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CANADA

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CANADA

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HISTOIRE

DU

CANADA

DEPUIS SA DECOUVERTE JUSQU'A NOS JOUES.

PAR

F. X. GARNEAU.

SECONDE ÉDITION CORRIGÉE ET AUGMENTÉE.

TOME SECOND.

IMPRIMÉ PAR JOHN LOVELL, RUE LA MONTAGNE.

18Ô2.

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HISTOIRE

DU

CANADA.

LITRE SIXIEME.

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CHAPITRE I.

ÉTABLISSEMENT DE LA LOUISIANE.

1683-1712.

De la Louisiane. Louis XIV met plusieurs vaisseaux à la disposition de la Salle pour aller y fonder un établissement. Départ de ce voyageur ; ses difficultés avec le commandant de la âotille, M. de Beaujeu.— L'on passe devant les bouches du Mississipi sans les apercevoir et l'on parvient jus- qu'à la baie de Matagorda (ou St.-Bemard) dans le pays que l'on nomme aujourd'hui le Texas. La Salle y débarque sa colonie et y bâtit le fort St. Louis. Conséquences désastreuses de ses divisions avec M. de Beau- jeu, qui s'en retourne en Europe.— La Salle entrepre A plusieurs expédi- tions inutiles pour trouver le Mississipi.— Grand nombre de ses compa- gnons y périssent Il part avec une partie de ceux qui lui restent pour les Illinois, afin de faire demander des secours en France. Il est assassiné.— Sanglans démêlés entre ses meurtriers ; horreur profonde que ces scènes causent aux Sauvages. Joutel et six de ses compagnons parviennent aux Illinois. Les colons laissés au Texas sont surpris par les Indigènes et tués ou emmenés en captivité. Guerre de 1689 et paix de Riswick. D'Iberville reprend l'entreprise deja Salle en 1698, et porte une première colonie canadienne à la Louisiane l'année suivante; établissement de Biloxi (1698.) Apparition des Anglais dans le Mississipi. L«!S Hugue- nots demandent à s'y établir et sont refusés. Services rendus par eux à l'Union américaine. M. de Sauvole lieutenant-gouverneur. Sages re- commandations du fondateur de la Louisiane touchant le commerce de cette contrée. Mines d'or et d'argent ; illusions dont on se berce à ce sujet Transplantation des colons de Biloxi dans la baie de la Mobile (1701.) M. de Bien ville remplace M. de Sauvole. La Mobil" fait des progrès.— Mort de d'Iberville ; caractère et exploits de ce guerrier. M. Diron d'Artaguette commissaire-ordonnateur (1708.) La colonie languit. —La Louisiane est cédée à M. Crozat en 1712, pour 16 ans.

L'on donnait autrefois le nom de Louisiane à tout le pays du golfe du Mexique, qui s'étend de la baie de la Mobile, à 1' ?st, aux sources des rivières qui tombent dans le Mississipi, à l'ouest,

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c'est-à-dire jusqu'au Nouveau-Mexique et à l'ancien royaume do Léon. Aujourd'hui ce vaste territoire est divisô en plusieurs états: le Texas à l'occident, depuis le Rio Del Norte jusqu'à la Sabine ; la Louisiane proprement dite au centre, depuis cette dernière rivière jusqu'à la rivière aux Perles; et le Mississipi à l'est, depuis la rivière aux Perles jusqu'à quelque distance à l'onest de la baie de la Mobile, l'intervalle qui reste jusqu'à cetle baie formant partie de l'Alabama. Au nord de ces états, il y a encore ceux de l'Arkansas, du Missouri, de l'IUinois, etc. A l'époquo nous sommes arrivés dans cette histoire, toutes ces contrées étaient inconnues. Ferdinand de Soto, voyageur espagnol, ancien compagnon de Pizarre, n'avait fait que les traverser à l'intérieur en 1539-40 en courant après un nouveau Pérou. Parti de la baie du St.-Esprit dans la Floride avec plus de 1000 hommes de troupes, il s'était élevé au nord jusqu'aux Apalaches ; de se tournant vers le couchant, il avait suivi quelque temps le pied de ces montagnes pour se rabattre vers le sud, il était venu tra- verser la rivière Tombeckbé près de son confluent avec celle d'Alabama ; il s'était dirigé ensuite vers le nord-ouest, et était allé passer le Mississipi au-dessus de la rivière des Arkansas ; se tournant encore au sud, il avait franchi la rivière Rouge qui avait étA le terme de sa course, et sur les bords de laquelle il était mort en 1542, sans avoir trouvé ce qu'il cherchait. Moscosa, son lieutenant, l'ayant remplacé, avait marché vers l'occident dans l'intention d'atteindre le Mexique ; mais arrêté par les monta- gnes, il était revenu sur ses pas et était descendu vers la mer pour se rembarquer, n'ayant plus que 350 hommes avec lu!.* De cette expédition il r/était resté que de vagues souvenirs, de môme que des rares voyages entrepris par les Espagnols sur les côtes septentrionales du golfe.

Nous avons vu l'accueil gracieux que la Salle avait reçu de Louis XIV, à son retour de la découverte de l'embouchure du Mississipi en 1683. I! proposa à ce monarque d'unir au Canada la vallée qu'arrose ce grand fleuve, et d'assurer ainsi à la France

* Carte de la Louisiaiie, eic, 1782, par G. Delisle de l'Académie fran- çaise ; elle se trouve dans l'Itinéraire de la Louisiane, petit vol. sans aucun mérite. Garciiasso de la Vega : Histoire de la conquête de la Floride par Ferdinand de Soto, traduction de P. Richelet.

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la soir^crfiinetô des pays intérieurs situés entre la mer du Nord et le golfe du Mexique. Ce vaste et superbe projet fut bien accueilli du roi, qui aimait tout ce qui avait de la grandeur, et la Salle lui-môme fut chargé de le mettre à exécution en colonisant la Louisiane.

Quatre vaisseaux furent mis à sa disposition, sur lesquels il s'embarqua avec 280 personnes y compris les équipages ; c'étaient des soldats, des artisans, des volontaires, plusieurs Canadiens et gentilshommes, et huit missionnaires. Cette petite escadre, com- mandée par M. de Beaujeu, homme vaniteux et jaloux, mit à la voile de la Rochelle le 24 juillet 1684>. A peine fut-elle en mer que la mésintelligence se mit entre les deux chefs. Bientôt cette mésintelligence augmenta d'heure en heure et dégénéra en une haine invétérée qui eut les conséquences les plus désas- treuses. La premier effet de cette division, fut la perte d'un des navires enlevé par les Espagnols sous l'île de St.-Domingue. Trompé ensuite par la direction des courans du golfe mexicain, et par des observations faites avec des instrumens astronomiques inexacts, l'on se crut à l'est tandis que l'on était déjà à l'ouest de la principale branche du Mississipi. Les terres dépourvues d'arbres et plus basses même que ce fleuve, qui n'est retenu dans Eon lit que par des attérissemens et des digues naturelles insuffi- santes dans les grandes eaux pour empêcher les débordemens, ne présentaient au bord de la mer aucune marque distinctive aux Français pour les guider. Ils passèrent devant les bouches du fleuve sans les reconnaître. Quelques jours après cependant, la Salle, sur les indices des Sauvages de la côte, soupçonnant quel- qu'erreur, voulut retourner sur ses pas ; mais Beaujeu, qui ne pouvait se faire à l'idée d'être commandé par un homme qui n'était pas militaire, et que la cour avait mis au-dessus de lui malgré ses représentations,* refusa de l'écouter.

Il continua à avancer vers l'ouest jusqu'au 14 février, que l'on parvint, sans savoir l'on était, dans la baie de St.-Bernard, aujourd'hui de Matagorda, dans le Texas, à 120 lieues au-delà du fleuve que l'on cherchait. La Salle ne découvrant aucune trace du Mississipi prit la résolution presque désespérée de débar-

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* Lettre de M. de Beaujeu au ministre vol. XL

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quer son mondo il était, et donna Tonlrc au comman- dant d'un dos vaisseaux d'entrer dans la baie. Celui-ci, faisant semblant d'obéir, se jeta sur les rescifs,* le navire et une partie de la cargaison furent perdus. Ce malheur était d'au- tant plus grand que le vaisseau portait les munitions de guerre et presque tous les outils et les objets nécessaires à un nouvel établissement.

De Bcaujeu, loin de punir le coupable, le reçut sur son bord pou: le soustraire à la vengeance de la Salle, puis après avoir oncore refusé à celui-ci sous des prétextes frivoles diverses choses pour remplacer celles qui avaient été perdues, il mit à la v^oile et abandonna à leur sort, le l^ mars, les colons au nombre d'environ cent quatrevingts sur \o plage inconnue le hasard les avait conduits.

Ces colons commencèrent aussitôt à cultiver la terre et à cons- truire un fort pour se mettre à l'abri des attaques des Indiens. Lorsque ce fort fut assez avancé, la Salle en fit commencer un second à deux lieues plus haut sur la rivière aux Vaches dans un endroit plus avantageux et lui donna le nom de St.-Louis, ayant toujours présent à la pensée celui du monarque qui le protégeait. Placé sur une éminence, ce fort commandait une vue superbe sur la campagne et sur la mer. Cependant à mesure que le temps avançait on s'y trouvait moins bien ; les grains semés périrent par la sécheresse ou le dégât deb bêtes sauvages, et la plupart des artisans qu'on avait emmenés ne sachant pas leurs métiers, les constructions marchaient fort lentement. Les nombreux contre- temps qu'on avait déjà éprouvés avaient mécontenté ou décou- ragé plusieurs colons ; des mutineries, suscitées par le turbulent Duhautjl'un d'eux, auraient déjà éclaté et comblé la mesure, sans la prudence de Joutel, l'auteur de la meilleure relation que nous ayons de cette expédition malheureuse. La maladie vint à son tour aggraver la situation et enlever les hommes les plus utiles. En peu de temps l'état de St.-Louis devint désespéré. Par sur- croît de malheur, les Indigènes prenaient chaque jour une atti- tude pluS; nfienaçante. La Salle dissimulait ses chagrins et ses inquiétudes avec sa fermeté ordinaire. Le premier à l'œuvre, il donnait l'exemple du travail avec un visage calme et serein.

* Joutel : Journal historique.

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Les reâsonrces de son esprit semblaient se multiplier avec les obstacles; mais malheureusement son naturel s6vùre devenait plu» inflexible tioua cetio apparence de sérénité ; et dans lo moment ses gens s'épuisaient de fatigues, il punissait les moindres fautes avec la dernière rigueur. Peu compatissant dans son langage, il sortait rarement de sa bouche une parole de dou- ceur et de consolation pour ceux qui souffraient avec le plus de patience. Une tristesse mortelle finit par s'emparer graduellement de ses gens, qui devenus indilférens à tout, semblaient donner par môme plus de pri&e à la maladie. Une trentaine de victimes succombèrent à ce dégoût fatal de la vie. Le caractère de la Salle n'a que trop contribué à son infortune. Sa fierté dédai- gnait les moyens do persuasion. Un autre moins capable, moins juste môme que lui, mais plus insinuant se fut emparé des cœurs et eût réussi par une douceur affable il échouait par uno inflexibilité silencieuse.

Le pays dans lequel on se trouvait, partout plat et uni, possé- dait un climat sain et chaud, un air pur, un ciel serein qui don- nait rarement de la pluie. On n'y voyait que des plaines à perte de vue, entrecoupées de rivières, de lacs et de bocages cham- pêtres et rians. Mais dans les forêts, sous ces palmiers aux formes si sveltes et si élancées, erraient des léopards et des tigres; dans ces rivières si lympidcs circulaient des caïmans, sorte de crocodiles féroces qui avaient jusqu'à vingt pieds de long et qui en chassaient le poisson. Le serpent à sonnette rampait aussi sous l'herbe dans ces belles prairies émaillées de fleurs qui charmaient les regards des Français. Une multitude de peuplades barbares erraient dans ces contrées la nature animée faisait contraste avec la nature matérielle. Charlevoix appelle Clamcoëtsles Sau- vages qui occupaient le littoral de la mer. Les Cénis étaient plus reculés dans l'intérieur et allaient tous à cheval, se servant du mors et de l'étrier comme les Espagnols, auxquels ils uvaient sans doute emprunté cet usage.

La Salle songea à se remettre à la recherche du Mississipi. Il fit à cet effet une première excursion de quelques mois du côté du Colorado, dans laquelle il perdit plusieurs de ses gens, qui furent massacrés par les Sauvages, ou qui périrent dans le nau- frage de la Belle, le seul bâtiment qui lui restât après le départ de

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Beaujeu. Une seconde excursion qu'il poussa jusque chez le Cénis ne fut pas plus heureuse ; et nur vingt hommes qui l'avaient suivi, il n'en ramen. que huit. Les maladies, les chagrins, les accidens faisaient ea même temps d'affreux ravages parmi ses autres compagnons. Il se proposait d'envoyer chercher des Svcours dans les îles, et de ranger ensuite le ^olfe du lilexiquo jusqu'à ce qu'il eût trouvé le Mississipi ; n.ais la pert»^ de son navire rompit tous ses plans, et d'ailleurs ses ressources s'épui- saient chaque jour. Placé à six ou sept cents lieues de tout homme civilisé, il ne lui restait plus qu'à faire demander des secours en France par la voie du Canada.

Il se décida à rller lui-même aux Illinois, ce qui aurait été une faute si ta présence n'eût pas été nécessaire à Québec pour faire taire ses opposans toujours prêts à déprécier ce qu'il faisait. Il partit en janvier 1687 avec dix-sept hommes, laissant vingt personnes à St.-Louis, hommes, femmes et enfans, preuve qu'à cette époque le nombre des colons était déjà réduit de 180 37. Un Canadien, M. le Barbier, y fut laissé pour commandant. " Nous nous séparâmes les uns des autres, dit Joutel, d'une ma- nière si tendre et si triste, qu'il semblait que nous avions tous le secret pressentiment que nous ne nous reverrions jamais."

La marche fut lente et pénible. Le 16 mars, on était encore sur l'un des afiluens de la rivière de la Trinité, lorsqu'une san- glante tragédie vint mettre le comble aux désastres qui avaient déjà frappé cette entreprise. Quelques hommes de l'expédition à la tête desquels était toujours Duhaut, s'étant isolés du reste, eurent un démêlé avec un neveu de la Salle nommé Moragnet, qui avait, comme son oncle, beaucoup de hauteur, et qu'ils réso- lurent de tuer, lui et deux de leurs compagnons pour cacher leur forfait. A peine, cependant, avaient-ils commis ce triple assassinat que, craignant la justice de la Salle, et entraînés d'ailleurs par la pente du crime, ils crurent que leur vengeance resterait incomplète tant que ce chef lui-même respirerait, et sa mort fut aussi résolue. La Saile ne voyant pas revenir son neveu et ayant quelque soup- çon de ce qui était arrivé, demanda s'il n'avait pas eu quelque difficulté avec Duhaut. Il partit pour aller à sa rencontre. Les conspirateurs l'appercevant venir de loin, chargèrent leurs armes, traversèrent la rivière et se cachèrent dans les hautes herbes

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pour l'attendre. La Salle en approchant du lieu oii ils étaient, aperçut deux aigles qui planaient au-dessus de sa tête comme s'ils eussent vu quelque proie aux environs ; il tira un coup de fusil. TTn des conjurés se montra aussitôt et la Salle marchant vers lui, lui demanda était son neveu ; tandis que ce mallieurcux lui Taisait une réponse vague, une balle frappa la Salle à la tête et l'étendit par telle mortellement blessé et sans parole. Le P. Anastase qui se trouvait à côté de lui, crut qu'on allait lui faire subir le même sort. La Salle vécut encore une heure après avoir été frappé, indiquant en serrant la main au P. Anastase agenouillé près de lui, qu'il comprenait ce que lui disait le pieux mission- naire. Lorsqu'il eut rendu le dernier soupir, le bon père l'enterra dans une fosse creusée sur le lieu de l'assassinat au milieu du désert, et planta une croix de bois sur sa tombe. Ainsi finit celui que l'on peut appeler, peut-être, le premier fondateur du Texas. M. Sparks place le théâtre de ce drame sanglant sur les bords de l'un des tributaires de la ri'. 1ère Brasos, d'autres le mettent dans le voisinatre de la rivière de la Trinité.

Les meurtriers se saisirent alors du commandement, de l'argent et de tout ce qu'il y avait, et la caravane se remit en marche ; mais la désunion ne tarda pas à se mettre parmi les assassins. Dans une querelle qu'ils eurent au sujet du partage des dépouilles, Duhaut et le chirurgien Liotot, les deux chefs de la conspiration, furent tués par leurs complices à coups de pistolet. Ces scènes épou- vantables commises au milieu des vastes solitudes qui les entou- raient, remplissaient les Sauvages eux-mêmes de frayeur et d'étonnement. Après ce dernier crime, l'on se sépara : tous ceux qui s'étaient compromis restèrent parmi les Indiens. Les autres, au nombre de sept, dont : Joutel, le P. Anastase, et les Cavalier, oncle et neveu, continuèrent leur route vers les Illinois ils arrivèrent au fort St.-Louis le l-i septembre.

Dans l'intervalle la petite colonie qui avait été laissée dans la baie St.-Bernard, subissait une catastrophe encore plus limeste. Peu de temps après le départ de la Salle, les Sauvages attaquèrent le fort à l'improviste et en massacrèrent tous les habi- tans à l'exception de cinq qu'ils firent prisonniers. Ces cinq personnes avec quelques autres compagnons de la Salle, qui avaient déserté avant son départ, tombèrent entre les mains dos

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Espagnols, jaloux de l'entreprise des Français, et qui avaient résolu de la faire échouer s'il était possible. Les rapports de ces prisonniers les tranquillisèrent ; mais ceux qui pouvaient fournir des renseignemens furent enfouis dans les mines du Nouveau- Mexique. Deux jeunes gens, fils d'un Canadien nommé Talon, étant d'un âge encore trop tendre pour avoir pu faire des obser- vations sur le pays, touchèrent la générosité du vice-roi mexicain qui les prit sous sa protection et les éleva à sa cour. Lorsqu'ils furent plus vieux, il les fit entrer dans la marine espagnole ; et après diverses aventures plus ou moins romanesques, l'un d'eux parvint en France.

Telle fut la malheureuse issue d'une expédition qui avait ins- piré les plus grandes espérances et qui aurait probablement réussi, si l'on se fût borné à former un établissement l'on était, sans porter pour le moment son attention ailleurs. Le Texas est un des plus beaux et des plus fertiles pays du monde, mais la Sal'e commit encore ici la faute qu'il avait déjà faite en Canada; il se fit suivre par trop de monde dans ses courses dans l'in- térieur j il était trop remuant ; il voulait toujours marcher au lieu de rester dans l'établissement commencé au Texas et d'encourager les défrichemens et l'agriculture. Quelques auteurs lui reprochent aussi d'avoir perdu de vue son premier dessein pour prendre connaissance des fabuleuses mines de Sainte Barbe ; mais rien dans Joutel ni dans le P. Zénobe * ne justifie cette assertion.! Au reste, il paraît que le génie de ce voyageur célèbre était plus propre à imaginer et à établir un vaste système commercial dans des contrées lointaines qu'à fonder un empire agricole. Ses idées avaient quelque chose de grand ; et les plans qu'il soumit à Louis XIV sont basés sur des calcula exacts et profonds qui en font le précurseur de Dupleix.

Nous nous sommes étendu sur cette expédition malheureuse parcequ'elle servit de prélude à celle de notre compatriote dans la Louisiane proprement dite, et que l'histoire du Canada devait

* Le P. Chrétien Leclerc : Premier établissement de la Foi dans la Nou- velle-France.

t Au contraire, loin de se rapprocher des Espagnols il s'en éloigna. Voici ce qu'on lit dans le P. Zénobe : " ce fut ici que le sieur de la Salle changea sa route du nord-est à l'est par des raisons qu'il ne nous dit pas, et que nous n'avons jamais pu icaélrer. Le Mississipi était à l'est Je lui.

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cette marque de reconnaissance à l'homme qui a sacrifi6 sa for- tune et sa vie pour la cause de la colonisation française en Amé- rique ; car s'il n'a pas fondé, il a du moins beaucoup accéléré l'établissement de la Louisiane aujourd'hui si florissante. Chaque jour ajoute aussi à l'intérêt de l'histoire de ces pères du Nouveau- Monde. A mesure que ce continent se peuple, que les anciennes colonies si pauvres, si humbles à leur berceau, se changent en états, en empires indépendans, le nom de leurs fondateurs gran- dit ; les ombres de ces nouveaux Romulus s'élèvent sur l'Amé- rique, et en animent les bornes extrêmes du passé. r . La fondation de la Louisiane comme celle du Canada devait être accompagnée de beaucoup de vicissitudes et de malheurs. L'expérience d'un siècle n'avait point fait changer la politique coloniale de la France ; les principes larges et progressifs de Colbert étaient mis en oubli dans le temps même cet établisse- ment commençait à naître ; et la pénurie du trésor le livra à un monopole encore plus dur que celui qui pesait sur le Canada. On ne saurait trop redire à la France, qui cherche aujourd'hui à répandre sa race, sa langue et ses institutions en Afrique, ce qui a été la cause de la ruine de ses colonies du Nouveau-Monde, elle aurait prédominer. C'est son défaut d'association pour encourager une émigration agricole par tous les moyens légitimes , c'est l'absence de liberté politique et religieuse qui fit exclure du Canada plusieurs centaines de mille huguenots lorsqu'elle n'avait pas d'autres colons à y envoyer ; c'est la passion des armes répandue parmi les colons, enfin c'est toujours la faiblesse com- parative du commerce et de la marine française. Ce qui retarda la Louisiane, c'est surtout le caractère plus commercial qu'agri- cole qui fut donné à l'organisation du pays dans le temps môme la France perdait ses flottes dans la guerre de la succession d'Espagne, et avec ses flottes son commerce maritime naissant. On choisit pendant longtemps les postes de la contrée qui parais- saient plus favorables au négoce qu'à l'agi 'culture. On n'aban- donna ce système qu'après avoir éprouvé des désastres irrépa- rables. Il est digne de remarque que le gouvernement anglais avait voulu comme la France empêcher ses nationaux de former des établissemens dans l'intérieur du pays et loin de la mer. Les motifs de cette politique sont exprimés, dit M. Barbé-Marbois,

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dans un rapport qui ne vit le jour que fort tard. " Los contrées de l'ouest sont fertiles, y remarquait-on, le climat en est tempéré, les planteurs s'y établissent sans obstacles ; avec peu de travail ils pourraient satisfaire à leurs besoins ; ils n'auraient rien à demander à P Angleterre, et pnint de retour à lui offrir.'''' Mais leurs libertés et leurs institutions politiques neutralisaient les effets de cette conduite intéressée.

La guerre terminée par la paix de Riswick, avait fait oublier le Texas et la Louisiane t h. France ; mais la beauté de ces deux colonies méridionales y avait insensiblement attiré plusieurs Ca- nadiens, qui finirent par s'y fixer et par en devenir ainsi les pre- miers fondateurs. Ils s'étaient établis vers les bouches du Mis- sissipi et à la Mobile, afin d'être plus près des Iles françaises pour leur commerce. Aussitôt que la tranquillité lut rétablie dans les deux mondes, la cour y reporta son attention. Les Espagnols qui regardèrent de tout temps l'Amérique comme leur patrimoine exclusif, avaient vu l'entreprise de la Salle d'un œil de jalousie et apprirent sa mort et la dispersion de ses gens avec une joie qu'ils ne dissimulèrent guère, en s'empressant en môme temps de prendre possession du pays pour en éloigner les Fran- çais. Ils visitèrent dans ce but différentes parties de la côte, et

choisirent la baie de Pensacola, à l'extrémité occidentale de la

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Floride, pour y former leur établissement. Ils n'y étaient que depuis peu de temps lorsque d'Iberville parut.

A son retour de la baie d'Hudson en 1697, ce navigateur avait proposé au ministère de reprendre les projets formés sur la Loui- siane, et M. de Pontchartrain s'était empressé d'agréer ses offres en lui donnant deux vaisseaux. Il partit de la Rochelle accom- pagné de MM. de Sauvole et Bienville en i:eptembre 1698. Obligé par le mauvais temps de relâcher à Brest, il remit à la voile à la fin d'octobre et parvint à St.-Domingue au commence- ment de décembre, en repartit le 1 janvier à la recherche du Mississipi qu'il ne put a'ouver d'abord. Il passa par Pensacola dont les Espagnols lui refusèrent l'entrée, par la baie de la Mobile, revint à St.-Domingue, et plus heureux que la Salle, trouva enfin l'embouchure du fleuve que l'on cherchait depuis si longtemps, perdu au milieu de terres basses couvertes de roseaux. On salua le nouveau tributaire de l'Océan au chant du Te Deunt ; on le

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remonta quelque temps en appercevant çà et des naturels, qui remirent une 'lettre de Tonty à la Salle de 1686. Après s'être avancé assez loin, l'on revint sur ses pas, puis on remit i la voile pour l'Europe. A son retour en Franco, d'Iberville fut nommé gouverneur-général de la nouvelle contrée, pour laquelle il repar- tit avec une colonife composée presque entièrement de Canadiens, qu'il débarqua dans la bjue de Biloxi entre le Mississipi et Pen- sacola. Ce pays, avec un climat brûlant et un sol sablonneux et aride, présente une côte de quarante lieues d'étendue aucun bâtiment ne peut aborder ; l'on ne songeait sans doute qu'aux avantages d'un commerce momentané en choisissant cette situa- tion, et l'on croyait que les inconvéniens en seraient compensés par la facilité des communications avec les Sauvages voisins, avec les Espagnols, avec les Iles françaises et enfin avec l'Europe.

C'est à son retour de France l'année suivante que d'Iberville apprit l'apparition de quelques Anglais, venant de la mer, sur le Mississipi, tandis que d'autres, venant par terre de la Caroline, s'étaient avancés jusque chez les Chicaehas sur la rivière des Yasous. L'attention de cette nation avait été attirée sur la Loui- siane par une espèce de trahison du P. Hennepin * qui, en dédiant au roi Guillaume III une nouvelle édition de son voyage en Amériqye, dans laquelle il donnait les découvertes de la Salle pour les siennes propres, invitait ce prince protestant à en prendre possession pour sa couronne et à y faire prêcher l'Evangile aux infidèles. Guillaume goûtant cette suggestion, avait envoyé trois bâtimens chargés de Huguenots pour commencer une colonie sur le Mississipi ; ces religionnaires poussèrent jusqu'à la province de Panuca, pour se concerter avec les Espagnols et chasser leurs compatriotes catholiques de Biloxi ; f mais leur projet n'eut point de suite, car ceux-ci éprouvèrent à peine quelqu'opposition de la part des Espagnols ; et plus tard les rapports d'amitié et d'intérêt qui s'établirent entre les deux royaumes au commencement du siècle mirent fin aux réclamations de la cour de Madrid.

Un grand nombre de Huguenots s'étaient établis dans la Vir-

Le roi de France donna ordre d'arrêter ce moine s'il se présentait en Canada : ' Correspondance officielle. t Univ. History XI 278.

i,.: 1

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HISTOIRE DU CANADA.

ginie et dans plusieurs autres provinces anglaises depuis la révo- . cation de l'édit de Nantes. Ils furent une grande acquisition pour la Caroline. Le Massachusetts leur donna le droit de représen- tation dans sa législature. Ils fondèrent plusieurs villes mainte- nant florissantes. Ces malheureux, qui n'avaient pu nerdre le souvenir de leur ancienne patrie, firent prier encore joais XIV de leur permettre de s'établir dans ses domaines ; ils lui indi- quèrent la Louisiane, l'assurant qu'ils y vivraient en sujets sou- mis, qu'ils ne demandaient que la liberté de conscience ; que leur grand nombre rendrait en peu d'années ce vaste pays florissant. Louis XIV, qui s'attachait d'autant plus à son sceptre qu'il appro- chait du tombeau, les refusa. " Le roi, écrivit Pontcharlrain, n'a pas expulsé les protestans de son royaume pour en faire une république en Amérique." Ils renouvelèrent encore leur de- mande sous la régence du duc d'Orléans ; ce prince dissolu fit la même réponse que son oncle le feu roi, quoiqu'il eût fort peu de religion d'aucune sorte. Ainsi la France, on ne peut trop le redire, qui n'avait point de colons à envoyer en Canada ni dans la Louisiane, refusait encore une fois la seule chance de fonder un empire de ses enfans en Amérique, aimant mieux laisser ce continent à une nationalité étrangère qu'à des fils apostasies.

Donnons comme Canadiens français un souvenir à ces pros- crits, à ces hommes qui furent peut-être les frères, les parens, les amis, les concitoyens de nos ancêtres, et qui vinrent comme eux chercher une nouvelle patrie dans ce continent encore sauvage. " Le souvenir, dit un américain, des services distingués que leurs descendans ont rendus à notre pays et à la cause de la liberté civile et religieuse, doit augmenter notre respect pour les émigrés fran- çais, et notre intérêt pour leur histoire. M. Gabi-iel Manigault, de la Caroline du sud, donna au pays qui avait offert un asile à ses ancêtres, $220,000 pour soutenir la guerre de l'indépendance. Il rendit ce service au commencement de la lutte, et lorsque per- sonne ne pouvait encore dire si elle se terminerait par une révolte ou par une révolution. Des neuf présidons de l'ancien Congrès, qui dirigèrent les Etats-Unis pendant la guerre de la révolution, trois descendaient de réfugiés protestans français, savoir : Henri Laurens, de la Caroline du sud, le célèbre Jean Jay, de la Nou-

HISTOIRE DU CANADi.

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vclle-York, et Elias Boudinot, du Nouveau- Jersey."* Un autre de leurs descendans, M. Légaré, est mort en 1843, procureur- général des Etats-Unis et membre conséquemment de l'adminis- tration de Washington .f

Cependant d'Iberville après avoir remonté le Misaissipi jusque chez les Natchez, il projeta de bâtir une ville, revint à Biloxi pour y établir son quartier général. Il y laissa M. de Sauvole

Memoîr of the Fri^nch Protestants who settled at Oxford, M.assachusctts, ^. D. 1686, with a sketch of the entire Historyof the protestants of France, by A. Holmes, T. D., Corresponding Secretary ; Collection of the Massa- chusetts Historical Society, vol. II, of the 3rd séries.

t Voici d'après le Dr. Kamsay les noms des principaux Huguenots qui vinrent s'établir dans la Caroline après la révocation de l'édit de Nantes, et qui ont formé les souches des familles aujourd'hui existantes les plus respec- tables de cet Etat.

Bonneau,

Dutarque,

Gourdine,

Neufville,

Bonnetheau,

De la Consilière,

Guérin,

Prioleau,

Bordeaux,

De Leiseline,

Herry,

Peronneau,

Benoist,

Douxsaint,

Huger,

Perdrian,

Boiseau,

Du Pont,

Jeannerette,

Porcher,

Bocquet,

Du Bourdieu,

Légaré,

Postelle,

Bacot,

D'Harriette,

Laurens,

Peyre,

Chevalier,

Faucherand,

La Roche,

Poyas,

Cordes,

Foissin,

Lenud,

Ravenel,

Couterier,

Foysoux,

Lansac,

Royer,

Chasteignier,

Gaillard,

Marion,

St.-Julien,

Dupré,

Gendron,

Mazyck,

Simon,

Delysle,

Gignilliat,

Manigault,

Serre,

Dubose,

Guérard,

Mellechamp,

Sarazin,

Dubois.

Godin,

Mauzon,

Trezeraut,

De veaux.

Girardeau,

Michau.

Beaucoup d'autres noms des plus respectables ont été omis ; et un plus grand nombre encore a été changé pour en adapter l'ortographe à la pronon- ciation anglaise. Ainsi Beaudouin s'écrit aujourd'hui Bow^doin. Un membre de cette famille fut gouverneur du Massachusetts en 1785 et 6. Les noms des principaux émigrans français sont ceux de Beumon dont parle La- Hontan, Boudinot, Daillé, Faneuil, Huger, Manigault, Prioleau, Laurens, etc. Elias Boudinot fut président du Congrès en 1782, directeur de l'Hôtel des monnaies, premier président de la société biblique américaine dont il fut le créateur. Jay fut deux fois ambassadeur, à Paris en 1783, à Londres en 1795 ; il fut aussi gouverneur de la Nouvelle-York et Juge-en-chef des Etats-Unis. François Manigault s'est très distingué dans la guerre de la révolution. Prioleau était petit fils d'Antoine Prioli, élu doge de Venise en 1618.

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HISTOIRE DU CANADA.

pour commandant, et écrivit au ministère r,ue les hommes d'ex- périence dans les affaires de l'Amériaue étaient d'opinion, que jamais on n'établirait la Louisiane sans rendre le commerce libre à tous les marchands du royaume. Le gouvernement pensait alors tirer de grands avantages de la pèche des perles et de la vente du poil de bison que l'on disait susceptible d'être filé comme la laine. Les rapports sur les découvertes de mines d'or, d'argent et de cuivre à l'ouest du Mississipi, ne cessaient point non plus de cir- culer, et entretenaient des espérances trop éblouissantes pour ne pas faire constater l'existence de quelques-unes d'elles. D'Iber- ville envoya M. Lesueur, son parent, pour aller prendre posses- sion d'une mine de cuivre dans la rivière Verte, au nord-ouest du Sault-St.-Antoine, que la trop grande distance dans l'intérieur força bientôt néanmoins d'abandonner. Quant aux prétendues mines d'or et d'argent qui faisaient tant de bruit, mais beaucoup plus en Europe qu'en Amérique, elles se dissipèrent peu à peu comme les illusions qu'elles avaient fait naître ; non qu'il n'en existât pas dans ces contrées, mais parce qu'elles n'étaient pas encore découvertes ou qu'elles étaient trop éloignées pour être exploitées avantageusement. Nous ne dirons donc rien de ces expéditions, qui, ayant été inspirées par le désir d'un gain prodi- gieux, finissaient le plus souvent par la honte et la ruine. Tels furent surtout les essaio tentés par un Portugais nommé Antoine, échappé des mines du Nouveau Mexique, et que l'on employa pendant quelque temps à fouiller sans succès le sol de la Loui- siane. Le seul résultat fut de conduire les Français de proche en proche jusqu'à la source des affluens du Mississipi dans le voisi- nage des Montagnes-Rocheuses. L'on remonta ainsi la rivière Rouge, l'Arkansas et le Missouri, à la poursuite de richesses qui fuyaient sans cesse comme les mirages du désert.

En 1701, d'Iberville commença un établissement sur la rivière de la Mobile, et Bienville, son frère, devenu chef-résident de la colonie par la mort de M. de Sauvole, car il paraît que d'Iber- ville en resta toujours gouverneur, retira les habitans des sables arides de Biloxi pour les transporter dans la nouvelle localité. Cette rivière n'était navigable que pour des pirogues, et le sol qu'elle baignait n'était propice qu'à la culture du tabac ; mais >• suivant le système d'alors, qui était de fixer la colonie hors du fleuve," on voiûait se rapprocher de l'ile Dauphine ou du Mas-

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sacre tout vis-à-vis, dans laquelle se trouvait le seul port ces parages qui offrit les avantages de Biloxi quant à la proximité des Espagnols, des Iles et de l'Europe, quoiqu'elle fût d'ailleurs sau- vage et stérile ; la Mobile devint par cette nouvelle résolution le chef-lieu de la Louisiane. .ii'.-

Petit à petit cependant la Louisiane se peuplait sous k protec- tion de son fondateur, qui ne cessa point d'exercer une grande influence sur elle jusqu'à sa mort arrivée en 1706. D'Iberville expira avec la réputation d'un des plus braves et des plus habiles officiers de la marine française. en Canada d'un ancien colon normand, nommé Lemoine, il avait commencé à servir son pays dès son bas âge, ayant fait l'apprentissage des armes dans une rude école, nos guerres avec les Sauvages et avec les Anglais. Outre l'intelligence et la bravoure nécessaires partout aux chefs, il fallait en Amérique aux chefs comme aux soldats une force de corps infatigable pour résister aux maiches prodigieuses qu'on était obligé d'entreprendre au milieu de pays incultes dans toutes les saisons de l'année. Il fallait savoir manier le fusil comme la hache, l'aviron comme l'épée. Si d'Iberville excellait dans ce genre de guerre si difficile et si meurtrier sur terre, il n'était pas moins habile sur mer, et s'il fût en France, il serait parvenu aux plus hauts grades de la marine militaire. Il livra une foule de combats navals, quelquefois contre des forces bien supérieures, et resta toujours victorieux. Il ravagea deux fois la partie anglaise de Terreneuve et prit sa capitale ; il enleva Pemaquid, conquit la baie d'Hudson, fonda la Louisiane, et termina à un âge peu avancé sa carrière devant la Havane, en servant glorieuse- ment sa patrie comme chef d'escadre. Depuis trois ou quatre ans qu'il avait eu la fièvre jaune sa santé était restée chancelante. Sa mort fut une grande perte pour la Louisiane qu'il servait puis- samment, surtout à la cour son influence était grande. Les colonies, dit Bancroft, et la marine française perdirent en lui un héros digne de leurs regrets. C'est au marquis de Denonville qui avait su apprécier ses talens, qu'il avait son avancement et la faveur du roi. Louis XIV, qui aimait déjà sa noblesse naissante du Canada, l'avait fait de capitaine de frégate capitaine de vais- seau en 1702.*

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Gazette de France du 15 juillet 1702 j M, A. Berthelot.

Noies historiques : manuscrits de

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HISTOIRE DU CANADA.

Deux ans après la mort de cet officier ôminent, M. Diron d'Artaguette vint à la Louisiane en qualité de commissaire-ordon- nateur, charge qui correspondait dans les colonies naissantes à celle d'intendant dans les ùtablisscmens plus avancùs, et qui tenait à la fois, comme celle-ci, du civil et du militaire. Ce nouveau fonctionnaire travailla avec peu de succès à mettre les habitans en {>tat de cultiver le sol. Rien ne progressait plus ; ni la popu- lation, ni le commerce, ni les défrichemens. Cependant en Europe on avait la plus haute idée du pays. Comme on voyait la France s'opiniâtrer à le soutenir au milieu d'une guerre désas- treuse, l'on conjectura qu'elle en tirait des secours prodigieux, et l'île Dauphine attira dès lors, pour comble do malheurs, l'atten- tion des corsaires qui la ravagèrent en 1711 ; ils causèrent des dommages au gouvernement et aux particuliers pour 80,000 francs.

" Une colonie, dit Raynal, fondée sui de si mauvaises bases, ne pouvait prospérer. La mort de d'Iberville acheva d'éteindre le peu d'espoir qui restait aux plus crédules. On voyait la France trop occupée d'une guerre malheureuse pour en pouvoir attendre des secours. Les habitans se croyaient à la veille d'un abandon total ; et ceux qui se flattaient de pouvoir trouver ailleurs un asile, s'empressaient de l'aller chercher. Il ne restait que vingt-huit familles, plus misérables les unes que les autres, lors- qu'on vit avec surprise Crozat demander en 1712 et obtenir pour seize ans le commerce exclusif de la Louisiane." Mais avant d'aller plus loin dans l'histoire de cette contrée, nous allons reprendre nous l'avons laissée celle du Canada que la guerre de la succession d'Espagne vint troubler avant qu'il eût à peine goûté le repos dont il avait tant de besoin, après la lutte achar- née qu'il venait de soutenir contre les colonies anglaises et contre les cinq nations.

CHAriTRE II.

TRAITÉ D'UTRECHT. 1701-1713.

Une colonie canadienne s'établit au Détroit, malgré les Anglais et une partie des Indigènes. Paix de quatre ans. Guerre de la succession d'Espagne. La France malheureuse en Europe l'est moins en Amérique. Importance du traité de Montréal; ses suites heureuses pour le Canada, Neutralité de l'ouest; les hostilités se renferment dans les provinces maritimes. Faiblesse de l'Acadie. Aff' es des sauvages occidentaux ; M. de Vau- dreuil réussit à maintenir la paix parmi les tribus de ces contrées.— Ravage commis dans la Nouvelle-Angleterre pur les Français et les Abé- naquis.— Destruction de Deerlield et d'Haverhill (1708), Remontrances de M. Schuyler à M. de Vaudreuil au sujet des cruautés commises par nos bandes ; réponse de ce dernier.— Le colonel Church ravage l'Acadie (1704). Le colonel March assiège deux fois Port-Royal et est repoussé (1707). Terreneuve : premières hostilités; M. de Subercase échoue devant le fort de St.-Jean (1705). M. de St.-Ovide surprend avec 170 hommes en 1609 la ville de St.-.Tean défendue par près de 1000 hom- mes et 48 bouches ù feu et s'en empare. Continuation des hostilités ù Terreneuve. Instances des colonies anglaises auprès de leur métropole pour l'engager à s'emparer du Canada. Celle-ci promet une flotte en 1709 et 1710, et la flotte ne vient pas. Le colonel Nicholson prend Port- Royal ; diverses interprétations données à l'acte de capitulation ; la guerre continue en Acadie ; elle cesse. Attachement des Acadiens pour

la France Troisième projet contre Québec; plus de 16 mille hommes

vont attaquer le Canada par le St. Laurent et par le lac Champlain ; les Iroquois reprennent les armes. Désastre de la flotte de l'aminal Walker aux Sept-Ilcs ; les ennemis se retirent. Consternation dans les colonies anglaises. Massacre des Outagamis qui avaient conspiré contre les Fran- çais,— Rétablissement de Michilimackinac, Suspension des hostilités dans les deux mondes. Traité d'Utrecht ; la France cède l'Acadie, Ter- reneuve et la baie d'Hudson à la Grande-Bretagne. Grandeur et humi- liation de Louis XIV ; décadence de la monarchie. Le système colonial français.

Hennepin avait dit: " Ceux qui auront le bonheur de posséder un jour les terres de cet agréable et fertile pays, auront de l'obli- gation aux voyageurs qui leur en ont frayé le chemin, et qui ont traversé le lac Erié pendant cent lieues d'une navigation in- connue." Il y avait vingt-deux ano que ces paroles avaient été proférées, lorsque M. de la Motte Cadillac arriva au Détroit avec

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HISTOIRE DU CANADA.

100 CannJicna et un missionnaire dans le mois do juin 1700, pour y former un établissement. Les colons furent enchantés do la beauté du pays et de la douceur du climat. En eflet, la nature s'est plu à répandre ses charmes dans cette contrée délicieuse. Un terrain légèrement ondulé, des prairies verdoyantes, des forêts de chêne, d'érable, de platane et d'acacia; des rivières d'une lim- pidité rcmarcpiablc, au milieu desquelles les îles semblent avoir été jetées comme par la main de l'art pour enchanter les yeux, tel est le tableau qui s'olTrit à leurs regards lorsqu'ils entrèrent pour la première fois dans cette terre découverte par leurs pères. C'est aujourd'hui le plus ancien établissement de l'Etat du Michi- gan, et la plupart des fermes y sont encore entre les mains des Canadiens français ou do leurs descendans. Des pâturages cou- verts de troupeaux, des prairies, des guerèts chargés de moissons, des métairies, des résidences magnifiques, y frappent partout les regards du voyageur.

La ville du Détroit qui a subi depuis sa fondation toutes les vicissitudes des villes de frontière, et qui a été successivement possédée par plusieurs maîtres, renferme maintenant une popu- lation de 22,000 âmes. Fondée par les Français, elle est tombée sous la domination anglaise en 1760 ; plus tard elle a été cédée par celle-ci à l'Union américaine à la suite de la guerre de 1812. Elle a conservé, malgré tous ces changemens, le caractère de son origine, et la langue française y est toujours en usage. Comme toutes les cités fondées par le grand peuple d'où sortent ses habi- bitans, et qui a jalonné l'Amérique des monumens de son génie, le Détroit est destiné à devenir un lieu considérable à cause do sa situation entre le lac Huron et le lac Erié,

Son établissement éprouva d'abord de l'opposition de la part des Indigènes et surtout des Anglais, qui voyaient avec une jalou- sie, que le temps ne faisait qu'accroître, leurs éternels rivaux s'asseoir sur les rives de tous les lacs, et dans toutes les plus belles positions qui se trouvaient au deux extrémités de FAmérique du Nord. Ce poste devait enlever à Michilimackinac sa plus grande importance, et relier le Carftida à la Louisiane. Mais à peine venait-on d'en jeter les premiers fondemens qu'une épidémie enleva le quart de la population de Québec, et qu'il fallut ensuite courir aux armes.

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HISTOraE DU CANADA.

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La paix n'avait duré quo quatre ans ; c'était bien peu pour réparer les maux d'une longue guerre, qui avait retardé l'accroia- eement de toute la Nouvelle-France, arrêté le commerce et lea défriclicmens, fait périr beaucoup de monde et causé l'abandon d'un grand nombre d'habitations. Dans ces quatre années cepen- dant, n.algré 1; lassitude générale et le besoin de repos, on avait fondé la Louisiane et le Détroit, on avait surtout signé l'important traité de Montréal avec les Indiens. Les protocoles in»itile8 ouverts en Europe pour l'ajustement des limites de l'Acadie n'avaient occupé que le cabinet do Versailles. ,.(es Canadiens croyaient jouir d'un long calme, lorsque la mortù ""harles II roi «l'Espagne, sans enfans, arrivée en 1700, ralluma la guerre dans les deux mondes. La posse in de son vaste héritage préoccu- pant avec raison la politique, plusieurs traités secrets avaient été conclus entre les ditlérentes puissances européennes dès son vivant, pour partager ses dépouilles. Les Espagnols qu'on n'avait pas consultés, semblaient devoir subir la loi de l'étranger comme s'ils eussent été des vaincus. On alla jusqu'à démembrer leur monarchie par un premier traité en 1699 ; plus tard on en dis- posa une seconde lois en faisant un nouveau partage. Cette con- duite, qui blessait l'honneur de ce peuple fier et jaloux de son indépendance, violait aussi ses droits et ses intérêts les plus chers. Menacé à la fois par tant de prétendans avides, le conseil d'Etat de Madrid fut d'avis de préférer la maison de France, qui avait d'ailleurs pour elle les droits du sang, parceque la puissance de Louis XIV semblait une garantie pour l'intégrité de la monarchie. En conséquence, le roi moribond légua par testament tous sea Etats au duc d'Anjou, le second fils du dauphin et petit-fils du monarque français.

L'Europe vit avec étonnement un Bourbon monter sur le trône espagnol. Cet événement trompait toutes les ambitions, et telle fut la surprise qu'aucune nation ne songea d'abord à élever la voix pour protester, excepté l'empereur d'Autriche qui prit lea armes afin de conserver un sceptre qui échappait de sa maison. La i'rance ne pouvait éviter le combat, soit qu'elle refusât d'accepter le testament, soit qu'elle s'en tînt au dernier traité. Ainsi elle se trouvait entraînée malgré elle dans une guerre qui

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HISTOIRE DU CANADA.

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fut la seule juste peut-être entreprise par Louis XIV, et cependant la seule funeste dans son long et glorieux règne.

Les autres cabinets, qui n'avaient besoin que d'un prétexte, se liguèrent avec l'empereur pour détacher de la monarchie espa- gnole les Etats qu'elle avait en Italie, dans le but de rétablir l'équilibre européen. Ce motif tout puissant pour Guillaume III, n'aurait pas été regardé par ses sujets tout-à-fait du même œil après sa mort arrivée en 1702, sans une démarche du roi de France, qui insulta au dernier point la nation anglaise, en parais- sant intervenir dans ses affaires intérieures, objet sur lequel la jalousie d'un peuple libre est toujours très grande. Jacques II étant décédé, Louis XIV donna le titre de roi d'Angleterre à son fils, après être convenu du contraire avec son conseil. Les prières et les larmes de la veuve de Jacques appuyées par madame <le Maintenon, firent changer dit-on la détermination qui avait oté prise. Cette dernière avait acquis sur le vieux monarque un empire qui fut plus d'une fois fatal au royaume.

" Le roi de France, lisait la ville de Londres à ses représen- tans, se donne un vice roi en conférant le titre de notre souverain i un prétendu prince de Galles : notre condition serait bien mal- heureuse, si nous devions être gouvernés au gré d'un prince qui a employé le fer, le feu et les galères pour détruire les protestans de ses Etats ; aurait-il plus d'humanité pour nous que pour ses sujets." Le parlement passa un acte <l''attcinder pour déclarer le prétendu roi Jacques coupable de haute trahison.

Les causes de cette nouvelle guerre étaient, comme on le voit, tout-à-fait étrangères aux intérêts de l'Amérique; l'espoir de s'em- parer du Canada fut peut-être pour quelque chose dans la réso- lution du cabinet de Londres. Quoiqu'il en soit, les colons et les Indiens purent de nouveau les armes les uns contre les outres comme s'il ne s'était agi que d'eux seuls ; mais cette fois les hos- tilités furent bien moins meurtrières dans le Nouveau-Monde que dans la guerre de 1688. Tandis que le génie de Marlborough immortalise le règne de la reine Anne par des victoires en Europe, l'Angleterre voit presque toutes ses entreprises se terminer en Amérique par des défaites et des désastres, que la faiblesse du Canada n'ayant encore qu'une population de 18,000 âmes, en y comprenant môme l'Acadie, à opposer aux 262,000 des colonies

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anglaises, * laisse heureusement pour elles sans résultat perma- nent. Aussi fut-ce en vain que les Canadiens, qui ne comptaient pas les forces de leurs adversaires, firent proposer à Paris la con- quête de la Nouvelle-Angleterre. La cour répondit que la neu- tralité était désirable et nécessaire, et que le gouverneur devait travailler à disposer tout le monde à la maintenir. D'Ibcrville demandait seulement en 1701, 1000 Canadiens et 400 soldats pour prendre Boston et New- York, qu'il voulait attaquer l'hiver par la rivière Chaudière, on le refusa faute d oyens pour subvenir aux fraisde cette expédition. Le Massachusetts, l'Acadie et Terreneuve furent les principaux théâtres des hostilités. Cette derrière îlo surtout acquérait de jour en jour une si grande importance que lorsque l'Angleterre fut devenue plus forte sur mer que la France, elle songea sérieusement à s'en emparer et à s'emparer avec elle de toute l'entrée du bassin du St.-Laurent, base de la puissance fran- çaise dans cette partie du monde. En minant cette base petit à petit, la partie supérieure de l'édifice devait crouler au premier choc. Les points exposés aux coups de l'ennemi devenaient ainsi les côtés faibles du grand système colonial de Colbert.

Pour compenser cette faiblesse du côté de l'Atlantique, l'on travaillait activement à se fortifier dans l'intérieur, afin que l'on fût comme ces places de guerre que l'art a rendues redoutables au-dedans tandis que le dehors à peine visible semble appe- ler les coups de l'ennemi. Le traité de Montréal et l'établisse- ment du Détroit furent dictés par cette sage politique. Nos historiens n'en ont pas assez senti la haute portée pour notre préservation territoriale, portée surtout qui donna une influence immense aux Français sur toutes les nations indigènes, en établis-

Humphreys : Hist. Account. Nouvelle-Angleterre Marylaml

Massachusetts 70,000 âmes

Connecticut 30,000 "

Rhode-Island 10,000 "

New-Hampshire 10,000 "

120,000

25,000

Jerseys 15,000

Pennsylvanie 20,000

Virginie 40,000

Caroline du Nord 5,000

Coroline du Sud 7,000

times

Colonies centrales 142,000

" méridionales 120,000

Nouvelle-York 30,000 "

Total 262,000

24.

HISTOIRE DU CANADA.

sant pour elles une espèce de droit public dont le premier fruit fut de paralyser complètement l'action des colonies anglaises dans la présente guerre. Car on ne doit pas attribuer le résultat des traités d'Utrecht et de 1763 à l'élévation du drapeau français sur les Apalaches; mais bien à la supériorité ♦lujours croissante de la marine et de la population anglaise en Amérique. La poli- tique française y éleva en quelques jours des barrières qu'il fallut un demi siècle pour renverser, et qui ne l'auraient jamais été si la France eût eu seulement en 1755 les vaisseaux et les habiles officiers de mer qui assurèrent le triomphe de la révolution amé- ricaine vingt ans après.

Depuis le traité de Montréal, en effet, la neutralité des Iroquois fut assurée ; et rien ne pouvait être plus utile à la colonie que d'être en paix avec eux. M. de Callières leur envoya plusieurs missionnaires qui se répandirent dans leurs cantons pour les dis- poser au christianisme, dissiper leurs préjugés contre les Français, avertir le Canada de leurs démarches, travailler à les gagner ou à se faire des amis parmi eux, enfin déconcerter \ëa intrigues des Anglais peu redoutables de ce côté lorsqu'ils n'avaient pas pour eux les cantons. La Nouvelle-York eut beau chercher à leur faire renvoyer ces missionnaires, elle ne réussit qu'à ébran- ler quelques chefs, et à étendre, par leur cana., ses intrigues jusque parmi les nations occidentales, mais elle ne put jamais entraîner aucun de ces peuples à violer le traité.

Le gouverneur rassuré du côté du couchant, ne demandait à la cour que quelques recrues. Sa principale inquiétude venait alors des provinces du golfe, l'Acadie et Terreneuve, qui n'avaient pas assez d'habitans pour faire une résistance sérieuse, et qui étaient menacées d'après le bruit courant, par des forces consi- dérables. Mais il apprit bientôt que les hostilités des Anglais s'étaient bornées à la prise de quelques navires de pêcheurs le long des côtes, et qu'il était fortement question à Paris d'achemi- ner sur l'Acadie une émigration assez nombreuse pour défendre cette province et en assurer la possession à la France, projet formé déjà bien des fois et qui n'eut jamais de suite pour le mal- heur de tout le monde ; pour le malheur de la France qui perdit ensuite l'Acadie, pour celui des Acadiens qui furent déportés et disperses en divers pays ; enfin pour celui de l'Angleterre elle-

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même qui se déshonora par im acte d'autant plus cruel qu'il était commis au préjudice d'un peuple dont la faiblesse même devait servir de protection. Mais dans le premier moment, M. de Callières crut la péninsule acadienne sauvée, et il ne se préoccu- pait plus que de la province qu'il avait sous son commandement immédiat, lorsqu'il tomba malade et mourut le 26 mai 1703, regretté de tout un pays qu'il servait avec diligence et talent depuis plus de vingt ans. D avait été nommé au gouvernement de Montréal sur la présentation du séminaire de St.-Sulpice revêtu de ce droit comme seigneur de l'île, et en remplacement, en 1684-, de Perrot, destitué pour sa violence, corn'- plus tard il perdit l'administration de l'Acadie par sa cujr . M. de Callières avait succédé en qualité de second officier militaire du pays, à M. le comte de Frontenac. Son administration avait duré quatre ans et demi. Ayant fait du Canada sa patrie adop- tive, il contribua beaucoup par ses actes et probablement par ses conseils à amener la France à mettre cette confiance dans les colona que les Canadiens ne trahirent jamais.

Le marquis de Vaudreuil, gouverneur de Montréal, fut choisi à la demande des habitans pour tenir les rênes de la Nouvelle- France. Ce ne fut pas néanmoins sans quelque répugnance, car en 1706 le ministre tout en le blâmant de montrer trop de faiblesse pour des parens auxquels il laissait faire la traite contre les ordon- nances, lui écrivit que le roi avait eu de la peine à se décider à le nommer à cette haute charge, parceque son épouse était du pays. L'on verra faire plus tard les mêmes observations à l'oc- casion de son fils. Mais ce principe fut sagement abandonné, et il est digne de remarque que la cour de Versailles suivit en cela une conduite contraire à celle de Londres ; car, tandis que celle-ci cherchait à soustraire aux colonies une partie de leurs libertés, et leur ôtait le droit d'élire leurs gouverneurs, la France se faisait comme une règle de nommer aux fonctions publiques des hommes nés dans ces provinces lointaines, ou qui s'y fussent familiarisés par une longue résidence.

La confédération iroquoise qui était alors à l'apogée de sa gloire, voyait les Anglais et les Français briguer son alliance et se mettre pour ainsi dire à ses pieds, ce qui plaisait à son orgueil et flattait sa barbare ambition. Elle se crut l'arbitre des deux

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peuples. L'un de ses chefs, mécontent de la guerre qui venait d'éclater, disait avec une fierté naïve : " Il faut que les Euro- péens aient l'esprit bien mal fait j ils font la paix entre eux et un rien leur fait reprendre la hache ; nous, quand nous avons fait un traité, il nous faut des raisons puissantes pour le rompre." Ces paroles qui renfermaient un reproche, faisaient connaître assez cependant à M. de Vaudreuil, que les Iroquois respecteraient le traité de Montréal au moins pour le présent. Fidèles à leur ancienne politique, ils voulaient jouer le rôle de médiateurs, et ce dernier, qui avait pénétré leur dessein^ en avait informé le roi, qui lui fit répondre que, si l'on était assuré de faire la guerre avec succès, sans encourir de trop grandes dépenses, il fallait rejeter les propositions de la confédération de comprendre les Anglais dans la neutralité ; sinon ménager cette neutralité pour l'Amé- rique, mais sans passer par la médiation des seuls Iroquois.

L'on se retrancha dans la partie occidentale du Canada sur la défensive. Comme on était trop faible pour attaquer les colonies anglaises, le ministère manda au gouverneur de mettre toute sa politique à maintenir ses alliés en paix ensemble et à conserver sur eux toute son influence, double tâche qui exigeait autant de dextérité que de prudence. M. de Vaudreuil possé- dait ces qualités ; il connaissait surtout parfaitement le caractère des Indiens : un air de froide réserve de sa part dans certaines circonstances qu'il savait choisir, lui ramenait quelquefois des tribus prêtes à l'abandonner.

- Rassuré du côté des cinq cantons, il tourna ses regards vers les contrées occidentales, les Hurons paraissaient pencher vers les Anglais, dans le même temps que les Outaouais et les Miâmis chvsrchaient à guerroyer avec la confédération iroquoise, dont ils attaquèrent même quelques bandes près de Catarocoui. La paix courut des dangers pendant quelques instans. Les Indiens du Détroit avaient envoyé des députés à Albany . Le colonel Schuy- ler, l'homme le plus actif du parti de la guerre dans la Nouvelle- York, et l'ennemi le plus acharné des Français, employait toute son influence jusqu'à compromettre sa fortune, pour rompre l'alliance qui existait entre le Canada et les Iroquois ; et sans les Abénaquis il allait gagner une partie de ceux qui s'étaient faits chrétiens au Sault-St.-Louis et à la Montagne ; il avait même

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réussi par ses intrigues qu'il étendait de tous côtés, à enga- ger, en 1704, quelques Sauvages à mettre le feu au Détroit et à disperser les colons qui s'y étaient établis. Tout annonçait enfin une crise, peut-être un soulèvement général. Mais une fois que M. de Vaudreuil eût entre ses mains les fils de toutes ces menées, il sut par des négociations multipliées et conduites avec la plus grande adresse, non-seulement conjurer l'orage qui le menaçait, mais tourner les armes des Iroquois chrétiens qui avaient été prêts à l'abandonner, contre les Anglais eux-mêmes qui les avaient soulevés.

Maintenir les nations sauvages en paix était en tout temps chose difiicile ; mais c'était presque chose impossible lorsque la France et l'Angleterre avaient les armes à la main. Le marquis de Vaudreuil ne pouvait donc pas espérer une longue tranquillité dans l'Ouest. En effet, à peine venait-il d'en réconcilier les tribus ensemble que des d-fficultés s'élevèrent tout-à-coup en 1706 entre les Outaouais et les Miâmis par la faute de M. de la Motte Cadil- lac, commandant du Détroit, et qui manquèrent d'allumer la guerre entre la première de ces deux nations et les Français, ce qui aurait probablement fait prendre les armes aux cinq cantons. Les Miâmis tuèrent quelques Outaouais. La nation outaouaise demanda vengeance à Cadillac, qui répondit qu'il allait faire informer. Partant quelques jours après pour Québec, il leur dit que tant qu'ils verraient sa femme aux milieu d'eux, ils pour- raient demeurer tranquilles ; mais que si elle partait, il ne répon- dait pas de ce qui pourrait arriver. Ces paroles énigmatiques leur parurent une menace ; ils crurent qu'on voulait les punir d'avoir attaqué les Iroquois à Catarocoui. Les paroles et la con- duite de l'enseigne Bourgmont, qui vint remplacer temporaire- ment Tonti, lieutenant de Cadillac, ne firent que les confirmer dans leur idée ; et lorsqu'il leur proposa de marcher contre les Sioux avec les Hurons, ils crurent qu'on voulait les attirer dans un piège pour les massacrer. Un accident fortuit vint encore les affermir dans leur soupçon.

Pendant une audience un Sauvage battit le chien de Bourgmont qui l'avait mordu à la jambe ; Bourgmont outré de colère se jeta sur lui et le frappa avec tant de fureur qu'il en mourut. Cette atrocité combla la mesure. Ils dissimulèrent cependant sur le

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moment et firent mine de partir ; mais ils revinrent aussitôt sur leurs pas, attaquèrent les Miâmis et les poursuivirent jusqu'au fort, qui fut obligé de tirer sur eux pour Icf éloigner. Nombre d'hommes furent tués des deux côtés avec '"es Français et

un missionnaire, le P. Constantin.

La nouvelle de cet événement jeta M. de V ..udreuil dans un embarras extrême, qu'augmenta l'arrivée d'une députation des cantons qui le faisaient prier d'abandonner à leur vengeance ces Outaouais perfides. Il commença par repousser cette demande à laquelle toutes sortes de raisons s'opposaient. Il exigea ensuite des ambassadeurs outaouais envoyés auprès de lui pour expliquer leur conduite, qu'ils lui remissent les coupables auxquels Cadillac, de retour au Détroit, avait eu l'imprudence, par une fausse pitié, de faire grâce. Mais comment les saisir 1 Les Miâmis qui vou- laient leurs tètes à tout prix, outrés de ce que leur vengeance restait sans satisfaction, accusèrent ce commandant de trahison et tuèrent les Français qu'il y avait dans leur bourgade. Cadillac se disposait à aller les punir lorsqu'il apprit que les Hurons et les Iroquois s'étaient entendus pour faire main basse sur tous les autres Français qui se trouvaient dans la contrée. Fores lui fut alors de dissimuler faute de moyens suffisans pour en irf.poser à toutes ces tribus. Il fit une paix fourrée avec les Miâmis qui, méprisant sa faiblesse, n'en observèrent point les conditions. Mais cette paix avait dans le moment rompu le complot des Indiens, ce qui était beaucoup ; et dès qu'il vit les Miâmis seuls, il marcha contre eux avec quatre cents hommes pour venger et leur premier crime et les violations du traité qui les avait soustraits à sa colère. Ces barbares complètement battus et forcés dans leurs retranchemens, durent se soumettre sans condition à la clé- mence du vainqueur.

Tandis que le gouverneur tenait ainsi avec une main souple et expérimentée les rênes de cette multitude de tribus de l'Ouest, qui comme des chevaux indomptés, étaient toujours prêtes, dans leur folle ardeur, à ce jeter les unes sur les autres, il ne perdait pas de vue les Abénaquis que la Nouvelle- Angleterre cherchait à lui détacher. Pour contrecarrer ces intrigues lorsqu'elles allaient trop loin, il fallait quelquefois jeter ces Sauvages dans une guerre, chose après laquelle ils soupiraient sans cesse. C'était un

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recours extrême ; mais la sûreté, l'existence même de la popu- lation française était une raison suprême qui faisait taire toutes les autres.

Des relations s'étant secrètement établies entre Boston et quel- ques Abénaquis qui venaient d'y conclure la paix, M. de Vau- dreuil forma pour la rompre une bande de ces Sauvages sous les ordres de M. Beaubassin, et, après y avoir joint quelques Fran- çais, la lança en 1703 du côté de Boston. Cette horde ravagea tout depuis Casco jusqu'à Wells, " Les Sauvages, dit M. Ban- croft, divisés par bandes, assaillirent avec les Français toutes les places fortifiées et toutes les maisons de cette région à la fois, n'épargnant, selon les paroles du fidèle chroniqueur, ni les cheveux blancs de la vieillesse, ni les cris de l'enfant sur le sein de sa mère. La cruauté devint un art, et les honneurs récompensèrent l'au- teur des tortures les.plus rafinées. Il semblait qu'à la porte de chaque habitation un Sauvage caché épiât sa proie. Que de personnes furent ainsi soudainement massacrées ou traînées en captivité. Si des hommes armés, las de leurs attaques, péné- traient dans les retraites de ces barbares insaisissables, ils ne trou- vaient que des solitudes. La mort planait sur les frontières." L'excès des maux donna un moment d'énergie à ces malheureux. Ils attaquèrent les' Abénaquis à leur tour dans l'automne et ne leur accordèrent aucune merci. Ils massacrèrent tous ceux qui tombèrent entre leurs mains jour venger à la fois leur cruauté et la trahison dont ils prétendaient avoir été les victimes. Les Abé- naquis se voyant pressés de près, firent demander des secours au gouverneur canadien qui leur envoya dans l'hiver 350 hommes dont 150 Sauvages sous les ordres d'Hertel de Rouville, officier réformé. Cette bande prenant au travers des bois à la raquette, traversa les AUéghanys et tomba dans la dernière nuit de février sur Deerfield, bourgade défendue par une palissade de vingt acres de circuit. Dans cette enceinte se trouvaient encore plusieurs maisons entourées d'une ceinture de pieux. Il y avait quatre pieds de neige sur la terre et le vent en ayant amoncelé des bancs jusqu'à la hauteur des palissades, les assaillans avec leurs raquet- tes aux pieds, entrèrent dans la place comme si elle n'avait été protégée par aucun obstacle. Les habitans furent tués ou pris et la bourgade fut livrée aux flammes. La plus grande partie des

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prisonniers fut emmenée en Canada, malgré le cruel système de guerre qu'on suivait à cette époque, on accueillait toujours bien ces malheureux. Les enfans et les jeunes gens pris ainsi étaient tendrement traités par les Canadiens et finissaient souvent par embrasser le catholicisme et se fixer dans le pays. L'on accor- dait à ces Anglais, devenus Français, des lettres de naturalité. Nos archives en renferment qui contiennent des pages entières de noms.

En 170é une nouvelle expédition fut résolue contre la Nouvelle- Angleterre dans un grand conseil de tous les chefs sauvages chrétiens tenu à Montréal. Plus de cent Canadiens devaient s'y joindre, commandés par St.-Ours, des Chaillons et Hertel de Rouville. Mais la plupart des Indiens ayant refusé de marcher, deux cents hommes seulement se mirent en route, remontèrent la rivière St.-François, passèrent les Alléghanys par les Monta- gnes-Blanches, et descendirent dans le plat pays ennemi en se rapprochant du lac Nikissipique pour donner la main aux Abé- naquis, qui ne se trouvèrent pas non plus au rendez-vous et qui les privèrent ainsi d'une autre partie importante de leurs forces pour l'attaque de la ville de Portsmouth, sur le bord de la mer. . La petite colonne trop faible alors pour se porter vers Portsmouth, prit le parti de tomber sur Haverhill, bourg palissade baigné par les eaux d j Merrimac, à 4 ou 500 milles de Québec. On venait d'y envoyer des renforts, et on y était conséquemment sur l'éveil. Rouville ne pouvant plus compter sur une surprise, passa la nuit avec sa bande dans la forêt voisine. Le lendemain matin ayant rangé ses gens en bataille, il exhorta ceux qui p'^uvaient avoir quelque difiièrend ensemble à se réconcilier. Ils s'agenouillèrent ensuite au pied des arbres qui les dérobaient aux regards de l'ennemi, puis ils marchèrent à l'attaque du fort. Après une vive opposition ils l'enlevèrent l'épée et la hache à la main. Tout fut saccagé. Le bruit du combat ayant répandu l'alarme au loin, la campagne se couvrit bientôt de fantassins et de cavaliers qui cernèrent les Canadiens. Il fallut se battre à Parme blanche jus- qu'à ce que la victoire, longtemps douteuse, demeurât enfin à ces derniers. Hertel 'de Chambly et Verchères, deux jeunes officiers de grande espérance, restèrent sur le champ de bataille. Les

Registres du Conseil supérieur.

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vainqueurs opérèrent leur retraite assez tranquillement. En pei- gnant ces scènes de carnage n'oublions point les traits de l'huma- nité si souvent sacrifiée dans ces cruelles guerres.

Parmi les prisonniera qu'on emmenait se trouvait la fille du principal habitant de Haverhill. Ne pouvant supporter les fati- gues d'une longue marche, elle aurait succombé sans un jeune volontaire, nommé Dupuy, de Québec, qui la porta une bonne partie du chemin et conserva ainsi ses jours.

Ces attaques répandaient le désespoir dans les établissemens américains. Schuyler fit au nom des colonies anglaises les remon- trances les plus vives à M. de Vaudreuil. " Je n'ai pu me dis- penser, ajoutait-il, de croire qu'il était de mon devoir envers Dieu et envers mon prochain de prévenir, s'il était possible, ces cruau- tés barbares, qui n'ont été que trop souvent exercées sur les malheureux peuples." Mais en même temps qu'il élevait la voix au nom de l'humanité contre les excès de ces guerriers farouches, il intriguait lui-même auprès des cantons et des alliés français pour les engager à rompre leur alliance et à prendre les armes contre le Canada, c'est-à-dire à faire la répétition des scènes dont il se plaignait lui-même avec tant d'énergie. Aussi a-t-on pu remarquer avec raison que Schuyler était assez instruit de tout ce qui s'était passé depuis cinquante ans dans cette partie de l'Amérique, pour savoir que c'étaient les Anglais qui avaient réduit le Canada à la dure nécessité de laisser agir les Sauvages comme ils le faisaient dans la Nouvelle- Angleterre ; qu'il ne pou- vait ignorer non plus les horreurs auxquelles s'étaient portés les Iroquois à leur instigation pendant la dernière guerre; qu'à Boston même les Français et les Abénaquis retenus prisonniers, étaient traités avec une inhumanité peu inférieure à cette bar- barie dont il se plaignait si amèrement, et que les Anglais enfin avaient plus d'une fois violé le droit des gens et les capitulations signées dans les meilleures formes lorsque les prisonniers de cette nation ne recevaient que de bons traitemens de notre part et de la part de nos alliés.

Nous avons dit que le fort de la guerre se porta sur les pro- vinces voisines du golfe. M. de Brouillan, gouverneur de Plai- sance, avait remplacé en Acadie le chevalier de Villebon mort au mois de juillet 1700. Il avait reçu ordre d'augmenter les for-

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tifications de la Hôve, et d'y encourager le commerce en empo- chant, autant que possible, les Anglais de pêcher sur les côtes. Ne pouvant espérer de secours du dehors, il fit alliance avec les corsaires, qui firent de la Hève leur lieu de refuge. Les affaires y prirent aussitôt un grand accroissement, et l'argent y abonda de toutes parts; ce qui lui permit de récompenser les Indiens qui faisaient des courses dans la Nouvelle-Angleterre pour venger les dégâts que les vaisseaux de celle-ci commettaient à leur tour sur les côtes acadiennes.

Le gouvernement de Boston, voulant user do représailles pour le massacre de Deerfield, chargea le colonel Church d'aller atta- quer l'Acadie. Cet officier que le récit des ravages des Français avait rempU d'indignation, était venu à cheval, malgré son grand âge, d'une distance de 70 milles pour offrir ses services au gou- verneur Dudley. Il mit à la voile avec 550 soldats sur trois vais- seaux, dont un de 48 canons, quatorze transports et trente-six berges, et tomba d'abord sur les établissemens des rivières Penob- scot et Passamaquoddy, il mit tout à feu et à sang. Delà il cingla vers Port-Hoyal dont il fut repoussé par une poignée d'hommes. Il voulut ensuite aller surprendre les Mines il ne fut pas plus heureux. Sans se décourager il changea de tactique, et recherchant les endroits sans défense, il dirigea sa course vers la rivière d'Ipiguit il continua ses dévastations sans opposition. A Beaubassin, les habitans, prévenus de son approche, l'empo- chèrent malgré leur faiblesse de faire beaucoup de mal. Se retirant lorsqu'il éprouvait de l'opposition, avançant lorsqu'il n'en rencontrait point, allant d'un Heu à un autre, il fut occupé ainsi tout Pété à une expédition qui ne produisit d'autre avantage qu'une cinquantaine de prisonniers de tout âge et de tout sexe, car que pouvait-il y avoir à piller chez les pauvres Acadiens ? Mais il dévoila la faiblesse de cette colonie. La facilité avec laquelle ses côtes avaient été insultées engagea les Anglais à en tenter la conquête trois ans après. Mille hommes furent levés dans le New-Hampshire, le Massachusetts et le Rhode-Island, et le 17 mai, deux régimens sous les ordres du colonel March arrivèrent à Port-Royal sur vingt-trois transports convoyés par deux vaisseaux de guerre.

M. de Subercase y avait succédé à M. de Brouillan mort l'an-

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née précédente. Cet oflicier arrivait do Terreneuve il s'était distingué dans la guerre de cette île. L'ennemi avait i'ait ses préparatila avec tant de secret et de diligence qu'il fut surpris en quelque sorte dans sa ville, ou plutôt dans son village décoré du nom pompeux do capitale. Les murailles tombaient en ruines. Pour donner le temps de les réparer, il disputa le terrain pied à pied aux 1500 hommes débarqués du côté du fort et aux 500 mis à terre du côté de la rivière. Après deux ou trois jours de tâtonnement les ennemis se rapprochant investirent la place et ouvrirent la tranchée. Un détachement de 400 hommes qu'ils avaient envoyé pour tuer les bestiaux dans la campagne, fut abordé par le baron de St.-Castin à la tète d'un corps d'habitans et de Sauvages et mis en déroute. Le sixième jour du siège on aperçut beaucoup de mouvement dans la tranchée ; ce qui fit soupçonner que les assiégeans formaient quelque dessein pour la nuit suivante. En effet, vers les 10 heures du soir, au milieu du profond silence qui régnait dans la ville et sur les remparts, un bruit sourd causé par des masses d'hommes en mouvement, annonça tout à coup l'approche des colonnes d'attaque. On était préparé. Dès qu'elles furent à portée, l'on ouvrit sur elles un feu d'artillerie et de mousqueterie si bien nourri qu'elles recu- lèrent et cherchèrent un abri contre les balles dans les ravins voisins, dans lesquels elles restèrent tapies la journée du len- demain après s'y être retranchées. Le baron de St.-Castin et soixante Canadiens arrivés quelques heures avant les Anglais, furent d'un grand secours ; ce fut à eux principalement que Port- Royal fut redevable de sa conservation.

Le surlendemain de l'assaut, l'ennemi leva le siège. L'on ne doutait point à Boston du succès de l'entreprise, et on y avait même fait d'avance des réjouissances publiques. La nouvelle de la retraite des troupes y causa la plus vive indignation. Le colo- nel March qui était resté avec la flotte à Kaskébé, n'osant paraître devant ses concitoyens, reçut l'ordre de ne laisser débarquer per- sonne et d'attendre des instructions ultérieures. Il fut résolu de venger sur le champ l'échec qu'on venait d'essuyer. Trois vais- seaux et 5 à 600 hommes furent ajoutés à l'escadre de March, et, ainsi renforcé, dès le 28 août il reparut devant Port-Royal. La surprise et la consternation y furent au comble parmi les habitans,

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qui regardèrent comme une témérité de vouloir so défendre contre dos forces si supériourea. M. de Subercase seul ne déses- péra point ; et 8t>n assurance releva le courage des troupes ; après le premier moment de stupeur passé, chacun no songea j)lu8 qu'à remplir fidèlement son devoir. Les ennemis atten- dirent au lendemain pour opérer leur débarquement et c'est ce qui sauva la ville on donnant lo temps d'appeler les hommes do la campagne.

Les Anglais descendirent à terre du côté opposé de la rivière et s'y fortifièrent. Des partis que Subercase y avait détachés pour les surveiller, les empêchèrent de s'éloigner de leur camp que les bombes les obligèrent ensuite d'évacuer. Dans une mar- che ils tombèrent au nombre de 14 à 1500 dans une embuscade que leur avait tendue le baron de St.-Castin avec 150 hommes, et (jui détermina leur retraite vers le second camp retranché qu'ils avaient formé. Le corps du chef des Abénaquis fut porté à 420 hommes, dont le gouverneur lui-môme prit le commandement, pour charger l'ennemi d<' iju'il voudrait s'embarquer, deôscin que paraissait indiquer le mouvement des chaloupes de la flotte. Mais un olficier brûlant de combattre, commença prématurément l'attaque avec quatre-vingts hommes. Il emporta d'assaut un premier retranchement. Animé par ce succès, il sauta dans un second, il fut blessé de deux coups de sabre. Le combat ainsi engagé il fallut le continuer. MM. de St.-Castin et Saillant arri- vèrent pour le soutenir. L'on se battit corps à corps, à coup de hache et de crosse dt> fusil. L'ennemi fu^ repoussé plus de cinq cents verges vers pes embarcations. Honteux de fuir devant si peu de monde, il revint sur ses pas ; mais on le chargea de nou- veau avec tant de vigueur qu'il fut enfin mis en pleine déroute et obligé de se rembarquer précipitamment.

Le jour môme une partie de la flotte leva l'ancre et le lende- main le reste s'éloigna., Les Anglais avaient éprouvé de grandes pertes tant par les combats que par les maladies. Le mauvais succès de cette expédition dispendieuse, dont ils attendaient un grand résultat, causa un mécontentement général dans tout le Massachusetts ; elle augmenta beaucoup la dette publique et blessa l'amour propre national. La perte des Français dans les deux siégea fut de très peu de chose.

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Tandis que l'Acatlie et la Nouvelle-Angleterre voyaient ainsi les bayonnettcs et la hache do guerre se promener sanglantes et hautes sur leur territoire à la clarté des incendies, les régions de Torreneurc étaient en proie aux mômes calamités.

A la prcmiôro rupture de la paix, les Anglais avaient fait, comme en Acadie, des dégâts considérables sur les côtes de la partie française de l'îlo. Ce ne fut qu'en 1703 que l'on pût commencer à prendre sa revanche. D'abord l'on attaqua et prit d'assaut en plein jour le Forillon, poste assez important quel- ques navires furent incendiés. Dans l'hiver on continua les ravages en faisant subir de grandes pertes au commerce de l'en- nemi ; mais ce n'étaient que les préludes d'attaques beaucoup plus sérieuses. M. de Subercase, (}ui y avait remplacé M. de Brouillan passé au gouvernement de l'Acadie, avait reprip, avec l'agrément de la cour, le plan de M. d'Ibcrvillo de mettre toute l'île sous la domination française ; et pour lui en faciliter l'exécu- tion, le roi lui av..it permis de prendre cent Canadiens et douze officiers commandés par M. de Beaucourt, qui débarquèrent à Tcr- reneuve dans l'automne. Il se trouva par à la tôte de 450 hommes, soldats, Canadiens, flibustiers et Sauvages, tous gens déterminés et accoutumés à faire des marches d'hiver. Il se mit en campagne le 15 février, et se dirigea vers St.-Jcan. Le 26, cette troupe intrépide était à Rebou, à quelques lieues de cette ville, ayant traversé quatre rivières rapides au milieu des glaces qu'elles charriaient, et soulTert cruellement du froid. Leshabitans cfirayés en voyant paraître ces guerriers que les obstacles avaient rendus plus farouches, tombèrent à genoux dans la neige et demandèrent quartier. Après avoir pris deux jours de repos à Rebou, Subercase se remit en chemin et parvint près de St.-Jean vers le soir. Quoiqu'il fît toujours extrêmement froid, il fut défendu de faire du feu ; chacun se chercha un gite sous des arbres de sapin pour s'abriter un peu. Les soldats mirent leurs souliers sous eux pour les faire dégeler par la chaleur de leur corps. Le lendemain on se présenta devant la ville, qu'on prit sans coup-férir. Mais les deux forts qui la protégeaient se défendirent si courageusement qu'on dut les abandonner. Après avoir mis le feu à St.-Jean, * les Français se rejetèrent sur la cam-

American Jnnals : Humphrey.

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pagne qu'ils ravagèrent en tous sens. En revenant ils brûlèrent le bourg du Forillon, épargné l'année précédente. Montigny avec une partie des Canadiens et des Sauvages réduisit ensuite en cendre tous les établissemens de la côte. La terreur était si grande parmi les pauvres habitans, qu'il n'avait que la peine de recueillir les prisonniers. Il ne resta plus aux Anglais à Terre- neuve que l'île de la Carbonnière et les forts de St.-Jean, que l'on n'avait pu prendre. Cette irruption toutefois ne fut qu'un orage. Le calme revenu, les flots débordés se retirèrent, on enleva les débris qu'ils avaient faits, et tout rentra dans l'ordre accou- tumé.

Trois ans étaient à peine écoulés cependant depuis l'expé- dition de Subercasc, que St.-Ovide, lieutenant de Plaisance, dont M. de Costa Bella était gouverneur, proposa à ce der- nier de faire une nouvelle tentative sur St.-Jean, que l'on convoi- tait toujours parceque c'était l'entrepôt général des Anglais dans l'île. Il offrait d'exécuter cette entreprise à ses propres frais. Sa proposition étant agréée il rassembla environ 170 hommes parmi lesquels il y avait des Canadiens et des soldats, et s'étant mis en route sur la neige le 14 décembre, il arriva dans la nuit du 1er janvier 1709 à quelque distance de la place qu'il alla reconnaître à la clarté de la lune. Après cet examen il fit ses préparatifs pour donner l'assaut, et l'on se remit en marche en s'excitant les uns les autres. On fut près d'échouer par la trahison des guides. M. de St.-Ovide qui était en tète fut découvert à trois cents pas des premières palissades, d'où on lui tira des coups de fusil ; mais sans se laisser intimider il continua toujours d'avancer, et péné- tra ainsi jusqu'à un chemin couvert qu'on avait oublié de fermer et l'on se précipita aux cris de vive le roi ! L'on traversa le fossé malgré le feu des deux forts qui blessa dix hommes. On planta deux échelles contre les remparts qui avaient vingt pieds de haut ; St.-Ovide monta le premier suivi de six hommes dont trois furent grièvement blessés derrière lui. Au même instant, une autre colonne atteignait le sommet du rempart sur un autre point, et s'élançait dans la place conduite par les Canadiens Des- pensens, Renaud, du Plessis, la Chesnaye, d'Argenteuil, d'Aille- bout et Johannis. L'on s'empara du corps de garde et de la maison du gouverneur qui fut fait prisonnier après avoir reçu

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trois blessures. Le pont-levis fut baissé et le reste des nssaillans entra. Ce n'est qu'alors que l'ennemi déposa les armes.

Ainsi en moins d'une demi-heure l'on prit deux forts qui auraient pu arrêter une armée entière ; car ils étaient garnis de 48 pièces de canons et mortiers, et défendus par plus de quatre- vingts soldats et huit cents miliciens bien retranchés ; * mais la porte souterraine par ceux-ci devaient passer, se trouva si bien fermée qu'ils ne purent l'enfoncer assez vite. Il restait un troisième fort à l'entrée du port, gardé par une compagnie de soldats qui avait des vivres pour plusieurs mois, et qui était muni de canons, de mortiers et de casemates à l'épreuve des uombes ; il se rendit néanmoins au bout de 24 heures.

M. de Sl.-Ovide écrivit immédiatement en France et au gou- verneur, M. de Costa Bella, pour annoncer sa conquête. Ce dernier fut fort, mécontent de ce que son lieutenant eût pas sur lui d'écrire directement à la cour sans ordre et l'en blâma. Il e /oya une frégate pour transporter les munitions de guerre, les prisonniers et l'artillerie de St.-Jean à Plaisance, en lui ordonnant à lui-même de revenir après qu'il aurait détruit les fortifications. Le roi qui avait d'abord approuvé la déiermination de M. de Costa Bella, partagea ensuite le sentiment de St.-Ovide, qui vou- lait que l'on gardât St.-Jean, mais il était trcp tard.

L'île de Carbonnière était le seul poste qui restât à l'ennemi à Terreneuve. M. de Costa Bella ne recevant point de France les secours qu'on lui avait promis pour en faire la conquête, organisa l'année suivante deux détachemens, qui se mirent en marche l'un par terre et l'autre par eau, le tout sous les ordres d'un habitant de Plaisance, nommé Gaspard Bertrand. Ils parvinrent à la baie de la Trinité dans le voisinage de la Carbonnière sans avoir été

* IjCttres du -major Lloyd datées octobre et novembre 1708, c'est-à-dire deux ou trois mois avant le siège et consignées dans un registre manuscrit qui a appartenu à M. Pawnall, et qui se trouve maintenant dans les archives pro- vinciales. Co registre est composé principalement d'extraits des procès ver- baux du Board of Colonies and plantations. On y lit ce qui suit sur la situa- tion de St.-Jean alors: "The garrison was in as good a condition as he desired ; the company (80 men besidei the officers) was complète; there were near 800 of the inhabitants under the covert of the fort ; and ail things were in as good posture, etc. Captain Moody and others say that there were 48 pièces of canon, mortars, &c., and a great quantity of aramunitiou of war."

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découverts. Ils y trouvèrent une frégate de 30 pièces de canon et de cent trente hommes d'équipage, appelée The Valor qui avait convoyé une flotte de bâtimens marchands. Bertrand en la voyant ne put étouffer son désir de corsaire, et résolut d'en tenter l'abordage. Trois chaloupes, portant chacune vingt-cinq hommes, s'y dirigent rapidement à force de rames en plein jour. Bertrand le premier saute sur le pont. En un instant le capitaine anglais est tué, tous les officiers sont mis hors de combat et l'équipage rejeté entre les deux ponts, il se défend longtemps avec vail- lance. C'est alors que fut tué l'intrépide Bertrand ; sa mort fit chanceler sa bande ; mais un de ses lieutenans prit aussitôt sa place et l'on se rendit enfin maître du vaisseau. Au même instant deux corsaires, l'un de 22 canons et l'autre de 18, ayant été informés de ce qui se passait, arrivèrent à pleines voiles, et chacun prenant un côté ils se mirent à canon ner la frégate que les Français venaient de prendre. Mais les vainqueurs trop fati- gués pour recommencer un second combat, coupèrent les câbles et profitèrent d'un vent favorable pour sortir de la baie sans être poursuivis. Le détachement venu par terre se jeta alors sur les habitations, les pilla et retourna à Plaisance chargé de butin, de sorte que la Carbonnière, protégée par sa situation reculée, échap- pa encore une fois au sort qui la menaçait.

Ainsi les Français se promenaient en vainqueurs d'un bout à l'autre de l'île depuis presque le commencement de la guerre sans pouvoir, vu la petitesse de leur nombre, s'en assurer la conservation. Il ne leur restait que la gloire d'avoir déployé un courage admirable et empêché peut-être l'ennemi de venir les attaquer chez eux. Il n'est guère permis de douter que si la France eût été maîtresse des mers, toute l'île ne fût passée sous sa domination.

Cependant les colonies anglo-américaines se sentaient humi- liées des échecs répétés qu'elles avaient déjà éprouvés dans cette guerre, et du rôle qu'elles y jouaient. Terreneuvo dévastée, le Massachusetts toujours repoussé de l'Acadie, la Nouvelle- York et les provinces centrales cernées par les Canadiens et leurs non;- breux alliés et n'osant remuer de peur d'exciter l'ardeur belli- queuse de tous ces peuples, telle était leur situation qui blessait à la fois leur intérêt et leur orgueil national. La conquête de toute

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lf\ Nouvelle-France était à leurs yeux l'unique moyen d'en pré- venir à jamais le retour, et de parvenir à cette supériorité qui leur assurerait tous les avantages de l'Amérique et de la paix ; elles ne cessaient point de faire des représentations à leur métro- pole dans ce sens. L'assemblée de la Nouvelle- York présenta une adresse à la reine Anne en 1709 dans laquelle elle disait : " Nous ne pouvons penser sans les plus grandes appréhensions au danger qui menacera avec le temps les sujets de sa Majesté dans ces contrées ; car si les Français, après s'être attaché gra- duellement les nombreuses nations indigènes qui les habitent, tombaient sur les colonies de votre Majesté, il serait presqu'im- possible à toutes les forces que la Grande-Bretagne pourrait y porter de les vaincre ou de les réduire." Le moment paraissait propice à l'Angleterre d'enlever à son ancienne rivale ses posses- sions d'outre-mer ; car après une suite de revers inouis, la France était tombée dans un état de prostration complète ; ses ressources étaient épuisées, son crédit anéanti et le rigoureux hiver de 1709 achevait de désespérer la nation en proie à une famine cruelle. C'était le moment pour l'Angleterre de se rendre aux vœux de ses colonies en s'emparant du Canada ; et pendant que Louis XIV sollicitait la paix de ses nombreux ennemis avec de vives instances, elle donnait des ordres pour s'assurer d'une des dépouilles du grand roi.

Le colonel Vetch paraît avoir été le premier auteur de cette nouvelle entreprise. Quelques années auparavant, en 1705, le gouverneur du Massachusetts, M. Dudley, l'avait envoyé avec M. Livingston à Québec, pour régler l'échange des prisonniers et proposer à M. de Vaudreuil un traité de neutralité entre la Nou- velle-Angleterre et la Nouvelle-France, traité que le roi avait trouvé convenable dans le temps et qu'il avait permis môme de conclure, pourvu que la gloire et l'honneur de la nation n'y fus- sent pas intéressés et qu'il ne donnât lieu à aucun commerce. Mais cette députation n'était qu'un prétexte pour examiner le pays et gagner du temps. Plusieurs émissaires s'étaient glissés en Canada à la faveur de cette mission pour étudier ses forces et ses moyens de défense, ce qui étant parvenu aux oreilles des ministres à Paris attira des reproches au gouverneur sur sa facilité inipolili<iue. Vetch lui-même sonda le St. -Laurent en remontant

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jusqu'à la capitale. Après quoi il proposa au ministère anglais le vieux projet de conquérir le Canada par une double attaque par mer et par terre, disant que le succès n'était pas douteux. En effet le pays, qui n'avait reçu aucun secours de France depuis le commencement des hostilités, n'était guère capable de résister si on l'attaquait sérieusement ; la proposition fut donc bien reçue, et l'on se mit à travailler sans délai aux préparatifs de la cam- pagne. Le plan de Vetch fut adopté. Cinq régimens de ligne auxquels seraient joints douze cents miliciens du Massachusetts et du Rhode-Island, devaient opérer par le fleuve contre Québec. Quatre mille hommes, dont moitié Sauvages, devaient attaquer Montréal par le lac Champlain. L'adjonction de tant de Sau- vages était facile dans le moment parceque le colonel Schuyler venait de réussir à faire rompre le traité qui existait entre les Français et la confédération iroquoise, et à engager quatre des cinq cantons à prendre part à la campa^i ,, qui promettait d'être aussi profitable que glorieuse. Toutes les colonies anglaises étaient dans l'enthousiasme. " La joie, dit un de leurs historiens, animait la contenance de tout le monde ; il n'y avait personne qui ne crût que la conquête du Canada ne fût achevée avant l'automne." On ne comptait pour rien les sacrifices, et c'est à cette occasion que le Connecticut, la Nouvelle- York et le Nou- veau-Jersey, dont le trésor était vide, fabriquèrent pour la pre- mière fois du papier-monnaie.

L'année de terre se réunit sur les bords du lac Champlain dans le mois de juillet sous les ordres du gouverneur Nicholson ; elle commença à élever des forts, des blockhaus, des magasins, et à se construire une multitude de bateaux et de canots pour traver- ser le lac. Jamais le Canada n'avait vu un si grand déploiement de forces pour sa conquête. En faisant l'énumération de leurs soldats et de leurs vaisseaux, les ennemis se croyaient capable» de chasser les Français de toute l'Amérique ; car leurs troupes de terre dépassaient du double celles de leurs adversaires, sans compter leurs forces de mer qui étaient encore aussi considé- rables ; ce qui faisait quatre contre un.

Tandis que les Anglais à la vue de leur supériorité numérique faisaient des rêve» do triomphe, les Canadiens inquiets et silen- cieux se préparaient à tenir tête à l'orage. L'ordre fut donné

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d'armer Québec et de tenir les troupes et les milices prêtes à marcher au premier signal. Les Ibrces totales du pays, réguliers et miliciens en âge de porter les armes, s'élevaient à 4150 hommes outre 700 matelots et Sauvages. M. de Vaudreuil était monté lui-même à Montréal dans le mois de janvier pour être plus près de l'ennemi et envoyer faire diverses reconnaissances vers le lac Champlain qui pussent l'informer à temps de ses forces et de ses mouvemens.

Le secrétuiie d'état anglais, lord Sunderland, avait écrit à Bos- ton de se tenir prêt à marcher au premier ordre ; que les troupes de renfort étaient sur le point de s'embarquer pour l'Amérique. L'on s'était empressé de se rendre à ses injonctions ; même avant le temps fixé tout était préparé pour entrer en campagne ; mais personne ne parut au temps dit, et après une longue attente, durant laquelle on s'était perdu en conjectures, les murmuçcs et les maladies éclatèrent dans l'armée campée sur le lac Cham- plain. Peu accoutumée à la discipline, elle se lassait de la con- trainte et de la sujétion militaire dans laquelle on la tenait, quoiqu'on parvint à la retenir jusqu'à la fin de l'été sans qu'il arrivât rien d'Europe. Alors l'assemblée de la Nouvelle-York ti-ouvant la saison trop avancée pour entrer en Canada, pré- enta une adresse au gouverneur, pour rappeler les milices dans leurs foyers; Peu de temps après, l'on apprit la prise du général Stanhope avec cinq mille Anglais à Brihuega, et la défaite de Stahremberg le lendemain par le duc de Vendôme à Villa-Viciosa en Portugal, double revers qui avait obligé la cour de Londres d'envoyer les troupes destinées contre Québec au secours des alliés dans la péninsule, et qui expliqua l'immobilité de l'ennemi. Ainsi la victoire de Villa-Viciosa eut le double avantage de consolider le trône de Philippe V et de sauver le Canada.

Ce qu'on rapporte de l'empoisonnement de l'armée de Nichol- son par les Iroquois sur le lac Champlain, paraît dénué de fonde- ment. Aucun historien américain ne parle de cette circons- tance ; et deux ans après, les guerriers de ces tribus se joignirent encore aux Anglais. Il est probable que l'astuce iroquoise don- na naissance à ce rapport dans un but politique. Ces barbares craignaient et haïssaient également leurs deux puissans voisins ;

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mais ils étaient divisés à leur sujet, ou plutôt ils voulaient ména- ger l'un et l'autre sans laisser percer leurs motifs. En consé- quence une partie de la confédération, comme les Onnontagués, tenait pour les Français, et l'autre pour leurs adversaires. La môme tactique fut adoptée l'année suivance, car dans l'hiver les Onnongués et les Agniers envoyèrent une députation en Canada, l'on n'était pas en état de repousser avec dédain les excuses de ces belliqueux supplians. Le gouverneur tout en les menaçant de lâcher ses alliés contre eux s'ils bougeaient, reçut leurs ambassadeurs de manière à les laisser partir satisfaits de leur accueil.

Tandis que les cantons voyageaient ainsi d'un camp à l'autre et faisaient des assurances trompeuses aux deux partis, le colonel Nicholson était passé en Angleterre pour la presser de reprendre son projet de conquête, ce que le cabinet de Windsor promit de faire au printemps, mais n'exécuta point, car aucune flotte ne parut. Nicholson revenu en Amérique avec cinq ou six vaisseaux de guerre, dont quatre de 60 canons, portant un régiment de marine, ayant vainement attendu cette flotte jusqu'à l'automne, se vit contraint d'abondonner encore une fois son entreprise favo- rite. Mais pour ne pas achever l'année sans exécuter quelque chose, il suggéra de risquer une tentative sur l'Acadie* avec les forces qu'on avait. On lui adjoignit une trentaine de vaisseaux ou transports, et quatre ou cinq bataillons de troupes provinciales formant 3400 hommes sans compter les officiers, et il fit voile le 18 septembre de Boston. Il parvint devant Port-Royal six jours après, et opéra son débarquement sans rencontrer d'opposition.

M. de Subercase n'avait pu trouver, comme on l'a dit, d'autre moyen de se maintenir à Port-Royal, qu'en s'alliant avec les flibustiers, qui éloignaient l'ennemi parleurs courses, entretenaient l'abondance dans la ville et lui fournissaient de quoi faire de riches présens aux Sauvages. Mais ces corsaires l'abondonnèrent nu moment du danger, et lui môme se ce luisit ensuite comme s'il eût voulu provoquer tout ce qui arriva. Il voyait depuis long- temps l'orage se former contre lui. Deux fois il avait repoussé

Quelques auteurs disent qu'il devait faire cette conquête seul, et qu'en- suite les forces de la Grande-Bretagne seraient envoyées pour prendre tiuébec.

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l'ennemi avec une poignée de braves ; mais depuis cette époque glorieuse un changement inexplicable s'était opéré dans ses sen- timens. On aurait dit que pour se venger de l'oubli dans lequel on le laissait il désirait la perte du pays commis à ses soins. Il avait reçu quelques recrues de France et des secours de Québec, peu considérables il est vrai, mais qui auraient pu lui être très utiles dans la circonstance ; il les renvoya sous prétexte de ne pouvoir s'accorder avec leurs officiers, qui, le leur côté se plai- gnaient de sa manière d'agir à leur égard. La retraite de ces ren- forts, la mauvaise disposition des habitans, son inaction lors de l'apparition de l'ennemi, tout cela coïncidant avec le départ des flibustiers, le fit soupçonner dans le temps de trahison ; et, mal- gré sa justification il ne put jamais reconquérir la pleine confiance de ses compatriotes, dont plusieurs ne cessèrent point de mettre en doute sa fidélité. '^-^

Qu'il trahît ou non son devoir, il est constant qu'il n'avait pas deux cents hommes de garnison, lorsque le colonel Nicholson parut devant Port-Royal avec des forces dont l'immense dispro- portion était un hommage éclatant rendu à ses talens et à sa bra- voure. Il se laissa bombarber au milieu des murmures et de la désertion de ses gens jusqu'au 2 octobre, qu'il capitula. La gar- nison, épuisée de faim, sortit de la ville au nombre de 156 soldats avec les honneurs de la guerre. Nicholson, voyant défiler ce petit nombre d'hommes au visage pâle et amaigri, que la disette lui aurait livrés à discrétion, regretta de s'être trop pressé de signer la capitulation, car dès le lendemain il fut obligé de leur faire distribuer des vivres. Les soldats et les habitans, au nombre de 481, furent transportés à la Rochelle. Subercase, ne pouvant emporter les mortiers et les canons réservés par un article du traité, les vendit aux Anglais pour payer les dettes qu'il avait contractées au nom de son gouvernement. Ainsi Port-Royal gardé par 200 soldats minés par une longue famine, tomba devant une flotte de 36 voiles et quatre mille hommes de débarquement, supériorité de force qui rendait le sort de l'Acadie inévitable.

Les vainqueurs donnèrent à Port-Royal le nom d'Annapolis, en l'honneur de la reine Anne. Cette ville pouvait avoir alors une demi-lieue d'étendue en tout sens ; mais les maisons, très-éloignées les unes des autres, n'étaient que de mauvaises huttes avec des

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cheminées en terre ; l'église ressemblait plutôt à une grange qu'à un temple.* Telle était cette capitale qu'Halifax, alors simple pêcherie connue sous le nom de Chibouctou, a supplantée depuis. L'expédition de Port-Royal coûta ^£23,000 à la Nouvelle- Angleterre, que le parlement impérial lui remboursa. Le colonel Vetch resta gouverneur de la nouvelle conquête avec 450 hommes. Cependant il n'était question dans le traité que du fort de Port- Royal avec le territoire qui était à la portée de son canon ; Nicholson prétendit avec une gravité allectéc qu'il embrassait toute la province. Ne pouvant s'entendre Subercase et lui, ils envoyèrent des députés au marquis de Vaudreuil qui, à la simple explication des faits, exigea l'exécution de la capitulation à la lettre. Le député anglais, le colonel Livingston, profita de l'occa- sion pour se plaindre des cruautés qu'exerçaient les alliés Fran- çais, menaçant, s'ils continuaient leur système barbare, de faire exécuter les principaux habitans l'Acadie. M. de Vaudreuil lui répondit qu'on n'était pas responsable des actes des Indiens ; que les Anglais ne devaient imputer la guerre qu'à ceux qui avaient refusé la neutralité entre les deux couronnes,! et que s'ils mettaient leur menace à exécution, il userait de représailles sur les prisonniers qu'il avait en sa possession. Ne se contentant pas de communiquer cette réponse à l'envoyé américain, il chargea MM. de Rouville et Dupuy d'aller la porter à Boston, avec ordre d'observer le pays dans le cas il serait nécessaire d'y porter la guerre. Il nomma en même temps le baron de St.-Castin son lieutenant en Acadie, avec mission d'y maintenir le reste des habitans dans l'obéissance à la France, et d'engager les mission- naires à redoubler de zèle pour conserver l'attachement des Sau- vages et des Acadiens, chose inutile parceque la tyrannie du colo- nel Vetch faisait plus à cet égard que les prières les plus pres- santes du gouverneur français. L'infatigable St.-Castin du reste continuait toujours les hostilités de son fort de Pentagoët. Un détachement de 40 Indiens qu'il avait envoyé en c 5e, tailla en

* Etat de l'Acadie en 1710 tel que décrit par un Français à un Jésuite : The travels of several missionariea of the society of Jésus, etc.

t D'où l'on doit conclure que c'est la Nouvelle-Angleterre qui a refusé le traité de neutralité et de commerce entre les deux colonies, proposé par M. de Vaudreuil : voir plus haut.

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pièces un corps d'Anglais beaucoup plus nombreux expédié pour brûler dans la campagne les maisons de ceux qui refusaient de se soumettre aux vainqueurs de Port-Royal. Cette bande, renforcée par plusieurs Canadiens et Français, osa investir Port-Royal môme, dont la garnison se trouvait dans le moment très affaiblie par les maladies,* et on allait y envoyer de Québec le marquis d'Alognies, avec 1 1 officiers et 200 hommes choisis lorsque l'arri- vée de la flotte de l'amiral Walker dans le fleuve St.-Laurent fit contremander ce détachement, qui aurait probablement remis Port-Royal sous la domination de ses anciens maîtres.f

C'est alors seulement que la majorité des Acadiens fit sa sou- mission aux Anglais, qui, suivant leur usage, envoyaient des troupes pour incendier les habitations qui refusaient de les recon- naître. C'est un de ces partis qui fut encore atteint et anéanti par les Sauvages dans un endroit auquel ce massacre a fait donner le nom de l'Anse du Sang. Ce coup de main fit prendre de nou- veau les armes à 300 Acadiens, qui, avec tous les Sauvages qu'ils purent rencontrer, se tinrent prêts à tomber sur Port-Royal dès que le gouverneur de Plaisance leur aurait envoyé un chef capable de les commander. Mais ce gouverneur les fit informer qu'il avait besoin de tout son monde, et qu'il était incapable de laisser partir un seul officier. Ils durent alors abandonner leur entreprise et se soumettre entièrement pour sauver les récoltes qui constituaient toute leur subsistance de l'année. La perte de l'Acadie fut très sensible à la France, malgré son état d'abaisse- ment. M. de Pontchartrain, ministre de la marine, écrivait à M. de Beauharnais, intendant de la Rochelle et de Rochefort : " Je vous ai fait assez connaître combien il est important de reprendre Port-Royal avant que les ennemis y soient solidement établis. La conservation de toute l'Amérique septentrionale et le com- merce des pêches le demandent également : ce sont deux objets qui me touchent vivement, et je ne puis trop exciter le gouverneur et l'intendant de la Nouvelle-France à les envisager avec les mêmes yeux." Le ministre aurait voulu que le Canada se char-

* D'après le rapport des déserteurs les deux tiers étaient morts ou déser- tés. Voir la dépêche [traduction] interceptée de M. l'Hermite à M. do Pontchartrain du 22 juillet ITll, dans l'Appendice du Journal de l'expédi- tion de l'anoiral Walker.

