 4, & parcouroit l’efpace = 4, il eût été emporté en arrière fur un plan immatériel, qui fe fût mü avec une vitefle &—«, par un efpace = 4—%: & que pen- dant que le corps B fe mouvoit avec la viteffe b, & parcouroit l'efpace — b, il eût été emporté en avant fur un plan immatériel, qui fe fût mû avec une vitefle B—b, par un efpace — B —b. Or, que les corps À & B fe meuvent avec des vitefles propres fur les plans mobiles, ou qu'ils y foient en repos; le mouvement de ces plans chargés des corps, étant le même: les Quantités d'Adion, produites dans la Nature, feront A(a—xY, &P(B—b}; dont la fomme doit étre la plus petite qu'il foit poffible. On a donc Aaa — 2Aau + Ana + BBB — 2Bb8B + Bbb — Minimum. Ou — 2Aada + 2Aaxdx + 2B£GdRB — 2BbdB = 0. Or, pour les Corps Elaftiques, la vitefle refpective étant, après le choc, la méme qu’elle étoit auparavant; on à B— « 2 NT 44 ESSA'Y CDN C0 S'MO L O0 GTE —a—b, ou R=ux+a—b, & dB = da: qui, étant fubfti- tués dans lEquation précédente, donnent pour les viteffes _Aa—Ba+2Bb Le 2ÂAa— Ab + Bb. AU 2 TOR SE) UT D Si les corps fe meuvent lun vers l'autre, il eft facile d'appliquer le même raifonnement : ou bien il fuffit de confidé- rer b comme négatif par rapport à a, & les vitefles feront (2 Aa— Ba—2Bb 2Aa+ Ab— Bb. DE ne en ee nr A+B A+B Si l’un des corps étoit en repos avant le choc, b=0; & les vitefles font Aa — Ba 2 Aa œ — ——— & B = —————— , A+B A+B Si l’un des corps eft un obftacle inébranlable, confidérant cet obflacle comme un corps B d’une Mafñfe infinie en repos; on aura la vitefle x =— 4: c’'eft-à-dire, que le corps À rejaillira avec la méme vitefle qu’il avoit en frappant lobftacle. Si l'on prend la fomme des Forces vives, on verra qu'après le choc elle eft la même qu’elle étoit auparavant: ceft-à- dire, que Aucu+BB—Aaa + Bbb. Ici la fomme des Forces vives fe conferve après le choc: mais cette confervation n’a lieu que pour les Corps Elaftiques, :& non pour les Corps Durs. Le Principe général, qui s étend aux uns & aux autres, eft que 4 Quantité d'Adfion, néceffaire pour caufer quelque changement dans la Nature, eff la plus perire qu'il eff pofible. Ce Principe eft fi univerfel & fi fécond qu’on en tire la Loi du Repos, ou de l'Equilibre. Il eft évident qu’il n’y a plus ici de différence entre les Corps Durs & les Corps Elaftiques. PROBLEME Ill. Trouver la Loi du Repos des Corps. Je confidère ici les Corps attachés à un Levier: & pour trouver le point, autour duquel ils demeurent en équilibre, je cherche le point, ESSAY DE COSMOLOGIE. 45 point, autour duquel, fi le Levier reçoit quelque petit mouvement, la Quantité d'Action {oit la plus petite qu’il foit poffible. Soit c la longueur du Levier, que je fuppofe immatériel, aux extrémités duquel foient placés deux Corps, dont les Maffes font A &B. Soit z la diftance du corps À au point cherché, & c—2z la diflance du corps B: il eft évident que, fi le Levier a quelque petit mouvement, les corps À & B décriront de petits Arcs fem- blables entre eux, & proportionels aux diftances de ces corps au point qu’on cherche. Ces Arcs feront donc les efpaces parcourus par les Corps, & reprélentent en même tems leurs vitefles. La Quantité d'Action fera donc proportionelle au produit de chaque corps par le quarré de fon arc; ou (puisque les arcs font femblables) au produit de chaque corps par le quarré de fà diftance du point, autour duquel tourne le Levier, c’eft-à- dire, à Azz &B (c—z)?; dont la fomme doit être la plus petite qu’il foit poffible. On a donc Azz+Bcc—2Bcz+Bzz = Minimum. Ou2Azdz—2Bcdz +2Bzdz=0. D'où l'ontire z=— Ce qui eft la Propo- A+B fition fondamentale de la Statique. Fa ACCORD 46 ESSAYEBE.LE"0 SM O0 L'OGTE boite Hot Re Heteint etes Zeb tete ete eZ ea a re AC GC: OM Ra D DE DIFFERENTES” L'OIX DEA NATURE QUI AYOTIENT LUSQAU/ICI PARU INCOMPATIBLES. O' ne doit pas exiger que les différens moyens, que nous avons pour augmenter nos connoiflances, nous conduilent aux mêmes vérités, mais il féroit accablant de voir que des propofitions, que la Philofophie nous donne comme des vérités fondamentales, fe trouvaffent démenties par les raifonnemens de la Géometrie, ou par les calculs de l Algèbre. Un exemple mémorable de cette contradition tombe fur un Sujet des plus importans de la Phyfique. Depuis le renouvellement des Sciences, depuis même leur pré- mière origine, on n'a fait aucune découverte plus belle que celle des loix que fuit la Lumière; foit qu’elle fe meuve dans un milieu uniforme, foit que, rencontrant des corps opaques, elle oit fléchie par leur furface, foit que des corps diaphanes l'obligent de changer fon cours en les traverfant. Ces loix font les fondemens de toute la Science de la Lumière & des Couleurs. Mais j'en ferai peut-être mieux fentir Fimportance, fi, au lieu de préfenter un objet fi vafte, je n'attache feulement à quelque partie, & n’offre ici que des objets plus bornés & mieux connus; fi je dis, que ces loix font les principes fur lesquels eft fondé cet art admirable, qui, lorsque dans le vieillard tous les organes s’af- foibliffent, fait rendre à fon œil fà prémière force, lui donner même une force qu’il »’avoit pas reçue de la Nature; cet art qui étend notre Ce Mémoire fut lu dans PAffemblée pu- France le 15. Avril 744. & fut inféré dans blique de l'Académie Royale des Sciencesde le Recueil de 1744. ES SAMI QD'E" CO SMOLOGRE 47 notre vuë jusques dans les derniers lieux de l’efpace, qui la porte jusques fur les plus petites parties de la matière; & qui nous fait découvrir des objets dont la vué paroifloit interdite aux hommes. Les loix que fuit la Lumière, lorsqu'elle fe meut dans un milieu uniforme, ou qu’elle rencontre des corps qu’elle ne fauroit pénétrer, étoient connuës des Anciens: celle qui marque la route qu’elle fuit, lorsqu'elle pañle d’un Milieu dans un autre, n’eft connuë que depuis’ le Siècle pañlé; Snellius la découvrit; Descartes entreprit de l’expliquer, Fermat attaque fon explication. Depuis ce tems cette matière a été l’objet des recherches des plus grands Géomètres, fans que jusqu'ici l’on foit parvenu à ac- corder cette Loi avec une autre que la Nature doit fuivre encore plus inviolablement. Voici les loix que füuit la Lumière. La prémière eft, que dans un milieu uniforme, elle Jè meut en ligne droite. La feconde, que, lorsque la Lumière rencontre un Corps quelle ne peut pénétrer, elle efl refléchie; € l’Angle de Ja reflexion eft egal à lAngle de Jon incidence: c’eft-à- dire, qu'après fa reflexion elle fait avec la furface du corps un angle égal à celui fous lequel elle Favoit rencontré. La troifième eft, que, lorsque la Lumière paffe d'un Milien diaphane dans un autre, fa route, après la rencontre du nouveau Milieu, fait un angle avec celle qu'elle renoit dans le prémier; € le Sinus de l’angle de refraütion ef} 1oujours dans le même rapport au Sinus de l’angle d'incidence. Si, par exemple, un rayon de lumière paffant de Pair dans Peau s’ eft brifé de manière que le Sinus de l'angle de fà refraction foit les trois quarts du Sinus de fon angle d'incidence; fous quelqu’autre obliquité qu’il rencontre la furface de l’eau, le Sinus de fa refraction fera toujours les trois quarts du Sinus de fà nouvelle incidence. La prémière de ces loix eft commune à la Lumière & à tous les corps; ils fe meuvent en ligne droite, à moins que quelque force étrangère ne les en détourne. La 48 ESSAY DE COSMOLOGIE. La feconde eftencore la même que fuit une Balle élaftique lancée contre une füurface inébranlable. La Méchanique démontre, qu'une Balle, qui rencontre une telle furface, eit refléchie par un Angle égal à celui fous lequel elle Pavoit rencontrée, & c’eit ce que fait la lumière. Mais il s’en faut beaucoup que la troifième Loi s explique auffi heureufement. Lorsque la Lumière pañle d’un Milieu dans un autre, les Phénomènes font tout différens de ceux d’une balle qui traverfe différens Milieux; & de quelque manière qu’on entreprenne d’ex- pliquer la Refraction, on trouve des difficultés qui n’ont point encore été furmontées. Je ne citerai point tous les grands hommes qui ont travaillé fur cette matière; leurs noms feroient une life nombreufe qui ne feroit qu’un ornement inutile à ce Mémoire, & l’expofition de leurs Syfe- mes feroit un ouvrage immenfe : mais je reduirai à trois clafles toutes les explications que ces Auteurs ont données de la Reflexion & de la Refraction de la lumiere. La prémière claffe comprend les explications de ceux qui wont voulu déduire la Refraction que des principes les plus fimples & les plus ordinaires de la Méchanique. La feconde comprend les explications, qui, outre les principes de la Méchanique, fuppofent une Tendance de la Lumière vers les corps, foit qu’on la confidère comme une Attraction de la matière, {oit comme l'effet de telle caufe qu’on voudra. La troifième clafle, enfin, comprend les explications qu'on a voulu tirer des feuls principes métaphyfiques; de ces loix auxquelles la Nature elle-même paroit avoir été aflujettie par une Intelligence fupérieure, qui dans la produétion de fes effets la fait toujours pro: céder de la manière la plus fimple. Descartes, & ceux qui l'ont füivi, font dans la prémière claffe ; ils ont confidéré le mouvement de la lumière comme celui d’une Balle qui rejailliroit à la rencontre d’une furface qui ne lui cède aucunement; ou qui, en rencontrant une quil lui cède, continue: roit, d'avancer, en changeant feulement la direétion de fà route Si ESSAY(DE COSMOLOGIE. 49 Si {a nanière, dont ce grand Philofophe a tenté d'expliquer ces Phé- nomènes, eftimparfaite, il a toujours le mérite d’avoir voulu ne les déduire que de la Méchanique la plus fimple. Plufñeurs Mathématiciens relevèrent quelque paralogisme qui étoit échappé à Descartes; & firent voir le défaut de fon explication. Newton desefpérant de déduire les Phénomènes de la refraction de ce qui arrive à un corps qui fe meut contre des obftacles, ou qui eft pouffé dans des Milieux qui lui reñftent difléremment, eut recours à {on Attraction. Cette Force répanduë dans tous les corps à proportion de leur quantité de matière une fois admife, il explique de la manière la plus exacte & la plus rigoureufe les Phénomènes de la refration. M. Clairaut, dans un excellent Mémoire qu'il a donné fur cette matière, non feulement a mis dans le plus grand jour l'infuffifance de l'explication Cartéfienne, mais admettant une ten- dance de la Lumière vers les corps diaphanes, & la confidérant comme caufée par quelque Atmofphère qui produiroit les mêmes effets que l Attraction, il en a déduit les Phénomènes de la Refraction avec la clarté qu’il porte dans tous les fujets qu’il traite. Fermat avoit fenti le prémier le défaut de l'explication de Des- cartes; il avoit aufli desefpéré apparemment de déduire les Phénomè- nes de la refraction de ceux d’une Balle qui feroit pouflée contre des obftacles ou dans des Milieux réliftants; mais il n’avoit eu recours ni à des Atmofphères autour des corps, ni à l’Attraction, quoi qu’on fiche que ce dernier principe ne lui étoit ni inconnu ni desagréable ; il avoit cherché l'explication de ces phénomènes dans un principe tout différent & purement métaphyfique. Tout le monde fait, que, lorsque la Lumière ou quelque autre corps va d’un point à un autre par une ligne droite, ils vont par le chemin & par le tems le plus court. On fait auffi, ou du moins on peut facilement favoir , que, lors- que la lumière eft refléchie, elle va encore par le chemin le plus court & par le tems le plus promt. On démontre qu'une balle qui ne doit païvenir d’un point à un autre qu'après avoir été refléchie par un plan, doit, pour aller par le plus court chemin & par le tems le plus court qu’il foit poffible, faire fur ce plan l'angle de reflexion égal à Oeuv. de Maupert. G 24 à l'angle 50 ESSAY DE COSMOLOGTIE. l'angle d'incidence: que fi ces deux angles font égaux, la fomme des deux lignes, par lesquelles la balle va & revient, eft plus courte & parcouruëé en moins detems que toute autre fomme de deux lignes qui féroient des angles inégaux. Voilà donc le mouvement dire & le mouvement refléchi de la Lumière, qui paroiffent dépendre d’une Loi métaphyfique, qui porte, que la Nature dans la production de fes effets agit toujours par les moyens les plus fimples. Si un corps doit aller d’un point à un autre {ans rencontrer nul obflacle, ou s’il n’y doit aller qu'après avoir rencontré un obflacle invincible, la Nature l'y conduit par le chemin le plus court & par le tems le plus promt. Pour appliquer ce principe à la Refration, confidérons deux Milieux pénétrables à la Lumière, féparés par un plan qui foit leur Surface commune: fuppofons que le point, d’où un rayon de lumiére doit partir, {oit dans un de ces Milieux, & que celui, où il doit arriver, foit dans l’autre; mais que la ligne, qui joint ces points, ne {oit pas perpendiculaire à la Surface des Milieux: pofons encore, par quelque caufe que cela arrive, que la lumière fe meuve dans cha- que Milieu avec différentes viteffes; il eft clair, que la ligne droite, qui joint les deux points, fera toujours celle du plus court chemin pour aller de l’un à l'autre, mais elle ne fera pas celle du tems le plus court; ce tems dépendant des différentes viteffes que la Lumière a dans les différens Milieux, il faut, fi le rayon doit employer le moins de tems qu’il eft poffible, qu’à la rencontre de la furface commune il fe brife de manière, que la plus grande partie de fà route fe fafle dans le Milieu où il fe meut le plus vite, & la moindre dans le Milieu où il fe meut le plus lentement. C’eft ce que paroit faire la Lumière lorsqu'elle pañfe de Pair dans l'eau; le rayon fe brife de manière, que la plus grande partie de fà route fe trouve dans l'air, & la moindre dans l’eau. Si donc, comme il étoit aflez raifonnable de le fuppofer, la Lumière fe mou- voit plus vite dans les Milieux plus rares que dans les plus denfes, fi elle fe mouvoit plus vite dans l'air que dans Peau, elle füivroit ici la route qu’elle doit fuivre pour arriver le plus promptement du point d’où elle part au point où elle doit arriver. Ce ESSAYiDE COSMOLOGIE. si Ce fut par ce principe que Fermat refolut le Problème, par ce principe fi vraifemblable, que la Lumière qui dans fa propagation & dans fa reflexion va toujours par le tems le plus court qu’il eft poffible, fuivoit encore cette même loi dans fà refrattion; & il n'héfita pas à croire, que la Lumière ne fe müt avec plus de facilité & plus vite dans les Milieux les plus rares que dans ceux, où, pour un même efpace, elle trouvoit une plus grande quantité de matière: en effet, pouvoit-on croire au prémier afpect que la Lumière traver{eroit plus facilement &plus vite le Cryftal & l'Eau que l'Air & le Vuide ? C’eft cependant ce qui arrive: Defcartes avoit avancé le prémier, que la Lumière fe meut le plus vite dans les Milieux les plus denfes; & quoique l'explication de la Refraétion, qu’il en avoit déduite, fût infufifante, fon défaut ne venoit point de la fuppoñtion qu’il faifoit. Tous les Syfièmes, qui donnent quelque explication plau- fible des Phénomènes de la refraétion, fuppofent le paradoxe, ou le confirment. Or ce fait polé, que Le Lumière Je meut le plus vite dans les Mi- lieux les plus denfes, tout l'édifice, que Fermat avoit bâti, eft détruit : la Lumière, lorsqu'elle traverfe différens milieux, ne va ni par le chemin le plus court, ni par celui du tems le plus promt; le rayon, qui pañle de Pair dans Peau faifant la plus grande partie de fa route dans Pair, arrive plus tard que s’il n’y failoit que la moindre. On peut voir, dans le Mémoire que M. de Mayran a donné für la Refle- xion & la Refration, l’hiftoire de la dispute entre Fermat & Descar- tes, & l'embarras & l’impuiffance où on a été jusqu'ici pour ac- corder la Loi de la refraétion avec le principe métaphyfique. En méditant profondément fur cette matière, j'ai penfé que la Lumière lorsqu'elle paffe d’un Milieu dans un autre, abandonnant déjà le chemin le plus court, qui eft celui de la ligne droite, pouvoit bien auffi ne pas füuivre celui du tems le plus promt; en eflet, quelle pré- férence devoit-il y avoir ici du tems fur l'efpace? la Lumière ne pouvant plus aller tout à la fois par le chemin le plus court, & par celui du tems le plus promt; pourquoi iroit-elle plutôt par l’un de ces chemins que par l’autre? auf ne fuit - elle aucun des deux; elle G 2 prend 52 ESSAY DE COSMOLOGIE. prend une route qui a un avantage plus réel: Le chemin qw elle tient ef! celui par lequel la Quantité d'action eft la moindre. Il faut maintenant expliquer ce que j’entens par la quantité d'action. Lorsqu'un corps eft porté d’un point à un autre, il faut pour cela une Cummeil Ceftaine Action: cette action dépend de la viteffe qu’a le corps & de ny a ici Vefpace qu'il parcourt, mais elle n’eft ni la viteffe ni l'efpace pris {é- parément. La quantité d’action eft d’autant plus grande que la viteffe du corps eft plus grande, & que le chèmin qu’il parcourt eft plus fraéfion Tong; elle eft proportionelle à la fomme des efpaces multipliés cha- de fa Maf- € fe. un par la vitefle avec laquelle le corps les parcourt. C’eft cela, c’eft cette quantité d’action qui eft ici la vraie dépenfe de la Nature, & ce qu’elle ménage le plus qw’il eft poffible dans le mouvement de la lumière. Soient deux Milieux différents, féparés par une furface repréfen- tée par la ligne CD, tels que la viteffe de la Lumière dans le Milieu qui eft au deffus, foit comme #1, & la vitefle,- dans le Milieu qui eft au deffous, foit comme #. Soit un Rayon de Lumière, qui, partant d’un point donné À, doit parvenir au point donné B: pour trouver le point R où il doit fe brifer, je cherche le point où le Rayon fe brifant, /4 Quantiré d’A&ion ef} la moindre: & ÿai m. AR + n. RB qui doit étre un Minimum: Ou, ayant tiré fur la Surface commune des deux Milieux, les per- pendiculaires AC, BD ; mr (AC2+CR2)+7 (BD? +DR?)= Min. ou AC & BD étant conflants m.CRdCR n. DR dDR fac+cr) * F@D+DR) Mais, ESSAY®DE COSMOLOGIE. 53 Mais, CD étant conftant, ona dCR——4dDR. On adonc m. CR ñ. DR & CR DR = 0. & — : — AR BR AR. 1BR c’eft-à-dire: Le finus d'incidence, au finus de refraifion, en rai/on renver/ée de la virefe qu'a la Lumière dans chaque Milieu. PU. Tous les Phénomènes de la Refraétion s’accordent maintenant avec le grand principe, que /4 Nature dans la produéfion de fes effets” agit toujours par les voies les plus fimples. De ce principe fuit, que, Lor sque la Lumière pale d’un Milieu dans un autre, le finus de on angle de refr adFion eff au finus de [on angle d° PS Hs en raifon in- verfè des vireffes qu'a la Lumière dans chac ique Milieu. Mais ce fonds, cette Quantité d'action, que la Nature épargne dans le mouvement de la Lumière à travers différens Milieux, le ménage - t-elle également lorsqu'elle eft refléchie par des corps opaques & dans fa fimple propagation? oui, cette quantité eft tou- jours la plus petite qu’il eft poffible. Dans les deux cas de la reflexion & de la propagation, la viteffe de la Lumière demeurant la même, la plus petite Quantité d’action donne en même tems le chemin le plus court, & le tems le plus promt; mais ce chemin le plus court & le plutôt parcouru n’eft qu’une fuite de la plus petite Quantité d’ation; & c’eft certe fuite que Fermat avoit prife pour le principe. Le vrai principe une fois découvert, j'en déduis toutes les loix que fuit la Lumière, foit dans fa propagation, dans fà reflexion, ou dans fa refraction. Je connois la repugnance que plufeurs Mathématiciens ont pour les Caufes finales appliquées 2 à la Phylique, & l’approuve méme jus- qu’à un certain point; j'avoué que ce n ’eft pas fans péril qu’on les introduit: l’erreur, où font tombés des hommes tels que Fermat en les fuivant, ne prouve que trop combien leur ufage eft dangereux. On peut cependant dire que ce n’eft pas le principe qui les a trom- pés, c’eft la précipitation avec laquelle ils ont pris pour le principe ce qui n’en étoit que des conféquences. G 3 On 54 ESSAY DE COSMOLOGIE. On ne peut douter que toutes chofes ne foient réglées par un Etre fuprême, qui, pendant qu’il a imprimé à la matière des Forces qui dénotent fa puiffance, l’a deftinée à exécuter des effets qui mar- quent {à fagefle; & l harmonie de ces deux attributs eft fi parfaite, que fans doute tous les effets de la Nature fe pourroient déduire de chacun pris féparéinent. Une méchanique aveugle & néceffaire fuit les deffeins de l’Intelligence la plus éclairée & la plus libre; & fi notre cfprit étoit aflez vafte, il verroit également les caufes des eflets phyfiques, foit en calculant les propriétés des corps, foit en recher- chant ce qu’il y avoit de plus convenable à leur faire exécuter. Le prémier de ces moyens eft le plus à notre portée, mais il ne nous mène pas fort loin. Le fecond quelquefois nous égare, parce que nous ne connoiflons point aflez quel eft le but de la Nature, & que nous pouvons nous méprendre fur La Quanriré que nous devons regarder comme /4 Dépen/ë dans la produétion de fes efets. Pour joindre l’étenduë à la fureté dans nos recherches, il faut employer l'un & l’autre de ces moyens. Calculons les mouvemens des corps, mais confultons auffi les deffeins de Intelligence qui les fait mouvoir. | Il fmble que les anciens Philofophes ayent fait les prémiers effais de cette efpèce de Mathématique; ils ont cherché des rapports métaphyfiques dans les propriétés des nombres & des corps; & quand ils ont dit que l'occupation de Dieu étoit la Géometrie, ils ne l'ont entendu fans doute que de cette fcience qui compare les ouvrages de fa puiffance avec les vuës de fa fagefle. Trop peu Géomètres pour l’entreprife qu'ils formoient, ce qu'ils nous ont laiffé eft peu fondé, ou n’eft pas intelligible. La perfection, qu'a acquife PArt depuis eux, nous met mieux à portée de réuflir & fait peut-être plus que la compenfation de l'avantage que ces grands génies avoient fur nous. DIS- DISCOURS SUR LES DIFFERENTES FIGURES DES eo LR ETS: Où l’on donne l’Explication des Taches lumineufes qu on'a obfèrvées dans le Ciel: Des Etoiles qui paroïffent $ allumer €T s’éteindre: De celles qui paroiffent changer de grandeur: De l’Anneau de Saturne: Er des effets que peuvent produire les Comères. IMPRIME. A PA RME 279 2 AVER- A NERO T"S" SENTE NT ‘ SU RACE TRE NOUVELLE EDITION: - “ 'avois entrepris dans cet Quurage d'expliquer plnfieurs Phénomènes du Ciel, qui ne me paroiffoient point avoir encore été expliqués d'une manière farisfaifante. Pourquoi l’on a vu quelquefois de nouvelles Etoiles s’'allumer dans les Cieux ? Pourquoi l’on en a vu d'anciennes s'éteindre2 Pourquoi quelques-unes paroiffent changer de grandeur, © ont des alternatives d'augmentation © de diminution de lumière? Enfin pourquoi Saturne ef? environné d'un Anneau fufpendu en forme de voute au- tour de lui? Non feulement j'ai cru les explications que je donnois de tous ces Phénomènes affez naturelles, mais je les aï vu confirmées par de nouvelles Obfervations. Er il femble qu'on ait-apperçu en Angleterre ce que je ravois fait que conjeéturer. C ’eft-là ce qué a donné lieu à une addition que j'ai faite à cet Ouvrage. 7 T AU bia Te E ID'É SE CHAN D'E\R Si Chap. I. ÆAeflexions générales fur la Figure de la Terre. ; II. Difeuflion métaphyfique fur l Artraëion. III. Syflème des Tourbillons, pour expliquer le mouvement des Planètes, & la pefanteur des Corps vers la Terre” IV. Syfième de D Artraëtion, pour expliquer les mêmes Phénomènes. V. Des différentes loix de la pefanteur, & des figures qu'elles peuvent donner aux Corps célefles. VI. Taches lumineufes découvertes dans le Ciel. VIL Des Etoiles qui s'allument, ou qui s'éteignent dans les Cieux ; € de celles qui changent de grandeur. VILL. De ? Anneau de Saturne. e- -__ DISCOURS R Sim V2 = << ” NN" SO A = AE UP | = y = = pri Le te EE 5) 2) CEA PLAIT RES I. REFLEXIONS GENERALES SUR LA FIGURE DE: L'A- TERRE: épuis les tems les plus reculés, on a cru la Terre fphérique, malgré l'apparence qui nous repréfente fa furface comme platte, lorsque nous la confidérons du milieu des Plaines où des Mers. Cette apparence ne peut tromper que les gens les plus groffiers: les Philofophes, d'accord avec les Voya- geurs, fe réuniflent à regarder la Terre comme fphérique. D'une part, les Phénomènes dépendant d’une telle forme, & de l’autre une efpèce de régularité, avoient empéché d’avoir aucun doute fur cette fphéricité : cependant, à confidérer la chofe avec exactitude, ce jugement que l’on porte fur la fphéricité de la Terre, n'eft guères mieux fondé que celui qui feroit croire qu'elle eft platte, fur lap- parence groffère qui la reprélente ainfi: car quoique les Phénome- nes nous faflent voir que la Terre eft ronde, ils ne nous mettent cependant pas en droit d’aflurer que cette rondeur foit précifément celle d’une Sphère. En 1672. M. Richer étant allé à la Cayenne, pour faire des Ob- fervations Aftronomiques, trouva que l Horloge à pendule qu’il avoit règlée à Paris fur le.:moyen mouvement du Soleil retardoit Oeuv. de Maupert. H con- 58 FIGURE confidérablement. Il étoit facile de conclure de-là, que le Pendu- le qui battoit les Secondes à Paris, devoit être racourci pour les battre à la Cayenne. Si lon fait abftraction de la réfiftance que l'Air apporte au mou- vement d’un Pendule, (comme on le peut faire ici fans erreur fen- fible) la durée des Olcillations d’un Pendule qui décrit des Ares de Cycloïde, ou, ce qui revient au même, de très petits Ares de Cercle, dépend de deux caufes; de la force avec laquelle les Corps tendent à tomber perpendiculairement à la furface de la Terre, & de la longueur duPendule. La longueur du Pendule demeurant la même, la durée des Ofcillations ne dépend donc plus que de la force qui fait tomber les Corps, & cette durée devient d'autant plus longue que cette force devient plus petite. La longueur du Pendule n’avoit point changé de Paris à la Cayenne: car quoiqu’une verge de métal s’allonge à la chaleur, & devienne par-là un peu plus longue, lorfqu’on la tranfporte vers l Equateur, cet allongement eft trop peu confdérable pour qu'on lui puiffe attribuer le retardement des Ofcillations, tel qu’il fut obfervé par Mr. Richer: cependant les OfCillations étoient devenues plus lentes: il falloit donc que la force qui fait tomber les Corps fût devenue plus petite: le poids d’un même Corps étoit done moindre à la Cayenne qu'à Paris. Cette obfervation étoit peut - être plus fingulière que toutes cel- les qu’on s’étoit propolées: on vit cependant bientôt qu’elle n’avoit rien que de conforme à la Théorie des forces centrifuges, & que l'on n'eût, pour ainfi dire, du prévoir. Une force fecrette qu’on appelle pe/anreur , attire ou chaffe les Corps vers le centre de la Terre. Cette force, fi on la fuppofe par- tout la même, rendroit la Terre parfaitement fphérique, fi elle étoit compote d’une matière fluide & homogène, & qu’elle n’eût aucun mouvement: car il eft évident qu’afin que chaque colomne de ce fluide, prife depuis le centre jufqu’à la füperficie, demeurât en équilibre avec les autres, il faudroit que fon poids fût égal au poids de chacune des autres; & puifque la matière eft fuppofée homo- gène, il faudroit pour que le poids de chaque colomne füt le même; qu’elles DES MANSCTOROE S. 59 qu’elles fuffent toutes de même longueur. Or il n’y a que la Sphè- re, dans laquelle cette propriété fe puifle trouver: la Terre feroit donc parfaitement fphérique. Mais c’eft une Loi pour tous les Corps qui décrivent des Cer- cles, de tendre à s’éloigner du centre du Cercle qu’ils décrivent, & cet effort qu’ils font pour cela, s'appelle Force centrifuge. On fait encore que fi des Corps égaux décrivent dans le même tems des Cercles différens, leurs forces centrifuges font proportionnelles aux Cercles qu’ils décrivent. * Si donc la Terre vient à circuler autour de fon axe, chacune de fes parties acquerra une force centrifuge, d’autant plus grande que le Cercle qu’elle décrira fera plus grand, c’eft-à-dire, d’autant plus grande, qu’elle fera plus proche de l'Equateur, cette force allant s’anéantir aux Poles. Or, quoiqu’elle ne tende diretement à éloigner les parties du centre de la Sphère que fous l'Equateur, & que par-tout ailleurs elle ne tende à les éloigner que du centre du Cercle qu’elles décri- vent; cependant en décompofant cette force, déjà d’autant moin- dre qu’elle s’exerce moins proche de l’Equateur, on trouve qu’il y en a une partie qui tend toujours à éloigner les parties du fluide du centre de la Sphère. Or en cela cette force eft abfolument contraire à la pefinteur, & en détruit une partie plus ou moins grande, felon le rapport qu’elle a avec elle. La force donc qui anime les Corps à defcendre, réfüultant de la pefanteur inégalement dimigftée par la force centri- fuge, ne fera plus la même par-tout, & fera dans chaque lieu d’au- tant moins grande, que la force centrifuge l'aura plus diminuée. . Nous avons vu que c’eft fous l’ Equateur que la force centrifuge eft la plus grande: €’eft donc-là qu'elle détruira une plus grande partie de la pefanteur. Les Corps tomberont donc plus lentement {ous | Equateur que par-tout ailleurs; les Ofcillations du Pendule feront d'autant plus lentes, que les lieux approcheront plus de l’Equa- teur; & la Pendule de M. Richer, tranfportée de Paris à la Cayenne, qui n’eft qu'a 44 55 de l'Equateur, devoit retarder. H 2 Mais 65 F PG U'R E Muis la force qui fait tomber les Corps, eft celle-là méme qui les rend pefans: & de ce‘qu’elle n’eft pas la méme par-tout, il s’enfuit que toutes nos colomnes fluides, fi elles font égales en longueur, ne pèferont pas par-tout égalément; la colomne qui répond à l’Equateur, pèfera moins que celle qui répond au Pole: il faudra donc pour qu’elle foutienne celle du Pole en équilibre, qu'el- le foit compofée d’une plus grande quantité de matiere, il faudra qu’elle foit plus longue. La Terre fera donc plus élevée fous PEquateur que fous les Poles; & d'autant plus applatie vers les Poles, que la force centrifuge fera plus grande par rapport à la pefanteur: ou, ce qui revient au méme, la Terre {era d'autant plus applatie, que fà révolution fur fon axe fera plus rapide, car la force centrifuge dépend de cette rapidité. Cependant fi la pefanteur eft uniforme, c’eft-à-dire, la même à quelque diftance que ce foit du centre de la Terre, comme M. Huygens La fuppolé, cet applatiffement a fes bornes. Il a démon- tré que fi la Terre tournoit fur fon axe environ dix-fept fois plus vite qu’elle ne fait, elle recevroit le plus grand applatiffement qu’elle püt recevoir, qui iroit jufqu’à rendre le diamètre de fon Equateur double de fon Axe. Une plus grande rapidité dans le mouvement de la Terre, communiqueroit à fes parties une force centrifuge plus grande que leur pefanteur, & elles fe diffiperoient. M. Huygens ne s’en tint pas-là: ayant déterminé le rapport de la force centrifuge fous l Equateur à la pefanteur, il détermina læ figure que doit avoir IgTerre, & trouva que le diamètre de fon Equateur devoit étre à fon axe comme 578 à 577. . Cependant M. Newton partant d’une Théorie diflérente, & confidérant la pefanteur comme l'effet de attraction des parties de la matière, avoit déterminé le rapport entre le diamètre de l Equa- teur & l’axe, qu’il avoit trouvé l’un à l’autre comme 230 à 229. Aucune de ces mefures ne s'accorde avec la mefüure aétuelle- ment prife par Mrs. Caffini & Maraldi; mais fi de leurs Obfervations, les plus fameufes qui fe foient peut-être jamais faites, il rélulte que la Terre, au-lieu d’être un Sphéroïde applati vers les Poles, eft un Sphé- PPT ST N'ES. 61 Sphéroïde allongé, quoique cette figure ne paroifle pas s’ accorder avec les Loix de la Statique, il faudroit voir qu’elle eft abfolument impoñfible, avant que de porter atteinte à de telles Obfervations. Ceci étoit imprimé quatre ans avant que j’eufle été au Nord avec Mrs. Clairaut, Camus, le Monnier, pour y mefurer le degré du Méridien. Nos mefures font contraires à celle-ci, & font la Terre applatie, LEE MOSS Me TE, DS ae L Me D MTS es De VE Meta) SU 2e Le) 2 LE) Se Lu | 9e LE) Se Le mel Cas A EAReRE,, II: DISCUSSION /METAPHYSIQUE SUR L.AUT. TIRYAÏGLT, T'ON: 4 es figures des Corps Céleftes dépendent de la pefanteur & de la force centrifuge. Sur cette dernière, il n’y a aucune diverfité de fentimens parmi les Philofophes ; il n’en eft pas ainf de la pefanteur. Les uns la regardent comme l'effet de la force centrifuge de quel- que matière, qui circulant autour des corps vers lefquels les autres pêèlent; les chaffe vers le centre de fà circulation: les autres, fans en rechercher la caufe, la regardent comme fi elle étoit une pro- priété inhérente au Corps. Ce n’ éft pas à moi à prononcer fur une queftion qui partage les plus grands Philofophes, mais il nv’eft permis de comparer leurs idées. Un Corps en mouvement qui en rencontre un autre, a la force de le mouvoir. Les Cartéliens tichent de tout expliquer par ce prin- cipe, & de faire voir que la pefanteur même n’en eft qu’une fuite. En cela le fond de leur fyflème a l'avantage de la fmplicité; mais:il faut avouer que dans le détail des phénomènes, il fe trouve de grandes difficultés. M. Newton peu fatisfait des explications que les Cartéfiens don- nent des phénomènes par la feule impulfon, établit dans la Nature un autre principe d’aétion; ©eft que les parties de la matière péfent H73 les 62 FIGURE les unes vers les autres. Ce principe établi, M, Newton explique merveilleufement tous les phénomènes; & plus on détaille, plus on approfondit fon fyftème, & plus il paroïit confirmé. Mais outre que le fond du iyftème eft moins fimple, parce qu’il fuppoie deux prin- cipes, un principe par lequel les corps éloignés agiffent les uns fur les autres, paroit difficile à admettre. Le mot d'attraction a effarouché les Efprits; plufeurs ont craint de voir renaître dans la Philofophie , la doctrine des Qua- lités occultes. Mais ©’ eft une juftice qu’on doit rendre à M. Newton, il n’a jamais regardé l’attration comme une explication de la pefänteur des corps les uns vers les autres: il a fouvent averti qu’il n’em- ployoit ce terme que pour défigner un fait, & non point une caufe; qu’il ne l’employoit que pour éviter les fyftèmes & les explications; qu’il fe pouvoit même que cette tendance fût caufée par quelque matière fubtile qui fortiroit des corps, & fût l'effet d’une véritable impulfion; mais que quoi que ce füt, c’étoit toujours un prémier fait, dont on pouvoit partir, pour expliquer les autres faits qui en dépendent. "Tout effet règlé, quoique fà caufe foit inconnue, peut être l’objet des Mathématiciens ; parce que tout ce qui eft fufceptible de plus & de moins, eft de leur reflort, quelle que foit fa nature; & l’ufage qu’ils en feront, fera tout auffi für, que celui qu’ils pourroient faire d'objets dont la nature feroit ablolument connue, S'il n’étoit permis d’en traiter que de tels, les bornes de la Philo- fophie feroient étrangement refferrées. Galilée, fans connoitre la caufe de la pefanteur des corps vers la Terre, n’a pas laiffé de nous donner fur cette pelanteur une Théorie très belle & très fure, & d’expliquer les phénomènes qui: en dépendent. Si les corps pèlent encore les uns vers les autres,! pourquoi ne feroit-il pas permis aufli de rechercher les effets de cette pelänteur, fans en approfondir la caufe? Tout fe devroit donc réduire à examiner s’il eft vrai que les corps ayent cette tendance les uns vers autres: & fi l’on trouve qw’ils Payent en effet, on peut fe contenter d'en déduire l’explication des phénomènes de la Na- ture , laiffant à des Philofophes plus fublimes la recherche de la caufe de cette Force. Ce DESAASTRES. 63 Ce parti me paroïtroit d'autant plus fige, que je ne crois pas qu’il nous foit permis de remonter aux prémières caufes, ni de comprendre comment les corps agiflent les uns für les autres. Mais quelques - uns de ceux qui rejettent attraction, la regar- dent comme un Monfire métaphyfique; ils croyent fon impoñfbi- lité fi bien prouvée, que quelque chofe que la Nature femblit dire en fà faveur, il vaudroit mieux confentir à une ignorance totale, que de fe fervir dans les explications d’un principe abfurde. Voyons donc fi l'attraction, quand méme on la confidèreroit comme une propriété de la matière, renferme quelque abfurdité. Si nous avions des corps les idées complettes; que nous con- nuffions bien ce qu’ils font en eux-mêmes, & ce que leur font leurs propriétés; comment, & en quel nombre elles y réfident; nous ne ferions pas embarraflés pour décider fi l'attraction eft une propriété de la matière. Mais nous fommes bien éloignés d’avoir de pareilles idées; nous ne connoiffons les corps que par quelques propriétés, fans connoitre aucunement le fujet dans lequel ces pro- priétés {e trouvent réunies. j Nous appercevons quelques affemblages différens de ces pro- priétés, & cela nous fufñit pour défigner les idées de tels ou tels corps particuliers. Nous avançons encore un pas, nous diftinguons difiérens ordres parmi ces propriétés. Nous voyons que pendant que les unes varient dans difiérens corps, quelques autres s’y retrou- vent toujours les mêmes. Et de-là nous regardons celles-ci comme des propriétés primordiales, & comme les bafes des autres. La moindre attention fait reconnoître que l'étendue eft une de ces propriétés invariables. Je la retrouve fi univerfellement dans tous les corps, que je fuis porté à croire que les autres propriétés ne peuvent fubfter fans elle, & qu’elle en eft le foutien. Je trouve auffi qu'il n’y a point de corps qui ne foit folide ou impénétrable: je regarde donc encore l impénétrabilité comme une propriété effentielle de la matière. Mais y a-t-il quelque connexion néceflaire entre ces proprié- tés? l’étendue ne fauroit-elle fubfifter fans l’impénétrabilité? de- vois- 64 FIGURE vois-je prévoir par la propriété d’étendue, quelles autres propriétés l'accompagneroient? c’eft ce que je ne vois en aucune manière. Après ces propriétés primitives des corps, j'en découvre d’au- tres qui, quoiqu’elles n’appartiennent pas toujours à tous les corps, leur appartiennent cependant toujours, loriqu’ils font dans un cer- tain états je veux parler ici de la propriété qu’ont les corps en mou- vement, de mouvoir les autres qu’ils rencontrent. Cette propriété, quoique moins univerfelle que celles dont nous avons parlé, puifqu’elle n’a lieu qu’autant que le corps eft dans un certain état, peut cependant être prife en quelque manière pour une propriété générale rélativement à cet état, puilqu’elle fe trouve dans tous les corps qui {ont en mouvement. Mais encore un coup, l’afflemblage de ces propriétés étoit-il néceffaire? & toutes les propriétés générales des corps fe réduifent- elles à celle-ci? Il me femble que ce feroit mal raifonner que de vouloir les y réduire. On feroit ridicule de vouloir affigner aux corps d’autres pro- priétés que celles que l'expérience nous a appris qui $ y trouvent; mais on le feroitfpeut-étre davantage, de vouloir, après un petit nombre de propriétés à peine connues, prononcer dogmatiquement l'exclufion de toute autre; comme fi nous avions la mefure de la capacité des fujets, lorfque nous ne les connoiflons que par ce petit nombre de propriétés. Nous ne fommes en droit d’exclure d’un füjet, que les pro- priétés contradictoires à celles que nous favons qui s’y trouvent: la mobilité fe trouvant dans la matière, nous pouvons dire que limmo- bilité ne s’y trouve pas: la matière étant impénétrable, n’eft pas pénétrable. Propoñitions identiques, qui font tout ce qui nous ef permis ici. Voilà les feules propriétés dont on peut aflurer l’exclufon. Mais les corps, outre les propriétés que nous leur connoïffons, ont-ils encore celle de pefer, ou de tendre les uns vers les autres; ou de &c? C'eft à l'expérience, à qui nous devons déjà la con- noiflance des autres propriétés des corps, à nous apprendre s'ils ont encore celle-ci. Je MERAXATRES. 65 Je me flate qu'on ne nv arrétera pas ici, pour me dire que cette propriété dans les corps, de pefer les uns vers les autres, eft moins concevable que celles que tout le monde y reconnoit. La manière dont les propriétés rélident dans un Sujet, eft toujours inconcevable pour nous. Le Peuple n’eft point étonné lorfqu’ilvoit un corps en mouvement, communiquer ce mouvement à d’autres; l’habitude qu’il a de voir ce phénomène, l'empêche d’en appercevoir le mer- vcilleux; mais des Philofophes n’auront garde de croire que la force impulve foit plus concevable que l’attraétive. Qu’eft-ce que cette force impulfñve? comment réfide-t-elle dans les corps? qui eût pu deviner qu’elle y réfide avant que d’avoir vu des corps fe choquer? li réñdence des autres propriétés dans les corps n’eft pas plus claire. Comment l’impénétrabilité, & les autres propriétés viennent -elles fe joindre à l'étendue? Ce feront-là toujours des myftères pour nous. Mais, dira-t-on peut-être, les corps n’ont point la force im- pulfive. Un corps n’imprime point le mouvement au corps qu’il choque; c’eft Dieu lui-même qui meut le corps choqué, ou qui a établi des loix pour la communication de ces mouvemens. Ici on fe rend fans s’en appercevoir. Si les corps en mouvement n’ont point la propriété d’en mouvoir d’autres; fi lorfqu’un corps en cho- que un autre, celui-ci n’eft mu que parce que Dieu le meut, & s’eft établi des loix pour cette diftribution de mouvement; de quel droit pourroit-on aflurer que Dieu n’a pu vouloir établir de pareilles loix pour l’Attraétion? Dès qu’il faut recourir à un Agent tout- puiffant, & que le feul contradictoire arrête, il faudroit que l’on dit que l’établiflement de pareilles loix renfermoit quelque contra- diction; mais c’eft ce qu'on ne pourra pas dire; & alors eft-il plus difficile à Dieu de faire tendre où mouvoir l'un vers l’autre deux corps éloignés, que attendre, pour le mouvoir, qu’un corps ait été rencontré par un autre ? Voici un autre raifonnement qu'on peut faire contre l'attraction. L’impénétrabilité des corps eft une propriété dont les Philofophes de tous les partis conviennent. Cette propriété pofée, un corps qui fe meut vers un autre ne fauroit continuer de fe mouvoir, sil ne le pénètre; mais les corps font impénétrables, il faut donc que Oeuv. de Maupert. I Dieu 66 EM GIE, R € Dieu établiffe quelque loi qui accorde le mouvement de l’un avec l’impénétrabilité des deux: voilà donc l’établiffenent de quelque loi nouvelle devenu néceffaire dans le cas du choc. Mais deux corps demeurant éloignés, nous ne voyons pas qu’il y ait aucune néceffité d'établir de nouvelle loi. “4 Ce raifonnement eft, ce me femble, le plus folide que l’on puifle faire contre l'attraction. Cependant, quand on n’y répondroit rien, il ne prouve autre chofe, fi ce n’eft qu'on ne voit pas de néceffité dans cette proprieté des corps; ce n’eft pas-là non plus ce que je prétens établir ici; je me fuis borné à faire voir que cette proprieté eft poffble. Mais examinons ce raifonnement. Les différentes propriétés des corps ne font pas, comme nous l'avons vu, toutes du méme ordre; il y en a de primordiales qui appartiennent à la matière en - général, parce que nous les y retrouvons toujours, comme l'étendue & l’impénétrabilité. | Il y en a d’un ordre moins nécefaire, & qui ne font que des états dans lefquels tout corps peut fe trouver, ou ne fe pas trouver, comme le repos & le mouvement. Enfin il y a des propriétés plus particulières, qui défignent les corps, comme une certaine figure, couleur, odeur, &c. S'il arrive que quelques propriétés de diflérens ordres fe trou- vent en oppoñition, (car deux propriétés primordiales ne fäuroient s y trouver ) il faudra que la propriété inférieure cède, & s’accom- mode à la plus néceffaire, qui n’admet aucune variété. Voyons donc ce qui doit arriver, lorfqu’un corps fe meut vers un autre, dont l’impénétrabilté s’oppofe à fon mouvement. L'im- pénétrabilité fubfftera inaltérablement; mais le mouvement, qui n’eft qu'un état dans lequel le corps fe peut trouver, ou ne fe pas trouver, & qui peut varier d’une infinité de manières, s’accom- modera à lPimpénétrabilité; parce que le corps peut fe mouvoir, ou ne fe mouvoir pas; il peut fe mouvoir d’une manière ou d’une autre; mais il faut toujours qu’il foit impénétrable , & impénétrable de la même manière. Il arrivera donc dans le mouvement du corps quelque phénomène, qui fera la fuite de la fubordination entre les deux propriétés. Mais DES ASTRES. 67 . Mais fi la pefänteur étoit une propriété du prémier ordre; fi elle étoit attachée à la matière , indépendamment des autres propriétés ; nous ne verrions pas que fon établiffement füt néceffaire, parce qu’elle ne le devroit point à la combinaifon d’autres propriétés antérieures. Faire contre l'attraction le raifonnement que nous venons de rapporter, c'eft comme fi, de ce qu’on eft en état d'expliquer quel- que phénomène, on concluoit que ce phénomène eft plus néceflaire que les prémières propriétés de la matière, fans faire attention que ce phénomène ne fubffte qu’en conféquence de ces prémières propriétés. Tout ce que nous venons de dire, ne prouve pas qu’il y ait d'attraétion dans la Nature; je n’ai pas non plus entrepris de le prouver. Je ne me füuis propolé que d'examiner fi l'attraction, quand même on la confidèreroit comme une propriété inhérente à la matière, étoit métaphyfiquement impoffible. Si elle étoit telle, les phénomènes les plus preffans de la Nature, ne pourroient pas la faire recevoir. Mais fi elle ne renferme ni impoffbilité ni contra- diétion, on peut examiner librement fi les phénomènes la prouvent ounon. L’attraction n’eft plus, pour ainfi dire, qu'une queftion de fait; c’eft dans le fyfième de l'Univers qu’il faut aller chercher, fi c’eft un principe qui ait effectivement lieu dans la Nature; jufqu’à quel point il eft néceffaire pour expliquer les phénomènes; ou en- fin, s’il eft inutilement introduit pour expliquer des faits que l'on explique bien fans lui. Dans cette vue, je crois qu’il ne fera pas inutile de donner ici quelque idée des deux grands Syflèmes qui partagent aujourd’hui le Monde Philofophe. Je commencerai par le Syftème des Tourbil- lons, non feulement tel que M. Deltartes l'établit, mais avec tous les racommodemens qu’on y a faits. F expolerai enfuite le Syftème de M. Newton, autant que je le pourrai faire, en le dégageant de ces Calculs qui font voir l’admi- rable accord qui règne entre toutes fes parties, & qui lui donne tant de force. I 2 CHA: 68 ELGURE MELLE VAS 6 DES DEL le Le De pe Les De LE D LE De Dr STI EME TS Ne S Des 2e à ne COMPRCPIOTUR E III. SYSTEME DES TOURBILLONS POUR EXPLIQUER LE MOUVEMENT DES PLANETES, ET LA PESANTEUR DES. CORPASSVERS,LA. TERRE. P2: expliquer les mouvenens des Planètes autour du Soleil, M. Defcartes les fuppofe plongées dans un fluide, qui circulant lui- méme autour de cet Aftre, forme le vafte Tourbillon dans lequel elles font entraïnées, comme des vaifleaux abandonnés au courant d'un fleuve. ; Cette explication, fort fimple au prémier coup d'œil, fe trouve fujette à de grands inconvéniens, lorfqu'on l’examine. Les Planètes fe meuvent autour du Soleil, mais avec certaines circonftances qu’il ne nous eft plus permis d’ignorer. Les routes que tiennent les Planètes ne font pas des Cercles, mais des Ellipfes, dont le Soleil occupe le foyer. Une des Loix de la révolution, eft que fi l’on conçoit du lieu d’où une Planète eft partie, & du lieu où elle fe trouve actuellement, deux lignes droites tirées au Soleil, Paire du Secteur elliptique, formé par ces deux lignes, & par la portion de l’Ellip{ë que la Planète a parcourue, croit en même proportion que le tems qui s'écoule pendant le mou- vement de la Planète. De-là vient cette augmentation de vitefle qu’on obferve dans les Planètes, lorfqu’elles s’approchent du Soleil: les droites tirées des lieux de la Planète au Soleil, étant alors plus courtes , afin que les aires décrites pendant un certain tems foient égales aux aires décrites dans le même tems, lorfque la Planète étoit plus éloignée du Soleil, il faut que les Arcs elliptiques parcourus par la Planète foient plus grands. Toutes les Planètes que nous connoiffons füuivent cette loi; non feulement les Planètes principales, qui font leur révolution autour du Soleil; mais encore les Planètes fecondaires, qui font leur révo- lution autour de quelque autre Planète, comme la Lune & les Satel- lites de Jupiter & de Saturne; mais ici les aires qui font PrOPORAUES nelles DE MA ST RCE, S. 69 nelles aux tems, font les aires décrites autour de la Planète princi- pale, qui eft à l'égard de fes Satellites, ce qu’eft le Soleil à l'égard des Planètes du prémier ordre. Par cette loi, l'orbite d’une Planète, & le tems de fà révolution étant connus, on peut trouver à chaque. inftant le lieu de l’orbite où la Planète fe trouve. Une autre loi marque le rapport entre la durée de la révolution de chaque Planète, & fà diftance au Soleil; & cette loi n'eit pas moins exactement obfervée que l’autre. C’eft que le tems de la révolution de chaque Planète autour du Soleil, eft proportionnel à la racine quarrée du cube de fà moyenne diftance du Soleil. Cette loi s'étend encore aux Planètes fecondaires; en obfervant que dans ce cas les révolutions & les diftances fe doivent entendre par rapport à la Planète principale, autour de laquelle les autres tournent. Par cette loi, la diftance de deux Planètes au Soleil, & le tems de larévolution de l’une étant données, on peut trouver le tems de la révolution de l’autre; ou le tems de la révolution de deux Pla- nètes, & la diftance de l’une de ces Planètes au Soleil étant donnés, -on peut trouver la diftance de l’autre. Ces deux loix polées, il n’eft plus feulement queflion d'expliquer pourquoi en général les Planètes tournent autour du Soleil; il faut expliquer encore pourquoi elles obfervent ces loix; ou du moins il faut que l'explication qu'on donne de leur mouvement ne foit pa démentie par ces loix. Puifque les diftances des Planètes au Soleil, & les tems de leurs révolutions font différens, la matière du Tourbillon n’a pas par- tout la même denfité, & le tems de fà révolution n° eft pas le même par - tout. De ce que chaque Planète décrit autour du Soleil des aires pro- portionnelles aux tems, il fuit que les viteffes des couches de la matière du Tourbillon font réciproquement proportionnelles aux diftances de ces couches au centre. Mais de ce que les fems des révolutions des différentes Planètes font proportionels aux racines quarrées des cubes de leurs diftances au Soleil, il fuit que les viteffes des couches font réciproquement proportionnelles aux racines quarrées de leurs diftances. 13 Si 7 | APM UER R Si l’on veut donc aflurer une de ces loix aux Planètes, l’autre devient néceffairement incompatible. Si lon veut que les couches du Tourbillon ayent les vitefles néceffaires pour que chaque Planète décrive autour du Soleil des aires proportionnelles aux tems, il s’en- fuivra par exemple, que Saturne devroit employer 90 ans à faire fa révolution, ce qui eft fort contraire à l'expérience. Si au contraire, on veut conferver aux couches du Tourbillon les vitefles néceflaires, pour que les tems des révolutions foient proportionnels aux racines quarrées des cubes des diftances, on verra les aires décrites autour du Soleil par les Planètes, ne plus fuivre la proportion des tems. Je ne parle point ici des objections qu’on a faites contre les Tourbillons, qui ne paroiffent pas invincibles. Je ne dis rien de celle que M. Newton avoit faite, en fuppofänt, comme fait M. Defcartes, que le Tourbillon reçoive fon mouvement du Soleil, qui tournant fur fon axe, communiqueroit ce mouvement de couche en couche jufqu'aux confins du Tourbillon. M. Newton avoit cherché par les loix de la Méchanique, les vitefles des différentes couches du Tourbillon, & il les trouvoit fort diflérentes de celles qui font néceffaires pour la règle de Képler, qui regarde le rapport entre les tems périodiques des Planètes, & leurs diftances au Soleil. M. Bernoulli, dans la belle Differtation qui remporta le Prix de l'Académie en 1730, a fait voir que M. Newton n’avoit pas fait at- tention à quelque circonftance qui change le calcul. Il eft vrai qu'en faifant cette attention, on ne trouve pas encore les vitefles des couches, telles qu’elles devroient être pour l'obfèrvation de cette lois mais elles en approchent davantage. } Mais enfin, de quelque caufe que vienne le mouvement du Tourbillon, on pourra bien accorder les viteffes des couches avec une des loix dont nous avons parlé; mais jamais avec l’une & l’autre en même tems. Cependant ces deux loix font auffi inviolables l'une que Pautre. vd Les gens les plus éclairés ont cherché des remèdes à cela. M. Leibnitz a été réduit à dire * qu’il falloit que par tout lOrbe que décrit * Voyez AG, Ernd. 16$9. pag. 82. & 1706. pag. 446. DES VA SAT RES. 71 décrit chaque Planète, il y eût une circulation, qu'il appelle har- monique ; c’eft - à - dire, une certaine loi de vitefle gore à faire fuivre aux Planètes celle des deux loix qui regarde"la proportion entre les aires & les tems; & qu’il falloit en même tems que par toute l'étendue du Tourbillon, il fe trouvât une autre loi différente pour faire fuivre aux Planètes la loi qui regarde la proportion entre leurs tems périodiques & leurs diflances au Soleil. Voilà tout ce qu'a pu dire un des plus grands Hommes du fiècle, pour la défenfe des Tourbillons. M. Bulfinger, dans la Differtation qui remporta le Prix en 1728, reconnoit & démontre encore mieux la néceffité de ces difiérentes loix dans le fluide qui entraine les Planètes. Mais il n’eft pas facile d'admettre ces différentes couches fphériques fe mouvant avec des vitefles indépendantes & interrompues. Il y a encore contre ce Syftème une objection qui n’eft guères moins forte. Les différentes couches du ‘Fourbillon ont à peu près les mêmes denfités que les Planètes qu’elles portent, puifque chaque Planète f& foutient dans la couche où elle fe trouve; & ces couches fe meuvent avec des vitefles fort rapides. Cependant nous voyons les Comètes traverfer ces couches fäns recevoir d’altération fenfble dans leur mouvement. Les Comètes elles- mêmes feroient auffi apparemment entrainées par des fluides qui circuleroient à travers les fluides qui portent les Planètes, fans fe confondre, ni altérer leur cours. Paflons à l'explication de la Pefanteur dans le Syftème des Tour- billons. L Tous les Corps tombent, lorfqu’ils ne font pas foutenus, & tendent à s’approcher du centre de la Terre. M. Defcartes, pour expliquer ce phénomène, fuppofe un Tour- billon d’une matière fluide qui circule extrèmement vite autour de la Terre dans la diretion de l’Equateur. On fait que lorfqu'un corps décrit un cercle, il tend à s'éloigner du centre: toutes les parties de ce fluide ont donc chacune cette force centrifuge, qui tend à les éloigner du centre du cercle quelles décrivent. Si donc alors elles rencontrent quelque corps qui n'ait point, ou qui ait moins de cette force 72 +, € RE GG RE’ force centrifuge. il faudra qu’il. cède à leur effort; & les parties du fluide ayant toujours plus de force centrifuge que le corps, prendront fucceffivementt fà place, jufqu’à ce qu’elles l’ayent chaflé au centre. Cette explication générale de la Pefanteur, fe trouve encore expolée à de grandes difficultés, dont nous ne rapporterons que les deux principales, qui font de M. Huygens. Ce grand - homme objeéta, 1. Que fi le mouvement d'un pareil Tourbillon étoit affez rapide pour chaffer les corps vers le centre avec tant de force, il devroit faire éprouver aux mêmes corps quelqu’impulfon horifontale, ou plutôt entraîner tout dans le fens de fà diredion. 2. Qu'en attribuant la caufe de la pefanteur à un Tourbillon qui fe meut parallèlement à Equateur, les corps ne feroient point chañés vers le centre de la Terre, mais devroient toinber perpendiculaire- ment à axe. La chute des corps étant l’effet de la force centri- fuge de la matière du Tourbillon, & cette force tendant à éloigner cette matière du centre de chaque cercle qu’elle décrit, elle devroit dans chaque lieu chaffer les corps vers le centre de ce cercle; & les corps, au- lieu de tendre vers le centre de la Terre, tomberoïent perpendiculairement à l'axe. Or ni lun ni l’autre de ces deux effets n'arrive. On remar- que par-tout que la chute des corps n'eft accompagnée d'aucune déviation, & que les corps tombent perpendiculairement à la furface de la Terre. Voyons les remèdes que M. Huygens apporte aux inconvéniens qu'il trouve dans le Syflème de M. Delcartes. Au - lieu de faire mouvoir la matière éthérée toute enfemble autour des mêmes Poles, il fuppofe qu’elle fe meut en tout fens dans l’efpace fphérique qui la contient. Ces mouvemens fe contrariant les uns les autres, jufqu’à ce qu'ils foient devenus circulaires, la matière éthérée viendra enfin à {e mouvoir dans des fürfaces fphériques dans toutes les directions. Cette hypothèle une fois poiée, délivre le Tourbillon des deux objections qu’on lui failoit. 1. La matière éthérée qui caufe la pefanteur, circulant dans toutes les directions, elle ne doit-pas entrainer les corps ne ement RS... VITESSE PER TASTRES. 73 lement comme le Tourbillon de M.Defcartes; parce que limpulfon horifontale qu'ils reçoivent de chaque filet de cette matière, eft détruite par une impulfon oppofée. 2. On voit que les corps doivent tomber vers le centre de la Terre; parce que la matière éthérée qui circule dans chaque fuper- ficie fphèrique, les chaffant vers l'axe de cette fuperficie, ils doi- vent tomber vers l'intérfection de tous ces axes, qui eft le centre de la Terre. é Ce Syftème fatisfait mieux aux phénomènes de la Pefanteur, que ne fait celui de M. Defcartes; mais il faut avouer auffi qu’il eft bien éloigné de fa fimplicité. Il n’eft pas facile de concevoir ces mouvemens circulaires de la matiére éthérée dans toutes les dire- étions; & ceux-méêmes qui veulent tout expliquer par l'impulfion de la matière éthérée, n’ont pas été contens de ce que M. Huygens a fait pour la foutenir. M. Bulfinger ne pouvant admettre ce mouvement en tout fens, a propofé un troifiéme Syftème. Il prétend que la matière éthérée fe meuten même tems autour de deux axes perpendiculaires lun à l’autre; mais quoiqu'un pareil mouvement foit déjà affez difficile à fuppofëer, il fuppofe encore deux nouveaux mouvemens dans la matière éthérée, oppolés aux deux prémiers. Voila donc quatre Tourbillons oppolés deux à deux, qui fe traverlent fans fe détruire. C’eft ainf que dans le Syftème des Tourbillons on rend raifon des deux principaux Phénomènes de la Nature. Qu'une matière fluide qui circule, entraine les Planètes autour du Soleil. Que dans-le Tourbillon particulier de chaque Planète, un pareil mouvement de matiere chafle les corps vers le centre. Ce font-là des idées qui fe prélentent aflez naturellement à l’efprit. Mais la Nature mieux examinée, ne permet pas de s’en tenir a ces prémières vues. Ceux qui veulent entrer dans quelque détail, font obligés d’admettre dans le Tourbillon Solaire , l'interruption des mouvemens des différentes couches dont nous avons parlé; & dans le Tourbillon terreftre, tous ces différens mouvemens oppo- fés les uns aux autres, de la matière éthérée. Ce n’eft qu’ à ces Qeuv. de Maupert. K ficheu- 74 FMIGANR E ficheufes conditions, qu'on peut expliquer les phénomènes par le moyen des Tourbillons. Ces embarras ont fait dire à l Auteur * que nous avons déjà cité, que malgré tout ce qu'il faifoit pour défendre les Fourbillons, ceux qui refufent de les admettre, s’affermiroient peut-être dans leur refus par la manière dont il les défendoit. Il faut avouer que jufqu’ici lon n’a pu encore accorder, d'une manière fatisfaifante, les Tourbillons avec les Phénomènes. Ce- pendant on n’eft pas pour cela en droit d’en conclure Fimpoffbilité. Rien n’eft plus beau que l’idée de M. Defcartes, qui vouloit que lon expliquât tout en Phyfique par la matière & le mouvement: mais fi l’on veut conferver à cette idée fa beauté, il ne faut pas fe permettre d'aller fuppofer des matières & des mouvemens, fans autre raifon que le befoin qu’on en à. Voyons maintenant comment M. Newton rend raifon du mou- vement des Planètes, & de la Pefanteur. Arbrabegebenttethe tete edteibedéeierdiripen tete fente tient pertes CENBRT RE’ 1) SYSTEME DE L'ATTRACTION POUR EXPLIQUER LES MEMES PHENOMENES. # Newton commence par démontrer, que fi un corps qui fe . meut eft attiré vers un centre immobile, ou mobile , il dé- crira autour de ce centre des aires proportionnelles aux tems; & ré- ciproquement , que fi un corps décrit autour d’un centre immo- bile, ou mobile, des aires proportionnelles aux tems, il eft attiré vers ce centre. Ceci démontré par les raifonnemens de la plus fure Géométrie, il l'applique aux Planètes qu'il confidére fe mouvoir dans le vuide, ou dans des efpaces fi peu remplis de matière, qu’elle n'apporte aucune réfiftance fenfibile aux corps qui s’y meuvent. Les Obfer- vations #* M. Bulfinger DESNASTRES. #75 vations_ apprenant que toutes les Planètes du prémnier ordre autour du Soleil, & tous les Satellites autour de leur Planète principale, décrivent des aires proportionnelles aux tems; il conclut que les Planètes font attirées vers le Soleil, &les Satellites vers leur Planète. Quelle que foit la loi de cette force qui attire les Planètes, c’eft- à-dire, de quelque manière qu’elle croiffe ou diminue, felon la diftance où font les Planètes, il fufft en général qu’elles foient at- tirées vers un centre, pour que les aires qu’elles décrivent autour, fuivent la proportion des tems. On ne connoiït donc point encore par cette proportion obfèrvée, la loi de la force centrale. Mais fi Pune des analogies de Képler, (c’eft ainfi qu’on appelle cette proportionnalité des aires & des tems) a fait découvrir une force centrale en général, l’autre analogie fait connoitre la loi de cette force. Cette autre analogie, comme nous lavons vu ci-deflus, con- fifte dans le rapport entre les tems des révolutions des différentes planètes & leurs diflances. Les tems des révolutions des difié- rentes. Planètes autour du Soleil, & des Satellites autour de leur Planète, font proportionnels aux racines quarrées des cubes de leurs diftances au Soleil, ou à la Planète principale. Or cette proportion entre les tems des révolutions, & les diftances des Planètes, une fois connue, M. Newton cherche quelle doit être la loi felon Jaquelle la force centrale croît ou diminue, pour que des corps qui fe meuvent par une même force dans des Orbites circulaires , ou dans des Orbites fort approchantes, comme font les Planètes, obfervent cette proportionentre leurs diftances & leurs tems périodiques: & la Géométrie démontre facilement que cette autre, analogie fuppole que la force qui attire les Planètes & les Satellites vers le centre , ou plutôt vers le foyer des courbes qu’elles décrivent, eft réciproquemet proportionnelle au quarré de leur diftance à ce centre, c’eft-3-dire, qu’elle diminue en même proportion que le quarré de la diftance augmente. Ces deux analogies fi difhciles à concilier dans le Syftème des Tourbillons, ne fervent ici que de faits qui découvrent, & la force centrale, & la loi de cette force. K 2 Suppofer 76 FIGURE Suppofer cette force & fa loi, n’eft plus faire un Syflème ; ceft découvrir le principe dont les faits obfervés font les conféquences néceffaires. On n’établit point la pefanteur vers le Soleil, pour expliquer le cours des Planètes; le cours des Planètes nous apprend qu'il y à une pefanteur vers le Soleil, & quelle eft fà loi. Voyons maintenant quel ufage M. Newton va faire du principe qu’il vient de découvrir. Aidé de la plus fublime Géométrie, il va chercher la courbe que doit décrire un corps, qui avec un mouvement rectiligne d'abord, eft attiré vers un centre par une force dont la loi eft cel: le qu'il a découverte. æ La Solution de ce beau Problème , lui apprend que le corps décrira néceffairement quelqu'une des Sections coniques; & que fi la route que trace ce corps, rentre en elle-même, comme il arrive aux Orbites des Planètes, cette courbe fera une Ellipfe , dans le foyer de laquelle réfidera la force centrale. Si M. Newton a du aux deux prémiéres analogies, la décou- verte de lattration & de fà loi, il en voit ici la confirmation par de nouveaux phénomènes. Toutes les obfervations font voir que les Planètes fe meuvent dans des Ellipfes, dont le Soleil occupe le foyer. Les Comètes fi embarraffantes dans le Syftème des Tourbillons, donnent une nouvelle confirmation du Syftème de l'attraction. M. Newton ayant trouvé que les corps qui fe meuvent autour du Soleil, tendent vers lui, fuivant une certaine loi, & doivent fe mouvoir dans quelque Section conique, comme il arrive en effet aux Planètes, dont les Orbites font des Ellipfes, confidére les Comètes comme des Planètes qui fe meuvent par la même loi, dont les Orbites font des Ellipfes, mais fi allongées, qu'on les peut prendre, fans erreur fenfible, pour des Paraboles. Il ne sen tient pas à cette confidération , qui déjà prévient affez en fa faveur , il lui faut quelque chof& de plus exaét. Il faut voir fi l'Orbite d’une Comète , déterminée par quelques points donnés dans les prémières Obfervations, & par Fattraction vers le Soleil, quadrera avec la trace que la Comète décrit réellement dans DES 2ASTR:ES. = dans le refte de fon cours. Il a calculé ainfi, lui & le favant Aftronome M. Halley, les Orbites des Comiètes, dont les Obfer- vations nous ont mis en état de faire cette comparaifon ; & l’on ne fauroit voir fans admiration, que les Comètes fe font trouvées aux points de leurs Orbites ainfi déterminés, prefqu’avec autant d’exactitude, que les Planètes fe trouvent aux lieux de leurs Orbi- tes déterminés par les Tables ordinaires. Il ne paroit plus manquer à cette Théorie qu'une fuite affez longue d'Obfervations, pour nous mettre en état de reconnoitre chaque Comète, & de pouvoir annoncer fon retour, comme nous failons le retour des Planètes aux mêmes points du Ciel. Mais des Aftres, dont les révolutions, felon toutes les apparences, durent plufeurs fiècles, ne paroiffent guères faits pour étre obfer- vés par des hommes dont la vie eft fi courte. Voilà, quant au cours des Planètes & des Comètes, tous les Phénomènes expliqués par un feul principe. Les Phénomènes de la pefanteur des corps ne dépendroient -ils point encore de ce principe ? Les corps tombent vers le centre de la Terre; c’eft l'attraction que la Terre exerce fur eux qui les y fait tomber. Cette expli- cation eft trop vague. Si la quantité de la force attractive de la Terre étoit connue par quelque autre Phénomène que celui de la chute des corps, l’on pourroit voir fi la chute des corps, circonflanciée comme on fait qu’elle left, eft l'effet de cette méme force. Nous avons vu que comme l'attraction que le Soleil exerce fur les Planètes, fait mouvoir les Planètes autour de lui, de-même Vattraction que les Planètes qui ont des Satellites exercent fur eux, les fait mouvoir autour d'elles: la Lune eft Satellite de la Terre, c’eft donc lattraction de la Terre qui fait mouvoir la Lune autour d’elle. L'orbite de la Lune & le tems de fa révolution autour de la Terre font connus: on peut par-là connoître l'efpace que la force qui attire la Lune vers la Terre, lui feroit parcourir dans un tems donné, fi la Lune venant à perdre fon mouvement, tomboit vers la Terre en ligne droite avec cette force. K 3 La 78 À SPC ÈURR À La moyenne diftance de la Lune à la Terre étant d'environ 60 demi- diamètres de la Terre, on trouve par un calcul facile, que lattration que la Terre exerce fur la Lune, dans la région où elle eft, lui feroit parcourir environ quinze pieds dans une minute. Mais l'attraction croiffant dans le même rapport que le quarré de la diftance diminue, fi la Lune ou quelque autre corps fe trou- voient placés près de la fuperficie de la Terre, c’eft-adire, 60 fois plus près de la Terre que n'eft la Lune, Fattraétion de la Terre féroit 3600 fois plus grande; & elle feroit parcourir au corps qu’elle attireroit, environ 3600 fois 15 pieds dans une minute; parce que les corps, dans le commencement de leur mouvement ; parcourent des efpaces proportionnels aux forces qui les font mouvoir. Or on fait par les Expériences de M. Huygens , l'efpace que parcourt un corps animé par la feule pefanteur, vers la furface de la Terre, & cet efpace fe trouve précifément celui que doit faire parcourir la force qui retient la Lune dans fon Orbite, augmentée comme elle doit étre vers la furface de la Terre. La chute des corps vers la Terre eft donc un effet de cette même force: d’où l’on voit que la pefanteur des corps plus éloi- gnés du centre de la Terre eft moindre que la pefänteur de ceux qui font plus proches, quoique les plus grandes diflances, où nous puiffions faire des expériences, foient trop peu confidérables pour nous rendre fenfble cette différence de pefanteur. Des Expériences particulières ont appris, qu'à la même diftance du centre de la Terre, les poids des différens corps, qui réfultent de cette attraétion, font proportionnels à leurs quantités de matière. Cette force qui attire les corps vers là Terre , agit donc pro- portionnellement fur toutes les parties de la matière. Or l'attraction doit être mutuelle; un corps ne fauroit en attirer un autre, qu'il ne foit attiré également vers cet autre. Si Pattraction que la Terre exerce fur chaque partie de la matière eft égale, cha- que partie de la matière a aufi une attraction égale, qu’elle exerce À fon tour fur la Terre ; & un Atome ne tombe point vers la Terre, que la Terre ne s'élève un peu vers lui. C'eft MARRANT RES 79 C'eft ainf que le cours des Planètes & toutes fes circonftances s’expliquent par le principe de attraction; mais encore la pelanteur des corps n'eft qu’une fuite du méme principe. Je ne parle point ici d'irrégularités fi peu confidérables, qu'on les peut négliger fans erreur, ou expliquer par le principe. On regarde le Soleil, par exemple, comme immobile au foyer des Ellipfes que décrivent les Planètes : cependant il n’eft point abfolument immobile, l'attraction entre deux corps étant toujours mutuelle, ie Soleil ne fauroit attirer les Planètes qu'il n’en {oit attiré. Si lon parle donc à la rigueur, le Soleil change conti- nuellement de place felon les différentes fituations des Planètes. Ce n’eft donc proprement que le centre de gravité du Soleil & de toutes les Planètes qui eft immobile; mais l’'énormité du Soleil par rapport aux Planétes eft telle, que quand elles fe trouveroient tou- tes du même côté, la diftance du centre du Soleil au centre com- mun de gravité, qui eft alors la plus gknde qu'elle puifle étre, ne feroit que d’un feul de fes diamètres. 