À: LC We " MANN CHENE DLRIOQUU mas re en nn TR RE RATES tre à nee be LCR Ra RO CD ET ÉD mm oo mo om tu omomneerne mg gp le de à TS Ts ur Gras Ph ts cons LT SAUTUTS Do ONDES DE D Ta s LAC ED TE mr IN RE ES 1 Rae 23 mp ne EE à TU RE Er Gres Pre dore ins LT SANT AUTES De CENTENAIRE DE LA FONDATION DU MUSEUM D'HISTOIRE NATURELLE 10 JUIN 1793 —10 JUIN 1895 L- 7 Le Sn S N ? ! Fe L \ | | a“ S USE UM à, |S \O\ NN EU RE Les: P22È Fe CENTENAIRE DE LA FONDATION DU MUSEUM D'HISTOIRE NATURELLE 10 JUIN 1793-10 JUIN 1893 DC VOLUME COMMÉMORATIF PUBLIÉ PAR LES PROFESSEURS DU MUSÉUM PARIS & IMPRIMERIE NATIONALE M DCCC XCIII LIBRARN SEP 4 e57\ eZ MUSÉUM D'HISTOIRE NATURELLE. LISTE DES PROFESSEURS. — 1793-1893. Minéralogie. — 10 juin 1793. 1793. — L.-J.-M. Dausenron. 1800. -— T. Grarer ne Docoureu. SD RE MAY 1822. —— Al. Browenrarr. Chimie générale. — 10 juin 1793. 1793. — A.-F. Fourcror. 1810. — A. Laucrer. TSID AN TEL Car Lussié Arts chimiques. — 10 juin 1793. O3" AL BRONENTART. 1804. — L.-N. VauQueuin. 1830. E. Cuevreus. Botanique au Muséum. [0 juin 17957 1793. — R.-L. Desronraines. 1833. — Ad. BroxGniarr. 1847. — À. Durrévory. 1857. —— G. Decarosse. 1876. — O. Learanp pes CLoizEaux. 1893. —— À. Lacnorx. Chimie appliquée aux corps inorganiques. DL AOULMIS 00 1850. 1892. — Chaire supprimée. E. Freuy. Chimie appliquée aux corps organiques. — 31 août 1850. 1850. — KE. Caevreur. 1889. — A. ArNaAuD. Botanique et physiologie végétale. 28 mars 1897. 1859. — Ad. BronGnrarr. Botanique, organographie et physiologie végétale. — 23 janvier 187. 1874. — Ad. Broncwrarr. 1879. — P.-E:-L. Van Trecarx. IV MUSÉUM D'HISTOIRE NATURELLE. Botanique dans la campagne. Botanique. Classifications et familles 10 juin 1793. naturelles. — 25 janvier 1874. 1793 AT DEANussreu. 1874. — Ed. Bureau. 1826. — Adr. pe Jussreu. 1853. — Chaire supprimce. Culture. — 10 juin 1795. 1793. — A. Tao. 1850. — J. Drcaiswe. 1825. — P. Bosc D'Anric. LS SUEEAME Connu. 1828. — C.-F. Brisseau pe Mines. Zoologie des Quadrupèdes, Cétacés, Reptiles, Oiseaux, Poissons. 10 juin 1793. 1793. — KE. Grorrroy SainrT-Hrraires. Histoire naturelle des Mammifères Histoire naturelle des Reptiles et des Oiseaux.— 1 1 décembre 179. | etdes Poissons.— 1 1 décembre 1 794. 1794. — KE. Grorrroy SarnT-HiLarRE. 1794. — B.-G.-E. pe La Vicce De LAcéPÈDE. 1841. — [. Georrrov Sainr-Hiraie. 1825. — CDouérir. 1862. — H.-Mreve Enwarns. 1857. — A. Duuérrr. 1876. — A. Mrive-Epwanps. LT TL NAMILLANT. Zoologie des Insectes, des Vers, des Animaux microscopiques, etc. 10 jum 1793. 1793. — J.-B. pe Moner De Lamarc. Histoire naturelle des Crustacés, des Histoire naturelle des Mollusques, des Arachnides et des Insectes. — Vers et des Zoophytes. — 7 février 7 février 1830. 1830. 1830. — P.-A. Larreince. 1830. — D. pe Brcarnvice. 1833. — V. Auroun. 1832. — A. VALENCIENNES: 1841. — H.-Miine Enwarps. 1865. — H pe Lacaze-Duruiers. 1862. — Ém. Bravcnann. 1869. — G.-P. Desnayes. 1876. — KE. Perrier. LISTE DES PROFESSEURS. v Anatomie humaine. — [0 juin 1793. Anatomie et histoire naturelle 1109 A pre de l'homme. — 3 décembre 1838. 1832. — P. Frourens. 1839. — E.-R.-A. SERRES. Anthropologie. — 1855. Cette chaire remplace celle d'anatomie et d'histoire naturelle de l’homme. 1855. — A. De QUuATREFAGES. | 1892. — E.-T. Eauy. Anatomie des animaux. ) - Anatomie comparée. 10 juin 1795. 16 octobre 1802. 1793. — Merrrur. 1802. — G. Cuvrer. 1832. — D. ne BLAINVILLE. 1850. — G.-L. Duvernoy. 1855. — E.-R.-A. Serres. 1868. — P. Gervais. On CrPoucare Géologie. — 10 juin 1793. 1793. — B. Fausas De Sainr-Fonp. 1861. — A. Daugrée. VS1O =" P-L-A Corner 1892. — St. Meunrer. Iconographie. — 10 juin 1793. 1793. — G. Van SPAENDoONCKk. Par ordonnance du 24 juillet 1822, il a été substitué à cette chaire DEUX EMPLOIS DE MAÎTRES DE DESSIN. Dessin des plantes. Dessin des animaux. 1323. — P.-J. Repouré. 18232 A ver: 1841. — P. Lesourp-BEAuREGAR»D. STEAM HA7ZATE 1886. — A. Facuer. 1854" AL. DARxE. IST MR REMLET. vI MUSÉUM D'HISTOIRE NATURELLE. Physiologie comparée. | Physiologie générale. 24 décembre 1837. 12 décembre 1868. 1837. — K. Cuvrer. 1868. — Claude Bervarp. 1838. — P. Frourexs. 1879. —— Ch. Roucer. (DR ne Physique appliquée à l'histoire naturelle. — 24 juillet 1838. 1838. — A.-C. Becquerer. 1892. — H. Becquerer. 1878. — E. Becouerer. Paléontologie. — 5 juillet 1853. 1853. — A. D'OrBIGNY. 1869. — E. Larrer. 1861. — À. n'Arcurac. 1872. — À. Gaupry. Physique végétale. — A mars 1857. OT (ÉNno Pathologie comparée. —— 30 décembre 1879. 1879. —— H. Bouzer. | 1886. — J.-B.-A. Cnauvrac. Physiologie végétale. — 10 janvier 1 880. 1880. — P.-P. Denféraix. LISTE DES PROFESSEURS EN 1893. IDR ARR MM. À. Minxe-Enwarps. Directeur honoraire... .. E. Fremy. AERECURS CO OPEE A. Gaupry. D ARATOROSS 19 aie TOI E.-T. Hawy. PROFESSEURS. MIMPRARNAUD (AN). dec Lee Chimie appliquée aux corps organiques. BRCOUEREL (He). Physique appliquée à l'histoire naturelle. Brancnann (Dm)... 0... Zoologie. Crustacés, Arachnides et Insectes. BR PAG) ER eee cs see Botanique. Classifications et familles naturelles. Caauveau (J.-B.-A.)........... Pathologie comparée. CORNEAIME NE CE. . Li... Culture. DenéRain (PP)... Physiologie végétale. GAUDAR (A). Re. Paléontologie. AE ES ESS Je Anthropologie. ÉAGROrs (A)... 0. 0. Minéralogie. MEUNTERNS TE) Le 0. Géologie. Muxe-Enwanps (A.).#........ Zoologie. Mammifères et Oiseaux. PERRIER (He) ee Zoologie. Mollusques, Vers et Zoophytes. Poucaen (Or) cc Anatomie comparée. Narnia rte Zoologie. Reptiles et Poissons. Van Trecneu (P.-E.-L.)........ Botanique. Organographie et physiologie. Varal((Es)S4e - : cp 00e Physique végétale. 0 nie Sie pe nel © Physiologie générale. PROFESSEURS HONORAIRES. MM. E. Freuy. MM. O. Lecranp pes CLoIzEAUX. À. Dausrée. Ch. Roucer. LES DERNIERS JOURS DU JARDIN DU ROI ET LA FONDATION DU MUSÉUM D'HISTOIRE NATURELLE PAR LE D'° E.-T. HAMY MEMBRE DE L'INSTITUT, PROFESSEUR D’ANTIIROPOLOGIE AU MUSÉUM , ETC. LES DERNIERS JOURS DUÙU JARDIN DU ROI ET LA FONDATION DU MUSÉUM D'HISTOIRE NATURELLE. La mort de Buffon (16 avril 1788 ()) laissait dans une situation cri- tique le grand établissement quil avait administré pendant pres de Cin- quante années ”. L'illustre intendant du Jardin et des Cabinets du Roi avait concentré dans ses mains les pouvoirs les plus variés et les plus étendus. Non seu- lement 1l tenait, comme ses prédécesseurs, le personnel de l'établisse- ment entiérement à sa discrétion, mais il usait des crédits qui lui étaient alloués avec une tres large indépendance. Grâce à la renommée univer- selle quil s'était acquise à la fois dans les sciences et dans les lettres, Buffon entretenait avec les hommes qui se succédaient aux affaires ) des relations assez faciles pour quil lui fût possible d'agir à peu près comme il le voulait au Jardin du Roi. Habilement secondé par Thon, le Voir l'acte de décès de Buffon publié à la fin du tome IT de sa Correspondance (Correspondance inédite de Buffon, à laquelle ont été réunies les lettres publiées jusqu'à ce jour, recueillie et annotée par M. Henri Nadault de Buflon, son arrière-petit-neveu; Paris, Hachette, 1860, 2 vol. in-8°; €. IT, p. 615). ®) Sa nomination est datée du 26 juillet 1739 (Arch. nat., 0183, fol. 260). 3) Voir sur les relations de Buffon avec les ministres Maurepas, Phelyppeaux, Breteuil, Necker, le contrôleur général des finances B. de Clagny, le premier commis des finances Dufresne, le premier commis de la Maison du Roi La Chapelle, etc., Correspondance inédite (t. T, p. 34, 38, 1692, 297, ete.; LE ne QE RENE OSEO Ciec)h (1) «M. de Buffon, dit Condorcet non sans quelque ironie, avoit eu le soin constant d'acquérir et de conserver du crédit auprès des ministres et de ceux qui, chargés par eux des détails, ont sur la décision et l'expé- 1. { M. E.-T. HAMY. jardinier en chef, et par Verniquet, l'architecte, 1l achetait ou échangeait des terrains ou des maisons, les entourait de grilles qu'il fabriquait lui- même dans ses forges de Bourgogne, creusait 1c1, terrassait plus loin, abattait des murs, élevait de nouvelles constructions. Bref il menait tout presque sans contrôle et dépensait l'argent qu'il avait et celui qu'il n'avait pas, faisant chaque année à l'État des avances considérables, qu'il re- couvrait ensuite, comme il le pouvait, sur la Trésorerie, et laissant dé- mesurément grossir les notes impayées de ses entrepreneurs. Il avait ainsi engagé plus où moins irrégulièrement des sommes considérables. Le compte de liquidation du Jardin du Roi arrêté par le Comité des finances de l'Assemblée nationale, moins de deux ans après son décès, s'élevait au chiffre relativement énorme de 606,026 livres 16 sous et 6 deniers. Il était dû, sur ce compte, «à M. de Buffon fils, pour avances faites par M. son père, suivant les mémoires et pièces justificatives, 121,991 livres g sous», plus 12,800 livres pour intérêts « d'une maison prise pour le Jardin du Roi». Le reste était en majeure partie composé de notes de travaux non soldés. On devait 125,000 livres au charpentier, 111,000 livres au serrurier, 35,000 livres au menuisier, 23,000 bvres au paveur, 20,000 livres au plombier, 19,000 livres au vitrier, autant au poëlier, 9,000 livres au couvreur, ete. ®. Et, malgré toutes ces dépenses, le Cabinet, trois fois remanié depuis trente ans, demeurait inachevé, l'amphithéâtre sortait à peine de terre, la grande serre chaude était seu- lement commencée et une partie des autres serres étaient à reconstruire. [l'aurait fallu, pour reprendre et poursuivre au milieu de difficultés sans égales l'œuvre si malheureusement interrompue, un homme Jouis- sant, comme celui que l'on venait de perdre, d'une grande autorité seien- dition des affaires une influence inévitable. Il se concilioit les uns en ne se permettant jamais d'avancer des opinions qui pussent les blesser, en ne paroissant point prétendre à les juger; 1l s’assuroit des autres en em- ployant avec eux un ton d'égalité qui les flat- toit et en se dépouillant de la supériorité que sa gloire etses talents pouvoient lui donner» (Éloge de M. le comte de Buffon, ete., Hist. de l’'Acad. royale des sciences, 1788, p. 706). 0) Lebrun, Rapport du Comité des finances. — Arriéré des dépenses du Jardin du Roi, pl. in-8° de 2 pages, s. L. n. d. — J'ai repro- duit cette plaquette à la fin de mon travail (pièces justificatives, n° 4, p. 79). @) Voir Corresp. inéd., LIT, p. 240, 51. LES DERNIERS JOURS DU JARDIN DU ROI. s üfique, qui lui permit de continuer les relations utiles nouées de toutes parts en faveur de l'établissement et d'en imposer en même temps à un personnel, au sein duquel commencaient à se manifester de graves symp- tômes de mécontentement qui allaient bientôt éclater. I fallait, en outre, au successeur de Buflon, le crédit solide que possédait celui-ci à la Cour et dans les bureaux, pour obtenir, malgré la crise financière, le rèple- ment définitif des comptes demeurés en souffrance et Les crédits indis- pensables à l'achèvement des derniers travaux. Or, pendant la grave maladie qui avait failli enlever Buffon, dix-sept années auparavant (16 février 1771), un fort avide personnage, qui cumulait déja de nombreuses charges à la fois honorifiques et lucratives, Charles-Claude de Flahault, comte de la Billarderie d’Angiviller, s'était fait attribuer par le roi Louis XV" la survivance de la place d'intendant des Jardins et des Cabinets). C'était un courtisan de première importance. Gentilhomme de la manche des Enfants de France, et attaché par suite à l'éducation du jeune dauphin, 1l avait gagné sa confiance et son affection : directeur et ordon- nateur général des bâtiments, jardins, arts, académies, manufactures royales, ete., 1l avait souvent l'occasion d'entretenir le Roi. Et il avait profité de l'influence acquise ainsi tout à la fois sur son élève et sur son maitre pour ajouter aux nombreuses fonctions qu'il possédait déjà celle du grand Buffon. Quoiqu'il fût de l'Académie des sciences, ses titres scientifiques étaient d'ailleurs à peu près nuls. Toutefois 1l s'était fait à grands frais un riche cabinet de minéralogie, offert plus tard au Cabinet du Roi (1780). 0 Voir plus loin, pièce n° 1, p. 71. monde» (Correspond. inéd., {. [, p. ho). ® Noir Correspondance inédite, 1. 1, p. 388 etsuiv., Lo etsuiv., Ahh-4AG;t. IT, p. 596. 5) TT avait obtenu de même la survivance à la charge de conseiller d'État , dont le comte de Vergennes était le titulaire et qu'il pos- séda effectivement après la mort de celui-ci. [1 convenait aisément n'avoir + que les connoissances superficielles d’un homme du La pièce officielle qui donne la survivance au comte d’Angiviller parle néanmoins des “connoissances multiphiées qu'il a acquises par un travail assidu et pénible, dans toutes les sciences qui ont rapport à la physique et à l'histoire naturelle». (CF. Arch. nat., O0! 116", p. 1052.) Voilà bien l’eau bénite de cour! 6 M. E.-T. HAMY. Mais si d'Angiviller n'était pas comme Buffon un grand naturaliste et un grand écrivain, 1l possédait assez d'influence à la Cour, assez d'action dans les bureaux, assez d'autorité sur les hommes de science, fonction- nares du Jardin du Roi, pour pouvoir reprendre et mener à bon terme l'œuvre inachevée de son célèbre prédécesseur. Mais les temps étaient bien changés depuis 1771. La crise financière atteignait son comble, la banqueroute semblait imminente, et un nouveau cumul, après tant d'autres, n'aurait peut-être pas été tout à fait sans dan- ger pour le bénéficiaire, I devait craindre, en effet, d'appeler de trop près l'attention publique sur la situation exceptionnelle qu'il avait su se créer à la Cour, et les graves accusations dont il fut l'objet, deux ans après, à l'Assemblée nationale expliquent son besoin d'éviter un scandale, que n'aurait pas manqué de faire le nouveau cumul qu'il s'était ainsi ménapé. Déclinant pour lui-même le don que Louis AV Tui avait fait jadis, le comte d'Angiviller aurait dû, suivant des conventions passées avec l'illustre mort, appeler son fils, Georges-Louis-Marie Leclerc, comte de Buffon, alors âgé de vingt-huit ans et major en second au régiment d'Angou- mois, à occuper la charge à laquelle les circonstances l'amenaient à renoncer lui-même, Buffon, en effet, à peine guéri de la cruelle maladie qui avait manqué l'emporter, avait été averti des démarches de d'Angiviller et s'était mon- tré fort affecté de leur réussite, qui contrariait tous les projets qu'il avait formés pour son fils. Des amis communs s'étaient entremis et avaient, L 2 r ] r . 5 ; à LS (1) 0 Il L ; it tr ÿ2 non sans peine, apalse son éplime COUTTOUX . UN IUI avall montre 4 Par exemple, Le Roy, le premier qu'il avoit pris en effet. M. d'Angiviller n'a commis de Versailles, lui écrivait que la combinaison qui lirritait si fort était le plus sûr moyen de conserver à son fils une place à laquelle il est destiné par son nom et le sera par son éducation. + Cette place. .... seroit passée en d'autres mains pour rester unie à une autre place à laquelle elle létoit autrefois ee I y avoit eu là-dessus des instances dont le Roi ne s’est débarrassé qu'en disant qu'il avoit pris l'engagement voulu de l'assurance qu'on lui a donnée qu'à condition qu'on mettroit sur la feuille que, dans le cas où M. votre fils se tourneroit du côté des sciences, il s'engageoit à lui faire obtenir et à lui laisser sa survivance. Il à plus de quarante ans, et, suivant le cours ordinaire, M. votre fils se trouvera dans le cas d'en jouir à l'âge où l'on peut confier les places d'administration.» Et L'Échevin, premier commis des bureaux de la Maison LES DERNIERS JOURS DU JARDIN DU ROI. 7 l'avenir de cet enfant sauvegardé par une combinaison qui lui permettail d'espérer, à son tour, la survivance du comte d'Angiviller, et celui-ci avait lui-même écrit une lettre dans laquelle il confirmait ses bonnes inten- tions), Puis le Roi l'avait fait comte de Buffon et avait pensionné son du Roi (30 août 1771) : « M. le Dauphin, d'après ce que lui a dit M. le duc d'Aumont, avoit fait de son vivant tout ce qui avoit dépendu de lui pour engager M. d'Angi- viller à demander cette survivance; il Sy est toujours refusé, parce que M. de Buffon avoit un fils; l'état où il a vu le père l’a seul déterminé à l’accepter pour la transmettre au fils; elle étoit perdue pour lui sans retour, l'une des brigues qui vouloient la réunion à la place de premier médecin l'auroit em- portée. .... M. de Buffon est trop juste et trop honnête pour vouloir exiger qu'il n'ait que l'air de passer dans cette place et qu'il ne l'ait occupée que pour servir de tuteur à son fils et la lui conserver sil avoit le malheur de perdre son père. Ce projet est dans le cœur de celui qui lui succédera; mais il ne faut pas lui en faire une loi dure qui lui ôteroit le mérite de son action, le dégoüteroit de la place, l'engageroit à s'en démettre, et elle seroit perdue pour le fils. Enfin que M. de Buffon réfléchisse qu'il est impossible que son fils puisse obtenir l'agrément de cette place avant vingt-cinq ans..... M. d'Angiviller sera dans vingt ans fort aise de trouver du repos et s’esti- mera heureux d’avoir le fils de son ami, qui sera tout pour lui. Que M. de Buffon s'occupe donc à mettre son fils en état de lui succéder, il en est capable à tous épards. Son père ne doit envisager la place desti- née à son fils que comme un avantage de plus; c’est un bien substitué dans sa fa- mille, et qui doit y rester tant qu'il y en aura de capables de la remplir aussi digne- mentique lui... 21 (1) Voiei cette lettre, datée du 1° mai dE: Lorsque M. le Dauphin pensa pour moi à celte place, je commençai par nv'y refuser pour deux raisons : la première, Monsieur, que vous aviez un fils qui devoit naturellement recueilhr le fruit de vos peines. On me répondit que l'âge de M. votre fils étoit un obstacle insurmontable:; qu'il falloit la grande majorité, parce qu'il y avoit des élats à signer, et que d'ailleurs il y avoit une sorte de supériorité sur les savans at- tachés au Cabinet et aux écoles, qui ne pouvoit pas être déposée entre les mains d’un jeune homme. Une seconde objection portoit sur moi-même. Je représentoi que n'étant point savant, que n'ayant que les connoissances superficielles d’un homme du monde, je n'élois pas fait pour la place, encore moins pour remplacer M. de Buffon : pas une place attachée aux sciences; que c’étoit on me répondit à cela que ce n'étoit uniquement une place d'administrateur, pour laquelle on vouloit un homme d'un état su- périeur à celui des savans ordinaires; que vous réunissiez ces avantages au mérite person- nel, et que c’éloit à ce titre que lon vous avoit placé la. .... Sur la promesse verbale du Roi, je demandoi que on mit sur la feuille que, si M. votre fils s’attachoit aux sciences, je lui ferois avoir la survivance de la place qui auroit été si dignement remplie par son père. Cette de- mande fut saisie par tout le monde, comme elle devoit l'être : c’est done, Monsieur, au bas de cet engagement qu'est le bon du Roi..... J'ai pensé que ce qui avoit l'apparence d’un tort fait à M. votre fils pouvoit prendre celle d'un avan- tage, vu les démarches vives de personnes puis- santes pour assurer cette place à des gens qui n'auroient pas eu le même intérêt que moi à m'honorer des mêmes engagemens, ou pour la 8 M. E.-T. HAMY. fils, et d'Angiviller avait commandé à Pajou la belle statue de marbre qu'on voit encore aujourd'hui dans une des salles de l'ancien Cabinet. Et Buffon s'était apaisé, et 1l avait, au moins en apparence, repris des rela- tions amicales avec le directeur des Bâtiments du Roi!), Toutefois, quinze jours avant de mourir”), 1l se résout à secouer toute cette hypocrisie, réunit autour de son lit quatre notaires auxquels 1l dicte une solennelle protestation contre l'acte du 11 décembre 1771, insistant en particuher, dans cet acte, sur ce que «ledit d'Angiviller a promis de remettre la place au fils dudit sieur Buffon au cas qu'il en soit dione». Et il ajoute : + Eh bien, aujourd'hui son père l'en trouve digne, et il espère des bontés de Sa Majesté qu'après cinquante ans de services, elle ne permettra pas que cette survivance tombe en d'autres mains que les siennes Ÿ.» Faujas de Saint-Fond, en qui Buffon a mis toute sa confiance, népocie avec le baron de Breteuil, ministre de la Maison du Roi. Il essaye de racheter la place à d'Angiviller qui repousse avec hauteur une telle proposition, et Buffon le jeune apprend, au chevet de son père qui va mourir, la substitution de survivance que médite le comte en faveur du marquis 4 J'ainé de sa famille. faire réunir à celle de premier médecin, ce qui avoit les mêmes suites fâcheuses pour vous. J'ai pensé que la différence d'âge entre M. votre fils el moi, qui ai quarante et un ans, étoit telie qu'elle lui assuroït dans l'ordre de la nature une jouissance assez prompte pour pouvoir balancer le risque de perdre à jamais une place à laquelle il auroit {ant de droits. J'étois empressé aussi de prendre vis-à-vis de vous-même des engage- mens pareils à ceux que j'ai pris vis-à-vis de moi, et J'ai vu que vous pourriez y prendre quelque confiance en pensant que l'engagement que j'ai contracté étoit volontaire et devoit être toujours ignoré de vous. ( Correspondance inédite, L. T, p. 406-107.) (D Correspondance inédite, 1. 1, p. 161, 162, etc. 2) Jbid., & IE, p. 596 et suiv. 5) Jbid., t. IT, P- 596-598. %) C'est le marquis lui-même qui an- nonce la chose au fils de Buffon : J'ai écrit hier à mon frère, Monsieur, comme je vous l'avois promis. N'ayant pas reçu sa ré- ponse, j'ai pris le parti d'aller ce matin à Ver- sailles. Je n'ai pu le voir que tard, et j'arrive ce soir à 11 heures. Je ne me suis pas trompé en vous prévenant de sa délicatesse sur ce qui est affaire d'argent : il ma dit qu'il ne s’étoit pas cru susceptible d’une pareille offre, et qu'il ne se pardonneroïit jamais s'il avoit été capable de balancer un instant à la refuser. Je m'y atten- dois d'autant plus que ma manière de penser est toute semblable. I m'a ajouté qu'il a déjà fait des démarches assez fortes pour obtenir que je lui fusse substitué, et qu'il ne pouvoit rien changer à ses dispositions. Quant à moi, Mon- sieur, ma tendre amitié pour votre père, et celle que Jai pour vous depuis votre enfance, vous assurent des soins que je me donnerai pour LES DERNIERS JOURS DU JARDIN DU ROL 9 Auguste-Charles-César de Flahault, marquis de la Billarderie, nommé le 18 avril 1788) aux fonctions d'intendant du Jardin royal des Plantes et des Cabinets d'histoire naturelle, était un vieillard de soixante-quatre ans”, marié à une toute Jeune femme qui devait s'acquérir plus tard, sous le nom d'un second époux, le diplomate portugais Don José Maria de Souza Botelho, une réputation littéraire. D'abord chevalier de Malte, plus tard maréchal de camp, le nouvel intendant n'était aucunement préparé à des fonctions que sa fortune fort médiocre lui faisait accepter avec empressement, et son ignorance ab- solue des sciences naturelles devait nécessairement inquiéter les hommes d'élite inopinément placés sous ses ordres. Les fragments retrouvés de sa correspondance, les pièces administra- lives qui le concernent, nous mettent en présence d’un homme de bonnes manières et d'une extrême politesse, mais sans esprit, sans caractère sur- tout, dissimulé autant qu'il est aimable et préoccupé par-dessus tout de ses petits intérêts personnels. Ce nest pas lui, hélas! quoi qu'en puisse dire Condorcet dans son ,, . . nu . . . . Eloge de Buffon, qui ürera l'établissement de la terrible crise qu'il tra- vous obtenir ma survivance, si nous avons le malheur de perdre M. votre père, et je compte assez sur votre amitié pour me flatter que, dans ce cas, vous me souhaiterez d'aussi longs jours que j'en désire à mon respectable ami. C'est au moins une Justice que vous rendrez aux senti- ments avec lesquels je suis, pour toute ma vie, Monsieur, votre très humble et très obéissant Ses La BiLLARDERIE. G@) Voir plus loin, sous le n° 2, p. 72, les Provisions d’intendant que nous avons co- piées sur l'original aux Archives nationales (0128 %p 60). @) II était né le 22 avril 1724 et avait épousé le 30 novembre 1779, à l'âge de cin- quante-cinq ans par conséquent, en l’église Saint-Jacques-du-Haut-Pas, Adélaïde-Marie- Émilie Filleul, née le 14 mai 1761, fille ca- dette de la belle M"° Filleul, l'amie de Bouret et de Marmontel (OEuvres complètes , Mémoires , liv. V et VIIT), alors âgée de moins de dix- huit ans et sortant du couvent. De ce mariage naquit, le 21 avril 1785, Auguste-Charles, comte de Flahault de la Billarderie, général de division sous l'Empire, ambassadeur de France à Londres de 18/49 à 1848, sénateur en 1853 et grand chancelier de la Légion d'honneur de 1864 à 1870, année où il est mort âgé de quatre-vingt-cinq ans. 6) Les appointements étaient de 12,000 livres et l'ancien logis de Buffon pouvait devenir celui de son successeur. (1) Condorcet exprime l'espoir que le Jardin n'aura plus à craindre ces vicissi- tudes de décadence et de renouvellement qui composent jusque-là son histoire, et 1l ajoute que æle zèle éclairé du successeur de M. de Buffon suflirait seul pour en ré- 2 IMPRIMERIE NATIONALE, 10 M. E.-T. HAMY. verse. [1 a cependant rencontré sur le seuil du Jardin du Roi un homme à la fois très actif et très intelligent, qui, par pur dévouement pour une institution devenue pour lui une petite patrie dans la grande, va con- sentir à se charger d'une partie notable des comptes de l'Intendance !. Cet homme est André Thouin. Né au Jardin le 10 février 1747, fils aîné d'un jardinier en chef qui avait servi dix-neuf ans sous Jussieu ®, jardinier en chef lui-même depuis la mort de son père G), 1l avait été linfatigable auxiliaire de Buffon dans la transformation du vieux Jardin du Roi, surveillant avec le plus grand soin les travaux de tout ordre qui se poursuivaient dans les terrains 4) et faisant peu à peu de l'établissement ainsi nouvellement annexés agrandi le premier Jardin d'expériences de toute l'Europe. Malgré quel- ques froissements pénibles, au moment surtout où l'Académie des sciences l'avait accueilli dans son sein), André Thouin était demeuré inébranla- blement fidèle à celui qui avait été son bienfaiteur et son maitre, et sil consentait à aider de son expérience le nouvel administrateur, c'est quil avait appris de la bouche même du fils de Buffon ® quil renonçait à o° et enfin il faut que la quittance que met l'en- trepreneur au bas du devis constate qu'il a été pondre à l'Académie et aux sciences » (Éloge de Buffon, etc., Hist. de l’Acad. royale des sciences, 1788, p. 79). 0) C'est André Thouin lui-même qui payé. Au moyen de cette forme que j'ai fait adopter à M. de la Billarderie, à la mort de . c re _ M. de Buffon, lorsque je me suis chargé de cette nous instruit de cette participation adminis- 3 : À ie ‘ es partie des dépenses, je crois être dans la route de trative dans ses notes au ministre Roland, ; ns la plus saine comptabilité. dont il sera question plus loin : (Arch. nat., F7, 1130.) Pour la partie des bâtiments, écrit-il, il est encore d'autres formalités qui assurent l'emploi ®) Jean-André Thouin, nommé le 18 juin des fonds et l'économie des dépenses. Il faut : 1° que lintendant juge de la nécessité de la ré- paration ou de la construction qui lui est pro- posée par le chef de la partie dans laquelle elle se trouve; 2° qu'après avoir reconnu sa néces- sité, il fasse faire par l'architecte le devis dé- taillé de la dépense que doit occasionner cette construction; 3° qu'au bas de ce devis se trouve la soumission de l'entrepreneur qui doit faire l'ouvrage; 4° que la besogne faite, elle soit re- çue par l'intendant, ce qu'il constate par son Vu bon pour être payé sur les fonds des bâtiments ; 1745, mort le 26 Janvier 1764. 6) [1 fut nommé le 28 janvier 1764, le surlendemain de la mort de son père. Il avait seulement dix-sept ans. ) Voir Correspondance inédite, &. I, p. 8h et suiv., 32, 361, 600, etc. 6) Cf. Mémoires secrets pour servi à l'his- toire de la République des Lettres en France, t. XXXI, p. 204. (6) Voici une lettre à M! Blesseau, la gouvernante de Buflon, dans laquelle André LES DERNIERS JOURS DU JARDIN DU RO. 11 contester les droits de ses adversaires. Il avait vu avec un vrai chagrin cette manière d'agir, conseillée surtout par le chevalier de Buflon, qui se serait contenté pour son neveu de la survivance du marquis de la Billarderie. et. consultant avant tout les intérêts immédiats de son cher jardin que l'incapacité du nouveau venu pouvait mettre en péril, 1 avait provisoirement assuré un certain concours à l'intendant®, sauf à inter- venir plus tard, quand cela deviendrait ulile, en faveur de réformes qu'il reconnaissait nécessaires. Thouin raconte sa dernière entrevue avec Buffon le fils : Au Jardin du Roi, le 28 mai 1788. Je suis très sensible, Mademoiselle, à votre souvenir, el je vous en remercie bien sincère- ment. Il y a plus d’un mois que j'avois le projet de vous écrire, et avec la meilleure volonté je n'en avois pas le courage; la plaie que mon cœur a éprouvée à la mort de M. de Buffon est bien loin d’être fermée. J’aurois bien voulu pouvoir n'éloigner comme vous d'un lieu où tout me rappelle les circonstances déchirantes de sa mort; mais ma présence éloit nécessaire ici sous plusieurs points de vue, et l'illustre ami que nous avons perdu, s'il pouvoit reparaitre, me sauroit peut-être quelque gré de ce que je souffre pour lui et par mon cœur, et par les injustices dont on l'accable, ainsi que moi. Mais lorsqu'on n'a absolument tort, il faut se conso- ler dans le témoignage de sa conscience, et le temps et la vérité ramènent ensuite la justice. C'est moins pour me plaindre, Mademoiselle, que pour vous instruire historiquement de faits qui ne sauroient vous être étrangers , que je vous dirai : D'abord, qu'à son retour de Montbard, M. de Buffon me parut si attaché à la mémoire de son père, que je redoubloi d'attachement pour lui. Il me dit, avant que je lui eusse dit un mot moi-même, qu'il ne diroit ni ne signeroit ja- mais rien qui püt troubler la cendre de son père et le respect qu'il lui devoit. Son oncle arriva quelque temps après; Je lui rendis sur-le-champ deux visites. I ne vint point chez moi, mais donna toute sa confiance à M. Daubenton. L'on procéda à la vérification des papiers; ni l'oncle ni le neveu ne me consul- tèrent sur rien. M. Daubenton assista à tout, fut le conseil de tout, vérifia tout. Le fils venoit pour cet objet presque chaque jour au Jardin du Roi; il ne me demanda plus; l'oncle ne me rendit aucune visite. Le matin du départ de M. de Buffon pour son régiment, je me rendis exprès chez lui, car il partoit sans me voir. Il me fit des amitiés, mais avec un peu de gêne; il me tira à part et me dit ces propres mots : «A propos, mon cher ami, mon onele et moi avons cru devoir signer devant deux notaires un acte par lequel nous déclarons simplement à M. d'Angiviller qu'il existe une démission de mon père, et que cest par défaut de mémoire occasionné par sa maladie et ses souffrances qu'il a déclaré le con- traire; mais vous n'êles compromis en rien dans tout cela.» Je ne lui répondis autre chose, si ce n'est que je ne craignois jamais que personne au monde püt me compromettre. (0) Thouin ne s'occupe que des bätiments et des jardins, et l'administration, restée aux mains de l'intendant nouveau, est en souf- france dès le premier jour. Le compte de liquidation des arriérés du Jardin du Roi, présenté dans les premiers jours de 1790 à l'Assemblée nationale, nous apprend en effet qu'à ce moment il était encore dù aux professeurs, démonstrateurs, ete., sur 1768, envüron 10,000 livres. (Voir plus loin, pièce DEAD 0) 12 M. E.-T. HAMY. Daubenton, qui partageait avec Thouin la conservation de l'établisse- ment, prit dès le début de la nouvelle intendance une atütude toute différente. D'abord médecin à Montbard, il avait été appelé au Jardin des Plantes par Buffon, son compatriote, et, depuis 1742, 11 y remplissait les fonctions de garde et démonstrateur des Cabinets du Roi. Les griefs légitimes qu'il avait eus à un certain moment contre son célèbre colla- borateur en avaient fait de longue date un adversaire convaineu de l'ad- ministration despotique que celui-ci représentait. La conduite du jeune comte de Buflon, à laquelle il n'était point, nous l'avons vu, tout à fait étranger , le dégageait d'ailleurs de toute obligation à son égard. H put, sans aucun scrupule, grouper autour de lui tous les hommes qui, dans l'intérêt du progrès scientifique, demandaient la transformation d'insti- tutions incomplètes et surannées, et préparer le mouvement qui aboutit. cinq ans plus tard. à la création de notre Muséum d'histoire naturelle. Il Le Jardin du Roi, tel que l'avait laissé Buffon, n'était plus cette pro- priété de banlieue, un peu viaillotte, au pied de la butte Copeau, où Guy de la Brosse avait jadis institué son Jardin royal des herbes médicmales. Le vieux château d'autrefois se reconnaissait encore, avec ses deux pa- villons carrés en saillie aux extrémités de l’ancien corps de logis, mais on l'avait surmonté d'un étage, et une longue galerie commencée en avril 1780, sur les plans de La Touche, prolongeait ses façades dans la direc- lion du sud, jusqu'au voisinage de lhôtel de l'ntendance. Il est vrai que ce bâtiment neuf n'avait encore ni vitres ni armoires et que la galerie du second étage était sans fenêtres et sans parquets. Au nord de la vieille construction, de l’autre côté de la porte dite Porte royale, ouvrant sur la rue du Jardin-du-Roil, se voyait l'ancien amphi- (0) On se rappelle que L.-J.-M. Dau- le 20 mai 1716, et s'était établi médecin benton, de l'Académie royale des sciences, dans sa ville natale en 1741. élait garde et démonstrateur des Cabinets. & Voir plus haut, p. 11. ®) Iétait né au Fain, près de Montbard, (1 Aujourd'hui rue Geolfroy-Saint-Hilaire. LES DERNIERS JOURS DU JARDIN DU RO. 13 théâtre qui pouvait, assure-t-on, contenir six cents personnes. L'état de délabrement de cet édifice avait engagé Buflon à élever dans un endroit plus favorable un bâtiment neuf, dont les travaux étaient seulement à quelques pieds du sol à la fin de septembre 1787. Au bas du labyrinthe, que couronnait déjà le joli pavillon de bronze que tout le monde connait, avec sa sphère armullare et son méridien his- torié ), s'allongeait l'ancienne orangerie, inachevée à son extrémité orien- tale, et un peu plus haut se voyaient les vieilles serres chaudes, dont l'une, étayée depuis quatre ou cinq ans, était à remplacer dans le plus bref délai. Plus loin, en continuant vers l'est, on rencontrait les serres de Dufav, et, plus loin encore, la grande serre neuve qui venait d'être com- mencée. Enfin de l'autre côté des buttes, gagnant par la Porte actuelle de l'Administration la rue de Seine-Saint-Victor ”, limite assipnée par Buffon à ses agrandissements territoriaux, s'étendaient les dépendances de l'hôtel de Magny acquis le 18 juin 1787. Le locataire Verdier, qui tenait dans ce bâtiment une maison d'éducation physique et médicinale, morale et litte- rare, avait été expulsé par les ouvriers de l'ntendance et la maréchaussée, et plaidait en dommages-intéréts®. C'est dans le fond du jardin de cet hôtel que commencaient à s'élever les murailles du grand amphithéâtre neuf, et c'est dans l'hôtel même que les gardes du Cabinet Daubenton et Lacépède venaient de s'établir. Voilà pour les constructions du Jardin. Tout le reste est en culture. Dans l'axe du vieux château, les anciens et les nouveaux parterres, sépa- rés par le carré creux destiné aux plantes aquatiques : à gauche, en re- gardant le Cabinet, les quatre quinconces des arbres des quatre saisons TA , e 0 L n et l'Ecole d'arboriculture; à droite la grande Ecole de botanique et les (D Cf. Correspondance inédite, 1. XL, p.226 Aujourd'hui la rue Cuvier. et 240. (5) Voir notamment une brochure inti- @) On y lit la devise : HORAS: NON: NVMERO : NISI: SERENAS. 6) Voir pour plus de détails la Sixième Notice historique sur le Muséum, par A.-L. de Jussieu, publiée dans le tome XI des Annales du Muséum d'histoire naturelle, Paris, 1808. tulée : Mémoire pour le citoyen Verdier, me- decin-directeur d'une maison d'éducation; contre M": veuve Leclerc-Buffon: et contre l'agent du Trésor public, publiée sous le Consulat et qui résume toute l'affaire, au point de vue du plaignant, bien entendu. 14 M. E.-T. HAMY. carrés des plantes économiques et des arbres fruitiers. La plupart de ces parterres sont séparés les uns des autres par des allées où André Thouin a planté avec art des espèces nouvelles, remarquables par leur port, leur feuillage ou leurs fleurs, qui donnent à l'ensemble du paysage une physio- nomie originale et séduisante. Le côté sud des Jardins, où s'ouvre une voie nouvelle, déjà nommée rue de Buffon, est garni dans toute sa longueur d'une robuste grille en fer forgé de Bourgogne" qui a conservé jusqu'aujourd'hui son as- pect primiuf et se prolonge en retour d'angle, le long de la berge, encadrant la terrasse, où s'ouvre entre deux pavillons la Porte de la Rivière ?, Malpré l'absence de pont sur la Seine, que l’on passe en bac, et quoique les bords du fleuve en aval soient encombrés de chantiers et de dépôts divers, les Parisiens visitent volontiers l'établissement, embelli avec une constance sans égale et un bonheur toujours croissant par André Thouin, le jardinier populare, qu'ils appelleront, un peu plus tard, à siéper dans les assemblées électives de la capitale q) CF Correspondance inédite, 1. I, p.85, 87, 99, etc. 2 Aujourd'hui Grand'porte ou Porte de Seine. %) Le pont d'Austerlitz ne date que de 1800. (0) André Thouin a été député suppléant du Tiers État de Paris aux États généraux (19 mai 1789), commissaire de l'Assemblée des électeurs, membre de la Commune pro- visoire (25 juillet) pour le district de Saint- \icolas-du-Chardonnet, administrateur du département de Paris (24 janvier 1791). H était, dès 1790, membre de la Société des amis de la Constitution, devenue plus tard le club des Jacobins. Cf. P. Robiquet, Le personnel municipal de Paris pendant la Révolution. Période constitu- tionnelle, Paris, 1890, 1 vol. in-8°; — Cha- , ravay (Et), Assemblée électorale de Paris, 15 novembre 1790-15 juin 1791; Procès-ver- baux, etc., Paris, 1890, 1 vol. in-8° (Col- lection de documents relatifs à l'histoire de Paris pendant la Révolution française). J'emprunte à ce dernier ouvrage le texte de la belle lettre écrite par Thouin au pré- sident de l'assemblée électorale de Paris, à l’occasion de sa nomination : Paris, ce 25 Janvier 1791. Monsieur le Président, J'accepte avec une respectueuse reconnois- sance la place de membre de Fassemblée du département de Paris, à laquelle le choix libre de mes concitoyens vient de m'élever. Je n’exami- nerai plus si mes talents peuvent être utiles à la chose publique et si j'ai mérité tant d'honneur; l'assemblée électorale a prononcé, j'obéis. Tous mes efforts, désormais, auront pour unique but de justifier son choix, j'en prends ici l'enga- sement solennel. Le plus grand zèle pour tous LES DERNIERS JOURS DU JARDIN DU RO. 15 L'École de botanique attire aussi beaucoup l'attention. Elle à été re- plantée depuis moins de quinze ans et elle est classée suivant la méthode naturelle par Jussieu, qui va, lui aussi, se laisser entrainer, pendant quel- que temps, à faire de la politique ©. Enfin le publie se presse, à certains jours, dans les salles du Cabinet où Daubenton, très vert malpré ses soixante-douze ans, explique les collec- tions. Lacépède, qui, comme Thouin, Jussieu, Fourcroy, sera pendant quelques années mêlé aux choses de la Révolution ?, est encore pour l'instant deuxième garde et sous-démonstrateur. Les élèves ont leurs heures réservées pour l'étude, et en certaines sai- sons ils suivent, nombreux et attentifs, divers cours spéciaux. Mais cet enseignement est encore fort restreint et fort incomplet. | Si, en effet, les jardins ont été agrandis et transformés, si les bâtiments ont reçu des accroissements relativement considérables, les lecons dont les collections zoologiques, botaniques, minéralopgiques, doivent fournir la matière, n'ont guère modifié leurs allures d'autrefois. Buffon n'a rien fait pour améliorer l'enseignement, qui l'intéresse peu; et, comme jadis, le Jardin à encore en 1788 trois professeurs et trois démonstrateurs . Seulement, deux des professeurs ont renoncé à imposer aux démons - trateurs l'exécution de la partie matérielle de leurs lecons, et ces dé- monstrateurs, devenus professeurs où bien peu s'en faut, ajoutent leurs mes devoirs et un attachement inviolable aux principes de notre sainte Constitution, voilà ce que je puis offrir à l'assemblée; les lunuères el l'exemple de mes respectables collègues, en me donnant les connaissances qui me manquent, me rendront digne de conserver la confiance de mes concitoyens; c'est l'objet de mon ambition. Je suis avec respect, M. le Président, votre très humble et très obéissant serviteur. THouix. (1) Antoine-Laurent de Jussieu fut no- tamment lieutenant du maire de Paris en 1789 et administrateur du département le 10 février 1791 (Documents, ete., et Jal, Dict. critique de biopr.. et d’hist., 2° édit. , table). @ Élu administrateur du département le 10 février 1791, il a siégé comme dé- puté de Paris à l’Assemblée législative, dont il a été secrétaire et président. 8) Tels sont, du moins, les titres habi- tuellement en usage, dans les temps les plus voisins de la Révolution. Faisons tou- tefois observer que dans les pièces officielles de la Maison du Roi, les premiers de ces fonctionnaires sont qualifiés démonstrateurs el professeurs, démonstrateurs opérateurs, et même démonstrateurs tout court, tandis que les seconds sont désignés constamment comme sous-démonstrateurs (Arch. nat., O!, p-4lbret suiv.): 16 M. E.-T. HAMY. cours à ceux qui existaient déjà,-ce qui double le nombre des séances. Ainsi Jussieu, démonstrateur, occupe de la botanique rurale, tandis que Desfontaines, professeur, enseigne dans lintérieur du jardin. De même Portal professe dans sa chaire l'anatomie humaine, sans se préoccuper des démonstrations d'anatomie comparée que fait le vieux Mertrud, en attendant Cuvier. Les chimistes seuls sont demeurés fidèles aux pratiques du temps passé. I n'y à toujours qu'un enseignement brillamment exposé par Four- eroy et dont Antoine-Louis Brongniart, premier apothicaire du Roi et démonstrateur de chimie, exécute toutes les préparations. Le premier de ces savants hommes, sur les listes officielles, est René Louiche-Desfontaines, docteur de la Faculté de médecine, membre de l'Académie royale des sciences. C'est un Breton de trente-six ans qui cache, sous des dehors un peu timides, une remarquable énergie. Il a voyagé pendant quatre ans dans les pays barbaresques et en a rapporté de fort précieuses collections. Lemonnier, appelé à Versailles par ses fonc- üons de médecin ordinaire du Roi, lui a donné sa suppléance en 1786 etil est devenu peu après ütulare de l'emploi. Il professe avec une assi- duité tout exceptionnelle un cours dont tout le monde fait l'éloge. Antoine-Laurent de Jussieu, son collepgue, âgé de quarante ans, éga- lement docteur de la Faculté de médecine, membre de l'Académie royale des sciences, conduit les herborisations aux environs de Paris; c'est le successeur et l'élève de son oncle, Bernard de Jussieu, dont 1l a développé les méthodes de classification naturelle en même temps qu'il introduisait au Jardin des Plantes la nomenclature de Linnée. Il imprime, à ce 0) Je crois devoir, puisque le nom de monie que j'ai retrouvé dans la Chronique Linnée vient sous ma plume, mentionner de Paris du 26 : ici, pour n'y plus revenir, une petite pla- ee : e x Ur Le 23 d’Auguste 1790, la seconde année de quette devenue très rare et intitulée : À dresse - , QUE pe la liberté française, à 7 heures du soir, l'asso- des naturalistes à l’Assemblée nationale (5 août 1790, in-8° de 7 pages). Cette adresse est relative à un buste de Linnée que l'on veut ériger au Jardin du Roi. L'inauguration de ce monument eut lieu le 23 du même mois, et voici le procès-verbal officiel de la céré- cation des naturalistes, dont le but est d’'ho- norer la mémoire des grands hommes qui ont avancé les progrès de l'histoire naturelle, en plaçant leur buste dans le Jardin des Plantes, à inauguré solennellement le buste de Charles Linnœus, Suédois, après avoir arrêté que ce LES DERNIERS JOURS DU JARDIN DU RO. 17 moment même, le Genera plantarum qui va faire, suivant l'expression de Cuvier, la même révolution dans les sciences d'observation que la chimie de Lavoisier dans les sciences d'expérience. Portal, qui vient ensuite, ne joue dans le Jardin du Roi qu'un rôle secondaire. Médecin consultant de Monsieur, membre de l'Académie royale des sciences, ete., c'est un praticien très occupé, qui néglige quelque peu ses devoirs de professeur. IT est âgé de quarante-six ans, et a beaucoup écrit déjà sur toutes sortes de matières, médecine, chirurgie, anatomie, thérapeutique, etc. Le cours qu'il fait assez irrégulièrement sera publié une quinzaine d'années plus tard sous le titre d’Anatomie médicale. Mertrud, le démonstrateur, est depuis 1750 attaché à l'établissement; conseiller de l'Académie et ancien prévôt des écoles de chirurgie, il est renommé pour son habileté à conduire une dissection. Il travaille avec Daubenton à préparer les parties des animaux dont il démontre anatomie aux élèves. Les chimistes sont, je l'ai déja dit, Fourcroy et Brongniart. Foureroy, médecin de la Faculté de Paris, membre de l'Académie royale des sciences, a trente-trois ans; 1l est dans tout l'éclat de son talent de professeur, et les buste en plâtre seroit remplacé le plus tôt pos- sible par un buste en bronze , afin que cette image de Linnœus fût impérissable comme sa mémoire et ses ouvrages, el consacrât éternel- lement les sentimens d'admiration de ceux qui le lui ont élevé. La cérémonie a eu lieu dans l'ordre suivant, d'après les dispositions de MM. Cels, Thoun et Broussonnet, commissaires nommés à cet effet par l'association. Le buste, accompagné de tous les naturalistes résidant à Paris, a été porté de lamphithéâtre au lieu qui lui avoit été destiné. Là M. Louis Bosc, président de l'association, a rappelé, dans un discours, les grands services que Linnœus a rendus à l’histoire naturelle. Cette lecture a été suivie de celle du procès-verbal, après laquelle on a déposé dans le füt de la colonne ledit procès-verbal, le discours et la liste des membres de l'association. Un grand concours de citoyens a assisté à cette cérémonie, et a témoigné, par son respect, que le nom des grands hommes qui ont illustré les sciences n'est point indifférent à ceux même à qui les sciences sont étrangères. Louis Bosc, président ; André Taouix, A.-L. Mizow, secrétaires. ( Chronique de Paris, jeudi 26 août 1790.) Ce monument provisoire, érigé sous le grand cèdre du Liban, fut brisé vers la fin de la Terreur, par une troupe de sans- culottes imbéciles, qui avaient cru lire au pied du buste: Charles Neuf, au lieu de Charles Linnœus. C’est du moins l'explication que Cap a donnée de l'événement, posté- rieur à la gestion de Bernardin de Sant- Pierre. (Cf. P.-A. Cap, Le Muséum d'histoire naturelle, Paris, Gurmer, 185h, 1 vol. gr. in-8°, p. 1/9.) () Portal, Cours d'anatomie médicale, Pa- ris, 1804, 5 vol. in-4° et in-8°. 3 IMPRIMERIE NATIONALE, 18 M. E.-T. HAMY. jeunes gens le suivent jusque chez lui, où, dans un cours payé, il complète les leçons trop peu nombreuses que comporte son programme officiel, le premier que tentera de changer le Comité de l'Assemblée nationale. Brongniart, maitre en pharmacie, premier apothicaire du Roi, fait les expériences pour Foureroy, mais n'enseigne pas, on l'a déjà dit, pour son compte, comme les autres démonstrateurs. Il y a done, en somme, cinq cours professés au Jardin. On y démontre un peu de chimie et d'anatomie, et beaucoup de botanique : le règne animal et le règne minéral nv sont étudiés qu'au hasard des questions posées aux gardes-démonstrateurs par des visiteurs très mêlés. Une premiere réforme semble done tout à fait désirable, cest le re- maniement à peu prés complet du corps enseignant et de ses pro- grammes. L'utilisation des collections déjà fort importantes que contiennent les Cabinets, les serres, etc.. soulève également des questions nombreuses et fort graves, et dont la solution doit engager l'avenir de l'institution. Belle matière pour les faiseurs de projets si nombreux et si hardis à la veille de la Révolution! Au nom du bien public ils veulent tout changer, dans les établissements scientifiques comme ailleurs : les plans les plus contradictoires sont présentés au public et à côté de propositions diseu- tables on voit surgir des combinaisons étranges. Ce ne sont que brochures el plaquettes, proposant des fusions ou des séparations, des translations, des suppressions, etc. Le Jardin et le Cabinet, sur lesquels les grandes choses entreprises par Buffon ont fortement appelé l'attention des esprits cultivés, doivent naturellement se trouver au nombre des centres d'instruction dont s'oc- cuperont le plus les réformateurs du moment. ILest resté, en effet, quelques traces d'un certain nombre de projets de réforme, les uns conçus dans un sens favorable aux intérêts de notre établissement, les autres tout à fait opposés à l'organisation que Buffon lui avait donnée. Voici, par exemple, une brochure hostile; l'auteur, un député — Je ne sais lequel entierement étranger, à coup sûr, aux questions dont LES DERNIERS JOURS DU JARDIN DU RO. 19 il s'occupe, ne demande rien moins que la dislocation du Jardin et du Cabinet. Pourquoi le Cabinet se trouve-t-1l au Jardin, et quel rapport peut-il bien y avoir entre ce Jardin et les leçons d'anatomie qu'on y donne? «Le Jardin doit avoir pour chef unique un jardinier botaniste et à ce ütre M. Thoun est bien capable d'occuper la place.» Il n°v faut qu'une chaire de botanique, et point de Cabinet. Les collections n'ont que des rapports généraux avec le Jardin où elles se trouvent et l'éloignement en est «trop incommode pour le publie». On vendra le bâtiment que les Ca- binets occupent et lon réunira tout ensemble les collections, le cours d'histoire naturelle, le Cabinet et le cours de minéralogie de l'Hôtel des Monnaies". En voici une autre, favorable au contraire. L'auteur anonyme est encore un membre de l'Assemblée, mais qui connait, cette fois, ce dont il parle, et son opuscule de cinq petites pages, formulant des propositions qui mettent en Jeu l'existence ou au moins les intérêts de presque tous les erands établissements scientifiques de Paris, va provoquer des polémiques ardentes®. Collège royal, Jardins du Roi et des apothicaires, Faculté de médecine, École vétérinaire d'Alfort, Hôtel des Monnaies même, tous ces centres d'enseignement si divers doivent contribuer à former dans Îles locaux du faubourg Sant-Victor + l'ensemble le plus imposant et le plus justement célèbre ». Notre député ne fait grâce, après réflexion, qu'à AI fort, mais 1l prend quatre chaires au Collège, une à la Monnaie. d’autres en nombre indéterminé à la Faculté, et groupe au profit des étudiants dans une même enceinte «tous les moyens d'instruction qu'ils ne trouvent aujourd'hui qu'incomplets et épars ». C’est surtout à la médecine que pense (D Projet sur les Établissemens publics in- situés pour les sciences et les arts, br. in-8°, s. L n. d., p. 5-7. — Nous avons vu que notre réformateur anonyme laisse au Jardin du Roi l’enseignement de la botanique; ajoutons qu'il transporte à l'Académie de chi- rurgie l’enseignement de l'anatomie; quant à celui de la chimie, il l'ignore et n'en sait rien dire. Il laisse avec les collections le cours d'histoire naturelle, qui n'existe point et n’existera point, mais que le Comité des finances a proposé d'instituer, et ce détaul nous donne la date de la brochure qui a dû être composée vers la fin de 1789 ou le com- mencement de 1790. ® Vues sur le Jardin royal des Plantes et le Cabinet d'histoire naturelle, Paris, Baudouin , 1789, br. in-8° de 7 pages. 20 M. E.-T. HAMY. notre anonyme, à la médecine qui a «des écoles en ruine, des professeurs sans appointements, qui remplissent à tour de rôle des fonctions oné- reuses pour eux». Et c'est pour les futurs docteurs en médecine qu'il rêve cette concentration tout auprès de deux hôpitaux, où l'on établirait des écoles de médecine classique". L'institution ainsi fondée vivra des rétri- butions proportionnelles des étudiants en médecine, et l'administration générale pourra être donnée au médecin du Roi®. Était-ce Lemonnier, titulaire de cette charge et ancien professeur de botanique au Jardin royal, qui inspirait de tels projets à quelque député? Je le soupçonne sans en avoir la preuve : les officiers du Jardin et des Cabinets sont, quoi qu'il en soit, hors de cause, et c'est pourtant à eux ou à leur établissement que l’on va partout s'en prendre. | C'est d'abord Sage, membre de l'Académie royale des sciences et direc- teur de l'École royale des mines , si ardemment dévoué à l'institution dont il est le chef qu'il lui a offert sa bibliothèque à titre de don patriotique, et s'est engagé, par une lettre à l'Assemblée nationale, à faire terminer à ses frais le Cabinet et dépenser par là même 25,000 à 30,000 livres. Ce Cabinet des mines, qui est son œuvre, cette chaire où 1l en explique les richesses, on voudrait les transférer au Jardin «afin de réunir les choses semblables». Mais toute l'Europe a reconnu que les mines et monnoïes ont une connexion intime», et en Allemagne, en Suède, ete., les officiers des mines sont aussi ceux des monnaies. D'ailleurs le Jardin royal des Plantes, où l'on propose de transporter l'enseignement de la minéralogie docimastique, est dans un quartier qui + n’a été fréquenté que dans le temps où la reine Blanche habitoit le faubourp Saint-Marceau ». . 0) On ne remarquera pas sans intérêt l'analogie de ce projet ancien avec celui qui faillit aboutir en 1869, et qui mettait la nouvelle École de médecine à la Halle aux vins, près du Muséum, de la Pitié et de la Salpêtrière. % Cet opuscule est intégralement repro- duit à la fin de ce travail sous le n° 6, p. 79-80. 5) Sage, Observations sur un écril, qui à pour titre : « Vues sur le Jardin royal des Plantes et le Cabinet d'histoire naturelle» ; à Paris, chez Baudouin, imprimeur de l'Assemblée nationale , 1790; Paris, Didot le jeune, 1790, br. in-8° de 8 pages. On trouvera plus loin (n° 7, p. 81-83) un extrait de cette brochure. i) Cette pièce, du 5 février 1790 , est aux Archives nationales (C* [, 5, fol. 97). — Cf. Arch. parlement., 1" série, t. XF, p. 136, et Tuetey, op. cit. LES DERNIERS JOURS DU JARDIN DU ROI. 2/1 Et Sage d'accumuler les critiques les plus amères sur le Cabinet d'his- toire naturelle, mal construit, mal éclairé, avec ses armoires trop pro- fondes, trop élevées, et sur ses collections, sans analyses, sans descriptions et même, à ce qu'il assure, sans inventaire régulier, et qu'on ne peut voir que quelques heures, deux fois par semaine, comme curiosités ». Si l'on croit nécessaire de faire des réunions, «il faut transporter à la Monnaie les mines du Jardin du Roi». Là, au moins, elles seront ressavées, classées, décrites, et exposées de manière à servir à l'instruction » des visi- teurs qui peuvent entrer du matin au soir, tous les Jours, sans exception. Quant aux vases d’agate, de jaspe ou de cristal de roche, qui sont dans le Cabinet du Jardin des Plantes, qu'on les dépose au Garde-meuble, qui “offre ce qu'il y a de plus précieux dans ce genre» et qui est «très bien arrangé ». . L'abbé Jean-Jacques Garnier est le porte-parole du Collège de France, où 1l a professé l'histoire jusqu'à la fin de 1777 ©. Moins acerbe que ne l'était Sage, 1l critique néanmoins avec une cer- taine vivacité ces lecons de chimie et d'anatomie du Jardin du Roi « bornées à un cours de six semaines et de quinze ou vingt leçons» et réduit «à ne donner que les premières notions, puisqu'un professeur, quelque habile quil soit, ne peut dans un si court espace de temps qu'effleurer les ma- üères ». Au Collège royal, au contraire, les exercices «se prolongent pen- dant tout le temps de l’année scolastique » ... et mettent, dit Garnier, «le professeur dans la nécessité indispensable d'approfondir les matières et de leur donner tous les développemens dont elles sont susceptibles G),. (1) Eclaircissemens sur le Collège royal de France, br. in-8°, s. 1. n. d. — Cf. Journal des Savants, août 1790, p. 4h. — L'Esprit des journaux, janvier 1791, p. 255.— Jai reproduit plus loin, d’après l'exemplaire des Archives nationales (AD xvim° 85), un extrait de cette brochure (pièce n° 8, p. 83-86). ® Cf. À. Lefranc, Histoire du Collège de France depuis ses origines jusqu'à la fin du premier Empire, Paris, Hachette, 1893, 1 vol. in-8°, p. 272. — Aug. Longnon, Histoire d'une chaire du Collège de France (1531-1892). Leçon d'ouverture, etc., Paris, Colin, 1893, br. in-8°, p. 8. 8) Il est curieux d'observer que, presque dans le même moment, La Harpe dépeint l'enseignement du Collège avec des couleurs bien différentes. «Ce collège, tel qu'il est aujourd’hui (1791), n'est guère qu'une sorte de luxe littéraire, qui fait partie des orne- mens de la capitale; les chaires, dont plu- sieurs sont remplies par des hommes d'un 12 19 M. E.-T. HAMY. Et reprenant l'un des arguments du directeur des mines, il insiste sur l'éloignement du Jardin, «situé dans un des faubourgs le plus éloigné et le plus inhabité», et dont 1l représente les rues comme «impraticables pour les gens de-pied pendant une partie de l'hiver» et «incommodes pen- dant les chaleurs de l'été». «11 faut, dit-1l, non sans beaucoup exagérer , une heure de chemin pour s'y rendre et autant pour en revenir.» Le Col- lège est bien plus près, tout au centre des études, et puis on y trouve réunies dans une même enceinte les autres sciences, avec lesquelles celles qui font l'objet du projet combattu par Garnier ont une union plus ou moins étroite. Tout partage serait contre nature, aurait-il seulement pour résultat de former deux sections, lune comprenant toutes les sciences na- turelles et mathématiques, l'autre la littérature et les sciences politiques et morales. Quant aux économies que l’on se promet, 1l ne faut pas oublier que l'on est bien moins payé au Collège qu'au Jardin du Roi, où chaque chaire coûte deux fois plus”, et que si les deux établissements ne peuvent subsister lun à côté de l'autre, 1l y aura «beaucoup à perdre pour l'État à transporter au Jardin du Roi une partie des chaires du Collège de France, et beaucoup à gagner, sous tous les rapports, à transporter au Collège royal toutes les chaires du Jardin du Roi». grand mérite, sont plutôt des récompenses celles de chimie et d'histoire naturelle. I ne de leurs travaux qu'un objet d'utilité géné- rale. Tout se borne à quelques heures de classe par semaine; souvent même elles n’ont pas lieu, soit par l'absence des maîtres, soit par le défaut des disciples. Il y a des chaires qui me paroissent oiseuses et n'avoir été fon- dées que par des arrangemens de complai- sance entre des gens en place.» [De la Harpe], Plan sommaire d'une éducation publique et d'un nouveau cours d’études (Mercure de France, jan- vier 1791, n°29, p.131). La Harpe, au sur- plus, conserve au Collège royal, dans son sys- tème. toutes les chaires de sciences, comme nous dirions aujourd'hui, et notamment parle pas de la chaire d'anatomie. (1) Le Jardin des Plantes est, comme on sait, à 1 kilomètre à peine à l'est du Collège de France. @) Garnier estime chacune des chaires du Jardin à 3,000 livres, 1,500 pour le professeur et autant pour le préparateur. Or, au budget de 1789, les six professeurs et démonstrateurs sont rétribués ensemble 8,6h0 livres, et comme ils font cinq cours, cela met chaque cours à 1,728 livres, tous frais compris. Au Collège, onentre à 1,100 11- vres, et ce n'est guère qu'au bout de vingt ans qu'on en touche 1,500. LES DERNIERS JOURS DU JARDIN DU ROI. dn) [TI Le Comité des finances, nommé le 1 1 juillet 1789 par l'Assemblée natio- nale, avait pris connaissance des divers documents dont je viens de donner l'analyse, mais 1l n'avait pas cru que sa mussion l'autorisdt à discuter les indications qui s'y trouvaient contenues. Les membres du Comité se refu- saient avec raison à proposer, sous prétexte d'économies budgétaires, d'in- troduire dans l'organisation scientifique les modifications profondes que certains parassaient attendre du nouvel état de choses. [ls cherchaïent seulement, d'une manière générale, à restreindre les dépenses des diffé- rents services, et dans un premier rapport fait le 18 novembre à l'As- semblée nationale par le marquis de Montesquiou, le budget du Jardin fut provisoirement réduit à 92,000 livres". Mais, le 29 janvier 1790, on distribuait aux députés un Apercu pénéral des réductions sur la dépense publique Ÿ, où le Jardin royal des Plantes voyait restreindre encore con- sidérablement ses ressources. On avait disposé l'année précédente, en comptant les dépenses extraordinaires, d'un crédit de 129,000 livres, il faudrait se contenter cette année-c1 de 72,000 seulement. Par bonheur, l'article 2 du décret du 6 février suivant süipula que l'Assemblée se réservait « de statuer définitivement et en détail sur chacun des états» contenus dans une annexe, où figurait sous le n° 29 le Jardin royal des Plantes et Cabinet l'histoire naturelle , et nous verrons plus loin 0) Rapport fait à l’Assemblée nationale au nom du Comité des finances, par M. le mar- quis de Montesquiou, le 18 novembre 1789; Paris, Baudouin, br. in-8°, p. 15 et 29. ®) Aperçu général des réductions sur la dé- pense publique, présenté à l’Assemblée natio- nale, au nom du Comité des finances, le 29 janvier 1790; Paris, Baudouin, 1790, br.in-6°. 6) Le budgetordinaire était de 100,503 li- vres 19 sous » deniers. %) Rapport fait à l'Assemblée nationale au nom du Comité des finances, par M. de Mon- tesquiou, le 26 février 1790, imprimé par ordre de l'Assemblée, [et] Décret rendu par l’Assemblée nationale le 26 février 1790, à la suite du Rapport ci-dessus. — L'article 1° sti- pule qu'il sera fait une + réduction provisoire de 60 millions sur le montant des dépenses du Trésor public, dont l'état est annexé au présent décret, laquelle réduction aura lieu à compter du 1° avril prochain». L'ar- ticle 2 contient les réserves énoncées plus haut. 24 M. E.-T. HAMY. le Comité, à la suite d’une étude plus attentive des besoms de l'établis- sement et des services qu'il était appelé à rendre à la Nation, revenir à son premier chiffre de 92,000 livres, que le rapporteur Le Brun présen- tera à l'Assemblée le 20 août 1790. En attendant, le marquis de la Billarderie s’est ému des bruits par- venus jusquà lui, et 1l se décide, le 11 mars, à faire appel à la haute influence de Condorcet. J'ai déjà montré plus haut le secrétaire perpétuel de l’Académie des sciences envoyant, au milieu du discours qu'il consacre à Buflon, quelques paroles flatteuses à son successeur. Il existait, dès lors, entre ces deux hommes que l'âge, les croyances, les opinions, les habi- tudes intellectuelles devaient, semble-t1l, tenir fort écartés l'un de l'autre, un lien mystérieux et caché que leur correspondance, si incomplète qu'elle soit, m'a permis de découvrir. Au mépris des promesses faites au fils de Buffon! le vieux maréchal de camp, par mesure de protection ou pour toute autre cause, a secrète- ‘ment procuré au célèbre géomètre, plus Jeune que lui de vingt ans, la survivance de l'emploi qu'il occupe au Jardin du Roi. Si désintéressé qu'il soit — et Condorcet poussait très loin le désinté- ressement — la perspective de jouir prochainement d'un gros emplot de 12,000 livres, dont il se sent d'ailleurs capable d'affronter les difficultés, Q) Voir plus haut, p. 8, n. 4. ®) Cet arrangement, signalé à mots cou- verts dans une brochure de Broussonnet, sur laquelle je reviendrai, ressort nettement des lermes mêmes employés à diverses reprises par La Billarderie dans la correspondance que l'on trouvera ci-après. J'ignore s'il a été ofliciellement reconnu. Jai consulté tout ce qui reste de la correspondance de la Maison du Roi, sans y trouver autre chose que lex- pression de la volonté royale de donner dès 1798 à La Billarderie un survivancier qui n'est pas nommé. Noïici la copie de la pièce où la chose est mentionnée; c’est le baron de Breteuil, ministre de la Maison du Roi, qui écrit à l'intendant du Jardin : Versailles, le 19 avril 1788. Monsieur le marquis de la Billarderie, Je vous donne avis, Monsieur, avec bien du plaisir que le Roi a agréé que M. votre frère se démit en votre faveur de la charge d'intendant du Jardin et Cabinet de Sa Majesté dont il est devenu titulaire par le décès du S. comte de Buffon. Je vous ferai en conséquence expédier les provisions de cette charge aussitôt que M. votre frère n'aura adressé sa démission. Je dois en même tems vous prévenir que Sa Majesté, en vous accordant cette grâce, m'a fait connoître qu'elle se réservoit de vous donner incessamment un survivancier. J'ay l'honneur d'être, ete. Ministère de la Maison du Roi, Correspondance, 1788 (Arch. nat., O1 32, p. 139). LES DERNIERS JOURS DU JARDIN DU RO. 25 est faite pour lui donner de l'indulgence à l'égard du ütulaire qui lui vaut une pareille aubaine. Et nous voyons le savant homme subir patiem- ment les explications, en style de boutique, que le vieil intendant Juge à propos de lui fournir. La Billarderie a appris que l’on veut diminuer son traitement et qu'on a été bien tenté de supprimer sa place, et il conte à son survivancier ses petites affaires de ménage. La dépense de cette année, dit-il ou à peu près, quoique ménagée avec parcimonie, est montée à environ 97,000 livres; si on persiste à laisser les fonds à un taux aussi bas, notre établissement, qui peut étre aussi utile qu'il est beau, ne pourra pas se soutenir. Îl faut à lintendant pour aller passablement les 100,000 livres de l’année dernière"), et 110,000 pour marcher assez bien, en attendant des temps plus heureux... Ainsi sera sauvé un établissement brillant et utile, ainsi seront surtont sauvés la place et le traitement du marquis de la Billarderie, ee qui ne peut manquer de servir tout à la fois le Jardin du Roi et son inten- dant, la patrie et les sciences ®. . . 0) 100,503 livres 19 sous D deniers. ) Voici le billet même du marquis, re- produit, comme les autres pièces de la même correspondance, d’après les documents ori- ginaux conservés à la bibliothèque de l'In- slitut dans les papiers de Condorcet : Ce 11 mars 1790. Je fais de tendres compliments à M. le mar- quis de Condorcet. Je crois devoir luy donner avis qu'on m'a confirmé aujourd'huy qu'un dé- cret réduisoit à 78,000 livres les fonds du Jardin du Roy. J'ajoute à cet avis que la dépense de celle année, quoique ménagée avec une économie qui tient de la parcimonie, monte à environ 97,000 livres et que si on persiste à vouloir laisser les fonds à un taux aussi bas, cet établis- sement, qui peut être aussi utile qu'il est beau, ne pourra pas se soutenir. Mais comme le décret dont on m'a parlé ne doit avoir son effet qu'à compter du 1° avril, il est peut-être encore tems d'obtenir qu'il soit réformé. Je pense qu’en atten- dant des tems plus heureux , cela peut aller passa- hlement, si on donne 100,000 livres; cela iroit assez bien avec 110,000. Je dois aussi dire à M. de Condorcet, ce qu'il sait peut-être déjà, que non seulement on veut diminuer le traitement de l'intendant, mais qu'on a été bien tenté de pro- poser d'en supprimer la place. Les amis de M. de Condorcet, en nous servant lun et l'autre (e’est- à-dire le titulaire de l'emploi et son survivancier), et l'établissement serviront en même tems la patrie et les sciences. Je le prie de me faire sa- voir s'il a déjà fait quelques démarches et s'il en conçoit quelque espérance. Je ferai moi-même peu de démarches, elles paroïtroient intéres- sées el de là deviendroient suspectes; je crois que le ministre nous est très favorable, mais il seroit bon que les personnes qui ne tiennent pas à la chose et qui ont du crédit à l'Assemblée parlassent avec un peu de force pour tächer de réformer ce fâcheux décret, et cela auroit deux avantages, celuy de conserver un établissement brillant et utile et celuy de faire honneur à VAs- semblée. J'embrasse M. de Condorcet et je le prie de trouver bon que j'offre mes respectueux hom- mages à M" la marquise de Condorcet. h\ IMPRIMERIE NATIONALE, 26 M. E.-T. HAMY. Ce que fit Condorcet nous est demeuré inconnu et nous ignorons même sil répondit à son malheureux interlocuteur. Au surplus le Comité n'avait rien terminé, le menaçant décret n'était pas encore applicable, et par suite il était aisé de calmer pour Finstant les craintes de lintendant. Celui-ci revient toutefois à la charge à diverses reprises et J'ai tout leu de croire que, dès lors, ses fatigantes démarches (15 et 16 mars et 1/ mai 1790) n'entrainent plus de résultat. Cependant l'examen des réductions budgétaires se poursuivait à l'As- semblée nationale, malgré de graves incidents qui venaient à chaque in- stant interrompre les travaux des députés; le chapitre du Jardin du Roi, réservé par le décret du 26 février, se trouvait enfin à l'ordre du jour, le 17 août, lorsqu'un nouvel orage parlementaire en fit remettre encore une fois l'examen. Instruits, on ne sait comment, de limminence d'une discussion impa- tiemment attendue depuis quelque temps déjà et qui pouvait être de la plus grande importance pour l'avenir de l'établissement, les officiers du Jardin et du Cabinet purent se préparer à intervenir d’une manière utile au débat, et l'un d'eux — tout me porte à croire que ce fut Fourcroy — rédigea d’une plume élégante et facile et fit signer à neuf de ses collègues une adresse destinée à être présentée à l'Assemblée le jour où le rapporteur du Comité des finances monterait à la tribune. Au jour dit — cest le 20 —- Lebrun vient faire connaitre les dernières conclusions de la Commission financière ®. « Le Jardin du Roi, dit-1l, doit être sous l'administration directe du Roi, mais la Nation ne peut le voir sans intérêt et c'est sur le Trésor public que la dépense fixe doit être affec- (1) Fourcroy est certainement l'auteur de la seconde adresse à l’Assemblée dont il sera question plus loin, puisque ses col- lègues ont consigné, le 6 septembre 1790, dans un procès-verbal, l'expression de leur reconnaissance. Nous savons aussi posili- vement qu'il est le rapporteur du projet de règlement élaboré par l'Assemblée du 23 août au 10 septembre. @) Un imprimé de huit pages, que nous reproduisons plus loin, avait été distribué quelque temps avant et différait par quel- ques points du rapport actuel. La Billar- derie n'avait plus alors que 6,000 livres de traitement et Faujas de Saint-Fond restait au Cabinet avec 2,000 livres; tandis que maintenant ce dernier était rayé de la liste des officiers, ce qui faisait remonter à 8,000 livres les appointements de linten- dant. (Voir plus loin pièce n° 5, p.76.) LES DERNIERS JOURS DU JARDIN DU RO. 27 tée (D. » Cette dépense est ramenée pour l'année courante à 92,222 livres. Si, en effet, le Comité l’a crue suscephble d'économie dans quelques parties, il estime que certaines augmentations légères sont nécessaires ailleurs, et le total ne se trouve plus diminué que de 8,000 livres environ. Les appointements de lintendant seront réduits de 12,000 à 8,000 livres, qui sufliront à une place honorable, qui doit être un objet d'émulation et non allusion très directe aux machinations des deux Flahault d'intrioue en 1771 et en 1788. Le professeur de botanique sera chargé des herbiers; on portera son traitement à 2,000 livres, mais on supprimera, par compensation, une place nouvelle au payement de laquelle on a attaché pareille somme. Le poste d'adjoint à la garde des Cabinets sera également supprimé ", ce qui permettra, d'une part, de créer une chaire d'histoire naturelle qui manque au Cabinet du Roi, et de trouver, d'autre part, la somme nécessaire pour publier une description du Jardin, qui fait encore dé- faut. Le rapporteur glisse, en passant, sur la question déjà soulevée en 1789 du transfert au Jardin des Plantes d'une chaire d'ustorre naturelle qu est au Collève royal. I convient que ce serait une économie, mais 1l ne croit pas devoir insister, tout en rappelant avec un des auteurs cités plus haut que le College royal n'a pas de Cabinet, et qu'il faut « pour apprendre l'histoire naturelle être en présence de la nature ». On augmentera les appointements du professeur de chimie pour qu'il puisse faire un cours complet, ceux de Van Spaendonek(® afin de ré- U) Cf. Gazette nationale ou le Moniteur uni- 6) Le cours de rchymie» de Fourcroy versel, samedi 21 août 1790, p. 962. @) Dans l'État actuel du Jardin et du Ca- binet du Roi, cité plus haut, Lebrun disait que «c'était une gloire de succéder à Buf- fonr et «qu'il n'est point de citoyen qui ne l'eüt achetée». (Voir plus loin pièce DO 70.) %) Cest celle qu'occupe depuis un peu plus d’un an Lamarek, déjà célèbre. Cest Faujas de Saint-Fond. 9 D d LA n'avait que vingt leçons et le démonstrateur Brongniart ne professait point, je l'ai déjà dit. (6) Gérard van Spaendonck, né à Tilbourg (Hollande), le 23 mars 1746, élève de Her- , x . 4 * reyns, d'Anvers, venu en 1770 à Paris où il avait acquis bien vite une grande réputation comme peintre de fleurs. I faisait partie, dès 1781, de l'Académie de peinture et avait succédé au Jardin du Roi à Me Basseporte. hi. 28 M. E.-T. HAMY. compenser son talent, ceux de Thouin le jeune enfin, l'élève de son frère, le jardinier en chef qui a mérité d'être adopté par l'Académie des sciences et qu'il est destiné à remplacer. Un préparateur fort âgé pourra prendre sa retraite ©; mais on n'accordera à son remplaçant ® que la somme tou- chée par ce vieux serviteur. On propose deux pensions encore pour deux employés subalternes"®. Enfin on réforme la dépense de police (1,500 livres au lieu de H,000 livres); on remercie le commandant et on charge des invalides de la garde de l'établissement L'architecte se contentera d’une gratification de 600 livres. La dépense d'entretien a paru exagérée + dans un état ordinaire», mais il y a encore des constructions à faire sur lesquelles on reportera ce que les réparations d'entretien n'exigeront pas. Quant à la dépense variable, qui consiste en. constructions nouvelles, on ne peut la déterminer que par approxima- tion. [y a en ce moment une dépense de 20,000 livres, payables en dix- huit mois; cest celle de la grande serre chaude, « destinée à recevoir une riche collection d'arbres étrangers >; mais l'argent de l'entretien doit y entrer pour quelque chose et l'on peut espérer que, année commune, les 92.299 livres sufhront à tout Ÿ. Jean Thouin, âgé de trente-quatre ans, né au Jardin en 1756, jardinier depuis dix ans. Médiocrement secondé par deux aides, le vieux Goupy, soixante-dix-huit ans, qui elravaille avec assiduité malgré son grand âge», et Bureau, soixante-treize ans, + sourd, rhumatismeux , très voûté» , approchant de la caducité. gé de soixante-dix-huit ans et infirme, marié 2) Fattory, préparateur aux galeries, à el père de deux enfants; logé au Louvre, avec 5oo livres de traitement. 5) Valenciennes, alors préparateur, et logé au Jardin; c’est le père de celui qui fut beaucoup plus tard collaborateur de Cuvier. Il s'agit de la veuve Pallée, àgée de soixante-huit ans, veuve du premier garçon jardinier et du père Dodart (sie), ancien ma- gasinier (quarante ans de service). 6) Guillotte, ancien capitaine de cava- lerie, âgé de soixante-deux ans, comman- dant de la police du Jardin. (6) I y avait alors, comme aujourd'hui, des gardes-bosquets faisant la police inté- rieure, sous les ordres du commandant. (M Je tire ce renseignement qui n’est pas au Moniteur, et quelques autres indications que J'ai intercalées pour plus de clarté, de l'analyse du procès-verbal officiel des deux rapports imprimés distribués par le Comité des finances à l'appui de ses propositions et que j'ai reproduits dans l’Appendice sous les n° 4 et 5. (Voir plus loin, p. 75 et 76) (5) C'était une économie de 36,000 à 38,000 livres sur les propositions de l’In- tendance, qui montaient à 128,500 et même à 130,000 livres. (Voir plus loin n° B, p.79.) LES DERNIERS JOURS DU JARDIN DU ROL 29 Lebrun à fini son exposé, qui ne fait que modifier légèrement le rap- port imprimé, antérieurement distribué, et 1l résume les propositions du Comité dans un projet de décret dont il donne lecture (D Mais les demi-mesures que l'on soumet aux délibérations de l'Assemblée ne sont pas du goût de tout le monde et lesent, au surplus, à des degrés divers, d'une part les intérêts de lintendant, de l'autre ceux de deux sa- vants très éminents. Le premier c'est Faujas de Saint-Fond, l'un des fondateurs de la géo- logie. Ses découvertes de gisements de pouzzolanes et de mines de fer très riches en certaines provinces de France, le procédé qu'il a rapporté d'An- oleterre pour extraire le goudron de la houille sans lui ôter ses propriétés inflammables, ont fait grand bruit jadis, et le Roi l'avait très généreu- sement pensionné ©. Faujas était maintenu, je l'ai dit, sur l'état im- primé, distribué par le Comité: 1l n'avait donc rien fait pour se défendre. Mais Lamarck, rayé des lors des cadres du Jardin du Roi, a pu rédiger, imprimer et distribuer à l'Assemblée un énergique plaidoyer. Sa défense forme deux brochures : lune où 1l raconte sa vie et expose ses travaux ©. (Voici le projet de décret. Arr. 6. Il n'y aura qu'une seule personne : “ chargée des préparations, aux anciens appoin- Anr. 1°. Les appointemens de l'intendant du Le ESF ANNE QUI i - RE : temens de 500 livres. Jardin du Roi seront fixés à 8,000 livres. , : É ; Arr. 7. Le commandant de la police sera sup- Arr. ». Le professeur de botanique sera chargé PA: FRS = e : : primé et il sera destiné pour la maintenir une des herbiers, et ses appointemens seront de L ù 3 : Sr : somme de 1,500 livres. 2,000 livres. La place de botaniste, créée depuis peu pour cette partie, sera supprimée eo rai ( Gazelte nationale ou le Moniteur universel, samedi { 2 2 où ù . )2. tement renvoye aux pensions. DRE 1798; Ê 962 ) € A Es 7 , no Arr. 3. Le même professeur sera tenu de ® Voir le Rapport d'une demande d'indem- donner une description du Jardin du Roi et des nité formée par sieur Barthelmy Faujas, na- richesses qu'il renferme. Il sera destiné pour surabste signé eNorandie etidaté du l'impression une somme de 600 livres par an. 5 . / J GRUiTE rares 28 fructidor an 11 (14 septembre 1794). usqu à ce qu'elle soit payée. ee ete : JUS | ; P#s “ae Ve Bibliothèque nationale, mss. franç., nouv. acq., Art. 4. Il sera établi au Cabinet du Roi une de) RNA DE : n° ho. chaire d'histoire naturelle aux appointemens de 77) he à : re 5) Considérations en faveur du chevalier de 1,000 livres. Ê LB - la Marck, ancien officier au régiment de Beau- Arr. 5. Le professeur de chymie donnera un 2 vf} ô cours complet de chymie et en particulier de Jolois, de l'Académie des sciences, botaniste du la métallurgie, et ses appointemens seront de ,000 livres. La place d'adjoint à la garde des Cabinets sera supprimée. Foi attaché au Cabinet d'histoire naturelle, Paris, Gueflier, 1789, br. in-8° de 7 pages (Arch. nat., AD, XVIIE, 85). 30 M. E.-T. HAMY. l'autre où 1l démontre que la place quil occupe est d’une indispensable nécessité el ne saurait être réunie, pour être remplie «d'une manière convenable et utile», à celle du professeur de botanique, déjà sur- chargée Le député Regnauld de Saint-Jean d'Angely prend la défense des deux fonctionnaires sacrifiés par le Comité, et Dupont (de Nemours), qui vient de recevoir l'adresse des officiers du Jardin, la fait lire à ses collègues ©. Cette adresse était écrite avec une remarquable habileté : elle disait en bons termes et assez brièvement ce qu'il fallait dire à des hommes ani- més en général d'excellentes intentions, mais peu versés dans l'étude des sciences et dans la connaissance de leurs applications. On y louait d'abord avec convenance les travaux de l'Assemblée; on y donnait, sans trop d'em- phase, l'assurance d'un entier dévouement à la chose publique. Puis, dans quelques pages fort claires, on groupait en un faisceau serré tous les genres de services que peut rendre un établissement comme le Jardin des : er ae S Plantes aux sciences et aux arts, et, en particulier, à Fagriculture, à la Mémoire sur le projet du Comité des venable et utile.» L'auteur du mémoire ré- finances, relatif à la suppression de la place de sume brièvement ensuite l'état des collec- botaniste attaché au Cabinet d'histoire naturelle , üons dont il a la garde (Arch. nat., AD, XVIII, 85). Paris, Gueflier, s. d., br. in-8° de 10 pages. — Lamarck prouve dans ce mémoire : +1° que la place de botaniste attaché au Cabinet d'histoire naturelle et chargé de former, d'entretenir, de ranger dans un ordre convenable, de nommer et d’aug- menter continuellement la collection de végétaux conservés dans ce cabinet, bien loin d'être inutile et sans fonctions, est au contraire d'une nécessité indispensable; et qu'elle exige du botaniste à qui elle est confiée des recherches continuelles et des Oo travaux considérables; 2° que les fonctions de cette place ne peuvent être réunies à celles de professeur du Jardin du Roi, comme le propose le Comité, parce que leur étendue dans l'une et l’autre place exige que ces places soient divisées, si lon veut qu'elles soient remplies d’une manière con- ®) Voici comment s'exprime à ce sujet le procès-verbal manuscrit de la séance du 20 août : Au cours de la discussion, M. le Président (Dupont de Nemours) a dit qu'il venoit de re- cevoir des officiers du Jardin des Plantes et du Cabmet d'histoire naturelle une lettre et une adresse dont l'Assemblée nationale a ordonné la lecture. Laditte lecture faite, l'Assemblée, en adoptant les vues sages énoncées en laditte adresse, en a ordonné le renvoy au Comité des finances et l'ajournement du rapport deflinitif au mois, pendant lequel tous lesdits ofliciers présente- ront un projet de règlement pour fixer l'organi- sation d'un si utile établissement. (Arch. nat., CG, Notes et minutes pour la rédaction du procès-verbal de l'Assemblée nationale, du 90 au 31 août 1790.) LES DERNIERS JOURS DU JARDIN DU ROL. si médecine, au commerce, ete. Galeries et plantations, cours publics et dé- monstrations dans le Cabinet ou dans l'École de botanique, office de ren- seignements, distributions de graines, ete., toutes les ressources déjà si variées, tous les moyens d'action du Jardin, passaient successivement en revue devant les représentants du pays, et l'adresse finissait en deman- dant modestement à l'Assemblée qu'il fût permis à ses auteurs de lui offrir sous peu de jours quelques observations relatives à l’organisation future de cette grande institution. L'Assemblée, que la protestation de Regnauld de Saint-Jean d'Angely avait impressionnée, fut très aise d'avoir un prétexte pour ajourner toute résolution et, adoptant les vues sages énoncées dans le manifeste qui lui était présenté par les officiers du Jardin et du Cabinet, elle renvoya cette pièce au Comité et donna un mois aux pétitionnaires pour présenter un projet de règlement qui servit à fixer l'organisation de leur établissement. Le rédacteur de l'adresse n'avait laissé pressentir, à travers des formules assez vagues, que quelques-unes des réclamations les plus importantes de ses collègues. L'absence de réglements fixes, linépalité des traitements, l'interdiction de choisir eux-mêmes leurs collaborateurs. étaient briève- ment signalées, mais lIntendance, que visait seulement en passant cette dernière allégation, n'était pas ouvertement attaquée. On savait par le rapport imprimé de Lebrun que le Comité maintenait provisoirement lin- tendant, tout en diminuant considérablement sa situation au Jardin ‘etil avait paru de bonne politique de se contenter pour l'instant de cette pre- mière Concession. D'ailleurs ce que les officiers du Jardin avaient volontairement omis de dire, un membre de l'Assemblée, Jacques-Antoine Creuzé-Latouche®, de Châtellerault, allait, d'accord avec certains d’entre eux sans aueun doute, le proclamer avec une brutale franchise. N'ayant pu prendre la parole ni le 17, ni le 20 août sur le Jardin des Plantes et les Académies, Greuzé- Latouche faisait imprimer et distribuer, suivant un usage très familier aux membres de l'Assemblée nationale, son opruion sur l'une et autre des 0) Voir plus loin pièces n°* 11 et 19, p. 97-101. — © I fut plus tard membre de l'institut dans la classe d'économie politique. 32 M. E.-T. HANMY. deux questions abordées par Lebrun. Il n'hésitait pas à signaler dans cette brochure, comme un des plus orands obstacles aux avantages que la Nation peut et doit attendre d'un établissement tel que celui du Jardin des Plantes, comme un abus qui demande la plus pressante réforme. . ., Vexis- tence d’un intendant pour le gouverner. Le nom seul d'intendant est déja comme frappé d'anathème par les décrets de l'Assemblée et par l'opinion publique, et les intendants de cette École des sciences naturelles, hors M. de Buffon. ne s’en sont Jamais occupés ou ont indignement abusé de leur pouvoir, comme Chirac, au profit de leurs intérêts. + Vous verrez, continue Creuzé-Latouche, l'intendant actuel, absolu- ment étranger à une école d'histoire naturelle, recevant les émolumens d'une place (déjà, par un autre abus digne de l'ancien régime, affectée à une survivance), recevant, dis-je, les émolumens d'une place, où l'on ne sauroit deviner ce qu'il fait d'utile, ni dissimuler ce qu'il fait de nuisible, puisque rien, en effet, nest plus nuisible aux sciences, n1 plus découra- seant pour ceux qui les cultivent, que l'intervention de ce pouvoir minis- tériel. + Vous verrez enfin cet administrateur dédaignant, comme ses prédé- cesseurs, le logement fastueux destiné à sa résidence, que le Gouvernement lui fournit encore et peut-être aussi abusivement ailleurs. » La Billarderie habitait en effet par faveur aux Tuileries. Il avait eu pourtant, en prenant possession de ses nouvelles fonctions, l'intention de venir s'installer dans ce logement de lntendance, bien moins fastueux que ne linsinuait Creuzé-Latouche, et, pour le garnir, d avait fait acheter 5) à la vente de Buffon un assez grand nombre de meubles®. Puis 1l avait 1 Opinion de M. J.-A. Creuzé- Latouche, ®) Le notaire Boursier écrit au fils de membre de l'Assemblée nationale, au sujet du Buffon à la date du 5 septembre 1788 : Jardin des Plantes et des Académies, Paris. Les gens de M. de la Billarderie ont fait beau- Imp. nat., 1790, br. im-19 de 20 pages. — coup de vilenies à la vente, voulant avoir tout J'ai reproduit, sous le n° 10 des pièces Jus- à bas prix, mais cela ne leur a pas trop réussi; tificatives (voir plus loin, p. 93), les pages il lui en est resté à peu près pour 24,000 livres, de cet opuseule qui concernent le Jardin des dont vous serez obligé de lui faire crédit. Plantes. ( Correspondance inédite, 1. I, p. 528-529.) LES DERNIERS JOURS DU JARDIN DU ROI. 39 changé d'idée et était resté aux Tuileries, où l'Almanach royal indique sa demeure), jusqu'au dernier jour de son séjour à Paris. Grâce à cet éloignement, La Billarderie ignora les conciliabules où se tramait sa chute et la démarche faite le 20 août par les officiers du Jardin auprès de l'Assemblée. C'est le surlendemain seulement que le pauvre intendant apprenait une partie de ce qui s'était passé et, tout transi de peur, écrivait vite à Condorcet, qui ne savait rien encore : +...Un de mes amis a vu hier soir quelqu'un qui luy a dit qu'il avoit été question à l'Assemblée nationale du Jardin du Roy, qu'on y avoit parlé de la place de M. de Faujas et de celle de M. de la Mark. À cette occasion on à d'abord proposé de les supprimer: quelqu'un a parlé en leur fa- veur® et on a dit que ces places n'étoient pas des places perpétuelles et qu'elles ne faisoient pas des parties essentielles de l'établissement, et que les personnes qui en étoient pourvues avoient assez de mérite pour qu'on leur dût quelques égards. + Alors, continue douloureusement La Billarderie, on a dit que la place d'intendant pouvoit être supprimée et que sur les appointements on pour- roit conserver les deux places. M. Le Brun a, ce m'a-t-on dit, défendu la place d'intendant, et alors on a dit ou proposé de prendre sur les 8,000 livres qu'on laisse au possesseur de cette place les 4,000 livres qui forment les appointements de ces deux Messieurs . «Tout ce détail est très imparfait parce que celuy qui l'a entendu étoit loin de la tribune et ne mettoit que peu d'intérêt à la chose. Je suis on ne peut pas moins au fait de ce qui se passe à l’Assemblée nationale et M. de Condorcet est infiniment plus à portée que moi d'en être instruit. Nos intérêts sont communs à cet égard! et je le prie de s’en occuper. «Je crois que tout presse, continue La Billarderie, et qu'il faut tâcher 0 Almanach royal pour l'année 1789 et S) Ce n’est pas A,000 livres qu'on les suiv. payait : Faujas n'avait touché que 1,800 li- ®) On voit en effet, nous l'avons dit, au vres en 1789 et Lamarck seulement 1,000, Moniteur, Regnauld de Saint-Jean d’Angely soit en tout 2,800 livres. demander que «le traitement de MM. La- (1) Nouvelle allusion à la survivance de marck et Saint-Fonds soit conservé ». Condorcet. 5 IMPRIMERIE NATIONAIE, 31 M. E.-T. HAMY. d'éviter qu'on ne prononce de cela à l'Assemblée d’une manière aussi ruineuse, » Et à cette pensée de la ruine de sa position, le voila qui se livre contre ces deux subordonnés, qui ont compromis, sans le savoir, les intérêts de leur chef, à des dénonciations dont 11 sent lui-même tout l'odieux. «Je vais luy dire (à M. de Condorcet) mon opinion sur les deux places en question, mais Je le prie de brüler ma lettre ou de me la renvoyer après l'avoir lue... ..» Etil continue en assurant, ce qui se pouvait défendre, «que la place de M. de Faujas est utile en tous points», mais en ajoutant, ce que lon ne comprend plus, qu'elle peut étre nuisible à l'établissement par les qualifications que M. de Buffon y «a fat donner. Or Faujas est qualifié, dans l'Almanach royal de 1790, adjoint à la garde des Cabinets et chargé des correspondances. Quant à la place de Lamarck, elle peut être utile, mais n'est pas absolu- ment nécessaire, «Je lay demandée pour luy à raison de ce que je croïois avantageux que la besogne dont je comptois le charger füt faite plus promptement et à raison aussi du besoin qu'il en avoit, et sil étoit sup- primé, J'en serois fâché pour luy, mais je pourrois proposer des moyens de faire remplir objet à meilleur marché sous l'inspection de M. Desfon- taines. » Or Lamarck possède le brevet de correspondant du Jardin et du Gabi- net depuis neuf ans déjà (1781), et, sans avoir Jamais reçu la moindre indemnité, il a fait passer au Cabinet, de Hollande, d'Allemagne et de diverses provinces de France, «des graines, des plantes rares, des miné- raux intéressants et des observations recueillies dans ses voyages ». L'intendant connait bien ces services rendus au Jardin du Roi, puisque cest en partie pour les récompenser qu'il a fait nommer botaniste du Cabi- nel le savant auquel on les doit. Il sait également, il vient d'en convenir, que l’auteur de la Flore francaise est dans une situation des plus précaires, et fait vivre de son chéüf traitement une famille de sept personnes”. (0) Lorsqu'on dressa, en exécution d’un (12 juin 1394), l'état détaillé des fonc- ordre de la Commission exécutive de lin- tionnaires du Muséum, Lamareck y figura struction publique, du 25 prairial an 11 avec cette mention : «marié pour la seconde LES DERNIERS JOURS DU JARDIN DU ROL. 39 Mais sa propre place est en cause et 1l n'hésite pas à sacrifier le pauvre savant quil vient d'installer lui-même au service des herbiers. Ces insi- nuations donnent tristement la mesure de l’homme auquel était échu l'héritage de Buffon et sufhraient à expliquer l'attitude que va prendre A son égard l'assemblée délibérante instituée par le décret du 20 août. IV Les officiers du Jardin des Plantes et du Cabinet d'histoire naturelle, invités, ainsi quon vient de le voir, à se constituer en assemblée déli- bérante pour s'occuper des rèvlements de ce double établissement, s'étaient réunis le lundi 23, et des cette premiere séance leur hostilité contre l'in- tendant s'était mamifestée par la nomination de Daubenton à la prési- dence, quoique La Billarderie, le représentant de l'autorité royale, fût Le \ ] LE D (1) présent à a reunion”. Les dispositions de l'assemblée s'accentuent si nettement des la se- conde séance (mardi 2/ août) que lintendant renonce dés lors à prendre part aux délibérations ?. Seulement. s'il ne se montre plus lui-même pour éviter des froissements pénibles, il cherche à déléguer à sa place son mystérieux survivancier, qui tente en sa faveur une démarche auprès de Daubenton. Le vendredi 27 août, en effet, avant la séance de l'assemblée des ofli- aers du Muséum, Daubenton a recu une lettre de Condorcet, sur l'effet lois, épouse enceinte, six enfants». Il avait alors cinquante ans, cinq ans de service et son traitement avait été élevé en 1792 à 1,800 livres! 0) Lacépède avait été nommé secrétaire, et l’on avait décidé que l'architecte et le commandant du Jardin seraient appelés aux assemblées avec voix délibérative pour les seules affaires relatives à leurs places. Portal seul et Mertrud avaient fait défaut; ce dernier, vieux et malade, n’est apparu qu'à la séance où l'on a lu définitivement, ac- cepté el signé le projet de règlement. Por- tal, très occupé ailleurs, ne vient qu'à par- ür du 25 et il revient exactement jusqu'au 6 septembre. ® La Billarderie ne vient plus à parür de la troisième séance (27 août 1790). Dans une lettre écrite à Thouin à la date du 9 septembre et que j'ai retrouvée dans les papiers du Muséum , il se donne comme +un peu souffrant» et ne faisant que sortir de son lit. Nous verrons plus loin ce qu'il faut penser de cette maladie. 36 M. E.-T. HAMY. de laquelle La Billarderie semble beaucoup compter, si l'on juge de ses espérances par le billet qu'il a écrit l'avant-veille , Que contenait cette lettre? L'auteur avouait-1il l'arrangement de survie conclu avec lintendant? On serait tenté de le croire, puisque c’est Brous- sonnet, le disciple favori de Daubenton, qui en propagea la nouvelle un peu plus tard. Conseillait-1l néanmoins de passer outre? Je n’en serais point étonné, car la missive adressée pour être lue à l'assemblée de MN. les ofliciers du Jardin du Roi» ne fut pas communiquée à ses desti- nataires®), qui continuèrent leurs délibérations sans paraître avoir con- naissance d'une intrigue qu'ils ne pouvaient pourtant pas ignorer . Ils écrivent au président de l'Assemblée nationale, Dupont (de Nemours), pour le remercier d'avoir fait lire leur adresse; Fourcroy et Thouin sont charpés de lui porter l'expression de la reconnaissance de leurs collègues. Daubenton et Desfontaines doivent rechercher les propositions de réformes faites jusqu'a présent dans différents mémoires, et relatives au Jardin des Plantes; Foureroy, Lacépède et Portal rédigeront et présenteront à las- semblée un projet de réglement. Trois Jours après, le rapport est prêt, la discussion commence, et les 0 Voici le billet autographe de La Bil- larderie, concernant la lettre à Daubenton, conservé dans les papiers de Condorcet à la bibliothèque de l'Institut : À Monsieur, Monsieur de Condorcet, à l'hôtel de la Monnoie. Je fais de tendres compliments à M. de Con- dorcet. La lettre qu'il m'a écrite hier ne rest parvenue par divers petits malentendus que trop tard pour être lue à l'assemblée de MM. les oficiers du Jardin du Roy. Je l'envoie à M. d'Aubenton pour qu'elle soit lue vendredi. Il fera passer le résultat à M. de Condorcet que Jirai voir demain matin s'il ne me fait pas dire qu'il n'y sera pas. MAS Ce 29 août 1790. ®) Le procès-verbal détaillé de la séance, Q que J'ai sous les yeux, n'en fait aucune es- pèce de mention. (8) C’est sans doute cette intervention de Condorcet, bien connue des habitants du Jardin, qui leur faisait attribuer plus tard à l'influence hostile de cet important per- sonnage certains événements contraires aux intérêts de l'établissement. Je trouve notam- ment une manifestalion de ces sentiments dans un récit d'Aimé Martin, emprunté à quelque note de Bernardin de Saint-Pierre, qui l'avait recueilli au Muséum. Suivant ce récit, vigoureusement réfuté par Île lieute- nant général O'Connor, Condorcet aurait septembrisé la ménagerie de Versailles pour empêcher qu'elle vint enrichir le Jardin des Plantes. L'accusation paraît absurde et je ne la relève que pour montrer lanimo- sité qui régnait à cette époque contre Con- dorcet chez quelques personnes du Jardin national. LES DERNIERS JOURS DU JARDIN DU RO. 37 fondements de l'organisation nouvelle sont définitivement jetés. Plus de Jardin ni de Cabinets, un Muséum d'histoire naturelle, dont le but est clai- rement défini; plus d'officiers à fonctions inépales : tous sont professeurs et tous enseigneront. Ils choisiront eux-mêmes et présenteront au Roi un sujet par chaque place vacant. Enfin l'admistrahion générale du Muséum sera confiée à l'assemblée des officiers de l'établissement, ce qui implique la suppression de lIntendance. Le 30 août, Antoine Petit et Lemonnier, professeurs honoraires d'ana- tomie et de botanique, ont écrit pour adhérer aux délibérations de leurs anciens collègues, demandant à signer le projet qui sera présenté à PAs- semblée nationale. Et leurs collègues s'empressent de {émoïoner leurs sen- timents à deux anciens professeurs + qui ont fait honneur au Jardin ». Puis on continue à travailler au réglement. Voici les professeurs nommant les employés, le directeur élu au scrutin pour un an, rééligible un an encore et ne pouvant reprendre ce poste qu'après deux autres années, enfin choisi parmi les professeurs et par les professeurs. H préside l'assemblée et est chargé de faire exécuter les règlements et les délibérations. Puis, comme avec l'égalité des droits on a inscrit dans le projet l'éga- lité des appointements, et comme ce principe peut porter atteinte à la situation matérielle de Daubenton!®”/, Lacépède lit une adresse qu'il à d'avance préparée et que l'assemblée acclame avec chaleur. Buffon et Daubenton sont des fondateurs : sans Daubenton le Cabinet d'histoire naturelle n'existerait peut-être pas. Il l'a dirigé pendant près de cinquante ans ® et sa gloire était proclamée dans toute l'Europe «avant qu'aucun de nous n'existât encore pour les sciences ». Cherchons à le « dé- dommager des droits qu'il a eus» jusqu'ici; que, par une exception toute spéciale, 1l soit ce directeur dont vous venez d'arrêter la place et les fonc- tons, et que, dans la division que vous ferez des divers emplois et des diverses parties de l'enseignement public relatives à la collection quil à rassemblée, 1l choisisse la part qui lui conviendra le mieux, mais qu'il U) Daubenton, en effet, touche 4,140 li- l'un et l’autre que 1,530 livres, et que Jussieu vres en 1789, tandis que Mertrud et Four- n'en à que 1,000. croy, les mieux appointés- après lui, n’ont ® Exactement quarante-huit ans. 35 M. E.-T. HAMY. soit directeur à vie du Muséum et conserve tous les appomtements dont il à Joui Jusqu'aujourd'hui. . . Et si quelque autre veut réclamer, contre notre volonté, une perpétuité que nous n'avons accordée qu à notre collègue, la loi sera claire; 11 n'aura pas fondé le Cabinet d'histoire naturelle ef nous saurons bien par notre réunion surmonter lous ses efforts... Aux ardentes paroles de son jeune secrétaire, l'assemblée s’'échauffe et s'agite, et 1l n'est pas trop malaisé de recomposer, en lisant le procès-verbal un peu sec de la séance, une belle scène d'enthousiasme et d’attendrisse- ment D). Les travaux continuent avec méthode, et l’on règle successivement les questions relatives aux séances, au secrétaire, au trésorier, etc.; puis on passe aux titres ÎT et TT sans qu'il se produise d’autres incidents qu'une proposition de l'architecte, offrant de faire gratuitement ce qu'il appelle un cours de géométrie souterraine ®, et le dépôt par André Thouin de plusieurs articles considérés comme «très propres à former une partie importante des règlements particuliers» que l'assemblée devra préparer plus tard. Enfin, le jeudi 9 septembre, à 9 heures du matin, Foureroy it le texte définitif du projet et la nouvelle adresse qui doit le précéder. La rédaction est adoptée en son entier el unanimement par les officiers du Jardin et des Cabinets qui la signent, en votent l'impression et expriment leurs remer- à , ; : SRE , ciements à l'auteur. Et Thouin, assisté de Faujas, est chargé de presser 1) «L'assemblée, est-il écrit, très em- bal, a témoigné à l'assemblée sa reconnois- pressée de témoigner d’une manière écla- sance et sa sensibilité. » tante à M. Daubenton, l'un des fondateurs ®) Ce cours était destiné, dans la pensée du Cabinet d'histoire naturelle, sa recon- de Verniquet, aux jeunes gens qui se desti- noissance, son estime et son attachement, a adopté unanimement et dans son entier la motion de M. La Cépède, à ordonné qu'elle fût transcrite tout au long sur le registre des procès-verbaux de ses séances et a chargé M. La Cépède de rédiger le projet de dé- cret qu'elle suppliera l'Assemblée nationale d'accorder à l'établissement relativement à M. Daubenton.» «M. Daubenton, continue le procès-ver- nent à l’étude de la minéralogie et particu- lièrement à l'exploitation des mines. L'as- semblée renvoie, pour se prononcer, «au moment où l'Assemblée nationale aura dé- crété définitivement ce qui concerne l'École des mines». 8) Cette pièce devait être conservée, sui- vant la délibération des officiers, dans les archives du secrétariat. Je ne Vy ai pas re- trouvée. LES DERNIERS JOURS DU JARDIN DU RO. 39 et de surveiller la publication d’une brochure qui comprendra, en outre. l'adresse du 20 août et le décret du même jour. Les mêmes commissaires délégués doivent aller chez le président +le prier de permettre que les ofliciers du Jardin se présentent Jeudi soir (c'est-à-dire le 16 septembre) à la barre de l'Assemblée nationale ». On ne peut pas douter que cette démarche officielle ait été faite par les délégués du Jardin, quoique les procès-verbaux et les pièces annexes de l'Assemblée nationale n'en aient point conservé le souvenir. J'imagine que, comme il s'agissait d'un document imprimé, on s’est borné à en faire la distribution aux députés. Je n'ai rencontré dans les dossiers de l'Assemblée du mois de septembre 1790 qu'une pétition de la section du Jardin des Plantes® offrant ses ser- vices pour l'inspection et la garde de l'établissement dont elle venait de prendre le nom. Un des ofliciers de la section serait chargé de l'inspection, transformée dans le sens indiqué par Lebrun Ÿ, ce qui diminuerait le mon- tant du traitement, et la garde serait confiée, non à des invalides, comme le voulait le Comité des finances, mais aux soldats du même bataillon. une simple gratification (ET, FOR qui recevraient — nouvelle économie Pétition des sectionnaires, adresse et projet de règlement des officiers du Jardin, devaient être renvoyés au Comité des finances. Détourné par des préoccupations plus graves, le Comité népligea de s'occuper d’une affaire d'un intérêt secondaire, et lorsque, le 1 4 octobre de l'année suivante, lAs- semblée législative créa le premier Comité d'instruction publique, ce Co- mité s'abstint également d'intervenir. Il était réservé à la Convention de décréter l'organisation du Muséum d'histoire naturelle. (M) C'est la brochure de 80 pages in-8°, parue sous ce titre : Adresses et projet de rè- glement présentés à l’Assemblée nationale par les officiers du Jardin des Plantes et du Ca- binet d'histoire naturelle. D'après le décret de l'Assemblée nationale, du 20 août 1790; Paris, Buisson, 1790. — On a imprimé à la fin (p. 38-80) un projet de budget ren- trant dans les prévisions du Comité des finances, mais répartissant les 92,229 livres d'après les dispositions nouvelles, proposées par les officiers. On trouvera plus loin le texte complet de la brochure, p. 97 et SUIY. ®) D'abord assemblée de la commune de Saint-Nicolas-du-Chardonnet, cette section est devenue plus tard la fameuse section des Sans-Culottes. 8 Voir plus haut, p. 28. (&) Voir plus loin pièce n° 17, p. 131. 10 M. E.-T. HAMY. En attendant une solution qu'ils croyaient bien déjà tenir, professeurs et démonstrateurs retournérent à leurs cours et à leurs expériences, et l'établissement, un instant surexcité par la crise qu'il venait de franchir, reprit peu à peu sa physionomie des anciens jours, Daubenton continua ses travaux de classement dans le Cabinet et Thouin se remit avec une ardeur nouvelle au travail. La grande serre chaude était terminée et toute cette fin d'année fut employée à son aménagement et au nettoyage des parties du Jardin qu'avaient occupées les ateliers de la bâtisse. Les comptes de Thouin, que nous avons au grand complet pour l'an- née 1790, témoignent une fois de plus de son activité intelligente et féconde. On le suit pas à pas dans son incessant travail, terrassant et nive- lant les abords de la nouvelle serre, arrangeant les perrons, surveillant la pose de la vitrerie, remplissant les intérieurs avec de la tannée neuve, puis regarnissant tes couches, rebordant de thym et de lavande les plates- bandes anciennes et nouvelles, replantant d'arbres verts les bosquets du massif du Midi, ornant de fleurs le parterre neuf devant l'amphithéâtre, comblant les vides de la Pépinière et de l'École de botanique, etc. L'histoire intime du grand horticulteur nous est ainsi racontée par le menu et nous reconstituons, entre les lignes de ses comptes, les moindres détails d’une existence dominée tout entière par le culte désintéressé de la science et par une profonde affection pour ce Jardin qui est son œuvre et où il vit laborieux et utile au milieu des plantes qu'il aime. L'intendant a eu une dernière alerte et s'est empressé d'exprimer ses nouvelles doléances à Condorcet”. Il reprend quelque confiance en voyant que l’on ne s'occupe plus de lui dans le Comité des finances, mais Îles accusations dont son frere est déjà l’objet de la part de Charles Lameth OU) Arch. nat., F17 1944. 2) Voici ce nouveau billet à Condorcet, conservé comme tous les autres dans les papiers donnés à l'Institut : A Monsieur, Monsieur de Condorcet, à l'hôtel des Monnoies. Je fais mille compliments à M. de Condorcet et je vais luy rendre compte de ce que j'ai ap- pris par des voies indirectes. Il paroit que par le projet de règlement pro- posé par les officiers du Jardin du Roy, la place d'intendant est fortement attaquée et qu'on en propose la suppression. Ce projet de règlement doit être imprimé et rendu publie. Ne seroit-il pas nécessaire qu'un mémoire de Pintendant prévint ce projet? Ne seroit-il pas utile qu'un mémoire LES DERNIERS JOURS DU JARDIN DU RO. n1 viennent bientôt le remplir d'une terreur plus grande , et il se décidera à donner sa démission, malgré l'horrible gêne qui l'attend ensuite, lors- quil aura enfin la preuve que Condorcet a sacrifié à ses principes une survivance, devenue d’ailleurs de plus en plus inacceptable ©. La note qui accompagnait le billet du 5 septembre affirmait des théo- ries administratives que jamais Condorcet n'aurait voulu contresigner. La réponse au dernier billet de l'intendant se lit dans la Chronique de Paris du 1% octobre 1790. Le journal inspiré par Condorcet commence, en fait par un autre que l'intendant actuel Füt aussi rendu publie et prouvät la nécessité de cette place? M. de Condorcet veut-il bien me donner un rendez-vous pour raisonner de cette affaire très importante pour l'établissement et très im- portante aussi pour moi que cette suppression va mettre dans une horrible gêne? Je le prie de me faire un mot de réponse, et d'être bien as- suré de la fidélité de mes sentiments. Ce » septembre 1790. Un mémoire fait par un autre pour prou- ver la nécessité de sa place, c'est surtout ce qu'il demande. Et il envoie une note (voir plus loin n° 16, p.129) et il demande un rendez-vous. Mais ce n’est plus le même homme quand, quatre jours après, il écrit à Thouin linutile lettre d’affaires que j'ai retrouvée dans les papiers du Jardin. Pour Thouin, il est malade; il faut bien qu'il n'ait pas eu l'air de reculer devant l'assem- blée dont il feint d'ailleurs d'ignorer les décisions. Il est toujours intendant et fait acle d'intendance en examinant les états et tächant d’avoir de l'argent. Je reçois, Monsieur, dit la lettre à Thouin, les états de dépense que vous n'envoiez; Je vais les examiner, et je vous remettrai signez de moi ceux que vous m'indiquez lorsque vous me re- mettrez ceux qui vous restent à me fournir. Je vous les renvoierois dès aujourd'huy, mais je suis un peu souffrant, et je ne fais que sortir de mon lit. SitÔt que J'aurai le total des états, je travail lerai avec M. de la Chapelle et M. Cotin pour tâcher d'avoir de l'argent. Je suis très parfaite- ment, Monsieur, votre très humble et très obéis- sant serviteur, LaABILLARDERIE. Ce 9 septembre 1790. (Arch. du Muséum.) M La Chronique de Paris, journal de Condorcet, du dimanche 29 août 1790, que le marquis n'avait sûrement pas lue, ar- liculait des accusations fort graves contre d'Angiviller à l’occasion de son rôle dans l'administration de la forêt de Rambouillet. 2) Voici la lettre datée de Paris, 25 dé- cembre 1791, par laquelle La Billarderie notifie sa démission au Ministre de l'inté- rieur, Cahier de Gerville : Monsieur, Je reçois la lettre que vous me faites lhon- neur de m'écrire et je n'empresse d'avoir celuy d'y répondre. Il y a près d'un an que j'avois le dessein de remettre la place d'intendant du Jardin du Roy, et j'en avois fait prévenir Sa Majesté; 1l y a trois mois que J'ay eu Fhonneur de luy faire passer ma démission et quoique je n'aie pas encore rien reçu son acceplation, et que jen aie continué les fonctions jusqu'à ce moment, je ne me regarde plus comme inten- dant du Jardin du Roy. J'ai l'honneur d’être avec respect, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur. LABILLARDERIE. (Arch. nat., F7 1997.) 6 IMPRIMERIE NATIONALE, 42 M. E.-T. HAMY. effet, le numéro de ce jour par l'appréciation de la brochure des officiers du Jardin : Adresse et projet de rèvlement. «Cette adresse, dit le rédacteur anonyme, nous à paru sage; les principes en sont excellens, et si la de- mande des professeurs du Jardin du Roi est accueillie par l'Assemblée nationale, on pourra espérer de voir lhistoire naturelle, cette science si agréable et si utile, enseignée enfin avec méthode et étudiée avec suc- cès 0,» Donc plus d'intendant et plus de survivance ! Que nous voilà loin du discours de 1788, et des éloges adressés alors en pleine Académie au successeur de Buffon ! En attendant qu'il démissionne, l'administration de La Billarderie va de mal en pis au Jardin et quand l'exercice 1790 vient à se clore, l'inca- pable intendant se voit obligé d'avouer un déficit de 23,657 livres 13 sous et 5 deniers. L'Assemblée avait accordé une ordonnance provisoire de 92.292 livres 10 sous, acquittée entiérement par Randon de la Tour, administrateur du Trésor publie. Et La Billarderie avait laissé dépenser 115.880 livres 13 sous et » deniers. Les comptes quil présentait au ministre Delessart, le 4 avril 1791, en le priant «d’avoir la bonté de faire expédier une ordonnance de re- glement», étaient dans un remarquable désordre, confondant le budget ordinaire et l'extraordinaire, et J'ai vainement essayé de my retrouver, en les comparant avec ceux que Thouin avait dressés à part pour le Jardin et pour les bâtiments. Quant à Daubenton, il avait directement touché son petit budget du Cabinet chez l'administrateur du Trésor publie, toute re- lation directe ayant cessé entre lui et lntendance. L'année 1791 s'écoule sans autre incident que les décrets des 2/4 mars et 29 septembre, relatifs à diverses collections et notamment à celle que Richard a rapportée de sa mission dans l'Amérique du Nord®. Des le milieu de l'année, La Billarderie à complètement cessé ses fonctions et remet sa démission entre les mains du Roi. Son frère cadet, le comte d'Anpiviller, accusé de malversations en 1790, M Chronique de Paris, 1° octobre 1790. hières les plus importantes. N° XIV. Décrets sur 2) Noir Notices des principaux décrets rendus l'instruction publique, les sciences et les beaux- par l'Assemblée nationale constituante sur les ma- arts, 1792, br. in-8° de 90 pages. LES DERNIERS JOURS DU JARDIN DU RO. A5 et décrété de saisie Judiciaire le 15 juin 1791, sur un rapport de Camus, s'est enfui à l'étranger, et lui-même, après être resté quelques mois encore à Paris, se rélugie au commencement de 1792 en Boulonnais, au berceau de sa famille. Il se laissera compromettre dans une affaire de faux assignats avec la femme et le beau-père de Bertrand de Molleville, l'ancien Ministre de la marine, récemment émigré à Londres". Incarcéré à Boulogne-sur-Mer au commencement de février 1792 ,1l montera sur l'échafaud l'année sui- vante à Arras ©). L'intendant avait disparu sans donner les signatures nécessaires pour le réglement des crédits, et il fallut constituer une sorte de conseil provi- soire pour suppléer à son absence. L'administration exigea d'abord le visa des pièces de comptabilité par quatre fonctionnaires, Daubenton, Thoun, Lacépède et Desfontanes, et le devis, adressé le 28 mars, cireulait encore le 10 avril entre le mimistere et le Jardin. Toutes choses étaient d’aulleurs rentrées dans l'ordre, quand, le 30 juin 1792, Daubenton et Thoumn envoyerent le devis du second quartier de l'année. Le budget de 1792 avait été remonté à 100,000 livres, et chacun des quartiers était, par suite, de 25,000 livres . 0) Bertrand de Molleville a écrit, pour tâcher de justifier les accusés, au président de la Convention, une lettre datée de Lon- dres, 11 février 1793. Un exemplaire de cette rarissime plaquette de 8 pages, s. L. n. d., est relié à la fin du troisième volume de l’exemplaire des Mémoires secrets de l'auteur, appartenant à la bibliothèque de l'Institut. ? Voici ce qu'écrit au sujet de notre per- sonnage l'historien boulonnais Ernest Des- cille, qui ignore d'ailleurs que le Flahaut de la Billarderie dont il s'occupe soit le même que le successeur de Buffon : Accusé d'émission de faux assignats le 29 jan- vier 1793, les pièces de conviction trouvées chez lui amenèrent son arrestation. Flahaut parvint à s'évader une fois et, dit-on. par la complicité des autorités municipales. Ayant été repris, 1l fut longtemps détenu à Boulogne; au 26 ven- tôse an 11 (16 mars 1794), on le voit recevoir en prison une lettre chargée. Le 4 floréal suivant 9 (23 avril), 1l réclamait un certificat de rési- dence..... en prison. Je ne rencontre plus rien qui le concerne jusqu'au 2 brumaire an nr (23 oc- tobre 179), où il est question de la vente des effets de Flahaut , condamne, mais je n'ai pu trou- ver la date et le lieu de l'exécution. (L’Année boulonnaise, éphémérides historiques, ete. Boulogne-sur-Mer, 1885-1886, in-8°, p. 4ho.) Les biographes s'accordent toutefois pour inserire le nom de Flahault de la Billarderie sur la liste des victimes de la Terreur exé- cutées à Arras. &) Je trouve la situation financière du Jardin des Plantes, de 1791 à 1792, très nettement exposée dans une note d'un des 6. l4 M. E.-T. HAMY. Les appointements de lintendant n'étant plus payés depuis janvier, il fut possible de prélever sur la somme rendue disponible une indemnité de cours que L.-A. Brongniart réclamait depuis 1790 «en considération de l'augmentation du prix des drogues et autres ingrédients destinés à ses expériences ». Tant quil avait jour de sa place de premier apothicaire, comme il l'écrit dans une pétition du g mai, qui nous a été conservée, «les émoluments de sa charge couvroient les dépenses et il en faisoit avec plaisir. Actuelle- ment quil est réformé et que sa fortune est au-dessous de la médiocrité», il ne peut plus agir de même. On évalue à oo livres son déficit annuel, et, sur l'avis favorable du directoire du département de Paris, 1l recoit 1,200 livres pour les trois années 1790, 1791 et 179920) Cest Champion de Villeneuve qui a pris cette décision, le cinquième Utulaire du ministère de l'intérieur depuis un peu plus de six mois. Nom- més un Jour, renvoyés le lendemain, ces ministres éphéméres n'ont mi le temps ni les moyens d'étudier les questions administratives qui sont de leur ressort, et le régime provisoire se prolonge au Jardin sous les auspices de Daubenton. chefs de service du ministère, que je trans- cris textuellement : La loi du 25 février 1791, dit le rédacteur, relative aux sommes à verser au Trésor publie pour la totalité des dépenses de l'État de ladite année 1791, a implicitement compris les dé- penses du Jardin du Roi; c’est en conséquence de cette loi qu'elles ont été acquittées en 1791. La loi du 4 janvier 1792 ayant ordonné le payement pour les trois premiers mois de la pré- sente année de toutes les dépenses comprises dans la loi du 25 février 1791, le quartier de janvier dernier des dépenses du Jardin des Plantes a été acquitté conformément à ladite loi sur les fonds versés à la Trésorerie nationale. Par une dernière loi du 1° mai 1792, il a été ordonné que la Trésorerie nationale conti- nuerait à payer les différentes parties des dé- penses publiques de 179», qui n'ont pas encore été décrétées, suivant les formes et les états de 1791, jusqu'au moment où chacune de ces dé- penses sera définitivement décrétée pour 1792. 0) II n'est pas sans intérêt de relever dans la pétition de Brongniart ce passage où il rappelle l’une des décisions les plus impor- tantes prises en août et septembre 1790 par ce qu'il appelle la Société savante du Jardin : Depuis longtemps les émoluments des places de professeurs, démonstrateurs et autres officiers du Jardin des Plantes sont fixés invariablement . et cette répartition inégale étoit digne du tems où elle a été faite. Cette inégalité a été sentie par les membres de cette Société savante et ils en ont donné la preuve dans le projet de décret de- mandé par l'Assemblée constituante et offert à ses membres. (Arch. nat., F7 1130.) LES DERNIERS JOURS DU JARDIN DU RO. 5 On espère toujours quil sortira de celte expérience involontaire une démonstration favorable à l'application des principes posés dans l'assemblée de 1790. La brochure imprimée alors est restée l'évangile des ofliciers du Jardin, et en toute occasion Thouin s'efforce d'en propager les doc- trines. Il l'envoie, par exemple, à Cahier de Gerville, qu'il a connu sub- stitut du procureur de la commune, et dont on à fait un ministre ©. Il l'enverra plus tard à un autre mimistre, Roland, avec lequel il entre- tient aussi des relations amicales. C'est Daubenton quil veut comme directeur, c'est Daubenton que tous les ofhiciers du Jardin désirent voir à leur tête. Mais Cahier de Gerville nest déja plus là pour présenter lillustre vieillard à la nomination du Roi, et Roland qui l'a remplacé est à peine resté en fonctions. Terrier-Monciel, nommé Ministre de l'intérieur le 18 juin 1791, a un protégé à placer. Cest un écrivain de grande notoriété, bien fait, lui semble-t-1l, pour plaire à tous les partis, et qui, par surcroit, à touché aux sciences natu- relles. Le Jardin du Roi «a besoin d'une surveillance active »: 1l ne faut pas (D Je reproduis ci-dessous la lettre écrite et cette nomination vous acquerra la reconnois- pau Thouin à Cahier de Gerville, Ministre sance de tous les amis des sciences et du vray de l'intérieur, d'après l'original conservé aux mérite. ë : : < de : Archives nationales (F1 7 130) : M. Jurien, que j ai vu ce matin, me dit qu'il : Rd avoit remis au Comité des finances de l'Assemblée À Paris, ce 2 janvier 1792. ; ; ; à Manson C nationale le devis de la dépense du Jardin des _. me ; s pour l’anné 2; ainsi cet objet est Voici la brochure dont j'ai eu l'honneur de Plantes pour l'année 1792; ainsi cet obje , 5 : . rempli. Quant au devis de la dépense du dernier vous parler. Vous y trouverez des notions sur où ne ; : he 1artier 17 ne l’a point encor 'OYÉ l'ancienne organisation du Jardin des Plantes et “L BHUCAOEN . à PE TS a Fe ; re finance, parce qu'il présume avoir besoin de des vues assez étendues sur son organisation pro- Tire : votre attache pour cet objet. Et enfin il juge jettée. Vous y verrez de plus les vœux que for- k qu RE PME RE 1 Et e ; 1 il juge que ne c'est à M. de la Billarderie à recevoir les comptes ment les professeurs de cet établissement pour avoir à leur tête le digne émule de Buffon et le de la dépense de 1791 et à donner les certificats Tue à de service aux emplovés de notre établissement compagnon de ses travaux, ainsi que de sa gloire. P°0ÿ AE Le AE be ; parce que ce service s'est fait pendant et sous Si, pour éviter des sollicitations toujours embar- I se : PEDSE Fe LR Ê DRE : son administration. rassantes, vous vous trouviez forcé, Monsieur, : : 3 | | Le : nee : Veuillez, je vous prie, recevoir comme homme de présenter à la nomination du Roi, pour rem- RER à privé l'assurance de mon franc et loyal attache- plir la place vacante, vous rendriez justice à la Les 6 re mac nent et comme Ministre du Roy celui de mon vertu la plus pure et au mérite le plus distingué ; er respect, en proposant à Sa Majesté M. Daubenton pour DÈGE Mons: ve se ; ; onsieur la remplir. Notre joie serait extrême de voir ce £ respectable vieillard occuper une place où T'Eu- Votre très humble et très obéissant serviteur, rope scavante l’avoit appellé depuis si longtemps Tours. 46 M. E.-T. HAMY. qu'il soit plus longtemps sans chef», et le 1° Juillet Jacques-Henri Ber- nardin de Saint-Pierre est nommé ntendant du Jardin royal des Plantes et des Cabinets d'histoire naturelle. W apprenait cette nomination le surlen- demain (3 juillet) par une lettre officielle, et quelques jours plus tard (15 juillet) une autre lettre prévenait Daubenton et le priait d'instruire de la chose Îles officiers du Jardin ©. M Les biographes s'accordent pour nous montrer le roi Louis XVI in- veslissant lui-même de la charge d'intendant du Jardin royal Bernardim de Saint-Pierre, que le Ministre vient de lui présenter, et prononçant à cette occasion ces paroles souvent reproduites : Jar lu vos ouvrages, ils sont dun honnête homme, el j'ai cru nommer en vous un dione successeur de Buffon”. Le pauvre roi avait dû lire, comme tous ses contemporains, le char- mant petit livre Paul et Vire, dont la renommée était universelle. S'il avait bien connu les Études sur la nature, de l'écrivain qu'il. comparait à Buffon, 1l se serait gardé sans doute d'évoquer le nom du grand natura- MArch nat Emo 2 C'est dans la période dont je termine ici l'histoire et à une date indéterminée que parut l'étude anonyme, intitulée : Re- Jlexions sur les avantages qui résulieroient de la réunion de la Société royale d'agriculture, de l'École vétérinaire et de trois chaires du Collège royal au Jardin du Roi. Cette brochure, dont Jai reproduit en appendice les extraits re- latifs à notre établissement, est du savant agronome Broussonnet, le suppléant et l'é- lève favori de Daubenton, et l’on est auto- risé à supposer que ce dernier n’y fut pas étranger. Voyant que les projets de 1790 avaient complètement échoué et se rendant compte des tendances de plus en plus utili- laires des hommes de la Révolution, 11s son- gcrent, un instant, à s'orienter dans une di- rection nouvelle, et à grouper au Jardin tout l'enseignement ofliciel des sciences agrono- miques. Considéré au point de vue des études pratiques, le projet de Broussonnet est vrai- ment très remarquable, et je ne crois pou- voir mieux faire que de renvoyer le lecteur au texte exactement reproduit sous le n° 9, p. 86-88 de ce travail. 8) Cf. L.-Aimé Martin, Mémoire sur la vie et les ouvrages de Bernardin de Saint-Pierre , accompagné de lettres, ete.; Paris, 1886, 1 vol. in-8°, p. 345. — Bernardin, que la reconnaissance n'a Jamais beaucoup gêné, répondit à cette politesse royale en provo- quant l'enlèvement des fleurs de lis de l'écus- son de France, au-dessus de la porte prin- cipale. Ce fut, je crois, son premier acte administratif (6 août 1792). LES DERNIERS JOURS DU JARDIN DU ROI. A7 liste, en installant dans le poste, grandi et honoré par lui, un homme de lettres dont l'œuvre était comme un défi porté à l'expérience et à l'obser- vation. Buffon et surtout ses disciples étaient des observateurs, des expé- rimentateurs; Bernardin de Saint-Pierre contemplait et rêvait, et, dans ses méditations solitaires, 1l avait imaginé un système du monde qui n'avait rien de commun avec celui que l'on démontrait au faubourg Sant- Victor. Les causes finales, à quelque maiserie qu'elles pussent conduire, en étaient le principe fondamental, et il trouvait aux phénomènes en appa- rence les plus nuisibles, éruptions volcaniques, inondations, etc. , une rai- son d'être tirée du bonheur de l'humanité". Les bêtes les plus féroces ou les plus insupportables à l’homme avaient leur utilité à ses veux. C'était, on le voit, le contre-pied des idées de Buffon, et à bien des égards cela pouvait prêter à rire à un Daubenton ou à un Faujas de Saint-Fond. Disciple et admirateur de Rousseau, 11 lui avait emprunté bien des doctrines et bien des formules, mais 1l n'avait ré aucun profit de cette connaissance des plantes, à laquelle Jussieu lui-même rendait hommage chez le philosophe génevois, et ses études, malgré leur prétention scienti- fique, étaient aussi pauvres en botanique qu'en zoologie ou en minéralogie. On s'imagine aisément l'accueil que les officiers du Jardin durent faire au singulier naturaliste qu'on leur envoyait des Tuileries. IE y eut chez ces hommes de science, fort attachés pour la plupart aux intérêts de leur établissement, un sentiment profond d'anxiété, lorsqu'ils apprirent qu'on avait répondu de la Cour à leurs adresses et à leurs projets de règlements en leur imposant Bernardin. Leur faudrait-il renoncer si vite à ce nou- veau régime qu'ils essayaient depuis un an déja, et qui semblait devoir produire de si bons résultats ?. .... Et puis ce grand rêveur, auquel on confiait ainsi sans consulter personne les destinées du Jardin, n'allait-1l pas profiter de son autorité pour mettre aussitôt en pratique quelques-unes de ces 1dées absurdes qu'il venait de préconiser 2)? 0) On trouvera dans le charmant volume in-19, p. 79 et suiv.) une critique fort re- consacré par Arvède Barine à Bernardin de marquable des Etudes sur la nature. Saint-Pierre (Les grands écrivains français. ® Bernardin avait inventé un Elysée qu'il Bernardin de Saint-Pierre, Paris, 1891, 1 vol. placait à Neuilly, dans l'ile de la Grande- 18 M. E.-T. HAMY. I n'en fut rien par grand bonheur. Non seulement Bernardin, devenu fonctionnaire, oublia son Élysée avee ses inscriptions baroques, mais, à peine installé dans l’ancienne résidence de Buffon, il s'étudia à calmer les suscepübilités de ses nouveaux collaborateurs, traitant surtout avec de grands égards les anciens de l'établissement comme Daubenton, par exemple, et manifestant en toute occasion une grande bienveillance aux plus petits employés de la maison. Il se rendait compte par lui-même avec la plus grande attention du fonctionnement de chaque service et ses rapports au Ministre, conservés aux Archives nationales, lui font vraiment très grand honneur. Le senti- mental et famélique écrivain de jadis s'était subitement transformé en un administrateur économe et prévoyant! On ne s'attendait guère à pareil résultat, surtout au ministère de l'intérieur : Roland, qui venait de rentrer aux affaires, était tout plein de méfiance, et lorsque le premier dossier rédigé par Bernardin parvint entre ses mains, l'administrateur le cribla de notes marginales, qu'il envoya confidentiellement à André Thouin en le priant d'y vouloir bien répondre. La place supprimée, écrivait Roland, en parlant de lntendance, pro- poser à la Convention la conservation du logement et d'une pension: et plus bas, à propos de Lacépède, Faujas, Lucas et autres : pas plus d'adjonction que de survivance, point de double emploi... .. Ces deux places me paraissent étre de pure faveur et absolument inutiles... Sur quelle autorisation? À qUelRtitLe ee Voir si dans tout cela il n'y a pas de gaspillase el si tout Jatte, encombré de symboles, d'allégories, 0) Je renvoie les devis, dit le Ministre, d'emblèmes. Pour donner une idée des pro- à M. Thouin ren la probité et aux lu- jets qu'il méditait, peu d'années avant d’en- mières duquel j'ai toute confiance. . . .. et trer au Jardin, il suflira de rappeler léti- quette qu'il se proposait de placer, après l'avoir complétée, + sur un rocher planté au milieu d’une touffe de fraisiers du Chili», et dont voici le modèle provisoire : J'étois in- connu à l'Europe; mais en telle année, un tel, né en tel lieu , n'a transplanté des hautes montagnes du Chili: et maintenant je porte des fleurs et des fruits dans lheureux climat de la France ! je le prie de me dire son avis suivant son âme et conscience» (note du 30 septembre an 1*) [1792], et Thouin répondra le 6 oc- tobre : + Vous m'avez demandé la vérité, je vous l'ai dite avec franchise, parce que Je sais que vous l'aimez et que vous n'aurez pas moins de plaisir à l'entendre que j'en aurai toujours à vous la dire» (Arch. nat., F17: 130). LES DERNIERS JOURS DU JARDIN DU ROI. 19 lourne au profil des connaissances... ... Je n'entends point cel article, dl exioe . . nm D 1ÿ4 L4 une explicalion, ete... .. ,etenfin, comme conclusion générale, cette belle sentence : {ne faut rien épargner pour la science, mais il faut tout refuser pour le gaspillage. Et Thouin, que les premiers actes du nouvel intendant avaient intéressé à sa cause, Thouin, qui comptait qu'il remplirait convenablement les de- voirs de sa charge, assurait qu'il était fâcheux que ces fonctions + n'aient pas un objet d'utilité plus marqué», faisait l'éloge du titulaire et deman- dait enfin qu'on le conservât jusqu'a ce que la Convention ait statué sur l'organisation de l'instruction publique, sauf à revenir alors aux projets de 1790 chers à tous les hommes du Jardin. Il défendait ensuite la place de Lacépede, qui «n'est pas plus une adjonction qu'une survivance» et dont les fonctions sont distinctes et séparées de celles de Daubenton. Dans le nouvel ordre de choses, dont 11 prévoit la réalisation prochaine, 1l faudra créer au moins une nouvelle place de même genre «si l'on veut faire mar- cher de front toutes les branches de l'histoire naturelle, telles que Fin- sectologie, la conchyhologie, ete., et si l'on veut qu'il existe un catalogue méthodique et raisonné de tous les objets qui composent la collection na- Honale, ouvrage très important pour la responsabilité des dépositaires, pour la connaissance et l'augmentation des objets, et surtout pour le pro- grès des sciences ». La place de Faujas de Saint-Fond «n'a point de fonc- üons déterminées »; elle pourrait être avantageusement remplacée par une chaire d'insectologie ". Thouin détaille au Ministre les fonctions de l'huissier Lucas (nettoyage des armoires, soufrage des empaillés, direction des frotteurs, bonne te- nue du matériel du Cabinet, surveillance du public pendant les démons- trations), puis celles du commandant Guillotte (direction des gardes- bosquets et des gendarmes qui gardent le Cabinet aux jours d'ouverture, police des cours et démonstrations, dans les bâtiments et les jardins, surveillance du service de nuit, ete.). Vient ensuite Valenciennes, au sujet duquel le Ministre demandait des explications. «Le sieur Valenciennes ) On sait que le Muséum n’a obtenu que beaucoup plus tard l'institution de cette chaire (7 février 1830). fi IMPRIMERIE NATIONALE, 0 M. E.-T. HAMY. est chargé spécialement des distillations, de remplir les bocaux où sont renfermés les petits animaux qui sont conservés dans l’esprit-de-vin, de préparer et d'empailler les animaux, de faire les étiquettes et enfin d'aider le sieur Lucas dans toutes les fonctions auxquelles 1l ne peut suflire. » Va- lenciennés père est done un simple garcon du Cabinet; 1 a succédé au vieux Fatorv et touche 1,000 livres de traitement. Puis c'est, à l'occasion du traitement de Van Spaendonck, tout un his- torique des peintres de l'établissement, que Thouin termine en récla- mant le transfert au Jardin des Plantes d'une partie des anciens vélins déposés, on ne sait pourquoi, au Cabinet des estampes de la Bibliothèque nationale. Thouin, qui connaît à fond les plus petits côtés d'une administration à laquelle l'a associé pendant près de quatre années l'incapacité du dernier intendant, répond, chemin faisant, avec clarté aux moindres questions de Roland : 11 détaille notamment les services des frotteurs, des balayeurs, des gardes-bosquets. Il explique en terminant la comptabilité générale de l'établissement, et montre quelles sont les garanties dont chaque dépense est entourée. Pour les jardins et pour les bâtiments, c'est lui-même qui est chargé des comptes: quant au Cabinet, «M. Daubenton est d'une exac- ütude scrupuleuse à cet égard, comme en toutes choses». Enfin le terrain Buffon, au sujet duquel Roland voulait être particulièrement renseigné, «est garni dans ce moment de jeunes plants de sauvageons pour greftes, et d'arbres étrangers destinés à regarnir le Jardin national et à fournir aux jardins des collèges et des lveées, qui doivent être établis, les végé- laux ligneux dont la multiplication peut être utile aux sciences et aux arts». Cependant «si l'instruction publique ne devait pas être bientôt orga- nisée, où qu'elle le fit sur un autre mode que ceux proposés jusqu'à pré- sent — Thouin revient volontiers, comme on sait, sur cette question de réorganisation du vieux Jardin des Plantes — on pourrait supprimer cette location sans nuire à l'établissement ». Ces explications détaillées, renvoyées au ministère le 6 octobre, ont momentanément résolu les difficultés soulevées par Roland à propos des devis de Bernardin de Saint-Pierre, et le service des quartiers pour 1791 LES DERNIERS JOURS DU JARDIN DU RO. 51 est désormais assuré. Mais tout cela ne suflit pas à gagner à lintendant la confiance du Ministre, qui continue à communiquer directement avec Thouin, sans passer par l'intermédiaire de Bernardin. Thoun profite de la situation exceptionnelle qui lui est ainsi faite pour envoyer au Ministre, comme je l'ai déja dit plus haut, un exemplaire de l'adresse de 1790. Et Roland répond aussitôt que sil ne balance point à attendre, pour s'occuper du Jardin, que la Convention &t elle-méme orwa- nisé l'instruction publique, À regarde +comme très Intéressant de recuerllir dès à présent tous les éléments qui doivent servir à préparer le nouveau sys- tème de cette orpanisation générale dont personne mieux que les officiers du Jardin n'a senti la nécessité ». Les vues que vous avez développées dans l'ouvrage que vous nr'a- dressez, continue Roland, n'ont paru sous ce rapport mériter une atten- üon particulière et Je ne peux que vous engager à me transmettre toutes les observations que vous croirez propres à perfectionner ce plan qui offre le résultat des connoissances les plus étendues 1°. » Puis ce sont d'interminables correspondances du Ministre au jardinier et du jardinier au Ministre, relatives aux Jardins royaux et aux Jardins des émigrés, dont Thoun à convoité pour son cher Muséum les richesses botaniques. Roland lui a donné ordre d'aller à Trianon et chez Monsieur, des le 13 septembre, et de transporter au Jardin toutes les plantes exo- tiques qu'il Jugerait utile au progrès de la science de conserver dans la collection confiée à ses soins. Le 16 octobre, répondant à une lettre du 6 du même mois, le Ministre prescrit à Thouin d'enlever, toujours pour le Jardin des Plantes, les arbres à fruits des Chartreux du Luxembourg, et les plantes étrangères des émigrés des districts de Versailles et de Saint- Denis. Le Ministre expédie en même temps, d'accord avec son laborieux dé- légué, des instructions spéciales au jardinier en chef de Trianon, à Cou- turier, régisseur général des domaines de Versailles, Marly et. Meudon, enfin au directoire du département de Seine-et-Oise, pour lever les oh- U Arch. nat., KIT 1130. 52 MB = TMHAMINE stacles administratifs qui avaient entravé, notamment à Trianon, les pre- mières opérations et allaient encore retarder les secondes. IT n'en est pas de même fort heureusement à Bellevue, Chaville, ete. Dès le 17 octobre, le lendemain même où Roland a signé les pièces relatives aux Char- treux, ete, Thouin est au Luxembourg et dresse un état complet des arbres fruitiers bons à emporter au Jardin. Cette collection, si facilement con- quise, est d'autant plus précieuse que Duhamel en a donné la nomen- clature spéciale dans son traité des arbres à fruits. Du 22 au 25 Thouin est à Bagatelle, le 27 à Bellevue, chez les er devant Dames de France, le 29 à Chaville, chez le ci-devant comte de Tessé, et dès le 8 novembre le Ministre a sous les yeux les premiers pro- ces-verbaux des opérations dirigées par linfatigable commissaire et les états détaillés des arbres des serres, pépinières, Jardins, ete., quil vient de visiter). Le 1 1 novembre, Thouin envoie un rapport sur les réparations à faire aux serres chaudes de Trianon. Le 13, c'est le procès-verbal d'en- lèvement des plantes étrangères trouvées dans le jardin +de la petite maison de Louis-Stanislas-Xavier, ci-devant prince français»; le 14, le catalogue de ce qui reste à Bellevue et de ce qui y a été pris pour les col- lections publiques; le 15, l'état des arbres des pépinières, ete., de Chaville ; le 5 décembre, un mémoire sur l'utilisation des arbres de Bagatelle, et quelques jours plus tard enfin un projet pour la création dans le Jar- din fleuriste de Bellevue d’un dépôt pour recevoir les plantes exotiques quil est intéressant de conserver» afin de former +les bases des Jardins d'agriculture et de botanique qui doivent être établis dans les départe- ments P)». C'est plus qu'il ne faut assurément pour mériter les félicitations d'un Ministre, si avare quil soit d'habitude de compliments pour ses subor- U) Ces procès-verbaux et ces états for- ment une épaisse liasse renfermée dans le carton F7 1997 des Archives nationales. ®) On se fera une idée de l'importance de ces collections de plantes ainsi sauvées de l'abandon et de la destruction, en con- slatant par exemple, avec Thouin, sur la liste des plantes de Bagatelle, que soixante et une espèces manquent ou sont rares au Jardin national, qu'il y a dix-huit plantes alpines en pots qui font également défaut, et onze beaux individus en pleine terre pro- pres à compléter la collection des grands arbres. LES DERNIERS JOURS DU JARDIN DU RO. 09 donnés, et Roland, dans une de ses réponses, vante +le zèle, les soins. l'économie et les vues » que Thoun a apportés dans toutes les opérations que l'on a jugé «de l'intérêt de la Nation» de lui confier (D... Entre temps le Ministre était venu au Jardin des Plantes pour voir toutes les richesses nouvelles accumulées dans les serres, et Thouin avait profité de l'occasion pour lui proposer l'annexion du terrain de la ei-devant communauté des Nouveaux-Convertis ©. Tout cela se passait, je le répète, de Roland à Thoun et de Thouin à Roland, sans que l'intendant, toujours suspect, fût officiellement averti. Thouin avisait toutefois Bernardin de tout ce qui se passait dans l'intérêt même des collections, qu'il fallait bien mettre à l'abri, avec les fonds gérés par l'Intendance. Et Bernardin s'empressa (25 décembre 1792) de se plaindre au Ministre, avec une franchise qui n'était pas sans adresse, du peu de confiance qu'il lui avait témoigné. «Je suis l'intendant de ce Jardin, disait-1l, et en cette qualité 11 était nécessaire que Je disposasse des moyens convenables pour recevoir ces plantes» que M. Thouin rapportait «sans que j'en aie été prévenu par VOUS ». «C'est ce que J'ai fait de moi-même en ordonnant le rétablissement de deux serres qui étoient en ruine depuis fort longtemps. La dépense de la plus petite n'a pas été fort considérable, parce que nous avions des maté- riaux en réserve; mais il a fallu employer pour la reconstruction à neut de la plus grande des fonds destinés à faire une partie des armoires du nouveau pavillon du Cabinet d'histoire naturelle. » «Afin d'y mettre toute l’économie possible , continue Bernardin, j'en ai fait faire des plans et devis par l'architecte du Jardin et Je l'ai fait donner (1) Cf. Arch. nat., F17 19)9)7 du 6 décembre qu'il propose d'ordonner à @) À l'angle des rues Cuvier et Geoffroy- Saint-Hilaire : la maison où est mort Che- vreul était le principal bâtiment du couvent. André Thouin n'avait pas été prévenu de la visite du Ministre, que son frère Gabriel avait reçu à sa place, et c’est par une lettre l'intendant +de donner congé au citoyen Buffon avant le 15 du terrain qu'il loue fort cher au Jardin des Plantes et de remplacer ce terrain par celui de l'enclave des Nou- veaux-Convertis, qui est meilleur, mieux exposé, et qui appartient à la Nation». 54 M. E.-T. HAMY. en adjudication!”, nouveauté qui, pour le dire en passant, a excité plus d'un murmure. Et il revient sur la nécessité d'être prévenu par le Ministre, + non seule- ment pour avoir le temps et les moyens » d'exécuter ses ordres, + mais pour l'amour de l'ordre même, dans un temps où tout est désorganisé, et par rapport à une place que la plupart des employés du Jardin avaient jugée inutile, puisqu'ils avaient présenté une adresse à l'Assemblée constituante pour la supprimer. . ... J'ai pu croire à un projet formé de me rendre nul dans une place déjà déclarée et rendue nulle pendant six mois. Je men plains d'autant plus hbrement à vous, Monsieur, que vous aimez l'ordre par-dessus toutes choses et que je vous ai entendu vous-même vous plaindre que vos collègues s'en écartaient quelquefois à votre égard... J'ai compté pour rien les prérogatives de ma place, dès qu'on m y laissait le pouvoir d'y faire le bien. J'étais persuadé que sil s'élevait quelques nou- veaux doutes sur son utilité, 1l me serait facile d'en convaincre un esprit aussi éclairé que le vôtre. Le besoin sans cesse renaissant de cet établisse- ment, formé de parties différentes, mais faites pour s'assortir, prouve la nécessité d'une surveillance immédiate. Vous en allez juger par quelques exemples dont il est d'ailleurs de mon devoir de vous instruire ». Et quand il a écrit ce préambule, un peu trop long peut-être, mais habilement disposé, il aborde, article par article de son budget de dé- penses, le commentaire curieusement détaillé de toutes les parties de son administration. Ce document est, sans contredit, le plus intéressant et le plus complet à la fois qui nous ait été laissé sur l'ancien Jardin dont il permet de reconstituer assez bien la physionomie, presque à la veille d’une réorganisation qui en a profondément modifié les différents aspects. Je laisse de côté tout ce qui est personnel à Bernardin de Saint-Pierre; fidèle à de vieilles habitudes que connaissent bien ceux qui l'ont fréquenté, ! J'ai trouvé dans les comptes du Mu- près du Muséum, près de la terrasse qui séum les pièces relatives à cette adjudication règne le long de la rue du Jardin, avait qui eut lieu, le 17 novembre 1792, pour 3h pieds de long et 9 pieds et demi de large 6,604 livres. La serre en question, la plus (Arch. nat., F171132, et Arch. du Mus.). LES DERNIERS JOURS DU JARDIN DU ROI. 55 il débute en tendant la main, et je n'apprendrai rien au lecteur instruit en lui montrant le nouvel intendant, qui réclame une indemnité d'emména- sement, des frais de bureau, ete., dont il a retrouvé la trace dans les vieux papiers de Buffon! . .. Un paragraphe désagréable pour Faujas, qui n'a point encore opté entre son traitement des mines et celui d'adjoint au Ga- binet. et dont 1l supprime provisoirement les appointements: — un para- graphe amusant au contraire sur Lamarck, qu'il montre inoccupé parce que ses deux anciens ne veulent pas lui laisser reclasser à sa mode les herbiers du Jardin, et qu'il veut envoyer compléter sa Flore francaise en province, — et nous arrivons à Desfontaines, dont Saint-Pierre vante le zèle et qu'il veut augmenter, à Fourcroy et Brongniart, dont il cherche également à améliorer les charges, à tous les membres du corps ensei- onant, quil propose de fixer dans des logements commodes, en place de simples pred-à-terre qu'ils ne peuvent pas habiter. Voici le service d'ordre, et cest 1e1 qu'abondent les explications inté- ressantes. Sept gardes-bosquets et trois gendarmes font toute la police du Jardin, sous la direction de Guillotte, dont j'ai déjà parlé plus haut, et le vol si hardi qu'on vient de commettre au Garde-meuble (16 septembre) donne lieu de craindre que la surveillance ne soit pas toujours suflisante ". « Vous n'imaginez pas, Ministre citoyen, Sécrie Bernardin de Saint- Pierre, vous n'imaginez pas combien de sollicitudes me donne leur police : des agitateurs persuadent au peuple que le Jardin étant à la Nation, toute la Nation a le droit d'y cueillir des plantes. Le jour de la Toussaint, une troupe considérable d'hommes et de femmes en ont pillé les fleurs, en menaçant de maltraiter les garde-bosquets qui voulaient S'y opposer. Fré- quemment des troupes d'écoliers brisent les Jeunes arbres, cassent les vitres des serres en jouant à la balle ou en se jettant des pierres, sans que les garde-bosquets puissent les en empêcher. En vain j'ai donné des ordres de mener les délinquants à la section, les gardes n'osent les exécuter. » «Il s'est passé, continue l'intendant, à la fin de l'été, à l'occasion des 0) [y a eu, en effet, au Muséum un vol d'une certaine importance en lan ni (Arch. nat., F1T 1929). 56 M. E.