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CHANSONS

J.-B. -CLÉMENT

CHANSONS

DE

J.-B.-CLEMENT

Voilà trop longtemps, compagnons, Que nous chantons tous pour les autres; Ayons maintenant nos chansons Et ne chantons plus que les nôtres.

PARIS

IMPRIMERIE GEORGES ROBERT ET O

1 p, rue du Fauboiiyg-Sat7it-Dcttis, ip 1885

BIBLIOTHECA

LA CHANSON

Je n'ai pas eu l'intention, en écrivant ces lignes, de faire le procès des chansons en vogue, non-seu- lement dans les cafés-concerts, mais un peu par- tout. Gela, du reste, ne servirait à rien, car il est probable que ceux c[ui produisent cet article de Paris, comme ils se plaisent eux-mêmes à qua- lifier leurs élucubrations, n'ont d'autre prétention que de divertir le public habituel des cafés-concerts. J'ajoute même qu'on se montrerait bien injuste à leur égard si on ne reconnaissait pas qu'il faut qu'ils soient doués d'une facilité prodigieuse pour entretenir ainsi leur répertoire et satisfaire une clientèle, très friande, assure-t-on, de couplets et de refrains aussi variés que choisis.

Si je me permettais la moindre critique à l'adresse de ces producteurs infatigables, j'aurais l'air, d'une part, de vouloir faire moi-même l'apologie des chansons contenues dans ce volume, et, de l'autre, on pourrait me croire jaloux de leurs nombreux succès, de leur verve intarrissable, et, je l'avoue, j'en serais désolé.

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Mon intention est, à la fois, plus modeste et plus personnelle : J'ai tenu à expliquer le but que je me suis proposé en éditant ce volume de chansons par souscriptions, projet souvent difficile à réaliser, mais c[ui ne l'est pas plus en somme que de trou- ver un éditeur disposé à se soumettre aux volontés de l'auteur.

Depuis bien des années déjà, des amis et des amateurs insistaient pour que je fisse paraître un volume de mes chansons. Jusqu'ici j'avais toujours répondu ou qu'il fallait trouver un éditeur qui con- sentît à me laisser faire mon volume comme je l'entendrais, ou m'éditer moi-même par sous- criptions, mes ressources ne me permettant pas de procéder autrement.

A une certaine époque cependant, un éditeur, que je n'ai pas à nommer ici, me fit des offres. Le moment, du reste, n'était pas mal choisi pour éditer et lancer un volume de chansons signé du nom d'un homme assez connu pour la part qu'il avait prise aux événements de 1871, et que les conseils de guerre avaient condamné à mort.

Mais, malgré ces titres qu'il considérait comme des éléments de succès et dont, quant à moi, je ne tire aucune vanité, nous n'arrivâmes pas à nous entendre. Il voulait absolument que je misse dans le volume qu'il se proposait d'éditer, non pas seule- ment les chansons c[ue je coQsidérais comme dignes de prendre place dans un livre, mais encore et surtout les chansons dont le seul mérite est d'avoir obtenu quelque succès, alors que d'autres.

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de beaucoup supérieures, sont restées ignorées sinon des amis, mais du public.

Malgré les avantages que je pouvais tirer de cette oflfre, aune époque j'avais à arpenter les quatre coins de Londres pour gagner ma vie et me sous- traire ainsi à la condamnation à mort des conseils de guerre versaillais, je refusai nettement, ne vou- lant pas qu'on fît de la réclame autour de mon nom en exploitant les fonctions qu'on m'avait assi- gnées pendant la Commune.

J'avais aussi un autre motif que tout le monde comprendra : Un volume composé d'une centaine de chansons est une espèce d'exposition. Or, lorsqu'on fait une exposition artistique, voire même industrielle, il est évident que les exposants n'y exhibent que les œuvres dont ils sont satisfaits.

Telle était et telle est encore mon opinion. Aussi, ne voulais-je pas mettre dans ce volume, quel que soit le succès qu'elles eussent obtenu, les chan- sons que l'on peut appeler les Chajisons du mor- ceau de pain, chansons qu'on rimaille au courant de la plume, sans effort et sans passion, sans joie et sans tristesse; qu'on vend comme on les a faites, et qui seraient sans excuse, si elles n'ai- daient à l'enfantement de l'œuvre qu'on poursuit, qu'on rêve, qu'on caresse, de l'œuvre enfin qui donne de grandes et légitimes colères, de bons battements de cœur, des heures de joie et de dou- leur bien intimes.

A ce sujet, qu'il me soit permis de m'étendre un peu : les deux ou trois mille volumes de cette pre-

mière édition revenant de droit aux personnes qui m'ont témoigné leur S3^mpathie, puisque c'est grâce à leur concours empressé que j'ai pu m'é- diter, il m'est tout à fait agréable, sans entrer dans les détails minutieux d'une biographie que, du reste, il ne m'appartient pas de faire, de les ren- seigner sur mes débuts et sur l'origine de quelques chansons qui ne me feront pas bien venir, je le sais, de ceux qui trouvent que tout est pour le mieux, pourvu qu'ils n'aient qu'à se laisser vivre.

Sortant de l'école ne sachant rien, entrant en apprentissage à quatorze ans et n'en sortant qu'après cinq longues années d'esclavage, de mi- sères et de résignation; connaissant mal mon métier, que le patron s'était peu préoccupé de m' apprendre; n'a3^ant aucun goût pour ce métier, le plus insignifiant d'entre tous; dès que je me sentis grand garçon, je voulus reconquérir mon indépendance et recommencer la vie à mes risques et périls.

C'en était fait! Je prenaisplacedans les rangs des révoltés; je m'insurgeais contre l'autorité mater- nelle, et à fois contre la tyrannie et l'exploita- tion patronales. Je dus donc passer par trente-six métiers et bien plus de misères, mais je n'en suis plus à les compter, cherchant à m'ins- truire^ à savoir ce c{ue je n'avais pas eu le temps d'apprendre, lisant, commentant, pensant, rê- vant, suant, jusqu'au découragement, sur Noël et Chapsal, me retrempant dans Musset, Flau- bert, Balzac, Hégésippe Moreau, Béranger, Pierre

Dupont, et cela, à l'aide de ressources tellement minimes, pour ne pas dire imaginaires, qu'il m'ar- riva bien des fois, soutenu par la jeunesse proba- blement et sa compagne inséparable, l'Espérance, de danser devant le buffet en entonnant la Capu- cine, cette vieille chanson populaire, que les en- fants chantent en dansant en rond, sans se douter, les innocents, du côté social de cette rengaine plaintive, qui explique si bien la révolte des Jac- ques et les insurrections de la faim !

Je n'ai pas à récapituler ici toutes les étapes plus ou moins pénibles ou plus ou moins heureuses que j'ai eu à parcourir pour arriver à gagner quel- ques sous avec mes chansons; cependant, je ne puis passer sous silence l'étrange émotion que j'éprouvai le jour je vendis ma première chan- son ; j'ai encore dans les oreilles le son mélodieux des trois pièces de cent sous que l'éditeur me mit dans la main et que je serrai fiévreusement, comme si je venais de commettre un abus de confiance ou un vol avec effraction !

L'éditeur et moi nous étions seuls, bien seuls il est vrai; mais je vous l'affirme, et vous pouvez me croire, je ne l'avais nullement pris à la gorge. Je lui avais, au contraire, présenté ma pauvre chan- son avec une extrême timidité, avec cette émotion inséparable d'un premier début. Il avait pris le temps de la lire, de la relire quel courage ! de me soumettre ses observations, fort justes, du reste, et, finalement, de me faire signer une cession en bonne forme et en toute propriété,

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cession qui fut à la fois l'acte de naissance et de décès de la sœur aînée de toutes les malheu- reuses que, depuis, j'ai lancées dans la circulation.

Cet éditeur, ce serait de l'ingratitude de ne pas le nommer ici, c'était M. Vieillot, l'éditeur in- telligent et populaire, homme d'initiative et de flair, aimant à obliger les vétérans de la chanson qui avaient fait leurs preuves, devinant les jeunes qui avaient de l'avenir, et toujours prêt à les en- courager et à les aider.

M. Vieillot est mort pendant que j'étais en An- gleterre; ces sentiments, que j'aurais voulu expri- mer sur sa tombe, je considère comme un de- voir de les rappeler ici.

Ayant, à ma grande surprise, trouvé la possibi- lité de gagner quelques sous en rimaillant des cou- plets sans importance, je fis donc, comme je l'ai dit, des chansons que j'ai appelées les Chansons du morceau de pain, et ce sont ces pauvres folles qui m'ont permis de faire à mes heures : La Chan- son du fou, Folies de Mai, Fournaise, etc., et dans un autre ordre d'idées : Quatre-vingt-neuf ! Ah ! le joli temps, les Souris, et quelques autres que la censure impériale interdisait régulièrement et pour lesquelles je fus assez souvent inquiété, bien qu'elles n'eussent jamais été chantées en public, mais seulement en petits comités composés d'amis.

Chansonnant et journalisant, j'arrivai, tant bien que mal, à avoir en 1870 un peu de pain sur la planche... en qualité de pensionnaire de Sainte- Pélagie, j'allais échouer à la suite de sept ou

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huit procès de presse, en compagnie de mon com- plice, ce pauvre Vermorel, alors rédacteur en chef du journal la Réforme.

Expulsé de Pélagie le 4 septembre par la Républi- que qui, du même coup, expulsait l'empire du terri- toire français, après avoir, comme tous les cama- rades, rempli mes devoirs de citoyen et de soldat pendant le siège, je devais tout naturellement courir aux armes le 18 mars et prendre ma place dans les rangs des combattants de la Com- mune.

Je rappelle ces faits, sans m'y arrêter, pour en arriver justement à expliquer le but que j'ai voulu atteindre en éditant ce volume, et définir ce que j'appellerai les Chansons de Vavenir.

Il n'est pas admissible que l'homme qui pense un peu puisse rester indifférent à des événe- ments qui bouleversent une époque et qu'il n'en tire pas quelque enseignement salutaire.

Les événements de 1871, la lutte héroïque que les combattants de la Commune soutinrent contre les armées Versaillaises, les grands principes qui étaient en cause, les massacres de la semaine san- glante, rimplacable vengeance des vainqueurs con- tribuèrent bien plus encore que tous les traités d'économie politic[ue et sociale et que toutes les théories des philosophes à me confirmer dans cette idée : qu'il n'y avait plus de réconciliation possible entre les vainqueurs et les vaincus, et qu'il fallait, par tous les moyens, par les journaux, par les livres, par les brochures, par la parole, par les

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chansons, forcer le peuple à voir sa misère, à s'oc- cuper de ses intérêts et à hâter ainsi Theure de la solution du grand problème social.

Aussi, réfugié en Angleterre, songeant à notre défaite, à ces com.bats sanglants de jour et de nuit, aux trente et quelques mille communeux massa- crés, à mes amis, les uns fusillés, les autres en Nouvelle-Calédonie, je ne me sentis plus la patience d'aligner des couplets insignifiants et de recommencer la Chanson du morceau de pain. Je voulus mettre la chanson, qui est un moj^en de propagande des plus efficaces, au service de la cause des vaincus, et c'est à cela que je me suis surtout appliqué depuis.

Mais il 3^ avait à craindre que des chansons à thèse fussent monotones comme un discours d'académicien ou ennuyeuses comme un article d'économie politique. Cet écueil qu'on me signa- lait me parut facile à éviter. J'avais, du reste, des précédents : Dansons la capucine. L'eau va tou- jours à la rivière, etc. Il n'y avait, à mon avis, qu'à ouvrir la huche des pauvres gens pour voir qu'il n'y avait pas de pain dedans II n'y avait qu'à suivre l'ouvrier dans sa vie de labeur et de misère pour trouver le mot vrai, la note sociale et empoignante. Il n'y avait qu'à pénétrer dans les mines, dans les manufactures, dans les chantiers pour dépeindre, en langue simple, les souffrances des travailleurs, pour protester contre l'esclavage moderne et mettre en chanson les revendications prolétariennes.

C'est ce que j'ai essa3'é de faire dans les Traîne-

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Miscre, la Machine, Comme je suis fatigué! Ne plaignons plus les gueux, etc., etc.

De même que dans L'eau va toujours à la rivière et Paysan! Paysan! j'ai voulu faire comprendre aux travailleurs des champs qu'ils étaient les frères de misère des travailleurs des villes, et qu'ils devaient se liguer ensemble pour la défense de leurs intérêts et la conquête de leur émancipation.

Il suffisait enfin, pour frapper juste, de bien pen- ser ce qu'on écrivait, d'y mettre sa passion, ses con- victions, et, qu'on me permette de le dire, un peu de sa vie. Car on ne fait pas bien ces chansons-là sans un peu de fièvre, sans serrements de cœur, sans éprouver un profond sentiment d'indignation contre les bourreaux et de douleur pour les victimes!

Non seulement jusqu'ici le peuple n'a jamais tra- vaillé pour lui, mais encore il a toujours chanté pour les autres ; il est temps, comme je le dis en tête de ce livre, qu'il ait enfin ses chansons et qu'il ne chante plus que les siennes.

Oh! je sais bien qu'on ne peut pas chanter que des chansons ayant une portée philosophique, une idée politique ou sociale. Gela finirait, je le com- prends, par fatiguer et peut-être même par dé- passer le but.

Mais ce n'est pas ce que je demande, et je n'en- tends exclure du répertoire des amis de la chanson ni la romance, ni la chanson de genre, ni la gau- driole. Oh! non!

Vive la gaudriole! 0 gué!

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Je serais désolé, pour mon compte, de voir l'es- prit, la bonne humeur, le sentiment déserter la chanson. J'apprécie trop pour cela les chansons badines et si spirituelles de Gustave Nadaud ; j'aime trop les aimables gaudrioles de Béranger, si fin et si délicat dans la forme. Ah! oui! je serais désolé qu'on ne chantât plus, avec Pierre Dupont, les grandes et belles choses de la nature ! Il ne manquerait plus que cela, par exemple, qu'on restât muet ou indifférent devant la mer aux vas- tes horizons, devant les plaines fécondes, les val- lées fleuries et les forêts grandioses ! Oui, certes, je veux qu'on chante les blés qui poussent et le tic-tac du moulin, la Bourgogne plantureuse, la grappe qui mûrit, les coteaux pierreux et enso- leillés, le vin nouveau qui s'insurge dans le pres- soir et le vin vieux qui vit bourgeoisement en bouteille.

Oui, oui, je veux qu'on trouve encore et tou- jours des refrains passionnés et entraînants pour les amoureux qui s'en vont au bois cueillir la vio- lette, et des couplets bachiques qui fassent choquer les verres et boire à la vigne, à l'amour, à l'huma- nité! Mais je prétends qu'il faut renoncer aux vieux clichés, donner aupeuple des chansons qui ne régarent pas, en un mot c{ui ne perpétuent pas des préjugés, des erreurs philosophiques, sociales et religieuses, dont le bon sens et la science ont fait justice depuis longtemps.

La chanson est à la fois vulgarisatrice et propa- gandiste; les refrains de Béranger et de Pierre

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Dupont nous ont prouvé l'influence qu'elle pou- vait exercer sur l'esprit du peuple, tout pétri de sentiment et si facile à entraîner. Et je ne parlerai qu'en passant de la Marseillaise que les diri- geants ont si habilement exploitée, et à l'aide de laquelle ils ont tant de fois électrisé les en- fants du peuple qu'ils envoyaient défendre, à leur place, leurs privilèges, leurs capitaux et leur pro- priété.

Mais pour que la chanson accomplisse son œuvre de propagande salutaire et émancipatrice, il faut au moins qu'elle soit au diapason des idées mo- dernes, et, je dirai plus, qu'elle pressente l'avenir et le prépare.

On peut certainement être aussi poétique, aussi sentimental et plus empoignant même, en chan- tant les chefs-d'œuvre de la production humaine, les merveilles de la nature, les fleurs et le ciel, sans en reporter toute la gloire à un être suprême qui existe pour les uns et n'existe pas pour les autres, sans promettre un paradis les croyants eux- mêmes ne sont pas bien sûrs d'être admis un jour, quoique niunis de tous les saints sacrements de l'église.

Je sais bien que les enfants terribles de la muse qui troussent le fin couplet entre la poire et le fro- mage, à propos d'une noce ou d'un baptême, di- ront que je le prends de trop haut avec la chanson et que je lui impose une espèce de sacerdoce peu en harmonie avec son caractère insouciant et ses allu- res de bonne fille.

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Je me garderai bien de les contredire et de faire la moindre tentative pour diminuer la notoriété qu'ils ont si laborieusement acquise dans le genre qui leur est familier et qui leur réussit à merveille. Libre à eux de faire de la chanson une bonne à tout faire. Pour mon compte, je l'aime mieux déesse de la liberté.

Je dis même qu'il ne faut plus faire, en chan- son, de la philosophie évangélique à l'usage des pauvres gens et au mieux des intérêts des heu- reux et des égoïstes. Je dis que, sous prétexte de bonne humeur, d'indifférence, de jeunesse, de résignation, il ne faut plus, même sous une forme aimable, chanter au peuple comme l'a fait Dé- ranger :

Dans un grenier qu'on est bien i\ vingt ans.

Car, à cela, je répondrai cju'un grenier quel ciu'il soit ne fait pas le bonheur, et c|u' après tout on est aussi bien à vingt ans, si ce n'est mieux, dans une chambre confortablement meublée l'on a de Tespace, de l'air et du soleil.

C'est également abuser de la simplicité du peu- ple que de lui faire chanter :

Les gueux, les gueux Sont des gens licureux, Ils s'aiment entre eux,

Vivent les gueux!

C'est de la bonne humeur aux dépens des souf- frances des autres. Reprenant ce sujet qui, mal-

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heureusement, est encore d'actualité, j'ai cru qu'il était plus conforme à la vérité de dire :

Los gueux, les gueux Sont des malheureux. S'ils s'aimaient entre eux

Tout irait mieux !

Est-ce qu'on fait œuvre de penseur, lorsqu'après avoir parcouru les galeries sombres des mines et vu les mineurs travailler, les uns couchés sur le dos et les autres à croupetons, on remonte au soleil poétiser les fatigues, les privations, le dur labeur et l'estomac complaisant de ces martyrs ? Est-il honnête, pour leur faire supporter le joug qu'il subisse, de faii'e briller à leurs yeux des espérances de vie éternelle et de paradis, alors c[ue leur vie est un enfer, qu'il ne gagne même pas de quoi vivre comme des hommes, et que la seule chance qu'ils aient de se soustraire à une vieillesse plus misérable encore est de finir écrasés sous un éboulement ou mutilés par le grisou cjui n'a ja- mais, que je sache, défrisé un poil de la barbe de l'un des actionnaires des mines d'Anzin ou de la Grand' Combe?

N'est-ce pas tromper le peuple ou se moquer de lui que de pénétrer dans les usines, dans les manu- factures, dans les chantiers et de s'en échap- per pour mettre en chanson que le travail c'est la liberté; alors que le travail, au contraire, comme il a toujours été exécuté et comme il l'est encore, n'est qu'un véritable esclavage pour l'ou-

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vrier, un esclavage hideux avec la misère noire en perspective !

Mais on dira, je le sais, que je veux me faire, même en chanson, l'apôtre de la haine et de l'envie.

N'est-il pas tout naturel que l'homme qui tra- vaille envie un bien-être qu'il n'a pas, auquel il a droit et que d'autres se procurent à ses dé- pens ? Et si je parvenais à inspirer ces senti- ments humains à la grande masse ouvrière, j'éprouverais cette bonne joie que donne le devoir accompli.

Est-ce donc ma faute à moi si les misères immé- ritées que je rencontre ne me permettent pas de voir tout en rose, et si l'ordre social actuel m'oblige à constater des crimes de lèse-humanité et des iniquités contre lesc^uels la justice et la raison doi- vent protester à toute heure, sous toutes les for- mes et par tous les moyens?

En fait de haine et d'envie, il n'y a dans les théories que je soutiens qu'un ardent désir d'en finir avec la misère, les guerres, les révolutions, et de voir un jour la bonne harmonie régner entre tous les humains.

Quand nous en serons à cet heureux temps, nous pourrons brûler en place publicj[ue, avec bien autre chose encore, toutes les chansons du genre c[ue je préconise, les miennes les premières, si l'on veut, et, autour des grands feux de joie que nous allumerons pour fêter cette ère de justice, de liberté et d'égalité, nous danserons tous

19 en rond et en entonnant à pleins poumons la Mère Godichon, si vous y tenez !

Voilà quel doit être le devoir de tout homme qui pense et qui a conscience de l'art qu'il pro- fesse. Propagandiste par excellence^ comme je l'ai dit, c'est bien le moins que la chanson suive, dans sa marche progressive, le développement des sciences et du machinisme.

Hégésippe Moreau, mort trop jeune et resté trop inconnu, fut un des premiers qui sut donner à la chanson une note plus humaine et plus peuple. Il chante les cloches, non plus pour les louanger du bruit qu'elles font dans le monde en carillonnant des noces et des baptêmes, mais pour leur deman- der de sonner enfin le tocsin de l'émancipation intellectuelle et physique de l'homme,

Pierre Dupont eut aussi la même préoccupation quand il fit sa belle Chanson du pain, la Jeune Ré- publique, le Chant des ouvriers. Et avec lui je citerai Charles Gilles , Eugène Baillet et le citoyen Eugène Pottier qui vient de faire paraître un'volume de chansons le sentiment que j'in- dique est exprimé de main de maître.

Puisqu'on a fait grand bruit autour de la musique de l'avenir, pourquoi n'aurais-je pas le droit d'essayer d'en faire un peu en faveur des chansons de l'avenir? L'oeuvre est en bonne voie. D'autres viendront qui la continueront et qui l'achèveront sans doute. Ceux-là ne s'égareront pas dans les nuages, ni dans les labyrinthes d'un monde imaginaire. Ils trouveront la vraie poésie,

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la poésie du travail ! Ils chanteront la vie mouve- mentée des usines, les outils et les machines, à la condition cju'ils soient des agents d'émanci- pation et non de servitude, qu'ils servent au bien-être de tous, et non de quelques-uns. Ils chanteront la vapeur et l'électricité, toutes les grandes découvertes scientifiques et toutes les grandes vérités sociales qui doivent conduire l'hu- manité à son plus haut degré de perfection, et il leur sera bien plus facile encore de trouver la note émue et vraie et d'être les interprètes inspirés et éloquents des grands et généreux sentiments qui rapprochent les humains et font aimer la vie.

C'est assez dire que je ne préconise pas un genre à l'exclusion des autres, et la preuve en est dans la façon dont j'ai composé ce volume. Il contient une trentaine de chansons dans la note amoureuse et sentimentale du Temps des Cerises, de Connais- tu l'amour, de Bonjour printemps. J'ai chanté dans d'autres la nature, la charrue et les bœufs, les blés et la vigne. Car je tenais aussi à donner la note rustique et pastorale qui est éternelle comme la nature. Je n'ai pas oublié non plus le genre satirique qui est le résultat de l'observa- tion et qu'on ne saurait trop apprécier surtout en ces temps de vanités grotesques et d'ambitions éhontées !

A ces différents genres vient s'ajouter celui sur lequel je me suis longuement étendu à dessein, parce qu'il avait été trop négligé jusqu'ici : je veux dire les chansons qui sont des cris d'alarme, de

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tresse et de* ralliement, des refrains de combats, de protestations, en un mot des chansons révolution- naires, si toutefois c'est être révolutionnaire que de vouloir un monde meilleur, le bien-être et l'égalité pour tous.

On m'a déjà fait observer que mon volume se- rait d'un matérialisme désespérant, parce que je repoussais dans mes chansons toute idée d'un dieu créateur et d'une vie future.

J'ai répondu à cette objection dans les pages pré- cédentes. Ici il me reste à dire que j'ai voulu affir- mer une fois de plus dans ce volume de chan- sons cette belle devise qui est celle de l'avenir : ni Dieu, ni Maître ! et si l'on y rencontre parfois ces mots, on verra en effet que je ne m'en suis servi que pour conclure à la négation de l'un et à la disparition de l'autre.

Il ne me serait pas difficile de prouver que les croyances religieuses, loin d'unir les humains, les ont toujours divisés. Et quant à moi, je soutiens que plus nous nous détacherons du ciel et de ses légendes, plus nous ressentirons la nécessité de nous entr'aider sur terre et de ne compter que sur nous.

En somme, on ne chante guère dieu que parce que les auteurs, les uns très fervents chrétiens, les autres fidèles à la routine, acculés par les exigences de la rime ou pour faire image, l'ont glissé un peu partout.

Je suis bien sûr du reste que les amoureux ne me bouderont pas de n'avoir vu dans le ciel que

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le vide. Que leur importe qu'il n'y ait ni dieu, ni diable, ni maître dans les chansons d'amour qu'on chante si bien à deux, s'ils y trouvent du soleil et des fleurs, un bon rire et une vraie larme !

Les intransigeants en matière de religion n'ont pas à se plaindre; jusqu'ici, les chansons qui leur sont chères ne leur ont pas plus manqué que les cantiques ; c'est bien le moins que ceux qui ne partagent pas leurs croyances aient aussi leur répertoire.

Je terminerai en disant que le peuple n'a cessé jusqu'à ce jour de chanter les chansons qui ont été faites pour tout le monde, et qu'il est temps enfin qu'il ne chante plus que les chansons qui ont été faites pour lui.

J.-B.-C.

Paris-Montmartre, décembre 1884.

BON VOYAGE

Rondeaux rustiques et grivois, Nés au refrain de la musette, Écrits à l'ombre, dans les bois j'ai cueilli la violette. Bon voyage! landerira! Bon voyage ! landerirette !

En ce grand siècle, mes enfants. Les vers n'étant plus à la mode. Je vous ai gardés bien longtemps Dans le tiroir de ma commode ; Mais ce tiroir, sans doute étroit. vous vous plaisiez tant naguère, A ce que dit mon petit doigt. Ne paraît plus vous satisfaire. Comme d'effrontés polissons. Vous voulez visiter le monde, Paire bondir les pieds mignons, Courtiser la brune et la blonde. Vous voulez qu'au temps des amours. On vous chante sous les tonnelles

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Et que les galants troubadours Vous soupirent aux demoiselles. C'est, je crois, une folle erreur, Vous croyez à la renommée, Pauvres enfants, nés de mon cœur Et de ma muse bien aimée ; Vous le voulez, tentons le sort! De ce tiroir je vous délivre Et signe votre arrêt de mort En vous enterrant dans ce livre.

Rondeaux rustiques et grivois, Nés au refrain de la musette, Écrits à l'ombre, dans les bois j'ai cueilli la violette, Bon voyage ! landerira ! Bon vovage ! landerirette !

II

L'œil en coulisse et lèvres avinées. Allant, trottant, ie bonnet de côté, Poing sur la hanche et toutes dépeignées Comme une fille un jour de liberté, 0 mes chansons ! vous voilà chez Grégoire, En train déjà de sourire au vin bleu. Le vin est tiré, faut le boire!

Chansons à boire. Vous m'oubliez, morbleu !

Eh bien, adieu :

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III

Bon ! voici la chanson rustique

Qui s'en va sans façon Voir si les gars font la moisson. Bon! voici la chanson rustique Qui part avec ses gros sabots, Ses chiens, sa charrue et ses faux.

Bon ! voici la chanson rustique

Qui va revoir ses bœufs, Ses francs et rudes amoureux. Bon ! voici la chanson rustique Qui se sauve dans les vallons Prendre de l'air à pleins poumons.

Bon ! voici la chanson rustique

Qui s'en va vendanger Et rire un peu chez le berger. Bon voyage, chanson rustique. Bonjour à qui vous recevra, Landerire, landerira!

IV

Et quoi! vous aussi, chansons amoureuses. Vous avez, dit-on, pris la clef des champs; Ainsi les soupirs de mes nuits fiévreuses, Une femme aimée un soir de printemps,

1.

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Tout enfiD sera su de tout le monde, Vous allez encor citer plus d'un nom ; Que dira Nandine?... 0 ma toute blonde, Demande pour moi ma grâce à Ninon 1

Vous pouvez partir, mes chères coquettes, Je vous abandonne ; après tout, ma foi ! A votre âge on aime un peu les conquêtes; Faites-en beaucoup, mais prévenez-moi.

Vivent les ritournelles ; 0 gué, les villanelles; 0 guéj dites-moi donc : Allez-vous aux charmilles Faire danser aux filles Un joyeux rigodon ?

N'allez pas aux charmilles Faire danser les filles, Restez encore ici. Non belles, non parées. Mais non pas déchirées ; Moi, je vous aime ainsi.

Non belles, non parées. Mais non pas déchirées, Si vous restez chez nous. Vous n'aurez pas à craindre

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Des gens payés pour geindre Et mal parler de vous.

Vous n'aurez pas à craindre Des gens payés pour geindre, Qui vous déchireront Et vous diront des choses A faner vos teints roses, A m'en blêmir le front.

Mais vous voilà parties Comme des étourdies, S'en-sauve qui pourra, Villanelle ou poète. Adieu! landerirettel Adieu! landerira!

VI

Folles chansons, rondeaux grivois, Chansons à boire et villanelles. Écrits à l'ombre dans les bois, Aux sons des douces ritournelles, Bon voyage! landerira! Bon voyage ! landerirette !

VII

Ah ! bon voyage, à vous enfin. Chansons des grands jours de colère.

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grondent la misère, Le deuil, la tristesse et la faim !

Allez, vaillantes insurgées, Réveiller les cœurs endormis De tant de femmes outragées EL de tant d'hommes trop soumis !

Allez de la ferme à l'usine. De la mansarde aux ateliers. Allez jusqu'au fond de la mine Crier : Debout ! aux ouvriers.

Allez et portez à la ronde Ce mot d'ordre à l'humanité ; Et puisse enfin l'égalité Faire bientôt le tour du monde!

Ah! bon voyage à vous enfin, Chansons des grands jours de colère

gronde la misère ; Et bon courage aux meurt-de-faim !

Paris, 1884.

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MUSE, CHANTONS LES OISEAUX ET LES FLEURS

Air : Si le bon dieu faisait parler les fleurs.

A. M. L. Vieillot.

Muse, quittons notre ville natale, L'air qu'on respire y devient trop malsain ; Ou, désormais, sans crier au scandale, Faisons des vers qui rapportent du pain. Mais gardons-nous d'une pensée amère, Car je 'suis pauvre et je crains les censeurs. Pour être en grâce auprès du ministère, Muse, chantons les oiseaux et les (leurs.

Le ciel est sombre, on pressent la tempête; Les vents du nord menacent nos moissons. Ne laissons pas notre lyre muette, Le peuple est triste, il lui faut des chansons. Au nom du peuple, ah ! déployons nos ailes 1 Nos gais refrains ont tari tant de pleurs ! Pour le doter des chansons immortelles, Muse, chantons les oiseaux et les fleurs.

Reprends ton vol, mais gardons-nous de dire Gomment en France on devient un héros ;

30

Laissons hurler la Pologne martyre, Souffrons la faim et soldons les impôts. Et s'il est vrai que nous payons la danse, Nosvieux soldatsn'ensontpasmoins vainqueurs. Pour célébrer les gloires de la France, Muse, chantons les oiseaux et les fleurs.

J'ai, dans le fiel s'abreuve ma plume. De la censure encouru les leçons ; Et ma Lison qui voit mon amertume Veut elle-même y porter mes chansons. Non, non, restez ! cela ne peut me plaire, Vos grands yeuxnoirsséduiraientmes censeurs. Moi, je vous aime et je bois dans mon verre : Muse, chantons les oiseaux et les fleurs.

Je veux cacher mon nid sous le feuillage Et le suspendre aux rameaux de l'espoir; Là, les oiseaux n'ont qu'un môme langage; L'air est plus sain et le pain n'est pas noir. J'y chanterai ta main blanche et coquette, Ta lèvre rose et tes fraîches couleurs.... La liberté, c'est le pain du poète; Muse, chantons les oiseaux et les fleurs.

Août 1863, Paris.

Voulant savoir pourquoi plusieurs de mes chansons étaient revenues de la censure avec un non en rouge qui équivalait pres- que pour elles à une condamnation à mort, je me rendis un jour au ministère.

J'y fus reçu par un chef de bureau qui, après avoir écouté mes protestations avec une parfaite indifférence, me répondit que je

si- ne devais m'en prendre qu'à moi. » Pourquoi traitez-vous, ajouta-t-il, des sujets qui, etc., etc.. Il vous serait si facile cependant de faire de jolies choses en chantant les fleurs, les oiseaux, et que sais-je? Vous nous rendrez bien cette justice que vous n'avez nullement à vous plaindre de la censure lorsque vous restez dans le cadre que je vous indique. »

« Eh bien, lui dis-je, je vais suivre votre conseil, je serai peut- être plus heureux. »

A quelques jours de là, j'envoyais à la censure deux copies admirablement écrites de : Muse, chantons les oiseaux et les fleurs, et j'allais une huitaine après me renseigner sur son sort.

Mais il paraît que ce n'était pas ainsi que mon Monsieur enten- dait qu'on chantât les oiseaux et les fleurs, car ma chanson me fut rendue avec un non en rouge bien plus grand encore que tous les autres.

Cette chanson n'a pas été éditée.

32

L'EAU VA TOUJOURS A LA RIVIÈRE

CHAKSON DU BERGER

A Auguste Delàtre.

On peut, l'hiver, chasser les loups, Soulager le pauvre qui passe. Mettre du pain dans sa besace,

A ses souliers planter des clous

Mais on a beau dire et beau faire, L'eau va toujours à la rivière.

Voilà pourquoi, pauvre troupeau.

Dame fermière Vit de ta graisse et de ta peau. Bonne chance à dame fermière;

Mais gare l'eau, Quand l'eau Fera déborder la rivière.

Le paradis peut être au ciel,

Saint Pierre ouvrir à tout le monde,

La terre peut bien être ronde,

Et l'abeille faire du miel

Mais on a beau dire et beau faire, L'eau va toujours à la rivière.

33

Voilà pourquoi, pauvre troupeau, Dame fermière, etc.

L'arbre peut rapporter des fruits Et des fleurs pour les amoureuses, Le moissonneur pour les glaneuses

Peut oublier quelques épis

Mais on a beau dire et beau faire. L'eau va toujours à la rivière.

Voilà pourquoi, pauvre troupeau, Dame fermière, etc..

En plein soleil on peut dormir. Sur l'herbe on peut faire sa couche, Pourvu qu'on n'ouvre point la bouche

Tout en soi-même on peut gémir

Mais on a beau dire et beau faire, L'eau va toujours à la rivière.

Voilà pourquoi, pauvre troupeau. Dame fermière, etc..

Ainsi tout ira pour le mieux : Les gueux iront à la potence, Les malheureux à Sainte-Urgence,

Les hypocrites dans les cieux

Mais on a beau dire et beau faire, L'eau va toujours à la rivière.

Voilà pourquoi, pauvre troupeau, Dame fermière, etc..

34

Iront ventrus, comme un pressoir, Fermiers joyeux boire rasade, Chiens efflanqués à la noyade,

Chevaux fourbus à l'assommoir

Mais on a beau dire et beau faire, L'eau va toujours à la rivière.

Voilà pourquoi, pauvre troupeau, Dame fermière, etc..

Iront ainsi, tant bien que mal, Loups affamés aux bergeries, Moutons bien gras aux boucheries.

Berger bien maigre à l'hôpital

Mais on a beau dire et beau faire, L'eau va toujours à la rivière.

Voilà pourquoi, pauvre troupeau,

Dame fermière Vit de ta graisse et de ta peau : Bonne chance à dame fermière ;

Mais gare à l'eau. Quand l'eau Fera déborder la rivière.

Chailly, 1864.

Musique de Darcier. Éditeur : M. Vieillot, 32, rue Notre-Dame- de-Nazareth, Paris.

3b

FOLIES DE MAI

A mademoiselle Lucie Hanser.

Ciel! dit l'aurore aux cheveux blonds,

Perlant sa robe virginale,

Que la nature est matinale!

Déjà tout est rire et chansons.

On ne dort plus dans les buissons,

On folâtre sous les gazons,

Ciel! dit l'aurore aux cheveux blonds,

Que de baisers et de chansons !

« .... Azur du ciel! dit un bluet Enlaçant une pâquerette, Oui da, pour vous conter fleurette. J'ai dans le cœur plus d'un sonnet. Je gage un sort que l'oiselet N'a pas un plus tendre caquet. Azur du ciel! dit le bluet, Vous me troublez le cervelet.

Moi, dit la brise aux amoureux. Je veux courir toutes les belles. Folâtrer sous leurs blanches ailes. Me glisser dans leurs fins cheveux.