1l faut entendre la même chofe de chaque Planète qui a des Satellites. La Lune, par exemple, attire tellement la Terre, que ce n’eft plus le centre de la Terre qui décrit une Ellip{e au foyer de laquelle eft le Soleil, mais cette Ellip{e eft décrite par le centre commun de gravité de la Terre & de la Lune, tandis que chacune de ces Planètes tourne autour de ce centre de gravité, dans l’efpace d'un mois, L’attraction mutuelle des autres Planètes n'apporte pas à leur cours de changemens fenfbles; Mercure, Vénus, la Terre & Mars n'ont pas aflez de groffeur, pour que leur action des unes für les autres trouble fenfiblement leur mouvement. Ce mouvement ne fauroit étre troublé que par Jupiter &#Saturne, ou quelques Comè- tes qui pourroient caufer quelque mouvement dans les Aphélies de ces Planètes, mais fi lent qu'on le néglige entièrement. Il n’en eft pas de-méme de l'attraction qui s'exerce entre Jupi- ter & Saturne; ces deux puiflantes Planètes dérangent reciproque- ment leur mouvement lorfqu’elles font en conjonction; & ce dé- rangement eft aflez confidérable pour avoir été obfervé par les Aftronomes. C’eft 80 - FIGURE C'eft ainfi que l'attraction & fa loi ayant été une fois établies par le rapport entre les Aires que les Planètes décrivent autour du So- leil & les tems, & par le rapport entre les tems périodiques des Planètes & leurs diftances; les autres Phénomènes ne font plus que des fuites néceffaires de cette attraction. Les Planètes doivent décrire les courbes qu’elles décrivent ; les corps doivent tomber vers le centre de la Terre, & leur chute doit avoir la rapidité qu'elle a; enfin les mouvemens des Planètes reçoivent jufqu'aux dérangemens qui doivent réfüulter de cette attraction. Un des effets de l'attraction, qui eft la chute des corps, fe fait affez appercevoir ; mais cet effet même eft ce qui nous empêche de découvrir l'attraction que les corps exercent entre eux. La force de l'attraction étant proportionelle à la quantité de matière des corps, l'attraction de la Terre fur les corps particuliers nous empêche continuellement de voir les effets de leur attraction pro- pre; entraînés tous M centre de la Terre par une force im- menfe, cette force rend infenfbles leurs attra@tions particulières, comme la tempête rend infenfiblé le plus léger fouffle *. Mais fi l’on porte lavue fur les corps qui peuvent manifefter leur attraction les uns fur les autres , on verra les effets de lat- traction auffi continuellement répétés que ceux de l'impulfon. A tout inftant les mouvemens des Planètes la déclarent, pendant que l’impulfion eft un principe que la Nature femble n’employer qu'en petit. L’attraction n’étant pas moins poffible dans la nature des chofes que l'impulfion; les Phénomènes qui prouvent l'attraction étant aufli fréquens que ceux qui prouvent limpullon; lorfqu'on voitun corps tendre vers un autre, dire que ce n’eft point qu'il foit attiré, mais - qu'il y a quelque matière infifible qui le poufle, c’eft à-peu-près railonner comme feroit un partifan de l'attraction, qui voyant un corps * Cependant cette Attraction ne feroit mafle entière de la Terre. Mrs. Bou- pas tout-à- fait infenfible , pourvu qu'on guer & de la Condamine envoyés par le la recherchât dans des corps dont les maf Roï au Perou, ont trouvé qu’une très fes euflent quelque proportion avec la grofle Montagne appellée Chimboraco, fituée + À an ni © + so Édelner dés DES 4 STRES. i gr corps pouffé par un autre, fe mouvoir, diroit que ce n’eft point par l’eftet de l'impulfion qu’il fe meut, mais parce que quelque corps invifble lattire. C'eft maintenant au Leéteur à examiner fi l'attraction eft fufi- famment prouvée par les faits, ou fi elle n’eft qu’une fiction gra- tuite dont on peut {e pafler. DU Aron; Mn) D US De LS! M LE, sie LS: de LE, Sen Do men me SOUS Dee ee en) n 2 C'H A PI T'R'E"V. DÉS DIFFERENTES LOIX. DE LA PESANTEUR ET DES FIGURES QU'ELLES PEUVENT DONNER AUX CORPS CE LESTES. e reviens à examiner plus particulièrement la Pefanteur, dont les effets combinés avec ceux de la force centrifuge, détermi- nent les figures des Corps Céleftes. Pour que ces Corps parviennent à des Figures permanentes, il faut que toutes leurs parties foient dans un équilibre parfait. Or ces parties font animées par deux forces, defquelles doït dépendre cet équilibre; l’une, qui eft la force centrifuge qu’elles acquerrent par leur révolution, tend à les écarter du centre; l’autre, qui eft la Pefanteur , tend à les en approcher. Sur la force centrifuge, il ne peut y avoir de difpute : elle n’eft que cet effort, que les corps qui circulent, font pour s’écarter du centre de leur circula- lation; & elle vient de la force qu'ont les corps pour perféverer dans l'état où ils font une fois, de repos ou “de mouvement. Un corps forcé de fe mouvoir dans quelque courbe, fait un effort con- tinuel pour s'échapper par la tangente de cette courbe; parce que dans fituée fort près de l’Equateur, attiroit à Nord & au. Sud de la Montagne, ils ont elle le plomb qui pend au fil des Quart- trouvé que cette Attraëtion écartoit le fil de-Cercles. Et par plufieurs Obferva- à plomb de la Verticale d'un angle de tions des hauteurs des Etoiles prifes au 7” ou g”. Oeuv. de Mauperr. L 82 , FACE REE dans chaque inftant, fon état eft de fe mouvoir dans les petites droites qui compofent la courbe, & dont les prolongemens font les tangentes. La nature de la force centrifuge, & fes effets font donc bien connus. Il n’en eft pas ainfi de la pres Les Philofophes s’en font fait différens Syftèmes felon les différens Phénomènes fur lefquels ils fe font fondés. A ne juger de cette force que par le Phénomène le plus fenf- ble qui nous la manifefte; par la chûte des corps vers le centre de la Terre, les Expériences la feroient croire uniforme c’eft à dire toujours la même à quelque diftance que ce foit de ce centre. En comparant les efpaces dont les corps tombent vers la Terre avec les tems qu'ils employent à tomber, l'on trouve ces efpaces pro- portionnels aux Quarrés des tems. Galilée le premier qui a fait des recherches fur la Loi que fuivoit la pefanteur, en conclut, & eut raifon d'en conclure Que certe Force qui fait tomber les corps vers le centre de la Terre étoit uniforme €9 conflante. Mais pour bien juger de la Loi de cette Force, il ne faut pas s'en tenir aux Phénomènes qu’elle exerce à d’auffi petites diftances que celles auxquelles les expériences fur la chute des corps ont été faites, & auxquelles nous pouvons les faire. En confiderant Ja Detenfon de la Lune dans fon Orbite comme l'effet d’une pefanteur vers le Centre de la Terre, &en comparant cet effet avec celui de la Pefanteur qui fait tomber les corps vers ce centre, on trouve que ces deux Forces ne font que la même, diminuée dans la Région de la Lune autant que le Quarré de la Diftance au centre de la Terre y eft augmenté. En étendant cette Theorie aux Planètes qui font immédiate- ment leur revolution autour du Soleil, on trouve la même Loi pour la Force qui les retient autour de cet Aftre: & pour les Satellites qui font leurs révolutions autour de Jupiter & de Saturne, la même Loi encore. Jl paroit donc par tout le Syftème Solaire Que la pe- fanteur vers les centres de la Terre, du Soleil, €ÿ des Planètes, ef} en raifon inverfè du Quarré des Diflances. Newton Le. LÉ be à dl tt dé mn À à de in Ce, D\ENS Ÿ AS TR ES. 8; Newton joignant à cette Theorie d’autres expériences, décou- vrit, Que la Pefanteur w'étoit quun Phénomène refultant d'une Force r'epandue dans la matière par laquelle toutes fes parties s'attirent en raifon renverfée du Quarré de leur Diflance. Et que la pefan- teur ne fembloit avoir fon action vers les centres de la Terre, du Soleil, de Jupiter & de Saturne que parce que la figure de ces Aftres étoit à très peu près Sphérique ; & qu'outre que leurs Maffes pou- voient fe confondre avec leurs centres par rapport aux Diftances des Aftres qui faifoient autour leurs revolutions, la Loi d’une Attraction dans la matière en raifon inverfe du Quarré des Diftances, fubfiftoit la même au dehors vers le centre des corps fphériques qui en étoient formés. C’avoit donc été un grand pas de fait dans la Philofophie, d’a- voir par les expériences de la chute des corps vers la Terre, mefuré la Force qui les fait tomber, & d’avoir trouvé que ces expérien- ces fuppoloient wze Force uniforme. C'en fut un autre d’avoir comparé cette Force avec celles qui retiennent les Planètes dans leurs Orbites, d’où refulteroit le Syftème d’une Pefanteur en raifon inverfe du Quarré des Diflances aux Cen- tres de la Terre, du Soleil € des autres Planètes. Mais le plus grand pas de tous, c’eft d’avoir découvert wne Force attractive repandue dans toutes les parties de la Marière, qui agit en raifon inverfe du Quarré de leur Diflance; d'où refüultent tous les Phénomènes précedents: la chute des corps vers le centre de la Terre; une pefanteur vers les centres du Soleil, de la Terre & des autres Planètes fenfiblement en raifon inverfe du Quarré des Diftances à ces Centres. Il femble qu’on peut fans beaucoup hazarder, fe determiner en faveur de ce dernier Syftème. Cependant comme tout ce que j'ai à dire s’accorde également avec les trois, & avec plufeurs autres encore qu’on pourroit ima- giner, je laiffe à chacun à en penfer ce qu'il voudra; Il pourra éga- lement adopter fes Idées à l'Explication des phénomènes que je vais propolèr. C’eft cette confidération qui n'a fait fupprimer ici quelques Calculs trop dependans de telle ou telle Hypothéie. L 2 Sans 84 FIGURE Sans parler des anciens Philofophes, il femble que parmi les Modernes, avant Newton, quelques uns ont eu l’'Idée d’une attra- étion repandue dans la matière qui caufoit la Chute des corps vers la Terre & la Detenfion des Planètes dans leurs Orbites. Képler en avoit fenti le befoin pour expliquer les mouvemens celeftes: Et l'on peut voir ce qu’en difoient des Auteurs celebres 50 ans avant que le Syftème de Newton parût. Voici comment ils s'expliquent: * La commune opinion ef} que la pefanteur eff une Qualité qui re- Side dans le Corps même qui tombe. D'autres font d'avis que la Deftente des Corps procéde de l'Ar- traëtion d'un autre Corps qui attire celui qui defend, comme la Terre. Il y a une troifiéme Opinion, qui n'eff pas hors de vraifémblance ; que c'eff une Arrraëfion mutuelle entre les Corps, caufèe par un défir naturel que les corps ont de s'unir enfemble ; comme il ef} evident au Fer er à l'Aiman, lefquels font tels que fi l'Aiman ef} arreté, le Fer ne l'érant pas, lira trouver; € Ji le Fer eff arrete, l'Aiman iva vers lui ; € Ji tout deux font libres, ils s’'approcheront recipro- quement l'un de l'autre, enforte toutefois que le plus fort des deux fera le moins de chemin. Il eft vrai que celui qui a deduit cette force de Phénomènes, qui en a calculé rigoureufement les effets, & fait voir leur conformité avec la Nature, c’eft celui là feul qui eft l’Auteur des merveilleux Syftèmes de lAttraétion: mais il eft vrai que les Philofophes Fran- çois que je cite en avoient déja quelque Idée, qu'ils m'avoient pas pour elle l'éloignement que ceux qui font venus depuis ont témoi- gné, & qu'ils s’exprimoient d’une maniére bien plus dure que Newton n'a jamais fait, fans avoir les raifons que ce grand homme a eues pour ladmettre. C’eft chés eux qu’on peut dire qu’elle n'é- toit qu'une Qualité occulte. Il paroit donc aujourd’hui demontré que dans tout notre Syftè- me Solaire, cette même proprieté repandue dans la matière fub- fie : mais autour des autres Soleils, autour des Etoiles fixes, & autour * Fermat. War. Oper. Mathem: pag. 124. Pre 7, à DES ASTRES 85 autour des Planètes que vraifemblablement elles ont, les mêmes Phénomènes auroient-ils lieu, & les mêmes loix de pefanteur s’ob- ferveroient-elles? Rien ne ne peut nous en aflurer, & nous n’en pouvons juger que par une efpece d’Induétion. Toutes les Loix précedentes de pefanteur donnent aux Aftres qui ont une revolution autour de leur Axe, les figures de Sphéroides applatis : & quoique les Planètes que nous connoiffons dans notre Syffème Solaire approchent de la Sphéricité, elles n’en étoient pas moins fujettes à des Figures fort applaties. Il ne falloit pour cela qu’une pefanteur moins grande, ou une revolution plus rapide au- tour de leur Axe. Et pourquoi l'efpece d’Uniformité que nous voyons dans un petit nombre de Planètes nous empecheroit-elle de foupçonner du moins la Varieté des autres que nous cache lifñmenfté des Cieux ? Relegués dans uncoin de l'univers avec de foibles Organes, pourquoi bornerions nous les chofes au peu que nous en appercevons ? LU DE BE DES AFS 98e LS ar 8; De LS DS ee Det de au me US ee den ne EE: APPL-TOR:E VE T'AÎCHES LU M PNEU SES DECOUVERTES DANS L'EWC'I EVE, D ces derniers tems, non feulement on a découvert que quelques Planètes de notre Syfème Solaire n’étoient pas des Globes parfaits; on a porté la vûé jusques dans le Ciel des Etoiles fixes, & par le moyen des grandes Lunettes, on a trouvé dans ces Régions éloignées des Phénomènes qui femblent annoncer une auffi grande variété dans ce genre, qu’on en voit dans tout le refte de la Nature. Des amas de matière fluide qui ont un mouvement de révolu- tion autour d'un centre, doivent former des Aftres fort applatis & 33 en 86 FAPGQUIR E en forme de Meules , qu’on rangera dans la claffe des Soleils, ou des Planètes, felon que la matière qui les forme fera lumineufe par elle-même, ou opaque & capable de réfléchir la lumière. Soit que la matière de ces Meules {oit par-tout de même nature, foit que pefant vers quelque Aîftre d’une nature différente, elle l'inonde de toutes parts, & forme autour un fphéroïde applati qui reñter- me lAftre. De célébres Aftronomes s'étant appliqués à obferver ces Appa- rences Céleftes qu'on appelle Nébuleufes | & qu'on attribuoit au- trefois à la lumière confondue de plufieurs petites Etoiles fort pro- ches les unes des autres, & s'étant fervis de Lunettes plus fortes que les Lunettes ordinaires, ont découvert que du moins plufieurs de ces Apparences, non feulement n’étoient point caufées par ces amas d’Etoiles qu’on avoit imaginés, mais même n’en renfermoient aucune; & ne paroifloient étre que de grandes Aires ovales, lumi- neufes, ou d’une lumière plus claire que le refte du Ciel. M. Huygens fut le prémier qui découvrit dans la Conftellation d’'Orion une Tache de figure irrégulière, & d’une teinte différente de tout le refte du Ciel, dans laquelle ou à travers laquelle il ap- *k perçut quelques petites Etoiles *. M. Halley parle de fix de ces Taches, dont la re. eft dans l’Epee d'Orion, la 2°. dans le Sagitraire , la 3°. dans le Centaure, la 4°. précéde le pied droit d’Anrinoës, la 5°. dans Hercule, & la 6°. dans la Ceinture d Andromède * *. Cinq de ces Taches ayant été obièrvées avec un Télefcope de réflexion de 8. pieds, il ne s’en eft trouvé qu'une, celle qui précéde le pied d’ Anrinoës, qui puifle être prifé pour un amas d’Etoiles. Les quatre autres paroiffent de grandes Aires blanchâtres, & ne différent entre elles, qu'en ce que les unes font plus rondes, & les autres plus ovales. Dans celle d’Orion les petites Etoiles qu'on décou- * Hug. Syff. Saturn. *S Tranfa{ions Philofophiques, Nunt. 347. DPEVSS AUS TT RSE S. 87 découvre avec le Télefcope, ne paroiffent pas capables de caufer fa blancheur * * *. M. Halley a été fort frappé de ces Phénomènes, qu'il croit pro- pres à éclaircir une chofe qui paroit difficile à entendre dans le Livre de la Genèfé; qui eft que la lumière fut créée avant le Soleil. Il recommande ces merveilleux Phénomènes aux fpéculations des Naturaliftes & des Aftronomes. M. Derham a été plus loin, il regarde ces Taches comme des Trous à travers lefquels on découvre une région immenfe de lu- mière, & enfin /e Ciel Empyrée. Il prétend avoir pu diftinguer que les Etoiles qu’on apperçoit dans quelques-unes, font beaucoup moins éloignées de nous que ces Taches. Mais c’eft ce que Optique nous apprend qu’on ne fauroit décider. Paflé un certain éloignement, qui même n’eft pas fort confidérable, il n’eft pas poffible de déterminer lequel eft le plus éloigné de deux objets qui n’ont ni l’un ni l’autre de parallaxe, & dont les degrés de lumière font inconnus. Tous ces phénomènes fe trouvent par notre Syftème fi natu- rellement & fi facilement expliqués, qu'il n’eft prefque pas befoin d’en faire l'application. Nous avons vu qu'il peut y avoir dans les Cieux des maffes de matière foit lumineufe, foit réfléchiffant la lumière, dont les formes font des fphéroïdes de toute efpèce, les uns approchans de la fphéricité, les autres fort applatiss De tels Aftres doivent caufer des apparences femblables à celles dont nous venons de parler. Ceux qui approchent de la fphéricité feront vus comme des Taches circulaires, quelqu'angle que fafle l'axe de leur révolu- tion avec le Plan de lEcliptique ; les autres, dont la figure eft applatie, doivent paroïître des Taches circulaires ou ovales , fe- lon la manière dont le Plan de leur Equateur fe préfente à lEcliptique. *** Transaëions Philofophiques, Num. 424. Enfin 88 FIGURE Enfin ces Aftres applatis doivent nous préfenter des figures irrégulières; fi plufeurs, diverfement inclinés & placés à diffe- rentes diftances, ont quelques-unes de leurs parties cachées pour nous par les parties des autres. Quant à la matière dont ils font formés, il n'eft guères permis de prononcer fi elle eft auffi lumineufe que celle des Etoiles, & fi elle ne brille moins que parce qu'elle eft plus éloignée. S'ils font formés d’une matière auffi lumineufe que les Etoiles, il faut que leur groffeur foit énorme par rapport à la leur, pour que, malgré leur éloignement beaucoup plus grand, que fait voir la diminution de leur lumière, on les voye au Télefcope avec grandeur & figure. Et fi on les fuppofe d'une groffeur égale à celle des Etoiles, il faut que la matière qui les forme foit moins lumineufe, & qu’elles foient beaucoup plus proches de nous , pour que nous les puiffi- ons voir avec une grandeur {enfible. On prétend cependant que ces Taches n’ont aucune paralla- xe: & c’eft un fait qui mérite d’être obfervé avec foin; car peut- être que ce n’eft que par un trop petit nombre d’Aftres obfervés, qu’on a défefpéré de la parallaxe des autres. On ne peut jufqu'ici s'aflurer fi les Aîftres qui forment ces Taches, font plus ou moins éloignés que les Etoiles fixes. S'ils le font plus, les Etoiles qu’on découvre dans la Tache d'Orion, & quon découvriroit vraifemblablement dans plufeurs autres, font vues projettées {ur le Difque de nos Aftres dont la lumière plus foible que celle de l'Etoile ne peut la ternir. Sils le font moins , la matière qui les forme, n'empêche pas que nous ne voy- ions les Etoiles à travers, comme on les voit à travers les Queu- es des Comètes. CHA- res ne CO. + ntadtès "RFO: DEV 2ASTRES 89 + Bi 4 4 4 O4 M Hu eub a ee 4H AR AR HD He 4H die ee d C'HAPTPRE VIT. DES ETOILES QUI S'ALLUMENT OU QUI S'ETEIGNENT DANS LES CIEUX; ET DE CELLES QUE CHANGENT DE GRANDEUR. a différence entre l'axe de notre Soleil & le diamètre de fon Equateur, n’eft prefque rien : la pefanteur immenfe vers ce grand corps, & la lenteur de fa révolution autour de fon axe, ne lui permettent qu'un applatifflement infenfble. D’autres Soleils pourroient être applatis à infini. Toutes ces figures s’accordent auffi-bien avec les loix de la Statique, que celle d’un fphéroïde plus approchant de la fphère: il n’y a que la fphéricité parfaite qui ne sy accorde pas, dès qu’ils tournent autour de leur axe. On ne connoit jufqu’ici la figure des Etoiles fixes par aucune obfervation: nous ne les voyons que comme des points lumineux, dont l'éloignement nous empêche de difcerner les parties. On peut raifonnablement penfer , que dans leur multitude il {e trouve des figures de toute efpèce. Cela poié, il eft facile d'expliquer comment quelques Etoiles ont difparu dans les Cieux, comment d’autres ont femblé s’allu- mer, ont duré quelque tems, enfüuite ont ceflé de luire & ont paru s’éteindre. Tout le monde fait la difparition d’une des Pléiades. On obferva en 1572. une nouvelle Etoile qui vint paroître dans la Caffiopée, qui lemportoit en lumière fur toutes les Etoiles du Ciel, & qui, après avoir duré plus d’un an, difparut. On en avoit vu une dans la même Conflellation en 945. fous empire d'Orhon; il eft fait mention d’une qui parut encore vers la même Région du Ciel en 1264. & ces trois pourroient aflez vraifemblablement n'être que la même. On obferve auffi dans quelques Conftellations, des Etoiles dont la lumière paroit croître & diminuer alternativement; il s’en trouve une dans le Co/ de la Baleine, qui femble avoir des périodes réglés Oeuv. de Mauperr. M d’aug- 90 FIG 'U"R E d'augmentation & de diminution | & qui depuis plufeurs années étonne les Obfervateurs. Le Ciel & les Tems font remplis de ces Phénomènes * Je dis maintenant que fi parmi les Etoiles il s’en trouve d’une figure fort-applatie elles nous paroïtront comme feroïient des Etoi- les fphériques, dont le diamètre feroit le même que celui de leur Equateur, lorfqu’elles nous prélenteront leur face: mais fi elles viennent à changer de fituation par rapport à nous, fi elles nous prélentent leur tranchant, nous verrons leur lumière diminuer plus ou moins, felon la différente manière dont elles fe préfenteront; & nous les verrons tout-à-fait s’'éteindre, fi leur applatiffement & leur diftance font affez confidérables. | De-même des Etoiles que leur fituation nous avoit empêché d’appercevoir, paroitront , lorfqu'elles prendront une fituation nouvelle; & ces alternatives ne dépendront que du changement de fituation de ces Aftres par rapport à nous. I ne faut plus qu’expliquer comment il peut arriver du chan- gement dans la fituation de ces Etoiles applaties. Fous les Philofophes d'aujourd'hui regardent chaque Etoile fixe, comme un Soleil à-peu-près femblable au nôtre, qui a vraifem- blablement fes Planètes & fes Comètes, c’eft-à-dire, qui a autour de lui des corps qui circulent avec différentes excentricités. Quelqu'une de ces Planètes qui circulent autour d’un Soleil ap- plati, peut avoir une telle excentricité, & fe trouver fi près de fon Soleil dans fon Périhélie , qu'elle dérangera fa fituation, foit par la pefanteur que chaque Planète porte pour ainfi dire avec elle, felon le fyftème de M. Newton, qui fait que dès qu'elle pale au- près de fon Soleil, la pefanteur de fon Soleil vers elle, & la pefan- teur d'elle vers lui, ont un effet fenfible; foit par la prefñon qu'une telle Planète cauferoit alors au fluide qui fe trouveroit ref- ferré entre elle & fon Soleil, fi Fon vouloit encore admettre des Tourbillons. De quelque caufe que vienne la pefanteur, tout conduit à croire qu'il y a autour de chaque Planète & de chaque Corps Cé-- lefte # Voyez l'Hiftoire de ces Etoiles dans les Elem. d'Afiron. de M. Cafüini. à mes DEN %ASTRES. ot lefte une force qui feroit tomber les corps vers eux, comme celle que nous éprouvons fur notre Terre. Une pareille force fufit pour changer la fituation d’un Soleil, lorfqu'une Planète pañle fort proche de lui; & cette fituation changera felon la manière dont le plan de lOrbite de la Planète coupera le plan de l Equateur du Soleil. Le paflage des Planètes dans leur Périhélie auprès des Soleils applatis, doit non feulement leur faire préfenter des faces différen- tes de celles qu'ils préfentoient; il peut encore changer la fituation de leur centre, & les déplacer entièrement. Mais on voit afez que quand le centre de ces Soleils féroit avancé ou reculé de la diftance d’un ou de plufieurs de leurs diamètres, ce changement ne pourroit pas nous être fenfible pour des Etoiles dont le diamè- tre ne nous left pas. Aüinfi quand onauroit obfervé avec exactitude que le lieu de ces Etoiles füujettes au changement a toujours été le méme danse Ciel, il n’y auroit rien en cela qui fût contraire à notre théorie. On a prétendu cependant avoir remarqué quelque changement de fituation dans quelques-unes. LE Les Etoiles dont les alternatives d'augmentation & de diminu- tion de lumière font plus fréquentes, comme l'Etoile du Co! de la Baleine, feront environnées de Planètes, dont les révolutions fe- ront plus courtes. L'Etoile de Cafiopée, & celles dont on n’a point obfervé d’al- ternatives, ne feront dérangées que par des Planètes dont les révo- lutions durent plufieurs fiècles. Enfin, dans des chofes auffi inconnues que nous le font les Pla- nètes qui circulent autour de ces Soleils, leurs nombres, leurs ex- centricités, les tems de leurs révolutions, les combinaifons des effets de ces Planètes les unes fur les autres, on voit qu'il n’y aura que trop de quoi fatisfaire à tous les Phénomènes d’apparition & de dif- parition, d'augmentation & de diminution de lumière. M 2 CHA- o2 FIGURE die Œu tb 449 Gt AID ANR 4H4R ip 8HiD 4H4R tit tb 41b 44 ŒH4S 4 414 6 C:REA PSETE RPELINIIL DE , L'AN-NE AU DE SATURNE. près avoir vu que vraifemblablement il fe trouvoit dans les Cieux des Aftres fort applatis, & que ces Aftres dévoient pro- duire tous les Phénomènes d'apparition & de difparition de nouvel- les Etoiles; d'augmentation & de diminution de fplendeur qu'on a obfervée dans plufieurs; nous tirons de notre théorie l'explication d’un Phénomène qui paroit encore plus merveilleux, & qui, quoi- qu'il foit l'unique de cette efpèce qui paroïfle à nos yeux, n’eft peut-être pas l'unique qui foit dans l'Univers. Je veux parler de l'Arneau qu’on obferve autour de Saturne, & en général des Anneaux qui fe peuvent former autour des Aftres. Les Comètes ne font comme nous l'avons vu, que des Planë- tes fort excentriques, dont quelques-unes, après s'être fort ap- prochées du Soleil, s’en éloignent en traverfant les Orbites des Planètes plus régulières, & parcourent ainfi les différentes Régions du Ciel. Lorfqu’elles retournent de leur Périhélie, on les voit traîner de longues Queues, qui vraifemblablement font des Torrens im- menfes de vapeur, que l'ardeur du Soleil a fait élever de leur corps. Si une Comète dans cet état pale auprès de quelque puiffante.Pla- nète, la pefanteur vers la Planète pourra détourner ce Torrent, & le déterminer à circuler autour delle, fuivant quelque Ellipie ou quelque Cercle: & la Comète fourniffant toujours de nouvelle ma- tière, ou celle qui étoit déjà répandue étant füuffifänte, il s'en for- mera un cours continu, ou une efpèce d’Anneau autour de la Planète. Or quoique la colonne qui forme le Torrent, foit d'abord ci- li d'ique, ou conique, ou de quelque autre figure, elle fera bien- tôt applatie, dès qu’elle circulera avec rapidité autour de quelque Planète ou de quelque Soleil, & formera bientôt autour un An- neau mince. Le DES ASTRE S 93 Le corps même de la Comète pourra être entrainé par l'Aftre, & forcé de circuler autour de lui. - Ce que j'ai dit ci- deffus des Planètes plattes qui devoient fe trouver dans le Syflème du Monde, eft confirmé dans notre Syfe- me Solaire, par les Obfervations qu’on a faites de l'applatiffement de Jupiter, & par notre mefüure de la Terre. A l'égard des Etoiles plattes, les Phénomènes précédens paroif- fent nous avertir qu'il y a en effet de ces Etoiles dans les Cieux. Mais quant aux Torrens qui circulent autour des Planètes ; nous voyons une Planète où il femble que tout {e foit paflé comme je viens de le dire: & l’on ne devroit pas s'étonner quand on verroit des Planètes ceintes de plufeurs Anneaux pareils à celui de Saturne. Ces Anneaux doivent fe former plutôt autour des groffes Pla- nètes que des petites, puifqu'ils font l'effet de la pefänteur plus forte vers les groffes Planètes que vers les petites: ils doivent auffi fe former plutôt autour des Planètes les plus éloignées du Soleil, qu'autour de celles qui en font plus proches; puifque dans ces lieux êloignés, la viteffe des Comètes fe rallentit, & permet à la Planéte d'exercer fon aétion plus longtems, & avec plus d'effet für le Torrent. Tout ceci eft confirmé par l'expérience: la feule Planète que nous voyons ceinte d’un Anneau, fe trouve une des plus groffes, & la plus éloignée du Soleil. Le nombre des Satellites qu’a Saturne, & la grandeur de fon Anneau, peuvent faire croire qu’il les a acquis aux dépens de plu- fieurs Comètes. En effet, il faut que cet Anneau, tout mince qu'il nous paroit, {oit formé d’une quantité prodigieufe de matière, pour pouvoir jetter für le difque de la Planéte l'ombre que les Aftro- nomes y obfervent; pendant que la matière des queues des Comè- tes paroit fi peu denfe, qu'on voit ordinairement les Etoiles à tra- vers. Il eft vrai auffi que la pefanteur que la matière de ces queu- es acquiert vers la Planète , lorfquw’elle eft forcée de circuler au- tour, la peut condenfer. Quant aux Planètes qui ont des Satellites, fans avoir d’Anneau; l'on voit affez que la Queue étant une chofe accidentelle aux Co- M 3 mètes, FIG URABDESIMSMRES mètes, &ne fe trouvant qu'à celles qui ont été affez proches du Soleil, une Cométe fans queue pourra devenir Satellite d’une Planète, fans lui donner d’Anneau. Il eft poffible auffi qu’une Planète acquière un Anneau fans acquérir de Satellite, fi la Planète trop éloignée du corps de la Cométe, ne peut entraîner que fa queue. La matiére qui forme ces Anneaux, au-lieu de refter foutenue en forme de voute autour de la Planète, peut l'inonder de toutes parts, & former autour d'elle une efpèce d’atmofphère applatie; & ce qui peut arriver aux Planètes, peut arriver de la même manière aux Soleïls. On prend pour une atmofphère femblable autour de notre Soleil, cette lumière que M. Caffini * a obfervée dans le Zodiaque. M. Newton a remarqué que la vapeur des Comètes pouvoit fe répandre fur les Planètes, lorsqu'elles venoient à s'approcher; il a cru cette efpèce de communication néceffaire pour réparer l'humi- dité que les Planètes perdent fans ceffe. Il a cru même que les Co- mètes pouvoient quelquefois tomber dans le Soleil ou dans les Etoi- less & c’eft ainfi qu'il explique comment une Etoile, dont la lu- mière eft prête à s’éteindre, fi quelque Comète lui vient fournir un nouvel aliment, reprend fà prémière fplendeur. De célèbres Philofophes Anglois, M. Halley & M. Whifton, ont bien remar- qué que fi quelque Comète rencontroit notre Terre, elle y caule- roit de grands accidens, comme des bouleverfèmens, des déluges, ou des embrafemens. Mais au-lieu de ces finiftres cataftrophes, la rencontre des Comètes pourroit ajouter de nouvelles merveilles, & des chofes utiles à notre Terre, MESURE # Mémoires de l Aadémie des Scciences, Tom. VIII. MESURE DEVEA TERRE A U CERCLE POLAIRE. > : . val 4 L é À morte DURE, 24 4 4 CCR CRE SR: “Nef è er AÂ; LL 2, À F ‘ “i A : ‘ ° nes: MA * ve y EL RU TS DISONS EUR Le a re À d pad hatrsse ACROSS “agente Not à DEL LE SE TN D PELS ETRT dédtie TS RE are he à a a tee le faite es" JAMÉENE “rai th CRavr sg 7 à ‘ É ” [OS «+ War Kpbe, © (y L, 97 sde dette dede tte étheteetheeteéetheéheétiefidtetintieé :PREFACE | pi que tout le monde prend à la fameufe queftion de la Figure de la Terre, ne nous a point permis de différer de publier cet Ouvrage, jufqu’à ce qu’il parût dans le recueil des Mé- moires qui font lus dans nos Affemblées. Comme nous voulons expofer toute notre opération au plus grand jour , afin que chacun puiffe juger dé fon exactitude, nous donnons nos obfervations elles-mêmes, telles qu’elles fe font trouvées fur les regiftres de Mrs. Clairaut,Camus, le Monnier, Celfus, l'Abbé Outhier, & fur le mien, qui fe font tous trouvés conformes les uns aux autres, fans y faire aucune des corrections qu'ont faites ceux qui nous ont donné de pareils ouvrages : ils ne nous ont donné que les triangles cor- rigés, & la fomme de leurs angles réduite à 180 degrés jufte; & que les milieux des obfervations pour la détermination de l'Amplitude de l'arc qu’ils ont mefüré, fans donner les obférvations elles-mêmes. - Nous avons cru devoir au Lecteur, la fatisfation de voir les obfervations telles qu’elles ont été faites; la maniére dont elles s’approchent ou s’écartent les unes des autres, le mettra à portée de juger du degré de précifion qui s’y trouve, ou qui y manque. Enfin il pourra faire lui-même les corrections comme il jugera, & comparer les différents réfultats que produiroient des corrections autrement faites que les nôtres. Il fera peut-être bon maintenant de dire quelque chofe de luti- lité de cette entreprife, à laquelle eft jointe celle du Pérou, qui pes A s CET 4 précéda la nôtre, & qui n’eft pas encore terminée. Perfonne # Cette Préface a été lüë dans l’Affemblée publique de l’Académie Royale des Scien- es, le 16 Avril 1738. Oeuv. de Maupert. N 08 PREZFACE Perfonne n’ignore la difpute qui a duré 56 ans entre les Sça- vans für la Figure de la Terre. On fcait que les uns croyoient que cette figure étoit celle d’un Sphéroïde applati vers les Poles, & que les autres croyoient qu’elle étoit celle d’un Sphéroïde allongé. Cette queftion, à ne la regarder même que comme une queftion de fimple curiofité, feroit du moins une des plus curieufes dont fe puiffent occuper les Philofophes & les Géometres. Mais la découverte de la véritable figure de la Terre a des avantages réels, & très- contidérables. Quand la poñtion des lieux feroit bien déterminée fur les Glo- bes & für les Cartes, par rapport à leur Latitude & leur Longitude, on ne fçauroit connoître leurs diftances , fi l'on n’a la vraye lon- gueur des degrés, tant du Méridien, que des Cercles paralleles à l'Equateur. Et fi l’on n’a pas les diftances des lieux bien connuës, à quels périls ne font pas expolés ceux qui les vont chercher à tra- vers les Mers! Loriqu’on croyoit la Terre parfaitement fphérique, il fufffoit d'avoir un feul degré du Méridien bien mefüuré; la longueur de tous les autres étoit la même, & donnoit celle des degrés de cha- que parallele à l'Equateur. Dans tous les temps , de grands Prin- ces, & de célébres Philofophes avoient entrepris de déterminer la grandeur du degré ; mais les mefures des Anciens s’accordoient fi peu, que quelques-unes différoient des autres de plus de la moitié; & fi lon adjoûte au peu de rapport qu’elles ont entrelles, le peu de certitude où nous fommes fur la longueur exacte de leurs Stades & de leurs Milles, on verra combien on étoit éloigné de pouvoir com- pter fur les meïfures de la Terre qu’ils nous ont laiffées. Dans ces derniers tems on avoit entrepris des mefures de la Terre, qui, quoi- qu’elles fuffent exemptes de ce dernier inconvénient, ne nous pou- voient guéres cependant étre plusutiles. Fernel, Snellius, Riccioli nous ont donné des longueurs du degré du Méridien, entre lefquel- les, réduites à nos mefures, il fe trouve encore des différences de près de 8ooo toiles, ou d’environ la feptiéme partie du degré. Et fi celle de Fernel s’eft trouvée plus jufte que les autres, la preuve de cette jufteffe manquant alors, & les moyens dont il s'étoit fervi, ne 7 ] ER F A CE, 99 ne la pouvant faire prélumer, cette mefure n’en étoit pas plus utile, parce qu'on n'avoit point de raifon de la préférer aux autres. Nous ne devons pas cependant pañler fous filence, une mefüure qui fut achevée en Angletere en 1635. parce quecette mefure paroît avoir été prife avec foin, & avec un fort grand inftrument. Nor- vood obferva en deux années différentes, la hauteur du Soleil au Solftice d'été à Londres & à York, avec un Sextant de plus de 5 pieds de rayon, & trouva la différence de Latitude entre ces deux villes, de 2° 28. Il mefura enfüitela diftance entre ces deux villes, obfervant les angles de détour, les hauteurs des collines & les de- fcentes; & réduifant le tout à l'arc du Méridien , il trouva 9149 chaînes pour la longueur de cet arc, qui, comparée à la différence en latitude, lui donnoit le degré de 3709 chaïnes 5 pieds, ou de 367196 pieds Anglois, qui font 57300 de nos toiles. Louis XIV. ayant ordonné à l’Académie, de déterminer la gran- deur de la Terre, on eut bien-tôt un ouvrage qui furpafla tout ce qui avoit été fait jufques-là. M. Picard, d’après une longue bafe exactement mefurée, détermina par un petit nombre de Triangles, la longueur de larc du Méridien compris entre Malvoifine & Ami- ens, & la trouva de 78850 toiles. Il obferva avec un Setteur de 10 pieds de rayon, armé d’une Lunette de la même longueur, la différence de Latitude entre Malvoifine & Amiens. Et ayant trouvé cette différence de 1° 22’ 55", il en conclut le degré de 57060 toiles. On pouvoit voir par la méthode qu’avoit fuivie M. Picard, & par toutes les précautions qu’il avoit prifes, que fa mefure devoit être fort exaéte: & le Roy voulut qu'on mefurât de la forte tout le Méridien qui traverfe la France. M. Caflini acheva cet ouvrage en 1718 ; il avoit partagé le Méridien de la France en deux arcs, qu'il avoit mefurés féparément; un de Paris à Collioure, lui avoit donné le degré de 57097 toifes; l’autre de Paris à Dunkerque, de 56960 toiles: & la mefure de l'arc entier entre Dunkerque & Col- lioure, lui donnoit le degré de 57060 toiles, égal à celui de M. Picard. Enfin, M. Muffchenbroek, jaloux de la gloire de fa nation, à laquelle il contribué tant, ayant voulu corriger les erreurs de Snel- N 2 lius 100 PRE PF AC'E lius, tant par fes propres obfervations, que par celles de Snellius même, a trouvé le degré entre Alcmaer & Bergopfom, de 20514 perches 2 pieds pouces, mefure du Rhin, qu'il évalué à 57033 toifes o pieds G pouces de Paris. Les différences qui fetrouvent entre ces derniéres mefüures, font fi peu confidérables, après celles qui fe trouvoient entre les mefu- res dont nous avons parlé, qu’on peut dire qu’on avoit fort exacte- ment la mefure du degré dans ces climats, & qu’on auroit connu fort exactement la circonférence de la Terre, fi tous fes degrés étoient égaux , fi elle étoit parfaitement fphérique. Mais pourquoi la Terre feroit - elle parfaitement fphérique ? Dans un fécle où lon veut trouver dans les Sciences toute la pré- cifion dont elles font capables , on n’avoit garde de fe conten- ter des preuves que les Anciens donnoient de la fphéricité de la Terre. On ne fe contenta pas même des raifonnements des plus grands Géometres modernes , qui, füivant les loix de la Statique, donnoient à la Terre la figure d’un Sphéroïde applati vers les Poles; parce qu’il fembloit que ces raifonnements tinffent toù- jours à quelques hypothefes, quoique ce füt de celles qu'on ne peut guéres fe difpenfer d'admettre. Enfin, on ne crut pas les obferva- tions qu’on avoit faites en France, füfifäntes pour aflürer à la Terre la figure du Sphéroïde allongé qu’elles lui donnoïient. Le Roy ordonna qu’on mefurât le degré du Méridien vers Equateur, & vers le Cercle Polaire; afin que non-feulement la comparaifon de lun de ces degrés avec le degré de la France, fit connoître fi la Terre étoit allongée ou applatie, mais encore que la comparaifon de ces deux degrés extrêmes l'un avec l'autre, déterminât {à figure le plus exactement qu'il étoit poffible. On voit en général, que la figure d'un Sphéroïde applati, tel que M. Newton l'a établi, & celle d’un Sphéroïde allongé, tel que celui dont M. Caffini a déterminé les dimenfions dans le Livre de la Grandeur €ÿ Figure de la Terre, donnent des diftances diflé- rentes pour les lieux placés fur Pun & für l’autre aux mêmes Latitudes & Longitudes; & qu'il eft important pour les Navigateurs de ne pas croire naviguer fur l’un de ces Sphéroïdes lorfqw'ils font fur l'autre. Quant PIRE FACE IOI Quant aux lieux qui feroient fous un même Méridien, la différence entre ces diftances ne feroit pas fort confidérable. Mais pour des lieux fitués fous le même parallele, il y auroit de grandes diféren- ces entre leurs diftances für l’un ou fur l'autre Sphéroïde. * Sur des routes de 100 degrés en Longitude, on commettroit des erreurs de plus de gré, fi naviguant fur le Sphéroïde de M. Newton, on fe croyoit fur celui du Livre de la Grandeur & Figure de la Terre: Et combien de Vaiffeaux ont péri pour des erreurs moins confiderables! Il y a une autre confidération à faire: c’eft qu'avant la détermi- nation de la Figure de la Terre, on ne pouvoit pas fçavoir fi cette erreur ne {eroit pas beaucoup plus grande. Eten effet, fuivant nos mefures, on fe tromperoit encore plus, fi lon fe croyoit fur un Sphéroïde allongé , lorfqu'on navigue füuivant les Paralleles à Equateur. L Je ne parle point des erreurs qui naïîtroient dans les routes obliques, le calcul en feroit inutile ici; on voit feulement affés que ces erreurs feroient d'autant plus grandes, que ces routes approche- roient plus de la direction parallele à l'Equateur. Les erreurs dont nous venons de parler, méritent certainement qu’on y faffe une grande attention: mais fi le Navigateur ne fent pas aujourd’hui toute l'utilité dont il lui eft que la Figure de la Terre foit bien déterminée; ce n’eft pas la füreté qu'il a d’ailleurs, qui l'empêche d'en connoître toute l'importance ; c’eft plûtôt ce qui lui manque. Il eft expofé à plufeurs autres erreurs dans ce qui regarde la direction de fà route, & la viteffe de fon Vaifleau, parmi lefquelles Perreur qui naît de l'ignorance de la figuré de la Terre, fe trouve confonduë & cachée. Cependant c’eft toûjours une fource d’erreur de plus; & s’il arrive quelque jour (comme on ne peut guéres douter qu'il n'arrive) que les autres éléments de la Navigation foient perfectionnés, ce qui fera de plus important pour lui, fera la détermination exacte de la figure de la Terre. La connoiffance de la Figure de la Terre eft encore d’une gran- de utilité pour déterminer la Parallaxe de la Lune; chofe fi impor- tante dans PAftronomie. Cette connoiffance fervira s peHon- ner la théorie d’un Aftre qui paroït deftiné à nos ufages, & fur N:9 lequel 102 PREN ACEX 4 lequel les plus habiles Aftronomes ont toûjours beaucoup compté pour les Longitudes. é Enfin, pour defcendre à d’autres objets moins élevés, maïs qui n'en font pas moins utiles: on peut dire que la perfection du Ni- vellement dépend de la cannoiffance de la Figure de la Terre. Il ÿ a un tel enchaïnement dans les Sciences, que les mêmeg éléments qui fervent à conduire un Vaifleau fur la Mer, fervent à faire connoitre le cours de la Lune dans fon orbite, fervent à faire couler les eaux dans les lieux où lon en a befoin pour établir la communication. C’eft fans doute pour ces confidérations, que le Roy ordonna les deux Voyages à lEquateur & au Cercle Polaire. Si l'on a fait quelquefois de grandes entreprifes pour découvrir des Terres, ou cercher des pañlages qui abrégeroient certains voyages , on avoit toûüjours eu les vüës prochaines d’une utilité particuliére. Mais la détermination de la Figure de la Terre eft d'une utilité générale pour tous les peuples, & pour tous les temps. La magnificence de tout ce qui regarde cette entreprife, répoñ- doit à la grandeur de l'objet. Outre les quatre Mathématiciens de l'Académie, M. le Comte de Maurepas nomma encore M. Abbé Outhier, dont la capacité dans l'ouvrage que nous allions faire, étoit connuë; M. de Sommereux pour Secretaire, & M. d'Herbe- lot pour Deffinateur. Si le grand nombre étoit néceflaire pour bien exécuter un ouvrage aflés difficile, dans des pays tels que ceux où nous l'avons fait, ce grand nombre rendoit encore l'ouvrage plus authentique. Et pour que rien ne manquêt à ces deux égards, le Roy agréa que M. Celfus Profeffeur d’Aftronomie à Upfl, fe joig- nità nous. Ainfi nous partimes de France avec tout ce qui étoit néceffaire pour réuffir dans notre entreprile, & la Cour de Suede donna des ordres qui nous firent trouver tous les fecours poffibles dans fes Provinces les plus reculées. . RACE) DISCOURS D La Ale M End at OU UN ÉCTETTE 0 ‘ DANS L'ASSEMBLÉE PUBLIQUE DE L’ACADEMIE ROTALE DES SCIENCES, LE 13, NOVEMBRE 1734. ä SO CR ou LA. AA TOUS TE. ROBE DU DEGRÉ DU MÉRIDIEN AU NCAEER CALE, PO LA T RUE ’Expofai, il y a dix-huit mois, à la même Affemblée, le motif & le projet du Voyage au Cercle Polaire; je vais lui faire part aujourd’hui de l'exécution. . Mais il ne fera peut- étre pas inutile de rappeller un peu les idées fur ce qui à fait entreprendre ce Voyage. M. Richer ayant découvert à Cayenne en 1672, que la Pefanteur étoit plus petite dans cette Isle voifine de l'Equa- teur, qu'elle n’eft en France, les Sçavants tournérent leurs vüës vers toutes les conféquences que devoit avoir cette fameufe décou- | verte. 504 MESURE DE LA TERRE verte. Un des plus illuftres Membres de l’Académie trouva qu’elle prouvoit également, & le mouvement de la Terre au- tour de fon axe, qui n’avoit plus guére befoin d’être prouvé, & lapplatiffement de la Terre vers les Poles, qui étoit un paradoxe. M. Huygens appliquant aux parties qui forment la Terre, la théorie des Forces centrifuges, dont il étoit l'inventeur , fit voir qu’en confidérant fes parties comme pefänt toutes uniformément vers un centre, & comme faifant leur révolution autour d’un axe; il fal- loit, pour qu’elles demeuraffent en équilibre qu’elles formaffent un Sphéroide applati vers les Poles. M. Huygens détermina même la quantité de cet applatiffement, & tout cela par les Principes ordi- naires fur la Pefanteur. M. Newton étoit parti d’une autre théorie, de l'attraction des parties de la matiére les unes vers les autres, & étoit arrivé à la méme conclufion, ceft-à-dire, à l’applatiffement de la Terre, quoiqu'il déterminât autrement la quantité de cet applatiffement. En eflet, on peut dire que lorfqu'on voudra examiner par les loix de la Statique, la figure de la Terre, toutes les théories conduifent à l’applatiflement; & l’on ne fçauroit trouver un Sphéroïde allongé, que par des hypothefes affés contraintes für la Pefanteur. Dès l’établiffement de l'Académie , un de fes premiegs foins avoit été la mefure du degré du Méridien de la Terre; M. Picard avoit déterminé ce degré vers Paris, avec une fi grande exactitude, qu'il ne fembloit pas qu'on püt fouhaiter rien au-delà. Mais cètle mefure n’étoit univerfelle, qu’en cas que la Terre eût été fphérique, & fi la Terre étoit applatie, elle dévoit être trop longue pour les degrés vers l’'Equateur, & trop courte pour les degrés vers les Poles. Lorfque la mefure du Méridien qui traverfe la France, fut ache- vée , on fut bien furpris de voir qu'on avoit trouvé les degrés vers le Nord plus petits que vers le Midi ; cela étoit abfolument oppofé à ce qui devoit fuivre de l’applatiffement de la Terre. Selon ces mefures, elle devoit être allongée vers les Poles; d’autres opérations faites fur le Parallele qui traverfe la France, confirmoient cet allongement, & ces mefures avoient un grand poids. L’Aca- AV ERARCLEUPHELAINE 105 L'Académie fe voyoit ainfi partagée; fes propres lu- miéres l'avoient renduë incertaine, lorfque le Roy voulut faire décider cette grande queftion, qui n’étoit pas de ces vaines fpécu- lations, dont l’oifiveté ou l’inutile fubtilité des Philofophes s'oc- cupe quelquefois, mais qui doit avoir des influences réelles fur lAftronomie & fur la Navigation. Pour bien déterminer la figure de la Terre, il falloit comparer enfemble deux degrés du Méridien les plus différents en latitude qu'il fût poffible 3 parce que fi ces degrés vont en croiffant ou dé- croiffant de l'Equateur au Pole, la différence trop petite entre des degrés voifins, pourroit f& confondre avec les erreurs des obferva- tions, au lieu que fi les deux degrés qu’on compare, font à de grandes diflances l’un de l'autre, cette différence {fe trouvant répétée autant de fois qu'il y a de degrés intermédiaires, fera une fomme trop confidérable pour échapper aux obfervateurs. M. le Comte de Maurepas qui aime les Sciences, & qui veut les faire fervir au bien de l'Etat, trouva réunis dans cette entreprile, l'avantage de la Navigation & celui de l’Aca- démie ; & cette vüë de lutilité publique mérita l'attention de M. le Cardinal de Fleury; au milieu de la Guerre, les Sciences trou- voient en lui une protection & des fecours qu’à peine auroient-elles oié efpérer dans la Paix la plus profonde. M. le Comte de Maure- pas envoya bien-tôt à l'Académie, des ordres du Roy pour termi- ner la queftion de la Figure de la Terre; l'Académie les reçût avec joye, & fe hîta de les exécuter par plufeurs de fes Membres; les uns devoient aller fous l'Equateur, mefurer le premier degré du Méridien, & partirent un an avant nous: les autres devoient aller au Nord, mefurer le degré le plus feptentrional qu’il fût poffible, On vit partir avec la même ardeur ceux qui s'alloient expofer au Soleil de la Zone brülante, ‘& ceux qui devoient fentir les horreurs de l'hiver dans la Zone glacée. Le même efprit les animoit tous, l'envie d’être utiles à la Patrie. La troupe deftinée pour le Nord, étoit compofée de quatre Académiciens, qui étoient M." Clairaut, Camus, le Monnier & moi, & de M. l'Abbé Outhier, auxquels fe joignit M. Celfius cé- Oeuv. de Maupert. O lébre 106 MESURE DE LA TERRE lébre Profeffeur d’Aftronomie à Up/al, qui a affifté à toutes nos opérations, & dont les lumiéres & les confeils nous ont été fort utiles. S'il m’étoit permis de parler de mes autres compagnons, de leur courage & de leurs talens, on verroit que louvrage que nous entreprenions, tout difcile qu'il peut paroitre, étoit facile à exécuter avec Eux. Depuis long-temps nous n'avons point de nouvelles de ceux qui font partis pour l'Equateur. On ne fçait prefque encore de cette entreprile , que les peines qu ’ils ont cuës; & notre expérien- ce nous a appris à trembler pour eux. Nous ayons été plus heu- reux, & nous revenons apporter à PACE le fruit de notre travail. ‘ Le Vaifleau qui nous portoit, étoit à peine arrivé à Srockholm, “que nous nous hâtimes d’en partir pour nos rendre au fond du Golfe de Botrnie, d'où nous pourrions choifir, mieux que fur la foi des Car- tes, laquelle des deux côtes de ce Golfe , feroit la plus convenable pour nos opérations. Les périls dont on nous menaçoit à Stockholm ne nous retardérent point; ni les bontés d’un Roy, qui, malgré les ordres qu'il avoit donnés pour nous, nous répéta plufeurs fois, qu'il ne nous voyoit partir qu'avec peine pour une entreprife auf dange- reufe. Nous arrivâmes à Tornea aflés tôt pour y voir le Soleil luire fans difparoitre pendant plufeurs jours, comme il fait dans ces climats au Solftice d'été ; fpectacle merveilleux pour les habitants des Zones tempérées, quoiqu'ils fçachent qu'ils le trouveront au Cercle Polaire. Il n’eft peut-être pas inutile de donner ici une idée de l'ouvrage que nous nous propofions, & des opérations que nous avions à faire pour mefurer un degré du Méridien. Lorfqu'on s'avance vers le Nord, perfonne n’ignore qu’on voit s'abbaiffer les Etoiles placées vers l’'Equateur , & qu'au contraire celles qui font fituées vers le Pole s'élevent ; c’eft ce phénomene qui vraifemblablement a été la premiére preuve de la rondeur de la Terre. J'appelle cette différence qu’on obfèrve dans la hauteur méridienne d’une Etoile, lorfqu’on parcourt un arc du méridien de la Terre, l’'Amplirude de cet arc; c’eft elle qui en mefüure la cour- büûre, ANAESE RG L EL Q L A ERA 107 büre, ou, en langage ordinaire, c’eft le nombre de minutes & de fecondes qu’il contient. ; Si la Terre étoit parfaitement fphérique, cette différence de hauteur d'une Etoile, cette amplitude féroit toüjours proportion- nelle à la longueur de Parc du méridien qu’on auroit parcouru. Si, pour voir une Etoile changer fon élevation d’un degré , il falloit vers Paris, parcourir une diflance de 57000 toiles fur le Méridien, il faudroit à Tornea, parcourir la même diftance pour appercevoir dans la hauteur d’une Etoile, le même changement. Si au contraire la furface de la Terre étoit abfolument platte; quelque longue diftance qu’on parcourût vers le Nord, l'Etoile n’en paroitroit ni plus ni moins élevée. Si donc la furface de la Terre eft inégalement courbe dans dif- férentes régions; pour trouver la même différence de hauteur dans une Etoile, il faudra dans ces différentes régions, parcourir des arcs inégaux du méridien de la Terre; & ces arcs dont l'amplitude fera toüjours d’un degré, feront plus longs là où la Terre fera plus applatie. Si la Terre eft applatie vers les Poles, un degré du Méri- dien terreftre fera plus long vers les Poles que vers l'Equateur ; & lon pourra juger ainfi de la figure de la Terre, en comparant fes différents degrés les uns avec les autres, On voit par-là que pour avoir la mefure d’un degré du méri- dien de la Terre, il faut avoir une diftance mefüurée fur ce méridien, & connoitre le changement d’élevation d'une Etoile aux deux ex- trémités de la diftance mefurée; afin de pouvoir comparer la lon- gueur de Parc avec fon amplitude. La premiére partie de notre ouvrage confiftoit donc à mefurer quelque diftance confidérable fur le Meridien; & il falloit pour cela former une fuite de Triangles qui communiquaffent avec quelque bafe, dont on pourroit mefüurer la longueur à la perche. Notre efpérance avoit toüjours été de faire nos opérations fur les côtes du Golfe de Bottnie. La facilité de nous rendre par Mer aux différentes flations, d’y tranfporter les inftruments dans des chäloupes , l'avantage des points de vüë, que nous promettoient les Isles du Golfe, marquées en quantité fur toutes les Cartes; tout Oz cela 108 ME SUR E "DO E LA: TB RRME eela avoit fixé nos idées fur ces côtes & fur ces Isles. Nous allâme® aufi-tôt avec impatience les reconnoïtre ; imais toutes nos naviga tions nous apprirent qu'il falloit renoncer à notre premier deffein. Ces Isles qui bordent les côtes du Golfe, & les côtes du Golfe même, que nous nous étions repréfentées comme des Promontoi- res, qu'on pourroit appercevoir de tres-loin, & d’où lon en pour- roit appercevoir d’autres auffi éloignées, toutes ces Isles étoient à fleur d’eau; par conféquent bien-tôt cachées par la rondeur de la Terre; elles fe cachoient méme l’une l'autre vers les bords du Golfe, où elles étoient trop voifines; & toutes rangées vers les côtes, elles ne s’avançoient point aflés en Mer, pour nous donner la direction dont nous avions befoin. Aprés nous être opiniâtrés dans plufeurs navigations à chercher dans ces Isles ce que nous n’y pouvionstrou- ver, il fallut perdre lefpérance, & les abandonner. J'avois commencé le voyage de Stockholm à Tornea en carroffe, comme le refte de la Compagnie; mais le hafard nous ayant faitren- contrer vers le milieu de cette longue route, le Vaiffeau qui portoit nos inftruments & nos domeftiques, jétois monté fur ce Vaiffeau, & étois arrivé à Tornea quelques jours avant les autres. J'avois trouvé en mettant pied à terre, le Gouverneur de la Province qui partoit pour aller vifiter la Lapponie feptentrionale de fon gouverne- ment; je m'étois joint à lui pour prendre quelque idée du Pays, en attendant l’arrivée de mes compagnons , & j'avois pénétré jufqu’à 15 licuës vers le Nord. J'étois monté la nuit du Solftice fur une des plus hautes montagnes de: ce Pays, fur Ava/axa; & j'étois revenu auffi- tôt pour me trouver à Tornea à leur arrivée. Mais javois remarqué dans ce voyage, qui ne dura que trois jours, que le fleuve de Tor- ne& fuivoit aflés la direction du Méridien jufqu’où je l’avois remonté; & j'avois découvert de tous côtés de hautes montagnes, {qui pou- voient donner des points de vüëé fort éloignés. Nous penfâmes donc à faire nos opérations au Nord de Tornea fur les fommets de ces montagnes; mais cette entreprife ne parois- foit guére poffible. Il falloit faire dans les deferts d’un Pays prefque inhabitable , dans cette forêt immenfe qui s'étend depuis Tornea jufqw'au Cap Nord, des « 4 1 dl » AU CERCLE POLAIRE 1% des opérations difficiles dans les Pays les plus commodes. Il ny avoit que deux maniéres de pénéter dans ces deerts, & qu’il fal- loit toutes les deux éprouver: lune en naviguant fur un fleuve rem- pli de cataractes, l'autre en traverfänt à pied des forêts épaiffes, ou des marais profonds. Suppolé qu’on püt pénétrer dans le Pays, il falloit après les marches les plus rudes, efcalader des montagnes efcarpées; il falloit dépouiller leur fommet des arbres qui s’y trou- voient, & qui en empéchoient la vüë ; il falloit vivre dans ces de- ferts avec la plus mauvaife nourriture; & expofés aux Mouches qui y font fi cruelles, qu’elles forcent les Lappons & leurs Reenes, d'abandonner le pays dans cette faifon, pour aller vers les côtes de l'Océan , chercher des lieux plus habitables. Enfin il falloit entre- prendre cet ouvrage, fans {çavoir s’il étoit poffible, & fäns pouvoir s’en informer à perfonne ; fans fçavoir fi après tant de peines, le défaut d’une montagne n’arréteroit pas abfolument la fuite de nos Triangles; fans fçavoir fi nous pourrions trouver fur le fleuve, une bafe qui püt étre liée avec nos Triangles. Si tout cela réuffifoit, il faudroit enfuite bâtir des Obfervatoires fur la plus feptentrionale de nos montagnes ; il faudroit y porter un attirail d’inftruments plus complet qu’il ne s’en trouve dans plufieurs Obfervatoires de l’'Euro- pe; il fauaroit y faire des obfervations des plus fubtiles de l'Aftro- nomie. Si tous ces obftacles étoient capables de nous effrayer; d’un au- tre côté cet ouvrage avoit pour nous bien des attraits. Outre tou- tes les peines qu’il falloit vaincre, c’étoit mefüurer le degré le plus feptentrional que vrai-femblablement il foit permis aux hommes de mefurer, le degré qui coupoit le Cercle Polaire, & dont une partie {eroit dans la Zone glacée. Enfin après avoir défefpéré de pouvoir faire ufäge des Isles du Golfe, c’étoit la feule reffource qui nousreftoit; car nous ne pouvions nous réfoudre à redefcendre dans les autres Provinces plus méridionales de la Suede. } Nous partimes donc de Tornea le vendredi 6 Juillet, avec une troupe de foldats Finnois, & un grand nombre de bateaux chargés d’inftruments, & des chofes les plus indifpenfables pour la vie; & nous commençames à remonter le grand fleuve qui vient du fond O 3 de Juilles 1736. Juillet. 10 MES: U R ED E LA4 T E RME de la Lapponie fe jetter dans la Mer de Bottnie, après s'être par- tagé en deux bras, qui forment la petite isle Swenrzar, où eft bâtie la ville à 65° 51 de latitude. Depuis ce jour, nous ne vêcümes plus que dans les deferts, & fur le fommet des montagnes, que nous voulions lier par des Triangles les unes aux autres. Après avoir remonté le flcuv> depuis 9 heures du matin jufqu’à 9 heures du foir, nous arrivames à Korpskyla , c'eft un hameau fur le bord du fleuve, habité par des Finnois; nous y defcendimes, & après avoir marché à pied quelque temps à travers la forêt, nous arrivâmes au pied de Miwa, montagne efcarpée, dont le fommet n’eft qu'un rocher où nous montâmes, & fur lequel nous nous éta- blimes. Nous avions été fur le fleuve, fort incommodés de groffes Mouches à tête verte, qui tirent le fang par-tout où elles picquent; nous nous trouvämes fur Niwa, perfecutés de plufeurs autres efpe- ces encore plus cruelles. Deux jeunes Lappones gardoient un petit troupeau de Reenes fur le fommet de cette montagne, & nous apprimes d’elles com- ment on fe garantit des Mouches dans ce pays; ces pauvres filles étoient tellement cachées dans la fumée d’un grand feu qu’elles avoi- ent allumé, qu’à peine pouvions-nous les voir, & nous fûmes bien -tôt dans une fumée aufli épaifle que la leur. Pendant que notre troupe étoit campée fur Niwa, j'en partis le 8 à une heure après minuit avec M. Camus, pour aller reconnoitre les montagnes vers le Nord. Nous remontämes d'abord le fleuve jufqu’au pied d’Avafaxa, haute montagne, dont nous dépouillämes le fommet de fes arbres, & où nous fimes conftruire un fignal. Nos fignaux étoient des cones creux, bâtis de plulieurs grands arbres qui, dépouillés de leur écorce, rendoient ces fignaux fi blancs qu'on les pouvoit facilement oblerver de 10 & 12 lieuës; leur cen- tre étoit toujours facile à retrouver en cas d'accident, par des mar- ques qu'on gravoit fur les rochers, & par des piquets qu’on enfonçoit profondément en terre, & qu’on recouvroit de quelque groffe pierre. Enfin ces fignaux étoient aufli commodes pour obfèrver, & prefque auffi folidement bâtis que la plüpart des édifices du Ps 2 ès È * YF CAT" eo dt . A'U'AICE KCL EP? OPFÉTRE m1 - Dès que notre fignal fut bâti, nous deféfhdimes d'Avafaxa; & étant entrés dans la petite riviére de Tenghÿ, qui vient au pied de la montagne fe jetter dans le grand fleuve, nous remontämes cette riviére jufqu'à l'endroit qui nous parut le plus proche d’une mon- tagne, que nous crûmes propre à notre opération; là nous mimes pied àterre, & après une marche de 3 heures à travers un marais, nous arrivames au pied d’ Horrilakero. Quoique fort fatigués, nous y montâmes , & pañfimes la nuit à faire couper la forêt qui s’y trouva. Une grande partie de la montagne eft d’une pierre rouge, parfemée d’une efpece de criftaux blancs, longs & aflés paralleles les uns aux autres. La fumée ne put nous défendre des Mouches, plus cruelles fur cette montagne que fur Niwa. Il fallut, malgré la chaleur qui étoit très-grande , nous envelopper la tête dans nos Lappmudes (ce font des robes de peaux de Reenes) & nous faire couvrir d’un épais rempart dé branches de Sapins & de Sapins mêmes entiers, qui nous accabloient, & qui ne nous mettoient pas en füreté pour long-temps. Après avoir coupé tous les arbres qui fe trouvoient fur le fom- met d’'Horrilakero, & y avoir bâti un fignal, nous en partimes & revinmes par le même chemin, trouver nos bateaux que nous avions retirés dans le bois; c’eft ainfi que les gens de ce pays fuppléent aux cordes dont ils font mal pourvüs. Il eft vrai qu'il n’eft pas difficile de traîner, & méme de porter les bateaux dont on fe fert fur les fleuves de Lapponie. Quelques planches de Sapin fort minces, compofent une nacelle fi légére & fi flexible, qu’elle peut heurter à tous moments les pierres dont les fleuves font pleins, avec toute Ja force que lui donnent des torrents, fans que pour cela elle foit endommagée. C’eft un fpectacle qui paroît terrible à ceux qui n’y font pas accoütumés, & qui étonnera toüjours les autres, que de voir au milieu d’une cataracte dont le bruit eft affreux, cette fresle machine entrainée par un torrent de vagues, d’écume & de pierres, tantôt élevée dans l'air, & tantôt perduë dans les flots; un Finnois intrépide la gouvérne avec un large aviron, pendant que deux autres forcent de rames pour la dérober aux flots qui la pourfüivent, & qui font toûjours préts à l’inonder; la quille alors eft fouvent toute en Juillet e Juillet. 