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goât de reconquérir Port-Royal avec ses seules milices et le peu de troupes dont il pouvait disposer, tandis que M. de Vaudreuil demandait seulement deux vaisseaux avec ce qu'ils pourraient porter d'hommes et de munitions pour joindre à ses forces, et qu'on ne fut pas capable de les lui donner. M. de Pontchartrain réduit aux expédiens pour accomplir ses vues, voulut former alors en France une société de marchands assez puissante pour remettre l'Acadie soua la domination du roi, et y former des éta- blissemens solides ; mais personne ne goûta une entreprise dont les avantages ne paraissaient certains que pour l'Etat, et rien ne fut fait ; ce qui n'empôcha pas cependant les fidèles et malheu- reux Acadiens, si dignes d'un meilleur sort, de faire dire secrète- ment à M. de Vaudreuil que le roi n'aurait jamais de sujets plus dévoués, paroles qui auraient soulever la France d'un bout à l'autre pour l'honneur de ce noble esprit national qui fait la force et la véritable grandeur des peuples.

Après la prise de Port-Royal, le colonel Nicholson était retourné à Londres pour la deux ou troisième fois, toujours pour presser l'Angleterre de conquérir le Canada, qui était le grand boulevard des Français dans l'Amérique continentale, et pour y appuyer les démarches du colonel Schuyler qui y avait été envoyé l'année précédente, par la Nouvelle- York, dans le môme but. Cinq chefs iroquois l'accompagnaient. Dans un discours prononcé devant la reine Anne, ils l'assurèrent de leur fidélité, et deman- dèrent son apnui contre leur ennemi commun. La Grande- Bretagne n'eut pas de peine à se rendre à des sollicitations qui flattaient ses secrets désirs. M. St.-John, depuis vicomte de Bolingbroke, homme qui avait plus d'imagination que d'esprit, plus de brillant que de solide, était alors ministre. Il promit tout ce que l'on voulut. Il s'intéressait à l'entreprise comme s'il en avait été le premier auteur et se vantait d'en avoir formé le plan. Il fit faire des préparatifs proportionnés à la grandeur du projet. Le chevalier Hovenden Walker parvint à Boston le 25 juin 1711 avec une flotte portant un bataillon de soldats de marine et sept régiraens de vétérans tirés de l'armée du duc de Marlborough, BOUS les ordres du général Hill, frère do madame Marsham, qui avait remplacé la duchesse de Marlborough comme favorite de la reine. Lorsque M. St.-John apprit l'arrivée de la flotte à Boston,

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il écrivit avec triomphe au duc d'Orrcry: "vous pouvez être assuré que nous sommes maîtres à l'heure qu'il est de toute l'Amérique septentrionale." La nouvelle de cette arrivée, atten- due avec impatience depuis si longtemps, se répandit rapidement dans toutes les colonies anglaises, et fut reçue avec des transports d'ivresse ; l'assemblée de la Nouvelle- York vota des remercimens à la reine, et envoya une députation pour féliciter le colonel Nicholson sur le succès de sa mission. Dans l'espace d'un mois elles mirent deux armées sur pied, complètement équipées et approvisionnées.'

Deux régimens de troupes provinciales se joignirent aux régu- liers du général Hill, et portèrent son armée à 6500 fantassins munis d'un train considérable d'artillerie et de toutes sortes de machines de guerre. La flotte composée de 88 vaisseaux et trans- ports, mit à la voile pour Québec le 30 juillet. Peu de temps après le colonel Nicholson s'ébranla de son côté et s'avança jus- qu'à Albany avec quatre mille hommes et six cents Iroquois, pour pénétrer en Canada par le lac Champlain ; c'était le plan d'invasion de 1690. Rendu sur les bords du lac St.-Sacrcment, il s'arrêta pour attendre l'arrivée de l'amiral Walker devant Québec. Ce pays semblait perdu sans ressource.f Aux quinze ou seize mille soldats et matelots qui marchaient pour l'envahir,

M. (le Costa Bella avait, sur l'ordre de la cour, envoyé vainement M. de la Ronde à Boston pour tâcher de dissuader les habitans de fournir de nou- veaux secours à la flotte anglaise destinée à agir contre le Canada. Il fallait que M. de Pontchartrain fiit dans une grande ignorance des sentimensde ces habitans. Lettre interceptée {traduction de M. de Costa Bella d M. de Pont- chartrain du 23 juillet 1711, laquelle se trouve da/iis V Appendice de la défense de l'amiral Walker. t Forces du Canada en 1709.

Gouvernement de Montréal, 1200 hommes de 15 ù 70 ans.

" Trois-Rivières, 400

«« Québec, 2200

Troupes, 350

Matelots des navires,... 200 Sauvages, 500

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il avait à peint' «îiiuj mille homnia.s capaltlt"! do portée len ui'tiioH* à opposjr: 'a proviJeiico le sauva.

La priHti de Fort-Royal avait lait une Hcnsatiori pénible et pro- fuiido ru Canada, moins à cause de l'importance de ce poste, (pii 6lait réiillement do peu de chose en lui-même, que parce ([u'elle dévoilait d'un côté la faiblesse ou l'apathie de la Franco, et de l'autre !a détermination des colonies anglaises de l'exclure entiè- rement de ce continent. Mais lorsque les Canadiens se virent attaqués de tous les côtés, loin de se décourager, ils se rappelèrent qu'ils avaient eux-mêmes porté plus d'une ibis la guerre dans le pays de leurs envahisseurs, qu'ils avaient vu fuir leurs soldats devant eux dans la Nouvelle-York et dans la Nouvelle-Angleterre, Terrencuve et dans la baie d'Hudson, et leur ancienne énergie reprenant son empire, à la voix du gouverneur tout le monde courut aux armes.

D'abord M. de Vaudreuil, pour on imposer aux Iroquoia qui menaçaient la partie supérieure du pays, avait mandé les Indiens occidentaux, qui descendirent au nombre de quatre à cinci cents avec M .M. de St.-Pierre, Tonti et quelques autres Canadiens. Il avait envoyé en môme temps dans les cantons le baron de Longuouil et MM. Joncaire et la Chauvigneric pour y appuyer le parti français et contrecarrer l'elTet des intrigues de Schuyler, en les engageant à observer la neutralité. Après ces préliminaires, il donna un grand festin à Montréal à huit cents Sauvages alliés, qui levèrent la hache et entonnèrent le chant do guerre au nom d'Ononthio. Sans perdre de temps, le gouverneur descendit à Qué- bec, suivi des Abénaquis établis à St.-François et à Bécancour, p.d commencement de la gnerre, pour opposer une digue aux irruptions des Iroquois. Il trouva cette ville en état de résister à un coup de main. Il y avait plus de 100 pièces de canon en batterie. Les rives du fleuve au-dessous de Québ ^ ''itaient si bien gardées, que l'ennerni n'aurait pu y opérer de ement

dans les lieux habités sans livrer un combat r" situation

désavantageuse. Au-dessus il ne pouvait { .iventurer au

loin. La distribution des troupes était reg.. Chacun avait

♦Voir la liste des vaisseaux de guerre dans l'Appendice du Journal ofthe Canada Expédition par l'amiral Walker. Les Annales américaines se trompent eu disant 08.

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Boii poâlc marqué, il devait se rendre à l'apparition do la flotte qu'on attendait déjà dcpui». longtemps, lorsqu'un habitant vint annoncer un soir du mois de septembre qu'il avait vu entre i)0 et 9G voiles dans le bas du fleuve.

C'était l'amiral Walker qui remontait le St.-Laurent. Il s'avançait moins comme un capitaine (jui entreprend une cam- pagne ditlicilo, (jue comme un conquérant qui n'a (juo de l'aCiCS lauriers à recueillir. L'attaque de Québec n'entrait pour rien dans les préoccupations de son esprit. Il ne croyait pas môme qu'on osât s'y défendre. Il n'était occupé que de l'hivernage do ses vaisseaux dans le climat rigoureux il allait passer l'hiver. Après avoir roulé plusieurs plans dans sa tôte, il s'arrêta à celui- ci : il ferait dégréer ses vaisseaux et débarquer tout ce qu'ils por- taient, jusqu'à leurs mâts ; ensuite il les ferait monter à sec sur le rivage, hors de l'atteinte des glaces, à l'aide de chameaux et autres puissans appareils ; c'est lui-même qui raconte ses inquié- tudes. Il croyait que le St.-Laurent qui a près de cent pieds de profondeur dans le port de Québec, gelait jusqu'au fond de son lit ; mais on peut être physicien médiocre et excellent homme de mer.

Cependant les élémens vinrent tirer bientôt l'amiral Walker de ces préoccupations oiseuses. Un gros vent de sud-est s'éleva avec une brume épaisse qui enveloppa sa Hotte et empocha de rien voir ; les pilotes ne purent plus se reconnaître. Un ancien navigateur canadien, retenu prisonnier à bord du vaisseau amiral, avertit de ne pas courir trop au nord. On refusa de l'écouter. On était dans la nuit du 22 août: le vent augmentait toujours. Deux heures après cet avertissement, l'on se trouva au milieu d'îles et de rescifs dans le danger le plus imminent, et personne ne s'en doutait. Un oflicier de l'armée de terre qui se trouvait par hasard sur le pont de l'Edgar, apercevant tout-à-coup des brisans sur sa droite, courut en informer l'amiral, qui pensa que c'était la peur qui le faisait agir et ne voulut pas le croire. L'officier redescendit une seconde fois, en le priant avec instance de monter, que l'on voyait des écueils de toutes parts. " Sur ces importunités répétées, et entendant plus de bruit et de mouve- ment qvi'à l'ordinaire, dit l'amiral, je passai ma robe de chambre et mes pantouflles, et je montai sur le pont. En effet, j'y trouvai

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tout le monde dans une frayeur et une confusion étrange." La direction des vaisseaux fut immédiatement changée ; mais huit transports se brisèrent sur l'île aux Œufs, l'une des Sept-Iles, et prés de neuf cents hommes périrent sur les dix-sept cents officiers et soldats qu'ils portaient. On reconnut ensuite parmi les noyés, rejetés sur la plage par les vagues, deux compagnies entières des gardes de la reine, et plusieurs familles écossaises qui venaient pour s'établir dans le pays. L'on trouva aussi un grand nombre de copies imprimées d'un manifeste que Charlevoix rapporte tout au long, et dans lequel le général Hill déclarait les Canadiens, auxquels il était adressé, sujets anglais en vertu de la découverte de l'Amérique septentrionale par Cabct, la France yant pos- sédé le pays qu'à titre de fief relevant de l'Angleterre ! Jamais on n'avait fait tant de dépense d'es^ rit que dans cette guerre.

Après ce désastre, Walker retourna sur ses pas et alla jeter l'ancre dans la baie des Espagnols au Cap-Breton. Comme la traversée de Boston avait été extrêmement longue, et qu'il ne restait plus de vivres que pour dix semaines, il fut décidé à l'una- nimité dans un conseil de guerre, d'abandonner l'entreprise sur Québec, et sur Plaisance qui devait être attaqué ensuite, et de s'en retourner chacun dans son pays, les Américains à Boston et les Anglais en Europe. En conséquence de cette rétjlution, la flotte cing'a vers Portsmouth, pour justifier le proverbe qu'un malheur n'arrive jamais sans un autre, le vaisseau amiral, l'Edgar, de 70 canons, sauta et entraîna dans sa destruction quatre cents hommes, outre un grand nombre de personnes qui étaient venues à bord pour visiter leurs amis. Dans le même temps le Fever- eham de 36 canons et trois transports qui avaient suivi la flotte, se perdaient dans les parages du fleuve ou du golfe St.-Laurent.

La nouvelle de la retraite des Anglais ayant été apportée à Québec par des pêcheurs de Gaspé, le gouverneur renvoya aus- sitAt M. de Ramsay à Montréal avec six cents hommes, et y monta lui-même bientôt après avec un pareil nombre de soldats. Il forma en y ajoutant le corps de troupes resté sous les ordres du baron de Longueuil pour garder le haut de la colonie, une armée de trois mille fusils, qu'il plaça auprès de Chambly afin de s'opposer au colonel Nicholson s'il venait à déboucher par le lac Champlain. Mais le commandant américain en apprenant les

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malheurs de la flotte, s'était hâté de décamper avec ses troupes qui reprenaient pour la seconde fois depuis deux ans, le chemin de leurs provinces sans avoir brûlé une amorce. Alors les craintes du Canada passèrent dans les colonies anglaises ; la frayeur s'empara d'Albany et de leurs frontières. On s'em- pressa de faire réparer les forts avancés ; on retint la milice sous les armes, on travailla de tous côtés à opposer une digue au tor- rent de Canadiens et de Sauvages que l'on croyait voir déborder d'un moment à l'autre. . ^ ', /

Mais on ne pensait guère en Canada à réaliser des appréhen- sions rendues plus effrayantes encore par la peur. On était satisfait d'avoir été délivré d'un danger dont l'on avait redouté les suites, et qui paraissait encore plus grand maintenant qu'il était passé et que l'on pouvait en mesurer toute l'étendue avec sang froid. On ne voulait point le braver en entreprenant une lutte aggressive avec des forces si inférieures. D'ailleurs le résultat devait contenter, les provinces anglaises se trouvant après tant de dépenses, à la fin de la guerre, accablées de dettes et réduites à défendre leurs propres foyers.

C'est pendant que l'Angleterre dirigeait ainsi son épée droit au cœur de la puissance française dans ce continent que sa poli- tique avait armé contre elle, par l'intermédiaire des Iroquois,une nation brave, indomptable et féroce, les Outagamis, vulgairement nommés les Renards, qui erraient dans les savanes à l'ouest du lac Michigan. Ils vinrent se fixer à une portée de pistolet du fort du Détroit pour pouvoir mieux exécuter leur dessein. « Ce peuple aussi brave que l'Iroquois, moins politique, beaucoup plus féroce, qu'il n'avait jamais été possible ni de dompter, ni d'appri- voiser, et qui semblable à ces insectes, qui paraissent avoir autant d'âmes que de parties de leur corps, renaissent pour ainsi dire après leur défaite," ce peuple se trouvait partout, et était devenu l'objet de la haine de toutes les nations de ce continent. Il avait promis de brûler le Détroit, et de massacrer tous les Français qui se trouvaient dans ces contrées. Les Kikapous et les Mascontins étaient entrés dans le complot. M. Dubuisson, o'i commandait dans cette partie, fut informé par un Outagami chrctien de ce que, d'ailleurs, la conduite de ces barbares ne lui laissait que trop entrevoir. Ils se permettaient depuis quelque temps toutes bjrtes

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d'insolences, volaient et pillaient les Français qui n'étaient qu'une trentaine dans le fort et qui dissimulaient jusqu'à l'arrivée de leurs alliés qu'ils avaient appelés en toute hâte auprès d'eux, surtout les Hurons et les Iroquois. Dnbuisson en cas d'attaque subite préparait ses moyens de défense sans faire de bruit, mon- taient des canons, perçaient des meurtrières, il y en avait besoin. Mais les secours demandés arrivèrent avant le coup. C'étaient 600 hommes, Hurons, Outaouais, Illinois, Missouris, Osages, Saulteura, Toutouatamis, Sakis, Malhomines, etc., mar- chant en ordre, chaque nation avec ses enseignes déployées, et tous portant la même haine à l'ennemi qu'ils allaient avoir à combattre. " Nous voici autour de toi, dirent-ils au commandant français, tu nous as rétirés du feu des Outagamis il y a douze lunes, nous venons exposer notre vie pour ton service ; nous mourrons avec plaisir pour notre libérateur. La seule grâce que nous te demandons, c'est que tu prennes soin de nos femmes et de nos enfans si nous succombons, et que tu mettes un peu d'herbe sur nos corps afin qu'ils reposent en paix."

Dubuisson se serait contenté d'éloigner les Outagamis en les forçant de retourner dans leurs anciens villages ; mais les Hurons ne voulurent pas souffrir qu'on les laissât échapper. Il fallait les attaquer dans le fort qu'ils s'étaient élevé à côté de celui des Français, et qu'ils défendirent d'abord avec tant de résolution que les alliés parlaient de se retirer si Dubuisson ne les eût rani- més. Les assiégés étaient surveillés de si près qu'ils ne pouvaient sortir et qu'ils se trouvèrent au bout de quelque temps sans eau et sans vivres. Ceux qui essayaient de s'en procurer étaient aussitôt pris par les Sauvages qui les fusillaient, les tuaient à coups de flèche ou les gardaient pour les brûler à loisir et par forme de passe-temps. Réduits à la dernière extrémité, on n'en- tendait plus à la fin que des hurlemens épouvantables à chaque coup de canon que l'on tirait. Déjà soixante à quatre-vingts femmes et enfans étaient morts de faim et de soif. L'odeur des cadavres qu'ils ne pouvaient enterrer à cause du feu continuel dirigé contre eux, empoisonnait l'air qu'ils respiraient. Ils durent se ïesoudre à demander quartier. L'envoyé qui portait la parole dit à Dubuisson : Mon père, je te parle à toi et à toutes les nations qui sont devant toi ; je vous demande la vie. Elle n'est

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plus à nous ; vous êtes les maîtres ; les esprits nous ont aban- donnés. Je vous apporte ma chair par les sept esclaves que je mets à vos pieds ; mais ne croyez pas que je craigne de mourir. C'est la vie des femmes et des enfans que je demande. Faites luire le soleil, je vous prie ; que le ciel soit beau et qu'à l'avenir vous prospériez. Voici les colliers, détachez les et donnez-nous la vie. Vous êtes nos petits neveux, ajouta-t-il en s'adressant aux Sauvages, dites quelque chose qui console le village à notre retour."

Les alliés ne voulurent rien accorder. Ils tirèrent même Dubuisson à part pour lui proposer de faire casser la tête à quatre des envoyés qui étaient de grands chefs. Ce sont eux, dirent-ils, qui sont la cause de la résistance. Mais Dubuisson s'y opposa. Alors les assiégés ne songèrent plus qu'à tromper la surveillance de leurs ennemis pour s'esquiver, ce qui était une chance très faible. Ils voulurent profiter d'une nuit orageuse pour sortir du fort ; mais atteints à quatre lieues de là, ils se rendirent à discré- tion aux alliés qui ne voulurent point accorder de grâce et en firent un massacre général. Tout fut égorgé, hommes, femmes et enfans.* On n'avait pas encore vu une pareille tuerie chez les Indiens. Ce dénouement ôta tout espoir aux Anglais de s'élever au moins pour le moment dans l'Ouest sur les ruines de leurs rivaux. Il était en effet d'une importance vitale de les empêcher de prendre pied dans cette partie du continent ; car s'ils deve- naient maîtres de ce point, la communication entre le Canada et la vallée du Mississipi se trouvait coupée, et ces deux vastes provinces tombaient d'elles-mêmes comme les branches d'un arbre qu'on sépare de leur tronc.

Vers la même époque le gouverneur fit rétablir le fort Michili- mackinac abandonné depuis quelques années, et ajusta tous les sujets de mécontentement qui pouvaient exister entre les Fran- çais et les peuples septentrionaux et occidentaux, ou entre ces divers peuples eux-mêmes. Il savait profiter avec une rare intel- ligence des intérêts des uns et des autres pour paralyser les efforts des colonies anglaises, qui faisaient tout ce qu'elles pouvaient pour

Attaque du Détroit par les Mascoutins et les Outagamis. Rapport de M. Dubuisson du 15 juin 1715. Copie manuscrite obtenue en Frfince par M. Papineau.

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les détacher de la France ; et c'était plus avec des raisons qu'il faisait triompher sa politique qu'avec les forces dont il pouvait disposer. Une seule imprudence aurait pu soulever la confédé- ration iroquoise au commencement de la guerre. Par une atti- tude digne, il sut conserver le respect de tous les peuples indigènes, et par son calme et sa prudence, dissimuler sa fai- blesse.

Un instant en 1712, le bruit se répandit que l'Angleterre armait encore une flotte pour assiéger Québec ; mais cette nou- velle qui se trouva fausse, ne servit qu'à prouver le dévouement des habitans de cette capitale. Le commerce lui-même montra son patriotisme en avançant cinquante mille écus au gouverneur pour augmenter les fortifications de la ville. C'était une somme très considérable pour le pays et pour le temps. Mais le sort des colonies françaises se décidait alors sur un autre champ de bataille. La guerre en Eiuope touchait à sa fin. Dès le commencement de 1711 un agent de Londres avait été envoyé secrètement à Paris, et l'année suivante une suspension d'armes qui s'é- tendait aux colonies avait été signée entre la France et l'Angle- terre.

Cette révolution dans les afihires avait été amenée d'abord par la disgrâce de la favorite de la reine Anne, la duchesse de Marl- borough, qui entraîna les whigs dans sa chute ; et ensuite par la mort de l'empereur Joseph II, qui eut pour successeur celui qui disputait le trône d'Espagne au duc d'Anjou. Les alliés furent peu portés après cet événement à donner une nouvelle cou- ronne à celui qui était déjà assez puissant avec celle de l'em- pire.

Malgré la retraite des Anglais, le prince Eugène, qui comman- dait les Autrichiens, était encore supérieur de 20,000 hommes à l'armée française ; et les conférences d'Utrecht ne rassuraient point la France épuisée et qui n'osait plus croire au succès. Louis XIV, courbé vers la tombe et voyant périr sans s'ébranler pres- que toute sa famille en pou de temps, fit preuve d'une grandeur d'âme qui l'élève beaucoup plus dans l'estime des hommes que la fierté qu'il déploya dans ses jours prospères.* Il annonça

Ce fut le sort de Louis XIV, de voir périr en France toute sa famille par des morts prématurées, sa femme à 45 ans, son fils unique à ÔO ; et un an

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qu'en cas de nouveau malheur, il convoquerait toute la noblesse de son royaume, qu'il la conduirait à l'ennemi rftalgré son âge de soixante-et-quatorze ans, et qu'il périrait à sa tête. Cette réso- lution n'était pas une menace vaine: on a vu ce que peut un peuple qui combat pour son existence, en France sous Charles VII et en 1793, et plusieurs fois en Amérique depuis 1775.

Ce monarque aurait pour sa renommée mourir avec le siècle dans lequel il était ; car le suivant devaiit être fatal à lui et à tous les siens. En effet dès le début, ce siècle est marqué par le naufrage de la gloire de ce prince, qui fut longtemps le premier de la terre ; et la fin en est à jamais mémorable par la chute d'un trône qu'il avait entouré d'un pouvoir absolu, et par la mort violente ou la dispersion de toute sa famille.

Les revers de la guerre de la succession d'Espagne et le traité d'Utrecht précipitèrent la chute de la puissance française en Amérique, quoique cette chute ait été produite par d'autres cau- ses, comme on l'a dit plus d'une fois ailleurs. Par ce traité fameux signé le 11 avril 1713, Louis XIV renonça aux droits qu'il pouvait avoir sur le pays des Iroquois et céda à l'Angleterre la baie d'Hudson, l'île de Terreneuve, l'Acadie avec la ville de Port-Royal, c'est-à-dire tous les pays situés sur le littoral de l'At- lantique, sur lequel il ne resta plus à la France que l'embou- chure du St.-Laurent et celle du Mississipi dans la baie du Mexique ; elle se réserva seulement le droit de faire sécher le poisson sur une partie de l'île de Terreneuve. On peut juger,

après que nous eûmes perdu son fils, nous vîmes son petit fils le Dauphin, duc de Bourgogne, la Dauphine sa femme, leur fils aîné le duc de Bretagne, portés à Saint-Denis au même tombeau, au mois d'avril 1712 ; tandis qne le dernier de leurs enfans, monté depuis sur le trône, était dans son berceau, aux portes de la mort. Le duc de Berri, frère du duc de Bourgogne, les suivit deux ans après ; et sa fille dans le même temps passa du berceau au cercueuil.

Ce temps de désolation laissa dans les cœurs une impression si profonde, que, dans la minorité de Louis XV, j'ai vu plusieurs personnes qui ne par- laient de ces pertes qu'en versant des larmes. Louis XIV dévorait sa douleur en public : il se laissa voir à l'ordinaire ; mais en secret les ressentimens de tant de malheurs le pénétraient et lui donnaient des convulsions. Il éprou- vait toutes ces pertes domestiques à la suite d'une guerre malheureuse, avant qu'il fût assuré de la paix, et dans un tems la misère désolait le royaume. On ne le vit pas succomber un moment à ses afflictions.

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dit Raynal, combien ces sacrifices marquaient son abaissement, et combien il en dut coûter à sa fiorté de céder trois possessions qui formaient avec le Canada, l'immense pays connu sous le nom glorieux de Nouvelle-France. lit' .- j*

Pendant près de quarante ans, Louis XIV avait dominé l'Eu- rope conjurée après l'avoir vancue dans trois longues et sanglan- tes guerres. Cette période avait été illustrée par de grands génies en tous genres, et par les plus grands capitaines que les modernes eussent encore vus. : .^,, -, .-,! , .^r i^l

" L'Europe, dit un historien, s'était armée contre lui, et il avait résisté, il avait grandi encore. Alors il se laissa donner le nom de grand. Le duc de la Feuillade alla plus loin. Il entretint un luminaire devant sa statue, comme devant un autel. On croit lire l'histoire des empereurs romains. '

" La brillante littérature de cette époqv.c n'est autre chose qu'un hymne à la royauté. La voix qui couvre les autres est celle de Bossuet. C'est ainsi que Bossuet lui-même, dans son discours sur VHistoire Universelle, représente les rois d'Egypte loués par le prêtre dans les temples en présence des dieux. La première époque du grand règne, celle de Descartes, de Port- Royal, de Pascal et de Corneille, n'avait pas présenté cette una- nimité ; la littérature y était animée encore d'une verve plus rude et plus libre. Au moment nous sommes parvenus, Molière vient de mourir en (1673), Racine a donné Phèdre (1677), La Fontaine publie les six derniers livres de ses Fables (1678), madame de Sévigné écrit ses Lettres, Bossuet médite la recon- naissance de Dieu et de soi-même, et prépare le discours sur l'Histoire Universelle (1681). L'abbé de Fénélon, jeune encore, simple directeur d'un couvent de filles, vit sous le patronage de Bossuet, qui le croit son disciple. Bossuet mène le chœur triom- phal du grand siècle, en pleine sécurité du passé et de l'avenir, entre le jansénisme éclipsé et le quiétisme imminent, entre le sombre Pascal et le mystique Fénélon. Cependant le cartésia- nisme est poussé à ses conséquences les plus formidables ; Malle- branche fait rentrer l'intelligence humaine en Dieu, et tout-à- l'heure dans cette Hollande protestante en lutte avec la France catholique, va s'ouvrir pour l'absorption commun du catholicisme, du protestantisme, de la liberté; de la morale de Dieu et du

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monde, le gouffre sans fond de Spinosa." La première dans le domaine de l'esprit, la France ouvrit aussi les portes du 18e siècle comme la première dans celui du courage ; elle allait couronner ses triomphes en faisant monter un de ses princes sur le trône d'Espagne. Mais elle n'avait plus pour diriger ses efforts qu'un- vieux roi sur son déclin et une femme qu'il avait épousée pour dissiper la tristesse d'une vie dont il avait épuisé toutes les jouis- sances. Les hommes illustres qui l'avaient couverte de tant de gloire, n'existaient plus. Les esprits perspicaces voyaient avec inquiétude le pays entrer dans une nouvelle guerre. Louis XIV, devenu dévot sur ses vieux jours, vivait retiré, ne connaissait plus si bien les hommes ; dans sa solitude les choses ne lui paru- rent plus sous leur véritable aspect. Madame de Maintenon n'avait point non plus le génie qu'il faut pour manier le sceptre d'un royaume tel que celui de France dans un temps d'orages. Et elle fit la faute de nommer Chamillard, sa créature, pour être premier ministre, homme qui malgré son honnêteté était fort au- 'dessous de cette vaste tâche.*

Dès lors les généraux furent mal choisis et durent souvent leur nomination à la faveur ; la discipline militaire tomba dans un relâ- chement funeste, et les opérations des armées furent dirigées par le roi et Chamillard du fond du cabinet de madame de Maintenon. Tout se ressentit de ce système malheureux ; la France fut ainsi conduite en quelques années du comble de la gloire au bord de l'abîme.

Le traité d'Utrecht qui blessa si profondément l'amour propre des Français, porta le premier coup à leur système colonial. A la fin du mi 'itère de Colbert, leurs possessions américaines s'étendaient de la baie d'Hudson au Mexique, en suivant les val- lées du St.-Laurent et du Mississipi, et renfermaient dans leurs limites les cinq grands lacs, ou plutôt les cinq grandes mers inté- rieures du continent, et deux des plus grands fleuves du monde. Par le traité d'Utrecht ils perdirent de vastes territoires, précieux non pas tant par leur population ou leur fertilité, que par l'impor- tance de leurs côtes maritimes. Ils se trouvèrent dans le nord re- poussés bien ! )in de l'Atlantique. Leurs pertes augmentant d'au-

Chamillard était dirigé par madame de Maintenon, dit quelqu'un, madame de Maiuteuon par Babbien, sa vieille servante."

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tant les possessions de leurs ennemis déjà beaucoup trop étendues en Amérique. Ce premier trébuchement de leur puissance colo- niale devait avoir une bien plus grande portée qu'on ne l'imaginait encore. C'était l'affaiblissement de la puissance métropolitaine par la puissance coloniale. L'Angleterre s'était blessée elle-même dans cette lutte qui lui avait assuré un triomphe, et cette blessure devait finir par être mortelle, parce que les colonies qui avaient contribué à briser le réseau que la France avait jeté autour d'elles, avaient une arrière pensée hostile à l'Angleterre comme à la France, qu'elles confondaient déjà ensemble dans le secret de leur politique en qualité de métropoles, et qu'elles regardaient pour cette raison comme deux ennemies naturelles et irréconci- liables des intérêts américains, arrière-pensée, si elles l'ont eue, qui annonçait une grande profondeur de vue et une grande puissance de dissimulation.* Trop faibles pour marcher encore au grand jour, et pour surmonter de vive force les entraves qui devaient les arrêter à chaque pas, elles cheminaient vers leur but par des routes cachées, sachant bien que le système colonial mettait un obstacle insurmontable à leur indépendance. " Les colons anglais, dit Bancroft, n'étaient pas simplement les colons de l'Angleterre, ils formaient partie d'un immense système colo- nial que tous les pays commerciaux de l'Europe avaient contribué à former, et qui renfermait dans ses bras puissans toutes les parties du globe. La question de l'indépendance n'aurait pas été une lutte particulière avec l'Angleterre, mais une révolution dans le commerce et dans la politique du monde entier, dans les fortunes actuelles et encore plus dans l'avenir des sociétés. Il n'y avait pas encore d'union entre les établissemens qui hérissaient le bord de l'Atlantique, et à cette époque, une seule nation en Europe aurait toléré, mais pas une n'aurait favorisé, une insur- rection. L'Espagne, la Belgique espagnole, la Hollande, l'Au-

Ramsay, auteur d'une Histoire de la révolution américaine, attribue cet événement au changement de politique de la Grande-Bretagne, qui com- mença à faire peser en 1764, une dure oppression sur ses colonies. Quelques uns pensent, dit-il, que la révolution a été excitée par la France ; d'autres que les colons, une fois délivrés du dangereux voisinage de cette nation, ne son- gèrent plus qu'à obtenir leur indépendance ; mais, suivant lui, l'égoïsme du cœur humain est suffisant pour expliquer les motifs de la conduite des colons et de la métropole, sans recourir à ces opinions.

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triche étaient unies à l'Angleterre contre la France, qui, par la centralisation de sa puissance et par des plans d'agrandi^isement territorial habilement conçus, ex;;itait leur inquiétude et leur fai- sait craindre de la voir parvenir à la monarchie universelle. Lors- que l'Autriche et la Belgique auraient abandonné leur jçuerre héréditaire contre la France, lorsque l'Espagne et la Hollande, favorisées par la neutralité armée du Portugal, de la Suède, du Danemark, de la Prusse et de la Russie, se réuniraient à la France pour réprimer l'ambition commerciale de l'Angleterre, alors, mais pas avant, l'indépendance américaine devenait pos- sible."

Ces raisons expliqueraient, suivant le même auteur, les motfs de l'ardeur que les colonies anglaises mettaient dans leurs guerres contre le Canada ; c'était pour briser le système qui enchaînait les colons au joug de l'Europe ; et l'Europe, trompée par de faux calculs, aveuglée par des jalousies et des rivalités funestes, tra- vaillait elle-même à l'accomplissement de leur projet. Nous ne savons si les profonds calculs que l'on prête ainsi aux pères de l'in- dépendance du Nouveau-Monde sont bien fondés, s'ils eussent déjà. à cetie époque pressenti si clairement leur avenir, car l'on doit être très sobre dans les jugemens que l'on porte sur les motifs de con- duite des peuples à leur berceau. " Rien n'est plus commun, dit Michaud dans son bel ouvrage de l'Histoire des Croisades, que d'attribuer à des siècles reculés les combinaisons d'une profonde politique. Si l'on en croyait certains écrivains, c'est à l'enfance des sociétés qu'appartiendrait l'expérience.* Mais qu'ils entre- vissent ou non ce qui est arrivé, qu'ils aient travaillé à l'amener par calcul ou par hazard, toujours est-il certain que les colonies anglaises suivaient leur instinct et une pente fort naturelle dans la voie la providence les avait placées. Le traité d'Utrecht en satisfaisant une partie de leurs désirs, augmentait leurs espé- rances futures. Elles jetèrent surtout un cri de triomphe lors- qu'elles virent tomber les trois plus anciennes branches de l'arbre

Il rappelle à ce sujet l'opinion de Montesquieu : " Transporter dans les siècles reculés toutes les idées du siècle l'on vit, c'est des sources de l'ur- reur celle qui est la plus féconde. A ces gens qui veulent rendre modernes tous les siècles anciens , Je dirai ce que les prêtres d'Egypte dirent à bolon : O Âthiniem ! vous n'êtet que des enfans."

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colonial français : cet arbre resta comme un tronc mutilé par la foudre ; mais on verra que ce tronc vigoureux, enfoui dans les neiges du Canada, était encore capable de lutter contre de rudes tempêtes et d'obtenir de belles victoires. '- - *''■'

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CHAPITRE III.

COLONISATION DU CAP-TRETON. 1713-1744.

Motifs qui engazent le gouvernement à établir le Cap-Breton. Description de cette île, à laquelle on donne le nom d'Ile- Royale. Lu nouvelle colonie excite la jalousie des Anglais. Projet de l'intendant, M. Raudot, et de son fils pour en faire l'enfrei)ôl ^îéuéral de la Nouvelle-France, en 1706. Fondation de Louisbourg par M. de Costa Bella Comment la France se ))roposc de peupler l'île. La principale industrie des habitans est la jêclie. Commerce qu'ils font. M. de St. -Ovide remplace M. de Costa Bella. Les habitans de l'Acadie, maltraités par leurs gouverneurs et tra- vaillés par les intrigues des Français, menacent d'émigrer à l'Ile-Royale. Le comte de St-Pierre forme une compagnie à Paris en 1719, pour éta- blir l'île St. -Jean, voisine du Cap-Breton; le roi concède en outre à cette compagnie les îles iVIiscou et de la Magdeleine. L'entreprise échoue par les divisions des associés.

Le traité d'Utrecht arracha des mains débiles et mourantes de Louis XIV les portes du Canada, l'Acadie et l'île de Terreneuve. De ce traité trop fameux date le déclin de la monarchie française, qui marcha dés lors précipitamment vers l'abîme de 1792. La nation humiliée parut cependant vouloir faire un dernier effort, pour reprendre vn Amérique la position avantageuse qu'elle venait de perdre ; et dans ce but elle projeta un système colonial plus vaste encore que celui qu'elle avait adopté avant la guerre ; c'était de profiter de l'heureuse découverte du Mississipi que l'on venait d'achever pour y prendre une position plus forte s'il était possible que celle que l'on avait occupée à l'autre extrémité du continent. Le peuple français lui-même montrait bien par qu'il conservait encore toute la vigueur et toute l'énergie du siècle précédent ; mais le gouvernement n'avait plus ni la force ni les moyens de l'appuyer dans une pareille œuvre, et d'ailleurs les circonstances étaient telles qu'il avait assez à faire pour soutenir, à l'exclusion de tout le reste, les intérêts du pouvoir et de la dynastie devenus la ba&e du système nouveau. Louis XIV n'avait-il pas, par le traité d'Utrecht, acheté le trône d'Espagne pour sa tamille au prix de plusieurs de ses colonies, c'est-à-dire, en violant l'intégrité du royaume ?

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La perte des deux provinces du golfe St. -Laurent, laissait le Canada exposé du côté de la mer aux attaques de la puissance qui le touchait déjà du côté de la terre ; de sorte qu'en cas d'hos- tilité celle-ci pouvait empêcher tout secours extérieur d'y par- venir, et séparer ainsi Québec de sa métropole. Il était donc essentiel pour sa défense et la conservation des pêcheries, de se créer un nouveau lieu de refuge dans les mers de Terreneuve et les parages du St.-Laurent. Il nous restait encore parmi d'autres îles, celle du Cap-Breton, située entre l'Acadie et Terreneuve les deux provinces cédées. Cette île qu'on avait méprisée jusqu'a- lors, et que l'on se trouvait heureux maintenant de posséder, pouvait devenir comme une double épine dans le flanc des nou- velles acquisitions anglaises qu'elle séparait en deux. On planta donc le drapeau français sur ses rives désertes, et on y commença des fortifications qui annonçaient par leur étendue la volonté de protéger elTicacement l'entrée du St.-Laurent. Mais ces travaux et l'importance que le Cap-Breton prit tout à coup en France, y attirèrent aussitôt l'attention de l'Angleterre, qui avait cru, en s'emparant de l'Acadie et de Terreneuve, porter un coup mortel à la Nouvelle-France. Elle vit avec surprise envelopper entière- ment ses colonies, et s'élever depuis le Cap-Breton jusqu'aux sables de Biloxi dans la Louisiane, une ceinture de forts dont les canons menaçaient tous les points de ses vastes frontières colo- niales. La France maîtresse des deux grands fleuves de l'Amé- rique septentrionale, le St.-Laurent et le Mississipi, qui lui assu- raient la plus grande partie de la traite avec les Sauvages, régnant sur deux vallées fertiles de mille à douze cents lieues de développement, dans lesquelles se trouvaient les productions de tous les climats, la France pouvait encore acquérir en peu d'an- nées assez de force pour y être inexpugnable. Mais cette tâche demandait une direction et une énergie qu'il était inutile d'attendre du gouvernement. Elle demandait surtout l'envoi d'une masse Je colons capable de repousser toute aggression étrangère sur le St.-Laurent et sur le Mississipi. C'est ce qu'on ne fit pas. On crut que de hautes murailles élevées sur une plage solitaire à l'entrée du goife St.-Laurent, à portée de canon des vaisseaux ennemis, seraient suffisantes et on n'achemina point d'émigration en Amérique. C'était répéter l'oubli du

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Biècle précédent, et inviter l'Angleterre et ses colonies à réunir, à la première rupture, leurs efibrts contre le nouveau poste du Cap- Breton et môme contre toutes les possessions françaises de l'Amé- rique du Nord ; c'était dire, en un mot, que cette rupture ne so ferait pas attendre ; mais la langueur dans laquelle le monarque du Parc aux Cerfs laissait tomber sa puissance i milieu des dé- bauches, ne permit point de rien entreprendre pc .,i' faire face à loua les événemens ; ce qui fut la cause des désastres dont ces belles con- trées devinrent le théâtre avant de passer au:c mains de l'étranger. Le Cap-Breton, situé au midi de l'île de Terreneuve, dont il est séparé par une des bouches du St.-Laurent de 15 à 16 lieues de large, a, au sud, le détroit de Canseau d'une lieue de traverse à la péninsule acadienne, et à l'ouest, l'île St.-Jean ou du Prince- Edouard. Sa longueur n'est pas tout à fait de 50 lieues. - Sa ligure à peu près triangulaire et fort irrégulière, a une surface tellement entrecoupée de lacs et de rivières que les deux parties principales ne tiennent ensemble que par un isthme d'environ 800 verges, qui sépare le port de Toulouse est situé St.-Pierre, de plusieurs lacs assez considérables dont le plus grand porte le nom de Bras d'Or. Ces lacs se déchargent au nord-est dans la mer.

Le climat du Cap-Breton ressemble à celui de Québec pour les saisons, mais le froid y est moins vif en hiver à cause du roi- einage de l'Océan, dont les brumes et les brouillards voilent sou- vent son ciel sans altérer sa salubrité. Le sol y est susceptible de toutes les productions du bas St.-Laurent, et les montagnes qui ont leur pente au sud, peuvent être cultivées jusqu'à leur som- met. Il y a des mines de charbon de terre et de plâtre, dont une partie amoncelée par bancs au-dessus du sol, est plus facile à exploiter que celle qu'il faut aller chercher dans les entrailles de la terre. L'île était couverte de chênes, de pins, d'érables, de planes, de cèdres, de trembles, tous bois propres à la uonstruc- tion.

Enfin un grand nombre d'excellens ports, tous situés du côté de la pleine mer, complétaient les avantagea de cette terre avec la chasse et la pêche qui y étaient abondantes alors. Les plus beauK ports étaient ceux de Miray, des Espagnols, de Ste.-Anne et surtout celui de Louisbourg qui a près de quatre lieues de tour, et

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dans lequel on enire par un passage de moins de quatre cents verges formé par deux petites îles. Le cap Loremijec, dont on aperçoit la cîme à douze lieues de distance, indique ce passage à la navigation. Le port de Miray qui est situé au nord de l'île Scatari, peut être remonte par les gros vaisseaux l'espace de six lieues, et celui des Espagnols, aujourd'liui Sydney, qui a une entrée d'environ mille pas de largeur, se partage au bout d'une lieue, en deux bras de trois lieues de longueur assez profonds pour faire de très bons havres.

Le Cap-Breton n'avait élé fréquenté jusqu'aux dernières aimées que par des [iêchours ou des traitans. L'été, les premiers y faisaient sécher leur poisson, l'hiver, les habitans de l'Acadie venaient y faire !a traite des pelleteries avec les Lidiens. Vers 170o Raudot, intendant de la Nouvelle-Fnnce. envoya au minis- tère conjointement avec son fils, un mémoire sur son établisse- ment. Ce mémoire fort circonstancié nous donne une opinion très favorable des connaissances de ces administrateurs. Ils avaient imaginé un nouveau plan pour le commerce de l'Amé- ri(|ue du Nord, dans lequel le Cap-Breton devait jouer un grand rôle en devenant l'entrepôt général de cette partie du monde. L'idée était neuve et ingénieuse; mais elle était mise au jour dans le moment le moins favorable pour être bien accueillie. Toutefois elle ne fut pas entièrement perdue comme on le verra plus tard.

Après s'être étendus sur les motifs qu'on avait eus d'établir le Canada et sur le commerce de pelleteries, le seul dont on se fût sérieusement occupé jusqu'alors, et auquel on avait tout sacrifié, ces deux administrateurs disaient que le temps était arrivé de donner une nouvelle base au négoce de la Ntmvelle-France ; que la traite des fourrures devenait de jour en jour moins profitable et cesserait tôt ou tard, que d'ailleurs elle répandait des habitudes vicieuses et vagabondes parmi la population, qui négligeait la cul- ture des terres pour un gain trompeur; qu'il fallait imiter la con- duite des Américains entre laquelle et la nôtre, ils faisaient une co iiparaison dont l'avantage retournait aux premiers. Ceux-là, répétaient-ils, sans s'amuser à voyager si loin de chez eux comme nous, cultivent leurs terres, établissent des manufactures, des ver- reries, ouvrent des mines, construisent des navires et n'ont jamais

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regardé les pelleterieg que comme un accessoire. Nous, nous devrions les imiter et nous livrer à un commerce plus avantageux et plus durable que celui que nous faisons aujourd'hui. Comme eux encourageons Pexportation des viandes salées, des bois de toutes sortes, du goudron, du brai, des huiles, du poisson, du chanvre, du lin, du fer, du cuivre, etc. A mesure que le chiffre des exportations s'élèvera, celui des importations suivra une mar- che ascendante proportionnelle ; tout le monde sera occupé, les denrées et les marchandises seront abondantes, et par conséquent à meilleur marché ; celte activité attirera l'émigration, au!j;men- tera les défrichemens, développera la pêche et la navigation, et répandra enfin une vie nouvelle dans tous les établissemens de cette contrée aujourd'hui si languissante. Ils démontraient par un raisonnement parfaitement conforme aux meilleurs principes de l'économie poMtique moderne, les avantages qui résulteraient de cet état de choses pour la France elle-même ; car qu'on ne dise pas, observaient-ils, que si le Cap-Breton tire du Canada une partie de ses denrées que la France peut lui fournir, c'est autant de défalqué du commerce du royaume; celui-là achètera d'autant plus de marchandises françaises qu'il vendra de produits de son propre pays, et plus les manufactures de France emploie- ront c'. bras, plus sa population augmentera et plus elle consom- mera de productions agricoles. Les deux Raudots terminaient ce long document en insistant avec force sur la nécessité de colo- niser le Cap-Breton, de faire un dépôt général dans cette île qui se trouvait entre la mère-patrie et l'Acadie, Terreneuve et le Canada, dans le centre même des pêcheries. Cette île pourrait fournir de son cru, ajoutaient-ils, aux unes des morues, des huiles, du charbon de terre, du plâtre, des bois de construction ; aux autres, des marchandises entreposées venant de France, qu'elle échangerait contre les denrées de ces diverses provinces. 11 y a plus, disaient-ils encore, ce n'est pas seulement en augmen tant la consommation des marchandises en Canada que l'établis- sement projeté serait utile au royaume, on pourrait faire passer aussi des vins, des eaux de vie, des toiles, du ruban, des taffetas, etc., aux colonies anglaises qui sont très peuplées et qui en achè- teraient beaucoup, quand même ce négoce no serait pas permis. En un mol les auteurs du mémoire voulaient faire du Cap-Bieton,

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dans les limites des possessions françaises, ce que la Grande-Bre- tagne est aujourd'hui pour le monde, le centre du commerce.* Si nous établissions un chemin de fer entre Halifax et l'extré- mité supérieure du Canada, le projet de M. Raudot avec la variante cependant d'Halifax au lieu de Louisbourg, serait bien près de sa réalisation puisque la différence entre les deux entreprises ne tiendrait qu'à celle des circonstances diverses du transport entre ces deux époques. En 1706 l'entrepôt avait besoin de voies liquides pour recevoir et expédier dans toutes les directions les productions et les marchandises. Aujourd'hui un entrepôt peut-être placé aussi bien au centre d'un continent qu'au sein d'une mer, parce que l'on peut sur terre faire rayonner les chemins «le fer comme les vaisseaux sur l'Océan, et que la vapeur franchit les espaces avec plus de rapidité encore sur ie premier que sur le dernier élément. Ce projet, MM. Raudot voulaient en confier l'exécution, non à une compagnie toujours égoïste et sacrifiant sans cesse l'avenir au présent, mais au gou- vernement kii-môme qu'il priait de s'en charger, en entrant dans les détails les plus minutieux pour lui en démontrer la facilité ; mais la guerre que la France soutenait alors contre l'Europe entière et qui absorbait toute l'énergie et toutes les ressources du royaume, avec sa jeunesse, c'est-à-dire avec le trop plein de sa population, ne lui laissait ni le temps ni les moyens de penser à une pareille entreprise. Après la guerre, les choses ayant subi des altérations profondes, la réalisation du projet devenait non seulement utile, mais d'une absolue nécessité.

L'on commença par changer le nom du Cap-Breton pour lui donner celui d'Ile-Royale, qu'il n'a conservé que durant le temps qu'il BK'. resté entre les mains des Français. L'on choisit ensuite pour quartier général le Havre à l'Anglais dont le nom fut aussi remplacé par celui de Louisbourg. Ce port situé au milieu d'un terrain stérile, ne pouvait être fortifié qu'à grands frais, parce qu'il fallait tirer les matériaux de fort loin. Bien des gens auraient préféré le port Ste.-Anne plus spacieux, très facile à rendre presqu'imprenable, et en outre entouré d'un pays abondant en

Toutes ces suggestions étaient inutiles quoique fort sages, tant qu'on n'aurait pas assez d'habitans pour être à l'abri de la conquête, comme on l'a dit tant de fois.

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marbre et en bois de commerce. M. de Costa Belle, qui venait de perdre son gouvernement de Plaisance cédé aux Anglais, fut chargé de commencer la nouvelle colonie et de jeter les fonde- mens de Louisbourg.

La France comptait moins sur l'émigration sortie de son sein pour peupler l'île et la ville qu'elle voulait fonder,que sur ses anciens sujets de l'Acadie et de Terreneuve. Elle crut que leur antipa- thie pour leurs nouveaux maîtreslesengagerait à venir s'y établir ; elle les y invita même ainsi que les Abénaquis, comme s'il eût été raisonnable d'espérer que les colons allaient encore se sacrifier pour une mère-patrie qui les négligeait ou qui ne pouvait les défendre. Les gouverneurs anglais, aveuglés par leurs préjugés religieux et nationaux, avaient d'abord mécontenté par de mauvais traitemens les Acadiens, qui, dans leur désespoir, menacèrent d'émigrer. Mais lorsque ces gouverneurs apprirent que la France allait former un nouvel établissement à côté d'eux, ils se hâtèrent de changer de conduite et de rassurer les colons qui allaient les abandonner. C'est ainsi que la Grande-Bretagne se conduisit envers les Canadiens en 1774. Lorsqu'elle vit ses anciennes colonies prendre les armes contre son autorité, elle s'empressa de leur assurer l'usage de leur langue et de leurs institutions natio- nales, pour les empocher de joindre les rebelles. Plus tard cepen- dant, lorsqu'elle crut n'avoir plus besoin d'eux, elle les sacrifia en les soumettant à une majorité anglaise, c'est-à-dire aune majorité différente, de langue, de lois et de religion ; et en cela elle ne fit que répéter ce qu'elle avait déjà fait à l'égard des malheureux Acadiens, car telle est la justice de la politique métropolitaine entre les mains de laquelle les colons, plus que tous autres, ne sont qup des jouets, une marchandise.

Les Acadiens rassurés, comme on l'a dit, par les paroles des gouverneurs anglais, ne purent se résoudre à abandonner leurs terres sur lesquelles ils jouissaient d'une douce aisance, et se transmettaient de père en fils les mœurs simples et patriarcales de leurs ancêtres. Il ne s'en trouva qu'un petit nombre qui vou- lût émigrer, les uns parce qu'ils ne pouvaient s'habituer au nou- veau joug, les autres parce qu'ils avaient peu de chose à perdre en s'en allant ; et ils vinrent de Terreneuve et de l'Acadie s'éta- blir à Louisbourg et en d'autres endroits de l'île, ils formèrent

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de petits villages sans ordre et dispersés sur le rivage, chanin choisissani le terrain qui lui convenait pour la culture ou la poche.

La ville de Louisbourg bâtie en bois sur une lanj,'ue de terre qui s'avance dans la mer, atteignit une denii-lieue de longueur dans sa plus grande prospérité. Les rares maisons de ))ierre qu'on y voyait appartenaient au gouvernement. O.i y construisit des cales, c'est-à-dire des jetées, qui s'étendaient au loin dans le port, pour charger et décharger les navires. Coniriie le principal objet du gouvernement en prenant possession de l'île était de s'y rendre inexpugnable, on commença à fortifier la ville en 17'i0. On y dépensa des sommes énormes qui dépassèrent trente-mil- lions, pour protéger les pêcheries, s'assurer la libre communica- tion entre la France et le Canada, et ouvrir en temps de guerre un asile aux vaisseaux venant des Indes occidentales.

La pêche formait la principale industrie des habitans. La traite des fourrures qui s'y faisait avec quelques î^'^auvages Mic- macs était peu considérable. La population du Cap-Breton s'éleva graduellement à 4000 âmes. Eile était presque toute réunie à Louisbourg. Il n'y avait que quelques centaines d'ha- bitans dispersés sur les côtes à de grandes distances les uns des autres. On en trouvait moins de 200 de cette ville à Toulouse, oti un pareil nombre à peu près étaient concentrés et s'occupaient de culture, alimentaient la capitale de denrées, élevaient des ani- maux et construisaient des bateaux et goélettes; une centaine habitaient les îles rocheuses et arides de Madame, quelques autres s'étaient répandus sur la côte à l'Indienne, à la baie des Espagnols (Sidney), au port Dauphin ainsi qu'en plusieurs autres endroits de l'île. Les habitans les moins aisés employaient, suivant Raynal, deux cents chaloupes à la pêche, et les plus riches cinquante goélettes de trente à cinquante tonneaux. Les chaloupes ne quittaient jamais les côtes de plus de quatre ou cinq lieues ; les goélettes allaient jusque sur le grand banc de Terre- neuve et dans l'automne portaient elles-mêmes leurs précieuses cargaisons en France ou dans les îles de l'archipel du Mexique. Dans le fait l'Ile- 'lyale n'était qu'une grande pêcherie; et sa population, composv^e en hiver des pêcheurs fixes, faisait plus que doubler en été par l'arrivée de ceux de l'Europe, qui s'éparpil- laient sur les grèves pour faire sécher leur poisson. Elle recevait

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sa subsistance de la France ou des Antilles. Elle tirait de la première des vivres, des boissons, des vête mens et jusqu'à ses meubles ; elle faisait ses retours en envoyant de la morue dans une partie des vaisseaux qui lui apportaient ces marchandises, le reste allant faire la pêche pour se former une cargaison. Elle expédiait pour les Iles vingt ou vingt-cinq bâtimens de 70 à 140 ton leaux chargés de morue, de madriers, de planches, de mer- rai i, de charbon de terre, de saumon, de maquereau salé, et enfin d'hi ;'e de poisson ; elle en rapportait du sucre, du café, des rums et des sirops. Elle parvint à créer chez elle un petit commerce d'échange, d'importation et d'exportation. Ne pouvant consom- mer ce T,'plle recevait de France et des Iles, elle en cédait une partie au Canada et une autre plus considérable à la Nouvelle- Angieterre, qui venait les chercher dans ses navires et apportait en paiement des fruits, des légumes, des bois, des briques, des bestiaux, et par contrebande, des farines et même de la morue.

Malgré cette apparente prospérité, la plus grande partie des habitans languissait dans la misère. Comme les manufactures la pêche pour un riche qu'elle fait, retient des milliers d'hommes dans l'indigence. L'expérience a démontré depuis longtemps que les industries qui emploient un grand nombre de bras, ont toutes le même inconvénient grave, la pauvreté excessive des hommes qu'elles occupent. Outre cette cause à laquelle on peut attribuer une partie de la misère des colons de l'Ile-Royale, les circonstances dans lesquelles ils étaient venus s'y établir avaient encore augmenté le mal. Fuyant le joug étranger en Acadie et à Terreneuve, ils avaient tout sacrifié pour venir vivre et mourir sous le drapeau français, sous ce drapeau qu'ils ne pouvaient oublier, qu'ils ne pouvaient cesser d'aimer ; ils y étaient arrivés dénués de tout. " Dans l'impuissance, dit l'historien des deux Indes, de se pourvoir d'ustensiles et des premiers moyens de pêches, ils les avaient empruntés à un intérêt excessif. Ceux même qui n'avaient pas eu besoin d'abord de ces avances, ne tardèrent pas à subir la dure loi des emprunts. La cherté du sel et des vivres, les pêches malheureuses les y réduisirent peu à peu. Des secours qu'il fal- lait payer vingt à vingt-cinq pour cent par année, les ruinèrent sans ressource.

Telle est à chaque instant la position relative de l'indigent qui

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sollicite des secours, et du citoyea opulent qui ne les accorde qu'à des conditions si dures, qu'elles deviennent en peu de temps fata- les à l'emprunteur et au créancier ; à l'emprunteur, à qui l'emploi du secours ne peut autant rendre qu'il lui a coûté ; au créancier, qui finit par n'être plus payé d'un débiteur que son usure ne tarde pas à rendre insolvable. Il est difficile de trouver un remède à cet inconvénient, car enfin il faut que le préteur ait ses sûretés, et que l'intérêt de la somme prêtée soit d'autant plus grand que les sûretés sont moindres."

Le gouvernement du Cap-Breton et de St.-Jean était entière- ment modelé sur celui du Canada. Le commandant, comme celui de la Louisiane, était subordonné au gouverneur général de la Nouvelle-France résidant à Québec ; mais vu l'éloignement des lieux, ces agens secondaires étaient généralement indépendans de leur principal. Dans ces petites colonies, l'autorité et les fonc- tions de l'intendant étaient aussi déférées à un commissaire- ordonnateur, fonctionnaire qui a laissé après lui en Amérique une réputation peu enviable.

Le fondateur du Cap-Breton fut remplacé par M. de St.-Ovide. En 1720, l'Angleterre nomma pour gouverneur de l'Acadie et de Terreneuve, M. Philippe Richard, qui fut bien étonné en arrivant dans son gouvernement de trouver les anciens habitans français en possession de leur langue, de leur religion, de leurs lois, et en communication journalière avec l'Ile-Royale comme s'ils eussent encore appartenu à la France ; il voulut prendre sur le champ des mesures pour leur anglification en masse, croyant le moment venu d'exéci''"r ce projet sans danger. Il commença d'abord par leur inteiu .e tout commerce avec le Cap-Breton. Il leur fit signifier ensuite qu'il leur donnait quatre mois pour prêter le ser- ment d'allégeance. M. de St.-Ovide informé de tout ce qui se passait, se hâta de prévenir les habitans que s'ils consentaient à ce qu'on exigeait d'eux, ils seraient bientôt privés de la liberté de professer leur religion ; que leurs enfans abandonneraient celle de leurs pères; que les Anglais les traiteraient en esclaves, parce que leur esprit d'exclusion et leur antipathie naturelle contre les Français, les tiendraient toujours séparés d'eux, comme les Huguenots, tout unis qu'ils étaient à ce peuple par les liens de la religion, en étaient la preuve. Les A.cadiens n'avaient pas

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attendu ces suggestions de leurs anciens compatriotes, pour répon- dre à Richard ; ils lui avaient représenté qu''ils étaient restés dana le pays à la condition qu'ils conserveraient leurs coutumes et leurs institutions telles qu'ils l'entendraient ; que sans cela ils se seraient retirés en Canada ou à l'Ile-ïïoyale comme le leur per- mettait le traité d'Utrecht, après avoir vendu leurs terrés ; que crainte de perdre une population si industrieuse et dépeupler le pays, avait engagé le gouvernement d'alors à acquiescer à leur demande ; que leur demeure avait été d'un grand avantage pour les Anglais eux-mêmes, parce que c'était à leur considération que les Sauvages, leurs fidèles alliés, les laissaient en repos, ce qui était vrai. Tls laissèrent entrevoir aussi à l'imprudent gouverneur que s'il persistait à mettre son projet à exécution et à vouloir les forcer de prêter le serment de fidélité, ou leur ôter leurs pasteurs, il pourrait bien exciter une insurrection qui deviendrait formidable par l'union des insurgés avec les Indigènes jusqu'à la rivière Kénébec. Au surplus M. de St.-Ovide avait déjà pris des mesures pour faire passer les Acadiens dans l'île St.- Jean, que l'on se proposait aussi d'établir. En présence de cette opposition force fut à Richard d'abandonner ses projets d'anglification. Mais le cabinet de Londres ne fit qu'ajourner sa résolution. L'orage ne se dissipa alors au-dessus de la tête des malheureux Acadiens que pour éclater plus tard avec plus de fureur et rendre leur perte plus complète.

Nous avons dit que le gouvernement français avait formé le projet d'établir l'île St.- Jean. Cette île en forme d'arc de vingt- deux lieues de long sur une plus ou moins de large, et qui est située dans le voisinage du Cap-Breton, dont elle peut être con- sidérée comme une annexe, devait être en effet d'une grande utilité. Elle possède un sol fertile et des pâturages excellens. Jusqu'à la pacification d'Utrecht elle avait été oubliée comme l'Ile-Royale. En 1719 il se forma une compagnie avec le double projet de la défricher et d'y établir de grandes pêcheries. C'était à l'époque du fameux système de Law, il était plus facile de trouver des fonds que de leur conserver la valeur factice que l'engouement des spéculateurs y avait momentanément atta- chée. Le comte de St.-Pierre, premier écuyer de la duchesse d'Orléans, se mit à la tête de l'entreprise. Le roi lui concéda les

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îles St.-Jean, Miscou et de la Magdeleine. Mais malheureuse- ment l'intérêt qui avait réuni les associés les divisa aussitôt ; ils voulurent tous avoir part à la régie, et le plus grand nombre n'avait aucune expérience de ces sortes d'entreprises ; il va sans dire que tout échoua. L'île retomba dans l'oubli d'où on l'avait momentanément tiré et y demeura jusque vers 1749, que les Acadiens, fuyant le joug anglais, commencèrent à s'y établir.

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LIYRE SEPTIEME.

CHAPITRE I.

SYSTÈME DE LAW.— CONSPIRATION DES NATCHÉS.

1712-1731.

La Louisiane, ses habitans et ses limites. M. Crozat en prend possession en vertu de la cession du roi. M. de la Motte Cadillac, gouverneur ; M. Duclos, commissaire-ordonnateur. Conseil supérieur établi ; introduction de la coutume de Paris. M. Crozat veut ouvrir des relations commer- ciales avec le Mexique ; voyages de M. Juchereau de St.-Denis à ce sujet ; il échoue. On fait la traite des pelleteries avec les Indigènes, dont une portion embrasse le parti des Anglais de la Virginie. Les Natchés cons- pirent contre les Français et sont punis. Désenchantement de M. Crozat touchant la Louisiane ; cette province décline rapidement sous son mono- pole ; il la rend (1717) au roi, qui la concède à la compagnie d'Occident rétablie par Law. Système de ce fameux financier. M. de l'Espinay succède à M. de la Motte Cadillac, et M. Hubert à M. Duclos. M. de Bienville remplace bientôt après M. de l'Espinay. La Nouvelle-Orléans est fondée par M. de Bienville (1717.) Nouvelle organisation de la colo- nie ; moyen que l'on prend pour la peupler. Terrible famine parmi les colons accumulés à Biloxi. Divers établissemens des Français. Guerre avec l'Espagne. Hostilités en Amérique: Pensacola, île Dauphine. Paix.— Louis XV récompense les officiers de la Louisiane^ Traité avec les Chicachas et les Natchés. Ouragan du 12 septembre (1722.) Mis- sionnaires.— Chute du système de Law. La Louisiane passe à la com- pagnie des Indes. Mauvaise direction de cette compagnie. M. Perrier, gouverneur. Les Indiens forment le projet de détruire les Français ; massacre aux Natchés ; le complot n'est exécuté que partiellement.— Guerre à mort faite aux Natchés ; ils sont anéantis, 1731.

Les premiers colons de la Louisiane furent, comme on l'a vu, des Canadiens. Ce petit peuple qui habitait l'extrémité septen- trionale du Nouveau-Monde, sans avoir eu presque le temps de s'asseoir sur la terre qu'il avait défrichée, courrait déjà à l'aven- ture vers des contrées nouvelles ; ses enfans jalonnaient les rives du St.-Laurent et du Mississipi dans un espace de près de douze cents lieues ! Une partie disputait les bords glacés de la baie d'Hudson aux traitans anglais, tandis qu'une autre guerroyait

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avec les Espagnols presque sous le ciel brûlant des tropiques. La puissance française en Amérique semblait reposer sur eux. Ils se multipliaient avec une incroyable énergie pour faire face au nord et au sud. Partout pleins de dévouement et de bonne volonté, ils se sacrifiaient inutilement pour faire triompher la cause de leur patrie. Au nom de leur roi, ils obéissaient sans calculer ni les sacrifices, ni les conséquences, et nous verrons dans le cours de ce chapitre que c'est à eux principalement que la France dut la conservation de la Louisiahe, comme c'était à eux encore qu'elle devait celle du Canada depuis un quart de siècle. Mais le flot perpétuel de l'émigration anglaise devait finir par l'empor- ter sur l'oubli de la France, qui ne tirant plus d'émigrans de son sein, dépeuplait le Canada pour peupler les bords du Mississipi. En même temps qu'elle fortifiait le Cap-Breton, elle s'occupait de l'établissement de la Louisiane, dont elle réclamait pour terri- toire du côté du sud et de l'ouest jusqu'à la rivière Del Norte, et de en suivant les hauteurs qui séparent cette rivière de la rivière Rouge jusqu'aux Montagnes-Rocheuses, au golfe de Californie et à la mer Pacifique ;* du côté de l'est toutes les terres dont les eaux tombent dans le Mississipi.

La Mobile ne conserva guère plus longtemps que Biloxi le titre de chef-lieu. Les désavantages propres à cette localité la firent abandonner pour l'île Dauphine, ou du Massacre, ainsi nommée à cause des ossemens humains, restes sans doute de quelque tribu détruite, qu'on trouva ensevelis sous le sol. Quoique cette île très basse soit couverte d'un sable blanc cristallin si brû- lant que rien n'y pousse, et que l'on se sente saisi à son aspect d'une profonde tristesse, on la choisit parce qu'elle possédait un port.

Le gouvernement absorbé tout entier par la guerre de la suc- cession d'Espagne, ne put se charger de l'établissement de la nouvelle colonie qti'il abandonna aux efforts des particuliers. Il existait alors à Paris un négociant habile qui avait acquis une vaste fortune dans le commerce maritime. Il avait rendu des services signalés au royaume en important une grande quantité de matières d'or et d'argent dans un temps l'on ' eirt avait très besoin. Le roi l'avait nommé conseiller-secrétaire de la maison

Carte publiée par l'Académie française.

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et couronne de France au ilépartomcnt des finances. Ce mar- chand était M. Crozat. La cour lui abandonna en 1712, pour seize ans, le privilège exclusif du commerce de la Louisiane, et en pleine propriété l'exploitation des mines de cette contrée ; c'était agir contrairement à l'esprit du mémoire de M. Raudot, dont nous avons parlé dans le dernier chapitre. M. Crozat qui n'avait attribué qu'à un système vicieux le peu de succès fait jui^qu'alors sur le Mississipi, se mit en frais d'utiliser incessamment sa gigantesque concession.

Louis XIV nomma M. de la Motte Cadillac gouverneur en remplacement de M. de Muys, mort en se rendant en Amérique. M. Duclos eut la charge de commissaire-ordonnateur à la place de M. d'Artaguette rentré en France, et un conseil supérieur fut établi pour trois ans, composé de ces deux fonctionnaires et d'un greffier avec pouvoir de s'adjoindre des membres. Ce conseil était un tribunal général pour les affaires civiles et criminelles, grandes ou petites. Il devait procéder suivant la coutume de Paris, dont les lois furent seules reconnues dans ce pays comme elles l'étaient déjà en Canada. Cette organisation purement des- potique, puisque l'administration militaire, civile et judiciaire se trouvait réunie dans les mêmes mains, ne fait qu'ajouter un exemple de plus à ce que nous avons déjà dit, que les colonies françaises furent soumises dans l'origine à un régime militaire absolu.

M. de la Motte Cadillac débarqua à la Louisiane en 1713. Crozat se l'était associé pour l'intéresser à son commerce. La nouvelle colonie devint plus que jamais une exploitation mercan- tile, absorbant toute l'attention du gouverneur. Il trouva en arri- vant que les colons languissaient plutôt qu'ils ne vivaient dans un des plus beaux pays du monde, faute d'avances et faute de débou- chés pour leurs denrées. Après avoir jeté les yeux autour de lui, il chercha à établir des relations avec ses voisins ; il s'arrêta d'abord aux Espagnols. Il envoya un navire chargé de marchan- dises à Vera-Cruz. Le vice-roi du Mexique, fidèle aux maximes exclusives de son temps et de son pays, défendit le débarquement et ordonna au vaisseau de s'éloigner. Malgré le mauvais succès de cette première tentative, Cadillac ne se découragea pas, et voulut en faire une seconde par terre. Il en chargea M. Juche-

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reau do St.-Dcnis, un des voyageurs canadiens les plus intrépides, qui était à la Louisiane depuis quatorze ans.

St. -Denis iitdeux voyages dans le Mexique, qui furent remplis d'incidens et d'aventures galantes et romanesques, mais qui n'eu- rent pas plus de résultat l'un que l'autre. Il ne fut de retour du second qu'en avril 1719.

Tandis que le gouverneur cherchait ainsi à ouvrir des débou- chés avec le Mexique, il envoyait faire la traite chez les Natchés et les autres nations du Mississipi, ses agens trouvèrent des Anglais de la Virginie, pour lesquels les Chicachas allaient deve- nir de nouveaux Iroquois. La lutte sourde qui existait dans lo nord allait se répéter dans le sud, et partager les Indigènes entre les deux peuples rivaux. Bientôt l'on vit, d'un côté, plusieurs tribus, ayant à leur tête les Alibamons et les Chactas, tomber sur la Caroline pour y commettre des ravages et des assassinats ; et, de l'autre, les Natchés tramer la destruction des Français, qui ne furent sauvés que par la promptitude et la vigueur avec lesquelles ]d gouverneur sut agir. Mais les Natchés furent cruellement punis de leur faute ; on les obligea d'élever de leurs propres mains, au miheu de leur principal village, un fort pour ceux-là mêmes qu'ils avaient voulu exterminer. C'était la première humiliation que subissait leur grand chef, qui prétendait descendre du soleil, et qui en portait le nom avec orgueil. Ce fort, aujourd'hui Nat- chez, situé sur le fleuve Mississipi, couronnait un cap de 200 pieds d'élévation ; Bienville lui donna le nom de Rosalie en mé- moire de madame de Pontchartrain, dont le mari, ministre d'état, protégeait la famille des Lemoine d'oiî sortait Bienville. C'est l'année suivante, 1715, que M. du Tisné jeta les fondemens de Natchitoches, maintenant l'une des villes les plus florissantes de l'Amérique.

Cependant les grandes espérances que Crozat avait conçues de la Louisiane, s'étaient dissipées peu à peu ; il y avait à peine quatre ans qu'il avait cette province entre les mains, et déjà son commerce était anéanti. Le" monopole de ce grand fermier avait tout frappé de mort. Avant sa concession il s'y faisait quelques affaires. Les habitans de la Mobile et dt l'île Dauphine expor- taient des provisions, des bois, des pelleteries chez les Espagnols de Pensacola, dans les îles de la Martinique, de St.-Domingue,

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et en Franco, et recevaient en retour les denrées et les marchan- dises dont ils avaient besoin pour leur consommation intérieure ou pour leur trafic avec les Indiens. Crozat n'y eut pas plutôt fait reconnaitre son privilège que cette industrie naisi<ante languit et mourut. Les vaisseaux des Iles ne parurent plus; il fut défendu d'aller à Pensacola d'où provenait tout le numéraire de la colonie, et de vendre ses marchandises à d'autres qu'aux agens de Crozat, qui donnaient les prix qu'ils voulaient. Celui des peilereries fut fixé si bas que les chasseurs préférèrent les porter en Canada ou dans les colonies anglaises. Le concessionnaire, à l'aspect de la décadence des affaires, n'en voulut pas voir la cause elle était ; il adressa représentations sur représentations au gouverne- ment qui ne les écouta point. Enfin épuisé par ses avances et trompé dans son espoir d'ouvrir par terre et par merdes commu- nications avec le Mexique pour y verser ses marchandises et en tirer des métaux, il remit son privilège plus onéreux que profi- table au roi, qui le concéda de suite à la compagnie d'Occident, dont le succès étonna d'abord toutes les nations.

Un aventurier écossais nommé Jean Law, homme plein d'ima- gination et d'audace, cherchant avec avidité l'occasion d'attirer sur lui l'attention de l'Europe par quelque grand projet, trouva dans la situation financière de la France, un moyen de parvenir au but qu'il désirait. Ayant fait une étude de l'économie politi- que dont Turgot et Smith devaient faire plus tard une science, il se présenta à Péris comme le sauveur de la nation et le restaurateur de ses finances délabrées. Quel remède inattendu a-t-il trouvé pour combler l'abîme de la dette nationale, qui devient de jour en jour plus profond malgré tous les efforts que l'on fait pour le fer- mer ? Le papier monnaie et les mines imaginaires de la Louisiane. Le pays même que Crozat vient de rejeter avec dégoût, après y avoir perdu des sommes considérables, est la panacée qui doit produire une aussi grande merveille.

Il n'y a que l'état déplorable de la France à cette époque qui ait pu entraîner le peuple, le roi et ses ministres dans ces illusions vers lesquelles ils se portèrent avec une ardeur qui se communi-- qua à d'autres pays.

" Ponce de Léon n'eut pas plutôt abordé à la Floride en 1512, qu'il se répandit dans l'ancien et le nouveau-monde que cette

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région était remplie de métaux. Ils ne furent découverts ni par François de Cordoue, ni par Velasquez de Ayllon, ni par Pliilippe de Narvaez, ni par Ferdinand de Soto, auoique ces honimes entreprenans les eussent cherchés pendant trente ans avec des fatigues incroyables. L'Espagne avait enfin renoncé à ses espé- rances ; elle n'avait même laissé aucun monument de ses entre- prises ; et cependant il était resté vaguement dans l'opinion des peuples que ces contrées renfermaient des trésors immenses. Personne ne désignait le lieu précis ces richesses pouvaient être ; mais cette ignorance même servait d'encouragement à l'ex- agération. Si l'enthousiasme se refroidissait par intervalle, ..e n'était que pour occuper plus vivement les esprits quelque temps après. Cette disposition générale à une crédulité avide, pouvait devenir un merveilleux instrument dans des mains habiles."

Lavv sut mettre ces vagues croyances à profit. Ce financier avait commencé ses opérations en établissant avec la permission du régent en 1716, une banque possédant un capital de 1200 actions de mille éous chacune. Cette banque dans ces sages limites, augmenta le crédit et fit un grand bien, car elle pouvait laire face à ses obligations assez facilement: maison voulut bien- tôt aller plus loin ; on avait toujours les yeux tournés vers la Louisiane, l'on croyait trouver assez d'or pour payer les dettes de l'Etat. Lavv rétablit en 1717 la compagnie u'Occidcnt et lui fit donner cette province, en l'unissant à la banque et en lui asso- ciant la ferme du tabac et le commerce du Sénégal. Dans la supposition du succès, une pareille société devait dégénérer en monopole. Mais à cette époque on était incapable de juger des avantages ou des désavantages de ces grandes opérations com- merciales ; et à venir jusqu'à nos jours, les opinions des hommes les plus éclairés ont été opposées et contradictoires sur cette matière.

Quoiqu'il en soit, les actions de la compagnie d'Occident se payaient en billets d'Etat que l'on prenait au pair quoiqu'ils ne valussent que cinquante pour cent dans le commerce. Dans un instant le capital de ÎOO millions fut rempli ; chacun s'empressait de porter un papier décrié, croyant le voir bientôt racheté er bel or de la Louisiane. Les créanciers de l'Etat qui entrevoyaient leur ruine dans l'abaissement graduel des finances, se prirent à

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cette spéculation, comme à leur seul moyen de salut. Les riches entraînés par le désir d'augmenter leur fortume, s'y lancèrent avec des rêves dont Lavv avait soin de nourrir la cupide extrava- gance. " Le Mississipi devint un centre toutes les espérances, toutes les combinaisons se réunissaient. Bientôt des hommes riches, puissans, et qui pour la plupart passaient pour éclairés, ne se contentèrent pas de participer au gain général d i monopole, ils voulurent avoir des propriétés particulières dans une région qui passait pour le meilleur pays du monde. Pour l'exploitation de ces domaines, il fallait des bras : la France, la Suisse et l'Alle- magne fournirent avec abondanc. des cultivateurs, qui, après avoir travaillé trois ans gratuitement pour cQlui qui aurait fait les frais de leur transportation, devaient devenir citoyens, posséder eux- mêmes des terres et les défricher."

Cependant le gouverneur et le commissaire-ordonnateur avaient été changés. M. de la Motte Cadillac avait eu pour successeur M. de l'Espinay ; M. Duclos, M. Hubert ; mais quelque temps après l'on donna à ces deux fonctionnaires un supérieur dans la personne de M. de Bienville. qui fut nommé commandant général de toute la contrée. Les Français occupaient alors Biloxi, l'île Dauphine, la Mobile, Nutchez et Natchitoches sur la Rivière-Rouge. Ils avaient aussi commencé des établissemens sur plusieurs autres points. Biloxi était redevenu chef-lieu, et l'île Dauphine qui avait perdu son port peu rpiv;s son établissement, par un coup de mer qui en avait fermé l'entrée, avait été aban- donnée pour l'Ile aux Vaisseaux. L'obstination que l'on mettait à demeurer sur une côte stérile, pour ne pas s'éloigner de la mer, démontre que le but de la colonisation avait été jusque plutôt commercial qu'agricole. Enfin l'on commença à croire que les bords du Mississipi présentaient de plus grands avantages pour la situation d'une capitale, et l'on résolut d'aller chercher un asile sur la rive gauche de ce fleuve, dans un endroit que B.; nville avait déjà remarqué à trente lieues de l'Océan. Ce gouverneur avec quelques pauvres charpentiers et faux-sauniers y jeta, en 1717, les fondemens d'une ville qui est aujourd'hui comme NatcM- toches, l'une des plus populeuses et des plus riches du Nouveau- Monde. Il lui donna le nom de Nouvelle-Orléans en l'honneur du duc d'Orléans, régent du royaume. La Louisiane avait eu

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pour fondateur un Canadien illustre dans nos annales; la capitale de ce beau pays allait à son tour devoir également son existence à un de nos compatriotes. M. de Pailloux fut nommé gouver- neur de la nouvelle ville, arriva l'année suivante un vaisseau qui fut agréablement surpris de trouver seize pieds d'eau dans l'endroit le moins profond du Mississipi. On ne croyait pas ce fleuve navigable si haut pour les gros navires. On ne trans- féra cependant qu'en 1722 le gouvernement à la Nouvelle- Orléans. On ne pouvait se résoudre à perdre la mer de vue à la Louisiane, tandis qu'en Canada l'on cherchait au contraire à s'en éloigner en s'élevant toujours sur le St.-Laurent pour suivre la traite des pelleteries daos les forêts.

La compagnie d'Occident n'avait pas été plutôt en possession de cette fertile contrée qu'elle avait travaillé à organiser un nou- veau gouvernement, et surtout un système d'émigration qui put assurer le rapide établissement des terres, et l'exploitation des mines abondantes dont les précieuses richesses devaient payer la dette nationale.

Dans la nouvelle organisation Bienville fut maintenu à la tête de l'administration comme gouverneur-général et directeur de la compagnie en Amérique ; M. de Pailloux fut nommé major- général ; Dugué de Boisbriand, commandant aux Illinois, et Diron, frère de l'ancien commissaire-ordonnateur, inspecteur- général des troupes.

La Louisiane avait été cédée à la compagnie en 1717 ; dès le printemps suivant huit cents colons quittaient la Rochelle sur trois vaisseaux pour aller s'y établir. Il y avait parmi eux des gentilshommes et d'anciens officiers, au nombre desquels était Lepage Dupratz qui a laissé d'intéressans mémoires sur les évé- nemens de son temp'^ dans cette contrée. Cette émigration se dispersa sur différens points. Les gentilshommes étaient partis avec l'espoir d'obtenir des seigneuries en concession, et d'in- troduire dans la nouvelle province une hiérarchie nobiliaii»; comme il s'en formait une en Canada. Law lui-môme voulut donner l'exemple. Il obtint une terre de quatre lieues en carré, à Arkansas, qui fut érigée en duché et sur laquelle il ache- mina quinze cents hommes. Allemands et Provençaux, pour la peupler. Il se proposait de faire suivre cette première émigra-

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tion par 6000 Allemands du Palatinat, lorsqu'on 1720 croula sa puissance éphémère et avec elle l'échafaudage de ses magnifiques projeta qui laissèrent sur la France les ruines de la fortune publique et particulière. Le contrecoup de cette grande chute financière, qui n'avait encore rien eu de pareil chez les modernes, ébranla profondément la jeune colonie, et l'exposa aux désastres les plus déplorables. Des colons rassemblés à grands frais plus de mille furent perdus avant l'embarquement à Lorient. " Les vaisseaux qui portaient le reste ne firent voile des ports de France qu'en 1721, un an après la disgrâce du ministre ; et il ne put donner lui-même aucune attention à ce débris de sa fortune. La conces- sion fut transportée à la compagnie." La compagnie ne donna point d'ordre pour faire cesser l'acheminement des colons sur l'Amérique. Une fois en route ces malheureux ne pouvaient arrêter, et la chute du système les laissait sans moyens d'exis- tence. On les entassait sans soin et sans choix dans des navires et on les jetaient sur la plage de Biloxi, d'où ils se transportaient comme ils pouvaient dans les différens heux de leur destination. L'on n'avait pas à Biloxi assez d'embarcations pour suffire à les monter sur le Mississipi. Il y eut ent ibrement, les provisions manquèrent et la disette apparut avec toutes ses horreurs ; on n'eut plus pour vivre que les huîtres que l'on péchait sur le bord de la mer. Plus de cinq cents personnes moururent de faim. L'ennui et le chagrin en conduisirent beaucoup d'autres au tom- beau. La mésintelligence, la discorde, suite ordinaire du malheur, s'empara du reste ; l'on forma des complots, et l'on vit une com- pagnie de troupes Suisses qui avait reçu ordre de se rendre à la Nouvelle-Orléans, passer, officiers en tête, à la Caroline chez les Anglais.

Tant de désastres firent abandonner enfin Biloxi, cette rive funeste, et la Nouvelle-Orléans devint définitivement la capitile de la Louisiane.

Il ne faut pas croire néanmoins que tous ces efforts, tout mal diiigés qu'ils fussent, soient demeurés sans fruit. Nombre d'établis- se aens commencés alors, au milieu du deuil et des larmes, réus- sirent et ont pris aujourd'hui un développement considérable. Sans doute l'on eût pu faire mieux, mais Raynal exagère singu- lièrement le mal. Une colonisation forte, permanente, puissante,

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s'opère graduellement, se consolide par ses propres efforts et la jouissance d'une certaine liberté. Ne fut-il mort personne à Biloxi, les émigrans eussent-ils été tous des cultivateurs laborieux, intelligens, persévérans, et l'on sait que ces qualités manquaient à un grand nombre, le succès prodigieux qu'on attendait ne se serait pas encore réalisé : on a vu jusqu'à quel degré on avait élevé les espérances de la France. Il n'y avait pas jusqu'aux petits maîtres des salons de Paris qui ne fussent pris d'enthou- siasme. Les mines du Mississipi devaient payer la dette natio- nale ; la Louisiane elle-même dans l'esprit de ces faiseurs de projets allait à jour donné relever le commerce français et former un empire capable de lutter avec celui qui se formait entre elle et le Canada. On fut trompé, comme on devait l'être, dans toutes ceo espérances. Le désappointement qu'on en éprouva fit une si vive impression sur les esprits, que longtemps après il influen- çait encore la plume irritable de l'historien des deux Indes, et que le sage Barbé-Marbois ne put au bout d'un siècle échapper tout- à-fait à l'impression qu'il avait laissée dans sa patrie.

" Dans leur appréciation du système de Lavv, les uns comme M. Barbé-Marbois, disent qu'après avoir persuadé aux gens cré- dules que la monnaie de papier peut, avec avantage, tenir lieu des espèces métalliques, l'on tira de ce faux principe les conséquen- ces les plus extravagantes, qu'elles furent adoptées par l'ignorance et la cupidité, et peut-être par Law lui -môme, car il portait de l'élévation et de la franchise jusque dans ses erreurs.

" Les hommes éclairés résistèrent cependant, et beaucoup de membres du parlement de Paris opposaient à ses impostures les leçons de l'expérience. Vaine sagesse ! Jean Law parvint à persuader au public que la valeur de ses actions était garantie par des richesses inépuisables que recelaient des mines voisines du Mississipi. Cea chimères appelées du nom de système de Law, ne différaient pas beaucoup de celles qu'on s'est efforcé de nos jours de reproduire sous le nom de Crédit. Quelques-uns ont prétendu que tant d'opérations injustes, tant de violations des engagemens les plus solennels, étaient le résultat d'un dessein profondement médité, et que le régent n'y avait consenti que pour libérer l'Etat d'une dette dont le poids était devenu insup- portable. Nous ne pouvons adopter cette explication. Il est

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plus probable qu'après être entré dans une voie pernicieuse, ce prince et son conseil furent conduits de faute en faute à pallier un mal par un mal plus grand et à tromper le public en se faisant illusion à eux-mêmes. Si au contraire ils avaient agi par suite d'une mesure préméditée, il y aurait encore plus de honte dans cet artifice que dans la franche iniquité du Directoire de France, quand en 1797 il réduisit au tiers la dette publique."

D'autres ayant Say à leur tête, attribuent le naufrage du systè- me à une autre cause. " Les gouvernemens qui ont mis en cir- culation, dit cet économiste, des papiers-monnaies, les ont toujours présentés comme des billets de confiance, de purs effets de com- merce, qu'ils alTcctaient de regarder comme des signes représen- tatifs d'une matière pourvue de valeur intrinsèque. Tels étaient les billets de la banque formée, en 1716, par l'Ecossais Law, sous 'autorité du régent. Ces billets étaient ^insi conçus :

La banque promet de payer aie porteur à vue.,., livres, en monnaie de même poids et au même titre que la 'monnaie de ce jour, valeur reçue, à Paris, etc.

La banque, qui n'était encore qu'une entreprise particulière, payait régulièrement ses billets chaque fois qu'ils lui étaient pré- sentés. Ils n'étaient point encore un papier-monnaie. Les choses continuèrent sur ce pied jusqu'en 1719 et tout alla bien.* A cette époque, le roi, ou plutôt le régent remboursa les action- naires, prit l'établissement entre ses mains, l'appela banque royale, et les billets s'exprim Jrent ainsi :

" La banque promet de payer au porteur à vue.... livres, en ESPECES d'argent, Valeur reçue à Paris, etc.

" Ce changement, léger en apparence, était fondamental. Les premiers billets stipulaient une quantité fixe d'argent, celle qu'on connaissait au moment de la date sous la dénomination d'une livre. Les seconds ne stipulant que des livres, admettaient tou- tes les variations qu'il plairait au pouvoir arbitraire d'introduire dans la forme et la matière de ce qu'il appellerait toujours du nom de livres. On nomma cela rendre le papier-monnaie ^a;e : c'était au contraire en faire une monnaie infiniment plus suscep- tible de variations, et qui varia bien déplorablement. Law s'op-

Voyez dans Diitot, volume II, page 200, quels furent les très bons effets du système dans ses commencemens.

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posa avec force à ce changement: les principes furent obligés de céder au pouvoir, et les fautes du pouvoir, lorsqu'on en sentit les fatales conséquences, furent attribuées à la fausseté des principes."

Telles sont les opinions d'un homme d'état et d'un économiste célèbre. L'un et l'autre, trop exclusifs dans leurs idées, n'ont peut-être pas dit toute la vérité. Say, ne faisant aucune atten- tion aux entreprises étrangères à la banque de Law, semble attri- buer uniquement sa catastrophe à l'altération des monnaies. Marbois partant d'un autre principe, l'impute à la base chiméri- que donnée à cette banque, en la faisant dépendre du succès des compagnies orientale et occidentale rétablies ou formées par le financier étranger. On pourrait dire plutôt que le système de Law était prématuré pour la France ; et qu'il ne pouvait convenir qu'à une nation très commerçante et qui fût déjà familière avec les opérations financières et le jeu du crédit public. Or l'on sait que les Français en général ne l'étaient pas à cette époque. C'était la grande faute du système, qui commença à éclairer la France, dit Voltaire, en la bouleversant. Avant lui, " il n'y avait que quelques négocians qui eussent des idées nettes de tout ce qui concerne les espèces, leur valeur réelle, leur valeur numéraire, leur circulation, le change avec l'étranger, le crédit public ; ces objets occupèrent la régence et le parlement.

" Adrien de INoailles duc et pair, et depuis maréchal de France, était chef du conseil des finances Au commence- ment de ce ministèrel'Etatavait à payer 900 milHons d'arrérages ; et les revenus du roi ne produisaient pas 69 millions à 30 francs le marc. Le duc de Noailles eut recours en 1716 à l'établisse- ment d'une chambre de justice contre les financiers. On recher- cha les fortunes de 4410 personnes, et le total de 'eurs taxes fut environ de 219 millions 400 mille livres; mais âà cette somme immense, il ne rentra que 70 millions dans les coffres du roi. Il fallait d'autres ressources."

On s'adressa au commerce. Il était peu considérable compa- rativement parlant ; les guerres l'avaient ruiné, on voulut le faire grandir tout-à-coup en formant un crédit factice, comme si le com- merce était fondé sur le crédit et non le crédit sur le commerce. On oublia qu'il manquait à la France un capital réel, très réel ; l'esprit d'entreprise et d'industrie. Law avait se.ti le vice de la

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situation, c'est pour cela qu'il faisait de si grands efforts pour aug- menter le négoce du royaume en activant l'établissement des pos- sessions d'outre-mer. Mais les ressources dont il jetait ainsi la semence allaient venir trop tard à son secours ; et d'ailleurs dans son ardeur fiévreuse, il s'en était laissé imposer sur les avantages que présentait le Nouveau-Monde. Il crut ou feignit de croire que la Louisiane renfermait des richesses métalliques inépuisa- bles et capables de suppléer à tous les besoins. Il se trompa. On a pu voir ce qu'était cette contrée et ce que l'on pouvait attendre d'elle. Force fut donc à Lavv, faute d'un Pérou, faute de marchandises, faute d'industrie, faute enfin d'autres valeurs réelles, d'asseoir son papier-monnaie sur le numéraire seulement qu'il y avait en France. Or ce papier il fallut l'augmenter, on altéra les espèces en leur donnant une valeur factice ; de la ruine du système; cette opération absurde amena une banque- route. L'on s'aperçut alors que, relativement à la Louisiane du moins, le système était fondé sur une chimère.

Après cette catastrophe la compagnie d'Occident, cessionnaire de tous les droits de Law, n'en conserva pas moins la possession du pays, qu'elle continua de gouverner et d'exploiter comme un monopole. Ce système avait déjà coûté 25 millions. " Les administrateurs de l;, compagnie qui faisait ces énormes avances, avaient la folle prétention de former dans la capitale de la France le plan des entreprises qui convenaient à ce nouveau monde. De leur hôtel, on arrangeait, on façonnait, on dirigeait chaque habi- tant de la Louisiane avec les gènes et les entraves qu'on jugeait bien ou mal favorables au monopole. Pour en cacher les cala- mités on violait, on interceptait la correspondance avec la France." Les morts et les vivans, disait Lepage Dupratz, sont également à ménager pour ceux qui écrivent les histoires moder- nes, et la vérité que l'on connaît est d'une délicatesse à exprimer qui fait tomber la plume des mains de ceux qui l'aiment. Quant à l'établissement du pays par l'émigration des classes agricoles de France, outre qu'il n'y avait pas de surabondance de population, le régime féodal y mettait obstacle. Les nobles et le clergé, pos- sesseurs du sol et du gouvernement, n'avaient garde de favoriser l'éloignement des cultivateurs, et d'acheminer leurs vassaux dont ils liraient toute leur fortune sur le Nouveau-Monde. Aussi très

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peu de paysans français ont-ils jamais quitté le champ paternel pour venir en Amérique à aucune époque. En un mot, rien en France au commencement du dernier siècle n'était capable de donner une forte impulsion à la colonisation.

Malgré ces entraves, malgré toutes ces fautes et les malheurs qui en furent la suite, l'on fit encore plus cependant qu'on n'aurait pu l'espérer, et les établissemens formés en différens endroits de la Louisiane, assurèrent la possession de cette province à la France. L'hostilité de l'Espagne, les armes des Sauvages et la jalousie dos colonies anglaises ne purent lui arracher un pays qu'el' nserva encore longtemps après avoir perdu le Canada.

Ov les cinq ou six principaux établissemens dont on a parlé, dans la Louisiane, l'on en avait encore commencé d'autres aux Yasous, au Baton-Rouge, aux Bayagoulas, aux Ecores-Blancs, à la Pointe-Coupée, à la Rivière-Noire, aux Paska-Ogoulas et jus- que vers les Illinois. C'était occuper le pays sur une grande échelle ; et toutes ces diverses plantations se maintinrent et fini- rent la plupart par prospérer.

Pendant que Law était tout rempli de ses opérations finan- cières, des événemens survenus en Europe avaient mis les armes aux mains de deux nations qui semblaient devoir être des alliés inséparables, depuis le traité des Pyrénées, la France et l'Es- pagne. Albéroni fut le principal auteur de cette levée de bou- cliers funeste pour le pays qu'il servait et pour lui-même.

Albéroni, observe un auteur moderne, avait les projets les plus ambitieux et les plus vastes ; autrefois prêtre obscur dans l'Etat de Parme, espion et flatteur du duc de Vendôme, qu'il suivit en Espagne, il était parvenu de cette vile condition à la plus haute fortune ; il était cardinal et ministre absolu du faible Philippe V, qu'il gouvernait de concert avec la reine^ et voulait relever la puis- sance espagnole pour accroître la sienne ; il semblait enfin aspirer à jouer le rôle d'un Richelieu. L'Angleterre, la France, l'Empire et la Hollande conclurent à Londres en 1718, un nouveau traité qui reçut le nom de quadruple alliance. L'empereur y renonça pour lui-même et pour ses successeurs, à toute prétention à la couronne d'Espagne, à condition que Philippe V lui restituerait la Sicile et remettrait la Sardaigne au duc de Savoie. On somma le roi d'Espagne d'accéder à ce traité dans le délai de trois mois ;

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mais Albéroni conspirait alors avec la duchesse du Maine contre le régent, et reçut cette proposition avec une hauteur insolente. Tout était préparé pour le succès de son projet : des troupes espagnoles devaient être jetées en Languedoc et en Bretagne, existaient déjà des germes de révolte ; on s'emparerait du régent, qu'on renfermerait dans une forteresse ; on convoquerait les Etats-Généraux ; on obtiendrait l'annulation des traités de Lon- dres et de La Haye ; on ferait déclarer le duc d'Orléans déchu de son droit de succession à la couronne, et la régence serait déférée à Philippe V, qui se trouverait alors sur les premiers degrés d'un trône auquel il tenait bien plus qu'à la couronne que son aïeul Louis XIV avait placée sur sa tête. Le prince de Cellamare, ambassadeur d'Espagne, était l'agent accrédité de cette conspiration, dans laquelle la duchesse du Maine avait entraîné quelques grands seigneurs et beaucoup d'intrigans subal- ternes. Tout le secret de l'affaire fut découvert dans les papiers d'un abbé Porto-Carré ro, qu'on arrêta sur la route d'Espagne, il se rendait pour prendre les derniers ordres d' Albéroni.

Le régent dès qu'il fut instruit du complot montra la plus grande vigueur. Il fit arrêter l'ambassadeur de Philippe V ; il fit punir les complices de la duchesse du Maine, puis il déclara la guerre à l'Espagne qui se trouva avoir la France et l'Angleterre sur les bras, l'Angleterre comme signataire du traité de la qua- druple alliance et parce qu' Albéroni avait cherché à y ranimer le parti du prétendant, le prince Charles, auquel il avait offert des secours. Les Espagnols furent partout malheureux ; ils furent battus sur mer par les Anglais, et sur terre par les troupes françaises qui envahirent leur pays, conduites par le maréchal de Bervvick. Ils reçurent aussi des échecs en Amé- rique, où M. de Sérigny fut envoyé avec trois vaisseaux pour s'emparer de Pensacola que l'on trouvait trop rapproché de la Louisiane, et que d'ailleurs l'on convoitait depuis longtemps, parceque c'était le seul port qu'il y eût sur toute cette côte depuis le Mississipi jusqu'au canal de Bahama. Don Jean Pierre Mata- moras y commandait. Attaquée en 1719 du côté de terre par 700 Canadiens, Français et Sauvages, sous les ordres ue M. de Chateauguay, et du côté de la mer par M. de Sérigny, la place se rendit après quelque résistance. La garnison et une

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partie des hab'tans furent embarquées sur deux navires français pour la Havane. Mais ces doux navires étant tombés en route au milieu d'une flotte espagnole, furent enlevés et entrèrent comme prises ils croyaient paraître en vainqueurs.

La nouvelle de la reildition de Pensacola fit une grande sensa- tion dans la Nouvelle-Espagne et au Mexique. Le vice-roi, le marquis de Valero, résolut aussitôt de reprendre cette ville. Il mit pour cela en mouvement toutes les forces de terre et de mer dont il pouvait disposer, et dès le mois de juin don ^ 'phonse Carrascosa paraissait devant ses murs avec 3 frégates, 12 navires et 9 balandres portant 850 hommes de débarquement. A la vue des Espagnols, une partie de la garnison composée de déserteurs, de faux-sauniers et autres gens de cette espèce, passa à l'ennemi et le reste, après s'être à peine défendu, força M. de Chateauguay à se rendre. La plupart de ces misérables entrèrent ensuite au service des Espagnols pendant que les autres jetés pieds et poings liés au fond des vaisseaux étaient emmenés prisonniers. Don Matamoras fut rétabli dans son gouvernement et laissé avec une garnison suflisante.

Après cette victoire, le vice-roi encouragé par la facilité avec laquelle on l'avait remportée, résolut de profiter du succès pour chasser les Français de tout le golfe du Mexique. Carrascosa tourna en conséquence ses voiles vers l'île Dauphine et la Mobile qu'il croyait prendre sans beaucoup de diflicultés ; mais tous ces projets des Espagnols finirent malheureusement. D'abord un détachement des troupes de Carrascosa fut défait par M. de Vilin- ville à la Mobile, ce qui l'obligea d'abandonner l'attaque de cette place ; ensuite il fut repoussé lui-même à Guillory, ilôt de l'île Dauphine autour de laquelle il roda pendant quatorze jours comme un vautour qui épie sa proie. Le brave Sérigny déjoua tous ses mouvemens, quoiqu'il n'eût pas avec lui 200 Canadiens et le même nombre de Sauvages sur lesquels il put compter, le reste de ses forces se composant de soldats mal disposés qu'il osait à peine risquer devant l'ennemi.

Les Espagnols repoussés dans leurs attaques durent s'attendre, suivant l'usage de la guerre, à se voir assaillis à leur tour. En effet, le comte de Champmêlin arriva avec une escadre française pour attaquer Pensacola par mer tandis que Bienville l'attaquerait

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par terre avec ses Canadiens et ses Sauvages. Carrascosa revenu ))oiir proléger la place avait embossé sa Hotte à l'entrée du port et hérissé le rivage de canons ; mais après deux heures et demie de combat, tous ses vaisseaux amenèrent leurs pavillons; et le lendemain, la ville qui avait soutenu une lusillade fort vive toute la nuit avec Bienville, fut obligée de se rendre pour prévenir un assaut. On lit douze à quinze cents prisonniers, parmi lesquels se trouvaient un grand nombre d'olliciers. On démantela une partie des fortifications et on laissa quelques hommes dans le reste.

C'est après cette campagne que le roi crut devoir récompenser les olTiciers canadiens qui commandaient à la Louisiane depuis sa fondation, et aux eflbrts desquels on devait principalement la con- servation de cette colonie ; car les colons européens, concession- naires et autres, périssant de faim ou dé^'oûtés du pays, avaient presque tous déserté, surtout les soldats, pour se réfugier dans les colonies anglaises. Cela avait été si loin que le gouverneur de 'a Caroline avait cru devoir en informer le gouvernement fran.^c s. Les principaux chefs canadiens étaient Bienville, Sérigny, St.- Denis, Vilinville et Chateauguay. " Les colons les plus prospères, dit Bancroft, c'étaient les vigoureux émigrans du Canada qui n'avaient guère apporté avec eux (|ue leur bâton et les vètemens grossiers qui les couvraient." Renommés par leurs mœurs pai- sibles et la douceur de leur caractère dans la paix, ils formaient dans la guerre une milice aussi dévouée qu'elle était redoutable. Louis XV nomma M. de Sérigny capitaine de vaisseau, récom- pense qui était due à sa valeur, à ses talens et surtout au zèle avec lequel il servait l'Etat depuis son enfance, n'ayant acquis ses grades que par quelqu'action d'éclat o\i par quekiue service impor- tant. St. -Denis reçut un brevet de capitaine et la croix de St.- Louis. Chateauguay enfin lut nommé au commandement de St.- Louis de la Mobile. La guerre tirait alors à sa fin. Excitée par un ministre ambitieux, sans motifs raisonnables qui pussentla justifier, elle n'apporta, comme on l'a dit, que des désastres à l'Espagne. La paix signée le 17 février 1720, mit fin à cette querelle de famille. Albéroni disgracié, fut reconduit sous l'es- corte des troupes françaises en Italie, il acheva sa vie dans Pobscuriti', après s'être un instant bercé de l'espoir de changer

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la face du monde. L'on déposa les armes en Amérique comme en Europe, et le port de Peneacola, pour lequel on se battait depuis trois ans, fut rendu aux Espagnols.

La paix avec cette nation fut suivie de près par celle avec les Chicachas et les Natchés, qui avaient profité de la guerre pour commettre des hostilités dans la Louisiane. Ces heureux événe- mens, successivement annoncés, allaient enfin laisser respirer le pays qui ne demandait que du repos, quand un ouragan terrible éclata le 12 septembre 1722, et répandit partout le désespoir et la désolation. La mer gonflée par l'impétuosité du vent, franchit ses limites et déborda dans la campagne brisant tout sur son pas- sage. La Nouvelle-Orléans et Biloxi furent presque renversés de fond en comble.

Jusqu'à cette époque, le gouvernement ne s'était point occupé du soin des âmes dans la Louisiane. Le pieux Charievoix qui arrivait de cette contrée, y appela l'attention de la cour en 1723. Les intérêts de la religion et de la politique, les idées tradition- nelles, le système suivi dans la Nouvelle-France, tout devait recommander ce sujet important au bon accueil des ministres. *< Nous avons vu, observe cet historien, que le solut des Sauvages fut toujours le principal objet que se proposèrent nos rois partout ils étendirent leur domination dans le Nouveau-Monde, et l'expérience de près de deux siècles nous avait fait comprendre que le moyen le plus sûr de nous attacher les naturels du pays, était de les gagner à Jésus-Christ. On ne pouvait ignorer d'ail- leurs qu'indépendamment même du fruit que les ouvriers évan- géliques pouvaient faire parmi eux, la seule présence d'un homme respectable par son caractère, qui entende leur langue, qui puisse observer leurs démarches, et qui sache en gagnant la confiance de quelques-uns se faire instruire de leurs desseins, vaut souvent mieux qu'une garnison ; on peut du moins y suppléer, et donner le temps aux gouverneurs de prendre des mesures pour déconcer- ter leurs intrigues." Cette dernière raison fut sans doute d'un aussi grand poids que la première auprès du voluptueux régent et d'une partie des membres de la compagnie des Indes, à cette époque d'indifférence et d'incrédulité. Des Capucins et des Jésuites furent envoyés pour évangéliser les Indigènes, surtout pour les disposer favorablement envers les Français.