-T. HAMY. fédérés marseillais, des scènes dont les suites pouvaient devenir très dan- sereuses, Si je n'avais eu le bonheur de les prévenir en allant moi-même trouver leur chef et le maire de Paris. Je vous ai laissé ignorer ces Ino- ments de crise, afin de ne pas augmenter ceux où vous vous trouvez si souvent vous-même. » Guillotte mérite des éloges, sa conduite a été prudente, quoiqu'il ait eu « personnellement beaucoup a souffrir ». I faudra de nouvelles instructions de police qui seront soumises à la sanction des pouvoirs publies (IE d) Ces faits ne devaient pas être ignorés de Deleuze, puisqu'il convient avoir eu la copie des mémoires manuscrits de Bernar- din de Saint-Pierre auxquels je les em- prunte. Et cependant voici en quels termes il résume, dans son livre, cette période de l'histoire du Muséum. I publiait, ilest vrai, son ouvrage... en 1823 : Le 18 août 1792, écrit Deleuze, un décret de lAssemblée législative ayant supprimé les universités, les facultés de médecine et les cor- porations savantes, on eut tout lieu de craindre que le Jardin du Roi ne füt enveloppé dans la même proscription. Mais comme il était réputé propriété nationale et que tous ceux qui ve- naient le visiter y étaient également accueillis; comme le peuple le croyait principalement des- liné à la culture des plantes médicinales, et que le laboratoire de chimie était considéré comme un atelier pour faire du salpêtre, tout y fut res- pecté. Cependant une faction ennemie de l'ordre et de tout gouvernement, devenue redoutable par sa vicloire du 31 mai, voulait anéantir tout ce qui rappelait les souvenirs de la monarchie. Un établissement dont les employés avaient été nommés par le Roi devait être l'objet de sa fu- reur. Le péril était imminent, et il eût été im- possible d'y échapper s'il ne se fût pas trouvé dans la Convention quelques hommes de cou- rage, qui, reconnaissant enfin l'abime dans le- quel ils étaient entraînés, désiraient arrêter ce lorrent dévastateur el préparer un retour vers le bien en conservant les institutions utiles aux sciences et aux arts. Parmi eux il faut surtout distinguer M. Lakanal. . . (Deleuze, Histoire et description du Muséum d’his- loire naturelle, Paris, 1823, in-8°, t I, p. 72-73.) Deleuze oublie que ces Montagnards, qu'il accuse d’avoir mis notre établissement en péril, sont précisément ceux-là mêmes qui votèrent, huit jours après la chute des Girondins, le + décret relatif à l'organisation du Jardin national des Plantes et du Cabinet dhistowre naturelle, sous le nom de Muséum d'histoire naturelle», et que ce décret est signé de Collot d'Herbois, Président. Le Muséum n’a pas couru d’autres dan- vers de 1792 à 1794 que ceux dont Ber- nardin fait plus haut le tableau, et, si l'on y ajoute quelques vols plus aisés à commettre en un temps de troubles et la destruction du buste de Linnée rappelée ci-dessus, on aura le bilan complet des attentats de la Terreur au Muséum d'histoire naturelle. Le texte de Deleuze est d’ailleurs encore inexact, en ce sens que le cours de fabrication du sal- pêtre n’a été ordonné que le 28 pluviôse (16 février 1794). Quant à la menace pro- férée par je ne sais quel Montagnard, de transformer le Jardin en un champ de pommes de terre, c'est tout simplement un mensonge absurde. C’est Thouin, en effet, qui, vou- lant contribuer à soulager la misère pu- blique, fit décider par l'Assemblée des pro- fesseurs ce même jour de pluviôse que LES DERNIERS JOURS DU JARDIN DU ROIL. 57 Voici venir les préparateurs comme Valenciennes le père et les corres- pondants, Baillon l'ornithologue, et le fameux voyageur Sonnerat, puis les frotteurs et la balayeuse, les jardiniers, leurs aides, leur matériel complet, et les acquisitions diverses des services accessoires, comme celui des oiseaux aquatiques chargés de l’épurement des eaux du carré creux. L'éclairage se compose de cinq réverbères et d’une lanterne pour les serres; le balayage, confié à des femmes, nettoie deux rues qui «n'en sont guère moins sales». Or les Enfants de la Pitié entretiennent déjà la moitié de la rue du Jardin-des-Plantes 4, et Bernardin propose de leur confier le reste du travail ®. Cette rue est assez large pour avoir un trottoir qui serait tres utile pour les gens de pied, «exposés à être renversés. .... les jours de marché aux chevaux» par les maquienons qui font galoper leurs montures à bride abattue. La rue de Buffon n'est pas pavée du côté de la Seine : +cette partie est impraticable en hiver aux voitures et même aux gens de pied»; elle n'est commode qu'aux voleurs qui s'en servent pour s'introduire de ce côté-là dans le Jardin des Plantes. l'on planteroit des pommes de terre dans les carrés de gazons situés en face de l'am- phithéâtre et dans ceux qui avoisinent la grille de la rivière, et que l'on cultiveroit aussi des topinambours dans les parterres et dans les massifs d'arbres du Jardin». Ces pommes de terre plantées par Thouin étaient des pommes de terre précoces qui furent « distribuées dans les départements » afin de multiplier une variété utile (14 fruc- tidor an u-31 août 1794). U) Ancienne rue du Jardin-du-Roi, au- jourd'hui rue Geoffroy-Saint-Hilaire. Les Enfants de la Pitié balayaient la moitié de la rue contiguë à leur hôpital. ®) «Il en résulterait un petit revenu pour l'hôpital, dit Bernardin avec une bonhomie apprètée, et de l'exercice pour ses enfants, qui ne demandent pas mieux que de prendre l'air. » %) Ces voleurs qui pénètrent ainsi par le bas de la rue de Buffon sont surtout at- rés, semble-t-il, par les communications très aisées qu'ils ont constatées entre le Jardin et un grand bâtiment de trois étages, construit dans l’ancien jardin des Nouveaux- Convertis par le sieur Léger, entrepreneur de transport par eau de grains et de farines pour la ville de Paris. Ge bâtiment du sieur Léger contenait des moulins à manège d’un nouveau modèle et des quantités de grains et de farines, mais les fenêtres n'avaient été ni grillées ni maillées, ce qui exposait, comme l'observe Bernardin de Saint-Pierre dans un rapport du 6 avril 1793 ,rle magasin à être volé par le jardin et le jardin par le ma- gasin». À la suite de réquisitions à l'ad- ministration des subsistances et de récla- mations au ministère, l’intendant obtint le 30 avril un ordre du Ministre «de prendre les mesures convenables» (Arch. nat., F17 1130). 8 IMPRIMERIE NATIONALE, 28 M. E.-T. HAMY. attendu qu'il n'y a pas de réverbères et que les patrouilles n'y sauraient passer (, Bien d’autres petites choses auraient leur intérêt à recueillir pour l’his- toire des mœurs et des coutumes de nos chers devanciers. Je pourrais montrer, par exemple, Lucas faisant tendre, même en 1792, les rues qui bordent les jardins +les jours de grande et de petite Fête-Dieu », ou bien le garde La Porte chargeant le mortier qui tire, au méridien de la butte, des bombes qu'un Ruggieri fournit par caisses au jardinier en chef®. Mais 1l faut savoir se borner et il me reste à dire quelques mots des projets qu'a müris Bernardin pendant les six premiers mois de son admi- nistration. lei encore tous les détails sont fort bien étudiés et clairement exposés en bon style de rapport. Réparations des serres, du pavillon des couches, des anciens bassins du Jardin, creusement de nouveaux bassins pour l'arrosage, élévation d'un mur de soutien à la terrasse de l'École, achèvement de nouvelles galeries dont il décrit l’état actuel avec exacti- tude, création d'une grande bibliothèque de livres d'histoire naturelle qu'il est le premier à réclamer avec de bonnes raisons, transport et mise en place du globe de Bergevin , voilà ce que propose de faire tout d'abord Bernardin de Saint-Pierre. Tout cela peut s'exécuter avec 100,000 livres, qui constitueront le compte extraordinaire du Jardin et dont une partie pourrait être payée, 1l l'espère du moins, sur l'année qui va commencer. Bernardin a un autre projet en tête qu'il a préparé de longue main, mais dont il ne parle pas encore, quoiqu'il ait achevé de le rédiger au (M) Les riverains, comme dit Bernardin, avaient présenté un mémoire, par lequel ils s’obligeaient à contribuer au pavé dont ils de- mandaient la pose, et le Jardin aurait eu à payer 5,000 livres pour sa part, si la chose avait abouti. ® Ce tir, réduit d’abord à une bombe par décade (7 nivôse an n-27 décembre 1793), fut supprimé le 4 thermidor suivant (29 juillet179h). Un citoyen avait été blessé à la jambe et il avait fallu lui accorder une indemnité pour incapacité de travail. B Cette célèbre pièce, construite par un religieux bernardin, estaujourd'huiau centre de la grande galerie du premier étage de l'Observatoire, où elle a fini par trouver asile, après avoir été successivement à la bibliothèque Mazarine et au Musée d’ethno- graphie du Trocadéro. Bernardin avait rai- son de la réclamer pour le Muséum; il est, en effet, convenable, pour reproduire ses propres expressions, que le globe de la terre qui supporte les trois règnes de la na- ture soit dans l'édifice qui les rassemble ». LES DERNIERS JOURS DU JARDIN DU ROI. 59 moment où il adresse à Roland le devis dont on vient de lire l'analyse. C'est celui d'une ménager qu'il voudrait Joindre au Jardin national. Le mémoire quil a écrit sur ce sujet a paru cinq semaines plus tard (, et c'est Garat qui l'a reçu le 31 janvier au ministère, qu'il occupait depuis huit Jours. Une lettre de Couturier, ce même régisseur de Versailles, dont il était question plus haut à propos des missions de Thouin!, a été l'occasion de ce travail. À la date du 19 septembre 1792, ce fonctionnaire avait fait savoir au Jardin que l'ancienne ménagerie royale allait être détruite . Le Ministre l'avait autorisé à remettre à l'intendant ce que celui-ci pourrait désirer «dans le peu d'animaux» qui vivaient encore, et 1l paraissait né- cessaire que l'intendant vint à Versailles visiter la ménagerie®. Bernardin fit le voyage avec Thouin et Desfontaines, et trouva dans les cages un rhi- nocéros, un bubale, un couagga, un lion du Sénégal vivant avec un braque, et enfin un pigeon huppé de l'ile de Banda. Couturier offrait ces sujets pour le Cabinet d'histoire naturelle, c'est-à-dire pour qu'on en püt monter les squelettes et les peaux. Bernardin de Saint-Pierre voulut faire quelque chose de mieux : reprenant pour son compte une des concep- tons les plus neuves de l'assemblée de 1790, 1l proposa de transporter ce qu'il appelait un établissement de faste en «un lieu destiné à l'étude de la nature », dans l'intérêt des sciences et des arts libéraux, pour les savants, pour les artistes. Et tel est le sujet du Mémoire sur la nécessité de joindre une ménagerie au Jardin national des Plantes de Paris”. L'auteur y montre surabondamment les services de nature diverse qu'un établissement de ce genre est appelé à rendre, disserte en chemin, pour 0 I est cependant daté de 1792. Mais la lettre accompagnant l'envoi d’un exem- plaire au Ministre est du 31 janvier 1793. 2) Garat, chargé par intérim du porte- feuille de l'intérieur le 23 janvier 1793, en devint titulaire le 14 mars. Il est resté en fonctions jusqu'au 20 août, date à la- quelle 1l a été remplacé par Paré. 6) Voir plus haut, p. 51. &) On y voulait faire un haras. 6) Arch. du Muséum. (6) I y avait eu dans la ménagerie bien d’autres animaux : un dromadaire, cinq es- pèces de singes, une foule d'oiseaux. Mas, de ces divers pensionnaires, les uns avaient été volés, les autres étaient morts de faim. () Ce mémoire, réimprimé dans les OEu- vres complètes, est, sous sa première forme, une grosse brochure de 63 pages petit in-8?°, imprimée chez Didot le jeune. 60 M. E.-T. HAMY. n'en point perdre l'habitude, sur l'influence de la captivité sur le caractère des êtres. la sociabilité du lion et du rhinocéros, les croisements des ani- maux domestiques et sauvages, les migrations des bêtes et leur acclima- tement, les liens qui doivent rattacher un jardin et une ménagerie, etc. Puis, après avoir réfuté facilement quelques objections qu'il se pose, il conclut en proposant d'amener avec les animaux les loges qui les con- tiennent, et d'installer le tout aux Nouveaux-Convertis, dans cette grande enclave dont le nom revient à chaque nouveau projet d’accroissement du Jardin national. Le Mémoire sur la ménagerie est en même temps une requête adressée à la Convention : il a contribué peut-être à appeler sur notre établissement l'attention de quelques membres de cette Assemblée, amis des choses de la science. Mais ce n'est pas cette brochure, quoi qu'on en ait pu dire, qui provoqua la création de la ménagerie, réalisée vingt mois plus tard d’une facon bien étrange et bien inattendue. On sait que ce furent dix mammi- fères et trois oiseaux, saisis par la police” au milieu de brumaire an u 0) Quoique cette fondation soit posté- rieure à la date à laquelle doit naturel- lement s'arrêter ce récit (10 juin 1793), je: crois bon de résumer, d’après les pièces officielles que j'ai retrouvées au Muséum et aux Archives nationales, les événements étranges auxquels notre établissement a dû sa première ménagerie. Le 13 brumaire an 11 (3 novembre 1793), une pièce, signée des administrateurs Bau- drais et Soulès, ordonne que les «animaux vivants que. l’on fait voir à la place de la Révolution et autres places seront enlevés, sauf à indemniser les propriétaires», et que “ces animaux seront conduits à l'instant au Jardin des Plantes, où ils seront payés ainsi que les cages qui les renferment». Les pro- priétaires doivent recevoir en outre «une indemnité qui les mettra à même de gagner autrement leur vie». Toussaint Charbonnier, commissaire de la police de la section des Tuileries, recoit le lendemain , 1 4 brumaire (4 novembre), le premier ordre d'exécution, et, accompagné du commissaire du Comité civil de la section, se transporte à la place de la Révolution. Là, «en sortant du pont Tournant, à gauche», il trouve dans une échoppe le nommé Dominique Marchini, qui montre un lion marin, un léopard, une civette et un petit singe, et, après avoir re- cueilli les observations dudit Marchini et celles de son garçon Remi Amet ou Amel, il conduit bêtes et gens au Comité et remet le tout au citoyen caporal de garde au poste de la rue Saint-Nicaise, pour mener la ca- ravane au Jardin des Plantes (Arch. nat., F17 1130). Grand émoi au Muséum, où l’on n’a rien demandé, où l’on n'est même pas prévenu de l'arrivée de ces hôtes inattendus. Geof- froy prend sur lui d'installer provisoirement animaux et gardiens sous les fenêtres du Cabinet. Le secrétaire demande bien vite au président du Comité d'instruction publique LES DERNIERS JOURS DU JARDIN DU RO. 61 (novembre 1793), qui constituèrent le premier noyau de cet établisse- ment, et que les spécimens qui survivaient à Versailles (le rhinocéros était mort en septembre 1 793) n'ont été amenés au Muséum que vers la fin de germinal an n (avril 1794) Revenons à l'exposé un moment interrompu de la gestion de Bernardin (16 brumaire-6 novembre) de faire con- naitre le plus tôt possible la conduite à suivre. + Il y a sous les galeries du Muséum , dit Des- fontaines, un local où ces animaux peuvent être logés provisoirement en y faisant les ré- parations convenables, et ce lieu est même assez vaste pour en recevoir un plus grand nombre, si l'on en amène encore d'autres et si Le Comité d'instruction publique juge con- venable de les conserver. Il n'est pas dou- teux, continue le secrétaire, qu'une collec- tion d'animaux vivants ne puisse être très avantageuse à l'instruction publique et aux progrès de l'histoire naturelle, et que ce soit un moyen d'acquérir et de multiplier sur le territoire de la République plusieurs espèces utiles qui n'existent encore que dans les pays étrangers. Mais c'est au Comité à peser dans sa sagesse si ces avantages peu- vent se concilier avec les besoins actuels de la République. > Les quatre animaux de Mar- chini vont coûter 12 livres par jour, y com- pris le payement de leurs gardiens, et il est impossible de prendre cette dépense sur les fonds de l'établissement. Et Desfontaines n’a pas fini sa lettre que voici deux autres ménageries qui arrivent à leur tour, celle de Louzardi et celle de Henry, comprenant ensemble un chat-tigre, un ours blanc mâle, deux singes mandrills, deux agoutis, deux aigles et un vautour. Le Comité d'instruction publique répond par une série de questions relatives au lo- cal, à la valeur des animaux envoyés, aux frais journaliers qu'ils imposeront, à l'achat d'un terrain adjacent, dans le cas où la Convention nationale se déciderait à for- mer une ménagerie (29 brumaire-19 no- vembre). L'administration du Muséum, à la date du 17 frimaire (7 décembre), envoie le devis du local provisoire, 5,000 livres environ; les estimations des montreurs d'animaux, 33,202 livres, et d'un expert désigné, le citoyen Saint-Martin, «ci-devant directeur du spectacle connu sous le nom de Combat du taureau», 8,h00 livres seulement; le prix d'entretien, 17 livres par jour; et enfin une note estimant à 60,000 livres environ l’ac- quisition de deux arpents de marais situés à la suite des couches du Jardin, la con- struction d'un mur de clôture, d’un loge- ment de gardien et des installations néces- saires. Ce devis se termine par la demande éventuelle +de tous les matériaux et us- tensiles des ménageries de Versailles et de Chantilly». On sait le reste : l'envoi des animaux de Versailles et du Rainey, les ordres du Co- mité de salut publie pour la construction provisoire d'une ménagerie, et enfin l'orga- nisalion de ce nouveau service mentionnée par Thibeaudeau, dans son rapport si re- marquable du 21 frimaire an 11 (11 dé- cembre 1794), parmi les augmentations les plus nécessaires du budget du Muséum. — Cf. E.-T. Hamy, Le Centenaire du Muséum d'histoire naturelle. Les anciennes ménageries royales et la ménagerie nationale fondée le 1 4 bru- maire an 11 (4 novembre 1793). Paris, Imp. nat., 1893, br. in-6°. () Arch. du Muséum. 62 M. E.-T. HAMY. de Saint-Pierre. Les documents administratifs très nombreux qui le con- cernent le montrent s'occupant en février 1793 de l'achèvement de la nou- velle serre chaude et des réparations urgentes du laboratoire de chimie. Nous le voyons un peu plus tard organiser la mission nouvelle que Dombey veut entreprendre en Amérique. Dombey s’est illustré dans un premier voyage au Pérou et au Chili qui n'a pas duré moins de huit ans, et, par un décret du 29 septembre 1791, l'Assemblée lui a confirmé la pension de 6,000 livres qu'il avait antérieurement obtenue en récompense de ses recherches et de ses découvertes. Dombey veut repartir et ne de- mande d'autre faveur que de pouvoir continuer à toucher les arrérages de cette pension nationale au cours de sa nouvelle mission. Il doit être accompagné, cette fois, de deux artistes français, Jean-Bap- uste Despierres, premier médailliste de l'Académie de peinture et profes- seur surnuméraire de l'École de dessin de Paris, et Jean-Nicolas Brard, peintre de l'Académie de Marseille. Bernardin de Saint-Pierre demande que Dombey touche ses arrérages et que ses compagnons reçoivent des brevets ou des missions du Conseil exécutif « pour voyager comme natu- ralistes en Amérique et y recueillir les dessins des plantes et autres objets d'histoire naturelle ». Et le Conseil exécutif renouvelle, en faveur des deux artistes qui vont suivre Dombey, les brevets de correspondant créés jadis sur la demande de Buffon (1773). Despierres et Brard ouvrent la nouvelle liste des cor- respondants du Cabinet d'histoire naturelle et du Jardin national des Plantes (22 mars 1793), où figure immédiatement après eux «le C" Lan- celot Marie Turpin, propriétaire dans l'ile de Gersay, près Brunswique, environs de New York en Amérique», ancien élève de Desfontaines, qui va parüir aussi pour l'intérieur du nouveau continent avec J.-E.-M. Saint- (George comme dessinateur ?. Un autre voyageur naturaliste, le citoyen Richard, a rapporté d’Amé- () On a joint au dossier de ces corres- position de Buffon, au sieur Brayé de Barré, pondants un ancien brevet de 1776 dont «principal habitant et directeur de léta- on s'est inspiré pour confectionner les nou- blissement des isles Sechelles, dans l'Inde». veaux. C'est le brevet conféré, sur la pro- 2), Arch. nat, F7 1997. LES DERNIERS JOURS DU JARDIN DU RO. 63 rique, nous l'avons vu, une collection d'oiseaux dont l'Assemblée consti- tuante a ordonné le dépôt au Cabinet national. Un décret de la Conven- tion du 16 février 1793 autorise le Ministre de l'intérieur à prendre sur les fonds destinés à l'encouragement des sciences et des arts une somme pouvant s'élever à 5,500 livres pour la préparation, la conservation et le placement de ces objets. C'est le même jour, et probablement à propos des oiseaux du voyageur Richard, que la question de l'admimistration du Jardin des Plantes se pose enfin devant la Convention. Un membre demande, dit le procès-verbal", et la Convention nationale décrète que les Commussions d'instruction publique et des finances feront inces- samment un rapport sur la nouvelle organisahon de l'administration du Jardin des Plantes. Ce membre, dont le Monteur ne nous a pas gardé le nom, c'était Jo- seph Lakanal, député de l'Ariège, qui débutait ce jour-là dans la rude mission quil s'était imposée de sauver d'une lamentable destruction, en les rajeunissant, les institutions scientifiques de l’ancienne France. Lakanal, professeur de philosophie dans un collège de l'Oratoire et docteur de la Faculté d'Angers, avait trente ans quand ses concitoyens l'avaient envoyé siéger à la Convention. Versé surtout dans les questions d'enseignement, il s'était fait nommer au Comité d'instruction publique. Il en était devenu très vite la cheville ouvrière, suivant l'expression de Gré- poire Ÿ. Le rapport demandé le 16 février, sur la proposition de Lakanal aux deux Commissions réunies des finances et de l'instruction publique, pouvait trainer en longueur, dans les conditions particulièrement difficiles où se débattait la Convention nationale. L'affaire de Chantilly, qui surgit quelques jours plus tard, vint hâter les événements. (U) Procès-verbaux de la Convention. Séance du samedi 16 février 1793. — M. Guillaume (op. cit., p. 458) fait observer que le Moniteur n'ayant pas parlé de ce décret, on ne con- nait pas le nom du membre de la Conven- tion qui l'a proposé. Ce ne peut être que Lakanal qui apparait, quelques séances plus tard, comme le promoteur de toute cette réor- ganisation. @) Cf. [sid. Geoffroy Saint-Hilaire, La- kanal, sa vie, ses travaux à la Convention et au Conseil des Cing-Cents, Paris, br. in-8°, extr. de la Liberté de penser (n° 17 et 18, avril et mai 1849). 6 M. E.-T. HAMY. Le 2/4 mars, Lakanal rentrait d'une mission dont on l'avait chargé dans les départements de l'Oise et de Seine-et-Marne. Il avait passé à Chan- tilly et proposa d'envoyer au château des princes de Condé des commis- sares qui dresseraient «un inventaire des papiers et des effets précieux » que renfermait cette résidence. Thibault et Bézard furent désignés pour cette besogne. Trois jours après, le 27 mars, sur la proposition de Romme et de Doulcet, la Convention convia le Ministre de la justice à inviter la Com- mission des monuments «à nommer un ou deux de ses membres » qui se rendraient à Chantilly afin de prendre, avec les commissaires de la Con- vention, les mesures nécessaires pour la recherche et la conservation des objets de sciences et d'art qui pourraient s'y trouver et pour leur transport à Paris). Enfin le 11 mai, après quelques retards imputables aux commissaires des monuments, la Convention autorisait le Ministre de l'intérieur à faire transporter au Cabinet national tous les objets d'histoire naturelle et les ar- moires dans lesquelles ces objets sont conservés, après «estimation con- tradictoire avec les créanciers du ci-devant prince de Condé». Il fallait pouvoir loger convenablement toutes ces richesses et le Cabinet national se trouvait déjà trop petit pour contenir ses collections, quil avait fallu déposer en partie dans les mansardes de lIntendance ou dans une des maisons louées au fils de Buffon. Lakanal, auquel ces difficultés n'étaient point inconnues, fait rendre le 26 mai un quatrième décret qui charge le Ministre de l'intérieur de mettre le second étage du bâtiment national, situé au Jardin des Plantes, en état de recevoir la collection d'histoire naturelle de Chantilly, ainsi que les diverses productions de la (0) Le 31, la Convention décrète en outre que rles médailles contenues dans le Cabi- net d'histoire naturelle de Chantilly » seront déposées à la Bibliothèque nationale pour y être examinées par les commissaires des monuments et le Comité d'instruction pu- blique, après l'entier envoi de tout ce qui reste à découvrir à Chantilly. @) Il paraît que le décret du 27 mars était resté sans exécution; c'est pourquoi le 17 avril, sur une réclamation de ses com- missaires, la Convention décrétait de nou- veau que deux membres de la Commission des monuments se rendraient à Chantilly; ce qui fut fait. (CF. Guillaume, op. cit. ,t. 1, p. 456.) 8) Voir plus loin n° 19, p. 132. LES DERNIERS JOURS DU JARDIN DU RO. 65 nature +accumulées sans ordre au Cabinet dudit bâtiment national». Le Mimistre est autorisé à faire servir dans la galerie que Buflon a laissée inachevée +les parquets qui pourroient être retirés du ei-devant Val de Grâce et ceux de tous autres bâtiments nationaux qui n'ont encore aucune destination». Pour couvrir les dépenses de toute nature entrainées par ces frais de réparation et de transport, Assemblée ouvre un modeste eré- dit de 15,000 livres. C'est afin de se rendre compte, par ses propres veux, des meilleures mesures à prendre pour utiliser la faible allocation votée le 26 mai que Lakanal s'est rendu au Jardin des Plantes le 9 juin 1793, juste deux semaines plus tard. Il est certainement au courant de ce qui s'est passé depuis quelques années dans l'intérieur de l'établissement et il apprécie fort exactement la situation générale, car c'est Daubenton, le président de l'assemblée de 1790, quil demande à entretenir. Le jeune Étienne Geoffroy Saint-Hilaire, nommé tout récemment à l'âge de vingt et un ans, par suite de la démission de Lacépéde!” (Q mars 1793), sous-garde et sous-démonstraleur du Cabinet d'histoire naturelle, est fréquemment appelé par cette nouvelle fonction auprès de Daubenton, son supérieur, qui est en même femps son maitre, son protecteur, son ami. C'est Geoffroy qui introduit Lakanal auprès de celui qu'il nomme avec respect le patriarche de Fhistoire naturelle”. Lakanal s'enquiert de la situation et des besoins de l'établissement : (1) Toutes les pièces relatives à la démis- sion de Lacépède et à son remplacement par Étienne Geoffroy se trouvent aux Archives nationales, F17 1997. ® Je reproduis textuellement le récit d'Étienne Geolfroy Saint-Hilaire, emprunté à une note du Discours préliminaire, qui est en tête des Études progressives d'un natura- liste pendant les années 1834 et 1835, Paris, Foret, 1835, in-4°, p. x: Le représentant du peuple Lakanal se pré- senta, le Q juin 1793, vers les 3 heures de laprès-mndi, chez M. Daubenton : je me trouvai à portée de l'introduire auprès de mon vénérable maitre et illustre collèeue. Il nous était inconnu à lun et à l’autre. Lakanal témoigne le désir d'être utile au patriarche de Fhistoire naturelle ; il s'enquiert de sa situation et des besoins du Cabinet d'histoire naturelle. On s'explique, et un décret est aussitôt improvisé et rédigé. Débattue et améliorée le soir au sein du Comité d’instruc- tion publique , cette loi, qui devra fixer en France et jusque dans l’Europe les destinées des sciences naturelles, fut portée le lendemain même à la Convention nationale et adoptée. 9 IMPRIMERIE NATIONALE, 66 NS ET." HAIMNY: Daubenton met entre les mains de son interlocuteur la brochure de 1 790. Lakanal remanie à la hâte, en l'abrégeant, l'adresse à l'Assemblée natio- nale qui en forme le préambule, supprime du projet de règlement rédigé par Foureroy tout ce qui l'allonge et l'alourdit inutilement), et le lende- main, après sêtre entendu rapidement avec ses collègues du Comité d’in- struction publique, 11 ht à la tribune un court rapport et un décret que la Convention adopte sans la moindre discussion. Les esprits sont ailleurs : de toutes parts on reçoit les plus graves nouvelles. À l'heure où Lakanal descend de la tribune, ayant assuré, presque par surprise, l'avenir des sciences naturelles dans notre pays, les Autri- chiens bombardent Valenciennes, les Prussiens enveloppent Mayence, les Espagnols menacent Perpignan et les bandes des Vendéens s'emparent de _ x . . . : Saumur après une sanglante bataille, tandis qu'à Caen, à Evreux, à Bor- U Nous voici bien loin de la légende, dramatisée à plaisir, quecontaientily a vingt- cinq ans encore les anciens du Muséum, commentant, sans le savoir, les récits erro- nés de Deleuze et de ses imitateurs. Ils nous montraient le Jardin menacé à titre d’an- cienne institution royale, et Lakanal, résolu à le sauver des fureurs de ses ennemis, se glissant dans lobscurité jusqu'à lancien hôtel de Magny. Quelques professeurs pré- venus par Daubenton se rassemblaient en hâte, et on rédigeait fiévreusement, dans la nuit, un rapport et des règlements. . . im- primés depuis trois ans! En réalité, Lakanal n'a presque rien eu à faire pour rédiger ce qu'il a lu à la tribune. Si l'on compare, phrase à phrase, le rapport qui précède le décret du 10 juin 1793 (n° 21, p. 133-139) et l'Adresse des officiers du Jardin du Roi du 20 août 1790 (n° 11, D. 97-100), on constate que le pre- mier texte ne diffère du seeond que par quel- ques paraphrases où abréviations et plu- sieurs transpositions, notamment à la fin, où le rapporteur a rejeté une phrase à eflet, qui passait presque inaperçue un peu plus haut. Quant au décret de la Convention, cest à peu de chose près celui qu'avaient préparé les officiers du Jardin en 1790. Ainsi l’ancien article ni devient l'article xv du nouveau décret, l'article 1x remplace l'ar- tele vu, et le mot nomination est substitué au terme présentation. Les articles x et xt de 1790 deviennent l'article vn; un article iv ajouté supprime l'intendant, dont le pro- jet de 1790 n'avait pas parlé du tout, etc. H y a une chaire de zoologie de plus; enfin la chaire de géologie est déchar- le oée de l'instruction des naturalistes-voya- peurs. L'article 1 du titre Il nouveau renvoie à un règlement, + que les professeurs demeu- rent chargés de rédiger et qu'ils communi- queront au Comité d'instruction publique», une quantité de dispositions d'intérêt se- condaire, que les rédacteurs de 1790 avaient introduites dans le corps du projet prin- cipal. Enfin le titre IT et le titre IV sont les anciens titres VI et VIT généralement sim- plifiés; les autres titres ont disparu et repa- railront dans le règlement intérieur. (Voir plus loin n° 27, p. 146.) LES DERNIERS JOURS DU JARDIN DU RO. 67 deaux, à Marseille et aulleurs encore, gronde l'émeute provoquée par la proseription des Girondins. Dans une situation aussi terrible, le décret du 10 juin passe un peu inaperçu, malgré son importance. C'est même le 3 juillet seule- ment ®, après vingt-trois Jours de retard, et à la suite de démarches réi- térées de Lakanal et de quatre commissaires spécialement délégués à cet effet par leurs collègues du nouveau Muséum, que Garat, Ministre de lin- térieur, fait connaître officiellement les dispositions les plus essentielles du décret aux professeurs, qualifiés pour la dernière fois d'officiers du Jardin national des Plantes et du Cabinet d'histoire naturelle Ÿ). Après avoir brièvement paraphrasé le décret du 10 juin, le Ministre invilait les professeurs à se constituer en assemblée pour nommer un di- recteur et un trésorier dans les formes prescrites, et les priait de lui adresser, pour les présenter au Conseil exécutif « sous la surveillance du- quel le Musæum national est mis à l'avenir», des extraits de leurs déli- bérations. Tout cela est très urgent, ajoute le Ministre, qui voudrait rat- traper le temps qu'il a fait perdre; ce n'est que quand ces nominations auront été notfiées que les professeurs pourront «s'occuper de l'exéeu- lion des décrets relatifs à la translation des objets d'histoire naturelle qui doivent être retirés de Chantilly et à l'achèvement de la galerie du second étage du Cabinet national». C'est alors seulement aussi que l'assemblée pourra correspondre avec le Ministre, sur tout ce qui concerne les dépenses quil est autorisé à faire payer au Muséum par le trésorier national et qui n'ont encore été fixées que provisoirement à la somme annuelle de 100.000 livres. 0) Le procès-verbal de la séance de la Convention du 10 juin 1793 se borne à enregistrer purement et simplement le texte du décret sur le Muséum d'histoire natu- relle de la manière suivante : - Séance du lundi 10 juin 1793 (Procès-verbaux de la Convention, &. XITE, p. 181). Un membre du Comité d'instruction publique présente et fait adopter les projets de décrets sui- vants» (G.-J. Guillaume, Procès-verbaur du Comité d'instruction publique de la Convention nationale, publiés et annotés, t. 1, p. 186). ®) Le 19 juillet 1793, un mois jour pour jour après l'adoption du décret qui orga- nisait le Muséum d'histoire naturelle, le malheureux fils de Buffon montait sur l'écha- faud. 6) Noir plus loin pièce n° 23, p. 139. 9: 68 M. E.-T. HAMY. Les professeurs n'avaient pas attendu pour se réunir la notification tardive que leur envoyait Garat. Dès le 1/4 Juin, quatre jours après le décret, ils avaient tenu une première séance et nommé spontanément un bureau provisoire". De plus, à la demande de Lakanal, écrivant au nom du Comité d'instruction publique, ils avaient désigné Lamarck et Four- croy comme commissaires pour la formation de la bibliothèque, Fourcroy avait lu le décret et proposé de faire mettre sur l'entrée du Jardin l'inscription : MUSÉUM D'HISTOIRE NATURELLE DÉCRÉTÉ PAR LA CONVENTION NATIONALE LE 10 JUIN 1793 Enfin Foureroy, Lamarck, Faujas et Thouin avaient été chargés de se rendre au Comité d'instruction publique pour remercier ses membres, au nom de l'assemblée des professeurs du Muséum, de l'intérêt qu'ils avaient pris à l'établissement et des services importants qu'ils lui avaient rendus auprès de la Convention nationale ©. Le 17 juin, le projet de réglement intérieur est confié à une commis- sion composée de Fourcroy, dont on se rappelle le rôle actif à l'assemblée de 1790, de Thouin, qui a soumis dès lors à ses collègues des observa- tions utiles , de Jussieu, qui, sans désemparer, va rédiger le texte ® que Fourcroy rapportera le 21 et qui sera adopté après quelques remanie- ments légers proposés par Faujas ©. Cest le 9 juillet, enfin, que la lettre du Ministre de l'intérieur, datée du 3, parvient avec le texte officiel du décret, et que l'assemblée est défi- nilivement organisée. Daugexrox, directeur: Taouix, trésorier; DesronNTaines, secrélaire, consli- tuent son premier bureau. Ce bureau provisoire fut composé de 6) Voir plus haut, p. 38. Daubenton, président; Desfontaines, secré- (5) Nous avons la minute de ce projet de taire, et Foureroy, vice-secrétaire. règlement de la main de Jussieu dans les ® Registre des délibérations. Séance du archives du Muséum. 11 juin 1793. 6) Voir plus loin n° 27, p. 146. LES DERNIERS JOURS DU JARDIN DU ROI. 69 En même temps quil écrivait aux professeurs du Muséum (5 juillet 1793), Garat avait fait connaître à Bernardin de Saint-Pierre la décision de la Convention nationale. linvitant à continuer ses fonctions Jusqu'au moment où la nouvelle organisation serait établie", le remerciant du zèle quil avait déployé et l’assurant de son empressement à faire valoir ses droits à une indemnité ?. Dès le 7 du même mois ©. Bernardin commen- (0) Bernardin de Saint-Pierre est resté en fonction jusqu'au 9 juillet et a touché, de ce fait, neuf jours de traitement sur le troisième trimestre de 1793. ®) Il avait déjà sollicité, nous l'avons dit, une indemnité d'installation et demandé un supplément de traitement pour frais de bu- reau dans son devis de la fin de 1792, et il étail revenu à la charge par une pétition adressée en mai 1793 au Ministre de l'in- térieur. () Il existe aux Archives nationales un vo- lumineux dossier relatif au départ de Ber- nardin de Saint-Pierre (F17 1130). On y trouve la pétition de mai 1793 dont je viens de parler, réclamant l'indemnité de démé- nagement déjà demandée à la fin de 1792 (voir plus haut, p. 55); une adresse de Ber- nardin à la Convention du 7 juillet (voir plus loin n° 26, p. 142), exposant ses do- léances, résumant les services qu'il a ren- dus au Jardin et sollicitant de nouveau quel- ques indemnités; une lettre du Ministre de l'intérieur, transmettant et recommandant le 20 août l'adresse précédente; une lettre de Bernardin du 10 août, relative à son dé- ménagement; un laissez-passer du 19 août pour Bernardin se rendant à Essonnes; un rapport du 20 août, présenté par le Mi- nistre au Conseil exécutif national provi- soire et proposant d'accorder à B. de Saint- Pierre, +à titre de gratifications pour ses travaux littéraires et d'indemnité pour la suppression de sa place», une somme de 2,000 livres à prendre sur le fonds des 6 millions de dépenses secrètes mises à la disposition du Conseil exécutif par le dé- cret d'avril 1793; un arrêté conforme du Conseil; une lettre d'avis du Ministre à Bernardin lui annonçant cette décision, lui signifiant que son traitement courra Jus- qu'à la date du 9 juillet, jour où la Direc- tion du Muséum s’est trouvée en activité, et l'invitant à faire la remise des pièces jus- üificatives des comptes dont il a présenté et certifié les devis à chaque trimestre de son exercice; une lettre de Bernardin du 2 septembre, datée d'Essonnes et relative à une autre indemnité pour la perte qu'il éprouve depuis longtemps sur la propriété de ses ouvrages par les contrefaçons nombreuses qui lui en enlèvent les fruits, et demandant un sursis pour déménager ses meubles; la réponse du Ministre en date du 7 sep- tembre; une lettre du même jour, à Dau- benton, linvitant à accorder à Bernardin de Saint-Pierre les délais qu'il sollicite et lui annonçant qu'il a demandé au Co- mité d'instruction publique le moyen de couvrir les dépenses extraordinaires néces- sitées par l'exécution du décret du 10 juin; un décret de la Convention nationale du oh septembre, accordant une indemnité de 3,000 livres au citoyen Bernardin de Saint-Pierre «pour servir à lindemniser des frais et pertes qu'il a supportés par la suppression de sa place d'intendant du Jar- din national des Plantes»; enfin les pièces de comptabilité se rapportant à cette in- demnité. 70 M. E.-T. HAMY. cait des démarches laborieuses qui aboutissaient le 4 septembre à ob- tention d'une indemnité de 3,000 livres. L'intendant révoqué quittait le Muséum le 7 août suivant, atteint d’une lèvre tierce qu'il avait contractée vers la fin de Juillet, et se retrait chez son ami limprimeur Didot jeune, Quelques jours plus tard, 1l gagnait Essonnes, où, pendant son administration, 1l avait commencé la con- struction d'une petite maison dans une ile de la rivière. En rentrant dans cette retraite rustique, 1l pouvait se rendre cette justice qu'il aurait sauvé l'ntendance, si cette institution discréditée n'avait pas été condamnée dès la mort de Buffon. La Direction du Muséum est désormais en possession de la constitu- lion que trois années plus tôt les ofliciers du Jardin avaient présentée à l'Assemblée nationale. Sous le libre régime qui vient enfin de li être octroyé, une ére de laborieuse et féconde activité va commencer pour l'établissement transformé et rajeuni. PIÈCES JUSTIFICATIVES. l NOMINATION DES TROIS DERNIERS INTENDANTS DU JARDIN DU ROI. SURVIVANCE D’INTENDANT DU JARDIN ROYAL DES PLANTES ET DU CABINET DU ROY POUR LE S' COMTE DE LA BILLARDERIE D’ANGIVILLER. À Versailles, le 11 décembre 1771. Louis, ete. Le s° Georges Louis Le Clerc, comte de Buflon, de notre Académie françoise et de celle des sciences de notre bonne ville de Paris, intendant de notre Jardin royal des Plantes et de notre Cabinet d'histoire naturelle, nous ayant représenté que sa santé, affoiblie par ses travaux, ne lui permettoit plus de veiller avec le même soin et la même activité à l'établissement que nous lui avions confié, nous auroit en même tems supplié de vouloir bien agréer, pour son survivancier, le s. Charles Claude de Flahault, comte de la Billarderie d’Angiviller, nous nous sommes d'autant plus volontiers portés à donner cette marque de notre bienveillance et de notre estime parti- eulière pour ledit s’ comte de Buffon, que son choix remplit entièrement nos vües et r que la connoissance que nous avons des bonnes et vertueuses qualités dudit s° comte de la Billarderie d’Angiviller, les preuves qu'il nous a données de son zèle et de son attachement à notre personne et à notre service, tant dans nos armées qu'en qualité de gentilhomme de la manche de nos petits-fils le Dauphin, comte de Provence, et d'Artois, les connoissances multiphiées qu'il à acquises par un travail assidu et pénible dans toutes les sciences qui ont rapport à la phisique et à l’histoire naturelle, nous persuadent qu'il remplira cette place avec la distinction qu’elle exige et soutiendra l'honneur de l'établissement de notre Jardin royal des Plantes et de notre Cabinet d'histoire naturelle, qui, par les soins infatigables dudit s' comte de Buffon et ses connoissances profondes dans toutes les genres, est devenu un des établissements les plus célèbres de l'Europe, non seulement par les richesses qu'il renferme, mais par 12 M. E.-T. HAMY. _ l’ordre qui y règne pour l'utilité des sciences et qui est si sagement établi qu'il fait , . . j ! l'admiration des scavants et des étrangers. À ces causes et autres à ce nous mouvant, de notre certaine science, pleine puissance et autorité royale nous avons donné et octroyé et, par ces présentes signées de notre main, donnons et octroyons audit s' Charles Claude de Flahault, comte de la Billar- derie d’Angiviller, lintendance de notre Jardin royal des Plantes et de notre Cabinet d'histoire naturelle, vacante par la démission, à condition de survivance, qu'en à fait en nos mains ledit s' comte de Buffon, pour, par ledit s' comte de la Billarderie d’An- omiller, lavoir, tenir et exercer en l'absence et survivance dudit s' comte de Buflon, et, sous l'autorité du secrétaire d’État ayant le département de notre Maison, en jouir et user aux honneurs, prérogatives et droits y attribués et aux appointements de 6,000 # par an, dont il sera payé, à compter du jour du déceds dudit s'° comte de Buflon, par le receveur général des domaines et bois de la généralité de Paris et ce tant qu'il nous plaira, sans qu'avenant le déceds de l’un ou de l’autre, ladite place puisse être impétrable sur le survivant, attendu le don que nous lui en faisons dès à présent. Si donnons en mandement à nos amés et féaux conseillers les gens tenant notre Chambre des comptes à Paris, ete. (Arch. nat., 0" 116*, p. 1052 v°.) 9 El PROVISIONS D’INTENDANT DU JARDIN ROYAL DES PLANTES ET DU CABINET DU ROI POUR LE S' MARQUIS DE LA BILLARDERIE. À Versailles, le 18 avril 1788. Louis, ete., à tous ceux qui ces présentes lettres verront salut. Par nos lettres du 11 décembre 1771, nous aurions pourvu le s' Charles Claude de Flahault, comte de la Billarderie d’Angiviller, de la survivance de la place d'intendant de notre Jardin royal des Plantes et de notre Cabinet d'histoire naturelle, dont le s' comte de Buffon nous avoit supplié d’agréer qu'il se demit en sa faveur audit titre de survivance; mais ledit s' comte d’Angiviller, devenu titulaire de ladite place par le déceds dudit s' comte de Buffon, nous a représenté que les fonctions dont nous l'avons chargé étant incom- patibles avec celles de ladite place, 1l nous supplioit très humblement d’agréer qu'il s'en démit en faveur du sieur Auguste Charles Cézar de Flahault, marquis de la Billar- derie, son frère, maréchal de camp ez nos armées; nous nous sommes d’autant plus volontiers déterminés à donner en cette occasion, à cedit s' comte d’Angiviller, de nou- velles marques de notre bienveillance, que nous sommes persuadés que ledit sieur LES DERNIERS JOURS DU JARDIN DU ROIL. 73 marquis de la Billarderie donnera tous ses soins pour maintenir dans son éclat et son utilité l'établissement de notre Jardin royal des Plantes et de notre Cabinet d'histoire naturelle devenu le plus célèbre de l'Europe, et qu'il répondra dignement dans l’exer- cice de cette place à la confiance dont nous lhonorons. À ces causes et autres à ce nous mouvants, de notre certaine science, pleine puis- sance et autorité royale, nous avons audit sieur marquis de la Billarderie donné et octroyé, et, par ces présentes signées de notre main, donnons et octroyons l’inten- dance de notre Jardin royal des Plantes et de notre Cabinet d'histoire naturelle vacante comme dit est, pour, par lui, lavoir, tenir et dorénavant l'exercer, sous l'autorité du secrétaire d'État ayant le département de notre Maison, en jouir et user aux honneurs, prérogatives et droits y attribués, et aux appointements de 6,000, dont il sera payé par le receveur général des domaines et bois de la généralité de Paris, à compter du jour du déceds dudict sieur comte de Buffon et ce tant qu'il nous plaira. Si donnons en mandement à nos amés et féaux Conseillers, les gens tenant notre Chambre des comptes à Paris, que ces présentes ils ayent à faire registrer, et le contenu en icelles garder et observer selon leur forme et teneur, car tel est notre plaisir ; en témoin de quoi, nous avons fait mettre notre scel à cesdites présentes. Donné à Versailles, le 18° jour du mois d'avril, l'an de grâce 1788 et de notre règne le xiv’. (Arch. nat., 0° 198, p. 80.) 0] ) BREVET D’INTENDANT DU JARDIN ROYAL DES PLANTES ET DES CABINETS D'HISTOIRE NATURELLE EN FAVEUR DE JACQUES HENRY BERNARDIN DE SAINT-PIERRE. Aujourd'hui, 1° juillet mil sept cent quatre vingt douze, le Roi étant en son Con- sell, Sa Majesté voulant pourvoir à l'exercice de la place d’intendant du Jardin royal des Plantes et des Cabinets d'histoire naturelle, vacante par la démission qu’en a donnée entre les mains de Sa Majesté, à la fin du mois de décembre dernier, le s. Auguste Charles César Flahault de la Billarderie, qui en avait été pourvu par provisions du 18 avril 1788, Sa Majesté, sur les bons témoignages qui lui ont été rendus de la per- sonne du s. Jacques Henri Bernardin de Saint Pierre, de ses connoissances et de ses talents, a jugé à propos de le choisir, pour remplacer led. s. Flahault de la Billar- derie, et elle ne doute pas qu'il ne donne tous ses soins pour maintenir dans son éclat et son utilité l'établissement du Jardin royal des Plantes et des Cabinets d'histoire natu- relle, devenu le plus célèbre de l'Europe, et qu'il ne réponde dignement dans l'exercice de cette place à la confiance dont Sa Majesté l’honore. En conséquence, le Roi a nommé 10 IMPRIMERIE NATIONALE, 14 M. E.-T. HAMWY. led. s. Bernardin de Saint Pierre. intendant du Jardin royal des Plantes et des Gabi- nets d'histoire naturelle, au lieu et place du s. Flahault de la Billarderie qui en à donné sa démission. Veut Sa Majesté que led. s. Bernardin exerce lad. place sous la surveillance du Ministre de l'intérieur et qu'il jouisse des droits et appointements attri- bués à lad. place à compter du jour qu'il sera admis à en remplir les fonctions. EL. pour assurance de ce que dessus, S. M. à signé le présent brevet qu'elle a fait contresiener par moi. Ministre de l'intérieur. (Minute, Arch. nat., F7 1927.) LES DERNIERS JOURS DU JARDIN DU ROI. 75 Il RAPPORTS DU COMITÉ DES FINANCES ln ARRIÉRÉ DES DÉPENSES DU JARDIN DU ROI. Les sommes comprises dans cet état forment le restant des dépenses faites : 1° pour l'acquisition des terrains employés à lagrandissement du Jardin: °° pour celle des maisons et hôtels qui servent de logement aux gardes du Cabinet, aux professeurs et autres officiers du Jardin: 3° pour la construction de lamphithéâtre:; 4° pour la bâtisse des nouvelles galleries du Cabinet d'histoire naturelle; 5° et enfin pour la maconnerie de la grande serre chaude destinée à conserver et à naturaliser les végétaux étrangers. A M. de Buffon fils, pour avances faites par M. son père, suivant les mémoires et pièces justifi- TAN 06 6 DER OR LA CET AS 121,991 9° >° A lui pour intérêts d’une maison prise pour le Jardin du Roi, six premiers HIDE 0 0 0 ao 0m Soie 0 dd do 0 D one 0 ie CE 12,800 ODA CCR ER AT Ce en 134,391 9° De l'autre part : SMS LNH ONE MAITECHAERENTERS. 0. 2e se eee celles 155,962 9° 10° Au sieur Mille, serrurier, restant d’une ordonnance de 119.831 iv. 3s. 7 d.. 111,731 9 7 DORE ATEN DIOMPIERE Eee 2e ss ca sec se ee NE ane 20,903 6 2 AH Te BE HERVASDEIDÉRE See eee ce à ce eee cie choele elle ele uielte 11,707 NO SR EU ONVEInoeleR EE Mess oiiuR.coeu 19,818 6 ADRSICUTEBIARTS M DANEURS AN eee A ele Aie SNA ea EL à à 23,403 9 10 AtuiSeunablanche manie ee 22e 2e M LU h,30h 2 10 Auteur Gran delete COUMREUT A CT 0, A1 17 1 ANS EUR RETOMEMNITIER SE RS LR AE te D SN 2 NE 12,340 6 11 Ao sens Condo enr ON ER ET ONE Re DO UL ocovcte 2,13 12 AURSEURRROLDE ADIEU ne een doit. ii 1,159 15 AuRSeUL DA MAS MIMENUISIEL SR re CEE TIENNE 35,840 10 9 ARNO Pa nono se de noie 0 Date 545.996 16 6 0) Ces deux petits rapports ont été imprimés pour qui a deux pages, est signé de Lebrun. Le second, ètre distribués aux membres de l’Assemblée. Je les ai qui est aussi très vraisemblablement du même rap- reproduits d’après les exemplaires qui appartiennent porteur, forme une plaquette de huit pages d’im- aux Archives nationales (A D., VIIT, 43). Le premier, pression. 10. 76 M. E.-T. HAMY. ÉUBe Sono cosoocoocoboosscos DAS Dü aux professeurs, démonstrateurs, ete., sur 1788, environ. ........... 10, 296! 16° 6 000 Dépense courante du Jardin du Roi au 11 décembre 1789, environ. ....... 45,000 Dépense extraordinaire de 1789, environ. ....... CCC CE DATE Cr D 000 DOTAr. DS DE DES PUR ec -c 0000020 M0ED Il a été accordé pour achever une grande serre chaude, destinée à recevoir une riche collection d'arbres étrangers, 20,000 livres, payables en dix-huit mois à compter du 1% décembre 1789. CA A DÉS Do 0 0 oo 5140/9090 0 0 00 000 60 0/00 010,0 ….. 20,000 livres pour. . 9 ÉTAT ACTUEL DU JARDIN ET DU CABINET DU ROI. Traitement de M. l'Intendant du Jardin et des Cabinets, 6.000 livres, sujettes payables aux Domaines, €l................ Se Oise RTE sn RAA Au même, pour supplément d'honoraires sur le Trésor RONA ICI ET CRC de M. Louiche des Fontaines, professeur de botanique, ei. ............ an 00 à M. de Jussieu, démonstrateur de botanique, &.................... ee M. de Fourcroy, professeur de chymie. . .................. el CR SR M. Brongniart, démonstrateur de chymie, 1,500 livres d'appointemens, et par sup- plément 500 livres, €i........ Re ART en a ar | LE LA M. Portal, professeur d'anatomie, €@1............... ST CO 00 HS-0D0 M. Mertrud, démonstrateur d'anatomie, 700 livres d'appointemens, et 1,000 livres de supplément (Ce Eee re CE CCE EC CECI E LE RE Er M. Daubenton, garde et démonstrateur d'histoire naturelle, hoo Fa d'appointe- mens, et 3,800 livres pour supplément, €1........ LS CS ET Le M. le comte de la Cépède, garde et démonstrateur en second. ................ À M. Faujas, adjoint à la garde des Cabinets... ................. SÉRIE EDe ES M. Satory, chars des préparations pour les Cabinets... ........... PP ee “ DOI ER AN PP le De LS 0 LE 0 6 0 M. Vanspandonck, peintre et dessinateur des Care et Jardins, 600 livres d'ap- pointemens eti700!livres Pour Ses OUVrADES. re ec CCE CT M. Ballon, M no Do NS DS 60 DD 0.6 0 0 M'iSonnerats correspondante Eee ee Te Se un SO 0 U MA Ducas hussiendesiGabinets REC ET CC CRE es DER M. Guillotte, commandant de la police du Jardin, des Cabinets et des Ecoles, appointe- ment 3,600 livres, et pour services extraordinaires, journées d'oflicier, 4oo livres, ci... Pour esprit-de-vin, eau-de-vie, bocaux, vases, verreries, linge, blanchissage, soufre, cire, mercure, papier, empaillage d'animaux, ports, commissions, fiacres, crocheteurs, charrettes et autres menues dépenses ne on Di do ne EG OM MALE Le:sieur Feuilet#froffeur:r. 4080 net Re RARE Untffrotteurtexiraordnaire M PR ER RE EP . mémoire. aux retenues, 6,000 livres. 6,000 1,500 1,200 1,500 2,000 1,500 1,700 L,200 2,000 2,000 500 6oo 1,300 300 300 1,800 L,o00 LES DERNIERS JOURS DU JARDIN DU ROLL. 71 LDREDONUE Pare 0 croi De 000. 00 DIN IE OI CEE h,970 livres. M. Thouin, jardinier en chef... d'à à D C0 THE Ho Re re a Re 5 2,400 Neanlhonnaeléserarduuer tee ENT Rs PAU Se EG 300 Pour quatre garçons entretenus toute l'année... ........ A D I ne 2,000 Pour dix-neuf garçons jardiniers, journaliers, deux manœuvres jardiniers, quatre garçons pour les charois, réparations d'allées, etc.; à quatre jardiniers maraicheurs pour les couches, etc. ; commissionnaire jardinier, et pour la tonture des arbres et HROnChUrEITeS eZ ANS TENSEMDIE RER RE Eee ee. te PC: 7 00 Pour le chauffage des serres, fourniture du pottier, les acquisitions d'engrais, fourniture du fumier, la litière, la tanée pour les couches à tan, l'achat des outils de taillanderie, l'acquisition des arrosoirs et entretien des anciens, les ouvrages de char- ronage, le renouvellement et l'entretien des outils de tourneur, l'achat des manne- quins, paniers et vans, celui des cordes et cordeaux, la fourniture et entretien des étiquettes de l'École de botanique, l'achat des perches, perchettes, réparation des treillages, acquisition de sable pour les allées, de chandelles pour les serres et jardi- nier, de papier pour faire des sacs, pour les dépenses d'herborisation à la campagne. l'entretien des paillassons et des couches, l'entretien et remplacement des cloches de verre, l'acquisition de la mousse, l'achat et l'entretien des thermomètres, châllis, Lonneaux, bacquets, pelles de bois, balais, sceaux, seringues pour laver les plantes, le transport aux décharges publiques de tous les gravats, la correspondance du Jardin pour la partie de la botanique et la comptabilité, et enfin les ports de lettres et pa- quets, caisses, frais de douane, etc. . ... RP Rene A A Le AA Vie Lee! 11,979 À la veuve Salé, pour pension de veuve du premier garçon jardinier. . ........ 5o Au père Dodard, ancien magasinier, pour pension de quarante ans de services. . . 730 Étrennes aux ART TEE EAU ESREMDIONÉS = ee se ntetes sis ee odeie ele «io ete 918 Pour l'entretien du réverbère de la cour de lamphithéâtre, pour le soin du méri- dien et des bombes, pour la fourniture des chandelles et illumination des trois lan- ternes de la cour royale et l'escalier des serres, et pour le balayage de la rue du and oiten semble RE PT A D ee ce sci ce : 399 Le sieur Bertin, portier de la Porte OU DIE Re dde ee lS 0 rie lee h5o Le sieur Travaux, portier de la Porte de la rivière. ........................ 600 Le sieur Guenin, premier garde-bosquet. ..................... NES UE 600 Le sieur Guillot, dit La Pierre, deurième garde-bosquet.. ............,..... 6oo Le sieur Boucher, troisième garde-bosquet et portier de la Porte charretière. . ...... 600 MVecniquet-archtiecte "0 RTE SRE DO DE UT 1,200 Au même, pour gratifications lorsque les constructions sont considérables. . . . .. 6oo En maçonnerie, charpente, menuiserie, serrurerie, couverture, plomberie, pein- lunemtele ensemble rt nee ec ST D LAN EVA À AA SEE NUS TT ROME 0 Te. 09 Die 6 ao CPP) Le Jardin royal des Plantes et le Cabinet d'histoire naturelle sont devenus l'éta- blissement le plus riche et le plus précieux. La dépense ordinaire s'élève en ce moment à la somme de 92,22» livres; si on la compare à l'importance de l'objet, elle ne paroîtra point exagérée; si on en discute les 4 élémens, elle n’offre que de légères réflexions. 78 M. E.-T. HAMY. L'intendant actuel à 12,000 livres d’appontemens. M. de Buffon en avoit 15,000. Mais c’étoit une gloire de succéder à M. de Buflon, et il n’est point de citoyen qui ne leût achetée, On auroit donc pu réduire ces appointemens au moins de 6,000 livres et employer cette somme en améliorations que l'intérêt publie sollicite. L'article des ouvriers extraordinaires, celui de l'achat du mercure, de lesprit-de-vin, celui du chauflage des serres, acquisition des engrais, ustensiles, ete., s'élèvent en- semble à 29,405 livres, dépense nécessairement indéterminée et variable sur laquelle on ne peut avoir de garantie que la surveillance de l'administration et lhonnêteté de ses agens. Il semble qu'on ne devroit pas trouver dans un état de dépense ordinaire les ap- pointemens d'un architecte et qu'un besoin accidentel ne devroit pas être une charge de tous les jours. L'article de la maçonnerie paroïît appartenir à ces temps de réparations forcées, et n'a été vraisemblablement calculé que sur les dernières années de M. de Buflon. Il est possible de trouver sur ces deux derniers articles quelques économies dont le produit seroit bien employé à augmenter les appointemens de MM. les professeurs qu'on peut rendre encore plus utiles, ceux d’un jardinier, homme célèbre, adopté par l’Académie des sciences, et qui a fait des sacrifices à son attachement pour le Jardin royal (1, L'intendant sollicite de nouveaux fonds et en indique l’emplor. Ces vues, qui Jus- ülient son zèle pour la gloire et Putilité de l'établissement qui lui est confié, appar- tiennent à d’autres temps et mériteront sans doute un jour d’être accueillies par la Naüon quand elle n'aura plus qu'à jouir de ses prospérités. C'est d'après l’apperçu de lintendant que la dépense du Jardin du Roi est portée dans un premier état du Trésor royal à 130,000 livres et dans un second à 128,500, différence qui provient des remèdes envoyés dans les provinces et qui autrefois étoit portée sur le compte de cet établissement. 0) On observe cependant qu’il y a des dépenses à reil ouvrage feroit connoître nos richesses à Europe faire pour le Cabinet d'histoire naturelle, qu’il fau- et fixeroit la curiosité des étrangers. L'un des savans droit mulliplier les serres, et qu'enfin dans la partie botanistes attachés à cet établissement devroit entre- de la bolanique, on est riche en superflu, mais qu’on prendre ce travail, et on pourroit destiner aux frais manque du nécessaire. On observe encore qu'il nous de l'impression une partie du traitement de l’archi- manque la description du Jardin des Plantes. Un pa- tecte. LES DERNIERS JOURS DU JARDIN DU ROI. 19 III PROJETS DE RÉORGANISATION DU JARDIN ROYAL DES PLANTES. (1789-1791.) VUES SUR LE JARDIN ROYAL DES PLANTES ET LE CABINET D'HISTOIRE NATURELLE. Ce grand établissement est digne de fixer les regards de PAssemblée nationale: et, dans des temps plus heureux, il en obtiendra des secours et des encouragemens. Mais il est des améliorations qui appartiennent à tous les temps, parce qu'elles tiennent uniquement à de nouvelles combinaisons, qui ne coûtent rien au Trésor pu- blie; et telles sont celles qu'on va proposer pour le Jardin royal. I existe à Paris et dans les environs divers établissemens analogues, mais épars, qui s’'éclaireroient par une communication mutuelle, et se perfectionneroient par leur réunion. À Paris, la médecine a des écoles, mais des écoles en ruine, des professeurs sans appointemens, qui remplissent à Lour de rôle des fonctions onéreuses pour eux et, dès lors, inutiles au public. Au Collège royal, une chaire de médecine, une chaire d'anatomie, une de chimie , une d'histoire naturelle. A la Monnoiïe, une chaire de minéralogie. Au Jardin du Roi, un garde et démonstrateur d'histoire naturelle. Un professeur et démonstrateur d'anatomie, un professeur et démonstrateur de chimie. A Paris, encore un jardin des apothicaires, où se cultivent des plantes, où se donnent des leçons de pharmacie, où se composent des drogues. Au château d’Alfort, près de Charenton, une école vétérinaire qui, après une réduc- tion considérable, coûte encore annuellement 60,000 livres. C’est en réunissant tous ces établissements dispersés qu'on formera l’ensemble le plus imposant et le plus justement célèbre; et le Jardin du Roi peut les recevoir tous. Sans augmenter les dépenses de l'État. la médecine auroit un enseignement régulier, des professeurs perpétuels, honorablement payés; dans la même enceinte, tous les moyens d'instruction qu'ils ne trouvent aujourd’hui qu'incomplets et épars; tout au- près, deux hôpitaux, où l’on élabliroit des écoles de médecine clinique. 80 M. E.-T. HAMY. L'anatomie humaine s’y éclaireroit des lumières et des expériences de l'anatomie des animaux. La science vétérinaire S'y répandroit davantage el s'y répandroit mieux. Les élèves, distribués chez les maréchaux de la capitale, ne coûteroient rien aux provinces, et s’y lormeroient par la théorie et par la pratique. On peut regretter Alfort qui a coûté beaucoup, qui a mérité des éloges et obtenu des succès; mais de plus grands succès peuvent être obtenus à Paris. Au reste, on peut laisser l’école vétérinaire à Alfort, et le projet que l’on propose sera encore de la plus grande importance. La célébrité d'un pareil établissement attireroit à Paris des étudians de toute l'Eu- rope; considération qui à quelque intérêt, dans un temps où Paris est menacé de perdre de sa population. D'un autre côté, on tireroit de cette affluence une grande économie. L'État doit l'instruction publique, mais 1l ne la doit pas entièrement gratuite. On pourroit exiger de chaque étudiant en médecine 200 livres par année, et cette somme est bien au-dessous de ce qu'il lui en ecûte aujourd’hui pour une instruction morcelée, qu'il faut aller chercher dans les différents quartiers de Paris. On pourroit exiger une rétribution proportionnée de tous ceux qui voudroient s’at- tacher à quelques branches particulières. Ces fonds versés dans une caisse commune fourniroient aux appointemens de tous les professeurs ; et les sacrifices que fait aujourd’hui le Trésor royal seroient ou dimi- nués où employés à agrandir ou perfectionner encore cet établissement. L'emplacement de l'École de médecine seroit vendu: des citoyens zélés se feroient gloire de contribuer à la splendeur d’un monument qui honoreroit la patrie; c’est à des particuliers que l'Angleterre doit ses plus beaux établissements. Ce ne seroit point au Jardin royal que la Faculté de médecine auroit ses assemblées. Elle seroit là trop loin de la plupart de ses membres, que les besoins des citoyens attachent aux différens quartiers de Paris; 11 seroit possible de l’établir dans quelques collèges où dans quelques maisons que les suppressions ou les réunions des monastères laisseront vacantes. On ne lui donneroit d'ailleurs aucun droit sur le Jardin royal. Cet établissement ne peut appartenir qu'à la Nation; il lui faut un administrateur qui lui en réponde, et non pas une corporation qui se l’approprie. Quant à l'administrateur, ce pourroit être le médecin du Roi; sa place répondroit de ses talens, et lui donneroit encore des moyens de protection ü), () Ces vues ont été présentées au Comité des finances avec le rapport sur le Jardin du Roi. — Le Comité n’a pas cru que sa mission l’autorisät à les discuter; mais elles sont assez importantes pour être soumises à l’Assemblée. LES DERNIERS JOURS DU JARDIN DU ROI. 8 7 OBSERVATIONS SUR UN ÉCRIT QUI A POUR TITRE : VUES SUR LE JARDIN ROYAL DES PLANTES ET LE CABINET D'HISTOIRE NATURELLE ; À PARIS, CHEZ BAUDOUIN, IMPRIMEUR DE L’AS- SEMBLÉE NATIONALE, 1789, PAR M. SAGE, DIRECTEUR DE L'ÉCOLE ROYALE DES MINES (Extrait) Le but de l’Assemblée nationale étant d'opérer le bien publie, c’est concourir à ses vues que de l'éclairer sur un fait qui n'a pu fixer, jusqu'à présent, que très imparfaite- ment son attention, et sur lequel il seroit difficile de prononcer sans avoir des détails exacts. M. de Buflon a rassemblé de l'histoire naturelle au Jardin royal des Plantes; il y à dépensé des millions : done il faudroit y transférer le Cabinet de l'École royale des mines, afin de réunir les choses semblables. Tel est le sens de l'écrit qui a pour titre : Vues sur le Jardin royal des Plantes; telle est la proposition qui m'a été faite par un honorable membre du Comité des finances de l’Assemblée nationale, que j'invitai à venir voir l'établissement de l’École royale des mines à la Monnoie. Il eut la bonté de s'y rendre, el m'avoua qu'il croyoit qu'on ne pouvoit insister sur celte proposition, quand on avoit vu le Cabinet de l'École des mines: que, d’ailleurs. les cours de miné- ralogie et de chimie métallurgique ne devant et ne pouvant se faire que pendant l'hiver, l'éloignement du Jardin du Roi empêécheroit de s’y rendre. J'ajoutai à cet honorable membre que toute l'Europe ayant reconnu que les mines et monnoies ont une connexion intime, puisque les unes servent d’aliment aux autres, c'est ce qui a déterminé l'Allemagne, la Suède, ete., à réunir ces deux parties, de sorte que les ofliciers des mines y sont aussi ceux des monnoies, C’est à l'exemple des autres nations que j'ai demandé et obtenu de M. Necker, 1l y a douze ans, lors de la fonda- tion de ma chaire de minéralogie docimastique , qu'elle füt établie à la Monnoie. Ce fut dans le même temps que M. Daubenton sollicita et fit ériger en sa faveur une chaire d'histoire naturelle au Collège royal, où 1l apporte, pour ses démonstrations, ce qu'il prend dans le Cabinet du Jardin royal des Plantes. Ce célèbre professeur y de- meurant, pourquoi n'a-t-1l pas préféré d'y enseigner? C’est qu'il a reconnu que le fau- bourg Saint-Victor étoit excentrique pour Paris, et que l'hiver il y auroit prêché dans le désert. En effet. ce quartier n’a été fréquenté que dans le temps où la reine Blanche habitoit le faubourg Saint-Marceau. On ignore ce que le Cabinet du Jardin royal des Plantes renferme de minéraux; on n'en à Jamais produit la description qui auroit servi à l'instruction, et laissé en même temps un inventaire que les ministres du Roi auroient dû exiger. () À Paris. De l'imprimerie de P.-Fr. Didot le jeune, 1790, br. in-8° de 8 pages. 11 IMPRIMERIE NATIONALE, 82 M. E.-T. HAMY. J'ai vu, dans l'espace de trente années, naître le Cabinet du Jardin royal des Plantes ; lequel, pendant ce laps de temps, a été refait trois fois à grands frais; Jose soutenir qu'il n’en est pas mieux pour cela. Éclairé d’un seul côté, le Jour y est faux. Les ar- moires des mines sont trop profondes et trop élevées; on y a employé quatre fois plus de bois qu'il ne falloit. On vient d'élever sur ce cabinet, et à côté, un nouveau bâtiment qui à coûté plus de 400,000 livres, sans en être plus propre à sa destination. I n’y a ni vitres, ni armoires: 11 en coûtera au moins 100,000 écus pour les établir. Le malheur veut que tous ces bâtiments soient sur carrières qu'on a cherché à combler, et où l’on est obligé de travailler souvent. C’est dans un lieu semblable qu'on propose la translation du Cabinet de l'École royale des mines, qui est connu de toute l’Europe, dont il fixe l'attention comme mo- nument. Je dois encore faire observer qu'il en coûteroit plus de 50,000 écus pour mal poster le Cabinet de l'École des mines, et qu'on perdroit ce qu'on a dépensé pour l'établir à la Monnoie. Ce même cabinet, ayant le supplément que je me suis engagé avec l’Assemblée nationale, lors de mon don patriotique, de faire finir à mes frais, pour y déposer les mines de France par ordre de départemens, offrira le tableau le plus intéressant et le plus utile. Il me paroït impossible que, lorsque l’Assemblée na- tionale aura vu le Cabinet de l'École royale des mines, elle puisse consentir à sa trans- lation, puisque l'instruction et Putilité publiques en souffriroient. L'étude des minéraux ne pouvant se faire que d’après des morceaux bien choisis, bien caractérisés, auxquels l’analyse a assigné leur véritable place, J'ai consacré tout ce que J'avois pour composer le Cabinet de l'École royale des mines, dont j'ai fait et conservé les analyses. Le Cabinet des mines du Jardin royal des Plantes renferme un beau choix de miné- raux (0, mais ils n’ont pas été essayés: le public a seulement la permission de les voir, quelques heures, deux fois par semaine , comme curiosités. Le Cabinet de l'École royale des mines est ouvert tous les jours, sans interruption, du matin au soir; outre les lecons publiques, la description méthodique de ce cabinet offre un moyen facile d'instruction. Si l’on croit nécessaire de faire des réunions, au lieu de transférer le Cabinet de l'École des mines au Jardin du Roi, ne vaudrait-il pas mieux transporter les mines qui y sont à la Monnoie? Elles y seroient essayées, classées, décrites et exposées de ma- nière à servir à l'instruction. On pourroit réunir au beau et très riche dépôt du Garde-meuble du Roi les vases d'agate, de jaspe et de cristal de roche qui sont dans le Cabinet du Jardin royal des (Je ne parle pas des immenses blocs d'argent apportés du Pérou par M. Dombey, ils n’ont pas de caractère el sont plus propres à être monnoyés qu'à figurer dans un cabinet. LES DERNIERS JOURS DU JARDIN DU ROI. 83 Plantes, ainsi que les colonnes d’améthiste qui sont plus propres à décorer une cha- pelle qu'un cabinet : le dépôt du Garde-meuble offre ce qu'il y a de plus précieux dans ce genre, et il est très bien arrangé dans une salle; j'aurois seulement désiré, pour le public, qu'on eût fait imprimer la description de ces objets, que j'ai faite par ordre du Roi, 1l y a six ans. Le Jardin royal a été fondé par un premier médecin du Roi, pour la culture des plantes, l'enseignement de la botanique, l'anatomie et la chimie relative à la méde- cine. On y a conservé les graines dans un cabinet, ainsi que les herbiers de Tourne- lort, de Vaillant et d’autres célèbres botanistes. Les premiers médecins du Roi ont été, jusqu'à M. de Buflon, les intendants du Jardin royal des Plantes. Leurs connoissances leur donnent un droit légitime à cette place. . ... 8 RÉPONSE DE L’ABBÉ J.-J. GARNIER, ANCIEN PROFESSEUR D'HISTOIRE AU COLLÈGE DE FRANCE. (Extrait O0.) Les professeurs royaux, avertis qu'il se répandoit un projet de transférer au Jardin du Roi une partie des chaires qui composent cet établissement littéraire, et de dis- perser les autres dans les différens collèges de l'Université, ont eru qu'il étoit de leur devoir d'exposer sommairement quel a été l'objet de leur institution, ce qu'ils ont fait pour le remplir, en un mot, ce qu'ils ont dû être, ce qu'ils ont été et ce qu'ils sont, afin que ceux qui doivent décider de leur sort puissent juger, en connoïssance de cause, si les nouveaux arrangemens qu’on leur propose tourneroient à l'avantage ou au détri- ment de la chose publique ©. Entrons maintenant dans la discussion des nouveaux arrangemens qu'on propose, et examinons, sans partialité, s'ils sont compatibles avec la constitution du Collège royal. [l est question, nous a-t-on dit, de transférer au Jardin du Roi les chaires de médecine pratique, d'histoire naturelle, de chimie et d'anatomie, de les fondre avec ‘) Les passages que nous reproduisons ici sont üirés de la brochure intitulée : Éclaircissemens sur le Collège royal de France, publiée à Paris, sans nom d'auteur et sans indication de date, mais que le Journal des Savants d'août 1790, p. 54h, et l'Esprit des jour- naux de janvier 1791, p. 255, attribuent sans au- cune hésitation à l'abbé Jean-Jacques Garnier, membre de l’Académie royale des inscriptions et belles-lettres, professeur adjoint pour la langue hébraïque depuis 1700, et titulaire, depuis 1769. de la chaire d'his- toire qu'il conserva jusqu’en 1777. I n’est pas sans intérêt de faire observer, en passant, que la Chro- nique de Paris, journal de Condorcet, a fait de ce mémoire, à la date du vendredi 26 mars 1790, une analyse très favorable. @) L'auteur continue en résumant brièvement lhis toire du Collège royal, et en définissant l'institution au double point de vue des professeurs et des élèves. On trouvera dans l'excellent volume de M. Lefranc, His- toire du Collège de France, depuis ses origines jusqu'à la fin du premier Empire (Paris, Hachette, 1893, 1 vol. in-8°), un résumé bien fait de l’opuscule de Garnier, 11. 5! M. E.-T. HAMY. celles du même genre qui s’y trouvent déjà, et d'en former une école générale de mé- decine pour la Faculté de Paris, qui, par là, se trouveroit déchargée de l'entretien de ses professeurs. La première remarque que nous nous permettrons sur ce sujet, c’est qu'il tend évidemment à mutiler le Collège royal : car il n’y a personne qui ne sache que les quatre chaires qu'on voudroit lui enlever forment quatre branches très importantes de l'éducation publique; en les perdant, il cesseroit de renfermer tout l'enseignement public, d'être le complément de l'éducation. Nous observerons ensuite que les chaires de chimie et d'anatomie du Jardin du Roi et celles du Collège royal peuvent très bien compatir ensemble, et ne forment point un double emploi; car les premières, bornées à un cours de six semaines, et de quinze ou vingt lecons, sont par là réduites à ne donner que les premières notions, puisqu'un professeur, quelque habile qu'il soit, ne peut, dans un si court espace de temps, qu'effleurer les matières. Les exercices du Col- lège royal, au contraire, se prolongent pendant toute la durée de l’année scolastique, c'est-à-dire pendant neuf mois, et mettent par là le professeur dans la nécessité in- dispensable d'approfondir les matières et de leur donner tous les développemens dont elles sont susceptibles. Mais quand bien même il paroïtroit plus expédient de fondre ces deux établisse- mens différens en un, en chargeant le même professeur d'enseigner et les élémens et les développemens, il resteroit encore à savoir dans lequel, du Collège royal ou du Jardin du Roi, cette chaire unique seroit plus convenablement placée : pour s'en assurer, il faut consulter l'intérêt des étudians, pour qui les chaires sont faites, non celui des professeurs, n1 des compagnies. Or le Jardin du Roi est situé dans un des fauxbourgs le plus éloigné et le plus inhabité. Les rues, pour y aborder, sont impra- ücables pour les gens de pied pendant une partie de lhiver, sont incommodes pen- dant les chaleurs de l'été, et, dans toutes les saisons, il faut compter une heure de chemin pour s’y rendre, et autant pour en revenir, c’est-à-dire le double du temps que dure une lecon. Si ces lecons se faisoient à des heures éloignées Pune de autre, et qu'il fallüt sy rendre deux fois le Jour, qu’on calcule l'effroyable perte de temps qu’en- traineroient, au bout de l’année, toutes ces courses. Le Collège royal, au contraire, est situé au centre de l'Université, c’est-à-dire du quartier occupé par Îles étudians de tout genre. Il est dans le voisinage des écoles de chirurgie et à médiocre distance de l'Hôtel-Dieu et de hôpital de la Charité, les deux établissemens où le plus grand nombre des élèves en médecine et en chirurgie vont étudier la pratique de leur art, en suivant assidûment les traitemens prescrits par les maîtres les plus exercés. À cette première considération tirée de l'emplacement, joignez l'avantage, pour les étudians, de trouver réuni, dans une même enceinte, l’enseignement des autres sciences, dont celle qui fait leur objet principal tire nécessairement des secours acces- soires, à cause de l’union plus ou moins étroite qu'elles ont toutes entre elles; secours dont ils seroient privés au Jardin du Roi, à moins qu'on ne prit le parti d'y trans- LES DERNIERS JOURS DU JARDIN DU RO. 85 porter, avec les chaires relatives à la médecine, celles de physique, puis enfin celles de mathématiques, et de partager ainsi le Collège royal en deux grandes sections, dont l’une comprendroit toutes les sciences naturelles et mathématiques, l’autre, la littérature et les sciences morales et politiques. Mais en réfléchissant sur ce partage, on s'apercevra promptement qu'il est contre nature et que les deux sections tendroient perpétuellement à se rapprocher. Car, d'un côté, le botaniste, le physicien, ne peuvent guère se passer de l'étude de la langue grecque, puisque c’est d'elle que tous les objets dont il s'occupe tirent leur dénomination et que tous les ouvrages fondamentaux de son art ont été écrits en grec; d’un autre côté, l’antiquaire et l'érudit ne peuvent se passer de l'étude de la physique, de la médecine et de toutes les sciences naturelles, puis- qu'elles peuvent seules lui faciliter l'intelligence des auteurs anciens et que, sans leur secours, 1l sauroit des mots sans avoir aucune idée des choses. Le moraliste et le poli- tique peuvent encore moins se passer d’une étude approfondie de la physiologie, puis- que l’homme, qui fait leur étude, est composé d'un corps et d’une âme qui agissent l'un sur Pautre, et qu'en ne s’attachant à connoître que lune de ces substances, ils courroient risque de les méconnoîitre toutes les deux. Il est donc de toute évidence que ce n'est mi l'intérêt des étudians, ni celui de la science en elle-même, qui a pu dicter le projet de transporter au Jardin du Roi une partie des chaires du Collège royal. Ce ne sont pas non plus des vues économiques et l'intérêt des finances de l'État. En effet, bien que ces chaires aient commencé par être magnifiquement dotées, et que, dans l'intention du fondateur, elles dussent, dans tous les tems, exciter l'ambition des savants étrangers et servir à les attirer en France, on sait bien que depuis longtems elles n’attirent personne, et que, si elles ont conservé le premier rang dans lestime publique, ce n’est certainement pas à leur dota- tion qu'elles en sont redevables. Un professeur royal commence par ne toucher que 1,100 livres de gages; ce n’est guère qu'au bout de vingt ans qu'il parvient à ceux de 1,500 livres, au delà desquels il n’a plus rien à prétendre. Ses exercices se pro- longent pendant neuf mois de l’année, et chaque leçon exige nécessairement une pré- paralion, puisqu'il doit s'expliquer sur les matières les moins éclairées de son art, rendre compte des nouvelles découvertes devant des hommes instruits qui ont le droit de lui demander des explications sur tout ce qui leur laisse de l'embarras ou du doute. Enfin quelques-unes de ces chaires, telles que celles de chimie, de physique expé- rimentale, d'anatomie et d'astronomie, exigent des frais indispensables et se servent d'instruments fragiles, qu'il faut remplacer. Ce n’est que depuis trois ou quatre ans que le Gouvernement à pris en considération cette dépense et a attaché aux trois pre- mières des fonds extraordinaires, mais si modiques, qu'ils n'indemnisent pas le pro- fesseur de ses avances. Le sort d’un professeur au Jardin du Roi est bien différent; ce professeur, dès le moment de sa nomination, entre aux appointemens de 1,500 livres : il partage les fonctions de sa chaire avec un démonstrateur qui touche de son côté 1,500 livres, ce qui porte la dépense de chaque chaire à 1,000 écus par an. Cette 86 M. E.-T. HAMY. année, comme nous l'avons déjà dit, se réduit à six semaines, ou, ce qui revient au même, à quinze où vingt leçons, d'où il suit que si ces deux établissemens ne pou- voient plus subsister séparément comme auparavant, il y auroit beaucoup à perdre pour l'État à transporter au Jardin du Roi une partie des chaires du Collège de France, et beaucoup à gagner, sous tous les rapports, à transporter au Collège royal toutes les chaires du Jardin du Ror. Nous n’en exceptons pas même la chaire de bota- nique. Car rien n'empêcheroit que le professeur ne püt, pendant l'hiver, y donner des leçons très intéressantes sur les graines, les plantes desséchées et ce qu’on nomme «un herbier », et assigner à ses élèves les jours et les heures où il se transporteroit au Jardin du Roi pour y étudier les plantes vivantes, pendant les six semaines ou deux mois que durent ces sortes de démonstrations, de la manière qu'il le pratique déjà pour celles qu'il fait en pleine campagne dans les environs de Paris. Enfin nous prions qu'on veuille bien nous dire quels services les professeurs royaux pourroient rendre au Jardin du Roi, qu'ils ne puissent rendre et plus commodément et plus convenablement au Collège royal. Puisque toutes les raisons de convenance, d'économie, d'utilité publique, de com- modité, loin d'appuyer le projet de translation d’une partie des chaires du Collège royal au Jardin du Roi, se réunissent pour le renverser de fond en comble, n’a-t-on pas droit de soupçonner qu'il cache des vues ultérieures qu'on n’avoue pas et dont il importe peu de connoître l'instigateur? On insinue donc que la Faculté et la Société de médecine, qui songent à se réunir, n'ont ni domicile, ni fonds pour stipendier leurs professeurs; que l'État, ne se trouvant pas dans une situation qui lui permette de pour- voir à cette double dépense, peut sans inconvénient s’en décharger, en transportant une partie des chaires royales au Jardin du Roi, qui deviendroit l'école de la Faculté, en dispersant les autres dans les différents collèges de l’Université, et en cédant le bâäti- ment du Collège royal à la Faculté et à la Société, pour y loger leurs olliciers et y tenir leurs assemblées. Ceux qui ont enfanté ce plan n'ignorent pas, sans doute, qu'ils proposent, en d’autres termes, l'abolition du Collège royal... .. 9 RÉFLEXIONS SUR LES AVANTAGES QUI RÉSULTEROIENT DE LA RÉUNION DE LA SOCIÉTÉ ROYALE D’AGRICULTURE, DE L'ÉCOLE VÉTÉRINAIRE ET DE TROIS CHAIRES DU COLLÈGE ROYAL AU JARDIN DU ROI, PAR P.-M.-A. BROUSSONNET ; PARIS, IMPRIMERIE DU JOURNAL GRATUIT, BROCH, S. D., IN-8° DE 42 PAGES. (Extrait) MRC La réunion en un même lieu de plusieurs parties de l’enseignement publie est indispensable pour le rendre plus ulile et moins coûteux. LES DERNIERS JOURS DU JARDIN DU ROI. 87 C’est d’après ces considérations que nous allons proposer de réunir dans le même endroit et de lier ensemble le Jardin du Roi, l’École vétérinaire, la Société d'agri- culture et trois chaires établies au Collège royal. Le Jardin royal des Plantes et le Cabinet d'histoire naturelle n’ont été jusques ici d'une utilité bien réelle qu'en raison des lumières et du zèle de quelques personnes qui y ont occupé des places, et qui ont fait tourner au profit des sciences utiles des sciences de simple spéculation. C'est ainsi qu'on doit aux travaux de lillustre coopéra- teur de M. de Buffon d’avoir enrichi l'économie rurale et l'art vétérinaire d'un grand nombre de découvertes précieuses; c’est ainsi que M. Thouin, qui a rendu ce Jardin le premier de l'Europe, a peuplé nos jardins et nos campagnes d’un nombre infini de plantes et d'arbres utiles, et est parvenu de cette manière à procurer de nouvelles ri- chesses à l'agriculture. Tout semble désigner ce lieu comme le plus propre à rappro- cher l’enseignement agricole de l’enseignement vétérinaire; et si l'autorité d’un grand homme est, comme on ne peut plus en douter, d'un grand poids, nous ajouterons que ce dessein avoit été formé par M. de Buffon, et nous ne doutons pas qu'il ne fût par- venu à l’exécuter s'il avoit poussé plus loin sa carrière. La réunion que nous proposons ne nuiroit point aux divers genres d’enseignemens qui ont lieu dans ce moment au Jardin du Roi; ils recevroient au contraire un nouveau lustre de ces additions. et le nombre des auditeurs dans les différens cours d'histoire naturelle, de botanique, d'anatomie et de chirurgie, seroit considérablement aug- mentéU..... L'art de gouverner les animaux dans l’état de santé tient à l’une des branches les plus importantes de l’économie rurale, et l’enseignement de cette partie pourroit, comme celui de l'art vétérinaire, être fait avec les plus grands avantages au Jardin du Roi. L'éducation des animaux est une science encore nouvelle en France, comme ne le prouvent que trop les préjugés de tout genre adoptés dans les campagnes. . ... Les deux chaires seroient consacrées, l’une à ce qui a rapport aux plantes écono- miques; autre à la manière d'élever et de tirer parti des animaux domestiques. Une portion de terrain, dans le Jardin du Roi, seroit destinée à la formation d’une école de botanique économique. Des expériences faciles et peu coûteuses mettroient à portée de reconnoître des usages économiques auxquels seroient propres les différentes plantes ; le professeur chargé de cette partie auroit soin de faire voir pendant la leçon les plantes et les produits qu'on en retire, ainsi que différents modèles conservés dans un lieu particulier, mais qu'il seroit très important de ne pas laisser dégénérer en cabinet, objet de dépense très considérable et très inutile, quand, au lieu de laisser la faculté d'examiner et de manier les objets pour l'instruction des élèves, on les renferme sous verre et sous clef pour amusement du public. LA . . () L'auteur suit avec un chapitre de dix pages sur l'École vétérinaire qu'il est inutile de reproduire ici, puis il aborde la question des chaires d'économie rurale dont il demande la création au Jardin du Roi. a 2 M. E.-T. HAMY. Le professeur d'économie rurale, chargé de la partie zoologique ou relative aux ani- maux, auroit à sa disposition un local particulier; on pourroit y former des étables, des écuries peu spacieuses et propres seulement à renfermer quelques vaches, quelques moutons et divers animaux domestiques qui feroient le sujet des leçons. Le local qui nous paroit le plus propre à cet objet, et qui serviroit en même temps à placer l'École vétérinaire, est la maison des Nouveaux-Convertis; le bâtiment et le Jardin qui y est joint sont en quelque sorte enclavés dans le Jardin du Roi. Nous n'ignorons pas que ce local a actuellement une destination particulière; mais un pareil établissement, si on le juge encore utile, peut être transporté sans aucun inconvénient à la paroisse la Les trois chaires établies au Collège royal, et que nous proposons de transférer au Jardin du Roi, sont celles d'histoire naturelle, de chimie et d'anatomie. Celle d'histoire naturelle, occupée par M. Daubenton, ne peut être remplie que par quelqu'un qui aura à sa disposition les échantillons du Cabinet du Roi; car il n’existe point de cabinet au Collège royal, et on n’a jamais cru qu'il fût possible de faire des cours d'histoire naturelle sans objets de démonstration. Il n'y à point, à proprement parer, de chaire d'histoire naturelle au Jardin du Roi, il y a seulement un garde et démonstrateur du Cabinet, un garde et sous-démonstrateur, et un adjoint à la garde. Ces trois places formeroient trois chaires; l’histoire naturelle est une science assez étendue pour admettre ce nombre de professeurs; tandis que deux se partageroïent l'histoire des animaux, l’autre feroit des lecons de minéralogie. L'anatomie est enseignée au Collège royal par le même professeur qui professe cette science au Jardin du Roi; mais cette partie exige des changemens. Jusqu'ici on s’est attaché, au Jardin du Roi, à montrer uniquement l’anatomie humaine, et tout ce qu'on y enseigne de physiologie se réduit au peu de connaissances qu'il est possible de donner sur cette science lorsqu'on n’emprunte pas le secours de l’anatomie comparée. I se- roit essentiel que les professeurs chargés de cette branche d'enseignement montrassent surtout l'anatomie des animaux; autrement le but de l'établissement seroit manqué. Ce genre d'instruction n'existe nulle part, et il ne manqueroit pas d'attirer un grand nombre d'élèves. La chimie n’est pas enseignée au Collège royal et au Jardin du Roi par le même professeur; on pourroit conserver provisoirement la chaire du Collège royal; mais cette science exige plusieurs changemens dans la manière dont elle doit être montrée au Jardin du Roi. Les deux professeurs se partageroient le travail, de manière que lun donneroit des leçons sur la chimie théorique, c’est-à-dire la chimie uniquement con- sidérée comme science, tandis que l'autre feroit un cours de chimie technique, c'est-à- dire de chimie appliquée aux différents arts; nous observerons que cette branche de chimie n’est professée nulle part, et que son utilité, bien sentie de tout le monde, atti- reroit une foule d’auditeurs. LES DERNIERS JOURS DU JARDIN DU ROI. 89 La botanique continueroit d’être professée comme elle l’est dans ce moment; il est impossible de rien ajouter à la manière dont elle est enseignée par le professeur ac- tuel. Quant à l’autre chaire de botanique, remplie actuellement par le démonstrateur, elle seroit destinée à montrer aux élèves les plantes dans la campagne; les herborisations seroient plus multiphées qu'elles ne l'ont été par le passé, et, comme les environs de Paris ne fournissent pas une très grande variété de végétaux, ce cours seroit complété tous les ans par un certain nombre de leçons sur la physique des végétaux. Du Jardin. — Le Jardin seroit sous la direction du jardinier en chef chargé, comme par le passé, de continuer à entretenir la correspondance et à veiller à tout ce qui est relatif à l'entretien des jardins: il seroit toujours disposé, comme il l’est dans ce mo- ment, pour ce qui regarde l'École de botanique et les cours destinés à multiplier les plantes et les arbres. La partie située devant le Cabinet et formant actuellement un parterre seroit employée à former une école de botanique économique. Les terrains situés au delà de l'École de botanique et plantés en arbres d’ornemens, ainsi que les planches qui renferment des plantes d'usage en médecine, serviroient à contenir les végélaux, qu'on croiroit utile de mulüplier; on y mettroit tant ceux qu'il est intéres- sant de répandre parmi les botanistes que ceux dont on auroit reconnu les avantages pour l’économie rurale, et dont on voudroit obtenir la plus grande quantité possible de graines, pour les distribuer dans tout le royaume de la manière qui sera indiquée par la suite. On y muläplieroit aussi des arbres et arbustes, et surtout des arbres fruitiers, dont on pourroit distribuer des greffes. Il est bon de remarquer que par ces dispositions la partie du Jardin consacrée spécialement à la botanique, bien loin d’être diminuée, recevrait, au contraire, une nouvelle extension. Du Cabinet. — Le Cabinet, formé principalement par les soins de M. Daubenion, vient d'être augmenté de plusieurs salles. Les échantillons d'histoire naturelle, quoique très multipliés, peuvent être placés aisément dans les salles qui ex'stent et dans une ou deux des nouvelles; toutes celles du rez-de-chaussée et une partie de celles du se- cond étage pourroient avoir une destination particulière; les premières serviroient à recevoir les gros modèles d'instrumens d'économie rurale et les instrumens même en nature, tels que les charrues, les herses, ete., usités dans les différentes provinces du royaume et dans l'étranger. Les salles du second étage renfermeroient indépendamment des pièces d'anatomie, qui seroient considérablement augmentées par celles du Cabinet d’Alfort, les modèles en petit destinés à représenter diverses opérations d'économie rurale, ainsi que les produits de ces opérations dans les diverses époques et dans les divers pays. Cette collection, la première de ce genre qu'on auroit faite en France, deviendroit par la suite un des monumens le plus beau et le plus utile. La garde de ces machines et modèles seroit confiée aux deux professeurs d'économie rurale. Quant 12 IMPRIMERIE NATIONALE, 90 M. E.-T. HAMY. à la garde des autres pièces déposées dans le Cabinet, elle appartiendroit aux différens professeurs; savoir : les objets du règne animal et du règne minéral aux trois profes- seurs d'histoire naturelle: les herbiers et tous les échantillons du règne végétal aux deux professeurs de botanique; et les pièces d'anatomie, tant humaine que comparée , aux deux professeurs d'anatomie. Quant à présent, il paroîtroit juste que celui qui a le plus contribué à la formation de ce superbe dépôt en eût la direction; ainsi M. Dau- benton jouirait du titre de directeur du Cabinet, Utre qui, après lui, ne pourroit être continué, et conséquemment donné à personne, sous quelque prétexte que ce fût. D'après le plan que nous venons de tracer, 1l est aisé de se convaincre que les par- ües que l’on enseigne actuellement au Jardin du Roi gagneroient beaucoup aux chan- gemens proposés; que des sciences spéculatives auroient enfin un but d'utilité, que l’art vétérinaire seroit enseigné à un plus grand nombre de personnes, et que lagri- culture, le premier des arts, auroit enfin des professeurs. L'enseignement agricole établi au Jardin du Roi offre les plus grands avantages. On multiplieroit sans aucune dépense des plantes utiles, souvent inconnues, et dont la Société d'agriculture enverroit les graines dans les campagnes où la circulation des ri- chesses de la nature peut seule porter la fertilité et Ta vie), Le Jardin de Paris, comme nous l'avons déjà dit, serviroit à multiplier toutes les plantes dont on voudroit distribuer des semences dans les provinces du milieu et du nord du royaume, mais 1l seroit nécessaire d’avoir un autre jardin situé plus au sud. pour servir d'entrepôt et de pépinière pour les provinces méridionales; ce jardin est tout trouvé, c’est celui d'Hières, connu sous le nom de Jardin du Roï, et occupé dans ce moment par M. labbé Nolin, qui en paye une légère rente au Gouvernement et en retire un profit assez considérable ®. Cest là qu'on pourroit multiplier, pour les dis- tibuer gratuitement aux différentes sociétés de la Provence, du Languedoc et du Rous- sillon, les diverses espèces d'oliviers, de figuiers, de vignes, d’orangers. etc., qu'on se seroit procurées d'Italie, d'Espagne et de l'Archipel; c’est là qu'on pourroit tenter d'in- troduire la culture d’un grand nombre d'arbres, d’arbrisseaux et de plantes des deux Indes qu'il seroit non moins avantageux que facile d’acclimater en France, expériences qui ont déjà eu le plus grand succès dans le voisinage d'Hières. La Société d'agriculture tiendroit deux fois par semaine ses séances, dans une des salles du Jardin du Roi, et elle continueroit à avoir tous les ans une assemblée pu- blique. Comme la correspondance de la Société donne lieu à des envois très multipliés (0 [ci l’auteur de la brochure entre dans quelques 1,500 livres el sous-louoit ce local 4,000 livres. Il à détails sur la réorganisation qu'il propose de la Société dit avoir multiplié dans ce terrain des arbres élran- d'agriculture, Jen extrais seulement quelques lignes gers, mais il n’en étoit rien, il y a du moins quelques sur le Jardin royal d'Hières. années, el on est informé que depuis ce lems le @ M. Fabbé Nolin payoit an Roi 1,900 à nombre n’en est guère augmenté. LES DERNIERS JOURS DU JARDIN DU ROI. quil de grains, il seroit, sous ce point de vue, indispensable que le bureau de cette cor- respondance fût établi au Jardin du Roi. Le secrétaire de la Compagnie seroit en con- séquence logé au Jardin du Roi comme les différens professeurs; nous devons rappeler ici que les nouveaux arrangemens proposés, s'ils avoient lieu, ne lui procureroient, ainsi qu'aux autres membres de la Société, aucune espèce d’appointemens ; la renon- 4 clation de la Compagnie à cet égard ne devant éprouver aucune exception. Réformes à faire au Jardin du Roi. — La place d'intendant du Jardin du Roi doit être nécessairement supprimée, comme à charge et même nuisible à l'établissement. Autre- fois le premier médecin du Roi remplissoit ordinairement cette place; il étoit rare de trouver un intendant qui aimät la botanique et qui favorisât, par conséquent, Fétablis- sement qui lui étoit confié; au contraire plusieurs ont transformé le jardin en marais, et ont fait planter des vignes et des légumes dans les lieux destinés aux plantes de botanique. M. de Buffon, qui a fait le plus pour le Jardin du Roi, ne s'en est occupé que sur les derniers jours de sa vie. L'intendant actuel n’y loge même pas. C'est ce- pendant l'intendant qui nomme en quelque sorte à toutes les places, puisque c'est lui qui présente les sujets au Ministre, d’où il est résulté que les choix ont été souvent très mal faits. Les intendans se sont permis, même assez récemment, de créer de nouvelles places en faveur de leurs protégés, ce qui surcharge d'autant plus l'établissement. Par une suite de ces principes, tant que le Jardin du Roi sera sous la direction du Ministre, 11 ne pourra prospérer, car parnn les Ministres qui ont eu cet établissement dans leur département, à peine en comple-t-on un ou deux qui y aient pris quelque intérêt. D'ailleurs, comment un intendant et un Ministre peuvent-ils connoître les sujets qui conviennent le mieux à lenseisnement? Parmi les dépenses inutiles qui ont lieu au Jardin du Roi, on trouve 4,000 livres données à un commandant de la police; cette espèce de police, qui se réduit à faire observer l’ordre, lors de l'ouverture du Cabinet ou pendant les leçons des professeurs, éloit exercée par la maréchaussée; elle le seroit sans doute bien plus décemment et d'une façon moins dispendieuse par des soldats de la troupe centrale de la section voisine. Par un abus assez étrange, on trouve sur les états de dépense des appointemens pour un architecte, qui est même logé au Jardin du Roi; la somme portée pour les réparations habituelles n’est déjà que trop forte; n’est-1l pas plus convenable de s’ar- ranger avec un homme de Part lorsque le cas l’exigera? Il seroit superflu de détailler les raisons qui doivent engager à supprimer tout ce qui est accordé à un architecte. Il suffit d'indiquer cet abus pour qu'il soit réformé. (1) On assure que la survivance de celte place est par l'homme le plus zété pour les progrès de la bo- déjà accordée à un savant très distingué par ses con- lanique, n’en seroit pas moins inutile et contraire aux naissances en géométrie et son patriolisme (j'a dit principes de la nouvelle Constitution, en ce qu’elle est plus haut qu? c'était Condorcet). Mais cette place fût- dispendieuse et qu'elle tend à détruire l'égalité qui doit .elle remplie par le premier naturaliste du monde, régner entre des personnes qui cullivent les sciences. 12. 92 M. E.-T. HAMY. Ilexiste déjà au Jardin du Roi une bibliothèque, composée de quelques livres d’his- toire naturelle; il ne seroit pas difficile de laugmenter en y joignant les livres qui appartiennent à la Société d'agriculture, ceux qui lui sont présentés par différens auteurs, et en destinant à l'achat de livres une certaine somme. L’utilité d’une sem- blable bibliothèque pour les professeurs est bien reconnue. et cette collection devien- droit bientôt très précieuse. Les professeurs donneroient tous les trois mois la liste des livres nouveaux qui au- roient paru dans leur partie. On choisiroit dans l'assemblée générale ceux d’entre ces livres dont il seroit le plus instant de faire l'acquisition. Il seroit indispensable d'avoir un bibliothécaire, tant pour veiller à l'entretien des livres que pour en être responsable : chaque professeur devant avoir la faculté d'emporter chez lui et pour un certain tems les livres qui lui seroient nécessaires. Jusqu'à présent chaque partie a été enseignée par un professeur et un démonstrateur: ce dernier titre doit être supprimé, et il est nécessaire d'y substituer celui de profes- seur, en désignant le plus ancien par le titre de premier, et l’autre par celui de second professeur. Chaque professeur feroit au moins quarante leçons, et même un plus grand nombre s'il le jugeoit à propos. Tous les professeurs seroient logés dans l'établissement. Le Cabinet n'a été Jusques ici ouvert au public que deux fois la semaine, et il ne l'étoit pas du tout dans le tems des vacances. Il est indispensable que quelqu'un soit présent lorsque le public y est admis. Les deux démonstrateurs et gardes du Cabinet ont toujours rempli ces fonctions qui nous paroissent devoir être partagées entre tous les membres de l’établissement ; le directeur, le vice-directeur et le secrétaire de la Société, ainsi que le bibliothécaire, seuls exceptés. Chaque professeur passeroit à son tour et le Cabinet seroit ouvert quatre fois par semaine. Organisation de l'établissement. — Les différens membres de l'établissement, présidés par le chef de la Municipalité de Paris, se réumiroient tous les deux ans pour nommer parmi eux le syndic, lequel seroit chargé, pendant le courant des deux années, de faire les recettes et les dépenses, et de rendre compte tous les trois mois de sa gestion: dans ces assemblées, on régleroit les dépenses extraordinaires de chaque partie : les dépenses ordinaires ayant été fixées au commencement de l’année. Lorsqu'il y auroit une place de professeur vacante, tous les membres de l’établis- sement, réunis au moins dans la huitaine, après la mort ou démission du titulaire, nommeroient un nouveau professeur, La Municipalité de Paris surveilleroit Fétablissement et vérifieroit les comptes de ses dépenses. Les fonds seroïent fournis par la Nation, qui prendroit sous sa protection spéciale l'établissement. (Cet usage a lieu à Londres pour le Musæuwm Britannicum : chaque professeur seroit dans le cas d'assister au Cabinet sept à huit fois par an seulement. — (® Le Collège royal étoit administré à peu près d’après ces principes, même sous l'ancien régime. LES DERNIERS JOURS DU JARDIN DU ROI. 93 Tous les ans, à la même époque, les professeurs pourroient être admis à a barre de FAssemblée nationale, où Fun d’entre eux rendroit compte des travaux exécutés dans le courant de Pannée, Un compte semblable pour la Société d'agriculture seroit pré- senté en même tems par le secrétaire de cette compagnie. Il nous reste à observer que si, par des raisons que nous ne pouvons prévoir, on ne vouloit pas supprimer l'École vétérinaire d’Alfort, si on désiroit conserver au Collège royal les trois chaires que nous proposons de transférer au Jardin du Roi, le plan que nous avons proposé pourroit cependant avoir lieu et même sans augmenter les dépenses; car quoique le Jardin du Roi n'ait été porté dans le rapport du Comité des finances qu'à 42,000 à 92,222 livres, cependant il est possible encore de gagner quelque chose sur la dépense, et en y ajoutant les 12,000 livres allouées jusques 1e1 à la Société d'agriculture, la somme de 100,000 livres sufliroit pour tout; les appointemens de tous les professeurs seroient considérablement augmentés ; on auroit établi cinq chaires de plus et mis la Société à même de répandre dans les campagnes une grande quantité de graines 1, 10 OPINION DE M. J.-A. CREUZÉ-LATOUCHE , MEMBRE DE L’ASSEMBLÉE NATIONALE, AU SUJET DU JARDIN DES PLANTES. (Extrait ®).) Lorsque, dans la séance du 17 août, M. Lebrun proposa un projet de décret concernant l'Académie française et les autres Académies, l'Assemblée nationale ordonna, sur les réclama- tions de plusieurs membres, l'ajournement de ce projet de décret: le même sujet ayant été repris dans la séance du 20, je crois utile de mettre sous les yeux des membres de l'Assemblée les idées que j'aurois désiré lui exposer sur ces objets, si le peu de momens qu'elle parorssoit dis- posée à employer à cette discussion me l'eussent permis. Messieurs, Vous êtes assez pénétrés de limportance des lettres, des sciences et des arts, et de la part qu'ils ont aux causes de la prospérité publique pour qu'il soit inutile de vous recommander, à ce titre, ceux de nos établissemens qui doivent être consacrés à leur entretien et à leurs progrès. U) La brochure se termine par une série de Ta- 235,022 hvres; le second ne dépasserait pas 130,362 bleaux comparatifs des dépenses que nécessitent sé- livres. parément les différents établissements dont il vient @ La petite brochure de 20 pages in-8° (Paris, d’être question, et de celles qu'ils exigeraient s'ils Imp. nat., 1790), à laquelle j'emprunte cet extrait, élaient réunis. concerne également les Académies. Je ne reproduis ici Le premier total se monlerait, suivant l’auteur, à que ce qui intéresse le Jardin des Plantes. 94 M. E.-T. HAMY. Ce qu'il est permis seulement de mettre en question devant vous, ce sont les meil- leurs moyens de s'assurer ces avantages. Peut-être toute réflexion eût-elle été étrangère en ce moment, si M. Le Brun, en nous parlant au nom du Comité des finances, se fût strictement renfermé dans les fonctions de ce Comité. Mais puisque les vues qu'il à présentées sur ces institutions les embrassent dans tous leurs rapports, non seulement avec les progrès des sciences, mais encore avec la morale et la Constitution, le mo- ment est venu de vous en occuper sous tous ces rapports. Vous aurez, Messieurs, à revenir sur l'article du Jardin des Plantes, pour lequel on vous à proposé provisoirement quelques réductions de dépenses; et sans vouloir vous prévenir aujourd'hui sur tout ce que Fon pourra faire dans ce superbe établissement, pour en retirer les avantages infinis que la Nation peut et doit en attendre, je me con- tenterai de vous indiquer comme un des plus grands obstacles à ces avantages, et un abus qui demande la plus pressante réforme, tant à l'égard de l'Administration qu’à l'égard de l’économie que vous devez rechercher, l'existence d'un intendant pour le gouverner. Vous n'oublierez pas, Messieurs, l'espèce d’anathème dont vos décrets et l'opinion publique ont frappé le nom seul d’intendant dans toute espèce d’administration , et vous verrez, d'après cette observation, les abus des intendans dans cette école des sciences naturelles, qui, hors de M. de Buffon, ne s’en sont jamais occupés et n’y ont pas même daigné résider dans un logement qui leur étoit pompeusement attribué. Vous verrez l'intendant actuel, absolument étranger à une école d'histoire naturelle, rece- vant les émolumens d’une place (déjà, par un autre abus digne de l'ancien régime, affectée à une survioance), recevant, dis-je, les émolumens d’une place, où l’on ne sauroit deviner ce qu'il fait d'utile, ni se dissimuler ce qu'il fait de nuisible, puisque rien en effet n'est plus nuisible aux sciences, ni plus décourageant pour ceux qui les culivent que l'intervention de ce pouvoir ministériel. Vous verrez enfin cet adminis- trateur dédaignant, comme ses prédécesseurs, ce logement fastueux destiné à sa rési- dence. pour en occuper un autre que le Gouvernement lui fournit encore, et peut-être aussi abusivement, ailleurs. Si, comme on vous la observé, cet établissement doit beaucoup à M. de Buffon. c’est au savant naturaliste, célèbre dans toute l'Europe, et non à l’intendant: il suflira toujours, pour lui obtenir la faveur publique et augmenter sa gloire, d’y attacher les hommes les plus chers aux sciences; et le titre d'intendant ne rappelle ici que trop de particularités contrastantes avec cette qualité M. Jose vous assurer qu’en réformant d'autres abus de Padministration de ce même lieu, vous trouverez dans cette réforme une réduction considérable de ses dépenses, () Outre ce que j'ai dit ci-dessus de lintendant partie du Jardin, destinée à linstruction publique, en acluel, étranger aux sciences naturelles et à ceux qui un polager, et avoit rempli de personnes peu conve- les cultivent, je citerai un autre intendant, appelé nables ce bäliment considérable destiné à son loge- M. Chiriac, qui avoit converti, pour son profit, une ment. LES DERNIERS JOURS DU JARDIN DU ROIT. 95 et en même temps la faculté d'y réunir des chaires et des moyens d'instruction qui y manquent, et de rendre plus profitables ceux qui y sont établis, en attachant davantage à leur profession les hommes intéressans qui en doivent être chargés. On doit vous présenter sur ce sujet des plans qui mériteront toute votre attention 050 00 MM. Soxxerar et} Aux deux prenners correspondans du Musæum, à chacun BATÉDON: + 2: « « - se HO INTER 0 oise tv EE PT PERLE 6oo M. Guizsorre . .. À l'officier chargé du maintien de l'ordre. ................ 2,000 MAVerwiouenrs- -AWarchtecte duMusæum... 1.0. 1,200 Manon Anprennienardinien eee ren... LL 1,900 M. Lucas... .... A l'huissier-concierge des galeries d'histoire naturelle. . ...... °,100 MM. VazexcteNxE) ! ; : LOTS Aux deux aides attachés aux galeries... ................. 1,800 NS 5 SR RINERSS À l'élève chargé des préparations chimiques... ............ 800 MP À l'élève chargé des dissections anatomiques... ............ 800 À cinq garçons jardiniers ordinaires. . ................... 3,000 À (RS HORMORIOT den ce ARR POP PRE PACE 1,800 A six hommes employés au maintien de l'ordre dans toutes les DRE SUN SUN 0e de ee lasno rende ce 3,600 AUTOS TO teurs des paleries, ElC= ee eee 1,600 ODA ER REA RE A en ne AE te 92,299 16 NOTES SUR LE PROJET DE RÈGLEMENT POUR LE JARDIN DU ROI, PAR LE MARQUIS DE LA BILLARDERIE. (Septembre 1790.) Par le projet proposé par les officiers de cet établissement, on ne parle pas de lin- tendant, dont on suppose sans doute la suppression. Il paroît facile de prouver la né- cessité de la conservation de cette place. Les fonctions de lintendant sont : la surveil- lance sur tous les officiers de l'établissement pour que les devoirs de leurs places soient Ly7 IMVRIMERIE NATIONALE, 130 M. E.-T. HAMY. remplis: cette même surveillance sur l'emploi des fonds qui y seront fixés, soit pour les entretiens ordinaires du Jardin et des bâtiments, soit pour les accidents qui peu- vent survenir, soit encore pour les divers envois qui peuvent être faits de plantes, de minéraux et d'animaux. Il paroît que MM. les ofliciers du Jardin du Roy se sont infiniment plus occupés dans leur projet de leurs appointements que des autres intérêts de l'établissement, et que d'ailleurs ils n’en ont pas examiné à fond la situation et les besoins. Il ne reste, d’après la distribution qu'ils font des fonds, que 4,000 livres environ pour lentretien des bâtiments et il est impossible de les entretenir à moins de 1 2,000 à 13,000 livres. On n'attribue qu'environ 2,400 livres pour le Cabinet, et son entretien monte souvent plus haut. On destine 3,000 livres pour les laboratoires et on ne songe pas que les instruments de chimie n’appartiennent pas à l'établissement et qu'ils sont au démonstrateur, à qui il faudroit les payer, et que, de plus, il seroit nécessaire d'y en ajouter beaucoup, ce qui ne laisseroit pas d’être cher, et pour quoi il faudroit qu'il fût accordé une somme extraordinaire. Le projet porte Jusqu'à douze le nombre des professeurs, dont il n’y a jusqu'à pré- sent que trois : celuy de botanique, celuy d'anatomie et celuy de chymie; sans doute, l'intention est que les démonstrateurs prennent aussi le titre de professeurs, et d’y ajouter deux professeurs d'histoire naturelle qui seroient sans doute M. d’Aubenton et M. de La Cépède; mais cela ne porteroit encore le nombre qu'à huit: et il me semble inulile et peut-être nuisible qu'il y en ait davantage. IL paroït aussi qu'on veut changer la forme de la garde du Cabinet, et le partager en quatre; 1l me semble qu'il ne doit y avoir qu'un seul garde. M. d’Aubenton en fait depuis cinquante ans les fonctions, et on luy doit arrangement méthodique du Cabinet et une grande augmentation de connoissances en histoire naturelle. Je pense done que le Cabinet doit être sous la garde d’un seul. On ne parle pas dans le projet des deux correspondants du Cabinet qui doivent être conservés, MM. Sonnerat et Ballon; leurs appointements, qui sont de 100 écus chacun, sont trop foibles, et 1ls ont lun et l'autre été fort utiles à l'établissement. On ne parle pas. non plus, de [ce] qui reste à faire pour achever les travaux commencez et qui doit monter à une assez forte somme ). (Note manuscrite, non signée et non datée, mais de la main de La Billarderie, conservée dans les papiers de Condorcel, à la bibliothèque de l'Institut. LES DERNIERS JOURS DU JARDIN DU ROI. 131 17 ADRESSE DE LA SECTION DU JARDIN DES PLANTES À L’ASSEMBLÉE NATIONALE. (9 septembre 1790.) Messieurs, La section du Jardin des Plantes vient d'apprendre que l’on travaille à l'organisation du service du Jardin dont elle porte le nom : que l’on se proposoit de donner à un inspecteur qui seroit nommé une somme de 2,000 livres d’appointement et celle de 600 livres à chacun des six gardes que l’on y fixeroit, ce qui occasionneroit une dé- pense au moins de 6,000 livres. M. Lebrun, président du Comité des finances, dans un de ses rapports, a proposé d'employer à cette garde des invalides et la dépense qu'ils occasionneroïent seroit de 1,900 livres. Dans ces circonstances, la section a cru qu'il étoit de son devoir d'offrir ses services pour la garde de ce jardin et de son patriotisme de contribuer par ce moyen à la diminution de la dépense qu’elle doit occasionner à la Nation. Elle prie done l’Assemblée nationale de décréter que l'inspection et la garde du Jardin des Plantes seront confiées à la section de ce nom; que cette inspection sera donnée à un des officiers de la section, ce qui fera diminuer le montant du traitement; que la garde en sera confiée aux soldats du même bataillon pour lesquels 11 sera fixé seulement une simple gratification. Outre que cet arrangement seroit naturel, puisque le Jardin des Plantes seroit alors gardé par les gardes nationales de la section même dont il est le principal établisse- ment publie, 1l seroit économique pour la Nation et procureroit à la section les moyens de récompenser le zèle et le patriotisme de ses ofliciers ainsi que celui des soldats qui ont mis le plus d’exactitude dans leurs fonctions. Et pour remettre la présente adresse à M. le Président de l'Assemblée nationale, L'assemblée générale de la section a nommé M. abbé Mulot son président et M. Jonery son secrétaire. Fait en assemblée de La section du Jardin des Plantes, ee neuf septembre mil sept cent quatre-vingt-dix. Muror, président; Joxery, secrétaire. (Cachet de la section.) (Arch. nat.) 182 M. E.-T. HAMY. V DÉCRETS DE LA CONVENTION RELATIFS AU MUSÉUM. (FÉVRIER-JUIN 1793.) 18 DÉCRET DE LA CONVENTION NATIONALE DU SAMEDI 16 FÉVRIER 1793. «+ Un membre demande et la Convention nationale décrète que les Comités d'instruc- tion publique et des finances feront incessamment un rapport sur la nouvelle organi- sation de l'administration du Jardin des Plantes. » 19 DÉCRET DE LA CONVENTION NATIONALE DU 11 MAI 1793. La Convention nationale, sur la demande du Ministre de l'intérieur, convertie en motion par un membre, décrète que le Ministre de l’intérieur est autorisé à faire transporter au Cabinet national d'histoire naturelle tous les objets composant le Ca- binet de Chantilly, ensemble les armoires dans lesquelles ils sont conservés, après, toutefois, qu'il aura été procédé à une estimation desdits objets, contradictoire avec les créanciers du ci-devant prince de Condé. 20 DÉCRET DE LA CONVENTION NATIONALE DU 26 MAI 1793 (D, La Convention nationale, après avoir entendu le rapport de ses Comités d’instruc- üon publique et des finances réunis, décrète ce qui suit : Anr. [%. La Convention nationale charge le Ministre de l'intérieur de donner inces- U Ce décret avait été adopté à litre de projet par observe que le Moniteur «nous apprend que ce décret le Comité d'instruction publique dans sa 81° séance fat présenté par Lakanal», mais en place par erreur (mardi 14 mai 1793). l'adoption à la séance du 30 mai, tandis qu’il fut voté M. Guillaume , auquel j’emprunte ce renseignement, le 6. LES DERNIERS JOURS DU JARDIN DU ROI. 155 samment les ordres nécessaires pour faire mettre les galeries du second étage du bâti- ment national, situé au Jardin des Plantes, en état de recevoir la collection d'histoire naturelle de Chantilly, ainsi que les diverses productions de la nature, accumulées sans ordre au Cabinet dud. bâtiment national. Arr. [IL Le Ministre de l'intérieur est autorisé à faire servir à l'achèvement de la- dite gallerie les parquets qui pourroient être retirés du eïd. Val de Grâce et ceux de tous autres bâtimens nationaux qui n’ont encore aucune destination. Arr. II. Le Ministre de l'intérieur est pareillement autorisé à faire transporter au Cabinet national d'histoire naturelle tous les objets composant le Cabinet de Ghan- üilly, ensemble les armoires dans lesquelles ils sont conservés, après, toutefois, qu'il aura été procédé à une estimation desdits objets, contradictoirement avec les créanciers du cid. prince de Condé), Arr. IV. La Trésorerie nationale tiendra à la disposition du Ministre de Pintérieur, jusqu'à concurrence de 15,000 livres, pour être appliquées aux réparations susdites , d’après Le devis estimatif annexé au présent décret. 21 RAPPORT DU CITOYEN LAKANAL, DÉPUTÉ DE L’ARRIÈGE À LA CONVENTION, MEMBRE DU COMITÉ D’INSTRUCTION PUBLIQUE, LU LE 10 JUIN 1793 0). De tous les monumens élevés par la munificence des nations à la gloire des sciences naturelles, aucun n'a mieux mérité l'attention des législateurs que le Jardin des Plantes. C'est à cet établissement que la France a dû plusieurs des grands hommes qui ont fait l’ornement de leur patrie, Fagon, Winslou, Tournelort, Macquer, les Jussieu, Daubenton et Buffon, qui, par les vues philosophiques et les images sublimes répan- dues dans ses ouvrages, a si bien préparé les esprits aux grandes idées de liberté et de régénération. Le livre immense de la nature est en quelque sorte ouvert au Jardin des Plantes : ses pages réfléchissent de toute part les richesses des trois règnes. 0) On remarquera que cet article [IL n’est que la d'histoire naturelle de Paris, du 10 juin 1793, lan reproduction textuelle du décret du 11 mai, réimprimé ci-dessus. ® Ce rapport est imprimé avec le décret qui suit dans une brochure de 1 1 pages in-8° qui a pour titre : Décret sur le Jardin national des Plantes, le Cabinet deuxième de la République : précédé du rapport du citoyen Lakanal, député de l’Arriège à la Convention, membre du Comité d'instruction publique. Imprimé par ordre de la Convention nationale. De l’Imprimerie nationale. 13/4 M. E.-T. HAMY. Lei, c’est la famille des animaux, depuis loiseau timide, qui confie sa postérité au frêle arbrisseau, jusqu'au tyran de l'air, qui s’écarte pour la déposer sur la roche sau- vage où le chêne a vieilli. Là, les peuples végétaux, depuis la plante fugitive, qui se dérobe aux regards le long des torrens, au faîte des montagnes, jusqu’à la rose prodigue, qui embaume nos jardins. Ailleurs, les créations minérales, depuis la lave, que les volcans ont élancée naguère de leurs entrailles, jusqu'aux débris des montagnes, témoins des premiers jours du monde. Des serres chaudes protègent les végétaux délicats des tropiques, et déjà la collec- tion des plantes vivantes est composée de plus de 6,000 espèces, pendant que l’on con- serve dans des herbiers presque toutes les plantes connues, au nombre de plus de 20,000, et que l'on possède un assortiment très étendu des différentes parties des vé- gétaux qui peuvent donner des lumières sur leur organisation, leur amélioration et le traitement de leurs maladies. C'est dans ce Jardin national qu'ont été faites les premières plantations du cèdre du Liban, de plusieurs espèces d’érables, de platanes, de chênes d'Amérique et de beau- coup d’autres arbres qui embellissent nos départemens. Les plantations considérables des grands arbres exotiques, mais naturels à des cli- mats analogues à ceux de nos départemens, sont destinées à porter des graines qui fertiliseront les vastes terreins encore incultes, où les arbres indigènes ne peuvent croître; elles dispenseront un jour de payer des tributs annuels et considérables aux nations du Nord, pour l'achat des bois de construction navale. Le Jardin des Plantes fournit tous les ans, aux divers départemens de la Répu- blique, des graines et des plantes, quelquefois jusqu’au nombre de 12,000 espèces. Les académies, sociétés littéraires ou facultés de médecine, établies dans les diffé- rentes parties de la France, ont formé des jardins de botanique avec les produits de la culture du Jardin des Plantes. Les premiers cafés qui furent transportés à la Martinique furent tirés de ce jardin, et c'est à cet établissement que la France et particulièrement nos départemens mari- times sont redevables d’une branche de commerce de la plus haute importance. Des connoissances utiles pourroient échapper, malgré l'avantage des rapprochemens, à ceux qui commencent à étudier la nature; des savans, consacrés à l'instruction pu- blique, exposent aux yeux des citoyens tous les objets utiles au progrès des sciences naturelles, et suppléent à ce qu'on n’a pu écrire sur l'agriculture, le commerce et les arts. Et ce ne sont pas seulement les citoyens français qu’on admet aux différens cours donnés au Jardin des Plantes : les étrangers y forment une partie considérable des auditeurs; 1l n'est pas rare de trouver parmi eux des Péruviens, des Brasiliens, des \nglo-Américains et même des Asiatiques, que l'étude de Fhistoire naturelle attire et relient pendant très longtemps en France; l'établissement du Jardin des Plantes n’augmente-t-il pas ainsi la prépondérance et la gloire de la Nation, par un des moyens politiques les plus nobles et souvent les plus avantageux ? LES DERNIERS JOURS DU JARDIN DU RO. 159 Pour que les connoissances naturelles puissent s'accroître par tous les moyens de comparaison, des cours d'anatomie achèvent de montrer la conformation et les rapports intérieurs de l’homme et des animaux, dont les dépouilles sont renfermées dans le Cabinet, pendant que des cours de chimie apprennent quels peuvent être les principes constituans des végétaux et des minéraux. IL viendra un temps. sans doute, où l’on élèvera au Jardin national les espèces de quadrupèdes, d'oiseaux et d’autres animaux étrangers qui peuvent s’acelimater sur le sol de la France et lui procurer ainsi de nouvelles richesses. Vous n’apprendrez pas sans étonnement que le Jardin des Plantes et le Cabinet d'histoire naturelle ont été près d’un siècle sans règlemens fixes, sans lois précises: que des savans, égaux aux yeux de l'Europe lettrée, sont inégalement traités; qu'ils n'ont pas le droit de se choisir des coopérateurs, ou plutôt d’être l'écho de l'opinion publique, pour appeler auprès d'eux les hommes les plus distingués par leur lu- mière. IL suflira de vous montrer les abus pour que vous les enleviez à leurs antiques ra- cines : l'arbre de la liberté seroit-l le seul qui ne püt pas être naturalisé au Jardin des Plantes ? DÉCRET DE LA CONVENTION NATIONALE DU 10 JUIN 1793. La Convention nationale. ouï le rapport de son Comité d'instruction publique, décrète ce qui suit : TITRE PREMIER. ORGANISATION GÉNÉRALE DE L'ÉTABLISSEMENT. Arr. I". L'établissement sera nommé à l'avenir Musœum d'histoire naturelle. Arr. Il. Le but principal de cet établissement sera l'enseignement publie de Fhis- loire naturelle. prise dans toute son étendue. et appliquée particulièrement à l'avance- ment de l’agriculture. du commerce et des arts. Arr. I. Tous les officiers du Muséum porteront le titre de professeur et jouiront des mêmes droits. Arr. IV. La Convention nationale, voulant consacrer l'égalité entre des hommes que l'Europe savante met sur le même rang, supprime la place d'intendant du Jardin des Plantes et du Cabinet d'histoire naturelle. Anr. V. Le traitement attaché à ladite place sera réparti dorénavant, par portions égales, entre les professeurs de l'établissement. 136 M. E.-T. HAMY. Arr. VI. Il sera nommé parmi les professeurs et par les professeurs un Directeur qui sera chargé uniquement de faire exécuter les règlemens et les délibérations de l'assemblée qu'il présidera. Arr. VII. Le Directeur sera nommé pour un an, et il ne pourra être continué qu'au scrutin et pour une année seulement. Arr. VIE. Il y aura un trésorier du Muséum, nommé au scrutin dans l'assemblée des professeurs et choisi parmi eux; les attributions annuelles accordées à l’établisse- ment seront remises en masse au trésorier, pour être réparties sous Sa responsabilité. Arr. IX. Lorsqu'une place de professeur vaquera par mort, démission où autre- ment, les professeurs du Muséum nommeront au scrutin le savant qu'ils jugeront le plus propre à remplir la place vaquante. Arr. X. L'officier du Cabinet, chargé jusqu'à présent des herbiers, sera uniquement chargé à l'avenir de décrire et de completter la botanique des différentes parties de la France et de faire la concordance de la synonymie. Arr. XI. L’admimistration des herbiers fera désormais partie des fonctions du pro- fesseur de botanique. Arr. XIT. L'adjoint à la garde du Cabinet et chargé des correspondances sera Uni- quement chargé de completter la minéralogie et la zoologie de la France. Arr. XIII. Les lecons d'histoire naturelle, données jusqu'ici au Collège de France, seront données à l'avenir dans une des salles du Cabinet d'histoire naturelle. Arr. XIV. Il y aura, chaque année, au Muséum, deux séances publiques, dans les- quelles les professeurs rendront compte de leurs travaux. Arr. XV. Le Muséum d'histoire naturelle sera sous la protection immédiate des re- présentans du peuple et sous la surveillance du corps exécutif. TITRE IL DES DIFFÉRENS COURS DU MUSÉUM. Anr. 1°. Pour enseigner complettement l'histoire naturelle dans toutes ses parties, on donnera 12 cours dans le Muséum, savoir : 1° Un cours de minéralogie: Ÿ Un cours de chimie générale; Un cours des arts chimiques; Un cours de botanique dans le Muséum ; 9° Un cours de botanique dans la campagne; LES DERNIERS JOURS DU JARDIN DU ROI. 137 6° Un cours d'agriculture et de culture des jardins, des arbres fruitiers et des bois; 7° Deux cours pour l’histoire naturelle des quadrupèdes, des cétacées, des oiseaux, des reptiles, des poissons; 8° Des insectes, des vers et des animaux microscopiques ; 9° Un cours d'anatomie humaine ; 10° Un cours d'anatomie des animaux; 11° Un cours de géologie; 19° Un cours d’iconographie naturelle ou de Part de dessiner ou peindre toutes les productions de la nature. Arr. Il. La nature des objets qui doivent être traités dans ces différens cours, la nécessité de les accorder avec les saisons que plusieurs d’entre eux exigent et tous les détails relatifs à l’organisation particulière du Muséum feront l’objet d’un règlement que les professeurs demeurent chargés de rédiger, et qu'ils communiqueront au Comité d'instruction publique. ONDRE" IT BIBLIOTHÈQUE D'HISTOIRE NATURELLE. Arr. [*. Le premier étage du bâtiment, occupé jusqu'ici par lintendant du Jardin des Plantes et de son Cabinet d'histoire naturelle, sera réservé en entier pour recevoir une bibliothèque nécessaire au complément du Muséum. Arr. IL. A cet eflet, on réunira aux livres qui existent déjà dans le Muséum les doubles des livres d'histoire naturelle de la grande Bibliothèque nationale. Arr. [IL Deux professeurs du Muséum, réunis à deux commissaires du Comité d'instruction publique, seront autorisés à choisir dans les bibliothèques des maisons ecclésiastiques supprimées et autres bibliothèques nationales les livres d'anatomie, de minéralogie, de chimie, de botanique, de zoologie et des voyages qui ont des rapports à l'histoire naturelle en général, pour en enrichir La bibliothèque du Muséum. Arr. IV. La collection des plantes et animaux peints d’après nature, dans le Mu- séum d'histoire naturelle, et déposés à différentes époques dans la Bibliothèque natio- nale, sera transportée dans celle du Muséum. TITRE IV. DES CORRESPONDANCES DU MUSÉUM. Arr. [". Le Muséum d'histoire naturelle correspondra avec tous les établissemens analogues, placés dans les différens départemens de la République. Arr. IL. Cette correspondance aura pour objet les plantes nouvellement cultivées ou découvertes, la réussite de leur culture, les minéraux et les animaux qui seront dé- 18 IMPRIMERIE NATIONALE, 138 M. E.-T. HAMY. couverts, et généralement tout ce qui peut intéresser les progrès de l'histoire natu- relle. directement appliquée à l’agriculture, au commerce et aux arts. Arr. II. Le professeur de culture sera chargé de faire parvenir dans les jardins de botanique, situés dans les divers départemens de la France, les graines des plantes et des arbres rares. recueillies dans le jardin du Muséum : ces envois pourront être éten- dus jusqu'aux nations étrangères, pour en obtenir des échanges propres à augmenter les vraies richesses nationales. LES DERNIERS JOURS DU JARDIN DU ROL. 139 VI CORRESPONDANCE OFFICIELLE RELATIVE AU DÉCRET DU 10 JUIN 1793. 23 LE MINISTRE DE L'INTÉRIEUR AUX OFFICIERS DU JARDIN NATIONAL DES PLANTES ET DU CABINET D'HISTOIRE NATURELLE. Paris, ce 3 juillet 1793, l'an n de la République française. La Convention nationale a rendu le 10 de ce mois, sur le rapport de son Comité d'instruction publique, un décret dont vous trouverez ci-joint l'expédition en forme et qui donne au Jardin national des Plantes et au Cabinet d'histoire naturelle une nou- velle organisation qui a pour but l’enseignement public de l'histoire naturelle prise dans toute son étendue et appliquée particulièrement à l'avancement de lagriculture, du commerce et des arts. Suivant le titre [* de ce décret, l'établissement doit être nommé à l'avenir Musœum d'histoire naturelle et le litre de professeur est conféré à tous les ofliciers du Musæum; ils doivent jouir des mêmes droits, et le traitement de la place d’intendant du Jardin, remplie par le e. Bernardin de Saint-Pierre et supprimée par l’article 1v, doit être ré- pari dorénavant par portions égales entre les différens professeurs. Les articles vr et vi de ce même titre autorisent les professeurs à nommer parmi eux, au scrutin et pour une année seulement, un directeur qui sera chargé de faire exécuter les règlemens et les délibérations de l'assemblée qu'il présidera; et à nommer, en outre, également parmi eux et au scrutin, un trésorier du Musæum auquel seront remises en masse les attributions annuelles accordées à l'établissement pour être réparties sous sa responsa- biité. Les autres dispositions du titre [*, celles du titre IT déterminent les fonctions des professeurs et les différens cours d'enseignement. Le titre IT ordonne la formation d’une bibliothèque d'histoire naturelle et lui assigne le premier étage du bâtiment occupé jusqu'ici par l'intendant. Enfin, le titre IV autorise et fixe la correspondance du Musæum avec les divers départemens de la République. La suppression de la place d’intendant et la nécessité de donner incessamment selon le vœu du décret, à la nouvelle organisation du Musæum, son activité pour suivre tous les objets d'administration intérieure précédemment confiés à l’intendant exigent que, conformément aux dispositions du titre [”, tous les officiers du Jardin national et du 18. 140 M. E.-T. HAMY. Cabinet d'histoire naturelle, désormais désignés par la loi sous le nom de professeurs du Musæum, se convoquent dans le plus court délai en assemblée, pour nommer parmi eux un directeur et un trésorier dans la forme prescrite par les articles vr et vir du titre [”. Le Comme ces nominations doivent être présentées par moi au Conseil exécutif sous la surveillance duquel le Musæum national est mis à l'avenir, je vous prie de m'adresser des extraits en forme des délibérations qui auront été prises pour ces nominations, qui sont d'autant plus urgentes que les professeurs du Musæum ne pourront qu’alors s’oc- cuper de l'exécution des décrets relatifs à la translation des objets d'histoire naturelle qui doivent être retirés de Chantilly et à l'achèvement de la galerie du second étage du Cabinet national, et correspondre avec moi, sur tout ce qui concerne les dépenses que Je suis autorisé à faire payer à cet établissement par la Trésorerie nationale et qui n'ont encore été fixées que provisoirement, jusqu'à présent, à une somme annuelle de 100,000 francs. Le c. de Saint-Pierre ne devant être déchargé de ses fonctions qu'au moment même de votre organisation, et le trimestre d’avril étant expiré à peu de jours près, lorsque le décret a été rendu, je viens, en conséquence du devis qu'il m'avait adressé pour les dépenses dudit trimestre, d’en ordonner le payement entre ses mains . pour en faire la répartition conformément au devis, ainsi que cela s’est pratiqué Jjus- qu'à ce Jour. Sipné : Garar. 24 Paris, le 19 juillet 1793, l'an 11 de la République française. Citoyen Ministre, Les officiers du Jardin national des Plantes ont reçu le décret de la Convention na- tionale du 10 juin 1793 concernant l’organisation de l'établissement, ainsi que la lettre que vous leur avez écrite en leur envoyant le décret; ils me chargent de vous en faire leurs remerciemens et de vous annoncer que, conformément à la loi, 1ls se sont réunis en assemblée, le 9 Juillet 1793, et qu'ils ont nommé parmi eux un directeur, un trésorier et un secrétaire provisoire. Je vous envoye l'extrait de la délibération qu'ils ont prise à ce sujet et que vous leur avez demandée pour la présenter au Conseil exé- eutif sous la surveillance duquel le Muséum d'histoire naturelle est mis à avenir. Extrait des délibérations des officiers du Muséum d'histoire naturelle, le 9 juillet 17 9, l'an 11 de la République française : « Les ofliciers du Muséum d'histoire naturelle, qui avoient été convoqués par le plus ancien des membres de l'établissement, ont entendu la lecture d’une lettre du citoyen Garat, Ministre de l’intérieur, relative à l’organisation dudit Muséum; à cette lettre état LES DERNIERS JOURS DU JARDIN DU ROI. 141 Joint le décret officiel de la Convention nationale du 10 juin 1793, concernant l’éta- blissement. «Les officiers du Muséum d'histoire naturelle conformément à la loi se sont orga- nisés en assemblée et, pour cet eflet, ils ont nommé un directeur, un trésorier et un secrétaire provisoire, Le citoyen Daubenton a été élu directeur, le citoyen Thouin tré- sorier et le citoyen Desfontaines secrétaire provisoire. » Depuis cette époque, les professeurs du Muséum d'histoire naturelle ont continué de s’assembler régulièrement deux fois la semaine, pour conférer ensemble sur ce qui intéresse l'établissement et pour travailler au projet de règlement qui leur a été de- mandé et qui est sur le point d’être terminé. Agréez les assurances d'estime et de considération avec lesquelles Je suis, Citoyen Ministre. Le citoyen Desronranss, secrélaire provisoire. «) 25 LE MINISTRE DE L'INTÉRIEUR AU CITOYEN BERNARDIN DE SAINT-PIERRE, INTENDANT DU JARDIN NATIONAL DES PLANTES ET DU CABINET D'HISTOIRE NATURELLE. SUPPRESSION DE LA PLACE Paris, ce 3 juillet 1793, l'an 11 de la République française. D’INTENDANT. D — — La Convention nationale a rendu le 10 de ce mois, sur le rapport de son Comité d'instruction publique, un décret dont vous trouverez ci-joint l'expédition en forme, et qui donne au Jardin national des Plantes et au Cabinet d'histoire naturelle une nou- velle organisation qui a pour but l’enseignement public de histoire naturelle prise dans toute son étendue, et appliquée particulièrement à l'avancement de l’agriculture, du commerce et des arts. Suivant le titre |" du décret, l'établissement doit être nommé à l'avenir Muséum d'histoire naturelle, et le titre de professeur est conféré à tous les officiers du Muséum qui doivent tous désormais jouir des mêmes droits, et par une suite des principes que la Convention a pris pour base de l’organisation de cet établissement d'instruction, elle a supprimé, ainsi que vous le verrez dans l'article 1v du même titre de ce décret, la place d'ntendant que vous remplissez et dont le traitement doit être dorénavant re- porté par portions égales entre les professeurs du Muséum. Comme d’après les dispositions des articles vr, vir et vu du titre I”, les professeurs doivent nommer entre eux un directeur qui sera chargé uniquement de faire exécuter 1142 M. E.-T. HAMY. les règlements et les délibérations de l’assemblée qu'il présidera, et dont l'élection doit être faite au scrutin pour une année seulement, et qu'ils doivent nommer dans la même forme un trésorier du Muséum, auquel les attributions annuelles accordées à l'établissement seront remises en masse pour être réparties sous sa responsabilité, je viens d'adresser aux officiers du Jardin national des Plantes et du Cabinet d'histoire naturelle une semblable expédition de ce même décret, en les invitant à se convoquer en assemblée pour procéder aux élections ordonnées par le décret et dans la forme qui leur est prescrite. J'ai fait connaître en même temps aux ofliciers de cet établissement que ladminis- tration qui vous est confiée et les rapports qu’elle vous donne avec mon ministère ne pouvant cesser qu'au moment où la nouvelle organisation sera formée, je vous ai in- vité à continuer vos fonctions jusqu’à ce qu'ils aient pourvu au choix du directeur et du trésorier qui doivent principalement en être chargés, et qu'en conséquence je viens de faire ordonner le versement entre vos mains des sommes dues au Jardin national et au Cabinet d'histoire naturelle, pour l’acquittement des dépenses portées dans le devis du second trimestre de la présente année que vous m'avez adressé à cet effet. Vous vou- drez bien, dès que le montant de ce trimestre vous aura été remis par la Trésorerie nationale, en faire la répartition conformément au devis. En vous transmettant le décret qui supprime une place dans laquelle vous avez constamment manifesté le plus grand zèle pour tout ce qui a pu concourir au bien de établissement dont la direction vous avait été donnée sur des suffrages mérités par vos travaux qui s’élèveront toujours en votre faveur, je ne peux que vous assurer de l’empressement que j'apporterai à mettre sous {es yeux de la Convention nationale les services que vous avez réellement rendus pendant le cours de vos fonctions, par les économies que vous avez procurées dans Fadministration du Jardin national, et qui doivent la disposer à accueillir favo- rablement la demande d’indemnité que vous avez à lui adresser pour les dépenses que vous à occasionnées votre nomination à cette place, par l'obligation où elle vous a mis de loger dans les bâtiments de l’Intendance et d'acquérir une partie du mobilier de votre prédécesseur. Sioné : Garar. 26 ADRESSE DE JACQUES BERNARDIN HENRY DE SAINT-PIERRE À LA CONVENTION NATIONALE. Citoyens législateurs, J'étois OCCUPÉ l’année dernière à composer une invitation à la concorde (que Jai fait aflicher depuis à l'époque de la fœædération ) lorsqu'on vint m'offrir la place d’in- tendant du Jardin national des Plantes. Je demandai trois jours pour en délibérer. LES DERNIERS JOURS DU JARDIN DU ROI. 143 Enfin je l’acceptai. À peine j’achevois de m'y établir au mois de Juin de cette année, qu'un de vos décrets l’a supprimée, L'état de ma fortune m’oblige à vous faire quelques représentations afin que vous m’accordiez dans votre justice quelques indemnités. En quittant une petite maison qui m'appartient rue de la Reine Blanche pour aller loger à l'hotel de l'Intendance du Jardin national, j'ai fait de grandes dépenses; il m’a fallu faire tapisser et meubler les vastes appartements de Buffon, acheter (0 les fauteuils et tentures de soye de sa bibliothèque, augmenter mon domestique, enfin déménager et m'emménager; ces frais extraordinaires ® et en pure perte se montent pour mon compte à plus de 3,000 livres. Cependant il est d'usage de meubler les hotels des administrateurs aux frais de la Nation, parce que les administrateurs ne font souvent qu'y passer. Buffon, né avec un grand patrimoine, comblé des honneurs et des revenus académiques. dont les ouvrages étaient imprimés à son profit à l'imprimerie Royale, et dont les appointements étaient plus du double des miens, recut une indemnité con- sidérable en venant s'installer dans la place que j'ai remplie. On lui tint compte même du loyer de la maison qu'il quittait; enfin, riche en temps comme en argent, il pas- sait huit mois de l’année à son chateau de Montbart pour s'occuper uniquement de ses propres ouvrages ou concourait une multitude de coopérateurs, la plupart payés par le Gouvernement. Sans doute il méritait ces faveurs par ses rares talents. Pour moi, avec autant d'amour pour la nature, je n’ai eu aucun encouragement pour l'étudier; né sans fortune, persécuté par les aristocraties savantes dont j'ai attaqué les systèmes, ne vivant que du produit de mes ouvrages imprimés à mes frais et devenus aujourd’hui la proye des contrefacteurs, obligé avec moins de la moitié des anciens appointements de ma place à une représentation ruineuse dans des temps ou tout est doublé de prix, sou- tenant seul une correspondance fort étendue sans secrétaire ni copiste, J'ai été forcé, faute d'aide, d'abandonner le cours de mes études particulières, et je me trouve main- tenant obligé de déménager et de m'emménager de nouveau, sans pouvoir revenir dans mon ancienne retraite, demeurée vacante pendant près d’un an, et que j'ai louée à bail huit jours avant votre décret imprévu. Au commencement de la Révolution j'avais pour tous revenus quelques bienfaits lit- téraires; je ne les ai plus ; trop occupé de la nature pour rien demander à la fortune, je n'ai pas eu part même aux récompenses dont vous avez décreté les fonds en faveur des gens de lettres qui ont bien mérité de la patrie. Jose dire cependant avoir atteint ce but dans mes études de la nature; quelque imparfaites qu’elles soient, elles sont dignes de votre attention : les académies les rejettent, mais l'Europe les adopte; elles sont traduites en plusieurs langues, et leur succès en France aurait sufhi bien au delà U) Les meubles de la bibliothèque, le seul lien dépenses annuelles du Jardin national, ils montent convenable ou je pusse recevoir les savants. à plus de 3,000 livres, en déduisant lout ce que @) Et en pure perle que j'ai fait pour mon éla- je pourrais relirer aujourd'hui des grands meubles blissement, les reparations mullipliées de petits détails qui ne conviennent nullement à mes bumbles habi- el pour lesquelles je n’ai pu reclamer dans l'état des tudes,. 144 M. E.-T. HAMY. à mes besoins, si leur célébrité même n'eut nui à ma fortune; je ne peux plus comp- ter sur leur produit; elles sont devenues des objets universels de contrefaçons que les loix refusent de réprimer. Dernièrement j'ai perdu un procès contre un contrefacteur, pris même en flagrant délit. Javais regardé le revenu de l'Intendance du Jardin natio- nal comme un dédomagement plus que suflisant de mes pertes et de mes services; Je comptais de plus qu'il m'aiderait à acquérir à la campagne une retraite nécessaire à mon âge, à ma santé et à mes études. Dans cette espérance j'y avais acquis deux ar- pents pour y faire bâtir une petite maison, mais le terrain dont je paye la rente n’en est pas payé et le bâtiment n'est qu'à moitié fait; non seulement j'ai bien mérité de la patrie par mes écrits que J'ai tous dirigés au soulagement des malheureux, mais encore par ma place d'intendant; je n'examinerai pas si cette place était inutile; si chaque règne de la nature étant étudié en particulier par une classe de naturalistes, 11 n’est pas nécessaire que quelque ami de la nature entière rapproche ces règnes les uns des autres et, ce qui est plus difficile, les naturalistes eux-mêmes; si dans un établissement composé de diverses parties souvent jalouses, 1l ne faut pas un chef pour en conserver l'ensemble; si enfin le régime qu'on lui substitue n’est pas plus dangereux pour la République des sciences que le despotisme même: vous avez sans doute pesé ces con- sidérations dans votre sagesse, en supprimant comme superflue la place d'intendant du Jardin national. Cependant Buffon ne l'avait pas occupée en vain, lui qui a donné au Jardin national et à son Cabinet toute leur splendeur. Pour moi, venu dans des temps plus difficiles, sans stabilité et sans crédit, il me suffit de lavoir remplie de manière à y laisser quelques souvenirs de moi; je ne vous parlerai pas de mes projets pour y retablir la police, le disposer dans un meilleur ordre, faciliter chaque jour aux natu- ralistes l'étude du Cabinet, ouvert seulement deux fois la semaine au public, y mettre en exercice ses démonstrateurs d'histoire naturelle, dont la chaire, par un étrange abus, est au Collège national; y joindre une bibliothèque pour les étudiants et un journal de correspondance qui en communique à toute l'Europe les richesses ainsi que celles du Jardin; comme lexécution n’en dépendait pas de moi seul, la plupart sont restés inutiles dans mon portefeuille, mais j'ai fait imprimer et distribuer à mes dépens celui d'amener la ménagerie de Versailles à Paris, afin que les trois règnes de la nature vivante fussent réunis dans le Jardin national, ainsi que les trois règnes de la nature morte le sont dans son Cabinet. Mon mémoire a plu aux citoyens comme aux naturalistes, et cependant n’a point été exécuté malgré toutes mes démarches; j'ai préparé la translation du Cabimet de Chantilly que vous avez décrétée, et je n'ai rien épargné, avec l’aide de quelques-uns de mes collègues, pour conserver au Cabinet national cette collection intéressante; j'ai fait construire, sur les économies de mon administration, deux serres neuves et bientôt deux bassins d'arrosage; J'ai épargné pour le présent et l'avenir plus de 9) Si enfin le régime qu’on lui substitue pour conserver l'égalité entre des hommes que l’Europe vante, met sur le même rang, convient aussi le mieux. LES DERNIERS JOURS DU JARDIN DU ROL. 145 h,000 livres de dépenses annuelles en résiliant des marchés onéreux et en mettant au rabais les ouvrages nouveaux, contre l’ancien usage; je ne mettrai pas ici en ligne de compte les haines que s’attire tout réformateur, les intrigues jalouses de ceux auxquels J'ai rendu service, et enfin les sollicitudes attachées à toute administration dans ces temps de révolution; qui de vous, citoyens législateurs, n'a pas éprouvé ces peines cruelles? Mais peu de vous ont gouté le plaisir celeste d'étudier la nature loin des hommes et de travailler à leur bonheur sans en dépendre. Voilà les maux que j'ai soufferts et les biens que j'ai sacrifiés; la fortune ne pourrait m'en dédomager par tout le Trésor national: rendez moi seulement, avec ma liberté, mon ancien nécessaire ; mettez moi à l'abri d’une vieillesse qui s’avance et du besoin encore plus pénible pour une ame libre de solliciter des secours: qu'il ne soit pas dit que j'ai perdu sous le régime de la République des bienfaits que je n'ai pas demandés sous celui de la mo- narchie, et que des citoyens m'ont ôté ce que des ministres m’avaient apporté; je ne désire, au sortir d’une intendance, que de pouvoir vivre dans une chaumière, que les murs de la mienne ne restent pas imparfaits sur un sol que je n'ai pas payé! Peut-être seront-ils un jour utiles à mon infortunée patrie! C’est dans leur humble et paisible enceinte que, préservant mon cœur des ambitions qui le tourmentent, je reprendrai le fil de mes études que je n'aurais Jamais du quitter, et pendant que vous, vous Vous 0€- cuperez au milieu des orages de la politique de ramener à la concorde la génération présente, Je tacherai dans le calme de la nature d'y préparer la génération à venir, par mes études) ou au moins par le souvenir de mon bonheur. À Paris, ce 7 juillet, l'an n de la République. DE Sanr-Pierne. U) Qui se lieront aux principes éternels qu'elle seule étend sans peine sur toutes les sociétés du monde qui se gouvernent par ses loix. 19 IMPRIMERIE NATIONALE, 146 M. E.-T. HAMY. VII PROJET DE RÉGLEMENT POUR LE MUSÉUM NATIONAL D'HISTOIRE NATURELLE ET PIÈCES ANNEXES. 