112 MESUVRETDE LA TERME en l'air, & n’eft apfiyée que par une de fes extrémités {ur une vague qui lui manque à tous moments. Si ces Finnois {ont hardis & adroits dans les cataraétes , ils font par-tout ailleurs fort indu- ftrieux à conduire ces petits bateaux, dans lefquels le plus fouvent ils n’ont qu’un arbre avec fes branches, qui leurt fert de voile & de mât. Nous nous rembarquâmes fur le Tenglio; & étant rentrés dans le fleuve de Tornea, nous le defcendimes pour retourner à Korpi- kyla. A quatre lieuës d’Avafaxa, nous quittämes nos bateaux, & ayant marché environ une heure dans la forêt, nous nous trouvâmes au pied de Cuitaperi, montagne fort efcarpée, dont le {ommet meft qu'un rocher couvert de mouffe , d’où la vüë s'étend fort loin de tous côtés, & d’où l’on voit au Midi la Mer de Bottnie. Nous y élevâmes un fignal, d'où l’on découvroit Horriläkero, Avafaxa, Tornea, Niwa, & Kakama. Nous continuamgs enfuite de defcen- dre le fleuve, qui a entre Cuitaperi & Korpikyla, des cataraétes _épouventables qu’on ne pañfe point en bateau. Les Finnois ne manquent pas de faire mettre pied à terre à l'endroit de ces cata- rates; mais l’excès de fatigue nous avoit rendu plus facile de les paffer en bateau, que de marcher cent pas. Enfin nous arrivimes le 1x au foir fur Niwa, où le refte de nos Mrs: étoient établis; ils avoient vû nos fignaux, mais le ciel étoit fi chargé de vapeurs, qu’ils n’avoient pû faire aucune obfervation. Je ne fçais fi c’eft parce que la préfence continuelle du Soleil für l'horifon, fait élever des vapeurs qu'aucune nuit ne fait defcendre; mais pendant les deux mois que nous avons pañfé fur les montagnes, le ciel étoit toüjours chargé, jufqu'à ce que le vent de Nord vint diffiper les brouillards. Cette difpoñition de l'air nous a quelquefois retenus fur une feule mon- tagne 8 & 10 jours, pour attendre le moment auquel on püt voir affés diftinctement les objets qu’on vouloit obierver. Ce ne fut que le lendemain de notre retour fur Niwa, qu'on prit quelques angles; & le jour qui füivit, un vent de Nord très-froid s'étant levé, on acheva les obfervations. Le 14. nous quittimes Niwa, & pendant que M's Camus ; le Monnier & Celfus alloient à Kakama, nous vinmes M'5: Clairaut, Outhier & moi fur Cuitaperi, d'où M. l'Abbé Outhier partit le 16, pour AU CERCLE POLAIRE 11 pour aller planter un fignal. fur Pullinor. Nous fimes le 18 les obiervations qui, quoiqu’interrompués par le tonnerre & la pluye, furent achevées le foir ; & le 20 nous en partimes tous, & arivâmes à minuit fur Avalaxa. Cette montagne eft à 15 lieuës de Tornea fur le bord du fleuve; l'accès n’en eft pas facile, on y monte par la forêt qui conduit juf- qu'à environ la moitié de la hauteur; la forêt eft là interrompuë par un grand amas de pierres efcarpées & gliffantes, après lequel on la retrouve, & elle s’étendoit jufques fur le fommet; je dis elle s’é- tendoit, parce que nous fimes abbattre tous les arbres qui couvroient ce fommet. Le côté du Nord-Eft eft un précipice affreux de ro- chers, dans lefquels quelques Faucons avoient fait leur nid; c’eft au pied de ce précipice que coule le Tengliô, qui tourne autour d'Ava- faxa avant que de fe jetter dans le fleuve de Torneg. De cette montagne la vûé eft très-belle; nul objet ne l’arrête vers le Midi, & l'on découvre une vafte étenduë du fleuve: du côté de l'Eft, elle pouriuit le Tengliô jufques dans plufeurs lacs qu’il traverfe ; du côté du Nord, la vüé s'étend à 12 ou 15 lieuës, où elle eft arrêtée par une multitude de montagnes entaflées les unes fur les autres, comme on repréfente le cahos, & parmi lefquelles il n'étoit pas facile d'aller trouver celle qu'on avoit vüë d’Avafaxa. Nous paflâmes 10 jours fur cette montagne, pendant lefquels la curiofité nous procura fouvent les vifites des habitants des campa- gnes voifines; ils nous apportoient des Poifons, des Moutons, & les miférables Fruits qui naiffent dans ces forêts. Entre cette montagne & Cuitaperi, le fleuve eft d’une très-grande largeur, & forme une efpece de lac qui, outre fon étenduë, étoit fitué fort avantageufement pour notre bafe; Mrs: Clairaut & Camus fe chargérent d'en déterminer la diredtion, & demeurérent pour cela à Ofwer- orne après que nos obiervations furent faites fur Avafaxa, pendant que j'allois fur Pullingi avec Mrs. le Monnier, Outhier & Celfius. Ce méme jour que nous quittimes Avafaxa, nous paffâmes le Cercle Polaire, & arivämes le lendemain 31 Juillet für les 3 heures du matin à Turrula, c’eft un efpece de hameau où l’on coupoit le peu d'orge & de foin qui y croît. Après avoir marché quelque Oeuv. de Maupert. r temps Juillet, Juillet. Août. 4 MESURE DE LA TERRE temps dans la forêt, nous nous embarquâmes fur un lac qui nous conduifit au pied de Pullingi. C’eft la plus élevée de nos montagnes; & elle eft d’un accès très- rude par la promptitude avec laquelle elle s'éleve, & la hauteur de mouffe dans laquelle nous avions beaucoup de peine à marcher. Nous arrivames cependant fur le fommet à 6 heures du matin; & le féjour que nous y fimes depuis le 31 Juillet jufqu’au 6 Août fut auffi pénible que l'abord. Il y fallut abbattre une forêt des plus grands arbres; & les Mouches nous tourmentérent au point que nos {oldats du regiment de Weftro-Bottnie, troupe diftinguée |, méme en Suede où il y en a tant de valeureufes, ces hommes endurcis dans les plus grands travaux, furent contraints de s’envelopper le vifage, & de {e le couvrir de godron; ces infectes infectoient tout ce qu'on vouloit manger ; dans l’inftant tous nos mets en étoient noirs. Les Oïfeaux de proye n’étoient pas moins affamés, ils vol- tigeoient fans cefle autour de nous, pour ravir quelques morceaux d’un Mouton qu'on nous apprétoit. Le lendemain de notre arrivée fur Pullingi, M. l'Abbé Outhier en partit avec un Officier du même regiment qui nous a rendu beaucoup de fervices, pour aller élever un fignal vers Pe/lo. Le 4 nous en vines paroître un fur Mes que le même Officier fit élever; ayant pris les angles entre ces fignaux, nous quittâmes Pullingi le 6 Août après y avoir beaucoup fouffert, pour aller à Pello; & après avoir remonté quatre cataractes, nous y arrivames le même jour. Pello eft un village habité par quelques Finnois, auprès duquel eft Kirris la moinsélevée de toutes nos montagnes; c’étoit-là qu’étoit notre fignal. En y montant, on trouve une grofle fource de Peau la plus pure, qui fort d’un fable tres-fin, & qui, pendant les plus grands froids de l'hiver, conferve fà liquidité; lorlque nous retournâmes à Pello fur la fin de l'hiver, pendant que la Mer du fond du Golfe, & tous les fleuves étoient auffi durs que le Marbre, cette eau couloit comine pendant l'été. Nous fümes affés heureux pour faire en arrivant nos obfer- vations, & ne demeurer fur Kittis que jufqu'au lendemain ; nous AUS CERCLE P OL'ATRÉE 115 nous en partimes à 3 heures après midi, & arrivâmes le même foir à Turtula. Il y avoit déja un mois que nous habitions les deferts, ou plûtôt le fommet des montagnes, où nous n'avions d'autre lit que la terre, ou la pierre couverte d’une peau de Reene, ni guére d'autre nourri- ture que quelques Poiffons que les Finnois nous apportoient, ou que nous péchions nous-mêmes, & quelques efpeces de Bayes ou fruits fauvages qui croiffent dans ces forêts. La fanté de M. le Monnier, qu'un tel genre de vie dérangeoit à vüë d'œil, & qui avoit reçü les plus rudes attaques für Pullingi, ayant manqué tout-à-fait, je le laiffai à Turtula, pour redefcendre le fleuve, & s’aller rétablir chés le Curé d’ Ofwer- Torneæ, dont la maïlon étoit le meilleur, & prefque le feul afÿle qui füt dans le pays. | Je partis en même temps de Turtula, accompagné de Mrs: Outhier & Celfñus, pour aller à travers la forêt, chercher le fignal que lOficier avoit élevé fur Niemi. Ce voyage fut terrible; nous mar- châmes d’abord en fortant de Turtula jufqu’à un ruiffleau, où nous nous embarquâmes fur trois petits bateaux ; mais ils naviguoient avec tant de peine entre les pierres, qu’à tous moments il en falloit defcendre, & fauter d’une pierre fur lautre. Ce ruiffeau nous con- duifit à un lac fi rempli de petits grains jaunâtres, de la groffeur du Mil, que toute fon eau en étoit teinte; je pris ces grains pour la chryfalide de quelque Infete, & je croirois que c’étoit de quelques- unes de ces Mouches qui nous perfécutoient, parce que je ne voyois que ces animaux qui püffent répondre par leur quantité, à ce qu’il falloit de grains de Mil pour remplir un lac affés grand. Au bout de ce lac, il fallut marcher jufqu'à un autre de la plus bell eau, fur lequel nous trouvâmes un bateau; nous mimes dedans le Quart-de-cercle, & le fuivimes für les bords. La forêt étoit fi épaiffe fur ces bords, qu'il falloit nous faire jour avec la hache embarraffés à chaque pas par la hauteur de la mouffe, & par les Sapins que nous rencontrions abbatus. Dans toutes ces forêts, il y a prefque un auffi grand nombre de ces arbres, que de ceux qui font für pied; la terre qui les peut faire croître jufqu’à un certain point, n'eft pas capable de les nourrir , ni affés profonde pour leur nermettre de P 2 s'affer- Août. Aoft. 16 MES UIR'EL DE L A : T'EVRRME s'affermir ; la moitié périt ou tombe au moindre vent. Toutes ces forêts font pleines de Sapins & de Bouleaux ainfi déracinés, le temps a réduit les derniers en pouffiére, fans avoir caufé la moindre altération à l'écorce; & l’on eft furpris de trouver de ces arbres aflés gros qu’on écrafe & qu'on brife dès qu’on les touche. C’eft cela peut-être qui a fait penfer à l'ufage qu’on fait en Suede de l'écorce de Bouleau; on s’en fert pour couvrir les maïfons, & rien en effet n’y eft plus propre. Dans quelques Provinces, cette écorce eft couverte de terre, qui formé fur les toits, des efpeces de jardins, comme ilyen a fur les maifons d’'Upfäl. En Weffro-Bortnie, Yécorce eft arrétée par des cylindres de Sapin attachés fur le faite, & qui pendent des deux côtés du toit. Nos forêts donc ne paroifloient que des ruines ou des débris de forêts dont la plüpart des arbres étoient péris; c'étoit un bois de cette efpece, & afireux entre tous ceux-là que nous traverfons à pied, fuivis de douze foldats qui por- toient notre bagage. Nous arrivâmes enfin für le bord d’un troi- fiéme lac, grand, & de la plus belle eau du monde; nous y trou- vâmes deux bateaux, dans lefquels ayant mis nos inftruments & notre bagage, nous attendimes leur retour fur le bord. Le grand vent, & le mauvais état de ces bateaux, rendirent leur voyage long; cependant ils revinrent, & nous nous y embarquämes, nous traver- {âmes le lac, & nous arrivâmes au pied de Niemi à 3 heures après midi. Cette montagne, que les lacs qui l'environnent, & toutes les difficultés qu'il fallut vaincre pour y parvenir, faifoient reflembler aux lieux enchantés des Fables, feroit charmante par-tout ailleurs qu’en Lapponie; on trouve d’un côté un bois clair dont le terrein eft auffi uni que les allées d’un jardin; les arbres n’empéchent point de fe promener, ni de voir un beau lac qui baigne le pied de la mon- tigne; d’un autre côté on trouve des fales & des cabinets qui paroiffent taillés dans le roc, & auxquels il ne manque que le toit: ces rochers font fi perpendiculaires à l’horifon, fi élevés & fi unis, qu'ils paroïffent plütôt des murs commencés pour des Palais, que l'ouvrage de la Nature. Nous vimes-là plufieurs fois s'élever du lac, ces vapeurs que les gens du pays appellent Harios, & qu'ils prennent AU CERCLE POLAIRE 17 prennent pour les efprits auxquels eft commife la garde des monta- gres: celle-ci étoit formidable par les Ours qui s’y devoient trouver; cependant nous n’y en vimes aucun, & elle avoit plus l'air d’une montagne habitée par les Fées & par les Génies que par les Ours. Le Lendemain de notre arrivée, les brumes nous empéchérent d’obfèrver. Le 10, nos obiervations furent interrompuës par le tonnerre & par la pluye; le 11 elles furent achevées, nous quittâmes Niemi, & après avoir repañlé les trois lacs, nous nous trouvâmes à Turtula à o heures du foir. Nous en partimes le 12, & arrivâmes à 3 heures après midi à Gfwer- Tornea chés le Curé, où nous trouvâ- mes nos Mrs; & y ayant laiffé M. le Monnier & M. l'Abbé Outhier, je partis le 13 avec M5: Clairaut, Camus & Celfus pour Horrilakero. Nous entrâmes avec quatre bateaux dans le Tengli qui a fes cata- races, plus incommodes par le peu d’eau qui s’y trouve, & le grand nombre de pierres, que par la rapidité de fes eaux. Je fus furpris de trouver fur fes bords, fi près de la Zone glacée, des rofes auffi vermeilles qu'il en naifle dans nos jardins. Enfin nous arrivâmes à o heures du foir à Horrilakero. Nos obfervations n’y furent achevées que le r7; & en étant partis le lendemain, nos arrivâmes le foir à Ofwer- Tornea, où nous nous trouvâmes tous réunis. Le lieu le plus convenable pour la bafe avoit été choif; & Mrs Clairaut & Camus, après avoir bien vifité les bords du fleuve, & les montagnes des environs, avoient déterminé fa direétion, & fixé fa longueur par des fignaux qu'ils avoient fait élever aux deux extrémités. Etant montés le {oir fur Avalaxa, pour obierver les angles qui devoient lier cette bafe à nos Triangles, nous vimes Horrilakero tout en feu. C'eft un accident qui arrive fouvent dans ces forêts, où l’on ne fçauroit vivre l'été que dans la fumée, & où la mouffe & les Sapins font fi combuñtibles, que tous les jours le feu qu’on y allume, y fait des incendies de plufeurs milliers d’arpens. . Ces feux, ou leur fumée nous ont quelquefois autant retardés dans nos obfervations, que l’épaiffeur de Pair. Comme incendie d'Horrila- kero venoit fans doute du feu que nous y avions laiffé mal éteint, on y envoya trente hommes pour lui couper la communication avec les bois voifins. Nous n’achevâmes nos obfervations fur Avafaxa P3 que Aoû, Août. Seprembre. 8 MRENS. WU R BODE LL' A TIENNE que le 213 Horrilakero brüloit toujours, nous le voyions enfeveli dans la fumée; & le feu qui étoit defcendu dans la forêt, y failoit à chaque inftant de nouveaux ravages. Quelques-uns des gens qu’on avoit envoyés à Horrilakero, ayant rapporté que le fignal avoit été endommagé par le feu | on l'envoya rebâtir; & il ne fut pas difficile d’en retrouver le centre, par les pré- cautions dont j'ai parlé. à Le 22, nous allâmes à Poiky- Tornea, {ur le bord du fleuve, où étoit le fignal feptentrional de la bafe, pour y faire les obferva- tions qui la devoient lier avec le fommet des montagnes; & nous en partimes le 23 pour nous rendre à l’autre extrémité de cette bale, au fignal méridional qui étoit fur le bord du fleuve, dans un endroit appellé Memisby, où nous devions faire les mêmes obfervations. Nous couchâmes cette nuit dans une prairie aflés agréable, d'où M. Camus partit le lendemain pour aller à Pello , préparer quelques cabanes pour nous loger, & faire bâtir un Obfervatoire fur Kittis, où nous devions faire les obfervations aftronomiques pour détermi- ner l'amplitude de notre arc. ; Après avoir fait notre obfervation au fignal méridional, nous remontâmes le foir fur Cuitaperi, où la derniére obfervation qui devoit lier la bafe aux Triangles fut achevée le 26. Nous venions d'apprendre que le Secteur que nous attendions d'Angleterre, étoit arrivé à Tornea, & nous nous hâtimes de nous y rendre pour préparer ce Secteur, & tous les autres inftruments que nous devions porter fur Kittis; parce que comme les rigueurs de l'hiver étoient plus à craindre fur Kittis qu'à Torneæ, nous voulions commencer avant les grands froids, les obfervations pour l’amplitude de Pare à cette extrémité de notre Méridienne. Pendant qu’on préparoit tout pour le voyage de Pello, nous montâmes dans la fléche de l'Eglife qui eft bâtie dans l'isle Swentzar, que je défigne ici, pour qu’on ne la confonde pas avec l’Eglife Finnoile, bâtie dans l’isle Biérckübn, au Midi de Swentzar; & ayant obfervé de cette flêche, les angles qu’elle fait avec nos montagnesnous repartimes de Tornea le 3 Septembre avec quinze bateaux, qui faifoient fur le fleuve la plus gran- de flote qu’on y eût jamais vûé, & nous vinmes coucher à Kuckula. Le ANURICENR CSL, EP 8 L ATRE 119 Le lendemain, nous arrivames à Korpikyla; & pendant que le Sepremére. refte de la Compagnie continuoit fà route vers Pello, j'en partis à pied avec Mrs Celfius & Outhier pour aller à Kakama, où nous v’arrivâmes qu’à 9 heures du {oir par une grande pluye. Tout le fommet de Kakama eft d’une pierre blanche, feuilletée & féparée par des plans verticaux, qui coupent fort perpendiculaire- ment le Méridien.. Ces pierres avoient tellement retenu la pluye, qui tomboit depuis long-temps, que tous les endroits qui n'étoient pas des pointes de rocher, étoient pleins d’eau; & il plut encore {ur nous-toute la nuit. Nos obfèrvations ne purent être achevées le lendemain; il fallut paffer fur cette montagne une feconde nuit auffi humide & auffi froide que la premiére ; & ce ne fut que le 6 que nous achevames nos obiervations. Après ce fâcheux féjour que nous avions fait fur Kakama, nous en partimes; & la pluye continuelle, dans une forét où l'on avoit beaucoup de peine à marcher, nous ayant fait faire les plus grands efforts, nous arrivâmes après cinq heures de marche, à Korpikyla. Nous y couchâmes cette nuit; & étant partis le lendemain, nous arrivâmes le 9 Septembre à Pello, où nous nous trouvâmes tous réunis. Toutes nos courfes, & un féjour de 63 jours dans les delerts, nous avoient donné la plus belle fuite de Triangles que nous puffions fouhaiter. Un ouvrage commencé fans {çavoir s'il feroit pofñble, & pour ainf dire, au hazard, étoit devenu un ouvrage heureux, dans lequel il fembloit que nous euffons été les maitres de placer les montagnes à notre gré. Toutes nos montagnes avec l'Eglife de Tornea, formoient une figure fermée dans laquelle fe trouvoit Horrilakero , qui en étoit comme le foyer & le lieu où aboutifloient les Triangles, dans lefquels fe divifoit notre figure. C’étoit un long Heptagone qui fe trouvoit placé dans la direction du Méridien. Il étoit fufceptible d’une vérification finguliére dans ces fortes d'opérations, dépendante de la propriété des Polygones. La fomme des angles d’un Heptagone {ur un plan, doit être de 900 de- grés: la fomme dans notre Heptagone couché für une füurface courbe, doit être un peu plus grande; & nous la trouvions de 900 1 37° après 16 angles obfervés. Vers le milieu de PHeptagone fe F. trouvoit 120 MSE'SUR E"'D'E LA T'E RORNE Septembre. trouvoit une bafe plus grande qu'aucune qui eût jamais été mefurée, & fur la furface la plus platte , puifque c’étoit fur les eaux du fleuve que nous la devions mefurer, lorfqu’il feroit glacé. La grandeur de cette bafe nous aflüroit de la précifion avec laquelle nous pouvions mefurer l'Heptagone; & fà fituation ne nous laifloit point craindre que les erreurs puffent aller loin, par le petit nombre de nos Trian- gles, au milieu defquels elle fe trouvoit. Enfin la longueur de Parc du Méridien que nous mefürions, étoit fort convenable pour la certitude de notre opération. S'il y a un avantage à mefurer de grands arcs, en ce que les erreurs qu'on peut commettre dans la détermination de l'amplitude, ne font que les mêmes pour les grands arcs & les petits, & que répan- duës fur de petits arcs, elles ont plus d'effet, que répanduëés fur de grands; d’un autre côté, les erreurs qu'on peut commettre fur les Triangles, peuvent avoir des effets d'autant plus dangereux , que la diftance qu’on mefüure eft plus longue, & que le nombre des Triangles eft plus grand. Si ce nombre eft grand, & qu'on ne puifle pas fe corriger fouvent par des bafes, ces derniéres erreurs peuvent former une férie très-divergente, & faire perdre plus d’avan- tage qu’on n’en retireroit par de grands arcs. J’avois lù à l'Académie, avant mon départ, un Mémoire für cette matiére , où j'avois déter- miné la longueur la plus avantageule qu’il fallüt mefurer pour avoir la mefure la plus certaine; cette longueur dépend de la précifion avec laquelle on obferve les angles horrifontaux, comparée à celle que peut donner linftrument avec lequel on obfèrve la diftance des Etoiles au Zénith. Et appliquant à notre opération , les réfléxions que j'avois faites, on trouvera qu’un arc plus long ou plus court que le nôtre, ne nous aurait pas donné tant de certitude dans fà melure. Nous nous fervions, pour obferver les angles entre nos fignaux, d’un Quart-de-cercle de deux pieds de rayon, armé d’un Micrometre, qui vérifié plufieurs fois autour de Phorifon , donnoit toûüjours la fomme des angles fort près de quatre droits; fon centre étoit toù- jours placé au centre des fignaux ; chacun faifoit fon obfervation, & l’écrivoit féparément; & l’on prenoit enlüite le milieu de toutes ces obiervations, qui différoient peu les unes des autres. | Sur DR nr AAUR CE RICIL E GP GE À IL REX 121 Sur chaque montagne, on avoit foin d’obferver la hauteur ou l’abbaiffement des objets dont on fe fervoit pour prendre les angles ; & c’eft fur ces hauteurs, qu’eft fondée la réduétion des angles au plan de l'horifon. Cette premiére partie de notre ouvrage, celle für laquelle pouvoit tomber l’impoffbilité, étant fi heureufement terminée, notre cou- rage redoubla pour le refte, qui ne demandoit plus que des peines. Dans une fuite de Triangles qui fe tiennent les uns aux autres, par des côtés communs, & dont on connoît les angles, dès qu'on connoïît un côté d’un feul de ces Triangles, il eft facile de con- noître tous les autres. Nous étions donc fürs d’avoir fort exaéte- ment la difance entre la fléche de l'Eglife de Torne&, qui terminoit notre Heptagone au Midi, & le fignal de Kittis, qui le terminoit au Nord, dès qu’une fois la longueur de notre bafe feroit connuë; & cette mefüure ie pouvoit remettre à l'hiver, où le temps, ni la glace ne nous manqueroient pas. Nous pentämes donc à l'autre partie de notre ouvrage; à déter- miner l'amplitude de arc du Méridien compris entre Kittis & Torne&, que nous regardions comme mefüuré. J'ai dit en quoi confiftoit cette détermination. Il falloit obferver la quantité dont une même Etoile, lorfqu’elle pafloit au Méridien, paroïfloit plus haute ou plus baffe à Tornea qu'à Kittis; ou, ce qui revient au même, la quantité dont cette Etoile à fon pañlage par le Méridien , étoit plus proche ou plus éloignée du Zénith de Tornea que de celui de Kittis. Cette différence entre les deux hauteurs, ou entre les deux diftances au Zénith, étoit l'amplitude de l'arc du Méridien terreftre entre Kittis o ’ . “ & Tornea. Cette opération eft fimple, elle ne demande pas méme. qu'on ait les diftances abfoluës de l'Etoile au Zénith de chaque lieu ; il fufñit d’avoir la différence entre ces diflances. Mais cette opéra- tion demande la plus grande exactitude, & les plus grandes précau- tions. Nous avion$ pour la faire, un Seéteur d'environ 9 pieds de rayon, femblable à celui dont fe fert M. Bradley, & avec lequel il a fait fa belle découverte fur l’'Aberration des Fixes. L’infirument avoit été fait à Londres, fous les yeux de M. Graham, de la Société Royale d'Angleterre. Cet habile Méchanicien s’étoit appliqué à Oeuv. de Mauperr. 9 lui Stéhre Ofoubre, 122 MES URÆ ND E ‘L'A TERRE . lui procurer tous les avantages, & toutes les commodités dont nous pouvions avoir Befoin : enfin il en avoit divifé lui-même le limbe. +. Ilya trop de chofesà remarquer dans cet inftrument, pour entre- prendre d’en faire ici une defcription complette. Quoique ce qui conftituë proprement linftrument, foit fort fimple; fa grandeur, le nombre des piéces qui fervent à le rendre commode pour lobfer- vateur, la pefanteur d’une large pyramide d’environ 12 pieds de hau- teur qui lui fert de pied, rendoient prefque impratiquable fon accès {ur le fommet d’une montagne de Lapponie. On avoit bâti fur Kittis deux obfervatoires. Dans l’un étoit une Pendule de M. Graham, un Quart-de-cerle de 2 pieds de rayon, & un inftrument qui confiftoit dans une Lunette perpendiculaire & mobile autour d’un axe horifontal, que nous devions encore aux foins de M. Graham; cet inftrument étoit placé précifément au centre du fignal qui avoit fervi de pointe à notre dernier Triangle; & l’on s’en fervoit pour déterminer la direétion de nos Triangles avec la Méridienne. L'autre obfervatoire, beaucoup plus grand, étoit à côté de celui-là, & fi près qu’on pouvoit aifément entendre compter à la Pendule de lun à lautre ; le Seéteur le rempliffoit prefque tout. Je ne parlerai point des difficultés qui fe trouvérent à traniporter tant d’inftruments fur la montagne. Cela fe fit; on plaça fort exactement le limbe du Secteur dans le plan du Méridien qu'on avoit tracé, & l'on s’affüra qu'il étoit bien placé, par l'heure du paffage de l'Etoile, dont on avoit pris des hauteurs. Enfin tout étoit prèt pour oblerver le 30 Septembre ; & l’on fit les jours füuivants, les obfervations de l'Etoile d du Dragon, entre lefquelles la plus grande différence qui fe trouve, n’eft pas de 3 fecondes. Pendant qu’on obfervoit cette Etoile avec le Secteur, les autres obfervations n’étoient pas négligées ; on regloit tous les jours Ja Pendule avec foin, par les hauteurs correfpondantes du Soleil; & on obfervoit avec linftrument dont j'ai parlé, le paffage du Soleil, & l'heure du paffage par les Verticaux des fignaux de Niemi & de Pullingi. On détermina par ce moyen, la pofition de notre Hepta- gone à égard de la Méridienne; & huit de ces obfervations, dont les plus écartées n’ont pas entr’elles une minute de diflérence, don- nent A Ab: CH RNCAL EE TP OS ANTIRIE 125 nent par un milieu, l'angle que forme avec la Méridienne de Kittis, la ligne tirée du fignal de Kittis au fignal de Pullingi, de 28° 51° 52”. Toutes ces obfervations s’étoient faites fort heureufement; mais les pluyes & les brumes les avoient tant retardées, que nous étions venus à un temps où lon ne pouvoit prefque plus entreprendre le retour à Torneæ; cependant il y falloit faire les autres obiervations correfpondantes de la même Etoile ; & nous voulions tâcher qu'il s’écoulât le moins de temps qu'il feéroit poflible entre ces obierva- tions, afin d'éviter les erreurs qui auroient pü naitre du mouve- ment de l'Etoile, en cas qu’elle en eût quelqu'un qui ne fût pas connu. On voit aflés que toute cette opération étant fondée -fur la différence de la hauteur méridienne d’une même Etoile obfervée:à Kittis &à Torne&, il faut que cette Etoile pendant l'opération, de- meure .à la même place ; ou du moins que s'il lui arrive quelque changement d’élevation qui lui foit propre, on connoiffe ce change- ment , afin de ne le pas confondre avec celui.qui dépend de la courbüre de l'arc qu’on cherche. Les Aftronomes ont obiervé depuis plufeurs fiécles, un mou- vement des Etoiles autour des Poles de l'Ecliptique, d’où naïît la Préceffion des Equinoxes, & un changement de déclinaifon dans les Etoiles, dont on peut tenir compte dans l'affaire dont nous parlons. Mais il y a dans les Etoiles, un autre changement en déclinaifon, fur lequel, quoiqu’obiervé plus récemment, je crois qu'on peut compter auffi fürement que fur l’autre. Quoique M. Bradley foit le premier qui ait découvert les regles de ce changement, l'exactitude de fes obfervations, & l'influment avec lequel il les a faites, équi- valent à plufieurs fiécles d'obfrvations ordinaires. Il a trouvé que chaque Etoile obfervée pendant le cours d’une année, fembloit dé- crire dans les Cieux, une petite Ellip{e dont le grand axe eft d’en- viron 40". Comme il fembloit d’abord y avoir de grandes variétés dans ce mouvement des Etoiles, ce ne fut qu'après une longue fuite d'obfervations que M. Bradley trouva la théorie de laquelle ce mouvement, ou plutôt cette apparence, dépend. S'il avoit fallu fon exactitude pour découvrir ce mouvement , il fallut fa fagacité pour découvrir le principe qui le produit. Nous n’expliquerons Q 2 point Oétobrre, Ofobre. 124 MESUREYMDE IL A TE RMRNE point le Sifteme de cet illuftre Aftronome, qu’on peut voir, beaucoup mieux qu'on ne le verroit ici, dans les Tran/äcfions Philofophiques, N°. 406. Nous dirons feulement que cette différence qui arrive dans le lieu des Etoiles, obfervé de la Terre, vient du mouvement de la Jumiére que PEtoile lance, & du mouvement de la Terre dans fon orbite, combinés lun avec l’autre. Si la Terre étoit immobile, il faudroit donner une certaine inclinaifon à la Lunette à travers la- quelie on obferve une Etoile, pour que le rayon qui part de cette Etoile, la traver{ât par le centre, & parvint à Pœil. Mais fi la Terre qui porte la Lunette, fe meut avec une viteffe comparable à la viteffe du rayon de lumiére, ce ne fera plus la même inclinaifon qu’il faudra donner à la Lunette ; il la faudra changer de fituation, pour que le rayon qui la traverfe par le centre, puifle parvenir à l'œil; & les différentes pofitions de la Lunette dépendront des différentes directions dans lefquelles la Terre fe meut en différents temps de l'année. Le calcul fait d’après ce principe, d’après la vitefle de la Terre dans fon orbite, & d’après la viteffe de la lumiére connuë par d’autres expériences; le changement des Etoiles en déclinaifon fe trouve tel que M. Bradley Pa obfervé; & l’on eft en état d’adjoûter ou de fouftraire à la déclinaifon de chaque Etoile, la quantité ne- ceffaire pour la confidérer comme fixe pendant le temps écoulé entre les obfervations qu'on compare les unes aux autres, pour dé- términer l'amplitude d’un are du Méridien. Quoique le mouvement de chaque Etoile dans le cours de lan- née, fuive fort exactement la loi qui dépend de cette théorie, M. Bradley a découvert encore un autre mouvement des Etoiles, beau- coup plus lent que les deux dont nous venons de parler, & qui n’eft guére fenfble qu'après plufieurs années. Il faudra encore, fi l'on veut avoir la plus grande exaitude, tenir compte de ce troiliéme mouvement, Mais pour notre opération, dans laquelle le temps écoulé entre les obfervations, eft très-court, fon effet eft infenfble, ou du moins beaucoup plus petit que tout ce qu’on peut raifonna- blement efpérer de déterminer dans ces fortes d'opérations. En effet, j'avois confulté M. Bradley, pour fçavoir sil avoit quelques obfervations immédiates des deux Etoiles dont nous nous fommes fervis AU GARRACL El P OMAN REE 125 fervis pour déterminer l'amplitude de notre arc. Quoiqu'il n’ait point obfervé nos Etoiles, parce qu’elles pañfent trop loin de fon zénith, pour p ir être obfervées avec fon inftrument, il a bien voulu me faire part de fes derniéres découvertes fur PAberration, & fur ce troifiéme mouvement des Etoiles ; & la correction qu'il m'a envoyée pour notre amplitude, dans laquelle il a eu égard à la Pré- ceffion des Equinoxes, à l'Aberration de la Lumiére, & à ce mou- vement nouveau, ne différe pas fenfiblement de la correction que nous avions faite pour la Préceffion & l’Aberration feulement ; comme on le verra dans le détail de nos opérations. Quoiqu'on puiffe donc aflés fürement compter fur la correction pour l’Aberration de la lumiére, nous voulions tâcher que cette cor- rection füt peu confidérable; pour fâtisfaire ceux (sil y en a) qui ne voudroient pas encore admettre la théorie de M. Bradley, ou qui croiroient qu'il y a quelqu’autre mouvement dans les Etoiles: il falloit pour cela que le temps qui s’écouleroit entre les obfervations de Kittis & celles de Tornea , fût le plus court qu'il feroit poffible. Nous avions vu de la glace dès le 19 Septembre, & de la neige le 21; pluñeurs endroits du fleuve avoient déja glacé; & ces pre- miéres glaces qui font imparfaites , le rendent quelquefois long- temps innavigable, & impratiquable aux traineaux. En attendant à Pello, nous rifquions de ne pouvoir arriver à Torne& , qu'après un temps qui mettroit un trop long intervalle entre les obfervations déja faites ,- & celles que nos devions y faire; nous rifquions même que notre Etoile nous échappât, & que le Soleil qui s’en approchoit, nous la fit difparoître. Il eût fallu alors revenir dans le fort de l'hiver, faire de nouvelles obfervations de quelqu’autre Etoile fur Kittis; & c’étoit une chofe qui ne paroifloit guére pratiquable ni poffible | que de pañfer les nuits d’hiver fur cette montagne à obferver. En partant, on courroit rifque d’être pris fur le fleuve par les glaces, & arrété avec tous les inftruments; on ne fçait où, ni pour combien de temps. On rifquoit encore de voir par-là les obferva- tions de Kittis devenir inutiles; & nous voyions combien les obfer- vations déja faites, étoient un bien difficile à retrouver dans un 07 Pays, OGobse. Ofobre. Novembre, 126 M.E:S UPR ED Fi. LA: TERRE Pays , où les obfervations font fi rares : où tout l'été nous ne pou- vions efpérer de voir aucune des Etoiles que pouvoit embrafer notre Secteur, par leur petitefle , & par le jourgontinuel qui les efface ; & où l'hiver rendoit l’obfervatoire de Kittis inhabitable. Nous déliberâmes fur toutes ces difficultés; & nous réfolûmes de rifquer le voyage. Mrs Camus & Celfus partirent le 23 avec le Secteur; le lendemain Mrs Clairaut & le Monnier; enfin le 26 je partis avec M. l'Abbé Outhier. Nous fümes aflés heureux pour arriver à Tornea en bateau le 28 Octobre; & lon nous aflüroit que le fleuve n’avoit prefque jamais été navigable dans cette faifon. L’obfervatoire que nous avions fait préparer à Torne&, étoit prêt à recevoir le Secteur, & on ly plaça dans le plan du Méridien. Le rer Novembre , il commença à geler très-fort, & le lendemain tout le fleuve étoit pris, La glace ne fondit plus, la neige vint bien-tôt la couvrir; & ce vafte fleuve qui, peu de jours auparavant, étoit couvert de Cygnes & de toutes les efpeces d'Oifeaux aquatiques, ne fut plus qu'une plaine inimenfe de glace & de neige. « On commença le r* Novembre à obferver la même Etoile, s . La \ . . LA) # . . qu'on avoit obfervée à Kittis, & avec les mêmes précautions; & les plus écartées de ces obfervations ne différent que d’une feconde. Tant ces derniéres obfervations que celles de Kittis, avoient étéfai- tes fans éclairer les fils de la Lunette, à la lueur du jour. Et prenant un milieu entre les unes & les autres, réduifant les parties du Micro- metre en fecondes, & ayant égard au changement en déclinaifon de l'Etoile, pendant le temps écoulé entre les obfervations, tant pour la précéfMion des Equinoxes, que pour les autres mouvements de l'Etoile, on trouve pour l'amplitude de notre arc 57 27. Tout notre ouvrage étoit fait pour ainfi dire ; il étoit arrêté, fans que nous puffions fçavoir s'il nous feroit trouver la Terre allongée ou applatie; parce que nous ne fçavions pas quelle étoit la longueur de notre bafe. Ce quinousreftoit à faire, n'étoit pasune opé- ration difficile en elle-même, ce n’étoit que de melürer à la perche, la diflance entre deux fignaux qu’on avoit plantés l'été paflé; mais cette melüure devoit fe faire fur la glace d’un fleuve de Lapponie, dans un pays AVC OLE"?P OT ATRE 127 pays où chaque jour rendoit le froid plus infupportable; & la di- Novembre, flance à mefurer étoit de plus de 3 lieuës. On nous confeilloit de remettre la mefure de cette bafe au prin- temps; parce qu'alors, outre la longueur des jours, les prerniéres fontes qui arrivent à la fuperficie de la neige, qui font bien-tôt füivies d'une nouvelle gelée, y forment une efpece de croûte capable de porter les hommes; au lieu que pendant tout le fort de l'hiver, la neige de ces pays n’eft qu’une efpece de pouffiére fine &{éche, haute communément de quatre ou cinq pieds, dans laquelle ileft impoffible de marcher, quandelle eft une fois parvenuë à cette hauteur. Malgré ce que nous voyions tous les jours, nous craignions d’être füurpris par quelque degel. Nous ne fçavions pas qu'il feroit encore temps au mois de Mai, de mefurer la bafe: & tôus les avantages que nous pouvions trouver au printemps, difparurent devant la crainte la moins fondée de manquer notre mefüure, Cependant nous ne fçavions point fi la hauteur des neiges per- mettroit encore de mafcher fur le fleuve à l'endroit de la bafe; & Mrs: Clairaut, Outhier & Cellus partirent le 10 Décembre pour en Dérembre, aller juger. Ils trouvérent les neiges déja très-hautes; mais comme cependant elles ne faifoient pas defefpérer de pouvoir mefurer, nous nous rendimes tous à Ofiver - Torned. M. Camus, aidé de M. l'Abbé Outhier employa le 19 & le 20 à ajufter huit perches de 30 pieds chacune , d’après une toile de fer que nous avions apportée de France, & qu’on avoit foin pendant cette opération , de tenir dans un lieu où le T hermometre de M. de Reau- mur étoit à 15 degrés au-deflus de zero, & celui de M. Prins à 62 de- grés, ce qui eft la température des mois d'Avril & Mai à Paris. Nos perches une fois ajuftées, le changement que le froid pouvoit appor- ter à leur longueur, n’étoit pas à craindre ; parce que nous avions obfervé qu'il s’en falloit beaucoup que le froid & le chaud caufaffent fur la longueur des melures de Sapin, des effets auffi fenfibles que ceux qu'ils caufent für la longueur des mefures de fer. Toutes les expériences que nous avons faites fur cela, nous ont donné des va- riations de longueur prefque infenfibles. Ét quelques expériences me feroient croire que les mefures de bois, au lieu de f& raccourcir au Décembre, 128 MIE: OUR E D'E'1L.A TERRE au froid, comme les mefüures de métal, sy allongent. Peut-être un refte de féve qui étoit encore dans ces mefures, fe glaçoit-il lorf qu’elles étoient expolées au froid, & les failoit- il participer à la pro- priété des liqueurs, dont le volume augmente lorfqw’elles fe gelent. M. Camus avoit pris de telles précautions pour ajufter ces perches, que malgré leur extrême longueur , lorfqu’on les prélentoit entre deux bornes de fer, elles y entroient fi jufte que l’épaiffeur d’une feuille du papier le plus mince de plus ou de moins, rendoit l’en- trée impoffible, ou trop libre. Ce fut le vendredi 21 Décembre, jour du Solftice d'hiver, jour remarquable pour un pareil ouvrage, que nous commençâimes la mefure de notre bafe vers Avafaxa, où elle fe trouvoit. A peine le Soleil fe levoit-il alors vers le midi; mais les longs crépufcules, la blancheur des neiges, & les feux dont le Ciel eft toûüjours éclairé dans ces pays, nous donnoient chaque jour afés de lumiére pour travailler quatre ou cinq heures. Nous partimes à 11 heures du ma- tin de chés le Curé d'üfwer- Torneä, où nous logeâmes pendant cet ouvrage ; & nous nous rendimes fur le fleuve, où nous devions commencer la mefure, avec un tel nombre de traineaux, & un fi grand équipage, que les Lappons defcendirent de leurs montagnes, attirés par la nouveauté du fpectacle. Nous nous partageames en deux bandes, dont chacune portoit quatre des mefüres dont nous venons de parler. Je ne dirai rien des fatigues, ni des périls de cette opé- ration ; on imaginera ce que c’eft que de marcher dans une neige haute de 2 pieds, chargés de perches pefantes, qu'il falloit conti- nuellement pofer fur la neige & relever ; pendant un froid fi grand, que la langue & les levres fe geloient für le champ contre la taie, lorfqu’on vouloit boire de l'Eau-de-vie, qui étoit la feule liqueur qu’on pût tenir affés liquide pour la boire, & ne s’en arrachoient que fan- glantes; pendant un froid qui gela les doigts de quelques-uns de nous, & qui nous menaçoit à tous moments d'accidents plus grands encore. Tandis que les exrrémités de nos corps étoient glacées, le travail nous faifoit fuer. L’eau-de-vie ne pût fufire à nous défal- terer, il fallut creufer dans la glace, des puits profonds, qui étoient prefque auffi-tôt refermés, & d'où l'eau pouvoit à peine parvenir liquide AU GERAGIL. BTP GE MAURE 129 liquide à la bouche. Et il falloit s’expoler au dangereux contraîte, que pouvoit produire dans nos co#ps échauftés, cette eau glacée. Cependant l'ouvrage avançoit ; fix journées de travail l’avoient conduit au point, qu'il ne reftoit plus à mefurer qu'environ 500 toiles, qui n’avoient pü être remplies de piquets affés tôt. On interrompit donc la mefure le 27, & Mrs: Clairaut, Camus & le Monnier allérent planter ces piquets, pendant qu'avec M. l'Abbé Outhier, j'employai ce jour à une entrepriie aftés extraordinaire. Une obfervation de la plus légére conféquence, & qu’on auroit pù négliger dans les pays les plus commodes, avoit été oubliée l'été pañlé; on n’avoit point obféervé la hauteur d’un objet, dont on s’étoit {ervi en prenant d'Avafäxa, l'angle entre Cuitaperi & Horri- lakero. L’envie que nous avions que rien ne manquît à notre ouvrage, nous faifoit pouffer l'exactitude jufqu'au fcrupule. J'en- trepris de monter fur Avafäxa avec un Quart-de-cercle, Si l’on conçoit ce que c’eft qu’une montagne fort élevée, remplie de rochers, qu’une quantité prodigieufe de neiges cache, & dont elle recouvre les cavités, dans lefquelles on peut être abimé, on ne croira gtKére poffible d'y monter. Il y a cependant deux maniéres de le faire: l’une en marchant ou plütôt gliffant fur deux planches étroites, lon- gues de 8 pieds, dont fe fervent les Finnois & les Lappons, pour ne pas enfoncer dans la neige, maniére d'aller, qui a befoin d’un long exercice; lautre en fe confiant aux Reenes qui peuvent faire un pareil voyage. Ces animaux ne peuvent trainer qu’un fort petit bateau, dans lequel à peine peut entrer la moitié du corps d’un homme: ce bateau deftiné à naviguer dans la neige , pour trouver moins de réfiftance contre la neige qu'il doit fendre avec la prouë, & fur laquelle il doit gliffer, a la figure des bateaux dont on fe fert fur la Mer, c’eft-à-dire, a une proué pointuë, & une quille étroite deffous, qui le laiffe rouler, & verfer continuellement, fi celui qui eft dedans, n’eft bien attentif à conferver l'équilibre. Le bateau eft attaché par une longe au poitrail du Reene, qui court avec fureur lorfque c’eft fur un chemin Oeuv. de Maupert. R battu Décembre. ’ 130 M E S'UREWDÆE1L A TERME Décembre. battu & ferme. Si lon veut arrêter, c’eft en vain qu’on tire une efpece de bride atachée aux cormes de l’animal; indocile & in- domitable, il ne fait le plus fouvent que changer de route; quelque- fois méme il {e retourne, & vient {e vanger à coups de pied. Les Lappons {cavent alors renverler le bateau fur eux, & s’en fervir comme d’un bouclier contre les fureurs du Reene. Pour nous, peu capables de cette reffource, nous euffons été tués avant que d’avoir pü nous mettre à couvert. Toute notre défenfe fut un petit bâton qu'on nous mit à la main, qui eft conune le gouvernail, avec lequel il faut diriger le bateau, & éviter les troncs d'arbres. C’étoit ainf que m’abandonnant aux Reenes, j’entrepris d'efcalader Avafaxa, ac- compagné de M. l'Abbé Outhier, de deux Lappons & une Lappone, & de M. Brunnius leur Curé. La premiére partie du voyage fe fit dans un inftant; il y-avoit un chemin dur & battu depuis la maifon du Curé jufqu’au pied de la montagne, & nous le parcourûmes avec une vitefle, qui n’eft comparable qu’à celle de lOileau qui vole. Quoique la montagne, für laquelle il n’y avoit aucun chemin, retar- dât les Reenes, ils nous conduifirent jufques fur le fommet; & nous y fines auffi-tôt l'obfervation , pour laquelle nous y étions venus. Pendant ce temps-là, nos Reenes avoient creufé des trous profonds dans la neige; où ils paifloient la mouffe, dont les rochers de cette montagne font couverts; & nos Lappons avoient allumé un grand feu, où nous viames bientôt nous chauffer avec eux. Le froid étoit fi grand, que la chaleur ne pouvoit s'étendre à la moindre di- fance; fi la neige fe fondoit dans les endroits que touchoit le feu, elle fe regeloit tout autour, & formoit un foyer de glace. Si nous avions eu beaucoup de peine à monter fur Avafaxa, nous craignimes alors de defcendre trop vite une montagne efcarpée, dans des voitures qui, quoique fubmergées dans la neige, gliffent toûjours, traînés par des animaux déja terribles dans la plaine; & qui, quoiqu’enfonçant jufqu'au ventre dans la neige, cherchoïent à s’en délivrer par leur viteffe. Nous fümes bientôt au pied d’Avaläxa; & le moment d’après, tout le grand fleuve fut traverfé, & nous à la Maïlon. Le AE OPEL E ‘ P OL A RRE mi . Le lendemain, nous achevâmes la mefure de notre bafe; & nous ne dümes pas regretter la peine qu'il y a de faire un pareil ouvrage fur un fleuve glacé, lorfque nous vimes l'exactitude que la glace nous avoit donnée. La diftérence qui {e trouvoit entre les melures de nos deux troupes, n'étoit que de quatre pouces für une diftance de 7406 toiles 5 pieds; exactitude qu’on n’oféroit attendre, & qu’on n’oieroit préfque dire. Et l’on ne fçauroit le regarder comme un effet du hazard & des compenfations qui fe féroient faites après des différences plus confidérables ; car cette petite différence nous vint prefque toute le dernier jour. Nos deux troupes avoient mefuré tous les jours le même nombre de toifes; & tous les jours, la diffé- rence qui {e trouvoit entre les deux mefures, n’étoit pas d’un pouce dont l'une avoit tantôt furpañlé l'autre, & tantôt en avoit été fur- pale. Cette jufteffle, quoique dûë à la glace, & au foin que nous prenions en mefurant, failoit voir encore combien nos perches étoient égales: car la plus petite inégalité entre ces perches, auroit caufé une différence confidérable {ur une diflance auffi longue qu'étoit notre baie. Nous connoiffions l'amplitude de notre arc ; & toute notre figure déterminée n’attendoit plus que la mefure de l'échelle à laquelle on devoit la rapporter, que la longueur de la bafe. Nous vimes donc aufli-tôt que cette bafe fut mefüurée, que la longueur de Farc du Méridien intercepté entre les deux Paralleles, qui pañfent par notre obfervatoire de Torneg & celui de Kittis, étoit de 55023 : toiles; que cette longueur ayant pour esmplitude 57° 27", le degré du Méridien fous le Cercle Polaire étoit plus grand de près de 1000 toifes qu’il ne devoit étre {elon les mefures du Livre de la Grandeur € Figure de la Terre. Après cette opération, nous nous hätâmes de revenir à Tornea, tâcher de nous garantir des derniéres rigueurs de l'hiver. La ville de Tornea, lorfque nous y arrivâmes le 30 Décembre, avoit véritablement l'air affreux. Ses maiïfons bafles fe trouvoient enfoncées jufqu'au toit dans la neige, qui auroit empéché le jour d’y entrer par les fenêtres, s’il y avoit eu du jour: mais les neiges R 2 tou- Décembre. 132 MESURE D'Et LA T'E RIRE toûjours tombantes, ou prêtes à tomber, ne permettoient prefque jamais au Soleil de fe faire voir pendant quelques moments dans lhorifon vers midi. Le froid fut fi grand dans le mois de Janvier, que nos Thermometres de mercure, de la conftruction de M. de Reaumur, ces Thermometres qu’on fut furpris de voir defcendre à 14 degrés au-deffous de la congélation à Paris dans les plus grands froids du grand hiver de r709, defcendirent alors à 37 degrés: ceux d’efprit de Vin gelérent. Lorfqu’on ouvroit la porte d’une chambre chaude, lair de dehors convertiffoit fur le champ en neige, la vapeur qui s’y trouvoit, & en formoit de gros tour- billons blancs: lorfqu’on fortoit , l'air fembloit déchirer la poitrine. Nous étions avertis & menacés tous moments des augmentations de froid, par le bruit avec lequel les bois dont toutes les maifons font Lâties, fe fendoient. A voir la folitude qui regnoit dans les ruës, on eût cru que tous les habitants de la ville étoient morts. Enfin on voyoit à Torne& , des gens mutilés par le froid: & les habitants d’un climat fi dur, y perdent quelquefois le bras ou la jambe. Le froid, toùjours très-grand dans ces pays re- çoit fouvent tout-à-coup des augmentations qui le rendent pref- que infailliblement funefte à ceux qui s’y trouvent expofés. Quel- quefois il s’éleve tout-à-coup des tempêtes de neige, qui expolent encore à un plus grand péril: il femble que le vent fouffle de tous les côtés à la fois; & il lance la neige avec une telle impétuofité, qu'en un moment tous les chemins font perdus. Celui qui eft pris d’un tel orage à la campagne, voudroit en vain fe retrouver par la connoiffance des lieux, ou des marques faites aux arbres; il eft aveuglé par la neige, & sy abime s’il fait un pas. Si la terre eft horrible alors dans ces climats, le ciel préfente aux yeux les plus charmants fpedtacles. Dès que les nuits com- mencent à étre obfcures, des feux de mille couleurs & de mille figures, éclairent le ciel ; & femblent vouloir dédommager cette terre, accoûtumée à étre éclairée continuellement , de l’abfence du Soleil qui la quitte. Ces feux dans ces pays, n’ont point de fituation conftante, comme dans nos pays méridionaux. Quoi- AvUr CE RICIL E “P OL A1TRIE 133 Quoiqu'on voye fouvent un arc d’une lumiére fixe vers le Nord, ils femblent cependant le plus fouvent occuper indifféremment tout le ciel. Ils commencent quelquefois par former une grande écharpe d’une lumiére claire & mobile, qui a fes extrémités dans Fhorifon, & qui parcourt rapidement les cieux, par un mouve- ment femblable à celui du filet des pêcheurs, confervant dans ce mouvement aflés fenfiblement la direction perpendiculaire au Mé- ridien. Le plus fouvent après ces. préludes , toutes ces lumiéres viennent {e réunir vers le Zénith, où elles forment le fommet d'une efpece de courone. Souvent des arcs, femblables à ceux que nous woyons en France vers le Nord, fe trouvent fitués vers le Midi; fouvent il s’en trouve vers le Nord & vers le Midi tout enfémble : leurs fommets s’approchent, pendant que leurs extrémités s’éloignent en defcendant vers l’horifon. J'en ai vû d’ainfi oppolés, dont les fommets fe touchoient prefque au Zénith; les uns & les autres ont fouvent au-delà plufeurs autres arcs con- centriques. Ils ont tous leurs fommets vers la direction du Méridien, avec cependant quelque déclinaifon occidentale, qui ne m'a pas paru toujours la même, & qui eft quelquefois infenfible. Quelques-uns de ces arcs, après avoir eu leur plus grande largeur au-deflus de l’horifon, fe reflerrent en s’en approchant, & forment au-deffus plus de la moitié d’une grande Ellip{e. On ne finiroit pas, fi lon vouloit dire toutes les figures que prennent ces lumié- res, ni tous les mouvements qui les agitent. Leur mouvement le plus ordinaire, les fait refflembler à des drapeaux qu’on feroit voltiger dans Pair; & par les nuances des couleurs dont elles font teintes, on les prendroit pour de vaftes bandes de ces taffetas, que nous appellons flambes. Quelquefois elles tapiffent quel- ques endroits du ciel, d’écarlate. Je vis un jour à Gfwer- Tor- mea (c'étoit le 18 Décembre) un fpetacle de cette efpece, qui attira mon admiration, malgré tous ceux auxquels j'étois accoû- tumé, On voyoit vers le Midi, une grande région du ciel teinte d’un rouge fi vif, qu’il fembloit que toute la Conftellation d’Orion fût trempée dans du fang: cette lumiére, fixe d'abord, devint R 3 bientôt 54 MESURE DE LA TERRE. bientôt mobile, & après avoir pris d’autres couleurs, de violet & de bleu, elle forma un dôme dont le fommet étoit peu éloigné du Zénith vers le Sud-Oueft; le plus beau clair de Lune n’eflaçoit rien de ce fpectacle. Je n'ai vü que deux de ces lumiéres rouges qui font rares dans ce pays, où il y en a de tant de couleurs; & on les y craint comme le figne de quelque grand malheur. En- fin lorfqu'on voit ces phénomenes, on ne peut s'étonner que étux qui les regardent avec d’autres yeux que les Philofophes, y voyent des chars enflammés, des armées combattantes, & mille autres prodiges. Nous demeurâmes à Torneä, renfermés dans nos chambres, dans une efpece d’inaétion, jufqu'au mois de Mars, que nous fimes de nouvelles entreprifes. La longueur de l’arc que nous avions mefuré, qui différoit tant de ce que nous devions trouver, fuivant les mefures du Livre de la grandeur & figure de la Terre, nous étonnoit; & malgré linconteftabilité de notre opération, nous réfolümes de faire les vérifications les plus rigoureufes de tout notre ouvrage. Quant à nos Triangles; tous leurs angles avoient été obfervés tant de fois, & par un fi grand nombre de perfonnes qui s’ac- cordoient, qu'il ne pouvoit y avoir aucun doute fur cette partie de notre ouvrage. Elle avoit méme un avantage qu'aucun autre ouvrage de cette cfpece n'avoit encore eu: dans ceux qu'on a faits jufqu'ici, on s’eft contenté quelquefois d’oblerver deux an- gles, & de conclurre le troifiéme. Quoique cette pratique nous eût été bien commode, & qu’elle nous eût épargné plufeurs féjours défagréables fur le fommet des montagnes, nous ne nous étions difpenfés d'aucun de ces féjours & tous nos angles avoient été obfervés. De plus, quoique pour déterminer la diftance entre Tor- neà & Kittis, il ny eût que 8 Triangles neceffaires ; nous avions obfervé pluñeurs angles furnuméraires : & notre Hepta- gone donnoit par-là des combinaifons ou fuites de Triangles {ans nombre. Notre ET sure D. AU. CHENR"C L:EX P OMRATRE 135 Notre ouvrage, quant à cette partie, avoit donc été fait, pour ainû dire, un très-grand nombre de fois; & il n’étoit queftion que de comparer par le calcul, les longueurs que donnoïent toutes ces différentes fuites de Triangles. Nous pouffämes la patience jufqu’à calculer 12 de ces füuites: & malgré des Triangles rejet- tables dans de pareilles opérations , par la petiteffe de leurs angles, que quelques-unes contenoient, nous ne trouvions pas de différence plus grande que de 54 toiles entre toutes les diftances de Kittis à Tornea, déterminées par toutes ces com- binaifons : & nous nous arrétämes à deux, que nous avons jugé préférables aux autres, qui différoient entrelles de 4 # toiles, & dont nous avons pris le milieu pour déterminer la longueur de notre arc. Le peu de différence qui fe trouvoit entre toutes ces diftances, nous auroit étonnés, fi nous n’euffions {çü quels foins, & combien de temps nous avions employés dans l’obfervation de nos angles. Huit ou neuf Triangles nous avoient coûté 63 jours ; & chacun des angles avoit été pris tant de fois, & par tant d’obférvateurs différents, que le milieu de toutes ces obiervations ne pouvoit mariquer d'approcher fort près de la vérité. Le petit nombre de nos Triangles nous mettoit à portée de faire un calcul fingulier, & qui peut donner les limites les plus rigoureufes de toutes les erreurs que la plus grande mal-adrefle, & le plus grand malheur joints enfemble, pourroient accumuler. Nous avons fuppolé que dans tous les T riangles depuis la bafe, on fe fût toûjours trompé de 20° dans chacun des deux angles, & de 40" dans le troifiéme ; & que toutes ces erreurs allaffent toû- jours dans le même fens, & tendiflent toûjours à diminuer la longueur de notre arc. Et le calcul fait d’après une fi érange fuppofition , il ne fe trouve que 54 + toifès pour l'erreur qu’elle pourroit caufer. L’attention avec laquelle nous avions mefuré la bafe, ne nous pouvoit haiffer aucun foupçon {ur cette partie. L'accord d'un grand 136 M E S'U RESDEEL L A 2°) ERMMRE grand nombre de perfonnes intelligentes, qui écrivoient féparé- ment le nombre des perches ; & la répétition de cette mefure avec 4 pouces feulement de différence, faifoient une {üreté & une précifion fuperfués. Nous tournämes donc le refte de notre examen vers l’ampli- tude de notre arc. Le peu de différence qui f trouvoit entre nos obfervations, tant à Kittis qu'à Torne&, ne nous Jaifloit rien à defirer, quant à la maniére dont on avoit obfervé. A voir la folidité & la conftruétion de notre Sedteur, & les précautions que nous avions priles en le tranfportant, il ne pa- roifloit pas à craindre qu’il lui füt arrivé aucun dérangement. _ Le limbe, la lunette & le centre de cet inftrument, ne forment qu'une feule piéce; &:les fils au foyer de l'objectif, font deux fils d'argent, que M. Graham a fixés, de maniére qu'il ne peut arri- ver aucun changement dans leur fituation, & que malgré les effets du froid & du chaud, ils demeurent toüjours également tendus. Ainf les feuls dérangements qui paroïtroient à craindre pour cet inftrument, font ceux qui altéreroient fà figure en courbant la lunette. Mais fi l’on fait le calcul des effets de telles alterati- ons, on verra que pour qu'elles caufäffent une erreur d'une fe- conde dans l'amplitude de notre arc, il faudroit une fléxion f confidérsble qu’elle feroit facile à appercevoir: Cet inftrument, dans une boîte fort folide, avoit fait le voyage de Kittis à Torne& en bateau, toujours accompagné de quelqu'un de nous, & def cendu dans les cataractes, & porté par des hommes. La fituation de l'Etoile que nous avions obfervée, nous affüroit encore contre la fléxion qu’on pourroit craindre qui arrivât au rayon ou à la lunette de ces grands inftruments, lorfque l'Etoile qu'on obferve eft éloignée du Zénith, & qu’on les incline pour les diriger à cette Etoile. Leur feul poids les pourrôit faire plier; & la méthode d’obferver l'Etoile des deux différents côtés de l’inftrument, qui peut remedier à quelques autres accidents, ne pourroit remédier à celui-ci: car s’il eft arrivé quelque fléxion à la Lunette, lorfqu’on obfervoit, la face de l’infrument tournée vers ANR CRE LE POLAIRE 137 ê vers l’'Eft; lorfqu'on retournera la face vers l'Oueft , il fe fera une nouvelle féxion en fens contraire, & à peu-près égale ; de ma- niére que le point qui répondoit au Zénith, lorfque la face de Pinftrument étoit tournée vers ES, y répondra peut - être encorc lorfqu'elle fera tournée vers l'Oueft ; fans que pour cela Parc qui mefurera la diftance au Zénith, foit jufte. La diftance de notre Etoile au Zénith de Kittis, n'étoit pas d’un demi-degré ; ainf il n'étoit point à craindre que notre Lunette approchant fi fort de la fituation verticale, eût fouffert aucune fléxion. Quoique par toutes ces raifons, nous ne pufñions pas douter que notre amplitude ne füt jufte, nous voulümes nous aflürer encore par l'expérience qu'elle l'étoit: & nous employi- mes pour cela la vérification la plus pénible, mais ‘celle qui nous pouvoit le plus fatisfaire, parce qu’elle nous feroit dé- couvrir en même temps & la juftefle de notre inftrument, & la précifion avec laquelle nous pouvions compter avoir lam- plitudè de notre arc. . Cette vérification confiftoit à déterminer de nouveau lam- plitude du méme arc par une autre Etoile. Nous attendimes donc l’occafñon de pouvoir faire quelques obfervations confécuti- ves d’une même Etoile, ce qui eft difficile dans ces pays, où rarement on a trois ou quatre belles nuits de fuite: & ayant commencé le 17 Mars 1737 à oblèrver l'Etoile « du Dragon à Torneä , dans le même lieu qu'auparavant , & ayant eu trois bon- nes obfervations de cette Etoile, nous partimes pour aller faire les obfervations correfpondantes fur Kittis Cette fois notre Secteur fut tranfporté dans un traineau qui m'alloit qu'au pas fur la neige, voiture la plus douce de toutes celles qu’on peut ima- giner. Notre nouvelle Etoile pafloit encore plus près du Zénith que l'autre, puilqu’elle n’étoit pas éloignée d’un quart de degré du Zénith de Tornea. La Méridienne tracée dans notre obfervatoire fur Kittis, nous mit en état de placer promptement notre Seéteur ; & le 4 Avril, nous y commençâmes les obfervations de #. Nous eûmes encore Oeuv. de Maupert. S fur Mars. 1 2 43{" Avril, m8 MESURE DE LA TERRE fur Kittis trois obfervations qui, comparées à celles de Tornea, nous donnérent l’amplitude de 57 30°#, qui ne différe de celle qu'on avoit trouvée par d, que de 3° x, en faifant la correction pour l'Aberration de la lumiere. Et fi l'on n’admettoit pas la théorie de l'Aberration de la lu- miére, cette amplitude par lanouvelle Etoile ne différeroit pas d'une feconde de celle qu'on avoit trouvée par l'Etoile à La précifion avec laquelle ces deux amplitudes s’accordoient, à une différence près fi petite, qu’elle ne va pas à celle que les erreurs dans lobfervation peuvent caufer; différence qu'on verra encore dans la fuite, qui étoit plus petite qu’elle ne paroif- {oit. Cet accord de nos deux amplitudes étoit la preuve la plus forte de la jufteffe de notre inftrument, & de la füreté de nos obiervations. Ayant ainfi répété deux fois notre opération, on trouve par un milieu entre l'amplitude concluë par d, & lamplitude par x, que l'amplitude de l'arc du Méridierf que nous avons mefuré entre Tornea & Kittis, eft de 57 2S'#, qui, comparée à la lon- gueur de cet arc de 55023 + toiles, donne le degré qui coupe le Cercle Polaire de 57437 toiles, plus grand de 377 toiles que celui que M. Picard a déterminé entre Paris & Amiens, qu'il fait de 57060 toiles. Mais il faut remarquer que comme l’Aberration des Etoile n'étoit pas connuë du temps de M. Picard , il n’avoit fait aucune correction pour cette Aberration. Si lon fait cettte correction, & qu’on y joigne les corrections pour la Préceffion des Equinoxes & la Réfration , que M. Picard avoit négligées , l'amplitude de fon arc eft 1° 23° 6'#, qui, comparée à la longueur, 78850 toiles, donne le degré de 56925 toiles, plus court que le nôtre de 512 toiles. Et fi lon n’admettoit pas l'Aberration, lamplitude de no- tre arc feroit de 57 25", qui comparée à fà longueur donneroit le degré de 57407 toifes, plus grand de 437 toifes que le degré que M. Picard avoit déterminé de 57060 toiles fans Aberration. Enfin, AU ACÉÉCRICL Æ POLAIRE 139 Enfin, notre degré avec l’Aberration différe de 950 toifes de ce qu'il devoit être, fuivant les mefures que M. Caflini a établies dans fon Livre de la Grandeur € Figure de la Terre; & en différe de 1000 en n’admettant pas l'Aberration. D'où l'on voit que la Terre eff confidérablement applarie vers les Poles. Pendant notre féjour dans la Zone glacée, les froids étoient encore fi grands, que le 7 Avril à 5 heures du matin, le Ther- mometre defcendoit à 20 degrés au-deffous de la congélation; quoi- que tous les jours après midi, il montât à 2 & 3 degrés au-deffus. Il parcouroit alors du matin au foir, un intervalle prefque auff grand qu'il fait communément depuis les plus grandes chaleurs jufqu’aux plus grands froids qu’on reffente à Paris. En 12 heures, on éprouvoit autant de viciffitudes , que les habitants des Zones tempérées en éprouvent dans une année entiére. Nous pouffämes le fcrupule jufques fur la direction de notre Heptagone avec la Méridienne. Cette direction, comme on a vü, avoit été déterminée fur Kittis par un grand nombre d’obfervations du pañlage du Soleil par les Verticaux de Niemi & de Pullingi; & il n’étoit pas à craindre que notre figure fe fût dérangée de fà di- rection, par le petit nombre de Triangles en quoi elle confifte, & après la jufteffe avec laquelle la fomme des angles de notre Hepta- gone approchoit de 900 degrés. Cependant nous voulümes reprendre à Turnea cette direétion. On fe fervit pour cela d'une autre méthode que celle qui avoit été partiquée fur Kittis; celle-ci confftoit à obferver l'angle entre le Soleil dans l'horifon, & quelques-uns de nos fignaux , avec l'heure à laquelle on prenoit cet angle. Les trois obfervations qu’on fit, nous donnérent par un milieu cette di- rection , à 34’ près de ce qu’elle étoit, en la concluant des obiervations de Kittis. Chaque partie de notre ouvrage ayant été tant répétée, il ne reftoit plus qu'à examiner la conftruétion primitive & la divifion de notre Secteur. Quoiqu'on ne pût guére la foupçonner, nous > 2 entre- Avril. Mai. Mar. 140 MES URE MD'É\\L À T'E RIRE entreprimes . d'en faire lavérificationen. attendant que la faifon nous permit de partir 3, & cette opération mérite que je la décrive ici, parce qu elle eft finguliére, & qu’elle peut fervir à faire voir ce qu'on peut attendre d'un inftrument tel _ que le nôtre, € à: dé: couvrir fes dérangements, s’il lui en étoit arrivé. Nous mefurâmes le 4 Mai (toüjours fur la glace du fleuve) une diftance de 3gofif qpisd pouces ligne qui. devoit fervir de rayon; & l’on ne trouva, par deux fois qu’on la mefura, aueune différence. On planta deux fermes poteaux avec deux mires dans la ligne tirée perpendiculairement 2 à l'extrémité de cette diftance; & ayant mefüré la diftance entre les centres des deux mires, cette diflance étoit de 36 fifes pieds gpoucs 6 lignes qui devoient {ervir de tangente. On plaça le Secteur horifontalement dans une chambre , fur deux fermes affuts appuyés fur une voute, de maniere que fon centre fe trouvoit précifément à l'extrémité du rayon, de goes ypid spoues . & cinq obfervateurs différents ayant obfervé l'angle entre les deux mires, la plus grande différence qui fe trouvoit entre les cinq oblervations, n’alloit pas à 2 fecondes; & prenant le milieu, langle entre les mires étoit de 5° 29 52,7. Or, felon la conftruction de M. Graham, dont il nous avoit avérti; l'arc de 5° fur fon limbe , eft trop petit de 33; retranchant donc de l'angle obfervé entre les mires, 34, cet angle eft de 5° 29° 48, 05: & ayant calculé cet angle, on le trouve de 5°29° 50°, ceft-à-dire, qu'il différe de #5 de langle obfèrvé. On s'étonnera peut-être qu'un Seéteur, qui étoit de 5° 29/ 56"4 dans un climat auffi tempéré que celui de Londres, & divilé dans une chanibre, qui vrai-femblablement n'étoit pas froide, fe foit encore trouvé précifément de la même quantité à Torne@, lorfque nous en avons fait la vérification. Les parties de ce Secteur étoient fûrement contraétées par le froid, dans ce dernier temps. Mais on ceffera d’être furpris, fi l’on fait attention que ? L\s (0/2 ) FR SAS DAS (ls re ÿ ES LE CAR = ne 2 \ Re Es ÈS Sur NAT Ÿ EN me Lun Le ù MEN ke mm nn “ TEE LE GE ch 98 SUR BaArC: OM ET. E, ous avez fouhaité, Madame, que je vous parlaffe de la Co- mète qui fait aujourd’hui le fujet de toutes les converfätions de Paris, & tous vos defirs font pour moi des ordres. Mais que vous dirai-je de cet Aftre? Rechercherai-je les in- re qu'il peut avoir, ou les événemens dont il peut être le préfage? Un autre Aftre a décidé de tous les événemens de ma vie; mon fort dépend uniquement de celui-là; j'abandonne aux Comè- tes le fort des Rois & des Empires. Il n’y a pas un fiècle que l'Aftrologie étoit en vogue à la Cour & à la Ville. Les Aftronomes, les Philofophes, & les Théolo- giens, s’accordoient à regarder les Comètes comme les caufes ou les fignes de grands événemens. Quelques-uns feulement rejet- toient l'application qu’on failoit des Règles de l’Aftrologie, pour deviner par elles les événemens qu’elles annonçoient. Un Auteur moderne, célébre par fà piété & par fà fcience dans l’Aftronomie, étoit de cette opinion; & eroyoit cette curiofité plus capable d’of- fenfèr Dieu, déjà irrité, que d’appailer fa colère. Il n’a pu cepen- Oeuv. de Maupert. À a dant 186 S'ÉSTELRE “JS dant s’empécher de nous donner des Lifies de tous les grands évé- nemens que les Comètes ont précédés ou fuivis de près. * Ces Aftres, après avoir été fi long-tems la terreur du Monde, font tombés tout-à-coup dans un tel difcrédit, qu'on ne les croit plus capables de caufer que des rhumes. On neft pas d’humeur au- jourd'hui à croire que des Corps auffi éloignés que les Comètes, puiflent avoir des influences füur les chofes d’'ici-bas, ni qu'ils foient des fignes de ce qui doit arriver. Quel rapport ces Afres auroient- ils avec ce qui fe pañfe dans les Confeils & dans les Armées des Rois ? Je n’examine point la poffibilité métaphyfique de ces chofes, fi lon comprend Pinfluence que les Corps les moins éloignés ont les uns fur les autres; ni fi lon comprend celles que les Corps ont fur les Efprits, dont nous ne faurions cependant douter, & dont dépend quelquefois tout le bonheur ou le malheur de notre vie. Mais il faudroit, à l'égard des Comètes que leur influence fût connue, ou par la Révélation, ou par la Raïfon, ou par l'Expéri- ence; & l’on peut dire qu'aucune de ces fources de nos connoiffan- ces ne nous l’a fait connoitre. Il eft bien vrai qu'il y a une connexion univerfelle entre tout ce qui eft dans la Nature, tant dans la Phyfique que dans le Moral: cha- que événement lié à celui qui le précéde, & à celui qui le fuit, nef qu'un des anneaux de la chaîne qui forme lordre & la fuccefion des chofes: s'il métoit pas placé comme il eft, la chaîne feroit difié- rente, & appartiendroit à un autre Univers. Les Comètes ont donc un rapport néceflaire avec tout ce qui fe pale dans la Nature. Mais le chant des Oifeaux, le vol des Mouches, le moindre Atôme qui nage dans l'air, tiennent auffi aux plus grands événemens: & il ne feroit pas plus déraifonnable de les confüulter que les Comètes. C’eft en-vain que nous avons l'idée d’un tel enchaïnement entre les chofes, nous n’en faurions tirer aucune utilité pour les prévoir lorfque leurs rapports font fi éloignés; nous trouverons des Règles plus füures, fi nous nous contentons de tirer les événemens de ceux qui les touchent de plus près. On peut comparer les Aftrologues aux Adeptes, qui veulent tirer l'or des matières qui n’en contiennent que les principes & les * Riccioli Amagef. Lib. VIII, Cap. DL. & V. plus SURËLA COMETE. 187 plus légéres femences; ‘ils perdent leur peine & leur temps, pendant que le Chimifte raifonnable s'enrichit à tirer l'or des terres & des pierres où il eft déjà tout formé. La prudence confifte à découvrir la connexion que les chofes ont entreelles, mais c’eft folie aux hommes de l'aller chercher trop loin: il n’appartient qu’à des Intelligences fupérieures à la nôtre, de voir la dépendance des événemens d’un bout à lautre de la chaîne qui les contient. Je ne vous entretiendrai donc point, Madame, de cette efpèce d'influence des Comètes ; je ne vous parlerai que de celles qui font à notre portée, & dont on peut donner des raïfons Mathémati- ques ow Phyfiques. Tnrcerai point non plus dans le détail de toutes les étranges idées que quelques-uns ont eues fur l’origine & fur la nature des Comètes. Képler, à qui d’ailleurs l'Aftronomie à de fi grandes obligations, trouvoit raifonnable, que comme la Mer a fes Baleines & fes Mon- ftres, l'Air eut auffi les fiens. Ces Monftres étoient les Comètes; & il explique comment elles font engendrées de l’excrément de l'Air par wne Faculté animale. Quelques-uns ont cru que les Comètes étoient créées exprès toutes les fois qu'il étoit néceffaire, pour annoncer aux hommes les deffeins de Dieu, & que les Anges en avoient la conduite. Ils ajoutent que cette explication réfoud toutes les difficultés qu'on peut faire fur cette matière. * * Enfin, pour que toutes les abfurdités poffibles fur cette matière fuffent dites, il y en a qui ont nié que les Comètes exiftaffent, & qui ne les ont prifes que pour de fauffes apparences caufées par la réflexion ou réfraction de la Lumière. Eux feuls comprennent comment fe fait cette réflexion ou réfraction, fans qu'il y ait des corps qui la caufent. * * * Pour Ariftote, il affuroit que les Comètes étoient des Météores formés des exhalaifons de la Terre & de la Mer; & ç'a été, comme Aa 2 on #* Mefllinus, Tannerus, Arriaga Sc. SX Panætius, 188 LE D TR:E on peut croire, le fentiment de la foule des Philofophes qui n’ont cru ni penfé que d’après lui. | Plus anciennement, on avoit eu des idées plus juftes des Co- mèêtes. Les Chaldéens, à ce qu'on prétend, favoient qu'elles étoi- ent des Aftres durables, & des espèces de Planètes, dont ils étoient parvenus à calculer le cours. Sénèque avoit embrañé cette opinion, & nous parle des Comètes d’une manière fi conforme à tout ce qu'on en fait aujourd’hui, qu’on peut dire qu’il avoit deviné ce que Pexpérience & les obfervations des Modernes ont découvert: après avoir établi que les Comètes font de véritables Planètes, voici ce qu'il ajoute. » »Devons-nous donc être furpris fi les Comètes, dont les appari- »tions font fi rares, ne femblent point encore fourifes alles loix »conftantes ; & fi nous ne pouvons encore déterminer le cours »d'Afîtres dont les retours ne fe font qu'après de fi grands intervalles ? Il n'y a pas encore 1500 ans que les Grecs ont fixé le nombre des »Etoiles, & leur ont donné des noms : plufieurs Nations, encore saujourd'hui, ne connoiflent du Ciel que ce que leurs yeux en säpperçoivent, & ne favent ni pourquoi la Lune difparoit en certains stems, ni quelle eft ombre qui nous la cache. Ce n’eft que de- puis peude tems que nous mêmes avons füur cela des connoiffances Certaines: un jour viendra, où le temps & le travail auront appris »Ce que nous ignorons. La durée de notre vie ne fuffit pas pour découvrir de fi grandes chofes, quand elle y feroit toute employée. »Qu’en peut-on donc efpérer, lorfqu’on en fait un miférable par- »tige entre l'Etude & les Vices. * } Je vai maintenant, Madame, vous expliquer ce que lAftrono- mie & la Géométrie nous ont appris fur les Comètes. Et à ce qui ne fera pas démontré mathématiquement, je tâcherai de fuppléer par ce qui paroïîtra de plus probable ou de plus vraifemblable. Vous verrez peut-être, qu'après avoir longtems trop refpe@é les Come- tes, on eft venu tout à coup à les regarder comme trop indifiérentes. Pour vous donner une idée de l'importance de ces Aftres, il faut cominencer par vous dire, qu'ils ne font pas d’une nature inférieure à celle des Planètes, ni à celle de notre Terre. Leur origine paroît * Seneca Natur. Quefi. Lib. VII. auf SUR LACOMETE. 