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L'an 1726 fut le dernier de l'administration deBienville, admi- nistration rendue si difficile et si orageuse par les désastres des systèmes de Crozat et de Law. Ces désastres n'empêchèrent pas néanmoins les Français de se maintenir dans le pays et de triompher dans la guerre avec les Espagnols. Lorsque Perrier, lieutenant de vaisseau, arriva au mois d'octobre pour remplacer BienviUe, qui passait en France, il trouva la Louitjiane assez tranquille ; mais elle devait s'empresser de jouir, car il se formait déjà dans le silence des forêts et les conciliabules des barbares un orage beaucoup plus terrible que tous ceux qu'elle avait eu à tra- verser jusqu'à ce jour, et qui devait l'ébranler encore plus pro- fondément sur sa base si fragile.

La compagnie d'Occident avait fait place à la compagnie des Indes, créée en 1723, et dont le duc d'Orléans s'était fait déclarer gouverneur. " Le privilège embrassait l'Asie, l'Afrique et l'Amé- rique. On voit dans les délibérations de cette association, com- posée de grands seigneurs et de marchands, paraître tour~à-tour l'Inde, la Chine, les comptoirs du Sénégal, de la Barbarie, les Antilles et le Canada. La Louisiane y tient un rang principal." Mais " on cherche en vain dan^ ses actes les traces du grand dessein colonial formé par le gouvernement. On trouve presqu'à chaque page des nombreux registres qui contiennent les délibé- rations de l'association, des tarifs du prix assigné au tabac, au café et à toutes les denrées soumises au privilège. Ce sont des dis- cours prononcés en assemblée générale pour exposer l'état floris- sant des affaires de la compagnie, et on finit presque toujours par proposer des emprunts qui seront garantis par un fonds d'amor- tissement. Mais l'amortissement était illusoire ; les dettes s'ac- cumulèrent au point que les intérêts ne purent être payés, même en engageant les capitaux. Des bilans, des faillites, des litiges, et une multitude de documens, prouvent que les opérations, rui- neuses pour le commerce, ne furent profitables qu'à un petit nom- bre d'associés.

" Rien d'utile et de bon ne pouvait en effet résulter d'un tel gouvernement. Une circonstance prise parmi une foule d'autres, fera juger jusqu'où purent être portés les abus.

" Le gouverneur et l'intendant de la Louisiane étaient, par leurs fonctions, comme interposés entre la compagnie et les habi-

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tans pour modérer lefi prétentions réciproques et empêcher l'op- pression. Mais ces magistrats étaient nommés par lea sociétaires eux-mêmes. On lit dans les actes, que j)ou?- attacher aux inté- rêts de la compagnie le gouverneur et Vintendant, il leur est assigné des gratijkations annuelles et des remises sur les envois de denrées en France. Les suites de ce régime furent funestes à la Louisiane sans enrichir les actionnaires."

C'est pendant que toutes ces transactions occupaient la compa- gnie et qu'elles avaient leur contrecoup dans la colonie, que les nations indigènes depuis l'Ohio jusqu'à la mer,formèrent le complot de massacrer tous les Français répandus au milieu d'eux. Il fallait peu d'elforts pour faire prendre les armes aux Sauvages du Mis- sissipi contre les Européens, qu'ils regardaient comme des étran- gers incommodes et exigeans, ou plutôt comme des ennemis qui, parlant au nom de l'autel et de la civilisation, prétendaient avoir droit à leur pays, et les traitaient sérieusenient de rebelles s'ils osaient le défendre, car la religion n'a encore pu jusqu'à présent, dominer les nations comme les individus, et les droits moraux des premières sont nulles en pratique en comparaison des derniers. D'abord ces Européens se conduisirent bien envers les naturels, qui les reçurent à bras ouverts ; mais à mesure qu'ils augmen- taient en nombre, qu'ils se fortifiaient au milieu d'eux, leur lan- gage devenait plus impératif ; ils commencèrent bientôt à vouloir exercer une suprématie réelle et complète malgré les protestations des Indiens. Il en fut ainsi parvout ils s'établirent, c'est-à- dire ils ne furent pas obligés de s'emparer du sol les armes à la main. Les Français, grâce à la franchise de leur caractère, furent toujours bien accueillis et en général toujours aimés des Sauvages. Ils ne trouvèrent d'ennemis déclarés que dans les Iroquois et les Chicachas, qui ne voulurent voir en eux que les alliés des nations avec lesquelles ils étaient eux-mêmes en guerre. Les Français en effet avaient constamment pour politique d'era- brasser la cause des tribus au milieu desquelles ils venaient s'é- tablir.

On sait avec quelle jalousie les colonies anglaises les voyaient s'étendre le long du St.-Laurent et sur le bord des grands lacs. Cette jalousie n'eut plus de bornes lorsqu'elles les virent prendre possession de l'immense vallée du Mississipi. Les Chicachas se

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présentèrent ici, comme les Iroquois sur le St.-Laurent, pour ser- vir leur politique. Elles se mirent à leur inspirer par leurs pro- pos des sentimens de défiance et de haine contre les Français ; elles les peignirent comme des traitans avides, des voisins ambitieux, qui les dépouilleraient tôt ou tard de leur territoire. Petit à petit la crainte et la colère se glissèrent dans le cœur de ces Sauvages naturellement altiers et farouches, et ils résolurent de se défaire une bonne fois de ces ambitieux étrangers, qui semblaient justifier tous les rapports qu'on leur faisait, en augmentant chaque jour le nombre de leurs établissemens. Ils formèrent un complot dont l'exécution demandait un secret inviolable, une dissimulation pro- fonde, une prudence incessante et l'alliance d'un grand nombre de tribus, pour frapper les victimes dans tous les lieux à la fois par la main de la nation même au milieu de laquelle elles pour- raient se trouver. Plusieurs années furent employées pour mûrir et étendre la conjuration. Les Chicachas n'en avaient point fait part à ceux qui étaient trop attachés aux Français comme les Illinois, les Arkansas, les Tonicas, etc., n'espérant point les entraîner avec eux. Toutes les autres tribus y étaient entrées et devaient frapper le même jour et à la même heure dans toute l'étendue du pays.

Les Français ignorant ce qui se passait, ne songeaient qu'à jouir de la tranquillité apparente qui régnait. Les conjurés redou- blaient d'attention pour eux afin d'augmenter leur confiance et leur sécurité. Les Natchés ne cessaient pas de leur répéter qu'ils n'avaient point d'alliés plus fidèles ; les autres nations en faisaient autant ; c'était un concert continuel d'assurances d'amitié et de dévouement. Bercés par ces protestations perfides, les Français sans soupçon dormaient sur un abîme. Heureusement, la cupidité des Natchés et l'ambition d'une partie des Chactas, une des plus nombreuses nations de ce continent, voulant tirer parti trop tôt de la catastrophe, trahirent une trame si bien ourdie et la dévoilèrent avant qu'elle put s'exécuter complète- ment.

Le jour et l'heure du massacre avaient été pris. Le plus grand établissement français était chez les Natchés, M. de Chepar commandait. Quoique cet officier se fût brouillé avec les naturels, ceux-ci protestaient avec cette dissimulation dont Hb

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ont pousse Tart si loin, qu'ils étaient ses plus fiJèles amis, et ils l'en avaient s: bien persuadé, que, sur des bruits sourds de l'existence de quelque complot, il fit mettre aux fjrs sept habitans qui avaient demandé à s'armer puur éviter toute surprise ; il porta par une étrange fatalité, la confiance jusqu'à recevoir les Indiens dans le f rt et leur permettre de se loger chez les colons et môme dans sa propre maison. On ne voudrait pas croire à une pareille con- duite, ai Charlevoix ne nous l'attestait, tant elle est contraire à celle que/ es Français avaient pour règle constante de tenir avec les Sauvages.

Les conspirateurs, sous divers prétextes, venaient prendre les postes qui leur avaient été assignés au milieu de leurs victimes. Pendant qu'ils attendaient ainsi distribués 1" jour de l'exécution, des bateaux arrivèrent aux Natchés chargés de marchandises pour !a garnison et pour les habitans. L'avidité des barbares lut excitée ; leurs yeux s'allumèrent à la vue de ces richesses et ils ne purent tenir à l'amour du pillage. Oubliant que leur précipi- tation allait compromettre le massacre général, ils résolurent de frapper sur le champ, afin de s'emparer des cargaisons avant la di.stribution. Pour s'armer ils prétextèrent une chasse voulant présenter, disaient-ils, du gibier au commandant pour fêter les hôtes qui venaient de lui arriver; ils achetèrent des fusils et des munitions des habitans et, le 28 novembre 1729, ils se répan- dirent de grand matin dans toutes les demeures en publiant qu'ils partaient pour la chasse, et en ayant soin d'être partout plus nom- breux que les Français. Pour pousser le déguisement jusqu'au bout, ils entonnèrent un chant en l'honneur de M. de Chepar et de ËCs hôtes. Alors il se fil un moment de silence puis trois coups de fusil retentirent successivement devant la porte de ce commandant. C'était le signal d i massacre. Les Sauvages fon- d. rjnt partout sur les Français, qui, surpris sans armes et disper- sés au milieu de leurs assassins, ne purent opposer aucune résis- tance ; ils ne se défendirent qu'en deux endroits. M. de la Loire des Ursins, commis principal de la compagnie, attaqué à peu de distance de chez lui, tua quatre hommes de sa main avant de succomber. A son comptoir, huit houimes qu'il y avait laissés, eurent le temps de prendre leurs armes j ils se défendirent fort lon|{^emp8, mais, ayant perdu six de» leurs, lea survivana c4u»*

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sirent à s'échapper ; les Natchés eurent huit hommes de tués dans cette attaque. Ainsi leurs i)ertes se bornèrent à une douzaine d'hommes tant leurs mesures avaient été bien prises. En moins d'un instant deux cents personnes de tout âge et de tout sexe périrent dans cette boucherie. Une vingtaine seulement, la p'u- part blessés, avec quelques nègres se sauvèrent; 60 femmes, l')0 enfans et presqu'autant de noirs restèrent prisonniers, une partie pour périr dans les tourmens.

Pendant le massucre, le chef des Natchés, était assis sous le hangard à tabac de hi compagnie attendant tranquillement la fin de cette terrible tragédie. On lui apporta d'abord la tête de M. de Chepar, qui fut placée devant lui, puis celles des princi- paux Français qu'il fit ranger autour, enfin les autres qu'il fit mettre en piles. De temps en temps on recommençait le mas- sacre. On ouvrit le t'.ein des femmes enceintes, on égorgea presque toutes celles qui avaient des enfans en bas âge, parcequ'elles importunaient par leurs cris et leurs pleurs; les autres furent jetées en esclavage et exposées à toute la brutalité de ces barbares couverts du sang de leurs pères, de leurs maris ou de leurs enfans. On leur dit que la même chose s'était passée dans toute la Louisiane et que les Anglais allaient venir prendre leur place.

Tel fut le massacre du 28 novembre. Raynal raconte diffé- remment la cause qui fit avancer son heure, mais sa version quoique plus romantique semble par cela même moins probable. D'ailleurs le témoignage de l'historien de la Nouvelle-France mérite ici le plus grand poids. Contemporain des événemens dont il venait de visiter lui-même le théâtre, et ami du ministère qui a lui donner communication de toutes les pièces, il a été plus qu'un autre en état d'écrire la vérité.

La nouvelle de cette catastrophe répandit la terreur dans toute la contrée. Le gouverneur Perrier en fut instruit le 2 décembre à la Nouvelle Orléans. Il fit partir aussitôt un officier pour avertir les habitans, sur les deux rives du Mississipi, de se mettre en garde, et en môme temps pour observer les petites nations épar- pillées sur les bords de ce fleuve.

Les Chactas, qui n'étaient entrés dans le complot que pou- profiter du dénoûment, ne bougèrent point. Les Natchés qui

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ignoraient la haine que cette nation ambitieuse leur portait et qui auraient déjà été détruits ou asservis par elle sans la crainte des Français qui l'avaient arrêtée quelques années auparavant,8'étaient laissés tromper par ses insinuations perfides. Avec une politique astucieuse mais profonde, les Chactas les avaient encouragés dans leur complot pour les mettre aux prises avec les Européens, se faire appeler ensuite au secours de ceux-ci et avoir par l'oc- casion de se défaire plus facilement d'eux. L'événement justifia leur calcul.

Perrier n'avait pas pénétré d'abord cette politique ténébreuse, et quand bien même il l'aurait fait, cela ne l'aurait pas empêché de se servir des armes des' Chactas pour venger l'assassinat des siens. La plupart des autres tribus qui avaient pris part au complot, voyant le secret éventé et les colons sur leurs gardes, ne remuèrent point. Celles qui s'étaient compromises durent s'at- tendre à éprouver toute la vengeance des Français, et en effet elle? ne demandèrent point de quartier. Les Yasous, qui avaient, au début de l'insurrection, surpris le fort qui était au milieu d'eux et égorgé les dix-sept Français qui s y trouvaient, furent exter- minés. Les Corrois et les Tioux subirent le même sort. Les Arkansas, puissante nation de tout temps fort attachée aux Fran- çais, étaient tombés sur les premiers et en avaient fait un massa- cre général ; ils poursuivirent après cela les Tioux et avec tant d'acharnement qu'ils les tuèrent jusqu'au dernier. Ces événe- mens, la réunion d'un corps d'hommes armés aux Tonicas, les travaux de campagne et les retranchcmens exécutés autour des concessions, tranquillisèrent un peu les colons, dont la frayeur avait été si grande, que Perrier s'était vu obligé de faire détruire par des nègres une trentaine de Chaouachas qui demeuraient au- dessous de la Nouvelle-Orléans, et dont la présence faisait trem- bler celte ville !

Après ces premières opérations et les mesures adoptées pour la sûreté des habitans, Perier fit monter deux vaisseaux de la compagnie aux Tonicas, et forma sur ce point pour attaquer les Natchés, une petite armée dont il donna le commandement au major Loubois, n'osant point encore quitter lui-même la ville le peuplp ayant quelques appréhensions sur la fidélité des noirs. Toutes ces démonstrations avaient fait déjà rentrer dans les inlé-

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rets des Français, les petites nations du Mississlpi, qui s'en étaient détachées. Dès lors l'on put compter sur des alliés nombreux ; on n'avait jamais douttî de l'affeciion des Illinois, des Arkansas, des Oflagoulas, des ToP'ci's, et l'on était sûr maintenant des Nat- chitoches qui n'avaient point inquiété St.-Denis, et des Chac- tas tout en armes contre les Nat^nés. La Louisiane était sau- vée.

Cette nouvelle attitude dans les affaires était due à l'énergie de son chef. Il écrivait au ministère le 18 mars 1730 : " Ne jugez pas de mes forces par le parti que j'ai pris d'attaquer nos enne- mis; la nécessité m'y a contraint. Je voyais la consternation partout et la peur augmenter tous les ^ours. Dans cet état j'ai caché le nombre de nos ennemis et fait croire que la conspiration générale était une chimère, et une invention des Natchés pour nous empêcher d'agir contre eux. Si j'avais été le maître de prendre le parti le plus prudent, je me serais tenu sur la défen- sive et j'aurais attendu des forces de France pour qu'on ne pût pas me reprocher d'avoir sacrifié 200 Français de 5 à 600 que je pouvais avoir pour le bas du fleuve. L'événement a fait voir que ce n'est pas toujor'-s le parti le plus prudent qu'il faut prendre. Nous étions dans un cas il fallait des remèdes violens, et tâcher au moins de faire peur si noufj ne pouvions pas faire de mal." ♦■

Loubois était auxTonicas avec les forces destinées à agir contre l'insurrection. La mauvaise composition des troupes qui ser- vaient malgré elles et ne subissaient qu'avec peine le joug de la discipline, apporta dans ses mouvemens une lenteur qui était d'un mauvais augure. Lesueur arrivant à la tète de 800 Chactas, ne le trouvant point aux Natchés, attaqua seul ces Sauvngcs et remporta sur eux une victoire complète. Il délivra plus de 200 Français ou nègres. L'ennemi battu se relira dans ses places fortifiées devant lesquelles Loubois n'arriva que le 8 février, et alla camper autour du Temple du Soleil. Le siège fut mis devant deux forts qu'on attaqua avec du canon, mais avec tant de mol- lesse, que le temps de leur reddition paraissait très éloigné. Les Chactas fatigués d'une campagne qui durait déjà depuis trop longtemps à leur gré, menacèrent de se retii r. Ils savaient qu'on ne pouvait rien entreprendre sans eux, et ils affectaient en

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conséquence une grande indéponJancc. Il fnllut accepter les conditions qu'ollVaient lea assiégés, et se contenter des prison- niers qu'ils avaient en leur possession. Dans toute la colonie cette conclusion de la campagne fut regardée comme un échec, et attira un blàme sévère au gouverneur. Pcrrier écrivit à la cour pour se justifier, que les habitans commandés par MM. d'Arembourg et de Laye avaient montré beaucoup do bravoure et de bonne volonté, mais que les soldats s'étaient fort mal con- duits ; qu'il était bien vrai que les assiégés étaient réduits à !a di>rniére extrémité, et que deux jours de plus on les aurait eus la corde au cou ; mais qu'on se voyait toujours au moment d'ôtre abandonné par les Cbactali, et que leur départ aurait exposé les Français à recevoir un échec et à voir brûler leurs femmes, leurs eiifans et leurs esclaves comme ils en étaient menacés par les Sîiuvages. Cependant les Chicachas qui tenaient toujours les fili de la trame, et qui avaient voulu engager les Arkansas et noî autres alliés à entrer dans la conspiration, ne levaient point le voile qui les cachait encore ; ils se contentaient de faire agir secrètement leur influence. Les Chacias eux-mêmes, quoique toujours sollicités vivement par les Anglais, qui accompagnaient leurs démarches de riches présens, refusèrent de se détacher des colons de la Louisiane, et jurèrent une fidélité inviolable à Per- rier, qui s'était rendu à la Mobile pour s'aboucher avec eux et contrecarrer l'effet de ces intrigues. Les secours arrivés de France avaient du reste beaucoup contribué à raffermir et rendre plus humbles ces Sauvages, qui se regardaient avec quelque espèce de raison comme les protecteurs de la colonie.

En même temps la retraite de M. de Loubois avait élevé l'or- gueil des Natchés, qui montraient depuis lors une hauteur olTen- snnte. Il était aisé de voir qu'il faudrait bientôt mettre un frein à leur ardeur belTuiueuse. Comme à tous les Indiens, un succès ou un demi-succès 'eur taisait concevoir les plus folles espé- rances; parceque leurs forteresses n'avaient pas été prises, ils croyaient faire fuir les Français devant eux comme une faible tribu. Celte erreur fut la cause de leur perte ; ils commirent des hostilités qui leur attirèrent sur les bras une guerre mortelle. Le gouverneur forma avec los renforts qu'il avnit reçus et les milices un uurps d'environ bOO hommeS; qu'il assembla dans le m^is de

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décembre à Boj'agoiilag. Il remonta le Mississipi sur tlea berges el parvint jusque sur la rivière Noire, qui se décharge dans la rivière Rouge à dix lieues de son embouchure, dans le sein même do leur pays. A la première nouvelle de sa marche, la division se mit parmi les malheureux Natchés. Au lieu de réunir leurs guerriers ils les dispersèrent ; \me partie alla chez les Chicachas, une autre resta aux environs de leur ancienne bourgade. Quel- ques-uns se retirèrent chez les Ouatchitas, un plus grand nombie s'éparpilla dans le pays ()ar bandes, ou se tint à quelques jour- nées de distance ; le reste enfin avec le Soleil et les autres prin- cipaux chefs se renferma dans le fort devant lequel les Français vinrent asseoir leur camp. Intimidés par les seuls apprêts de l'attaque, ils demandèrent à ouvrir des conférences. Perrier retint prisonniers les chefs qu'on lui députa pour parlementer, et surtout le Soleil, qu'il força d'envoyer un ordre aux siens de sor- tir de la place sans armes. Les Natchés refusèrent d'abord d'obéir à leur chef privé de sa liberté ; mais une partie s'étant ensuite rendue à ses ordres, les autres, voyant tout perdu, ne songèrent pais qu'à saisir l'occasion d'échapper; ce qu'ils effec- tuèrent en profitant d'une nuit tempétueuse pour sortir du fort avec les femmes et les enfans et se dérober à la poursuite des Français.

Peri'ier de retour à la Nouvelle-Orléans, envoya en esclavage à St.-Domingue tous ceux qu'il ramenait prisonniers avec leur grand chef, le Soleil, dont la famille les gouvernait depuis un temps immémorial et qui mourut quelques mois après au cap Français. Cette conduite irrita profondément les restes de cette nation orgueilleuse et cruelle, à qui la haine et le désespoir don- nèrent une valeur qu'on ne leur avait point encore connue. Ils coururent aux armes, ils se jetèrent sur les Français avec fuLeur, ils combattirent vaillamment ; mais ce désespoir ne fit qu'honorer leur chute et révéler du moins un noble cœur. Ils ne purent lutter longtemps contre leurs vainqueurs, et presque toutes leurs bandes furent détruites. St.-Denis leur fit essuyer la plus grande défaite qu'ils eussent éprouvée depuis leur déroute par Lesueur. Tous les chefs y périrent. Après tant de pertes ils disparurent comme nation. Ceux qui avaient échappé à la servitude ou au feu se réfugièrent chez lea Chicachas auxquels ils léguèrent leur haine

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et leur vengeance. Ainsi finit une guorre qui amena une révolution dans les affaires de la compagnie des Indos, et qui fit rétrocéder au roi la Louisiane et le pays des Illinois en

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CHAPITRE II.

LIMITES. 1713-1744.

Etat du Canada : commerce, finances, justice, éducation, divisions parois- siales, population, délienscj. i'Ian de M. de Vaudreuil pour l'accroisse- ment du pays. Déliniitatior des frontières entre les colonies françaises et les colonies anglaises. Perversion du droit public dans le Nouveau- jMonde au sujet du territoire. Kivalilé de la France et de la Graride- Bretajjne. Différends relatifs aux limites de leurs posse^i'^ns. Frontière de l'Est ou de l'Acadie.— Territoire des ALénaquis. Les Américains veulent s'en emparer.— Assassinat du P. Rasie.— Le P. Aubry propose une ligne tirée de Beaubassin à la source de l'Hudson.— Front ère de l'Ouest. Piincipes diflérens invoqués par les deux nations; ellesé ablis- sent des torts sur les territoires lédamés par chacune d'elles réciprocjue- mtnt.— Luttes d'emplétemens ; pié;entions des colonies anglaises; elles veulent accaparer la traite des Indiens Plan de M . Burnet. Le commerce est défendu avec le Canat'.a. Ktablissemens de Niagara par les Français et d'JOswé^o par les Anglais. Plaintes mutuelles (ju'ils s'adressent. Fort St.-FiéJéiic élevé par M. de la Corne sur le lac Champlain ; la contestation dure jus(]u'à la guerre de 1744.— Progiès du Canada. Emi- gration ; perte du vaisseau le Cliameau. Mort de M de Vaudrt-uil (1725); qualités de ce gouverneur.— M. de Beauharnoii lui succède. M. Dupuy, intendant.— Son caractère. M. de St. Vallier second é.ê^ue de Québec meurt; difficultés qui s'élèvent relativement à son s.ége, portées devant le Conseil suj.érieur Le clergé récuse le pouvoir civil. -- Le gouverneur se rallie au parti clérical. Il veut interdire le conseil, qui repousse ses piélentions.— Il donne des lettres de cachet pour exiler ''"ux membres. L'intendant fait défense d'obéir à ces lettres. Décision du roi. Le cardinal de Fleury premier ministre. M. lupuy est rappelé. Conduite humiliante du Conseil. Mutations diverses du siège épiscopal jusqu'à l'élévation de M. de Pontbriant. Soulèvement des Outagamis (1728) ; expéuition des Canadiens ; les Sauvages se soumettent. Voyages de découverte vers la mer Pacifiqu'ï ; celui de M. de la Vérandrye en 1738 ; celui de MM. Legardeur de St. -Pierre et Marin quelques 2->nées apiés ; peu de succès de ces entreprises. Apparences de guerre ; M. de Beauharnois se prépare aux hostilités.

Nous revenons maintenant au Canada dont nous reprenons l'his- toire en 1715. Après une guerre de vingt-cinq ans, qui n'avait été interrompue que par quatre ou cinq ie paix, les Canadiens avaient suspendu à leurs chaumières les armes honorées parleur courage à la défense de leur patrie, et ils avaient reprit paisible-

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ment leurs travaux champêtres abandonnés déjà tant de fois. Beaucoup d'hommes étaient morts sous les drapeaux. Un plus grand nombre encore avaient été achominos vers les dillérens postes établis sur les grands lacs et dans la vallée du Mississipi, d'où ils ne revinrent jamais. Cependant malgré ces pertes et les troubles du temps, malgré surtout la nullité de l'émigration de France, quelques comraerçans par-ci par-là avec quelques rares soldats formant tout ce qui ^'cn'iit d'outre-mcr, le chilfrcdes habi- tans n'avait pas cessé de s'élever «ïraduellement. Après la guerre, il dut augmenter encore plus rapidement, et en effet, sous la maiu douce et sage de M. de Vaudreuil, le pays faisait en tout, et par ses seuls eflbrts, des progrès considérables. Ce gouverneur, qui revint d'Europe en 1716 il avait passé deux ans, et cpii apporta dans la colonie la nouvelle de la mort de Louis XIV et l'ordre de proclamer son successeur, s'applitjua avec vigilance à guérir les maux du passé. Conduisant avec précaution les négociations avec les Iroquois, comme on l'a vu ailleurs, il désarmait ces barbares et les détachait tout-à-fait dos Anglais, en achevant do les persuader que leur intérêt était de rester neutres dans les grandes luttes des blancs qui les entouraient partout. C'était assurer la tranquillité des Canadiens, (]ui purent dès lors se livrer à l'agriculture et au commerce, libres de toutes les distractions qui avaient jusqu'ici si souvent troublé leurs entreprises. Aussi à aucune autre époque, excepté sous l'inlendance de Talon, le commerce ne fut-il l'objet de tant desollicituile, de tant de décrets pour le régulan^•er de la part du ])ouv(tir, décrois fortement empreints si l'on veut des idées du temps, d? cet esprit exclusif qui a caractérisé la politique des mélro])oles, mais qui aiuionçaient du moins qu'on s'en occupait.

Un des grands embarras cjui ne cessaient point de paralyser l'nction du gouvernement, était le désordre îles finances si étroi- tement liées dans tous les pays au nétroce. Les questions les plus difficiles à régie/ sont les (luestions (rament, sm'tout lorsi|ue le crédit est ébranlé ou détruit. Aujourd'liui les besoins du luxe et des améliorations sont si grands, si pressans, l'argent est si abondant et en même temps si concentré (]ue les capitalistes courrcnt d'eux-mêmes au-devant des cmpriuiteurs jiour leur four- ftir dea fonds qui ne leur sejont peut-être jamais rendus ; ils ne

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dermndenl que la garnntic de l'intérêt ; et l'adresse des financiers consiste à trouver le secret d'en payer un qui soit le plus bas pos- sible. A Pépoque nous sommes parvenus, il n'en était pas ainsi ; les capitaux étaient craintifs et exigeans, le crédit pul)lic en butte à toutes sortes d'abus était presque nul, surtout en France. De les ditlîcullés que rencontrait l'Etat depiiis quelques années, et qui précipitèrent la révolution de 89. La Canada soulTrait encore plus que le reste du royaume de cette pauvreté de plus en plus funeste. Détenteur d'une monnaie de cartes que la métropole, sa débitrice, était incapable de racheter, il fut obligé de sacrifier la moitié de sa créance pour avoir Tautre, ne pouvant attendre. L'ajustement de cette affaire dont nous parlerons plus en détail ailleurs, prit plusieurs années et fut une des questions dans lesquelles la dignité du gouverneur comme représentant du roi, eut le plus à souffrir.

La chose dont le Canada avait le plus de besoin après le règle- ment du cours monétaire, c'était la réforme de l'organisation intérieure rendue nécessaire par l'accroissement du pays. Les lois demandaient une révision, le code criminel surtout qui admettait encore l'application de la question, quoique pour l'hon- neur de nos triijunaux, ils eussent rarement recours à une pra- tique (jui déshonorait à la fois l'humanité et la raison, et qui était en usage alors dans presque toutes les contrées de l'Furope. E'.le existait cependant dans notre code, on pouvait s'en prévaloir, et on le fit jusque dans les dernières années de la domination française.* L'éducation était aussi un des objets les plus essen-

l'rocétiures judiciaires déposées aux archives provinciales. Entre autres cas, nous avons remarqué ceux d'Antoine Halle et du nommé Gaulet, accu- sée de vol en 1730, et celui de Pierre Beaudoin dit Cumberland, soldat de la compagnie de Lacorne, accusé d'avoir mis le feu aux Trois-Riviéres en 1752. Ce dernier l'ut déshabillé et mis dans des brodequins, espèce de torture qui consistait à comprimer les jambes. Le nombre des questions à faire était fixé, et à chacune d'elles le supplice augmenté. M. Faribault s'occupe à recueillir quelques-unes de ces procédures, et à les mettre en ordre pour les conserver. Rien ne sera plus propre ù l'étude de la jurisprudence cri- minelle sous le régime français, que ces pièces authentiques. Elles révéle- ront à un homme de loi les qualités bonnes ou mauvaises de cette juris- prudence. Si le volume des écritures est un signe de sa bonté, on peut dire vraimeut que le droit criminel qui régissait nos ancêtres était un des plus parfaits.

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tiels dont on pouvait s'occuper. En 1722, M. de Vaudreuil éta- blit hi'< maîtres d'éco'e en dllFércns endroits du pays pour con- tribuer à l'enseignement avec les Jés^uites et les Réi-ollcts. L'agri- culture exigeait également des améliorations. Enfin les fortifi- cations de Québec, commencées par MM. de Beaucourt et Levasscur, et disconlinuées pour vice dans les plans, furent reprises en 1720 sur ceux de M. Cbaussegros de Léry, ingénieur, approuvé par le bureau de la guerre. Deux ans après on résolut de ceindre Montréal d'un mur de pierre avec bastions, dépense (]ue l'état des finances du royaume obligea de faire supporter en partie par les habitans et les seigtieurs de la ville.

M. de "audreuil, après avoir terminé les négociations avec les canlon^ , et l'affaire du papier-mor'""'e, décréta une nouvelle divi- sion paroissiale de la partie établie du pays, déjà partagée en trois gouvernemens : Québec, Trois-Rivières et Montréal. On V forma quatrevingt-deux paroisses, dont quarante-huit sur la rive gauche du St.-Laurent et trente-quatre sur la rive droite. La baie St. -Paul et Kamouraska étaient les deux dernières à l'est, l'Ile-du-Pada et Chateauguay à l'ouest. Cette importante entreprise fut consommée en 1722 par un arrêt du conseil d'état enregistré à Québec.

Une autre mesure se rattachait à la division territoriale, la confection d'un recensement. L'on comptait, d'après celui de lt)79, 10,000 âmes alors dans toute la Nouvelle-France, dont 500 seulement en Acadie ; et 22,000 arpens de terre en culture. Huit ans plus tard, cette population n'avait subi qu'une augmentation de 2,300 âmes. M. de Vaudreuil voulant réparer un oubli, ordonna de faire un recensement tous les ans pendant quelques années avec toute la précision possible. L'on trouva par celui de 1721, 25,000 habitans en Canada, dont 7,000 à Québec et 3,000 à Montréal. 62,000 arpens de terre en labour et 12,000 en prairies. Le rendement de ces 62,000 arpens de terre atteignait un chiffre considérable ; il fut dans l'année pré- citée de 282,700 minots de blé, de 7,200 de maïs, 57.4.00 de pois, 64,000 d'avoine, 4,500 d'orge ; de 48,000 livres de taiiac, 54,600 de lin et 2,100 de chanvre, en tout 416,000 minots de grain ou 6 3 minots par arpent, outre 1 s livre de tabac, lin ru

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clianvre. Les animaux étaient portés à 59,000 têtes, dont 5,600 chevaux.

Ce dénombrement montrait que près de la moitié de la popu- lation habitait les villes, signe que Tagriculture était fort né-fligée. Le total des habilans faisait naître aussi, par son faible chiflfie.de pénibles réflexions. Le gouverneur qui prévdyait tous les dan- gers du voisinage des provinces américaines, dont la force numé- rique devenait de plus en plus redoutable, appelait sans cesse l'attention de la France sur C3 fait qu'elle ne devait plus se dissi- muler. Dès ni^, il écrivait à M. de Pontchartrain : " l.e Ca- nada n'a actuellement que 4,484' habitans en état de porter les armes depuis l'âge de cpiatorze ans justprà soix.. i, et les vingt- huit compagnies des troupes de la marine que le roi y entretient, ne font en tout que six cent vingt-huit soldats. Ce peu de monde est répandu dans une étendu î de cent lieues. Les colonies anglaises ont soixnn'e mille hommes en état do porter les armes, et on ne peut douter qu'à la première rupture, elles ne fassent un grand elTort p.ur s'emparer du Canada, si l'on fait réflexion qu'à l'artic'e XXII des instructions données par la ville de Londres à sea députés au prochain parlemen), il est dit qu'ils demanderont aux ministres du gouvernement précédent, pour(]uoi ils ont laissé à la France le Canada et l'île du Cap-Breton?" Dans son désir d'augmenter la population, il proposa inutilement de faire du Ca- nada une colonie pénale.

Le voluptueux Louis XV, livré aux plaisirs et à un commerça d'esprit puéril, répondit aux remontrances de Vaudreuil en fai- sant quelques efl'orts qui cessèrent bientôt tout-à-fait; il envova à peine quelques émigrans, et les fortiflcations entreprises aux deux principales villes du pays, restèrent incomplètes au point que Montcalm, trente ans après, n'osa passe retirer derrière celles de Québec avec son armée, quoiqu'elles eussent encore été aug- mentées. En 17'28 le gouverneur proposa de bâtir une citadelle dans cotte capitale ; on se contenta de lui répondre : " Les Cana- diens n'aiment pas à combattre renfermés ; d'ailleurs l'Etat n'est pas capable de faire cette dépense, et il serait dilficile d'assiéger Québec, dans les formes et de s'en rendre maître."

Pourtant dans le moment même un sujet qui dominait tous les autres, et qui devait être tôt ou tard une cause de guerre, inquié-

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tait beaucoup le gouvernement ; la question des frontières était toujours pendante avec l'Angleterre. Les ministres y revenaient ff;quemment et ave«'- une préoccupation marquée. On avait d'immenses contrées à défendre, qui se trouvaient encore sans hahitans ; et les questions de limites, on le sait, sont les plus diffi- ciles et les plus délicates à régler, et si elles traînent en Umgueur, elles s'embrouillent de plus en plus. Le langas^e de Ang'ais s'élevait tous les jours avec le chiffre de leur populo ion coloniale. Leur politique, comme celle de tous les gouvernemens, ne comptait qu'avec les obstacles : la justice entre les nations est une chose arbitraire qui procède de l'expédience, de l'intérêt, ou de la force ; ses régies n'ont d'autorité qu'autant que la jalousie des divers peuples les uns contre les autres veille au maintien de l'équilibre de leur puissance respective ; elle a pour base enfin la crainte ou le glaive.

La grandeur des projets de Louis XIV sur l'Amérique avait, comme ceux qu'il avait formés sur l'Europe, effrayé l'Angleterre, qui chercha à les faire avorter, ou à se les approprier s'il était possible. Elle disputa aux Français leur territoire, h^ur influence, la traite des pelleteries: elle leur disputa aussi l'alliance des Indiens. Si la période qui s'est écoulée de 1715 à IT-ti, n'est pas encore une période de guerre ouverte, elle e t une époque de lutte politique et commerciale extrêmement vi à laquelle des intérêts de jour en jour plus impérieux, ne laissent point voir de terme. Dans les premières années de l'établissement de l'Amérique, les questions de frontières et de rivalité mercantile n'avaient pas encore surgi ; on ne connaissait pas comme on l'a déjà observé, toute l'étendue des pays dont on prenait possession, et il ne se faisait aucun commerce entre eux. Mais au bout d'un siècle et demi, les étab!issemens français, anglais, espagnols avaient déjà pris assez d'extension pour se toucher sur plusieurs points, et pour avoir besoin par cela môme de l'alliance ou des déj'ouilles des Indigènes, pour faire iriompher les prétentions ririivelles qu'ils annonçaient réciproquement chaque jour. Les lois internationales, violées dès l'origine dans ce continent par lea Européens, y étaient partout méconnues et sans force. Après que le pape se fut arrogé le droit de donner aux chrétiens lea terres dea infidèles, tout frein fut rompu ; car quel respect pou-

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vait-on avoir pour un principe qu'on avait foulé au pied dès le premier jour dans le Nouveau- Monde en s'emparant degré ou de force d'un sol qui était déjà possédé par de nombreuses nations. Aussi l'Amérique du Nord présenta-t-elle bientôt le spectacle qu'olTrit l'Europe dans la première moitié de l'ère chré- tienne; une guerre sans casse renaissante s'alluma entre les Européens pour la possession du sol.

Dans un tel état de choses rien d'étonnant qii'ils eussent une répugnance extrême à se lier par un droit public quelconque;, on reconnaissant certains principes qui pussent servir de guide dans la délimitation de leurs territoires respectifs; mais il ne purent éviter d'en avouer quelques uns, car la raison humaine a besoin de suivre certaines règles même dans ses plus grands écarts. Quoique ces principes fussent peu nombreux et môme peu stricts, on voulut encore souvent s'en affranchir. Après avoir reconnu que la simple découverte donnait le droit de propriété, ensuite que la prise de possession ajoutée à la découverte, était néces- saire pour conférer ce droit, on s'airêta à ceci, que la possession actuelle d'un territoire, auparavant inoccupé, inv^^stissait seule du droit de propriété. L'Angleterre et la France adoptèretit à p. ni près cette interprétation, soit par des déclarations, soit par des actes, et par territoire non occupé on entendait celui qui ne l'était que par les Sauvages. Après cette exp'ication il sera facile d'apprécier les différends élevés entre les deux nations relative- ment aux frontières de leurs colonies, lorsqu'il n'y aura qu3 l'ap- plication du principe à faire. Quant aux dilKcu!tcs provenant de l'interpréta'J >n différente donnée à des traités spéciaux, com n.3 dans le cas des limites de l'Acadie, la manière la plus sûre de montrer la vérité sera d'exposer simplement ics faits.

Après le traité d'Utrecht l'Angleterre garda l'Acadie sans en faire reconnaître les limites, et ne réclama point les élahlissemens formés le long de la baie de P\indy, depuis la rivière de Kénébec jusqu'à la Péninsule. Les Français restèrent en possession delà rivière St.-.lean et s'y fortifièrent; ils continuèrent d'occuper de même la côte des Etchemins jusqu'au fleuve St.-Laurenl sans être troublés dans leur possession. Telle fut quant à eux la con- duite de la Grande-Bretagne; miis à l'égard des Al)énaquis,elle ea suivit une autre, et la Nouvelle-Angleterre n'eut pas plutôt

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reçu le traité qu'elle en fit part à ces Savages, en leur disant que la province céJée, c'est-à-dire i'Acadie, s'étendait jusqu'à sa propre frontière. Et pour les accoutumer en même temps avoir des Américains et les détacher des missionnaires français, elle leur en envoya un de sa façon et de sa croyance. Le ministre protestant s'établit à l'emboucliure de la rivière Kénél)ec, il commença son œuvre en se m' q^ant djs pratiques catholiques.

Le P. Rasle qui gouvernait cette mission depuis un grand nombre d'années, n'eut pas plutôt appris ce qui se passait, qu'il résolut de venger les injures faites à son Eglise. L commença une guerre de plume avec le minisire à laquelle, bien entendu, les Abénaquis ne comprirent rien. Mais le protestant tomba dans ses discours parlés dans la vieille ornière das injures et des accusations d'idôlairie, ce qui était au moins une maladresse en présence de Sauvages qui comprennent bien mieux une religion dont les symboles parlent à Tàme qu'une religiim métaphysique qui se borne à quelcjucs prières sans sacrifices ni actes de péni- tence. Le jésuite n'eut pas de peine à l'emporter sur son adver- saire, qui fut obi de retourner à iios'on. Les Anglais se reje- tèrent alors sur le commerce qui leur était toujours bien plus favorable, et, moyennant certains avantages, ils obtinrent la per- mission d'établir des comptoirs sur la rivière Kénébec. Bientôt les bords de cette rivière se couvrirent de forts et de maisons. Les Sauvages en voyant les choses marcher si vite, commen- cèrent à en concevoir des craintes. Ils questionnèrent leurs nouveaux hôtes, qui se croyant assez forts pour lever le masque, répondirent que la France leur avait cédé le pays. S'apercevant alors, mais trop tard, (ju'ils étaient joués, les Abénaquis refoulant pour le moment leur colère au fijnd du cœur, envoyèrent une députation à Québec pour savoir de M. de Vaulreuil si cela était vrai. Ce gouverneur répondit que le traité d'Utrecht ne faisait aucune mention de leur territoire. Sur quoi ils résolurent aussi- tôt d'en chasser les nouveaux venus les armes à la main. C'est à cette occasion qu'apprenant les prétentions émises par la Grande-Bretagne, la France proposa en 1718 ou 19, d'abandon- ner le règlement de cette question à des commissaires, qui ne firent rien.

Les Anglais voyant les dispositions des Abénaquis, songèrent

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à se procurer des otages pour répondre de leur sûreté. Ils employèrent pour celo divers moyens qui passèrent pour des trahisons et irritèrent encore davantage le cœur de ces Sauvages. Le gouverneur de la Nouvelle-Angleterre leur fit demander une conférence pour terminer leurs difficultés à l'amiable ; mais au lieu d'y aller lui-même il fit saisi.' les otages qu'on lui a\ait donnés pour la sûreté de sa personne, et combla par la mesure. Ils auraient pris les armes sans le P. de la Chasse, supérieur général des missions dans ces quartiers, et le P. Rasle, qui les engagèrent à écrire à Boston pour demander les otages surpris, et sommer les Anglais de sortir du pays dans les deux mois. Cette lettre étant restée sans réponse, le marquis de Vaudreuil eut besoin de toute son influence pour les empêcher de commencer les hostilités : cela se passait en 1721.

Dans le même temps les Américains attribuaient l'antipathie des naturels aux discours des Jésuites, auxquels ils portaient tou- jours une haine profonde. Ils crurent surtout que le P. Rasle était l'auteur de ce qui ne devait être attribué qu'à leur ambition ; et tandis que ce Jésuite usait de toute son influence pour empê- cher les Abé naquis de les attaquer, ils met aient sa tête à prix et envoyaient vainement deux cents hommes pour le saisir dans le village indien il faisait ordinairement sa résidence. Ils furent plus heureux à l'égard de leur chef, le baron de St.-Castin, qui s'était aussi lui attiré leur vengeance. Il demeurait sur le bord de la mer. Un jour du mois de janvier 1721 un vaisseau bien connu paraît sur la côte ; il y monte comme il faisait quelquefois pour visiter le capitaine, et dès qu'il est à bord il est déclaré pri- sonnier et conduit à Boston on le traite en criminel. On l'y retient plusieurs mois, malgré les réclamations de M. de Vau- dreuil qui parvient enfin à le faire élargir. Rendu à la liberté St.-Castin passa peu de temps après en France pour recueillir l'héritage de son père dans le Béarn, d'où il ne revint point en Amérique.

A la nouvelle de l'enlèvement de leur chef les Abénaquis, si fiers de leur liberté que l'un d'eux disait à un envoyé anglais en 1727 : " Je n'entends point reconnaître ton roi pour mon roi et le roi de mes terres. Dieu a voulu que le Sauvage n'eut pas de roi et qu'il fut maître ea commun," les Abénaquis levèrent la

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hnche et tliantèrenl la guerre dans toutes les irihus. Ils se m'retil partout en campagne et incendièrent tous les é1ablis^•ealens de la rivière KénCiji'c, sans cependant faire de mal aux personnes. C'était dans le temps même (|ue len Ang'ais, continuant toujours d'attribuer aux conseils du F. Rasle ce que ces Iiuliens leur fai- saient, formaient un nouveau projet pour sVmiiaror de lui mort ou vif. Connaissant leur ntlacluMuenl pour sa persoime, ils n'en- vo^èrent pas moins de onze cents hommes |)oiir le i;rei\dre et l'étruire Narantsouak, grande bourgade qu'il avat foiniée autour de ta chapelle. Cerner le vilhige entouré d'épaisses broustailles, IVnlever et le livrer aux flammes fut l'afliurc- d'un instant. Au premier bruit, le vénérable missionnaire était sorti do sa demeure pour voir ce que c'était. Les assaillans jetèrent un gratid cri en rapercevanl et le couchèrent en joue. ]l tomba sous une giêle de lialles avec sept I idiens qui voulurent lui (aire un reinj art de leurs corps. Les Aiig'ais épuisèrent ensuite leur vengeance sur son cadavre, qu'ils mutilèrent d'une manière bar! are. puisse reti- rèrent précipilanunent. Le premier soin des Sauvages en ren- trant dans leur village, et tandis (jue les femmes cherchaient de.s herbes et d.'s p nrites pour panser les bles^és, lut de pleurer sur leur inforiunt missioimaire. Ils le trouvèrent percé de mille coups, la cheve'ure et les j'eux remplis de boue, les des jambes fracassés. Jamais les Sauvages dont on e>a;:érait si fort en toute occasion les inhumanités, ne s'étaient acharnés ainsi sur les caJavres de leurs ennemis.

Li guerre après cette surprise, continua avec une vigueur aug- mentée par la soif d'une vengeance légitime, et presque toujours à l'avantage des Abénaquis. M. de Vaudieuil ne pouvait pas leur donner de secours, mais il n'empêchait pas les tribus sauvages de le faire, en leur démontrant (pie les Anglais plus nombreux étaient plus à craindre que les Français, qui au contraire contri- buaient par leur seule présence, malgré leur petit nombre, à la conservation de l'mdépendance de toutes les nations indigènes.

En 172."), ce gouverneur i\m était à Montréal vit arriver quatre députés du Massachusetts et de la Nouvelle-York, MM. Dudley, Taxter, Atkinson et Schuyler, pour traiter de la paix avec les Abénaquis, dont plusieurs chefs se trouvaient a'dors dans cette ville. Après avoir remis une réponse vague pour la katisfaction

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qu'il avnil dcmntulée ds la mort du P. Roale. ils cherchèrent à entrer riecrèleiuent en négociation avec les Abénaiiiiis, qui repous- seront loutj proi)o.sition, et voulurent au contraire que l'on is^as- sennhlàt chez M. tij VaudrLMiil pour délihérer.

L\)\\ y tint plusieurs conférences, Ton discuta la (|UL'stion tl .'S limites et cjlle djs ind jiiinités. JVultimatuin des Sauvaiçes rut(iu''ils conserveraient pour territoire tout c?. quM y avait à partir (l'une lieue de r>a(.o à aller jusqu'à Port-R.)yal, et que la mort du P. Rasle et les doiuiuairi's laits pendant la gujrre seraient couverts par d.'s i)résens. Les Français, en uiettant en oiihli ilans cette cironatance leurs prétentions sur les terres haii^nées par les eaux da la baie de Fondy, ne faisaient que reconnaître l'indépendance des Abénaquis, comme ils avaient reconnu déjà celle des Iroquois. Mais il était facile de prévoir, que les agens anglais, si toutefois ils étaient autorisés à traiter, n'accepteraient point de pareilles bases. En effet ils se contentèrent de répondre qu'ils fera-ent leur rapport à Boston. Ils se plaignirent ensuite des secours que l'on avait donnés aux Abénaquis contre la foi des traités, dont ils réclamèrent l'exécution en demandant les prisonniers retenus en Canada Ils faisaient allusion à la part que nos Indiens avaient prise aux hostilités.

Le gouvernement qui redoutait le rétabUssement de la paix et le rapprochement des deuç peuples, vit avec plaisir la rupture des conférences. Le ministère avait déjà écrit à M. Beaubarnois, qu'il ne pouvait prendre de trop justes mesures pour em^iêchei- tout accommodement ; mais les conférences n'avaient été réellement qu'ajournées, car deux ans après, en 1727, un traité fut conclu entre les parties belligérantes à Kaskabé avec la condition verbale que les Abénaquis resteraient maîtres de leurs terres et auraient la liberté de suivre le parti des Français ou le parti des Anglais en cas de rupture entre les deux nations. Lorsque la nouvelle de ce traité parvint à Paris, le ministre en montra beau- coup de regret, sentant déjà tout le danger que courrait désormais le Canada s'il était attaqué du côté de la mer. Il manda qu'à tout prix les missionnaires conservassent l'attachement de ces Sauvages qui servaient de barrière du côté de l'Acadie.* Trop

Charlevoix était de la même opinion, car dans une lettre qu'il écrivit tt la duchesse de Lesdiguières lorsqu'il voyageait en Canada huit ans après le

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d'intérêts du reste leur dictaient cette politique pour qu'ils ne la suivissent pas. Ce ministre enjoignit aussi de peupler le bas de la colonie au lieu des pays au-dessus de Montréal pour Être en état de repousser une invasion qui ferait plus de dommage par ce côté ci que par Tautre.

Quant à la délimitation de cette fronti'ire, que le P. Aubry avait proposé de fixer en tirant une ligue de Beaubassin à la source de la rivière Hudson, il paraît qu'il n'en fut plus question jusqu'à la guerre de 1744. Ce missionnaire canadien, illustré parla plume de Chateaubriand et le pinceau de Girodet, était dans cette con- trée en 1718. Il écrivait que l'Acadie se bornait à la péninsule, et que si on abandonnait les Sauvages, les Anglais porteraient aussitôt leurs frontières jusqu'à la hauteur des terres près de Québec et de Montréal. L'humble prédicateur avait prévu les prétentions du cabinet de Londres trente ans avant leur énoncia- tion. La faute du gouvernement français fut de n'avoir pas dis- tingué, par une ligne de division, chacune de ses provinces. Il n'y avait pas de limites tracées et connues entre l'Acadie et le Canada, et les autorités canadiennes comme celles de l'Acadie avaient fréquemment fait acte de juridiction pour les mêmes terres.

Tel fut l'état des choses du côté de l'Acadie jusqu'au traité d'Aix-la-Chapelle. Les Français établis sur la rivière St.-Jean, le long de la côte des Etchemins, et depuis cette côte jusqu'au fleuve St.-Laurent, ceux même qui habitaient les mines, l'isthme et les pays les plus voisins du territoire cédé à la Grande-Bre- tagne, ne s'aperçurent d'aucun changement dans leur état ni dans leurs possessions. Les Anglais ne cherchèrent ni à les chasser du pays ni à les obliger à prêter serment de fidélité.

Les vues et les prétentions des deux peuples n'étaient pas moins opposées touchant la délimitation de leurs frontières au sud-ouest de la vallée du St.-Laurent, et à l'est de celle du Missis- sipi. Mais ici la question se simplifiait. La France avait posé pour principe que les vallées découvertes et occupées par elle lui

traité d'Utrecht, il s'exprime ainsi. " Les Abénaquis ou Cànibas voisins de la Nouvelle-Angleterre ont pour plus proches voisins les Etchemins ou Malécites, aux environs de la rivière de l'entagoët, et plus à l'est sont les Micmacs ou Souriquois, dont le pays propre est l'Acadie, la suite de la côte (lu Golfe St.>Laureat jusqu'à Gaspé," etc

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appartenaient avec tontes les terres arrosées par les eanx (|ni y tomliiiicnt ; ainsi elle réelania toujours on verni tie r».'t'e rèji i- le pays (les Iroquois jnsqn'à <;e ([u'elle l'eût alian loniié par niic Blipulalion expresse; et elle prit possession île rO'.i.o tant par droit de déconverte, que parce (jue cette rivière se j lait dans le Mississipi. L'Angleterre néanmoins, (pioi(|no plus lent.: à péné- trer datis l'intérienr du continent, ne voulut jamais adiU^îllro e.' principe dans ses négociations pour des raisons lacile.'^ à appré- cier. A défaut de princi|)e, elle se relranrha. pour j,istitier dans la suite ses cnvaliissemens, sur le niotif de la sûreté na)i.)nale, et, suivant l'accusation consacrée, sur l'ambition dangereuse de la F unce.

Partant le gouvernenaent français était depuis l'ouverture du 18o siècle comme ces vieillards dont le génie a survécu à la force. Les grandes conceptions de Henri IV, de Richelieu, de Colhert,do Louis XIV sur les colonies, se conservaient à Paris; elles éclairaient ses hommes d'état, qui tâchaient de les suivre; mais leurs elforts échouaient devant le vice d'institutions surannées qui étoulTaiL'nt à la fois l'énergie et la liberté, l'industrie et l'émigration ; ils échouaient surtout devant le système politique de la France en Europe qui l'obligeait de retenir tous ses enfans auprès d'elle pour résister aux formidables coalitions inspirées par l'effroi de sa puissance. Faute d'émigration, il fallait donner aux établissc- inens coloniaux, un caractère presque militaire dans l'intérêt de leur défense. Beauséjour, Niagara, !e fort Duquesne devinrent ainsi des avant-postes de soldats ; mais cela ne pouvait durer longtemps tant il est vrai de dire que les colonies d'une nation en Amérique ne pouvaient se maintenir que par une population qui marchât de pair pour le nombre avec la population des colonies d'une autre nation.

Par le traité d'Utrecht, la France avait abandonné les droits qu'elle prétendait avoir sur le territoire de la confédération iro- quoise. C'était un abandon plus imaginaire que réel, car les cinq cantons n'avaient jamais cessé de se regarder comme peuples libres et indépendans ; et si l'Angleterre persistait à vou- loir les soumettre à sa souveraineté, elle s'en faisait des ennemis irréconciliables. La France avait reconnu depuis longtemps cette indépendance en refusant de négocier avec eux par l'inter-

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C^'peiulant U'.-s Français ne mainleiiuienl diiis le liant de la vaTée du St.- Liureiit et ilans le Itat-sin du Mi.-sissi|)i à Taidedeln Ira'.te et de leur alliaMce avec les lrd)Ufs iiidieniies. L'Aiiirle- terre travaillait ouvorleitieiit et seerèt( iniMit depuis l<)nu;leiu|)s à leui enlever l'une et Tautre. Aucun moyen ne l'ut plus ellleaee t|iio celui adopté par la Ni>uvell»>Y()rk on 17'20, >iur In reeom- uiaiidation de son gouverneur, M. Burnet, et qui consistait à pro- hiber tout conunerce avec le Canada. '• Les Français, écrivait M. Hunter, gouverneur de la province anglaise, au bureau du commerce à Londres, les Français ont des torts et des établisse- mens sur plusieurs points du Mississipi et des lies, et ils réclament ces contrées et le commerce qui s'y fait comme leur propriété ; si ces élablissemens continuent d'augmenter et de prospérer, ils menaceront même l'existence des plantations anglaises ... je ne sais sur quoi ils fondent leur droit, et je ne vois de moyen de parer au mal que je viens de signaler, qu'en leur persuadant d'abandonner le pays. Ce qu'il y aura ensuite de mieux à faire, ce sera d'étendre nos frontières et d'augmenter le nombre de nos soldats."*

Le gouverneur Hunter ne cherche point à s'autoriser de titres chimériques pour établir un droit de priorité en faveur de sa patrie ; il se contente de mentionner ses motifs qui sont simple- ment des motifs d'intérêt: l'intérêt est sa règle, car de droit, même celui de possession, même celui de premier occupant qui dans le cas actuel est le meilleur, il n'en reconnaît aucun.

M. de Vaudreuil suivait d'un œil attentif tous les actes de ses voisins. Il vit de suite toute la portée de la recommandation de Burnet, et du statut législatif qui fut passé pour lui donner force de loi. Immédiatement ii se mit en frais d'en contrecarrer les conséquences. La Joncaire reçut ordre en 1721 d'établir un poste à Niagara, du côté du sud, afin d'empêcher les Anglais de s'introduire sur les lacs, ou d'attirer le commerce de ces contrées à Albany. C'était un hoii. me intelligent et qui possédait à un haut degré cette éloquence figurée qui charme tant les Sauva- ges. Il obtint sant difficulté des Tsonnonthouaus, qui l'avaient * Lettre du 9 juillet 1718 : Documens de Lo.idres.

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nili)|)lé et qui !e i'.liérir'!<aicni comme un de leiirn cMinpatriut.^H, lu pei m Hjiion (l'«»uviir un comploir ilaiis Itnirpay*. U.K!ilc|)iit.iti»)ii envoyé»' aiipiùs lie:* OniionttijiiiéH, coiiipo éc du luron «I,' L m- pueiiil, du mnnpiis de' Cnvairnal. fi'?* du iroiivern.'iir, et de deux îiiiiies per.-onne.s (il)lenait, de ^oll côté, ra>5ieiilimenldo ce caMt( ai/ nouvel etaljlis«emeiit. Aussitôt ipie la nouvelle de ce qui r^e pasriait parvinl à Alliany, liiiniel éciiv'.t pour protester contre celte violation du iruité d l'irecht, nu gouverneur conadien qui se conleiitn de répondre ipie N agiira avait toujours a|)parlenu à !u coi.roiine de France. Huriiet, ne pouvant olitenir d'autre satis- iacticiii, et ne voulant pas niiiiettre lui-inù.n;' d'actes d'iioï^tili é, 8*adreb^:a aux Loquois poi '-s engager à expulser les Françairj par la t'orce. Burnet altacliail une gia.ide importanco au poste de N .ara qu'il regardait comme funeste à la politique anglaise, lo. parceipi'il protcijeait la commuircation du Canada avec le JMississ'.pi |)ar fCliio, c.mimuiiicalion qu'il voulait interrompre" à l'aide de ses oKiés; et '-io. parce que, si les Fiançai y menaient une garnison assez i'orte, ils seiai«'nt maîtres du pl^î^age i\\t lac Ontario; tandis qu'au contraire si le Tort était démoli, les Sauva- ges occ'denlaux tomlieiaient dans la dépendance immédiate des Aiigais. Burnet se plaitiiiil vivement encoie à tous les cniitous, dont il parvint à mettre (juatre dans ses inféiéls; mais il ne jiut engager les Tsonnt nthouans, ni à renvoyer la Joncaire, ni à lui jicrmettre à 'ui-méme de s'établir dans leur pays. Alors il prit le parti d'ouvrir un comptoir sur cette Irontièie, et choisit ren- trée de la rivière O^wégo à mi-cliemin entre N agara et le fort de Fioiitenac, vers lequel le poste de la Joncaire devait acliemiiier la traile f

* I vvill do iny ondeavours. 'lit M. Burnet nii Eiii'taii c!u conimerce, in thc spriiiu; witlioiit comnuttiiig hostility, to get our liidiiins to ileniolisli il. Tiiis plate is of j^rcat conséquence Ibr two reuioiis, Ist. bccause it keeps ll.e couui.uiiii'atioii between Canada and tiie Mississipi by thc river Obio opeii, which eiso our Indiaus would be able lo iiitereept al pleuhiire, and i!d. it' it shou d be niade a tort \\itli soldiers eiioujîh in it, it will keep our Uidians iVorn g()in;i over the iiarrow part of llie Iake Ontario by tli;s only pMss ci' tlie Indiaus wilhoul Icave ol ibe French, so tliat it it were denioi.slied llie far ludians would dej;end ou us."— Duc u mens de Luiilns,

t Uocuuiens de Paris. —Journal historique de Cliarlevoix.

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Les deux notions éfaieiit ainsi décidées de se maintcnii* dans les |)()siti()ns (|ii'olIcs prenaient ou (|u\'lles avaient prises. Louis XV écrivait de sa main sur un mémoire : " Le poste de Niagara est de la dernière importance pour conserver le commerce des pays d'en haut." Il ordonna de bâtir un fort en pierre sur Tem- p'aeeivieiit de e.'lui (jue Denonville y avait élevt autrefois, il ren- dii libre la traite de l'eau de vie chez les Sauvages, comme elle l'était che/; les Anglais, et rétablit la vente des congés qui furent fixés à '200 livres. En même temps M. de Beauharnais recevait instruclion d'empêcher aucun étrangler de pénétrer sur le terri- toire français, s«it pour commercer, soit pour étudier le pays ; et les Anglais de rester plus de deux jours à Montréal. Il y en avait beaucoup d'établis dans cette ville, ouvriers, marchands et autres. Il parait que leur grand nombre avait excité les soup- çons du ixouvernement.

Ij'> duc de Ne\v-Cast!e, ministre anglais, se plaignait alors en vain à lu cour de Versailles de l'établissement de Niagara. De son Cillé U.iinet éci.v;iit une lettre (|ui fut remise au baron de Lon- guMnl. irouveriieur |)ar intérim après la mort de M. de Vaudreuil, par M. L.%''nirston voyageant ostensiblement poin' son éducation, niais chai'iié probablem ^nt de (pieKpie mission secrète.

Ne recevant aucune réponse favorable, il commença à se for- tifier à Oswéiro, et répondit à la sommation que M. de Beauhar- nais lui fit porter en 1727 de se retirer de ce poste, en y envoyant une forte garnison pour le défendre en cas d'attacpie. Oswégo possédait une double importance pour les Anglais, il était néces- saire à leur projet de s'emparer de la traite des pelleteries, et il protégeait les établissemens que leurs colons formaient entre l'Hudson et le lac Ontario.

Ces dilllcultés et ces empiétrmens amenaient l'un après l'autre des rcpiésailles. Voyant qu'il ne pouvait déloger Burnet du pos-tc (lu'il occupait s.ur le lac Ontario, Beauharnais tourna sa position et vint élever un fort vers la tête du lac Champlain, à la pointe à la Chevelure, maintenant Crown Point. Ce lac, comme l'on sait, qui se décharge dans le St. -Laurent par la rivière R chelieii, tire ses eaux du plateau prend sa source la rivière Hudson qui va se jeter du côté opposé dans la mer, à New-York. I;Intouru de uonta^nuâ vers le haut, ses l'ivcs s'abaiescnt graduelle-

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ment à mesure qu'il approche de St.-Jeon, bourg situé à son extrémité inférieure. M. de la Corne, officier canadien de dis- tinction, appela le premier l'attention sur l'importance d'occuper ce lac, qui doinait entrée dans le cœur même de la Nouvelle- York. En elTet, de la Pointe à la Chevelure on menaçait à la fois Osvvégo, Albany et la Nouvelle-Angleterre elle-même, qui n'eut pas plutôt appris le résolution des Français, qu'elle vota une somme d'argent pour envoyer, avec la Nouvelle-York, une ambassade en Canada, chargée de faire des remontrances à M. de Beauharnais le l'engager à abandonner cette position. En même temps elle- pressait la Nouvelle- York d'exciter l'opposition des cinq nations. Mais ses démarches n'eurent aucune suite, et les Français, malgré les réclamations et les menaces, construi- sirent le fort St.-Frédéric, qu'ils gardèrent jusqu'à la fin de leur domination en Amérique. C'est ainsi que dans une lutte d'un nouveau genre, lutte d'agressions et d'oppositions, lutte de sommations et de contre-sommations, les deux premières monar- chies de l'Europe se disputaient pacifiquement, pour se les dis- puter ensuite les armes à la main, quelques lambeaux de forêts déjà germaient sous leurs pas le républicanisme et l'indépen- dance absolue.

Ces transactions graves par les suites qu'elles devaient avoir, se passaient entre 1715 et 174't. Cependant, à la faveur de la paix, le Canada faisait des progrès lents si l'on veut, parce qu'ils n'étaient dus qu'à l'accroissement naturel de la population fixe, mais constans et assurés. Les ravages de la petite vérole, fléau qu'on n'avait pas encore appris à dompter, et qui décima à plu- sieurs reprises la population blanche et indigène, n'interrompirent presque point ces progrès. Les défricliemens s'étendaient petit à petit, les campagnes se peuplaient, les habitans, reposés de leurs anciens combats, avaient pris goût à des occupations paisibles plus avantageuses pour eux et pour le pays.

L'émigration qui avait été loin de suffire à combler le vide que laissaient ceux qui périssaient dans les longues et dangereuses pérégrinations entreprises pour la traite des pelleleries n'aug- mentait point. En 1725 on voulut la ranimer un peu. Le Cha- meau, vaisseau du roi, partit de France chargé d'hommes pour le Canada. Il portait M. de Chazel q\ù venait remplacer M.

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Begon, comme intendant, M. de Louvigny nommé au gouverne- ment des Trois-Rivières, et plusieurs officiers, ecclésiastiques et marchanda, colons moins précieux par le nombre que par les lumières et les capitaux qu'ils apportaient; malheureusement ils ne devaient point parvenir à leur destination. . Une horrible tempête surprit le Cliameau à la hauteur de Louisbourg, à l'entrée du golfe St. Laurent, et le jeta, au milieu de la nuit, sur les rescifs de l'île encore sauvage du Cap-Breton, il se brisa. Personne ne fut sauvé. Le lendemain la côte parut jonchée de cadavres et de marchandises. La nouvelle de ce désastre fut suivie par une perte non moins sensible, dans la personne de M. de Vau- dreuil, qui expira le 10 octobre, après avoir gouverné le pays durant vingt-et-un ans avec sagesse et l'approbation du peuple, dont il fut sincèrement regretté. Son administration n'avait été troublée par aucune de ces querelles qui avaient si souvent agité la colonie, et divisé les grands fonctionnaires et les corps publics ; elle fut constamment signalée par des événemens heureux, dus en grande partie à sa vigilance, à sa fermeté, à sa bonne con- duite, et aussi au succès qui accompagnait presque toutes ses entreprises; car la chance entre pour beaucoiip dans les événe- mens humains. Son succetiseur le marquis de Heauharnais, fils naturel de Louis XIV, avait déjà été intendant à Québec après M. de Champigny. Nommé en 1705 à la direction des classes de la marine en France, il était capitaine de vaisseau lorsqu'il fut choisi par Louis XV pour être mis à la tête du gouvernement canadien. Il arriva à Québec en 1726 et prit les rênes de l'ad- ministration des mains du baron de Longueuil qui les tenait par intérim.

L'intendant Begon, que M. de Chazel venait relever, eut pour successeur M. Dupuy, maître des requêtes, ancien avocat général au conseil du roi, et fidèle disciple de l'esprit et des doctrines des parlemens de France. Il ne fut pas plutôt entré en fontions, qu'il voulut augmenter l'importance du conseil supérieur dans l'opinion pubhque, inspirer à ses membres les sentimens d'uu haut respect pour leur charge, et rafiermir en eux cette indépen- dance de caractère si nécessaire à une magistrature intègre, et qui faisait regarder les parlemens français comme les protecteurs et les défenseurs nés du peuple. Mais les circonstances n'étaient pas les mêmes en Canada.

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Jaloux des droits de la magistrature, esclave de la règle, le nouvel intendant ne fut pas longtemps dans le pays sans se voir aux prises avec plusieurs des autorités publiques, accoutumées à jouir d'une assez grande latitude dans leurs actes, et à exercer leurs pouvoirs plus suivant l'équité ou la convenance du moment que suivant l'expression rigide de la lettre. Le premier différend grave qui s'éleva naquit d'une circonstance fortuite, la mort de l'évêque de Québec, M. de St.-Vallier, qui avait succédé en 1680 à M. de Petrée, forcé à la retraite par son grand âge et ses infir- mités. Cette longue querelle que nos historiens ont ignorée, car aucun d'eux n'en fait mention, souleva le clergé et le gouverneur contre le conseil dirigé par M- Dupuy. En général le gouver- neur et l'intendant étaient o) s l'un à l'autre ; c'étaient deux rivaux attachés ensemble par i politique royale pour s'observer, se retenir, se juger; si l'un était plus élevé en rang, l'autre pos- sédait plus de pouvoir ; si le premier avait pour courtisans les hommes d'épée, l'autre avait les hommes de robe et les adminis- trateurs subalternes ; mais ce système en rassurant la jalousie du trône, devait désunir à jamais ces deux grands fonctionnaires, mal que rien ne pouvait compenser. Jusqu'à présent l'intendant s'est rangé avec le parti clérical; aujourd'hui M. Dupuy va occuper la position du gouverneur qui s'est rallié au clergé.

L'évoque mourut en décembre 1727, pendant l'absence de M. de Mornay, son coadjuteur depuis 1713. M. de Lotbinière, archidiacre, se préparait à faire les obsèques du prélat, en sa qualité de grand vicaire, lorsque le chapitre prétendit que ses fonctions avaient cessé comme tel par le décès de l'évêque ; que le siège épiscopal était vacant, et que c'était au chapitre à régler tout ce qui avait rapport aux funérailles du pontife et à l'élection de son successeur.

L'archidiacre repoussa cette prétention ; et sur le refus que l'on fit d'obtempérer aux ordres qu'il donnait en sa qualité de grand vicaire, il fit assigner devant l'autorité civile, le chapitre pour répondre de sa rébellion. Celui-ci se contenta de déclarer qu'il ne reconnaissait aucun juge en Canada capable de prendre con- naissance des motifs du différend élevé entre lui et le plaignant, qu'il ne pouvait être traduit que devant l'official du diocèse, et qu'il en appelait au roi en son conseil d'état. C'était l'ancienne

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prétention cléricale de récuser les tribunaux civils ordinaires. M. Dupuy la traita de monstrueuse, le conseil supérieur tenant, disait-il, en ce pays la place des parlemens français, qu'il fallait reconnaître avant de pouvoir en appeler à la couronne. Des scènes tumultueuses suivirent ces premières altercations. Le chapitre se rendit à la tête d'une foule de peuple, à l'Hôpital- Général, à l'entrée de la campagne, était déposé le corps de l'évêque, auprès duquel il avait été défendu aux fidèles d'aller prier ; il entra précipitamment dans la chapelle, manda devant lui la supérieure du monastère, la suspendit de ses fonctions et mit le couvent en interdit, pour empêcher la cérémonie des obsèques. Tout cela dénotait peu de respect pour la mémoire du chef ecclé- siastique que l'on venait de perdre, et rappelait aux plaisans quelques-unes des scènes du Lutrin.

Le conseil supérieur rendit son arrêt dans le mois de janvier 1728, sur la vacance du siège épiscopal. Il déclara le siège rempli attendu l'existence de M. de Mornay, coadjuteur et suc- cesseur désigné du dernier évéque, lequel avait même en cette qualité gouverné les missions de la Louisiane. Le chapitre se trouvait par cet arrêt privé de faire aucun acte de juridiction diocésaine. Il avait bien bravé le conseil lors des obsèques, à présent que l'on était à l'important de l'affaire, il ne balança pas à se mettre en pleine insurrection contre lui. En conséquence, M. de Tonnancourt, chanoine de la cathédrale, monta en chaire le jour de l'Epiphanie avec un mandement contre l'intervention du pouvoir civil, qu'il lut aux fidèles, aveu ordre à tous les curés de le publier au prône de leurs paroisses. L'intendant fit infor- mer immédiatement contre le chanoine audacieux. Toute la rivalité jalouse qui existait en France entre le clergé et les par- lemens toujours quelque peu jansénistes et libéraux, se manifesta dans cette dispute, qui du reste n'eût intéressé que la chronique re- ligieuse et les légistes canoniques, si, à cette phase de son progrès, le gouverneur ne fût intervenu tout-à-coup pour interrompre le cours des tribunaux. M. de Beauharnais alla beaucoup plus loin que M. de Frontenac dans cette intervention dangereuse. Il se rendit au conseil avec son secrétaire par lequel il fit lire une ordonnance interdisant à ce corps toute procédure ultérieure dans l'affaire du clergé, et cassant les arrêta qui avaient déjà été

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rendus. Il voulut môme imposer silence au procureur-général. Cette haute cour tint en cette circonstance grave, une conduite pleine de dignité. Elle ordonna d'abord au secrétaire du gou- verneur de se retirer, parcequ'il ne faisait pas partie du conseil ; elle protesta ensuite contre l'insulte faite à la justice; et, par une déclaration motivée en présence du gouverneur lui-môme, dans laquelle elle qualifia ses prétentions de téméraires autant que nou- velles dans la colonie, elle décida de suite de faire ses plaintes au roi de l'atteinte portée à l'indépendance et à l'autorité des tribu- naux.

M. de Beauharnaiç qui ne s'était pas attendu peut-être à cet acte de vigueur, sortit irrité. Il fit publier à la tête des troupes et des milices des villes et des compagnes, son ordonnance d'in- terdiction avec défense de recevoir les arrêts du conseil sans son ordre exprès. Le conseil répondit par une contre-ordonnance dans laquelle on trouve ces mots : " Les peuples savent bien et depuis longtemps que ceux qui ont ici l'autorité du prince pour les gouverner, ne peuvent en aucun cas se traverser en leurs desseins ; et que dans les occasions ils sont en diversité de sentimens pour les choses qu'ils ordonnent en commun, Tcxécu- tion provisoire du projet différemment conçu, dépend du district dans lequel il doit s'exécuter ; de sorte que si le conseil supérieur a des vues différentes d'un gouverneur général en chose qui regarde la justice, c'est ce que le conseil ordonne qui doit avoir son exécution ; et de môme s'il y a diversité de sentiment entre le gouverneur général et l'intendant sur des choses qui les regar- dent en commun, les vues du gouverneur général prévaudron' si ce sont choses purement confiées à ses soins, telle qu'est la guerre et la discipUne militaire hors de laquelle, étant défendu au gou- verneur général de faire aucune ordonnance telle qu'elle soit, il ne peut jamais faire seul qu'une ordonnance militaire. Les ordonnances de l'intendant doivent de même s'exécuter par pro- vision, quand ce dont il s'agit est dans l'étendue de ses pouvoirs, qui sont la justice, la police et les finances, sauf à rendre compte au roi de part et d'autre chacun en son particulier, des vues diffé- rentes qu'ils auront eues, à l'effet que le roi les confirme ou les réforme à son gré. Telle est l'économie du gouvernement du Canada."»

* Le gouverneur et lieutenant général dans le Canada n'a aucune autorité

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Le conseil maintint la position qu'il avait prise, et sévit contre les rebelles. Quelques uns de ses membres cependant furent gagnés ou intimidés plus tard par M. de Bcauharnais; et l'un d'eux, le nommé Crc nprés avoir voté avec ses collègues,

refusa ensuite de rem, (aines fonctions qu'ils lui déférèrent

temporairement dans la c. iiduite du grand procès qui les occupait. On l'interdit. Cela se passait le 6 avril. Le 30 mars les troupes avaient été appelées une seconde fois sous les armes, et les officiers avaient déchiré à coups d'épée les nouvelles orJonnancesdu con- seil. Le gouverneur persistant dans les mesures extrêmes fit ouvrir les prisons à ceux que le conseil avait fait arrêter et les reçut au château St.-Louis. Il mit ensuite aux airêts les officiers qui osèsent désapprouver sa conduite, et adressa de Montréal il était, une lettre de cachet à son lieutenant à Québec, pour exiler les deux conseillers les plus opiniâtres, l'un, M. Gaillard, à Beau- pré, et l'autre, M. d'Artigny, à Beaumont. Cette dernière démar- che était un véritable coup d'état, qui était heureusement un fait inouï dans le pays. Le gouverneur voulait rendre le conseil incompétent en le réduisant à moins de cinq membres actifs, nom- bre nécessaire pour rendre les arrêts. L'intendant publia aussitôt une contre-ordonnance en sa qualité de président, seul chargé de convoquer le conseil, pour enjoindre à tous ses membres de rester à leur poste, sous peine de désobéissance, et de ne tenir aucun compte de l'ordre illégal du gouverneur.

Le conseil se trouva ainsi en opposition à ce dernier et à la majorité du clergé. Les llécoUets inclinant ordinairement pour le pouvoir civil, se rangèrent cette fois avec l'autorité militaire et ecclésiastique. Les Jésuites, contre leur usage, parurent vouloir garder la neutralité, et observèrent une prudente réserve. Le roi avait été saisi de l'affaire dès le commencement, et l'on sut bientôt à quoi s'en tenir sur la conduite que suivrait le ministère. Ce qui se passait alors en France était d'ailleurs un avertissement suffisant pour les plus clairvoyans.

Le cardinal de Fleury avait remplacé le cardinal Dubois à la tête des affaires. Le nouveau ministre tâchait d'apaiser les trou- sur les cas (l'amirauté, et nulle direction sur les officiers cjui rendent la jus- tice."— Rèjflement de 1684 signé du roi et du grand Colbeit, et un grand nombre d'autres règlemens rendus depuis dans le même sens.

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bles religieux qui agitaient le royaume à l'occasion de la bulle îoiigenitus. Cette bulle proclamait l'iiifaillibilitù du pape ; et le cardinal avait promis de se vouer à sa défense pour obtenir le cbapcau. " Comme prêtre, dit un auteur, il oublia qu'il ^e devait à la France et non à la cour de Rome ; il se fit juge opiniâtre des consciences, quand il ne lallait être ([ue conciliateur. Il avait des vues bornées, peu de génie, beaucoup d'égoïsmo ; il craignait les Jésuites et les servait afin de ne pas les avoir pour ennemis."

Le concile provincial d'Embrun tenu en 1727, ayant con- damné l'évoque de Senez, accusé d'avoir attacpié la fameuse bulle, le parlement et le barreau s'élevèrent contre le jugement, le par- lement qui bravait alors la cour de Ro.ne, en refusant la légende de Grégoire XII béatifié à la sollicitation des Jésuites, et qui s'éle- vait devant le cardinal comme l'opposant de ses vues. On con- çoit quelle amertune cette conduite laissait dans le cœur du ministre, et dans quelle disposition d'esprit il reçut la nouvelle des démêlés entre le chapitre et le conseil supérieur de Québec image du parlement de Paris. La querelle canadienne se con- fondit à ses yeux avec la querelle française. Dupuy fut immé- diatement rappelé, et l'ordre envoyé au conseil supérieur de lever les saisies du temporel des chanoines et du curé de la cathédrale, qu'il avait ordonnées dans le cours des procédures.

Il y eut alors dans ce corps un revirement peu honorable pour son ".ndépendance. MM. d'Artigny et Gaillard, s'étant présentés pour y prendre place comme à l'ordinaire, furent inlbrmés par M. Delino, qui le présidait en l'absence de son chef disgracié, qu'ils ne pourraient être admis jusqu'à ce que le roi se fût pro- noncé sur la lettre de cachet du gouverneur. Leur suspension, car c'en était une, dura jusqu'à l'arrivée du nouvel intendant, M. Hocquart, l'année suivante, qui leur permit de reprendre leurs sièges, pour assoupir l'afiairc plus vite.

Telle fut cette grande querelle dans laquelle le conseil finit par jouer le rôle servile qui ne caractérise que trop souvent les auto- rités coloniale!!. Dupuy avait remis sa charge aux premiers avis, afin de ne point portager la honte de ces rétractations.

Quant à l'élection de l'évoque, la position prise par l'autorité civile fut maintenue, puisque M. de Mornay succéda à M. de St.- Vallier en vertu de son droit de second dignitaire du diocèse.

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Mais il ne vint point en Canada. M. Dosquct, nommé évêque de Samos, arrivé avec M. Hocquart en 1729, y fit les fonctions de pontife comme coadjuleur jusqu'en 1735, époque de la rési- gnation de M. de Mornay et de la sienne. M. de Pourroy de rAul3erivières choisi pour remplir le siège vacant, mourut en arrivant à Québec en 1739. Enfin M. Dubreuil de Pontbriant, fut élu pour le remplacer. C'est le premier Canadien qui ait porté la mitre, et sa nomination interrompit ces mutations fré- quentes qui arrivaient depuis quelque temps au siège épiticopal. C'est en 1728 que tout à coup le bruit du tambour retentit sur les places publiques, et annonça aux liabitans qu'il se passait quel que chose d'inaccoutumé parmi les peuplades de l'Occident, c'était un débris d'une des nations du Michigan qui avait repris les armes, les Outagamis. On croyait les avoir détruits en 1715, et dès deux ans après M. de Vaudreuil avait été obligé do faire marcher contre eux M. de Louvigny avec quelques hommes, qui les avait forcés de céder leur pays à la France. Mais ils n'avaient pu rester longtemps tranquilles ; ils s'étaient recrutés et avaient repris leurs anciennes habitudes de pillage. Ils rôdaient continuellement dans le voisinage des postes français, infestaient de brigandages et de meurtres les rives du lac Michi- gan et les routes qui conduisaient du Canada à la Louisiane, entra- vaient le commerce et rendaient les chemins impraticables à plus de cinq cents lieues à la ronde. Ils engagèrent môme plusieurs autres tribus à suivre leur exemple. M. de Beauharnais poussé à bout jura de les exterminer. Mais comment saisir des hommes nomades, qui disparaissaient dans des régions inconnues sans qu'on pût suivre leur trace ?

C'est ce que l'on essaya. 450 Canadiens et 7 à 800 Sauvages, commandés par M. de Ligneris, entrèrent sur leur territoire. Une portion de cette petite armée s'était mise en route, au commen- cement de juin, de Montréal. Elle avait remonté la rivière des Oulaouais en canot, traversé le lac Nipissing et pénétré, par la rivière aux Français, duns le lac Huron, les Sauvages qui devaient former le reste du corps l'avait ralliée. Le corps entier atteignit Michilimackinac le 1 août, et débarqua le 14 à Chicago, au fond du Michigan, après deux mois et neuf jours de marche depuis le départ de Montréal.

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Les premiers ennemis qu'il eût à coniliattre, furent les Mal- hoinincs ou Folles- Avoines, ainsi nommés parce qu'ils se nour- rissaient d'une espèce de riz qui croît en abondance dans les plaines marécageuses situées au sud du lac Supérieur. Le len- demain cette tribu, que les Outagamis avaient entraînée dans leur alliance, se présenta rangée en bataille sur le rivage pour s'oppo- ser au débarquement des Français. Mais à peine leurs canots eurent-ils touché la terre, que les Canadiens et leurs alliés saisis- sant leurs haches et leurs fusils, s'élancèrent vers les Malhomines avec de grands cris. La mêlée fut extrêmement vive, mais l'en- nemi, rompu partout, fut complètement défait après avoir essuyé des pertes considérables.

Le bruit de l'arrivée et de la victoire de Ligneris se répandit au loin en un instant. Toutes les tribus prirent la fuite, les Outa- gamis les premiers. On se mit à leur poursuite ; on remonta la rivière aux Renards jusqu'à sa source, on s'avança jusqu'à leur dernier asyle sur une rivière qui tombe dans le Ouisconsin, à une trentaine de lieues du Mississipi, mais on ne put les atteindre. Il fallut se contenter de détruire les frêles bourgades qu'ils s'étaient élevées depuis 1715, avec les dépôts de maïs qui s'y trou- vaient, et de ravager le plat pays pour leur ôter tout moyen de subsistance. Pas une bourgade, pas une cabane, n'échappa aux flammes. Cette irruption brusque et dévastatrice, dont le roi avait cru le succès douteux, rendit, pour quelque temps, la paix à ces contrées, et la sûreté aux communications entre le Canada et la Louisiane, que l'on désirait plus que jamais rapprocher l'un de l'autre.

Tandis que le gouvernement punissait ainsi le soulèvement des Sativages, il ne perdait pas de vue l'honorable mission qu'il s'était imposée, la découverte et l'exploration de l'intérieur du continent. On avait découvert les deux grands fleuves et tous les grands lacs de l'Amérique du Nord ; on avait remonté à une grande distance les tributaires du Mississipi qui prennent leurs sources dans les Montagnes-Rocheuses ; on ambitionnait maintenant la gloire d'atteindre la mer Pacifique, qu'un Sauvage Yasou, au rapport de Lepage Dupratz, avait déjà visitée. Une pareille entreprise avait été formée plusieurs fois chez les Français. M. de Beau- harnais voulut s'en occuper sérieusement et l'accomplir. Le

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plus (lifllcile lui semblait fait, car l'on supposait alors le continent moins large au nord qu'il ne l'est en clVet ; et que la mer, au lieu de reculer vers l'ouest, se rapprochait de l'est en s'élevant au pôle. La figure de l'extrémité de l'Amérique du Sud, qui finit en pointe à la terre de Feu, et la longitude de la partie alors con- nue des côtes occidentales du continent, partie qui ne venait guère en deçà du Mexique, pouvaient faire tomber dans cette erreur.

Le gouverneur, sous l'inspiration du ministre, M. de Mau- rcpas, envoya une expédition sous la conduite de M. de la Vérandrye, qui sans posséder l'énergique persévérance de la Salle et de Perrot, avait néanmoins l'expérience des voyages, et pouvait faire espérer un résultat satisfaisant. Il partit en 1738 avec ordre de prendre possession des pays qu'il pourrait décou- vrir au nom du roi, et d'examiner attentivement les avantages que l'on pourrait retirer d'une communication entre le Canada ou la Louisiane et l'océan Pacifique. Le gouvernement avait intention de prolonger la ligne des postes de traite jusque sur cette mer. Les regards des Européens sans cesse tournés vers l'Occident, semblaient chercher cette terre promise qui avait embrasé le génie de Colomb, ce ciel mystérieux qui fuyait toujours, cl vers lequel une puissance secrète semble pousser continuellement la civilisation.

La Vérandrye passa par le lac Supérieir;, longea le pied du lac Winnipcg, remonta la rivière des Assiniboils, et s'avança vers les Montagnes-Rocheuses qu'il n'atteignit pas cependant, s'étant trouvé mêlé dans une guerre avec les naturels dans laquelle il perdit une partie de ses gens, et fut obligé de s'arrêter. Ce voyageur a raconté au savant suédois, Kalm, qui visitait le Canada en 1749, qu'il avait trouvé dans les contrées les plus reculées qu'il avait parcourues, et qu'il supposait à 900 lieues de Montréal, de grosses colonnes de pierre d'un seid bloc, quelque- fois appuyées les unes contre les autres, d'autres fois superposées comme celles d'un mur ; que ces pierres n'avaient pu être dis- posées ainsi que de main d'homme, et qu'une d'elles était sur- montée par une autre fort petite n'ayant qu'un pied de long sur quatre ou cinq pouces de large, portant sur deux faces des carac- tères inconnus. Cette petite pierre fut envoyée au secrétaire

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(l'état, à Paris. Plusieurs des Jésuites qui l'avaient vue en Cu- iiaila, dirent à Kalm que les figures qu'elle portait ressemblaient aux caractères tartarcs. Les Sauvages ignoraient par qui ces blocs avaient été apportés là, et disaient qu'ils y étaient depuis un temps immémorial. L'origine tartare des caractères parait très probable à Kalm, et servirait à confirmer l'hypothèse d'une émigration asiatique ([ui serait la souche d'au moins une partit; des Sauvages de l'Amérique.

L'on donna aux contrées découvertes par la Vérandrye, le nom de ** Pays de la mer de l'Ouest," parce (jue l'on croyait s'être arrêté à peu de distance de cette mer ; et on y établit une chaîne de petits postes pour contenir les Indigènes et faire la traite des pelleteries. Le plus reculé fut d'abord celui de la Reine, à 100 lieues à l'ouest du lac Winnipeg sur la rivière des Assiniboils; on en construisit ensuite trois autres en gagnant toujours le cou- chant ; le dernier prit le nom de Paskoyac, de la rivière qui pas- sait à ses pieds.

Sous l'administration de M. de la Jonquière, on voulut organi- ser une nouvelle expédition pour continuer les découvertes et faire la traite. L'intendant Bigot était alors en Canada ; il forma dans ce but une société composée du gouverneur et de lui-même, de MM. Bréard, contrôleur de la marine, Legardeur de St.-Pierre, olficier plein de bravoure et fort aimé des Indiens, et de Marin, capitaine décrié par sa cruauté, mais redouté de tous ces peuples. Ces deux derniers furent chargés de l'œuvre double de l'associa- tion. Marin devait remonter le Missouri jusqu'à aa source, et de suivre le cotirs de la première rivière sur laquelle il tomberait, et qui irait se jeter dans l'océan Pacifique. St.-Pierre, passant par le poste de la Reine, devait aller le rejoindre sur le bord de cette mer à une certaine latitude. Mais tout cela était subor- donné à la spéculation pour laquelle on s'était associé, c'est-à- dire que bs voyageurs pourraient interrompre leur marche dés qu'ils croiraient avoir amassé assez de pelleteries pour les char- ger. Ils ne furent pas loin, et s'en revinrent nantis d'une riche moisson. Les associés firent un profit énorme. Smith fait mon- ter la part seule du gotiverneur à la somme de 300,000 francs. La France ne retira rien de cette expédition, dont l'Etat fit tous les frais.

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Mais Papparenco hostile que prenaient les relations coloniales des Français et des Anglais, devenait do plus en plus menaçante, et la tournure des alFairos en Europe n'annonçait que troj) une rupture prochaine entre les deux nations. La (juestion des frontières, tenue en suspens par l'impossibilité de concilier les prétentions avancées de part et d'autre, laissait du reste depuis longtemps les colons dans l'attente d'une guerre plus ou moins éloignée. M. de Beauharnais avait dès 113i écrit une dépêche en chilTres au ministre pour lui exposer la situation du Canada et les mesures à prendre pour sa défense. Revenant toujours à la nécessité de fortifier Québec, il répétait ce qu'on avait dit tant de fois, que cette ville était la clef du paya et l'abord des secours venant de l'rance ; que si le» ennemis s'en rendaient maîtres ils le seraient bientôt de toute l'Amérique. Cette fois le roi fit répondre qu'il serait d'autant plus inutile de fortifier Québec qu'on ne pourrait le faire assez solidement pour le rendre impre- V ^le. Le pays devait accomplir sej destinées.

En 1735 Raensalaer, seigneur d'Albany, sous prétexte de voyager pour son amusement, mais dans la prévision de la reprise des armes, vint en Canada et informa secrètement le gouverneur, que dans les dernières guerres l'on avait ménagé leur pays, que M. de Vaudreuil avait recommandé à ses alliés de n'y pas faire de courses, que la Nouvelle-York avait fait la même chose de son côté, et qu'elle était encore disposée à en user de même. En 1740 la guerre étant devenue encore plus imminente, M. de Beauharnais fit mettre, sur les ordres de Paris, les forts de Cham- bly, St.-Frédéric et Niagara en état de défense. Il travaillait en même temps à resserrer les liens qui unissaient les Sauvages aux Français. Il tint de longues conférences avec eux en 1741, il put s'assurer que, s'ils n'étaient pas tous très attachés à notre cause, la puissance croissante de nos voisins excitait assez cependant leur inquiétude et leur jalousie pour leur faire préférer notre alliance à la leur. L'on faisait hier; de ménager ces peuples qui, d'après un dénombrement exécuté en 1736, de toutes leurs tribus depuis les Abénaquis jusqu'aux Mobiles, comptaient encore plus de 15,000 guerriers.

LIVRE HUITIEME.

CHAPITRE I.

COMMERCE. 1608-1741.

De l'Amérique et de ses destinées. But des colonies qui y ont été éta' blies. Le génie commerçant est le grand trait caractéristique des popula- tions du Nouveau-Monde. Commerce canadien : cflbt destructeur de» guerres sur lui. Il s'accroît cependant avec l'augmentation de la popula- tion.— Son origine : pêche delà morue. Tiaite des pelleteries de tout temps principale branche du commerce de la Nouvelle-France. Elle est abandonnée au monopole des particuliers onde compagnies jusqu'en 1731, qu'elle tombe entre les mains du roi pour passer en celles des fermiers.— Nature, profits, grandeur, conséquences de ce négoce; son utilité politi- que.— Rivalité des colonies anglaises; moyens que prend jVI. Burnet, gouverneur de la Nouvelle-York, pour eidever la traite aux Français. Lois de 1720 et do 1727. Autres branches de commerce : pêcheries, com- bien elles sont négligées, Bois d'exportation. Construction des vais- seaux.— Agriculture ; céréales et autres produits agricoles. Jin-seng.— Exploitation des mines, ChitFre des exportations et des importations.— Québec, entrepôt général. Manufactures : introduction des i.iuiiers pour la fabrication des toiles et des draps destinés à la consommation intérieure.— Salines. Etablissement des postes et messageries (1745). Transport maritime. Taxation : drorts de douane imposés fort tard et très modé- rés.— Systèmes monétaires introduits dans le pays ; changemens fréquens qu'ils subissent et perturbations qu'ils causent. Numéraire, papier-mon- naie : cartes, ordonnances ; leur dépréciation. Faillite du trésor, le papier est liquidé avec perte de 5 [8 pour les colons en 1 720. Observations générales, Le Canadien plus militaire que marchand. Le trafic est permis aux fonctionnaires publics ; alTreux abus qui en résultent. Lois de commerce. Etablissement du siège de l'Amirauté en 1717 ; et d'une bourse à Québec et à Montréal. Syndic des marchands. Le gouverne- ment défavorable à l'introduction de l'esclavage au Canada.

Si la découverte du Nouveau-Monde a exercé une influence salutaire sur la destinée des Européens,* elle en a eu une bien

I "The discovery of America was, in this way, ofas much advantage to Europe, as the introduction of foreign commerce would be to China. It

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funeste pour les nations indiennes qui peuplaient les forêts de l'Amérique. Leur amour de Tindépcndance, leurs mœurs belli- queuses, leur intrépidité ont retardé et retardent encore à peine leur ruine (l'un jour: au contact de la civilisation elles tombent et s'effacent avec plus de rapidité encore que les bois mystérieux qui leur servaient de retraites, et bientôt, pour nous servir des paroles poétiques de Lamennais, elles auront disparu sans laisser plus de trace que les brises qui passent sur les savanes et que les Ilots poussés par une force invisible entre les bancs de corail. En moins de trois siècles, en elTet, elles ont disparu d'une grande partie du continent, et que sont-elles devenues ? Ce n'est pas ici le lieu de rechercher les causes de cet anéantissement de tant de peuples dans un si court espace de temps que l'imagination en est étonnée, cela nous mènerait trop loin, et d'ailleurs nous offri- rait des images trop tristes pour l'orgueil de l'homme, dont les succès sont achetés aux dépens de ses semblables. Nous aban- donnerons à l'oubli qui les couvre ces hécatombes muettes sur lesquelles ne s'élève aucun monument, aucun souvenir, et puis que leur histoire garde le silence, nous tournerons nos regards en plaignant leur destinée vers des peuples dont les grandes actions ne passeront pas, et dont la hardiesse et le génie transportés d'Eu- rope en Amérique, ont donné un nouvel essor aux progrès de la civilisation. C'est une ère incomparable que celle de l'établis- sement d'un immense et fertile continent par des populations qui foulant aux pieds les dépouilles sociales des temps passés, ont voulu inaugurer une arche d'alliance nouvelle, une société sans privilèges et sans exclusion. Le monde n'avait encore rien vu de semblable. Cette nouvelle organisation doit-elle atteindre les dernières limites de la perfectibilité humaine î On le croirait si les passions des hommes n'étaient partout les mêmes, si l'amour des richesses surtout n'envahissait aujourd'hui toutes les pensées, et n'était devenu, comme celui des armes au moyen âge, la première idole de l'Amérique. Rien n'y entrave les lumières, ni vieux préjugés, ni vieilles doctrines, ni institutions antiques. La place du bon et du beau est libre. Mais le désir d'adoucir le sort de la vie maté-

opened a large rnarkct for the produce of'european industry, and constantly provided a new employrnent for that stock which tliis industry accumulated." Brougham : Colonial policy of the European powers.

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rielle s'est emparé de nos passions et domine aujourd'hui toutes les âmes. Le temps des massacres et des guerres de destruction pour le plaisir de se détruire disparaît tous les jours avec la bar- barie du globe, et la lutte se transporte dans la carrière le prix convoité, l'ambition suprême, sera le bonheur de posséder les moyens de vivre avec luxe. Quelle sera la durée de cette car- rière qui mène peut-être trop vite à la siensualité, on n'en sait rien.

Le commerce commençait déjà à prendre de l'essor. L'éta- blissement de l'Amérique l'augmenta, et maintenant il embrasse tout, et du rang le plus humble tend continuellement à occuper la première place et à exercer la plus grande influence dans la société. Les armes, la mitre ont tour à tour exercé leur domi- nation sur le monde, le négoce vient leur succéder. S'il ne parait pas aus?i vénérable ou aussi magnifique que ces deux anti- ques puissances, il veut du moins régner d'une manière absolue sur toute l'Amérique ; son temps paraît arrivé et son activité semble destinée à précipiter de gré ou de force sous son joug les contrées dont l'industrie est trop lente à se réveiller. C'est donc aux peuples et aux gouvcrnemens à se préparer pour fournir une carrière qui doit les mener à la puissance ; témoin les Etats-Unis dont les progrès ont de quoi effrayer les ailles nations guerrières et aristocratiques de l'Europe, jusqu'à ce qu'enfin le pain manquant par la double action de la centralisation et du nombre, la faim arme de nouveau les hommes les uns contre les autres pour le partage des dépouilles terrestres, et ramène le règne de la force et de l'épée.

Mais avant de parvenir au degré de grandeur auquel ce con- tinent semble devoir atteindre, il a payer tribut et soumission aux métropoles qui l'ont peuplé. Il a comme l'enfant recon- naître leur autorité jusqu'à ce qu'il fût adulte, jusqu'à ce qu'il fût homme fait, c'est la loi de la nature. C'est à ce titre et pour l'indemniser de sa protection, que l'enfant travaille pour son père. Aussi l'Europe a dit par la bouche de Montesquieu : " Les colonies qu'on a formées au delà de l'Océan sont sous un genre ae dépendance dont on ne trouve que peu d'exemples dans les colonies anciennes, soit que celles d'aujourd'hui relèvent do

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l'Etat môme, ou de quelque compagnie commerçante établie dans cet Etat.

" L'objet de ces colonies est de faire le commerce à de meil- leures conditions qu'on ne le fait avec les peuples voisins, avec lesquels tous les avantages sont réciproques. On a établi que la métropole seule pourrait négocier dans la colonie ; et cela avec grande raison, parce que le but de l'établissement a été l'exten- sion du commerce, non la fondation d'une ville ou d'un nouvel empire.

" Ainsi c'est encore une loi fondamentale de l'Europe, que tout commerce avec une colonie étrangère est regardé comme un pur monopole punissable par les lois du pays : et il ne faut pas juger de cela par les lois et les exemples des anciens peuples * qui n'y sont guère applicables.

" Il est encore reçu que le commerce établi entre ces métro- poles n'entraîne point une permission pour les colonies qui restent toujours en état de prohibition."

En vain la Nouvelle-Angleterre et la Virginie diront : nous ne fîimcs point fondées par des spéculateurs européens, mais par des hommes libres qui vinrent se réfugier dans les forêts du Nouveau- Monde pour se soustraire aux persécutions de leur mère-patrie, et y cacher leurs lois et .leurs autels, l'Europe répondra : la colonie est soumise au pouvoir suprême de la métropole.

En vain le Canada dira: j'ai un pacte qui fut conquis après eix ans d'une lutte acharnée, et scellé avec le plus pur sang de mes enfans, un pacte qui me garantit l'usage de ma religion et de ma propriété, c'est-à-dire de ma langue, de mes biens et des lois qui les régissent, l'Europe répondra : la colonie est soumise au pouvoir suprême de la métropole.

Le traité d'Utrecht fut suivi d'une période de paix presque sans exemple dans les annales du Canada. Depuis son établis- sement celte colonie avait presque toujours eu les armes à la main, pour repousser tantôt les Anglais, tantôt les Indiens, qui venaient tour à tour lui disputer un héritage couvert de ses sueurs et de Bon sang. Cettp <>;norre semblait devenir plus vive à mesure qu'elle se prolongeait. Mais il vient ua temps les forces et

* Exreptu les Carthaginois, comms on voit par le traité qui termina la premiè 'e guerre punique.

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l'énergie s'usent et s'épuisent comme les passions. Les parties belligérantes plus affaiblies encore en Amérique qu'en Europe, songèrent enfin à poser les armes, et les colons depuis si longtemps victimes de ces luttes sanglantes, purent goûter en paix le fruit de leurs travaux et continuer sans interruption à développer leurs établissement.

Malgré la décadence et les embarras financiers de la métropole, qui réagissaient sur toutes les colonies et retardaient leur accrois- sement, par î^a seule énergie le Canada triomphait des désavan- tages de sa s.tuation, dont le plus grave était son interdiction aux marchandisefi et aux vaisseaux étrangers. Mais il était encore trop faiblement peuplé pour sentir tout ce que cette tyrannie avait d'oppressif, tandis que les colonies anglaises, non seulement en souffraient, mais songeaient déjà alors aux moyens de s'y sous- traire.

La population du Canada qui était en 1719 de 22,000 âmes, s'était élevée en 1741 à près de 50,000, e* les exportations qui ne dépassaient pas cent mille écus suivant Eaynal, montèrent en 174-9 à 1400 mille francs.

Les Français furent probablement les premiers qui dotèrent l'Europe de la pèche de la morue. Nous avons vu au commen- cement de cet ouvrage que presqu'aussitôt après la découverte de l'Amérique, on trouva les Basques, les Bretons et les Normands faisant tranquillement la poche sur les bancs de Terreneuve et le long des côtes du Canada ; que dès 1506 une carte du St. Lau- rent avait été tracée par un habitant de Honfleur nommé Jean Denis. Les Anglais dont le premier bâtiment expédié vers ces parages remonte, suivant leurs annales, à 1517, ne s'y montrèrent en nombre que plus tard. Ils apperçurent dans leur premier voyage une cinquantaine de navires français, espagnols et portu- gais occupés à la pèche. En 1536 les Français la faisaient déjà sur une échelle xjonsidérable, et en 1558 ils employaient une tren- taine de navires à celle non moins lucrative de la baleine. A cette époque la pèche de la morue occupait 100 navires espagnols, 50 portugais et 10 seulement anglais. En 1615 les Français et les Fortugais parurent v.voir fait moins de progrès que les Anglais, car tandis que les premiers expédiaient 400 bâtimens à Terre- neuve, les derniers en envoyaient déjà 250. Ils faisaient depuis

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quelque temps les plus grands efforts pour développer ce com- merce chez eux. Ils passèrent règlement sur règlement, et finirent enfin p?!* en absorber la plus forte partie, tout en augmen- tant dans la môme proportion le nombre de leurs matelots et en rendant par même leur marine redoutable. La France parta- geait alors son attention entre les pelleteries et le poisson. La traite des fourrures fut encore une industrie dont elle dota le monde, mais une industrie dont les avantages permanens et réels ont été souvent mis en question pour ses conséquences démoralisatrices. Quoiqu'il en soit, ce commerce fut établi par des pôdieurs, qui s'approchant des côtes du Canada et de l'Acadie, commencèrent avec les Indigènes un trafic qui leur rapporta des bénéfices con- sidérables. Petit à petit on lia des relations plus intimes avec eux ; plus tard on voulut avoir un pied à terre dans le con- tinent même que l'on s'était contenté jusque de côtoyer, et l'on y éleva des co-iptoirs. Deb spéculateurs riches et influens en demandèrent le monopole exclusif', à la condition d'y porter des colons pour établir ces contrées nouvelles, dont l'on pressentait vaguement l'avenir, et l'obtinrent. Ainsi fut introduite la domi- nation française sur une portion considérable du Nouveau-Monde. L'on sait par quelles mains ce monopole avait successivement passé en commençant par le capitaine Chauvin, le premier qui l'ait exercé d'une manière réguUère et systématique, au début du 17e siècle. La traite fut regardée dans tous les temps comme la branche la plus importante du commerce canadien, et il paraît que longtemps même avant Chauvin, elle était l'objet d'un pri- vilège accordé à plusieurs personnes, et entre autres, à Jacques Cartier lui-même. Mais il était impossible à cette époque de faire respecter un pareil monopole, qui demeurait conséqemment plus nominal que réel. Longtemps encore après Henri IV, les traitans et les pêcheurs, les pêcheurs surtout, jouissaient d'une liberté absolue, et les villes repoussaient avec énergie, surtout la Rochelle, l'exclusion que le commandeur de Chaste, de Monts et les de Caën voulurent exercer successivement les uns après les autres jusqu'en 1627. Alors fut formée la compagnie des cent associés, à laquelle furent cédées à perpétuité la Nouvelle-France et la Floride. En retour des charges relatives à la colonisation dont nous avons parlé en son lieu, le roi lui accorda, pour toujours, le

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trafic des cuirs, peaux et pelleteries, et pour quinze ans, tout autre commerce par terre et par mer, à la réserve de la pêche de la morue et de la baleine qui resta libre à tous les Français, et de la traite des pelleteries que les habitans des pays cédés purent faire avec les Indigènes, pourvu qu'ils vendissent les castors à ses fac- teurs, à raison d'un prix fixe. Il fut aussi stipulé que toutes les marchandises manufacturées dans la colonie seraient exemples de droits en France pendant quinze ans.