19 7 V2 LA L4 L4 PROJET DE REGLEMENT PRÉSENTE PAR LES PROFESSEURS AU COMITE D’INSTRUCTION PUBLIQUE DE LA CONVENTION NATIONALE D'APRÈS LE DÉCRET DU 10 JUIN 1793 (1). CHAPITRE PREMIER. ORGANISATION ET ADMINISTRATION DU MUSÉUM. Arr. |", Les douze cours institués dans le Muséum d'histoire naturelle par la loi du 10 juin 1793 seront faits par les douze ofliciers actuels de l'établissement ©. Arr. IL. Tous les professeurs auront le droit d'être logés dans l'intérieur du Muséum, afin d'être plus à portée de remplir leurs fonctions. Lorsque la division des logemens aura té établie, autant qu'il sera possible, suivant le principe d'égalité, le choix de chacun appartiendra aux professeurs les plus anciens: les logemens dont jouissent actuellement plusieurs professeurs leur seront conservés jusqu’à leur decès ou démis- sion, pourvu qu'ils les habitent. On réservera une pièce pour chacun de ceux qui ne seront pas logés. Ar. II. Les professeurs seront seuls chargés de ladministration générale du Mu- séum: ils se rassembleront tous les mois, ou plus fréquement, selon les circonstances, pour délibérer et prendre des décisions sur tous les objets relatifs à l'établissement et sur les moyens d'améliorer l'étude des sciences naturelles. ) Ce projet de règlement, rédigé comme on la dit plus haut (p. 68) par une commission composée de Fourcroy, Thouin et Jussieu, fut soumis au Comité d'instruction publique, qui y fit diverses modifications que j'ai signalées en note, d’après les annolalions inscriles de la main du président Grégoire, en marge de la minute déposée aux archives du Muséum. ® Un article supprimé avait lrait à Pépalité des appointements, Cet article avait été l'objet de quelques protestations, notamment de Faujas de Saint-Fond et de Van Spaendonck. Le Comité passe à lordre du jour, saltendu, dit Grégoire, que le texte du décret s’énonce clairement à cet égard et consacre l'égalité entiere». LES DERNIERS JOURS DU JARDIN DU RO. 147 Arr. [V. Le nombre des votans nécessaire pour former cette assemblée sera de la moitié du nombre des professeurs, plus un, pour toutes les délibérations, et des deux tiers au moins pour les élections, qui seront toujours faites à la majorité absolue. Arr. V. Un professeur sera censé avoir abdiqué sa place (1) lorsqu'il refusera ou népli- gera de remplir ses devoirs; l’abdication sera prononcée par l’assemblée et ne pourra l'être qu'aux deux tiers des voix de tous les professeurs. Î Ï Arr. VI. L'assemblée nommera à la majorité absolue tous les employés du Muséum et aura le droit de les destituer aux deux tiers des voix de tous les professeurs, dans le cas de prévarication ou de négligence dans leurs devoirs; ils pourront être suspendus provisoirement de leurs fonctions par le chef sous lequel ils seront employés, lequel sera tenu d'en rendre compte à la plus prochaine assemblée et d’en informer sur le champ le Directeur, qui lui même aura un pareil droit sur tous les employés. Arr. VIL Le Directeur, dont les fonctions et leur durée sont fixées par les articles 6 et 7 de la loi, sera nommé tous les ans au scrutin à la majorité absolue des voix, dans le courant du mois de décembre, et il entrera en fonction le premier Janvier suivant. Arr. VII En l'absence du Directeur, l'assemblée, présidée par le plus ancien des [ P P professeurs, nommera suivant le même mode d'élection un des professeurs pour le remplacer provisoirement. Art. IX. Les professeurs nommeront tous les ans parmi eux, dans la même séance et à la majorité absolue, un secrétaire, lequel entrera pareillement en fonction le premier Janvier suivant, l'exercera pendant une année et ne pourra être continué qu'au scrutin pour une année seulement; en son absence, il sera remplacé comme le Directeur. Arr. X. Ses fonctions seront de tenir la plume dans les assemblées, de rédiger les procès verbaux des séances qui seront signés du Directeur et de lui, de les inscrire sur un registre destiné à cet effet, de délivrer des copies collationnées de ces délibé- rations et d’avoir la garde des papiers, titres et registres du Muséum qui seront déposés dans une des salles de la bibliothèque. Arr. XI. Outre les assemblées de tous les mois qui auront lieu à jour fixe, Le Direc- teur pourra en convoquer d’extraordinaires, et il sera tenu de le faire sur la simple demande d’un professeur. Anr. XIL Le trésorier, nommé au serutin à la majorité absolue, sera élu tous les ans dans la même séance que le Directeur et le secrétaire; il entrera en fonction le ® Le Comité d'instruction publique a rayé ici un dans le cas d’être remplacé deux années de suite dans membre de phrase rédigé dans ces termes : « Lorsque, ses fonctions.» sans motif légitime approuvé par l'assemblée, il sera @ Le mot «absolue» est ajouté par le Comité. 19 148 M. E.-T. HAMY. premier Janvier suivant; sa place sera incompatible avec celle de ces deux ofliciers. Le même pourra être continué plusieurs années de suite, mais chaque année par un nouveau scrutin. Ses fonctions seront de recevoir les fonds affectés à l'établissement et d'en faire la répartition suivant les états arrêtés ou d’après l'autorisation de assemblée. CHAPITRE SECOND. DES COURS DU MUSÉUM. Arr. [". Tous les ans les professeurs réunis fixeront l’époque de l'ouverture et la fin de chacun des cours institués dans le Muséum. Dans cette distribution ils auront égard aux saisons propres à chaque genre de démonstration et feront en sorte que les étudians puissent, sans interruption et dans un temps déterminé, suivre un plus grand nombre de cours; le programme de ces cours, rédigé en français, sera afliché dans Paris et communiqué à tous les directoires des départemens, quarante jours avant l'ouverture du premier. Arr. Il. Les professeurs pourront se servir pour leur démonstration, chacun dans leur partie, des objets conservés dans la collection du Muséum, mais ils ne pourront déplacer que les doubles. Il sera pris par l'assemblée des précautions pour que ces objets ne soient ni égarés ni détériorés. Arr. IL. On traitera dans le cours de minéralogie de la manière d'étudier cette science. On y démontrera les caractères distinctifs extérieurs et intérieurs des minéraux considérés dans leur état naturel sans le secours de analyse, en les distribuant suivant un ordre méthodique. Le professeur donnera le précis des opinions les mieux fondées sur l'origine, la formation et les différens états des minéraux; il s'arrêtera particu- lièrement sur les minéraux utiles aux arts, sur ceux que cache dans son sein ou que présente à sa surface le sol de la France; il indiquera leurs propriétés et leur emploi. Ce cours sera au moins de 4o leçons. Arr. IV. Dans le cours de chimie générale qui sera au moins de 4o leçons, on exposera l’histoire et les principes de la science; on passera en revue, dans un ordre méthodique, les divers corps qui peuvent être soumis à l’analyse ou qui en sont le produit. Le professeur, en s’attachant aux minéraux dont les chymistes se sont plus particulièrement occupés, ne négligera pas les analyses animales et végétales qui doivent jetter quelque jour sur la nature des corps organisés; il présentera les décou- vertes récentes sur la composition élémentaire des différens corps et joindra à ses démonstrations une suite d'expériences faites en présence des étudians et pour leur instruction. Ce membre de phrase a été ajouté par le Comité. LES DERNIERS JOURS DU JARDIN DU RO. 149 Arr. V. Le cours des arts chimiques, composé d’un même nombre de lecons, sera consacré à l'exposition des procédés des arts qui ont la chymie pour base et des prin- cipes sur lesquels ils sont établis; les uns et les autres seront présentés avec l'étendue convenable et accompagnés d'expériences propres à compléter l'instruction des étudians. Le professeur insistera sur les moyens de perfectionner ces arts et d'établir en France des manufactures chimiques qui n'existent encore que chez quelques nations voisines. Arr. VI. Les premières leçons du cours de botanique dans le Muséum seront consa- crées à l'exposition de la physique végétale, de la philosophie botanique, des principaux systèmes ou méthodes de distribution des plantes. Elles seront suivies de la démons- tration des espèces vivantes dans la collection du Muséum et rangées suivant un ordre méthodique. Cette démonstration sera faite dans le Jardin près des individus vivans. Le professeur fera aussi connoître sur les herbiers les genres étrangers les plus importans qui n'existent point dans les serres du Muséum. Il joindra à l'indication des caractères distinctifs de chaque plante celle des propriétées médicinales où économiques et il insistera sur les végétaux dont la culture peut ouvrir pour la Nation une nouvelle source de richesses. Ce cours sera au moins de 4o leçons. Arr. VII. Le cours de botanique dans la campagne sera composé de 20 herbori- sations qui seront faites à différentes époques de l’année. Le professeur qui en sera chargé conduira les étudians dans les campagnes des environs de Paris, les plus fertiles en plantes et les plus variées par leur site et leurs productions végétales. Il aura soin de faire de tems en tems des stations pour démontrer aux étudians les plantes qu'ils auront cueillies, pour rappeler en peu de mots leurs caractères, leur classification, leurs usages, pour comparer les individus produits par la nature avec ceux que l’art de la culture a modifiés en les détériorant ou en les améliorant; il indiquera le gite et le sol propre à chaque espèce, de sorte qu'à l'inspection d’un local les étudians puissent s’habituer à désigner les plantes qui y croissent, ou qu'à la vue des plantes d’un lieu, ils parviennent à déterminer la nature, l'exposition et l'élévation du sol qu'elles re- couvrent. Il sera fait dans les mois de février et de mars quelques herborisations des- tinées à l'étude des mousses, des lichens et de plusieurs autres plantes analogues qu'on ne trouve en pleine végétation que pendant ces mois. On fixera l’attention des étu- dians sur les diverses cultures dont le sol des environs de Paris est enrichi. Arr. VIT. Le cours de culture aura pour objet la pratique de tout ce qui tient à l'art de cultiver les plantes, au perfectionnement du jardinage et des plantations et à la naturalisation des végétaux étrangers; le professeur démontrera les plantes propres à la nourriture de l’homme et des animaux domestiques. Il séparera ce cours en diffé- rentes époques, comme sont naturellement séparés les travaux de la culture. Arr. IX. Les deux cours de zoologie auront d’abord pour objet de présenter l'histoire de la science des animaux considérés à l'extérieur et d'exposer les principales méthodes 150 M. E.-T. HAMY. imaginées pour la classification de tous les êtres vivans. On démontrera ensuite dans l’un de ces cours les genres et les principales espéces de quadrupèdes, cétacées, oiseaux, reptiles et poissons. Dans l’autre cours, on traitera des genres et principales espéces d'insectes, de vers et animaux microscopiques. Ils seront chacun au moins de 0 lecons. On fera connoître, dans ces cours, les caractères, l’organisation extérieure, les mœurs et les diverses qualités des animaux. On insistera sur ceux qui sont utiles, soit comme compagnons des travaux de l’homme, soit comme fournissant à sa nourriture, à ses vêtemens et à tous les arts. On portera son attention sur les espéces encore inconnues ou non existantes en France, et qu'il seroit possible et avantageux d'y naturaliser. Enfin on suivra les animaux jusques dans les dépouilles et les empreintes qu'ils laissent dans les différentes couches de la terre après y avoir été enfouis. Aur. X. Le cours d'anatomie de l’homme, qui sera au moins de 4o leçons, aura pour objet de faire connoître l’organisation du corps humain. Le professeur de cette science s’attachera à en perfectionner l’enseignement; il présentera aux étudians les découvertes récentes; 11 cherchera, par des digressions utiles sur lanatomie comparée, à éclairer la structure de l’homme par celle des animaux. Les parties d'anatomie, conve- nablement préparées pour les démonstrations, seront exposées aux yeux des étudians. Il sera donné à cet effet au professeur une salle particulière à sa disposition et voisine du lieu des démonstrations dans laqu'elle ces parties seront préparées sous sa di- rection. Arr. XI. Le cours d'anatomie des animaux aura la même durée. Le professeur de cette partie donnera dans les premières leçons une idée générale de l’organisation interne des diverses classes d'animaux; il choisira dans chacune ceux dont il lui paroïtra convenable de faire la démonstration anatomique et saisira les occasions de mettre sous les yeux des étudians ceux dont l’organisation seroit moins connue. Il insistera parti- cuhèrement sur l'anatomie comparée, soit des animaux entr'eux, soit des animaux avec l’homme. Une salle particulière destinée à ses préparations lui sera pareillement assignée près du lieu des lecons. Arr. XIL. Le cours de géologie aura pour objet la théorie générale du globe terrestre et surtout des montagnes, les productions volcaniques, la situation et direction des diverses couches de terres, des bancs de pierre, des filons de mines, le dénombrement des richesses minérales propres à tous les départemens de la France, et surtout des diverses mines que lon y exploite ou que lon pourroit y exploiter. Ce cours sera au moins de 20 leçons. Arr. XIIL. Le dernier des cours indiqués dans le décret du 10 juin sera consacré à l'art de dessiner et de peindre toutes les productions de la nature. On rassemblera dans une salle destinée à cet effet tous les élèves qui se présenteront pour apprendre cet art. On les formera par les exemples des orands maitres et par l'exercice non LES DERNIERS JOURS DU JARDIN DU ROI. 151 interrompu, à rendre avec vérité, correction et pureté les caractères, la forme et les couleurs des minéraux, des végétaux et des animaux. Arr. XIV. Les professeurs du Muséum seront tenus de remplir leurs diverses fonc- tons avec exactitude et dans les temps déterminés par le programme. Le Directeur sera spécialement chargé d’avertir ceux qui ne se conformeroient pas à la loi et aux régle- mens adoptés, et d'instruire l'assemblée des professeurs des abus qui pourroient s’intro- duire à cet égard; l'assemblée s’occupera aussitôt du soin d’y remédier. Arr. XV. Si une maladie, ou une fonction publique, ou toute autre cause empêchoit quelque professeur de faire ses leçons , l'assemblée auroit soin de le faire remplacer provisoirement soit par un autre professeur, soit par un savant qu'elle choisirait. Elle fixera en faveur du suppléant l'indemnité qui devra être prélevée sur les appointemens du titulaire. Arr. XVI. Les étudians qui auront un intérêt à constater leur présence à divers cours inseriront leurs noms et leur pays dans un registre tenu pour chaque cours, et recevront des professeurs un certificat d’assiduité. CHAPITRE TROISIÈME. ÉTABLISSEMENTS FORMÉS DANS LE MUSÉUM POUR L’'INSTRUCTION PUBLIQUE. Galleries d'histoire naturelle , jardin de botanique, laboratoires d'anatomie et de chimie, bibliothèque. GALERIES D'HISTOIRE NATURELLE. Arr. [". Les galeries du Muséum, destinées à contenir et à offrw à l'instruction publique les diverses productions de la nature, présenteront dans un ordre méthodique les objets qui appartiennent aux trois rêgnes. Ar. IL. Des inscriptions générales indiqueront dans les différentes parties des gale- ries les grandes divisions des corps naturels en règnes, classes, ordres, genres, et de plus, au-dessous de chaque objet, sera placée une inscription particulière portant un n° relatif au catalogue, la nomenclature générique et spécifique en français et en latin, le nom du donateur, l'indication du pays autant qu'il sera nécessaire. Arr. IL. Chacun des professeurs sera chargé du soin de ranger dans les galeries les objets relatifs à la science qu'il enseigne et dans l’ordre adopté pour ses démons- trations. La disposition des piéces d'anatomie de l’homme et des animaux sera confiée aux deux professeurs d'anatomie; celle des animaux, aux professeurs de zoologie; celle 152 M. E.-T. HAMY. des minéraux, au professeur de minéralogie: celle de l'herbier général, des racines, bois, écorces, fruits, semences et autres productions végétales, au professeur de bota- nique dans le Muséum ; celle des herbiers particuliers , au professeur de botanique dans la campagne. Arr. IV. I y aura un huissier-concierge des galeries nommé par les professeurs à la majorité absolue; ses fonctions seront de garder tous les objets contenus dans les galeries. Il en répondra d’après un état double signé de lui et des professeurs chargés de la disposition de ces objets, et il sera seul dépositaire de toutes les clefs des galeries du Muséum. Un exemplaire de cet état restera dans ses mains, l’autre sera déposé au sécrétariat. Chaque professeur aura de plus l'étât des objets relatifs à sa partie. Anr. V. L'huissier-concierge sera tenu de faire ouvrir tous les matins depuis 9 heures jusqu'à midi, aux professeurs chargés de la disposition des galeries, les armoires qui contiendront les objets relatifs à leur partie, afin qu'ils aient le temps convenable de les décrire, de les disposer méthodiquement et de préparer leurs leçons. Ï leur remettra, sur leur reçu et pour un temps qu'ils seront obligés de déterminer, les objets doubles dont ils auront besoin pour leurs travaux particuliers, pourvu que ces objets ne soient pas de nature à être altérés par le transport; dans ce dernier cas, et lorsqu'il existera quelque difficulté à ce sujet, la remise ne pourra avoir lieu que d’après une autorisation de l'assemblée. Aur. VI. Cinq jours par semaine, depuis 11 heures jusqu'à 2, lhuissier-concierge fera ouvrir les galeries aux personnes qui se présenteront avec un billet signé de lun des professeurs, afin qu'il y ait tous les jours des heures consacrées aux études parti- culières des naturalistes, tant nationaux qu'étrangers. Arr. VIT. Les galeries seront ouvertes au public les mardis, jeudis chaque semaine, depuis 3 heures jusqu'à la fin du jour, du 1° novembre au 1° avril, et depuis 4 Jus- er qu'à 7, du avril au 1° septembre; l'huissier-concierge sera présent à toutes ces séances, ainsi que l'un des professeurs, chacun à son tour. Arr. VIIL Les professeurs chargés de la disposition des galeries seront secondés dans leurs travaux par quatre aides naturalistes nommés sur la présentation de ces mêmes professeurs par l'assemblée, qui pourra en augmenter ou diminuer le nombre suivant les besoins de l'établissement; ces aides, attachés aux galeries, seront obligés de s’y trouver tous les matins pour exécuter ce qui leur sera indiqué par les professeurs ou pour donner les facilités convenables aux naturalistes qui voudront étudier; ils s’y trouveront aussi pendant les heures ou les galeries seront ouvertes au public. Aur. IX. Il y aura des hommes de service chargés de maintenir la propreté des galeries et d'exécuter les ordres de l’huissier-concierge; is seront choisis par assemblée sur la présentation de cet ofhicier. LES DERNIERS JOURS DU JARDIN DU ROL. 153 JARDIN DE BOTANIQUE, Arr. X. L'objet de cette partie du Muséum devant être : 1° le rassemblement ou la co:lection du plus grand nombre possible d’espéces de végétaux destinées à l'instruction publique; »° la mulüplication et la naturalisation des plantes étrangères qui offrent quelques objets d'utilité ou d'agrément; 3° la distribution des semences de ces mêmes plantes dans toutes les parties du monde, et particulièrement de la France, le Jardin renfermera non seulement une École de botanique, des serres de toutes les sortes, des pépinières de tous les genres, mais encore des cultures de porte-graines, tant en arbres et arbustes qu'en plantes étrangères qu'il est important de naturaliser. Arr. XL. I y aura dans l'École de botanique un individu de chacune des espèces de végétaux cultivés dans les différentes parties du Jardin, parmi lesqu'elles le professeur de botanique choisira ceux dont il pourra avoir besoin pour ses lecons. Ils seront rangés dans l'École suivant un ordre méthodique et étiquetés en francais et en latin, avec des signes indicatifs de leur nature, leur durée, leurs propriétés et leur mode de culture. Les arbres et arbustes, ainsi que les plantes vivaces qui supportent notre climat, y seront plantés à demeure; les plantes annuelles et celles des climats chauds y seront placées à mesure que les saisons le permettront, de manière que la plus grande partie des places de cette école soient garnies de leurs plantes pendant la durée du cours de botanique et même le plus longtemps possible après sa cloture pour la plus grande facilité des études. Arr. AIT. Indépendamment de la grande École de botanique qui doit renfermer les espéces distinctes, 1l sera établi une autre école qui aura pour objet de réunir toutes les variétés d'arbres fruitiers, tant indigènes qu'étrangers, qui peuvent se cultiver en pleine terre dans notre climät; les arbres y seront rangés dans un ordre réglé par le plus grand nombre de rapports de leurs parties et de leurs qualités; chaque arbre sera étiqueté comme les plantes de l'École de botanique et ils seront tous placés et soignés de manière à pouvoir fructifier et fournir assés de greffes pour être multipliés dans les différens départemens de la France; de plus, le professeur de culture sera chargé de réunir toutes les dénominations données à ces arbres, afin d'établir une uniformité de nomenclature nécessaire pour toutes les parties de la République. Arr. XIE. Il sera établi une troisième école, destinée aux plantes utiles à la nour- riture de l’homme et des animaux domestiques. Ces plantes y seront rangées suivant leurs propriétées, celles qui servent à la nourriture des hommes occuperont le 1” rang. Les plantes propres à la nourriture des bestiaux et des animaux domestiques, le second. Chacune de ces espéces ou variétées de plantes sera cultivée par petite masse et non par toufles isolées, afin qu’elles puissent donner des expériences comparatives sur leurs 20 IMPRIMERIE NATIONALE. 154 M. E.-T. HAMY. roduits et qu’elles fournissent des graines dans une proportion assés considérable P | 6 pro] pour être répandues dans les différens départemens de la République. Arr. XIV. Toute la partie située au midi du Jardin ou l'on a commencé des expé- riences importantes, rélatives à la naturalisation des grands arbres étrangers et aux effets du climät de la France sur leurs qualités, expériences dont les résultats, en apprenant chaque année quelques vérités nouvelles, ne peuvent être cependant complets qu'après l’espace de plus d’un siècle, demeurera invariablement employée à ces expé- riences séculaires. Arr. XV. Les arbres de ce dernier terrein étant destinés à l'étude de leur port, en même temps qu'à fournir abondamment des graines dans les diflérens départemens, on les laissera croître en liberté. [ls ne seront soumis à aucune opération qui puisse leur faire perdre leurs habitudes naturelles, et pour que tout le monde puisse apprendre à les connoitre, ils seront étiquetés en français et en latin. Arr. XVI. Les plantations de la partie la plus haute du Jardin (nommée le Laby- rinthe) seront remplacées successivement par toutes les espéces d'arbres résineux et par ceux que l'hiver ne prive pas de leur verdure, de manière à multiplier les porte- graines dans cette classe d'arbres si utiles pour les constructions navales et civiles. Arr. AVIL Le grand bassin carré, destiné à la culture des plantes aquatiques et à celle des arbrisseaux et arbustes, continuera de servir à cet usage et chaque année on f 2 augmentera le nombre des espéces qu'il renferme. Arr. AVIIT. Le terrein clos d’une grille et qui se trouve au milieu du Jardin conti- nuera d'être uniquement consacré à une pépinière pour les arbres et arbustes destinés à regarnir les différentes plantations des jardins du Muséum. Arr. NIX. La partie de terrein abaissée, qui se trouve près l'École de botanique, continuera de servir aux semis des végétaux indigênes et étrangers, à la culture et à la multiplication des arbustes délicats et des plantes des hautes montagnes. Elle contiendra à cet eflet des couches, des chassis, des gradins et tout ce qui est nécessaire à ce genre de culture. Arr. XX. Les autres quarrés placés entre les deux grandes allées seront divisés en 3 parties. L'une servira de pépinière pour la multiplication des plantes vivaces de pleine terre destinées à regarnir l'École de botanique; l'autre sera employée à la cul- ture des plantes d'usage dans la teinture, dans la filature et dans les autres arts; elles y seront assés multipliées pour que la distribution de leurs graines puisse en répandre la culture dans tous les départemens; dans la 3° seront cultivées en grand les plantes médicinales vivaces de pleine terre, afin qu'on puisse continuer de donner les produits de leur culture aux pauvres malades. aux hospices de charité et aux hôpitaux. LES DERNIERS JOURS DU JARDIN DU ROI. 155 Arr. XXI. Les serres seront assés vastes et en nombre suffisant pour éléver, conserver et multiplier les végétaux étrangers des climâts chauds, utiles aux lecons de botanique: la plus spacieuse sera spécialement destinée à la naturalisation des arbres fruitiers ou d’autres arbres utiles qui, croissant dans le voisinage des tropiques et pouvant être acclhimatés dans le midi de la France, doivent offrir quelque jour de nouvelles ressources à la nourriture des hommes et à leur industrie. Arr. XXII. Le professeur de culture sera chargé spécialement de surveiller la culture des plantes dans les diverses parties du Jardin, de faire recueillir avec soin les graines, de les faire semer dans les temps convenables, de faire disposer dans les serres et hors des serres toutes les plantes de la collection suivant le climât qui leur convient, de faire remettre au professeur de botanique du Jardin un individu en bon état de chaque plante, pour être placé dans le lieu des démonstrations. I cherchera à perfectionner le Jardinage et les plantations, à naturaliser les végétaux étrangers, à multiplier les espéces et les variétés utiles; 1l correspondra avec les divers départemens pour chercher à y multiplier les végétaux dont l'acquisition et la naturalisation peuvent devenir une nou- velle source de jouissances et de richesses nationales. Anr. AXIIT. Le même professeur aura sous ses ordres un premier jardinier nommé sur sa présentation par l’assemblée à la majorité absolue; ses fonctions auront pour objet particulièrement : 1° la surveillance immédiate de tous les autres jardimiers et ouvriers employés aux travaux de la culture; 2° la répartition des plantes dans les di- verses parties du Jardin; 3° la récolte des graines dans chaque partie; 4° les semis et les plantations. Arr. XXIV. Le professeur de culture continuera d’avoir cinq garçons jardiniers ordi- naires choisis sur sa présentation par l'assemblée et mis par lui sous la surveillance immédiate du premier jardinier; l'assemblée pourra en augmenter ou diminuer Île nombre suivant les besoins de létablissement. Chacun d'eux sera aflecté particulière- ment à une des cinq grandes divisions de la culture, savoir : 1° l'École de botanique ; 2° les serres; 3° les couches; 4° les pépinières; 5° les autres parties du Jardin; néan- moins ils se réuniront sous les ordres de leurs chefs pour le service de l’une des divisions, lorsqu'elle exigera un surcroît de travaux commandés par la saison et par le genre de culture. Oütre ces jardiniers, le premier jardinier, autorisé par le professeur de culture, employra, comme il a été fait jusqu’à présent, un nombre suffisant d'ouvriers journaliers pour vacquer aux travaux de la culture, et jusqu'à concurrence des fonds ordinaires affectés à cette partie des dépenses du Muséum. Arr. XXV. Celui des garcons jardiniers affecté à la grande école sera aux ordres du professeur de botanique du Jardin, pour tous les objets de culture et d’arrangement des plantes dans cette école, 156 M. E.-T. HAMY. LABORATOIRES D’ANATOMIE ET DE CHIMIE. Arr. XXVL. Il y aura dans le Muséum des salles pour les préparations anatomiques et un laboratoire pour les expériences chimiques. Ces emplacemens, choisis par l’assem- blée des professeurs, seront rapprochés du lieu des démonstrations et meublés, aux frais de l'établissement, des machines, ustensiles et instrumens nécessaires. Art. XAVII. Les professeurs d'anatomie Y prépareront ou y feront préparer sous leurs yeux toutes les parties propres à l'instruction des étudians et celles qui mériteront d'être conservées dans la collection générale du Muséum. Arr. XXVIIL Les professeurs de chimie générale et des arts chimiques y feront les expériences nécessaires pour les démonstrations. Les combinaisons résultantes des expé-. riences faites dans les cours serviront à augmenter ou renouveller la collection de ces produits, destinée à l’enseignement annuel. Arr. XXIX. Il sera fixé chaque année pour les frais des préparations anatomiques et des expériences chimiques, ainsi que pour les dépenses nécessaires à l’arrangement et au complément des collections renfermées dans les galeries"), des sommes dont les professeurs de chaque science disposeront de la manière qu'ils jugeront convenable, et dont ils rendront compte dans les assemblées du Muséum. BIBLIOTHÈQUE ©). Arr. XXX. Tous les livres du Muséum renfermés dans le local désigné par le décret du 10 juin 1793 porteront le nom de l'établissement, et ceux dont on aura fait pré- sent porteront le nom du donateur. Arr. AXXI. Il en sera dressé par le bibliothécaire un catalogue, et personne ne pourra emporter un livre hors de lenceinte du Muséum sous quelque prétexte que ce soit. Art. XXXIL La bibliothèque sera ouverte au publie les mardi, jeudi, samedi de chaque semaine depuis 10 heures du matin jusqu'à heures, et le bibliothécaire sera tenu de communiquer les livres à tous ceux qui viendront pour les consulter. Arr. XAXIIL. On renfermera dans une des salles de la bibliothèque les herbiers de la collection et surtout lherbier général, pour faciliter aux botanistes la confrontation des plantes sèches avec les descriptions et les figures des auteurs. Ces derniers mols ont élé ajoutés par le Comité. les savans qui se sont spécialement occupés de la con- ® Il y avait ici dans le projet des professeurs un noissance de la bibliographie, des langues el, s'il est arlicle ainsi conçu : #11 sera nommé par les professeurs, possible. de l’histoire naturelle.» Cet article a été sup- à la majorité absolue, un bibliothécaire choisi parmi primé par le Comité. LES DERNIERS JOURS DU JARDIN DU ROL. 157 CHAPITRE QUATRIÈME. DES MOYENS D’ACCÉLÉRER LES PROGRÈS DE L'HISTOIRE NATURELLE. Arr. [*. Ces moyens principaux sont : 1° la publication du catalogue méthodique des objets réunis dans les collections; 2° la correspondance avec les établissemens aralovues el les naturalistes; 3° les voyages entrepris pour la science; 4° les distributions de graines et plantes dans les départemens pour les y multiplier; 5° les échanges d'objets doubles, les acquisitions d'objets nouveaux et les demandes aux divers départemens des productions de leur territoire; 6° enfin, les dessins des objets nouveaux, faits par le professeur d’ycono- graphie et par ses élèves. Aur. IL. Chacun des professeurs chargé de l’arrangement de quelque partie des gale- ries du Muséum sera tenu d'en faire le catalogue méthodique suivant l’ordre adopté; ils seront discutés dans l’assemblée des professeurs et ensuite publiés en commun sous un titre général. Arr. [IL Le professeur de botanique dans le Muséum donnera aussi le catalogue des plantes démontrées dans l'école du jardin et de celles contenues dans lherbier général, ainsi que de tous les produits du règne végétal renfermés dans les galeries. Celui de culture donnera le catalogue des arbres fruitiers contenus dans l’école de ce nom, des productions végétales nouvellement acquises par la culture et de celles qu'il aura distribuées aux divers départemens Q), Arr. IV. Dans la même vue d'augmenter les collections et d'acquérir des connois- sances nouvelles, les professeurs saisiront les occasions de voyager ou de faire voyager des élèves instruits, soit dans la France, soit dans les pays étrangers, et surtout dans les contrées éloignées qui n'ont pas encore été parcourues par des naturalistes. Arr. V. Le professeur de géologie fera tous les ans au moins un voyage pour des recherches rélatives à la partie qu'il enseigne et pour rassembler les principales pro- ductions des divers départemens, qu'il déposera dans les collections du Muséum. I an- noncera son voyage à l'assemblée des professeurs, et lui exposera à son retour le succès (Un article supprimé par le Comité élait ainsi formulé : «Le Muséum correspondra par ses profes- seurs avec les établissemens analogues placés dans les départemens, avec les naluralistes de tous les pays, ave: les voyageurs qui parcourent les diverses parties du globe pour des recherches d'histoire naturelle. Ceux de ces savans et voyageurs qui se seront distin- gués par des découvertes dans les sciences et qui auront surtout travaillé avec zèle pour enrichir de productions nouvelles les galeries et jardin du Muséum, seront nommés ses correspondans à la majorilé absolue. Le nombre de ceux qui résideront en France n’excédera pas celui des départemens. » Grégoire motive ainsi la suppression de cel article : #Le Comité est d'avis de la radiation de cel article, parce que la première partie est contenue dans le dé- cret du 10 juin, et la seconde a paru se ressentir des formes académiques.» 158 M. E.-T. HAMY. de ses recherches. Un fonds particulier lui sera assigné pour les dépenses que lui occa- sionnera son déplacement. Arr. VI. Un des objets de l'établissement étant la naturalisation et la multiplication des végétaux utiles qui ne sont pas cultivés en France, les professeurs de botanique et plus spécialement celui de culture seront chargés de distribuer dans les départemens des graines et des plans de ces végétaux, et d’en faire des envois aux agriculteurs qui s'occupent de cette partie intéressante de l’économie rurale. Anr. VIL. Lorsque le Muséum aura les moyens d'entretenir dans une ménagerie les animaux vivans de diverses classes, les professeurs de zoologie seront chargés de les décrires, d'étudier leurs mœurs; ils chercheront également à acclimater, multiplier et distribuer les espèces utiles. Arr. VIIL. Il sera également distribué des échantillons des minéraux aux établis- semens analogues au Muséum placés dans les divers départemens et dans les pays étrangers, en invitant les chefs de ces établissemens à faire part au Muséum de leurs richesses minérales. Le professeur de minéralogie sera chargé de ce travail et il en rendra compte à l’assemblée. Arr. IX. Chacun des professeurs chargé de la disposition de quelque partie des gale- ries, ou du soin du Jardin, pourra, avec l'autorisation de l'assemblée, échanger des objets doubles de la collection contre d’autres objets dont elle seroit dépourvue, et 1l rendra compte à l’assemblée du résultat de ces échanges. Arr. X. Parmi les doubles des minéraux on choisira les moins communs pour les soumettre à une analise chimique exacte et capable de déterminer leur nature. Aur. XI. Il y aura des fonds annuels affectés à l'acquisition de livres nouveaux, d'objets rares qui n'’existeroient pas dans la collection; ces acquisitions projettées par les professeurs n'auront lieu qu'après l'autorisation spéciale de l'assemblée qui, dans la répartition de ses fonds, aura principalement en vue Putilité publique. Arr. XI. Le même motif d'utilité fera conserver dans le Muséum cinq herbiers particuliers dont quatre renfermeront les plantes des différentes parties du globe; le 2° herbier contiendra les végétaux de la France et des environs de Paris; ils seront disposés dans un ordre méthodique, et le professeur de botanique du Jardin pourra dans tous les temps choisir dans chacun de ces herbiers les échantillons nécessaires au complément de lherbier général. Le professeur de botanique dans la campagne, qui aura la direction de ces herbiers particuliers, publiera aussi, pour l'usage habituel des étudians, le catalogue des plantes des environs de Paris, et cherchera à compléter celui des plantes de la France. Il sera encore chargé de soigner Pherbier du célèbre Tournefort existant dans le Muséum, d’en conserver toutes les espéces étiquettées dans LES DERNIERS JOURS DU JARDIN DU ROI. 159 l’ordre et avec la nomenclature de l’auteur, pour que cet herbier puisse être journel- lement consulté par les botanistes qui désireront connoître le nom que Tournefort assignoit à chaque plante observée par lui. Arr. XIIT. Le grand recueit de plantes et d'animaux peints d'après nature, confié au Muséum par le décret du 10 juin 1793 et déposé dans la bibliothèque, sera rangé suivant l’ordre méthodique établi dans l'École de botanique. Il offrira des modèles aux élèves du professeur d'iconographie, il sera pareillement utile pour la démonstration des animaux qui n’existeroient pas dans les galeries et des plantes imparfaites dans les jardins ou dans les herbiers. Le professeur d’yconographie augmentera chaque année cette collection de huit tableaux au moins, peints par lui sur vélin et représentant des animaux, plantes ou minéraux remarquables, au choix de lassemblée des professeurs. Arr. XIV. Ceux des élèves de cet artiste qui montreront le plus de talens pourront être employés par les professeurs, sous l'autorisation de Passemblée, pour dessiner et peindre sous leurs yeux divers objets d'histoire naturelle et surtout ceux dont l'existence ephémere méritera d'être fixée par le dessin; l'assemblée leur accordera des gratifica- üons proportionnées à leurs travaux. CHAPITRE CINQUIÈME. DÉPENSE ET COMPTABILITÉ DU MUSÉUM. Ant. I". Le trésorier recevra à chaque trimestre au Trésor national les fonds fixés pour les dépenses tant ordinaires qu'extraordinaires du Muséum; il payera aux mêmes époques les appointemens et gages des personnes attachées à l'établissement, ainsi que les dépenses qui auront été ordonnées ou autorisées par l’assemblée pour l'entretien des galeries et des jardins, le complément des collections, les différens cours institués dans le Muséum et la conservation des bâtimens. Arr. [LL Tous les payemens seront faits d'après des états arrêtés par l'assemblée et signés par le Directeur et le secrétaire. Anr. [IL Les professeurs seront payés sur leur simple quittance; le bibliothécaire et lhuissier-concierge devront présenter de plus un certificat de service donné par le Directeur. Le trésorier exigera du 1° jardinier un pareil certificat du professeur de culture sous lequel 1 exerce ses fonctions. Les gens de service seront également obligés de fournir au trésorier pour être payés de leurs gages un certificat de service de celui des employés supérieurs sous lequel ils travailleront; ces divers certificats seront visés par le Directeur. Arr. IV. Les entrepreneurs de travaux extraordinaires ne pourront être payés par le trésorier qu'en Jui fournissant : 1° l'extrait de la délibération de l'assemblée qui 160 M. E.-T. HAMY. aura autorisé le travail dont il sera question; 2° le mémoire réglé; 3° le visa du Direc- teur pour être payé sur les fonds extraordinaires; 4° la quittance des sommes qui leur seront fournies: il en sera de même pour tous les fournisseurs d'objets extraordinaires. Arr. V. Le trésorier aura deux registres, l’un de recette et l'autre de dépense; ces registres seront tenus en bonne forme, et toutes les fois que le trésorier en sera requis par l'assemblée ou par un oflicier du Muséum , il sera tenu d’en donner communication. Arr. VI. A la fin de chaque année ou dans le courant du mois qui la suivra, le tré- sorier fera un relevé de toutes ses recettes et de toutes ses dépenses, pour en composer son compte par ordre de matières. Arr. VIL. Ce compte sera divisé par nature de dépense sous ces six titres principaux, savoir : 1° dépenses d'entretien et d’acquisitions pour le Jardin; »° dépenses d'entretien et d'acquisitions pour les galleries d'histoire naturelle; 3° dépenses d'entretien et d’ac- quisitions pour lamphithéâtre, les laboratoires et les cours; 4° dépenses d’appointe- mens et gages des professeurs, officiers, employés et gens de services du Muséum; 5° dépenses générales de l'établissement et qui, tenant à plusieurs de ses parties, ne peuvent être classées dans lun ni dans Fautre des titres précédens; 6° enfin, dépenses extraordinaires. Anr. VIT. Chaque article de dépense sera appuyé de pièces justificatives lorsqu'e.les passeront une somme de six livres, excepté cependant les dépenses de gagne-deniers, les journées d'ouvriers, les commissions, ports, transports et autres semblables dé- penses, pour lesquelles il est impossible de tirer des quittances. Ant. IX. Le trésorier fournira deux copies de son compte, l’une pour être déposée dans le sécrétariat du Muséum et l'autre, à laquelle seront jointes les pièces justifica- tives et Le visa du Directeur, pour être remise au Conseil exécutif et obtenir la décharge du compte. Arr. X. L'assemblée du Muséum sera autorisée à présenter chaque année à la légis- lature les projets et devis des dépenses extraordinaires qu’elle croira nécessaires pour l’avancement des sciences naturelles, afin que l'Assemblée nationale décrète ce qu'elle Jugera convenable sur cet objet. Pour copie conforme à la minute déposée au secrétariat du Muséum et signée par les professeurs. Daugenron, directeur président; Desronraixes, secrétaire. © Les professeurs avaient donné place ici à un doit la commander et à ses fonclions. Le Comilé passa chapitre sixième inlitulé : Du maintien de Pordre et de à l’ordre du jour sur ce chapitre, attendu son incom- la süreté dans les parties du Muséum, et composé de pétence et celle des professeurs pour statuer sur cet cinq articles relatifs à la force armée, à l'officier qui objet». — LES DERNIERS JOURS DU JARDIN DU ROI. 161 28 CORRESPONDANCE AVEC LE COMITÉ D’INSTRUCTION PUBLIQUE. Paris, le 2 août 1793, l'an n de la République. Je vous adresse, citoyen directeur, l'arrêté du Comité d'instruction publique en date du 20 juillet dernier; je vous prie de le mettre sous les yeux des professeurs du Muséum d'histoire naturelle à votre plus prochaine séance. Le Président du Comité d'instruction publique, Signé : Lakanas. Extrait du repistre des délibérations du Comité d'instruction publique du 20 juillet 179%, Van 11 de la République. Sur la proposition d'un membre, le Comité arrête qu'il sera écrit aux professeurs du Muséum d'histoire naturelle pour les inviter à se conformer au décret qui leur enjoint de soumettre leur réglement au Comité d'instruction publique. Pour copie conforme à l'original, à Paris, le 1° août 1793, lan n de la Répu- blique. Extrait du repistre des délibérations du Comité d'instruction publique du 1 o septembre 1793, l'an 11 de la République francaise. Un membre propose qu'il soit nommé par le Comité un de ses membres pour assister, tous les quinze jours, à l'assemblée des professeurs, fraterniser avec eux, entretenir une union intime entre ces savans et le Comité d'instruction publique, et s’assurer que les réglemens ont l'effet heureux dont sa discussion a fait concevoir l'espérance. On s'occupe de la nomination d’un membre pour remplir cette mission. Le citoyen Lakanal est nommé. Pour copie, etc. Paris, le 21 septembre 1793, an 11 de la République. Le Comité, ayant examiné et discuté le réglement dont vous lui avez adressé le projet, y a fait quelques modifications consignées à la marge, et il a ajouté deux ar- ticles portés à la fin du réglement; je vous le renvoye de sa part, revêtu du procès- verbal et des signatures des membres composant le Comité. Le Président du Comité d'instruction publique, Sioné : GréGoire. 21 IMPRIMERIE NATIONALE, 162 M. E.-T. HAMY. Extrait du registre des délibérations du Comité d'instruction publique du 921 septembre 1799, l'an n de la République. Le Comité arrête que copie du présent réglement sera déposée au Comité d'instruc- tion publique. Signé : Marureu, Arpocasr, L. Bazcy, Perir, Grécorre. Vucarp, Prunezze, Fourcroy, secrétavre. Paris, le 21 septembre 1793 de la République française. Le Comité d'instruction publique, ayant appris que plusieurs d’entre vous projet- taient la confection d’un journal d'histoire naturelle, me charge de vous exprimer le désir de voir réaliser ce projet. Sans doute l'importance de ce journal et la célébrité des collaborateurs appelleront des souscriptions nombreuses et couvriront abonda- ment les frais. Le Comité, ayant examiné et discuté le réglement dont vous lui avez adressé le projet, y a fait quelques modifications consignées à la marge, et il a ajouté deux articles portés à la fin du réglement; je vous le renvoye de sa part, revêtu du procès verbal et des signatures des membres composant le Comité. Il à pensé devoir ajourner les articles relatifs à la durée des cours et à l'ouverture des galeries au public, jusqu’à ce qu'il ait recu de vous des éclaircissements ultérieurs. Sur le 1% article, il demande s'il ne serait pas possible que chaque cours fut de cinq mois, soit en le fixant d’une maniere continue, soit en répartissant les leçons sur toute l'étendue de lannée. Sur le 2° article, 11 demande sil ne serait pas possible d'ouvrir les galeries plus fréquemment et à des heures plus commodes pour le publie. Telles sont, citoyens, les observations que le Comité me charge de vous faire; veuillez bien lui transmettre les vôtres, ou de vive voix, ou par écrit. Le Comité, animé comme vous du bien public, désire concerter avec vous les moyens de lopérer. Vous trouverez toujours dans les membres qui le composent les sentimens de fraternité et les égards dont ils font profession envers des savans distingués. Le Président du Comité d'instruction publique, Siné : GRÉGoIRE. NOTICE SUR CHARLES-FRANCÇOIS DE CISTERNAI DU FAY, PHYSICIEN, . INTENDANT DU JARDIN ROYAL DES PLANTES (1698-1739), PAR M. HENRI BECQUEREL, MEMBRE DE L'ACADÉNIE DES SCIENCES, PROFESSEUR DE PHYSIQUE AU MUSÉUM. | Fe * . r | Li : D où NOTICE SUR CHARLES-FRANÇOIS DE CISTERNAI DU FAY', PHYSICIEN, INTENDANT DU JARDIN ROYAL DES PLANTES. (1698-1739.) Chacun des professeurs du Muséum apporte dans ce volume un témoi- gnage de la vitalité présente de notre établissement, ou un hommage à sa grandeur passée. Je viens à mon tour évoquer des souvenirs. Je n'ai pas cru devoir faire 11 Phistoire de la chaire de physique; fondée en 1838, elle a eu pour seuls titulaires mon grand-père et mon père, et J'ai fait trop récemment l'exposé de leurs travaux en prenant leur succession. Je remonterai done plus haut dans notre passé. Parmi les statues et les bustes qui ornent nos galeries, parmi les noms gravés sur nos monuments, Jai cherché en vain la figure où même le nom seulement d'un des hommes qui firent le plus de bien et le plus d'hon- neur au vieux Jardin des Plantes, le nom du prédécesseur de Buffon. Que dis-je, j'ai cherché jusqu'a son souvenir, et ni dans tout le Muséum, n1 dans Paris même, Je n'ai pu trouver un portrait de Charles-François de Cisternai du Fay, intendant du Jardin royal des Plantes. J'aurais voulu mettre sous vos yeux, en tête du livre de notre cente- naire, les traits de cet homme qui fut un savant illustre, un administra- teur habile et bienfaisant. L'hommage que nous devons à sa mémoire eut été plus complet s'il n'eût consisté en une simple notice sur sa vie et ses travaux. 0) Hsignait Dufay, mais l'orthographe adoptée par ses contemporains et par les Mémoires de l’Académie est du Fay. 166 M. H. BECQUEREL. Pour juger le savant, 1l convient de se reporter à deux siècles en arrière et de Jeter un coup d'œil rapide sur l'état des sciences à cette époque déjà lointaine. Le domaine de la physique, qui s'étend aujourd'hui sur toutes les sciences d'observation, était alors bien restreint, et les physiciens étaient rares. Lorsque, en 1666, Colbert fonda l'Académie des sciences, cette Gompa- ognie comprenait vingt et un membres, parmi lesquels trois physiciens et un chinuste. Huyghens y figurait comme géomètre et le dernier reçu, l’année de la fondation, fut Mariotte, prieur de Saint-Martin, dont le nom est resté inséparable de l'énoncé d'une loi fondamentale de la mécanique des gaz. L'abbé Rozier dit de lui + quil a porté dans la physique l'esprit d'observation et de doute si nécessaire à ceux qui veulent y faire des pro- grès». L'esprit de doute! quoi de plus nécessaire en effet pour se laisser guider sans s'égarer par les conceptions fantaisistes qui avaient cours alors parmi les savants? La physique, à cette époque, parut-elle former un corps de doctrine insuffisant pour constituer une science officielle, 1l semble que telle fut l'opinion des réorganisateurs de l'ancienne Académie, et lorsque, en 1699, un décret royal proclama le renouvellement de l’Académie des sciences, le nom de physique disparut tout à fait. L'Académie était alors divisée en six classes, sans compter les hono- raires et les associés étrangers : c'étaient la géométrie, l'astronomie, la mécanique, l'anatomie, la chimie et la botanique. Chaque classe compre- nait trois places de pensionnaires, trois places d'associés ordinaires et trois places d’adjoints ou d'élèves académiciens. Les physiciens cherchaïent des refuges dans les diverses classes de l'Académie. Leur admission sous des titres variés était facilitée, 1lest vrai, par le peu d'étendue de chaque science particulière. Les savants avaient le loisir de réfléchir aux questions. les plus diverses, et ils se souvenaient presque tous que l'ancienne philo- sophie comprenait l'histoire de la nature dans toutes ses manifestations. De là sans doute cette variété parfois étonnante dans les sujets traités par un même auteur. Réaumur, tour à tour naturaliste, physicien ou chi- miste, était à l'Académie un pensionnaire mécanicien, de même que l'abbé Nollet. dont le nom est resté célèbre par des expériences d'électricité. | | NOTICE SUR DE CISTERNAI DU FAY. 167 Du Fay, leur contemporain, avait été reçu comme chimiste; il n'était étranger à aucune des sciences; «il est jusqu'à présent, dit Fontenelle en 1739, le seul qui nous ait donné dans tous les six genres des mémoires dignes d'être présentés au public; peut-être s'était-1l proposé cette gloire sans trop oser sen déclarer». Chimiste à l'Académie, il restera un phy- sicien pour la postérité. Charles-François de Gisternai du Fay naquit à Paris le 14 septembre 1698. La famille de Gisternai était noble et avait fait profession des armes depuis le xv° siècle. L'aïeul paternel de du Fay mourut capitaine aux gardes du prince de Conti; quoique homme de guerre, 1l s'était pris d’une sorte de passion pour la chimie. Le père de du Fay, étant lieutenant aux gardes, eut une jambe emportée au siège de Bruxelles, en 1695. Il obtint une compagnie dans le régiment des gardes, mais fut bientôt obligé d'y renoncer par l'impossibilité de monter à cheval. «Il aimait les lettres, dit Fontenelle, et elles furent sa ressource. Il s’adonna à la curio- sité du livre et rechercha les livres rares en tous genres... Ainsi il se trouva dans Paris un capitaine aux gardes en commerce avec les plus fameux libraires de l'Europe, ann des plus illustres savants, mieux fourni que la plupart d'entre eux des instruments de leur profession, plus instruit d'une infinité de particularités qui la regardaient. « Lorsque M. du Fay vint au monde, son père était déjà dans ce nouveau genre de vie. Les enfants et surtout les enfants de condition n'entendent parler de science qu'à leur précepteur, qui, dans une espèce de réduit sé- paré, leur enseigne une langue dont le reste de la maison fait peu de cas. Dès que M. du Fay eut les yeux ouverts, 1l vit qu'on estimait les savants, qu'on s'occupait de recueillir leurs productions, qu'on se faisait un hon- neur de les connaître et de savoir ce qu'ils avaient pensé, et tout cela sans préjudice du ton et des discours militaires qui devaient toujours dominer chez un capitaine aux gardes. Cet enfant, sans qu'on en eût expressément le projet, fut également élevé pour les armes et pour les lettres, presque comme les anciens Romains. » Dés l’âge de quatorze ans, le jeune du Fay entre comme lieutenant 168 M. H. BECQUEREL. dans le régiment de Picardie; six ans après, 1l se trouve en Espagne aux sièges de Saint-Sébastien et de Fontarabie. Pour remplir ses deux voca- tons, 1l occupe ses loisirs à étudier la chimie. En 1723, 1l obtient une place d’adjoint chimiste à l'Académie des sciences, et quoique « capitaine dans Picardie» 11 l'emporte sur des concurrents qui, par leur état, de- vaient être plus chimistes que lui. Il avait alors vingt-cinq ans. L'année suivante 1l passe associé, et sept ans plus tard il est nommé pensionnaire chimiste. Dès quil fut académicien, 1l le devint tout entier et quitta le service. Outre la chimie qui était la science d'où il tirait son titre, il était versé dans toutes les autres sciences, mais la physique expérimentale l'attrait d'une facon toute particulière. En 1793, 1l débute par une étude sur le phosphore du baromètre, c'est-à-dire sur ces lueurs qui apparaissent dans le vide barométrique par le frottement du mercure contre le verre dépouillé d'humidité, puis 1l publie successivement des mémoires sur las- cension des liquides dans les tubes capillaires, sur le sel de chaux, sur la chaleur des eaux de Bourbonne. En passant à Strasbourg, 11 voit une pompe à Jet continu, formée d'un seul corps; 1l ne peut ni démonter l'appareil qui Pintrigue, ni en deviner la construction, mais, de retour à Paris, il essaye d'imaginer un instrument qui présentât les mêmes avantages, et, au dire d’un contemporain, 1l limite si parfaitement «quil n'eût pas mieux valu l'avoir découvert ». L'année suivante, en 172/, 1 eut l'occasion de faire des observations fort intéressantes. On lui avait indiqué en Allemagne une expérience eu- rieuse sur des miroirs brûlants : des charbons ardents sont placés au foyer d'un miroir parabolique ou sphérique; la chaleur réfléchie forme un fais- ceau parallèle qui, recueilli sur un muroir semblable au premier, se con- centre au foyer et peut enflammer des matières diverses. Du Fay s'empresse de répéter l'expérience; il construit lui-même des miroirs en plâtre, qu'il dore à l'intérieur, et auxquels il donne les courbures qu'il reconnait les meilleures. La chaleur produite est bien supérieure à celle que concentre une lentille de verre; ce fait conduit alors du Fay à étudier l'affaiblis- sement variable qu'éprouve la chaleur en traversant diverses substances NOTICE SUR DE CISTERNAI DU FAY. 169 transparentes; 1l dispose en face l'un de l’autre ses miroirs conjugués, al- lume le foyer, puis interpose la substance à étudier, et cherche chaque fois jusqu'à quelle distance on peut éloigner les deux miroirs sans cesser de provoquer l'inflammation au foyer de Fun d'eux. I observe ainsi qu'une mince lame de verre arrête presque toute la chaleur, et que l'agitation de l'air entre les nuroirs ne produit aucun effet. Une lentille de verre sub- stituée à l’un des miroirs diminue considérablement la chaleur au foyer; les rayons du soleil s'affaiblissant beaucoup moins par la substitution de la lentille au miroir, du Fay en conclut qu'il y a une grande différence entre les rayons du soleil et nos feux ordinaires, «dont les particules doivent être beaucoup plus massives et sujettes à s'embarrasser dans les passages étroits ». «Je n'ai pu, dit-1l ensuite, faire toutes ces expériences avec le feu commun sans en faire aussi quelques-unes avec le soleil. Tout le monde sait l’histoire ou la fable d'Archimède; plusieurs auteurs l'ont combattue vivement, quelques-uns ont entrepris de la défendre, entre autres le P. Ca- valieri, qui prétend qu'on peut parvenir à brûler à une très grande distance par le moyen du soleil en plaçant au foyer d'un miroir concave un petit miroir parabolique convexe. . . » Du Fay ne put réussir cette expérience et sy prit autrement: « Pour faire ces expériences avec plus de commodité, je recevais d'abord les rayons du soleil sur un miroir plan avec lequel je les renvoyais sur le miroir concave ou sur les autres dont j'avais besoin. Cela me fit souvenir que plusieurs auteurs et entre autres Porta disaient qu'on peut renvoyer assez loin l'image du soleil et qu'en la faisant tomber sur un miroir Concave on pourrait brûler à son foyer. J'avais toujours cru que cette distance pouvait être de Lo ou 50 pieds, mais voulant éprouver jusqu'où cela pourrait aller, je fus étonné de voir qu'a 200, 300 et jus- qu'à 60o pieds, l'image du soleil reçue sur un miroir plan d’un pied en quarré, et renvoyée sur un miroir concave de 17 pouces de diamètre, avait la force de brüler des matières combustibles au foyer de ce dernier... . . Quelques auteurs ont proposé de former un miroir d’un très long foyer par un grand nombre de petits miroirs plans que plusieurs personnes tien- draient à la main et dirigeraient tous, de façon que les images du soleil formées par chacun de ces miroirs concourraient en un même point; ce 22 IMPRIMERIE NATIONALE, 170 M. H. BECQUEREL. serait peut-être la façon de réussir la plus sûre et la moins difficile à exé- euter.» À propos de ces expériences, il est dit dans l'Histoire de l'Académie de 1726 qu'on «+ pourrait disposer des miroirs plans tous posés ou tournés de façon qu'ils portassent l’image du soleil au même point; il pourrait se faire une espèce de foyer arüficrel qui aurait de la force. Ce fut ainsi, au rapport de Tzetzés, poète grec, mais fort postérieur à Archimède, que ce orand mathématicien brüla les vaisseaux des Romains. » Ce travail de du Fay est curieux à un double titre; on y voit d'abord un précurseur de Melloni dans ses recherches sur la transmission de la chaleur rayonnante, puis on trouve entièrement décrits les miroirs ardents que Buffon réalisa plus tard au Jardin des Plantes. Je passerai rapidement sur divers travaux, en citant seulement des ob- servations sur les salamandres (1729), sur la sensitive, sur la rosée, qui ne tombe pas du ciel, mais + nage dans l'air» (1736), sur les liquides dont les courants se croisent sous divers angles, et je m'arréterai plus longtemps sur les travaux qui assignent à du Fay un rang élevé parmi les physiciens; ces travaux sont relatifs à la phosphorescence et à l'électricité. Fontenelle, dans l'éloge de du Fay, ne cite pas ses recherches sur les phosphores. Ces sortes d'observations n'étaient considérées alors que comme des curiosités scientifiques dont l'intérêt était éclipsé par celui que susei- taient les expériences d'électricité. Il serait cependant injuste de laisser ce travail dans l'oubli. Du Fay pressentit que la phosphorescence était une propriété générale des corps, mais sans soupçonner la véritable portée de cette assertion. S'il eût étendu ses recherches, il eût certainement reconnu que la plupart des corps étaient rebelles à ses procédés expérimentaux, et 11 en fût peut-être venu à douter de plus en plus de la généralité du phénomène; 1l dit lui- même que les causes se cachent à mesure qu'il en connait mieux les effets. I ne pouvait prévoir qu'il y eût des corps dont la phosphorescence ne dure parfois que quelques millionièmes de seconde et reste souvent au-dessous de cette limite. Ge fut seulement cent ans plus tard, dans ce même Jardin des Plantes devenu le Muséum, que mon père fit faire à cette question de la phosphorescence un pas décisif; 1l enseigna comment on peut préparer NOTICE SUR DE CISTERNAI DU FAY. 171 à coup sûr les divers phosphores; il imagina le phosphoroscope et, pour la première fois, montra la généralité du phénomène, mesura sa durée, analysa la lumière émise et fonda une branche nouvelle de l'optique qui nous promet les révélations les plus précieuses sur la constitution de la matière. Le hasard des travaux académiques avait conduit du Fay à s'occuper de phosphorescence. On avait envoyé à l'Académie des sciences en 1724 une pierre trouvée aux environs de Berne. «Elle est, dit l'Histoire de l'Aca- dénie, d’une dureté médiocre, transparente, quelquefois blanche, quel- quefois ürant sur le vert ou le Jaune, disposée en couches ou en lames comme le cristal d'Islande, et par conséquent talqueuse, polyèdre ou à plusieurs faces, et ayant comme ce cristal des angles d’une mesure à peu près déterminée, les aigus de 60 degrés, les obtus de 120. L'Académie n'en reçut qu'un morceau qui était blanc. . ... ; 1l était accompagné d'un mémoire de M. Bourguet sur ses propriétés, et M. du Fay fut chargé de les vérifier. La principale est d'être une espèce de phosphore. Cette pierre, chauffée simplement par un de ses angles à la flamme d’une bou- pie, se fêle..... ; un des morceaux porté dans un lieu obscur parait environné d'une lueur bleuâtre qui ne dure guère qu'une minute. . . .. La pierre de Berne mise dans un creuset entouré de charbons devient encore un phosphore plus beau. » La description qui précède porte à penser que la pierre était un mor- ceau de fluorine. Du Fay crut que la lueur émise par la pierre de Berne était due au dé- gagement d'un soufre particulier, et comme on attribuait alors à ces soufres ou substances volatiles la coloration des pierres précieuses, il eut l'idée de chauffer un très grand nombre de celles-c1; 1l reconnut que les unes devenaient lumineuses, les autres restaient obscures; les unes perdaient leur couleur en donnant de la lumière, les autres ne la perdaient pas, tout en émettant des lueurs; d’autres enfin se décoloraient sans devenir lumineuses; de toutes les pierres qu'il essaya, la fausse émeraude d’Au- vergne lui donna le plus bel effet. Quelques années après, en 1730, du Fay publia un mémoire étendu 22. 172 M. H. BECQUEREL. sur un grand nombre de phosphores nouveaux. Ce travail n'est plus con- sacré aux effets produits par la chaleur, mais à une autre manifestation de la phosphorescence, aux lueurs persistantes émises par certains corps qui restent lumineux après avoir été simplement exposés à la lumière du jour. L'auteur rappelle d'abord les préparations des phosphores connus jusque-là, la pierre de Boulogne ou de Bologne (sulfure de barium), le phosphore hermétique de Balduinus (sulfure de calcium), puis 1l cite les résultats obtenus par la caleination d'un grand nombre de pierres, la be- lemnite, les gypses, les pierres à chaux; il les transforme en nitrates par une dissolution dans l’eau forte, puis calcine: 1l obtient ainsi des ma- üeres phosphorescentes de diverses nuances, qui conservent leurs pro- priétés mêmes plongées dans divers liquides. Le passage le plus intéres- sant de ce mémoire contient une sorte de prophétie, dont toute la portée ne pouvait être comprise par l'auteur, comme je l'ai dit plus haut, mais qui n'en est pas moins fort intéressante à citer textuellement. «Il y a encore, dit-il, un grand nombre d'expériences à faire sur ce sujet, et elles peuvent être variées à l'infini, par le nombre prodigieux de ces sortes de phosphores; car le champ est encore infiniment plus vaste quil ne la paru par ce mémoire dans lequel nous avons parlé des seuls minéraux.....:/livoire, les os des animaux, les écailles d’huitres, les co- quilles d'œufs et les autres matières semblables étant brülées simplement dans le feu deviennent lumineuses. .... Enfin il est à croire qu'il ne se trouvera plus rien sur la terre qui ne mérite le nom de phosphore à aussi Juste titre que la pierre de Boulogne. Dans quel étonnement ne seraient point ceux qui ont fait des volumes pour faire l'éloge des pro- priétés merveilleuses de cette pierre, s'ils voyaient aujourd'hui quil est presque impossible de trouver quelque matière au monde qui nait pas les mêmes avantages! Et ce sera un phénomène très singulier qu'une matière qu'on ne pourra rendre lumineuse ni par calcination, ni par dis- solution. «Je ne crois pas cependant que les observations qu'il y ait à faire roulent sur les particularités de ces différentes matières; elles doivent avoir pour objet tous ces phosphores en général. Nous savons que ces NOTICE SUR DE CISTERNAI DU FAY. 173 chaux simprégnent avec beaucoup de facilité de la substance de la lu- mière, qu'elles la conservent quelque temps, et la perdent enfin, mais nous ne savons pas trop bien comment la plupart de ces matières ac- quierent cette propriété par la seule caleination, pourquoi d'autres ont besoin de l'addition des sels acides, ce qui fait perdre à quelques-unes celle propriété en peu de Jours si elles demeurent exposées à l'air; com- ment elles la recouvrent par une nouvelle caleination, en sorte que la lumière devient aussi belle que la première fois, comme je l'ai éprouvé. Il faudrait peut-être bien des calcinations et bien des années pour épui- ser cette propriété, et peut-être ny parviendrait-on pas. La lumiere qu'elles prennent n'est pas toujours la même; elle est souvent blanche, d'autre fois rouge, quelque fois bleue. La cause de ces différences n'est point connue. La couleur du feu pendant la calcination, celle des rayons quon fait tomber sur la pierre par le moyen du prisme, en l’exposant au Jour, les milieux par lesquels passent ces rayons, les corps qui les réfléchissent, la quantité ou la vivacité de la lumière, la durée du temps qu'elle y demeure exposée, toutes ces circonstances causent des variétés considérables et méritent d'être observées avec grand soin; peut-être une connaissance beaucoup plus exacte de la nature de la lumière sera-t-elle le fruit de cet examen. Jusqu'à présent, la rareté de la pierre de Bou- logne a rendu ces recherches très difficiles; présentement, tout en peut tenir lieu, et plus 1l y a de différentes matières qui produisent les mêmes effets, plus on a de facilité; nous trouverons dans l'une très aisément ce qui nous aura échappé dans l'autre. Enfin 1l est à croire que cela ménera à de nouvelles connaissances qui pourront avoir leur utilité. Jai déjà fait plusieurs expériences dans les vues que je viens d'indiquer, mais outre quil en reste un bien plus grand nombre à essayer, Je ne les ai point faites avec assez de précision pour pouvoir y compter. Je pourrai cependant les donner dans une autre occasion, mais je souhaiterais que d'autres personnes voulussent prendre la peine d'y travailler aussi de leur côté, et Jose assurer que le champ est assez vaste pour occuper plusieurs physiciens et pour fournir un grand nombre de nouvelles découvertes et d'observations des plus curieuses et des plus singulières. » 174 M. H. BECQUEREL. Que ces pages sont intéressantes pour quiconque connait les progrès laits depuis; on dirait que l'auteur pressent l'avemir; il devine presque la vérité; il en est parfois si près qu'il la découvrirait si les moyens matériels ne lui faisaient défaut; dans bien des passages, et en particulier dans la description des crrconstances à étudier, il se révèle observateur de premier ordre. Cinq ans plus tard, 1l publie des recherches sur la lumière des diamants et de plusieurs autres matières. « S'il est vrai de dire que la manière exacte et scrupuleuse dont on étudie présentement la physique a fait disparaitre la plupart des expériences fabuleuses qui se trouvent dans les écrits des anciens, 1} faut avouer néanmoins que nous avons souvent pris pour des fables des faits singuliers qui n'étaient pas assez détaillés pour que nous puissions aisément les vérifier, ou qui nous paraissaient si peu vraisem- blables qu'il semblait y avoir trop de crédulité à en faire l'épreuve. » Après cet exorde, du Fay cite un grand nombre d'observations éparses dans les auteurs anciens, et qui peuvent être rapportées à la phosphorescence; 1l arrive à parler des expériences faites par Boyle sur un diamant, puis 1l développe ses propres expériencessur les diamants. Les corps peuvent de- venir lumineux par trois moyens : 1° en les frottant à l'obscurité (il y a dans ce cas un phénomène électrique qui vient se compliquer d'un effet calorifique ); 2° en les exposant à la lumière; 3° en les échauffant. Du Fay avait trouvé que la plupart des pierres précieuses jouissent de la premuère propriété, et qu'un grand nombre de diamants jouissent des trois pro- priétés réunies. Les uns deviennent lumineux par l'exposition à la lu- miére et par la chaleur, mais une fois chauffés ils perdent la propriété de devenir lumineux par une nouvelle calcination, tout en conservant la propriété de devenir phosphorescents à la lumière. D'autres ne sont pas lumineux par l'exposition à la lumière, et le sont au contraire quand on les chauffe. + On voit, dit du Fay, combien de différents effets dans des matières qu'on croirait semblables, et combien de différentes circonstances dans celles qui paraissent produire les mêmes effets. Contentons-nous done, quant à présent, de faire des expériences, de rassembler des faits, d'en NOTICE SUR DE CISTERNAI DU FAY. 175 bien examiner tous les détails, tous les rapports, et attendons que le temps et un travail assidu nous aient fait découvrir la liaison de ces faits entre eux et les principes d'où 1ls dérivent, si ces principes ne sont pas de ceux dont 1l ne nous est pas possible de connaitre la nature, ni de nous former une idée exacte, » Du Fay ne poussa pas plus loin ses recherches sur la phosphorescence. Dans l'intervalle des travaux que nous venons d'analyser, 1l avait publié sur l'électricité des mémoires qui resteront son principal titre de gloire scientifique. L'électricité était alors une science tout à fait à ses premiers débuts. « Un petit phénomène de physique, estAl dit dans PHistorre de l'Académie, qui se présente rarement, et qu'on ne daigne presque pas observer parce quil ne parait conduire à rien, a commencé depuis un temps à devenir considérable, grâce aux yeux savants qui l'ont regardé de plus près, et aujourd'hui il est si étendu et si important qu'on ne sait plus où cela s'ar- rêtera. » Ces lignes étaient écrites en 1733: depuis lors l'électricité a dépassé toutes les espérances que l'imagination humaine pouvait concevoir; la pile et l'électro-chimie, l'électro-magnétisme et l'induction, le télégraphe et le téléphone nous ont entrainés bien loin des petits mouvements qu'un bâton de verre ou de résine imprimait à des corps légers. Il convient cependant de ne pas oublier ces humbles débuts, et cela d'autant moins que, malgré toutes les merveilles modernes, nous ne sommes guère plus avancés que ne l’étaient du Fay et ses contempo- rains sur la connaissance précise de la nature des phénomènes d'électri- cité statique. De 1733 à 1737, du Fay consacra huit mémoires à l'étude de l'élec- tricité. Dans le premier, il analyse l’état des connaissances d'alors sur les effets de l'électricité, depuis les faits rapportés par Gilbert en 1600 jusqu'aux expériences d'Hauksbée en 1709 et de l'Anglais Étienne Gray en 1720. Ce dernier avait découvert que l'électricité peut se transmettre d'un corps a un autre par conductibilité. 176 M. H BECQUEREL. Dans un second mémoire, publié la même année, du Fay se trace lui- même le programme suivant : +[l s'agit, dit-1l, de savoir : +1° Si tous les corps peuvent devenir électriques par eux-mêmes; si ceux dans lesquels on ne saurait exciter cette vertu ne sont tels que parce qu'ils ne sont pas susceptibles d'un frottement convenable; enfin si l'élec- ticité est une qualité commune applicable à toute la matière; 2° Si toute matière est susceptible de contracter cette vertu, soit par l'attouchement immédiat d’une corde ou de tout autre corps qui est atta- ché au corps électrique, soit par la simple approche du corps électrique; 3° Quels sont les corps qui peuvent arrêter ou faciliter la transmission de cette vertu, soit qu'elle se fasse par le moyen d'une corde, d’une ba- ouelte ou de la seule approche du tuyau, et quels sont ceux qui sont le plus vivement attirés par les corps électriques ; +/° Ce qu'a de commun la vertu qu'ont les corps électriques de re- pousser avec celle d'attirer, et si ces deux propriétés sont liées l’une à l'autre ou indépendantes lune de l'autre; 9° Quelles sont les circonstances qui peuvent apporter quelque chan- sement à l'électricité pour l'augmentation ou la diminution de sa force, comme le vide, l'air comprimé, la température de l'air, ete. ; «6° Quel rapport 1l y a entre l'électricité et la faculté de rendre la lu- miére, qui est commune à la plupart des corps électriques, et ce que l’on peut inférer de ce rapport. » Du Fay a développé successivement les six questions posées dans ce programme. Tous les corps peuvent-ils devenir électriques par eux-mêmes ? + Une proposition aussi générale, dit1l, aurait paru bien étrange lorsqu'on ne connaissait celle propriété que dans Fambre et dans un petit nombre de corps dont on s'était avisé de faire l'épreuve; mais après ce que nous ve- nons de voir des découvertes qui ont été faites sur ce sujet, on est disposé à croire que tous les corps peuvent devenir électriques par eux-mêmes, et que cette vertu est une propriété commune à tous les corps, quoiqu'elle ait été Jusqu'à présent inconnue et regardée seulement comme particulière à quelques-uns. C’est ainsi que nous avons vu tous les COrps devenir des NOTICE SUR DE CISTERNAI DU FAY. 177 éponges de lumière, tandis que la pierre de Boulogne avait été pendant plus d’un siècle en possession de cette propriété que l’on trouvait alors si singulière, » Dans le mémoire dont il est ici question, du Fay rassemble un grand nombre d'expériences pour montrer comment tous les corps peuvent s’élec- triser par frottement. Îl reconnait l'influence perturbatrice de l'air humide et trouve que tous les corps bons conducteurs, tels que les métaux, ne s'électrisent pas. Répondant à sa deuxième question, il cherche à électriser tous les corps par conductibilité ou par influence; il observe alors qu'en les plaçant sur un guéridon de bois ou de métal, on n'obtient d'effets qu'avec les corps qui deviennent électriques par frottement, mais que si l'on fait usage d’un guéridon soutenu par un pied en verre ou en résine, tous les corps, même les métaux, deviennent électriques. Dans un troisième mémoire, 1l commence par réfuter, au moyen d'ex- périences habilement conduites, une assertion émise par Gray, concernant l'influence de la couleur des corps sur leur électrisation; 1l répète des ex- périences d'Hauksbée et montre que l'influence électrique se transmet au travers du verre, mais non pas au travers d'un écran conducteur, puis 1l décrit les expériences qu'il fit pour transporter l'électricité à une grande distance, au moyen d'une corde mouillée et convenablement soutenue par des supports en verre enduits de cire d'Espagne. + Avant ainsi examiné en petit quelles étaient les expériences les plus favorables à la transmission de l'électricité, je tâchais d'en réunir le plus qu'il me fut possible, et m'étant muni de tout ce que je crus m'être nécessaire, je fus au Tremblay, qui est à quatre lieues de Paris, avec M. l'abbé Nollet, qui m'a infiniment aidé dans toutes ces expériences, et qui même en a imaginé plusieurs de celles qui se trouvent dans ce mémoire. J'avais dans mon jardin la commodité d’une allée de 50 toises de long, qui est accompagnée de deux contre- allées, et qui est en face de la porte d’une grande salle où je pouvais pré- senter mes feuilles à la boule sans être exposé au vent. C'est là que Je me préparais pour faire les expériences suivantes. . . », et il montre comment l'électricité peut être transmise d’une extrémité à l’autre d’une corde ayant 1,296 pieds de long. Enfin, dans le même mémoire, du Fay répète une 23 INMPRIMERIE NATIONALE, 178 M. H. BECQUEREL. expérience de Gray qui consiste à électriser un enfant suspendu par des cordons de soie. Il se plaça d'abord lui-même sur les cordons, puis dis- posa une planche soutenue horizontalement par des cordons de soie, une sorte de balançoire sur laquelle 1l pouvait prendre place sans que ses pieds touchassent le sol. Comme il venait de se faire électriser. une feuille d’or s'attacha à sa jambe et une personne approcha la main pour ramasser la feuille; une étincelle éclata; c'était la première qui eût jailli d’un corps humain, et cette expérience excita alors la surprise universelle. Du Fay ne se bornait pas à rassembler des observations curieuses, il réfléchissait sur leur signification et s’efforçait de les coordonner. Le qua- trième mémoire sur l'électricité, qu'il publia dans cette même année 1733, contient l'exposé de la découverte à laquelle le nom de du Fay restera attaché. Des extraits de ce mémoire montreront par quelles expériences et par quels raisonnements 1l fut conduit à la découverte mémorable des deux électricités. + Enfin, ayant réfléchi sur ce que les corps les moins électriques par eux- mêmes étaient plus vivement attirés que les autres, J'ai imaginé que le corps électrique attirait peut-être tous ceux qui ne le sont point, et repous- sait tous ceux qui le sont devenus par son approche et par la communi- cation de sa vertu. Otto de Guerike rapporte une expérience que J'ai citée dans mon premier mémoire, mais à laquelle je n'avais Jamais pu réussir; elle consiste à promener dans une chambre une plume par le moyen d'une boule de soufre rendue électrique, sans que la plume approche de la boule: le peu de succès que j'avais eu venait de ce que l'expérience n'était pas assez détaillée, ou que je ne l'avais pas bien comprise. Hauksbée parle aussi de cette expérience qu'il a faite avec un tube de verre; cest de cette manière que J'ai réussi, et on va voir qu'elle est assez singulière pour mé- riter l'attention. + On frotte bien le tube pour le rendre électrique, et le tenant dans une situation horizontale on laisse tomber dessus une parcelle de feuille d'or; cette feuille présente ordinairement la tranche, si le tube est bien élec- trique, parce que de cette manière elle fend l'air avec plus de facilité, et sitôt qu'elle a touché le tube, elle est repoussée en haut, perpendieulaire- NOTICE SUR DE CISTERNAI DU FAY. 179 ment, à la distance de 8 ou 10 pouces, et elle demeure presque immobile en cet endroit, et si on approche le tube en l’élevant, elle s'élève aussi, en sorte qu'elle s'en tient toujours dans le même éloignement et quil est im- possible de l'y faire toucher; on peut la conduire où l’on veut, de la sorte, parce qu'elle évitera toujours le tube. . . Il demeure donc pour constant que les corps devenus électriques par communication sont chassés par ceux qui les ont rendus électriques; mais le sont-ils de même pour tous les autres corps électriques de tous les genres, et les corps électriques ne dil- fèrent-ils entre eux que par les divers degrés d'électricité? Cet examen n'a conduit à une autre vérité que Je n'aurais jamais soupçonnée, et dont je crois personne n'a encore eu la moindre idée. «J'ai commencé par soutenir en l'air avec le tube deux feuilles d'or, et elles se sont toujours éloignées l'une de l’autre, quelques efforts que j'aie fait pour les rapprocher, et cela devait arriver de la sorte, puisqu'elles étaient toutes deux électriques; mais sitôt que l’une des deux avait touché la main, ou quelque autre corps, elles se joignaient sur le champ lune à l'autre, parce que celle-ci ayant perdu son électricité, l'autre l'attrait et tendait vers elle : tout cela s'accordait parfaitement avec mon hypothèse, mais ce qui me déconcerta prodigieusement fut l'expérience suivante : Ayant élevé en l'air une feuille d'or par le moyen du tube, j'en appro- chai un morceau de gomme copal frottée et rendue électrique; la feuille fut s'y attacher sur le champ et y demeura; j'avoue que je m'attendais à un effet tout contraire, parce que, selon mon raisonnement, la copal qui était électrique devait repousser la feuille qui l'était aussi; Je répétai l’ex- périence un grand nombre de fois, croyant que je ne présentais pas à la feuille l'endroit qui avait été frotté et qu'ainsi elle ne s'y portait que comme elle aurait fait à mon doigt ou à tout autre corps, mais ayant pris sur cela mes mesures de façon à ne me laisser aucun doute, je fus bien convaincu que la copal attirait la feuille d'or, quoiqu'elle fût repoussée par le tube; la même chose arriva en approchant de la feuille un morceau d'ambre ou de cire d'Espagne frotté. «Après plusieurs tentatives qui ne me satisfaisaient aucunement J'appro- chaï de la feuille chassée par le tube une boule de cristal de roche frottée 23. [80 M. H. BECQUEREL. et rendue électrique; elle repoussa cette feuille de même que le tube. Un autre tube que je fis présenter à la même feuille la chassa de même, enfin Je ne puis pas douter que le verre et le cristal de roche ne fissent préci- sément le contraire de la gomme copal, de ambre et de la cire d'Espagne, en sorte que la feuille, repoussée par les uns à cause de l'électricité qu'elle avait, était attirée par les autres; cela me fit penser qu'il y avait peut-être deux genres d'électricité différents, et je fus confirmé dans cette idée par les expériences suivantes. . . + Voila donc deux électricités bien démontrées et je ne puis me dispenser de leur donner des noms différents pour éviter la confusion des termes ou l'embarras de définir à chaque instant celle dont je voudrai parler; Jappellerai done l'une l'électricité vitrée et l'autre l'électricité résineuse, non que je pense qu'il ny a que les corps de la nature du verre qui soient doués de l'une et les matières résineuses de l’autre, car J'ai déjà de fortes preuves du contraire, mais c'est parce que le verre et la copal sont les deux matières qui m'ont donné lieu de découvrir ces deux différentes élec- tricités. S'il n'y a dans la nature que ces deux espèces d'électricité, ce qui me parait assez vraisemblable, car l’une attirant ce que l’autre repousse, Je n'imagine pas trop quel effet pourrait faire une troisième, si, dis-je, il nya que ces deux-là, il doit résulter que tous les corps qui sont dans la nature, à l'exception des métaux, seront dans l'une ou l'autre de ces deux classes. . . Il résulte done de ce mémoire deux vérités nouvelles sur cette matière, et deux principes dont on n'avait pas eu jusqu'à présent le moindre soupçon; le premier que les corps électriques commencent par attirer tous les corps et qu'ils ne les repoussent que lorsqu'ils les ont ren- dus électriques par la communication d'une partie de leur tourbillon ; et le second, qu'il y a deux électricités réellement distinctes et très diffé- rentes l'une de l'autre. Que ne devons-nous point attendre d'un champ aussi vaste qui s'ouvre dans Ja physique! » Les quatre derniers mémoires, publiés, le cinquième et le sixième en 179/, le septième et le huitième en 1737, sont consacrés à compléter les découvertes de l'auteur par des expériences nouvelles, et à exposer les travaux de ses devanciers ou de ses contemporains. Les extraits qu'on a NOTICE SUR DE CISTERNAI DU FAY. 181 pu lire plus haut montrent la netteté d'esprit, la sagacité et même l'enthou- siasme du savant, voyant apparaitre l'aurore de sciences nouvelles, mais le portrait de l'homme serait incomplet si lon ne parlait pas de l'éléva- tion d'idées et de l'esprit de probité qui remplissent ses écrits. Il s'était lié d'amitié avec Gray : chacun poursuivait de son côté des expériences presque semblables, vérifiant mutuellement des résultats qu'ils s'annoncçaient l'un à l'autre, et «cette espèce de concurrence dont en mon particulier je suis extrêmement flatté, dit du Fay, ne peut que tourner au profit des sciences et nous faire avancer plus promptement dans la connaissance des phéno- mènes de l'électricité ». «J'ai eu tant d'attention, dit-1l encore dans un autre mémoire, à citer dans mes mémoires sur l'électricité, et principalement dans le premier de tous, les auteurs desquels J'ai tiré quelques expériences, que je croyais être à l'abri de tout reproche à cet égard; cependant j'ai appris que quelques personnes, sur les lectures que J'ai faites dans les assemblées publiques, ont jugé que J'avais eu dessein de m'attribuer les découvertes de plusieurs auteurs; Je réitère done aujourd'hui les protestations que J'ai déjà faites à ce sujet dans mon troisième mémoire. Comme J'ai entrepris de traiter avec quelque détail une matière qui jusqu'a présent ne l'avait été qu'imparfai- tement, et pour ainsi dire en passant, par divers auteurs, J'ai été forcé d'employer les expériences de ceux qui m'ont précédé; mais ce n'a jamais été dans la vue de me parer de ce qu'elles ont de neuf et de singulier, puisque J'ai toujours cité les auteurs d'où je les ai tirées; s'il y en a d’autres que j'aie cru m'être propres, et qui se trouvent dans quelques auteurs dont je n'aie pas eu connaissance, on me ferait injustice de croire que J'ai voulu cacher la source d'où Je les ai ürées, et Je puis assurer que mon silence ne viendra que de ce que Je les aurais 1gnorées; car je n'ai pas même négligé de rendre la justice qui était due aux personnes qui m'ont donné verbale- ment quelque avis dont j'ai profité, et je suis persuadé que cette justice que l’on rend fait infiniment plus d'honneur que n’en pourrait faire la dé- couverte même. » Après avoir montré le savant, J'ai à parler maintenant de lintendant du Jardin royal des Plantes, et je ne saurais mieux faire que de citer la fin de 182 M. H. BECQUEREL. l'éloge académique que Fontenelle prononça l'année même de la mort de du Fay: + Nous avons fait dans l'éloge de feu M. Fagon, en 1718 , une petite his- toire du Jardin royal des Plantes. Gomme la surintendance était attachée à la place de premier médecin, avons-nous dit en ce temps-là, et que ce qui dépend d’un seul homme dépend aussi de ses goûts, et a une destinée fort changeante, un premier médecin, peu touché de la botanique, avait néoligé ce Jardin, et heureusement lavait assez négligé pour le laisser tomber en un état où on ne pouvait plus le souffrir. Il était arrivé précisé- ment la même chose une seconde fois, et par la même raison, en 173», à la mort d'un autre premier médecin. Ce n'est pas que d'excellents pro- fesseurs en botanique, que MM. de Jussieu, n'eussent toujours fait leurs leçons avec la même assiduité, et d'autant plus de zèle que leur science, qui n'était plus soutenue que par eux, en avait plus besoin, mais enfin toutes les influences favorables, qui ne pouvaient venir que d'en haut, manquaient absolument, et tout s'en ressentait, les plantes étrangères s'amaigrissaient dans des serres mal entretenues, et qu'on laissait tomber; quand ces plantes avaient péri, c'était pour toujours, on ne les renouve- lait point, on ne réparait pas même les brèches des murs de clôture, de orands terrains demeuraient en friche. + Tel était l'état du Jardin en 1732. La surintendance, alors vacante par la mort du premier médecin, fut supprimée, et le premier médecin dé- chargé d’une fonction qu'efflectivement 1l ne pouvait guère exercer comme il l'eût fallu, à moins que d'avoir pour les plantes une passion aussi vive que M. Fagon. La direction du Jardin fut jugée digne d'une attention par- üculière et continue, et le Roy la donna sous le nom d'ntendance à M. du Fay. Elle se trouva, aussi bien que l'Académie des sciences, dans le dépar- tement de la Cour et de Paris, qui est à M. le comte de Maurepas; et comme le nouvel intendant était de cette Académie, le Jardin royal com- mença à s'incorporer en quelque sorte avec elle. «M. du Fay n'était pas botaniste, comme MM. de Jussieu, mais il le devint bientôt avec eux autant qu'il était nécessaire. Ils gémissaient sur les ruines de ce jardin qu'ils habitaient et ne désiraient pas moins ardem- NOTICE SUR DE CISTERNAI DU FAY. 183 ment que lui de les voir relevées. Ils le mirent au fait de tout, ne se réser- vérent rien de leurs connaissances les plus particulières, lui donnèrent les conseils qu'ils auraient pris pour eux-mêmes, et cette bonne intelligence, qui subsista entre eux, ne leur fut pas moins glorieuse qu'utile au succès. L'Angleterre et la Hollande ont chacune un Jardin des Plantes, M. du Fay fit ces deux voyages, et celui d'Angleterre avec M. de Jussieu le cadet, pour voir des exemples, et prendre des idées dont il profiterait, et surtout pour lier avec les étrangers un commerce de plantes. D'abord ce commerce était à notre désavantage, nous étions dans la nécessité humiliante ou d’a- cheter, ou de recevoir des présents, mais on en vint dans la suite à faire des échanges avec égalité, et même enfin avec supériorité. Une chose qui y contribua beaucoup, ce fut une autre correspondance établie avec des médecins ou des chirurgiens, qui ayant été instruits dans le Jardin par MM. de Jussieu, allaient de là se répandre dans nos colonies. «À mesure que le nombre des plantes augmentait, par la bonne admi- mistration, on construisait de nouvelles serres pour les loger, et à la fin ce nombre étant augmenté de six ou sept mille espèces, 1l fallut jusqu'à une cinquième serre. Elles sont construites de façon à pouvoir représenter différents climats, puisqu'on veut y faire oublier aux différentes plantes leurs climats naturels, les degrés de chaleur y sont conduits par nuances, depuis le plus fort jusqu'au tempéré, et tous les raffinements que la phy- sique moderne a pu enseigner à cet égard, ont été mis en pratique. De plus M. du Fay avait beaucoup de goût pour les choses de pur agrément, et 1l a donné à ces petits édifices toute l'élégance que le sérieux de leur destination pouvait permettre. « À la fin il était parvenu à faire avouer unanimement aux étrangers, que le Jardin royal était le plus beau de l'Europe, et si l'on fait réflexion que le prodigieux changement qui y est arrivé, s'est fait en sept ans, on con- viendra que l'exécution de toute l’entreprise doit avoir été menée avec une extrême vivacité. Aussi était-ce là un des grands talents de M. du Fay. L'ac- tivité, tout opposée qu'elle est au génie qui fait aimer les sciences et le cabinet, 1l l'avait transportée de la guerre à l'Académie. « Mais toute l'activité possible ne lui aurait pas suffi pour exécuter en sl 181 M. H. BECQUEREL. peu de temps tous ses desseins sur le Jardin, en n'y employant que les fonds destinés naturellement à cet établissement, 1l fallait obtemir, et ob- tenir souvent des grâces extraordinaires de la Cour. Heureusement il était fort connu des Ministres, 11 avait beaucoup d'acces chez eux, et une espèce de liberté et de familiarité, à laquelle un homme de guerre, ou un homme du monde parviendra plus aisément qu'un simple académicien. De plus 1l savait se conduire avec les Ministres, préparer de loin ses demandes, ne les faire qu'à propos, et lorsqu'elles étaient presque déjà faites, essuyer de bonne grâce les premiers refus, toujours à peu près infaillibles, ne re- venir à la charge que dans les moments bien sereins, bien exempts de nuages; enfin 1l avait le don de leur plaire, et c’est déjà une grande avance pour persuader, mais ils savaient aussi qu'ils n'avaient rien à craindre de tout son art, qui ne tendait qu'à des fins utiles au publie, et glorieuses pour eux-mêmes. + IL était quelquefois obligé d'aller au dela des sommes qu'on lui avait accordées, et 1l n'hésitait pas à s'engager dans des avances assez considé- rables. Sa confiance n'a pas été trompée par ceux qu'elle regardait, mais elle pouvait l'être par des événements imprévus. Il risquait, mais pour ce Jardin qui lui était si cher. . ... «Il tomba malade au mois de juillet dernier (1739), et dès qu'on s’aper- cut que c'était la petite vérole, 1l ne voulut point attendre qu'on vint avec des tours préparés lui parler de la mort sans en prononcer le nom, il sy condamna lui-même pour plus de sûreté, et demanda courageusement les sacrements, qu'il reçut avec une entière connaissance. «Il fit son testament, dont c'était presque une partie qu'une lettre qu'il écrivit à M. de Maurepas pour lui indiquer celui qu'il croyait le plus propre à lui succéder dans lintendance du Jardin royal. Il le prenait dans l'Académie des sciences, à laquelle 1l souhaitait que cette place fût toujours unie, et le choix de M. de Buffon quil proposait était si bon, que le Roy n'en à pas voulu faire d'autre. +] mourut le 16 juillet après six ou sept Jours de maladie, + Par son testament il donne au Jardin une collection de pierres pré- cieuses, qui fera partie d’un grand cabinet d'histoire naturelle, dont il était NOTICE SUR DE CISTERNAI DU FAY. 185 presque le premier auteur, tant 1l lui avait procuré par ses soins d'aup- mentation et d'embellissement. Il obtint même que le Roy y fit trans- porter ses coquilles. Charles-François de Gisternai du Fay n'avait pas encore accompli sa quarante et unième année. Homme de guerre jusquà vingt-cinq ans, homme de science pendant quinze années, adjoint à l'Académie quand il était encore capitaine, pen- sionnaire académicien à trente-trois ans, intendant du Jardin des Plantes l'année suivante, appelé deux fois à l'honneur de diriger les travaux de l’Académie, 1l avait parcouru déjà une brillante carrière à l'âge où d’autres commencent à se faire un nom. Peut-être eût-1il fait encore de grandes choses si la mort n'eût arrêté prématurément le cours d'une vie dont les débuts avaient été si heureux. La découverte des deux électricités a illustré le nom de du Fay, et ce nom, le Muséum est fier de pouvoir l'inscrire dans ses annales. >! LMPRIMERIE NATIONALE. NOTICE SUR QUELQUES ESPÈCES D’OISEAUX ACTUELLEMENT ÉTEINTES QUI SE TROUVENT REPRÉSENTÉES DANS LES COLLECTIONS DU MUSÉUM D'HISTOIRE NATURELLE, PAR M. A. MILNE-EDWARDS, DIRECTEUR DU MUSÉUM , ET M. E. OUSTALET, ASSISTANT DE ZOOLOGIE (MAMMIFÈRES ET OISEAUX). NOTICE SUR QUELQUES ESPÈCES D’OISEAUX ACTUELLEMENT ÉTEINTES QUI SE TROUVENT REPRÉSENTÉES DANS LES COLLECTIONS DU MUSÉUM D'HISTOIRE NATURELLE. Les collections si riches du Muséum d'histoire naturelle renferment quelques spécimens d'oiseaux d’une grande valeur et sur lesquels 1l nous à paru bon d'attirer l'attention. Ces spécimens, en ellet, appar- tiennent à des espèces qui ont disparu depuis les temps historiques (quelques-unes même à une date récente) et dont plusieurs grands musées ne possèdent pas même de représentants. Les établissements scientifiques qui ont le bonheur d'avoir dans leurs collections des objets d’une telle rareté ont le devoir non seulement de chercher à les garantir contre toute cause de destruction, mais encore de les faire connaitre, aussi complètement que possible, par des descrip- tons et des figures, afin que si, par suite de quelque accident, ces exemplaires venaient à être anéants, leurs caractères et leurs aflinités zoologiques puissent être encore appréciés par les naturalistes de l'avenir. Cest ce qui nous à engagés à publier ce travail, dans lequel on trouvera des descriptions plus détaillées, des figures plus exactes que celles qui ont élé publiées jusqu'à ce jour, et, en outre, un cer- lin nombre de renseignements inédits que nous avons pu réunir el qui permettent de préciser le lieu d’origine ou d'éclairer quelques soints obscurs de l’histoire de cinq espèces éteintes, savoir : le Per- NSP 190 MM. A. MILNE-ED WARDS ET E. OUSTALET. roquet mascarin (Wascarinus Duborsi), la Huppe du Cap (Fregilupus varius), la Colombe hérissée (Alectrænas nihdissima), le Canard de Labrador (Camptolæmus labradorrius) et l'Émeu noir (Dromarus ater). Nous donnons aussi quelques détails sur le Grand Pingouin du Nord (Alca impennis), dont le Muséum possède un exemplaire empaillé, un squelette complet et des œufs. Après avoir discuté assez longuement la place qu'il convient d’as- sioner à ces différentes espèces dans les classifications, après avoir donné une idée de leurs mœurs et de leur régime, nous cherchons à indiquer les principales causes de leur extinction. Au premier abord, en effet, il peut sembler extraordinaire que ces formes aient disparu de la surface du globe, alors que sur des terres, parfois très voisines de celles qu'elles occupaient, subsistent des formes plus ou moins voisines et appartenant comme elles à des groupes ornitho- logiques laroement distribués dans la nature actuelle. NOTICE SUR QUELQUES ESPÈCES D'OISEAUX. 191 LE PERROQUET MASCARIN. (Mascarnus Duporsr.) Planche I. La première mention qui ait été faite du Perroquet mascarin dans un ouvrage scientifique se trouve dans l'Ornitholovie de Brisson . Ce natu- raliste a donné une description très complète et trés exacte de l'espèce d'après un individu vivant quil avait eu l'occasion de voir à Paris, mais dont il isnorait la provenance, et il l'a désigné sous le nom de Psitacus mascarinus qui fut adopté par Gmelin ?, par Latham %, par Shaw‘, par Vieillot 5), par Kuhl®, par Hahn, par Brehm Ÿ, par Schlesel et Pollen © et par une foule d'auteurs modernes. Linné cependant, dans l’Appendiee de sa Mantissa Plantarum°%. considéra ce nom de Psittacus mascarinus comme équivalent à celui de Psittacus obscurus qu'il avait employé antérieu- rement, dans l'édition suédoise du Voyage d'Hasselquist 9, pour désipner un oiseau obtenu peut-être par ce naturaliste dans une des localités du Le- vant quil avait visitées. C'est à dessein que nous employons des expres- SIONS aussi vagues; car, Comme nous allons essayer de le démontrer, rien ne prouve que l'oiseau en question ait été réellement un Perroquet ou que, du moins, ce soit exclusivement d'après un Perroquet d'Égypte ou de Palestine que Linné ait rédigé sa description. [2 Contrairement à une double assertion de M. Forbes, qui, dans son We- D Ornithologie , 1760, t. IV, p. 315, ® Systema Nature, 1788, t. 1, p. 333, n° A9. 6) Index ornithologicus, 1790, t.1, p.111, 0 (7e %) Gener. Zool., 1811, t. VIII, 2, p. 528. 6) Nouveau Dictionnaire d'histoire natu- relle, 1817, t. XXV, p. 313, et Encyclope- die méthodique, 1823, Ornithologie, t. HT, p. 1367. (6) Conspectus Psittacorum, 1820, p. 29. OM Ornith. Atlas, Papageien, 1835, p.51 et pl. 39. 5 Monogr. der Papageien, 1854, pl. 6o. (9) Recherches sur la Faune de Madagascar, 1868, p. 157. (0) Mantissa, 1771, p. 524. O1 Jter Palestinum, eller resa til heliga landet, ete... utgifsen of C. Linnaeus, Hol- miæ, 1797, p.236, n° 18, et édit. franc., 1768, p. 20, n° 18. 192 MM. A. MILNE-ED WARDS ET E. OUSTALET. motre sur le Perroquet mascarin®, à prétendu d'abord que le type du Psit- lacus obscurus était un Perroquet vivant en captivité, qui avait été observé dans le Levant par Hasselquist, et ensuite que la description détaillée de l'oiseau avait été rédigée par Hasselquist lui-même, nous ferons remarquer que nous n'avons pu trouver dans la Relation du voyage aucune men- tion de cette prétendue observation faite, sur le vivant, en Égypte ou en Palestine, et que, d'autre part, la description du Psittacus obscurus doit cer- tainement être attribuée non pas à Hasselquist, mais à Linné, puisqu'elle se trouve dans la seconde partie de l'ouvrage, contenant les annotations du grand naturaliste suédois et des renvois au Systema Nature. Cette des- criphion, faite en Suède, par Linné, d'après une dépouille envoyée par Hasselquist, ou peut-être seulement d'après des notes du voyageur, n'est accompagnée, on ne saurait trop le répéter, d'aucune indication de pro- venance ?, tandis que l'origine des autres espèces citées immédiatement avant ou après, telles que la Perruche d'Alexandre (Psittacus Alexandri) et la Huppe noire (Upupa pyrrhocorax)%, est soiyneusement mentionnée. Ces deux espèces étant indiquées comme se trouvant en Égypte, on pour- rait tout au plus supposer que le Psttacus obscurus est originaire du nord- est de l'Afrique. Mais 1l suffit de lire la description, d'ailleurs assez longue, donnée par Linné de son Ps. obscurus pour voir qu'elle ne con- vient à aucun Perroquet de cette région, n1 même à aucun Perroquet de la faune actuelle. C'est ce que M. Forbes et M. Salvador: ont parfaite- ment reconnu. En eflet, si ce que Linné dit de la forme du bec, épais et recourbé, avec la mandibule supérieure fortement convexe, la mandibule inférieure élargie et mobile, et de la disposition des doigts, qui sont 0 Jbis, 1879, p. 306. ® C'est seulement dans les éditions plus récentes du Voyage d'Hasselquist que le Psit- tacus obscurus est qualifié Perroquet d'Afrique. Dans la deuxième édition du Systema Na- turæ , après la diagnose de l'oiseau, les mots Hab. in Africa sont suivis d'un point de doute. % Cette Huppe noire, de Linné, que G. R. Gray à assimilée (Handlist, 1830, L. IF, p. 1, n° 6943) au Pyrrhocorax alpinus, nous parait être plutôt un /rrisor. M) Catalogue of the Birds in the collection of the British Museum, t. XX, 1891, p. 421. (5) « Rostrum totum latum crassum obtusis- simum, aduncum. .... Maxilla superior sub- convera, tferius latiuscula, dorsum versus magis contracta, mobilis. .... Apex marillæ superioris aduncus extra marillam inferio- NE. extremitate obtususculus. Lobulus NOTICE SUR QUELQUES ESPÈCES D'OISEAUX. 193 oroupés deux par deux, peut s'appliquer à un Perroquet; sil en est de même de la forme des narines®, de l'aspect dénudé de la région péri- ophtalmique ® que lon observe plutôt cependant chez des Perroquets américains que chez des Perroquets africains, il n’en est plus ainsi pour le mode de coloration de l'oiseau, qui est dépeint comme étant noir, avec le sommet de la tête varié de gris noirâtre, la queue d'un gris cendré, l'ab- domen et les plumes des jambes marquées de raies transversales blanches, le bec noir, le tour des yeux blanc, la plante des pieds et les ongles noirs . Nous n'avons en effet Jamais rencontré une livrée semblable chez les Per- roquets, pas même chez les Platycercus océaniens et chez les Conurus amé- ricains, qui ont souvent les parties inférieures du corps rayées transversale- ment. Ce costume gris, noir et blane serait plutôt celui d'un Graucalus. D'autre part, Linné parle d’un sillon longitudinal qui existerait à la base de la mandibule supérieure au-dessous des narines et qui se continuerait jusqu'à la pointe par un sillon longitudinal ®. Or nous ne connaissons aucune espèce de Perroquet qui présente cette disposition que l'on ren- contrerait plutôt chez des Barbus et chez des Calaos. Enfin Linné dit expressément que le Psittacus obscurus est de la tulle d'un GeaiŸ, qu'il a la tête forte, le bee d'un üers plus petit que la tête et quil a la queue étagée, cunéiforme ?. utrinque ad basin apicis maxille inferior, dum ex cinereo et nigrescente variegatus; collum et clauditur os, impositurus. Maxilla inferior su- alæ supra nigra. Abdomen et crura cinerea, periore crassior, magis convexe, brevior, quan- litate apicis superioris , basi subtus gula distans , posterius æqualis; apice obtusa et fere emar- ginata.» 0 Dipiti 4: antici 2 et postici 2.» 2) « Nares proxime supra rostrum, perfecte circulares, magnitudine pennæ gallinaceæ.» 8) «Area oculorum usque a fine maille superioris ad initium verticis latitudine, et a naribus fere usque ad basin verticis longitudine nuda, rugosa, pilis vix conspicuis obsita.» (0) « Psittacus (obscurus) niger, vertice ci- nereo-nigrescente vario, cauda cinerea..... Fostrum nigrum, area oculorum alba, vertex cum lineis transversalibus canis. Tubercula pe- dum nigra. Ungues nigri. Cauda tota cinerea.» 5) « Ad basin maxille superioris infra na- res sulcus conspicitur, quasi imbricata esset maxilla, ex quo suleus longitudinalis ad api- cem pergit. » (6) « Magnitudine Graculi». Dans l'édition française (2° partie, p. 19), il est dit «de la grosseur d’un Coucou». O0) « Caput oblongum, lateribus compressum , respectu corporis Salis MAgnUM . . Postrum capite triplo brevius. .... Cauda cuneiformis. Rectrices circiter 10, laterales breviores, tnter- mediis longioribus. » 25 IMPFRINERIE NATIONALE, 194 MM. A. MILNE-ED WARDS ET E. OUSTALET. Aussi Gmelin place-t1l cette prétendue espèce parmi les Perroquets à longue queue, parmi les Perruches, à côté de l’Ara nobilis et à une assez grande distance du Psittacus mascarinus qu'il rétablit comme espèce dis- üncte . Or les seuls Perroquets que Hasselquist ait pu rencontrer dans ses péréprinations en Égypte et en Palestine sont des Pæocephales à queue courte, ou des Perruches à plumage vert (Palæornis docs V., Psittacus Alexandri L. part. ®). En résumé, le Psittacus obscurus de Linné, de Gmelin, de Latham, de Shaw , de Vieillot”, ne saurait être considéré comme identique au Psit- lacus mascarinus, et, par conséquent, le nom de cette prétendue espèce ne peut être appliqué, en vertu des lois de priorité, au Perroquet masearin, comme l'ont fait, d'après Linné, Ch. L. Bonaparte © et G. R. Gray . Le Perroquet mascarin fut décrit ou figuré sous son vrai nom par Buffon ?, par Daubenton %, par Latham Ÿ et, d'une manière particuhère- ment exacte, par Levaillant (° , qui eut le tort cependant d'indiquer Ma- dagascar, plutôt encore que File Bourbon, comme étant la patrie de cette espèce. Trompé par cette indication, Lesson, dans son Traité d'Ornitho- lopie 1) 0 0 Psittacus obscurus, Gmelin, Syst. Nat., 6d. 13,4 1, p. 31/4, n° 4, et Psittacus mas- carinus, ibid, p. 333, n° 4g. Latham (Jn- dex ornithologicus, 1790 ,t.1, p. 8h et111) range également le Psittacus obscurus (Ob- seure Parrot) parmi les macrouri et le Ps. mascarnus parmi les brachyuri. 2) Le Psittacus Alexandri de Linné cor- respond certainement en partie, non seu- lement à Palæwornis torquata Briss., mais à P. docilis V. (Psittacus cubicularis, Hasselq., lieise nach Palästina, 1562, p. 292). S) Gener. Zoolopy, 1811, t. VIT, part. 9, p. oo. (0 Nouveau Dictionnaire d'histoire naturelle , 1817, t AXV, p. 34, et Encyclopédie métho- dique, Ornithologie, 1893, & HE, p. 1384. 5) Mascarinus obscurus L. (madagasea- riensis Br.), Conspectus Psittacorum, Revue et , imposa le nom de madasascariensis au Perroquet mascarin quil Magasin de zoologie, 1854, p. 154, n° 907, et Naumannia, 1856, Consp. Psiüt., n° 910. Cette erreur de synonymie a été déjà cor- rigée dans l'Histoire physique, naturelle et poli- tique de Madagascar, Ciseaux, À. 1, p. 2 (note) et p. 7, où le Psittacus madagascariensis niger de Brisson est assimilé avec raison au Cora- COpsis niora. 9 Handhst of the Genera and Species of Birds, 1870, t. If, p. 159, n° 826. Histoire naturelle des Oiseaux, 1779, t. NL-p-"120: Planches enluminées de Buffon, n° 35. Synopsis, 1781, t. [, p. 265, n° 72, et Gener. History, 1882, t. Il, p. 113 (avec œ var. À.). (0) Histoire naturelle des Perroquets, 1805, t. Il, p. 171 et pl. 139. SP H6 9 mea); NOTICE SUR QUELQUES ESPECES D’OISEAUX. 195 prit pour type d'un genre partieuher, le genre Mascarimus, qui fut adopté par Ch. L. Bonaparte dans son Conspectus Aotum , par G. Hartlaub dans ses Études sur la faune ornithologique de Madagascar”, et, plus récem- ment, par W. À. Forbes % et par T. Salvadori . Ce dernier toutefois, sui- vant une habitude prise par plusieurs naturalistes modernes, mais réprou- vée par le Congres international de Zoologie de 1889, a désigné l'espèce sous le nom de WMascarinus mascarnus, tandis que Forbes a substitué à la dénomination madagascariensis, qui consacrait une erreur d'habitat, le nom spécifique de Dubo's', tiré de celui d’un voyageur français dont nous parlerons plus loin. Au contraire, Finseh Ÿ,, Pelzeln ® et Giebel®, qui laissaient le Mascarin dans l'ancien genre Psiltacus, lui conservèrent le nom défectueux de madavascariensis Ÿ, Alfred et Édouard Newton rapprochèrent le Mascarin des Vazas de Madagascar, et en firent une simple espèce du genre Coracopsis comme l'avaient fait auparavant Wagler (9, Pelzeln 9, Hartlaub et GR. Gray, et comme le fit plus tard encore l'un de nous!” quoique avec certaines réserves. Avant de discuter la place qu'il convient d'assigner au Perroquet mas- cam dans la classification, 1l est nécessaire de donner une description de cette espèce, rédigée principalement d'apres l'exemplaire célèbre du OST me -11800): 5) Dans une note de son Conspectus des @) Syst. Uebersicht der Vogel Madagascars , Journ. f. Ornithologie, 1860, p. 107, et Or- nith. Beiträpe zur Fauna Madagascars , 1 861, P: 99. G) On the systematic position and scientific name of « Le Perroquet mascarin», of Brisson (Ibis, 1879, p. 306). (1) Catalogue of the Birds in the collection of the British -Museum, t. XX, Psittaci, 1891, p. 421. 5) Papageien, 1868, t. II, p. 306 et 999. (5) Jbis, 1873, p. 32. ® Thesaurus ornithologieus, 1837, t. I, p. 340. Perroquets (Papageien, &. W, p. 955, note), M. Finsch emploie le nom plus correct de MaAsCArinus. () Jbis, 1836, p. 289. 00) Monogr. Psittacorum, 1839, p. 679. U) Jerhandl. z. b. Gesells. Wien, 1863, P299; 02 Die Vogel Madagascars, 18757, p. 232. (3) Genera of Birds, 1846, t. Il, p. ho7, n°1; List Psit. Brit. Mus., 1859, p. 2; Hand- list of the Genera and Species of Birds, 1870, t. Il p.1595rn° 826. 01) E. Oustalet, Etude sur la Faune ornitho- logique des Seychelles, Bull. Soc. philom. , 1 878, 7° série, t. Il, p. 165. 25. 196 MM. À. MILNE-ED WARDS ET E. OUSTALET. Musée de Paris et complétée seulement, pour quelques points de détail, par des renseignements empruntés à la description de Brisson, qui. comme nous l'avons dit, avait pu voir un Mascarin vivant à Paris. Le Perroquet mascarin n'est pas, comme le dit Levaillant, un oiseau de orande taille, mais plutôt un oiseau de taille moyenne, puisqu'il est un peu moins grand qu'un Perroquet amazone à front jaune et comparable, sous le rapport des dimensions, à un Perroquet gris, et plutôt encore à un Ta- nygnathe de Luçon. Ces dimensions varient, du reste, très légèrement d'un individu à l'autre : ainsi, dans Fexemplaire du Muséum d'histoire natu- relle de Paris, la longueur totale est de o m. 395 environ; la longueur de l'aile, de o m. 230: celle de la queue, de o m. 180; celle du bec (culmen), de o m. 038; celle du tarse, de o m. 025; celle du doigt médian, de o m. 029 sans l'ongle et o m. 044 avec l'ongle, et celle du doigt externe, de o m. 028 sans l'ongle et o m. 038 avec l'ongle. La hauteur du bee, mesurée du menton au point de contact de la mandibule supérieure avec les plumes frontales, est de o m. 035. Au contraire, d’après Hartlaub D, dans l'exemplaire du Musée de Vienne, la longueur de la queue serait de o m. 161; celle du bec, de o m. 045. et celle du tarse, de o m. 024. Enfin l'exemplaire observé par Brisson mesurait, d'après ce naturaliste, 1 3 pouces 6 lignes (o m. 365 environ); son bec avait, de l'extrémité du crochet de la mandibule supérieure jusqu'à la commissure, 15 lignes (o m. 034) de long et 16 lignes (o m. 035 à o m. 036) de hauteur maximum: sa queue, h pouces 6 lignes (o m. 127); son doigt médian, 1 pouce 10 lignes (o m. 0/4) avec l'ongle, et le doigt externe, 1 pouce 7 lignes et demie (o m. 04h) avec l'ongle. Ce dernier exemplaire avait done la queue nota- blement plus courte que le spécimen du Muséum, ce qui provenait sans doute de ce quil avait vécu en captivité, et les doigts un peu plus longs, ce qui tenait sans doute à la même cause, les ongles s'étant développés d'une manière exagérée. Les ailes ployées atteignent, dans le spécimen du Muséum comme dans le spécimen examiné par Brisson, le premier üers de la queue. Ga 1) ) Die Vogel Madagascars p. 293. NOTICE SUR QUELQUES ESPÈCES D'OISEAUX. 197 La tête est revêtue d'une sorte de chaperon d'un gris eendré et la face est couverte d'un masque noir, s'étendant sur la partie antérieure du front, depuis les veux Jusqu'au bec, descendant sur les côtés des mandibules et se prolongeant Jusque sur le menton. Un peu plus bas, sur les côtés de la orge, on distingue même quelques plumes noirâtres, mais le masque ne se continue pas, comme chez l'individu représenté par Levaillant, par deux sortes de brides sur les côtés du cou. Le manteau est d’un brun terreux. un peu nuancé et sensiblement plus foncé que la teinte fuligineuse qui règne sur les parties inférieures du corps; la peau, d'un brun foncé, est marquée à sa base, mais seulement sur les pennes latérales, d’une tache blanche occupant seulement le premier tiers des pennes. Le bec conserve une teinte rouge assez accusée et les pattes sont actuellement d'un ton jau- nâtre assez clair, mais, durant la vie de l'oiseau, elles étaient d’une couleur chair pâle, avec les ongles d'un gris brunâtre 1. Les veux, entourés d'un peut cercle dénudé qui, dans l'oiseau vivant, était coloré en rouge vif, avaient l'iris rouge . La bande charnue très étroite qui recouvre la base sur la mandibule supérieure, et dans laquelle les narines s'ouvrent par deux trous arrondis, était pareillement colorée en rouge . Le spécimen qui est conservé précieusement dans les galeries du Mu- séum a subi aussi, par suite d'un traitement auquel il a été malheureuse ment soumis, 11 y a près d'un siècle, certaines détériorations. Les teintes du plumage ont été un peu altérées par des émanations sulfureuses et on voit, en consultant la description de Brisson et la planche de Levaillant, que le capuchon devait être primitivement d'un gris lilas pâle très délicat, d'un gris lavande, que la teinte brune foncée du dos, des ailes et de la queue offrait des reflets gris qui ont disparu, et que les parties inférieures du corps, déjà notablement plus claires que les parties inférieures, étaient, comme celles-ci, un peu nuancées de gris, ou plutôt paraissaient grises quand on les regardait sous un certain jour. Dans le Mémoire quil a publié sur le Mascarin ®, et dans lequel il a reproduit des dessins du bec et des pattes qui lui avaient été envoyés par () Brisson, loco cit. — ©) Brisson, ibid. — () Brisson, ibid. — (1 Ibis, 1879, p. 303. 198 MM. A. MILNE-ED WARDS ET E. OUSTALET. l'un de nous, M. Forbes a fait ressortir quelques-unes des différences que cette espèce remarquable offre avec les Coracopsis auprès desquels on a souvent cru pouvoir le ranger, mais 1l n'a pas suffisamment insisté sur di- verses particularités dignes d'être signalées. Le Mascarin diffère des Vazas : 1° par la forme de son bee supérieur, qui est moins régulièrement bombé que chez les Vazas, et dont les côtés paraissent même un peu comprimés, les bords présentant en outre, de chaque côté, une dent assez marquée", au lieu d'un lobe arrondi et peu saillant, et l'arête inférieure ne décrivant pas une courbe régulière, mais tombant brusquement et presque verti- calement à partir du front; 2° par la forme de la mandibule inférieure, qui est plutôt taillée à trois pans que régulièrement arrondie et dont les branches latérales sont beaucoup plus élevées en arrière, dans la région massétérienne, qu'en avant, près de la région mentonnière ?; 3° par la coloration du bec, qui est rouge et non pas noirâtre comme chez les Vazas; !° par la disposition des plumes frontales, qui recouvrent en grande par- tie ® la cire, dont la partie visible n'est jamais tuméfiée comme chez les Vazas et forme un liséré charnu très étroit; 5° par le faible développe- ment du cercle périophtalmique, qui ne se prolonge pas sur les lores en un espace dénudé ou parsemé seulement de petites plumes comme chez le Grand Vaza: 6° par les dimensions et la disposition de la queue, qui parait avoir été un peu plus longue relativement aux ailes et un peu plus étagée que chez les Vazas, tout en étant, comme chez ceux-c1, formée de douze pennes; 7° par le mode de coloration du plumage, dont les D Cette dent n'a pas été assez nette- ment indiquée dans une des figures jointes au Mémoire de M. Forbes (lbis, 1879, p. 30h). 2} Dans un Mémoire sur les caractères os- téologiques des Psittacides (Ann. des Sc. nat., Zoologie, 5° série, t. VI, 1866, p. 105 et pl. 2, fig. 4, et 3, fig. 8), l'un de nous (A. Milne-Edwards) avait déjà montré que la mandibule inférieure du Mascarin s'écarte beaucoup de celle des Vazas pour se rappro- cher de celle des Amazones, tout en différant de cette dernière par la divergence moins prononcée des branches maxillaires et lab- sence presque complète de trous ou sillons vasculaires sur la région mentonnière. %) Forbes dit (op. cit., p. 30h) que les plumes frontales recouvrent la cire et ea- chent les narines, ce qui n'est pas tout à fait exact, même pour l'exemplaire monté, où cependant les plumes frontales ont été ra- menées trop en avant. En tout cas, la cire n'était pas dénudée comme le dit Wagler. (Voir aussi Finsch, Papageien, & WE, p. 297.) NOTICE SUR QUELQUES ESPÈCES D'OISEAUX. 199 teintes sont plus vives, plus claires et plus variées. Quant aux diffé- rences dans la longueur et l'épaisseur du tarso-métatarsien, citées par M. Forbes, elles sont difficiles à apprécier autrement que sur des os. En- fin nous n'attachons pas d'importance au plus où moins grand dévelop- pement des ongles, qui dépend des conditions dans lesquelles l'animal a vécu. Les dissemblances sont encore plus marquées entre le Mascarin et le Perroquet Jaco, type du genre Psitlacus. Ghez ce dernier, en effet, la mandibule supérieure est moins brusquement courbée à parür du front, de telle sorte que la pointe est projetée plus fortement en avant; elle est en même temps beaucoup moins haute; la mandibule inférieure est plus allongée que chez le Mascarin et de couleur noire, comme la mandibule supérieure; la cire est longue et dénudée, les veux sont entourés d'un large espace presque entièrement dépourvu de plumes; les ailes plovées arrivent jusqu'aux cinq siièmes de l'extrémité de la queue, relativement très peu développée, et le plumage offre des teintes grises et rouges qu'on ne rencontre m chez le Mascarin, ni chez les Vazas Pour toutes ces raisons et pour d'autres encore qu'il serait trop long d'énumérer, 1l y a lieu, eroyons-nous, d'accepter le genre Wascarmus pro- posé par Lesson et, par suite, de désigner l'espèce, en vertu des lois adoptées pour la nomenclature, sous le nom de Mascarinus Duboisi Forbes. Maintenant faut-1l ranger, comme le faisait Lesson), le genre Mascarinus à côté des Tanyonathus, faut, tout en lui assignant cette place, le rap- procher aussi des Palæornis, à l'exemple de Forbes”), ou bien encore le mettre, comme le proposait R. Owen”, à côté du Perroquet éteint de lle Maurice (Lophopsittacus mauritianus) et non loin des Microglosses ac- tuels de la Nouvelle-Guinée? Cette dernière opinion nous parait la plus vraisemblable, depuis que nous avons pu comparer avec la mandibule inférieure du Mascarin, d’une part, une mandibule inférieure du Mrero- glossus aterrimus, de l’autre, plusieurs pièces similaires provenant du Per- roquet de l'ile Maurice. Ces pièces sont de dimensions variables, les unes ® Traité d'Ornithologie, 1831, p. 189. — ®) Ibis, 1859, p. 307. — (M) Ibis, 1866, pr: » 200 MM. A. MILNE-ED WARDS ET E. OUSTALET. étant de la grosseur d'une mandibule du Calyptorhynchus Banksu, les autres de la grosseur d'une mandibule de Wicroslossus, mais elles offrent une forme constante, absolument comparable à celle du Wascarinus Du- boisi et très voisine de celle du Wicrorlossus. On constate la même diflé- rence de hauteur entre la portion antérieure et la portion postérieure des branches que chez le Mascarin et le Microglosse, mais la région menton- nière est un peu moins brusquement coudée latéralement que chez le \Microglosse et taillée un peu plus nettement que chez le Mascarin où les trois pans ne sont que très légèrement indiqués et où le menton est un peu bombé comme chez les Calyptorhynques. Par son profil brus- quement tombant, la mandibule supérieure du Mascarin rappelle beau- coup le bec supérieur du Microglosse; en revanche, nous devons constater que les plis et les sillons que l'on peut distinguer à la loupe sur la face inférieure du crochet terminal ne sont pas disposés comme chez le Micro- plosse, mais comme chez le Perroquet Jaco. Ces plis, en chevrons em- boités, tournent, en effet, leur concavité du côté de la pointe du bec chez le Mascarin et du côté du palais chez le Microglosse. Chez les Tanygnathes, ils sont disposés comme chez les Aras, mais presque entiérement effacés, et chez les Coracopsis, ils affectent plutôt la forme de rides transversales onduleuses. Il est certain d'ailleurs que, par ses proportions, par l'aspect dénudé des côtés de sa tête dont le sommet est orné d’une huppe, par la forme de son bec et par la coloration uniforme de son plumage, le Micro- glosse diffère notablement du Mascarin. Il n'en existe pas moins entre Îles deux types certaines affinités qu'il est impossible de méconnaitre et qui tendent à rattacher cette espèce éteinte, et sans doute aussi le Perroquet de Maurice, plutôt à un groupe papouan qu'à un groupe africain. I n'existe plus, à notre connaissance, que deux spécimens du Wascarinus Dubois, lun au Muséum d'histoire naturelle de Paris (c'est celui que nous décrivons et figurons aujourd'hui) et l'autre au Musée impérial de Vienne. Ce dernier n'est, parait-1l ”, que l’ancien exemplaire du Museum Leveria- num auquel Latham a fait allusion. C'est un individu atteint d'albinisme D G. Hartlaub, Die Vorel Madagascars, p. 233. NOTICE SUR QUELQUES ESPÈCES D'OISEAUX. 201 partiel et offrant quelques plumes-blanches isolées sur le dos, la partie supérieure de la poitrine, les couvertures alaires, ete. C'est par erreur que M. G. Hartlaub avait indiqué !) un troisième exem- plaire de cette espèce comme se trouvant à Londres. Le Mascarin n'est pas représenté dans les collections, d'ailleurs si riches, du British Museum. Du temps de Levaillant, c'est-à-dire au commencement de ce siècle, l'espèce était déjà très rare dans les collections zoologiques; cependant il en existait encore en France trois spécimens, savoir : un au Muséum, celui qui figure encore dans les galeries de cet établissement, un chez Mauduyt et le troisième dans la collection Aubry. Malgré toutes nos re- cherches, nous n'avons pu découvrir ce que sont devenus ces deux der- niers spécimens, dont lun, celui de la collection Mauduyt, représentait peut-être la dépouille d'un des Mascarins qui vivaient à Paris vers 178/ et dont parle le collaborateur de Encyclopédie ?. Un autre Mascarin vivant se trouvait à Paris vers 1760, soit chez un marchand, soit chez un par- ticuhier où Brisson avait pu le voir et l'étudier. À une date beaucoup plus récente, en 1834, on en conservait encore un dans la Ménagerie du roi de Bavière, mais cet individu, qui servit de modele pour la planche publiée par Hahn, est très probablement le dernier qui ait véeu en Eu- rope, sil n'était pas le dermier survivant de son espèce. Pendant longtemps la grande île de Madagascar fut indiquée comme étant la patrie du Mascarin, mais, comme l'ont fait observer MM. Édouard et Alfred Newton !”, cette assertion repose uniquement sur le témoignage de Levaillant. Or chacun sait que les localités indiquées par ce dernier au- teur ne sont pas toujours exactes et qu'il a cité parfois des oiseaux d'Asie ou d'Amérique comme originaires d'Afrique et vice versa. Il est probable d'ailleurs qu'en disant : « Le Mascarin se trouve à Madagascar et même, assure-t-on, à l'ile Bourbon», Levaillant n'a fait que reproduire, sous une forme altérée, ce renseignement fourni par Buffon ® : «M. de Querhoënt (1 Journ. f. Ornithologie, 1860, p. 107. %) Ibis, 1876, p. 286. ®) Encyclopédie méthodique, Ornithologie, 5) Histoire naturelle des Perroquets, p.172. Cup 2190: 6) Histoire naturelle des Oiseaux, 1779, 5) Ornith. Atlas, Papageien, pl. 39. CNED 1e 26 IMPRIMERIE NATIONALE, 202 MM. A. MILNE-ED WARDS ET E. OUSTALET. nous assure qu'on le trouve à File Bourbon, où il a été transporté de Ma- dagascar», car il n'avait pu trouver dans la description de Brisson, qu'il cite en même temps que celle de Buffon, aucune indication de provenance. C'est d'après Buffon également que Linné a cru pouvoir ajouter, dans sa Mantissa®, à la très courte diagnose latine du Psittacus mascarinus, les mots + Habitat in Mascarinar, après avoir dit précédemment dans la douzième édition du Systema Nature, à propos de la même espèce, identifiée au Psittacus obscurus : + Habitat in Africa? ». Par Mascarina, À faut évidemment entendre File Mascarèone où Mascarenne de Leguat, de du Bois et d’autres voyageurs du siècle dernier, c'est-à-dire non pas l'ile de Madagascar, maIs l'ile Bourbon ou de la Réumon. Tous les auteurs modernes, Bechstein, Kuhn, Vieillot, Lesson, Wapgler, Hahn, le docteur Finsch, ete., qui ont attribué Madagascar comme patrie au Mascarin, n'ont apporté aucun document nouveau pour la détermination du heu d'origine de cette espèce, et n'ont fait que répéter l’assertion de Levaillant contre laquelle on peut invoquer un fait positif, à savoir que mi M. Grandidier, ni les autres voyageurs qui ont exploré Madagascar dans le cours de ces dernières années, n’ont découvert la moindre trace de l'exis- tence du Mascarin. Nous devons dire, toutefois, que dans la Relation du sieur de Flacourt, qui visita Madagascar au milieu du xvn° siècle Ÿ, nous avons trouvé, dans le chapitre consacré aux oiseaux terrestres, le pas- sage suivant, dont une partie pourrait à la rigueur s'appliquer au Mas- carinus Dubois : + Vaza, eest le Perroquet qui est noir dans ce pays ©. Il en a de petits qui sont rouge brun; mais on a de la peine à les avoir.» On pourrait même inférer de ces derniers mots que le Mascarin, qui a, en eflet, le menton d'un brun rougeâtre, était déja plus rare, ou peut- être était seulement plus farouche et plus cantonné que les Vazas, mais 4771, p. b24. D CO CAEMDATIO ME 5) Belation de la grande isle Madagascar, contenant ce qui s’est passé entre les François et les originaires de cette isle, depuis 1649 jusqu’en l'an 1655, 1955, 1657, composte par le sieur de Flacourt, Directeur de la Compagnie fran- coise de l'Orient et commandant pour Sa Majesté dans ladite isle , ete., 1 vol. in-4°, Paris, 1661. 1) Ch. XXXX, p. 163. OIL s'agit évidemment ici du Grand Vaza (Coracopsis obseura) et du Petit Vaza (C. nipra), que Flacourt confond sous le même nom vulgaire. NOTICE SUR QUELQUES ESPÈCES D'OISEAUX. 203 il resterait à expliquer par suite de quelles circonstances la première es- pèce aurait disparu, tandis que les Vazas se seraient perpétués Jusqu'à nos Jours. En tout cas, 1l est à peu pres certain que le Wascarinus Duboïsi ne pro- vient pas de l'ile Rodrigue, car tous les Perroquets de cette ile, cités par F. Lepuat, qui y séjourna pesant deux ans à la fin xvu siècle U), ont été identifiés par M. À. Newton et par l’un de nous, et aueun d’entre eux n'a pu être assimilé au Mascarin . Au contraire, le fait de la présence du Mascarin à l'ile D on (ile de la Réunion), dans le courant du siècle dermier, est attesté d'abord par M. de Querhoënt, correspondant de Buffon, et ensuite par Mauduyt, qui dit expressément : + On trouve le Mascarin à l'ile Bourbon; jen ai vu plu- sieurs vivants à Paris. c'étaient des oiseaux assez doux; 1ls n'avaient en leur faveur que leur bec rouge qui tranchait agréablement sur le fond sombre de leur plumage; ils n'avaient point appris à parler.» On peut même, selon toute vraisemblance, admettre avec MM. Alfred et Édouard Newton Ô que certains Perroquets mentionnés un siècle au- paravant par du Bois, qui visita Madagascar et Bourbon de 1669 à 167». n'étaient autres que des Mascarins. Ce voyageur cite en effet, parmi les animaux de Pile Bourbon, outre des Perroquets gris, aussi vi que des Piovons, d'autres oiseaux du même genre qu til désigne ainsi © : « Perro- 9) La Relation du voyage de F. Leguat nat., Zoologie, 1867, 5° série, t. VITE, p. 145 eut plusieurs éditions; la première est inti- tulée : Voyages et avantures de François Le- guat et de ses compagnons en deux isles désertes des Indes orientales, 2 volumes en un, in-8”, Londres, 1708; une autre a pour titre : Le voyage et les avantures de François Lopuat et de ses compagnons dans l'Amérique et autres lieux, 2 volumes en un, in-12, Amsterdam, 1790. NTbis, 1872 p.81: 18706 praloet pl. VIT; 1836, p. 286 et 289; Proceedings Zool. Soc., p. 39 à 2. } À. Milne-Edwards, Mémoire sur un Psit- tacien fossile de l'ile Rodrigue, Ann. des Sc. et pl 7 et 8; Recherches sur la Faune an- cienne des iles Mascareignes, Ann. des Sc. nat. Zoologie, 1874, 5° série, t. XIX, art. n° 3. p- 16 et pl. 13; Comptes rendus de l'Aca- démie des sciences, t. LXV et LXXX, p. 1212; Ann. and Mag. nat. lst., LAEXV p. 436 (trad. angl. par M. A. Newton); Ann des Se. nat., Zoologie, 1875, 6° série, £. IT, L° série, artono 4) Les Perroquets éteints de Rodrigue sont le Necropsitiacus rodericanus À. M. E. et le Palæornis exsul À. Newt. | Ibis, 1836, p. 286. | Les voyages faits par le sieur D. B. aux 26. 20/4 MM. A. MILNE-ED WARDS ET E. OUSTALET. quets un peu plus gros que Pigeons, ayant le plumage de couleur de petit gris, un chaperon noir sur la tête, le bec fort gros et couleur de feu. » Dans ses traits généraux, cette description succincte convient fort bien au Perro- quet mascarin et, comme le disent MM. Newton, les divergences de détail proviennent sans doute de ce que du Bois n'apportait pas dans les por- traits qu'il traçait des animaux la précision rigoureuse d’un naturaliste de profession. IT a pu fort bien appeler couleur de petit pris un mélange de brun et de gris, et chaperon un masque noir. Peut-être trouvera-t-on encore une allusion au Perroquet mascarin dans les passages suivants de la Relation du voyage de Guillaume Isbrantsz Boutekou de Hoorn qui aborda à l'ile Mascarinas (ou Bourbon) en 16191: «+ Nous y vimes beaucoup d'oies, de pigeons, de perroquets gris et d'autres oiseaux, el y en trouvoit Jusqu'à vingt ou vingt cinq à l'ombre, sous un seul arbre, où lon en pouvoit prendre autant qu'on vouloit. . . .. Pour les Per- roquets et les autres oiseaux, lorsqu'on en avoit pris un, et qu'on Île tour- mentoit jusqu'a le faire crier, tous les autres qui le pouvoient entendre venoient voler vers lui, comme pour le défendre et le délivrer, et on les prenoit fort aisément. » En revanche, il est à peu près certain que ce n'est pas du Perroquet mas- carin, mais du Lophopsittacus mauritianus Owen, que l'auteur anonyme de la Pielat'on du second voyage des Hollandais aux Indes orientales, en 1598, veut parler quand il dit, à propos des oiseaux de l'ile Maurice : + [l n°v a des oves sauvages qu'en petit nombre, mais les perroquets gris s'v voient en quantité. » Il résulte de cette discussion que le Mascarinus Duboisi n'habitait proba- blement pas Madagascar, mais qu'il habitait certamement l'ile de la Réunion où il a dû vivre jusqu'à la fin du siècle dernier, peut-être même jusqu'aux isles Dauphine où Madagascar, et Bourbon ou ion intitulée : Recueil des voyages qui ont Mascarenne, es années 1069, 70, 71 et 72, Paris, 1674, p. 172 et 173. Voir A. Milne- Edwards, Ann. des Sc. nat., Zoolopie, 1866, 3° série, t. VI, p. 44, note. 1 Voyage de Guillaume Isbrantsz Boutekou de Hoorn, écrit par lui-même, dans la collec- servi à l'établissement et aux proprez de la Com- pagnie des Indes orientales, Rouen, 1729, t. VIII, p. 245 et 244. @) Recueil des voyages qui ont servi à l'éta- blissement et aux progrez de la Compagnie des Indes orientales, Rouen, 1725, t. Il, p.160. NOTICE SUR QUELQUES ESPÈCES D'OISEAUX. 205 premières années de notre siècle, et qu'il était représenté à l'ile Maurice par une forme alliée, le Lophopsitlacus mauritianus. Ces deux espèces offraient, comme nous l'avons vu, des affinités incon- testables avec les Microglosses et les Tanypnathes, et différaient au con- traire, à plusieurs égards, des Coracopsis et plus encore des Perroquets africains. Elles fournissent par conséquent de nouvelles preuves en faveur de l'opinion, maintes fois exprimée, que la faune avienne des îles Masca- reignes ne se rattache pas directement à celle du continent voisin, mais offre plutôt des caractères asiatiques et océamiens. LA HUPPE DU CAP. (FreciLupus varius.) Planche I. Dans l'Histoire naturelle des Oiseaux de Buffon), Guéneau de Montbeillard décrivit, sous le nom de ÆHuppe norre et blanche du Cap de Bonne-Espérance, une espèce quil rapprocha de la Huppe d'Europe, tout en constatant qu'elle différait de celle-c1 par son bec plus court, par sa huppe formée de pennes moins longues et efhilées comme celles du Coucou huppé de Madagascar”, par sa queue composée de douze pennes seulement, par sa langue allongée et pénicillée à l'extrémité et par sa livrée blanche et brune. Îl lui assigna pour patrie Madagascar, l'ile Bourbon et le Cap de Bonne-Espérance. Bientôt après, dans les Planches enluminées de Buffon, Daubenton donna une figure de l'oiseau qui fut appelé plus tard Upupa varia par Boddaert!”, Madagascar Hoope par Latham®, Upupa capensis par Gmelin ®, Huppe grise par Audebert et Vieillot®), Mérops huppé par Levaillant ®, Upupa mada- () Édit. 1700 MI Sp 100 6) Gener. Synopsis, 1783, t. IT, part. 1, ®) Probablement le Coua cristata L. (A. p. 690. Milne-Edwards et Alf. Grandidier, Histoire (6) Systema Nature, 1788, t. 1, p. 166, phys., nat. et polit. de Madagascar, Oiseaux , n° A. p- 143 et pl. 4h). (His. naturelle des Oiseaux dorés, 1802, EST pl 607 t. [, Supplément, Promérops, p. 19 et pl. I. (1) Tableau des Planches enluminées de Buffon, (8) Histoire naturelle des Promérops et des 1702 4p 49: Guépiers, 180, Promérops, p. 43 et pl. 18. 206 MM. A. MILNE-EDWARDS ET E. OUSTALET. gascariensis par Shaw, Coracias livouch et Coracia cristata par Vieïllot Ces différents auteurs publiérent des descriptions et des figures dont les meilleures sont encore, en laissant de côté quelques erreurs de détail, celles qui ont été données par Levaillant. À partir de 1823, la Huppe du Cap de Bonne-Espérance (Upupa ca- pensis Gm.) fut signalée ou décrite de nouveau par une foule d'auteurs qui lui donnérent des noms divers et lui assignérent, comme nous le verrons tout à l'heure, des places très différentes dans leurs classifications. Ainsi Wagler ® crut devoir la nommer Pastor upupa, tandis que Lesson!? et Ch. L. Bonaparte © lappelérent Freoilupus capensis; Reichenbach Ÿ, G. Hartlaub ?, Schlegel et Pollen Ÿ, Freoilupus madagascariensis ; Vinson substitua à ce nom celui de Freoilupus borbonicus que Sundevall®, à son tour, remplaça par Lophopsarus varius ; enfin G.R. Gray? employa la dési- onation de Frepilupus varia, qui fut adoptée sous la forme plus correcte de Freoilupus varius par Murie!®?), par G. Hartlaub® et par R. B. Sharpe (". Le Muséum d'histoire naturelle de Paris possède actuellement quatre spécimens de cette espèce de Passereau, dont la synonymie est si variée, savoir: deux spécimens montés, dont lun, de provenance inconnue, a servi de type pour la deseription et la figure publiées en 1802 par Audebert et Vieillot, tandis que l'autre a été envoyé au Muséum à une date plus ré- cente, en 1833, par M. de Nivoy, et deux spécimens dans l'alcool, envoyés au Muséum, en 1839, par M. J. Desjardins. ( D General Zoolopy, 1819, €. VIT, part. 1, p. 140. 2) Nouveau Dictionnaire d'histoire naturelle, 1817, t. VIIT, p. 3, et Tabl. encycl., 1893, p- 697. | GS) Syst. Avium, 1827, Pastor, sp. 13. 0) Traité d'Ornithologie, 1831, p. 32h. 5) Conspectus Avium, 1850, t.1, p. 88. 9) Handbuch Scansor., 1851, p. 391, pl. DXCVE, fig. 4039. 0 Syst. Uebers. der Vôpel Madagascars, in Journ. f. Ornithologie, 1860, p. 88, et Omnith. Beiträge zur Fauna Madagascars , ibid. , 1001, p. 53. 8) Recherches sur la Faune de Madagascar, 1808, p. 104. 9) Bull. de la Société d'acclimatation, 1868, p. 200. 00) Methodi naturalis Avium dispon. Ten- tamen, 1872, p. Lo. AD Handlist Genera and Species of Birds, 1870, t Il, p- 28, n°6398: (2) Proceed. Zool. Soc. Lond. , 1854, p. 474 et pl. 61 et 62. (3) Die Vorel Madagascars, 1857, p. 203, n°490: (14) Nature, 1869, t. XL, p. 177, et Cat. B. Brit. Mus., 1890, t. XUL, p. 19/h. NOTICE SUR QUELQUES ESPÈCES D'OISEAUX. 207 En étudiant ces spécimens qui ne sont pas tous exactement du même âge et dont l’un, celui de M. de Nivoy, est aussi frais que s'il venait d’en- trer dans les collections du Jardin des Plantes, il nous à été possible de rédiger la description et de faire exécuter une figure plus exacte, eroyons- nous, que celles qui ont été publiées jusqu'ici. La prétendue Huppe du Cap est de taille un peu plus forte que la Huppe d'Europe et surtout de formes plus massives: elle rappelle davantage, à cet épard, le Martin triste (Acridotheres tristis L.), dont elle a les pattes visoureuses, garnies de larges scutelles le long de la face antérieure du tarse et terminées par des doigts robustes, aux ongles solides et fortement arqués. Son bec d'ailleurs, au lieu d'être grêle et aflilé comme chez les Huppes où les mandibules atteignent à peu près deux fois la longueur de la tête, ressemble aussi beaucoup par sa forme à un bec d'Acridotheres, tout en étant relativement un peu plus allongé. Il est assez épais à la base et va en s'amincissant praduellement jusqu'à l'extrémité, la mandibule supérieure ayant son arête supérieure répgulhérement, mais faiblement ar- quée et présentant, près de la pointe, une très légère échancrure. Les narines s'ouvrent tout près du front, à la moitié de la hauteur de la man- dibule, dans une fossette que recouvre un rudiment de membrane et sur laquelle s’avancent un peu les plumes frontales. Les ailes arrivent, lorsqu'elles sont ployées, au tiers de la queue. Elles sont médiocrement pointues, la quatrième et la cinquième rémiges dé- passant les autres pennes, la troisième étant de o m. 002 plus courte que la quatrième, la seconde de o m. 01 plus courte que la troisième. Quant à la penne bâtarde, elle est relativement assez développée et mesure de o m.03 à o m. 035. La distance entre le bout de l'aile et l'extrémité des pennes secondaires est de o m. 028. La queue est formée de douze pennes également allongées, de telle sorte qu'elle parait coupée carrément à l'extrémité. Elle est relativement beau- coup plus développée que chez les Martins tristes, que chez les Étourneaux ordinaires et même que chez les Podoces, où les rectrices présentent la méme forme, mais où les ailes n'offrent pas exactement les mêmes rapports 7. de lonoueur des rémipes. 208 MM. A. MILNE-ED WARDS ET E. OUSTALET. L'oiseau adulte a les parties supérieures du corps d’un brun cendré qui se nuance de roux sur les reins, le croupion et les sus-caudales, la queue et les ailes d'un brun plus france et plus foncé, tirant au noirâtre, les pennes caudales offrant, quand on les regarde sous un certain jour, de nombreuses raies transversales un peu analogues à celles des Podoces Pan- dert et Henderson, et les ailes présentant un petit miroir blanc formé non pas seulement, comme on Fa dit, par des taches occupant une faible portion des rémiges, mais encore et surtout par les couvertures des pri- maires, qui sont largement marquées de blanc. La tête est d’un gris cen- dré clair, contrastant avec la teinte du manteau et surmontée d’une huppe ou plutôt d'une sorte de crinière formée de plumes à barbes très écartées, qui, lorsqu'elles sont dressées, élévent leur pointe à près de o m. 05 au- dessus du vertex. À la base de cette huppe, sur les sourcils et sur les joues, le gris passe au blanc pur, qui s'étend également sous le menton, tandis que les côtés du cou et la région des oreilles sont un peu nuancés de gris. IT en est de même des côtés de la poitrine et de l'abdomen dont le milieu est d'un blanc presque pur. Au contraire, toute la région pos- térieure de l'abdomen, à partir des pattes, et les couvertures inférieures de la queue offrent une teinte roux cendré, isabelle, qui disparait facile- ment sur les spécimens exposés à l’action de l'air et de la lumiere. Les couvertures intérieures des ailes et les plumes axillaires sont au contraire d'un blanc immaculé. Le bec et les pattes sont d’un jaune citron vif, même sur les exemplaires qui figurent dans les galeries depuis plus de soixante ans, et étaient sans doute d'une couleur plus intense encore pendant la vie de l'oiseau. Les veux, d'après Vieillot, auraient été d'un brun bleuâtre ©. Chez l'individu qui a servi de type à la description de Vieillot et qui parait être un peu moins adulte que le spécimen de M. de Nivoy, le manteau est d'un brun plus terne, la crête d'un gris moins pur et formée de plumes 9) Levaillant (Hist. nat. des Promérops, loco cit.) et Vieillot (Oiseaux dorés, loco cit.) disent que les pennes primaires ont une tache blanche vers le milieu, ce qui n’est pas exact; Sharpe (Catalogue of the Birds of the British Museum, t. AT, p. 19h), que les mêmes plumes ont la portion terminale blanche (white for the terminal half), ce qui est évidemment un lapsus. 2) Nous ignorons où Vieillot a pris cette indication. L'iris est bleu cendré sur la planche. NOTICE SUR QUELQUES ESPECES D’'OISEAUX. 209 un peu plus courtes); mais tous les individus adultes semblent avoir exactement la même livrée, quel que soit leur sexe). La longueur totale de l'oiseau adulte est de o m. 290; l'aile mesure o m. 148; la queue, o m. 129; le bec (culmen), o m. 028; le tarse, o m. 00; le doigt mé- dian (sans l'ongle), o m. 028; le doigt postérieur (sans ongle), o m. 015, et l'ongle de ce doigt, o m. 013%. Ces dimensions ne varient que trés légèrement d'un spécimen à l'autre et les différences qui avaient frappé Vieillot, lorsqu'il avait comparé avec la description de Guéneau de Mont- beillard l'oiseau qu'il déerivait lui-même sous le nom de Huppe grise, pro- viennent assurément de ce que le collaborateur de Buffon a mesuré la longueur du bec, non pas en suivant l’arête supérieure, mais de la pointe à la commissure, et de ce qu'il a eu sous les yeux quelque dépouille for- tement distendue, à mois quil ne faille bre «13 lignes» au lieu de «16 lignes» dans l'évaluation de la longueur totale de l'oiseau. Les autres dimensions indiquées par Guéneau de Montheillard conviennent en effet parfaitement aux spécimens du Muséum, de même que la description du bec, des pattes, de la queue et des ailes. Levaillant, le premier, eritiqua le nom de Huppe notre et blanche du Cap de Bonne-Espérance, employé par Buffon ou plutôt par Guéneau de Montheillard. «Il auroit dû voir, dit Levaillant®, que cette espèce ne pouvoit être comprise dans le genre de notre huppe. Un oiseau qui, en effet, a la mandibule supérieure du bec échancrée du bout, la langue cornée, pointue, divisée en plusieurs filaments, et de la longueur à peu près du bec; qui a les pieds extraordinairement forts, relativement à sa taille, et les ongles grands et arqués, quoiqu'il dise qu'ils sont semblables à ceux de notre huppe, et qui enfin se nourrit de fruits, n'est bien certai- M Les teintes, d'ailleurs, ont pu être ment de celles qui ont été indiquées par légèrement altérées chez cet individu, dont M. Sharpe (Catal. Birds Brit. Mus., t. XIIE, l’état de conservation laisse à désirer. p.194). @) Le sexe des spécimens conservés dans 3) Le spécimen décrit et figuré par Buf- les musées n’est généralement pas indiqué; fon ne mesure, il est vrai, que o m. 270 mais on ne peut admettre qu'ils soient tous du bout du bec à l'extrémité de la queue; males ou tous femelles. mais ses pennes caudales sont un peu usées. 3) Ces dimensions diffèrent très légère- 6) Op. cit., p. 43. 27 LMPRIMERIE NATIONALE, 210 MM. A. MILNE-ED WARDS ET E. OUSTALET. nement pas un oiseau qui appartienne au genre de la huppe, ni à celui des autres promérops, qui tous ont des caractères très différents, comme on l'a vu, et ne se nourrissent que d'insectes. Pourquoi encore nommer cet oiseau huppe noire et blanche, lorsqu'il n’a pas un atome de noir dans son plumage, ainsi qu'on le voit, au reste, d'après la description que Buffon lui-même donne de ses couleurs?» Un peu plus loin, après avoir parlé du nom vulgaire que la Huppe noire et blanche porte à File Bourbon et avoir constaté qu'en l'appelant Martin, les habitants de cette ile semblent avoir saisi d'étroites analogies entre l'espèce en question et les Martins de l'Inde, Levaillant ajoute : «Pour peu du reste qu'on veuille faire attention, en comparant cet oiseau aux comrostres et aux différentes espèces connues de Marüns, on saisira d'abord et du premier coup d'œil l'analogie qu'il montre avec ces derniers, dont il a toutes les formes extérieures, à la seule différence du bec, qui est ie plus allongé et un peu plus arqué, mais qui n'en a pas moins pour cela beaucoup de rapport avec celui des Martins. » En résumé, on voit que si Levaillant plaçait la Huppe noire et blanche, sous le nom de Mérops huppé, dans son groupe d'ailleurs tout à fait hété- rogène des Promérops, il avait parfaitement reconnu des affinités entre ce Mérops huppé et certains oiseaux de la famille des Sturnidés, et que, sil l'avait maintenue dans le voisinage de certains Méliphages, c'était uni- quement parce que Guéneau de Montbeillard avait attribué à la Huppe noire et blanche une langue assez allongée et divisée en plusieurs filets. Or, comme nous le dirons plus loin, Findication fournie par le collabora- teur de Buflon n'est pas tout à fait correcte. Dans la première édition de son PRèone animal, G. Cuvier plaça la Huppe du Cap de Gmelin où Huppe noire et blanche de Buffon tout à côté de la Huppe vulgaire d'Europe, tout en lui trouvant des liens de parenté avec les Freoilus. «Elle se lie, disait-il, plus particulièrement aux Graves, parce que les plumes antérieures de sa huppe, courtes et fines, se dirigent en avant et couvrent les narines.» C'est là du reste, ‘0 Levaillant faisait entrer dans ce groupe des Paradisiers, des Huppes, des Grimpe- (9 reaux, des Mohos, ete. — ®) 1817, p. 427. NOTICE SUR QUELQUES ESPÈCES D'OISEAUX. 211 nous le dirons en passant, une assertion qui n'est pas tout à fait exacte, car les narines ne sont pas entièrement recouvertes, en réalité, par les plumes frontales, qui se dirigent plutôt en haut qu'en avant et ne re- tombent pas, comme on pourrait le supposer d'après certaines figures. Quoi qu'il en soit, cest d'après ce prétendu caractère que plus tard Vieil- lot) crut devoir éloigner la Huppe noire et blanche des Huppes ordi- naires et des Promérops, pour la classer parmi les Rolliers (Coracias), non sans quelque hésitation, 1l est vrai, à cause de la structure de la langue signalée par Guéneau de Montbeillard. En même temps, Vieillot accepla le rapprochement, indiqué par ce dernier auteur, entre Le Ti vouch de Flacourt dont nous parlerons plus loin et la Huppe du Gap, et il désigna celle-ci sous le nom de «Rollier tivouch» (Coracias tivouch ou G: cristata). Quelques années plus tard, Wagler® mit cette même espèce parmi les Marüuns-Roselins en la nommant Pastor upupa, tandis que, bientôt après, Lesson la prit comme type d'un genre particulier, qu'il nomma Cra- vuppe (Freoilupus) et qu'il considéra, suivant les idées de Cuvier, comme un groupe de transition entre les Huppes (Lpupa) et les Craves (Freoilus). Ce nom générique de Fregilupus, formé d'une manière tout à fait incor- recte, fut adopté d'abord par Ch. L. Bonaparte %, qui mantünt le genre Freoilupus dans la famille des Upupidæ, puis par G. Hartlaub, qui, après l'avoir classé entre les Huppes et les Falculies®, le rangea parmi les Étourneaux (Sturnidæ), à côté des Hartlaubia®, et par GR. Gray, qui lui assigna dans son Catalogue la même position systématique ?. Enfin Sunde- vall le rapprocha des Martins-Roselins, à l'exemple de Wagler, mais créa en sa faveur le nouveau genre Lophopsarus®. Tel était l'état de la question lorsque, en 1873, M. le docteur James Murie eut la bonne fortune de pouvoir, grâce à l'obligeance de M. le professeur Newton, étudier le sque- @ Nouv. Dict. dhist. nat., 1817, t. VII, p- 3, et Tabl. encycl., 18923, p. 623. 2) Syst. Avium, 1827, Pastor, sp. 17. () Handlist, 1830, t. Il, p. 28. 