189 auf ancienne, leur groffeur furpañfe celle de plufieurs Planètes; la matiére qui les forme a la même folidité; elles pourroient même, comme les Planètes, avoir leurs habitans; enfin, fi les Planètes pa- roïffent à quelques égards avoir quelqu’avantage fur les Comètes, celles-ci ont fur les Planètes des avantages réciproques. Comme les Comètes font une partie du Syftème du Monde, on ne fauroit vous les faire bien connoitre fans vous retracer ce Syftè- me en entier. Mais je voudrois, pour vous faciliter la chofe , que vous eufliez en même tems devant les yeux la Carte du Syftème Solaire de M. Halley, où font marquées les routes des Comètes, que M. de Bellé vient de faire graver, avec la traduction qu'il a faite de l'explication de cette curieufe Carte. Le Soleil eft un Globe immen{e formé d’un feu célefte, où d’une matière plus fémblable au feu, qu’à tout ce que nous comnoiffons. Tout immenfe qu'il eft, il n'occupe qu’un point de l’efpace in- finiment plus immenfe que lui dans lequel il eft placé; & l'on ne peut dire que le lieu qu’il occupe, foit ni le centre ni l'extrémité de cet efpace; parce que, pour parler de centre & d'extrémité, il faut qu'il y ait une figure & des bornes. Chaque Etoile fixe eft un Soleil femblable, qui appartient à un autre Monde. Pendant que notre Soleil fait fur fon axe une révolution dans lefpace de 253 jours, la matière dont il eft formé s'échappe de tous côtés, & s’élance par jets qui s'étendent jufqu’à de grandes diftances, juiqu’à nous, & bien par delà. Cette matière qui fait la lumière, va d’une fi prodigieufe rapidité, qu'elle n’emploie qu’un demi quart d'heure pour arriver du Soleil à la Terre. Elle eft réfléchie lor£- qu'elle tombe fur des Corps qu’elle ne peut traverfer, & c’eft par elle que nous appercevons les Corps opaques des Planètes qui la renvoi- : ent-a nos yeux, lorfque le Soleil étant caché pour nous fous lautre Hémifphère, permet à cette foible lueur de {e faire appercevoir. On compte fix de ces Planètes, qui n’ont de lumière que celle qu'elles reçoivent du Soleil : ce font Mercure, Vénus, la Terre, qu'on ne peut fe difpenfer de placer parmi elles, Mars, Jupiter, & Saturne. Chacune décrit un grand orbe autour du Soleil, & tou- tes placées à des diftances différentes, font leurs révolutions autour Aa 3 de 190 ST CÉRENTRR IE de lui dans des tems différens. Mercure qui eft le plus proche , fait fa révolution en trois mois. Aprés l’orbe de Mercure eft celui de Vénus , dont la révolution eft de huit mois. L’orbite de la Terre placée entre celle de Vénus & celle de Mars, eft parcourue dans un an par la Planète que nous habitons. Mars emploie deux ans à ache- ver fon cours, Jupiter douze, & Saturne trente. Une circonftance remarquable dans les révolutions que font ces Aftres autour du Soleil, c’eft que tous la font dans ie méme fens. Cela a fait penfer à une fameufe Secte de Philofophes, que les Plane- tes nageoient dans un grand Tourbillon de matière fluide, qui tournant autour du Soleil, les emportoit & étoit la caufe de leur mouvement. Mais outre que les loix du mouvement des Planètes, bien exa- minées, ne saccordent pas avec un pareil Tourbillon, vous verrez dans un moment que le mouvement des Comètes en prouve limpoffibilité. Plufieurs Planètes en parcourant leurs orbites autour du Soleil, tournent en même tems fur leur axe: peut-être méme toutes ont- elles une femblable révolution. Mais on n’en eft afluré que pour la Terre qui y emploie vingt-quatre heures, pour Mars qui y en emploie vingt-cinq, pour Jupiter qui y en emploie dix, & pour Vénus. Quoique tous les Aftronomes s'accordent à donner à cette dernière Planète une révolution autour de fon axe, dont ils fe {ont affurés par la diverfité des faces qu’elle nous préfente, ils ne font pas cependant encore d'accord fur le tems de cette révolution, les uns la faifant de vingt-trois heures, & les autres de vingt-quatre jours. Je n'ai point parlé ici de la Lune: c’eft qu'elle n'eft pas une Pla- nète du prémier ordre ; elle ne fait pas immédiatement fà révolu- tion autour du Soleil; elle la fait autour de la Terre, qui pendant ce tems- là l'emporte avec elle dans l'orbite qu’elle parcourt. On appelle ces fortes de Planètes, Secondaires ou Satellites: & comme ja Tetre en a une, Jupiter en a quatre, & Saturne cinq. Ce n'eft que de nos jours qu'on a découvert les loix du mouve- ment des Planètes autour du Soleil; & ces loix de leur mouvement découvertes par lheureux Képler, en ont fait découvrir les caufes au grand Newron. Il SUR TA" GOME T E 191 1! a démontré que pour que les Planètes fe muffent comme elles fe meuvent autour du Soleil, il falloit qu'il y eût une force qui les tirât continuellement vers cet Aftre. Sans cela, au lieu de décrire des lignes courbes, comme elles font, chacune décriroit une ligne droite, & s’éloigneroit du Soleil à l'infini. 11 a découvert la pro- portion de cette force qui retient les Planètes dans leurs orbites, & a trouvé par elle la nature des courbes qu’elle doit néceflairement faire décrire aux Planètes. Toutes ces courbes fe réduifent aux fedions coniques; & les obfervations font voir que toutes les Planètes décrivent en effet au- tour du Soleil des Elliples, qui font des courbes ovales qu’on forine en coupant un Cone par un plan oblique à fon axe. On prouve par la Géométrie, que le Soleil ne doit point être au centre de ces Ellipfes ; qu'il doit étre vers l’une des extrémités, dans un point qu’on appelle le foyer ; & ce foyer eft d'autant plus près de l'extrémité de l'Ellipfe, que l'Ellipfe eft plus allongée. Le Soleil fe trouve en effet dans ce point: delà vient que dans certains tems de leur révolution , dans certaines parties de leurs orbites, qu'on appelle leurs Persbelies, les Planètes fe trouvent plus proches du Soleil , & que dans d’autres (lorfqw'elles font dans leurs Aphélies) elles en font plus éloignées. Quant aux fix Planètes que nous ve- nons de nommer, ces différences d’éloignement ne font pas fort confidérables, parce que les Ellip{es qu’elles décrivent font peu al- longées, & ne s’écartent pas beaucoup de la figure circulaire. Mais la même loi de force qu'on a découverte; qui leur fait décrire ces Ellipfes, leur permettant de décrire des Ellipfes de tous les degrés d’allongement, il y auroit de quoi s'étonner des bornes qu’il femble- roit que la Nature auroit miles à l'allongement des orbites, fi lon ne trouvoit une plus grande diverfité dans les orbites que décrivent de nouveaux Afkres. Ce font les Comètes qui viennent remplir ce que le calcul avoit prévu, & qui fembloit manquer à la Nature. Ces nouvelles Pla- nètes affujetties toujours à la même loi que les fix autres, mais ufant de toute la liberté que permet cette loi, décrivent autour du Soleil des Ellipfes fort allongées, & de tous les degrés d’allongement. Le 192 ÉÉECTÈTR E Le Soleil placé au foyer commun de toutes les Ellipfes, à peu près circulaires, que décrivent les fix prémières Planètes, {e trouve toujours placé au foyer de toutes les autres Ellipies que décrivent les Comètes. Le mouvement de ces dernières autour de lui, fe trouve règlé par les mêmes loix que le mouvement des autres: leurs orbites une fois déterminées par quelques oblervations , on peut calculer pour tout le refte de leur cours leurs différens lieux dans le Ciel; & ces lieux répondent à ceux où en effet on a obiervé les Comètes, avec la même exactitude que les Planètes répondent aux lieux du Ciel, où lon a calculé qu’elles devoient étre. * Les feules différences qui fe trouvent entre ces nouvelles Plane- tes &les prémières, font 1. que .leurs orbites étant beaucoup plus allongées que celles des autres, & le Soleil fe trouvant par-là beau- coup plus près d’une de leurs extrémités, les diftances des Comètes au Soleil font beaucoup plus différentes dans les différentes parties des orbites qu’elles décrivent. Quelques-unes (celle de 1680.} fe font approchées de cet Aftre à tel point, que dans leur Péribélie elles n’étoient pas éloignées du Soleil de la fixiéme partie de fon diamètre. Après s’en étre ainfi approchées, elles s’en éloignent à des diftances immenfes, lorfqu’elles vont achever leur cours au- delà des Régions de Saturne. On voit par-là, que fi les Comètes font habitées par quelques efpèces d'Animaux vivans, il faut que ce foient des Etres d'une complexion bien différente de la nôtre, pour pouvoir fupporter toutes ces viciffitudes : il faut que ce foient d’étranges corps. 2. Les Comètes emploient beaucoup plus de tems que les Planè- tes à achever leurs révolutions autour du Soleil. La Planète la plus lente, Saturne, achève fon cours en 30. ans; la plus promte des Comètes emploie vraifemblablement 75. ans à faire lefien. Ily a beaucoup d’apparence que la plupart y emploient plufeurs fiècles. C’eit la longueur de leurs orbites, & la lenteur de leurs révolu- tions, qui font caufe qu'on n’a pu encore s’aflurer entièrement du retour des Comètes. Au-lieu que les Planètes ne s’éloignent jamais des régions où notre vue peut s'étendre, les Comètes ne paroiffent à nos yeux que pendant la petite partie de leur cours qu'elles décri- vent $S URE #4 TOME TE 193 vent dans le voifinage de la Terre: le refte s'achève dans les dernières régions du Ciel. Pendant tout ce tes, elles font perdues pour nous: & lorique quelque Comète vient à reparoître, nous .ne pou- vons Ja reconnoître , qu’en cherchant dans les tems antérieurs les Comètes qui ont paru après des périodes de tems égales, & en comparant le cours de celles qui paroït au cours de celles-là, f lou en a des obiervations fufhiantes. C’eit par ces moyens qu’on eft parvenu à croire avec beaucoup de probabilité, que la période de la Comète qui parut en 1682. eft d'environ 75. ans: c’eft parce qu’on trouve qu’une Comète qui avoit dans fon mouvement les mêmes fymptômes , avoit paru en 1607. une en 1531. & une en 1456. il eft fort vraifemblable que toutes ces Comètes ne font que la même: on en fera plus {ür, f elle reparoit en 1757. OU 1758. C'eft fur des raifons pareilles, mais fur une induction moins forte, que M. Hälley a fupçonné que les Comètes de 1661. & de 1532 n'étoient que la même qui employeroit 129. ans a faire fà révolution autour du Soleil. Enfin, l’on a poufñé plus loin les recherches fur la Comète qui parut en 1680. & l’on trouve un affez grand nombre d’apparitions après des intervalles de tems égaux, pour conjeturer, avec beau- coup de vraifemblance, que le tems de {à révolation périodique autour du Soleil, eft de 575. ans. Ce qui empêche que ces conjectures m’aient la force de la cer- titude, c’eft le peu d’exactitude qu'ont apporté les Anciens aux oblervations des Comètes. Ils s’appliquoient bien plus à marquer les événemens que ces Aftres avoient prédits à la Terre, qu’à bien marquer les points du Ciel oùils s'étoient trouvés. _ Ce n’eft que depuis Ticho.qu’on a des obfervations des Comè- tes fur lefquelles on peut compter, & ce n’eft que depuis Newton qu’on a les principes de la théorie de ces Aftres. Ce n’eft plus que du tems qu'on peut attendre, & des obfervations fufffantes, & la perfection de cette théorie. Ce n’eft pas affez que les connoiffances mêmes qui font permifes aux hommes leur coutent tant de travail il faut que parmi ces connoiffances il s’en trouve où toute leur in- Oeuv. de Maupert. Bb duftrie 194 41 CENTER E duftrie & tous leurs travaux ne fauroient feuls parvenir, & dont ils ne doivent obtenir la poffeffion que dans une certaine époque des tems. Si cependant l’Aftronomie des Comètes eft encore éloignée de fa perfection, fi lon n’eft point encore parvenu à calculer exactement leur cours, nous devons étre affez contens de l’exactitude avec la- quelle on peut déterminer des parties confidérables de la route que tient chaque Comète. Aflujettie comme elle eft à la méme loi qui fait mouvoir tous les autres Corps Céleftes , dès qu'une Comète a paru, & a marqué fon orbite par quelques points du Ciel où elle a été obfervée, on achéve par la théorie de déterminer fon cours: & pour toutes les Comètes dont on a eu les obfervations fuffifantes, l'événement a répondu à l'attente & au calcul, auffi longtems & auffi loin que notre vue a pu les fuivre. ‘ Vous me demanderez peut-être, pourquoi donc on n’a pas la grandeur entière des orbites qui décrivent les Comètes, & le tems précis de leur retour? Ce n’eft pas la faute de la théorie , c’eft celle des obfervations, des inftrumens dont nous nous fervons, & de la débilité de notre vue. Les Ellipfes fort allongées que les Comètes décrivent, appro- chent tant des paraboles, que dans la partie de leurs cours où elles nous font vifibles, nous n’en faurions appercevoir la différence. II en eft de ces Aftres comme de Vaifleaux qu’on verroit partir pour de longs voyages. On pourroit bien par les commencemens de leurs routes, juger en général vers quelles régions de la Terre ils vont: mais on ne fauroit avoir une connoiffance exacte de leur voyage, que lorfqu’on les verroit s’écarter de la route qui eft com- mune à plufieurs Pays où ils pourroit également aller. Les parties de leur route que les Comètes décrivent à la portée de notre vue, font communes à des Ellipfes qui font, comme lon fait, des courbes fermées, & à des Paraboles qui s'étendent à l'infini, dans lefquelles il n’y a point de retour des Comètes à efpérer. Et lon calcule leurs lieux, comme fi elles décrivoient réellement ces dernières courbes; parce que les points où fe trouvent les Comè- tes, font {enfiblement les mêmes, & que les calculs en font beau- coup plus faciles. Mais SURLA COMETE. 195 Mais fi nos yeux pouvoient füivre plus loin les Comètes, ou qu'on püt les obferver avec des inftrumens plus parfaits, on les ver: roit s'écarter des routes paraboliques pour en fuivre d’elliptiques, & lon féroit en état de connoître la grandeur € 5 Ellipfes & le retour des Aftres qui les décrivent. On ne fauroit douter de la vérité de cette théorie, fi l’on exa- mine l’accord merveilleux qui fe trouve entre le cours obiervé de plufieurs Comètes, & leurs cours calculés par M. Newton *. Ainf je n’allongerai point cette Lettre du fatras des Syftèmes que différens Aftronomes avoient forgés fur le mouvement des Comètes. Les opinions de ceux qui les regardoient comme des Météores, n’étoient pas plus ridicules ; & tous ces Syflèmes font auffi contraires à la Raïlon, que démentis par Expérience. Le cours règlé des Comètes ne permet plus de les regarder comme des préfages, ni comme des flambeaux allumés pour mena- cer la Terre. Mais dans le tems qu’une connoiffance plus parfaite des Comètes, que celle qu'avoient les Anciens, nous empêche de les regarder comme des préfages furnaturels, elle nous apprend qu’elles pourroient être des caufes phyfiques de grands événemens. Prefque toutes les Comètes dont on a les meilleurs obfervations, lorfqu’elles font venues dans ces régions du Ciel, fe font beaucoup plus approchées du Soleil, que la Terre n’en eft proche. Elles ont prefque toutes traver{é les orbites de Saturne, de Jupiter, de Mars & de la Terre. Selon le calcul de Mr. Halley, la Comète de 1680. pañla le 11 Novembre fi près de l’orbe de la Terre, qu’elle s’en trouva à la diftance d’un demi diamètre du Soleil. ,,* * Si alors cette Co- imète eût eu la même longitude que la Terre, nous lui aurions »trouvé une parallaxe auffi grande que celle de la Lune. Ceci, vajoute-1-1l, eft pour les Aftronomes; je laiffe aux Phyfciens à »£xaminer ce qui arriveroit à l'approche de tels corps, dans leur contact, ou enfin s'ils venoient à & choquer: ce qui n’eft nulle- »ment impoffble. Bb 2 C’eft * Voyez les Tables du Mouvement de plafieurs Comiètes, dans le Livre des Principes de la Philofophie Naturelle. Liv. III. Prop. XLL & XLII. ** Tranfaët, Philof. N°. 297. 196 LETTRE C’eft par le calcul que ce grand Aftronome a fait des orbites des vingt-quatre Comètes dont on avoit des obfervations fuffifäntes, qu'il a conclu que ces Aftres fe meuvent en tous fens & dans toutes ks directions; leurs orbites n’aiant de commun que d’être toutes décrites autour du Soleil. Je vous ait dit qu'une grande Secte de Philofophes avoit cru que tous les Corps Céleftes de notre Monde ne fe mouvoient que parce qu’ils étoient entraïnés dans un vafte tourbillon de matière fluide qui tournoit autour du Soleil. Leur opinion étoit fondée fur ce que le mouvement de toutes les Planètes fe fait dans la même direction que celui du Soleil autour de fon axe. Quoique le fait en général foit vrai, les Planètes ne fuivent pas exactement la di- rection du mouvement qu’elles devroient fuivre, fi elles étoient emportées par un mouvement général de tourbillon: elles devroient toutes fe mouvoir dans le même plan, qui feroit celui de Equateur Solaire, ou du moins elles devroient fe mouvoir dans des plans paralléles à celui-là. Elles ne font ni Pun ni lautre. Etcela embarraffe déja beaucoup les Philofophes de cette Secte. Un Grand- Homme * a effayé de fauver TObliquité des routes que tiennent les Planètes à Pégard du plan de PEquateur Solaire; & l’on peut admirer la fagacité &les reffources qu’il a employées pour défendre le tourbillon con- tre cette objection.- Mais il y a une autre objection invincible: c’eft que les Comé- tes, non feulement ne fuivent point cette direction commune dans leur mouvement; mais encore qu’elles fe meuvent librement dans toutes fortes de directions; les unes fuivant l’ordre des Signes dans des plans peu inclinés au plan de l’Equateur Solaire, les autres dans des plans qui lui font prefque perpendiculaires. Enfin il y en adont le mouvement eft tout-à-fait retrograde, qui fe meuvent dans une direction oppofée à celle des Planètes, & du prétendu tourbillon. Il faudroit que celles-ci remontaffent contre un Torrent dont la rapidité eft extrème, fans en éprouver aucun retardement. Ceux qui Ed * Mr. ‘fean Bernouilli dans la Pièce qui à partagé le prix fux l'inclinaifon des Orbites des Planères, S CRM COMETE 197 qui croiroient une telle chofe poffible , n’ont qu'à faire l’expérience de remonter une barque contre le courant d’un fleuve. Je fai que quelques Aftronomes ont cru que ces mouvemens re- trogrades des Comètes pouvoient n’ètre retrogrades qu’en appa- rence, & être en effet direëts, comme on obierve que font les mou- vemens des Planètes dans quelques unes de leurs fituations par rap- port à la Terre. Cela fe pourroit croire, s’il étoit permis de pla- cer les Comètes comme on le le juge à propos en-deçà ou au-delà du Soleil; & fi placées dans ces différens endroits, elles pouvoient fatisfaire également aux loix néceffaires du mouvement des Corps Céleftes. Mais la choiè mieux examinée, & calculée, comme elle Pa été par Mrs. Newton & Halley, on voit l’impoffibilité de placer lès Comètes où le zèle pour les tourbillons l'exigeroit; & l’on eft réduit à la néceflité d’en admettre qui foient réellement retrogrades. Dans cette variété de mouvemens, on voit affez qu’il eft poffible qu'une Comète rencontre quelque Planète, ou même notre Terre fur fà route; & l’on ne peut douter qu’il n’arrivât de terribles acci- dens. À la fimple approche de ces deux Corps, il fe feroit fans doute de grands changemens dans leurs mouvemens, foit que ces changemens fuflent caufés par l'attraction qu'ils exerceroient l’un fur l'autre, foit qu'ils fuffent caulés par quelque fluide refferré entre eux. Le moindre de ces mouvemens n’iroit à rien moins qu'à chan- ger la fituation de l'axe & des poles de la Terre. Telle partie du Globe qui auparavant étoit vers l’Equateur, fe trouveroit après un tel événement vers les Poles; & telle qui étoit vers les Poles, fe trouveroit vers l’'Equateur. L'approche d'une Comète pourroit avoir d’autres fuites encore plus funeftes. Je ne vous ai point encore parlé des Queues des Comètes. Il y a eu fur ces queues, auff-bien que fur les Comètes, d'étranges opinions; mais la plus probable eft que ce font des tor- rens immenfes d’exhalaifons, & desvapeurs, que l’ardeur du Soleil fait fortir de leur corps. La preuve la plus forte en eft, qu'on ne voit ces queues aux Comètes que lorfqu'’elles fe font affez appro- chées du Soleil, qu’elles croiflent à mefüure qu’elles s’en approchent, & qu'elles diminuent & fe diffipent lorfqu’elles s’en éloignent. Bb 3 Une 198 N°9 ÉSBÉDÈTUR E Une Comète accompagnée d’une queue peut pañler fi près de la Terre, que nous nous trouverions noyés dans ce torrent qu’elle traine avec elle, ou dans une athmofphère de même nature qui l'environne. La Comète de 1680. qui approcha tant du Soleil, en éprouva une chaleur vingt-huit mille fois plus grande que celle que la Terre éprouve en Eté. M. Newton, d’après différentes expériences qu’il a faites fur la chaleur des Corps, ayant calculé le degré de chaleur que cette Comète devoit avoir acquife, trouve qu’elle devoit étre deux mille fois plus chaude qu’un fer rouge; & qu'une mafle de fer rouge groffe comme la Terre employeroit 50000. ans à fe refroidir. Que peut-on penfer de la chaleur qui reftoit encore à cette Comète, lorfque venant du Soleil elle traverfa Porbe de la Terre? Si elle eût paflé plus près, elle auroit réduit R Terre en cendres, ou l’auroit vitrifiée ; & fi fà queue feulement nous eût atteints, la Terre étoit inondée d’un fleuve brulant, & tous fes habitants morts. C’eft ainfi qu’on voit périr un peuple de fourmis dans l’eau bouillante que le Laboureur verle fur elles. Un Auteur fort ingénieux a fait des recherches hardies & fin- gulières fur cette Comète qui penfà bruler la Terre *. Remontant depuis 1680. tems auquel elle parut, il trouve une Comète en m06 une en 531. ou 532. & une à la mort de Jules-Céfar, 44. ans avant Jéfus-Chrift. Cette Comète prife avec beaucoup de vraifemblance pour la même, auroit fes périodes d'environ 575. ans, & la feptième période depuis 1680. tombe dans l’année du Déluge. On voit affez après tout ce que nous avons dit, comment l’Auteur peut expliquer toutes les circonftances de ce grand évé- nement. La Comète alloit vers le Soleil, lorfque paflant auprès de la Terre, elle l’inonda de fa queue & de fon athmofphère , qui n’avoient point encore acquis le degré de chaleur dont nous venons de parler ; & caufà cette pluyede 40. jours dont il eft parlé dans Y'Hiftoire du Déluge. Mais M. Whiflon tire encore de l'approche de cette Comète, une circonftance qui achève de fatisfaire à la ma- nière dont les Divines Ecritures nous apprennent que le Déluge arriva. * A nem Theory of the Earth, by Whifion. S ERA COMETE 199 arriva, L’attraction que la Comète & la Terre exerçoïent lune fur l'autre, changea la figure de celle-ci; & lallongeant vers la Comè- te, fit crever fa furface, & fortir les eaux fouterraines de l'Abîme. Non feulement lAuteur dont nous parlons a tenté d’expliquer ainfi le Déluge, il croit qu’une Comète, & peut-être la même, re- venant un jour du Soleil, & en rapportant des exhalaifons brulantes & mortelles, caufera aux habitans de la Terre tous les malheurs qui leur fon prédits à la fin du Monde, & enfin l'incendie univerfel qui doit confumer cette malheureufe Planète. Si toutes ces penfées font hardies, elles n’ont du moins rien de contraire , ni à la Raïfon, ni à ce qui doit faire la règle de no- tre Foi & la conduite de nos Mœurs. Dieu fe fervit du Déluge pour exterminer une race d'hommes dont les crimes méritoient {es châtimens ; il fera périr un jour d’une manière encore plus terrible & {ans aucune exception tout le Genre-humain: mais il peut avoir remis les effets de fon courroux à des Caufes Phyfiques; & celui qui ef le Créateur & le Moteur de tous les Corps de l'Univers, peut avoir tellement règlé leur cours, qu’ils cauferont ces grands évé- nemens lorfque les tems en feront venus. R " Si vous n'êtes pas convaincue, Madame, que le Déluge & Ia Conflagration de la Terre dépendent de la Comète , vous avouerez du moins, je crois, que fa rencontre pourroit caufer des accidens affez femblables. Un des plus grands Aftronomes du Siècle, M. Grégory, 4 parlé des Comètes d’une manière à les rétablir dans toute la répu- tation de terreur où elles étoient autrefois. Ce Grand-Homme qui a tant perfectionné la théorie de ces Aftres, dit dans un des Corollaires de fon excellent Ouvrage, »D'où il fuit que fi la queue de quelque Comète atteignoit notre vathmofphère, (ou fi quelque partie de la matiére qui forme cette squeue répandue dans les Cieux, y tomboit par fà propre pefanteur) »les exhalaifons de la Comète mélées avec l'air que nous refpi- »Ons, y cauferoient des changemens fort fenfibles pour les Ani- »maux & pour les Plantes: car il eft fort vraifemblable que des »vapeurs apportées de Régions fi éloignées & fi étrangères, & ex- HCitées 200 Li.H) D TXR E citées par une fi grande chaleur, feroient funeftes à tout ce qui fe strouve fur la Terre, ainfi nous pourrions voir arriver les maux dont on a obfervé dans tous les tems & chez tous les Peuples ;qu'étoit fuivie l'apparition des Comètes ; & il ne convient point à des »Philofophes de prendre trop légérement ces chofes pour des fables *. Quelque Comète paffant auprès de la Terre, pourroit tellement altérer fon mouvement, qu’elle la rendroit Comète elle - même. Au-lieu de continuer fon cours comme elle fait dans une région uniforme & d’une température proportionnée aux hommes & aux différens animaux qui habitent, la Terre expofée aux plus grandes viciffitudes, tantôt brulée dans fon périhélie , tantôt glacée par le froid des dernières régions du Ciel, iroit ainfi à jamais de maux en maux différens, à moins que quelque autre Comète ne changeît encore fon cours, & ne la rétablit dans fa prémiére uniformité. Il pourroit arriver encore un malheur à la Planète que nous habitons. Ce feroit fi quelque groffle Comète paffant trop près de la Terre, la détournoit de fon orbite , lui faifoit faire fà révolution autour d'elle, & fe laffujettifloit, (oit par l’attration qu’elle exer- ceroit fur elle, foit en l’enveloppant dans fon tourbillon, fi lon veut encore des tourbillons. La Terre alors devenue Satellite de la Comète, feroit emportée avec elle dans les régions extrèmes qu'elle parcourt: trifte condition pour une Planète qui depuis fi longtems habite un Ciel tempéré. Enfin la Comète pourroit de la même manière nous voler notre Lune: & fi nous en étions quites pour cela, nous ne devrions pas nous plaindre. Mais le plus rude accident de tous feroit qu'une Comète vint choquer la Terre, { brifèr contre, & la brifèr en mille pièces. Ces deux corps feroient fans doute détruits; mais la gravité en reformeroit aufli-tôt une ou plufieurs autres Planètes. Si jamais la Terre n’a encore efluyé ces dernières cataftrophes, on ne peut pas douter qu’elle n’ait éprouvé de grands bouleverfe- mens. Les empreintes des Poiflons, les Poiflons mêmes pétrifiés qu’on trouve dans les lieux les plus éloignes de la Mer, & jufques fur * Gregory Afirou. Phyfig. Lib. V. Corol. II. Prop. 1. S UMRMEPAT GORE TE. 201 fur le fommet des Montagnes , font des médailles inconteftables de quelques uns de ces événémens. Un choc moins rude, . qui ne briferoit pas entièrement notre Planète, cauferoit toujours de grands changemens dans la fituation des Terres & des Mers; les Eaux, pendant une telle fecouffe, s’élé- veroient à de grandes hauteurs dans quelques endroits, & inonde- roient de vaftes régions de la furface de la Terre, qu’elles abandon- neroient après : c’eft à un tel choc que M. Halley attribue la caufe du Déluge. La difpofition irrégulière des couches des différentes matières dont la Terre eft formée, l’entaflement des Montagnes, reffemblent en effet plutôt à des ruïnes d’un ancien Monde, qu'à un état primitif. Ce Philofophe conjedure que le froid exceffif qu'on obièrve dans le Nord-Oueft de l'Amérique, & qui eft fi peu propor- tionné à la latitude fous laquelle font aujourd’hui ces lieux, eft le refte du froid de ces Contrées qui étoient autrefois fituées plus près du Pole; & que les glaces qu’on y trouve encore en fi grande quantité, font les reftes de celles dont elles étoient autrefois cou- vertes, qui ne font pas encore entièrement fondues. = Vous voyez affez que tout ce qui peut arriver à la Terre, peut arriver de la même manière aux autres Planètes; fi ce n’eft que Ju- piter & Saturne, dont les mafles font beaucoup plus grofles que la nôtre, paroiffent moins expofés aux infultes des Comètes. Ce feroit un fpectacle curieux pour nous, que de voir quelque Co- mête venir fondre un jour fur Mars, ou Vénus, où Mercure, & les brifer à nos yeux, ou les emporter, & s’en faire des Satellites. Les Comètes pourroient porter leurs attentats jufqu’au Soleil : & quoiqu’elles ne fuffent pas aflez fortes pour l’entraîner avec elles, elles pourroient du moins le déplacer du lieu qu'il occupe, fi elles étoient aflez groffes, & pañoient affez près de lui. M. Newton nous raflure contre ce déplacement, par une conjecture à laquelle femble conduire l'Analogie entre les Comètes & les Planètes. Parmi celles-ci, les plus petites font celles qui font les plus proches du Soleil, les plus groffes en font les plus éloignées. M. Newton conjeéture qu'il en eft de-méme des Comètes; qu'il n'y a que les plus petites qui approchent fort de cet Afire, & Oeuv. de Maupert. Cc que 202 A 5 S EPPRPINRIE que les plus groffes font releguées à de plus grandes diftances, & n'en approchent jamais beaucoup: De peur, dit-il *, gwelles n'ébranlent trop le Soleil par leur attraélion. * Mais eft-il nécef- faire dans l'Univers que le Soleil ne foit point ébranlé? Doit-il jouit de cette prérogative ? Et en eft-ce une? Si l’on ne confidére les Corps Céleftes que comme des Maffes de Matière, leur immobilité eft-elle une perfeion ; leur mouvement ne vaut-il pas tout au moins leur repos ? Et fi l’on regardoit ces Corps comme capables de quelque fentiment, feroit-ce un malheur pour lun que d’éprou- ver l’'afcendant d’un autre ? Le fort de celui qui eft entrainé, ne vaut-il pas bien le fort de celui qui entraine. Vous avouerez , Madame, que les Comètes ne font pas des Aftres auffi indifférens qu’on les croit communément aujourd’hui. Tout nous fait voir quelles peuvent apporter à notre Terre, & à l'Oeconomie entière des Cieux, de funeftes changemens , contre lefquels l'habitude feule nous raflure. Mais c’eft avec raifon que nous fommes en fécurité. La durée de notre vie étant auffi courte qu'elle left, l'expérience que nous avons, que dans plufeurs mil- liers d’années il n’eft arrivé à la Terre aucun accident de cette efpèce fuffit pour nous empécher de craindre d’en être les témoins & les vitimes. Quelque terrible que foit le Tonnerre, fa chute eft peu à craindre pour chaque homme , par le peu de place qu'il occupe dans lefpace où la foudre peut tomber. De-même, le peu que nous occupons dans la durée immenfe où ces grands événe- mens arrivent, en anéantit pour nous le danger, quoiqu'il n'en change point la nature. Une autre confidération doit bannir notre crainte: c’eft qu'un malheur commun n'eft prefque pas un malheur. Ce féroit celui qu'un tempérament mal-à-propos trop robufte feroit furvivre feul à un accident qui auroit détruit tout le Genre-humain , qui feroit à plaindre. Roi de la Terre entière, pofleffeur de tous fes tréfors, il périroit de triftefle & d’ennui; & toute fà vie ne vaudroit pas le dernier moment de celui qui meurt avec ce qu'il aime. Je * Philof. Nat. Princip. Mathemat: Lib. III. Prop. XLI SUR#A COMETE 203 Je crains de vous avoir dit trop de mal des Comètes; je n'ai cependant aucune injuflice à me reprocher à leur égard; elles font capables de nous caufer toutes les cataftrophes que je viens de vous expliquer. Ce que je puis faire maintenant pour elles, : c’eft de vous parler des avantages qu’elles pourroiïent nous procurer, quoique je doute fort qûè vous foyez auffi fenfible à ces avantages, que vous le feriez à la perte d'un Etat où jufqu'ici vous avez vécu pañablement. Depuis cinq ou fix mille ans que notre Terre fe trouve placée comme elle eft dans les Cieux, que fes Saifons font les mêmes, que fes Climats font diftribués comme nous les voyons, nous y devons être accoutumés; & nous ne portons point d'envie à un Ciel plus doux, ni à un Printems éternel; cependant il ny auroit rien de fi facile à une Comète, que de nous procurer ces avantages. Son approche, qui, comme vous l'avez vu tantôt, pourroit caufer ici-bas tant de defordres, pourroit de la méme ma- nière rendre notre condition meilleure. 1. Un petit mouvement qu'elle cauferoit dans la fituation de la Terre, en relèveroit l'axe, & fixeroit les Saifons à un Printems continuel. 2. Un léger dépla- cement de la Terre dans Porbite qu'elle parcourt autour du Soleil, lui feroit décrire une orbite plus circulaire, & dans laquelle elle fe trouveroit toujours à la même diftance de cet Aftre dont elle re- çoit la chaleur & la lumière. 3. Nous avons vu qu’une Comète pour roit nous ravir-notre Lune; mais elle pourroit aufli nous en fervir, fe trouver condamnée à faire autour de nous fes révolutions, & à éclairer nos nuits. Notre Lune pourroit bien avoir été au com- mencement quelque petite Comète, qui pour s'être trop approchée de la Terre, s’y eft trouvée prife. Jupiter & Saturne, dont les corps font beaucoup plus gros que celui de la Terre, & dont la puiffance s'étend plus loin & fur de plus groffes Comètes, doivent être plus fujets que la Terre à de telles acquifitions; auffi Jupiter a-t-il quatre Lunes autour de lui, & Saturne cinq. Quelque dangereux que nous aions vu que feroit le choc d’une Comète, elle pourroit être fi petite, qu'elle ne feroit funefte qu'à la partie de la Terre qu’elle frapperoit : peut-être en ferions nous quites pour quelque Royaume écrafé , pendant que le refte de la Ce 2 Terre 204 LES TETPR E Terre jouïroit des raretés qu'un corps qui vient de fi loin y appor- teroit. On feroit peut-être bien furpris de trouver que les débris de ces Mafles que nous méprifons, feroient formés d’or & de dia- mans; MAIS lefquels feroient les plus étonnés, de nous ou des ha- bitans que la Comète jetteroit fur notre Terre? Quelle figure nous uous trouverions les uns aux autres ? q Enfin, il y a encore une autre efpéce de dépouilles de Cote tes, dont nous pourrions nous enrichir. On a expliqué dans le Traité de la Figure des Aftres, comment une Planète pourroit s’ap- proprier leur queue ; & fans en étre inondée, ni en refpirer le mauvais air, s'en former une efpèce d’anneau ou de voute fuf pendue de tous côtés autour d'elle. On à fait voir que la queue d’une Comète pourroit fe trouver dans telles circonftances, que les loix de la Pefanteur lobligeroit de s'arranger ainfi autour dela Terre: on à déterminé les figures que doivent prendre ces anneaux: & tout cela s'accorde fi bien avec celui | qu'on oblferve autour de Satur- ne: qu'il femble qu'on ne peut guères trouver d'explication plus naturelle & plus vraifemblable de ce phénomène; & qu'on ne de- vroit pas s'étonner fi l'on en voyoit quelque jour un si» fe former autour de notre Terre. M. Newton confidérant ces courfes des Comètes dans toutes Je régions du Ciel, & cette prodigieufe quantité de vapeurs qu'elles traînent avec elles, leur donne dans l'Univers un emploi qui n’eft pas trop honorable: il croit qu’elles vont porter aux autres Corps Céleftes, l'eau & l'humidité dont ils ont befoin pour réparer les pertes qu'ils en font. Peut-être cette réparation eft-elle néceflaire aus Planètes; mais elle ne peut guères manquer d’ être funefte à leurs habitans. Ces nouveaux Fluides difièrent trop des nôtres, pour ne nous pas être nuifibles. Ils infeétent fans doute l'air & les eaux, & la plupart des habitans périffent. Mais la Nature facrifie les pe- tits objets au bien général de l'Univers. Un autre ufage des Comètes peut être de réparer les pertes que fait le Soleil, par l'émiffion continuelle de la matière dont il eft formé. Lorfqu’ une Comète en pañfe fort près, & pénétre jufques dans FAtmofphère dont il eft environné, cette Atmolphère appor- tant SUR£A COMETE 205 tant un obfacle à fon mouvement, & lui faifant perdre une partie de à vitefe, altère la figure de fon orbite, & diminue la diftance de fon périhélie au Soleil. Et cette diftance diminuant toujours à chaque retour de la Comète, il faut qu'après un certain nombre de révolutious, elle tombe enfin dans ce feu immenfe auquel elle fert de nouvel aliment. Car fans doute fes vapeurs & fon atmof. phère qui peuvent inonder les Planètes, ne font pas capables d’éteindre le Soleil. Ce que font les Comètes que fe meuvent autour de notre So- leil, celles qui fe meuvent. autour des autres Soleils, autour des Etoiles fixes, le peuvent faire. Elles peuvent ainfi rallumer des Etoiles qui étoient prêtes à s’éteindre. Mais c’eft-là une des moin- dres utilités que nous puiffions retirer des Comètes. Voilà, Madame à peu près tout ce que je fai fur les Comètes. Un jour viendra où l’on en fäura davantage. La Théorie qu'a trouvée M. Newton, qui enfeigne à déterminer leurs orbites, nous fera parvenir un jour à connoïtre avec exactitude le tems de leurs révolutions. Cependant il eft bon de vous avertir que quoique ces Aflres, pendant qu’ils décrivent les parties de leurs cours où ils font vifibles pour nous, fuivent les mêmes loix que les autres Planètes, & foient foumis aux mêmes calculs, nous ne pouvons étre aflurés de les voir revenir aux tems marqués, retracer exactement les mêmes orbites. Toutes les avantures que nous vénons de voir qui peuvent leur ar- river, leurs paflages par latmofphère du Soleil, leurs rencontres avec les Planètes, ou avec d’autres Comètes, peuvent tellement troubler leur cours, qu'après quelques révolutions ils ne féroient plus reconnoiffables. Je vous ai parlé de toutes les Cométes, excepté de celle qui paroit préfentement. C’eft parce que je n’en avois pas grand” chofe à vous dire. Cette Comète qui fait tant de bruit, eft une des plus chetives qui ait jamais paru. On en a vu quelquefois dont la grandeur apparente étoit égale à celle du Soleil; plufeurs dont le diamètre paroifloit la quatriéme & la cinquième partie de fon diamètre; plufeurs ont brillé de couleurs vives & variées ; les unes Cc 3 ont 6 LET ÈRE HOÉBEA COÂRETE: ont paru d’un rouge effrayant, les autres de couleur d’or, les au- tres enveloppées d’une fumée épaifle. Quelques -unes même ont répandu, dit-on, une odeur de fouffre jufques fur la Terre; da plupart ont trainé des queues d'une grande longueur; & la Co- mète de 1680. en avoit une qui occupoit le tiers ou la moitié du Ciel. Celle-ci ne paroit à la vue que comme une Etoile de la troifième. ou quatrième grandeur | & traine une queue qui n'eft longue que de 4.à5. degrés. Cette Comète n’a été vue à Paris, qu'au com- mencement de ce mois. Elle fut découverte à l'Obfervatoire par M. Grante, qui l'apperçut le 2. Mars au pié d'Anrinoüs. Si vous voulez une fuite d'Obfervations faites avec la plus grande exactitude, vous les trouvérez dans l'excellent Ouvrage . M. le Monnier va faire paroître. Mais quant à préfent vous vous contenterez de favoir, que cette Comète a pallé d’Anrinoës dans le Cygne, & du Cygne dans € éphée avec une fi grande rapidité, qu’elle a quelquefois parcouru jufqu'à 6. degrés du Ciel en 24. heures. Elle va vers le Pole, & n'en eft plus éloignée que de 10. degrés. Mais fon mouvement eft rallenti; & fa lumière & celle de fà queue font fi fort diminuées, qu'on voit qu’elle sé éloigne de la Terre ; 3 & que pour cette fois nous n’en avons plus rien à craindre, ni à efpérer. De Paris ce 26 Mars 1742. VENUS VE NUS mens Set" QUE a ———— a Que legat ipfa Lycoris. Virg, Eclog. X, er D P | 19 « u ë _ 3 Le Le » 1: : D: L L / le ar, 4 “ tdi pÉ Vrert ? Z £ < + «que . f lu 88/4 AUS " . 0 = F < = , 7 IAE . a bé % Les NO De Hten ! ; x x M ee H y Or QD SiL97 Bi STI \ + + Fr # - «! 7 2 ù © n Ps ice | C4 br 4 5 hs (” ? . IMIOICSETAI TL 291870 291 ) à 21H40. 31090 Ve LATTES à - * [F e nd " t rt FE 117 2 1} | È x è + FIM Feÿ : Ÿ , p LH SES > MAY pa À k : Ek ñ ja 1 + : + v L: » ! hs prétre - ? = Li LE. LE — ” PS LL . " L * . { n ! LS * b ++ MU dv > 0e 5 \ * æ - , , Ç | V EN US PRE MS LD: O EE PREMIERE PARTIE, SUR OUR I G.I NE, D,E. S À, N;: I:M AU X. CHAPITRE PREMIER. EXPOSETTON" DE, CET OUVRAGE. ous n'avons reçu que depuis peu de tems, une vie que nous allons perdre. Placés entre deux inftans, dont lun nous a vus nditre, l’autre nous va voir mourir, nous tâchons envain d'étendre notre être au delà de ces deux termes : nous ferions plus fages, fi nous ne nous appliquions qu’à en bien remplir l'intervalle Ne pouvant rendre plus long le tems de notre vie, l'amour propre & la curiofité veulent y fuppléer, en nous appropriant les tems qui viendront lorfque nous ne ferons plus, & ceux qui s’écou- loient, lorfque nous n’étions pas encore. Vain efpoir! auquel fe Oeuv. de Mauperr. Dd joint 210 V'EUNQU S joint une nouvelle illufon: nous nous imaginons que lun de ces tems nous appartient plus que l'autre. Peu curieux fur le pañé, nous interrogeons avec avidité ceux qui nous promettent de nous apprendre quelque chofe de l'avenir. Les hommes fe font plus facilement perfuadés qu'après leur mort ils devoient comparoître au Tribunal d’un Rhadamante, qu'ils ne croiroient qu'avant leur naiffance, ils auroient combattu contre Ménélas au fiége de Troye. * Cependant lobfcurité eft la même fur Pavenir & fur le pañlé: & fi l'on regarde les chofes avec une tranquillité philofophique, l'in- térét devroit être le même auf: Il eft auffi peu raifonnable d’être fâché de mourir trop tôt, qu’il feroit ridicule de fe plaindre d’étre né trop tard. Sans les lumieres de la Religion, par rapport à notre être, ce tems où nous n'avons pas vécu & celui où nous ne vivrons plus, font deux abyfimes impénétrables, & dont les plus grands Philofo- phes n’ont pas plus percé les ténebres, que le Peuple le plus groffier. Ce n’eft donc point en Metaphyficien que je veux toucher à ces queftions, ce n'eft qu'en Anatomifte. Je laiffe à des elprits plus fublimes à vous dire, s’ils peuvent, ce que c’eft que votre ame, quand & comment elle eft venue vous éclairer. Je tâcherai feulement de vous faire connoître l'origine de votre corps, & les différens états par lefquels vous avez pañlé, avant que d’être dans l'état où vous êtes. Ne vous fâchez pas fi je vous dis que vous avez été un ver, ou un œuf, ou une efpece de boue, Mais ne cro- yez pas non plus tout perdu, lorfque vous perdrez cette forme que vous avez maintenant; & que ce corps qui charme tout le monde, {era réduit en pouffere. Neuf mois après qu’une femme s’eft livré au plaifire qui perpe- tue le genre humain, elle met au jour une petite créature qui ne différe de l’homme que par la différente proportion & la foibleffe de fes parties. Dans les femmes mortes avant ce terme, on trouve l'enfant * Pybagore fe reffouvenoir des diffé. Ætalide, puis Euphorbe ble[fé par Ménélas rens états par lesquels il avoit paÏfé avant au fiége de Troye, Hermotime , le Pécheur que d'être Pyrhagore. Il avoir été d'abord Pyrrbus 4e enfin Pyrbagore. PHYSIQUE. eut l'enfant enveloppé d’une double membrane, attaché par un cordon au ventre de la mere. Plus le tems auquel lenfant devoit naître eft éloigné , plus fà grandeur & fà figure s’écartent de celle de l'homme. Sept ou huit mois avant, on découvre dans l'Embryon la figure humaine : & les meres attentives fentent qu'il a déja quelque mouvement. Auparavant, ce n’eft qu’une matière informe. La jeune époufe y fait trouver à un vieux mari des marques de fà tendrefle, & dé- couvrir un héritier dont un accident fatal l’a privé: les parens d'une fille »y voient qu'un amas de famg & de lymphe qui caufoit l'état de langueur où elle étoit depuis quelque tems. Eft-ce là le premier terme de notre origine ? Comment cet enfant qui fe trouve dans le fein de fa mere, s’y eft-il formé? D'où eft-ilkvenu ? Eft ce là un myftere impénétrable, ou les obferva- tions des Phyficiens y peuvent-elles répandre quelque lumiere ? Je vais vous expliquer les différens fÿflemes qui ont partagé les Philofophes fur la maniere dont fe fait la génération. Je ne dirai rien qui doive allarmer votre pudeur: mais il ne faut pas que des préjugés ridicules répandent un air d’indécence für un fujet qui n’en comporte aucune par lui-même. La feduction, le parjure, la jaloufie, ou la fuperftition ne doivent pas deshonorer l'action la plus impor- tante de humanité, fi quelquefois elles la précedent, ou la füuivent. L'homme eft dans une mélancholie qui lui rend tout infipide, jufqu'au moment où il trouve la perfonne qui doit faire fon bonheur, Il la voit: tout s’embellit à fes yeux: il refpire un air plus doux & plus pur; la folitude l’entretient dans l’idée de lobjet aimé; il trouve dans la multitude de. quoi s’applaudir continuellement de fon choix; toute la nature fert ce qu’il aime. 11 fent une nouvelle ardeur pour tout ce qu'il entreprend: tout lui proniet d’heureux fuccès. Celle qui la charmé s’enflamme du même feu dont il brûle: elle fe rend, elle fe livre à fes tranfports; & l'amant heureux parcourt avec ra- pidité toutes les beautés qu'il ont ébloui: il eft déja parvenu à l’en- droit le plus délicieux ... Ah malheureux! qu'un couteau mor- tel a privé de la connoiffance de cet état: le cifeau qui eût tranché le fil de vos jours, vous eût été moins funéfte. En vain vous ha- Dd 2 bitez 212 VE NO S bitez de vaftes Palais; vous vous promenez dans des jardins delici- eux; vous poflédez toutes les richeffes de l'Afie; le dernier de vos _efclaves qui peut gouter ces plaifirs, eft plus hedmhx que vous. Mais vous que la cruelle avarice de vos parens a facrifiés au luxe desRois, triftes ombres qui n’êtes plus que des voix, géniflez, pleurez vos malheurs, mais ne chantez jamais l'amour. C’eft cet inftant marqué par tant de délices, qui donne l'être à une nouvelle créature, qui pourra comprendre les chofes les plus fubli- mes: &, ce qui eft bien au-deffus , qui pourra gouter lesmémes plaïfrs. Mais comment expliquérai-je cette formation ?, Comment décri- rai-je ces lieux qui font la premiere demeure de l'homme? Com- ment ce {éjour enchanté va-tl être changé en une obfcure prifon habitée par un Embryon informe & infenfble ? Comment la caufe de tant de plaifir, comment lorigine d’un Etre fi parfait, n’eft-elle que de la chair & du fang? * Ne terniflons pas ces S objets par des images degoutantes : qu'ils demeurent couverts du voile qui les cache. Qu'il ne foit permis d'en déchirer que la membrane de lhymen. Que la Biche vienne ici à la place d’Iphigénie. Que les femelles des animaux foient de- formais les objets de nos recherches fur la génération. Cherchons dans leurs entrailles ce que nous pourrons découvrir de ce myftere; & s’il eft néceflaire, parcourons jufqu’aux oifeaux , aux poiflons & aux infectes. Motte peter fee tte ete den tfne tee tee CHAPITRE II. SISTEME DES ANCIENS SUR LA GENERATION. u fond d’un canal que les Anatomiftes appellent vagin, du mot latin qui fignifie Gaine, on trouve la Matriee: c’eft une elpece de bourfe fermée au fond, mais qui prélente au vagin un petit Ori- fice qui peut s'ouvrir & fe fermer , & qui refflemble affez au bec d'une Tanche, dont quelques Anatomiftes lui ont donné le nom. Le * Mifirer atque etiam puder eflimanten quam fit frivola animalium fuperbiffimi erigo ! C. Plin. nat. hift. L, VIL c. 7. PH 'S I Q\U'E. 213 Le fond de la bourfe eft tapiflé d’une membrane qui forme plufieurs rides qui lui permettent de s'étendre à mefüre que le fœtus s’accroit, & qui eft parfemée de petits trous, par lefquels vraifemblablement fort cette liqueur que la femelle répand dans l'accouplement. Les Anciens croyoient que le fœtus étoit formé du mélange des liqueurs que chacun des fèxes répand, La liqueur féminale du mâle, dardée jufques dans la matrice, s’y méloit avec la liqueur {€- minale de la femelle: & après ce mélange, les Anciens ne trouvoient plus de difficulté à comprendre comment il en réfüultoit un animal. ‘Tout étoit opéré par une Fuculré génératrice. Ariftote, comme on le peut croire ne fut pas plus embarraffé que les autres, fur la génération : il difléra d'eux feulement en ce qu’il crut que le principe de la génération ne réfidoit que dans la liqueur que le mâle répand ; & que celle que répand la femelle, ne fervoit qu’à la nutrition & à l’accroifflement du fœtus. La derniere de ces liqueurs, pour s'expliquer en fes termes, fournifloit la matiere, & l'autre la forme. * PARA RATS AAA See their ie ent tuer feed CHAPITRE Il. SYSTEME/DES OEUFS CONTENANT LE FOETUS. ro une longue fuite de fiécles, ce fyfteme fatisfit les Philofo- phes. Car, malgré quelques diverfités fur ce queles uns pré- tendoient qu’une feule des deux liqueurs étoit la véritable matiere prolifique, & que lautre ne {érvoit que pour la nourriture du fœtus, tous s’arrétoient à ces deux liqueurs, & attribuoient à leur mélange, le grand ouvrage de la génération. De nouvelles recherches dans l'Anatomie firent découvrir au- tour de la matrice, deux corps blanchâtres formés de plufeurs vé- ficules rondes, remplies d’une liqueur femblable à du blanc d'œuf. L’Analogie auffi-tôt s’en empara; onregarda ces corps comme faifant ici le même office que les Ovaires dans les oifeaux; & les véficules qu'ils contenoient , comme de véritables oeufs. Mais les Ovaires Dd 3 étant * Ariflor. de generat. animal. Lib. II. Cap. IV. 214 VENUS étant placés au dehors de la matrice, comment les œufs, quand même ils en féroient détachés pouvoient-ils étre portés dans fa cavité; dans laquelle, fi lon ne veut pas que le fœtus fe forme,il eftdu mois certain qu'il prend fon accroiffement ? FALLoPE apperçut deux tuyaux, dont les extrémités, flottantes dans le ventre, fe terminent par des efpeces de franges qui peuvent s'approcher de l'Ovaire, l'embrafler, recevoir l'œuf, & le conduire dans la matrice où ces tuyaux, ou ces trompes ont leur embouchure. Dans ce tems, la Phyfique renaifloit, ou plutôt prenoit un nouveau tour. On vouloit tout comprendre ; & l’on croyoit le pouvoir. La formation du fœtus par le mélange de deux liqueurs, ne fatisfaifoit plus les Phyficiens. Des exemples de développemens que la nature offre par tout à nos yeux, firent penfér que les fœtus étoient peut-être contenus, & déja tout formés dans chacun des œufs; & que ce qu'on prenoit pour une nouvelle production, w'étoit que le développement de leurs parties rendues fenfibles par laccroif- fement. Toute la fécondité retomboit fur les femelles. Les œufs deftinés à produire des mâles, ne contenoient chacun qu'un feul mâle. L'’œuf d’où devoit fortir une femelle, contenoit non-feule- ment cette femelle, mais la contenoit avec fes Ovaires dans lefquelles d’autres femelles contenues, & déja toutes formées étoient la fource de génération à l'infini. Car toutes les femelles contenues ainf les unes dans les autres & de grandeurs toujours diminuantes dans le rapport de la premiere à fon œuf, n’allarment que l'imagination. La matiere divifble à l'infini, forme auffi diftinétement dans fon œuf le fœtus qui doit naître dans mille ans , que celui qui doit naître dans neuf mois. Sa petitefle qui le cache à nos yeux, ne le dérobe point aux lois fuivant lefquelles le Chêne qu’on voit dans le gland, fe développe & couvre la terre de fes branches. Cependant quoique tous les hommes foient déja formés dans les œufs de mere en mere, ils y font fans vie. Ce ne font que de petites flatues renfermées les unes dans les autres comme ces ou- vrages du Tour, où l’ouvrier s’eft plu à faire admirer l’adreffe de fon cifeau, en formant cent boîtes qui fe contenant les unes les autres, {ont toutes contenues dans la derniere. Il faut, pour faire, de ces petites BSER Y S\T"O UE. 215 petites flatues, des hommes, quelque matiere nouvelle, quelqu'ef- prit fubtil, qui s’'infinuant dans leurs membres, leur donne le mou- vement, la végétation & la vie. Cet efprit féminal eft fourni par le mâle, & eft contenu dans cette liqueur qu’il répand avec tant de plaifir. N’eft-ce pas ce feu que les Poëtes ont feint que Promethée avoit volé du ciel pour donner l'ame à des hommes qui n’étoient auparavant que des Automates? Et les Dieux ne devoient-ils pas être jaloux de ce larcin? Pour expliquer maintenant comment cette liqueur dardée dans le vagin, va féconder l'œuf, l’idée la plus commune, & celle qui fe préfente d’abord, eft qu’elle entre jufques dans la matrice dont la bouche alors s’ouvre pour la recevoir ; que de la matrice, une partie, du moins ce qu'il y a de plus fpiritueux, s’élevant dans les tuyaux des trompes, eft portée jufqu’aux ovaires que chaque trompe embrafle alors, & pénetre l'œuf qu'elle doit féconder. Cette opinion quoiqu'aflez vraïfemblable, eft cependant füujette à plufieurs difficultés. La liqueur verfée dans le vagin, loin de paroitre deftinée à pe- nétrer plus avant, en retombe auffi-tôt, comme tout le monde füit. On raconte plufñeurs hiftoires de filles devenues enceintes fans l'introduction méme de ce qui doit verfer la femence du mâle dans le vagin, pour avoir feulement laiflé répandre cette liqueur fur fes bords. On peut révoquer en doute ces faits que la vue du Phyficien ne peut gueres conflater , & für lefquels il faudroit en croire les femmes toujours peu finceres {ur cet article. Mais il femble qu'il y ait des preuves plus fortes, qu'il n’eft pas néceffaire que la femence du mâle entre dans la matrice pour ren- dre la femme féconde. Dans les matrices de femelles de plufeurs animaux difféquées après l’accouplement, on n’a point trouvé de cette liqueur. On ne fauroit cependant nier qu’elle n’y entre quelquefois. Un fameux Anatomifte *en a trouvé en abondance dans la matrice d’une Genifle qui venoit de recevoir le Taureau. Et quoiqu'il y ait peu de ces exemples, un feul cas où l’on a trouvé la femence dans la ; matrice # Werheyen. 216 : FEÉNUS matrice, prouve mieux qu’elle y entre, que la multitude des cas où lon n’y en a point trouvé, ne prouve qu’elle n’y entre pas. Ceux qui prétendent que la femence n'entre pas dans la matrice, croient que veriée dans le vagin,ou feulement répandue für fes bords, elle s’infinue dans les vaiffeaux dont les petites bouches la reçoivent & la répandent dans les veines de la femelle. Elle eft bientôt mé- lée dans toute la mafle du fang; elle y excite tous les ravages qui tourmentent les femmes nouvellement enceintes: mais enfin la cir- culation du fang la porte jufqu'à l'ovaire , & l'œuf n’eft rendu fé- cond qu'après que tout le fäng de la femelle a été, pour ainfi dire, fécondé. En De quelque maniere que l'œuf foit fécondé; foit que la femence du male, portée immédiatement jufqu'à lui , le pénetre; foit que délayée dans la mañle du fang, elle n'y parvienne que par les routes de la circulation: cette femence, ou cet efprit féminal mettant en mouvement les parties du petit fœtus qui font déja toutes formées dans l'œuf, les difpole à fe développer. L’œuf jufques-là fixement attaché à l'ovaire, s’en détache; il tombe dans la cavité de latrompe, dont l’extremité appellée le pavillon, embraffe alors l'ovaire pour le recevoir. L'œuf parcourt, foit par fa feule pefanteur, foit plus vraifemblablement par quelque mouvement periftaltique de la trom- pe, toute la longueur du canal qui le conduit enfin dans la ma- trice. Semblable aux graines des plantes ou des arbres, lorfqu’elles font reçues dans une terre propre à les faire végéter, l'œuf poufle des racines qui pénétrant jufques dans la fubitance de la matrice, for- ment une mafle qui lui eft intimement attachée, appeliée le P/a- centa. Au-deflus, elles ne forment plus qu'un long cordon, qui allant aboutir au nombril du fœtus, lui porte les fucs deftinés à {on accroil- fement, Il vit ainfi du fang de fà mere, jufqu'à ce que n'ayant plus befoin de cette communication, les vaifleaux qui attachent le placenta à la matrice fe deffechent, s’obliterent, & s’en féparent. L'enfant alors plus fort & prêt à paroitreau jour, dechire la double membrane dans laquelle il étoit enveloppé, comme on vit le poulet parvenu au terme de fà naiffance, briler la coquille de l'œuf qui le tenoit renfermé. Qu'une efpece de dureté qui eft dans la coquille des PE F S TO U E!: 217 des œufs des oifeaux!, n’empêche pas de comparer à leurs œuf, l'enfant renfermé dans fon enveloppe. Les œufs de plufieurs ani- maux, des Serpens, des Lézards, & des Poiffons n’ont point cette dureté & ne font recouverts que d’une enveloppe molaffe &flexible. Quelques animaux confirment cette analogie, & rapprochent encore la géneration des animaux qu'on appelle Vrvipares de celle des Ovipares. On trouve dans le corps de leurs femelles, en même tems des œufs inconteftables, & des petits déja debarañés de leur enveloppe *. Les œufs de plufieurs animaux n’éclofent que long -tems après qu’ils font {ortis du corps de la femelle : les œufs de plufieurs autres éclofent auparavant. La nature ne femble-t-elle pas annoncer par-là qu'il y a des efpeces où l'œuf n'éclôt qu’en for- tant de la mere;mais quetoutes ces génerations reviennent au même ? ete érip 49 4e etib dite dHtn er die BNP SH HE GHE SR + HS € Ge 41 Qu D © CHMPINE REV: SYSTEM'E" DES’ ANTMAUX SPERMATIQUES. Le Phyficiens & les Anatomiftes qui en fait de fyfteme, font tou- jours faciles à contenter, étoient contens de celui-ci: ils cro- yoient, comme s'ils l’avoient vu, le petit fœtus formé dans l'œuf de la femelle, avant aucune opération du male: mais ce que l'ima- gination voyoit ainf dans l'œuf, les yeux l’apperçurent ailleurs. Un jeune Phyfcien ** savifa d'examiner au microfcope, cette liqueur qui n’eft pas d'ordinaire l'objet des yeux attentifs & tranquilles. Mais quel fpectacle merveilleux, lorfqu’il y découvrit des animaux vivans! Une goutte étoit un océan où nageoit une multitude in- nombrale de petits poiffons dans mille directions différentes. Il mit au même microfcope des liqueurs femblables forties de diflérens animaux , & toujours même merveille: foule d'animaux vivans de figures feulement différentes. On chercha dans le fang & dans toutes les autres liqueurs du corps, quelque chofe de fem- blable: mais on n'y découvrit rien, quelle que füt la force du mi- crofco. * Mem, de PAc. des Scienc, an. 1727. p. 32 # * Hartfoiker. Oeuv. de Mauperr. E ce 218 à VE NOUS crofcope; toujours des mers défertes dans lefquelles on n’appercevoit pas le moindre figne de vie. On ne put gueres s'empêcher de penfer que ces animaux dé- couverts dans la liqueur féminale du mâle, étoient ceux qui devoi- ent un jour le reproduire: car malgré leur petitefle infinie & leur forme de poiflons, le changement de grandeur & de figure coute peu à concevoir au Phyficien, & ne coute pas plus à exécuter à la nature. Mille exemples de Pun & de l'autre, font fous nos yeux, d'animaux uont le dernier accroiffement ne femble avoir aucune proportion avec leur état au tems de leur naïffance, & dont les figu- res fe perdent totalement dans des figures nouvelles. Qui pourroit reconnoître le même animal, fi lon n’avoit fuivi bien attentive- ment le petit ver, & le hanneton fous la forme duquel il paroïît enfüuite? Et qui croiroit que la plüpart de ces mouches parées des plus fuperbes couleurs , euffent été auparavant de petits infes rarmpans dans la boue, ou nageans dans les eaux ? Voilà donc toute la fécondité qui avoit été attribuée aux femel- les, rendue aux mâles. Ce petit ver qui nage dans la liqueur f€- minale , contient une infinité de générations de pere en pere. Il a fà liqueur féminale dans laquelle nagent des animaux d'autant plus petits que lui, qu'il eft plus petit que le pere dont il ef forti: & il en eft ainfi de chacun de ceux-là à l'infini. Mais quel prodige, fi lon confidere le nombre & la petiteffe de ces animaux! Un homme qui a ébauché für cela un calcul, trouve dans fa liqueur féminale d’un brochet, dès la premiere génération, plus de brochets qu'il n’y auroit d'hommes fur la terre, quand elle feroit par tout auffi habitée que la Hollande. Mais fi l’on confidere les générations fuivantes, quel abyfine de nombre & de petiteffe! D'une génération à l’autre, les corps de ces animaux diminuent dans la proportion de la grandeur d’un hom- me à celle de cet atome qu'on ne découvre qu’au meilleur micro- fcope ; leur nombre augmente dans la proportion de l'unité, au nombre prodigieux d'animaux répandus dans cette liqueur. Richeffe immenfe, fécondité fans bornes de la nature: n'êtes- vous pas ici une prodigalité? Et ne peut-on pas vous reprocher trop d’appa- PES TO E. 219 d'appareil & de dépenfé? De cette multitude prodigieufe de petits animaux qui nagent dans la liqueur féminale, un feul parvient à l'humanité: rarement la femme la mieux enceinte met deux enfans au jour , prefque jamais trois. Et quoique les femelles des au- tres animaux, en portent un plus grand nombre, ce nombre n’eft prefque rien en comparaifon de la multitude des animaux qui na- geoient dans la liqueur que le mâle a répandue. Quelle deftruction, quelle inutilité paroït ici! Sans difcuter lequel fait le plus d'honneur à la nature, d’une œconomie précife, ou d’une profufion fuperflue; queftion qui de- manderoit qu'on connût mieux fes vues, ou plutôt les vues de ce- lui qui la gouverne; nous avons fous nos yeux des exemples d’une pareille conduite, dans la produétion des arbres & des plantes. Combien de milliers de glands tombent d’un chéne, fe deffechent ou pourrifflent, pour un très-petit nombre qui germera & produira un arbre! Mais ne voit-on pas par-là même, que ce grandnombre de glands n’étoit pas inutile; puifque fi celui qui a germé n’y eût pas été, il n’y auroit eu aucune production nouvelle, aucune génération ? C’eft für cette multitude d'animaux fuperflus, qu’un Phyficien chafte & religieux * a fait un grand nombre d’experiences , dont aucune à ce qu'il nous aflure, n’a jamais été faite aux dépens de fa fanille. Ces animaux ont une queue, & {ont d’une figure affez femblable à celle qu’a la grenouille en naiïffant, lorfqu’elle eft encore fous la forme de ce petit poiffon noir appellé Tétard dont les eaux fourmillent au printems. On les voit d’abord dans un grand mou- vement: mais il {e rallentit bientôt; & la liqueur dans laquelle ils agent, fe réfroidiffant, ou s’évaporant, ils périflent. Il en périt bien d’autres dans les lieux mêmes où ils font dépolés. Ils fe per- dent dans ces labyrinthes. Mais celui qui eft deftiné à devenir un homme, quelle route prend-il? Comment fe métamorphofe -t- il en fœtus ? Quelques lieux imperceptibles de la membrane intérieure de la matrice, feront les feuls propres à recevoir le petit animal, & à lui procurer les fucs néceffaires pour fon accroifflement. Ces lieux dans la matrice de la femme feront plus rares que dans les matrices * Lervenoek. Ee2 des 220 VEMUS des animaux qui portent plufieurs petits. : Le feul animal ou les feuls animaux fpermatiques qui rencontreront quelqu'un de ces lieux, s’y fixeront, s’y attacheront par des filets qui formeront le placenta, & qui Puniffant au corps de la mere, lui portent la nourriture dont il a befoin: les autres périront comme les grains femés dans une terre aride. Car la matrice eft d’une étendue imimenfe pour ces animalcules. Plufeurs milliers périffent fans pouvoir trouver aucun de ces lieux ou de ces petites foffes deftinées à les recevoir. La membrane dans laquelle le fœtus fe trouve, {era femblable à une de ces enveloppes qui tiennent difiérentes fortes d’infcétes fous la forme de Chryfalides, dans le pañlage d’une forme à une autre. Pour comprendre les changemens qui peuvent arriver au petit animal renfermé dans la matrice; nous pouvons le comparer à d’au- tres animaux qui éprouvent d’aufli grands changemens, & dont cès changemens fe pañlent fous nos yeux. Sices métamorphofes mé- ritent encore notre admiration, elles ne doivent plus du moins nous caufer de [urprife. Le Papillon, & plufieurs efpeces d'animaux pareils, font d’abord une efpece de ver: l’un vit des feuilles des plantes, l’autre caché fous terre, en ronge les racines. Après qu'il eft parvenu à un certain accroifflement fous cette forme, il en prend une nouvelle; il paroît fous une enveloppe qui reflerrant & cachant les différentes parties de fon corps, le tient dans un état fi peu femblable à celui d’un ani- mal, que ceux qui élevent des vers à foie, l’appellent Fève ; les na- turaliftes l'appellent Chryfalide à caufe de quelques taches dorées dont ileft quelquefois parfemé. Il eft alors dans une immobilité parfaite; dans une létargie profonde qui tient toutes les fonctions de fà vie fufpendues. Mais dès que le terme où il doit revivre, eft venu, il déchire la membrane qui le tenoit enveloppé; il étend fes membres, déploie fes ailes, & fait voir un papillon ou quelqu’autre animal femblable. Quelques -uns de ces animaux, ceux qui font fi redoutables aux jeunes beautés qui fe promenent dans les bois, & ceux qu’on voit voltiger fur le bord des ruifleaux avec de longues ailes, ont été au- paravant des petits poiflons; ils ont pafñlé la premiere partie de leur vie PHYSIQUE. 225 vie dans les eaux: & ils n’en fortent que lorfqu'ils font parvenus à leur derniere forme. Toutes ces formes que quelques Phyficiens malhabiles, ont pri- fes pour de-véritables métamorphofes, ne font cependant que des changemens de peau. Le papillon étoit tout formé, & tel qu’on le voit voler dans nos jardins, fous le déguifement de la chenille. Peut-on comparer le petit animal qui nage dans la liqueur fémi- nale, à la chenille, ou au ver? Le fœtus dans le ventre de la merc, enveloppé de fa double membrane, eft-il une efpece de chryfälide ? Et en fort-il, comme l’infeéte, pour paroïtre fous fa derniere forme ? Depuis la chenille jufqu’au papillon ; depuis le ver fpermatique jufqu’à l'homme, il femble qu’il y ait quelqu’analogie. Mais le pre- mier état du papillon n'étoit pas celui de chenille: la chenille étoit déja fortie d’un œuf, & cet œuf n’étoit peut-être déja lui-même qu'une efpece de chryfalide. Si lon vouloit donc pouffer cette ana- logie en remontant, il faudroit que le petit animal fpermatique fût déja forti d’un œuf, mais quel œuf! De quelle petiteffe devroit-il étre! Quoi qu'il en foit, ce n’eft ni le grand ni le petit qui doit ici caufer de l’embarras. D em dir ai one 414 4e AH HD 44 41 4 4 4 9 61 8 6 CTHPA PET D''RPE' AV: SYSTEME MIXTE, DES OEUFS, ET, DES ANIMAUX SPERMATIQUES. | til plüpart des Anatomiftes ont embraflé un autre fyfleme, qui tient des deux fÿyflemes précédens , & qui allie léS animaux fpermatiques avec les œufs. Voici comment ils expliquent lachofe. Tout le principe de vie réfidant dans le petit animal, l'homme entier y étant contenu , l'œuf eft encore néceffaire: c’eft une maflfe de matiere propre à lui fournir fà nourriture & fon accroiffement. Dans cette foule d’animaux dépofés dans le vagin, ou lancés d’abord dans la matrice, un plus heureux, ou plus à plaindre que les autres, nagCant, rampant dans les fluides dont toutes ces parties font mou- illées, parvient à l'embouchure de la trompe, qui le conduit jufqu’à be-3 l'ovaire 222 PE AU S lovaire. Là, trouvant un œuf propre à le recevoir, & à le nourrir, il le perce, il s’y loge, & y reçoit les premiers degrés de fon ac- croifflement. C’eft ainfi qu’on voit différentes fortes d’infeétes s’'in- finuer dans les fruits dont ils fe nourriffent. L’œuf piqué fe détache de l'ovaire, tombe par la trompe dans la matrice, où le petit animal s'attache par les vaifleaux qui forment le placenta. et &riH tb tb Aid Grp tb Ath rt Artb Gti At drtb rt Ship rit 44h +48 44 À {Eh 4+ CEA PI TERRE OBSERVATIONS FAVORABLES ET CONTRAIRES AUX: OEUFS. n trouve dans les Mémoires de l’Académie Royale des Siences, * des obfervations qui paroiffent très-favorables au fyfteme des œufs; foit qu'on les confidere comme contenans le fœtus, avant méme la fécondation ; foit comme deftinés à fervir d’aliment & de premier afyle au fœtus. La Defcription que M. Littre nous donne d'un ovaire qu'il diffé- qua, mérite beaucoup d'attention. Il trouva un œuf dans la trompes il obferva une cicatrice fur la furface de l'ovaire qu’il prétend avoir été faite par la {ortie d’un œuf. Mais rien de tout cela n’eft fi remar- quable que le fœtus qu'il prétend avoir pu diftinguer dans un œuf encore attaché à l'ovaire. Si cette obfervation étoit bien sûre, elle prouveroit beaucoup pour les œufs. Mais l'Hifloire même de l'Académie de la même année, la rend fufpecte, & lui oppole avec équité des obiervations de M. Mery qui lui font perdre beaucoup de fà force. Celui-ci pour une cicatrice que M. Littre avoit trouvée für la furface de l'ovaire, en trouva un fi grand nombre fur l'ovaire d’une femme, que Îi on les avoit regardées comme caufées par la fortie des œufs, elles auroient fuppolé une fécondité inouie. Mais, ce qui eft bien plus fort contre les œufs, il trouva dans l'épaiffeur même de la matrice, une véficule toute pareille à celles qu’on prend pour des œufs. Quel- # Année 1701. pag. 109. PHYSIQUE. 223 Quelques obfervations de M. Littre, & d’autres Anatomiftes, qui ont trouvé quelquetois des fœtus dans les trompes, ne prouvent rien pour les fœtus: le fœtus, de quelque maniere qu'il foit formé, doit fe trouver dans la cavité de la matrice; & les trompes ne font qu’une partie de cette cavité. M. Mery n’eft pas le feul Anatomifte qui ait eu des doutes fur les œufs de la femme, & des autres animaux vivipares: plufieurs Phy- ficiens les regardent comme une chimere. Ils ne veulent point re- connoître pour de véritables œufs, ces véficules dont eft formée la maffe que les autres prennent pour un ovaire. Ces œufs qu’on a trouvés quelquefois dans les trompes, & même dans la matrice, ne font à ce qu'ils prétendent, que des efpeces d’hydatides. Des expériences devroient avoir décidé cette queftion, fi en Phyfque il avoit jamais rien de décidé. Un Anatomifte qui a fait beaucoup d'obfervations für les femelles des lapins, Graar quiles a difféquées après plufieurs intervalles de tems écoulés depuis qu’elles avoient reçu le mâle, prétend avoir trouvé au bout de vingt-quatre heures des changemens dans l'ovaire; après un intervalle plus long, avoir trouvé les œufs plus altérés ; quelque tems après, des œufs dans la trompe; dans les femelles difléquées un peu plus tard, des œufs dans la matrice. Enfin il prétend qu'il a toujours trouvé, aux ovaires, les veftiges d'autant d'œufs détachés, qu’il en trouvoit- dans les trompes ou dans la matrice. * Mais un autre Anatomifte auf exact, & tout au moins auffi fide- le, quoique prévenu du fyfleme des œufs, & même des œufs proli- fiques, contenans déja le fœtus avant la fécondation; Verneyex a voulu faire les mêmes expériences, & ne leur a point trouvé le même fuccès,. Il a vu des altérations ou des cicatrices à l'ovaire: mais il s’eft tromp£ lorfqu'il a voulu juger par elles, du nombre des fœtus qui étoient dans la matrice. * Rognerus de Graaf, de mulierum organis. 