36

Tout beau ! dit le lys orgueilleux,

Malheur! dit le roseau quinteux,

Soit ! dit la brise aux amoureux : Je vous coifferai tous les deux.

Par saint Muguet! dit un pinson Blotti sous l'aile de sa blonde,

Que je suis heureux d'être au monde, J'ai le délire et le frisson ! Vive l'amour ! 0 mon mignon ! Le printemps n'a qu'une saison. Par saint Muguet, dit le pinson, Le printemps n'a pas eu raison.

Nom d'un soleil ! dit Tarbre en fleur, J'ai de l'amour à pleines branches.

Naissez, dit la mousse aux pervenches, J'ai de la rosée à plein cœur.

Rêvons, dit le grillon rêveur

Chantons, dit le merle trompeur

Amour à tous ! dit l'arbre en fleur

Amen ! dit le coucou moqueur. »

Fontainebleau, 1866.

Musique de Renard. Éditeur : M. Egrot, 25, boulevard de Strasbourg, Paris.

37

LA MARJOLAINE

A monsieur Jacques Bouché.

0 gué ! 0 gué ! 0 gué ! la marjolaine !

C'est la chanson Des enfants de la plaine.

Ogué! Ogué! 0 gué! la marjolaine!

C'est la moisson!

C'est la moisson!

Holà, les gars ! le vieux coq chante, Holà ! qu'on attèle les bœufs ! Les trésors que la terre enfante Vont faire ployer les essieux.

Ion, Ion là!

Belles des belles. Gaiement nous voilà revenus, Pour couper les gerbes nouvelles, La faux en main et les bras nus.

0 gué ! 0 gué ! 0 gué! la marjolaine! etc..

38

Qu'on mette à la grosse charrette Les deux bœufs roux en limoniers, Les gerbes qui courbent la tête Seront ce soir dans nos greniers.

Ion, Ion là!

Dans la prairie, Si le soleil chauffe trop fort. Qu'on n'ait pas peur de la pépie, La gourde est pleine jusqu'au bord!

0 gué ! 0 gué ! 0 gué! la marjolaine! etc..

On fauche et la caille babille Les premiers mots de son réveil, La gerbe tombe et la faux brille Gomme un miroir en plein soleil.

Ion, Ion là!

Les moissonneuses Portent les gerbes en chantant, Le bon fermier donne aux glaneuses Et les bœufs tirent en soufflant !

0 gué! 0 gué! 0 gué! la marjolaine! etc..

Holà! des bras et coupons ferme!

Lions, fauchons jusqu'à la nuit. Ce soir en rentrant à la ferme Je promets de saigner un muid. Ion, Ion la!

39

Ouvrons les granges Pour entasser les blés nouveaux, Et dès demain, jusqu'aux vendanges, Nous ferons siffler les fléaux.

0 gué ! 0 gué ! 0 gué! la marjolaine! etc..

Votre journée est bien remplie, Mais, halte-là, les travailleurs; Avant de quitter la prairie. Moissonnons chacun dans nos cœurs.

Ion, Ion là!

Tous à la ronde. Les bras nus et la faux en main, Saluons la terre féconde, La nourrice du genre humain !

0 gué ! 0 gué ! 0 gué! la marjolaine!

C'est la chanson Des enfants de la plaine.

0 gué ! 0 gué ! 0 gué! la marjolaine!

C'est la chanson

De la moisson!

Ermont, 1865.

Musioue de Paul Hcnrion. Éditeur : M. A. Leduc, 3, rue do Graramont, Paris.

40

L'ABSTINENCE

A Pacra.

L'abstinence est, ma chère enfant,

La sœur de la philosophie. . . Il faut savoir, quand on n'a pas d'argent. Rester à jeun sans maudire la vie.

Aimer un Dieu puissant et bon Et se nourrir d'une sainte croyance... Vite, Margot, servez-moi le bouillon,

Ce soir, je prêche l'abstinence.

Il faut se contenter de peu,

Se montrer humble autant qu'austère. Un peu de pain béni par le bon Dieu Suffit au corps et tient lame légère...

L'estomac est ce qu'on le fait : Or, trop manger charge la conscience... Allons, Margot, servez-moi le poulet,

Ce soir, je prêche l'abstinence.

La vigne est un bien superflu Que le bon Dieu permit à l'homme.

4i

Mais un peu d'eau suffit à la vertu Gomme au péché n'a suffi qu'une pomme...

Or, le vin troublant nos cerveaux Est le poison de notre intelligence... Allons, Margot, mon flacon de Bordeaux,

Ce soir, je prêche l'abstinence.

Le bon Dieu permet quelquefois

Le pain, le vin à notre table... Mais il défend les beaux fruits que je vois Et qu'on ajoute à trop de confortable...

Ce luxe-là corrompt et perd Tout ce qu'en Dieu nous avons de croyance. Allons, Margot, servez-moi le dessert,

Ce soir, je prêche l'abstinence.

Or, on n'est pas bien vertueux

Quand on a tout ce qui peut plaire... Car pour gagner le royaume des cieux Il faut un droit qu'on achète sur terre...

Donc, l'homme, avec humilité, Pour y monter, doit faire pénitence... Allons, Margot, une tasse de thé,

Ce soir, je prêche l'abstinence.

Il faut savoir borner ses vœux...

Si le bon Dieu permet qu'on aime, Il ne dit pas d'être voluptueux... Car les amours ont aussi leur carême.

Pourtant, sans le rendre jaloux, On peut parfois s'aimer avec prudence...

42

Allons, Margot, venez sur mes genoux, Ce soir, je prêche l'abstinence.

Paris, 1866. Musique de A. Ollivier. Editeur: M. Gauvin, place Valois, 6, Paris.

Comme beaucoup d'autres, cette chanson eut maille à partir avec la censure.

Les puritains de l'empire ne permettaient pas qu'on mît en scène un curé un peu trop friand dos choses de la terre.

Cependant, il n'en manque pas.

Après bien des refus, l'éditeur finit par obtenir le visa de cette chanson en changeant le titre de l'Abstinence par celui de Mon grand'pére et sa bonne.

La religion était sauvée !...

A m en !

43 -

DANSONS LA CAPUCINE

VIEILLE CHANSON

A ma gyaiid'nicre Charlotte. I

Dansons la capucine ! Le pain manque chez nous. Le curé fait grasse cuisine, Mais il mange sans vous. Dansons la capucine ! Et gare au loup, You!...

Dansons la capucine! Le vin manque chez nous. Les gros fermiers boivent chopine, Mais ils trinquent sans vous. Dansons la capucine! Et gare au loup. You!...

Dansons la capucine !

Le bois manque chez nous.

_ 44

Il en pousse dans Ja ravine, On le brûle sans vous. Dansons la capucine! Et gare au loup, You!...

II

Dansons la capucine! L'argent manque chez nous ! L'empereur en a dans sa mine, Mais ça n'est pas pour vous. Dansons la capucine! Et gare au loup, You!...

Dansons la capucine ! L'esprit manque chez nous. L'instruction en est la mine, Mais ça n'est pas pour vous Dansons la capucine! Et gare au loup, You!...

Dansons la capucine! L'amour manque chez nous. La pauvreté qui lassassine L'a chassé de chez vous. Dansons la capucine ! Et gare au loup, You!...

45

III

Dansons la capucine! La tristesse est chez nous. Dame Misère est sa voisine Et vous en aurez tous. Dansons la capucine! Et gare au loup, Youl...

Dansons la capucine! La misère est chez nous. Dame Colère est sa voisine, Et vous en aurez tous. Dansons la capucine! Et gare au loup, You!...

Dansons la capucine! La colère est chez nous. Dame Vengeance est sa voisine, Courez et vengez-vous ! Dansons la capucine! Et gare au loup, You!...

Ile du Moulin-Joly, 1866.

Musique de Marcel Legay. Editeur : M. Bassereau, 240, rue Saint-Martin, Paris.

Bien que ma grand'mèro soit morte depuis bien des années, je pense souvent à elle et je crois encore l'entendre me raconter ses vieilles histoires.

46

Son bon cœur et son esprit naturel lavaient fait aimer de tous ceux qui fréquentaient l'île Saint-Ouen ou l'île du moulin de Cage, comme on rappelait alors qu'elle avait ses grands arbres, sa ferme et cette superbe avenue qui conduisait du bac au moulin.

Que d'hommes illustres aujourd'hui dans les arts et dans la litté- rature se sont rencontrés là, griffonnant ou crayonnant leurs pre- mières œuvres, aj-ant alors plus d'espérances en tète que d'ar- gent en poche.

Ils aimaient tous cette mère Charlotte qui les recevaient à bras ouverts, ayant toujours un mot pour rire et, ce qui n'était pas à dédaigner, une bonne omelette au lard, un pichet de vin, du lait au service de ceux qui avaient... par hasard... oublié chez eux leur porte-monnaie... vide.

Ah ! que j'étais heureux quand, à force de supplications, elle obtenait de ma mère, qui, elle, n'avait pas souvent le mot pour rire, de m'emmener passer doux ou trois jours dans son île !

Le soir, après m'avoir conté quelques histoires, pour m'endormir, elle rao faisait sauter sur ses genoux en me chantant la Capucine.

11 paraît que je riais comme un bienheureux et que je criais : Encore! comme un petit enragé.

Grand garçon, j'ai souvent fredonné la chanson de ma grand'- mère Charlotte, et depuis je l'ai entendu chanter bien des fois par de pauvres petits enfants à peine vêtus et mal nourris, qui, eux aussi, riaient en dansant en rond.

J'ai voulu rajeunir cotte rengaine pour que les braves gens qui ont souci de l'avenir l'apprennent à leurs enfants.

Ils sauront, au moins, en grandissant, la cause de leur misère et peut-être essaieront-ils d'y remédier.

47 --

CONNAIS-TU L'AMOUR

A Marie Paulin.

Pâle voyageur connais-tu l'amour? Comme tout le monde, en rêvant, un jour. Je l'ai rencontré fleuri d'espérances, Et j'ai pris ma place avec les élus... J'avais dans le cœur toutes les croyances. Il m'en a tant pris, que je n'en ai plus.

Belle aux cheveux d'or connais-tu l'amour?... Comme tout le monde, en rêvant, un jour, Il a dit mon nom avec tant de charmes Que j'ai cru tenir l'éternel bonheur.... Hélas! J'ai depuis versé tant de larmes Que c'est par les yeux qu'est parti mon cœur.

Si, pauvre Mignon, tu connais l'amour, Fais-le moi connaître en rêvant un jour. Selon-moi, vois-tu, c'est l'indifférence Qui blesse le cœur et le fait souffrir. Eh bien, si l'amour est une souffrance, Donne-m'en, Mignon, dussé-je en mourir.

Paris-Montmartre, 1866. Musique de Renard.— M. Bassereau, éditeur, 240, rue S'-Martin, Paris.

48

QUE DE PEINE ET MOURIR

Au citoyen Alavoine.

On s'associe une compagne, On s'établit aux quatre vents, On travaille pendant trente ans, On case après ses enfants Et l'on va vivre à la campagne... Mon dieu! Mon dieu! que de peine et mourir! Ne vivons-nous que pour souffrir?

On s'abandonne à la paresse, On se costume en bon bourgeois, On songe aux amis d'autrefois, On les héberge un jour par mois, On mange, on dort et l'on engraisse... Mon dieu ! Mon dieu ! que de peine et mourir ! Ne vivons-nous que pour souffrir?

On se promène et l'on voisine Du gros adjoint chez le fermier, Du vieux garde chez le meunier, Du presbytère au bénitier, Et de la cave à la cuisine... Mon dieu ! Mon dieu ! Que de peine et mourir 1 Ne vivons-nous que pour souffrir?

49

On se réunit sous la treille Que l'on transforme en Monaco, On fait sauter le domino, Le roi de cœur et le loto, Et l'on perd chacun sa bouteille... Mon dieu ! Mon dieu! Que de peine et mourir! Ne vivons-nous que pour soulîrir ?

On se met trois et l'on s'abonne Au journal du département; On doit surveiller constamment Les fruits, les fleurs, le bâtiment. Les chiens, les chats, jusqu'à la bonne!... Mon dieu! Mon dieu! Que de peine et mourir! Ne vivons-nous que pour soufTrir?

Sur la berge on pince une fièvre. On casse, on perd mille hameçons Pour attraper quelques poissons ; On bat trois jours les environs Pour tuer un malheureux lièvre !... Mon dieu! Mon dieu! Que de peine et mourir! Ne vivons-nous que pour soufTrir?

On jase de ferme et de terre, On hurle enfin avec les loups ; Les croquants sont reçus chez nous, On les emplit comme des trous Dans l'espoir d'être nommé maire.... Mon dieu! Mon dieu ! Que de peine et mourir ! Ne vivons-nous que pour soufTrir?

oO

On fait aux pauvres une rente, On crée un pays dans les bois ; Un jour, on exhibe ses droits, Et l'on arrive, avec la croix, A peser dans les deux cent trente ! Mon dieu! Mon dieu ! Que de peine et mourir! Ne vivons-nous que pour souffrir?

Paris-Montmartre, 1866.

Musique do V. Parizot. Éditeur : M, Gérard, 2, rue Scribe, Paris.

SI

MEUNIÈRE ET LE MEUNIER

A inadeinoiselle Marie Bosc.

Sous ce chaume aux grands volets verts, grimpe une vigne fleurie, L'oiseau, quand la mousse est jaunie, S"y cache à l'abri des hivers : Aussi, dans leur langue sonore, De la vigne aux nids du sentier, Ses petits chantent dès l'aurore Pour la meunière et le meunier.

Collin, riche de ses vingt ans,

La joue encore enfarinée,

Presse sur sa lèvre rosée,

Jeanne fraîche comme un printemps :

Chez eux l'amour fête en caresse

Tous les saints du calendrier.

Ces papillons de la jeunesse

C'est la meunière et le meunier.

Le soir, si par le grand buisson Le bruit d'un tendre caquetage S'échappe au milieu du feuillage Gomme une amoureuse chanson. Le garde chasse qui les guette Et n'entend plus le braconnier,

52

Vous dira que c'est la cachette De la meunière et du meunier.

Médor joue et poursuit Martin, Les pigeons lissent leur plumage Et les moineaux du voisinage Glanent sur le pont du moulin; Les gaulois redressent leurs crêtes, Les poules pondent au grenier, C'est que tout s'aime jusqu'aux bêtes, Chez la meunière et le meunier.

L'amour qui fait croire au bonheur Rend généreux ceux qu'il protège ; Quand vient décembre et que la neige Couvre le toit du laboureur, Dans la chaumière et dans l'étable. Avec la couche et le foyer, Les pauvres sont servis à table Par la meunière et le meunier.

Que l'on soit riche ou malheureux, Dans les hameaux du voisinage. Quand on célèbre un mariage On vient gaiement trinquer chez eux; Pour que la fête soit complète, Quittant le chaume hospitalier, Les époux font marcher en tête Et la meunière et le meunier.

Villcnouve-Saint-Georges, 1864. Musique de P. Henrion. Éditeur : M. Leduc, 3, rue de GrammoQt.

53

MONSIEUR GROSBONNET

A MM. les Députés présents et futurs.

Depuis trente ans je suis apothicaire, Et fort goûté, j'en suis certain. Je suis deux fois propriétaire, De plus ferré sur la grammaire : Je sais le grec et le latin. Je suis d'une adresse incroyable !

Ainsi, chez moi, je fais le menuisier, Le fumiste, le tapissier, Le cordon bleu, le sommellier.

Je verse à boire et je découpe à table!... Or, je crois que, sans vanité, Je ferais un bon député !...

Je suis d'un goût purement artistique.

Je touche un peu l'accordéon...

J'ai plus d'un titre honorifique :

Je suis du Club philharmonique

Et du Cercle de l'Orphéon.

Je dessine avec élégance, En un clin d'œil je vous trousse un portrait;

Je hasarde le fm couplet

Et je pousse avec un fausset L'air de la Juwe et la douce romance...

Or, je crois que, sans vanité. Je puis bien être député!...

Ma voix est forte, et j'ai le mot facile; Je parlerais pendant deux jours! Je suis du conseil, et la Ville, Qui me doit plus d'une œuvre utile, N'a pas oublié mes discours... J'ai fait percer deux ou trois rues

Et caillouter deux chemins vicinaux. J'ai fait un égout pour les eaux. J'ai déjà fondé deux journaux

Et trouvé l'art de guérir les verrues !... Or, je crois que, sans vanité, Je ferais un bon député !

Je prouverai que je suis un légiste,

Et que je tiens de bonne part

Que le maire est légitimiste,

Que l'adjoint est socialiste,

Et que la ville est en retard !

Que nous faut-il?... L'intelligence!... Que voulons-nous ?... La marche du progrès !

Du confortable à peu de frais !...

Et j'ai dix volumes tout prêts, Source profonde doit puiser la France !...

Décidément, c'est arrêté,

Il faut que je sois député !

Aucun danger n'abattra mon courage; Ce que je veux, c'est votre bien !

55

Accordez-moi votre suffrage,

Je vous assure de l'ouvrage

Et des médicaments pour rien.

Fouillez et retournez ma vie : Depuis trente ans que j'adoucis vos maux,

Que je soigne vos animaux,

Ne suis-je pas digne, en deux mots, De prendre une place au banc de la patrie ?.

Décidément, c'est arrêté,

Je serai nommé député.

Paris, 1867.

Musique do Marcel Legay. Editeur : M. Basscroau, 240, rue Saint-Martin, Paris.

56

LA PAUVRE GO&O

A snadamc Camille Bias.

Avec ton enfant sur le clos, Sans coiffe et sans sabots, t'en vas-tu, pauvre Gogo?

Bien triste et bien abandonnée, Gomme la feuille à 1 "automnée, Je m'en vais tout droit devant moi. Ne me demandez pas pourquoi : Quand un lourd chagrin vous déchire, Ça fait trop mal à le redire.

Avec ton enfant sur le dos, Sans coiffe et sans sabots. t'en vas-tu, pauvre Gogo?

Le cœur tout froid, je suis ma route,

Et trouverai, coûte que coûte,

Ce que je veux pour en finir.

Mais laissez mon marmot dormir,

Il faut qu'il ignore la chose,

Car le pauvret n'en est pas cause.

57

Avec ton enfant sur le dos, i

Sans coiffe et sans sabots, t'en vas-tu, pauvre Gogo?

J'ai mes peines et vous les vôtres. Pourquoi chercher celles des autres Quand on n'y peut porter secours?... Moi, je m'en vais voir pour toujours Si les poissons dans la rivière Sont plus heureux que nous sur terre !

Champigny, 1866.

Éditeur : M. Bassereau, 240, rue Saint-Martin, Paris.

o8

MA&LOIRE

An citoyen Choulier.

Magloire Aimait à boire. Mais du raisin, Puisque l'on fait du vin, C'est pour le boire ; Donc il n'avait pas tort. Magioire Est mort ! Buvons à sa mémoire.

Avec le vin il naquit en automne, Au milieu d'un refrain^ un soir, Qu'on dansait autour du pressoir,

Et du vin doux qui chantait dans la tonne, De sa coque à peine échappé. Dans le pressoir il fut trempé.

Magioire Aimait à boire, etc..

Enfant précoce, avec une fillette On le trouva dans le srrenier.

59

On l'enferma dans le cellier Et dans la nuit il but une feuillette. Au jour, quand on vint le chercher, Il s'en alla sans trébucher.

Magioire Aimait à boire, etc..

Quand le dimanche il chantait à l'office

Les vitres tremblaient à sa voix;

Comme il fut pris plus d'une fois A baptiser le vin blanc du calice,

Le curé qui n'aimait pas l'eau,

Le fit rosser par son bedeau.

Magioire Aimait à boire, etc..

Seul héritier quand il perdit son père,

Il vendit bois, maisons, chevaux,

Pour acheter sur les coteaux. Au beau soleil, quelques perches de terre.

Il fit serment, le verre en main.

De ne récolter que du vin.

Magioire Aimait à boire, etc..

Il fit un trou qu'il recouvrit de paille. Pour mettre à l'abri ses outils. Ses grands pressoirs, ses fûts, ses muids,

60

Et fit sa couche à même une futaille. Quand Magloire était amoureux, On n'en était que mieux à deux.

Magloire Aimait à boire, etc..

Son cousin Jean pendant toute l'année Lui donnait du pain et du bois ; Magloire fournissait par mois

De quoi griser toute la maisonnée. Jean l'aidait à boire son vin Et Magloire à manger son grain.

Magloire! Aimait à boire, etc..

Il fit l'amour à toutes les fillettes,

Il aima Javotte dix ans .

Avec Jeanne il eut douze enfants, Tous élevés au lait de ses feuillettes.

C'est toujours quand on vendangeait

Que la mère Jeanne accouchait.

Magloire Aimait à boire, etc..

Un soir d'hiver, il fit appeler Jeanne Et lui montra deux testaments : Ses biens furent pour ses enfants,

Jean eut son vin et Jeanne sa cabane.

61

A cent vingt ans il expira, Dans sa futaille on l'enterra.

Magloire Aimait à boire. Mais du raisin, Puisque l'on fait du vin, C'est pour le boire; Donc il n'avait pas tort. Magloire Est mort! Buvons à sa mémoire.

Auxerre, 1864.

Musique de Darder. Éditeur : M. Vieillot, 32, rue Notre-Dame- de-Nazareth, Paris.

2.

62

LE BONHEUR

A mademoiselle Rose Piconel.

Hélas! le bonheur, Est-ce la chanson que chante une belle Et qui vient tout droit mourir dans un cœur?

Alors le bonheur

N'est pas bien fidèle.

Hélas ! le bonheur. Aux jours de gaîté tient-il dans le verre Que vide en chantant le pauvre buveur?

Alors le bonheur

N'est pas bien sincère.

Hélas ! le bonheur, Est-ce des bijoux, de fines dentelles, Est-ce des rubans et des croix d'honneur?

Alors le bonheur

N'est que bagatelles.

Hélas ! le bonheur, Comme le bon vin, se met-il en cave Dans les sacs de cuir d'un vieil exploiteur?

Alors le bonheur

N'est qu'un vil esclave.

63 -

Hélas! le bonheur, Est-ce le babil d'un enfant aimable A l'âge innocent de la vie en fleur ?

Alors le bonheur

N'est pas bien durable.

Hélas! le bonheur Que nous cherchons tousautantquenous sommes, Est-ce les lauriers qu'on jette au vainqueur? Alors le bonheur N'est qu'un tueur d'hommes !

Hélas ! le bonheur, Est-ce les bois verts et la plaine blonde, Le ciel étoile, les lilas en fleur?

Alors le bonheur

Est atout le monde.

Hélas! le bonheur, Est-ce une famille ou grande ou petite Et des cheveux blancs qui nous font honneur? Alors le bonheur Vient quand on se quitte.

Hélas! le bonheur Se trouve en détail semé dans la vie ; Ce qui plaît à l'un, à l'autre fait peur.

Je crois le bonheur

Une fantaisie.

Paris-Montmartre, 1865.

Musique de Marcel Legay. Éditeur: M. Bassereau, 240, rue Saint-Martin, Paris.

64

LE VRAI NOËL

A Edouard KUinmann.

Le pauvre espère Voilà bientôt dix-neuf cents ans, Mais rien n'est changé, mes enfants : La terre

N'est que misère; Et si vous ne montrez les dents, Vous attendrez encor longtemps !

D'après les rengaines du monde^ Des hommes noirs et des savants Qui parlent de mille et mille ans Tout comme nous d'une seconde. Le petit Noël est venu Par une nuit de fin d'année, Avec l'hiver et sa traînée, Gomme vous et moi, pauvre et nu.

Le pauvre espère Voilà bientôt dix-neuf cents ans, etc..

C'est, disent-ils, dans une étable. Presque sous les pieds d'un ânon, Sans langes dorés ni grand nom.

65

Tout à fait comme un pauvre diable. Mais il avait, disent les vieux, Beaucoup d'esprit, bonne figure. C'était, ma foi, de bon augure Pour la bande des malheureux.

Le pauvre espère Voilà bientôt dix-neuf cents ans, etc.

Pour faire croire à la débâcle, On dit qu'il fit de beaux discours, Qu'il guérit des fous et des sourds Et des aveugles par miracle... Mais que ne vient-il de nouveau, Ses miracles seraient utiles : N'avons-nous pas des imbéciles Et des aveugles au boisseau!

Le pauvre espère Voilà bientôt dix-neuf cents ans, etc.

On donne comme histoires vraies Que d'une eau fade il fit du vin. Que d'un mot il faisait du pain Et guérissait les vieilles plaiôs... Je crois qu'il ne ferait pas mal De commencer son tour de France, Car nous avons maigre pitance Et l'on meurt ferme à l'hôpital. ,

Le pauvre espère Voilà bientôt dix-neuf cents ans, etc..

66

Bref, il venait faire une ronde Par ordre écrit de l'éternel, Et ne devait revoir le ciel Qu'après avoir sauvé le monde... Je dis, malgré tous les Ave, Que le Noël de nos oracles A fermé sa boîte à miracles Sans que le monde soit sauvé.

Le pauvre espère Voilà bientôt dix-neuf cents ans, etc..

Eh bien ! si vous voulez en croire Un gueux qui connaît son métier, Je dis qu'un bon coup de collier Vaut mieux que cette vieille histoire. Je dis qu'on n'est pas sous le ciel Pour passer sa vie en carêmes, Et qu'il faut nous sauver nous-mêmes. Voilà, mes gars, le vrai Noël î

Le pauvre espère Voilà bientôt dix-neuf cents ans, Mais rien n'est changé, mes enfants : La terre

N'est que misère; Et si vous ne montrez les dents, Vous attendrez encor longtemps.

Londres, 18T4. Éditeur : M. Bassereau, 240, rue Saint-Martin, Paris.

67

CHANSON DU FOU

Au père Piconel.

Oiselet sans nid, je chante à tous vents, Souvent Les plus fous sont les plus savants.

' Bedeaux de villages, Vieux sacs à tous grains ; Filles qu'on dit sages, Troupeau de catins; Conteurs de malices, N'en font que bien peu; Mangeurs de bon dieu, Boîtes à tous les vices...

C'est des vérités pour qui les voudra, Bien plus fou que moi qui s'en fâchera ! Eh ioup!

Laïra, laou!

Gare au loup !

Oiselet sans nid, je chante à tous vents, Souvent Les plus fous sont les plus savants.

68 -

Baisers d'amourettes, Baisers de Judas ; Sentiers à noisettes. Sentiers à faux pas ; Griffes de notaire, Griffes d'émouchet ; Prêt sans intérêt, Prêt d'apotiiicaire...

C'est des vérités pour qui les voudra, Bien plus fou que moi qui s'en fâchera ! Eh ioup !

Laïra, laou !

Gare au loup!

Oiselet sans nid, je chante à tous vents, Souvent Les plus fous sont les plus savants!

.... Probité d'avare, Sur l'eau nova point; Fille qui s'égare Ne se perd pas loin ; Crésus qu'on enterre Ne fait pas pleurer ; Lente à se parer Femme qui veut plaire.

C'est des vérités pour qui les voudra, Bien plus fou que moi qui s'en fâchera ! Eh ioup!

69

.Laïra, laou! Gare au loup !

Oiselet sans nid, je chante à tous vents, Souvent Les plus fous sont les plus savants!

Au loup les histoires. L'église et les cieux; Au loup les grimoires, Le monde est trop vieux; Qu'on me trouve bête. On l'est tous un peu ; Mais n'a pas qui veut Ma folie en tête.

C'est des vérités pour qui les voudra, Bien plus fou que moi qui s'en fâchera! Eh ioup!

Laïra, laou!

Gare au loup !

Toucy-sur-Yonne, 1865.

Musique de Darcier. Editeur : M. Labbé, 20, rue du Croissant, Paris.

70

DANSONS LA BONAPARTE

Au citoyeit E. Vivier.

Les gens d'esprit de notre époque Qui lisent loin dans l'avenir, Disent que l'empire est en loque Et qu'on va bientôt en finir. C'est une douce prophétie ! Faut-il en croire les savants? Car la France a la maladie De tournoyer à tous les vents.

Dansons la Bonaparte ! Ça n'est pas nous qui régalons. Dansons la Bonaparte! Nous mettrons sur la carte Les violons!

On dit l'empire à bout de forces. Que la poule a couvé son œuf, Que le règne de tous les Corses Doit finir en soixante-neuf... Ah ! puissions-nous revoir en France Les jours heureux que vous rêvez! Au signal de la délivrance Nous ferons sauter les pavés !

Dansons la Bonaparte! etc..

71

Après tout, ça pourrait bien être. Le vieux Paris est tout grognon. On est las de ce méchant maître Qui nous mène à coups de canon. Franchement c'était bien la peine De brûler tant de lampions, Et de traîner la chair humaine Parmi trois révolutions !

Dansons la Bonaparte! etc..

Le pain est cher, l'argent est rare, Haussmann fait hausser les loyers. Le gouvernement est avare, Seuls, les mouchards sont bien payés. Fatigués de ce long carême Qui pèse sur les pauvres gens, Il se pourrait bien tout de même Que nous prenions le mors aux dents.

Dansons la Bonaparte! etc..

Oui, mais la danse sera chaude. On criblera plus d'un drapeau ; Car les parvenus de la fraude Ne donnent pas ainsi leur peau. Oui, mais la danse sera bonne, Car dans les temps, si l'on cherchait. On verrait bien qu'une couronne N'est pour le peuple qu'un hochet!

Dansons la Bonaparte! etc..

72

Oui, mais la France qu'on délabre Se réveille au bruit des tambours ! Etouffons le règne du sabre Sous les pavés de nos faubourgs ! Plus de corses ni de farouches Qui veulent nous martyriser : Invitons nos bonnes cartouches, Le quadrille va commencer !

- Dansons la Bonaparte ! Ça n'est pas nous qui régalons.

Dansons la Bonaparte ' Nous mettrons sur la carte Les violons !

Paris-Montmartre, 1867 .

Cette chanson n'a pas été éditée.

73

MACHINE

Aux filles dti peuple.

Je viens de m'éveiller Et je suis déjà fatiguée. Ce matin, la nature est gaie. Mais il faut aller travailler, Et douze heures, sans sourciller, Le dos courbé sur la machine... Oh ! que j'ai mal dans la poitrine !

Me voici dans mon coin, Je manque d'air, j'y vois à peine. Dire qu'il fait beau dans la plaine ! Ici, le soleil n'entre point. J'en aurais pourtant bien besoin Pour m'égayer à la machine... Oh ! que j'ai mal dans la poitrine I

On sonne le dîner. Je n'ai pas faim, je suis trop lasse. Voilà deux ans que rien ne passe. Et, j'aurai beau me tisanner, Ça ne fera que couviner A chaque tour de la machine... Oh ! que j'ai mal dans la poitrine !

3

74

C'est beau d'avoir vingt ans Quand on est bien folle et bien fraîche ! Moi, dans ce coin, je me dessèche. J'avais des couleurs dans le temps. Elles ont pris la clef des champs, Elles n'aimaient pas la machine... Oh ! que j'ai mal dans la poitrine !

Ah ! je n'y vois plus clair. Mais la besogne est terminée. Comme c'est long une journée ! Comme le pain qu'on gagne est cherl Vite, courons prendre un peu d'air, Bien loin, bien loin de la machine... Oh ! que j'ai mal dans la poitrine !

Que doit-il advenir De cette toux qui m'a meurtrie? Ah ! j'aimais pourtant bien la vie ! Minuit, je ne peux pas dormir. Ou, si je dors, c'est pour gémir Ou pour rêver de la machine.... Oh ! que j'ai mal dans la poitrine !

Londres, 1874, Éditeur : M. Bassereau, 240, rue Saint-Martin, Paris.

Je dédie ces six couplets aux filles du peuple entassées pêle-mêle dans CCS grands bagnes industriels elles travaillent du matin au soir pour un salaire qui ne leur assure même pas le pain quo- tidien.

Des milliers de pauvres filles succombent tous les ans à cefte vie de galères.

D'autres viennent prendre leur place sans s'inquiéter du sort qui leur est réservé.

Et cependant il n'est plus besoin d'écrire en grosses lettres sur la porte do ces bagnes :

ICI, l'on tue!

On le sait.

Mais qu'importe! Les hauts barons de la féodalité industrielle et financière n'ont pas le temps de s'arrêter à ces petites misères. Il faut avant tout bâcler des affaires et amasser des millions.

Quant aux forçats du travail, il leur reste l'hôpital, le trottoir ou la rivière.

C'est à peu près le seul moyen qu'ils aient de rompre leur ban !

Ah! il est temps, ce me semble, que nous ayons un peu plus le sentiment de la famille et que le peuple comprenne qu'il ne doit plus faire de ses enfants de la chair à produire pour les capitalistes et de la chair à canon pour les politiciens !

76

FOURNAISE

A Sarrus.

Dès l'aurore il quitte son lit, Comme l'oiseau, c'est sa coutume, Et tous les jours jusqu'à la nuit, Il frappe dur sur son enclume ; Il a les bras comme du fer, Il a du feu dans son haleine ; Mais ce soir tout chante dans l'air, Fournaise a touché sa quinzaine.

Ah! Gare à toi, Madeleine, Tiens bien ton bonnet Et le souper prêt ; Ton homme, Madeleine, Ton homme a touché sa quinzaine.

Quand on est bien franc du collier, Malheur! il fait chaud quand on forge! Fournaise est un rude ouvrier Et ça le brûle dans la gorge.

11

Au cabaret des Bons enfants Le vin fait oublier la peine : Il invite tous les passants, Quand il a touché sa quinzaine.

Ah;! Gare à toi, Madeleine, etc..

On y chante bien des chansons, Avec vingt sous on fait ripaille ; Quand on ferme et que les garçons Éteignent tout pour qu'on s'en aille Gomme on a bien bu, bien chanté. Quoique solide comme un chêne, Il va bien un peu de côté Quand il a touché sa quinzaine.

Ah! Gare à toi, Madeleine, etc..

Quand il n*a bu que de bon vin, Gomme sa tête est plus légère. Il retrouve bien son chemin, Pour embrasser sa ménagère. Ça coûte cher de l'embrasser! De marmots, la maison est pleine : Il les forge sans y penser Quand il a touché sa quinzaine.

Ah! Gare à toi, Madeleine, etc..

Mais que le vin ne soit pas bon, Ou qu'on ait causé politique, Ou, par malheur, que le garçon Ait fermé trop tôt la boutique : Jurant après les maux d'autrui Et contre l'injustice humaine. Il ne faut pas rire avec lui Quand il a touché sa quinzaine.

Ahl Gare à toi, Madeleine, etc..

Quand on a pioché quinze jours, On peut bien flâner le seizième. Madeleine, aimez-le toujours, Aimez-le bien, car il vous aime. Dam! c'est qu'un rude travailleur Ça n'est pas une mince aubaine : Il a payé de sa sueur Quand il a touché sa quinzaine.

Ahl Gare à toi, Madeleine! Tiens bien ton bonnet Et le souper prêt ; Ton homme, Madeleine, Ton homme a touché sa quinzaine.

Paris-Montmartre, 1865.

Musique de Darcier. Éditeur : M. Vieillot, rue Notre-Dame-de- Nazareth, Paris.

79

VIEILLE CHANSON

A l'ami Dévé.

Vous avez beau faire, Riche ou malheureux Sous six pieds de terre Ne valent pas mieux. Gare au vilain riche Qui de son vivant Cache son argent Et s'en montre chiche.

Car il est avéré,

Quand la mort s'en empare, Q'un méchant avare N'est jamais pleuré.

Ma grand'mère Hélène,

Morte l'an passé.

Dans son bas de laine

Ne m'a rien laissé.

Des gens du village,

Aidé bien souvent.

J'ai de son vivant

Mangé l'héritage. Le cœur tout déchiré Je l'ai portée en terre.

Et depuis, grand'mère,

Combien j'ai pleuré !

80

Mon oncle Grégoire,

Un méchant Crésus,

Dans sa vieille armoire

Cachait ses écus.

A bouche affamée

Implorant secours,

Il laissait toujours

Sa porte fermée. Du trésor désiré On a fait le partage,

Malgré l'héritage

Je n'ai pas pleuré.

Laissons la fortune

Rire aux intrigants,

Et garder rancune

Aux cœurs bienfaisants.

Quand du grand voyage

On saute le pas,

Garon n'aime pas

Qu'on ait un bagage. Car il est avéré. Qu'il est bien préférable

D'être un pauvre diable

Et d'être pleuré.

Saint-Ouen, 1866. Editeur : M. Labbé, 20, rue du Croissant, Paris.

81

MI&NON

A madame Bonnet.

II est une fille brune Que j'aimais bien tendrement, Cet amour que j'aimais tant N'a duré qu'un clair de lune. Elle avait un joli nom, Le joli nom Que Mignon !