8) Traité d'Ornithologie, 1831, p. 323. ( %) Conspectus Avium, 1850, t. [, p. 88. tamen, 1832, p. ho. 27: 212 MM. A. MILNE-ED WARDS ET E. OUSTALET. lette d'un Frevilupus varius mâle, donné à ce dernier naturaliste par feu J. Verreaux ®, et en publier une description détaillée, accompagnée de fisures ®. Nous résumons 1e1 les résultats principaux de cette savante étude, que nous avons vérifiés et auxquels nous ajoutons quelques obser- vations nouvelles. Le sternum du Fregilupus est beaucoup plus large que celui des Huppes, surtout dans sa région postérieure, et rappelle singulièrement par sa forme cénérale le sternum de l'Hartlaubius madagascariensis Ÿ, offrant, comme ce dernier, deux échancrures postérieures plus larges et plus profondes que celles de la Falculia palliata® et limitées latéralement par de grandes branches hyposternales. Ce bouclier est muni d'un bréchet peut-être un peu moins élevé que chez les Huppes, mais prolongé antérieurement en un rostre plus aigu, plus accusé aussi que chez l'Hartlaubius. L'apophyse épisternale est plus saillante que chez les Huppes et plus bifurquée que chez l'Hartlaubius, rappelant ainsi davantage la disposition que lon ob- serve chez les Étourneaux ordinaires et chez les Ictéridés. Les pièces hypo- sternales sont plus larges que chez la Faleulia, remontant aussi haut que chez l'Hartlaubius. La fourchette est munie d'une apophyse fureulaire qui manque chez les Huppes, mais que l'on observe chez la Falculia et chez l'Hartlaubius, où elle se dirige également en arrière. L’omoplate, au lieu d'être presque droite comme chez les Huppes, se recourbe en faux comme chez Hartlaubius et la Faleulia, et les coracoïdiens paraissent relativement un peu plus gréles et plus allongés que dans ces deux derniers genres et surtout que chez les Huppes. Le bassin est fortement rétréci en avant et dilaté dans sa région pos- térieure, la différence de largeur des deux régions étant beaucoup plus accusée que chez les Huppes et un peu plus que chez l'Hartlaubius. Les he É . \ lames iliaques, très écartées en avant de la crête du sacrum, laissent à DJ. Verreaux avait tué lui-même à 8) À, Milne-Edwards et AÏf. Grandidier, l'ile Bourbon, vers 1832, l'oiseau duquel Hist. phys., nat. et polit. de Madagascar, Oi- fut ré ce squelette. seaux, p. 319 et pl. 116. Proceedings Zool. Soc. Lond., 185h. (1) A, Milne-Edwards et Alf. Grandidier, p. 474 et pl. LXI et LXIL op. cit., p. 307 et pl. 119, fig. 3. NOTICE SUR QUELQUES ESPÈCES D'OISEAUX. 213 découvert les gouttières vertébrales, et, sur lécusson pelvien, les trous sacrés sont béants comme chez l'Hartlaubius. Les fosses ihiaques externes sont étroites et allongées; les ischions se prolongent davantage en arrière et les pubis sont moins développés que chez les Huppes et chez la Fal- culia®), et même que chez lHartlaubius ®?, de telle sorte que les extrémités postérieures de ces derniers os ne dépassent guére les tubérosités ischia- tiques. Le crâne présente, toutes proportions gardées, à peu près la même forme générale que chez l'Hartlaubrus. H se dilate dans la région occipitale et s’arrondit en arrière. Les fosses nasales, de forme ovalare très allongée, communiquent largement entre elles sur le squelette, la cloison inter- nasale n'étant pas ossifiée; le vomer est court, tronqué en avant et fendu en arrière. La cloison interorbitaire est percée, exactement comme chez l'Hartlaubius, de deux fenêtres superposées, et comme chez l'Hartlaubrus encore les prolongements internes des maxillaires (os maxillo-palatins de Huxley) sont très développés et ne se soudent pas sur la ligne médiane: les os palatins sont grêles en avant, dilatés en arrière et un peu échan- crés sur leur bord postérieur, l'angle postéro-externe étant toutefois plus émoussé que chez l'Hartlaubrus et surtout que chez la Falcuha. Les man- dibules, sans être aussi grèles que chez les Huppes, sont plus allongées et plus arquées que chez l'Hartlaubrus. Les os de l'aile sont robustes. L'humérus est de forme trapue et très élarpi à son extrémité supérieure, où lon distingue une double fosse et une double ouverture pneumatique; le cubitus est faiblement arqué, un peu plus cependant que chez l'Hartlaubrus, et ne présente pas de saillies aussi marquées que chez ce dernier pour l'insertion des grandes plumes de l'aile. Le radius est grêle et comprimé, et les os de la main sont au moins aussi allongés que chez l'Hartlaubius et relativement aussi ro- bustes. Les pattes sont proportionnellement moins courtes et plus fortes que chez l'Hartlaubrus. Le tarso-métatarsien, au lieu d’être, comme dans cette 0) À. Milne-Edwards et Alf. Grandidier, Hist. phys., nat. et polit. de Madagascar, Oiseaux, pl. 119, fig. 7. — ® À. Milne-Edwards et Alf. Grandidier, op. eit., pl. 116, fig. 7. 214 MM. A. MILNE-ED WARDS ET E. OUSTALET. dernière espèce, à peu prés de la longueur du fémur, est notablement plus allongé et offre la même forme prismatique que chez la Falcula ; il est for- tement comprimé d'avant en arrière dans sa portion inférieure et s'épais- sit vers le haut, où l'on aperçoit en arrière la gouttière profonde qui lo- seait les puissants tendons des muscles fléchisseurs des doigts. Sa surface articulaire supérieure présente cinq pertuis disposés absolument comme chez l'Hartlaubius. Le fémur est plus robuste, le tibia plus allongé que dans cette dernière espèce, mais les doigts offrent à peu près les mêmes proportions, le pouce étant presque égal au doigt interne (sans la pha- lanse unguéale). En résumé, le squelette du Frepilupus varius offre certaines analogies avec celui de la Falculia palliala et des ressemblances beaucoup plus frappantes avec celui de l'Hartlaubius madagascariensis que M. le docteur Murie n'avait pas eu l’occasion d'étudier, mais qui a été décrit d’une ma- nière complète et figuré dans l'Histoire physique, naturelle et politique de Madasascar ®. Dans cet ouvrage, lun de nous a montré qu'au point de vue ostéologique, l'Hartlaubrus S'écartait notablement des Sturnidés ordinaires et se rapprochait à certains égards des Turdidés : 11 n'est done pas éton- nant que M. le docteur Murie ait constaté également de fortes dissem- blances dans la conformation de diverses pièces de la charpente osseuse chez un Étourneau, d’une part, chez un Freoilupus, d'autre part. Les diffé- rences résident principalement dans la forme des échancrures postérieures du sternum et des lames qui les limitent extérieurement, dans la forme du bréchet et de lapophyse épisternale, celle-ci étant beaucoup plus forte- ment bifurquée chez les Étourneaux que chez le Fregilupus et l’'Hartlau- bius, dans les proportions des différentes pièces de la boite crânienne, ete. En revanche, M. le docteur Murie a constaté de grandes ressemblances entre le Freoilupus, d'une part, le Pastor roseus et l'Acridotheres cristatellus, d'autre part, aussi bien dans la conformation du sternum et de la ceinture scapulaire que dans celle du bassin et du crâne. Le tube digestif du Fresilupus varius, dont nous n'avons pu faire mal- D Oiseaux, p. 314 et pl. 116. NOTICE SUR QUELQUES ESPÈCES D'OISEAUX. 215 heureusement qu'une étude rapide et sommaire sur un individu conservé dans l'alcool, nous a paru assez semblable dans son ensemble à celui de la Faleuha palhata® et de l'Hartlaubius madagascariensis. Le ventricule succenturié n'est pas nettement séparé de l'œsophage dont il semble une simple dilatation. Le gésier est globuleux, à parois musculaires très ré- sistantes et garni en dedans d'une épaisse couche cornée qui peut se subdiviser en deux feuillets et dont la surface intérieure offre des plis et des rides correspondant à ceux de la couche musculaire sous-jacente. Sur les deux tiers supérieurs de la hauteur du gésier, les plis affectent en général une direction longitudinale, tandis que, dans le dernier tiers, ils dessinent des zigzags, ils deviennent confluents et donnent à cette partie l'aspect rugueux d’une coquille de noix. L'intesun, d'un calibre à peu près umiforme sur la plus grande partie de son étendue, mesure en- viron o m. 29 de long. Les cœcums existent à peine et ne sont repré- sentés que par deux petits prolongements atteignant au plus o m. 001, c’est-à-dire aussi rudimentaires que chez la Faleulia palliata et à peine plus marqués que chez l'Hartlaubius madapascariensis, où nous avons eu beaucoup de peine à découvrir des indices de ces prolongements en faisant l'autopsie d'un spécimen conservé dans l'alcool. La langue res- semble exactement à celle de lHartlaubius madagascariensis Ÿ. Elle n'est pas subdivisée immédiatement en plusieurs filets dans sa portion termi- nale, ainsi que le disait Guéneau de Montheillard, mais elle est partagée au sommet, par une légère incision, en deux lobes pointus qui sont eux- mêmes eflilochés sur les bords. Elle est assez rigide, en forme de lamelle triangulaire et assez longue, sans dépasser la moitié de la mandibule infé- rieure La trachée-artère est d'un calibre moyen et à peu près uniforme, sans circonvolutions, et le larynx inférieur ou syrinx a son extrémité inférieure en partie cachée sous les muscles longs releveurs, formant deux masses contiguës, comme chez la Faleulia et chez l'Hartlaubrus. 0) A. Milne-Edwards et Alf. Grandidier, G) Voir Murie, op. cit., Proceed. Zool. Soc. Hist. de Madagascar, Oiseaux, pl. 120. Lond., 1834, p. 489 et 483, et pl. LXIT, @) Jbid., op. cit., pl. 116, fig. 9. fig. 10. 216 MM. A. MILNE-ED WARDS ET E. OUSTALET. Ces renseignements sur le squelette et les viscères du Frepilupus comblent en partie certaines lacunes signalées par M. le docteur Murie et n'infirment nullement les conclusions auxquelles ce naturaliste était arrivé relativement à la parenté de l'espèce de Bourbon avec les Martins-Ro- selins. Si la Huppe noire et blanche du Cap ne peut être placée, comme le voulait Wagler, purement et simplement dans le genre Pastor, si elle mé- rite de constituer le type d'un genre particulier, elle offre des affinités in- contestables avec le genre Pastor et le genre Acridotheres. Elle en présente de plus étroites encore avec lHartlaubius, qui constitue dans la grande fa- mille des Sturnidés un groupe un peu aberrant, et elle se rattache intime- ment à l'espèce éteinte de lle Rodrigue, ou Necropsar rodericanus. Nous ignorons si elle offre, d'autre part, des relations avec les Scssrrostrum, auprès desquels M. R. B. Sharpe a cru devoir la ranger, mais, en tout cas, 1} nous parait désormais nécessaire de rapprocher, beaucoup plus que ne le fait cet ornithologiste distingué, les Frepilupus des Pastor, des Acridotheres et même des Sturnopastor, et de les mettre immédiatement à côté des Hartlaubius. On peut remarquer d'ailleurs que ces aflinités sont traduites en quelque sorte par laspect extérieur des oiseaux, car les Sturnopastor ont les pattes robustes et les formes un peu lourdes du Fre- gulupus et portent souvent une livrée variée de noir et de blanc grisâtre, les Martins-Roselins offrent, avec une huppe de forme différente, un ensemble de teintes distribuées à peu près comme chez l'oiseau de Bour- bon, etc. La prétendue Huppe du Cap constituant désormais le type d'un senre, le genre Freoilupus, son nom spécifique doit être formé par l'ad- Jonction au nom de ce genre de l'épithète varius qui a été employée dès 1783 par Boddaert et qui a d'ailleurs l'avantage de ne pas consacrer une erreur manifeste comme les épithètes capensis où madapascariensis employées plus tard par Gmelin et par Shaw. Le nom de Freoilupus borbonicus proposé par M. Vinson serait évidemment préférable, mais les lois rigoureuses de la priorité s'opposent à son adoption. En tout cas, Re à Un il est absolument certain que ce nom équivaut rigoureusement à Fre- NOTICE SUR QUELQUES ESPÈCES D'OISEAUX. 217 gilupus varius et ne désigne pas une deuxième espèce, distincte de la précédente, comme la indiqué Giebel®. Enfin, toujours en vertu des lois de priorité, le nom générique de Lophopsarus Sund. doit être épale- ment rejeté. Du temps de Levaillant, c'est-à-dire en 1806, les Frevilupus varius n'étaient pas, à beaucoup près, aussi rares dans les collections qu'ils le sont aujourd'hui. Ce naturaliste avait pu, en effet, étudier jusqu'à huit exem- plaires de cette espèce, savoir : deux au Muséum d'histoire naturelle de Paris, d'autres dans les cabinets de MM. Gigot Dorey, Mauduvyt, l'abbé Aubry et Poissonnier, un autre chez son ami M. Rave, à Amsterdam, et un dernier dans sa propre collection. Nous ignorons absolument ce que sont devenus les exemplaires de Levaillant, de M. Raye, de MM. Gigot Dorev, Mauduyt, Aubry et Poissonnier, et nous ne savons s'ils ont été anéantis ou sils ont passé en d'autres mains. Un des deux spécimens du Muséum, pro- fondément altéré, sans doute par de maladroites fumigations, a dû être réformé 1l y a plus de soixante ans. Il a été remplacé, comme nous l'avons dit, par un magnifique spécimen, actuellement monté, donné par M. de Nivoy, et par deux spécimens dans l'alcool reçus de M. J. Desjardins. Un exemplaire de la même espèce, provenant de la collection de feu M. le comte de Riocour, dans laquelle 1l était entré en 1833, a été acquis récem- ment par le Musée britannique. Trois spécimens, fort bien conservés, se trouvent, d'après M. G. Hartlaub®, dans les Musées de Florence et de Pise; un exemplaire très ancien et en assez mauvais état figure dans les collec- üons du Musée de Leyde: un autre au Musée de Stockholm; deux spé- cimens sont conservés, dit-on, au Musée de Troyes; enfin un autre encore existe au Musée de Port-Louis, dans l'ile Maurice. Tels sont, à notre con- naissance, les seuls vestiges qui subsistent de cette espèce qui manque au Musée impérial de Vienne, au Musée de Berlin, au Musée de Dresde et dans beaucoup d'autres orands établissements scientifiques de l'Europe. 0 Thesaurus ornithologicus, 1874, t. IT, ®) Syst. Ueb. Vo. Madap., Journ. f. Ornith., p. 192. Cette erreur a été relevée par M. le 1860, p. 807. docteur Murie (op. cit., Proceed. Zool. Soc. 6) D'après M. Murie (op. cit., Proceed. Lond., 1834, p. 480). Zool. Soc. Lond., 183h, p. 475). 28 IMPRIMERIE NATIONALE, 218 MM. A. MILNE-ED WARDS ET E. OUSTALET. Le spécimen du Musée de Port-Louis est probablement celui que M. le docteur J. Desjardins mentionne en ces termes dans son Catalogue manu- serit() : + Un individu envoyé de Bourbon où 11 habite par M. Lepervenche Mézières ®, en juin 1834. [est conservé en peau, mais non pas monté», et dont il donne une deseription succincte. Le Frooilupus vartus, dont le squelette a été décrit par M. le docteur Murie, avait été tué par J. Verreaux à Pile Bourbon vers 1832. Le passage ci-dessus, extrait des notes de M. Desjardins, montre que des Frepilupus existaient encore à l'ile de la Réunion en 1834. L'espèce n'avait pas dis- paru en 1835, comme en témoignent les lignes suivantes, de la plume du même naturaliste : «Mon ami Marcelin Sauzier m'en a apporté quatre vivantes de Bourbon en mai 1835. Elles mangent de tout. Deux se sont échappées quelques mois après, et 1l pourrait bien se faire qu'elles peu- plassent nos forêts.» Le fait s'est1l produit? On serait tenté de le croire, car M. Desjardins ajoute : « À la séance du 5 janvier 1837 ©), il en a été présenté un individu empaillé par M. Liénard père, qui le tenait de M. Au- tard qui l'avait tué à la Savane. Ge dernier l’a assuré en avoir souvent vu en troupes considérables. » S'il s'agit bien 1e1 de la Savane dans File Mau- rice, les Freoilupus vartus auraient donc fondé une colonie dans cette ile où elles ne se rencontrent plus à l'heure actuelle, et où elles n'existaient pas originellement, puisque M. J. Desjardins écrivait en 1826, à propos de cette espèce : «[l n°y en a pas à l'ile Maurice. » La présence des Frevilupus à l'ile Bourbon est d’alleurs attestée par d'autres auteurs : ainsi Levaillant dit avoir appris d’un habitant de Pile que cette espèce (le Mérops huppé) vit en grandes bandes à Bourbon où elle fréquente les lieux humides et les marais, et cause de grands dom- mages aux caféiers. D'un autre côté, nous trouvons dans la Relation déja 9 Le Catalogue et les Notes de M. le ®) Ou Lepervanche-Mézière, membre de docteur Desjardins, mort à Paris en 1840, la Société d'histoire naturelle de l'ile Mau- ont été rédigés à l'ile Maurice, de 1830 à rice. 1838. Ces manuscrits sont actuellement la 5) De la Société d'histoire naturelle de propriété de lun de nous (À. Milne-Edwa rds). l'île Maurice. NOTICE SUR QUELQUES ESPÈCES D'OISEAUX. 219 citée du voyage de du Bois” la mention suivante ® concernant des oiseaux de terre : « Huppes ou Callendres, ayant un bouquet blanc sur la teste, le reste du plumage blanc et gris, le bec et les pieds comme un oyseau de rapine; 1ls sont un peu plus gros que les Pigeonnaux; c'est encore un bon gibier quand il est gras.» Les Huppes dont 1l est question dans ce passage sont évidemment des Freoilupus, de même que celles dont parle du Quesne dans un Rapport dont Leguat a donné un extrait Ÿ. «Outre les Oiseaux communs dans cette isle (Bourbon), dit du Quesne, je nommerai les Per- drix, les Tourterelles, les Ramiers, les Bécasses, les Räles, les Merles, les Grives, les Huppes, les Oves, les Butors, les Canards, les Poules d’eau, les Perroquets, les Aigrettes, les Géans, les Fous, les Frégates, les Moineaux et quantités d’autres petits oiseaux. » M. Alfred Newton avait cru découvrir encore une allusion, sinon au Freoilupus varius, du moins à une espèce du même genre, dans les lignes suivantes extraites d'un manuscrit datant de 1760 et intitulé Relation de l'ile Rodrigues ® : On trouve un petit oiseau qui n'est pas fort commun, car 1l ne se trouve pas sur la grande terre; on en voit sur l'ile au Mât, qui est au sud de la grande terre, et je crois qu'il se tient dans cette île à cause des oiseaux de proie qui sont à la grande terre, comme aussi pour y vivre avec plus de facilité des œufs de ces oiseaux de pêche qui y pondent, car 1ls ne mangent autre chose que les œufs ou quelques tortues mortes de faim qu'ils savent assez bien déchirer. Ces oiseaux sont un peu plus gros qu'un merle et ont le plumage blanc, une partie des ailes et la queue noires, le bec jaune aussi bien que les pattes, et ont un ramage merveilleux; Je dis un ramage quoiqu'ils en aient plusieurs, et tous diffé- 0 Le voyage fait par le sieur D. B. aux isles Dauphine ou Madagascar et Bourbon où Mas- carenne ès années 1667, 1670, 1071 et10672. 2 Voir A. Milne-Edwards, op. cit., Ann. des Sc. nat., Zoologie, 1866, 5° série, t. VI, p- 43 et 4h (note). %) Le voyage et les avantures de François Leguat, Amsterdam, 1350, t. 1, p. 55. ®) Ce manuscrit a été découvert dans les archives du Ministère de la marine à Paris (/sle de France, Correspondance générale, t. XIT, 1760) par M. Rouillard, magistrat de l'ile Maurice, qui en a pris copie qu'il a communiquée à M. Édouard Newton. Le frère de ce dernier, M. Alfred Newton, en a pu- blié des extraits dans les Proceedings de la Société zoologique de Londres en 1875 (pr10) 28. 220 MM. À. MILNE-ED WARDS ET E. OUSTALET. rents et chacun des plus jolis. Nous en avons nourri quelques-uns avec de la viande euite hachée bien menu qu'ils mangeaent préférablement aux graines des bois. » Ce que l’auteur anonyme de cette Relation dit de la taille de l'oiseau, de son plumage, de son régime et de son chant semble indiquer qu'il a voulu parler d’une espèce de la famille des Sturnidés. On sait en effet que les oiseaux de ce groupe sont de la grosseur d’un Merle ou un peu plus forts, qu'ils portent assez souvent une livrée de deux couleurs, qu'ils ont fréquemment le bec et les pattes jaunes, qu'ils se nourrissent principale- ment d'insectes et de fruits, mais que certains d'entre eux dévorent au besoin des charognes, et qu'enfin ils ont un ramage varié et quelque- fois tres agréable. Les couleurs et les dimensions assipnées à cet oiseau de Rodrigue sont même à très peu près celles du Frepilupus varius; toute- fois, comme on a trouvé, 1l y a quatorze où quinze ans, à l'ile Rodrigue les restes d’une autre espèce éteinte de la fanulle des Sturnidés, espèce que MM. Günther et Newton ont décrite sous le nom de NVecropsar roderi- canus®, il est probable que c'est plutôt de cette dernière qu'il est ques- üon dans le passage précité. En tout cas, il est bon de noter que cette es- pèce, quelle qu'elle fût, n'a pas été mentionnée par François Leguat, qui séjourna cependant pendant deux ans à File Rodrigue, à une époque an- térieure où fut écrite la Relation découverte par M. Rouillard. Leguat, qui était un observateur des plus consciencieux, dit expressément ?: «À Ro- drigue, 11 n°y a qu'une seule sorte de petits oiseaux; 1ls ne ressemblent pas mal aux Serins de Canarie, nous ne les avons jamais entendu chanter, encore qu'ils soient si familiers, qu'ils viennent se poser sur un livre qu'on lient à la main.» Évidemment ces petits oiseaux plus ou moins sem- blables à des Serins ne pouvaient être des Freoilupus ni des Necropsar G), Peut-être ces derniers, habitant déjà à cette époque, non la grande terre, (0 Philosophical Trans. , 1839, t. CLXVII, p- 427, pl. XLIE, fig. À. G. ? Le voyage et les avantures de François Leouat, Amsterdam, 1750, t. [, p. 107. 5) Comme la fait observer M. Newton, le portrait que Lepuat à laissé de ces petits oiseaux ne convient pas même au Foudia flavi- cans ni à la Drymoica rodericanu , les seuls Pas- sereaux que l’on trouve actuellement dans l'île. Ces deux espèces, qui se sont établies peut-être à Rodrigue à une date relativement récente, ont en effet un chant très agréable. NOTICE SUR QUELQUES ESPÈCES D'OISEAUX. 221 mais un ilot voisin, sont-ils demeurés inconnus de Lepuat et de ses com- pagnons. L'indication de la présence du Freoilupus varius à Madagascar provient certanement du rapprochement établi d'abord par Guéneau de Montbeil- lard, et ensuite par Vieillot, entre cette espèce et Le Tiuouch où Tivouch de Flacourt, qui n'est probablement autre chose que la Huppe bordée, Upupa maroinala Peters D, Flacourt dit en effet, en parlant des oiseaux de Mada- gascar qui hantent les bois® : + Tiuouch, c'est la huppe; il est tacheté de noir et de gris, et a une belle crête de plumes», ce qui ne signifie pas que l'espèce en question n'ait eu sur son plumage d’autres couleurs que le noir et le gris, mais simplement que la livrée offrait des marques noires et grises. Or la Huppe commune de Madagascar, l'Upupa maroinala, offre en effet, sur les épaules, sur les ailes, sur la queue et sur la huppe des taches et des bandes, les unes noires, les autres d’un blanc sale). Peut-être même, dans certains cas, la confusion a-t-elle été établie non seulement entre la Huppe noire et blanche et la Huppe bordée, mais entre cette même espèce et la Falculia palliata, autre oiseau de Madagascar qui rappelle un peu les Huppes par son bec recourbé et qui porte une livrée de deux cou- leurs ". En tout cas, on peut aflirmer que le Frepilupus n'existe pas et na jamais existé à Madagascar. [l ne se trouve pas davantage, 1l est presque inutile de le rappeler, au Cap de Bonne-Espérance. Levaillant avait déjà, au commencement de ce siècle, déclaré qu'il n'avait jamais rencontré l'es- pèce dans ses pérégrinations à travers l'Afrique australe et avait indiqué l'ile Bourbon comme étant l’une des contrées habitées par l'oiseau. Enfin cest par suite d’une erreur plus grossière encore et tout à fait Inexplicable que Bowdich a indiqué l'ile de Porto-Santo comme lieu d'origine de la prétendue Huppe du Cap. (Dans l'Histoire physique, naturelle et po- 6) Voir A. Milne-Edwards et Alf. Gran- litique de Madagascar (Oiseaux, p. 143), le didier, Hist. phys., nat. et politique de Mada- Tivouch a été indiqué comme identique au gascar, Oiseaux, 18739, p. 270 et pl. 93 Coua cristata, ce qui maintenant nous semble à 9. douteux. () À, Milne-Edvards et Alf. Grandidier, ®) Relation de la grande isle de Madagascar, op. cit., p. 304 et pl. 117 à 120 inelusi- Paris, 1661, p. 166. vement. 229 MM. A. MILNE-ED WARDS ET E. OUSTALET. Le Frooilupus vartus avait done pour patrie l'ile de la Réunion et était très probablement propre à cette île, d'où 1l paraît avoir complètement dis- paru à heure actuelle, les derniers individus ayant dû être tués de 1838 à 1898, époque à laquelle, chose curieuse, d'autres espèces intéressantes ont été rayées de la faune contemporaine. Dans les Recherches sur la Faune de Madavascar, de Pollen et Van Dam, publiées en 1868, M. Pollen disait en effet" : «Cette espèce est devenue tellement rare à la Réunion qu'on n'en à pas entendu parler depuis une dizaine d'années. Elle a été dé- truite dans toutes les parties du littoral, même dans les montagnes peu éloignées de la côte. Des personnes dignes de foi m'ont cependant assuré quelle doit exister encore dans les forêts de l'intérieur, près de Sant-Jo- seph. Les vieux créoles que J'ai consultés à ce sujet me disaient que, dans leur jeunesse, ces oiseaux étaient encore communs et qu'ils étaient telle- ment stupides qu'on pouvait les tuer à coups de bâton. Les créoles de l'ile lui donnent le nom de Huppe. Ge n'est done pas à tort qu'un habitant dis- üingué de l'ile de la Réunion, M. À. Legras, s'exprimait sur cet oiseau dans les termes suivants : + La Huppe est devenue tellement rare qu'à “peine nous en avons vu une douzaine dans nos péréprinations à la dé- -couverte des oiseaux; nous avons même eu la douleur d'en chercher +vainement un spécimen dans notre Musée. » Ce n'est donc pas d'après un exemplaire de ce Musée, mais d'après un spécimen d'une collection particulière que doit avoir été exécutée la planche insérée dans L'Album de l'ile de la Réunion ?. Le Freoilupus varius à dù être précédé dans la tombe par le Necropsar rolericanus, placé dans des conditions encore moins favorables, tandis que l'Hartlaubius madagascariensis, ayant un domaine beaucoup plus vaste, des ressources plus variées, des retraites mieux assurées, s'est perpétué Jusqu'à nos Jours. Quelles sont les causes de la disparition du Frepilupus? C'est ce qu'il est assez difficile de déterminer. Fautal l'attribuer, comme on la fait quelque- fois. à l'introduction à l'ile de la Réumion du Myna de l'Inde (Acridotheres P.104. Voir À. Murie, Proceed. Zool. Soc. Lond., 1854, p. h19 (note). — ® P, 50. NOTICE SUR QUELQUES ESPÈCES D'OISEAUX. 293 Lists), qui aurait exterminé et supplanté l'espèce indigène? Peut-être en partie, quoiqu'il semble que cette introduction, faite par Poivre en1755, aurait dû produire plus tôt ses effets. Faut-il admettre que les Rats, qui se sont rapidement multiphiés dans les iles Mascareignes, ont été les auteurs de la destruction des Freoilupus, dont ils détruisaient les œufs? Nous avons quelque peine à admettre, les Freoilupus ayant dû nicher sur les arbres ou dans des cavités peu accessibles aux Rongeurs. Faut-il enfin supposer que les Freoilupus ont été exterminés par les colons, en partie à cause des dépâts qu'ils causaient dans les plantations, en partie à cause des qualités de leur chair? Cette explication nous semble de beaucoup la plus vraisem- blable, d'autant plus qu'à une date récente, les Mynas eux-mêmes ont failli être définitivement proscrits, en dépit des services qu'ils rendaient comme destructeurs d'Acridiens. Guéneau de Montheillard et Levaillant nous apprennent que les Huppes du Cap causaient des ravages dans les plantations de café et que, dans l'estomac d’un individu de cette espèce, on avait trouvé des graines et des baies de Pseudobuxus; mais, à l'exemple des Mynas et des autres Stur- nidés, les Freoilupus devaient aussi faire la guerre aux Insectes et mêlaient sans doute des Orthoptères, des Coléoptères coprophages aux fruits et aux graines de diverses plantes sauvages ou cultivées ®. Tel est, du reste, le régime des Hartlaubius ?. Malheureusement lautopsie de deux Frepilupus na pu nous fournir à cet épard aucune indication, ces individus ayant le gésier et l'intestin complètement vides. Comme les Étourneaux et comme les Hartlaubius, les Frepilupus fréquentaient les endroits humides et vi- vaient en troupes, ce qui rendait leur chasse et leur destruction plus faciles. Nous ne possédons malheureusement aucun renseignement sur leur mode de mdification, sur le nombre et la couleur de leurs œufs, dont il n'existe, à notre connaissance, aucun spécimen dans les Musées de l'Europe. Toute incomplète qu'elle est, cette notice apportera, nous l'espérons, (M Le docteur Desjardins constate en ef- op. cit., p. 314. Dans le gésier d'un Hart- fet, dans ses notes, qu'un Frepilupus, gardé laubius dont nous avons fait l'autopsie, nous en cage, manpgeait de tout. n'avons trouvé cependant que de petites ®) À. Milne-Edwards et Alf. Grandidier, graines à enveloppe dure et velue. 224 MM. A. MILNE-ED WARDS ET E. OUSTALET. quelque lumière sur des points encore obscurs de l'histoire du Freoilupus varius ; elle fournira de nouvelles preuves à l'appui de l'opinion exprimée par M. le docteur Murie, relativement aux affinités zoologiques de cette espèce et, par le rapprochement que nous établissons avec la Faleulia pal lata et VHartlaubrus madaoascariensis, contribuera à resserrer les liens qui unissent la faune de l'ile Bourbon avec celle des autres iles Mascareignes. LA COLOMBE HÉRISSÉE. (ALEGTROENAS NITIDISSIMA. ) Planche IE. Dans le cours de son voyage aux Indes orientales et à la Chine, Son- nerat rencontra à l'ile de France une espèce de Pigeon des plus remar- quables, dont 1l rapporta un spécimen au Muséum d'histoire naturelle et quil déerivit, dans la Relation de son voyage, sous le nom de Pioeon hollandais, nom qui faisait allusion, soit aux premiers possesseurs de File de France, soit, comme le dit M. Alfred Newton), à la livrée de l'oiseau sur laquelle on trouve les trois couleurs, rouge, blanc et bleu, du pavillon hollandais. Bientôt après, cette même espèce fut mentionnée par La- Cham et par Gmelin®, qui l'appelèrent, le premier Hackled PiveonŸ, le second Columbia Franciæ, puis par Scopoli®, qui la nomma Columba n'li- diss'ma. Plus tard, le Pigeon hollandais de Sonnerat fut décrit et figuré de nouveau, sous le nom de Ramier hérissé, par Levaillant®, qui, le confon- dant avec une autre espèce, prétendit l'avoir rencontré en troupes nom- breuses dans l'Afrique australe, et sous le nom de Colombe hérissée, par 0 Voyage aux Indes orientales et à la Chine BSyst. Nat; 1588, 1, p.770 nue Jait depuis 1774 jusqu'à 1781, in-h°, Paris, 6) Littéralement Pigeon à efiilochures, à 1782, t. Il, p.175 et pl. 101, et édit. Son- cause de la forme lancéolée des plumes du nini, 1806, t. IV, p. 302. camail. 2) Proceed. Zool. Soc. Lond., 1839, p. 3. (6) Deliciæ Flore et Faune Insubrice, 6) General Synopsis of Birds, in-h°, Lon- in-fol., Ticini, 1786-1788, p. 93, n° 89. dres, 1781-1785, t. II, part. 2, p. 641, 0) Histoire naturelle des Oiseaux d'Afrique, n° 36. Plus tard, dans son /ndex ornitholo- in-h°, Paris, 1799-1808, t. VI, p. 74, greus (Londres, 1790, Columbæ, sp. h9), pl. 267. Voir aussi Sundevall, Kritik Frams- Latham adopta le nom de Columba Francie. tälln., p. 53. NOTICE SUR QUELQUES ESPÈCES D'OISEAUX. 225 Temminck, qui, par suite d'une confusion plus excusable avec le Fou- ningo ®, lui assigna, en outre, pour patrie, la grande ile de Madagascar. La Columba batavica de Bonnaterre ), la Columba jubata de Wagler!”, doivent encore être assimilées à la même espèce que G. R. Gray prit pour type d’un nouveau genre, en l'appelant Alectrœnas nitidissima. C'est sous ce dernier nom qu'elle figure aussi dans le Conspectus Avium de Ch. L. Bonaparte, dans les Études sur l’'Ornitholooie de Madagascar du docteur G. Hartlaub® et dans un Mémoire spécial de M. Alfred Newton . La description que Temminck a donnée de la Colombe hérissée étant généralement très exacte et ayant été rédigée d'après l'exemplaire de la collection du Muséum que nous avons sous les yeux, nous ne croyons pou- voir mieux faire que de la reproduire, en y ajoutant quelques détails et en l’accompagnant de quelques observations. +Ce magnifique Pigeon, dit Temminck, se distingue de toutes les autres espèces de la famille columbace (sc) par la forme singulière des plumes du cou. .... Des plumes étroites et lustrées ornent sa tête; 1l porte sur le cou une large touffe composée de longues plumes qui se des- sinent élégamment sur le haut du dos où elles paraissent former une espèce de manteau nuancé de teintes d'un blanc argentin. Gette couleur opére un contraste admirable avec les diverses tentes de bleu foncé ré- pandues sur les autres parties du corps; lorsque les doux feux de l'amour viennent, au renouvellement de la saison, aiguillonner le désir des jouis- sances, ou bien lorsqu'un objet imprévu inspire la crainte à cette Co- lombe, elle s'embellit encore en redressant et en faisant revenir par-dessus sa tête toutes les longues plumes dont le cou est décoré.» En lisant ces dernières lignes, on croirait vraiment que Temminck a eu sous les yeux M Histoire naturelle générale des Piveons, — Au nom générique d'Alectrænas, Apassiz avec figures, par M" P. de Courcelles, in-fol., (Nomenclator zoologicus, p. 38) donna la Paris, 1808, t. I, p. 50 et pl. XIX. . forme, sans doute plus correcte, d’Alec- 2) Funingus madagascariensis L. lorænas. 3) Tableau encyclopédique et méthodique (En- OST ESE D 20: cycl. méthod.), 1790-1893, p. 233. M) Beiträge z. Fauna Madagascars, p. 65, Syst. Avium, 1827, Columba, sp. 22. et Vogel Madagascars , 1877, p. 263 , n° 16h. % List of Genera of Birds, 18h0, p. 58. S) Proceed. Zool. Soc. Lond., 1879, p. 2. 29 IMPRIMERIE NATIONALE, 226 MM. A. MILNE-ED WARDS ET E. OUSTALET. non pas un spécimen empaillé et rigide, mais un oiseau vivant! C'est évidemment en s'inspirant de cette peinture enthousiaste que l'artiste, Me Pauline de Courcelles", a représenté la Colombe hérissée avec les plumes du camail hirsutes, le bec entr'ouvert et les ailes soulevées. + Toutes les plumes de la tête, du cou et de la poitrine, dit encore Temminck, sont longues, étroites et se terminent en pointe. Leur forme est extraordinaire; l'extrémité est dure, cartilagineuse et polie; elle parait former un prolongement aplati de la baguette; sa substance ressemble aux appendices lustrés qui terminent quelques plumes alaires du Jaseuwr de Bohéme, ainsi qu'a ces larges lames cartilagineuses dont est pourvue une espèce de coq sauvage des Indes. » Les plumes du camail de lAlectrænas mitidissima présentent, en eflet, une structure particulière; mais il n'est pas tout à fait exact de dire, comme Île fait Temminek, que l'extrémité de leur tige s’aplatit en une pa- lette comparable à celles qui terminent certaines plumes alaires du Jaseur ou les plumes du camail du Coq de Sonnerat; en réalité, c’est sur la plus grande partie de la longueur de la plume que la tige se modifie, prenant l'aspect d’un demi-tuyau transparent, d’une moitié de tube corné, fendu longitudinalement. Ce demi-tuyau est plus où moins efliloché, et ce sont ces filaments latéraux qui représentent les barbes, au moins sur les plus longues plumes du camail, car les premières plumes, voisines du menton ou insérées sur la porge, offrent une conformation moins anormale. Nous ne connaissons, mi parmi les Funingus qui, comme nous le verrons tout à l'heure, ont des affinités très étroites avec l’Alectrænas nihdissima, ni parmi les Pigeons des autres groupes, aucune espèce qui possède des plumes de cette nature. L'Alectrænas nitidissima mesure, ainsi que le dit Temminck, environ 19 à 13 pouces de long (anciennes mesures françaises), c'est-à-dire 0 m. 320 °); mais ses ailes, lorsqu'elles sont ployées, dépassent un peu le milieu de la queue et ont o m. 235 de long; la queue, un peu usée et Qui devint plus tard M"° Knip. — ® C'est bien à tort que Sonnini (Voyage de Sonnerat, édit. 1806, &. IV, p. 302) décrit le Ramier hérissé comme étant beaucoup plus grand que le lamier d'Europe. NOTICE SUR QUELQUES ESPÈCES D'OISEAUX. 227] incomplète, devait être formée de pennes ayant à tres peu prés toutes la même longueur, c'est-à-dire o m. 135; le bec a o m. 025 le long du culmen et o m. 028 de la pointe à la commissure des mandibules ; le tarse, o m. 020; le doigt médian sans l'ongle, o m. 039. Les côtés de la tête, depuis la base des mandibules jusqu'à o m. 005 ou o m. 006 en arrière de l'œil, sont complètement dénudés; il en est de même de la partie du front immédiatement contiguë à la mandibule supérieure, mais peut- être dans cette région quelques plumes sont-elles tombées. Toutes les parties nues, de même que la peau dans laquelle sont percées les narines, paraissent avoir été d’un rouge vermillon, comme cela a été représenté dans la planche de M°° P, de Courcelles. De même, les pattes, qui sont coloriées en noir bleuâtre sur cette planche et que Sonnerat indique comme ayant été noires, doivent avoir été plutôt d'un violet rougeâtre ou même franchement rouges dans l'oiseau vivant. Elles sont emplumées presque jusqu'à la naissance des doigts, qui sont robustes et armés d'ongles recourbés, de couleur brune. Le bec est jaune à la pointe et un peu noirâtre au milieu, et, d'après Sonnini, les veux auraient été rouges. Le camail qui couvre le sommet de la tête, la nuque et le cou est, dans le spécimen que nous avons sous les yeux et dont les teintes paraissent avoir été altérées, d'un blanc jaunâtre, un peu tacheté de noir sur la porge et sur les côtés du cou, mais dans l'oiseau vivant il devait être en majeure partie d’un blanc argentin ou grisâtre, et certainement d’un blanc moins cru que sur la figure de l'ouvrage de Temminck: le dos, les épaules et les partes inférieures du corps, depuis la poitrine jusqu'a la région sous- caudale inclusivement, sont au contraire d’un beau bleu indigo, à reflets violacés, rappelant beaucoup la teinte du manteau du Funinous madapas- cariensis, mais de nuance un peu plus foncée. Les grandes pennes alaires ürent au noir sur leurs barbes internes et les pennes caudales sont en majeure partie d'un beau rouge carmin, un peu plus vif que chez les Fu- nnous madasascariensis; toutefois, absolument comme chez ce dernier, 1l y à aussi du bleu foncé le long de la tige des rectrices médianes et sur les 1 Voyage de Sonnerat, édit. 1806, t. IV, p. 303. 29. 2928 MM. À. MILNE-ED WARDS ET E. OUSTALET. quatre cinquièmes environ des rectrices latérales, dont la portion termi- nale seule est d’un rouge cramoisi. I suit de jeter un coup d'œil sur les figures de PA lectrænas nitidissima qui ont été publiées antérieurement et sur celle que nous donnons aujour- d'hui pour se convaincre que ce Pigeon n'a absolument rien de commun avec les Ramiers dans le groupe desquels Levallant avait cru devoir le classer et qu'il offre au contraire une grande ressemblance avec les Fou- ningos (Funinous) de Madagascar et des Seychelles). Comme ceux-ci, il a des formes ramassées et un peu massives, le bec court, renflé dans son üers terminal, déprimé à la base, les pattes robustes, les côtés de la tête dénudés, le cou revêtu d’un camail dont les plumes contrastent par leur aspect et leur mode de coloration avec celles du reste du corps. Par les teintes générales du manteau et de la queue, il rappelle même singulière- ment le Founingo de Madagascar ou Funinous madagascariensis ?, dont il se distingue cependant aisément par sa taille plus forte, par sa queue rela- üvement un peu plus développée et surtout par son camail dont les plumes offrent une structure tout à fait anormale. Ce dernier caractère est même à vrai dire la seule particularité extérieure qui permette de séparer géné- riquement lAlectrænas nitidissima des Funinous, qui eux-mêmes ont des affinités évidentes avec les Pigeons verts où Phlopus. L'Alectrænas nihdissima n'est plus représenté, à l'heure actuelle, dans les collections publiques, que par trois spécimens, savoir : 1° Un spécimen au Muséum d'histoire naturelle de Paris. Ge spécimen, provenant du voyage de Sonnerat, est le seul et unique individu que ce na- turaliste ait rapporté (le catalogue manuscrit de sa collection en fait foi). 1) Ces analogies avaient déjà été recon- p.163), qui l'a comparé à un Biset ou à un nues par Sonnini (Voyage de Sonnerat. édit. Ramier. 1806 ). 2 À, Milne-Edwards et AÏf. Grandidier, Hist. phys., nat. et polit. de Madagascar, Oi- seaux, p. 476 et pl. 193, 194, 195. Le Funingus madagascariensis à été mentionné sous le nom de Fanou Manghe par Flacourt (Histoire de la grande isle de Madagascar, 1661, 8) Ce catalogue, conservé dans les ar- chives du Muséum, ne mentionne qu'un spé- cimen. C’estévidemment parerreur que Tem- minck (Hist. nat. des Pigeons, L. 1, p. 51) et, d'après lui, M. Alfred Newton (Proceed. Zool. Soc. Lond., 1879, p. 3) disent que Sonnerat a rapporté deux spécimens d'Alectrænas. NOTICE SUR QUELQUES ESPÈCES D'OISEAUX. 229 et presque certainement le seul exemplaire qui ait jamais figuré dans les collections du Muséum. Ce spécimen est malheureusement dans un état de conservation qui laisse à désirer, quoique depuis longtemps il soit l'objet de soins exceptionnels. De même que le Perroquet mascarin. il a été, à la fin du siècle dermier, victime de fumigations qu'on avait eu la malencontreuse idée d'employer pour combattre les ravages des insectes et qui ont eu pour effet de ternir les couleurs des oiseaux, d'altérer ou de ronger leurs plumes: 2° Un spécimen au Musée de Port-Louis (ile Maurice). Ce spécimen provient sans doute de l’ancienne collection de M. le docteur J, Desjardins, qui. après avoir résidé à Flacq, dans l'ile Maurice, mourut à Paris le 18 avril 18/40. Dans le catalogue manuserit de cette collection, catalogue que possède l’un de nous, nous trouvons en effet sous la rubrique Columba Francie Sonner., suivie d’une courte synonymie, cette indication précieuse : + Individu tué dans les forêts de la Savane, en 1826, par E. (Geoffroy. Il ma été donné par sa veuve le 22 mat 1829. Il est bien facile à distinguer par les plumes de la tête et du cou, qui sont blanches et d'une nature dif- lérente des autres plumes. Tout le reste de l'oiseau est en général d'un beau bleu noirâtre et une grande tache rouge sur la queue. Longueur totale, 13 pouces.» Cette courte description ne laisse aucun doute sur l'exactitude de la détermination de l'espèce : 3° Un spécimen au Museum of Science and Art, à Édimbourg. Ce spé- cimen, qui demeura longtemps ignoré, fut présenté à la Société zoologique de Londres, le 1 4 janvier 1879. par M. le docteur Traquair, et donna leu à d'intéressantes observations de la part de M. Alfred Newton ?. D'après ce dernier naturaliste, 1l aurait été acquis vers 1816 par l'Université d'Édim- bourg avec ce qu'on appelait la collection Dufresne, et quelques années plus tard il fut transporté au Museum of Science and Art, où il se trouve actuel- lement. L'étiquette porte : The Hackled Piseon, Phlopus nihdissimus Scop. Loc. Isle de France, Columba Franciæ Dufresne . et sur la face inférieure du support de l'oiseau on lit ces mots : The Hackled Piweon, 219. Columba () Du temps de Temminck, en 1808, quelques spécimens et entre autres PAlectrænus étaient déjà ainsi détériorés. — ®) Proceed. Zool. Soc. Lond., 1879, p. 2. 230 MM. A. MILNE-ED WARDS ET E. OUSTALET. Franciæ L. M. Newton se demande comment ce spécimen et les autres ob- Jets de la collection Dufresne sont parvenus à Édimbourg. Pour répondre à cette question, nous rappellerons que, dès l'an vi (1798-1799), Dufresne était attaché au Muséum d'histoire naturelle de Paris, où 11 s'occupait alors du montage des animaux, et qu'un peu plus tard, sans quitter le Muséum, il devint conservateur du Gabinet d'histoire naturelle que lImpératrice Jo- séphine avait établi dans sa résidence de la Malmaison. Après son divorce, l'Impératrice parait s'être désintéressée de la collection qu'elle avait formée, en partie avec des objets qui lui avaient été offerts, en partie avec des spécimens qui lui avaient été donnés par le Muséum, vers 1798 ou 1799, pour la plupart en échange d'autres exemplaires. Nous avons trouvé, en effet, dans un ancien registre une note de la main de Dufresne constatant, à la date du 13 mars 1811, qu'à la suite d’une lettre reçue par M. Geoffroy Saint-Hilaire et transmise par M. Bonpland, le 11 mars, «les professeurs l'ont autorisé à choisir parmi les oiseaux que possède S. M. l'Impératrice et dont il est le dépositaire tous ceux qui manquent dans les galeries (du Muséum)». Une autre note nous apprend que Dufresne fit choix de 1 9 spé- cimens dont 1} donne l'énumération et parmi lesquels ne figure point la Columba Francie où Alectrænas nitidissima. On ne peut en conclure évidem- ment que l'espèce n'ait point été représentée dans les collections de la Mal- maison, puisque Dufresne a dû se borner strictement à choisir les espèces manquant au Muséum. Or l’Alechænas n'était point dans ce cas, puisque alors déjà figurait dans les collections le spécimen rapporté par Sonnerat, Mais si, ce qui d'ailleurs est une pure hypothèse, un exemplaire d’Alec- trænas nitidissima donné à FImpératrice par quelque voyageur faisait partie des collections de la Malmaison, particulièrement riche en oiseaux exo- tiques et en coquilles, cet exemplaire a dû partager le sort desdites collec- lions ou plutôt du reste de ces collections, soit que celles-ci aient été dis- persées au moment du pillage du château par des soldats des armées alliées en 1814, soit plutôt qu'elles aient été vendues entièrement par les soins de Dufresne. D'une façon ou de l'autre, un exemplaire d’'Alectrænas aurait pu, précisément vers 1816, parvenir en Écosse et y être incorporé dans la collection publique comme acquis de Dufresne. Toutefois une autre sup- NOTICE SUR QUELQUES ESPÈCES D'OISEAUX. 231 position nous parait encore beaucoup plus vraisemblable; c'est que Du- fresne possédait une collection personnelle dans laquelle se trouvait un spécimen d'Alectrænas milidissina, que cette collection a été vendue à la mort de son propriétaire et achetée, au moins en partie, par un établisse- ment scientifique de la Grande-Bretagne. Dans les notes manuscrites du docteur Desjardins, nous trouvons en effet, à propos de la Columba Franciæ, les extraits suivants du Voyage pittoresque à l'ile de France de Milbert!”, qui se rapportent évidemment à cette espèce: « Le Pigeon à crinière, les ha- bitants de l'ile de France le nomment Pioeon hollandais; la tête, le cou et la poitrine sont ornés de plumes blanches, longues, pointues, quil peut relever à volonté; le reste du corps ainsi que les ailes sont d’un beau violet foncé; d'extrémité de la queue est d’un rouge pourpré; c’est une des plus belles espèces de ce genre. . ... Cet oiseau vit solitaire dans l’enfon- cement des rivières, où J'ai souvent eu l'occasion de le voir, sans avoir pu men procurer un individu. Ï se nourrit de fruits et de coquilles fluvia- teste Espèce rare apportée en France par M. Mathieu. M. Dufresne, qui ma communiqué celle note, la possède dans sa mapmfique collection. » C'était probablement de ce M. Mathieu ® que M. Dufresne tenait le spé- amen d'Alectrænas qui est arrivé par la suite au Musée d'Édimbourg. Quant au British Museum of Natural History, À n'a jamais possédé de re- présentant de l'espèce, et c’est par erreur que G. R. Gray a signalé VA lec- lrænas parmi les oiseaux figurant dans les galeries ou dans les magasins de ce grand établissement. Il est absolument certain aujourd'hui que PAlectrænas nihdissima n'a jamais habité l'ile de Madagascar, comme MM. Pollen et Van Dam l'avaient supposé”, et qu'il vivait exclusivement à l'ile de France ou ile Maurice, 0) 9 vol. in-8°, Paris, 1812, 1. IT, p.259 et 260. ®) Dans un ancien registre contenant les Rapports manuscrits sur les travaux du La- boratoire de Zoologie en 1811, nous avons trouvé cette indication précieuse, de la main du Dufresne, que M. Mathieu, chef de ba- tallon d'infanterie de marine, venait (en juillet 1811) d'arriver de l’île de France, où il était resté pendant huit ou dix ans et où il avait recueilli avec beaucoup de soin une très grande quantité d'objets d'histoire naturelle, dont il avait donné une partie au Muséum, en échange de quelques coquilles. 6) Recherches sur la Faune de Madagascar, Oiseaux, p. 158. 232 MM. A. MILNE-ED WARDS ET E. OUSTALET. d'où Sonnerat avait rapporté le spécimen qui figure encore dans les ga- leries du Muséum. Nous trouvons du reste d'assez nombreuses allusions à cette espèce dans les récits des voyageurs qui ont visité l'ile de France dans le cours du xvn° et du xvmn° siècle, ainsi que dans quelques ouvrages traitant des productions naturelles de notre ancienne colonie. Ainsi Fran- cois Cauche nous apprend" qu'il y avait des Ramiers à l'ile Maurice en 1628 et l'abbé Lacaille rapporte ® qu'on y voyait, en 1754, des Ramiers de deux sortes, dont une est un manger très délicat, mais fort pernicieux. On lit encore dans le Voyave à l'isle de France de Bernardin de Saint- Pierre ® : + [1 y a un Ramier appelé Pigeon hollandais dont les couleurs sont magnifiques et une autre espèce d'un goût agréable, mais si dange- reuse que ceux qui en mangent sont saisis de convulsions ; » dans les Études de la Nature du même auteur, on trouve ce passage!” : + Plusieurs oiseaux qui vivent entre les tropiques, au sein des noirs rochers, ou à l'ombre des sombres forêts, sont de la couleur d'azur : tels sont la Poule de Batavia qui est toute bleue, le Pigeon hollandais de l'ile de France, » ete.; enfin, dans les Harmones de la Nature, 1 est question de «ces oiseaux bleus de passage qu'on y appelle Pigeons hollandais ». De ces derniers mots on peut conclure que les Pigeons hollandais étaient communs vers 1769, époque du séjour de Bernardin de Saint-Pierre à l'ile de France, où peut-être 1ls ne résidaient pas toute année, émigrant sans doute à certaines saisons vers des iles voisines. [ls y étaient encore fort répandus en 1790 et ils y ont vécu au moins Jusqu'à 1826, époque à laquelle, comme nous l'avons dit plus haut, un individu de cette espèce fut tué à la Savane par M. E. Geoffroy. Ce spécimen est peut-être le der- mer Pigeon hollandais que lon ait pu obtenir et les recherches effectuées à l'ile Maurice dans le cours de ces dernières années n'ont pu faire décou- vrir aucun représentant vivant dans les forêts de Maurice Ÿ, et, ce qui 1) Relations véritables et curieuses de l'ile G) Paris, 1784, et édit. in-8°, Paris, de Madagascar, in-h°, Paris, 1651. 1825, t. IL, p. 139. 2) Histoire de l Académie des sciences, in-h°, 5) Paris, 1790. Paris, 1759, p. 109. Voir A. Newton, op. cit., Proceed. Zool. ) In-8°, Amsterdam, 1573, t. Il, p.129. 500. 4879, pu0e NOTICE SUR QUELQUES ESPÈCES D'OISEAUX. 233 est plus étrange, aucun vestige de l'espèce dans les gisements qui ont fourni les restes d'autres oiseaux disparus. Un autre Pigeon de File Maurice, la Trocaza Meyeri®), aura bientôt sans doute le triste sort de PAlectrænas nitidissima. C'est peut-être à cet autre Pigeon, plutôt qu'au Ramier hérissé, que se rapporte le passage suivant, qui est extrait de la Relation du second voyage des Hollandais aux Indes orientales, en 1598% : «ll y a (à l'ile Maurice) une multitude d'oiseaux, particulièrement des tourterelles : les matelots en prirent jus- qu'à cent cinquante dans une seule après-dinée, et s'ils en avoient pu emporter davantage, ils en auroient pris en la main, ou tué avec un bâton autant quils auroient voulu.» L'auteur de cette Relation ajoute que la qualité de la chair de ces oiseaux faisait trouver mauvaise la chair du Dronte. Nous hésitons encore moins à attribuer à la Trocaza Meyerr quelques lignes tirées de la Relation du deuxième voyage d'Estienne van der Ha- sen. Après avoir raconté que les marins de l'expédition furent atteints, durant une relâche à l'ile Maurice en 1607, d’une indisposition singulière caractérisée par une extrême faiblesse, et avoir rapporté que quelques personnes attribuërent cette indisposition à Pusage de la chair d’une cer- taine espèce de Poisson, l'auteur ajoute : «D'autres ont imputé cet effet à des Pigeons qu'on y mange et qui sont rouges aussi bien par le corps qu'à la queue, ce qui ne peut non plus avoir lieu; car quelques-uns de ceux qui en mangerent ne furent point malades et ceux qui l'avoient été en mangérent quantité après être relevez de maladie et trouverent que la nourriture en étoit bonne. » Ce qui prouve quil s'agit bien ici de la Trocaza Meyeri et non de PAlec- 0) Cest par erreur que M. G. Hartlaub G. Hartlaub, Voy. Madap., p. 265 , n° 166; dit (Vogel Madagascars, p. 26h) que des restes fossiles d’Alectrænas nitidissima ont été trouvés à l'ile Maurice par M. H. Slater. (Voir À. Newton, op. cit., Proceed. Zool. Soc. Lond., 1879, p. 4.) 2 Columba Meyeri March., Temminck et Knip, Hist. nat. des Pigeons, t. 1, p. 60; Trocaza Meyeri, Ch. L. Bonaparte, Consp. Avium, t. 1, p. 45. 8) Recueil des voyages qui ont servi à l'éta- blissement et aux progrez de la Compagnie des Indes ,nouv.édit., Rouen, 1729 ,t.1L,p.159. (1) Recueil des voyages, ete., 1799, & V, ELU 30 IMPRIMERIE NATIONALE, 231 MM. A. MILNE-ED WARDS ET E. OUSTALET. lrænas nitidissima, eest que : 1° la Trocaza Meyeri a le plumage d'une teinte rougedtre claire, passant au rouge vineux sur le cou, la gorge, le manteau, les flancs et les sous-caudales, et au rouge cannelle sur la queue, tandis que PAlectrænas nitidissima a le manteau bleu et la queue rouge; 2° dans le passage cité plus haut du Voyage à l'isle de France de Bernardin de Saint-Pierre, il est dit formellement que le Pigeon de l'ile Maurice dont 1l est dangereux de manger la chair n’est pas le Pigeon hol- landais, mais une deuxième espèce, c'est-à-dire certainement la Trocaza Meyer". De cette constatation nous pouvons tirer quelques déductions intéres- santes. En effet, si la Trocaza Meyer passait, à tort ou à raison, pour une espèce vénéneuse Ÿ, on comprend qu'elle ne devait pas être fort recher- chée, tandis que lAlectrænas mihdissima, dont la chair était sans doute aussi savoureuse que celle du Founingo de Madagascar, devait être au contraire l'objet d'une chasse très active. Par conséquent, la dermière était fatalement condamnée à disparaitre bien plus rapidement que la première. Les mœurs et le répime des Alectrænas nihdissima devaient être les mêmes que ceux des Funimous : ces Pigeons formaient probablement des troupes nombreuses; leur nourriture se composait de fruits, de baies et de graines. Ils michaient sans doute sur des arbres et devaient avoir des œufs de couleur blanche. Enfin on peut admettre que les jeunes, comme ceux des Founingos, se distinguaient des adultes par leurs teintes noires moins tranchées et les plumes de leur camail beaucoup moins effilées , UM) Nous avons trouvé encore dans les vénéneux qui donnaient à sa chair des pro- Notes manuscrites du docteur Desjardins di- verses citations empruntées à Grant et à Van der Hagen qui se rapportent probablement à la même espèce, mais que nous croyons inutile de rapporter ici, parce qu'elles ne lont que répéter ce qui a été dit plus haut et qu'il n'est pas certain qu'elles s'appliquent à la Colombe hérissée. (2 Peut-être se nourrissait-elle de fruits priétés toxiques. @) Voir Flacourt et Alph. Milne-Edwards et Alf. Grandidier, op. cit. () L'un de nous (E. Oustalet, Etude sur la Faune ornithologique des îles Seychelles, Bul- letin de la Soc. philomathique, 1878, p.177 Î} 1 1 a montré que, chez le Funingus pulcherrimus et sans doute chez tous les Funingus, les Q , . A plumes du camail s’eflilaient avec l'âge. NOTICE SUR QUELQUES ESPÈCES D'OISEAUX. 235 En terminant l'étude de cette espèce, nous ne devons pas omettre de faire remarquer que la démonstration de sa présence à l'ile Maurice constitue un fait des plus intéressants : il est prouvé désormais que le type Funmous, c'est-à-dire les Funinous proprement dits et PAlectrænas, était répandu jadis sur toutes les îles Mascareignes et sy manifestait sous des formes variées, occupant chacune un groupe d'îles ou une île dis- üncte : le Funingus madasascariens!s Vivant à Madagascar; le F. Soanzinr, aux Comores; le À. pulcherrumus, aux Seychelles; lAlectrœnas nitidissima, à Maurice, et sans doute quelque autre forme à l'ile Bourbon. Ces Fu- ninous et ces Alectrænas, par leurs affinités avec les Phlopus, rattachaient, plus étroitement encore que ne le faisait le Mascarinus, la population or- nitholopique des îles Mascareignes et de Madagascar à celles de l'Asie méridionale et de l'Océanie. LE CANARD DE LABRADOR. (CauproLæuus LABRADORIUS. ) Planche [V. Nous n'étudierons pas le Canard de Labrador d'une manière aussi détaillée que le Perroquet mascarin, la Huppe du Cap ou la Colombe hérissée, car 1l se trouve moins parcimonieusement représenté dans les collections publiques et il a été, 11 y a quelques années, l'objet d'un travail monographique complet de la part de M. Dawson Rowley ©. Signalée pour la première fois, vers 1785, sous le nom de Pied Duck ?, par Pennant° qui avait reçu la dépouile d'un individu tué dans le Connecticut par M. Blackburn, cette espèce fut mentionnée, quelques années plus tard, sous le même nom par Latham ” etsous le nom d'Anas labradoria par Gmelin ©. Wilson en donna une excellente description accompagnée de figures dans 1 Ornithological Miscellany, 1877, t. H, A General Synopsis of Birds, 1781- p. 205 et pl. LV. 1709 0 part he porno et ? Canard bigarré. Gener. History of Birds, 1821-189h, t. X, 3) Arctic Zoology, 1785, t. Il, p. 559, p. 318. n° 88, figure de fronstipice. 5) Systema Nature, 1798, t. |, p. 537. 30. 236 MM. A. MILNE-ED WARDS ET E. OUSTALET. son Ornithologie américaine”, et, à son tour, le grand historien des oiseaux des États-Unis. J. J. Audubon, lui consacra une notice illustrée du portrait du mâle et de la femelle dans son grand ouvrage intitulé Birds of Ame- rca ®. Comme Ch. L. Bonaparte l'avait fait peu de temps auparavant , Audubon considéra le Canard de Labrador comme une Fuligule (Fuligula labradoria), tandis que, dans sa Monopraphe des Canards", Eyton le plaça dans un genre particulier, le genre Kamptorhynchus, dont le nom fut modifié par G. R. Gray et devint Camptolaimus®), l'espèce étant appelée Camptolaimus labradoruus. C'est ainsi, ou plutôt sous la forme corrigée par Agassiz, Camplolæmus labradorius, que le Canard de Labrador se trouve désigné dans la plupart des ouvrages scientifiques modernes. La Fulioula orisea de Leib? ne représente, comme l'auteur lui-même la bientôt reconnu , que le jeune du Camptolæmus labradorius que l'on trouve encore parfois mentionné sous le nom de Skunk Duck et de Sand Shoal Duck 9, Le Canard de Labrador est notablement plus petit que notre Canard sauvage; 11 ressemble un peu aux Fuligules, tout en ayant des formes moins ramassées, et davantage encore à certains Eiders de petite taille dont on a formé le genre Stelleria. fl rappelle du reste les Eiders par la nature des plumes des côtés de sa tête, qui sont courtes et veloutées, et par le mode de distribution des couleurs de son plumage, mais 1l en dif- fère notablement par la forme de son bec, dont la mandibule supérieure s'élargit vers l'extrémité et se prolonge latéralement en deux lobes arrondis retombant mollement de chaque côté sur la mandibule inférieure. Ges (6) Nomenclator z0ologicus, 1843, p. 181. (Description of a new species of Fuligula , 1840 (Journ. of the Academy of Nat. Sc. Phi- 0 American Ornitholopy, 1808-1814, t. IT, p. 114 et pl. LXIX. ® The Birds of America, 8° édit., 1843, t NII P. 329. The Gen. of N. Amer. Birds and Syn. of the Species, 1826-1898, Annals of the Lycœum of Nat. Hist. of N. Vork,t. IE, p. 391, n° 337. A Monopraph of the Anatidæ or Duck tribe, in-h°, Londres, 1838, p. 57. {List of the Genera of Birds, 9° édit., 18h41,p. 95. ladelphia , 1. VU, p. 170). 8 Note intercalée après coup dans le texte. (®) Littéralement Canard-Mouffette. Ce nom fait allusion aux couleurs blanches et noires du plumage, rappelant un peu celles du pelage des Skunks ou Mouffettes. (10) Canard des lagunes. NOTICE SUR QUELQUES ESPÈCES D'OISEAUX. 237 lobes assez épais, mais moins résistants que le reste du bec, ont beaucoup d'analogie avec ceux des Hymenolæmus. Chez les mâles adultes, tels que celui dont la dépouille, assez bien con- servée, figure dans les galeries du Muséum, la tête, le cou et la partie supérieure de la poitrine sont d'un blane pur recoupé nettement par une raie longitudinale noire, courant sur le vertex depuis le front jusqu'à l'oc- ciput, et par un cercle de même couleur entourant le cou. Ge cercle se rat- tache en arrière à une large plaque noire qui couvre le dos, la croupe et les couvertures supérieures de la queue; la partie inférieure de la poi- trine, l'abdomen, la région anale et les rémiges sont d’une teinte moins foncée, d'un brun fuligineux ürant au noirâtre et très finement piqueté et rayé de blane sur la poitrine et les flancs, tandis que les pennes secon- daires, les couvertures alaires et les scapulaires sont d’un blanc pur. La queue, taillée légèrement en pointe, est d'une teinte fuligineuse, tirant au noir, le bec noir avec une large tache triangulaire, d’un jaune orangé à la base, et un liséré de même couleur sur les deux tiers de la longueur des mandibules; les yeux sont d’un brun noisette, les pattes d’un gris cendré clair avec les membranes interdigitales noires et des taches noires sur la face postérieure des tarses. Wilson assigne au mâle adulte 20 pouces ou o m. 510 de longueur totale et 29 pouces ou o m. 740 d'envergure. Le spécimen du Muséum a o m. Ago de long; son aile ployée mesure o m. 225; sa queue, o m. 095; son bec, o m. 0/5, le long du culmen; quant aux dimensions du tarse et du doigt médian, elles ne peuvent être indiquées avec certitude, les pattes, en mauvais état, ayant dû être réparées. La femelle adulte, qui n'est malheureusement pas représentée dans les collections du Muséum, mais dont nous trouvons des descriptions et des figures dans Wilson et dans Audubon, est plus petite que le mâle et n'a que o m. A8o de long sur o m. 685 d'envergure; elle a les côtés du front blanchâtres, le dessus de la tête, le menton et le cou d'un gris cendré, la partie supérieure du dos d'un gris ardoisé tirant au brun, les ailes mar- quées d’une large tache blanche formée par les pennes secondaires, le dessous du Corps d'un gris cendré parsemé de blanc sale et de brun ter- 238 MM. 4. MILNE-ED WARDS ET E. OUSTALET. reux, les pattes colorées comme chez le mäle et le bec marqué d'une tache cordiforme orangée. Enfin, dans la livrée du jeune dont M. Dawson Rowley a donné une description d'après un exemplaire du Musée de Liverpool, les teintes sont moins pures; la tête, le dos, le croupion et la queue sont d'un gris bru- nâtre, les sus-caudales d’une nuance plus foncée, les secondaires en partie blanches, les couvertures alaires et les scapulaires grisâtres, et les parties inférieures du corps d'un gris brunâtre. Comme nous l'avons dit plus haut, lAnas labradoria à été rapproché tour à tour des Fuligules et des Eiders. M. Alfred Newton, dans l'Ornitho- loote de l'Encyclopédie britannique, Va classé décidément parmi ces der- mers oiseaux, et M. Dawson Rowley, sans être tout à fait satisfait de la place assignée à l'oiseau dont il publiait la Monographie, n'a pas cru devoir l'éloigner du genre Somateria. D'après son aspect extérieur comme d'après ce que nous savons de ses mœurs, l’Anas labradoria ne nous parait cependant pas pouvoir être considéré comme un véritable Eider, quoi- quil ait certainement des liens de parenté avec ces oiseaux; mais il offre assurément aussi certaines analogies dans la structure du bec avec l'Hy- menolæmus malacorhynchus de la Nouvelle-Zélande, auprès duquel Ch. L. Bonaparte ® et G. R. Gray ® l'ont placé. En revanche, nous ne saurions admettre le rapprochement déja indiqué par Ch. L. Bonaparte et exa- géré par Gray entre le Camptolemus labradorius et le Microplerus cinereus de Patagonie. Ce dernier est un oiseau de mœurs et d'allures bien diffé- rentes). Il ya une soixantaine d'années, les Canards de Labrador étaient encore très répandus dans le pays dont ils portent le nom et descendaient en hi- ver le long des côtes du Nouveau-Brunswick, de la Nouvelle-Écosse, du Maine, du Massachusetts, du New-Jersey, remontaient parfois le cours de Encyclopædia britannica, éd. 9, t. XVITT, G) Handlist of the Genera and Species of Ornithology, p. 375. Birds, 1871, t. HT, p. 88, n° 10703. Conspectus Anserum systematicus. Ordo M) Mission scientifique du Cap Horn, Zoolo- 11, Anseres, Comptes rendus de l’Académie des pie, Oiseaux, par E. Oustalet, 1891,p. 219 sciences, 1856, t. XLIIT. et pl. /. NOTICE SUR QUELQUES ESPÈCES D'OISEAUX. 239 la Delaware jusqu'à Philadelphie, mais ne dépassaient probablement pas au sud la baie de Chesapeake ". D'après le capitaine Hall ®, ils étaient alors aussi fort communs sur la côte septentrionale du détroit d'Hudson, mais ils ne devaient pas remonter beaucoup plus haut vers le nord, et ne s'avançaient pas dans les régions à l'ouest de la mer d'Hudson, comme on l'a dit par erreur Ÿ. Les pêcheurs canadiens les prenaient sur les côtes et à l'embouchure du Saint-Laurent à l'aide de lignes dormantes amorcées avec des Moules et on apportait durant toute l’année, mais principalement en hiver, sur le marché de New-York, des douzaines de ces oiseaux captu- rés, pour la plupart, sur File de Long Island. Cette ile et quelques ilots disséminés le long des côtes occidentales des États-Unis et du Canada leur offraient des retraites plus sûres que celles qu'ils auraient trouvées sur les rivages du continent voisin, déja fortement peuplées et hantées par des carnassiers. Ils y établissaient leurs nids, faits de quelques rameaux d'arbres verts et tapissés intérieurement d’une couche de duvet, comme les nids d'Eiders; ils y élevaient leurs jeunes et s’y livraient, dans les eaux peu profondes, à la pêche des mollusques et des petits poissons marins"; mais les choses changèrent quand les chasseurs, les pêcheurs et surtout ces terribles chercheurs d'œufs dont parle Audubon se mirent à exploiter les côtes du Labrador, du Massachusetts et du Connecticut. Les nids furent pillés, les œufs enlevés, les parents massacrés sans pitié, et pour Îles Camptolæmus labradorius les conséquences de cette œuvre de destruction se firent d'autant plus rapidement sentir que ces Palmipèdes étaient d’un naturel confiant, qu'ils nichaient à terre et qu'ils occupaient un domaine relativement restreint, n'allant pas, comme d'autres Palmipèdes, se re- O J.J. Audubon, Birds of America, t. VI, p. 329 et suiv., et G. Dawson Rowley, Ornithological Miscellany, t. WE, p. 205 et suivantes. @) G. Dawson Rowley, Ornith. Miscellany, loco cit. 6) Th. Nuttall, Manual of Ornithology, 1834, 1-1; p.428: (JP. Giraud, Bords of Long Island, 1844, p. 327. 6) J.J. Audubon, Birds of America, t. VI, p. 329 et suiv.; Newton, Encyclop. britan- nica, Ornitholopy, loco cit. (6) Voir à ce sujet les Scènes de la nature, traduites d’Audubon par Eug. Bazin, Paris, 1857, t. Il, p. 53. () Les chasseurs les désignaient même pour ce motif sous le nom de Fool Birds (Elliott Coues, Proceed. Acad. Nat. Se. Phila- delphia, 1861, p. 239). 210 MM. A. MILNE-ED WARDS ET E. OUSTALET. produire dans le voisinage du cercle arctique, mais séjournant dans des régions beaucoup plus accessibles. A partir de 1850, les apparitions des Canards de Labrador sur les côtes des États-Unis se firent de plus en plus rares et aujourd'hui l'espèce doit être considérée comme tout à fait éteinte. On croyait d'abord que le dernier individu avait été tué dans l'automne de 18592 par le colonel Wed- derburn à Halifax Harbour); mais, vers 1866, M. D. G. Elliot obtint un autre spécimen provenant de Long Island, qu'il donna à l'American Mu- sou of Natural History ®, et de 1867 à 1874 sept ou huit individus de la méme espèce furent encore tués sur la même île et devinrent la propriété de M. George À. Boardman, de M. J. Akhurst de Brooklyn, de M. J. Wal- lace, ele., qui les conservérent dans leurs collections ou les envoyerent en Europe. Il résulte des recherches minutieuses de M. Dawson Rowley qu'il existe actuellement dans les collections publiques et privées, en Europe et en Amérique, 33 spécimens de Camptolæmus labradorius. Celui du Muséum d'histoire naturelle, à Paris, a été donné, en 1810, à cet établissement, par M. Hyde de Neuville, qui a enrichi nos galeries de plusieurs espèces intéressantes de l'Amérique du Nord. LE GRAND PINGOUIN. (Azca mrexnis L.) Nous n'aurons que peu de choses à dire au sujet de cet oiseau dont l'histoire est bien connue. Le Grand Pingouin de Buffon”, Alca major de Brisson Ÿ, Alca impemns de Linné ? Pinguinus impennis de Bonnaterre®, Plautus impennis de Steen- 1) Newton, op. cit. 2) Dawson Rowley, op. cit. G) Voir American Naturalist, &. HW, p. 325 (août 1868), et t. TT (sept. 1869); Dawson iowley, op. cit.; Forest and Stream (numéro du 4 mai 1876); E. Coues, Key N. A. Birds, 102 ID 20 (1) Histoire naturelle des Oiseaux, 1783, t. IX, p. 393 et pl. XXIX. 5) Ornithologie, 1760, t. VI, p. 85 et pl. VIE (6) Systema Nature, éd. 12, 1766, LE, p. 210. (7) Tableau encyclopédique, 1790, 1.1, p.28. NOTICE SUR QUELQUES ESPÈCES D'OISEAUX. 241 strup®), Geïrfuol des Danois et des Norvégiens, Garefowl des Anglais, Brillenall: où Riesenalk des Allemands, a été, en effet, l'objet de publica- üons tellement nombreuses que la liste des notes et des mémoires consa- crés soit à la description des spécimens montés, des squelettes et des œufs conservés dans les musées, soit à l'histoire de l'espèce et de sa disparition, remplrait plusieurs pages. Au lieu de rééditer des renseignements bien connus, nous préférons renvoyer nos lecteurs à quatre travaux principaux où se trouvent condensés à peu près tout ce que l’on sait au sujet de PAlca impemus, cest-a-dire à la notice, accompagnée d'une planche, insérée par M. H. E. Dresser dans son Histoire des Oiseaux d'Europe”, à deux Mémoires de M. le docteur W. Blasius® et à des observations très intéressantes publiées sur M. Frédérie À. Lucas dans le Rapport annuel des Directeurs de l'Association smithsonienne®), et nous nous attacherons surtout à décrire le spécimen monté et les œufs qui figurent dans les galeries du Muséum d'histoire naturelle de Paris. Ge spécimen, qui est indiqué comme venant des eôtes d'Écosse et ayant été acquis en 1832, est parfaitement adulte et représente un individu en plumage d'été. Comme la plupart des spécimens qui figurent dans les collections publiques, et comme celui qui a été représenté sur une planche du Mémoire de M. Lucas P), il a été monté dans une attitude trop droite, et la peau, particulièrement dans la région du cou, parait avoir été un peu distendue, ce qui a exagéré la longueur totale de l'oiseau. Gette lon- eueur est de o m. 80, tandis qu'elle n'est que de o m. 760 dans le spécimen du British Museum figuré par H. E. Dresser °. Son aile mesure 0 Naturh. Foren. Vidensk. Meddel, 1855, servations upon the History and Anatomy of DATE the Great Auk, Annual Report of the Board of ® À History of the Birds of Europe, 1871- Repents of the Smithsonian Institution, for the 1881, t. VILT, p. 563 et pl. 620. year ending june 30 1888, Washington, (5) Ueber die letzten Vorkommnisse des Riesen- 1890, p. 493. Alks (Alca impemis), Ver. f. Naturw. 2. 5) Op. cit., pl. 62. Ge spécimen, venant Braunschweig , UT Jahresber. f. 1881/1882 d'Islande, appartient au Musée national des und 1889/1883 et Zur Geschichte der Ueber- États-Unis. H a été remonté, dans ces der- reste von Alca impennis, Journ. f. Ornith., niers temps, dans une autre attitude, ce 1884, n° 1. qui a sensiblement diminué sa hauteur. The Expedition to Funk Island, with ob- (6) PI. 620, figure de gauche. 31 IMPRIMERIE NATIONALE. 242 MM. A. MILNE-ED WARDS ET E. DUSTALET. o m.160 de long et est, par conséquent, un peu plus longue que celle du spécimen du British Museum, où Faile n'a que o m. 152 ou 6 pouces; sa queue, o m. 100 ;son bee, le long du culmen, o m. 095 sur o m. 045 de hauteur maximum ; le tarse a o m. 04; le doigt médian, o m. 070 sans l'ongle et o m. 085 avec l'ongle. Le bec présente sur la mandibule supé- rieure six sillons, sans compter les deux sillons basilaires, et sur la man- dibule inférieure neuf sillons, ce qui indique un adulte en plumage de noces: 1l est d'un noir uniforme, de même que les tarses, les doigts et les membranes interdipitales. Les parties supérieures du corps offrent une teinte très foncée, un brun fuligineux qui passe au noir à peine glacé de verdâtre sur le mi- heu du ventre, la nuque et le dos, et qui est recoupé, de chaque côté de la tête, entre l'œil et le bec, par une tache ovale blanche, nettement dé- finie, mesurant o m.oho de longueur sur o m. 020 de hauteur. Les ailes, très courtes, mais pointues, sont d’un brun sombre avee un liséré blanc tres étroit sur l'extrémité des plumes secondaires. La queue est d'un brun noirâtre et toutes les parties inférieures du corps sont au contraire d'un blanc pur, depuis un point situé à o m. 10 environ de la base du bec, sur la partie inférieure du cou, jusqu'à la région eaudale exclusivement. Chez le jeune, dont le Musée de Newcastle possède un spécimen (?, le seul que l'on connaisse de cet âge, les parties supérieures du corps sont d’un brun moins foncé, les taches des côtés de la tête d'un blanc moins pur, et, sur le devant du cou, où la teinte brune descend moins bas, on distingue, ainsi que sur la poitrine, quelques mouchetures bru- natres. Enfin chez le poussin, dont on ne connait actuellement aucun repré- sentant, le duvet serait, d'après Fabricius?, d'une teinte prisatre. Les Galeries d'Anatomie comparée du Muséum d'histoire naturelle ren- lerment aussi un beau squelette d'Alca impennis qui malheureusement ne . . . . . . . . L porte aucune indication d'origine, mais qui, dans tous les cas, comme la M Ce spécimen a été figuré par M. Dresser, op. cit., pl 620, figure de droite. — % Fauna Groenlandica, 1580, p. 82; HE. Dresser, op. cit., p. b63. NOTICE SUR QUELQUES ESPÈCES D'OISEAUX. 243 fait observer M. Alfred Newton ©, a dû être tiré d’un individu fraichement tué, venant peut-être de Terre-Neuve. Ce squelette ne présente pas de particularités qui méritent d'être signalées après la description ostéolo- oique détaillée faite par feu le professeur R. Owen dans les Transactions de la Société zoologique de Londres et les remarques publiées par M. Fré- déric A. Lucas”. Enfin la collection du Muséum, dans laquelle il existait depuis long- temps un œuf de Grand Pingouin, provenant, dit-on, de l’ancienne col- lection de l'abbé Manesse, s'est enrichie en 1873 de deux autres œufs, acquis du Lycée de Versailles et venant de Saint-Pierre (Terre-Neuve), ainsi que le constate une inscription manuscrite sur la coquille. De ces trois œufs, l'un, le plus ancien, est fortement amine à l’une des extrémités et mesure o m. 125 de long sur o m. 070 de diamètre transversal maximum: il est d'une teinte crème pâle et offre, dans sa partie renflée, quelques larges taches brunes, variées plus ou moins de rougetre et irrégulièrement découpées sur les bords, et quelques taches plus petites, tandis que la partie fortement amincie est presque dépourvue de maculatures. Un des œufs acquis en 1873 mesure o m. 125 sur o m. 075; 1l est d'un blanc légèrement jaunâtre, à coquille un peu plus rugueuse que Île précédent et marqué, au milieu et vers la pointe, de raies ondulées ou brisées et de petites taches brunâtres, et au gros bout, vers l'extrémité, d’une couronne de raies irrégulières couleur d'encre, mélangées de quel- ques raies brunes. Enfin le troisième œuf, de forme très allongée et mesurant o m. 1/40 sur 6 m. 070, offre un aspect crayeux et ne porte que quelques grandes taches allongées, d’un noir plus ou moins franc, et quelques raies ferrugi- neuses au pros bout, à quelque distance de l'extrémité. Aucun de ces œufs n'offre exactement l'aspect, le dessin et le mode de 1) Transactions of the Zoological Society of 1890, p. 515. Voir aussi Shufeldt, Contrib. London, 1865 ,t. V, p.317 à 335 et pl. 41 to the comp. Osteolopy and Anatomy of water et L11. Birds (Journ. anat. et phys., 1888, t. XXII, 7 Op. cit., Ann. Rep. Smiths. Instit., p.1). out 244 MM. À. MILNE-ED WARDS ET E. OUSTALET. coloration de l'un ou l'autre des quatre œufs qui appartiennent à M. le baron d'Hamonville et dont ce dernier à publié des figures coloriées dans les Mémoires de la Société zoolopique de France en 1888, aussi bien que des deux œufs de la collection de M. O. des Murs, représentés dans la Revue et Magasin de z0olov1e en 1863%. On sait d'ailleurs que les œufs des Petits Pingouins (Alca torda L.) présentent également de très grandes variations sous le rapport de la forme et du dessin de la coquille. D'après M. le professeur Vilhelm Blasius Ÿ, il existait en 1884, dans les grands Musées et dans quelques collections particulières, en Europe, en Amérique et à la Nouvelle-Zélande, 37 spécimens montés", 9 squelettes © et 68 œufs ® d'Alca impennis; mais, pour les squelettes, le nombre s’est sensiblement accru, dans ces dernières années, à la suite de l'expédition du Grampus à Vile Funk, qui était jadis l'un des endroits de nidifica- üon du Grand Pingouin, dans les parages de Terre-Neuve. L'expédition a rapporté environ 2 mètres cubes de terre entièrement pétrie d'ossements d'Alca impennus , et, avec ces ossements, on à pu reconstituer 7 squelettes enliers dont un a pris place dans la collection publique du Muséum na- tional des États-Unis à Washington, un autre a été remis au Musée de zoologie comparée à Cambridge (Massachusetts), un autre au Musée d'his- toire naturelle de New-York. un autre a été cédé à un marchand et a été acquis par le Musée d'Edimbourge, un autre a été donné en échange au 0 PI V et VE Voir aussi, au sujet de ces mêmes œufs, L. d'Hamonville, Bull. de la Soc. zoologique de France, 1891, t. XVI, nMEPp- 01. B)SPAES? 8) Zur Geschichte der Ueberreste von Alca im- pennis. Antérieurement M. W. Preyer (Journ. J. Ornüth., 1862, p. 773) et M. le docteur V. Fatio (Bull. de la Soc. ornith. suisse, 1868, t. II, part. 1, p. 80, et part. », EUT) avaient déjà publié des listes des restes d'Alca impennis existant dans les Musées d'Europe. Savoir: 7 en France, 20 en Allemagne, 22 en Grande-Bretagne et en Irlande, 2 en Belgique, + en Hollande, 3 en Danemark, 2 en Suède, 1 en Norvège, 3 en Suisse, en ltalie, 4 en Autriche, 1 en Russie, (a 1 en Portugal et A aux États-Unis. 5) Savoir : 1 au Muséum d'histoire natu- relle de Paris, 4 en Grande-Bretagne, 1 en Allemagne, + en Italie, 1 aux États-Unis. Dans ce nombre n'étaient pas compris des fragments de squelettes ou des os sépa- rés. (6) Savoir : 11 en France, 45 en Grande- Bretagne, 4 en Allemagne, » en Hollande, 1 en Danemark, 1 en Suisse, 1 en Por- tugal, 2 aux États-Unis et 1 à la Nouvelle- Zélande. NOTICE SUR QUELQUES ESPÈCES D'OISEAUX. 245 Musée de Sydney (Australie), et les deux dermiers ont été conservés en réserve au Musée national des États-Unis 0). On croyait naguère encore que le Grand Pingouin avait occupé, dans le nord de l’ancien et du nouveau monde, une aire géographique très étendue, mais les recherches récentes ont démontré que si quelques indi- vidus de cette espèce s'égaraient jadis de temps en temps sur les côtes d'Irlande ?, d'Écosse, d'Angleterre, de Norvège, de Suède, et, ce qui est beaucoup plus douteux, sur les côtes de France, les véritables domaines de lAlca impenms (et par domaines nous entendons ses lieux de repro- duction) ne comprenaient guère en Europe que les îles Färoër, lilot d'Eldey et quelques ilots voisins, Saint-Kilda et peut-être les Orknevs, et. dans le nouveau monde, la baie du Saint-Laurent, Terre-Neuve et ses dépendances (spécialement l'ile Funk), et peut-être les côtes du Labrador et du Groënland méridional . Cette distribution géographique extrême- ment restreinte a singulièrement facilité la destruction de l'espèce que lon peut considérer aujourd'hui comme entièrement anéantie Aux iles Orkneys, le dernier spécimen d'Alca impemmis fut obtenu en 1812. À Sant-Kilda, on captura encore un Grand Pingouin vivant, en 1821 ou 1822 et, en 1834, un autre individu, également vivant, fut pris dans le havre de Waterford sur la côte méridionale d'Irlande ?. C'est entre ces deux dernières dates qu'aurait été capturé, sur la côte d'Écosse, ou peut-être plutôt sur quelque ile voisine, en 1839, le spécimen qui figure dans les galeries du Muséum d'histoire naturelle. Ce spécimen ne saurait done être, comme M. W. Blasius était tenté de le supposer Ÿ, l'an- 0) Voir Lucas, op. cit., et Ibis, 1891, I OCNE ®) AIF. Newton, Abstract of M. TJ. Wolley's Researches in Lreland, respecting the Gare-fowl or Great Auk (Ibis, 1861, p. 374, et Zoolo- gist, 18892, t. XX, p. 8108). 6) Martin, Voyage to Saint-Kilda, 1698; Dixon, Ornith. of Saint-Kilda (Ibis, 1885, p- 90). (Voir Blasius, op. cit., et Lucas, op. cit. 6) Voir À. Newton, The Gare-fowl and its Historians (Nat. Hist. Rev., oct. 1865, p. 467 à ABB). (6) C’est le spécimen qui, après avoir ap- partenu à M. Bullock, figure aujourd'hui dans la collection du Musée britannique. %) H. E. Dresser, À History of the Birds of Europe, p. 565. Voir aussi W. Blasius, Ueber die letzten Vorkommnisse der Riesen-Alks, op. GA TDENOe (5) Zur Geschichte der Ueberreste von Alca impennis, p. 10h. 216 MM. À. MILNE-ED WARDS ET E. OUSTALET. cien exemplaire de la collection Réaumur, dont Brisson a donné la des- eripüon (et qui, ayant passé dans le Cabinet du Roi, se trouverait au- jourd'hui encore dans la collection du Jardin des Plantes. Au Groënland, on n'a plus revu de Grands Pingouins depuis 1815, et sur les côtes de Terre-Neuve l'espèce avait entièrement déjà disparu avant 18/49 ©, A l'ile Funk, où ils formaient jadis des colomies tellement nombreuses que la terre est littéralement pétrie de leurs ossements, leur extermination remonterait probablement à une date encore plus reculée, et l'on admet cénéralement que ce sont les marins de Jacques Cartier qui, les premiers, ont porté la mort et la désolation dans les Rooknies de ces pauvres Pin- gouins qu'on appelait alors des Maroaulx (8), L'ÉMEU OU ÉMOU NOIR. (Drouarus arer Vieillot.) Planche V. À la fin de décembre 180, les corvettes le Gcopraphe et le Naturaliste, sous le commandement de l'amiral Baudin, arrivèrent à l'ile des Kangou- rous, située au sud de l'Australie, par 135° 38 long. E. et 33° 43” lat. N., el y séjournérent Jusqu'au 1° février 1803. Durant ces deux mois, les na- turalistes attachés à l'expédition, Péron, Maugé, Lesueur et Levillain, ex- plorerent l'ile que Flinders avait découverte et que Baudin appela ile De- crès : 1ls n'y découvrirent aucune trace du séjour de l’homme, mais ils y D Ornith., t. VI, p. 85 et pl. 7. 2) Richard Bonnycastle (Newfoundland in par le capitaine Jacques Cartier aux terres neufves du Canada.» Voir aussi Hakluyt, 1842, 1, p. 232) constate que le Grand Coll. of Voyages, t. HT, p. 201 à 219 et Pingouin, qui, moins de cinquante ans au- 219 à 2939 : The first relation of Jacques paravant, se trouvait en abondance sur les Cartier of S. Malo, of the new land called New côtes de Terre-Neuve, en avait totalement disparu. 3) Jacques Cartier, de Saint-Malo, aborda à l'ile Funk en 1534. L'histoire de ses voyages a été publiée à Paris, en 1598, sous le titre de : # Discours du voyage faict France, newly discovered, in the year of our Lord 1534, et A Short and briefe narration of the navigations made by the commandement of the King of France to the islands of Ca- nada, ete.; Lucas, op. cit., p. h98, 39h et 32). NOTICE SUR QUELQUES ESPÈCES D'OISEAUX. 247 rencontrèrent de nombreux Kangourous et quelques oiseaux dont ils rap- portèrent des spécimens ou sur lesquels ils firent d'intéressantes obser- vations. « De tous les oiseaux que cette ile reçut en partage, dit Péron dans la Relation du Voyage), les plus utiles à l'homme sont les Casoars (pl. 66): ces gros animaux paraissent exister sur l'ile en troupes nom- breuses; mais comme 1ls sont très agiles à la course et que nous mimes peu de soin à les chasser, nous ne pûmes nous en procurer que trois indi- vidus vivants. » Comme ces trois Casoars ou plutôt ces Émeus ou Émous © vivants se trou- vent précisément mentionnés sur le Catalogue manuserit de l'expédition Baudin (oiseaux de la Nouvelle-Hollande recueillis par Messieurs Mauve, Le- sueur, Le vilan[sic]et Péron), Catalogue qui est conservé dans les archives du Laboratoire de Zoologie (Mammifères et Oiseaux), nous sommes certains que ces oiseaux arrivèrent sains etsaufs en France où, d'après le même do- eument, ils furent ainsi répartis : un à la Ménagerie du Muséum et deux au château de la Malmaison. Ces derniers individus revinrent probablement plus tard au Muséum, soit du vivant de lmpératrice Joséphine, soit après sa mort, car Vieillot parle de plusieurs Émeus de petite talle, vivant de son temps à la Ménagerie du Jardin des Plantes. Il existe d’ailleurs encore dans les collections du Muséum : 1° un squelette conservé dans les Galeries d'Anatomie comparée et portant ces indications, erronées quant à la loca- lité d'origine : + À. 382/h. Casoar de la Nouvelle-Hollande, mort à la Mé- nagerie en mai 1822, de l'ile King, par Péron et Lesueur, expédition du capitaine Baudin»; 2° un exemplaire empaillé dans les Galeries de Z00- logie, portant cette étiquette très ancienne et en partie inexacte : « Dro- (0) Voyage de découvertes aux Terres aus- trales sur les corvettes le Géographe, le Na- turaliste et la goélette la Casuarina, perdant les années 1800-1804, 2° édition, revue par M. Louis de Freyeinet, 1824, t. ILE, p. 135. @) Les Émeus ont été souvent confondus avec les Casoars qu'ils représentent sur la plus grande partie de l'Australie et parti- culièrement avec le Casoar à casque ou Casoar émeu (Casuarius galeatus) et avec le Casoar austral (Casuarius australis). C'est par suite de cette confusion que les Dro- maius ont été désignés par les colons an- glais sous le nom d'Émeus (Emus). Ce nom à son tour a été choisi par Vieillot et Lesson comme terme générique, sous la forme Emou, peut-être un peu plus conforme à la prononciation anglaise, mais moins correct au point de vue de notre langue que la forme Émeu que nous adoptons ici. 218 MM. A. MILNE-ED WARDS ET E. OUSTALET. maus aler N., Port-Jackson, Australie, expédition du capitaine Baudin », et avant, sous le plateau, cette inscription : +Casoar de la Nouvelle- Hollande, Casuartus australis Lath., rapporté vivant de Port-Jackson par l'expédition du capitaine Baudin, mort en avril 1899. Le squelette est à l'anatomie.» Or, comme la dépouille montée renferme certainement une portion du squelette et que, d'autre part, le squelette des Galeries d'Anatomie est complet, on est forcé de conclure que deux individus ont été préparés au Muséum, où 1ls étaient morts peut-être à la même époque. Quoi qu'il en soit, l'exemplaire exposé dans les Galeries de Zoologie et le squelette conservé dans les Galeries d'Anatomie viennent certainement de File Decrès ou ile des Kangourous, d'où 1ls ont été rapportés par Pé- ron, Maupé, Levillan et Lesueur, et ils ne sont originaires n1 de Port- Jackson, ni de l'ile King. Le spécimen monté représente un oiseau adulte, qui a dû vivre assez longtemps en captivité, comme en témoignent ses ongles passablement usés, el qui a même aux articulations des déformations pathologiques. Il est de taille beaucoup plus fable que les Émeus ordinaires, dont le Mu- séum possède plusieurs exemplaires, et il s'en distingue aisément par son aspect général et par la coloration de son plumage. Ghez cet individu, en effet, la longueur totale n'est que de 1 m. Lo, tandis qu'elle atteint près de + mètres chez un Émeu ordinaire parvenu à son développement com- plet:'le torse a o m. 210 de large au lieu de o m. 034; le doigt médian (sans l’ongle), o m. 080 au lieu de o m. 105; le doigt externe, o m. 045 au lieu de o m.055; le doigt interne, o m. 035 au lieu de o m. 050; le bec, du front à l'extrémité, o m. 060 au lieu de o m. 0692 sur o m. 039 au lieu de o m. 048 de largeur à la base. La tête est couverte en dessus d’un toupet de plumes recroquevillées, dont l'extrémité revient en avant, et qui se continuent en arrière sur l'oc- ciput et sur la nuque par une bande de plumes analogues, mais un peu plus allongées. Ces plumes différent par leur nature laineuse et leur cou- leur noire des plumes piliformes, brunâtres, et des plumes frisées assez r - . courtes qui revêtent le ventre et la nuque de l’'Emeu d'Australie. Les NOTICE SUR QUELQUES ESPÈCES D'OISEAUX. 249 joues ne sont pas entièrement dénudées et de la base du bee partent des sortes de moustaches qui se dirigent en arrière et rejoignent des plumes piliformes couvrant les oreilles, tandis que. chez l'Émeu d'Australie. une bande nue s'étend à travers les lores et les joues, Jusque sur les tempes, où elle tend à se confondre avec une autre zone dénudée contournant l'oreille et s'étendant sur les côtés et le devant du cou. Au contraire. chez l'Émeu rapporté par l'expédition Baudin. le devant du cou est presque entièrement revêtu de plumes piliformes, noirâtres, et les zones nues sont plus étroites et rejetées vers les côtés de la nuque. Toute la partie inférieure du cou est garnie d'une sorte de camal, très fourni, de plumes noirätres et d'aspect laineux, fort dissemblables de celles qui couvrent la même région chez l'Émeu d'Australie. Les plumes du corps, au lieu d'être, comme chez ce dernier, d'un gris fauve et marquées de noir à l'extrémité et le long de la Uige, sont pour la plupart, chez l'Émeu de l'ile Decres. d’un brun fauve à la base et d’un brun très foncé de- puis le milieu jusqu'a l'extrémité; enfin les plumes des cuisses, au lieu d'une teinte gris Jaunâtre piquetée de brun, offrent un mélange de brun fauve et de brun noïrâtre. Le bee et les pattes sont d’un brun très foncé et les parties nues paraissent avoir été bleues comme chez l'Émeu ordinaire. Si nous passons au squelette, nous constatons également des diffé- rences assez frappantes entre l'Émeu ordinaire et l'Émeu de l'ile Decrés. Ainsi, chez ce dernier, la tête osseuse offre, dans la région occipitale, des crêtes un peu plus nettes; le sternum est régulièrement bombé et forte- ment excavé en dedans; la portion précotyloidienne du bassin est à la fois plus courte et plus haute, et sa crête supérieure est plus régulièrement arquée; l'écusson pelvien est beaucoup plus allongé, les fosses iliaques externes sont plus excavées, la tête du fémur est plus détachée, la gorge rotulienne plus étroite et limitée par des condyles plus saillants: la crête übiale antérieure est plus resserrée, la crête rotulienne plus fortement rejetée en arrière, le corps du tibia absolument droit, au lieu d’être légère- ment arqué. et la pgouttière métatarsienne est plus profonde. En général, la charpente osseuse, avec des dimensions plus réduites, dénote un oiseau 32 IMPRIMENIE NATIONALE, 250 MM. À. MILNE-ED WARDS ET E. OUSTALET. exceplonnellement visoureux. Voict, du reste, les dimensions principales des diverses parties du squelette relevées dans les deux espèces : DROMAIUS DROMAIUS ATER Novæ Hollandiæ. de l’ile Decrès. mn de la colonne vertébrale. . ...... hoo 1" 190 | de Tarte te OSSEUSe re ER Re 0109 MONO Lonoueur | N À < | du cràne, de la suture frontale à l'occiput. 43 cr ee 0 0490 © 080 pes (maximum du crane "ee o 068 o 066 FO | de l'espace interorbitaire ou frontal. 0 026 0 029 de la mandibule supérieure, en sui- | vant la courbure du bec. ..... 0195 0 123 Longueur / de la mandibule inférieure . . .. .. 0 147 0 134 | du sternum. prise sur la ligne mé- ANG LES ARE PRARr DT 0 138 du sternumentavant re Eee o 140 0 120 Largeur dusstennumrentirnieret "Re 0 110 o 086 deHllomoplale nee PreEReRe o 110 0 110 | de lhumérus Re rene 0 040 O0 079 ŒULCUDIEUS: A LL Re o 069 0 09) Longueur { k d'A MANN ee ee 0 090 0 038 | du bassin, prise sur la ligne mé- Dane seu te CÉSAR o 920 0 340 | du/bassmientavant. + ES o 080 0 07 Largeur © du bassin en arrière des cavités coty- | LOGS ne M EE CC O0 10) 0 092 AUS NUE PE NE 0 910 0 180 | dubai re MER he. 0 373 0 942 rseurt duIMEtATARSIEN EE NE 0 340 0 290 du dOipt CXICRnE SEE 0 09 o 080 | dUIdOIE MEANS PE ECC o 140 0 110 (du doivotinterne 2 FRERES 0 089 0 070 Les Emeus de l'ile Decres différent donc notablement de ceux du con- linent australien. Vieillot a cependant confondu!) tous ces oiseaux sous la rubrique de Dromaius Nove Hollandiæ Latham 2) comme l'avait fait Péron. 0 Galerie des Oiseaux, 1895, € IE, p. 79, et Nouv. Dict. d'hist. nat., 2° édit., & X, p. 212. — Index ornithologicus, edit. nov., Paris, 1810, p. 991. NOTICE SUR QUELQUES ESPÈCES D'OISEAUX. 251 et comme G. Guvier® et Lesson® devaient le faire par la suite. Cepen- dant, tout en songeant aussi aux Émeus ou Émous ordinaires, puisqu'il dit que ces oiseaux sont plus grands que le Casoar à casque, Vieillot parait avoir surtout pris comme sujet d'étude le Casoar de l'ile Decrès, qui se trouvait alors déjà dans les galeries du Muséum. C'est certainement cet individu qu'il a représenté sur la planche, assez médiocre, de la Galerie des Oiseaux, et c’est parce qu'il avait été frappé de la coloration très foncée de cet exemplaire qu'il avait donné à l'espèce le nouveau nom d'Émou nou (Dromaius aler). Probablement 1l avait considéré le petit Gasoar de l'ile Decrès comme un jeune de lespèce ordinaire; c’est du moins ce qui semble ressortir du passage suivant : +11 parait que l'Émou est long- temps à parvenir à sa croissance, car les individus qu'on conservait vi- vants à la Ménagerie du Muséum , où 1ls ont vécu plusieurs années, étaient loin d'avoir la hauteur que nous avons indiquée ci-dessus.» Mais c'était là une erreur, et comme il est facile de le reconnaitre par lexamen du squelette et de lexemplaire empaillé, les Émeus de l'ile Decrès conservés au Muséum sont des individus parfaitement adultes et représentent, par conséquent, une espèce distincte du Dromarus Novæ Hollande et de Ves- pèce ou de la variété D. trroratus. Cette espèce, qui parait être aujourd’hui complètement éteinte, puisqu'on n'en a retrouvé aucun représentant, mi à l'ile Decrès ou ile des Kangourous, ni sur d’autres iles voisines des côtes d'Australie. peut être convenablement désignée sous le nom d'Émeu noir ou Dromarus ater. | En terminant cette notice, nous dirons que dans les dessins inédits de Lesueur appartenant à la bibliothèque du Muséum, nous avons trouvé trois croquis à la mine de-plomb qui paraissent représenter le Dromarus ater dans diverses attitudes. 0) Rèpne animal, 1" édition, 1817, planche », fig. > de Atlas, représente un p. 462. Emeu ordinaire.) 2 Traité L'Ornithologie, 1831, p. 8. (La %) Galerie des Oiseaux, &. I, pl. 220. MM. A. MILNE-ED WARDS ET E. OUSTALET. 12 LA 19 EXPLICATION DES PLANCHES. Praneue LL Perroquet mascarin (Mascarinus Duboist), 2/3 de la grandeur naturelle. [ 6 Praxcue IL. Huppe du Cap (Frepilupus varius), 4/5 de la grandeur naturelle. Piacue LE. Colombe hérissée (Alectrænas nitidissima), 2/3 de la grandeur naturelle. Prancne IV, Canard de Labrador (Camptolæmus labradorius), 2/3 de la grandeur na- turelle. Praxene V. Emeu ou Casoar noir (Dromaius ater), 1/6 de la grandeur naturelle. Centenaire. du Museum. le Imprimerie Nationale. Perro quet mascarin. PISTES 2 LS ELITE. Cntenatre du A rimerie N Imp Huppe du Cap. in (f Vu, Ait | } GANT pan = Es ES — EL ES = 14 pi (a ml } Centenaire. du Musee PL III Imprimerie Nationale. Colombe hérissée oi 12% L ON [on L DL e LD | Dr | ï tee ; ADN IE "AJRUOTIEN] 2TIAUITIdtA] - Al Id PUINISN | NP) OATDUITUI) PAR nca Jin He ” Musetint ie Cenlerraire es " ÿ WE LES TORTUES ÉTEINTES DE L’ÎLE RODRIGUEZ, D'APRÈS LES PIÈCES CONSERVÉES DANS LES GALERIES DU MUSEUM, PAR M. LÉON VAILLANT. Un lun LES TORTUES ÉTEINTES DE L'ÎLE RODRIGUEZ, D'APRÈS LES PIÈCES CONSERVÉES DANS LES GALERIES DU MUSÉUM. Parmi les animaux que l'homme a vu disparaitre dans les temps his- toriques, certains Chéloniens terrestres, les Tortues gigantesques, comme elles ont été souvent appelées. offrent un intérêt spécial. Pour plusieurs de ces espèces perdues, 1l faut avoir égard, dans la reconstitution de leur histoire, à des documents en quelque sorte légendaires, empruntés par- fois à des peuplades sauvages, à des traditions, qui sembleraient indiquer que ces êtres se trouvaient en imminence de disparaitre lorsqu'on les a observés. Mais ces Tortues, c'est en plein développement de leur exten- sion que l'Homme est venu les surprendre; 1l a sulli de sa présence. avec celle des hôtes qui l'accompagnent dans ses établissements, pour amener, et cela souvent avec une rapidité incroyable, la diminution, puis l'extine- tion de ces animaux à des époques assez récentes rendant possible d'en étudier et d'en déterminer les causes. Les Tortues terrestres appartiennent essentiellement aux régions chau- des; abondantes en types variés dans la zone intertropicale, c'est à peine sil est possible d'en citer quelques espèces, encore de petite taille, dans les régions avoisinantes; on cesse tout à fait de les rencontrer dans Îles zones tempérées proprement dites. Ces Reptiles, essentiellement herbivores, très sédentaires. d'un naturel doux et inoffensif, ne peuvent se multiplier, se développer librement, sans une tranquillité que le voisinage des s0- ciétés humaines ne leur laisse jamais. Sans doute, dans bien des cas, la 256 M. L. VAILLANT. vie peut souvent leur être difficile, mais une étonnante sobriété, une résistance vitale que prouve leur longue existence. en font des êtres mer- \eilleusement aptes à vivre au milieu de privations extrêmes, et l'on peut dire que les Tortues terrestres, des l'instant qu'elles n'ont pas à braver le froid, se contentent d'un milieu biologique qui serait absolument insup- portable à tout autre vertébré. Les climats insulaires se trouvent par suite leur être des plus favo- rables, quoique sur de petits espaces les difficultés d'y trouver les premiers moyens d'existence y soient souvent si pénibles que ce résultat peut étonner. Il faut se rappeler en effet que d'ordinaire l’eau y fait défaut, les plantes souvent sont peu abondantes et même, on le verra plus loin, dans quelques- unes de ces iles, l'herbe est rare et la végétation se composant presque exclusivement d'arbres élevés, les Tortues en sont à ce point d'attendre que des causes fortuites fassent tomber leur nourriture de ceux-ci. Dans la partie la plus méridionale de Madagascar, d'après les rensei- onements circonstanciés dont M. A. Grandidier a bien voulu me donner communication, se trouve un vaste espace, lequel, presque entièrement privé d'eau, est couvert de Nopals, ce Figuier épineux de Barbarie si connu dans toute l'Afrique. C'est là qu'habite le Couï, ou Tortue rayonnée ( Testudo radiata, Shaw), défendu de la destruction complète par ces circonstances spéciales qui interdisent à l’homme de s'aventurer bien loin dans cette aride solitude et obligent à se contenter d'en explorer les bords pour prendre les Tortues qui $'Y aventurent, tandis que le pros de la troupe vit tranquillement au milieu de ces plantes grasses, qui leur fournissent une nourriture appropriée à leurs besoins et les défendent tout à la fois. C'est sans aucun doute à ces circonstances qu'il faut attribuer la conservation de cette espece. objet d'un important commerce avec les iles voisines, la Réunion et Maurice principalement. Sur des ilots d’un accès difficile et qui, situés hors des routes habituel- lement suivies, sont restés longtemps inconnus, on comprend que ces animaux aient pu se propager au point de fournir ces multitudes prodi- pieuses d'individus, sujet d'étonnement pour les premiers navigateurs qui ont abordé ces terres nouvelles. LES TORTUES ÉTEINTES DE L'ILE RODRIGUEZ. 207 Les localités dans lesquelles on à Jusqu'ici reconnu la présence de orosses espèces de Tortues terrestres encore vivantes ou qu'on peut soit afhrmer, soit supposer éteintes depuis une époque peu éloignée, sont des iles de l'Océan Indien et du Grand Océan Pacifique. Suivant M. Günther Ÿ, trois espèces : Testudo elephantina, Duméril et Bibron— T. orvantea, D. B.; Testudo ponderosa, Günther; Testudo holohssa, Günther; et peut-être : Testudo Daudini, Duménil et Bibron; habiteraient le petit ilot d'Aldabra, au nord de Madagascar. À l'ile Maurice, du groupe des Mascareignes, quatre espèces, actuelle- ment éteintes, ont pu, dans ces derniers temps, être déterminées avec les débris découverts soit dans la Mare aux Songes, soit sur quelques autres points de l'ile; ce sont : Testudo triserrata, Günther —? T. Graù, Dumérnil et Bibron; 2 Testudo mepta, Günther; Testudo leplocnemis, Günther; ce dernier incomplètement étudié, auxquels 1l faudrait, sans doute, Joindre : Testudo indica, Schneider; la première espèce signalée du groupe, puisqu'elle fut le sujet des recher- ches anatomiques de Perrault ?. Aux Mascareignes encore, des Tortues gigantesques ont été vues par les anciens voyageurs, tant à la Réunion qu'à Rodriguez, mais on n'a Jus- M A. Günther, The gigantic Land-Tor- ® Add. : T. microtympanum, Boulenger, toises (livins and extinct.) in the collection of On the Skull of an extinct Land-Tortoise, pro- the British Museum, 96 pages, 54 pl., Lon- bably from Mauritius, indicating a new Species don, 1877. (Proceed. Zool. Soc. London, 1891, p. 4). 33 DIPRIMERIE NATIONALE, 258 M. L. VAILLANT. qu'ici aucune notion certaine sur l'espèce qui habitait la premiere de ces A \ , . iles: quant à celles qu'on rencontrait sur la seconde : Testudo Vosmaerr, Fitzinger: Testudo peltastes, Duméril et Bibron ; elles sont moins imparfaitement connues et le présent travail renferme quelques détails de nature à compléter sur certains points leur histoire. Ajoutons, pour terminer ce qui concerne les iles de l'Océan Indien, que les recherches de M. Grandidier ont fait connaître à Madagascar : Testudo abrupta, Grandidier: Testudo Grandidieri, Vaillant: et qu'aux Seychelles, d'après M. Eugène de Froberville, les récits des pre- miers navigateurs qui y aborderent rendent probable que des Tortues de terre volumineuses SV trouvaient avec des Crocodiles de grandes di- mensions, particulièrement à l'ile Praslin ". Toutes ces terres forment un ensemble dans la partie occidentale ex- trème de la vaste étendue d'eau qui, entre l'Afrique et l'Amérique, englobe l'Océanie. [l'est au moins singulier de ne voir sur aucun point de celle-ci des Tortues analogues et qu'il faille arriver à la partie la plus orientale, aux iles Galapagos, pour en retrouver, si remarquables, il est vrai, par leur taille et leur abondance, que les navigateurs qui découvrirent ces contrées lointaines ont tiré le nom de l'archipel de l'existence même de ces Reptiles. Le nombre des espèces n'est pas ici moins considérable que dans la ré- glon africaine, car on en compte environ six: encore convient-il d'ajouter que, d'après les récits des premiers voyageurs, ceux-ci virent un nombre considérable de ces animaux sur plusieurs de ces iles dans lesquelles on les cherche vainement aujourd'hui. Il est donc légitime de croire que plu- sieurs types disparus nous échappent à l'heure actuelle; les circonstances 0 L'Univers pittoresque. Îles de l'Afrique, par M. d'Avezac, avec la collaboration de MM. de Froberville, Frédéric Lacroix, Ferd. Hæffer, Mac Carthy, Victor Charlier; 3° partie, p. 92 et 99. LES TORTUES ÉTEINTES DE L'ILE RODRIGUEZ. 259 favorables qui ont amené les découvertes dont il a été question à Mau- rice el, comme on le verra, à Rodriguez, permettent d'espérer qu'un jour viendra où seront comblées ces lacunes. Deux auteurs, M. Günther, dont les beaux travaux sur cette question ont été déjà cités, et M. Baur!”? se sont dans ces derniers temps occupés des Tortues des Galapagos et, bien quil existe entre eux certain désaccord quant à la compréhension et à la synonymie de quelques-unes de ces es- pèces, ces savants ont toutefois élucidé plusieurs points qu'on peut aujour- d'hui regarder comme hors de toute contestation. Pour cet archipel, qui renferme des iles nombreuses, dont une surtout de grande étendue, on connait les Tortues gigantesques qui habitent ou ont habité trois d’entre elles. Dans l'ile Albemarle, la plus grande de toutes et divisée assez nette- ment en deux portions : Testudo microphyes, Günther : partie nord de l'ile; Testudo elephantopus, Harlan — 7. vicina, Günther (fsec. Baur) : partie sud de l'ile. Dans l'ile Charles, que ses facilités comme mouillage rendent l'une des plus fréquentées : Testudo galapagoensis, Baur — T. elephantopus, Jackson, nee Harlan (sec. Baur). Enfin dans l'ile Abingdon : Testudo Abingdont, Günther — T. ephippium, Günther (sec. Baur). Pour deux autres espèces, les localités précises ne sont pas connues : Testudo Güntheri, Baur — T. elephantopus, Günther, nec Harlan (sec. Baur): Pestudo niorita, Duméril et Bibron. 0 G. Baur, The pigantic Land-Tortoises of the Galapagos islands (American Naturalist, décembre 1889, p. 103qg-1097). 33. 260 M. L. VAILLANT. Elles pourraient provenir, entre autres terres comprises dans l'arehipel, de Hood, de Ghatam, d'Indefatigable , de James, de Narboroug!?, dans les- quelles les Tortues ont été signalées, surtout à la fin du dernier siècle et au commencement de celui-e1, sans qu'on sache exactement quelles espèces les habitaient et si ces espèces v existent encore. L'étude des Tortues terrestres des Galapagos est particulièrement inté- ressante, car elle à fourni des indications très précises sur l'étonnante rapidité avec laquelle la disparition pour certaines d’entre elles a pu s’effec- tuer. Tout le monde connaît les intéressantes observations faites sur les mœurs de ces animaux par Ch. Darwin lors de l'expédition du Beagle en 1835. Déjà cet éminent naturaliste indiquait, au dire des habitants, la diminution notable de ces animaux; cependant, à lile Charles, 1l consta- lait encore la présence d'un assez grand nombre de Tortues, sujet de ses études sur l'aspect, les mœurs, ete., de ces Reptiles. En 1846, c'est-à- dire onze ans plus tard, le Herald ne trouvait plus de Tortues dans cette ile, et c'est à Ghatam que le bâtiment s’approvisionna de ces ani- maux. Cette extinction s'explique lorsqu'on se rappelle les conditions néces- saires pour la libre propagation de ces Chéloniens terrestres, conditions dont il a été parlé précédemment et qui peuvent se résumer dans une absolue tranquillité, qu'assure seul un complet isolement. L'arrivée de l'Homme et des commensaux, agréés ou intrus, qui l'accompagnent, ve- nant à troubler cet ordre paisible, la destruction s'ensuit forcément. Bien que ces animaux soient d’une fécondité très grande, leur croissance, pour arriver à l'état adulte, est lente; d’un autre côté, au sortir de l'œuf, les petits sont d'une extrème faiblesse et se trouvent exposés sans défense à toutes sortes de dangers; d'ailleurs, même parvenues à leur complet déve- loppement, ces Tortues sont toujours incapables de résister activement à aucune attaque. [l'en résulte que si une colonisation a lieu sur des îles de peu d'étendue, où ces animaux ne sont protégés par aucune disposition naturelle, Homme s'empare des adultes, dont il fait sa nourriture, tandis (0) On peut y joindre l'ile Duncan, de laquelle l'expédition de lAlbatros aurait rapporté quelques Tortues (G. Baur, 1889, p. 1044). LES TORTUES ÉTEINTES DE L'ÎLE RODRIGUEZ. 261 que les Chats et les Rats qui l'accompagnent dans ses établissements détruisent au sortir de l'œuf ou dans leur premier âge les petits, dont ils se montrent tres friands ®. On comprend que l'espèce, ainsi atteinte dans ses termes extrêmes, s'éteigne avec cetle rapidité, qui ne laisse pas que de surprendre au premier abord. L'ensemble de ces faits mérite de fixer l'attention, mais leur étude pré- sente des difficultés particulières. En premier lieu, la détermination de beaucoup de ces animaux ne peut être encore regardée comme définitive- ment acquise; ainsi on à vu, 1] y à un instant, les divergences qui existent entre les auteurs les plus compétents, M. Günther et M. Baur, sur la com- préhension de certains types des Galapagos; pour les Tortues d'Aldabra, M. Boulenger, dans son excellent catalogue des Chéloniens du British Mu- seum, exprime des doutes sérieux sur les distinctions spécifiques établies entre les Testudo elephantina, T. gvantea, T. hololissa ?. D'une autre côté, une grande incertitude règne, dans bien des cas, sur la provenance d'exemplaires typiques conservés dans les Musées. À une certaine époque, bon nombre de dépouilles appartenant à ces animaux furent apportées en Europe et données à différents établissements, mais on les considérait alors plutôt comme des objets rares, propres à exciter la curiosité, que comme ayant un caractère scientifique; aussi négligeait-on souvent de les accompagner d'aucune indication d'origine. C'est assez ré- cemment, 1l faut le dire, qu'on a attaché l'importance voulue à ces rensei- gnements, surtout en ce qui concerne les localités, et, sans remonter bien haut, on trouve trop fréquemment, même dans les principales collections, pour des pièces précieuses les désignations vagues : mer des Indes, Amé- rique méridionale, dont il n'est plus possible aujourd'hui de se contenter. 0) Nous avons pu constater au Muséum avec quelle avidité nos animaux domestiques recherchent ce genre de proie. Deux petites Tortues éléphantines, âgées de seize à dix- huit mois, données par M. Nageon de l'Étang au mois de mai 1878, ayant été placées en juin dans les pares extérieurs, furent, la nuit même, lune dévorée, l’autre grièvement mordue par une petite chienne qui servait à la garde de la Ménagerie des Reptiles de- puis longtemps et accoutumée à la vue de toute espèce de Reptiles. ®) G. À. Boulenger, Catalogue of the Che- lonians, Rhynchocephalians and Crocodiles, in the collection of the British Museum, p. 168, London, 1889. 262 M. L. VAILLANT. La connaissance de ces types devient dés lors dans ces questions d'une importance capitale. Le Muséum d'histoire naturelle n'est pas un des moins riches et a reçu dans ces dernières années des pièces intéressantes à cel égard: sans aborder l'étude d'ensemble de ces documents, étude que des empêchements matériels obligent de différer encore, il peut être utile d'en faire connaitre quelques-uns; c'est l'objet du présent Mé- more. Je me bornerai pour le moment aux espèces qui ont habité l'ile Rodri- ouez, faisant d'abord connaitre un nouvel exemplaire du Testudo Vosmaert, Fitzinger, pour ensuite insister de nouveau sur les caractères distinctifs du Testudo peltastes, Duméril et Bibron. «La première relation étendue que nous possédions sur l'ile Rodri- ouez , dit M. Eugène de Froberville®, est celle qui parut à Londres en 1708, sous le titre de : Voyages et avantures de François Leouat et de ses compaonons en deux îles désertes des Indes orrentales. » Cette curieuse rela- tion Ÿ, dont l'éloge n'est plus à faire, nous fournit aussi les premiers ren- selgnements sur les Tortues qui habitaient cette île. D Cette ile est tantôt appelée simple- ment Rodrigue ou Rodriguez, tantôt Diégo Rodriguez. Allongée de l'est à l'ouest, elle ne mesure guère plus de 18 à 19 kilo- mètres dans ce sens sur 7 à 8 kilomètres du nord au sud; à marée basse, les récifs de coraux qui l'entourent peuvent en tri- pler l'étendue. 2 L'Univers pittoresque. Îles de Afrique, 3° parle, p. 73. 5) Voyages et avantures de François Le- guat et de ses compagnons en deux îles de- sertes des Indes orientales. Avec la relation des choses les plus remarquables qu'ils ont obser- oées dans l'ile Maurice, à Batavia, au Cap de Bonne-Espérance, dans l'ile Sainte-Hélene et en d'autres endroits de leur route. Le tout en- richi de cartes et de figures. Tel est le titre complet de cet ouvrage, auquel abbé Pingré, l'un des premiers, a rendu justice en témoignant que, s’il « passe pour un tissu de fables, il en a trouvé beau- coup moins qu'il ne s'y attendait» (manu- serit, cité plus loin, p. 161). Ce livre a eu l'honneur de plusieurs éditions. D'après celles que J'ai pu consulter, où dont il est fait mention dans les auteurs, la première publication eut lieu en 1708 à la fois à Londres (chez David Mortier) et à Ams- terdam (chez Jean-Louis de Lorme). Cest un même lirage, la pagination se retrouve identique ainsi que l’errata; les noms des LES TORTUES ÉTEINTES DE L'ILE RODRIGUEZ. 263 Dans un passage fréquemment cité, Leguat dit qu'il en distingue trois différentes espèces et que le poids atteint par certains individus peut, sui- vant lui, aller jusqu'à environ 100 livres (p. 89), estimation qu'on doit regarder comme loin d'être exagérée d’après les exemplaires connus. Leur nombre, ajoute ce même observateur, est prodigieux, puisque + l'on en voit quelquefois des troupes de 2,000 et 3,000, de sorte que l'on peut faire plus de 200 pas sur leur dos ou sur leur carapace, pour parler proprement, sans mettre le pied à terre». Enfin il insiste sur l'habitude singulière et, comme il le dit, difficile à comprendre, qu'ont ces Chéloniens de poster en quelque sorte des sentinelles sur les côtés de ces troupeaux (p. go). À dif- férentes reprises, dans le cours de son récit, Leguat revient sur l'utilité que pendant leur séjour, de 1691 à 16953, lui et ses compagnons retirèrent de ces animaux, sur l'excellence de leur chair, de leur foie, de leur graisse qui ne fige Jamais (p. 89) et qu'ils emploient comme assaisonnement avec le chou palmiste (p. 81), comme médicament en onctions (p. 89), pour l'éclarage (p. 132), sans compter l'usage qu'ils en font pour calfater (p. 136) la barque sur laquelle ils s'échappent, si l'on peut dire, de Ro- driguez pour gagner péniblement l'ile Maurice. Dans un document du plus haut intérêt, ayant pour Utre : Relation de l'ile Rodrioue, document retrouvé par M. Alphonse Milne-Edwards aux éditeurs seuls sont changés sur le titre et également un catalogue d'ouvrages pu- bliés par chacun d'eux, lequel termine le second volume; la préface est datée : «à Londres, le 1° octobre 1707». D’après Schlegel (Ann. des Se. nat., 5° série, 1. VI, p. 26, note), une traduction anglaise fut donnée la même année en un volume; elle ne m'est pas connue. Une autre édition en deux tomes, d’un format plus petit que la première avec les planches réduites, porte la mention: Londres, 1710 ; sans nom d’édi- teur, n'est-ce pas une contrefaçon? En 1720, à Londres (encore chez David Mortier), parut une édition dans le format de la première, les planches un peu modifiées, quelques-unes retournées où diminuées. On cite également (je n'ai pas eu occasion de la consulter) une édition : Rouen ,1 720. Enfin, il y a quelques années, une réimpression, avec notes de M. Eugène Muller, a paru dans la Bibliothèque d'aventures et de voyages (Maurice Dreyfous , Paris); dans cette édition, comme on s’est attaché de préférence à la partie pittoresque du récit, de nombreuses et importantes cou- pures ont été faites, ce qu'indiquent au reste plusieurs annotations du commentateur; tout ce qui est relatif à Rodriguez y est assez fidèlement reproduit, sauf plusieurs plans et figures qui manquent. C’est à l'édi- tion de 1708 que seront faits ici les ren- VOIS. 26/4 M. L. VAILLANT. archives du Ministère de la marine et dont la date doit être, suivant lui, approximativement fixée vers 1730, se trouvent de non moins intéres- sants détails sur ces Chélomiens terrestres. + La Tortue de terre, nous dit l'auteur inconnu du Mémoire, est très abondante: elle n’est pas beaucoup orasse eu égard à la grande quantité qu'il y en a et à la disette d'herbe: elle mange les feuilles et les graines des arbres que le vent fait tomber à terre. IT y a de la Tortue de trois espèces et les plus grandes que j'aie vues sont de 3 pieds à 3 pieds 8 pouces de longueur d'écaille. Elle n’est pas si commune dans les hauts comme dans les ravines à cause de la disette d'eau dans les temps de sécheresse ?.» L'auteur, étranger sans doute à l'histoire naturelle, mais incontestablement très bon observateur, recon- nait, comme Leguat, trois espèces, fait à noter, vu les opinions diverses émises sur ce point par les zoologistes modernes. Dans ce même travail, M. Alphonse Milne-Edwards donne, d'apres des chiffres officiels, une effrayante statistique du nombre de Tortues prises à l'ile Rodriguez pour lapprovisionnement de Maurice et de la Réunion. Du o décembre 1759 au 12 mai 1761, c'est-à-dire en dix-huit mois, 30,000 Tortues terrestres furent enlevées par quatre petits bâtiments spé- cialement affectés à ce service ! À cette époque, un savant génovéfain, associé libre de l'Académie royale des sciences, l'abbé Pingré, venait à Rodriguez pour observer le passage de Vénus. Débarqué le 28 mai 1761, son séjour s'y prolongea Jus- qu'au 8 septembre de la même année. On possède la relation de son voyage dans un journal écrit entièrement de sa main. Ce curieux manuserit®), qui 1 ) o M. 97 à 1 M. 19. 2 À, Milne-Edwards, Nouveaux documents sur l'époque de la disparition de la faune an- cienne de L'ile Rodrigue (Ann. Sc. nat., 6° sér., (art no 16874) 9 A, Milne-Edwards, 1834, p. 19. En réalité, la bibliothèque Sainte- Geneviève possède deux manuscrits. L'un, véritable Journal de l'abbé Pingré, est ca- talogué: G'7, in-h°; il à été rédigé pendant le cours même du voyage suivant les 1m- pressions du moment, ce qui lui donne un intérêt très particulier; comme il n'y a pas de pagination, je renvoie aux dates pour les citations qui en seront extraites. Ci-git, qui chérit tant Vénus, Qu'à Rodrigue il fut la surprendre. De l’astrologue 2x partibus, Cher passant, respecte la cendre. Cette épitaphe burlesque (21 mars 1761) est offerte à l'auteur par un de ses compa- gnons de voyage, le comte de Chemillé, dans LES TORTUES ÉTEINTES DE L'ILE RODRIGUEZ. 265 m'a élé communiqué avec une extrême obligeance par M. H. Lavoix fils, conservateur-administrateur de la bibliothèque Sainte-Genevièvetl, fournit sur les Reptiles dont nous nous occupons ici quelques indications, mais se rapportant surtout à l'emploi de ces animaux comme aliment. Ainsi, dès son débarquement dans l'ile, l'abbé Pingré en fait l'éloge sous ce rapport : « De retour (on s'était rendu à bord pour achever le débarquement des instruments et autres objets nécessaires à l'expédition), nous avons dé- jeuné avec du foye de Tortue terrestre, fort supérieur à tout foye que Je connaisse ; celui de la Raye ne fait qu'en approcher de loin» (29 mai): il s'accorde en ceci avec Leguat®. Dans un autre passage, avant à remettre en état ses pendules, avariées par un emballage maladroitement fait de plantes marines fraiches : «au défaut d'huile d'olive, nous tâchons de dis- siper les obstacles de la rouille avec de l'huile de Tortue» (30 mai). Bien que l’auteur, occupé avant tout de ses travaux astronomiques et péodésiques, ne parle qu'incidemment d'histoire naturelle, 1l est loin de s'en désintéresser, comme le témoignent les notes prises sur les différentes \ . PA 1: " © CL 4 espèces animales et végétales, sur les pierres et minéraux trouvés dans le trajet de Lorient à Maurice, et donnera idée du ton humoristique avec lequel est rédigé en maints endroits ce document. Le second manuscrit, catalogué : Gf 8, in-4°, est une remise au net destinée sans doute à l'impression, comme semblent le té- moigner quelques passages ; deux essais d'une autre rédaction sont ajoutés à la fin et reliés avec le tout. Les événements survenus vers cette époque auront mis obstacle à la pu- blication. Bien des détails donnés au journal y sont naturellement omis comme trop per- sonnels. Ce manuscrit est paginé; le quatrain ci-dessus s'y trouve reproduit page 80. Une carte également manuscrite, à une assez grande échelle ln ER à roro CHMILON-MYNESE jointe et porte l'en-tête: «Plan de l'Isle Rodrigue, située par la latitude de 19°, 25 mi° Sud. — 1737.» Derrière se trouve une : + Instruction pour l'atterrissage de l'ile Rodrigue». Cette carte doit être celle dont parle l'abbé Pingré (p. 163), comme lui ayant été remise au cours du voyage par M. de Puvigné. Sa date se rapproche de l'époque à laquelle aurait été composée la Relation de l'ile Rodrigue, qu'a fait connaître M. Alphonse Milne-Edwards; n'est-elle pas due au même auteur? Certains noms de localités, identiques sur lun et l'autre do- cuments, peuvent le faire présumer. 0 I] a été également consulté par M. Eu- oène de Froberville et M. Alphonse Milne- Edwards, qui l'un et l’autre le citent. 2) «Le foie est d’une délicatesse extrême et fort gros à proportion de l'animal; car une Tortue, qui n’a que 15 livres de chair, a le foie de 5 à 6 livres. Il est si délicieux qu'on peut dire qu'il porte toujours sa sauce avec soi, de quelque manière qu'on le pré- pare» (Leguat, loco cit., p. 89). 3/4 LMPRIMERIE NATIONALE, 266 M. L. VAILLANT. l'ile: 1l parle aussi à plusieurs reprises du soin quil a de récolter des exemplaires et des échantillons pour les rapporter en France. L'abbé Pingré distingue dans le récit les Tortues de terre, qu'il appelle carosses, des Tortues de mer désignées par lui sous le nom de dos-pavé, expressions évidemment empruntées aux gens du pays. et l'on doit con- clure de certaines parties du Journal que les premières étaient à cette LA À D LA LA - epoque devenues rares. Ceci résulte entre autres du désappointement causé par les déprédations faites, à l'endroit des Tortues, par les Anglais, qui s'emparaient de l'ile ou tout au moins y faisaient incursion pendant son séjour. + Vers cinq heures, une pirogue est partie de la Miononne © pour venir à terre; nous avons vu depuis que c'était pour prendre des Tortues. 1l en était resté au parc» (3 juillet}. — «+ Une pirogue laissée par ’ ( J prog P les Anglais pleine de Tortues, près du pare à Tortues, et qui y était en- core hier au soir, a disparu cette nuit, enlevée sans doute par nos fugitifs marrons ®... Nos forbans, au sortir d'ici, paraissent avoir été au pare à Tortues » (4 juillet). «+ Nos pirates ont réellement été prendre des Tor- tues» (5 juillet). — «On a envoyé aujourd'hui les blancs avec deux jours de vivres pour chercher de la Tortue» (7 juillet). — «Ils (il s'agit d'un navire en vue) ont un canot en route vers le pare à Tortues» (14 juillet). Sans aucun doute, si ces animaux eussent continué d'être aussi abon- dants, on se fût moins préoccupé de leur perte, on n'eüt pas surtout été obligé, pour s'en procurer de nouveau, à d'aussi longues expéditions. La diminution ne s'explique d'ailleurs que trop facilement par l'exploi- tation abusive qu'on en avait faite les années précédentes, exploitation dont il a été parlé plus haut. sans compter la présence des Rats existant 1) Lors d'une excursion pour reconnaitre le tour de l'ile, étant surpris par le mauvais lemps, “nous n'avions pas, dit-il, de para- pluie proportionné à ceux des carosses que nous avons rencontrés ce malin (carosse est une espèce de grosse Tortue de terre), ni à celui du dos-pavé (Tortue de mer)..... ” (21 Juin). 2) Les noms de ces navires pris par les Anglais étaient le Plessis et la Mipnonne. Ce dernier, qui avait amené l'abbé Pingré de Maurice à Rodriguez, est précisément cité par M. A. Milne-Edwards comme un des quatre bâtiments employés au service du transport de Tortues, dont il a été question (A. Milne-Edwards, 1874, p. 19). 8) L'abbé Pingré parait désigner sous ce nom les habitants de la petite colonie, qui, à l'approche des Anglais, s'étaient cachés dans les bois. LES TORTUES ÉTEINTES DE L'ILE RODRIGUEZ. 267 déja dans l'île au temps de Lepuat et dont l'abbé Pingré se plaint à maintes reprises. On ne peut mieux faire, au reste, pour indiquer l'impression laissée par ces Reptiles dans l'esprit de l'abbé Pingré, que de reproduire le pas- sage suivant, extrait de la mise au net du récit de son voyage : «La Tortue de terre n'est pas un bel animal, mais il nous a été le plus utile de ceux que nous avons trouvés à Rodrigue. En trois mois et demi de temps que J'ai passé dans cette isle, nous ne mangions presque rien autre chose : soupe de Tortue, Tortues en fricassée, Tortues en daube, Tortues en godiveau, œufs de Tortue, foie de Tortue; tels étaient presque nos uniques ragouts; cette chair m'a paru aussi bonne le dernier jour que . le premier; Je n'en goütais pas beaucoup les œufs; le foie me paraissait être la partie la plus délicieuse de l'animal. Après cinq semaines de séjour, Je fus attaqué d'un flux de sang que je celai, parce que pour le guérir Je comptais plus sur moi que sur le chirurgien de lisle; la diète et le repos me rétablirent en peu de jours, il ne m'en resta qu'une répugnance extra- ordinaire et involontaire pour ce foie, que J'avais tant aimé jusqu'alors; dois-je, en conséquence, le regarder comme la cause de mon indispo- sition ? La graisse de Tortue est très abondante et ne se fige pas; c'est ce quon appelle aule de Tortue : cette huile n'a aucun mauvais goût, elle est très saine, nous en assaisonnions nos salades, nous l'employions dans nos fritures et dans toutes nos sauces. Les Tortues de Rodrigue ont 1 pied et demi de long sur 1 pied environ de large; elles étaient autrefois plus grandes, mais onne leur donne plus le temps de croître : lorsqu'on en trouve d'une taille plus grosse, on leur donne le nom de Carrosses. Ces d’eau , tes pesches-madame, tes huitres jaunes, e septembre 1761 montrent le souvenir tes ... (mot illisible), tes lunes, tes gueules pavées, les bananes, tes vieilles, tes crabes, 9 Les adieux qu'il fait à cette île le qu'il en emportait : à : - : : : tes langoustes, ete. Adieu aussi à ton eau mi- Adieu donc, Rodriguez, adieu tes rats, adieu ; (à Je : L nérale, à ton huile de tortue, etc. tes chardons, adieu tes tourlouroux, adieu tes a à . r . 7 Ü Rae AE L giraumons, adieu, mesdames les tortues, votre L'abbé Pingré semble s'adresser d'abord compagnie est bonne sans doute, mais elle est trop prolongée. Et plus bas : Adieu done, Rodriguez, adieu tes poules aux productions du sol, et la seconde fois aux productions des eaux. 2) Dimensions équivalant à o m.A87 sur 0 M. 329. 34. 268 M. L. VAILLANT. Carrosses ne peuvent faire de mal à un homme éveillé ; ils ont quelquelois mordu vivement les dormeurs. Les écailles des Tortues de terre nous ser- vaient comme de paniers pour transporter des huitres où autres pro- visions semblables ; c’est presque l'unique usage qu'on puisse faire de ces écailles. La chair de ces Tortues est de la couleur de celle du mouton. elle en approche même pour le goût» (second manuscrit, p. 193-194). Depuis cette époque, on ne trouve plus guère mention faite des Tortues de Rodriguez, sauf pour constater, vers 1770, qu'elles étaient devenues si peu nombreuses qu'on résolut d'abandonner l'établissement conservé jusqu'alors dans cette île, comme ne donnant pas des résultats en rap- port avec les dépenses qu'il occasionnait. Enfin la disparition fut si com- plète qu'au commencement du siècle, le souvenir de ces animaux était en quelque sorte perdu et 11 devenait impossible de déterminer à quelle ou quelles espèces pouvaient se rapporter les récits des voyageurs. Et cependant quelques rares débris s'en trouvaient dans les Musées d'Europe, par malheur sans lieu d'origine ou, ce qui est peut-être pis, portant à cet égard des indications erronées. Le plus intéressant comme étant le type de l'espèce est la carapace que décrivait Schæplf en 1792, sous le nom de Testudo indica Vosmaeri®, dénomination régularisée un peu plus tard en Testudo Vosmaert par Fitznger. M. Hubrecht, dans ces derniers temps”, a rappelé que ce curieux objet, faisant d'abord partie de la col- lection du Stathouder, se trouve actuellement dans le Musée de Leyde. Cet auteur donne pour ladite carapace Îles dimensions principales QUE vantes : Longueurten ligne droite"#"."#"""11.7 o" 81 Dossière . . .{ Longueur en suivant la courbure. ...... 0 93 Longueur de la convexité en travers. . ... 0 889 Plastcon "©" "LONEUEUT 0e AE RE TRNTER ENENEE 0 D8 Ces mensurations concordent suffisamment avec celles données par Schæp{f pour justifier l'identification qu'achève de démontrer. d'après d Schœæplf, Historia Testudinum, p. 103, ) Hubrecht, On certain Tortoises in the pl. XXIT (les deux figures inférieures), collections of the Leyden Museum (Notes from 1792. the Leyden Museum, t. HE, p. 41, 1881). LES TORTUES ÉTEINTES DE L'ILE RODRIGUEZ. 269 M. Hubrecht, la reproduction sur la planche de certains accidents indivi- duels présentés par cet objet. L'exemplaire avait été donné comme venant du Cap de Bonne-Espérance; cela n'aurait de seconde main, à la rigueur, rien d'impossible, vu l'habitude qu'ont toujours les gens de mer de trans- porter à bord ces animaux comme vivres frais, les abandonnant souvent là où l’occasion les fait aborder. Pour suivre l'ordre chronologique, on doit maintenant citer un débris découvert à la fin du siècle dernier avec quelques os d'Oiseaux envoyés plus tard à G. Cuvier, qui présenta le tout à l'Académie des sciences dans sa séance du 12 Juillet 1830. Mais une fâcheuse obscurité régna pendant un certain temps sur leur origine. Voici en effet comment s'exprime l'auteur qui le premier les fait con- naitre : + M. Julien Desjardins, de l'ile de France, ayant envoyé des osse- ments qui se trouvent dans cette île sous des coulées de lave et qui ap- partiennent principalement à cette grande Tortue terrestre, qu'on désigne mal à propos sous le nom de Testudo indica, M. Cuvier y distingua d'abord plusieurs os d'oiseaux ©. » On doit supposer que G. Guvier avait reçu ces piéces sans indications précises; comme d’un autre côté 1l possédait, depuis déja plusieurs années, des ossements d'une grande Tortue terrestre de Vile de France, en ayant figuré des 18924 l'humérus et le tibia”, le nom du donateur le conduisit, par analogie, à rapporter à cette même localité toutes ces pièces, bien que des différences d'aspect montrassent qu'elles ne pouvaient avoir été ré- coltées dans les mêmes circonstances. Desjardins, aussitôt qu'il eut connaissance de la précédente communi- cation, s'empressa de rétablir la réalité des faits dans une note qui m'est seulement corinue par l'extrait sommaire publié dans le second volume MG. Cuvier, Note sur quelques ossements tion qu'ont renvoyé généralement les au- qui paraissent appartenir au Dronte, espèce teurs anglais. d'oiseau perdue seulement depuis deux siècles @) G. Cuvier, Recherches sur les ossements (Bull. Sc. nat. de Ferussac, t. XXIT, p.192, fossiles, 9° édit., t. V, 2° partie, p. 248, 1830). — Cet article a été reproduit : pl. XV, fig. 17 et 18, 1824. — Voir épale- Edinburg Journ. nat. and geograph. Science, ment: 4*édit.,t. IX, p. 493, pl. 243, fig. 17 2° série, t. [IT, p. 30; c’est à cette traduc- et18, 1830. 270 M. L. VAILLANT. des Proceedines de la Société zoologique de Londres. Voici la traduction du passage qui s'y rapporte : « À propos des os de Dodo (consistant en un sternum, un crâne et quatre os des membres), lesquels furent envoyés par M. Desjardins à Paris et ont, l'été précédent, excité à un si haut de- oré l'attention de M. Cuvier et de M. de Blainville, on prend occasion de corriger quelques erreurs qui se sont glissées dans les récits publiés à leur sujet. [ls ont été découverts en 1786 dans une caverne de l'ile Rodri- guezÜ), » La note de G. Guvier, comme on le voit, mentionne des os de Tortues, mais cela par suite sans doute d'une assimilation que la localité fausse 0 Desjardins, Analyse des travaux de la Socicté d'Histoire naturelle de l'ile Maurice pendant la 2° année (Extrait). — Proceed. Zool. Soc. London, 1839, p. 111. La bibliothèque du Muséum possède une intéressante série des publications de la So- ciété d'histoire naturelle de l'ile Maurice. Dans les comptes rendus des séances pour les premières années, 1830, 1831, 1839, lesquels, à la vérité, pourraient bien ne pas être complets, étant en feuilles volantes imprimées au recto seulement, sans pagi- nation, Je n'ai pu trouver la communica- tion originale de J. Desjardins sur ces osse- ments. Strickland et Melville, dans leur étude The Dodo and its kindred: or the history, affinities and osteology of the Dodo, bien connue : Solitaire and others extinct Birds of the islands Mauritius, Rodriguez and Bourbon (1 41 pages, 19 planches, London, 1848), ont fait un historique étendu de cette question. Suivant ces auteurs, c'est en 1789 que ces osse- ments auraient été trouvés dans une grotte de Rodriguez par un M. Labistour; son beau- fils, M. Roquefeuille, en fit don à J. Desjar- dins vers 1830. Strickland, auquel est due la première partie de l'ouvrage sur le Dodo, semble au reste avoir obtenu des rensei- gnements qui ne sont peut-être pas du do- maine public, car il ajoute en note à ce propos : + [am indebted to M. G. G. Cuning- hame for sending me, through sir W. C. Trevelyan, extracts from the archives of the Mauritian Society, detailing the above facts» (loco cit., 1848, p. 51). Ces auteurs négligent cependant de faire remarquer que dès 1831, peut-être d'après les renseignements personnels de Quoy communiqués à Blainville, Cuvier avait déjà rectifié cette erreur de localité et dit clairement que ces os d'oiseaux venaient de Rodriguez (Analyse des travaux de l’'Aca- démie royale des sciences pendant l’année 1830, par M. le baron Cuvier. — Ann. Sc. nat., 1"° série, t. XXIV, p. 207, 1831). Strickland et Melville citent encore, pour la communication de Cuvier, le tome XXI des Annales des sciences naturelles, sans in- dication de page malheureusement; je ne puis trouver dans ce volume rien qui ait rap- port à cette question. Il est également dif- ficile de savoir ce que signifie une seconde indication bibliographique de ces auteurs, ainsi conçue : Revue, sept. 103, 104, 109, 110.» Il y a là une confusion regret- table qui n’a pas été sans obscureir la ques- tion. LES TORTUES ÉTEINTES DE L'ILE RODRIGUEZ. 271 faisait établir avec ceux décrits et figurés dès 182/, car, en réalité, il n°y en avait qu'un seul, couvert d'incrustations stalagmitiques, prouvant assez, Testudo Vosmaeri, Filz. Radius droit, envoyé à G. Cuvier par Desjardins (grandeur naturelle). d'ailleurs, qu'il venait bien des mêmes lieux que les os de l'oiseau, lequel n'est autre que le Solitaire de Rodriguez. Strickland et Melville, qui eurent ces pièces en main, se bornent à indiquer en note l'exis- tence d’un os de Tortue sans plus amples développe- ments. Paul Gervais étudia de nouveau ces pièces: toutefois, par une inexplicable méprise, car le tra- val précité des auteurs anglais lui était connu, los en question est décrit comme cubitus du Solitaire ?. I négligea de le figurer, bien qu'il fasse représenter à nouveau quelques-unes des pièces qu'on trouve déjà sur les belles planches de Strickland et Melville. Cest cependant, sans aucune incertitude, un os de Tortue; les riches éléments de comparaison que nous possédons aujourd’hui permettent d'y reconnaître un radius du côté droit, bien que, la roche incrustante en masquant les contours, la situation soit quelque seu difficile à déterminer. On en jugera d’ailleurs par la figure ci-jointe Ï Ju£ | 5 J de cette pièce, la première qui ait pu faire authentiquement connaitre l'une des Tortues de Lepuat . À ce propos, 1l n’est pas inutile de remarquer combien fut regrettable, pour la question des Tortues gigantesques des Mascareignes, la persis- tance qu'ont mise les auteurs anglais à ne pas citer les ossements décrits U) Strickland et Melville, loco cit., 1848, p- 53. 6) «Le Cabinet du Roi renferme aussi une tête de Tortue de terre rapportée de ©) P. Gervais, Zoologie et Paléontologie francaises. Nouvelles recherches sur les animaux vertébrés, dont on trouve les ossements enfouis dans le sol de la France, et sur leur compa- raison avec les espèces propres aux autres ré- gions du globe. — 2° édition, Paris, 1859, p- 426. l'ile Rodrigue et qui a près de 5 pouces (o m. 135) de longueur» (Lacépède, His- toire naturelle des Quadrupèdes ovipares et des Serpens, t. 1, p. 156, 1788). Getle pièce se- rait antérieure à celle dont il est ici ques- tion, mais il n’est pas possible de savoir ce qu'elle est devenue. 272 M. L. VAILLANT. et figurés au début par Guvier. Îl n'en est fait mention ni dans Strickland et Melville, mi dans le grand ouvrage de M. Günther; ici cependant le fait méritait d'être relevé, car c'est là le plus ancien document scientifique positif sur les Tortues éteintes de l'ile Maurice. Les détails donnés dans les Æiecherches sur les ossements fossiles sont des plus précis, indiquant que ces objets viennent de +feu M. de Fourcroy, qui les tenait de M. Néraud, habitant de l'ile de France», et «qu'ils ont été trouvés avec d’autres os du même genre au lieu dit des Quatre Cocos" en creusant une citerne». C'est là qu'il est question du gisement dans un banc crayeux fort épais, situé sous la lave». Malgré la confusion sub- séquente. qui est commise six ans plus tard, on ne peut élever aucun doute sur l'exactitude de ces faits. La confirmation en était au reste donnée par l'envoi au Muséum d’une série plus riche de débris appartenant à la même espèce et provenant des mêmes lieux, série comprise dans les collections rassemblées pendant le voyage de cireumnavigation de l’Astrolabe, sous les ordres du comman- dant Dumont d'Urville, et débarquées à Marseille au mois de mars 1829. On y trouve huit humérus complets ou portions d'humérus, deux frag- ments assez grands de bassins, deux fémurs incomplets, plus un échan- üllon de la brèche cräyeuse dans laquelle sont enfouis les os et un échan- üllon du terrain ®. Dans le récit du voyage, aux extraits des journaux des officiers de l'expédition, par lesquels se termine le dernier volume, un emprunt fait au journal de Quoy, pendant son séjour à la maison de cam- pagne de Desjardins, près de Flack, donne des détails circonstanciés sur ces amas d'os de Tortues. Ce passage semble avoir échappé jusqu'ici à l'attention des naturalistes : + Nous vimes ensemble, dit-1l, diverses particularités d'histoire natu- A) D'après les renseignements qui me sont obligeamment fournis par M. À. Gran- didier, les Quatre Cocos forment un des huit arrondissements qui composent le quartier de Flack. ? Ces différentes pièces, avec les os dé- crits dans les Ossements fossiles, ont été réu- nies dans un même cadre, qui figure dans les collections paléontologiques du Muséum où il m'a été possible de les étudier. L'examen de la roche, qu'ont bien voulu faire MM. Albert Durand et Boule, indique un composé de lapillis basaltiques cimentés par une malière calcaire. LES TORTUES ÉTEINTES DE L'ÎLE RODRIGUEZ. 273 relle, telles que le sol argileux mélangé de palets de terre, qui recèle une grande quantité d'os de Tortue. C'est au milieu des terres, à 2 lieues au moins des bords actuels de la mer. — Il sera toujours très difficile de dire comment s'est opérée en un même point la réunion d’une si grande quantité d'ossements de ces animaux, qui ne vont jamais en troupes nom- breuses et dont nous n'avons point rencontré de grands débris entassés sur les plages que nous avons eu occasion de visiter dans divers points du lobe 0. » Quoy, plus habitué à voir et à entendre parler de grosses Tortues ma- rines que de Tortues terrestres de cette taille, s'exprime comme sil s'agis- sait des premières, mais celte confusion n'enlève rien à la valeur de son récit, en ce qui concerne le gisement et la localité. Ajoutons qu'il con- naissait les ossements du Solitaire de Rodriguez, les ayant vus entre les mains de ce même Desjardins avant que celui-ci les envoyât à Cuvier, et qu'il fut, au dire de Blainville ®, l'un des premiers à signaler l'erreur com- mise sur le lieu d'où provenaient ces débris, ce à quoi plus haut il a déjà été fait allusion. Pour en terminer avec ces ossements de Tortue gigantesque de Pile Maurice, je dirai que la comparaison avec des pièces généreusement offertes au Muséum par M. Edwards Newton conduit à les rapprocher de ceux du Testudo inepta. En comparant la figure de lhumérus donnée par Cuvier avec celle de l'ouvrage de M. Günther®, on arriverait à la même conclusion. Quant aux Tortues de Rodriguez, un autre pays d'Europe recevait des ossements analogues à ceux envoyés par Desjardins. Ch. Telfair en pré- sentait à la Société zoologique de Londres: on trouve mentionné dans le recueil de celle-ci que +ces débris renferment, avec de nombreux os des extrémités d’une ou plusieurs espèces de Tortues de terre, plusieurs os de % Dumont d'Urville, Voyage de la cor- 2) H.-D. de Blainville, Mémoire sur le Dodo, vette l'Astrolabe, exécuté par ordre du Roi pen- autrement Dronte (Didus ineptus, L.). — Lu dant les années 1896, 1827, 1828, 1829. à l'Académie des sciences le 30 août 1830 Histoire du voyage. Paris, 1830-1833, t. V, (Nouv. Ann. du Muséum, t. IV, p.33, 1835). p. 648. 6) Günther, loco cit., 1877, pl. XXV, fig. 8. 39 IMPRIMERIE NATIONALE. 274 M. L. VAILLANT. l'extrémité postérieure d'un gros oiseau et la tête d'un humérus ">, Cest la répétition de ce qu'avait vu (r. Guvier. Toutefois cela n'avançait pas la question en ce qui concerne la connais- sance spécifique du Chélonien signalé par Leguat, par l'abbé Pingré, et confirmait simplement les récits de ces voyageurs, quant à la présence an- cienne dans l'ile d'animaux gigantesques appartenant à ce groupe. On ne pouvait à cette époque, avec si peu de matériaux, arriver à une détermi- nation précise. Dans leur Ærpétolonie sénérale, G. Duménil et Bibron décrivaient de nouveau le Testudo Voesmari, Fitanger, mais les zoologistes français avaient à leur disposition des éléments d'étude qui, tout en laissant à dé- sirer sous plusieurs rapports, étaient cependant plus complets que ceux vus par leurs devanciers. En premier lieu, c'est une carapace complète (pl. ID), laquelle, sauf la taille, est tout à fait comparable à celle figurée par Schæpif; elle offre les dimensions suivantes : Plus orandethauteur PR Re 0" 206 Carapace.…. . | ue MPlus orande dar peurs REP TREC EEE 0. JA | Longueur en lipne/droiie. "5 o »6 Dossière . . .© Longueur en suivant la courbure. . ..... o 69 | Longueur de la convexité en travers. . . .. o 63 (HLonpueUt. as AR ES o 1 Plastron.” \iParpeur Re EPP Re 0 22 MFléche delatconcante rer re eee 0 0° Ilexistait en outre dans les collections d'anatomie comparée un sque- lette complet (moins le plastron, comme la remarque en est déjà faite par ces auteurs). Les dimensions de cet individu , que j'ai prises comparative- ment à celles des exemplaires précédents, différent pour quelques-unes de Ch. Telfair, Extracts from a letter ad- dressed to the secretary of the Zoological Society, dated from Port Louis (Mauritius), november 8" 1839 (Proceed. Zool. Soc. London, 1883, p. 91). — Les détails donnés dans cette lettre sont relatifs aux fouilles faites à Pile Rodriguez par M. le col. Dawkins, secré- taire militaire du gouverneur de Maurice, et M. Eudes, résident à Rodriguez. Ces osse- ments de Tortue, que Strickland et Mel- ville avaient encore pu voir, ont été perdus depuis, au dire de M. Günther (The gi- gantie Land-Tortoises in the collection of the British Museum, 1837, p. 52). { LES TORTUES ÉTEINTES DE L'ÎLE RODRIGUEZ. 27 2 celles données par Duméril et Bibron, ce qui doit tenir, d’une part, à la manière dont les mensurations peuvent avoir été faites, d'autre part, au montage et à l'état de la pièce. nn | Blusierandelhauteur "1 0" 28? MElusierandedasseur 2... 0 38 Wlonsueurentlipnendrone 4"... o 68 Dossière. . Longueur en suivant la courbure. . ..... 0 78 Longueur de la convexité en travers... .. o 65 Duméril et Bibron ne connaissaient pas la provenance exacte de leurs exemplaires. Après avoir considéré, par de fort bonnes raisons, comme improbable l'idée que la Tortue de Vosmaer habitât réellement le Cap de Bonne-Espérance, une induction, tirée du journal de Porter, navigateur qui à fait connaitre l'un des premiers l'archipel des Galapagos, les engage à émettre l'hypothèse, assez justifiée au premier abord, qu'elle doit avoir ces îles pour patrie. Cette vue proposée dubitativement n'a pas été con- lirmée par les recherches ultérieures, comme on le verra dans un instant. Pendant nombre d'années, on dut s'en tenir à ces connaissances impar- faites, lorsque, pour l'observation du passage de Vénus en 1874, une expé- dition anglaise ayant été installée à l'ile Rodriguez, des fouilles habilement conduites par M. Edwards Newton mirent à découvert un nombre consi- dérable de débris de Tortues appartenant tant au squelette qu'à la cara- pace. Depuis 1865 d'alleurs, des recherches avaient été entreprises dans celle ile, en particulier par M. Georges Jenner, à linstigation de PAsso- cation britannique pour l'avancement des sciences, dans lintention de rassembler des matériaux pour l'étude de ces races éteintes et particu- liérement des oiseaux gigantesques vus par Lepuat. Les ossements de Chéloniens furent remis à M. Günther en même temps que d'autres, également de Tortues, recueillis à l'ile Maurice. Ge fut l'oe- casion pour le savant directeur du British Museum d'entreprendre une revision de ce groupe dont il présenta une première partie en 1875 , la- 1) À. Günther, Description of the living and extinct races of gigantic Land-Tortoises (Phil, Trans. ,t. CEXW, p. 251-284, pl. XXXIIL à XLV, 1856). é 35. 276 M. L. VAILLANT. quelle fut complétée par son magistral travail de 1877. I avait préalable- ment fait connaitre comme prise de date, en 1873 0, le résultat d'un pre- mier examen, qui lui permettait de caractériser trois espèces, dont une, propre à l'ile Rodriguez, fut nommée par lui Testudo rodericensis, mais il ne lardait pas à la reconnaitre comme identique au Testudo Vosmaert, Fitzinger, auquel, suivant lui, devait être réumi le Testudo peltastes, Du- méril et Bibron. La question dès lors était élucidée ; les importantes remarques de M. A. Milne-Edwards dont 1l a été question plus haut®, une note complémen- taire de M. Haddon‘, achevaient de nous donner la connaissance. tant au point de vue des mœurs qu'au point de vue ostéologique, de cette curieuse espèce décrite en somme depuis 1792, mais que des circonstances parti- culières avaient fait jusque-là méconnaitre. On pouvait légitimement craindre qu'il fût à tout jamais impossible de pousser plus loin l'étude de cette Tortue et qu'on dût se contenter de con- naitre ses parties osseuses avec le revêtement épidermique corné de sa carapace. L'attention des zoologistes était, depuis Schæpff, fixée sur le Testudo Vosmaeri, et lon en comptait les représentants dans les collections sans en voir arriver de nouveau spécimen. Un singulier hasard est venu combler cette lacune. Il y a une dizaine d'années, feu Ferdinand Denis, à cette époque con- servateur-administrateur de la bibliothèque Sainte-Geneviève, informa la direction du Muséum qu'on venait, à l'occasion d’arrangements nouveaux, de trouver un certain nombre d'objets dont la place n'était plus marquée dans cette bibliothèque, car ils se rapportaient à la zoologie, demandant qu'on voulût bien les venir voir pour en reconnaitre l'intérêt et, sil y avait lieu, les transporter dans notre Musée national d'histoire naturelle. Comme il s'agissait surtout de Reptiles, M. le docteur E. Sauvage, aide-naturaliste A. Günther, Preliminary notice of some ® Voir p. 263 du présent Mémoire. extinct Tortoises from the Islands of Rodri- 6) Haddon, On the extinct Land-Tortoises guez and Mauritius (Annals and Magazine of of Mauritius and Rodriguez (Trans. Linn. Nat. Hist. London, 4° série, €. XT, p. 397, Soc., 9° série, Zool., L IF, p. 115, pl XIE, 1873). 1881). LES TORTUES ÉTEINTES DE L'ILE RODRIGUEZ. 