Cette compagnie si fameuse, qui avait Richelieu pour chef, n'ayant rempli aucune de ses obligations touchant la colonisation, et ayant été entraînée dans des dépenses qui dépassaient de beau- coup ses revenus, restreignit graduellement ses affaires jusqu'à ce qu'elles devinsent à rien, et qu'elle fût obligée elle-même en 1663, ou trente-six ans après sa création, de se dissoudre et de remettre ses possessions au roi.

Dès l'année suivante, cependant, se forma une nouvelle as- sociation qui prit le nom de compagnie des Indes occidentales, laquelle subsista jusqu'en 1674. Elle eut en concession toutes les colonies françaises de l'Amérique, et toute la côte d'Afrique depuis le Cap- Vert jusqu'au Cap de Bonne Espérance, avec le privilège exclusif du commerce, la pêche toujours exceptée, pendant quarante ans, et la jouissance des droits et privilèges qui avaient été accordés aux cent associés. Le roi lui promit ime prime de quarante livres par tonneau, sur les marchandises exportées de France dans les colonies ou des colonies en France. Los marchandises dont les droits avaient été payés à l'entrée, pouvaient être ré-exportées par elle à l'étranger en franchise. Elle n'avait pas non plus de droits à payer sur les vivres, mu- nitions de guerre et autres objets nécessaires à l'armement de de ses vaisseaux.

Le commerce d'importation et d'exportation se trouva par arracha de nouveau des mains des colons pour être livré à la nouvelle compagnie seule à l'exclusion de tous autres. Les cent associés avaient joui du même monopole ; mais ils avaient été forcés de l'abolir en 1645, et de signer un traité avec le député des habitans de la Nouvelle-France, par lequel ils leur aban- donnaient la traite des pelleteries à la condition qu'ils acquit- teraient 1» liste civile et militaire avec toutes les autres dépenses

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d'administration. Le nouveau privilège, plus exclusif que celui de 1627, souleva une opposition générale. En très peu de temps les marchandises n'eurent plus de prix et le conseil souverain fut obligé d'intervenir pour établir un tarif, que rendit inutile la sagacité mercantile, car la compagnie et ceux qui avaient encore d'anciennes marchandises, refusèrent de les vendre aux taux fixés par l'autorité, et elles disparurent du xTiarché. Il devint bientôt nécessaire de faire cesser un état da choses qui assujétissait les habitans à une gène affreuse en les ruinant, et en 1666 sur le rapport de Colbert au roi, basé siir les repré- sentations de Talon que nous avons vues ailleurs, la compagnie rendit libres le commerce avec la France et la traite des fourrures. Mais pour s'indemniser de la subvention des juges, (|ui fut portée à sa charge, et qui se montait à 48,9n0 livres, elle se réserva le droit du quart sur le castor, du dixième sur les orignaux et la traite de Tadoussac.

Cette compagnie, malgré les vastes domaines livrés à son ex- ploitation, ne prospéra point. Soit que ses opérations fussent conduites sans prévoyance et sans économie, ou, ce qui est plus probable, que les colonies qu'on lui abandonnait ne fussent pas assez avancées pour alimenter un grand commerce, elle se trouva bientôt grevée d'une dette énorme. Elle employait plus de cent navires. Elle devait en 1614f, trois millions 523 mille livres ; cette dette avait été en partie occasionnée par la guerre qu'elle avait eue à soutenir contre les Anglais. Le capital versé s'élevait à un million 297 mille livres ; de sorte que la caisse se trouvait débitrice pour quatre millions 820 mille livres. L'actif de la compagnie ne dépassait pas un million 47 mille livres. Sur les suggestions de Colbert, Louis XÏV remboursa aux actionnaires leur mise, se chargea du paiement des trois millions 523 mille livres, supprima la société, et rendit le commerce de l'Amérique libre à tous les Français, excepté celui du castor.

Le droit <' quart sur les castors et du dixième sur les orignaux fut maintenu, et passa entre les mains du gouvernement qui l'af- ferma immédiatement à M. Oudiette. Il fut défendu de porter le castor ailleurs qu'à ses comptoirs dans la colonie, au prix fixé par l'autorité. Ce prix fut d'abord de 4 francs 10 sous, la livre j mais il devint bientôt nécessaire de diviser cette marchandise en

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Ire. 2de. et 3me. qualités, ou en castor gras, demi gras et sec, et do modifier le tarif en conséquence. Le fermier payait les pelleteries que lui apportaient les habitans,cn marchandises ; et comme il n'y avait que lui qui pouvait acheter le castor, qui formait encore la branche la p us importante du commerce général, il se trouvait par môme en état de maîtriser à son gré tout le commerce du pays. Ce qu'il ne manqua pas de faire au détriment général. Comme il était maître des prix, il les fixa de manière qu'on vit graduellement baisser celui des fourrures chez les Sauvages et hausser celui des arides que les Français leur donnaient en retour, tandis que dans les colonies anglaises, ce trafic était libre, les prix suivaient une marche contraire, et qu'on y payait les pelleteries deux ou trois fois plus cher.

M. Oudielte obtint encore la ferme des droits sur les vins, eaux-de-vie et tabacs, qui étaient de dix pour cent. Plusieurs particuliers prétendaient en être exempts, on ne dit pas pour quels motifs ; mais ils furent bientôt obligés de se soumettre à Tordre du roi avec les autres, personne ne songeant encore sans doute à disputer au souverain la prérogative de taxer.

Cette ferme exista sans modification jusqu'en 1700, le tarif du castor et des marchandises non énumérées, subissant les variations plus ou moins bien ou mal entendues que l'intérêt du fermier par- venait à faire agréer au gouvernement. Mais à cette époque les Canadiens ne pouvant plus supporter la tyrannie de ce marchand, envoyèrent des députés eu France pour y exposer les abus du système et demander un remède. -Le ministre, M. de Pontchar- train, imagina alors une société qui embrasserait tous les habitang de la colonie. Par cet expédient on satisferait les mécontens en les absorbant. Mais le principe vicieux subsistait toujours, car on ne rétablissait pas la concurrence entre les citoyens pour exci- ter l'émulation et l'industrie; et l'avantage de la liberté commer- ciale allait toujours continuer d'appartenir aux colonies anglaises, rivales de plus en plus dangereuses du Canada.

Cependant Louis XIV permit de porter librement tant en France qu'à l'étranger le castor provenant des traites laites en Amérique. M. Roddes, devenu après M. Oudiette adjudica- taire de la ferme des pelleteries, la remit à M. Pacaud, l'un des députés de la colonie, qui s'obligea en cette qualité de payer

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70,000 livres de rente annuelle, et de composer une société pour l'exploitation de cette ferme, dont tous les Canadiens, marchands et autres, feraient partie. Une assemblée générale fut convoquée par le gouverneur et l'intendant, et une grande association mer- cantile se forma sous le nom de compagnie du Canada. Les plus petites actions étaient de 50 livres de France. Tout marchand fut tenu d'y entrer à peine d'être déchu de la faculté de com- mercer. Les seigneurs de paroisse purent en devenir membres avec leurs habitans. La compagnie de la baie du Nord (ou d'Hudson) formée quelque temps auparavant, se fondit dans la nouvelle association, qui eut la traite exclusive du castor, et qui obtint aussi que le commerce de cette pelleterie fût sévèrement prohibé avec la Nouvelle-York. On fit enfin un nouveau ta .'if pour le castor, dont le prix baissait continuellement en Fran :e avec la qualité de celui qu'on y envoyait.

La compagnie du Canada fut un essai infructueux, qui ne pro- fita ni aux habitans ni au commerce. En 1706 ses dettes se montaient déjà à 1,812,000 francs; elle dut se dissoudre, et céder ses privilèges à MM. Aubert, NeretetGayotqui s'obligèrent de payer les créanciers. La colonie conserva la liberté de la traite du castor dans l'intérieur, mais sans pouvoir l'exporter au dehors, étant obligée de porter cette pelleterie aux comptoirs des nouveaux cessionnaircs qui eurent seuls le droit de l'envoyer en France. C'était conserver au fi)nd le monopole sous un nom déguisé et conséquemment laisser subsister la cause du mal.

En 1715 furent présentés au régent du royaume, deux mé- moires sur les abus du système et les fautes du gouvernement, dans lesquels l'auteur * parlait avec la plus grande hardiesse et accusait tout le monde sans épargner même les gouverneurs ni les intendans. Le commerce avec les Sauvages -qui avait été pendant longtemps, disait-il, le plus considérable, était bien dimi- nué. La construction des navires se faisait encore avec assez de succès ainsi que la culture ' chanvre et du lin pour les cordages et la toile ; mais il se plaignait que la France ne se servît pas du bois de ses colonies comme l'Angleterre, n'exploitât pas les mines

* Mémoire sur l'état présent du Canada adressé en 1715 à son altesse r-yale le duc d'Orléans, régent de France, dans le conseil de marine. Copi» sans nom d'auteur apportée de Paris par M. Papineuu.

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de cuivre du lac Huron, et qu'elle permît de décrier le Canada ccmme on le faisait chez elle ; que s'il ne faisait pas plus de pr:)grès, ce n'était pas la faute des habitans qui avaient intérêt à i?e qu'il fût établi partout, mais bien des hommes en autorité, qi i négligeaient de faire exécuter les ordonnances sur la matière. Si elles avaient été observées, la compagnie y aurait fait passer, comme elle était obligée de le faire, deux à trois cents colons tous leM ans depuis près d'un siècle. Depuis 1663 surtout rien n'avait et j fait, les ministres s'en rapportant aux gouverneurs, leurs créa- tu'es et souvent leurs parens. Les vaisseaux venus depuis 1663 ja igeaient au moins 2000 tonneaux par année, l'une dans l'autre, et quoiqu'ils fussent tenus d'amener un colon par chaque dix ton- neaux, ce qui aurait donné 200 colons par an ou 10,000 hommes à ^enir jusqu'à ce moment, et conséquemment 10,000 familles qii se seraient au moins triplées sans qu'il en coûtât un sou avi gouvernement, aucun n'observait l'ordonnance et personne ne s'en occupait. Les intendans étaient indiiïércns au mal comme au bien qui arrivait, parceque le pays n'était pour eux qu'un moyen d'acquérir des richesses et de parvenir à des emplois importans en France. Loin de recevoir dés colons, le Canada voyait ses habitans le quitter pour aller faire la guerre et la course dans les contrées méridionales, ils périssaient presque tous victimes du climat, ou pour aller faire la traite dans les bois. Outre ces causes de langueur et de ruine, il y en avait d'autres encore plus graves pour le commerce, comme l'abaissement du prix du castor et la réduction de moitié sur la monnaie de carte que l'on avait mise en circulation sans édit du roi, au point qu'il y en avait pour deux millions dehors en 171'i ; qu'il était injuste de faire perdre un million à un pays par suite de désordres dont le ministre, M. de Pontchartrain lui-même, devait être respon- sable si les commandemens du roi en étaient la cause. D'autres causes d'inertie ou de décadence étaient encore signalées, comme l'accaparement de la plus grande partie du commerce par les chefs de la colonie ; les pertes soulfertes sur mer par suite des naufrages et de la guerre, et qui s'élevaient à trois millions et demi depuis vingt-cinq ans. Le hardi censeur finissait enfin par plier le régent de se faire rendre compte par MM. de Vaudreuil, de Beauharnais, Raudot, père et fils, et Begon de cette monnaie ;

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de permettre à lin dépiilédu Canada d'assister à l'examen pour la conservation de ses intérôls, et en attendant de pourvoir au paie- ment dos lettres de change.

Après avoir ainsi exposé les abus et les défauts du système, l'au- teur suggérait pour remède trois choses: nommer trois conseillers d'état pour recevoir les plaintes des Canadiens, garder les gouver- neurs seulement trois ans en place ou tout au plus six, et favoriser rémigration de France en Canada. Les gou"crneurs et les inten- dans faisaient ce qu'ils voulaient, parcequ'ils savaient que rien n'en parvenait aux oreilles du roi et que leurs désordres demeu- raient secrets ; si leurs inférieurs cherchaient à les dévoiler, ils étaient immédiatement opprimés et réduits au silence, tandis que leurs alfidés et leurs agens étaient élevés et récompensés.

Il est rare de rencontrer dans les documens qui nous restent sur l'histoire de cette époque, une plume qui peignît plus au vif les plaies du temps, indiquât avec plus d'indépendance les défauts du gouvernement, et citât les faits avec moins de gène. Mais elle exagère en quelques points les erremens des hommes, et ne fait pas la part des choses, des institutions surtout, assez grande. L'organisation du gouvernement canadien était comme celle de la France surannée et remplie de défauts qui mettaient obstacle à tout progrès.

Un des plus graves, c'était de suppléer à la modicité des salaires par des congés de traite, qui faisaient des fonctionnaires des spéculateurs, et des spéculateurs privilégiés contre lesquels il était impossible au simple marchand de lutter longtemps. Mais c'était un usage reçu, et sous la vieille monarchie tout usage, bon ou mauvais, devenait un dogme immobile comme elle. D'ailleurs les finances de l'état étaient ruinées ; les rois employaient toutes sortes de moyens pour payer leurs serviteurs, redoutant par une espèce d'effroi instinctif, la réunion des ordres de la nation pour réformer les institutions du royaume et lui rendre son antique vigueur.

La compagnie d'Occident formée en 1717, succéda au privi- lège expirant de M. Aubert et de ses associés, et en 1723 la compagnie des Indes à cette première, qui s'était élevée et qui s'évanouit avec la fortune et le système de Lavv. Elle le con- serva pour la Louisiane et le pays des Illinois, jusqu'à la fin de

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1731, époque à laquelle ces deux contrées rentrèrent sous lo régime royal, pour y demeurer jusqu'à la fin de la domination française.

Ce privilège n'avait pas toujours embrassé les découvertes faites sur les lacs et dans la vallée du Mississipi, car on a pu voir que la Salle, par exemple, en avait obtenu la concession en 1G75 avec le fort Frontenac. Mais plus tard la Nouvelle-France et la Louisiane furent soumises au même monopole jusqu'après la construction du fort Ovvégo. Alors la Nouvelle-York faisant une rude concurrence aux comptoirs de Frontenac, Toronto et Nia- gara, l'on craignit les suites des liaisons que la traite pourrait éta- blir entre les Sauvages et les Anglais, et le roi, pour y parer, pi'H ces postes entre ses mains, expédient à l'aide duquel on ré- ussit à retenir la plus grande partie du comnr^erce du lac Ontario en payant les pelleteries plus cher ; mais ce système avait tous les vices d'un trafic artificiel conduit par un gouvernement. Pri- vé de l'œil du maître et abandonné à des militaires, il entraîna des dépenses immenses et ne rendit aucun profit. Les avances furent faites presqu'en pure perte.*

Il est difficile d'établir avec précision la valeur annuelle des ex- portations de pelleteries à cette époque. On sait seulement qu'elles étaient en 1667, suivant l'auteur du Mémoire sur l'état du Canada, de 550,000 francs et qu'elles avaient ensuite graduel- lement augmenté jusqu'au chiffre de deux millions. D'après un calcul basé sur les droits payés par cette marchandise en 1754 et 55,fait par ordre du général Murrayf, elles seraient tombées dana la première de ces deux années à 1,547,885 livres, et dans la se- conde à 1,265,650 livres. Mais on ajoute que les registres de douane d'où l'on avait tiré ces renseignemens, étaient très confus et irréguliers, et que les traitans les plus intelligens étaient d'o- pinion, qu'année commune le montant des fourrures exportées atteignait près de trois millions et demi.

D'abord la traite se fit aux entrepôts de la compagnie, les Sauvages eux-mêmes, qui arrivaient à certaines époques de l'an- née, portaient leurs pelleieries. Après Tadoussac, après Qué-

* Raynal. Registre de l'intendant.

t Governor Murray's gênerai Report on tke ancient government and ac tuai state of tlie province of Québec in 1762.

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bec, après les Trois-Rivières, Monlrûal devint et demeura le principal comptoir. On voyait les Sauvages arriver au mois de juin dans leurs canots d'écorcc chargés de pelleteries. Leur nombre grossissait à mesure que le nom français s'étendait au loin. " Lo récit de l'accueil qu'an leur avait fait, la vue de ce qu'ils avaient reçu en échange de leurs marchandises, tout aug- mentait le concours. Jamais ils ne revenaient vendre leurs pel- leteries sans conduire avec eux une nouvelle nation. C'est ainsi que l'on vit so former une espèce de foire se rendaient tous les peuples de ce vaste continent."

Les Sauvages en arrivant se campaient près de la ville, s'éle- vaient des tentes, rangefacnt leurs canots et débarquaient leurs fourrures. Après avoir e>i audience publique du gouverneur, ils portaient leurs fonrriires au comptoir de la compagnie ou chez les marchands de la ville qui avaient le privilège de les acheter pour les revendre ensuite à cette société. Les Sauvages étaient payés en écarlatine, vermillon, couteaux, poudre, fusils, etc. Les autres, en marchandises ou en récépissés ou reçus qui avaient cours de monnaie dans la colonie, et qui étaient rachetés par des lettres de change à termes que les agens de la compagnie tiraient sur son caissier à Paris. Cela dura tant que les Français n'eurent point de concurrens ; mais bientôt les Anglais se présentèrent sur le marché. Ils se bornèrent d'abord au pays des Iroquois, puis, lorsqu'ils l'eurent épuisé de pelleteries, ils employèrent ces Sauvages eux-mêmes pour leurs coureurs de bois ou ils mar- chèrent à leur suite. Ils se trouvèrent en communication avec toutes les nations établies sur les rives du St.-Laurent depuis sa source, et sur celles de ses nombreux tributaires. " Ce peuple, dit Raynal, avait des avantages infinis pour obtenir des préférences sur le Français son rival. ^^ navigation était plus facile, et dès- lors ses marchandises s'of'' meilleur marché. Il fabriquait seul les grosses étoffe enaient mieux au goût des Sau- vages. Le commt castor était libre chez lui, tandis que chez les Français il v it, et fut toujours asservi à la tyrannie du monopole. C'est avec cette liberté, cette facilité qu'il intercepta la plus grande partie des marchandises qui faisaient la célébrité de Montréal." D'ailleurs les Anglais payaient les pelleteries beaucoup plus cher. " Alors, continue le même auteur, s'étendit

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Bur les Françnin »lu Canada un usage qu'ils avaient d'abord res- eerré dans des bornes assez étroites. La passion de courir les bois, qui fut celle des premiers colons, avait 6t6 sagement res- treinte aux limites du territoire de la colonie. Seulement on ac- cordait chaque année à vingt-cinq personnes la permission le franchir ces bornes pour aller faire le commerce chez les Sau- vages. L'ascendant que prenait la Nou elle- York rendit ces con- gés beaucoup plus fréquens. C'étaient des espèces de privilèges exclusifs qu'on exerçait par soi-même ou par d'autres. Ils du- raient un an ou môme au-delà. On les vendait et le produit en était distribué, par le gouverneur de la colonie, aux officiers ou à leurs veuves et à leurs enfans,aux hôpitaux ou aux missionnaires, à ceux qui s'étaient signalés par une belle action ou par une en- treprise utile, quelquefois enfin aux créatures du commandant lui- même, qui vendait les permissions. L'argent qu'il ne donnait pas ou qu'il voulait bien ne pas garder, était versé dans les caisses publiques ; mais il ne devait compte à personne de cette adminis- tration.

" Elle eut des suites funestes. Plusieurs de ceux qui faisaient la traite se fixaient parmi les Sauvages pour se soustraire aux associés dont ils avaient négocié les marchandises. Un plus grand nombre encore allaient s'établir chez les Anglais, les profits étaient plus considérables. Sur des lacs immenses, souvent agités de violentes tempêtes ; parmi des cascades qui rendent si dangereuse la navigation des fleuves les plus largeu du monde entier ; sous le poids des canots, des vivres, des marchandises qu'il fallait voiturer sur ses épaules dans les portages, la rapi- dité, le peu de profondeur des eaux obligent de quitter les rivières pour aller par terre ; à travers tant de dangers et de fatigues on perdait beaucoup de monde. Il en périssait dans les neiges ou dans les glaces ; par la faim ou par le fer de l'ennemi. Ceux qui rentraient dans la colonie avec un bénéfice de six ou sept pour cent, ne lui devenaient pas toujours plus utiles, soit parce qu'ils s'y Hvraient aux plus grands excès, soit parceque leur exemple inspirait le dégoût des travaux assidus. Leurs fortunes subite- ment amassées, disparaissaient aussi vite : semblables à ces mon- tagnes mouvantes qu'un tourbillon de vent élève et détruit tout- à-coup dans les plaines sablonneuses de l'Afrique. La plupart

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(le ces coureurs, épuisés par les fatigues excessives de leur ava- rice, par les débauches d'une vie errante et libertine, traînaient dans l'indigence et dans l'opprobre une vieillesse prématurée."

Ces congés qui étaient transportables tombaient souvent dans le commerce. Donnant permission d'importer jusqu'à la charge de plusieurs canots, ils se revendaient ordinairement six cents écus. Shc hommes partaient avec mille écus de marchandises qu'on leur avait fait payer quinze pour cent de plus que le cours du marché, et revenaient avec quatre canots chargés de castors valant huit mille écus. Après avoir déduit 600 écus pour le congé, 1000 pour les marchnndises, 2560 pour le prêt à la grosse aventure ou 40 pour cent t. . .es 6400 restant que le marchand chargeait pour ses avances, le résidu appartenait aux coureurs de bois. Le marchand revendait ensuite le castor au bureau de la compagnie à 25 pour cent de profit. Il est inutile de dire qu'avec un pareil système et de pareils bénéfices, l'on devait finir par rebuter les Sauvages qui en étaient les victimes, et perdre entiè- rement un commerce le vendeur primitif voyait sa marchan- dise rapporter après qu'elle était sortie de ses mains, 700 pour cent de profit sans qu'elle eût changé d'état.

Le monopole de la traite se bornait au castor en s'étendant quelquefois à l'orignal depuis 1666. A partir de cette innée, toutes les autres pelleteries dont le commerce était considérable, restèrent libres ou soumises momentanément, comme les produits agricoles et les marchandises, à des lois et des règlemens coloniaux si vagues et si éphémères qu'il règne dans leur histoire beaucoup d'obscurité. Les actes publics et les jugemens des tribunaux renferment une foule de décrets sur cette matière, qui peuvent faire conclure que le marchand canadien refusa toujours de se sou- mettre au joug que voulait lui imposer l'autorité locale ; qu'il n'a supporté patiemment que son exclusion du commerce étranger iwec le monopole de l'exportation du castor en France, et que, sur tout le reste, il prenait une liberté fort large.

A venir jusqu'au traité de 1713, la plus grande partie de la traite de l'Amérique était entre les mains des Français. Par ce traité ils perdirent entièrement celle de la baie d'Kudson ; et la Nouvelle-York qui, depuis le chevalier Andros, cherchait à leur

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enlever aussi la traite de l'Ouest sans beaucoup de succès, vit tout-à-coup ses elTorls couronnés des plus heureux résultats.

Nous avons rapporté ailleurs comment M. Burnet, qui con- naissait de quel avantage serait pour la Grande-Bretagne la pos- session de ce commerce, travailla à fermer aux Canadiens l'entrée des contrées si convoitées de l'Ouest, et comment M. de Beau- harnais l'avait prévenu. Voyons maintenant quel fut l'effet des moyens employés par l'agent anglais pour parvenir à ce grand but, objet constant de tous ses eflbrts. Tout semblait favoriser la Nouvelle-York, situation plus rapprochée, population plus nom- breuse et plus commerçante, marchandises plus modiques. Le Canada n'avait aucun moyen de contrebalancer ces trois avanta- ges. Le prix des marchandises était beaucoup plus élevé à Québec qu'à Boston ou New-York, de même que le fret et l'as- surance maritime. Aussi se faisait-il un commerce étendu de contrebande entre Montréal et Albany. L'on tirait d'Albany les tissus de laine avec une quantité considérable d'autres marchan- dises qui ne servaient point au négoce avec les Sauvages. Dans une seule année le Canada reçut 900 pièces d'écarlatine pour la traite, outre des mousselines, des indiennes, des tavelles, du ver- mi'lon, etc. Que faisait alors l'industrie française] Que faisait surtout la compagnie des Indes 1 Elle en introduisait annuelle- ment une douzaine de cents pièces qu'elle tirait elle même de l'Angleterre ; et elle défendait sévèrement aux autres d'en importer en Canada.* De sorte que le manufacturier français était pour cet article comme exclus de nos marchés. Le traitant anglais au moyen des avantages que nous venons d'énumérer, souvendait le traitant canadien. Il donnait ses marchandises aux Indiens pour moitié moins cher, faisait le double de profit, et payait encore le castor trois chelings sterling la livre tandis que le dernier n'en pouvait donner que deux francs.

Quand Burnet prit les rênes de la Nouvelle-York, il vit du pre- mier coup d'oeil qu'en fermant l'entrée de son pays aux Canadiens, il porterait un coup mortel à leur commerce, et qu'en les privant des objets qui leur étaient absolument nécessaires pour la traite il leur enlèverait un mi -chc pour leurs pelleteries, c'est-à-dire

* Mémoire sur la traite de la Province de la Nouvelle- i'o,k, inséré dans l'histoire des cinq nations du Canada, p C. Colden.

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Albany ils vendaient le castor le double de ce que le payait la compagnie des Indes. En conséquence il fit passer en 17'20, par forme d'essai, un acte législatif pour prohiber pendant trois ans tout commerce avec le Canada ; et en 1727, on s'empressa de rendre cet acte permanent. L'effet en fut aussi prompt que funeste pour les Canadiens. Les tissus de laine qui s'étaient vendus jusque treize louis la pièce, à Montréal, montèrent aus- sitôt à vingt-cinq.

Burnet, marchant toujours vers son but, fil ouvrir à Osvvégo, sur la rive méridionale du lac Ontario, un comptoir pour attirer les Sauvages ; c'était le complément nécessaire de l'acte législatif de 1720. Les traitans français ne purent plus dès lors continuer la concurrence, et le roi, quelques années après, fut obligé de prendre entre ses mains les postes de Frontenac, Toronto et [Niagara, et de donner les marchandises à perte pour conserver avec la traite des pelleieries l'alliance des Indigènes; car la traite était encore plus essentielle pour la sûreté des possessions fran- çaises et le succès de leur politique, que pour leur prospérité commerciale.

C'est en 1727, pendant que la Nouvelle-York excluait ainsi le Canada de ses marchés, que le roi de France rendit un édit sem- blable pour exclure à son tour les Anglais de ses colonies. Depuis plusieurs années, il recommandait de défendre sév^èrement toute relation avec l'étranger, mais depuis la dernière guerre ces ordres étaient devenus plus fréquens et plus impératifs que jamais. Rien ne prouve mieux combien les intérêts coloniaux les plus chers sont souvent sacrifiés à cette législation qui courbe sous le même niveau le Canada et l'Archipel du Mexique, l'Amérique et l'Asie, sans tenir compte de la différence de circonstances et du mal fait aux uns ou aux autres, pourvu que le résultat géné- ral réponde au calcul de la métropole.

Presque tous les postes de traite français devinrent alors privi- légiés; c'esl-à-dire que ceux qui les obtenaient avaient le droit exclusif d'y faire le commerce de pelleteries. Ces postes se don- naient, se vendaient ou s'alTermaient, et dans ces trois cas le commerce soullVait également de leur régie ; ils étaient loués communément pour trois ans, et le fermier voulait dans ce court espace de temps faire une fortune considérable ; le moyen qu'il

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prenait, c'était de vendre les marchandises qu'il y portait un prix excessif et d'acheter les pelleteries au plus bas possible, dut-il pour cela tromper les Sauvages ajjrès les avoir enivrés. En 1754«, on avait dans le poste de la mer d'Ouest une peau de cas- tor pour quatre grains de poivre, et on a retiré jusqu'à huit cents francs d'une livre de vermillon ! Il était évident que ce com- merce allait être frappé de mort, si on ne réussissait pas à rejeter les colons anglais eu dehors des vallées du St.-Laurent et du Mississipi ; et déjà même il était trop tard, dans l'opinion de bien des gens, qui pensaient que l'on aurait avoir élevé des digues avant le débordement.

Nous nous sommes étendu sur la traite des pelleteries, parce que des motifs de politique et de sécurité nationale s'y trouvaient étroitement liés ; c'était la traite qui fortifiait et perpétuait l'alli- ance avec les Indigènes, dont nous avons plus d'une fois signalé les avantages et la nécessité. Quant aux autres branches du commerce canadien, il ne sera pas nécessaire de s'y arrêter si longtemps, quoique nous n'en oublierons aucune un peu impor- tante, puisque le commerce forme avec l'agriculture, la grande occupation de toutes les classes des populations américaines, de- puis le citoyen le plus opulent jusqu'au citoyen le plus humble.

Après la traite des fourrures venait la pêche. Celle de la morue et de la baleine resta presque entièrement entre les mains des Européens ; les Canadiens s'adonnèrent plus spécialement à celle du loup-marin et du marsouin qui fournissaient d'excellentes huiles pour les manufactures et l'éclairage. Sept ou huit loup- marins donnaient une barrique d'huile ; les peaux servaient à différens usages. Cette pêche se faisait dans le fleuve et le golfe St.-Laurent et sur la côte du Labrador, le gouvernement affer- mait à des particuliers pour un certain nombre d'années des por- tions de grève, des îles ou des côtes entières.* Il fut établi jusqu'à quatorze pêches au marsouin en bas de Québec en 1722. L'on exportait dans les dernières années un quantité considérable d'huile en France avec des salaisons de harengs et d'autres pois- sons. Les bois auraient former aussi l'un des principaux articles d'exportation, mais ce commerce ne prit jamais beau-

•II afferma la baie des Esquimaux à la veuve Fournel en 1749, le Labra- dor à M. d'Aillebout en 1753.

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coup de développement, non plus que la construction des navires, malgré les efforts du gouvernement pour l'encourager. Le ministre, M.Philipeaux, recommandait en vain en 1731, de redoubler de soin pour exciter les habitans à construire des vaisseaux de commerce, afin de parvenir à diminuer la main d'œuvre et de permettre d'en bâtir pour le roi. Il fallut que Louis XV offrît une gratification de 500 francs par vaisseau de 200 tonneaux ; 150 francs par bateau de 30 à 60 tonneaux, vendus en France ou dans les Iles, et qu'il fît établir lui-même des ateliers de construction à Québec, garnis des ouvriers nécessaires pour bâtir pour sa marine. L'on reprochait aux navires canadiens de coûter beaucoup plus que ceux qui étaient faits en France, et de durer moins longtemps, attendu que le chêne dont on se servait était tiré des lieux bas et humides, et qu'après avoir été coupé d'hiver, on le mettait l'été suivant à l'eau pour le descendre à Québec, pratique qui en alté- rait la bonté. Malgré les encouragemens la construction resta tellement négligée, que, suivant un rapport présenté au ministère, les Anglais fournissaient une partie des vaisseaux servant même à la navigation intérieure du Canada parce qu'ils les donnaient à meilleur marché. Talon avait vainement introduit la culture des chanvres et ouvert des chantiers pour la préparation des bois. On ne sait, dit Raynal, par quelle fatalité tant de richesses furent longtemps négligées ou méprisées. En réfléchissant un peu Raynal aurait vu que la vraie cause était le manque de bras, le manque de population. Aujourd'hui les chantiers de Québec occupent plusieurs milliers d'hommes, et le Canada peut soutenir la concurrence avec aucune autre nation du monde.

L'exploitation des mines de fer ne fut commencée aux Trois- Rivières que vers 3737. Elle fut d'abord dirigée d'une manière peu judicieuse. Mais en 1739 les nouveaux fermiers étendirent et perfectionnèrent les travaux, et produisirent assez de fonte, pour la consommation intérieure. Il en fut exporté des échan- tillons qui furent trouvés d'une qualité supérieure. Cette forge subsiste encore.

Dès le temps de Cartier les rives du lac Supérieur étaient célèbres parmi les indigènes pour leurs mines de cuivre. Les Sauvages en montrèrent des morceaux à ce voyageur. Les rap- porta des Français confirmèrent plus tard ceux des Sauvages.

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En 1738, le roi envoya deux mineurs allemands nommés Forster pour ouvrir celle de Chagouïa-mi-gong,* entreprise prématurée qui lut ensuite abandonnée sans doute à cause de la distance. Les lettres du roi qui adressent ces deux étrangers à l'intendant contiennent des recommandations singulières sur la manière dont ils doivent être traités. Après les pelleteries, après le poisson et les huiles, venaient les céréales qui formaient encore un arlicl' d'exportation plus important que le bois. Une partie était con- sommée dans le pays même par les troupes et l'autre exportée. Il en sortait dans les bonnes années jusqu'à 80,000 minots en farines et en biscuits.f Le Canada en produisit en 1734, 738,000 minots, outre 5,000 de maïs, 63,000 de pois, et 3,400 d'orge. La population était alors de 37,000 habitans.^

Une plante célèbre découverte par le Jésuite Lafitau dans nos forêrs, vint enrichir un instant le pays d'un nouvel objet d'expor- tation. Le jin-seng que les Chinois tiraient à grands frais du nord de l'Asie, fut porté des bords du St.-Laurent à Canton. Il fut trouvé excellent et vendu très cher ; une livre qui ne valait à Québec que deux francs y monta jusqu'à vingt-cinq. Il en fut exporté une année pour 500 mille francs. Le haut prix que cette racine avait atteint excita une aveugle cupidité. On la cueillit au mois de mai au lieu du mois de septembre, on la fit sécher au four au lieu de la faire sécher lentement et à l'ombre ; elle ne valut plus rien aux yeux des Chinois, qui cessèrent d'eu acheter. Ainsi un commerce qui promettait de devenir une source de richesse, tomba et s'éteignit complètement en peu d'an- nées.

Québec était le grand entrepôt du Canada. Cette ville envoyait annuellement cinq ou six bâtimens à la pêche du loup-marin, et à peu près un pareil nombre dans les Ile? t à Louisbourg char- gés de farine, lesquels revenaient avec des cargaisons de charbon, de rum, de mêlasse, de café et de sucre. Elle recevait de France une trentaine de navires formant environ 9,000 tonneaux.

Dans les temps les plus florissans, les exportations du Canada

Registre de l'intendant, t Mémoire attribué à M. Hocquart : historique de Québec, t Recensement : correspond. ofHc.

Collection de la Société littéraire et

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ne dépassèrent pas 2,000,000 livres en pelleteries, dont 800,000 en castor, 250,000 en huile de loup-marin et de marsouin ; . une pareille somme en farine ou pois, et 150,000 livres en bois de toutes les espèces. Ces objets pouvaient former ainsi, année commune, une valeur de 2,650,000 livres. Si l'on ajoute à cela une somme de 600,000 livres pour les divers autres produits et le jin-seng au moment de sa plus grande vogue, on aura un total de 3 millions 250 mille livres.

L'auteur des " Considérations sur l'état du Canada pendant la guerre de 1765," * évaluait alors le montant des exportati'^ns à environ deux millions et demi, et celui des importations à huit millions de vente, f Comment cet immense déficit entre l'im- portation et l'exportation était-il comblé 1 Par les dépenses que le roi faisait dans la colonie, et qui ont été nécessaires de tout temps pour rétablir la balance du commerce. Elles augmen- taient prodigieusement dans les temps de guerre, d'où il résulte qu'avant celle de Sept ans, les importations devaient rester bien au-dessous de la somme de huit millions.

L'importation se composait de vins, d'eâux-de-vie, d'épiceries, de marchandises sèches de toute espèce, dont une bonne partie de luxe, car le luxe était grand en Canada comparativement à sa richesse, de quincailleries, de potteries, de verreries, etc.

Il ne faut pas croire néanmoins que cette augmentation rapide de l'importation (ùt profitable aux négocians. Les temps qu'elle signala furent ceux d'une dépression générale et de la ruine d'un grand nombre parmi eux. Le roi faisait venir une partie des marchandises nécessaires pour le service militaire, et le reste était acheté à Québec et à Montréal. Mais ces achats ne se faisaient pas en droiture chez le négociant ou par soumission au rabais. Les fonctionnaires qui avaient l'administration des four- nitures et la comptabilité, s'étaient secrètement associés ensemble, comme nous le dirons ailleurs, et spéculaient sur le roi et sur le commerce. Sachant d'avance ce que le service demandait, " la grande compagnie," comme on nommait cette société occulte,

Collection de la Société littéraire et historique.

f L'histoire de M. Smith contient un état (V. appendice B.) des exporta- tions et des importations de ce pays, dont les chiffres diffèrent essentiellement de ceux de l'auteur des Considérations.

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faisait ses achats avant que le public eût connaissance des besoins de ce service ; et comme ces achats étaient considérables, elle payait souvent 15 à 20 au-dessous du cours, et ensuite après avoir accaparé les marchandises, les revendait au roi à 25, 80, et. jusqu'à 150 pour cent de profit.

Il est facile de concevoir par ce qui précède que le commerce canadien étant peu étendu, ses ressources à peine utilisées, la manque de récoltes, les irruptions des Sauvages, les guerres devaient le jeter continuellement dans des perturbations pro- fondes et rendre le prix des marchandises excessif. C'est ce qui porta la France, malgré la répugnance naturelle des métropoles à permettre l'établissement des manufactures dans leurs colonies, à autoriser, a recommander même en Canada la fabrication des toiles et autres étoffes, et plus tard encore en 1716, lorsque l'on était devenu plus exclusif que jamais, et que l'on déclarait qu'il ne devait pas y avoir de manufactures en Amérique, parce qu'elles nuiraient à celles de. la France, à renouveler la permis- sion d'en établir quelques-unes pour le soulagement des pauvres. Le roi était charmé d'apprendre, disait le ministre, que ses sujets du Canada reconnussent enfin la faute qu'ils avaient faite, en s'attachant au seul commerce des pelleteries, et qu'ils s'adonnas- sent sérieusement à l'exploitation de leurs terres, particulièrement à la culture du chanvre et du lin. Sa Majesté espérait qu'ils parviendraient bientôt à construire des vaisseaux à meilleur mar- ché que la France, et à faire de bons établissemens pour la pèche ; qu'on ne pouvait trop les y exciter, ni leur en faciliter les moyens ; mais qu'il ne convenait pas pourtant au royaume que les manufactures fussent en Amérique, parceque cela porterait pré- judice à celles de France ; que néanmoins elle ne défendait pas absolument qu'il ne s'y en établit quelques unes pour le soulage- ment des pauvres.

En peu de temps il se monta des métiers pour les étoffes de fil et de laine dans toutes les maisons, et jusque dans le manoir du seigneur. Depuis cette époque la population des campagnes a eu en abondance des vêtemens propres à ses travaux et à toutes les saisons. L'usage s'en est conservé et s'en répand aujourd'hui même jusque dans les ètabliasemens anglais.

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Cest vcra 1746, pendant les hostilités avec la Grande-Bre- tagne, que la rareté du sel fit songer à en fabriquer en Canada.

La guerre y avait déjà fait naître plusieurs industries utiles. Le gouvernement chargea M. Perthuis d'établir des salines à Kamouraska; mais cette entreprise, qui aurait pu être si avanta- geuse pour les pêcheries de Terreneuve et du golfe St. Laurent, ne fut point continuée, quoiqu'il en eut déjà existé autrefois dans le pays, qui avaient eu du succès." i .. ; :

L'année précédente avait été témoin d'une grande et ulile amélioration, l'introduction des postes et messageries pour le transport des lettres et des voyageurs. M. Begcm, intendant, accorda à M. LanouUier le privilège de les tenir pendant vingt années entre Québec et Montréal, lui imposant en même temps un tarif de charges gradué sur les distances. Le paj's n'avait pas encore eu d'institutions postales, il n'a pas cessé d'en jouir depuis.

Nous avons dit que Québec était l'entrepôt général du com- merce. Les Normands étant les premiers qui avaient établi ce commerce en fondant la colonie, les embarquemens s'étaient faits d'abord au Havre de-Grace et à Dieppe. Dans la suite la Ro- chelle se substitua graduellement à ces ports, et avant la fin du siècle, cetle ville fourni^sait déjà toutes les marchandisses néces- saires à la consommation du pays et à la traite avec les Sau- vages. Il venait aussi des vaisseaux de Bordeaux et de Bayonne avec des vins, des caux-de-vie et du tabac. < ,

Une partie de ces vaisseaux prenaient en retour des charge- mens de pelleteries, de grains et de bois. Quelques uns allaient au Cap-Breton prendre du charbon de terre pour la Martinique et la Guadeloupe, il s'en consommait beaucoup dans les rafi- neries de sucre. D'autres s'en retournaient sur lest en France, le reste arrêtait aux Iles du golfe St .-Laurent, pour se charger de morue à Plaisance et dans les autres pêcheries Je ces parages. Plusieurs marchands de Québec étaient déjà assez riches du temps de la Hontan pour avoir plusieurs vaisseaux sur la mer.

Il était d'usage alors de ne partir de l'Europe pour l'Amérique

•' M. Denis, a French gentleman, says that excellent sait has formerly been made in Canada, even as good as that of Brouage, but that after the experiment had been made, the sait pits dug for that purpose had been filled up to the great préjudice and discrédit of the colony." Nalural S[ àvil Hittory tifUui iVenck JiOminians m North fy Sotêth ^marim.

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qu'à la fin d'avril ou au commencement de mai. Dès que les maichandises étaient débarquéea à Québec, les marchands des autres villes arrivaient en foule pour faire leursachals, qui étaient embarqués sur des berges et dirigés vers les Trois-Rivières et Montréal. S'ils payaient en pelleteries, on leur vendait à meil- leur marché que s'ils payaient en argent ou en lettres de change, parce qu'il y avait un profit considérable à faire sur cet article en France. Une partie des achats se soldait ainsi en fourrures, que le détailleur recevait des habitans ou des Sauvages. Montréal et les Trois-Rivières dépendaient de Québec, dont les marchands avaient sur ces places un grand nombre de magasins conduits par des associés ou des commis. Les habitans venaient faire leurs emplettes dans les villes deux fois par année ; et telles étaient la lenteur et la difficulté des communications, à quoi il faut ajouter sans doute le poids du monopole, que les marchandises se sont vendues longtemps jusqu'à 50 pour cent de plus à Montréal qu'à Québec.

A l'exception des vins et des eaux-de-vie qui payaient déjà un droit de dix pour cent, et du tabac du Brésil grevé de cinq sous par livre, aucun autre article ne fut imposé en Canada avant la quatrième guerre avec les Anglais, c'est-à-dire avant 1748. Alors Louis XV établit par un édit un tarif général qui frappa d'un droit de ".rois pour cent toutes les marchandises entrantes ou sor- tantes. Il y fut fait cependant des exceptions importantes en fa- veur de l'agriculture, de la pêche et du commerce des bois. Ainsi le blé, la farine, le biscuit, les pois, les fèves, le maïs, l'avoine, les légumes, le bœuf et le lard salés, les graisses, le beurre, furent laissés libres à la sortie ; les denrées et les marchandises nécessaires à la traite et à la pèche dans le fleuve St.-Laurent, à l'entrée et à la sortie ; les cordages et le sel à l'entrée ; les che- vaux, les vaisseaux construits en Canada, le bardeau, le bois de chêne pour la construction des navires, les mâtures, le merrain, les planches et les madriers de toute espèce, le chanvre et le hareng salé, à la sortie. Ces exceptions étaient commt . on voit très étendues et toutes dans l'intérêt de l'agriculture et des indus- tries mentionnées plus haut. Sur les représentations des habi- tans, le roi décida encore que ce tarif n'aurait d'effet qu'après la guerre.

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Ainsi de 1666 aux dernières années de la domination française en Amérique, les marchandises et les produits agricoles ne payèrent aucun droit d'entrée ni de sortie en Canada, ni en France, excepté les vins, eaux-de-vie et guildives et le tabac du Brésil. Les restrictions du commerce canadien étaient seulement relatives aux rapports avec l'étranger toujours sévèrement défen- dus, et à la traite du castor ; et encore l'exclusion touchant celle- ci n'était-elle que pour l'exportation en France, cardans la colo- nie le marchand pouvait acheter cette pelleterie du Sauvage pour la revendre ensuite, au taux fixé par le gouvernement, au comp- toir de la compagnie.

Après 1753, époque de la mise en force de la loi d'impôt dont l'on vient de parler, la guildive paya 24 livres la barique, le vin 12, les eaux-de-vie 24 la velte. Il paraît que le tarif pour les marchandises sèches n'était pas exact, et que certains articles payaient plus et d'autres moins, proportion gardée avec les trois pour cent qu'on avait voulu imposer.

Les droits d'entrée et de sortie produisaient dans les temps or- dinaires environ 300 mille livres. La disposition de la loi de l'impôt relative à l'obligation de payer les droits au comptant, gêna le marchand sans avantage pour la chose publique et porta un grave préjudice au commerce. Dans un pays l'on est obli- gé à cause de l'hiver de faire de grands amas de marchandises qui restent invendues sur les tablettes une partie de l'année, cette loi était plus qu'injudicieuse ; elle entraînait une nouvelle charge que le consommateur devait payer, car l'on sait que la marchandise supporte non seulement les frais qu'elle occasionne, mais encore la demeure ou l'intérêt de l'argent qu'elle coûte.

Le numéraire, ce nerf du trafic, manquait presque totalement dans les commencemens de la colonie. Le peu qui y était apporté par les émigrans ou autres, en ressortait presqu'aussitôt, parce que le pays produisait peu et n'exportait encore rien. Les changemens fréquens que l'on fit plus tard dans le cours de l'ar- gent, n'eurent d'autre effet que de faire languir le commerce qui naissait à peine. L'on sait qu'il n'y a aucune question sur laquelle il soit plus facile de se tromper, que la question des monnaies. Le besoin d'argent se faisait vivement sentir dans les îles fran- çaises du Mexique. La compagnie des Indes occidentales obtint

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la permission du roi d'y faire passer en 1670 pour 100 mille francs de petites espèces maniuées à un coin particulier ; et deux ans après cette monnaie ainsi (jue celle de France, eut cours dans toutes les possessions françaises du Nouveau-Monde en y ajoutant un quart en sus. Malgré cette addition de ving-cinq pour cent qui était loin d'être exorbitante pour couvrir la dilTérence du change entre Paris et Québec, à cette époque le Canada exportait encore si peu, les espèces ne cherchèrent qu'à sortir du pays. C'est le commerce et non le souverain qui règle la valeur de l'argent ; le prix des marchandises monte ou baisse avec elle. L'expédient ne répondit jioint aux avantages qu'on s'en était promis. Le gouvernement eut alors recours à un papier qu'il substitua aux espèces, pour payer les troupes et les dépenses publiques. Les premières émissions fe firent après 1689. Le papier conserva son crédit quelques années, et les marchands le préféraient aux espèces sonnantes; mais le trésor, dans les embarras de la guerre de la succession d'Espagne, n'ayant pu payer les lettres de change tirées sur lui par la colonie, ce papier tomba dans le discrédit et troubla profondément toutes les affaires. Les habitans, réduits au désespoir, firent dire en vain au roi qu'ils consentiraient volontiers à en perdre une moitié si Sa Majesté voulait bien leur faire payer l'autre. Ce papier ne fut liquidé qu'en 1720, avec perte de cinq huitièmes. Louis XV, se vit condamné à traiter avec ses pauvres sujets canadiens comme un spéculateur malheureux ; car c'était une véritable banqueroute, pronostic obscur de celle de 1758, qui devait peser si lourdement sur ce pays, et de cette autre plus fameuse, celle qui compléta le grand naufrage de la monarchie en 93.

La monnaie de carte fut abolie en 1717, et le numéraire circula seul avec sa valeur intrinsèque et sans augmentation de quart. L'on tombait d'un extrême dans l'autre; carie numéraire étant frappé en France, le coût et les risques du transport de cette monnaie, devaient nécessairement en augmenter la valeur en Canada ; cependant le mal était mons grand qu'en le fixant trop haut ; car il devait finir par prendre sa place dans l'échelle comme une marchandise, et tel qu'il doit être considéré dans un bon sys- tème monétaire.

L'usage exclusif de l'argent ne dura pas longtemps. Le com-

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merce demanda le premier le rétabiiasemcnt du papier-monnaie plus facile de transport que leH espèces. L'on revint aux cartes avec les niômts multiples et les mômes divisions. Ce» cartes portaient Tempreinte des armes de France et de Navarre, et étaient signées par le gouverneur, Pintendant et le contrôleur; il y en avait de 1, 3, 6, 12 et 24 livres; do 7, 10 et 15 sous, et môme de 6 deniers; leurs valeurs réunies n'excédaient pas un million. " Lorsque cette somme ne suflisait pas, dit Kaynal, pour les besoins publics, on y suppléait par des ordonnances signées du seul intendant, première faute ; et non limitées pour le nombre, abus encore plus criant. Les moindres étaient de vingt sous, et les plus considérables de cent livres. Ces diflerens papiers cir- culaient dans la colonie ; ils y remplissaient les fonctions d'argent jusqu'au mois d'octobre. C'était la saison la plus reculée les vaisseaux dussent partir du Canada. Alors on convertissait tous ces papiers en lettres de change qui devaient être acquittées en France par le gouvernement. Mais la quantité s'en était telle- ment accrue, qu'en 1743 le trésor du prince n'y pouvait plus suffire, et qu'il fallut en éloigner le paiement. Une guerre mal- heureuse qui survint deux ans après en grossit le nombre, au point qu'elles furent décriées. Bientôt les marchandises montè- rent hors de prix, et comme à raison des dépenses énormes delà guerre, le grand consommateur était le roi, ce fut lui seul qui supporta le discrédit du papier et le préjudice de la cherté. Le ministère, en J759, fut forcé de suspendre le paiement des lettres de change jusqu'à ce qu'on en eût démêlé la source et la valeur réelle. La masse en était effrayante.

" Les dépenses annuelles du gouvernement pour le Canada, qui ne passaient pas 400 mille francs en 1729, et qui, avant 1749, ne s'étaient jamais élevées au-dessus de dix-sept cent mille livres, n'eurent plus de bornes après cette époque." Mais n'anticipons pas sur l'ordre du temps.

Dans ce système monétaire, le Canada n'était détenteur d'au- cune sécurité réelle. La monnaie est ordinairement un signe qui représente une valeur réelle et qui a elle-même une valeur intrin- sèque. En Canada elle était le signe du signe. On n'y voyait d'espèces que celles qu'apportaient les troupes et les officiers des

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vaisoeaux, ou la contrebande avec les colonies anglaises ; et elles étaient aussitôt enlevées pour faire de la vaisselle, ou être ren- fermées dans les coffres ou envoyées dans les Iles. La monnaie de cartes était préférée aux ordonnances parce que la valeur des premières était toujours payée toute entière en lettres de change avant les secondes, do sorte que si les dépenses du gouvernement excédaient le mon*, 't de l'exercice de la colonie, Texcédant était soldé en ordonnances retirées ensuite par ces cartes pour les- quelles il ne pouvait sortir néanmoins de lettres de change que l'année suivante; on appelait cela faire la réduction. '' Dans le courant de 1754, au lieu de faire une réduction qui eut été trop forte, on délivra des lettres de change pour la valeur entière des papiers portés au trésor, mais payables seulement, partie en 1754, partie en 1755 et partie en 1756. Alors les cartes furent con- fondues avec Ies«rdonnanp**s ; on ne donna pas pour leur valeur de lettres de change à plus court terme. Il est même à présumer qu'on a cherché à anéantir cette monnaie, le trésorier ne s'en servant plus dans les paiemens. Cette opération qui n'occasion- nait qu'environ six pour cent de différence sur les paiemens ordi- naires, fit augmenter les marchandises de quinze à vingt pour cent et la main d'œuvre à proportion.

•* Les espèces, poursuit l'auteur que nous citons ici, qui sont venues avec les troupes de France, ont produit un mauvais effet. Le roi en a perdu une partie dans les vaisseaux le Lys et l'Al- cide ; elles ont décrédité le papier ; la guerre n'était pas encore déclarée lorsqu'elles parurent en Canada, et on croyait avec rai- son que les lettres de change continueraient à être tirées pour le terme de trois ans ; les négocians donnèrent donc leurs marchan- dises à 16 et 20 pour cent meilleur marché en espèces ; on trou- vait sept francs de papier pour un écu de six francs. Dès que la déclaration de la guerre a été publiée, cet avantage a diminué ; les négocians n'ont pas osé faire des retours en espèces ; il en a passé quelques parties à Gaspé ; !e reste est entre les mains de gens qui ne font point de remises en France ; ils aiment mieux perdre quelque chose, et le garder dans leurs coffres en effets plus réels que des cartes et des ordonnances ; en conséquence ces papiers ont circulé presque seuls dans le commerce ; ils ont été

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portés au Irésor, et ont augmenté les lettres de change qu'on a tirés," sur le gouvernement à Paris.

Tel fut le commerce canadien sous le règne français, assujeti d'un côté aux entraves dérivant de la dépendance coloniale et jouissant de l'autre de la plus grande liberté, exclu des marchés étrangers et affranchi en général de tout droit et de toute taxe avec la mère-patrie, enfin déclaré libre et permis à tout le monde, et soumis en plusieurs circonstances à toutes sortes de vexations et de monopoles. Si le commerce et l'industrie eussent fleuri en France, si les vaisseaux de cette nation eussent couvert les mers comme ceux de la Grande-Bretagne, si la population eut été con- sidérable, nul doute qu'avec la liberté dont jouissait le marchand canadien, et qui était large pour le temps, il ne fût parvenu à une grande prospérité. Mais que pouvait faire le Canada sans habi- tans, exclu du roinmerce étranger, avec ime métropole presque sans marine et dont le gouvernement était en pleine décadence. Que pouvait faire le Canada, malgré la liberté dont on voulait le faire jouir 1 Ne pou\'ant atteindre à une honnête prospérité, ni trouver dans ses efforts une récompense légitime et honorable, il tourna les yeux vers une carrière l'honneurest toujours au de- là du danger, et non le bonnet vert de la banqueroute mercantile. Le Canadien, inspiré par son gouvernement, sans armée régulière pour le protéger, prit le fusil, devint soldat et contracta ce p^*' pour les armes qui nuisit tant dans la suite au développemf" ^i au progrès du pays. On eut beau déclarer que le commerce était libre et permis à tout le monde, que les chefs ne sauraient être trop attentifs à favoriser tous les établissemens qui pourraient le faire fleurir, peu de personnes s'y livraient, et il languissait.

Il est une autre pratique tenant à l'organisation coloniale qui lui fut aussi très préjudiciable par l'excès qu'on en fit. C'était la permission donnée aux employés publics, comme on l'a mentionné ailleurs, quelquefois du plus haut ran;^, et aux magistrats de faire le commerce môme avec le roi dont ils étaient les serviteurs, afin de se refaire de l'insutRsance reconnue de leurs appointemens. La plupart des gouverneurs généraux et particuliers participèrent aux profits de la traite.* Tout le monde commerçait, les reli-

Correspondance officielle. Mémoire du Sé.ninaire ; Lettres de Bagot au miiiislre ITnO.

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gieux, les militaires, comme les autres citoyens. Le Séminaire trafiquait avec la Nouvelle- York et avait un vaisseau en mer. Les abus devenaient si graves que Colbert fut obligé vers 1676 de défendre le commerce aux fonctionnaires, aux ecclésiastiques, et au gouverneur de vendre des congés de traite. Mais les défenses restèrent bientôt sans effet. Cet usage avait pris naissance avec la colonie, fondée et gouvernée pendant longtemps par des mar- chands, qui conduisaient à la fois les affaires publiques et leur né- goce. Il fut malheureusement toléré jusqu'aux derniers jours du régime français, et ouvrit la porte aux plus funestes et aux plus criminels abus, qui atteignirent leur dernier terme dans la guerre de la conquête. Ces employés, l'intendant Bigot à ' r tête, parvinrent à cette époque de crise, le temps ne permettait point de porter un remède aux maux de l'intérieur, à accaparer toute la fourniture du roi, qui s'éleva au delà de 15 millions à la fin de la guerre.* Pa;; un système d'association liabilement mé- nagé, ils achetaient ou vendaient, comme nous l'avons exposé tout à l'heure, tout ce que le gouvernement voulait vendre ou acheter. Agissant eux-mêmes pour le roi, il est facile de conce- voir que les articles du marchand qui n'était pas dans leur alli- ance, n'étaient jamais admis. La liberté et la concurrence si né- cessaires au commerce furent détruites, ainsi que l'équilibre des prix que l'association fit monter à un degré exorbitant, malgré l'abondance des denrées et des marchandises, au point que cette cherté factice devint une cause de disette réelle.

Le vice du système ne s'était pas encore manifesté r^'une ma- nière si hideuse ; mais il avait produire dans tous les temps un grand mal, et causer un découragement fatal au négociant indus- trieux qui ne pouvait lutter avec des hommes placés dans de meil- leures conditions que lui. Cela n'est pas une exagération, car, selon le Mémoire de Bigot lui-même accusé de tous ces faits, c'était le roi qui faisait les plus grandes consommations dans les colonies ; et c'était avec lui principalement qu'on pouvait ^aire un commerce d'une certaine importance.

" Si on calculait toutes les marchandises qui sont achetées à Québec, à Montréal et dans les forts pour le compte du roi, on trouverait peut-être le

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double de ce qu'il en est entré dans la colonie." ministit, 175!>.

Dépêche de M. Bisol au

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Un pareil système devait, surtout aux époques de guerre, ruiner par les accaparemens, tous les marchands qui n'étaient pas dans le monopole ; et si ce résultat n'arriva que dans la guerre de la conquête, c'est que l'honneur et l'intégrité avaient régné jusque parmi les fonctionnaires.

Le commerce canadien, excepté la traite des pelleteries et le système monétaire, fut l'objet de peu de règlemens à venir jus- qu'au 18e. siècle. A cette époque on commença à s'occuper de cette matière. Outre les lois qui concernent la liberté du trafic, dont nous avons parlé plus haut, et les arrêts du conseil supérieur et de l'intendant qui avaient plus immédiatement rapport à la police ou à des cas particuliers, d'autres lois furent promulguées en difilérens temps, qui eurent aussi leur influence.

La première est le règlement relatif aux sièges d'amirauté établis dans toutes les colonies françaises en 1717.

Cette institution fut revêtue de deux caractères, l'un judiciaire et l'autre administratif, que se partagent aujourd'hui la cour de l'amirauté et la douane. Comme tribunal, la connaissance de toutes les causes maritimes qui durent être jugées suivant l'ordon- nance de 1681 et les autres règlemens en vigueur touchant la marine, lui fut déférée. Comme administration, elle eut la visite des vaisseaux arriv^ns ou partans, et le pouvoir exclusif de don- ner des congés à tous ceux qui faisaient voile pour la France, pour les autres colonies ou pour quelque port de l'intérieur. Ces congés étaient des passavans, et chaque vaisseau était tenu d'en prendre un à son départ et de le faire enregistrer au greffe de l'amirauté. Les bâtimens employés au cabotage de la prcv ce, n'étaient obligés que d'en prendre un par an. Il fallait en outre le consentement du gouverneur aux congés pour la pêc'.:3 ou pour les navires qui menaient des passagers en France.

La seconde fut l'arrêt de la même année qui établit une bourse à Québec e* une autre à Montréal, et permit aux négocians de s'y assembler tous les jours pour leurs affaires mercantiles. Cela était demandé depuis longtemps par le commerce, auquel l'on accorda aussi la nomination d'un agent ou syndic pour expo- ser ses vœux ou défendre ses intérêts auprès du gouvernement, chaque fois qu'il y aurait besoin.

Cet agent commercial remplaça probablement le syndic des

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habitations, dont l'on n'entendait plus parler, et dont les fonctions étaient peut-être déjà tombées en désuétude.

Quant aux lois de commerce proprement dites, il y eut cela de singulier qu'il n'en fut promulgué aucune d'une manière formelle. Les tribunaux suivirent l'ordonnance du commerce ou le code Michaud,' qui était la loi générale du royaume, ainsi que les y autorisaient les décrets qui les constituaient. Le Canada n'a vu jusqu'à ce jour inaugurer dans son sein par Taulorité législalive locale, aucun code commercial particulier. A défaut de lois à cet égard, l'ordonnance du commerce fut introduite en vertu d'une disposition générale de l'édil de création du conseil souve- rain en 1663 ; et cette ordonnance devint parle fait et la coutume loi du pays. Le code anglais a été introduitdela même manière par un décret de la métropole.

Nous ne croyons pas devoir omettre de mentionner ici une décision du gouvernement français qui lui fait le plus grand hon- neur. C'est celle relative à l'exclusion des esclaves du Canada, cette colonie que Louis XIV aimait par-dessus toutes les autres à cause du caractère belliqueux de ses habitans, cette colonie qu'il voulait former à l'image de la France, couvrir d'une brave noblesse et d'une population vraiment nationale, catholique, fran- çaise, sans mélange de race. Dès 1688, il fut proposé d'y intro- duire des nègres. Celte proposition ne rencontra aucun appui dans le ministère, qui se contenta de répondre qu'il craignait que le changement de climat ne les fît périr, et que le projet ne fût dès lors inutile. C'était assez pour faire échouer une entreprise qui aurait greffé sur notre société la grande et terrible plaie qui paralyse la force d'une portion si considérable de T'Tnion amé- ricaine, l'esclavage, cette plaie inconnue sous notre ciel du nord qui, s'il est souvent voilé par les nuages de la tempête, ne voit du moins lever vers lui que des fronts libres aux jours de sa sérénité.

Nous nous sommes longuement étendu sur des faits qui n'ont pas un grand attrait pour beaucoup de lecteurs ; mais qui n'en n'intéressaient pas moins profondément les destinées de nos pères, de même que celles que la providence tenait en réserve pour nous.

J. F. Perrault :— Extraits ou précédens de la Prévôté de Québec, 1824.

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L'on voit dans ces faits l'opération de tout un système et ses conséquences. Le plan est large, grandiose, colossal ; mais les convulsions incessantes de ce grand tout trahissent sa faiblesse.

L'heure arrive la Nouvelle-France va succomber. Déjà tout annonce sa décadence ; la force physique, matérielle va rem- placer la puissance factice, imaginaire, les combinaisons intellec- tuelles des Français, qui ont montré, il faut l'avouer, le savoir- faire et l'expérience d'un peuple accoutumé aux grandes affaires en faisant croire si longtemps avec des bases si fragiles à un vaste système commercial.

Cr iPITEE II.

LOUISBOURG. 1744-1748.

Coalition en Europe contre Marie-Thérèse pour lui ôter l'empire (1740.) —Le Maréchal de Belle-Isle y fait entrer la France. L'Angleterre se déclare pour l'impératrice en 1744. Hostilités en Amérique.— Ombrage que Louisbourg cause aux colonies américaines. Théâtre de la guerre dans ce continent. Les deux métropoles, trop engagées en Europe, laissent les colons à leurs propres forces. Population du Cap-Breton ; fortifications et garnison de Louisbourg. Expédition du commandant Duvivier à Canseau et vers Port-Royal. Déprédations des corsaires. Insurrection de la garnison de Louisbourg. La Nouvelle-Angleterre, sur la proposition de M. Shirley en profite pour attaquer cette Ibrteresse. Le Colonel Pepperrell s'embarque avec 4,000 hommes, et va y mettre le siège par terre tandis que le commodore Warren en bloque le port. Le commandant français rend la place. Joie générale dans les colonies anglaises; sensation que fait cette conquête. La population de Louisbourg est transportée en France. Projet d'invasion du Canada; qui se prépare à tenir tête à l'orage. Escadre du duc d'Anville pour reprendre Louisbourg et attaquer les colonies anglaises. (1746) ; elle est dispersée par une tempête. Une partie atteint Chibouctou (Halifax) avec une épidémie à bord. Mortalité effrayante parmi les soldats et les matelots. Mort du duc d'Anville. M. d'Estournelle qui lui succède se perce de son épée. M. de la Jonquière persiste à attaquer Port-Royal ; une nouvelle tempête disperse les débris de la flotte. Frayeur et armement des colonies amé- ricaines.— M. de Ramsay îissiége Port-Royal. Les Canadiens défont le colonel Noble au Grand-Pré, Mines. Ils retournent dans leur pays. Les frontières anglaises sont attaquées, les forts Massachusetts et Bridgman surpris et Saratoga brûlé ; fuite de la population. Nouveaux armemens de la France ; elle perd les combats navals du Cap-Finistère et de Belle- Isle. Marine anglaise et française. Faute du cardinal Fleury d'avoir laissé dépérir la marine en France. Le comte de la Galissonnière gou- verneur du Canada. Cessation des hostilités ; traité d'Aix-la-Chapelle (1748) Suppression de l'insurrection des Miâmis. Paix générale.

L'abaissement de la maison d'Autriche est un des grands actes de la politique de Richelieu. Quoiqu'il eût bien diminué sa puissance, il y en avait en France qui désiraient la faire tomber encore plus bas. Tel était le maréchal de Belle-Isle qui exer- çait une grande influence sur la cour de Versailles, et qui voulait qu'on profitât de l'avènement de Marie-Thérèse à la couronne

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de son père, l'empereur Charles VI, pour accomplir ce dessein. A peine cette femme illustre et si digne de l'être, eut-elle pria possession de son héritage, qu'une foule de prétendans, comme l'électeur de Saxe, l'électeur de Bavière, le roi d'Espagne, le roi de Prusse le grand Frédéric, le roi de Sardaigne, se levèrent pour réclamer à divers titres les immenses domaines de l'Au- triche. Le maréchri de Belle-lsie entraîna la France, malgré l'opposition du cai ''nal de Fleury, premier ministre, dans la coalition contre Mane-Thérèse pour soutenir les prétentions do l'électeur de Bavière, qui aurait été beaucoup plus formidable qu'elle s'il eût pu réussir à la dépouiller de ses possessions. L'on sait quel cri de patriotisme sortit du sein des états de la Hongrie lorsque cette princesse se présenta avec son fila dans les bras au milieu de leur assemblée, et invoqua leur secours par ces paroles pleines de détresse : " Je viens remettre entre vos mains la fille et le fils de vos roia." Mourons pour notre reine ! s'écrièrent les nobles Hongrois en élevant leurs épées vers le ciel.

L'Angleterre qui avait d'abord gardé la neutralité, ne tarda pas à se déclarer, lorsqu'elle vit la fermeté avec laquelle l'impératrice faisait tête à Forage, et jeta son épée à côté de la sienne dans la balance. C'était commencer les hostilités contre la France, et allumer la guerre en Amérique.

Les colonies anglaises montraient de plus en plus une ambi- tion, une inquiétude, une violence républicaine dont la singularité n'échappa pas tout-à-fait dans le temps à la sagacité de la Grande- Bretagne, et qui pouvait faire présager déjà ce qu'elles voudraient être dans l'avenir. Le parti puritain qui avait autrefois gouverné l'ancienne Angleterre, avait transporté son esprit dans la nou- velle. Le génie de ces colons semblait prendre de la grandeur lorsqu'ils considéraient les immenses et belles contrées qu'ils avaient en partage, et il n'est guère permis de douter d'après ce que nous avons vu d'eux jusqu'à ce jour, que les Etats-Unis voudront remplir complètement leur destinée. Toutefois à l'époque de cette guerre, il paraissait y avoir dans les diverses provinces moins de zèle pour les combats que de coutume, et celles qui étaient voisines du Canada surtout semblaient redouter les hostilités. Mais la moindre circonstance pouvait rallumer le feu sous la cendre, et c'est ce qui arriva.

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En Canada, l'on s'attendait depuis longtemps à la reprise des armes. Les forts avancés avaient été réparés et portés sur le pied de guerre, les garnisons de St.-Frédéric et de Niagara avaient été augmentées et Québec mis en état de défense, du moins autant que le permettaient les quelques barricades et batteries élevées çà et sur la cime du cap ou au pied sur le port. Des mesures furent prises également pour chasser tous les Anglais de rOhio, ils commençaient à se montrer ; et M. Guillet avait été chargé de rassembler les Sauvages du Nord pour tenter une entreprise qui aurait eu sans doute du retentissement si elle avait pu s'exécuter, mais que l'on ne pouvait guère se flatter d'accom- plir, la conquête de la baie d'Hudson.

Du reste le fort de la guerre devait se porter sur le Cap-Breton et la péninsule acadienne. Le cardinal Fleury, qui détestait la guerre, laissa le Canada à ses propres forces. La Nouvelle- York, de son côté, exposée la première aux coups de ses voisins, avait envoyé M. Ransallaer à Québec pour proposer un traité secret de neutralité entre les deux pays. L'on ne devait donc pas s'attendre à des hostilités bien vives sur le St.-Laurent, du moins pour le présent. En cas d'offensive le premier poste à prendre par les Canadiens sur cette frontière était celui d'Oswégo, et M. de Beauharnais n'osait pas le faire, d'abord parce que la colonie était trop faible et trop dépourvue de tout pour aller atta- quer l'ennemi chez lui, et en second lieu, parce qu'il craignait l'opposition des Iroquoia qu'il tenait à garder pour amis.*

Cependant les difficultés entre les deux nations au sujet des frontières, avaient fait croire qu'à la première rupture elles allaient se porter de grands coups, et qu'un dénouement tel serait donné à la question des limites, qu'elle serait mise en repos pour long- temps. Mais ni l'Angleterre ni la France, trop occupées en Europe, ne songèrent à établir un champ de bataille dans le Nouveau- Monde. Ce furent les colons eux-mêmes qui se char- gèrent de remplir cette portion du grand drame, et qui sans attendre d'ordres de leurs métropoles se mirent en mouve- ment.

Le Canada n'avait pas mille soldats pour défendre tous les postes depuis le lac Erié jusqu'au golfe St.-Laurent ; mais Louis-

Documens de Paris.

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bourg, comme clef des possessions françaises du côt6 de la mer, avait une garnison de sept à huit cents hommes.

Ce boulevard devait protéger la navigation et le commerce. Sa situation favorable entre le golfe St.-Laurent, les bancs et l'île de Terreneuve et l'Acadie, lui donnait la vue sur toutes ces terres et sur toutes ces mers. Les pieds baignés par les flots de l'Océan, il était ceint d'un rempart en pierre de 30 à 36 pieds de hauteur et d'un fossé de 80 pieds de large du côté de terre. Il était encore défendu par deux bastions, deux demi-bastions, trois batteries de six mortiers et percé d'embrasures pour cent quarante-huit pièces de canon. Sur l'île à l'entrée du port, vis-à-vis de la tour de la Lanterne, on avait établi une batterie à fleur d'eau de trente pièces de 28, et au fond de la baie, en face de son entrée, à un quart de lieue de la ville, ime autre de trente canons. Cette dernière bat- terie commandait le fond de la baie, la ville et la mer. L'on com- muniquait de la ville à la campagne par la porte de l'Ouest, et un pont-levis défendu par une batterie circulaire de seize pièces de 24;. L'on tn-.vaillait depuis vingt-cinq ans à ces ouvrages, qui étaient défectueux sous le rapport de la solidité, parceque le sable de la mer dont on était forcé de se servir, ne convenait point à la maçonnerie, mais ils n'en passaient pas moins au loin pour être formidables, et Louisbourg avait la réputation d'être la place la plus forte de l'Amérique. On le disait imprenable quoique les forti- fications n'en fussent pas achevées. Cependant il en était de ces fortifications comme de bien d'autres dans ce continent, qui ont une grande réputation au loin, et qui perdent leur redoutable pres- tige dès qu'elles sont attaquées. Québec avait un grand renom et Montcalm n'osa pas attendre l'ennemi derrière ses murs. Le gou- verneur, le comte de Raymond, avait fait ouvrir le chemin de Miré qui conduisait au port de Toulouse dans une autre partie de l'île. Ce chemin, avantageux pour le commerce, avait, du côté de la campagne, affaibli la force naturelle de Louisbourg, protégée jusque-là par les marais et les aspéj ités du sol, en permettant d'ap- procher jusqu'au pied des murailles. A la faveur de sa renom- mée, cette forteresse servait de retraite aux vaisseaux canadiens qui allaient aux Iles, et protégeait une nuée de corsaires qui s'abattaient sur le commerce américain, en ruinant les pêches dans les temps d'hostilités. Les colonies anglaises voyaient donc

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avec une espèce de terreur ces sombres murailles de Louisbourg, dont les tours s'élevaient au-dessus des mers du Nord comme dea géans menaçans.

Au temps de la guerre de HW M. Duquesnel était gouverneur du Cap-Breton, et Bigot commissaire-ordonnateur. L'on connaît peu de chose sur le premier ; à peine son nom est-il parvenu jusqu'à nous. Le second faisait alors au Cap-Breton, loin de l'œil de ses maîtres, cet apprentissage d'opérations commerciales dont les suites devaient être si fatales à toute la Nouvelle-France. On entretenait dans l'île huit compagnies françaises de 70 hom- mes et 150 Suisses du régiment de Karrer, en tout 700 hommes quand les compagnies étaient complètes. On détachait une compagnie pour l'île St.-Jean. une autre pour la batterie royale, et on faisait de petits détachemens pour garder plusieurs autres points de la côte ; le reste formait la garnison de Louisbourg. C'étaient toutes les forces dont l'on pouvait disposer pour gar- der l'entrée de la vallée du St.-Laurent. Les colonies anglaises n'étaient guère mieux pourvues de troupes que celles de la Nou- velle-France ; mais il n'y avait point de comparaison entre le chiffre de leurs habitans. Confiantes dans leur supériorité numé- rique, ces provinces montraient moins d'empress"-ment que les Français pour courir aux armes, ce qui faisait que ceux-ci avaient presque toujours l'avantage -du premier coup, sachant qu'ils devaient suppléer par la rapidité à ce qui leur manquait en force réelle.

L'on reçut à Louisbourg la nouvelle de la déclaration de guerre plusieurs jours avant Boston. Les marchands armèrent sur le champ de nombreux corsaires, qui firent des conquêtes précieuses et s'enrichirent. Bigot possédait pour sa part plusieurs vaisseaux armés en course, les uns tout seul, les autres en participation avec des associés. Le commerce américain désolé par ces courses fit des pertes considérables.

Le gouverneur Duquesnel, qui connaissait l'état de l'Acadie, que l'Angleterre abandonnait, comme avait fait la France, à elle- même, résolut d'en profiter. Il n'y avait que quatre-vingts hom- mes de garnison à Annapolis, et les fortifications étaient tellement tombées en ruines que les bestiaux montaient par les fossés pour paître sur les remparts écroulés. Le commandant Duvivier fut

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chargé de former un détachement de 8 à 900 hommes tant sol- dats que miliciens, de s'embarquer sur quelques petits bâtimena qui furent mis à sa disposition, et de tomber sur l'Acadie à l'im- proviste.

Le premier poste qu'il attaqua fut Canseau, situé à l'extrémité Bud du détroit dont il portait le nom. Il s'en rendit maître après avoir fait prisonniers les habitans et la garnison composée de quatre compagnies incomplètes de troupes, et le brûla. De il ee mit en marche, mais avec lenteur, pour Annapolis avec une soixantaine de soldats et 700 miliciens et Sauvages. Rendu aux Mines il s'arrêta subitement sans que l'on sût trop pourquoi, puis ensuite se retira vers le Canada après avoir fait sommer inutile- ment de loin Annapolis de se rendre. Cet officier fut blâmé dans le temps de n'avoir pas marché avec plus de rapidité sur cette ville pour l'attaquer dans sa première surprise ; on affirmait qu'il s'en serait emparé infailliblement, car déjà les principales familles s'étaient enfuies à Boston avec leurs effets les plus pré- cieux ; que dans le premier moment, elle n'aurait pu résister à un assaut. Il y aurait trouvé le P. Laloutre qui l'investis- sait avec 300 Indiens du Cap de Sable et de St.-Jean, accourus pour prendre part à cette conquête. Mais le délai ayant donné le temps aux assiégés de recevoir des renforts, les Sauvages avaient été obligés de se retirer.

Dans le même temps les corsaires, après avoir désolé la ma- rine marchande anglaise, infestaient les côtes de Terreneuve, in- commodaient les petites colonies qui y étaient dispersées, et me- naçaient même Plaisance malgré ses fortifications et ses troupes. La nouvelle de l'irruption des Français en Acadie et des dépré- dations de leurs corsaires à Terreneuve, arriva presqu'en même temps à Boston que celle de la rupture de la paix. Toutes les co- lonies furent dans l'alarme pour leurs frontières. Elles levèrent immédiatement des troupes pour garder leurs postes avancés du côté du Canada ou en augmenter les garnisons. Le Massachu- setts fit à lui seul élever une chaîne de forts de la rivière Connec- ticut aux limites de la Nouvelle- York. Mais tandis qu'elles pre- naient ainsi à la hâte les mesures de sûreté que semblait exiger la première attitude de leurs ennemis, il se passait à Louisbourg, dans Le sein même 4u boulevard des Français, un événement qui

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les tranquillisa d'abord un peu, et qui ensuite leur donna probable- ment l'idée d'aller attaquer cette forteresse elle-même. Cet évé- nement qui aurait été grave en tout autre temps, et qui l'était dou- blement dans les circonstances actuelles, est l'insurrection de la garnison, qui éclata dans les derniers jours d'octobre 1744'.

Faute d'ouvriers,les soldats avaient été chargés de l'achèvement des fortidcations. Dans les derniers temps, il paraît qu'on négli- geait de payer le surplus de solde que ces travaux leur valaient. Ils se plaignirent d'abord ; ils murmurèrent ensuite, sans qu'on en fit aucun cas. /..lors ils résolurent de se faire justice eux- mêmes, et éclatèrent en révolte ouverte. La compagnie Suisse la première donna le signal. Ils s'élirenl des officiers, s'empa- rèrent des casernes, établirent des corps-de-gardes, posèrent des sentinelles aux magasins du roi et chez le commissaire-ordonna- teur Bigot, auquel ils demandèrent la caisse militaire sans oser la prendre néanmoins. Ils formulèrent après cela des plaintes très vives contre leurs officiers, qu'ils accusèrent de retenir une partie de leur paie, de leurs habillemens et de leur subsistance. Bigot n'ayant rien de mieux à faire, les satisfit sur une partie de ces points, et tout l'hiver il employa la même tactique quand ils de- venaient trop menaçans. Depuis plus de six mois la garnison était ainsi en pleine rébellion lorsque l'ennemi se présenta devant la place.

Le bruit de ce qui se passait à Louisbourg s'était répandu ra- pidement jusque dans la Nouvelle-Angleterre. Le gouverneur Shirley, du Massachusetts, crut que l'on ne devait pas perdre une si belle occasion d'attaquer un poste qui portait tant de préjudice à leur commerce et d'où venaient de sortir encore les troupes qui avaient brûlé Canseau. Il écrivit à Londres pour proposer au gouvernement soit de faire attaquer lui-même Louisbourg dès le petit printemps et avant que cette forteresse eût reçu des secours, soit de seconder les colons qui se chargeraient de l'entreprise si l'Angleterre ne le faisait pas. Il représentait en même temps que ce poste était un repaire de pirates qui désolaient les pêcheries et interrompaient le commerce ; que la Nouvelle-Ecosse serait tou- jours en danger tant que cette forteresse appartiendrait aux Fran- çais, et que si cette province venait à tomber entre leurs mains l'on aurait six ou huit mille ennemis de plus à combattre ; qu'il

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était de la plus haute importance de prendre Louisbourg. Shir- ley ajoutait qu'en prenant ce boulevard l'on porterait un coup mortel aux pêcheries françaises, que le Cap-I3reton était la clef du Canada et protégeait la pêche do la morue qui employait par an plus de 500 petits vaisseaux de Bayonne, de St.-Jean-de-Luz, du Havre-de-Grace et d'autres villes ; que c'était une école de matelots, enfin que cetle pêche jointe à celle pour la production des huiles, faisait travailler dix mille hommes et circuler dix mil- lions. Dans le mois de janvier suivant (1745) sans attendre de réponse de Londres, Shirley, qui avait convoqué la législature du Massachusetts, informa les membres qu'il avait une commu- nication à leur faire, mais qu'il exigeait auparavant le secret sous le sceau du serment. Après cette précaution, il leur transmit par message la proposition d'attaquer Louisbourg. Elle étonna d'abord les membres, et l'entreprise i)arut si hasardeuse qu'ils la rejetèrent. Mais Shirley sans se décourager réussit à en gagner quelques uns qui firent reprendre la mesure, laquelle après de longues discussions passa à la majorité d'une voix. Immédiate- ment Shirley écrivit à toutes les provinces voisines pour leur demander des secours en hommes et en argent, et pour les enga- ger à mettre un embargo sur leurs ports afin que rien ne pût transpirer du projet au dehors. Quoiqu'une partie seulement de ces provinces répondît à son appel, en peu de temps on eut levé et équipé plus de 4,000 hommes, qui s'embarquèrent sous les ordres d'un négociant nommé Pepperrell, pour le Cap-Breton, ils furent arrêtés trois semaines par les glaces qui entouraient l'île. Le Commodore Warren envoyé d'Angleterre avec quatre vaisseaux de guerre pour bloquer Louisbourg du côté de la mer, les rallia à Canseau et contribua puissamment au succès de l'en- treprise.

L'armée débarqua au Chapeau-Rouge. Elle marcha sans délai sur la place à laquelle elle annonça son arrivée par de grands cris. Profitant de la première surprise, le colonel Vaughan alla incendier dans la nuit même, de l'autre côté de la baie, les maga- sins remplis de boissons et d'objets de marine qui s'y trouvaient. L'officier qui commandait la batterie royale près de là, soupçon- nant quelque trahison, l'abandonna et se retira sur le champ dans la ville, premier effet de la méfiance qu'avait fait naître dans les

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officiera Tétit do révolte de leurs troupes. La garnison était alors composée d'environ GOO soldats et 800 habitans qui s'étaient armés à la hâte.

A la première alarme, le général Duchambon, commandant, la fit rassembler et la harangua ; il en appela à ses scntimena, lui représenta que l'arrivée des ennemis lui olTrait une occasion favo- rable de faire oublier le passé et de montrer qu'elle avait encore le cœur français. Ces paroles ranimèrent le patriotisme d'hommes qui n'étaient qu'outrés contre les injustices de leurs supérieurs; ils reconnurent leur faute et rentrèrent aussitôt dans le devoir, sacrifiant leur ressentiment au bien de la patrie. Mais malheu- reusement les otliciers refusèrent de croire à la sincérité de leurs dispositions, et cette méfiance fut la cause de la perte de la ville. Quoique l'ennemi se fût approché de Louisbourg sans opposi- tion, à la faveur de la surprise, son succès n'aurait été rien moins qu'assuré si on avait fondu sur lui pendant qu'il formait son camp et commençait à ouvrir ses tranchées. De simples milices, rassemblées avec précipitation, commandées par des marchands n'ayant aucune expérience militaire, auraient été déconcertées par des attaques régulières et vigoureuses ; elles n'auraient pu résister à la bayonnette ; un premier échec les aurait découragées. Mais on s'obstina à croire que la garnison ne demandait à faire des sorties que pour déserter ; et on la tint comme prisonnière jusqu'à ce qu'une si mauvaise défense eût réduit la ville à capi- tuler le 16 juin, après avoir perdu 200 hommes. L'île entière suivit le sort de Louisbourg son unique boulevard, et la garnison avec les habitans au nombre de 2,000 furent transportés à Brest, l'on fut étonné un jour de voir débarquer une colonie entière de Français, que les vaisseaux anglais laissèrent sur le rivage. Warren qui fermait l'entrée du port avec sa flotte, venait de prendre un vaisseau de 64 canons portant 560 hommes qui étaient envoyés pour relever la garnison. Si ce renfort eût pu y péné- trer, Louisbourg était sauvé. Les Américains qui savent allier la ruse avec le flegme, laissèrent flotter encore plusieurs jours le drapeau blanc sur les remparts ; et plusieurs vaisseaux français richement chargés, trompés par ce signe, vinrent se jeter au milieu des ennemis.

Le succès de l'expédition de Louisbourg, qui n'avait coûté

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presqu'aucune perte, causa de la surprise en Amérique et en Europe, et en effet ce succès devait surprendre. Pour ceux qui ignoraient ce qui s'était passé, comment croire que le plan de réduire une forteresse régulière formé par un avocat, exécuté par un marchand à la iôte d'un corps d'artisans et de laboureurs, eût pu réussir ; et pourtant c'est ce qui venait d'avoir lieu. L'or- gueil européen en fut blessé, et quoique cette conquête mît la Grande-Bretagne en état d'acheter la paix, elle excita sa jalousie contre les colonies qui l'avaient laite.* Nous verrons dans la prochaine guerre que les exploits des Canadiens excitèrent de même l'envie des Français et jusqu i celle du général Montcalm, et que cette faiblesse contribua chez ce commandant à le dégoû- ter d'une lutte au succès de laquelle il fit la faute grave de ne pas croire dès le commencement, et celle encore plus grande de répandre cette idée parmi ses troupes.

Tandis que les vainqueurs se félicitaient, et ' ,u-ibuaient eux- mêmes dans leur étonnement le succès qu'ils venaient de rem- porter au secours d'une providence dont la main avait paru d'une manière trop manifeste dans* tout le cours de l'entreprise pour être mise en doute, la nouvelle de la prise de Louisbourg parve- nait en France et tempérait un peu la joie que causaient la célèbre victoire de Fontenoy qu'on venait de remporter et lu conquête de l'Italie autrichienne. A Londres la perte de cette bataille et le déba-quemcnt du prétendant, le prince Edouard, en Ecosse, ne permirent guère non plus d'exalter le fait d'armes américain. En Canada la sensation fut profonde, car l'on croyait que l'attaque de Louisbourg n'était que le piélude à celle de Québec, et M. de Beauharnais fit ses préparatifs pour toutes les éventualités. II présida à Montréal une assemblée de six cents Indiens dft diverses nations, parmi lesquels il y avait des Iroquois ; tous montraient les meilleures dispositions. Il fit descendre à Québec une partie des milices et des Sauvages, et activa l'achèvement des fortifiica- tions de la ville auxquelles on travaillait déjà depuis si longtemps, comme si les travaux qu'on y faisait avaient valu la peine.

En même temps il écrivit en France pour presser le ministère de reprendre Louisbourg e. l'Aca 'ie,assuran„que 2,500 hommes suffu'aient pour faire la conquête de cette dernière province. Il

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fallait à tout prix se remparer de ces deux possessions ; c'était le passage du golfe qui était interrompu. Les Anglais tiennent toujours la même conduite, ils veulent occuper tous les passages et ils les occupent en effet. Envoyez moi, ajoutait-il, des munitions et des armes, je compte sur la valeur des Canadiens et des Sau- vages. La conservation du Canada est l'objet le plus important ; si une fois l'ennemi en devenait le maître, il faudrait peut-être renoncer pour toujours a ce continent. La piise de Louisbourg par les milices de la Nouvelle-Angleterre avait piqué l'amour- propre des Canadiens, qui brûlaient de se mesurer avec ces nou- veaux soldats.

Mais la conquête anglaise fit l'impression la plus pénible, ce fut dans l'Acadie elle-même, parmi l'ancienne population, abandonnée des Français et regardée avec défiance par les Anglais. Le présentiment du malheur qui devait lui arriver plus tard l'inquiétait déjà. Elle venait de voir la populution du Cap-Breton déportée toute entière en France. Elle craignait une plus grande infortune, celle d'être enlevée et dispersée en différens exils. Elle fit demander au gouverneur à Québec s'il n'aurait pas de terres à lui donner ; et celui-ci fut réduit à éluder cette question d'un peuple qui méritait à un si haut degré la bien- veillance de la France.

Les vives instances de M. de Beauharnais ne restèrent pas cependant tou< à fait sans effet. M. de Maurepas dirigea les préparatifs d'un armement comme on n'en avait pas encore mis sur pied pour l'Amérique. Le secret de sa destination fut tenu caché avec le plus grand soin. Le duc d'Anville, homme de mer dans le courage et l'habileté duquel on avait la plus grande confiance, fut choisi pour le commander. Il était de la maison de la Rochefoucault, et savait allier, dit Voltaire, à la bravoure cette politesse et cette douceur de mœurs que les Français seuls conservent dans la rudesse attachée au service maritime. Bigot, dont le nom devait être associé à tous les malheurs des Français dans ce continent, fut nommé intendant de la flotte, par son pro- tecteur le ministre de la marine. Jamais entreprise n'avait été combinée avec tant de sagesse et de prudence ; tjus les événe- mens possibles semblaient avoir été prévus. La flotte consistait en onze vaisseaux de ligne et trente autres plus petits bltim'"ns et

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transports, portant 3,000 hommes de débarquement sous les ordres de M. de Pomraeril, maréchal de camp, lesquels devaient être renforcés par 600 Canadiens et autant de Sauvages. Les Canadiens s'embarquèrent à Québec dans les premiers jours de juin.

Il n'y avait rien en Amérique capable de résister à cette force. Le duc d'Anville avait ordre de reprendre et démanteler Louis- bourg, enlever Annapolis et y laisser garnison, détruire Boston, ravager les côtes de la Nouvelle-Angleterre, et enfin d'aller inquiéter les colonies à sucre des Anglais dans le golfe mexicain. Le résultat n'aurait pas été douteux sans une fatalité qui s'atta- chait alors à toutes los entreprises françaises dans le Nouveau- Monde, môme à celles qui semblaient les mieux combinées pour en assurer le succès. Lorsqu'elles étaient au-dessus des efforts des hommes, elles venaient périr sous les coups des élémens. Chibouctou (Halifax) en Acadie était le lieu fixé pour le rendez- vous de la flotte. La traversée calculée à six semaines fut de plus de cent jours. Mais enfin on était à la vue du port et chacura commençait à se livrer à ses espérances et à oublier les fatigues d'une longue traversée, lorsqu'une tempête furieuse surprend les vaisseaux et les disperse ; une partie est obligée de relâcher dans les Antilles, une autre en France ; quelques transports périssent sur l'île de Sable, et le reste, battu par les vents durant dix jours, ne pénétre qu'avec peine dans le port qu'il avait été si près de toucher, et dans lequel il entre maintenant avec une épidémie qui vient d'éclater à bord avec une violence extrême. L'on se hâte de débarquer les malades et d'établir des hôpitaux à terre. Les vivres sont consommés, on en envoie chercher à de grandes dis- tances. On espérait que des alimens frais, un air pur, allaient apporter quelque soulagement aux hommes entassés dans les entreponts et que fauchait la mort. Mais l'air de la terre semble fournir un nouvel aliment aux ravages du fléau. La mort emporte les soldats et les matelots \ r centaines ; en quelques jours une grande partie des troi'.pes succombe. Pour comble de malheurs la contagion se communique aux fidèles Abénaquis venus pour joindre leurs armes à celles de leurs protecteurs, et en fait périr le tiers. Un sombre désespoir s'empare alors de tout le monde. L'on oe croit marqué par la fatalité. M. de Conflans

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qui avait été détaché de la flotte avec trois vaisseaux de ligne et une frégate pour convoyer les bâtimens marchands qui s'en allaient aux Iles, et qui avait reçu ordre de rallier 'M. d'Anville à la hauteur des côtes de l'Acadie, ne parait point. Cet officier du reste peu habile, avait atteint le lieu de ralliement avant d'An- ville, et après avoir croisé quelque temps dans les eaux de la péninsule, ne voyant rien arriver, il avait pris le parti de retourner en France. Ainsi tout manquait ou périssait avant qu'on eût vu l'ennemi. L'Amiral Townshend informé de ce qui se passait, se tenait au loin dans un moment il aurait pu anéantir sans effort toute l'expédition française. Il resta immobile au Cap-Breton avec son escadre, en attendant que la peste eût lâché ses malheu- reux adversaires pour les attaquer à son tour.

Pendant ce temps les lettres interceptées ayant annoncé à ceux-ci l'arrivée de l'escadre anglaise, on tint un conseil de guerre, les opinions furent partagées sur ce qu'il y avait à faire. Le duc d'Anville dont le caractère altier se révoltait sous le poids d'aussi grands malheurs, mourut presque subitement. M. d'Es- tournelle qui le remplaça dans le commandement, convoqua un nouveau nseil et proposa d'abandonner l'entreprise pour retour- ner en France. Cette proposition fut repoussée surtout par M. de la Jonquière, troisième en grade. Le nouveau commandant tomba alors dans une agitation extrême, la fièvre s'empara de lui, et dans son délire il se perça de son épée. Ces scènes tragiques rappelaient les désastres de la retraite des Grecs après la prise de Troie.

L'on était rendu au 22 octobre, et depuis les quarante-deux jours que l'on était à Chibouctou, 1,100 hommes étaient morts et 2,400 depuis le départ de l'escadre de France. Sur 200 malades qui furent mis sur un navire pour l'Europe un seul survécut malgré les plus grands soins dont ils furent tous entourés ! Tant de pertes ne purent encore abattre la détermination dea chefs. Quoiqu'il ne restât plus que quatre vaisseaux de guerre, on résolut d'aller assiéger Port-Royal ou Annapolis. On remit à la voile ; mais une nouvelle tempête éclata sur ce débris de la flotte devant le Cap de Sable, et l'obligea de faire route pour la France. M. de Maurepas, en apprenant tant d'infortunes, fit cette réponse pour consoler les officiers : " Quand les élémen»

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commandent, ils peuvent bien diminuer la gloire des chefs ; mais ils ne diminuent ni leurs travaux ni leur mérite."

Nous avons dit que 600 Canadiens et autant de Sauvages devaient se joindre aux troupes que portait la flotte du duc d'An- ville ; et que les premiers étaient partis de Québec sur sept bâti- mens pour l'Acadie. Ce renfort, commandé par M. de Ramsay, débarqua à Beaubassin dans la baie de Fondy, et fut très bien accueilli par les habitans qu'il avait mission d'empêcher de com- muniquer avec Port-Royal. Toute la population acadienne flot- tait entre l'espérance et la crainte. Elle disait que si les projets des Français ne réussissaient pas, elle serait perdue sans ressource parcequ'elle avait refusé de prendre les armes pour ses nouveaux maîtres. Mais lorsqu'elle reçut la nouvelle de l'arrivée du duc d'Anville avec son puissant armement elle se crut sauvée, et fit de grandes démonstrations de joie, démonstrations funestes qu'elle devait pleurer dans un cruel exil et dans une dispersion plus cruelle encore ! M. de Ramsay, après avoir attendu longtemps en vain l'expédition aux Mines, se disposait à revenir en Canada, sur les ordres de M. de Beauharnais, inquiet des grands prépa- ratifs de l'ennemi du côté de la Nouvelle- York, et il s'était déjà mis en route lorsqu'il fut rattrapé par un envoyé du duc d'An- ville, qui le fit revenir sur ses pas avec 400 Canadiens. Il se rapprocha de Port-Royal, qu'il tint bloqué par terre quoique la garnison y fût de 6 à 700 hommes.

Tandis que la France projetait la reprise de l'Acadie, les esprits étaient pleins d'enthousiasme dans les colonies anglaises sur la prise de Louisbourg. Shirley poursuivant toujours son but d'expulser entièrement les Français du continent, eu con- férait avec le chevalier Peter Warren et le général Pepperrell, et suggérait la conquête du Canada au ministère qui finit par l'agréer, malgré les graves préoccupations que donnait alors la présence du Prétendant au milieu de la Grande-Bretagne. Le duc de New-Castle adressa une circulaire aux gouverneurs de toutes les colonies pour leur recommander de lever autant d'hommes que possible et de les tenir prêts à marcher au premier ordre. Le plan du cabinet de St.-James était toujours d'attaquer le Canada à la fois par terre et par mer. Le vice-amiral Warrer devait faire voile d'Europe avec un corps de troupes commandé par le

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général St.-Clair, prendre en passant à Louisbourg les milices de la Nouvelle-Angleterre et aller mettre le siège devant Québec. Les levées de la Nouvelle- York et des autres provinces devaient se rassembler à Albany et marcher sur le fort St.-Frédéric et Montréal. On avait demandé 5,000 hommes aux colonies et elles en votèrent plus de 8,000 tant leur ardeur était grande ; mais ni flotte ni armée ne vinrent d'Angleterre, et les provinces furent forcées d'ajourner une entreprise qui était devenue depuis longtemps une idée fixe chez elles. Alors pour ne pas perdre entièrement le fruit de leurs dépenses elles voulurent enlever le fort St.-Frédéric, sur le lac Champlain, et M. Clinton, gouver- neur de la Nouvelle- York, avait déjà réussi à engager les cinq cantons à prendre les armes, lorsque l'on apprit l'apparition de Eamsay à Beaubassin, et que les Acadiens, travaillés par ses intrigues, menaçaient de se soulever. A cette nouvelle l'expédi- tion de St.-Frédéric fut aussitôt abandonnée, et les troupes furent dirigées en toute hâte vers l'Acadie pour couvrir Annapolis, dont la reddition aurait entraîné la perte de toute la province.

Mais à peine ces troupes étaient-elles en route qu'une rumeur d'une nature infiniment plus grave se répandit avec rapidité dans toutes les possessions anglaises et y causa la plus grande alarme. C'était la nouvelle de l'apparition de la flotte du duc d'Anville sur les côtes de l'Acadie ; elle fut connue à Boston le 20 sep- tembre. Le peuple, qui dans son triomphe croyait déjà tenir tout le Canada dans ses mains, passa alors de l'exaltation à l'épou- vante ; car l'armement des Français paraissait trop formidable pour avoir seulement la reprise do Louisbourg et de l'Acadie pour objet, et l'on devina facilement contre qui allaient être diri- gés ses coups. On courut partout aux armes ; 6,400 hommes de milices accoururent de l'intérieur au secours de Boston ; 6,000 autres se tinrent prêts dans le Connecticut à y marcher au pre- mier ordre. Le gouverneur fut investi de pouvoirs illimités pour fortifier le havre de la ville et renforcer les ouvrages de la cita- delle, dont l'on fit une des plus fortes en Amérique. La plus grande activité régnait partout pour repousser l'invasion ; mais tant de préparatifs n'étaient pas nécessaires comme nous l'avons vu. La fortune s'était chargée de changer le cours de l'orage.

Pendant ce temps-là Ramsay, était toujours devant Annapolis,

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il avait fait une centaine de prisonniers. A la nouvelle de la seconde dispersion de la flotte française, il dut songer à se retirer. Il reprit le chemin de Beaubassin afin d'y établir ses quartiers d'hiver, la saison étant trop avancée pour retourner en Canada la même année. Shirley, inquiet de le voir si proche de la capitale acadienne, envoya un nouveau corps de troupes du Massachusetts, pour en renforcer la garnison qui avait déjà été augmentée de trois compagnies de volontaires. Le gouverneur d'Annapolis, M. Mascarène, demandait 1000 hommes pour déloger les Français. Une partie seulement, environ 500, sous les ordres du colonel Noble, lui fut donnée et alla prendre position au Grand-Pré dans les Mines, à quelque distance de Beaubassin et de Ramsay lui-même. Les deux corps se trouvaient en pré- sence, mais séparés l'un de l'autre par la baie de Fondy. Dans l'hiver les Français voulurent prévenir l'ennemi. Sur la propo- sition de ses officiers, Ramsay donna 300 Canadiens et Sauvages à M. Coulon pour aller surprendre le colonel Noble dans ses quartiers. Pour l'atteindre il fallait faire le tour de la baie, et parcourir au milieu des neiges et des bois un circuit de près de soixante lieues. Sans s'effrayer de la distance ni de la saison, le détachement se mit en marche la raquette au pied, et arriva exténué de fatigue devant les cantonnemens anglais dans le mois de février 1747. Le 11 au matin, après avoir pris un moment de repos, sans donner à l'ennemi le temps de se reconnaître, Coulon tomba sur lui avec une extrême vigueur, le surprit d'abord, et en éprouva ensuite la plus grande résistance. Le feu se prolongea avec vivacité jusqu'à trois heures de l'après-midi, que la victoire se déclara enfin pour les Canadiens. Le colonel Noble fut tué, plus du tiers de ses troupes mis hors de combat, et le reste, ne pouvant fuir à cause de la profondeur de la neige, s'étant réfugié au nombre de 300 dans une grande maison fortifiée, dut se rendre par capitulation. Ce coup de main fit grand bruit à Boston, et fut regardé en Angleterre comme l'un des plus auda- cieux que l'on pût entrej .endrc, pour abattre un peu l'orgueil des vainqueurs de Louisbourg.*

L'échec du Grand-Pré n'était pas le seul néanmoins qu'ils

Gazette de Londres, du Canada.

Documns de Paris. Chalmers Annals, Affaires

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éprouvaient depuis le commencement des hostilités. Leurs froa- tiéres étaient cruellement dévastées par les bandes qui s'y suc- cédaient avec une activité incessante depuis l'automne de 1745 ; quelquefois il y en avait plusieurs à la ibis sur pied. Mais au loin l'éclat de la conquête du Cap-Breton avait jeté dans l'ombre ces petites expéditions, qui à la longue devaient harasser cependant beaucoup l'ennemi. On en comptait jusqu'à vingt- sept depuis le commencement de la guerre, c'est-à-dire depuis trois ans. Le fort Massachusetts situé à cinq lieues au-dessus de St.-Frédéric, avait été enlevé par capitulation par M. Rigaud de Vaudreuil à la tète de 700 Canadiens et Sauvages, qui avaient ensuite ravagé quinze lieues de pays et répandu la terreur jusque dans la Nouvelle-Angleterre. La Corne de St.-Luc avait attaqué le fort Clinton et complètement défait un détachement anglais qu'il avait précipité à coups de hache dans une rivière. Saratoga avait été pris et la population massacrée. Le fort Bridgeman, attaqué par de Léry, était aussi tombé en son pouvoir, enfin les frontières de Boston à Albany n'étaient plus tenables. Le? forts avancés avaient été évacués et la population effrayée courait chercher un refuge dans l'intérieur pour se soustraire à ces dévas- tations meurtrières. Tel était l'état des choses en Amérique.

A Paris aboutissaient les bonnes comme les mauvaises nou- velles, le ministère français ne fut pas découragé par les désastres de la flotte du duc d'Anville ; et malgré l'immense infériorité numérique de la marine française comparée à la marine anglaise, il résolut non-seulement de reprendre l'expédition que les élé- mens et la peste avaient interrompue d'une manière si funeste l'année précédente, mais encore d'envoyer un armement dans les Indes pour soutenir les succès que M. de la Bourdonnaie venait d'y remporter, en battant l'amiral Peyton et en enlevant Madras sur la côte du Coromandel. En conséquence, deux escadres furent équipées l'une à Brest et l'autre à Rochefo^ c ; celle dite du Canada, la plus considérable des deux, fut mise sous les ordres de l'amiral de la Jonquière, qui s'était opposé l'année précédente au retour des débris de la flotte du duc d'Anville avant d'avoir pris Port-Royal, et sur qui était retombé le commandement après la mort de M. d'Estournelle ; celle des Indes fut donnée à M. de St.-George. Les deux escadres réunies formaient six vaisseaux

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de haut bord, six frégates et quatre navires armés en flûte par la compagnie des Indes ; elles convoyaient une trentaine de bâti- inens chargés de troupes, de provisions et de marchandises ; elles devaient aller quelque temps de conserve.