J'ai souvent dans la vallée, Au fond des sentiers perdus, Baisé ses jolis pieds nus Tout humides de rosée. Et gravé dans un buisson, Le joli nom De Mignon !

Un matin je l'ai revue Qui s'en revenait du bois, Mais ça n'était plus sa voix, Ni sa tournure ingénue. Elle avait bien la chanson Du vilain nom De Ninon!

82

Aujourd'hui la fille brune A des robes de velours, Elle en change autant de jours Que le temps change de lune... Mais elle n'a plus son nom. Le vilain nom Que Ninon!

Paris-Montmartre, 1882.

Musique de Marcel Lcgay. -- Éditeur : M. Bassereau, 240, rue Saint-Martin, Paris.

83

LA BANDE A RIQUIQUI

Au citoyett Candelier.

Bien qu'on nous dise en République Qui tient encore comme autrefois La finance et la politique, Les hauts grades, les bons emplois, Qui s'enrichit et fait ripaille, Qui met le peuple sur la paille...

C'est qui?... Toujours la bande à Riquiqui !

Qui fait l'assaut des ministères Pour s'engraisser à nos dépens, Qui joue encore aux militaires Avec la peau de nos enfants. Qui ne rêve que plaie et bosse Pourvu qu'on fasse bien la noce...

C'est qui?... Toujours la bande à Riquiqui!

Qui conspire avec la calotte Et tous les mangeurs de bons dieux Pour faire une France bigotte, Une république de gueux,

84 Qui vit avec la sainte clique Aux crochets de la République...

C'est qui?... Toujours la bande à Riquiqui!

Qui se fait pitre et saltimbanque Pour décrocher le plus de voix, Qui fait du prêt et de la banque Comme Cartouche au coin d'un bois, Et par un train grande vitesse Qui file un jour avec la caisse...

C'est qui?... Toujours la bande à Riquiqui!

Qui possède toutes les mines, L'outillage et les capitaux, Le sol fertile et les usines, L'air, le soleil et les châteaux. Et qui se moque à panse pleine Que le peuple meure à la peine...

C'est qui?... Toujours la bande à Riquiqui !

Qui dispose encor de l'armée, Du gendarme et de l'argousin Pour sabrer la plèbe affamée Quand elle demande du pain ; Qui spécule sur les misères. Sur le travail et les salaires !...

C'est qui?... Toujours la bande à Riquiqui!

83

Qui rêve des guerres lointaines,

Guerres de spéculation,

Alors que plane sur nos plaines

Le spectre de l'invasion !

Et que les rois font alliance

Pour s^abattre encor sur la France.

C'est qui?... Toujours la bande à Riquiqui !

Paris-Montmartre, 1884.

Éditeur ; M. Bassereau, 240, rue Saint-Martin, Paris.

86

EN COUPANT LES FOINS

A Léon Huet.

Pour clore mon rêve De toute la nuit, Pour sauter du lit Quand elle se lève, Et l'attendre pour Lui dire bonjour... J'aime la clochette,

Landerirette ! J'aime la clochette,

0 gué! La vieille clochette !

Pour rêver à l'ombre Et couper des fleurs, Pour prendre à nos cœurs Des baisers sans nombre ; Pour jaser d'amour Pendant tout un jour... J'aime la coudrette,

Landerirette ! J'aime la coudrette,

0 guél La fraîche coudrette !

87 Pour lire en soi-même De tendres aveux, Pour combler les vœux De celle qu'on aime ; Pour mettre son cœur l'on met la fleur... J'aime la fleurette,

Landerirette ! J'aime la fleurette,

0 gué 1 La blanche fleurette !

Pour couper aux branches Les plus hauts lilas, Sentir dans mes bras Frissonner ses hanches; Pour être en émoi Sans savoir pourquoi... J'aime la cueillette,

Landerirette f J'aime la cueillette,

0 gué ! La haute cueillette!

Pour danser ensemble. Se serrer la main, Et sentir soudain Une main qui tremble, Enfin, pour oser Se prendre un baiser... J'aime la musette,

Landerirette ! J'aime la musette,

0 gué! La douce musette !

Quand la fièvre altère Nos cœurs amoureux, Pour boire à nous deux Dans le même verre. Pour se perdre après Sans le faire exprès... J'aime la piquette,

Landerirette ! J'aime la piquette,

Ogué! La tendre piquette !

Pour toute la vie, Vivrais-je toujours, Que tous mes amours Seront pour ma mie. Le serment j'en fais Et ne mens jamais... J'aime ma Lucette,

Landerirette! J'aime ma Lucette,

0 gué ! Ma belle Lucette !

Montfermcil, 1865.

Musique de M. Frédéric Wachs. Éditeur : M. Egrot, 25, boulevard de Strasbourg, Paris.

89

LA FORET

A Achille Turquois.

Salut nature, ô grande artiste ! Forêt, devant ta majesté, Ah! que de fois je suis resté Triste !

Salut forêt, œuvre sublime, Fragment du poëme éternel ; Salut peupliers dont la cime Semble vouloir percer le ciel. Salut ravins, sombres collines, Rocs suspendus et menaçants Qui ressemblez à des ruines Après un combat de géants.

Salut nature, ô grande artiste! Forêt, devant ta majesté. Ah ! que de fois je suis resté Triste!

Dans tes sentiers je viens encore. Si petit qu'on ne m'y voit pas,

90

Faire vibrer l'écho sonore

Et voir fuir au bruit de mes pas,

Sous tes grands pins, à l'ombre rousse,

La biche toujours en éveil.

Et sur le roc couvert de mousse,

Le lézard qui dort au soleil.

Salut nature, ô grande artiste ! Forêt, devant ta majesté. Ah ! que de fois je suis resté Triste!

Je viens rêver sous tes grands chênes Qne des siècles n'ont ébranlés, Et sous les ombres incertaines De tes saules échevelés. Je viens courir dans ta bruyère, Libre comme un jeune étalon Dont le poitrail blanc de poussière N'a point frémi sous l'éperon.

Salut nature, ô grande artiste ! Forêt, devant ta majesté. Ah ! que de fois je suis resté Triste!

Salut, ô forêt toujours belle! Chaste amante qui, tous les ans. Redevient vierge et renouvelle Sa toilette avec le printemps :

91

En automne, grande coquette, Qui jette au vent son manteau vert Pour ne laisser que son squelette Aux froids baisers des nuits d'hiver.

Salut nature, ô grande artiste ! Forêt, devant ta majesté, Ah! que de fois je suis resté Triste!

Grand spectacle de la nature le rêveur a côtoyé Le nid d'oiseau dans la ramure Auprès de l'arbre foudroyé, le soleil lutte avec l'ombre. l'orage a tant de courroux. la lune, quand tout est sombre, Se fait soleil pour les hiboux.

Salut nature, ô grande artiste! Forêt, devant ta majesté, Ah ! que de fois je suis resté Triste!

0 chante encor, forêt sublime ! Rien ici-bas n'est immortel. Je suis venu jeter ma rime A ta chanson qui monte au ciel. Mais la vie est près de la tombe, Qui sait demain nous serons?

92

Puisqu'il est écrit que tout tombe Sous la hache des bûcherons.

Salut nature, ô grande artiste ! Forêt, devant ta majesté, Ah ! que de fois je suis resté Triste!

Fontainebleau, 1866.

Musique de Darcier. Editeur : M. Vieillot, 32, rue Notre-Dame-de- Narareth, Paris.

93

LES TRAINE-MISERE

Dédiée à ceux à qui l'on dispute le pain, l'air, la vie... tout enfin ce dont ont besoin des êtres humains et ce à quoi ils ont droit...

Dédiée à ceux qu'on exploite, qu'on affame, qu'on opprime, qu'on mitraille, qu'on garotte, qu'on jette dans les pri- sons et dans les bagnes, quand ils re- vendiquent leur droit à l'existence.

Dédiée à ceux qui, après quarante et cin- quante ans de travail, arrivent fourbus, désespérés et criblés de douleurs, à n'avoir pas même un morceau de pain sur la planche pour se reposer, ne fût-ce même que quelques jours.

Dédiée à ceux qui travaillent comme des bêtes de somme et qui ne vivent même pas aussi bien !

Dédiée à ceux qui piochent comme des sourds dans les sombres profondeurs de la terre, avec la perspective, en y descendant, d'y être ensevelis, ou, s'ils en sortent, de n'avoir pas à manger tout leur saoul !

Dédiée à tous ceux dont la résignation, l'intelligence, le courage, le travail, en- tretiennent une poignée de parasites!

Dédiée à tous les serfs des mines, des manufactures, des champs et de l'ate- lier, courbés arbitrairement sous le joug de la féodalité capitaliste et du salariat, mais dont il leur serait cependant bien facile de s'affranchir!

Dédiée enfin à la grande famille ouvrière.

Les gens qui traînent la misère Sont doux comme de vrais agneaux ; Ils sont parqués sur cette terre

94 Et menés comme des troupeaux. Et tout ça chante et tout ça danse Pour se donner de l'espérance I

Pourtant les gens à pâle mine Ont bon courage et bonnes dents, Grand appétit, grande poitrine, Mais rien à se mettre dedans. Et tout ça jeune et tout ça danse Pour se venger de l'abstinence !

Pourtant ces pauvres traîne-guêtres Sont nombreux comme les fourmis ; Ils pourraient bien être les maîtres. Et ce sont eux les plus soumis. Et tout ça trime et tout ça danse Pour s'engourdir dans l'indolence !

Ils n'ont même pas une pierre, Pas un centime à protéger ! Ils n'ont pour eux que leur misère Et leurs deux yeux pour en pleurer. Et tout ça court et tout ça danse Pour un beau jour sauver la France!

Du grand matin à la nuit noire Ça travaille des quarante ans ; A l'hôpital finit l'histoire Et c'est au tour de leurs enfants. Et tout ça souffre et tout ça danse En attendant la providence !

95

En avant deux! 0 vous qu'on nomme Chair-à-canon et sac-à-vin, Va-nu-pieds et bêtes de somme, Traîne-misère et meurt-de-faim. En avant deux et que tout danse Pour équilibrer la balance !

Londres, 1874.

Musique de Marcel Legay. Éditeur : M. Bassereau, 240, rue Saint-Martin, Paris.

96

MANETTE

I

A madame Eyben.

La pauvre Manette,

Soufflant dans ses doigts,

S'en revient seulette

En longeant le bois ;

Son jupon de laine

Est court par devant,

Elle va pleurant

Comme un cœur en peine... Ah! ma pauvre enfant, lui dit le sorcier, Que caches-tu donc sous ton tablier?

La pauvre Manette,

Par le vieux moulin,

Se sauve seulette

Couver son chagrin.

Son jupon de laine

Est plus court encor,

Elle attend la mort

Comme un cœur en peine,.. Ah! ma pauvre enfant, lui dit le meunier, Que caches-tu donc sous ton tablier ?

97

La pauvre Manette,

Par la ferme aux Loups,

Se cache seulette

Et pleure à genoux.

Son jupon de laine

S'écourte toujours,

Car c'est dans neuf jours

Que finit sa peine... Ah! ma pauvre enfant, lui dit le fermier, Que caches-tu donc sous ton tablier?

La pauvre Manette,

Souffrant à mourir.

Se sauve seulette

Afin d'en guérir.

Et dans la fontaine

Se précipitant.

Elle dit pleurant,

Le cœur gros de peine... Vous ne saurez pas, ô méchant sorcier. Ce que je cachais sous mon tablier!!!...

Bry-sur-Marne, 1864.

Musique de Darcier. Editeur : M. Labbé, 20, rue du Croissant, Paris .

98

0 MA FRANCE!

A Mouren.

Que j'aime ton ciel et tes vins, Que j'aime tes plaines fertiles, Tes sombres forêts de sapins. Tes hameaux et tes grandes villes ! Que j'aime ces mâles débris Qui nous retracent ton enfance, Que j'aime aussi ton vieux Paris, 0 ma France !

Que j'aime tes hardis penseurs. Tes artistes et tes poètes, Tes légions de travailleurs. Tes jours de calme et de tempêtes ! Que j'aime ces cœurs de lions. Tes fils nourris d'indépendance, Et tes trois Révolutions, 0 ma France !

Mais ne crois pas que mon amour S'arrête juste à la frontière :

99

Nous avons tous le même jour, Nous avons tous la même terre. Français ou non, si je restais Indifférent à la souffrance, N'est-ce pas, tu me renierais, 0 ma France I

Va! laissons glaner nos voisins Dans nos caves et dans nos granges ; Qu'ils aient quelques sacs de nos grains Et quelques crûs de nos vendanges ; Et le peuple déshérité Saura peut-être en récompense Trinquer à la fraternité, 0 ma France I

Donne tes vins, donne tes blés, Puisque ta mamelle est féconde ; Ouvre tes flancs aux exilés Qui, pour patrie, ont vu le monde : Martyrs traqués par les tyrans. Apôtres de l'Indépendance, Bien dignes d'être tes enfants, 0 ma France !

Oh ! qu'on me laisse un petit coin Quand viendra mon heure dernière, Six pieds à peine, où, sans témoin. Chante l'oiseau du cimetière; Que pour ce repos éternel Je dorme à l'ombre du silence.

{ fîlELIOTHECA

100 -

Sous les étoiles do ton ciel, 0 ma France !

Paris, 1867. Musique de Darcier. Éditeur : M. Lebaillj-, 2, rue Cardinale, Paris.

II est bien entendu que ce n'est pas un accès do chauvinisme qui m'a inspiré cette chanson.

Du reste, les sentiments que j'y exprime le prouvent et l'on connaît trop mon opinion sur cette question pour le supposer un instant.

Je suis internationaliste dans toute la force du terme, c'est-à-dire pour la coalition de tous les opprimés contre les oppresseurs.

Et si, dans cette chanson, je dis : 0 ma France! avec enthou- siasme, ce n'est pas, on le sait bien, parce que je suis fier d'être Français, puisque c'est au hasard que je dois d'être en France.

Je serais Allemand ou Russe que, pensant comme je pense au point de vue philosophique, j'aurais chanté de même la France, pour saluer en elle deux grandes révolutions : 1789 et 1871 !

D'où qu'on soit, on est bien obligé de reconnaître que ça n'a jamais été pour des questions purement locales, ni mêmes natio- nales, que les Parisiens ont fait sauter les pavés de Paris.

Leurs prises d'armes ont toujours eu pour but d'affirmer des idées générales et des revendications coniDiunes à tous les opprimés de la terre.

Aussi nous trouvons-nous on avance de deux révolutions sur tous les autres peuples : d'une révolution philosophique et politique et d'une révolution sociale.

C'est à ce titre seulement que je dis : 0 ma France! comme je dirais : O révolution! O humanité!

101 -

LA FILEUSE

A Gilland.

File, file, ma Gavotte,

Pour le marmot qui grelotte.

Un lange rcchaufîera

Son pauvre corps qui tremblote.

Mais le marmot grandira,

File, file, ma Gavotte,

Et l'homme te le rendra.

File, ô ma belle épousée. Fraîche comme la rosée, De bon linge il te faudra Quand va venir ta couvée. Bien du temps ça te prendra. File, ô ma belle épousée. Et l'amour te le rendra !

File toujours, ô ma chère! On a tant de mal sur terre. File tant que l'on verra Des pauvres pleurer misère. Le lin que ça te prendra, File toujours, ô ma chère ! Le printemps te le rendra.

102

File, file, ô ma jolie,

Le temps file aussi la vie,

Et le méchant te prendra

Bien alerte ou bien vieillie.

Mais quand ton heure viendra,

File, file, ô ma jolie,

Ton linceul on filera.

File, file en souvenance

Des rubans verts pour la France,

Des rubans que l'on nouera

Sur le front de respérance.

Le lin que ça coûtera,

File, file en souvenance.

L'avenir nous le rendra !

Pont-sur- Yonne, 1864.

Éditeur : ^I. Bassereau, 240, rue Saint-Martin, Paris.

103

SOUVENANCE

A mademoiselle Marthe.

...J'ai, le mois dernier, cherchant le riiystère, Passé près de vous des jours bien heureux; Rêvant d'un moulin et d'une chaumière. J'avais fui Paris sans être amoureux. Ah ! je voulais voir si j'étais poète, En courant les bois aux chants du matin; Mais je n'ai rien fait, car ma pauvre tête Me faisait tic tac comme le moulin.

Je souffre aujourd'hui d'un mal que j'ignore, J'ai devant les yeux vos saules pleureurs ; Je crois vous entendre aussitôt l'aurore, Je vais dans les joncs vous couper des fleurs. Je me vois rêveur, tremblant et timide. N'osant rien vous dire et pensant beaucoup; Je vois vos yeux bleus, votre lèvre humide, J'entends votre voix qui me suit partout.

... Pourtant, sans rien dire, ô chaste meunière! Nous sommes tous deux venus bien souvent Regarder le soir couler la rivière. Assis sous un saule pleurait le vent;

104

Et si, quand la nuit devenant plus sombre, J'osais, en partant, vous donner la main : Le mécliant hasard, profitant de l'ombre, Nous faisait toujours tromper de chemin.

...Ah ! ces jours heureux qui font ma souffrance Me donnent la nuit des rêves bien doux ; Mais, peut-être seul j'en ai souvenance, Ou bien, comme moi, vous souvenez-vous?... ...Je connais ce mal qui me désespère. Je sais bien pourquoi je suis si rêveur : C'est qu'en vous quittant, ô chaste meunière ! Par votre moulin j'ai laissé mon cœur.

Ville neuve-Saint-Georges, 1865.

Musique do Marcel Legay. Éditeur : M. Bassoreau, 240, rue Saint-Martin, Paris.

105 -^

LES SOURIS

citoyen Grisel.

Les souris Ne sont pas b6gueules. Aux souris, Gens de Paris, Laisserez-vous manger les meules... Les meules, Aux riclies épis.

Dur est le temps, cher est le pain, Les enfants gémissent la faim, L'homme travaille comme un nègre Et s'abreuve avec du vin aigre. Cependant j'ai vu, mes enfants. Bien des tonneaux pour les vendanges, Beaucoup de gerbes dans les granges, De grandes meules dans les champs.

Les souris Ne sont pas bégueules, etc..

Puisque le pain passe vingt sous, Que nous avons des faims de loups, Aux gros fermiers allons apprendre Que nous ne voulons plus attendre.

106

Ho I faites battre votre grain : Quand tiraillé dans la poitrine, Le peuple crie à la famine, Il faut répondre par du pain !...

Les souris Ne sont pas bégueules, etc...

Les souris font joyeux repas Et c'est nous qui ne mangeons pas... Qui dit peuple, dit bonne bête! Oui, mais parfois il a sa tête ; Holà! des blés ! ou, gros fermier, Crains que la faim, donnant les fièvres, Nous allions tous la mort aux lèvres, Te l'arracher sans le payer!...

Les souris Ne sont pas bégueules, etc..

Souvenez-vous, accapareurs, Que la famine a ses horreurs ; Au peuple pris par les entrailles Il faut de grandes funérailles! Quand à sa faim on ne répond Que par le glaive et l'insolence, Plein d'une farouche éloquence, Le peuple parle avec du plomb !...

Les souris Ne sont pas bégueules, etc..

107

Et le plomb ça rend bien méchant,

Le plomb ça fait couler du sang-,

Ça met la furie à la bouche,

Ça détruit tout ce que ça touche!

C'est au plomb, formidable voix,

Qu'il faut qu'on cède ou qu'on réponde,

Et que les maîtres de ce monde

Se brûleront toujours les doigts !

Les souris Ne sont pas bég^ueules, etc..

Ho ! plus de meules dans les champs Qui pourrissent au mauvais temps. De greniers pleins jusqu'aux fenêtres. Le blé n'a que la faim pour maîtres! Allons, gens de mauvaise foi, Faites que le pain diminue Ou nous descendons dans la rue, Dans la rue le peuple est roi !..

Les souris Ne sont pas bégueules. Aux souris, Gens de Paris, Laisserez-vous manger les meules... , Les meules. Aux riches épis.

Paris-Montmartre, 1867. Editeur : M. Bassereau, 240, rue Saint-Martin, Paris.

^ 108

En 1867, le pain fut cher à Paris. Les mères de famille doivent s'en souvenir. Il y eut même à ce sujet quelques rassemblements dans le faubourg Antoine. Le bruit courut qu'un bataillon de ligne en garnison à Yincennes avait reçu des cartouches et devait des- cendre sur le faubourg. C'est toujours ainsi qu'on apaisera la faim du peuple, jusqu'au jour il se fâchera tout rouge.

Rien cependant n'avait motivé cette hausse subite ; la récolte avait été bonne en 1866 et meilleure encore en 1867. et Ion savait que les greniers étaient remplis de blé. Il était évident qu'on spé- culait, comme on le fait encore aujourd'hui, sur la misère du peuple. C'est alors que cette chanson fut faite et, comme on le pense bien, la censure en refusa le visa et je fus un instant inquiété.

Bien que datant de quelques années, les chansons du genre de celle-ci sont encore d'à-propos. Les travailleurs qui savent combien le pain est toujours cher pour eux et combien, surtout, il est dur à gagner, seront de mon avis.

109

PIMPERLINE ET PIMPERLIN

RONDE

A la petiie Jeanne.

...Pimperline et Pimperliu Sonfallys au bois voisin...

...Pourtanl la bise est ben dure

Et siffelle dans les bois ;

Il y fait tant de froidure,

Que ça cingle au bout des doigts.

Les feuilles n'y sont plus vertes, Les oiseaux sont envolys, Les routes y sont désertes, Et les buissons désolys.

L'arbre a si fret à ses branches, Qu'il en pleurin dans les airs. On a coupé les pervenches, Moissonné les lauriers verts.

110 -

On dit même qu'on y trouve Des grands loups et des petits, Et que la vipère y couve Dans le tronc des saules gris.

Aussi, ne s'en doutant guère, Pimperline et Pimperlin, Font l'école buissonnière Et se tiennent par la main.

II

Pimperline et Pimperlin Sont allys au bois voisin.

La petite Pimperline,

Entendant le cri d'un loup,

Se sauve par la ravine

Et tombe au fond d'un grand trou.

Pimperlin court après elle. Pleure et la veut rattraper ; Mais la frayeur l'ensorcelle Et les loups vont bien souper!

Ils virent tomber la brune Et passer l'ombre d'un loup, Qui cherchait au clair de lune A descendre dans le trou!

m

Sans assiette ni fourchette, Le loup allait les manger, S'il ne fût venu Trompette Le gros chien du vieux berger.

Nos deux petits l'embrassèrent Et Trompette en fit autant ; Loin du bois, ils se quittèrent, Et dirent en se quittant :

Pimperline et Pimperlin N'iront plus au bois voisin.

Ile du Moulin-Joly, 1869.

Musique de Paul Honrion. Éditeur : M. Labbc, 20, rue du Croissant, Paris.

112 ~

BONJOUR, PRINTEMPS

A M. Théodore de Banville.

Bonjour, printemps! Souffrez que je vous félicite. Je veux répondre en vers galants A votre carte de visite. Ce matin avec le soleil, Les fleurs et les chants qu'il fait naître, Elle est entrée à mon réveil, Par la porte et par la fenêtre.

Bonjour, printemps! Enfant gâté de la jeunesse, Vous avez chassé les autans Et fait sourire ma maîtresse. Ah ! si j'étais jaloux de vous. Je chasserais mon amoureuse. Mais non, je ne suis point jaloux; L'hiver l'attriste, elle est frileuse.

Bonjour, printemps ! Vous embaumez la violette. Le muguet et les lilas blancs, Le sainfoin et la pâquerette ;

113 .

Vous faites naître dans les cœurs Cet amour qui donne la fièvre; Vous paraissez semer des fleurs Et des baisers sur chaque lèvre.

Bonjour, printemps ! Vous revenez à tire-d'ailes Donner des lits d'herbe aux enfants, Des papillons aux demoiselles. On parle déjà de Meudon, De rubans et de robes blanches, Et votre effronté Gupidon Met des nids sur toutes les branches.

Bonjour, printemps ! Répondrez-vous de nos folies Quand nous traduirons dans les champs Le secret de vos harmonies?... Pourquoi la branche a des bourgeons... Pourquoi la mousse est veloutée... Pourquoi le cœur a des frissons... Pourquoi la lèvre est agitée?...

Bonjour, printemps ! Quand donc comme des aubépines Ferez-vous pousser des rubans, De la guipure et des bottines? Au lieu d'attendre sous les toits Notre marchande à la toilette, Nous serions déjà dans les bois A cueillir de la violette.

114

Bonjour, printemps ! Pour fêter votre anniversaire, Pour conjurer les froids autans Et mettre enfin l'hiver en terre, Si le hasard m'aide en chemin, Nous irons vous fêter dimanche J'aurai mon pantalon nankin Et ma mie une robe blanche.

Meudon, 1864.

Musique de Paul Henrion. Editeur : M. Lebailly, 2, rue Cardinale, Paris.

115

L'EMPEREUR SE DÉGOMME

Au citoyen Gaisnê.

L'empereur se dégomme, Les Français vont à Rome.

Ce joyeux citoyen Après tout se rit bien Que le peuple s'en plaigne ; Heureux de son passé, Il veut finir son règne Gomme il l'a commencé.

L'empereur se dégomme, Les Français vont à Rome.

Cet homme marié, Pour sa chaste moitié Et l'amour de la Vierge, Veut avec nos écus Faire brûler un cierge Par le roi des Jésus.

L'empereur se dégomme, Les Français vont à Rome.

116

Ayant fait, ici-bas, Quantité de faux pas, Faut bien qu'il se rattrape Or, il croit, mes amis, En assistant le Pape, Gaener le Paradis.

"■o"^

L'empereur se dégomme, Les P'rançais vont à Rome.

Qu'un ministre flatteur, Hypocrite et menteur. L'encourage et le prône : Gare qu'il gagne aussi Une chute de trône Avant un an d'ici 1

L'empereur se dégomme, Les Français vont à Rome.

Toujours prêts aux combats. Nos valeureux soldats, Après cette campagne, S'en reviendront chez eux Couverts de croix d'Espagne Et de petits bons dieux.

L'empereur se dégomme, Les Français vont à Rome.

Il faut un homme noir, Un soldat d'encensoir,

117

De rabat et de chape, Pour oser, en païen, Faire un soldat du Pape Du zouzou voltairien !

L'empereur se dégomme, Les Français vont à Rome .

Laissez faire le temps, La rage, mes enfants. Vous monte un peu trop vite Il va, des goupillons, Pleuvoir de l'eau bénite Sur tous les bataillons.

L'empereur se dégomme. Les Français vont à Rome.

Aussi, pour le grand jour, Nous prouvant son amour Et sa reconnaissance, Sa bonne Sainteté Pourra venir en France Bénir la liberté !

L'empereur se dégomme. Les Français vont à Rome.

Paris-Montmartre, 1867.

Fidèle à sa tradition, la papauté, à cette époque, mettait tout en çBUvre pour agiter l'Europe et renouveler les guerres do religion.

118

Les hommes qui sont aujourd'hui à la tête de la République, et l'avocat Ferrj' en particulier, saisirent cette occasion pour faire une opposition des plus vives au gouvernement impérial.

Ces obstructionnistes d'alors mangeaient tous les jours dn prêtre et du Pape à la tribune et dans leurs journaux.

Comme toujours, le peuple se laissait prendre à ces fourberies d'avocats.

A cette époque, il ne faisait même pas bon d'oser mettre en doute leur bonne foi. Les citoyens courageux et clairvoyants qui le tentèrent furent, on s'en souvient, assez maltraités.

Aujourd'hui, le but que poursuivaient ces hommes n'est plus un mj^stère pour personne : Ils voulaient capter la confiance du peuple, s'emparer du pouvoir pour en user et en abuser.

La farce est jouée ! Farce sinistre avec toutes les abominations de l'empire : Misères et grèves réprimées par le sabre ; républi- cains poursuivis et emprisonnés; expéditions lointaines pom* donner satisfaction aux appétits des amis et des parents des hommes au pouvoir.

Et, bien que les Ferry et consorts aient demandé, sous l'empire, la séparation de l'Eglise et de l'Etat, etc., ils n'en ont pas moins déclaré en pleine tribune qu'il fallait que la République française eût son ambassadeur à la cour de Rome,

En somme, les coupables ne sont pas ceux qu'on pense.

Le seul : C'est le peuple !

119

LE SAINFOIN

LÉGENDE RUSTIQUE

Ail citoyen André Gèly,

Faut s'en méfier, le sainfoin nouveau

Ça monte au cerveau... Eh bien, qu'après tout, mon sort soit le môme,

J'aimerai qui m'aime

Au sainfoin nouveau.

Dans la grange à la mère Annette Porte ben close et sans témoin, Finet emmena Marinette Et la fit asseoir sur le foin. Dam ! ça bat dru dans la poitrine Quand on a deux jolis yeux : Marinette avait belle mine, Finet était ben amoureux...

Faut s'en méfier, le sainfoin nouveau Ça monte au cerveau..., etc.

Le sainfoin frais sorti de terre Ça sent tout plein bon la fraîcheur. Ça fait pousser du caractère. Ça met de la folie au cœur.

120

Tout seul avec une jeunesse Qui n'a pas l'air de vous chasser, Ça pousse vite à la tendresse. Et Finet lui prit un baiser...

Faut s'en méfier, le sainfoin nouveau ' Ça monte au cerveau..., etc.

Un baiser, ça n'est pas grand'chose,

C'est à peine si ça se sent.

La joue était dodue et rose,

Il en prit un, puis deux, puis cent!

Alors on rencontra la lèvre,

Et, ces baisers-là, c'est du feu !

Finet eut bien vite la fièvre,

La fille en avait ben un peu...

Faut s"en méfier, le sainfoin nouveau Ça monte au cerveau..., etc.

La grange close et ben fermée, C'était noir comme dans un four ; La nuit était comme embaumée, Et Marinette faite au tour. Finet ne se tenant plus d'aise, Lui prit la taille, et serra bien. On dit même, entre parenthèse, Que la jeunesse y mit du sien...

Faut s'en méfier, le sainfoin nouveau Ça monte au cerveau..., etc.

121

Quand c'est tout frais sorti de terre,

C'est traître en diable les sainfoins !

Le fin Finet n'y songeait guère,

Et la petite encor ben moins...

Le lendemain la mère Annette,

En allant dénicher les œufs,

Trouva Finet et Marinette

Ben accouplés... mais morts... tous deux...

Faut s'en méfier, le sainfoin nouveau

Ça monte au cerveau.. . Eh bien, qu'après tout, mon sort soit le même,

J'aimerai qui m'aime

Au sainfoin nouveau.

Ile Marante, 1866.

Musique de Darder. Editeur : M. Lebailly, 2, rue Cardinale, Paris.

122

SANS NOMMER

A Tnadatne I. M.

Je puis VOUS dire que ma belle Est un chef-d'œuvre de l'amour, Et que depuis trois mois pour elle Je rime dix sonnets par jour...

Mais, c'est dommage, Vous n'en saurez pas davantage. Je veux l'aimer Sans la nommer.

Je puis vous dire qu'elle est blonde Et que sa main est un bijou, Je puis crier à tout le monde Que j'en rêve et que j'en suis fou.

Mais, c'est dommage, Vous n'en saurez pas davantage. Je veux l'aimer Sans la nommer.

Je puis vous dire que sa lèvre Est brûlante comme un baiser,

123

Et que mon cœur a tant de fièvre Que je mourrai sans l'apaiser.

Mais, c'est dommage, Vous n'en saurez pas davantage. Je veux l'aimer Sans la nommer.

Je puis vous dire que sa chambre Est un boudoir de volupté, Tout parfumé de rose et d'ambre, De poésie et de gaieté...

Mais, c'est dommage. Vous n'en saurez pas davantage. Je veux l'aimer Sans la nommer.

Vous me direz que ma maîtresse Doit cacher bien d'autres appâts?.. Dame ! c'est si beau la jeunesse Que, certe, elle n'en manque pas.

Mais, c'est dommage, Vous n'en saurez pas davantage. Je veux l'aimer Sans la nommer.

Si je vous tiens dans l'ignorance De sa demeure et de son nom. Mettez qu'elle demeure en France Et nommez-la Berthe ou Ninon.

124

Mais, c'est dommage, Vous n'en saurez pas davantage. Je veux l'aimer Sans la nommer.

Si vous venez à la connaître. Ne fut-ce même qu'un moment, L'un de nous deux par la fenêtre Devra passer fort galamment.

Mais, c'est dommage, Vous n'en saurez pas davantage. Je veux l'aimer Sans la nommer.

Paris, 1867.

Musique de Darder. Éditeur : M. Labbé, 20, rue du Croissant, Paris.

123

NE PLAIGNONS PLUS LES GUEUX

An citoyen Jules Vaidy .

Allons, allons, c'est inutile,

Ne plaignons plus les gueux! Pourquoi se faire tant de bile,

Puisque les gueux Chantent comme des bienheureux?

Que nous ayons de la misère A n'en savoir que devenir; Que tous les monstres de la terre Nous mitraillent pour en finir; Qu'on soit sans feu, qu'il gèle à glace, Que le pain manque à la maison, Les gueux, au fond de leur besace. Trouvent toujours une chanson.

Allons, allons, c'est inutile.

Ne plaignons plus les gueux ! etc.

J'entends chanter sous la futaie Le bûcheron sec comme un clou. Le mendiant traînant sa plaie Et son vieux chien qui tend le cou,

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Le compagnon battant la route Le \ entre creux et les pieds nus, La vieille qui roule une croûte Sous ses dents qui n'en veulent plus.

Allons, allons, c'est inutile,

Ne plaignons plus les gueux! etc.

J'entends chanter devant la forge riiorame sue à pleine peau ; J'entends chanter à pleine gorge Les noirs mineurs dans leur tombeau ; La fille blême à la machine Qui la tue à toute vapeur En lui dévorant la poitrine, Et sa jeunesse et sa fraîcheur.

Allons, allons, c'est inutile.

Ne plaignons plus les gueux ! etc.

J'entends chanter, sans pain ni boire. Les marmousets tout engourdis, L'idiot à la tète en poire, Le musiqueux dans son taudis, La nourrice aux mamelles vides, Le berger gras comme un galet : Gens affamés et gens livides, Rivés tous au même boulet.

Allons, allons, c'est inutile,

Ne plaignons plus les gueux! etc.

127

N'importe enfin, n'importe grouille Une misère, une douleur, Une voix maigre se dérouille Et chante pour tromper le cœur. Voilà pourquoi les grosses têtes Qui les entendent quelquefois Représentent dans leurs gazettes Les gueux heureux comme des rois !

Allons, allons, c'est inutile,

Ne plaignons plus les gueux! etc.

La chanson qui nourrit la lèvre Fait tomber l'arme de la main, Et ne guérit pas de la fièvre Que donnent la soif et la faim. Et puisque toutes vos aubades Ne peuvent rien vous rapporter, Je suis d'avis, mes camarades, Qu'il est grand temps de déchanter I

Allons, allons, c'est inutile,

Ne plaignons plus les gueux ! Pourquoi se faire tant de bile,

Puisque les gueux Chantent comme des bienheureux.

Londres, 1874. Éditeur : M. Bassereau, 240, rue Saint-Martin, Paris.

128

JAVOTTE

Au citoyen Ruff.

Comme un cri d'agneau La musette est douce, Souple est le roseau, Fleurie est la mousse ; Dans les grands lilas Chante bien la brise. Mais, quoi qu'on en dise, Tout ça ne vaut pas La pauvre Javotte Si gentille en cotte. Si leste en sabiots ; La pauvre Javotte Qui s'en revenait devant ses bestiaux, Portant dans sa hotte Tous ses afîutiaux.

J'aime bien ma sœur Comme on aime un frère, J'aime de grand cœur Mon père et ma mère ; Qui tuerait mon chien Le paierait sur l'heure ;

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Il faut que j'en meure, Car je n'aime rien Comme la Javotte, Si gentille en cotte, Si leste en sabiots; La pauvre Javotte Qui s'en revenait devant ses bestiaux. Portant dans sa hotte Tous ses afîutiaux.

De beaux troubadours S'en allant en guerre. Au bruit des tambours Longeaient la rivière. Au bord du grand pré De la mère Annette, Revenant seulette. Ils ont rencontré La pauvre Javotte, Si gentille en cotte. Si leste en sabiots; La pauvre Javotte Qui s'en revenait devant ses bestiaux, Portant dans sa hotte Tous ses afîutiaux.

Sans voir les soldats A longues moustaches, Portant sur leurs bras Leurs méchantes haches,

130

Laissant son troupeau Bien en train de paître, Elle aura peut-être Suivi le drapeau, La belle Javotte, Si gentille en cotte. Si leste en sabiots ; La pauvre Javotte Qui s'en revenait devant ses bestiaux, Portant dans sa hotte Tous ses afîutiaux.