27] 1 attaché à ma chaire, fut chargé de procéder à un examen préalable. I trouva, avec un crâne du célèbre Cartouche, plusieurs peaux de Serpents d'assez belle taille, mais imparfaitement préparées et clouées sur plan- chettes; un gros Crocodile, individu très âgé, d’après les dimensions de sa tête boursouflée par l'exagération sénile de saillies osseuses couvertes de profondes rugosités; malheureusement cette peau était en très mauvais état, les extrémités des membres en partie brisées et toute la partie supé- rieure du cou. avec les écailles nuchales et le bouclier cervical, enlevés, on ne saisit pas bien pour quelle raison. Comme la provenance péogra- phique d'aucun de ces animaux ne pouvait être établie, ils restèrent sans emploi, la détermination exacte en étant impossible. Il n'en fut pas de même d'un dernier animal. qui se trouvait être une Tortue de grande taille (pl. 1), complètement montée, et que je reconnus sans peine pour un très beau spécimen mâle du Testudo Vosmaert. La forme particulière de la carapace relevée et largement ouverte en avant, comme une iche à chien, suivant l'expression si juste qu'Auguste Duméril avait l'habitude d'employer dans ses cours, reproduisait absolument celle des pièces analogues connues au Musée de Leyde et au Muséum d'histoire naturelle. Le peu d'épaisseur de la carapace", la briéveté du plastron et la présence d'une plaque gulaire simple ne pouvaient non plus per- mettre aucun doute sur cette assimilation. Bien que le montage laisse certainement à désirer au point de vue artis- lique et se ressente de l'époque éloignée à laquelle il a dû être fait, que la pièce, abandonnée pendant de longues années, ait souffert en quelques- unes de ses parties, cependant la peau est dans un état d'intégrité sufli- sante pour permettre de s'en faire une idée convenable. La longueur totale de l'ensemble, prise de l'extrémité du museau à celle du membre postérieur, est de 1 m. 51; la hauteur au-dessus du sol, de (1) Ce caractère, donné par les auteurs plaques cornées épidermiques. Les contours aux Tortues de Rodriguez, est un peu vague, de ces dernières y apparaissent en relief, comme {out caractère d'appréciation, mais reproduisant par suite le dessin polygonal se précise, lorsqu'on peut examiner la face de la face externe, surtout pour les plaques interne de la dossière, en remarquant la vertébrales. Ceci n’a pas lieu chez les Fes- saillie que fait sur celle-ci la matrice des tudo où la carapace osseuse est épaisse. 2718 M. L. VAILLANT. o m. 6o: le cou, étendu directement en avant, mesure o m. 55. Les di- mensions de la carapace sont les suivantes : ; (APlus orande hauteur APE EPP EE 0" 35 1alapace. ..: à & Plus orander Das 0” 50 6 | Longueur, en hione droite "NS o 85 Dossière. . .{ Longueur en suivant la courbure... .... 0 49 ! Longueur de la convexité transversale. . .. 0 93 Da | Longueur et Re rare 0 o | DARPEURS EE eee CO o 306 En comparant cette carapace, pour la forme et la disposition des plaques écailleuses, avec celle, plus petite, dont 1l a été question précédemment, et avec la description donnée par Duméril et Bibron, on ne trouve que de très légères différences; la cinquième plaque vertébrale est visiblement bombée au lieu d'être presque plane; la première costale est plutôt hepta- “one qu'octogone; tout cela peut tenir à des conditions individuelles, peut-être au sexe. L'exemplare du Musée des Génovéfains est, en effet, certainement un male: le plastron offre une concavité très prononcée, dont la flèche ne peut être estimée à moins de o m.08 à o m.0Q. Pour la petite carapace du Muséum , au contraire, elle est au plus de o m.02. La différence est énorme si l’on compare ces dimensions à celles données respectivement soit pour la largeur des plastrons, o m. 6/4 et o m. 22, soit pour la longueur des dos- sieres, 0 m.85 et o m.b6; on pourrait donc, avec quelque raison, CONSI- oénérale, comme dérer la carapace connue des auteurs de l'Erpétolopie 2 provenant d'une femelle. Chez les Tortues terrestres, lorsque la concavité du plastron du mâle est très prononcée, chez le Testudo carbonaria, Spix, par exemple, la femelle, on le sait, n'a point cette partie de la carapace plane ou convexe, mais sen- siblement excavée. Par contre, il est vrai, pour le Testudo elephantina , où la concavité chez le mâle est assez notable, je n'en trouve pas trace sur les quelques femelles que j'ai pu examiner; d’un autre côté, des différences assez notables peuvent se rencontrer pour un sexe donné dans une même espèce; aussi la manière de voir que Je propose pour cet exemplaire du LES TORTUES ÉTEINTES DE L'ILE RODRIGUEZ. 279 Testudo Vosmaert, bien qu'elle me paraisse la plus probable, n'est ici pré- sentée que sous toutes réserves, surtout n'ayant pour la comparaison que deux individus. Le plastron manque, on l'a vu, sur le squelette étudié par Duméril et Bibron , chose d'autant plus regrettable que ce sujet, précisément intermédiare aux deux autres par sa taille, eût constitué un terme de com- paraison tres instructif, quel que fût son sexe; autant qu'il est permis d'en juger par la force des os, 1l parait plutôt avoir dû être un mâle. L'écallure du cou et des membres, assez bien conservée en général, permet de s'en faire une idée suffisamment exacte, sauf en ce qui con- cerne le dessus de la tête. Sur cet exemplaire des Génovéfains, la partie supérieure de celle-ci est en mauvais état, et, comme on a cherché à pal- her cet accident par quelques retouches de peinture, semble-t1l, avec de nombreuses couches d'un épais vernis, il est difficile d'y rien voir de dis- ünct. Quelques débris de peau. qui restent adhérents au crâne du sque- lette, donnent de meilleures indications, mais ils se trouvent sur le devant de la tête, et, pour la partie postérieure, on ne peut non plus décider s'il y avait ou non de grandes plaques occipito-frontales. Dans tous les cas, il est certain qu'en avant n'existait pas la paire de plaques nasales connue chez la Tortue éléphantine; on ne trouve chez la Tortue de Vosmaer que de petites écailles avec quelques plus grandes scutelles, allongées d'avant en arrière, mesurant à peine 0 M. 010 sur 0 m. 009 à o m.006 de large et irrégulièrement disposées: encore ne les voit-on pas sur l'exemplaire des Génovéfains. dont le museau est finement écailleux. La peau du cou ne présente que des granulations: 11 faut dire que, pour celui-ci comme pour les membres et la queue, la distension excessive due à un montage prossier a pu faire disparaître certains plis, lesquels, en limitant des ilots de ces pranulations, auraient pu donner sur cer- tains points l'apparence écailleuse. À l'avant-bras et à la jambe, par contre, existent au côté externe de larges scutelles, plus développées au membre antérieur, rappelant celles qu'on connait sur les parties homologues des Tortues gigantesques ac- tuellement connues. Les ongles, aux pieds de devant aussi bien qu'aux pieds de derrière, 280 M. L. VAILLANT. sont remarquablement allongés; celui qui se trouve sur les premiers, au milieu de la série, est le plus grand de tous et atteint o m. 07. L'ergot qui arme l'extrémité de la queue n'est pas moins développé: plus large que haut. 1] mesure environ o m.05 dans le premier sens: extérieurement une ou deux scutelles épaisses lui sont accolées. Le bec corné qui revêt les mâchoires est dentelé, beaucoup moins cependant qu'on n'aurait pu le croire d'après l'examen de la tête osseuse du squelette, sur laquelle le bord correspondant, au moins à la mâchoire supérieure, qui seule mest bien connue sous ce rapport, est profondé- ment sinueux. Que cette Tortue vienne de Rodriguez, la chose ne peut faire aucun doute, puisque c'est incontestablement le Testudo Vosmaert, Fitzinger, mais il n'aurait pas été sans intérêt de déterminer l'époque où cet exemplaire avait pu être rapporté et de connaitre les circonstances dans lesquelles un animal aussi précieux avait été recueilh. Les indications positives man- quent: l'étiquette qui accompagnait l'objet porte simplement : + Tortue des Indes+®: suscription banale qu'on attribuait, fort improprement, depuis Perrault à tous les pros Chéloniens terrestres. Sur la queue se trouve collé un n° 107: les recherches qu'on a bien voulu faire à la biblio thèque Sainte-Geneviève n'ont pas permis de retrouver un catalogue quel- conque pour expliquer cette indication: des numéros semblables étaient placés sur les Serpents ©. Cette Tortue ne se trouvait pas au Musée des Génovéfains à la fin du xu* siècle. Dans l'ouvrage du R. P. Molinet®, où sont cités cependant quelques Chéloniens de bien moins belle apparence, 1l n'en est pas ques- Crocodile n'avait pas ou avait perdu cette indication; ne serait-ce pas le numéro D Cette étiquette, en gros caractères de o m.039 de hauteur, est à double face, c'est- à-dire que le nom se trouve porté sur lun el l'autre côté; il est donc certain que la Tortue a été exposée dans le Musée et pro- bablement de telle sorte qu'on püût tourner autour. ? Voici quels étaient pour ceux-ci les numéros : à deux Boa constrictor? 103 et 10h; à un Python indéterminable, 105. Le manquant 106? 8) Molinet, Le Cabinet de la bibliothèque Sainte-(Geneviève. Divisé en deux partes. Contenant les antiquités de la Religion des Chrétiens, des Égyptiens et des Romains; des tombeaux, des poids et des médailles, des monnoyes, des pierres antiques gravées el des minéraux; des talismans, des lampes antiques, LES TORTUES ÉTEINTES DE L'ÎLE RODRIGUEZ. 281 ton. Sur les planches qui donnent la disposition générale de certaines parties du Musée, on ne la voit pas non plus représentée. Ajoutons qu'à celte époque, précisément celle du séjour de Leguat, l'ile Rodriguez était trop peu fréquentée pour qu'on puisse croire qu'on en eût reçu un sem- blable objet. Dans les traités bien connus de Desailler d'Argenville®), un chapitre est consacré à la description +des plus fameux cabinets de l'Europe tou- chant l'Histoire naturelle»; 1l y est question des raretés que renferme la bibliothèque Sainte-Geneviève. Malheureusement, au moment où pa- raissait la première édition de l'ouvrage, tous les objets avaient dû être emmagasinés dans un garde-meuble, en attendant la construction d'un nouveau bâtiment pour les recevoir ®. Lors de la seconde édition, l'instal- lation était, en grande partie au moins, refaite; l'auteur énumére ® plu- sieurs objets se rapportant à l'histoire naturelle et autres curiosités, mais sans entrer dans de grands détails; 1l parle d'animaux suspendus au plafond de la première salle; la Tortue se trouvait-elle avec eux? C'est peu pro- bable, car son montage n'indique pas qu'elle ait jamais été accrochée; si elle se füt trouvée dans ou sur les armoires du pourtour, elle eût sans doute attiré l'attention : plusieurs spécimens de moindre importance, au point de vue de la rareté et de nature à moins frapper les veux, sont en effet cités. On peut donc avoir la présomption qu'elle ne se trouvait pas encore à celte époque dans le Musée des Génovéfains. Quant à la troi- sième édition, c'est une reproduction textuelle Ÿ de ce que contenait la des animaux les plus rares et les plus sinpu- liers, des coquilles les plus considérables, des Jruits étrangers et quelques plantes exquises, in-fol., 224 pages, avec planches, 1692. 0) Cet ouvrage est désigné sous le nom de : La Conchyliologie. Son titre a un peu varié dans les éditions successives. (Voir, pour plus amples renseignements à ce su- jet, mon travail: Les collections d'Herpéto- logie et d'Ichtyologie au Muséum d'histoire naturelle. — Revue scientifique, 1890, t. XLV, p. 513.) ®) Première édition, 1742, p. 208. 6) Deuxième édition, 1757, p. 128. () On voit, il est vrai, aux parties infé- rieures et latérales du cou, près de la tête, les traces très apparentes d’une constric- tion, mais ce n’est évidemment pas là qu'on eût pu prendre un point d'appui pour sus- pendre l'animal au plafond et cet accident doit être attribué plutôt à une ligature mal- adroite lors de la mise en peau ou du mon- tage. 5) Troisième édition, 1780, p. 226. 36 IMPRIMERIE NATIONALE, 282 M. L. VAILLANT. seconde, sauf une omission sans importance à l'égard du point particulier qui nous occupe ici. IT parait plus que probable que les éditeurs de Desailler d'Argenville, mort à cette époque, s’en sont fiés à ce qu'il avait lui-même écrit précédemment sans prendre la peine de voir à nouveau cette col- lection. En somme, sans qu'on puisse rien affirmer, c’est très vraisembla- blement dans la seconde moitié du xvm° siècle que cette Tortue dut être apportée à Sainte-Geneviève et avant 1793, à partir de ce moment les objets d'histoire naturelle n'ayant plus eu leur place dans cet établisse- ment passé sous la direction du gouvernement central; d'ailleurs, ce qui n'est pas moins décisif, la Tortue de Vosmaer, on l’a vu, n'existait plus dès cette époque à Rodriguez. Une hypothèse se présentait très naturellement à l'esprit : l'abbé Pingré, vénovéfan lui-même et bibliothécaire de la communauté depuis 17530, n'était-1l pas le donateur, puisqu'il avait été à Rodriguez et y avait vu les Tortues? Mais la lecture de son journal, que j'ai cherché à étudier en détail, à ce point de vue spécial, ne permet pas de le croire. En effet, pendant son re 5 EX Ge (2) . . o û séjour dans lile Rodriguez”, ce savant astronome, qui note si minutieuse- 0) Alfred de Bougy, Histoire de la biblio- thèque Sainte-Geneviève, p. 119, 1847. ® Voici brièvement les principaux traits du voyage. Le journal commence le 16 no- vembre 1760 à Paris; l’'embarquement a lieu à Lorient le g janvier 1761. Arrivé à Maurice le 7 mai, on en part le 8 pour se trouver en vue de Rodriguez le 26 du même mois; débarquement le 28. Le séjour sy prolonge jusqu'au 8 septembre; dans l'inter- valle, l'ile est prise parles Anglais le 29 juin, mais ils quittent vers le 5 juillet; l'observa- tion astronomique du passage de Vénus est faite dans de mauvaises conditions le 8 août et l’on repart le 8 septembre. Au retour, abbé Pingré s'arrête à Maurice du 1 2 septembre au 17 octobre, puis s’embarque sur le Bordin qui le met le 18 à Bourbon. Après y avoir passé environ un mois, il reprend la mer le 20 novembre pour l'Europe. Le 12 février 1762, le Bordin est pris par les Anglais, qui l’'amènent à Lisbonne le 24. L'abbé Pingré quitta cette ville le 27 et, abandonnant la voie de mer, rentrait en France par Ron- cevaux le 28 avril, «au bout, écrit-il, de 1 an, 3 mois, 18 Jours, 19 heures, 53 mi- nutes et demie». La narration s'arrête le 22 mai à Toury (qu'il écrit Touri), à une vingtaine de lieues de la capitale. La re- mise au net s'arrête plus tôt, à l’arrivée en France. Ce journal, qui, à plus d’un siècle en ar- rière, nous initie à la vie de ce savant as- tronome et expose d’instant en instant ses impressions personnelles, ses pensées in- times, mériterait d'être publié. LES TORTUES ÉTEINTES DE L'ILE RODRIGUEZ. 283 ment ses diverses occupations, ce qu'il fait exécuter à chacun, les spécimens qu'il ramasse comme curiosités scientifiques, pierres et minéraux, plantes, graines, coquilles, ete., ne mentionne nulle part la préparation d’une Tortue, ce qui n'aurait pas été cependant un incident sans importance et l'aurait d'autant plus frappé que ces animaux attirérent souvent, comme on l'a vu, son attention. La fin troublée de son voyage empêche égale- ment d'admettre qu'il ait rapporté ce représentant des Tortues de Rodri- puez, d'un côté ses collections ayant été pillées lors de la prise de son navire, d'autre part son pénible retour en voiture de Lisbonne à Paris ayant dû mettre obstacle à ce quil püt faire transporter d'aussi loin par cette voie un objet aussi encombrant". Reste l'hypothèse qu'une fois de retour il ait profité des relations qu'il avait laissées aux Mascareignes pour obtenir l'envoi de cette pièce, mais c'est une pure supposition que rien n'appuie Jusqu'ici. Il faut malheureusement. à l'heure actuelle, s’en tenir à ces rensei- onements négabfs sur l'origine de ce curieux spécimen. D'autres exem- plaires analogues sont d'ailleurs à peu près dans le même cas : ainsi le Testudo imdica, Schneider, disséqué par Perrault, le Testudo Grayr, Du- méril et Bibron ; tel a été jusqu'a ces derniers temps le Testudo ephipprum, Günther. Les recherches de M. Baur viennent de montrer que la prove- nance pour ce dernier pouvait être précisée, l'exemplaire type du Musée d'Édimbourg avant dû être rapporté par le capitaine Basil Hall de l'ile Abimgdon®. Espérons donc que la découverte de documents nouveaux viendra fournir un jour des indications plus décisives sur lintéressante Tortue du Musée des Génovéfains; les détails dans lesquels J'ai cru devoir entrer ici, en fixant sur ce point l'attention de chercheurs plus heureux, contribueront peut-être à hâter ce résultat. U) Citons également cette phrase du millé, nous dit l'abbé Pingré (p. 4), se journal : # Voici assez de bavardage pour rendait aux Indes pour servir dans l'armée aujourd'hui, trop même dirait le cher comte de la Compagnie. de Chemillé, auquel je ne porterai point de @) Baur, The gigantic Land-Tortoises of Tortue» (14 août 1761). Ce comte de Che- the Galapagos islands, 1889, p. 104. 36. 284 M. L. VAILLANT. Il Les spécimens du Testudo pellastes, Duméril et Bibron, sont encore plus rares dans les Musées que l'espèce précédente et je ne trouve à citer, avec l'exemplaire type du Muséum d'histoire naturelle, que les ossements et les carapaces plus où moins incomplètes, trouvés en même temps que les débris du Testudo Vosmaeri, lors des fouilles récentes exécutées à l'ile Ro- driguez, fouilles dont il a été question dans le paragraphe précédent. La description très détaillée de lÆrpétolouie générale est faite d'après «un squelette du Muséum dont on ne connait pas l'origine; malheureuse- ment la tête manque, ainsi qu'une partie des vertèbres caudales». Seize ans plus tard, Constant et Auguste Duméril indiquent la Tortue peltaste, comme représentée dans les collections par un type unique : c’est la carapace que nous possédons encore aujourd'hui (pl. HT). S'agit-il la de deux exemplaires ou d'un seul et même sujet? Cette der- nière maniere de voir est, sans nul doute, celle qu'on doit adopter. Les re- cherches que M. le professeur Pouchet a bien voulu faire faire dans Îles collections d'Anatomie comparée pour trouver un second spécimen n'ont donné aucun résultat; d'autre part, les dimensions de cette carapace ré- pondent très exactement à celles données dans l'Ærpétolowie générale. Voier les mesures que nous avons prises; on trouvera dans une deuxième colonne celles fournies par Duméril et Bibron pour quelques-unes d’entre elles. ( I quelq : Plus srande hauteur 0" 19 0" 19 Carapace. “UE ë (Plusterandèdiametne PEER o 94 ul | Longueur en lipgnerdroite 7e" 0 39 1 Dossière.: Longueur en suivant la courbure. ... o 46 o A7 | Longueur de la convexité transversale. 0 48 o 46 : Lonpteur ts. CEE es. CMS o 20 o 2b6) Plastron. l Larbeuts PS. cree 0 92 0 22 0 Erpétologie générale, , p.140 ,1835. 8) En additionnant les trois dimensions : ® Catal. méth. Coll. des Reptiles, p. 5, antérieure, moyenne et postérieure, données n° 21, 19)1. pour le sternum. LES TORTUES ÉTEINTES DE L'ILE RODRIGUEZ. 285 Il est difficile de rencontrer dans de semblables mensurations une con- cordance plus satisfaisante. L'état dans lequel se trouve cet objet porte aussi à présumer qu'il aurait bien pu appartenir à une préparation anatomique. Non seulement le plas- tron est détaché par deux traits de scie latéraux, ce qu'on n'aurait sans doute pas pris la peine de faire si on avait simplement voulu conserver la carapace, les dimensions des ouvertures antérieure et postérieure, la peti- tesse relative du plastron, rendant facile l'enlèvement des parties con- tenues, mais encore du côté droit, près de la section qui sépare les deux parties de la carapace, deux paires de trous, placées à une certaine distance l'une de l'autre, semblent disposées à l'eflet de recevoir des fils métalliques pour former un système de charnière permettant d'ouvrir et de fermer ce plastron. Enfin la dossière elle-même a été sciée sur toute sa longueur à o m.02 ou o m.03 de la ligne médiane du côté gauche; cette opération a fait, au moins peut-on le présumer, tomber à droite de la section une partie des trois plaques épidermiques suivantes : l'angle interne antérieur de la première marginale gauche, des portions de la première vertébrale et de la cinquième. Cette carapace est évidemment très analogue à celle figurée par M. Gün- ther sous le nom de Testudo Vosmaeri ® jun., sur la planche XXÏIT de son orand ouvrage (1877). Je trouve également qu'un plastron osseux, long de o m. 25 et large de o m. 20, dont le Muséum est redevable à M. Ed- wards Newton, avec les autres ossements provenant des fouilles faites à Rodriguez, amène à la même conclusion en ce qui concerne le rappro- chement à établir entre ces différents exemplaires. On peut donc regarder comme parfaitement démontré que le Testudo peltastes est bien une espèce venant de cette île. La carapace de la collec- tion du Muséum présente , au reste, les caractères attribués aux Ghéloniens terrestres de Rodriguez, à savoir : une plaque gulaire unique et les pièces osseuses remarquablement peu épaisses. Bien que cette dernière partieu- larité soit, à proportion, moins accentuée 1ei que chez le Testudo Vosmaert, cependant la saillie des matrices dessinant le contour des plaques épider- miques est très nette sur la face interne de la dossiére. 286 M. L. VAILLANT. Reste à savoir si l'on doit regarder ce Ghélonien comme formant un type spécifique distinct ou si, suivant l'opinion de M. Günther, c’est simplement l'état jeune de la femelle de la Tortue de Vosmaer. Malgré l'autorité du savant directeur du British Museum, cette dernière manière de voir ne me parait guère admissible. La discussion des caractères des deux sexes chez le Testudo Vosmaeri, d'après les exemplaires du Muséum, en admettant l'hypothèse proposée plus haut, tendrait à faire croire qu'ils différaient assez peu l'un de l’autre quant à la forme générale de leur carapace. On ne voit pas non plus, par ce qui nous est connu du développement dans d'autres espèces de Testudo ou genres voisins parmi les Tortues terrestres, qu'on puisse être autorisé à supposer de semblables changements de forme. Si nous étudions sous ce rapport une espèce voisine, le Testudo ele- phantina, Duméril et Bibron, dont j'ai pu trouver dans nos collections des exemplaires de tailles variées, depuis les plus petits âgés de six mois à une année, mesurant Oo m. 100 à o m. 110 de long et du poids de 75 à 100 grammes, Jusqu'à ceux qui atteignent les dimensions gigantesques que l’on sait, on constate que la forme générale ne varie pas d’une manière sensible. Estl dès lors supposable qu'un animal à carapace régulièrement bombée d'avant en arrière, avec un contour ovoïde, arrive à donner une dossière tout à fait déclive dès son origine dans le premier sens, et si notablement rétrécie au côté antérieur, pour ne parler que des caractères principaux ? La forme des plastrons n'est pas davantage favorable à cette idée. Sur la carapace du type, 1l présente une concavité qui, pour être faible, n'en est pas moins nette; sa flèche peut être estimée à o m. 015. Sur le plas- tron parfaitement intact et de même dimension, peut-on dire, donné par M. Edwards Newton, cette flèche est près de moitié moindre, o m. 008. Bien que la différence soit minime, on peut se demander si l’on n'a pas là les deux sexes; en tout cas, il est douteux qu'au moins le premier soit un individu femelle. Enfin, sur les plastrons encore, l'aspect du promontoire antérieur se montre très différent dans lun et l'autre type. Surbaissé et continuant le plan général du plastron chez le Testudo peltastes, 11 est bien plus aigu et LES TORTUES ÉTEINTES DE L'ILE RODRIGUEZ. 287 fortement relevé d’arrière en avant chez le Testudo Vosmaeri. Sans doute, et J'ai peut-être été l'un des premiers à insister sur ce fait pour le Testudo anvulata, Schweigger!”, le mâle et la femelle peuvent sous ce rapport pré- senter de sensibles différences dans une même espèce, mais elles ne sont pas du même ordre que celles dont il est ici question. En somme, d'après les pièces dont on peut aujourd'hui disposer, 1l est plus rationnel d'admettre la distinction établie par les auteurs de lÆr- pélologie générale entre les Testudo Vosmaeri, Fitzinger, et Testudo pel- lastes, Duméril et Bibron. Ce seraient là deux des trois espèces de Tortues signalées à Rodriguez par les premiers explorateurs. (0 L. Vaillant, Description d'une Tortue terrestre d'espèce nouvelle (Testudo yniphora). — Nouv. Arch. du Muséum, 3° série, t. 1, p. 166, pl. XV, 1889. 288 M. L. VAILLANT. EXPLICATION DES PLANCHES. Pcancue [. Testudo Vosmaeri, Fitzinger, mâle adulte. Exemplaire donné par la biblio- thèque Sainte-Geneviève. — 1/8 de la grandeur naturelle. Prancue Il. Testudo Vosmaeri, Fitzainger, carapace décrite par Duméril et Bibron. — 1/4 de la grandeur naturelle. Praxoue IT. Testudo peltastes, Duméril et Bibron. Exemplaire type. — 1/3 de la gran- deur naturelle. Dans ces deux dernières planches, la carapace est représentée : a. Vue de côté; b. Vue par la face supérieure; c. Vue par la face inférieure. “ABUOnEN 2rJoutadu] ( Ru" 15 8 SUEJRAIUSS Sap o1eduexy ) se = ‘JOfUIZAN ‘HoBWSOA Oopmse] ‘AU 19 ‘OP ‘AU T'Y and "2UR2S)f] 222 DIPDUDUD ) RIAIE lendenaire dit Muserim. Imprimerie Nationale. AL -Clement, del.et lith. Testudo Vosmaeri, Fitzinger. ( Exemplaire du Muséum. =_+ gr.nat. ) Acte ÿ ñ | As D HN PISTE Centenaire du Museum. erie Nationale. mprim I lestudo peltastes, Duméril et Bibron. lith. mn ment, del.et Ë A.L.Ci ( Exemplaire pe = #qr. nat.) | CHAIRE DE ZOOLOGIE (ANIMAUX ARTICULÉS), PAR M. ÉMILE BLANCHARD. CHAIRE DE ZOOLOGIE. (ANIMAUX ARTICULÉS.) Il s'agit de célébrer le centenaire de la fondation du Muséum d'histoire naturelle, je ne crois pouvoir le mieux faire qu'en présentant un aperçu historique de ma chaire. Le sujet m'a séduit. J'ai voulu retracer les ser- vices rendus à la science, à l'économie rurale, aux plus graves intérêts du pays. C'était l'occasion de mettre en évidence des efforts persévérants, des mérites, des talents qui honorent profondément la patrie. Le Muséum d'histoire naturelle fut constitué par un décret de la Con- vention en date du 1/4 juin 1793. L'enseignement de lhistoire natu- relle des animaux sans vertèbres fut confié à M. de Lamarek. L'enseigne- ment était si vaste qu'on ne devait pas tarder à reconnaitre la nécessité d'une séparation. Le 2/4 novembre 1829, M. Étienne Geoffroy Saint-Hi- lire revient sur une proposition qu'il avait déjà formulée dans l'assemblée des professeurs-administrateurs. Il insiste sur l'utilité d’une chaire qui se- rai spécialement consacrée à l'Entomologie. M. Geoffroy est chargé, avec M. Duméril, de rédiger et de présenter à l'une des séances suivantes un rapport touchant la création d’une chaire pour l'Entomologie. M. de Lamarck étant venu à mourir le 19 décembre 1829, la question relative à la division de sa chaire est remise en délibération le 29 décembre, et cette division est unanimement adoptée. Une discussion s'engage pour savoir si la demande en sera présentée au Ministre avant ou apres la pré- sentation d’un premier candidat qui serait le seul dans le cas où les choses resteraient dans l'état actuel. On décide que cette présentation ne sera remise qu'après la décision de 37. 292 M. E. BLANCHARD. Sa Maresté. En conséquence. on adressera une demande motivée au Mi- J q nistre de l'intérieur. en vue d'obtenir qu'à la place de cette chaire unique il en soit établi deux, Fune pour les Animaux articulés, l'autre pour les Mollusques et les Zoophvtes. Sur le rapport des professeurs du Muséum I [20 PI Ï qui exposait la situation, fut rendue une ordonnance royale en date du 7 février 1830. instituant une chaire spéciale pour les Animaux articulés (Insectes, Arachnides, Crustacés). Cuarces, par la grâce de Dieu, roi de France et de Navarre, Sur le rapport de notre Ministre Secrétaire d'État au département de l'intérieur ; Considérant que, dans l'intérêt de la science, l’enseignement du cours des animaux non vertébrés exige de nouveaux développements; que l'insuffisance d’une seule chaire d'Entomologie a été constatée, Nous avons ordonné et ordonnons ce qui suit : Arr. [*, La chaire d'histoire naturelle instituée dans notre Muséum pour l’ensei- gnement de l’Entomologie est divisée en deux chaires. Arr. ÎL. Deux professeurs, choisis autant que possible dans le sein de notre Acadé- mie des sciences, seront chargés, chacun pour lune des deux sections de la science, des deux cours publics ouverts dans Pétablissement. L'un de ces deux cours aura pour objet spécial la classe des Crustacés, des Arach- nides et des Insectes; l’autre, la classe des Mollusques, des Vers et des Zoophytes. Arr. IL. Notre Ministre Secrétaire d'Etat de l'intérieur est chargé de l'exécution de la présente ordonnance. Donné en notre château des Tuileries, le 7 février, de l'an de grâce 1830 et de notre règne le sixième. Signé : CHARLES. Par le Roi : L Le Ministre Secrétaire d’État au département de l'intérieur, Siné : B. DE MONTBEL. En conformité de la présentation faite par l'assemblée des professeurs du Muséum et par l'Académie des sciences, M. Latreille, membre de l'Académie des sciences, était nommé à la chaire des Animaux articulés, en même temps que la chaire des Animaux sans vertébres (Vers, Mol- lusques et Zoophytes) était attribuée à M. de Blainville. CHAIRE DE ZOOLOGIE. 293 Déjà, au mois de juillet 1792, le professeur Thouin, dénonçant au Mi- nistre de l'intérieur, Roland, linutilité d’un certain emploi dans l’établis- sement, signalait l'avantage d'avoir un professeur d'Entomologie, + partie très intéressante, disait-1l, pour laquelle il n'existe point de place dans aucun établissement national ». Pierre-André Latreille, né à Brives-la-Gaillarde le 29 novembre 176», était attaché au Muséum en qualité d'aide-naturaliste depuis 1797; il état membre de l'Académie des sciences depuis 1814. Latreille, devenu professeur à l'âge de soixante-huit ans, n'avait pas l'habitude de la parole publique ; néanmoins il fit le cours de la première année. Les leçons écrites furent réunies et imprimées en un volume : Cours d'entomoloote ou de l'his- loire naturelle des Crustacés, des Myriapodes et des Insectes, à l'usage des élèves de l'école du Muséum d'histoire naturelle, Paris, 1831. C'était un savant remarquable que Latreille. Il manquait de notions générales sur l'organisation des êtres; mais 1l était d'une rare sagacité, ainsi que d’une pénétration d'esprit vraiment exceptionnelle. Antoine-Laurent de Jussieu s'était fait le créateur de la méthode natu- relle dans sa classification des végétaux. Latreille, le premier, fit une mer- veilleuse application de la méthode naturelle à une grande division du Règne animal. Des l’année 1796, Latreille publiait à Brives un ouvrage génériques des Insectes disposés dans un ordre naturel, par le citoyen Latreille. Ge premier écrit allait être suivi ayant pour titre : Précis des caractères d'un ouvrage de grande valeur : le Genera Insectorum el Crustaceorum , h volumes, Paris, 1807; ouvrage où se trouvent définis avec une admirable précision les ordres, les familles et les genres de l'embranchement des Animaux articulés. C'est à peine si quelques modifications suggérées par les progrès de la science ont été apportées par suite d'études récentes. En 1798, Georges Cuvier avait mis au Jour Le Tableau élémentare du règne animal. Plus tard, il publiait en 1817 l'ouvrage ayant pour ütre : Le Rèone animal distribué d'après son organisation, Paris, 4 volumes. Une se- conde édition parut en 1829. Dans la première comme dans la seconde édition du Règne animal de Guvier, la partie relative aux Insectes. aux Arachnides, aux Crustacés, fut rédigée par Latreille. 294 M. E. BLANCHARD. Il est un fait qui, dés longtemps, m'a inspiré une véritable admiration pour la sagacité du célèbre entomologiste; Savigny, qui avait si bien dis- cerné le plan fondamental du système appendiculaire des Insectes et des Crustacés, s'était laissé vaincre par une difficulté en présence des Arach- nides. Les pièces massives supportant un crochet que les araignées por- tent à la région frontale avaient été, par Savigny, déclarées organes par- üculiers aux Arachnides. Il les avait désignées sous le nom de forcipules. Différents auteurs regardaient ces instruments comme répondant aux mandibules des Insectes. De son côté, Latreille, se fondant sur la direction de leurs mouvements et plus encore sur leur position, croit reconnaitre les homologues des antennes des Insectes et, pour exprimer nettement cette homologie, 11 leur applique le nom d’antennes-pinces. Le naturaliste était hors d'état de faire la preuve de son assertion. Cette preuve ne fut donnée que beaucoup plus tard, lorsque l'étude anatomique mit en évidence ce fait que les nerfs qui animent les singulières pièces des Arachnides ont l'origine des nerfs qui animent les antennes des Insectes. Latreille mourut le 6 février 1833 et, le Jour de ses funérailles, on le salua prince de l'Entomologie. Victor Audouim, qui avait été le suppléant de Latreille, fut nommé à la chaire d'Entomologie le 19 mars 1833. Pénétré de la justesse des vues de Geoffroy Saint-Hilaire et surtout de Savigny, à l'égard de l'unité de plan, au moins dans chacune des grandes divisions du Règne animal, Audoum présenta à l'Académie, le 15 mai 1820, un mémoire ayant pour ütre : Recherches anatomiques sur le thorax des Animaux articulés et celui des Insectes hexapodes en particulier. Audouin s'était lié d'amitié avec Henri-Milne Edwards et de ce rappro- chement devait naître bientôt une collaboration qui fut vraiment heureuse pour la science. Il s'agissait d'étudier les animaux marins et de les observer dans la plénitude de la vie. Victor Audouin avait épousé la seconde fille d'Alexandre Brongniart, à la fois professeur de minéralogie au Muséum et directeur de la Manufac- ture de porcelaine de Sèvres. CHAIRE DE ZOOLOGIE. 295 Henri-Milne Edwards s'était marié avec la fille d’un brillant officier, M. Trézel, qui fut plus tard général de division et Ministre de la guerre. Les deux jeunes naturalistes avaient été s'installer aux îles Chausey, voi- sines de Granville. En vérité, on s’imaginerait conter une idylle. Voilà M°° Audoum et M"° Milne Edwards passant de longs mois au milieu d'une population de pauvres pêcheurs. Pour seconder des maris espérant accomplir de brillantes découvertes et rêvant la gloire scientifique, elles se font pêcheuses, en même temps qu'elles mettent au service des inves- tigateurs un talent qu'elles ont acquis dans l’art du dessin. De cette collaboration, on vit paraître successivement une étude de l'appareil de la circulation du sang chez les Crustacés, un travail sur le système nerveux chez les mêmes animaux, Phistoire d'un parasite des homards et des recherches sur les Annélides. Dans l'ouvrage en deux volumes, publié au cours de l’année 1839, Histoire naturelle du littoral de la France, Audouin et Mine Edwards se sont livrés à une étude économique des plus intéressantes. Les auteurs exposent l'état des cultures dans le département de la Manche, en ayant soin de faire ressortir divers moyens d'augmenter la production. Audouin et Milne Edwards rapportent qu'une industrie autrefois florissante, l'éle- vage du cheval, avait beaucoup perdu de son importance; cependant un dépôt de remonte ayant été établi à Saint-Lô et une ordonnance royale prescrivant que la cavalerie de la garde royale se fournirait de chevaux pris sur le territoire de l'ancienne Normandie ravivaient cette branche d'industrie. On constate que des filatures de coton établies dans quelques villages voisins de Cherbourg occupent un grand nombre d'ouvriers; il en est de même pour des papeteries installées dans l'arrondissement de Mortan. La métallurgie occupe aussi les habitants du département. Près de Va- lognes, on voit des usines pour la préparation du zinc; à Bourberouge, une fonderie où l’on fait des ustensibles de cuisine, de pêche. À Saint-L6, il existe depuis longtemps des fabriques de coutellerie. On exploite pour l'usage habituel quelques marbres connus sous le nom de marbres de Ré- gneville. 906 M. E. BLANCHARD. Audouin et Milne Edwards examinent l'état de l'instruction dans le dé- partement, les améliorations à réaliser pour les cours d’eau et les ports de mer de la côte. Au cours de l'année 1828, les deux naturalistes explorent les iles Chausey: ils donnent une description et tracent l'historique des fluctua- lions de la population du petit archipel. Aux iles Chausey, les varechs abon- dent sur les rivages; MM. Audouin et Milne Edwards constatent que, pen- dant tout l'été, trente ou quarante hommes sont employés à faire la récolte du varech et à le brûler pour en extraire la soude. Au reste, c’est une in- dustrie qui est en pratique sur une grande partie des côtes de Normandie et de Bretagne. Dans l'ouvrage sur l'Histoire naturelle du httoral de la France, figure un chapitre d'une grande portée scientifique. Pour la première fois, on distingue des zones du littoral caractérisées par la présence des êtres qui peuplent chacune d'elles. Les auteurs reconnaissent quatre zones entre les plus hautes et les plus basses mers. Sur la plus élevée de ces zones, qui reste toujours à sec pendant les marées ordinaires, demeurent les Balanes fixées sur les roches. La seconde région commence un peu au-dessous du niveau de la mer haute pendant la morte-eau. Là où végètent des varechs se rencontrent des Mollusques, tels que des Turbots, des Patelles, des Pourpres; des Zoo- phytes, tels que des Actinies rouges; dans les parties sablonneuses, on trouve des Crustacés comme des Talitres ou des Orchestries, ainsi que des Annélides comme des Terebelles et des Arénicoles. La troisième zone est principalement caractérisée par la présence des Corallines et ne découvre que lors des marées assez fortes. Sur les rochers battus des vagues, on voit des Moules, des Patelles; dans les points mieux abrités, se fixent des Actinies vertes et des Ascidies composées; parmi Îles grosses pierres qui ne tiennent pas au sol, on aperçoit divers Crustacés, Étrilles Porcellanes; au nombre des Mollusques, des Doris, des Pleuro- branches, des Ascidies simples et composées et différents vers marins : Polynoës, Serpules et Planaires. Les interstices des rochers sont tapissés d'Eponges de Thétis, de Lobulaires et d'Ascidies; dans les flaques d'eau CHAIRE DE ZOOLOGIE. 201] que la mer laisse en se retirant, on est sûr de rencontrer des milliers de pettes Cérites et beaucoup de Rissoas. Dans la quatrième zone, qui n'est mise à sec que dans les plus fortes marées, les rochers sont en général couverts de Laminaires et de plantes marines, au milieu desquelles vivent de jolies Patelles, certaines Asté- ries, des Actinies. Dans cette région, on trouve enfouis dans le sable fin différents crustacés. les Callianases, les Axies et les Thies. À un niveau inférieur, c'est-à-dire dans les fonds que la mer n'aban- donne Jamais, commence la cinquième région qu'habitent des Mollusques caractéristiques : Huitres, Calyptrées, Peignes: plusieurs types de Crus- tacés : Portunes, Majas, Inachus, Pises, Pirimèles; de nombreux vers marins : Aphrodites, Serpules, Phillodocés, Polynoës; en outre, de grandes Astéries. Divers observateurs ont retracé les aspects de la végé- tation et du monde animal sur les côtes de l'Océan. Un naturaliste, pro- fesseur de l'Université d'Édimbourg. Edward Forbes, a présenté en termes poétiques le tableau des zones qui se découvrent au temps des plus grandes marées (Map of the geolooical distribution of marine hfe). À mon tour, dans un opuscule sur le monde marin, j'ai décrit le tableau sublime qui se montre tout entier au temps des grandes marées, à l'heure où l'Océan recule de façon à découvrir un espace immense. Audouin et Milne Edwards ont bien reconnu les conséquences de leurs études : La distinction des divers niveaux qu'habitent exclusivement et quelquefois d'une manière fort tranchée les animaux marins nous à paru d'autant plus importante que cette étude peut être un jour d'un grand secours à la géologie et Jeter une vive lumière sur plusieurs théories fon- damentales de cette science. » Le jour vint où furent interrompus les travaux en collaboration. Vic- tor Audouin s’engageait dans une nouvelle voie. Désormais il allait se don- ner tout entier aux applications de l'Entomologie à l'agriculture. V oulant servir un prand intérêt du pays, 1l le fit avec bonheur. Pendant les années 1835 à 1837, il y eut grand émoi dans les pays où l’on élève les vers à soie. Les magnaneries étaient infestées par un eryptogame, la Muscardine (Bothrytis bassiana), qui amenait rapidement la mort des sujets. Victor 38 IMPRIMERIE NATIONALE, 298 M. E. BLANCHARD. Audouin étudia toutes les phases du développement du eryptogame avec un soin extrême. Par des expériences cent fois renouvelées, 1l donna la preuve que la Muscardine peut se développer sur la plupart des insectes, sans éprouver la moindre modification dans ses caractères. Dans plusieurs de nos forêts, particulièrement dans le bois de Vin- cennes, périssaient en multitude des chènes déja d'une très belle venue. Les forestiers attribuaient tout le mal à la sécheresse. Audouin montra que pareille mortalité était due à la présence d'un insecte, le Scolytus pygmeus. En vrai naturaliste, 1l étudia les habitudes, les mœurs, les trans- formations du Scolyte. On apprit alors que les insectes adultes vont, de leurs mandibules, entamer l'écorce des arbres les plus sains, afin de humer la sève dont ils se nourrissent. Une telle succion effectuée par des milliers d'individus rend un chêne d’une quarantaine d'années fort ma- lade. L'année suivante, 1l est convenablement préparé pour recevoir les œufs et bientôt les larves du Scolyte vont creuser les galeries entre l'écorce et l'aubier et faire périr l'arbre. Les Scolytes ont l'instinct de ne jamais déposer d'œufs sur des arbres vigoureux où les larves seraient noyées par une séve trop abondante. Par son étude, le naturaliste montrait comment le sacrifice de quelques arbres au moment convenable arrête la propagation du fléau sur de vastes espaces. Une grande plainte surgit, même des cris de désolation vinrent à s'é- lever de tous les pays où lon cultive la vigne. Le Mâconnais était ruiné et l’on ne tardait pas à parler de la Bourgogne entière, des départements du Rhône, de l'Hérault, des Pyrénées-Orientales, de la Haute-Garonne, de la Charente-Inférieure, de la Marne, de Seine-et-Oise. Audouin, qui avait reçu du Ministre de l’agriculture la mission de re- chercher les moyens de conjurer le fléau, s’'acquittait de la tâche qui lui était imposée avec une conscience et une sagacité dignes de tous les éloges. Sous ses divers états, la Pyrale fut étudiée dans ses habitudes, dans ses mœurs, dans toutes les conditions de son existence, d’une manière si com- plète que désormais les viticulteurs pouvaient triompher du mal à très peu de frais. CHAIRE DE ZOOLOGIE, 299 Si Audouin ne sut pas reconnaitre le procédé le plus simple comme le plus pratique pour la destruction de l'insecte, son étude n’en devait pas moins mettre tout de suite les intéressés dans la voie la plus sûre. L'ha- bile investigateur avait signalé toutes les circonstances d’un phénomène étrange. Les chenilles de la Pyrale éclosent au mois d'août et ne pren- nent alors aucune nourriture. Aussitôt après leur éclosion, en pleine cani- cule, elles commencent leur hivernage, elles vont se loger sous l'écorce des ceps et dans les fissures des échalas, pour n'en plus sortir qu'au prin- temps de l’année suivante, Un homme avisé, M. Raclé, mettant à profit l'indication, ne tarda pas à démontrer qu'un simple échaudage des ceps et des échalas pratiqué pendant la saison d'hiver suffit pour opérer dans un vignoble l'entière destruction de la Pyrale. On a donc pu dire que, grâce aux recherches de Victor Audouin, aucun propriétaire de vignes n'a de pyrales sur son domaine, si l'on n'a point à lui reprocher un cou- pable abandon. Sur les insectes préjudiciables à la vigne, autres que la Pyrale, on doit encore au professeur du Muséum une infinité de précieux renseignements. Victor Audouin avait été élu à l'Académie des sciences dans la section d'économie rurale le 5 février 1838. La maladie le tourmentait déjà depuis de longs mois. Il vint à mourir le 9 novembre 18/41. Il n'avait que quarante-quatre ans. Son ancien collaborateur et toujours son ami, M. Henri-Milne Edwards, fut nommé à la chaire d'Entomologie le 18 dé- cembre 18/41. L'étude des conditions biologiques chez les animaux répand parfois de vives lumières sur la physiologie générale. Les naturalistes avaient constaté par d'infinies observations que tout dans la nature est mis en œuvre pour soustraire les jeunes animaux à un refroidissement. S'appuyant ainsi de notions scientifiques, Milne Edwards n'hésita point à en faire une appli- cation à l'hygiène de l’homme. Il existait, du fait d'ordre administratif, une obligation inqualifiable, absolument barbare. On forçait les familles à porter, dans les trois premiers Jours de leur naissance, les nouveau-nés aux mairies pour leur inscription sur le registre de l'état civil. M. H.-Milne Edwards, de concert avec M. Villermé, exposa dans un 38. 300 M. E. BLANCHARD. Mémoire présenté à l'Académie des sciences, le 2 février 1829, les funestes effets d'une pareille coutume. La mortalité des enfants au-dessous de trois mois a été, par rapport aux naissances, comme 1 est à 7,96, dans la par- tie septentrionale de la France, et comme 1 est à 10,72, dans la partie méridionale. Les auteurs montrent combien 1l serait simple de satisfaire à toutes les nécessités. Aucune inhumation ne doit être faite sans que l'offi- cier de l'état evil, ou un médecin qui le représente, ne se soit transporté auprès de la personne décédée afin de constater la mort. Pourquoi n'en serait-1l pas de même quand il s'agit de dresser un acte de naissance pen- dant la saison rigoureuse? La parole si autorisée du savant ne fut point entendue et 1l fallut des efforts inouïs durant une quarantaine d'années, pour que la mesure réclamée par Milne Edwards entrât dans la pratique. Pendant les années 1845, 1846, 1848, 18h49 et 1854, le docteur Loir ne cessa d'envoyer des mémoires à l’Académie des sciences morales et politiques pour réclamer que la constatation des naissances ait lieu à do- micile. La Société académique de Saint-Quentin adressa au Sénat une pétition pour demander que les articles 55 et 57 du Code civil soient revisés et que les naissances soient constatées à domicile par un délégué de l'officier de l'état evil. Le 7 mai 1863, M. Amédée Thayer lisait au Sénat un rap- port fait à l’occasion des pétitions relatives aux nouveau-nés, où il disait «que Douai et Versailles avaient adopté cette mesure en 1846; depuis, Carcassonne, Arras, Lyon, ont suivi cet exemple. Partout où ce système a été mis en pratique, 1l fonctionne régulièrement, 1l n'en est résulté aucun inconvénient. Une expérience de plusieurs années sur différents points du territoire a été faite, les résultats ont été partout satisfaisants. Quelles objections pourrait-on faire contre l'application dans toute la France de celle amélioration qui a été demandée par l'Académie des sciences, l'Aca- démie des sciences morales et politiques, l'Académie de médecine, nombre de conseils généraux? Par toutes les considérations que je viens d'exposer au Sénat, la commission pense qu'il y a lieu d'accueillir favorablement les lrois pétitions et d'en ordonner le renvoi au Ministre de la justice et au Ministre de l'intérieur. » CHAIRE DE ZOOLOGIE. 301 Le double renvoi est ordonné; néanmoins l'attention des pouvoirs pu- blies ne s'éveille pas encore et, le 27 juin 1867, un membre de l'Académie de médecine, M. Boudet, s'exprimait en ces termes : + Bientôt sans doute, prace à un remarquable et récent rapport de M. Devilliers et à la persis- tance des vœux de l’Académie, la constatation des naissances à domicile, si longtemps réclamée par le docteur Loir, sera organisée dans toute la France et affranchira les nouveau-nés des conséquences trop souvent fu- nestes de leur translation aux mairies. » Malgré les manifestations du sentiment le mieux justifié, c'est seulement le 7 avril 1870 qu'une arculaire ministérielle prescrivit aux maires de toutes les communes de France de prendre des arrêtés réglementaires, à l'effet de charger un délégué, généralement un médecin, de se faire présenter l'enfant à domicile; ce service fonctionne dans tous les grands centres. Dans la classe des Crustacés, beaucoup d'espèces n'étaient pas décrites; nombre d'entre elles étaient mal caractérisées, les ordres et les familles étaient mal définis. Henri-Milne Edwards tint à remédier à cette situation. Il trouvait les matériaux dans la collection du Muséum, et de 1834 à 1840 il publiait cette Histoire naturelle des Crustacés, en trois volumes, ouvrage devenu classique et qui est encore le point de départ de toutes les études sur les animaux de cette classe. M. Henni-Milne Edwards fut nommé membre de l'Académie des sciences en remplacement de Frédéric Guvier, le à novembre 1838. M. Milne Edwards se souvenait toujours de ses découvertes effectuées dans le domaine du monde marin et il eut la pensée d’une exploration des côtes de la Sicile. En 18/44, avant trouvé un encouragement près du Mi- nistre de l'instruction publique, il obtint une mission de l'Académie des sciences pour M. de Quatrefages, et, à sa demande, je reçus du Muséum d'histoire naturelle une petite indemnité pour recueillir les Insectes de la contrée. Au cours du voyage, M. Edwards poursuivit des recherches sur les Acaléphes hydrostatiques et tout particulièrement une étude de la cir- culation du sang chez les Mollusques. Après le départ de mes compagnons de voyage, je prolongeai mon séjour 302 M. E. BLANCHARD. dans la Sicile et je passai dans la Calabre en vue de compléter mes collec- tions, tandis que Je tenais à étendre les recherches déjà commencées sur le système nerveux des Mollusques. M. Henri-Milne Edwards ne tarda point à mettre au Jour une nouvelle classification des Mollusques gastéropodes, si bien conçue qu'elle a été adoptée d’une manière générale. Lillustre naturaliste entretenait déjà depuis longtemps l'idée d’un vaste ouvrage où seraient exposées toutes les connaissances acquises touchant la physiologie et l'anatomie comparée de l’homme et des animaux. Le premier volume parut en 1857 et le dernier en 1 880 (quatorze volumes). L'ouvrage présente un résumé clair et précis de l'ensemble des faits; des notes où se trouvent rapportées les découvertes et les opinions des différents auteurs, avec la citation de tous les ouvrages où elles ont été enregistrées. Plusieurs des disciples et des admirateurs de Milne Edwards voulurent consacrer la fin de l'œuvre colossale par une médaille commémorative. Le jour où cette médaille fut remise à l’auteur, le 3 avril 1881, dans une allocution adres- sée au maitre, Je lui disais : + [1 y a quarante et quelques années, Monsieur Milne Edwards, que j'ai l'honneur de vous connaître. Dans le temps, on parlait beaucoup de vos découvertes dans l'organisation des animaux ma- rins, de vos recherches exécutées sur le littoral de la France, pour une part en collaboration avec votre ami, Victor Audouin. En général, les natura- listes avaient étudié les animaux marins dans le cabinet; vous eûtes l’idée qu'il serait mieux de les observer sur leur domaine, dans les actes de leur vie. Le monde savant avait applaudi; vous devenez professeur au Muséum et vous me trouviez aide-naturaliste attaché à la chaire à laquelle venaient de vous porter tous les suffrages. Je n'ai rien oublié de ce temps dont nous séparent près de quarante années. Une pensée vous dominait, cher maitre : donner une forte impulsion à notre science. Vous excitiez à la recherche par votre exemple; par vos conseils, vous indiquiez à de Jeunes naturalistes les voies à suivre. Pris du désir de faire une exploration dans les parties chaudes du littoral de la Méditerranée, vous nous entrainiez en Siale, M. de Quatrefages et moi. On en revint avec une moisson. Vous apportez à la science une lumière nouvelle : vous montriez pour la première fois comment s'accomplissent certaines fonctions de la vie, lorsque les appa- CHAIRE DE ZOOLOGIE. 303 reils organiques demeurent dans un état d'imperfection relative. Bientôt vous réussissiez à fournir mille preuves que le signe du plus haut perfec- lionnement des organismes se manifeste par la division du travail physio- logique. Vous étiez Jeune encore, Monsieur Milne Edwards, et de on saluait en vous un maitre, on reconnaissait un chef. « Les témoins, maintenant un peu rares, de cette époque se rappellent combien, partout où la science était en honneur, on s'inquiétait des tra- vaux sur l'organisation des animaux marins et des animaux inférieurs qui s'exécutaient en notre pays. Dans l'espace de peu d'années, nous avons eu parmi nous la plupart des zoologistes, anatomistes et physiologistes du monde. La première porte où 1ls frappaient, c'était la vôtre. À cette époque, heureuse pour la science, me semble-t1l, on Jugeait votre santé assez déli- cale: 1l a paru depuis à tous les yeux que votre amour de la science vous avait donné des forces que la nature vous avait refusées. En eflet, vous méditiez une œuvre gigantesque où sur l'ensemble d’une science vos vues seraient exposées. Votre illustre ami, M. Dumas, ne s'y trompait pas le jour où il disait, dans une de ses merveilleuses notices biographiques, que le savant a besoin d'une longue vie. Préparé par vos nombreuses investi- galions personnelles, par votre long enseignement, par vos lectures in- finies, vingt-cinq années de travail assidu vous ont été nécessaires pour accomplir l'œuvre immense que nous avons le bonheur de voir aujourd'hui totalement achevée. «Il m'a été rapporté que divers étrangers de haute compétence avaient plus d’une fois lancé cette parole : + Bien des auteurs ont, avec plus ou «moins de succès, mis au Jour des manuels ou des traités pour ceux qui étudient; seul, Milne Edwards en a fait un pour les maitres.» En moins de mots, saurait-on exprimer plus complète vérité? Dans les Leçons sur la Physiologie et l Anatomie comparée, tout est résumé, tout est cité. Aussi, dans des travaux particuliers, combien d'auteurs étalent une facile érudi- ton! Quelques-uns laissent voir la source; mais d’autres, et ce ne sont pas les moins nombreux, tâchent de ne rien laisser voir du tout; ils ont peut-être la naïveté de croire que personne ne reconnaitra d'où ils ont tiré l'apparence de leur savoir. 304 M. E. BLANCHARD. + Dans les Leçons sur la Physioloote et l'Analomie comparée, les investi- gateurs trouvent sur chaque question l'état actuel de la science, les indi- cations les plus précieuses sur les faits controversés ou mal éclairés, les directions les plus utiles pour de nouvelles recherches. Longtemps on ti- rera profit d'un tel ouvrage. «Je me figure l'impression que produira la lecture attentive des Lecons sur la Physiolonie dans un siècle, dans deux ou trois siècles. La science aura réalisé, je pense, de magnifiques progrès. Grâce à votre œuvre, cher maitre, on pourra sans trop de peine en déterminer exactement l'impor- tance et comparer les idées régnantes à diverses époques. C'est à regretter de ne pas revenir en juger soi-même. + Pendant de longues années, nous l’espérons et j'en forme le vœu de toute lardeur de mon âme, 1l vous sera donné de voir les avantages que votre œuvre procurera à la science et à ceux qui la cultivent. C'est une Joie qui vous sera Justement réservée. » Sa grande œuvre achevée, Milne Edwards ne supportait pas l'idée de demeurer inactif. Les découvertes faites par les érudits dans l'histoire des peuples de la Phénicie, de Babylone et de Ninive l'avaient intéressé, Îl avait appris que l'on s'était beaucoup préoccupé des animaux étrangers au sein des plus vieilles civilisations; que des souverains avaient fait venir à grands frais, des contrées tropicales, des animaux jusqu'alors inconnus et paraissant fort étranges. Le naturaliste, comme électrisé par ces sou- venirs des âges lointains, se mit à rédiger une suite d'études ayant pour ütre : Les Orivines de la Zoolopie. Le savant, dont l'œuvre est si étendue qu'a peine il est possible d'en indiquer 101 les principaux traits, a donné un exemple rare de la constance dans le travail. Au spectacle de cette activité, on s'étonne et l’on admire. D'une complexion délicate, Milne Edwards, pendant des années, sans cesse en lutte avec la maladie, plusieurs fois paraissant sur le point de succomber, se relevait tout à coup comme si la pensée de l'étude l'eüt ra- nimé, [ semblait que rien ne püt labattre; à sa faiblesse physique s'op- posait une incomparable énergie, accroissant dans des proportions singu- lières les forces que la nature lui avait si parcimonieusement accordées. CHAIRE DE ZOOLOGIE. 305 Il est impossible de n'être pas touché en voyant la manière dont s'achève la carnière d'Henri-Milne Edwards : voici ce qu'il écrivait, le 4 mars 1885, à peine plus de trois mois avant sa mort (il mourut le 209 juillet 1889) : «L'histoire des conquêtes successives de l'intelligence humaine pré- sente à mon avis un grand intérêt. En voyant comment les découvertes ont été préparées et accomplies, comment elles s'enchainent et s'engen- drent, comment les idées fausses, plus encore que l'ignorance, font ob- stacle au progrès et comment le besoin de savoir grandit à mesure que le domaine de l'inconnu recule, on apprend à aimer les fruits de l'étude, à marcher d'un pas sûr dans les voies de linvestigation et à découvrir des vérités nouvelles. Pour la culture des sciences naturelles, le spectacle de leur développement est particulièrement utile; 1l accoutume esprit à trouver la signification des faits fournis par l'observation, à les combiner de manière à en faire sortir des conséquences d'abord inapercçues et à bien peser les questions dont nous cherchons la solution. Il nous apprend aussi à apprécier les services rendus par nos prédécesseurs et nous inspire le désir de les imiter ou même de les dépasser. J'ai toujours pensé que, dans l'enseignement de ces sciences, 1l importait beaucoup de montrer comment leurs richesses ont été acquises, et, dans maintes circonstances, jai adopté avec profit la méthode historique pour faire l'exposé de l'état actuel de nos connaissances relatives à la physiologie des êtres animés et à leur organisation. Pendant longtemps, j'ai même caressé l'idée d'écrire une histoire générale des sciences naturelles, et, dans cette pensée, J'ai réuni peu à peu beaucoup de notes éparses; mais la vieillesse est arrivée avant qu'il ne me fût possible de réaliser ce projet et, de la part d'un oeto- génaire, ce serait folie que d'entreprendre laccomplissement d’un pareil travail. Je dois donc y renoncer, mais je me propose d'esquisser quelques parties de ce tableau qui me paraissent susceptibles d'être présentées 1s0- lément, sans cesser d'être à la fois instructives et intéressantes, et je com- mencerai aujourd'hui la publication d'une série de ces fragments, sauf d l'interrompre quand la force me manquera; ce sera une occupation agréable pour mon esprit et aussi le moyen d'utiliser au service des 39 IMPRIMERIE NATIONALE, 306 M. E. BLANCHARD. sciences que Jai fidelement cultivées depuis ma jeunesse les derniers jours qui me restent, » En 1861, Isidore Geoffroy Saint-Hilaire, qui occupait la chaire de z00- logie pour les mammnferes et les oiseaux, étant venu à mourir, M. Milne Edwards eut le désir de prendre à son tour cette chaire et il en devint le titulaire le 28 mai 18692. J'avais été élu à l’Académie des sciences dès le commencement de l'année 1862. Présenté par l'assemblée des profes- seurs du Muséum et par l'Académie des sciences à la complète unanimité des suffrages, J'étais nommé à la chaire de Zoologie qui a pour objet les animaux articulés, par décret du chef de l'État, le 25 juin 186». lei s'arrête mon rôle d'historien. Cependant ne dois-je pas dire de quelle manière J'ai conçu mon enseignement, comment aussi J'ai compris le classement des collections? À l'égard de l’enseignement, J'ai toujours tenu à insister, chaque année, sur un certain ordre de faits et sur un en- semble de vues particulières. Sans doute il est des points fondamentaux de la science qu'on ne saurait se dispenser de reproduire, mais la ear- riére reste ouverte à des conceptions fort diverses. Ainsi parfois, dans l'étude de l'organisation des animaux articulés, je m'efforce de montrer par de nombreux exemples combien cette étude répand de lumière sur la physiologie générale; 1l m'arrive, en quelques années, de consacrer une parle du cours à la comparaison des faunes actuelles avec les faunes des différents âges géologiques. Pour les applications de la science à l'économie rurale, il arrive au professeur de démontrer combien, par la connaissance très parfaite des mœurs, des métamorphoses, de toutes les conditions de la vie des espèces préjudiciables, 1l devient en général plus ou moins facile d'en arrêter la propagation. Une application de la science à la géographie physique me préoccupe à certains Jours: je démontre combien les êtres de différents groupes ca- ractérisent certaines régions. À l'égard de Fhistoire du globe, cette appli- cation, d'un caractère véritablement grandiose, a pour point de départ tn Pièce communiquée par le fils de l'ilustre savant, M. Alphonse Milne-Edwards, au- jourd'hui membre de l'Académie des sciences et directeur du Muséum d'histoire naturelle. CHAIRE DE ZOOLOGIE. 307 mes études communiquées à l'Académie des sciences, touchant les chan- sements survenus dans la configuration des terres et des mers pendant l'âge moderne de la terre. Quant aux collections, J'ai adopté un plan qui me parait devoir ré- pondre à toutes les exigences. Pour chaque espèce, après la forme typique, sont placées les variétés, afin de bien faire reconnaitre l'étendue et les limites de la variation. Dans un temps où les idées de transformisme ne cessent de se manifester, on conçoit de quelle importance est une expo- sion de la variabilité plus où moins grande de toutes les formes les mieux définies. Pour chaque espèce encore, sont placés dans un ordre les individus des différentes provenances, à telle fin de montrer chaque espèce dans son aire géographique et, de la sorte, rendre particulièrement instructives les comparaisons entre les différentes régions du monde. 39: Ge " SUR L’'AMBRE GRIS, PAR M. POUCHET, PROFESSEUR D'ANATOMIE COMPARÉE. SUR L’'AMBRE GRIS". Grâce à l'aamable obligeance de M. Victor Klotz, j'ai pu examiner un certain nombre d'échantillons d'ambre gris, frais et ancien ®, qu'il voulut bien me convier à casser moi-même avant de les employer industrielle- ment”. Les morceaux d’ambre pris doivent être considérés comme des calculs intestinaux. ou sorte de bézoards propres au Cachalot®). [ls doivent être @) Voir Pouchet, Sur les calculs intestinaux du Cachalot (ambre gris), Comptes rendus Acad. des se., 20 juin 1892. — Pouchet et oris, 190c. de Beauregard, Note sur l'ambre g Biologie, 24 juin 1892. ®) Antérieurement M. V. Klotz avait fait don au Cabinet d'anatomie du Muséum de quelques échantillons d'ambre gris dont un contient un bec de Céphalopode. Ils sont inscrits au catalogue du Cabinet d'ana- tomie sous les n* À 9175 et À 9176. D'autres morceaux parmi ceux que nous avons pu examiner, ou qui seront décrits plus loin, ont été figurés à l'aquarelle avec beaucoup de talent et d’exactitude par M. Millot, dont notre planche [ reproduit le dessin. Bien qu'on ait écrit des volumes sur l'ambre, on l’a très rarement figuré et on ne l'a jamais, à notre connaissance, figuré en couleur. On peut citer : 1° les cinq tailles- douces qu'a fait exécuter la Chambre d’Ams- terdam, d’après le morceau d'ambre de 182 livres, et qui nous montrent celui-ci sous différents aspects; 2° les deux figures du même morceau d’ambre données par G. E. Rumphius et dont une se trouve déjà dans Valentini; 3° une figure insignifiante dans l'ouvrage de Brandt et Ratzburpg. 5) Parmi les nombreux fragments d'am- bre que nous avons eu sous les yeux à cette occasion, l'un d'eux présentait en abon- dance des becs de Céphalopodes, mais tous de même taille et de petite taille; tandis que, dans lestomac du Cachalot observé par nous à Lagens (voir Pouchet et Beau- regard, Sur l'estomac du Cachalot, Société de Biologie, 9 février 1889, et Nouvelles Ar- chives du Muséum, TT série, t. [, p. 47, note), nous avons trouvé le jabot plein de becs de Céphalopodes de toutes dimensions et de très grande dimension. Nous devons remarquer cependant que les plus volumi- neux n'auraient pu franchir l'orifice qui sé- pare les deux renflements duodénaux ,etqu'il n’y a point de chances, par suite, pour qu'on en trouve de semblables dans ambre pris. ® Guibourt, en 1870, l'avait déjà indi- qué. 6) Et probablement au Kogia. Il est pos- sible, en effet, que le Kogia, qui n'est en somme qu'un Cachalot et qu'il n'y à au- cune espèce de raison de placer dans un 312 M. POUCHET. rapprochés, comme nous le verrons plus loin, au point de vue de leur origine, des calculs biliaires ou vésicaux formés par agglomération eris- talline. L'apparence extérieure des morceaux d’ambre, aussi bien que lappa- rence de leur cassure, diffère considérablement; ils n'ont guère de com- mun que l'odeur. Ces différences doivent être attribuées sans doute tant à la variété individuelle des conditions où ils prennent naissance qu'aux vicissitudes auxquelles ont été soumis ces morceaux d'ambre, recueillis frais dans l'intestin des Cachalots, flottés, trouvés à la côte, conservés plus ou moins longtemps à l'humidité, au sec, ete. 1. On sait que le volume des morceaux d'ambre est variable : nous en avons eu entre les mains qui étaient gros à peu près comme la tête d'un enfant. Les morceaux sont en général irréguliérement sphériques. Leur surface est tantôt unie, d'autres fois couverte d'aspérités rappelant une masse d'argile à laquelle on aurait ajouté des boulettes de glaise ensuite déprimées avec les doigts et faisant un peu saillie. D'ailleurs la figure 1 0 de notre seconde planche rend cet aspect mieux que toute description. La surface des morceaux qui paraissent le plus frais est noire et pois- seuse, Il semble, quand on la presse, qu'elle cède sous le doigt. Si l’ambre est conservé dans un endroit sec, il perd de son poids et durcit. I contient donc à l'origine une assez forte proportion d'eau. genre spécial, présente aussi de l’'ambre. Je dois à M. Dautremer, interprète de la lé- gation du Japon, l'indication suivante : Le Kôguio — plutôt que Kogia — est ap- pelé, selon les provinces, Ouki kouzira {$ fix ou encore Makko kouzira Æ fi. Cette dernière désignation serait le véri- table nom scientifique japonais et voudrait dire : «qui sent le parfum». Kæmopfer, d'ailleurs (Amenitatum exoticarum, p. 635), nous dit quon trouve très souvent de ambre gris dans les intestins d'un cé- tacé nommé WMokos, long de 3 à A brasses, que l’on prend aux environs du Japon. Ces dimensions se rapportent bien au Küguio. Le commerce de l'ambre gris est au- jourd'hui concentré à Boston. Une maison bien connue le conserve dans des caves hu- mides où personne ne pénètre et d'où les morceaux sont tirés pour l'examen des ache- teurs. À Paris, ces morceaux sont mis à sé- cher et perdent notablement de leur poids. On les conserve pour cela dans des en- droits secs, dans des boîtes de fer-blanc percées de trous pour l'aération. ®) ILest certain que les bézoards d'ambre dans le corps de l'animal, en raison de la température de celui-ci, doivent avoir une consistance qui s'éloigne peu de celle de la cire molle. SUR L’'AMBRE GRIS. 313 Son odeur est faible : elle varie d’un morceau à l’autre. elle est d'autant plus appréciée des spécialistes qu'elle est plus fine. Par l'action de la mer et de l'atmosphère, l'ambre devient gris et pul- vérulent à la surface; cette modification, qu'on peut attribuer à la dispari- lion des matières pigmentaires et stercorales dont il est mélangé à l'ori- gine, doit être tres lente ailleurs que sur les grèves. Les spécialistes, qui conservent l'ambre quelquefois plusieurs années, ne voient point se pro- duire ce changement et attribuent aux morceaux qui présentent l'aspect dont nous parlons, un âge plusieurs fois séculaire, sans appuyer d’ailleurs leur opinion sur aucune raison préeise et plutôt par simple intuition. L'as- pect de cet ambre gris et pulvérulent est tantôt comparable à celui de certaines ponces et d'autres fois à celui de certains gravats de démolition. plutôt qu'à toute autre chose. C'est cet ambre seul, en tout cas, qui semble justifier par son aspect la dénomination d'ambre gris ?. La cassure ne diffère pas moins que l'apparence extérieure. Sur un morceau gros comme le poing, à surface lisse et de couleur foncée. rap- pelant celle de certains caleuls biliaires, la cassure s'est montrée à nous à peu près homogène dans toute son étendue, mais il n'en est point ordi- nairement ainsi. | D'une manière générale, l'aspect varie selon les régions d’un même morceau. Les morceaux intacts et d’un certain volume se présentent, en effet, le plus souvent comme formés de couches irrégulières ou incom- plètes, successivement surajoutées et offrant même parfois des structures et des coloris absolument différents; ces apports successifs sont ordinai- rement limités par une mince couche noire et vernissée attestant une ancienne surface du caleul, plus tard recouverte et qui reste un lieu de cassure lorsque le morceau a séché. On trouve souvent dans ces félures, de même que dans des excavations que présente parfois l'ambre et dont l'ori- () Il est difficile de formuler dans un que nous indiquerons, et devenus unifor- langage physiologique ce qu'on entend par mément gris, que l'odeur de Fambre ac- Jinesse d'un parfum. En tout cas, il semble quiert sa plus grande finesse. que ce soit sur les morceaux flottés par ® Cet ambre, par contre, présente avec la mer, ayant perdu au dehors aussi bien plus de netteté que les autres la structure qu'à l'intérieur les caractères de coloration fibroïde qui sera indiquée plus loin. Lo IMPRIMERIE NATIONALE. 314 M. POUCHET. gine nous échappe. des laches passant du jaune au vert franc, quelque- fois rousses, dues à des formations cryplowamiques dont M. Beauregard a fait l'étude. [l'en est de même d'une efflorescence blanche que le doigt enlève et qui est surtout manifeste sur les morceaux frais dont la surface est noire ©, Souvent les couches épaisses qui se recouvrent ainsi partiellement pour former les gros morceaux d'ambre, offrent une très nette différence d’as- pect et de constitution, différence qu'on retrouve d’ailleurs d’un morceau d'ambre à l’autre. Grâce à la quantité d’ambre considérable qui nous a passé sous les yeux, nous avons pu réaliser une collection de fragments provenant de divers morceaux d’ambre, mesurant de o m. 010 à o m. 015 de diamètre en- viron et présentant les aspects les plus variés. Nous les décrivons ici som- marement : N° 1. Ambre presque blanc, pulvérulent, montrant une schistosité confuse, souillé de sable ferrugineux (”. N°2. Masse jaune-verdätre d'apparence très uniforme, cassure ponctuée. L'aspect est celui d’un sable agolutiné ). N° 3. Masse d'apparence résineuse, brunâtre, opaque, rappelant à sy mé- prendre l'aspect de la scammonée des pharmacies (6), N° 4. Masse noire, homogène, à cassure résinoïde, rappelant tout à fait 5 ( l'apparence du cachou des pharmacies; on voit une inclusion de la grosseur PVO here staté toutefois que le mycélium blanc, en ® C'est sans doute à cette formation cryplogamique que Guibourt (1870) fait allusion quand il dit que l’ambre est « d’une certains cas, peut être mêlé à de petits eris- taux dont nous n'avons pas déterminé la na- ture. couleur gris-Jaunâtre ou noirâtre qui dis- (3) Cette intéressante collection a été de- parait souvent sous une efflorescence blan- puis offerte au Muséum par M. V. Klotz. Elle che formée à sa surface» (p. 121). Plus loin (p. 125), il parle d’un morceau d’am- bre desséché sous ses yeux et qui est «re- couvert d'une efllorescence très blanche d'ambréine». I paraît assez difficile d'ad- mettre que l'ambréine dont sont constitués les morceaux d’ambre, comme on le verra, puisse ainsi se sublimer. Nous avons con- figure aujourd'hui au Cabinet d'anatomie sous les n° À 9261 à À 9270. (5) Nous trouvons dans ce sable de petits cristaux verts résistant à la calcination, à l'action de l'acide sulfurique, de l'acide azo- tique bouillant, ete. 6) Cabinet d'anatomie, À 9261. (5) Cabinet d'anatomie, À 9262. SUR L’'AMBRE GRIS. 315 d'un noyau de cerise, moins foncée que la masse environnante, piquetée de quelques granulations blanc-jaunätres et bordée par un trait de même nuancel), N° 5. Échantillon d'ambre dit ambre noir. La cassure est un peu vitreuse, se rapprochant de la cassure du morceau précédent, ayant comme elle l'appa- rence du cachou. Toutefois l'échantillon se laisse couper en se déformant sous la pression de la lame, comme une pâte seulement un peu résistante ©). N° 6. Morceau d'ambre ayant exactement l'apparence d'un fragment de ponce poreuse : couleur blanc-grisätre, excavations dont les parois sont comme vitrifiées et formées d’ambre fondu 6). N° 7. Morceau offrant une apparence assez voisine de celle du précédent, sauf les parties vitrifiées. L'aspect sur la section est celui d’un poudingue à orains orisätres mesurant moins de o m. 001 de diamètre dans une gangue plus claire; le centre de quelques-uns de ces grains grisâtres est lui-même blanchâtre. Dans les excavations, dépôt pulvérulent, jaunâtre, de nature indé- terminée (1), N° 8. Fragments détachés d’un même morceau d'ambre et présentant trois aspects très différents, Un fragment provenant du centre du bézoard® a la même apparence de sable agglutiné que l'échantillon n° 2. L'autre fragment vient de la surface et présente deux couches, toutes deux d'apparence homo- gène, rappelant celle des pâtes de papier ou de la substance dont est fait le nid des Guëpes. La plus superficielle des deux couches (9 est plus brune, pré- sentant une structure plus fine, plus compacte, plus homogène que la couche sous-jacente. N° 9. Fragment de couleur grisâtre, ayant l'apparence de pâte de papier non homogène, comme brassée, compacte. N° 10. Fragment noir piqueté de rares points blancs, semblable par consé- quent à l'inclusion du n° 4. L'apparence peut ètre très exactement comparée à la coupe d’une truffe de Lyon ou de Provence, un peu desséchée M. 0 Voir pl. I, fig. 6. ou du moins que des cristaux ont reparu 2) Les ambres noirs ont été regardés de dans la masse fondue, comme on verra tout temps comme de qualité inférieure. plus loin que cela s’est passé dans certaines 6) Cabinet d'anatomie, À 9264. On peut de nos préparations. rapprocher de cet échantillon deux autres, (4) Cabinet d'anatomie, À 9265. À 9°69 et À 9270, blancs comme lui, 5) Cabinet d'anatomie, À 9266. sauf les parties vitrifiées. À quoi est due (6 Cabinet d'anatomie, À 9267. cette apparence ? Au soleil? On constate au () Cabinet d'anatomie, À 9268. Voir pl.[, microscope que la fusion n’est pas complète fig. 8. Lo. 316 M. POUCHET. Nous pouvons Joindre à cette énumération celle d'un onzième échan- tillon que nous devons comme les autres à la bienveillance de M. V. Klotz. [est très blane, il a tout à fait l'aspect d'un plâtras; anfractuosités pleines de poussières brunes (mycélium); par places, dans des cavités, sont des parties vitreuses, fondues, très légèrement verdâtres, molles à la tem- pérature qu'il fait (fin juin); le reste du fragment est pulvérulent. Cet ambre est trés finement odorant; il provient d'un morceau qui a été payé un prix élevé. Aünsi qu'on le voit par l'énumération qui précède, l'apparence de l'ambre oris différe considérablement suivant des conditions qu'il est actuelle- ment impossible de déterminer. On doit admettre que, dans la liste pré- cédente, les échantillons n® 1, 6, 7 se rapportent certainement à des bézoards vieux, très probablement flottés, séchés sur les grèves un temps plus ou moins long. D'autres, au contraire, et particulièrement les n° 9 el 8. doivent être considérés comme de l’ambre frais. Ajoutons que sur les morceaux d'ambre regardés comme très vieux, schisteux, gris et pul- vérulents à la surface, on peut voir, à partir de o m. o2 ou o m. 03 de celle surface, se manifester progressivement la coloration jaune de l’ambre frais. D'une manière générale, on peut dire que la coloration de l'ambre frais est d’un jaune plus ou moins rabattu; et son apparence, celle d’un pou- dingue à très petits grains (échantillon n° 7), tantôt plus clairs dans une gangue plus foncée, tantôt, inversement, plus foncés dans une gangue plus claire. Ces grains, sur l'échantillon n° 7, mesurent 1/4 à 3/l de millimètre, disposés à une distance les uns des autres moindre que leur propre diamètre, Mais, d'autres fois. l'aspect diffère totalement de celui que nous indiquons : la cassure est homogène (ambre noir des échan- üllons n° # et n° 5), ou elle est schisteuse (échantillons n° 1 et n° 9). On peut trouver certains morceaux avec un noyau central formé lui- même de plusieurs couches d'aspect granulé, enveloppé, mais seulement en parle, par des strates d'apparence schisteuse. Et celles-e1, à leur tour, peuvent être de deux couleurs différentes dans lesquelles le jaune n'entre même pas sensiblement comme composant. Rappelons encore l'apparence SUR L'AMBRE GRIS. 317 d'une pâte de papier qui ne serait pas complètement homogène, l'appa- rence de pierre ponce, de gravats, pourrait-on presque dire , ou encore de ces résidus argileux que laisse la combustion de certaines houilles. Enfin rappelons aussi la cassure vitreuse, noire, homogène des morceaux désignés sous le nom d'ambre noir (échantillons n° 4 et n° 5), compa- rable à celle de certains sucs végétaux. Malgré des différences si considérables d'aspect, la constitution des calculs ambréiques reste tres semblable à elle-même, tout au moins quant à la nature des parties qui les composent. L’ambre gris est essentiellement constitué par un conplomérat de cristaux aciculaires, tantét alionés parallèle- ment en strates et tantôt disposés en masses rayonnantes. Cette constitution fondamentale de l'ambre gris paraît n'avoir jamais été indiquée. Elle se vérifie aisément par un simple examen à la lumière polarisée sur une lame de sélénite Le second élément constituant de l'ambre est du pigment mélanique répandu en plus ou moins grande abondance dans la masse. Nous en indi- querons plus loin l'origine. Il convient évidemment d'ajouter une proportion plus ou moins faible de matières stercorales. La présence fréquente de becs de Céphalopodes dans les morceaux d’ambre est la meilleure preuve que les déjections charriées par l'intestin prennent part pour une certaine mesure à la formation des calculs ambréiques. Les cristaux sont solubles au bout de quelque temps dans la vaseline. Celle-ci est un excellent véhicule pour l'observation microscopique. Dans la #lycérine, ils sont tout d'abord moins nettement visibles, probablement parce qu'ils renferment une certaine proportion d'air entre eux. Ils sont très solubles dans l'huile de ricin et dans le chloroforme. La nature de ces cristaux ne saurait faire l'objet d'un doute, c’est évidemment l’ambréine () I y a là sans doute un moyen pra- de tout temps en deux opérations, s'assurer tique de reconnaître les nombreuses falsifi- d’abord qu'il flotte, et surtout le percer avec cations qui devaient forcément se produire une aiguille rougie : celle-ci doit provoquer la pour une matière première de cette valeur. formation d'une gouttelette résineuse de cou- L’essai commercial, pour l'ambre, a consisté leurelaire, et répandant une odeur agréable. 318 M. POUCHET. que Pelletier et Caventou avaient isolée par dissolution dans l'alcool et recristallisation (1). L'ambre gris fond à une température à peine supérieure à celle que peut supporter la main. Îl parait toutefois exister ici des différences ? assez orandes selon les échantillons. Le résultat de la fusion est une résine de couleur jaune plus ou moins foncée, transparente comme le baume de Canada et où sont inelues des particules informes de couleur brune, tantôt en masses volumineuses et d'autres fois en fines granulations pouvant dessiner des sortes de ré- SEAUX. Ces particules noires, traitées par des lavages à l'alcool et au chloro- forme qui ont enlevé l'ambréine, offrent avec l'acide sulfurique concentré la réaction ordinaire des mélanines, c’est-à-dire qu'elles se dissolvent en formant dans le liquide un nuage lie de vin qui disparait lui-même rapi- dement ). Si l'on garde entre les deux lames de verre la masse résineuse fondue, on voit au bout de quelque temps (trois à quatre mois) qu'elle a subi une sorte de retrait, par évaporation sans doute d'une certaine quantité d'eau. En même temps 1l peut s'être reformé, dans la masse amorphe, des cristaux trés fins, en houppes rayonnantes (alors souvent ces cristaux ne sont point rechlignes) ou en paquets d'aiguilles parallèles. Ces paquets peuvent être eux-mêmes de très petite dimension. D'autres préparations montrent des aiguilles éparses dans la masse fondue, très peu nombreuses 1 En réalité, c'est à H. N. Grimm, en 1682, quil convient de faire remonter la découverte de l'ambréine. ® Elles s'expliquent par la variété de composition , la quantité d’eau, ele. . . Notre échantillon n° 7 s’est montré relativement difficile à fondre. L'échantillon d’ambre noir n° 5 nous à paru au contraire fondre à une température relativement très basse. 5) Cette réaction se voit très bien sur le résidu de lépuisement de Fambre gris par l'alcool dans la manipulation industrielle, résidu qui ne laisse d’ailleurs découvrir au microscope aucune structure reconnaissable. Cette réaction se retrouve également avec les morceaux d’ambre. Ceux-ci, au contact de l'acide sulfurique, font une vive elferves- cence et manifestent en plus la présence du pigment mélanique par la réaction habi- tuelle : on voit la masse émettre un nuage lie de vin qui, presque aussitôt, se décolore au sein de l'acide. SUR L’AMBRE GRIS. 319 et très petites. Certaines préparations semblent n'avoir subi aucun chan- sement D. Quant à l'agencement des éléments divers dont sont composés les calculs ambréiques, la meilleure manière de l’étudier est de pratiquer des coupes sur des fragments qu'on a légèrement ramollis dans de l'eau à Lo degrés. On voit alors que la proportion de la matière pigmentaire, aussi bien que sa distribution, varie considérablement ®, Tantôt les aiguilles eristallines sont parallèles et les dépôts de méla- nine également parallèles, tantôt les aiguilles présentent la disposition rayonnante, en masses sphériques (sphérocristaux), sans interposition de matières solides étrangères; alors le pigment les entoure d'une facon plus ou moins régulière. D’autres fois, la matière mélanique est répandue uni- formément dans la masse cristalline sans présenter aucune disposition ni dessins spéciaux. L'origine des bézoards d’ambre reste obscure. On peut regarder comme indubitable qu'ils se forment dans la cavité même de l'intestin. Celle-ci ne donne passage, et c’est l'ordinaire chez les Cétacés, qu'à des matières fécales liquides. On doit admettre, bien que n'en ayant pas la preuve, que les cristaux d'ambréine ne préexistent pas dans le liquide in- 0) Voici le détail des observations que nous avons consignées à la fin de juin sur nos préparations datant du mois de février et faites avec les échantillons décrits plus haut. On remarquera que la fusion n'avait pas eu lieu pour toutes rigoureusement à la même température, ce qui pourrait peut- être, bien que nous ne le pensions pas, expliquer en partie les différences dans la cristallisation de retour. N° 1. Cristallisation de retour sensible: N° 2. Belles houppes de cristaux très minces, très longs, divergents : l'échantillon n° 2 était typique comme ambre frais ; N°3. Faisceaux d’aiguilles cristallines pa- rallèles ; N° 4. Point de cristaux de retour ou seule- ment des faisceaux très rares et très courts. On remarquera qu'il s’agit d’un échantillon d’ambre noir (sauf l'inclusion décrite qui a, au contraire, les caractères très nets de lambre granulé); N° 8. Petits cristaux épars seulement dans une partie de la préparation, et en somme peu distinets.— On n’a point noté avec quelles par- ties de l'échantillon (très complexe) les deux pré- parations examinées avaient été faites ; N° 9. Petites masses cristallines courtes, éparses dans toute la préparation ; N° 10. Grande abondance de cristaux. 2 Mon assistant, M. Biétrix, a fait des photographies qui montrent très bien ces différences d'aspect, et qui sont d'ailleurs reproduites dans notre planche IF, fig. 13- 16. 320 M. POUCHET. testinal® : leur disposition fréquente en sphérites montre que nous devons être iei en présence d'une précipitation analogue à celle qui donne nais- sance aux calculs de cholestérine dans la bile. La constitution des calculs ambréiques, spécialement en raison de la mélanine qu'ils renferment, ne laisse aucun doute sur le siège de leur production : c'est certainement lavant-dernière portion du rectum du Cachalot. À la vérité, aucun examen anatomique jusqu'à ce jour ne nous a appris en quel lieu exactement se trouvent les morceaux d’ambre, mais l'anatomie que nous avons pu faire, les premiers, de la dernière portion de l'intestin sur des pièces qu'a bien voulu, à deux reprises, nous envoyer M. S. W. Dabney de Fayal, nous permet de préciser la région où ces bézoards prennent naissance. Le rectum, au-dessus de sa dernière portion très rétrécie, présente tout à coup une dilatation où des euls-de-sac latéraux doivent aisément se former. Cette portion dilatée — de même que la partie rétrécie qui lui fait suite est tapissée par une muqueuse dermique très fortement pig- mentée. On peut en comparer l'aspect à celui d'un cuir de chaussure ciré. Elle est creusée à sa surface d'un nombre considérable de glandes cylindriques, longues de 350 p environ, larges de 50 à 60. Le dia- mètre de ces glandes est le même dans toute leur longueur, et elles sont espacées de leur diamêtre environ. Elles ont l'extrémité du cul-de-sac souvent un peu ineurvée, quelquefois légèrement bilobée. Ces glandes paraissent tapissées Jusqu'au fond de cellules pigmentaires volumineuses, à noyau sphérique, à pigment noir très foncé ®. On voit par places entre les glandes et jusqu'au-dessous d'elles, dans le tissu Tlamineux, des cellules rameuses. épalement pigmentées. Celles-ci deviennent de D Nous avons pu noter chez les Balæ- noptères un fait qui ne parait point avoir été signalé jusqu'ici. Le liquide qui constitue l'excrément contient une abondance extra- ordinaire de cristaux qu'on distingue même à l'œil nu et qui nous ont paru avoir les caractères de cristaux de phosphate ammo- niaco-magnésien, Faut-il admettre que, chez ces animaux à combustion puissante, l'intestin devient une des grandes voies d'éli- mination des produits de cette combustion? ® Bien que l'état des pièces ne nous ait pas permis de le constater, il n’est pas dou- teux que cette pigmentation s'étende à l'épi- thélium tapissant la paroi de l'intestin entre les orifices des glandes. 8 SUR L’'AMBRE GRIS. 321 plus en plus abondantes à mesure qu'on se rapproche de la marpe de l'anus 0). C'est évidemment le pigment mélanique ainsi répandu avec abondance dans toute cette région de l'intestin qui, entrainé par la chute même de l'épithélium et se mêlant continuellement aux cristaux d’ambréine, con- tribue avec eux à former le bézoard. On peut admettre en outre que les calculs s'enkystent parfois tem po- rarement et partiellement dans des dilatations accidentelles de lavant- dernière portion du rectum , et que leurs rapports avee la paroi intestinale, venant dès lors à se modifier, provoquent la configuration irrégulière- ment stratifiée que présentent beaucoup de morceaux d’ambre; comme si, dans une poche plus ou moins ouverte où le calcul est contenu, se faisait à un moment donné un nouvel apport de matière plus où moins différente et qui vient constituer une couche nouvelle sur la portion libre de sa surface. Nous terminerons par une dermere remarque. Est-ce à l'ambréine quil 0) On trouve de plus, à l'intérieur des glandes rectales que nous signalons ici (sur des pièces longtemps conservées dans le sel, puis dans l'alcool), des petits corps irrégu- liers, jaunâtres, parfois légèrement angu- leux; d’autres fois (peut-être par la réunion de ceux-là) des masses plus volumineuses, irrégulièrement ovoïdes, pouvant mesurer 95 X 30 pu. Il semble que, quand ces con- crétions sont déposées soit au fond, soit au milieu de la hauteur de la glande, il s’est produit à ce niveau même une atrophie cor- respondante de l'épithélium. — Ces corps, d'après une étude qu'a bien voulu en faire mon assistant, M. Biétrix, ne se colorent pas quand on les observe à la lumière polarisée sur une lame de sélénite; ils sont insolubles dans l’eau, dans l'alcool à froid et à chaud, ainsi que dans la solution de potasse à froid. On les retrouve intacts sur une coupe con- servée douze heures dans l'alcool absolu et bouillie dans le chloroforme. Après l'action de l'alcool bouillant, on n'observe pas de changement par l'acide acétique pur, même en chauffant; peut-être se gonflent-ils seu- lement un peu. La potasse bouillante les oonfle et les fait disparaitre presque com- plètement. L’ammoniaque en solution con- centrée n'agit pas manifestement sur eux. Ils ne sont pas attaqués par l'acide azotique à 35 degrés, froid ou bouillant. L'aide sul- furique à froid les gonfle sans les dissoudre; à chaud, il les attaque un peu moins vite que le tissu ambiant. L’acide chlorhydrique pur est sans action. L'acide osmique ne teint pas ces corps en noir. Après un séjour de douze heures dans le picro-carmin, on n’observe pas de coloration sensible. Ces di- vers caractères physiques et chimiques sem- bleraient rapprocher les corps qui nous occupent de la kératine. Is les distinguent, en tout cas, nettement de lambréine. ha IMPRIMERIE NATIONALE, 322 M. POUCHET. convient de rapporter l'odeur d'ambre, ou l'ambréine n'en est-elle que le véhicule, comme Pelletier et Caventou semblent, en effet. l'établir nette- ment? «Cette odeur, disent-ils, ne parait pas lui être particulière, car on l'en dépouille de plus en plus par des dissolutions souvent répétées. » Certaines remarques personnelles nous paraissent à leur tour venir à l'appui de l'opinion des deux chimistes, et montrer que les cristaux ne sont ici que le véhicule d'une odeur dont le corps de l'animal entier est impré- né. Les pièces provenant des Gétacés, conservées dans les cuves à alcool des laboratoires, ont une odeur spéciale, bien connue des anatomistes et qui passe pour n'avoir rien d'agréable. Or une personne ayant la grande habitude de l'odeur de l'ambre, à laquelle nous faisions voir un rectum de Cachalot tiré de la cuve, nous dit qu'elle retrouvait dans celui-ci quelque chose de l'odeur de l'ambre. Et une autre personne d'odorat très fin, après que nous venions de manier de Fambre pendant plusieurs heures, assimila aussitôt l'odeur rapportée sur nos mains et nos vêtements à celle de notre laboratoire, qu'elle avait plusieurs fois visité au moment où l’on disséquait diverses pièces provenant de Cachalots. Ce ne sont point là, bien évidemment, des preuves décisives, mais 1l nest nullement établi non plus qu'une nourriture spéciale donne au con- tenu de Pintestin du Gachalot l'odeur d'ambre, et entre les deux hypothèses l'avantage semble encore à celle que nous proposons. SUR L’AMBRE GRIS. 323 EXPLICATION DES PLANCHES. Praxcue I. Morceaux d’ambre frais cassés et fragments divers. Dessins par M. A. Millot, d’après des morceaux appartenant à M. V. Klotz et les fragments donnés par lui au Cabinet d'anatomie. L’original de cette planche fait partie de la collection des vélins du Muséum. Praxcme IL. Deux morceaux d’ambre, d’après des photographies communiquées par Fig. Fig. Fig. Fig. Fig. Fig. Fig. M. V. Klotz; coupes microscopiques d’ambre d’après des photographies de M. Biétrix. 1,2, 3. Morceaux d’ambre frais cassés, montrant les variétés d'aspect de la substance, à leur intérieur. 4. Autre fragment. 5. Autre fragment ayant l'apparence de ponce. 6. Autre fragment. Inclusion de substance granitée dans une masse noire ho- mogène. 7. Aulre fragment. Tache verte, due à la présence d’un cryptogame. 8. Autre fragment, Ambre noir. 9. Autre fragment ayant l'apparence de ponce. Fig. 10. Morceau d'ambre, noir à l'extérieur, sans doute recueilli dans l'intestin. accidentellement cassé. Fio 0° Fig. Fig. Fig. Fig. Fig. . Cassure du même. . Morceau d’ambre sans doute longtemps flotté. . Coupe microscopique d'ambre mon- trant la disposition des cristaux en sphérites enveloppés de pigment. . Coupe du même morceau à la lunuère polarisée. . Autre coupe microscopique montrant la disposition confuse , plutôt lamel- laire, des cristaux d’ambréine et du pigment. Coupe microscopique intéressant à la fois deux couches de structure diffé- rente; à la lumière polarisée. Fi NON ENENN # ' A 1 fr 16 48 sut lie PI > «S'CL 724. Centenaire dit Mi Imprimerie Nationale. Millot pinx® Ambre gris. Le = = = ST f ‘ AN À Ï l | > | 3 , Cbntenaire du Museum. PIE | 9, R. CADET, PARIS Ambre gris. PHOTOTYPIE BERTHAID, L'ÉLÉPHANT DE DURFORT, PAR M. ALBERT GAUDRY, PROFESSEUR DE PALÉONTOLOGIE. 15 L'ÉLÉPHANT DE DURFORT. Il m'a semblé que, dans un recueil publié à l'occasion du centenaire du Muséum , 1l convenait de figurer un spécimen de notre galerie provisoire de Paléontologie. La création de la Paléontologie est un des principaux ütres d'honneur du Muséum. Cette création a été une frappante démons- tration de l'utilité des grands Musées d'histoire naturelle, car la science des êtres fossiles, qui a ouvert à nos esprits de si vastes horizons, n’a pu se constituer chez nous que parce que le Jardin des Plantes, dans la première moitié de ce siècle, renfermait le premier Musée du monde : Guvier, quel que füt son génie, n'aurait pas prouvé que les animaux fossiles different des animaux vivants s'il n'en avait pas eu une nombreuse collection. Aujourd'hui la Paléontologie à pris des proportions immenses; elle est devenue l'histoire des développements de la nature organique. Pour bien embrasser cette histoire, 1l faudra construire une longue galerie où nous suivrons la marche de la vie, à partir du Jour où nous surprenons ses premières manifestations sur le globe jusqu'à celui où rayonne l'intelli- gence humaine; ce sera comme la synthèse du Muséum d'histoire naturelle. On vient, pour le centenaire du Muséum, de poser la première pierre de la future galerie de Paléontologie. En attendant sa construction, un bâtiment provisoire a été établi pour rassembler les plus beaux spécr- mens. C'est grâce à l'appui de notre ancien directeur du Muséum, M. Fremy, que nous avons obtenu l'édification de ce bâtiment. Si modeste qu'il soit, il a consacré l'idée que l'histoire du monde fossile doit enfin être représentée dans le Jardin des Plantes de Paris, et, tel quil est, 1l peut abriter bien des reliques curieuses des temps passés. 328 M. ALBERT GAUDRY. L'Éléphant de Durfort est le plus majestueux des animaux fossiles de notre galerie provisoire. Aucun musée étranger ne renferme un squelette de mammifère aussi imposant. Je peux donc le présenter comme une des pièces importantes du Muséum de Paris. J'en donne ici une photographie qui le montre au 1/17 environ de la grandeur naturelle; cette photogra- phie est due au talent de M. Sohier. Je vais rappeler l'histoire de la découverte de l'Éléphant de Durfort; je dirai ensuite quel nom lui convient; Je parlerai des animaux et des plantes qui ont été trouvés avec lui, et je terminerai par des remarques sur les dimensions des animaux terrestres durant les temps géologiques. DÉCOUVERTE DE L'ÉLÉPHANT DE DURFORT !. Il faut avoir eu occasion de faire des fouilles paléontologiques pour se rendre compte du travail qu'ont demandé l'extraction et le montage d’un fossile tel que l'Éléphant de Durfort. Nous adressons nos remerciements à ceux qui l'ont accompli; nous devons aussi un mot de reconnaissance pour la mémoire de Serres, qui a fait au Muséum un legs considérable, sans lequel il eût été impossible d'acquérir et de remonter une si gigantesque créature. En novembre 1869, M. Cazalis de Fondouce allait, avec M. Ollier de Marichard, explorer la grotte des Morts, située près du village de Durfort dans le Gard. À 1 kilomètre de ce village, 1l remarqua sur des tas de pierres des débris d'Éléphant. Un cantonnier qu'il interrogea lui apprit qu'ils provenaient de travaux faits pour la rectification de la route et il ui montra un point où on avait, disait-l, trouvé des tuyaux de quelque an- cienne fontaine, complètement obstrués par des incrustations. M. Cazalis comprit que ces prétendus tuyaux devaient être des défenses d'Éléphant, et il fit fouiller à cette place. On exhuma, en eflet, les restes d’un Elé- 0) Gervais avait l'intention de décrire les 1877). Il avait fait exécuter une lithogra- fossiles de Durfort; il est mort avant de phie du squelette de l'Éléphant; M. Filhol l'avoir réalisée. H a seulement donné deux possède un exemplaire de cette lithogra- courtes notes dans son Journal de zoologie phie qu'il a eu la bonté de me communi- (vol. IV, p. 314, 1875, et vol. VI, p. 280, quer. L'ÉLÉPHANT DE DURFORT. 329 phant, dont la plupart des os avaient été détruits. Bientôt un second Éléphant apparut et celui-là était dans un état de remarquable conserva- üon : une tête énorme fut mise à jour, et 1l devint manifeste que le péant auquel cette tête appartenait était enfoui tout entier, car, à mesure qu'on creusait, on découvrait des os dans leur position normale. M. Cazalis de Fondouce recueilhit la tête de l'Éléphant de Durfort et envoya une note à la Société géologique de France pour lui apprendre sa découverte ©. Puis 1l voulut continuer l'extraction de son grand fossile. Mais le propriétaire du terrain, le sieur Mathieu, qui avait, avec beaucoup de bonne grâce et de désintéressement, laissé enlever la tête, fut frappé du bruit qui se fit autour de l'animal trouvé dans son champ, et il de- manda à en ürer un bénéfice. De longues négociations eurent lieu entre lui et M. Cazalis de Fondouce. Les malheurs de la France, en 1870, ar- rétérent les pourparlers : pendant que nous voyions lomber tout ce qui nous était le plus cher, nul de nous n'avait cœur à s'occuper de fossiles. Le paléontologiste de Genève, Pictet, pensa alors à acquérir l'Éléphant de Durfort; mais, heureusement pour nous, la tête était devenue la pro- priété de la Faculté des sciences de Montpellier, qui ne voulut à aucun prix la laisser passer à l'étranger; Pictet, ne pouvant pas avoir un sque- lette sans tête, renonça à son projet d'acquisition. Ge n'est qu'au bout de trois ans que M. Cazalis de Fondouce parvint à faire signer un contrat avec le propriétaire du terrain où il devait continuer ses recherches. Le contrat fut passé au nom du Muséum d'histoire naturelle de Paris, le 17 octobre 1872; 1l stipulait que, pendant trois ans, on pourrait faire des fouilles dans le champ du sieur Mathieu. M. Cazalis de Fondouce voulut bien se charger de diriger les travaux au nom du Muséum. Il s'est dévoué à cette tâche pendant trois années consécutives, de la manière la plus désintéressée, refusant toute indemnité pour ses déplacements et les (1) Cazalis de Fondouce, Sur la rencontre note, M. Cazalis de Fondouce a bien voulu de quelques ossements fossiles dans les envi- me communiquer deux travaux inédits, dans rons de Durfort (Gard) | Bulletin de la Société lesquels il donne les détails les plus cir- géologique de France, 3° série, vol. XXVIT, constanciés sur les fouilles qu'il à faites à p. 264, 20 décembre 1869]. Outre cette Durfort. ha IMPRIMERIE NATIONALE. 330 M. ALBERT GAUDRY. dépenses personnelles qu'ont entraïnées ses longs séjours à Durfort. Quant à la tête de l'Éléphant M. de Rouville, l'éminent doyen de la Faculté des sciences de Montpellier, qui avait refusé de la vendre à l'étranger, la céda facilement à notre Musée national. Le 19 mai 1873, M. Cazalis de Fondouce s'est installé à Durfort pour reprendre les travaux commencés en 1869. M. Ollier de Marichard est venu l'aider. Il fallut d'abord épuiser les eaux; puis on mit tout le sque- lette à nu; l'animal semblait s'être enfoncé obliquement dans la vase, le train de derrière élant en bas et la tête ayant été enfouie la derniére. Lorsqu'on voulut retirer les os, on constata que leur fragilité était telle qu'ils tombaïent en poussière. M. Stahl, qui était alors le chef de l'atelier de moulage du Muséum, dut venir à Durfort; 11 mit en pratique un pro- cédé sur lequel il avait présenté une note à l’Académie "); il enduisit de blanc de baleine les os de l'Éléphant, à mesure qu'on les extrayait, et il parvint à les consolider si parfaitement qu'on a pu, sans aucune avarie, les envoyer jusqu'à Paris. Il fit subir la même opération à la tête laissée à Montpellier, dont plusieurs parties avaient été très endommagées, ayant élé transportées sans avoir été pénétrées de blane de baleine. La destruc- üon d'un grand nombre de pièces d’autres animaux, qui n'ont pas subi cette opération, montre que, sans les soins de M. Stahl, le squelette de l'Éléphant de Durfort ne serait pas la magnifique pièce que l’on admire maintenant dans le Muséum. Le 1 juin 1893, le squelette était extrait; pour emballer ses mor- ceaux et ceux de la tête déposée à Montpellier. 1l a fallu trente et une caisses. Le professeur Paul Gervais, qui avait suivi tous les travaux de M. Cazalis de Fondouce, présida au montage du squelette de l'Éléphant; il fut très aidé par le docteur Sénéchal. Gomme plusieurs de nos prépa- rateurs du Muséum, Sénéchal était un homme aussi savant que modeste, serviteur passionné de la science, qui s'oubliait lui-même pour ne penser qu'à faciliter la besogne des autres travailleurs et à mettre en honneur nos collections. Il a eu une grande part dans les montages de nos pièces 0) Stahl, Nouveau procédé pour la sohidification des substances friables (Comptes rendus de l'Acad. des sciences, 6 juin 1864). L'ÉLÉPHANT DE DURFORT. 331 fossiles. Le squelette de l'Éléphant de Durfort est resté plusieurs années dans le laboratoire de la rue de Buffon, n° 55. où il a été monté. En 1885. quand on établit dans le Muséum , cour de la Baleine, une galerie provisoire pour réunir nos plus beaux échantillons de paléontologie, il y fut transporté et convenablement installé; notre regretté collaborateur, le commandant Morlet, dirigea ce difficile travail qui devra recommencer, lorsqu'on aura bâti la galerie de Paléontologie. Il serait à souhaiter que l'on construisit de suite cette galerie dans son entier, de sorte que nos ani- maux fossiles soient nus à leur place définitive, car le déplacement de leurs énormes ossements, rendus souvent fragiles par leur extrême anti- quité, n'est pas sans danger pour eux. DU NOM QU'IL CONVIENT DE DONNER À L'ÉLÉPHANT DE DURFORT. ny a pas d'animaux sur lesquels on ait autant écrit que sur les Éléphants : ces bonnes et majestueuses créatures, qui nous inspirent de l'intérêt à l'état vivant, nous impressionnent même à l'état fossile : leurs os, dont l'aspect est encore plus gigantesque, lorsqu'ils sont dans leur gisement et que les morceaux de roche auxquels ils sont attachés semblent faire corps avec eux, excitent toujours notre curiosité et notre admiration. Apres les travaux de Guvier, de Blainville, Owen, Glft, Lartet, Falconer, Lydekker, Lortet, Chantre et bien d'autres auteurs, on pouvait croire le sujet épuisé. Mais, dans ces dernières années, les recherches ont été plus considérables que jamais. Leith Adams"? a publié sur les Ælephas antiquus, promoenus et meridhonalis des monographies qui occupent 265 pages et 27 planches in-4°. M. Pohlig® à fait sur l'Elephas antiquus, comparé avec les Ælephas prinuoenius et meridionalis, un ouvrage de 172 pages, petit in-folio, avec 159 gravures dans le texte et 17 planches. M. Weit- ® Leith Adams, Monog. on the Brit. Fossil Elephas primipenius, Blum, und Elephas me- Elephants (Palæont. Soc., 1877, 1879, 1881). ridionalis, Nesti (Nova Acta der Ksl. Leop. ® Hans Pohlig, Dentition und Kranologie Carol. deutschen Akademie der Naturforscher, des Elephas antiquus, Fale., mit Beürägen über petit infol., 1888-1891). Lo, 332 M. ALBERT GAUDRY. hofer à présenté un Mémoire sur les Éléphants fossiles du Val d'Arno de 108 pages avec de nombreuses planches grand in-/°. Le doyen de la Faculté des sciences de Rennes, M. Sirodot, qui a trouvé au Mont-Dol une surprenante agglomération de débris d'Éléphant, prépare une mono- graphie de ces animaux; la multitude des dents qui, selon lui, n'indiquent pas moins d'une centaine d'individus, lui permet de bien juger de la varia- bilité des caractères spécifiques. En présence de pareils travaux, je ne peux avoir la pensée de décrire l'Éléphant de Durfort. Je me contenterai de dire à quelle espèce il faut le rapporter. [lv a, dans nos pays, deux types d'Éléphant immédiatement reconnais- sables, lElephas meridionalis et VElephas primisenrus. Le premier date du Tertiaire, le second ne s'est éteint qu'à la fin des temps quaternaires. Le premier a encore quelques souvenances de l’état omnivore des Masto- dontes; le second est la forme la plus différenciée que l’on puisse conce- voir; cest l'Éléphant le plus éléphant qui ait existé, 1l présente un type très parfait d'herbivore. Les molaires de l'Elephas meridionalis ont peu de longueur et de hau- teur comparativement à leur largeur; elles ont un petit nombre de col- lines qui sont larges, basses, enduites d’un émail très épais, de telle sorte qu'elles peuvent encore broyer des fruits durs, comme on en voit dans les chimats chauds. Au contraire, les molaires de PElephas primigenrus indi- quent un régime herbivore, comme celui qui convient aux tristes climats où le soleil n'a pas le temps de faire mürir les fruits, et où les longs hi1- vers neigeux arrêtent la végétation forestière. Elles ont des collines nom- breuses, si hautes qu'elles peuvent durer longtemps, tout en s'usant beau- coup: ces collines ont des lames minces, enduites d’un émail peu épais; leur séparation va jusqu'à la racine, à tel point qu'on les trouve isolées. Leur hauteur est si grande qu'elles sont obligées de pousser oblique- ment el successivement; on remarque cela surtout à la mâchoire supé- rieure; la formation de l'extrémité postérieure d'une dent n'est pas encore Weithofer, Die fossilen Proboscidier des Arnothales in Toskana (Beiträpe sur Palæonto- logie Osterreich-Ungarns , t. VIIL, 1891). L'ÉLÉPHANT DE DURFORT. 333 achevée, lorsque sa partie antérieure est déjà en partie usée. Les défenses présentent aussi une différence : elles sont plus longues, plus minces et plus courbées que dans l'Elephas meridionalis Entre l'Elephas meridionalis et V'Elephas primipenrus se place l'Elephas antiquus, intermédiaire pour son âge et pour ses caractères; 1l a paru plus tard que l'Elephas meridionalis ; 11 s'est éteint plus tôt dans nos pays que l'Elephas primigenius. Ses molaires ont des lames plus nombreuses, moins épaisses, revêtues d'un émail plus mince que dans l'Elephas meridio- nalis ; elles ont des lames moins nombreuses, moins hautes, plus épaisses, revêlues d’un émail qui n'est pas aussi mince que dans l'Élephas prmipenrus. La constatation de cet état intermédiaire nous porte à supposer que l'Elephas meridionalis a passé par l'état antiquus pour devenir pr'mipenrus. S'il en est ainsi, Élephas meridionals, antiquus et primisenius n'ont pas été des entités immuables:; nous devons trouver des témoins de leurs muta- tons. En effet, on a réuni sous le nom de meridionahs des dents notable- ment différentes : les unes sont particulièrement larges et basses, leurs collines ne se constituent qu'a une distance assez grande des racines et sont enduites d’un émail très épais. Les autres sont plus hautes, à col- lines plus nombreuses, à émail plus fin; elles sont le type du meridionalis de Nesti. Je m'étonne que pour les premières on n'ait pas proposé encore une désignation spéciale. L'Elephas antiquus aussi se partage en deux : il y a des molaires qui se sont allongées et sont devenues étroites; c'est à celles-la que tous les na- turalistes donnent le nom d'antiquus. Il en est d’autres qui sont restées larges comme dans la forme ancestrale; elles ont reçu de M. Jourdan le nom d'intermedrius et de Falconer le nom d'armemacus. L'Elephas primipemus se divise également en deux : dans les Ælephas primigenrus types, les molaires ont des lames très nombreuses, hautes, étroites, à émail fin; ces sortes de dents se trouvent surtout dans les pays septentrionaux; j'en ai figuré une, rapportée de l'Alaska par M. Pinart, 0) On pourrait signaler encore d'autres membres sont un peu plus épais comparati- différences : la tête de l'Elephas meridionalis vement à leur longueur; il est vraisemblable semble avoir été un peu moins haute, ses quesafourrureétait beaucoup moinsfournie. 33/ M. ALBERT GAUDRY. qui présente ce type au suprême degré. Mais il y a des Ælephas primigenus chez lesquels la différenciation est moins accentuée : les molaires ne se sont pas autant transformées, elles ressemblent encore tellement aux dents larges des Elephas antiquus, appelées intermedius et armeniacus, qu'il est difficile de les en distinguer : elles diffèrent également très peu de celles de l'Éléphant actuel de lnde ®, M. Pohlig, dans son grand ouvrage sur les Éléphants fossiles. a inscrit ces dents sous le nom d'Elephas Tropon- therit, parce qu'on les trouve dans le Forest-bed à côté du Trogontherium ; elles se rencontrent de préférence dans les gisements qui n’indiquent pas un orand froid. Le tableau suivant résume les remarques qui précèdent : & = Elephas Elephas : indicus africanus 4 = ; Elephas = primigenius (Type) = Elephas primigenius Elephas Elephas = (race dite E. Trogontheru) antiquus (Type) priscus 3 LE Elephas antiquus (race appelée E. intermedius) # Elephas meridionalis 5 (race modifiée, type de Nesti) = E Elephas meridionalis (race primitive) L'Eléphant de Durfort n'appartient pas à la race primitive de l'Élephas meridionalis, où les molaires ont un petit nombre de collines basses, en- duites d’un émail épais, mais à la race modifiée de cette espèce, c'est-à- D Alphonse-L. Pinart, Voyages à la cote 1 planche in-fol., Paris, E. Leroux, 1875. nord-ouest de l'Amérique exécutés durant les ® Les lames des molaires de lElephas années 1870 à 1872. — Albert Gaudry, indicus ont leur émail un peu plus plissé, Sur une dent d'Elephas primigenius trouvée et la largeur de leurs intervalles est moindre sur la rivière Kouüchak dans l'Alaska, avec que leur épaisseur, L'ÉLÉPHANT DE DURFORT. 335 dire au type du Val d’Arno et du Forest-bed où les collines commencent à se multiplier, à diminuer d'épaisseur, à augmenter de hauteur. Elles ressemblent presque autant aux dents de l'Elephas antiquus appelées inter- medius qu'aux dents de VE. meridionalis. I me semble en outre que les défenses sont plus courbées et que les os des pattes sont moins épais que dans les £. meridionahs les plus anciens; en cela l'animal de Durfort marque encore une tendance vers les Éléphants quaternaires. Les molaires de l'Éléphant de Durfort ont des lames plus nombreuses et plus minces que celles de Semur, de Ghagny, de Pérols, près de Montpellier, de Randan (Allier), du Monte Verde, près de Rome, que nous possédons au Muséum. J'ai dernièrement, avec M. Marcellin Boule, travaillé à dégager un énorme EÉlephas meridionalis qui a été découvert dans les sables volca- niques de Senèze, près de Brioude, par un savant archéologue, M. Le Blanc. Ses dents contrastent singulièrement avec celles de l'£lephas meri- dionalis de Durfort par leurs collines basses, très grosses, à émail épais. Elles annoncent un animal encore plus gigantesque. DES ANIMAUX ET DES PLANTES QUI ONT ÉTÉ TROUVÉS AVEC L'ÉLÉPHANT DE DURFORT. La petite ville de Sauve, pittoresquement située sur les bords de la Vi- dourle, dans le Gard, est une station du chemin de fer de Nimes au Vigan. De Sauve au village de Durfort, 1l y a 6 kilomètres, et de Durfort au champ appelé le Vionas, qui est le gisement de l'Éléphant, on compte environ 1 kilomètre. On se trouve là au milieu du terrain urgonien; M. Cazalis ra- conte que, lorsqu'il aperçut des pièces d’éléphant, il fut bien étonné, parce que l'excellente carte géologique du Gard, dressée par Émilien Dumas, n'indiquait dans le pays aucun lambeau de terrain tertiaire ou quaternaire. Les ossements sont enfouis dans un limon fin, pris-jaunâtre, qui, selon M. Cazalis de Fondouce, aurait 6,000 mètres carrés de surface. La dé- G) I y a des dents du Val d’Arno qui, par leur allongement et leurs lames nombreuses, étroites, à émail mince, ressemblent plus à celles de l'Elephas antiquus qu'à certaines dents d'Elephas meridionalis. 330 M. ALBERT GAUDRY. pression où les fouilles ont été faites n'a guère que 30 mètres de largeur sur lo mètres de longueur et 7 mêtres de profondeur. M. Cazalis a dit que les animaux avaient enfoncé dans le limon qui remplit cette dépres- a enr à NE ; sion. Je n'ai pas de peine à le croire, car, l'ayant visité à la suite de pluies abondantes, avec M. Boule et le docteur Donnezan, nous étions exposés à nous y embourber. Nous n'avions qu'à nous promener sur les couches . L . A urgoniennes, qui entourent et surmontent le gisement de lÉléphant, pour voir, sous l'action de la pluie, les lits marneux tabulaires, intercalés entre les calcaires durs, se déliter et former de la boue qui descendait vers le fond de la vallée, Sans les espèces qu'on y trouve, on serait exposé à penser que le limon à ossements est une formation récente. À en juger par la quantité d'ossements qu'on a retirés de Durfort, on . se. à 2 . , . . pourrait supposer qu'il y a eu là des débris de beaucoup d'animaux; mais LA la plupart des pièces d'Éléphants, d'Hippopotames, de Bisons et de Cerfs s'accordent si bien et se mettent si facilement en connexion qu'ils indi- quent un enfouissement de quelques individus entiers et non des trans- ports d’ossements d'animaux divers, comme dans la plupart des grands oisements ossifères. En réalité, tous les os de mammifères de Durfort que 12 nous avons dans le Muséum se rapportent seulement à 4 Eléphants, Hippopotames, 5 Bisons, { Gerfs, 1 Rhinocéros, 1 Cheval. Les nombreuses pièces des mächoires, du tronc et des membres d'Hippo- [ , PP potames, que M. Cazalis de Fondouce a retirées, ont la même forme que dans les Hippopotames vivants; mais, à longueur égale, les os sont un , ñ . x , peu plus épais: c'est la même chose que dans l'Hyæna spelæea du Qua- ernare. La grandeur des os varie notablement; la plupart ne dépassent t La grand l tabl t; la plupart lé] pas en longueur ceux de l'Hippopotamus amplubius actuel; cependant quel- ques morceaux QD) égalent ou même surpassent les dimensions observées 9) Une défense inférieure d'Hippopotame de Durfort est large de o m.102, tandis que les défenses du Val d'Arno que j'ai vues ne dépassent pas o m.96 de largeur. Un hu- mérus de Durfort a o m.5° de longueur; jen connais un du Val d’Arno qui à o m.53. Une machoire de Durfort et quelques os des pattes ont aussi des dimensions consi- dérables. Mais nous avons des mâchoires, des dents isolées, des membres presque en- tiers de devant et de derrière, qui ont la même grandeur que chez l'Hippopotamus amphibius actuel, sauf, comme je le dis plus haut, un peu plus d'épaisseur. L'ÉLÉPHANT DE DURFORT. 337 sur les animaux du Val d'Arno, auxquels on a appliqué le nom d'Hippo- potamus major. Jai du reste remarqué parmi les os du Val d’Arno des variations de taille presque aussi grandes que dans nos os de Durfort. On peut inserire les bêtes du Gard et du Val d’Arno sous le nom d'Hippo- potamus amplubius, race major, pour indiquer qu'elles étaient un peu plus lourdes et parfois plus grandes que les Hippopotames actuels et eeux du diluvium de nos vallées. Le genre Rhinocéros n'est représenté que par une mâchoire avec deux molares. Je lui trouve de la ressemblance avec le Rhinoceros leptorhinus (mesarhinus); mais Je n'ai pas des matériaux suffisants pour oser rien afhirmer. Je n'ai vu qu'un seul os de Cheval, c'est une première phalange privée de son épiphyse proximale. Les Bovidés ont laissé plusieurs mâchoires, des chevilles de cornes et un grand nombre d'os des membres qui sont en connexion. Ils ont été étiquetés par Paul Gervais, sous le nom de Bison européen (Bison bonasus) ; en effet, la taille est la même, et 1l y a des membres de devant et de der- rière entiers qui ressemblent beaucoup à ceux des Bisons vivants. La plupart indiquent des individus d'assez forte taille et sont épais compara- üvement à leur longueur. Mais 1ls présentent de grandes variations; quel- ques-uns sont plus minces. Les chevilles des cornes ont de très fortes carènes longitudinales sur leur bord postérieur; elles sont plus longues, plus courbées, moins épaisses à leur base que dans les Bisons que j'ai eu l'occasion d'observer : ces différences sont insigmifiantes. Les dents res- semblent à celles des Bovidés actuels. Sur la face interne d’une des mà- choires inférieures, les arrière-molaires portent des rudiments de tu- bercules interlobaires, comme on en voit quelquefois chez l'Amplibos elruscus; ce caractère me parait accidentel. La mâchoire inférieure de l’'Amplubos etruscus a ses prémolaires un peu moins réduites comparati- vement aux arrière-molaires et les colonnettes interlobaires de la face externe de ces dernières sont un peu moins développées : elles indiquent done un Bovidé moins différencié que celui de Durfort. Comme je ne con- nais pas le derrière du crâne du Bovidé de Durfort, qui est la partie la 13 IMPRIMERIE NATIONALE, M. ALBERT GAUDRY. (® 2) plus importante pour la détermination des espèces, je ne peux rien affir- mer sur le nom qui lui convient. Je peux dire seulement qu'à en juger par nos matériaux, 1l ressemble plus au Bison bonasus qu'à un Amphibos. En tout cas, les os des membres de Durfort n'ont pas de rapport avec ceux de lAmphibos elatus d'Auvergne, qu'on à supposé proche parent de l'Ampluibos etruscus, ear nous avons au Muséum des os très nombreux d’Amphibos elatus qui sont si longs et si grêles qu'ils indiquent un animal dont l'allure rappelait celle des Gerfs et non celle des Bovidés, tandis que les membres trouvés à Durfort sont pareils à ceux du Bison bonasus. Si ma détermination est exacte, il est intéressant de noter que les Bisons du diluvium (Bison bonasus, race appelée priscus) ont été plus différents pour la taille des Bisons actuels que leurs prédécesseurs de la fin du Pho- cène ll, Nous avons à Durfort un Gerf à bois aplatis de la taille du Daim, mais Je n'ai pas observé les larges empaumures qui caractérisent les bois de e cette espèce ?. Un canon postérieur annonce un Cerf de plus grande taille, très élancé; 1l est plus long que dans le Cervus mesaceros femelle de notre galerie du Muséum, bien qu'un peu plus mince, surtout dans la partie distale. M. Cazalis de Fondouce a signalé quelques restes d'un Canis de la taille du Loup: je ne les ai pas vus. Un Batracien, qui a la taille d’un gros Crapaud ordinaire et qui en dif- fère peu, a été rencontré dans le même gisement; M. de lsle a eru pou- voir en faire un nouveau genre sous le nom de Plaslosphus Gervaisi®). J'avoue que je serais étonné qu'un Batracien de Durfort ait été assez diffé- rent des formes actuelles pour mériter un nom de genre spécial. 0) M. Newton, dans son beau travail sur les Vertebrata of the pliocene deposits in Bri- tain, cite le Bison bonasus dans le Forest- bed. % M. Marcellin Boule à cru remarquer que dans les Daims, les métacarpiens et les métalarsiens principaux sont soudés plus intimement que dans les Cerfs à bois arrondis; ce qui indiquerait des animaux plus différenciés. On constate ce caractère sur les Cervidés de taille moyenne de Dur- fort. 6) De l'Isle, Note sur un genre nouveau de Batraciens bufoniformes du terrain à Elephas meridionalis de Durfort (Journal de zoologie, vol. VI, p. 472, 187): L'ÉLÉPHANT DE DURFORT. 339 M. Cazalis a découvert des restes de Poissons, notamment un individu de o m. 25 de long qui n'a point paru à Paul Gervais devoir être séparé du Brochet commun, lÆEsox lucius\). La présence de Poissons et d'Hip- popotames semble indiquer que le gisement de Durfort a été autrefois couvert par un étang en communication avec la petite rivière appelée le Crieulon, qui coule à 200 metres de distance. Plusieurs espèces de coquilles ont été trouvées Ÿ, notamment une Val- vée., une Bithynie, un petit Planorbe et une Anodonte. En explorant des couches ligniteuses intercalées dans les limons à osse- ments, on y a rencontré des troncs d'arbres, des fruits et des empreintes de feuilles. Le savant professeur Marion a été à Durfort pour y recueillir des plantes fossiles. Le marquis de Saporta m'a montré à Aix, dans sa collection si riche en spécimens de paléontologie végétale, une partie des plantes trouvées à Durtort. Il m'a fait remarquer la présence, dans ce gisement, du Planera (Zel- kova) Ungeri Et, où d'une forme alliée de trop près à celui-ci pour en être distinguée. Le Zelkova Unperi, répandu par toute l'Europe tertiaire, à parür de lAquitanien, est maintenant représenté au Caucase et sur les montagnes de la Crète par une espèce qui parait en être une descendante à peine modifiée (Zelkova crenata sp., Zelkova crehca sp.). M. de Saporta m'a également fait voir, comme provenant de Durfort, le Parrotia pristina Elt., espèce bien connue du Miocène supérieur et voisine du Parrotia per- sica C. À. Mey, qui vit actuellement en Perse. D'après les indications du même savant, les Chênes se trouvent riche- ment représentés à Durfort; 11 y a eu là une véritable forèt de ces arbres. comprenant au moins quatre espèces. M. de Saporta avait signalé tout d'abord ® le Quercus Farnetto Ten. de FTtalie méridionale et le Quercus lusi- lanica Web., indigène du Portugal. Dans un ouvrage plus récent ®. 1l a D Gervais, Gisement de Durfort (Gard) (Journal de zoologie, vol. IV, p. 31h, 1875). [Journal de zoologie, vol. VE, p. 280, 1877]. 8) Marquis de Saporta, Le Monde des ? Gervais, Produit des fouilles poursuivies Plantes, p. 350, fig. 111-9 et 4-5, 1879. à Durfort (Gard) par M. P. Cazalis de Fon- 0) Origine paléontologique des Arbres, douce pour le Muséum d'histoire naturelle p. 175, fig. 16, 2-h, 1888. 43. 340 M. ALBERT GAUDRY. séparé du premier de ces Chênes, comme dénotant un type spécial, celui des Quercus Monoolica Fisch. et macranthera Fisch., actuellement asia- tique. une autre forme sous le nom de Quercus Elephants Sap. Une quatrième espèce, remarquable par les lobes anguleux de ses feuilles, est sans doute le Quercus pseudo-suber, Santi, qui est fossile dans les tufs pliocènes de Marseille, et vit encore dans le sud-est de la France et en Italie. M. de Saporta, d'après une étude toute récente, m'apprend qu'il faut joindre à la flore forestière de Durfort un Hêtre fort curieux; 1l avait des feuilles d’une remarquable petitesse, assimilables par leurs sinuo- sités marginales, le nombre et la disposition des nervures secondaires à celles d'une forme japonaise, Fapus siloatica L. var. Sieboldi maxim., que M. de Saporta tient de l'obligeance de M. Franchet et qui provient du centre de Nippon; mais les feuilles fossiles ont une dimension encore plus réduite. À ces feuilles M. de Saporta n'hésiterait pas à réunir deux empreintes d'involucres fructifères, hérissés de paléoles, si lun d'eux n'était partagé en cinq valves, au lieu de quatre comme dans les Hétres actuels. Sauf cette irrégularité, ils ressemblent beaucoup pour la forme, l'aspect et la dimension à ceux du Faous ferruginea Michx., d'Amérique. Mon éminent ami a appelé spécialement mon attention sur le fait que dans cette flore, où deux formes caractéristiques du Miocène se main- tiennent, où des types refoulés actuellement, soit au sud, soit à l'est et au delà de notre continent dominent incontestablement, nos Chênes actuels de France, Quercus sessiliflora, pedunculata et pubescens, n'ont pas été ren- contrés, et que le Hêtre de Durfort est encore bien éloigné de celui qui, de nos Jours, des Pyrénées et de l'Etna, s'étend au Nord jusqu'en Scanie. Cela est important à noter, parce que, suivant M. de Saporta, on observe le Quercus sessihflora à Canstadt et le Quercus pubescens dans les tufs à Elephas antiquus de la Provence. ‘Les plissements dirigés dans le sens des nervures secondaires et perceptibles à la sur- lace des empreintes de ces feuilles dénotent leur mode de vernation, conforme à celui de la section des Eufagus, confirmant ainsi leur attribution générique. (Note de M. de Saporta.) L'ÉLÉPHANT DE DURFORT. 341 Ainsi non seulement nous savons quels végétaux ont servi de nourriture aux animaux de Durfort, mais nous pouvons aussi nous faire une idée du cadre du tableau où ils ont été placés. Des forêts de Chênes variés, parmi lesquels dominait le Quercus lusitanica, et où se mêlaient un Hêtre, un Zelkova, un Parroha, s'étendaient autour de l'étang de Durfort. Dans cet étang venaient se baigner le gigantesque Elephas meridionalis, le Bison bonasus et l'Hippopotamus amplibius (race major). Sur ses bords, on voyait un Rhinocéros et deux espèces de Certs. L'étude des végétaux, comme celle des animaux, porte à penser que ce spectacle majestueux et pacifique a eu lieu vers l'époque du Forest-bed, cest-a-dire à l'époque qui forme la transition du Tertiaire au Quaternaire. REMARQUES SUR LES DIMENSIONS DES ANIMAUX TERRESTRES DURANT LES TEMPS GÉOLOGIQUES. Les mesures suivantes peuvent donner une idée de la dimension de l'Eléphant de Durfort : ous JURSQUELRILE FAMANTE LG ee eue à + + à soc oc h"45 UPS UElC EM AUS ARLON EN AN tons du squelette avec les défenses, la queue n'étant pas allongée et étant placée dans sa position DUR CL ER Re A senc qe 6 80 duisqueleltesanselestdéfenses 0." SE dl RUMEURS TE ELITE Ten 1 29 GAL CTIDNALSS de 5 Date MORT RIT ENS PR TE 1 08 ane | du 2° métacarpien PS te D TS PONS TE 0 21 RDC AEDIEN 0 29 Gin ES MÉRITE 0 29 USE TOUT Re ne SU donne here eee 1 36 GR HD ED AE CEE CR TE CE RE dome ALIEN Ce UNE ae. o AE AUS MC LAARSEN EE. 0. 0 17 MOUSE LALAES EN à use ee ec ses sie 0 16 Jai dit qu'à en juger par les dents, lEÉlephas meridionals de Senèze, près de Brioude, devait être encore plus fort que l'Éléphant de Durfort. 312 M. ALBERT GAUDRY. Le squelette de Durfort, étant le plus imposant squelette de mam- mifère terrestre qui ait encore été rencontré, me fournit une occasion de comparer la grandeur du corps de quelques animaux qui ont habité les répions continentales durant les temps géologiques. Dans le Cambrien et le Silurien, nous ne connaissons pas d'animaux terrestres : le géant des mers cambriennes parait Jusqu'ici avoir été un Trilobite du genre Paradoxides qui n'avait pas le tiers d’un mètre. Les plus grands animaux des mers siluriennes sont l'Orthoceras duplex, qui atteignait près de + mètres, lAsaphus platycephalus"), long de o m. 50, et le Slimona acumimata, long de o m. 65. Le Dévonien renferme des bêtes terrestres. Les insectes y apparaissent brusquement avec d'énormes proportions : selon M. Scudder, le Platephe- mera avait o m.20 de largeur, ses ailes étant étalées. Jusqu'à présent, on n'avait rencontré aucun quadrupède dans le Dévonien, mais M. Lohest® vient d'y signaler, en Belgique, des os qu'il attribue à un Batracien; à en juger par les vertébres, 1l ne devait pas atteindre o m. 30 de longueur. Dans le Houiller, M. Fayol a découvert le Mesancura, plus grand qu'aucun insecte de notre époque; M. Charles Brongniart, qui l'a bien étudié, dit qu'il avait o m.70 de largeur, quand il étalait ses ailes. Ainsi, dés une époque très ancienne, les insectes sont arrivés à l'apogée de leur lulle, [n'en a pas été ainsi pour les quadrupèdes. Plusieurs reptiles ont été recueillis dans le Houiller; le plus grand d'entre eux, PAnthraco- saurus, a une tête longue de o m. 36; si ses proportions ont été les mêmes que dans l'Actinodon, cela suppose un animal long de 1 m. 80. Le squelette le plus parfait de l’Actinodon, trouvé dans le Permien d’Au- lun, a o m. 80 de long, sur lesquels la tête mesure o m. 15; d'autres morceaux de la même espèce indiquent des individus de 1 m.10 de long. Le Stereorachis, rencontré dans leur voisinage, devait être près de deux fois plus grand. M. Cope a découvert dans le Permien du Texas un Batracien dont les dimensions surpassaient celles des Batraciens permiens de notre D Cet animal est des Etats-Unis; suivant ) Découverte du plus ancien Amphibien Barrande, il y a eu en France, à Nefhez, connu (Société géologique de Beloique, t. XV, an trilobite de o m. 1o,l Asaphus Barrandei. 1888). ; {| L'ÉLÉPHANT DE DURFORT. 343 pays : cest l'Eryops mevacephalus; J'en ai vu de beaux spécimens à Phila- delphie, chez M. Cope; cet éminent paléontologiste a bien voulu me re- mettre pour le Muséum de Paris une tête qui ao m. ho de long; il pos- sède une autre tête qui atteint o m. 45. Si les proportions sont les mêmes que dans l'Actinodon, cela suppose une bête de 2 m. 4o de long). Cette dimension est encore peu de chose comparativement à celle des reptiles secondaires; cependant elle me parait considérable, quand je pense que l’'Eryops, comme l’Actinodon, était dans un état d'évolution peu avancé; les corps de ses vertèbres sont formés d'éléments qui ne sont pas complète- ment ossifiés. Ainsi des créatures ont pu atteindre une assez grande taille, tout en conservant des caractères primitifs. Quand nous entrons dans le Trias, nous trouvons des bêtes terrestres si semblables aux reptiles primaires que nous supposons qu'elles en sont les descendantes, mais leur évolution est plus avancée et leurs dimensions se sont accrues. La tête du Mastodonsaurus proanteus, suivant M. Eberhart Fraas, a o m.70;en supposant que son rapport avec l'ensemble du corps soit le même que dans l’Actinodon, je calcule que cet animal devait avoir 3 m. 70 de long. On a découvert dans le même terrain des reptiles très différents, notamment des Dinosauriens, tels que le Zanclodon du Wur- temberg et le Dimodosaurus de France; je pense que ce dernier pouvait avoir près de 6 mètres de longueur ?. C'est dans les derniers temps jurassiques et les premiers temps crétacés que les êtres terrestres ont eu leur maximum de grandeur. J'ai éprouvé une étrange impression en voyant les os des Dinosauriens dans les collec- tions de M. Marsh, de M. Cope et dans le Musée de Ganyon City (Mon- tagnes Rocheuses). Suivant M. Marsh, le Brontosaurus du Jurassique su- périeur avait 15 mètres de longueur et lAtlantosaurus immanis avait 2h mètres. En Angleterre, on a trouvé le Ceteosaurus; le Musée d'Oxford a bien voulu nous donner des moulages de ses os, de sorte qu'on peut mesurer dans notre Muséum de Paris un fémur long de 1 m. 6° et un hu- 0) Jai vu en Russie les pièces du Britho- @) Son fémur a o m. 82 de longueur; son pus du Permien de l'Oural. Elles indiquent péroné, o m. 53; le 3° métatarsien, qui a un animal aussi fort que l'Eryops. o m. 26, porte un doigt long de o m. 23. 341 M. ALBERT GAUDRY. mérus long de 1 m. 29. L'ouanodon du Wealdien d'Angleterre et de Bel- oique est Justement célèbre par sa grandeur; le British Museum nous a envoyé le moulage d'une patte de l'ile de Wight, où le 3° métatarsien est long de o m. 36. À la fin de l'époque crétacée, 1l y avait encore de gigantesques Dino- sauriens; léminent doyen des géologues français, M. Matheron, m'a mon- tré dernièrement à Marseille des os des membres d'un grand Reptile qu'il vient de découvrir dans l'étage de Rognae, à Fos-d’Amphoux (Var); un de ces os à 1 m. 35 de long. En Amérique, M. Marsh a trouvé dans l'étage de Laramie le Triceralops prorsus, qui, suivant sa restauration, avait 7 mètres de long. En arrivant dans le Tertiaire, nous ne rencontrons plus ces gigan- tesques animaux à sang froid, mais nous voyons le règne des mammifères. Ni M. Cope en Amérique dans l'étage de Puerco, ni M. Lemoine en France dans son étage cernaysien, qui représentent les plus anciennes formations tertiaires, n'ont encore découvert de très grands mammifères. Mais le Suessonien de France et l'étage de Wasatch qui lui correspond, aux États-Unis, renferment le Coryphodon; un peu plus haut (étage du calcaire grossier), on signale aux environs de Paris le Lophiodon et, en Amérique, dans l'étage de Fort-Bridger, l'Uintatherium ou Dmoceras. Grâce à la générosité de M. Marsh, nous avons dans le Muséum de Paris un essai de restauration de cet animal; le squelette, sans la queue, est long de 30 m. /: la tête a o m. 75. Nous avons à côté une tête d’un autre Dino- ceralidé, le Loxolophodon, que nous devons aussi à illustre paléonto- logiste de New-Haven; cette tête a o m. 92. Dans l'Oligocène de France, nous trouvons l'Entelodon, l'Anthracothertum et l'Acerothertum, qui étaient de puissants pachydermes; les Montagnes Rocheuses en ont fourni de plus puissants encore. Ce sont ceux que Leidy a appelés Menodus, Titanotherium, et que M. Marsh a parfai- tement fait connaître sous le nom de Brontothéridés; à en juger par la restauration qu'il a donnée, ils auraient la même dimension" que le D D'après la figure de M. Marsh, le Brontops robustus aurait eu 3 m. 43 de long (sans la queue). L'ÉLÉPHANT DE DURFORT. 345 squelette de Wastodon angustidens de notre galerie de Paléontologie (sans les défenses). C'est seulement vers la fin des temps géologiques que les mammifères sont arrivés au maximum de leur taille. En mesurant les os du Dinothe- run pipanlteum que j'ai recueillis à Pikermi, j'ai calculé que cel animal n'avait pas loin de 5 mètres de hauteur au sommet de la tête), M. Stefa- nescu, dont les travaux ont jeté tant de lumière sur la géologie de la Rou- manie, vient de découvrir dans ce pays le Dinotheriun pipantissimum, qui dépasserait les espèces connues jusqu'à ce Jour ©. Le Muséum de Paris a acquis récemment un 3° métacarpien d'un énorme Mastodonte. Il provient du Pliocène de Vialette, près du Puy; Ay- mard l'avait inserit sous le nom de Mastodonte du Velay (Wastodon vel- lavus) ; cette espèce est la même que le Mastodon Borsonis. L'os de Vialette a om.25 de long, comme le 3° métacarpien de l'Éléphant de Durfort, mais 1l est notablement plus gros ®; il a dans son milieu o m. 103 de lar- geur et, dans la partie distale la plus étalée, o m. 145 de largeur, au lieu que, dans les mêmes régions, le 3° métacarpien de Durfort a seulement o m. 080 et o m.115. Nous avons dans la salle de l'Éléphant de Durfort un humérus trouvé dans le Chelléen du Bas-Montreuil, près de Paris, qui a été donné au Mu- séum par le baron Haussmann ; il a 1 m. 30 de hauteur, c’est-à-dire o m.08 de plus que chez l'Éléphant de Durfort. Comme on l’a découvert à côté des dents de l'Élephas antiquus, nous supposons qu'il appartient à cette espèce, extrèmement voisine de l'Elephas meridionalis de Durtort. Les Proboscidiens, qui sont venus après les Elephas meridionalis et anti- quus, ont eu une moindre grandeur. Le Mastodon americanus (pisanteus, ohioticus) et le Mammouth, qui ont été les derniers survivants des Probos- cidiens d'Europe et d'Amérique, n'ont pas égalé la taille des animaux mio- ® Un fémur d'Eppelsheim a 1 m. 48; Roumania (Bull. Geol. Soc. Americ., vol. HT, un tibia de Pikermi, o m. 9h; le 2° méta- p.81, 1891). carpien du même gisement est long de ®) Les Mastodontes ont été des bêtes o m. 255 ; le 3° de o m. 28; le 4° de o m. 23. plus lourdes que les Éléphants, en Amé- ® On the existence of the Dinotherium in rique comme en Europe. ll IMPRIMERIE NATIONALE, 316 M. ALBERT GAUDRY. cènes et pliocènes. Enfin les Éléphants actuels sont plus petits que le Mammouth. Ainsi le règne de la force brutale a eu lieu pendant les temps secon- daires, alors que vivaient les Dinosauriens, qui ont été les plus pigan- tesques de tous les quadrupèdes continentaux, mais sans doute étaient des êtres stupides. L'apogée réelle du monde animal comprenant les qua- drupèdes les plus beaux, les plus actifs, les plus intelligents, se montre à la fin des temps tertiaires, pendant les époques miocène et pliocène, c'est- à-dire immédiatement avant le régne de l’homme, Parmi les créatures qui vécurent alors, les Proboscidiens ont occupé une place importante; ce sont les plus majestueux de tous les mammifères terrestres, non seule- ment à cause de leur taille, mais parce que leurs Jambes restent droites comme des colonnes, et parce que leur puissante tête reste droite aussi: ils n'ont pas besoin de la courber vers la terre pour prendre leur nour- riture ainsi que tous les autres ongulés; leurs membres de devant ne sont pas des instruments à tout faire comme ceux des onguiculés; ils sont réservés pour la locomotion; pour la préhension, ils ont leur trompe, in- strument qui leur est spécial : en se servant de l'expression ingénieuse em- ployée par Henri-Milne Edwards, on peut dire que la division du travail est ici portée très loin; les Proboscidiens doivent être rangés parmi les plus différenciés des animaux, ils témoignent d’une évolution longtemps prolongée; aussi leur ordre est-il, avec celui des singes, le plus récent de tous les ordres de mammuferes terrestres. Il est intéressant de remarquer que les êtres les plus puissants n'ont pas été des carnivores; le Brontosaurus et llouanodon des temps secon- daires, le Dinoceras de l'Éocène, le Brontops de l'Oligocène, le Dinotherium du Miocène, le Mastodon Borsonis et l'Elephas meridionalis du Pliocène de- vaient se nourrir de végétaux. Si, au lieu d'être de paisibles créatures, ils cussent été des bêtes de proie, le monde animal aurait été arrêté dans son développement. L'histoire des temps géologiques ne nous offre pas des scènes de combat et de carnage, mais plutôt des scènes tranquilles et ma- Jestueuses. \ A \ . , Comment sont tombés les géants des âges passés? Sans doute, ils n'ont L'ÉLÉPHANT DE DURFORT. 347 pas été vaincus dans des luttes pour la vie; s'ils n'ont pas été des destrue- teurs, 1ls ont encore moins été victimes de leurs contemporains. Les der- niers Mammouths rapetissés ont laissé de rares vestiges dans les dépôts de l’âge du renne, sur les bords de la Vézère; on s'étonne qu'ils aient pu vivre à côté des rennes et il est naturel de croire que le froid a amené leur disparition en Europe. Îl se peut aussi que l’homme ait contribué à la destruction du Mammouth et même de lElephas antiquus, car l'énorme Elephas antiquus de Montreuil à été vu certainement par nos ancêtres de Chelles et du Bas-Montreuil qui ont fait les instruments chelléens. Mais comment le Dinotherium s'estal éteint sans laisser de postérité? Comment le Mastodonte a-t-1l disparu de nos contrées au moment où 1l avait atteint le maximum de grandeur, sous la forme de Mastodon Borsonis? Pourquoi l'Elephas al passé de l’état meridionalis aux états antiquus, imdicus et pris- cus? Nous ne savons le dire. Nous ne pouvons que répéter ces mots : « La Paléontologie nous enseigne qu'il ne faut plus parler de fixité des espèces. Tous les êtres, si puissants qu'ils soient. ont été éphémères : la loi du changement est la grande loi qui domine le monde. » .— [res _ 2 L pe née a W \à y séHinf sil dde déve M Stars ie ho ac fais steiilasi}}et afrid named a Me 4" RE lun: °F I eee LL Û à a Fe A at En mityie tt Hu iles | (AN | ss ps .d np 5 . 4, =D rk: i h (é : ne nn. ina 1 ÉL IL e . Ne , À je A w L* | 4 IN fée ALR eu: k se # LAN Hub il ”. '  ٠{ < pee ÿ U, ' À ï Centenaire d A. Murat & Sohier phot. ae 7 DA 4! LL D ms TE RE LUS : de crendeunr Liort au 197" Sohier phot. A / 15 74 We Ex SS 4 gosse LA PT — 2 < 47 c 22] = [= Q TD el [sb] « (æ [es u2 (a) = Fler A. Murat & Ce ilarski, dé G. P Centenaire du Muséz rOCE P — 2 EX, < 7 À ï LES COLLECTIONS DE BOTANIQUE FOSSILE DU MUSÉUM D'HISTOIRE NATURELLE, PAR M. E. BUREAU, PROFESSEUR DE BOTANIQUE (GLASSIFICATIONS ET FAMILLES NATURELLES ). at oo LES COLLECTIONS DE BOTANIQUE FOSSILE DU MUSEUM D'HISTOIRE NATURELLE. Parmi les collections les plus précieuses du Muséum d'histoire naturelle, on peut compter assurément celles de botanique fossile. Elles renferment la plupart des types des ouvrages d’Ad. Brongniart, œuvres qui ont fondé la paléontologie végétale. Ces collections ont servi depuis aux travaux de MM. Pomel, Schimper, Watelet, de Saporta. Grand'Eury, Renault, Zeiller, Boulay, Fliche; en un mot. de tous les paléobotanistes français, et, parmi les étrangers qui s'occupent de botanique fossile, 11 y en a peu qui ne les aient consultées. Le noyau a été la collection formée par Ad. Brongniart et donnée par lui au Muséum, lors de sa nomination à l’une des chaires de botanique. Depuis, une de ses principales préoccupations fut de laug- menter et d'en poursuivre le classement. Peu de jours avant sa mort, se sentant sans doute sérieusement atteint, 1l me faisait ses dermières recom- mandations au sujet de ces collections quil avait créées et de l'enseigne- ment dont elles doivent être la base : + Souvenez-vous, me disait1l, que la botanique fossile est essentiellement de la taxonomie. Je compte sur vous lorsque je n'y serai plus.» Je me suis efforcé de remplir les intentions de mon vénéré collègue. Formé par lui à cette branche de la science, J'ai donné des soins assidus aux collections qui en sont la base, et elles n'ont cessé de s’accroitre et de se compléter, comme s'il eût été présent. Aujour- d'hui nous ne pouvons pas les évaluer à moins de 70,000 échantillons. Ad. Brongniart, sur la proposition de Desfontaines, avait été désigné à l'unanimité comme aide-naturaliste de botanique par l'assemblée des 2 M. E. BUREAU. Q1 3 professeurs-administrateurs, le 292 février 1831. en remplacement d'Achille Richard. Depuis plusieurs années, sur les conseils de Cuvier, il s'adonnait à l'étude des débris de végétaux contenus dans les terrains de sédiment, etil avait déjà publié, en 1899, son mémoire : Sur la classifi- cation et la distribution des vévétaux fossiles, et, en 1828, son Prodrome d'une histoire des vévétaux fossiles, ainsi que le commencement de son grand ouvrage : l'Histoire des vévétaux fossiles. Les collections du Muséum n'avaient guère pu jusqu'alors lui fournir les éléments de pareils travaux. Les em- preintes de plantes qu'elles renfermaient n'avaient point été recueillies en vue d’une étude des flores anciennes: elles étaient disséminées dans la col- lection géologique, où elles figuraient en quelque sorte à üitre de curio- sités, ne pouvant encore servir à caractériser les terrains. Dans ces conditions, Ad. Brongniart avait dû rassembler lui-même des matériaux pour ses études spéciales, se créer une collection, et entre- prendre dans ce but des voyages, alors bien autrement difficiles que maintenant. En 1817, il avait parcouru le Jura et la Suisse; en 1820, ltalie, en compagnie de son père, Alexandre Brongniart, et de son ami, Bertrand-Geslin. En 1892, 1l avait visité le bassin houiller de la basse Loire et particulièrement les mines de Montrelais, en se rendant à Nantes, où l'atüraient Bertrand-Geslhin et Dubuisson. Celui-c1, en effet, avait fondé en 1802, avec l'appui de Foureroy, un musée qui renfermait des fossiles d'une grande importance pour le but que se proposait Ad. Brongniart, et dont celui-ci devait décrire et figurer les principaux. En 1824, après avoir exploré le nord de la France et la Belgique, Ad. Brongmiart s'était rendu en Suède, où 1} avait eu pour compagnons de route Berzélius et Vôhler. Enfin, en 1895, il avait parcouru l'Angleterre, l'Écosse ct lIr- lande. Partout, en France et à l'étranger, 1l avait noué des relations avec les savants dont le concours pouvait lui être utile, et, de tous côtés, on lui faisait des envois. Parmi ses correspondants, nous trouvons en France les noms de Mougeot, Virlet, Audoum, Dubuisson, Tournal, Pommier de Langeac:; en Angleterre, Cist et Mantell; en Italie, Savi, Cortesi, Pa- retlo; en Amérique, Silliman, etc. LES COLLECTIONS DE BOTANIQUE FOSSILE. 303 Ses collections, à la suite de recherches si actives et d'efforts si persé- vérants, avaient pris une réelle importance. Lorsqu'il fut attaché au Mu- séum, 1l jugea quil devenait indispensable de mettre à la disposition du publie les matériaux sur lesquels s'appuyait la science qu'il venait de fonder, et, dans une lettre qui fut lue à l'assemblée des professeurs dans la séance du 28 mai 1833, il fit hommage à notre Musée national de sa collection de végétaux fossiles. L'assemblée lui adressa une lettre de re- merciements et décida que cette collection serait placée provisoirement dans la galerie de Botanique, jusqu'a ce que l’auteur eût terminé son ou- vrape. Cette décision nous montre premièrement quil n'y avait pas au Mu- séum de collection spéciale de plantes fossiles avant celle qui venait d'y entrer. S1l en eût existé une, on l’eût certainement mentionnée, et on neüt pas manqué de spécifier que les échantillons d’Ad. Brongmiart vien- draient s'y Joindre. En second lieu, elle nous est une preuve qu'à ses débuts, la science nouvelle ne fut considérée que comme une branche de la géologie, et que ses conditions d'existence furent tout à fait méconnues. Avec le temps, on vint à des idées plus Justes, on comprit que la détermination des plantes fossiles ne peut se faire qu'à l'aide des plantes vivantes et des her- biers. que leur classement doit être soumis aux mêmes méthodes, et, de plus, que la géographie botanique actuelle n'est qu'une conséquence de la réparlition antérieure des végétaux, en un mot, que la botanique vivante et la botanique fossile ne sont que deux aspects d'une seule et même science. Ad. Brongniart, qui fut nommé professeur le 2/4 décembre 1833, con- serva donc sans conteste la direction des plantes fossiles; mais cette situa- ton ne fut régularisée que très tardivement. C'est seulement en 1874, lors du rétablissement de la chaire de Jussieu, que la répartition des col- lections à administrer fut faite entre les deux chaires de botanique, et que la collection de végétaux fossiles fut attribuée, par décision ministérielle, à la chaire de botanique (organographie et physiologie végétale), qu'Ad. Brongniart avait choisie. Quelques années après sa mort, en 1885, son L5 IMPRIMERIE NATIONALE, 30/ M. E. BUREAU. successeur, M. le professeur Van Tieghem, demanda que cette collection füt rattachée à la chaire de botanique (classifications et familles natu- relles), avec laquelle, en effet, par les procédés de détermination et de classement, elle a des rapports plus étroits. Un arrêté ministériel intervint de nouveau pour approuver cette nouvelle attribution. Au moment où la collection d'Ad. Brongniart fut donnée par lui au Mu- séum, la valeur scientifique de cette collection était grande incontestable- ment; mais quelle pouvait être son importance numérique? et de quels éléments état-elle composée? IT n'est pas impossible de le savoir assez exactement, bien que le donateur n'en ait pas dressé de catalogue spécial. Il y a en eflet un catalogue d'entrée de la collection générale de plantes fossiles du Muséum, catalogue qui comprend aujourd'hui deux énormes volumes in-folio. Il a été commencé en 18/45, et tous les échantillons rangés à ce moment ont pu y être inscrits dans l'ordre botanique. Or, jusqu'à la page 66, Ad. Brongniart a désigné par les lettres Br. (qui sont positivement de sa main) les échantillons provenant de sa collection. J'en ai complé 43/4, et cela seulement dans les Cryptogames cellulaires, les Calamariées et les Fougères. Au delà, dans les Sigillares, les Astérophyl- tes, Annularia et Sphenophyllum, les Gymnospermes, les Monocotylé- dones et les Dicotylédones, c'est-à-dire la plus grande partie de beaucoup du règne végétal, 1l n’a pas continué à inscrire cette indication; on a seu- lement la certitude qu'un très grand nombre d'échantillons lui ont ap- partenu, et cela aussi bien pour la partie classée et cataloguée en 1845 que pour les inscriptions faites plus tard, parmi lesquelles on trouve assez fréquemment la mention : Ancienne collection Brononiart. En somme, en estimant la collection donnée par Ad. Brongniart à 800 échantillons au minimum, on sera certainement au-dessous de la vérité. Mais ce n'était qu'un premier fonds qu'il ne devait pas cesser d'accroître. Ad. Brongniart, en effet, après sa nomination comme professeur, ne re- nonÇa pas à ses Voyages. En 1835, il parcourut la Belsique, la Hollande et l'Allemagne, où 1l étudia avec beaucoup de soin l'important bassin houiller de Saarbruck. En 18/4 11 fut chargé, par le Ministre de l'instruction publique, d'une LES COLLECTIONS DE BOTANIQUE FOSSILE. 