L'Angleterre n'avait pas plutôt eu connaissance du dessein des Français, qu'elle avait résolu de le faire échouer; et à cet effet elle avait chargé les amiraux Anson ei Warren avec dix- sept vaisseaux d'intercepter les deux escadres françaises et de les détruire s'il était possible. Ils partirent de Portsmouth et les rencontrèrent le 3 mai à la hauteur du Cap-Finistère en Espagne. Aussitôt M. de la Jonquière ordonna aux vaisseaux de ligne de ralentir leur marche et de se ranger en bataille, tandis que le convoi devait forcer de voile vers sa destination sous la protection des frégates. Ainsi les Français osèrent opposer leurs six vais- seaux aux dix-sept des Anglais ; ils ne pouvaient guère espérer de vaincre, ils voulaient seulement gagner du temps en arrêtant l'ennemi. Le combat s'engagea et continua avec un acharnement égal. Anson et Warren manœuvraient pour envelopper la Jon- quière, et celui-ci pour les déjouer ; mais après des efforts long- temps indécis les vaisseaux Français se trouvèrent complètement cernés ; et, accablés sous le nombre, ils furent obligés l'un après l'autre d'amener leur pavillon. Leur perte fut de 700 hommes. Ce fut une affaire les vaincus s'illustrèrent autant que les vainqueurs. Anson envoya immédiatement à la poursuite du convoi une partie de ses forces qui enleva neuf voiles. L'on conduisit à Londres 22 charriots chargés de l'or, de l'argent et des effets pris sur la flotte, dont la défaite priva la Nouvelle-France d'un puissant secours. Le marquis de la Jonquière avait mon- tré beaucoup de talent dans le combat. Le capitaine du vais- seau le Windsor s'exprimait ainsi dans sa lettre sur cette bataille : Je n'ai jamais vu une meilleure conduite que celle du commandant français, et pour dire la vérité, tous les officiers de cette 7iation ont mx)7viré un grand courage ; aucun d'eux ne s^est reftdu que quatid il lui a été absolument impossible de tnanœu- vrer. En effet, jamais à aucune époque la marine française n'eut des officiers plus habiles ni plus braves ; ils faisaient partout des prodiges de valeur qui étaient souvent couronnés de succès ; et lorsqu'ils succombaient, c'était sous la grande supériorité numé-

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rlque de leurs adversaires ; ce qui a fait dire à un historien anglais que dans cette guerre l'Angleterre dut plutôt ses victoires maritimes au nombre de ses vaisseaux qu'à son courage.

Il semblait, observe Voltaire à cette occasion, que les Anglais dussent faire de plus grandes entreprises maritimes. Ils avaient alors six vaisseaux de 100 pièces de canon, treize de 90, quinze de 80, vingt-six de 70, trente-trois de 60. Il y en avait trente- sept de 50 à 54 ; et au-dessous de cette forme, depuis les frégates de 40 canons jusqu'aux moindres, on en comptait jusqu'à 115. Ils avaient encore quatorze galiotes à bombes et six brûlots. C'était en tout deux cent soixante-et-trois vaisseaux de guerre, indépendamment des corsaires et des vaisseaux de transport. Cette marine avait le fond de quarante mille matelots. Jamais aucune nation n'avait eu de pareilles forces. Tous ces vaisseaux ne pouvaient être armés à la fois, il s'en fallait beaucoup. Le nombre des soldats était trop disproportionné ; mais enfin en 1747, les Anglais avaient à la fois une flotte dans les mers d'Ecosse et d'Irlande, une à Spithead, une aux Indes orientales, une vers la Jamaïque, une à Antigoa, et ils en armaient de nouvelles selon le besoin.

Il fallait que la France luttât pendant tout ce temps avec envi- ron trente-cinq vaisseaux. Le résultat ne pouvait être longtemps douteux. Il devenait plus difficile de jour en jour de soutenir les colonies. Si on ne leur envoyait pas de gros convois, elles demeuraient sans secours à la merci des flottes anglaises. Si les convois partaient ou de France ou des Iles, ils couraient risque d'être pris avec leurs escortes.

Après la bataille sous le Cap-Finistère, il ne restait plus aux Français sur l'Atlantique que sept vaisseaux de guerre. Ils furent donnés à M. de l'Estanduère pour escorter les flottes mar- chandes aux Iles de l'Amérique, et furent rencontrés près de Belle-Isle par l'amiral Hawke qui en avait quatorze. Le combat, comme au Cap-Finistère, fut long et sanglant, mais les guerriers français étaient réduits à ne plus combattre que pour l'honneur. Deux vaisseaux seulement, le Tonnant et l'Intrépide, sortirent de cette nouvelle lutte et rentrèrent à Brest comme des monceaux floltans de ruines ; mais un convoi de 250 voiles avait été sauvé. Le premier était monté par l'amiral lui-même ; le second, par

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un Canadien, le comte de Vaudreuil. Ce combat est célèbre dans les annales de la marine française pour la résistance qu'offrit le Tonnant, attaqué quelque temps par la ligne entière des Anglais: fatigués de leurs elîbrts, ceux-ci le considérant comme une proie qui ne pouvait les fuir, le laissent respirer un moment ; puis trompés dans leur attente, ils recommencent un combat aussi inutile que le premier. Il parvint à leur échapper remorqué par l'Intrépide qui avait soutenu une pareille lutte, qui était venu partager ses dangers, et qui eut également part à sa gloire. L'amiral anglais fut accusé devant une cour martiale pour n'en avoir pas fait la conquête. Dans ce temps-là, la Grande-Bretagne, piquée de l'audace de ses ennemis, faisait passer ses amiraux par les armes s'ils montraient la moindre faiblesse.

La France ne resta plus alors qu'avec deux vaisseaux de giierre. " L'on reconnut dans toute son étendue la faute du car- dinal de Fleuri d'avoir négligé la marine, indispensable pour les peuples qui veulent avoir des colonies. Cette faute était difficile à réparer. Elle était, comme l'événement l'a prouvé, irrépa- rable pour la France. La marine est un art et un grand art, qui demande une longue expérience." L'Angleterre le savait et elle se hâta de prendre le reste des possessions françaises dans l'Amé- rique du nord, avant de donner le temps à son ancienne rivale de rétablir ses flottes. La perte du Canada est imputable en partie à cette erreur, qui priva la mère-patrie des moyens de le secourir lorsqu'il eut besoin de son assistance.

Le marquis de la Jonquière devait relever M. de Beauharnais dans le gouvernement de la Nouvelle-France ; sa commission était datée de 1746, et il avait ordre après la campagne du duc d'Anville, de se rendre à Québec. Fait prisonnier à la bataille du Cap-Finistère, il eut pour remplaçant durant sa captivité, le comte de la Galissonnière ; et en 1748 le roi donna pour succes- seur à M. Hocquart, intendant. Bigot, l'ancien commissaire- ordonnateur de Louisbourg, étendant en même temps sa juridic- tion sur toute la Nouvelle-France et sur toute la Louisiane.

Toutefois si la France était malheureuse sur mer, elle obtenait de grands triomphes sur le continent de l'Europe. Les victoires du maréchal de Saxe, qui venait encore de gagner la fameuse bataille de Laufeld sur le duc de Curaberland (1747), avaient

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enfin déterminé les alliés à faire la paix, désirée vivement par tous les peuples las d'une lutte sanglante et ingrate. Dès le milieu de l'été le duc de Nevv-Castle avait envoyé aux colonies anglaises l'ordre de licencier leurs troupes, levées d'abord pour envahir le Canada, retenues ensuite pour s'opposer à l'invasion du duc d'Anville, et enfin renvoyées dans leurs cantons par la cessation des hostilités. En Canada on ne s'attendait pas à poser sitôt les armes. L'annonce de l'envoi d'un armement considé- rable sous le commandement de M. de la Jonquiôre, faisait croire au contraire que l'issue de la guerre était encore éloignée. L'on pensait même que l'ennemi allait renouveler cette année son pro- jet d'invasion, et les habitans des compagnes avaient reçu ordre, par précaution, de se retirer dans l'intérieur des terres à son approche, et ceux de l'île d'Orléans d'évacuer l'île. En même temps, sur le bruit qui s'était répandu que le fort St.-Frédéric allait être attaqué, le major des Trois-Rivières y avait marché avec 1200 hommes, à la tête desquels il était al'é défaire dans le voisinage même d' Albany, un cor de troupes anglaises qu'il avait littéralement anéanties, quelques hommes seulement s'en étant échappés avec peine. Ces partis de guerre se succédaient de manière à ce qu'il y en eût toujours sur les terres de l'ennemi, lorsque sur la fin de l'été les nouvelles apportées d'Europe par le comte de la Galissonnière, qui arriva en septembre pour prendre les rênes de l'administration, et le désarmement des colonies américaines, ne laissèrent plus de doute sur la cessation prochaine des hostilités. La paix fut signée à Aix-la-Chapelle en IT-iS. Le marquis de St.-Sévérin, l'un des plénipotentiaires français, avait déclaré qu'il venait accomplir les paroles de son maître, " qui voulait faire la paix non en marchand mais en roi," paroles qui, dans la bouche de Louis XV, renfermaient moins de grandeur que d'imprévoyance et de légèreté. Il ne fit rien pour lui et fit tout pour ses alliés. Il laissa avec une aveugle indifférence la question des frontières sans solution en Amérique, se contentant de stipuler qu'elle serait réglée par des commissaires. On avait fait une première faute de ne pas préciser celles de l'Acadie en 1712 et 13, on en fit une seconde plus grande encore en 1748, en abandonnant cette question aux chances d'un litige dangereux, car les Anglais ne faisaient que gagner à cette temporisation.

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La destruction de la marine française dans la guerre qui venait de finir, augmentait leurs espérances et leur désir d'être bientôt maîtres de tout le nord du NouveaU'-Monde. Aussi le traité d'Aix-la-Chapelle, l'un des plus déplorables, dit un auteur, que la diplomatie française ait jamais acceptés, n'inspira aucune con- fiance et ne procura qu'une paix armée. Le Cap-Breton fut rendu à la France en retour de Madras, pris aux Indes par M. de la Bourdonnaie, et des conquêtes des Français dans les pays bas. Ainsi tout se trouva placé en Amérique sur le même pied qu'avant la guerre, excepté, comme on l'a dit, que Louis XV n'avait plus de marine pour y protéger ses possessions. La nou- velle de la suspension des hostilités entre les puissances belligé- rantes, arriva à Québec dans le même temps que celle du réta- blissement de la tranquillité des pays d'en haut, qui avait été momentanément troublée par une conspiration des Miâmis.

Les progrès des Européens inspiraient tous les jours d avantage des soupçons et des craintes aux Indigènes de l'ouest, qui cher- chaient à s'isoler de ces étrangers, à garder la neutralité, ou même à les détruire s'il était possible. Depuis quelques années ils se disaient tout bas : " la peau rouge ne doit pas se détruire entre elle, laissons faire la peau blanche l'une contre l'autre." Les Miàmis plus impatiens que les autres formèrent en 1747 le complot de massacrer tous les habitans du Détroit. L'on remar- quait en même temps une agitation sourde dans toutes les autres nations des lacs, qui inquiétait et qui fit renforcer la garnison de Michilimackinac. Les Miâmis devaient courir aux armes une des fêtes de la Pentecôte. Heureusement une vieille femme fort aitachée aux Français vint découvrir toute la trame au comman- dant du Détroit, M. de Longueuil, qui prit immédiatement des mesures pour la faire avorter ; elles suffirent pour en imposer aux barbares. Il ne fut tué que quelques Français isolés. L'on prit le fort des Miàmis dont ils avaient eux-mêmes brûlé une partie avant de fuir, et le secours qui arriva peu après du bas St.- Laurent, acheva de les intimider. Ils n'osèrent plus remuer et la Nouvelle-France se trouva bientôt en paix sur toutes ses fron- ^ères.

CHAPITRE III.

COMMISSION DES FRONTIÈRES,

1718-1755.

La paix d'Aix-la-Chapelle n'est q'une trêve. L'Angleterre profite de la ruine de la marine française pour étendre les frontières de ses possessions en Amérique. M. de la Galissonnière, gouverneur du Canada. Ses plans pour empêcher les Anglais de s'étendre, adoptés par la cour. Prétentions de ces derniers. Droit de découverte et de possession des Français. Politique de M. de la Galissonnière, la meilleure quant aux limites. Emi- gration des Acadiens : part qu'y prend ce gouverneur. Il ordonne de bâtir ou relever plusieurs forts dans l'Ouest ; garnison au Détroit ; fon- dation d'Ogdensburgh (1749).— Le marquis de la Jonquière remplace M. de la Galissonnière. Projet que ce dernier propose à la cour pour peupler le Canada. Appréciations de la politique de son prédécesseur par M. de la Jonquière ; le ministre lui enjoint de la suivre. Le chevalier de la Corne et le major Lawrence s'avancent vers l'isthme de l'Acadie et s'y fortifient ; forts Beauséjour et Gaspareaux, Lawrence et des Mines.^ Lord Albemarle, ambassadeur britannique à Paris, se plaint des empiéte- mens des Français (1750) ; réponse de M. de Puyzieulx. La France se plaint à son tour des hostilités des Anglais sur mer. Etablissement des Acadiens dans l'ile St.-Jean ; leur triste situation. Fondation d'Hali<"ax (1749). Une commission est nommée pour régler la question des limites : MM. de la Gallisonnière etde Silhouette pour la France ; MM. Shirley et Mildmay pour la Grande-Bretagne. Convention préliminaire : tout doit rester dans le Statu quo jusqu'au jugement définitif. Conférences à Paris ; l'Angleterre réclame toute la rive méridionale du St.-Laurent depuis le golfe jusqu'à Québec ; la France maintient que l'Acadie suivant ses anciennes limites, se borne au territoire qui est à l'est d'une ligne tirée dans la péninsule de l'entrée d? la baie de Fondy au Cap Canseau. Notes raisonnées à l'appui de ces prétentions diverses. Les deux parties ne se cèdent rien. Afl^aire de l'Ohio ; intrigues des Anglais parmi les naturels de cette contrée, et des Français dans les cinq cantons, Traitans de la Virginie arrêtés et envoyés en France. Les deux nations envoyent des troupes sur l'Ohi"^ et s'y fortifient. Le gouverneur fait défense aux Demoiselles Desauniers de faire la traite du castor au Sault-St .-Louis ; difficulté que cela lui suscite avec les Jésuites, qui se plaignent de sa con- duite à la cour, de la part qu'il prend lui et son secrétaire au commerce et de son népotisme. Il dédaigne de se justifier. Il tombe malade et meurt à Québec en 1752. Son origine, sa vie, son caractère. Le marquis de Duquesne lui succède. Aflfaire (!e l'Ohio continuée.— Le colonel Wash- ington marche pour attaquer le fort Duquesne. Mort de Jumonville.

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Défaite de Washington par .M. de Villiers au fort de la Nécessité (1754) Plan des Anglais pour l'invajion du Canada ; assemblée des gouverneurs coloniaux à Albany. Le général Braddock est envoyé par la Grande- Bretagne en Amérique avec des troupes. le baron Dieskau débarque à Québec avec 4 bataillons [1755.] Négociations des deux cours au sujet de l'Ohio. Note du duc de Mirepoix du 15 janvier 1755; réponse du cab\nel de Londres. Nouv allés propositions des ministres français ; l'An- gleterre élève ses demandes. Prise du Lys et de l'Alcide par l'amiral Boscawen. La France déclare la guerre à l'Angleterre.

La paix d'Aix-la-Chapelle ne fut qu'une trêve ; à peine les hos- tilités cessèrent-elles en Amérique. Les colonies anglaises avaient suivi avecle plus vif intérêt surtout la lutte sur l'Océan, et elles avaient vu détruire avec joie les derniers débris de la flotte fran- çaise dans le combat de Belle-lsle, elle brilla d'un dernier éclat. En effet la manne de France détruite, qu'allaient devenir SOS possessions d'outre-mer, ce grand, ce beau système colonial, qui lui assurait une si vaste portion du Nouveau-Monde et qui lui coûtait peut-être moins cher que les caprices des maîtresses royales.

Profitant de cette heureuse circonstance les colonies améri- caines voulurent reculer aussitôt leurs frontières au loin. Il se forma une société d'hommes influens de la Grande-Bretagne et des colonies, pour occuper la vallée de l'Ohio, dans laquelle elle obtint en 1749 une concession de 600,000 acres de terre. Ce n'était pas la première fois que les Anglais enviaient cette fertile et délicieuse contrée. Dès 1716, M. Spotsvi^ood, gouverneur de la Virginie, avait proposé d'y acheter un territoire des Indigènes, et de former une association pour y faire la traite ; mais le cabi- net de Versailles s'y étant opposé, le projet avait été abandonné.* Dans le même temps les journaux de Londres annonçaient qu'il était question de porter jusqu'au fleuve St.-Laurent les établisse- mens que l'on devait former du côté de l'Acadie, et on ne don- nait aucunes bornes à d'autres que l'on projetait du côté de la baie d'Hudson.f L'agitation qui régnait à cet égard ne faisait que confirmer les Français dans leurs appréhensions d'un grand mouvement agresseur de la part de leurs voisins. M. de la Galissonnière surtout partageait ces craintes. C'était un homme

Univfrsal History, vol. 40.

f Mémoire, etc., par M. de Choiseul.

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de mer distingué, et qui devait plus tard se rendre célèbre par sa victoire devant l'île de Minorque sur l'amiral Byng. Il était actif, éclairé, et donnait à l'étude des sciences le temps que ne demandaient point ses fonctions publiques. Il ne gouverna le Canada que deux ans, mais il donna dans ce court espace de temps, une forte impulsion à l'administration et de bons conseils à la cour, qui eussent peut-être conservé cette belle colonie à la France s'ils avaient été suivis. En prenant les rênes du gouver- nement, il voulut connaître le sol, le climat, les productions, la population, le commerce et les ressources du pays. Il porta sur- tout dès la première année son attention sur la question des fron- tières qu'il n'était pas possible de laisser plus longtemps indécise. Il promena longtemps ses regards sur la vaste étendue des pos- sessions françaises, en étudia minutieusement les points forts et faibles, sonda les projets de ses voisins, et finit par se convaincre que l'isthme qui joint la péninsule acadienne au continent, à l'est, et les Apalaches à l'ouest, étaient les deux seuls boulevards de l'Amérique française ; que si l'on perdait l'un, les Anglais débor- daient jusqu'au St.-Laurent et séparaient le Canada de la mer ; que si l'on abandonnait l'autre, ils se répandaient jusqu'aux grands lacs ei. à la vallée du Mississipi, isolaient le Canada de ce fleuve, lui enlevaient l'alliance des Indiens et restreignaient les bornes de ce pays au pied du lac Ontario. Ce résultat était inévitable sui- vant lui, d'après le développement que les colonies anglaises pre- naient tous les jours. Il écrivit au ministère que les établisse- mens des Illinois avaient d'abord été trop prisés et qu'ils ne l'étaient plus assez ; que quoiqu'ils ne produisissent rien il ne fallait pas les abandonner, parce que c'était une des barrières les mieux placées qu'on put opposer à l'ambition des Anglais pour les empêcher de pénétrer dans l'intérieur ; que le pays bien établi nous rendrait formidable du côté du Mississipi ; que si dans la guerre présente on avait eu quatre à cinq cents hommes armés chez les Illinois, non seulement on n'y aurait pas été inquiété, mais on aurait mené jusque dans le cœur des établisscmens de l'ennemi ces mêmes nations qui nous insultaient si souvent ; enfin que l'on ne devait pas se flatter que le Canada et la Louisiane pussent jamais marcher de pair avec les provinces anglaises d'après la population qu'elles avaient déjà.

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On a beaucoup blâmé la France de la position qu'elle osa prendre dans la question des frontières ; elle a môme été accusée par les siena d'ambition et de vivacité. Voltaire va jusqu'à dire qu'une pareille dispute, élevée entre de simples commerçans, aurait été appaisée en deux heures par des arbitres; mais qu'entre des couronnes il suffit de l'ambition et de l'humeur d'un simple commissaire pour bouleverser vingt états, comme si la pos- session d'un territoire assez spacieux pour former trois ou quatre empires comme la France, comme si l'avenir de ces magnifiques contrées, couvertes aujourd'hui déjà de millions d'habitans, avait à peine mérité l'attention du cabinet de Versailles. Par cela seul que la Grande-Bretagne montrait tant de persistance, ne devait-on pas être au moins sur ses gardes 1 Le mouvement que l'on se donnait en Angleterre et dans ses colonies, l'éclat des prépara- tifs que l'on faisait, et l'importance des projets qu'ils annonçaient n'étaient-ils pas de nature à exciter l'attention du Canada et de la cour? Mais ce n'est qu'en Canada qu'on paraissait avoir une inquiétude sérieuse.

Le cabinet de St.-James s'était abstenu jusqu'alors de formuler ses prétentions d'une manière précise et définie ; i' ne les avait fait connaître que par son action négative, c'est-à-dire qu'il n'avan- çait directement rien lui-même, mais qu'il contestait tout aux Français comme on l'a vu lorsque ceux-ci voulurent s'établir à Niagara et à la Pointe à la. Chevelure, et continuer leur séjour au milieu des Abénaquis après le traité d'Utrecht. Tandis qu'il déclarait à ces Sauvages que tout le pays appartenait à la Grande- Bretagne depuis la Nouvelle- Angleterre jusqu'au golfe St.-Laurent, il gardait le silence vis-à-vis de la France sur cette prétention qu'il devait cependant faire valoir plus tard.* Du côté de l'ouest son silence avait éié encore plus expressif, ou plut'»t il avait reconnu la nullité de son droit en refusant de sanctionner la for- mation d'une compagnie de l'Ohio en 1716. Mais les choses avaient bien changé depuis. Le traité d'Utrecht lui donnait

11 est singulier que le Conseil Privé recevait du Bureau des colonies et plantations en 1713, et par conséquent avani, le traité précité, un rapport dans lequel on disait, " que le Cap-Breton avait toujours fait partie cl^ l'Â- cadie, et que la Nouvelle-Ecosse comprenait toute l'Âcadie bornée par la rivière Ste. -Croix, le St.-Laurent et la ntier." Registres d'extraits des pro- cès-verbaux du Board of colonies and plantations etc., déjà cités dans ce vol.

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l'Acadie ; il annonce que cette province s'étend d'une part depuis la rivière Kénébec jusqu'à la mer, et de l'autre depuis la baie de Fondy jusqu'au St-Laurent. Il maintient que le territoire entre la rivière Kénébec et celle de Penobscot en se prolongeant en arrière jusqu'à Québec et au St.-Laurent, lui a toujours appar- tenu, et que les véritables bornes de la Nouvelle-Ecosse ou de l'Acadie, suivant ses anciennes limites, sont lo. une ligne droite tirée de l'embouchure de la rivière Penobscot au fleuve St.-Lau- rent ; 2o, ce fleuve et le golfe St.-Laurent jusqu'à l'Océan au sud-ouest du Cap-Breton ; 3o. l'Océan de ce point à l'embou- chure du Penobscot. Il prétend même que le fleuve St.-Laurent est la borne la plus naturelle et la plus véritable entre les posses- sions des deux peuples. , i

Le pays ainsi réclamé en dehors de la péninsule acadienne avait plus de trois fois l'étendue de la Nouvelle-Ecosse elle-même, et commandait le golfe et l'embouchure du St.-Laurent. C'était la porte du Canada, et la seule par l'on pouvait y entrer de l'Océan en hiver, c'est-à-dire pendant cinq mois de l'année.

Le territoire que l'Angleterre disputait aux Français au-delà des Apalaches était encore beaucoup plus précieux pour l'avenir.

Le bassin de l'Ohio seul jusqu'à sa décharge dans le Mississipi, n'a pas moins de deux cents lieues de longueur ; mais ce n'en était qu'une faible partie ; l'étendue réclamée n'était pas défi- nie ; elle n'avait et ne pouvait avoir à proprement dire aucune limite, c'était un droit occulte, qui devait entraîner avec lui la possession des immenses contrées représentées sur les cartes entre les lacs Ontario, Erié, Huron et Michigan, le haut Mississipi et les Alléghanys, et qui forment maintenant les Etats de la Nou- velle-York, de la Pennsylvanie, de l'Ohio, du Kentusky, de l'In- diana, de l'Illinois et les territoires qui sont de chaque côté du lac Michigan, entre les lacs Erié, Huron et le fleuve Mississipi. Le Canada se serait trouvé séparé de la Louisiane par de longues distances et complètement muti'é. Des murs de Québec et de Montréal on aurait pu voir flotter le drapeau britannique sur la rive droite du St.-Laurent. De pareils sacrifices équivalaient à un abandon total de la Nouvelle-France.

En présence de ces prétentions annoncées à la possession des pays découverts par les Français, et formant partie intégrante

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des territoires occupés par eux depuis un siècle et demi, qu'avait à faire M. de la Galissonnière, sinon à maintenir les droits de sa patrie 1 Tous les mouvemens qu'il ordonna sur nos frontières lui auraient été dictés par la nécessité de sa situation, s'il n'avait pas été d'ailleurs convaincu lui même de le-.ir à propos. Mais il y a plus. L'article 9 du traité d'Aix-la-Chapelle stipulait positive- ment que toutes choses seraient remises dans le même état qu'elles étaient avant la guerre, et la Grande-Bretagne avait envoyé deux otages à Versailles pour répondre de la remise de Louisbourg dans l'île du Cap-Breton. Or la France avait toujours occupé le pays jusqu'à l'isthme de la péninsule acadienne. L'érection du fort St.-Jean et la possession du Cap-Breton immé- diatement après le traité d'Utrecht étaient des actes publics, patens, de cette occupation dont la légitimité semblait avoir été reconnue par le silence que la cour de Londres avait gardé jus- qu'après le traité qui venait de mettre fin à la guerre ; car ce ne fut qu'alors que le gouverneur de la Nouvelle-Ecosse, le colonel Maicarène, voulût forcer les habitans de la rivière St.-Jean à prê- ter serment de âdélité à l'Angleterre et s'approprier leur pays.*

Après ce que l'on vient de dire, M. de la Galissonnière n'ayant point de discrétion à exercer, devait prendre des mesures pour la conservation des droits de la France, et c'est ce qu'il fit. Il envoya des troupes, et donna ses ordres pour repousser même par la force les Anglais s'ils tentaient de sortir de la péninsule et de s'étendre sur le continent ; il écrivit à M. Mascarène à la fois pour se plaindre de sa conduite à l'égard des habitans de St.-Jean, et pour l'engager à faire cesser les hostilités qui avaient continué contre les Abénaquis,quoique ceux-ci eussent mis bas les armes dès que le traité d'Aix-la-Chapelle avait été connu. Ces plaintes donnèrent lieu à une série de lettres assez vives que s'écrivirent le marquis de la Jonquière et M. Cornwallis, qui avaient rem- placé, le premier, le comte de la Galissonnière, et le second, M. Mascarène, en 1749.

Cependant jusque le gouvernement français était dans son droit. Mais M. de la Galissonnière avait formé un projet qu'il communiqua à la cour, et qu'il réussit à lui faire adopter, qui

Mémoire du duc de Chr iseu!, rniniatre de France. Mémoire anonyme «ur 1rs aflfajres du Canada.

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ne pouvait être en aucune manière justifiable. C'était d'engager les Afadiens à abandonner en rnasae la péninsule pour venir s'établir sur la rive septentrionale de la baie de Fondy. Son but était d'abord de cotivrir la frontière du Canada de ce côté par une population dense et bien affectionnée, et ensuite de réunir toute la poj. lation française sous le même drapeau. L'exécution d'un semblable dessein aurait été chose difficile en tout temps, dans Pfctut actuel des relations entre la France et l'Angle- terre, elle avait le caractère d'un acte de déloyauté, parce que c'était provoquer la désertion aux sujets d'une puissance amie ; car quoique pour des motifs religieux les Acadiens refusassent de prêter le serment du test, et se donnassent pour neutres, ils n'en étaient pas moins aux yeux des signataires du traité d'Utrecht des sujets britanniques. La cour affecta à ce projet d'émigration une somme assez considérable, et les missionnaires français répandus parmi les Acadiens, blessés dans leurs sentimens reli- gieux par la soumission à un gouvernement protestant, et dans leur amour propre national par K^ur sujétion à un joug étranger, se prêtèrent volontiers aux vœux de leur ancienne patrie, en quoi ils furent trop bien secondés par les Acadiens eux-mêmes, entre lesquels st leurs vainqueurs aucune sympathie ne pouvait s'établir. Les deux plus puissans motifs qui agissent sur le?, hommes, la religion et la nationalité, secondaient les vues de M. de la Galissoiinière. Le P. Germain à Port-Royal et l'abbé de Laloutre à Beaubassin sont ceux qui entrèrent le plus avant dans ce projet, et qui firent les plus grands efforts pour engager les Acadiens à abandonner leurs terres qui formaient toute leur for- tune. Lorsqu'il fallut quitter pour jamais le sol qui les avait vu naître et qui renfermait les cendres de leurs pères, lorsque l'heure vint de dire un dernier adieu aux lieux embellis par le charme des souvenirs de l'enfance, le cœur manqua à ces malheureux qui éclatèrent en sanglots ; mais ils devaient accomplir leur destinée, et se soumettre, comme bientôt tous les autres Français de l'Amé- rique, à la grande supériorité numérique de leurs rivaux. Cette émigration commença en 1748.

Tandis que le gouverneur travaillait ainsi à élever à l'est une barrière dans l'isthme de la Péninsule pour arrêter les Anglais, il ne mettait pas moins d'activité à leur fermer l'entrée de la vallée

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de l'Ohio dans l'ouest. Cette vallée comprise dans les lettres patentes de 1712, pour l'établissement de la Louisiane, avait tou- jours été fréquentée depuis pour passer de cîtte province en Canada. Les traitans anglais s'y montrant toujours, M. de la Galissonnière y envoya en 1748 M. Celeron de Bienville avec 300 hommes pour les expulser tout à fait, et prendre possession du pays d'une manière solennelle. Bienville planta des poteaux et enterra des plaques de plomb aux armes de France en diffé- rens endroits de la contrée, après en avoir dressé procès-verbal en présence des tribus, du pays, qui ne virent pas ces formalités sans inquiétude et sans murmure. Les plus hardies s'expri- mèrent même assez librement. Bienville écrivit en même temps au gouverneur de la Pennsylvanie pour l'informer de sa mission et le prier de défendre à l'avenir aux habitans de sa province d'aller commercer au-delà des Apalaches, parcequ'il avait l'ex- presse injonction de les arrêter et de confisquer leurs marchan- dises s'ils y faisaient la traite. M. de la Galissonnière était alors en correspondance active avec les gouverneurs de la Nouvelle- Ecosse, du Massachusetts et de la Nouvelle- York ; il envoyait, aussi une garnison au Détroit, faisait relever le fort de la baie des Fuans, démantelé par Ligneris lors de son expédition contre les Outagamis, ordonnait d'en bâtir un au milieu des Sioux, un autre en pierre à Toronto, un troisième à la Présentatior (0gd3n- uburgh), sur la rive droite du St.-Laurent entre Montréal et Frontenac, afin d'être plus à portée dea Iroquois qu'il voulait gagner entièrement à la France. Ces Sauvages avaient envoyé à la fin de 1748 une grande députation en Canada pour protester de nouveau qu'ils n'avulent cédé leurs terres à personne et qu'ils voulaient conserver leur indépendance et vivre en paix avec les deux nations. La milice n'avait pas échappé non plus à l'atten- tion du gouverneur, et dès son arrivée dans le pays, il avait envoyé le chevalier Péan pour en faire la revue paroisse par paroisse, et en lever des rôles exacts. Elîe pouvait former alors en tout une force de 10 à 12,000 hommes.

C'est au milieu de ces occupations, et des efforts qu'il faisait «ans cesse pour donner quelqu'espèce de solidité aux frontières, quM vit arriver à la fin du mois d'août 1749, le marquis de la Jçnquiére venant le remplacer en vertu de sa commission de

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1746. M. de la Galissonniùre lui communiqua tous les rensei- gnemens qu'il avait pu recueillir sur les pays qui lui étaient con- fiés, et lui fit part de ses plans et de ses vues sur tout ce qu'il croyait nécessaire à leur sûreté et à leur conservation avec une patriotique firanchise. De retour en France, il ne cessa point de s'intéresser au Canada avec le même zèle et la même vigilance. Il proposa au ministère d'y envoyer 10,000 paysans, pour peupler les bords des lacs et le haut du St.-Laurent et du Mississipi. A la f'ii de 1750, il lui adressa un nouveau mémoire dans lequel après avoir traité de i'utilité des colonies et des objections contre la conservation du Canada et de la Louisiane il observait que si la paix paraissait avoir assoupi la jalousie des Anglais en Europe, cette jalousie éclattait dans toute sa fi)rce en Amérique ; que si on n'y opposait pas des barrières capables d'en arrêter les effets, l'Angle- terre se mettrait en état d'envahir entièrement les colonies fran- çaises au commencement de la première guerre; que c'était dans cette vue qu'elle voulait s'assurer de toutes les avenues du Canada ; que si le Canada ne prenait pas l'Acadie à la première guerre, cette dernière province ferait tomber Louisbourg. Il recommandait en conséquence de fortifier Québec et Montréal, et de détruire Oswégo, d'empêcher les Anglais de s'établir sur l'Ohio, même par la force ; et déclarah que tout devait être fait pour augmenter et fortifier le Canada et la Louisiane, surtout pour établir solidement les environs du fort St.-Frédéric, les postes de Niagara, du Détroit ei, des Illinois ;• et que l'on devait y envoyer beaucoup de monde afin de mettre ceux qui en avaient l'adminis- tration en état de travailler en même temps aux différons établis- semens proposés.

Ces plans de M. de la Galissonnière qu'on aurait exécutés avec de l'énergie, parurent très hardis à son successeur, qui attendait probablement peu de chose du gouvernement, et qui en consé- quence ne crut pas devoir les suivre tous, particulièrement ceux qui avaient rapport à l'Acadie, de peur de porter ombrage à l'Angle- terre, attendu que des commissaires venaient d'être nommés pour régler les différends qui existaient entre les deux nations. Sa prudence fut taxée à Paris de timidité, et l'ordre lui fut transmis de garder les pays dont la France avait toujours été en posses-

* Documens de Paris.

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sion. Le chevalier do la Corne qui commandait sur cette fron- tière, fut en môme temps chargé de choisir un endroit en-deçà de la péninsule pour s'y fortifier et recevoir les Acadiens. Il choisit d'abord Chédiac sur le golfe St.-Laurent, et abandonna ensuite cet endroit parcequ'il était trop éloigné, et vint prendre position à Chipodi entrp la baie Verte et la baie de Chignectou. M. Corn- wallis, nouveau gouverneur de la Nouvelle-Ecosse, prétendant que son gouvernement embrassait non-seulement la péninsule acadienne, mais encore l'isthme et la côte septentrionale de la baie de Fondy avec St.-Jean, envoya le major Lawrence au printemps de 1750 avec 400 hommes pour en déloger les Fran- çais et les Sauvages, ordonnant en môme temps d'intercepter les vaisseaux qui apportoienl des vivres de Québec aux Acadiens ré<^jgiés. A l'approche de Lawrence les habitans de Beaubassin, encouragés par leur missionnaire, mirent eux-mômes le feu à leur village et se retirèrent avec leurs femmes, leurs enfans et ce qu'ils purent emporter de leurs effets, derrière la rivière qui se jette dans la baie de Chignectou. Jamais on n'avait vu des colons montrer un pareil dévouement à leur métropole. Le chevalier de la Corne s'avança avec ses forces, et planta le drapeau français sur la rive droite de cette rivière, déclarant au major Lawrence qu'il avait ordre de lui en défendre le passage jusqu'à ce que la question des limites fût décidée. Sur cette information celui-ci se retira à Beaubassin et y éleva sur ses ruines encore ''umantes un fort qui reçut son nom tandis qu'il en faisait commencer un second aux Mines. Les Français firent construire de leur côté le fort de Beauséjour sur la baie de Fondy, et celui de Gaspareaux dans la baie Verte sur le golfe St.-Laurent ; on fortifia également la rivière St.-Jean, et l'on resta ainsi en position l'arme au bras en attendant le résultat des conférences de Paris.

En ce temps lord Albemarle était ambassadeur auprès de la cour de France. Par ordre du cabinet de Londres, il écrivit en 1750 au marquis de Puyzieulx pour se plaindre des empiétemens des Français en Acadie. Ce dernier répondit au bout de quelques jours, que Chipodi était sur le territoire du Canada comme St.-Jean ; que la France en avait toujours été en posses- sion , et que les habitans ayant été menacés par les Anglais, M. de la Jonquière, n'ayant encore reçu aucun ordre de 6^, cour,

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avait cru devoir envoyer des forces pour les protéger. Le 7 juillet, le môme ambassadeur représenta au marquis de Puyzieulx, que les Français avaient pris possession de toute cette partie do de la Nouvelle-Ecosse qui se trouvait depuis la rivière Chignec- tou jusqu'à celle de St.-Jean ; qu'ils avaient brûlé Bcaubassin et en avaient organisé les habitans en compagnies après leur avoir donné des armes ; que le chevalier de la Corne s'était ainsi formé un corps de 2,500 hommes y compris ses solJats ; qu'il avait fait avec le P. de Laloutre, tantôt des promesses, tantôt des menaces d'un massacre général aux habitans de l'Acadie pour les forcer d'abandonner leur pays. Il protestait ensuite que le gouver- neur Cornwallis n'avait jamais fait ni eu dessein de faire d'éta- blissement hors des limites de la péninsule, et terminait par demander que la conduite de M. de la Jonquière fut désavouée, que ses troupes se retirassent, et que les dommages causés par elles, fussent réparés. Sur ces accusations graves, l'ordre fut donné d'écrire sans délai pour demander au gouverneur canadien, des informations précises sur ce qui s'était passé. " S'il y avait des Français, écrivit M. Rouillé, qui se fussent rendus coupables des excès qui font l'objet de ces plaintes, ils mériteraient punition et le roi en ferait un exemple." Au mois de septembre un mémoire en réponse aux plaintes de l'Angleterre fut remis à lord Albemarle, dans lequel on donnait la relation des mouvemens du major Lawrence et du chevalier de la Corne avec leur entrevue, relation qui est en substance à peu près conforme à ce qu'on a rapporté plus haut. En 1751, ce fut le tour du cabinet de Ver- sailles de se plaindre ; il représenta que les vaisseaux de guerre anglais avaient pris jusque dans le fond du golfe St.-Laurent des navires français, surtout ceux qui portaient des vivres pour les trou- pes qui étaient stationnées le long de la baie de Fondy ; mais la cour de Londres ne donnant aucune satisfaction, le marquis de la Jonquière usa de représailles, et fit arrêter à l'Ile-Royale trois ou quatre bâtimens anglais qui furent confisqués.

Cependant plus de 3000 habitans avaient déjà émigré de l'Acadie dans l'île St.-Jean, dont l'étal)lissement avait été aban- donné depuis l'insuccès de M. de St.-Pierre, et sur la terre ferme le long de la baie de Fondy. Le manque de récolte et les casua- lités de la guerre laissèrent tous ces malheureux en proie à une

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disette qui régna sans discontiniia'.ion jusqu'à la cession du Canada, sans pouvoir arrêter le cours de l'émigration. L'arrivée à Chibouctou d'environ 3,800 colons de la Grande-Bretagne, qui fondèrent la v'Ile d'Halifax en 1749, senxblait au contraire avoir confirn.é les A>;adif ns dans leur xiétermination ; ils se dirigeaient partout, sur Québec, sur Madawaska, et dans tous les lieux qu'on voulait bien leur indiquer, pourvu qu'ils ne fussent pas sous la domination anglaise. Le gouvernement bitannique, dont cette fuite extraordinaire accusait la modération et la justice, en «prouva un profond ressentiment, dont les Acadiens qui étaient restés dans la péninsule se ressentirent, et qui influa beaucoup sur ses dispositions à la guerre. Tels étaient les èvéneménc insignifians en apparence, qui fournirent dea prétextes pour faire reprendre les arires dans les deux mondes.

Tant de difficultés avaient induit les deux cours à nommer la commission à laquelle faisait allusion le traité d'Aix-la-Chapelle, et qui fut saisie de la question des limites. C'est la France qui avait pris l'initiative. Le bruit des préparatifs que l'on faisait en Angleterre, surtout les débats qui avaient eu lieu dans le Parle- ment au sujet d'un plan proposé par M. Obbs touchant la traite de la Laie d'Hudson, dans lequel il paraissait vouloir étendre les frontières très avant dans le Canada, avaient éveillé ses craintes ; la cour de Versailles fit remettre par son chargé d'affaires, M. Durand, à celle de Londres, au mois de juin 1749, un mémoire ûans lequel elle exposait ses droits aux territoires en dispute, et proposait de nommer des commissaires pour régler à l'amiable les limites '.'es colonies respectives. Cette proposition fut acceptée 'lù.tïB le mois de juillet suivant, et les commissaires nommés, MMt Shirley et Mildmay de la part de l'Angleterre, et le comte de la Galissonnière et M. de Silhouette de la part de la France, s'as- semblèrent à Paris. Shirley comme la Galissonnière avait été gouverneur en Amérique. Outre les limites de l'Acadie, ces commissaires avaient encore d'autres intérêts à régler concernant les îles Caraïbes, Ste.-Lurie, Dominique, St.-Vincent et Tabago, dont les deux nations se disputaient la propriété.

Une des principales conditions de cette commission, c'est que rien ne serait innové dans les pays sur le sort desquels elle devait

* Mémoire de la cour britannique du 24 juillet 1749.

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prononcer.* Les mouvemens du chevalier de la Corne et du major Lawrence, la construction des forts qu'ils avaient ordonnée dans l'isthme de l'Acadie, tout cela fut regardé par les deux cours comme des violations de cette condition pour lesquelles elles se demandèrent et se donnèrent réciproquement des explications, en protestant chaque fois de leur désir sincère de conserver la paix, et en s'assurant qu'elles allaient envoyer des ordres à leurs gouverneurs de ne rien entreprendre, et de faire cesser toute espèce d'hostilités. >

Les commissaires exposèrent longuement les prétentions de leurs pays respectifs. La Grande-Bretagne réclamait tout le territoire situé entre le fleuve et le golfe St.-Laurent, l'Atlantique et une ligne tirée de la rivière Kénébec à ce fleuve, en suivant la parallèle du nord. La France ne lui laissait pas même la péninsule acadienne toute entière, puisqu'elle en réclamait le côté situé sur la hiie de Fondy, siuf la ville de Port-Royal cédée nommément par le traité. Si l'on jette un moment les yeux sur une carte géographique, ''on verra que les prétentions des deux peuples étaient des plus opposées. Outre la Nouvelle-Ecosse actuelle, les contrées que demandait l'Angleterre forment aujour- d'hui la plus grande partie de l'Etat du Maine, tout le Nouveau- Brunswick, une portion considérable du Bas-Canada, et le Cap- Breton avec les îles adjacentes. Après renonciation de préten- tions si opposées, l'on dut conserver peu d'espoir d'un ajustement amical, et en eifet aucun compromis ne paraît avoir été offert. Les deux puissances procédèrent à énumérer les titres sur les- quels elles appuyaient leurs réclamations. L'on fouilla dans l'histoire de l'Acadie et du Canada jusqu'à leur origine, l'on cita une foule de documens, l'on apporta des preuves nombreuses de part et d'autre ; chacun défendit sa cause avec adresse et habileté, mais on ne put se convaincre et chaque cabinet resta à peu près dans la position qu'il avait prise d'abord. Pendant cinq ans la commission continua ainsi ses négociations à Paris tantôt animées, tantôt languissantes ; mais il n'en résulta que trois volumes in quarto de mémoires et de pièces justificatives, pour embrouiller

Mémoire de M. de Choiseul contenant le précis des faits avec leurs pièces justificatives pour servir de réponse aux obser cations envoyées par les ministre^ d',dngleterre, dans les cours de VEurope.

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les questions qu'elle était -hargée de régler, sans retarder un moment la guerre lorsque ia Grande-Bretagne fut prête.

Cependant si les mouvemens qui menaçaient la paix avaient cessé du côté de PAcadie pendant les négociations des commis- saires, il n'en était pas ainsi dans la vallée de l'Ohio ; et tandis que l'on croyait que la guerre, s'il y en avait une, surgirait de la question des limites de l'Acadie, elle commençait, contre les pré- visions de l'Europe, par les Virginiens au milieu des forêts situées entre le Canada et la Louisiane.

M. de la Jonquiôre qui gouvernait la Nouvelle-France suivait, d'après les ordres de sa cour, le plan que M. de la Galissonnière avait tracé, pour empêcher les Anglais de pénétrer ; . le terri- toire de l'Ohio. Mais malgré les protestations et les avertisse- mens, la Pennsylvanie et le Maryland continuaient de donner des passepoits à leurs traitans pour aller au delà des Apalaches, . ils excitaient les Indiens contre les Français, et leur distribuaient des armes, des munitions et des présens. Trois y furent arrêtés en 1750 et envoyés en France comme prisonniers. Par repré- sailles les Anglais saisirent un pareil nombre de Français et les emmenèrent au sud des Apalaches ; ce qui fut l'occasion d'une correspondance entre le Canada et la Nouvelle- York, en 1751. Pendant ce temps la fermentation allait croissante parmi les Sauvages de l'Ohio agités par toutes ces intrigues, et obligeait le Canada, ou du moins lui fournissait le prétexte de faire marcher des troupes de ce côté afin de les contenir.

Tandis que ces barbares étaient ainsi en proie aux inspirations haineuses des Américains, les cinq cantons au contraire prêtaient l'oreille à celles des Français, qui s'étaient encore rapprochés d'eux un s'établissant à la Présentation ainsi que nous l'avons rappoité. L'abbé Piquet, que M. Hocquart appelle V Apôtre des Iroqums et les Anglais nomment le Jésuite de POuest, jouissait d'une grande influence sur ces tribus. M. de la Joncaire, celui- même qui avait établi le poste de Niagara, fut chargé d'aller résider au milieu d'elles. Le but des Anglais était d'engager les naturels de l'Ohio à en chasser les Français, et celui de ces der- niers d'engager les Iroquois à garder la neutralité en cas de guerre, car ils ne pouvaient pas prétendre encore leur faire prendre les armes contre leurs anciens alliés.

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Ainsi tout ce qui se passait en Amérique et en Europe entre les deux couronnes, laissait peu d'espérance d'une solution heu- reuse de leurs difficultés. Il se publiait déjà des écrits en Angle- terre dans lesquels on disait qu'il (allait s'emparer des colonie*) françaises avant que la France eût relevé sa marine. Dès I75I, et sur ses représentations, M. de la Jonquière recevait des muni- tions de guerre, une augmentation des troupes de marine, et des recrues pour remplacer les vieux soldats. H faisait renforcer la garnison du Détroit, et envoyait M. de Villiers relever M. Ray- mond qui commandait dans les régions des lacs, et qui mandait que partout les nations méridionales se déclaraient pour les Anglais et que tout était dans le plus grand désordre.

C'est au milieu de ces apprêts d'une guerre imminente et pro- chaine que M. de la Jonquière atteignait le terme de sa carrière, dont les derniers jours furent troublés par de pitoyables querelles avec les Jésuites. Ces pères faisaient toujours la traite dans leur mission du Sault-St.-Juouis, sous le nom des deux demoiselles Desauniers, et envoyaient leur castor à Albany, par contrebande. Cet exemple était imité par d'autres. Le directeur de la com- pagnie des Indes se plaignait depuis longtemps de cette violation des lois, contraire à son privilège, sans succès. A la fin M. de la Jonquière, pressé d'intervenir, voulut le faire cesser et sur l'ordre que le roi lui transmit pour couper court au mal, il fit fermer leur comptoir du Sault-St.-Louis.

Ce gouverneur ne fut pas sans éprouver le ressentiment de l'ordre puissant qu'il venait d'offenser. On écrivit contre lui aux ministres, on l'accusa de s'être emparé du commerce des pays d'en haut, de faire tyranniser les marchands par son secré- taire, auquel il avait donné le trafic exclusif de l'eau-de-vie chez les Indiens ; de donner les meilleurs postes à ceux qui entraient en société avec lui ou avec ses favoris. Les traflquans qui n'auraient pas osé prendre l'initiative, firent écho à ces accusations. Tant de plaintes lui attirèrent les reproches de la cour. Dans sa réponse il affecta de garder le silence fir les accusations, tandis qu'il faisait un pompeux détail de ses services, insinuait que l'Etat lui était encore redevable, malgré les honneurs et les richesses dont il en avait été comblé, et demandait son rappel ; mais intérieuremeat accablé de chagrin, ses blessures se rouvri-

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rent et il expira à Québec le 17 mai 1752, à l'âge de 67 ans. Il fut enterré dans l'église des Récollets à côté de MM. de Fron- tenac et de Vaudreuil, deux de ses prédécesseurs.

Il était dans la terre de la Jonquière en Languedoc en 1686, d'une famille originaire de la Catalogne. Il avait combattu en Espagne dans la guerre de la succession, avait assisté à la réduc- tion des Cévennes, et à la défense de Toulon assiégé par le duc de Savoie. Il avait aussi accompagné Duguay-Trouin à Rio- Janeiro, et pris part au combat de l'amiral de Court contre l'ami- ral Matthews en 174<4^. C'était un homme de grande taille, bien fait de sa personne, d'un air imposant, d'un courage intrépide ; mais il était, dit-on, peu instruit et il ternit ses grandes actions par un défaut qu'on pardonne rarement à un fonctionnaire public, l'avarice. Il avait amassé des sommes immenses dans ses voyages ; il pouvait mépriser le commerce en Canada, et il ne le fit point, ce qui empoisonna les dernières années de sa vie. Il fit venir plusieurs de ses neveux de France pour les enrichir, et n'ayant pu en faire nommer un, le capitaine De Bonne de Miselle, adjudant général, il lui donna une seigneurie et lui accorda la traite exclusive du Sault-Ste.-Marie. Quoiqu'il fût riche de plu- sieurs millions, il se refusa pour ainsi dire le nécessaire jusqu'à sa mort. On rapporte que dans sa dernière maladie, il fit ôter des bougies qui avaient été placées près de son lit, et les fit rem- placer par des chandelles de suif, disant " qu'elles coûtaient moins cher et éclairaient aussi bien." Malgré ce défaut, la France perdit beaucoup en le perdant ; car c'était un de ses marins les plus habiles, doué de cette constance indomptable à la guerre d'autant plus précieuse pour elle, qu'elle luttait alors avec des forces inégales sur l'Océan. Le baron de Longueuil administra pour la seconde fois par intérim, la colonie jusqu'à l'arrivée du marquis Duquesne de Menneville en 1752. Ce nouveau gou- verneur, recommandé au roi par M. de la Galissonnière, était capitaine de vaisseau et de la maison du fameux amiral de Louis XIV. Ses ordres portaient de suivre en tout la con- duite de ses prédécesseurs, c'est-à-dire d'empêcher les Anglais de passer les Apalaches et de sortir de la péninsule acadienne, ils avaient déjà quinze à seize cents hommes de troupes. La guerre devenait de plus en plus imminente. La milice

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canadienne fut organisée et exercée ; on augmenta les forlifica- tiong de Beauséjour; on achemina des troupes sur l'Ohio, Bigot voulait que l'on envoyât 2,000 hommes, et bâtit trois forts avec plusieurs magasins d'entrepôt, précautions nécessaires suivant lui pour assurer la possession de cette contrée. Les troupes se mirent en route en 1753 sous les ordres de M. Péan. Les Anglais en faisaient autant de leur côté. Les Indigènes sollicités par les deux partis ne savaient que faire ; ils étaient surpris, troublés de voir arriver de toutes parts des soldats, de l'artillerie, des munitions de toute espèce, au milieu de leurs forêts jusque-là silencieuses. Les forts de la Presqu'Isle et Machaux s'élevèrent successivement du lac Erié en gagnant l'Ohio, jusqu'à ce que M. Legardeur de St.-Pierre qui y commandait, fut notifié de se retirer par le gouverneur de la Virginia,, qui acheminait de son côté des troupes sur les Apalaches. M. de Contrecœur venant remplacer St.-Pierre, s'avança sans tenir compte des avertissemens des Anglais, avec cinq ou six cents hommes, fit évacuer un petit fort élevé sur sa route par le capitaine Trent, et rendu sur les bords de l'Ohio, commença le fort Duquesne en 1754". En même temps l'ordre était donné à tous les commandans répandus dans ces contrées de s'assurer des Sauvages par des présens ; on pla- çait des détachemens de troupes aux forts Machault et de la Presqu'Isle entre le fort Duquesne et le Détroit ; on mettait des vaisseaux sur les chantiers des lacs Erié et Ontario pour le ser- vice des transports, et le gouverneur de la Louisiane informé de tout ce qui se passait, recevait instruction d'engager les Indiens de son gouvernement à joindre leurs forces à celles qui étaient sur l'Ohio.

C'est au milieu de tous ces préparatifs que M. de Contrecœur reçut la nouvelle qu'un corps considérable de troupes anglaises marchait à lui sous le commandement du colonel Washington. Il chargea aussitôt M. de Jumonville d'aller à sa rencontre pour lui déclarer qu'il était sur le territoire français et le sommer de se retirer. Cet officier partit avec une escorte de 30 hommes, et l'ordre de se tenir sur ses gardes de peur de surprise, tout étant en confusion dans le pays et les Indigènes ne parlant plus que de guerre ; il choisissait en conséquence ses campemens de nuit avec précaution. Le 17 mai au soir il s'était retiré dans un vallon

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profond et obscur, lorsque des Sauvages qui rôdaient le décou- vrirent et en informèrent le colonel Washington, qui arrivait dans le voisinage avec ses troupes. A cette nouvelle celui-ci marcha tonte la nuit pour le surprendre et le lendemain l'attaqua préci- pitamment nu point du jour, sans chercher à lui faire part de sa mission. Jumonville fut tué avec neuf hommes de s' si ite. Les Français prétendent que ce député fit signe qu'il étaii porteur d'une lettre de son commandant ; que le feu cessa et que ce ne fut qu'après que l'on eût commencé la lecture de la sommation que les assaillans se remirent à tirer. Washington affirme de son côté qu'il était à la tète de la marche, et qu'aussitôt que les Français le virent, ils coururent à leurs armes sans appeler, ce qu'il aurait entendre s'ils l'avaient fait. Il est probable qu'il y a du vrai dans les deux versions ; mais que l'attaque fut si précipitée qu'on ne put rien démêler. Washington n'avançait qu'en tremblant tant il avait peur d'être surpris, et il voulait tout prévenir même en courant le risque de combattre des fantômes. Ce n'est que de cette manière qu'on peut expliquer pourquoi Washington avec des forces si supérieures montra une si grande ardeur pour sur- prendre Jumonville au point du jour comme si c'eût été un ennemi fort à craindre î Au reste la mort de Jumonville n'amena pas la guerre, car déjà elle était résolue, mais elle la précipita. Washington continua son chemin et alla construire le fort palis- sade de la Nécessité sur la rivière Monongahéla qui se jette dans l'Ohio, il attendait de nouvelles troupes pour aller attaquer le fort Duquesne, lorsqu'il fut attaqué lui-même.

Contrecœur en apprenant la mori tragique de Jumonville avait résolu de le venger sur le champ. Il donna 600 Canadiens et 100 Sauvages à M. de Villiers, frère de la victime. Villiers en arrivant dans le voisinage de Washington trouva encore quelques cadavres du combat, et les Anglais au nombre de 400 rangés en bataille dans la plaine pour le recevoir. A ses premiers mou- vemens ils se replièrent sous leurs retranchemens garnis de 9 pièces de canon, il fallut les attaquer au grand jour et à décou- vert. Le feu fut extrêmement violent de part et d'autre pendant quelque temps, mais les Canadiens combattaient avec tant d'ar- deur qu'ils éteignirent celui des batteries anglaises avec leur seule

* Document de Paris.

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mousquetterie, et après dix heures de lutte obligèrent les assié- gés à capituler pour éviter un assaut. Les vainqueurs rasèrent le fort, brisèrent les canons et se retirèrent d'un côté, tandis que les Anglais sortant de la place commencèrent une retraite si pré- cipitée de l'autre qu'ils abandonnèrent jusqu'à leur drapeau. Tels sont les humbles exploits par lesquels le fulur conquérant des libertés américaines commença sa carrière. La guerre parut maintenant plus inévitable que jamais, quoique l'on parlât encore de paix, La victoire de Villiers fut le premier acte de ce grand drame de 29 ans, dans lequel la puissance française et anglaise devait subir de si terribles échecs en Amérique.

Que faisait alors la commission des frontières à Paris ? Tandis " que toutes les colonies anglaises, dit le duc de Choiseul, se mettaient en mouvement pour exécuter le plan de l'invasion générale du Canada, formé et arrêté à Londres, les commissaires britanniques ne paraissaient s'occuper que du soin de concourir avec ceux du roi à un plan de conciliation." Mais le duc de Choiseul et les autres membres du ministère français, ne pou- vaient être encore les dupes de cette politique. Ils avaient remar- qué la persistance des Anglais à vouloir pénétrer dans la v .liée de l'Ohio, et c'est en conséquence de cette persistance et de l'agi- tation observée parmi les Sauvages, qu'ils avaient eux-mêmes ordonné en 1742 et 3, d'y faire passer des forces et d'établir des forts formant chaîne du lac Erié à cette rivière, et en 1754 de rejeter le colonel Washington au-delà des Apalaches. La Grande- Bretagne ne laissait plus ses commissaires à Paris que pour con- server les apparences aux yeux de l'Europe et du gouvernement français, dont la décrépitude ne permettait guère que de faibles efforts pour résister à l'orage qui se formait. Le plus grand sujet d'anxiété pour le cabinet de Versailles, était les finances. Le trésor était vide. Déjà depuis plusieurs années il murmurait contre les frais du Canada. Lorsqu'il fallût faire les préparatifs de la guerre, il parla bien plus fort et éclata en plaintes ouvertes ; chaque vaisseau apportait des reproches amers à l'intendant, sur l'excès des dépenses ; mais peu ou point de soldats pour la défense du pays, quoique la mort de Jumonville et la capitulation de Washington fissent alors la plus grande sensation en Europe. Le peuple français exclus par la nature de son gouvernement des

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affaires publiquen, et qu'on berçait de l'espoir d'une longue conti- nuation de paix, dut aussi se désabuser. Il fallait faire la guerre. L'Angleterre avait envoyé dés l'année précédente l'ordre aux gouverneurs de ses colonies, d'agir de concert pour leur comiTiune et mutuelle défense. Ces gouverneurs s'assemblèrent au nombre de sept à Albany et signèrent un traité de paix avec les Iroquois. L'on dressa en même temps un projet d'union fédérale pour que les avis, les trésors et les forces des diverses provinces fussent employés dans une juste proportion contre l'ennemi commun. Le gouvernement général de la confédération devait être admi- nistré par un président nommé par la couronne, et par un grand conseil choisi par les diverses assemblées coloniales. Le prési- dent serait investi de l'autorité executive et posséderait le pouvoir législatif concurremment avec le conseil. Il devait avoir le pou- voir de faire la paix et la guerre avec les Sauvages, de lever des troupes, fortifier les villes, imposer des taxes sous l'approba- tion du roi, nommer les officiers civils et militaires. Mais ce projet fut rejeté par toutes les parties pour des motifs différons; par les colonies parcequ'il donnait trop d'autorité au président, et par la couronne parcequ'il en donnait trop aux représentans du peuple. Comme on l'a dit ailleurs, les guerres avec le Canada tendaient continuellement à réunir les provinces anglaises en- semble, et à en accoutumer insensiblement les peuples à regarder le gouvernement fédéral comme le meilleur pour tous. Le pro- jet de la convention ayant été rejeté, il fut résolu alors faute de pouvoir central, de faire la guerre avec les troupes régulières de la métropole, auxquelles les troupes coloniales serviraient d'auxi- liaires ; et en même temps les colons votèrent des hommes et des subsides aidés de l'Angleterre, qui fit mettre de grosses sommes à leur disposition, et leur donna pour général le colonel Braddock, qui avait servi avec distinction sous le duc de Cumberland dans les guerres d'Europe.

Les instructions de cet officier contenaient un plan complet d'opérations contre le Canada.' Une expédition devait mettre la vallée de l'Ohio sous la puissance britannique après en avoir chassé les Français. Les forts St.-Frédéric, sur le lac Cham-

Instructions du général Braddock du 25 mars 1754. Lettres du colonel Napier écrites par ordre du duc de Cumberland au général Braddock.

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plain, Niagara, au pied du lac Erié, et Beausèjour dans l'isthme de l'Acadie, devaient être attaqués l'un après l'autre ou oimulta- nément, selon les CTConstances. Les troupes régulières rassem- blées en Irlande, s'embarquèrent sur une escadre commandée par l'amiral Keppel, chargé de seconder sur mer les efforts que l'on allait faire sur terre. Braddock tint en arrivant une confé- rence en Virginie avec tous les gouvernevs de province, il fut arrêté qu'il marcherait lui-même avec les troupes régulières pour prendre le fort Duquesne ; que le gouverneur Shirley atta- querait le fort Niagara avec les troupes provinciales ; qu'un autre corps, tiré des provinces du nord et commandé par le colonel Johnson, tomberait sur le fort St.-Frédéric, enfin que le colo- nel Monckton avec les milices du Massachusetts prendrait Beau- séjour et Gaspareaux. Ces arrangemens arrêtés on ne songea plus qu'à surprendre le Canada en précipitant l'invasion.

Quoiqu'on eût encore écrit de Paris que les vues que l'Angle- terre avait fait paraître jusoue-là pour le maintien de la paix ne permissent pas même de croire qu'elle eût autorisé les mouve- mens qui faisaient tant de bruit du côté de l'Ohio, et qu'il y eût encore moins d'apparence qu'elle en eut ordonné de semblable sur les autres frontières, on n'était pas resté inactif en présence des préparatifs des Anglais parmi lesquels, depuis longtemps, le lan- gage des journaux et les discours prononcés dans les chambres, faisaient assez connaître l'opinion publique, puissante alors comme aujourd'hui sur le ministère de cette nation. Le gouvernement rassembla une flotte à Brest sous le commandement du comte Dubois de la Motthe, et y fit embarquer six bataillons de vieilles troupes formant 3,000 hommes,* dont deux pour Louisbourg et quatre pour le Canada. Le baron Dieskau, maréchal de camp, qui s'était distingué sous le maréchal de Saxe, les commandait. Il avait pour colonel d'infanterie M. de Rostaing, et pour aide- major le chevalier de Montreuil. Le marquis de Duquesne demanda son rappel pour rentrer dans le service de la marine. Son départ ne causa aucun regret, quoiqu'il eût conduit assez heureusement les affaires publiques, et pourvu avec sagesse à tous les besoins de la colonie ; son caractère altier et hautain l'avait empêché de devenir populaire, défaut encore plus sensible en

Correspondance officielle.

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Amérique qu'en Europe, attendu l'égalité plus grande des rangs. Avant de partir il avait voulu rallier à la France dans un conseil secret tenu à Montréal, les Iroquois qui cherchaient toujours à conserver leur indépendance entre les deux nations. « Nous avons méconnu, leur dit le gouverneur, votre sang quand nous avons appris que dans des conseils secrets en présence de sept gouverneurs, vous avez trahi la cause du roi de France en vous laissant entraîner par les mauvais avis des Anglais, pour vous défaire en leur faveur de la Belle-Rivière, malgré le temps con- sidérable qu'il y a que la France en est en possession. Ignorez- vous quelle différence il y a entre le roi de France et l'Anglais ; allez voir les forts que le roi a établis, et vous y verrez que la terre sous ses murs est encore un lieu de chasse, ne s'étant placé dans les endroits que nous fréquentons que pour vous y faciliter vos besoins. L'Anglais au contraire n'est pas plutôt en posses- sion d'une terre que le gibier est forcé de déserter, les bois tom- bent devant eux, la terre se découvre et vous ne trouvez à peine chez eux de quoi vous mettre la nuit à l'abri."

Le marquis de Duquesne avait jugé en peu de mots la marche des deux colonisations. Son successeur fut le marquis de Vaudreuil de Cavagnac, gouverneur de la Louisiane, qui débarqua à Québec au commencement de l'été, suivi quelques jours après de l'intendant Bigot, qui venait de donner à Paris des éclaircissemens sur la situation financiaire du Canada. Ce gou- verneur, troisième fils du marquis de Vaudreuil, successeur de M. de Callières au cou mencement du siècle, fut reçu avec de grandes démonstrations de joie par les Canadiens, qui le regar- daient comme leur compatriote et qui avaient fait demander au roi de le placer à la tête de leur gouvernement. Ils accoururent au devant de lui dans l'espérance qu'il allait faire succéder à une situation incertaine ces jours fortunés que leur rappelait le gou- vernement de son père.

La flotte anglaise qui portait le général Braddock 6^ ses troupes, partie au commencement de janvier 1755 de Cork, arriva à Williamsburgh en Virginie le 20 février. L'amiral Dubois de la Motthe ne fit voile de firest qu'à la fin d'avril, ou trois mois après Braddock, avec les renforts, les munitions et le matériel de guerre destinés pour le Canada. Ici il est nécessaire de noter

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les dates. Le gouvernement de Londres résolut de faire inter- cepter cette escadre par l'amiral Boscawen, qui fit voile de Ply- mouth le 27 avril.

Dans le temps même ces mouve.nens avaient lieu, la diplo- matie chercha à se ressaisir d'une affaire qui devait être évidem- ment décidée à coups de canon. Le 15 janvier l'ambassadeur français. M. le duc de Mirepoix, avait remis une note à la cour de Londres proposant de défendre toute hostilité entre les deux nations; que les choses, quant au territoire de l'Ohio, fussent mises dans l'état elles étaient avant la dernière guerre ; quo les prétentions respectives sur ce terrain, fussent à l'amiable défé- rées à la commission, et que pour dissiper toute impression d'inquiétude, cette cour s'expliquât sur la destination et les motifs de l'armement qui s'était fait en Irlande.

Le cabinet de Londres répondit le 22 du même mois en demandant que la possession du territoire de l'Ohio, ainsi que de tous autres, fût, au préalable, remise dans le même état elle était avant le traité d'Utrecht, ce qui était avancer de nouvelles prétentions et reculer du traité d'Aix-la-Chapelle au traité d'Utrecht ; que pour ce qui était de l'armement, la défense des droits et des possessions de l'Angleterre était le seul but de celui qui avait été envoyé en Amérique, et que ce n'était pas pour offenser quelque puissance que ce fût, ni rien faire qui pût don- ner atteinte à la paix générale qu'elle l'avait fait. Le duc de Mirepoix remit une réplique le 6 février, proposant que les deux rois ordonnassent aux gouverneurs respectifs de s'abstenir de toute voie de fait et de toute nouvelle entreprise ; que les choses fussent remises dans l'état elles étaient ou devaient être avant la dernière guerre dans toute l'étendue de l'Amérique septentrio- nale, conformément au traité d'Aix-la-Chapelle, et que confor- mément à ce même traité, l'Angleterre fit instruire la commission établie à Paris de ses prétentions, et des fondemens sur lesquels elle les appuyait.

Dans la suite la France modifia encore ses propositions, et consentit à prendre pour règle provisionnelle l'état se trouvaient les choses après le traité d'Utrecht, c'est-à-dire que les deux nations évacueraient tout le pays situé entre l'Ohio et les Apalaches. C'é- tait revenir sur ses pas et acquiescer à la proposition du ministère

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anglais du 22 janvier ; elle n'avait aucun doute que ces conditions ne fussent acceptées, d'autant plus que le cabinet de Lon Ires venait d'assurer à M. de Mirepoix que les arinemens faits en Irlande, et la flotte qui en était partie, avaient principalement pour objet de maintenir la subordination et le bon ordre dans les colonies anglaises. Mais ce cabinet, à l'aspect de la nouvelle attitude de la France, mit en avant de nouvelles prétentions comme s'il avait craint un arrangement, et le 7 mars il fit remet- tre un nouveau projet par lequel il aurait été stipulé, lo. Que l'on démolirait non seulement les forts situés entre les monts Apalaches et l'Ohio, mais que l'on détruirait encore fous les éta- blissemens situés entre l'Ohio et la rivière Ouabache ou de St.- Jérome ; 2o. Que l'on raserait aussi le fort de Niagara et le fort St.-Frédéric sur le lac Champlain ; et qu'à l'égard des lacs Ontario, Erié et Champlain, ils n'appartiendraient à personne, mais seraient également fréquentés par les sujets de l'une et l'autre couronne, qui y pourraient librement commercer ; 3o. Que l'on accorderait définitivement à l'Angleterre, outre la partie contentieuse de la presqu'île au nord de l'Acadie, un espace de vingt lieues du sud au nord, dans tout le pays qui s'étend depuis la rivière de Pentagoët jusqu'au golfe St.-Laurent; 4<o. Enfin, que toute la rive méridionale du fleuve St.-Laurent serait déclarée n'appartenir à personne et demeurerait inhabitée.

A ces conditions, l'Angleterre voulait bien confier aux Com- missaires des deux nations la décision du surplus de ses préten- tions. C'était une véritable déclaration de guerre, car la cour de Versailles ne pouvait accepter des conditions qui équivalaient à la perte du Canada, et qui l'auraient déshonorée aux yeux du monde entier. Aussi les accueillit-elle par un refus absolu.' Les négociations se prolongèrent cependant, nourries par de nou- velles propositions, jusqu'au mois de juillet, chaque partie pro- testant qu'elle agissait avec candeur et confiance, et les ministres

Le ministre écrivit alors au gouverneur du Canada : " Quoiqu'il en soit, Sa Majesté est très résolue de soutenir ses droits et ses possessions contre des prétentions si excessives et si injustes ; et quelque soit son amour pour la paix, elle ne fera pour la conserver que les sacrifices qui pourront se conci- lier avec la dignité de la couronne et la protection qu'elle doit à ses sujets" [Documeni <U Paru}. La cour était de bonne foi dans ces paroles.

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de la Grande-Bretagne, sur l'inquiétude causée par la destination de la flotte de l'amiral Boscawen, assurant à ceux de France que certainement les Anglais ne commenceraient pas. Le duc de New-Castle, le comte de Granville et le chevalier Robinson dirent positivement à l'ambassadeur français qu'il était fau". que cet amiral eût ('es ordres ofTensifs. Le gouverneur du Canada, qui s'était embarqué sur un des vaisseaux de l'escadre de M. de la Motthe, avait de son côté ordre du roi de n'en venir aune guerre ouverte que quand les Anglais auraient effectivement commis des hostilités caractérisées.»

Cependant l'amiral Boscawen, parti le 27 >"ril d'Angleterre, arrivait sur les bancs de Terreneuve avec ses onze vrsseaux à peu près dans le même ips que la flotte française de M. de la Motthe, sans pouvoir la rencontrer ; mais quelques-uns des vais- seaux de cette flotte s'en étant séparés depuis plusieurs jours, tombèrent au milieu de l'escadre anglaise, qui enleva le Lys et l'Alcide, sur lesquels se trouvaient plusieurs officiera du génie, et huit compagnies de troupes formant partie des 3,000 hommes envoyés en Amérique. M. de Choiseul rapporte que M. Hoc- quait qui co;nmandait l'Alcide, se trouvant à portée de la voix du Dunkerque de 60 canons, fit crier en Anglais : Sommes-nous en paix ou en guerre ? On lui répondit nous n'entendons point ; on répéta la même question en Français, môme réponse. M. Hocquart la fit lui-même ; le capitaine anglais répondit par deux fois la paix, la paix. D'autres questions s'échangeaient encore lorsque le Dunkerque lâcha sa bordée à demi-portée de pistolet tous ses canons étant chargés à deux boulets et à mitrailles. Bientôt l'Alcide et le Lys furent cernés par les vaisseaux de Boscawen et forcés de se rendre après avoir perdu beaucoup de monde, et entre autres officiers, le colonel de Rostaing. La guerre, dit M. Haliburton, quoique pas formellement déclarée, fut réelle- ment commencée par cet événement ; mais en n'observant pas les formalités ordinaires, l'Angleterre fut accusée de fraude et de piraterie par les puissances neutres. Immédiatement après, trois cents bâtimens marchands, parcourant les mers sur la foi des traités, furent enlevés comme l'eussent été par des forbans des navires sans défense. Cette perte fut immense pour la France,

* Pocumens de Paris.

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qui, forcée à une guerre maritime, se vit ainsi privée de l'expé- rience irréparable de cinq à six mille matelots.

La nouvelle de la prise du Lys et de l'Alcide arriva à Londres le 15 juillet. Le duc de Mirepoix eut immédiatement une entrevue avec les ministres anglais, qui attribuèrent ces hostilités à un mal-entendu, et qui lui dirent que cet événement ne devait point rompre la négociation. La France, accoutumée à compter avec l'Europe, se voyait ainsi par la faiblesse de son gouverne- ment, traitée comme une nation du second ou du troisième ordre. La cour de Versailles, ne pouvant plus se faire illusion, rappela son ambassadeur et 1^ guerre fut déclarée à la Grande-Bretagne.

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; CHAPITRE I.

GUERRE DE SEPT ANS. 1755-1 ",.

Situation des esprits en France et en Angleterre à l'époque la guerre de Sept ans. La France change sa politique extérieure en s'alliant à l'Au- triche qui flatte madame de Pompadour, maîtresse de Louis XV. Popu- larité de la guerre dans la Grande-Bretagne et dans ses colonies; ses im- menses armemens. Extrême faiblesse numérique des forces du Ca- nada.— Plan d'attaque et de défense de ce paya ; zèle des habitans. Premières opérations de la campagne. Un corps de troupes, parti de Boston, s'empare de Beauséjour et de toute la péninsule acadienne ; exil et dispersion des Acadiens. Le général Braddock marche sur le fort Duquesne du côté du lac Erié ; M. de Beaujeu va au-devant de lui ; bataille de la Monongahéla ; défaite complète des Anglais et mort de leur général. L'épouvante se répand dans leurs colonies, que les bandes canadiennes et les sauvages attaquent sur divers points en commettant de grands ravages et faisant beaucoup de prisonniers. Armées anglaises destinées à atta- quer Niagara au pied du lac Erié et St. Frédéric sur le lac Champlain. Le colonel Johnson se retranche à la tête du lac St. -Sacrement (George). Le général Dieskau attaque les retranchemens du colonel Johnson ; il est repoussé et lui-même tombe blessé entre les mains de l'ehnemi. Le peuple des colonies anglaises murmure contre l'inactivité de Johnson après cette bataille ; réponse de ce commandant. Le général Shirley aban- donne le dessein d'assiéger Niagara.— Résultat de la campagne. Mau- vaises récoltes en Canada; commencement de la disette. Préparatifs de l'Angleterre pour la prochaine campagne. Exposition de l'état du Ca- r.ada ; demande de secours à la France. Le général Montcalm arrive à Québec dans le printemps de 1756 avec des renforts, Plan d'opérations de la prochaine campagne. Disproportion des forces des deux parties belligérantes ; projets d'invasion des Anglais.

Nous avons dit que la France, à la nouvelle de la prise du Lys et de l'Alcide, avait rappelé son ambassadeur de Londres et déclaré la guerre à la Grande-Bretagne. Cette démarche, comme on le verra plus tard, ne fut prise néanmoins qu'après un délai de

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presqu'une année. L'indolent Louis XV ne pouvait se décider à prendre sérieusement les armes.

Quelle était la situation de la France à cette époque 1 Les principaux ministres étaient le comte d'Argenson pour la guerre, M. Machault pour la marine et les colonies, M. Rouillé pour les affaires étrangères, lequel fut remplacé c < 1757 par le comte de Bernis, abbé et poëte ; mais c'était madame de Pompadour qui gouvernait ; elle changeait les généraux et les ministres au gré de ses caprices. Vingt-cinq ministres furent appelés au conseil d'Eiat et renvoyés de 1756 à 1763. Ce corps variait sans cesse dit Sismondi ; il n'avait ni unité ni accord, et chaque ministre agissait indépendamment des autres. La nation, du reste, était plus occupée de vaines disputes religieuses que des apprêts du combat. Le parti moliniste, soutenu par les Jésuites, avait recommencé la persécution contre les Jansénistes ; le parlement voulut interposer son autorité pour la faire cesser, il fut dissous et remplacé par une clianibre royale; le roi, fatigué à la fin de ces chicanes oiseuses qui troublaient et affaiblissaient son royaume, ordonna le silence et rétablit le parlement.

»* Au milieu de cette petite guerre, le philosophisme gagnait. A la cour même il avait des partisans ; le roi, tout ennemi qu'il était des idées nouvelles, avait sa petite imprimerie, et imprimait lui même les théories économiques de son médecin Quesney, qui proposait un impôt unique, portant sur la terre ; la noblesse et le clergé, qui étaient les principaux propriétaires du sol, eussent enfin contribué. Tous ces projets aboutissaient en vaines con- versations, les vieilles corporations résistaient ; la royauté, caressée par les philosophes qui auraient voulu l'armer contre le clergé, éprouvait un vague effroi à l'aspect de leurs progrès." Tout, enfin, était en mouvement dans les idées morales comme dan» les idées politiques. Les opinions n'avaient plus d'harmonie, et le gouvernement lui-même, honteux de suivre d'anciennes tradi- tions, marchait au hasard dans une route nouvelle.

C'est ainsi que, par le fatal traité de Versailles de 1756, il s'allie avec l'Autriche qu'il a toujours combattue, et se laisse entraîner dans une guerre continentale par Marie-Thérèse qui, voulant reprendre la Silésie au roi de Prusse, flatte adroitement la marquise de Pompadour, avec qui elle entretient un commerce

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de lettres, et qu'elle appelle ea chère amie. Au poids d'une lutte maritime vint ainsi s'adjoindre celui d'une lutte sur terre, quoi- que l'expérience eût enseigné depuis longtemps à la France qu'elle devait éviter soigneusement cette alternative, et que Machault s'efforçât de le faire comprendre à Louis XV ; mais la favorite tenait à l'alliance avec l'impératrice-reine, le ministre de la guerre et les courtisans, étrangers au service de mer, tenaient à la gloire qui s'offrait à eux dans les armées de terre ; on oublia la guerre avec l'Angleterre, la seule importante, la seule l'on eût été provoqué, et l'on dirigea ses principales forces vers le nord de l'Europe, abandonnant presqu'à elles-mêmes les vastes possessions de l'Amérique septentrionale.

De l'autre côté de la Manche, les choses xCi t point dans cette situation qui annonce de loin une révolu. sociale. La Grande-Bretagne jouissait de l'état le plus prospère auquel elle fût encore parvenue ; ses colonies du Nouveau-Monde faisaient des progrès immenses en toutes choses ; et comme en Angle- terre le peuple paraissait unanime et satisfait. Le gouvernement assis sur les larges bases de la liberté, obéissait à l'opinion publi- que, et, en suivant les instincts du pays, assurait pour ainsi dire d'avance le succès de ses entreprises. Aucune guerre n'avait été plus populaire chez les Anglais que celle qui allait commencer. M. Fox, depuis lord HoUand, était à la tête des affaires. La chambre des communes accorda un raiUion de louis pour aug- menter les forces de terre et de mer; le gouvernement traita avec le roi de Prusse, donna des subsides au roi de Pologne et à l'électeur de Bavière pour s'en faire des alliés et contrebalancer la supé- riorité des Français sur le continent européen, il avait des craintes pour la sûreté du Hanovre. L'enrôlement des matelots fut poussé avec une vigueur extrême, et tel était l'enthousiasme que presque toutes les villes un peu importantes se cotisèrent pour augmenter la prime que l'on donnait aux soldats et aux marins qui venaient offrir leurs services volontairement ; et qu'au lieu d'un million que le gouvernement voulait lever au moyen d'une loterie, trois millions 800 mille louis furent souscrits sur-le- champ (Smollett).

La môme ardeur se faisait remarquer dans les colonies. La population des belles provinces de l'Amérique du Nord s'élevait

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en 1755, suivant les calculs de Franklin, à un million 200 mille âmes, tandis que le Canada, le Cap-Breton et la Louisiane en comptaient à peine, réunis, 75 à 80 mille. La disproportion était aussi grande dans le mouvement de leurs affaires mercantiles et conséquemment dans leurs richesses. Leurs exportations s'élevaient en 1753 à JE1,486,000 sterling, et leurs importations à £983,000,» tandis que celles du Canada étaient de je68,000 seu- lement ou 1,700,000 francs, et les importations de £208,000, dont une forte partie étant pour le compte du gouvernement, ne passait point par les mains des marchands du pays. Il n'est donc pas étonnant qu'elles poussassent leur métropole avec tant d'ar- deur à la guerre. Franklin, aussi habile politique que savant physicien, était le principal organe de leurs griefs. Celui que Paris, vingt-cinq ans après, vit appliqué à soulever l'opinion de la France et de toute l'Europe contre l'Angleterre, celui que le Canada vit venir pour révolutionner ses habitans en 1776, fut, en 1754, le promoteur de l'entreprise contre les possessions fran- çaises dans le nord du Nouveau- Monde. Point de repos, disait- il, poitit de repos à espérer pour nos treize colonies, tant que les Français serant maîtres du Canada ! (Barbé-Marbois.)

Les forces armées des deux nations belligérantes durent pré- senter en Amérique, et elles présentèrent en effet sur le champ de bataille une différence non moins considérable durant tout le cours de la guerre. Mais, par une sage prévoyance, la France, donnant encore des signes de son ancienne supériorité dans la conduite des affaires militaires, avait porté loin du centre du Canada sa ligne défensive, de manière à obliger l'ennemi à divi- ser ses forces. L'isthme étroit de l'Acadie, la vallée inconnue et sauvage de l'Ohio, la gorge montagneuse du lac St.-Sacrement (George), tels furent les théâtres épars choisis pour les opérations de ses soldats, les champs de bataille séparés par de grandes dis- tances où elle retint les nombreuses armées de l'ennemi pendant cinq ans sans pouvoir être forcée, et elle leur fit essuyer les plus sanglantes défaites dont l'Amérique eût encore été témoin. C'est donc à tort que des historiens ont blâmé le système défensif adopté dans la guerre de Sept ans.

Les forces régulières du Canada, qui ne s'élevaient pas à 1000

* Encyclopédie Méthodique. American Annals, .

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hommes, furent portées en 1755 à 2,800 soldats à peu près par l'arrivée des quatre bataillons d'infanterie sous les ordres du géné- ral Dieskau, qui avaient été demandés dans l'automne. Les milices avaient été armées, et l'on continua d'en acheminer de gros détachemens dans les postes de frontières, de sorte que l'on eût bientôt tant en campagne et les garnisons intérieures que dans les forts St.-Frédéric, Frontenac, Niagara, ceux de l'Ohio et de l'isthme acadien, une armée de 7,000 hommes, sans compter plus de 800 employés aux transports. Cette force était encore bien insuffisante pour faire face à celle de l'ennemi, qui avait déjà 15,000 soldats sur pied, dont 3,000 pour l'expédition de Beausé- jour, 2,200 pour celle du fort Duquesne, 1,500 pour l'attaque de Niagara, et 5 à 6,000 pour le siège du fort St.-Frédéric, quatre entreprises qu'il voulait exécuter simultanément.

Si le travail secret qui se faisait dans la société en France para- lysait l'énergie de la nation et du gouvernement, en Canada les habitans, livrés a l'agriculture et à la traite des pelleteries, ne por- taient point leur esprit au-delà de ces sphères plus humbles, mais aussi plus propres à former de vigoureux soldats. Privés par la nature de leur gouvernement de toute part à l'administration publique, ils ne songeaient qu'à l'exploitation de leurs terres ou à la chasse de ces animaux sauvages qui erraient dans leurs forêts, et dont les riches fourrures formaient la branche la plus considé- rable de leur commerce. Peu nombreux, ils ne pouvaient espé- rer du reste que leurs conseils ou leur influence fussent d'un grand poids sur la conduite de la métropole. Ils lui représen- tèrent le danger de la lutte qui allait s'engager et prirent les armes avec la ferme résolution de combattre comme si la France eut fait les plus grands sacrifices pour les soustraire au sort qui les menaçait. Ils ne chancellèrent jamais, ils montrèrent jus- qu'à la fin une constance et un dévoûment que les historiens français n'ont pas toujours su apprécier, mais que la vérité histo- rique, appuyée sur des pièces otficielles irrécusables, ne permet plus aujourd'hui de mettre en doute.

La saison des opérations étant arrivée, des deux côtés l'on se mit en campagne. M. de Vaudreuil, ignorant les projets de l'ennemi achemina, suivant les ordres de la cour, des troupes sur Frontenac pour attaquer Oswégo, poste auquel on attachait

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toujours, avec raison, une grande importance. Le général Dies- kau, dont le maréchal de Saxe avait la plus haute opinion, devait conduire cette entreprise avec 4,000 homn^ s et 12 bouches à feu. Le succès lui paraissait assuré. 2,000 hoi talent déjà partis

de Montréal et commençaient à arriver u .tenac lorsque la nouvelle de l'apparition de l'armée du colonci Johnson sur le lac St.-Sacrement, en fit rappeler une partie. Le corps ennemi qui s'avançait était celui qui devait agir contre St.-Frédéric. Le 1er septembre, le général Dieskau, que ce contre-ordre avait singu- lièrement contrarié, et contre l'opinion duquel il avait été donné, se trouva à la tête du lac Champlain avec 1,500 Canadiens, 700 soldats et 800 Hurons, Abénaquis et Népissings, en tout 3,000 hommes. C'était assez pour arrêter Johnson. L'acheminement des forces fut continué sur le lac Ontario. Un bataillon monta jusqu'à Niagara avec instruction de relever les ruines de ce fort, composé d'une maison palissadée entourée d'un fossé, et de s'y maintenir. Un autre bataillon se campa au couchant des murs de Frontenac. A la fin de l'été ces trois positions importantes, St.-Frédéric, Niagara et Frontenac, paraissaient suffisamment protégées.

Dans la vallée de l'Ohio, le fort Duquesne, ouvrage plein de défauts dans sa construction, mais commandé par M. de Contre- cœur, officier expérimenté et fort brave, n'avait qu'une garnison de 200 hommes; il pouvait cependant attirer à lui un certain nombre de voyageurs canadiens et quelques sauvages. Les autres postes répandus dans ces régions lointaines, n'avaient j)as proportionnellement de garnisons plus nombreuses. Les forêts et la distance formaient leur plus grande protection.

Du côté del'Acadie, les forts Beauséjour et Gaspareaux avaient pour commandans, le premier, M. de Vergor, protégé de l'inten- dant Bigot, et le second, M. de Villeray. Ces officiers avaient à peine 150 soldats à leur disposition ; en cas d'attaque, ils devaient compter sur l'aide des Acadiens fixés autour d'eux ou qui erraient dans leur voisinage, comme si ces pauvres gens, que les Anglais regardaient comme leurs sujets, étaient bien libres d'agir.

Des qualres expéditions projetées par l'Angleterre contre le Canada, la première en mouvement fut celle qui était chargée de s'emparer de ces derniers postes. Les troupes qui la composaient,

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levées dans le Massachusetts, pouvaient former 2,000 hommes commandés par le colonel Winslow, personnage influent du pays. Partie de Boston le 20 mai, elle arriva dans quarante-et-un navires le 1er juin à Chignectou, elle débarqua et fut renforcée par 300 réguliers. Elle marcha aussitôt avec un train d'artillerie sur Beauséjour. Arrêtée un instant sur les bords de la rivière Messaguash par les Français, qui y avaient élevé un blockhaus garni de canons, et qui, après une heure de combat, y mirent le feu et se retirèrent, elle parvint jusqu'à Beauséjour, repoussant devant elle un petit corps d'Acadiens que M. de Vergor nvait envoyé défendre une hauteur à quelque distance.

Le fort de Beauséjour avait alors une garnison de 100 soldats et d'environ 300 Acadiens. Rien n'y était à l'épreuve de la bombe, ni la poudrière, ni les casemates. Les assiégeans ayant ouvert la tranchée le 12 juin, le 16 la place se rendit par capi- tulation, après une assez molle résistance, la seule que l'on pouvait attendre de l'état des fortifications, du chef inexpérimenté et indolent qui commandait la défense, et de la crainte des habi- tans d'être passés par les armes s'ils étaient pris en combattant contre l'Angleterre. Il fut stipulé que les troupes sortiraient avec les honneurs de la guerre pour être transportées à Louisbourg, et que les Acadiens qui avaient combattu avec elles, ne seraient point inquiétés. Le fort Gaspareaux, défendu par une vingtaine de soldats et quelques hp.bitans, se rendit aux mêmes conditions. Le fort Beauséjour prit I3 nom de fort Cumberland, et le major Scott y fut laissé pour commandant. Cet officier fit désarmer la population, mais ne put la persuader de prêter serment de fidélité à George II ; refus qui l'obligea de faire prisonniers tous les habi- tans qu'il put attraper, conformément aux ordres du général Hopson, qui avait remplacé M. Cornwallis en qualité de gouver- neur de l'Acadie.

Après cette conquête, les vainqueurs envoyèrent trois bâtimens de guerre dans la rivière St.-Jean pour s'emparer du petit fort que les Français venaient d'y faire élever et que commandait M. de Boishébert. Ce dernier, n'ayant pas assez de monde pour le défendre, y mit le feu avant l'arrivée des assaillans et se retira. Mais, ayant été informé de ce qui se passait à Beauséjour, au lieu de retraiter sur Québec, il s'avança au secours des Acadiens

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du fond de lîi baie de Fondy, qu'il arma et avec lesquels il battit ensuite les Anglais en différentes rencontres. Ces avantages ne purent empêcher cependant qu'à la fin ces derniers ne brûlassent tous les établissemens, et ne contraignissent les habitans à se réfu- gier dans les bois, et plus tard àémigrcr au Cap-Breton, à l'île St.- Jean, à Miramichi, à la baie des Chaleurs, à Québec, partout enfin ils pouvaient, et ils portaient le spectacle d'un dévoû- ment sans bornes et d'une misère profonde.

Tel fut le succès des ennemis dans la première partie de leur plan de campagne. Quoiqu'il fût, sous le rapport militaire, plus nominal que réel, puisqu'ils ne purent pas avancer plus loin du côté de l'Acadie, des bandes armées les continrent, la nou- velle cependant en causa un vif mécontentement à Paris, surtout lorsqu'on y apprit les terribles conséquences qu'il avait eues pour les infortunés Acadicns si dignes d'un meilleur sort. Le roi écrivit de sa propre main à M. de Vaudreuil,de faire juger rigou- reusement, par un i^onseil de guerre qu'il présiderait en personne, Vergor et de Villeray, ainsi que les garnisons qui servaient sous leurs ordres. Le procès eut lieu l'année suivante au château St.-Louis, mais tous les accusés furent acquittés à l'unanimité.* L'évacuation de l'Acadie laissa à la merci des Anglais les habi- tans de cette province, qui portaient le nom de Neutres, et qui n'avaient pu se résoudre ni à abandonner leur terre natale, ni à oublier la France. Ce qui nous reste à raconter de ce peuple dont le temps ne diminue pas l'intérêt qu'on prend à ses mal- heurs, semble nous reporter aux époques barbares de l'histoire, alors que les lois de la justice et de l'humanité étaient encore à naître avec les lumières de la civilisation.

Sur 15 à 18 mille Acadiens qu'il y avait dans la péninsule au commencement de leur émigration, il n'en restait plus qu'environ

* La lettre du roi est du 20 février 1756. Les pièces du procès son dépo- sées à la bibliothèque de la Société littéraire et historique de Québec. " On eut, dit Montcalm, principalement égard pour le fort de Beauséjour à ce que les Acadiens avaient forcé le commandant à capituler pour sauver leur vie ; ils avaient prêté autrefois serment de fidélité aux Anglais qui les menaçaient de les faire pendre. Quant au fort de Gaspareaux, une grande enceinte avec des pieux debout il n'y avait qu'un officier et 19 soldats, ne pouvait être considérée comme un fort propre à soutenir un siège," Lettre au ministre, 1757.

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7,000 (les plus riches, dont les mœurs douces ont fourni à Raynal un tableau si touchant.

" Peuple simple et bon, dit-il, qui n'aimait pas le sang, l'agri- culture était son occupation. On Tavait établi dans des terres basses, et repoussant à force de digues la mer et les rivières dont ces plaines étaient couvertes. Ces marais desséchés donnaient du froment, du seigle, de l'orge, de l'avoine et du maïs. On y voyait encore une grande abondance de pommes de terre dont l'usage était devenu commun.

" D'immenses prairies étaient couvertes de troupeaux nom- breux ; on y compta jusqu'à soixante mille bêtes à cornes. La plupart des familles avaient plusieurs chevaux, quoique le labou- rage se fît avec des bœufs. Les habitations, presque toutes construites de bois, étaient fort commodes et meublées avec la propreté qu'on trouve quelquefois chez nos laboureurs d'Europe les plus aisés. On y élevait une grande quantité de volailles do toutes les espèces. Elles servaient à varier la nourriture des colons, qui était généralement saine et abondante. Le cidre et la bière formaient leur boisson. Ils y ajoutaient quelquefois de l'eau-de-vie de sucre.

" C'était leur lin, leur chanvre, la toison de leurs brebis, qui servaient à leur habillement ordinaire. Ils en fabriquaient des toiles communes, des draps grossiers. Si quelqu'un d'entre eux avait un peu de penchant pour le luxe, il le tirait d'Annapolis ou de Louisbourg. Ces deux villes recevaient en retour du blé, des bestiaux, des pe''eleries.

" Les Français neutres n'avaient pas autre chose à donner à leurs voisins. Les échanges qu'ils faisaient entre eux étaient encore moins considérables, parce que chaque famille avait l'ha- bitude et la facilité de pourvoir seule à tous ses besoins. Aussi ne connaissaient-ils pas l'usage du papier-monnaie, si répandu dans l'Amérique septentrionale. Le peu d'argent qui s'était comme glissé dans cette colonie n'y donnait point l'activité qui en fait le véritable prix.

" Leurs mœurs étaient extrêmement simples. Il n'y eut jamais de cause civile ou criminelle assez importante pour être portée à la cour de justice établie à Annapolis. Les petits différends qui pouvaient s'élever de loin en loin entre les colons étaient toujours

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terminés à l'amiable par les anciens. C'étaient les pasteurs reli- gieux qui dressaient tous les actes, qui recevaient tous les testa- mens. Pour ces fonctions profanes, pour celles de l'Eglise, on leur donnait volontaireniont la vingt-septième partie des récoltes. Elles étaient assez abondantes pour laisser plus de facu'té que d'exercice à la générosité. On ne connaissait pas la misère, et la bienfaisance prévenait la mendicité. Les malheurs étaient pour ainsi dire réparés avant d'être sentis. Les secours étaient offerts sans ostentation d'une part ; ils étaient acceptés sans humiliation de l'autre. C'était une société de frères, également prêts à don- ner ou à recevoir ce qu'ils croyaient commun à tous les hommes. " Cette précieuse harmonie écartait jusqu'à ces liaisons de galanterie qui troublent si souvent la paix des familles. On ne vit jamais dans cette société de commerce illicite entre les deux sexes. C'est que personne n'y languist^ait dans le célibat. Dès qu'un jeune homme avait atteint V\ go convenable au mariage, on lui bâtissait une maison, on défrichait, on ensemençait" des terres autour de sa demeure ; on y mettait les vivres dont il avait besoin pour une année. Il y recevait la compagne qu'il avait choisie, et qui lui apportait en dot des troupeaux. Cette nouvelle famille croissait et prospérait à l'exemple des autres. Qui est-ce qui ne sera pas touché de l'innocence des mœurs et de la tranquillité de cette heureuse peuplade ? continue l'éloquent écrivait. Qui est-ce qui ne fera pas des vœux pour la durée de son bonheur 1" Vains souhaits ! Hélas ! La guerre de 1744 commença ses infortunes ; celle de Sept ans consomma sa ruine totale. De- puis quelque temps les agens anglais agissaient avec la plus grande rigueur ; les tribunaux, par des violations flagrantes de la loi, par des dénis systématiques de justice, étaient devenus pour les pauvres habitans un objet à la fois de terreur et de haine. Le moindre employé voulait que sa volonté fût obéie. *' Si vous ne fournissez pas de bois à mes troupes, disait un capitaine Murray, je démolirai vos maisons pour en faire du feu." " Si vous ne voulez pas prêter le serment de fidélité, ajoutait le gouverneur Hopson, je vais faire pointer mes canons sur vos villages." Rien ne pouvait engager ces hommes honorables à faire un acte qui répugnait à leur conscience, et que, dans l'opinion de bien des gens, l'Angleterre n'avait pas même le droit d'exiger. " Les

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Acadiens, observe M. Haliburton, n'étaient pas des sujets britan- niques, puisqu'ils n'avaient point prôt6 le serment de fidélité, et ils ne pouvaient être conséquemment regardés comme des rebelles j ils ne devaient pas être non plus considérés comme pribonniers de guerre, ni envoyés en France, puisque depuis près d'un demi-siècle on leur laissait leurs possessions à la simple con- dition de demeurer neutres." Mais beaucoup d'intrigans et d'aventuriers voyaient leurs belles fermes avec envie ; quels beaux héritages ! et par conséquent quel appât ! L'avarice, sur- tout l'avarice coupable s'enflamme vite. Il ne lui fut pas diffi- cile de trouver des raisons politiques pour justifier l'expulsion des Acadiens. La très grande majorité n'avait fait aucun acte pour porter atteinte à la neutralité ; mais dans la grande catastrophe qui se préparait, l'innocent devait être enveloppé avec le cou- pable. Pas un habitant n'avait mérité grâce. Leur sort fut décidé dans le conseil du gouverneur Lawrence, auquel assis- tèrent les amiraux Boscawen et Mostyn, dont les flottes croisaient sur les côtes. Il fut résolu de disperser dans les colonies anglaises ce qui restait de ce peuple infortuné j et ^fin que personne ne put échapper, le secret le plus profond fut ordonné jusqu'au moment fixé pour l'enlèvement qui devait avoir lieu le même jour et à la même heure sur tous les points de l'Acadie à la fois. On décida aussi, pour rendre le succès plus complet, de réunir les habitans dans les principales localités. Des proclamations dres- sées avec une perfide habileté, les invitèrent à s'assembler dans certains endroits sous les peines les plus rigoureuses. Quatre cent dix-huit chefs de famille, se fiant sur la foi britannique, se réunirent ainsi le 5 septembre dans l'église du Grand-Pré. Le colonel Winslow s'y rendit avec un grand appareil. il leur montra la commission qu'il tenait du gouverneur^ et leur dit qu'ils avaient été assemblés pour entendre la décision Unale du roi à leur égai'd. Il leur déclara que, quoique ce fût pour lui un devoir bien pénible à remplir, il devait, en obéissance à ses ordres, les informer " que leurs terres et leurs bestiaux de toutes sortes étaient confisqués au profit de la couronne avec tous leurs autres effets, excepté leur argent et leur linge, et qu'ils allaient être eux- mêmes déportés hors de la province." Aucun motif ne fut donné de cette décision, et il n'en pouvait être donné aucun. En

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Dleinc civilisation et en temps de calme politique et religieux une pareille spoliation n'était point qualifiable et devait, comme l'usu- rior, dissimuler son forfait par le silence. Un corps do troupes, qui s'était tenu caché jusque-là, sortit de sa retraite et cerna Téglise : les habitans surpris et sans armes ne firent aucune résistance. Les soldats rassemblèrent les femmes et les cnfans ; 1023 hommes, femmes et enfans se trouvèrent réunis au Grand-Pré seulement. Leurs bestiaux consistaient en 1269 bœufs, 1557 vaches, 5007 veaux, 493 chevaux, 3690 moutons, 4197 cochons. Quelques Acadiens s'étant échappés dans les bois, on dévasta lo pays pour les empêcher de subsister. Dans les Mines l'on brûla 276 granges, 155 autres petits bâtimens, onze moulins et une église. Ceux qui avaient rendu les plus grands services au gou- vernement, comme le vieux notaire Le Blanc, qui mourut à Phi- ladelphie de chagrin et de misère en cherchant ses fils dispersés dans les provinces anglaises, ne furent pas mieux traités que ceux qui avaient favorisé l'' Français. On ne fit aucune disliaction. Il fut permis aux hommes de l'une comme de l'autre catégorie, et c'est le seul adoucissement qu'on leur permit avant de s'em- barquer, de visiter, dix par dix, leurs familles, et de contempler pour la dernière fois ces champs naguère si calmes et si heureux qui les avaient vus naître et qu'ils ne devaient plus revoir. Le 10 fut fixé pour l'embarquement. Une résignation calme avait succédé à leur premier désespoir. Mais lorsqu'il fallut dire un dernier adieu '. leur pays pour aller vivre dispersés au milieu d'une population étrangère de langue, de coutumes, de mœurs et de religion, le courage abandonna ces malheureux, qui se livrèrent à la plue profonde douleur. En violation de la promesse qui leur avait été faite, et, par un rafinement de barbarie sans exemple, les mêmes familles furent séparées et dispersées sur différons vaisseaux. Pour les embarquer, on rangea les prisonniers sur six de front, les jeunes gens en tête. Ceux-ci ayant refusé de mar- cher, réclamant l'exécution de la promesse d'être embarqués avec leurs parens, on leur répondit en faisant avancer contre eux les soldats la bayonnette croisée. Le chemin de la chapelle du Grand-Pré à la rivière Gaspareaux avait un mille de longueur; il était bordé des deux côtés de femmes et d'enfans qui, à genoux et fondant en larmes, les encourageaient en leur adressant leurs

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bénédictions. Cette lugubre procession défila lentement en priant et en chantant des hymncH. Les chefs do famille marchaient après les jeunes gens. Enfin la procession atteignit le rivage. Les hommes furent mis sur des vaisseaux, les femmes et les enfans sur d'autres, pôle-môle, sans qu'on prît le moindre soin pour leur commoiité. Des gouvornemens ont commis des actes de cruauté dans un mouvement de colère irréfiéchie ; mais ils avaient été provoqués, irrités par des aggressions et des attaques répétées ; il n'y a pas d'exemple dans les temps modernes de châ- timent infligé sur un peuple paisible et inofiensif avec autant de calcul, de barbarie et de sang-froid, que celui dont il est ici question.

Tous les autres établissemens des Acadiena présentèrent le môme jour et à la môme heure le môme spectacle de désolation.

Les vaisseaux chargés de leurs nombreuses victimes firent voile pour les différentes provinces ils devaient les disperser. Ils les semèrent sur le rivage depuis Boston jusqu'à la Caroline sans pain, sans protection, les abandonnant à la charité du pays ils pouvaieiit se trouver. Pendant de longs jours après leur départ on vit leurs bestiaux s'assembler autour des ruines de leurs habi- tations, et les chiens passer les nuits à pleurer par de longs hur- lemens l'absence de leurs maîtres. Heureux encore dans le.ir douleur, ils ignoraient jusqu'à quel excès l'avarice et l'ambition peuvent porter les hommes.

La plupart des colons anglais, il faut le dire à leur honneur, reçurent les Acadiens avec humanité, comme pour protester contre la rigueur inexorable de leur gouvernement. Bene/et, issu d'une famille française bannie à la révocation de l'édit de Nantes, les accueillit comme des frères à Philadelphie.