Adieu mon pays, Mes bois et mes plaines. Adieu mes amis, Rochers et fontaines. Berceau de mes jours. Adieu mon village. Demain je m'engage Dans les troubadours, Pour voir la Javotte, Si gentille en cotte, Si leste en sabiots ; La pauvre Javotte Qui s'en revenait devant ses bestiaux. Portant dans sa hotte Tous ses afîutiaux.

Chailly, i866.

Musique de Darder. Editeur : M. Labbé, 20, rue du Croissant, Paris.

131

LA FLEURETTE

A mon ami Acelly.

Tout en chantant, il suit sa pente Et se perd au pied d'un coteau. Parmi le lierre et le roseau, Chante, Petit ruisseau.

Bordé de saules centenaires Qui semblent geindre en frémissant, Caché sous les fleurs printanières H suit le bois en serpentant. Penché sur une fleur humide, L'oiseau vient s'y désaltérer. Son onde pure est si limpide, Qu'une étoile peut s'y mirer.

Tout en chantant, il suit sa pente Et se perd au pied d'un coteau. Parmi le lierre et le roseau. Chante, Petit ruisseau.

Quand, le cœur triste, on s'y repose, La fleur a de tendres frissons.

132

Le flot semble en dire la cause Au vent qui pleure clans les joncs. De ce ruisseau le petit monde Connaît bien le bruit de mes pas; Sa solitude est si profonde, Que les heureux n'y viennent pas.

Tout en chantant, il suit sa pente Et se perd au pied d'un coteau. Parmi le lierre et le roseau. Chante, Petit ruisseau.

Le saule gris au tronc robuste

Baigne son feuillage argenté ;

Le lierre s'attache à l'arbuste

Et l'abeille au lys velouté;

Les joncs, courbés comme une gerbe,

Baisent le flot capricieux;

Le ver luisant brille dans l'herbe

Comme une étoile au fond des cieux.

Tout en chantant, il suit sa pente Et se perd au pied d'un coteau. Parmi le lierre et le roseau, Chante, Petit ruisseau.

Quand du printemps la tiède haleine Fait frémir l'herbe aux mille fleurs, Sur sa rive les cœurs en peine Viennent exhaler leurs douleurs.

133

Cheveux épars sur leurs épaules, Les Madeleines du canton Cherchent à l'ombre des vieux saules Un peu de calme et de pardon.

Tout en chantant, il suit sa pente Et se perd au pied d'un coteau. Parmi le lierre et le roseau, Chante, Petit ruisseau.

L'ombre est si pure et si discrète. Son chant si doux au pèlerin. Qu'on l'a surnommé la « Fleurette », Nom triste comme le chagrin. Fleurette chère à mes pensées, Souvenir que j'ai retrouvé, Que d'illusions j'ai laissées Sur ta rive j'ai tant rôvé !

Tout en chantant, il suit sa pente Et se perd au pied d'un coteau. Parmi le lierre et le roseau, Chante, Petit ruisseau.

Pont-sur- Yonne, 1865.

Éditeur : M. Labbé, 20, rue du Croissant, Paris.

134

LA SEMAINE SANGLANTE

Air : Le Chant des Paysans, de Pierre Dupont.

Aux fusillés de 7//

Sauf des mouchards et des gendarmes, On ne voit plus par les chemins Que des vieillards tristes aux larmes, Des veuves et des orphelins. Paris suinte la misère, Les heureux même sont tremblants, La mode est au conseil de guerre Et les pavés sont tout sanglants.

Oui, mais...

Ça branle dans le manche. Ces mauvais jours-là finiront.

Et gare à la revanche Quand tous les pauvres s'y mettront!

Les journaux de l'ex-préfecture, Les flibustiers, les gens tarés, Les parvenus par aventure. Les complaisants, les décorés,

135 Gens de bourse et de coin de rues, Amants de filles aux rebuts, Grouillent comme un tas de verrues Sur les cadavres des vaincus.

Oui, mais... Ça branle dans le manche, etc.

On traque, on enchaîne, on fusille Tout ce qu'on ramasse au hasard : La mère à côté de sa fille, L'enfant dans les bras du vieillard. Les châtiments du drapeau rouge Sont remplacés par la terreur De tous les chenapans de bouge, Valets de rois et d'empereur.

Oui, mais... Ça branle dans le manche, etc.

Nous voilà rendus aux jésuites. Aux Mac-Mahon, aux Dupanloup. Il va pleuvoir des eaux bénites, Les troncs vont faire un argent fou. Dès demain, en réjouissance. Et Saint-Eustache et l'Opéra Vont se refaire concurrence, Et le bagne se peuplera.

Oui, mais... Ça branle dans le manche, etc.

136

Demain, les manons, les lorettes Et les dames des beaux faubourgs Porteront sur leurs collerettes Des chassepots et des tambours. On mettra tout au tricolore, Les plats du jour et les rubans, Pendant que le héros Pandore Fera fusiller nos enfants.

Oui, mais... Ça branle dans le manche, etc.

Demain les gens de la police

Refleuriront sur le trottoir,

Fiers de leurs états de service

Et le pistolet en sautoir.

Sans pain, sans travail et sans armes,

Nous allons être gouvernés

Par des mouchards et des gendarmes.

Des sabre-peuple et des curés.

Oui, mais... Ça branle dans le manche, etc.

Le peuple au collier de misère Sera-t-il donc toujours rivé?... Jusques à quand les gens de guerre Tiendront-ils le haut du pavé?... Jusques à quand la sainte clique Nous croira-t-elle un vil bétail?... A quand enfin la République De la justice et du travail?...

137

Oui, mais...

Ça branle dans le manche. Ces mauvais jours-là finiront.

Et gare à la revanche Quand tous les pauvres s'y mettront !

Paris, juin 1871. Éditeur : M. Basscreau, 240, rue Saint-Martin, Paris.

J'étais encore à Paris quand je fis cette chanson. Ce n'est que quelques semaines plus tard que je pus gagner la frontière et me réfugier on Aiif^lctcrro. Do lendroit l'on m'avait recueilli et je restai du 29 mai au 10 août 1871, j'entendais toutes les nuits des coups de fusil, dos arrestations, dos cris de femmes et d'en- fants. C'était la réaction victorieuse qui poursuivait son œuvre d'extermination. J'en éprouvai plus do colère et de douleur que je n'en avais ressenti pendant les longs jours de lutte.

138

MUSETTE ENSORCELÉE

LÉGENDE RDSTIQDE

Au ciioycn V. Pcyrol.

Pour musiquer comme un oiseau, Pour égayer celle que j'aime,

Mon vieux chien, mon troupeau,

Et ma mère elle-même, Le cornemusier du canton. M'a fait cadeau d'une musette ; J'en souffle à m'en gonfler la tête, A m'en décrocher un poumon;

Mais la méchante Embrouille tout ce que je chante.

De par le diable et les follets. Qui sautillent dans les genêts

De la vallée, Ma musette est ensorcelée !

Quand je viens au lever du jour Lui souffler à pleine poitrine Une chanson d'amour Pour plaire à Catherine,

139

Catherine tremble et bondit, Comme atteinte par cent abeilles ; Et puis se bouche les oreilles, Tant ma musique a vilain bruit :

Que l'on me damne Si ça n'est point comme un cri d ane !

De par le diable et les follets. Qui sautillent dans les genêts

De la vallée, Ma musette est ensorcelée!

Ma mère en a gagné la peur; Mes moutons, quand je les appelle, En ont tant de frayeur Qu'ils s'en vont pêle-mêle. J'ai beau chanter des mots bien doux, Et souffler clair comme eau de roche, L'oiseau s'enfuit à mon approche. Mes chiens hurlent comme des loups.

Et dans l'étable Les bœufs me prennent pour le diable.

De par le diable et les follets, Qui sautillent dans les genêts

De la vallée. Ma musette est ensorcelée!

Musique d'âne et de païen, Vous épeurez ma Catherine,

Mes moutons et mon chien,

Et lassez ma poitrine.

140

C'est que, sans doute, le chevreau, Dont la peau fit cette musette, Avait un follet dans la tête. Ou bien le diable dans la peau.

Eh bien, ma chère, Allez au diable en la rivière !

De par le diable et les follets Qui sautillent dans les genêts

De la vallée. Ma musette est ensorcelée ! Va-t-en, Musette ensorcelée I

Villcneuve-Saint-Georgcs. 1866.

Musique de Darcier. Éditeur : M. Le Bailly, 2, rue Cardinale,

Paris.

141

NOTRE BON SEIGNEUR

Au citoyen Adrien Mayer.

Notre bon seigneur, Pour nous faire honneur, Habite au village Et n'est avec nous ni fier ni sauvage. Merci, mon seigneur, C'est bien de l'honneur!

Notre bon seigneur N'a qu'un serviteur Pour sa suffisance ; Il le paye, à l'an, d'une révérence. Merci, mon seigneur, C'est bien de l'honneur!

Notre bon seigneur, En franc maraudeur. Glane dans les granges Et remplit sa cave au temps des vendanges. Merci, mon seigneur, C'est bien de l'honneur !

Notre bon seigneur Fait la bouche en cœur

142

A nos grosses filles, Et prend le menton de nos plus gentilles. Merci, mon seigneur, C'est bien de l'honneur !

Notre bon seigneur Aime à la rigueur La franche commère; De son parrainage on flatte le père. Merci, mon seigneur, C'est bien de l'honneur!

Notre bon seigneur, En joyeux buveur, Ne craint pas la gale : Il boit avec nous pourvu qu'on régale. Merci, mon seigneur. C'est bien de l'honneur !

Notre bon seigneur Mange bien sans peur A môme une étable, Quand un bon chapon fume sur la table. Merci, mon seigneur, C'est bien de l'honneur !

Notre bon seigneur En bon emprunteur, Le jour de sa fête, Nous rend en baisers l'argent qu'on lui prête. Merci, mon seigneur, C'est bien de l'honneur!

143

Notre bon seigneur, Qu'un vin bienfaiteur Porte à la tendresse, Crie en trébuchant : A bas la noblesse ! Merci, mon seigneur, C'est bien de l'honneur !

Notre bon seigneur, Qui voit avec peur La sombre demeure, En l'y conduisant permettra qu'on pleure. Merci, mon seigneur, C'est bien de l'honneur !

Bry-sur-Marne, 1865

Editeur : M. Labbé, 20, rue du Ci-oissant, Paris.

144

CASSE-&RAIN

Ah citoyen Laurent Graillât.

L'ivrogne est l'homme, à mon avis, Le plus poétique du monde :

Qu'on m'en blâme à la ronde.

Ma foi, tant pis!

C'est mon avis.

Pour vous prouver ce que j'avance. Entrons chez la mère Picard, Et la main sur la conscience Esquissons un maître pochard. Prenons ce gars à belle mine, Luron solide et sans souci, Qui vous avale une chopine Le temps de vous dire : merci!

L'ivrogne est ijhomme, à mon avis, Le plus poétique du monde :

Qu'on m'en blâme à la ronde.

Ma foi, tant pis!

C'est mon avis.

Casse-Grain, ainsi qu'on le nomme. Est gai comme plusieurs pinsons ;

145

Ça n'est pas seulement un homme,

C'est un volume de chansons.

Sa lèvre d'un rouge cerise

Est humide comme un fruit mûr :

Poète, à table, il improvise

Des jurons francs comme un vin pur.

L'ivrogne est l'homme, à mon avis, Le plus poétique du monde:

Qu'on m'en blâme à la ronde, Ma foi, tant pis! C'est mon avis.

Muid de vin dans un sac de toile, S'il chavire dans ses sabots. Il s'endort à la belle étoile Gomme les fleurs et les oiseaux. Toujours solide à la consigne, La soif n'a pas tari son cœur : Ses yeux pleurent comme la vigne Et son nez est toujours en fleur.

L'ivrogne est l'homme, à mon avis. Le plus poétique du monde :

Qu'on m'en blâme à la ronde, Ma foi, tant pis! C'est mon avis.

Joigny, 1865.

Editeur: M. Basseroau, 240, rue Saint-Martin, Paris.

5

146

AIMEZ-VOUS

A madame Caille.

Aimez-vous ! Cachés dans vos alcôves roses Et dites-vous de belles choses, La poésie est née un jour De l'éloquence et de l'amour.

Aimez-vous ! Si dans votre amoureuse fièvre, Les mots meurent sur votre lèvre, Redoublez vos embrassements : Les baisers en amour sont toujours éloquents!

Aimez-vous !

Aimez-vous ! Dans les sillons et dans les herbes, En portant les foins et les gerbes. Dans la grange l'on bat le grain, Dans la cave chante le vin.

Aimez-vous ! Et laissez rire les mignonnes Des gros baisers de vos luronnes

i

147

Et de leur taille sans atour : Qu'on soit pâle ou joufflu, c'est toujours de l'amour! Aimez-vous !

Aimez-vous, Et sans courtiser la fortune Ne lui gardez pas trop rancune, Puisqu'elle fait des envieux Et que l'amour fait des heureux...

Aimez-vous! Nos pères ont aimé nos mères, Par l'amour les hommes sont frères, Et puisqu'ils ont fait comme nous, Le cœur des vétérans n'en sera pas jaloux!

Aimez-vous!

Aimez-vous ! Mais trouvez d'ardentes caresses A faire crier vos maîtresses, Et que l'amour, comme aux peureux, Vous fasse dresser les cheveux...

Aimez-vous ! Ne perdez pas en rêverie Le temps fugitif la vie Est un vaste pavillon bleu : C'est si beau la jeunesse et ça dure si peu !

Aimez-vous !

Aimez-vous ! Pour inspirer les grands artistes, Pour consoler ceux qui sont tristes.

148

Pour conserver un souvenir, Pour savoir vivre et bien mourir...

Aimez -vous! Et que l'amour dans la nature Répande un éternel murmure, Que le monde en soit enflammé Et qu'il endiablé ceux qui n'ont jamais aimé !

Aimez-vous !

Paris, 1868.

Musique de Darcier. Editeur: M. Michaëlis, 45, rue deMaubeuge, Paris .

149

VIVE L'EMPEREUR 1

Air : La bonne Aventure

Au citoyen Petite.

Bonjour au grand empereur Qui gouverne en France,

Élu par la voix du cœur Ou par manigance.

Mais n'importe, il régnera

Plus longtemps qu'on ne voudra.

Vive l'empereur,

O gué!

Vive rempereu...eu...re !

A la gloire de son nom

Et de tout le monde, Inventons une chanson

Qu'on chante à la ronde. Si nos vers sont bien carrés Nous serons tous décorés.

Vive l'empereur,

0 gué!

Vive rempereu...eu...re!

150

On dit que sa majesté

Et toute sa clique Ont juré fidélité

A la République. Mais puisqu'ils sont parvenus, Pourquoi seraient-ils pendus?

Vive l'empereur, 0 gué! Vive rempereu...eu...re!

Prévoyant les accidents

Au temps nous sommes, On muselle en même temps

Les chiens et les hommes. Moins de rage et plus d'impôts, Et César dort en repos.

Vive l'empereur, Ogué! Vive rempereu...eu...re!

De vaincre par-ci par-là. Il ne fut pas chiche,

Et la France malgré ça N'en est pas plus riche.

Mais l'on saura désormais

Ce que valent les Français.

Vive l'empereur, 0 gué ! Vive rempereu...eu...re!

151

Il fait des quartiers nouveaux» Droits comme des flèches,

Et le jour ses bourreaux Seront à leurs mèches,

Vous verrez qu'au bon endroit

Les boulets iront tout droit. ^

Vive l'empereur, 0 gué ! Vive rempereu,..eu...re!

Pour montrer au genre humain Gomment l'on gouverne,

Il n'ouvre pas un chemin Sans une caserne.

La moisson manque de bras,

Mais Paris a des soldats.

Vive l'empereur, 0 gué ! Vive rempereu...eu...re!

Ça n'est pas, à mon avis,

Bonne renommée. Que de gouverner Paris

La mèche allumée, Et le dernier sacripant En saurait bien faire autant !

Vive l'empereur, 0 gué! Vive rempereu...eu...re!

152

Aussi le voit-on chez nous

Suivi par derrière D'un vilain troupeau de loups

Armés comme en guerre : Ce coureur de lupanards A la bosse des mouchards!

Vive l'empereur, 0 gué ! Vive rempereu...eu...re!

Cependant, tas de coquins, Si j'en crois l'histoire,

Sans nos vieux républicains, Il serait sans gloire,

Puisque c'est quatre-vingt-neuf

Qui l'a fait sortir de l'œuf.

Vive l'empereur, Ogué! Vive rempereu...eu...re!

C'est encor bien plus affreux De la part d'un homme.

De traiter des malheureux En bêtes de somme,

Quand c'est au prix de leur peau

Qu'on s'est fait un beau manteau.

Vive l'empereur, 0 gué ! Vive rempereu...eu...re!

153

Mais bah ! les iniquités

Et les téméraires, Les voleurs de libertés

Et les muselières, Lasseront les bons enfants, Et tout ça n'aura qu'un temps !

Vive l'empereur, 0 gué! Vive rempereu...eu...re!

Paris, 1867.

Éditeur : M. Bassereau, 240, rue Saint-Martin, Paris.

154

CHANSON D'AVANT-POSTE

Au citoyen Georges Litnoiisin.

...Au bois de la Saulette, Ma sœur baisse le dos Et taille des fagots A grands coups de hachette ; Elle en revient le soir Bien triste et bien peinée, N'ayant dans sa journée Mangé que du pain noir. Au lieu d'être avec elle, J'ai le fusil au bras Et je fais sentinelle, Pour chagriner des gens que je ne connais pas.

Sous les drapeaux de France, Que deviendrait Jacquot Privé de souvenance? Petite sœur Margot, Pensez-vous à Jacquot?

Au bois de la Gerbaude, Accroupi sous les houx, Pour qu'on mange chez nous, Mon père est en maraude.

il

lo5

Courant à ses lacets, II est suivi peut-être Par le garde-champêtre Qui lui fera procès. Au lieu d'être à la guette A sauver le carnier, Comme une grande bête On m'envoie en avant pour servir de gibier.

Sous les drapeaux de France, Que deviendrait Jacquot Privé de souvenance? Pauvre père Pierrot, Reverrez-vous Jacquot?

Ma mère bien vieillie. De m'avoir tant pleuré, Va voir chez le curé Si la guerre est finie ; Le commis du bon dieu, A propos de gibernes. Conte des balivernes ; Ça la console un peu. La France est votre mère, A dit le général. Tout ça, c'est bon en guerre, Les petiots qu'elle pond ne lui font pas grand mal.

Sous les drapeaux de France, Que deviendrait Jacquot Privé de souvenance?

lo6

Pauvre mère Pierrot, Reverrez-Yous Jacquot?

Tout me paraît plus sombre En songeant au pays ; J'aperçois des esprits Qui sautillent dans l'ombre. J'ai cru voir un géant Le fusil sur l'épaule, Et ça n'était qu'un saule Balancé par le vent. Tantôt je m'imagine. Tant je tremble de peur, Qu'on m'ouvre la poitrine Et qu'à coups de mailloche on m'écrase le cœur.

Sous les drapeaux de France, Que deviendrait Jacquot Privé de souvenance? Petite sœur Margot, Reverrez-YOus Jacquot?

Si je prenais la route Qui conduit au pays, Je serais bientôt pris. Et mis à mort sans doute. Mieux vaut tomber encor Dans une fusillade Et qu'un bon camarade Écrive qu'on est mort.

157

Demain dans la bataille, En voyant le troupeau Criblé par la mitraille, Faudra voir tout de même à défendre sa peau.

Sous les drapeaux de France, Que deviendrait Jacquot Privé de souvenance? Pauvre mère Pierrot Reverrez-vous Jacquot?

Paris-Montmartre, 1866. Musique de Darder.— Éditeur: M. Lebailly, 2, rue Cardinale, Paris.

On a toujours fait des Bmjard de tous les pauvres diables qui grelottent de froid et de peur on sentinelles perdues ou de fac- tion aux avant-postes. Les chauvins ne seront sans doute pas de raon avis, mais je crois que tous ceux qui ont passé par cette émo- tion désagréable ont eu la même peur et les mêmes pensées que mon infortuné Jacquot.

Ceci dit, cela n'empochera pas Jacquot de faire aussi bonne figure que les camarades.

Ib8

LE DIABLE

Au citoyen Chantpy.

Ah! pauvre diable, mon ami,

Que de bruits on fait sur ton compte!

Plus on est fou, plus on en conte.

Ah ! pauvre diable, mon ami,

Va, ton règne n'est pas fini.

Par un beau soir, au long des houx, Que chacun avait sa chacune, J"ai vu le diable au bois des fous Qui faisait l'amour à la lune. Il avait des cornes de bœufs. Un œil tout vert et l'autre rouge, Des crins en guise de cheveux Qui carillonnent quand il bouge.

Ah ! pauvre diable, mon ami, etc.

C'est un conte à dormir debout, Le diable n'est pas un fantôme ;

159

Le méchant rôde un peu partout Et Tenfer n'est pas son royaume. Rapide et froid comme le vent, Cruel et dur comme la guerre, Je l'ai rencontré bien souvent : Le vrai diable, c'est la misère !

Ah ! pauvre diable, mon ami, etc.

Chacun le voit à sa façon :

Les amoureux dans les charmilles,

Le malade dans sa boisson,

Le malheureux sous ses guenilles.

Mais en laissant tomber un pleur

Pour me soulager la poitrine :

Va donc, va donc, me dit mon cœur,

Le vrai diable, c'est Catherine !

Ah! pauvre diable, mon ami, etc.

Le vrai diable, c'est les écus. C'est une belle qui se ride, C'est les espoirs qu'on a perdus, C'est un regard dans un sac vide, C'est le froid, la soif et la faim. C'est la discorde l'on demeure. C'est la moitié du genre humain Et l'autre qui n'est pas meilleure.

Ah ! pauvre diable, mon ami, etc.

160

Le diable, c'est l'ambition, La jalousie et la vengeance ; C'est un pays sans union, C'est un amour sans espérance ; C'est naître, souffrir et mourir... Vous jasez bien. 0 fantaisie! Mais dites-nous pour en finir, Que le vrai diable, c'est la vie !

Ah! pauvre diable, mon ami, Que de bruits on fait sur ton compte ! Plus on est fou, plus on en conte... Ah ! pauvre diable, mon ami, Non, ton règne n'est pas fini.

Londres, 1873.

Musique de Paul Henrion. —Éditeur : M. Labbé, 20, rue du Croissant, Paris.

161

niNYASION

A M. Paul Goutiire.

En moins d'un siècle d'existence Nous avons eu deux empereurs, Et trois fois notre pauvre France Fut livrée aux envahisseurs. Nous en garderons la mémoire, 0 race des Napoléon! Qu'on surnommera dans l'histoire : Les Bonaparte-invasion !

Silence aux faiseurs de conquêtes, Aux bourreaux de la liberté ! Leurs victoires sont des défaites

Pour l'humanité...

Place à la liberté!

Trois fois l'incendie et les guerres Ont ensanglanté nos hameaux ; Trois fois les hordes étrangères Chez nous ont planté leurs drapeaux;

162

Trois fois les vieillards et les femmes Ont s'enfuir à travers champs, Laissant leurs chaumières en flammes Pour aller cacher leurs enfants.

Silence aux faiseurs de conquêtes, Aux bourreaux de la liberté! Leurs victoires sont des défaites

Pour l'humanité...

Place à la liberté!

Ceux qui, jadis, courbaient la tête Devant nos soldats sans souliers, Fiers aujourd'hui de leur conquête Dictent des lois dans nos foyers! Et. la France républicaine Qui les vainquit tous en un jour, Pleure l'Alsace et la Lorraine Et porte le deuil de Strasbourg.

Silence aux faiseurs de conquêtes, Aux bourreaux de la liberté! Leurs victoires sont des défaites

Pour l'humanité...

Place à la liberté !

C'est en vous parlant de patrie, C'est en divisant l'univers, Qu'on nous mène à la boucherie Et qu'on nous jette dans les fers.

163

Courons tous autant que nous sommes A la conquête de nos droits, Et d'esclaves devenons hommes En nous liguant contre les rois !

Silence aux faiseurs de conquêtes, Aux bourreaux de la liberté ! Leurs victoires sont des défaites

Pour l'humanité...

Place à la liberté !

Londres, 1874.

Musique de Marcel Legay. Editeur : M. Bassercau, 240, rue Saint-Martin, Paris.

164

FANCHETTE

A madame Magnien.

Notre palais, c'est une chambre, Le paradis des quatre vents. Fanchette y chante en plein décembre,

Landerirette!

Comme au printemps. L'amour qui rit de l'étiquette Chez nous se loge sans façon,

Landerirette !

Eh, que m'importe, dit Fanchette, Si la cage plaît au pinson!

Sans meuble, on est mieux à son aise ; Aussi, quand nous rentrons le soir, Nous n'avons qu'une vieille chaise,

Landerirette !

Pour nous asseoir. L'amour qui rit de l'étiquette Ne fit pas les fauteuils pour nous,

Landerirette !

Il a bien fait, me dit Fanchette: Je suis bien mieux sur tes genoux.

Que la terre tourne et soit ronde. Mais que le printemps ait des fleurs,

165

Pour nous qui n'avons en ce monde,

Landerirette !

Que nos deux cœurs. L'amour qui rit de l'étiquette N'en trouve point à chaque pas,

Landerirette !

Je le sais bien, me ditFanchette, J'en connais tant qui n'en ont pas.

Je suis certain que la fortune Ne nous tombera pas des cieux, L'argent semble garder rancune,

Landerirette !

Aux amoureux. L'amour qui rit de l'étiquette Ne recherche pas sa faveur,

Landerirette !

Il a raison, me dit Fanchette : L'argent ne fait pas le bonheur.

Nous voltigeons pleins d'espérance Quand l'herbe commence à fleurir. Tant pis, si c'est une existence,

Landerirette!

Sans avenir. L'amour qui rit de l'étiquette Ne nous mettra pas hors la loi,

Landerirette ! Aussi je n'aime que Fanchette, Et Fanchette n'aime que moi.

Musique de P. Henrion. Editeur : M. Labbé, 20, rue du Croissant.

166

LE MOULIN NOIR

A Clémence Baudîn.

La meule tourne et moud du grain Au moulin noir du vieux ravin...

... Il babille au long des grands saules,

Le garde-moulin a six pieds,

Des bras noueux et des épaules

Gomme des troncs de peupliers ;

Il a le chant des tourterelles.

Et du velours dans les prunelles...

... Au moulin noir du vieux ravin, C'est à qui portera son grain.

Quand fillette porte son grain Au moulin noir du vieux ravin...

... Elle en revient toute épeurée. Ayant de la malice au cœur, La lèvre chaude et colorée. Des frissons et de la pâleur; Elle fuit quand on l'amignonne Et ne veut plus aimer personne...

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..". Au moulin noir du vieux ravin, L'amour est-il garde -moulin?

Quand un garçon porte son grain Au moulin noir du vieux ravin...

... Il en revient poitrine en rage, Tête affolée, œil flamboyant ; Il ameute tout le village, 11 se grise et devient méchant : Il a tant de i'ouge aux prunelles Qu'il en fait peur aux demoiselles.

... Au moulin noir du vieux ravin, Bien fin est le garde-moulin.

Quand le curé porte son grain Au moulin noir du vieux ravin...

.. Il en revient sur son ânesse, Niant la vierge et le bon dieu. Il se trompe en disant la messe. Il se grise de petit bleu. Et trouve alors que sa servante Est une fille appétissante...

... Au moulin noir du vieux ravin Bien fin est le garde-moulin.

Il tourne, tourne, et moud du grain, Le moulin noir du vieux ravin...

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... Quand la meule agite la cloche, Le follet saute dans les bois ; Pas un bigot ne s'en approche Sans faire un grand signe de croix. Si les buveurs sont gens à croire, Jadis, on disait après boire :

... Qu'au moulin noir du vieux ravin Le diable était garde-moulin.

Ile du Moulin-Joly, 1864.

Musique de Darcier. Éditeur : M. Lebailly, 2, rue Cardinale, Paris.

169

LA RONDE DU PRINTEMPS

R 0 N D E A l

A madame Camille Vesan.

En avant deux,

Les amoureux, Allez cueillir la violette Et profitez de vos vingt ans. La nature est en fête.

C'est le printemps!

Le voilà tout frais de soleil,

De lilas et de feuilles vertes,

Sonnant la cloche du réveil

Sur toutes les routes désertes.

Le voilà couronné de fleurs

Comme une jeune fiancée ;

Il fait sauver l'hiver en pleurs

Et tomber la fraîche rosée.

Il met l'amour dans les buissons.

Sur les branches et dans la mousse ;

Il fredonne avec les pinsons.

Il chante avec la fleur qui pousse !

5.

170

Il habille en blanc les pommiers, Il met des nids dans les charmilles, Il fait roucouler les ramiers Et soupirer les jeunes filles.

En avant deux,

Les amoureux. Allez cueillir la violette Et profitez de vos vingt ans. La nature est en fête.

C'est le printemps 1 .

Il met des étoiles aux cieux, Il peint en bleu tous les nuages ; Il endiablé les amoureux, Il chiffonne tous les corsages! Le monstre ne peut faire un pas Sans semer une villanelle, Une chanson dans les lilas Et des rondeaux sous la tonnelle. Le monstre ne peut soupirer Sans faire éclore une pensée, Ou bien, s'il se met à pleurer. Il fait pleuvoir de la rosée. Et comme on aime nuit et jour. On n'entend plus que le murmure D'un immense baiser d'amour Qui fait frissonner la nature !

En avant deux, Les amoureux,

171

Allez cueillir la violette, Et profitez de vos vingt ans. La nature est en fête. C'est le printemps !

Alors les oiseaux amoureux

Se font de l'oeil entre deux branches.

Les grillons s'en vont deux par deux

Faire leur nid sous les pervenches.

Les fleurettes poussent en chœur

Et soupirent des élégies,

La terre ouvre son vaste cœur

Et fait jaillir ses mélodies.

Alors les vieillards rajeunis

De secouer leur barbe grise.

Et d'aller prendre aux bois fleuris

Une bonne goutte de brise.

Mais pour les filles et les gars.

Les bois fleuris, c'est autre chose :

Ils y feront bien des faux pas

Et le printemps en sera cause !...

En avant deux,

Les amoureux, Allez cueillir la violette, Et profitez de vos vingt ans. La nature est en fête.

C'est le printemps?

Chailly, 1866.

Musique de M. Emile Bouillon. Éditeur : Société anonyme 7, rue d'Engliien, Paris.

172

FRANÇAIS, RÉVEILLEZ-VOUS DONC!

Au citoyen J.-B. Dumay.

Digue din don ! din don ! din don ! Français, eh! réveillez-vous donc!. .

France, deviendrais-tu cagote Que tu dors comme une marmotte Quand on outrage ton honneur ? Car à tous autant que nous sommes On peut crier la rage au cœur : Français, vous n'êtes plus des hommes !

Digue din don ! din don ! din don! Français, eh ! réveillez-vous donc !...

Faut-il pour que vous soyez braves

Que le clairon de vos zouaves

Vous entraîne comme un drapeau?

Quoi ! tes enfants, France guerrière,

Vont se faire trouer la peau

Pour les beaux yeux du vieux Saint-Père

Digue din don! din don! din don ! Français, eh! réveillez-vous donc!...

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Êtes-vous des polichinelles Qu'on fait marcher par des ficelles, Soldats du Rhin et d'Austerlitz? Et toi, vainqueur de la Bastille, As-tu dans le sang- de tes fils Mêlé du sang de pacotille ?...

Digue din don ! din don ! din don ! Français, eh! réveillez-vous donc!...

Peuple, tu n'as plus qu'à te pendre Si tu ne sais pas te défendre Quand les esprits sont soulevés. Si ta voix est insuffisante, Va-t-en derrière les pavés ta colère est éloquente !

Digue din don ! din don ! din don ! Français, eh! réveillez-vous donc !...

France, que doit dire l'Europe De te voir tomber en syncope Sous l'éperon de tes tyrans ? Veux-tu, qu'échappés de leur antre, Les Prussiens te saignent aux flancs Et qu'ils te passent sur le ventre ?...

Digue din don ! din don ! din don ! Français, eh! réveillez-vous donc!...

Ce que tu dois porter au monde C'est le progrès, source féconde,

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Et le chant des républicains. Mais, fils d'une même patrie, N'allons pas comme des Vulcains Forger des fers à lltalie.

Digue din don ! din don ! din don ! Français, eh ! réveillez-vous donc !...

Pourquoi franchissant tant d'abîmes, Dans le sang de tant de victimes, Avez-vous fait quatre-vingt-neuf, Si vous allez tous, d'un pas ferme, Couver à Rome un mauvais œuf Dont il faut étouffer le germe!...

Digue din don ! din don ! din don ! Français, eh ! réveillez-vous donc!...

Assez de papes et de corses ! Protestons de toutes nos forces Avant qu'on ait ouvert le feu. Si l'on veut nous mener à Rome Sauver le mangeur de bon dieu, Levons-nous tous comme un seul homme.

Digue din don ! din don ! din don ! Français, eh! réveillez-vous donc!

Paris-Montmartre, 1867. Éditeur : M. Bassereau, 240, rue Saint-Martin, Paris.

175 -

MON PÂUVR' PETIOT

A madame Louise Paulin.

Etait-ce possibl' qu'on s'imagine Qu'il était v'nu pour si peu d' temps A voir ses p'tits yeux si vivants. Son doux sourire et sa bell' mine ?... Après r travail Jean n' flânait pas, Il était si content d'êtr' père, Qu'y s'en r'venait bercer 1' tit gars Qu'était l'espoir de notr' chaumière ! Ah! petiot! Petiot ! Mon pauvr' petiot !

Quand y f'sait soleil dans la plaine. Mon Jean l'emportait sur son dos; J'y f sions un lit sous les rameaux Tout doucett'ment env'loppé d'iaine. Si Jean l'entendait soupirer, Un coup d' couteau n'était pas pire ! L' bonheur aussi ça fait pleurer. Car nous pleurions en 1' voyant rire ! Ah ! petiot ! Petiot ! Mon pauvr' petiot !

176

On a beau s' dir' faut du courage ! Mais c'est si triste à la maison, Que c'est plus fort que la raison. On n'a plus grand cœur à l'ouvrage. Dam ! il paraît qu' les pauvres gens N'ont rien à eux que leur misère. On leur prend jusqu'à leurs enfants. C'est à n' plus croire à rien sur terre !... Ah ! petiot ! Petiot ! Mon pauvr' petiot !

Maint'nant y r'pose auprès d' cett' pierre, Là, sous l'herbe qu'y pousse un' fleur. C'est p't-êtr' seul'ment son pauvr' titcœur Quel' soleil fait sortir de terre? Aussi je l'aimons ce p'tit r'coin, Et quand j' somm's fatigués d' notr' peine. Main dans la main et sans témoin. J'y v'nons pleurer comme un' Mad'leine!... Ah! petiot ! Petiot ! Mon pauvr' petiot !

Ile du Moulin-Joly, 1864.

Musique de Victor Parizot. Éditeur : M. Lebailly, 2, rue Cardinale, Paris.

177

AU SECOURS! AU SECOURS!

A Charles Lamy.

Un jeune homme à la barbe brune, Tout rayonnant d'amour et de beauté,

Vient d'escalader à la brune Le petit mur du chalet d'à côté :

Le doux zéphyr aime la rose

Et la jeunesse les amours... Il a volé le papillon de Rose,

Au secours! au secours!

Bontemps nous dit, quand il chancelle. Que le bon vin nous fait voir tout en bleu ;

Qu'il faut s'arroser la cervelle Pour que l'esprit n'y mette pas le feu...

Gris de bourgogne et de Champagne,

Il va nous faire un long discours... Maître Bontemps a battu la campagne, Au secours! au secours!

Madeleine veut rester sage, Mais son voisin a des charmes trompeurs;

L'amour est un oiseau volage Qui fait son nid au tic-tac de nos cœurs.

Du doux baiser qu'on prend si vite Naît le volcan de nos amours Et ce feu-là dévore la petite. ..

Au secours! au secours!

L'Anglais que la Tamise altère, Encore en fleur, achète notre vin ;

Depuis qu'il boit dans notre verre L'odeur du spleen attaque le raisin.

On vend, de patrie en patrie,

La vieille mère des amours ; Depuis, en France, on meurt de la pépie, Au secours ! au secours !

Aux premiers cris d'indépendance. Tout un grand peuple est sorti du tombeau :

La Pologne a crié vengeance, Et sur la brèche a planté son drapeau.

Les chants de mort, lés cris d'alarme.