399 mission ayant pour but + l'étude des principaux gisements de végétaux fos- siles de la France méridionale, et surtout l'examen des bassins houillers nombreux et variés qui sy trouvent». Nous avons sous les yeux le rapport imprimé qu'il adressa, le 27 décembre de cette même année, au Ministre, pour lui faire connaitre les résultats de son voyage, rapport auquel nous avons emprunté les lignes précédentes, et nous y lisons encore : + J'ai vi- sité successivement le bassin houiller de Saint-Étienne, les mines d'anthra- cite de la Mure, près de Grenoble, le vaste bassin houiller d'Alais et de Bessège, ceux de Sant-Gervais et de Nefliez, près de Lodève, celui de Carmaux, près d'Albi, celui de Decazeville, si important par les fonderies quil alimente, le petit bassin d'Argentat, près de Tulle, celui de Brassac, au sud de Clermont-Ferrand, et enfin ceux de Commentry et du Montet, dans le département de l'Allier. » Du reste, Ad. Brongniart ne bornait pas ses recherches aux terrains houillers, et 1l dit, dans le même rapport, avoir visité les terrains ter- lares d'Aix-en-Provence, d’Armissan, près de Narbonne, de Gergovia, près de Clermont. “Je ne considere pas, ajoute-t1l, ce voyage comme entièrement ter- miné, me proposant de visiter l'été prochain les bassins houillers du dé- partement de Saône-et-Loire, de la Nièvre, de Maine-et-Loire, de la Loire- Inférieure et de la Mayenne , que je n'ai pas pu comprendre dans la tournée que Je viens d'accomplir. » Cette seconde partie du programme qu'il s'était tracé fut exécutée avec le même soin que la première. J'ai pu notamment m'assurer, tant par les inscriptions du catalogue que par les échantillons relevés dans la collec- üon, qu'en 18/45 Ad. Brongniart explora dans le plus grand détail toutes les concessions du bassin de la basse Loire, bassin qui n'a pas moins de 107 kilomètres de longueur. Il visita dans le même voyage les mines de la Mayenne et de la Sarthe, ainsi que les grès tertiaires du Mans. Nous savons, par une note manuscrite d'Ad. Brongniart, qu'en 1848 le nombre des plantes fossiles données par lui au Muséum était de 2,000 environ. L'âge même n'arrêta pas les explorations auxquelles il se livrait dans 45. 390 M. E. BUREAU. l'intérêt de la botanique fossile : ainsi, après la publication de l'important ouvrage de M. Grand'Eury, la Flore carbonifère du département de la Loire, qui parut en 1877, il visita, en compagnie de ce savant, tout le bassin de Saint-Étienne. Le personnel des deux chaires de botanique, suivant l'exemple du maitre, a contribué à enrichir les collections de paléontologie végétale. J'ai fait. pour ma part, de nombreuses recherches dans ce bassin de la basse Loire, qui avait deux fois attiré Ad. Brongniart, et où de nouvelles exploitations avaient été ouvertes, et je ne peux pas estimer à moins de 1,000 les échantillons que jy ai recueillis. J'ai fait aussi de bonnes ré- coltes de fossiles végétaux dans le grès bigarré des Vosges, l’oolithe de Mamers (Sarthe). léocène de la Loire-Inférieure, des environs du Mans et de Nogent-le-Rotrou. M. Renault, assistant, a exploré d'une manière aussi approfondie que possible le bassin houiller et permien d’Autun, dont 1l a donné la carte géologique, et dont il publie en ce moment la flore fossile en collabo- ration avec M. Zeiller. Il a enrichi les collections du Muséum de magni- fiques préparations exécutées sur des échantillons à structure conservée. Ces préparations sont en partie figurées dans l'ouvrage posthume d'Ad. Brongniart sur les graines fossiles de Saint-Étienne: d’autres ont fait la base des publications de M. Renault. Nous ne devons pas oublier qu'en 1874 il recutune subvention de l'Académie des sciences, pour la recherche, dans le département de la Loire, de ces végétaux à structure conservée, à un niveau ancien où ils étaient encore fort peu connus. M. J. Poisson, assistant, a recueilli les empreintes des tufs quaternaires de Belgique et d'Alpérie. M. Danguy, préparateur, à fait aussi deux voyages pour récolter des fossiles végétaux de cette même période géologique dans le Jura, la Suisse, le midi de la France et la Corse. Aux résultats des explorations faites par le personnel sont venus se Joindre ceux des recherches des voyageurs subventionnés par le Muséum ou par le Ministère de l'instruction publique, et les dons faits par les cor- respondants de notre établissement et par un grand nombre de natura- LES COLLECTIONS DE BOTANIQUE FOSSILE. 397 listes. C'est ainsi que nous avons recu de M. l'abbé David de curieuses plantes fossiles du nord de la Chine; de M. Faurie, missionnaire au Japon, des séries considérables d'empreintes des iles d'Yeso et de Nippon, appar- tenant probablement pour la plupart au terrain pliocène; de M. Glaziou, directeur du Jardin publie de Rio-de-Janeiro, de très belles plantes fos- siles du Brésil, etc. De plus, il a été fait, presque chaque année, des achats importants et, de temps en temps, des échanges. Après avoir indiqué par quels moyens s'est formé notre Musée de bo- tanique fossile, je dois dire à peu. près de quelles collections 1l se com- pose. Je ne puis songer à donner une sorte de catalogue, car ce serait une publication considérable. La place et le temps dont je dispose me per- mettent seulement d'indiquer, parmi les principales, quelques-unes des collections qui sont venues le constituer. Je suivrai un ordre à la fois chronologique et géographique, et J'en profiterai pour signaler non seule- ment nos richesses, mais nos lacunes, ne désespérant pas que quelques savants obligeants, qui pourraient se trouver à même de les combler, n'aient la bonne pensée de le faire. ÈRE PALÉOPHYTIQUE. PÉRIODE SILURIENNE. Nous n'avons, pouvant se rapporter à l'étage SILURIEN INFÉRIEUR, que quelques échantillons de nature très douteuse : l£ophyton Linnæanum Torell, de Lugnas, Westgotland (Suède), mérite à peu près seul d'être cilé. Les fossiles de l'étage silurien moyen attribués à des végétaux ne sont pas moins problématiques. Il était nécessaire de les réunir pour permettre d'étudier un des points les plus controversés de la paléontologie vépélale. Nous nous sommes appliqués à les rassembler, et notre galerie renferme maintenant la plupart des genres et même la plupart des espèces dé- crites : M. Morière, doyen de la Faculté des sciences de Caen, et M. des 325 M. E. BUREAU. Cloizeaux, professeur au Muséum d'histoire naturelle, ont donné de très beaux Bilobites et Crossochorda de Bagnoles (Orne); M. Petit et M. Crié, professeur à la Faculté des sciences de Rennes, des Bilobites de la Sarthe; le même M. Crié et M. Alliou, des Vexillum d'Ille-et-Vilaine. Une série importante des fossiles recueillis en Bretagne par Marie Rouault étant venue, après sa mort, par échange, au Muséum d'histoire naturelle, jai pu avoir pour la collection de paléontologie végétale la plupart des types du grès armoricain décrits par ce naturaliste. Enfin J'ai trouvé de nombreux fossiles du même niveau près de Châteaubriant (Loire-Infé- rieure), à la Bouandaie, commune de la Potherie (Maine-et-Loire), ete. Le Muséum possède des organismes problématiques siluriens, ana- logues à ceux de Bretagne, provenant d'Almaden et des montagnes de Tolède (Espagne); mais il n'a pas ceux qui ont été signalés au Portugal. Les schistes ardoisiers d'Angers, dont le dépôt a succédé à celui du grès armoricain à l'époque SILURIENNE MOYENNE, n'ont fourni qu'une forme at- tribuée au règne végétal : l'£opteris Sap. M. Hermitte nous en a envoyé trois échantillons. L'étage SILURIEN SUPÉRIEUR est représenté aussi par des empreintes pro- blématiques : des Harlania, de Susquehanna, Pensylvanie (États-Unis), donnés par M. Harlan, et des Hostinella Barr., de l'étage H Barrande, de Bohème, par M. le professeur Palacky, de Prague. Le Muséum n'a pas les fossiles terrestres découverts, dans l'Amérique du Nord. à l'étage silurien supérieur. PÉRIODE DÉVONIENNE. Nos collections de botanique fossile n'ont pas encore de plantes de l'étage DÉVONIEN INFÉRIEUR. L'étage pévoxtex moxex y figure par quelques échantillons des grès à végélaux du Bas-de-Beaulieu (Pas-de-Calais), recueillis par M. Le Mesle. L'élage Dévontex supérieur peut y être étudié sur deux collections fort belles : une des psammites d'Évieux (Belgique), donnée par M. Crépin, recteur du Jardin botanique de l'État à Bruxelles, et une des grès de Kilkenny (Irlande). LES COLLECTIONS DE BOTANIQUE FOSSILE. 309 PÉRIODE CARBONIFÈRE. Le Muséum est riche en plantes de l'étage carsonirère inrérieur. Parmi les plus anciennes, nous pouvons citer les végétaux calcifiés de Falken- berg (Silésie), offerts par Gœppert, et quelques empreintes de Burdie House, pres d'Édimbourp. envoyées en 1837 par Paterson et Hibbert. Plusieurs acquisitions ont fait entrer dans nos collections toutes les espèces du Culm des Vosges, et M. Renault à récolté de nombreux échantillons sihcifiés du même âge, aux environs de Combres (Loire). D'assez nombreuses empreintes de la Baconnière (Mayenne), recueillies par Ad. Brongniart en 1845, représentent un niveau de transition entre le Gulm et la Grauwacke supérieure ou Grauwacke du CGulm. Mais ce sont les plantes de ce dernier âge surtout qui sont au Muséum en quantité considérable. Elles proviennent, pour la plupart, du bassin de la basse Loire, et toutes les concessions, tous les puits peut-être de ce grand dépôt en ont fourni. Il a été visité par Ad. Brongniart en 189», Virlet, en 1828, Audoun, en 1831. Rivière, en 1842. Ad. Brongniart , en 18/45, l'explora en entier; enfin, depuis bien des années, jy poursuis des recherches. Ad. Brongmiart, dans le dernier voyage cité, recueillit des plantes fos- siles assez nombreuses dans les bassins de la Sarthe et de la Mayenne, où elles sont plus rares que dans la basse Loire. La flore de ces diverses localités s’est trouvée complétée par les envois de quelques naturalistes, entre autres de M. Lorière, qui a fait don d'empreintes de Poillé, pres de Sablé. De l’âge de la Grauwacke du Gulm, les localités étrangères repré- sentées au Muséum sont : Waldenburg (Silésie), Haynichen (Saxe), Stra- donitz (Bohème) et le bassin carbonifère central de la Russie. L'envoi de Bohême est un don de M. le professeur Palacky, de Prague, et celui de Russie, de l'Administration des mines de cet empire. De l'étage cargoxtrÈRe MoyEex, nous citerons d’abord le bassin franco- belge. Les plantes de ce bassin qu'on peut voir au Muséum ont été re- cueillies, dans la partie française : à Anzin (Pas-de-Calais), par M. Ad. 360 M. E. BUREAU. Brongniart, en 182/ et 1855; à Béthune (Pas-de-Calais), par M. Char- bonnier; à Vicoigne (Nord), par M. Delanoue; à Valenciennes (Nord), par M. Douray. ete.; en Belgique : à Charleroi, par MM. Ad. Brongniart, Decaisne, Geoffroy, ingénieur des mines, ete.; à Liège, par MM. Da- vreux, Closon; à Mons, par M. Westmael, conservateur du Musée de cette ville. Malgré ces envois multiples, Fimportant bassin franco-belge n'est pas représenté au Muséum comme il serait à désirer quil le fût. Bien des es- pèces nous manquent, et nous faisons des vœux pour que les ingénieurs et les naturalistes veuillent bien nous aider à combler ces lacunes. On peut en dire autant pour les bassins houillers moyens de la Grande- Bretagne, qui figurent surtout dans nos collections par des fossiles de Newcastle, dont la plupart ont été envoyés en 1836 par Hutton. Le Muséum est au contraire très riche en fossiles végétaux de l'étage houiller moyen d'Allemagne. Nous devons mentionner en première ligne la grande collection achetée en 1850, par le Gouvernement français, à M. Græser, directeur des mines d'Eschweiler. Cette collection fut partagée entre l'École des mines et le Muséum. qui reçut pour sa part 1,264 échan- ullons. Nous devons y Joindre de très nombreuses plantes de Saarbruck, Geislautern, Dutweiler, Sant-Ingbert, recueillies dans le même bassin par MM. Ad. Brongmiart, en 1835, Bockholtz, en 18h44, le docteur Jor- dan, en 1846, etc. D'Essen, dans le bassin de la Ruhr, Je puis citer une collection faite par Desnoyers. Le houiller moyen de la Saxe est surtout représenté par des empreintes nombreuses de Zwickau, recueillies pour la plupart en 18/49 par Schim- per; celui de la Silésie, par des fossiles de Landshut, Charlottenbrun, ete. envoyés surtout par Gœppert. Les houllères de Bohème ont aussi fourni au Muséum d'importantes collections. Je citerai, de Radnitz, des fossiles végétaux recueillis par Schimper en 18409, d'autres envoyés par M. le baron von Ettingshausen en 1854. et des achats qui permettent de bien étudier la flore de cette LES COLLECTIONS DE BOTANIQUE FOSSILE. | 961 localité, C'est par acquisition aussi que sont entrés des échantillons de Miroschau. D'autres, de Kladno, ont été offerts par M. le professeur Pa- lacky. Le houiller moyen est fort étendu dans la Russie méridionale, Le Mu- séum a reçu de l'Administration des mines de Russie de nombreuses empreintes venant en général du district de Lougan. Un certain nombre, des mines d'Éregbi (Asie Mineure), ont été recueillies et lui ont été don- nées par M. de Tchihatchef. Nous avons reçu à plusieurs reprises des collections du houiller moyen d'Espagne. Les principaux donateurs ont été MM. Virlet d'Aoust, Grand'Eury et Thierry. La plupart des échantillons proviennent des As- turies. Le Canada nous a fourni des plantes fossiles de la même époque. Elles ont été recueillies au cap Breton par MM. Cloué et Marcou, à la Nou- velle-Écosse par M. Marcou, au Nouveau-Brunswick par M. Leroy de Mé- ricourt, etc. Le houiller moyen des États-Unis est représenté par des échantillons envoyés de la Virginie et de Ohio par Silliman en 1895, Hildreth en 1837, Newbury en 1850, et Harlan, et surtout de llinois par Lesque- reux en 1809. L'élage carsonrÈre supérieur est de beaucoup celui qui a fourni au Muséum le plus de fossiles végétaux. Au premier rang nous devons placer la collection considérable recueillie par M. Grand'Eury à l'appui de son bel ouvrage sur la Flore carbonifère du département de la Loire. Elle eom- prend certainement plus de 7,000 échantillons. M. Renault a récolté aussi dans le même bassin de nombreux échantillons sihcifiés. La collection de botanique fossile du Muséum peut donner une bonne idée de la plupart des bassins situés sur le plateau central ou au pour- tour. Voici les noms des principales localités qui y figurent et ceux des donateurs : Firminy (Loire), M. Verni, directeur des mines de Firminy, 1889; Rive-de-Gier (Loire), M. Raveaud, 1881; Montrambert (Loire), M. le Directeur des mines, 1882; Bassignac, près de Mauriac (Cantal), M. Delalot, 1830; Langeac (Haute-Loire), MM. Pommier, 1823, Croi- h6 IMPRIMERIE NATIONALE. 362 M. E. BUREAU. zel. 1833, Jusserand, 1851, ete.; Blanzy (Saône-et-Loire), MM. Ad. Brongniart, Roret, 1836, Schneider, 1851, Flouest, procureur impérial à Chälons, 1865, ete.; Saint-Bérain (Saône-et-Loire), MM. Ad. Bron- gniart, 1835, 1838, Landriot, 1837, Virlet, 1838; le Creusot (Saône- et-Loire), M. Ad. Brongniart, 1851; bassin d’Autun (Saône-et-Loire), MM. Ad. Brongniart, 1851, Landriot, Burat, et, en dernier lieu, M. Renault, qui l'a exploré complètement et en publie la flore fossile en collaboration avec M. Zeiller; Decize (Nièvre), M. de Roissy et achat; Commentry (Allier), très belles collections envoyées en 1886-1 887 par M. Fayol, directeur des mines de Commentry, publiées par MM. Renault ct Zeiller; Terrasson (Dordogne), M. Brard, 1819, 1829, 18923; Campa- . gnac (Aveyron), M. G. Seiber, 1879; Pléaux, près de Meymac (Corrèze), M. Delalot, 1876: Carmaux (Tarn), M. Boisse, directeur des mines de Carmaux, 1849-1847, plus de 1,000 échantillons; Neffiez (Hérault). MM. Græf, Vaillant, Sauvage; le Bousquet (Hérault), MM. Madoux. 1831, Roissy, 18/47, Græf, 1859; bassin du Gard, M. Grand'Eury, 1888 ; Bessepe (Gard), MM. Morsaut, 1877, Julien, 1880, Murgue, 188»; Alais (Gard), MM. Hombres-Firmas, 1816, de Candolle, 1821, de Vil- liers, 1822, Brard, 1833, Requien, 1834, Villeneuve, 18/41, etc. En dehors du plateau central, je pourrais citer bien des localités d'où le Muséum a reçu des plantes appartenant au carbonifère supérieur : Dans les Alpes : la Mure, le col Buffet, près de Briançon, Comba- rine, elc., dons de Élie de Beaumont, Scipion Gras, etc. Dans les Vosges: les mines de Ronchamp, d'où M. Parcheminey, le directeur, nous a envoyé, en 1888-1889, de remarquables collections. Dans l’ouest de la France : le bassin de Littry (Calvados), dont les fos- siles ont été recueillis et donnés par MM. Hérault, 1834, et Héricart de Thury, 18/41; Saint-Pierre-la-Cour (Mayenne), par Dureau de la Malle, 183/, Ad, Brongniart, 1845, et dernièrement par M. OEhlert; le bassin de Kergogue, près de Quimper, par M. Rivière, 1837. Nulle part le terrain carbonifère supérieur n’est aussi abondamment représenté qu'en France. Néanmoins nos collections en possèdent des spécimens de diverses localités étrangères. Les plus nombreux sont de la LES COLLECTIONS DE BOTANIQUE FOSSILE. 303 Saxe. Ils ont été recueillis à Zwickau, Wettin, Manebach, Ilmenau, et proviennent en majeure partie du voyage fait par Schimper en 1849. D'autres ont été envoyés de Sardaigne par de la Marmora: d’autres, des États-Unis : ils ont été trouvés dans les États de Rhode-fsland, par Silli- man, de Pensylvanie, par Gist, de Virginie, par Hildreth. Parmi les échantillons de la Nouvelle-Galles du Sud (Australie) qui ont été donnés au Muséum à la suite de l'Exposition de 1878, un certain nombre doit appartenir au houiller supérieur. PÉRIODE PERMIENNE. L'étage PERMIEN INFÉRIEUR présente des niveaux assez différents, Dans la parte la plus ancienne, la flore est presque identique à la flore houillère. De ces couches de transition le Muséum possède une belle collection re- ueillie à Coulandon (Allier) et donnée par M. de Vaujoly. Il possède aussi une importante série de schistes de lAutunois, due aux recherches de M. Renault. Ces schistes forment trois niveaux, dont les deux supérieurs ont une flore nettement permienne, Tous sont représentés par de nom- breux échantillons. C'est au-dessus qu'on trouve les végétaux sihaifiés, dont M. Brongniart a reçu autrefois un grand nombre de l'abbé Landriot, et dont le Muséum a continué à s'enrichir par les recherches de M. Re- nault. Une localité semblable se trouve au Val-d'Ajol (Vosges). Nos collections ont reçu à diverses reprises des échantillons de cette provenance. [ls ont été envoyés, entre autres, par Mougeot et par M. Baret, de Plombieres. J'ai moi-même visité ce gisement en 1888. C'est également au permien inférieur, en très grande partie, qu'ap- partent la grande collection de vépétaux à structure conservée de Unger, acquise anciennement par le Muséum. Les plantes fossiles des schistes ardoisiers de Lodève sont probablement représentées au Muséum comme elles ne le sont dans aucun autre Musée. La plupart proviennent d'achats. Nous devons cependant mentionner un don fait par M. Grand'Eurv. Du permien de Russie, dans lequel on trouve un niveau à végétaux AG. 304 M. E. BUREAU. appartenant au permien inférieur et un au permien supérieur, le Muséum a recu des échantillons offerts par Murchison et de Verneuil. et surtout par l'Administration des mines de Russie. Les espèces du PERMIEX suPéRIEUR à Üllmanmia de Trebnitz, près de Gera (Saxe), sont entrées dans notre collection de plantes fossiles par acquisition. ÈRE MÉSOPHYTIQUE. PÉRIODE TRIASIQUE. De l'étage rriasique INFÉRIEUR le Muséum a de beaux végétaux fournis par le grès bigarré des Vosges. Les plus nombreux proviennent de Soultz- les-Bains (Vosges) et ont été donnés par Voltz en 1837-1838, par Schimper en 18/0 et 1849, et par Mougeot. J'en ai recueilli aux envi- rons de Plombières en 1888. Quelques échantillons ont été envoyés du grès bigarré de la Sierra d'Espadone, à l'extrémité sud-est de l’ancien royaume de Valence, par M. Teilleux, en 18/42. Nous en avons même de la base du trias de la Nouvelle-Galles du Sud (Australie). La flore de l'étage rriasiQue supéRiEUR où KEUPER peut être étudiée au Muséum sur les plantes fossiles de Stuttgard, localité classique. Les pre- miers envois ont été faits en 1839 par Plieninger, et en 1849 par Schimper. Ce dernier a exploré aussi Kulmbach (Franconie). Une belle collection du même niveau, recueillie à Bayreuth (Franconie), a été donnée par Braun en 18/0. Depuis, il a été fait divers achats de la même région. | Une série de plantes du Keuper de Lunz (Basse-Autriche), formée par des acquisitions faites de 1886 à 1888, offre des échantillons remar- quables par leur belle conservation. Le Keuper des États-Unis ne figure dans notre galerie de Botanique lossile que par quelques échantillons de Gowrie (Virgimie), donnés par M. Marcou. LES COLLECTIONS DE BOTANIQUE FOSSILE. 305 PÉRIODE JURASSIQUE. Les végétaux jurassiques sont relativement rares, comme ceux de tous les terrains en grande partie marins. Cependant la plupart des étages nous en ont fourni. L'étage RHÉTIEN est représenté par des fossiles de Hôganas, en Scanie (Suède); deux petites collections du Tonkin : l'une de la baie de Hon- Gâc, recueillie par M. Balansa, l’autre, des mines de Cao-Bé, par M. Lapied, lieutenant de vaisseau; des empreintes de la République Argentine, etc. De l'étage nerranGrex notre Musée possède des plantes des grès d'Het- tange rassemblées par Deshayes; de Hæœr, en Scanie, par Ad. Bron- pniart, etc. De la grande série du zras proprement dit nous citerons des fossiles de Lyme-Régis, donnés par Murechison; du Wurtemberg, par Boll; de Bay- reuth, obtenus par acquisition, ete. Nous en avons aussi des principaux étages qui composent la grande Sér1e OOLITHIQUE : De l'étage BATHONIEN nous pouvons présenter, provenant de France, les végétaux fossiles de Mamers, recueillis par Desnoyers en 1825 et par moi en 1888; provenant d'Angleterre, des plantes de Stoneslield envoyées par Buckland en 1825, et une magnifique collection de Whitby et de Scarborough acquise de M. Yates en 1847. Elle comprend une série d'échantillons montrant la plupart des organes du Wélliamsonia grgas Carruth. C'est probablement au même étage qu'il convient de rapporter une collection d'environ 45o échantillons de plantes fossiles du Véronais (Italie), en partie donnée par M. de Zigno, en 1854, en partie acquise de M. Meneguzzo, en 1872. De l'étage oxronprex le Muséum possède, entre autres, des échantillons recueillis par M. Danguy à Orbagnoux (Ain); de l'étage coRALLIEN, des fos- siles des carrières de Sampeau, près d’Auxey (Côte-d'Or), provenant du voyage fait par M. Danguy en 1886; de Châteauroux (Indre), donnés 306 M. E. BUREAU. Il convient d'ajouter à cette énumération trés incomplète des fossiles jurassiques de Queensland (Australie), donnés par la commission de cette colonie anglaise à la suite de l'Exposition de 1878, et qui appartiennent assurément à la série oolithique. PÉRIODE INFRACRÉTACÉE. La période iNrracRéracée est pauvrement représentée au Muséum : des fruits fossiles du fer oolithique de Wassy (Haute-Marne), étage urGonEN, et quelques troncs de cycadées de l'Üpper-greensand de l'ile de Wight, étage ALBIEN, donnés par Murchison, ainsi que du Sussex, donnés par Man- tell, sont à peu près tout ce que je trouve à citer. ÈRE NÉOPHYTIQUE. PÉRIODE CRÉTACÉE. Les collections de botanique fossile ont des plantes de chacun des quatre r ; .p ras , , élages qui forment la période crélacée : L'étage céNomaniex ne nous a fourni, il est vrai, en France, qu'un seul échantillon : un magnifique fruit de conifère des grès verts de Nogent-le- Rotrou, trouvé par Desnoyers; mais nous avons une belle suite de plantes du Quadersandstein de la Saxe, recueillies à Niederschæna par Reich, en 1839 et 1836, et à Blankenburg par Schimper, en 1849. Un beau fruit de Dammarites a été envoyé par Gœppert; les curieux fossiles du cénomanien de Belgique connus sous le nom de Gyrohithes, par M. De- walque, professeur à l'Université de Liège: une remarquable collection de Vyscerovie (Bohème), par M. Palacky, professeur à l'Université de Prague. De l'étage ruronex, entièrement marin, du reste, nous n'avons guère que quelques moulages de fruits de conifères. Mais l'étage sévonrex est un des plus richement représentés au Muséum, LES COLLECTIONS DE BOTANIQUE FOSSILE. 367 grace à l'achat d'une collection de 3,000 échantillons recueillis par le doc- teur Debey dans les sables d’Aix-la-Chapelle, achat auquel le Ministère de l'instruction publique a contribué dans une large mesure. De l'étage DANIEN Je ne connais au Muséum que quelques échantillons de Scanie (Suède). PÉRIODE ÉOCÈNE. Étage ÉOCÈNE INFÉRIEUR OU SUESSONIEN. La célébre localité de Sézanne a fourni au Muséum un nombre considérable d'échantillons, provenant sur- tout de trois voyages : un fait par M. Renault et deux par moi. J'ai recueilli aussi des empreintes dans l'argile plastique de Vaugirard, en 1889. Une acquisition des plus importantes pour l'étude de l'éocène inférieur a été celle de la collection Watelet, qui est en grande partie formée de plantes fossiles des grès du Soissonnais. Nous l'avons complétée par l'achat de la collection recueillie dans les mêmes grès par M. Leleu. Mentionnons enfin un fossile intéressant de l'éocène inférieur français : le Leptosphærites Lemomu, des hgnites de Reims, donné par M. le docteur Richon. . Du gisement de Gelinden, en Belgique, le Muséum a reçu un bel envoi de M. Dewalque, professeur à l'Université de Liège. I s'est procuré par achat des fossiles d’Alun Bay et de l'ile de Sheppey (Angleterre). Étage ÉOGÈNE MOYEN. Le calcaire grossier de Paris, dont les végétaux sont si mal conservés, mais si intéressants, a été exploré par beaucoup de natu- ralistes. Un des premiers à été M. Pomel; puis sont venus Ad. Brongniart, Héricart de Thury, Watelet et, en dernier lieu, MM. Alph.-Milne Edwards, Vaillant et moi, qui avons recueilli les plantes de la butte du Trocadéro. Un des plus beaux fossiles de ce niveau est le tronc d'Yueca Roberti Bur., qui a été cédé au Muséum par le Musée pédagogique. Des dépôts de la Loire-[nférieure contemporains du calcaire grossier nos collections possèdent plusieurs trones de palmiers fossiles de Cambon, envoyés par le Muséum d'histoire naturelle de Nantes, et de nombreux échantillons de Cymodoceites, trouvés par moi à Arthon. 368 M. E. BUREAU. J'ai recueilli dans les grès de Beauchamp de nombreuses feuilles de Ve- rium parisiense Sap. Les grès du Maine et de l’Anjou sont regardés comme étant de ce même niveau. Ad. Brongniart les a explorés en 1845, et De- caisne en 1861; mais la plupart des fossiles, fort nombreux, que possède le Muséum, de ces grès, proviennent de Saint-Saturnin, près d'Angers, et ont été, les uns, reçus par échange du Muséum d'histoire naturelle de Nantes, les autres, acquis des ouvriers qui exploitent ces grès. Du calcaire de Saint-Ouen nous n'avons que quelques graines de Chara; mais j'en ai recueilli un très grand nombre dans les meuliéres de Nogent-le-Rotrou, qui sont regardées comme contemporaines ou à peu près. Nous avons pu exposer en partie une très belle collection du Monte Bolca, près de Vérone (Italie), localité qu'on peut placer sur le niveau des sables de Beauchamp. Étage ÉOGÈNE SUPÉRIEUR. Nous n'avons de Paris que quelques fragments de bois fossile trouvés dans le gypse. Ce n'est pas en effet dans le bassin parisien que cet étage a fourmi des fossiles végétaux; mais nous avons pu nous procurer, grâce à l'obligeance du gouverneur du Groënland danois, une belle collection du célèbre gisement d'Atanekerdluk, qu'Heer regar- dait comme miocène, et qu'on s'accorde maintenant à rapporter à l'éocène supérieur, d'après les observations de M. Gardner. C'est probablement aussi à ce niveau qu'on pourra attribuer les empreintes d'Advent Bay et du cap Lyell (Spitzherg), recueillies par M. Rabot et par M. le docteur Couteaud, lors de la mission scientifique de la Manche, et celles de Brjamslæck (Islande), données par MM. Buchet, Vermaesp et Jonassen. Heer rapporte à l'éocène supérieur les végétaux conservés dans l’'ambre, sur les bords de la Baltique. Le Muséum en a quelques échantillons, mais en beaucoup trop petit nombre. On peut voir, au contraire, dans nos collections, beaucoup de Fucoïdes du Flysh. Les uns ont été re- cueilhs à Bidart, à Guéthary et à Saint-Jean-de-Luz (Basses-Pyrénées), par MM. de Quatrefages, Bepguin-Billecocq, ete.; d’autres à Aigremont (Suisse), par M. Danguy; d'autres encore à Tagliata (Italie), par M. Coppr. LES COLLECTIONS DE BOTANIQUE FOSSILE. 369 PÉRIODE MIOCÈNE. lei, les gisements dont le Muséum possède des échantillons se multi- plient, et l'espace ne nous permettra d'en citer qu'un bien petit nombre. Étage MIOCÈNE INFÉRIEUR OU OLIGOCÈNE. Îl se partage en deux sous- élages : Du sous-étage inférieur ou ToNGRIEN nous mentionnerons des plantes des gypses d'Aix-en-Provence, localité qui a été rapportée aussi à l’éo- cène supérieur. Elles ont été données, pour la plus grande partie, par M. le marquis de Saporta, en 1851-1852. D'autres avaient été recueillies par M. Blavier, M. Barthe, en 1830. En 1888, M. Danguy en a aussi récolté quelques-unes. Malgré ces envois multiples, le Muséum ne possède qu'un nombre assez restreint des espèces de ce gisement, un des plus riches qu'on connaisse. Nous citerons encore des empreintes des calcaires marneux, de Saint- Zacharie (Bouches-du-Rhône), données par M. le marquis de Saporta ; une belle série de troncs silicifiés de la vallée d'Apt et de Gignac (Vau- cluse), envoyés en 1846 par Requien, et en 1891 par M" la baronne de Page; une très belle collection de Céreste et une moins considérable du Bois-d'Asson (Basses-Alpes), recueillies par M. Goret, la dernière com- plétée par un don de M. de Saporta et un voyage fait par M. Danguy en 1886; une collection, fort belle aussi, de Brognon (Côte-d'Or), don- née par M. de Christol en 1854 et augmentée par les recherches de M. Danguy en 1886; des plantes du calcaire siliceux de la Ferté-sous- Jouarre (Seine-et-Marne), dues aux recherches d'Ad. Brongniart en 1833 et de M. le docteur Liébaut en 1841; une riche série d'Hæring (Tyrol), formée d'envois reçus anciennement de Schlotheim et plus récemment de M. le baron von Ettingshausen; une belle collection de Sotzka (Styrie), formée d’envois de Schimper et de lnstitut péologique de Vienne; des empreintes du Monte Promina (Dalmatie), données aussi par l'Institut péologique de Vienne; des plantes de Bagnasco, val de Tanaro (Pié- mont); don de M. Simonda; une collection de 1,500 échantillons de No- vale, Chiavone et Salcedo, Vicentin (Italie), acquise, en 1873-187h, de h7 IMPRIMERIE NATIONAIE, 370 M. E. BUREAU. M. Meneguzzo, ete. N'oublions pas que M. le professeur Visiani, de Pa- doue, a fait don, en 1864, d'un magnifique échantillon de Phænicites ilalica, de Chiavone. Le sous-élage AQuITANIEN nous à fourni, tout à fait à la base, la flore d'un dépôt de transition : Armissan. M. de Saporta en a envoyé un cer- tin nombre d'échantillons, de 1865 à 1868; mais la plupart provien- nent des dons faits par M. Tournal, de 1829 à 1838, et par M. le pro- fesseur Gervais, en 1867. Les meulières de Beauce, aux environs de Paris, renferment des fruits et des tiges de Chara, dont le Muséum est bien pourvu. Les rhizomes de Vymphœæa y sont plus rares. Ceux qui figurent dans nos galeries ont été recueillis par Ad. Brongniart à Neauphle-le-Chä- leau. Nous mentionnerons encore les collections de Menat (Puy-de-Dôme), envoyées par MM. Monier en 1823, Croizet en 1833, ete.; celles de Ro- chette, Rivaz et Monod, canton de Vaud (Suisse), par M. Gaudin; celles de Salzhausen (Wetteravie), par Leonhard et par M. Pomel en 1847, complétées par une acquisition en 1855; celles de Sagor (Garnmiole), par l'Institut géologique de Vienne et par M. le baron von Etüngshausen; celles de l'argile brûlée de Sobrussan, près de Teplitz (Bohème), par M. le professeur Palacky; celles de Coumi et d'Oropo (Grèce), par M. le professeur Gaudry, etc. L'étage MocÈNE Moyen est représenté surtout au Muséum par des col- lections de Gergovia (Puy-de-Dôme), données par MM. Croizet en 1833 et Pomel en 18h92; des environs de Lausanne, canton de Vaud, par M. Gaudin, ainsi que d'Eriz et de Sigriswil, canton de Berne (Suisse), obtenues par acquisition; de Radoloj (Croatie), par M. d'Ettingshausen en 1894; de Bilin (Bohême), par MM. Schimper en 1849, d'Ettings- hausen en 1854, Ch. Teilleux en 1867, 1eLc- De l'étage mIocÈNE SUPÉRIEUR Où OENINGIEX nous pouvons citer les collec- üons de Rochesauve (Ardèche), les unes faites anciennement par Faujas Saint-Fond, les autres acquises depuis; celles du Locle, canton de Neu- châtel (Suisse), obtenues par échange; celles d'OEningen, formées d'achats auxquels se sont jointes des plantes fossiles données, en 1837, par Des- hayes et, en 1892, par M. Lacroix; celles de Parschlug (Styrie), acquises LES COLLECTIONS DE BOTANIQUE FOSSILE. 371 aussi; celles de Stradella (Piémont), données par le comte Boromeo; celles de Castagnito (Piémont), par M. Sismonda, etc. PÉRIODE PLIOCÈNE. Méritent d'être citées 11 : une grande collection de plantes fossiles de Meximieux, donnée par M. Berthet en 1877; une collection, également fort belle, du Pas de la Mogudo (Cantal), entrée au Muséum par acqui- sition en 1890; une de Théziers (Gard), acquise aussi; une de Saint- Vincent (Cantal), formée d'envois divers, dont le principal a été fait par M. Delalot et remonte à 1836; une de Durfort (Gard), rassemblée par M. le professeur Gervais et extraite du même gisement que PElephas me- ridionalis; une de San Venanzio (Italie), acquise en 1885; une, peu nom- breuse, du Val d'Arno supérieur (Italie), envoyée par Pentland de 1831 à 18306; une du pliocène supérieur de Cromer (Angleterre), par M. Clé- ment Reid; de nombreux bois sihcifés d'Égypte, recueillis par Héricart de Thury, Thuret, Bové, Botta, Delanoue, Vassel, etc.; d'autres de Tu- msie, par MM. Errimgton de la Croix et Le Mesle; des fruits fossiles des terrains aurifères de Balarat (Australie), envoyés par M. le baron F. v. Mueller, ete. PERIODE QUATERNAIRE. La végétation de cette période est certainement représentée au Mu- séum comme elle ne l’est dans aucun Musée. Des collections ont été, 2n effet, rassemblées en vue d’une étude spéciale à laquelle se livre un de nos préparateurs, M. Danguy, licencié ès sciences, et nous possédons, je crois, des spécimens de la plupart des gisements connus. Il nous faut donc renoncer à une énumération, même incomplete. Qu'il me soit permis seulement de mentionner, pour Île QUATERNAIRE AN- cIEN, deux dons importants : celui de la collection des tufs de la Celle, près de Moret (Seine-et-Marne), par M. Chouquet, en 1878 et 1885, et celui des tufs des environs de Montpellier, par M. G. Planchon, en 1886. Citons aussi quelques-uns des nombreux tufs explorés par M. Danguy : ceux de Meyrargues, des Avgalades, de Saint-Antonin (Bouches-du-Rhône), des Ares, près de Draguignan (Var), de Bistuglio (Corse), ele. 372 M. E. BUREAU. Au QUATERNAIRE RÉGENT, Où du moins à une époque plus récente du qua- Lernaire, appartiennent les tufs de Cruzilles (Saône-et-Loire), de Ladoye. de Marangea, d'Arbois, de Baume, ete. (Jura), recueillis par M. Danguy ; ceux de Cannstadt, près de Stuttgard (Wurtemberg), et d'autres encore. Nous nous arrêtons, en notant encore les débris végétaux des habita- lions lacustres, obtenus par acquisition, et ceux de la flore dolmenique , station de Roberhausen (Suisse), donnés par M. P. de Lisle, directeur du Musée archéologique de Nantes. L'aperçu que je viens d'essayer de donner est, je le répète, des plus incomplets. L'espace et le temps me manquaient pour citer beaucoup de collections importantes. Quant à la situation matérielle, elle n'est pas actuellement celle que mériterait un Musée de botanique fossile aussi riche. Sur les 70,000 échantillons environ de vépélaux des âges passés que possède le Muséum, 3,600 seulement sont exposés au public. Une partie beaucoup trop considérable de la collection ne peut être conservée autrement qu'en tiroirs. Une amélioration est vraiment urgente. LA NITRIFICATION DANS LA TERRE ARABLE, PAR M. P.-P. DEHÉRAIN, MEMBRE DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES, PROFESSEUR DE PHYSIOLOGIE VÉGÉTALE APPLIQUÉE À L'AGRICULTURE. LA NITRIFICATION DANS LA TERRE ARABLE. En 1856, lillustre agronome français Boussingault et M. Georges Ville, professeur au Muséum d'histoire naturelle, découvrirent presque en même temps que les nitrates exercent sur la croissance de la plupart des végé- taux de grande culture une action tellement décisive que le poids des plantes récoltées dans un sol privé de matières azotées, mais pourvu d’ali- ments minéraux, est réglé par la quantité de nitrates distribuée. La culture a largement mis à profit ces connaissances acquises au laboratoire; guidée par Les essais de MM. Lawes et Gilbert en Angleterre, de M. Georges Ville en France, elle consomme des quantités notables de nitrates; les gisements des côtes du Pacifique expédient annuellement en Europe 500,000 tonnes, dont la plus grande partie est utilisée comme engrais. Les nitrates américains paraissent provenir de la transformation des matières azotées d'anciens dépôts de guano, et, bien que les gisements ne donnent encore aucun signe d'épuisement, il n'est pas douteux qu'ils ne pourront subvenir que pendant un temps limité aux besoins de la culture européenne; ce n'est pas sans effroi qu'on songe à l'époque, peut-être peu éloignée, où sera tarie cette source de fertilité. Est-il possible, en tirant un meilleur parti des ressources de nos terres cultivées, de se passer de l'addition des nitrates d'importation? C'est là un problème qu'il est d'autant plus intéressant d'élucider que, sil était résolu, nous pourrions non seulement calmer nos inquiétudes d'avenir, mais, en outre, nous affranchir dès maintenant d’une partie des lourdes dépenses qu'occasionne l'acquisition de ces engrais, et par suite diminuer le prix de revient de nos produits agricoles. 376 M. P.-P. DEHÉRAIN. Liebig nous a appris ,1l y a cinquante ans, que nos terres cultivées ren- fermaient habituellement d'énormes quantités d'azote combiné. I n’est pas rare d'en doser de 1 à > mullièmes; pour 1 hectare de {,000 tonnes, c'est donc de {000 à 8,000 kilogrammes; or nos récoltes exigent, quand elles sont très abondantes, de 100 à 150 kilogrammes d'azote, et il existe une telle disproportion entre les prélèvements des plantes et l'approvision- nement dans lequel elles puisent qu'au premier abord on ne conçoit pas comment l'addition d'engrais azoté exerce une influence décisive sur les rendements de nos terres. C'est encore Boussingault qui a expliqué pourquoi l'addition des engrais azotés élève les récoltes; il a montré que la plus grande partie de la ma- lière organique azotée du sol n'était pas assimilable par les végétaux et qu'elle ne pouvait servir d'aliment avant d'avoir subi de profondes trans- formations. Cette matière azotée insoluble se décompose sous l'influence de micro-organismes et donne de lammoniaque qui se brûle à son tour; son azote uni à l'oxygène devient acide azoteux, puis acide azotique ; l'acide ainsi formé entre en combinaison avec une base: chaux ou potasse: l'azote a dès lors acquis la forme sous laquelle il constitue l'aliment de préférence de la plupart des végétaux de grande culture. La transformation de la matière azotée en nitrates est done la condition même de la fertilité d’un sol où l'humidité et les aliments minéraux ne font pas défaut. Si, au printemps, au moment où les végétaux se dévelop- pent, celle nitrification était assez active pour amener à l'état assimilable de 100 à 150 kilopgrammes d'azote, l'abondance de la récolte serait assu- rée, Sans qu 1l fût nécessaire d’avoir recours à 1 acquisition des nitrates. I CONDITIONS DE LA NITRIFICATION. MÉTHODE EMPLOYÉE POUR DÉTERMINER LES QUANTITÉS D’AZOTE NITRIQUE QUI APPARAISSENT DANS LES SOLS CULTIVÉS. NME. Schlæsing et Muntz nous ont enseigné, il y a une quinzaine d’an- nées, que la combustion de la matière azotée du sol, de lammoniaque, était LA NITRIFICATION DANS LA TERRE ARABLE. 3771 provoquée par l'activité de ferments figurés, isolés plus récemment par M. Winogradsky. Nous savons en outre que cette activité ne s'exerce que dans un sol humide, aéré, pourvu de bases salifiables et maintenu à une température comprise entre 10 et Lo degrés. Suivant que ces conditions sont remplies plus ou moins complétement, les quantités de nitrates formées varient dans de larges proportions, et on conçoit dès lors que des déterminations exécutées sur des terres main- tenues au laboratoire ne donneraient sur la question posée, à savoir: for- mation des nitrates dans un sol en place, que des indications tout à fait inexactes; on a donc résolu de procéder à cette recherche sur des terres exposées aux conditions climatériques extérieures, et d'évaluer l'énergie de la mitrification en analysant les eaux de drainage que laissent écouler les terres en expériences. On sait que les nitrates ne sont pas retenus par les terres arables et qu'en faisant filtrer au travers de la terre une dissolution titrée de nitrates, on ne trouve pas que cette dissolution s'appauvrisse; si, pendant toute une année, on recueille et on analyse les eaux de drainage, on se fait une idée d'autant plus exacte de la quantité d'azote nitrifié que l'expérience enseigne que les eaux qui s'écoulent pendant l'hiver ne renferment presque plus de nitrates, que par conséquent les lavages auxquels les terres sont soumises entrainent tout l'azote nitrifié pendant la durée de l'année. Pour recueillir ces eaux, j'ai employé une méthode très simple, déjà utilisée par M. Berthelot : de grands vases de grès, percés à la partie in- férieure d'un orifice auquel on peut adapter un bouchon de caoutchouc muni d'un tube d'écoulement, sont d'abord garnis d’une couche de gra- vier de o m. 02 d'épaisseur, puis de lots de terre de 60 kilogrammes en- viron. Ces vases sont soutenus par des trépieds en fer ; on les abrite du soleil en les plaçant dans une tranchée dont la terre a été rejetée du côté du midi; ils sont en outre garantis contre les radiations solaires, à l’est et à l’ouest. par des planches; enfin on les entoure de paillassons, de facon à éviter l’échaufflement du sol. On mesure les eaux écoulées, on en évapore une partie et on y dose 18 IMPRIMERIE NATIONALE, 378 M. P.-P. DEHÉRAIN. l'azote nitrique en mesurant le bioxyde d'azote dégagé". Pendant l'année de juin 1889 à juin 1890, on a mis en expériences des terres prises exclu- sivement dans le domaine de Grignon (Seine-et-Oise): ce sont des sols lé- vers, médiocrement calcaires, tres filtrants: les terres mises en observation provenaient de parcelles du champ d'expériences : 1° en bon état de fumure ; 2° épuisées par une longue suite de récoltes sans engrais, ou 3° sortant de prairies; la teneur en azote Y variait de 1 or. 98 a1 or. 8 par kilogramme. La teneur en azote nitrique des eaux recueillies. calculée pour la sur- Ï I face de 1 hectare, a été en moyenne : Printemps: tie, PMR SRE rer 11°0 Rés antenne CE NS AO 7 Automne: . us SU Re A EIRE RP RER 72 2 Hiver ess 20e Re RENE Re 19 6 Pendant l’année suivante. de 1 890 à 1891, on mit en expériences des terres variées : deux provenaent du domaine de Grignon; deux autres, beaucoup plus fortes, du Pas-de-Calais et du Nord; deux autres enfin du département du Puy-de-Dôme, elles avaient été prises dans la Limagne d’Au- vergne; elles étaient plus riches en azote que les précédentes, elles en ren- lermaient environ 2 grammes par kilogramme:; on obtint pour la teneur en azote nitrique les nombres suivants, rapportés à la surface de 1 hectare: Printemps is PRE ET ARE RER 130 NT PP D cc cc Lo 3 Automnesss.t RER NE CE PER ET RP SE 18 0 Hiver: 8.22 45e AR TANT Enfin les mêmes terres furent encore maintenues en expériences en 1891-1892; on trouva : PrIRÉEMPS- SPRL RP UE PR EEE 21F8 Eté: suce us. . Cet 4e, SE SERA RE 15 2 Automne... tp ÉMIS ARE Sr NE RES 31 7 Hiver: 1.40 mp RER ne OR RS 15 0 0) Les principaux résultats exposés dans le présent écrit sont extraits d'une série de Mémoires insérés dans les tomes XV à XIX des Annales agronomiques. LA NITRIFICATION DANS LA TERRE ARABLE. 379 Si l'on prend la moyenne de ces diverses déterminations, on obtient : MUYENNE DES TROIS ANS. FT TE on ORSR EP SESE UE CR ESS CR PER NUS A 17° 8 RE este 0 des SR 26 À ÉONOTNNE die DM OP CR ho 6 EVER Lo 0 0 00 DO PNR SR ER 11 8 Il semble qu'on puisse déduire des nombres précédents que la nitrifica- on, médiocre au printemps, s'élève en été pour acquérir son maximum d'intensité en automne et s'afflaiblir en hiver; toutefois on peut craindre d'être victime d'une illusion et penser que si les nitrates n'apparaissent en quantités notables qu'à l'automne, c'est que seulement à cette époque la pluie est assez abondante pour les entrainer, mais qu'en réalité ils ont pris naissance pendant les saisons précédentes. Pour savoir si cette dernière hypothèse est exacte, 1l faut éliminer l'in- fluence de ce lavage excessif d'automne et examiner la teneur en azote de 1 mètre cube d'eau de drainage, car visiblement ce mêtre cube sera d'autant plus chargé que les mitrates seront plus abondants dans le sol au moment de l'écoulement; or, en 1891, nous avons obtenu les nombres suivants : AZOTE NITRIQUE PAR MÈTRE CUBE EN GRAMMES. Bémtempsh(emans aug) juin). 0 ue sua, 43 Été Cuantéesepiembre) es Le LT. 1. 59 Automne (4 septembre au 24 novembre). ............... 66 Hem I DoMEMPbre au 1 MAPS)... -.. 4e... 19 Les nombres précédents indiquent nettement que la nitrification atteint son maximum d'intensité à l'automne, tandis quelle est faible au prin- temps et en été; on conçoit au reste qu'il en soit ainsi; deux conditions climatériques exercent une influence décisive sur l'activité de la nitrifi- cation : c'est, d’une part, l'élévation de la température; de l’autre, l'hu- midité; or ces deux conditions ne se rencontrent guère ensemble qu'à l'automne; au printemps, la pluie est habituellement assez abondante pour que le sol se trouve dans un état d'humidité convenable, mais la température est basse; en été, la température s'élève, mais souvent la 8. 380 M. P.-P. DEHÉRAIN. dessiceation vient contre-balancer l'influence heureuse qu'exercerait cette température plus favorable , et cest seulement quand les pluies d'automne arrivent sur les terres échauffées que les nitrates se forment en quantités notables. On ne saurait attacher trop d'importance aux faits précédents; c'est pré- cisément parce que la mitrification est insuflisante au printemps que les eulivateurs sont contraints d'acheter du nitrate de soude. En effet, c'est au printemps, aux mois d'avril et de mai, que toutes les cultures de céréales acquièrent leur développement; c’est à ce moment qu'une abondante nourriture azotée leur est nécessaire; si cette alimen- lalion n'est que parcimonieusement répandue dans le sol, les pieds vigou- reux seuls s'en emparent; les autres pâtissent, restent chéüfs; on n'a pas ce développement régulier, simultané, qui permet à tous les individus d'un même champ de parcourir ensemble toutes les phases de leur évolu- üon, arrivant tous ensemble à la maturité et présentant cet aspect régulier qui couvre les champs d'une vaste surface horizontale, + comme une table», disent les Anglais. Les nitrates d'été ne profitent guère au blé ni à l'avoine : ces deux plantes ont fini leur évolution au commencement de juillet; le travail de maturation qui s'y produit n'est plus influencé par l'abondance de la nitri- ficalion. Les betteraves semées tardivement, les pommes de terre d'une évolution plus lente que les céréales, bénéficient de la nitrification de Juillet et d'août; mais l'activité qu'elle présente à l'arrière-saison , loin d'être avan- lageuse, est nuisible. De grandes surfaces, occupées naguère par les cé- réales, sont découvertes; l'eau de la pluie n’est plus prise par les racines el rejetée par les feuilles dans l'atmosphère; elle traverse le sol, arrive jusqu'aux drains et conduit aux rivières, aux fleuves, à la mer, d'énormes quantités de mtrates. Les lo kilogrammes d'azote nitrique que renferment les eaux de drai- nage d'automne représentent la quantité contenue dans 260 kilogrammes de nitrate de soude valant, à 292 francs les 100 kilogrammes, 57 francs. Quand, ainsi qu'il est arrivé à l'automne de 1889 et à celui de 189», la quantité d'azote nitrique perdue dépasse 5o kilogrammes, elle repré- LA NITRIFICATION DANS LA TERRE ARABLE,. 381 sente une valeur supérieure à celle du loyer de beaucoup de terres de médiocre importance. Ainsi, mitrification insufhisante au printemps, trop abondante à l'au- tomne. telles sont les deux conclusions auxquelles nous conduisent nos études sur les eaux de drainage. L'exposé des méthodes à employer pour exciter la nitrification au prin- temps, empécher les déperditions qu'elle occasionne à l'automne, c’est là le sujet de ce Mémoire. Pour suppléer à cette insuflisance des nitrates produits par la trans- formation de la matière azotée du sol, les cultivateurs distribuent des en- grais azotés. Tantôt ils répandent, dès le premier printemps, du nitrate de soude, apportant ainsi directement l'élément cherché; tantôt, au con- traire , ils distribuent seulement des matières azotées qui, peu à peu, sous l'influence des micro-organismes, produisent des nitrates. Tel est le cas notamment pour l'engrais le plus répandu, pour celui dont l'usage est le plus fréquent, pour le fumier de ferme. Il NITRIFICATION DU FUMIER DE FERME. L'action qu'exerce, sur la puissance productrice du sol, le fumier de ferme est certainement très complexe : il agit par ses carbonates alcalins sur les phosphates insolubles et les rend assimilables; il agit par les ma- üeres ulmiques sur la croissance de certaines espèces, notamment des légumineuses; il agit enfin par son carbonate d'ammoniaque, par ses matières azotées qui subissent dans le sol la fermentation nitrique. Pour déterminer la quantité d'azote nitrique qu'elle produit, on a dis- tribué à quatre échantillons de terre, au commencement du printemps de 1891, 1 kilogramme de bon fumier de ferme; la surface des pots étant de 1/60,000 d'hectare, la fumure correspondrait à 60,000 kilogrammes pour la surface de 1 hectare: c'est done une fumure très copieuse. Des 382 M. P.-P. DEHÉRAIN. lots de terre semblables restèrent sans engrais, de façon qu'en recueillant et analysant les eaux de drainage de ces diverses terres, on voit par les différences constatées de quelles proportions de nitrates le fumier a pro- voqué la formation. Les nombres obtenus, groupés en saison, sont inscrits dans le tableau ci-Joint. AZOTE NITRIQUE () PROVENANT DE LA TRANSFORMATION DE L’AZOTE DU FUMIER PENDANT LES DIVERSES SAISONS DE L'ANNÉE (ans 189 1-MARS 1892). ll ANNÉE PRINTEMPS. ÉTÉ. AUTOMNE. | HIVER ENTIÈRE. kilogr. ilogr. kilogr. kilogr. kilogr. Grignon 17 ; 78.88 ; 58.84 21.30 198.86 (Seine-et-Oise). 36.42 D. L7.00 16.6q 119.99 h2.16 2h. .6 82.01 Wardrecques ( Fumé 8.18 ol ; s 130.18 (Pas-de-Calais). | Sans engrais. ........... 17.10 DiFFÉRENCES. ...... 31.38 Marmilhat ( Fumé hh.52 Puy-de-Dôme). | Sans engrais 15.84 } & DiFFÉRENCES 28.68 Palbost ( Fumé 36.96 (Puy-de-Dôme). | Sans engrais. ........... 13.08 DiFFÉRENCES 23.88 C'est au printemps que la nitrification du fumier est la plus active; la quantité d'azote mitrifié pendant l'été est déjà bien moindre, et même, à Palbost, on a trouvé plus d'azote nitrique dans l'eau de la terre non fumée que dans celle qui avait reçu le fumier. À l'automne, l'azote du fumier se transforme de nouveau et, sauf pour Grignon, les nombres trouvés, pour les différences des terres fumées et sans engrais, sont supérieurs à ceux constatés en été; en hiver, l'azote du fumier se transforme très mal. 1) En kilogrammes à l'hectare. LA NITRIFICATION DANS LA TERRE ARABLE. 383 Nous indiquerons enfin dans le tableau suivant combien d'azote de fu- mier sur 100 se trouve dans les eaux de drainage aux différentes saisons. QUANTITÉS D’AZOTE NITRIQUE TROUVÉES DANS LES EAUX DE DRAINAGE, AUX DIVERSES ÉPOQUES DE L'ANNÉE. SUR 100 D’AZOTE INTRODUIT SOUS FORME DE FUMIER l!). as ANNÉE PRINTEMPS. ÉTÉ. AUTOMNE. | HIVER. ; ENTIÈRE. kilogr. ilogr. ilogr. kilogr. Grignon. — Parcelle 17 14.15 .66 L 1.53 VVETTREEMES 0-00 0 0.0 0 0 2 ob abie 0.0 ot D'opie 10.16 9, ! 1.24 MARRON 00 0 DEEE ee ea do tone 9:56 : || 2.6 5.6 2.59 AG ocaoocovcovocoodovaos neo 7-96 -Moxenxes 10.53 En moyenne, le cinquième de l'azote du fumier prend la forme d'azote nitrique pendant l’année de son application et est utilisé ou perdu; sur cette quantité totale, un dixième se trouve dans les eaux écoulées au printemps, près de 5 centièmes en automne et seulement 3 p. 100 en été. Cest seulement dans la terre de Grignon que le fumier produit la quantité d'azote nitrique suffisante pour alimenter une récolte passable; 1 est bien à remarquer en outre que la saison, pendant laquelle ont été re- cueillies Les observations précédentes, a été très favorable, et que la pluie a été abondante pendant le printemps et l'été; dans les années de séche- resse, la mtrification du fumier est très ralentie, et on concoit comment les cultivateurs sont conduits à l'emploi de fumures comprenant à la fois une dose modérée de fumier et du nitrate de soude; sans doute l'azote n'est pas assimilé seulement sous forme de nitrates, mais on n’est certain d'ob- tenir une alimentation suffisante que si la quantité d'azote nitrique atteint, à peu prés, l'exigence de la récolte. On voit que pour les sols de Wardrecques, de Marmilhat, l'azote ni- trique formé pendant le printemps et l'été reste compris entre 6o et @) En kilogrammes à l'hectare. 384 M. P.-P. DEHÉRAIN. 70 kilogrammes, quantités insuflisantes pour nourrir d'abondantes ré- coltes: c’est seulement. en effet, quand on a employé du nitrate de soude ou du sulfate d’ammoniaque, qu'on a fait monter dans ces domaines les rendements des betteraves Jusqu'à des chiffres élevés. C'est dans la terre de Palbost que la mitrification a été la moins active; les fumures de fumier de ferme sont manifestement insuffisantes pour ob- tenir des poids considérables de betteraves ou de blé. Si nous supposons, ainsi que nous l'avons fait au commencement de ce Mémoire, que le nitrate de soude fasse un jour défaut, le cultivateur ne trouverait donc pas dans l'emploi du fumier de ferme une ressource suf- fisante pour atteindre les hauts rendements largement rémunérateurs. Il ne pourrait même pas à cette époque employer le sulfate d'ammoniaque, très eflicace sur les terres fortes, car la source la plus abondante de cet engrais se tarit peu à peu. On sait, en effet, que la fabrication du sulfate d'ammoniaque à l'aide des matières excrémentitielles utilise les matières provenant des fosses d'aisances; or celles-ci disparaissent peu à peu dans presque toutes les villes, le système du +tout à l'égout» s'accroit rapide- ment; de plus, les progrès de l'hygiène introduisent dans toutes les habi- tations des quantités d’eau croissantes, et les liquides excrémentitiels arri- vent, dans les fosses qui existent encore, à un état de dilution tel que leur distillation pour l'obtention de l'ammoniaque n’est plus avantageuse, On se trouverait donc réduit comme source de nitrates à l'emploi des débris animaux, sang, viande, laine, cuir, etc., aux tourteaux de graines oléagineuses, ce qui serait manifestement insuffisant, si l'on ne trouvait dans un meilleur travail du sol une source à peu près inépuisable de ni- trates. IT INFLUENCE QU'EXERCE LA TRITURATION DU SOL SUR LA PRODUCTION DES NITRATES. | Time. Un agronome distingué, Corenwinder, que la science a perdu 1l y a quelques années, avait reconnu que la quantité d'acide carbonique pro- LA NITRIFICATION DANS LA TERRE ARABLE. 389 duite par les combustions lentes que subissent les matières organiques du sol augmente nolablement, quand cette terre est remuée, triturée, quand on imite l'ameublissement qui suit le labour et le hersage. Corenwinder avait attribué cette combustion plus énergique à une pénétration plus facile de l'air dans le sol ameubli; et en effet, au moment où il publia son Mémoire (1856), on n'avait encore aucune idée du rôle que jouent dans la destruction des matières organiques les êtres microscopiques qui pul- lulent dans le sol. Critiquant plus tard ce Mémoire, M. Th. Schlæsing n'hésite pas à at- tribuer l'excès d'acide carbonique formé dans les sols triturés à la dissémi- nation des micro-organismes). «On conçoit, dit1l, que, dans les milieux liquides, les êtres microscopiques puissent se déplacer aisément et porter leur action sur tous les points. Mais, dans la terre, ils ne jouissent pas de celte facilité de transport: ils ne trouvent sur la surface d'une terre moyen- nement humide que des couches d'eau infiniment minces, peu propices à leur déplacement; ils agissent donc sur place et, quand ils ont consommé la plus grande partie des aliments à leur portée, leur travail doit se ra- lentir. Si l'on émiette la terre, on les répand en des endroits où ils trouvent de nouvelles ressources, où ils se développent et travaillent avec activité. De là le redoublement de la combustion. » Et plus loin M. Schlæsing, étendant les considérations précédentes à la mitnification, s'énonce ainsi : + Les labours et plus généralement l'état de division du sol exercent une influence considérable sur la production de l'acide mitrique. D'abord très active dans une terre récemment émiettée, la nitrification s y affablit graduellement. Elle reprend de l'intensité chaque fois que la terre est remuée. La nitrification n’est, en effet, qu'un cas par- üculier de la combustion de la matière organique. » Il ne semble pas qu'on ait essayé de vérifier, par une suite d'expériences variées, ces idées qui, à priori, paraissent si Judicieuses, et je n'ai été entrainé moi-même à en reconnaître la justesse que par une série de eir- constances fortuites que je rappellerai brièvement, %) Encyclopédie Fremy, Contribution à l'étude de la chimie agricole, p. 149, 1889. — ®) Ibid, p. 165. /, iQ LMPRIMEFIE NATIONALE, 386 M. P.-P. DEHÉRAIN. Au commencement de l'année 1891, mon éminent confrère de l’Aca- démie des sciences, M. Fizeau, voulut bien m'envoyer de son domaine de la Ferté-sous-Jouarre un échantillon de terre; soumis à l'analyse, on y Lrouva par kilogramme : Azote total, PME EN A MN 15960 Acide phosphorniquettotal "ERP PE EREPERRERr ER RER 1 080 Acide phosphorique soluble dans l'acide acétique.. . ..... 0 021 Chaux ste LR RENNES RAR 7 200 Cette terre fut placée dans les grands pots de prés qui servent habituel- lement à la recherche des mtrates, et l'on recueillit dès le mois de mars les eaux de drainage qu'elles laissérent couler. On obtint par mètre cube les nombres suivants : AZOTE NITRIQUE CONTENU DANS 1 MÈTRE CUBE DES EAUX DE DRAINAGE D’UNE TERRE DE SEINE-ET-MARNE. ENVOYÉE PAR M. FIZEAU. N° 1. N°2. JMarS.x 200 MON CREER OS 584 pr. >39 gr. US ST D CU dos Se upie 664 h66 Ces nombres étaient prodigieux; il résulte des dosages effectués en 1870,1872,1873, par M. le docteur Frankland sur les eaux écoulées des caisses de filtration de Rothamsted que les eaux de drainage renfermaient par mètre cube 21 gr. 95 d'azote nitrique; la moyenne des dosages de M. Warington sur les eaux écoulées des mêmes appareils, dix ans plus lard, est seulement de 10 gr. 6. À Grignon, la moyenne de 1891-1892 a 66, comme on l'a vu plus haut, de 39 grammes par mètre cube. J'étais si peu préparé à comprendre les causes de cette nitrification ex- cessive que Je crus que les terres avaient été envoyées dans un sac conte- nant des nitrates. M. Fizeau, cependant, était sûr que l'envoi avait été lait dans un sac neuf; jimaginai alors que, pendant le transport, les terres de Seine-et-Marne avaient été placées à côté de sacs renfermant des ni- trates; Je fis laver ces terres à grande eau Jusqu'au moment où le liquide ne renferma plus de nitrates, puis les terres furent maintenues en expé- riences; elles donnérent encore. pendant toute l'année 1891, de grandes LA NITRIFICATION DANS LA TERRE ARABLE. 387 quantités de nitrates, mais cependant les nombres n'atteignirent plus ceux qu'on avait constatés au début; le 11 octobre 1891, on obtint encore 196 grammes par mètre cube d'eau écoulée de la terre n° 1, et de cette même terre. 1/4/ grammes le 21 juillet 1892. Pendant l'année 1892, une seconde série de faits dans le même sens vint également frapper mon attention; Je reçus de la Limagne d'Auvergne des échantillons des terres exploitées par la sucrerie de Bourdon; lun venait du domaine de Marmailhat, l’autre de celui de Palbost; on avait analysé ces terres quelques années auparavant; on y avait trouvé : TERRES DE LA LIMAGNE D’AUVERGNE. DOMAINE DOMAINE de Marmilhat. de Palbost. AOC ONE PRE RAR ORNE RE 1#96 par kil. 2#60 par kil. Acide phosphorique total. . ......... 1 45 2 30 Acide phosphorique assimilable. . ..... 0 38 o 38 CELLES HEC AMENER 191 10 60 go Ces terres, mises en expériences, donnérent : AZOTE NITRIQUE PAR MÈTRE CUBE D’EAU DE DRAINAGE. RTE RS OO 88h gr. ho pr. DES CDI DDERO D ee he ee ce beecouce e 250 20) C'est-à-dire encore, au moins pour le premier dosage, des nombres ex- trèmement élevés; enfin, en comparant les chiffres trouvés par l'analyse des eaux de drainage provenant d’autres terres, en 1890, au moment où elles avaient été mises en expériences, puis l'année suivante, on trouva : AZOTE NITRIQUE PAR MÈTRE CUBE D’EAU DE DRAINAGE. 1890. 1891. Terre de Wardrecques (Pas-de-Calais). . . ........ 116pr. 3à gr. Hérrerderblaninehen (Nord) APAREP ARE EE CRETE 108 39 Il devenait évident que si les terres donnaient, aussitôt après avoir été mises en expériences, des nombres beaucoup plus élevés que ceux qu'on L9. 388 M. P.-P. DEHÉRAIN. trouvait plus tard. il en fallait chercher la raison dans la trituration qu'elles avaient subie au moment où elles avaient été prélevées sur le sol, ensa- chées, puis quand, arrivées à Grignon, elles avaient été remuées de nou- veau pour être mises en expériences. [ne restait plus, pour être bien convaineu que la trituration du sol y active prodigieusement la nitrification, qu'à reproduire systématiquement les faits qui s'étaient spontanément offerts à l'observation. | À la fin de l'année 1892, on choisit dans les terres en expériences de- puis quelque temps et qui étaient en double trois vases renfermant : le premier, une terre de Grignon, et les deux autres, des sols de la Limagne d'Auvergne; un échantillon de ces trois terres fut conservé au labora- toire: le reste fut étendu sur le sol bien balayé d'une pièce de la Sta- lion où l'on fait du feu pendant les jours les plus rigoureux de lhiver. Ces terres restèrent exposées à l'air pendant six semaines environ; de lemps à autre, elles étaient remuées, triturées, de façon à renouveler les surfaces. Ces six semaines écoulées, les terres furent remises en place, après qu'on eut prélevé un échantillon. On pouvait faire sur l'influence qu'avaient exercée ces manipulations sur l'énergie de la nitrification plusieurs hypo- thèses : On pouvait croire que la simple exposition à l'air, à la température moyenne qui est maintenue dans le laboratoire, avait pu exercer une in- fluence favorable; le dosage des nitrates, dans le lot resté au laboratoire el non trituré, répondait à cette première question, et en comparant Îles nombres obtenus à ceux que donnent les terres triturées, on pouvait saisir l'influence de la trituration. On pouvait croire en outre que la trituration avait eu simplement pour ellet de disséminer le ferment nitrique, mais que la terre abandonnée à l'air n'était peut-être pas assez humide pour que la nitrification eût été trés active; aussi on prit des échantillons de la terre laissée au laboratoire el de la terre remuée, on les placa dans des entonnoirs et on les satura d'eau, puis on les abandonna pendant quinze jours dans une armoire , dans des conditions de température identiques. LA NITRIFICATION DANS LA TERRE ARABLE. 389 On procéda alors à l'épuisement des différents échantillons et on dosa les nitrates dans l'eau d'épuisement. NITRIFICATIONS DANS DIVERSES TERRES. BIOXYDE D’AZOTE RECUEILLI par le traitement de l’eau de lavage de 100 grammes AZOTE NITRIQUE CONTENU dans 100 grammes AZOTE NITRIQUE CALCULÉ pour 1 hectare de terre, de terre. de 1,000 tonnes (1), cent. cubes. grammes. ki'ogr. non triturée. 0,003 30 Grignon. . Te Terres aban- TILUTEES. 0,039 données à l'air, du 20 décembre au 7 janvier. : non trilurée. Ê ),002 Marmilhat Ne u Ve: triturée.. ... ë 0,046 non triturée. 0,002 | Palbost.. non lriturée. 0,002 Te trilurée.. ... 5 0,04! le 0 décembre, abandonnées ensuile jusqu’au 7 janvier.| Palbost.. Terres saturées | Grignon. . non trilurée. : 0,002 trilurée., . .. s 0,051 non trilurée. C 0,003 | Marmilhat. \ ( \ ( \ | trilurée.. ..…. 90,° 0,057 ( ( { triturée. . . .. 114,9 0,071 L'influence de la trituration est donc énorme; elle provoque la forma- ion, dans des terres de natures profondément différentes, de quantités de nitrates telles qu'elles dépassent de beaucoup les besoins des récoltes les plus exigeantes. Les terres remuées furent remises en place au mois de décembre; elles donnerent des eaux de drainage en janvier et en mars; on obtint à cette époque les nombres suivants : AZOTE NITRIQUE CONTENU DANS LES EAUX DE DRAINAGE CALCULÉ POUR LA SURFACE DE 1 HECTARE l!). 25 JANVIER. 8 MARS. ; triturée. ....... 1 193" 870 Terre de Grignon. . AU , ! non triturée. .... ha o 627 ; DOUDIRC oo CS ha 350 103 090 Terre de Marmilhat. ee 9 non triturée..... 7 2 970 TUrÉE. : 190 210 38 840 Terre de Palbost.. . ee. non triturée. .... 0 379 2 380 () On calcule l'hectare à 1,000 tonnes pérer triturer la terre jusqu'à o m. 35, et non à L,000; car si l'on peut supposer que l’ameublissement d’un sol en place at- profondeur à laquelle se rapportent les h,ooo tonnes admises habituellement pour teindra o m. og à o m.10,on ne peutes- le poids de la terre de 1 hectare. 390 M. P.-P. DEHÉRAIN. On voit que l'action qu'avait exercée la trituration, le travail de ces terres s'est continuée pendant tout l'hiver. Est-ce à dire qu'il suflise de maintenir une terre humide à une tempé- rature convenable et de la remuer énergiquement pour y voir apparaître les quantités prodigieuses de nitrates constatées dans les expériences pré- cédentes? [n'en est malheureusement pas ainsi. Au mois de décembre dernier, on a prélevé des échantillons de terres très diverses: on les a triturés et placés dans des conditions très favo- rables: après deux mois, elles fournissaient 6 milligrammes d'azote nitrifié pour 100 grammes de terre, eest-à-dire près de dix fois moins que dans l'expérience commencée au mois de novembre. On a repris au mois de mars de nouveaux échantillons de terres variées, qui tous ont été triturés et placés dans les conditions les plus favorables à la nitrification. Elle s'est produite dans tous, mais dans quelques-uns seulement avec une exubérance analogue à celle que nous avons signalée plus haut : une terre du domaine de Marmilhat a donné en quinze Jours la valeur de 137 kilogrammes d'azote nitrique à hectare, quand elle a été maintenue à une température ordinaire, et de 175, quand elle a été placée dans une étuve de 30 degrés; en même temps, une terre du domaine de Palbost produisait également à létuve la valeur de 237 kilogrammes à l'hectare. On observait des irrégularités analogues dans d’autres terres laissées dans des conditions identiques au laboratoire de physiologie du Muséum : parfois la nitrification devenait excessive , elle restait faible dans d'autres échantillons. Si donc les conditions d'humidité, de température, de trituration, sont nécessaires pour provoquer des nitrifications très actives, elles ne sont pas suflisantes; une autre condition, qui nous échappe encore, doit être réalisée. Est-elle liée à la vie même des ferments; ont-ils épuisé à certaines époques leur activité, et leur faut-il traverser une période d'incubation pour qu'ils puissent énergiquement travailler de nouveau? Nous lignorons encore, Si nous ne savons pas à volonté produire les quantités de nitrates CXCESSIVES qui ont apparu dans nos trois expériences d'automne et dans LA NITRIFICATION DANS LA TERRE ARABLE. 391 plusieurs de nos expériences de printemps, dans toutes cependant la ni- trification a été considérablement accrue par la trituration. Or, et il importe d'y insister, une nitrification semblable à celle qu'ont montrée les terres de M. Fizeau, celles de Bourdon ou celles de Grignon, serait désastreuse; aucune récolte ne serait capable d'utiliser une masse de nitrates semblable à celle que la trituration complète a déterminée dans ces terres; ce qu'il nous faut, c'est 100 ou 150 kilogrammes d'azote ni- trique au printemps; sils se produisent, l'alimentation azotée des plantes est assurée; or ces quantités apparaissent dans fous les sols régulièrement triturés, et c'est certainement grâce à des triturations eflicaces qu'on a pu à diverses reprises préconiser la culture sans engrais. Au siècle dernier, Jethro Tull, en Angleterre, vanta ce mode d’exploita- üon; 1l y a quarante ans, le révérend Smith annonça également en An- gleterre qu'un travail très soigné du sol, partiellement laissé en jachère, évite toute dépense d'engrais. Ces systèmes n'ont pas été adoptés; nos cultivateurs n'hésitent pas à faire de lourdes dépenses de nitrates, et, quand on reconnait qu'en effet ils n'obtiennent de pleines récoltes qu'en répandant ces nitrates, on est conduit à cette conclusion que nos instruments ne travaillent pas la terre d’une façon suffisante pour y provoquer une nitrification abondante. La charrue, excellente pour ouvrir le sol et favoriser l’arrivée de l'eau, ne mélange que très incompletement les diverses parties du sol les unes avec les autres; les molécules de terre qui composent la tranche sou- levée et retournée se déplacent parallèlement les unes aux autres et ne sont pas mélangées; 11 ny a pas de trituration et il ne faut pas qu'il y en ait, si la terre doit rester découverte pendant tout hiver, ear la tri- turation déterminerait une nitrification active absolument préjudiciable: les nitrates formés seraient dissous, entrainés, perdus. Aussitôt qu'approche l’époque des semailles, il faut au contraire que celte trituration soit aussi complète que possible; c’est le moment de faire entrer en jeu les rouleaux, les herses, les scarificateurs, et, quand les plantes sont levées, il faut encore, par des binages répétés, émietter le sol, le pulvériser, le triturer avec d'autant plus de soins qu'on cultive une 392 M. P.-P. DEHÉRAIN. plante plus exigeante; on a remarqué que le poids des betteraves obtenus est en raison du nombre de binages exécuté. Je suis persuadé qu'un travail du sol, plus énergique, plus habile que celui qu'on exécute Jusqu'à présent, permettra, dans un avenir très pro- chain, de restreindre et même de supprimer les dépenses qu'occasionne actuellement l'acquisition du nitrate de soude. IV NITRIFICATION D'AUTOMNE. LES CULTURES DÉROBÉES D'AUTOMNE EMPÊÈCHENT LA DÉPERDITION DES NITRATES. Ine suflit pas, pour que le sol soit cultivé fructueusement, de restreindre au printemps les dépenses d'engrais; 1l convient en outre de diminuer les pertes d'azote que nos terres subissent habituellement. Nous avons insisté, dans les paragraphes précédents, sur la quantité considérable de nitrates qui apparait dans les eaux de drainage d'automne, écoulées des sols dépouillés de végétaux, comme le sont la plupart des terres à l'arrière-saison. Nous avons vu que les eaux de drainage qui traversent le sol à ce mo- ment lui enlèvent par hectare de 0 à 50 kilogrammes d'azote nitrique, c'est-à-dire la quantité qui existe dans 260 où 330 kilogrammes de nitrate de soude, valant de 55 à 70 francs. Or un grand nombre de terres de moyenne fertilité sont mises à bail pour des sommes analogues. Sans qu'il s'en doute, d'une façon occulte, le cultivateur subit chaque année des pertes qui doublent le loyer de sa terre. Comment restreindre cette déperdition d'azote nitrique où même la supprimer? C'est la le point à examiner. On réussit à restreindre où même à supprimer les pertes de nitrates entrainés par les eaux de drainage, à laide des cultures dérobées d’au- tomne. Aussitôt après la moisson, la plupart des cultivateurs donnent avee un scarificateur un léger labour de déchaumage; on ouvre le sol pour quil puisse emmagasiner les eaux; du même coup on déracine les mauvaises LA NITRIFICATION DANS LA TERRE ARABLE. 393 herbes; cette pratique est courante, mais très souvent on laisse découverte la terre ainsi préparée, et cest là ce qui est préjudiciable; en effet, la nitrification, favorisée par le labour de déchaumage, devient très active aussitôt que les premuères pluies ont humecté le sol échauffé pendant l'été; _ si les eaux traversent le sol hbrement, elles lui enlèvent les nitrates for- més; pour arrêter la déperdition, 1l suffit de semer sur ce labour de dé- chaumage une plante à végétation rapide : la moutarde ou la vesce, qui lèvent dès la premiére averse, couvrent le sol, s'emparent par leurs ra- eines de l'eau des pluies, l'évaporent par leurs feuilles et restreignent ou suppriment les écoulements par les drains. En 1891, tandis que les terres nues laissaient couler pendant lau- tomne 38 kilogr. 1 d'azote nitrique par hectare, les terres ensemencées de moutarde et de trèfle n'en perdaient que o kilogr. 808; les terres ense- mencées de vesce n'ont subi aucune perte; toute l'eau tombée a été éva- porée, les drains n'ont pas coulé. En 1892, la terre restée nue après la moisson a laissé couler 39 nul- lim. 7 d'eau de drainage, lhectare a perdu 54 kilogr. 6 d'azote nitrique, tandis qu'une terre semblable, couverte de vesce, na laissé couler que 16 millim. 8 d'eau, qui ont entrainé 17 kilogrammes d'azote nitrique par hectare; une autre terre également couverte de vesce a laissé couler 1 8 mil- lim. 8 d'eau de drainage, elle a perdu seulement 17 kilogr. 9 d'azote nitrique; ainsi, même quand les pluies sont abondantes, par cette pratique des cultures dérobées, les pertes sont beaucoup réduites. On conçoit done qu'elles soient très en honneur dans différentes con- trées : les agronomes romains les préconisaient, et leur emploi est constant dans le centre de la France; en Auvergne, par exemple, la culture dérobée de la vesce après le blé est très fréquente; en Alsace et dans PEst, on sème plus habituellement des raves; quand leur semis n’est pas trop clair, il est vraisemblable qu'elles retiennent l'eau comme la vesce; que, par suite, elles restreignent les pertes de nitrates. Ces raves sont habituellement desti- nées au bétail, tandis que la vesce est plutôt employée comme engrais vert. Il semble, au premier abord, que pour retenir des nitrates, les légu- mineuses ne conviennent guére; on sait, en effet, que cette famille est 20 IMPRIMERIE NATIONALF. 304 M. P.-P. DEHÉRAIN. indifférente aux engrais azotés; 1l importe cependant de rappeler que si les légumineuses vivent très bien en l'absence d'azote combiné. quand elles portent sur leurs racines les nodosités peuplées de bactéries fixa- lrices d'azote, les papilionacées cependant absorbent l'azote mitrique; s'il en était autrement, si les légumineuses ne servaient qu'à évaporer l’eau de la pluie et laissaient accumulés dans le sol les nitrates formés pendant la bonne saison, on trouverait que les eaux d'hiver des terres qui ont porté de la vesce seraient beaucoup plus chargées que celles des terres nues; 1l n'en est rien; les dosages effectués sur les eaux écoulées pen- dant l'hiver 1891-1892 ont accusé des chiffres très voisins, que les eaux vinssent des terres ayant porté de la vesce ou des terres nues : 1 hectare a perdu en moyenne 10 kilogrammes d'azote nitrique, qu'il eût été cou- vert de vesce à l'automne ou qu'au contraire 1l fût resté sans culture, et il en a été de même pour l'hiver 1892-1893. La vesce, d'autre part, a l'avantage d'enrichir le sol qui l'a portée par ses racines couvertes de nodosités, par son feuillage quand elle est enfouie à l'automne. À l'automne de 18q°2, on a prélevé des échantillons de vesce sur six cultures, on y a trouvé en moyenne 2.6 d'azote pour 100 de matière seche; la récolte verte a varié entre des limites très étendues : elle a été. à l'hectare, de 22,500 au maximum et de 11,500 kilopgrammes au mi- nimum; en moyenne, on à trouvé 17,000 kilogrammes, représentant 3,400 kilogrammes de matière sèche, renfermant par conséquent 88 kilogr. { d'azote, ou ce qui existe dans 17,600 kilogrammes de fumier de ferme; c’est done une demi-fumure. Si nous comptons qu'habituellement le fumier mis en place revient à 10 francs la tonne, nous trouvons que la fumure de la vesce obtenue en culture dérobée représente 176 francs. I peut cependant rester quelque doute dans l'esprit au sujet de cette valeur; en effet, il ne suffit pas que l'azote nitrique n'ait pas été perdu, qu'il ait été emmagasiné par la plante verte, il faut encore que cet azote puisse être ulilisé; 11 convenait done de voir comment se produisait la nitrification dans les sols qui avaient reçu la fumure verte. LA NITRIFICATION DANS LA TERRE ARABLE. 395 V NITRIFICATION DES ENGRAIS VERTS. MM. Muntz et Girard ont étudié récemment la mitrification de divers engrais 0; 1ls ont reconnu que l'addition des engrais verts à une terre lé- oère y déterminait l'apparition de doses notables de nitrates; ils ont re- connu, en outre, que du lupin enfoui dans une terre acide de Bretagne, où les engrais animaux ne produisaient aucune réaction, s'y nitrifiait aisé- ment, sans doute à cause de la formation, pendant la décomposition de la plante verte, d'une quantité d'ammoniaque suflisante pour saturer l'aci- dité du sol et lui donner la légère réaction alealine qui en fait un milieu favorable à l'activité du ferment nitrique. Pendant l'année 1892, j'ai conservé sans culture un grand nombre de terres ayant porté à l'automne de 1891 des engrais verts qui ont été enfouis, et pour savoir comment ces engrais verts auraient pu soutenir la végétation des plantes développées sur les sols enrichis de cette fumure, on a dosé les nitrates contenus dans les eaux de drainage écoulées de ces diverses terres. On à obtenu les quantités suivantes, rapportées à la surface de 1 hectare; les dosages ont commencé en novembre 1891 et se sont continués Jusqu'en novembre 1892; les nombres sont comparables; ils se rapportent à des terres de Grignon, en bon état ou épuisées, mais également fumées en 1891. AZOTE NITRIQUE CONTENU DANS LES EAUX DE DRAINAGE DE 1 HECTARE (DÉCEMBRE 1901-NOVEMBRE ! 89° ) NUMÉROS PRINTEMPS ,| 4nNÉE des HIVER. ÉTÉ , EXPÉRIENCES. automne. ENHEENES kilogr. kilogr. kilogr. 21-23-25-27-20 | Sans cullure dérobée 15.66 72.09 87.71 19-14-16-18-20 | Racines de vesces (enfouies en novembre 1891).| 12.66 93.13 103.79 22-2h4-26-28-30 | Tiges de vesces (enfouies en novembre 1891)..| 17.97 102.48 190.45 11-13-19-17-19 | Racines et tiges de vesces (enfouies le 5 fé- vrier 1892) 12.0/ 109.56 191.04 Trèfle et moutarde (enfouis le 27 mars)... ... 6.56 124.31 131.10 9 Annales agronomiques, t. XNIT, p. 289. 306 M. P.-P. DEHÉRAIN. Le tableau indique que les engrais verts n'ont pas été employés par- tout de la même façon : on a voulu savoir d'abord si une terre qui avait porté de la vesce bénéficiait de cette culture, quand bien même les tiges étaient enlevées, et on n'a laissé sur les terres 12-20 que les racines de la vesce; on voit que si, pendant l'hiver, la décomposition de ces racines n'a pas déterminé la formation de nitrates, l'influence de la culture a été trés sensible pendant la bonne saison, puisqu'on a trouvé à cette époque 1 kilogr. 08 d'azote nitrique en plus sur les terres 12-20 que sur 2 1-20 maintenues sans culture dérobée. Ainsi, quand bien même la vesce semée sur un sol ne serait pas enfouie sur ce sol même, si elle est, par exemple, employée à l'alimentation du bétail, la récolte suivante bénéficiera encore de la culture intercalaire de cette plante améliorante. Visiblement le bé- néfice sera moindre que si les tiges seules étaient enfouies : en effet, les terres 22-30 ont pendant Fhiver, mais surtout pendant le printemps, donné plus d'azote nitrique que 19-20 et surtout que 21-29. On avait lussé la vesce sur pied pendant tout Phiver sur les terres 1 1-19 ; la récolte n'a été enfouie qu'au mois de février; pendant la bonne saison, les terres 11-10 donnent 33 kilogr. 83 d'azote nitrique de plus que la terre sans cul- ture dérobée; par conséquent, cette fumure verte a produit le même effet que 220 kilogrammes de nitrate de soude, valant à peu près 50 francs. C'est cependant, de toutes les cultures dérobées, celles de trèfle et de moutarde qui ont produit davantage : elles ont donné pendant la bonne saison 12/4 kilogr. 3 4 d'azote nitrique; le drainage d'hiver a été très faible : l'azote entrainé pendant cette période a été seulement de 6 kilogr. 76; si on lajoute à celui qui a été dosé pendant le reste de l'année, on recon- nail que ces terres ont produit une quantité d'azote mitrique qui surpasse de beaucoup celle qu'ont donnée les sols privés de culture dérobée. En résumé, nous voyons que si la nitrification intempestive d'automne occasionne habituellement des pertes considérables d'azote nitrique, le cullivateur est armé pour restreindre où même supprimer ces pertes; à l'aide des cultures dérobées d'automne, il emmagasine les nitrates, les lransforme en matières organiques qui, ne se décomposant qu'à la bonne : à À saison suivante, laisseront réapparaitre ces nitrates au moment où les LA NITRIFICATION DANS LA TERRE ARABLE. 397 plantes, en voie de développement, pourront les utiliser, En empêchant les déperditions de nitrates à l'automne, en fournissant une demi-fumure organique , des cultures dérobées d'automne permettent de réaliser une économie notable. I y a déjà plusieurs années que J'ai conseillé l'emploi des cultures déro- bées d'automne et J'ai eu la satisfaction de voir que les praticiens qui ont semé à l'automne de la vesce ou de la moutarde ont constaté des effets remarquables; dans les domaines de Bourdon, en Limagne, dans l'Isère. chez M. Michel Perret, en Seine-et-Oise, chez différents cultivateurs voi- sins de Grignon, ce mode de culture est définitivement adopté. RÉSUMÉ ET CONCLUSION. Bien que nos connaissances sur les conditions qui favorisent la nitrifi- cation dans la terre arable se soient beaucoup étendues depuis quelques années, bien que nous sachions qu'une terre ne nitrifie abondamment que lorsqu'elle renferme une matière azotée de décomposition facile, du calcaire pour saturer les nitrates, que lorsque la cireulation de l'air et de l’eau y est assurée, et qu'elle est exposée à une température convenable, les recherches exposées dans ce Mémoire ajoutent à ces connaissances un point important : la trituration du sol y provoque souvent la formation d'une énorme quantité de nitrates. Cette trituration cependant ne provoque pas toujours une nitrification excessive; 1l est encore une condition du phénomène qui nous échappe; en effet, nous avons observé que si des échantillons prélevés sur le sol à certaines époques, triturés avec soin, élaborent des quantités de nitrates très considérables, nous avons constaté, d'autre part, que des terres de même nature mises en observation à d’autres époques, triturées avec SOIN. maintenues humides et à une température convenable, n'ont plus donné que de faibles quantités d'azote nitrique. Ce sujet, qui a tant exercé la sagacité des chimistes et des agronomes, n'est done pas encore épuisé; il exige, pour être complétement éclairer, des recherches nouvelles. 398 M. P.-P. DEHÉRAIN. Quoi qu'il en soil. deux points sont hors de doute : la mitrification est en général trop faible au printemps, trop abondante à l'automne. Bien que nous ne sachions pas encore, à coup sûr, provoquer la for- malion des nitrates au printemps, 1l'est certain que presque toujours la iituration du sol exerce une action assez puissante, pour qu'en l'exécu- Lant mieux qu'on ne le fait d'ordinaire, on réussisse à restreindre, sinon à supprimer les dépenses de nitrate de soude. Nous savons, en outre, éviter les déperditions d'azote que provoque la formation intempeslive des nitrates à Fautomne; nous semons aussitôt après la moisson une plante à végétation hâtive, comme la moutarde ou la vesce; par ses racines celle culture dérobée s'empare de l'eau des pluies et des nitrates qu'elle renferme; elle évapore la plus grande partie de l'eau tombée, restreint ou empêche l'écoulement par les drains, emmagasine les nitrates formés pendant l’arrière-saison, et leur azote, engagé dans une combinaison organique, ne reprend sa forme assimilable que lorsque la plante, enfouie à l'automne, se décompose au printemps suivant. Les eul- Lures dérobées d'automne retiennent done dans le sol un des plus puissants éléments de ferülité qui, sans elles, serait 1rrévocablement perdu. NOTICE HISTORIQUE SUR LA COLLECTION DE MÉTÉORITES DU MUSÉUM D'HISTOIRE NATURELLE, PAR M. STANISLAS MEUNIER, PROFESSEUR DE GÉOLOGIE. dei NOTICE HISTORIQUE SUR LA COLLECTION DE MÉTÉORITES DU MUSEUM D'HISTOIRE NATURELLE. Parmi les différents chapitres entre lesquels se répartissent les collec- tions géologiques du Muséum d'histoire naturelle, les séries de roches tombées du ciel constituent un ensemble d’une valeur et d’une portée excep- tionnelles. À l'heure actuelle, la réunion des météorites que nous possédons est l'une des deux ou trois plus riches du monde entier, non seulement par le nombre total des localités représentées, mais par le volume et la beauté de maints échantillons, par la présence aussi de divers spécimens que le Muséum est seul à posséder. Elle est même incomparable par les annexes ajoutées à la série des échantillons naturels et avant tout par les produits de synthèse expérimentale destinés à éclairer l'origine des mé- téorites. Seuls aussi nous avons mis en évidence, à côté d’une série de minéraux méléoritiques, des types où se mamifestent les résultats de véri- tables phénomènes géologiques et dont le rapprochement avec des spé- cmens terrestres conduit à reconnaître toute une branche nouvelle de la Science, empruntant ses moyens d'information à la géologie et à l'astro- nomie physique, et qui mérite le nom de Géologie comparée. C'est au Muséum que cette science est née, et il n’est pas hors de propos de constater ici qu'après avoir tenté d'abord de lui refuser droit de cité parmi les connaissances humaines, quelques personnes, spécialement en Allemagne, ont voulu en retrouver les fondements dans des travaux déjà anciens publiés par plusieurs minéralogistes et spécialement par Haidinger. 51 IMPRIMERIE NATIONALE 102 M. STANISLAS MEUNIER. Qu'il soit permis de repousser énergiquement cette prétention, dont il sufhra de dire qu'elle n'était aucunement celle de lillustre minéralopiste autrichien. C'est ce que témoigne la volumineuse correspondance que j'eus l'honneur d'entretenir avec lui Jusqu'au moment du siège de Paris, c'est- à-dire jusqu'a une époque qui a de très peu précédé sa mort. [l'est juste cependant de rappeler ie1 que Reichenbach a eu une sorte de pressentiment de l'ensemble des faits qui conduisent maintenant à re- connaitre les anciennes relations stratigraphiques d'un très grand nombre de types météoritiques différents. C'est ainsi que dans un travail inséré en 1860 dans le tome CXT des Annales de Poroendorf sous le titre Meteoriten in Metcoriten, 11 va Jusqu'à dire que, dans certaines météorites dont il compare la structure à celle de nos conglomérats voleaniques, 1l y a des fragments de roches relativement anciennes empâtés dans des roches plus récentes. Mais 1l y a loin de ces faits et de quelques autres, comme la présence en certaines pierres de veinules de pyrrhotine, à la série des rapprochements dont la partie la plus essentielle sera résumée plus loin et qui constituent dès maintenant une véritable Géolope des méléorites. On verra que les résultats dont 1l s’agit conduisent, au propre, à retrouver dans la série des météorites tous les éléments essentiels d’un astre construit sur le même plan que la terre et permettant une re- constitution planétaire qui n'est pas sans quelque analogie, malgré la distance, avec les restaurations paléontologiques dont Guvier a donné les modeles et qu'on réalise par le rapprochement de débris squelettiques épars. À ces litres divers, il nous à paru qu'un historique de la collection des météorites du Muséum, depuis ses origines bien modestes jusqu'à son état actuel de véritable splendeur et d’incomparable valeur scientifique et vé- nale, fixerait l'attention du lecteur. Le mode d'exposition des accroissements successifs est tout naturelle- ment chronologique. Les coupures nous ont été procurées par les dates mêmes de publication des diverses éditions du catalogue imprimé de la collection. NOTICE SUR LA COLLECTION DE MÉTÉORITES. 103 ÉTAT DE LA COLLECTION JUSQU’À LA FIN DE 1863. Jusqu'au mois de décembre 1 861 le catalogue manuscrit des météorites contenues dans les collections de géologie ne comprenait que 64 numéros; mais si ces échantillons sont peu nombreux, ils présentent en général, outre leur valeur propre, un intérêt historique considérable. Quelques-uns sont dus aux personnalités scientifiques les plus illustres : Georges Cuvier a donné un spécimen de la météorite tombée à Vouillé (Vienne) le 13 mai 1831. À Fourcroy la collection doit un magnifique bloc de plus de 9 kilogrammes de la pierre d'Ensisheim (Alsace), qui, étant tombée le 7 novembre 1 492 , est, sans comparaison, la plus ancienne pierre extraterrestre dont on ait conservé un échantillon à côté d’un certificat authentique d'origine. Vauquelin a donné un fragment de laérolithe de la Baffe (Vosges) [13 septembre 1892» |]. Le nom de Humboldt figure comme celui de donateur sur l'étiquette du fer découvert en 1823, à Raspata, près de Bogota, par ce célèbre voya- geur, accompagné de Rivero. Le chimiste Howard, dont les recherches ont contribué si efficacement à l'admission dans la Science des phénomènes mé- téoritiques, a procuré au Muséum les pierres de Wold Cottage (1795) et de Bénares (1798) quil a analysées. On peut noter que la chute de cette der- mère avait fait la conviction dans l'esprit des savants anglais avant que toutes les résistances fussent encore vaincues en France, et c’est l’occasion de mentionner d’une façon toute spéciale la belle série de météorites rap- portées par Biot de son célèbre voyage d'enquête aux environs de Laigle, dans le département de l'Orne, en 1803. Cette série se compose de dix-sept pierres, dont l’une fut trouvée par Biot lui-même, +le 11 messidor an x1, dans un champ voisin du village de Mesle ». Notre catalogue donne sur plusieurs des spécimens des détails très caractéristiques. Ainsi l'un est un échantillon remis par le citoyen Fiche, témoin oculaire». «Cet homme, travaillant avec plusieurs autres à tirer D1. 107 M. STANISLAS MEUNIER. du fil de fer hors de la maison, un morceau semblable passa le long de son bras et rasa son habit; 1l voulut ramasser ce morceau pour voir ce que c'élait; mais il fut obligé de le laisser tomber bien vite parce qu'il était brûlant. L'échantillon actuel n'est pas celui-là, mais on l'a vu tomber à dix pas du premier, » Un second échantillon, + tombé au village des Guillemins dans un clos qui entoure une maison de paysan, fut donné sur les lieux par les habi- tants de cette maison, témoins oculaires». «Il en est tombé peu dans ce village, ajoute le catalogue. Tous les morceaux étaient petits. » D'une troisième météorite nous lisons : + Tombée à Fontenil dans la cour même du château: le morceau d'où cet échantillon (qui est de 226 grammes) a été üré pesait plus de 3 hivres. Il fut aperçu dans sa chute par un Jeune homme qui travaillait sous un hangar. Il s'enfonça de 15 pouces en terre et fut arrêté par une couche de silex. Le bruit fut si grand que tous les ouvriers qui travaillaient dans une sapaie voisine accoururent précipitam- ment; les bestiaux arrivèrent effrayés sur le coup. » Nous pourrions multiplier ces mentions dont l'intérêt ajoute beaucoup à la valeur même des échantillons qu'elles concernent. IL'est juste de citer 1c1, comme avant considérablement contribué à for- mer le premier noyau de notre collection, l’ancien conservateur du Musée de Vienne, Partsch, à qui l'on doit une bonne étude sur les caracteres géné- raux des météorites. Les chutes dont 1l donna des échantillons au Muséum sont celles de Lissa (1808), Tipperary (1810), Erxleben (1812), Lixna (1820), Richmond (1828), Macao (1836) et Cold Bokkeweld (1838), ainsi que des masses de fer tombées à des dates inconnues et découvertes en 1776 à Krasnojarsk (c’est le fer de Pallas), à Zacatecas en 1792 et à Lénarto en 1895. Sans vouloir épuiser le sujet, 1l importe de nommer ici parmi les per- sonnages célebres qui ont contribué à fonder par leurs dons nos collections de météorites : Chaptal, qui a donné une des pierres charbonneuses tombées à Apt en 1803; de Montesquiou, alors Ministre de l'instruction publique, qui à offert la météorite d'Agen (1814); le comte de Montalivet, celle de Charsonville (1 81 0); le comte de Lasteyrie, celle de Sigena (1 773), quil NOTICE SUR LA COLLECTION DE MÉTÉORITES. 405 avait rapportée d'Espagne, ete. En 1815, l'empereur d'Autriche attribua au Muséum un fragment de la singulière météorite tombée à Stannern, en Moravie, le 22 mai 1808. En 1861, le gouverneur général des Indes anglaises, lord Canning, donna une de ces pierres qui, tombées à Dhurm- salla le 1 4 juillet 1860, permirent aux témoins de leur chute de constater le froid intense (le froid des espaces célestes) dont leurs parties internes étaient imprégnées. Je parlais tout à l'heure de météorites dont la chute présente un intérêt historique et qui sont représentées dans la première partie du catalogue: il convient d'en mentionner encore trois qui, à des points de vue diffé- rents, méritent d'arrêter un moment l'attention. La prenuere est la météorite tombée à Chassigny (Haute-Marne), le 3 octobre 1815, et dont les caractères physiques comme la composition contrastent si nettement avec ceux des aérolithes ordinaires. Le Muséum en possède un fragment de près de oo grammes et qui surpasse de beau- coup ceux que contiennent les autres collections. Cette roche singulière coïncide par sa composition minéralogique avec la dunite découverte en masses considérables à la Nouvelle-Zélande par M. de Hochtetter et dont tant de basaltes de la France centrale et d’ailleurs ont empâté des morceaux ; elle reproduit aussi, par l'ensemble de ses caractères, les débris lithoïdes incrustés de fer dans les météorites du désert d'Atacama sur lesquelles nous reviendrons un peu plus loin. À cet égard, la pierre de Chassigny, en procurant le premier terme commun entre la lithologie terrestre et la hthologie cosmique, a joué un rôle important dans l'histoire de la Science. On pourrait en dire autant du second spécimen qu'il faut citer 1ei et qui se recommande encore par son poids, assez rare pour les pierres, de 42 ki- logrammes. Ce n'est d'ailleurs qu'une des parties de la météorite de 92 kilo- grammes qui tomba, le 15 juin 1821, à Juvinas, dans le département de l'Ardèche, ainsi qu'en témoigne un procès-verbal conservé dans nos ar- chives et dont la composition minéralogique est exactement celle de diverses laves volcaniques terrestres. Enfin cette série comprend encore l'un des blocs les plus volumineux de la collection : le fer de Caille, du poids de 625 kilogrammes, que Brard 106 M. STANISLAS MEUNIER. signala en 1828 et qui fut immédiatement acheté par le Gouvernement, le vicomte de Martignae étant Ministre de l'intérieur. Ce que cette masse, dont la forme fragmentaire est évidente, présente de plus remarquable, c’est une surface plane qui rappelle un clivage et qui mesure environ o m. bo dans chaque sens. Elle résulte de la juxta- position d’un très grand nombre de triangles équilatéraux, tous alignés parallèlement entre eux de façon à dessiner un réseau régulier qui décèle la structure octaédrique de la masse. L'orientation uniforme de tous ces triangles prouve que non seulement la partie qui offre cette disposition est cristallisée, mais qu'elle représente un fragment d'un cristal unique de dimension gigantesque. Quant à l'origine de cette face d’arrachement, on s'est parfois mépris étrangement à son égard. Îl ny a cependant aucun doute qu'elle provienne d’une fracture produite artificiellement. De tous les côtés, en effet, le fer de Caille porte la trace d'outils, marteaux et ciseaux, et on reconnait en plusieurs points que des lopins en ont été arrachés. Le fait n'a d'ailleurs rien de surprenant quand on sait que la météorite est restée au moins deux cents ans sur la place de Gaille, où, d'après Brard, elle était connue sous le nom populaire de Prerre de fer. Le forgeron devait être bien tenté d'utiliser cette masse sans propriétaire et on peut croire qu'elle eût disparu si son extraction eût été plus facile et si sa malléabilité et sa forgeabilité eussent été plus grandes. Jusqu'en 1861, la collection minéralogique du Muséum conservait de son côté une suite de météorites, peu nombreuses 1l est vrai, mais intéres- santes : M. Daubrée, qui venait d'être nommé titulaire de la chaire de géo- logie, en obtint le transfert dans son service. On v remarque plusieurs spécimens précieux. Sauf la pierre tombée à Salles (Rhône), en 1798, et dont l'antiquité lat en partie l'intérêt, ils consistent presque tous en fers météoriques. Ce sont ceux de Brahin, d'Elbogen, d'Otumpa, de Lenarto, de Lexington, de Madoe, de Putnam, qui figuraient à l'espèce fer nat de la collection de minéralogie. L'un d'eux, dont l'entrée au Muséum remonte à l'année 1895, a été façonné en hachette par des Esquimaux. Îl est permis de supposer NOTICE SUR LA COLLECTION DE MÉTÉORITES. 107 maintenant, c'est-à-dire après les découvertes de M. Nordenskjold, qu'il s'agit d'un des premiers fragments connus de fer natif d'origine terrestre de la famille des masses d'Ovifak et du détroit de Waipatt. M. Daubrée déploya une très grande activité pour provoquer le déve- loppement de la collection de météorites qu'il résolut dès l'abord de rendre comparable à celles de Vienne et de Londres. Rapidement il obtint de nom- breux dons et fit plusieurs acquisitions très importantes. Des circulaires furent adressées aux possesseurs de météorites et le 15 décembre 1863 un catalogue imprimé comprenait une liste de 86 localités représentées par plus de 130 échantillons. IT ACCROISSEMENTS JUSQU'AU 15 DÉCEMBRE 1864. Juste une année après la publication de cette première liste, c’est-à-dire le 15 décembre 1864, il en parut une seconde constatant les énormes accroissements de la collection. Cette fois les localités représentées sont au nombre de 160, concernant 103 pierres et 57 fers. C'est à cette série qu'appartient un magnifique bloc de près de 14 kilo- grammes provenant de la chute de Vouillé (Vienne), le 13 mai 1851. Il a été généreusement déposé au Muséum en 186/ par la municipalité de Poitiers, qui n'a pas craint, dans l'intérêt de la Science, d'en dé- pouiller le Musée de la ville. C'est actuellement un des joyaux de notre collection. La ville de Rodez a été aussi libérale que Poitiers et a donné à peu près au même moment un très beau spécimen de plus de 1 kilogramme de la météorite tombée le 4 juin 1849 à Aumiéres. Le Musée du Mans s'est dessaisi de même du fragment de 180 grammes de la météorite de Laigle et d'un magnifique spécimen de 1 kilogr. 300 de la pierre tombée le 5 août 1819 à Chantonnay-en-V endée. 108 M. STANISLAS MEUNIER. Le Musée de Vienne (Autriche), qui, dès l'origine de la collection , avait, comme on l'a vu, contribué à son accroissement, a procuré au Muséum par l'intermédiaire de son directeur d'alors, le docteur Hæœrnes. une nombreuse série de spécimens intéressants. On y remarque des pierres françaises ex- trémement rares, comme celle de Lucé (1764), célèbre à cause du rapport que Lavoisier consacra à sa chute dont il contesta à tort la réalité, et celle de Luponnas (1 753); les météorites étrangères y sont plus nombreuses, comme Tabor (Bohème), 3 juillet 1753; Siène (Toscane), 16 juin 1794, à l'égard de laquelle Soldani publia une étude si remarquable pour l'époque ; High Possil (Écosse), 5 avril 180/; Doroninsk (Russie), 25 mars 1805; Seres (Macédoine), 18 juin 1818; Zébrak (Bohème), 1 4 octobre 1824. Cette belle collection renferme enfin un fragment du fer tombé à Braunau en Bohème, le 1 / juillet 1847, et qui, pesant 279 grammes, est encore, à l'heure actuelle, le plus gros que nous possédions de cette localité. Un pendant à cette série est constitué par l'ensemble des dons très pré- cieux qui nous furent faits par Wæhler. C'est à lui que nous devons de pouvoir porter au catalogue le fer tombé du ciel en 1751, à Agram (Croa- ue). Parmi ses autres dons, 1l convient de mentionner les noms des pierres de Hérédia (Costa-Rica), 1% avril 1857, d'un aspect bréchiforme très remarquable; de Hainholz (Westphalie), trouvée en 1856 et tombée à une date inconnue; de Milena (Croatie), 26 avril 1842; de Nanjemoy (Maryland), 10 février 1895 ; de Mayence (prand-duché de Hesse), trouvée en 18959; d'Exleben (Prusse), 15 avril 182. Lüllustre Gustave Rose compte parmi les donateurs auxquels la collec- tion de météorites du Muséum doit ses plus précieuses acquisitions. Le fer du Cap de Bonne-Espérance nous a d'abord été procuré par lui, ainsi que le si remarquable fer de Schwetz dont l'examen nous a fourni l'un de nos types lithologiques. Mentionnons aussi la singulière météorite tombée le » octobre 1827 à Bialvstock, près de Knasta, en Pologne, et que Rose a comprise parmi ses howardites à la suite d’une attentive étude. Au nom de l'Université de Dorpat, le docteur Grewinck a envoyé au Muséum plusieurs météorites très intéressantes : les plus particulièrement remarquables sont celles de Timoschin, près de Smolensk, 13 mars 1807; NOTICE SUR LA COLLECTION DE MÉTÉORITES. 109 de Bachmut (Jekaterimoslaw), 15 février 1814; de Buschoff (Courlande), > juin 1863, et de Pillistfer (Livonie), 8 août 1883. | À cette série doit être ajoutée la masse d'Igast (Livonie), qu'on s'ac- corde en général aujourd'hui pour regarder comme une pseudo-météorite, mais dont Grewinck a raconté cependant la chute avee des détails si cir- constanciés que pendant très longtemps on a cru devoir l'admettre dans les catalogues. Sa composition minéralogique est exactement celle des ponces quartzifères de beaucoup de localités volcaniques. La Société des naturalistes de Moscou, par l'intermédiaire d'Auerbach, a donné au Muséum les deux météorites de Witim et de Netschaewo. La première, provenant d’une localité de la Sibérie orientale située près de Werchne Udinsk, est un fer découvert en 1854. La seconde, plus connue sous le nom de Toula et découverte en 1846, est une roche de transition entre les masses entièrement métalliques et les masses entièrement pierreuses. Sa structure est tout à fait singulière à cause de la forme très anguleuse, quoique non cristalline, des éléments mélangés. C'est évidemment une brèche témoignant d'actions véritable- ment géologiques dans le milieu d'origine des météorites. Connu par un excellent ouvrage de compilation intitulé Meteoriten Sammlungen, le docteur Otto Buchner a enrichi nos séries par quelques dons. Je mentionnerai ici la pierre de Doroninsk, dont le Musée de Vienne nous avait déjà procuré un spécimen, et les deux fers découverts, lun, en 1826, à Bohumilitz, en Bohême, et le second, en 1856, sur les bords de la rivière Orange, en Afrique australe. Le docteur Ch. Young, professeur à l'Université d'Hudson (Ohio), à adressé au Muséum plusieurs fers météoriques découverts aux États-Unis, dans ces régions qui devaient un peu plus tard alimenter les collections de tant de localités diverses. Le fer de Red River (la rivière Rouge), au Texas, qui avait été décou- vert en 1808 par le capitaine Glass et signalé par Gibbs en 1814, fut un des premiers que reçut la collection. Le fer de Nelson, trouvé en 1856, l'accompagnait. Il offre une struc- ture très spéciale qui se traduit par des figures de Widmannstætten qu'on = 23 IMPRIMERIE NATIONALE. A10 M. STANISLAS MEUNIER. peut observer sous deux états tres différents suivant les conditions de l'expérience. Cette circonstance, qui a généralement passé inaperçue, est riche en conséquences d’un intérêt général dans l'histoire des fers météoriques. C'est sensiblement à la même époque que le célèbre géologue, Ignace Domevyko, devenu directeur de l'École des mines, à Santiago du Chili, a publié ses belles recherches sur la dissémination de masses météoritiques à la surface du désert d'Atacama, et nous aurons à y revenir un peu plus loin. \ différentes reprises, 1l nous a offert des blocs de cette météorite de la Sierra de Ghaco, dont Ch. Sainte-Claire Deville a réalisé la première analyse. L'un des nombreux spécimens dont 1l a enrichi la collection ne pèse pas moins de 12 kilogrammes et présente dans sa structure une foule de particularités si notables que nous avons cru bien faire en en mettant le portrait sous les veux des lecteurs (pl. E, fig. A). Lors d’une des visites qu'il faisait périodiquement à Paris, lun des sa- vants américains qui se sont le plus activement occupés de météorites, Ch. U. Shepard, a cédé au Muséum une série de fragments, petits en pénéral, mais d'un haut intérêt. Les fers dominent de beaucoup dans la collection dont il s'agit et plusieurs sont devenus progressivement très rares; mentionnons presque au hasard ceux de Seriba, de Burlington, d'Ashville, de Black Mountains, de Tuezon, de Chesterville, de Santa Rosa, etc. Parmi les chutes françaises qui ont eu lieu avant la publication du deuxième catalogue et dont nous possédons des échantillons, 1 faut faire une place tout à fait spéciale à celle qui à eu lieu le 14 mai 1864 à Or- gueil, pres de Castelsarrasin (département de Tarn-et-Garonne). Elle a été un vrai événement scientifique et le Muséum expose au publie une série tout à fait incomparable des échantillons qui furent recueillis. On à eu recours, pour conserver la roche qui les constitue et qui est spécialement altérable, à des caisses en glace où chaque spécimen est enfermé dans de l'air préalablement desséché. Le résultat est des plus satisfaisants, el nous possédons non seulement d'intéressants objets de collection, mais de la sub- slance disponible pour des expériences ultérieures. NOTICE SUR LA COLLECTION DE MÉTÉORITES. AE [TI ACCROISSEMENTS JUSQU'AU 31 MARS 1865. Un troisième catalogue imprimé parut le 31 mars 1868, à l'occasion de l'installation de la collection dans le meuble qu'elle occupe actuelle- ment au milieu de la Galerie de géologie. Le temps écoulé depuis la pré- cédente publication n'avait pas été perdu, et le Muséum possédait main- tenant 6/4 fers et 143 pierres représentant plus de 350 échantillons. Le catalogue marque sur le précédent un progrès considérable par la classification suivant laquelle la liste y est disposée. + En installant la collection des météorites du Muséum dans le meuble qu vient d'être construit pour la recevoir, nous avons, dit M. Daubrée, remplacé l'arrangement purement chronologique adopté jusqu'à ce jour par une classification proprement dite. Dans cette classification, nous divi- sons les météorites, d'après la présence ou l'état du fer métallique, en quatre groupes, savoir : «1° Les Holosidères, privées de toute matière pierreuse ; -2° Les Syssidères, formées d'une pâte métallique, faisant continuité et renfermant des parties pierreuses disséminées ; «3° Les Sporadosidères, formées d'une pâte pierreuse dans laquelle le fer, au lieu d'être continu, est disséminé en grenaille ; «h° Les Asidères, dans lesquelles on n'a pu reconnaitre le fer métal- lique. «+ Chacun de ces groupes comprend plusieurs divisions et subdivisions que nous n'avons pas cru devoir encore indiquer. Nous avons seulement réparti les Sporadosidères en Polysidères, Oliwosidères et Cryptosilères, selon que le fer y est contenu en forte proportion, en quantité plus faible ou enfin à un état tel de dissémination qu'il est indiscernable à la vue. » Cette fois les augmentations de la collection avaient été très notables et plusieurs méritent d'être énumérées à part. h12 M. STANISLAS MEUNIER. La campagne du Mexique a valu à la collection une acquisition des plus précieuses : 1l s'agit d'une masse de fer météorique pesant 780 kilogrammes et qui était en grande partie enfouie dans le sol à l'angle de l'église du petit village de Charcas. Ce magnifique échantillon a environ 1 métre de hauteur, o m. 47 de longueur et o m. 37 d'épaisseur; 1l présente presque en totalité sa sur- face naturelle, mais la croûte a été détruite. Sa forme générale est celle d'un trone de pyramide triangulaire dont les arêtes sont émoussées; sur la surface se voient des dépressions caractéristiques. On en distingue quelques-unes très grandes représentant de véritables cuvettes, et sur les parois de celles-ci un très grand nombre de capsules beaucoup moins larges; on y voit aussi, sur un point, de petites dépressions serrées les { unes contre les autres et rappelant, malgré la différence évidente d'ori- gine, les empreintes que feraient des gouttes de pluie tombant sur une pâte molle. L'Exposition universelle de 1867 a amené au Muséum de très nom- breuses collections de toute nature et plusieurs météorites dont la plus re- marquable est à coup sûr le fer de 104 kilogrammes recueilli entre le Rio Juncal et les salines de Pœdernal, sur le versant oriental de la haute Cor- dillère des Andes. Cet échantillon (pl. EL, fig. 3), qui a été donné à notre Établissement par le gouvernement du Chili, a été recueilli dans des con- ditions qui méritent d'être rappelées en deux mots. On en doit la décou- verte à un propriétaire des Andes, don Lisaras Fonseca, qui voyageait dans le but de découvrir quelque filon métallifère. [avait avec lui plusieurs mineurs et 25 mules de charge. Après trois mois de recherches imutiles, il ne lui restait, le 25 novembre 1866, que 1 4 mules qui pouvaient à peine marcher, lorsque, en traversant un endroit très aride et sablonneux, il aperçut à peu de distance du chemin un gros bloc noir qui attira son at- tenton. Îl crut avoir trouvé un bloc d'argent et se décida à l'emporter malgré le mauvais état de ses mules. Heureusement il lui en restait une qui supporta le poids du fer augmenté de celui de pierres qu'on fut obligé d'ajouter pour équilibrer la charge. Ce n'est qu'à grand'peine qu'on arriva à Nantoco. dans la vallée de Copiapo, où l'essaveur de l'établissement NOTICE SUR LA COLLECTION DE MÉTÉORITES. A13 métallurgique reconnut la nature de la masse qu'on avait prise pour de l'argent. + C'est peut-être, dit M. Domevyko, le fer qu'on a trouvé jusqu'à présent dans la région la plus élevée des Andes, car elle avoisine la ligne de faite. » Il a conservé en entier sa surface d'origine. C'est aussi à l'occasion de l'Exposition de 1867 que la collection doit de très importantes offrandes qui lui furent faites par un savant des États-Unis, le professeur Lawrence Smith, de Louisville. Ce chimiste, qui a fait une série de découvertes importantes et qui devait plus tard appor- ter à Paris une collection encore plus nombreuse que celle de 1867, a donné à cette époque des spécimens très précieux et quil serait trop long d'énumérer 1c1 d'une manière complète. Les fers de Jewell Hill, Newton County, Russel Gulch, Bear Creek, Robertson, Wayne, Franklyn County, Tazewell, Nelson, Tuczon, Newton County, Harrisson et bien d'autres pourraient nous arrêter par des détails importants en même temps que les pierres de Parnallee, de New Concord, ete. La troisième édition du catalogue conserve la trace de plusieurs chutes de météorites, alors tout à fait récentes, sous la forme d'échantillons dignes de mention. Ainsi, le 30 mai 1866, un bolide qui éclata auprès de Saint-Mesmin, département de l'Aube, précipita sur le sol plusieurs météorites dont les plus volumineuses sont actuellement conservées dans notre Galerie de géologie. L'échantillon principal (pl. IE, fig. 2), de 4 kilogr. 200, nous a été donné par Sauvage, alors directeur de la Compagnie des chemins de ler de l'Est, et la Société académique de l'Aube, par l'intermédiaire de son président M. J. Ray, a ajouté à ce spécimen incomparable un fragment de 1 kilogr. 860. On peut noter en passant que la roche constitutive des météorites de Saint-Mesmin se signale par sa structure bréchiforme, bien visible d’ailleurs sur la figure. C'est une de celles qui ont le plus contribué à révéler d'an- ciennes relations de gisement originel entre des météorites d'apparence tout à fait distincte. Nous reviendrons en quelques mots sur ce sujet à la fin de cette Notice. Une seconde chute à rappeler ici est celle qui eut lieu le q juin 1866 { M. STANISLAS MEUNIER. à Knyahinya, en Hongrie, dans des circonstances qui ont été étudiées avec le plus grand soin, et qui à fourni, outre des données minéralo- viques, une foule de notions astronomiques sur le phénomène météori- tique. A côté du gros bloc de près de 4 kilogrammes dont le Muséum a fait l'acquisition, il faut citer un spécimen de 1 kilogr. 600 donné par M. Szabo, au nom de l'Université de Pesth, et un échantillon moins volumineux qui nous vient du Joseph Polytechnicon d'Ofen. La chute observée à Tadjera, près de Sétif, en Algérie, le 9 juin 1867, a sans doute plus de signification encore que les précédentes. Le bloc principal qu'elle a fourni (pl If, fig. 5), du poids de 5 kilopr. 700, nous à été adressé presque immédiatement par le Gouverneur général de l'Algérie. Outre son très vif intérêt hithologique et géologique, sur lequel nous aurons à revenir, 1l y a lieu de mentionner le fait tout à fait excep- tionnel d'un sillon de 1 kilomètre de longueur creusé dans le sol par le projectile céleste. Deux autres chutes algériennes doivent également trouver leur place ici : celle du 25 août 1865, à Aumale, qui a fourni plusieurs échantillons dont deux, pesant respectivement 1 kilogr. 620 et 6 kilogr. 718, nous viennent de M. Ludovic Ville, ingénieur en chef des mines, et celle d'un ler trouvé à Dellys, et que le Muséum est à peu près seul à posséder. C'est le moment aussi de noter le complément considérable recu en lévrier 1866 par notre série déjà si belle des météorites charbonneuses tombées à Orgueil le 1 mai 1864 et dont nous avons déja parlé. Il con- siste en un échantillon incomparable, du poids de 2 kilogrammes, qui fut déposé au Muséum par le maréchal Vaillant. Cet échantillon (pl. IF, fig. 4), plus beau que tous ceux de nature ana- logue conservés dans les autres musées, présente sur toute sa surface une croûte noire vermissée, offrant des rides et des bourrelets dont la direction indique nettement le sens suivant lequel le projectile météoritique a tra- versé l'atmosphère pour parvenir jusqu'au sol. Nous pouvons lui donner pour pendant le très beau fragment de la méléorite, également charbonneuse, tombée le 13 décembre 1838 à Gold NOTICE SUR LA COLLECTION DE MÉTÉORITES. A15 Bokkeweldt (Gap de Bonne-Espérance) et qui nous a été donné en janvier 1865 par John Herschel et Thomas Maclear. Malgré sa composition fort analogue à celle de la météorite d'Orgueil, la pierre de Gold Bokkeweldt s'en distingue par sa structure plus serrée et sa résistance bien plus grande aux causes d'altération. Les différences sont assez grandes pour quil vait lieu, malgré la résistance de quelques minéralogistes, de faire pour les mé- téorites charbonneuses deux types parfaitement distincts, conformément à la mesure prise dans la collection du Muséum. Par suite de circonstances spéciales, une très précieuse collection de mé- téorites réunies par Babinet fut acquise en décembre 1865. Parmi les 20 chutes qui y sont représentées par des échantillons dont plusieurs ont une réelle valeur scientifique, il faut distinguer la pierre charbonneuse d'Alus, du 13 mars 1806, qui est devenue prodigieusement rare, les masses feldspathiques de Stannern, de Jonzac et de Juvinas, la singulière pierre de Renazzo, les météorites d'Angers, d'Honolulu, de Limeriek, et les fers de Pallas, d'Otumpa, d'Elbogen, de Rasgata et de Siratik. Ge dernier échantillon avait été donné à Babinet par Adanson, qui l'avait eu lui- même de la collection Sage. Ignace Domeyko, que nous avons déjà eu à citer dans notre précédent chapitre, a offert à notre collection, pendant l'année 1867, un très pré- cieux complément d'échantillons exceptionnellement précieux. Outre des masses provenant de localités déjà représentées, comme la Sierra de Chaco, 1l v a lieu de noter le don, que nous a fait lillustre direc- teur de l'École des mines de Santiago, de plusieurs fers et de plusieurs hthosidérites. C'est ainsi que le bloc de 1 kilogr. 450, provenant de la Sierra de Deesa. ne le cède à aucun autre sous le rapport de l'intérêt (pl. LE, fig. 5). I a une forme aplatie qui rappelle celle quil aurait pu acquérir en se moulant dans une fissure qui l'aurait reçu à l'état fondu, et on verra plus loin que l'examen très attentif auquel il a été soumis permet en eflet d'y voir le spécimen d'un vrai filon injecté ou dyke, qui représenterait les roches éruptves dans la série des météorites. La signification de ce bel échantillon a été, en général, mal comprise par les savants de l'étranger qui n'ont pas 416 M. STANISLAS MEUNIER. eu l'occasion de le voir de près. On a essayé aussi de jeter de la confusion sur la détermination du fer de Deesa et d’autres fers chiens. Mais le Mu- séum posséde les matériaux fondamentaux, venant directement de Domeyko et auxquels on doit forcément se conformer dans l'étiquetage de toutes les masses de même origine. En réponse à la demande adressée par le Muséum aux musées de pro- vince et de l'étranger, plusieurs villes lui firent, à l’époque qui nous occupe, des envois dont quelques-uns ont un tres orand prix. La ville de la Rochelle s’est dessaisie par exemple d'un petit échantillon de la météorite de Vouillé (Vienne), ainsi que de précieux spécimens des pierres tombées le 7 septembre 1753 à Luponnas (Ain) et le 19 mars 1798 à Salles (Rhône). | Le British Museum nous a procuré des éclats de quelques météorites anglaises et spécialement de celle d'Aldworth, tombée le 4 août 1835, et dont l'échantillon principal, conservé à Londres, ne pèse pas plus de 6oo grammes. Au même établissement nous devons des météorites indiennes, telles que celles de Mhow, de Kaee, d'Akburpur, d'Agra et de Mouza Khoorna. Thomas Oldham, directeur du Geolopical Survey de lnde, a augmenté cette dernière série des météorites de Manbhoom (22 décembre 1853) et de Pegu (27 décembre 1857). Celle-ci est très singulière par sa consti- tution. Elle résulte de la réunion, par un ciment très peu résistant, de my- riades de petites sphérules pierreuses de la grosseur d'une tête d'épingle. Le type des météorites ainsi oolthiques est relativement peu commun. Le Musée des sciences de Madrid, qui possède plusieurs météorites d’un très haut intérêt, a donné au Muséum plusieurs pièces précieuses. Citons tout d'abord un petit fragment de la magnifique météorite de Murcie de plus de 100 kilogrammes qui a figuré à Paris à l'Exposition de 1867. La pierre de Barea (Logrono), tombée le 4 juillet 1842 , est remarquable par son Identité minéralogique avec les masses de la Sierra de Ghaco dont nous avons parlé tout à l'heure et qui sont arrivées sur le sol à une époque incon- nue, La météorite de Sigena (17 novembre 1873) est vraiment exception- nelle par sa texture à la fois oolithique el drusique qui n'est reproduite NOTICE SUR LA COLLECTION DE MÉTÉORITES. h17 que par un très petit nombre de masses cosmiques. Mentionnons enfin la pierre de Canellas (14 mai 1863), dont les caractères sont assez nets pour que nous l'ayons choisie pour en faire un type lithologique spécial (Canellite). C'est à l'Université de Catane, grâce à l'obligeance du professeur Gem- mellaro, que nous devons un fragment de 367 grammes représentant la chute survenue à Girgenti, en Sicile, le 10 février 1853. Le Musée de Pesth s'est dessaisi pour le Muséum d'une pierre de 260 grammes de la chute de Gross Divina (24 juillet 1837). L'Université de Kew, en Russie, nous a donné, par l'entremise de M. Feofstlatkoff, 80 grammes de la chute de Belaja Zerkwa, survenue le 4 Janvier 17906 et que son ancienneté rend d'autant plus précieuse; et 100 grammes de Dolgowola (26 juin 1864). La météorite de Nerft, en Courlande (12 avril 1864), figure au Mu- séum grâce à un échantillon que M. Grewinck nous a donné au nom de l'Université de Dorpat; et le docteur Arppe nous a fait adresser par lUni- versité d'Helsingsfors un échantillon de la pierre tombée le 13 décembre 1823 à Luotalaks. IV ACCROISSEMENTS JUSQU'AU 1" AOÛT 1878. IL s'est écoulé dix années entre la troisième et la quatrième édition du catalogue, datée du 1° août 1878. La collection comprend cette fois 80 holosidères, 1 o syssidères, 168 spo- radosidères, 10 asidères; soit un total de 268 localités dont beaucoup sont représentées par de nombreux spécimens. Les grandes collections de l'étranger ont continué, durant cette nou- velle période, à nous envoyer des échantillons, soit en dons, soit en échanges; et dans le nombre il faut citer les principales acquisitions de cette origine. Le British Museum nous a procuré, outre diverses météorites indiennes, un bon spécimen de la pierre tombée à Wold Cottage, dans le Yorkshire, 53 IMPRIMERIE NATIONALE, ALS M. STANISLAS MEUNIER. le 13 décembre 1799, et dont il a acheté jadis l'échantillon principal de 21 kilogrammes pour la somme de 6,000 franes environ. Un fer météorique tombé devant témoins en 1862 sur la division de Victoria West, au Cap de Bonne-Espérance, et constituant à ce tre un document très instructif, nous a été donné par le South African Museum de Cape Town. Le Musée de Calcutta a continué ses dons. Nous avons reçu de lui, par l'intermédiaire de M. Thomas Oldham, des spécimens des pierres de Mud- door, Assam. Rutlam. Khetree, Bustee et Lodran. Cette dermière est tout à fait smguliére par sa structure qui comprend un mélange de minéraux pierreux très cristallins, reliés entre eux par un très fin réseau de fer nic- Kelifère; malgré la ténuité de cette partie métallique, les caractères géné- raux rappellent ceux du célèbre fer de Pallas. La météorite de Bustee renferme deux minéraux tout à fait intéressants, que M. Maskelyne a bien étudiés : un sulfure de calcium et de magnésium nommé oldhamute, et un oxysulfure de titane ou de zircone, en octaèdres microscopiques d’un jaune d'or, qu'on appelle osbornite. Au nom des collections qu'il dirige en Australie, M. Liversidge a envoyé à notre Établissement la pierre tombée vers 1860 à Deniliquin (Barratta) [ Nouvelle-Galles du Sud |, dont l'étude a été fort intéressante et qui re- produit les caractères principaux de la météorite toute noire de Tadjera. À la suite de ces généreux établissements 1l faut mentionner de hauts fonctionnaires étrangers qui ont adressé au Muséum des météorites tom- bées sur les territoires dont ils avaient l'administration. C'est ainsi que le gouverneur général des Indes néerlandaises, M. Lou- don, nous a donné les deux météorites javanaises de Tjabé et de Bandong. La première appartient au même type lithologique que l'antique masse d'Ensisheim; l'autre, dont nous possédons un beau bloc de 2 kilogrammes, est beaucoup plus complexe et rentre dans la catégorie des brèches poly- géniques dont le type est la météorite de Saint-Mesmin. Comme météorite provenant d’une localité qui, jusqu'ici, s'est montrée avare en documents scientifiques, la pierre tombée vers la fin de juin 1888, à Pnompehn, capitale du Cambodge, se signale par l'intérêt de sa compo- NOTICE SUR LA COLLECTION DE MÉTÉORITES. n19 sition. Elle nous a été procurée par M. Lafon et le Muséum a jusqu'ici le monopole de sa possession. De nombreuses chutes météoritiques ont été relevées durant la période comprise entre la publication de la deuxième et de la troisième édition du catalogue. Le 30 janvier 1868, il s'en produisit une à Pultusk, en Polopne, que l’on citera longtemps comme l'une des plus abondantes en échantillons. Il est bien difficile d'estimer le nombre des pierres tombées ce jour-là et les évaluations sont très divergentes; on est allé Jusqu'à 100,000! En tout cas, nous en avons eu à la fois plus de 400 au laboratoire, parmi lesquelles ont été choisis les 5/0 échantillons figurant actuellement dans les collections. Il y en a des quantités dans tous les musées : un marchand de minéraux de Bonn en à eu un moment plus de ,000. À premiére vue, on peut s'étonner quil y ait avantage à réunir un si grand nombre de pierres de la même provenance, Mais 1l y à à cela plu- sieurs motifs : d'abord 1l est intéressant de montrer au publie, par l'exemple saisissant de semblables accumulations, comment une grêle de pierres peut à limproviste être précipitée du ciel sur la terre. Îly a, en outre, une foule de remarques instructives à faire quand on compare les fragments arrivés simultanément. Au point de vue de la dimension, les uns pèsent plusieurs kilogrammes et d’autres seulement une fraction de gramme : ces sortes ayant du reste subi à travers l'air un triage qui a déterminé leur répartition relative sur le sol lapidé. Au point de vue des formes, 1l y a des types très différents à séparer les uns des autres. On assiste par des exemples nombreux à la formation de la croûte. Enfin la nature minéralo- pique, qui est la même au fond pour tous les éléments concomitants, offre pourtant de l'un à l’autre de petites variations bonnes à noter. C'est avec très peu d'abondance, au contraire, que s'est produite dans le Doubs, le 1 1 juillet 1 868, la chute de météorites d'Ornans. Une seule masse est arrivée sur le sol et les + kilogr. 685 que le Muséum en possède (pl. I, fig. 1) en représentent la plus grande partie. C'est une roche ooli- thique, d’un gris violacé foncé tout à fait extraordinaire et qui tombait du ciel, alors, pour la première fois à la connaissance des observateurs. 53. 120 M. STANISLAS MEUNIER. On l'a recueillie de nouveau, le 1° Janvier 1877, à Warrenton, dans le Missouri. Une chute eut lieu le 8 septembre 1868 à Sauguis-Saint-Étienne dans les Pyrénées, dans des conditions bien spéciales. La pierre appor- tée par le bolide s'écrasa sur le sol en tout petits fragments. Il fallut à M. Thore une grande patience et beaucoup de perspicacité pour réunir les 150 grammes de débris quil a donnés au Muséum. Un magnifique bloc de 15 kilogrammes nous vient de la chute de Ker- nouve (Morbihan), 23 mai 1869 (pl. Il, fig. 3). Ge n'est qu'un reste du monohthe tombé et que les paysans se sont empressés de casser à coups de masse, persuadés, d’après un témoin, «qu'ils étaient en possession de fragments de la lune». La plus grande partie de la chute d'Authon (Loir-et-Cher), du 23 juillet 1872, est aussi venue dans notre collection. Elle a procuré une roche d’un tpe fort peu habituel. Le duc de Leuchtenberg, qui portait à la minéralogie un intérêt éclairé, a donné à la collection un très bel échantillon, quoique peu volumineux, de la méléorite tombée le 12 mai 1874 à Koursk, en Russie. C'est une de ces pierres noires si peu nombreuses et d'un intérêt si considérable au point de vue de la Géologie comparée, dont la pierre de Tadjera men- hHonnée plus haut est le type le plus net. Avec une générosité qu'on ne saurait trop encourager, M. Heinrich, sa- vant américain, nous a offert plusieurs échantillons de la pluie de pierres qui a eu heu le 12 février 1875 à Iowa Township, aux États-Unis. L'un d'eux pèse 4 kilogr. 650 et un autre 2 kilogr. 14. Le 16 août 1875 s’est produite en Algérie, près de Feid Chair, une chute dont M. Tissot, ingénieur des mines, a envoyé un échantillon au Muséum. Il reste enfin à mentionner, pour la période qui nous occupe en ce mo- ment, la chute survenue à Stalldalen, en Suède, le 28 juin 1876. Nous en avons acquis un magnifique échantillon de plus de 1 kilogramme, où l'on peut bien étudier les caractères d’une roche très remarquable. Le Muséum s'est enrichi de plusieurs chutes plus où moins anciennes dont le souvenir s'était perdu. NOTICE SUR LA COLLECTION DE MÉTÉORITES. 421 Cest la place de mentionner ici celles de Beuste, du Teilleul et de Montlhivault. La premiere est survenue en 1 859 et le jour précis du phénomène est maintenant oublié. C'est grâce à M. Genreau, ingénieur des mines, que le Muséum en a un échantillon; M. Fouqué, qui a soumis la pierre dont il Sagit à une analyse détaillée, nous a fait avoir le moulage de l'échan- üllon primitif dont la forme est intéressante. La météorite du Teilleul est plus ancienne. C'est le 14 juillet 1845 qu'elle est arrivée des espaces célestes et nous en devons des échantillons à MM. Retout et Dary (de Mortain), qui nous ont transmis en même temps le récit de la chute. Appartenant au type lithologique désigné sous le nom de howardite, elle constitue une rareté des plus précieuses. Enfin la troisième pierre dont nous voulons parler date du 22 juil- let 1838. C'est à Montlivault (Loir-et-Cher) qu'on l'a recueillie, et nous sommes redevables de sa possession à M. Blondin, pharmacien à Choisy- le-Roi, qui, au moment du siège de Paris, a eu le désintéressement de se dessaisir en notre faveur du précieux spécimen qu'il possédait, et d'en as- surer ainsi la conservation au profit de la Science. On ne saurait trop féli- citer M. Blondin de la détermination quil a prise. Le Muséum a gardé presque intact le monopole de la pierre de Monthivault et n'en a donné que quelques miettes à deux ou trois collections en échange d'autres mé- téorites précieuses. Nous aurons terminé l'énumération rapide des particularités les plus importantes qui concernent le quatrième catalogue, quand nous aurons rappelé l'entrée au Muséum de deux fers qui, à des égards bien différents, ont fait un grand bruit dans le monde savant. Il s'agit du fer de Sainte- Catherine et du fer d'Ovifak. Le fer de Sainte-Catherine a été découvert au Brésil vers la fin de 1875, dans des conditions très particulières. M. Manoel Goncalvès da Roza voya- geait sur la montagne appelée Morro de Rocio, à 3 kilomètres de Rio San Francisco do Sul, lorsque son attention fut attirée par de gros blocs pisant sur le sol et contrastant absolument avec lui par leur aspect ocracé. Trois de ces fragments profondément enterrés faisaient une saillie de o m. 30 422 M. STANISLAS MEUNIER. de hauteur; le plus volumineux pesait environ 2,250 kilogrammes. Il suffit d'un simple coup d'œil pour constater que cette substance minérale con- sistait surtout en fer métallique associé à une forte proportion de nickel, et, dans la perspective d'une exploitation évidemment très fructueuse, les recherches furent continuées. Le pros bloc était empâté dans une sorte d'argile très ferrugineuse; en creusant au-dessous de lui, on ren- contra un autre fragment du poids de A5o kilogrammes. Les choses se présentaient, comme on voit, de facon à faire croire à une vraie mine de fer. Quatorze blocs furent successivement découverts dans des situations analogues, et le relevé topographique montra dans leur gisement un ali- gnement qu'on pouvait rattacher à la direction d'un filon. Mais toutes ces illusions durent bientôt être abandonnées, et malgré des tentatives suc- cessives, dont la plus récente est de M. Calogeras, on ne peut plus douter qu'il ne s'agisse de matériaux météoritiques. La collection en possède des échantillons extrêmement nombreux et dont l'étude minéralogique, com- plétée par des expériences de synthèse, a été poussée Jusque dans les dé- tuls les plus intimes. Quant au fer d'Ovifak, il importe tout d'abord de rappeler qu'après avoir été considéré comme météoritique, 1l a été ensuite reconnu comme d'origine purement terrestre. Cette constatation n'a du reste en rien diminué son intérêt, et, bien au contraire, elle a ouvert la voie à des considérations de la plus haute importance sur la Géologie comparée. Sans entrer dans les détails que comporte ce grand sujet, on rappel- lera 1c1 que la découverte des fers d'Ovifak est due à lillustre M. Nor- denskjold et remonte à l'année 1870. Les blocs très nombreux, pesant de 1,000 kilopgrammes à moins de 1 kilogramme, gisaient sur le rivage, au pied de falaises basaltiques, dans une situation où leur capture fut rendue difficile par l'état très agité de la mer. A 16 mètres du plus gros bloc, dont nous possédons un moulage exact, et sous des détritus constituant la berge, un rocher basaltique, haut de o m. 30, put être suivi sur { mètres de distance, et se présenta comme faisant parte intégrante du sol en place. Une autre arête ana- logue, située près du rivage, court dans une direction parallele et avec NOTICE SUR LA COLLECTION DE MÉTÉORITES. 193 la même longueur. Cette dernière contient des blocs lenticulaires, formés de fer nickelé, qui ont l'apparence extérieure, la composition chimique et la résistance à l'air des fers météoritiques. Le fer est empâté dans le basalte dont 1l est séparé par une mince écorce de rouille et qui présente, au voisinage des blocs de fer natif, des nodules de hisingérite ou silicate de fer hydraté évidemment formés par l'oxydation du métal. On peut voir dans la collection toutes les variétés principales de ces roches métallifères qui ont été évidemment apportées au Jour par l'éruption des roches basal- tiques épanchées à la surface. Nous les avons exposées en dehors de la série des météorites propre- ment dites, mais dans leur voisinage immédiat, avec les autres roches ter- restres dont la comparaison est le plus instructive avec les pierres tombées du ciel. V ACCROISSEMENTS JUSQU’'AU 15 JUILLET 1882. L'apparition de la cinquième édition du catalogue marque une époque importante dans l’histoire de notre collection. La simple liste publiée jusqu'alors fut remplacée le 15 juillet 188» par une brochure de ho pages intitulée : Guide dans la collection de météoriles du Muséum d'historre naturelle (Masson, éditeur), et comprenant, outre l'énumération des échantillons, une notice générale sur les météo- rites. Une autre amélioration très sensible et qui mit le Muséum à part dans la série des établissements possédant des collections du même genre fut la distinction des roches cosmiques d'après une classification lithologique très détaillée : 54 tvpes furent distingués les uns des autres et nettement caractérisés, conformément à un tableau synoptique qu'il ne nous semble d'ailleurs pas nécessaire de reproduire. À ce moment, nous possédions 306 localités comprenant : 90 holo- sidères, 9 syssidères, 195 sporadosidères et 1° asideres. Comme on le pense, les acquisitions précieuses depuis la publication du L24 M. STANISLAS MEUNIER. catalogue précédent étaient abondantes. Nous en mentionnerons quelques- unes. Il convient de sienaler tout à fait en première ligne les séries imcom- parables que nous valut la hbéralité d'un savant américain, M. Lawrence Smith (de Louisville), qui déjà nous avait fait plusieurs dons et qui, à l'occasion de l'Exposition universelle de 1878, était venu à Paris avec une énorme collection. Sans énumérer toutes ses largesses, 1l faut citer plusieurs météorites offrant des particularités intéressantes. En tête se présente le magnifique fer de Coahuila, dont Lawrence Smith nous donna un bloc de 250 kilo- erammes et une plaque de 7 kilogr. 820. On y voit un minéral qui n'avait encore été qu'aperçu, et que l'auteur, qui l'a désigné sous le nom de dau- bréelite, reconnut pour être un sesquisulfure de chrome, manquant à la minéralogie terrestre. Les fers de Bates C°, de Smith C°, de Sevier, de Nelson et bien d’autres sont représentés dans la collection par des blocs de plusieurs kilogrammes, et L. Smith nous a donné aussi. en dimension moins considérable, ceux de Janacera, de Carthago, de Whitfield, de Murfresboroo, de Walker, de Milwaukee, de De Kalb, de Howard, de Babb's Mill, de Livingstone, ete. Mentionnons aussi, comme donnée par le même savant, la curieuse kryp- Losidère tombée le 1° janvier 1877 à Warrenton, dans le Missouri, et qui, comme nous l'avons déjà dit plus haut, est Hithologiquement identique à la météorite d'Ornans. Par voie d'échanges nous avons obtenu beaucoup d'échantillons inté- ressants d'un collectionneur russe, M. Siemaschko, qui poursuit les météo- rites avec une ardeur infatigable : nous avons reçu ainsi, parmi d'autres pierres intéressantes, les météorites russes de Werchne Udinsk, déjà re- présentée à la collection, et de Charkow. Au nombre des chutes qui nous ont procuré des spécimens dignes de remarque spéciale, il en est quelques-unes qu'il faut énumérer chronologi- quement. Le 31 octobre 1879, 1l tomba à Orvinio, aux environs de Rome, une pierre noire, très remarquable par les détails de sa structure et où, par NOTICE SUR LA COLLECTION DE MÉTÉORITES. 425 exemple, des lames minces révèlent au microscope des indices de la strue- ture fluidale. On a calculé que le bolide d'où elle dérive a dû être visible à une hauteur comprise entre 153 et 184 kilomètres. Nous possédons un bloc de plus de 4 kilogrammes de la météorite de Maël-Pestivien, près de Kerillis (Côtes-du-Nord), qui tomba le 26 no- vembre 1874 à la suite d'un bruit intense comparable à un fort coup de tonnerre et qui dura près de deux minutes. Cette pierre appartient à la catégorie des météorites bréchiformes, dont l'étude à été si significative pour la Géologie comparée. La chute qui s'est produite le 31 janvier 1879 à la Bécasse, près de Dun- le-Poëlier (Indre), n'a fourni qu'un seul échantillon qui est presque tout entier dans la collection et qui pèse 2 kilogr. 580. Il a été l’occasion d'un procès entre le propriétaire du champ où la masse s'était enfoncée et la personne qui, l'ayant extraite du trou de o m. 30 qu'elle avait creusé, la regardait à tort, parait-1l, comme lui appartenant. On peut voir, en dehors du meuble qui renferme au Muséum la collec- tion des météorites, un beau bloc de 50 kilogrammes, d’une structure ex- trémement spéciale, où se distinguent, dans une gangue pierreuse, de très gros nodules ferrugineux. C'est un fragment détaché d'une météorite de près de 200 kilogrammes achetée en commun par le Muséum, le British Museum de Londres et le Musée de Vienne, puis partagée entre ces trois établissements. Elle provient d’une chute observée le 10 mai 1879 à Estherville, lo- calité située aux États-Unis, dans le comté d'Emmet, sur la frontière commune de Flowa et du Minnesota. Après deux explosions violentes, les masses tombérent sur le sol, et le choc fut si fort qu'on l’entendit nette- ment à 200 et 300 mètres de distance. Les blocs recueillis pèsent respec- üvement 198,78, 492,13 kilogrammes, 4 kilogr. 1/2, 2 et 1 kilogramme. Des enfants qui gardaient les bestiaux à 8 ou 10 kilomètres au sud- ouest du point où les grosses météorites furent trouvées assurèrent avoir vu et entendu, immédiatement après le passage du bolide, une orêle de pierres tomber dans l'eau qui submergeait une prairie voisine. On avait oublié ce récit quand, près d'un an après le phénomène, on trouva sur le 5h IMPRIMERIE NATIONALE, 126 M. STANISLAS MEUNIER. sol dénudé par l'incendie de la prairie desséchée quelques petites météo- rites. L'attention fut tellement éveillée alors que plusieurs centaines de personnes, hommes, femmes et enfants, s'appliquérent à explorer la sur- face du terrain jusqu'a 13 kilomètres de distance. Il résulta de ce travail la découverte de plusieurs milliers de fragments dont les plus petits sont à peine gros comme un pois, tandis que d'autres, beaucoup plus rares, pèsent jusqu'à 00 grammes. On verra un certain nombre de ces grains dans nos vitrines : les uns sont métalliques et les autres pierreux; leur étude a fourni plusieurs résultats curieux et, en particulier, la découverte d'un silicate nouveau désigné sous le nom de peckhamute. Le 13 février 188 , il se produisit à Mocs, en Transylvanie, une véri- table averse de météorites. La collection n'en renferme pas moins de h5 échantillons, qui présentent des particularités très diverses de volume et de formes. Nous avons à mentionner 11 l'arrivée au Muséum de quelques météo- rites dont la chute était complètement oubliée. Ainsi la météorite de Louans (Indre-et-Loire), tombée le 25 janvier 18/5, ne nous est parvenue qu'en 1881. Elle présente grossièrement la forme d’un prisme pentagonal et consiste en une roche entiérement ooli- thique. De même on ne savait pas qu'une pierre était tombée en 1851 à Quin- cay (Vienne). C'est à M. Mallet que la collection en doit un échantillon de 10 grammes qui, malgré sa petitesse, permet de reconnaître dans cette météorite un type hthologique parfaitement distinet et conséquemment des plus précieux. VI ACCROISSEMENTS JUSQU'AU 15 AVRIL 1889. C'est à l'occasion de Exposition universelle de 1809 qu'a été publiée la sixième édition du catalogue. Elle diflére surtout de la précédente par le {tableau synoptique très complet. qui permet de saisir très aisément la puq pret, qui] caractéristique minéralogique de chacun des Lvpes de roches cosmiques. NOTICE SUR LA COLLECTION DE MÉTÉORITES. 127 Ces types sont portés au nombre de 56. La brochure, cette fois, a 5o pages et le nombre des chutes représentées est de 367. Ce dernier nombre se répartit en 1 10 holosidères, 9 1 syssidères, 219 sporadosidères et 17 asidères. Nous ne pouvons qu'indiquer très rapidement les principales acquisi- tions réalisées. Mentionnons tout d'abord deux petits spécimens de la météorite d'Agen, provenant de la collection de feu M. Desnoyers et qui nous ont été donnés par M. Alphonse Milne-Edwards. Plusieurs musées étrangers nous ont fait des envois : le Musée de Stock- holm nous à enrichis ainsi des météorites de Werchne Tehirskaja Sta- nitza et de Nenntmansdorf qui nous manquaient. Au Musée de Christiania, et grâce à l'intermédiaire de M. H. Reusch, nous devons la météorite tombée le 20 mai 188/ dans l'ile de Tysne. M. Dana à envoyé au Muséum un morceau très bien caractérisé de la météorite tombée le 1/4 août 1846 à Cape Girardeau, dans le Mis- souri. Plusieurs météorites brésiliennes nous ont été généreusement procu- rées par M. Orville Derby. Telles sont celles de Minas Geraës, d’Angra do Reis, dont la composition si spéciale a justifié l'établissement d'un type hthologique nouveau, et d'Itapicuru. Au nom du Geolosical Survey de Finde, M. Meddhcott a adressé plu- sieurs météorites au Muséum : Jung, Dandapur, Motecka Nugla, Judes- gherry, Sithataly, Chandpur, Pirthalta, Namienthal sont les localités prin- cipales qu'on peut citer à cette occasion. M. Verbeeck a fait don à notre collection d’un bel échantillon de pres de 500 grammes de la pierre ramassée dans l'ile de Java, à Djati Pengi- lon, le 19 mars 188/. La chute survenue à Grosliebenthal, le 15 avril 1881, est bien repré- sentée au Muséum grâce à lobligeance de M. Prendel, professeur à l'Uni- versité d'Odessa et auteur d'une notice minéralogique sur la météorite dont il s'apit. Une autre météorite russe nous a été donnée par le Comité géologique 51. 128 M. STANISLAS MEUNIER. de l'Empire. C'est celle qui est tombée, le 18 avril 1887, à Taborg (Os- chansk), dans des conditions particulièrement intéressantes. L'échantillon pèse plus de 1 kilogramme. Deux météorites observées en Italie, le 16 février 1883, à Alfianello, près de Brescia, et le 2/ février 1886, à Assisi, près de Pérouse, ont été immédiatement représentées dans nos séries; elles appartiennent à deux types lithologiques distinets. C'est ici qu'il faut mentionner les très importants échanges consentis avec M. Siemaschko, qui avait déjà été plusieurs fois en relation avec nous. Une trentaine environ de localités nouvelles nous sont parvenues par lui et dans le nombre plusieurs météorites russes d'un très réel intérêt. Kikino, Czartorva, Petropawlovsk, Dolgaya Wolja, Angara, Scholakoff, Werchne- dieprowsk, Kuleschowska peuvent être spécialement citées. J'ai réservé, pour les énumérer à part, un certain nombre de raretés, C'est ainsi que M. Forquiquon, professeur à la Faculté des sciences de Bordeaux, a donné au Muséum 140 grammes de la météorite tombée le 28 janvier 1883 à Saint-Caprais-de-Quinsac et qui est à peine repré- sentée dans les autres collections. Grâce à M. Delauney, actuellement commandant de l'artillerie de ma- rine à Nouméa, nous avons été d'abord seuls à posséder les pierres tom- bées à Phu Hong, en Cochinchine, le 22 septembre 1887, et cest par échange de petits fragments de cette rarissime météorite que nous avons obtenu de Londres et d'ailleurs des spécimens très précieux. La méléorite de Virba (Turquie), 20 mai 187/h, est presque exclusi- vement représentée dans la collection du Muséum, et nous jouissons du monopole de la très curieuse eukrite tombée en 1883 à Adalia, en Asie Mineure, et dont nous devons les 3 grammes que nous en possédons à \I. Bonkowsky Bey. C'est sans doute lune des plus rares météorites que l'on puisse citer. Cest seulement dans un très petit nombre de musées qu'on voit re- présentée la météorite tombée à Véramine, en Perse, le 15 février 1880. L'échantillon que nous en avons nous vient du docteur Tholozan, médecin du Shah de Perse. NOTICE SUR LA COLLECTION DE MÉTÉORITES. 