224 VENUS dit 4 IR 6r4D dE te te GR G+ + Atéé Are HD AE A4 HE AR 4 AR 443 2 4R 48 4 CHAPITRE Vil. E°X P'E'R'T'EPN'C'ES D E HPANKR' VAE’ te CA ces fyftemes fi brillans, & mème fi vraifemblables que nous venons d’expofer, paroiflent détruits par des obfervations qui avoient été faites auparavant, & auxquelles il femble qu'on ne fau- roit donner trop de poids: ce font celles de ce grand homme à qui l'anatomie devroit plus qu'à tous les autres par fa feule décou- verte de la circulation du fang. Charles L Roi d'Angleterre, Prince curieux, amateur des Scien- ces, pour mettre fon Anatomifte, à portée de découvrir le myftere de la génération, lui abandonna toutes les Biches & les Daimes de fes Parcs. Harvey en fit un maflacre favant: mais fes expériences nous ont-elles donné quelque lumiere fur la génération? Ou n’ont- elles pas plutôt répandu fur cette matiere des ténebres plus épaifles? Harvey immolant tous les jours au progrès de la Phyfque, euelque biche dans le tems où elles reçoivent le mâle ; difléquant leurs matrices, & examinant toutfavec les yeux les plus attentifs, ny trouva rien qui reffemblât à ce que Graar prétend avoir obfervé, ni avec quoi les fyflemes dont nous venons de parler, paroiflent pou- voir s’accorder. ? Jamais il ne trouva dans la matrice, de liqueur féminale du mâle; jamais d'œuf dans les trompes ; janais d’altération au pré- tendu ovaire, qu’il appelle comme plufeurs autres Anatomites, le Teflicule de la femelle. Les premiers changemens qu'il apperçut dans les organes de la génération, furent à la matrice : il trouva-cette partie enflée & plus molle qu'à lordinaire. Dans les quadrupedes elle paroit double ; quoiqu'elle n'ait qu'une feule cavité, fon fond forme comme deux réduits que les Anatomiftes appellent fes Cornes, dans lefquelles fe trouvent les fœtus. Ce furent ces endroits principalement qui pa- rurent les plus altérés. Harvey obfèrva plulieurs excroiffances fpongicufes qu'il compare aux bouts des tétons des femmes. Il en coupa quelques-unes qu'il trouva parfémées de petits points blancs PA Y'SMQ'U E. 225 blancs enduits d’une matiere vifqueufe. Le fond de la matrice qui formoit leurs paroïs, étoit gonflé & tuméfié comme les levres des enfans, lorfqu’elles ont été piquées par des abeilles, & tellement molaffe qu'il paroifloit d’une confiftence femblable à celle du cerveau. Pendant les deux moix de Septembre & d'Octobre, tems auquel les Biches reçoivent le cerf tous les jours , & par des expériences de plufeurs années, voilà tout ce que Harvey découvrit, fans jamais appercevoir dans toutes ces matrices, une feule goutte de liqueur féminale. Car il prétend s’étre afluré qu’une matiere purulente qu'il trouva dans la matrice de quelque Biche, féparée du Cerf depuis vingt jours, n’en étoit point. Ceux à qui il fit part de {es obfervations, prétendirent, & peut- être le craignit-il fui-même, que les Biches qu’il difléquoit, n’avoi- ent pas été couvertes. Pour les convaincre, ou s’en aflurer, ilen fit renfermer douze après le Rut dans un parc particulier ; Il en difféqua quelques unes, dans lesquelles il né trouva pas plus de veftiges de la femence du mâle, qu'auparavant; les autres porterent des Faons. De toutes ces expériences, & de plufeurs autres faites fur des femelles de lapins, de chiens, & autres animaux, HAaRvEY conclut que la femence du mâle ne féjourne ni méme n’entre dans la matrice. Au mois de Novembre, la tumeur de la matrice étoit diminuée, les coroncules fpongieufes devenues flafques. Mais ce qui fut un nouveau fpectacle, des filets déliés étendus d’une corne à l’autre de la matrice, formoient une efbece de réfeau femblable aux toiles d’araignée; & s’infinuant entre les rides de la membrane interne de la matrice, ils s’entrelafloient autour des caroncules à peu près comme on voit la Pre-mere fuivre & embrafler les contours du cerveau. Ce réfeau forma bientôt une poche, dont les dehors étoient enduits d’une matiere fœtide: le dedans life & poli, contenoit une liqueur femblable au bianc d'œuf, dans laquelle nageoit une autre enveloppe fphérique remplie d’une liqueur plus claire & criftalline. Ce fut dans cette liqueur qu’on apperçut un nouveau prodige. Ce ne fut point un animal tout organifé, comme on le devroit atten- dre des fyftemes précedens : ce fut le principe d’un animal; #2 Oeuv. de Maupert. la à Pornr 226 VENUS : s Point vivant * avant qu'aucune des autres parties fuffent formées: On le voit dans la liqueur criftalline fauter & battre, tirant fon ac- croiffement d’une veine qui fe perd dans la liqueur où il nage ; il battoit encore, lorfqu’ expolé aux rayons du foleil, Harvey le fit voir au Roi. Les parties du corps viennent bientôt s’y joindre; mais en dif- férent ordre, & en différens tems. Ce n’eft d’abord qu'un muci- lage divifé en deux petites mafles, dont l’une forme la tête, l'autre letronc: Vers la fin de Novembre le fœtus eft formé ; & tout cet admirable ouvrage, lorfqu'il paroît une fois commencé, s’acheve fort promptement. Huit jours après la premiere apparence du Point vivant, l’animal eft tellement avancé, qu’on peut diftinguer fon fèxe. Mais encore un coup cet ouvrage ne {e fait que par parties: celles du dedans font formées avant celles du dehors; les vifceres & les inteftins font formés avant que d’être couverts du Thorax & de V Abdomen; & ces dernieres parties deftinées à mettre les autres à couvert, ne paroiffent ajoutées que comme un toit à l'édifice. Jufqu’ici l'on n’obfèrve aucune adhérence du fœtus au corps de la mere. La membrane qui contient la liqueur criftalline dans la- quelle il nage, que les Anatomiftes appellent l'Anios , nage elle- même dans la liqueur que contient le Chorion qui eft cette poche que nous avons vue fe former d’abord ; & le tout eft dans la matrice, fans aucune adhérence. Au commencement de Décembre, on découvre l'ufage des ca- roncules fpongieufès dont nous avons parlé qu’on obierve à la fur- face interne de la matrice, & que nous avons comparées aux bouts des mammelles des femelles. Ces caroncules ne font encore collées contre l'enveloppe du fœtus que par le mucilage dont elles font rem- plies: - mais elles s’y uniffent bientôt plus intimement en recevant les vaiffeaux que le fœtus poule, & fervent de bafe au Placenta. Tout le refte n’eft plus que différens degrés d’accroiffement que le fœtus reçoit chaque jour. Enfin le terme où il doit naître, étant venu, _ilrompt les membranes dans lefquelles il étoit enveloppé: le Placenta fe détache de la matrice; & l'animal fortant du corps de ° k & Pun@um faliens, PHYSTOUE. 227 la mere, paroït au jour. Les femelles des animaux mâchant elles- mêmes le cordon des vaïfleaux qui attachoient le fœtus au Placenta, détruifent une communication devenue inutile ; les Sages femmes font une ligature à ce cordon, & le coupent. Voilà quelles furent les oblervations de Harvey. Elles paroif fent fi peu compatibles avec le fyfteme des œufs & celui des animaux fpermatiques, que fi je les avois rapportées avant que d’expofer ces fyftemes, j'aurois craint qu’elles ne prévinffent trop contr'eux , & n'empéchaffent de les écouter avec affez d’attention. Au lieu de voir croître l'animal par llurus-fufceprion d'une nou- velle matiere, comme il devroit arriver s’il étoit formé dans l'œuf de la femelle, ou fi c'étoit le petit ver qui nage dans la femence du mâle; ici c’eft un animal qui fe forme par la Suxta-pofirion de nouvelles parties. Harvey voit d’abord fe former le fac qui le doit contenir: & ce fac, au lieu d’être la membrane d'un œuf qui f dilateroit, fe fait fous fes yeux, comme une toile dont il obferve les progrès. Ce ne font d’abord que des filets tendus d’un bout à l’autre de la matrice ; ces filets fe multiplient, {e ferrent, & forment enfin une véritable membrane. La formation de ce fac eft une merveille qui doit accoutumer aux autres. Harve y ne parle point de la formation du fac intérieur dont, fans doute, il n'a pas été témoin : mais il a vu l’animal qui y nage, fe former. Ce n’eft d’abord qu'un point; mais un point qui a la vie, & autour du quel toutes les autres parties venant s'arranger forment bientôt un animal, * 4H ©6 64 464 60 446 6 44 #66 6 60 69 60 64 608 64 64e CHAPITRE VIII. SENTIMENT DE HARVEY SUR LA GENERATION. Œ ces expériences fi oppofées aux fyflemes des œufs, & des animaux fpermatiques, parurent à Har ve x détruire le fy- fleme du mélange des deux femences: parce que ces liqueurs ne fe trouvoient point dans la matrice. Ce grand homme defefpérant de | 42 donner * GUILLELN. HARVEY. De Cervarum & Damarum ceitu, Exercit, LXVL 228 , WENUS::" donner une explication claire & diftinéte de la génération, eftréduit à s’en tirer par des comparaifons : il dit que la femelle eft rendue féconde par le mâle, comme le fer, après qu’il a été touché par l'ai- mant, acquiert la vertu magnétique, il fait {ur cette imprégnation, une differtation plus Scholaftique que Phyfique; & finit par compa- rer la matrice fécondée, au cerveau, dont elle imite alors la fubflance. L'une conçoit le fœtus, comme l'autre les idées qui sy forment; ex- plication étrange qui doit bien humilier ceux qui veulent pénétrer Jes fecrets de la nature! 2 C’eft prefque toujours à de pareils réfultats que les recherches les plus approfondies conduifent. On fe fait un fyfteme fatisfaifant, pendant qu’on ignore les circonftances du phénomene qu’on veut expliquer: dès qu’on les découvre, on voit l’infuffifance des raifons qu’on donnoit, & le fyfteme s’évanouit. Si nous croyons favoir quelque chofe, ce n’eft que parce que nous fommes fort ignorans. Notre efprit ne paroiît deftiné qu’à railonner fur les chofès que nos fens découvrent. Les microfcopes & les lunettes nous ont pour ainf dire, donné de nouveaux fens au-deffus de notre portée; tels qu'ils appartiendroient à des intelligences fuperieures, & qui mettent fans ceffe la nôtre en défaut. @te Gite es de dite dt dre 4e 414 D ee 4H Ab it 6H #4 € 4 eee . CrH Aloe RME TX TENTATIVES POUR ACCORDER -LES OBSERVATIONS AVEC LE SYSTEME DES OEUFS. à ais feroit-il permis d’altérer un peu les obfervations de Harvey? Pourroit-on les interpréter d’une maniere qui les rapprochât du fyfteme des œufs, ou des vers fpermatiques? Pour- roit-on fuppofer que quelque fait eût échappé à ce grand homme? Ce feroit, par exemple, qu'un œuf détaché de l'ovaire, fût tombé dans la matrice, dans le tems que la premiere enveloppe fe forme, & s’y fût renfermé; que la feconde enveloppe ne fût que la mem- brane propre de cet œuf dans lequel feroit renfermé le petit fœtus, {oit que l'œuf le contint avant même la fécondation , comme le préter- PAC S"E-OrU E. 229 dent ceux qui croient les œufs prolifiques, foit que le petit fœtus y füt entré fous la forme de ver. Pourroit-on croire enfin que Harvey fe fût trompé dans tout ce qu’il nous raconte de la forma- tion du fœtus ; que des membres déja tout formés, lui euflent échappé à caufe de leur molleffe, & de leur tranfparence , & qu'il les eût pris pour des parties nouvellement ajoutées, lorfqu'ils ne faifoient que devenir plus fenfbles par leur accroiffement ? La pre- miere enveloppe, cette poche que Harvey vit fe former de la ma- niere qu'il le raconte, feroit encore fort embarrafante; fon organifa- tion primitive auroit-elle échappé à l'Anätomifte, ou fe feroit-elle formée de la feule matiere vifqueufe qui fort des mamelons de la matrice, comme les peaux qui fe forment füur le lait? 4 aie st dt tb b #3 + 44h #14 ie tb AS 94 à Er 84h 44 AB € € #+4b SEL. A PRTÈR:E, X. TENTATIVES POUR ACCORDER CES OBSERVATIONS AVEC LE SYSTEME DES ANIMAUX SPERMATIQUES. S, Von vouloit rapprocher les obfervations de HA R ve y du fyfleme des petits vers; quand même, comme il le prétend, la liqueur qui les porte, ne feroit pas entrée dans la matrice , il feroit affez facile à quelqu'un d'eux de s’y étre introduit, puifque fon orifice s'ouvre dans le vagin. Pourroit-on maintenant propofer une con- jeéture qui pourra paroïître trop hardie aux Anatomiftes ordinaires, mais qui n’étonnera pas ceux qui font accoutumés à obferver les pro- cédés des infetes, qui font ceux qui font les plus applicables ici. Le petit ver introduit dans la matrice n’auroit-il point tiflu la mem- brane qui forme la premiere enveloppe ? Soit qu'il eût tiré de lui- même les fils que Harvey» obferva d’abord, & qui étoient tendus d'un bout à l’autre de la matrice ; foit qu’il eût feulement arrangé fous cette forme la matiere vifqueufe qu’il y trouvoit. Nous avons des exemples qui femblent favorifer cette idée. Pluñeurs infcétes, lorfqw’ils font fur le point de fe métamorphofer, commencent par filer ou former de quelque matiere étrangere, une enveloppe dans laquelle ils fe renferment; c’eft ainfi que le ver à foie forme fà co- Ef"3 que. #30 VENUS que. Il quitte bientôt fà peau de ver, & celle qui lui fuccede, & celle de feve, ou de chryfälide, fous laquelle tous fes membres font comme emmäillotés , & dont il ne fort que pour paroître fous la forme de papillon. Notre ver fpermatique, après avoir tiffu fa premiere enveloppe, qui répond à la coque de foie, s’y renfermeroit, s’y dépouilleroit, & feroit alors fous la forme de chryfälide, c’eft-3-dire, fous une feconde enveloppe qui ne féroit qu'une de fes peaux. Cette liqueur criftalline renfermée dans cette feconde enveloppe , dans laquelle paroït le point animé, feroit le corps même de l'animal; mais tranf parent comme le criftal, & mou jufqu’à la fluidité, & dans lequel Harvr y auroit méconnu l'organifation. La mer jette fouvent fur fes bords des matieres glaireufes & tran{fparentes qui ne paroiffent pas beaucoup plus organifées que la matiere dont nous parlons, & qui font cependant dé vrais animaux. La premiere enveloppe du fœtus, le chorion, feroit fon ouvrage ; la feconde, l’amnios, feroit {à peau. Mais eft-on en droit de porter de pareilles atteintes à des obfervations auffi authentiques, & de les facrifier ainfi à des analo- gies & à des fyftemes? Mais auffi dans des chofes qui font fi diffci- les à obférver, ne peut-on pas fuppofer que quelques circonflances foient échappées au meilleur obfervateur ? &H mu dit is te ME Ib JP 4) tb 41 6116 44 1% 414 414 © Eh ep CHAPITRE XI. VARIETES DANS LES ANIMAUX. analogie nous délivre de la peine d’imaginer de chofesnouvelles L & d'une peine encore plus grande, qui cft de demeurer dans l'incertitude. Elle plaît à notre elprit: mais plaït-elle tant à la nature ? Il y a fans doute quelqu’analogie dans les moyens que les difié- rentes efpeces d’animaux emploient pour fe perpétuer: car malgré la variété infinie qui eft dans la nature, les changemens n’y font jamais fubits. Mais dans l'ignorance où nous fommes, nous cou- rons toujours rifque de prendre pour des efpeces voifines, des elpe- ces PHYSIQUE. 27 ces fi éloignées, que cette analogie qui d’une efpece à l’autre, ne change que par des nuances infenfibles, fe perd, ou du moins eft méconnoiffable dans les efpeces que nous voulons comparer. En effet, quelles variétés n'obferve-t-on pas dans la maniere dont diflérentes efpeces d'animaux fe perpétuent ! L'impétueux Taureau, fier de fà force, ne s’anule point aux careffes: il s’élance à l’inftant fur la Geniffe, il pénetre profondément dans fes entrailles, & y verlè à grands flots, la liqueur qui doit la rendre féconde. + La Tourterelle, par de tendres gémiffemens, annonce fon amour: mille baifers, mille plaifirs, précedent le dernier plaifir. Un infecte à longues ailes * pourfüuit fa femelle dans les airs: il l'attrape; ils s'embraffent, ils s’attachent l’un à l'autre; & peu em- barraflés alors de ce qu’ils deviennent, les deux amans volent en- femble, & fe laiffent emporter aux vents. Des animaux * * qu’on a longtems méconnus, qu'on a pris pour des Galles, font bien éloignés de promener ainfi leurs amours. La femelle fous cette forme fi peu refflemblante à celle d’un animal, pañle la plus grande partie de fa vie, immobile & fixée contre Pécorce d'un arbre. Elle eft couverte d’une efpece d’écaille qui cache fon corps de tous côtés; une fente prefqu'imperceptible , eft pour cet animal, la feule porte ouverte à la vie. Le mâle de cette étrange créature, ne lui reffemble en rien: c’eft un moucheron dont elle ne fauroit voir les infidélités, & dont elle attend patiemment les careffes. Après que l’infèdte ailé a indroduit fon aiguillon dans la fente, la femelle devient d'une telle fécondité, qu’il femble que fon écaille & fa peau, ne foient plus qu'un fac rempli d’une multi- tude innombrable de petits. La Galle-infette n’eft pas la feule efpece d'animaux dont le mâle vole dans les airs, pendant que la femelle fans ailes, & de figure toute différente, rampe fur la terre. Ces Diamans dont bril- lent les buiffons pendant les nuits d’automme , les vers luifans font les femelles d’infectes ailés, qui les perdroïent vraifemblablement dans * La demoifelle, Per/a en latin. #* Hift. des Infeét, de M. de Reaumur, Tome IV. pag. 54. 232 FRÉEYNIU SF dans l’obfcurité de la nuit, s'ils n'étoient conduits par lepetit flam- beau qu’elles portent. * dus +. Parlerai -je d'animaux dont la figure infpire le mépris & l’hor- reur? Oui, la nature n’en a traité aucun en marâtre. : Le crapaud tient fà femelle embraflée pendant des mois entiers. Pendant que plufieurs animaux font fi empreflés dans leurs amours, le timide poiflon en ufe avec une retenue extreme :: fans ofer rien entreprendre fur la femelle, ni fe permettre le moindre attouchement, il fe morfond à la fuivre dans les eaux: & fe trouve trop heureux d’y féconder fes œufs après qu'elle les y a jettés. Ces animaux travaillent-ils à la génération d’une maniere f defintéreffée? Ou la délicateffe de leurs fentimens fupplée-t-elle à ce qui paroît leur manquer? Oui, fans doute, un regard peut etre une jouiffance; tout peut faire le bonheur de celui qui aime. La nature a le même intérêt à perpétuer toutes les efpeces: elle aura in{piré à chacune le méme motif; & ce motif dans toutes, eft le plaifir. Ceft lui qui dans l'efpece humaine, fait tout difparoïtre de- vant lui; qui malgré mille obftacles qui s’oppofent à l'union de deux cœurs, mille tourmens qui doivent la fuivre, conduit les amans au but que la nature s’eft propofée. ** Siles poiffons fémblent mettre tant de délicateffe dans leur amour, d’autres animaux pouffent le leur jufqu’à la débauche la plus effré- née. La Reine abeille a un férail d’amans, & les fatisfait tous. Elle cache envain la vie qu’elle mene dans l’intérieur de fes murailles; envain elle en avoit impofé même au favant Swarmerdam: un illuftre obfervateur *** s’eft convaincupar fes yeux de fes proftitutions. Sa fécondité eft proportionnée à fon intempérance; elle devient mere de 30 & 40 mille enfans. Mais la multitude de ce peuple, n'eft pas ce qu’il y a de plus merveilleux: ceft de n'être point reftreint à deux fèxes, comme les * Hift. de l'Ac. des Scienc. an. 1723. pag. 9. “ES - - - Ita capta lepore, Illecebrisque tuis omnis natura animantum, Te fequitur cupide, quo guamque inducere pergis. Lucret, Lab. E, vx Hifi. des Infe&. de M, de Reaumur, Tom. V. pag. 504. P'HYS TO UE. 233 les autres animaux. La famille de l'abeille eft compofée d’un très petit nombre de femelles deftinées chacune à être Reine, comme elle, d’un nouvel effain; d'environ deux mille mâles, & d'un nom- bre prodigieux de Neutres, de mouches fans aucun fèxe, efclaves malheureux qui ne {ont deftinés qu’à faire le miel, nourrir les petits dès qu'ils font éclos, & à entretenir par leur travail, le luxe & l'abondance dans la ruche. Cependant il vient un tems où ces efclaves fe révoltent contre ceux qu'ils ont fi bien fervis. Dès que les mâles ont affouvi la pañion de la Reine, il fmble qu’elle ordonne leur mort, & qu’elle les abandonne à la fureur des neutres. Plus nombreux de beau- coup que les mâles, ils en font un carnage horrible: & cette guerre ne finit point que le dernier mâle de leflain n'ait été exterminé. Voilà une efpece d'animaux bien différens de tous ceux dont nous avons jufqu'ici parlé. Dans ceux-là deux individus formoient Ja famille, s’occupoient & fuffifoient à perpetuer lefpece : ici la famille n’a qu'une feule femelle; mais le {exe du mâle paroît par- tagé entre des milliers d'individus; Et des milliers encore beaucoup plus nombreux, manquent de fexe abfolument. Dans d'autres efpeces au contraire, les deux fexes fe trouvent réunis dans chaque individu. Chaque limaçon a tout à la fois les parties du mâle & celles de la femelle: ils s’attachent lun à l'autre, ils s’entrelacent par de longs cordons, qui font leurs organes de la génération, & après ce double accouplement, chaque limaçon pond fes œufs. Je ne puis omettre une fingularité qui fe trouve dans ces animaux. Vers le tems de leur accouplement, la Nature les arme chacun d’un petit Dard formé d’une matiere dure & cruflacée *. Quelque tems après, ce Dard tombe de lui-même, fans doute après lufage auquel il aférvi. Mais quel eft cet ufäge? Quel eft l'office de cet organe pañager? Peut-être cet animal fi froid & fi lent dans toutes fes opérations a-t-il befoin d’être excité par ces piquures? Des gens gla- cés par l'âge, ou dont les fens étoient émouflés, ont eu quelquefois recours * Heifler de Cochleis. Oeuv. de Maupert. G£ 234 VENUS recours à des moyens auffi violens, pour reveiller en eux l'amour. Malheureux! qui tâchez par la douleur d’exciter des fentimens qui ne doivent naître que de la volupté; reftez dans la létargie &la mort; épargnez- vous des tourmens inutiles : ce n’eft pas de votre fang que Tibulle a dit que Venus étoit née *. Il falloit profiter dans le tems , des moyens que la nature vous avoit donnés pour étre heu- reux: ou fi vous en avez profité , n’en pouflez pas l’ufage au de là des termes qu’elle a prefcrits. Au lieu d’irriter les fibres de votre corps, confolez votre ame de ce qu’elle a perdu. Vous feriez cependant plus excufable encore que ce jeune hom- me qui, dans un mélange bifarre de fuperftition & de galanterie, fe dechire la peau de mille coups , aux yeux de fa maitreffe pour lui donner des preuves des tourmens qu'il peut foufirir pour elle; & des affurances des plaifirs qu'il lui fera gouter. Je ne finirois point fi je parlois de tout ce que l'attrait de cette paffion a fait imaginer aux hommes pour leur en faire excéder ou prolonger l’'ufage. Innocent limaçon, vous étes peut-être le feul pour qui ces moyens ne foient pas criminels; parce qu'ils ne font chez vous que les effets de l’ordre de la nature. Recevez, & ren- dez mille fois les coups de ces Dards dont elle vous a armés. Ceux qu’elle a rélervés pour nous, font des foins & des regards. Malgré ce privilége qu'a le limaçon de poñléder tout à la fois les deux fexes, la nature n’a pas voulu qu'ils puffent fe pañfer les uns des autres; deux font neceflaires pour perpétuer l’efpece * *. Mais voici un Hermaphrodite bien plus parfait. C’eft un petit infecte trop commun dans nos jardins, que les Naturaliftes appellent Puceron. Sans aucun accouplement , il produit fon femblable, ac- couche d’un autre puceron vivant. Ce fait merveilleux ne devroit pas être cru s’il n’avoit été vu par les Naturaliftes les plus fideles, & sil métoit conftaté par M. de Reaumur à quirien n'échappe de ce qui eft dans la nature, mais qui n’y voit jamais que ce qui y ef. On Le - ANALYSE Is fanguine natam Is, Veneñem &$ rapido [entiat effe mari, Tibull. Lib. I. Eleg. II. FX Muruis animis, amant, amantur. Catull, Carm, XLIIT, P'HYS"I OU E. 235 On à pris un puceron fortant du ventre de fa mere ou de fon pere; on l'a foigneufement féparé de tout commerce avec aucun autre, & on l’a nourri dans un vale de verre bien fermé; on l’a vu accoucher d’un grand nombre de pucerons. Un de ceux-ci a été pris {ortant du ventre du premier, & renfermé comme fa mere: il a bientôt fait comme elle d’autres pucerons. On a eu de la forte, cinq générations bien conftatées fans aucun accouplemet. Mais ce qui peut paroître une merveille auffi grande que celle-ci, c’eft que les mêmes pucerons qui peuvent engendrer fans accouplement, s’accouplent auffi fort bien quand ils veulent. * Ces animaux qui en produilent d’autres, étant féparés de tout animal de leur efpece, fe feroient-ils accouplés dans le ventre de leur mere: ou lorfqu'un puceron en s’accouplant, en féconde un autre , féconderoit-il à la fois plufieurs générations ? Quelque parti qu’on prenne, quelque chofe qu’on imagine ; toute analogie eft ici violée. Un ver aquatique appellé Polype a des moyens encore plus fur- prenans pour fe multiplier. Comme un arbre poule des branches, un Polype pouffe de jeunes polypes: ceux-ci lorfqu’ils font parvenus à une certaine grandeur, fe détachent du tronc qui les a produits: mais fouvent avant que de s’en détacher, ils en ont pouflé eux- mêmes de nouveaux: & tous ces defcendans de différens ordres, tiennent à la fois au polype ayeul. L'illuftre auteur de ces décou- vertes, a voulu examiner fi la génération naturelle des polypes { ré- duifoit à cela; & s'ils ne s’étoient point accouplés auparavant. Ila employé pour s’en aflurer, les moyens les plus ingénieux & les plus afidus: il s’eft précautionné contre toutes; les rufès d'amour, que les animaux les plus ftupides favent quelquefois mettre en ufage auffi bien, & mieux que les plus fins. Le réfültat de toutes fes obfervations a été que la génération de ces animaux, fe fait fans aucune efpece d’accouplement. Mais cela pourroit-t-il furprendre, lorfqu’on faura quelle eft lautre maniere dont les Polypes fe multiplient? Parlerai-je de ce prodige; & le croira-t-on? Oui, il eft conftant par des expériences Gg 2 & des * Hift, des Infeét, de M. de Reaumur, pag. 523. 236 + VENU S & des témoignagés qui ne permettent pas d’en douter. : Unanimal pour fe multiplier , n’a befoin que d’étre coupé par morceaux: le tronçon auquel tient la tête, reproduit une queue; -celui auquel Ja queue eft reftée, reproduit une tête; & les tronçons fans téte & fans queue, reproduifent lune & l'autre. Hydre plus merveilleux que celui de la fable; on peut le fendre dans fà longueur, le mutiler de toutes les façons; tout eft bientôt réparé ; & chaque partie eft un animal nouveau. * Que peut-on penfer de cette étrange efpece de génération; de ce principe de vie répandu dans chaque partie de l'animal? Ces ani- maux ne feroient-ils que des amas d’embrions tout prêts à fe déve- lopper, dès qu'on leur feroit jour? Ou des moyens inconnus repro- duifent-ils tout ce qui manque aux parties mutilées?. La nature qui dans tous les autres animaux, a attaché le plaifir à l'acte qui les mule tiplie, feroit-elle fentir à ceux-ci quelque efpece de volupté lor£ qu'on les coupe par morceaux ? | Pers RÉAL CH À P J'LUR.E. XL: REFLEXIONS SUR LES SYSTEMES DE DEVELOPPEMENS. | hs plupart des Phyficiens modernes, conduits par lanalogie de ce qui fe paffe dans les plantes, où-la produétion apparente des parties, n’eft que le développement deces parties déja formées-dans la graine où dans l'oignon; & ne pouvant comprendre : ‘ 71 £ - * + k 3," L , { / 5 y ma A 3 LA L UE PR a » st Le + in : NE > lé MAT On LL 0: où H TRE À 2 SA. & = 0 ( , kQ = nono \®) 2 mm | 2e SAN TM ST SRSNTNTINTENENENNEINNNNEENTTETEENENNEENEN AR À N° GYU:E PRONONCEE PAR MR. DE MAUPERTUIS DANS L'ACADEMIE FRANÇOISE LE JOUR DE SA RECEPTION. Jurquoi me trouve-je icy tranfporté tout à coup? Pourquoi m’avez-vous tiré de la fechereffe & de lobfcurité des fciences, qui ont jufqu’ici fait ma principale Etude, pour m’accor: der une place fi eclatante? Avez-vous voulu par la récom- penfe la plus flateufe, couronner des travaux étrangers à cette Illuftre Compagnie, feulement parce que vous croyiez que ce que j'avois fait, étoit utile? ou (ce qui me flatteroit bien davantage) avez-vous voulu ne point regarder mes travaux comme étrangers ? Je m’arrete, Meffieurs, à cette derniere idée, elle me fait trop d'honneur pour qu’on ne m’excufe pas, fi je m’en laiffe éblouir. Mes occupations & les vôtres étoient du même genre, & ne différoient que par le plus ou le moins d’étendue des carrieres que nous par courions, & par l'inégalité de nos talents. Celui qui ne connoit l’'Academicien François, que comme appliqué à adopter ou à pro- {crire des mots harmonieux ou barbares, n'a pas d'idée de fes occu- pations. 272 D'TSCOURS pations. Mais on fait tort au Géométre, fi l’on croit que tout fon Art fe borne à mefürer des lignes, des furfaces & des corps: lors méme qu’on lui accorde d’éléver fes recherches jufques dans Cieux & de calculer les diftances & les mouvemens des Aftres. Ce n’eft ni fur les mots ni fur les lignes; c’eft fur les idées que PAcademicien & le Géométre travaillent ; c’eft à examiner leurs rapports, que l'un & l’autre s'applique; Etude immenfe & le fonde- ment de toutes nos connoiffances. La feule différence, Meffieurs, que je trouve entre ces deux genres de Savans, C’eft que l’un renferiné dans des bornes etroîtes, ne fe permet l’ulage que d’un petit nombre d'idées, qui font les plus fimples, & qui frappent le plus uniformément tous les efprits: l'autre dans le champ le plus vafte, exerce fes calculs fur les idées les plus füubtilés & les plus variées. Il faut l'avouer; (& c’eft une juftice que l'eclat de vos occupa- tions ne peut m’empecher de rendre à mes anciennes études) cette timidité du Géométre, cette fimplicité des objets qu'il confdere, fait qu'il marche d’un pas plus für. . Une lumiere mediocre , fi elle n’eft pas fufffante pour faire des decouvertes, lui {ufhit pour eviter Perreur: & quelle lumiere ne faut-il point, pour porter fur les füjets les plus compliqués, des jugemens tels que ceux que vous portez? Si lon admire celui qui decouvre la force qui fait mouvoir les corps; qui en calcule les effets ; & qui determine tous les mou- vemens qu’elle doit produire : Quel Probleme, ou plutôt quelle foule de Problemes n’a pas refolu celui qui connoït bien toutes les forces qui font mouvoir le coeur: qui en proportionne laëtion aux différens fentimens qu'il y veut exciter; qui peut y faire naître Famour ou la haine, léfperance ou le defelpoir; y verfer comme il veut la trifteffe ou la joye ? L'un exerce une efpece d’empire fur la matiere, l’autre domine fur les elprits ; mais {ans doute lun & l'autre a des regles: & ces regles font fondées fur les mêmes principes. Ce ne font ni Îles lignes, ni les cercles tracés par le Géométre; c’ef la jufleffe de fes raifonnemens qui lui decouvre les vérités qu’il cherche: ce m’eft point le fon des mots, ni une fÿntaxe rigoureule; c'eft la même jufteffe ACÆDEMIQUES. 273 jufeffe qui fait que le Poéte ou l'Orateur: difpofe des coeurs à fon gré. Et ce qu’on appelle du terme obicur de gérie, eft-ce autre chofe qu'un calcul plus rapide & plus für de toutes les circonftan- ces d’un Probleme? Le Géométre & l'Academicien fe fervent des mêmes moyens pour parvenir à leur but; cependant ils ne doivent pas donner la même forme à leurs Ouvrages. L’un peut montrer fes calculs, parce qu'ils ne font pas plus arides que l’objet même qu’il confidere ; l'autre doit cacher fon Art, & ne doit pas laïfler appercevoir les traces d’un travail, qui terniroit l'éclat des fujets qu’il traite. Sitout ce que j'ai dit, Meffeurs, pour rapprocher de vos oc- cupations l'étude du Géométre, ne fuffifoit pas; jen appellerois à l’ex- périence. Et en m’oubliant tout à fait ici (car je n’ai garde de pen- fer que je puifle étre comparé à ceux dont je vais parler) je ferois remarquer que les plus grands Hommes de l'Antiquité, les Platons & les Ariftoteles, étoient à la fois Poétes, Orateurs, Philofophes, Géométres; & réunifloient ces différentes parties que l’infuffifance des efprits tient d'ordinaire feparées, fans que ce foit aucune in- compatibilité qui les fepare. Dans les mêmes Volumes où nous admirons la fcience de ces grands Hommes en Mathematiques & en Phyfique, nous trouvous des traités excellens fur la Poé- fie, fur l’Eloquence ; & nous voyons qu'ils pofedoient tous les genres d'écrire. Après la longue nuit dans laquelle les Lettres & les Sciences furent écliplées , depuis ces tems reculés jufqu’à nous, on les vit tout à coup reparoitre, & prefque toujours réunies dans les grands Hommes. Deicartes, Géométre profond & Metaphyficien fublime, nous a laiffé des Ouvrages dans lefquels on auroit admiré le flyle, fi le fond des chofes ne s’étoit emparé de toute ladmiration. Loke après avoir lié le plus intimément avec la Logique, la Science de lefprit humain, a prefque reduit l'une & Fautre à n'être qu’une efpece de Grammaire; & a fait voir que c’étoit dans ce pré- liminaire de toutes les fciences, qu’il falloit chercher la folution de la plupart des queftions qu’on regarde comme les plus fublimes. Oeuv. de Maupert. M m Je 274 D'I'S COURS Je trouverois bien d’autres exemples de ces hommes qui n’étoi- ent pas moins éloquens, que grands Philofophes & excellens Géométres. Je citerois, peut-etre, Newton même, comme un homme éloquent. Car pour les matieres qu'il traite, la fimplicité la plus auftere, & la précifion la plus rigoureufe, ne font-elles pas une efpece d’Eloquence? ne font-elles pas mêmes l’'Eloquence la plus convenable ? Je parcours ici les différens païs: car ces efprits deftinés à éclai- rer les autres, paroiffent comme les Aftres qui font repandus dans les différentes Regions du Ciel. Ces efprits, en eflet, au deflus de la mefure ordinaire, ne repréfentent ceux d’aucune nation, & n'appartiennent qu'à l'Univers. Un de ces grands Hommes, un de ceux qui a le plus réuni de fciences différentes, Lcibnitz avoit formé le projet d’une Langue univerfelle, d’une langue que tous les Peuples parlaffent, ou du moins dans laquelle les Savans de toutes les Nations puflent s’en- tendre. Alexandre ne trouva pas le monde entier affés grand; il auroit voulu des Royaumes & des Peuples plus nombreux, pour multiplier fes conquêtes: Leibnitz non moins ambitieux, fembloit vouloir multiplier fes Lecteurs. Projet véritablement vafte & digne de fon génie! Mais fe peut- il éxécuter? & même retireroit-on d’une Langue univerfelle tous les avantages qu’il femble qu’on en doive attendre ? Les Mathematiciens ont une efpéce de Langue qu'on peut regarder comme univerfelle. Dans les Langues ordinaires, chaque caractere eft l’élement d’une infinité de mots qui reprélentent des idées qui mont rien de commun entr'elles. Dans PAlgebre cha- que caractere repréfente une idée: & les idées felon qu’elles font plus où moins complexes, font exprimées par des combinailons plus ou moins chargées de ces mémes carateres. Tous les Géométres de quelque païs qu’ils foient, entendent cette Langue; lors même qu'ils ne font pas en état de juger de Ia vérité des propofitions qu’elle exprime. Mais A C'ÆBE M I Q UNE S. 275 : Mais cet avantage qu’elle a d'être fi facilement entendue, elle ne le doit pas feulement au principe fur lequel elle eft fondée; elle le doit aufli au petit nombre d'idées qu’elle entreprend de re- préfenter. Un langage auffi borné ne füuffiroit pas pour les peuples les plus groffiers. Une Nation fameufe fe fert d’une Langue, ou plutôt d'une écriture qui paroït fondée fur le même principe que l'Algebre, & propre comme elle à être une Langue univerfelle. Mais lefprit de cette Nation, & la longue füuite de fiecles pendant lefquels elle a cultivé les fciences, ont tellement multiplié fes caracteres, qu'ils font pour celui qui les veut déchiffrer, une étude trop longue & trop penible. Si la ferilité rend la Langue des uns peu utile pour un com- merce général d'idées, l’abondance rendra la Langue des autres d’un ufage trop difñcile: & il femble qu’on trouvera toujours l’un ou l’autre de ces deux obftacles, qui s’oppoferont à l'établiffement d’une langue univerfelle. Mais {ans s’arreter à ces grands projets, qui femblent toujours avoir quelque chofe de chimerique: une Langue dont l’ufage foit fi étendu, qu'il n’y ait aucune Contrée dans les quatre parties du monde, où l’on ne trouve des gens qui la parlent, ne procurera- t-elle pas à peu près les mêmes avantages ? Fixer la nue 4 des mots, rendre fimples & faciles les regles de la GramMäire, produire dans cette Langue d'excellens Ouvrages en tout genres; ce font là, Meffieurs, des moyens fürs pour y parvenir, & des moyens que vous pratiqués avec le plus heureux fuccès. Si de plus cette Langue eft celle d’une Nation puiffante, qui par fes conquetes & par fon commerce, force {es voifins & les peuples éloignés à l’apprendre, ce font encore de nouveaux moyens qui la rendront plus étendue. C'’eft ainfi que le Cardinal de Richelieu, par votre établiffement, autant que par le haut degré de puiffance où il porta la Monarchie, avoit deftiné la Langue Françoile à être la Langue de tous les Peuples. Elle le devint fous le Régne de Louis le Grand ; Régne fous lequel la Nation devint la premiere Nation de l'Univers. Mm 2 Les 276 D'ISTC ŒU RS Les Lettres & les Sciences, fi lon ne veut pas les regarder comme des caufes, feront toujours des marques de la grandeur & de la felicité des Peuples: & l'ignorance & la barbarie, des fignes certains de leur mifere. | J'ai vû ces Peuples, qui habitent les dernieres contrées du mon- de vers le Pole arctique: à qui l’intemperie du Ciel ne laiffe ni la tranquillité ni le loifir néceffaires pour cultiver & multiplier leurs idées; fans ceffe occupés à fe défendre d’un froid mortel, ou à chercher dans les forets de quoi foutenir une miférable vie, leur efprit eft auffi flupide, que leur corps eft difforme: ils connoiffent À peine les chofes les plus communes. Combien de nouvelles idées auroit-il fallu leur donner, pour leur faire entendre que ce que nous étions venus chercher dans leur pais, étoit la décifion d'une grande queftion fur la Figure de la Terre, de quelle utilité féroit cette decouverte, & de quels moyens nous nous fervions pour y parvenir. Ces Habitans de la Zone glacée, qui ne favoient pas le nom de leur Roi, apprirent celui de Louis: mais étoient- ils capables de comprendre quels font les avantages des Peuples {foumis à un Roï, qui par de fages Loix affure leurs biens & leur repos; qui employe les uns à défendre ou à étendre les frontieres de fes Provinces; qui charge les autres du Commerce & des Arts; qui veut qu'il y en ait qui ne foient occupés que des fpeculations & des fciences; & qui, en les rendant tous utiles , fait les rendre tous heureux. DISCOURS A COMD'E MOTO: QE S. 277 “DISCOURS PRONONCE DANS L'ACADEMIE ROYALE DES SCIENCES ET BELLES LETTRES LE JOUR DE LA NAISSANCE DU ROI. M'E S SRE: URSS. D’: ce Jour qui eft Epoque de notre Bonheur, & qui fera une Epoque d’admiration pour tous les Peuples, & pour tous les tems, l'Académie ne füivra point un ufage que la grandeur du füujet lui défend: Elle n’entreprendra point de célébrer les vertus deFREDE- Ric: mais qu’il lui foit permis de faire éclater fà reconnoiflance pour les bienfaits dont il la comble. Il ne faut que parcourir F'Hi- foire de cette Compagnie, pour connoître ce qu’elle lui doit. FREDERIC premier la fonda, & ne négligea rien de ce qui pouvoit contribuer à fon luftre. Avec quel refpeét ne dois-je pas prononcer le nom de l'Homme qu’il mit à fa téte? Avec quelle crainte ne dois-je pas penfer que j'occupe ici la place qu’a occupée le grand Lerbnitz ? C’eft un avantage qu’a cette Compagnie fur toutes les autres Académies de l'Europe, qu’elle a paru d’abord avec tout Péclat au- quel les autres ne font parvenuës que par degrés. Toutes ont eu des commencemens obicurs: Elles fe font formées peu à peu, & ont formé leurs grands Hommes: un grand Homme forma la nôtre; & elle fut célébre dès fa’naiffance. Dès le premier Volume qu’elle publia, l’on vit qu’elle ne cedoit à aucune des Societés favantes qui V’avoient devancé. Mm3 Il 278 DISCOURS Il faut lavouëér, fes progrès ne répondirent pas à fes commen- cemens. Soit que la Societé Royale fe repofät trop für fon origine, foit que la mort de Leibnirz leut accablée, on vit bientôt fes travaux fe rallentir. Pendant cet état d’inaction, les autres Académies ne perdoient pas un moment. En Angleterre le feul goût de la Nation, en France ce même goût excité par les récompenfes, produifoit tous les jours quelque nouvelle découverte. Une noble émulation entre les deux Nations devint à la fin une efpece de guerre. Chacune, fiere de fes fuccès, fe piqua de ne rien tenir de fon Emule, Cette difpofition dans les Efprits, peut-étre autant que l'Amour de la Verité, fit que chaque Nation partit de fes principes, & fe fit une Philofophie op- polée en tout à la Philofophie de l'autre. La fameufe difpute fur la figure de la Terre s’eleva : Newron affura qu’elle étoit applatie, Cafini foutint qu’elle étoit allongée: aucun des deux partis ne voulut ceder: la Difpute dura quarante ans. S'il n'eut été queftion que d’une fimple Théorie, on les auroit peut-être laiflé difputer. Mais la chofe parut fi importante pour la Géopraphie, & la Navigation, qu’un Prince, né pour la gloire & le bonheur de fes Peuples, la voulut faire décider. Le moyen le plus für étoit de mefürer les degrés du Meridien, vers l’'Equateur & vers le Pole. Mais quelle entreprife! quelle dépenfe ! quel attirail d’infrumens il falloit porter dans des païs deferts & fauvages! Louis ordonna, & toutes les difficultés furent vaincus. Ps Les Anglois eurent l'avantage d’avoir le mieux conjeturé fur cette queftion: la France eut la gloire de lavoir décidée ; & de l'avoir décidée en leur faveur. J'efpere qu'on m'excufèra de n'être un peu étendu für cette matiere, fi l'on penfe à ce que je crois lui devoir : fans mon voyage au Pole, mon nom vraifemblablement n'auroit jamais été connu du Roi. Jétois entré d’affez bonne heure dans une Académie, dont l'objet eft le progrès des fciences : une autre Académie, qui s’appli- que particulierement à la perfection des Arts du Poëte & de lOra- teur, m'avoit fait l'honneur de m’admettre parmi les Hommes illuftres qui A C'ADE MN O1! USENS. 279 qui la compofent: Mais je n’euffe jamais penfé, que je düffe occu- per une place fi éclatante dans une Compagnie, qui raffemble tous les genres &tous les Talens; que je fuffe deftiné à préfider à Vos tra- vaux, & à les porter au pied du Frône. La Societe Royale de Pruffe étoit demeurée tranquille, malgré les mouvemens qu’avoit caufés l'émulation des deux Nations, & avoit paru infenfble à leurs progrès: Elle avoit vu même fans s’'émouvoir une nouvelle Académie fe former dans des Climats, recu- lés bien au delà des limites qui femblent affignées aux Sciences. Un Prince, Créateur de fà Nation, avoit cru ne pouvoir achever fon Ouvrage, s’il n’établifoit une Académie dans fon Empire. Pendant que les Sciences s’étendoient dans toutes les parties de l'Europe, elles languifloient à Berlin: un Régne uniquement militaire les en avoit prefque bannies. La confidération qu'on leur donne les peut faire fleurir: mais le peu de cas qu’on en fait, les détruit bien plus furement. Ce font des fleurs qu'une longue culture fait éclorre, & qu'un mauvais fouffle fane d’abord. La Societé Royale avoit éprouvé ce fouffle fatal. Elle attendoit un évenement, qui devoit lui rendre tout fon luftre. Un Prince chéri des Mufes, comme des Deftinées, devoit mon- ter fur le Throne: Celui qui, s'il füt né dans une autre condition, eut été l’ornement de l’Academie, devoit devenir le Maitre de l'Etat. Cet heureux jour arrive: on va voir renaître les Sciences, les Lettres & les Beaux-Arts. Mais quel nouvelévenement vient éloigner nos efperances? FREDERIC à d'anciens droits fur une Province, & le tems eft venu de les reclamer. Ce n’eft point une ambitieufe envie d’aquerir de nouveaux Etats, ce n’eft point cette fureur guer- riere, glorieufe quelquefois pour les Rois, mais prefque toujours fu- nefte aux Peuples; c’eft l'Amour de la juftice, ce qu'il doit à fa Müilon & à {oi-meme, qui le met à la tête de fon Armée. Quels prodiges ne firent pas les Troupes Prufliennes dans les Champs de Molwirz, de Czaslaw, de Friedeberg & de Sorr, & jufques fous les murs de Dresde ; Cinq Batailles gagnées affurent au Roi 280 - DISCOURS Roi la poñleffion de Païs, plus grands que ceux qui lui étoient dif- putés. Laflé de vaincre, il dicte la Paix. La Pofterité racontera ces faits, & s’en étonnera. Pour nous qui cherchons à découvrir les rapports entre les évenemens & les caufes, nous ne voyons rien ici qui doive nous furprendre: la pru- dence, la valeur, la grandeur du génie de FREDERIC, nous an- nonçoient tout ce que nous avons và arriver. Cette partie d’em- pire qu’il femble que l’Etre fuprême ait voulu laiffer à la Fortune, le Hazard de la Guerre, n’eft le plus fouvent qu’un mot, inventé pour excufer les Généraux imprudens. Pourquoi faut-il que le refpect m'arrête? Pourquoi ne puis-je laiffer voir des Lettres, écrites la veille de ces jours qui décident du fort des Etats? Pourquoi ne puis-je les laiffer comparer à celles que le plus grand Philofophe, & le plus bel Efprit des Romains, écrivit dans fes jours les plus tranquilles. C’eft dans ces-efpeces de confidences qu’on connoit le grand homme, mieux que par le gain d'une Bataille. L’adtion la plus he- roïque peut n'étre qu'un mouvement généreux, dont il ny a peut- être gueres d'homme qui ne foit capable. Le métier même de Heros eft quelquefois un état forcé, dans lequel le Prince a été jetté par de veritables paffions, & eft retenu par les circonftances. Mais cette tranquillité d’ame au moment des plus grands perils; ces fen- timens d'humanité, qui nadmettent les excès de la guerre, que comme les moyens néceffaires de la paix, ce font là des caractères du veritable Heros, de celui qui eft né Heros, & qui left tous les inftans de fà vie. rreperic revient. De quelles acclamations, & de quels cris de joye les airs retentiffent! Eft-ce une Armée qui marche avec ces Canons, ces Drapeaux, ces Etendarts? Trophées, qui coutez toujours trop cher, allez parer nos Temples, ou remplir nos Arfe- naux: demeurez y renfermés pour jamais. La Guerre n’étoit pas terminée, que le Roi formoit les projets, qui devoient faire le bonheur de fes Peuples: pendant la Paix, il n'eft pas moins occupé de ce qui les rend invincibles. Il foutient, il ACADEMIQUES. & il perfeétionne cette Difcipline, qui diftingue le Soldat Pruffien de tous les autres Soldats du monde; qui le rend fi terrible fur le Champ de bataille, &:fi retenu dans les Villes. Cet Art, par lequél fes mouvemens s’exécutent, fembie étre paffé jusques dans fon Ame: un mot, un gefte, change fà fureur en humanité: fes ennemis lont éprouvé cent fois; dès qu'ils ont été vaincus, ils n'ont plus vû en lui que de la compañfion & des fecours. Une telle difcipline ne peut fe foutenir que par des foins con. tinus. Tandis que nos Frontieres font fi loin reculées, que nos Villes font fortifiées d’inacceffibles Remparts, l'Armée toujours fous les Armes eft auffi exercée, & aufli vigilante que fi l'ennemi étoit aux portes. Tous les jours l'Officier Pruffien voit fà troupe, telle qu’elle eft au moment du combat; le Roi lui-même s’en fait un de- voir ; il vient de dicter les depêches à fes Miniftres, il va faire ex- ercer fes Soldats ; avant la fin du jour, il aura écouté tous les Re- quêtes des Citoyens. La Guerre a affez rendu les Pruffiens formidables: C’eft à {x Juftice à les rendre heureux. Des Loix, peut-être défe‘tueufes, mais füurement obfeures, faifoient naître & prolongeoient les pro- cès. Une forme établie pour affurer à chacun fà fortune, pouvoit quelquefois la lui faire perdre. Le Roi, Juge de fon Peuple, avoit remarqué le défaut des Loix: quelquefois elles fe déclaroient pour celui que ondamnoit l'Equité naturelle. La juftice du Prince peut alors y remédier: mais aucun Tribunal ne le peut, tant que la Loï fublife. FREDERIC entreprend de faire ceffer les défordres qui naiffent de ces contradictions, de réformer les abus, & de juger les Loix- mêmes. Of pourroit comprendre l'importance de cette nouvelle Legislation, par le choix {eul des Magiftrats à qui il la confie. Ses foins s'étendent à tout. Ilveut que dans des Maifons defti. nées au pauvre, le laborieux trouve la récompenfe de fon travail , le fainéant le châtiment de fa parefle; mais que l'un & l’autre vive. Parlerons-nous de ces Canaux qui portent l’abondance dans les Provinces les plus éloignées? de tant d'établiffemens pour le pro- Oeuv. de Maupert. Nan grès 292 DISCOURS grès des Arts & du Commerce? de ces fuperbes Edifices, dont la Capitale eft embellie? de ces magnifiques Spectacles donnés au Peuple? de cet Azyle pour ces Soldats, qui ne peuvent plus fervir leur Patrie, que par l’exemple de ce qu’il faut facrifier pour elle? Quelque plaifir que vous ayez à m’entendre, je ferois trop long, fi j’indiquois feulement tout ce que rREDER1C a fait dans fix ans de Régne. Je me borne, Meffeurs, à ce qui nous regarde plus particulie- rement. Il rappelle les Mufes: cette Compagnie reprend fà pre- miere vigueur. Il lui donne de nouveaux Titres, de nouveaux Ré- glemens, une nouvelle vie: 11 la raffemble dans fon Palais, & fe déclare fon Protecteur. Phificien, Géométre, Philofophe, Orateur, cultivez vos talens fous les yeux d’un tel Maitre. Vous m’aurez que fon loifir; & ce loifir n’eft que quelques inftans: mais les inflans de FREDERIC valent des années. DES | ACADEMIQUES. 283 eee ern et eetuthef-tree HE:S DE V OIRS LA CADEMICIEN. DISCOURS PRONONCE DANS L'ACADEMIE ROYALE DES SCIEN- GESNE T'BEËLES-LETTRES. M ESA EU RS. po j'entreprens ici de parler des Devoirs de lAcademicien, je n’aurois qu’à dire ce que vous faites, pour avoir prefque dit ce que vous devez faire: & j’aurois pu donner cette forme à mon Dilcours, fi je n’avois eu à craindre un air d’oftentation qu'on auroit pu me reprocher, malgré le peu de part que j'ai à votre gloire & à vos travaux. Je parlerai donc ici des Devoirs de l'Academicien en général: Si vous y trouvez votre Eloge, ceux qui ne font pas de ce corps y trouveront ce qui peut les rendre dignes d’en être. Mais avant que de parler de Devoirs à des hommes libres, tels que font les Citoyens de la République des Lettres; quelle eft donc la Loi qui les peut obliger? Pourquoi le Philofophe renoncera-t-il à cette liberté à laquelle il femble qu’il ait tout facrifié, pour s'affu- jettir à des devoirs? pour fe fixer à des occupations réglées & d’un certain genre? Il faut fans doute qu’il y trouve quelqu’avantage; & cet avantage quel eft-il? C’eft celui que les hommes retirent de toutes les Societés: c’eft le fecours mutuel que fe prétent tous ceux qui en font les membres. Chaque Socicté poflede un Bien commun, ou chaque particulier puife beaucoup plus qu’il ne contribue. Nn 2 Q'un 284 DISCOURS Q'un homme qui s'applique aux Sciences, veuille:fe fuñfire à lui-même; qu’il ne veuille emprunter d'aucun autre les connoiflan- ces dont il a befoin; quand même je fuppoftrai qu’il ait tout le Génie poffible; avec quelle peine, avec quelle lenteur, ne fera-t-il pas fes progrès! quel tems ne perdra-t-il pas à découvrir des verités qu’il auroit connuës tout d’abord , s'il eut profité du fecours d’autri? Il aura épuifé fes forces avant que d’étre arrivé au point d’où il eut pü partir. Combien celui qui, aidé des lumieres de ceux qui l'ont devancé & de celles de fes Contemporains, referve toute fa vigueur pour les feules difficultés qu’ils n'ont pas refoluës, combien celui-là n’eft-il pas plus en-état de les réfoudre ? Tous ces fecours qu’on trouve difperfés dans les ouvrages & dans le commerce des Savants, lAcademicien les trouve raflemblés dans une Academie; il en profite {äns peine dans la douceur de la Societé; & il a le plaifir de les devoir à des confreres & à des Amis. Ajoutons-y ce qui eft plus important encore; il acquert dans nos Affemblées cet Elprit Academique, cette efpece de fentiment du vrai, qui le lui fait découvrir par tout oùileft, & l'empeche de le chercher là où il n’eft pas. Combien différens Auteurs ont hazardé de fyftèmes dont la difcuffion Academique leur auroit fait connoîïtre le faux! Combien de Chimeres qu’ils n’auroient ofé produire dans une Academie! Je ne vous ai cité ici M. M. que les avantages immediats que chaque Academicien trouve dans fon Aflociation à une Academie: c'étoit par ceux-là que je devois commencer en parlant à des Philo- fophes. Il y en a d’autres, qui, s'ils ne font pas des moyens di- redts, doivent être de puiffants motifs pour exciter les gens de Lettres: c’eft la Protection dont les Souverains honorent les Acade- mies, & les graces qu’ils répandent fur ceux qui sy diftinguent. Ici la nôtre a un avantage qu'aucune autre ne peut lui difputer. Je ne parle point de la magnificence avec laquelle le Roi récompenfe vos travaux, ni du fuperbe Palais qu’il vous deftine: il employe des moyens plus {ürs pour la gloire de fon Academie. Ces Ouvrages que nous avons fi fouvent admirés dans des jours tels que celui-ci, feront des Monumens éternels de leftime qu’il a pour elle, & du cas qu'il fait de fes occupations. Voilà ACADEMIQUES. 285 «Voila M. M. les avantages que chaque Academicien retire du ps dont il fait partie: voilà les motifs qui le doivent exciter dans la carriere des Sciences : & combien puiffamment ne doivent pas agir fur vous tant de motifs reünis! Les Devoirs même que l’Aca- demie vous impole font-ils autre chofe que ce que l'Amour feul des Sciences vous feroit faire? Trouveriez-vous trop de contrainte dans lAcademie de l’Europe la plus libre ? Tous les phénomenes de la Nature, toutes les Sciences Mathe- matiques, tous les genres de litterature, font foumis à vos recher- ches: & dès-la cette Compagnie embraffe un Champ plus vafte que la plupart des autres Academies: mais il eft certains fanétuaires dans leiquels il n’eft permis à aucune de pénétrer: votre Fondateur même, tout fublime & tout profond qu'il étoit, tout exercé qu’il étoit dans ces routes, n’ofa y conduire {es premiers difciples. Les Legislateurs de toutes les Academies, en leur livrant la Nature entiere des Corps, leur ont interdit celle des Efprits, & la fpeculation des premieres caufes : Un Monarque qui a daigné dicter nos loix, un Efprit plus vafte, plus für peut-être auffi de votre prudence , n’a rien voulu vous interdire. | Quant à notre Difcipline Academique, il n’y a aucune Acadé- mie dans l'Europe dont les Réglemens exigent fi peu. Carilne feroit pas jufte de faire entrer dans cette Comparaifon des Socictés fur lefquelles ni Pœil ni les bienfaits du Souverain n’ont jamais au- cune influence, Notre Académie embraffe dans quatre Departemens toutes les Sciences. Chaque Claffe concourt avec égalité au progrès de cha- cune: cependant la diverfité de leurs objets admet de la diverfité dans la maniere de les traiter. La premiere de nos Claffes, celle de /a Philofophie Expérimen- zale, comprend toute l’hiftoire naturelle, toutes les connoiffances pour lefquelles on a befoin des yeux, des mains, & de tous les fens. Elle confidere les corps de l'Univers revétus de toutes leurs proprié- tés fenlbles; Elle compare ces propriétés, elle les lie enfemble, & les deduit les unes des autres. Cette Science eit toute fondée fur FExpérience. Sans elle le raifonnement toujours expofé à porter à Nn 3 faux 286 DISCOURS faux fe perd en fyftèmes qu’elle dément. Cependant l'Expérience a befoin auffi du raifonnement; il épargne au Phyficien le tems peine; il lui fait faifir tout à coup certains rapports qui le difpenfent de plufeurs opérations inutiles ; & lui permet de tourner toute fon application vers les phénomenes décififs. Que le Phyficien s'applique donc à examiner foigneufement les Expériences faites par les autres : qu’il wait pas plus d’indulgence pour les fiennes propres: qu'il n'en tire que des conféquences legi- times: & furtout, qu'égalementéloigné de loftentation qui fait pro- duire le Merveilleux, & du Mifiere qui tient caché l’Utile, il les ex- pofe à fes Confreres avec toutes leurs circonflances. Nous voyons plus d’un Academicien que je pourrois citer ici pour modeles; qui connoiffent également l'art de faire les Expérien- ces les plus délicates, & celui d’en tirer les conféquences les plus ingénieufes: qui malgré les plus grandes occupations, & les occu- pations les plus utiles de la Cour & de la Ville, trouvent des heures pour nous donner d'excellents ouvrages, & font les premiers & les plus affidus dans nos Affemblées. Notre Claffe de Marbematique eft la feconde. La premiere con- fidéroit les corps revêtus de toutes leurs propriétés fenfibles: celle- ci les dépouille de la plupart de ces propriétés pour faire un examen plus fevere & plus für de celles qui y reflent. Les corps ainfi dé- pouillés ne préfentent plus au Géométre que de l'Etendue & des nombres: & ceux que des diftances immenfes mettent hors de la portée de pluñeurs de fes fens, n’en paroiffent que plus foumis à fes fpeculations & à fes calculs. La Géoiétrie, qui doit fon origine à fon utilité, & que les pre- miers Géométres appliquérent avec tant de fuccès aux befoins de la vie, ne fut enfüuite pendant plufieurs fiecles qu'une fpeculation feri- le, & un efbece de jeu d'efprit. Trop bornée à fes abftractions elle {e contentoit d'exercer fon art für des bagatelles difficiles, & n’ofà le porter jufqu'aux phénomenes de la Nature. L’heureufe révolution qui s’eft faite prefque de nos jours dans les Sciences, la rendit plus audacieufe. On vit la Géométrie expliquer tous les phénomenes du Mouvement, & quelle partie n'eft- ce pas de la Philofophie natu- rclle? A C'AD'E MAN IQ WE S. 287 relle ? On la vit fuivre le Rayon de la Lumiere dans Fefpace des Cieux, à travers tous les corps qu’il pénétre, calculer toutes les Mer- veiiles qui naiffent de fes réfléxions & de fes réfractions : foit pour nous faire découvrir des objets que leur immenfe éloignement dé- roboit à nos yeux, foit pour nous rendre fenfibles ceux qui par leur extreme petitefle ne pouvoient étre apperceus. On vit le Géométre déterminant par des dimenfions exactes la grandeur & la figure du Globe que nous habitons, marquer au Géographe la veritable pof- tion de tous les lieux de la Terre, enfeigner au Navigateur des Regles füres pour y arriver. On vit les fciences Mathematiques s'appliquer à tous les Arts utiles ou agréables. La marche du Géométre ef fi déterminée, fes pas font pour ainfi dire fi comptés, qu’il ne refte que peu de confeils à lui donner. Le premier c’eft, dans le choix des füjets auxquels il s'applique, d'avoir plus en vué l'utilité des Problemes que leur difficulté. Com- bien de Géométres, s’il eft permis de les appeller de ce nom, ont perdu leur tems dans la Recherche de la Quadrature d’une Courbe qui ne fera jamais tracée! Le fecond confeil, c’eft, dans les Problemes phyfico- mathe- matiques, que le Géométre réfout, de fe reffouvenir toujours des abftractions qu’il a faites: que fes folutions ne font juftes qu’autant qu'il n’y auroit dans les corps que ce petit nombre de propriétés qu'il y confidere: & que comme il n’y a peut-être point dans la Na- ture de corps qui foient réduits à ces feules propriétés, il doit fur ceux qui ont été les objets de fes calculs, confülter encore l’expé- rience, pour decouvrir fi des propriétés dont il a fait abftraction, ou dont il a ignoré la prélence, n’alterent pas les effets de celles qu'il y a confervées. _ En füivant ces confeils, le Géométre mettra fon art à l'abri du reproche d’inutilité: & le juflifiera aux yeux de ceux qui pour ne le pas connoïtre aflés, lui imputent des défauts qu’il ne faut attribuer qu’à l’ufage mal-habile qu’on en fait. La Claffe de Philofophie fpeculative eft la troifiéme. La Philo- Sophie expérimentale avoit examiné les corps tels qu'ils font; revétus de 288 DISCOURS de toutes leurs propriétés fenfibles: La Marhemarique les avoit dépouillé de la plus grande partie de ces propriétés: La Philofophie Jpeculative confdere des objets qui n’ont plus aucune propriété des corps. L’Etre fuprème, lEfprit humain, & tout ce qui appartient à l'Efprit eft l’objet de cette fcience. La Nature des corps mêmes, entant que repréfentés par nos perceptions, fi encore ils font autre chofe que ces perceptions, eft de fon reflort. Mais c'eft une remarque fatale, & que nous ne fçaurions nous empecher de faire: Que plus les objets font intéreffans pour nous, plus font difficiles & incertaines les connoiffances que nous pouvons en acquerir! Nous ferons expolés à bien des erreurs, & à des er reurs bien dangereufes, fi nous n’ufons de la plus grande circon- fpection dans cette fcience qui confdère les Efprits. Gardons-nous de croire qu’en y employant la méme methode, ou les mêmes mots qu'aux fciences mathematiques, on y parvienne à la même certitude. Cette certitude n’eft attachée qu’à la fimplicité des objets que le Géométre confidere , qu’à des objets dans lefquels il n'entre que ce qu’il a voulu y fuppofer. Si je vous expofe ici toute la grandeur du péril des fpéculations. qui concernent l’Etre fuprème, les premieres Caufes, & la Nature des Elprits,. ce n’eft pas M. M. que je veuille vous détourner de ces Recherches. Tout eft permis au Philofophe, pourvü qu'il traite tout avec l’Efprit philofophique, c’eft à dire, avec cet Efprit qui imefure les différens degrés d’Affentiment: qui diftingue l'Evidence, la probabilité, le doute: & qui ne donne fès fpéculations que fous celui de ces différens afpects qui leur appartient. Si la plupart des objets que la Philofophie fpéculative confidere, paroiflent trop au deffus des forces de notre Efprit, certaines parties de cette fcience font plus à notre portée. Je parle de ces Devoirs qui nous lient à Etre fuprème, aux autres Hommes, & à nous- mêmes: de ces loix auxquelles doivent être foumiles toutes les Intelligences: vafte champ, & le plus utile de tous à cultiver! * Ap- pliquez- ACADEMIQUES. 289 pliquez-y vos foins & vos veilles: mais n’oubliez jamais, lorfque l'évidence vous manquera , qu’une autre lumiere auffi füre encore doit vous conduire. La quatriéme de nos Claffes réünit tous les différens objets de deux célébres Academies d’un Royaume où l'abondance des grands Hommes les a tant multipliées. Je parle de notre Clafle de Belles Lettres, qui comprend les Langues, PHiftoire & tous les genres de Litterature: depuis les premiers Elémens de cet art qui apprend à former des fons & des fignes pour exprimer les penfées, jusqu’à l'ufage le plus étendu qu’on en peut faire. Cet Art le plus merveilleux de tous, le plus utile fans doute, fut dans fes commencemens fans doute un art très fimple. Le peu de befoins que fentirent les premiers hommes, n’exigea pas un grand nombre de mots ni de fignes pour les exprimer. Ce ne fut qu'après le fuccès de ce premier effai qu’ils defirérent de fe communiquer des idées moins communes, & qu’ils commencérent à connoître les charmes de la converfation. Combien fallut-il de tems, combien s'ecoulérent de fiecles avant qu’ils fçuffent peindre aux yeux la con- verfation même! La premiere Langue des hommes s’étoit déjà vraifemblablement diverfifiée, lorfqu'ils pafférent de la parole à l’Ecriture. Les Famil- les étant devenués des Nations, chacune par des fuites différentes d'idées fe forma non feulement de mots différens, mais des manie- res de s'exprimer différentes: les langues vinrent de cette diverfité; & tous ces enfans d’un même Père fi difperfés, & après tant de géné- rations, ne purent plus lorfqu'ils fe retrouvoient fe reconnoître ni s'entendre. Un beau projet feroit, non de les faire revenir à leur Langue paternelle, la chofe n’eft pas poflible, mais de leur former une Langue plus réguliere que toutes nos langues qui ne fe font formées que peu à peu, plus facile, & qui püût être entenduë de tous. Oeuv. de Maupert. Oo Ce 200 DISCOURS Ce Probleme qui à été plus d’une fois propolé, fut l’objet de notre Academie dès fa naiffance *: Un habile homme entreprit l'ou- vrage: un plus habile le regarda comme poffible, & ne lentreprit pas **. Ce n’eft pas ici le lieu d’expofer les penfées qui me font venues fur ce fujet. La multiplicité des objets de cette claffle ne me permet pas non plus de donner pour chacun des regles ni des conjeils. … Je me bornerai à faire connoitre la raïfon du choix de la langue dans laquelle nos Ouvrages paroïflent, s’il eft encore néceffaire de prou- ver que ce que celui qui eft lAme de notre Academie a ordonné, étoit Le plus convenable. è L'Utilité des Academies ne fe renferme pas dans les limites de chaque Nation. Une Academie poffede de ces hommes deftinés à éclairer le monde entier; toutes les Nations doivent avoir part à leurs découvertes; & il faut les leur communiquer dans la langue la plus univerfelle. Or perfonne je crois ne refufera cet avantage à la nôtre, qui femble étre aujourdhui plutôt la langue de l’Europe entiere que la langue des François. Si quelqu’autre pouvoit lui difputer l'univerfalité, ce feroit la La- tine. Cette langue.il ef vrai eft repandue par tout: mais morte, & par tout refervée pour un petit nombre de fävans, on n’eft sûr de la bien parler qu’autant qu’on employe des Phrafes entieres des anciens Auteurs: & dès qu’on s’en écarte, on forme un jargon heterogene dont l'ignorance feule empeche de fentir le ridicule. Il fe trouve encote pour juftifier le choix de notre langue d’autres raifons qui ne font pas moins fortes: ce font la perfection de la langue même, l'abondance que nos progrès dans tous les arts & dans toutes les fciences y ont introduite, la facilité avec laquelle on peut s’y exprimer avec juftefe fur toutes fortes de fujets, le nombre inombrable d’excellens Livres écrits dans cette langue. Si les Grecs & les Lätiis’nous ont donné les premiers modeles, ces modeles ont été furpañfés dans plufieurs genres, & dans tous tellement multipliés que * Solbrig. ** Leibnitz. A C'APD'E MN’. WE S. 291 | que nos Ouvrages peuvent aujourdhui fervir de modeles aux Ecri- vains de toutes les Nations. Si l’on peut faire un reproche à notre langue, c’eft celui qu'on fit à la langue des Romains, lorfqu’après avoir atteint fa plus grande perfection, elle vint à perdre fa noble fimplicité pour cette fubtilité vaine qu’on appelle fi improprement Bel E/prir. Certaines gens ne fçauroient encore pardonner à un Auteur françois, d’avoir refufé /e Bel Efprir aux Allemans *. S'ils favoi- ent mieux ce qu'on entend d'ordinaire par Bel Efprir, ils verroient qu'ils ont peu lieu de fe plaindre. Ce n’eft le plus fouvent que Part de donner à une penfée commune un tour fententieux: c’e/?, dit un des plus grands hommes de Angleterre, l’arr de faire paroître les chofes plus ingénieufes qu'elles ne [ont **. à Quelques Auteurs Allemans fe font vangés en refufant aux François l’Erudition & la Profondeur: la vangeance auroit été plus jufte, fi nous abandonnant le Bel Efprit, ils s’étoient contentés de dire que nous en faifons trop de cas. Mais fi ces Auteurs entendent par l Erudition qu’ils refufent aux François un fatras de citations La- tines, Grecques, & Hebraïques, un ftyle diffus & embarraffé, on leur faura gré du reproche & l’on s’applaudira du défaut. Cette netteté & cette précifion qui caraéterifent les Auteurs françois, depend fans doute autant du génie de la langue, que la langue a dependu, elle même du Tour d'Elprit de ceux qui l'ont parlée les premiers & qui en ont poff les régles. Mais ce font ces avantages qui la rendent fiuniverfelle, qui font qu’un Monarque dont le gout ef le fuftrage Ie plus décifif, la parie & l’écrit avec tant d’ele- gance, & veut qu'elle foit la langue de fon Academie. J'ai parcouru ici toutes les différentes fciences auxquelles nous nous appliquons : & n’ai point parlé d’une qui fut un des principaux objets de cette Compagnie lors de fon établiffement. Le premier Réglement de la Societé Royalefif it, qu'une de fes Claffes devoit s'appliquer à l’Erude de la Réhigion 5 à la con- Oo 2 ver/ion * Bouhours, #* Bacon, 202 - DISCOURS verfion des Infdeles : Article plus fingulier par la manière dont il étoit préfenté qu’il ne left peut-être en effet. Notre Réglement mo- derne ne charge aucune Claffe en particulier de cette occupation: mais ne peut-on pas dire que toutes y concourent ? Ne trouve-t-on pas dans l'étude des Merveilles de la Nature, des preuves de l’Exiftence d'un Etre fuprème ? Quoi de plus capable de nous faire connoïtre fa fagefñle, que les vérités Géométriques; que ces Loix éternelles par lefquelles il régit l’Univers? La philofophie fpeculative ne nous fait-elle pas voir la néceffité de fon Exiftence? Enfin l'étude des Faits nous apprend, qu’il s’eft manifefté aux hommes d’une maniere encor plus fenfible; qu’il a exigé d’eux un culte, & le leur a préfcrit. ELOGE A CAND'E MIO WE 6. 