Le son funèbre des tambours Semblent nous dire : Ils sont nos frères d'armes ! Au secours ! au secours !

Pai-is-Montmartre, 186...

Musique de V. Boullard. Éditeur : M. Labbé, 20, rue du Croissant, Paris.

179

QUATRE-VINGT-NEUF!

A Théophile Ferré, membre de la Commune de Paris, fusillé au pla- teau de Satory le 22 novembre 1871.

Avant Quatre-vingt-neuf On n'était pas un homme Sans titre et sans argent, Mais la bête de somme D'un seigneur insolent : Et notre pauvre France Était dans l'indolence Avant Quatre-vingt-neuf.

Avant Quatre-vingt-neuf, De quelle pauvre race, Tonnerre! étions-nous donc? Mais de tout on se lasse, Et lançant un juron, Le peuple débonnaire, Dans un jour de colère. Hurla Quatre-vingt-neuf I

Hurla Quatre-vingt-neuf, Et coupant les racines Qui produisaient les rois, Sur le trône en ruines

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Il inscrivit ses droits : Un trône, comme un saule, S'abat d'un coup d'épaule Dans un Quatre-vingt-neuf.

Dans un Quatre-vingt-neuf, La vengeance publique Marche à pas de géants. Et c'est la République Qui jaillit de ses flancs : Cette mère des mâles Qui fait peur aux gens pâles Depuis quatre-vingt-neuf !

Depuis quatre-vingt-neuf, On a taillé les hommes A même les granits. Ceux du temps nous sommes Seraient-ils plus petits ? Pourquoi la décroissance, Et n'est-on plus en France Fils de quatre-vingt-neuf ?

Fils de quatre-vingt-neuf, Ardents comme la foudre Vous construisez des lois, Vous brûlez de la poudre. Vous châtiez les rois, Et, las de faux apôtres. Vous en reprenez d'autres Nés de quatre-vingt-neuf.

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Nés de quatre-vingt-neuf, Ils ont construit leur aire Avec nos ossements ; Mais les flancs de la terre En sont encor fumants. Si le peuple sommeille, Gare qu'il se réveille Gomme en quatre-vingt-neuf !

Gomme en quatre-vingt-neuf. Le peuple est au supplice. On n'a rien fait pour lui. Au nom de la justice, Il est temps aujourd'hui Que les serfs des usines, De la terre et des mines Aient leur quatre-vingt-neuf !

Ile du Moulin-Joly, 1866.

Musique de Darcier. Éditeur : M. Léon Langlois, 48, rue des Petits-Champs, Paris.

A près d'un siècle do la grande Picvolution de 1789, le peuple on est encore à attendre la réalisation des promesses qui lui ont été faites par la bourgeoisie. Bien qu'on ait inscrit en tête des Droits de l'Homme que nous étions tous égaux, il n'en existe pas moins dans la société actuelle deux classes do citoyens ayant des intérêts tout à fait opposés.

C'est au tour dos travailleurs do poursuivre l'œuvre commencée et do hâter l'avènement do la révolution économique, do laquelle sortira l'émancipation humaine et l'égalité pour tous.

C'est ce que j'ai indiqué dans le d(>rnicr couplet de cette chan- son, que Darcier n'a pu chanter qu'après la chute de l'empire.

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BONJOUR A LA MEUNIERE

^ t}iadc)Hoiselle Rose Choiilicr.

Sur le clos de son bourriquet, Si vous rencontrez la meunière, Vous mettrez bas votre capet, Vous mettrez vos genoux en terre; Mais prenez garde à son caquet, Elle est si belle la meunière ! La tirelonla, Lonlaire, Bonjour à la meunière !

Par les sentiers du chemin creux. Si vous rencontrez la meunière, Vous en deviendrez amoureux A n'en plus souffrir père et mère. Elle a le diable dans les yeux ; Elle est si belle la meunière ! La tirelonla, Lonlaire, Bonjour à la meunière !

183 ~

En jupon court, au long des houx, Si vous rencontrez la meunière, Vous tremblerez sur vos genoux, Vous tomberez en long par terre, Vous hurlerez comme les loups, Elle est si belle la meunière! La tirelonla, Lonlaire, Bonjour à la meunière !

Se baignant au long des grands joncs, Si vous rencontrez la meunière, Votre cœur aura des frissons Et vous irez, dans la rivière, Finir vos jours en deux plongeons ! Elle est si belle la meunière! La tirelonla, Lonlaire, Bonjour à la meunière!

Oui-dà! cachez-vous bien les yeux, Si vous rencontrez la meunière : Vous auriez peur de ses cheveux. Je les ai vus traîner par terre ; Mais elle a bien plus d'amoureux. Elle est si belle la meunière ! La tirelonla, Lonlaire, Bonjour à la meunière !

184

Joyeux grillons, petits oiseaux, Si vous rencontrez la meunière, Dites-lui que, le sac au dos. Vous m'avez vu courant la terre, Avec sa fièvre dans les os : Elle est si belle la meunière! La tirelonla, Lonlaire, Bonjour à la meunière !

Villeneuve-Saint-Georges, 1864.

Musique de Darcier. Éditeur : M. Labbc, 20, rue du Croissant, Paris.

185

LETTRE A MIGNON

A madame Blanche Bloch.

Mignon, si tu veux te donner la peine De passer ce soir chez ton amoureux, Tu verras un drame avec mise en scène Ayant pour acteur un homme fiévreux.

J'ai la tête en feu, la chair agacée. Je voudrais pleurer des larmes de sang; Mais vois-tu, Mignon, l'enfance passée, L'homme le meilleur pleure en grimaçant.

Pourtant je suis le cœur en alarme,

Cloué comme un Christ au mur d'un manoir,

Et je ne puis pas verser une larme

Sur ce papier blanc que je tache en noir.

Je crois que le cœur est d'un froid de neige Quand l'horloge humaine a sonné vingt ans, Et qu'alors les pleurs sont un privilège Qui n'appartient plus qu'aux petits enfants.

186

Du resie, pleurer est une folie Qui fait, à raison, rire les moqueurs; On n'a pas besoin pour passer la vie De se déguiser en saule-pleureur.

Oh ! viens, ma Mignon, jai le cœur en ragel Nous allons chanter et faire du bruit. Nous ameuterons tout le voisinage Et les gens heureux qui dorment la nuit.

Oh! viens, nous allons causer politique Sans aucun égard pour les majestés, Et nous finirons par une chronique tous nos amis seront éreintés.

Viens, tu me diras des choses cruelles, La furie au cœur je t'en répondrai... Nous casserons tout, meubles et vaisselles, Et si tu me bats je te le rendrai.

Nous ferons un punch comme un incendie. Nous crierons au feu pour mettre. sur pieds Les gens sérieux, les gens en folie, Les sergents de ville et tous les pompiers.

Et si le portier, au nom de son maître, Nous montre son nez, ne fût-ce qu'un bout, Nous le flanquerons par notre fenêtre Gomme une fusée un jour de quinze août.

187

Et campés tous deux dans ce beau désordre, Marchant à pieds joints sur l'humanité, L'amertume aux dents nous pourrons nous mordre Au sein des transports de la volupté.

N'allant pas chercher à l'heure l'on s'aime Gomment finira le dernier tableau, Ne serait-ce pas le bonheur suprême Si la mort venait baisser le rideau?

Mignon, si tu veux te donner la peine De passer ce soir chez ton amoureux. Tu verras un drame avec mise en scène Ayant pour acteur un homme fiévreux.

Paris-Montmartre, 1865.

Éditeur : M. Bassoreau, 240, rue Saint-Martin, Paris.

188

AH! LE JOLI TEMPS

Au citoyen J. Joffrin.

Ah! le joli temps! Mes enfants, Ah ! le joli temps!

Il pleut sur les vendanges, Le vin sera mouillé ; Et le blé mutilé Se pourrit dans les granges. Les humains se font vieux Sur la machine ronde, le frisson des gueux Gagne un peu tout le monde.

Ah ! le joli temps 1

Mes enfants, Ah ! le joli temps !

Il pleut de la misère, Il pleut des croix d'honneur, Il pleut des gens sans cœur Et des armes de guerre.

189 -

Bismarck, l'homme au canon, Proclame sa vengeance, Et ses chevaux, dit-on, Vont venir boire en France !...

Ah ! le joli temps !

Mes enfants, Ah ! le joli temps !

Enjambant nos frontières. Les Prussiens entreront : Les Français s'armeront De fusils et de pierres. On verra le tableau De sanglantes batailles, Et l'avide corbeau Déchirer des entrailles.

Ah ! le joli temps !

Mes enfants, Ah ! le joli temps!

Pour attirer le monde, On expose à Paris, Et de tous les pays On se presse à la ronde : On expose des chiens, Des fusils-à-aiguilles, Des canons, des vauriens, Des magots et des filles !

190

Ah! le joli temps! Mes enfants, Ah ! le joli temps !

Afin de nous instruire, On fonde des journaux; Les blancs, les libéraux Veulent tomber l'empire. Ils sont, comme pas un, Plus méchants que la peste, Mais en temps opportun On retourne sa veste.

Ah! le joli temps! Mes enfants, Ah ! le joli temps !

En fait d'art et de gloire. Plus rigide à présent. On veut, pour son argent. De quoi manger et boire. On ne s'incline plus. En ce temps d'aventures, Que devant les écus Et les caricatures !

Ah ! le joli temps ! Mes enfants, Ah ! le joli temps !

191

L'empereur se réveille, Se drape en son manteau; Mais la gloire aussitôt Le tirant par l'oreille, Il rôve cent combats Pour la France héroïque, Et nos pauvres soldats Vont mourir au Mexique.

Ah ! le joli temps!

Mes enfants, Ah ! le joli temps !

En braves camarades, Les Français d'autrefois. Pour défendre leurs droits, Faisaient des barricades. Mais ce bon temps a fui. Et, traînant la misère. Les hommes d'aujourd'hui PoHent la muselière.

Ah ! le joli temps !

Mes enfants. Ah ! le joli temps !

La bande impériale Fait noces et festins : Ses Morny, ses catins Narguent la capitale !

192

Bien que payant les frais, Le peuple s'en console En lisant les hauts faits De monsieur Rocambole.

Ah ! le joli temps 1

Mes enfants, Ah ! le joli temps!

Paris-Montmartre, 1867.

Musique de Darcior. Editeur : M. Labbé, 20, rue du Croissant, Paris.

193

LA BRANCHE DE MAI

LÉGENDE

A 7nadatnc Claire de Rèville.

Pour fôter ma mio en ce mois d'amour,

J'ai couru Je bois au lever du jour;

D'un grand cerisier j'ai pris une branche,

Une branche en fleur, J'ai fait un bouquet d'aubépine blanche

j'ai mis mon cœur...

...Ayant mis mon cœur, l'ai bais6 cent fois, Et toujours courant j'ai quitté le bois. Comme un bienheureux que l'amour emporte

Je n'ai fait qu'un bond, Et m'en suis venu le pendre à sa porte,

Mon bouquet mignon.

Quand le mois de mai fleurit les chemins,

Ma pâle ma mie a de noirs chagrins.

On dit qu'un grand mai ronge sa poitrine,

Et la fait mourir. Si ma branche en fleur et mon aubépine

La pouvaient guérir!

194

Le bouquet pendu, près de la maison, Je me suis caché derrière un buisson, Pour voir au réveil ma pauvre ma mie

Prendre son bouquet, Et mettre en dansant la branche fleurie

A son corselet.

Tout dans la nature était bien heureux, Les arbres chantaient des airs amoureux. Les petits oiseaux jouaient dans la mousse

Et se becquetaient. La brise était tiède et l'herbe si douce

Que mes yeux pleuraient...

J'attendis longtemps, et, de la maison. Je vis s'en sauver la mère Toinon : Elle sanglotait que ça me fit peine

Et vins la trouver, Afm de savoir quand ma mie Hélène

Allait se lever...

Jeannet, me dit-elle, en pleurant beaucoup, Elle ne doit plus se lever du tout : Reprends ton bouquet et vite lui porte

En bien l'embrassant. Hélène, mon fieu, notre Hélène est morte

A minuit sonnant.

...Souffrant à mourir, hurlant comme un fou. J'ai couru la voir et l'ai prise au cou.

195

Mais le corps glacé de ma pauvre ma mie M'a fait tant de peur,

Que j'en garderai pour toute la vie Un froid dans le cœur.

Ile Marantc, 1864.

MuNiquc de Darcicr. Éditeur : M. Lcbailly, 2, rue Cardinale, Paris.

196

QUAND NOS HOMM'S SONT AUX CABARETS

A Thérésa.

C'est aujourd'hui fête au village,

Tout est rangé jusqu'au grenier.

L ane a du son et du r'moulage

Et la paiir pend au râtelier;

Nos vach's ont d' l'herbe et d' la litière,

Nos marmots sont rougeauds et frais;

Les dévot's vont à la prière,

Et nos homm's sont aux cabarets.

! v'nez donc Jeann', Cath'rin", Julie, Les jours de fête on n' Iravaill' pas ; L' soleil qui dort dans la prairie En f ra plus que nous avec nos bras. J'allons jaser d" bal et d' toilette Et nous raconter nos p'tits secrets... J' pouvons ben tailler un' bavette Quand nos homm's sont aux cabarets.

V'ià les trois grands gars à Jean-Pierre Qui pass'nt avec leux p'tit cousin; Qaatr' contre quatr', c'est notre affaire; Entrez donc qu'on vous cause un brin.

197 N' craignez i-ien, nous n' somm's pas bégueules : Ça s' devin' ben à nos caquets, Et j' n'aimons pas à rester seules Quand nos homm's sont aux cabarets.

J'allons payer un coup à boire,

Vous verrez si notr vin est bon :

C'est moi qui s'rai la mèr' Grégoire

Et vous entonn'rez la chanson.

C'est qu'y n' faut pas s' rendr' trop esclave,

Ni s' laisser m'ner comm' des baudets.

Nous j' trouvons ben la clef d' la cave

Quand nos homm's sont aux cabarets.

Bon, v'ià Collin qui t' pinc' la taille: Prends gard', Jeann', c'est un enjoleux! •Bon, v'ià maintenant Gath'rin' qui braille : Prends gard', Giroux, qu'a t' saute aux yeux! A la bonne heur", v'ià qu' tout s'arrange, Ces gars-là n' sont pas des benêts. J' crois ben que l' diable est dans la grange Quand nos homm's sont aux cabarets.

Paris-Montmartre, 186 .

Musique de Darcicr. Éditeur : M. Lebailly, 2, rue Cardinale, Paris.

198

LES AMOURS D'UN GRILLON

BALLADE

A Murger.

Comme d'un beau rève épris de ton livre, j'ai ri peut-être autant que pleuré, Enterré dans l'ombre afin d'y mieux vivre, Je l'ai dans les bois cent fois dévoré.

Je les aime aussi, tes chères frileuses, Heureux souvenirs d'un ciel printanier, Et j'ai tant rêvé de tes amoureuses Que je sais par cœur ton volume entier.

C'est à chaque page un nom de maîtresse. Un jour du passé que nous aimons tant. C'est un rire amer de notre jeunesse. C'est un flot d'amour qui meurt en chantant!

Au titre frileux de ton cher volume, On se croit d'abord dans un bois désert; Mais les fleurs de mai naissant sous ta plume Ont fait un printemps de tes nuits d'hiver.

De rire et de pleurs mouillant chaque feuille. Dans tes champs fleuris j'ai fait la moisson: Tu m'as donné l'air, j'ai fait la chanson, Et t'offre en. bouquet tes fleurs que je cueille.

Quand l'oiseau frileux qui craint les hivers Dira de son nid que l'aurore est blonde, Nous nous en irons chanter à la ronde Tes joyeux refrains sous les rameaux verts.

Au temps bien heureux des fraîches soirées, De l'amour dans l'herbe et dans les buissons; Au temps bien heureux des moissons dorées. Des soupirs du cœur el des verts gazons,

199

Un grillon venait, dans la nuit sans voile, Rêver tristement sur un épi mùr, Et chanter en vers une blanche étoile Qui peuplait, dit-on, les champs de l'azur.

« Stella, disait-il, l'amour me dévore. '( Si tu l'ordonnais je saurais mourir, « Et de cet épi quand viendrait l'aurore « Je t'adresserais mon dernier soupir. « Tu brilles haut, je chante sur terre, « Je suis bien petit et bien loin de toi : « De ton palais bleu veux-tu, solitaire, « Sur l'aile du vent venir jusqu'à moi

« Hélas! je suis noir comme la tristesse « Et c'est le hasard qui m'habille ainsi. « Je suis orphelin et n'ai pour richesse « Que les tendres vers que je chante ici. « Mais si tu m'aimais, j'irais par le monde, " Pour te le donner, voler un trésor. « J'irais dans les blés cueillir à la ronde « L'humble marguerite et le bouton d'or.

« Déjà tu pâlis, et les alouettes

« Dans leur nid de mousse ont chanté deux fois :

« Déjà les pastours et les bergerettes

<i Ont sifflé leur chien pour aller au bois.

« Adieu, ma cruelle! et la nuit prochaine

« Tu me reverras sur cet épi mûr,

« Espérant toujours pour calmer ma peine

« Que tu quitteras les champs de l'azur. »

200

Au temps desbois morts et des neiges blanches, Au temps la faim fait courir les loups ; Au temps le vent fait trembler les branches, Et que les grillons chantent dans leurs trous, Une froide nuit, aux yeux du poëte, De son palais bleu Stella disparut. Il pleura longtemps, se cacha la tête. Et dans un trou noir tout seul il mourut.

Juvisy, 1866.

Musique de Darcier. —Éditeur : M. Labbé, 20, rue du Croissant, Paris.

Je fis cette ballade ainsi que 0 ma cousine Angéîe et Tu vas ■m'oublier, quon trouvera plus loin, sous l'impression que je ressentis en lisant le volume de poésies d'Henri Mùrger, intitulé Nuits d'Hiver.

Je le dis du reste dans ma dédicace :

Tu m'as donné l'air^ j'ai fait la chanson,

Et t'offre en bouquet tes fleurs que je cueille.

201

MON HOMME

Souvenir de mai 71

Au citoyen Martin.

...Ce que je cherche, à bout d'espoir, Sous ces pavés, sous ces ruines, A même ce sang rouge et noir,

Parbleu ! tu le devines : C'est un gaillard, et l'un de ceux Qui n'ont jamais eu froid aux yeux...

C'est Martin qu'on le nomme, Soldat, l'as-tu vu?... C'est mon homme.

Je te l'ai dit, c'est un grand gas : Il a près de cinq pieds six pouces, La peau brune, les cheveux ras

Et les moustaches rousses. Il a le cœur bien planté là, Et des épaules comme ça...

C'est Martin qu'on le nomme. Soldat, l'as-tu vu?... c'est mon homme.

Il porte une cotte en velours, Une vareuse en laine bleue ; Le béret qu'il met les grands jours. On le voit d'une lieue.

202

Son linge est propre comme un sou, Marqué J. M. et sans un trou...

C'est }*Iartin qu'on le nomme, Soldat, l'as-tu vu?... C'est mon homme.

'Voilà Martin... Quant au moral, En dire long c'est pas la peine : Il travaille comme un cheval

Six grands jours par semaine; Il est bon comme du bon pain Et broierait du fer dans sa main...

C'est Martin qu'on le nomme, Soldat, l'as-tu vu?... C'est mon homme.

Je le connais depuis douze ans Et je l'ai toujours vu le même. J'ai de lui six jolis enfants,

Et j'ai le septième ! Qu'est c' que je leur dirai là- bas Si je ne le retrouve pas ?...

C'est Martin qu'on le nomme, Soldat, l'as-tu vu?... C'est mon homme.

Londres, 1874.

Éditeur : AI. Basseroau. 240, rue Saint-Martin, Paris.

203

QUAND J' MARIERAI MA FILLE

A Louis Poulin.

Je fais ma bours' depuis longtemps, Et v'ià qu'eir prend d'ia corpulence. Dame ! quand on a des enfants, Faut songer à leur existence. J'ai des écus pour la doter, Ma petite grain' de famille ! Et mes écus, j'ies frai sauter Qiiand j 'marierai ma fille.

J'veux inviter les trois cantons, Et qu'on la mène à la mairie Aux sons des flût's et des pistons, Et que la route soit fleurie. Le soir, au bal, ah! si j'pouvais Pincer encore un p'tit quadrille! Bah! je r'trouv'rai bien mes jarrets Quand j'marierai ma fille.

Je veux qu'tout l'mond' soit en gaîté : Les plus bell's noc's sont les plus folles. J'veux qu'on mett' son bonnet d'côté Et que l'on chant' des gaudrioles.

204

Je veux qu'on vide mes tonneaux, Et qu'au dessert on émoustille Le vin qui dort sous mes fagots Quand j'marierai ma fille.

Mais quand j'pens' qu'ell'ne s'ra plus A fair' marcher la maisonnée, A m'app'ler son bon vieux papa, A m'caresser tout' la journée, A prendr' son petit air boudeur : Quand ell' boude elle est si gentille ! Ah! c'est égal, ça m'fendra le cœur Quand j'marierai ma fille.

Allons, allons, c'est mal penser Pour un bonhomme de mon âge : C'est un ch'min faut tous passer. Et c'est si bon le mariage ! Si je ne la mariais pas, Ça f rait du tort à la famille... Et puis quand on trouve un bon gas Faut marier sa fille.

Paris-Montmartre, 1865.

Éditeur : M. Basscreau, 240, rue Saint-Martin, Paris.

205

CATHERINE

A Alexis Bouvier.

Boîte à Grésus ! Sac à farine ! On peut avoir cent bœufs et plus, Des vins de tous les crûs, Des fûts Pleins d'écus, Mais on n'a point deux Catherine!

Ça prend vingt ans à la mi-août, C'est frais comme une marjolaine, Solide comme un cœur de chêne, Rangée, et propre comme un sou... Ça vous a trente-deux dents blanches. Ça vous est campé sur ses hanches...

Boîte à Crésus ! Sac à farine ! etc.

Ça fait la soupe avant le jour, Ça soigne les botes de somme. Et ça vous mène comme un homme

6.

206

Nos deux grands bœufs en plein labour. Un sac de grain sur son épaule, C'est comme un oiseau sur un saule.

Boîte à Crésus ! Sac à farine ! etc.

Tout l'été ça vit sans sommeil, Ça va, ça vire à droite, à gauche ; Ça se met nu-bras quand ça fauche Et ça travaille en plein soleil; Ça monte en cuve à la vendange Et tout l'hiver ça bat en grange...

Boîte à Crésus ! Sac à farine ! etc.

Ça vous a deux pieds bien d'aplomb ; Ses mains, c'est comme deux tenailles. Ça n'a pas de ces fines tailles, C'est à pleine peau... c'est tout rond! Quand son cœur bat la générale, Faut lui prouver qu'on est son mâle!

Boîte à Crésus! Sac à farine ! etc.

Ça ne met point de falbalas. Ça se coiffe d'une marmotte, Ça porte un an la môme cotte;

207

Quant aux bijoux, ça n'en met pas.

C'est avec ça qu'on devient riche

Et qu'on n'a point de terre en friche...

Boîte à Grésus! Sac à farine! etc.

Ho ! du collier, dur et longtemps! Va, ma gaillarde, en taupant ferme, Nous pourrons acheter la ferme Avant qu'il soit deux fois dix ans... Tiens, femme, viens que je t'embrasse Et fais-moi dix gars de ta race!

Boîte à Crésus!

Sac à farine !

On peut avoir cent bœufs et plus,

Des vins de tous les crûs,

Des fûts

Pleins d'écus.

Mais on n'a point deux Catherine!

Petit-Bry, 1863.

Musique de Darcicr. Éditeur : M. Labbc, 20, rue du Croissant, Paris .

208

LA &RIVE

A Auguste Caille.

Vite, que diable, à bas du nid!

Le fléau siffle dans les granges.

Le froid a cinglé cette nuit,

Et le brouillard sent les vendanges :

Je vais me gaver comme un muid,

Car je suis fort en appétit.

Vite, que diable, à bas du nid!

Ce brouillard-là sent les vendanges !

Quand le jour est triste et brumeux, Ah ! que je plains les poitrinaires ! Ceux qui s'en vont le ventre creux, Soupant d'espoir et de chimères. Ces beaux raisins en manteaux bleus. Ça rend grivois et généreux. Quand le jour est triste et brumeux, Ah ! que je plains les poitrinaires !

Choisissons le grain velouté. Comme l'oeil noir d'une fauvette ; Quant au grain vert et picoté. L'homme en fera de la piquette. Diable! je vais tout de côté...

209

La terre tourne en vérité... Quant au grain vert et picoté, L'homme en fera de la piquette.

Ah ! je l'avoue en tout honneur : A part le monde à forme impure, Les chiens, la poudre et le chasseur, Rien n'est beau comme la nature ! Gorbleu ! je nage en plein bonheur, Vivent les vignes du seigneur ! Ah ! je l'avoue en tout honneur. Rien n'est beau comme la nature !

Hé! là-bas, monsieur l'oiseau gris Qui ne buvez que le dimanche ! Vous m'avez l'air d'être assez gris : Tenez-vous bien sur votre branche. Gapon, j'ai bu comme deux muids Et je n'ai point le cerveau pris. Hé, là-bas, monsieur l'oiseau gris, Tenez-vous bien sur votre branche !

Je suis prête à tous les ébats Si mon maître est d'humeur maligne. Qui le verra?... N'avons-nous pas Un rideau de feuilles de vigne. Qui fait tourner les échalas ? Qui donc me met la tête en bas ? Je suis prête à tous les ébats. Même sans la feuille de vigne!

Argenteuil, 186^).

210

SŒUR ANNE

A mon ami Valnay.

Sœur Anne, ma sœur Anne, Ne vois-tu rien venir?...

J'aperçois à l'horizon sombre Des tas d'iiommes épouvantés; Ils cherchent à traverser l'ombre la haine les a jetés. Cette ombre-là, c'est l'ignorance, Et, fatigués d'un lourd sommeil, Ils tendent les bras à la France le progrès s'est fait soleil.

Sœur Anne, ma sœur Anne, Ne vois-tu rien venir?...

Je vois la Pologne meurtrie

Râlant sous le poids de ses fers.

Et pour pleurer son agonie,

Le tocsin hurle dans les airs.

Les pavés sautent dans la rue,

Et le faible mordant le fort.

Le trône le peuple se rue

Roule à ses pieds comme un chien mort.

2H

Sœur Anne, ma sœur Anne, Ne vois-tu rien venir?...

Je vois un grand peuple en déroute Reconduit à coups de fusils, Laissant tout le long de la route Un ruisseau du sang de ses fils. Je vois l'Italie en carnage, N'ayant plus ni sous ni soldats, Et le pape qui déménage Avec ses bons dieux sous le bras.

Sœur Anne, ma sœur Anne, Ne vois-tu rien venir?...

Je vois le progrès qui révèle La marche d'un monde futur ; Je vois son aurore immortelle Qui se reflète dans l'azur. Je vois la terre plus féconde. Et la déesse Liberté Qui va faire le tour du monde Avec son bonnet de côté.

Sœur Anne, ma sœur Anne, Ne vois-tu rien venir?...

Je vois succéder aux batailles

La paix pour tout le genre humain ;

Car le vin coule des futailles

Et l*on vient mordre au môme pain.

212

Le progrès a fait la conquête De tous les points de l'univers ; La paix qui préside à la fête Sème partout des lauriers verts.

Paris, 1866.

Éditeur : M. Bassereau, 240, rue Saint-Martin, Paris.

213

LA COQUETTE

A M. Armand Silvestre.

Soit qu'elle ait ouï-dire ou qu'elle devine

La rare beauté de ses pieds mignons,

En les trempant nus dans la mare aux joncs

Un profond dépit agite Fantine...

... Et les recourbant comme deux roseaux :

Ah! dit la coquette, Il ne se peut pas que toujours on mette De si jolis pieds dans de gros sabots.

Je comprends le bat sur le dos de l'àne, La blouse de toile au garde-moulin. Les souliers ferrés au chercheur de pain, Le Chaume noirci sur une cabane... ... Et cueillant un lys au sein des roseaux :

Mais, dit la coquette, Il ne se peut pas que toujours on mette De si jolis pieds dans de gros sabots.

Quand on voit des nids et des fleurs nouvelles, Des étoiles d'or briller dans les cieux ; Quand on voit le monde avec de grands yeux, Lorsqu'en soupirant on se sent des ailes...

214

... Et jetant son lys au sein des roseaux :

Ah ! dit la coquette, Il ne se peut pas que toujours on mette De si jolis pieds dans de gros sabots.

Je comprends la vase et l'anse à la cruche, La laide chenille aux fleurs des pommiers, Les airs langoureux des cornemusiers Et le gros pain bis moisi dans la huche... ... Et dans son dépit, tordant les roseaux :

Ah! dit la coquette. Il ne se peut pas que toujours on mette De si jolis pieds dans de gros sabots.

Quand on cache en soi tant de belles choses, Quand on a la peau comme du velours, Un cœur qui soupire au temps des amours. Dix ongles bien faits, dix petits doigts roses. ... Et la volupté sortant des roseaux

Dit à la coquette : Venez, ma mie, il ne faut plus qu'on mette De si jolis pieds dans de gros sabots.

Ile Marante, 1865.

Musique de Darcicr. Éditeui- : M. Labbo, 20, rue du Croissant, Paris.

213

SAINT MÉDARD ET SAINT VINCENT

A M. Gustave Nadaud.

... Saint Môdard est un petit homme Qui n'a que la peau sur les os. Saint Vincent, rond comme une pomme, Est gai^ joufflu, frais et dispos. Saint Médard inonde le monde, Mais n'a ni souffle, ni poumons. Saint Vincent promène à la ronde Son gros ventre et ses deux mentons.

Mais aussi, Bonnes filles, Joyeux drilles, Mais aussi, Biribi ! Saint Médard Est un pendard ! Et saint Vincent Un bon vivant ! Et gai ! préparons les fûts et les tonnes, Gercions le ventre des tonneaux, Le soleil dore nos coteaux, Et les vendanges seront bonnes !

216

... Saint Médard est un méchant diable Qui met de l'eau dans le raisin. Saint Vincent roule sous la table Plutôt que de noyer son vin. Saint Médard avait des béquilles, Habits râpés et rien dedans. Saint Vincent courtisait les filles Et fut père jusqu'à cent ans.

Mais aussi, etc.

... Saint Médard, le jour de sa fête. Frappa, dit-on, au paradis. Saint Vincent, la vendange faite, S'y fit hisser entre deux muids. Saint Médard offrit à saint Pierre Un verre d'eau qu'il refusa. Saint Vincent lui prêta son verre, Et le bonhomme se grisa.

Mais aussi, etc.

... Saint Médard, chez dame Abstinence,

Pleura quarante jours, dit-on.

Saint Vincent, chez dame Indulgence,

Alla demander son pardon.

Saint Médard, dévoré de haines,

Jeta son écume au raisin.

Saint Vincent se perça les veines

Et mit son sang dans chaque grain.

Mais aussi, etc.

217

... Saint Médard l'a prouvé lui-même, Les buveurs d'eau sont des méchants. Saint Vincent qu'on chante et qu'on aime, Est le patron des bonnes gens. Saint Médard, aux peuples de l'onde, Prêche un déluge sans pareil. Saint Vincent, pour doter le monde, Maria la vigne au soleil!

Mais aussi,, Bonnes filles. Joyeux drilles, Mais aussi, Biribi!

Saint Médard Est un pendard! Et saint Vincent Un bon vivant! Et gai! préparons les fûts et les tonnes. Gercions le ventre des tonneaux. Le soleil dore nos coteaux Et les vendanges seront bonnes !

Paris-Montmartre, 1865.

Musique (le Darcier. Éditeur : M. Labbé, 20, rue du Croissant, Paris.

218

LE DERNIER MORCEAU DE PAIN

A mon camarade Desmonteix

Allons, mon pauvre vieux Médor, Le vent, ce soir, est en pleine abstinence.

Je m'y suis laissé prendre encor,

J'ai trop courtisé l'espérance.

Par conséquent notre dîner.

Va ressembler au déjeuner. Si tu m'en crois, bannissons l'étiquette Le sans-façon vaut mieux quand on a faim ;

Et nous saurons bien sans assiette,

Manger notre morceau de pain.

Depuis que Ninon m'a quitté, Tous mes pinceaux dorment sur la palette ; Tous les amours ont déserté Et le deuil est dans ma chambrette : N'est-ce pas qu'en perdant Ninon On peut bien perdre la raison? Au souvenir que nous laisse la belle, Oh ! viens pleurer la tête dans ma main^ Et nous aurons, mon vieux Fidèle, Une larme avec notre pain.

219

Pas de tabac et pas d'argent Pour attraper le bonhomme décembre, Qui s'amuse à souffler le vent Par les fentes de notre chambre. Mais bah! consolons-nous, Médor, Ninon reviendra bien encor; Et tous les trois, pour fêter l'infidèle, A Fontenay nous irons un matin, Nous régaler sous la tonnelle De vin clairet et de bon pain.

Soyons philosophes ce soir, Gai compagnon de m.es jours de bohème; Le pain qu'on arrose d'espoir N'est pas un trop maigre carême. Pour se consoler, ici-bas, J'en connais tant qui n'en ont pas. Rêvant ce soir à ma Ninon chérie. Sans trop souffrir, j'attendrai bien demain Mais toi, voyons, prends je t'en prie, Notre dernier morceau de pain.

Paris, 1864.

Musique do Darcior. Éditeur : M. Labbé, 20, rue du Croissant Paris.

220

0 MON MARTEAU!

A Carjat.

Un, deux, trois, quatre! Pour battre Le fer quand il est chaud, 11 ne faut pas être manchot.

Un, deux, trois, quatre!

0 mon marteau,

Avec ce manche,

Vous voilà beau Gomme mes gamins le dimanche ! Ah ! vous n'êtes pas un outil

De petit maître, Et vous valez, dans tout votre être,

Mieux qu'un fusil...

Un, deux, trois, quatre! Pour battre, etc.

Oh! dépêchons, Mon camarade, Et turbinons : Ça vaut mieux que d'être malade.

221

Faut des biceps et le restant

Quand on a charge : Nos six gars ont l'estomac large,

Vas-y gaîment !

Un, deux, trois, quatre ! Pour battre, etc.

Voici le froid,

Et l'autre année,

Il faut de droit Remettre à neuf la maisonnée. Faut une robe, et cœtera,

A la bourgeoise. Montrons qu'on n'est pas de Pontoise,

Forgeons tout ça!..

Un, deux, trois, quatre! Pour battre, etc.

Mais, c'est égal,

Le cœur m'en tremble!

Qu'on a de mal A mettre les deux bouts ensemble, Quand faut trouver pour le loyer.

Pour la buvette, Tout ça, sans faire un sou de dette

Dans son quartier.

Un, deux, trois, quatre! Pour battre, etc.

222

Mais un bobo

A la marmaille,

Qu'un lumbago Me couche neuf jours sur la paille, Bédame! on s'aime, et, supposez

Une seconde Qu'il faille madame Tirmonde,

C'en est assez!..

Une, deux, trois, quatre! Pour battre, etc.

Pas de grands mots

De rhétorique.

Nos six marmots Veulent du pain, c'est la logique, La logique d'un temps nouveau

Et des vrais hommes : Un jour, on verra qui nous sommes,

0 mon marteau!

Un, deux, trois, quatre ! Pour battre Le fer quand il est chaud, Il ne faut pas être manchot.

Un, deux, trois, quatre!..

Londres, 1873. Éditeur : M. Basscrcau, 240, rue Saint-Martin, Paris.

J

223

CHANTE-MALHEUR

LÉGENDE RUSTIQUE

A la cousine Aurêlie Beauçrand.

Que le follet roucoule, Que le chat noir se roule, Le diable en prendra soin ; Mais quand le coq chante la poule, Le malheur n'est pas loin.

Les moutons de la mère Eustache,

Son taureau, son mulet,

Son cochon et sa vache, Et même aussi son cervelet, Tout, pour mieux dire, avait la transe, La tête folle et la malchance, A ce point que le vieux bedeau. Qui ne craignait ni Dieu ni diable, Fit serment de garder l'étable Avec son chien et son fléau.

Que le follet roucoule, Que le chat noir se roule, Le diable en prendra soin ; Mais quand le coq chante la poule, Le malheur n'est pas loin.

224

Il attendit la nuit entière, Buvant dur et souvent; Mais, bah ! en cette affaire Le diable était bien innocent. Un matin que la mère Eustache Frottait l'échiné de sa vache, Dans un panier en jonc tout neuf, Elle vit que, cachant sa crête. Son coq noir des pieds à la tête, Chantait la poule et pondait l'œuf.