429 Deux météorites charbonneuses, c'est-à-dire d'une des catégories les moins fréquentes, termineront dignement cette série des raretés. La première est tombée à Nagaya, dans la République Argentine, le 30 juin 1880, et nous en devons un bel échantillon de 210 grammes à la sénérosité de M. Burmeister, alors directeur du Musée de Buenos Ayres. L'autre est tombée le 5 septembre 1886 à Nowo Urej, dans le gouver- nement de Penza, en Russie. Les ignorants paysans témoins de sa chute s’en disputerent des parcelles pour les manger; elle est devenue très célèbre par l'annonce que MM. Terofeieff et Latschinoff ont faite d'y avoir découvert du diamant en petits grains déterminables. VII DERNIÈRES ACQUISITIONS. Depuis la publication de la sixième édition du catalogue, les augmen- tations de la collection ne se sont pas interrompues et une septième édi- on paraitra avant peu de temps. Sans entrer ici dans le détail des per- fectionnements que cet ouvrage très apprécié des spécialistes recevra à cette occasion, et pour nous en tenir aux faits réalisés, nous nous borne- rons à noter que la collection renferme à l'heure actuelle : 423 localités, comprenant 1 3/4 holosidéres, 26 syssidères, 24/4 sporadosidères et 19 asi- dères. L'Exposition universelle de 1889 a donné lieu à des augmentations précieuses à la collection des météorites. En première ligne, 1l faut citer une série de fers mexicains apportés à Paris par M. del Castillo et dont plusieurs se signalent par la haute anti- quité de leur découverte. Ainsi le fer de Chupaderos, dans l'État de Chihuahua, fut rencontré en 1561 par le capitaine explorateur Antonio de Espejo : nous en avons trois fragments, représentant près de 800 srammes, qui ont été détachés d'un bloc de plus de 9,000 kilogrammes actuellement conservé à l'École des mines de Mexico. 130 NM. STANISLAS MEUNIER. C'est vers 1600 qu'a été trouvé le ler de San Gregorio, dans le Chi- huahua. Le fer de la Descubridora, dans l'État de San Luis de Potosi, fut dé- couvert en 1780 sous la forme d'une masse de 576 kilogrammes. Les fers de Cacaria et de Bacubirito sont de connaissances moins an- clennes. Quant à celui de Rincon de Caparosa, M. del Castillo fait un récit bien étrange de sa découverte : ce serait en 1858, à l'École des mines de Mexico, qu'en brisant à coups de marteau un échantillon de chalkopyrite avec pyr- rhotine, on en aurait vu sortir un bloc de 5/1 grammes consistant en fer nickelé ayant tous les caractères des météorites. \Maloré l'autorité de l'auteur, on a de la peine à croire quil n'y ait pas eu quelque cause d'erreur dans l'observation. Le don de M. del Castillo contient, outre ces fers, une pierre météoritique très intéressante, qui tomba le 18 juin 1881 à 4 kilomètres du village de Pacula, district de Jacala, dans l'État de Hidalgo, au Mexique. Le pouvernement brésilien avait fait figurer à l'Exposition universelle de 1889 le modèle en bois du fer météoritique de Bendego; ce modele est maintenant dans notre Galerie. Son intérêt est de représenter avec une scrupuleuse exactitude une masse de plus de 6,000 kilogrammes, signalée d'abord en 178/4 par Joaquim da Motta Botelho, revue par Spix et Martius en 1820 et amenée en 1888 au Musée de Rio Janeiro. Le transport de cette masse énorme, au travers de ravins et de forêts vierges, a été rempli de difiicultés et le récit qui en a été fait par une com- mission ofhcielle, présidée par M. José Carlos de Carvalho, compose un beau volume in-/°, illustré de nombreuses photographies et d'une grande carte, Nous possédons aussi un gros échantillon de ce même fer de Bendepo sur lequel l'acide à dessiné de belles figures de Widmannstætten. Un collectionneur américain, M. Ward (de Rochester), nous a apporté, en échange de quelques-uns de nos doubles, une série intéressante. On y remarque d'abord deux masses originaires du Chili, désignées sous les noms de Doña [nez et de Llano del Inca. et qui pourraient bien, malgré certaines NOTICE SUR LA COLLECTION DE MÉTÉORITES. n31 différences de composition, dépendre de la même chute. À côté se signale la curieuse météorite trouvée à Rockwood (Tennessee) en 1787. Cest une pierre renfermant de grosses granules métalliques qui, par les procédés ordinaires, donnent de très nettes figures de Widmannstætten. Enfin on citera dans la même série la syssidère de Kiowa (Kansas), dont la découverte date de 1890 et qui, renfermant dans une masse métallique des cristaux de péridot, diffère cependant profondément par sa structure du célèbre fer de Pallas. Cette masse présente dans certaines de ses parties de la magné- üte cristallisée qui dérive certainement de fer métallique soumis au rouge à une aclion oxydante et dont la présence est très instructive au point de vue de l'histoire générale des météorites. Plusieurs météorites américaines nous viennent de Washington par l'intermédiare du professeur Clarke, du National Museum. On citera dans le nombre : San Emigdio Range, Bramudor, Trinity C°, Deal et Grand Rapid. Dans ces derniers temps, l'attention a été fortement appelée sur la dé- couverte, faite d'abord par M. Foote et confirmée par MM. Friedel et Mois- san, du diamant à l'intérieur d'un fer météorique découvert sous la forme de nombreuses masses à Cañon Diablo, dans l'Arizona. On verra dans la collection plusieurs échantillons provenant de cette localité; l'un d'eux con- hient un petit grain qui fait sur le verre des traces aussi profondes que le ferait un diamant. Plusieurs pluies de pierres sont survenues durant la période qui nous occupe et il sufhra de mentionner ici celle qui eut lieu le 2 mai 1890 à Forest City (Winnebago County) | lowa |, et qui couvrit une vaste surface d'innombrables échantullons. Nous en avons plusieurs qui permettent une étude complète du phénomène: quelques-uns nous ont été donnés par M. À. Newton, astronome américain bien connu. Le »5 juin 189o est tombée à Farmington, Washington C° (Kansas). une météorite de 70 kilogrammes environ, qui pénétra de plus de 1 mètre dans le sol très dur et très compact. M. Kunz (de New-York) nous en à donné un très bel échantillon où l’on reconnait le curieux type lithologique déjà représenté par la pierre de Tadjera et par plusieurs autres, et qui 132 M. STANISLAS MEUNIER. contraste par sa couleur tout à fait noire avec la teinte pris clair des mé- téorites les plus fréquentes. C'est sans doute une des masses les plus intéressantes que nous ayons à citer que la météorite de Jelica (Serbie), 19 novembre 1889. Identique à celle qui est tombée également en Serbie, à Soko Banja, le 13 octobre 187°, et représentant avec elle tout ce qu'on connait d'un type lithologique des plus caractérisés, on peut la considérer comme d'une portée incom- parable pour la connaissance des relations stratigraphiques des roches cosmiques. Après avoir cité la météorite charbonneuse tombée à Migheï, en Russie, le Q juin 1889, et les deux météorites turques de Tirnowa, Roumélie (1873).et d'Urbo, Belgrad Djik (2 juin 1883), qui nous ont été envoyées tout récemment par M. Hall Edhem Bey, nous terminerons cette énumé- ration rapide par un mot sur des raretés exceptionnelles. C'est le cas pour la pierre de Schœnenberg en Bavière (25 décembre 1846), dont la collection de Mumich à à peu près le monopole. Nous en avons acquis un bon spécimen de M. le professeur Groth. Le fer tombé 1l y a quelques années à Hassi Tekna, dans l'extrême sud saharien, nous est parvenu tout entier et aucune autre collection n'en pos- sède le plus petit spécimen. Il pèse 1 kilogr. 250 et contraste par sa formé arrondie, en goutte ou en larme (pl. E, fig. 1), avec le profil ordinaire- ment si anguleux et si irrégulier des météorites. C'est d'une manière excep- üonnelle que les chutes de fer se produisent à notre époque et devant des témoins; les plus nombreuses remontent à des époques inconnues. Cette circonstance ajoute un grand intérêt à la masse de Hassi lekna. C'est d'Algérie aussi que nous provient le fer d'Haniet el Bequel (pL E, fig. 2), qui présente cette particularité d'avoir été découvert à 5 mètres de profondeur dans la masse d'un diluvium non remanié. On peut con- clure de là que sa chute date d’une très haute antiquité. C'est une masse de 2 kilogrammes environ, dont les dimensions principales sont o m. 16, o m.19 et o m. 06; par un frappant contraste avec le fer précédent et que les figures font bien ressorur, elle est limitée par des surfaces riches en concavités de la catéporie de celles qu'on désigne souvent sous le nom de NOTICE SUR LA COLLECTION DE MÉTÉORITES. 133 coups de pouce et sur lesquelles persistent cà et là des restes de l'écorce noire résultant du passage de la masse incandeseente au travers de l'atmosphère. On n'a pas de doute d'ailleurs que certaines chutes de météorites se rapportent à des époques très anciennes. Notre magnifique plaque polie de 2 kilogr. 280 de la masse de Eagle Station, Carroll C° (Kentucky), pro- vient d'un bloc recueilli à proximité d'un mound ou tertre préhistorique dans lequel on a trouvé des fragments de même origine façonnés en pen- dants d'oreilles. Cette météorite offre en même temps des traits de strue- ture extrémement importants au point de vue de la géologie des météorites. VIII COUP D'ŒIL SUR L'ÉTAT ACTUEL DE LA COLLECTION. Les échantillons représentant les diverses chutes de météorites ne rem- plissent pas toutes nos vitrines. Une partie de celles-ci est consacrée à des spécimens qui augmentent considérablement la signification des précé- dents en faisant pénétrer le visiteur dans tous les chapitres de l'histoire des pierres tombées du ciel et en mettant sous ses yeux les rapports de la Géologie proprement dite avec la géologie cosmique. Tout d'abord se présentent des exemples destinés à faire comprendre les principaux moyens d'étude auxquels on a recours pour parvenir a a connaissance des météorites. Ce sont des surfaces polies, montrant à l'œil nu, et mieux encore à la loupe, l'aspect et la situation relative des minéraux associés dans les roches qui tombent du ciel. Les surfaces polies des fers météoriques et des roches riches en gra- nules métalliques ont été traitées de diverses façons, afin d'y dessiner les réseaux réguliers connus sous le nom de fioures de Widmannstætten, tan- tot par les acides comme on le fait généralement: tantôt par des sels métalliques, comme le sulfate de cuivre, le bichlorure de mereure, Île chlorure d'or, ou par la potasse fondue; tantôt enfin par des liquides con- venablement choisis et sous l'influence du courant de la pile. 29 IMPRIMERIE NATIONALE, 431 M. STANISLAS MEUNIER. Ces dernières méthodes ont procuré des notions nouvelles sur la consti- {ution interne des météorites. Pour les météorites pierreuses, plusieurs centaines d'entre elles ont été réduites en lames si minces qu'elles sont tout à fait transparentes et per- mettent l'examen microscopique, en lumière directement transmise, des roches au travers desquelles elles ont été taillées. Ces lames constituent une collection des plus précieuses. Des cassures fraiches font voir les principaux accidents de structure, qui peut, suivant les cas, être uniforme, globulifère, poudingiforme ou bré- chiforme. Dans ce dernier cas, un fait capital est mis en évidence, que des études attentives sont venues confirmer dans les détails : c'est que des mé- téorites d'abord parfaitement distinctes les unes des autres, appartenant même aux types lithologiques les plus différents, se sont mélangées à l'état de fragments pour prendre part à la constitution de masses clastiques. Nous aurons à revenir tout à l'heure sur quelques exemples de ce genre. On remarquera des squelettes métalliques extraits des syssidères, soit par l'étonnement de leurs éléments Hithoïdes, soit par la dissolution et la désagrégation de ceux-ci dans l'acide azotique fumant, réactif dans lequel la partie métallique, devenue passive, reste inaltérée. Ge procédé vérita- blement anatomique a permis de distinguer les unes des autres des masses que d'autres caractères portaient à confondre dans une même catégorie et de préciser les conditions générales dans lesquelles elles ont pris nais- sance. Une série d'échantillons, qui est destinée à s’accroitre tous Îles Jours, concerne les caractères généraux des météorites, leur constitution miné- ralogique et ce qu'on est de plus en plus en droit d'appeler leur géologie. Aux caractères généraux se rapportent les spécimens propres à mon- rer la vitesse dont les pierres sont animées au moment de leur chute et parmi lesquels il faut citer un fragment d'argile sur lequel s'est écrasée une des pierres d'Orgueil (1/4 mai 1864), et une traverse de chemin de ler coupée par la météorite du New Concord, dans l'Ohio, le 7 mai 1860. On sait d'ailleurs que cette vitesse est extrêmement variable suivant les cas, depuis celle des météorites de Pultusk (30 janvier 1868), qui sont NOTICE SUR LA COLLECTION DE MÉTÉORITES. 135 tombées sur la glace mince de la Narew sans la briser, jusqu'à celle de la pierre de Bénarès (19 décembre 1798), qui traversa un toit. Il faut appeler l'attention sur une série d'exemples de la forme polvé- drique, quelquefois tabulaire des météorites. À cette occasion, nous devons signaler la très instructive suite de mou- lages donnant avec la plus scrupuleuse exactitude la forme des météorites dont la collection ne possède que des fragments. Sans énumérer même les principaux spécimens de cette série, on mentionnera seulement ici le modèle en plâtre du fer de Pallas, d’un si haut intérêt historique, et celui du fer de Cabin Creek, dont la forme en bouclier est si singulière. Aux moulages se rattachent la reproduction en bois du fer de Bendego déjà cité et celle de l'énorme fer d'Ovifak de 21,000 kilogrammes, dont lori- oine tellurique est maintenant démontrée. Les divers types de croûte, depuis l'écorce mate de laumalite jusqu'au vernis brillant de leukrite, sont représentés. On remarque la croûte blanche de la chladnite (Bishopville) et l'absence de croûte sur les météo- rites métamorphiques comme la tadjérite. I est à rappeler à cette occa- sion que l'absence de croûte dont il s’agit est plutôt apparente que réelle et tient à ce que la coloration noire de la croûte des pierres ordinaires et la coloration noire de toute l'épaisseur de celles-ci tiennent à une seule et même cause : échauffement postérieur à la constitution de la roche. On citera ici parmi les minéraux météoritiques exposés dans la collec- tion : Le fer nickelé extrait de l'holosidère de Charcas par des procédés spé- claux, grâce auxquels on peut même isoler les uns des autres des alliages distincts dont les principaux sont la tænite, la Kkamacite et la plessite. Des cubes de clivage obtenus du fer de Sainte-Catherine en démontrent la structure essentiellement cristalline. La schreibersite de Toluca, dont un fragment est doué du magnétisme po- laire. C'est un phosphure de fer et de nickel qui n'a pas été retrouvé parmi les minéraux terrestres. La rhabdite, qui en est fort voisine et qui cristal- [<< DD 136 M. STANISLAS MEUNIER. lise dans le système quadratique , figure au contraire parmi les produits engendrés dans les houwillères exploitées. La pyrrhotine (troilite) en rognons dans Îles fers de Caille, de Cosby's Creek. de Sainte-Catherine ete. C'est un sulfure de fer et de nickel dont la composition, qui a été définitivement déterminée au Muséum, fait une variété de pyrrhotine (Fe’ S°) et non un protosulfure comme on l'avait cru d'abord". La millerite ou sulfure de nickel l'accompagne dans la mé- téorite de Sainte-Catherine. La daubréelite de Coahuila est un sesquisulfure de chrome que Shepard avait d'abord découvert dans la pierre de Bishop- ville, et que Lawrence Smith a étudié d'une maniere complete. La lœvrencite de Rockingham est du protochlorure de fer, composé très instable, dont la découverte est due à Lawrence Smith. Elle a le plus haut intérét en dévoilant les conditions mêmes dans lesquelles se sont produits les fers météoriques et qui, pour l'ordinaire du moins, n'ont rien de com- mun avec la fusion. Le praplute en rognons du fer de Sevier County, et le graphite en écailles disposées autour des rognons de la pyrrhotine, de plusieurs fers méléoriques. Le diamant de Nowo Urej donné à la collection par MM. lerofeief et Latschinoff, à qui la découverte en est due; celui du fer de Cañon Diablo, trouvé bien plus récemment. La maonéhte cristallisée de Kiova et de Sainte-Catherine, celle-ci souvent en petits cristaux dodécaédriques et fréquemment en fragments magnéli- polaires. La chromite ou fer chromé de Coahuila. Ce minéral a été trouvé bien des fois dans les masses météoritiques et c'est à sa présence quil faut rat- lacher la découverte du chrome dans les météorites faite par Laupier en À côté de la pyrrhotine, il existe dans la composition se rapproche de celle du cerlaines météorites, mais en quantité beau- protosulfure et qui peuvent même être moins coup moindre, des sulfures différents, dont sulfurés que lui. NOTICE SUR LA COLLECTION DE MÉTÉORITES. 137 1806. Ge qui fait l'intérêt exceptionnel de l'échantillon exposé, donné au Muséum par M. Lawrence Smith, c'est que la chromite constitue dans le ler de Coahuila, non des grains disséminés, mais de vrais nodules compa- rables aux nodules de pyrrhotine, de daubréelite ou de graphite antérieu- rement constatés. On verra, à côté de ces beaux spécimens, de la chromite pulvérulente extraite de la météorite d'Imilac (Atacama). Le péridot de Krasnojarsk est représenté dans la collection par de très nombreux échantillons, et parmi ceux-ci on en voit plusieurs qui sont tout à fait propres à des mesures goniométriques du genre de celles auxquelles Gustave Rose a procédé le premier. Toutefois 1l est manifeste que ces cris- taux sont généralement brisés. Ils n'ont pas été engendrés dans le fer et au contraire le métal est venu se concréter autour d'eux. L'enstatite incolore (victorite) de Deesa se signale par le gros volume relatif de ses cristaux. Ils ont été extraits en 1868 et M. des Cloizeaux, à qui nous les avions alors soumis, a bien voulu les mesurer. L'enstatite brune (bronzite) de Breitenbach a été étudiée par M. Lang. L'augrite de Stannern a été signalé d'abord par Rammelsberg: celui de Juvinas a été mesuré par Gustave Rose. On en verra aussi qui provient de la météorite de Bustu où M. Maskelvne l'a signalé. La peckhamite d'Emmet County est un silicate verdätre intermédiaire entre le péridot et le pyroxène. Il se retrouve dans les logronites et spé- cialement dans la pierre de Sierra de Chaco. L'anorthite de Stannern est connue depuis les travaux de Rammelsberp, et celle de Juvinas depuis ceux de Gustave Rose. L'asmanite de Breitenbach est, d'après M. Maskelyne, une variété de si- lice cristallisée, distincte à la fois du quartz et de la tridymite. Les échan- üllons nous ont été donnés par le savant anglais. La breunnerite d'Orgueil a été signalée par M. des Cloizeaux sous la forme de cristaux en parallélépipèdes obliquangles extrêmement petits. 138 M. STANISLAS MEUNIER. C'est ici l'occasion de signaler des échantillons qui montrent comment l'expérimentation a procuré la reproduction artificielle d'un certain nombre des minéraux constituant les météorites. Parmi les résultats exposés, on citera les plus nets. Les fers nickelés ont été 1mités dans leur composition chimique par la fusion de mélanges convenables de fer et de nickel, et M. Daubrée les a produits aussi en réduisant par le charbon des silicates contenant à la fois les deux métaux. Une autre méthode, qui permet d’avoir purs, et séparés les uns des autres, les alliages les mieux définis et les plus caractéristiques, consiste à traiter au rouge le mélange des chlorures par un courant d’hydro- vene. La tænite, la kamacite et d'autres alliages ont été ainsi exactement imités. Cette expérience a procuré accidentellement des cristaux très nets de lawrencite, où protochlorure de fer, et c'est certainement une raison de croire que les conditions du laboratoire se rapprochaient de celles où les minéraux naturels ont pris naissance, On ajoutera même que l'association des alliages météoriques avec des substances très peu réfractaires, comme la pyrrhotine en rognons qu'ils enveloppent concentriquement, doit faire repousser l'opinion, souvent défendue cependant, d'une origine par fusion. Il sera permis de constater 1e1 avec satisfaction que, comme conclusion à ses savantes analyses du fer diamantfère de Gañon Diablo, M. Friedel vient de se rallier à la même conclusion, formulée aussi tout récemment par M. Daubrée. La pyrrhotine arülicielle exposée a été obtenue par l'action au rouge de hydrogène sulluré sur le fer ou sur le fer nickelé. L'expérience parait reproduire les conditions mêmes qui se sont développées dans le milieu d'où provient le fer de Sainte-Catherine, et c'est ce qui conduit à considérer celui-ci comme représentant une roche cosmique épigénique. La repro- | duction de la magnétite conduit à la même conclusion. La daubréelite a été fabriquée en faisant agir Fhydrogène sulfuré au rouge sur un alliage préalablement préparé de fer et de chrome. Les échan- üillons exposés permettent d'apprécier Fidentité du produit de laboratoire avec la daubréelite naturelle. NOTICE SUR LA COLLECTION DE MÉTÉORITES. 139 L'expérimentation synthétique a permis d'obtenir les éléments pierreux des météorites comme leurs éléments métalliques. On verra dans la collec- tion des péridots et des enstatites préparés par M. Daubrée par la fusion de leurs éléments mélangés. D'autres spécimens résultent d'un procédé tout à fait différent, qui parait avoir l'avantage de rattacher l'origine des silicates aux mêmes réactions générales que les alliages métalliques. Il consiste à soumettre du magnésium métallique à l'action simultanée de la vapeur d’eau et la vapeur de chlorure de silicium à la température rouge. La ressemblance avec les silicates naturels est extrêmement frappante, et c'est la seule méthode qui ait jusqu'ici procuré une imitation parfaite des chondres rayonnants si caractéristiques des météorites appartenant aux types les plus communs. L'imitation des syssidères concrétionnées et des granules métalliques des météorites est démontrée par plusieurs échantillons qu'il y a lieu de signaler. On voit en effet, en les examinant, que les procédés de synthèse par réaction et réduction de vapeur sont bien plus efficaces que la fusion pour reproduire la cimentation de fragments pierreux par un squelette métallique, ou l'intercalation, entre des éléments lithoïdes, de granules de fer mickelé semblables à celles des météorites ordinaures. Les mêmes manipulations ont procuré des masses entièrement métal- liques donnant par les acides de véritables figures de Widmannstætten. Une des parties les plus autonomes de la collection du Muséum, parce qu'elle la distingue le mieux de toutes les autres, c'est la vitrine où sont réunis des spécimens illustrant les actions péolopiques dont les météorites ont conservé la trace. L'ensemble de ces échantillons constitue un vrai chapitre de Géologie extraterrestre et l'addition dans chacune de ses subdivisions de spécimens empruntés à nos propres roches fait ressortir à tous les yeux la haute portée de la Géologie comparée. C'est ainsi que bien des pierres météoriques manifestent les effets d'éner- piques actions mécaniques exercées sur elles apres leur constitution défi- nitive. 440 M. STANISLAS MEUNIER. Des failles, appelées parfois Lones cosmiques, les traversent fréquemment et par leur entre-croisement se rejettent mutuellement. Des échantillons empruntés aux chutes de Château-Renard, de Girgenti, ete., sont ex- pliqués, pour ainsi dire, par le voisinage d'échantillons terrestres tout à fait semblables au point de vue qui nous occupe. Ce sont des fragments avec rejet de filons rubanés des Cornouailles, de marbre ruiniforme où les déplacements mutuels des fragments ressoudés sont faciles à con- stater, etc. Aux failles doivent sans doute se rattacher, au moins pour leur origine mécanique, les surfaces frottées comme en montrent, entre autres, des échantillons provenant des chutes de Limerick, de Salles et de Pultusk, parmi les pierres, ainsi que des fragments fort curieux de la syssidère d'Atacama. À côté de ces échantillons extraterrestres sont exposés des frag- ments de calcaire ayant des mirowrs de tout point comparables et dérivant sans aucun doute des mêmes actions. La pierre de Cangas de Onis (Espagne) [6 décembre 1866 | est expo- sée 161 comme type de brèche polygénique évidente et sa signification est rendue plus claire encore par le voisinage d'un échantillon de roche ter- restre qui, avec une composition toute différente, manifeste des conditions mécaniques pareilles. On a choisi un morceau du mélaphyre bréchiforme de Giromagny (Vosges), qui se trouve présenter des fragments agglutinés de mème dimension et sensiblement de même forme que ceux de la mé- téorite. Nulle différence ne saurait être admise à priori dans la dynamique du mode de formation de deux roches si semblables pour la structure, et comme nous savons l'histoire de la brèche mélaphyrique, 1l est légitime d'en conclure celle des météorites analogues. Cela revient à dire (et tout le monde sera frappé de l'importance de cette conclusion) que dans le milieu quelconque où les roches extraterrestres ont pris naissance, 1l v a eu successivement : 1° constitution de roches homogènes différentes les unes des autres; 2° concassement de ces roches: 3° transport des débris ainsi produits plus où moins loin de leur gisement primitif; 4° mélange de ces débris (ce qui suppose la communauté du gisement que nous ve- nons d'indiquer sous le n° 1°); »° enfin cimentation des débris mélangés NOTICE SUR LA COLLECTION DE MÉTÉORITES. A4 à l'état de brèche cohérente, comme la pierre de Cangas de Onis et bien d'autres en sont des échantillons. Du reste, cette catégorie des météorites clastiques est fort nombreuse et parmi celles qui en font partie beaucoup rappellent nos trass et nos pepe- rinos encore plus qu'elles ne rappellent la roche mélaphyrique prise ici pour exemple. Ainsi, si l'on oublie un moment la constitution minéralogique pour ne retenir que la contexture, les pierres les plus fréquentes du type de Saint-Mesmin (30 mars 1866) et de Canellas (1/4 mai 1 861) sont tout à fat de la même catégorie que les conglomérats trachytiques des bords du Rhin et que les conglomérats basaltiques du Puy-en-Velay. C'est encore ce que la collection fait bien ressortir par les échantillons qu'on y voit Juxtaposés, et rien ne peut mieux préparer à l'acceptation des notions qui font la base même de la Géolooie comparce. Des spécimens des pierres de Chantonnay et de Tadjera sont destinés à illustrer un chapitre de la Géologie comparée auquel convient le nom de mélamorphisme météoritique. H résulte, en effet, de l'examen de ces pierres qu'elles représentent une modification secondaire de roches originellement différentes. I suffit, en effet, de soumettre ces dernières, dont les météo- rites grises fournissent de très nombreux échantillons, à une élévation con- venable de température pour y provoquer la production de veines noires, comme dans la météorite de Chantonnay, ou pour les teindre en une nuance noire foncée et umiforme, comme celle de la pierre de Tadjera. Cette manipulation si simple a son analogue terrestre dans l'expérience qui permet de faire du marbre par l'échauflement de la craie, c'est-à- dire d'imiter lune des actions les plus nettes du métamorphisme pro- prement dit, et l'on peut pousser le parallèle plus loin encore, au grand profit de la science nouvelle qui relie, dans un faisceau commun de no- tons positives, les profondeurs de la terre aux profondeurs du ciel. En effet, le métamorphisme de la craie, c'est-à-dire sa transformation en marbre cristallin, est porté au maximum dans les régions comme le comté d'An- trim, en [rlande, où le terrain calcaire a été traversé par des éruptions de basalte. La roche ignée a çà et là empâté des fragments des masses en- caissantes qui s'y sont profondément transformées. Or le monde si fertile 56 IMPRIMERIE NATIONALE, hA2 M. STANISLAS MEUNIER. des météorites nous procure des spécimens tout à fait comparables, tou- Jours avec la circonstance d'une constitution minéralogique différente. En effet, des échantillons exposés du fer de la Sierra de Deesa (Chili) (pl. L, fig. 5) offrent la même structure (sans qu'il y ait bien entendu aucun rapport pour la composition) que le filon de basalte de l'Irlande. I sufhit d'y supposer la substitution du basalte au fer et des fragments de marbre aux fragments de tadjérite pour passer sans difficulté de l'un à l'autre. Il résulte de là que la météorite de Deesa se présente comme un spéei- men de dyke, ou filon éruptf, et des confirmations peuvent être réunies de différentes manières. D'abord la partie métallique n'a pas la structure régulière des fers météoritiques normaux que révéle l'expérience de Widmannstætten; elle est au contraire confuse et c'est le caractère le plus immédiatement visible des fers qui ont été fondus. D'un autre côté, les fragments pierreux noirs sont comparables aux enclaves des roches éruptives terrestres et ont manifestement subi une al- tération secondaire dérivant de la haute température de la roche fondue enveloppante. Etil est à peine besoin d'ajouter que ces circonstances supposent d'une manière nécessaire que le milieu quelconque extraterrestre, d'où provient le fer de Deesa, ait eu une grande complexité géologique dont nous pouvons nous faire une idée . Des roches entièrement pierreuses y étaient asso- ciées à des roches entièrement métalliques. Ges dernières, encore à l'état de fusion, ont éprouvé des pressions assez énergiques pour provoquer leur injection au travers des masses lithoïdes qui ont été démantelées, réduites parhellement en fragments que le fer a empâtés et, transformées par sa chaleur, de normales et grises qu'elles étaient d'abord, en mases métamor- phiques et noires. Gomme on le voit, 1l résulte de cet ensemble de faits [est intéressant de noter que les par- lement seul à posséder le fer de Deesa. celles de la météorite dont il s'agit qui figu- Quelques auteurs n'ont cependant pas craint rent dans d'autres musées ne pouvant en de disserter sur cette masse exceptionnelle montrer la structure, le Muséum est réel- dont ils n'ont aucunement compris l'intérêt. NOTICE SUR LA COLLECTION DE MÉTÉORITES. 43 éloquents entre tous, non seulement une preuve de la relation stralipra- phique de diverses roches, mais encore un aperçu d'une vraie chronologie péologique relative de météorites distinctes. Une tout autre catégorie de phénomènes géologiques non moins com- phqués est révélée par l'étude des échantillons exposés des météorites d'Atacama (Imilae). lei encore du fer métallique empâte des fragments rocheux, et cependant la structure est radicalement différente de celle du fer de Deesa. On en comprend la sigmification spéciale par les masses que nous avons mises à côté et qui sont empruntées à des pites métalli- fères terrestres, spécialement aux filons plombifères, dits en cocardes, du Hartz. La météorite présente des fragments d’une roche silicatée très com- plexe appelée dunite, enrobés d’une série de revêtements métalliques con- stitués chacun par un alliage spécial de fer et de nickel, dont l'expérience de Widmannstætten permet d'apprécier les caractères distincts. La roche terrestre montre des fragments d'une roche schisteuse, enrobés de revé- tements successifs de galène et de quartz bien facilement discernables. Les expériences de Senarmont ont démontré, à la suite des vues magistrales d'Élie de Beaumont, l'origine du filon terrestre par voie de concrétion par l'intermédiaire de fluides (liquides ou gazeux) de composition appropriée. Des expériences réalisées au laboratoire de géologie du Muséum ont fait voir de même qu'on imite exactement la masse météoritique d'Imilac en déterminant, autour de fragments de dunite, la concrétion d'alliages mé- talliques par des réactions chimiques entre des vapeurs. Nous avons donc dans ces spécimens des filons concrétionnés appartenant à une géologie extraterrestre, et ils conduisent, quant à la complexité du milieu d'où ils dérivent, à des conclusions analogues à celles que le fer de Deesa vient de nous permettre de formuler à la suite d'observations toutes différentes. Grâce à cet ensemble de faits, qui comprend une foule de particularités sur lesquelles il a été impossible de nous arrêter dans cette Notice très som- maire, on est dès maintement assuré de la communauté d'origine d’une foule de types de roches cosmiques. Les conséquences de cette notion, acquise peu à peu par de longues et laborieuses comparaisons, ont une importance qui, dépassant de beau- 56. 441 M. STANISLAS MEUNIER. coup le cadre des études météoritologiques, conduit à des conclusions générales, et qui ne sont pas sans grandeur, sur l'économie même du sys- tème solaire. Il résulte en effet de tout ce qui précède que nous sommes autorisés à voir dans le phénomène météoritique, quil est désormais puéril de per- . \ . » 4 \ , Q è sister à vouloir confondre avec le phénomène des étoiles filantes, la der- an , Van Je La * à JL 4 o A niere phase d'une véritable évolution sidérale et le mécanisme même par lequel la matiere des astres morts retourne à ceux qui continuent de vivre. Sans doute aussi, c'était une conception pleine de merveille que de voir dans les pierres tombées du ciel une aide divine envoyée d'en haut à des x nr. peuples favorisés. Combien, cependant, ne nous semble-t-elle pas maintenant mesquine en face de la simple réalité! En nous faisant pénétrer dans la structure intime d'astres autres que la terre, en inaugurant par conséquent une Géologie comparée, cette poudre de mondes disparus nous apporte en même temps des abimes de l'espace des révélations positives et inattendues sur la nature des profondeurs In- accessibles de notre globe et des notions prophétiques sur l'avenir réservé a la planète que nous habitons. Sans pouvoir aborder 1e1 ces vastes considérations. qui demanderaient L4 20 . D on - des développements spéclaux, il suffira de constater en manière de conclu- sion que les météorites réunissent dans une synthèse grandiose, et sans Les confondre. la science de la terre et la science du ciel. NOTICE SUR LA COLLECTION DE MÉTÉORITES. HAS EXPLICATION DES PLANCHES. PLANCHE I. Fi6. 1. Fer météorique tombé vers 1889 dans l'extrême Sud algérien, auprès du puits de Hassi lekna, sur la route d'EL Goléah au Gourara, dans la vallée de l'Oued Mepguiden. — 9/10 de la grandeur naturelle. Cet échantillon, qui pèse 1,250 grammes, à été procuré au Muséum par M. Hélo, capitaine au 5° régiment de tirailleurs algériens, et lui avait été cédé par les Arabes de la tribu des Chambaa, témoins de sa chute. Il contraste par sa forme arrondie, en goutte ou en larme, avec le contour ordinaire très accidenté des fers météoriques. Çà et là, sa surface à con- servé des portions de la croûte noire, dont la masse s'était entièrement cou- verte, durant son trajet au travers de l'atmosphère. Les endroits dépouillés de cette vraie hvrée météoritique révèlent par leur couleur blane d'acier la nature métallique de la masse. Les figures de Widmannstætten sont nettes et très spéciales. Fc. 2. Fer météorique découvert en 1889 à Haniet el Bequel, Oued MZab, à 80 ki- lomètres à l’est de Ghardaïa, sur la route de Ouargla, dans le Sahara. L’échantillon, du poids de + kilogrammes, gisait à 5 mètres de profondeur en plein diluvium et a été rencontré au cours du fonçage d’un puits. On peut croire que sa chute remonte à l’époque quaternaire. — 1/2 de la grandeur naturelle. Le commandant supérieur du cercle de Ghardaïa, M. de Porter, recueil- lit ce bloc singulier, et M. Pouyanne, ingénieur en chef à Alger, le recon- nut pour une météorite et le fit parvenir au Muséum. La masse, de forme irrégulière et branchue, est limitée par des surfaces abondantes en concavités rentrant dans la catégorie de celles qu'on désigne souvent sous le nom de coups de pouce. De place en place persistent des restes de l'écorce noire caractéristique des métécrites. On a pratiqué sur une pointe une petite section qui, après polissage et attaque à l'acide, a montré de très belles figures de Widmannstætten. La teneur en nickel est de 7 p- 100. 116 M. STANISLAS MEUNIER. Fic. 3. Fer météorique découvert en 1866 à Juncal, dans la haute Cordillère d’Ata- cama, entre le Rio Juncal et Pœdernal, dans des conditions qui ont été mentionnées plus haut (p- 41 2). Le bloc, du poids de 104 kilogrammes, a été donné au Muséum par le gouvernement chilien à la suite de l'Expo- sition universelle de 1867. — 1/4 de la grandeur naturelle. Fire. 4. Météorite découverte en 1862 dans la Sierra de Chaco, en Bolivie. Échantillon de 12 kilogrammes donné au Muséum par Ignace Domeyko et au travers duquel on a poli une surface plane qui permet d’en étudier la structure. — 9/5 de la grandeur naturelle. On voit que la roche constitutive de cette remarquable météorite con- siste dans le mélange de grosses granules métalliques avec des éléments pierreux; ceux-ci sont de plusieurs sortes : les plus volumineux et en même Lemps les plus nombreux sont noirâtres et très cristallins. Ils sont suscep- übles d’un très beau poli qui révèle leur nature complexe et leur structure très remarquable. Une deuxième roche se montre en fragments grenus et partiellement attaquables aux acides. On remarque de gros fragments, d’un troisième genre, essentiellement formés de péridot lamellaire fendillé sui- vant les plans de clivage, et dont les fissures contiennent des filaments longs et fort déliés de fer nickelé. Enfin, mais bien plus rarement, on observe des fragments blanchâtres et spathiques qui ont été reconnus pour consister en peckhamite. F6. 5. Fer météorique de la haute Cordillère de Deesa. — 92/5 de la grandeur na- turelle, On à vu (p. 415) les circonstances de la découverte de cette masse intéressante. À la suite des études très détaillées dont elle a été l'objet au triple point de vue chimique, minéralogique et lithologique, elle s’est révélée comme représentant parmi les météorites un spécimen de plan éruptif ou dyke, ayant empâté et métamorphisé des fragments de la roche encaissante. PLANCHE IL. Fc. 1. Météorite tombée le 11 juillet 1868 à Ornans, dans le département du Doubs. — 1/2 de la grandeur naturelle. Cette masse d'un type litholo- gique tout à fait particulier, où seule jusqu'ici la météorite de Warrenton { Missouri | (1° janvier 1873) figure avec elle, est entièrement oolithique. Une croûte remarquablement épaisse et très peu adhérente l'enveloppait de toutes parts. Des expériences synthétiques permettent de croire que les globules constituant des météorites ont pris leur forme caractéristique par suite des remous des substances gazeuses, dont la réaction mutuelle à haute température à amené la condensation brusque de lenstatite et des silicates Q , qui l’'accompagnent. NOTICE SUR LA COLLECTION DE MÉTÉORITES. A7 Fic. 19 . Météorite tombée le 30 mars 1866 à Sant-Mesmin, dans le département de l'Aube. — 1/2 de la grandeur naturelle. L'étude de la météorite de Saint-Mesmin a été extrêmement féconde au point de vue de la géologie comparée, en fournissant l’un des premiers exemples très nets de brèche constituée par des fragments juxtaposés appar- tenant à des types lithologiques distincts. IL est impossible, à qui examine cette météorite sans idée préconçue, d'y supposer un instant le résultat d’une action unique , de croire qu’elle s’est faite d’un seul coup. Son his- toire géologique, analogue à celle de bien d’autres roches tombées du ciel, est au contraire très compliquée. Fic. 3. Météorite tombée le 23 mai 1869 à Kernouve, Cléguérec (Morbihan). — 2/5 de la grandeur naturelle. Le bloc que possède ie Muséum pèse 15 ki- logrammes ; il est limité d’un côté par une surface cylindroïde remarquable , recouverte de Ja croûte caractéristique. La roche qui le constitue, dite erx- lébenite, est peu fréquente ; elle se signale par son grain très fin et très cris- tallin et par sa grande dureté. Fi. 4. Météorite tombée le 14 mai 1864 à Orgueil, près de Castelsarrasin (Tarn-et- Garonne). — 2/5 de la grandeur naturelle. Cet échantillon, tout à fait exceptionnel, pèse sensiblement 2 kilo- grammes ; la chute qui l’a procuré a couvert de pierres une aire de projection de 20 kilomètres sur 4 et par conséquent très allongée et dirigée de l’est à l’ouest. Sur cette surface, les projectiles célestes ont observé un triage exact d’après leurs dimensions relatives : les plus nombreux, d’un poids moyen de 100 grammes environ, ont été ramassés aux environs de Campsas. Les plus petits, dont quelques-uns ne pesaient que 15 grammes, ont été trouvés dans la partie occidentale, notamment aux environs de Monthéqui, tandis qu'au contraire c'est dans la partie la plus orientale que se sont trouvés les plus volumineux. Aussi les échantillons pesant au delà de 1 kilogramme ont tous été recueillis à l’est de la route de Montauban à Toulouse passant par Frontin, et le plus gros pèse 2 kilogrammes; celui dont nos lecteurs ont le portrait est tombé au château de Beaudanger, qui occupe la position la plus avancée de toutes vers l’est. La météorite d'Orgueil est constituée par une roche essentiellement char- bonneuse. Son étude a procuré une foule de notions des plus importantes. Fic. 5. Météorite tombée le g juin 1867 à Tadjera, près de Guidjell, arrondissement de Sétif, en Algérie. 2/5 de la grandeur naturelle. Cette pierre se distingue à première vue par la couleur du noir profond de toute sa substance. Des études analytiques et synthétiques ont démontré qu'on doit la caractériser comme résultant de la transformation par une M. STANISLAS MEUNIER. véritable opération métamorphique des météorites grises ordinaires. Il suflit en effet de chauffer au rouge pendant un quart d'heure un petit fragment de ces derniers pour lui communiquer tous les caractères de la pierre de Tad- jera. La considération du métamorphisme météoritique dont nous possédons maintenant de nombreux exemples plus ou moins accentués à été extrême- ment féconde au point de vue de la géologie comparée. Centenaire du Musern. PI. I. Bideault, ad. nat. del. Imprimerie Nationale. Météorites du Muséum. (Les échelles sont en centimètres ). PAEITE S'ece/22. lentenaire du Mu … APERÇU DES DÉVELOPPEMENTS DE LA MINÉRALOGIE PENDANT LE SIÈCLE QUI VIENT DE S'ÉCOULER ET CONTRIBUTION DES PROFESSEURS DU MUSÉUM À CE PROGRÉS, PAR M. A. LACROIX, PROFESSEUR DE MINÉRALOGIE. IMPRIMERIE NATIONALE. APERÇU DES DÉVELOPPEMENTS DE LA MINÉRALOGIE PENDANT LE SIÈCLE QUI VIENT DE S’ÉCOULER ET CONTRIBUTION DES PROFESSEURS DU MUSÉUM À CE PROGRÈS. Les savants qui, antérieurement à la Révolution, ont illustré le Jardin du Roi par leurs travaux et leurs enseignements, s'occupaient volontiers à la fois de toutes les branches de Fhistoire naturelle; mais la botanique et la zoologie tenaient certainement la première place dans leur pensée. Le règne minéral n'était représenté dans le droguier, embryon des futures saleries du Muséum, que par quelques échantillons compris au milieu des nombreux spécimens appartenant au monde organique. Buffon, le premier, vers 1745, sentit toute l'importance de cette lacune et eut l'idée d'organiser une collection de minéralogie. Daubenton fut chargé de ce service; autorisé par son tre modeste de démonstrateur, 1l y Joignit un enseignement moins précis, moins pratique que celui qui, vers la fin du siècle, attira tant d'élèves à Freiberg, auprès de Werner, mais qui, par l'ampleur des vues, l'originalité des idées théoriques, avait le mérite d'élever l'esprit de recherches et de susciter des conceptions nouvelles. La foule affluait à ses leçons et, parmi ses auditeurs assidus, il à compté la plupart des hommes de science de son temps. Lors de la réorganisation du Muséum, en 1793, 1l fut nommé professeur de minéralogie et reprit son cours, momentanément interrompu, sans en changer sensiblement le caractère, Îl continua ainsi ses leçons, toujours avec le même succes, Ro RES de ? de Jusqu à sa mort, à la fin de l'année 1 7199: 452 M. A. LACROIX. Dolomieu., que recommandait non seulement une longue carrière scien- üfique. mais en faveur duquel plaidaient encore les dures épreuves qu'il subissait en ce moment même dans les prisons napolitaines, fut appelé à lui succéder. Ge savant distingué, victime des événements politiques de son époque, ne fut mis en hberté qu'en vertu d'une stipulation spéciale du traité de paix d'Amiens. Il revint en France miné par la maladie. A sa mort, survenue à la fin de 1801, Haüy, alors dans tout l'éclat de sa célé- brité, fut désigné pour le remplacer. Pendant vingt et un ans, il a OCCUPÉ la chaire de minéralogie du Muséum et fondé véritablement la collection actuelle, Travailleur infatigable, poursuivant sans cesse le développement el les applications multiples de la découverte qu'il avait faite en 1781. exposant avec simplicité et clarté l'idée ingénieuse qu'il avait conçue sur la constitution des substances cristallines, 1l a donné une base stable et incontestée à la minéralogie, dont il est encore aujourd'hui regardé comme le créateur. Il a été l'une des gloires les plus hautes de la science fran- case. Son successeur, Al. Brongniart, était plutôt géologue que minéra- logiste. Ses travaux les plus remarquables ont eu surtout pour objet des questions diverses de stratigraphie et de paléontologie, n'ayant qu'un rap- port indirect avec la science qu'il était chargé d'enseigner. Après lui, Dufrénoy et Delafosse ont successivement oceupé la chaire le premier de 1847 à 1857, le second de 1857 à 1876. L'un et l’autre. rentrant dans la voie ouverte par Haüv, ont repris l'étude des corps eris- lallisés. La plupart des minéralogistes français qui sont nos maitres à l'époque actuelle ont été leurs disciples. I faut reconnaitre cependant que l'effort principal de leur enseignement ne s'est pas exercé au Muséum. C'est à l'École des mines que Dufrénoy a eu son foyer scientifique de pré- dileclion, c'est là que s'est principalement manifestée son influence. C'est à l'École normale que Delafosse a trouvé ses élèves les plus fervents et les plus distingués. M. des Cloizeaux, formé à leur école, mais dérivant plus encore de Lévy el de Senarmont, a succédé à Delafosse en 1876. Par ses travaux el son enseignement, 1l a contribué plus qu'aucun savant de notre époque à faire entrer la minéralogie dans un nouveau champ d'exploration. APERÇU DES DÉVELOPPEMENTS DE LA MINÉRALOGIE. 453 À l'examen des formes extérieures des cristaux 1l a Joint linvestigation délicate de leurs propriétés optiques. Son labeur incessant à fourni à la science un trésor de données précises auquel sont venus puiser tous ceux qui se livrent à l'étude du. monde inorganique. La pétrographie, branche nouvelle de la minéralogie et d'essor rapide, a trouvé immédiatement dans les documents résultant de ses recherches une base sûre et des ma- tériaux tout préparés pour le monument qu'elle est en train d’édifier. En même temps, ses études sur les modifications que la chaleur imprime aux propriétés optiques des cristaux ont appelé l'attention sur lune des questions les plus intéressantes de la physique moléculaire. Il est 1m- possible de traiter lun quelconque des problèmes se rapportant à cet ordre élevé de spéculations scientifiques sans être obligé de remonter à l'un de ses écrits. Son influence, ressentie et appréciée par tous ceux qu en France l'ont approché, est également reconnue au dehors de nos frontières où 1l jouit d’un renom mérité. La chaire du Muséum, quil a honorée pendant ses années de professorat, va continuer encore, maloré sa retraite, de profiter de ses lumières et de sa puissante activité. À côté de la chaire de minéralogie, le Muséum en possède une de géolo- gie, inaugurée en 1793 par Faujas de Saint-Fond et occupée depuis lors par Cordier et par M. Daubrée. Ces savants, bien que fidèles dans leurs leçons au ütre de leur enseignement, ont fait sur le domaine de la miné- ralogie des incursions fructueuses qu'il est impossible de passer sous si- lence, de telle sorte qu'on ne peut faire l'histoire de l’une des chaires sans avoir à rappeler le nom et les travaux des savants qui ont occupé l'autre. Enfin on ne saurait oublier non plus la collaboration que la minéra- logie a reçue à mainte reprise des Becquerel, des Vauquelin et des Frémy, lui apportant d'un côté le concours de la physique et de l'autre celui de la chimie. Pour faire ressortir l'ensemble de l'œuvre dont les galeries et les labo- ratoires de minéralogie du Muséum ont été le théâtre pendant le siècle qui vient de s'écouler, nous aurons donc à empiéter sur le terrain voisin et à réunir en un faisceau commun toutes les précieuses conquêtes faites au profit de la minéralogie. 151 M. A. LACROIX. Afin de dresser aussi complètement que possible l'inventaire de ces ri- chesses, nous en formerons quatre lots. Dans le premier, nous rangerons les découvertes d'Haüy et celles qui ont été opérées dans la même direc- tion par ses successeurs. Nous réunirons dans ce groupe tout ee qui est relatif à la forme et à la structure des cristaux, ce qui se rapporte à la distinction des espèces naturelles au moyen de leurs caractères extérieurs. Le second lot comprendra l'examen des méthodes employées pour étudier les propriétés optiques des corps cristallisés et l'exposé des diffé- rents genres de données qui en ont été le résultat. Un troisième lot de documents contiendra l'exposé des procédés em- ployés pour l'extraction des minéraux des roches, pour l'isolement des espèces cristallisées que la nature nous présente enchevêtrées, engagées dans d'étroites associations, de manière à donner souvent à leur produit l'apparence d’une matière homogène. Nous aurons à raconter les essais tentés d’abord péniblement, puis couronnés de succès, pour atteindre ce but et permettre ainsi de soumettre les cristaux isolés et débarrassés de leurs impuretés aux investigations chimiques. Enfin un quatrième lot, d'une richesse exceptionnelle, dont l’origine remonte au siècle dernier, et qui, de nos jours, s'accroit encore incessam- ment, renferme les faits nombreux qui se rapportent à la genèse des cristallisations. À cette catégorie de faits se relient les expériences entre- prises sur la reproduction arüficielle des minéraux et les observations re- latives au métamorphisme. Haüy, après avoir découvert la constance de forme des petits éléments qui constituent un cristal plus ou moins volumineux, avait été amené à considérer un individu cristallin quelconque comme un agrégat de paru- cules de forme variable et en avait déduit la loi de dérivation des faces. Son observation et la grandeur de la théorie qu'il en déduisait lui avaient arraché cette exclamation : «J'ai tout trouvé». La distinction des formes des parallélépipèdes élémentaires, ainsi déterminés dans les divers miné- raux, la considération de leurs différents genres de symétrie et, comme conséquence, l'établissement des systèmes cristallins l'avaient entrainé de APERÇU DES DEVELOPPEMENTS DE LA MINÉRALOGIE. 455 nouveau à la même exelamation en opposition flagrante avec sa modestie habituelle. Et pourtant, se bornant au point de vue cristallographique pur. si l'on considère les progrès accomplis depuis lors, et si on les com- pare, malgré leur importance, à l'œuvre qu'il a accomplie, on est tenté de légilimer ou au moins d'excuser le eri de triomphe qui lui avait échappé. Ses successeurs ont surtout modifié la conception qu'il se faisait de la con- shtution moléculaire des corps eristallisés; au lieu d'y voir des assemblages réguliers de petits solides polyédriques serrés les uns contre les autres, ils se sont représenté les cristaux comme des réseaux de particules maté- rielles séparées par des intervalles plus ou moins considérables, mais dis- posés suivant des rangées rectlignes et des plans également écartés les uns des autres. De plus, pour rendre compte de certaines particularités que les cristaux présentent dans leur constitution intime, particularités dont la connaissance est postérieure aux travaux d'Haüy, ils ont dû concevoir les particules matérielles qui figurent les nœuds des réseaux en question, non plus comme des éléments homogènes, mais eux-mêmes comme des édifices réticulaires ayant leur symétrie propre. Delafosse et surtout Bra- vais ont été les promoteurs de cette théorie, plus générale, plus fertile. plus vraie, que celle qui avait guidé Haüy, mais qui, au fond, rentre dans le même cadre et conduit aux mêmes conclusions générales. À mesure que la physique moléculaire découvrira de nouveaux faits, la théorie de Bra- vais saura se prêter à leur interprétation, car son mérite principal consiste dans une élasticité plus grande que celle de l’idée ingémieuse sugpérée à Haüy par la vue de la poussière cristalline produite par le choc d'un marteau sur un eristal de calcite. Haüy est le premier qui ait appliqué le calcul à la détermination de la forme des cristaux. On rapporte que, saisi par la pensée de leur constitu- üon moléculaire, telle qu'il venait de la concevoir, il sentit immédiate- ment tout le parti qu'on en pourrait tirer au point de vue géométrique: mais comment réaliser ce but? Depuis quinze ans, 1l professait le latin au collège du Cardinal-Lemoine; dans ses moments de loisir, 1l avait cultivé la musique avec passion; pour pouvoir herboriser en compagnie de son ami Lhomond. 1l était devenu botaniste; mais, en revanche, 1l avait com- 156 M. 4. LACROIX. plètement oublié le peu de géométrie quil avait appris sur les bancs du collège. Cependant il ne seffraya point de son ignorance, dont il eut bientôt raison. Ses méthodes de calcul, toujours très élémentaires, sont encore aujourd'hui appliquées avec avantage dans les cas peu compliqués. Toutefois, de ce côté, Haüy a été beaucoup dépassé. Le caleul a été ap- pliqué avec tant de succès à la détermination des formes des corps affec- tant les différents genres de symétrie que d'excellents esprits, faisant de la cristallographie une science mathématique pure, en sont venus à en- olober la minéralogie tout entière dans ce classement. et ont oublié qu'elle était avant lout une science physique portant sur des réalités objectives. Du vivant même d'Haüy, Weiss, partant de l'idée abstraite des différents venres de symétrie, avait fait remarquer que les faces d’un cristal se grou- pent naturellement en zones caractérisées par ce fait que toutes celles qui en font partie sont parallèles à une même droite, De cette remarque il avait déduit une conséquence importante : c'est qu'en imaginant trois axes partant d’un même point, pris dans Pintérieur d’un cristal et orientés dans des directions en rapport avec son genre de symétrie, on pouvait, con- naissant la disposition de quatre faces appartenant à deux zones distinctes, calculer aisément celle de toutes les faces possibles du cristal examiné. Cette observation féconde simplifie beaucoup les opérations eristallogra- phiques. Le système de notation proposé par Haüy et simplifié par Lévy se re- commande par son élégante simplicité; 1l est commode pour la désipna- üon rapide des faces et d’un usage facile dans le langage parlé. Enfin, pour la représentation graphique des cristaux, il n'exige pas, sauf des cas exceplionnels, emploi de signes conventionnels surnuméraires comme les autres systèmes de notation cristallographiques. Gräce aux travaux de Lévy et surtout de M. des Cloizeaux, 1l est de- venu en France le système généralement adopté. Il est aujourd'hui d'usage de lui adjoindre le système basé sur la notation de Miller, qui présente des avantages pour le caleul et qui est employé de la même façon par les cristallographes étrangers, ayant adopté le système de Nau- Dial. APERÇU DES DÉVELOPPEMENTS DE LA MINÉRALOGIE 457 Dans le domaine de la minéralogie appliquée à l'étude des produits naturels, Haüy s'est fait une place éminente, Avec une habileté étonnante pour l'époque à laquelle il vivait, il a jeté la lumière sur un grand nombre d'espèces cristallines. Sous le nom de schorl, on confondait la plupart des minéraux fusibles et en même temps doués d’une forme plus ou moins prismatique ; 1l sut y distinguer le feldspath, le pyroxène, la tourmaline, l'épidote. Dans le groupe des zéolites, 1l a opéré des distinctions du même genre, [| a reconnu l'identité spécifique du béryl et de l'émeraude. On est d'autant plus frappé de ces résultats pratiques qu'il n'avait en sa posses- sion, comme instrument de mesure, qu'un goniomètre d'application, outil grossier, propre tout au plus à donner des indications approximatives. Le goniomètre de Wollaston, appareil parfaitement adapté à la mesure des angles des cristaux, et pourtant méconnu et dédaigné par Haüy, est aujour- d'hui entre les mains de tous les minéralopistes. Haüy fut encore troublé dans la dernière période de sa vie par la décou- verte de l'isomorphisme, et plus encore par celle du dimorphisme. Îl avait cru jusque-là à Pinvariabilité du noyau dans chaque espèce cristalline; 11 le considérait comme doué d'une composition et d'une forme absolument fixes. Comment admettre que le petit parallélépipède élémentaire d'un corps cristallisé püût s'incorporer de la matière étrangère, se moulant avec lui en modifiant à peine la valeur de ses angles dièdres? Comment s'ima- giner surtout qu'un même corps püt offrir, suivant son mode de cristalli- sation, tantôt un genre de symétrie, et tantôt un autre genre absolument incompatible avec le premier? Et pourtant ces faits si étranges sont au- jourd'hui pleinement entrés dans le domaine de la science. Cependant ils ny sont pas demeurés tels que le croyaient leurs auteurs. La notion de lisomorphisme en particulier, telle qu'elle a été originairement établie par Mitscherlich, ne subsiste plus dans son intégrité. Ce savant admettait seulement comme suscepübles de s'incorporer dans une même forme des corps offrant un même type de composition chimique, représentés par des formules de même ordre. La parenté des atomes chimiques était, d’après lui, la cause déterminante de l'association des molécules physiques corres- pondantes dans un même cristal. Cette conception étroite, rigoureuse, a 58 IMPRIMERIE NATIONALE, n5S M. A 2LACROIX dû céder devant les faits révélés par l'observation; l'idée primitive s’est élargie. À côté de l'isomorphisme chimique de Mitscherlich, il faut accep- ter maintenant l'existence d'un isomorphisme purement physique, c’est- à-dire l'introduction dans un même cristal de corps n'ayant plus guère entre eux d'autre ressemblance que lanalogie de leurs formes cristallines. Les progrès accomplis dans les divers modes de représentation gra- phique des cristaux doivent encore être comptés au nombre des acquisi- tions importantes faites par la minéralogie, soit qu'il s'agisse des figures en perspective, soit que l’on considère les différents systèmes de proyec- tions. En France. on tire grand parti de la projection gnomonique, et plus encore de la projection stéréographique. Gomme exemple de ce dernier cas, les figures qui ornent le Manuel de minéralogie de M. des Cloizeaux sont un modele. Enfin je dois renoncer à signaler, même très incomple- tement, les travaux des auteurs qui, à l'exemple d'Haüy, ont contribué à faire connaitre les minéraux naturels sous le rapport de leurs caractères extérieurs, ceux qui en ont déterminé méthodiquement les formes et étu- dié les variétés cristallographiques. Cependant, parmi les ouvrages consi- dérables, les plus remarquables à ce titre, parmi ceux qui renferment le plus de documents originaux, comment ne pas citer les publications du savant professeur qui vient de quitter la chaire de minéralogie du Muséum? Soit dans ses nombreux mémoires, soit dans son Manuel de minéralone, on trouve une moisson de faits incomparable. Les substances cristallisées offrent, au point de vue des phénomènes électriques qu'on y peut manifester, des diversités qui sont en relation intime avec leur structure. Elles conduisent, par exemple, inégalement l'électricité dans leurs différents sens, et, à ce point de vue, les détermina- bons faites il y a plus de quarante ans par de Senarmont sont très intéres- santes, J'en dirai autant des études effectuées sur l'induction électrique ; mais les phénomènes les plus remarquables dans cet ordre de faits sont ceux qui se manifestent quand les cristaux sont soumis à des actions méca- niques ou thermiques. L'électricité a jadis beaucoup occupé Haüy: elle lui faisait même de temps en temps oublier ses études minéralogiques. Natu- rellement 1l s’est préoccupé du rôle que les cristaux étaient capables de APERÇU DES DÉVELOPPEMENTS DE LA MINÉRALOGIE. 159 Jouer, soit comme conducteurs, soit comme producteurs d'électricité. Dans l'un de ses ouvrages, il cite ce fait curieux qu'un rhomboëdre de spath, pressé entre les"doigts, se charge d'électricité négative et la garde très longtemps. À côté de cette expérience, moins probante que ne le croyait le savant minéralogiste, nous citerons les observations de Becquerel sur le dégagement d'électricité dans les micas soumis à l'opération du cli- vage, puis les travaux beaucoup plus modernes de MM. Curie sur la prézo- électricité de la tourmaline, de la calamine et du quartz. Ces dernières recherches, remarquables par leur haut degré de précision, ont considé- rablement étendu le cercle de nos connaissances sur les propriétés élec- triques des cristaux. Les manifestations de la pyro-électricité dans les cristaux ne sont pas moins curieuses; les expériences délicates exécutées par M. Friedel, MM. Curie, M. Gaugan, en ont révélé les particularités et ont permis de les interpréter. On a constaté ainsi l’analogie entre les divers modes de développement de l'électricité dans un cristal, soit qu'on l'y engendre par pression, soit qu'on l'y produise par une modification dans la tempé- ralure. Le mode de propagation de la chaleur dans un corps cristallisé, lorsque l’état thermique de ce corps est devenu constant, constitue encore un phé- nomène en relation intime avec la structure. La théorie en a été faite des 1828 par Duhamel: depuis lors, un appareil très simple, imaginé par de Senarmont et perfectionné par M. Jannettaz, a permis d'en contrôler la loi et de déterminer expérimentalement l'orientation des axes thermiques d'un grand nombre de minéraux. Quant aux coefficients de dilatation des cristaux, variables suivant les directions, leur détermination semblait presque impossible, eu égard aux difficultés expérimentales. Une méthode d’une sensibilité exquise, imaginée par M. Fizeau, a cependant permis de résoudre la question et a fourni, pour les principales substances cristallisées naturelles, des données numé- riques qui font autorité dans la science. Haüy, en croyant avoir fait de la minéralogie une science close, déli- mitée par les bornes d’un champ dont il avait embrassé la surface entière, 58. 460 M. 4. LACROIX. ne se doulait pas de la profondeur et de la beauté des recoins mystérieux qu'allaient éclairer les lumières apportées par Fresnel et Malus. Les pro- priétés opliques des crislaux sont ce qu'ils ont de plus étroitement lié à leur constitution moléculaire: elles en font connaître avec précision les dé- luls de strueture les plus secrets. L'optique appliquée à cette partie du monde inorganique correspond à l'histologie pour l'examen des êtres orpa- nisés; elle lui emprunte même son instrument principal, le microscope, dont elle met en Jeu toutes les ressources. Rappelons brièvement les faits et la conception utilisés en minéralogie. Dans tout cristal transparent, sauf dans ceux qui appartiennent au système cubique, si l'on taille dans une direction quelconque une lame à faces pa- rallèles, et si l'on fait tomber un rayon de lumière naturelle sur la lame en question, on sait qu'a la sortie ce rayon est en général dédoublé; il s'est divisé en deux autres qui sont polarisés et dont les vibrations s’effec- tuent dans deux plans perpendiculaires entre eux. Ges rayons possédent des indices de réfraction différents. Sur les directions de vibrations, à par- ür d'un point pris arbitrairement dans l'intérieur du cristal, imaginons que l'on mesure des longueurs proportionnelles à ces deux indices. Répé- tons l'opération un grand nombre de fois en faisant varier l'orientation de la section opérée. Joignons ensemble les extrémités de toutes les lignes ainsi délimitées, on trouve alors que le solide résultant est un ellipsoide qui, suivant le genre de symétrie du cristal expérimenté, est à trois axes inégaux, ou, au contraire, est un solide de révolution. Ses relations avec les axes cristallographiques sont plus ou moins étroites, suivant le système cristallin du corps étudié. Quand lellipsoïde est à trois axes inépgaux, il possède deux sections circulaires, et les perpendiculaires à ces sections, jouissant de propriétés spéciales, ont été distinguées sous le nom d'axes opliques. Ge court exposé montre la complication des phénomènes optiques pré- sentés par les corps cristallisés, et le lien qui les rattache à la structure elaux formes cristallographiques, mais en même temps il laisse entrevoir tout le pari qu'on en peut tirer pour la détermination des espèces. Or un outillage élégant, admiré de tous ceux qui lemploient, atteint ee but avec APERÇU DES DÉVELOPPEMENTS DE LA MINÉRALOGIE. A61 une grande perfection. La lumière polarisée fournie par les instruments mis en œuvre permet de déterminer aisément l'orientation et la grandeur relative de ces axes de lellipsoïde, d: ces axes optiques qui semblaient, au premier abord, une pure fantaisie de Pimagination. Les procédés uti- lisés sont aussi simples que précis. Dans ces manipulations, si la lumière qui tombe sur une lame mince cristalline est composée de rayons paral- lèles, les couleurs ïes plus belles s'allument et s'éteignent alternativement aux veux de l'opérateur par un simple mouvement de rotation de la lame mince. L'orientation des extinetions livre le secret de la constitution du corps étudié. Quand on fait agir un faisceau de lumière convergente, ce sont de remarquables images qui apparaissent, images lout aussi fidèles et aussi révélatrices que les alternances de lumière et d'obscurité consta- lées en lumière parallèle. De Senarmont est le premier qui, chez nous, parait avoir compris loute l'importance des applications que lon pouvait faire de la lumière polarisée employée dans ces conditions à l'étude des propriétés optiques des cristaux; mais le véritable propagateur de ces méthodes a été M. des Cloizeaux. À une époque où leur valeur était à peine soupçonnée, il leur a consacré toutes ses veilles, accumulant sans relâche les observations et amassant sur les propriétés optiques des espèces minérales une somme de documents inépuisable. Il a montré notamment l'importance miné- ralogique de la dispersion et fait voir le parti que l'on pouvait en rer pour la détermination du système cristallin des minéraux à forme-limite. Les minéraux de la fanulle des feldspaths lui ont fourni le sujet de nombreux travaux qui ont une importance capitale, car ce sont eux qui ont servi de point de départ à l'étude véritablement scientifique des roches. Dans la même voie, et appuyés sur ce soutien solide, MM. Fouqué et Michel Lévy ont publié un traité de minéralogie micrographique, qui restera comme un témoin du développement rapide et inattendu de lune des branches de la minéralogie. D'autres ouvrages contenant un grand nombre de données nouvelles ont depuis lors complété ce qu'on devait déjà aux savants que nous venons de citer. 162 M. A. LACROIX. Le Bulletin de la Société française de minéralooe, les Annales des mines, les Annales de physique et de chimie renferment une série de notices et de mémoires dont Je renonce avec regrel à parler, car on y trouve traitées un certain nombre de questions de physique moléculaire, résolues ou au moins abordées par l'emploi des études optiques. Tels sont les célèbres travaux de M. Pasteur sur la dissymétrie moléculaire, et l'importante con- tibution apportée par les recherches de M. Wyrouboff à la question de lisomorphisme, du dimorphisme et à celle de la polarisation rotatoire. Tels sont encore les remarquables travaux de M. Mallard sur les cristaux à formes-limites et sur les modifications qui leur sont apportées par l'ac- lion de la chaleur. Ges études ont révélé, par exemple, la complication de certains cristaux dans lesquels Haüy n'aurait vu que des individus simples; dans quelques-uns d’entre eux, à forme cubique, 1l eût difficilement soup- conné la réunion d'éléments appartenant à d'autres systèmes eristallins et possédant un genre de symétrie tout différent. Certaines de ces substances pseudo-cubiques ont fourni des exemples curieux de corps éprouvant avec les variations de température des chan- sements non seulement dans la disposition des groupements qui les con- situent, mais des transformations complètes dans leur genre de symétrie. Cette catégorie de phénomènes se rattache, avec un degré plus marqué de complication, au changement d'écartement des axes optiques sous lin- Muence de la chaleur, découvert 1l y a trente ans par M. des Cloizeaux et mis en évidence dans une série d'expériences mémorables. Ainsi des faits primilivement regardés comme exceptionnels se multiplient et, sous des aspects divers, se relient et se combinent. Tantôt l’action de la chaleur affecte seulement les caractères généraux du réseau cristallin, tantôt elle atteint dans son essence la molécule elle-même. C’est dans ce dernier cas seulement que s'opèrent les mutations profondes, caractéristiques du vé- rilable dimorphisme. Jose à peine dire un mot des services que l'optique a rendus à la pétrographie, c’est-à-dire à l'étude minéralogique des roches depuis Fap- plication du microscope polarisant à ce genre de recherches; je eraindrais d'être entrainé Lrop loin. Je me contenterai de dire que des COTpPS d'appa- APERÇU DES DÉVELOPPEMENTS DE LA MINÉRALOGIE. 163 rence homogène se sont montrés entièrement composés de substances cris- lallisées; toute une catégorie de cristaux inapercus à cause de leur petitesse s'est révélée et des espèces minérales considérées jusqu'alors comme des raretés ont étonné les minéralogistes par leur profusion dans la nature. Une espèce minérale n'est considérée comme définitivement établie que lorsque, après détermination de ses propriétés physiques, on à pu, au moyen de l'analyse chimique, établir sa composition. Or les matières sou- mises à ce dermier genre d'examen sont déjà difficiles à obtenir à l’état de pureté quand elles se présentent sous forme de gros cristaux; l'opération semble devenir tout à fait impraticable quand les substances minérales à étudier s'offrent en individus dont les dimensions n'excédent pas une frac- ton de millimètre, et surtout quand ces composés cristallisés sont inti- mement associés, étroitement enchevêtrés. Le problème ainsi posé peut cependant être regardé comme ayant obtenu sa solution, Un demu-siècle avant que la taille des roches en lames minces ne soit devenue une opé- ration courante, Cordier avait utilisé le microscope pour jeter un regard investigateur sur la poussière résultant de la pulvérisation de certaines roches compactes, et, ayant démêlé leur cristallinité, 1l avait imaginé une méthode pour arriver à la séparation des éléments qui les composent. Il soumettait les roches pulvérisées à un lavage analogue à celui qui sert aux chercheurs d'or pour recueillir le métal précieux dans les alluvions. Doué d’une grande habileté manuelle, il a tiré de ce procédé un excel- lent parti pour la séparation des éléments cristallisés de certains basaltes ; mais bientôt lui-même abandonnait ce moyen d'extraction, d'emploi trop difficile. Les premiers procédés pratiques qui ont été proposés sont ceux que M. Fouqué a mis en œuvre pour la séparation des minéraux des laves de Santorin. Après avoir réduit ces roches en poudre, il a, à laide d'un électro-aimant puissant, enlevé tous les éléments ferrugineux de ces roches, et obtenu leurs feldspaths à l'état de liberté. Inversement il a utilisé l'acide fluorhydrique concentré pour dissoudre la matière vitreuse et les feldspaths et recueillir à part les silicates ferro-magnésiens. Puis, sous son inspiration, a été inauguré l'emploi des liqueurs denses comme 164 M. A. LACROIX. moyen de séparation; M. Thoulet a proposé liodo-mercurate de potasse, M. Daniel Klein les boro-tungstates solubles. Actuellement la liqueur utilisée de préférence est l'iodure de méthylène, liquide très fluide, très maniable, possédant un poids spécifique d'environ 3,5. En se servant de l'éther see pour le diluer, on le ramène aisément à l'état d'intégrité par une simple évaporation à l'air libre. [est plus dense que les 1odo-mer- eurates et n'est pas vénéneux comme ceux-e1. Îl n'est pas visqueux comme les boro-tungstates, qui d'ailleurs ont une tendance pênante à la eristalli- sation. Un appareil ingénieux imaginé par M. Couttolene achève de rendre commode l'emploi de ce liquide, qu'on ne saurait trop recommander et qui permet de séparer par ordre de densité la plupart des minéraux des roches. Enfin, dans les cas exceptionnels où lon veut isoler des minéraux d'un poids spécifique très élevé, on peut avoir recours à l'usage des chlo- rures de zinc et de plomb fondus, comme l'a proposé M. Bréon. Quand les minéraux extraits par l'un de ces procédés, ou par l'emploi combiné de plusieurs d'entre eux, sont destinés à l'analyse chimique, leur puri- fication s'achève à l’aide d'un triage à la loupe qui devient alors une opération finale indispensable. Ainsi le but recherché jadis par Cordier se trouve aujourd'hui atteint avec une grande perfection. Pour compléter cette revision des progrès de la minéralogie française pendant le siècle qui vient de s’écouler, et montrer dans tout son Jour la part qu'y ont prise les professeurs du Muséum, il me reste à parler des recherches entreprises sur la genèse des minéraux. La question a été éclairée par deux genres d'opérations; d'abord par des expériences de re- production arüficielle, dans lesquelles on a cherché à imiter les procédés de la nature, à suivre ses traces et à deviner ses mystérieux moyens; en- suite par des observations directes sur les produits naturels, en soumet- lant à un examen attentif le développement des minéraux des filons et des roches, assistant pour ainsi dire à leurs transformations et notant avec soin la part que les agents extérieurs ont prise à leur naissance et à leurs évolutions. Les procédés dont on s'est servi pour la reproduction artificielle des minéraux sont extrêmement variés. Les dissolutions aqueuses à des tem- APERÇU DES DÉVELOPPEMENTS DE LA MINÉRALOGIE. 165 pératures diverses, avec ou sans le secours de la pression, la fusion ignée opérée uniquement sur les matières destinées à la cristallisation ou aidée de l’action de fondants, la volatilisation, l'intervention des fluides agissant comme moyen de transport moléculaire, les réactions chimiques, les cou- rants électriques, ont été tour à tour mis en œuvre. Ces méthodes nom- breuses et si différentes se sont toutes montrées fructueuses; souvent un même minéral à pu étre reproduit par plusieurs d'entre elles, laissant ainsi planer un doute sur le choix du moyen utilisé par la nature. Dans ces belles expériences qui sont l'une des gloires de notre siècle, la ri- chesse des résultats est telle qu'il est difficile d'en présenter un tableau restreint. Et pourtant, comment ne pas rappeler les reproductions par voie humide en tubes scellés, effectuées par de Senarmont, M. Daubrée, M. Fniedel; les cristallisations par intervention de minéralisateurs, dues à H. Sainte-Claire Deville, à M. Daubrée; les produits obtenus par Antoine Becquerel sous l’action des agents électriques; les rubis, l'émeraude, obtenus en magnifiques cristaux par Ebelmen, M. Frémy, M. Haute- feuille? Enfin cette énumération rapide serait défectueuse si je ne ci- tais encore les curieuses associations minérales sorties des fourneaux de MM. Fouqué et Michel Lévy, associations qui reproduisent dans leurs moindres détails celles que la nature nous offre dans les roches des volcans. | En même temps que les laboratoires fournissaient cette précieuse ré- colle de faits relatifs à la genèse des minéraux, l'observation des produits naturels conduisait à des résultats non moins éelatants. La taille des roches en lames minces et l'observation de celles-ci au microscope fournissaient immédiatement le secret de la naissance des minéraux des roches ignées; on distinguait leurs formes embryonnaires, on assistait à la succession de leurs cristallisations dont on constatait les phases avec la trace des phé- nomènes mécaniques et chimiques qui les avaient accompagnées. Ces merveilleuses découvertes ont été si faciles et si simples que, pour faire les principales d'entre elles, il a presque suffi de mettre l'œil au micro- scope. Sorby a été limtiateur de ce grand mouvement scientifique dont l'évolution est loin d'être terminée, car, après un premier regard jeté sur ; 59 IMPRIMENRIE NATIONALE. 166 M. A. LACROIX. l'horizon nouveau. combien de recherches savantes, combien de labeurs prolongés ont été nécessaires pour élucider des questions nouvelles qui ont immédiatement surei! Pour atteindre ce but, les minéralogistes de toutes les nations ont rivalisé de zèle; l'histoire des efforts qu'ils ont dé- ployés depuis trente ans constitue l’une des plus belles pages des annales de la science et des plus glorieuses pour la minéralogie, La formation des matières cristallines filonniennes par voie de con- crétion était mieux connue de nos anciens minéralogistes, et cependant parmi eux régnaient trop souvent des idées erronées sur la question. M. Daubrée, en étudiant à fond la formation des minéraux des sources thermales de Plombières, a jeté un jour nouveau sur les problèmes contro- versés et fortement contribué à mettre un terme à des hypothèses trop éloi- enées de la réalité. Restait le grave problème du métamorphisme, qui depuis le commen- cement du siècle préoccupe vivement les géologues et les minéralopistes. Comment des sédiments essentiellement composés de débris d'origines diverses, dépourvus pour la plupart de formes et de structures régulières, se sont-ils transformés en cristaux le plus souvent très différents de ceux dont ils tirent leur origine, et en même temps groupés en associations affectant des caractères spéciaux? D'où viennent ces changements si com- plets et quelles sont les lois qui ont présidé à leur formation? M. Daubrée et M. Delesse ont publié sur ce sujet, 1l y a plus de trente ans, des mé- moires demeurés célèbres. Ils avaient distingué deux genres de métamor- phisme : celui qui s'étend à toute une région et celui qui se manifeste localement au contact immédiat des roches éruptives. C'est surtout l'étude de ce dernier que les travaux récents ont abordée avec le plus de succés, grâce aux ressources nouvelles dont dispose la science. lei, en effet, le microscope polarisant est venu apporter l'appoint de son puissant secours. En même temps, les observations faites sur place ont démontré l'influence des mouvements orogéniques. L'intervention de la pression dans la ge- nése de cette sorte de cristallisations a été mise en évidence, peut-être même un peu exagérée. L'ensemble de ces effets a reçu le nom signifi- call de dynamo-mélamorph isme. APERÇU DES DÉVELOPPEMENTS DE LA MINÉRALOGIE. 167 Le rôle puissant joué par la chaleur, par lintervention des miné- ( J Ï > | ralisateurs et surtout de la vapeur d'eau dans la production du méta- morphisme de contact a été également l'objet d'études suivies. L'un des G LA 0 f£ D {£ moyens de recherches qui à donné les meilleurs résultats a consisté dans l'examen approfondi des blocs de roches sédimentaires diverses, englobés au sein des magmas éruplls. Les observations faites montrent tous les degrés des transformations éprouvées, la nature et l'agencement des mi- néraux qui prennent naissance et font apprécier avec un grand depré de LE ee ee SE NA , probabilité les conditions qui président à l'évolution des phénomènes. L'esquisse rapide qui vient d'être tracée, bien que fort incomplète, sul- fit pour donner un apercu des progrès considérables qu'a faits la mi- [ perc [ Ï néralogie française dans le cours de notre siècle. Elle nous la fait voir prenant naissance sous l'inspiration d'Haüy, elle nous fait assister à son développement sous l'influence de ses successeurs et de leurs élèves, et nous montre la voie de progrès sans limites dans laquelle elle s’est en- papée, LAMARCK ET LE TRANSFORMISME ACTUEL, PAR M. EDMOND PERRIER. LAMARCK LE ET TRANSFORMISME ACTUEL. Aux trois orands zoologistes qui, dans la première moitié de ce siècle, donnèrent un si vif éclat au Muséum national, récemment tiré par la Con- vention des débris du Jardin du Roi et du Cabinet d'histoire naturelle, la destinée fut très inégalement clémente. Cuvier recueillit de son vivant la plus orande somme de gloire quil soit donné à un savant d'acquérir et mourut presque tout-puissant, Geoffroy Saint-Hilaire exerça une influence rofonde sur l'élite des esprits philosophiques de son temps). mais cette | | ( paiq PS > influence, tout intellectuelle, fut insuffisante à préserver sa vieillesse d'épreuves auxquelles ses derniers ouvrages”? font de fréquentes et attris- (0) Gœthe, Jean Reynaud, Pierre Leroux et bien d'autres ne lui ménagèrent pas les témoignages de leur enthousiaste admira- tion. 2 Geoffroy Saint-Hilaire, Études propres- sives d’un naturaliste, 1835; Discours préli- minaire. — Ibid., Mémoires de paléontologie , 1837; c'est le titre d’une lettre imprimée, adressée par E. Geoffroy Saint-Hilaire à ses confrères de l’Académie des sciences, à l'occasion d'une attaque dont ses travaux avaient été l'objet de la part de Frédéric Cuvier, dans la séance de l’Académie, du 27 août 1837. — Ibid., Notions de philo- sophie naturelle, 1838, p. 111 et 118. — Ibid., Fragments biographiques, 1838; voir surtout la troisième annotation, intitulée : Vieillesse outragée, à Varticle sur Buflon,. p. 137 et 357. Geoffroy termine ce der- nier ouvrage en annonçant l'intention de s’exiler : «J'irai done à l'étranger chercher quelque peu de la considération, des senti- ments d'estime qui ne me sont plus ac- cordés sur le théâtre de mes travaux.» I ne paraïtra pas hors de propos de re- produire ïei le Discours préliminaire qui précède les Études progressives. d'un natura- liste, ouvrage aujourd'hui fort rare. Non seulement il contient plus d'un enseigne- ment utile à méditer, mais il nous donne de précieuses indications sur l’état d'esprit qui s'établit au Muséum, après la mort de Cuvier, et sur la facon dont fut compris le rôle des personnages qui intervinrent dans la restauration du Muséum par un des té- moins et des premiers bénéficiaires de cette 172 M. EDMOND PERRIER. tantes allusions. Lamarck dut à sa science de nomenclateur une célébrité de spécialiste; malheureusement, loin de soupconner en lui le penseur profond. le créateur d'une orande doctrine, ses contemporains n'eurent que dédaigneuses critiques pour la Phulosophie 20olopique, Vntroduction à l'Histoire des animaux sans vertèbres et le Système des connaissances posilives de Thomme;: Lamarck, entré à l'Académie en 1779, comme botaniste, mourut cmquante ans après dans une profonde misere. Il semble que la part de gloire immédiate recueillie par ces trois 1l- lustres naturalistes ait été mesurée par le nombre des idées que chacun d'eux partageait avec ses contemporains. Comme Linné, Cuvier croyait à la fixité des formes vivantes et recherchait une classification naturelle des animaux, conforme à quelque plan idéal de la création: comme les de Jussieu, 1l donnait pour base à sa classification le principe de la subor- dination des caractères; comme Bonnet et les naturalistes que lon dési- gnait à cette époque sous le nom d'évoluhionnistes, 11 pensait que chaque individu, animal ou végétal, commençait par un germe semblable à lui, et n'en était qu'un agrandissement; ses comparaisons anatomiques, comme celles d'Aristote, étaient basées sur le principe de la corrélation des formes, simple corollaire du principe plus général des causes finales : le renouvelle- restauration. Les Études progressives d’un na- turaliste en 1834 et 1835 furent dédiées par Geoffroy Saint-Hilaire à ses anciens col- lèoues «réunis sous l'autorité de la loi du 10 Juin 1793, en une École de haut en- seignement appliqué à toutes les branches des sciences naturelles : Cuvier, Daubenton, Desfontaines, Dolomieu, Foureroy, Haüy, A.-L. de Jussieu, Lacépède, de Lamarck, Latreille, Thouin, Vaucquelin». Cette dé- dicace, dans laquelle le «doyen des pro- lesseurs actuels» du Muséum invoque la protection de ses premiers collègues contre un état de choses qu'il redoute de voir s’éta- blir, est suivie du Discours préliminaire, que l’on trouvera à la fin de ce travail, comme pièce justificative. La reconnaissance vouée à Lakanal par Geoffroy Saint-Hilaire montre que si les futurs professeurs du Muséum avaient préparé la réforme de 1793, ils étaient fort embarrassés pour faire passer leur projet de l’état de vœu à celui de réalité. Lakanal vint à point les tirer d’embarras et eut le louable mérite de comprendre la ré- lorme qui lui était proposée et de la faire aboutir. Ce n'est presque rien, puisque La- kanal n'inventa pas le projet des ofliciers du Jardin du Roi et du Cabinet d'histoire naturelle, et c'est tout, puisque, par lui, de ce projet sortit Le Muséum national d'histoire naturelle. 0) La section de botanique de l'Académie des sciences peut de même revendiquer l'honneur, décliné par la section de z00- logie, d'avoir rattaché Darwin à l'illustre compagnie, à litre de correspondant étranger. LAMARCK ET LE TRANSFORMISME ACTUEL. 173 ment de la création biblique n'avait rien qui püt effrayer son esprit, et la théorie des créations successives vint à point compléter, après lui, sa théorie des révolutions du globe qu'il croyait irréfutablement établie par la décou- verte d’un Mammouth congelé dans les glaces de la Sibérie; ces révolu- tions n'étaient, du reste, que la répétition du déluge hébraïque. La divi- sion du règne animal en quatre embranchements; la démonstration de ce grand fait: la disparition totale d'anciennes espèces, ne troublèrent en rien ce fonds d'idées reçues auxquelles Guvier est toujours demeuré attaché et qu'il maniait d'ailleurs avec une éloquence merveilleuse, une incompa- rable science des faits et une souplesse de dialectique toute théologique. Geoffroy Saint-Hilaire se montre bien différent de Guvier. Les classi- fications le préoccupent peu; 1l admet une variabilité des espèces suffi- samment large pour qu'il soit possible de faire dériver les espèces actuelles des fossiles. Les premières espèces ont-elles été créées de toutes pièces? Il semble quil ne saurait en être autrement, puisque toutes ont, suivant lui, un égal degré de complication et que l'unité de plan de composition du règne animal est le fondement de ses plus belles conceptions scienti- fiques; mais 1l réserve à lavenir la solution du problème et tente seule- ment d'en approcher en formulant a loi de l'attraction de soi pour soi. La loi de l'unité de plan de composition, 1l lemprunte d’ailleurs, de son propre aveu", à Buffon et à Vicq d’Azyr; elle n'est donc pas absolument neuve, mais 1l la fait sienne par les développements qu'il lui donne, par les arguments sur lesquels 11 l’appuie et surtout par les principes d'inves- üigation scientifique qu'il en déduit : principe des connexions, principe du balancement des organes, comparaison des embryons des animaux supé- rieurs aux formes inférieures actuelles, ete. Ces principes ont une telle va- leur qu'ils ont sans cesse guidé dans leurs recherches les propres disciples de Cuvier. Contre Cuvier, Geoffroy défend encore la vraie doctrine em- bryogénique ; 1l ne croit pas que tous les organes de l'adulte soient pré- formés dans l'embryon; ils s'y forment successivement, et cette conviction, appuyée sur des observations précises, devient pour lui le point de départ a) Ét. Geoffroy Saint-Hilaire, Fragments biographiques, 1838, p. 43 et 127. 60 IMPRIMERIE NATIONALE, 174 M. EDMOND PERRIER. d'une science nouvelle, la scence des monstres ou tératolome. Les idées d’u- nité de plan de composition des animaux, de transformation des espèces, d'épigénèse, flottatent déjà dans l'esprit des philosophes du xvmi° siècle ; elles sont suggestives, alimentent facilement les spéculations des esprits curieux; pour les esprits d'avant-garde du commencement du xix°, Geoffroy Saint-Hilaire est le naturaliste par excellence; si les honneurs et les hautes fonctions ne viennent pas le chercher, comme Cuvier, dans sa retraite stu- dieuse du Muséum d'histoire naturelle, sa célébrité ne le cède en rien à celle du fondateur de la paléontologie, et ce n'est que justice. Lamarck, à beaucoup près, n'est pas aussi heureux. Il a une concep- üon du monde bien différente de celle de ses émules et qui ne peut s’'ap- puyer sur aucune autorité antérieure. Les de Maillet, les Robinet, les Érasme Darwin, qui ont pu rencontrer avant lui des conceptions plus ou moins analogues, sont des isolés, dénués de toute autorité sur l'esprit de leurs contemporains et que ne recommandent d'ailleurs ni la pro- fondeur de leur philosophie, ni leur talent d'écrivain, n1 l'étendue ou la rigueur de leurs travaux scientifiques. C'est donc sur un terrain vierge que Lamarck sème ses idées et il ne se fait aucune illusion sur le sort qui leur est réservé : «Les hommes, dit1l, qui s'efforcent par leurs travaux de reculer les limites des connaissances humaines savent assez qu'il ne leur suffit pas de découvrir et de montrer une vérité utile qu'on 1gnorait, et qu'il faut encore pouvoir la répandre et la faire reconnaitre ; or la raison individuelle et la raison publique, qui se trouvent dans le cas d'en éprouver quelque chan- sement, y mettent, en général, un obstacle tel qu'il est souvent plus dificile de faire reconnaître une vérité que de la découvrir. Je laisse ce sujet sans développement parce que je sais que mes lecteurs y suppléeront suflisamment, pour peu qu'ils aient d'expérience dans l'observation des causes qui déterminent les actions des hommes!» Dans le monde scien- Uüfique que côtoyaient seulement ceux qu'on pourrait, comme Érasme Darwin, appeler ses précurseurs, Lamarck apportait, en effet, une idée tout à fait en dehors du courant auquel les savants de son temps s'aban- donnaient sans réagir; pour la première fois, il appuvait cette idée sur LAMARCK ET LE TRANSFORMISME ACTUEL. 75 des arguments vraiment scientifiques et sur l'autorité que lui donnait sa connaissance approfondie des formes inférieures du règne animal. L'au- teur de la Philosophie zoolovique et de l'Histoire naturelle des animaux sans vertèbres ne songeait d'ailleurs nullement à s'entourer de précautions ora- toires, propres à lui assurer la bienveillance de ses adversaires. Il les heurtait de front et personne n’a signalé plus énergiquement que lui l'opposition entre ses doctrines et celles qui avaient cours de son temps, lorsqu'il écrit ® : + Le fait est que les divers animaux ont chacun, suivant leur genre et leur espèce, des habitudes particulières et toujours une or- ganisation qui se trouve parfaitement en rapport avec ces habitudes. « De la considération de ce fait, 1l semble qu'on soit libre d'admettre, soit l’une, soit l’autre des deux conclusions suivantes, et qu'aucune d'elles ne puisse être prouvée : + Conclusion admise jusqu'à ce jour : La nature (ou son auteur), en créant les animaux, a prévu toutes les sortes possibles de circonstances dans les- quelles ils avaient à vivre et a donné à chaque espèce une organisation constante, ainsi qu'une forme déterminée et invariable dans ses parties qui force chaque espèce à vivre dans les lieux et les climats où on la trouve et à y conserver les habitudes qu'on lui connait. «Ma conclusion particulière : La nature, en produisant successivement toutes les espèces d'animaux, en commençant par les plus imparfaits et les plus simples, pour terminer son ouvrage par les plus parfaits, a com- pliqué graduellement leur organisation; et ces animaux se répandant pé- néralement sur toutes les régions habitables du globe, chaque espèce a reçu de l'influence des circonstances dans lesquelles elle s’est rencontrée les habitudes que nous lui connaissons et les modifications dans ses parties que l'observation nous montre en elle.» Toute la Phulosophe z0olopique (1809), toute l’/ntroduction à l'Histoire des animaux sans vertèbres sont consacrées à réunir les arguments qui militent en faveur de cette conclusion particulière. Dans ces deux livres éclate de plus en plus une tendance d'esprit absolument opposée à celle de Cuvier, dont Lamarck, avec la plus (0 Philosophie zoologique, t. 1, p. 265 (édition originale). 60. 176 M. EDMOND PERRIER. haute loyauté, s'empresse cependant d'appliquer les découvertes anato- miques au perfectionnement de son système. Cuvier croyait à la fixité des espèces. Lamarek, comme Geoffroy, affir- mait leur variabilité. | Cuvier croyait à l'existence de quatre plans d’après lesquels tous les animaux avaient été modelés; Lamarck met en relief le perfectionnement eraduel des formes animales et proclame qu'il existe entre elles une ab- solue continuité. Guvier croyait à la disparition des formes fossiles par des- trucuon; Lamarck croit à leur transformation, 1l déclare que les formes actuelles ne sont que des modifications de celles qui ont vécu aux âges antérieurs de la Terre. Cuvier établit sa classification naturelle sur un principe métaphysique, le principe des causes finales, duquel 1l déduit le prmocipe de la corrélation des formes et le principe de la subordination des caractères. Lamarck ne connait d'autre classification naturelle que celle qui représenterait l'arbre généalogique du règne animal. Et l'opposition entre les deux doctrines dépasse de beaucoup les limites de la spéculation zoologique. Amené par une singulière prudence à dé- crire les effets sans vouloir remonter au delà de leur cause la plus immé- diate, Cuvier conclut du désordre apparent des masses rocheuses dans les pays de montagne à d'effroyables et subits cataclysmes qui auraient jadis amené ces désordres; la nature comme les hommes aurait eu des colères subites, produisant, toute proportion gardée, les mêmes effets. Il n°y avait à ces colères aucune cause connue, mais était-il plus nécessaire de leur en trouver qu'aux différents types de structure du règne animal? Où Cuvier ne voit que caprices et soubresauts, Lamarck, au contraire, voit un lent et régulier enchainement de causes et d'effets : « Pourquoi, éerit-il, supposer sans preuve une catastrophe unwerselle lorsque la marche de la nature, mieux connue, suffit pour rendre compte de tous les faits que nous obser- vons dans toutes ses parties? Si l’on considère, d’une part, que dans tout ce que la nature opère, elle ne fait rien brusquement, et que partout elle agil avec lenteur et par degrés successifs, et, d'autre part, que les causes parliculières ou locales des désordres, des bouleversements, des déplace- LAMARCK ET LE TRANSFORMISME ACTUEL. 477 ments, peuvent rendre raison de ce que l'on observe à la surface du globe, on reconnaitra quil n'est nullement nécessaire de supposer qu'une cata- strophe universelle est venue tout culbuter et détruire une grande partie des opérations mêmes de la nature.» C'est là la doctrine des causes ac- tuelles admise également par Geoffroy Saint-Hilaire”, doctrine qui do- mine de nos jours toute la géologie, et dont le développement à fait la plus grande part de la gloire de Charles Lyell. Ainsi, par une singulière fortune, c'est 1e1 le savant qui fait profession de demeurer exclusivement attaché aux faits que les faits induisent en erreur. Cuvier, parce qu'il tient dans un mépris systématique la recherche des causes générales, se trompe sur les révolutions du globe, comme il s'est trompé sur l'importance et sur la nature des phénomènes embryogéniques, comme 1l s'est trompé sur la valeur du principe des causes finales et sur celle du principe de la corrélation des formes qui en découle, et c’est aux hommes dont 1l combat les idées aventureuses que revient lhonneur d'avoir, dans un élan de génie, touché la vérité. Cependant Lamarck, en tant que philosophe, est à peine connu de ses contemporains; ils lisent sa Plulosophie zoolopique, mais c'est pour écrire sur la couverture, comme on peut le voir sur l’exemplaire de la bibliothèque du Muséum, cette anno- lation anonyme : + Homme assez superficiel. On ne le comprend pas°/; on () Comptes rendus de l’Académie des sciences (Séance du 27 août 1837). @ Dans ses Fragments biographiques sanplantes épigrammes, en subitlinjureavec une douloureuse patience. Je me garderai d'insister sur ces souvenirs; J'aurais trop (p. 81), Etienne Geoffroy Saint-Hilaire tra- duit ainsi l'impression que fit la philosophie de Lamarck sur ses contemporains : « La- marck, pour arriver à la démonstration du principe vrai de la variabilité des formes chez les êtres organisés, produisit trop sou- vent des preuves surabondantes, exagérées et pour la plupart erronées, que ses adver- saires, habiles à saisir le côté faiblissant de son talent, s'empressèrent de relever et de mettre en lumière. Attaqué de tous côtés, injurié même par d'odieuses plaisanteries, Lamarck, trop indigné pour répondre à de d’aceusations à porter. Lamarck vécut long- temps pauvre, aveugle et délaissé, non de moi : je l'aimai et le vénérai toujours. Sa fille, nouvelle Antigone, vouée aux soins les plus généreux de la tendresse filiale, soutenait son courage et consolait sa misère par ces seuls mots : La postérité vous hono- rera! vous vengera! Ge jour serait-il enfin arrivé? Je n'en doute pas.» I serait possible que la postérité fût même moins sévère pour Lamareck que ne l'était Geoffroy en 1838; on en jugera par la suite de ce travail. 178 M. EDMOND PERRIER. ne sent pas que ses idées que l'on dédaigne, parce qu'elles ne sont pas dans le courant vulgaire, contiennent le germe d’une féconde révolution; un demi-siècle plus tard, cette révolution, un autre laccomplira; si bien, que c'est un rayon de la gloire de Darwin qui vient brusquement mettre en lumière le grand nom de Lamarek. Nous ne chercherons pas, dans ce travail, à exposer en détail ce qui a été fait tant de fois, l'enchainement des conceptions du maitre; nous nous proposons simplement de montrer combien étaient prophétiques ses vues sur le règne animal, et à quel degré il a fallu reconnaitre leur justesse. Il Lamarck, ce qui précède suffit à l’établir, ne fut jamais assez heureux pour recueillir le fruit du labeur opiniätre et fécond pour la science au- quel il s'est livré. On sait quelle fut sa Jeunesse. Né le 1% août 1744, à Barentin, près de Bapaume (Pas-de-Calais), Antoine de Monet, cheva- lier de Lamarck, après avoir passé quelque temps au séminaire des Jé- suites d'Amiens, entra dans l'armée en 1760, fut fait officier sur le champ de bataille de Willinghausen, le 16 juillet 1761, par le maréchal de Broglie, mais, à la suite d’un accident, dut bientôt quitter l'armée, ré- duit pour vivre à une pension de oo livres. C'est alors qu'il se livra à l'étude de la botanique, s’attachant surtout à l'enseignement de Bernard de Jussieu, mais cherchant à concilier les idées de son maître avec celles de Linné et de Tournefort. Il ne tarda pas à se faire une réputation de botaniste éminent par la publication de sa Flore française, publication pour laquelle il imagina la disposition dichotomique, aujourd'hui univer- sellement employée dans les ouvrages analogues, et dont les zoologistes ont également fait assez souvent usage. Buffon prit, en quelque sorte, sous sa protection la Flore francaise; Daubenton en avait écrit la préface; le livre fut imprimé aux frais de l'État: l'édition entière fut remise à l'auteur et, en 1779, Lamarck entrait à l'Académie des sciences dans la section de bo- lanique , qui devait près de cent ans plus tard accueillir également Darwin. En outre, Buffon faisait nommer Lamarck botaniste du Roi avec mission LAMARCK ET LE TRANSFORMISME ACTUEL. 479 de visiter les Jardins et cabinets étrangers, et lui confiait, pour l'accom- pagner dans ses voyages, son fils qu'il préparait à lui succéder dans l'in- tendance du Jardin du Roi. On sait que le projet de Buffon n'aboutit pas; le grand naturaliste eut pour successeur un simple courtisan, La Billarderie, frère du surintendant des bâtiments de la couronne, comte d'Angiviller, qui n'osa prendre pour lui-même la survivance du grand Buffon. Cependant, en 1781, Lamarck avait été breveté correspondant du Jardin et du Cabinet d'histoire naturelle. L'État des personnes attachées au Muséum national d'histoire naturelle à l'époque du 1° messidor an 11 de la Re- publique porte qu'il «a fait passer à cet établissement des graines de plantes rares, des minéraux intéressants et des observations recueillies dans ses voyages en Hollande, en Allemagne et en France. Il n’a point recu de traitement pour ce service. » Le même État porte que Lamarck est attaché à l'établissement depuis cinq ans, quil y touchait en 1792 un traitement de 1,800 livres. A la mort de Buffon. La Billarderie, son successeur, l'avait effectivement fait nommer botaniste du Cabinet ou conservateur des herbiers, aux appointe- ments de 1,000 livres. Dans ces fonctions, l'auteur de la Flore francaise n'avait pas trouvé d'ailleurs un accueil bien empressé. Non seulement La Billarderie lui-même, pour sauver ses propres appointements, fut, en 1793, sur le point de le sacrifier, mais dans le Deus de la dépense du Jar- din national des Plantes et du Cabinet d'lstoire naturelle pour l'année 1793, présenté à la Convention par le citoyen Bernardin de Saint-Pierre, inten- dant du Jardin national des Plantes et de son Cabinet d'histoire naturelle. on lit la note suivante : Lamarck, botaniste du Cabinet. — Appointements. ........... 1,800 livres. Nota. — Quoique plein de zèle et de connaissance en botanique, il n’est point du tout occupé. Comme je ne l’avais pas encore vu, 11 y a deux mois je lui écrivis sur les devoirs de sa place; il vint me trouver aussitôt et me dit qu'il ne demandait pas mieux que de travailler aux herbiers du Cabinet qui avaient besoin de réparations et d’une () Nous devons à notre collèeue, M. le mées des Archives nationales, pour la ré- professeur Hamy, la communication de cet daction de son Histoire de la fondation du état et de diverses autres pièces qu'il a exhu- Muséum. 480 M. EDMOND PERRIER. nouvelle nomenclature, mais que jusqu’à présent on ne le lui avait pas permis. J'en parlai aux anciens: ils me dirent que la place de M. La Marek était inutile et que M. La Billar- derie ne l'avait créée que pour l’obliger; que les herbiers du Cabinet dépendaient natu- rellement de MM. Desfontaines et Jussieu, le premier professeur et le second démons- trateur de botanique du Jardin, et que tous deux s’occupaient du soin de les arranger. Vous observerez, Monsieur, que les herbiers du Cabinet sont disposés pour la plupart suivant le système de Tournefort adopté en bonne partie par les professeurs du Jardin et que M. La Marck ne reconnaît que le système de Linnæus et le sien. Je savais déjà qu'il était plus difficile de classer des botanistes que des plantes; cependant, désireux de conserver à M. La Marck, père de six enfants, des appointements qui lui sont néces- saires et ne voulant pas laisser ses talents inutiles pour son emploi, après plusieurs pourparlers avec les anciens du Jardin, j'ai cru que M. Desfontaines étant chargé de faire des cours de botanique dans l’école et M. Jussieu aux environs de Paris, 1 serait utile d'envoyer M. La Marck herboriser dans quelques parties du royaume pour com- pletter la flore francaise, ce qui serait de son goût, en même temps fort utile aux pro- grès de la botanique; ainsi tout le monde serait employé et content. C'était on ne peut plus ingénieux". Les choses prirent cependant une autre tournure que ni le Jardin des Plantes, n1 la science française n'eurent à regretter. En cette même année 1793, où Bernardin de Saint-Pierre établissait son + devis», le Jardin des Plantes fut transformé par la Convention en Muséum national d'histoire naturelle; les anciens et principaux officiers de la maison reçurent le titre de professeurs-ad- ministrateurs, et sur l'état des personnes attachées au Muséum national d'histoire naturelle à l'époque du 1% messidor an n de la République, Lamarcek figure avec la mention suivante : Lawarek. — 50 ans. — Marié pour la deuxième fois, épouse enceinte; — six enfants; — professeur de zoologie des insectes, des vers el animaux mucroscopiques. Ses appointements sont portés, comme ceux des autres professeurs, à 2,868 livres 6 sous 8 de- niers. C’est ainsi que la rivalité des botanistes et les nécessités de la vie con- 9 L'appréciation de Bernardin de Saint- lumes du Dictionnaire de botanique, de l'En- Pierre sur les idées de Lamarck relative- cyclopédie méthodique, et dans cet ouvrage ment à la classification n’en est pas moins ilapplique la méthode naturelle qu'Antoine- peu exacte. En 1793, Lamarek, on le verra Laurent de Jussieu avait exposée dans son plus loin, avait déjà publié plusieurs vo- Genera Plantarum, paru en 1789. LAMARCK ET LE TRANSFORMISME ACTUEL. 481 duisirent Lamareck à se consacrer presque exclusivement à la zoologie dans laquelle 1l n’avait fait que quelques incursions"; nous verrons plus loin la place respective que les études antérieures et les nécessités de ser- vice avaient tenue dans les motifs de cette distribution des fonctions entre les officiers de l'établissement. L'autre professeur de zoologie, chargé des quadrupèdes, des oiseaux, des poissons, ete., fut Geoffroy Saint-Hilaire, alors âgé de vingt-trois ans, et qui ne s'était guère occupé que de «chris- tallographie ». Portal et Mertrud enseignaient, l’un l'anatomie de l’homme, l'autre celle des animaux; pour conserver Daubenton , alors âgé de soixante- dix-huit ans, qui était précédemment garde du Cabinet aux appointements de 4,140 livres, on le chargea du cours de minéralogie, en ramenant ses appointements au taux de celui des autres professeurs. Lamarck, devenu zoologiste, chargé même d'enseigner la partie la plus ardue de la zoologie, s'enthousiasme rapidement pour ses nouvelles fonc- üons. Les animaux inférieurs lui paraissent promettre à la science tout un avenir de découvertes, et 1l finit par dire : « Ge qu'il y a de plus sin- gulier, c'est que les phénomènes les plus importants à considérer n'ont été offerts à nos méditations que depuis l'époque où l’on s’est attaché à l'étude des animaux les moins parfaits, et où les recherches sur les différentes complications de l'organisation de ces animaux sont devenues le principal fondement de leur étude. Il n'est pas moins singulier de re- connaître que ce fut presque toujours de l'examen des plus petits objets que nous présente la nature, et de celui des considérations qui nous pa- raissent les plus minutieuses, qu'on a obtenu les connaissances les plus Q) Ét. Geoffroy Saint-Hilaire (Fragments biographiques , p. 2 1 A) expose ainsi comment Lamarck devint professeur de zoologie au Muséum : «La loi de 1793 avait prescrit que toutes les parties des sciences naturelles seraient également enseignées. Les insectes, les coquilles, et une infinité d'êtres, por- tion encore presque inconnue de la création, restaient à prendre. De la condescendance à l'égard de ses collègues, membres de l’ad- ministration, et, sans doute aussi, la con- science de sa force déterminèrent M. de Lamarck : ce lot si considérable et qui doit entrainer dans des recherches sans nombre, ce lot délaissé, il l'accepta; résolution cou- rageuse qui nous à valu d'immenses tra- vaux et de grands et importants ouvrages, entre lesquels la postérité distinguera et honorera, à jamais, l’œuvre qui, entière- ment achevée et rassemblée en sept vo- lumes, est connue sous le nom d’Animaux sans vertèbres. » 61 IMPRIMERIE NATIONALE, 482 M. EDMOND PERRIER. importantes pour arriver à la découverte de ses lois et pour déterminer sa marche. » Cependant l'enthousiasme pour la scrence, l'ardeur au travail ne suf- fisaient pas, même en 1793, pour nourrir une famille de sept enfants avec 2,868 livres 6 sous et 8 deniers d’appointements. À diverses re- prises, Lamarck s'adresse à la Convention pour obtenir quelques indem- nités supplémentaires; si humbles que soient ses suppliques, on y retrouve toujours l'homme épris de la science et désireux d'être utile qu'il fut jus- qu'à la fin de sa vie. Le 16 thermidor an 11 de la République, la Conven- lon a décrété qu'une somme de 300,000 livres serait distribuée en in- demnités aux savants, artistes et lttérateurs, et ra chargé ses Comités de salut publie et de sûreté générale de lui présenter la liste des citoyens mis en réquisition par le Comité de salut publie qui sont véritablement dans le cas d’être utiles et qui, en même temps, peuvent donner des preuves de leur eivisme». Le 19 thermidor, Lamarck demande à être placé sur cette liste; 11 invoque principalement, comme titres à l'appui de sa re- quête : 1° sa Flore française, «ouvrage imprimé aux frais du Gouverne- ment et bien accueilli du publie, et qui est maintenant très recherché et lort rare»; 2° un ouvrage général sur la botanique, comprenant deux traités distincts : lun faisant partie de l'Encyclopédie méthodique, qui «donne la philosophie botanique, ainsi que la description complette des genres et de toutes les espèces connues»; le second intitulé : ustration des genres. Six demi-volumes et 600 planches ont déjà paru, et le péti- Honnaire ajoute: + depuis plus de dix ans, le citoyen Lamarck met en acti- vilé un grand nombre d'artistes de Paris; actuellement ül entretient trois presses différentes pour divers ouvrages, tous relatifs à l'histoire natu- relle». Certes, le citoyen Lamarck a bien mérité « d’être mis en réquisi- lion par la Convention nationale, comme il l’a été par le Comité de salut public», alors même qu'il ne pourrait pas prouver qu'il a «toujours été depuis la Révolution, comme il l'affirme, ami décidé de la liberté, de l'égalité et de la République». Bientôt après, 1l peut, d'ailleurs, appuyer sa demande d'un titre de plus. Aux presses qu'il entretient 1l pourrait livrer un nouvel ouvrage. LAMARCK ET LE TRANSFORMISME ACTUEL. 183 Le 30 fructidor an 11 de la République française, une et indivisible, il adresse ce ivre à la Convention avec le message suivant : HOMMAGE À LA CONVENTION NATIONALE. Tout bon citoyen doit fournir à sa patrie son contingent pour le bonheur commun, chacun selon ses facultés ou sa portion d'intelligence. En conséquence, le citoyen Lamarck, professeur de zoologie au Muséum national d'histoire naturelle, fait hommage à la Convention nationale d’un ouvrage de physique important par son objet, fruit de longues méditations et de beaucoup de recherches, et dans lequel 1l représente des vues nouvelles sur les causes des principaux phénomènes de la nature, de ceux particulièrement qui s’observent tous les jours dans les travaux ordi- naires de la vie, et surtout de ceux qui offrent les faits organiques qu'il nous importe tant de bien connaître. Ces vues peuvent donner lieu aux découvertes les plus précieuses pour les arts, et doivent répandre un nouveau jour dans plusieurs parties de Part de guérir. Le livre, publié seulement en 1801, avait pour titre : Recherches sur les principaux faits physiques ®. I fut accueilli à la Convention par une mention honorable, renvoyé pour en faire rapport au Gomuté de linstruc- üon publique, et valut à Lamarck l'inscription quil désirait «sur la liste des gens de lettres destinés à recevoir des indemnités ». Lamarck connais- sait évidemment les administrations; 11 accueille ce vote avec reconnais- sance, mais adresse aussitôt au Comité de l'instruction publique un mé- moire pour obtenir le réglement de son indemnité. Ge mémoire, tout à son honneur, nous le montre beaucoup moins préoccupé des soins de sa vie matérielle que d'assurer la publication du grand ouvrage de bota- nique qu'il a entrepris, qui doit mettre, à ce point de vue, la France au niveau des autres nations et faire connaître les richesses accumulées dans le Muséum par les voyageurs français. 9) Lamarck avait une prédilection mar- quée pour la physique et la météorologie. Outre l'ouvrage que nous venons de citer, on remarque, parmi ses écrits, les suivants : De l'influence de la lune sur l'atmosphère ter- restre, an vi. — Sur la matière du feu, con- sidérée comme instrument chimique dans les analyses, an vi. — Mémoire sur la matière du son, an vir. — Sur le mode de rédiger les observations météorologiques. — Sur la distinc- tion des tempêtes d'avec les orages et les ow'a- {| 8 gans, an IX. — Recherches sur la périodicité présumée des principales variations de latmo- sphère, an 1x. — Sur les variations de l’état du ciel et sur les causes qui y donnent lieu. — Annuaire météorologique, précédé de probabi- lütés sur le temps de l’année; onze éditions de 1800 à 1819. — Hydrogéologie, 1801. 61. A8! M. EDMOND PERRIER. Cependant les mois s'écoulent et lillustre savant demeure dans la plus profonde misère. La Convention ayant de nouveau chargé, le 14 nivôse an ur, le Comité de l'instruction publique et le Comité des finances de lui présenter un rapport sur les pensions qu'il convient d'accorder aux gens de lettres et aux artistes dont les talents sont utiles à la République, Lamarck demande encore à être compris dans la répartition, et, cette fois, 1l est obligé de faire ce touchant et triste aveu : « Depuis mon retour en France, je me suis livré à l'exécution de mes grandes entreprises sur la bota- nique... mais ces travaux importants, que J'ai commencés et même fort avancés, sont malgré moi suspendus et comme abandonnés depuis près de deux ans. La perte de ma pension de la ci-devant Académie des sciences et l'énorme augmentation du prix des subsistances m'ont mis avec une nombreuse famille dans un état de détresse qui ne me laisse mi le temps, ni la liberté nécessaires pour cultiver fructueusement les sciences). » À ce moment même, le malheureux professeur n'en méditait pas moins un ou- vrage autrement vaste et dont la conception aurait pu, à elle seule, lui mériter ce ülre de Linné français ® qui lui a été maintes fois donné depuis. Depuis longtemps, écrit-1l le # vendémiaire an 11 au Comité d'instruction publique, J'ai en vue un ouvrage bien important, plus puissant peut-être pour linstruction en France que ceux que J'ai déjà composés ou entrepris, un travail enfin que la Con- vention devrait ordonner, et que nulle part on ne pourrait composer avec autant d'avantages qu'à Paris où les moyens de l’exécuter sont, en quelque sorte, accumulés dans tous les genres. C’est un Système de la Nature, ouvrage analogue au Systema Naturæ de Linnéus, mais traité en français, et présentant le tableau complet, concis et métho- dique de toutes les productions naturelles observées jusqu’à ce jour... Si le Comité d'instruction avait le temps de donner quelque attention à limportance de mon projet, à l’utihté de son exécution, et peut-être au devoir qu’en prescrit l’honneur national, j'oserais lui dire qu'après y avoir longtemps pensé, en avoir médité et déterminé le plan le plus convenable, enfin après en avoir amassé et préparé les matériaux les plus essen- üels, Joffre de mettre ce beau projet à exécution. Je ne me dissimule pas les difficultés de cette grande entreprise, je les connais, je crois, aussi bien et peut-être mieux que per- ‘Lettre aux représentants du peuple for- ® Etienne Geoffroy Saint-Hilaire. — mant le Comité d'instruction publique (17 ni- Discours lu aux obsèques de Lamarck le vôse an it de la République française, une et 20 décembre 1899 (Fragments biopra- indivisible), communiquée par M. Hamwy. phiques, p. 216). LAMARCK ET LE TRANSFORMISME ACTUEL. 485 sonne, mais je sais que Je puis les vaincre sans me borner à une simple et déshonorante compilation de ce que les étrangers ont écrit sur ce sujet. [l me reste quelques forces à sacrifier pour l'avantage commun; j'ai quelque expérience et de l'habitude dans les travaux de ce genre; ma collection de végétaux en herbier est une des plus riches qui existent; ma nombreuse collection de testacés est à peu près la seule en France dont les objets soient déterminés et dénommés selon la méthode des naturalistes modernes; enfin je suis à portée de profiter de tous les secours qu’on trouve à cet égard au Mu- séum national d'histoire naturelle; avec ces moyens réunis, Je puis donc espérer d’exé- cuter convenablement cet intéressant ouvrage. J'avais d’abord pensé que l'ouvrage dont il s’agit devait être exécuté par une société de naturalistes; mais après y avoir beaucoup réfléchi, et ayant déjà l'exemple de la nouvelle Encyclopédie, je me suis convaincu qu’alors l'ouvrage entier serait difforme, sans unité de plan, sans accord de principes et que sa composition serait peut-être interminable. Composé avec la plus grande concision possible, cet ouvrage ne peut comprendre moins de 8 volumes... Si la Nation veut me donner 30,000 livres une fois payées, je me charge de tout et je réponds, si je ne meurs pas, qu'avant sept ans le Systéme de la Nature en français avec les additions complémentaires, les corrections et les éclair- cissements convenables, sera à la disposition de tous ceux qui aiment ou étudient l’his- toire naturelle. À Paris, ce À vendémiaire an 11 de la République française, une et indivisible. Lamarck, professeur de zoolopie au Muséum national d'histoire naturelle. Pauvre grand homme! Le voila donc, oublieux de son lamentable dé- nuement, ne songeant qu'à servir aux progrès des sciences, à grandir la gloire de son pays. Lui aussi pourrait, comme Geoffroy, mettre en titre de ses livres cette philanthropique devise : Uhhtah! Le plan de son livre, Lamarck l’a médité en dehors de toute idée de lucre; 1l s’y est préparé de longue main par des travaux incessants; et 1l révèle 1e1, pour la première fois, qu'il n’est pas seulement le botaniste que tout le monde connait. Si ses publications antérieures ont eu surtout les plantes pour objet, 1l pos- sède aussi une nombreuse collection de testacés où les objets sont déterminés et dénommés selon la méthode des naturalistes modernes. Au moment de sa nomination à la chaire de zoologie des insectes, des vers et des ani- maux microscopiques, Lamarck était donc déjà un conchyhologiste de quelque érudition. Comment l'était-1l devenu ? L'histoire est touchante; 486 M. EDMOND PERRIER. Étienne Geoffroy Saint-Hilaire nous l'a conservée; elle mérite d'être rap- pelée : au moment de l’organisation fondamentale du Muséum d'histoire naturelle, en juin 1793, il ne fut point possible, raconte Geoffroy, d’as- signer à Lamarck un professorat de botanique. «M. de Lamarek, alors âgé de quarante-neuf ans, accepte de changer de science pour se charger de ce qui est par tous délaissé (les animaux sans vertèbres); car c’est effecti- vement un pesant fardeau que cette branche d'histoire naturelle où, sous beaucoup de rapports, tout était à créer. Sur un point, il est un peu préparé, mais c'est par accident; un dévouement à l'amitié l'avait causé, car c'était afin de complaire à son ami Brugnière®, afin de pé- nétrer plus avant dans les affections de ce naturaliste tout à fait exclusif, et afin de lui parler le seul langage qu'il voulüt écouter, lequel était res- treint à des conversations sur les coquilles, que M. de Lamarck avait fait quelques études de conchyhologie. Oh! combien, en 1793, 1l regrette que son ami fût partit pour la Perse; il leüt voulu, 1l eût désigné pour le professorat qu'on se propose de créer. Il le remplacera tout au moins; c'est demandé aux mouvements de son âme; et cet élan du cœur, cet acte de fraternité, devient premier élément d’un des plus grands talents z00- logiques de notre époque. » Ainsi Lamarck avait par pure amilié formé la collection qui le fixa comme professeur au Muséum. Cette collection ne larda pas d'ailleurs à être englobée dans nos collections nationales. Elle fut acquise par le Gou- vernement pour le prix de 5,000 livres, et cette somme fut employée par Lamarck à solder le prix d’une propriété nationale qu'il avait soumis- sionnée, dans le département de Seine-et-Oise, en vertu de la loi du 28 ventôse de lan 1v°). Plus tard, Lamarck reforma une autre collection de coquilles dénommées d’après son système, contenant une partie des Lypes décrits dans son Histoire naturelle des animaux sans vertèbres et dans ses nombreuses publications. Cette collection, dont il eût été si utile d’as- 1) Etienne Geoffroy Saint-Hilaire. — @ L'auteur de l'Histoire des Vers dans Discours lu aux obsèques de Lamarck le l'Encyclopédie méthodique. 20 décembre 1829 (Fragments biopra- @) Lettre du Ministre des finances (de Ra- phiques, p. 216). mel) au Ministre de l'intérieur (13 pr. an v). LAMARCK ET LE TRANSFORMISME ACTUEL. 487 surer la possession au Muséum national d'histoire naturelle, est aujour- d'hui la propriété du Musée de Genève. Le Muséum n'en possède pas moins, dans ses propres collections, un grand nombre de types déerits ou déterminés par Lamarek. Ces types, comme ceux de tous les auteurs qui ont publié des travaux d’après ces collections, ont été soigneusement recherchés et mis en relief lors de leur installation dans les nouvelles galeries de Zoolopie. Le Système de la Nature projeté par Lamarck n'a jamais été entrepris. Aussi bien Cuvier venait d'entrer én lice (1704); ses premiers mémoires 79 | faisaient prévoir que la zoologie allait être bouleversée. Lamarek semble A . . PA 4 s Pr Q \ s'être depuis lors exclusivement consacré à ses études de météorologie, à la publication de sa Philosophie zoolopique (1800) et à celle de son impé- [ P 5 9 Î rissable Histoire naturelle des animaux sans vertèbres, dont le premier vo- lume parut en 1815. [l refusa même, en 1809, la chaire de zoologie de la Faculté des sciences de Paris où Etienne Geoffroy Saint-Hilaire le pressait de monter. «Il pensa, dit Isidore Geoffroy Saint-Hilaire), que, pour l'oc- euper dignement, de nouvelles études lui seraient nécessaires, et 1l Jugea qu'à soixante-cinq ans 1l était trop tard pour les entreprendre. Il crut donc de son devoir de ne pas laccepter. Ce fut son premier et son dernier . j PEN \ Q A 9 0 O L4 mot : sa conscience, trop sévère à lui-même, l'avait dicté, et quand ce C A . 4 SA 4 a Ù 29 r 4 Juge suprême avait prononcé, qui eût pu ébranler le stoïque et désintéressé Lamarck? » Aussi bien ces deux ouvrages sont-ils ceux qui ont donné la mesure de son génie, ceux qui dominent aujourd'hui notre conception de la nature vivante, ceux dont nous devons maintenant essayer de montrer la portée. III Doctrine de Lamarck; elle n’est pas la rivale, maïs la base indispensable de celle de Darwm. — La doctrine de Lamarck, réduite à ce qu'elle a d’es- sentel, tient en quelques propositions : 1° Les êtres vivants ont apparu sur la Terre en vertu des forces aux- (Is. Geoffroy Saint-Hilaire, Vie, travaux et doctrine d'Étienne Geoffroy Saint-Hilaire, p. 191. 188 M. EDMOND PERRIER. quelles l'Univers a été soumis par le Créateur, auteur de toutes choses. L'ensemble de ces forces et des lois suivant lesquelles elles agissent est ce qu'on nomme la Nature ; 2°] continue à se former des êtres vivants par ce procédé initial ; cette apparition d'êtres par voie d'organisation directe de la matière, sans lin- tervention de parents antérieurs, est dite génération spontanée ; 3° Les humeurs produites par les organismes se prêtent plus facile- ment à la génération spontanée que la matière minérale , et les organismes qui se forment à leurs dépens sont plus élevés que ceux qui naissent direc- tement de la matière minérale. Ces derniers sont les Infusoires, les pre- miers les Vers et les Insectes parasites; l° Les molécules de la matière inerte sont maintenues par la cohésion ; la matière inerte est transformée en matière vivante par l'intervention de deux fluides subtils, la chaleur et l'électricité ; 5° La chaleur est antagoniste de la cohésion; la lutte qui s'établit entre elles détermine dans les substances vivantes un état particulier de tension, l'orgasme, susceptible de varier, et donne ainsi naissance à cette propriété des substances vivantes qu'on nomme l'érritabilité ; 6° Les variations de l'orgasme sont dues à l'électricité qui peut être dirigée vers tel ou tel point de la substance vivante par les actions exté- rieures ou par la volonté; l'électricité agit en détruisant l'équilibre entre la cohésion et la chaleur; dès lors, l'orgasme cesse, les tissus se contractent pour reprendre leur volume primitif dès que l'électricité n’agit plus ; 7° L'afllux habituel de fluides subüls vers telle ou telle région du corps détermine dans cette région des modifications de structure ou de crois- sance, d'où résulte l'apparition d'organes nouveaux ; 8° Les organes, une fois constitués, s’accroissent ou se modifient par l'usage qu'en fait l'animal; ils s’atrophient et disparaissent lorsqu'ils sont inutilisés ; 9° Les circonstances extérieures influent sur les animaux en provoquant chez eux des sensations d’où résultent des besoins. Pour donner satisfaction à ces besoins, la volonté dirige les fluides subtils vers les régions du corps dont la mise en activité est susceptible de procurer cette satisfaction ; LAMARCK ET LE TRANSFORMISME ACTUEL. 189 10° Si les mêmes sensations se répètent souvent, elles déterminent les mêmes besoins, ceux-c1 les mêmes mouvements; ces mouvements répétés deviennent des habitudes et, par ces habitudes, les organes, fréquemment mis en activité, s’accroissent; les autres s'atrophient, d’où résultent des modifications individuelles des animaux. Les modifications individuelles sont donc provoquées par les besoins des animaux et constamment en rapport avec ces besoins ; 11° Les modifications individuelles des animaux, quelle que soit leur origine, se transmettent par voie d’hérédité à leur descendance st elles sont communes aux deux individus de sexe différent qui s'unissent pour produire une généralion nouvelle. Ainsi naissent les espèces qui se perpétuent avec leur forme durant un temps plus ou moins long; mais ces espèces sont va- riables, et leurs variations, nées sous l’influence de leurs besoins, les maintiennent constamment en harmonie avec le milieu dans lequel elles vivent; d'où cette étroite adaptation dans laquelle on a vu à tort un argu- ment en faveur de la doctrine des causes finales ; 19° Les organes en voie de formation sous l'empire des besoins ne sont pas immédiatement utilisables; les organes qui cessent d'être utilisés ne disparaissent pas immédiatement; certains animaux peuvent donc pré- senter des organes sans fonction, dont la présence exelut la doctrine des causes finales : ce sont les organes rudimentaires ; 13° Par les modifications successives qu'elles présentent, les espèces actuellement existantes et les formes produites par génération spontanée donnent incessamment naissance à de nouvelles espèces. Les espèces ac- tuelles résultent de la transformation graduelle des espèces antérieures, et peu- vent ainsi ne présenter qu'une ressemblance éloignée avec les espèces ancestrales dont la fossilisation nous a conservé les débris; 14° Les espèces anciennes n'ont disparu que d’une façon exception- nelle; elles se sont transformées; celles qui n'existent plus ont été dé- truites par l'Homme ; 15° L'ordre dans la nature est maintenu par une certaine direction générale que le Créateur a imposée à l’évolution des formes vivantes, et aussi par la destruction que les individus appartenant aux grandes G2 IMPRIMERIE NATIONALF, 490 M. EDMOND PERRIER. espèces font des individus appartenant aux petites espèces d’une fécon- dité dangereuse ; 16° La classification naturelle n'est autre chose que l’ordre même dans lequel les formes vivantes sont issues les unes des autres à partir des formes originelles. Ges formes sont : a. Les Ixrusorres, nés de la matière minérale, d’où sont issus les Polypes et les Radiares ; b. Les Vers parasites, nés des humeurs et qui ont produit tout le reste du règne animal; 17° D'après le degré d'activité qu'ils mettent à réagir contre les actions extérieures, les animaux peuvent être répartis en trois catégories ascen- dantes : celles des apathiques, des animaux sensibles et des animaux imtel- hoents ; 18° L'homme, à ne considérer que son corps, pourrait être dérivé de ces singes supérieurs, auxquels leurs caractères ont fait donner le nom de singes anthropomorphes ; mais sa raison l'élève bien au-dessus des ani- maux intelligents, lui fait une place à part et démontre que son origine est différente de celle des animaux. Ces dix-huit propositions, qui s’enchainent avec une logique rigoureuse, présentent une théorie complète et profonde de la formation du règne animal. Rien de semblable n'avait jamais été tenté; personne, soit par respect des textes hébraïques, soit par un sentiment exagéré de limpuis- sance de l’homme, n'avait osé demander à la seule science l'explication de la vie, l'explication de la naissance des êtres vivants, celle de leurs trans- formations affirmées, pour la première fois, avec cette énergie par un homme vraiment familier avec toutes les productions naturelles; on peut dire qu'au temps où vivait Lamarck, avee les faits dont 1l disposait, 1l était difficile d'aller au delà du terme qu'il avait atteint du premier coup. Sa théorie avait d'ailleurs une portée bien plus grande que celles qui ont été proposées depuis et notamment que la fameuse théorie de Darwin. Pa marck, en effet, ne laisse derrière lui aucun postulatum, 11 essaye d’abord d'expliquer origine des êtres vivants que d’autres supposeront tout créés avec des formes seulement différentes de celles qui florissent aujourd’hut ; LAMARCK ET LE TRANSFORMISME ACTUEL. A91 il recherche ensuite comment les formes simples spontanément engendrées se sont graduellement compliquées, perfectionnées, adaptées aux circon- stances dans lesquelles elles vivent, de manière à constituer ces formes qui se transmettent longtemps, sans altération sensible, par la génération et qu'on nomme les espèces. Ges espèces, pour lui, ne sont que des abstrac- ons; l'hérédité suffit pour expliquer leur permanence, et Lamarck, cher- chant surtout à relier les espèces actuelles aux espèces fossiles, n’a pas trop à se préoccuper des hiatus qui existent actuellement entre elles. Mais depuis 1809, date de la doctrine de Lamarck, jusqu'en 1859, époque de la publication du livre de Darwin sur l’origine des espèces, les choses ont bien changé. L'espèce, sur laquelle on n'avait pas encore beau- coup philosophé en 1809, est devenue une sorte d'entité sur laquelle chacun à voulu dire son mot. Les partisans de la fixité des espèces, les prenant comme des unités éternelles, obligés d’ailleurs de tenir compte de ses variations, de ses alliances et de ses mésalliances, ont embrouillé comme à plaisir l'écheveau des définitions et des expériences, et imaginé toutes sortes de conceptions d'ordre secondaire : il s'agit, pour ces savants, de prouver à tout prix que les espèces sont inaltérables et incapables de tout mélange entre elles; qu'il n'existe entre elles aucun passage; qu'elles sont séparées par des hiatus profonds, infranchissables, et c'est de cet état de choses et de lui seul que Darwin entreprend de rendre compte. L'or1- gine des formes vivantes, Darwin ne s'en préoccupe pas; que le monde vivant ait commencé par un grumeau de gelée, ou que les principaux Lypes du règne végétal et du règne animal aient apparu simultanément, peu lui importe; 1l s'accommoderait aussi bien des quatre embranchements de CGuvier que de l’unité du plan de composition de Geoffroy; 1l suppose, en effet, un monde tout créé, celui de la période tertiaire, par exemple, et se demande simplement comment de ce monde a pu procéder le monde ac- tuel. Quelques-uns des faits qu'il s'agit pour lui d'expliquer sont d'ailleurs exactement le contre-pied de certaines conceptions de Lamarck : la dispa- rition des formes spécifiques, la mort des espèces, par exemple, n'est pour Lamarck qu'un fait exceptionnel; c'est pour Darwin un fait fondamental qui se répète incessamment. 62. 492 M. EDMOND PERRIER. La séparation actuelle des espèces, l'impossibilité de passer de l’une à l'autre, est aussi un trait essentiel de la faune et de la flore actuelles, et c'est sur deux points que roule avant tout l'œuvre de Darwin : variation des formes vivantes sous l’action de forces internes ou externes; hérédité de certaines catégories de variations; lutte pour l'existence ou pour la possi- bilité de se reproduire; défaite dans cette lutte et suppression des varia- tions défavorables; sélection naturelle, par cette voie, des formes les plus en rapport avec les conditions actuelles de la vie, voilà l'essence de l'œuvre de Darwin; la doctrine nouvelle s'attaque à d’autres problèmes que celle de Lamarck; elle pourrait lui fare suite si celle-ci avait atteint le but qu'elle se proposait, mais elle ne saurait la remplacer. Il n'y a donc pas, comme on le fait quelquefois, à opposer le darwinisme au lamarckisme; ce sont tout au plus deux doctrines qui se jJuxtaposent sans qu'il existe néces- surement entre elles une opposition ou même une superposition. Lamarck pressent d'ailleurs en quelque sorte Darwin lorsquil admet, à la façon de Buffon, la possibilité de la destruction de certaines grandes espèces par l'Homme, et qu'il charge les grandes espèces de limiter la tendance à pulluler des petites; ce sont 1à, en somme, des scènes particulières de ce grand drame de la lutte pour la vie dont Luerèce avait eu jadis la vision. Embrasser la doctrine de Darwin n'implique donc pas qu'on repousse celle de Lamarek; le problème dont Lamarck poursuivait la solution, Darwin l'a à peine abordé; et la doctrine du penseur anglais ne sera complète cependant que le jour où ce problème aura été résolu; le «la- marckisme» tent dans l'explication du monde vivant une place qui doit être occupée; c'est dans l'édifice une partie indispensable quil faut de toute nécessité réparer ou remplacer. L'hypothèse des générations spontanées est l'essence même de la doctrine de la Jixité des espèces; elle n'est nullement nécessaire au transformisme. — Repre- nons done une à une toutes les propositions de Lamarck et voyons ce qu'on en peut garder. En ce qui concerne l'origine des premiers êlres vivants, nous ne sommes pas plus avancés que lui; mais, à quelque école que l'on apparuenne, 1} est difficile de contester que les faits autorisent absolument LAMARCK ET LE TRANSFORMISME ACTUEL. 193 l'initiative hardie prise par Lamarck de demander aux forces naturelles l'explication de leur origine; l'intervention dans le monde d’autres forces que celles dites naturelles n'a jamais été constatée scientifiquement. On cesse d'être d'accord avec les faits quand on admet une autre interven- ton, et 1l serait assez piquant de forcer les partisans exclusifs des « faits », qui se sont élevés contre la première affirmation de Lamarck, à dire au nom de quels principes scientifiques ils ont protesté contre elle. Tout ce que nous pouvons concéder, c'est que nous ignorons comment les forces naturelles ont pu, au commencement du monde, produire les premiers êtres vivants. En revanche, s'impose le sacrifice de la deuxième et de la troisième proposition de Lamarck. La question des générations spontanées était en- üère en 1809. Îl a fallu les grandes et belles études de M. Pasteur et de ses émules pour démontrer qu'on devait décidément refuser à la matière inerte, qu'elle soit ou non d'origine organique, la faculté de s'organiser sous l'action des forces physico-chimiques, dans les conditions où nous l'avons placée jusqu'ici. Cette démonstration n'est faite que dans les limites des ex- périences réalisées jusquà ce Jour; elle laisse ouverte la possibilité d'ex- périences dans des directions nouvelles, insoupçonnées, qui permettraient d'animer les substances albuminoïdes, ou tout au moins de concevoir comment elles se sont animées au début du monde; mais à ceux qui con- serveraient à cet égard de trop grandes espérances, 1l convient de rap- peler que, contrairement à ce qui a lieu d'habitude, les progrès de la science, loin d'éclairer la question, l'ont fortement obseureie. On à pu croire un moment avec Huxley et Hæckel que la substance vivante, le pro- loplasma, «base physique de la vie», n'était qu'un composé albuminoïde et qu'on serait bien près de savoir faire un être vivant le jour où l'on aurait réalisé la synthèse du blane d'œuf. Le microscope a montré depuis que la vie ne s'accommode pas d’une pareille simplicité. L'évolution de la moindre cellule vivante suppose la mise en activité d’un grand nombre de sub- stances, savamment dosées, juxtaposées sans être mélangées ni combi- nées, jouant chacune son rôle, toutes également vivantes, mais vivant de façons différentes, substances qu'on a pu caractériser et pour lesquelles 494 M. EDMOND PERRIER. une légion de noms ont été inventés : hyaloplasma, paraplasma, chroma- tine, prochromatine, parachromatine, linine, ete. Pour faire un être vivant, il faudrait non seulement avoir constitué ces substances de toutes pièces, mais encore 1l faudrait les avoir associées d’une certaine facon et dans de cerlanes proportions. Nous ne savons même pas d'ailleurs si nous avons le droit de les comparer à des composés chimiques; tant qu'elles vivent, leur conslitution se modifie incessamment et spontanément; or les chimistes n'étudient, au contraire, que des combinaisons dont les forces extérieures peuvent seules altérer la stabilité, des combinaisons dans lesquelles les éléments n'entrent que dans des proportions définies. D'autre part, on a suivi méliculeusement, dans un grand nombre d'êtres vivants, la filiation des éléments anatomiques, et jamais, en aucun cas, on n’a vu un seul élé- ment anatomique apparaitre spontanément dans une humeur : tout élé- ment anatomique nouveau est un fragment d’un élément préexistant et emprunte ses diverses parties aux parties correspondantes de l'élément d'où 1l dérive. Nous sommes donc obligés d'admettre jusqu'ici que la vie seule est susceptible de produire la vie; il n'y a pas de génération spontanée ; mais on à le droit de s'étonner profondément que cette proposition ait élé, au nom des faits, opposée au transformisme dont elle est le plus solide appui; on a le droit de s'étonner que des esprits elairvoyants aient pu her le transformisme au sort des générations spontanées, qui, loin de tenir à son essence, sont justement, nous le verrons tout à lheure, la base néces- saire, inéluctable, de la doctrine contraire. Admettre qu'il n’y a pas actuel- lement de générations spontanées; admettre qu'au début les organismes se sont présentés sous des formes simples, d'origine inconnue, analogues aux Rhizopodes de la nature actuelle, cela n'implique aucune contradic- lion, et nous demeurons absolument d'accord avec la méthode scientifique, avec tous les faits observés, en supposant que si les formes compliquées actuellement vivantes sont explicables, elles ne le sont qu'en prenant pour point de départ les propriétés bien étudiées des formes simples de la nature actuelle, et en considérant ces formes simples comme primitives. Cest d'ailleurs un fait incontestable que les éléments anatomiques qui consti- tuent les corps vivants sont exactement analogues à ces formes simples, LAMARCK ET LE TRANSFORMISME ACTUEL. 495 bien que celles-e1 soient indépendantes et libres. Gela revient à dire que tout étre vivant quelque peu compliqué n’est qu'une accumulation d'éléments dont chacun est exactement comparable, pour sa constitution, ses propriétés physio- logiques et souvent même les détails de sa forme, aux êtres vivants les plus simples que nous connaissions. Ges êtres vivants les plus simples forment la grande division des Prorozoures. Nous pouvons donc dire brièvement aujourd'hui ce que Lamarck ne pouvait deviner : Tout être vivant d'organisation tant soit peu compliquée n'est qu'une association de Protozoaires. Mode de complication des êtres umicellulaires (Protozoares et Protophytes); leur variabilité sous les actions de mulieu. — Les propositions que nous avons inserites sous les n° 4, 5, 6 et 7 expliquent comment Lamarck comprend l'apparition de la complication organique; ce sont celles qui ont suscité la plus vive opposition, celles qui ont valu le plus de sarcasmes à leur auteur. On ne saurait certainement les accepter telles quelles; mais sont-elles si éloignées qu'elles le paraissent des conceptions qui semblent actuellement les plus légitimes? C'est un point qui mérite examen. Le problème, pour nous, se décompose en deux autres : la complication peut en effet porter : 1° sur la structure des éléments anatomiques; 2° sur le nombre, le degré de variété, les modes divers d'association des éléments qui constituent un corps vivant. Chacune de ces questions doit recevoir une réponse différente. Il est incontestable aujourd'hui, nous l'avons déjà vu, que les Protozoaires, qui sont des éléments anatomiques libres, et les éléments anatomiques, qui sont des Protozoaires vivant en communautés plus ou moins nombreuses, ne sont nullement les grumeaux homogènes qu'on les croyait autrefois. Les substances variées qui entrent dans leur constitution ont chacune leur façon particulière et déterminée de se com- porter aux phases successives de la vie cellulaire et l’action spécifique qu'exercent sur elles diverses matières colorantes n'est qu'une manifes- tation des différences physiologiques qui les séparent; un infusoire cilié présente une foule de parties très dissemblables qui le font paraitre, au premier abord, presque aussi compliqué qu'un animal supérieur. Com- ment cette complication dans la simplicité a-t-elle été obtenue? Quels 196 M. EDMOND PERRIER. liens peuvent exister, au point de vue de leur genèse, entre les diverses substances constituant un même Protozoaire? Quelles modifications les actions extérieures peuvent-elles leur faire subir? Tei notre ignorance est profonde. On sait cependant que les Protozoaires et les éléments anato- miques sont irritables par l'action de la pesanteur, de la chaleur, de la lumière, de l'électricité, de divers composés chimiques, à commencer par l'eau, et l'on sait aussi qu'ils sont susceptibles de revêtir des formes di- verses suivant les circonstances (Mucor cireimelloides et autres Thallo- phytes)). On sait encore que chez des Protozoaires ou des Protophytes voisins, les modifications de la forme peuvent être liées à des circon- stances accidentelles ou bien se reproduire dans un ordre déterminé, indépendamment de tout stimulant actuel, lorsque les circonstances aux- quelles sont habituellement liées ces modifications de forme sont elles- mêmes périodiques (polymorphisme et migration des UÜrédinées, par exemple). On sait enfin que les modifications acquises peuvent être trans- mises pendant un nombre indéterminé de générations (levure de bière haute et basse, bactéries à virulence atténuée, etc.), sauf à disparaitre brusquement lorsque, sous l'empire de conditions déterminées, les indi- vidus modifiés arrivent à se reproduire non plus par simple division, mais à l'aide de spores nées à leur intérieur, comme Fa vu M. Pasteur pour la bactérie charbonneuse. Ges faits sont importants, parce qu'ils vont nous montrer à l’aide de quel mécanisme se compliquent et se diversifient les organismes constitués par une association d'éléments. Mode de complication des organismes pluricellulaires. — Lori de limitation de la taille des éléments anatomiques; loi d'association. — Les végétaux et les animaux, si compliqués qu'ils doivent devenir au cours de leur vie, sont toujours représentés au début par un élément unique, l'œuf. Les Proto- zoaires et les Protophytes n’ont qu'un seul mode de multiplication, la divi- sion. Leur division semble d’ailleurs être commandée par ce fait que le mode d'association direct des substances vivantes n’est compatible qu'avec (ME. Vasserzug, Variations de forme chez les Bactéries (Annales de l'Institut Pasteur, 1888). LAMARCK ET LE TRANSFORMISME ACTUEL. 497 des dimensions très limitées des organismes où on l'observe. L'œuf pré- sente, lui aussi, cette faculté de division; seulement les produits de sa division demeurent associés, au moins en partie, au lieu de s'isoler les uns des autres pour mener une vie indépendante, comme ils le font chez les Protozoaires et la plupart des Protophytes. C’est là la seule différence initiale que l'on puisse relever entre les produits de la division de l'œuf et ceux de la division des éléments libres; mais le genre de vie différent que mènent les éléments dans les deux cas entraîne aussitôt d’autres diffé- rences. Les éléments à existence sociale occupent, dans leur association, des positions différentes, subissent par conséquent des excitations diffé- rentes de la part des agents extérieurs; 1ls réagissent même différemment les uns sur les autres suivant les positions respectives qu'ils occupent; ils prennent done des formes différentes, acquiérent une façon spéciale de vivre, deviennent plus ou moins solidaires et forment ainsi, par leur asso- ation, un organisme indivisible, un éndividu dans lequel il semble, sui- vant la remarque de H.-Milne Edwards, quil s'établisse entre les éléments composants une dévision du travail physiolosique. Dans cet individu, les élé- ments anatomiques similaires ou les groupes similaires d'éléments ana- tomiques demeurent souvent rapprochés et constituent ainsi des unités secondaires que l’on peut considérer indépendamment les unes des autres, et qui sont ce que l'on appelle les tissus, les oroanes, les systèmes et les appareils de l'individu considéré. Les modifications des éléments anato- miques pouvant d'ailleurs s'accomplir, comme nous l'avons vu, dans un ordre déterminé, en l'absence de tout stimulant actuel apparent lors- qu'elles sont liées à des circonstances qui se reproduisent périodiquement, on comprend que les tissus et les organes apparaissent toujours dans un ordre constant, au cours du développement d'un individu. Le mécanisme de la formation de ces tissus et de ces organes a été suivi pas à pas dans un grand nombre de cas, à partir des cellules, toutes semblables entre elles, qui constituent primitivement la plupart des embryons et dont ils ne sont que des transformations ou, comme on dit encore, des différen- ciations en sens divers; on peut citer comme exemple le mécanisme de la formation, connu dans tous les détails abordables pour nos moyens d'in- 63 IMPRIMERIE NATIONALE. 