Quelques-uns de ces exilés se réfugièrent ensuite à la Louisiane ; d'autres à la Guyane française, et des Français, bannis eux- mêmes à Sinnamari, y trouvèrent en 1798, ime famille acadienne qui les accueillit par ces paroles hospitalières : " Venez, dit madame Trion à l'un d'eux, nos parens furent bannis comme vous, ils nous ont appris à soulager le malheur: venez, nous éprouvons du plaisir à vous offrir dans nos cabanes un asile et des consolations."

Dans la suite les Acadiens ont fondé un canton dans la Loui-

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siane, auquel ils ont donné le nom toujours cher tic leur ancienne patrie. Louis XV lui-même, touché de leur fidélité, fit proposer en vain par ses ministres à ceux de l'Angleterre d'envoyer des vaisseaux pour les ramasser et les ramener en France. M. Gren- ville s'empressa de répondre : " Notre acte de navigation s'y oppose, la France ne peut envoyer de vaisseaux dans nos colo- nies," comme si cette loi avait été faite pour étouffer tout senti- ment d'humanité. Néanmoins quelques-uns purent parvenir en France, et y forment aujourd'hui deux communes florissantes, ils ont conservé leurs mœurs paisibles et agrestes dans les beaux oasis verts qui parsèment les landes de Bordeaux. Telle fut l'expatriation des Acadiens.

L'Angleterre ne retira aucun profit de cet acte de politique jalouse et ombrageuse, qui fit connaître à tous les colons ce qu'était la pitié métropolitaine, et qui fournit un motif de plus aux Canadiens, s'ils en avaient besoin, pour défendre leur pays avec toute l'énergie dont ils étaient capables.

Tandis que le fer et la flamme changeaient en déserts les champs les plus fertiles de l'Acadie, le général Braddock faisait ses préparatifs pour rejeter les Français au-delà de la vallée de l'Ohio et exécuter la seconde partie du plan d'invasion. Wills' Creek était le lieu qu'il avait donné pour rendez-vous à ses troupes, dans le voisinage des Apalaches. Il se mit en marche aux acclamations de la population. Sa petite armée formait, avec les baggages, une colonne de quatre milles de longueur 5 elle ne pouvait avancer que fort lentement au milieu des rivières, des montagnes et des forêts. Le temps s'écoulait ; il commençait à craindre de ne pouvoir surprendre le fort Duquesne, il savait qu'il y avait peu monde. Inquiet de plus en plus il prit le parti, pour accélérer sa marche, de diviser ses forces en deux corps. Il laissa 1000 hommes sous les ordres du colonel Dunbar avec les gros bagages pour le suivre avec toute la célérité possible, et lui-même il se mit à la tête du second corps, composé de 1,200 hommes d'élite équippés à la légère, pour prendre les devans afin d'atteindre le point désiré avant que l'alarme y fut répandue. Le 9 juillet il traversait la rivière Monongahéla à trois lieues envi- ron du fort Duquesne, et longeait avec rapidité sa rive méridio- nale se comptant déjà maître du poste français. Washington,

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qui servait alors avec le gracie de colonel dans son état-major, aimait à raconter qu'il n'avait jamais vu de plus beau spectacle que la marche des troupes dans cette mémorable journée. Tous les soldats, disait-il, d'une belle tenue, s'avançaient en colonnes, leurs armes d'acier poli étincelant aux rayons du soleil. La rivière coulait tranquillement à leur droite, tandis qu'à leur gauche d'immenses forêts les ombrageaient de leur solennelle graadeur. Officiers et soldats, personne ne doutait du succès;* on marchait comme à un triomphe.

A midi cette troupe si fière repassait par un second gué, à dix milles du fort Duquesne, sur la rive opposée de la Monongahéla, dans une plaine unie, élevée de quelques pieds seulement au- dessus de l'eau et d'un demi mille de largeur. A l'extrémité de cette plaine le terrain montait légèrement quelque temps, puis se terminait tout-à-coup par des montagnes très hautes. La route du gué au fort français traversait la plaine et cette hauteur, puis se prolongeait au milieu d'un pays inégal et couvert de bois. Le colonel Gage formait l'avanl-garde avec 300 hommes de troupes de ligne ; un autre détachement de 200 hommes sui- vait ; le général venait ensuite avec le corps principal et l'ar- tillerie.

M. de Contrecœur commandait, comme on l'a déjà dit, au fort Dmjiiesne. Un des partis qu'il tenait en campagne pour épier les mouvemens de l'ennemi, l'informa, le 8, que les Anglais n'en étaient plus qu'à six lieues. Il se décida sur le champ à les attaquer en chemin, et alla lui-môme marquer la place les troupes devaient s'embusquer.f Le lendemain 253 Canadiens, dont 13 officiers, et 600 sauvages sortaient du fort Duquesne, à 8 heures du matin, sous les ordres de M. de Beaujeu, pour aller attendre au lieu indiqué le général Braddock et tomber sur lui à l'improviste. Cette troupe descendait le terrain légèrement incliné qui bordait la plaine dont l'on a parlé tout-à-l'heure dans le môme temps que le colonel Gage commençait à le monter. La tôte des deux colonnes vint subitement en contact avant que les Français pussent atteindre le lieu marqué pour l'embuscade.

* Vie, correspondance et écrits de Washington. t Documens de Paris.

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Ceux-ci cependant moins troublés par cette rencontre imprévue que les Anglais, ouvrirent immédiatement un feu très vif sur eux qui fit replier leur avant-garde. Ce mouvement rétrograde donna le temps à Beaujeu de range»" âon détachement en bataille, en profitant des hautes herbes dont la terre était couverte ; il plaça les Canadiens à cheval sur le chemin en front de la colonne anglaise, et poussa les sauvages en avant de chaque côté de manière à former un demi-cercle. Les Anglais revenus de leur première surprise, se remirent en marche en se dirigeant vers le centre de cette ligne concentrique ; mais lorsqu'ils arrivèrent près des Canadiens ils furent assaillis par une nouvelle décharge de mousqueterie qui les arrêta tout court, et qui fut suivie d'une autre sur le flanc droit qui les jeta en confusion. Après quelques instans néanmoins, l'ordre se rétablit un peu dans leurs rangs, et ils se mirent eux-mêmes à tirer ; leur artillerie, poussée en avant, ouvrit aussi son feu; ce fut dans une des premières décharges de cette arme que Beaujeu fut tué. Dumas, son second, prit aussitôt le commandement, et aidé de Ligneris et des autres ofliciers, il tomba avec une extrême vigueur sur les ennemis dont le feu de mousqueterie, surtout d'artillerie,avait d'abord ébranlé les sauvages peu accoutumés à entendre des détonations si considérables. Le combat devint alors d'une violence extrême. Les sauvages voyant les Canadiens tenir ferme en front, avaient repris avec de grands cris leur place au pied des arbres qu'ils avaient abandonnés. Les Anglais firent pendant longtemps bonne contenance et môme un mouvement en avant, animés par leurs officiers qui les dirigeaient l'épée à la main. Mais écrasés sous le feu le plus vif qui se resserait de plus en plus autour d'eux favorisé par les accidens du terrain, ils finirent par tomber dans une confusion complète. Tous les corps se trouvèrent serrés les uns contre les autres et confondus. Les soldats, tirant au hasard sans se reconnaître, tuaient leurs propres officiers et leurs camarades. Dans cette mêlée les milices furent les seules troupes qui montrèrent quelque temps du calme et firent preuve d'autant de fermeté que de bra- voure. Mais elles furent obligées à la fin de céder au torrent. Les Français n'eurent plus alors qu'à choisir leurs victimes et à tirer de sang-froid sur des masses confuses tourbillonnant sous les balles, et que le général Braddock s'efiorçait en vain de former en

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pelotons et en colonnes, comme s'il eût été dans les plaines de la Flandre. Après trois heures de combat la tôte de la colonne anglaise abandonna ses canons et se replia en désordre. Prenant ce mouvement pour une fuite, les Canadiens et les sauvages abor- dèrent l'ennemi la hache à la main, et l'enfoncèrent de toutes parts. Alors les Anglais lâchèrent partout le pied ; on les pour- suivit à travers la plaine en en faisant un carnage affreux ; ceux qui ne tombaient pas sous le fer des vainqueurs allaient se noyer dans la Monongahéla en voulant traverser cette rivière à la nage.*

Dumas sachant que le colonel Dunbar n'était pas loin, et ne pouvant arracher du champ de bataille les Indiens qui se livraient au pillage, fit enfin suspendre la poursuite.

Le carnage avait été presque sans exemple dans les annales de la guerre moderne.f Près de 800 hommes avaient été tués ou blessés sur les 1200 qui marchaient à la suite du général Brad- dock, dont 63 officiers sur 86. Les officiers avaient fait des efforts incroyables pour rallier les troupes ; plusieurs s'étaient fait tncr de désespoir. A l'exception du colonel Washington, tous ceux qui combattaient à cheval avaient été tués ou blessés. Le général Braddock lui-même, après avoir eu trois chevaux tués sous lui, avait reçu le coup mortel. Le malheureux général mourant, fut mis d'abord dans un tombereau, puis à cheval et enfin porté par les soldats. Il expira quatre jours après la bataille, et fut enterré sur le bord du chemin auprès du fort de la Nécessité, à l'entrée du désert. C'était un officier expérimenté, plein de bravoure, mais arrogant, méprisant son ennemi, les milices américaines et les Indiens. Il eut la mortification de voir, avant de mourir, ses réguliers prendre la fuite pendant que les Virginiens combattaient comme de vieux soldats avec la plus grande intrépidité.

Les troupes en déroute rencontrèrent le colonel Dunbar à 4-0 milles de la Monongahéla et communiquèrent leur terreur à ses soldats. Dans un instant tout se débanda. L'artillerie fut détruite ; les munitions et les gros bagages furent brûlés sans que personne sut par l'ordre de qui, et tout le monde se mit à fuir, ceux qui avaient combattu comme ceux qui n'avaient pas combattu. La

* Mémoires sur la dernière guerre de l'AmériViue septentrionale, par M. l'onchol. t Sparks.

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discipline et le calme ne se rétablirent un peu que lorsque les fuyards, harassés, éperdus, arrivèrent au fort Cumberland dans les Apalaches. Le colonel Washington écrivit : " Nous avons été battus, honteusement battus par une poignée de Français qui ne songeaient qu'à inquiéter notre marche. Quelques instans avant l'action, nous croyions nos forces presqu'égales à toutes celles du Canada ; et cependant, contre toute prol>abilité, nous avons été complètement défaits, et nous avons tout perdu."

Les Français firent un butin considérable. Tous les bagages des vaincus, leurs vivres, 15 bouches à feu, une quantité consi- dérable d'armes et de munitions de guerre, la caisse militaire et tous les papiers du général Broddock qui dévoilèrent les projets de l'Angleterre, et que le duc de Choiseul adressa ensuite dans un mémoire aux diverses cours de l'Europe, tombèrent entre leurs mains. Ils trouvèrent aussi sur le champ de bataille, au milieu des chariots brisés, 4 à 500 chevaux dont une partie avait été tuée et nageait dans le sang pèle môle avec les soldats morts et mourans.

Cette victoire ne coûta aux Français qu'une quarantaine d'hom- mes, outre la perte de M. de Beaujeu qui fut vivement regretté par les Canadiens, ses compatriotes, et par les tribus indiennes.

Ainsi se termina la bataille de la Monongahéla, l'une des plus mémorables de l'histoire américaine. Les troupes battues ne se rassurèrent complètement qu'à Philadelphie, elles prirent leurs quartiers d'hiver. La nouvelle de ce désastre jeta les colonies anglaises dans l'effroi et la consternation. Les frontières des provinces de la Pennsylvanie, du Maryland et de la Virginie furent abandonnées, et l'alarme se répandit au-delà des montagnes jusque dans les élablissemens répandus sur les bords de la mer, qui crai- gnirent un instant d'être attaqués. Les prédicateurs montèrent dans les chaires pour rassurer la population et calmer son épou- vante.

Le gain de cette bataille assura la possession de l'Ohio aux Français pour cette campagne, comme la défaite du colonel Washington, au fort de la Nécessité, la leur avait assurée l'année précédente.

Tandis que ces événemens se passaient à l'extrémité méridio- nale du Canada, les troupes anglaises chargées d'en attaquer les

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parties centrales, c'est-à-dire Niagara et St.-Frédéric, se réunis- saient à Albany. Elles partirent de cette ville au nombre de 5 à 6 mille hommes sous les ordres du général Lyman, pour le por- tage entre la rivière Hudson et le lac St.-Sacrement, suivies du colonel Johnson qui venait avec l'artillerie, les bateaux, les vivres et tout le matériel nécessaire pour le siège du fort St.-Frèdèric. Arrivé au portage, le général Lyman fit commencer le fort Edouard, sur la rive gauche de l'Hudson, pour lui servir de base d'opérat, .i, en môme temps que le colonel Johnson, marchant toujours, poussait jusqu'à la tête du lac St.-Sacrement il éta- blissait son camp. 11 pressait le transport des bateaux au lac, impatient d'aller s'assurer de l'important passage de Carillon avant que les Français s'y fussent fortifiés, lorsqu'il apprit qu'ils venaient eux-mêmes pour l'attaquer dans ses retranchemens.

Nous avons mentionné ailleurs l'inquiétude que l'apparition de •Tohnson sur le lac St.-Sacrement avait causée à M. de Vaudreuil, et que ce gouverneur avait fait aussitôt abandonner l'attaque d'Os- wégo pour s'opposer à ses progrès. C'est en conséquence de cet ordre que Dieskau se trouvait le 1 septembre à St.-Frédéric avec un corps de 3000 hommes. Ce général attendait une occa- sion favorable pour agir, lorsqu'il fut informé que les ennemis ne seraient pas encore prêts de sitôt à marcher en avant, que le fort Edouard était peu avancé, et par môme assez facile à prendre par un coup de main, que ce poste était très important en ce qu'il renfermait les magasins de Johnson. Dieskau résolut de profiter de ces circonstances pour l'attaquer sur le champ.

Il partit de St.-Frédéric avec ses 3000 hommes. Rendu à Carillon, il y en laissa 1,500 pour assurer sa retraite en cas d'échec, et avec le reste, composé de 220 réguliers, 680 Cana- diens commandés par M. de Repentigny, et 600 Sauvages sous les ordres de M. de St.-Pierre, et des vivres pour huit jours, il continua sa route malgré l'^s avertissemens qu'on lui donna que 900 Américains étaient retranchés sous les murs de la place, aver- tissement qu'il négligea parce que, comme Braddock, il n'avait que du mépris pour la milice. Les instructions de M. de Vau- dreuil lui recommandaient expressément dans tous les cas de n'attaquer qu'avec toutes ses forces réunies sans jamais les divi-

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ser.* Les Canadiens et les Sauvages le blâmèrent de laisser la moitié do ses soldats à Carillon. Mais Dieskau brûlait du désir d'éclipser par quelque action d'éclat, la victoire de l'Ohio, car déjà l'on voyait naître entre les troupes du pays et celles do France, une jalousie trop encouragée par les officiers pour ne pas aller toujours en augmentant.! Craignant qu'un trop grand nombre d'hommes ne retardât sa marche, il négligea des conseils dont l'oubli fut la première cause de sa perte.

Pour dérober sa marche et éviter le corps de Johnson, il remonta par le lac Champlain, et alla débarquer dans la baie du Grand- Marais (South Bay) à six ou huit lieues du fort Edouard. Le 7 septembre il couchait sur les bords de l'Hudson, à une lieue des Anglais, avec l'intention de les attaquer le lendemain au point du jour, lorsqu'à la sollicitation des Iroquois du Sault St.-Louis, les Sauvages déjà fort mécontens de la division de l'armée, et qui n'avaient consenti à le suivre en partant de Carillon, que sur la promesse que les troupes laissées en arrière allaient joindre, refu- sèrent tout à fait de marcher. Ils ajoutèrent néanmoins qu'ils étaient prêts à le suivre à l'attaque du camp de Johnson, sur le territoire français, le fort Edouard étant situé, suivant eux, sur le territoire anglais puisque ses eaux se versaient dans la mer par l'Hudson. Cette distinction des Troquois était au surplus con- forme à leur ancienne politique de chercher à tenir la balance entre les deux nations. Les Canadiens voyant la résolution des Sauvages, appuyèrent leur suggestion. Dès lors le général Dies- kau fut obligé de se conformer à leur désir. L'entreprise contre le fort Edouard fut abandonnée, et le lendemain matin, 8, l'on se remit en marche, sur trois colonnes, les réguliers au centre, pour passer les montagnes et tomber subitement sur Johnson dont on était éloigné de cinq lieues environ.

Celui-ci qui avait 2,500 hommes avec lui, en apprenant le projet des Français contre le fort Edouard, avait détaché le matin môme, en vertu d'une résolutio d'un conseil de guerre tenu la veille, le colonel Williams, à la tête de 1,200 hommes dont 200 Indiens, pour tendre une embuscade aux Français à leur retour

* Instructions de M. de Vaudreuil au général Dieskau : Correspondance officielle, t Lettre de M- de LatbinL.K. au minùlre, du 28 octobre 1755.

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(lu fort Etlouaid. Dieakau fut averti par un prisonnier, à quatre milles du camp de Johnson, de l'arrivée de ce détachement qui marchait par le même chemin que lui, mais en sens contraircr Il fit aussitôt arrêter la colonne du centre, poussa les deux autres, c'est-à-dire les Canadiens, qui mirent leurs sacs à terre pour être plus légers, à droite, et les Sauvages à gauche, trois cents pas en avant, avec ordre de se coucher ventre à terre au milieu du bois, et de n'attaquer l'ennemi en flanc que quand ils entendraient le feu du centre- Dans cette position, il a'tendit les Anglais, qui venaient ainsi se jeter dans le piège qu'ilj allaient tendre eux- mêmes, lorsque les Indiens de notre gauche se découvrirent avant le temps et leur firent appercevoir le danger. Dieskau voyant l'embuscade éventée, fit charger aussitôt les troupes et les Cana- diens pour ne pas donner à l'ennemi le loisir de se reconnaître ; les Sauvages en firent autant, et se battirent avec acharnement pour venger la mort de leur brave commandant, M. de St.- Pierre, tué par un Anglais qu'ils assommèrent à coups de hache. En peu de temps les Anglais, malgré les efforts les plus vigoureux, furent mis en pleine déroute avec des pertes considérables, et en laissant leur commandant et le fameux chef indien Hendrich, parmi les morts. On les poursuivit vivement ; un second corps envoyé à leur secours ne put résister à l'élan des troupes fran- çaises, et fut culbuté aussi en un instant. Le général Dieskau voulait profiter du désordre pour entrer pêle-mêle avec les fuyards dans les retranchemens de Johnson. Mais il fallait des troupes plus disciplinées que les siennes pour exécuter une pareille manœuvre. Les Sauvages et une partie des Canadiens s'arrê- tèrent pour recueillir leurs blessés, et se reposer après ce premier combat; ils étaient exténués de fatigue, ayant été obligés de marcher depuis le matin à travers les bois et les broussailles dans un pays âpre et difficile, pour couvrir la colonne du centre qui suivait le chemin battu et qui était conséquemment moins épui- sée. Les chefs indiens, murmurant tout haut contre l'impré- voyance du général, firent revenir leurs guerriers sur leurs pas.' Dieskau, qui espérait que son exemple les entraînerait, ne voulut

Lettre du chevalier Montreuil au ministre, 10 octobre 1755 : " La moi- tié des Sauvages et des Canadiens s'en tinrent à leur première victoire."

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point s'arrôter, et arriva devant les retranchemens de Johnson à 11 heures du matin avec à peine la moitié de ses forces.

Ces retranchemens, adossés au lac et érigés sur la petite émi- nence sur laquelle fut ensuite bâti le fort George, dont on voit encore les ruines à la droite de Caldwell, étaient formés de bateaux, de chariots, d'arbres renversés,, flanqués de deux ruis- seaux coulant sur un fond marécageux, et couverts d'artillerie. Les Français en arrivant sur le lac St.-Sacrement,qui se prolonge d'une manière si pittoresque entre des montagnes dont quelques- imes ont près de 2000 pieds de hauteur, purent les appcrcevoir. Dieskau se dirigea aussitôt vers leur centre, les réguliers à droite et les Canadiens à gauche. Une halte de quelques instans ordon- née pour se former à 150 verges, donna le temps aux ennemis de se reconnaître et de garnir leurs ouvrages. L'attaque commença avec une grande vivacité. Les réguliers, après avoir fait un feu de pelotons très nourri, s'élancèrent à la bayonnette pour péné- trer dans les abattis ; mais malgré leur intrépidité, ils furent rame- nés par un feu de mousqueterie et de mitraille à bout portant. Ils se reformèrent, marchèrent de nouveau à l'escalade, et persistèrent dans leurs eflbrts infructueux depuis midi jusqu'à deux heures. Les Canadiens et les Sauvages qui avaient suivi le général Dies- kau, ou qui vinrent ensuite le rejoindre, voyant l'inutilité de ces tentatives, se répandirent à droite dans le bois et à gauche sur une petite hauteur qui dominait la position de l'ennemi, et delà ouvrirent un feu plongeant dans les barricades à douze ou quinze pas seulement de distance,* et le continuèrent avec vivacité jusqu'à la fin de la journée. Le général français, qui se tenait entre les réguliers et les Canadiens, résolut de faire un nouvel effort. Il se mit à la tête des soldats et tirant son épée il les con- duisit lui-môme à l'assaut ; mais on vint encore échouer au pied des retranchemens, du sommet desquels les Anglais choisissaient

* " The Regulars marched as near as I could tell, s' jep in close order, and reached aboiit 20 roda in lengtli. The Canadians. -iid Indians at the left having corne helter-skelter, the woods being fui! of them, running with undaunted courage right down hill uponus, expectingto make us flee as they had before donc at the , and just novv did to our men."

Extrait d'une lettre du général américain Pomeroy, alors colonel dans les milices de New-York, à son épouse, en date du 10 septembre 1755.

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leurs victimes et tiraient à couvert et à loisir. C'est pendant cette attaque, que Dieskau, retournant vers la gauche pour ordon- ner aux Canadiens de charger, se trouva, sans s'en apercevoir, si près des ennemis qu'il reçut trois coups de feu presqu'en mômo temps qui le firent tomber. Le chevalier de Montreuil qui se trouvait près de lui, et qui fut aussi atteint d'une balle au bras, l'aida à se traîner au pied d'un arbre, et appela deux Canadiena pour le porter hors du danger. L'un d'eux fut tuè en arrivant et tomba sur les jambes du général ; le second fut en môme temps blessé. Sans se troubler Dieskau ordonna au chevalier d'aller à la droite pour ranimer l'attaque qui se ralentissait, et refusa de se laisser emporter, disant : " que le lit il se trouvait était aussi bon pour mourir que celui que l'on voulait lui donner." Il se fit apporter sa rcdingotte et sa longue-vue et enjoignit aux Cana- diens qui s'étaient réunis autour de lui et à ses domestiques de s'éloigner.* Dans le même moment une partie des Canadiens et des Sauvages se repliait, et le chevalier de Montreuil cherchait en vain à rallier les troupes réduites à une centaine d'hommes, et qui en faisaient autant ; presque tous les officiers avaient été tués ou blessés.

L'action durait depuis cinq heures. Les Français ne furent pas inquiétés dans leur retraite. Les ennemis avaient été tellement intimidés par la furie avec laquelle ils avaient été attaqués, qu'ils restèrent dans leurs retranchemens, à l'exception de quelques hommes qui sautèrent en dehors. L'un d'eux apercevant le général au pied d'un arbre, lui tira à douze pas une balle qui lui traversa les deux cuisses et la vessie. Ce soldat le fit ensuite prisonnier. C'était vin déserteur canadien établi depuis une dixaine d'années dans la Nouvelle-York.

Cependant le chevalier de Montreuil avait réussi à rallier une partie des troupes à 500 pas des retranchemens et à les mettre dans quelque espèce d'ordre.

A cet instant de la journée tout le corps français de 1,500 hommes était divisé par bandes et dispersé. Une partie se trou- vait encore sur le champ de bataille du matin ; une autre était en pleine retraite ; le chevaher de Montreuil avec un troisième

* lielation de la campagne de 1755. Lettre du baron Dieskau au cheva- lier (lo Montreuil, en date de Balh, 26 janvier 1758.

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débris, reprenait le chemin du Grand-Maraia emmenant avec lui 103 blessés qu'il avait ramassés : enfin le reste, Canadiens et Sau- vages toujours en possession de la hauteur sur la droite des Anglais, et ignorant ce qui se passait ailleurs, continuait à faire un feu très vif dans les retranchemens. Si les ennemis s'étaient alors jetés tôte baissée sur les Français, ils auraient pu les détruire en détail. Quelques petites bandes seulement tombèrent dans les détachemens sortis du fort Edouard et furent dispersés. Le chevalier de Montrcuil arriva au bout de deux jours au Grand- Marais avec sa colonne exténuée de faim et de fatigue, n'ayant pu prendre, de peur d'être mis entre deux feux, les sacs posés à terre dans le premier combat. Il y trouva une autre colenncqui y était arrivée du matin aussi sans vivres. Les restes de l'ex- pédition se réunirent graduellement et on se rembarqua pour retourner à Carillon.

Les pertes furent moins considérables qu'on aurait pu le croire, quoique plus de 310 hommes, ou la moitié environ des réguliers et le quart des Canadiens et des Sauvages qui attaquèrent les retranchemens, furent tués, blessés ou faits prisonniers, dont 13 officiers sur lesquels il y avait neuf Canadiens.* Celles des Anglais, essuyées principalement dans la déroute du corps du colonel Williams, atteignirent un chifl're plus élevé. Le colonel Titcombe fut tué, le colonel Johnson ainsi que le major Nichoh furent blessés dans les retranchemens. De l'aveu même des vainqueurs, oui étaient au nombre de 2,250 hommes, ce fut à leurs ouvrages et à leur artillerie qu'ils devaient la victoire, les assaillans n'ayant point de canon.f

Lorsque le baron Dieskau fut amené dans le camp du com- mandant anglais, celui-ci, avec une humanité qui l'honore, le fit transporter dans sa tente et voulut qu'il fût pansé avant lui. Il porta à l'infortuné général toutes les attentions qu'il aurait eues pour un ami, et que Dieskau n'oublia jamais. Ce général

Lettre de M. Doreil au ministre, 20 octobre 1755.

Lettre du général Dieskau.

t " Our artillery played briskly on our front the whole time, and the breast work secured our men." " They (French) made a bold attack and muintained it bravely ; our cannon and breast work saved us." " We were effective about 2,200 at the time of the engagement." Documcns du Lon'hes.

mSTOIUE DU CANADA.

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resta prisonnier jusqu'il la fin de la guerre, tantôt à New-York jus(|uY'n 1707 et tantôt en Angleterre. Il languit jusqu'en 1767 qu'il mourut des suites de ses blessures, à Surcne, prés de Paris.

Comme Braddock, Dicskau dut tous sca malheurs au ridicule atiachement pour la discipline européenne, et au mépris qu'il fit des avis du gouverneur et des olTiciers canadiens sur la manière de combattre en Amérique. Une opiniâtreté déplacée, fondée sur des infimnations inexactes, et le peu de cas qu'il fiiisait des troupes américaines, le firent persister à attaquer avec des soldats fatigués des troupes retranchées et deux fois plus nombreuses que les siennes. Il y sacrifia l'élite de ses soldats, et fit perdre aux Canadiens la confiance qu'ils pouvaient avoir dans la capacité des ofliciers européens. On écrivit môme au ministre " qu'ils ne marcheraient plus avec la môme confiance sous les ordres d'un commandant des troupes de France que sous ceux des olTicicrs de la colonie."

L'échec des Français releva le courage des provinces anglaises abattu par la sanglante défaite du général Braddock : mais il n'eut point les conséquences qu'elles en attendaient. Dans le premier moment d'exaltation, on exagéra singulièrement l'avan- tage remporté. On en fit une victoire éclatante, tandis qu'on n'avait repoussé dans le fait qu'un coup de main suggéré par l'espoir de surprendre les magasins d'approvisionnement déposés au fort Edouard. La chambre des communes vota un don de jG5000 sterling à Johnson et le roi lui conféra le titre de baronnet. Les journaux célébrèrent à l'envi ses talens et son courage y mais leurs louanges n'ont pas été confirmées par la postérité.

Le public, toujours si exigeant, croyant désormais la route do Montréal ouverte, commença, après quelque temps d'attente, à s'étonner de l'inacfivité de cet officier. Chacun pensait qu'il aurait au moins s'avancer jusqu'à St.-Frédéric. L'ordre môme lui fut transmis marcher en avant pour complaire à l'opinion publique. Il répondit en continuant de fortifier son camp. On l'accusa alors de plusieurs fautes, et surtout de n'avoir pas su profiter de la victoire dans la crainte pjut-ôtre, ajoutaient quelques-uns, d'exposer les lauriers qu'il venait de cueillir. Johnson piqué de ces déclamations populaires, écrivit que ses troupes manquaient des choses les plus nécessaires pour une cam-

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HISTOIRE DU CANAHA.

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pngnc, qiio d'nillourd la manière avec Inqucllo Ica Français Ica avaient atlaqucos, leur avait imprime une telle terreur,* qu'elles KO sentaient Ibrt peu d'envie d'aller les inquiéter sur leur propre territoire. Après ces explications, l'armée fut licenciée. On no retint que GOO hommes pour la garde du fort Edouard et du camp du lac St.-Sacrcment, auquel on donna le nom de fort William- llcnry, après y avoir ajouté des travaux qui le convertirent en véritable forteresse.

La nouvelle de la défaite de Dieskau, qui avait rempli les pro- vinces anglaises do joie, jeta le Canada pendanl (jue'quc temps dans ime grande inciuiétude. Le gouverneur, eensibk à l'impor- tance de se maintenir à la tête du lac Champ lain, envoya sur le champ, faute d'ingénieurs réguliers, ceux qui devaient venir de France ayant été pris sur le Lys et l'Alcide, M. do Lothiniùrc, pour élever im fort à Carillon. Il transmit en même temps l'ordre aux troupes de camper dans cette position importante, afin d'être à portée de s'opposer à l'ennemi s'il venait à déboucher par la route actuelle de Whiteliall, ou par le lac St.-Sacrement, et de couvrir le poste de St.-Frédéric, qui était la clé du lac Champlain. Mais au bout de quelques semaines l'on eut des j'cnseigncmens sur les mouvemens des Anglais qui tranquillisèrent les esprits. L'on apprit d'abord le licenciement de l'armée do Johnson, et ensuite la retraite des 1,500 hommes du général Shirley, destinés à faire le siège de Niagara. Cet olficier général, n'ayant pu faire tous ses préparatifs dans la saison convenable, avait abandonné cette entreprise, et s'était retiré dans l'intérieur après avoir laissé 700 hommes au colonel Mercer pour garder Oswégo et bâtir deux nouveaux forts autour de cette place. Il j)araît que la nouvelle du désastre de Braddock avait aussi fort découragé ses soldats, qui s'étaient mis à déserter en grand nombre ; que les cinq nations étaient opposées jerre qui

ruinait leur commerce, et enfin que l'arrivée '^ .s à Fron-

tenac et à Niagara avait dissipé le peu d' .. restait à ces

troupes de s'emparer de ces postes impo;

Ainsi les trois principales attaques des Anglais contre les forts Duquesne, St.-Frédéric et Niagara, avaient échoué à la fin de la campagne, et le Canada pouvait s'estimer heureux d'un résultat

♦Minot ; Continuation of Ihc Hlitory of MasmchuscUs liay.

HlfiTOinE nu CANADA.

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qui devait dépasser sph plus hautes espérances, vu la grande supériorité numérique do ses ennemis. Les troupes françaises occupaient toutes les positions qu'elles avaient au printemps, excepté celle de Beauséjour, dont la perte n'eut, comme on l'a déjà dit, aucune influence sur le sort des événcmens militaires, puisque M. de Boishébert, qui commandait dans cette partie, n'avait pas cessé de s'y maintenir.

Mais les suites de ces échecs furent désastreuses pour les fron- tières américaines. Les armées anglaises ayant été défaites ou obligées de retraiter, la bride fut lâchée aux bandes canadiennes et sauvages, qui dévastèrent leurs établissemens depuis la Nou- velle-Ecosse jusqu'à la Virginie avec toute la vengeance qu'ins- pirait la guerre injuste qu'on nous faisait. Plus de mille habitans furent massacrés ou traînés en captivité par ces guerriers redou- tables, qui, comme un torrent dévastateur, ne laissaient que des ruines sur leur passage. Les populations épouvantées abandon- nèrent leurs foyers, et allèrent chercher un asile dans les pro- vinces méridionales ou sur les bords de la mer. Toutes le-i colonies anglaises étaient dans l'étonnement en voyant le résultat de la campagne. " Quatre armées étaient sur pied, dit Minot, un de leurs historiens, pour repousser les empiétemens des Fran- çais ; nos côtes étaient gardées par la flotte du brave et vigilant Boscawen ; nous n'attendions qu'un signal pour noua emparer de la Nouvelle-France. Mais quel n'est pas notre désappointement ] On a réussi en Acadie, il est vrai, mais Braddock a été défait ; mais Niagara et St.-Frédéric sont encore entre les mains des Français; mais les barbares ravagent nos campagnes, égorgent nos habitans ; nos provinces sont déchirées par les factions et le désordre règne dans nos finances." Les préparatifs pour l'expé- dition contre le fort St.-Frédéric avaient coûté £80,000 à la Nouvelle-Angleterre seule, outre un grand nombre de réclama- tions qui restaient encore à régler. Ces provinces se voyaient donc à la fin de l'année exposées à tous les malheurs d'une guerre inspirée par leur seule ambition.

La saison des opérations tirant à sa fin, les troupes françaises vinrent prendre leurs cantonnemens d'hiver dans les environs de Montréal. La sécurité n'avait pas été un instant troublée dans l'intérieur du pays. Le contraste avec les colonies voisines nous

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étaient favorable pour le moment. Mais l'avenir paraissait tou- jours menaçant et sombre. Déjà l'on souffrait depuis quelque temps de la rareté des vivres. Le manque des récoltes dans le gouvernement de Québec, les levées considérables de grains faites par l'intendant pour la subsistance des troupes, des Sauvages et des Acadiens répandus sur les rives du golfe St.-Laurent et de la baie de Fondy, amenèrent bientôt une disette assez sérieuse, sur- tout parmi les habitans pauvres des vi'les. Ce n'était pourtant que le prélude des maux et des privations de tous genres que devait entraîner cette longue et cruelle guerre.

On annonçait déjà que l'Angleterre devait opérer dans la pro- chaine campagne avec un grand accroissement d forces. L'on ne perdit point de temps en Canada pour se mettre en état de bien recevoir les ennemis, et m4me d'aller porter la guerre chez eux si une occasion favorable se présentait. Le gouverneur et l'intendant demandèrent, dans leurs dépêches à Paris, des secours en hommes, en matériel de guerre et en vivres. Ils comparaient la situation inégale des Français et des Anglais en Amérique. Les principaux officiers de l'armée, qui correspondaient avec les ministres, écrivaient dans le môme sens. Plusieurs d'entre eux avaient des craintes qu'ils ne cherchaient pas à dissimuler: " La situation de la colonie, disait M. Doreil, commiss?''re général des guerres, est critique à tous égards; elle exige de prompts et de puissans secours. J'ose même assurer que si l'on n'en envoie pas, elle courra les plus grands risques dès l'année prochaine."

Toutes les correspondances faisaient ressortir, chacune à sa manière, la disproportion des deux nations dans le continent. On demandait surtout un général expérimenté pour remplacer le baron Dieskau, des ingénieurs qui manquaient totalement et des officiers d'artillerie. " Il faudrait, observait l'intendant, plusieurs corps en campagne le printemps prochain, et 16 ou 1700 hommes de troupes de terre et 1000 ou 1200 hommes de celles dj la colo- nie ne suffiront pas ; il faut toujours garder une certaine quantité des dernières pour le service des trois villes ; il en faut pour les différens postes. Ainsi ce sont les Canadiens qui font la plus grande partie de ces armées, sans compter 1000 à 1200 qui sont continuellement occupés aux transports. Les Canadiens étant ainsi employés à l'armée ne labourent point leurs terres ancienne-

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ment défrichées, bien loin d'en défricher de nouvelles. Les levées qu'on va en faire dépeupleront encore les campagnes. Que deviendra la colonie 1 Tout y manquera, principalement le blé. On avait eu jusqu'à présent l'attention de ne faire les levées qu'après le labour du printemps. tJe ména^ment ne peut plus avoir lieu, puisqu'on fera la guerre pendant l'hiver, et que les armées doivent être rassemblées dès le mois d'avril. De plus, les Canadiens diminuent beaucoup ; il en est mort un grand nombre de fatigues et de maladies. Il ne faut, ajoutait l'intendant, comp- ter sur les Sauvages qu'autant que nous serons supérieurs, et qu'on fournira à tous leurs besoins." Telle était déjà la gravité des choses à la fin de 1755.

Cependant la deuxième année d'hostilités en Amérique allait finir, et les deux peuples ne s'étaient pas encore adressés des déclarations formelles de guerre. La diplomatie restait toujours saisie des questions en litige. Le 21 décembre, M. Rouillé, ministre des affaires étrangères, adressa à M. Fox une lettre dans laquelle il demandait une réparation éclatante des insultes faites au pavillon français par les attaques dont il avait été l'objet, et déclarait qu'il regarderait un refus comme un dessein de troubler le repos de l'Europe. Le ministre anglais fit une réponse moti- vée, en déclarant en termes modérés mais positifs, qu'il ne pour- rait y satisfaire tant que la chaîne de forts élevés au nord-ouest des Apalaches subsisterait. Après ce qui avait eu lieu, après les longs débats surtout dans la chambre des communes, il n'y avait plus d'entente possible. Louis XV fut donc obligé de vaincre ses dangereuses répugnances et de se résoudre à la guerre. Dunkirque fut fortifié, les Anglais eurent ordre de sortir de France, leurs vaisseaux furent saisis dans les ports ; on arma des escadres considérables, oa menaça la Grande-Bretagne d'une descente. Celle-ci demanda des secours à la Hollande et au Hanovre. Mais ces menaces cachaient un autre projet, que le peuple anglais n'apprit que par la défaite de l'amiral Byng et la prise de l'île de Minorque.

L'Europe, comme l'Amérique, ne retentissait plus maintenant que du bruit des armes. Le 17 mai l'Anf'eterre publia une déclaration de guerre contre la France, qui en publia une à son tour contre l'Angleterre dans le mois suivant. Ces actes l 'étaient

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qu'une formalité puérile, dont on pouvait se dispenser. Le cang répandu avait déjà parlé un langage plus solennel.

Les ministres français résolurent d'envoyer au Canada deux nouveaux bataillons comme le demandait M, de Vaudreuil, et des recrues pour compléter ceux qui y étaient déjà, ainsi que des vivres et 1,300,000 livres en numéraire. L'envoi d'argent porta contre toute attente, un préjudice grave au pays, comme nous l'avons observé en parlant de son commerce, en ce que sa cir- culation fit baisser le papier-monnaie et les lettres de change d'un quart.

Le roi choisit le marquis de Montcalm, maréchal de camp, pour remplacer le général Dieskau. C'était un vieil officier qui comptait 35 ans de service ; il avait embrassé l'état militaire en 1721 à l'âge de 14 ans. Il avait servi en Italie et en Allemagne et s'était signalé à la bataille de Plaisance et au sanglant combat de l'Assielte, il était colonel. 11 avait reçu cinq blessures dans ces deux actions. Il s'était aussi distingué sous le maréchal de Belle-Isle dans la fameuse retraite de Prague. Mais il possé- dait tous les défauts des généraux de son temps ; il était à la fois rempli de feu et de nonchalance, timide dans ses mouvemens stratégiques et audacieux au combat jusqu'à négliger les régies de la plus commune prudence, du reste, d'une bravoure personnelle à toute épreuve. Il s'embarqua pour le Canada avec le brigadier de Levis, officier distingué, M. de Bourlamarque, colonel du génie, des officiers d'artillerie, les deux bataillons qu'on y envoyait, formant 1000 hommes, et 400 recrues. Le général Montcalm parvint à Québec vers le milieu de mai 1756 ; les renforts conti- nuèrent à y arriver dans le cours de ce mois et du mois de juin, avec les vivres et les munitions de guerre qu'on attendait avec impatience. Ces renforts, réunis aux seize cents soldats des quatre bataillons reçus l'année précédente et aux troupes de la colonie, portaient toute l'armée régulière à un peu plus de 4000 hommes ; et ce fut à peu prés toute l'aide qu'on reçut de France pendant cette guerre.

Montcalm alla rejoindre le gouverneur à Montréal, il se tenait pour être plus près du théâtre des hostilités. Après un examen minutieux de la situation et des circonstances du pays, il fut arrêté entre ces deux chefs d'établir deux camps principaux,

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l'un à Carillon et l'autre à Frontenac, afin d'être à portée d'ob- server les deux points sur lesquels les Anglais commençaient à rassembler leurs forces, savoir : le fort Oswégo, pour opérer par le lac Ontario, et le fort Edouard sur l'Hudson, pour opérer par le lac Champlain. Le bataillon de Béarn reçut ordre en consé- quence de s'avancer jusqu'à Niagara, quelques hommes avaient été laissés l'automne précédent, et que M. Pouchot, officier d'infanterie versé dans la science de l'ingénieur, fut chargé de fortifier. Deux autres bataillons furent dirigés sur Frontenac avec instruction de s'y retrancher et de donner la main à 1000 Canadiens et Sauvages jetés dans l'espace qu'il y avait entre eux et Niagara. M. de Bourlaraarque fut chargé du commandement de cette frontière. Quant à Carillon, 3000 hommes dont 1500 réguliers, s'y trouvaient réunis à la fin de juillet sous les ordres du chevalier de Levis.

Il fut envoyé aussi 120 hommes pour la protection des pêche- ries de Gaspé, et M. de Boishébert demeura chargé delà défense de la frontière du côté de l'Acadie avec un corps de Canadiens et de Sauvages. Dans l'ouest, M. Dumas releva M. de Contre- cœur au fort Duquesne, et M. de Belle-estre, M. Demuy au Détroit. Ces commandans avaient pour lieutenans dans les difie- rens postes, MM. de Repentigny, d'Anglade, Hébert, Beaubassin, etc. 3,500 Canadiens et Sauvages étaient répandus sur cette frontière depuis le lac Erié jusqu'à la vallée du Mississipi en suivant la ligne de l'Ohio et des Illinois. Les forces armées pour la défense du Canada depuis le Cap-Breton jusqu'aux Illinois s'élevèrent donc dans cette campagne, à 12,000 hommes au plus haut chifire ; elles étaient beaucoup moindres lorsque les milices, après leurs expéditions guerrières, rentraient dans leurs foyers pour faire les semailles ou la moisson et vaquer aux autres travaux des champs.

La forteresse de Louisbourg qui était un point capital, avait à elle seule une garnison de 1100 hommes ; ce qui était encore trop peu cependant. On le sentit à la cour, et on voulut y envoyer un renfort de 600 hommes sur la frégate l' Arc-en-ciel. Mais ce vaisseau fut pris par la croisière anglaise établie sur les côtes du Cap-Breton, sous les ordres du capitaine Spry.

Tels étaient les préparatifs des Français pour la campagne de

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56. Ceux de la Grande-Bretagne furent beaucoup plus formi- dables.

Elle ne voulut rien changer à son plan d'invasion de l'année précédente ; elle vota les finances et les soldats qu'on lui demanda pour laver la honte de la défaite du général Braddock et venger la perte de l'île de Minorquedans la Méditerranée, deux événe- mens qui avaient fait une sensation considérable en Angleterre. L'Amérique, principal ihéâtre des opérations militai res,fixa surtout l'attention des peuples britanniques, qui voyaient leurs futures conquêtes et le siège de leur domination permanente. Le comte de Loudoun, vieil officier d'expérience, fut nommé gouverneur de la Virginie et général en chef des armées de l'Amérique du nord. Le général Abercromby y fut envoyé avec deux nouveaux régi- mens. 115,000 louis sterling furent votés par la chambre des communes pour aider les colonies à armer leurs milices. Les gouverneurs des diverses provinces s'assemblèrent à New- York, et résolurent de lever 10,000 hommes pour prendre le fort St.- Frédéric et s'assurer du commandement du lac Champlain ; 6,000 hommes pour faire le siège de Niagara et couper la communica- tion de la vallée de l'Ohio ; 3,000 hommes pour marcher sur le fort Duquesne, et enfin 2,000 pour faire une diversion du côté de Québec, en remontant la rivière Kénèbec, traversant les Allégha- nys et descendant la rivière Chaudière qui tombe dans le St.- Laurent à quelques milles de cette ville, et tenir tout le centre du Canada en alarmes. Ces milices devaient former, avec d'autres petits corps volans placés sur les frontières, une armée d'environ 25,000 hommes ou le double de celle des Français, outre les troupes régulières. Mais malgré cette grande augmen- tation de forces, et les flottes nombreuses qui couvraient les mers de ce continent, nous allons voir que la campagne de 1756 fut encore plus malheureuse pour l'Angleterre que les Jeux précé- dentes.

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CHAPITRE II.

PRISE D'OSWÊGO ET DE WILLIAM-HENRY.

1756-1757.

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Alliances indiennes ; les cantons iroquois protestent de leur neutralité. Préparatifs militaires. Bandes canadiennes en campagne tout l'hiver (1755-56) ; destruction du fort Bull et dispersion d'un convoi de 400 ba- teaux ennemis.— Commencement de désunion entre le gouverneur et le général Montcalm au sujet de l'entreprise sur Oswégo. Siège de cette place. La garnison abandonnée du général Webb capitule. Butin que l'on fait. Les Sauvages tuent un grand nombre de prisonniers ; on ne parvient à les arrêter qu'avec beaucoup de peine. Les fortifications d'Os- wégo sont rasées. Joie que cette victoire répand en Canada. Les Anglais suspendent toutes leurs opérations pour le reste d<> la campagne. Les Indiens ravagent leurs provinces. Les Canadiens enlèvent Grenville à 20 lieues de Philadelphie. Disette en Canada. Arrivée des Acadiens qui mouraient de faim. Ils se dispersent dans le pays. Demande de secours en France. Augmentation rapide des dépenses. Montcalm sug- gère d'attaquer l'Acadie au lieu des forts Edouard et William-Henry.^ Pitt monte au timon des affaires en Angleterre ; nouveaux efforts de cette puissance en 1757. Elle forme et on abandonne en chemin le dessein de prendre Louisbourg, protégé par la flotte de l'amiral Dubois de la Motthe. Des bandes canadiennes tiennent la campagne pendant l'hiver ; jNI. de Rigaud, à la tête de 1,500 hommes, détruit les environs du fort William- Henry. Les tribus indiennes restent fidèles à la France, qui envoie des secours. Prise de William-Henry après un siège de 6 jours. La garnison forte de 2,400 hommes, met bas les armes. Les prisonniers sont encore attaqués à l'improviste par les Sauvages, qui en massacrent plusieurs, les pillent et les dispersent. Le fort William-Henry est aussi rasé. La Disette va en augmentant en Canada. Murmures des troupes. Les dis- sentions deviennent plus visibles entre les chefs de la colonie. Succès variés de la France dans les autres parties du Monde. Elle ne pei envoyer que quelques recrues en Amérique. L'Angleterre y porte sou armée à 50,000 hommes dont 22,000 réguliers, pour la campagne de 1758.

Dans l'hiver M. de Vaiidreuil porta son attention sur l'importante affaire des alliances indiennes, surtout celle avec les cinq nations, qui cherchaient à conserver la neutralité et à faire respecter l'in- légrité de leur territoire. Il reçut avec une grande distinction la députation nombreuse qu'elles lui envoyèrent, et les assura que son plus grand désir était de rester en bonne intelligence avec

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elles. Cea délégués satisfaits se retirèrent en renouvelant leurs protestations pacifiques. C'est en partie pour ne pas indisposer ces peuples que le gouverneur fit raser les fortifications d'Oswégo, lorsque l'on s'empara de cette place.

La saison des opérations arrivait, mais l'ennemi qui avait appris à être plus circonspect, ne montrait pas pour se mettre en cam- pagne le même empressement que l'année précédente. La levée de ses troupes avait éprouvé aussi beaucoup de délais inévitables. Une difficulté d'étiquette vint les accroître. D'après des règles de guerre faites à Londres, les officiers de l'armée régulière devaient avoir la préséance sur ceux de la milice coloniale. Cette distinction causa un mécontentement universel parmi la libre et fière population américaine. Elle repoussa avec dédain l'infériorité que l'on voulait lui imposer, et lord Loudoun fut obligé de donner satisfaction à une exigence qui ne paraissait du reste que légitime. Il laissa donc subsister l'organisation militaire que les colonies s'était attribuée au commencement de la guerre. En Canada les mêmes difficultés se présentèrent ; mais la sagesse du gouvernement les fit cesser aussitôt. M. de Vaudreuil, qui était l'ami et le protecteur des Canadiens, repoussa toute atteinte à leurs droits et à l'usage établi.

L'inactivité prolongée des Anglais, qui commençait à causer quelque étonnement en Canada, permit de mettre à exécution un projet conçu dans le temps de la construction d'Oswégo, cons- truction qu'on avait regardée à la fois comme un acte d'hos- tilité et comme une menace. M. de Vaudreuil ayant la prise de ce fort à cœur, n'avait fait que l'ajourner l'année précédente ; et dans la prévision de sa réalisation prochaine, les préparatifs étaient faits pour l'exécuter. Des partis avaient été tenus tout l'hiver en campagne, entre Albany et ce fort, pour détruire les petits postes qu'on y aurait élevés et pour harceler sans cesse les communications. Dans le mois de mars, M. de Léry, à la tête de 300 hommes, prit u'" magasin considérable, connu sous le nom de fort Bull, situé entre Schenectady et Oswégo. On y détruisit une immense quantité de poudre et de projectiles de guerre, dont la perte retarda beaucoup les mouvemens de l'ennemi. Le fort Bull était palissade et garni de meurtrières. Sa prise ofirit ceci de singulier, que les meurtrières au lieu d'être une pro-

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tection pour la garnison, servirent aux assaillans qui s'en empa- rèrent avant que la garnison put s'y placer, et tirèrent par ces ouvertures du dehors en dedans de l'enceinte. Les palissades ayant été coupées à coups de hache, le fort fut pris d'assaut, et tous ceux qui le défendaient furent passés au fil de l'épée.

M. de Vaudreuil envoya dès le petit printemps, M. de Villiers avec 900 hommes pour observer les environs d'Oswégo et inquié- ter les Anglais. Ce détachement eut plusieurs escarmouches. Le 3 juillet, il attaqua un convoi de 3 à 400 bateaux qui revenait de porter des armes et des vivres au fort, le dispersa, tua beau- coup de monde, leva des chevelures et fit quantité de prisonniers.*

A la suite de ce nouveau succès l'attaque fut définitivement résolue et les troupes reçurent l'ordre de se mettre en mouvement. C'est alors qne le public crut apercevoir un refroidissement entre le gouverneur et le commandant des troupes. Ces deux chefs qui s'étaient plus d'abord avaient fini par se méfier et s'éloi- gner l'un de l'autre. La différence de caractère et des personnes intéressées peut-être à les diviser, confirmèrent encore ce mal- heureux penchant. Il n'y eut dans les commencemens que leurs amis intimes qui s'aperçurent de ce changement, qui devait être si funeste dans la suite. Plus tard cette désunion devint appa- rente pour to'it le monde.

Montcalm, pir un fatal pressentiment, ne crut jamais au suc- cès de la guerre, comme ses lettres ne l'attestent que trop ; de une apathie qui lui aurait fait négliger tout mouvement agresseur, sans Vaudreuil, qui, soit par conviction, soit par politique, ne parut au contraire jamais désespérer, et conçut et fit exécuter les entreprises les plus glorieuses qui aient signalé les armes françai- ses. Tei >^;tait cependant le progrès des idées de Montcalm dans l'armée, que le gouverneur disait dans une lettre qu'il adressait

Lettre de M. de Montcalm au ministre, du 20 juillet 1756. Il dit que l'avantage aurait été plus considérable si les Sauvages n'avaient pas attaqué trop tôt. Lettre de M. de Vaudreuil, du 30 août. La plupart des historiens américains ne parlent point de cette surprise. Smollett rapporte que les Anglais étaient commandés par le colonel Bradstreet, qu'ils défirent com- plètement lours assaillans après un combat de trois heures, et firent 70 pri- sonniers. Mais Sismondi, parlant de Smollett, observe qu'il n'a écrit en général que sur des rapports de gazette et qu'il mérite peu de croyance, observation vraie pour l'Amérique.

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aux ministres, après la prise d'Oswégo, que s'il se fût arrêté à tous les propos inconsidérés qu'on tenait à ce sujet, il aurait été obligé de renoncer à une entreprise qui devait déranger si profon- dément tous les plans des généraux anglais. En effet Montcalm ne l'approuvait qu'à demi et avait des doutes sur le succès ; il s'exprimait ainsi dans une dépêche : •'* L'objet qui me fait passer à Frontenac, est un objet qui m'a paru assez militaire, si toutes les parties de détail sont assez bien combinées, et je pars sans en être ni assuré ni convaincu."

Le fort Osvvégo, bâti par les Anglais sur la rive droite du lac Ontario pour protéger leur commerce et les établissemens qu'ils voulaient former entre l'Hudson et ce lac, acquérait en temps do guerre une double importance par sa position. Il servait d'un côté à contenir les tribus iroquoises, et menaçait de l'autre les communications entre l'extrémité inférieure et l'extrémité supé- rieure du Canada, parce que les Anglais pouvaient, de ce point, attaquer le fort Frontenac et s'emparer du commandement du lac Ontario. 11 était donc important de se rendre maître de cette position, et de les rejeter dans la vallée de l'Hudson. C'est ce que le gouvernement français avait senti, et ce que M. de Vau- dreuil voulut exécuter.

Ce gouverneur, qui avait dirigé une partie des préparatifs, avait si bien pris ses mesures que l'armée surprit pour ainsi dire les ennemis, que les détachemens tenus aux environs, avaient empêchés de pousser des reconnaissances au loin. Vaudreuil avait réuni 3000 hommes à Carillon, et Montcalm s'y était rendu avec grand bruit pour attirer leurs regards de ce côté. Tandis qu'ils croyaient encore ce général, qu'ils redoutaient, sur le lac Champlain, celui-ci était revenu soudainement à Montréal ; et trois jours après, le 21 juillet, il repartait pour aller se mettre à la tête des troupes expéditionnaires réunies à Frontenac, sous les soins de M. de Bourlamarque. Un camp d'observation avait été formé par M. de Villiers à Niaouré, à 15 lieues d'Oswégo. On en donna le commandement à M. de Rigaud, avec ordre de pro- téger d'abord le débarquement de l'armée sur la rive méridionale du lac, et ensuite d'en former l'avant-garde. Pour ne pas éprou- ver d'obstacles de la part des Iroquois, une partie de leurs prin- cipaux guerriers avait été attirée à Montréal, et une autre à

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Niagara, ils servaient d'otages pour la conduite de la confédé- ration. On avait en même temps placé deux barques de 12 à 16 canons en croisière devant Osv^régo, et établi une chaîne de découvreurs entre ce fort et Albany pour intercepter les couriers.

Le général Montcalra arriva à Frontenac le 29 juillet. Le 4> août !a première division de l'expédition, forte de deux bataillons et de 4 bouches à feu, s'embarqua et atteignit Niaouré le 6. La seconde ou dernière division y arriva le 8; elle était formée d'un bataillon de réguliers et d'un corps de Canadiens, avec plus de 80 bateaux chargés d'artillerie, de bagages et de vivres. Ces troupes réunies formaient environ 3,100 hommes, dont 1,350 réguliers, 1,500 Canadiens et soldats de la colonie, et 250 Sauva- ges." De la baie de Niaouré l'armée, pour dérober sa marche, cheminait de nuit seulement et se retirait le jour dans les bois du rivage, en couvrant les bateaux qui servaient à la transporter de feuillages épais, et parvint ainsi le 10, dans une anse à une demi- lieue de la place sans presque être découverte, sous la protection de l'avant-garde, qui avait continué son chemin par terre, et qui investit le lendemain le fort Ontario.

Les ouvrages défensifs d'Osvvégo consistaient en trois forts ; le fort Oswégo proprement dit, dont les remparts étaient garnis de 18 pièces de canon et de 15 mortiers ou obusiers; le fort Ontario élevé tout récemment au milieu d'un plateau dans l'angle formé par la rivière qui avait donné son nom au principal fort, et le lac, et enfin le fort George situé sur une hauteur à 300 toises de celui d'Osvvégo qu'il dominait ; ce dernier n'était qu'un mauvais retran- chement en terre garni de pieux, et défendu par quelques pièces de canon. Ces diverses fortifications avaient une garnison de seize à dix-sept cents hommes des régimens de Shirley, Pepper- rell et Schuyler, noms populaires depuis l'expédition de Louis- bourg. Le colonel Mercer les commandait.

Les Français ayant établi leur camp dans l'anse ils avaient débarqué, employèrent les journées du 11 et du 12 à percer un chemin dans un bois marécageux jusqu'au fort Ontario, pour le passage des troupes et de l'artillerie. Le colonel de Bourlamarque fut chargé de la direction du siège. La tranchée, ouverte à 90 toises de ce dernier fort, malgré un feu d'artillerie et de mousque-

* Les auteurs américains disent 5000. Nous donnons les chiffres officiels.

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terie très vif des assiégés, reçut six pièces de canon. Le colonel Mercer, qui s'était transporté dans re fort de sa personne, ne vou- lant pas attendre l'assaut, et ayi;at épuisé ses munitions, fit enclouer les canons et l'évacua. Les Français y entrèrent aussitôt. Mercer envoya alors 370 hommes pour tenir la communication ouverte entre le fort George, commandait le colonel Schuyler, et le fort Osvvégo il se retira lui-môme. Mais M. de Rigaud ayant passé la rivière à la nage avec un corps de Canadiens et de Sauvages le 14 au point du jour, chassa ces troupes et s'établit entre les deux forts, jetant, par ce mouvement hardi, l'intimidation parmi les assiégés et les séparant en deux. Cette manœuvre fut suivie de l'établissement d'une batterie de neuf pièces de canon sur l'escarpement de la rivière, du côté opposé au fort Osvvégo, laquelle ouvrant un feu plongeant dans les retranchemens qu'il y avait autour de cette place, frappait les soldats découverts jus- qu'aux jenoux et leur ota toute espérance de pouvoir s'y mainte- nir. A sept heures du matin le colonel Mercer fut tué, et quelques heures après les assiégés demandèrent à capituler. La rapidité des travaux du siège, le passage audacieux de la rivière qui otait aux Anglais toute retraite, la mort de leur comman- dant, tout contribua à les décider à prendre une résolution que les assiégeans n'osaient pas espérer sitôt, car les assiégés avaient à peu de distance, un corps de 2,000 hommes sous les ordres du général Webb, que Montcalm s'attendait d'un moment à l'autre à voir paraître, et qu'il s'était préparé, du reste, à bien recevoir. Le colonel Mercer avait écrit à Webb, le 12 à 4 heures du matin, pour l'informer de sa situation et l'appeler à son secours ; 2 heu- res après, la lettre interceptée était remise au général français, qui pressa davantage les travaux du siège. Le général Webb apprit en route, à Wood's Creek, la capitulation d'Oswégo. Il s'empressa aussitôt d'embarrasser la rivière, et de rebrousser che- min avec une précipitation qui tenait presque de l'épouvante.

La capitulation fut signée à 11 heures du matin. Le colonel Littlehales, qui avait remplacé le colonel Mercer, resta prisonnier avec la garnison des deux forts et les équipages des navires, for- mant 1,400 soldats, 300 marins et ouvriers, 80 officiers et une centaine de femmes et d'enfans. Les troupes posèrent les arn.^^s. Qn prit sept bâtimens de 8 à 18 canons, 200 bateaux, 107 pièces

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de canon, 14 mortiers, 730 fusils, une immense quantitù de muni- tions de guerre et de bouche, 5 drapea-ix et la caisse militaire renfermant 18,000 francs. Cette belle conquête ne coûta que quelques hommes. Les assiégés avaient perdu environ 150 tués ou blessés, y compris plusieurs soldats qui voulurent se sauver dans les bois pendant la capitulation, et qui tombèrent sous la hache des Indiens.

Ces barbares, se voyant frustrés du pillage de la place con- quise, qu'un assaut leur aurait livré, voulaient à toute force faire un butin. Ils se jetèrent sur les prisonniers isolés, les pillèrent ou les massacrèrent. Ils envahirent les hôpitaux et levèrent la chevelure à une partie des malades. Une centaine d'hommes devinrent leurs victimes. Le général Montcalm, à la première alarme, s'était empressé de prendre des mesures énergiques pour faire cesser ces sanglans désordres ; mais il ne put réussir qu'avec beaucoup de difficulté, et encore, pour satisfaire les Sauvages excités par la soif du sang qu'ils venaient de verser, fut-il obligé de leur promettre de riches présens. " Il en coûtera au roi huit à dix mille livres, écrivit-il au ministre, qui nous conserveront plus que jamais l'affection des nations ; et il n'y a rien que je n'eusse accordé plutôt que de faire une démarche contraire à la bonne foi française."

Toutes le 3 fortifications d'Osvvégo furent rasées, suivant les ordres du gouverneur, en présence des chefs Iroquois, qui virent tomber avec la satisfaction la plus vive ces forts élevés au milieu de leurs cantons, et qui offusquaient leur amour-propre national et leur jalousie. Cette détermination était d'une sage politique, attendu que l'on manquait de forces pour y laisser une garnison capable de se maintenir dans cette position avancée ayant le lac Ontario à dos.

L'époque de la moisson appelait depuis quelque temps le retour des Canadiens dans leurs foyers. Le gros de l'armée se rembar- qua avec les prisonniers pour retourner en Canada, la victoire de Montcalm causa une joie universelle, et fut l'occasion de réjouissances publiques. Suivant l'usage un Te Deum fut chanté dans les églises des villes, l'on suspendit avec solennité les drapeaux pris sur l'ennemi comme des trophées propres à entre- tenir le zèle des Canadiens et à annoncer surtout l'éloignement

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du danger. Les regrets des Anglais, qui regardèrent la perte d'Osvvégo comme l'événement le plus désastreux qui put leur arriver, comme un malheur national, montraient qu'on n'avait pas exagéré cette conquête. Eu effet ils suspendirent aussitôt toutes leurs opérations offensives, le général Abercromby accu- sant le général Schuyler de ne pas lui avoir fait connaître l'état de la place. Le général Winslovv reçut ordre de ne point mar- cher sur Carillon, et de se retrancher de manière à surveiller les routes du lac Champlain et d'Osvvégo. Le général Webb fut placé au portage de la tète du lac St.-Sacrement avec 1,400 hommes, et sir William Johnson, avec 1000 miliciens, à German Flatts sur la rivière Hudson. L'expédition par la rivière Chau- dière fut abandonnée ou changée en course de maraudeurs ; enfin celle qu'on avait projetée contre le fort Duquesne, fut ajournée à lin tenips plus propice. Ces mesures de précautions occupèrent l'ennemi le reste' de la campagne.

L'atla(jue d'Osvvégo, dont la conception était due à M. de Vaudreuil et l'exécution au général Montcalm, fit le plus grand honneur à ces deux hommes ; mais le succès qui l'avait cou- ronnée ne rétablit point entre eux une amitié franche et cordiale. Montcalm parut mécontent et morose ; et comme s'il eût regretté une victoire obtenue contre ses prévisions, il écrivait à Paris: ** C'est la première fois qu'avec 3,000 hommes et moins d'ar- tillerie qu'eux, on en a assiégé 1,800, qui pouvaient prompte- ment être secourus par 2,000, et qui pouvaient s'opposer à notre débarquement, ayant une supériorité de marine sur le lac Onta- rio. Le succès a été au-delà de toute attente. La conduite que j'ai tenue à cette occasion, et les dispositions que j'avais arrêtées sont si fort contre les règles ordinaires, que l'audace qui a été mise dans cette entreprise doit passer pour de la témérité en Europe ; aussi je vous supplie, monseigneur, pour toute grâce d'assurer sa Majesté que si jamais elle veut, comme je l'espère, m'employer dans ses armées, je me conduirai sur des principes différens." Il se plaignit encore dans l'automne de plusieurs petits désagrémens que le gouverneur lui aurait fait éprouver; que lui et M. de Levis recevaient des lettres et des ordres écrits avec duplicité, et qui feraient retomber le blâme sur eux en cas d'échec ; que les Canadiens n'avaient ni discipline, ni subordina-

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tion, etc. Les louanges que le gouverneur donnait dans acs dùpCchca à leur bravoure, avaient cxcitù, à ce qu'il paraît, la jalousie des troupes régulières; et le général Montcalm qui n'au- rait pas dédaigné d'être le chef du parti militaire, et qui portait peut-être déjà les yeux sur un poste plus élevé que le sien, devint vis-à-vis de la mère-patrie l'organe d'un sj ème de dénigrement, symptôme lointain de la désorganisation sourde qui s'introduisait déjà dans tous les élémens de l'ancienne monarchie.

Comme nous venons de le dire, la perte d'Osvvégo fit suspendre aux Anglais toutes leurs opérations pour le reste delà campagne, tant sur le lac Ontario que du côté de l'Acadie. Sur le lac St.- Sacrement les hostilités se- bornèrent à quelques escarmouches jusqu'à l'automne, les troupes françaises rentrèrent dans l'in- térieur pour prendre leurs quartiers d'hiver, laissant quelques centaines d'hommes en garnison à Carillon et à St.-Frédéric sous les ordres de MM. de Lusignan et de Gaspé.

Du côté de l'Ohio, il ne se passa rien non plus de remarquable. Mais les irruptions dévastatrices avaient continué dans la Penn- sylvanie, le Maryland et la Virginie. Plus de soixante lieues de pays avaient encore été abandonnées cette année avec les récoltes et les bestiaux par les habitans, qui s'étaient enfuis au-delà des Montagnes-Bleues. Les milices américaines, habillées et tatouées à la manière des Indiens, n'avaient pu arrêter qu'un instant ces invasions passagères et sanglantes. On eut môme des craintes pour la sûreté de la ville de Winchester. Le colonel Washington, qui commandait sur cette frontière, écrivit dans les termes les plus pressans au gouverneur de la Virginie pour lui exposer l'ex- trême désolation qui y régnait: " Je déclare solennellement que je m'offrirais volontiers en sacrifice à nos barbares ennemis,, si cela pouvait contribuer au soulagement du peuple."

M. Dumas avait fait enlever aussi, dans le mois d'août, le fort Grenville situé seulement à vingt lieues de Philadelphie. Quel- que temps auparavant, Washington avait voulu surprendre, avec 3 ou 400 hommes, Astigué, grosse bourgade des Sauvages-Loups ; et il avait déjà réussi à mettre cette tribu en fuite, lorsque rame- née à la charge par M. de la Rocquetaillade et quelques Cana- diens, el'' avait mis à son tour les Anglais en déroute, et les avait dispersés dans les bois.

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Ainsi partout les opérations militaires nous avaient été favo- rables et tout l'honneur en appartenait aux armes françaises, car avec moins de 6,000 hommes elles avaient paralysé les mouve- mens de près de 12,000, rassemblés entre l'Hudson et le lac Ontario, et s'étaient emparé de leur plus forte place de guerre. Pour récompenser le zèle et le courage des troupes, Louis XV promut à un grade supérieur ou décora de la croix de St.-Louis plusieurs olTiciers.

Si Ton avait lieu d'être satisfait de leurs services, la situation intérieure du pays ne permettait guère cependant de se réjouir de leurs succès, qui retenaient bien, il est vrai, la guerre au-delà des frontières, mais qui étaient inutiles pour soulager les maux du peuple. Toute l'attention du gouvernement se portait alors sur la disette qui régnait, et qui était encore plus redoutable que le fer des Anglais. Le tableau de la mioere et des souflfrances qui s'offraient partout dans l'automne, frappait de pressentimens sinistres les hommes les plus résolus. La petite vérole venait de faire des ravages terribles, qui s'étaient étendus aux tribus indijnnes. Les Abénaquis, cette nation si brave et si fidèle à la France et au catholicisme, furent presqu'entièrement détruits par le fléau. 11 n'en resta (jue quelques débris, qui s'attachèrent à la cause des Anglais, leurs plus proches voisins. Les récoltes avaient encore manqué, et, sans les vivres trouvés à Oswégo, on ne sait ce que seraient devenus les postes de Frontenac, de Nia- gara et de l'Ohio. L'intendant fut obligé de faire distribuer du pain au peuple des villes chez les boulangers, à qui l'on fournis- sait de la farine des magasins du roi. Les habitans aifamés accouraient en foule et se l'arrachaient à la distribution. Dans le même temps, les bâtimens envoyés à Miramichi pour porter des provisions aux Acadiens, revenaient chargés de ces malheureux, qui périssaient de misère et qui ne demandaient que des armes et du pain pour prix de leur dévoûment. Leur arrivée .,e fit qu'empirer le mal. On avait plus de combattans que l'on était capable d'en nourrir, et l'on fut obligé de donner de la chair de cheval à ces pauvres gens. Un^ partie mourut de la petite vérole, une autre fut acheminée dans quelques seigneuries do Montréal et des Trois-Rivières, elle fonda les paroisses de l'Acadic, Sl.-Jacque?, Nicolet et Bécancour ; le reste traîna

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pendant quelque temps une existence misérable dans les villes et dans les campagnes, il finit par se disperser et se fondre. Enfin, dans le mois de mai 1757, le mal allant toujours en aug- mentant, il fallut réduire les habitans de la capitale, depuis quel- que temps déjà à la ration, à quatre onces de pain par jour.

On adressa de toutes parts des lettres à la France pour y appe- ler son attention la plus sérieuse. Le gouverneur, les ofliciers généraux, l'intendant, tous demandaient des secours pour triom- pher et de la famine et de l'ennemi. Le succès de la prochaine campagne dépendra surtout, disait-on, des subsistances qu'on y enverra, car il serait triste que, faute de cette prévoyance, le Canada fût en danger; toutes les opérations y seront subordon- nées. Quant aux renforts de soldats, M. de Vaudreuil deman- dait 2,000 hommes si l'Angleterre ne faisait pas passer de nou- velles troupes en Amérique, sinon un nombre proportionné à ce qu'elle enverrait. Les réguliers qui restaient à la fin de la cam- pagne, sans compter les troupes de la colonie, ne formaient guère plus de 2,400 bayonnettes.

Ces demandes continuelles effrayaient la France. Engagée dans une fausse route, elle voyait ses finances s'abîmer dans la guerre d'Allemagne et d'Italie, elle n'avait rien à gagner, et ses coffres rester vides pour faire face aux dépenses nécessaires à la conservation du Canada et à l'intégrité de ses possessions américaines. Le gouvernement sentait le vice de sa position, et il n'en pouvait sortir, car le Canada était sacrifié à la politique de la Pompadour. Il chicanait sur chaque article de la dépense. Il observait que dans les temps ordinaires cette colonie ne coû- tait à la France que 10 à 12 cent mille livres par année, et que depuis le commencement des hostilités, la dépense avait monté graduellement à 6, puis à 7, puis à 8 milhons ; que dès 1756 la caisse coloniale se trouvait débitrice, par suite de ces exercices extraordinaires, de 14 millions, dont près de 7 millions en lettres de change payables l'année suivante. L'intendant Bigot mandait que l'armée avait épuisé les magasins de tout à la fin de 56, que les dépenses des postes de l'Ohio iraient jusqu'à 2 ou 3 millions, et que celles de 57 monteraient, pour tout le Canada, à 7 millions au moins. Ces demandes faisaient redouter au ministère un sur- croît encore bien plus énorme. Les politiques à vues courtes,

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les fôvoris du prirtce, qui participaient à ses débauches et profi* taïent de seé prodigalités, s'écriaient que le Canada, ce pays' de forêts et déserts glacés, 'coûtait irtfiniment plus' qu'il ne valait. On ne voyait qu'une question d'argent «e trouvait une question de puissance maritime et de grandeur nationale. La France ou jilutôft' ses' irtinistiies oubliaient jusqu'à l'héroïsme'de ses soldats sur cette ten*e lointaine, ptour fournir aux excès scan- daleux des maîtresses royales. '■ ■'■!•'!!■ ly^ '•'■■Tout len enjoignant l'économie la pl'u« sévère, ils ne purent se diépeni^er d'envoyer les renforts et les Récents en vivres et' en inimilione qui avâieht été demandés. C'est après cet envoi en 1757 ^ue l'approvisionnement des armées qui, jusque-là, s'était fait par régie, c'est-à-dîre par des employés qui faisaient les â'èhats, fur mis en entreprise^' sur les suggestions présentées par Bigot pendant quMl était en France en 55. Cadet, riche boucher de Québec, devint l'adjudicataire des fournitures de l'armée et do tous les postes pour neuf ans. Ce système qui subsisiait en France, et qui était adopté pour prévenir les abus, contribua au Contraire à les multiplier de ce côté-ci de l'océan d'une manière effrayantë^'Cdt^trfe 6ii"lè'Verfa plustardV''' v^i'^t.-! •j:,^.!;,-; oni; ■'■.ii;:\> ■•"* Céfiétidiïnt le gériéral JVtdhtlJalm avait suggéré aux ministres, àu'lieu d'attaq"UéCile fort 'William-Henry et le fort Edouard dans sa prochaine campagne comme l'avait proposé M. de Vaudrcuil, deux entrèptises qu'il considérait, l'une comme dllfieile et l'autre cfomttiè impossible, faire plutôt une diversion sur l'Acadie avec une eàc^adi'e et des troupes France, auxquelles on joindrait 2,500 Canadieris. Ce projet, qui avait Sans doute do l'audace, ne fut point goûté, doit qWe Ton crut le succès inutile ou trop doutètîx, soit qu'il était dangereuîi, ainsi que le fit observer M. de Ijotbinière;,'de 'divisëf lëis^lbrceg du Canada, déjà si faibles, pour fen'pbrtéf une j^àrficau loin darts un tettipe ce pays était tou- jours sérieuseiDént metiacé'J ■''■'^'' (-^iioili-iu il idj ,-.',(ii:iiiui,.i:i y.j Dans la ffep6hise que'reçîit' Mdrit<?almi,' on lui recommandait «rn'i'toù'f de faire tout ce qxiî' dépendrait de lui pour ramener la bohne întelHgencte '6nt>^o les froupeé et les habitans ; et de se rap- peler '(^u'il était' ég'alén'i'èhit essentiel de bien ' traiter les alliés îrtdieh^, fet'de' rendi-e à leur 'bravoure tous lès témoignages dont ils étaient si ja!loux. Les rapports parvenus à Paris sur la con*

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(luite'des militaires, dont la tendance et les préteritiotis se manifes-) talent assez, du reste, dans leurs propres lettrea,; firent sans doute motiver ces sages instructiona. Quant au projet de M. de Vou- dreuil sur les forts William-Henry et Edouard, on n'adopta aucune décision définitive pour le moments ' 'infijun; 'l,'- •.jp jii;' '.{t i C> •;- Pendant {Jue la France ne: songeait ainsi qu'à prendre de& mesures djèfensives pour l'Amérique du nord, PAjQgleterre, hoa-i teuse de ses défaites de la dernièoo campagnes dans les dei»5ç mondes,' voulut les ivertger dans celle qui allait s'ouvrir. Pour se réhabiliter datas l'épinioû publique^ le mitvistère admit dans «otl sein M. Pitt, devenu fameux depuis sous le iiom de lord; (Jhatham, et MJ Legge^ deux hommes regardés comme les plius iUûâtresi! citoyens idu royaume. Il fut décidé de pousser' la, guerre avec Igi plus grande vigueur. ' Ddg esèadres et des troupes de renfort coiDt sidérables furent envoyées len Amérique;; et afin; d'empêcher les colonies françaises de recevoir les vivres donti on savait qu'elles avaient un i besoin ipi"essant, le ïiarlement. anglais passa une: loi pour défendre l'exportation de provisions hors des domaines bri- tanniques. I '■;<;. . t (i;

Le bruit se répandit aussi en ' Fbancei qu'ilétait question' à Londres d'attaquer Louisbourg ou le Canada du côté de la' mer. Pitt voulait obtenir à quelque prioc que ce fût; ; la supériorité : dians le Nouveau- Monde ; on ajoutait quîil devuit y envoyer: 10 mille hommes, et qu'il triplerait ces forces, s'il le fallait, ipôûraceonjplir son dessein. : Cela ne fit point changer les résplutions dui imihi*- tère français au sujet du éhiffre^ des. troupes;! à' enyoyer;' ^t c'est en vnin que le maréchal de Belle-isle voulut-en représenterf.Ie danger dans un mémoire qu'il soumit au conseil d^état : "Il y>ià plusieurs mois que j'insisteydisait.'il, pour que nous fassions passer dn Amérique, indépendamment des rècrties nécessaiires i pooc ^compléter les troupes nos colonie» de nos cégimens français, les '4,000 hommes du sieur Fiechep.'i: . . D a un corps distingué d'officiers, pitesque touà' gentilshommes, dont la J»lu9' grande partie se propose de ne jamais retenir en Euro'pe, non' plus que les soli- dats, ce qui fortifierait beaucoup, pour le présent et l'avenir, les parties' de ces colonies ces troupes' seraient destinéesk ■. . .ije crois ne pouvoir trop insister. L'on se repentira^ peut-^tré - trop tard de ne l'avoir pas fiiit, loraqii'il n'y auru plus de remède.; i. Je

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conviens que la dépense de transport est excessivement chère ; mais je pense qu'il vaudrait encore mieux avoir quelques vais- seaux de ligne de moins et se mettre en toute sûreté pour la con- servation des colonies."

On ne sait quelle influence ce renfort eût exercé sur le résultat des opérations militaires de 59 ; mais il est déplorable de penser que le sort du Canada ait tenu peut-être à la chétive somme qu'eut coûté le transport de ces troupes en Amérique ! Le con- seil se contenta d'envoyer pour protéger Louisbourg, une escadre dans les parages du Cap-Breton sous les ordres de M. d'Aubigny, et d'en détacher quelques vaisseaux sous le commandement de M. de Montalais, pour croiser dans le bas du St.-Laurent. L'évé- nement prouva, du moins pour cette année, que cette escadre qui couvrait à la fois Louisbourg et le Canada, était le meilleur secours que l'on pût nous fournir, si en effet on ne pouvait, comme l'on disait, en fournir que d'une sorte.

Dans cette situation, le Canada dut rester sur la défensive pour attendre les événemens, se tenant prêt toutefois à profiter des moindres circonstances favorables qui pourraient se présenter, et ne détachant point ses regards de tous les mouvemens que faisaient ses ennemis.

Par suite du nouveau système adopté par l'Angleterre pour pousser la guerre avec vigueur, lord Loudoun assembla à Boston, en janvier 57, les gi uverneurs des provinces du Nord, la Nou- velle-Ecosse comprise, afin de s'entendre sur un plan d'opéra- tions pour la prochaine campagne. Le plan d'attaque suivi en 55 et 56 fut abandonné, et il fut résolu de réunir ses forces au lieu de les diviser comme on avait fait jusque-là, pour les porter sur un seu' point à la fois. Louisbourg qui était le point le plus Baillant des possessions françaises du côté de la mer, paraissait devoir attirer le premier l'attention des Anglais, qui l'avaient vu élever avec une extrême jalousie, comme on l'a rapporté ailleurs. Ils furent d'avis de commencer par et de se rendre maître de ce poste qui couvrait l'entrée du St.-Laurent, chaque colonie fournissant soi contingent de soldats. Des levées de troupes furent ordonnéfco en conséquence dans les différentes provinces, qui s'empressèrent de faire tous les autres préparatifs nécessaires. Afin que rien ne transpirât du projet au dehors, on mit un embargo

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sur lea navires qui se trouvaient dans les ports et l'on retint les parlementaires que Louisbourg avait envcyi' à Boston. Lsa garde des frontières fut confiée aux milices. Washington com- mandait toujours celle des Apalaches. Deux ou trois mille réguliers furent laissés en garnison dans le fort William-Henry à la tête du lac St.-Sacrement. Au mois de juillet l'armée anglaise se montait, tel qu'il avait été projeté, à plus de 25,000 hommes, dont près de 15,000 réguliers, sans compter de nombreuses mili- ces armées, qui pouvaient marcher au premier ordre.

Lord Loudoun partit de New- York le 20 juin avec 6,000 hom- mes de troupes régulières et 90 voiles pour Louisbourg. Il fut rejoint, le 9 juillet, à Halifax par la flotte de l'amiral Holburneet cinq lutres mille hommes de vieilles troupes ; ce qui portait l'ar- mée de débarquement à 11,000. Mais pendant que l'on était encore dans ce porl, l'on apprit par différentes voies à la fois que l'amiral Dubois de la Motthe, venant de Brest, était entré dans la rade de Louisbourg avec la flotte promise dans l'hiver ; qu'il s'y trouvait en conséquence 17 vaisseaux et 3 frégates de réunis, et que la ville était défendue par 6,000 soldats, 3,000 miliciens et 1,300 Sauvages. A cette nouvelle, lord Loudoun assembla un conseil de guerre, il fut convenu d'un commun accord d'aban- donner une entreprise qui ne promettait plus aucune chance de succès. En conséquence les troupes de débarquement retour- nèrent à New- York, et l'amiral Holburne cingla vers Louisbourg avec 15 vaisseaux, 4 frégates et un brûlot pour observer cette ville. Mais ayant vu en approchant de cette forteresse, l'amiral français donner à sa flotte le signal de lever l'ancre, il se hâta de rentrer à Halifax. Il revint encore en septembre, après avoir reçu un renfort de quatre vaisseaux ; M. de la Motthe à son tour plus faible que son adversaire, ne bougea pas, en obéissance aux ordres positifs de la cour de ne pas risquer la plus belle flotte que la France eût mise sur pied depuis 1703. Peu de temps après une horrible tempête éclata sur la flotte anglaise et la mit dans le danger le plus imminent. Un des vaisseaux fut jeté à la côte et la moitié de l'équipage périt dans les flots, onze autres furent démâtés, d'autres furent obligés de jeter leurs canons à la mer, et tous rentrèrent dans les ports de la Grande-Bretagne dans l'état le plus pitoyable.

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Malgrù lia disette qui régnait. en Canada, les hostilités n'avaient pas cessé durant l'hivûr, dont le froid fut d'une rigueur cstrôme. Dans le mois de janvier un détachemenl, sorti du fort William-' Henry, fut atteint vers Carillon et détruit. Dans le mois suivant le général Montcalm forma le projet do- détacher 850 hommes pour surprendre ce fort et l'emporter , par escalade. Le, gouver- neur crut devoir porter ce détachement à 1,500 hommeS) dont 800 Gaaadiens, 450 réguliers et 300 Indiertsy et en donna le commandement à M* de Ri'gnud, au grandi mécontentement de» olliciera des troupes et de Montcalm lui-même, qui aurait dédire le voir .conférer à M. de Bourlnmarque. Ge corps mit on marche le 23 février, traversa, les lac» Champlain et St.-Sacre- ment, fit 60 lieuea la raquette aux /pieds, portant ses vivres sur des traîneaux, couchant ati milieu idesi neiges sur des peanx d'ours, à l'abri d'une simple toile; Lq 18 marsilse trouvait près de William-Henry. Mais après avoii* reconnu la foi'co' la place, M. do Rigaud jugea impossible' de l'enlever d'un coup de raain et dut se borner à détruire tout ce qu'il y avait à l'extérieur des ouvrages. Ge qui fut èiéouté sous le feu des Anglais, mais avec peu de perte, daris les nuits du 18 au 2Ô. -350 bateaux, 4 brigantins de 10 k li> canons, et tous les moulins, magasins et maisons qui étaient paljssadésj devinrent; la pr<)ié des flammes^ La garnison environnée pourainsi tlire par uneimerdé feu pen- dant quatre jours, ne chercha à faire â\ieurtc sortie, ni à s'opposer aux dévastations des Français^ qui laissèrent debout quo le corps nu de la place. La retraite de ceux-ci fut marquée parùiY événemen s'est renouvelé à l'arméede Bonaparte en Egypte^ par une cciuse peu différente. La blancheur éblouissante do la neige frappa d*uhe espèce d'opthalmre le tiers du iiétachement> que l'on fut obligé de guider par la ï»ain le reste de la route; Mais deux jours après son arrrvée, les hommes avaient recouvré la vue à l'aide de remèdes faciles. •' 'j'-'J '''■■- '^ "" *'■■ f;-'!'-' ''i -!

Ges différens succès, et surtout la prise d'Oswégo dans la der- nière campagne, maintenaient toujours les tribus indiennes dans l'n liance de la France. La confédération iroquoise, malgré les efforts des Anglais, envoya pour la secondé fois une grande ambassade à Montréal, afin de renouveler ses protestation* d'amitié ; on la reçut en présence des députés ded Nipifseings,

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(les Algonquins, dGBPoutouatamisotUesGutaouàis. Cesdùmons-i Irations étaient importantes parce qu'elles tranquillissaient lea esprits sur les frontières, qui n'avaient jkis encore été sonsiblcf ment troublées depuis le commencement de la guerre, grâcdà l'énergie des habitans et des troupes. i , : f

*«■' Les secours en hommes que le gouverneur avait demandés de France, et que, par de nouvelles dépêches voyant les préparatifs des Anglais, il avait prié de porter à 5,000 bayonnettes, n'nrri^ vèrent en Câhàda qu'en petit nombre et fort tard. Le 11 juillet on n'avait encore l'eçu que 600 soldats et très peu de vivres. Il ne débarqua à Québec dans tout le cours de l'été qu'environ 1,500 hommes. Ces délais jetèrent des entraves dans les opé-r rations. Après avoir envoyé 400 hommes au secours du fort Duquesne, pour la sûreté duquel il avait quelque crainte, M. de Vaudreuil fit acheminer, dès que la saison le permit, des troupes pour garnir la frontière du lac Champlain. M. de Bourlamarquo y réunit 2^000 hommes à Carillon. Un bataillon fut stationné à St.^ean, un second à Chambly : deux autres gardaient Québec et Montréal. Les Canadiens étaient occupés aux travaux des champs. Sur ces entrefaites la houvelle du départ de lord Loudoun de New-York pour Louisbourg détermina les chefs à profiter de l'absence: d'une partie des forces de l'ennemi pour reprendre d'une manière plus sé"ieuse le projet sur William* Henry, dont la situation mettait toujours les Anglais à. tine petite journée de Carillon, leur donnait le commandement du lac St.r- Sacrement et les moyens de tomber sur nous à l'improviste. Pour se débarrasser d'un voisinage aussi dangereux, il fallait le.i rejeter sur l'Hudson ; ce que l'on décida d'exécuter sans délai, et sans attendre plus longtemps les renforts et les vivres demandés en Europe.! ■■ , ,'i'ii:.l(| ij .;..•; j.',; ..j--. :i

A l'appel du gouverneur les Canadiens fournirent des soldats et des provisions ; ils sentaieat eux-mêmes toute l'utilité de cette entreprise. Ils se dénantireàt des ipctites réserves qu'ils avaient jÊiites pour leurs familles, et se rédiiisitent à vivre de maïs et do légumes.^ " On ne trouverait obejî eux, écrivit le gouverneur à laéour,im farine^ ni lard; ils se sont exécutés avec autant de générosité que de zèle pour le service du roi." L'on travailla sans bruit aux préparatifs, et toute l'artillerie était rendue à

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Carillon à la fin de juillet. En très peu de temps l'armée desti- née à l'expédition fut réunie. Elle consistait en 3,000 réguliers, un peu plus de 3,000 Canadiens, et 16 à 18 cents Sauvages de 32 tribus différentes, en tout 7,600 hommes. Les succès des bandes qui tenaient la campagne, étaient d'un bon augure. Le lieutenant Marin avait fait des prisonniers et levé dos chevelures jusque sous le fort Edouard, dont il avait provoqué une sortie de 2,000 hommes, lligaud, avec un détachement de 400 hommes, avait rencontré sur le lac St.-Sacrement le colonel Parker qui le ùc"<cendait à la tôte de 22 berges et 350 à 400 Américains pour faire >me reconnaissance, il l'avait attaqué, lui avait pris ou coulé à fond 20 berges, tué ou noyé 160 hommes et enlevé un pareil nombre de prisonniers, dont 5 officiers. Après ces préludes, le général Montcalm donna le signal du départ.

L'avant-garde, composé de grenadiers, de trois brigades cana- diennes et de 600 Sauvages, formant 2,800 hommes, aux ordres du chevalier de Levis, prit la route de terre et remonta la rive droite du lac St.-Sacrement, pour protéger la marche et le débar- (juement du reste du corps expéditionnaire, qui suivait par eau avec le matériel du siège. Elle s'ébranla le 30 juillet.

Le 2 août au soir, le général Montcalm débarqua avec ses troupes sous la protection de l'avant-garde dans une petite baie, à une lieue de William-Henry, L'artillerie arriva le lendemain matin. Le chevalier de Levis s'avança sur le chemin du fort Edouard suivi par le reste de l'armée marchant sur trois colonnes par les montagnes, afin de reconnaître la position des ennemis et d'intercepter leurs secours ; mais la garnison, qui n'était que de 1500 hommes, avait reçu la veille un renfort de 1,200 soldats, qui la portait maintenant à 2,700 combattans. Les troupes f'inçaises défilèrent par-derrière la place, et, en l'investissant ainsi que le camp retranché placé sous ses murs et trop fort pour être abordé l'épée à la main, elles appuyèrent leur gauche au lac, à l'endroit est aujourd'hui Caldvvell et devait débarquer l'artillerie, et leur droite sur les hauteurs du côté du chemin du fort Edouard, sur lequel elles jetèrent des d/icouvreurs pour être instruites à temps des mouvemens du général Webb, qui était à cinq ou six lieues avec 4,000 hommes.

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Le colonel de Bourlamarque fut chargé delà direction du siège. Le colonel Monroe commandait le fort.

La tranchée fut ouverte le 4 à 8 heures du soir à "^50 toises, eous un feu de bombes et de boulets qui ne discontinua plus jusqu'au moment de la reddition, sauf quelques courts intervalles. Le lendemain, sur un rapport que le général Webb s'avançait avec 2,000 hommes, le chevalier de Levis eut ordre de marcher à sa rencontre, et Montcalm se préparait à le suivre pour le sou- tenir, lorsqu'il lui fut remis une lettre trouvée sur un courrier qui venait d'ôtre tué, par laquelle le général Webb mandait au colonel Monroe que, vu la situation du fort Edouard, il ne lui paraissait pas prudent de marcher à son secours, ni de lui envoyer de ren- fort 5 que les Français étaient au nombre de 13,000 ; qu'ils avaient une artillerie considérable, et qu'il lui envoyait ces ren- seignemens afin qu'il en pût profiter pour obtenir la meilleure capitulation possible, s'il n'était pas capable détenir jusqu'à l'arri- vée des secours demandés d'Albany. L'erreur du général Webb sur le nombre des assiégeans fit précipiter la reddition de la place. Le 6, au point du jour, la batterie de gauche de 8 pièces de canon et un mortier fut démasquée et ouvrit son feu. Celui des assié- gés était toujours très vif. Le lendemain une nouvelle batterie commença à tirer. Le général français fit suspendre alors la canonnade, et chargea un de ses aides-de-camp, le jeune Bou- gainville, devenu célèbre depuis par son voyage autour du monde, d'aller porter au colonel Monroe la lettre du général Webb. Le commandant anglais répondit qu'il était résolu de se défendre jusqu'à la dernière extrémité. A neuf heures le feu recom- mença aux acclamations des Indiens, qui poussaient de grands cris lorsque les projectiles frappaient les murailles des assiégés. Vers le soir ceux-ci voulurent faire une sortie avec 500 hommes pour s'ouvrir une communication avec le fort Edouard ; mais M. de Villiers marcha à eux avec la compagnie franche et les Sauvages et les repoussa, après leur avoir tué une cinquantaine d'hommes et enlevé quelques prisonniers. Une troisième batterie fut com- mencée le 8 ; on y travaillait encore lorsque dans l'après-midi l'on vit briller des armes sur le haut d'une montagne voisine, en même temps que l'on observa des troupes se disposer en bataille et beaucoup de mouvoment dans le camp retranché du fort. Le

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rappel fut aussitôt battu ; mais après quelques coups do fusil, les soldats de la montagne rcntrùrctit dans lo bois et disparurent, et le 9 au malin la place arbora le drapeau blanc et demanda à capi- tuler. Les conAn-ences ne furent pas longues. Il fut convenu que la garnison du fort et du camp au nombre de 2,372 hommes, sortirait avec les honneurs de la guerre, et se retirerait dans sou pays avec armes et bagages et une pièce de canon ; qu'elle no servirait pondant dix-huit mois ni contre les Français ni contre leurs alliés, et que les Français et les Sauvages retonus prison- niers dans les colonies anglaises, seraient renvoyés à Carillon dans les quatre mois. Le défaut de vivres empêcha d'insister pour que la garnison restât prisonnière de guerre.

On trouva dans le fort William-Henry 42 bouches à feu, une immense quantité de munitions de guerre, des vivres pour nourrir l'armée six semaines, et dans la rade plusieurs petits bâtimens. La perte des Français fut de cinquante et quelques hommes, celle des assiégés d'environ 200.

La capitulation fut accompagnée, comme celle d'Osvvégo, d'un événement toujours regrettable, mais qu'il était presqu'impossiblo de prévenir complètement du moins aux yeux de ceux qui con- naissent quelles étaient les mœurs indépendantes des Sauvages. Les Anglais, du reste, furent eux-mêmes en partie la cause de ce qui leur arriva, ayant négligé, comme M. de Bougainville, d'après les ordi'es de son général, les en avait priés, de jeter leurs bois- sons pour empêcher les Indiens de s'enivrer lorsqu'ils entreraient dans la place.

La garnison devait se retirer au fort Edouard. Le chevalier de Levis la fit partir le lendemain matin escortée par un détache- ment de troupes réglées, et accompagnée de tous les interprètes des guerriers indiens. Elle n'eut pas fait une demi-lieue que les Sauvages, mécontens de la capitulation qui les avait privés du pillage comme l'année précédente, et excités par les Abénaquis qui en voulaient aux Anglais, prirent par les bois, tombèrent sur les prisonniers à l'improviste, en tuèrent quelques-uns, en dépouil- lèrent un grand nombre et emmenèrent le reste avec eux. L'escorte fit tout ce qu'elle put pour arrêter ces barbares, et eut même des soldats tués et blessés. Aussitôt qu'il fut informé de ce qui se passait, le général Montcalm accourut avec presque

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tous les officiers. Il arracha des miln« des Sauvages tous les Anglais qu'ils retenaient encore et fil rentrer dans le fort ceux qui s'étaient échappés, et qui ne pouvaient gagner leur destina- tion sans péril. Environ 600 de ces soldats dispersés dans les bois, continuèrent h arriver pendant plusieurs jours au fort Edouard, nus, sans armes, épuisés de faim et de fatigues. Les Sauvages en emmenèrent 200 à Montréal, que le gouverneur retira de leurs mains en payant ])our eux de fortes rançons ; r)00 étaient rentrés dans le fort William-Henry. Le général Mont- calm fit donner des habits à ceux qui avaient été dépouillés, et les renvoya dans leur pays sous la prolectiou d'une puissante escorte, après avoir témoigné tout son re!i;ret do ce qui venait d'avoir lieu. Ces malheureux désordres dont nous venons de retracer le tableau exact, laissèrent un vif ressentiment dans le oœur des Anglais. Mais les prisonniers cux-mômes ont rendu cette justice à leurs vainqueurs, qu'ils avaient fait tout ce que l'on pouvait attendre d'eux pour arrêter le mal, et qu'ila avaient réussi à empêcher de bien plus grands malheurs.

Le fort William-Henry fut rasé ainsi que le camp retranché, et le 16 août l'armée se rembarqua sur 250 berges pour Carillon. Sans la nécessité de renvoyer les Sauvages dans leurs tribus et les Canadiens chez eux pour faire la moisson, on eut pu inquiéter le fort Edouard. Les Américains cux-mC'mes étaient si persuadés que c'était le dessein des Français, que toutes leurs milices, infanterie, cavalerie et artillerie, avaient été mises en réquisition jusqu'au fond du Massachusetts, et que les habitans à l'ouest de la rivière Connecticut, avaient eu ordre de briser leurs voitures à roues et de faire rentrer leurs bestiaux. Il est inconcevable dit Hutchinson, que quatre ou cinq mille hommes aient pu causer tant d'alarmes. Cette crainte toutefois n'était pas sans fondement, car les instructions du gouverneur àMontcalm portaient qu'après la prise de William-Henry, il irait attaquer le fort Edouard ; mais la crainte de manquer de vivres, la nécessité de renvoyer les Canadiens pour faire les récoltes et les dilTicultés de réduire cette place, défendue par une garnison nombreuse et à portée de rece- voir de prompts secours, avaient empoché ce général de s'y con- former, résolution qui fut plus tard la cause de difficultés fort graves entre lui et M. de Vaudreuil. Au reste, la question des

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subsistances étant la plus importante pour le Canada, la disette allait toujours en augmentant, le trophée le plus agréable de la nouvelle conquête fut 3,000 quarts de farine et de lard qu'on apporta en triomphe à Carillon, et qui furent prisés à Montréal et à Québec à l'égal d'une grande victoire.

Après cette campagne l'armée se retira dans ses lignes jusque dans l'automne, qu'elle alla prendre ses quartiers d'hiver dans l'intérieur du pays.

La récolte y avait entièrement manqué. II y avait des paroisses qui avaient à peine recueilli de quoi faire les semailles. Les blés qui avaient la plus belle apparence sur pied, ne rendirent aucun aliment à cause de la grande quantité de pluie qui était tombée dans le milieu de l'été. L'on craignit dans l'automne que le peuple ne manquât totalement de pain dès le mois de jan- vier. Par précaution l'on mit deux cents quarts de farine en réserve pour la nourriture des malades dans les hôpitaux jusqu'au mois de mai. Les maisons religieuses furent réduites à une demi-livre de pain par tête par jour, et il fut proposé de fournir aux habitans des villes une livre de bœuf, de cheval ou de morue en outre du quarteron de pain qu'on leur distribuait et qui fut jugé insuffisant. 12 à 1,500 chevaux furent achetés par l'intendant pour la nourriture. Faute d'alimens pour les troupes, on les répandit dans les campagnes chez les habitans, que l'on supposait encore les mieux pourvus dans la disette générale. On ne garda dans les villes que ce qu'il fallait pour leur garnison. A la fin de septembre le chevalier de Levis ayant reçu ordre de reluire la ration des soldats, fut informé qu'ils murmuraient ; il fit rassembler les grenadiers et les réprimanda sévèrement sur l'insubordination qui se manifestait parmi les troupes, insubordi- nation qui était excitée, à ce qu'il paraît, par les habitans et par les soldats de la colonie eux-mêmes. Il leur dit que le roi les avait envoyés pour défendre cette contrée non seulement par les armes, mais encore en supportant toutes les privations que les circonstances demanderaient ; qu'il fallait se regarder comme dans une ville assiégée privée de tout secours, que c'étaient aux grenadiers à donner l'exeraole, et qu'il ferait punir toute marque de désobéissance avec la plus grande sévérité. Les murmures cessèrent pendant quelque temps. Dans le mois

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de décembre la ration ayant été de nouveau réduite et les soldats obligés de manger du cheval, la garnison de Montréal refusa d'eu recevoir. M. do Levis les fit réunir et les harangua de nouveau. Il leur ordonna de se conformer aux ordres qu'on leur donnait et leur dit que si après la distribution ils avaient quelque repré- sentation à lui faire, il les écouterait volontiers. Après avoir reçu leurs rations, ils motivèrent leurs plaintes avec leur franchise habituelle, disant pour conclusion que la chair de cheval formait une mauvaise nourriture, que toutes les privations retombaient sur eux, que les habitans ne se privaient de rien, et qu'ils ne pen- saient pas que la disette fût aussi grande dans le pays qu'on le disait.

M. de Levis répondit à tous leurs griefs. Il observa, qu'ils avaient été mal informés de l'état de la colonie ; qu'il y avait long-temps que le peuple à Québec, ne mangeait pas de pain ; que tous les officiers de Québec et de Montréal n'en avaient qu'un quarteron par jour ; qu'il y avait 2,000 Acadiens qui n'avaient pour toute nourriture que de la morue et du cheval ; et qu'ils n'ignoraient pas que les troupes avaient mangé de ce dernier ali- ment au siège de Prague. Il termina en les assurant que les généraux faisaient tout ce qu'ils pouvaient pour leur procurer le plus de bien-être possible. Ce discours parut satisfaire les mutins, qui se retirèrent dans leurs casernes et ne firent plus de repré- sentations.

Au commencement d'avril, l'on fut obligé de réduire encore la ration des habitans de Québec et de la fixer à 2 onces de pain et à 8 onces de lard ou de morue. On voyait des hommes tom- ber de faiblesse dans les rues faute de nourriture.

Tandis que le pays était ainsi en proie à une disette que sem- blait aggraver encore l'incertitude de l'avenir, les chefs étaient toujours divisés par des dissentions et des jalousies malheureuses. Un antagonisme sourd existait entre les Canadiens et les Français, provenant en partie de la supériorité que l'homme de la métropole s'arroge sur l'homme de la colonie. Ce mal n'était pas propre seulement au Canada. Les annales des provinces anglaises de cette époque sont remplies des mômes querelles occasionnées par la môme cause. Le général Montcalm se plai- gnait avec amertume que l'on cherchait à le déprécier et à lui

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faire perdre de sa considération, et que le gouverneur n'était occupé que du soin de diminuer la part que les troupes de terre et lui- môme avaient au succès. Chaque année, chaque victoire sem- blait accroître son mécontentement. Une inquiétude jalouse, v.ne ambition mal satisfaite tenaient son âme sans cesse ouverte à toutes les interprétations de la malveillance. Les efforts qu'il faisait pour flatter le soldat et captiver la popularité des Cana- diens, au milieu desquels il prenait l'air " d'un tribun du peuple," comme il le disait lui-même, tandis qu'il les dépréciait dans ses dépêches, nous portent à croire qu'il nourrissait d'autres vues que celles de faire reconnaître ce que le pays devait à ses talens et au courage de ses troupes, car les dépêches du gouver- îieur rendaient à cet égard pleine justice au général et aux sol- dats. Mais Montcalni qui désirait le supplanter et ses partisans, cachaient soigneusement leur dessein, se bornant pour le moiiiL'nt à lui faire perdre, par leurs propos et leurs allusions, la confiance du soldat, des habitans et des Indiens eux-mêmes, à tous lesquels il eut certainement été cher, s'ils avaient pu pénétrer les senti- mens qui animaient son âme, et que l'on trouve partout exprimés dans sa correspondance olFicielle, sentimens qui éta-ent d'autant plus vrais, que cette correspondance ne devait pas être connue de ceux dont elle glorifiait les services.