Que le follet roucoule, Que le chat noir se roule. Le diable en prendra soin ; Mais quand le coq chante la poule, Le malheur n'est pas loin.

Dam! c'est connu de tout le monde Avoir dans sa maison Un coq qui chante et ponde, Gest de la malchance à foison. On jeta l'œuf dans la rivière, Et le coq noir eut son affaire : Le bedeau lui coupa le cou; Et, comme il aimait la volaille, Il promit de faire ripaille. Et surtout de boire un bon coup.

Que le follet roucoule, Que le chat noir se roule,

Le diable en prendra soin ; Mais quand le coq chante la poule, Le malheur n'est pas loin.

Alors tout revint à la joie :

Le mulet, le taureau;

Et l'habillé de soie Refit du lard à pleine peau. La mère Eustache, bien calmée, Reprit sa mine accoutumée. Le vieux bedeau, sans grand fia fia, Aurait mangé toute la bête. Mais, il commença par la tête. Et la chantoire l'étrangla.

Que le follet roucoule. Que le chat noir se roule, Le diable en prendra soin; Mais quand le coq chante la poule. Le malheur n'est pas loin.

Juvisy, 1866.

Musique de Darcier. Éditeur : M. Le Bailly, 2, rue Cardinale, Paris.

226

NOUS N'IRONS PLUS AU BOIS

A Rosine Compoint.

Cousine, voici le printemps Qui fredonne sur chaque branche, Et l'aubépine en robe blanche Cause amourette aux lilas blancs. Je viens de voir une hirondelle Portant de la mousse à son nid... Et cependant c'est bien fini... Nous n'irons plus au bois, ô ma cousine Angèle !

Jadis, levés de grand matin, Quand le printemps naissait à peine, Nous comptions les fleurs dans la plaine. Et les nids dans le bois voisin. Ce temps heureux, ça me rappelle Votre chanson que j'aimais tant... J'en ai la fièvre... et cependant, Nous n'irons plus au bois, ô ma cousine Angèle !

Nous étions enfants tous les deux. De même taille et du même âge ; Les bonnes femmes du village Nous appelaient les amoureux.

227

On disait que vous étiez belle, Et que j'étais déjà galant... J'en rêve encor... et cependant... Nous n'irons plus au bois, ô ma cousine Angèle !

Pourquoi cela? me direz-vous, J'irais encor sans défiance Revoir les bois de notre enfance Et m'endormir sur vos genoux... C'est que vous ôtes chaste et belle, Trop chaste, hélas! En attendant Je vous adore... et cependant... Nous n'irons plus au bois, ô ma cousine Angèle!

C'est qu'aujourd'hui je suis rêveur, C'est vous qui m'avez fait poète ; J'ai trop de souvenirs en tête, Et trop de fièvre au fond du cœur. C'est que je vous trouve si belle... J'ai tant rêvé des jours passés... C'est que... les lauriers sont coupés! Nous n'irons plus au bois, ô ma cousine Angèle!

Saint-Ouen, 1865.

Musique de Darder. Éditeur : M. Labbé, 20, rue du Croissant, Paris.

228

NEIGE ET BOIS MORT

A l'ami Faillet.

La nature va sendormir, Le fagot pétille dans Tàtre.

On n'entend plus gémir

La musette du pâtre. La neige et le bois mort Tombent avec le vent du nord.

Le loup des bois hurle la faim, Il rôde autour des bergeries : Gare aux pauvresses mal nourries Qu'il va trouver sur son chemin. La nuit est longue et le protège, Il flaire une côte d'agneau ; Il a beau marcher sur la neige, Quand le berger veille au troupeau Le loup doit y laisser sa peau.

La nature va s'endormir, etc.

Pour appauvrir les malheureux, La terre a mis sa nappe blanche; Le givre pend à chaque branche, Gomme des larmes à nos yeux;

229

Les mendiants vont à la brune Chercher quelques brins de bois mort; Le braconnier, au clair de lune, Quand le garde ronfle bien fort, Condamne plus d'un lièvre à mort.

La nature va s'endormir, etc.

Eq souvenance des beaux jours, Des rendez-vous sous la feuillée, On entretient à la veillée Les gais propos et les amours. Un vieux raconte aux jeunes filles Des histoires de revenants Qui font casser bien des aiguilles. Beugler bien des petits enfants Et roupiller les grand'mamans.

La nature va s'endormir, etc.

L'oiseau frileux quitte son nid Et vient s'abriter sous nos chaumes Qui sont blancs comme des fantômes Ayant pour robe un drap de lit : Que deviendront les pauvres mères Qui n'auront pas quelques fagots Pour brûler la barbe aux misères, Faire gonfler les haricots Et ravigoter les marmots.

La nature va s'endormir, etc.

230

Oui, mais bientôt disparaîtront

L'iiiver et son triste cortège;

La terre avalera la neige,

Les loups au bois se sauveront.

Quand feront signe à la nature,

Soleil aimable et gai printemps,

Plus de neige ni de froidure,

Mais des fleurettes à pleins champs,

De la besogne et du bon temps.

La nature va s'endormir, Le fagot pétille dans l atre.

On n'entend plus gémir

La musette du pâtre. La neige et le bois mort Tombent avec lèvent du nord.

Chcnno\'ières, 186...

Éditeur : M. Bassorcau, 240, rue Saint-Martin, Paris.

231 -

LIBERTÉ - ÉGALITÉ - FRATERNITÉ

A Blatiqtii.

Liberté, Égalité, Fraternité.

Lorsque nous sapons par ses bases Votre édifice mal d'aplomb, Vous nous répondez par du plomb Ou vous nous alignez des phrases. En attendant, cher est le pain, Longs la misère et le chômage... Hier, en cherchant de l'ouvrage, Hier, un homme est mort de faim !

Liberté, Égalité, Fraternité.

Vous pouvez couvrir les murailles De ces mots vides et pompeux : Ils ne sont pour les malheureux Que synonymes de mitrailles.

232

Nous connaissons le prix du pain Et vos doctrines libérales... Hier, sur le carreau des halles, Une femme est morte de faim !

Liberté, Égalité, Fraternité.

Pour qui s'en va lestomac vide, Ayant chez lui femme et marmots. On peut traduire ces trois mots : Chômage, Misère, Suicide. Les mots ne donnent pas de pain, Car nous voyons dans la grand' ville De vieux travailleurs sans asile Et des enfants mourir de faim.

Liberté, Égalité, Fraternité.

Ces mots sont gravés dans la pierre Sur les frontons des hôpitaux, De la Morgue et des arsenaux Et sur les murs du cimetière. Avec le temps, il est certain Que la bourgeoisie en délire Finira bien par les inscrire Sur le ventre des morts de faim.

233

Liberté, Égalité, Fraternité.

Hommes libres nous voulons être, Mais il nous faut l'Égalité. Nous voulons la Fraternité, Mais il ne faut ni Dieu ni Maître. Moins de phrases et plus de pain, Et, surtout, moins de politique. Car nous disons qu'en République On ne doit pas mourir de faim.

Liberté,

Égalité, Fraternité.

Paris-Montmartre, 1884.

J'ai dédié cette chanson h Blanqui, la plus grande victime peut-être de ces trois mots, pour losquels il a lutté toute sa vie avec un stoïcisme qui ne scst jamais démenti.

Je lestimais vivant, je le salue dans la tombe !

234

LA FLEURÀISON

A la citoyenne Varenne.

Ce doux frisson, Ce rustique murmure, C'est le printemps qui prédit la moisson. C'est la chanson Que chante la nature. Ce doux frisson, C'est l'œuvre immense en pleine fleuraison !

L'herbe frémit près de la fleur qui pousse, Humide encore des brouillards du matin ; Le mois d'amour a velouté la mousse sont blottis les oiseaux du chemin ; Le flot inonde et caresse la berge le mûrier près du saule est planté: C'est la nature en sa robe de vierge Portant les fleurs de sa fécondité.

Ce doux frisson, Ce rustique murmure, etc.

La terre s'ouvre et le blé qu'elle enfante Sort frémissant aux yeux des laboureurs ;

235

L'arbre se tord, la sève est palpitante, Et les sainfoins sont émaillés de fleurs; Le cep noueux se cramponne à la terre, Car de ses fruits il pressent le fardeau ; Tout se remue et le marbre et la pierre, Tout chante et pousse avec le renouveau.

Ce doux frisson, Ce rustique murmure, etc.

Les bois sont verts, venez, garçons et filles, Chanter en chœur la ronde des beaux jours. Le gai soleil a fleuri les charmilles : Le temps des fleurs, c'est le temps des amours ! . . Qu'on se prépare et qu'on cercle à la ronde Des muids ventrus et des tonneaux géants, Et que nos vins fassent le tour du monde : La vieille vigne a partout des enfants.

Ce doux frisson, Ce rustique murmure. C'est le printemps qui prédit la moisson. C'est la chanson Que chante la nature. Ce doux frisson. C'est l'œuvre immense en pleine fleuraison !

Ermont, 1865. Musique do J. Quidant. Éditeur : M. Gérard. 2, rue Scribe, Paris,

236

L'AMOUR DE MA MIE

VIEILLE CHANSON

A madame LauretU.

Le roi, pour son royaume Et tous ses environs, Peut demander mon chaume; Il peut, de nos valions, Conjurer le fantôme Qui mange nos moutons ; Il peut me faire vendre Ma houlette et mon chien ; Il peut me faire pendre Et je n'en pourrai rien...

Je donnerai ma vie Pour ce qu'on voudra. Mais l'amour de ma mie Le roi ne l'aura.

Le roi peut en ce monde

Précipiter longtemps

La course furibonde

De ses beaux coursiers blancs:

237

Mais qu'il prie ou qu'il gronde, Tout règne n'a qu'un temps. Dans sa course insensée, S'il veut passer un jour ma mie est passée Avec tout son amour.. .

Je donnerai ma vie Pour ce qu'on voudra, Le roi de chez ma mie Ne s'en reviendra.

La nuit, à ma couchette, Je dis mon désespoir; J'ai mis à ma houlette Un petit ruban noir; Et ma pauvre musette Pleure avec moi le soir : Au retour des fougères J'irai couper des fleurs, Si la voix des bergères Se mêle à mes douleurs...

Je donnerai ma vie Pour ce qu'on voudra, Mais ça n'est point ma mie Qui me répondra.

Le printemps sur la terre Fait l'amour à l'été; Déjà sur ma chaumière Les oiseaux ont chanté ;

238

Un grand manteau de lierre Couvre sa vétusté. Le soleil vient nous rendre Les fleurs et les beaux jours, Que l'hiver doit reprendre Avecque nos amours...

Je donnerai ma vie Pour ce qu'on voudra, Mais l'amour de ma mie Qui me le rendra?

Montargis, 1865.

Musique de Darder. Éditeur : M. Labbé, 20, rue du Croissant, Paris.

239

LE BONHOMME MISÈRE

Au citoyen F, Gambon.

Haro! Voici le bonhomme Misère, Livide, décharné, malsain, Tortillard, cagneux, poitrinaire. Honteux, hardi, rampant, câlin. Menaçant, farouche, assassin ! ... Voici le bonhomme Misère,

Haro !

Haro ! Voici le bonhomme Misère Avec sa clique et ses truands. Marchant sans but et sans bannière. Gomme un troupeau de loups errants Que la faim presse par les flancs. Voici le bonhomme Misère,

Haro!

Haro! Voici le bonhomme Misère Avec ses filous de tripot Et ses détrousseurs de barrières :

240

Gibier de bagne et d'échafaud, Professeurs de crime et d'argot. Voici le bonhomme Misère, Haro!

Haro ! Voici le bonhomme Misère Et ses impudiques amours, Ses fils sans patrie et sans mère, Ses jongleurs, ses faiseurs de tours Et ses filles de carrefours. Voici le bonhomme Misère,

Haro !

Haro! Voici le bonhomme Misère Et ses enfants, sans feu ni lieu. Philosophes courant la terre. Amoureux quand le ciel est bleu, Doutant de tout, surtout de dieu. Voici le bonhomme Misère,

Haro !

Haro ! Voici le bonhomme Misère Avec ses martyrs efflanqués, Portant tous, sur leur front austère, La griffe qui les a marqués Des noms de pauvres, de toqués. Voici le bonhomme Misère,

Haro !

241

Haro! Voici le bonhomme Misère Et son troupeau déshérité, Chair d'hôpital et de rivière, Grande et sinistre majesté Des forçats de l'adversité ! Voici le bonhomme Misère,

Haro !

Haro! Voici le bonhomme Misère Que le vice tient aux cheveux Et fait rouler dans son ornière, Puis l'ogre Or qui rit auprès d'eux De leur mine et de leurs flancs creux. Voici le bonhomme Misère,

Haro!

Haro! Voici le bonhomme Misère, Vieux comme l'égoïsme humain, Sec, endurci comme une pierre ; Il suit une route sans fin. Comme il a froid!., comme il a faim! Voici le bonhomme Misère,

Haro!

Haro ! Voici le bonhomme Misère Qui voit dans des mondes nouveaux La fin de son rude calvaire.

7.

242

Tais-toi, vieux fou! Porte-fardeaux! L'ogre Or va te rompre les os! Voici le bonliomme Misère, Haro!

Haro !

Voici le bonhomme Misère, Qui se fait homme et révolté ! 11 a jeté son air de guerre Et conduit son monde irrité A l'assaut de l'Égalité ! Voici le bonhomme Misère,

Hourra !

Hourra !

Paris-Montniartro, 186S.

Éditeur : M. Labbé, 20. rue du Croissant, Paris.

243

LE TEMPS DES CERISES

A la vaillante citoyenne Louise, Vam- bulancière de la rue Fontaine-au- Roi, le dimanche 28 mai 1871.

Quand nous en serons au temps des cerises, Et gai rossignol et merle moqueur

Seront tous en fête. Les belles auront la folie en tête Et les amoureux du soleil au cœur. Quand nous en serons au temps des cerises, Sifflera bien mieux le merle moqueur.

Mais il est bien court le temps des cerises, l'on s'en va deux cueillir en rêvant

Des pendants d'oreilles, Cerises d'amour aux robes pareilles Tombant sous la feuille en gouttes de sang. Mais il est bien court le temps des cerises, Pendants de corail qu'on cueille en rêvant.

Quand vous en serez au temps des cerises, Si vous avez peur des chagrins d'amour

Évitez les belles. Moi qui ne crains pas les peines cruelles,

244

Je ne vivrais pas sans soufîrir un jour. Quand vous en serez au temps des cerises, Vous aurez aussi des chagrins d amour.

J'aimerai toujours le temps des cerises : C'est de ce temps-là que je garde au cœur

Une plaie ouverte, Et dame Fortune, en m'étant offerte, Ne saurait jamais calmer ma douleur. J'aimerai toujours le temps des cerises Et le souvenir que je garde au cœur.

Paris-.Montmarlre, 1866.

Musique de Renard. Éditeur : M. Egrot, 25, boulevard de Strasbourg, Paris.

Puisque cette chanson a couru les rues, j'ai tenu à la dédier, à titre de souvenir et de sympathie, à une vaillante fille qui, elle aussi, a couru les rues à une époque il fallait un grand dé- vouement et un fier courage !

Le l'ait suivant est de ceux qu'on n'oublie jamais :

Le dimanche, 28 mai 1871, alors que tout Paris était au pouvoir de la réaction victorieuse, quelques hommes luttaient encore dans la rue Fontaine-au-Roi.

Il y avait là., mal retranchés derrière une barricade, une vingtaine de combattants, parmi lesquels se trouvaient les deux frères Ferré, le citoyen Gambon, des jeunes gens de dix-huit à vingt ans et des barbes grises qui avaient déjà échappé aux fusillades de 48 et aux massacres du coup d'État.

Entre onze lieures et midi, nous vîmes venir à nous une jeune fille de vingt à vingt-deux ans qui tenait un panier à la main.

Nous lui demandâmes d'où elle venait, ce qu'elle venait faire et pourquoi elle s'exposait ainsi?

Elle nous répondit avec la plus grande simplicité qu'elle était ambulancière et que la barricade de la rue Saint-Maur étant prise, elle venait voir si nous n'avions pas besoin de ses services.

24S

Un vieux de 48, qui n'a pas survécu h 71, la prit par le cou et l'embrassa.

C'était en effet admirable do dévouement !

Malgré notre i-efus motive de la garder avec nous, elle insista et ne voulut pas nous quitter.

Du reste, cinq minutes plus tard, elle nous était utile.

Deux de nos camarades tombaient frappés l'un, d'une balle dans l'épaule, l'autre au milieu du front.

J'en passe! !...

Quand nous décidâmes de nous retirer, s'il en était temps encore, il fallut supplier la vaillante fille pour qu'elle consentît à quitter la place.

Nous sûmes seulement qu'elle s'appelait Louise et qu'elle était ouvrière.

Naturellement, elle devait être avec les révoltés et les las-de- vivre !

Qu'est-elle devenue?

A-t-elle été, avec tant d'autres, fusillée par les Vcrsaillais?

N'était-ce pas à cette héroïne obscure que je devais dédier la chanson la plus populaire de toutes celles que contient ce volume?

246

QUE LA TERRE A DE BONNES CHOSES !

A inadtmoiscUe Henriette Gcslin.

A part ]a peste et les fripons, Les mauvais dîners de rencontre, Les sots qui taillent des chansons, Les affamés qui font la montre...

A part les grippe-sous, Les jaloux, Les buveurs d'eau, les gens moroses,

Ah! Que la terre a de bonnes choses!

A part tous les fléaux humains, La nature est une merveille! La Bourgogne a de si bons vins, C'est si bavard une bouteille !

A part les grippe-sous. Les jaloux, Les buveurs d'eau, les gens moroses,

Ah! Que la terre a de bonnes choses!

Et que dirai-je du soleil

Qui fait mûrir la grappe ronde,

247

Qui met la jeunesse en éveil Et dit : Aimez! atout le monde.

A part les grippe-sous, Les jaloux, Les buveurs d'eau, les gens moroses,

Ah! Que la terre a de bonnes choses !

Je parle du vin comme un vieux, Mais l'amour a sa poésie : C'est si tendre deux amoureux Et ma Ninon est si jolie!

A part les grippe-sous, Les jaloux, Les buveurs d'eau, les gens moroses,

Ah! Que la terre a de bonnes choses !

On a fait plus d'une chanson Sur le vieux sujet qui m'inspire. Ces couplets seront pour Ninon, Pour Ninon qui m'a tant fait dire :

A part les grippe-sous. Les jaloux. Les buveurs d'eau, les gens moroses,

Ah! Que la terre a de bonnes choses !

Paris, 1866.

248

LA NOURRICE A PIERROT

A i'atni Eiig'cnc Baillet.

Un jour ou l'autre on va m'ie r'prendre, Aussi je n'veux plus d'nourrisson. Ça fait trop d'mal quand y faut l'rendre, C'est comme un mort dans la maison. Mais c'qu'on n'rend pas c'est ce gai ramage Qu'les p'tits enfants font dès l'matin; C'est c'bon sourir' du premier âge Qu'est si finaud et si câlin.

Fais do do, Do do, Pierrot, T'auras tantôt Du bon lolo. Hé, Ion Ion la, faites do do, Ou ben, Pierrot, Votr' bon lolo S'ra pour Jacquet. Do do, petiot. Mon pauvr' Pierrot.

Tout l'mond' sait comme il était frèlo Quand je l'ons pris pour le nourrir.

249

Il s'accrochait à ma mamelle

Comme pour dir' : Ne m'iaiss' pas mourir.

J'iai mis dans Tmêm' berceau que ma fille

Et je m'suis dit en l'embrassant :

C'est un gars d'plus dans la famille,

Nourrissons-le comm' notre enfant.

Fais do do, etc.

A Paris, t'auras ben d'ia peine... Si tu restais dans not' pays, T'épous'rais notr' fiU' Madeleine Et t'aurais d'bons vieux amis. .J'vous donnerions en mariage L'peu d'bien qu'j'avons en plein soleil, Et la maisonnett' de c'village tout sourit à ton réveil.

Fais do do, etc.

S'y t'arriv' jamais d'ia souffrance, 0 p'tiot! quand tu s'ras bien loin d'moi, Au fond d'ton cœur gard' la souv'nance, Qu'chez nous j'aurons toujours pour toi : Dans notr' foyer un' bonn' gross' bûche. Un bon lit d'plum' pour te r'poser. Un morceau d'pain bis dans la huche, Pour te recevoir un gros baiser.

Fais do do, etc.

250

Ta bouch' rose a ben d'ia malice, Tu ris en d'dans, mon beau p'tit gas. Ah ! quand tu s'ras loin d'ta nourrice Comm' tous les autr's tu l'oublieras... On frapp' !... c'est p't'être déjà ta mère! Avec eir tu vas t'en aller... Endors-toi vit', mon p'tit gars Pierre, Eir n'os'ra pas te réveiller !

Fais do do, Do do. Pierrot, T'auras tantôt Du bon lolo. Hé, Ion Ion la, faites do do, Ou ben, Pierrot, Votr' bon lolo S'ra pour Jacquot. Do do, petiot, Mon pauvr' Pierrot.

Ormcsson, 1865.

Musique de V. Parizot. Éditeur : M. Lebailly, 2, rue Cardinale, Paris.

251

LES VOLONTAIRES

A Ba^eux-Ditmesnil

Comme ils étaient fort entêtés Quand ils avaient leurs volontés

Nos vaillants pères! Les gas à poil de ce temps-là Voulurent qu'on les appela

Les volontaires ,

Au pays l'on fait du vin, la vigne est le médecin

Des poitrinaires, Les hommes sont si bien bâtis Que tous, un jour, grands et petits,

Sont volontaires.

Mal équipés, en gros sabots,, ' Ils coururent, le sac au dos,

A nos frontières, Avec la Marseillaise au cœm^ Et du courage à faire peur,

Des volontaires.

252

On ne voyait point de musards, Point de poussifs, point de traînards

Dans les ornières. La Liberté donnait du nerf, Des pieds et des jarrets de cerf

Aux volontaires.

Aussi ce ne fut pas bien long De reclouer le pavillon

Sur nos frontières. Liberté, mère des héros, Ils avaient du feu dans les os,

Tes volontaires.

Liberté, c'était en ton nom Qu'ils se faisaient chair à canon

Et de civières ! 0 patronne ! quand vous hurlez. Ça fourmille comme les blés,

Les volontaires.

Londres, 1873.

Musique de Marcel Legay. Éditeur : M. Bassereau, 240, rue Saint-Martin, Paris.

233

FLEURS ET FRUITS

A madotioiselle E. Canat.

Apprêtez, fillettes, Vos petits paniers et vos corselettes, Voici la saison des fleurs et des fruits. La fraise est au bois à côté des nids ; La cerise, aux champs, attend les cueillettes.

0 gué, les fillettes ! Voici la saison des (leurs et des fruits.

Feu dans les prunelles

Qui brille et fait peur,

Fraîches demoiselles,

La poitrine en fleur. Des bruns et des blonds toutes les promises S'en vont en dansant aux rouges cerises ; Et rouges si bien qu'en les reg-ardant Ça vous semble aux yeux des gouttes de sang.

Apprêtez, fillettes, etc.

Tiédeur sur la joue, Par malice un peu, Pour voir ce qui noue Le petit bas bleu.

254

Le gars le plus dru fait la courte échelle Au tendron léger comme une hirondelle. Tout ça c'est si prompt et se fait si bien, Qu'ouvrant de grands yeux même onn'y voit rien.

Apprêtez, fillettes, etc.

L'oiselet volage,

Tout vêtu de gris.

Vient du bois sauvage

Avec ses petits. Sans s'épouvanter du garde qui braille, Ni du mannequin au fusil de paille, Il dîne au bel air, aux frais du printemps, Et dort sur la branche à l'abri du temps.

Apprêtez, fillettes, etc.

Vive comme un lièvre,

Fillette, au corset

Ou bien à sa lèvre

Porte un blanc muguet. Pour un baiser pris sur lèvres vermeilles. On lui donne en gage un pendant d'oreilles : Pendant de corail, cerises d'amour, Qu'on laisse dans l'herbe à la fin du jour.

Apprêtez, fillettes, etc.

Puis le cœur à l'aise D'avoir bien aimé, Quand paraît la fraise Au bois embaumé,

253 Sous les grands buissons d'aubépine blanche, Avec sa promise on vient le dimEinche Mettre en son panier le fruit velouté, Qu'avec le soleil enfante l'été.

Apprêtez, fillettes, etc.

Aimables cueillettes

Des bois d'alentour,

Gentilles fillettes,

Fleurs et fruits d'amour. Le cornemusier, assis sous un chêne. Pour faire danser souffle à perdre haleine. Laissez vos paniers au long des buissons, Mais prenez bien garde à vos cotillons.

Apprêtez, fillettes. Vos petits paniers et vos corselettes, Voici la saison des fleurs et des fruits. La fraise est au bois à côté des nids ; La cerise, aux champs, attend les cueillettes.

0 gué, les fillettes ! Voici la saison des fleurs et des fruits.

Ermont, 1864.

256

LE SONNEUR DE MADRID

Au citoyen J. Bonifay.

Bandes noires, videurs de poclies, Noyez-vous dans vos bénitiers. Au pays des gais muletiers, La liberté se pend aux cloches.

Ah! ah! Noyez-vous-y donc! Din don.

La liberté sera marraine Des poupenotsnés en cctemps. Elle en avait un tous les ans : C'est bien dommage pour la reine.

Ah! ah! Baptisez-les donc! Din don.

Les rois auront beau se défendre, Nous leur ferons toujours la loi . La grosse reine est sans emploi : Encore une couronne à vendre.

2S7

Ah! ah! Mais venez-y donc! Din don.

Gobeurs d'hostie et d'eau bénite, Cafards dorés, gens à plumets, Mangeurs d'impôts, pitres, valets Qui prenez la femelle au gîte...

Ah! ah! Déménagez-donc ! Din don.

Le peuple est la grande canaille Qu'on corrige à coups de bâton. Et, si l'on en croit les dit-on, Sa colère est un feu de paille.

Ah! ah! Eteignez-le donc ! Din don.

Si nos voisins, fiers d'une époque Qu'on appelle quatre-vingt-neuf. Essayaient de remettre à neuf Leur pavillon qui tombe en loque...

Ah ! ah !

Que l'on rirait donc !

Din don.

238

Ce n'est pourtant pas difficile De rester le maître chez soi : Quand le peuple se fâche, un roi Ça fait son bagage et ça file...

Ahl ah!

Souvenez-vous donc !

Din don.

Vous avez ri de nos poètes : Mais ces amoureux du soleil Vous ont prouvé par leur réveil Qu'ils ne craignaient pas les tempêtes.

Ah ! ah !

Réveillez-vous donc I

Din don.

On peut chanter des sérénades Aux belles "qu'on attend le soir, Ça n'empêche pas de savoir Danser aux sons des fusillades.

Ah ! ah ! Imitez-nous donc ! Din don.

La liberté rend la jeunesse : Sonnons, sonnons à tour de bras Pour étouffer tous les sabbats Des cloches qui sonnent la messe.

-2S9

Ah ! ah ! Carillonnez doncl Din don.

Amen pour la sainte boutique ! Je suis fort comme trois géants Depuis un mois que je me pends Aux cloches de la République !

Ah ! ah ! Ecoutez-les donc ! Din don.

Pai-is-Montmavtrc, 1868. Éditeur : M. Bassoroau, 2i0, rue Saint-Martin, Paris.

On SG souvient des événements qui éclatèrent on Espagne en 1868 et à la suite desquels la reine Isabelle et ses Marlbris durent prendre la poudre d'escampette.

Malheureusement, les prophéties de mon sonneur ne se sont pas réalisées. Un autre Alphonse a remplacé les Marforis.

260 -

TOINON-CABOCHE

Au docteur Goisct.

Figurez-vous une marmotte Rouge comme le vrai drapeau, Une paupière qui clignote Et du sang jaune sous la peau.

Voilà Toinon-Gaboche Qui se traîne clopin-clopant, Et qui n'a même pas en poche Les cinq sous du vieux juif-errant.

Un front creusé comme une ornière, Sur les tempes trois cheveux blancs. Des yeux qui pleurent la misère, Une joue et des trous dedans.

Voilà Toinon-Gaboche Qui se traîne clopin-clopant. Et qui n'a même pas en poche Les cinq sous du vieux juif-errant.

261

Un menton maigre, osseux qui danse La Carmagnole avec le nez, Un dos en forme de potence Et les deux genoux couronnés.

Voilà Toinon-Caboche Qui se traîne clopin-clopant, Et qui n'a môme pas en poche, Les cinq sous du vieux juif-errant.

Une voix triste et nasillarde, Pleurant des ah! et des hélas! Une vieille enfin qu'on regarde En hurlant : Ça ne se doit pas!

Voilà Toinon-Caboche Qui se traîne clopin-clopant : Prudhomme, gras comme une loche, Boit, mange, chasse et vit content.

Paris-Montmartre , 1 882 .

Editeur : M. Bassereau, 240, rue Saint-Martin, Paris.

262

TOURNE, TOURNE, MON MOULIN

^4 Abcl Boisseau .

Tourne, tourne mon moulin Sous tes grands rubans de lierre. Tant que nous aurons du grain Et de l'eau dans la rivière. Tourne, tourne mon moulin. Va plus vite que la faim!

Tourne, tourne mon moulin, Songe que ton bavardage Promet la miche de pain Aux enfants du voisinage. Tourne, tourne mon moulin, Les enfants ont toujours faim!

Tourne, tourne mon moulin, Que la vieille qui mendie Trouve son pichet de vin Et ma huche bien garnie. Tourne, tourne mon moulin, Les pauvres ont toujours faim!

263

Tourne, tourne mon moulin,

Les méchants sont en grand nombre,

Mais souvent un peu de pain

Déride un visage sombre.

Tourne, tourne mon moulin.

Le crime vient de la faim !

Tourne, tourne mon moulin Pour apaiser tout le monde, Car la guerre est en chemin Quand tu dors une seconde. Tourne, tourne mon moulin. On se bat quand on a faim !

Tourne, tourne mon moulin A faire des étincelles! Prends ta course à fond de Irain, Car la famine a des ailes. Tourne, tourne mon moulin, Va plus vite que la faim !

Petit-Biy, 1869.

Editeur: M. Basscrcaa, 240, rue Saint-Martin, Paris.

264

SI vous M'AIMEZ

BALLADE

A madaine Dratnard.

Si VOUS m'aimez, ma dit ma belle, Assise sous les palmiers verts, Allez chercher, amant fidèle,

La perle fine au fond des mers. Demain soir, j'en veux une Dont l'étrange couleur Mette l'envie au cœur D'Adji la brune... Pour lui ronger le cœur, Demain soir, j'en veux une !

Si vous m'aimez, m'a dit ma belle, En m'inondant de ses cheveux, Allez chercher, amant fidèle, L'étoile blanche au fond des cieux.

Et soulevant mon voile Afin de l'y poser. Vous aurez un baiser Pour une étoile. Si tu veux ce baiser. Il me faut une étoile !

- 265

Mais, si pour vous, m'a dit ma belle, Trop profond est le fond des mers, Trop haut le ciel, amant fidèle. Tuez- vous sous les palmiers verts...

Maudissant l'infortune,

Je me tuerai demain.

Mais avant, je viendrai. Ici, ma brune,

Et je vous séduirai

Au premier clair de lune !

Paris, 186 .

Éditeur : M. Bassercau, 240, rue Saint-Martin, Paris.

266

JEAN MAR&OUSIN

Au citoyen Parlât.

Quand le fermier Jean'Margousin

Partit pour le marclié voisin,

La lune se mirait encore

Dans les flots noirs du grand étang,

Et le sonneur, guignant l'aurore,

Se réveillait en se grattant...

...Mais Jean Margousin, pour sa peine,

S"en reviendra sacoche pleine.

Quand le fermier Jean Margousin

Partit pour le marché voisin,

Il était sur sa poulinière,

Ayant en longe son baudet,

Faro devant, et par derrière

Sa pouliche qui gambadait...

...Mais Jean Margousin, pour sa peine,

S'en reviendra sacoche pleine.

Quand le fermier Jean Margousin Partit pour le marché voisin. Quatre grands bœufs, presque sans taches. Le suivaient liés deux à deux,

267 Puis trente moutons et deux vaches Quasi fortes comme ses bœufs... ... Aussi Margousin, pour sa peine, S'en reviendra sacoche pleine.

Quand le fermier Jean Margousin

S'en revint du marché voisin,

La route du bois était sombre;

Il était seul et trébuchait.

A chaque pas, prenant son ombre

Pour un voleur, il frissonnait!...

... C'est que Margousin, pour sa peine,

S'en revenait sacoche pleine.

Heureusement que Margousin Se rendit au marché voisin Sans emmener sa femme Ursule, Sa fille Annette et son fils Jean, Car je crois bien que, sans scrupule, Le bonhomme en eût fait argent... ... Il eut grand'peur, il eut grand'peinc, Mais sa sacoche était si pleine!

Noisy-lo-Scc, 1864.

Musique de Darder. Éditeur : M. Labbc, 20, rue du Croissant, Paris .

268

MUSE, REPRENDS TON VOL

A A. Royer.

Gomme un gai rossignol, Muse, reprends ton vol! La loi devient plus charitable Et nous promet des jours meilleurs. Va, quoi qu'en disent les railleurs, Le gouvernement est bon diable.

0 fille du printemps,

Achetons des rubans! Tu vas pouvoir, chère maîtresse. Te parer de tes beaux atours, Puisque l'on donne libre cours A la liberté de la presse.

A'Iuse des malheureux. Plus de chants langoureux! Que ta lyre, longtemps muette, Réveille le peuple qui dort !... Mais, chut! ne parlons pas trop fort. Je vois un mouchard qui nous guette.

0 filles des Gaulois, Chantons à pleine voix

269

Que la liberté court le monde Et que l'avenir est à nous!... Chut! on pousse les verroux, C'est le geôlier qui fait sa ronde.

Muse sans feu ni lieu,

Rêvant sous le ciel bleu, Soulevons le masque du prêtre Et dévoilons sa fausseté... Mais, chut ! voici l'autorité Et la voiture de Bicêtre.

0 muse de l'honneur,

Fille de la pudeur. Faisons respecter la morale Par les margots et leurs vauriens !... Mais, chut! en voici les gardiens Qui vont se soûler à la Halle.

Muse de l'équité

Et de la liberté, Disons que la misère est grande Et que le siècle tourne à mal... Mais, chut ! les gens du tribunal Pourraient bien nous mettre à l'amende!

0 muse des faubourgs, Au bruit de cent tambours Viens planter sur les barricades Le drapeau des républicains... Mais, chut! voici les assassins Qui commandent les fusillades.

270

Gomme un gai rossignol, Muse, reprends ton vol ! Quand à la saison printanière. L'oiseau redira ses chansons, A pleine voix nous chanterons Sans prendre garde au commissaire.

0 fille du printemps,

Achetons des rubans, Achetons les noirs pour la France, Encore en deuil de ses revers. Mais conservons les rubans verts Que nous a laissés l'espérance.

Paris-Montmartre, 1868. Éditeur : M. Bassereau, 240, rue Saint-Martin, Paris.

Le gouvernement impérial eut, à cette époque, des velléités de libéralisme incompatible avec son origine. On retapa les lois dra- coniennes sur le droit de réunion et sur la liberté de la presse, et bien dos naïfs s'y laissèrent prendre.

La promulgation de ces fameuses lois ouvrit, h nouveau, l'ère des persécutions, des arrestations et des condamnations pour les orateurs des réunions publiques et pour les écrivains.

Ce libéralisme nous valut, à Vermorel et à moi, sept ou huit condamnations pour délits de presse, se chiffrant par des amendes énormes et deux ou trois ans de prison.

Le 4 septembre nous ouvrit les portes de Pélagie.

271

MUSIQUE

A mon ami Rouen.

Sapin qui cliante Des airs tristes qui font pleurer, Sanglots d'une plaintive amante Qui soupire sans espérer! Herbe qui pousse et qui frissonne, Roseau qui tremble et qui bourdonne.

C'est la musique des amours, De nos cœurs et de la nature.

C'est l'éLernel murmure Et l'écho des nuits et des jours. C'est la musique des amours : 0 Marinette, aimons toujours!

Flot qui murmure, Saule qui gémit quand le vent Eparpille sa chevelure, Ruisseau qui roule en serpentant. Chansons d'oiseaux sous le feuillage. Chêne qui gronde et bruit d'orage...

272

C'est la musique des amours, De nos cœurs et de la nature.

C'est l'éternel murmure Et l'écho des nuits et des jours. C'est la musique des amours : 0 Marinette, aimons toujours!

Chants de la plante, Des blés qui font craquer le sol, Bruissements de la sève ardente, Chansons des nuits du rossignol. Soupirs de tout ce qui bourgeonne, Chants du printemps et de l'automne...