498 M. EDMOND PERRIER. vestigalion, des éléments musculaires, du üssu musculaire et des museles. des éléments nerveux, des nerfs, des ganglions nerveux et des organes sen- soriels chez les Éponges et les Polypes. La théorie complexe et hypothé- tique de Lamarck peut donc être aujourd'hui remplacée par une théorie positive. Mais cette théorie positive ne fait que mettre des faits observés à la place exacte où Lamarck avait mis des suppositions; elle se borne à remplacer, dans l'édifice demeuré debout, une pierre altérée par une autre d'apparence plus solide. Différents deorés d'individualté : plashdes, mérides, zoïdes et dèmes. — Nous pouvons même aller plus loin en coordonnant simplement les faits observés, et suivre pas à pas le mécanisme de l'accroissement du corps et de la diversification de ses parties. Par leur groupement direct, les élé- ments anatomiques, que nous pouvons, pour abréger, désigner mainte- nant sous le nom de plastides (Hæckel), ne forment jamais des organismes bien compliqués; les organismes, dont le corps tout d’une venue ne con- üent qu'un petit nombre d'organes se répétant rarement dans un ordre déterminé, peuvent être convenablement désignés sous le nom de mérides\). Comme les mérides, les plastides possèdent la faculté de produire par une croissance locale, dite bouroeonnement, des mérides plus ou moins semblables à eux-mêmes. À la formation de ces mérides prennent part ordinairement tous les organes essentiels du méride progéniteur, de sorte que lorsque plusieurs mérides ont été ainsi engendrés les uns sur les autres, tous leurs organes similaires sont d’abord en continuité. IT peut alors se produire deux cas : ou bien les mérides de récente génération se séparent pour mener une existence indépendante (Hydre d'eau douce, divers Turbellariés), ou bien ils demeurent associés en une individualité 0) Edmond Perrier, Les colonies animales les plus distingués du Muséum d'histoire et la formation des organismes , 1881, p. 701, naturelle, M. Pizon, docteur ès sciences, 70, 709, 717. professeur agrégé d'histoire naturelle au ®) Une étude très complète du bour- lycée de Nantes (A. Pizon, Histoire de la geonnement dans le cas le plus compliqué, blastogénèse chez les Botryllidés. — Annales celui des Ascidies composées, vient d'être des sciences naturelles, 7° série, t. XIV, faite, à ma demande, par un des élèves 1892). LAMARCK ET LE TRANSFORMISME ACTUEL. 499 plus complexe que nous nommerons un zoïde. Il est évident que, dans ce cas, chaque sorte d'organe du zoïde n'est que la somme des organes correspondants des mérides qui le constituent (chaine nerveuse des Ar- thropodes et des Vers annelés; tube digestif et appareil génital des mêmes animaux; appareil néphridien des Vers; appareil trachéen des In- sectes, etc.). Ces organes restent d'abord dans les mérides auxquels ils correspondent; mais comme ils sont en continuité dans toute l'étendue du zoïde, si les parties qui établissent cette continuité se raccourcissent, elles entrainent le rapprochement des organes élémentaires entre lesquels elles s'étendent et la formation d'organes compacts qui occupent dans le zoïde une place restreinte, paraissent la propriété indivise de ses mérides consti- tutifs et ne laissent plus reconnaitre les organes fondamentaux qui pro- viennent de chacun de ces derniers. On peut suivre par exemple toutes les phases de phénomènes de coalescence de ce genre dans les diverses formes que revêt la chaine nerveuse des Crustacés décapodes et celle des Goléo- ptères, l'appareil rénal des Vertébrés ou encore l'appareil génital des [n- sectes quand on passe des Thysanoures aux Orthoptères. D'autres fois, les organes indivis des zoïdes se forment par l'avortement des organes de la même catégorie d’un certain nombre de mérides et l'hypertrophie des or- ganes restants de cette catégorie; c'est une application de la loi du ba- lancement des organes de Geoffroy Saint-Hilaire dont une interprétation précise apparait ic. Ces phénomènes de coalescence et d'autres encore amènent, entre les divers mérides associés pour constituer un zoïde, un degré de solidarité qui s'oppose à toute séparation ultérieure de leur part; cette solidarité peut même s'afhrmer, au point de vue morphologique, par une fusion des mérides dont les limites s’effacent peu à peu et devien- nent enfin totalement méconnaissables; elle est atteinte, au point de vue physiologique, par la division du travail qui s'effectue entre les divers mérides comme elle l'avait fait entre leurs plastides, et qui les amène à différer beaucoup les uns des autres. Les mérides qui ont revêtu la même forme, qui remplissent la même fonction, se groupent souvent d’ailleurs de manière à constituer ensemble soit des individualités susceptibles de se séparer et de mener une vie indépendante (Méduses des Polypes hy- 63. 500 M. EDMOND PERRIER. draires; individus reproducteurs des Autolytes, ete), soit des régions du corps affectées chacune à une fonction particulière; c'est ainsi que, chez les Insectes, le corps se divise en trois régions : la téte ou région sensitive et préhensile, le thorax où région locomotrice et l'abdomen ou région viscérale. Dans ce cas, chaque individualité qui se sépare, chaque région du corps qui se caractérise peut être considérée comme un zoïde et l’en- semble de ces zoïdes peut recevoir le nom de dème. Ces indications suflisent pour montrer que la science est actuellement en possession d'une théorie rationnelle de la formation des organismes, théorie basée uniquement sur l'observation, indépendante de toute hypo- thèse, et qui a pour point de départ unique les phénomènes qui résul- tent de l'aptitude des plastides à se nourrir, à se multiplier par division, à s'associer et à modifier, suivant les circonstances, leur forme et leur facon de vivre. Influence de la volonté et des habitudes dans le perfectionnement des orpa- nismes. — Îl semble que les circonstances extérieures ou, d’une manière plus générale, les conditions d'existence faites à chaque plastide aient eu d'abord une part prépondérante dans les modifications qu'il subit. Il en est au moins ainsi pour les végétaux et pour les animaux qui demeurent dans la catégorie des animaux apathiques, comme aurait dit Lamarek; ces modifications, sous l’action directe du milieu, semblent avoir été mises hors de doute par les recherches de toute une école de Jeunes botanistes inspirés par un maitre éminent, M. Ph. Van Tieghem (); mais intervienne le système nerveux, Lamarck avait-il réellement tort de dire que l'afflux habituel des fluides subuils vers telle ou telle répion du corps détermine dans celle révion des modifications de structure et de croissance d'où résulte l'appa- rition d'organes nouveaux ? ® Voir notamment : J. Costantin, Re- la structure des racines (Ibid., 7° série, t. I, cherches sur la structure de la tige des plantes 1885); Études sur les feuilles des plantes aqua- aquatiques (Annales des sciences naturelles. tiques (Ibid., 7° série, t. IT, 1886). Voir Botanique, 6° série, t. XIX, 1885); Re- aussi les recherches de M. Gaston Bonnier, cherches sur l'influence qu'exerce le milieu sur Sur la végétation dans les régions alpestres. LAMARCK ET LE TRANSFORMISME ACTUEL. 501 N est-ce pas linflux nerveux, c'est-à-dire un fluide subtil tel que l'en- tendait Lamarck, et un fluide bien semblable, sinon identique à l'élec- tricité, qui, chez les animaux supérieurs, règle l'afflux du sang vers les organes, règle par conséquent l’activité de leur nutrition et peut ainsi déterminer leur hypertrophie ou leur déchéance? S'il n’est pas _ possible d'attribuer à ce phénomène régulateur l'apparition même des organes à laquelle nous venons d'assigner d’autres causes, n'intervient-il pas à un certain degré dans les modifications que subissent les systèmes d'organes des mérides d'un même zoïde lorsqu'ils deviennent les organes com- pacts de ce dernier? Ne savons-nous pas, d'autre part, que l'attention que nous portons à certaines parties de notre corps, le visage par exemple, suflit pour en déterminer la congestion, et la congestion répétée d’une région du corps n'entraine-elle pas nécessairement des modifications dans sa croissance et sa constitution ? Jusqu'où peuvent aller ces modifications? Sont-elles héréditaires et dans quelle mesure? On a sur ces difficiles sujets plus d’aflirmations que d'expériences, plus d'opinions que de démonstra- tions; cependant, malgré de récents et rudes assauts, les faits semblent, à l'heure actuelle, plus favorables à l'opinion de Lamarck qu'à tout autre. Si les accès de colère des Ruminants auxquels Lamarck attribuait l'appa- rition de leurs cornes n'ont été directement pour rien dans ce phénomène, qui pourrait affirmer que les chocs répétés nécessairement éprouvés par le crâne de ces animaux dans leurs courses sous bois ou dans leurs luttes fréquentes, tête contre tête, et les modifications d'abord momentanées de vascularisation qui en résultent pour les tissus péricrâniens n'ont pas été pour quelque chose dans la formation de ces exostoses? Et ne serait-il pas intéressant de rechercher si l'abondance et la longueur des poils chez les animaux des pays froids, la rareté et la briéveté de ces productions chez les animaux des pays chauds ne sont pas dues, dans une certaine mesure, aux modifications que la température, par l'intermédiaire des nerfs sen- sitifs et des nerfs vasomoteurs, détermine dans le derme et dans les bulbes pileux? Tout le monde est d’ailleurs d'accord — et on l’a été de tout temps — pour admettre l'influence de l'usage ou du défaut d'usage sur les or- ganes d’un animal; on ne peut nier que la volonté n'intervienne dans 502 M. EDMOND PERRIER. l'usage que fait un animal des parties de son corps; que l'habitude de cer- tains mouvements n'exerce une action sur la forme des parties du corps qu'ils intéressent; les huitième, neuvième et dixième des propositions résu- mant la théorie de Lamarck sont done fort près de la vérité en ce qui concerne les individus. Les phénomènes qu'elles visent ont-ils joué un rôle dans la création des diverses formes vivantes? On ne peut se dispenser de faire remarquer que, dans bien des cas, la forme du corps est précisé- ment telle qu'elle devrait être sil fallait répondre affirmativement à cette question. Chez les animaux à symétrie bilatérale, la région antérieure du corps présente le maximum d'activité, la région postérieure demeurant plus ou moins inerte; dans les groupes les plus variés, cette région pos- térieure s'atrophie; presque toujours elle est graduellement amincie : elle constitue un post-abdomen très grêle chez les Scorpions, étroit et aplati chez les Hermelles, les Thalassines, les Grabes; une queue chez les Thély- phones et le plus grand nombre des Vertébrés; la queue disparait, à son tour, chez les Phrynes et les autres Arachnides, les Batraciens anoures et divers Mammifères; l'abdomen tout entier, déjà raccourei chez les Crus- tacés amphipodes et isopodes, manque même chez les Caprelles et les Pycnogonides. Ge phénomène auquel Morse a donné le nom de céphalisation aurait, suivant ce naturaliste, joué un grand rôle dans la constitution de certaines formes animales (Brachiopodes, Mollusques, etc.). À un autre point de vue, n'est-il pas frappant de voir dans la série des Repüles et dans celle des Mammifères la rapidité à la course ou l'aptitude au saut obtenues par des modifications des pattes qui peuvent être reliées entre elles par cette simple formule : Tout se passe comme si l'animal s'était volontairement et habituellement dressé sur ses pattes de manière à ne marcher finalement que sur l'extrémité de ses doigts? Chez les Reptiles primitifs, en effet, chez les Reptiles actuels et chez les Monotrèmes, le bras et la cuisse se meuvent dans un plan horizontal ; ilen est de même de la main et du pied, de manière que l'animal n'est éloigné de terre que par la longueur de l'avant-bras et de la jambe; cette longueur est insuffisante pour empêcher le corps de reposer à terre pen- dant le repos, d'appuyer sur le sol et de contribuer même d'une manière LAMARCK ET LE TRANSFORMISME ACTUEL. 503 constante à la progression quand elle à lieu : l'animal rampe. Le premier progrès dans l'allure est réalisé par un changement dans l'orientation du bras et de la cuisse dont l'extrémité périphérique est rapprochée du corps, comme lorsque l'animal se dresse sur ses pattes, ainsi que le font souvent les Crapauds, par exemple; le bras et la cuisse arrivent de la sorte à se mouvoir dans un plan vertical, et l'animal se trouve éloigné du sol de toute la longueur de la projection verticale du bras et de avant-bras, d’une part, de la cuisse et de la jambe, d'autre part; le ventre cesse de traîner à terre, mais la main et le pied appuient encore sur le sol de toute leur étendue : l'animal marche; 11 est, en général, peu apte à courir et à sauter; 1l est dit plantiorade; c'était l'allure des Dinosauriens sauropodes; c'était, sui- vant Cope, celle de tous les Mammifères primitifs, et elle s’est encore conservée comme on sait chez un grand nombre de ces animaux. Le redres- sement du métacarpe et du métatarse constitue un troisième progrès, réa- lisé chez les Dinosauriens théropodes, les Oiseaux et un grand nombre de Mammifères qui prennent ainsi l'allure dioitiorade ; enfin, chez les Mam- mifères ongulés, 1l arrive même que les doigts ne portent plus sur le sol que par leur extrémité comme si l'animal s'était dressé sur ses pointes : c’est l'allure unouhorade des meilleurs coureurs. Toutes ces modifications dans l'allure, de même que le redressement du corps sur les membres pos- térieurs que présentent les Dinosauriens ornithopodes, les Oiseaux, les Gerboises, les Kangurous, ete., peuvent s'expliquer d’une manière toute physiologique, comme le voulait Lamarck ,-par un effort habituel, avan- tageux à l'animal, par l'hérédité de habitude. L'animal aurait bien dés lors modifié ses organes par une tension continuelle de sa volonté, mais par une action ne s'exerçant directement que sur les nerfs, par eux sur Îles muscles et finalement sur les os. Cette action des muscles sur les os est si nette que M. Marey a pu écrire à Ce propos : « En résumé, tout, dans la forme du système osseux, porte la trace de quelque influence étrangère et particulièrement de la fonction des museles. Il n'est, pour ainsi dire, pas une seule dépression ni une seule saillie du squelette dont on ne puisse trouver la cause dans une force extérieure 504 M. EDMOND PERRIER. qui à agi sur la matière osseuse, soit pour l'enfoncer, soit pour la tirer au dehors. Ce n'était donc pas une exagération métaphorique de dire : l'os subit comme une cire molle toutes les déformations que les forces exté- rieures tendent à lui imprimer, et malgré sa dureté excessive 1l résiste moins que les tissus souples aux eflorts qui tendent à changer sa forme. » Et le savant et ingénieux physiologiste, auquel l'étude des mouvements doit tant et de si beaux progrès, ajoute : | « Et maintenant, cette forme nouvelle acquise par la fonction dispa- raitra-t-elle tout entière avec l'individu; n'en reviendra-t-1l pas la moindre trace à ses descendants? L'hérédité fera-t-elle une exception unique pour les caractères acquis? Gela semble bien improbable, et cependant il fau- drait l’'admettre pour avoir le droit de repousser ce qu'on appelle l'hypo- thèse du transformisme. Il faudrait faire une contre-hypothèse qui renver- serait les lois ordinaires de l’hérédité pour refuser à certains caractères ordinaires le droit d'être transmissibles ), » Le néo-lamarckisme américain. — Aux questions posées par M. Marey dès 1873 répond, comme il le fait lui-même, avec l'autorité puissante que lui donnent ses nombreuses découvertes dans le monde des fossiles amé- ricains de la période tertiaire, le savant paléontologiste Edward Cope, lun des hommes qui ont le plus contribué à construire l’histoire généalogique des Mammifères. Nous avons exposé comment la volonté, stimulée par les besoins de la sécurité et de l'alimentation, semblait être, à diverses re- prises, intervenue dans les changements d’allure des Vertébrés terrestres; M. Marey nous a montré l’action incessante des muscles pour la défor- mation et la transformation des os; Cope met en évidence par un grand nombre d'exemples le mécanisme de ce genre d'actions, en déterminant les conséquences des chocs et des tensions longitudinales. Il ne s’agit pas ici de simples intuitions tirées de la comparaison du mode de locomotion des animaux et des proportions relatives des diverses parties de leurs membres. Des données physiologiques, basées sur l'expérimentation, ont U I. Marey, La machine animale (Bibliothèque scientifique internationale, p. 98, 1873). LAMARCK ET LE TRANSFORMISME ACTUEL. 905 depuis longtemps établi que lirritation de certaines parties des os déter- minait chez eux un accroissement plus ou moins rapide; d'autre part, Kôl- bker a montré autrefois que la pression due à la croissance des parties molles et peut-être toutes les pressions en général, influence exactement contraire de celle de la tension longitudinale, déterminaient l'apparition, dans les parties comprimées des os, d'éléments spéciaux qu'il nomme ostéo- clastes ou ostéophages, éléments susceptibles de digérer la substance osseuse et d'amener par conséquent la destruction de l'os sur les points où ils se multiplient; il explique ainsi la chute périodique du bois des Gerfs(. C'est en partant de ces données positives que Cope, suivant l’évolution de formes de Mammifères à travers la série de périodes géologiques, nous montre l'allongement de leurs os constamment proportionnel au nombre des chocs, à l'intensité des excitations qu'ils subissent. Or le nombre et la direction des chocs, les pressions subies par les os, les régions d'applica- tion des chocs et des pressions dépendent essentiellement de l'usage que l'animal fait de ses membres, de l'orientation qu'il leur donne, e’est-à- dire indirectement de sa volonté. Aussi n'est-ce pas seulement la longueur des os, mais leur forme, leurs reliefs, leurs creux, leur agencement réci- proque, qui peuvent être modifiés. La production des cornes des Rhinocéros et des Ruminants n'échappe pas à cette explication; ces organes n'appa- raissent que dans les régions du corps les plus exposées aux chocs; elles sont la conséquence des excès de nutrition qu'amenent les congestions fréquentes de ces régions : l'explication de Lamarck dont on a tant ri et celle de Cope ne différent que par la cause assignée aux phénomènes congestifs, cause psychique pour le naturaliste français, mécanique pour le paléontologiste américain ©. D'autre part, le redressement graduel de la main et du pied rend in- utiles les doigts les plus courts. Aussi ces organes, presque toujours penta- 0) Albert von Kôlliker, De l'absorption normale et typique des os et des dents (Archives sumées dans le Journal of morpholosy sous le titre The mechanical causes of the develop- de zoologie expérimentale, 1° série, t. IT, 1879, p- 2/1). @) Les idées de Cope, répandues dans divers mémoires, ont été coordonnées et ré- ment of the hard parts of the Mammalia. — M. Priem a donné une analyse de ce tra- vail dans la Revue des sciences du 15 juillet 1891. 64 IMPRIMERIE NATIONALE, 506 M. EDMOND PERRIER. dactyles chez les Vertébrés terrestres plantigrades, perdent-ils graduelle- ment leurs doigts latéraux et finissent-ils par être monodactyles, comme chez les Chevaux. L'histoire du type Gheval dans l’ancien et le nouveau monde, depuis la forme tétradactyle Jusqu'à la forme monodactyle, montre étape par étape comment cette modification a été réalisée. Mais le changement d’allures que nous venons d'indiquer ne borne même pas là son influence. Le développement de la force nécessaire à un animal pour soutenir le poids de son corps, désormais habituellement loin de terre, exige la consommation d’une quantité plus grande de chaleur, une combustion respiratoire par conséquent plus active, un appareil pul- monaire construit de manière à emprunter à l'air la quantité d'oxygène indispensable à cette combustion, un appareil circulatoire approprié à cet accroissement d'importance de la fonction. Ce sont là des modifications corrélatives qu'il est facile de prévoir, qui existent en réalité et dont la physiologie précisera tôt ou tard le mécanisme. Influence des changements de fonction des organes. — À ces exemples frap- pants, qui montrent à quel point étaient justes au fond les idées de La- marck relativement à lintervention personnelle des animaux dans les modifications, d'ailleurs inconscientes, qu'ils éprouvent, on pourrait ajouter la longue série des faits par lesquels Dohrn a montré comment les organes d’un animal sont susceptibles de changer de fonction, comment ils se modifient à la suite de ce changement de fonctions et comment leurs mo- difications entrainent à cet égard des modifications profondes dans l'aspect général de animal à qui ils appartiennent!, et, pour ne citer qu'un exemple, l'histoire des appendices des Arthropodes est-elle autre chose que l'histoire de leurs changements de fonctions et des modifications qui en sont la conséquence? Nous avons nous-même montré comment ces changements de fonctions étaient intervenus à tous les degrés de l'échelle animale et combien importantes avaient été les modifications organiques qui en étaient résultées ?. M Anton Dohrn, Der Ursprung der Wirbelihiere und das Princip des Functionswechsels , Leipsig, 1835. — ®) E. Perrier, Les colonies animales, 1881. LAMARCK ET LE TRANSFORMISME ACTUEL. 507 Hérédité des caractères acquis. — Opposition et doctrine de Woissmann. — Les notions d'espèce et de race ne sont autre chose que la notion même de l'hérédité des caractères «naturels». La onzième des propositions du la- marckisme, affirmant l'hérédité des caractères «acquis», est pleinement acceptée de tous les naturalistes, lorsqu'il s’agit de caractères congénitaux, brusquement apparus au cours du développement; la démonstration ex- périmentale de cette hérédité est faite, même en dehors des hommes de science, par les pratiques de la zootechmie; c’est ainsi que se constituent et que se conservent les races domestiques. On la refuse souvent aux carae- tères acquis au cours de la vie. Nous avons déjà vu MM. Marey et Cope protester contre cette distinction; en quoi, en effet, pourrait-elle con- sister? Un caractère qui se manifeste brusquement au cours du dévelop- pement embryogénique a-tl apparu sans cause? S'il a une cause, n'est-il pas lui aussi un caractère acquis? À quel moment, d’ailleurs, s'arrête le développement d’un animal? Ne savons-nous pas que les animaux les plus voisins, les Pénées, les Crevettes, les Écrevisses, par exemple, peuvent éclore aux phases les plus diverses de leur évolution, et ce qui est pour l'un une période de vie active est pour l’autre une période embryonnaire? Un organisme n'est-il pas d'ailleurs en évolution perpétuelle, et peut-on établir sérieusement que des caractères acquis à la période de cette évolu- tion où il est en pleine puissance reproductrice ne seront pas transmis- sibles, tandis que l’on ne conteste pas cette faculté aux caractères acquis à une période antérieure? Dira-t-on que les seules modifications trans- missibles sont celles qui résultent du milieu interne, qui atteignent la substance constitutive des éléments ovulaires elle-même et qui se mani- festent extérieurement sans qu'aucune cause apparente les ait déterminés, telles l'apparition spontanée de la précieuse toison des Mérinos, la dispari- tion des cornes chez certaines races de Ruminants domestiques, la défor- mation spéciale du museau des Bouledogues et des Bœufs gnato, etc. ? Mais que signifie encore cette distinction? Il n'y a pas d'autre moyen de transmission héréditaire des caractères qu'une action sur les éléments re- producteurs. Or ces éléments ne se modifient pas spontanément; il faut de toute nécessité une cause externe à leurs modifications; cette cause ne 64. M. EDMOND PERRIER. e2] 0 peut résider que dans le milieu ambiant où 1ls évoluent; ce milieu, à son tour, est inerte, et il subit, sans choisir, les influences qui s’exercent sur lui d'où qu'elles viennent. En quoi d'essentiel les influences des éléments les plus prochains pourraient-elles différer de celles des éléments plus lointains et des influences externes proprement dites? Il suffit d'analyser ainsi les phénomènes pour se rendre compte de linanité des distinctions qu'on à cherché à établir entre les caractères se développant spontané- ment, les caractères d'origine embryonnaire, les caractères acquis par l'habitude, les caractères accidentels où même purement traumatiques. Au fond, toutes les théories que l'on peut imaginer se ramènent à deux doctrines absolues, essentiellement antagonistes l'une de l’autre. Ou bien il faut admettre dans toute sa généralité l'hérédité des caractères acquis, où bien 1l faut admettre la prédestination du protoplasma, évoluant en vertu de forces intérieures qui lui sont propres. Mais alors nous sortons du domaine de la science pure pour entrer dans celui de la métaphysique. C'est, en effet, à quoi le professeur À. Weissmann, de Fribourg, a été conduit dans une série d'essais récemment réunis en un important vo- lumet. Weissmann nie d'une façon absolue l'hérédité des caractères acquis au cours de la vie des individus. Il se garde bien cependant de nier que les espèces se transforment; dès lors, comment expliquer leurs transformations sans faire intervenir l'action du milieu et l'hérédité des caractères qu'elle détermine? Si lon essaye de clarifier la théorie quelque peu nébuleuse de Weissmann, voici ce qu'on y trouve : les Protozoaires se multipliant ex- clusivement par voie de division, c’est-à-dire par un véritable bouturage, chaque individu nouveau n'étant que la moitié ou tout au moins une fraction de l'individu qui l'a précédé, on peut dire que chaque individu se continue indéfiniment à travers les âges et que toutes ses modifications se transmettent à sa descendance, puisqu'il demeure toujours lui-même; tels se transmettent par le bouturage tous les caractères des individus que l'on propage par ce mode de culture. Les Protozoaires, en somme, sont éter- Il \. Weissmann, Essais sur l'hérédité et la sélection naturelle (Traduction française par Henry de Varigny, 1892). LAMARCK ET LE TRANSFORMISME ACTUEL. 509 nels; on peut désigner tout de suite la substance dont ils sont formés sous le nom de plasma germinahf. Ceci posé, l'œuf fécondé et l'œuf parthéno- génétique des animaux et des plantes pluricellulaires contiennent deux sortes de plasma : 1° le plasma oerminahf; 9° le plasma somatique. Lors de l'évolution de l'œuf, le plasma somatique est presque seul employé à la constitution des éléments anatomiques qui forment le corps propre- ment dit; ce plasma est destiné à mourir en totalité, à disparaitre, comme disparaissent accidentellement une foule d'Infusoires. Les modifications quil éprouve ne sauraient être transmises par hérédité, puisqu'il meurt tout entier. Au contraire, le plasma germinatif est la parie essentielle des éléments reproducteurs. Celui que possède chaque individu n'est qu'un fragment détaché de celui de ses parents; le plasma germinatif se perpétue, comme les Infusoires, en se divisant à travers toute la chaîne des individus depuis l'origine des choses; 1l reflète par conséquent quelque chose de chacun des individus constituant cette longue chaîne. Au cours de cette perpétuelle évolution, le plasma germinatif change lentement de constitution et ce sont ces changements de constitution qui amènent celles des organismes au sein duquel il est contenu. Toutes les variations des or- ganismes sont donc spontanées. Les changements qui s'effectuent en appa- rence sous l'influence des milieux et qui se transmettent héréditairement ne sont qu'une conséquence de la sélection naturelle. Celle-ci ne laisse subsister que les variations en harmonie avec les diverses sortes de condi- tions d'existence. Ges conditions provoquent l'usage ou le défaut d'usage des organes. Quand un organe est utile, 1l ne reproduit que les individus chez qui il a atteint spontanément un degré moyen de puissance; quand il est inutile, le degré de développement virtuel de lorgane n'est plus l’objet d'aucune sélection; 1l y a panmuxie, c'est-à-dire mélange en tous sens de ses altérations diverses; les individus où l'organe déchu de toute fonction est faiblement développé sont admis comme les autres à la repro- duetion, leur plasma germinatif finit par l'emporter et l'organe disparait. C'est là un des côtés commodes de la sélection naturelle. Que l'on prenne pour point de départ une variation désordonnée, quelle qu'elle soit, la sé- lection naturelle arrivera toujours à la mettre d'accord avec les constitu- 510 M. EDMOND PERRIER. lions ambiantes. Seulement existe-t-il des variations désordonnées, c’est- à-dire des variations spontanées, sans cause? Est-il conforme à la méthode scientifique de revenir puiser, sans nécessité absolue, à la vieille doctrine de l'indétermination des phénomènes vitaux ? Et n'est-ce pas, en somme, ce que fait Weissmann ? Où trouver, en effet, dans l'hypothèse de la continuité du plasma ger- minatif le commencement d'une explication scientifique de l'évolution des formes vivantes? Comment mettre d'accord l'infinité de particules que l'on est obligé de supposer dans le plasma germinatif pour expliquer la transmis- sion des caractères ancestraux avec les dimensions finies que toutes les recherches conduisent à attribuer non seulement aux molécules des corps composés, mais encore aux atomes des corps simples? Comment ce plasma germinatif, qui n'a jamais fait partie intégrante d’un organisme vivant, puisqu'il est distinct du plasma somatique, a-t-1l acquis la puissance de diriger la formation d'organismes de plus en plus compliqués? Les modi- fications graduelles sont-elles spontanées, au sens absolu du mot? Recon- naissent-elles au contraire une cause extérieure quelconque? Dans le pre- mier cas, nous sommes en présence de la prédestination pure et simple; dans le second, nous revenons aux caractères acquis et nous sommes amenés à en reconnaitre l'hérédité; car, nous l'avons vu, toute distinction est illusoire entre les diverses sortes de caractères; toute la question est de savoir, parmi les caractères extérieurs, considérés comme autant de forces agissantes ou tout au moins de conditions d'exercice de ces forces, quels sont ceux qui peuvent atteindre les éléments génitaux. Aussi bien l’ensemble de la doctrine est-il fait d'hypothèses pour la plupart gratuites. Les recherches de M. Maupas ont démontré que les In- fusoires n'ont pas la durée illimitée que leur suppose Weissmann; la dis- uneton entre le plasma germinatf et le plasma formatif n'a pour elle qu'une apparence de réalité; toutes les parties de l'œuf contribuent, sans disünetion apparente, à la constitution de tous les éléments anatomiques du corps; on ny distingue nullement deux sortes de plasma, même quand les éléments génitaux se différencient de bonne heure, et dès lors toute la - NY À doctrine s'écroule. LAMARCK ET LE TRANSFORMISME ACTUEL. o11 Est-1l bien vrai, d'autre part, que la sélection naturelle combinée avec la variabilité spontanée, qu'elle ait ou non pour cause les modifications du plasma germinatif résultant de son passage au travers d’un grand nombre d'organismes différents, soit suffisante pour rendre compte de tous les phénomènes? Déjà les transformations successives de la dentition des Mamnufères sont de nature à faire douter de la justesse des explica- üons de Weissmann. Gope a montré comment l'usage que les animaux font de leurs dents expliquait l'élévation graduelle du fût de ces organes, l'apparition graduelle des denticules, de plis variés, d'espaces remplis de cément qui sont si fréquemment utilisés dans les caractéristiques. Mais, abstraction faite de ces modifications, il en est d’un autre genre, si peu en rapport avec l'idée nouvelle, si en rapport avec la vieille thèse de lhé- rédité des caractères acquis, qu'elle équivaut presque à une démonstra- tion de cette dermére. Si l'on compare les dents des Mammifères herbivores les plus récents, de ceux qui présentent les adaptations les plus étroites, aux dents des Mammifères plus anciens, on trouve encore une formule simple : les sur- faces broyantes des dents des formes les plus récentes sont celles qui résulieraient de la transmission par hérédté des dents usées des formes anciennes. Les denti- cules des molaires des Mastodontes étaient saillants, en forme de collines transversales; ils sont remplacés par des surfaces planes chez les Élé- phants : on peut suivre tous les passages des dents mamelonnées des om- nivores et herbivores bunodontes aux dents rasées des Mammifères sélé- nodontes ; mais, comme pour parer à cette usure, la dent s’accroit en hauteur, les vallées qui séparent les denticules s'approfondissent et se remplissent de cément. Tels sont encore les caractères qui permettent de passer des dents du Aiphodon à celles du Bison, de celles des Lophiodon à celles des Elasmotherium, en passant par celles des Rhinocéros®). Sans doute, on peut dire, sans qu'il soit possible d'en donner une démonstration précise, que les dents planes des herbivores leur sont avantageuses, mais 0) Albert Gaudry, Les enchaïnements du @) Albert Gaudry et Marcellin Boule, monde animal. Mammifères tertiaires, t. 1, Matériaux pour servir à l'histoire des temps p- 91. quaternaires, 1888, p. 88 et pl. XVIII. 512 M. EDMOND PERRIER. comment expliquer que les modifications des dents mamelonnées se soient faites justement dans le sens de l'usure? La difficulté s'accroît encore lorsqu'il s'agit d'expliquer des caractères qui semblent dépendre non de l'avortement de tel ou tel organe tombé en désuétude, mais d’une simple attitude volontairement prise par l'animal et qui semble s'être figée en lui. L'histoire des Holothuries qui habitent les plus grandes profondeurs de la mer est à cet égard pleine d'enseigne- ment. Ces formes abyssales d'Échinodermes peuvent se répartir en trois groupes : 1° celles qui ont perdu leurs tubes locomoteurs et ont pris une forme régulièrement ellipsoïdale (Ankyroderma); +° celles qui, habitant la vase, se sont recourbées en Ü, de manière que leurs deux orifices buccal et anal, ainsi rapprochés de la surface, puissent fonctionner com- modément (certains Echinocucumis, Ypsylothumia et comme terme externe Rhopalodina); 3° celles qui, vivant à la surface de la vase, ont aban- donné la forme rayonnée, se sont constitué une sole ventrale sur laquelle elles rampent, acquérant ainsi une symétrie bilatérale des plus nettes, et finalement ont redressé vers le haut l'extrémité buccale de leur corps ou l'ont ramenée vers le bas, suivant qu'elles possédaient des tentacules ra- mifiés et ciliés, propres à atürer vers leur bouche les matières alimen- taires flottantes (Psolus), ou que, dépourvues d'un semblable appareil, elles étaient obligées d’avaler de la vase pour se nourrir (Elasipoda). Dans les deux derniers groupes, les transitions sont si ménagées que l’on voit en quelque sorte la transformation s'accomplir, que l’on saisit sur le vif le mécanisme grâce auquel la transformation des Holothuries initiales a été réalisée. Comment les variations graduelles du plasma germinatif auraient- elles pu produire et rendre définitive cette flexion du corps si bien adap- tée aux besoins de la structure de lanimal et qui semble résulter si di- rectement de ses attitudes habituelles ? Les transformations qu'a subies le corps des Paguridæ, transformations soigneusement étudiées par MM. Alph. Milne-Edwards et Bouvier, et qui sont étroitement en rapport avec les habitudes de ces animaux, fourni- raient un ensemble d'arguments analogues et plus frappants peut-être en faveur de l'hérédité des caractères acquis, ou hérédité lamarckienne. Mais LAMARCK ET LE TRANSFORMISME ACTUEL. 513 où la supériorité de cette dernière hypothèse s'affirme avee une netteté évidentë, c'est dans l'explication des instinets des Insectes. Une Guépe se jette sur une Araïignée, la frappe de son aiguillon en un seul point, la paralyse ainsi d’un seul coup, l'emporte dans son terrier et la livre en pä- ture à sa larve. Comment les modifications du plasma germinatif, même aidées de la sélection naturelle, ont-elles pu être justement dirigées de façon à apprendre au singulier animal que les Araignées pouvaient être paralysées d’un seul coup d’aiguillon; qu'ainsi paralysées, elles ne pour- rissaient pas et pouvaient fournir à ses larves, que la briéveté de son existence l’empêchera de jamais connaitre, un aliment toujours frais? Nous avons montré ailleurs) comment ces étonnants instincts, ré- putés inintelhgibles, s'expliquaient par une éducation et une expérience longuement acquises à une époque où la vie des Insectes n'était pas limitée par l'existence des saisons. Là encore, les gradations conservées permettent de saisir sur le fait le mécanisme du développement de ces merveilleux instinets, tandis qu'on ne saurait faire comprendre comment les variations d'un animal, quelles qu'elles soient, peuvent être telles qu'elles lui permettent d'apprendre spontanément l'effet des blessures qu'il infligera à un autre animal, au profit d'êtres qu'il ne doit pas con- naitre. Dans un artele récent, l'éminent philosophe anglais Herbert Spencer a élevé contre la théorie de Weissmann des objections d'une tout autre nature, tirées du mode de répartition de la sensibilité à la surface du corps, réparüition qui s'explique par l'éducation, l'exercice et lhérédité, nullement par la sélection naturelle ©. Nous accorderons si l’on veut que les faits que nous venons d'exposer ne sont que des difhcultés; que la facilité plus ou moins grande avec la- quelle deux doctrines lèvent ces difficultés ne permet pas de choisir entre elles d’une manière décisive. Il vaudrait certainement mieux pouvoir montrer que des caractères acquis d’une manière connue, à une époque 0) Préface au livre de Romanes : L’intel- ) Herbert Spencer, The inadequacy of ligence des animaux, trad. franç., p. xxx, «natural Selection» (Contemporary Review , Fe- 1887. bruarv and March 1893). 65 IMPRIMERIE NATIONALE. o11 M. EDMOND PERRIER. déterminée, ont été transmis par hérédité. On a signalé deux sortes de caractères de cet ordre : 1° Des Mammifères à qui on a coupé la queue, à leur naissance, pen- dant un certain nombre de générations, auraient fini par produire des individus sans queue; 2° Des Cochons d'Inde à qui M. Brown-Séquard avait fait subir cer- taines lésions de la moelle épinière, de racines spinales déterminées, ou du nerf sciatique, sont devenus épileptiques et ont transmis leur épilepsie à leurs descendants. M. Weissmann nie le premier fait au nom d'expériences personnelles ayant porté sur cinq générations de Souris blanches; 1l interprète le se- cond en admettant que M. Brown-Séquard a inoculé sans le savoir à ses Cochons d'Inde une maladie microbienne et que c'est le microbe, non l'état pathologique, qui a été transmis. Voilà de bien pauvres arguments. Si des renseignements verbaux qui nous sont parvenus sont exacts, l’expé- rience des Souris blanches de M. Weissmann aurait duré trop peu de temps; ce serait seulement au bout de soixante générations que la perte de la queue deviendrait héréditaire chez les Souris. Voici d’ailleurs un fait historique qui semble donner raison aux partisans de lhérédité. [ existe en Angleterre une race de Chiens de bergers sans queue (The old envhsh boblail Sheep dop). M. Mégnin raconte ainsi l’origine de cette race" : « Une ancienne loi anglaise exemptait de la taxe tout Chien de berger qui n'avait pas de queue et on la leur coupait toujours; par suite de cette mutilation praliquée pendant des siècles, cet organe a disparu, et les Chiens de cette race naissent aujourd'hui sans queue. Jonathan Franklin raconte, dans sa Ve des animaux, comment on pratiquait autrefois cette opération : quand l'animal était encore Jeune, les bergers extrayaient avec les dents l'os qui forme la racine de cet appendice!.....» C'était un moyen d'éviter les hémorragies. n ce qui concerne la transmission de l'épilepsie chez les Gochons d'Inde. vraiment Weissmann en prend bien à son aise. Aussi M. Brown- 0 P. Mégnin, Les Chiens de berger (Revue des sciences naturelles appliquées, 8 avril 1893). LAMARCK ET LE TRANSFORMISME ACTUEL. 19 Séquard a-t1l beau jeu de lui demander d'expliquer pourquoi le microbe entre dans l'organisme par certaines plaies et non pas par certaines autres; pourquoi la section de l’une ou l’autre des bifureations des scia- tiques n'est suivie que d'une épilepsie incomplète, tandis que celle du tronc engendre l'épilepsie complète; pourquoi l’épilepsie disparait sou- vent par la régénération des sciatiques; pourquoi le microbe de l'épilepsie remonte jusqu'aux centres nerveux par les nerfs sciatiques et non pas par d'autres; comment enfin il se fait que le microbe entre dans l'organisme, amenant l'épilepsie, alors qu'on écrase le nerf sciatique et les museles qui l'environnent, sans faire même d'ouverture à la peau", Nous croyons savoir d'ailleurs que les expériences de M. Brown-Sé- quard ont été reprises avec les précautions antiseptiques les plus rigou- reuses et ont donné les résultats annoncés par cet habile investigateur. Après cette discussion, n'est-on pas en droit d'admettre que la théorie de Lamarck demeure victorieuse dans la bataille que viennent de lui livrer les partisans du darwinisme exclusif, et que l'hérédité des carac- tères acquis par les individus sous l'influence d'actions déterminées a été l'un des grands facteurs de la formation des espèces ? La fixité actuelle des espèces füt-elle démontrée, l'impossibilité de créer des hybrides füt-elle acquise, la doctrine transfornuste n'en serait pas atteinte. — Lamarck avait-il tort de penser que ces constatations suflisaient pour expliquer l'apparition des espèces? On l’a affirmé avec une étonnante vio- lence et les discussions auxquelles a donné lieu le mot espèces sont le plus bel exemple d’inextricable chaos qu'ait fourni l'histoire des sciences. Il y a plus : dans cette discussion, les rôles se sont trouvés presque toujours ren- versés, les partisans de la soi-disant école des faits s'appuyant unique- ment sur l'idée a priori qu'ils se faisaient de l'espèce pour écraser leurs adversaires sous un déluge d'arguments étrangers à la cause; les pré- tendus théoriciens demeurant, au contraire, strictement d’accord avec les faits connus. 9) Brown-Séquard, Hérédité d’une affection due à une cause accidentelle (Arch. de physiol. normale et pathologique, octobre 1893). 65. 910 M. EDMOND PERRIER. Deux faits incontestables et d’ailleurs incontestés dominent, en effet, toute la discussion, et il n'est permis à personne de les oublier : 1° Les formes animales et végétales d'une période géologique ne sont nullement identiques à celles de la période suivante, bien qu'aucun cata- clysme ne sépare ces périodes les unes des autres; 2° Toute forme vivante est issue d'une forme vivante antérieure, à laquelle elle ressemble d'ordinaire presque exactement, bien qu'elle en puisse différer dans une certaine mesure. Les faits constatés, sans qu'on puisse citer une dérogation quelconque à cette règle, sans que rien puisse autoriser à croire qu'à un moment quel- conque de la durée des temps paléontologiques, une exception se soit pro- duite, les faits constatés s'opposent à ce que l’on puisse admettre un seul instant, sans faire une hypothèse gratuite, que la chaine des générations ait été interrompue, que les formes de végétaux et d'animaux de la pé- riode actuelle ne dérivent pas, en conséquence, de ceux des périodes an- térieures; or, comme ces animaux ne se ressemblent pas, la variabilité des espèces est par cela même scientifiquement démontrée sans que rien puisse être opposé à cette conclusion, à moins que l'on n'entre dans le domaine des hypothèses. Il y a plus: quand on suit attentivement la série des formes analogues qui se succèdent pendant la durée de longues périodes paléontologiques et Jusqu'à la période actuelle, on constate que les différences qui existent entre ces formes ne dépassent nullement les limites de celles qu'on observe aujourd'hui entre les races d’une même espèce. C'est, en particulier, ce qui résulte invinciblement des belles recherches de M. Albert Gaudry et de M. H. Filhol sur les Mammifères tertiaires. Les faits constatés n’auto- risent donc pas à admettre dans la science une autre doctrine que celle du transformisme, que celle de Lamarck. Que lui ont donc opposé les adeptes de la soi-disant école des faits? Une hypothèse sugpérée uniquement par ce qui a été vu depuis le peu de ! H. Filhol, Les Mammifères des Phosphorites du Quercy. — Mammifères de Saint- Gérand-le-Puy. — Mammifères de Ronzon. — Mammifères d'Issel. — Mammifères de Sansans. LAMARCK ET LE TRANSFORMISME ACTUEL. 517 temps que l’homme observe sérieusement la nature et qui n'est même pas en accord absolu avec les résultats positifs de ces observations : l'hypo- thèse que les individus appartenant à une même lignée sont essentielle- ment invariables, ce qui ne saurait, en tout cas, s'entendre que de la période depuis laquelle l’homme lui-même n'a pas varié; que ces indi- vidus n'ont jamais présenté aucune modification, ce qui est contraire à toutes les données paléontologiques, et qu'ils n'en présenteront jamais, ce qui est une généralisation purement gratuite. Admettons cependant que cette hypothése soit rigoureusement vraie pour la période actuelle, que les espèces actuelles soient vraiment invariables, il y a un point que ses partisans n'ont pas remarqué jusqu'ici : c'est qu'elle n'a pas même la va- leur d'une objection au transformisme, et qu'en la défendant, on ne porte aucune atteinte à la doctrine, d'ailleurs inéluctable, qui fait descendre les êtres vivants de la période actuelle de ceux qui ont vécu durant les périodes précédentes. Effectivement les défenseurs de l'hypothèse de la fixité des espèces considèrent habituellement l'espèce comme un fait ini- bal, la définissent d'apres leur conception particulière et s'efforcent en- suite de démontrer que leur définition est d'accord avec les faits. Mais définir les espèces d'après les caractères qu'elles présentent aujourd'hui et parür de cette définition pour établir qu'elles n'ont jamais été autre chose, c'est à proprement parler faire un cercle vicieux et c’est dans ce cercle vicieux que se débattent sans pouvoir en sortir les partisans de la fixité indéfinie. Effectivement les faits démontrent que l'existence des es- pèces n'est pas absolument générale dans le règne animal. Tous les obser- vateurs qui ont étudié les Rhizopodes, quil s'agisse des Foraminiferes avec William Carpenter, Terquem, Rupert Jones et Brady, ou des Radio- laires avec Hæckel, tous sont d'accord que dans ces deux grandes divi- sions des Protozoaires, il n’y a pas d'espèces, mais seulement des séries de formes qui s’'enchainent entre elles, de manière à former un arbre compliqué dont les rameaux sont même parfois anastomosés. Or, dans ces groupes, la multiplication s'accomplit par une simple division du corps. Chez les Infusoires apparait d'une manière régulière un phéno- mène plus ou moins accidentel dans les autres groupes el qui vient pér1o- o18 M. EDMOND PERRIER. diquement couper la série des divisions, le phénomène des CONJUgaIsoNs. Entre ce phénomène et celui de la fécondation, qui est une condition presque nécessaire de la reproduction dans les formes animales supé- rieures, on trouve tous les intermédiaires. Dés que la conjugaison ou la fécondation, la variabilité des individus nés les uns des autres diminue jusqu'à paraitre nulle dans certains cas, deux individus étant nécessaires pour en produire un troisième, les variations présentées par lun com- pensent celles présentées par l'autre; il se fait entre eux une sorte de moyenne des caractères qui présente une grande stabilité et ces caractères moyens sont ceux de l'espèce. Nous sommes ainsi ramenés à la définition habituelle de l'espèce. Les naturalistes de toutes les écoles sont d'accord sur ce point : le seul moyen physiologique de reconnaitre si deux individus de sexe différent appar- üennent à la même espèce consiste à les accoupler; la notion d'espèce est donc connexe de la notion d'accouplement. Si maintenant on analyse les conséquences de l’accouplement, on peut arriver à concevoir comment des espèces se sont constituées; mais renverser le problème, à la façon des adversaires du transformisme, admettre l'espèce et se servir des con- séquences de l’accouplement pour démontrer sa fiité, c’est là qu'apparait nettement le paralogisme. Sur la question de l'existence des espèces et même de leur impuissance à se mêler, dans la période actuelle tout le monde a les mêmes opinions; la seule question, c'est d'expliquer comment l'état de choses actuel s’est établi. Or l'accouplement peut être fécond ou infécond ; s'il est fécond, sui- vant le degré de ressemblance des individus accouplés, 1l peut donner : 1° Des individus féconds et indéfiniment semblables entre eux, si les parents ne présentent que des différences sexuelles ; 2° Des individus féconds et indéfiniment semblables entre eux, mais présentant des caractères mixtes entre ceux de leurs parents, si ces der- niers ajoutent aux différences sexuelles quelques différences héréditaires d’une autre nature ; 3° Des individus féconds, mais dissemblables et qui retournent au bout d’un certain nombre de générations au type de lun des parents, si LAMARCK ET LE TRANSFORMISME ACTUEL. 19 ces derniers présentent des différences plus profondes que les précé- dentes ; 1° Des individus incapables de se reproduire. Il est évident que les individus qui sont dans les deux premiers cas pourront s'unir et mélanger à tous les degrés leurs caractères ; ils sont de même espèce, et cette espèce pourra être brisée en autant de races qu'elle présente de caractères susceptibles de varier et de transmettre leurs va- rialions par voie de génération. Les individus qui sont dans les deux der- mers cas et ceux dont l’accouplement est infécond seront au contraire incapables de mélanger leurs caractères ; il ne pourra subsister entre eux aucun intermédiaire, 1ls demeureront isolés, ils seront d'espèce diffé- rente. Voilà tout ce que l'expérience nous apprend et nous n'avons pas le droit d'aller au dela. Les résultats des accouplements nous montrent qu'il y a dans le règne animal des lignées qui demeurent indéfiniment sé- parées; mais ils ne nous disent pas autre chose, et ils ne nous renseignent pas sur l’origine de ces lignées, sur les raisons de leur isolement, sur leur avenir. Îls nous montrent des formes qui s'isolent lorsqu'elles ont atteint un certain degré de dissemblance; mais cet isolement est le résultat de .ces dissemblances, et nous n'avons pas le droit de conclure de ce qu'il s'est produit que les formes ainsi isolées ont toujours été séparées et n'ont pas pu procéder de parents communs. Les lignées qui s'isolent ainsi peu- vent conserver un certain degré de plasticité ou devenir totalement inva- riables, présenter une absolue fixité de formes; c’est encore là un résultat qui n'a rien à voir avec l'origine de ces lignées et qui n'implique nulle- ment que les formes ainsi fixées ne proviennent pas de formes qui ne leur ressemblaient pas. Un naturaliste qui voudrait conclure de cette fixité hypothétique, mais possible, à la fixité absolue agirait comme un géo- graphe qui voudrait conclure de la tranquillité des eaux du lac de Geneve à l'immobilité de celles du Rhône. Contrairement à ce qu'on imagine d'ordinaire, les questions d'hybri- dation et de métissage n’ont pas une plus grande importance démonstra- tive que celle de la prétendue fixité actuelle des espèces. Elles n'ont pris une si grande place dans les discussions auxquelles a donné lieu la doctrine 520 M. EDMOND PERRIER. transformiste que parce que Buffon avait vu dans le eroisement des espèces originellement créées par Dieu la source des espèces nouvelles. On a invo- lontairement confondu lhypothèse de Buffon avec l'hypothèse autrement compréhensive du transformisme et l'on a pensé anéantir la grande doc- trine de Lamarck en frappant celle de son maïître. On ne s’est pas aperçu qu'en prenant comme un fait initial la définition physiologique de l'espèce à laquelle nous sommes parvenus, comme résultant expérimentalement des croisements, on renversait le problème à résoudre. Il ne s’agit pas de savoir, en effet, sil existe des formes vivantes dissemblables entre les- quelles les croisements sont possibles et qui sont seulement de race diffé- rente; d’autres entre lesquelles les croisements sont impossibles et qui sont d'espèce différente; cela tout le monde l’admet; mais de savoir si ces dernières formes ont été ainsi séparées de tout temps ou si les plus voi- sines d'entre elles ne se sont pas graduellement séparées d’une souche commune; 1l s'agit, dans ce dernier cas, d'expliquer comment ce résultat a été atteint. Toute la longue argumentation contre le transformisme à laquelle les résultats des croisements ont donné lieu passe donc à côté de la question. Entre les animaux d'espèce différente, les croisements sont impossibles ! D'accord. L'impossibilité de ces croisements maintient la sé- paration entre les espèces! D'accord. Mais pourquoi les croisements entre espèces différentes sont-ils impossibles? Vous répondez : parce que les es- pèces sont séparées. C'est justement le point d’où nous sommes partis. La pétition de principes est flagrante. Conclusion. — Le laboratotre maritime du Muséum et la morphopénie expé- rimentale. — I résulte clairement de cette discussion, nous semble-t-1l, que si l'on s'en tient aux faits rigoureusement établis, la doctrine de la descendance, telle que l'a établie Lamarck et complétée Darwin, demeure au-dessus de toute atteinte; 1l en résulte aussi que les discussions qu'elle a soulevées tiennent avant tout à une méthode vicieuse de raisonnement qui est encore couramment usitée dans les sciences naturelles et qui consiste à renverser constamment les questions et à prendre comme pivot des expli- calions et des raisonnements, des faits qui, loin de pouvoir servir à expli- LAMARCK ET LE TRANSFORMISME ACTUEL. 921 quer les autres, sont Justement les faits à expliquer. On prend la fixité des espèces, singulier phénomène dont l'explication est un des problèmes les plus attachants de la science, comme la base même de celle-ci, et tout pivote autour de cette fixité ; de même on a longtemps prétendu expli- quer respectivement les Cryptogames inférieurs et les Polypes à l’aide de conceptions fournies par l'étude des seuls Phanérogames et des seuls Ver- tébrés. Aujourd'hui cependant la méthode des naturalistes commence, on n'en peut douter, à sorienter vers une autre direction; à mesure que le temps s'écoule, que les faits plus nombreux s'accumulent, le besoin d’une claire coordination, dégagée autant que possible de toute hypothèse, s'impose plus impérieusement. Les naturalistes comprennent qu'il y a tout avantage à introduire dans leur science la méthode que les mathématiciens ont imposée aux physiciens et que Gæthe leur recommandait déjà lorsque, après leur avoir conseillé de ne pas composer seulement la science d’ob- servations isolées et de vues très générales, mais d'aller de proche en proche et de tirer les conséquences les unes des autres, il écrivait : « Gette méthode prudente nous vient des mathématiciens; et quoique nous ne fassions pas usage de calculs, nous devons toujours procéder comme si nous avions à rendre compte de nos travaux en géomètre sévère), » Nous sommes encore bien loin cependant d’être suffisamment d'accord sur les principes pour avoir à craindre de longtemps l'avènement de ce mathématicien diigent. C'est ainsi que l'on attribue encore deux significations exactement oppo- sées à la division en segments du corps de la plupart des animaux bi- symétriques et que l'embryogénie a soulevé plus d'orageuses discussions que résolu de problèmes. À ce point de vue, comme à bien d’autres auxquels nous nous sommes placés dans cette étude, 1l reste à la science un vaste champ d'expé- riences qui est à peine défriché. La Morphogéne expérimentale est encore à créer. Buffon, Geoffroy Saint-Hilaire et Lamarck fondérent autrefois à des titres divers la Ménagerie du Muséum national d'histoire naturelle pour y étudier non seulement les habitudes des animaux, mais surtout les ® Ét. Geoffroy Saint-Hilaire, Rapport à l’Académue des sciences sur les œuvres d'histoire natu- relle de Gæthe (Comptes rendus des séances, 12 mars 1838). 66 IMPRIMERIE NATIONALE, 522 M. EDMOND PERRIER. questions de variation des espèces, de création de races, de métissage, d'hybridation. La Ménagerie devait, dans leur esprit, fournir un moyen de pénétrer le problème des espèces et d'en faire tourner la solution au profit de l’homme; mais si les Vertébrés que l’on entretient dans les mé- nageries peuvent fournir et fournissent chaque jour des enseignements et des résultats pratiques de haute valeur, ce sont des êtres trop compli- qués, trop parfaits, trop finis pour fournir des documents fondamentaux à la question de la genèse des formes vivantes et de la création des espèces. Comme le disait Lamarck, c’est par l'étude des formes inférieures du règne animal que les problèmes les plus impénétrables en apparence de la science pourront être résolus. Cest à eux que l’on peut espérer appliquer la mé- thode expérimentale dans la recherche de la genèse des formes. Aussi doit-on considérer comme un précieux couronnement de notre grande métropole des sciences naturelles, comme une digne façon de célébrer son centenaire, l'institution du laboratoire maritime commun à tous les ser- vices, qui va cette année même largement ouvrir ses portes aux biologistes comme aux naturalistes voyageurs, dans cette localité de Saint-Vaast-la- Hougue, illustrée par les travaux de Milne Edwards, d’Audouin, de Qua- trefages, de Blanchard, de Claparède, de Grube, de Balbiami, de Bau- delot, de Thuret, de Bornet, de Jourdain, et de tant d’autres qui ont jalonné la route des travailleurs de l'avenir. PIÈCE JUSTIFICATIVE. ÉTUDES PROGRESSIVES D'UN NATURALISTE PENDANT LES ANNÉES 1834 ET 1835, FAISANT SUITE À SES PUBLICATIONS ANTÉRIEURES DANS LES 42 VOLUMES DES MÉMOIRES ET ANNALES DU MUSÉUM D'HISTOIRE NATURELLE, PAR GEOFFROY SAINT-HILAIRE (ÉTIENNE). DISCOURS PRÉLIMINAIRE. Utilitati. La Convention nationale, au sortir de l'une des plus furicuses tempêtes de ses luttes incessantes, rentra, le 10 juin 1793, dans le cours paisible de ses travaux adminis- tratifs par un acte de sagesse providentielle, quand elle fonda à Paris un haut ensei- gnement pour toutes les branches de l'histoire naturelle. On à pu lire dans la page précédente les noms des savants appelés à composer le personnel de cette école, et l’on ne sera point surpris de son succès d'hommage et de célébrité dans toute l'Europe. Ce qui donna à ce résultat son principal motif, ce fut moins le souvenir de quelques im- portants écrits déjà publiés, que le soin que prirent ces maîtres de la science de ne point borner leur enseignement aux limites de leur établissement : ils le répandirent au loin, au moyen d’une publication périodique sous le nom d’Annales du Muséum d'his- toire naturelle. On connaît tout le succès qu'obtint cette belle entreprise, qui fut peut- être dû beaucoup moins à la capacité des auteurs et à leur zèle constamment soutenu, qu'à leur excellent esprit d'association qui avait tenu bien séparés et les travaux, et les intérêts, et qui avait rendu si parfaitement inébranlables les sentiments d’estime et d’attachement qui unissaient tous les coopérateurs, dont aucune collision ne vint trou- bler l'harmonie. D’autres temps, d’autres mœurs! Les Annales ont depuis été considérées comme une affaire. On à cru remarquer dans ces derniers temps que le public paraissait préférer 66 524 M. EDMOND PERRIER. des habitudes de premier âge, et le service M exclusif des Descriptions et des Classifi- cations : alors quelques-uns crurent utile de donner, à ce sujet, et d’autres durent re- cevoir des conseils. I ne fallait point, fut-il observé, par une tendance heurtément progressive, choquer le goût général, et cette insinuation allait nommément à mes écrits; si bien qu'il arriva que je dus cesser ma coopération. (Voir une note, page 78.) On alléguait pour motifs que les intérêts matériels du libraire ne devaient point être perdus de vue. Cependant je me croyais engagé dans une mussion; j'y avais foi, et je ne voulus pas interrompre brusquement des habitudes de recherches et de publications qui me plai- saient. Dans cette occurrence, je pris résolument mon parti; seul, je fournirai aussi mon volume d’Annales; seul, et sans l'assistance d’un libraire, je pourvoirai à tous les soins matériels du ressort de cet agent. Et s'il était vrai que j'eusse frondé l'opinion des natu- ralistes de l'âge actuel, je me décidai à écrire pour ceux des temps à venir. On alla jusqu’à supposer qu'aucun exemplaire, frappé de ce démérite, n’entrerait en circula- tion; j'y serai, non indifférent, mais patient. Je me sens capable de courage, de persé- vérance, et en définitive, me serai-je trompé dans l'espoir qui me séduit, je serai du moins satisfait sous un autre point de vue. J'aurai fait à mon pays un sacrifice de plus, et je me sens capable de m'en tenir à l'esprit du sentiment qui m'a fait choisir l’épi- graphe : utilitat. Peut-être en effet faudra-t-1l que je m'en tienne à cette joie d’àäme. L'on n’achète point un livre qu'on n’en soit humblement prié par son libraire; et, en me chargeant d'être l'éditeur de mon livre, j'ai perdu le droit de recourir à cette intervention. Quoi qu'il en soit, allons sans interruption sur l'objet principal qui me préoccupe; il m'a paru qu'aux naturalistes disposés à se charger d’un nouveau volume des Annales du Muséum d'histoire naturelle, une courte notice des progrès de l’établissement serait agréable. S'il y a quelque chose au monde d’éminemment progressif, c’est notre Muséum, qui se complète journellement de richesses qui lui parviennent de toutes parts. Ce n’est pas moi qui ai le premier songé à satisfaire le goût du public à cet égard. Ceci est entré dans les vues d’un ouvrage spécial, Paris moderne : je n’ai fait qu'accepter la proposition de me charger de la rédaction de Particle. Or, c’est en m’occupant de ce travail qu'il m’a semblé que j'en pourrais placer ici le sommaire. Six époques m'ont paru former naturellement les âges du développement du Mu- séum d'histoire naturelle. Une septième pourra de plus être indiquée. À chaque àge, je fais figurer en tête le naturaliste ou l’homme d’État qui y a exercé la plus grande influence. Voici l'énoncé de ce tableau : ® Service de premier âge dans les études d’his- chef d'école Guvier, mais où il me paraît peu rai- loire naturelle, bien entendu et utilement formulé sonnable de vouloir retenir l’âge actuel, essentielle- par les Linnée, les de Jussieu (A. L.) et admi- ment progressif et philosophique. (Vide infra, p. 78 rablement perfectionné par notre habile et savant et 85.) LAMARCK ET LE TRANSFORMISME ACTUEL. 925 TABLEAU DES PHASES DU MUSÉUM. (Voir planche I.) M'ÉTiomEtOnooooooocoecee RE ET RARE SR Re be A GR er Gur pe LA Brosse. 2. SD RTAMRNOTE 00 eee Do OP TO TROT REC TOO oO TC OU ee Façon. JS AaoRande CEUDIÉE EXTENSION. eee. Burrox. h. Sa conception unitaire. ............... A EL à A LakawaL. 5. Son accroissement, en nombre et en savoir. ...................... Cuovrer. ORAN CENCE ERA MES eee ee mele eee cle mieie eee» oise le oies ee Turers. 7. Sa portée philosophique dans l'avenir... 00 006 tonte et ch Premièrement. — GUI DE LA BROSSE. La fondation du Jardin date, d’après une première conception non suivie d’exécution, de 1626, et, d’après son érection définitive, de 1635 . Le premier acte d'installation a eu lieu en 16/0. Gui de la Brosse ne fit valoir que des motifs à plaire à ses hauts protecteurs, les premiers médecins du Roi, et fit appeler son établissement : Jardin des plantes médicinales. SECONDEMENT. — FAGON. Fagon est né au Jardin des Plantes : sa mère était la nièce de Gui de la Brosse. C'était un esprit droit, vif, et qui réussit par son désintéressement, par une incroyable activité et par sa très grande capacité scientifique, à retirer le Jardin des plantes médi- cinales de l'abîime où d’infâmes concussions l’avaient précipité. Sous son administration, aussi éclairée que bienveillante, fleurirent de grands professeurs, Duverney, Tourne- fort, Geoffroy, etc. TroisièmemenT. — BUFFON. Sous ce nouveau législateur et second fondateur, l'établissement acquiert une pros- périté inconnue que lui imprime lun des plus grands hommes des temps modernes. Sujet d’une gloire scientifique et littéraire que ne faisaient point présager les fins de sa première destination, de précédemment médical qu'il était, il passe aux fortes et philosophiques études des Rapports naturels : ce sont, dans l'intervalle de 1739 à 1788, des développements rapidement progressifs. Les bâtiments et les jardins sont doublés; et les idées, par leur grandeur et leur éclat, suivent ces développements : c’est à faire croire à une féerie intellectuelle. @) Je dois inviter les naturalistes à se réunir dans lyriques et sublimes, célébrera les noms de nos bien- un banquet, au printemps prochain, pour fêter la faiteurs ; et je demanderai, immédiatement après, qu’il mémorable fondation de 1635 ; un poète, de mes amis me soit permis de présenter aussi, dans un discours (A. de Musset), jeune, mais déjà connu par ses chants d’érudition, tous leurs titres au souvenir de la postérité. M. EDMOND PERRIER. ox 12 [er] QuarRiÈMEMENT. — LAKANAL. L'établissement se ressent alors, en 1793 W), du mouvement des esprits et participe au bienfait du renouvellement des idées sociales. La Convention nationale et Lakanal, son organe, lui appliquent la pensée dominante alors, les vues unitaires et philoso- phiques qui lui manquaient encore. L'établissement est proclamé Muséum d'histoire na- turelle. H'est dès lors spécialement aflecté aux études comparatives et philosophiques de l'univers terrestre : c’est tout le savoir de Buffon, qui est repris et coordonné lépisla- tivement. CinquiÈmEmENT. — CUVIER. Le Muséum d'histoire naturelle se formule arche de Noé par une consécration, à peu près exclusive, de tous les efforts devant donner à l'arche un représentant pour chaque sorte de production naturelle. Cuvier fournit principalement son activité et son puissant génie d'analyse pour con- tinuer avec plus d'éclat, de savoir et de lucidité qu'on ne l'avait fait jusqu'alors, le magnifique enregistrement des choses, ayant surtout insisté sur les animaux. Les hom- mages des naturalistes sont irrévocablement acquis à ses hvres admirables : Recherches sur les ossements fossiles ®! et révne animal distribué d'après son organisation. SIXIÈMEMENT. — THIERS. Le Muséum d'histoire naturelle se complète dans son édification matérielle : la ri- ®) Le représentant du peuple Lakanal se présenta, le 9 juin 1793, vers les 3 heures de l’après-midi, chez M. Daubenton : je me trouvai à portée de l’intro- duire auprès de mon vénérable maître et illustre col- lègue. I nous était inconnu à l’un et à l'autre. Lakanal témoigne le désir d’être utile au patriarche de lhis- toire naturelle ; il s’'enquiert de sa situation et des be- soins du Cabinet d'histoire naturelle. On s'explique, et un décret est aussitôt improvisé et rédigé. Débattue et améliorée le soir au sein du Comité d'instruction publique, cette loi, qui devra fixer en France et jusque dans l’Europe les destinées des sciences naturelles, fut portée le lendemain même à la Convention nationale et adoptée. Ma gratitude et mon respect pour ce député secourable aux savants et aux sciences en 1793, me portent à annoncer ici qu'enfin M. Lakanal quitte sa métairie, située dans l'Amérique du Nord, sur les bords de la Mobile, où il a eu à supporter un exil vo- lontaire de dix-neuf années, pour revenir dans sa pa- trie, qui lui rend ses titres et ses honneurs académiques. ® On vient de louer de premières idées au sujet des ossements fossiles attribuées à M. Cuvier; ces pa- roles à effet auraient été communiquées dans la pre- mière des séances publiques de Institut national. Je ne crois pas à trois nuits de durée séculaire, comme ayant été révélées par des études d’ossements fossiles. La raison, qui a ses révélations données par le senti- ment des faits nécessaires, se reluse à croire qu’il y eut trois créations distinctes et isolées. Il n’est, sui- vant moi, qu'un système de créations incessamment remaniées et successivement progressives, et rema- niées avec de préalables changements et sous l’in- fluence toute-puissante des milieux ambiants. (Vide anfrà, p.116 et119.) M. Cuvier, en donnant, le 1° plu- viôse an 1v, son beau travail sur les éléphants fossiles, a seulement conçu cette vue géologique, qu'il croyait à un monde antérieur au nôtre, détruit par une cata- strophe quelconque. Voïlà ce qui seul pouvait alors en- trer dans les allures de circonspection de notre grand zoologisle. LAMARCK ET LE TRANSFORMISME ACTUEL. 527 chesse nationale et les merveilles des arts lui sont prodiguées. En l’achevant sous le rapport de tous ses besoins, c’est le destiner à parvenir colossalement à la plus grande illustration où puissent arriver les choses de ce genre. Un ministre du Roi a proposé ce plan d'achèvement et l’a fait admettre par les pouvoirs de l'État. SEPTIÈMEMENT. — ..... L’humanité, en possession de ces riches précédents, incessante dans ses progrès, comprendra qu'elle possède une école devant amener la maximaton de la philosophie naturelle : cette école, resplendissante de lumières théosophiques, et riche sans doute en idées morales et politiques, sera pourvue de notions qui en indiqueront à chaque chose sa bonne règle. Or ceci apparaîtra, le jour où l'esprit philosophique se dégagera des derniers langes dans lesquels l'enveloppe toujours le fait instinctif de premier âge des Classifications et des Descriptions, et viendra à apercevoir, dans le Muséum d’his- toire naturelle définitivement constitué, dans cette miniature du globe, lharmonie, les rapports et la raison vraie des choses. À qui l'honneur d'atteindre ainsi le terme des grandeurs de l'humanité demeurera-t-1l en gloire? À l'esprit de tous. Enfin, pour dernière remarque, J'observerai que j'aurais peut-être fourni mon contin- gent comme naturaliste à cet esprit nécessaire aux fins de cette septième époque, si Je ne me suis point mépris dans ma recherche de la loi universelle. ( Vide infra, p. 1 27.) Or, si j'avais eu ce bonheur, que de rendre aux hommes un tel service, Gloire a Dieu ! nn ii io à | 1 \ : D L Du \ENIme en ] AURE } È ’ fr } nn LA \: 2 LES j + PS Cal \ ET * - F { 16 ï 0 + n , L’'ANALYSE DE LA TERRE PAR LES PLANTES, PAR M. GEORGES VILLE. IMPRIMERIE NATIONALE, ii L’'ANALYSE DE LA TERRE PAR LES PLANTES. LA PLANTE CONSIDÉRÉE COMME UN SIMPLE RÉACTIF. Il L'analyse chimique des terres, malgré la délicatesse et la sûreté des pro- cédés que l'on emploie aujourd'hui, ne donne encore que des indications fort incomplètes sur leur degré de fertilité et le régime auquel il convient de les soumettre pour en porter avec économie la production à sa limite la plus élevée. | J'ai signalé depuis longtemps l'impuissance de l'analyse lorsqu'elle opère comme on a coutume de le faire à l'égard d’une roche ou d’un minerai, c'est-à-dire lorsqu'elle procède par simples dosages, sans autre indication sur l’état des éléments dosés. Pour apercevoir la portée de cette critique, 1l faut remarquer que la terre végétale se compose essentiellement de trois ordres d'éléments dif- férents, ayant chacun une destination propre : Les éléments mécaniques; Les éléments assimilables actifs: Les éléments assimilables en réserve. 1° Les éléments mécaniques, représentés par le sable, l'argile et le calcaire, qui forment la grande masse du sol, ont pour destination d'offrir aux plantes une base d'attache, de leur servir d’assise et de support. 67. 532 M. G. VILLE. En fait. cette catégorie des éléments du sol ne concourt pas à la putri- {ion des plantes, bien quelle représente plus de 99 p. 100 du poids de la terre. o° Les éléments assimilables acüfs, dont la proportion entre pour quelques centièmes à peine dans la composition de la terre, sont en réa- lité la source de la nutrition végétale. [ls sont représentés au premier chef par : | L'acide phosphorique; La potasse; La chaux ; JA] LA Les matières azotées. C'est la quotité de ces quatre produits sous des formes déterminées qui régle le depré de fertilité de la terre. Aussi al-]e donné à leur asso- FR ; Ne L ; calion la dénomination d enoTœUs complet. 3° Enfin viennent les éléments assimilables en réserve, c’est-à-dire les composés qui contiennent du phosphate de chaux, de la potasse, de la chaux et une matière azotée; en raison de leur état d’insolubilité, 1ls ne peuvent entrer dans le courant de la vie végétale qu'après avoir subi une désagrégation profonde qui rend chacun de leurs constituants soluble dans l’eau qui imbibe le sol. Si les analyses exécutées dans les laboratoires nous éelairent si peu sur la puissance productive des terres, c'est parce qu'on n’est pas encore par- venu à distinguer avec assez de certitude les éléments assimilables actifs des éléments assimilables en réserve. Mais ce que la main du chimiste le plus exercé n’a pas réussi à faire, on peut l'accomplir avec la plus grande facilité en s’aidant de la vépé- lalion. - Les plantes sont, en effet, des réactifs d'une sensibilité incomparable, el, sans exposer toute la théorie de l'analyse des terres par les plantes, je ne puis me dispenser cependant d'en rappeler les données fondamentales, L’'ANALYSE DE LA TERRE PAR LES PLANTES. 533 pour y rattacher les notions nouvelles que cette Note a pour objet de mettre en lumiere. Toute la théorie de cette méthode, dont la pratique a consacré la valeur, repose sur cette donnée que, pour atteindre le maximum de leur dévelop- pement, les plantes exigent que la terre contienne du phosphate de chaux, de la potasse, de la chaux et une matière azotée, et que la suppression d'un seul de ces quatre termes suflit pour porter une atteinte profonde à l'effet utile des trois autres. Je suppose, en effet, qu'on expérimente sur la même terre cinq engrais différents : l'engrais composé des quatre termes que je viens de rappeler, et auquel jai donné le nom d'engrais complet, et tout à côté quatre en- gras composés de trois termes seulement, d’où l’on exclut à tour de rôle, et toujours un à un, la matière azotée, l'acide phosphorique, la potasse et la chaux; ce qui produit cette série de cultures parallèles : Engrais complet: Engrais sans matière azotée: Engrais sans phosphate ; Enprais sans potasse ; Engrais sans chaux ; Terre sans aucun engrais. Que dit la végétation? Que l’engrais complet produit 39 hectolitres de froment par hectare, alors que l'engrais sans matière azotée n’en produit que 13, l'engrais sans phosphate 2/4, l'engrais sans potasse 28, l'engrais sans chaux 7e et la terre sans aucun engrais 11 hectolitres. La conclusion est évidente et forcée : la terre manque surtout de matière azotée; pourvue de chaux, elle est moins favorisée sous le rapport de la potasse et du phosphate de chaux. Ainsi, suivant que les récoltes obtenues avec les engrais incomplets OA D 9 C s'éloignent ou se rapprochent de celles obtenues avec l’engrais complet, la conclusion, c’est que la terre manque de l'élément exclu des engrais incomplets ou au contraire le contient. 531 M. G. VILLE. Je résumerai, pour plus de précision, sous la forme d'un tableau les résultats obtenus au champ d'expériences de Vincennes : RENDEMENT PAR HECTARE. EEE — Récolte. Grains. Énprais complete" Free 9.570 kilogr. 39 hectol. Engrais sans azote 08 CUMPRAERRERR 4,317 13 Engrais sans phosphate PP PRE P PTE 7,933 ol Engrais sans potasse "PRE eee 7,024 28 Enprais Sans Chaux 2 8,200 7 Terre sans aucun engrais. . ............. 3,049 11 Je me demande quelle analyse, si subtile qu'on la suppose, pourra Ja- mais fournir un concours de renseignements de cet ordre. Les différences entre les produits des diverses parcelles d’un champ d'expériences ne se bornent pas seulement aux écarts dans le poids des récoltes ; la hauteur, le facies général, la couleur des plantes, accusent, eux aussi, des contrastes et des oppositions à presque toutes les époques de leur développement, et surtout dans la période qui précède la floraison. Laissant de côté aujourd'hui tout ce qui concerne la taille, le poids. l'aspect des plantes, je ne vais m'occuper, dans ce qui va suivre, que de la couleur des feuilles. Cette couleur éprouve un changement considérable lorsqu'un des quatre termes de lengrais complet manque à la terre; l'intensité de la couleur des feuilles augmente ou diminue, reste verte ou tourne au Jaune suivant que la terre manque de phosphate, de potasse ou d'azote. La vue en masses des récoltes donne à cet égard des indications très accusées et très caractéristiques. Devant ce témoignage que m'offrait le champ d'expériences de Vin- cennes depuis près de trente ans, l'idée m'est venue un jour de fixer la nuance exacte des plantes, à l’aide des cercles chromatiques de M. Che- vreul. La méthode que j'ai suivie d'abord pour observer la coloration des feuilles était d'une extrême simplicité. J'observais de l'œil droit la masse des plantes qui couvraient les diverses parcelles, à l'aide d’un tube rec- L'ANALYSE DE LA TERRE PAR LES PLANTES. 539 tangulaire dont l'intérieur était noirci, et dans le même moment je cher- chais de l'œil gauche à saisir sur des gammes de laine teintes en vert, tirées des séries des cercles chromatiques de M. Chevreul, l'écheveau qui s'en rapprochait le plus. Pour donner plus de sûreté à mes détermina- tions, Je me suis fait assister, à l'origine de mes recherches, par M. David, chimiste attaché au laboratoire de teinture des Gobelins, qui a une grande expérience de la détermination des couleurs. Cette méthode m'a conduit à la série suivante que je définis à la fois par la notation abstraite déduite des cercles chromatiques et par les nuances elles-mêmes destinées à parler aux yeux : CHANVRES DU 27 JUIN 1888 0). RÉSULTAT FOURNI PAR L’OBSERVATION DIRECTE DES FEUILLES. Enexaishintensii ee MR Jaune vert à 5. N°15 Engrais complet... ....... Jaune vert à +. N°14 Engrais sans azote........ Jaune vert à 5. N° 7 Engrais sans phosphate . ... Jaune vert à +. N°13 Engrais sans potasse ...... Jaune vert à 5. N°10 Engrais sans chaux. ....... Jaune vert à 5. N°12 Terre sans aucun engrais... Jaune vert à 5. N°11 Mais, à ma grande surprise, toutes les cultures ainsi observées accu- saient un mélange de noir à la couleur verte des feuilles, ce que M. Che- vreul appelle le rabat; et ce qui ajoutait à ma surprise, c’est que l'in- tensité du noir, c'est-à-dire le degré de rabat, n'était pas constante : elle changeait avec l’état de l'atmosphère et même avec Îles heures de la journée. 4) Toutes les notations chromatiques ont été fixées d’après les gammes des ateliers des Gobelins. 036 M. G. VILLE. Pendant deux années consécutives, Je me trouvai en présence de ces variations dont la cause m'échappait et tenait mon esprit dans une réelle perplexité. Enfin, un jour, cette cause de trouble m'apparut; ce fut pour mot l'occasion d'une satisfaction particulière, quand je m'aperçus que les effets de rabat étaient dus en partie aux ombres projetées par les feuilles supérieures sur les feuilles placées au-dessous et aux variations de l'éclai- rage. Alors je substituai à l'observation des plantes vues en masses l'observa- tion des feuilles détachées du corps de la plante. À parür de ce moment, les effets de rabat diminuérent notablement et prirent un caractère de constance et de fixité auquel J'étais loin de m'attendre. L'épaisseur plus ou moins forte du parenchyme, la nature de lépi- derme, les matières cireuses qui le recouvrent plus ou moins et modifient la réflexion de la lumière, contribuent à donner à chaque espèce végétale sa couleur propre, couleur qui est toujours la même, lorsque les milieux sont les mêmes, et qui se modifie régulièrement en même temps que CeUX-CL. Je viens de présenter les résultats donnés par le chanvre, mais mes observations ont porté sur le froment, le colza, la betterave, la pomme de terre, le trèfle, les pois, les légumineuses et les graminées de la prairie. Entre ces végétaux, les modifications que la couleur accuse sont diffé- rentes, mais Je ne considérerai aujourd'hui que les plantes à dominante d'azote parce que les effets y sont plus tranchés, plus simples et plus ré- eulers. Sur cette catégorie de végétaux, c'est l'azote qui affecte de préfé- rence la couleur des feuilles ; sil fait défaut, les plantes passent au jaune. Si la dose augmente, où diminue sans aller jusqu'à la suppression, le ton augmente ou diminue; enfin, si la suppression porte sur les minéraux, le ton baisse généralement et passe au jaune, sans aller toutefois jusqu'a la nuance que détermine la suppression de l'azote et sans présenter une indi- calion aussi sûre et aussi constante. Je citerai comme nouvel exemple le froment et le colza, que je ne puis malheureusement caractériser que par leur définition abstraite rapportée aux cercles chromatiques sans les accompagner de leurs gammes colorées. L’ANALYSE DE LA TERRE PAR LES PLANTES. 537 FROMENT DU 10 MAI 1888. OBSERVATION DIRECTE DES PLANTES. BneRais intense... Énaraisicomplet FE" EnePaISANstazOte. ne Engrais sans phosphate... ..... Engrais sans potasse.. ........ Enoraisisans chaux... Terre sans aucun engrais 6 00 00e Premier jaune vert à 8. N° 15. Premier jaune vert à 8. N° 15. Jaune vert à 5. N° 10. Jaune vert à 5. N° 170). Jaune vert à 5. N° 12. Premier jaune vert à 8. N° 14. Jaune vert à 5. N° 13. GRAMINÉES DE LA PRAIRIE, 13 MAI 1889. OBSERVATION DIRECTE DES PLANTES. BnoraisMntensite MS Et Pneus Complet nt... Enorais sans azote "7... Engrais sans minéraux. ....... Terre sans engrais... .... 8.N° 15. Premier jaune vert à 8. N° 14. Jaune vert à 5. N°8. Jaune vert à g. N° 11. Jaune vert à 5. N° 9. Premier jaune vert à COLZA, 9 AVRIL 1885. Engrais complet RP A No a Engrais SANSAZOLC SE Engrais sans minéraux. ....... Terre sans engrais. . . ........ Quatrième jaune vert à 6. N°16. Jaune vert à 5. N° 9. Troisième jaune vert à 1 0. N°15. Jaune vert à 5. N° 10. Maus tous ces résultats, malgré leur concordance, n'avaient pas encore le degré de précision auquel 11 me semblait possible de prétendre. Dans l’'es- poir de l’atteindre, J'essayai de substituer à l'observation des feuilles lob- servation de la matière colorante diluée dans un volume invariable d'alcool. Sachant par les travaux de M. Arnaud que toutes Îles feuilles contien- nent, indépendamment de la chlorophylle, une matière orangée, la caro- üne, qui est susceplible de cristalliser et qu'on peut obtenir absolument pure, je commence donc par dessécher les feuilles dans le vide, puis je 0) La terre de Vincennes contient un demi-millième d'acide phosphorique (1,792 kilogrammes par hectare). Cette dose, quoi- que faible, suffit cependant pour tempérer et même neutraliser quelquefois l'atteinte que produit d'ordinaire sur la végétation la suppression des phosphates dans les en- grais. 68 IMPRIMERIE NATIONALE. 238 M. G. VILLE. les soumets à un premier traitement par l'éther de pétrole pour en extraire la carotine. Les feuilles sont reprises ensuite par l'alcool absolu, qui dis- sout la totalité de la chlorophylle; car, après ce second traitement, 1l ne reste que le tissu végétal, absolument terne et sans matière colorante. Les dissolutions que l'on obtient ainsi avec des poids égaux de feuilles et des volumes égaux d'alcool sont toutes vertes à des degrés différents d'intensité et qui correspondent à ce qu'avait donné l’observation directe des feuilles. Mais, cette fois, si la nuance est pure, sans trace de rabat, les diffé- rences sont moins accusées; aussi, pour définir les liquides, l'échelle des cercles chromatiques n'ayant pas une progression assez ménagée, faut-il employer la méthode colorimétrique. On obtient ainsi la série numérique suivante : CHANVRES DU 27 JUIN 1888. LIQUIDE VERT OBTENU EN TRAITANT LES FEUILLES DESSÉCHÉES DANS LE VIDE PAR L'ALCOOL ABSOLU. Enprals Intense PR EP 100 Enprarsicomplet. FRERE TERRA 7! ÉnoAlS Sans azote PCT CREER 38 Engraisisans phosphate. "#"e" Crete rn vu Éngraisisanspotasse re PE 66 Énoraisisans chaux REP RrE 792 Terrersans aucun engrais. Pen EEE 53 Grâce aux gammes intermédiaires que possède le laboratoire des (Go- belins, on a pu traduire ces résultats dans la langue des couleurs et ob- tenir ainsi une gamme colorée qui correspond à celle fournie par lob- servation directe des feuilles. Mais ici se présente maintenant un ordre de faits aussi nouveaux qu'inattendus. L’'ANALYSE DE LA TERRE PAR LES PLANTES. 539 On se rappelle que les feuilles avaient été traitées en premier lieu par l'éther de pétrole, pour en extraire la carotine. Gette substance, je l'ai dit déjà, est bien définie chimiquement, elle cristallise et on peut l'obtenir à un degré de pureté parfaite. Parmi ses propriétés, 1l en est une fort curieuse qui a été signalée par M. Arnaud : c'est de fournir des dissolutions dont l'intensité colorante est très différente suivant la nature du dissolvant. Dans l’éther de pétrole, la dissolution a une nuance jaune peu intense; mais, si l’on évapore l’éther de pétrole et qu'on reprenne le résidu par un volume égal de sulfure de carbone, la dissolution revêt une coloration orangée très chaude. Ayant évaporé dans le vide toutes les dissolutions de caroline dans l’éther de pétrole pour les reprendre par le sulfure de carbone, J'ai eu la satisfaction d'obtenir une #amme orangée dont les termes, définis au colo- rimètre, ont produit la série suivante : CHANVRES DU 27 JUIN 1888. LIQUIDES ORANGÉS OBTENUS EN TRAITANT LES FEUILLES DESSÉCHÉES DANS LE VIDE PAR L'ÉTUER DE PÉTROLE. Hnanaismienot AT... Hnérusicompiet 0 ............ Enorasisans azote 00. Bnératsisans phosphate... ........... Eecais/sansipotasse. Le... 2... Hneraisisans Chaux. 4. .............. Terre sans aucun engrais 5 0 é old 070 010 0 0 00 0 4) Entre les deux séries de la chloro- du titre donné par le colorimètre à la quan- phylle et de la carotine, il y a cette diffé- tité effective, alors que, pour la série verte, rence, que la quantité de la carotine est on n’a que le rapport des divers termes de connue, et que celle de la chlorophylle ne la gamme, en prenant le plus foncé comme l'est pas. Pour la carotine, on peut remonter point de départ, sans indication de quantité. 6 © 940 M. G. VILLE. Traduite à son tour dans une gamme colorée, comme pour la chloro- phylle, on obtient une série qui correspond à la première dans tous ses termes. La suppression de l'azote porte latteinte la plus profonde. La sup- pression des minéraux se traduit par une atténuation dans l'intensité de la nuance. Je le répète, 1l y a parallélisme dans la gamme verte et la gamme orangée, et les deux gammes se servent réciproquement de contrôle. Nous arrivons ainsi à ces trois conclusions : 1° La coloration des feuilles change suivant les conditions où les plantes sont venues; c’est le fait culminant, primordial ; 2° La couleur des liquides obtenus en traitant ces feuilles par l'alcool après en avoir extrait la carotine correspond à l'observation directe des feuilles, mais présente des différences d'intensité moins accusées ; 3° Les dissolutions orangées de carotine présentent des variations d'in- tensité correspondant à celles de la chlorophylle et forment une gamme \ \ ONE arallèle à la premiere. Ï Ges conclusions sont le fruit de cinq années d'observations et d'efforts assidus, et pourtant je ne les présente que comme des conclusions d’at- tente. Fournir aux agriculteurs des indications positives sur l'état de la terre, sans les astreindre à faire eux-mêmes des champs d'expériences, c'est le but que je poursuis. Pour cela, je m'applique à créer des types végétaux grâce auxquels les hommes pratiques, une récolte étant donnée, suivant le type dont elle se rapprochera le plus, pourront savoir ce que la plante a reçu et ce qui lui a manqué, c’est-à-dire ce qui manque à la terre elle- méme. Maus pour obtenir dans celte voie nouvelle des résultats utiles et pro- bants, 11 faut prendre en considération la taille et le poids des végétaux à des époques déterminées, la couleur relevée à la vue directe et se servir Centenaire du Muséum, p. 541. RECHERCHES SUR LES RELATIONS QUI EXISTENT ENTRE LA COULEUR DES PLANTES ET LA RICHESSE DES TERRES EN ÉLÉMENTS DE FERTILITÉ. LE CHANVRE. RÉGIME des ENGRAIS, ENGRAIS INTENSIF Azote : 100 kilopr. ENGRAIS COMPLET Azote : 75 kilopr. ENGRAIS sans azole. ENGRAIS sans phosphate. ENGRAIS sans potasse. ENGRAIS sans chaux. TERRE sans aucun engrais. COULEURS des PLANTES vues en masses (. Jaune vert à 9. N° 15. Jaune vert à ge N° 14. Jaune vert AD INT Jaune vert à 9. N° 13. Jaune vert à ». N° 10. Jaune vert 1 Don MLD Jaune vert AIN INIE PLANTES vues EN MASSES, CULOROPHYLLE. GOULEURS des dissolutions déterminées au colorimètre. A — CAROTINE, () Les notations chromaliques sont faites d’après les gammes des aleliers des Gobelins. DISSOLUTIONS de CHLOROPHYLLE. DISSOLUTIONS de CAROTINE. RUE L : Dr \ 1 ’ L’'ANALYSE DE LA TERRE PAR LES PLANTES. 5A1 désormais des liquides verts et orangés pour fixer les quantités de chloro- phylle et de carotine contenues dans les feuilles. Sous cette forme, le té- moignage des liquides acquiert une signification indépendante, et alors taille, poids, couleur, richesse des feuilles en chlorophylle et en carotine, relevés en même temps et rendus solidaires, deviennent les termes affir- matifs des conditions d’où la plante est issue et fournissent par consé- quent des indications pratiques très précieuses sur ce que la terre con- üent et ce qui lui fait défaut. Je ferai de cette nouvelle étude, d’une application plus pratique, l'objet d’une deuxième Note. Mais, en attendant, je crois utile de résumer dans un tableau les varia- üons de couleurs que les feuilles présentent, soit qu'on les observe direc- tement, soit qu'on ait recours aux dissolutions vertes et orangées qu'on peut obtenir à leur aide. Il Le problème que je me suis posé, je l'ai dit dans ma première Note, c'est de définir avec le plus d’exactitude possible les atteintes que les plantes subissent lorsque la terre ne contient pas à la dose voulue lun des quatre termes fondamentaux nécessaires à l'exercice de la vie vé- gétale, le phosphate de chaux, la potasse, la chaux et une matière azotée. Dans ma première Note, je n'ai eu égard qu'aux modifications de la couleur, qui, on le sait maintenant, peuvent être considérables. Aujour- d'hui J'ajouterai à cette première notion l'indication des autres carac- tères que leur constance rend solidaires les uns les autres, et qui, en dernière analyse, en arrivent à se compléter et à se contrôler réciproque- ment. Pour présenter les plantes sous cet aspect nouveau, le moyen le plus simple est de décrire le champ d'expériences de Vincennes, d’où elles pro- viennent et où elles ont recu l'empreinte indélébile de leurs conditions d'origine. 242 M. G. VILLE. Le champ d'expériences de Vincennes offre aux yeux l'aspect d'une table de Pythagore : l'espace est divisé en parcelles d’une égale étendue, formant cinq rangées paralleles. Dans le sens de la longueur, une rangée est occupée par la même culture, mais chaque parcelle reçoit un engrais différent : d’abord l'engrais complet, puis la série des engrais incomplets que nous connaissons, et enfin, pour clore la série, la terre sans aucun enpTAIS. Dans le sens de la largeur, au contraire, chaque parcelle est occupée par une plante différente; mais toutes les parcelles de la même rangée reçoivent le même engrais, ce qui conduit à ce double résultat de mettre en lumière l’action des différents engrais sur la même plante, et l’action de chaque engrais sur un certain nombre de plantes différentes, choisies avec intention parmi les plus importantes sous le rapport agricole. Il résulte de cette disposition que, lorsqu'on pénètre dans le champ d'expériences, on est sollicité par des effets de deux ordres. Le regard se fixe-t1l sur une bande isolée, sur celle affectée à la cul- ture du froment par exemple, on est immédiatement saisi par deux faits qui s'imposent : les différences considérables que présentent les diverses parcelles de la bande sous le rapport de la taille et de la couleur. Avec l'engrais intensif, le froment est haut et ferme sur sa tige, sa tête plane au-dessus du sommet des autres parcelles. La couleur des feuilles est d’un beau vert foncé, d'autant plus foncé que la dose d'azote a été plus forte; les feuilles sont larges, rigides, si la dose d'azote n'a pas dé- passé 75 à 100 kilogrammes par hectare; flasques et retombantes, si la dose d'azote atteint 150 kilogrammes. Lorsque la dose d'azote est trop élevée, la verse est presque inévitable: là où l'azote fait défaut, la verse n'a jamais lieu. La où l'azote manque, la plante tranche par sa couleur Jaune vert, par la taille qui est moitié moindre, par la grosseur de la tige qui est plus réduite, mais cette tige accuse une rigidité plus grande; la surface des feuilles n'est qu'une fraction de celles de la culture soumise au régime de l'engrais complet. Lorsque c’est la potasse qui fait défaut, le blé offre un facies à part: L'ANALYSE DE .LA TERRE PAR LES PLANTES. 043 la tige et les feuilles n'ont plus de rigidité; la hauteur de la lüige est à peine le tiers de celle qu'atteint le blé avec l'engrais complet; la tige ne se dresse plus verticalement, mais elle se contourne sur elle-même et s'in- chine à la manière des plantes rampantes; le limbe des feuilles perd la forme d'ellipsoïde allongé, 1l se termine par un prolongement filiforme de la nervure médiane. Au champ d'expériences de Vincennes, la terre contenant un demi- millième d'acide phosphorique, la suppression du phosphate de chaux n’a pas produit encore l'effet que son importance physiologique lui assigne dans les engrais. Le chanvre étant une plante à dominante d'azote, comme le froment, présente des contrastes du même ordre, mais plus accusés encore, parce que, avec le chanvre, la verse n'étant pas à craindre, on peut employer des doses plus fortes de matière azotée, et que la taille du chanvre étant le double de celle du blé, les effets sont plus saisissants. Le chanvre est la plante par excellence des champs d'expériences. S1 l'on examine maintenant la bande affectée à la pomme de terre, dont le régime correspond à celui du chanvre et du froment, on remarque que là où la matière azotée a été supprimée, la plante tourne au jaune sans cesser d'être belle; mais que là où la potasse a été supprimée, les fanes sont moins développées, d'un vert plus noir; à partir du mois de juillet, elles sont attaquées par une mucédinée, se desséchent et tombent. alors que sur les autres parcelles elles sont encore intactes. La vigne se montre surtout sensible à la suppression de la potasse; là où l'azote a été supprimé, les feuilles sont plus jaunes, mais les pousses sont belles et non moins développées qu'avec l'engrais complet. Mais si la potasse manque, les ceps sont rabougris et la vigne cesse de donner du raisin. Au lieu de s'attacher à la même culture, compare-t-on les bandes affectées à des plantes différentes, un contraste saisissant s'impose tout d’abord sous le rapport de l'effet produit par la suppression de la matière azotée : sur le trèfle, la luzerne, elle est plus utile que nuisible; sur les pois, les fèves, l'effet est absolument nul; sur le froment, le chanvre, la o4/ M. G. VILLE. betterave, elle porte une atteinte profonde, et entre ces deux extrêmes se placent d’autres plantes, la pomme de terre et le maïs, sur lesquelles la malière azotée produit des effets utiles, mais modérés. À l'origine, les champs d'expériences avaient pour destination princi- pale de définir l'état du sol ou de servir de démonstration aux principes maintenant incontestés de la doctrine des engrais chimiques. Aujourd'hui un horizon nouveau s'ouvre devant eux; ils sont appelés à fournir à distance aux agriculteurs des indications d’une valeur pratique certaine sur l'état de leur terre, sans qu'ils soient astreints à faire eux- mêmes des champs d'expériences. Grâce aux séries de végétaux types, toutes les cultures d’une exploita- tion portent avec elles un ensemble de témoignages qui se contrôlent, se complètent et se raffermissent réciproquement. Le froment présente-t1l une tige mal assise et la couleur du type au- quel la potasse a manqué, le praticien conclura que sa terre manque de potasse. Si, à côté du froment, la pomme de terre, dont la potasse est la domi- nante, accuse une atteinte encore plus profonde que le froment, si les feuilles sont envahies au mois de Juin par des taches rougeâtres, la con- clusion tirée de l'observation du froment se trouvera raffermie. Plus loin, la betterave, qui, à la premiere période de son évolution, accusait un état de souffrance conforme au type de la betterave privée de potasse, semble renaitre de cette atteinte et se rapprocher du type propre à l'engrais complet : ceci est indice que si la couche superficielle du sol manque de potasse, les couches profondes, que la racine fouilleuse de la betterave peut atteindre, en sont pourvues. Pour épuiser le sujet, 1l me faudrait décrire les caractères particuliers à toutes les plantes agricoles, ce que je ne puis faire dans une simple Note. Je bornerai là les indications descriptives, rigoureusement exactes, mais auxquelles 1l faut substituer des caractères plus rigoureux, suscep- hibles d'être exprimés numériquement; et, pour serrer la question de plus près, je bornerai mon étude à une seule plante, le chanvre, dont L’'ANALYSE DE LA TERRE PAR LES PLANTES. 545 Je me suis déjà servi pour déterminer le changement de couleur que l'on connait. Les caractères susceptibles d’être exprimés numériquement sont au nombre de trois : la couleur, la taille et le poids, complétés par le facies. ° La couleur. — Je n'ai à ajouter qu'une seule indication à ce que jai dit au sujet de la couleur : c’est que, pour certaines plantes, les effets sont plus accusés dans le premier mois qui suit la germination que dans les périodes suivantes. Je citerai comme exemple le froment. Lorsque les premiers froids commencent à se faire sentir, les différences tendent à s'étendre; mais elles renaissent avec leur intensité primitive au retour du printemps. Le chanvre présente les mêmes contrastes que le blé, et ces con- trastes sont à leur maximum dans le premier mois qui suit la sortie de la plante. On peut dire, d'une manière générale, qu'il y a pour chaque plante une époque où les contrastes de couleur atteignent le maximum de leur intensité. COULEUR DU CHANVRE AU 22 JUIN 1884. ENGRAIS TERRE === sans intensif complet sans sans sans sans aucun (100 d'azote). (75° d'azote). azote. phosphate. polasse. chaux. engrais. 2° La taille. —— La taille est un caractère Lypique de premier ordre qui se manifeste dès le début de la vie végétale et traduit d’une façon de plus en plus tranchée le degré de fertilité du sol. Pour les plantes dont la matière azotée est la dominante, c'est la suppression de cette matière qui produit l'attente la plus profonde. On peut constater par le tableau qui suit que, du 23 mai au 9 août 1883. les différences entre les divers termes de la série se sont toujours manifestées dans le même sens, mais que les différences qu'elles accusaient 69 IMPRIMERIE NATIONALE, 546 M. G. VILLE. allaient toujours en augmentant Jusqu'au terme de la vie de la plante, c'est-à-dire jusqu'à la récolte : Tasceau J. HAUTEURS MOYENNES DES CHANVRES EN 1983. NOMBRE ENGRAIS TERRE DE JOURS EE LL — sans DATES DES OBSERVATIONS. après INTENSIF COMPLET Fans sans sons aucun le semis. | (100* d'azote). | (75* d'azote). PHOSPHATE. | POTASSE.| CHAUX. | ENGRAIS. D SAMALLO GTS else | É M 97 6 juin 1883..." ! 67 j! L8 18 juin 1883 E CL 03 É î 77 26 juin 1883....... 5 ) 3: 09 19 juillet 1883 5 26 ë 54 g août 1883........ 2 1: 61 I y a plus : que l’on compare la taille pendant des années différentes, on trouve qu'elle ne change pas, à ce point que si l’on compare une série prise au hasard avec la moyenne générale de plusieurs années, 1l y a presque identité entre les deux. Get accord trouve sa justification dans le deuxième tableau : Tagceau I. HAUTEURS MOYENNES DES CHANVRES. NOMBRE ENGRAIS TERRE DE JOURS ' — sans DATES DES OBSERVATIONS. après INTENSIF COMPLET sans é ans aucun le semis. | (100* d'azote), | (75* d'azote). | AZOTE. | PHOSPHATE.|POTASSE.| CHAUX. | ENGRAIS. 26 juin 1883 70 1° 70 ) 129 0" 78 22 juin 1884 68 1 53 ) o ho 22 juin 1885 68 1 30 ù o 60 A juin 1886 6! 1 MoYEnNEs...... 67 TAILLE DU CHANVRE AU 29 JUIN 1884. CON E ET OGabo done ao de 1753 1° 20 0"61 | 0”97 | 0"40 | 1°15 | 0"18 L’'ANALYSE DE LA TERRE PAR LES PLANTES. 917 3° Le poids. — Le poids des récoltes sèches fournit des indications non moins sûres que la taille et la couleur. Les termes similaires peuvent varier de : à 2 dixièmes d’une année à l’autre; mais les différences entre les divers termes d’une même série sont toujours de même sens et accusent des atteintes de même importance. Je regrette de n'avoir pas pris le poids d’un certain nombre de plantes aux dates où l’on a déterminé la taille et la couleur. Je ne puis citer que les poids que J'avais relevés à l’époque de la récolte; mais ici l'accord est remarquable, et quand on possédera des moyennes déduites d’une dizaine d'années d'observations. les écarts seront véritablement insignifiants : Tasceau [IL RÉCOLTES DE CHANVRE DESSÉCHÉES À L'AIR, PAR HECTARE. ENGRAIS TERRE DATES EE — — sans INTENSIF COMPLET sans sans sans sans aucun (100* d'azote). | (+54 d'azote). | AZOTE. |PHOSPHATE.| POrASSE.| GHAUX. |ENGRAIS. DES RÉCOLTES. kilogr. kilogr. kilogr. kilogr. kilogr. kilogr. kilogr. 10 septembre 1883........ 13.194 10,997 5,158 10,720 | 7,911 8,960 | 3,943 19 septembre 188/4........ 11,220 11,190 h,7ho 8.220 | 5,220 | 10,570 | 2,175 17 septembre 1885........ 13,668 12,034 5,548 11,971 7,252 9,789 | 3,937 gLoctobre 1886... ....... 12,029 10,983 8,769 | 6,284 | 11,591 | 2,549 NTOMENNES EEE Ce 12,510 11,506 99: 9,920 | 6,607 | 10,229 | 3,051 TAILLE DU CHANVRE AU 29 JUIN 1884. CE in EPS S SALE EEE | 11,220 | 11,150 | 4,740 | 8,220 | 5,220 | 10,570 | 2,175 °° Le facies général. — Enfin vient le facies général; c’est la résultante de tous les caractères secondaires qui, pris isolément, n'ont pas une si- onificalion aussi accusée que la taille, la couleur et le poids, mais dont l'ensemble contribue cependant à donner à chaque type son individualité. Ainsi, avec l'engrais complet, la tige du chanvre est grosse, rigide; les feuilles sont larges, bien étalées, de couleur vert foncé uniforme, aussi bien les inférieures que les plus jeunes du sommet de la plante; leur tissu est souple et gorgé de sève. 6Y. DAS M. G. VILLE. Privé d'azote, le chanvre a des tiges beaucoup moins grosses et moins hautes; les feuilles sont plus étroites; la couleur est jaune verdâtre, les inférieures complètement jaunes, comme si la couleur verte les abandon- nait pour passer dans les feuilles nouvelles. Le chanvre venu sur la terre sans engrais présente une taille encore plus réduite; ses feuilles sont étroites, d’un vert pâle et grisätre, minces et à bords repliés. LE FACIES DU CHANVRE AU 22 JUIN 188. ENGRAIS Terre mm — = sans complet sans sans sans sans aucun azote. phosphate. potasse. chaux. engrais. intensif (100 kilogr. d'azote). (75 kilogr. d'azote). F : DAY) LES TEE Horta\ 1} 2% SE v Ni FE les Liges ne sont pas beaucoup plus Lorsque la potasse a fait défaut, vigoureuses que lorsqu'il n'y a pas d'engrais; les feuilles sont aussi plus A pelites, étroites, contournées, de couleur brune sur Îles bords. Enfin le faces, c'est le port, l'aspect, le portrait, ce je ne sais quoi qu'on appelle l'expression et qui vous saisit à premiére vue. [n'y a qu'un moyen de reproduire avec fidélité et certitude le facies : la photographie; c’est done à ce procédé que j'ai eu recours pour réaliser L'ANALYSE DE LA TERRE PAR LES PLANTES. 549 une sorte de synthèse de tous les caractères définis antérieurement, c'est- à-dire la taille, la couleur, le facies, que je complète par l'indication du poids des récoltes, formant ainsi de véritables types végétaux qui corres- pondent aux conditions les plus essentielles de la production vépétale, SAVOIT : 1° L'enprais complet intensif ou la terre à son maximum de fertilité: 2° L'engrais complet: 3° L'engrais sans azote: h° L'engrais sans phosphate: »° L'engrais sans potasse; 6° L'engrais sans chaux: 7 La terre sans aucun engrais. Après cette énumération détaullée des caractères que présentent les plantes suivant la richesse du sol, on pourrait croire le sujet épuisé. [il n'en est pourtant rien et, par une de ces bonnes fortunes qui sont quel- quefois la récompense des chercheurs, 11 m'a été donné de découvrir tout un ordre de faits nouveaux qui est appelé à donner à ces études, par la rigueur et la délicatesse plus grande des méthodes, un degré de précision et de certitude inespérées, et à la portée des résultats une envergure qu'au début rien ne pouvait me faire pressentir. Jusqu'à l’année dernière, J'avais cru que les modifications de couleur que présentent les gammes étaient dues à une modification constitutive de la chlorophylle, et toutes mes préoccupations étaient concentrées sur la recherche des moyens de les définir et d'en fixer la signification physio- logique. Mais le jour où 1l me fut démontré que la gamme orangée accu- sait des différences de même ordre que la gamme verte, je sentis qu'il n'était pas possible d'attribuer ces modifications à un changement d'état. Pour m'en convaincre, je composai une dissolution de carotine dans le sulfure de carbone qui correspondait au terme le plus coloré de la série extraite des plantes, et à l'aide d'additions de sulfure de carbone dont la quantité était déduite de la notation au colorimètre des termes intermé- diaires de la série. Jeus la satisfaction de reproduire arüficiellement une 390 M. G. VILLE. gamme tellement conforme à la première qu'il était impossible à l'œil le plus exercé de distinguer l’une de l'autre. Cette propriété que possède la carotine de donner des dissolutions dont Fintensité colorante est proportionnelle à la quantité de la matière dissoute permet le dosage de cette substance avec une exactitude ines- pérée. Pour donner une idée de la sensibilité de la méthode, il me suffira d'ajouter que le dosage s'opère avec une dissolution type au litre de 15 millisgrammes de carotine cristallisée par litre , et que, dans ces condi- bons. si l'on interpose un verre bleu sur le trajet des rayons lumineux dans le colorimètre, on obtient une teinte fleur de pêcher tellement sen- sible qu'il est possible d'estimer 1/10 de millimètre dans la hauteur de la colonne liquide, c'est-à-dire, en nombre rond, 1/10 de milligramme de carotine; ajoutons, à l'honneur de l’auteur de la méthode, qu'elle est due à M. Arnaud, que J'ai déja cité. C'est en opérant ainsi que j'ai pu obtenir cette série, qui correspond à la*oamme oranpée, que Jai reproduite dans ma précédente Note. SÉRIE DU CHANVRE, 1888. DOSAGE DE CAROTINE CORRESPONDANT À LA GAMME ORANGÉE. Par 100" Titre de feuilles. colorimétrique. Énptais NEnSHE CREER ETES EE 0% 3)0 100 Engrais Complet EN EEE Re 0 319 90 Énoraistsansiazole EPP ERP PERTE 0 199 97 Engrais sans phosphate Ne ATP ve PAPE o 281 30 Engrais sans POtASSE.: 7 PSN RE o 24 72 ÉnOFaIS SANSICNAUX RE OCR CEE 0 9921 90 Terre/sans aucun engrais "ERP RP o 250 A On remarquera que les témoignages sont 1e1 plus accusés que dans la samme colorée; il faut ajouter encore que l'observation au colorimètre, en vue des dosages, est plus facile, plus sensible, plus simple et plus sure dans ses résultats. J'ai pu faire ainsi plus de 200 dosages, et, à bien peu d'exceptions pres, leur témoignage présente un accord remarquable. L’'ANALYSE DE LA TERRE PAR LES PLANTES. 551 Avec l'engrais complet, le titre est toujours le plus élevé pour les plantes à dominante d'azote; la dose la plus faible correspond à la sup- pression de la matière azotée, comme l’attestent ces nouveaux résultats. DOSAGE DE CAROTINE DANS 100 GRAMMES DE FEUILLES SÈCIES. à PLANTES PLANTES DÉSIGNATION . L À DOMINANTE D’AZOTE. À DOMINANTE DE POTASSE. DES ENGRAIS. eue |. eue — Froment. Colza. Betteraves. Pommes de terre. Vigne. milligrammes. | milligrammes. | milligrammes. milligrammes. milligrammes. Engrais complet intensif. . ... 199 183 183 204 Engrais complet 167 u 164 173 Engrais sans azole. ........ 7h 14 120 Engrois sans phosphate 97 131 Engrais sans potasse. ....... 10/ 1/10 Engrais sans chaux. ........ 114 183 Terre sans aucun engrais... .. 66 143 Pour la pomme de terre et la vigne, dont la potasse est la dominante. c'est à l'absence de la potasse que correspond la dose la plus faible de carotine. Un fait net et précis se dégage au premier chef de ces résultats : c’est que la quantité de carotne produite par les plantes est réglée par la na- ture et la quantité des agents de fertilité que le sol contient. La certitude et la généralité de ces résultats ne sauraient être mises en cause. Devant cet ensemble de témoignages, 1l était bien difficile d'admettre, a priori, que les différences constatées entre les divers termes de la gamme verte fournie par la chlorophylle étaient dues à des changements dans la composition de la matière verte. Il devenait plus probable que les différences avaient pour cause des différences de quantité. Malheureusement je ne possédais pas à ce moment un procédé qui me permit d'extraire la chlorophylle sans altération et sans mélange de matières étrangères. Dans cette situation, J'ai dû me contenter d’une dé- monstration indirecte; J'ai composé une gamme artificielle verte, en ajou- tant à la liqueur la plus foncée, celle qui correspond à l'engrais intensif, les quantités d'alcool déduites du titre colorimétrique des autres termes 992 M. G. VILLE. de la série, et J'ai eu la satisfaction de voir cette tentative couronnée du succès le plus complet; j'ai pu reproduire par ce procédé et obtenir une gamme verte de tout point conforme à la série naturelle, comme J'avais réussi à le faire pour la série orangée de la carotine. Ceci n'est pas une démonstration absolue, mais une probabilité qui lui équivaut presque et qui ne lardera pas, Je l’espére, à être consacrée par une vérification tout à fait décisive. Ainsi se trouve établi que la production de la carotine est sous la dépendance de la richesse du sol, et que le dosage de cette substance conduit par une voie plus sûre aux mêmes conclusions que les gammes colorées. Ajoutons enfin que la production de la chlorophylle semble réglée par les mêmes influences et que son dosage devra conduire au même résultat. Il résulte done de ce qui précède que la composition de la terre tra- duit son influence par cinq caractères principaux : le facies, la taille, la couleur, la dose de la carotine et de la chlorophylle dans les feuilles, et enfin le poids des récoltes. Le dosage de la carotine et de la chlorophylle, malgré sa grande importance, ne pouvant se faire que dans un labora- toire, nous en ferons abstraction pour n'avoir égard qu'aux caractères extérieurs. Reste alors à présenter ces caractères qui, en fait, sont solidaires, se completent et se contrôlent, pour que les agriculteurs puissent les saisir d’un regard, et s'en servir comme d’une sorte d'étalon, pour définir leurs propres récoltes, comme si elles appartenaient à un véritable champ d'expériences. Pour cela, voici le procédé auquel j'ai eu recours. Le facies des plantes s'exprime par la photographie; la taille, à l’aide d'un quadrillé qui lui sert de fond et dont les rectangles élémentaires ont o m.10 de côté, mais dont un gros chiffre placé au-dessus de chaque image photographique traduit le témoignage; la couleur, à l'aide de sammes vertes relevées à la vue directe. Et, comme conclusion à cette note, qu'il me soit permis de placer sous les yeux de l’Académie les symboles qui les résument pour servir aux ap- D] Centenaire du Muséum, p. 353. RECHERCHES SUR LES RELATIONS QUI EXISTENT ENTRE LES CARACTÈRES PHYSIQUES DES PLANTES ET LA RICHESSE DE LA TERRE EN ÉLÉMENTS DE FERTILITÉ. = ENGRAIS ENGRAIS ENGRAIS ENGRAIS ENGRAIS ENGRAIS TERRE INTENSIF COMPLET sans sans sans sans sans (100 kilogr. d'azote). (79 kilogr. d'azote). AZOTE. PHOSPHATE. POTASSE. CHAUX. AUCUN ENGRAIS. LE CHANVRE (1884). 4" 20 = . AA \ =, NAN se 1 n Æ A 4 & = LE Ar £ ni a < Æ mn \ 4 a h) À Ah SIN 19 À 2/1 à ( | ZE COULEUR DES PLANTES VUES EN MASSES. POIDS DE LA RÉCOLTE. 11511502 4,740% 20° HDI 10,570: L'ANALYSE DE LA TERRE PAR LES PLANTES. 093 plications pratiques, me réservant de revenir plus tard sur les solutions d'un ordre nouveau auxquelles les dosages de la carotine et de la chloro- phylle doivent conduire pour perfectionner dans le laboraloire l'analyse des. terres et des plantes. II Il me reste à faire un nouveau pas en avant et à tracer les règles pra- tiques qu'il faut suivre quand on veut tirer du témoignage des plantes tout ce qu'il peut donner pour analyser la terre. Ceci va mimposer des redites assez nombreuses, mais elles me sont imposées pour être clair et précis, et atteindre lumineusement, je l’es- pére, le but que je me suis marqué. Je considérerai tour à tour, dans ce qui va suivre, deux cas bien dis- ncts : En premier lieu, le cas d’un agriculteur, fermier ou propriétaire, qui dirige son exploitation et connait avec certitude le rendement des récoltes obtenues sur chacune de ses pièces de terre. Dans le second cas, au contraire, je supposerai un voyageur agronome s'efforçant, à l'exemple d'Arthur Young, d'apprécier l'état agricole d’un pays et s'appliquant à fonder son Jugement sur la connaissance exacte de la composition de la terre dans les régions qu'il traverse et compare. Au moment d'aborder le premier cas, je dois rappeler que, dans la partie théorique de cette étude, j'ai dit que les plantes possédaient trois ou quatre caractères, dont le rapprochement et la concordance étaient décisifs pour fixer la composition de la terre. Je rappelle ces caractères : Le poids de la récolte; La couleur des feuilles; La taille et le facies général des plantes. Voyons done, pour commencer, le parti qu'on peut ürer de la connais- sance du rendement des récoltes, lorsque cette connaissance s'applique à plusieurs plantes différentes. 79 IMPRIMERIE NATIONALE. 904 M. G. VILLE. Dans la première exploitation qui va nous occuper, on récolte : A l'hectare. À l’hectare. Froment... 30 à 3bhectol. Betteraves........ 0,000 kilogr. AVoine. 100 Pommes de terre... 15,000 Pois: 4 CRaerE 2 0 TONER ES ANRA 6,000 Mais péant-e "et 30,000 Praieltfoin) "2" 5,000 dans lequel les graminées l'emportent sur les légumineuses. Avant la doctrine des engrais chimiques, ces résultats étaient des faits pratiques, sans aucune utilité, pour fixer la composition de la terre. On aurait dit : + Bonne ferme, bien dirigée. » Rien de plus, rien de moins. À la lumiere de la doctrine des engrais chimiques, la situation change du tout au tout et nous dirons : La terre contient de l’azote et des minéraux, potasse et phosphate, pour deux ou trois récoltes de céréales. Fonciérement la terre n'est riche ni en potasse, ni en phosphate; 1l faut importer à haute dose la potasse et le phosphate, l'azote à dose modérée et le concentrer de préférence sur la betterave. Comment peut-on justifier cette interprétation ? Le voici : Nous savons de source certaine maintenant que, sous le rapport de la malière azotée, les plantes se divisent en deux grandes catégories : celles qui puisent leur azote dans le sol et auxquelles il faut en fournir par les engrais, et celles qui le tirent de Fair et sur lesquelles les composés azotés n'ont pas d'action, mais qui réclament impérieusement dans la terre des minéraux et surtout de la potasse. Ceci étant admis, nous dirons de la terre qui aura produit à lhectare : Froment 7.20 Eee RAR NN 33 hectol. Pois 2; 2 mere ere ie EE ANR 320 L’'ANALYSE DE LA TERRE PAR LES PLANTES. 299 qu'elle contient plus d'azote que de minéraux; si elle avait donné : ROME PE AR am UD de te M SE ne 20 hectol. Dies arte mare an te à NÉ | a MERE SE pee 8) nous aurions dit qu'elle était mieux pourvue de minéraux, phosphate et potasse, que de matière azotée; si elle avait donné : ROM eee ER ns ces 33 hectol. BOSS nn ne 0 D ee ee 29 qu'elle est à la fois riche en matière azotée et en minéraux, représentés au premier chef par la potasse et le phosphate de chaux. J'ajoute que la potasse et le phosphate de chaux sont nécessaires à toutes les plantes, mais que le manque de potasse affecte plus la vigne, la pomme de terre, les pois, le trèfle, que le froment, le chanvre, le colza et la betterave. Comparez et Jugez : RÉCOLTE À L'HECTARE. — ——— Engrais Engrais complet. sans potasse. DE, 62 08 DER PATENT 39 hectol. 28 hectol. Doss 4 ER PORN PR 37 19 Pommestde-terre. m2 0. 27,990 kilogr. 10,550 kilogr. TRE (iounisec) ee EE ne 10,200 625 Vigne (raisin) NS ROSE SSSR RES 20,000 (e] Mais ce n'est pas tout. Si l’on augmente la dose de la potasse, la vigne, les pois, la pomme de terre et le trèfle accusent un accroissement bien supérieur à celui produit sur le froment, le colza, le chanvre et la betterave. Je généralise ce ré- sultat, et je dis, soutenu cette fois par l’universalité du monde agricole, que sur les quatre termes dont se compose l’engrais complet, à savoir : l'azote, le phosphate, la potasse et la chaux, il y en a trois : l'azote, le phosphate et la potasse, qui remplissent, à tour de rôle, la fonction d'élé- ment régulateur du rendement de la récolte, ou le rôle d'élément subor- donné qui aide à l'obtenir sans en régler la quantité. 206 M:° G'NIELE: Lei c'est la nature de la plante qui décide de l'importance de la fonction, et j'appelle la dominante d'une plante l'élément prédestiné qui en accroît le produit plus que les autres termes de lengrais. La matière azotée est la dominante du blé, de la betterave, du chanvre et du colza. Pour la pomme de terre, la vigne, les pois, le trèfle, la matière azotée descend au rang d'élément secondaire ou subordonné et la potasse devient la domimante. Or la règle, la grande règle qu'il faut suivre et appliquer, lorsqu'on demande aux plantes de nous renseigner sur la composition du sol, c’est de confirmer, de raffermur le témoignage d'une plante, fondé sur l'absence d'un de ses éléments subordonnés, par le témoignage d'une seconde plante dont le même élément est la dominante. J'ai résumé dans un tableau ces faits dont le contraste est saisissant. Je le replace sous vos yeux, afin de donner à ces nouvelles conclusions une base inattaquable et une portée plus haute. ACTION COMPARÉE DES ÉLÉMENTS DE FERTILITÉ SUR LES PRINCIPALES CULTURES. RÉCOLTE À L'HECTARE. DÉSIGNATION —_—_—— Ro DR POMMES TRÈFLE CANNES DES ENGRAIS Ë 4 VIG\E : S ENGRAIS. FROMENT, | CHANVRE. DE (2 coupes À RAVES. TERRE. | (raisin). sèches). SUCRE. kilogr. kilogr. kilogr. kilogr. | kilogr. | kilogr. | kilogr. | kilogr. | kilogr. Engrais complet 9,570 | 11,190 | 50,000 | 10,000! 27,950! 19,000! 8,169] 6,890 [57,000 Engrais sans azote. ....| 4,317 4,740 | 36,000 | 6,000! 20,850| 6,200! 10,220| 6,339 [56,000 Engrais sans phosphate. . | 7,533 8,,20 | 42,000! 7,250| 16,000! 7,300! 8,229| 5,360 |15,000 Engrais sans potasse, ...| 7,524 5,%°0 | 37.000 | 5,550! 10,500 (o) 635| 4,760 (35,000 Engrais sans c'aux, . ... 8,200 | 10,570 | 47,000 | 8,200| 20,500| 7.800] 9,071| 6,520 |50,000 Terre sans aucun engrais.| 8,542 2,175 | 23,000 | 1,240! 7,500 (0) 873| 2,920 | 3,000 Dans cet ordre d'idées, l'analyse botanique de la prairie nous conduit à la même conclusion que le rapprochement du froment et des pois. Si les graminées dominent, c’est la preuve que la terre est plus riche en azote qu'en minéraux. Au contraire, si les légumineuses et notamment le trèfle l'emportent décidément sur les graminées, c’est l'affirmation sans appel que la terre est plus riche en potasse qu'en azote. Douteriez-vous de ces déductions ? L'ANALYSE DE LA TERRE PAR LES PLANTES. 557 Méditez ces faits obtenus au champ d'expériences de Vincennes : ils sont le résultat d'expériences directes sur la prairie, qui réalisent artifi- ciellement la condition de terres pourvues d'éléments différents. RÉCOLTE À L'HECTARE. I — DÉSIGNATION DES ENGRAIS. GA , , LEGUMINEUSES. GRAMINÉES. MAUVAISES HERBES. RECOLTE TOTALE. kilogr. Engrais complet........... ; 8,309 Engrais sans potasse D: D 5,109 Engrais sans azote ; ÿ 32: 6,549 Vous le voyez; supprime-t-on l'azote dans l'engrais, les graminées sont plus atteintes que les légumineuses. La suppression a-t-elle porté sur la potasse, la récolte des légumineuses diminue plus que celle des grami- nées. Voila les indications pratiques et certaines qu'un agriculteur éclairé peut tirer de la seule connaissance du poids des récoltes de ses terres. Voyons maintenant le sureroit de certitude qu'il peut y ajouter, sil appelle à son aide les types analyseurs, dont l'emploi est fondé sur la tulle, la couleur et Le facies général des plantes. Pour être sûr des conclusions auxquelles on s'arrête, 1l faut appeler à son aide quatre ou cinq séries de types analvseurs : Le froment,. Le chanvre, La pomme de terre, Et le trèfle fournissent ceux dont le témoignage est Le plus général et le plus tranché. IL faut, de plus, contrôler les témoignages de ces quatre séries de types les uns par les autres, en passant toujours du témoignage tiré des éléments subordonnés au témoignage affirmé par les dominantes. Consultons en premier lieu la série du froment. Au moment d'aborder les blés de l'exploitation, 1l faut placer toute la série des types analyseurs dans la main gauche, les écarter de façon à les 98 M. G. VILLE: distinguer chacun en particulier et à se pénétrer de leurs caractères et de leurs contrastes. On trouve que le blé de l'exploitation a.1 m. 60 de hauteur le 25 juin. Or, dans la série des types analyseurs, cette taille correspond à l'engrais complet. La couleur des feuilles du blé de la pièce est d’un beau vert, quoi- qu'un peu plus pâle que le type qui correspond à l’engrais complet de la sérle. Conclusion : La terre contient de l'azote et des minéraux pour plusieurs récoltes de plantes à dominante d'azote. La dose de l'azote se déduit de la couleur des feuilles; l'existence des minéraux se déduit de la taille, car, dans un sol pourvu d’azote et privé de minéraux, le blé ne s'élève pas à plus de o m. 80, sil les atteint. La pomme de terre de la pleine terre se place entre le type à l'engrais complet et le type à l’engrais sans potasse; on remarque de plus que la couleur üre sur le gris de ler, que les feuilles sont étroites, la taille moins élevée; la conclusion est forcée et certaine : la terre manque de potasse. Le trèfle de l'exploitation se place, dans la série des types analyseurs, entre le type de l'engrais complet et le type de l’engrais sans potasse. Ceci raffermit la précédente conclusion : la terre manque de potasse. Vous le voyez, l'usage des types analyseurs confirme et raffermit les conclusions tirées de la connaissance des poids de la récolte. À la lecture, les résultats de ce mode d'investigation ne sont pas tou- jours faciles à suivre; aussi citerai-je une seconde ferme devant faire con- traste avec la première. Cette fois les récoltes sont plus faibles que dans la première ferme. En voici, en eflet, la moyenne à l'hectare : Le‘blé 2e NE RENAN PE 22 hectol. Labetterave: 0.156 LR RM ee ee 20,000 kilogr. Pa-pommedelterre APR RER CPE EP EEE TS 15,000 Le foin de:prairies =. 272 RS RE TEST l,000 La conclusion est bien nette. L'ANALYSE DE LA TERRE PAR LES PLANTES. 559 Nous dirons que la terre ne contient aucun élément de fertilité à haute dose et qu'on y utilise péniblement la faible quantité de fumier qu'on y produit. Appelons-en au témoignage des types analyseurs. Dans ce domaine, les feuilles de toutes les céréales sont d’un vert tirant sur le jaune et correspondent à la culture sans azote dans la série des types du froment. D'autre part, la pomme de terre est supérieure au type sans potasse, mais très inférieure au type qui correspond à l'engrais complet; conclusion : terre pareimonieusement pourvue de potasse et d'azote. Quelle est cette exploitation? Bechelbronn, dont le produit net était de 3,300 francs par an à l'époque où M. Boussingault en était le propriétaire. À une telle exploitation qu'eût-1l fallu? Une importation générale d'en- grals ainsi répartis : PREMIÈRE ANNÉE. Betteraves. À L'HECTARE. A —— Quantité. Prix. Dépense. RM TE RS en ce 2 un. - ho,000 (Mémoire.) ENGrAIS COMPLET N° 2...... 6oo Soit : Superphosphate de chaux. . 200 18! 00° | Nitrate de potasse........ 100 b2 00 < 5 s MIO DOS Nitrate de soude. ....... 150 37 90 | Sulfate de chaux......... 150 3 00 Pommes de terre. ENGRAIS COMPLET N° 3...... 500" Soit : Superphosphate de chaux. . 200 18! 00° | Nitrate de potasse . ...... 150 78 00 99 00 Sulfate de chaux ........ 150 3 oo DEUXIÈME ANNÉE. Blé. SULFATE D'AMMONIAQUE. . « « . « 1 50° 59! 50° 52 50 ANECDOHCRS APR EME ER 262 00 260 M. G. VILLE. TROISIÈME ANNÉE. Trèfle. F À L'HECTARE. _ ——" Quantité. Prix. Dépense. Report: 245 CR SL SERRE 2692! 00° ENGRaIs INCOMPLET N° 6..... 1,000" Soit : Superphosphate de chaux... hoo 36! 00° Chlorure de potass'um . ... 200 hh oo 88 00 Sulfate de chaux 0e hoo 8 00 QUATRIÈME ANNÉE. Blé. SULFATE D'AMMONTAQUE. . . « . . 150* 59° 5o° 52 5o CINQUIÈME ANNÉE. Avoine. SULFATE D'AMMONIAQUE. . ... 150! 59° 5o° 52 bo Toracrrétde la dépense tree" 0e h55 00 Dépense annuelle par hectare 7 Me Aa ARE 91 00 Dépense annuelle POUR D 0 NhECtARES EE PRRERPEE ES h,550 oo Grâce à cette importation d'engrais, sans rien changer à l’organisation de l'exploitation, moyennant une avance de 5,000 francs, le prolit passe de 3,300 francs à 8,000 ou 10,000 francs, l'engrais étant amorti. On le voit, 1e1 tout est net, précis et concluant : L'analyse de la terre; L'indication des engrais; La certitude du résultat. J'arrive au dernier cas qui doit nous occuper, celui où l’on ne possède aucune indication sur le rendement des récoltes, le cas où c'est des types analyseurs, et d'eux seuls, que doit venir la lumière. Ces conditions nouvelles nous imposent un surcroit d'ordre et de mé- thode dans l’ordonnance des faits et leur discussion. Je le répète, on ne sait rien ni du pays, ni des résultats de la culture. L'ANALYSE DE LA TERRE PAR LES PLANTES. 561 Dans ce cas, le premier soin à remplir, c’est d'explorer les cultures sur une centaine d'hectares, et nous supposerons qu'il y existe des soles de blé, d'avoine, de betteraves, de pommes de terre et de trèfle. Gette reconnais- L4 LA SN 12 D 7 G sance opérée, on aborde la pièce de blé, qui est l'expression moyenne de toutes les autres. Fig. 1. Fig. 2. Fig. 3. 1884. 1884. 1884. Engrais complet. Engrais sans azole. Engrais sans potasse. Le EEE. = U Récolte : 11,120 kilogr. Récolte : 4,700 kilogr. Récolte : 5,220 kilogr. COULEUR DES FEUILLES. M — Jaune vert à 9. 7 Jaune vert à 5. Jaune vert à 5. NE: INPOYE N° 10. On trouve que les feuilles tirent sur le jaune et que la taille est de 1 mètre. Le témoignage est décisif, la terre manque d'azote; ajoutons que la bette- rave, l’avoine, le chanvre (fig. 1 et 2), concluent dans le même sens. L'indication, se bornât-elle au froment, serait suffisante. 71 INPRIMERIE NATIONALE, 262 M. G. VILLE. Au contraire, la couleur des feuilles est verte, mais la plante mal venue, la tige grêle, l'épi chétif et mal garni; c'est l'indice que la terre manque de phosphate. Un troisième cas se présente : le blé a un aspect anormal; les feuilles inférieures sont larges, mais la substance en est molle et sans rigidité, l'extrémité se termine par la prolongation de la nervure médiane, la tige manque de rigidité et s'incline sur elle-même. Gect est l'indice que la terre manque de potasse (fig. 3). Mais comme la potasse est un élément subordonné pour le froment, il faut s’eflorcer de vérifier ce témoignage sur la pomme de terre, que l'ab- sence de la potasse éprouve plus que le froment, la potasse étant sa domi- nante. La pomme de terre offre-t-elle des feuilles d’un ver. glauque, mal venues, le témoignage du froment se trouve consacré par celui de la pomme de terre. Enfin j'ajoute que le trefle étant une plante à dominante de potasse, plus impressionnable encore que la pomme de terre, l'infériorité de sa ré- colte donne aux deux témoignages précédents une sanction sans appel. Au lieu des constatations précédentes, les feuilles du blé sont-elles d'un beau vert, pas trop sombre; au mois de juin, du 20 au 25, la plante a-t-elle atteint 1 m. 60 : le témoignage est certain, la terre contient de l'azote, el vous conslaterez que toutes les céréales et la betterave concluent dans le même sens. Vous pourrez ajouter que la terre contient du phosphate et de la po- lasse pour deux ou trois récoltes, car, si le sol était dépourvu de ces mi- néraux, la matière azolée serait impuissante à produire l'effet que nous observons. Les pommes de terre sont belles, mais moins hautes que les types n° : et n° 2 de la série, c’est-à-dire que ceux qui correspondent à l'engrais intensif et à lengrais complet. Ge lémoignage confirme celui du fro- ment. Au contraire, la pomme de terre est moins haute, les feuilles tirent sur le gris de fer; aux environs de la fin du mois de juin, il se produit L’'ANALYSE DE LA TERRE PAR LES PLANTES. 263 quelques taches rougeâtres : ceei veut dire que, sans manquer précisément de potasse, la terre n'en contient que dans des proportions limitées, pour deux ou trois récoltes de plantes à dominante d'azote. On le voit, nous sommes toujours conduits aux mêmes conelusions, soit que nous opérions avec ou sans la connaissance du poids des récoltes. Pour obtenir des résultats décisifs dans ces nouvelles conditions, il faut appeler à son aide, comme dans le premier cas, au moins quatre séries de types analyseurs : la série du froment, la série de la pomme de terre, la série de la betterave, la série du trèfle; toujours se préoccuper de raf- fermir les indications tirées des éléments subordonnés par le témoignage des dominantes. Veuillez me pardonner ces répétitions; la préoccupation de traduire pour vous les phénomènes comme Je les vois me les impose et, je le demande aux esprits de bonne for, quel système d'informations vaudra jamaus celui- la pour les agriculteurs? Là tout est net, simple et pratique, c’est la végétation qui parle, disant ce que le sol lui a fourmi et ce qu'il lui à refusé. Je dis qu'aucun systeme d'informations ne saurait l'emporter sur le té- moignage des champs d'expériences et les types analyseurs. Comment en serait-1l autrement? Les types analyseurs que j'offre au monde agricole sont le fruit de trente ans d'expériences ininterrompues, dont les résultats ont été contrôlés par l'élite du monde agricole. Mais ce que lon ne sait pas assez, c'est que la doctrine des engrais chimiques enseignée au champ d'expériences de Vin- cennes à une origine plus reculée que la fondation de ce champ, et c'est même là un point sur lequel Je crois utile d'insister. Dés le premier jour, le champ d'expériences de Vincennes a été ce quil est aujourd'hui. Son ordonnance est restée la même; aujourd'hui, comme au Jour de sa fondation, 1l a eu pour destination d'affirmer une doctrine, un système, édifiés par quinze années d'expériences de précision dans des sols artificiels fertilisés à l’aide de produits chimiques purs, rigoureuse- ment connus, et à l'exclusion de tout élément indéterminé. 71: 64 M. G: MILLE. Prenant mon point de départ dans le sable caleiné le plus aride, j'ai pu réaliser dans leurs orandes lignes toutes les conditions où la vépélation Fig. 6. Fig. 7. 1864. 1860. Engrais complet Engrais complet sans humus avec humus ni carbonate de chaux. et carbonate de chaux. LES LOIS DE LA PRODUCTION VÉGÉTALE. a f, ne F Fig. 4. Fig. 5. 1595. 1598. Minéraux seuls Matière azotée seule sans matière azotée. sans minéraux. | A f JA \ LAIT NE pl Va | 1 Paille. Racines... 6%39 Paille. Racines.. 916 Paille. Racines. .... 16#4S Paille. Racines..... 29834 23 prains. . -... MD HMOEPTANS rer OMNONMMOTÉoTANS EEE k 30 270 grains ed bo 8 65 6 86 9 29 20 78 30 09 se manifeste dans la nature et passer, par des séries d'expériences synthé- hiques, de la culture la plus précaire à la culture la plus florissante. L'ANALYSE DE LA TERRE PAR LES PLANTES. 565 Qu'il me soit donc permis de rappeler ces propositions fondamentales, qui forment la premiére assise de la science agricole. J'ai dit en 1865 : 1° Les minéraux, phosphate, potasse et chaux, employés seuls, produisent peu d'effet (fig. 4); »° Les matières azotées employées seules sont plus eflicaces (fig. 5 ): 3° La réunion des minéraux et de la matière azotée réalise les conditions d’une grande fertilité (fig. 6): h° La limite extrême des rendements est atteinte si, à la réunion des minéraux et de la matière azotée, on ajoute encore le calcaire et lhumus (fig. 7). À ce point de vue, la végétation est susceptible de deux degrés que nous caractéri- serons par la double qualification de culture active et de culture intensive. Dans la première, les éléments minéraux et la matière azotée sont seuls en jeu. Dans la seconde, lhumus et le carbonate de chaux interviennent, et le dévelop- pement atteint son maximum de puissance. Afin de mieux préciser la signification de ces résultats, qu'il me soit permis de réunir en un tableau les chiffres qui les expriment : ACTION COMPARÉE DES AGENTS DE LA PRODUCTION VÉGÉTALE. (Semence : 2° grains de froment.) POIDS des récoltes 0), SAIT CAL CINE RE M DE LL di 6 grammes. Sable calciné avec addition de minéraux. . . ........... S Sable calciné avec addition de matière azotée.. . ........ 9 Sable calciné avec addition de minéraux et de matière azotée (culture active has S)er- -. .. ..... 18 à 22 Si, pour la facilité du discours, nous appelons engrais complet La réunion des miné- raux et de la matière azotée, on peut compléter ces résultats par les suivants : Engrais complet avec carbonate de chaux (fig. 9): .. 20à 29 grammes. Engrais complet avec addition d’humus (fig. 10) LES CRT 18 Engrais complet avec addition d’humus et de carbonate de chaux (culture intensive, fig. 11)................. 31 Les expériences en pleine terre ne sont pas moins concluantes que les cultures arti- 4 La Production végétale, p. 166. 566 M. G. VILLE. licielles : je citerai, comme exemple, les résultats obtenus au champ d'expériences de Vincennes dans la campagne de 1865 : CHAMP D'EXPÉRIENCES DE VINCENNES. LA TERRE ÉTANT POURVUE DE MATIÈRE ORGANIQUE. Froment. Récolte par hectare. SE CRAN DORE ÉNGRAIS COMPLETE ES Paille. 6,941 kilogr. = Grains. 3,750 6 hectol. MATIÈRE AZOTÉE SEULE... . . . . . . . .. Paille. 3,487 — Grains. 1,620 2 0 MINÉRAUX SEULS RE Paille. 3,003 — Grains. 1,287 10 TERRE SANS AUCUN ENGRAIS. . . ...... Paille. 2,640 — Grains. 902 11 Tels sont, sous la forme la plus concise, les résultats auxquels m'ont conduit seize années d'expériences assidues. Je ne dis rien des difficultés pratiques qui m'ont longtemps arrêté. On ne saurait croire, lorsqu'on n'a pas opéré soi-même, combien il est difficile, dans une culture théorique, de se mettre à abri des influences étrangères. Toutes les argiles et toutes les poteries cèdent à l'eau des sels de potasse et de chaux, des sulfates, des chlorures ; si minimes qu'elles soient, ces exsudations suflisent pour troubler, quelquefois même pour masquer complètement la signification vraie des phénomènes. La culture en pleine terre confirme donc les résultats de la culture dans les sols aruficiels. Pendant longtemps, le moyen d'obtenir avec économie la matière orga- nique, pour réaliser la condition cardinale de la culture intensive, a été une de mes secrètes pensées. Enfin, apres trente ans d'efforts et de tenta- lives variées, ce procédé s'est affirmé dans la sidération. La sidéralion date d'hier, et déja Puniversalité du monde agricole en a consacré la puissance. Je le répète, ces conclusions forment lassise pri- mordiale de la doctrine des engrais chimiques. Elles ont été le fruit de quinze ans d'expériences non interrompues. Le champ d'expériences de Vincennes à eu pour destination d'aflirmer publiquement ces lois et de les introduire dans le domaine de la pratique aorlie à a gril ole. L'ANALYSE DE LA TERRE PAR LES PLANTES. 567 , . ‘ , A ° L'enseignement quon y répand est unique au monde; en effet, les LES LOIS DE LA PRODUCTION VÉGÉTALE. CULTURE ACTIVE. CULTURE INTENSIVE. A" Grece Fig. 8. Fig. 9. Fig. 10. Fig. 11. 1864. 1864. 1864. 1860. Engrais complet Engrais complet Engrais complet Engrais complet sans humus et et avec humus mi carbonate de chaux. L | AU A1 28 sæ A AAA 0 a RE carbonate de chaux. humus. et carbonate de chaux. ne > SZ — es £ LA TL S 2 k à LE: AA TS = DE = Récolte : 20 grammes. S =", > = ET = 2 A | = 1 A TE = æ = = Es _— FÆ nl Ê = = F = x LES SI 2 E LS & == F ï Ë ; ë F = & Ç == = 7 == - Sd Æ = N HT SES Récolte : 21 grammes. Récolte : 31 grammes. Récolte : 18 grammes. plantes confirment la parole du professeur et rendent ses conclusions sans appel. 268 M. G. VILLE. Cette création voit s'ouvrir aujourd'hui devant elle un horizon nou- veau, et son action s'étendre dans des proportions Inespérées. Les types analyseurs qui en sortiront chaque année iront, en effet, porter au loin l'affirmation des principes qu'on y défend et des méthodes qu'on y enseigne. [ls feront plus, ils donneront aux agriculteurs de tous les pays le moyen de connaitre la composition de leurs terres. N'estl pas remarquable que, par la seule force des choses, le champ d'expériences de LA THÉORIE CONSACRÉE PAR LA PRATIQUE. Engrais complet. Engrais complet. | à | | RÉSULTATS PRATIQUES RÉSULTATS THÉORIQUES DANS LE SABLE CALCINÉ (1898). DANS LA PLEINE TERRE (1503 ). Matière azotée. Minéraux. Sans Minéraux. Matière azotée. Sans engrais. Cnorals. T 0 We | | Se LAN 1e) l'A il fl Ni À Ù ER M y La CIN Vincennes soit appelé à définir l'état du sol dans le monde entier plus com- plétement que ne pourront le faire Les chimistes les plus exercés? Par cette extension, le champ d'expériences de Vincennes reçoit son couronnement; depuis le premier jour Jusqu'au dernier, 1l restera une création qui n'a rien emprunté à l'étranger et appartient tout entière au patrimoine scientifique de la France. Mais ce n'est pas tout. J'ai signalé dans ma première Note que la cou- leur verte des feuilles des végétaux présente des variations considérables. suivant la nature des agents qui manquent à la terre. L’'ANALYSE DE LA TERRE PAR LES PLANTES. 569 J'ai fait plus, J'ai montré que la dose de la carotine conduit au même résultat ; qu'elle augmente où diminue suivant que la plante a trouvé dans la terre tous les éléments que son organisation réclame, et Jai montré par des exemples nombreux le rapport de dépendance qui existe entre le ren- dement des récoltes et leur richesse en carotine. Pour l'intelligence de ce qui va suivre, Je crois devoir replacer cette double série sous vos veux : CHANVRE DE 1890. RÉCOLTE CAROTINE DÉSIGNATION DES ENGRAIS. à dans A L'HECTARE, 100 DE FEUILLES, kilogr. milligrammes. Enprais (complet intensifs". "et Re RC" 12,080 350 Engrais complet 11,108 315 Engrais sans azole 5,233 199 Engrais sans phosphate 10,567 281 Enpraisisansipotasse "EEE CCE CE Cee-----C-e 6,287 25 Das ES Ares coco oicoeoc ooc bobo donne 9,379 391 Terre sans aucun engrais 2,307 290 Li — La matière azotée est la dominante du chanvre, c’est-à-dire l’élément qui, dans l'engrais, exerce l’action prédominante et régulatrice du rende- ment. Aussi voyons-nous que là où l'azote manque, le poids de la récolte est plus faible. Voyez avec quelle admirable fidélité la proportion de la carotine cor- respond aux inégalités de poids de la récolte, avec quelle certitude ce caractère nous permet de scruter la profondeur de l'atteinte que la plante a reçue et, par conséquent, de savoir à l'avenir si les plantes que nous analysons sont des types complets et parfaits, ou au contraire des types venus dans des conditions incomplètes et défectueuses. La détermination de la carotine a donc une importance de premier ordre, car, je le répète, grâce à elle, on peut savoir si une plante est un type achevé ou un type imparfait 72 IMPRIMERIE NATIONALE. b70 M. G. VILLE. À ce point de vue. Je puis vous sienaler un fait nouveau que le trefle m'a permis de découvrir. TRÈFLE RÉCOLTÉ À CHASSART, EN BELGIQUE, CHEZ M. L. DUMONT. (Trèfle de 1888.) : ; RÉCOLTE SÈCHE CAROTINE | DESIGNATION DES ENGRAIS. 3 dans À L'HECTARE. 100 DE FEUILLES. kilogr. milligrammes. Fumier de ferme (60,000 kilogrammes) 7,810 285 | Fumier de ferme (30,000 kilogrammes) 8,650 319 | Engrais complet inlensif............................. 6,497 277 Engrais complet 6,600 277 Engrais sans azote 10,038 357 | Engrais 6,633 277 | Engrais sans potasse 9,970 289 DES Ce DENPOS dooo00coodovoubrocososeveoboscoc 5,970 277 Enprals sans minéraux 2e etc CC er n 9,700 277 lerre sanstaucunrenotals eee CE CC 6,400 263 Vous le voyez, la dose de carotine suit la progression des rendements; les deux témoignages se suivent et se contrôlent avee une constance et une concordance complètes. Mais, en y regardant de plus près, on découvre un résultat bien inat- tendu. Lorsqu'on élève la dose de l'azote dans les engrais, sur toutes les plantes dont l'azote est la dominante, la récolte s'élève et, parallélement, la dose de la carotine augmente. Mais sur le trèfle, et généralement les légumineuses neutres à l'action de l'azote des engrais, la récolte qui a reçu le plus d'azote n'est pas la plus riche en carotine: celle qui en contient le plus, c'est la récolte venue avec l'engrais minéral sans azote. La dose de carotine suit le rendement de la récolte, affirmant que les conditions où ce rendement a été obtenu ont été les parfaites, mais aflir- mant en même temps le contraste qui existe entre les plantes à dominante d'azote, le froment en tête, et les lépumineuses, par rapport à l'origine de leur azote. L’'ANALYSE DE LA TERRE PAR LES PLANTES. 71 Ce contraste se manifeste donc aussi dans un des caractères les plus profonds de la constitution de ces deux grandes catégories de plantes. Méditez-en l'expression : DÉSIGNATION DES ENGRAIS. Engrais complet intensif Engrais complet Engrais sans azole RÉCOLTE À L'HECTARE,. a Chanvre. Trèfle. kilogr. 12,080 11,108 2,233 kilogr. 6,427 6,600 10,038 CAROTINE DANS 100 DE FEUILLES. A — Chanvre. Trèfle. milligrarmmes. 350 319 199 milligrammes. 27) 2) 357 Nous retrouverons les conséquences de ce contraste lorsque nous trai- terons de l'assimilation de l'azote de l'air. Pour le moment, je me borne à prendre date, et à vous laisser sous cette impression que la proportion de la chlorophylle et de la carotine nous permet de décider si un végétal a une conslitution matérielle irréprochable ou si cette constitution a recu une atteinte, due à l'absence dans le sol de l’un des quatre agents fonda- mentaux de la production : le phosphate de chaux, la potasse, la chaux et la matiere azotée ! Je dépose la plume sur cette conclusion. rares TABLE DES MATIÈRES. Liste des Professeurs du Muséum d'histoire naturelle, de 1793 à 1893......... Liste Ces AT EREUSIE ME OS ESS EE RE Les derniers jours du Jardin du Roi et la fondation du Muséum d'histoire naturelle, per MS ENTIER Re FOR Rire Notice sur Charles-François de Cisternai du Fay, physicien, intendant du Jardin royal des Plantes (1698-1739), par M. Henri Becquerez . ................ Notice sur quelques espèces d'oiseaux actuellement éteintes qui se trouvent repré- sentées dans les collections du Muséum d'histoire naturelle, par MM. À. Mrixe- Epwarps et E. Ousrazer........ Sn D SRE RE NT EE ES ne Les Tortues éteintes de l'ile Rodriguez, d'après les pièces conservées dans les gale- guez, da] P ti MES OUENUSCUTOE A DATA M ÉONANAELL ANT. LL eee ce lee e see ee ee see Chaire de Zoologie (Animaux articulés), par M. Émile BLANCHARD. ............ SUMURIORE SUIS SD AAA OUGHEDE ee ces ee ee ose es» + se ee» © L'Éléphant deiDufort pan MMDertiGAUDRYS:E 00. 1.........2......... Les collections de botanique fossile du Muséum d'histoire naturelle, par M. E. Burrau. La nitrification dans la terre arable, par M. P.-P. DeméRaix . ................ Notice historique sur la collection de météorites du Muséum d'histoire naturelle, PanME Stanislas MEUNIER... 0... 0" Re TR de EN rte Ce Aperçu des développements de la minéralogie pendant le siècle qui vient de s’écouler et contribution des Professeurs du Muséum à ce progrès, par M. A. Lacroix... . Lamarck et le transformisme actuel, par M. Edmond Perrier. ............... L'analyse de la terre par les plantes, par M. Georges Vigse. ................. Pages. III + * AE ro PU 2% F NE i» DER LS A), 1 = SN Va ” » ON PTT ONE LL CC IE, A SHOP C2ch x L ù Th à | ; ss D'AA fit UT b * FE] li nu à ji A { tt LUI SR: és ras i . E h | : ss 3 . | ss "À x # Ï cm0 (LE ï j EX 1} 1: PAT 1 à è PAT .! Li 4 a " 5 « € L *. :, i RUN EI} 4 De 1 : Li de LP EURE Fr F4 : ï : " , : . - TABLE DES PLANCHES. MÉMOIRE DE MM. A. MILNE-EDWARDS ET E. OUSTALET. Planche I. Planche [. "if — JE Planche I. =". T. Planche I. Planche I. — Tableaux hors texte. Perroquet mascarin (Wascarinus Duboisi). Huppe du Cap (Fregilupus varius). Colombe hérissée (Alectrænas nitidissima). . Canard de Labrador (Camptolæmus labradorius). £meu ou Casoar noir (Dromaius ater). MÉMOIRE DE M. LÉON VAILLANT. Testudo Vosmaeri, Fitzinger (male adulte). Testudo Vosmaeri, Fitzinger (carapace). Testudo peltastes, Duméril et Bibron (exemplaire type). MÉMOIRE DE M. POUCHET. Morceaux d'ambre frais cassés et fragments divers. Deux morceaux d'ambre. — Coupes microscopiques d'ambre. MÉMOIRE DE M. ALBERT GAUDRY. Elephas meridionalis de Durfort. MÉMOIRE DE M. STANISLAS MEUNIER. Météorites du Muséum. Météorites du Muséum. MÉMOIRE DE M. GEORGES VILLE. | Caractères physiques des plantes et richesse de la terre en éléments de fertilité. Couleur des plantes et richesse des terres en éléments de fertilité. s# 5108 BRARIES | 8 00745 | | (ll || (LR LL A re . on RATE on