Cependant les ministres à Paris furent forcés de s'occuper un peu des moyens de soulager les maux que l'on souffrais en Canada, car ils savaient que le cabinet de Londres avait ordonné dans l'hiver un accroissement de préparatifs beaucoup plus formidables encore que tous ceux des années précédentes. Mais la faiblesse du trouvernement ne permit poiit d''organiser de secours capables d'y faire face et d'assurer le succès pour le présent et pour l'ave- nir. Les dépenses de la colonie pour 57 avaient de beaucoup dépassé les exercices accordés ; les lettres de change tirées sur le trésor avaient monté à 12 millions SiO mille francs. La rumeur publique signalait des abus, des dilapidations considé- ral)lcs ; mais le silence des cliefs et des autres officiers civils et militaires, les préoccupations du ministère, la vivacité de la guerre ne permettaient point de faire faire une investigation pour le pré- sent. L'on se borna à des rccornman lations d"éconcr>ie et de retranclicmcnt auxquelles les besoins croissans de la guerre no

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permellaient ^jas de se conformer. On avait prié avec instance d'envoyer des vivres. Le nouveau ministre, M. de Moras, expédia 16,000 quintaux de farine et 12 tonneaux de blé, indé- pendamment des approvisionnemens que le munitionnaire Cadet uvait demandés, savoir: 66,000 >juintaux de farine. L'ordre fut transmis en même temps de tirer des vivres de l'Ohio, des Illi- nois et de la Louisiane. Léo secours de France n'arrivèrent que fort tard malgré leur départ hâtif, et en petite quantité, la plu- part des navires qui les portaient ayant été enlevés en mer par les ennemis et les corsaires. Ils ne commencèrent à paraître que vers la fin de mai. Ce retard avait très inciuiété M. de Vaudreuil, qui, appréhendant quehpie malheur, avait successive- ment expédié trois bâtimens -"n France depuis l'ouverture de la navigation pour presser l'envoi. Le 16 juin il n'y avait encore d'arrivés qu'une frégate et une vingtaine de navires avec 12,000 quarts de farine.

Quant aux secours en troupes on ne devait pas en attendre. Il n'avait pas été possible d'en faire passer en Canada. Malgré la bonne volonté du gouvernement, le maréchal de Belle-Isle, qui prit à cette épociue le portefeuille de la guerre, ne put y envoyer que quelques mauvaises recrues pour compléter les bataillons à 40 hommes par compagnie, et encore n'en arriva-t-il que trois ou quatre cents dans tout le cours de l'été. La Franco avait éprouvé des vicissitudes dans la campagne de 57. Alter- nativement victorieuse et vaincue en Europe, elle avait été heu- reuse en Amérique et malheureuse 'ans les Indes orientales. Les ellbrts qu'elle avait faits pour obtenir la supériorité sur terre et sur mer, dirigés par l'esprit capricieux de madame de Pompadour, qui, à tout moment, changeait les généraux et les ministres sans égard à leurs talens ni à leurs succès, avaient épuisé ses forces en détruisant leur harmonie et leur unité. Il fallut se résigner, pour la campagne suivante, à laisser prendre aux Anglais dans le Nouveau-Monde une supériorité numérique double de celle qu'elle avait déjà depuis le commencement <le 'a guerre. Le 1 mai 1758, il n'y avait toujours en Canada que huit bataillons de troupes de ligne formant seulement 3,781 hommes, qui avaient été encore obligés de se recruter dans le pays pour remplir leurs vides. Les troupes de la marine et des colonies, maintenues de la môme

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manière à îeur cUiirre de l'année précédente, comptaient 2,000 hommes, en tout moins de 6,000 réguliers pour défendre 500 Ueues de frontière. Il était évident que les Canadiens devaient former la majorité d'une armée capable de s'opposer avec quel- que chance de succès aux forces accablantes de l'ennemi.

D'un autre côté, les échecs des Anglais en Amérique, compen- sés par leurs victoires dans les Indes, ne firent que les exciter à de plus grands efforts pour écraser par la force seule du nombre les défenseurs du Canada. Cela paraissait d'autant plus facile que leurs finances étaient dans l'état le plus florissant, et que leur supériorité sur l'océan n'était plus contestée. La prise d'Oswégo et de William-Henry en assurant la suprématie des lacs Ontario et St.-Sacrement aux Français, avait rendu la situation de leurs adversaires dans ce continent moins bonne après quatre années de lutte qu'elle était en ^3. Mais le génie de lord Chathan, devenu enfin maître des conseils de la Grande-Bretagne, allait trancher la question de rivalité entre les deux peuples dans le Nouveau-Monde. Il voulait que sa patrie y dominât seule, ne prévoyant point sans doute les grands événemens de 1775, et proposa des mesures qui devaient finir par la destruction de la iuiissance française sur cette portion du globe. Il augmenta rapidement les armées de terre et de mer, et remplaça lord. Loudoun par le général Abercromby à la tête de l'armée améri- caine. Il lui envoya un nouveau renfort de 12,000 hommes de troupes réglées sous les ordres du général Amherst, et invita toutes les colonies à armer des corps aussi nombreux que la popu- lafion pourrait le permettre. En peu de temps le nouveau géné- ral-en-chef se trouva à la tète de 50,000 hommes dont 22,000 réguliers, outre des milices nombreuses non comprises dans ce chiffre, et qui portèrent, dit-on, les conibattans dans les provinces anglaises à plus de 80,000 hommes. C'était, certes, rendre un hommage éclatant à la bravoure française, et reconnaître la déter- mination invincible des défenseurs du Canada, dont ces forces immenses dépassaient de beaucoup le chiffre de la popula 'on entière, hommes, femmes et enfans.

C'est avec cette disproportion de forces que les deux parties belligérantes allaient commencer la campagne de 1758.

CHAPITRE III.

.1:

BATAILLE DE CARILLON.

1758.

Le Canada abandonné de la France, résout de combattre jusqu'à la dernière extrémité. Plan de campagne de l'Angleterre: elle se propose d'at+aqucr simultanément Louisbourg, Carillon et le fort Duquesne. Prise de Louis- bourg après un siège mémorable, et invasion de l'île St.-Jean; les vain» queurs ravagent les établissemens de Gaspé et de Mont-Louis. Mesures défensives du Canada. Marche du général Abercromby avec une armée de 16,000 hommes sur Carillon défendu par moins de 3,500 Français. Bataille de Carillon livrée le 8 juillet. Défaite d* Abercromby et sa fuite précipitée. Le colonel Bradstreet surprend et brûle le fort Frontenac. Le général Forbes s'avance contre le fort Duquesne. Défaite du major Grant. Les Français brûlent le fort Duquesne et se retirent. Vicissitudes de la guerre dans toutes les parties du monde. Changement de ministres en France. Brouille entre le général Montcalm et le gouverneur. Observations des ministres sur les dilapidations du Canada et reproches sévères à l'intendant Bigot. Intrigues pour faire rappeler M. de Vau- dreuil et nommer Montcalm gouverneur. Les ministres décident de faire rentrer ce dernier en France ; le roi s'y oppose. Dépêches conciliatrices envoyées avec des récompenses et de ^vanceraens. On n'expédie point de renforts. Défection des nations in nnes, qui embrassent la cause de l'Angleterre par le traité de Eastou. Cette dernière puissance décide d'attaquer Québec avec trois armées qui se réuniront sous les murs da cette capitale. Forces du Canada et moyens défensifs adoptés pour résis- ter à cette triple invasion.

Les efforts et la persévérance de la Grande-Bretagne pour s'em- parer du Canada, durent faire croire qu'elle allait l'envahir cette a"-ée par tous les côtés à la fois, et tâcher de terminer la guerre d'un seul coup par une attaque générale, irrésistible ; qu'elle voulait enfin laver, par une conquête entière, la honte de toutes ses défaites passées. Aussi la France perdait-elle tous les jours l'es- poir de conserver cette belle contrée, et c'est ce qui l'empêcha sans doute de lui envoyer les secours dont elle avaitun si pressant besoin. Mais ses défenseurs, laissés à eux-mêmes, ne fléchirent pas encore devant l'orage qui augmentait chaque année de fureur. « Nous combattrons, écrivait Montcalm au ministre, nous nous ensevelirons, s'il le faut, sous les ruines de la colonie." Il faut

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ajoutait-on encore, que tous les hommes agiles marchent au com- bat ; que les officiers civils, les prêtres, les moines, les femmes, les enfans, les vieillards fassent les travaux des champs, et que les femmes des chefs et des officiers donnent l'exemple. Telle était la détermination des habitans et des soldats pour la défense commune.

De son côté l'Angleterre avec ses forces nombreuses, que par cela même elle était obligée de diviser, décida d'attaquer simul- tanément Louisbourg au Cap-Breton, Carillon sur le lac Cham- plain et la route de Montréal qu'elle assiégerait ensuite, et le fort Duquesne sur l'Ohio. 14,000 hommes et une escadre considé- rable furent chargés de la première entreprise ; 16 à 18 mille hommes, de l'envahissement du Canada par le lac St.-Sacrement, et enfin 9,000 hommes de la conquête de l'Ohio. On était loin ie croire à Québec à des armemens aussi formidables, et le pays ne fut sauvé que par la victoire de Carillon, où, comme à Créci, les vainqueurs durent repousser une armée cinq fois plus nom- breuse que la leur.

Dans le printemps les troupes françaises après quelque délai causé par le défaut de vivres, allèrent reprendre leurs positions sur les frontières avec l'ordre de tenir constamment des partis en campagne, pour inquiéter l'ennemi, l'obliger à diviser ses for- ces et découvrir autant que possible quels étaient ses desseins. 3,000 hommes se rassemblèrent ainsi dans le voisinage de Carillon, et à peu près un pareil nombre sur le lac Ontario et au fort Nia- gara. Ces mesures prises, l'on attendit les événemens pendant que les habitans jetaient sur leurs guérêts le peu de semence qu'ils avaient pu dérober à la faim.

Dans le même temps les Anglais se mettaient partout en mou- vement. C'est contre Louisbourg qu'ils portèrent leur premier coup.

L'amiral Boscawen fit voile d'Halifax, le 28 mai, à la tête d'une escadre de 20 vaisseaux de ligne, 18 frégates et un grand nombre de transports portant l'armée de débarquement, sous les ordres du général Amherst, avec un train considérable d'artillerie, et arriva le 2 juin devant cette forteresse. Louisbourg, outre 5 vaisseaux de ligne et 5 frégates ancrés dans son port, avait une garnison de 2,100 hommes de troupes régulières et de 600 miliciens pour

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résister à des forces de terre et de mer formant réunies plus de 30,000 hommes. Le gouverneur, M. de Drucourt, qui avait remplacé le comte de Raymond au commencement des hostilités, résolut de faire la défense la plus énergique, et s'il n'était pas secouru, la plus longue que l'on pût attendre de l'état de la place et du nombre de ses défenseurs.

Les fortifications de Louisbourg tombaient partout en ruine faute d'argent pour les réparer. Les revêtemens de la plupart des courtines étaient entièrement écroulés, et il n'y avait qu'une casemate et une poudrière à l'abri des bombes. La principale force de la ville consistait dans les difficultés du débarquement et dans le barrage du port. Ce qui restait debout des murailles était d'une construction si défectueuse, à cause du sable de la mer dont on avait été obligé de se servir pour les bâtir, et qui n'est point propre à la maçonnerie, que l'on devait craindre l'effet du boulet sur des ouvrages d'une liaison si fragile. Le gouverneur jugea donc à propos de s'opposer nu débarquement, plutôt que d'attendre l'ennemi derrière ces ruines. Il fortifia tous les endroits faibles de la côte aux environs de Louisbourg jusqu'à la baie de Gabarus, qui en est éloignée d'une demi-lieue, et la flotte anglaise avait jeté l'ancre. L'anse au Cormoran était l'endroit le plus faible de cette ligne. Il la fit étayer d'un bon parapet fortifié par des canons dont le feu se soutenait et par des pierriers d'un gros calibre. En avant il fit faire un abattis d'arbres si serré qu'on aurait eu bien de la peine à y passer, quand même il n'au- rait pas été défendu. Cette espèce de palissade, qui cachait tous les préparatifs de défei.se, ne paraissait dans l'éloignement qu'une plaine ondoyante.* On avait placé aussi une chaîne de bateaux le long du rivage depuis le Cap-Noir jusqu'au Cap-Blanc, des troupes irrégulières dans toute cette étendue et des batteries dans tous les lieux la descente était praticable.

En présence de ces obstacles, le débarquement était une opé- ration difficile et remplie de dangers. Mais comme l'ennemi ne pouvait avoii que des soupçons sur ceux de l'anse au Cor- moran, ce fut dans cet endroit-là même qu'il entreprit de mettre pied à terre le 8 juin. Pour tromper la vigilance des Français, il prolongea la ligne de ses vaisseaux de manière à envelopper et

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menacer toute la côte, et feignant de débarquer à Laurembec et sur plusieurs autres points du littoral, il ï^ejcta tout-à-coup à terre, en trois divisions, dans l'anse au Cormoran^ tandis que le général Wolfe faisait gravir un peu plus loin un rocher jugé jusqu'alors inaccessible par une centaine d'hommes, qui s'y maintinrent mal- gré le feu de quelques habitans et de quelques Sauvages accourus pour les attaquer.

Le gouverneur, ne laissant que 300 hommes dans la ville, était sorti avec le reste de la garnison. 2,000 soldats et quelques Indiens garnissaient les retranchemens de l'anse au Cormoran, sur lesquels les troupes comptaient beaucoup plus que sur la place. Les assaillans qui ne voyaient point le piège dans lequel ils allaient tomber, continuaient à descendre à terre. La colonie aurait été sauvée si on leur eût laissé le temps d'achever leur débarque- ment et de s'avancer avec la confiance de ne trouver que peu d'obstacles à forcer. Alors, accablés tout-à-coup par le feu de l'artillerie et de la mousqueterie, ils eussent infailliblement péri sur le rivage ou dans les flots, dans la précipitation du rembar- quement, car la mer était dans cet instant fort agitée. Mais l'impétuosité française, dit Raynal, fit échouer toutes les précau- tions de la prudence. A peine les Anglais avaient-ils débarqué une partie de leurs soldats et se préparaient-ils à faire approcher l'autre du rivage, qu'on se hâta de découvrir le piège ils allaient se jeter. Au feu brusque et précipité qu'on fit sur leurs cha- loupes, et plus encore à l'empressement qu'on eût de déranger les branches d'arbres qui masquaient les forces qu'on avait tant d'in- térêt à cacher, ils devinèrent le péril et l'évitèrent. Revenant sur leurs pas, ils ne virent plus d'autre endroit pour descendre que le rocher le général Wolfe avait envoyé les cent hommes. Ce général occupé du soin de faire rembarquer les troupes et d'éloigner les bateaux, ordonna à un officier de s'y rendre.

Le major Scott s'y porte aussitôt avec les soldats qu'il com- mande. Sa chaloupe s'étant enfoncée dans le moment qu'il mettait pied à terre, il grimpe sur les rochers tout seul. Il ne trouve plus que dix hommes des cent qui y avaient été envoyés. Avec ce petit nombre, il ne laisse pas de gagner les hauteurs. A la faveur d'un taillis épais il se maintient avec un cou. âge héroïque dans ce poste important contre un parti de Français et

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un

de Sauvagee sept fois plus nombreux. Les troupes anglaises bravant le courroux de la mer et le feu des batteries françaises qui se dirigent maintenant sur ce rocher, achèvent de le rendre maître du seul point qui pouvait assurer leur descente. La posi- tion des Français sur le rivage dès lors ne fut plus tenable. Ils furent tournés, débordés par les ennemis qui les prirent en flanc et enlevèrent une de leurs batteries. Dans le môme instant le bruit courut que le général Whitmore était débarqué au Cap- Blanc et q)i'il allait couper de la ville les 2,000 soldats de l'onse au Cormoran. L'on trembla pour Louisbourg, l'on s'empressa de rentrer, après avoir perdu deux cents tués ou prisonniers dans cette journée funeste, qui décida du sort du Cap-Breton.

Les Français n'eurent plus rien à faire alors qu'à se renfermer dans la ville avec peu d'espérance de pouvoir s'y défendre long- temps ; mais ils pensaient que plus ils feraient de résistance plus ils retarderaient l'attaque que les ennemis projetaient de faire contre le Canada,* et ils refusèrent la permission que demandait le commandant des cinq vaisseaux qu'il y avait dans le port do se retirer.

Les Anglais ne perdirent pas un moment de délai. Le 12 juin le général Wolfe, à la tète de 2,000 hommes, prit possession de la batterie du Phare, de la batterie royale et des autres postes extérieurs abandonnés par les assiégés. La batterie du Phare était importante en ce qu'elle commandait le port, les fortifica- tions de la ville et la batterie de l'île située en face. Les travaux du siège commencèrent aussitôt. La défense fut soutenue avec autant de courage que l'attaque fut conduite avec résolution. Sept mille hommes au plus, en y comptant les matelots des vais- seaux de guerre et le régiment de Cambis qui, débarqué au port Dauphin, pénétra dans la ville pendant le siège, luttèrent contre les forces quadruples de l'ennemi pendant deux mois avec une opiniâtreté et une patience admirable.

Les assiégeans avaient porté leiirs lignes à 300 toises des murailles, favorisés par le terrain qui ofirait des protections natu- relles à leurs batteries. Ils poussèrent leurs travaux avec la plus grande activité, et firent échouer toutes les sorties que tentèrent les Français non moins alertes qu'eux. Le 19 la batterie du Lettre de M. de Drucourt au ministre, du 23 sept. 1758.

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Phare, placée sur une hauteur que les nasiégtd pouvaient à peine atteindre, commença à tirer. Des deux côtés le feu était extrê- mement vif, mais les Français furent obligés de rapprocher leurs vaisseaux de 600 verges île la ville pour les soustraire aux pro- jectiles de l'ennemi, qui commençait aussi alors à bombarder la muraille du côté opposé à la batterie du Phare. Trois nouvelles batteries furent successivement établies et un épaulcment d'un quart de mille de longueur fut élevé pour faciliter les approches de la ville par une raitre colline qui la commandait. Le 29 juin, les assiégés craignant que la flotte anglaise ne s'emparât du port, coulèrent deux de leurs vaisseaux et deux frégates dans la partie la )' étroite de son entrée. Deux jours après ils y coulèrent enc .o deux frégates dont les mâts restèrent hors de l'eau. Ils continuaient en môme temps à faire des Mjrties et un feu très vif de tous les remparts. La femme du gouverneur, madame de Drucourt, s'est acquise un nom immortel pendant ce siège par son héroïsme. Pour encourager les soldats, elle parcourait les remparts au milieu du feu, tirait elle-même tous les jours plu- sieurs^ coups de canon, donnait des récompenses aux artilleurs les plus adroits. Elle pansait les blessés, relevait leur courage par des paroles bienveillantes, et se rendait aussi chère au soldat par son courage que par les vertus plus douces qui appartiennent à son sexe.

Cependant les murailles s'écroulaient de toutes parts sous le feu des batteries des Anglais, qui faisaient d'autant plus d'eflbrts que leurs adversaires mettaient de vigueur à se défondre. Ceux-ci pouvaient à peine sullire à boucher les plus grandes brèches, lorsque le 21 juillet un boulet mit le feu à l'un des cinq vaisseaux de guerre qui restaient à flot. C'était un 74 ; il sauta et en incendia deux autres qui étaient près de lui et qui furent consu- més. Les deux derniers échappèrent ce jour-là aux plus grands périls, étant obligés de passer entre les batteries ennemies et le canon des vaisseaux embrasés que le feu faisait partir, mais ce fut pour tomber quelque temps après entre les mains des assiégeans, (jui entrèrent dans le port pendant une nuit fort obscure, les sur- prirent, en brûlèrent un et emmenèrent l'autre.

Après ce dernier coup, les Français durent songer à abandon- ner la lutte. Le port était partout ouvert et sans défense ; on n'y

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voyait plus que dos débris de vaisseaux. Les fortifications nY'taicnt plus tenablcs ; toutes les batteries des remparts étaient rasùes ; il res- tait à peine une douzaine de pièces de canon sur leurs affïïls, et la bruche était praticable en beaucoup d'endroits, tellement que les femmes, après le siège, entraient par ces brèches dans la ville. 1,500 hommes ou le tiers de la garnison avaient été tués ou blessés. L'on s'attendait d'une heure à l'autre à voir les enne- mis monter à l'assaut. Les habitans, qui en redoutaient les suites, pressèrent le gouverneur à capituler. Celui-ci n'espérant plus de secours dut, le 26 juillet, accepter les conditions du vainqueur. Louisbourg qui n'était plus qu'un monceau de ruines, retomba ainsi avec les îles du Cap-Breton et St.-Jean pour la seconde fois au pouvoir de l'Angleterre. La garnison, formant avec les mate- lots 5,600 hommes, resta prisonnière de guerre et les habitant furent transportés en France.

Cette conquête qui coûta aux Anglais 400 hommes mis hors de combat, excita des réjouissances extraordinaires dans la Grande- Bretagne et dans ses colonies. A Londres l'on porta les trophées de la victoire en triomphe du palais de Kensington à l'église St.- Paul ; l'on rendit des actions de grâces dans toutes les églises avec un enthousiasme excité moins pour célébrer une conquête que pour faire oublier la perte de la bataille de Carillon, dont l'on venait de recevoir la nouvelle, mais qui ne fut rendue publique qu'après celle de la prise de Louisbourg, car cette ville n'était après tout qu'une misérable bicoque.*

Après cet exploit, la flotte anglaise alla se mettre en possession de l'île St.-Jean, et détruire les établissemens de Gaspé et de Mont-Louis, formés dans le golfe St.-Laurent par des Acadiens et de pauvres pêcheurs qu'elle emmena. Elle fit aussi une ten- tative contre Miramichi, puis se retira vers la mi-octobre. Dans le même temps d'autres Anglais construisaient de petits forts, comme pour s'y établir à demeure, dans la partie septentrionale

" Louisbourg is a Utile place and has but one casemetit in it, hardly big enougli to hold the women. Our artillery made a havock amongthem (the garrisoii) and soon opeued the rempart : in two days more \ve should cer- tainly hâve carricd it. If this force had been properly managed, there was an end of th'î french colony in North America, in one campaign, for \ve havc, exclusive of scamen and mariners, near to forty thoi'sand men in anus." Lettre du général Wolfe à son oncle lemajor Wolje, 27 juillet 1758.

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de la baie de Fondy. La destruction de Louiabourg et la perte du Cap-Breton laissèrent le Canada sans défense du côté de la mer, et ouvrirent le chen\in de Québec aux ennemis pour l'année suivante.

Mais tandis que le général Amherst et l'amiral Boscawen cueil- laient des lauriers dans l'île du Cap-Breton sur le bord de la mer, le général Abercromby, tapi au fond du lac St.-Sacrement, sur la frontière centrale du Canada, dévorait dans l'immobilité et le silence la honte de la cruelle défaite qu'il venait d'essuyer.

Ce général qui s'était réservé pour lui-môme le commandement de l'armée qui devait agir sur le lac Champlain, parce que c'était, dans le plan de campagne, la principale opération, avait réuni ses forcen, composées de 7,000 hommes de troupes réglées et de 9,000 hommes de troupes provinciales, dans les environs du lac St.-Sacrement, le colonel Johnson vint le joindre avec quatre ou cinq cents Sauvages. Cette armée qui avait pour mission de franchir tous les obstacles qu'offrait la route de Montréal, faisait ses prépara'.lfs pour attaquer les lignes françaises. M. de Vaudreuil no doutait point qu'avec les forces considérables de l'ennemi Carillon ne fût attaqué môme après le départ du général Amherst pour Louidbourg. N'ayant pas encore reçu de vivres de France, il cr.it (;ue le meilleur moyen de défendre cette frontière, c'était de faire une diversion. C'est pourquoi il persistait dans le plan qu'il avait formé de jeter un gros corps sur la rive méridionale du lac Ontario, lo pour faire prononcer définitivement les Iroquois contre l'Angleterre, 2o pour empêcher le rétablissement d'Os- vvégo, 3o entin pour faire une irruption vers Schenectady et obliger l'ennemi à se retirer du lac Champlain. Cette démonstration, à la fois politique et militaire, était une opération fort délicate. 800 soldats et 2,200 Canadiens et Sauvages des tribus de l'Ouest furent donnés au chevalier de Levis pour l'accomplir; mais au moment il allait se mettre en chemin, des nouvelles de M. de Bourlamarque, qui commandait sur la frontière du lac St.-Sacre- ratnt, apprirent que le général Abercromby, avec une armée nom- breuse et déjà rendue au fort Edouard, était sur le point d'envahir le Canada. Le départ du chevalier de Levis fut aussitôt contre- mandé, et le général Montcalm, après quelques démêlés avec le gouverneur au sujet de ses instruction^, partit de Montréal avec

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M. (le Pont-Leroy, ingénieur en chef, le 24 juin pour aller se mettre à la tôte des troupes à Carillon, il arriva le 30. Trois mille soldats s'y trouvaient rassemblés. Il parut surpris que les Anglais fussent déjà prêts à descendre le lac St.-Sacrement, quoique depuis le printemps il appelât lui-môme l'attention sur le fort Edouard, et pressât d'envoyer des renforts à M. de Bourla- marque pour faire face à tous les événemens. Il manda sans délai ce qui se passait au gouverneur, qui fit hâter la marche des secours qu'il envoyait et qui étaient déjà en chemin, à savoir : 1,600 Canadiens, des Sauvages, et 400 réguliers sous les ordres du chevalier de Levis. M. de Vaudreuil expédia en même temps l'ordre aux milices de précipiter leur marche; il était impossible que ces secours pussent arriver avant quelques semai- nes. Une petite partie seulement put atteindre Carillon à marches forcées avant la bataille.

Le 1 juillet le général Montcalm se porta en avant, échelonnant ses troupes depuis le fort Carillon jusqu'au pied du lac St.-Sacre- ment, pour en imposer à l'ennemi et s'opposer à son débar- quement.

Dans le môme temps, 5 juillet, celui-ci s'embarquait à la tôte du lac sur neuf cents berges et cent trente bateaux, précédés de nombreux radeaux garnis de canons, nouvelle espèce de batterie flottante. Il se mit en mouvement pour le descendre. " Le ciel était extrêmement pur, dit le Dr. Dw^ight, et le temps superbe ; la flotte avançait avec une exacte régularité au son d'une belle musique guerrière. Les drapeaux flottaient étincelans aux rayons du soleil, et l'anticipation d'un triomphe futur brillait dans tous les yeux. Le ciel, la terre^ et tout ce qui nous environnait présen- taient un spectacle enchanteur. Le soleil, depuis qu'il brillait dans les cieux, avait rarement éclairé tant de beauté et tant de magnificence."

L'avant-garde, forte de 6,000 hommes, commandée par lord Howe, atteignit le pied du lac le 6 au matin, et débarqua au Camp-Brûlé. M. de Bourlamarque se replia à son approche à la Chute, était le général Montcalm, après avoir attendu vaine- ment M. de Trépézée qu'il avait détaché en avant en observation sur la Montagne-Pelée avec 300 hommes. Cet officier, voyant paraître les ennemis, voulut rejoindre M. de Bourlamarque, mais

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s'étant égaré dans les bois, il perdit du temps, et au lieu de trou- ver les Français il les avait laissés, il se vit tout-à-coup cerné par l'avant-garde ennemie, qui l'attaqua sans lui donner le temps de se reconnaître, et tua, prit ou noya les deux tiers de son détachement. L'autre tiers qui formait son arrière-garde et qui avait pris une autre route parvint, le 7, sans mésaventure à la Chute, M. de Trépézée fut apporté mortellement blessé avec un autre officier. C'est dans cette escarmouche que fut tué lord Howe, jeune officier anglais plein d'espérance, et dont la perte fut vivement regrettée par ses compatriotes.

Les desseins et la force de l'ennemi étaient maintenant pleine- ment connus ; le général Montcalm fit lever le camp de la Chute, et sous la protection des troupes de la colonie et de quatre à cinq cents Canadiens qui venaient d'arriver, défila vers les hauteurs de Carillon qu'il avait choisies pour livrer bataille, étant décidé quelle que fût la disproportion des deux armées, de ne point abandonner l'entrée du Canada sans combattre. Il avait d'abord paru incliner pour St.-Frédéric ; mais M. de Lotbinière, qu'il consulta, et qui connaissait très bien le pays, avait recommandé les hauteurs de Carillon que les ennemis, suivant lui, ne pourraient passer tant qu'elles seraient occupées, et qu'il était facile de for- tifier par des retranchemens sous le canon du fort ; tandis que les travaux qu'il faudrait faire pour se couvrir à St.-Frédéric, prendraient deux mois, et que d'ailleurs Carillon passé, l'ennemi pourrait descendre le lac Champlain et laisser cette place der- rière lui. Le général, sentant la force de ces raisons, arrivé sur ces hauteurs devenues si célèbres, fit cesser le mouvement rétro- grade des troupes, et leur donna ordre de prendre position en avant du fort, et de s'y retrancher.

Les hauteurs de Carillon sont situées dans l'angle formé par la décharge du lac St.-Sacreraent nommée rivière à la Chute, et le lac Champlain dans lequel elle va jeter ses eaux. Ces buttes, du reste, peu élevées, et qui ont leur point culminant au sommet de l'angle lui-même, s'abaissent vers leur base, se terminant en pente douce avant d'arriver au lac, et en pente plus abrupte en arrivant à la rivière à la Chute, sur le bord de laquelle règne un petit fond d'environ vingt-cinq toises de largeur. A l'extrémité de l'angle, sur le bord de l'escarpement, se trouvait une petite

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redoute dont le feu rayonnait sur le lac et la rivière, et enfilait la pente du terrain le long de ce cours d'eau. Cette rédoute se reliait nar un parapet, au fort Carillon dont l'on voit encore lea ruines. Ce fort qui pouvait contenir trois ou quatre cents hom- mes, placé dans le milieu de l'angle, dominait le centre et la droite du plateau, ainsi que la plaine au pied du côté du lac Champlain et de la rivière St.-Frédéric. L'armée passa la nuit du 6 au 7 au bivouac. Les feux de l'ennemi indiquaient qu'il était en force au portage. Les retranchemens formés par angles entrans et sortans, commencés le 6 au soir et continués le 7 avec la plus grande activité, prenaient au fort, suivaient quelque temps la crête des hauteurs du côté de la rivière à la Chute, puis tournaient à droite pour traverser l'angle à sa base, en suivant les sinuosités d'uno gorge à double rampe peu profonde qui traverse le plateau, et enfin descendaient dans le bas fond qui s'étend iusqu'au lac. Ils pou- vaient avoir six cents verges de développement, et cinq pieds de hauteur ; ils étaient formés d'arbres ronds posés les urlB contre les autres, avec les grosses branches coupées en pointes placées en avant en manière de chevaux de frise. Chaque bataillon, ayant en arrivant pris la place qu'il devait occuper dans l'action, faisait la partie du retranchement destinée à le protéger. Tout le monde travaillait avec une ardeur incroyable. Les Canadiens qui n'avaient pu recevoir de haches plutôt, ne commencèrent leur abatis, dans le bas fond du côté du lac Champlain leur position fut marquée, que dans l'après-midi ; ils l'achevèrent le lendemain au milieu du jour au moment les Anglais paraissaient. Le pays en avant étant couvert 'le bois, le général Montcalm fit abat- tre les arbres jusqu'à une certaine distance, pour voir déboucher l'ennemi à découvert et de plus loin.

Dans le même temps le général Abercromby était débarqué avec toute son armée. Il apprit par des prisonniers que les Français se retranchaient pour attendre un renfort de 3,000 hom- mes que devait leur amener le chevalier de Levia ; ce qui le fit décider à les attaquer avant la jonction de ce corps ; et sur le rapport d'un ingénieur envoyé en reconnaissance, que leurs ouvrages n'étaient pas achevés, il se mit aussitôt en mou- vement poussant son avant-garde, sous les ordres du colonel

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Bradstreet, le 7 au soir, jusqu'à 700 toises des Français ; et des deux côtés l'on se prépara pour l'affaire du lendemain.

L'armée anglaise, défalcation faite de quelques centaines d'hommes laissés à la Chute et à la garde des bateaux au pied du lac, était encore composée de plus de 15,000 soldats d'élite com- mandés par des officiers expérimentés, marchant au combat avec toute la confiance que donne une grande supériorité numérique. L'armée française ne comptait que 3,600 hommes dont 450 Canadiens ou soldats de la marine : il n'y avait pas de Sauvages. Trois cents hommes furent chargés de la garde du fort, et 3,300 de la défense des retranchemens, que leur peu d'étendue permit de garnir sur trois hommes de hauteur. L'ordre fut donné à chaque bataillon de tenir en réserve sa compagnie de grenadiers et un piquet de soldats rangés en arrière et prêts à se porter le besoin le demanderait. Le chevalier de Levis arrivé du matin même de sa personne, fut chargé du commandement de l'aile droite, ayant sous lui les Canadiens formant l'extrême droite sous les ordres de M. de Raymond ; M. de Bourlamarque eut le commandement de l'aile gauche. Le général Montcalm se réserva celui du centre. Tel fut l'ordre de bataille des Français.

A midi et demi, les gardes avancées rentrèrent dans les lignes en fusillant avec les troupes légères anglaises. Un coup de canon tiré du fort, donna le signal aux troupes de border les ouvrages.

Le général Abercromby forma son armée en quatre colonnes pour attaquer tous les points à la fois. Les grenadiers et l'élite des soldats, choisis pour composer la tête des colonnes, eurent l'ordre de s'élancer contre les retranchemens la bayonnette au bout du fusil, et de ne tirer que quand ils auraient sauté dedans. En même temps un certain nombre de berges devait descendre la rivière à la Chute pour menacer le flanc gauche des Français. A une heure les colonnes ennemies se mirent en mouvement, entremêlées de troupes légères parmi lesquelles il y avait des Indiens. Ces Sauvages couverts par les arbreS; ouvrirent le feu le plus meurtrier dès qu'ils furent à portée. Les colonnes sorti- rent du bois, descendirent dans la gorge en avant des retranche- mens, et s'avancèrent avec une assurance et un ordre admirable, les deux premières contre la gauche des Français, !a troisième contre leur centre et la dernière contre leur droite en suivant le

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pied du coteau dans le bas fond se trouvaient les Canadiens. Le feu commença par la colonne de droite, et s'étendit graduelle- ment d'une colonne à l'autre jusqu'à celle de gauche, qui chercha à pénétrer dans les ouvrages par le flanc droit du chevalier de Levis. Cet officier, voyant le dessein de cette colonne, com- posée de montagnards écossais et de grenadiers, ordonna aux Canadiens de faire une sortie, et de l'attaquer en flanc. Cette attaque réussit si bien, que le feu des Canadiens joint à celui des deux bataillons placés sur le coteau, l'obligea de se jeter sur celle qui était à sa droite, afin d'éviter un double feu de flanc. Les quatre colonnes, forcées de converger un peu en avançant, soit pour protéger leurs flancs, soit pour atteindre le point d'attaque, se trouvèrent réunies en débouchant sur les hauteurs. Dans le môme moment, une trentaine de berges se présentaient sur la rivière à la Chute pour menacer la gauche des Français. Quelques coups de canon tirés du fort, qui en coulèrent deux bas, et quelques hommes envoyés sur le rivage, suffirent pour les mettre en fuite. Le général Montcalm avait donné ses ordres pour lais- ser avancer les ennemis jusqu'à vingt pas des retranchemens. Cet ordre fut ponctuellement exécuté. Lorsqu'ils arrivèrent à la distance indiquée, la mousqueterie assaillit ces masses compactes avec un effijt si prompt et si terrible qu'elles tressaillirent, chan- celleront et tombèrent en désordre. Forcées de reculer un instant, eUes se remirent néanmoins aussitôt, et revinrent à la charge ; mais, oubliant leur consigne, elles commencèrent à tirer. Le feu devint alors d'une vivacité extrême sur toute la ligne et se pro- longea fort long-temps, jusqu'à ce qu'enfin après les plus grands eflbrts, les assaillans furent obligés de lâcher le pied une seconde fois, ne laissant le terrain jonché de leurs cadavres. Ils s'arrêtèrent à quelque distance pour prendre haleine et se réorganiser ; ils reformèrent leurs colonnes et après quelques instans se précipi- tèrent de nouveau sur les retranchemens malgré le feu le plus vif et le plus soutenu qu'on eût jamais vu. Le général Montcalm s'exposait comme le dernier des soldats. Du centre il s'était placé, il se portait pour donner ses ordres ou mener des secours, sur les points qui périclitaient. Après des eflbrts inouis, les assail- lons furent encore repoussés.

Etonné de plus en plus d'une résistance si opiniâtre, le général

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Abcrcromby, qui avait cru que rien n'oserait tenir devant lui avec les forces accablantes qu'il avait à sa disposition, ne pouvait se persuader qu'il échouerait devant un ennemi si inférieur en nombre, et pensait que quelque fût le courage des Françjais, ils fini- raient par se lasser d'une lutte dont la violence et la durée no feraient qu'empirer leur perte. Il résolut donc de continuer ses attaques avec la plus grande énergie jusqu'à ce qu'il eût triom- phé ; et depuis une heure jusqu'à cinq ses troupes revinrent six fois à la charge, et furent repoussées chaque fois avec de grandes pertes. Les fragiles remparts qui protégeaient les Français pri- rent en feu à diverses reprises dans le cours de l'action.

Les colonnes ennemies n'ayant pu réussir dans les premières attaques faites simultanément sur le centre et sur les deux aîles de Montcalm, se joignirent pour faire des efforts commuii? ; elles assaillirent ainsi réunies tantôt la droite, tantôt le centre, tantôt la gauche des Français sans plus de succès. C'est contre la droite qu'elles s'acharnèrent le plus longtemps, et le combat fu., le plus meurtrier. Les grenadiers et les montagnards écossais con- tinuèrent à charger pendant trois heures consécutives sans se rebuter ni se rompre. Les derniers surtout, commandés par lord John Murray, se couvrirent de gloire. Ils formaient la tête d'une colonne presqu'en face des Canadiens. Leur costume léger et pittoresque se distinguait entre tous les autres au milieu du feu et de la fumée. Ils perdirent la moitié de leurs soldats et vingt-cinq officiers tués ou grièvement blessés. Mais enfin cette attaque fut repoussée comme les autres, et les efforts des assail- lans échouèrent encore une fois devant l'intrépidité calme mais opiniâtre des troupes françaises. Pendant ces différentes charges les Canadiens firent encore plusieurs sorties sur les flancs de l'en- nemi et enlevèrent des prisonniers.

A cinq heures et demie le général Abercromby, n'osant plus conserver d'espérance, fit retirer toutes ses colonnes dans le bois pour leur faire reprendre haleine, et faire une dernièi 3 tentative avant de se retirer tout-à-fait. Une heure après elles reparurent et commencèrent une attaque générale sur tous les points à la fois de la ligne française. Toutes les troupes y prir'^nt part, mais elles rencontrèrent la même opposition que dans les autres ; et après des efforts inutiles, elles durent abandonner définitivement

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la victoire à leurs adversaires. Les Anglais se retirèrent en se couvrant d'une nuée de tirailleurs dont le feu avec celui des Cana- diens qui sortirent à leur poursuite, se prolongea jusqu'à la nuit. Les troupes françaises étaient épuisées de fatigues, mais ivres de joie. Le général Montcalm, accompagné du chevalier de Levis et de son état-major, en parcourut les rangs, et les remercia au nom du roi de la conduite qu'elles avaient tenue dans cette glo- rieuse journée, l'une des plus mémorables dans les fastes de la valeur française. Ne pouvant croire cependant à la retraite défi- nitive des Anglais, et s'attendant à un nouveau combat pour le lendemain, il donna ses ordres et fit ses préparatifs en consé- quence. Les troupes passèrent la nuit dans leurs positions ; elles nettoyèrent leurs armes, et se mirent dès le point du jour à per- fectionner les retranchemens qu'elles renforcèrent de deux batte- ries, l'une à droite de quatre pièces de canon «t l'autre à gauche de six. Au bout de quelques heures d'attente, ne voyant point paraître d'ennemis, le général Montcalm envoya à la découverte des détachemens, qui s'avancèrent jusqu'à quelque distance de la Chute, et brûlèrent un retranchement que les Anglais avaient commencé à y élever et qu'ils avaient abandonné. Le lende- main, 10, le chevalier de Levis poussa jusqu'au pied du lac St.- Sacrement avec les grenadiers, les volontaires et des Canadiens ; il ne trouva que des marques de la fuite précipitée d'Abercromby. Dans la nuit même qui avait suivi la bataille, le général anglais avait continué son mouvement rétrograde vers le lac, et ce mou- vement'était devenu une véritable fuite. Il avait abandonné sur les chemins ses outils, une partie de ses bagages, un grand nombre de blessés, qui furent ramassés par le chevalier de Levis, et s'était rembarqué à la hâte le lendemain à la première lueur du jour, après avoir jeté ses vivres à l'eau.

Telle fut la bataille de Carillon, 3,600 hommes avaient lutté victorieusement pendant plus de six heures contre 15,000 soldats d'élite. Le gain de cette journée mémorable accrut singulière- ment la réputation de Montcalm, que la victoire s'était plu à cou- ronner depuis qu'il était en Amérique, et augmenta encore sa popularité parmi les soldats. L'on n'avait perdu que 337 hovnmes dont 37 officiers, au nombre desquels se trouvaient M. de Bour- laraarque dangereusement blessé à l'épaule, et M. de Bougain-

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ville, promu récomiiient au grade d'aide-marécaal des logis. Lo chevalier de Levis reçut plusieurs balles dans ses habits et dans son chapeau. Les pertes des Anglair. furent considérables. Ils avouèrent eux-mêmes 2,000 hommes tués et blessés dont 126 officiers ; toutes les correspondances françaises les portent de 4" à 5 mille.

Abercromby remonta le lac St.-Sacrement avec autant de pré- cipitation qu'il en avait mis pour l'atteindre de Carillon, et en arrivant à la tête de ce lac, il se retrancha fortement dans le camp qu'il avait occupé avant sa courte campagne, écrivant en même temps au général Amherst à Louisbourg pour lui ordonner de venir le rejoindre sans délai. Celui-ci, de retour à Boston le 13 septembre seulement, se mit en marche pour Albany avec 4,500 hommes. Mais la saison était déjà trop avancée pour faire une nouvelle tentativef cette année, si toutefois on en avait le projet, et l'invasion du Canada fut ajournée à un temps plus propice Au reste le passage de Carillon aurait été encore plus difficile à for- cer que la première fois, parce que les retranchemens qui ne consistaient qu'en arbres renversés le 8 juillet, avaient été refaits depuis en terre et flanqués de redoutes couvertes de canons. Des bandes canadiennes et sauvages battaient la campagne, et tenaient Montcalm au courant de tout ce qui se passait dans l'armée anglaise, dont elles allaient attaquer les détachemens et les con- vois jusque sous les murs du fort Edouard, dans le voisinage duquel M. de St.-Luc en prit un de 150 voitures.

Cependant la grande supériorité numérique des "ennemis faisait que leurs pertes étaient à peine sensibles et qu'ils se rele- vaient plus forts et plus redoutables après chaque défaite, tandis que les succès des Français les affaiblissaient réellement; et que chaque victoire diminuait leurs moyens de résistance et les chances d'un s'^ccès définitif.

Aussi le général Abercromby apprenant que son mouvement sur Carillon avait fait contremander l'ordre donné au chevalier de Levis de se porter à Oswégo, et que le fort Frortenac, entre- pôt de la marine française sur le lac Ontario, se trouvait pres- qu'abandonné, ordonna au colonel Bradstreet de prendre 3,000 hommes et 11 bouches à feu, et de tâcher de surprendre ce poste important, qui ne ^^'attendait point dans le moment à une pareille

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attaque. Cet ofTicier partit sans bruit du camp anglais, descendit la rivière Osvvégo, traversa le lac Ontario, au pied, et parut sou- dainement devant la place le 25 août. Elle n'était gardée que par 70 hommes sous les ordres de M. de Noyan, qui osa cepen- dant se défendre dans ce mauvais poste, et attendre pour se rendre que les bombes fissent voler le fort en éclats. Outre beaucoup de cant is, de petites arnres et une grande quantité de vivres et cl_- marchandises trouvés dans son enceinte, les vainqueurs prirent à Tancre dans le port neuf barques armées, reste des trophées de la conquête d'Oswégo. Après avoir chargé tout ce qu'ils purent emporter sur leurs vaisseaux, ils renvoyèrent la garnison sur parole, brûlèrent les ouvrages et les barques, à l'exception de deux, et reprirent le chemin de leur pays ils rétablirent l'an- cien fort de Bull.

Cette expédition, exécutée avec autant de bonheur que d'ha- bileté, fit le plus grand honneur au colonel Bradstreet, et jeta un moment le Canada dans une grande inquiétude pour la sûreté de la partie supérieure du pays, et le commandement du lac Ontario, que les Français croyaient avoir perdu avec l'escadrille de Fron- tenac. La possession de ce point paraissait si importante, que M. de Vaudreuil, à la première nouvel'e de l'apparition du colo- nel Bradstreet, fit battre la générale et chargea le major de Mont- léal, M. Duplessis, de prendre 1,500 Canadiens, qui laissèrent leurs récoltes, et tous les Sauvages qu'il pourrait rassenibler, et d'aller à marches forcées à son secours ; mais* cet officier apprit en chemin, à la Présentation, que le poste dont l'on redoutait la perte, venait de capituler. Il crut devoir attendre de nouveaux ordres du gouverneur, qui lui fit détacher 600 hommes pour ren- forcer la garnison de Niagara, et manda le général Montcalm à Montréal, pour délibérer sur ce qu'il y avait à faire dans les cir- constances pénibles dans lesquelles la chute de Louisbourg que l'on venait d'apprendre, et la destruction de Frontenac, mettaient le pays. Il fut résolu par ces deux chefs de rétablir ce dernier fort, de reprendre Niagara s'il était tombé au pouvoir de l'ennemi, comme on le craignait, n'étant gardé que par quelques hommes, et d'attaquer Oswégo si les Anglais cherchaient à en relever les fortifications. Le chevalier de Levis fut désigné pour comman- der cette partie des frontières et M. de Pont-Leroy, ingén „ur,

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pour relever les murs do Frontenac, dont la saison força d'ajour- ner les travaux à l'année suivante.

Si la supériorité du nombre assurait ainsi aux Anglais les avan- tages de la campagne dans la partie de la Nouvelle France qui était la plus voisine de la mer, la mémo cause produisait le même résultat dans la vallée de TOhio, les succès des Français lurent insufliflans pour suppléer à leur faiblesse. Comme on l'a déjà dit, c'est le général Forbes qui devait diriger les opérations de l'ennemi sur cette frontière. Son armée composée de régu- liers sous le colonel Bouquet et de milices virginiennes sous le colonel Washington, se réunit au nombre de 6,000 hommes après bien des délais à Raystown à 30 lieues du fort Duqucsne, qu'elle devait attaquer. Mais le triste souvenir de la défaite du général Braddock, tout frais encore dans la mémoire, fit choisir une route nouvelle pour traverser les montagnes. A la mi-septembre cette armée n'était encore qu'à Loyal-Hanna, elle éleva un fort, à 45 milles du poste français. Avant ue se remettre en chemin, le général Forbes jugea à propos de détacher de son armée 800 soldats sous les ordres du major G>'ant, pour aller reconnaître ce poste. Cet officier parvint, par une marche fort secrète, à un quart de lieue du fort Duquesne sans être découvert. Son inten- tion était d'attaquer dans la nuit les Indiens qui se tenaient ordi- nairement campés autour de la place ; mais les feux allumés devant leurs cabanes, qui devaient lui indiquer leur véritable position, étaient éteints lorsqu'il arriva, et il dut sans avoir rien fait se retirer au point du jour sur la crête d'une montagne voisine il fut aperçu des Français avec surprise. M. de Ligneris, successeur de M. Dumas, assembla aussitôt les Canadiens et les troupes de la colonie au nombre de 7 à 800, et les mit sous les ordres de M. Aubry, qui marcha droit aux ennemis dans la mon- tagne, les attaqua brusquement et les rejeta en bas dans la plaine fort en désordre. Les Sauvages qui s'étaient retirés d'abord au-delà de la rivière pour ne pas être surpris, en voyant les Anglais repoussés, revinrent sur leurs pas et se réunirent aux Canadiens. La déroule des ennemis devint alors complète ; ils furent disper- sés et perdirent 300 hommes tués ou blessés, et cent et quelcpios prisonniers, au nombre desquels se trouvèrent v'mgt ollicicrs y compris le major Grant lui-même. ^

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La nnuvollc de ce désastre trouva le général Forbes à Loyal- llanna, d'où il n'avait pas l)ougc. On était en novembre ; la saison des gelées était venue, et la neige commençait à blanchir la cime des collines. Il fut décidé dans un conseil de guerre de remettre l'attaque du fort Duquesne à l'année suivante ; mal- heureusement des prisonniers révélèrent sur ces entrefaites la situation des Français. Les Sauvages alliés avaient repris le chemin de leurs bourgades, et les secours venus des postes du Détroit et des Illinois, comptant les ennemis en pleine retraite, s'étaient retirés, de sorte qu'à peine restait-il 500 hommes dans ce poste important. A cette nouvelle on changea d'avis ; le géné- ral Forbes, laissant derrière lui ses tentes et ses gros bagages, s'avança à marches forcées vers la place avec toutes ses troupes. M. de Ligneris, hors d'état de se défendre contre des forces aussi supérieures, et n'attendant plus aucun secours, embarqua son artil- lerie sur l'Ohio pour les Illinois, brûla le fort, et se retira avec sa garnison dans celui de Machault du côté du lac Erié. Le géné- ral Forbes ne trouva en arrivant que l'emplacement sur lequel avait existé ce fort fameux qui avait tant offusqué l'Angleterre. Il voulut néanmoins e*^ changer le nom, et en l'honneur du ministre, M. Pitt, il donna à cet amas de cendre celui de Pitts- burgh, qu'il a conservé, mais qui e«t devenu aujourd'hui une ville belle, riche et florissante.

Partout maintenant la saison du repos était arrivée, et les troupes des deux côtés des frontières avaient pris ou s'en allaient p endre leurs quartiers d'hiver. Les deux armées opposantes sur le lac St.-Sacrement, après avoir reçu l'une et l'autre des renforts que leur inactivité rendit inutiles, s'étaient aussi mises en chemin pour leurs cantonnemens, celle du général Abercromby, après avoir incendié les barraques et les retranchemens qu'elle avait élevés à la tôte du lac St.-Sacrement.

L'avantage des opérattons de la campagne, la cinquième depuis le commencement des hostilités, resta aux Anglais en Amérique ; ils se trouvèrent maîtres dans l'automne de Louis- bourg et de l'île St.-Jean ; ils avaient brûlé les côtes de Gaspé et pris pied sur la rive septentrionale de la baie de Fondy; ils avaient détruit le fort Frontenac et forcé enfin les Français d'aban- donner avec le fort Duquesne cette verdoyante et délicieuse vallée

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de l'Ohio, aux eaux de laquelle ils s'étaient plu à donner le nom de Belle-Riviôre. Mais on peut dire que la gloire des armes appartenait à la France. Partout ses soldats avaient eu à lutter contre des forces très supérieures ; supérieures de plus de trois contre un à Louisbourg, de près de cinq contre un à Carillon ! Jan^tils ils ne s'étaient battus avec plus de dévouement et plus d'intrépidité. Si les chefs commirent quelquefois des fautes, on doit dire qu'elles ne changèrent rien à un dénouement devenu inévitable, et dont l'histoire doit laisser peser la responsabilité sur la caducité du gouvernement de la métropole. Le Canada, ^abandonné à la double attaque de la famine et de l'épée, ne pouvait résister toujours si celle-ci ne faisait face elle-même à l'Angleterre sur .os mers, qui apportaient chaque année des armées entières à nos adversaires déjà beaucoup trop puissans.

Dans les autres parties du monde, la France avait été plus heureuse. Dans les Indes, ses flottes s'étaient emparé de Gon- deloue, dix frégates anglaises avaient été brûlées ; elles avaient pris le fort David sur la côte de Pondichéri et Divicoté. Après avoir échoué devant Raga, elles avaient enlevé Arcate, capitale de la Nobabie. Si des combats navals livrés à l'amiral Pocock étaient restés indécis, en Europe, quoique ses succès eussent été mêlés de revers, sa position n'était pas pire. Ses victoires balançaient ses défaites en Allemagne, et le duc d'Aiguillon, ayant rejoint les Anglais qui tentaient depuis quelq"'e temps des débar- quemens en France, avait anéanti leur arrière-garde à St.-Cast. Tant d'efforts cependant pour soutenir la guerre sur terre et sur mer dans toutes les parties du globe, avaient achevé d'épuiser le trésor. Pitt le savait, et il redoublait d'énergie pour détruire ou paralyser complètement les forces de la France dans le Nouveau- Monde. Les embarras des finances et l'aspect de l'avenir ame- nèrent un nouveau changement de ministère à Paris. M. Ber- ryer remplaça M. de Moras au bureau de la marine et des colo- nies ; le maréchal de Belle-lsle, le marquis de Paulmy au bureau de la guerre; et le duc de Choiseul, le cardinal de Bernis, à celui des affaires étrangères. Ce changement annonça le triomphe du parti de la guerre à la cour. Mais les affaires militaires n'en réussirent pas mieux ; au contraire, l'on va voir les désastres s'accroître de jour en jour. Quant au Canada, le nouveau

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ministère parut lui Être moins Ihvorable encore que l'ancien, et si le ujénùral Montcuiiu eût un ami dans le maréclia! de Belle-Isle, Bigot eut un censeur sùvôre dans SI. Berryer, qui parut i)iua occupé du soin d'apurer les comptes de l'intendant, que d'envoyer les secours de tous genres dont ce pays avait besoin.

En effet, les soldats et les vivres mancjuaient toujours. Un j partie de la population avait été arrachée à l'agriculture pour le» exigences de la guerre, et la terre étai* restée sans laboureurs ; co qui nécessitait des importations de céréa.es encore plus considé- rables que dans les années précédentes. D'un autre côté, les hostilités sur mer rendaient les importations plus dilRciles, et il fallait ménager le temps des cultivateurs et régler les opération? militaires de manière à pouvoir en laisser libre le plus grand nombre possible pour le temps des semailles et de la moisson : ainsi la guerre et la culture s'entrenuisaient, et toutes deux mar- chaient ensemble vers une ruine commune.

Dès le mois d'octobre le gouverneur et l'intendant avaient écrit au ministre pour l'avertir que le projet des Anglais était d'assié- ger Québec l'année suivante avec une armée formidable : et que d'après les progrès qu'ils avaient faits dans la campagne actuelle, si le Canada ne recevait point de secours, attaqué de toutes parts, il devait finir par succomber; que l'on n'avait que 10,00C hommes à opposer aux forces de l'ennemi, parce qu'il fallait en réserver 4,000 pour les transports et les garnisons des forts Nia- gara, Frontenac, de la Présentation, etc. " Il ne faut pas comp- ter sur les habitans, ajoutaient-ils, ils sont exténués par les marches continuelles. Ce sont -^ux qui font toutes les décou- vertes de l'armée. Leurs terres ne sont point cultivées à n; ntié. Leurs maisons tombent en ruine. Ils sont toujours en campagne, abandonnant et femmes et enfans, qui pour l'ordinaire sont sans

pain Il n'y aura point de culture cette année faute de

cultivateurs." Ils observaient encore que l'on serait forcé de dis- tribuer du bœuf ou du cheval aux pauvres à bas prix. Les demandes du munitionnaire en France en comestibles seuls devaient occuper 35 navires de 3 à 400 tonneaux.

Toutes les correspondances confirmaient ce triste et trop fidèle tableau de la colonie tracé par le gouverneur et l'intendant. M. de Bougainville s'embarqua à Québec pour Paris, chargé d'aller

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roprùscnter à la cour la nécessité de faire un grand cfTort pour épargner au pays le sort qvii le menaçait; le commissaire des guerres, M. Doreil, qui repassait aussi en Europe, devait appuyer les représentations de Bougainville.

De:: sollicitations si pressantes restèrent sans résultat. Dans leur impuis.iance de secourir une si noble contrée qu'ils allaient perdre, les ministres, le cœur rempli de douloureux regrets, écla- tèrent en reproches amers contre l'intendant sur les dépenses excessives du Canada, qu'ils attribraient à sa négligence, comme pour se justifier eux-mêmes aux yeux de la France de la situation malheureuse l'on se trouvait. Berryer écrivait à ce fonction- naire le 19 janvier 1759, que la fortune de ceux qui avaient suivi ses ordres, rendait son administration suspecte ; plus tard encore, le 29 août, .e ministre informé quo le tirage des lettres de ciiange allait mo.iter pour 1759 de 31 à 33 millions, lui reprochait (jue les dépenses étaient faites sans ordre, souvent sans nécessité, tou- jours sans économie, et terminait par ces mots: *< On vous attri- bue directement d'avoir gêné le commerce dans le libre appro- visionnement de la colonie ; le munitionnaire général s'est rendu maître de tout, et donne à tout le prix qu'il veut; vous avez vous-même fait acheter pour le compte du roi, de la seconde et troisième main, ce que vous auriez pu vous procurer de la pre- mière à moitié meilleur marché ; vous avez fait la fortune des personnes qui ont des relations avec vous par les intérêts que vous avez fait prendre dans ces achats ou dans d'autres entreprises ; vous tenez l'état le plus splendide et le plus grand jeu au milieu

de la misère publique Je vous prie de faire de très

sérieuses réflexions sur la façon dont l'administration qui vous est confiée a été conduite jusqu'à présent. Cela est plus impor- tant que peut-être vous ne le pensez.''''

Cette dépêche qui semblait mettre à nu les spéculations secrè- tes de l'intendant, le trouva impassible en apparence 5 mais inté- rieurement pénétré de crainte et d'humiliation, il se vit découvert et flétri aux yeux de ses maîtres. Une seconde dépêche répé- tait les mêmes reproches et comportait des menaces encore plus explicites et plus directes. C'était tout ce qui pouvait être fait dans le moment ; les événemcns se pressaient avec trop de rapidité pour permettre de porter remède à des abus, dont la cause, soi-

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gneusement cachée, exigeait une investigation attentive et minu- tieuse.

Les obstacles et les malheurs aigrissent le caractùrc des hom- mes et finissent souvent par allumer dans les cœurs les plus nobles des passions funestes. La division entre lo gouverneur et le général Montcalm, dont l'on a déjà parlé, prit un caractère plus grave après la bataille de Carillon ; et il paraît qu'à la cour, aboutissaient les accusations et les récriminations, l'on crut s'a- percevoir que cette malheureuse affaire dégèlerait en intrigue, dont Doreil était l'agent secret, et le gouverneur devait élre la victime. La rentrée de Doreil en France ne fut peut-être pas entièrement étrangère à cette menée.

Le général Montcalm et ses partisans accusaient M. de Vau- dreuil d'avoir exposé l'armée à une complète destruction, en la dispersant sur le lac Ontario et au pied du lac St.-Sacrement, et en n'appelant pas les Canadiens et les Sauvages sous les armes, pour être prêts à se porter sur les points qui pourraient être menacés. Il est bon d'observer qu'avant le 8 juillet leurs cor- respondances étaient très circonspectes, contenaient peu de siif- gessions, n'exprimaient que des doutes, et que Montcalm lui- môme croyait l'ennemi si peu préparé à entrer en campagne, .ju'il mit six jours à se rendre de Montréal à Carillon. Après la bataille, ce général écrivit au ministre que les mesures du gou- verneur l'avaient exposé sans forces suffisantes aux coups de l'ennemi ; mais que puisque la victoire avait réparé cette faute, ce qui le flattait le plus, c'est que les troupes régulières n'en par- tageaient la gloire avec personne, observation peu généreuse qu'explicpient du reste les jalousies que nous avons signalées déjà plusieurs fois. Puis après avoir sollicité les grâces que méritait une armée si brave, il ajoutait: " Pour moi, je ne vous en demande pas d'autre que de me faire accorder par le roi mon retour; ma santé s'use, ma bourse s'épuise. Je devrai à la fin de l'année dix mille écus au trésorier de la colonie, et plus que tout encore, les désagrémens, les contra lictions (jue j'éprouve, l'impossibilité je suis de faire le bien et d'empêcher le mal, me déterminent de supplier avec instance sa Majesté de m'ac- corder cette grâce, la seule que j'ambitionne." Doreil, son con- fident, qui ne se croyait pas tenu d'observer la même réserve,

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critiquait depuis lo 'etcmps, avec une extrême vivacité, tous les actes de l'administration. Depuis le dernier succès surtout, il ne mettait plus de mesure dans ses paroles : " La négligence, l'igno- rance, la lenteur et l'opiniâtreté du gouverneur, disait-il, ont pensé

perdre la colonie l'ineptie, l'intrigue, le mensonge, l'avidité,

la feront sans doute périr." Et comme la commune renommée attribuait aux Canadiens une grande part dans les victoires obte- tenues dans le cours de la guerre, et que le roi pouvait croire au dévouement de ce peuple, il informait le ministre que le général Montcalm lui avait écrit confidentiellement que les Canadiens qu'il y avait à la batail' 3 de Carillon s'étaient conduits fort médio- crement de même que les troupes de la colonie, quoiqu'il eût dit le contraire dans le rapport officiel transmis à Taris. Après plu- sieurs lettres écrites dans les mômes termes d'accusation et de calomnie, Doreil croyant avoir bien disposé les ministres à son dessein, les invita enfin dans une dernière dépêche plus violente encore que les autres, à changer le gouverneur, et à choisir le général Montcalm pour le remplacer. " Si la guerre doit durer encore ou non, disait-il, si l'on veut sauver ou établir le Canada solidement, que sa Majesté lui en confie le gouvernement. Il possède la science politique, comme les talens militaires. Homme de cabinet comme de détails, il est grand travailleur, juste, désin- téressé jusqu'au scrupule, clairvoyant, actif, et n'a en vue que le

bien; en un mot, il est homme vertueux et universel

Quand M. de Vaudreuil, aurait de pareils talens en partage, il aurait toujours un défaut originel, il est Canadien^

Toutes ces intrigues, qui n'étaient pas assez secrètes pour qu'il n'en transpirât pas quelque chose même dans le public, parve- naient à la connaissance du gouverneur. Déjà les officiers et les soldats de l'armée attaquaient, critiquaient tout haut sa conduite dans leurs propos, et lui attribuaient la détresse et les malheurs dont ils étaient les victimes. Il voulut mettre un terme à un état de chose qui pouvait avoir les suites les plus fâcheuses ; mais il n'échappa point lui-même à la passion qui animait ses ennemis. Dans une lettre pleine de récriminations qu'il adressa à Paris, il demanda le rappel de Montcalm, disant que ce général manquait des qualités nécessaires pour faire la guerre du Canada ; qu'il fallait beaucoup de douceur et de patience pour commander les

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Canadiens et les Sauvages, et que Montcalm n'en avait point et finissait par désigner le chevalier de Levis pour lui succéder dans le commandement des troupes.

Ces malheureuses querelles embarrassèrent beaucoup les minis- tres. Une note fut dressée et soumise au conseil d'état pour rappeler Montcalm, comme il le demandait lui-même, avec le titre de lieutenant-général, et le remplacer par le chevalier de Levis avec le grade de maréchal de camp. Mais le roi, après réflexion, n'approuva point cet arrangement, et les choses restè- rent comme elles étaient. L'on pensa peut-être qu'il serait dan- gereux, d'une part, d'oter au pays un général aimé du soldat et qui avait toujours été victorieux ; et de l'autre, de changer un gouvc neur qui avait obtenu des Canadiens tous les sacrifices de sang et d'argent que l'on pouvait attendre du peuple le plus dévoué, sans qu'ils eussent fait entendre seulement un murmure. Le système de deux chefs presqu'aussi puissans l'un que l'autre était sans doute défectueux. L'on aurait du avoir nommé dès le début de la guerre un che'' civil capable d'être aussi chef militaire et de commander l'armée. Des dépêches conciliantes furent adressées au gouverneur et au général, à qui les ministres, au nom du roi, recommandèrent vivement l'union et la concorde, chose d'une absolue nécessité dans les circonstances l'on se trouvait. Dana le printem])s M. de Bougainville arriva à Québec avec ses mains pleines de récompenses. M. de Vaudreuil était nommé grand'- croix de l'ordre de St.-Louis; M. de Montcalm commandeur du même ordre et lieutenant-général ; M. de Levis maréchal de camp ; Bourlamarque et de Sènezergues, brigadiers ; Bougain- ville colonel, enfin Dumas, major-général et inspecteur des trou- pes de la marine. Des croix et des avancemens étaient aussi accordés à beaucoup d'officiers de grades inférieurs. Ces récom- penses, surtout les pressantes recommandations des ministres rapprochèrent les deux chefs sans les réconcilier.

Quant aux secours à attendre de la métropole, le ministre do la guerre donnait peu d'espoir. M. de Montcalm lui avait mandé qu'à moins d'un bonheur inattendu, d'une grande diversion sur les colonies anglaises par mer, ou de grandes fautes de la part do l'ennemi, le Canada serait pris dans la campagne de 59 et sûre- ment dans la suivante, les Anglais ayant 60,000 honiiAes sur

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pied tandis que les Français en avaient 10 à 11 mille au plus. Ce ministre l'informa qu'il ne devait pas espérer de recevoir de troupes de renfort : " Outre qu'elles augmenteraient la disette des vivres que vous n'avez que trop éprouvée jusqu'à présent, il serait fort à craindre qu'elles ne fussent interceptées par les An- glais dans le passuge ; et comme le roi ne pourrait jamais vous envoyer dos secours proportionnés aux forces que les Anglais sont en état de vous opposer, les efforts que l'on ferait ici pour vius en procurer n'auraient d'autre effet que d'exciter le ministère le Londres à en f !''r de plus considérables pour conserver la supé- i.';orité qu'il s'est acquise dans cette partie du continent." * En effet, 600 recrues, deux frégates et 12 à 15 navires du commerce appartenant la plupart au raunitionnaire avec des marchandises et des vivres, furent tout ce qui entra dans le port de Québec avant l'apparition de la flotte ennemie. Quoique cette cniuluite déliât les Canadiens de la fidélité qu'ils devaient à la France, puisqu'elle reconnaissait elle-même la supériorité absolue de l'ennemi en Amérique, pas un cependant ne parla de rendre les armes ; ils avaient encore du sang à verser et des sacrifices à faire pour cette ancienne patrie d'où sortaient leurs pères, et s'il y eut des paroles de découragement, elles partirent plutôt des rangs de l'armée régulière que de ceux des colons.

Le gouvernement britannique n'ignorait point à quel éta' de détresse était réduit le Canada; ce qui fut un motif de plus pouc lui de redoubler de vigueur. Tl demanda et obtint de la chambre des communes tout ce qui était nécessaire, en hommes, en argent et en vaisseaux, pour mener à bonne fin l'entreprise glorieuse qu'il avait commencée. Si les progrès faits jusque étaient peu brillans, ils étaient du moins solides et assurés ; le chemin de Québec, celui de Niagara et du Cai'ada occidental étaient ouverts. Les diverses tribus de ces contrées étaient acquises. Voulant prévenir le moment de la chute de la puissance française, et s'assurer de l'amitié de l'Angleterre avant qu'il fût trop tard, elles avaient signé avec elle un traité de paix dans le mois d'octobre précédent, à Easlon, s'étaient exprès rendus sir William Johnson et plusieurs gouverneurs,accorapagnés d'un grand nombre des personnes les plus marquantes des provinces. Ainsi se bri-

Lettre du 19 février 1759.

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sait chaque jour cet admirable système des alliances indiennes fondé par Champlain et organisé par Talon et Frontenac. Le traité d'Easton prépara la voie, suivant SmoUett, aux opérations militaires qui furent projetées contre le Canada pour la célèbre campagne de 59.

Comme l'année précédente, l'Angleterre persista dans son plan d'envahir le Canada à la fois par le centre et par ses deux extrémités. L'immensité de ses forces l'obligeait toujours à les diviser; car, réunies, elles se seraient nui et une partie serf.it restée inutile. Louisbourg étant pris, Québec était la seconde ville à attaquer du côté de la mer, et sous les murs de laquelle les trois armées envahissantes devaient se réunir pour enlever de vive force ce dernier boulevard des Français dans le continent. Le général Amherst, à qui la chambre des communes avait voté des remercîmens comme à l'amiral Boscawen, pour la conquête de Louisbourg, fut chargé du commandement de l'armée anglaise à la place du général Abercromby rappelé après la bataille de Carillon. Un corps de dix mille hommes fut mis sous les ordres du général Wolfe, jeune officier qui s'était distingué par son acti- vité et par son audace au siège de Louisbourg, pour remonter le St.-Laurent et assiéger Québec ; un corps de douze mille hommes, commandé par le général-en-chef lui-même, devait tenter pour la troisième fois le passage du lac Champlain, descendre la rivière Richelieu et le St.-Laurent, et se réunir à celle de Wolfe. Enfin le général Prideaux avec un troisième corps composé de troupes régulières et provinciales et de plusieurs milliers d'Indiens sous les ordres de sir William Johnson, était chargé de prendre Niagara, de descendre le lac Ontario, enlever, chemin faisant, Montréal, et venir se joindre aussi lui aux deux armées déjà rendues sous les murailles de la capitale canadienne. Un quatrième corps moins considérable devait, sous les ordres du colonel Stanwix, battre la campagne, enlever les petits forts qui se trouveraient sur sa route et purger d'ennemis les rives du lac Ontario. Outre ces forces, qui composaient un total de plus de 30,000 hommes avec des parcs d'artillerie formidables et toutes sortes de machines de guerre, les amiraux Sounders, Durell et Holmes firent voile d'Angleterre avec une escadre de 20 vaisseaux de ligne, 10 fré- gates, 18 autres bâtimens plus petits que rallièrent en chemin un

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grand nombre d'autrea, pour transporter l'armée du général Wo!fe de Louisbourg à Québec et couvrir le siège de cette ville du côté de la mer: cette flotte ne portait pas moins de 18,000 matelots et soldats de marine. Si, à cela, l'on ajoute encore les troupe? nombreuses destinées à la garde des colonies anglaises elles- mêmes, on voit que l'estimation des forces de l'ennemi, faite par le général Montcalm, n'était pas loin de la -. èf té, et que la con- quête du Canada avait obligé ses envahisseurs à armer trois fois plus d'hommes pour le soumettre que ce pays comptait dans son sein de soldats et d'habitans capables de porter les armes,* fait qui témoigne de la crainte que ces braves, si faibles en nombre, avaient inspirée à leurs ennemis.

En vue de ces immenses préparatifs, l'on fit faire dans l'hiver le dénombrement des hommes capables de servir; il s'en trouva 15,000-j- de l'âge de 16 à 60 ans. Les troupes régulières mon- tèrent seulement à 5,300 hommes après l'arrivée des 600 recrues dont nous avons parlé plus haut.| On sait que depuis l'origine toute la population était armée en Canada. Le 20 mai le gou- verneur adressa une circulaire aux capitaines de milice pour les prévenir de tenir leurs compagnies prêtes à marcher au premier ordre, chaque homme portant des vivres pour six jours. Dans le mois d'avril le peuple avait été averti de l'orage qui allait fondre sur lui, et l'évêque avait ordonné des prières publiques

Les journaux des colonies anglaises portaient leurs forces de terre à 60,000 hommes. " L'Angleterre a actuellement plus de troupes en mouve- ment dans ce continent que le Canada ne contient d'habitans, en comprenant les vieillards, les femmes et les enfans. Quel moyen de pouvoir résister à cette multitude." Lettre de M. Doreil, commissaire des guerres, au ministre,

t Gouvernement de Québec 7,511

" Trois-Rivières 1,313 '

" Montréal 6,405

15,229 hommes.

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t 8 bataillons de ligne 3,200

2 " de la marine et des colonies . . . . 1,500

Rflcrues 600

5,300

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dans toutes les églises les habitans &o portèrent en foule comme ils allaient bientôt se porter au conbat.

Dès le petit printemps le capitaine Pouchot partit pour Niagara avec 300 hommes, réguliers et Canadiens, et l'ordre de réparer les ouvrages de ce fort, de s'y défendre s'il était ailaqué, et s'il ne l'était pas, de soutenir les postes du voisinage de l'Ohio. et de prendre même Toffensive s'il se présentait une occasion favorable de le faire avec quelque chance de succès. Quelques barques avaient été construites dans l'hiver à la Présentation. M. de Cor- bière reçut ordre de les prendre et d'aller relever les ruines du fort Frontenac pour ressaisir la supériorité sur le lac Ontario. On avait préparé aussi d'autres petits bâtimens au pied du lac Champlain, pour protéger les communications avec St.-Frédéric et Carillon, et, dans tous les cas, pour aider à la défense du fort St.-Jean. 2,600 hommes environ s'échelonnèrent dès que la saison le permit, sur cette frontière depuis Chambly jusqu'au pied du lac St.-Sacroment, sous les ordres du brigadier Bourla- marque. Cet officier devait faire travailler aux retranchemens de Carillon qui n'étaient pas encore finis; mais les nouvelles apportées par le colonel Bougainville ayant fait supposer que Québec était le point le plus menacé, l'ordre lui fut tr'nsmis, si l'ennemi se présentait en nombre, d'abandonner les positions de Carillon et de St.-Frédéric après en avoir fait sauter les fortifi- cations, et de se replier sur l'île aux Noix. Le chevalier de la Corne, chargé de tenir la campagne a pied du lac Ontario avec 1,200 hommes, devait aussi lui, s'il était forcé, se retirer à la tête des rapides du St.-Laurent au-dessous de la Présentation, et faire ferme contenance. Ces précautions prises, le surplus des troupes resta dans ses quartiers, se tenant prêt à marcher au pre- mier ordre. Le gouverneur et les généraux Montcalm et Levis attendirent à Montréal que l'ennemi se mît en campagne, pour voir il faudrait se porter, car sa supériorité forçait à recevoir la loi de lui pour les mouvemens. Le général Montcalm souffrait de cette inaction. Il trouvait que les dispositions pour la défense de Québec étaient trop tardives, ce qui était vrai, c'est-à-dire qu'il y a longtemps que la France aurait du avoir fait fortifier cette ville pour la mettre à l'abri d'un coup de main. Mainte- nant il était trop tard. Québec était moins fort que plusieurs

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HISTOIRE DU CANADA.

autres postes. M. de Vaudreuil, portant les yeux sur tous les points menacés, n'osait se décider encore, d'autant plus que toutes les armées anglaises devaient agir simultanément, et il attendait qu'elles s'ébranlassent pour marcher à la première qui paraîtrait.

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LIVRE DIXIEMir.

CHAPITRE I.

VICTOIRE DE MONTMORENCY ET PREMIÈRE BATAILLE D'ABRAHAM.

, REDDITION DE QUÉBEC.

1750.

Invasion du Canada. Moyens défonsifs qu'on adopte. L'armée française se retranche à Beauport, en face de Québec. Arrivée de la flotte enne- mie.— Les troupes anglaises débarquent à l'île d'Orléans. —Manifeste du général Wolfe aux Canadiens. Ce général, jugeant trop hasardeux d'at- taquer le camp français, décide de bombarder la capitale et de ravager les campagnes. La ville est incendiée. Attaque des lignes françaises à Montmorency. Wolfe repoussé, rentre accablé dans son camp et tombe malade.— Il tente vainement de se mettre en communication avec le général Amherst sur le lac Champlain. Les autres généraux lui suggè- rent de s'emparer des hauteurs d'Abraham par surprise afin de forcer les Français à sortir de leur camp. Le général Montcalm envoie des troupes pour garder la rive gauche du St.-Laureut depuis Québec jusqu'à Jacques Cartier. Grand nombre de Canadiens, croyant le danger passé, quittent l'arméiî pour aller vaquer aux travaux des champs. Du côté du lac Champlain M. de Bourlamarque fait sauter les forts Carillon et^t. -Fré- déric, et se replie à l'île aux Noix devant le général Amherst qui s'avance avec 12,000 hommes.— Le corps du général anglais Prideuux, opérant vers le lac Erié, prend le fort Niagara et force les Français à se retirer à la présentation au-dessous du lac Ontario. Les Anglais surprennent les hauteurs d'Abraham le 13 septembre. Première bataille qui s'y livre et défaite des Français. Mort de Montcalm : capitulation de Québec. Le général de Levis prend le commandement de l'armée et veut livrer une seconde bataille ; mais en apprenant la reddition de la ville il se retire à Jacques Cartier et s'y fortifie. L'armée anglaise, renfermée dans Qué- bec, fait ses préparatifs pour y ^jasser l'hiver. Demande de secours en France pour reprendre c^tA ^'ilie.

Tandis que le gouverneur et les généraux étaient à Montréal, l'on reçut des dépêches de la France qui déterminèrent le départ de Montcalm pour Québec, il arriva le 22 mai, suivi bientôt après de M. de Vaudreuil et du chevalier de Levis. Les navires d'Europe confirmaient le rapport qu'une flotte anglaise était en

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route pour cette capitale, qui devenait dès lors le principal ponit à défendre. Le 28 un courrier annonça l'apparition de cette flotte au Bic. Les événemens se précipitaient. L'on redoubla d'activité pour la défense. Afin de retarder l'approche de l'en- nemi, les bouées et autres indications servant à la navigation du St.-Laurent, furent enlevées, et l'on prépara des machines incen- diaires, des brûlots, pour lancer contre leurs vaisseaux lorsqu'ils paraîtraient en vue du port. L'on achemina aussi les vivres et les archives publiques sur les Trois-Riviéres, réservant seulement dans Québec ce qu'il fallait pour nourrir l'armée et le peuple pendant un mois. On leva le peu de céréales qui restait dans les campagnes de la partie supérieure du pays, à l'aide de l'argent avancé par les officiers de l'armée, et on plaça à Montréal les magasins pour l'équipement des troupes. Enfin des marchandises furent achetées pour donner en présent aux tribus indiennes de Niagara et du Détroit, restées attachées à la France ou qui dissi- mulaient leur traité avec les Anglais, dans le but de les induire à garder au moins la neutralité.

Ces premiers points réglés, l'on s'occupa de l'organisation de l'armée et de la défense de Québec, dont la perte devait en .rainer celle de tout le Canada. D'abord quant à cette ville elle-même, elle ne fut point jugée tenable ni même à l'abri d'un coup de main du côté de la campagne, le rempart commencé, dépourvu de parapet, d'embrasures et de canons, n'avait que six à sept pieds de hauteur, et n'était protégé extérieurement par aucun fossé ni glacis ; et d'un commun accord, il fut décidé de la cou- vrir par un camp retranché les troupes prendraient position.

Québec est bâti, comme on l'a dit ailleurs, à l'extrémité d'un promontoire qui se termine du côté opposé, au bout de 12 milles, par un escarpement dont le pied est baigné par la rivière du Cap-Rouge. A l'est et au sud de ce promontoire le St.-Laurent, large d'un mille au moins, roule des flots profonds ; au nord règne la belle vallée St.-Charles, qui forme un bassin de 3 à 4 milles de large en arrivant au fleuve et que chaqiie marée recouvre d'eau l'espace d'un petit mille du côté de Québec et de plus de 4 milles le long de Beauport et de la Canardière. A marée basse le cours d'eau qui descend dans cette vallée est guéable. Le promontoire très escarpé du côté du fleuve, et haut de 100 à 300

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pieds, ôtait regardé comme inaccessible surtout dans l'endroit qu'occupait la ville* Les points les plus faibles en face du port furent garnis de murailles et de palissades, et les communications entre les parties hautes et basses coupées et défendues par de Tartillerie. On pensait que des batteries placées sur les quais de la basse-ville et sur l'escarpement de la haute, dont le feu se croi- serait sur le port et le bassin, seraient suffisantes pour empêcher aucun vaisseau de remonter le fleuve au-dessus. Il ne restait donc plus dans cette hypothèse, qu'à défendre l'entrée de la rivière St.-Charles et à fortifier le rivage de la Canardière et do Beauport jusqu'au sault de la rivière Montmorency, et ensuite le côté droit de ce cours d'eau, qui descend des montagnes et coupe la communication de la rive gauche du St.-Laurent par une suite de cascades jusqu'à la grande cataracte qu'il forme en se jetant dans le fleuve d'une hauteur de 260 pieds.

On barra la rivière St.-Charles au fond du bassin, vis-à-vis de la porte du Palais, avec des mâtures enchaînées les unes aux autres, retenues par des ancres et protégées par cinq bateaux placés en avant, portant chacun une pièce de canon. En arrière de ce barrage, on coula deux navires marchands pour y établir une batterie de gros calibre rayonnant sur le bassin. La rive droite de la rivière St.-Charles, depuis la porte du Palais jusqu'au pont de bateaux établi à l'endroit aboutissaient les routes de Beauport et Charlesbourg, fut bordée de retranchemens sur les- quels on plaça aussi de l'artillerie pour défendre l'entrée de St.-Roch et empêcher l'ennemi de s'emparer par surprise des hauteurs de Québec. La position de l'armée fut marquée de ce pont communiquant à la ville et dont les têtes étaient défendues par des ouvrages à corne, jusqu'à la rivière Montmorency, et dèp que les troupes eurent passé du côté droit de la rivière St.-Charlep, elles s'étaient d'abord retranchées, dans leur nouvelle position, du côté gauche, elles se couvrirent de retranchemens qui suivaient les sinuosités du rivage, et qu'elles flanquèrent de redoutes gar- nies de canons dans les endroits la descente paraissait facile.

" Il n'y a pas lieu de croire, dit l'ordre de bataille du 10 juin, que les ennemis pensent à tenter à passer devant la ville et à faire le débarquement à l'anse des Mères ; et tant que les frégates subsisteront, nous n'avons du moins rien à craindre pour cette partie.''

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Dans le centre de cette ligne, à l'ennbonchure de la rivière Beau- port, on établit encore une batterie flottante de 12 bouches à feu.

La petite flottille qui restait, c'est-à-dire les deux fr'^gates, les bateaux et les brûlots, fut mise sous les ordres du capitaine Vau- quelin. On posa des gardes de distance en distance au pied de la falaise le long du fleuve depuis la ville jusqu'au dessus du Foulon, une rampe avait été pratiquée pour communiquer avec le plateau au fond des plaines d'Abraham. Une petite redoute avec du canon gardait cette issue. Tels sont les pré- paratifs de défense que l'on fit à Québec et dans les envi- rons.

Dans ce plan, supposant toujours le fleuve infranchissable devant Québec, et l'armée de Bcanport trop solidement établie pour être forcée, il ne restait plus à l'armée envahissante qu'à débarquer sur la rive droite du St.-Laurenl, la remonter une cer- taine distance, traverser ensuite sur la rive gauche et la descendre pour venir prendre l'armée française à revers en l'attaquant par les routes de Charlesbourg et de Bourg- Royal. C'était une opéra- tion difficile et sans doute jugée impraticable à cette époque, la retraite étant impossible en cas d'échec.

L'armée française grossissait chaque jour par l'arrivée des milices de toutes les parties du pays. Il ne resta bientôt plus dans les campagnes que des vieillards, des femmes et des enfans. Tous les hommes en état de porter les armes étaient à Québec, à Carillon, sur le lac Ontario, à Niagara et dans les postes du lac Erié et de la partie de la vallée de l'Ohio qui restait encore aux Français.

Par l'ordre de bataille, la droite de l'armée, composée des milices des gouvernemens de Québec et des Trois-Rivières, for- mant 4,380 hommes sous les ordres de MM. de St.-Ours et de Bonne, occupait la Canardière ; le centre, fort de cinq bataillons de réguliers comptant 2,000 combattans, sous les ordres du briga- dier de Sènezergues, gardait l'espace compris entre la rivière et l'église de Beauport, et la gauche, formée des milices du gou- vernement de Montréal au nombre de 3,450 hommes, sous le commandement de MM. Prud'homme et d'Herbin, s'étendait depuis cette église jusqu'à la rivière Montmorency. Le général de Levis commandait la gauche et le colonel de Fougainville la

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droite. Le général on chef se réserva lo centre, il établit son quartier-général. Un corps de réserve, composé de 1,400 sol- dats de la colonie, 350 liommes de cavalerie et 450 Sauvages, en tout 2,200 combattans, commandé par M. de Boishébert revenu des frontières de l'Acadie, prit position en arrière du centre de l'armée sur les hauteurs de Beauport. Si à ces forces l'on ajoute ia garnison de Québec formée de ses habitans et comptant 650 hommes aux ordres de M. de Ramesay, et les marins, l'on aura un grand total de 13,000 combattans. " On n'avait pas compté, dit un témoin oculaire, sur une armée aussi forte, parce qu'on ne s'était pas attendu à avoir un si grand nombre de Canadiens; on n'avait eu intention d'assembler que les 1 . mmes en état de sou- tenir les fatigues de la guerre ; mais il ré^ H une telle émulation dans ce peuple que ''on vit arriver au camp des Vieillards de 80 ans et des enfans .2 à 13! qui ne voulurent jamais profiter de l'exemption accordée à leur âge; jamais sujets ne furent plus dignes des bontés de leur souverain soit par leur constance dans le travail, soit par leur patience dans les peines et les misères qui, dans ce pays, ont été extrêmes; ils étaient dans l'armée exposés à toutes les corvées." ,

L'on oitendit les ennemis dans cette position aussi imposante qu'on avait pu la rendre. Le gouverneur et les officiers de l'ad- ministration laissèrent la ville et se retirèrent à Beauport. Les principales familles gagnèrent les campagnes emportant avec elles ce qu'elles avaient de plus précieux.

Cependant les vaisseaux anglais que l'on avait vus au Bic, et dont l'immobilité dans cette partie du fleuve avait fini par sur- prendre, n'était qu'une avant-garde commandée par l'amiral Durell et envoyée de Louisbourg pour intercepter les secours venant de France. Une puissante escadre, sous les ordres de l'amiral Saunders, avait fait voile dans le mois de février pour aller prendre l'armée du général Wolfe à Louisbourg et la trans- porter à Québec. Ayant trouvé le port de Louisbourg fermé par les glaces, elle avait été en attendre la débâcle à Hali- fax. A son retour Wolfe s'y embarqua avec huit régimens de ligne, deux bataillons de fusiliers royal-américains, les trois com- pagnies de grenadiers de Louisbourg, trois compagnies de chas-

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seurs (rangers), une brigade 'le soldats du génie, 1000 soldais de marine, formant en tout 11,000 hommes environ.*

Le général Wolfe était urt jeune officier do talens qui brûlait du désir de se distinguer par des actions d'éclat. Le duc de Bed- ford lui avait donné un emploi assez considérable en Irlande ; il l'avait quitté pour prendre part à la guerre, abandonnant son avancement à la fortune. Elle a été peu favorable à ma famille, écrivàit-il, mais pour moi elle m'a souri quelquefois et m'a fait participer à ses faveurs. Je me remets entièrement à sa discré- tion." Sa conduite au ôiége de Louisbourg attira l'attention sur lui, et le fit choisir pour commander l'expédition de Québec, qui demandait à fois de l'activité, de la hardiesse et de la prudence. On lui donna des lieutenàns animés de la même ambition que lui. » Les brigadiers Monckton, Townshend et Murray, quoiqu'encore toù^ trois dans la fleur de l'âge, avaient étudié la guerre avec fruit, t s'ils étaient jeunes en années ils étaient déjà vieux par l'ex- périertee des combats. Wolfe était le fils d'un ancien major- général qui avait servi avec quelque distinction. Les trois autres appartenaient à la noblesse : Townshend à l'ordre de la pairie. Ils partirent le cœur rempli d'émulation et d'espérance. " Si le général Montcalm, s'écriait Wolfe, est capable de frustrer nos efforts encore cette année, il pourra passer pour un officier habile, ou la colonie a des ressources que l'on ne connaît pas, ou enfin nos généraux sont plus mauvais que de coutume."

L'escadre forte de 20 vaisseaux de ligne, d'un pareil nortbre de frégates et autres bâtimens de guerre plus petits, suivie d'une multitude de transports, remonta le St.-Laurent et atteignit l'île d'Orléana flans accident le 25 juin. On fut étoimé dans le pays de l'heureuse fortune de cette flotte, qui avait su éviter tous les périls de la navigation du fleuve. On a ignoré jusqu'à nos jours que le commandant d'une frégate françaiîie, Denis de Vitré, fait prisonnier pendant la guerre, avait été forcé de lui servir de pilote jusqu'à Québec, sa patrie, trahison dont il fut récompensé Tpâr un grade au service de l'Angleterre. Bientôt l'ennemi eut près de 30,000 hommes de terre et de mer devant cette ville. L'armée anglaise débarqua en deux divisions sur l'île

Les ordonnances de paiement prouvent qu'elle était d'au moins 10,000 . hommes y compris les officiers, outre les soldats de marine.

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d'Orléans évacuée de la veille par les habitans, et vint prendre position à son extrémité supérieure en face de Québec et du camp de Beauport. Le général Wolfe adressa un manifeste au peuple canadien qui devait demeurer sans effet. L'escadre anglaise se réunit graduellement sous cette île, et commença à faire reconnaître le bassin et la rade de la ville. Le capitaine Cook, qui s'est depuis immortalisé par ses voj'ages de découverte, fut employé à ce service. 11 est digne de remarque que les deux premiers navigateurs qui aient fait le tour du globe, Cook et Bou- gainville, se trouvaient alors sous les murs de Québec.

Pendant ces reconnaissar -", les Français préparèrent les brûlots qu'ils tenaient en rése.ve pour les lancer contre la flotte anglaise toujours groupée sous l'île d'Orléans. Le 28 juin le vent paraissant favorable, sept brûlots de 3 à 400 tonneaux furent lâchés, mais le feu y ayant été mis trop tôt, les ennemis eurent le temps d'en changer la direction en les remorquant au large de leurs vaisseaux, qui en furent quittes pour la peur. Un mois après on lança les radeaux enflammés, qui se consumèrent avec le même résultat ; de sorte que ces machines, dans le fond rare- ment dangereuses, mais auxquelles l'imagination populaire attri- bue toujours un effet extraordinai»*e, s'évanouirent en fumée, et débarrassèrent l'ennemi de l'inquiétude qu'elles pouvaient lui causer.

Le général Wolfe cependant après avoir examiné la situation de la ville et de l'armée française, trouva les difficultés de son entreprise plus grandes qu'il ne les avait supposées d'abord. D'un côté un ville bâtie sur un rocher qui paraissait inaccessible, de l'autre une armée nombreuse fortement retranchée pour en défendre l'approche. Ses tâtonnemens dévoilèrent au général Montcalm l'indécision de ses plans et le confirmèrent dans sa résolution de rester immobile dans son camp de Beauport. Ne pouvant approcher de Québec, Wolfe résolut, en attendant qu'il eût découvert quelque point vulnérable pour attaquer son adver- saire, de bombarder la ville et de dévaster les campagnes dans l'espoir d'obliger les Canadiens à s'éloigner pour aller mettre leurs familles et leurs effets en sûreté.

Une partie de l'armée anglaise qui était débarquée sur l'île d'Orléans, traversa à cet effet à la Pointe-Lévy le 30 juin, et y

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prit position en face de la ville après avoir délogé un petit corps de Canadiens et de Sauvages qui y avait été placé en observation ; c'était ce que le général Montcalm appréhendait le plus et ne pouvait empêcher à cause de la nature des lieux. N'osant risquer un gros corps au-delà du fleuve, il donna, lorsqu'il vit les prépa- ratifs de l'ennemi pour le bombardement, 14 ou 1,500 hommes de toutes sortes à M. Dumas pour tâcher de surprendre et de détruire les ouvrages et les batteries que le général Monkton y avait fait élever. Cet officier traversa le fleuve au sault de la Chaudière dans la nuit du 12 au 13 juillet et se mit en marche sur deux colonnes ; mais dans l'obscurité une colonne devança l'autre en passant un bois, et celle qui se trouvait en arrière, apercevant tout-à-coup des troupes devant elle, les prit pour les ennemis et les attaqua. La première colonne se voyant assaillie par-derrière brusquement, se crut coupée, riposta, tomba en désordre et, saisie d'une terreur panique, prit la fuite, entraînant la seconde après elle. Dès 6 heures du malin le détachement avait repassé le fleuve. Or a donné à cette échaffburée le nom de Coup des écoliers, parce que les élèves des écoles qui formaient partie du détachement, furent la cause première de la méprise.

C'est dans la même nuit que les batteries de la Pointe-Lévy ouvrirent leur feu sur la ville. L'on dut voir alors que les assié- geans ne reculeraient devant aucune mesure extrême, et que les lois de la guerre seraient suivies avec la dernière rigueur, car ce bombardement était inutile pour avancer la conquête. Mais ce n'était que le commencement d'un système de dévastations qui, en Europe, eût attiré sur son auteur l'animadversion des peuples, et dont l'exemple donné autrefois en Allemagne par Turenne a été blâmé par tous les historiens anglais. Les premiers projec- tiles qui tombèrent sur cette cité dont chaque maison pouvait être distinguée de l'ennemi, fit fuir les habitans, d'abord derrière les remparts du côté des faubourgs, et ensuite dans les cam- pagnes. On retira les poudres, et une partie de la garnison s'or- ganisa en sapeurs-pompiers pour éteindre les incendies. Dans l'espace d'un mois les plus belles maisons avec la cathédrale devinrent la proie des flammes. La basse-ville fut entièrement incendiée dans la nuit du 8 au 9 août. La plus grande et la plus riche portion de Québec ne fut plus qu'un monceau de ruines, et

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quantité de citoyens riches auparavant se trouvèrent par ces désastres réduits à l'indigence. Bon nombre de personnes aussi furent tuées. Le canon des remparts était inutile. La distance, plus d'un mille Jiar-dessus le fleuve, était trop grande pour qu'il pût incommoder les batteries anglaises invisibles à l'œil nu au travers des bois et des broussailles qui les masquaient.

Après avoir détruit la ville, le général Wolfe se rejeta sur les campagnes. Il fit brûler toutes les paroisses depuis l'Ange- Gardien au levant du sault Montmorency jusqu'aux montagnes du cap Tourmente et couper les arbres fruitiers. Il fit subir le même sort à la Malbaie, à la baie St.-Paul et aux paroisses de St.-Nicolas et de Ste.-Croix sur la rive droite du St.-Laurent, à quelques lieues au-dessus de Québec. L'île d'Orléans fut égale- ment incendiée d'un bout à l'autre. On c! 3ait la nuit pour commettre ces ravages, que l'on portait ai. sur les deux rives de ce grand fleuve partout l'on pouvait mettre le pied ; on enlevait les femmes et les enfans, les vivres et les bestiaux. Plus la saison avançait plus on se livrait à celte guerre de brigandages par vengeance des échecs qu'on éprouvait et pour effrayer la population. Un détachement de 300 hommes sous les ordres du capitaine Montgomery, envoyé à St.-Joachim quelques habi- tans se mirent en défense, y commit les plus grandes cruautés. Les prisonniers furent massacrés de sang-froid et de la manière la plus barbare.* Du camp de Beauport l'on apercevait à la fois les embràsemens de la côte de Beaupré, de l'île d'Orléans et d'une partie de la rive droite du fleuve.

Ces dévastations, dans lesquelles plus de 1,400 maisons furent incendiées dans les cdmpagnes,f n'avançaient pas cependant le

* " There were several of the ennemy killed and wounded, and a few prisonners taken, ail of whom the barbarous Capt. Montgomery who com- manded us, ordered to be butchered in a most inhutnan and cruel manner." &c. " Manuscript Journal relating to the opérations before Québec in 1759, kept by Colonel Malcohn Fraser, then lieutenant ofthe 18th {Fraseras Highlanders.)

•(• " VVe burned and destroyed upwards of 1,400 fine farm houses, for we during the siège were masters of a great part of tlieir country along shore, and parties were almost continually kept out ravaging the country ; so that 'ils tho't it will take them half a century to recover the damage."— .4 Jour- nal of the expédition up the river St.-Lawrence, ^c, publié dans le "New-

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but de la guerre. Les Français ne bougeaient pas. Après tant de délais et de ravages inutiles, Wolfe ne voyant point d'autre alter- native que d'attaquer la position^du général Montcalm par son flanc gauche, fit passer le gros de son armée de l'île d'Oflèans à l'Ange- Gardien, et chercher des gués pour franchir la rivière Montmo- rency. Montcalm avait fait reconnaître et fortifier ceux qui existaient. Frustré de ce côté, le général anglais dut tourner son attention ailleurs. Il ordonna à quelques vaisseaux de tâcher de remonter au-dessus de la ville. S'il pouvait mettre son armée à terre au couchant de Québec, la position du général Montcalm était tournée, car toute la force de cette position consistait dans l'impossibilité de ce passage et les Français devaient changer aus- sitôt leur ordre de bataille. Profitant du vent, Wolfe mit à la voile le 18 juillet avec deux vaisseaux de guerre, deux chaloupes armées et deux transports, et malgré les boulets il passa au-deusus de Québec avec la plus grande facilité en serrant de près le rivage de la Pointe-Lévy. Mais exaviien fait de la côte il trouva que le débarquement. entre la ville et le Cap-Rouge serait une opération trop chanceuse et après avoir poussé un détachement jusqu'à la Pointe-aux-Trerables pour faire des prisonniers, il ne vit plus d'autre parti à prendre que d'aborder de front les retranchemens des Français ou de se retirer. Il n'osa point débarquer au-dessus de la rivière du Cap-Rouge, on ne sait trop pour quelle raison ; car dès qu'il aurait eu pris terre comme plus bas, Montcalm était toujours pris à revers et devait aban- donner sa position. L'attaque de la droite et du centre des Fran- çais présentant trop de dangers, Wolfe décida de borner ses efforts à leur gauche, en l'attaquant en front par le fleuve St.-Laurent et en flanc par la rivière Montmorency. Voici quelles furent ses dispositions.

York Mercury du 31 décembre 1759. Et cependant un écrivain du temps, parlant de la conduite de M. de Contades et du maréchal Richelieu en Alle- magne par opposition à celle du général Wolfe en Canada, ajoute : " But (said the late gênerai Wolfe) Britons Lreathe higher sentiments of humanity and listen to the merciful dictâtes of the Christian Religion, which was veri- fied in the brave soldiers whom he led on to conquest by their shewing more of the true Christian spirit than the subjects of His Most Christian Majesty can prétend to." Il est impossible de pousser la naïveté plus loin.

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La rive gauche du Montmorency qu'il occupait étant près du fleuve plus élevée que la rive droite, il y fit augmenter les batteries qu'il y avait déjà et qui enfilaient par-dessus la rivière les retran- chemens des Français. Le nombre des canons, mortiers ou obusiers fut porté à plus de 60. Il fit échouer ensuite sur les récifs deux transports portant chacun 14 pièces de canon, l'un i droite et l'autre à gauche d'une petite redoute en terre élevée sur le rivage, au pied de la route de Courville, pour défendre à la fois l'entrée de cette route qui conduisait sur la hauteur occupée par les Français et le passage du gué de Montmorency en bas de la chute. Le feu de ces deux transports devait se croiser sur cette redoute, la réduire au silence et couvrir la marche des assaillana sur ce point accessible de notre ligne. Le Centurion de soixante canons vint ensuite se placer vis-à-vis de la chute, le plus près possible, pour protéger le passage du gué aux troupes qui devaient descendre du camp de l'Ange-Gardien. Ainsi 118 bouches à feu devaient tonner contre l'aile gauche de l'armée de Monicalm. Vers midi, le 31 juillet, elles commencèrent à tirer. Dans le même temps le général Wolfe formait ses colonnes d'at- taque. Plus de 1,500 berges étaient en mouvement sur le bassin de Québec. 1,200 grenadiers et une partie de la brigade du général Monkton s'embarquèrent à la Pointe-Lévy pour venir débarquer entre le Centurion et les transports échoués. La seconde colonne, composée des brigades Murray et Townshend, descendit des hauteurs de l'Ange-Gardien pour venir, par le gué, se réunir à la première colonne au pied de la route de Courville, afin d'aborder ensemble cette route et les retranchemens qui l'avoisinaient. Ces deux corps formaient 6,000 hommes. Un troisième corps de 2,000 soldats chargé de remonter la rive gauche du Montmorency, devait franchir cette rivière à un gué situé à une lieue environ de la chute, et qui était gardé par un détachement sous les ordres de M. de Repentigny. A une heure ces troi>- colonnes étaient en marche pour exécuter un plan d'at- taque qui aurait été beaucoup trop compliqué pour des troupes moins disciplinées que celles du général Wolfe.

Le général INIontcalm, quelque temps incertain sur le point qui allait être assailli, avait envoyé ses ordres sur toute la ligne pour se tenir prêt à repousser les ennemis partout ils se présente-

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raient ; mais bientôt leurs mouvemens firent connaître le lieu précis ils voulaient débarquer et le général de Levis se prépara à les bien recevoir. Après? avoir détaché 500 hommes au secours de M. de Rcpentigny. un autre petit parti pour, suivre le mouvement du corps ang i allait tenter le passage

du gué du Montmorency, il fit demau r quelques bataillons de réguliers du centre pour le soutenir en cas de besoin. Le géné- ral Montcalm vint à deux heures examiner la situation de sa gauche; il parcourut les lignes, approuva les dispositions du che- valier de Levis, donna de nouveaux ordres et retourna au centre afin d'être à portée d'observer ce qui se passait partout. Trois bataillons avec quelques Canadiens des Trois-Riviôres vinrent renforcer cette aile ; la plus grande partie se plaça en réserve sur la grande route de Bcauport et le reste fut acheminé sur le gué défendu par M. de Repentigny. Cet officier avait été allaqué par la colonne anglaise avec assez de vivacité ; mais il l'avait forcé d'abandonner son entrepriye après lui avoir mis quelques hommes hors de combat. La retraite de ce corps permit aux renforts qui arrivaient à M. de Repentigny de rebrousser chemin et de revenir sur le théâtre de la principale attaque.

La colonne de la Pointe-Lévy cependant qui venait sur les berges, sous les ordres du général Wolfe lui-même, après avoir fait beaucoup de mouvemens divers comme pour tromper les Français sur le véritable point elle voulait opérer sa descente, se dirigea enfin vers les transports échoués ; en arrivant la marée étant basse une partie des berges fut arrêtée par une chaîne de cailloux et de galets, qui la retint quelque temps et causa quelque désordre ; le général en chef ayant fait surmonter bientôt tous les obstacles, 1200 grenadiers appuyés de 200 hommes d'autres troupes sautèrent à terre sur une plage spacieuse et unie, ils devaient se former en quatre divisions et marcher soutenus par la brigade Monkton débarquée derrière eux. Par quelque malen- tendu cet ordre ne fut pas ponctuellement exécuté. Ils se mirent en colonne ; et suivis, mais de trop loin, par la brigade Monckton rangée en trois divisions, ils marchèrent sur la redoute qui gardait l'entrée de la roule de Courviile, au son d'une musique guerrière. La redoute avait été évacuée. Les grenadiers s'y arrêtèrent et se formèrent en colonnes d'attaque pour assaillir les retranchemena

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qui étaient à une petite portée de fusil, tandis que toutes les batte- ries enneiriies, redoublant de vigueur, faisaient pleuvoir depuis midi sur les Canadiens qui défendaient cette partie de la ligne fran- çaise, une grêle de bombes et de boulets que ceux-ci essuyaient avec la plus grande patience et la plus grande fermeté. Lors- que les assaillans furent formés, ils s'ébranlèrent la bayonnette au bout du fusil pour aborder les retranchemens. Leur cos- tume et leur attitude contrastaient singulièrement avec l'ap- parence de leurs adversaires, enveloppés d'une légère capote fortement serrée autour des reins et n'ayant, pour suppléer à leur discipline, que leur courage et la justesse remarquable de leur tir. Ils attendirent froidement que l'ennemi atteignit le pied du coteau, à quelques verges seulement de leur ligne, pour les cou- cher en joue. Alors* ils lâchèrent des décharges si rapides et et si meurtrières qu'en peu de temps les deux colonnes an- glaises furent jetées en désordre, et que malgré les efforts de leurs officiers, elles prirent toutes la fuite pêle-mêle pour aller chercher un abri derrière la redoute, elles ne purent jamais être reformées et ensuite derrière le reste de leur armée déployée xm peu plus loin. Au même moment survint un violent orage de pluie et de tonnerre, qui déroba les combattans à la vue les uns des autres pendant quelque temps, et dont le bruit plus imposant et plus vaste, fit taire celui de la bataille. Lorsque la tempête fut passée et que le brouillard se fut dissipé, les Canadiens aper- çurent les ennemi H qui se rembarquaient avec leurs blessés, après avoir mis le feu aux deux transports échoués, se retirant comme ils étaient venus, les uns dans leurs berges et les autres par le gué de la rivière Montmorency. Le feu de leur nombreuse artil- lerie, à laquelle on n'avait pu répondre qu'avec une dixaine de pièces de canon, qui avaient incommodé cependant beaucoup les troupes de débarquement, dura sans discontinuer jusqu'au soir, et l'on estime qu'elle tira 3000 coups de canon dans cette journée. La perte des Français, causée presqu'entièrement par cette arme, fut peu considérable, si Ion considère qu'ils furent plus de six heures exposés à une grêle de projectiles. Les ennemis eurent

" Their small arms, in their trenches, lay cool tiil they were sure

of their mark ; they Ihen poured their small shotlikeshowersof hall, which caused our brave grenadiers to fall very fast." Journal d'un officier anglais.