C'est la musique des amours. De nos cœurs et de la nature.

C'est l'éternel murmure Et l'écho des nuits et des jours. C'est la musique des amours: 0 Marinette, aimons toujours!

Cette musique Amoureuse à rendre amoureux, Simple, farouche et poétique. Triste comme tes grands yeux bleus ; Cette musique tendre et douce Donnée à l'herbe, aux brins de mousse.

C'est la musique des amours, De nos cœurs et de la nature. C'est l'éternel murmure

273

Et l'écho des nuits et des jours. C'est la musique des amours : 0 Marinette, aimons toujours !

Plus près encore, 0 Marinette, approchez-vous ! Un bon baiser tendre et sonore, Des mots bien pensés et bien doux; Cœur qui soupire, amour qui mine Et chante bien dans la poitrine...

C'est la musique des amours, De nos cœurs et de la nature.

C'est l'éternel murmure Et l'écho des nuits et des jours. C'est la musique des amours: 0 Marinette, aimons toujours !

Vallée d'Hyères, 1864.

Musique de Darder. Éditeur : M. Labbé, 20, rue du Croissant, Paris.

274

ALLONS FAIRE UN TOUR A LA BANQUE

An citoyen Bouty.

Le travail manque! Il est grand temps, Les enfants, D'aller faire un tour à la Banque.

Voilà des mois qu'on ne fait rien.

Cependant, comme un galérien

On arpente la capitale,

Et sans une croûte à ronger,

L'estomac bat la générale

A la porte du boulanger.

Le travail manque! Il est grand temps, Les enfants, D'aller faire un tour à la Banque.

La faim a gagné les faubourgs ;

Ça ne peut pas durer toujours,

Car les femmes crieraient : Tant pire!

Quand nos enfanfs veulent du pain,

C'est pas possible de leur dire : Nous vous en donnerons demain.

Le travail manque ! Il est grand temps, Les enfants, D'aller faire un tour à la Banque.

On jeûne et l'on est endette, Tout est au Mont-de-piété : On couche à môme la litière, On a mis jusqu'aux draps de lit ! Et l'on a beau pleurer misère, Les marchands ne font plus crédit.

Le travail manque ! II est grand temps, Les enfants. D'aller faire un tour à la Banque.

Il paraît que les hnanciers,

Les commerçants, les usiniers

Sont logés à la môme enseigne.

Ils font faillite à qui mieux mieux.

Les pauvres gens ! le cœur m'en saigne !

Si nous pouvions faire comme eux !

Le travail manque ! Il est grand temps, Les enfants. D'aller faire un tour à la Banque.

276

Ne serait-il pas plus moral, Pour mieux remédier au mal, De troubler un peu l'existence Des crésus et des ripailleurs, Qui condamnent à l'abstinence La famille des travailleurs?...

Le travail manque ! Il est grand temps, Les enfants, D'aller faire un tour à la Banque.

En bonne comptabilité,

Il est de toute utilité

Qu'on nous ouvre un peu ce « Grand-Livre »

Pour que nous connaissions... en cas...

Ceux que nous faisons si bien vivre

Alors que nous ne vivons pas.

Le travail manque! II est grand temps. Les enfants, D'aller faire un tour à la Banque.

Tous les gouvernements défunts Ont bien contracté des emprunts. Puisque la crise est générale, Faisons notre emprunt ouvrier... La République sociale Signera les bons à payer!

277

Le travail manque, Il est grand temps, Les enfants, Daller faire un tour à la Banque.

Paris-Montmartre, 1884. Éditeur : M. Bassereau, 240, rue Saint-Martin, Paris.

En 1848, les ouvriers firent à la République le sacrifice de trois mois de misère pour donner aux hommes du gouvernement provi- soire le temps de s'installer aux affaires et de leur donner du travail.

Deux mois plus tard, on les récompensait de leur admirable dé- vouement à la République et de leur sacrifice surhumain en les massacrant dans les rues de Paris.

Voilà quatorze ans que les travailleurs de la République actuelle font le sacrifice d'attendre que les hommes qui se succèdent au pouvoir daignent soccuper de leur misérable situation.

Aux cris de détresse que la faim leur a fait jeter de temps en temps, les dirigeants ont invariablement répondu par des menaces, des déploiements de troupes et de police.

Cependant on sait en haut lieu que, depuis plus d'un an, cent à cent cinquante mille ouvriers de Paris ont à lutter contre le chômage, et que la situation est la même en province.

Néanmoins les dirigeants continuent leur petit train-train parle- mentaire et laissent le mal s'aggraver.

Aussi voit-on tous les jours des milliers de pauvres diables qui arpentent les rues de Paris cherchant du travail et du pain.

Qu'on prenne garde : les travailleurs pourraient bien se lasser d'avoir faim et d'aller en vain faire un tour à la grève et dans les ateliers, puisqu'on n'y embauche pas.

27J

CHIEX D'TEMPS

A Moitsseaii.

Allons, Trompette, mon vieux chien, L'temps a parfois cVmauvais's idées. Voilà j'espèr' de bell's ondées, Ça tombe comm'si ça n'coùtait rien! Ah ! bah ! mouiir-nous comm' trois vieiH's souches, Gomm" trois conscrits de vingt-cinq ans ; Mais respecte au moins nos cartouches... Chien d'temps !

En roule, en route, hé! mauvais' troupe, Nous n'arriv'rons pas pour la soupe. Chien d'temps!

Si l'on nous punit pour un jour Que j' maraudons, c'est ben sévère! Quand les Russ's nous laiss'nt à rien faire. Faut ben s'battre avec leur bass' cour. Fil' droit, Trompette, et du courage, J'ai six canards qui m'batfnt les flancs... Ils étaient douze, c'est dommage! Chien d'tempsl

279

En route, en route, ho! mauvais' troupe. Nous n'arriverons pas pour la soupe. Chien d'temps!

J'allais pincer mes douz' canards Quand j' vis paraître un' brune fille. Miir bomb's, elle était si gentille Qu' ça m' fit lâcher les six gaillards. J' voulais lui dir' : Foi d' militaire, Les Français sont brav's et galants ! Mais la p'tite eut peur du tonnerre. Chien d'temps !

En route, en route, hé! mauvais' troupe. Nous n'arriv'rons pas pour la soupe. Chien d'temps!

Au risque mêm' d'être éventré, Je suivis la brune fillette. Et dans la grang', mon vieux Trompette, On s"est passé d' maire et d' curé. Brave en amour, comme à la guerre, Je n'ai pas compté les instants... Ça s'ra d' ta faute, si j' deviens père. Chien d'temps!

En route, en route, hé! mauvais' troupe. Nous n'arriv'rons pas pour la soupe. Chien d'temps!

Camisard, t'as pas l'air joyeux

De c' que l'orag' nous débarbouille :

280

G'est-y parc' que tu r'viens bredouille. La gourde vide et 1' ventre creux? On n' fait pas toujours de bonn's prises : D'main, tu ratrap'ras les instants, Et m'ssieurs les Russ's en verront d' grises Chien d'temps!

En route, en route, hé! mauvais' troupe, Nous n'arriv'rons pas pour la soupe. Chien d'temps !

Paris-Montmartre, 1866.

Musique de Darcier. Éditeur : M. Labbé, 20, rue du Croissant. Paris.

281

LA BALLADE DU PAUVRE

A Charlotte Pjiiliu.

Bonsoir, bonne fermière,

Bonsoir à vos petiots,

Bonsoir au grand Jean-Pierre,

Amour et bon repos.

Mais dans votre demeure A-t-on quelque chagrin, ou bien.

Pourquoi si l'on n'a rien. S'est-on couché de si bonne heure?

Bien las de la journée.

Je venais, bonnes gens,

La bouche enfarinée,

Souper à vos dépens.

A votre bonne table. Tous les lundis je viens m'asseoir,

Et pourquoi donc ce soir Oubliez-vous le pauvre diable?

Vos petits gars, ma mie. N'aiment-ils plus autant Le pauvre Jérémie Qui les berce en chantant?

282

M'ont-ils gardé rancune Parce qu'un soir je leur ai dit

Que j'étais trop petit Pour aller décrocher la lune?

Je voulais, après boire, Vous conter en chantant La longue et vieille histoire Du pauvre Juif-errant. Dans cette nuit sans voile,

A part qu'il fait un froid de loup, Faut-il, comme un hibou,

Que je chante à la belle étoile?

J'entends, bonne fermière, Les cris de vos marmots : Le vieux porte-misère A troublé leur repos. Et vous venez joyeuse

Ouvrir à votre vieil ami... Ah! fermière, merci!

Soyez heureuse, bien heureuse !

Juvisj', 1865.

Éditeur : M. Labbé, 20, rue du Croissant, Paris.

283

RAGE D'AMOUR

Alt citoye7i Marlclct.

J'ai vu sortir la nuit dernière

Dodu Bonbec de chez Manon :

Que le vent rase sa moisson !

Que r feu dévore sa chaumière !

Que son vin se change en poison !

Qu'il s'en gave et roui' comme un' pierre

Au fond d'un trou dans la rivière,

Et qu' ça fass' rir' la bell' Manon !

Ah ! nom-d'un nom ! que tout ça vienne

Et que s'en sauve qui pourra !

Ah ! nom d'un nom ! que tout ça vienne,

Et qu'à ça n' tienne, Qu'on fass' de moi tout c' qu'on voudra !

L'autr' jour, Bell'-Rose a sur sa bouche Posé sa lèvre en la quittant : Qu'il ait l'cauch'mar en y rêvant! Qu'il donn'la gale à ceux qu'il touche ! Qu'un chien d' berger 1' morde en passant ! Qu'il devienn' fou, cagneux et louche !

284

Que r tonnerr" Técras' comme un' mouche ! Et que la Manon rie en l' voyant !

Ah ! nom d'un nom! que tout ça vienne, etc.

Hier, Friset l'a pris' par la taille

Et la Manon a r'çu sa fleur :

Qu'un' bêt' malsain' lui rong' le cœur

Et qu'il rôd' comme un rien qui vaille !

Que ses parol's sèm'nt le malheur !

Qu' sa cerveir brùl' comme un feu d' paille !

Qu'il meur' broyé dans un' tenaille !

Et qu' la Manon fass' bouche en cœur !

Ah ! nom d'un nom ! que tout ça vienne, etc.

Que les baisers des amoureuses Ensorcell'nt tous les amoureux ! Que les étincell's de nos yeux Marqu'nt sur le front tout's les trompeuses! Qu'on sèm' des fleurs pour les heureux, Et des chardons pour les moqueuses! Que r cœur de ces empoisonneuses Soit rongé d'insect's venimeux !

Ah ! nom d'un nom ! que tout ça vienne

Et que s'en sauve qui pourra !

Ah! nom d'un nom ! que tout ça vienne,

Et qu'à ça n' tienne, Qu'on fass' de moi tout c' qu'on voudra !

Musique de Darcier.

283

JE SUIS ÉLECTEUR

Au citoyen Louis Balin.

Gai chansonnier, ma guitare est à moi, C'est tout mon bien sur cette terre, Et me voilà, de par la loi, L'égal de mon propriétaire ! Aussi, j'ai lu tous les noms ce matin Des candidats qui convoitent la pomme. Je suis Français, et puisqu'enfm Il est un âge l'on est homme...

Je suis électeur !

Ah! quel bonheur!

Ah! quel bonheur! Je suis électeur!

Renseignons-nous, lisons tous les journaux,

Étudions la politique...

A bas les chansons, les rondeaux,

Mon éditeur et la musique! En citoyen plein de sincérité, Je veux agir selon ma conscience

Et voter pour un député

Digne de nous et de la France !

286

Je suis électeur!

Ah! quel bonheur!

Ah! quel bonheur! Je suis électeur !

Je ne veux pas m'arrôter aux écrits,

Prospectus sots et ridicules

Dont on empoisonne Paris,

Pour amorcer les gens crédules. Je veux connaître, en électeur prudent, L'âge, l'esprit, la vie et la morale

Du candidat qui se prétend

Apte à décrocher la timbale!

Je suis électeur 1

Ah! quel bonheur!

Ah ! quel bonheur! Je suis électeur !

Quinze journaux sont pour monsieur Machin, Et quinze autres pour monsieur Chose. L'un passe pour un vrai coquin Et l'on dit l'autre un pas grand'chose.

Chose en furie exécute Machin ;

Machin, en rage, éreinte monsieur Chose... Pour qui voter? Pour le coquin ! Mieux vaut encore un pas grand'chose...

Je suis électeur !

Ah ! quel bonheur !

Ah! quel bonheur! Je suis électeur!

287

Pour les débats d'un jeune citoyen, La lutte est par trop acharnée, Et je crois que je ferais bien D'attendre une meilleure année.

Mais s'abstenir, ça n'est pas protester.

Si je mettais : Vive la République ! C'est ça, courons vite voter... Trop tard ! on ferme la boutique.

Je suis électeur!

Ah! quel bonheur!

Ah! quel bonheur! Je suis électeur!

Ghers députés, faites votre chemin;

Lisette a repris ma guitare

Et va chanter dans mon jardin

le soleil n'est point avare ; Car sur la route naissent nos moissons. J'entends au loin comme un chant d'espérance.

Vive Lisette et mes chansons.

Le soleil et les vins de France!

Je suis électeur !

■Ah 1 quel bonheur !

Ah ! quel bonheur ! Je suis électeur !

Paris-Montmartre, 180...

288

POÉSIE ET LABOUR

Sans cess' le maîtr' pousse au labour, Quand tout sur terr' pousse à l'amour...

Au citoyen P. Geofroy.

Holà ! mes bœufs, arrctons-nous.

J'ai r cœur en feu, je n" puis plus m' taire.

Ruminez, je vais m' mettre à g'noux

Pour s'mer des larmes dans la terre.

C'est p't-ôtr' les larmes qui vienn'nt du cœur

Qui font pousser Taubépin' blanche.

Et qu' le matin le saul' pleureur

En suspend mille à chaque branche...

Ah ! si mes larm's poussent un jour,

Qu'ça soit pour Jeanne un' (leur d'amour !

Aign' donc, Jean, aign' donc, hue ! A que pens's-tu, grand paresseux?

Tes bœufs Vont minger 1' bois de m'na charrue... Hou la, hou! mes bœufs, L' maître a dit : hue ! Fait's crier la charrue. Hou la, hou! mes bœufs. Hue !

28'J

Holà ! mes bœufs et mes pensers :

Les bonii's larm's, c'est la source aux perles.

Les fleurs, c'est la s'menc' des baisers...

Les chalumeaux, c'est 1' cri des merles...

L'épi qui pouss', c'est le berceau...

L'épi doré, c'est la jeunesse...

L'épi ventru port' son fardeau...

L'épi courbé, c'est la vieillesse...

Buissons sans nid, terr' sans soleil.

C'est moi sans Jeanne à mon réveil.

Aign' donc, Jean, aign' donc, hue! A que pens's-tu, grand paresseux? etc.

Holà! mes bœufs... Enfant des champs A qui l'on n'apprit point à lire, J' dois étouffer tout c' que je r'ssens, J'dois pleurer tout c'que j'voudrais dire. C'est en plein' terr' qu' nous écrivons. Nos chansons, c'est un nid dans l'herbe ; Et nos livr's c'est, dans les moissons, L' volum' d'épis qui fait un' gerbe. J'ai plus d'amour qu'ell' n'a d'épis, Jeann' qui sait lir' n' l'a pas compris.

Aign' donc, Jean, aign' donc, huel A que pens's-tu, grand paresseux? etc.

Holà! mes bœufs... L' printemps fleurit Dans la poitrin' comm' dans la mousse ; Chaque toufl" d'herb' nous cache un nid, L' soleil caress' la fleur qui pousse.

9

no

Mon gros bœuf noir s' déchir" le flanc, L'air qu'on respir' vous donn' le rêve, L'arbr' s' couronn' de rose et de blanc, De fleurs qui naiss'nt quand vient la sève... Mais rien ne pousse j'ai pleuré. J'aime trop Jeanne et j'en mourrai 5

Aign" donc Jean, aign' donc, hue! A que pens's-tu, grand paresseux? etc.

Holà! mes bœufs... Entendre et voir : L'oiseau s' blottit sous son plumage... La louve hurle aux chants du soir... Le sapin s' perd dans un nuage... Le flot qui roui' berce les houx, Le saule y baign' sa longu' chev'lure... Pareils aux saul's, mes longs ch'veux roux Pouss'nt comm' les plant's de la nature. Sans cess' le maîtr' pousse au labour. Quand tout sur terr' pousse à l'amour.

Aign' donc, Jean, aign' donc, hue! A que pens's-tu, grand paresseux ?

Tes bœufs Vont minger 1' bois de m'na charrue. Hou la, hou 1 mes bœufs. L' maîtr' a dit : hue ! Fait's crier la charrue... Hou la, hou ! mes bœufs, Hue!

Musique de Darcicr. Éditoui- : .M. Labbc, 20. rue du Croissant.

291

COMME JE SUIS FATIGUÉ!

Aux Sans-Métier, qu'on utilise à tout : à porter les fardeaux, à traîner la voi- ture, à casser les cailloux, à tourner la roue.

C'est-à-dire aux milliers de parias qu'on désigne vulgairement sous le nom de manouvriers, d'hommes de peine, et qui sont en réalité beaucoup plus mal- heureux que les galériens et beaucoup plus maltraités que les bêtes d e somme.

Mon père, un fils de la Bourgogne, Solide et franc comme son vin.

Mourut à la besogne, D'un chaud et froid, dit le médecin. Alors vous voyez la corvée D'une veuve seule, ici-bas, Avec quatre enfants sur les bras, Qui lui demandent la becquée...

Tout ça, ça n'est pas gai. Oh! comme je suis fatigué!

A dix ans, je tournais la roue Chez un cordier des environs.

A cet âge l'on joue J'avais dé)à des durillons...

iOi

Je fus berger, garçon de ferme, Manœuvre, casseur de cailloux... Des quinze heures pour trente sou 5 A se fatiguer l'épiderme...

Tout ça, ça n'est pas gai. Oh ! comme je suis fatigué!

Après ça vint le mariage, La maladie et les enfants.

Ajoutez le chômage. Le pain cher et les accidents. Enfin, quarante ans de misère Ou l'on s'en va, tant bien que mal, Du boulanger à l'hôpital, De l'atelier au cimetière.

Tout ça, ça n'est pas gai. Oh ! comme je suis fatigué !

Vint ensuite la soixantaine,

Age l'on n'est plus propre à rien.

Je suis homme de peine, En bon français : un galérien ! Faut être honnête et se suffire Avec cinquante sous par jour! Cinquante sous, ça n'est pas lourd, Mais soixante ans, c'est encor pire !

Tout ça, ca n'est pas gai. Oh ! comme je suis fatigué!

29;{

Pourtant j'en vois on ce bas monde Qui s'en vont frais, joyeux, dodus

Et la bourse bien ronde... donc pêchent-ils leurs écus?.. Ceux-là n'ont qu'à se laisser vivre Et sans génie et sans effort. Nous autres, c'est jusqu'à la mort La guerre au pain, cher à la livre!..

Tout ça, ça n'est pas gai. Oh! comme je suis fatigué!

J'ai vu dix l'ois des barricades. Trois grandes révolutions. J'ai vu les camarades Se battre comme des lions... J'ai travaillé fête et dimanche. Au chaud, au froid, à tous les temps, Et n'ai pu mettre en soixante ans Un morceau de pain sur la planche!

Tout ça, ça n'est pas gai. Oh ! que je suis donc fatigué!

Paris-Montniai'tiv, 1830.

Éditeur : M. Bassoreau, 249, nio Saint-Martin, Paris.

294

JE VAIS CHEZ L4 MEUNIÈRE

Les gars de cheux nous Ont moins peur des loups, Des loups, Que des filles...

Et pourquoi, vraiment? Nos filles, pourtant, Nos filles Sont gentilles...

C'est ben ce qui fait Que nos grands benêts Ont plus peur des filles, Des filles Que des loups.

A madetnoisc/li Amélie Hanser.

Sur le dos à Martin, Je vais chez la meunière, En suivant le chemin Qui long-e la rivière. De l'échiné à Martin J'ai brossé la poussière. Brillant comme un satin, Je vais chez la meunière.

Brillant comme un satin, Je vais chez la meunière: Sans lui porter de grain, Que diable y vais-je faire?

295

Le sorcier le plus fin

Ne s'en douterait guère. Pour jcLser du moulin, Je vais chez la meunière.

Pour jaser du moulin, Je vais chez la meunière. J'ai mis mon sarrau fm. Mon bonnet en arrière ; Je rumine en chemin A me tirer d'affaire. Plus penaud que Martin, Je vais chez la meunière.

Plus penaud que Martin, Je vais chez la meunière. Ayant plus de chagrin Que d'eau dans la rivière. Que ne suis-je en chemin Tombé dans une ornière ! Sur le dos à Martin, Je vais chez la meunière.

Sur le dos à Martin Je vais chez la meunière, Mon cœur, qui fait grand train, Est lourd comme une pierre. Va moins vite, Martin : Tu fais trop de poussière. Pour demander sa main. Je vais chez la meunière.

290

Pour demander sa main, Je vais chez la meunière; xMais voici le moulin Dans ses rubans de lierre, Et j'ai trop de chagrin Pour me tirer d'affaire... Le courage à demain, A demain la meunière.

Cliàtoau-Ronard. 186 i.

Éditeur : M. Bassoreau, 240, rue Saint-^Iartin. l'avis.

297

MOIS VENTRU

A l'ami Armand Richard.

Pan, pan, pan ! Le mois ventru, c'est le présent Du soleil et de la rosée. Pan, pan, pan ! La vigne est leur enfant Pur sang. Pan, pan, pan! C'est la pressée. Vive Bacchus et saint Vincent! Pan, pan, pan!

Holà, Bacchus! Holà, Grégoire! Tous les piliers de cabarets. Holà, nous tous qui savons boire Sans chanceler sur nos jarrets! Holà! chantons comme des chantres Qui boivent du matin au soir; Chantons en cerclant le pressoir Et les muids, ronds comme nos ventres!

Pan, pan, pan! Le mois ventru, c'est le présent Du soleil et de la i-osée, etc.

298

Comme les yeux des jouvencelles, Comme la mousse en plein été, Comme une branche de prunelles, Le vin en robe est velouté. Remplaçons sa robe vermeille, Brodée au soleil du printemps. Par nos pressoirs aux larges flancs, Par nos tonneaux et la bouteille.

Pan, pan, pan! Le mois ventru, c'est le présent Du soleil et de la rosée, etc.

Il faut que tout le monde vive ; Mais l'oiseau n'en laissera pas : Il fait ribote avec la grive Et roule sous les échalas. Apprêtons-nous pour les vendanges : Sortons les bachoux, les paniers ; Ouvrons les caves, les celliers; Préparons même jusqu'aux granges!

Pan, pan, pan ! Le mois ventru, c'est le présent Du soleil et de la rosée, etc.

Jeunes et vieux, buvons rasades : Le vin rend les hommes gaillards. A demain les douces œillades, Les chants et les mots égrillards.

299 Pour vendanger les vins de France, Il faut des gars et des lurons, Des fillettes et des chansons, Et des musettes pour la danse !

Pan, pan, pan! Le mois ventru, c'est le présent Du soleil et de la rosée, etc.

Demain, à l'aube, les fillettes Couperont la grappe à genoux. Les vieux conduiront les charrettes, Les gars porteront les bachoux. A l'appel de nos vigneronnes, Nous goûterons dans les sentiers. Nous souperons dans les celliers, Et danserons autour des tonnes !

Pan, pan, pan! Le mois ventru, c'est le présent Du soleil et de la rosée. Pan, pan, pan! La vigne est leur enfant Pur sang. Pan, pan, pan! C'est la pressée. Vive Bacchus et saint Vincent! Pan, pan, pan !

Noyen-sur-Sartho, 1806. Éditeur : M. Bassorcau, 240, ruo Saint-Martin. Paris.

_ non

L'ENFANT PAUVRE

Au citoiicn A/p/tonsc Fourmer.

Quelle horreur!

Je dédie cette chanson à un réprouvé, à un... disons le mot, à un forçat ! Au citoyen Foumier, condamné par la justice bourgeoise à huit ans de travaux forcés !

Je l'ai connu lors de la grève des tisseurs qui éclata à Roanne en 1882.

Fournier, cependant, ne s'était pas fait re- marquer parmi ceux qu'on appelle les violents. Lorsque la grève fut terminée, il chercha du tra- vail et n'en trouva pas.

Se voyant repoussé de partout, ayant sa famille à soutenir, sachant qu'un M. Bréchard était le chef de la coalition patronale et, par contre, des affa- raeurs, l'exaspération l'envahit : il s'arma d'un pistolet, tira sur M. Bréchard et le manqua.

Mais la justice bourgeoise ne manqua pas Fournier!

Il avait à peine vingt ans.

Il appartient à la grande foule des martjTS obscurs, des exploités et des affamés.

Notre mauvaise organisation sociale et l'égoïsme des possédants ont fait du citoyen Fournier, l'ou- vrier honnête et laborieux, un révolté, un exas- péré, un forçat !

Mais nous n'en sommes plus à compter les cri- mes qui se commettent journellement au nom de ce qu'on est convenu d'appeler l'ordre.

Cependant, si leurs facultés cérébrales et diges- tives le leur permettent, que les heureux r.t les indifférents méditent un peu le dernier couplet de la chanson que je dédie à mon camarade, le forçat Alphonse Fournier.

Les mains dans ses poches percées

Et les coudes pareils, Traînant des savates usées

D'où sortent ses orteils;

301

Sans lit, sans pain, sans sou, ni maillos. Il longe les vieilles murailles, Claquant des dents et l'œil vitreux...

... Ah ! vous ne savez pas, vous autres,

Qui n'êtes pas des nôtres, Comme on a froid le ventre creux !

Il trotte, flairant une borne

Pour s'y croupetonner; Un coin l'ombre d'un tricorne

N'ira pas le gêner... Il va passer une nuit blanche. Avec la Morgue sur la planche, Seul gîte ouvert aux malheureux...

...Ah! vous ne savez pas, vous autres.

Qui n'êtes pas des nôtres, Comme on a froid le ventre creux !

Mais n'a-t-il pas une famille?

A quoi bon y penser : On ne traîne pas la guenille,

Quand on peut s'en passer. Et s'il s'en va, cherchant fortune, Souper d'un maigre clair de lune. C'est qu'on manque de tout chez eux...

... .\h ! vouz ne savez pas, vous autres,

Qui n'êtes pas des nôtres, Comme on a froid le ventre creux!

302

Et maintenant que l'on devine,

Chez les bien élevés, Pourquoi le jour la famine

Fait sauter les pavés, Un enfant, la mine farouche, Vient aussi brûler sa cartouche En entonnant le chant des gueux!...

... Ah ! vous ne savee pas, vous autres, Qui n'êtes pas des nôtres, Gomme on a froid le ventre creux!

Londres, 1873.

Editeur : M. Bassereau, 240, rue Saint-Martin, Paris.

303

Ml JEANNE

A Darder.

H6! v'nez ici, les p'tits enfants! Vous qui rôdez dans 1' voisinage, J'vais vous montrer dans l'bois sauvage Des nids d'fauvett's et d' merles blancs. J' vous donn', pour aller à la fête, Des gros sous plein vos tabliers... Ou ben j' vous pends aux peupliers! J' prends des cailloux, j' vous fends la tôle!

Holà! dit's-moi, Avez-vous vu ma Jea iine ?

Jeanne, La fille à Marianne. Jeanne, Quoi! Ma Jeanne A moi !

Ho, vous là-bas, louves et loups ! J'viens à l'affût, j'vous prends au piège. Ou ben quand les bois s'ront blancs d'neige, J'nourris vos p'tits, j'braconn' pour vous.

30 î

Toi qui nous lais manger d'ia terre, Avaaee ici, pèr' Mathurin! N" las-lu pas rencontrée en ch'min, Toi qu'as ton nid dans notr' cini'tièro?

Holà ! difs-moi, Avez-vous vu ma Jeanne?

Jeanne, La fille à Marianne. Jeanne, Quoi! Ma Jeanne A moi!

Hé! toi, Fidèl', quelle aimait tant. Toi, vieux, qui peux flairer sans peine Un loup à mill' pas dans la plaine, Pour qu'a t'répond' cherche en hurlant. ! précipic's de la vallée j'allais lui couper des fleurs, Quand l'amour chantait dans nos cœurs Et les oiseaux sous la feuillée...

Holà! dit's-moi, Avez-vous vu ma Jeanne?

Jeanne, La fille à Marianne. Jeanne, Quoi! Ma Jeanne A moi!

:}Uo

Hé! toi, rivière nous plongeons Quand le chagrin nous martyrise, C'est p't'-ètr' ben toi qui me l'as prise Et qui la cach's sous tes grands joncs. Et ben ! c'est bon! J'brûl' ma chaumière, J'coup' tout's les fleurs, je n'iaisse rien.. J'emport' ma faux, j'emmèn' mon chien Et j'y descends dans la rivière!...

Fidèle et moi, J'y r'trouv'rons ben ma Jeanne,

Jeanne,

La fille à Marianne...

Jeanne,

Quoi !

Ma Jeanne

A moi !

Paris-Montmartro. 186 t.

Musique de Darcior. éditeur: M. Girod, 16, boni. Montmartre Paris .

- :j06

AU BOIS JOLY

A Hippolytt et Anatole Lionnet.

Au bois joly, On s'en va cueillir la noisette, Et l'on y prend de l'amourette. Le chemin creux est si petit,

Au bois joly !

Au bois joly, En arrivant sous les feuillées, Les filles sont comme endiablées. Avec Suzon je suis ally,

Au bois joly !

Au bois joly, Un entend plus le bruit des lèvres (Jue le carillon de nos chèvres. Tous les buissons cachent un nid.

Au bois joly !

Au bois joly, On voit plus de cornettes blanches Que de rossignols sur les branches. Ça sent si bon, c'est si gentil,

Au bois joly !

307

Au bois joly, L'herbe est douce et les fleurs sont belles, L'amour embrouille les cervelles. Tout vous enflamme et vous sourit,

Au bois joly !

Au bois joly, Je veux dire à Suzon, ma mie, Qu'il faut nous aimer pour la vie, Puisque notre amour a fleuri.

Au bois joly !

Cueilly, 1865.

Musique d'Aristide Mignard. Éditeur : M. Heugel et C'o, 2 bis, rue Vivienno, Paris.

308

UÂN&ELUS

A!ipc:ntyc J.-F. Millet.

Forçats de la mine et mangeurs de terre, Serfs de l'atelier, frères de misère, Je vais vous conter, sans parler latin, Ce que l'angelus nous dit le matin.

Qu'il pleuve ou qu'il gèle,

Lève-toi bétail,

Quitte ta femelle

Et cours au travail. Le maître a le droit de faire son somme, Il a des écus et tu n'en a pas. Mais Dieu qui te guide et qui t'a fait homme, Pour gagner ton pain t'a donné des bras!

Forçats de la mine et mangeurs de terre, Serfs de l'atelier, frères de misère, Je vais vous conter, sans parler latin. Ce que l'angelus nous dit le matin.

Debout dans la ferme, Courez au labour. Et travaillez ferme Tout le long du jour.

3U9

Ne gémissez pas si la lâche est lourde, Si la terre est basse et n'est pas à vous : Allez au ruisseau remplir votre gourde Et bénissez Dieu qui veille sur nous!

Forçats de la mine et mangeurs de terre, Serfs de l'atelier, frères de misère, Je vais vous conter, sans parler latin, Ce que l'angelus nous dit le matin.

Homme de la mine,

Saule à bas du lit,

Homme de l'usine,

Reprends ton outil. Travaillez sans haine, honorez vos maîtres! Si peinant beaucoup vous n'amassez rien, Soyez siirs qu'au ciel, vont tous les êtres, Dieu vous gardera votre part de bien !

Forçats de la mine et mangeurs de terre. Serfs de l'atelier, frères de misère, Je vais vous conter, sans parler latin, Ce que l'angelus nous dit le matin.

0 vous, les minables, Les chercheurs de pain, Et vous, pauvres diables Qui pleurez la faim. Mères allaitant, les mamelles vides, Filles au teint blême et vieillards perclus, Suivez, d'ici-bas, les sentiers arides. Agenouillez-vous et priez Jésus!

iilU

Forçats de la mine et mangeurs de terre, Serfs de l'atelier, frères de misère, Disons tous ensemble : Amen au latin! Assez d angélus, sonnons le tocsin !

Paris-Montmartre, 1884. Éditeur : M. Bassereau, 240, rue Saint-Martin, Paris.

Je ne connais rien de plus lugubre que le tintement mono- tone de l'angelus le matin 1

Comme il dit bien aux uns : Misère, servitude, résignation.

Comme il dit bien aux autres : soyez heureux et dormez en paix! On travaille pour vous.

Comme la cloche de l'angelus est bien la digne sœur de la cloche de l'usine et de l'atelier!

Depuis quelles existent, ces bavardes tapageuses qu'on a toujours poétisées n'ont cessé d'être les complices des ennemis de la raison, du progrès, de la justice et de la liberté.

Les cloj.i ;s n'ont sonné pour le peuple que dans los grands jours : c'est qu'alors il sonnait lui-même !

~ 311 -^

LE CHIEN DU RÉGIMENT

RÉCIT DE BIVOUAC

AJ. Perrin.

Il eut pour mère Marting-alle, Blessée à mort au champ d'honneur; Son père était un vieux vainqueur,

Dont l'habit à longs poils fut troué par la ba'1 3.

Sa mère, en vieux soldat qui connaît son métier, Nous déposa le camarade Dans un bonnet de grenadier, Au milieu d'une fusillade.

Ran plan! N'est-c' pas, tapin. Que l'Obus, c'était un lapin? Ran plan, Au champ ! Il valait bien un roulement, L'Obus, le chien du régiment. Ran plan ! Chut!..

Ce n'est rien : c'est le sergent qui tousse comme les habillés cic soie de chez nous

312

C'est Fonlalard-la-Gicatrice

Qui se chargea d'en faire un gas,

Et le petit ne mentit pas :

A dix mois et cinq jours, il faisait l'exercice.

Le soir, on l'envoyait rôder aux alentours Pour n'en pas perdre la coutume; Et le gaillard trouvait toujours l'ennemi mettait sa plume.

Ran plan ! N'est-c' pas, tapin, Que l'Obus, c'était un lapin? etc.

Rion, c"cst Dur-à-cuire qui r'vient de la maraude. Paon' de Russe ! il ea a plein son sac.

Il mangeait bien un peu nos bottes, Quand par hasard on en avait; Bah! l'Anglais nous dédommageait :

Il essuyait ses crocs sur leurs fonds de culottes.

Mais quand il faisait chaud comme dans un brasier Et qu'on se taillait des doublures, L'Obus n'était plus rancunier : Il léchait toutes les blessures.

Ran plan ! N'est-c' pas, tapin, Que l'Obus, c'était un lapin? etc.

Rien, c'est des blessés qu'on porte à l'ambulance : quéqus clampins qui n'savcnt pas avaler un' prune sans s'trouvcr mal. . .

313

C'est le jour d'une grande afTairo Que Fontalard le baptisa : L'Obus, du lalin, mords-moi ça!

Et du grec, as pas peur, c'est le fds de son père.

Quand dans la fusillade on gagnait le gros lot, Qui n"a pas vu l'Obus en tète, Toujours le premier à l'assaut Et le dernier à la retraite?

Ran plan 1 N'est-c' pas, tapin, Que l'Obus, c'était un lapin? etc.

Attention 1 C'est 1' général qui passe. Il a r'gardc les anciens d'cotc. C'est bon, ça chauff'ra d'main.

L'Obus avait, dans la mêlée. Sauvé cinq ou six camaros. Pris des poules et des drapeaux:

11 avait eu la peau deux ou trois fois trouée.

Tous, jusqu'au général, connaissaient ses exploits. Et ses coups de crocs à la guerre ; Et l'Obus n'avait pas la croix. Quand tant de gens l'ont à rien faire !

Ran plan ! N'est-c' pas, tapin, Que l'Obus, c'était un lapin ? etc.

Rien, c'est 1' blanc-bec de colonel qui fait sa ronde. Ça sent la pommade à quinze pas! Qu'on brùlc du sucre !

9.

314

C'était un crâne et joli mâle,

Moitié barbet, moitié griffon,

Aux poils bronzés comme un canon,

Digne enfin de son père et de la Martingalle.

Homme ou chien, tôt ou tard, faut payer son écot L'Obus s'est fait graisser les bottes Dans les plaines de Marengo, Avec bien d'autres sans-culottes.