293 AAA AS A A A A A A A SA A A a 2 A A AA À 4 | sg eniqg. hevi € Sie 2 DE PRE TRE 'Y SE RUE TN GK. 47 Baron de Keyférlingk, Chevalier de l'Ordre de St. Jean, Colonel de Cavallerie & Adjudant Général du Roy, nâquit le 5. Juillet 1698. à Oéten, Terre héréditaire de la famille en Cour- lande. Ses Ancêtres paternels, originaires de Weftphalie, furent de ces anciens Chevaliers, qui, après avoir apporté le Chriftianifme en Courlande, s’y établirent. Le Pére de Thierry fut jean Ernef, Baillif de Durben; fa Mére, Dorothée Amelie de la Chiefe, d’une ancienne & illuftre famille d'Italie. Thierry n’étoit que dans fà neuviéme année, lorfque fon Pére mourut. Les foins de fa Mére continuérent fon Education. On découvroit en lui de grands talens: on s’appliqua à les cultiver. Et quoique lufage de fon païs deftinät prefque néceffairement un homme de fà naïflance au métier des armes, on voulut qu'il fut propre à tout. On l'envoya à Kônigsberg, où il fit tant de progrès qu'à l’âge de 17. ans, quatre harangues prononcées dans un même jour, en Grec, en Latin, en François & en Allemand, le firent recevoir Mem- bre de l'Univerfité. Son travail n’en fut que plus affidu. La Phi- lofophie , les Mathematiques, l’Eloquence & la Poëlie l’occupérent tout à la fois, & il réüffit dans toutes. Pendant qu’il avoit acquis toutes les connoiffances qui peuvent orner l’efprit, il s’'étoit formé dans tous les exercices. Ces arts qui autrefois étoient toute la fcience de la Nobleffe, font encore en quelque forte une partie de nos fciences. Si l’adreffe du corps, la Oo 3 Danfe, 204 DISCOURS Danfe, la Mufque, ne fuppofent qu'une certaine jufteffe dans la proportion des organes, l’art d’en juger, le goût, fans lequel on n’y excelle jamais, approche bien du -reffort de l’efprit. Ce fut aïors, en 1720; que le jeune Key/érhingk entreprit de fatisfaire la paffion qu’il avoit de voyager. Les Voyages font en Allemagne la derniére partie de l'Education, & ils devroient l'être par tout. :: Ce font eux qui achevent ce caraétére d’Univerfalité, que doit avoir commencé lEducation des Colléges. Le Grec & le Latin forment homme de tous les tems: Les Voyages font l'homme de tous les païs. M. de Key/erlingk vint à Berlin, & commença par cette Ca- pitale à exécuter fon projet de vifiter les principales Cours de l’AI- lemagne. Continuant enfüuite fon voyage par la Hollande, il arriva à Paris; dans cette Ville immenfe, où tant d’Etrangers abordent, mais où les feuls Etrangers tels que lui, deviennent Citoyens. Après y avoir fait un féjour de deux ans, il revint à Berlin, où le feu Roi lui donna une Lieutenance dans le Régiment du Margrave Albert : Quelques années après une Compagnie : Et pour mettre tous fes talens en valeur, il le plaça auprès du Prince Royal. Des circonftances particuliéres léloignérent bientôt de fon Maître, & le firent retourner à fon Régiment. Mais l’abfence ne lui fit rien perdre; & dès que le Prince fût devenu Roi, M. de Key/er- lingk trouva fa fortune auffi avancée, que s’il avoit pañle fà vie à lui faire fa Cour. Il fut aufi-tôt Colonel, Adjudant Général, & pourvû d’une penfon confidérable. Après tout ce que nous avons dit de fon efprit, on doit s'être fait une idée des qualités de fon coeur. Car la vertu eft- elle autre chofe, que la juftefle de Pefprit appliquée aux moeurs? Ce n'étoit point un fentiment tranquille que celui qu’il avoit pour le Roi, c'étoit une véritable paffion dort il étoit tranfporté. Il vouloit que tout le monde le vit, le connût & l'aimât. Aufli quel foin ne prenoit- il pas, dès qu'un Etranger paroifloit à la Cour , pour le mettre à portée de contempler ce Monarque! A Pamour pour fon Prince, fe joignoit un autre motif qui n'étoit pas moins noble, le plaifir de ren- dre fervice ; plaiär fi puiffant fur M. de Keytrbnsk, qu'on pue ire ACADEMIQUES. 205 dire‘qu'il &y livroit fans referve; & que fi l’offtpeut lui faire quel- que reproche, c’eft d’en avoir fait une habitude trop univerfelle. Un tel Caractére fuppofe un coeur fenfble, & fon coeur l’étoit. Il fut touché des charmes de la jeune Comteffe de Schlieben, fille de M. le Grand Veneur, & Dame d'honneur de la Reine; & Pépoufh en 1742. Il faut tout ce qu'il trouvoit en elle, la vertu, la beauté, les talens, pour excufer un Philofophe qui facrifie fàa- liberté. Ses occupations domeftiques ne rallentirent point fon goût pour les Lettres & pour les Beaux Arts; il les cultiva toujours, comme s'ils euffent été fon unique reffource. On peut juger du talent qu'it avoit pour la Poëfe par quelques piéces de fa eompofñitions Mais, peut-être encore mieux, par les Traduétions de quelques Odes d'Horace en Vers François, & par celle de la Boucle de Cheveux de Pope. Pour bien traduire de tels Ouvrages, il faut que l’Imita- teur ait autant de génie que celui qu'il imite, & qu'il facrifie fans cefle la partie qui regarde l'Invention ; que toujours capable de créer , toujours il s’en abftienne ; & qu'il cache la gêne où il eft pour s’en abftenir. En 1743. M. de Keiferlingk devint Membre de cette Academie. Sa fanté, trop prodiguée dans fa jeuneffe, s'afloiblifloit depuis quel- que tems ; elle fe dérangea tout à fait Les douleurs de la Goute vinrent exercer fà patience. Enfin, après avoir lutté long-tems con- tre tous fes maux, il mourut le 13. Août 1745. Le Roi fentit toute la perte qu’il faïfoit. Il verfa des larmes für {à cendre. Il continua fes Bienfaits à fa Veuve; il daigna prendre un foin particulier de l'Enfant qu'il laifloit au Berceau. Voilà jus- - qu'où s’etend le pouvoir des Rois contre la mort. ELOGE 206 2 3 D RSICDAURES) ! G}° Guillaume de Borck, fils de George Matthias, Chance- lier de la nouvelle Marche, & d'Elizaberh Marie de Blanc- kenbourg , de la Maïfon de Friedland dans la Grande Pologne, n3- quit à Gersdorff le 30. Août 1704. Sinos Mémoires ne devoient être leus qu’en Allemagne, nous ne parlerions point ici de la Famille de Borck; tout le Monde fçait le rang qu'elle y tient. Les Hiftoriens de Poméranie les plus célé- bres prétendent que, dès le V. Siecle, elle étoit établie dans cette Province, qu’elle défendit pendant plus de 600. ans contre les Vene- des. Son origine fe perd dans ces tems, où la Barbarie ne con- fervoit aucune Epoque. Dcpuis que la Poméranie devenuë Chrêtienne eut quelque connoiffance des Lettres, on trouve le nom des Borck dans tous les anciens Monumens, & on les y voit jouir de plufieurs des Droits de la Souveraineté. Les guerres qu’ils entreprirent en Pologne, & contre les Ducs de Poméranie, leur furent funeftes ; Ils perdirent leurs Villes & leurs Chateaux, & furent réduits dans un état, où leurs ennemis n’en eurent plus rien à craindre. Depuis ce tems, le mérite & la vertu ont fans cefle concouru à rendre à cette famille fon ancienne fplen- deur. Les Borcks, devenus fujets de la Maïfon Régnante, ont tou- jours occupé les premieres charges de l'Etat & de l'Armée. Celui dont nous parlons maintenant, Ga/pard Guillaume, eut à peine achevé fes Etudes, qu’il fut deftiné aux Affaires Etrangeres, & nommé prefqu’en même tems pour aller à la Cour de Dannemarck. - Dans ACADEMIQIU'ES. 307 Dans uñe grande jeunefe il avoit tous. les talents du Minñitre ; mais cette Cour pria lé Roi d'en “envoyer un, dont Page les fuppoñie. En rt il fütienvoyé à à Brunswick, félicster le Duc Louis Rodol. phe fur fon Avénement à la Régence, & fut bientôt après chargé de: négocier le snariage du Prince Roÿal, avec la Princeffe Elizabeth E “aujourd’hui notre Reiné. Il fat depuis” continuellemeit employé des ES Négocia- tions, tantôt à la Cour de Dresde, tantôt à celle de Brunswick, jus- qu'à ce qu’en 1735. il partit pour l'Angleterre. Il fut peu agréable dans cette Cour, & y fut peu utile à fon Maitre. 11 ny a guéres d'Art, où le Talent fuffile pour réuffir; mais celui du NP Biel dépend encore plus des circonflances qu'aucun autre: Il fut nommé en 1738. Miniftre Plénipotentiaire à à ichfid: où it demeuri, jufqu'à ce que les juftes prétentions du Roÿ für la lle ayant broufllé les deux Cours, 1l fut rapellé à à Berlin, & plicé aufftôt eu le Miniftére de tous le plus i important. Toute l’Europe aujourd'hui ne forme qu'un Coffs “par a jee ne qu'ont entr'eux les différens Etats qui la compofent. Mais dans cé corps, chaque partie a fes intérêts propres, & n’eft occupée que de fon aggrandiflement. ‘Elle voudroit l’acquerir aux dépens de toutes les autres, devenir la Tête, ou le Corps entier. De quel défordre une telle ambition ne erOïe elle pas fuivie, fi une fage Pot litique n’en arrétoit Fimpetuofñité; ne tenoit toutes les forces dans un certain équilibre ; & tous les Membres dans une jufte proportion. Le Génie heureux, à qui il elt permis de s'élever jufques à, femble partager avec la Dvinité l'Empire du Monde. Ce fut durs cette fetence que M. de Borck eut le bonheur detrouver un Maitre tel que le Roy, & un Collegue tel que M. le Comte de Podewils. Le nouveau Miniftre y apportoit une parfaite connoiffance des intérêts de toutes les Püiffances, une imagination féconde, & un grand courage d’efj prit. ” J'avoit fait dans fà jeuneffe PescéMEntés Etudes , qu'il avoit cultivées à travers toutes fes diverfes occupations. Les heures qu'il donnoit aux Mufes, ont valu à fà Nation des Traduchons eftimées de la Pharfäle de Lucain, & de quelques Pieces du "Theatre: Anglois. L'Hiftoire moderne de l Europe” qu’il poffedoit, eft du reffort du Oexv de Maupert. Pp Miniftre 298 DISCOURS Miniftre: mais il y joignoit toute l’erudition d’un-Savant dans | Hi- ftoire & les Langues de l'Antiquité. Il eut pu être Miniftre de Ce- far, fans acquerir de nouvelles connoiffances, & prefque fans s’ap- percevoir, qu’il changeoit de Maître. … Lorfque l’'Academie en 1744. prit une nouvelle forme, ilen fut un des quatre Curateurs. Ce ne fut point pour lui un vain Titre; {on amour pour cetteCompagnie, & ion goût pour toutes les Scien- ces qui en font l’objet, l’attirérent fouvent dans nos Affemblées, où fes lumieres nous étoient auf utiles, que la Sagefle de fon Adminiftration. Nous n'avons encore parlé que des Talents, parlons maintenant de l'Homme. L'Etat, & l’Academie, {çavent ce qu’ils ont perdu; c'eft ici que je fens toute la perte que j'ai faite. _Je n’examine point, s’il eft vrai qu'il y ait d’autres principes pour les Hommes d'Etat que pour les Particuliers; fi, quand lin- térêt de toute une Nation pourroit jufifier de telles exceptions, elles ne feroient pas toujours, pour l'Etat même, plus préjudiciables qu'utiles. Ce qu'il y à de für, c'eft qu’en cas qu'on en admette l’ufage, il doit fe tenir étroitement renfermé dans fà Sphére, & ne jamais fe répandre dans la Societé. Dans ce métier perilleux, où il eft fi difficile de marquer les bornes entre la Prudence &la Diff mulation; où le Public même paroït prêt à pardonner habitude de les confondre, M. de Borck conferva le cœur le plus droit & le plus franc. De ce Cabinet impénétrable, où fon Elprit s'étoit occupé des foins les plus importans, & des fpéculations les plus pénibles, it fortoit avec la férenité que donne la fätisfation d'un travail heureux. Le Miniftre difparoïfoit; on ne trouvoit plus danse refte de la journée que l’homme de la meilleure compagnie, & du commerce le plus fincere & le plus für. | Au commencement de Mars 1747. il fut attaqué d’une inflam- mation d’entrailles. Il connoifloit la dépendance où eft ce foible corps que nous animons, de tout le refte de Univers: il fupporta fes douleurs, & vit arriver la Mort, en homme acçoutumé à facri- fier fes intérêts à des intérêts fupérieurs, ELOGE ACADEMIQUES. 188 He elite iethtite mel -O- v TV: 2 D:E M. LE MARECHAL DE SCHMETTAU. ’eft à ceux qui écriront l'hiftoire à faire pañer à la poñterité les Aëtions Militaires d’un des plus habiles Généraux que l'Alle- magne ait eus : Pour nous qui devons faire connoître M. le Maréchal de Schmettau fous un autre afpect, nous ne toucherons cette partie qu’autant qu’il fera néceflaire pour qu'on fçaché, -que celui qui a contribué au gain de tant de Batailles & à la prife de tant de Villes, étoit le méme homme qui a toujouts protègé les Arts, cultivé les fciences, & auquel cette Académie doit tant, … -Ce feroit une grande erreur de croire qu'il y ait quelque in- compatibilité entre les différentes parties qui forment un grand hom- me, quoiqu'il {oit fi rare de les trouver énfemble. : On fe fait de Fhoimme de guerre je ne {çai quelle idée qui femble exclure FEtude & la meditations comme fi une des Sciences les plus difficiles pou- voit s’en pañler; ou comme fi les qualités, de PEfprit qui ne fervent qu'à étendre & éclairer le courage, pouvoient l’éteindre. Peut-ctre, les Sciences feroient-elles moins néceflaires à celui qui n'offre que fon bras dans une Armée : mais celui qui doit la commander, celui qui difpofe ces Operations d’où dépend le fort des Peuples & des Etats, peut-il avoir trop de connoïffances? La Science des Eveneinens pallés lui enfeigne, ce qu'il doit faire dans les Evenemens préfents; l'Efprit Mathematique le prévoit &le calcule. Samuel de Schmettau nâquit à Berlin le 26. Mars de l’année 1684. Son Pére fut Samuel de Schmertau, Conféiller privé fous le Régne de FREDERIC, & fa Mére Marie de la Fontaine Vicard. … Si un homme qui eft parvenu aux derniers honneurs de -{on Etat avoit Fp.:2 encer 300 2 DISCOURS": encor. befoin: d’autres Titres ; nous dirions ici-que fes Ancêtres d’ancienne Nobleffe Hongroile ayant feryi fous le Roï Matthias Corvin lorfqu'il porta là guerre en Boheme & en Silefe, s’étoient établis dans le Comté de Gletz : Que la fanille pardit fes Titres dans les guerres de Hongrie & d'Allemagne; & que l'Empereur Leopold I. y fuppléa, en lui faifänt expédier de nouvelles Patentes par les- quelles fà Nobleffe étoit reconnue, confirmée & renouvelée. *-- Il reçut-une Education proportionnée à fa naïflance, & aux talents qu'on découvroit en lui; & s’attacha furtout à l'Etude des Mathematiques , de la Géographie, & de l'Hifloire. _ A peire avoit il atteint l'âge de 15. ans que fon goût pour les Armes détermin4 fes parens à l'envoyer en Dannemarck , où Guillaume de Schmettau fon Oncle qui commandoit un Régiment de. Cuiraffiers, le fit entrer Cadet aux Gardes : le preinier Siége qu’il vit, fut celui de Tonningen. Il fut fait He en 1700 & marcha avec le Corps d'Armée que le Dannemarck fournifloit à l'Angleterre & à la Hollande dans les Païs: bas; où il fe trouva au Siége de Keiferwert, à la retraite de Nimegue & à l'attaque du Chateau de Grevenbruck, qui fut eme porté l'épée à la main, de méme que Wecrzet Stockhem. Os Au Siége de Ruremonde il fut bleffé fur la brêche de la Cite. delle, mais il fut affez tôt guéri pour fe trouver au Siége de Huy; puis à l’action, d’'Eckeren, & fervit au Siége de Bonn comme Inge- genieur Volontaire fous le Général Cœhorn. En 3703. il fut fait Lieutenant dans le Régiment de,Schmettau Drsgons du Margrave d'Anfpach; il marcha avec ce Régiment qui fat de l'Armée du Prince Héréditaire ‘de Hefle - Caffel depuis Roy de Suede, fur le haut Rhin, & {e trouva à la Bataillé de Spirback. Eu 1704. il fut fait Capitaine & fervit en cette qualité à l’affaire de Schellemberg, au fiége de Rain, &'à là Bataille de Hochilet: cette Bataille lui valut une: Compagnie. : Aux fiéges de Landau & de Trarbach il.fervit comme Ingénieur Volontaire, L'année d’aprèsilsfut à la prife des Jzignes de Nerwinde,” au fiége de S. Loen, &en-1706. à la Bataille de Ramilli où il fut bleffé: Il ACADEMIOQUES. 301 IE trouva pourtant aux fiéges d’Oftende, de Menin, d'Oudenarde; jufqu’en 1707. où il ne fe pafla rien de remarquable dans cette Armée, En 1708. il fut à la Bataille d’Oudenarde; au fiége de Lisle, & à Paflaire de Winendall: & prélenta au Roi de Pologne le plan de Pattaque de Lisle qu’il avoit levé fous les yeux de ce Prince. Il fut enluite des fiéges-de Gand & de Bruges: &en 1700. à celui de Tour nay il fut fait Major, & Aide de Camp du Prince Héréditaire de Hefle. Ce fut à ce fiége qu’il fit connoiffance avec le Comte de Schulembourg qui fut enfuite Maréchal des Troupes Venitiennes ; & que fe forma entre eux cette amitié qui a duré jufqu’à la mort. L'Amitié de tels hommes que leur métier & leurs talents rendent néceffairement rivaux, eft le plus grand éloge qu’on puiffe fairé d'eux. Celle de M. le Comte de Schulembourg lui procura l’avans tage d’être connu du Prince Eugene. Il fut à la Bataille de Malplä. quet & au fiége de Mons: Et l'année d’après aux fiéges de Douay de Bethune; de St. Venant, & d’Aire. | : En #71. il fut fait Lieutenant Colonel, & fe trouva au pañfage des Lignes d’Arleux, & au fiége de Bouchain: En r7r2. au fiége du Quesnoy, à l’inveftiffement de Landrecy, & à l’affaire de Denain, Il fit en r714. la Campagne du Rhin comme Volontaire à la fuite du Prince Eugene; & après la Paix d’Utrecht, le Régiment de Schmet- tau étant pañlé au fervice de Saxe, il entra avec ce Régiment dans le même fervice. Charles XII Roy de Suede lui envoya en 1715. la Patente de Quartier-Maître Général, & lui donnoit un Régiment de Dragons: mais comme la Lettre du Prince de Heffe qui contenoit la Patente ñe-lui parvint, que lorfque les Saxons étoient en marche, il ne put profiter de cette offre, & fut du fiége de Stralfund & de la defcente dans PIsle de Rugen. Le fiése fini, entre les années r715. & 1716. , il marcha en Po: Jogne avec le Régiment qu’il commandoit, & remporta en quatre Occafñons des avantages fur les Polonois conféderés. La première fut à Werucoff, où avec ce feul Régiment qui n’étoit que de 400 hommes, ilen défits000, prit au Régimentaire Gniesadoffsky qui les commandoit 4 Canons, tout fon bagage, 200 prifaniers, & 360 Ep 9 Chc- 303 LSDMSTCONERS Chevaux. La feconde fut près de Cunitz où le partifän Gurzefisky avec 1000 Chevaux voulut furprendre le Régiment de Schmettau& celui de Flemming; le partifan fut battu, & on lui fit 100 prifo- nicrs. La troifième fut auprès de Plonsky ou le même Gurzeffsky s'étoit joint au Général Steinflicht avec 2000 Chevaux pouratta: quer l'Arriere- Garde Saxone; ils furent battus & pourfuivis. La quatrième fut à la Bataille de Kowallewo dans la Pruffe Polonoife où les Saxons fous les ordres du Général Bofen défirent fi bien l'Armée Polonoife & Lithuaniene que la Paix fe fit. M. de Schmertau avoit donné par écrit au Maréchal Flemming la première idée de cette affüire; & immédiatement après qu'elle fut finie, Sa Majefté Polonoife le fit Colonel & l’employa dans l'Artil: lerie. Il fut la meme année envoyé vers Frederic Guillaume: “A de Pruffe qui lui donna l'ordre de la Générofité. : En 1717. le Roy Augufte lenvoya fervir comme Volontaire en Hongrie, où il s'acquit tellement l'eflime du Prince Eugene que dès ce tems le Prince voulut le faire entrer au fervice de l'Empereur. Il ne put accepter cette offre; & après le fiége & la Bataille de Bel- grade il retourna en Saxe. : L'année d'après le Roy le renvoya en Hongrie, & le chargea d’y conduire le Corps de ‘Troupes Saxon- nes que le Duc de Weiffenfels commandoit. Le Colonel Stojentin de ce Corps y étant mort, fon Régiment fut donné à M. de Schmeit au. Pendant l’hyver, les Saxons ayant eu leurs Quartiers en Hon- grie, M. de Schinertau fe trouva à Vienne ; où le Prince Eugene ayant renouvelé fes propoñtions lui offrit la charge de Quartier - Maitre Général & de Général- Major, avec le premier Régiment qui vien- droit à vacquer. Le Roy de Pologne lui permit d'accepter ces offres, & il entra en 1710. au fervice de l'Empereur. Il partit auffi-tôt pour fe rendre en Sicile fous les ordres du Comte Mercy, & fe trouva à la Bataille de Francavilla. 11 eut là beaucoup de part à tous les mouvements de l'Armée, & dirigea les attaques devant Meffine qui fut prile. La guerre de Sicile étant finie, M. de Schmerran ne demeura pas oifif: La paix ne faifoit que changer fes occupations. L’Em- pereur le chargea de lever la Carte de toute la Sicile: & ms après ACADEMIQUES. 303 d'après ikpréfenta à S. M. cette Carte, à laquelle il avoit joint uñ état exact du Commerce de ce Royaume, & des difpofitions à faire pour en augmenter les Revenus & fortifier les Places. N fit alors plufeurs voyages en Hongrie : conféroit avec le Comte Mercy à Femeswar, avec le Duc de Würtemberg à Belgrade; & étoit con- fulté par lun & par l'autre pour les fortifications de ces deux places. 11 fut auffi envoyé vifiter les forterefles de Croatie, & les chemins vers Buchary & la Mer Adriatique. Ea r730., fur apparence de troubles en Italie, l'Empereur y fit marcher des troupes: & M. de Schmertau ayant été nommé pour y fervir comme Général de Bataille; le Comte Daun le eoimmanda avec un Corps dans la Lunigiana pour empêcher Ja Defcente des Efpagnols. Les affaires ayant tourné en Négociations, :M. de Schmettau revint l’année d’après à Vienne avec une Carte excellente de tout le Païs. La Corfe s'étant révoltée en r732., il paffa dans cette Isle, ous les ordres du Prince Louis de Würtemberg, qui lui donna la moi. tié du Corps d'Armée pour attaquer les Rebelles du eôté de la Ba- ftie, pendant qu'il les attaqueroit lui - même du côté de Calvi. Ces Opérations eurent tant de fuccès qu’en peu de mois tous les Rebel. les furent foumis: & le Prince Louïs. eut la générofité d’en faire tout l'honneur à M. de Schmerrau. . La République de Genes lui marqua fa reconnoiflance par un prélent confderable. L'année d’après ayant té nommé pour fervir fous les ordres du Duc Ferdinand Albert de Brunswick. il afflembla le Corps d’Ar- mée à Pilfen & marcha par la Baviere au Rhin. S. M.I. lui donna alors le Régiment d’Infanterie qu'avoit eu M. d'Ogilvi. Etant ar- rivé au Rhin, il conftruifit par ordre de S..A.S. les Lignes de Mühl- berg qui furent achevées au Printems de r734., mais que le Prince Eugene ne jugea pas à propos de défendre. Il fut cette année déclaré Feld-Maréchal- Lieutenant, faifant le fervice comme tel, & en même tems comme Général Quartier-Mai- tre. La Campagne finie, le Prince Eugene le laiffa pour commander dans ces Quartiers l’hyver de r734.à1735. La Swabe, le Haut Rhin & la Franconie lui firent alors l'honneur de l’affocier à leur Corps de Nobleffe immédiate de l'Empire. Eu F dire ll ee. éoi DISCOURS En 1735. il fut fait Feld-Zéuüg-Meifter, mais le Prince ‘Eugene voulut qu'il gardât en même tems la charge de Quartier-Maître Gé- néral. Il fut chargé cet hÿver de garantir la Swabe, & va mettre Brifac & Fribourg en état de fé défendre. La guerre finie avec la France, ‘il retourna à Vienne où il étoit queftion de guerre côntre les Turcs: 11 fut admis aux Conférences qu'on tenoit fur ce füujet, & vouloit qu'on commencât par le fiégé de Widin, & non par celui de Niffa On ne fuivit point fon aviss mais on l’envoya vifiter les frontieres; & en 1737. il eut ordre d’af- fembler un Corps d’Armée à Vipalanka, & de joindre avec ce ein — la grande Armée à Barakin. Mrs. de Philippi & de Kevenhüller, quoique moins anciens Feld: Zeug - Meifters que M. dé Schmeftau, ayant été faits Feld-Maréchaux ; fe plaignit, & il fut décidé qu'il ‘commanderoit l’nfanterie fans être fous leurs ordres. Pendant les différentes Opérations de cette Campagne il tomba dangereufëment malade à GeorgofcheRsky, & fut obligé de fe faire porter en Liticre à Belgrade, & de Tà'à à Budé où il paf Fhyver. Il n’étoit pas encore gueri , qu'il alla à Carlsbad & à Glogoÿ pour changer d'air‘ il sy rétablit, & arriva à Vienne lorfque lé Commandant de Belgrade venoit décrire que la place étoit fur Je point de f rendre. L'Empereur fit venir M. de Schmerrans & li ordonna de tâcher dé {€ jetter dans Belgrade & de le favér: H sy rendit auffitôts & fit de fi bonnes difpoñitions que depuis le 24. Aout qu'il y étoit entré, perfonne ne douta plus dela confervation de cette place. : Mais FT paix s'étant faite le 1. Septembre, M. de Neuperg comme Plénipotentiaire &M. de Wallis comme cotnmane dant l'Armée lui ordonnérent de la remettre aux Turcs. Après la redditiôn de Belgrade il fut chargé d’en faire rafèr les fortifications. Pendant qu'il y étoit occupé, les Janiffaires fe révol. térent contre leur Bacha; M. de Schmertau fit prendre les armes à a garnifon, & ayant marché contre eux, les força de fe foumettre à leur Chef. fit plus; comme il apprit que l’emeute venoit d’une faute de payemént, il prêta au Bacha de quoi les appaifer. Cette conduite généreuf& reçut à Vienne l'approbation qu'elle méritoit, H fut ACADEMIQUEÆES. 305 fut nommé Principal. Comtmiffaire de l'Empereur pour régler les Li: mites des deux Empires. Charles VI. mourut; & M. de Schmettau fe rendit à Vienne: Là ne trouvant pas les chofes difpofées pour lui auffi favorablement qu'il l’avoit efpéré, il pria S. A. R. le Duc Régent, aujourd’huy Em- pereur,de lui accorder fa protection pour entrer au fervice de la Ré- publique de Venife. S.A.R. écrivit au Maréchal de Schulembourg, & celui-cy répondit par une Lettre fort obligeante pour M. de Schmettau: mais la République ne prit point fur cela de réfolution. Il fut cependant élevé au grade de Feld-Maréchal. En r74r. il re- tourna à-Carlsbad; & s'étant plaint à la Cour de plufieurs Griefs fur lefquels il n’obtint point la fätisfaction qu’il defiroit, il fe rendit en Saxe, d’où il renvoya la démiflion de fon Régiment & de toutes fes Charges pour entrer au fervice de Sa Majefté Pruffienne dont il étoit né fujet. Le Roy reçut avec plaifir un homme qui avoit donné tant de preuves de fa capacité ; lui donna la charge de Grand-Maïître de FArtillerie avec une groffe penfon; & quelque temps après l’honora delOrdre de l’Aigle noir, & l'employa dans deux occafons impor- tantes: L'une auprès de Empereur Charles VII qui accorda à fà Famille la dignité de Comte, l’autre en France. Le Roy dont les Armes avoient été fi conftamment viétorieufes, eut à peine fini la guerre, qu’il tourna fes foins vers tous les autres genres de gloire. Faire fleurir dans fa Capitale les Arts & les Scien- ces qui y languifloient depuis longtems, lui parut digne de fon at- tention: mais il ne fufhfoit pas d’exciter les talens, il falloit déraci- ner un ancien préjugé qui les avoit prefque avilis. L'homme le plus propre à remplir lun & l’autre de ces objets étoit M. le Maréchal de Schmettau; ain ce fut lui que S. M. choifit pour cela. - Perfonne n’ignore aujourd’huy combien les diverfes Compagnies fçavantes, établies dans la plüpart des grandes Villes de l Europe, ont été utiles pour les progrès des Sciences. Et la Société Royale de Berlin n’avoit point cédé aux autres, avant qu’elle fut tombée dans cet état de langueur où le Régne précedent uniquement mili- taire l’avoit mis. Oeuv. de Maupert. Qq M. 306 DISCOURS M. le Maréchal de Schmertau crut que l'établiffement d’une nou- velle Académie auroit quelque chofe de plus glorieux que le rétablif fement de l’ancienne Société. 11 commença par former une Société nouvelle qui, quoique prefque toute compoliée des Membres de la première, devoit en quelque forte repréienter la Société principale, dans laquelle l'ancienne devoit être fonduë pour former PAcadémie. Il eût peut-être été plus naturel de conferver à cette Compagnie fon ancienne origine; & qu'elle ne f fut trouvée qu’une fuite per- fectionnée de cette Société, brillante d’abord, qui s’étoit foutenué par elle-même pendant longtems, & dont le luftre n’avoit été terni que par des caufes qu'on ne pouvoit lui imputer. Mais M. le Maréchal de Schmertau crut, & avec raifon, qu’une Compagnie for- mée pendant le Régne & fous les yeux d’un Roy, qui à des titres plus glorieux ne dédaigne pas de joindre celui de Savant, feroit plus illuftrée par cette Epoque; & qu'avec le nom de FREDERIC fon Fondateur, elle iroit plus furement jusqu'aux fiécles les plus reeulés. La Nouvelle Société fut donc formée: Elle eut un Réglement particulier; elle tint fes premières Affemblées chez M. le Maréchal de Schmettau, & chez M. de Borck; & enfin le Roy lui donna une Sale dans le Château. Le jour de fon inauguration fut célebré par unc Affemblée publique, où M. le Marquis d’Argens lut un dif- cours fur l'utilité des Académies, & M. de Francheville une Ode fur le bonheur dont alloient jouir les Sciences. Cette nouvelle Compagnie étoit à peine établie qu’il fut que- flion d’y faire entrer l’ancienne Société: Et la chofe fe fit par un Ré- glement nouveau, qui ne confidéroit plus les deux Compagnies que comme un feul Corps dont l’adminiftration fut remife à quatre Cu- rateurs, Mrs. de Schmertau, de Viereck, de Borck, & de Gotter, qui préfidoient tour à tour par trimeftre. Une des premières Délibera- tions régla que les Mémoires ne parojtroient plus qu'en François. Tel étoit l'état de l'Académie, Jorfque le Roy me fit lhonneur de m'en confier l'Adminiftration. S. M. ayant remarqué plufeurs chofes défeétueufes dans fà forme, m'ordonna de lui préfenter fur cela mes réfléxions & mes vuës. Je portai au Roy le Plan d'un Réglement plus fimple: Dans lequel le département de chaque Claffe étoit ACADEMIQUES. 307 étoit marqué d’une manière moins vague; le nombre des Académi- ciens fixé; quelques Offigiers fuperflus étoient fupprimés; & le nombre des Penfonaires étoit tellement proportionné aux Revenus de l'Académie, qu’au lieu de plufieurs petites penfions qu’on avoit répanduës fur un trop grand nombre, chaque penfion à l'avenir plus confidérable, fût un objet fufñfänt aux befoins & au genre de vie d'un Philofophe. Le Roy non feulement approuva le projet que j’avois l'honneur de lui préfènter: Mais S. M. le fimplifia encor; & je dirois qu’ Elle le perfectionna, fi elle n’avoit inferé elle-même dans le nouveau Ré- glement des Articles trop honorables pour moi. M. le Maréchal de Schmetrau avoit donné la première forme à l’Académie, & jufques - là en avoit eu prefque toute l’adminiftration. En reconnoiffant l’étenduë de fes lumieres, fon Ardeur pour le pro- grès des Sciences, & toutes les obligations que l'Académie luia, je ne diffimulerai point que la diverfité de nos vuës n'ait caufé quel- quefois entre nous des Contrarietés. ; Son Efprit toujours a@if, quoique foulagé par les nouveaux Ordres du Roy, de l'Adminiftration de l’Académie, formoit fans ceffe pour elle de nouveaux projets, auxquels je né pouvois pas toüjours me livrer. Celui qui caufà enfin une efpece de froideur entre nous fut fa Méridienne. Cette affaire a fait trop de bruit à Berlin & dans les Païs étrangers pour que je puifle me difpenfer d’en parler, &de faire connoître les raifons qui me forçoient de m’oppoñer à ce projet. L'étendué de l’Efprit, l habitude d'exécuter des chofes difficiles, trompent quelquefois dans la comparaifon des objets avec les mo- yens pour les remplir. M. le Maréchal de Schmertau, frappé des grandes Opérations que la France avoit faites pour déterminer la Figure de la Terre, & faifant moins d'attention au nombre d’habiles Aflronomes que la France avoit, & aux fommes immenfes qu’elle y avoit employées, vouloit que nous entrepriffions un Ouvrage pareil, ou même plus confidérable: Que nous mefüuraffions une Méridienne depuis la Mer Baltique jufqu’à la Méditerannée; & que nous reçuf- fions pour Aides dans ce travail tous les Mathematiciens des Païs voilins, qu’il invitoit par des Lettres circulaires à fe rendre avec leurs Q q 2 Inftru- 308 D'IS COURS Inftrumens aux lieux des opérations. Il avoit des Connoiffances peu communes dans la Géographie: mais j'ofe dire qu'il ne connoif- {oit pas aflez les difficultés d’un pareil Ouvrage fi on l’exécute avec précilion, ni le péril fi c’eft avec peu d’exaétitude. Non feulement la Théorie de la Terre, & les Elémens de l’Aftronomie tiennent à ces Mefüres, mais les Régles de la Navigation, .& la vie des Naviga- teurs en dépendent. Un tel Ouvrage eft plutôt le dernier chef-d’oeuvre d’une Aca- démie formée depuis longtems que le coup d’effay d’une Académie naiffante: Et nous étions bien éloignés de pouvoir nous flatter de le bien exécuter. Ce n’eft pas cependant que nous manquaffions d’ha- biles Aftronomes; ‘mais c’eft qu’un ou deux Aftronomes ne fufñfent pas pour de telles entreprifes: & qu’accepter le fecours de tous ces Mathematiciens Volontaires, quand même ils feroient venus, étoit une chofe trop hazardeule. Mon refpet pour M. le Maréchal de Schmertau, Yaflurance où j'étois de fes bonnes inténtions , ma reconnoiffance pour le bien qu'il avoit fait à nos Sciences, m’entrainoient à tout ce qu’il propo- foit: mais le zéle pour la Gloire de l'Académie me foutint; & je m'oppofai à une entreprile qui l’expoloit trop. : M. le Maréchal de Schmertau ne cédoit pas à une première op- poñition. Il revint fouvent à la charge, & renouvelloit tous les jours la peine que j'avois de ne pouvoir étre de fon avis. Enfin il fembla qu’il eut abandonné fon premier deflein; & qu'il eut réduit à lever une Carte de Allemagne meilleure que celles qu’on a. Pour cet Ouvrage où la précifion fuffifante n’approchoit pas de celle qui doit être apportée aux Opérations de la grande Géographie, M. le Marchéal de Schmertau étoit pourvu d’Inftrumens aflez exacts, & avoit fous fes ordres un aflez grand nombre d'Ingénieurs; enfin la chofe n'intérefloit plus Phonneur de l'Académie. Je me prêtai donc à ce qu’il voulut: Il commença l'Ouvrage en allant lui-même à Caffel faire faire fous fes yeux les premiers Triangles de fa Carte: un Ordre du Roy qui #approuva pas cette Opération, en arrêta le cours. Peu ACADEMIQUES. $09 Peu de tems après M. le Maréchal de Schmetrau tomba malade; & lés travaux encore plus que les années avoient tellement ruïné fon tempérament qu'il ne put {e rétablir. Ses forces diminuérent de jour en jour; & fon Corps dépérifloit fans que fon Efprit parût recevoir la moindre altération. Je le vis peu de jours avant fà mort; & mal- gré de très grandes douleurs, il parloit de toutes chofes avec la mé- me juftefle & la même fagacité qu’il avoit toujours eües. Il les con- ferva jusqu’au dernier Moment; & après s'être acquitté de tous les devoirs de fà Religion, il mourut le 18. Août 175r., agé de 67. ans. Ce n’eft pas à nous à juger de fes Talens dans la Guerre: Nous nous fommes contentés de faire un recit abrégé de fes Campagnes: Toute l'Europe la regardé comme un de fes meilleurs Généraux. Mais on peut dire que c’étoit un efprit très vafte, plein de cou- rage pour entreprendre, & de moyens pour réüflir. Son Génie s’étendoit à tout: la langue Françoile ne lui étoit pas familiere: il la parloit peu correétement: cependant lorfqu’il racontoit, on eut cru qu'il la poffedoit, & on l’eut pris pour un homme fort éloquent: c’eft qu'il avoit la véritable éloquence, Part de peindre vivement, & de mettre chaque chofe à fa place. Il ne fe bornoit pas aux récits de guerre dans lefquels ce qu’il avoit à raconter, le fervoit fi bien; fa converfation étoit égale dans tous les genres, & jufqu’à celui des reparties ne lui étoit pas échapé. Sa taille étoit haute & bien proportionnée: les qualités de fon Efprit fe trouvoient peintes fur fon Vifage ; & la férénité & l’en- jouëment y ajoutoient tout ce qui rend une Phyfionomie agréable. Il avoit été marié deux fois. La première, avec Demoifelle Françoife de Bayer qui lui laiffa trois enfans; un fils qui eft Lieute- nant d’Artillerie, & deux filles dont lune eft Madame la Baronne le Fort , & l’autre eft Chanoineffe dans le Chapitre d’Herlig - Grab Il fe remaria en 1740. avec Demoifelle Marie Anne de Riffer dont il a eu deux fils & deux filles. À la mort de fon Mari, le Roy lui a accordé une Penfon confidérable: & quoique Madame la Maré- chale de Schmertau ait bien tout ce qu’il faut pour exciter l'envie, la Cour & la Ville ont également applaudi au Bienfait du Roy. Qq 3 Sa 50 DISCOURS ACADEMIQUES. Sa place de Curateur de l’Académie a été remplie par M. de Redern, Maréchal de la Cour de la Reine Mére; & celle de M. de Redern Va été par M. de Cagnom, Confeiller Privé du département des Affaires Etrangeres. Ce feroit icy le lieu de marquer la reconnoiffance que nous de- vons à M. le Général de Schmertau, qui nous a fourni le Journal des Campagnes de fon Frère: Mais nous avons à nous en plaindre; il a eu la modeftie de nous échaper dans une Hiftoire où il devoit na- turellement fe trouver, & où il a eu grande part lui-même. RELA- RELATION DUN VOYAGE NN SEA SL A PPONIE SEPTENTRIONALE, POUR: T'ROUMWER UN AN CIEN MONUMENT. ” ‘ f ' A : - . « F} + j ; 1 1 TANT " L v$ a roc it} ù ä a , ds x , F : 4! # : 1110 21 ; : L : ja ibpirruts À : $ s À 7 RE à: RAY TET: : rer ÿ . " n'afsyrraue g% g fée Ste es à | MU IUV PET COUP AS pv BRENT SARA Ab y Hi NU DE JV Ÿ A Mg Tr Ur Rte ebueos sl nee Æaio Wal 4 slots Hi fa RE : 20h stress nés FL SR sh. M EAOUAIOBFE AS PRIME, HAS - RUE à layat Na\ré- 0 + RES S D “96 95 | , LP YE MNT NN? HET NL A MATE MOl£ ele Nbr anst sieges, BF | T2 NON " rt 4 BANOL LE LE EMA QLE TI VE LEE 4 WD72951h10 CHR 2 SQL LIEU ge Es ao L OST A po) Hb si ' | ?ou aie . 1 TX 7 tx "AR ET f OR AU QUISE TL: TM GE IR 20 (0 & 5) 4 D 74. RELATION DUN VOYAGE FAIT DANS. LA .:L AP P'O.NIE SE P'TEN TRIO NME E, POUR TROUVER UN ANCIEN MONUMENT. mon retour de Lapponie, je rendis compte au Public des  Oblervations qui faifoient l’objet principal de notre Voyage, de celles par lefquelles nous avions déterminé la figure de la Terre. Voici une Obfervation d’un genre différent. Pendant que nous étions à Pello, où fe termine l'Arc du Meri- dien que nous avons mefuré, les Finnois, & les Lappons, nous par- lérent fouvent d’un Monument, qu'ils regardent comme la merveille de leur païs, & dans lequel ils croient qu’eft renfermée la Science de Oeuv. de Maupert. Rr toutes 314 RELATION -D'UN VOYAGE FAIT toutes les chofes qu'ils ignorent. Ce Monument devoit être fitué à 25. ou 30. Lieuës au Nord, au milieu de cette vafte forét, qui {é- pare la Mer de Bottnie de Ocean. Pour y arriver, il falloit fe faire traîner fur la neige, par des Rennes, dans ces perilleufes voitures, qu’on appelle Pw/kas, dont j'ai donnée la defcription dans la Rélation de nos Obfervations. Quoique nous fuffions au Mois d'Avril, il falloit rifquer de fe voir geler dans des deferts, où il n’y avoit plus d’efperance de trouver d’azile. Tout cela devoit s’entreprendre für la foi des Lappons. J'ai prefque honte de dire que je entrepris. L’inutilité d’un féjour, que nous étions forcés de prolonger dans ces Païs jufqu’au tems qui permettoit notre retour; la curiofité de pénétrer jufqu’au centre de la Lapponie; la plus legere efperance de voir le feul Mo- nument de cette efpece, qui foit peut-être au monde; enfin, l’habi- tude où nous étions de la peine & du péril, pourront m'excufer. - Je réfolus donc de partir, &-j'eus l'avantage d’être accompagné de M. Celfius , qui joignoit au plus grand favoir dans lAftronomie, une érudition profonde des langues du Nord, & qui s’étoit fait une étude particuliere des infcriptions Runiques, & de toutes les Anti- quités de fon pais. On fera peut-être bien aife de favoir comment on voyage dans la Lapponie. Dès le commencement de l’hyver, on marque avec des branches de Sapin les chemins, qui doivent conduire aux lieux fréquentés. A peine les Traineaux, & les Pu/kas, ont foulé la pre- miere neige qui couvre ces chemins, & ont commencé à les creufer, que de nouvelle neige que le vent répand de tous cotés, les releve, & les tient de niveau avec le refte de la Campagne, ou du Lac, ou du Fleuve. Lesnouvelles Voitures qui pañfent, refoulent de nouveau cette neige , que d'autre neige vient bientôt recouvrir ; & ces che- mins, alternativement creulés par les Voitures, & recouverts par le vent, qui met par tout la neige de niveau, quoiqu'’ils ne paroïffent pas plus élevés que le refte du terrein, font cependant des efpeces de Chauffées , ou de Ponts formés de neige foulée, defquels fi l'on s’egare à droite, ou à gauche, on tombe dans des abimes de Sir n DANS LA LAPPONIE SEP TENTRIONALE. 315 On eft donc fort attentif à ne pas fortir de ces chemins, & d'ordi- naire ils font creulés vers le milieu, d’une efpece de fillon, formé par tous les Pw/kas qui y pañfent. Mais dans le fond de la foreft, dans les lieux qui ne font pas fré- quentés, il n’y a point de tel chemin. Les Finnois, & les Lappons, ne fe trouvent que par quelques marques faites aux arbres. LesRen- nes enfoncent quelquefois jufqu’aux cornes dans la neige: & fi dans ces lieux on étoit pris par quelqu'un de ces orages, pendant lefquels la neige tombe dans une fi grande abondance, & eft jettée de tous cotés par le vent avec tant de fureur, qu’on ne peut voir à deux pas de foi, il feroit impoffible de reconnoitre le chemin qu’on a tenu, ni celui qu'on cherche; & lon périroit infailiblement, fur tout fi, comme nous, on ne sétoit pas muni de Tentes, pour parer une partie de l'orage. Lorfque nous fumes en chemin, nos Lappons, fort fertiles en contes merveilleux, nous firent fur cela plufieurs hifloires, de gens qui avoient été enlevés en l'air par ces ouragans, avec leurs Pu/hkas & leurs Rennes, & jettés, tantot contre des Ro- chers, tantot au milieu des Lacs. Je partis de Pello le 1. Avril, & arrivai le foir à Kengis, qui en eft éloigné de 12. ou 15. lieuës de France; je ne m’y arrétai point, parce que je voulois approcher le plus qu'il étoit poffible du lieu, où je devois trouver des Rennes qu’on devoit tenir prêtes. Je fis donc encore cinq lieuës, & vins coucher à Pellika; c'eftune des maifons qui forment le Village de Payala. Dans ces Contrées, les Villages nc font plus compolés que de deux ou trois maïfons, éloignées l’une de l’autre de quelques lieués. Je trouvai là fix Rennes avec leurs Pulkas; mais, comme nous pouvions faire encore trois lieuës en traineaux, je gardai nos Chevaux jufqu’au lendemain, pour nous mener à ÆErckiheicki, où j'envoyai les Rennes m’attendre. Dans ces malheureux Climats, brulés fans ceffe pendant l'Eté par les rayons du Soleil, qui ne fe couche point; plongés enfuite pendant l’hyver dans une nuit profonde & cortinuelle, on ne croi- roit point trouver un azile auffi agréable que celui que noustrouvâmes. La maifon de Pelika, malgré la diftance où elle eft du monde habité , étoit une des meilleures que j'aie rencontré dans ce païs. Rr 2 Nous 316 RELATION D'UN VOYAGE FAIT Nous y'étendimes des peaux d’Ours & de Rennes, fur lefquelles nous nous préparâmes par un peu de repos à un voyage très rude pour le lendemain. : Longtems avant le lever-du Soleil, je partis de Pelka le 12. Avril 1737. & arrivai bientôt à Erckiheicki, où je n’arrétai que le tems néceffaire pour quiter nos traineaux, & nous faire lier dans nos Pulkas; précaution fans laquelle, lorfque le Renne court, on ne refteroit pas longtems dans la voiture. Mais dans le tems où nous étions, cette précaution contre la rapidité des Rennes étoit bien inutile. * Ce n’étoient plus ces Cerfs indomptables, qui m'avoient, VEté pañfé, trainé fi vite fur le fleuve, & qui m’avoient précipité du haut d'Ava/axa. * Leurs cornes veluës alors n'étoient plus que des os blancs & fecs, qu’on auroit pris pour des coftes d'animaux, morts depuis longtems. Les os leur perçoient la peau, & elles ne paroil- foient pas capables de nous traîner à cent pas. L La caufe de ce changement étoit la différence des Saifons. Quand elles me menérent {ur Avafaxa, elles revenoient de Norvege, où pendant l'Eté elles n’ont rien à faire que paitre & s'engraifler; c'eft alors que je ne confeillerai à perfonne de voyager en Pulka. Mais dans le tems où nous étions, après tous les travaux de l’hyvers & le retour des foires de Lapponie, nous n'avions à craindre des Ren- nes que d’être laiffés en chemin: s’il eft difficile d'arrêter cet animal, quand il eft dans fà force, il n’eft pas plus facile de le faire marcher, dans le tems de fon épuifement. Nous allions ainfi traînés à travers une forêt, où nous avions 8. ou 0. licuës à faire. Il n’y avoit aucun chemin qui conduifit où nous voulions aller, ce qui augmentoit beaucoup le travail des Rennes. Il falloit à tous moments les laiffer repoler, & leur donner de la mouffe, que nous avions portée avec nous. Cette moule eft toute leur nourriture. Les Lappons la mélent avec de la neige & de la glace, & en forment des pains fort durs, qui fervent en même tems de fourrage, & de boiflon, à ces animaux, qui les rongent avec avidité. Malgré cela, il nous fallut laiffer un Renne en chemin; on attache au pied d’un arbre, & on lui laiffe queïqu'un de ces pains. Nous * Monragne, où nous avons fair des obférvations. DANS ‘LA: LAPPONIE’ SEP TENTRIONALE. 17 -Nous étions -nous- mêmes fort fatigués par l’incommodité de la pofture où l’on eft dans les Pu/kas; le feul délaffement que nous eumes pendant cet ennuieux voyage, étoit de voir fur la neige les traces des différentes fortes d’Animaux, dont la foreit eft remplie. On diftingue aifément, & l’on connoit chacune; & l’on eft furpris du nombre d’Animaux différents, qui fe trouvent avoir paflé, dans un fort petit efpace, pendant quelques jours. Nous trouvames fur notre route plufieurs piéges tendus aux Hermines, & dans quelques uns, des Hermines prifes. Sur un petit arbre coupé à la hauteur de la neige, les Lappons attachent hori- zontalement une buche, recouverte d’une autre, qui laiffe à l Her- mine un petit pañlage, mais qui eft prête à tomber fur elle, & qui Fecrafe, lorlqu'elle va pour manger l’appaît qu'on y a mis. C’eft de cette maniere qu’on prend les Hermines, dont la Chaffe eft très abondante en Lapponie. Ces animaux en Eté font couleur de Canelle, & n’ont de blanc que le ventre, & le bord des oreilles : nous en avons plufieurs fois rencontré de telles fur ke bord des lacs & des fleuves, où je crois qu’elles péchent le poiffon, dont elles font fort avides: quelquefois même nous en avons trouvé, qui na- geoïient au milieu de Fau. En Hyver elles font toutes blanches, & c’eft ainf qu’étoient celles que nous trouvâmes prifes dans ces piéges. Cependant à mon depart de Torneo, une Hermine fami- liere que j'avois chés moi, avoit deja perdu dans quelques endroits fa blancheur: & à mon retour, quelques jours après, je la trouvai toute grife. Ileft vrai, que fi c’eft le froid qui, par quelque caufe que ce foit, les blanchit, celles qui étoient dans la Campagne pou- voient étre plus longtems blanches, que celle qui étoit renfermée à lamaifon. Peut-être aufi celles que nous trouvâmes dans ces pié- ges, y étoient-elles prifes depuis longtems; car, comme on peut croire, les animaux morts fe confervent gelés tout l'hyver. Dans les paquets d’Hermines que les Lappons vendent la peau retournée, il s’en trouve toujours plufeurs de grifes, ou de tachées de gris, qu'on n'employe point dans les fourrures. Nous arrivames à une heure après midi, au Lac Keyma, fitué au pied d’une petite Montagne, appellée Wind/o. Nous y montämes; Rr3 c'étoit 918 RELATION D'UN VOYAGE FAIT c’étoit là que devoit être le Monument que nous cherchions; mais ilétoit enféveli dans la neige. Nos Lappons le cherchérent long- tems, fans le pouvoir trouver, &je commençois à me repentir d'avoir entrepris un voyage fi pénible, fur des indices fi fufpes, lorfqu'à force de fouiller, on découvrit ce que nous cherchions. Je fis ôter la neige, & allumer un grand feu pour fondre le refte, afin que nous puffions bien voir ce Monument. Ceit une pierre, dont une partie de forme irréguliere fürt de terre de la hauteur d’un pied & demi, & a environ trois pieds de long. Une de fes faces étoit affés droite, & forme un plan qui n’eft pas tout à fait vertical, mais qui fait un angle aig avec le plan horizontal. Sur cette face on voit deux lignes fort droites, de traits dont la longueur eft d’un peu plus d’un pouce, & qui font taillés affés profondéinent dans la pierre, comme feroient des coches qu'on auroit faites dans du bois avec la hache, ou avec le cifau, étant toutes beaucoup plus larges à la fuperficie, & fe terminant au fond par des angles aigus. Au bas, & hors de ces deux lignes, font quelques caracteres plus grands. Malgré toutes les marques que ces traits femblent donner, d’avoir été gravés avec le fer, je n'oferois aflurer, s'ils font l'ouvrage des hommes, ou le jeu de la Nature. Je laiffe à ceux qui ont fait une plus grande étude des anciens Monumens, ou qui feront plus hardis que moi, à décider cette que- ition. Si la reffemblance de plufieurs de ces traits entre eux, & même de plufieurs qui fe trouvent écrits tout de fuite, ne paroît pas convenir à des caracteres; je ne voudrois pas cependant en con- clurre que de tels traits ne pufñfent fignifier quelque chofè. Si lon veut écrire en chifres Arabes, un, onze, cent onze &c. on verra combien on peut former de fens différens avec un feul caractere. Les plus anciennes Infcriptions de la Chine ne font compolées que de deux caracteres; & l’on ne peut douter que ces Infcriptions ne foient l’ouvrage des hommes, & ne contiennent un fens: quand elles ne feroient, comme on fe penfe avec beaucoup de vraifemblan- ce, qu'une Ârithmetique. Si l’on confülte la tradition du Païs, tous les Lappons affurent que ces caracteres font une Infcription fort an- cienne, DANS LA LAPPONIE.SEPTENTRIONALE. 319 cienne, qui contient de grands fecrets: mais quelle attention peut- on faire à ce que debitent fur des Antiquités, des gens qui ne favent pas leur âge, & qui le plus fouvent ne connoiffent pas leur Mére ? . Brunnius, leur Curé, parle de ce Monument dans une Differ- tation qu’il a fait imprimer, {ur la Ville de Torneo, & les Païs voi- fins: il le regarde comme une Infcription Runique, & dit qu’on y voyoit autrefois trois Couronnes, que le tems a effacées. Mais M. Celfius, fort favant dans la langue Runique, ne put lire ces caracte- res, & les trouva différens de ceux de toutes les Infcriptions, qui fubfftent en Suéde: & quant aux Couronnes, s’il y en a eu, le tems les a tellement effacées, qu'il n’en refte aucun veftige. La pierre, fur laquelle ces lignes font gravées, eft compoñée de differentes couches; les caracteres font écrits fur une efpece de caillou , pendant que le refte, & furtout entre les deux lignes, paroit être d’une pierre plus molle, & feuilletée. Quoi qu’il en foit, nous copiâmes, M. Celfius & moi, féparé- ment, & avec grand foin, tout ce que nous pumes difcerner, tel qu'on le voit ici. HliD LL PNRCI TITI AR YY AD AU LY EVA or Quand ce ne feroit qu’un jeu de la Nature, la réputation qu'a cette pierre dans ce Païs, méritoit que nous en donnaffions la de- fcription. Cette 820 RELATION D'UN VOYAGE FAIT Cette pierre n’a affurément la beauté des Monumens de 11 Grece, & de Rome: mais, fi ce qu’elle contient eft une Infcription, cette Infcription a vraifemblablement l'avantage d’être la plus ancienne de l'Univers. Le Païs où elle fe trouve, n’eft habité-que par une efpece d'hommes, qui vivent en bêtes dans les forêts. On ne croira guères, qu’ils aient jamais eu aucun évenement mémorable à trans- mettre à la pofterité; ni, quand ils l’auroient eu, qu’ils en euflent connu les moyens. On ne fauroit non plus fuppofer que ce Pais, dans la pofition où il eft, ait eu autrefois d’autres habitans plus civi- liés. L’horreur du Climat, & la fterilité de la Terre, l'ont deftiné à ne pouvoir être la retraite que de quelques miferables, qui n’en connoifloient aucun autre. Il femble donc, que notre Infcription auroit du être gravée dans des tems, où ce païs fe trouvoit fitué fous un autre Climat; & avant quelqu'une de ces grandes Révolutions, qu’on ne fäuroit douter qui ne foient arrivées à la Terre. La pofition qu'a aujourd’hui fon Axe par rapport au plan de lEcliptique, fait que la Lapponie ne reçoit ue très obliquement les rayons du Soleil; elle eft condamnée par là à un hiver long, & funefte aux hommes, & à toutes les pro- ductions de la Nature; fa terre eft ftérile & deferte. Mais il n’a pas fallu peut - être un grand mouvement dans les Cieux, pour lui caufèr tous ces malheurs. Ces Régions ont été peut-être autrefois celles que le Soleil regardoit le plus favorable. ment; les Cercles Polaires ont pu être ce que font aujourd’hui les Tropiques; & la Zone Torride a peut - être rempli la place, oc- cupée aujourdhui par les Zones tempérées. Mais comment la fituation de l'axe de la Terre auroit-elle été changée? Si l’on con- fidére. les mouvemens des corps Celeftes, on ne voit que trop de caufes, capables de produire de tels changemens, & de bien plus grands encore. , Si la connoiffance de l’Anatomie, de toutes les parties, & de tous les refforts, qui font mouvoir nos Corps, fait que geux qui la poffedent, s’etonnent que la machine puiffe füubfifter fi longtems; on peut dire la même chofe de l’étude de l'Aftronomie. La connoif- fance des mouvemens celeftes nous découvre bien des caufes, qui appor- DANS LA LAPPONIE SEPTENTRIONALE. sr apporteroient, non feulement à notre Terre, mais au fyfteme géné. ral du Monde, des changemens confidérables. La variation dans l'obliquité de l'Ecliptique, que plufeurs Aftro- nomes croyent démontrée par les Obiervations des Anciens, com- parées aux nôtres, pourroit feule, après de longues fuites de fie- cles, avoir produit des changemens, tels que ceux dont nous par- ons. L’obliquité, fous laquelle le plan de l’Equateur de la Terre coupe aujourdhui le plan de l'Ecliptique, qui n’eft que de 23°: pour- roit n'être que le refte d’une obliquité plus grande, pendant laquelle les Poles fe feroient trouvés dans les Zones temperées, ou dans la Zone Torride, & auroient vu le Soleil à leur Zenith. Que ce foit de tels changemens , ou des changemens plus fu. bits qu’on fuppole; ileft certain qu'il y en a eu. Les empreintes de poiflons, les poiflons mêmes pétrifiés, qu'on trouve dans les Terres les plus éloignées de la Mer, & jufques für les fommets des Monta- gnes, font des preuves inconteftables que ces lieux ont été autrefois fubmergés. L'Hiftoire Sacrée nous apprend, que les Eaux ont autrefois couvert les plus hautes Montagnes. Il {éroit bien difficile de con- cevoir une telle inondation , fans le déplacement du Centre de gra- vité de la Terre, & de {es Climats. Si l'on ne veut point avoir recours à ces changemens, on poyr- roit trouver l’origine de l’Infcription de Windfo, dans quelque eve- nement auffi fingulier que notre Voyage. Une Inicription quicon- tiendra l’hifoire de l'Opération, que nous étions allés faire dans ces pais, fera peut-être un jour quelque chofe d’aufli obfcur, que left celle-ci: & fi toutes les Sciences étoient perdués, qui pourroit alors découvrir, qui pourroit imaginer, qu'un tel Monument fut l'ouvrage des-François ; & que ce qu'on y verroit gravé, fut la mefure des degrés de la Terre, & la détermination de fa figure ? Jabandonne mes réfléxions, & le Monument, aux conjedures qu'on voudra faire, & je reprens le fil:de mon voyage. Après que nous eumes copié ce que nous trouvames fur la Pierre, nous nous Oeuv. de Maupert. Ss embar- 33 RELATION D'UN VOYAGE FAIT embarquâmes dans nos Pulkas, pour retourner à Erckibeicki. Cette marche fut encore plus ennuyeufe qu’élle n’avoit été le matin; la pofture dans les Pw/kas eft fi incommode, qu'au bout de quelques heures on eroit avoir le corps brilé; cependant nous y avions été continuellement, depuis quatre heures du matin jufqu’à une heure après midi. Le retour fut encore plus long; nos Rennes s’arrétoient à tous momens; la mouffe que nous avions portée avoit été toute mangée, & il falloit leur en chercher. Lorique la neige eft en poufliere, comme elle eft jufqu’au Printems, quoiqu'elle couvre partout la terre jufqu’à de bien plus grandes profondeurs, un Renne dans un moment avec. fes pieds s’y creufe une écurie; & balayant la neige de tous cotés, découvre la mouffe qui eft cachée au fond. On prétend que cet animal a un inftinét particulier, pour trouver cette mouffe couverte de tant de neige, & qu'il ne fe trompe jamais, lorfqu’il fait fon trou: mais l'état où étoit alors la fuperficie de la - neige, m’empécha d’eprouver fi ce qu’on dit fur cela eft faux. Dès que cette fuperficie a été frappée des rayons d’un Soleil, affés chaud pour en fondre & unir les parties, la gelée qui reprend auflitôt , la durcit & en forme une croute qui porte les hommes, les Rennes, & méme les Chevaux. Quand une fois cette croute couvre la neige, les Rennes ne peuvent plus la creufer pour aller chercher deffous leur nourriture; il faut que les Lappons la leur brifent, & c’eft là toute la récompenfe des fervices que ces Animaux leur rendent. Les Rennes méritent que nous en difions ici quelque chofe. Ce font des efpeces de Cerfs, dont les cornes fort raneufes jettent feurs branches fur le front. Ces animaux femblent deflinés par la Nature, à remplir tous les befoins des Lappons. Ils leur fervent de Chevaux, de Vaches, & de Brebis. i On attache le Renne à un petit Bateau, appellé Pw/ka, pointu par devant pour fendre la neige; & un homme, moitié affis, moitié couché dans cette voiture, peut faire la plus grande diligence, pourvu qu'il ne craigne, ni de verfer, ni d’être à tous momens fubmergé dans la neige. La DANS LA LAPPONIE SEP TENTRIONALE. 323 La Chair des Rennes eft excellente à manger, fraiche, ou féchée. Le lait des femelles eft un peu acre, mais aufli gras que la crême du lait des Vaches; il fe conferve longtems gelé, & les Lappons en font des fromages, qui féroient meilleurs, s'ils étoient faits avec un peu plus d'art & de propreté. La peau des Rennes fait des vétements de toute efpece. Celle des plus jeunes, couverte d’un poil jaunâtre, un peu frifé, eft une pelifle extrémement douce, dont les Finnoifes doublent leurs habits. Aux Rennes d’un âge un peu plus avancé, le poil brunit, & l’on fait alors de leurs peaux ces Robes, connuës par toute l’Europe fous le nom de Lappmudes ; on les porte le poil en dehors, & elles font un vêtement fort leger & fort chaud. La peau du vieux Renne s’ap- prête comme celle du Cerf & du Daim, & fait les plus beaux gands, les plus belles Veftes, & les plus beaux Ccinturons. Les Lappons filent en quelque façon les nerfs, & les boyaux des Rennes, en les roulant, & ne fe fervent guéres d'autre fil. Enfin, pour que tout en foit utile, les Lappons fäcrifient les Cornes des Rennes à leurs Dieux. Etant revenus à Pellika, après beaucoup de fatigue, de froid, & d’ennui; nous en repartimes le 13. de grand matin & arrivâmes vers les o. heures à Kengis. Cet endroit, quoiqu'affés miferable, eft un peu plus connu que les autres, par des forges de Fer qui y font. La matiere y eft portée, ou plutôt traînée, pendant l’hyver par des Rennes, des mines de unesvando, & de Swappawara. Ces forges ne travaillent qu'une petite partie de l’année, la glace ne permettant pas lhyver aux roués, de faire mouvoir les foufflets & les marteaux. Kengrs eft fitué fur les bords d’un bras du fleuve de Torneo, qui a devant Kengis une Cataraéte cpouventable, qu'aucun bateau ne peut pafñler. Cétoit le plus beau fpeétacle que de voir les glaçons & l'écume fe précipiter avec violence, & former une Cafcade, dont les bords fembloient de criftal. Après avoir diné chés le Prêtre de Kezgis, M. Anrilius, nous en partimes, & vinmes le même foir coucher à Pello, dans la maifon que nous avions tant habitée, & que vraifemblablement nous revoy- ons pour la derniere fois. Ss 2 En 324 RELATION D'UN VOYAGE FAIT En revenant de Keugis | nous rencontrâmes fur le fleuve pluf- eurs Caravannes de Lappons, qui apportoient jufqu’à Pello, les peaux & les poiflons qu’ils avoient troqués aux foires de la haute Lappo- nie, avec les Marchands de Torneo. Ces Caravannes forment de longues files de Pulkas: le premier Renne eft conduit par un Lap- pon à pied, qui traîne le premier Pu/ka, auquel eft attaché le fe- cond Renne, & ainfi de fuite, jusqu’à 30. & 40. qui paflent tous précifement par ce petit fillon, tracé dans la neige par le premier, & creulé par tous les autres. Lorfquè les Rennes font las, & que les Lappons ont choifi le lieu où ils veulent camper; ils forment un grand cercle de tous les Rennes attachés à leurs Pulkas. Chacun fe couche dans la neige au milieu du fleuve, & leurs Lappons leur diftribuent la mouffe. Ceux-ci ne font pas plus difficiles à accommoder; plufieurs fe con- tentoient d’allumer du feu, & de fe coucher fur le fleuve, pendant que leurs femmes, & leurs petits enfans, tiroient des Pu/kas quel- ques poiffons qui devoient faire leur foupé; quelques autres dreffoi- ent des efpeces de Tentes, qui font bien des logemens dignes des Lappons: ce ne font que de miferables haillons, d’une grofle Etoffe de laine, que la fumée a rendu auffi noire que fi elle étoit teinte. Elle entoure quelques piquets, qui forment un cône, dont la pointe refte découverte, & fert de cheminée. La les plus voluptueux, étendus fur quelques peaux de Rennes & d’Ours, pañlent leur tems à fumer du Tabac, & à méprifer les occupations des autres hommes. Ces peuples n'ont point d’autres demeures que des Tentes; tous leurs biens confiftent dans leurs Rennes, qui ne vivent que d’une mouffe, qui ne fe trouve pas partout. Lorique leur troupeau en a dépouillé le fommet d’une Montagne, ils font obligés de le conduire fur quelqu'autre, & de vivre ainfi toujours errans les défèrts. Leur foreft, affreufe en Hyver, eft encore moins habitable en Eté: une multitude innombrable de Mouches de toute elpece, infecte l'air; elles pourfuivent les hommes, & les fentant de très loin, forment bientôt autour de chacun qui s’arrèté, une Atmos- phere fi noire qu'onne sy voit pas : il faut pour leviter , changer conti- DANS LA LAPPONIE SEPTENTRIONALE. 325 continuellement de place, & n'avoir aucun repos; ou brulant des arbres verts, exciter une fumée épaiffe, qui n’écarte les mouches qu’en devenant auffi infupportable aux hommes qu'à elles: enfin, on eft quelquefois obligé de fe couvrir la peau de la Réfine qui coule des Sapins. Ces Mouches font des piquüres cruelles, & pluñeurs font plutôt de véritables playes, dont le fang coule par groffes goutes. Pendant le tems de la plus grande fureur de ces Infeétes, qui cft celui des deux mois que nous avons pañlés à faire nos triangles dans la foreft, les Lappoñs fuyent avec leurs Rennes vers les côtes de l'Ocean, où ils en font delivrés. Je n’ai point encore parlé de la figure, ni de lataille, des Lap- pons ; fur lefquels on a debifé tant de fables. On a exagéré leur petiteffe, mais on ne fauroit avoir exagéré leur laideur. La rigueur, & la longueur d’un Hyver, contre lequel ils n’ont aucune autre pré- caution, que ces miferables Tentes, dont je viens de parler, fous lefquelles ils font un feu terrible, qui les brule d’un coté pendant que Pautre coté gele; un court Eté, mais pendant lequel ils font fans relâche brulés des rayons du Soleil; la fterilité de la terre, qui ne produit, nibled, ni fruit, ni légumes, paroiffent avoir fait dégé- nérer la Race humaine dans ces Climats, Quant à leur taille, ils font plus petits que les autres hommes, quoique leur petitefe n’aille pas au point, où l'ont fait aller quelques Voyageurs, qui en font des Pigmées. Parmi le grand nombre de Lappones, & de Lappons, que j'ai vus, je mefürai une femme qui me paroifloit agée de 25. à 30. ans, & qui allaitoit un enfant qu’elle por- toit dans une ecorce de Bouleau. Elle paroifloit de bonne fanté, & d’une taille bien proportionnée, felon Pidée que je m’étois faite des proportions de leur taille; elle avoit 4. pieds, 2. pouces, 5. lignes de hauteur, & c'étoit certainement une des plus petites que j'aye vu, fans que cependant {à petiteffe parût difforme, ni extraordinaire, dans le païs. On peut s’être trompé fur la petitefle des Lappons, & für la groffeur de leur tête, fi l'on n’a pas fait une obfervation, que j'ai faite, malgré l'ignorance où ils fout prefque tous eux-mêmes fur leur âge. Les Enfans qui, dès la grande jeuneffe, ont déjà les Ss 3 traits 36 RELATION D'UN VOYAGE FAIT ét. traits défigurés, & quelquefois l'air de petits vieillards, commen- cent de très bonne heure à conduire les Pylkas, & à s'occuper des mêmes travaux que leurs péres. Je crois que la plüpart des Voya- geurs ont jugé de la taille des Lappons, & de la groffeur de leur tête, par celle des Enfans; & c’eft fur quoi j'ai fouvent penfé moi- même me tromper. Ce n’eft pas que je veüille nier que les Lappons adultes ne foient en général plus petits que les autres hommes; mais je crois qu’on a diminué leur taille, dans les rélations qu'on en a faites, par l'erreur dont je viens de parler; ou peut-être feulement, par le penchant qu'on a pour le merveilleux. Il m'a paru, qu’en général il y avoit la tête entre eux & nous; & c’eft une grande différence. Un Païs tout voifin de la Lapponie, avoit produit dans le genre oppolé une veritable merveille. Le Géant que nous avons vu à Paris en 1735. étoit né dans un Village peu éloigné de Torneo. L'Acade- mie des Sciences l'ayant fait mefurer, on trouva fa hauteur de 6. pieds, 8. pouces, &. lignes. Ce Coloffe étoit formé d'autant de matiere, qu'il en faudroit pour quatre ou cinq Lappons. LETTRE LETTRE SUR LE PROGRES DES:SCIENCES. be Se “ Ce à À À La Fk 419 ‘ APR RL 02 AIS fs Po 24 CU ner "FREE. j & ‘.: EURE + és , j : d re Ver > d'a - D 'A, r ‘ La | ‘ [ ! Ÿ F TA à (ets à » La , | se QE ù 7 & A, = È LAPS ARTE à w o 10 X ATNTNNIN Se & SÈCEF DA 7 AU OP) 2 SZ CARTES 2 7 ) > LAS ju LEBT,: TRE SUR EE PROGRESS PrÉNS SCIENCE 6 Ouvrage le plus confiderable du Chancellier Bacon, eft le traité de augmentis Scientiarum qu’il dedia à fon Roy, com- me au Prince de ce tems là le plus capable d’en faire ufage. Je n’ai garde de vouloir comparer ce petit nombre de pa- ges à ce Qu’a fait ce grand homme, auquel dans les ouvrages les plus longs on ne peut pas reprocher la prolixité: Ce que je me pro- pofe eft bien différent de ce qu'il s’étoit propofé. 11 confidera toute la connoiffance humaine comme un Edifice dont les fciences de- voient former les différentes parties; il rangea chaque partie dans fon ordre, & fit voir fa dependance avec les autres & avec le tout. Examinant enfuite ce qui pouvoit manquer à chacune, il le fit avec toute la profondeur de fon Efprit, mais dans toute la généralité qui convenoit à la grandeur de fon plan. Je ne veux icy que fixer vos regards fur quelques recherches utiles pour le genre humain, cu- rieufes pour les favans, & dans lefquelles l'état où font actuelle- ment les fciences, femble nous mettre à portée de réuffir. Oeuv. de Mauperr. Æt Comme Terves Aufirales. “go “LETTRE SUR LE PROGRES Comme perfonne ne fait mieux: que vous jufqu'où s'étendent nos connoiffances, perfonne auf ne jugeroit mieux de ce qui y refte à défirer, ni des moyens pour le remplir, fi des foins encor plus importans permettoient à vôtre vué de fe tourner toute de ce côté Hi: mais puifque un Efprit tek que le vôtre. fe doit à tout, & ne fe doit à chaque chofe qu’à proportion du degré d'utilité dont: elle ef, permettez moi de vous envoyer ces reflexions fur les progrès dont il me femble qu'atuellement les fciences auroient le plus de befoin: afinque fi vous portez fur les chofes que je propofe, -te même ju- gement que moi, vous puiffiez en mettre quelques unes en exécu- tion. Quel tems pour, cela feroit plus propre que celui où le plus grand Monaïque, après tant de Victoires remportées fur fes Ennemis, fait jouir fes Peuples du repos & de l'abondance de la paix ; & les a comblés de tant de fortes. de ‘bonheur, que rien ne peut -plusrêtre ajouté à fà gloire, ss par des moyens dont la nature eft d'être inépuifables. : :! , Il ya des féiences, fie quelles la volonté de Rois n’a point d'influence immédiate: elle n’y peut procurer d'avancement qu’au- tant que par les avantages qu'elle attache à leur étude, elle multiplie le nombre & les efforts de ceux qui s’y appliquent. Mais. il en-eft d'autres qui pour leur progrès ont un befoin néceffaire du pouvoir des Souverains; ce font toutes celles qui exigent de plus grandes depenfés que ne peuvent faire les particuliers, où des expériences qui dans l’ordre ordinaire ne feroient pas pratiquables, C’eft ce que je crois qu’on pourroit faire pour le progrès de ces fciences, que je Pie la liberté de vous propofer. Tout le monde fçait que dans lhemifphere meridional il y a un efpace inconnu , où placer une nouvelle partie du monde plus grande qu'aucune des quatre autres: & aucun Prince n’a la curiofité - de faire decouvrir fi ce font des Terres où des mers qui rempliffent cet efpace, dans un Siécle, où la navigation eft portée à un fi haut point de perfection! Voici quelques reflexions à faire fur cette matiére, Comme dans tous ce qui eft connu du Globe, il n’y a aucun efpace d'une auffi vafte étendue que cette plage inconnue , qui foit tout occupé par la Mer, il y a beaucoup plus de probabilité qu'on y tou- + LU ot tb DA ND end be 07 RE ILE LEAUNDES SIC HEN CEST Tax sy ytrouvera des Terres, qu'une Mer continue. À cette reflexion générale on pourroit ajouter les relations de tous ceux qui naviguant dans l’heifphere meridional , ont apperceu des pointes, des Caps, & des Signes certains d’un continent dont ils n’étoient pas éloignés. Le nombre.des Journaux qui en font mention eft trop grand, pour les citer icy; quelques uns de ces Caps les plus avancés font déja marqués fur les Cartes. -. La Compagnie des Indes de France envoya il y a quelques an- nées, chercher des Terres Auftrales entre l'Amerique & l'Afrique; Ec Capitaine Lozier qui étoit chargé de cette expédition naviguant vers PER entre ces deux parties du monde, trouva pendant une route de 48. degrés des Signes continuels de terres voifines & ap- perçut enfin vers le 52. degré de Latitude un Cap où les glaces em pécherent de debarquer. Si lon ne cherchoit des Terres Auftrales que dans la vué d'y trouver un port pour la navigation des Indes Orientales, comme c’étoit l’objet de la Compagnie, on pourroit faire voir qu’on n’avoit pas pris les mefures les plus juftes pour cette entreprife, qu'on l'a trop tôt abandonnée, & l’on pourroit auffi donner quelques confeils pour mieux reüflir : mais comme onne doit pas borner la découverte des Terres Auftrales à l'utilité d’un tel port; & qu'au contraire je crois que ce feroit un des moindres objets qui devroit la faire entre. prendre ; Les Terres. fituées à l'Eft du Cap de Bonne Elpérance mériteroient beaucoup plus d’être cherchées que celles qui font entre lAmerique & l’Afrique. * En effet on voit par les Caps qui ontété apperçus, que les Terres Auftrales au delà de PAfrique s’approchent beaucoup plus de TEquateur, & qu’elles s'étendent jufqu’à ces Climats où l'on trouve les productions les plus prétieufes de la nature. Il feroit difficile de faire des conje(hirés un peu fondées für les productions & fur les habitans de ces Terres; mais il y a une remar- que bien capable de picquer la curiolité, qui pourroit faire foup- çonner qu’on y trouveroit des chofes fort difiérentes de celles qu'on trouve dans les quatre autres. parties du monde. Oneft afluré que trois de ces parties, l'Europe, l'Afrique & l’Afie, ne forment qu'un L à à feul 332 LETTRE SUR LE PROGRES feul Continent; l'Amérique y eft peut-être jointe: Mais fi elle en eft feparée, & que ce ne foit que par quelque detroit il aura toujours pû y avoir une communication entre ces quatre parties du Monde; les mêmes plantes, les mêmes Animaux, les mêmes hommes au- ront du s’y étendre de proche en proche autant que la différence des Climats leur aura permis de vivre, & de fe multiplier, & n'auront reçu d’alterations que celles que cette diflérence aura pü leur caufer. Mais il n’en eft pas de même des efpeces qui peuvent s'être trouvées dans les terres Auftrales; ellesn’ont pü fortir de leur Continent. On a fait plufeurs fois le tour du Globe, & l’on a toujours laiflé ces Terres du même coté; il eft certain qu’elles fontabfolument ifolées, & qu’elles forment pour ainfi dire un nouveau monde à part, dans lequel on ne peut prévoir ce qui fe trouveroit. La découverte de ces Terres pourroit donc offrir de grandes utilitéspour le commerce, & de merveilleux fpe“tacles pour la Phyfique. Au refte les Terres Auftrales ne fe bornent pas à ce grand Con- tinent fitué dans l’hemisphere meridional._ 11 y a vraifemblablement entre le Japon & PAmerique un grand nombre d’Islesdont la décou- verte pourroit être bien importante. Croira-t-on que ces pré- tieufes Epices devenues néceffaires à toute l'Europe, ne croiffent que dans quelques unes de ces Isles dont une feule nation s’eft empa- rée? Elle même peut-être en connoit bien d’autres qui les produi- fent également, mais qu’elle a grand interét de ne pas faire connoître. C’eft dans les Isles de cette Mer que les Voyageurs nous aflurent qu'ils ont vû des hommes fauvages, des hommes velus, portant des queues, une efpece mitoyenne entre les finges & nous. J'aimerois mieux une heure de converfätion avec eux qu'avec le plus bel Efprit de l'Europe. Mais fi la Compagnie des Indes s’attachoit a chercher pour fa navigation quelque port dans les Terres Auflrales entre l'Amerique &l'Afrique, je ne crois pas qu’elle dût être rebutée par le peu de fuccès de fà prémiere entreprife : il me femble au contraire que la Relation du voyage du Capitaine Lozier, pourroit engager la Com- pagnie à la pourfuivre. Car il s’eft affuré de l’exiflence de ces Terres DES. SCIENCES. 333 Terres, il les a vués, s’il n’en a pü approcher de plus près , ça été par des obftacles qui pouvoient étre evités où vaincus. : Ce furent les Glaces qui l’empechérent d’atterrir. Il fut furpris d’en trouver au 50. degré de Latitude pendant le Solftice à ul devoit favoir que toutes chofes d’ailleurs égales, dans l’hemifphere meridional le froid eft plus grand en Eté, que dans lhemifphere ieptentrional: parce que quoique fous une même latitude pour l’un & l'autre hemifphere la pofition de la fphere foit la même, les diftan- ces de la Terre au Soleil ne font pas les mêmes dans les faifons cor- relpondantes. Dans notre hemifphere, l'hiver arrive lorfque la Ferre eft à {a plus petite diftance du Soleil, & cette circonftance diminue la force du froid: Dans l’hemifphere Auftral au contraire l'hiver arrive lorfque la Terre eft à fon plus grand éloignement du Soleil, & cette circunftance augmente la force du froid. Mais il euffété encor plus néceffaire de penfer, que dans tous les lieux où la fphere eft oblique, les tems les plus chauds n'arrivent qu'après le folftice d'Eté, & qu’ils arrivent d’autant plus tard que les Climats font plus froids. Cela eft connu de tous les Phyficiens eft de tous ceux qui ont voyagé vers les Poles. Dans l’hemifphere feptentrio- nal, on voit fouvent couvertes encor de glaces au folftice des mers où un mois après on n’en trouveroit pas un Atome; on y reffent de grandes chaleurs, & c’eft dans ce tems là ou dans celui qui lui ré- pond dans l'hemifphere oppolé, qu’il faut entreprendre d’approcher des Terres voifines des Poles. Dans ces Climats, dès que les gla- ces commencent une fois à fondre, elle fondent très vite, & en peu de jours la mer eneft delivrée. Si donc au-lieu d'arriver au tems du folftice aux Latitudes où M. Lozier cherchoit fes Terres, il fut arrivé un mois plus tard, j'ai peine à croire qu’il eut trouvé aucune glace. Au refte les glaces ne font point pour aborder des Terres, des obftacles invincibles. Si elles font flotantes, les pecheurs de Ba- leines & tous ceux quiont fait des navigations dans le Nord, fçavent qu’elles n’empechent pas de naviguer: & quand aux glaces qui tien- ” nent aux terres, les habitans des bords des Golfes de Finlande & de Bottnie ont tout l'hiver des routes fur ces glaces, & s’y font fouvent Ft des Patagons, 334 LETTRE SUR LE PROGRES des chemins par preférence à ceux qu’ils pourroient fe faire fur la Terre. Les Peuples du Nord ont encore une pratique affés fimple & affés feure lorfqw'ils font obligés de fejourner fur des glaces qui commencent à {e brifer; c’eft d'y tranfporter des Bateaux legers, qu’ils trainent par tout où ils vont, & dans lefquels il peuvent aller d'une glace à autre. Toutes ces .chofes font fort connues dans les Pais du Nord. Et fi ceux que la Compagnie des Indes avoit envoyés chercher les Ter- res Auftrales euflent eu plus de connoiffance du Phyfique de ces Climats, & des reffources qu'on y employe, il eft à croire, qu'en arrivant plus tard, ils n’auroient pas trouvé de glaces; ou que les glaces qu’ils trouvérent ne les auroient pas empechés, d'aborder une terre.qui felon leur Rélation n’étoit éloignée d'eux ur d'uné ou de deux Lieues. Ce n’eft point donner dans les vifions ni dE une éuiof vs cule que de dire que cette Terre des Patagons fituée à l'extrémité Auftrale de FAmerique mériteroit d'etre examinée. : Tant de Rela- tions dignes de foi nous parlent de ces Geans, qu’on ne fçauroit guères raïfonnablement douter qu’il n’y ait dans cette region des hommes dont la taille eft fort différente de la nôtre. Les Trans: actions Philofophiques de Ia Societé Royale de Londres parlent d’un Crane qui devoit avoir appartenu à un de ces Geans, dont la taille par une comparailon très exadé de cet os avec les nôtres, de voit tre de dix ou douze pieds. A examiner philofophiquement la chofe, on peut s'étonner qu’on ne trouve pas entre tous les kom mes que nous connoiffons Ja même varieté de grandeur qu’on ob- ferve dans plufieurs autres efpeces. Pour ne s'écarter que le moins qui eft poffible de Ia nôtre, d'un fäpajou à un gros finge, ilya plus de différence que du plus petit Lappon au Plus g grand de ces Geans dont les Voyageurs nous ant parlé. Ces hommes mériteroient fans doute d'être connus: la grañdeur de leur corps feroit peut être la moindre chofe à obferver: leurs idées, leurs connoiffances, leurs hifloires féroient bien encor d'une autre curiofité, Après DES SCIENCES. 335 + Après la decouverte des Terres Auftrales, il en eft ue autré Paffare tout oppolce: qui feroit à faire dans les Mers du Nord. C’eft celle 24 # Nord. de quelque-paflage qui rendroit le Chemin des Indes beaucoup plus court que celui que tiennent les vaiffeaux qui font jufqu’ici obligés de doubler les pointes meridionales de l'Afrique ou de FAmerique. Les Anglois, les Hollandois, les Danois ont fouvent tenté de de- couvrir ce pañage, dont l'utilité n’eft pas douteufe; mais la poffibi- lité en. eft encor indécife.. On a cherché ce pañage au Nord-Eft & au Nord-Oueft fans l'avoir pu trouver: Cependant ces tentatives, in- fructueufes pour ceux qui les ont faites, ne le font pas pour eeux qui voudront pourfuivre cette recherche. Elles ont appris que s’il y a un pañlage par l’un ou l’autre de ces deux cotés oùon l’a cherché, il doit être extremement difficile. Il faudroit pafler par des detroits qui dans ces Mers Septentrionales font prelque toujours bouchés par les glaces. | L'Opinion à laquelle font revenus ceux qui ont cherché ce pal fage, eft que ce feroit par le Nord méme qu’il le faudroit tenter. Dans la crainte d'un trop grand froid fr l'on s élevoit trop vers le Pole, l'on ne s’eft point affés éloigné des Terres, & Pon a trouvé les Mers fermées par les glaces; foit que les lieux par où l’on vouloit paffer ne fuffent en effet que des Golfes, foit que ce fuffent de véritables detroits. C’eft un efpece de paradoxe de dire que plus près du Pole, on eut trouvé moins de glaces & un Climat plus doux. Mais outre quelques Rélations qui affurent que les Hollandois s'étant fort approchés du Pole avoient en effet trouvé une Mér ouverte & tranquille & un air temperé, la Phifique & PAffronomie le peuvent faire croire. Si ce font de vaftes Mers qui occupent les regions du Pole, on y trouvera moins de glaces que dans des feux moins féptentrionnaux , où les Mers feront res- ferrées par les Terres: & [a préfence continuelle du Soleil fur lho- rizon pendant fix mois peut caufér plus de chaleur que fon peu d’élé- vation n’en fait perdre. Je croirois donc que ce feroit par le Pole même qu'il faudroit tenter ce palage. Et dans le niême tems qu’on pourroit éfperer de faire Obfervations 33 LETTRE SUR LE PROGRES faire une Decouverte d’une grande utilité pour le commerce, c’en feroit une curieufe pour la connoiffance du Globe que de favoir fi ce point autour duquel iltourne eft fur la Terre ou fur la Mer? D'y obferver les Phénomenes de l’Aimant dans la fource d'où ils fem- blent partir; d’y décider fi les Aurores Boreales font caufées parune matière lumineufe qui s’echappe du Pole, ou du moins fi le Pole eft toujours inondé de la matière de ces Aurores? Je ne parle point icy de certaines difficultés attachées à cette navigation. Plus on approche du Pole, plus les fecours qu'offre la fcience du Pilote diminuent; Et au Pole même plufeurs ceffent tout a fait. On pourroit donc eviter ce point fatal; mais fi l'on y étoit arrivé, il faudroit commencer fà route en quelque forte au hazard jufqu’à ce qu’on s’en fut éloigné d’une diftance qui permit de repren- dre l’ufage des regles de la navigation: Je ne m’étens pas fur cela; je ne me fuis propolé que de vous parler des Decouvertes qui m'ont paru les plus importantes ; c’eft après le choix que vous en ferez qu’on pourroit difcuter les moyens qu’on croiroit les plus convena- bles pour Pexécution. Mais fi un grand Prince deftinoit tous les ans deux ou trois Vaifleaux à ces entreprifes; la depenfe feroit peu confidérable; independament du Succès elle feroit utile pour for- mer les Capitaines & les Pilotes à tous les évenemens de la naviga- tion; & il ne feroit guères poffible qu'entre tant de chofes qui reftent inconnues fur nôtre Globe on ne parvint à quelque grande De- couverte. Lorfqu’on confdere l’ufage qu'on fait de la Direction de l'Ai- fic Les vari. mant vers le Pole, on ne peut guères s'empecher de croire que cette ations de }'Aimant. merveilleufe proprieté lui a été donnée pour conduire le Naviga- teur. Mais cette proprieté qui n’eft encor connue qu'imparfaitement nous procurant déja tant d'utilité, il y a grande apparence qu’elle nous en procureroit encor d'avantage fielle étoit entierement connue. La Direction de l'Aimant en général vers le Pole nous fert à di- riger nos routes ; mais les écarts de cette directiou, foumis fans doute à quelque Loi encor peu connue, feront vraifemblablement de DES SCIENCES 337 de nouveaux moyens que la nature referve au navigateur pour lui faire connoitre le point du Globe où il fe trouve. L’Angleterre autrefois, donna à M. Halley le commandement d'un vaifleau deftiné aux progrès des fciences maritimes. Après une navigation dans les deux Hemifpheres, ce grand Aftronome ebaucha fur le Globe le Trait d’une ligne dans laquelle toutes les aiguilles aimantées fe dirigeoient exaétement au Nord; & de laquelle en s'écartant, on voyoit croître leurs Declinaifons. Une telle ligne bien conftatée pourroit en quelque forte fuppléer à ce qui nous man- que pour la connoïiffance des Longitudes fur Mer. Par la Declinai- fon de l'aiguille obfervée dans chaque lieu, lon jugeroit de la pofi- tion orientale ou occidentale de ce lieu. D’autres Géographes ont cru que la ligne de M. Halley n’étoit pas unique fur le Globe; qu’il s’en trouvoit encore quelqu’autre qui avoit le même avantage. Comme la Declinaifon de l'aimant varie dans un même lieu, ces lignes fans Declinaifon ne doivent pas demeurer dans une pofition conftante: mais fi comme il eft vraifemblable, leur mou- vement eft régulier, & fi nous parvenons à le connoître, leurutilité fera toujours la même. 11 faut avouer que les travaux de M. Halley n’ont pas amené la Chofe à fà perfection: mais peut-on efperer que de fi grandes entreprifes s’achevent dans une premiere tentative? Et pour une Decouverte d’une telle importance peut-on épargner les moyens ? On ne fauroit donc trop recommander aux Navigateurs de faire partout où ils pourront, les obfervations les plus exactes fur la Decli- naifon de l'aiguille aimantée: Ces Oblervations leur font déja né- ceffaires pour connoître la vraye direction de leur route; Et ils les font: mais ils ne les font pas avec aflez de foin. Les différentes inclinaifonsde l'aiguille endifférents Lieux, ont fait penfer à d’habiles Hydrographes, qu'on en pourroit encor tirer quelque nouveau moyen pour connoître {ur Mer les Lieux où lon eft. Ces obfervations font encor plus difficiles ä exécuter que celles de la Decli- naifon, &ne peuvent guéres fe faire fur Mer avec l'exactitude néceffaire ; Mais il faudroit les faire fur la Terre dans toutes les différentes Régions: Car autre chofe eft de faire des obfervations pour decouvrir une Théo- rie, où d’en faire pour fe férvir d’une Théorie déja connue. Oeuv. de Maupert. Uu Telles Continent 338 LETTRE SUR LE PROGRES Telles font les principales découvertes à tenter par Mer. Il en de l'Afrique. eft d’autres dans les Terres qui mériteroient auf qu’on les entreprit. Pyramides ET Cavités. Ce Continent immenfe de FAfrique fitué dans les plus beaux Cli- mats du Monde, autrefois habité par les nations les plus nombreu- fes & les plus puiffantes, rempli des plus fuperbes Villes; tout ce vafte continent nous eft prefque aufli peu connu que les Terres Auftrales. Nous arrivons fur fes bords, nous n'avons jamais penétré dans lintérieur du Païs. Cependant fi fon confdere fa pofition dans les mêmes Climats que les lieux de FAmerique les plus fertiles en Or & en Argent: fi l'on penfe aux grandes richefles de l’ancien monde qui en étoient tirèes, à l’or même que quelques fauvages fans induftrie nous apportent ; on pourra croire que les découvertes qui fe feroient dans le Continent de l'Afrique ne feroi- ent pas infructueufes pour le Commerce. Si on lit ce que les anci- ennes hiftoires nous rapportent des Sciences & des Arts des peu- ples qui l’habitoient, fi lon confidere les merveilleux monumens qu’on en voit encor dès qu’on aborde aux rivages de l'Egypte, on ne pourra douter que ce Païs ne fut bien digne de notre euriofité. Ce n’eft pas fans raïfon qu’on a compté parmi les merveilles du monde, ces mafles prodigieufes de Terre & de Pierres, dont l’ufage pourtant paroît fi frivole, ou du moins nouseft refté fi inconnu. Les Egyptiens au lieu de vouloir inftruire les autres Peuples femblent n'avoir jamais penfé qu'à les étonner: il n'eft cependant guéres vrai- femblable que ces Pyramides enormes n’ayent été deftinées qu'a ren- fermer un Cadavre; Elles cachent peut-être les monumens les plus finguliers de l’hifloire & des fciences de l'Egypte. On raconte qu’un Caliphe curieux fit tant travailler pour en ouvrir une, qu’on parvint à y decouvrir une petite route qui conduit à une falle, dans laquelle on voit encor un Coffre de Marbre ou un efpece de Cercueil: mais quelle partie, ce qu'on à decouvert occupe-t-il d’un tel Edifice? n’eft- il pas fort probable que bien d’autres chofes y font renfermées ? L’ufage de la poudre rendroit aujourd’hui facile le bouleverfement total d’une de ces Pyramides, & le Grand Seigneur les abandonne- roit fans peine à la moindre curiofité d’un Roy de France. J'ai- DES: SCIENCES 339 J'aimerois cependant bien mieux que les Rois d'Egypte eufent CES. employé ces millions d'hommes qui ont élevé les Pyramides dans les Scies airs, à creufèr dans la Terre des Cavités dont la profondeur répon. ranger. dit à ce qu'ils avoient de Gigantesque dans leurs ouvrages. Nous ne connoiflons rien de la Terfe intérieure, nos plus profondes mines entament à peine fà prémiere écorce. Si l’on pouvoit parvenir au Noyau, il eft à croire qu’on trouveroit des matieres fort différentes de celles que nous connoiflons, & des phénomènes bien finguliers. Cette force tant difputée qui repandue dans tous les corps explique fi bien la nature, n’eft encor connue que par des expériences faites à la fuperficie de la Terre; il feroit à fouhaiter qu’on pût en exami- ner les phénomènes dans ces profondes Cavités. Nous ne pouvons guères douter que plufeurs Nations des plus éloignées n’ayent bien des connoïffances qui nous féroient utiles. Quand on confidere cette longue fuite de fiécles pendant lefquels les Chinois, les Indiens, les Egyptiens nous ont devancés dans les fciences, & les ouvrages de l’art qui nous viennent de leur Païs, on ne peut s’empecher de regretter qu'il n’y ait pas plus de communica- tion entre eux & nous. Un College où l’on trouveroit raffemblés des hommes de ces Nations, bien inftruits dans les fciences de leur Païs, qu’on inftruiroit dans la langue du nôtre, feroit fans doute un bel établiffement, & ne feroit pas fort difficile. Peut-être n’en fau- droit-il pas exclure les nations les plus fauvages. Toutes les Nations de l’Europe conviennent de la néceffité de Fit: cultiver une langue qui, quoique morte depuis longtems, fe trouve {*”* encor aujourd’hui la langue de toutes la plus univerfelle, mais que le plus fouvent il faut aller chercher chez un Preftre ou chés un Me- decin. Si quelque Prince vouloit, il lui feroit facile de la faire revivre: il ne faudroit que confiner dans une même Ville, tout le Latin de fon Païs; ordonner qu’on n’y prechât, qu’on n’y plaidât, qu’on n'y jouât la Comedie qu’en Latin. Je crois bien que le Latin qu'on y parleroit ne feroit pas celui de la Cour d’Augufte, mais auffi ce ne féroit pas celui des Polonois. Et la jeuneffe qui viendroit de bien des Pais de l'Europe dans cette Ville, y apprendroit dans un an plus de Latin qu’elle n’en apprend dans cinq ou fix ans dans les Colleges. Uu 2 Il Afironomie. 340 LETTRE SUR LE PROGRES Il femble qu’on ne tirespoint affés d'avantages de ces magnifiques Obfervatoires, de ces excellens Inftrumens, de ce grand nombre d'Obfervateurs habiles qu’on a dans différens lieux de l Europe. La pluspart des Aftronomes croient leur Art fini; & ne font plus que repeter par une efpece de routine les oBfervations des hauteurs du Soleil, de la Lune, et de quelque Etoile, avec leurs pafages par le Meridien. Ces Oblfervations ont bien leur utilité; mais il feroit à fouhaiter que les Aftronomes fortiffent de ces limites. On croyoit que les Etoiles qu’on appelle fixes étoient toujours vuës dans les mêmes points du Ciel: des Obiervations plus foigneu- fes & plus exactes faites dans ces derniers tems nous ont appris qu'outre l'apparence du mouvement qui refülte de la préceffion des Equinoxes, les Etoiles avoient encor un autre mouvement appa- rent. Quelque Aftronome précipité en conclut une parallaxe pour lorbe annuel: un plus habile, celui-là même qui avoit decouvert ce mouvement, en fit voir l’indépendance avec la parallaxe ; & en trouva la véritable caufe dans la combinaïlon du mouvement de la Lumiere avec le mouvement de la Terre. Le même M. Bradley a decouvert encor l'apparence d’un nouveau mouvement à peine fen- fible, qu'il attribue avec beaucoup de probabilité à l'action de la Lune fur le Sphéroide terreftre. Mais n’y a t-il point un mouvement réel dans quelques Etoiles? Quelques Afironomes en ont déja decou- vert où foubçonné; & il eft à croire que fi l'on s’appliquoit davan- tage à cette recherche on en decouvriroit davantage: foit que ces Etoiles foyent affés deplacées par les Planètes où Cometes qui peu- vent faire autour leurs revolutions , foit que quelques unes foyent peut être elles mêmes des Planètes lumineufes de quelque Corps Central opaquesoù invifible pour nous. Enfin n’y auroit-il point quelque Etoile réellement fixe, dont le mouvement apparent nous decouvriroit la parallaxe de lorbe annuel ? La trop grande diftance où les Etoiles font de la Terre cache cette parallaxe dans celles qu’on a obfervées: mais eft-ce une preuve qu'au- cune des autres ne la pourroit laiffer appercevoir? On seft atta- ché aux Etoiles les plus lumineufes comme à celles qui étant les plus proches de la Terre feroient les plus propres à cette decou- verte : DES SCIENCES. 34 verte: mais pourquoi les a-t-on cru les plus proches? Ce n'eft que parce qu’on les à fuppolées toutes de la même grandeur & de la mé- me matière: mais qui nous a dit que leur matière & leur grandeur fuffent pour toutes les mêmes. L’Etaile la plus petite ou la moins brillante pourroit être celle qui eft la plus proche de nous. Si dans ces Païs où il y a un nombre {uffifant d'Obfervateurs, on diftribuoit à chacun un certain efpace du Ciel, une Zone de deux ou trois degrés parallele à Equateur, dans laquelle chacun exami- nât bien toutes les Etoiles qui s’y trouvent, vraifemblablement on découvriroit bien des phénomènes inattendus. Revenons autour de nôtre Soleil. Nous voyons Surwrne avec cinq fatellites, Jupiter avec quatre, la Terre avec un; Il eft affés probable que “b fix planètes, trois ayant des Satellites, les trois au- tres n’en font pas abfolument dépourvüës. On a déja cru en ap- percevoir quelqu'un autour de Venus: ces Obfervations n’ont point eu de Suite; mais on ne devoit pas les abandonner. Rien n’avanceroit plus ces Decouvertes que la perfection des Telefcopes. Je ne crois pas qu’on püt promettre de trop grandes recompenfes à ceux qui parviendroient à en faire de fupérieurs à ceux qu'on à déja. Ona fi fouvent fait voir que la connoiffance de la Longitude fur Mer dependroit d’un tel Telefcope, ou d’un Horloge qui conferveroit l'égalité de fon mouvement malgré l’agita- tion du vaifleau, ou d’une Théorie exacte de la Lune, qu'il me paroït fuperflu d'en parler encor : mais je ne fçaurois m’empecher de dire, qu’on ne fçauroit trop encourager ceux qui feroient en état de perfectionner quelqu'un de ces inftrumens. La France à fait la plus grande chofe qui ait jamais été faite pour les fciences, lorfqu’elle a envoyé à l'Equateur & au Pole des troupes de Mathematiciens pour decouvrir la figure dela Terre. La derniere entreprife pour determiner la Parallaxe de la Lune par des obferva- tions faites en même tems à l'extrémité meridionale de l'Afrique & dans les parties feptentrionales de l'Europe peut être comparée à la prémiere. Mais il eft à fouhaiter qu’on ne manque pas cette occafon de lier enfemble les folutions de ces grands problemes, qui en effet ont entreux un rapport très immediat. Uu 3 Les Parallaxe de la Lune EF fon rap- port à la Figure de la Terre. 342 LETTRE SUR LE PROGRES Les mefures des degrés du Meridien prifes en France à de trop petites diftances les unes des autres, n’avoient pu faire connoitre la figure de la Terre, parce qu'outre qu’elles ne pouvoient donner que les courbures du Meridien aux lieux obfervés, les différences qui s’y trouvoient étoient trop peu confidérables pour qu'on y püt: compter. Les mefures qu’on. a prifes des degrés du Meridien feparés par de grandes diftances, comme de la France au Perou, ou en Lapponie, n’ont pas à la vérité ce dernier défaut; mais elles ont une partie de lamême infufffance. Elles n’ont donné avec certitude que les différentes courbures du Meridien dans ces Lieux: & ne {çauroient nous aflurer que dans les intervalles qui les feparent, cette courbure fuive aucune des Loix qu’on a füuppolées. Enfin on ne fçauroit par toutes ces obfervations connoitre les Cordes des Arcs aux extrernités defquels elles ont été faites: ce qui pourtant eft nécefaire fi lon veut étre afluré de la figure de la Terre. Car le Meridien pourroit avoir telles figures que quoiqu’a des Lati- tudes données, les courbures fuffent telles qu’on les à trouvées, les Cordes de ces Arcs fufflent pourtant fort différentes de ce qu’on à conclu. Et après toutes les operations faites à l Equateur, en France, & au Cercle Polaire, la Corde de l'Arc compris entre Quito & Paris, & celle de l'Arc compris entre Paris & Pello, pourroient étre l’une à l'autre dans un rapport fi différent de celui qu’on a fup- poié d’après les courbures ; que la figure de la Terre s’écarteroit beaucoup de celle qu’on croit qu'Elle a. 1l y a plus: c’eft qu'aucune mefüure n'ayant été prife, dans P He- mifphere Meridional, on pourroit douter que cet Hemifphere fut iemblable à l’autre? Si la Terre ne feroit point formée de deux demi Spheroïdes inégaux appuyés fur une même bale. Les Obfervations de la parallaxe de la Lune peuvent lever tous ces doutes, en determinant le rapport des Cordes des difiérens Arcs du Meridien. Car ces Cordes étant les bafes des Triangles formés par les deux lignes tirées de leurs extremités à la Lune; des Obfer- vations de la Lune faites dans trois points du même Meridien don- neront immediatement le rapport de ces Cordes. Un Obiervateur étant au Cap de Bonne Efperance, & l’autre à Pello, il en faudroit nn DES SCIENCES. 343 un troifiéme, qu'on pourroit placer à Tripoli, ou en Candie. Et je crois qu'ilnefaudroit pas manquer cette circonftance, qui dans le même tems qu'elle feroit fort utile pour confirmer la parallaxe de la Lune, ferviroit à faire connoître la figure de la Terre mieux qu’on ne l’a encor connue. C’eft une chofe qu’on a déja fouvent propofée, qui a eu même Fe Fe l'approbation de quelques Souverains, & qui cependant te reftée fans exécution: que dans le chatiment des Criminels, dont l'objet jufqu’ici n’eft que de rendre les hommes meilleurs, ou peut- être feulement plus foumis aux Loix, on fe proposät encor des utilités d’un autre genre. Ce ne féroit que remplir plus compléte- ment l’objet de ces chatimens, qui eft en général le Bien de la Societé. On pourroit par là s’inftruire fur la poffibilité ou l’impoffbilité de plufcurs opérations que l’art n’ofe entreprendre: & de quelle uti- lité n’eft pas la Decouverte d’une operation qui fauve toute une efpece d'hommes abandonnés fans efpérance à de longues douleurs & à la mort? Pour tenter ces nouvelles operations, il faudroit que le Crimi- nel en préférat l'expérience au genre de mort qu'il auroit merité: il paroitroit jufte d'accorder la grace à celui qui y furvivroit; fon crime étant en quelque façon expié par l’utilité qu'il auroit procurée. Il y a peu d'hommes condamnés à la mort qui ne lui preféraffent l’operation la plus douloureufe, & celle même où il y auroit le moins d’efpèrance: Cependant le fuccès de l’operation & l’humanité exigeant qu'on diminuat les douleurs & le peril le plus qu’il feroit poffible, il faudroit qu'on s’exerçât d’abord fur des Cadavres, enfüuite fur les animaux, fur tout fur ceux dont les parties ont le plus de conformité avec celles de Phomme; Enfin fur le Criminel. Je ne prefcris point ici les operations par lefquelles on devroit commencer: ce feroit fans doute par celles auxquelles la nature ne fupplée jamais, & pour lefquelles jufqu’ici l'Art n’a point de remede. Un Rein pierreux par exemple caufe les douleurs les plus cruelles que ni June ni l’autre ne peuvent guerir: L’Ulcere d’un autre partie fait fouffrir aux femmes des maux affreux pour lefquels on ne con- noït aucun remede. Qu'eft ce qu’on ne pourroit pas alors tenter ? ne 344 LETTRE SUR LE PROGRES ne pourroit-on pas même effayer d’oter ces parties? On delivreroit ces infortunés de leurs maux; où on ne leur feroit perdre qu’une vie pire que la mort, en leur laiffant jufqu’ à la fin l Efpèrance. Je {çai quelles oppofñtions trouvent toutes les nouveautés: on aime mieux croire l’art parfait que travailler à le perfectionner. Les gens de l’Art eux mêmes traiteront d’impoffibles toutes les opera- tions qu'ils n'ont pas faites, où qu'ils n'ont pas vuës décrites dans leurs Livres. Mais qu’ils entreprennent; & ils fe trouveront peut- être plus habiles ou plus heureux qu’ils ne croyent: la nature par des moyens qu’ils ignorent travaillera toujours de concert avec eux. Je ferai moins étonné de leur timidité que je ne le fuis de l'audace de celui qui le premier à ouvert la Veffie pour y aller chercher la pierre; de celui qui à fait un trou au Crane; de celui qui à ofé percer oeil. Je verrois volontiers la vie des Criminels fervir à ces operations, quelque peu qu’il y eut d’efpèrance de réuflir : Mais je croirois méme qu'on pourroit fans fcrupule lexpofer pour des connoiflances d’une utilité plus éloignée. Peut-être feroit on bien de Decouvertes fur cette merveilleufe union de PAme & du Corps, fi l'on ofoit en aller chercher les liens dans le cerveau d’un homme vivant. Qu'on ne fe laiffe point emouvoir par l'air de cruauté qu’on pourroit croire trouver ici; un homme n’eft rien comparé à l'efpece humaine; un criminel eft moins que rien. Il y a dans le Royaume des Scorpions, des Araignées, des Sala- mandres, des Crapauts, & plufieurs efpeces de Serpens. On re- doute égalément tous ces animaux: cependant il eft très vraifem- blable qu’ils ne font pas tous également à craindre: mais il eftvrai auffi qu'on n’a point affés d'expériences fur lefquelles on puitle compter pour diftinguer ceux qui font nuifibles de ceux qui ne le font pas. Il en eft ainfi des Plantes: plufeurs pañfent pour des poi- fons qui ne féroient peut-être que des alimens ou des remedes; mais fur lefquelles on demeure dans l'incertitude. On ne fait point en- cor fi lOpium pris dans la plus forte doze fait mourir où dormir ? On ignore fi cette plante qu’on voit croître dans nos champs fous le nom de Cigue eft ce poifon doux & favori des Anciens, fi propre à ter- DES SCIENCES. 345 à terminer le jours de ceux qu’il falloit retrancher de la fociété fans qu’il méritaffent d’être punis. Rien ne caufe plus de terreur que la moriure d’un Chien enragé : cependant les remedes qu’on y em- ploye, & dont on croit avoir éprouvé le fuccès peuvent très rai- fonnablement faire douter de la realité de ce poifon, dont la frayeur peut-être a caufé les effets les plus funeftes. La vie des Criminels ne feroit-elle pas bien employée à des expériences qui ferviffent dans tous ces cas, à raflurer, ou préferver, ou guérir? Nous nous mocquons, avec raifon, de quelques Nations qu'un refpet mal entendu pour humanité a privées des connoiffances qu’elles pouvoient tirer de la diffeétion des Cadavres : nous fommes peut-être ici encor moins raïfonnables, fi nous ne tirons pas toute Putilité d’une peine dont le Public pourroit retirer de grands avanta- ges, & avantageufe même à celui qui la fouffriroit. On reproche fouvent aux Medecins d'être trop temeraires; moi je leur reprocheroïs de n’être pas affez hardis. Il ne fortent point affez d’un petit Cercle de medicamens qui n’ont point les vertus qu'ils leur fuppofent; & n’en éprouvent jamais d’autres qui peut-être les auroient. C’eft au hazard & aux Nations fauvages qu’on doit les feuls Specifiques qui foyent connus; la fcience des Medecins n’en a pas trouvé un. Quelques remedes finguliers qui paroiffent avoir eu quelque fois de bons fuccès, ne femblent point avoir été affez pratiqués. On prétend avoir guéri des malades en les arrofant d’eau glacée; on en guériroit peut-être en les expofant au plus grand degré de chaleur. On cherche ici à les faire tranfpirer, en Egypte on les couvre de poix pour empecher la Tranfpiration. Tout cela mériteroit d’être éprouvé. Un Géométre propoloit une fois que pour degager quelque par: tie ou le fang fe trouveroit en trop grande abondance, ou pour le faire couler dans d’autres parties, on fe fervit de la force centrifuge. Le pirouettement & la machine qu'il falloit pour cela firent rire une grave affemblée, & fur tout les Medecins qui s’y trouvoient ; il au- roit mieux vallu en faire l'expérience. Oeuv. de Maupert. Xx Les Obferva. tions fur la Mede- cine. 346 LETTRE SUR LE PROGRES Les Japponnois ont un genre de Medecine fort différente de la nôtre. Au lieu de ces poudres & de ces pilulles dont nos Medecins farciffent leurs malades, les Medecins Japponnois tantôt le percent d’une longue aiguille, tantôt lui brulent différentes parties du Corps: Et un homme d’efprit, bon obfervateur, & qui s’entendoit à la medecine * avoué qu'il a vû ces remedes operer des Cures merveil- leufes. On a fait en Europe quelques Effais du Moxa qui eft la bru- lûre; mais ces expériences ne me paroiffent point avoir été aflez pouflées: & dans l’état ou eft la medecine, je crois que celle du Jappon mériteroit autant d’être expérimenté que la nôtre. J'avouerai que le cas font rares où le Medecin devroit éprouver fur un malade des moyens de guérir nouveaux & dangereux: mais ileft des cas pourtant où ille faudroit. Dans ces maladies qui atta- quent une Province, ou toute une nation, qu’eft ce que le Medecin ne pourroit pas entreprendre? Il faudroit qu’il tentât les remedes & les traitemens les plus finguliers, & les plus hazardeux. Mais il faudroit que ce ne fut qu'avec la permiffion d’un Magiftrat éclairé, qui auroit égard à l’état phyfique & moral du malade fur lequel fe feroit l'expérience. Je croirois fort avantageux que chaque efpece de maladie fut afignée à certains Medecins qui ne s’occupañlent que de celle là. Chaque partie de nos befoins les plus groffiers a un certain nombre d'ouvriers qui ne travaillent que pour Elle: La conférvation & le rétabliffement de nos corps dependent d’un art plus difficile & plus compliqué que ne le font enfemble tous les autres arts; & toutes les parties en font confiées à un feul! Différens Medecins qui traitent la petite verole tout différem- ment ont à peu près le même nombre de bons & de mauvais fuccès ; & ce nombre eft encor affez le même dans ceux dont la maladie ef : abandonnée à la nature: n’eft ce pas une preuve certaine que pour cette maladie, non feulement on n’a point encor trouvé de remede fpecifique, mais qu'on n’a pas encor trouvé de traitement qui y foit d'aucune utilité? N’eft ce pas la preuve que ces Cures que le Mede- cin croit obtenir de fon Art, ne font dues qu’à la nature qui a guéri le malade quel qu'ait été le traitement ? * Kampfer. Je DES SCIENCES: 347 Je fçai que les Medecins diront que les maladies recevant des variétés du temperament & de plufieurs circonftances particulieres du malade, la même ne doit pas toujours être traitée de la même maniere. Cela peut être vrai dans quelques cas très rares: mais en général ce n’eft qu’une excufe pour cacher le défaut de l'Art. Quel. les font les variétés de temperament qui changent les effets du Kin- kina füur la fiévre? & qui rendent un autre remede préférable? La Medecine eft bien éloignée d’être au point où l’on pourroit deduire le traitement des maladies de la connoiffance des caufes & des eflets : Le meilleur Medecin eft celui qui raifonne le moins & qui obferve le plus. Après ces expériences, qui intéreffent immediatement l’efpece Expériences humaine, en voicy d’autres qui peuvent encor y avoir quelque rap- Ji” 45 Anr- port, qu'on pourroit faire fur les animaux. On ne regardera pas fans doute cette partie de l’Hiftoire naturelle comme indigne de l'attention d’un Prince ni des recherches d’un Philofophe, lorfqu'on penfera au gout qu’Alexandre eut pour elle & à homme qu’il char- gea de la perfectionner. Nous avons encor le refultat de ce travail, mais on peut dire qu'il ne répond guères à la grandeur du Prince ni du Philofophe. Quelques Naturaliftes modernes ont mieux réuffi : ils nous ont donné des Defcriptions plus exactes, & ont rangé dans un meilleur ordre les claffes des animaux. Ce n’eft donc pas là ce qui manque aujourd’hui à l’hiftoire naturelle; & quand cela y manqueroit, ce ne féroit pas ce que je fouhaiterois le plus qu'on y fuppleit. Tous ces traités des animaux que nous avons, les plus methodiques même, ne forment que des Tableaux agréables à la vué: pour faire de l’hiftoire naturelle une véritable fcience, il fau- droit qu'on s’appliquât à des recherches qui nous fiflent connoître, non la figure particuliere de tel ou tel animal, mais les procedés généraux de la nature dans fa production & fa confervation. Ce travail n’eft pas abfolument de ceux qui ne peuvent être entrepris fans la protection & les bienfaits du Souverain: plufieurs de ces expériences ne feroient pas audeflus de la portée des fimples particuliers ; & nous avons quelques ouvrages qui l’ont bien fait voir: cependant il y a de ces expériences qui exigeroient de grandes Xx 2 depenfes ; 348 LETTRE SUR LE PROGRES depenfes; & toutes peut-être auroient befoin d’une certaine Di- rection, qui ne laiffât pas les Phificiens dans un vague qui eft le plus grand obftacle aux Decouvertes. Les Menageries des Princes, dans lefquelles fe trouvent des ani- maux d’un grand nombre d’efpeces feroient déja pour ce genre de fciences des fonds dont il feroit facile de tirer beaucoup d'utilité. IL ne faudroit qu’en donner la Direction à d’habiles Naturaliftes, & leur prelcrire les expériences. On pourroit éprouver dans ces menageries ce qu’on raconte des troupes de différens animaux, qui raffemblés par la foif fur les bords des fleuves de l'Afrique, y font dit-on ces alliances bizarres d'où refüultent frequemment des Monftres. Rien ne feroit plus curieux que ces expériences: cependant la negligence für cela eft fi grande qu'il eft encor douteux fi le Taureau s’eft jamais joint avec une Anefñe, malgré tout ce qu'on dit des Fumars. Les foins d'un Naturalifte laborieux & éclairé feroient naître bien des curiofités en ce genre, en faifant perdre aux-animaux par l'éducation, lhabitude, & le befoin, la repugnance que les efpeces difiérentes ont d'ordinaire les unes pour les autres. Peut-être même parviendroit-on à rendre poffibles des générations forcées qui feroi- ent voir bien des merveilles. On pourroit d’abord tenter fur une même efpece ces unions artificielles ; & peut-être dès le prémier pas rendroit-on en quelque forte la fécondité à des individus qui par les moyens ordinaires paroiflent, fteriles; mais on pourroit encor pouffer plus loin les expériences ; 5 & jufque für les éfpeces que la pature porte le moins à s'unir. On verroit peut-étre de à naître bien des monftres, des animaux nouveaux , peut-être même des efpeces entieres que la nature n’a pas encor produites. Il yades monftres de deux fortes: l’une eft le refültat des femences de différentes Efpeces qui fe font melées: l’autre de parties toutes formées qui fe font unies aux parties d’un Individu d'une efpece dif- férente. Les monftres de la premiere forte {e trouvent parmi les Animaux; les monftres de la feconde forte, ne fe trouvent jufqu’iei que parmi les Arbres. Quelques Botaniftes prétendent être par- venus DES SCIENCES. 349 venus à faire parmi les Vegetaux des monftres de la prémiere forte; feroit-il impoffible de parvenir à faire fur les animaux des monfires de la feconde? 2 On connoit la production des pattes de l'Ecreviffe, de la queue du Lezard, de toutes les parties du Polype. Eft-il probable que cette merveilleufe proprieté n'appartienne qu’à un petit nombre d’ani- maux dans lefquels on le connoit? On ne fauroit trop multiplier fur cela les expériences; peut - être ne depend-il que de la manière de feparer les parties de plufieurs autres animaux, pour les voir fè reproduire. Les obfervations microfcopiques de M. de Buffon & de M. Néed- ham nous ont découvert une nouvelle nature, & femblent nous mettre en droit d’efperer bien de nouvelles merveilles. Elles font fi curieufes & fi importantes, que quoique l'expérience ait fait voir qu’elles n’étoient pas audeflus de la portée des particuliers, elles mériteroient cependant d’être encouragées par le gouvernement: qu'on y appliquit plufieurs obfervateurs ; qu'on leur diftribuât les différentes matieres à obferver; & qu'on proposät un prix pour l'O- pticien qui leur auroit fourni le meilleur Microfcope. Avec nos bois, nos charbons , toutes nos matieres les plus combuftibles, nous ne pouvons augmenter les Effets du feu que jufqu’à un certain degré; qui n’eft que peu de chofe, fi on le com- pare aux degrés de chaleur que la Terre femble avoir éprouvés, où à celui que quelques Cometes éprouvent dans leur perihelie. Les feux les plus violens de nos Chimiftes ne font peut-être que de trop foibles agents pour fogmer & décompoler les Corps. Et delà viendroit que nous prendrions pour l'union la plus intime, ou pour la derniere décompofition poffible, ce qui ne feroit que des mélan- ges imparfaits, ou des feparations groffieres de quelques parties. La Decouverte du Miroir d’Archimedes que vient de faire M. de Buffon, nous fait voir qu’on pourroit conftruire des Tours brulan- tes, ou des Amphitheatres chargés de Miroirs, qui produiroient un feu dont la violence n'auroit pour ainfi dire d’autres Limites que celles qu’a le Soleil même. Xx 3 Paffons Obferva- tions Mi- crofcopi- ques. Miroirs brulants. Expériences Meraphyfi- g'ies. 350 LETTRE SUR LE PROGRES Paflons à des expériences d'un autre genre: Les précedéntes ne regardent que les Corps; il en eft d’autres à faire {ur les Efprits, plus curieufes encor & plus intéreffantes. Le Sommeil eft une partie de nôtre Etre, le plus fouvent en pure perte pour nous: quelquefois pourtant les fonges rendent cet état auffi vif que la veille. Ne pourroit-on point trouver l’art de procu- rer de ces fonges ? L’Opium remplit d'ordinaire l’Efprit d'images agréables: on raconte de plus grandes merveilles encor de certains breuvages des Indes: Ne pourroit-on pas faire fur cela des expéri- ences? N'y auroit-il pas encor d’autres moyens de modifier l'Ame? Soit dans les tems où Elle eft abfolument privée du commerce des objets extérieurs, foit dans les inftants où ce commerce eft affoibli fans étre entierement interrompu. Dans ces momens qui n’appar- tiennent ni à la veille ni au Sommeil, où la plus legere circonftance change l'Etat de l’'Ame, où elle fent encor & ne raifonne point, ne pourroit-on pas lui caufer bien des illufions, qui repandroient peut- être du jour fur la maniere dont Elle eft unie avec le Corps? Nos Expériences ordinaires commencent par les fens; c’eft à dire par les extremités de ces filets merveilleux qui portent leurs impreffions au Cerveau. Des expériences qui partiroient de lori- gine de ces filets faites fur le Cerveau même, feroient vraifembla- blement plus inftruétives. Des bleflures fingulieres en ont fourni quelques unes: mais il ne femble pas qu’on ait beaucoup profité de ces occafñons rares; & l’on auroit plus de moyens de pouffer les expériences, fi l’on s’y férvoit de ces hommes condamnés à une . Mort douloureufe & certaine pour qui elles feroient une efpece de grace. On trouveroit peut-être par la le moyen, s’ilen eft, pour guerir les foux. On verroit des conftitutions de cerveau bien différentes des nôtres, fi l’on pouvoit avoir quelque commerce avec ces Geants des Terres Auftrales, ou avec ces hommes velus portant des queu- es, dont nous avons parlé. On conçoit affez en général comment les Langues fe font for- mées: Des befoins mutuels entre des hommes qui avoient les mé- mes organes ont produit des Signes communs pour {& les faire com- DES SCIENCES: 351 comprendre. Mais les différences extremes qu'ontrouve aujourd’hui dans ces manieres de s'exprimer, viennent-elles des alterations que chaque Pere de famille a introduites dans une langue d’abord com- mune à tous? Ou ces manieres de s'exprimer ont-elles été originai- rement différentes? Deux ou trois Enfans dès le plus bas âge éle- vés enfemble fans aucun commerce avec les autres hommes, fe feroient er 0 une langue, quelque bornée qu’elle fût. Ce fe- roit une chôléicapable d'apporter de grandes lumieres für la queftion précedente, que d'obièrver fi cette nouvelle langue reffembleroit à quelqu'une de celles qu’on parle aujourd’hui; & de voir avec laquel- le elle paroïtroit avoir le plus de conformité. Pour que l'expérience fut complete, il faudroit former plufeurs focietés pareilles; & lés former d’Enfans de différentes nations, & dont les Parents parlaffent les langues les plus différentes; car la naiffance eft déja une efpece d'éducation: & voir fi les langues de ces différentes focietés auroi- ent quelque chofe de commun & à quel point elles {e reffembleroi- ent? Il faudroit fur tout éviter que ces petits Peuples appriflent aucune autre langue; & faire enforte que ceux qui s’appliqueroient à cette recherche appriffent la leur. Cette expérience ne fe borneroiït pas à nous inftruire für l’ori- gine des langues: elle pourroit nous apprendre bien d’autres chofes {ur l’origine des idées mêmes, & fur les notions fondamentales de lEfprit humain. Il y a affez longtems que nous écoutons des Phi- lofophes dont la fcience n’eft qu’une habitude & un certain pli de lEfprit, fans que nous en foyons devenus plus habiles: Ces Philo- fophes naturels, nous inftruiroient peut-être mieux; ils nous donne- roient du moins leurs connoiffances fans les avoir fophiftiquées. Après tant de fiécles écoulés, pendant lefquels malgré les efforts des plus grands hommes, nos connoiffances metaphifiques n’ont pas fait le moindre progrès, il eft à croire que s’il eft dans la nature qu’elles en puiffent faire quelqu'un, ce ne fçauroit étre que par des moyens nouveaux & auf extraordinaires que ceux -cy. Après vous avoir parlé de ce qu’on pourroit faire pour le pro- grès des fciences, je dirai un mot de ce qu’il feroit peut-être auffi à propos d’'empecher. Un grand nombre de gens deftitués des con- Recherche: à interdire. 352 LETTRE SUR LE PROGRES DES SCIENCES. connoiffances néceffaires pour juger des moyens & du but de ce qu'ils entreprennent, mais flattés par des recompenfes imaginaires, paifent leur vie fur trois problemes qui font les Chimeres des fci- ences: je parle de la Pierre Philofophale, de la Quadrature du Cercle € du Mouvement perpetuel. Les Academies fçavent le tems qu’elles perdent à examiner les prétendues decouvertes de ces pau- vres gens; mais ce n’eft rien au prix de celui qu’ils t eux-mé- mes, de la depenfe qu'ils font, & des peines qu’ils : On pourroit leur défendre la recherche de la Pierre Philofophale com- me leur ruine; les avertir que la Quadrature du Cercle poufée au delà de ce qu’on a, feroit inutile; & les afurer que le Mouvement perpetuel eft impoffible. REFLE- REFLEXIONS PHILOSOPHIQUES S U R L'ORIGINE DES LANGUES ET EM S NONGRETGA T' RON DES M QUES: Oeuv. de Maupert. + me ti LE » "6 ‘ à 7) : ERP 2€ Got r Can PAR pt pes ÿ U à # ai à à | Gui A E CL ia 7e , £ 7 fps 2 A ÉR), F0 SMS wé: ART HiCCi S vaacll Sh'ÉRR SUR L'ORIGINE DES LANGUES ET BARS, À GNORSE EC: AT L ON DÉRÉS PE UT" OPERTS: L es fignes par lefquels les Hommes ont défigné leurs pré- mières Idées ont tant d'influence fur toutes nos connoiffan- ces, que je crois que des Recherches für l’origine des Lan- gues, & fur la manière dont elles fe font formées, méritent autant d'attention, & peuvent être aufli utiles dans l’Etude de la Philofophie que d’autres methodes qui bâtiflent fouvent des Syfte- mes fur des mots dont on n’a jamais approfondi le fens. II. On voit affés que je ne veux pas parler ici de cette étude des Langues dont tout l’objet eft de favoir que ce qu'on appelle Pain en France s’apelle Bread à Londres; plufieurs Langues ne paroiffent être que des Traductions les unes des autres; les expreflions des d'A AE - Idées 256 SUR LORIGINE Idées y font coupées de la même maniere, & dès lors la comparai- fon de ces Langues entre elles ne peut rien nous apprendre. Mais on trouve des Langues, fur tout chés les peuples fort éloignés qui femblent avoir été formées fur des plans d'idées fi différents des nô- tres, qu’on ne peut prefque pas traduire dans nos Langues ce qui a été une fois exprimé dans celles là. Ce feroit de la comparaifon de ces Langues avec les autres, qu’un Efprit philofophique pourroit tirer beaucoup d'utilité. IT. Cette étude eft importante non feulement par l'influence que les Langues ont fur nos connoiffances; mais encore parce qu’on peut retrouver dans la conftruction des Langues des veftiges des prémiers pas qu'a fait Pefprit humain. Peut-étre fur cela les jargons des peuples les plus fauvages pourroïent nous être plus utiles que les Langues des nations les plus exercées dans Part de parler; & nous apprendroient mieux l’hiftoire de nôtre efprit. À peine fommes nous nés, que nous entendons répeter une infinité de mots qui ex- priment plutôt les préjugés de ceux qui nous envirnonent, que les prémières Idées qui naiflent dans notre efprit: nous retenons ces mots; nous leur attachons des Idées confufes; & voilà bientôt nôtre provifion faite pour tout le refte de notre vie, fans que le plus fou- vent nous nous foyons avifés d’approfondir la vraye valeur de ces mots; ni la füreté des connoiffances qu’ils peuvent nous procurer, ou nous faire croire que nous pofledons. in € Il eft vrai que, excepté ces Langues qui ne paroiffent que les Traductions des autres, toutes les autres étoient fimples dans leurs commencemens. Elles ne doivent leur origine qu’à des hommes fimples & groffiers qui ne formèrent d’abord que le peu de fignes dont il&avoient béfoin pour exprimer leurs prémières Idées. Mais bientôt les Idées fe combinèrent les unes avec les autres, & fe mul- tiplièrent; on multiplia les mots, & fouvent même au delà du nombre des Idées. V. Cepen- F DES 2L'ANG UENS: 357 V. Cependant ces nouvelles expreffions qu'on ajouta, dépendirent beaucoup des prémières qui leur fervirent de Bafes. Et de là eft venu que dans les mêmes contrées du Monde, dans celles où ces Bafës ont été les mêmes, les efprits ont fait affés le même chemin, & les {ciences ont pris à peu près le même Tour. VI Puifque les Langues font forties de cette prémière fimplicité; & qu'il n’y a peut-être plus au monde de peuple aflés fauvage pour nous inftruire dans la recherche d’une vérité pure que chaque géné- ration a obicurcie: Et que d’un autre côté les prémiers moments de mon exiftence ne fçauroient me fervir dans cette récherche; que j'ai perdu totalement le fouvenir de mes prémières Idées, de l'éton- nement queme caufà la veüe des objects lorfque j’ouvris les yeux pour la‘ prémiere fois, & des prémiers Jugements que je portai dans cet âge où mon Ame plus vuide d’Idées n'auroit été plus facile à con- noître qu’elle ne left aujourd’hui, parce qu’elle étoit, pour ainf dire, plus elle même; puilque, dis-je, je fuis privé de ces moyens de m'inftruire; & que je fuis obligé de recevoir une infinité d’ex- reffions établies, ou du moins de n’en fervir, tâchons d’en con- noître le fens, la force & l’étendüe: Remontons à l’origine des Langues, & voyons par quels dégrés elles fe font formées. VIT. Je fuppofe qu'avec les mêmes facultés que j'ai d’appercevoir & de raifonner, j'eufle perdu le fouvenir de toutes les perceptions que j'ai eües jufqu'ici, & de tous les raifonnements que jai faits: qu’a- près un fommeil, qui m’auroit fait tout oublier, je me trouvaffe {ubitement frappé de perceptions telles que le hazard me les préfen- teroit; que ma prémière perception füt, par Ex. celle que j éprouve aujourd’ hui, lorfque je dis, je vois un Arbre ; qu’enfuite jeuffe la même perception que j'ai aujourd’hui lorfque je dis, je vois un Cheval. Dès que je recevrois ces preceptions, je verrois auffitôt Yy 3 que 358 SUR FO RAG I NE * que lune n’eft pas l’autre, je chercherois à les diftinguer, & com- me je n’aurois point de Langage formé, je les diftinguerois par quel- ques marques & pourrois me contenter de ces expreffions À &B, pour les mêmes chofes que j’entens aujourd’hui, lorfque je dis, je vois un Arbre, je vois un Cheval. Recevant enfüuite de nouvelles perceptions je pourrois toutes les defigner de la forte; & lorfque je dirois par exemple R, j'en- tendrois la même chofe que j'entens aujourd’hui, lorfque je dis, je vois la Mer. VIII. Mais parmi êe grand nombre de perceptions, dont chacune auroit fon figne, j'aurois bientôt peine à diftinguer à quel figne cha- que perception appartiendroit ; & il faudroit avoir recours à un autre Langage. Je remarquerois que certaines perceptions ont quel- que chofe de femblable, & une même manière de m’affecter que je pourrois comprendre fous un même figne. Par Ex. dans les per- ceptions précédentes, je remarquerois que chacune des deux pré- mières a certains caractères qui font les mêmes, & que je pourrois défigner par un figne commun: c’eft ainfi que je changerois mes prémières Expreffions fimples À &B en celles-cy CD, CE, qui ne diftéreroient des prémières que par cette nouvelle convention, & qui répondroient aux perceptions que j'ai maintenant lorfque je dis, je vois un Arbre, je vois un Cheval. IX. Tant que {es caractères femblables de mes perceptions demeu- reroient les mêmes, je les pourrois défigner par le feul figne C; mais j'obferve que ce figne fimple ne peut plus füublifer lorfque je veux défigner les perceptions, je vois deux Lyons, je vois trois Corbeaux : Et que pour ne défigner dans ces perceptions par un même figne que ce qu’elles ont d’entièrement femblable, il faut fubdivifer ces fignes, & augmenter le nombre de leurs parties : je marquerai done les deux perceptions je vois deux Lyons, je vois trois Corbeaux par CGH, DES PL ANG UNENS! 359 CGH,& CIK, & j'acquerrerai ainfi des fignes pour des parties de ces perceptions qui pourroient entrer dans la compofition des fignes dont je me fervirai pour exprimer d’autres perceptions qui A auront des parties femblables à celles des deux perceptions pré- cedentes. x, Ces Caratères H & K qui repondent à Lyons & Corbeaux, ne pourront fuffire que tant que je n’aurai point à faire la defcription de Lyons, & de Corbeaux; car fi je veux analy{er ces parties de per- ceptions il faudra encore fubdivifer les Signes. XI. Mais le Caractere C qui répond à je vois, füubliftera dans tou- tes les perceptions de ce genre; & je ne le changerai que lorfque j'aurai à défigner des perceptions en tout différentes, comme celles- cyj'enrens des Sons, je fens des fleurs €5t. XII. C’eft ainfi que fe font formées les Langues : & comme les Lan- gues une fois formées peuvent induire dans pluñeurs erreurs, & altérer toutes nos connoiffances, il eft de la plus grande impor- tance de bien connoître l’origine des prémières propofñtions, ce qu’elles étoient avant les Langages établis, ou ce qu’elles feroient fi Von avoit établi d’autres Langages. Ce que nous appellons nos fciences depend fi intimément des manieres dont on s’eft fervi pour défigner les perceptions, qu’il me femble que les queftions & les propofñtions feroient toutes différentes fi l’on avoit établi d’autres expreffions des prémières perceptions. LA XFET Il me femble qu'on n’auroit jamais fait n’y queftions, n’y pro- poñitions, fi l’on s’en étoit tenu aux prémières expreffons fimples A, B,C, D, &c. Si la mémorie avoit été aflés forte pour pouvoir defigner 360 SUR LORIGINE défigner chaque perception par un figne fimple, & retenir chaque figne, fans le confondre avec les autres, il me femble qu'aucune des queftions qui nous embarraffent tant aujourd'hui, ne feroit jamais méme entrée dans notre Efprit ; & que dans cette occafion plus que dans aucune autre, on peut dire que la mémoire eft oppofée au jugement. Après avoir compoié, comme nous avons dit les expreffñons, de différentes parties, nous avons méconnu notre ouvrage ; nous avons pris chacune des parties des expreffions , pour des chofes, nous avons combiné les chofes entrelles, pour y decouvrir des rapports de convenance où d’oppofition, & de Ià eft né, ce que nous appellons Nos fciences. $ Mais qu'on fuppoie pour un moment, un peuple qui n’auroit qu'un nombre de perceptions affés petit, pour pouvoir les expri- mer toutes par des caractères fimples: croira-t-on que de tels hom- mes euffent aucune Idée des queftions & des propofitions qui nous occupent ? Et quoique les Sauvages & les Lappons ne foyent pas encore dans le cas d’un aufñfi petit nombre d'idées qu’on le fuppofe ici, leur Exemple ne prouve-t-il pas le contraire? Au-lieu de fuppofer ce peuple dont le nombre de perceptions feroit fi refervé ; fuppofons en un autre, qui auroit autant de per- ceptions, que nous, mais qui auroit une mémoire affés vafte pour les défigner toutes par des fignes fumples, independants les uns des autres & qui les auroit en effêt défignées par de tels fignes: ces Hommes ne feroient-ils pas dans le cas des prémiers dont nous ve- nons de parler? Voici un exemple des embarras où ont jetté les Langages établis. XIV. Dans les Denominations qu’on a données aux perceptions dans l'établiffement de nos langues, comme la multitude des- fignes fimples furpañloit trop l'étendüe de la mémoire, & auroit jetté à tous DES LANGUES. 36 tous moments dans la confufion, on a donné des fignes généraux aux parties qui fe trouvoient plus fouvent dans les perceptions ; & lon a défigné les autres par des fignes particuliers dont on pouvoit faire ufage dans tous les fignes compolés des expreflions où ces mêmes parties {e trouvoient, on évitoit par là la multiplication des fignes fimples. Lorfqu’on a voulu analyfer les preceptions, on a veu que certaines parties fe trouvent communes à plufeurs, & plus fouvent répétées que les autres; on a regardé les prémières comme des füujets {ans lefquels les dérnières ne pouvoient fubffter. Par x. dans cette partie de perception que j'apelle Arbre, on a veu qu'il fe trouvoit quelque chofe de commun à Cheval, à Lyon, à Corbeau. &c. pendant que les autres chofes varioient dans ces diffé- rentes perceptions. On a formé pour cette partie uniforme dans les différentes per- ceptions un figne général, & on l'a regardé comme la Bafe ou le Sujer, fur lequel refident les autres parties de perceptions qui s'y trouvent le plus fouvent jointes: par oppofition à cette partie uni- forme des perceptions, on a defigné les autres parties plus füujettes à varier par un autre figne général: & c’eft ainfi qu’on s’eft formé l’Idée de Subflance, attribué à la partie uniforme des perceptions, & l’Idée de Mode qu’on attribüe aux autres. AV Je ne fçai pas sil y a quelque autre différence entre les fubftan- ces, “& lès modes. Les Philofophes ont voulu établir ce caratère diftintif que les prémières fe peuvent concevoir feules, & que les autres ne le fçauroient, & ont béfoin de quelque fupport pour étre conçues. Dans Arbre, ils ont crû que la partie de cette perception qu'on appelle érendie & qu'on trouve auffi dans Cheval, Lyon, &c. pouvoit être prife pour cette Subflance, & les autres parties comme couleur, figure Sc. qui différent dans Arbre, dans Cheval, dans Lyon; ne devoient être regardées que comme des Modes. Mais je voudrois bien qu'on examinât, fi en cas que tous les objêts du mon- de fuffent verds, on n’auroit pas eu la même raifon de prendre 1a Verdeur pour fubftance. Oeuv. de Maupert. Zz XVI. 362 SUR LORIGINE | XVI. es Si l’on dit qu’on peut depouiller l'Arbre de fa Verdeur & qu’on ne le peut pas de fon Erendue. Je répons que cela vient de ce que dans le langage établi, on eft convenu d’apeller Arbre ce qui a une certaine figure independamment de fa verdeur. Mais fi la langue avoit un mot tout différent pour exprimer un Arbre fans verdeur & fans feuilles, & que le mot Arbre fut néceffairement attaché à la verdeur, il ne feroit pas plus poflible d’en retrancher la verdeur que l’etendue. Si la perception que j'ai d’Arbre eft bien fixée, & limitée, on ne fcauroit en rien retrancher fans le détruire. Si elle n’eft com- pofée que d’Erendue, Figure, & Verdeur, & que je la depouille de Verdeur & Figure, il ne reftera qu’une perception vague d’étendue. Mais n’aurois-je pas pu par de femblables abftractions depouiller l'Arbre de l'Erenduë & de la Figure, & ne feroit-il pas refté tout de imême, une idée vague de Verdeur ? XVII. Rien n’eft plus capable d’authorifer mes doutes fur la queftion que je fais ici, que de voir que tous les hommes ne s'accordent pas fur ce qu’ils appellent Swb/fance, & Modes. Qu'on interroge ceux qui n’ont point frequenté les écoles; & lon verra par P Embar- ras où ils feront pour diftinguer ce qui eft Mode & ce qui eft Sub- ftance , fi cette diftinétion paroït être fondée für la nature des chofes. XVIIL. Mais fi l'on rejette le jugement de ces fortes de perfonnes, ce qui ne me paroît pas trop railonnable ici, où l’on doit plutôt con- fulter ceux qui ne font imbus d’aucune Dodtrine, que ceux qui ont embraffé déja des fyftemes; fi l'on ne veut écouter que les Philofo- phes, on verra qu’ils ne font pas eux mêmes d'accord fur ce qu’il faut prendre pour Swbfhance, & pour Mode. Ceux-ci prennent VEfpace pour une Subflance, & croyent qu’on le peut concevoir {eul independamment de la Marière, ceux-là n’en font qu'un Mode, | & cro- DÆxsS:" LAN G UE S. 363 & croyent qu'il ne fauroit fubfifter fans la matière. Les uns ne re- gardent la Penfèe que comme le Mode de quelqu’autre Subflance, les autres la prennent pour la Subftance elle -méime. XIX. Si l’on trouve les idées fi différentes chés des Hommes d’un même pais & qui ont longtems raifonné enfembie, que feroit ce fi nous nous tranfportions chés des nations fort éloignées dont les favants n’euflent jamais eu de communication avec les nôtres? & dont les prémiers hommes euffent bâti leur Langue fur d’autres principes, je fuis perfuadé que fi nous venions tout à coup à parler une Langue commune dans laquelle chacun voudroit traduire fes idées, on trouveroit de part & d’autre des raifonnements bien étran- ges, ou plutot qu'on ne s’entendroit point du tout. Je ne crois pas cependant que la Diverfité de leur Philofophie vint d’aucune diverfité dans les prémières perceptions, mais je crois qu’elle vien- droit du Langage accoutumé de chaque nation, de cette Deflination des fignes aux différentes parties des perceptions; Deffination dans laquelle il entre beaucoup d’arbitraire € que les premiers hommes ont p4 faire de plufieurs manières di érentes : mais qui.une fois faite de telle manière, jette dans telle ou telle propofirion, € a des influences continuelles fur routes nos connoiffances. XX. Revenons au point où j'en étois demeuré, à la formation de mes prémières notions. J'avois déjà établi des fignes pour mes per- ceptions, j'avois formé une Langue, inventé des mots généraux & particuliers d’où étoient nés les genres, les efpèces, les individus. Nous avons veu comment les différences qui {e trouvoient dans les parties des mes perceptions m’avoient fait changer mes expreffions fimples À & B qui répondoient d’abord à je vois un Arbre, & je vois un Cheval; comment j'étois venu à des fignes plus compofés CD, CE, dont une partie, qui répondoit à je vois, demeuroit la méme dans les deux propofitions pendant que les parties exprimées par D, & par E, qui répondoient & un Arbre, & à un Cheval avoient Zz 2 changé ; 364 SUR L'ORIGINE changé; j’avois encore plus compofé mes fignes, lorfqw'il avoit fallu exprimer des perceptions plus différentes comme je vois deux Lyons, je vois trois Corbeaux, mes fignes étoient devenus pour ces deux perceptions CGH, & CIK; enfin on voit comment le béfoin n''avoit fait étendre, & compolër les fignes de mes prémières per- ceptions, & commencer un Langage. XXI. Maïs je remarque que certaines perceptions, au-lieu de différer par leurs parties, ne différent que par un efpèce d’affoibliffement dans le tout, ces perceptions ne paroiffent que des Images des autres & alors au lieu de dire CD, (je vois un Arbre ) je pourrois dire c d, pour j’ai veu un Arbre. * XXIL Quoique deux perceptions femblent être les mêmes, l’une fe trouve quelquefois jointe à d’autres perceptions qui me déterminent encore à changer leur exprefion. Si, par Ex. la perception cd, j ai vu un Arbre, fe trouve jointe à ces autres, je fuis dans mon Lit, j'ai dormi &c. ces perceptions me feront changer mon expref- fion c d, j'ai veu un Arbre, en y à, j'ai refoé a un Arbre. XXII. Toutes ces perceptions fe reffemblent fi fort qu’elles ne paroif- fent différer que par le plus ou le moins de force; & elles ne paroif- fent être que de différentes Nuances de la même perception: ce n’eft que le plus ou le moins de nuances de la même perception, ou laflociation de quelques autres perceptions qui me font dire je vois bre, j ? bre, j'ai refvé à un Arbre & un Arbre, je penfe à un Arbre, j'ai refvé & un Arbre &c. XXIV. Mais j’eprouve une perception compofée de la repetition des perceptions précédentes, & de l’aflociation de quelques circonftan- ces qui lui donnent plus de force, & femblent lui donner plus de réalité ; DIEÏSS LAON G US: 365 réalité; j'ai la perception j'ai veu un Arbre, jointe à la perception, j'étois dans un certain Lieu: ai celle j'ai retourné dans ce lieu, j'ai veu cet Arbre;-j'ai retourné encore dans le même lieu, j'ai veu le même Arbre &c. cette répetition & les circonftances qui l'accom- pagnent forment une nouvelle perception, je verrai un Arbre toutes XXV. Cette dernière perception tranfporte pour ainfi dire fa réalité fur fon objet, & forme une propofition fur l’exiftence de Arbre com- me independante de moi. Cependant on aura peut-être beaucoup de peine à y découvrir rien de plus que dans les propofitions précé- dentes qui n'étoient que des fignes de mes perceptions. Si je n’a- vois jamais eu qu’une feule fois chaque perception je vois un Arbre, je vois un Cheval, quelque vives que ces perceptions euflent été, je ne fçai pas fi jaurois jamais formé la propoñition 7/ y 4; fi ma mémoire eut été aflés vafte pour ne point craindre de multiplier les fignes de mes perceptions, & que je m’en fufle tenu aux expreffions fimples A, B, C, D, &c. pour chacune, je ne ferois peut-être jamais parvenu à la propoftion 7/ y a, quoique j’euffe eu toutes les mêmes perceptions qui me l’ont fait prononcer. Cette propofition ne feroit-elle qu’un abrégé de toutes les perceptions je vois, j'as veu, je verrai Éÿe. XXVI. Dans le Langage ordinaire on dit, #7 y à des Sons. La plüpart des Hommes fe repréfentent les fons comme quelque chofe qui exifte independament d'eux. Les Philofophes cependant ont re- marqué que tout ce que les fons ont d’exiftence hors de nous n’eft qu'un certain mouvement de Pair caulé par les vibrations des corps {onores, & tranfinis jufqu'à notre oreille. Or cela, que j'apperçois lorfque je dis j'enrens des Sous, ma perception, n’a certainement aucune reffemblance avec ce qui fe pafle hors de moi, avec le mou- vement de ce corps agité: voilà donc une perception qui eft du Z 239 même 366 SUR NOR GI NE même genre que la perception je vois, & qui n’a hors de moi aucun objét qui lui refflemble. La perception je vois un Arbre n’eft-elle pas dans le même cas? Quoique je puiffe peut-être fuivre plus loin ce qui fe pafle dans cette perception, quoique les expériences de l'Optique m’apprennent qu'il fe peint une image de l'arbre fur ma Retine, ni cette image, ni l'arbre ne reffemblent à ma perception. XX VII On dira peut-être qu'il y a certaines perceptions qui nous vien- nent de plufieurs manières: celle-ci je vois un Arbre qui eft düe à ma veue, eft encore confirmée par mon Toucher. Mais quoique le Toucher paroifle s'accorder avec la veue dans pluñeurs occañons, fi lon examine bien l’on verra que ce n’eft que par une Efpéce d’ha- bitude que l’un de ces fens peut confirmer les perceptions qu’on ac- quiert par l’autre. Si lon n’avoit jamais rien touché de ce qu'on a vû, & qu’on le touchät dans une nuit obfcure, ou les yeux fermés, on ne reconnoitroit pas l’objêt pour être le méme. Les deux per- ceptions je vois un Arbre, je rouche un Arbre, que j'exprime au- jourd’hui par les fignes C D, & P D, ne pourroient plus s'exprimer que par les fignes CD, &P Q , qui mauroient aucune partie com- mune & feroient abfolument différentes; la meme chofe fe peut dire des perceptions qui paroiîtroient confirmées d’un plus grand nombre de manières. XXVIIT. Les Philofophes feront je crois prefque tous d’accord avec moi fur ces deux derniers paragraphes, & diront feulement qu'il y a tou- jours hôrs de moi quelque chofe qui caufe ces deux perceptions, je vois un Arbre, j'entens des fous: mais je les prie de relire ce'que j'ai dit für la force de la propofition #/ y 4, & fur la manière dont on la forme. D'ailleurs que fert- il de dire qu’il y a quelque chofe qui ef caufe que j'ai les perceptions je vois, Je touche, j'entens, fi jamais ce que je vois, ce que je touche, ce que j'entens ne lui reffemble. J'avoüe qu’il y a une caufe d’où dépendent toutes nos per- DÉENSS CL AUN G U'E S: 367 perceptions, parce que rien n'efl comme 1l ef} fans rai[on fufifante. Mais qu’elle eft-elle cette caufe ?- Je ne puis la pénétrer, puifque rien de ce que j'ai ne lui reflemble. Renfermons nous fur cela dans les bornes, qui font prefcrites à notre intelligence. XXIX. On pourroit faire encore bien des queftions für la fucceffion de nos perceptions. Pourquoi fe fuivent-elles dans un certain ordre? Pourquoi fe fuivent-elles de certains rapports les unes aux autres? Pourquoi la perception que j'ai, je vais dans l'endroit où j'ai veu un Arbre, eft-elle fuivie de celle je vois un Arbre? Découvrir la caufe de cette Liaifon, eft vraifémblablement une cholfe au deflus de notre portée. XXX. Mais il faut bien faire attention à ce que nous ne pouvons étre nous mêmes les juges fur la fucceffion de nos perceptions. Nous imaginons une Durée dans laquelle font repandues nos perceptions, & nous comptons la diftance des unes aux autres par les parties de cette durée qui fe font écoulées entre elles. Mais cette durée qu’eft- elle? Le cours des aftres, les Horloges, & femblables inftruments auxquels je ne fuis parvenu que comme je l'ai expliqué, peuvent-ils en étre des méfures fufffantes ? XXXI Il eft vrai que j'ai dans mon efprit la perception d’une certaine durée, mais je ne la connois elle-même que par le nombre de per- ceptions que mon ame y a placées. Cette durée ne paroiït plus la même, lorfque je fouffre, lorf- que je m'ennuye, ou lorfque j'ai du plaifir; je ne puis la connoitre que par la fuppofition que je fais que mes perceptiona fe fuivent toujours d’un pas égal. Mais ne pourroit-il pas s'etre écoulé des tems immenfes entre deux perceptions que je regarderois comme fe fuivant de fort près? XXXII. 