Ran plan ! N est-c' pas tapin Que l'Obus, c'était un lapin? Ran plan. Au champ ! Il valait bien un roulement, L'Obus, le chien du régiment. Ran plan ! Salut!

Paris-Montmartre, 186. . .

Musique de Darcier. Éditeur : M. Labbé, 20, rue du Croissant, Paris.

31o

LA CHANSON DU SEMEUR

A Vialla.

Landéri Ion la ! Je sème du blé, qui le mangera?...

Est-ce encor le corbeau vorace, Celui qui revient tous les ans Se faire la panse bien grasse Avec le blé des pauvres gens? Ah! si c'est ça, mauvaise troupe, J'en mettrai plus d'un dans ma soupe.

Landéri Ion la! Je sème du blé, qui le mangera?...

Est-ce encor, comme de coutume. Les bien-portants et fins matois. Oiseaux à gros becs et sans plume Qui ne font rien de leurs dix doigts? Alors que ce blé que je touche N'ait pas d'épi sans sa cartouche!

Landéri Ion la! Je sème du blé, qui le mangera?...

;uo

Si c'est vous, les in.'alig-ables, Si c'est vous, les francs du collier, Les afTamés et les minables De la terre et de l'atelier? Alors pousse comme de l'herbe ! 0 crain de blé, fais une gerbe!

Landéri Ion la! Je sème du blé, qui le mangera?...

Est-ce les bandes alTamées

Dont l'appel it nous guette encor?

Est-ce les nombreuses armées

De tous les despotes du nord?

Ah! pour le coup, dans leurs entrailles,

0 grain de blé, fais-toi mitrailles!

Landéri Ion la! Je sème du blé. qui le mangera?...

Londres, 1S70.

Masiqiio d^ Marcel Legay. Éditeur : M. Bassereau, 2i0, me Saiiit-Martir), Paris.

Mon semeur est un brave homme : 11 voudrait aussi que les peuples ne fussent plus di>isés pour des questions de frontière».

Mais pour que les peuples soient pour nous des frères, comme l'a clianté Pierre Dupont, il faut qu'ils cessent d'être les esclaves des rois et des empereurs et qu'ils renoncent à les suivre dans leurs guerres de conquêtes et d'extermination.

Si je suis do ccu\ qui réclament l'armement du peuple, c'est que je veux que nous soyons à même dedcfonirc nos libertés, taiit que nous aurons des ennemis à l'intérieur et à l'extérieur.

Il faut désarmer tous ensemble ou pas du tout.

LE PLANT D'AMOUR

V"là pas longtemps d'çà,

La Pi'-rinp Faisait triste mine,

Lon Ion la.

Mais l'amour poussa,

Et P.rine Reprit belle mine...

Et voilà!

A Ccrau/t Richard.

Le sorcier de la Gavotle, S'en allant au point du jour, A semé du plant d'amour,

0 guél A semé du plant d'amour. Il en avait plein sa hotte, Il en a semé trois fois Sur la route et dans les bois,

0 gué ! Il en a semé trois fois.

Avec la blanche aubépine ICt le nid de l'oiselet. Aussi tlru que le genêt, 0 gué !

?,\H

Aussi dru que le genêt, Le plant il a pris racine, Aux racines sont venus Des bouquets blancs et touffus,

0 guo ! Aux racines sont venus.

Au temps des rouges cerises. Aux bouquets blancs et touffus. Des fruits nouveaux sont venus,

0 gué! Des fruits nouveaux sont venus. Les promis et les promises, Pour manger des fruits nouveaux, Sont allés dans les bouleaux,

0 gué ! Pour manger des fruits nouveaux,

Avec les gars et les filles,

Le rossignolet chanta,

Des fruits nouveaux on goûta,

0 gué! Des fruits nouveaux on goûta. Ainsi que dans les charmilles, Sur la route l'on passait. Tout le monde s'embrassait,

0 gué! Sur la route l'on passait.

Périne y fut la première. Elle y fit bien des détours.

319

Et n'en sortit de trois jours,

0 gué ! Et n'en sortit de trois jours. Avec le goulu Jean Pierre, Périne en a tant croqué, Que sa cotte en a craqué,

0 gué ! Que sa cotte en a craqué.

Plougastel, 186..

Air breton reciioilli. Editeur : M. Labbé, 20, rue du Croissant, Paris.

■^■2o

PAYSAM PAYSAN!

A Tnny Rcvillon.

Paysan ! Paysan! Pour tant de fatigue et de peine, Que mtîts-tu dans ton bas de laine,

Bon an, mal an.

Au bout de l'an?

Paysan ! aussitôt le jour,

La terre t'appelle au labour.

Sans geindre tu vas à l'ouvrage,

Que le temps soit mauvais ou beau.

Le soleil te brûle la peau,

Le froid te mord en plein visage.

Paysan! Paysan ! Pour tant de fatigue et de peine, Que mets-tu dans ton bas de laine.

Bon an, mal an,

Au bout de l'an ?

Paysan! toujours au travail. Après les champs, c'est le bétail :

Mi

Vite ii faut faire la litière. Donner l'herbe et le picotin, Gaver les porcs, brosser Martin, Puis c'est les vaches qu'il faut traire.

Paysan ! Paysan ! Pour tant de fatigue et de peine. Que mets-tu dans ton bas de laine,

Bon an, mal an,

Au bout de l'an?

Paysan ! voici la moisson,

Coupe des blés et fenaison !

En automne, c'est la vendange

Et de la besogne à pleins bras.

On mange mal, on ne dort pas.

Et tout l'hiver faut battre en grange.

Paysan ! Paysan ! Pour tant de fatigue et de peine, Qne mets-tu dans ton bas de laine.

Bon an, mal an,

Au bout de l'an?

Paysan ! es-tu bien certain. Quand va venir la Saint-Martin, De pourvoir aux frais de l'année?.. N'as-tu pas peur qu'un Harpagon Ne t'expulse de la maison toute ta famille est née?

;v22

Paysan ! Paysan ! Pour tant de fatigue et de peine, Que mets-tu dans ton bas de laine,

Bon an, mal an,

Au bout de ]'an?

Paysan ! tu n"es sûr de rien. Les usuriers guettent ton bien ; Il a grêlé, c'est mauvais signe ! Demain, vaches, chevaux, ànon, Peuvent tous mourir du charbon... Un insecte a rongé ta vigne!

Paysan! Paysan! Pour tant de fatigue et de peine, Que mets-tu dans ton bas de laine.

Bon an, mal an,

Au bout de l'an ?

Paysan ! tu baisses le dos Sans espérance et sans repos, Depuis janvier jusqu'en décembre ; Et tout courbé sur tes genoux, Sec comme une branche de houx, Tu meurs perclus de chaque membre.

Paysan ! Paysan! Pour tant de fatigue et de peine. Que mets-tu dans ton bas de laine,

Bon an, mal an.

Au bout de l'an?

323 Paysan ! un peu d'union : La grande Révolution A voulu que tu sois un homme. Si l'on veut encore une fois Te traiter comme au temps des rois, Réveille-toi, Jacques Bonhomme!

Paysan ! Paysan ! Pour tant de fatigue et de peine, Que mets-tu dans ton bas de laine,

Bon an, mal an,

Au bout de l'an?

Paysan ! songe à l'avenir, Le vieux monde est près de finir. Si tous ceux qui piochent la terre Donnaient la main aux artisans, Nous pourrions voir avant dix ans La République égalitaire!

Paysan! Paysan! Pour tant de fatigue et de peine. Que mets-tu dans ton bas de laine,

Bon an, mal an,

Au bout de l'an?

Paris-Montmartre, 1867.

Éditeur : M. Bnsscreau, 240, rue Saint -Martin, Pari

324 ~

MÀM'ZELU ROSE

.■i L. Ponliii />crc.

Aussi vrai que j' m'appell' Poinchoux, Entre nous, Micloux, Mam'zeir Rose, Eh ben, vrai, c'est un' pas grand'chose!

Elle est co'mm" nous des paysans, Et quand on s' sent un peu d'courag-e. On n'doit pas connaîtr' d'autre ouvrage Que d'soigncr sa vigne et ses champs. On a beau m'dir" qu'elle est fluelte Et qu'elle a d'I'ordre et du bon ton. Qu'elle est ben douce, ben proprette, Et qu'a soign' ben son pèr' Simon ; Mais moi, j'aim' mieux un coup d'binette, Qu'cent coups d'balai dans la maison!

Aussi vrai que j' m'appell' Poinchoux, Entre nous, etc.

Quand elle a tout rangé chez eux, Qu'elle est pincée et bichonnée,

325

Mam'zeir s'en va faire sa tournée

Et soulager les malheureux;

A fil' pour eux la s'maine entière,

Leux taiir des rob's pour leux enfants,

Leux donn' du bois, des pomm's de terre,

De la tisane et des vôt'ments;

Ça fait qu l'argent que gagn' son père

Sert à nourrir des fainéants !

Aussi vrai que j' m'appell' Poinchoux, Entre nous, etc.

J' veux ben qu'on aim' les animaux.

Mais faut pourtant pas qu'ça nous gruge ;

Et leux maison, c'est le refuge

Des chiens, des chats et des oiseaux.

Les malheureux puis'nt dans leux grange,

Les animaux dévor'nt leux bien ;

Aussi l'on dit : c'est un p'tit ange,

Et r pèr' Simon un bon chrétien.

Tout ça, c'est beau, mais tout ça mange,

Et v'ià tout, ça n' rapporte rien!

Aussi vrai que j' m'appell' Poinchoux, Entre nous, etc.

Nous deux, Micloux, j'avons d' l'argent Et les plus bell's ferm's du village; Je Tons d'mandoe en mariage, Et j'ons été r'fusés nett'ment.

10

326

Ah dam! nous, j'sentons l'écurie,

J' somm's des croquants et des lourdauds;

Elle aim' ben mieux ITiIs à Julie,

Il est pâle et sait d' jolis mots !

Eh ben, c'est bon, qu'on les marie,

Y n' manqu' pas d' fiU's dans nos hameaux!

Aussi vrai que j'mappell' Poinchoux,

Entre nous, Micloux,

Mam'zeir Rose, Eh ben, vrai, c'est un' pas grand' chose !

Rosny-sous-Bois. 1866.

Musique de Darcier. Éditeur : M. Labbé, 20, rue du Croissant, Paris.

327

JEAN RAT

A E. Mathon.

Un chapeau gris de l'an quarante, Une veste en peau de mouton, Un brin de culotte indécente. Nouée aux flancs par un cordon ; Les pieds fourrés dans des galoches Qui tiennent par des fils de fer... Les bras pendants, le nez en l'air ; Rien dans les mains, rien dans les poches. Voilà Jean Rat.

Vivant d'un os ou d'une croûte. Il va tout droit et n'importe où. Flânant le jour sur la grand'route, Dormant le soir dans quelque trou ; Les nuits d'hiver tendant sa voile Sur le fumier d'un maraîcher, Les nuits d'été, sur le plancher, A l'hôtel de la belle étoile... Voilà Jean Rat.

328

On ne saurait dire son âge : Il a soixante ou cent-vingt ans. Est-ce un coquin de bas étage, Un freluquet de l'ancien temps? Est-ce le vice ou la bêtise, Est-ce un philosophe, un rêveur? Je ne suis pas son confesseur, Que voulez-vous que je vous dise. Voilà Jean Rat.

Cueilly, 1881.

Éditeur : M. Bassereau, 240, rue Saint-Martin, Paris.

329

LE CAPITAINE « AU-MUR »

Au citoyen J. Allemanc.

Au mur! Disait le capitaine, La bouclie pleine Et buvant dur,

Au mur !

Qu'avez-vous fait? Pardon, mon brave,

Vous avez faim, vous déjeunez,

Vous ne voulez pas être esclave

Ni conduit par le bout du nez.

Tout ça, c'est bien, et c'est d'un homme!

Mais si l'on m'oecit, mon ami,

Dès lors que nous pensons tout comme.

Vous devez l'être aussi.

Comprends-tu ma logique?

Vive la République!

Au mur ! Disait le capitaine, La bouche pleine Et buvant dur, Au mur!

330

~ Qu'avet-vous failt ~ Je suis det yf*\^ Je suis vicaira à Saint-Bcnianl. J'ai dO. pntj ;»«'r aux outres.

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Qu'avez-vous fait? Je suis des vôtres, Je suis vicaire à Saint-Bernard.

J'ai dû, pour échapper aux autres, Rester. huit jours dans un placard.

Qu'avez-vous fait ? Oh ! pas grand'chose. De la misère et des enfants.

Il est temps que je me repose, J'ai soixante-dix ans. Allons-y tout de suite Et fusillez-moi vite.

Au mur! Disait le capitaine, La bouche pleine Et buvant dur,

Au mur !

Qu'avez-vous fait? Voici deux listes Avec les noms de cent coquins: Femmes, enfants de communistes. Fusillez-moi tous ces gredins!...

Qu'avez-vous fait? Je suis la veuve D'un officier mort au Bourget...

Eh ! tenez, en voici la preuve :

Regardez, s'il vous plaît... Oh ! moi je porte encore Mon brassard tricolore.

Au mur ! Disait le capitaine,

331

La bouche pleine Et buvant dur, Au mur!

Qu'avez-Yous fait? Quatre blessures, Six campagnes et deux congés !

Je leur en ai fait voir de dures ! Je suis Lorrain... Ils sont vengés !

Moi, j'étais dans une ambulance : Les femmes ne se battent pas...

Et j'ai soigné sans différence Fédérés et soldats. Moi, je m'appelle Auguste, Et j'ai treize ans tout juste!

Au mur! Disait le capitaine, La bouche pleine Et buvant dur,

Au mur!

Qu'avez-vous fait? Oh! je suis morte! Un soldat, sans doute enivré,

A tué mon père à la porte,

Et mon crime est d'avoir pleuré !...

Qu'avez-vous fait? Sale charogne! Fais-moi vite trouer la peau.

Car j'en ai fait de la besogne Avec mon chassepot. Et d'un', tu vois la lune! Et d' deux : viv' la Commune!

332

Au mur! Disait le capitaine, La bouche pleine Et buvant dur,

Au mur!

Londres, 1872. Éditeur : M. Bassorean, 240, rue Saint-Martin, Paris.

Beaucoup de ceux que le hasard ne fît pas tomber sous la coupe des bourreaux qui ordonnaient les massacres entre la poire et le fromage, furent, comme les citoj'ens Allemane, Brissac, Humbcrt et tant d'autres, envoyés au bagne.

Les générations futm-es auront peine h y croire !

Des républicains éprouvés, des hommes honnêtes, des ouvriers laborieux qui avaient lutté pour le salut de la République, pour la cause du droit et de la justice, furent accouplés à des scélérats de grands chemins et à des escrocs de la finance.

Ces titres qui les honorent devaient les désigner tout particu- lièrement à la férocité des dignes exécuteurs des basses-œuvres des Thiers et consorts.

Beaucoup sont morts là-bas, coiffés du bonnet de forçat, des suites des mauvais traitements qu'ils subissaient et, aussi, de colère et de désespoir.

Pour ceux-là, le bagne aura été leur Panthéon!

Quelques-uns nous sont roven'us et ont repris courageusement leur poste de combat pour délivrer tous ces forçats volontaii-es qui traînent leur boulet d'usine en usine, de manufacture en manu- facture .

333

CHAGRINS D'AMOUR

A Riassc.

Cruelle, sais-tu qu'il est en ce monde . Des chagrins d'amour qu'on n'apaise pas, Et que bien souvent, dans la nuit profonde. On rêve aux heureux qui s'en vont là-bas? Ton cœur te dit-il qu'il est en ce monde Un amour qui veille et baise tes pas?

Ce profond amour, derrière ton ombre. S'attache à tes pas, pensif el rêveur. Semant ton chemin de baisers sans nombre Et dévorant seul sa lente douleur. Mais tu n'entends pas derrière ton ombre La chanson d'amour que chante mon cœur.

Mais ne craignez plus, je n'en veux rien dire,

En ce temps affreux le monde en rirait.

De ce mal, hélas! j'aime le martyre

Et nul ne saura jamais mon secret.

Mais pour que ton cœur n'ait rien su te dire,

II faut qu'il soit mort ou qu'il soit muet!

Paris-Montmartre, 1868.

Musique de Marcel Legay. Editeur : M. Bassereau, 240, rue Saint-Martin, Paris,

334

MOIS FRILEUX

A /'ami Barra/.

Digue din don ! On sonne, sonne à tour de bras Toutes les cloches des villages. Ahl bon sang! que de mariages!

Digue din don 1 Ah! que de messes, que d'antiennes! Le mois frileux a fait des siennes : Le bedeau sonne à tour de bras!

Digue din don ! Ah! ah!

Digue din don!

On a fini d'emplir la grange, Les blés nouveaux sont au moulin ; On a fini de la vendange, En futaille on a mis le vin. Adieu l'ombrage et les cueillettes. Le gai soleil et le ciel bleu; Les grands garçons et les fillettes Vont se blottir au coin du feu.

335

Digue clin don! On sonne, sonne à tour de bras, Toutes les cloches des villages, etc.

Les fleurs sont mortes dans la plaine.

Le curé fait rentrer du bois.

Les moutons ont tapis de laine,

Le berger souffle dans ses doigts,

Ses grands chiens noirs ont fait peaux neuves.

Auront bien froid les pauvres gens.

Auront bien froid toutes les veuves.

Les oiseaux et les mendiants.

Digue din don, On sonne, sonne à tour de bras. Toutes les cloches des villages, etc.

Les petits gars de nos fermières Ont mis du foin dans leurs sabots. Là- bas, nos pauvres lavandières Ont de la glace à leurs museaux. Dans l'àtre, les sarments pétillent, On entend la bise gémir Et les grillons qui s'égosillent A nous empêcher de dormir.

Digue din don! On sonne, sonne à tour de bras. Toutes les cloches des villages, etc.

336

De paille on tapisse l'étable Pour veiller à côté des bœufs ; Le fermier, parfois charitable, Y laisse entrer un malheureux! Les poules ne pondent plus guère, Les coqs cessent de surveiller ; Et la fouine, armée en guerre, Monte à l'assaut du poulailler.

Digue din don ! On sonne, sonne à tour de bras Toutes les cloches des villages, etc.

Les gars rougeauds vont à la danse, Couverts d'une peau de mouton ; Les gueux s'en vont, sans espérance, Humant du froid à plein poumon. A la messe, les demoiselles Vont couvertes d'un bon manteau ; Les pauvrettes restent chez elles, Les doigts gelés sur leur fuseau.

Digue din don! On sonne, sonne à tour de bras Toutes les cloches des villages, etc.

C'est décembre à la barbe grise Qui nous dit son âge en passant ; De ses poumons nous vient la bise, De ses cheveux le givre blanc :

337

Passe, vieillard, car sur sa route Si le printemps te rencontrait, Il te rajeunirait sans doute, Mais son soleil t'aveuglerait!

Digue din don! On sonne, sonne à tour de bras Toutes les cloches des villages. Ah ! bon sang ! que de mariages !

Digue din don ! Ah! que de messes, que d'antiennes ! Le mois frileux a fait des siennes : Le bedeau sonne à tour de bras !

Digue din don ! Ah! ah!

Digue din don!

Chelles, 1865.

Éditeur : M. Bassereau, 240, rue Saint-Martin, Paris.

338

MON PAUVRE ANTOINE

Au citoyen J.-B. Périn.

Debout à la pointe du jour, Pendant douze mois de l'année,

Il bûche comme un sourd Pour le pain de sa maisonnée... Les autres, pendant ce temps-là, Font leur somme à pleine paupière, Et quand ils mettent pied à terre, Le pauvre Antoine est las déjà- Ah ! que t'es couenne, Mon pauvre Antoine !

Il déjeune, en un tour de main, D'un mauvais verre de piquette

Et d'un morceau de pain. Parfumé d'ail ou de civette... Les autres, devant un chapon. Du vieux bordeaux ou du bourgogne. Qui rougit auprès de leur trogne, Sont attablés jusqu'au menton. Ah ! qu t'es couenne, Mon pauvre Antoine !

339

Il habite un mauvais taudis sa maisonnée enfouie

Comme un tas de souris Se dispute l'air et la vie. Les autres ont trent'-six maisons, A trent'-six places différentes, Beaucoup d'air, du soleil, des rentes, Et des fleurs en toutes saisons. Ah! qu' t'es couenne, Mon pauvre Antoine !

Il se croit fait pour la douleur, Pour le travail, pour la besace.

Las d'être au monde, il meurt. Et ses enfants prennent sa place... Les autres meurent gras à lard, Laissant de quoi rouler voiture A leur digne progéniture. Qui se croit d'une pâte à part. Ah ! qu' t'es couenne, Mon pauvre Antoine !

Londres, 1874.

Éditeur : M. Basscrcau, 240, rue Saint-Martin, Paris.

340

UN DE MOINS

vœux DE MATELOTS

A O. Mèlra.

Nous coulons comme un vrai galet, Ventre de chien! vieille carcasse! A pas besoin de gobelet, Nous allons boire à la grand' tasse.

Un de moins!...

Ho! hiss! ho!

Qu'on m'en sauve! et, sur les cailloux, Je vais pieds nus à Notre-Dame...

Moi, je m'enrôle aux gabelous...

Et moi, je ne bats plus ma femme..

Ho ! hiss! hol Potence à l'ail ! ! timonier, Viens boire un coup, c'est le dernier.

Ho! hiss! ho! du courage,

Et pas d' clampins... Malheur! de vieux lapins

Ne font pas naufrage

Gomme des galopins!

341

La lune a mis son éteignoir, Le diable a mangé les étoiles. Piaillards, faites-vous un mouchoir Avec ce qui reste des voiles.

Un de moins!...

Ho! hiss! ho!

Qu'on m'en sauve! et, foi de Breton, Je mange un Anglais sans moutarde...

Je me fais moine ou marmiton...

J'épouse la vieille camarde...

Ho! hiss! ho! Boyaux d'acier, boîte à malheur! Les requins nous font bouche en cœur.

Ho! hiss! ho! du courage, etc.

Gagne! on danse sans violon... Mais c'est égal, ça me dépite. Nous ferons de mauvais bouillon, Elle est trop grande, la marmite!

Un de moins!...

Ho ! hiss! ho!

Oh ! qu'on m'en sauve ! et mes enfants Broderont un voile à la vierge...

Pour qu'il brûle pendant dix ans, Je lui fais fabriquer un cierge...

Ho! hiss! ho! Ciel de papier! Soleil fourbu! La carcasse a bougrement bu...

Ho! hiss! ho! du courage, etc.

342

Gale à Gain! mille sabords! Les requins ont mangé la quille. On a signé nos passeports, Qui veut écrire à sa famille?...

Un de moins!...

Ho ! hiss! ho!

Qu'on m'en sauve ! et je fais serment De mendier ma vie entière...

Je ne bois plus, foi de Normand!...

Tout mon or sera pour ma mère!...

Ho! hiss! ho! Gornes de bœuf! moi, les enfants, Je prends la lune avec les dents!

Ho! hiss! ho! du courage,

Et pas d' clampins... Malheur ! de vieux lapins

Ne font pas naufrage

Gomme des galopins!

Honfleur, 1865.

Musique de Darcicr. —Éditeur : M. Labbc, 20, rue du Croissant, Paris.

343

LES GUEUX

Air : Les Gueux, de Déranger.

Les gueux, les gueux Sont des gens heureux : Ils s'aiment entre eux,

Vive les gueux.

^■i mon ami Achille Delcoiirt.

Les gueux, les gueux Sont des malheureux : S'ils s'aimaient entre eux,

Tout irait mieux.

On n'en est plus aux rengaines, Aux refrains de l'ancien temps, Car Je sang bout dans nos veines Et nous sommes mécontents !

Les gueux, les gueux Sont des malheureux : S'ils s'aimaient entre eux.

Tout irait mieux.

344

Les gueux sont nombreux en France, Mais ils ne comptent pour rien, Car ils ont maigre pitance Et les autres vivent bien.

Les gueux, les gueux Sont des malheureux : S'ils s'aimaient entre eux,

Tout irait mieux.

Las d'ensemencer la terre, De fabriquer des outils, Ils récoltent la misère Et de bons coups de fusils.

Les gueux, les gueux Sont des malheureux : S'ils s'aimaient entre eux.

Tout irait mieux.

Ils fabriquent pour leur maître Des habits et des souliers; Mais ils n'ont rien à se mettre. Et leurs enfants vont nus pieds.

Les gueux, les gueux Sont des malheureux: S'ils s'aimaient entre eux,

Tout irait mieux.

343

Pour tous ces gueux à plat ventre, L'amour même est hors saison, Car lorsque la misère entre, L'amour quitte la maison.

Les gueux, les gueux Sont des malheureux : S'ils s'aimaient entre eux,

Tout irait mieux.

On leur prône la patrie, La gloire et la charité, Pour qu'ils supportent la vie, Le jeune et la pauvreté.

Les gueux, les gueux Sont des malheureux : S'ils s'aimaient entre eux.

Tout irait mieux.

Pour bien finir leur carrière, Lorsqu'ils sont vieux et fourbus. Il leur reste la rivière Ou la corde des pendus.

Les gueux, les gueux Sont des malheureux : S'ils s'aimaient entre eux,

Tout irait mieux.

346

Mais un beau jour la famine Les chassera de leurs trous Pour danser la capucine Et faire comme les loups!

Les gueux, les gueux, Sont des malheureux : S'ils s'aimaient entre eux,

Tout irait mieux.

Paris-Montmartre, 1884. Éditeur : M. Bassereau, 240, rue Saint-Martin, Paris.

Je rappellerai ici ce que je dis dans ma préface à propos de deux chansons de Béranger, qui eurent un immense succès : Dans un grenier qu'on est bien à vingt ans et les Gueux.

Je soutiens que c'est faire de l'esprit aux dépens des souf- frances du peuple que de lui dorer ainsi les misères qu'il endure.

Non, l'amour et la gaieté ne sont pas, comme il le dit, les hôtes habituels des mansardes et des greniers ; et, s'il est vrai qu'on peut bien manger sans nappe et que sur la paille on peut dormir, je crois qu'on ne mange pas plus mal sur une nappe et qu'on n'en dort pas moins bien dans un bon lit.

Et, si les gueux s'aimaient, comme l'a prétendu Béranger, ou comprenaient, ce qui vaudrait mieux, il est bien certain que tout irait mieux pour eux.

347

CHANSON D'AMOUR

A madame Macé-Montrotigc

Dans le courant de l'autre année J'avais de la joie à plein cœur, Je chantais toute la journée, Ma vie était comme une fleur. J'allais au vent comme à la pluie. Je riais, je me portais bien. Au jour d'aujourd'hui je m'ennuie. Je n'ai plus de courage à rien.

Jamais je ne faisais la moue, Au petit jour j'étais debout; J'avais la santé sur la joue Et j'étais forte comme tout. Je vous portais comme une plume Une hottée, un sac de grain; Mais maintenant je me consume : C'est trop lourd, un cœur en chagrin !

Comme on a des peines sur terre ! Avant j'étais bien n'importe où. Avec du pain et de l'eau claire, J'aurais bien vécu dans un trou.

348

Que je voudrais être hirondelle Pour me cacher dans quelque coin... Mais si j'emportais sous mon aile Mon cœur, je n'irais pas bien loin...

L'angélus sonne trop bonne heure... Le travail, c'est bien ennuyeux... Les nuits sont longues quand l'on pleure Et le grand jour fait mal aux yeux... Ah! j'ai trop mal, qu'on m'en délivre; Vivre ainsi, c'est des jours perdus. A quoi ça me sert-il de vivre, A quoi, puisqu'il ne m'aime plus!

Avant j'avais dans la poitrine

Des frissons doux comme un velours...

Maintenant, j'ai mauvaise mine

Et je dépéris tous les jours.

A bout de peine et de souffrance.

Meurt-on d'amour quand on est las?...

Je vis avec cette espérance :

Quel malheur si l'on n'en meurt pas !

Londres, 1874.

Éditeur : M. Bassereau, 2i0, rue Saint-Martin, Paris.

349

LA VIEILLE A LA MARMOTTE

Au citoyen E. Vaughan.

Elevée au faubourg, Elle est peuple comme la rue ; Et quoiqu'elle fut très courue, Elle n'eut qu'un amour. Moins on est riche. Moins on est chiche : Aussi, de vingt à quarante ans. Elle eut sa douzaine d'enfants, La vieille à la marmotte Qui trotte Avec sa hotte.

Son vieux est au dépôt Dans un des trous de Montparnasse. Le pauvre homme était moins tenace. Il est parti plus tôt. Et, de sa graine, Sur la douzaine, Comme on avait eu faim chez eux, Elle en a sept avec son vieux, La vieille à la marmotte Qui trotte Avec sa hotte.

10.

3oO Les plus durs à mourir, Qu'elle a sauvés de la famine, Ont un grand trou dans la poitrine Et du monde à nourrir. On ne peut guère Aider la mère, Mais pourtant on fait ce qu'on peut ! Et puis, elle mange si peu, La vieille à la marmotte Qui trotte Avec sa hotte.

Les membres rabougris, Le teint jaune, la peau ridée. Le dos courbé sous sa bottée, Elle arpente Paris, Criant à peine : Cresson dïonlaine !... Car, le cœur plein de tous ses morts. Elle vend la santé du corps, La vieille à la marmotte Qui trotte Avec sa hotte.

Londi-es, 1874.

Musique de Marcel Legay. Éditeur: Société Anonyme, 7, rue d'Engbicn, Paris.

331

AUX LOUPS

Au citoyen Ba/ioJtneau et à tous les bons camarades de Trélazé qui savent, par expérience, combien le pain est dur à gagner et qui sont las de voir une poi- gnée de parasites vivre grassement aux dépens des travailleurs qui meurent à la peine. . .

Oui, mais...

Ça branle dans le manche. Ces mauvais jours-là finiront.

Et gare à la revanche Quand tous les pauvres s'y mettront.

Avec sa neige froide et blanche, La terre est d'un pâle de mort; Le loup, tortillant de la hanche, Fait la chasse au gibier qui dort. Vite, un bon feu de paille, Ou gare à la volaille!...

Eh! oh ! eh ! les gens de chez nous! Aux loups ! aux loups !..

Nous sommes sous la République, Mais tout est encore à changer.

3o2

On fait beaucoup de politique Et nous n'avons pas à manger...

Tout ça, c'est pas nature

Et le peuple murmure !..

Eh ! oh ! eh ! les gens de chez nous ! Aux loups! aux loups!..

Plus de piquette dans la cruche, Plus de laine pour les fuseaux, Plus de farine dans la huche, Plus de chansons pour les berceaux. Si triste est la demeure Que la marmaille en pleure !

Eh ! oh ! eh ! les gens de chez nous ! Aux loups! aux loups!..

Il faut payer l'air qu'on respire,

Payer, payer, toujours payer!

On gruge, comme sous l'empire,

Le paysan et l'ouvrier...

Et, quand l'ouvrage manque, C'est du plomb qu'on nous flanque !

Eh ! oh ! eh ! les gens de chez nous ! Aux loups! aux loups!..

La haute clique fraternise.

On conspire au Palais-Bourbon;

353

Et le peuple qu'on tyrannise

Sert encor de chair-à-canon!

Nous pleurons la misère,

Et l'on parle de guerre!..

Eh! oh! eh! les gens de chez nous! Aux loups! aux loups!..

Il est visible que les traîtres, Qui pressurent les pauvres gens, Nous préparent de nouveaux maîtres Pour nous reculer de cent ans...

On bat la générale!...

Vive la Sociale!

Eh! oh! eh! les gens de chez nous ! Aux loups ! aux loups!..

Trélazc-Malaquais, 1884.

Éditeur : M. Bassereau, 240, rue Saint-Martin, Paris.

CETTE PREMIERE EDITION

destinée à mes souscripteurs A ÉTÉ TIRÉE A TROIS MILLE EXEMPLAIRES

TABLE

La Chanson 3

Bon voyage 23

Abstinence (L') 40

Ah ! le joli temps ! 188

Aimez-vous ! 146

Allons faire un tour à la Banque 274

Amours d'un grillon (Les) 198

Amour de ma mie (L') 236

Angélus (L') 308

Au bois joly 306

Aux loups I 331

Au secours ! 177

Ballade du pauvre (La) 281

Bande à Riquiqui (La) 83

Bonheur (Le). 62

Bonhomme Misère (Le) 239

Bonjour à la meunière 182

Bonjour, printemps 112

Branche de mai (La) 193

Capitaine Au-Mur (Le) 329

Casse-Grain 144

Catherine 203

Chagrins d'amour 333

Chanson d'amour 347

356

Chanson d'avant-poste (La) 154

Chanson du fou (La) 67

Chanson du semeur (La) 315

Chante-Malheur 223

Chien d' temps 278

Chien du régiment (Le) 311

Comme je suis fatigué ! 291

Connais-tu l'amour ? 47

Coquette (La) 213

Dansons la Bonaparte 70

Dansons la Capucine 43

V Dernier morceau de pain (Le) 218

Diable (Le) 158

Eau va toujours à la rivière (L'j 32

Empereur se dégomme (L') 115

En coupant les Foins 86

s/Enfant pauvre (L') 300

Fanchette 164

Fileuse (La) 101

Flem'aison (La) 234

Fleurs et fruits 253

Folies de mai 35

Forêt (La) 89

.. Fournaise 76

Français, réveillez-vous donc 1 172

Grive (La) : 203

Gueux (Les) 343

Invasion (L') 161

Javotte 128

Jean Margousin 266

Jean Rat 327

Je suis électeur 285

Je vais chez la meunière 294

vy Lettre à Mignon 185

•^ Liberté, Égalité, Fraternité 231

V Macliine (La) 73

Magloire S8

357

Ma Jeanne 303

Mam'zeir Rose 324

Manette 96

Marjolaine (La) 37

Meunière et le meunier (La) 51

Mignon 81

Mois frileux 334

Mois ventru 297

Mon homme 201

Mon pauvre Antoine 338

Mon pauvr' petiot 175

Monsieur Gros-Bonnet 53

Moulin noir (Le) 166

Muse, chantons les oiseaux et les fleurs 29

Muse, reprends ton vol 268

Musette ensorcelée (La) 138

Musique 271

Neige et bois mort 228

Ne plaignons plus les gueux 125

"v Notre bon seigneur. 141

ViVourrice à Pierrot (La) 248

Nous n'irons plus au bois 226

0 ma France ! 98

0 mon marteau ! 220

Pauvre Gogo (La) 56

(/Paysan ! Paysan ! 320

PimperUne et PimperHn 109

Plant d'amour (Le) ," 317

Fleurette (La) 131

VPoésie et labour 288

Quand j' marierai ma fille 208

^ Quand nos hommes sont aux cabarets 196

Quatre-vingt-neuf ! 179

Que de peine et mourir 48

Que la terre a de bonnes choses 246

Rage d'amour 283

Ronde du printemps (La) 169

3o8

Sainfoin (Le) 119

Saint Médard et saint Vincent 215

Sans la nommer 122

:,, Semaine sanglante (La) 134

Si vous m'aimez 264

Sœur Anne ' 210

Sonneur de Madrid (Le) 256

Souris (Les) 105

Souvenance 103

Temps des cerises (Le) 243

Toinon-Caboche 260

v^ourne, tourne, mou moulin 262

Traîne-Misère (Les) 93

Un de moins 340

Vieille à la marmotte (La) 349

Vieille chanson 79

Vive l'empereur ! 149

Volontaires (Les) 251

V Vrai Noël (Le) 64

ERRATA

Page 17. 13« et 14« lignes, lire : « qu'ils subissent », au lieu de « qu'il subisse ». 16^ ligne, lire : « qu'ils ne gagnent », au lieu de « qu'il ne gagne ».

Page 67. l«r couplet, dernier vers, lire : « boîte ", au lieu de « boîtes ».

Page 93. Dédicace, ligne, lire : « garrotte », au lieu de « garottc ».

Page 112. Dernier vers, lire : a pâquerette », au lieu de pâque- rette ».

Page 152. vers, lire : » lupanars », au lieu de « lupanards ».

Page 195. 1er vers, lire : « de ma pauvre mie », au lieu de <i ma pauvre ma mie ».

Page 213. l'=r vers, lire : « qu'elle ait ouï dire », au lieu do « soit qu'elle ait ouï dire ».

Page 242. 8'= vers, lire : « son crï do guerre », au lieu do <> son air de gucri-e ».

Page 2ôl. vers, lire : » appelât », au lieu do » appela ».

Page 280. vers, lire : « rattrap'ms », au lieu do » ratrap'ras ».

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La Bibliothèque

Université d'Ottawa

Échéance

The Library

University of Ottawa

Date due

CE PQ 2207

.C65C4 1835

COO CLEMENT, JEA CHANSONS

ACC# 1221182

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