368 SUR LORIGINE DES LANGUES. XXXII. Enfin, comment connois-je les perceptions paffées que par le fouvenir, qui eft une perception préfente? Toutes les perceptions pañlées font-elles autre chofe que des parties de cette perception préfente? Dans le prémier inftant de mon Exiftence, ne pourrois- je pas avoir une perception compolée de mille autres comme paf- fées; & n’aurois-je pas le méme droit que jai de prononcer fur leur fucceflion. ESSAY ES" SA "y D E PILE OS O P'HAE MOREL, E: Rifum reputaui errorent: € gaudio dixi: Quid frufira deciperis. Ecclefiaft. Cap. Ir. Oeuv. de Maupert. Aaa 371 so gaadtat entend den eee te hante ee ee eee eee PREFACE. S j'avois à me défendre d’avoir dans l'Ouvrage fuivant expolé quelqu’opinion hazardée, je n’aurois qu’à raconter comment il a vû le jour. Ce n’eft point ici une Hifoire d’Auteur qui cherche à faire valoir, ou à excufer fon Livre; c’eft l'exacte Vérité: Qu'’ay- ant écrit ces Réfléxions pour moi & pour un très petit nombre d’ Amis, je les envoyai à M. le Préfident Henault avec la plus fincere recommendation de ne les faire voir à perfonne: j'ignore de quelle manière on a abufé de fà confiance; mais je fus dans la plus grande furprile, lorfque j'appris que Ouvrage parcifloit à Paris, & y failoit plus de bruit que peut être il ne merite. Puifqu’il m’eft échappé; & que je ne le crois pas de nature à être défavoué, j'en donne ici une Edition plus correcte que celles qui ont paru, qui n’ont été faites que fur quelques Copies tirées à la hâte. Peut-être, dans ce moment où je parois faire quelque cas de mon Ouvrage, me demandera-t-on pourquoi donc je n’avois pas voulu le publier? Javoue m'a foiblefle. Je crois vrai tout ce que jai dit, & je ne l’aurois pas dit fans cela, je crois même qu’il peut être utile: cependant je prévoyois qu’il pourroit être mal interpreté & me fufciter des difputes; & j'avoue que quand j'euffe été sûr du ‘triomphe, j’aimois encore mieux mon repos. Tout homme qui écrit aujour d’hui eft sür de trouver deux fortes d’Adverfaires ; un petit nombre qui paroiffent animés de l'Amour de la Vérité, un grand que la feule Malignité infpire: j'ai trouvé des uns & des autres. Je tacherai de fatisfaire les premiers; les autres ne méritent pas qu'on leur réponde. Qu'importe en effet de fçavoir fi telle où telle perfonne eft de mes amis ou non? Je refpecte trop mes Lecteurs pour les entretenir long tems de moi: on ne peut d’ailleurs parler de foi fans prendre un air d'Hu- Aaa 2 milité 372 PREFACE. milité qui fouvent eft fufpect, ou un air d'Oftentation qui toujours revolte. Cependant la maniere dont plufeurs Perfonnes ont atta- qué mon Ouvrage me force à entrer ici dans quelques details. On l’a voulu repréfenter comme un fruit amer de la Melancolie. Le Public ne fe met gueres en peine de fävoir fi je fuis trifte ou fi je füis gai; cependant comme cette Idée pourroit prévenir contre FOuvrage même , il eft peut-être à propos que ceux qui ne me connoiffent point fçachent, que je ne lai écrit ni dans l'exil, ni dans le chagrin: Que ç’a été dans mes plus beaux jours, au milieu d'une brillante Cour; dans le Palais d’un Roi qui ma placé dans un état fort au deffus de ce que j'aurois pü efperer. Si dans cette fituation, j'ai trouvé encore des ennuis dans la vie, celà méme ne doit-il pas me perfuader qu'aucune vie n’en eft exemte. On a paru choqué du Plan de mon Ouvrage, comme fi je m'é- tois propoié de faire haïr la vie. Le Poete ou l'Orateur qui par des peintures plus vives que fideles, voudroit repandre für nos jours, plus de triftefle qu'il n’y en a, féroit blamable; mais le Philofophe qui compte & péle les peines & les plailirs left-il? Et celui qui trouve mauvais qu'on lui préfente ce calcul, ne reffemble-t-1l pas à un homme derangé qui fe fache, lorfque fon Intendant lui fait voir le compte de fa depenfe & de fes revenus? Nous lifons dans l'Hiftoire de la Philofophie qu'Hegefas avoit fait un livre où il repréfentoit fi bien tous les Maux de la Vie, que pluñe urs ne vouloient plus vivre après lavoir lù. Ptolomée pro- fcrivit le livre, & défendit à l'Auteur d’enfeigner une telle do- étrine. Il eut peut-étre raifon: ce féroit un Ouvrage pernicieux que celui qui nous peindroit trop vivement nos Maux, s’il ne nous préféntoit en même tems les motifs qui nous les doivent faire fupporter, & ne nous en indiquoit les remedes: mais certains Ouv- rages, s'ils ne font pas fi dangereux, font peut-ètre plus mal faits, dans lefquels après avoir deduit de la Philofophie toutes les raïfons de haïr la vie, l’on tire d’une fource toute difiérente les Motifs pour la fupporter. Je nai eu dans celui-ci que la verité pour objet, & que la Philofophie pour guide. Je n'ai fondé que fur elles le calcul que j'ai -S P RAA GE. 373 j'ai fait des Biens & des Maux; je n’aitiré que d’elles les Moyens pour augmenter la fomme des uns & diminuer la fomme des autres, Et fi j'ai entrevu un but plus élevé que celui où fembloit tendre la route que je tenois, ce n’a été que le fil du raifonnement qui m'y a conduit. Mon Ouvrage a eu un fort fort fingulier: les uns l'ont voulu faire pañler pour un Ouvrage d’impieté, les autres l’ont pris pour un-Livre de Devotion: 11 n’eft ni Fun ni l'autre. Les Theologiens veulent trop imperieufement interdire la faculté de raifonner ; les Philofophes de ce tems croyent qu’on catechife , dès qu'on parle de Dieu. Ce contrafte dans les jugemens qu'on a portés me feroit affés croire que j'ai gardé un jufte milieu. ; En effet; la fituation de mon Elprit étoit telle, que rétois éga- lement éloigné du bonheur d’être Devot, & du malheur d’être Impie : & je me trouvois dans des circonftances où je pouvois avec la plus grande liberté écrire tout ce que je penfois. Dans l'envie que j'avois de rendre cet Ouvrage le meilleur qu’il m'étoit poffible; avant que de le faire réimprimer, j'ai voulu atten- dre toutes lesiCritiques qui paroitroient: je me les fuis fait foigneu- fement envoyer: voici quelques Articles que jy ai trouvés qui m'ont paru meriter d’être éclaircis. ECLAIRCISSEMENTS E Quelques uns ont crû trouver un efpece de fcandale dans ce que j'ai dit (Chap. 3.) Ne cragnons donc point de comparer iles plai- Jirs des Sens avec les plaifirs les plus inrelle&fuels ; ne nous faifons pas Pillufion de croire qu'il y ait des plaifirs d'une nature moins noble les uns que les autres ; les plaifirs les plus nobles font ceux qui font les plus grands. Ceux qui ont critique ce Paragraphe avoient fans doute oublié, la definition que j'ai donnée du Plarfir : il eft certain que la per- ception agréable ne tire fa valeur que de fon Inrenfire & de fa Du- Aaa 3 | rée; 374 PREFACE. rée & que dans cet inftant où je la confdere, celle qui naît des Paf fions les plus brutales peut étre comparée à celles que nous cau- fent les Vertus les plus pures. Il ne faut pas ici confondre /e Bon- beur avec le Plaïfir : Le Bonheur, comme nous l'avons dit, eft:la fomme des Biens qui refte après qu'on a retranché la fomme des Maux. Et loin que le Bonheur qui naïtroit de ces Paffions, püt être comparé à celui qui naît de la Vertu, on fait voir dans cet Ouvrage, que même il n’exifte pas comme Quantité pofirive ; c'eft à dire que les Biens qui naïfent de ces Plaifirs feront toujours detruits & furpaflés par les Maux qui en feront les fuites. On peut donc nier la realité du Bonheur qu'on chercheroit dans les Plaifirs du Corps mais on ne peut pas nier la réalité de ces Plaifirs: on ne peut pas nier qu'ils ne puiffent étre comparés aux Plaifirs de F'Ame , ni qu’ils ne puiffent même les furpañer. De plus grands Philofophes que ceux qui me veulent reprendre, pour avoir confondu le Plaifir avec le Bonheur, font tombés dans bien des fophismes & des contradictions. Leurs invectives contre les Plaifirs des Sens peuvent échaufter le coeur: Mais il fe trouvera auffi des efprits qui feront plus frappés des calculs froids & fecs que je donne que de declamations fondéesflfur de faux Principes. IT. J'ai compris fous deux genres tous les Plaifirs &toutes les Peines: jai appellé Plaifirs € Peines du Corps toutes les Perceptions que PAme reçoit par l'impreffion des corps étrangers fur le nôtre; j'ai appellé Plaifirs €5 Peines de l'Ame toutes les Perceptions que l’Ame reçoit fans l'entremife des Sens. Et j'ai reduit les Plaifirs de l'Ame à deux feuls objets; à la pratique de /a Iuflice & a la vüë de /a Veriré: Les Peines de Ame à avoir manqué l’un ou l’autre de ces objets. Un Ami refpectable a crû que mon enumeration m’étoit pas complete: qu’il y avoit des Plaifirs & des Peines qu’on ne pou- voit reduire ni à l’un ni à l’autre de mes deux genres. Comme fürement ce qui a arrêté l'Homme dont je parle en ar- réteroit bien d’autres, & qu’apparemment je ne m'etois pas affés ex- pliqué: mi ” PPRAFA CE: 375 pliqué: je reviens ici à examiner fi ma divifion des Plaifirs & des Peines comprend tout. Et je cherche dans l'exemple qui m'a été propolé, s'il y a quelque chofè qui ne vienne pas des fources que jafligne, & qui fafle un genre à part; ou fi ce n'eft qu'un cas compolé de caufes comprifés dans mon enumeration. La Mort m'a enlevé mon Ami: j'ai perdu un Homme qui me . procuroit mille commodités; qui flattoit mes goûts & mes paflions; un objet qui plaifoit à mes yeux; une voix agréable à mon oreille: jufques là ma Peine n'appartient qu’au Corps: Je regrette un Homme eclairé qui n'’aidoit à decouvrir la Verité; un Homme vertueux qui m’entretenoit dans la pratique de la luftice: ma Peine appartient à l'Ame. Et fi plufeurs de ces motifs fe trouvent combinés enfemble, ma Peine eft un fentiment mixte, qui fe rapporte à l'Ame & au Corps; & à chacun des deux plus ou moins felon la doze des motifs. Si l’on analyfe de la forte les cas les plus compliqués; & qu'on fe fouvienne des définitions que j'ai données (Chap.3.) on trou- vera toujours que les Plaifirs & les Peines n’ont pas d’autres fources que celles que je leur ai affignées. IL. On m'a reproché d’avoir parlé trop favorablement du Suicide. Confiderant le Suicide hors de la crainte & de l’efperance d’une autre Vie; je l'ai regardé comine un remede utile & permis. Le confiderant comme Chretien, je lai regardé comme Paction la plus criminelle ou la plus infenfée. Et tout cela me paroit fi evident, que je ne fcaurois rien dire qui puifle en augmenter levidence. S'il ny avoit riën au de là de cette Vie, il feroit fouvent convenable de la terminer: mais le malheur de notre condition préfente au- lieu de devoir nous en faire chercher le remede dans lanéantifle- ment nous prouve au contraire que nous fommes deftinés à une Vie plus heureufe, dont Befperance doit nous rendre celle-ci fup- portable. On L4 376 PREFACE. . IV. On m'a voulu faire un crime de ce que j'ai dit, que la Religion w'étoit pas rigoureufement demontrable. Je le repete; fi elle étoit rigoureufement demontrable, tout le Monde la fuivroit. Perfonne ne fort des écoles de Géometrie avec le moindre doute für les pro- pofitions qu’il y a entendues : voyez parmi ceux qui fortent des Bancs de Theologie, combien il y en a de perfuadés! Je l'ai dit: il faut ici que le coeur aide à perfuader l’efprit. C’eft ce qui me fait donner tant de poids à la preuve tirée du Bonheur que la Religion porte avec elle. v: Je n'ai plus qu'un mot à dire, & qui eft prefque inutile: C’eft fur le Style de lOuvrage. On l'a trouvé trifte & fec; j avoue qu’il left: mais je ne crois pas qu'il dût être autrement. Quand j'aurois été capable de le parer de fleurs, la feverité du Sujet ne le per- mettoit pas. E SS'AM D E PME) SOA :E:; E MohOmgR:-SA ET E: CHAPITRE [I CUS U QU EVACÉES TUNIQUE " LE *B O N H EUR E TL E M 'AUL H E UMR. appelle Plaifir , toute Perception que l'Ame aime mieux éprou- ver que ne pas éprouver. J'appelle Peine, toute Perception que lAme aime mieux ne pas éprouver qu'éprouver. Toute Perception dans laquelle PAme voudroit fe fixer, dont elle ne fouhaite pas l’abfence, pendant laquelle elle ne voudroit ni pafler à une autre Perception, ni dormir; toute Perception telle eft un Plaifir. Le Tems que dure cette Perception, eft ce que j'ap- pelle Moment heureux. Oeuv. de Maupert. Bb Toute 378 ESSAY Toute Perception que Ame voudroit éviter, dont elle fouhaite l'abfence, pendant laquelle elle voudroit paffer à une autre, ou dormir, toute Perception telle, eft une Peine. Le Tems que dure cette Perception eft ce que j'appelle Moment malheureux. Je ne fai s’il y a des Perceptions indifférentes, des Perceptions dont la préfence ou Pabfence foient parfaitement égales. Mais s’il yen a, ileft évident qu'elles ne fçauroient faire des Moments heu- reux ni malheureux. Dans chaque Moment heureux ou malheureux, ce n’eft pas affez de confidérer /4 Durée ; il faut avoir égard à la Grandeur du Plaifir, ou de la Peine; j'appelle cette Grandeur Intenfiré. L’Inten- fité peut étre fi grande, que quoique la Durée füt fort courte, le Moment heureux ou malheureux équivaudroit à un autre dont la Durée feroit fort longue & dont l’Intenfité feroit moindre. De même la Durée peut-être fi longue, que quoique l’Intenfité füt fort petite, le Moment heureux ou malheureux équivaudroit à un autre, dont lIntenfité feroit plus grande, & dont la Durée feroit moindre. Pour avoir P'Eftimation des Momens heureux ou malheureux, il faut donc avoir égard non {eulement à la Durée, mais encore à l'Intenfité du Plaifir ou de la Peine. Une Intenfité double, & une Durée fimple, peuvent faire un Moment égal à celui dont l’Intenfité feroit fimple, & la Durée double. En général, /°E/fimarion des Momens heureux ou malheureux , eff le Produit de l'Intenfiré du Plaifir ou de la Peine, par la Durée. On peut aifément comparer les Durées; nous avons des inftrumens qui les mefurent indépen- damment des illufions que nous pouvons nous faire. Il n’en ef pas ainf des Intenftés; on ne peut pas dire fi l’Intenfité d’un Plaifir ou d’une Peine eft précifément double ou triple de lIntenfité d’un autre Plaifir ou d’une autre Peine. Mais quoique nous n’ayons pas de mefüre exacte pour les In- tenfités, nous fentons bien que les unes font plus grandes que les autres; & nous ne laiflons pas de les comparer. Chaque homme par un jugement naturel fait entrer l’Intenfité & la Durée dans lEftimation confufe qu’il fait des Momens heureux ou malheureux. Tantôt il préfére un petit Plaifir qui dure longtems, à un plus grand qui DE PHILOSOPHIE MORALE. 379 qui pañfe trop vite: tantôt un Plaifir très-grand & très-court, à un plus petit & plus long. Il en eft ainfi de la Peine: quoique fort grande, elle peut être fi courte, qu'on la foufirira plus volontiers qu'une plus petite & plus longue: & elle peut être fi petite, que quoiqu’elle durât fort long -tems, on la préféreroit à une très. courte qui feroit trop grande. Chacun fait cette comparaifon com- me il peut: & quoique les calculs foient différens, il n’en eft pas moins vrai que la jufte Eftimation des Momens heureux ou mal- heureux eft, comme nous l'avons dit, le Produit de lIntenfité du Plaifir ou de la Peine par la Durée. Le Bien eft une Somme de Momens heureux. Le Mal eft une Somme femblable de Momens malheureux. Il eft évident que ces Sommes, pour être égales, ne rempliront pas des intervalles de tems égaux. Dans celle où il ÿ aura plus d’Intenfté, il y. aura moins de Durée; dans celle où la Durée fera plus longue, l’Intenfité fera moindre. (Ces Sommes font les elé- mens du Bonheur & du Malheur. Le Bonbeur eft la Somme des Biens qui refte, après qu’on en a retranché tous les Maux. Le Maibeur eft la Somme des Maux qui refte, après qu’on en a retranché tous les Biens. Le Bonheur & le Malheur dépendent donc de la compenftion des Biens & des Maux. L’homme le plus heureux n’eft pas tou- jours celui qui a eu la plus grande fomme de Biens. Les Maux dans le cours de fà vie ont diminué fon Bonheur; & leur fomme peut avoir été fi grande, qu'elle a plus diminué fon Bonheur, que la fomme des Biens ne laugmentoit. L’Homme le plus heureux eft celui à qui, après la déduction faite de la fomme des Maux, il eft refté la plus grande fomme de Biens. Si la fomme des Biens & la fomme des Maux font égales, on ne peut appeller celui à qui il eft echù un tel partage, heureux ni malheureux. Le Néant vaut fon Etre. Si la fommedes Maux füurpañe la fomme des Biens, l’homme eft malheureux; plus ou moins, felon que cette fomme furpañfe plus ou moins l’autre. Son Etre ne vaut pas le Néant. Enfin ce n’eft Bbb 2 qu'a- 380 ESSSAY qu'après ce dernier calcul, qu'après la dédudtion faite des biens & des maux qu’on peut juger du bonheur ou du malheur. Les Biens & les Maux étant les elémens du Bonheur ou du Mal- heur, tout nôtre foin devroit étre employé à les bien connoître, & à tâcher de les comparer les uns aux autres; afin de préférer tou- jours le plus grand Bien, & d’éviter le plus grand Mal. Mais il fe rencontre bien des difficultés dans cette comparaifon; & chacun la fait à fa maniere. L'un, pour quelques moments de delices, perd fa fanté ou de- truit {à fortune: l’autre, fe refufe les plaifirs les plus vifs pour voir croître un tréfor dont il ne jouira jamais. Celui-ci languit dans les longues douleurs de la pierre; celui-là fe livre à la plus cruelle dou- leur pour en étre delivré. Et quoique les biens & les maux paroiffent d’efpéces fort difté. rentes, on ne laifle pas de comparer les uns avec les autres, ceux qui femblent le plus hétérogénes: c’eft ainfi que Scipion trouve dans une action généreufe, un Bien plus grand que dans tous les plaifirs qu’il peut goûter avec fa Captive. Ce qui ajoute une nouvelle difficulté à la comparaifon des Biens & des Maux, c’eft le différent éloignement d’où on les confidere. S'il faut comparer un bien éloigné avec un bien préfent; ou un mal préfent avec un mal éloigné, rarement fera-t-on bien cette com- paraifon. Cependant l'inégalité des diftances ne caufe de difficulté que dans la pratique: car l'avenir qui vraifemblablement eft à notre portée par l’état de nôtre age & de nôtre fanté, devroit être regardé à peu-près comme le préfent. Il y a encor une autre comparaifon plus difficile, & qui n’eft pas moins néceffaire : c’eft celle du Bien avec le Mal. J'entens ici Peftimation du Mal qu'il faudroit raifonnablement foufrir pour équi- valoir à tel ou tel Bien: ou leftimation du bien dont il faudroit fe priver, pour eviter tel ou tel Mal. Quoiqu'on ne puifle guéres faire cette comparaifon avec juftefle, il y a une infinité de cas où lon fent qu’il eft avantageux de fouffrir un Mal pour jouir d'un Bien ; ou de s'abftenir d’un Bien pour éviter un Mal. Siles Biens & les Maux DE PHILOSOPHIE MORALE. 38 Maux font vüs dans différens éloignemens, la comparaifon devient encor plus difficile. C’eft dans toutes ces comparaifons que confifte /4 Prudence. C’eft par la difficulté de les bien faire qu’il y a fi peu de gens pru- dens: & c’eft des différentes manieres dont ces calculs fe font, que rélulte la variété infinie de la conduite des hommes. LL me 5 me LE Me LS/ de LE. 2 LE, De a Me LL De LE) De LE TS De LL) De) De LE, De LS; de || ne) De C'ÉCPREE T RE "TT. QUE DANS LA VIE ORDINAIRE LA SOMME DES MAUX SURPASSE CELLE DES BIENS. ous avons défini le Plaifir, toute Perception que l’'Ame aime mieux éprouver que ne pas éprouver; toute Perception, dans laquelle elle voudroit fe fixer; pendant laquelle elle ne fouhaite, ni le pañfage à une autre Perception, ni le fommeil. Nous avons défini la Peine, toute Perception que l'Ame aimeroit mieux ne pas éprouver qu'éprouver; toute Perception qu’elle voudroit éviter, pendant la- quelle elle fouhaite le pañfage à une autre Perception, ou le fommeil. Si l’on examine la Vie d’après ces idées, on fera furpris, on fera effragé, de voir combien on la trouvera remplie de Peines, & com- bien on y trouvera peu de Plaifirs. En effet, combien rares font ces Perceptions, dont l’Ame aime la préfence? La Vie eft-elle autre chofe qu'un fouhait continuel de changer de Perception? elle fe paffe dans les défirs; & tout l'intervalle qui en fépare l’accompliffe- ment, nous le voudrions anéanti: fouvent nous voudrions des jours, des mois, des ans entiers fupprimés : nous n’acquerons aucun Bien qu’en le payant de notre Vie. Si Dieu accomplifloit nos defirs; qu’il fapprimât pour nous tout le tems que nous voudrions fupprimé: le Vieillard feroit furpris de voir le peu qu'il auroit vecu. Peut-être toute la durée de la plus longue Vie feroit réduite à quelques heures. Or tout ce tems dont on auroit demandé Ja fuppreffion, pour pañfer à l’accompliffement de fes defirs; c’eft à dire, pour pañer de Bbb 3 Per- 382 ESSAY Perceptions à d’autres, tout ce tems n’eft compolé que de Momens malheureux, Ï y a, je crois, peu d'Hommes, qui ne conviennent que leur Vie a été beaucoup plus remplie de ces Momens que de Momens heureux, quand ils ne confidéreroient dans ces Momens que la Du- : rée: mais s’ils y font entrer l’Intenfité, la fomme des Maux en fera encore de beaucoup augmentée; & la Propofition fera encore plus vraye: Que dans la Vie ordinaire la Jomme des Maux Jurpae la Jomme des Biens. Tous les divertiffemens des Hommes prouvent le Malheur de leur condition. Ce n’eft que pour eviter des Perceptions facheules, que celui-ci joüe aux Echecs, que cet autre court à la Chaffe: tous cherchent dans des occupations ferieufes, ou frivoles ;| l'oubli d'eux mêmes. Ces diftractions ne fufñfent pas; ils ont recours à d'au- tres reflources: les uns par des liqueurs fpiritueufes excitent dans leur Ame un tumulte, pendant lequel elle perd lIdée qui la tour- mentoit; les autres par la fumée des feuilles d’une plante cherchent un étourdiffement à leurs ennuis; les autres charment leurs Peines par un fuc, qui les met dans une efpece d’Extafe. Dans l’Europe, l'Afie, l'Afrique, & l'Amerique, tous les Hommes, d’ailleurs fi divers ont cherché des remédes au Mal de vivre. Qu'on les interroge ; on en trouvera bien peu dans quelque condition qu’on les prenne, qui vouluffent recommencer leur Vie telle qu'elle a été, qui vouluffent repafler par tous les mêmes Etats dans lefquels ils fe font trouvés. N’eft ce pas l’aveu le plus clair qu’ils ont eu plus de Maux que de Biens? Eft- ce donc- là le Sort de la Nature humaine? Eft-elle irrévoca- blement condamnée à un Deftin fi rigoureux ? Ou a-t-elle des Moyens pour changer cette Proportion entre les Biens & les Maux ? N'eft- ce point le peu d'Ufage, ou le mauvais Ufage, que l'Homme fait de fa Raïfon, qui rend cette Proportion fi funefte? Une Vie plus heureufe ne feroit-elle point le prix de fes Réflexions & de fes Eforts ? CHAPI- DE PHILOSOPHIE MORALE. 383 CAP IT R Ex IIr. REFLEXION SUR LA NATURE DES PLAISIRS ET DES PEINES. LE Philofophes de tous les tems ont connu l'importance de la recherche du Bonheur, & en ont fait leur principale Etude. S'ils n’ont pas trouvé la vraye route qui y conduit, ils ont marché par des fentiers qui en approchent. En comparant ce qu’ils ont découvert dans les autres Sciences , avee les excellens préceptes qu'ils nous ont laiffés pour nous rendre heureux, on s’étonnera de voir combien leurs progrès ont été plus grands dans cette Science que dans toutes les autres. Je n’entrerai point dans le détail des Opinions de tous ces grands Hommes für le Bonheur; ni des différences qui ont pu fe trouver dans les Sentimens de ceux qui en général étoient de la même Secte. Cette difcuffion ne feroit qu'une efpece d’Hiftoi- re, longue, difficile, incertaine, & furement inutile. Les uns regardant le Corps, comme le feul inftrument de no- tre Bonheur & de notre Malheur, ne connurent de Plaifirs que ceux qui dépendoient des impreffions que les Objets extérieurs font {ur nos Sens; ne connurent de peines que celles qui dépendoient d’im- preffions femblables. Les autres donnant trop à l'Ame, n’admirent que Les Plaifirs & les Peines qu'elle trouve en elle même Opinions outrées & également éloignées du vrai. Les im- preffions des Objets fur nos corps font des fources de Plaifir & de Peine: les opérations de notre Ame en font d’autres. Et tous ces Plaifirs, & toutes ces Peines, quoiqu’ entrées par différentes portes, ont cela de commun qu’elles ne font que des perceptions de l’'Ame; dans lefquelles PAme fe plaît, ou fe deplait, qui font des Momens heureux, oumalheureux. Ne craignons donc point de comparer les Plaifirs des Sens avec les Plaïfirs les plus intelle@tuels ; ne nous faifons pas l’illufion de croire 384 ESSAY croire qu'il y ait des Plaifirs d’une nature moins noble les uns que les autres: les Plaifirs les plus nobles font ceux qui font les plus grands. Quelques Philofophes allérent fi loin qu’ils regardérent le Corps comme tout à fait etranger à nous; & prétendirent qu’on pouvoit parvenir à ne pas même fentir les accidens auxquels il eft füujet. Les autres ne fe tromperoient pas moins, s'ils croïoient que les impreflions des objets extérieurs {ur le corps, puffent telle- ment occuper l'Ame qu’elles la rendiffent infenfible à fes refléxions. Tous les Plaifirs & toutes les Peines appartiennent à l'Ame. Quelle que fut l'impreffion que fit un objet extérieur fur nos fens, jamais ce ne feroit qu'un Mouvement phyfique, jamais un plaifir ni une peine, fi cette impreffion ne fe faifoit fentir à l'Ame. Tous les plaifirs & toutes les peines ne font que fes perceptions: la feule dif- férence confifte en ce que les unes font excitées par lentremife des Objets extérieurs, les autres paroiflent puifées dans Ame même. Cependant pour éviter la longueur, & pour n'exprimer de la ma- niere la plus ufitée, j'appellerai les unes P/aifirs & Peines du Corps ; les autres, Plaifirs & Peines de l'Ame. Je ne nierai point que les Plaifirs &les Peines du Corps ne fo- vent de vrais plaifirs & de vrayes peines; ne faffent des Biens & des Maux. Quelque peu de rapport qu’on voye entre les perceptions de l'Ame & les mouvemens qui les font naître, on ne fçauroit en méconnoître la realité. Et le Philofophe qui difoit que la goutte n'étoit pas un mal, difoit une fottifé, ou vouloit feulement dire qu’elle ne rendoit pas lame vicieule, & alors difoit une chofe bien triviale. Les Plaifirs & les Peines du Corps font donc fans contredit des fommes de momens heureux & de momens malheureux; des Biens & des Maux. Les Plaifirs & les Peines de l'Ame font d’autres fom- mes pareilles: il ne faut négliger ni les unes ni les autres ; il faut les calculer, & en tenir compte. En examinant la nature des Plaifirs & des Peines d# Corps, nous commencerons par une remarque bienaffigeante: c’eft que le Plaifir diminue par la Durée, @ que la Peine augmente. La continuité des DE PHILOSOPHIE MORALE. 385 des impreffions qui caufent les Plaifirs du Corps, en affoiblit l'inten- fité; l'intenfité des Peines eft augmentée par la continuité des im- preflions qui les caufent. 1. Q’on parcourre les plus grands Plaifirs que les objets exté- rieurs puiffent nous procurer: on verra que, ou la fenfation qu’ils excitent, eft de nature à ceffer fort promtement; ou que fi elle dure, elle s’affoiblit, devient bientôt infipide, & même incommo- de, fi elle dure trop longtems. Au contraire la douleur que caufent les objets extérieurs, peut durer autant que la vie; & plus elle dure, plus elle devient infupportable. Si lon doute de ceci, qu’on effaye de prolonger limpreffion de quelque objet des plus agréables, on verra ce que le Plaifir devient: Que laétion du fer ou du feu fur notre Corps dure un peu; qu’on y tienne feulement des cantarides un peu trop longtems appliquées; & l’on verra à quel point peut s’accroitre la Douleur. 2. Il ny a que quelques parties du Corps qui puiffent nous pro- curer des Plaifirs; toutes nous font éprouver la Douleur. Le bout du doigt, une dent, nous peuvent plus tourmenter, que l'organe des plus grands plaifirs ne peut nous rendre heureux. 3. Enfin il y a une autre confideration à faire. Le trop long, ou trop fréquent ufage des objets qui caufent les Plaifirs du Corps, conduit à des infirmités; & l’on n’en devient auffi que plus infirme par l’application continuée, ou repetée trop fouvent, des Objets qui caulent la Douleur. Il n’y a ici aucune efpece de Compenfation. La Melure des Plaifirs que nôtre Corps nous peut faire gouter, eft fixée & bien petite; fi l'on y verfe trop, oneneft puni: la Mefure des Peinces eft fans bornes, & les Plaifirs même contribüent à la remplir. Si l’on difoit que la Douleur a fes bornes; que comme le Plai- fir, ellé emouffe le Sentiment, ou même le détruit tout à fait: cela n’a lieu que pour une Douleur extrême, une Douleur qui n’eft point dans l’état ordinaire de l'Homme, & à laquelle aucune efpece de Plailir ne fe peut comparer. Oeurv. de Maupert. Cce Par 386 ESSAY Par tout ce que nous venons de dire, on peut juger de la Na- ture des Plaifirs & des Peines du Corps, & de ce qu’on peut en attendre pour notre Bonheur. Examinons maintenant la nature des Plaifirs & des Peines de l'Ame? Avant que d'entrer dans cet examen, il faut définir exactement ces Plaifirs & ces Peines; & ne les pas confondre avec d’autres af- fections de lAme, qui n’ont que le Corps pour Objet. Je m’ex- plique. Je ne compte pas parmi les Plaïfirs de l'Ame, le Plaifir qu'un Homme trouve à penfer qu’il augmente fes richeffes ; ou celui qu’il reffent à voir fon pouvoir s’accroitre; fi, comme il n’eft que trop ordinaire, il ne rapporte fes richeffes &lon pouvoir qu'aux Plaiñirs du Corps que ces moyens peuvent lui procurer. Les Plai- firs de l’'Avare & de l'Ambitieux ne font alors que des Plaifirs du Corps, vüs dans l’éloignement. De même nous ne prendrons pas pour des Peines de PÂme, les Peines d’un Homme qui perd fes richeffes, ou fon pouvoir, fi ce qui les lui fait regretter n’eft que la vüe des Plaifñrs du Corps qu’ils lui pouvoient procurer, ou la vüe des Peines du Corps auxquelles cette perte lexpole. Après cette Définition il me femble que tous les Plaifirs de l'Ame fe réduifent à deux genres de Perception: l’un qu’on éprouve par la Pratique de la Zuffice, l'autre par la Vüe de la Verité. Les Peines de l'Ame fe reduifent à manquer ces deux Objets. Je n’entreprens point de donner ici une définition abfolüe de la juftice, & n’ai pas beloin de le faire. J'entens feulement jufqu’ict par Prarique de la fuflice, Yaccomplifiement de ce qu’on croit fon Devoir, quel qu’il foit. Il n'eft pas non plus néceffaire de définir ici exactement la Ve- rité. J’entens par Wäe de la Verité, cette Perception qu'on éprou- ve, lorfqu'on eft fatisfait de lPévidence avec laquelle on voit les chofes. L Or ces deux Genres de Plaifir me paroiffent d’une Nature bien oppofée à celle des Plaifirs du Corps. 1°. Loin de pañler rapide- ment, ou de s’afloiblir par la jouiffance, les Plailirs de PAme font dura- DE PHILOSOPHIE MORALE. 387 durables; la Durée & la Répetition les augmentent. 2°, L'Ame les reffent dans toute fon Etendüe. 3°. La Jouiffance de ces Plailirs, au lieu d’affoiblir PAme, la fortifie. Quant aux Peines qu’on éprouve, lorfq#'on n’a pas füivi la Juftice, ou lorfqu’on n’a pu découvrir la Verité, elles different encore extrémeiment des Peines du Corps. IL eft vrai que l’Idée qu’on a manqué à fon Devoir eft une Peine très douloureule, mais il dépend toujours de nous de l'éviter: elle eft elle-méme fon préier- vatif; plus elle eft fenfñble, plus elle nous éloigne du peril de la reffentir. Pour la Peine qu’on éprouve dans.la recherche d’une Verité, qu’on ne fçauroit découvrir, l'Homme fàge ne s’attachera qu’à celles qui lui font utiles, & il découvrira celles-là facilement. Mais me dira-t'on peut-être, ces Plaifirs de P'Ame ne peuvent- ils pas procurer aux Hommes un fort plus heureux que celui que vous nous avez depeint? N’y a-t-il donc pas des Sages dont la vie fe pale dans la Pratique de la Swffice & dans la Contemplation de la Veriré? je veux croire quil y en a. Mais outre les Peines du Corps auxquelles ils font toujours expolés, fi lon compte les Ariftides & les Neutons, on verra que ces Hommes font trop rares pour empecher que la Propolition que nous avons établie ne foit vraye: que dans la Vie ordinaire la Somme des Maux furpafle la Somme des Biens. nn Se ee ee CEA PIE RENE DES MOYENS POUR RENDRE NOTRE CONDITION MEILLEURE. eft par ces confderations, & non en niant, comme quelques Sophiftes, la realité des Plailirs & des Peines du Corps, que nous devons nous conduire. Laiffons notre Ame ouverte à quel- ques Perceptions agréables, qu’un ufage fobre & circonfpeét des Objets extérieurs y peut faire naître; mais ne laiffons pas entrer Ccé 2 cette 338 ESSAY cette foule d’ennemis qui menacent fa ruine. Ne difons pas que la Volupté n’eft pas un Bien; mais fouvenons nous toujours des Maux qu’elle traîne après elle. Etant ainf expofés par rapport à notre Corps à beaucoup plus de Peines que de Plaifirs: à des Peines que la Durée augmente, à des Plaifirs quelle diminüe: s’il nous étoit poffible de nous fouftrai- re entiérement aux impreffons des Objets extérieurs, de renoncer totalement aux Plaifirs de Sens, pour être affranchis de leurs Peines; ce feroit affurément le meilleur parti: il y a beaucoup plus à perdre qu’à gagner, en y reftant expofé. Mais comment éviter l'effet de ces impreffons? Nos Corps font partie du Monde phylique: toute la Nature agit fur eux par des Loix invariables : & par d'autres loix que nous fommes également obligés de fubir, ces impreffions por- tent à l’Ame les Perceptions de Plaifir & de Peine. Dans cet état qui paroit purement pafñif, il nous refte cepen- dant une arme pour parer les coups des Objets, ou pour en amor- tir l'effet. C’efl la liberté, cette force fi peu compréhenfble mais fi inconteftable ; contre laquelle le Sophifte peut difputer, mais que l’honnéte Homme recornoit toujours dans fon coeur. Il peut avec elle lutter contre toute la Nature: & s’il ne peut pas toujours tout à fait vaincre, il peut du moins toujours n'être pas entierement vaincu: Arme fatale qu'il tourne fi fouvent contre lui-mêmel Si l'Homme fçait faire ufage de fa Liberté, il fuira les Objets qui peuvent faire fur lui des impreffions funeftes : & fi ces impref- fions font inévitables, elle lui fervira à en diminuer la force. Dans les états les plus cruels, il n’y a perfonne qui ne fente en lui méme un certain Pouvoir qu'il peut exercer même contre la Douleur. Si la Liberté peut nous préferver des impreffions dangereufes des Objets ; fi elle peut nous défendre des Peines du Corps, & nous en difpenfer avec économie les Plaifirs, elle a bien un autre empire fur les Plaifirs & les Peines de FAme: c’eft là qu’elle peut triompher entierement, Notre DE PHILOSOPHIE. MORALE. 389 Nôtre Vie n’eft donc qu’une fuite de Perceptions agréables & facheufes; mais dans laquelle les Perceptions fâcheufes l'emportent de beaucoup füur les Perceptions agréables. Le Bonheur & le Mal- heur de chacun dépendent des Sommes de Bien & de Mal que ces Perceptions font dans fà vie. Cela pofé; il n'y a que deux Moyens pour rendre notre Con- dition meilleure. L'un confifte à augmenter la Somme des Biens; Pautre à diminuer la Somme des Maux. C’eft à ce Calcul que la Vie du Sage doit être employée. Les Philofophes de l'Antiquité, qui avoient fans doute fenti la verité de ceci, fe partagérent en deux Clafles. Les uns crurent que pour rendre notre condition meilleurre, il ne faloit qu’accumu- ler le plus de plaifirs qu’il étoit poffible; les autres ne cherchérent qu’à diminuer les peines® C’eft là, ce me femble ce qui diftingua effentiellement les deux fameufes Sectes des Epicuriens & des Stoiciens. Car c’eft n’en pas avoir penetré l’Efprit que de ne pas avoir apperçu les différents Moyens que chacune fe propoloitz; & de-faire confifter leur diffé- rence dans la recherche de plailirs plus groffiers, où plus purs. Je Fai déja dit; tant qu'on ne confidere que Pétat préfent, tous les Plaifirs font du même Genre: celui qui naît de l'a@ion la plus brutale, ne cede point à celui qu’on trouve dans la Pratique de la Vertu la plus épurée. Les Peines ne font pas non plus de genre difkérent: celles qu'on reffent par l'application du fer & du feu, peuvent être comparées à celles qu’éprouve une Confcience cri- minelle. Toutes les Peines, tous les Plaifirs, ne font que des Per- ceptions de lAme, dont il faut feulement bien calculer lintenfité & la Durée. Ce qui caracterife donc les deux Sectes: c’eft que l’une & l’autre reconnoiffant , que le plus grand Bonheur eft celui où la Somme des Biens, après la déduction de la Somme des Maux, demeuroit là plus grande; dans les Moyens que ces Sectes propofoient pour ren- dre notre condition meilleure , celle des Epicuriens avoit plus en Cce 5 vüc 390 ES S AtY vûe l'Augmentation de la Somme des Biens, & celle des Stoïciens la Diminution de la Somme des Maux. Si nous avions autant de Biens à efperer que de Maux à crain- dre, Pun & l’autre Syfteme feroient egalement fondés. Mais fi lon fait attention à ce que nous avons remarqué dans les Chapitres pré- cedens fur les Plaifirs & les Peines, on verra combien il eft plus rai- {onable de chercher à rendre notre condition meilleure par la Di- minution de la Somme des Maux, que par l'Augmentation de la Somme des Biens. 1 Je ne m'arréterai donc point à la Secte d’Epicure; j'examinerai feulement celle des Stoïciens , qui me paroiffent ceux qui ont rai- fonné le plus jufte. | CAP A TIRE UM. DU SYSTEME DES STOICIENS. e ne remonterai point jufqu'à Zenon: ce que nous favons de lui eft trop peu de chofe pour pouvoir bien juger de ce qu'il enfeig- noit & de ce qu'il penfoit. : Ce n’eft dans l’Origine d’aucune Secte qu’on én trouve les Dogmes les plus raifonnables, ni les mieux di- gérés. Ce qui nous touche le plus, c’eft la doctrine des Stoiciens, telle qu'elle fût, après que les tems, & les réflexions des grands Hommés qui la profefférent, l'eurent conduite à fa maturité. Le Recueil le plus ample que nous ayons des Dogmes de cette Secte, cft celui que Sezeque nous a laiffé. Tous les Ouvrages dé ce Philofophe, fous des titres différens & multipliés, n’en font que l'expoñtion. Eprtlere les produifit avec moins d'art& plusde force. Nous avons le Syfteme de ce grand Homme dans deux Oüûvrages différens: lün continent des Difcours, negligés & diffus, tels qu’ Arrien les recueillit fortans de fà bouche: l’autreeft {on Enchiridion, ferré DE PHILOSOPHIE MORALE. 391 ferré & methodique, dans lequel, malgré fà briéveté, on trouve le Syfteme le plus complet de Morale, & toute la Science du Bonheur. A ces Ouvrages admirables on en doit ajouter un plus admirable encore. Ce font Les Réfléxion de PEmpereur Marc Aurele adres- Jêes à lui-même; mais dignes de fervir de leçons à tout FUnivers. Il n'a, ni le brillant du Precepteur de Neron, ni la fechereffe de l'Efclave d'Epaphrodite: fon Style porte partout le caractere de l'élevation de fon Ame: de la pureté de fon cœur, & de la gran- deur des chofes qu'il dit. Il remercie les Dieux ‘de lui avoir re- fufé les talents de la Poëfie & de l'Eloquence, & ne s’'apperçoit pas qu’il les a. Il poffede toutes les connoiffances de fôn tems, & ne fait cas que de celles qui enfeignent à regler le Cœur: toutes les autres, il les méprife également. Il traite de véritable fottife la recherche de la Struéture & des Mouvemens de l'Univers: fà feule Etude eft celle de l'Homme. Ces divines Leçons, il les pra- tiqua toute {à vie: & en fe rendant heureux , il eut fur les deux autres Philofophes , l'avantage d’avoir fait le Bonheur d’un Empi- re qui failoit la plus grande partie du Monde. Un Courtifan qui a effuyé de grandes viciffitudes: qui s’eft trouvé elevé au comble des Honneurs , puis abaiffé dans les plus profondes Difgraces; un tel jouëét de la Fortune, doit avoir fenti le befoin de la Philofophie Stoicienne. Un Efclave accablé du poids de fa chaine, aflujetti aux caprices d’un Maître cruel, n’avoit d'autre reffource que cette Philofophie , qui promet un Bonheur qui ne dépend que de nous. Mais un Empereur qui n’éprouva jamais aucun revers; qui fut conftamment comblé des faveurs de la Fortune, n'eut pas les mé- mes motifs. Il femble qu'il ne dût chercher qu’à étendre la Puis- fance de celle qui lui prodiguoit tous les Biens qu’elle peut donner: il vit que tous ces Biens n’étoient que des illufñons. Seneque & Epictete femblent n'être parvénus à la Philofophie que par befoin & par art: la Nature forma Marc Aurele Philofo- phe, & eleva fon Cœur à une perfection, à laquelle fes lumieres ne | pou- 302 ESS AY pouvoient le conduire. La Philofophie Stoicienne n'avoit point la Vertu pour but, ce n’étoit que le Bonheur préfent. Et, fi l'on s’y trompoit, c'eft que les routes qui conduifent à l’un & à l'autre, font jufqu’à un certain point les mêmes. Les Préfervatifs & les Remedes, que le Stoïcien recommande contre les Maux de cette vie, font: de fe rendre maitre de fes Opi- nions & de fes Defirs ; d’anéantir l'effet de tous les Objets exté- rieurs: enfin, de fe donner la Mort, fi l’on ne peut trouver la tranquillité qu'à ce prix. En lifant les écrits de ces Philofophes, on feroit tenté de croire que ce qu’ils propofent eft impoñlible. Cet empire fur les Opéra- tions de notre Ame; cette infenfhbilité aux Peines du Corps; cet équilibre entre la Vie & la Mort, ne paroiflent que de belles chi- meres. Cependant, fi nous examinons la maniere dont ils ont vécu, nous croirons qu’ils y étoient parvenus; ou qu'ils n’en étoient pas éloignés. Et fi nous refléchiffons für la nature de l'Homme, nous le croirons capable de tout, pourvü qu’on lui propole d'affez grands motifs: capable de braver la Douleur, capable de braver la Mort: & nous en trouverons de toutes parts des exemples, Si vous allez dans le Nord de l’'Amerique, vous trouverez des Peuples fauvages, qui vous feront voir que les Scevola, les Curtius, & les Socrates, n'étoient que des femmes auprès d’eux. Dans les tourmens les plus cruels vous les verrez inébranlables ; chanter & mourir. D’autres que-nous ne regardons prefque pas comme des Hommes; & que nous traitons, comme les Chevaux & les bocufs ; dès que l’ennuy de la Vie les prend, la fçavent terminer, un vaiffegu qui revient de Guinée, eft rempli de Catons qui aiment mieux mourir que de furvivre à leur Liberté. Un grand Peuple, bien éloigné de la Barbarie, quoique fes mœurs foyent fort diffé- rentes des nôtres, ne fait pas plus de cas de la Vie: le moindre af front, le plus petit chagrin, eft pour un Japonois une railon pour mourir, Sur les Bords du Gange, la jeune Indienne fe jette au milieu des flammes , pour éviter le reproche d'avoir furvécu à fon Epoux. Voila “ii DE PHILOSOPHIE MORALE. 393 Voilà des Nations entieres parvenuës à tout ce que les Stoïciens prefcrivoient de plus terrible. Voilà ce que peuvent F Opinion & la Coutume: ne doutons pas que le Raïfonnement n’ait autant de force: ne diftinguons pas même du Raïfonnement la Coutu- me & l’Opinion; ce font des Raifonnemens fans doute, feule- ment moins approfondis. Le Negre & le Philofophe, n’ont qu'un même Objet; de rendre leur condition meilleure. L'un, chargé de fers, pour fe délivrer des Maux qu'il fouffre, ne voit que de terminer fa Vie: l’autre, dans des palais dorés, fent qu’il eft réel- lement fous la puiflance d’une maïtrefle capricieufe & cruelle, qui lui prépare mille Maux: le premier remede qu'il eflaye, c’eft l'Infenfibilité; le dernier, c’eft la Mort. Ceux qui ont écrit fur cette matiere, prétendent qu’une telle reflource, loin d’être une action généreufe, n’eft qu'une véritable cheté. Mais il me femble que c’eft ne pas diftinguer aflez les différentes pofñtions où l’homme fe peut trouver. Si l’on part d’une Religion, qui prornette des récompenfes éter- nelles à celui qui fouffre patiemment, qui menace de chatimens éternels celui qui meurt pour ne pas fouffrir; ce m’eft plus ni un Homme courageux, ni un lâche qui fe tuë, c’eft un infenfé: ou plü- tôt, la chofe eft impoffible. Mais nous ne confiderons ici l Homme que dans létat naturel, fans crainte & fans efperance d’une autre "Vie; uniquement occupé à rendre fà condition meilleure. Or dans cette Pofition, il eft évident qu’il n’y a ni gloire, ni raifon, à demeurer en proye à des Maux auxquels on peut fe fou- ftraire, par une Douleur d’un moment. Dès que la Somme des Maux furpafñle la Somme des Biens, le Neant eft préferable à Etre : Et les Stoïciens raifonnent jufte, lorfqu’ils regardent la Mort comme un remede utile & permis. Quelques uns ont été jufqu'à la con- feiller affez legerement. Et Marc Aurele, cette ame fi douce & fi belle penfoit ainf: Sors de la Vie, dit-il, fi elle re devient à charges mais Jors en fans plainte € Jans murmure, comme d’une chambre qui fume *. * Marc Aurele L. V. f. XXX. Seneque Oeuv. de Maupert. D dd 394 ESSAY Sencque parle avec bien plus de force du droit que chaque Hom- me a de fe donner la Mort, dès qu’il trouve fà Vie malheureufe. Il s'étonne que quelques Philofophes ayent pu penfer différemment. Quelle magnifique defcription nous fait-il de la Mort de Caton *? - Quelles loüanges ne donne-t-il pas à ce jeune Lacedemonien, qui aima mieux fe caffer la tête que de faire le fervice des Efclaves **2? A cet Allemand deftiné au combat des bêtes, qui avala eponge qui fervoit à nettoyer les ordures ***? Mais rien ne fait mieux con- noître le peu de cas que les Stoïciens faifoient de la Vie, que l'hi- foire qu’ilajoute: Marcellinus, ennuyé d’une longue maladie, héfitoit à fe donner la Mort, & cherchoit qui l'encourageât: Tu fais bien des confüulrations pour peu de chofe, lui dit un Philofophe de cette Secte, qu'il avoit envoyé chercher: Ja Vie w’eff rien; tu la partages avec les Efclaves € les animaux ; mais la Mort peur être belle. Er il nef} pas nécefaire pour favoir mourir d'être fort brave, ni fort malheureux 3 il fuffit d'être ennuyé. Marcellinus perfuadé, accomplit fon deffein, par une Mort que Seneque appelle deficieufe À. ! On ne peut pas douter que cette queftion, du droit que l'Hom- ime a fur fà Vie, ne dépende des Idées qu’il a d'une Divinité qui lui permet ou qui lui défend d’en difpofer; de la Mortalité, ou de l'Im- mortalité de Ame. Il eft donc certain que la Religion des Stoï- ciens les laiffoit libres à cet egard. Il nous feroit fort difficile de déterminer, quelles étoient préci- fement leurs Idées fur la Divinité. L'un définifloit Dieu, un Etre heureux, éternel, bienfaifant. L'autre faifoit des Dieux des diffé- rents Ordres. Zenon ne reconnut d'autre Dieu que l'Univers. Si ces Philofophes paroiffent avoir eu quelquefois des Idées plus elevées de la Divinité, ils n’en eurent guères de plus diftinétes. Croire des Dieux, & croire une Providence, n'étoit pas, chez les anciens Philofophes, une même chofe. Ils ne voyoient en Dieu la néceffité, ni d’être unique, ni éternel, ni la caufe libre & pré- voyante de tout ce qui arrive dans l'Univers. Les Dieux, felon plufieurs, * Senec. de Prouid. Cap. Il. #*k Jdem Epift. LXX. #* Senec. Epift. LXXVI. + Adem Epift. LXXVIL. DE PHILOSOPHIE MORALE. 395 plufeurs, n’étoient que des Etres fans Intelligence, fans Adion, in- - utiles pour le gouvernement du Monde. Si quelquefois les Stoi- ciens parlent d’une Providence, & de l'Empire des Dieux, leurs di- fcours font plütôt des déclamations, que des difcours dogmatiques. Ils ne furent, ni plus d'accord, ni plus eclairés fur la nature de notre Ame. La pluspart la prirent pour une matiere fubtile, ou un écoulement de la Divinité. Les uns la regardérent comme fe diffi- pant à la Morts les autres comme fe reüniffant à la fource dont elle étoit fortie. Mais y portoit-elle, y confervoit-elle le Souvenir de {on état précedent? Tout ce qui nous refte de ces Philofophes, eft apli fur cette matiere, non feulement d’obicurités, mais même ee Ce qui paroit certain, & c’eft ce qui eft bien etrange, c’eft que les Stoïciens regardoient ces queftions comme indifférentes pour la conduite des Mœurs. On voit dans plufieurs endroits des Ouvra- ges de ces grands Maitres de Morale qu’ils laiffent ces chofes dans un doute, dont il ne paroit pas qu'ils fe mettent en peine de fortir. Cependant avec aufli peu de Syfteme für les Dieux, la Provi- dence, & l’Immortalité de PAme, les Stoïciens femblent être par- venus, là où nous ne parvenons que par la connoiffance d’un Dieu qui punit & recompenfe une Ame immortelle; par l’efperance d’un Bonheur éternel, ou par la crainte d’être éternellement malheureux. C’eft un myftere difficile à comprendre, fi l'on n'a pas confideré les chofes, comme nous l'avons fait. Et un illufire Auteur, à qui nous devons l'excellente Hifoire Critique de la Philofophie, pour n'avoir pas fait ces refléxions, me femble avoir avec un peu de précipitation, accufé les Stoïciens d’Inconféquence, ou de mau- vaife foi *. Le feul amour du Bonheur fuffifoit pour conduire le Stoicien au retranchement de tout. Perfuadé que dans cette Vie, les Maux furpañfent toujours les Biens, il trouvoit de l'avantage à fe priver des Plaifirs, pour s’epargner les Peines; & à détruire toute Senfi- bilité. Si la Nature ne permettoit pas qu'il fut heureux, l’art le rendoit impaffble. Ddd 2 CH À- * Hifior. Crit. de la Phil. T. XL. Chap. 28. 306 SA ESSAY De te ten ge ghetto onde den CRE ASP PRE" PL DES MOYENS QUE EE CHRISTIANISME PROPOSE # POUR EFRE HEUREUX. oilà jufqu'où la Raïifon feule put atteindre: voyons maintenant, fi la Raifon eclairée d’une nouvelle lumiere peut aller plus loin: fi elle peut nous enfeigner des moyens plus sûrs poür parvenir au Bonheur, ou du moins pour rendre notre condition meilleure. Je n’examine ici la Religion que par rapport à cet Objet: je ne releve point ce qu’elle a de Divin, ni ne n'arrête aux difficultés peuvent faire à notre Efprit fes Myfleres: je ne confidere que régles de conduite qu’elle prefcrit, & les Suites néceffaires de ces régles par rapport au Bonheur de la Viepréfente. On prit le Chriftianifme naiffant pour une nouvelle Sete de Philofophie; ne Penvilägeons pas autrement: comparons la Morale de l'Evangile à celle des Stoïciens. Quelques Auteurs, par un zele peu judicieux, ont voulu trou- ver dans la Morale de ces Philofophes, la Morale du Chriftianifine. On eft furpris de voir, combien le {çavant Dacier s’eft donné de peine pour cela, & qu'il nait pas fenti la différence extrême qui fe trouve entre ces deux Philofophies, quoique la pratique en paroiffe au premier coup d’oeil la même. Aveugle à ce point, il n’a cherché qu'à donner un Sens Chretien à tout ce qu’il a traduit. Il n'eft pas le premier qui foit tombé dans cette erreur: noûs avons une vieille Paraphrafe d'Epictete, attribuée à un Moine Grec, dans laquelle on trouve Epiétete & F Evangile également défigurés. Un Jefüuite plus Homme d’Efprit *, a mieux fenti la différence des deux Philofophies; quoiqu'il ait encore fait un Paralléle qui femble les rapprocher. Le rapport qui fe trouve entre les Moeurs exterieures du Stoïcien & du Chrétien a pû faire prendre le change À ceux qui n’ont pas confideré les cholès avec aflez d'attention, ou avec la jufteffe néceffaire: mais au fonds il n’y a rien qui admette fi peu de conciliation. Et la Morale d’Epicure n’eft pas plus contrai- re à la Morale de l'Evangile que celle de Zenon. Cela n’a pas befoin d'autre preuve que l’expoftion du Syfteme Stoicien que nous venons * Le P. Mourgues. à de «hd DE PHILOSOPHIE MORALE. 307 de faire, & l’expofñition du Syfteme Chrétien. La Somme du premier fe réduit à cecy : Ne penfe qu'à toi; facrifie tout à ton repos. La Morale du Chrétien fe réduit à ces deux Preceptes: Ames Dieu de sout ton coeur : Aîmes les autres Hommes comme roi même. Pour bien comprendre le fens de ces dernieres paroles, il faut fçavoir ce que le Syfteme Chrétien nousen{eigne par rapport à Dieu, & par rapport à l'Homme. Dieueft l'Ordre éternel, le Createur de l'Univers, l’Etre tout puif- fant, tout fage, & tout bon. L'Homme eft fon Ouvrage, compolé d’un Corps qui doit perir, & d’une Ame qui durera éternellement. Ces deux Idées établies {affifent pour faire connoître la juftice & la neceffité de la Morale Chrétienne. Aimer Dieu de tour [on coeur; c’eft ètre entierement foumis à Y'Ordre; n’avoir d’autre volonté que celle de Dieu, & ne fe regar- der que par rapport à ce qu’on eft à {on egard. Aimer les autres Hoinmes ; comme [oi méme ; n'eft que la fuite du premier Precepte. Celui qui aime Dieu parfaitement, doit aimer l'Homme qui eft fon Ouvrage: celui qui n'aime rien que par rapport à Dieu, ne doit fe donner aucune préférence. Il n’eft pas difficile de voir que l'accompliffement de ces Pre- ceptes eft la fource du plus grand Bonheur qu’on puiffe trouver dans cette Vie. Ce devouement univerfel procurera non feulement la Tranquillité ; mais PAmour y répandraune douceur,que le Stoïcien ne connoïtpoint. Celui-ci toujours occupé de lui-même, ne penfe qu’à fe mettre à l'abri des Maux: pour celui-là il n’eft plus de Maux à craindre. Tout ce qui peut nous arriver de facheux dans l’état naturel, vient ou de caufes purement phyfiques, ou de la part des autres Hommes. Et quoiqu'on püt réduire ces deux genres d’Accidens à un feul Principe, le Stoïcien & le Chrétien les ont confiderés fous des afpects différens, dans la Pratique de leur Morale, & ont cher- ché différents motifs pour les fupporter. ‘Le Stoïcien prend les Accidens phyfiques pour des arrets du De- ftin, auxquels il doit fe foumettre, parce qu’il feroit inutile d’y refifter. Dans le Mal que lui font les Hommes il n'eft frappé que du défaut de Ddd 3 leur 308 ESS A leur jugement. Il les regarde comme desbrutes, & ne veut pas cro- ire que de tels Hommes puiflent l’offenfer. Un Deftin infléxible: des Hommes infenfés: voilà tout ce qu'il voit: c’eft dans ces circonftances qu'il doit régler fa conduite. Mais fon état peut-il être tranquille ? Les Maux en font-ils moins cruels, parce qu’ils font fans remede? Les coups en font-ils moins fenfbles, parce qu’ils partent d’une main qu'on méprile. Le Chrétien envifäge les chofes bien différemment. Le De- {tin eft une Chimere: un Etre infiniment bon régle tout; & a tout ordonné pour fon plus grand Bien. Quelque chofe qu'il lui arrive, il ne fe foumet point, parce qu’il feroit inutile de réfifter: il fe fou- met, parce qu'il applaudit aux decrets de la Providence ; parce qu'il en connoit la luftice & la Bonté. Il ne méprife point les Hommes pour s'empêcher des les haïr: il les refpette comme l'ouv- rage de Dieu, & les aime comme fes fréres. 11 les aime lorfqu’ils l'offenfent, parce que tout le Mal qu'ils peuvent lui faire, n’eft rien au prix de raifons qu’il a pour les aimer. Autant que les Motifs du Stoïcien répandent de trifteffe fur fa Vie, autant ceux du Chrétien rempliffent la fienne de douceur: il aime, il adore, il benit fans cefe. Jupiter € Deflin, faites moi faire ce que vous avez ordonné: car fi jy voulois manquer, je deviendrois criminel; € il le faudroit bien faire pourtant. * I fufiit de comparer cette priere avec celle du Chrétien, pour connoitre la différence qui eft entre ces deux Phi- lofophies. Quant aux Biens que le Stoïcifme & le Chriftianifime promet- tent; comment pourroit-on les comparer ? L’un borne tous fes avantages à la Vie préfente : l’autre, outre ces mêmes avantages qu'il procure bien plus sûrement, en fait efperer d'autres, devant lefquels ceux-ci ne font rien. Le Stoicien & le Chrètien doivent être toujours prets à quitter la Vie: mais le premier la quitte pour retomber dans le Néant, ou pour fe perdre dans l’'Abime des Etres; le fecond, pour commencer une nouvelle Vie éternellement heureule. Tous les Biens que promet la Philofophie Stoïcienne fe réduiffent à un peu de repos pendant une vie trés courte, mais un tel repos * Epiét. Man. $. L. vaut Lé DE PHILOSOPHIE MORALE. 399 vaut-il ce-qu’il en coute pour y parvenir? Oui, dans la fuppoñition d’une deftruction totale, ou d’un avenir, tel que l'avenir des Stoïciens, celui qui d’un feul coup s’affranchit de tous les Maux de la Vie, eft plus fage que'celuiqui fe confume en efforts pour parvenir à ne rien fentir. Après avoir examiné les Principes du Stoicien, & ceux du Chré- tien, en tant qu’ils fe rapportent immediatement au Bonheur de ce- lui qui les fuit: confiderons les maintenant fous un autre afpect; par rapport au Bonheur de la Societé en général. Si l’on n’avoit pas fenti toute la différence qui eft entre les deux Morales: fi l'on avoit pû les confondre, en les confiderant dans cha- que Individu; c’eft ici qu’elles laiffent voir la diflance immenfe qui eft entre elles. Quand le Stoïcien feroit parvenu à être heureux, ou inpañfible, on peut dire qu'il n’auroit acquis fon Bonheur, ou fon repos, qu'aux dépens des autres Hommes, ou du moins en leur refufant tous fes fecours. Peur’importe, dit le grand Docteur de cette Secte, que ton valet foir vicieux, pourvé que tu conferves ta Tranquillire. * Quelle difiérence entre cette difpoñtion de Coeur, & les fentimens d'Humanité & de Tendreffe que le Chrétien a pour tous les Hom- mes: occupé fans ceffe du foin de leur étre utile, il ne craint, ni fatigues, ni perils: il traverfe les mers; il s’expofe aux plus cruels fupplices, pour rendre heureux des Hommes qu’il n’a jamais vüs. Q'on fe repréfente deux Iles, l’une remplie de parfaits Stoïciens, l’autre de parfaits Chrétiens. Dans l’une, chaque Philofophe, igno- rant les douceurs de la Confiance & de l'Amitié, ne penfe qu'à fe fequeftrer des autres Hommes: il a calculé ce qu’il en pouvoit at- tendre ; les avantages qu’ils pouvoient lui procurer & les torts qu'ils pouvoient lui faire ; & a rompu tout commerce avec eux. Nouveau Diogenes il fait confifter fa perfection à occuper un ton- neau plus étroit que celui de fon voifin. Mais quelle Harmonie vous trouverez dans l’autre Ile! Des be- foins qu'une vaine Philofophie ne fauroit diffimuler, toujours fecou- rus par la Juftice & la Charité, ont lié tous ces Hommes les uns aux autres. Chacun heureux du Bonheur d'autrui, fe trouve heu- reux encore des fecours que dans fes Malheurs il lui prête. * Epi@. Man, Ch. XI. CHA- 400 ESAS. AY ete et ren 4e 4H Ge #4 4 OH 4 HS 4 ER 44 6 #4 64 4 CEA PL TL, RH LI REFLEXIONS SUR LA RELIGION. N°: n'avons confideré jufqu’ici le Chriftianifme que comme un Syfteme de Philofophie. Il eft certain qu’il contient les vrayes régles du Bonheur. Et s’il n’y avoit que la Morale de l'Evangile à établir, il n’y a aucun Homme raifonnable qui refufât de s’y foumet- tre. Il n’eft pas néceffaire de regarder le Chriftianifme comme Divin, pour le fuivre quant aux régles pratiques qu'il enfeigne; il fufft de vouloir étreheureux, & de raifonner jufte. Mais le Chriftianifme n’eft pas feulement un Syfieme de Philo- fophie, c’eft une Religion, & cette Religion qui nous prefcrit des régles de conduite, dont notre Efprit découvre fi facilement lex- cellence, nous propole des dogmes de fpéculation, qu’il ne fçau- roit comprendre. C’eft fous ce nouvel afpe que nous allons confiderer le Chri- ftianifme. Nous venons de voir l'avantage qu’on trouve à prati- quer fes préceptes; voyons les raifons, qui peuvent nous porter à recevoir fes Dogmes. | Ces Dogmes, fi on les envifage feparés, & indépendans du Sy- fteme entier de la Religion, ne fauroient que révolter notre Efprit. Ce font des propoñitions éloignées de toutes nos connoiflances, des Myfteres incompréhenfibles pour nous. Nous ne faurions donc les admettre, que comme revelés, & für la foi de la Divinité même. En les confderant de la forte, on trouve bien des difficultés. Toutes les Religions ont leurs Dogmes: & toutes donnent ces Dog- mes pour des Verités revelées. Pour établir les preuves de la Révelation, on cite les Miracles: toutes les Religions encore citent les leurs. Ce font là les points principaux, fur lefquels les incredules fon- dent leurs objections: Et ce n'eft pas une petite entreprile que de leur faire voir la différence qui fe trouve entre la Révelation des Chrétiens, & celle des autres Peuples. Un avantage qu'a la Religion Chrétienne, & dont aucune autre fe peut fe vanter, c’eft d’avoir été annoncée un grand nombre de Siecles avant DE PHILOSOPHIE MORALE. 401 vant qu’on la vit éclorre, dans uneReligion qui conferve encore ces témoignages quoiqu’elle foit devenuë fa plus cruelle ennemie. De grands Hommes femblent avoir dit fur cette matiere tout ce qu'on pouvoit dire de plus fort. M’en rapportant fur cela à eux; je me propofe feulement ici quelques confderations nouvelles. Je refpecte le zele de ceux, qui croyent pouvoir par la feule force de leurs argumens, convaincre l’incredule, & démontrer à la ri- gueur la Verité du Chriftianifme : mais je ne fai fi l'entreprife eft poflble. Cette conviction étant le Pas décifif vers le Salut, il femble qu'il foit néceffaire que la Grace & la Volonté y ayent part. Cependant, quoique la Lumiere de notre raifon ne puiffe peut- être pas nous conduire à des démonitrations rigoureufes, il ne faut pas croire qu'il n'y ait que ce genre de Preuves qui {oit en droit d’aflujettir nos Efprits. Si la Religion étoit rigoureufement démontrable tout le Monde feroit Chrétien, & ne pourroit pas ne le pas être. On acquiece- roit aux Verités du Chriftianifme, comme on acquiefce aux Verités de la Géométrie ; qu'on reçoit, parce qu’on les voit ou dans leur évidence, ou dans le témoignage univerfel des Géométres. Il n’y a perlonne, parmi ceux-mémes qui ne font pas capables de fuivre les démonftrations, qui ait le moindre doute fur la Verité des Propofitions d’Euclide: c’eft que le confentement de tous les Hommes fur une chofe qu’ils ontexaminée, fait une Probabilité infinie que celui qui l’examinera, latrouveratelle qu'ils l’onttrouvée. Etune telle Probabilité eftpour nous une Démonftration rigoureule. Je dis auffi: Que fi l’incredule avoit des armes viétorieufes contre les Dogmes du Chriftianifine; fi ces Dogmes étoient tels qu'on en püt démontrer l'Impoffbilité: je dis que perfonne ne {eroit Chrétien, ni ne pourroit l'être. Ces deux Propolitions font des fuites néceffaires de l’ empire de l'évidence, qui captive entierement notre Liberté, Je n’examine point ici ce que difent queiques uns: Qu'il y a des Hommes, qui perluadés au fond du Cocur de la Verité de la Reli- gion, la démentent par leurs actions: le cas eft impoñfible. Cependant en dilant que l'Impie ne fauroit trouver de contra- diction dans nos Dogmes ; & que le Chrétien n’en fauroit démontrer Oeuv. de Maupert. Ece rigou- 402% ESSATY rigoureufement la Verité: à Dieu ne plaife qu'on croye que je re- garde le Probléme, comme égal pour lun & pour l'autre. Si le dernier degré d’Evidence nous manque, nous avons des preuves affez fortes pour nous perfuader. La Verité de la Religion a fans doute le degré de clarté qu'elle doit avoir pour laiffer l’ufage néceffaire à notre Volonté. Si la Raïlon la démontroit à la rigueur, nous ferions invinciblement for- cés à la croire, -& notre Foy feroit purement pañfive. Le grand argument des Efprits forts contre nous eft fondé fur lim- poffbilité de nos Dogmes: Et en effet, fices Dogmes étoient impoffi- bles, la Religion qui ordonne de les croire, féroit détruite. Quelque captieux qu'ayent été fur ce point les raifonnemens de quelques incre- dules ,ceux qui liront les réponfes qui y ont été faites par des Hommes bien fupérieurs * verrontcombien tous ces raifonnemens font frivoles. Jamais on ne fera voir d’Impoffibilité dans les Dogmes que la Reli- gion Chrétienne enfeigne. Ils paroïffent obicurs, & ils doivent le pa- roitre. SiDieuareveléaux Honimes quelque chofe des grands fecrets, fur lefquels il a formé fon plan, ces fecrets doivent être pour nous in- compréhenfibles. Le degré de clarté dépend de la Proportion entre les Idées de celui quiparle, & les Idées de celui qui écoute: & quelle Disproportion, quelle Incommenfürabilité ne fe trouve-t-il point ici? Je dis plus: Si quelqu'un des Ecrivains Sacrés eût été tellement infpiré, qu'au lieu de nous donner quelques Dogmes detachés, il nous eût déduit ces Dogmes, de leur dépendance avec le Plan gé- néral de la Divinité: il n’y a nulle apparence que nous y euflions pu rien comprendre. Les Principes dont il eût fallu partir, étoient trop elevés; la chaine des Propofitions étoit trop longue; on ne peut guères douter que des Idées d'Ordres tout à fait différents de celles que nous pouvons avoir, n’entraffent dans ce plan. Pouvoit-6n croire que le Syfteme général que Dieu à fuivi; dans lequel non feulement le Phyfique, le Moral, le Meraphy/ique, font com- binés; mais dans lequel fans doute entrent encore bien d’autres Ordres, pour lefquels nous n’avons ni Termes, ni Idées; pouvoit-on, dis-je, croire qu'un tel Syfteme füt à la portée des Hommes? quand on voit ce qu'il leur en coute pourconnoître quelque petite partie du Syfleme du” * Leibnitz. Malebranche Sc. Monde ; É î e - - DE PHILOSOPHIE MORALE. 403 Monde Phyfique: combien peu d'Efprits font capables d’y parvenir; & combien il eft douteux que les plus fçavans y foient parvenus. L’expofition du Plan général auroit donc été inutile aux Hom- mes. Ilétoit fans doute nécefaire qu’ils en connuffent quelques points: mais la vûe de leur connexion avec le Tout étoit impoffi- ble. Et il falloit que par quelque Principe qui fût à leur portée, ils fe foumiffent à ce que leur Elprit ne pouvoit comprendre. Qu'on ne croye pas que nos Dogmes ayent ici le moindre defa- vantage : ni que d’autres Religions, ni d’autres Sectes de Philofophie, donnent des réponies plus fätisfaifantes fur toutes le grandes que- ftions qu’on peut leur faire. Il fufit pour connoître leur Impuiffance, de jetter la vûüe fur les Syftemes que les plus grands Philofophes de l'Antiquité, ou que ceux de nos jours qui fe font piqués de s'être le plus aflranchis de préjugés, ont propofés. Une Divinité répanduë dans la Matiere , _un Univers Dieu : unmême Etre dans lequel fe trouvent toutes les Perfections & tous les Défauts, toutes les Vertus & tous les Vices: fufceptible de mille Modifications oppolées, eft- il plus facile à concevoir que le Dieu du Chrétien? Un Etre pen- fant, qui {e diffipe, ou s’anéantit à la Mort, fe conçoit-il mieux qu'un Etre fimple qui fubfifte & conferve fa Nature, malgré la fépa- ration des parties du Corps qu’il animoit? Une fuite fans commen- cement d’Hommes & d'Animaux ; ou une production d’Etres or- ganifés par la rencontre fortuite des Atomes, eft-elle plus croyable que PHiftoire de la Genefe? Je ne parle point des Fables que les au- tres ont imaginées pour expliquer la formation de l'Univers. De tous cotés on netrouvera qu'ablurdités. Et plus on y penfera, plus on fera forcé d’avouér, que Dieu, la Nature & l'Homme, font des Objets qui paflent toutes nos Idées & toutes les forces de notre Elprit. ® Ne pouvant admettre pour juge für ces: matieres une Raifon fi peu capable de les comprendre; n’y a-t-il donc point quelque autre moyen par lequel nous puiffions découvrir la Verité? Si l’on refléchit attentivement fur ce que les plus grands Phi- lofophes de tous les tems, & de toutes les Sectes, qui ont fait de la recherche du Bonheur, leur principale étude, ont man- qué leur but: & que les vrayes régles pour y parvenir nous ont été données par des Hommes fimples & fäns fcience: on ne pour- Eec 2 ra 404 ESSAY DE PHILOSOPHIE MORALE. ra s'empêcher d’être frappé d’étonnement; & de foupçonner du moins, qu'un plus grand Maitre que tous ces Philofophes avoit revelé ces régles à ceux de qui nous les tenons. Mais voici un argument qui me paroit plus dire & plus fort. S'il y a un Dieu qui prenne foin des chofes d'ici bas: s'il y a des Verités que tous les Hommes doivent recevoir, & fur lefquelles la lumiere naturelle ne puifle immediatement les in- ftruire : il faut qu’ils y puiflent parvenir par quelqw’autre voye. Il eft un Principe dans la Nature, plus univer{el encore que ce qu’on appelle la Lumiere naturelle ; plus uniforme encore pour tous les-Hommes; aufli préfent au plus ftupide qu’au plus fubtil, C’eft le Defir d’être heureux. Sera -ce un Paradoxe de dire: que c’eft de ce Principe que nous devons tirer les régles de conduite que nous devons obferver ; & que c’eft par lui que nous devons reconnoitre les Verités qu’il faut croire? Voici la connexion qui eft entre ces chofes. Si je veux m’inftruire fur la Nature de Dieu; für ma propre Nature; fur l'Origine du Monde; fur {à Fin; ma Raïlon eft con- fonduëé: & toutes les Sectes me laiflent dans la même obfcurité. Dans cette égalité de ténebres, dans cette nuit profonde, fi je rencontre le Syfteme qui eft le feul qui puifle remplir le Defir que j'ai d’être heureux, ne dois-je pas à cela le reconnoïtre pour le véritable? Ne dois-je pas croire que celui qui me conduit au Bonheur, eft celui qui ne fçauroit me tromper? C’eft une erreur, c'’eft un Fanatifine, de croire que les mo- yens doivent étre oppolës, ou différens, pour parvenir à un mé- me but, dans cette Vie, & dans une autre Vie qui la fuivra: que pour être éternellement heureux, il faille commencer par s’ac- cabler de trifteffe & d’amertume. C’eft une Impieté de penfer que la Divinité nous ait detournés du vrai Bonheur, en nous offrant un Bonheur qui lui étoit incompatible. Tout ce qu'il faut faire dans certe Vie pour y trouver le plus grand Bonbeur dont notre Nature fit capable, eff Jans doute cela même qui doit nous conduire au Bonheur éternel. F RM à : Imprimé à Leipfic, chez Tean Gortlob Immanuel Breitkopf, 1752.