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environ 500 hommes hors de combat dont un grand nombre \ d'officiers.

La victoire remportée à Montmorency fut due principalement aux judicieuses dispositions et à l'activité du chevalier de Levis, qui avec moins de troupes immédiatement sous la main que le général Wolfe, sut néanmoins en réunir un plus grand nombre que lui au point d'attaque. Quand bien même les grenadiers anglais auraient franchi le retranchement, il est encore fort dou- teux s'ils eussent pu réussir à gagner la victoire appuyés du reste de leur armée. Le terrain de la grève au chemin de Beauport e'élevant en cet endroit par petits gradins ou pentes assez incli- nées, entrecoupées transvei salement de ravins entre lesquels serpente la route de Courville, offrait un théâtre très favorable au tirailleur canadien. De plus, les bataillons de réguliers qui étaient de réserve en arrière étaient prêts à marcher à son secours s'il en eut eu besoin.

Le général Wolfe rentra dans son camp accablé de l'échec qu'il venait d'éprouver. Son imagination envisageait avec une espèce d'effroi l'impression que sa défaite allait causer en Angle- terre, et les propos malveillans que l'on tiendrait sans doute sur l'audace qu'il avait eue de se charger d'une entreprise qui était au-dessus de ses forces. Il voyait dans un moment s'évanouir tous ses rêves d'ambition et de gloire, et la fortune entre les mains de laquelle il avait confié son avenir, l'abandonner presque aux premiers pas qu'il faisait sous ses auspices. Il semblerait que son esprit n'avait plus sa lucidité ordinaire, quand on le voit, après avoir perdu tout espoir de forcer le camp du général Mont- calm, détacher sérieusement le général Murray avec douze cents hommes, pour détruire la flotille française aux Trois-Rivières et s'ouvrir une communication avec le général Amherst sur le lac Champlain. Murray partit avec 300 berges; mais il s'avança peu avant dans le pays. Repoussé deux fois à la Pointe-aux- Trembles par le colonel de Bougainville à la tête de 1,000 homme» détachés de l'armée pour suivre ses mouvemens, il débarqua à Ste.-Croix, qu'il incendia comme nous l'avons rapporté ailleurs. De il se jeta sur Deschambault il pilla et brûla les équipages des officiers français, et se retira ensuite précipitamment sans avoir pu accomplir l'objet de sa mission ; mais non sans avoir

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considérablement inquiété Montcalm, qui, à la première nouvelle de ces incursions, se mit en chemin incognito pour Jacques Car- tier, craignant que les Anglais ne s'emparassent de cette riviùio et ne coupassent le pays en deux en se fortifiant dans cett;î posi- tion importante; rendu à la Pointe-aux-Trembles ayant appris leur retraite il revint sur se pas.

Après ce nouvel échec, une maladie dont le général Wolfe portait le germe depuis longtemps, favorisé par les fatigues du corps et les inquiétudes de l'esprit, se développa toul-à-coup et le mit aux portes du tombeau. Lorsqu'il fut assez bien rétabli pour pouvoir s'occuper d'affaires, il adressa une longue dépêche à son gouvernement dans laquelle il exposa tous les obstacles contre lesquels il avait à lutter, les regrets cuisans qu'il éprouvait du peu de succès de ses efforts, et dans laquelle respirait en même temps ce dévoûment pour la patrie qui animait à un si haut degré l'âme de ce guerrier. On fut plus touché en Angle- terre de la douleur du jeune commandant que de l'échec des armes de la nation.

L'esprit de Wolfe avait fléchi comme son corps, sous le poids de sa situation, qui ne lui laissait plus que le choix des difficultés, comme il le disait lui-même. Il appela à son secours l'aide de ses lieutenans, dont nous avons déjà fait connaître les talens et le caractère. Il les invita à considérer quel était, dans leur opinion, le meilleur plan à suivre pour attaquer le général Montcalm avec quelque chance de succès, leur faisant part en même temps de son a ■', qui était de renouveler l'attaque de l'aile gauche du camp de Beauport, et de dévaster et ruiner le pays autant que cela serait possible sans nuire à la principale opération de la campagne.

Les généraux Monckton, Townshend et Murray répondirent le 29 août qu'une nouvelle attaque du camp de Beauport serait une entreprise fort hasardeuse ; que, suivant eux, le moyen le plus sûr de frapper un coup décisif, serait de se retirer sur la rive droite du St.-Laurent, de la remonter quelque distance et de tra- verser de nouveau sur la rive gauche, afin de porteries opérations au-dessus de la ville. " Si nous réussissons, disaient ces géné- raux, à nous maintenir dans cette nouvelle position, nous force- rons le général Montcalm à combattre nous voudrons ; nous

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Fcma entre lui et ses mngasins, entre son camp et l'armée qui n'oppose au général Amherst. S'il nous otTre la bataille et qu'il la penlc, Québec et probablement tout le Canada tomberont entre nos mains, avantage plus grand que celui que l'on pourrait attendre d'une victoire à Beauport ; s'il traverse la rivière St.- Chn "les avec des forces sulFisantes pour s'opposer à cette opéra- tion, le camp de Beauport ainsi alFaibli pourra être attaqué plus facilement." Les forces navales des Anglais en leur assurant la possession du fleuve, mettaient le général Wolfe à môme de porter ses troupes sur tous les points accessibles. Le plan des trois généraux anglais fut approuvé par leur chef, et les ordres néces- saires furent donnés pour le mettre sans délai à exécution. On no parlait point de donner l'assaut à Québec par le port; on avait reconnu que cette tentative aurait été plus que téméraire. V Après cette décision, les Anglais levèrent leur camp du snult Montmorency ou de l'Ange-Gardien sans être inquiétés dans leur retraite, chose que l'on reprocha ensuite au général Mont- calm comme une faute, et les troupes et l'artillerie furent trans- portées à la Pointe-Lévy le 3 septembre. Le bombardement de la ville et les ravages des campagnes étaient les seules entreprises dans lesqvielles les ennemis eussent encore réussi, entreprises qui étaient elles-mêmes une espèce d'hommage, mais d'hommage terrible rendu à l'opiniâtreté des défenseurs du Canada.

Le général Montcalm voyant que l'ennemi allait maintenant porter son attention au-dessus de Québec, s'occupa de la garde de la rive gauche du fleuve sur laquelle est située cette ville. Tl envoya un bataillon camper sur les hauteurs d'Abraham pour se porter au besoin soit dans la place, soit du côté de Sillerj^ soit du côté de la rivière St.-Charles; mais le malheur voulut qu'on le retirât deux jours après. Il donna encore au colonel de Bougainville chargé du commandement de cette rive, 1000 hommes tant régu- liers que miliciens au nombre desquels se trouvaient cinq compa- gnies de grenadiers et la cavalerie ; il fit renforcer aussi les gardes placées sur le rivage entre la ville et le Cap-Rouge. Inquiet de plus en plus, il trouva bientôt ces troupes trop faibles en voyant les vaisseaux anglais s'étendre de Sillery à la Pointe-aux-Trembles. Craignant pour la sûreté de ses vivres, il envoya de nouveaux renforts à Bougainville dont presque tous les Sauvages de l'armée

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avaient rejoint le détachement. Cet oflicier ae trouva bientôt avoir à SCS ordres, en y comprenant les Indiens, 3000 hommes répandus depuis Sillery jusqu'à la Pointe-aux-Tremhles ; c'était l'élite des troupes. On lui réitéra l'ordre de coiuiiiucr à suivre attentivement tous les mouvemcns de l'ennemi, qui dei)iiis plusieurs jours, menaçait à la fois le camp de Beauport, la villo et les magasins de l'armée.

Jusqu'à ce moment les choses avaient assez bonne apparence du côté de Québec ; mais les nouvelles que l'on recevait du lac Champlain et du lac Ontario n'étaient pas fort rassurantes. Le chef de brigade Bourlamarque, qui commandait sur la frontiéro du lac Champlain ; avait, comme on l'a vu, bous ses ordres trois bataillons de troupes réglées, 300 hommes tirés de ceux qui étaient à l'armée de Québec, et 800 Canadiens, en tout 2,300 hommes. D'après les ordres de Paris, il devait se replier si l'en- nemi se présentait avec des forces supérieures. Le général en chef des armées anglaises, lord Amherst, devait opérer de ce côté avec des forces imposantes. Le souvenir do la sanglante défaite de Carillon encore tout frais dans la mémoire, ne fit que l'engager à augmenter de précautions. Ce général arriva le 3 mai à Albany, il rassembla son armée, et d'où il dirigea tous les préparalits de la campagne. Le 6 juin il vint camper au fort Edouard, chaque régiment se couvrant d'un blochaus tant il crai- , gnait les surprises des Français, et le 21 il se porta avec 6,000 soldats à la tête du lac St.-Sacrement, son ingénieur en chef, le colonel Montresor, traça le plan du fort "George sur une émi- nence à quelque distance du lac et de l'emplacement qu'avait occupé celui de William-Henry. Le général Amherst y avant réuni toutes ses troupes, s'embarqua le 21 juillet avec 15 batcil- Ions formant 12,000 hommes, dont .^),700 réguliers, et 54 bouches à feu, et vint débarquer au pied du lac sans opposition. Après quelques petites escarmouches d'avant-garde, il parvint au bout de deux jours en vue du fort Carillon, M. de Bourlamarque s'était réplié en bon ordre, et fit mine de vouloir se défendre pour couvrir sa retraite. Le lendemain les Français se replièrent sur le fort St.-Frédéric laissant 400 hommes dans le fort Carillon, qui l'évacuèrent le 26 en faisant sauter une partie des fortifi- cations. Cette importante position ne coûta qu'une soixantaine

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d'hommoa aux Anglais. Boiirlatnarquo craignant (Pôtre loiirné jiar l'ennemi, cjui luisait des berges et des radeaux pour cl-scendro le lac, fit sauter aussi le fort St.-Frédéric et se retira à l'île aux Noix. Aussitôt, le 4 août, le général Amlierst se porta avec le gros do son armée dans le poste évacué, et y fit élever un nouveau fort auquel fut donné le nom do Crown Point, pour protéger cette partie contre les irruptions des bandes canadiennes. En môme temps, voulant obtenir la supériorité sur le lac Champlain, il donna l'ordre de construire des vaisseaux et de relever les bar- ques françaises qui avaient été coulées avant l'évacuation do Carillon : cela le retint jvisqu'au mois d'octobre. De son côté, le chef de brigade Bourlamarque retiré à l'île aux Noix et s'attcndant à être attaqué d'un moment à l'autre, prenait tous les moyens de retarder la marche de l'ennemi, soit par des embarras dans le bas du lac, soit par des fortifications sur l'î^e il était lui-môme. Mais comme à Québec l'on regardait cette frontière comme perdue si le géi ■'•rai Amherst montrait un peu de vigueur.

Les nouvelLd du lac Ontario et de l'îiagara éiciiont encore plus mauvaises. Le capitaine Pouchot, qui, était parti pour le dernier poste l'automne précédent, et qui n'avait pu aller au-delà de la Présentation, fut chargé de s'y rendre dès le petit printemps afin de relever M. de Vassan. Il partit de Montréal à la fin de mars avec environ 300 réguliers et Canadiens, attendit à la Présentation deux corvettes do 10 pièces de canon que l'on se hâta d'achever, et parv"nt le 30 avril à Niagara. Il commença aussitôt à faire travailler aux réparations de la place, dont les murailles étaient en ruine et les lossés presque comblés. Chargé de faire replier les postes de l'Ohio s'ils étaient attaqués, et n'entendant parler d'aucun mouvement de ce côté, il envoya un renfort avec des vivres et des marchandises à Machault, commandait M. de Ligneris, se proposant de faire détruire les forts de Pittsburgh et de Loyal- Hanau si l'occasion s'en présentait, La plus grande fermentation régnait toujours pendant ce temps parmi les tribus sauvages de l'Ohio et des lacs, parce qu'il y en avait qui s'obstinaient à tenir pour les Français malgré les traités conclus avec les Anglais. Les succès de ces derniers allaient donner une solution défi- nitive à tous ces débats, dans lesquels perçaient les doutes, les inquiétudes, les projets des Indiens pour l'avenir. Ktourdis par

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tout ce qui se passait sous leurs yeux, ils so voyaient écrasùs par les deux grandes nations bclligùrantea sans oser les oflenscr. Lo commandant do Niagara eut do nombreuses conférences avec ce.i tribus sans (ju'il en résultât rien d'important. Les cinq nations 80 rapprochaient complètement des Anglais ; de sorte qu'il no pouvait avoir de renscignemens exacts sur leurs mouvemens, et il les croyait encore loin de lui, lorsque le G juillet ils arrivèrent dans son voisinage.

Suivant le plan général adopté par l'Angleterre pour les opé- rations de la campagne, une armée devait aller mettre le siégo devant Niagara. Le chef de brigade Prideaux fut chargé de cette entreprise. 11 partit de Schenectady le 20 mai à la tôte do cinq bataillons, dont deux de troupes réglées, un détachement d'artillerie et un corps considérable de Sauvages sous les ordres de sir William Johnson. Il laissa à Osvvégo, en passant, le colonel Haldimand pour y bâtir un fort, s'embarqua sur le lac Ontario le 1er julK-it et vint débarquer à six milles de Niagara sans être aperçu.

Ce fort, bâti sur une pointe de terre étroite, était facile à investir. Le commandant Pouchot venait de finir les remparts; mais les batteries des bastions qui étaient à barbette, n'étai'înt pas encore terminées. Il les forma de tonneaux remplis de terre. Il renforça par des blindages une grande maison du côté du lac pour y établir des hôpitaux, et couvrit par d'autres ouvrages les magasins à poudre. La garnison était composée d'un peu moins de 500 hommes.* Aussitôt qu'il se fût assuré de la présenc'-î de l'ennemi, il expédia un courrier pour ordonner à Chabert au fort du Portage, à de Ligneris au fort Machault et aux autres comman- dans du Détroit et des. postes de la Presqu'île, Venango et Le Bœuf, de se replier sur Niagara avec ce qu'ils auraient de Fran- çais et de Sauvages. Ainsi on abandonnait encore une autre vaste étendue de territoire et l'un des plus beaux pays du inonde. Chabert brûla «on fort et atteignit Niagara le 10 juillet. Dans la nuit même les assiégeans commencèrent une parallèle à 300 toises des murailles. Du 13 au 22 ils ouvrirent successivement le feu de plusieurs batteries de mortiers et de canons, et parvin-

* Mémoires sur la dernière guerre de V Amérique septentrionale, etc., par Touchot, 1771.

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rent au corps même de la place. La mort de leur commandant, le général Prideaux, tué par un mortier qui éclata, ne ralentit point leurs travaux, que sir William Johnson qui le remplaça en attendant son successeur, poussa avec la plus grande vigueur malgré la vivacité du feu des assiégés. Bientôt les bastions du fort furent en ruine et les batteries complètement rasées. L'on était réduit à faire des embrasures avec des paquets de pelleterieis, et à bourrer les canons avec des couvertes et des chemises, faute d'autres matières. Cependant le feu de l'ennemi augmentait à chaque moment de force et d'efficacité, et les murailles s'écrou- laient de toutes parts. Déjà la brèche était praticable sur un large front, et on n'avait qu'un homme par dix pieds pour garnir celui d'attaque. Depuis 17 jours personne ne s'était couché : un grand nombre d'hommes était hors de combat. On n'atten- dait plus enfin de salut que des renforts demandés et qui arri- vaient des postes supérieurs. Le 23 Pouchot avait reçu des lettres d'Aubry, commandant du Détroit, et de Ligneris, qui l'in- formaient qu'on arrivait à son secours avec 600 Français, dont 300 tirés des Illinois, et 1000 Indiens. Malheureusement l'en- nemi savait tout ce qui se passait chez les assiégés par la perfidie des courriers d'Aubry et de Ligneris, qui avaient même eu une entrevue avec les Sauvages alliés des Anglais, à laquelle Johnson avait assisté. Celui-ci, informé par eux de l'approche de ces secours, résolut de leur tendre une embuscade pour les intercej)- ter. Il plaça à cet effet la plus grande partie de ses troupes sur la gauche du chemin conduisant de la chute au fort de Niagara, derrière des abatis d'arbres qui les cachaient complètement, et attendit ainsi embusqués les Français, qui après avoir laissé 150 hommes au pied du lac Erié pour la garde des bateaux, s'avan- çaient sans soupçon au nombre de 450, outre le millier de Sau- vages, lorsque des ennemis furent tout-à-coup signalés. A la vue des Iroquois anglais, les Sauvages refusèrent de marcher en avant sous prétexte de pactiser avec les guerriers des cantons. Quoiqu'abandonnés ainsi de leur principale force, Aubry et de Ligneris ne crurent -pas devoir interrompre leur marche. Igno- rant l'embuscade qu'on leur avait tendue et croyant que les Sau- vages qu'on apercevait n'étaient que des hommes isolés, ils con- tinuaient à cheminer rapidement dans un sentier étroit lorsqu'ils

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dôcouvrircnl de plus grandes forces devant eux. Ils voulurent alors mettre leurs troupes en bataille, mais le temps et l'espace leur manquèrent. Au premier choc ils forcèrent les Anglais sortis de l'abatis pour les attaquer à y rentrer précipitamment, et ils allaient les y charger à leur tour lorsqu'ils se virent assaillis de front :t de flanc par près de 2,000 hommes. La queue de leur colonne, incapable de résister, se replia et laissa la tête exposée aux coups de l'ennemi, qui dirigea sur elle tout son feu et l'écrasa. Une cinquantaine d'hommes seulement restèrent debout et essayèrent de se retirer en combattant; ils furent chargés à la bayonnette et la plus grande partie resta sur la place. Le reste fut poursuivi avec vigueur. Les Indiens, qui avaient refusé de combattre, furent exposés comme les vaincus à toute la vengeance de l'ennemi, et un grand nombre tomba sous ses coups dans les bois. Presque tous les officiers furent tués, blessés ou faits prisonniers. Aubry, Ligneris et plusieurs autres chefs tom- bèrent blessés entre les mains des Anglais. Ce qui échappa au massacre atteignit le détachement de M. de Rocheblave, et tous ensemble ils rétrogradèrent vers le Détroit et les autres postes de l'Ouest.

Après ce désastre, Pouchot reçut de sir William Johnson une liste des officiers tombés en son pouvoir. Ne pouvant croire tout ce qui venait de se passer, il envoya un officier pour s'assu- rer de la vérité. Le doute n'étant plus possible, la garnison réduite du tiers et épuisée de fatigues dut accepter la capitulation honorable que lui offi-ait Johnson, désireux de se rendre maître de la place avant l'arrivée du général Gage, déjà en chemin pour vfsnir remnlaccr le général Pridreaux.

Niagara était le poste fortifié le plus considérable du Canada et le plus important des lacs par sa situation. Sa perte sépara les lacs supérieurs du bas de la province, et les Français se trou- vèrent par cet événement refoulés d'un côté jusqu'au Détroit, et de l'autre jusqu'aux rapides du St.-Laurent au-dessus de Montréal, le fort Frontenac, faute de temps, n'ayant pas été relevé. La possession du lac Ontorio appartint de ce moment aux ennemis. Les progrès des Anglais jetaient naturellement M. de Vaudreuil dans une grande perplexité. Dans la situation critique l'on se trouvait, il fallait donner un peu à la fortune.

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Il résolut d'envoyer le chevalier de Levis faire un tour d'inspec- tion vers le haut du pays, afin d'examiner et d'ordonner ce qu'il conviendrait de faire pour retarder la marche de l'ennemi tant sur le St.-Laurent que sur le lac Champlain. On lui donna 800 hommes, tirés de l'armée de Beaupart dont 100 réguliers, pour renforcer M. de la Corne, qui commandait au-dessus du lac St.- François. Il partit le 9 août de Québec et laissa, en passant à Montréal, 400 hommes pour aider à récolter les grains en atten- dant qu'on eût des nouvelles positives de la marche des Anglais, encourageant en môme temps les femmes, les religieuses, les moines, les prêtres et généralement tout le monde de la ville à prendre part aux travaux de la moisson, dont dépendait le isalut commun pour les subsistances. Cet officier général poussa sa reconnaissance jusqu'à Frontenac, examina tout, indiqua les endroits qu'il fallait défendre ou fortifier depuis le lac Ontario jusqu'à Montréal, et ordonna à M. de la Corne de disputer le terrain pied à pied aux Anglais que l'on savait avoir 6,000 hommes sur cette ligne.

Le chevalier de Levis visita ensuite le lac Champlain, il approuva tout ce que le chef de brigade Bourlamarquc avait fait.

Il était de retour à Montréal de})uis le 11 septembre, lorsque le 15, à 6 heures du matin, il reçut un courrier extraordinaire du marquis de Vaudreuil, qui lui apprenait le funeste résultat de la bataille d'Abraham du 13 septembre, la mort du général Mont- calm, et qui lui apportait l'ordre de descendre au plus vite pour prendre le commandement de l'armée.

M. de Bougainville épiait toujours les mouvemens des Anglais devant cette ville. Ceux-ci faisaient divers mouvemens pour cacher leur véritable dessein. Le 7, le 8 et le 9 septembre une douzaine de vaisseaux remontèrent le fleuve avec une grande partie de l'armée et jetèrent l'ancre au Cap-Kouge, envoyant simultanément des détachemens sur divers points du rivage pour diviser l'attention des Français. La moitié de ces troupes fut débarquée sur la rive droite du St.-Laurent, pendant que les officiers examinaient attentivement la rive gauche, de Québec au Cap-Rouge, et découvraient le chemin qui conduisait de l'anse du Foulon au fond des plaines d'Abraham. Dans le même temps

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ils apprenaient qu'un convoi de vivres pour Québec devait passer dans la nuit du 12 au 13.

Depuis que les Anglais étaient maîtres du fleuve au-dessus de la capitale, l'approvisionnement de l'armée était devenu pres- qu'impossible par eau. On dut faire venir les vivres des magasins de Batiscan et des Trois-Riviôres par terre, et comme il n'était resté que des enfans en bas âge, des femmes et des vieillards auxquels leurs infirmités n'avaient pas permis de prendre les armes, c'était avec le secours de bras si faibles qu'il fallait opérer le transport. L'on charria sur 271 charrettes de Batiscan à l'armée, 18 lieues, 700 quarts de lard et de farine, la subsistance de 12 à 15 jours ; mais l'on fut effrayé des difficultés que ce service entraînait; beaucoup de charrettes étaient déjà brisées; les femmes et les enfans qui les conduisaient, rebutés d'un travail si rude, ne laissaient point espérer qu'ils pussent le soutenir long-temps, et les hommes revenus de l'armée ne pouvaient abandonner les travaux des champs qui pressaient. Ou essaya donc de se servir encore une fois de la voie du fleuve toute hasardeuse qu'elle était pour faire descendre des vivres, et c'est à la suite de cette résolution qu'avait été expédié le convoi dont Ton vient de parler. Malheureusement les prisonniers commu- niquèrent la conâigne que les bateaux de ce convoi devaient donner en passant aux sentinelles placées sur le rivage. Le général Wolfe s'empressa de profiter de cette heureuse circons- tance pour jeter son armée à terre dans l'anse du Foulon et s'emparer des hauteurs voisines. Pour mieux cacher son dessein il donna des ordres .pour que d'une part, un grand nombre de barques fissent des mouvemens en face du camp de Beauport comme s'il s'agissait d'opérer une descente, et que de l'autre, .les vaisseaux restés au Cap-Rouge fissent des démonstrations vers St. -Augustin, afin d'attirer l'attention du colonel de Bougainville de ce côté. Ces ordres donnés, il ne songea plus qu'à opérer son débarquement. Le 13, à une heure du matin, une partie des troupes rembarquées de la veille sur les vaisseaux, descendit dans des bateaux plats et se laissa dériver dans le plus grand silence par une nuit fort noire avec le reflux de la marée le long du rivage jusqu'au Foulon, les officiers parlant français ayant été choisis pour répondre au qui- vive des sentinelles, qui, dans l'obscurité, laissèrent passer ces

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bateaux croyant, que c'était le convoi do vivres atlenilu. Les vaisseaux de l'amiral Holmes les suivaient à trois quarts d'heure de distance avec le reste des troupes. Rendus au point indiciué les Anglais débarquèrent sans coup lerir. L'infanterie légère, eu mettant pied à terre avec le général Wolfe à sa tète, s'empara du poste qui déiendail le pied du chemin conduisant au sommet do la falaise, gravit l'escarpement qui n'est pas assez abrupte, dans cet endroit pour empêcher les arbres de pousser, et parvenu sur le plateau, surprit et dispersa après quelques coups de fusil la garde qui y était placée et dont le commandant fut pris dans son lit. Pendant ce temps-là les bateaux retournés aux vaisseaux ramenaient le reste des troupes sous les ordres du général Tovvnsbend. Au jour l'armée anglaise était en bataille sur les plaines d'Abraham.

M. de Vaudreuil reçut la nouvelle inattendue de ce débarque- ment à 6 heures du matin ; elle fut aussitôt communiquée au général Montcalm qui ne pou lit y croire. Il pensait que c'é- tait quelque détachement isolé qui s'était aventuré jusque-là par hasard comme l'on en avait vu en d'autres endroits des bords du St.-Laurent ; et, emporté par sa vivacité ordinaire, il se mit on marche avec une portion seulement de ses troupes, sans môme faire part de ses dispositions au gouverneur, laissant 1,500 hom- mes pour la garde du camp de Beauport et les artilleurs répan- dus sur la ligne des retranchemens.

Dans ce moment, l'armée de Beauport se trouvait réduite à 6,000 combattans environ par les corps qu'on en avait détachés.* Dans sa plus grande force elle avait été de 13,000 hommes. 800 étaient partis avec le chevahcr de Levis. Le colonel Bou- gainville en avait 3,000 avec lui, tous soldats d'élite outre la cava- lerie. La garnison de Québec qui ne prit point de part à la bataille qui suivit, comptait 7 à 800 hommes ; enfin, un grand nombre de Canadiens avait obtenu la permission d'aller faire les récoltes, tandis que les plus âgés et les plus jeunes croyant le danger passé étaient retournés chez eux ; de sorte que l'armée était réduite de plus de moitié. Le général Montcalm prit avec lui 4,500 hommes f et laissa le reste dans le camp. Ces trou-

* Documens de l'aris. t Ibid.

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pes défilèrent par le pont de bateaux établi sur la rivière St.- Charles, entrèrent dans la ville par la porte du Palais au nord, !;i traversèrent et sortirent par les portes St. -Jean et St.-Louis à l'ouest du côté des plaines d'Abraham, elles arrivèrent à huit heures à la vue de l'ennemi. Montcalm aperçut non sans éton- nement toute l'armée anglaise rangée en bataille prête à le rece- voir. Emporté par une précipitation funeste, il résolut de brus- que l'attaque, malgré tous les avis contraires qu'on put lui donner, surtout son major général le chevalier de Montreuil, qui lui repré- senta qu'il n'était pas en état d'attaquer avec le peu de monde qu'il avait sous la main, et l'ordre positif du gouverneur, qui lui mandait, par un billet, d'attendre pour commencer qu'il eût réuni toutes ses forces, et qu'il marchait lui-même à soii secours avec les troupes qu'il avait laissées pour la garde du camp. Soit suite de la division qui séparait ces deux hommes, soit que ce général craignît, comme il le donna pour raison, que les Anglais ne se retranchassent ils étaient, ce qu'ils avaient déjà commencé à faire, et ne se rendissent par inexpugnables, il donna l'ordre du combat. Les Anglais étaient deux contre un ; ils comptaient plus de 8,000 hommes présens sous les armes.* Mais Montcalm aimait à braver la fortune, elle pouvait couronner encore son audace comme elle l'avait fait à Carillon elle lui avait donné la victoire sur 15,000 hommes avec moins de 4,000.

Il rangea ses troupes en bataille sur une seule ligne de trois hommes de profondeur, la droite sur le chemin de Ste.-Foy et la gauche sur le chemin de St.-Louis, sans corps de réserve. Les réguliers, dont les grenadiers étaient avec M. de Bougainville, formaient cette ligne. Les milices et quelques Sauvages furent jetés sur les deux ailes. Puis sans donner le temps de prendre haleine, il donna l'ordre de marcher en avant. On s'avança si précipitamment que les rangs se rompirent et que les bataillons se trouvèrent en avant les uns des autres de manière à faire croire aux ennemis qu'on s'avançait en colonnes, surtout le centre.

L'armée du général Wolfe était rangée en carré en face des buttes à Neveu qui lui cachaient la ville, et s'ajipuyait à une petite émincnce sur le bord de l'escarpement du St. -Laurent.

Le 24 décembre les 10 régimcus anglais l'urmaicnt encore 8201 sans compter les officiers.

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Un côté faisait face à ces buttes; un autre regardait le chemin de Sto.-Foy, le long duquel il était rangé, et le troisième était tourné voru le bois de Siilery. Wolfe avait fait commencer une ligne de jietites redoutes en terre le long du chemin de Ste.-Foy, laquelle se prolongeait en demi-cercle en arrière. Six régimens formaient le côté du carré faisant face à la ville avec les grenadiers de Louisbourg et deux pièces de canon. Trois gros régimens formés en potence garnissaient les deux autres côtés. Les montagnards écossais en formaient partie avec deux pièces de canon. C'était le 78e régiment fort à lui seul de quinze à seize cents hommes. Un autre régiment placé en réserve dans le centre des lignes était distribué en huit divisions pour se porter le besoin l'exige- rait.

L'action commença par les tirailleurs canadiens et quelques Sauvages. Ils assaillirent d'un feu très vif la ligne anglaise qui essuya cette mousqueterie sans s'ébranler, mais en faisant des pertes. Le général Wolfe qui savait que la retraite était impos- sible s'il était battu, parcourait les rangs de son armée, animait les soldats, faisait mettre deux balles dans les fusils et ordonnait de ne tirer que lorsque les Français seraient à vingt pas. Ceux-ci qui avaient perdu toute leur consistance lorsqu'ils arrivèrent à leur portéa, ouvrirent irrégulièrement, et dans quelques bataillons de trop loin, un feu de pelotons qui fit peu d'effet. Ils ne conti- nuèrent pas moins cependant d'avancer ; mais en arrivant à qua- rante pas de leurs adversaires, ils furent reçus par un feu si meur- trier que dans le désordre ils étaient déjà, il fut impossible de régulariser leurs mouvemens, et en peu de temps tout tomba dans la plus étrange confusion. Le général Wolfe saisit ce moment pour charger à son tour, et, quoique déjà blessé au poignet par un tirailleur, il prit ses grenadiers pour aborder les Français à la bayonnette, lorsqu'ayant à peine fait quelques pas il fut atteint (l'une seconde balle qui lui traversa la poitrine. On le porta en arrière, et ses troupes, dont .a plupart ignorèrent sa mort jus- qu'après la bataille, continuant leur mouvement offensif se mirent à la poursuite des Français, dont une partie, saisie d'une terreur panique, lâchait le pied dans le moment môme pèle-môle, malgré les efforts du général Montcalm et des principaux officiers pour arrêter le désordre. Une des personnes qui étaient auprès do

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Wolfe «'étant écriée: Us fuient ! Qui? demanda le géné- ral mourant, sa figure s'animant tout-à-coup. Les Français! lui répondit-on. Quoi déjà! alors je meurs content, dit ce héros, et il expira.

Presqu'en même temps le colonel Carleton était blessé à la tête, et le chef de brigade Monkton, atteint d'un coup de feu, quittait le champ de bataille et le commandement de l'armée au général Tovvnshend, troisième en g.'ade, et chargé du comman- dement de la gauche.

Les vainqueurs pressaient alors les fuyards de toutes parts à la bayonnette ou le sabre à la main. La résistance ne venait guère plus que des tirailleurs. Le chef de brigade M. Sènezergues et le baron de St.-Ours, qui remplissait le même grade dans celte bataille, tombèrent mortellement blessés au pouvoir des ennemis. Le général Montcalm, qui avait déjà reçu deux blessures, faisait tous ses efforts pour rallier ses troupes et régu- lariser la retraite ; il se trouvait entre la porte St.-Louis et les buttes à Neveu, lorsqu'un nouveau coup de feu dans les reins le jeta blessé mortellement en bas de son cheval. Il fut emporté dans la ville, se jetait une partie des Français, tandis que l'autre, la plus considérable, fuyait vers le pont de bateaux de la rivière St.-Charles. Le gouverneur arriva de Beauport au moment les troupes se débandaient. Il rallia mille Canadiens entre les portes St.-Jean et St.-Louis, avec lesquels il arrêta par un feu très nourri quelque temps l'ennemi et sauva les fuyards.' La déroute ne fut totale que parmi les troupes réglées. Les Canadiens combattirent toujours quoiqu'on retraitant ; et ils for- cèrent à la faveur des petits bois dont ils étaient environnés, plusieurs corps anglais à plier, et ne cédèrent enfin qu'à la supé- riorité du nombre. C'est dans cette résistance que les vainqueurs éprouvèrent les plus grandes pertes. Trois cents montagnards écossais, revenant de la poursuite vers la rivière St.-Charles, furent ainsi attaqués par eux sur le coteau Ste.-Geneviève et obligés de reculer jusqu'à ce quv^ deux régimens envoyés à leur secours vinssent les dégager.

Le colonel de Bougainville qui était au Cap-Rouge, ne reçut qu'à 8 heures du matin l'ordre de miirchersur les plaines d'Abra-

Dépêches de M. de Vaudreuil et de quelques autres officiers au ministre.

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ham ; il se mit immédiatement en chemin avec à-peu-près la moitié de ses troupes à cause de leur dispersion jusqu'à la Pointe- aux-Trembles, mais n'ayant pu arriver assez tôt pour prendre part à l'action, et voyant tout perdu lorsqu'il atteignit les derrières du champ de bataille, il se retira. Les Anglais ne jugèrent pas à propos de profiter de la confusion de leurs adversaires pour péné trer dans Québec, ou s'emparer du camp de Beauport, que purent regagner ensuite les troupes qui s'étaient retirées dans la ville.

Telle lut l'issue de la première bataille d'Abraham qui décida de la possession d'une contrée presqu'aussi vaste que la moitié de l'Europe. La perte des Français dans cette fatale journée fut considérable ; elle se monta à près de mille hommes y compris 250 prisonniers qui tombèrent entre les mains des vainqueurs avec la plupart des blessés. Trois officiers généraux moururent de leurs blessures. Celle des Anglais s'éleva à un peu moins de 700 hommes, parmi lesquels se trouvaient les principaux officiers de l'armée, outre le général en chef.

Le général Montcalm, reconnut, mais trop tard, la faute qu'il avait faite. Il pouvait attendre l'arrivée du colonel Bougainville et tirer la garnison de la ville et les corps qu'il avait laissés dans le camp, et avec toutes ces forces réunies attaquer les ennemis en tête et en queue comme Wolfe semblait l'avoir appréhendé en rangeant son armée en carré. Il pouvait aussi se retrancher sur les buttes à Neveu, et, comme la saison était avancée, attendre les Anglais dans ses lignes en épiant tous leurs mouvemens, ce qui les aurait mis dans l'obligation de combattre avec désavan- tage, car le temps les pressait. Après ces premières fautes, il en commit une autre presqu'aussi grave en rangeant son armée sur une seule ligne, sans se donner le temps de tirer l'artillerie de campagne qu'il y avait dans la ville afin de contrebalancer l'infériorité de ses troupes sous le rapport de la discipline et du nombre. On lui reproche encore, son armée étant partielle- ment composée de milices, d'avoir voul' /ombattre en bataille rangée. On dit " qu'il devait attendre i onnemi et profiter de la nature du terrain pour placer par pelotons dans les bouquets de broussailles dont il était environné les Canadiens, qui arrangés de la sorte, surpassaient par l'adresse avec laquelle ils tiraient toutes les troupes de l'univers."

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Quoiqu'il en soit de ces fautes, il sembla qu'il les avait suffi- samment expiées par sa mort ; et devant ses dépouilles funèbres on ne voulut se rappeler que ses triomphes et sa bravoure. Les Canadiens et les Français pleurèrent sa perte comme un malheur public. Il avait su acquérir une grande influence sur les uns et sur les autres par la vivacité de sa parole et l'entraînement de son courage. On ne croyait que lui capable de livrer une bataille et de la gagner. On semblait ignorer qu'il restait un officier général supérieur à lui, sous bien des rapports, le chevalier de Levis. MontcaUn rendit le dernier soupir le lendemain matin au château St.-Louis, et fut enterxé le même soir, à la clarté des flambeaux, dans l'église conventvelle des Ursulines en présence de quelques officiers. Montcalm avait montré en Canada toutes les qualités et tous les défauts qu'on avait déjà remarqués en lui. Il était plus brillant par les avantages d'une mémoire ornée que profond dans l'art de la guerre ; brave mais peu entreprenant, il négligea la discipline des troupes et ne proposa jamais aucune entreprise importante. Il ne voulait pas attaquer Oswégo s'il n'y eût été forcé pour ainsi dire par les reproches que lui fit sur sa timidité, M. de Rigaud, homme d'un esprit borné, mais officier plein de valeur et d'audace, accoutumé à la guerre des bois ; il aurait abandonné aussi le siège du fort William-Henry sans le chevalier de Levis, et encore devant Québec, dans le printemps, n'osant se flatter de pouvoir résister au premier effiart du général Wolfe, il parlait de lui abandonner cette place dans le moment même qu'il en faisait dépendre le sort du Canada. Ses divisions avec le gouverneur dont il afiectait de dédaigner les avis, eurent des suites déplorables. La popularité qu'il avait su acquérir parmi les habitans et les soldats l'avait rendu de plus en plus indépendant du chef de la colonie. Il n'avait cessé de le décrier auprès de ceux qui formaient sa société ; il le traitait d'homme incapable, irrésolu, sans foi, et par un artifice qui ne réussit que trop souvent, il établissait sa réputation en ruinant celle de son supérieur. Du reste, il avait de l'esprit, le goût de l'étude, et des connaissances étendues qui le firent admettre peu de temps avant sa mort à l'académie royale des inscriptions et belles lettres de Paris. Il aimait le luxe et était désintéressé. Il devait au trésor 10,000 écus qu'il avait empruntés pour soutenir son rang et sou-

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lager ses officiers dans la disette de tout l'on se trouvait en Canada. Son ambition et le désir trop peu caché de supplanter M. de Vaudreuil, furent une des causes de la désunion à laquelle on peut attribuer principalement le désastre que l'on venait d'es- suyer.

Le soir même de la bataille, le gouverneur tint un conseil de guerre toi'» les officiers opinèrent pour se retirer derrière la rivière Jacques Cartier, afin de conserver une ligne de retraite et la communication *avec les magasins de l'armée, motif qui avait pu contribuer à déterminer la conduite du général Montcalm le matin. Le gouverneur, l'intendant et le colonel Bougainville étaient d'une opinion contraire, et voulaient tenter une seconde fois le sort des armes ; mais la majorité l'emporta. Montcalm, que l'on consulta, répondit qu'il restait trois partis à prendre, à savoir : attaquer l'ennemi une seconde fois, se retirer à Jacques Cartier ou capituler pour toute la colonie.

Le marquis de Vaudreuil, après cette résolution, envoya 120 soldats pour renforcer la garnison de Québec toute composée de citoyens et de matelots, lesquels avaient été engagés pendant la bataille avec les batteries de la Pointe-Lévy, et écnvit à M. de Ramesay pour le prévenir de ne pas attend.-e que l'ennemi l'emportât d'assaut, et d'arborer le drapeau blanc aussitôt qu'il manquerait de vivres. L'armée craignant à tout instant d'être coupée de ses magasins, commença sa retraite à l'entrée de la nuit. Afin qu'on ne s'aperçût pas de ce funeste mouvement, elle laissa le camp de Beauport tendu, les tentes debout, abandonna faute de moyens de transport, une partie des bagages, l'artillerie et les munitions, et défila dans le plus profond silence par la jeune et l'ancienne Lorette, traversa St.-Augustin et arriva à la Pointe- aux-Tremb!es le 14 au soir. Le colonel Bougainville, comman- dant l'arrière-garde, s'établit à St.-Augustin. Ce mouvement était fatal de toute manière ; il laissait Québec à lui-même sans Boldats et sans provisions de bouche; il exposait l'a.inée à l'anéantissement, parce que l'on ne devait pas s'attendre que les miliciens de cette partie abandonneraient leurs familles sans pain, leurs récoltes encore sur pied elles n'avaient pas été ravagées, pour aller on ne savait où. Aussi la désertion fut-elle considérable ; les cultivateurs quittaient les drapeaux poui- rentrer

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dans leurs foyers, et beaucoup d'autres pour piller dans les cam- pagnes. Le lendemain on atteignit Jacques Cartier, et Tarriùre- garde la IVmte-aux-Trembles, l'on résolu! d'attendre le chevalier de Levis qui descendait en toute hâte, comme on l'a dit plus haut.

Il arriva le 17. En parlant de Montréal il avait envoyé ses ordres sur les frontières de l'Ouest pour la subsistance des troupes, subsistance qui manquait sans cesse, et pour l'acheminement immédiat sur l'armée battue des outils, de l'artillerie et des muni- tions de guerre et de bouche qui pouvaient être disponibles. Il eut en rejoignant le quartier général, une entrevue avec le gouverneur, et lui représenta qu'il fallait absolument arrêter la retraite ; que pour empêcher la désertion et mettre fin au désordre qui régnait, le seul moyen était de marcher en avant ; qua l'on devait tout hasarder pour prévenir la prise de Québec, et dans le cas extrême en faire sortir la population et détruire la ville afin d'empêcher l'ennemi d'y passer l'hiver, résolution patriotique qui, mise à exécution, eût pu sauver le Canada. Il observa que les Anglais n'étaient pas assez nombreux pour garder la circonvalla- tion de la place et empêcher d'y communiquer ; qu'il fallait se rassembler et faire ses dis|)ositions pour les menacer ; profiter des bois du Cap-Rouge, de Ste.-Foy et de St.-Michel pour s'appro- cher d'eux, et, s'ils venaient, pour les combattre, parce que se trouvant entre deux feux ils n'oseraient pas faire de siège ; qu'il y avait raison de croire qu'ils viendraient attaquer ; que si l'on était battu, l'on retraiterait sur le haut de la rivière du Cap-Rouge en laissant un gros détachement dans le bas, et en facilitant la sortie de la garnison après qu'elle aurait incendié la ville ; qu'un mouvement offensif arrêterait la désertion des habitans, et ferait revenir un grand nombre de ceux du gouvernement de Québec. Le marquis de Vaudreuil approuva tout, et ces deux chefs dépê- chèrent sur-le-champ des courriers au commandant de la place pour l'informer que l'on marchait à son secours. Le départ de l'armée elle-même fut différé au lendemain faute de vivres. Comme l'on savait que la ville en manquait aussi, M. de la Rochebeaucourt fut chargé d'y pénétrer avec cent chevaux portant des sacs de biscuit ; û fit part aux habitans du retour des troupes, qui vinrent coucher le 18, le corps principal à la Pointe-aux-

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Trembles et M. de Bougainvillo avec l'avant-garde sur le haut de la rivière du Cap-Rouge.

Le général do Levis prenait le commandement do l'armée au moment les nlVaires étaient dans une situation désespérée ; mais c'était un de ces hommes dont les circonstances d.iflicilcs font ressortir avec éclat les talens et l'énergie. Il était au château d'Ajac en Languedoc, de l'une des plus anciennes mai- sons de France. Entré de bonne heure au service, il s'était fait remarquer par son activité et sa bravoure. En Canada il avait montré un esprit sobre, réfléchi, attentif à ses devoirs et sévèro pour la discipline des troupes, (jualité assez ra';e à cette époque dans les armées françaises ; et la suitJ des événemcns prouva que si le résultat ne fut pas plus favoraole, la fe.ute n'en pouvait rejaillir sur lui.

Le lendemain 19, il marcha sur Lorette et M. de Bougainville sur la rivière St.-Charles, celui-ci apprit que la ville venait de se rendre malgré les ordres positifs qui avaient été envoyés au commandant de rompre les négociations, et la réponse de cet officier qu'il allait s'y conformer. Cette nouvelle parvint au général en chef à St.-Augustin. Il ne put contciiir son indignation et l'exprima dans les termes les plus amers. Mais le mal était sans remède. "*

L'abandon du camp de Beauport avait jeté la désolation dans la ville. Les négocians, nationaux et forains, qui composaient les officiers de milice, s'assemblèrent chez M. Daine, lieutenant- général de police et maire de Québec,* et présentèrent à M. de Ramesay une requête pour l'engager à capituler.f Cet officier interprétant d'une manière trop large les instructions du gouver- neur de ne pas attendre l'assaut pour se rendre, eut la faiblesse de consentir à cette demande.

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* On voit apparaître ici tout-à-coup un maire, entendait plus parler. Il fallait un grand é'"' nom totalement éclipsé par le titre plus •' de police.

t " Mémoire du sieur de Ramesay, clievu..^r de l'ordre royal et militaire de St.-Louis, ci-devant lieutenant pour le Roy, commandant à Québec, au sujet de la reddition de cette ville, qui a été suivie de la capitulation du 18 sept. 1759 présenté à la cour après son retour en France." Manuscrit; copie apportée de Paris et tirée des archives du gouvernement.

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La reddition de Québec fut la conséquence du découragement que les propos inconsidérés de Montcalrn avaient répandu i)aruu les troupes. Un seul des olliciers de la garnison, M. de l'icd- inont, jeune homme dont le nom mérite d'être conservé, se déclara dans le conseil de guerre pour la défense jusqu'à la dernière extrémité. Quoicpie l'on manquât de vivres, ([uc par la négli- gence de la métropole les fortifications n'eussent été que com- mencées et que l'on pût être facilement enlevé d'un coup de main, l'ennemi n'avait encore rien fait qui put faire craindre un assaut, et l'on savait que le général de Levis arrivait.

En etTet les Anglais ne songeaient point à emporter Québec par escalade. Immédiatement après la bataille ils achevèrent les redoutes qu'ils avaient commencées autour de leur camp, et se mirent en frais d'élever des batteries sur les buttes à Neveu en face du rempart qu'elles commandent dans sa plus grande lon- gueur, pour le battre en brèche. Il leur fallait encore deux ou trois jours pour mettre en état de tirer ces batteries, qui auraient consisté en 60 pièces de canon et .^8 mortiers, lorsqu'ils virent avec surprise arborer le drapeau blanc. La garnison à l'aspect d'une colonne de troupes en marche et des plus gros vaisseaux de la flotte anglaise qui s'avançaient, s'était crû menacée d'une double attaque du côté de la campagne et du côté du port, et inspirée par l'intérêt mercantile, s'était empressée de proposer une capitulation, dont le général Tovvnshend accepta tous les articles excepté le premier, qui portait que la garnison sortirait avec les honneurs de la guerre et huit pièces de canon pour aller rejoindre l'armée française à Jacques Cartier, et qui fut modifié de manière à ce qu'elle fût transportée en France. Le lende- main, 18 septembre, la ville fut remise aux assiégeans qui furent obligés de fournir six boucauts de biscuit pour la nourri- ture du peuple et de 4 à 500 blessés dans les hôpitaux, qui n'avaient rien eu à manger depuis 24' heures. Par les termes de cette capitulation les habitans étaient maintenus dans leurs privi- lèges et la propriété de leurs biens avec le libre exercice de leur religion jusqu'à la paix définitive. Ainsi la faiblesse d'un conseil de guerre, composé d'olficiers subalternes, rendit irrépa- ra!)les les suites d'un échec (jui aurait pu être réparé.

Malgré la perte de leur capitale, que les habitans attribuèrent

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à la trahison, " ces braves gens, dit Sismondi, aussi Français de coeur que s'ils avaient vécu au milieu de. la France," ne s'aban- donnèrent point. Quoique Québec eût été détruit par un bom- bardement continuel de deuK mois, que les côtes de Beaupré et l'île d'Orléans, ainsi que 36 lieues de pays établi, contenant 19 paroisses sur la rive droite du fleuve, eussent été incendiées pen- dant que la population mâle était à l'armée ; que les habitans eussent perdu leurs hardes, leurs meubles, leurs instrumens d'agri- culture et presque tous leurs chevaux et tous leurs bestiaux, et fussent obligés en retournant sur leurs terres avec leurs femmes et leurs enfans de s'y cabaner à la façon des Indiens ; quoi qu'aussi un grand nombre d'iiabitans de Ql ;c et des campagnes, faute de vivres, se trouvassent dans la nécessité d'émigrer dans les gouvernemens des Ti ois-Rivières et de Montréal pour y trou- ver des secours ; enfin, malgré tous ces désastres et qu'ils redou- tassent les Sauvages encore plus que l'ennemi lui-même, ils ne parlèrent point de se rendre, et demandèrent à marcher de nou- veau au combat : c'était l'opiniâtreté vendéenne, c'était la déter- mination indomptable de cette race à laquelle appartiennent la plupart des Canadiens, et dont Napoléon appréciait tant la bra- voure, le caractère et le dévoûment sans borne.

En apprenant la reddition de la capitale, ie général de Levis ne vit point d'autre parti à prendre pour le moment que de se fortifier sur la rivière Jacques Cartier, à neuf lieues de distance, il rétrograda en laissant quelques petits détachemens sur diffé- rens points de sa route. Il fit commencer un fort sur la rive droite de cette rivière qui le couvrait et dont le passage était facile à défendre. L'armée resta ainsi dans sa nouvelle posi- tion jusqu'à la fin de la campagne, M. de Vaudreuil ayant trans- porté le siège du gouvernement à Montréal, il s'était retiré lui-même. Les Canadiens regagnèrent leurs foyers dans les der- niers jours d'octobre. Peu de temps après les troupes quittèrent de toutes parts les frontières pour venir prendre leurs quartiers d'hiver dans les gouvernemens de Montréal et des Trois-Rivières. On laissa seulement de petits détachemens dans les postes avan- cés, dont la position indique ce qui restait à la France à la fin de 59 de ces immenses territoires qu'elle était naguère encore si fière de posséder. 300 hommes reatèrent chargés de la garde

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du fort de Levis entre la Présentation et la tête des rapides du St.-Laurent aux ordres de M. Desandrouins, ingénieur; 400 hommes, commandés par M. de Lusignan, eurent ordre de se maintenir à l'île aux Noix dans le lac Charaplain, le général Amherst n'avait fait aucun progrès, lesquels devaient être soute- nus par 300 autres placés à St.-Jean ; et enfin 600 hommes furent laissés à Jacques Cartier sous le commandement de M. Dumas, major-général des troupes de la marine, dont 2 à 300 jetés en avant à la Pointe-aux-Trembles sous les ordres de M, de Repentigny.

Après avoir ainsi réglé la disposition de ses troupes pour l'hiver, , le général de Levis rejoignit le gouverneur à Montréal le 14 novembre, et tous deux députèrent avec leurs dépêches le com- mandant d'artillerie Lemercier à Paris, pour instruire le roi de la situation du Canada et des secours dont il avait besoin. Cet offi- cier s'embarqua à Montréal dans un navire qui parvint en France sans accident, après être passé devant Québec inaperçu.

Après la capitulation de Québec, les troupes anglaises restèrent campées dans les environs en attendant qu'on eût pourvu à leur logement dans l'intérieur. Elles ne songèrent point à pousser plus loin leur succès pour cette année. Il fut résolu de relever ou de réparer sans délai 500 maisons, et de garder toute l'armée pour former la garnison de la ville jusqu'à la prochaine cam- pagne, sauf les trois compagnies de grenadiers de Louisbourg et cinq compagnies de rangers, qui se rembarquèrent sur la flotte, et firent voile pour l'Angleterre ou les anciennes colonies. Le général Murray fut nommé gouverneur de Québec. La garnison se composait le 24 décembre, après le départ des huit compa- gnies dont l'on vient de parler, de 8,200 hommes de troupes de ligne sans compter les officiers, l'artillerie, et les rangers qui res- tèrent, le tout formant encore plusieurs centaines de combattans.*

M. Smith dans son histoire du Canada dit 5,000, quoique les auteurs qu'il a suivis presque textuellement, Knox et Mante, disent plus de 7,000 hommes. J'ai découvert récemment dans les archives du secrétariat pro- vincial à Québec un registre des ordonnances de paiement des troupes sous les ordres du général Murray, qui doit fixer désoT lais cette question. Ces ordonnances contiennent le chiffre exact de chaque régiment, sauf les officiers ; et voici ce qu'il était le 24 décembre 1759 :

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Elle se mit de suite en frais de débarquer de la flotte des vivres pour une année, les munitions et tout le matériel de guerre néces- saire ; de déblayer les rues, de niveler les redoutes élevées dans les plaines d'Abraham et d'eu élever d'autres en face du rempart sur le sommet de la falaise qui borde le St.-Laurent, enfin, de fortifier le rempart déjà existant, et de le couvrir d'artillerie pour pouvoir soutenir un siège en cas de besoin. '"■'■ '-•'

Tel fut le résultat de la campagne de 59. Les Français se trouvaient resserrés entre Québec, la tète du lac Champlain et Frontenac, coupés de la mer et manquant de tout, soldats, argent, munitions de guerre et de bouche. Les deux armées anglaises qui avaient attaqué le Canada par mer et parterre ne se trouvaient plus qu'à environ 70 lieues l'une de l'autre, et prêtes à tomber sur le centre du pays le printemps suivant avec un grand accrois- sement de forces. Le général Amherst qui s'était avancé jusqu'au fort St.-Frédéric, n'avait pu pénétrer au-delà. Il laissa de fortes garnisons à Crown-Point et au fort Carillon, dont il avait relevé les ruines et changé le roai pour celui de Ticondéroga, et alla passer l'hiver à New-York, pour être à portée de communiquer plus facilement avec la métropole et les différentes colonies sur le plan d'opérations de la prochaine campagne.

Quant au Détroit et aux autres postes supérieurs, ils étaient encore, il est vrai, en notre pouvoir; mais par la perte de Fronte- nac, ils ne devaient plus attendre de secours que de la Louisiane, qui devint dès lors leur point d''appui et leur seule ligne de retraite en cas de malheur.

Hommes.

47e régiment 680

35e " 876

43a " 693

58e , 653

78e (montagnards écos- «ftis) .1377

Hommes.

2d bataillon de fusiliers 871

3e " " 930

28e régiment 623

48e " " 882

15e " 619

8,204

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CHAPITRE II.

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SECONDE BATAILLE D'ABRAHAM ET DERNIÈRE VICTOIRE DES FRANÇAIS.

CESSION DU CANADA A l'aNGLETERUE ET DE LA LOUISIANE , A l'eSPAGNE.

1760-1763.

Sentimens divers que la prise de Québec cause en Angleterre et en France. Les ministres de Louis XV abandonnent le Canada à lui-même. La Grande-Bretagne organise trois armées pour achever sa conquête.— Mesures que l'on adopte pour résister à cette triple invasion. Forets re- latives des Français et des Anglais. Le général de Lavis marche sur Québec. Seconde bataille d'Abraham. Défaite complète de l'armée anglaise, qui se renferme dans la ville et que les Français assiègent en attendant les secours qu'ils avaient demandés de France. Persuasion l'on est dans les deux armées que le Canada restera à celle qui recevra les premiers renforts. Arrivée d'une flotte anglaise. Le général de Levis lève le siège et commence sa retraite sur Montréal ; le défaut de vivres l'oblige de renvoyer les milices et de disperser les troupes régulières.— Etat des frontières du côté des lacs Champlain et Ontario. Les ennemis se mettent en mouvement pour attaquer jNIontréal. Le général Murray s'avance de Québec avec 4,000 hommes ; le chef de brigade Haviland avec un corps presqu'aussi nombreux descend le lac Champlain et le général Amherst part du lac Ontario avec 11,000 soldats et Indiens. Les Français se retirent et se concentrent sur Montréal au nombre de 3,500 soldats. Impossibilité d'une plus longue résistance et capitulation géné- rale.— Triomphe et réjouissances de l'Angleterre. Procès et condamna- tion des dilapidateurs du Canada à Paris. Situation des Canadiens.

Pertes immenses qu'ils font sur les ordonnances et lettres de change du gouvernement déchu. Continuation de la guerre dans les autres parties du monde; paix de 1763, par laquelle le Canada est cédé à l'Angleterre et la Louisiane à l'Espagne. Tableau de la France au temps de ce traité trop fameux, par Sismondi.

Après les défaites que l'Angleterre essuyait depuis cinq ans en Canada, la nouvelle de la prise de Québec, ce lieu fort si renommé du Nouveau-Monde, la remplit de joie. Londres et les principales villes du royaume présentèrent des adresses de félicitation au chef de l'état, dont Pitt dut s'applaudir en secret, parce que c'était à lui qu'en revenait la plus grande gloire. Le

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parlement ordonna que les cendres du héros à qui l'on devait une si brillante conquête, fussent déposées dans le temple de West- . minster au milieu des grands hommes de la patrie, et qu'un monument y fut élevé à sa mémoire. Il vota des remercîmens aux généraux et aux amiraux qui avaient fait partie de l'expé- dition, et le roi ordonna que des actions de grâce publiques fus- sent rendues dans tout l'empire.

En France, le peuple exclu du gouvernement, ne pouvait manifester ses sentimens sur la honte des actes du pouvoir que par le mépris qu'il avait pour ceux qui en étaient chargés, il y a long-temps que l'on avait perdu l'espoir de conserver ces belles contrées pour la défense desquelles tant de sang et tant d'héroïsme n'étaient plus qu'un sacrifice dans le grand désastre qui allait ter- miner l'un des derniers drames de la vieille monarchie. La perte du boulevard de l'Amérique française et la mort de Montcalm ne surprirent point, mais elles firent une impression pénible dans le public. A la cour de Louis XV énervée par des orgies, l'on regarda la partie comme si bien perdue que l'on ne pensa guère à secourir ces sentinelles avancées, qui voulaient encore com- battre, sinon pour triompher du moins pour sauvegarder l'hon- neur national et reconquérir la supériorité des armes.

" L'Europe entière aussi, dit Raynal, crut que la prise de Québec finissait la grande querelle de l'Amérique septentrionale. Personne n'imaginait qu'une poignée de Français, qui manquaient de tout, à qui la fortune même semblait interdire jusqu'à l'espé- rance, osassent songer à retarder une destinée inévitable." On ne connaissait pas leur courage, leur dévoûment et les glorieux combats qu'ils avaient Hvrés et qu'ils pouvaient livrer encore dans ces contrées lointaines où, oubliés du reste du monde, ils ver- saient généreusement leur sang pour leur pays. On ignorait que cette guerre était une guerre de races, qu'on ne poserait les armes que lorsque l'on serait enveloppé, écrasé par les masses ennemies, et que jusque-là l'on ne voulait })a8 perdre espérance.

Les Canadiens qui croyaient que le gouvernement allait ou du moins devait faire les plus grands efforts pour les arracher au sort qui les menaçait, furent trompés dans leur attente. M. Lemer- cier en arrivant à Paris, trouva le ministre de la guerre, le maré- chal de Belle-Isle expirant. Après sa mort le portefeuille passa

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aux mains du duc de Choiseul déjà chargé de celui des affaires étrangères. Lemercier comme les officiers de la garnison de Québec qui l'avaient précédé, donnèrent au ministre tous les renseignemens qu'il pouvait désirer sur la situation désespérée du Canada. Les dépêches demandaient des secours de toute espèce, vivres, munitions de guerre et recrues ; elles informaient la cour que l'on avait formé le projet de reprendre la capitale, et que le succès était certain si les secours que l'on deman- dait arrivaient avant ceux des Anglais. Mais malheureuse- ment cette demande était faite dans le moment même où, par le désordre prolongé des finances, le trésor se trouvait hors d'état de faire face à ses obligations les plus nécessaires. Les administra- teurs continuellement changés ne pouvaient trouver de remède pour arrêter un mal qui allait toujours en augmentant. Chacun venait avec son plan et était remplacé avant qu'il eût à peine eu le temps de commencer à le mettre à exécution ; et dès qu'il parlait de soumettre la noblesse et le clergé à l'impôt comme le peuple, il était repoussé avec haine et renversé. L'absence de patriotisme dans les classes les plus élevées de la société rendait ainsi le mal incurable, et exposait la nation à tous les malheurs, surtout à la perte de cette grande réputation militaire qui faisait encore la force et la gloire, par le souvenir, de cette noblesse sen- suelle et dégénérée qui ne voulait rien faire pour le salut commun ; car par un effort uniforme et général, l'on pouvait se remettre facilement sur un bon pied, puisque plus tard, suivant M. de Necker,* les dépenses publiques étant de 610 millions en ITSé, et les revenus de près de 585 millions, alors que la noblesse et le clergé, possesseurs d'une grande partie du territoire, étaient encore exempts de l'impôt, en rendant ces deux classes si ' 'ches contribuables, et en développant les immenses ressources du pays, le déficit annuel pouvait être plus que comblé. Mais l'égoïsme devait tout perdre.

M. de Silhouette, qui avait succédé à M. de Boulogne aux finances, vint échouer devant l'opposition que firent à son projet

* De l'administration des finances de la France. Les intérêts de la dette publique étaient alors de 207 millions de francs, ou égaux à ceux de l'An- gleterre à la même époque (1784). Aujourd'hui la dette de l'Angleterre est double ou triple de celle de la France.

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de subvention territoriale qui aurait atteint tous les propriétaires fonciers, les classes privilégiées, et il fut remplacé par M. Bertin, financier médiocre, mais plus docile aux vœux de la cour et de la noblesse. Celui-ci ne put ni ramener l'ordre dans les finances, ni trouver moyen de fournir quelques jours encore aux besoins les plus pressans du service public. Les lettres de change tirées par le Canada sur le trésor à Paris ne purent être payées, cir- constance aussi fâcheuse pour ce pays que la perte d'une bataille, et qui devait avoir le plus grand retentissement. Dans cet état de choses il est facile de concevoir que l'énergique résolution de reprendre Québec dût trouver peu d'écho à Versailles, les courtisans regardaient la possession du Canada plutôt comme une charge que comme un avantage. Dans l'épuisement l'on se trouvait, c'est tout ce que l'on put faire que d'envoyer 400 hommes et la charge de trois ou quatre navires en munitions du guerre et de bouche, sous la protection d'une frégate, qui s'étant amusée à enlever, chemin faisant, treize ou quatorze voiles anglaises, finit par être obligée elle-même de se jeter dans la Baie des Chaleurs à l'entrée du golfe St.-Laurent, et par y être brûlée avec son convoi et ses prises par le capitaine Byron qui croisait dans ces parages. Cet officier qui avait une flotte nombreuse, détruisit aussi un amas de cabanes décoré du nom fameux de Nouvelle-Rochelle, élevé par des réfugiés acadiens et quelques pauvres pêcheurs sous la protection de deux petites batteries placées sur un rocher.

En envoyant ces secours inutiles, car ils étaient tout-à-fait insuffisans au Canada, les ministres adressèrent aux divers chefs de la colonie des dépêches qu'ils ne reçurent que dans le mois de juin, pour leur recommander de disputer le pays pied à pied et de soutenir jusqu'au bout l'honneur des armes françaises à quel- qu'extrémité que les affaires pussent être réduites, comme si des gens qui périssaient accablés sous le nombre, avaient besoin des paroles d'encouragcnent et non de secours réels et efficaces.

Le gouvernement de la Grande-Bretagne, aiguillonné et sou- tenu par la voix puissante du peuple, tenait alors une conduite bien différente. Il obtint du parlement tous les subsides qu'il voulut pour continuer la guerre avec vigueur. Des flottes consi- dérables couvrirent les mers de l'Europe, des Indes et de l'Ame-

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rique. Il fut résolu de barrer le chemin du Canada à la France, et d'employer à cet effet des forces telles que celle-ci ne put con- server dans l'état elle se trouvait, le moindre espoir d'y faire parvenir les secours nécessaires pour rétablir sa suprématie dans cette partie du monde ; et c'est à la suite de cks accroissemens de forces que le petit convoi, dont l'on vient de parler, vit fondre sur lui pas moins de onze vaisseaux de guerre en entrant dans le St.-Laurent.

Derrière ce rempart qui couvrait l'Amérique et la séparait de la France, l'Angleterre organisa, comme l'année précédente, trois armées pour achever d'abattre une puissance qu'elle combattait depuis qu'elle avait planté son drapeau dans ce continent, et que sa grande supériorité numérique mettait enfin à sa disposition. Toutes les provinces américaines ne cessaient point non plus de montrer leur zèle pour l'accomplissement d'une conquête qu'elles sollicitaient depuis si longtemps. Les différentes législatures colo- niales votèrent les hommes et l'argent qu'on leur demanda avec d'autant plus d'empressement que l'on touchait au succès définitif. Ces trois armées devaient marcher pour se réunir à Montréal et enlever ce dernier point qui résistait encore à leurs armes.

La garnison renfermée dans Québec devait être renforcée à l'ouverture de la campagne pour remonter le St.-Laurent. Le chef de brigade Haviland devait réunir ses troupes sur le lac Champlain, forcer le passage de l'île aux Noix et St.-Jean, et marcher sur le point indiqué ; enfin, le général Amherst devait assembler une armée nombreuse à Osvvégo, descendre le fleuve St.-Laurent, enlever chemin faisant tous les postes qu'il trouverait sur F 'n passage, et se réunir aux deux autres corps devant Mont- réal. Les Français n'ignoraient pas les préparatifs de leurs enne- mis, et le gouverneur ainsi que le général de Levis ne songeaient qu'au moyen de les prévenir par une attaque subite contre le poste central ils avaient pris pied, à savoir Québec, pour être prêts à donner la main aux secours qu'ils avaient demandés, et de l'arrivée desquels avant ceux des Anglais, dépendait désormais le salut du pays. - . r - >. -

L'on avait d'abord résolu d'attaquer Québec dans l'hiver ; mais il fallut ajourner l'exécution au printemps. Ce délai fut employé à réorganiser l'armée, à ramasser des vivres, à préparer

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lea embarcations nécessaires pour descendre le fleuve à la débâcle des glaces. Malgré les plus grands efforts, l'on ne put réunir un matériel suffisant pour faire un siège. L'on manquait de grosse artillerie et il y avait peu de poudre. Cependant l'on ne déses- pérait pas de réussir soit à la faveur d'une surprise, soit à l'aide des secours attendus.

Afin d'empêcher l'ennemi de pénétrer le projet et surtout de soutenir le courage des habitans et de fatiguer la garnison anglaise, l'on tint des partis dehors tout l'hiver.

Le général Murray ne négligeait rien de son côté pour se mettre en état de repousser toutes les tentatives jusqu'à la cam- pagne suivante. Il était abondamment pourvu d'artillerie, de munitions de guerre et de bouche, et il commandait les meilleures troupes de l'Angleterre. Il ne fut pas plutôt établi dans la ville qu'il adressa une proclamation aux Canadiens pour leur repré- senter l'inutilité d'une plus longue résistance et tous les malheurs qui seraient la suite d'une opposition devenue sans objet. Onze paroisses environnantes abandonnées de l'armée française, vin- rent faire leur soumission et prêter le serment de fidélité. Les maisons avaient été incendiées et les femmes et les enfants qui s'étaient réfugiés dans les bois que l'hiver allait rendre inhabi- tables, ne laissaient pas d'autre parti à prendre, pour les empê- cher de périr de froid et de misère. Les habitans de Miramichi, Richibouctou et autres lieux du golfe St.-Laurent, subissant la même nécessité, s'étaient déjà rendus au colonel Frye, comman- dant anglais du fort Cumberland à Chignectou.

Le général Murray cependant avait porté ses avant-postes à Lorette et à Ste.-Foy, à deux ou trois lieues de la ville, et la guerre d'escarmouches ne discontinuait presque point, malgré la rigueur de la saison. La garnison fut occupée toute l'hiver à charrier du bois de chauffage du Cap-Rouge, à faire de petites expéditions, ou à travailler aux fortifications de la ville, qu'après des travaux inouïs l'on mit en état de soutenir un siège, en ache- vant les remparts que l'on couvrit de mortiers et de canons d'un gros caUbre, et en terminant les redoutes dont on a parlé et qui étaient au nombre de huit. On exécutait ces travaux malgré les maladies qui s'étaient mises dans les troupes, surtout le scorbut, et qui enlevèrent du 24 décembre au 24 avril près de 500 hommes.

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De leur côté les Français, outre les fatigues de cette petite guerre, souffraient de plus en plus de la disette. Le général de Levis dispersa ses troupes en quartier d'hiver chez les habitans dans les différentes paroisses des gouvernemens des Trois-Rivières et do Montréal, faute de provisions pour leur subsistance dans une seule localité, et il commença immédiatement ses préparatifs pour l'entreprise qu'il méditait, une défense opiâtre, comme il le disait dans un mémoire qu'il présenta au gouverneur, ne pouvant qu'être avantageuse à l'état en occupant les forces de l'ennemi en Amérique, et honorable pour les armes françaises.

Pour ranimer le courage de la population, pour l'engager sur- tout à faire de nouveaux efforts et de nouveaux sacrifices, on invo- qua la voix solennelle de l'église, qui ne devait pas rester sans écho chez un peuple profondément religieux. L'évêque, M. Dubreuil de Pontbriand, donna à Montréal, il s'était réfugié, un mandement au commencement de l'hiver, dans lequel on trouve ces mots : " Vous n'oublierez pas dans vos prières ceux qui se sont sacrifiés pour la défense de la patrie ; le nom de l'il- lustre Montcalm, celui de tant d'officiers respectables, ceux du

soldat et du milicien ne sortiront point de votre mémoire

vous prierez pour le repos de leurs âmes." II y a quelque chose de singulièrement grave dans ces paroles funèbres auxquelles la religion donne un si grand caractère. Cet appel aux prières des fidèles pour les braves qui étaient morts en combattant pour la défense de leur religion, de leurs lois, de leurs foyers, au moment l'on parlait de reprendre les armes, dut ranimer s'il était nécessaire le sentiment national et augmenter l'énergie des guer- riers qui se défendaient depuis si longtemps et avec tant d'obs- tination contre les forces toujours croissantes de l'ennemi. Quant aux troupes régulières elles-mêmes, si elles ne combattaient plus que pour l'honneur leurs vœux pouvaient être encore remplis.

Après bien des efforts l'on réussit à ramasser assez de subsis- tances pour nourrir l'armée encore quelque temps lorsqu'elle serait réunie. Au mois d'avril elle se trouva prête à entrer en campagne ; l'on n'attendait plus quj la débâcle des glaces.

Les troupes régulières, surtout les grenadiers, avaient été recrutés à même les deux bataillons de la colonie ; elles formaient avec ceux-ci 3,600 hommes. Les milices appelées à prendre

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part à l'expédition s'élevèrent à un peu plus de 3,000 fusils, y compris 270 Sauvages. Cette armée, composée de plus de moitié de Canadiens, parce qu'ion en avait fait entrer un grand nombre dans les régimens réguliers faute de recrues européennes, n'atteignait pas encore 7,000 combattans. C'est tout ce que l'on pouvait approvisionner et réunir pour marcher sur Québec, les habitans de cette partie, c'est-à-dire ceux qui n'avaient pas fait leur soumission à l'ennemi, ne pouvant rejoindre qu'après l'in- vestissement de la place, et le reste de ceux de Montréal et des Trois-Rivières étant nécessaire pour ensemencer les terres et pour pourvoir à la défense des frontières du côté des lacs Cham- plain et Ontario.*

Sans attendre que la navigation du fleuve fût entièrement ouverte, le général de Levis envoya, le 16 et le 17 avril, l'ordre aux troupes de lever leurs quartiers d'hiver et de se mettre en marche, celles qui se trouvaient les plus rapprochées de Québec par terre et les autres par eau. Les champs étaient encore cou- verts de neige, et le St.-Laurent dont les rives étaient bordées de glaces fixes, chariait au centre avec le flux et le reflux de la marée celles qui étaient mobiles. Le général de Levis mit à l'ordre du jour que pour son honneur, la gloire des armes et le salut du pays, l'armée devait chercher à réparer la perte de la journée du 13 septembre, et se reppeler que c'étaient les mêmes ennemis qu'elle avait eu à combattre à Oswégo, au fort George et à Carillon. Les troupes chez lesquelles ces noms réveillaient des souvenirs si glorieux s'ébranlèrent le 20. Celles qui descen- daient par eau furent embarquées sur les deux frégates escortant les petits vaisseaux qui portaient l'artillerie, les vivres et les fas- cines pour le siège. Les glaces augmentant à mesure que l'on descendait, l'on fut obligé de mettre les troupes à terre à la Pointe- aux-Trembles. Une partie seulement de l'artillerie put atteindre

Extraits des instructions du gouverneur au chevalier de Levis : " Nous avons, après bien des soins, réuni toutes les ressources de la colo- nie en comestibles et munitions de guerre ; les unes et les autres sont très médiocres pour ne pas dire insuffisantes, aussi usons-nous de tous les expé- diens que notre zèle peut nous suggérer pour y suppléer.

" Nos forces consistent en environ 3,500 hommes de troupes, J,900 mili- ciens des gouvernemens de Montréal et des Trois-Rivières et environ 400 Sauvages de différentes nations.

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St.-Augustin et ensuite le Foulon La journée du 25 fut employée à réunir l'armée à la Pointe-aux-Trembles et l'avant- garde, sous les ordres du chef de brigadr Bourlamarque, se mit en mouvement le lendemain.

Le temps pressait. M. de Levis voulait surprendre les ennemis. Ayant reconnu l'impossibilité de traverser la rivière du Cap- Rouge à son embouchure la rive du côté de Québec haute et escarpée, était gardée par des soldats, il résolut de la tourner et d'aller franchir ce cours d'eau à deux lieues plus haut, à Lorette, à la peine d'avoir à déboucher par les marais de la Suède pour gagner les hauteurs de Ste.-Foy.

Le chef de brigade Bourlamarque rétablit les ponts de cette rivière que les Anglais avaient rompus à son approche, et poussa les troupes en avant, faisant évacuer le poste qu'ils avait établi à l'ancienne Lorette. Le général de Lévis qui arriva dans ce moment, s'étant aperçu qu'on avait négligé de rompre une chaussée de bois qui traversait une partie des marais de la Suède, en fit occuper la tète aussitôt par les Sauvages. L'avant-garde atteignit ces marais à l'entrée de la nuit, les traversa sans s'arrê- ter malgré un orage de pluie et de tonnerre inusité dans cette saison, et prit possession des maisons qui étaient au-delà, n'étant plus sépaiée de l'ennemi que par un bois d'une petite demi-lieue de profondeur. Au point du jour, le 26, elle passa ce bois et se présenta à la vue des Anglais, dont le général de Levis alla reconnaître la position, tandis que le reste de ses troupes qui avait marché toute la nuit pour ainsi dire à la clarté des éclairs, tra- versait le marais et se formait en face.

L'armée française n'avait pu cependant marcher assez secrète- ment ni assez rapidement pour surprendre Québec. Quoiqu'on eût répandu à dessein tout l'hiver le bruit que l'on allait descendre incessamment avec une armée de 12 à 15 mille hommes afin que lorsque ce bruit serait vrai il fit moins d'impression et laissât du doute, le général Murray ne le repoussant pas entièrement, se tenait prêt pour tous les événemens. Dans le mois d'avril ce bruit prenant plus de consistance, il crut devoir se débarrasser de la population de la ville, qui aurait pu lui devenir à charge dans un siège, et l'informa le 21 qu'elle eût à s'éloigner dans les trois jours avec les effets qu'elle pourrait emporter. Cet ordre fut

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exécuté le 24. Les soldats de la garniiton, quoiqu^accoutumés à toutes les horreurs de la guerre, no purent voir sans émotion ces infortunés s'éloigner de leurs murailles suivis de leurs femmes et de leurs enfans sans savoir aller chercher un gîte dans un pays dévasté et réduit à la dernière misère. Le général Murray fit ensuite rompre les ponts de la rivière du Cap-Rouge ainsi qu'on l'a rapporté, et envoya des troupes pour observer les mouvemcns des Français s'ils se présentaient. Après ces mesures de pré- caution, il attendit pour agir selon les circonstances. Ce sont ces troupes que le général de Levis voyait devant lui sur les hauteurs de Ste.-Foy. Elles étaient au nombre de 2,500 à 3,000 hommes avec quelques pièces de canon, et s'étendaient depuis l'église de Ste.-Foy jusqu'à la gauche de la route de la Suède, par mon- taient les Français pour déboucher sur le plateau.

Le bois d'où ceux-ci sortaient, pouvait être à 200 toises de la ligne ennemie, et comme il était marécageux et qu'on ne pouvait en déboucher que par le grand chemin, l'espace compris entre ce uois et les Anglais n'étant pas assez étendu pour leur permettre de se former et de marcher à l'attaque sans s'exposer à un com- bat désavantageux, la situation du général de Levis devenait difficile, car le coteau Ste.-Geneviève et la rivière St.-Charles lui barraient le chemin pour marcher sur Québec par la route de St.-Ambroise ou de Charlesbourg, coteau que l'ennemi pouvait atteindre avant lui n'ayant que la corde de l'arc à parcourir. Il décida de s'étabhr sur le chemin de Ste.-Foy par une marche de flanc. Aussitôt que le jour fut tombé, il fit défiler ses troupes par sa droite le long de la lisière du bois jusqu'à ce qu'il eût dépassé le front des Anglais et tourné leur flanc gauche ; si cette manœuvre réussissait, il obtenait non seulement une position avantageuse, mais il pouvait couper encore le corps placé en observation à l'embouchure de la rivière du Cap-Ilouge ; le nnauvais temps et la difficulté de la marche dans cette saison ne permirent point aux soldats déjà très fatigués, d'opérer ce mou- vement avec toute la célérité désirable. Le lendemain matin le général Murray qui s'était transporté sur les lieux, eut le temps de faire retirer ses troupes du Cap-Rouge en sacrifiant son matériel. Se voyant poursuivi de trop près il l'enferma malgré une fusillade et quelques coups de canon dans l'église de Ste.-

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Foy, y fit mettre le feu et opéra sa retraite vers la ville, laissant encore plusieurs pièces do campagne entre les mains des Fran- çais, et le général do Levis maître d'un champ de bataille qu'il aurait pu avoir beaucoup de peine à obtenir.

Les cavaliers français suivirent le louvement rétrograde de Murray, escarmouchant avec son arr- /e-garde jusqu'au moulin de Dumont, à une demi-lieue des remparts de la ville, il laissa un gros détachement avec ordre de ten!r ferme jusqu'à la nuit. Les troupes françaises se logèrent dans les maisons depuis l'église jusqu'à ce moulin, occupant un espace de cinq quarts de lieue. Le temps était toujours affreux, la pluie continuant à tomber par torrens, ce qui retardait beaucoup la marche de l'armée.

Dans la nuit, les Anglais évacuèrent le moulin, se replièrent sur les buttes à Neveu et commencèrent à ::'y retrancher. Au point du jour le général de Levis fit occuper le moulin qui venait d'être abandonné et les plaines d'Abraham jusqu'au fleuve par son avant-garde, pour couvrir l'anse du Foulon, les bâtimens chargés des vivres, de l'artillerie et des bagages, qui n'avaient pas effectué leur déchargement à St.-Augustin, avaient reçu ordre de descendre. Pendant que l'on débarquerait ces effets le 28, l'armée devait se reposer pour être en état d'attaquer les buttes à Neveu le lendemain et de rejeter les Anglais dans la place.

Cependant Murray n'avait pas été plutôt rentré dans la ville qu'il avait résolu, au lieu d'attendre les Français derrière ses murailles, de se porter en avant avec toutes ses troupes dans l'in- tention soit de livrer bataille si l'occasion s'en présentait, soit de se fortifier sur les buttes à Neveu s'ils paraissaient trop nombreux ; car le rapport d'un de leurs canonniers tombé sur une glace flottante en débarquant, et recueilli gelé et mourant par des soldats, ne lui permettait plus de douter que toute l'armée dont il était menacé depuis si longtemps, arrivait enfin. Il sortit de la ville le 2S au matin à la tête de toute la garnison,* dont les troupes de ligne seules, quoique réduites de 490 hommes par les maladies pendant l'hiver, comptaient encore 7,714 combattans non com-

* " On the 28th April, about 8 o'clock in the morniiig, the whole gairison, exclusive of the guards. . . . marcliecl out of town with 20 pièces ol' field artillery." Manuscrit de Fraser.

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pris les officiers.* Il ne laissa dans la place que les soldais nécessaires à sa garde et quelques centaines de malades, plus de mille en convalescence étant venus reprendre volontairement leurs rangs sous les drapeaux, et il s'avança ainsi avec à-peu-près six mille hommes et 22 bouches à feu sur deux colonnes.

Le général de Levis qui s'était porté en avant de sa personne avec son état-major pour reconnaître la position des Anglais sur les buttes à Neveu, n'eut pas plutôt aperçu ce mouvement qu'il envoya l'ordre à ses troupes de hâter leur marche pour se rendre sur les plaines d'Abraham.- Le général anglais ne voyant encore que la tête de l'armée française d'arrivée, et que cette armée ne paraissait pas s'attendre à livrer bataille ce jour-là, décida de l'attaquer immédiatement pendant qu'elle était dans le désordre

Suivant les ordonnances de paiement pour leur solde expirée le 24 avril, ou 4 jours avant la 2de bataille d'Abraham, ordonnances dont voici une copie textuelle pour le 78e régiment (montagnards écossais) :

By the Honble. James Murray, Esq., Governor of Québec, etc. You are hereby required and directed out of such monies as shall coma to your hands for the subsistence of His Majesty's forces under my command, to pay or cause to be paid to Liuut. James Henderson, Dy, Paymaster of His Majesty's 78th Regt. of Foot or his assigns, the sum of two thousand one hundred and sixty three pounds nineteen shillings and six pence ster- ling, being for subsistence ot said Régiment between the 24th day of February and the 24th day of April 1760, both days inclusive, as p. account annexcd, and for so doing this with the acquittance of the said Lieut. James Henderson or his assigns shall be to you a sufficient vv'arrant and discharge. Given under my hand, at Québec, this 27th day of november 1760.

Signed Jas. Murray.

H. T. Cramahe'.

Counters. To Robert Porter, Esq.,

Dy. Paymaster General.

56 Sergeants @ Is

56 Corporals @ 8d

28 Drumrs. @ 8d

1195 Private @ 6d

diem £2 16 0

" 1 17 4

2 18 8

" 29 17 6

1335

Total for one day 35 9 6

Total for 60 days £2163 19 6

Signed Jas. Henderson,

Lt. and Dy. Paymaster 78th Régiment.

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de la marche ; mais il avait affaire à un homme de tête et d'un sang-froid qu'il était fort difficile de troubler. Il rangea ses troupea en bataille en avant des buttes à Neveu, sa droite au coteau Ste.- Geneviève et sa gauche à la falaise qui borde le St.-Laurent, sa ligne occupant un petit quart de lieu de développement. Quatre régimens, sous les ordres du colonel Burton, formaient la droite à cheval sur le chemin de Ste.-Foy ; quatre autres avec les mon- tagnards écossais, sous les ordres du colonel Fraser, formaient la gauche à cheval sur le chemin de St.-Louis. Deux bataillons étaient placés en réserve. Outre ces deux bataillons le flanc droit de l'armée était couvert par un corps d'infanterie légère BOUS les ordres du major Dalling ; et le flanc gauche par la com- pagnie des rangers du capitaine Huzzen et cent volontaires conduits par le capitaine Macdonald. Le général Murray donna ensuite l'ordre de marcher en avant.

L'avant-garde française composée de dix compagnies de grena- diers s'étaient mise en bataille, une partie sur la droite dans une redoute élevée par les Anglais l'année précédente au levant de la côte du Foulon, une partie sur la gauche dans le moulin de Dumont, la maison, la tannerie et les autres bâtimens qui l'envi- ronnaient, sur le chemin de Ste.-Foy. Le reste de l'armée appre- nant ce qui se passait avait précipité le pas en se resserrant en avançant, et les trois brigades de la droite étaient déjà formées lorsque les Anglais commencèrent l'attaque avec une grande vivacité, la mitraille de leur nombreuse artillerie poussée rapide- ment en avant faisant de terribles ravages dans les rangs des Français, qui n'avaient encore que leurs petites armes pour y répondre.

Le général Murray sentant l'importance de s'emparer du mou- lin de Dumont qui couvrait l'issue par laquelle les Français venant par la chaussée de Ste.-Foy, entraient sur le champ de bataille, le fit attaquer par des forces supérieures. Il espérait qu'en écrasant les cinq compagnies de grenadiers qui le défendaient, il pourrait tomber ensuite au milieu des troupes en marche, les refouler devant lui et couper l'aile droite engagée sur le chemin de St.-Louis.

Levis prévenant son dessein, fit retirer sa droite à l'entrée du bois qui était derrière elle, et abandonner le moulin de Dumont

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par les grenadiers, qui se replièrent afin d'abréger la distance à parcourir par les brigades arrivantes. C'est dans ce moment que le chef de brigade Bourlamarque fut grièvement blessé par un coup de canon qui tua son cheval sous lui. Les troupes res- tées sans recevoir d'ordre, voyant les grenadiers engagés dans un combat furieux et inégal, prirent d'elles-mêmes le parti d'aller les soutenir et se mirent en ligne au moment l'ennemi portait sur ce point une grande partie de ses forces et presque toute son artillerie ; les canons et les obusiers chargés à boulet et à mitraille, labouraient l'espace qu'occupait cette aile qui s'ébranla sous le feu le plus meurtrier. Les grenadiers remarchèrent en avant, reprirent le moulin après une lutte opiniâtre et s'y maintinrent. Ces braves soldats, commandés par le capitaine d'Aiguebelles, périrent presque tous dans cette journée.

Pendant que ces événeraens se passaient à la gauche, le géué- de Levis faisait reprendre par les troupes de ^a droite la redoute qu'elles avaient abandonnée pour se replier. Les Canadiens de la brigade de la Reine qui occupaient cette redoute et le petit bois de pins sur le bord du cap, reprirent leur terrain et chargèrent bientôt à leur tour, appuyés par M. de St.-Luc et quelques Sau- vages. Le combat devint alors non moins violent dans cette partie de la ligne qu'à la gauche. Toutes les t/oupes étaient arri- vées, et le feu était des plus vifs des deux côtés. L'on voyait les milices charger leurs armes couchées, se relever après les décharges de l'artillerie ennemie et se précipiter en avant pour fusiller les canonniers sur leurs pièces. Celles de Montréal com- battaient avec un courage admirable, surtout le bataillon commandé par le brave colonel Rhéaume, qui fut tué. M. de Repentigny (|ui commandait cette brigade placée dans le centre de la ligne française, repoussa plusieurs charges et ralentit par sa fermeté et la vivacité de oon feu la poursuite des ennemis contre les grena- diers de la gauche, et ensuite, en les couvrant, leur facilita les moyens de remarcher en avant ; enfin, cette brigade fut la seule (pii maintint toujours son terrein pendant cette lutte acharnée.

Cependant l'attaque qui avait mis les Anglais momentanément en possession des positions occupées par l'avant-garde des Fran- çais au commencement de la bataille, avait été repoussée, et ceux-ci avaient partout regagné leur terrain. Ainsi le mouve-

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ment offensif du général Murray par le chemin de Ste.-Foy se trouvait échoué, et cet échec allait permettre aux Français d'atta- quer à leur tour.

Le général de Levis ayant observé que les Anglais avaient affai- bli leur gauche pour porter de plus grandes forces sur leur droite, résolut sur-le-champ d'en profiter. Il alla ordonner à ses troupes de l'aborder à la bayonnelte, et de tâcher de la rejeter du chemin St.-Louis sur celui de Ste.-Foy, afin de culbuter en la prenant en flanc toute l'armée anglaise en bas du coteau Ste.-Geneviève et de lui couper la retraite sur la ville. Le colonel Poularier, mar- cha en avant à la tête de la brigade Royal-Roussillon, aborda les Anglais et les traversant de part en part, les mit complètement en fuite. Dans le même temps leurs troupes légères étaient mises en déroute, et les fuyards se jetant en avant et en arrière de leur centre, interrompaient son feu. Levis profita de ce désordre pour faire charger sa gauche, qui enfonça à son tour la droite de l'ennemi, la poussa de front devant elle, etla mit dans une déroute complète.

Alors l'on se mit partout à la poursuite ; mais le peu de dis- tance qu'il y avait à aller à la ville, et la fuite précipitée des Anglais ne permirent point de les rejeter sur la rivière St.- Charles. Le général de Levis aurait pu exécuter son dessein malgré cela, peut-être, sans un ordre mal rendu par un officier qu'il chargea d'aller dire à la brigade de la Reine de soutenir la charge de celle de Royal-Roussillon à la droite, et qui, au lieu de lui faire faire ce mouvement, la fit placer derrière l'aile gauche. Sans cette erreur les ennemis auraient été enveloppés, et on leur aurait vraisemblablement coupé la retraite sur la ville.

Quoiqu'il en soit, ils laissèrent entre les mains des vainqueurs toute leur artillerie, leurs munitions, les outils qu'ils avaient appor- tés pour se retrancher et une partie de leurs blessés. Leurs pertes étaient considérables ; près du quart de leurs soldats avait été tué ou mis hors de combat. Si les Français moins fatigués, eussent pu, en les poursuivant toujours avec vigueur, attaquer la ville avant de lui donner le temps de se reconnaître, elle serait probablement retombée sous la domination de ses anciens maîtres (Knox) ; car telle était la confusion qu'ils oublièrent de garnir les remparts, que les sentinelles abandonnèrent leurs postes, que les

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fuyards allaient se réfugier jusque dans la basse-ville, et que les portes même restèrent quelque temps ouvertes. Mais il était impossible d'exiger plus des vainqueurs qu'ils n'avaient fait. Ils n'avaient pu opposer sur le champ de bataille aux 22 bouches à feu de l'ennemi que les trois petites pièces de canon qu'ils avaient fait passer avec peine sur les marais de la Suède. Ils avaient fait aussi de grandes pertes, ayant été obligés de se former sous le feu et de rester longtemps dans l'inaction. Ils comptaient cent quatre officiers tués ou blessés, dont près de moitié Canadiens, parmi lesquels se trouvaient un chef de brigade, six commandans de bataillon et le commandant des Sauvages, chiffre qui aurait dépassé les proportions ordinaires, surtout parmi les réguliers, comparativement aux simples soldats, si les compagnies, quoique réduites à une trentaine d'hommes, n'avaient toujours conservé le môme nombre d'officiers.

Les deux armées étaient à peu près d'égale force sur le champ de bataille en conséquence des détachemens que Levis avait du laisser pour la garde de l'artillerie, des bateaux et du pont de la rivière Jacques Cartier, position importante sur la ligne de retraite en cas d'échec.

Les Sauvages qui, sauf quelques-uns, n'avaient pris comme la cavalerie aucune part à l'action, et s'étaient tenus dans le bois en arrière, se répandirent sur le champ de bataille pendant que les Français étaient à la poursuite des fuyards, et assommèrent quantité de blessés anglais, dont l'on trouva ensuite les chevelures étendues sur les buissons voisins. Aussitôt que le général de Levis fut informé de ces massacres, il prit les mesuras les plus vigoureuses pour les faire cesser. Trois mille hommes avaient été atteints par le feu dans un espace comparativement resserré. L'eau et la neige qui couvraient encore le sol par endrjit étaient rougi es de sang que la terre gelée ne pouvait boire, et ces mal- heureux nageaient dans des mares livides l'on s'enfonçait jusqu'à mi-jambe.

Le tr"nsport des blessés prit beaucoup de temps et achevé de peindre u drame de cette journée. Les blessés franc ais furent portés à l'hôpital-général, à une assez grande distance par les détours qu'il fallait faire pour s'y rendre. " Il faudrait une autre iplume que la tnienne, écrivait une religieuse de cet hôpital à une

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coramunauté en France, pour peindre L horreurg que nous eûmes à voir et à entendre pendant vingt-quatre heures que dura leur transport, les cris des mourans et la douleur des intéressés. Il faut dans ces momens une force au-dessus de la nature pour pouvoir se soutenir sans mourir.

" Après avoir dressé plus de cinq cents lits que nous avions eus des magasins du roi, il restait encore autant de ces pauvres malheureux à placer. Nos granges et nos étables en étaient remplies .... Nous avions dans nos infirmeries soixante-et- douze officiers dont trente-trois moururent. On ne voyait que bras et jambes coupés. Pour surcroit d'affliction, le linge nous n. anqua ; nous fûmes obligées de donner nos draps et nos che- mises ....

" Il n'en était pas de cette bataille comme de la première ; nous ne pouvions espérer de secours des hospitalières de Québec, ... les Anglais s'étant emparés de leur maison ainsi que de celles des Ursulines et des particuliers pour loger leurs blessés qui étaient encore en plus grand nombre (^'ue les nôtres. 11 noua vint encore une vingtaine d'officiers des leurs qu'ils n'eurent pas le temps d'enlever, et dont il fallut aussi se charger . . . ."

Après l'action qui avait duré trois heures, les Français occu- pèrent les buttes à Neveu, et établirent leur camp dans ces mêmes plaines ils venaient de venger si glorieusement leur défaite de l'année dernière.

Dès le lendemain les travaux du siège furent commencés. Il fut décidé de couronner, par une parallèle, les hauteurs en face des trois bastions supérieurs de la ville, et d'y élever des batteries en attendant l'arrivée de la grosse artillerie et de la poudre que l'on avait fait demander en France. M. Dupont-Leroy, ingé- nieur en chef, fut chargé de la direction du siège. Quatre batte- ries furent successivement établies sur ces buttes, outre une cin- quième qu'on plaça sur la rive gauche de la rivière St.-Charles pour prendre le rempart à revers. Les quatre premières coû- tèrent beaucoup de travail, parce que cheminant sur le roc vif, il fal'ait apporter la terre d'une grande distance dans des sacs pour former leurs épaulemens ainsi que ceux des parallèles. Ce ne fut que le 11 mai qu'elles purent ouvrir leur feu ; mais l'éloigne- ment et la faiblesse des pièces laissaient peu d'espoir de faire

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brèche si le revêtement du rempart avait quelque solidité. D'ail- leurs le feu de la place était bien supérieur.

En se renfermant dans Québec, le général Murray résolut d'opposer la plus vigoureuse résistance jusqu'à l'arrivée de la flotte anglaise, vers laquelle il expédia en toute hâte un vaisseau pour l'informer de l'arrivée des Français. 11 adressa ces paroles à ses troupes : " Si la journée du 28 avril a été malheureuse pour les armes britanniques, les affaires ne sont pas assez déses- pérées pour ôter tout espoir. Je connais par expérience la bra- voure des soldats que je commande, et je suis convaincu qu'ils feront tous leurs efforts pour regagner ce qu'ils ont perdu. Une flotte est attendue et des renforts nous arrivent. J'invite les offi- ciers et les soldats à supporter leurs fatigues avec patience, et je les supplie de s'exposer de bon cœur à tous les périls ; c'est un devoir qu'ils doivent à leur roi, à leur pays, et qu'ils se doivent aussi à eux-mêmes."

Il fit ensuite continuer sans relâche les travaux pour augmenter les fortifications de la ville du côté de la campagne ; il fit ouvrir de nouvelles embrasures dans les remparts derrière lesquels campa son armée, fit renforcer le parapet qui les couvrait par un remblai de fascines et de terre, et y établit près de 140 pièces de canon, la plupart d'un gros calibre, qu'il prit des batteries du côté du port devenues inutiles. Les projectiles de cette ligne de feu formidable labouraient partout les environs du camp français jusqu'à deux milles de distance. Les assiégeans n'avaient pour y répondre que 15 bouches à feu, avec lesquelles ils avaient com ncer le siège et qui ne furent en état de tirer, comme on l'a dit, que le 11 mai. La plus grande partie de ces pièces, d'un très petit calibre, fut hors de service en très peu de temps, et bientôt le manque de munitions obligea de ne tirer que 20 coups par pièce dans les 24 heures. Tout ce que les Français pou- vaient faire, c'était de garder leurs lignes en attendant les secours d'Europe. Mais le délai qui s'écoulait faisait craindre chaque jour davantage pour leur sûreté. De leur côté les assiégés, mal- gré leurs remparts et leur nombreuse artillerie, n'attendaient de salut que de l'arrivée de leur flotte avant celle de leurs adver- saires. Ainsi de part et d'autre la croyance générale était que la ville resterait au premier drapeau qui paraîtrait dans le port.

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Les circonstances étaient telles pour nous, dit Knox, que si la flotte française fût entrée la première dans le fleuve la place serait retombée au pouvoir de ses anciens maîtres. Aussi tout le monde, assiégés et assiégeans, tournait-il avec la plus grande anxiété les yeux vers le bas du fleuve, d'où chacun espé- rait voir venir son salut. La puissance sur terre dans cette contrée lointaine se trouvant ainsi en équilibre, celui qui possé- dait le sceptre des mers devait, en le déposant dans le plateau, faire pencher la balance de son côté, et les vastes contrées de la Nouvelle-France devenaient son glorieux partage.

Le 9 mai une frégate entra dans le port. Telles étaient les espérances et les craintes des troupes que " nous restâmes, dit l'écrivain que nous venons de citer, quelque temps en suspens, n'ayant pas assez d'yeux pour la regarder ; mais nous fûmes bientôt convaincus qu'elle était anglaise quoiqu'il y eût des gens parmi nous qui, ayant leurs motifs pour paraître sages, cher- chaient à tempérer notre joie en soutenant obstinément le con- traire jusqu'à ce que le vaisseau ayant salué la place de 21 coups de canon et mis son canot à l'eau, tous les doutes disparurent. L'on ne peut exprimer l'allégresse qui transporta alors la garni- son. Officiers et soldats montèrent sur les remparts faisant face aux Français, et poussèrent pendant plus d'une heure des hou- ras continuels, en élevant leurs chapeaux en l'air. La ville, le camp ennemi, le port et les campagnes voisines à plusieurs lieues de distance, retentirent de nos cris et du roulement de nos canons ; car le soldat, dans le délire de sa joie, ne se lassa point de tirer pendant un temps considérable ; enfin, il est impossible de se faire une idée de notre allégresse si l'on n'a pas souffert les extrémités d'un siège, et si l'on ne s'est pas vu avec de braves amis et de braves compatriotes voué à une mort cruelle." Si la joie était sans borne parmi les assiégés, l'événement qui la cau- sait devait diminuer dans la même proportion les espérances des assiégeans. Cependant la frégate qui venait d'arriver pouvait être un vaisseau isolé, et ils ne voulurent pas encore perdre cou- rage. Ce ne fut que deux jours après que leurs batteries ouvri- rent leur feu contre la ville. Le 15, deux autres vaisseaux anglais entrèrent dans le port. Alors le général de Levis dut se préparer pour le pire et se décider à lever le siège de peur d'être

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coupé dans sa ligne de retraite et de perdre ses magasins, car les ennemis se trouvaient maintenant plus forts sur le fleuve que les Français, qui n'avaient pour vaisseaux de haut bord que deux frégates dépourvues d'artillerie et d'équipage, lesquelles furent prises ou forcées de s'échouer. M. de Vauquelin, qui les com- mandait tomba les armes à la main et couvert d'honorables bles- sures au pouvoir de l'ennemi après une lutte de deux heures soutenue vis-à-vis de la Pointe-aux-Trembles, contre plusieurs frégates. Presque tous ses officiers furent tués ou blessés ainsi qu'une grande partie du faible équipage de l'Atalante, à bord de laquelle il avait arboré son pavillon, qu'il ne voulut point amenai.

L'armée assiégeante décampa dans la nuit du 16 au 17 mai, après avoir jeté en bas de la falaise du Foulon une partie de l'artillerie de siège qu'elle ne pouvait emporter. Elle ne fut point poursuivie dans sa retraite. Ainsi finit cette courte mais auda- cieuse campagne, qui, proportionnellement au nombre des com- battans, avait coûté tant de sang «t tant de travaux, et qui avait achevé d'épuiser les magasins de l'armée. L'on peut dire que de ce moment la cause française fut définitivement perdue ; perdue non par le défaut de résolution et de persévérance comme le prouvaient la longueur et les victoires de cette guerre, mais par l'abandon absolu de la métropole.

Le général de Levis ne pouvant plus, faute de vivres, tenir ses troupes réunies, les dispersa dans les campagnes pour leur sub- sistance. Il laissa 1,500 hommes de la Pointe-aux-Trembles à Jacques Cartier, sous les ordres de M. Dumas, pour observer la garnison de Québec. Telle était la situation du Canada du côté de la mer à la fin de juin.

A l'autre extrémité rien d'important ne s'était encore passé. Dès le commencement d'avril, M. de Bougainville était allé à l'île aux Noix prendre le commandement de la frontière du lac Champlain ; et le capitaine Pouchot, fait prisonnier à Niagara et qui venait d'être échangé, avait remplacé au fort de Levis M. Desandrouins appelé à prendre part comme officier du génie à l'expédition de Québec. Le fort de Levis était bâti dans une île un peu au-dessous de la Présentation, à la tête des rapides du St.- Laurent. Après la levée du siège de Québec, 500 hommes furent envoyés sur la frontière du lac Champlain, et un pareil

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nombre à la tête des rapides du St.-Laurent aux ordres du cheva- lier de la Corne. A cette époque, les forces nui gardaient le territoire qui restait encore aux Français, étaient réparties comme suit : 8 à 900 hommes défendaient la tête des rapides du St.- Laurent au-dessus de Montréal; 1,200 hommes la frontière du lac Champlain,et 1,500 surveillaient la garnison de Québec. Le reste des Canadiens, tout étant désormais perdu, avait repris tristement le chemin de leurs foyers pour y disputer avec le soldat mourant de faim quelques lambeaux de nourriture. Déci- més, ruinés par cette longue guerre, ils venaient de perdre leur dernière espérance en apprenant que non seulement il ne leur arriverait aucun secours de France, mais que le trésor du royaume était incapable pour le moment de payer les avances qu'ils avaient faites au gouvernement, et qu'en conséquence on était forcé de suspendre le paiement des lettres de change tirées par le Canada. Le gouverneur et l'intendant les informè- rent de cette résolution par une circulaire, ils les assuraient que les lettres de change tirées en 57 et 58 seraient payées trois mois après la paix avec intérêt, celles tirées en 59 dans les dix- huit mois, et que les billets de cai>se ou ordonnances seraient acquittés aussitôt que les circonstances le permettraient. Cette nouvelle fut comme un coup de foudre pour ces malheureux, à qui l'on devait plus de 40,000,000 de francs ; il y en avait à peine un qui n'était pas créancier de l'état. " Le papier qui nous reste, écrivit M. de Levis au ministre, est entièremeut décrédité, et tous les habitans sont dans le désespoir. Ils ont tout sacrifié paur la conservatio7i du Canada. Ils se trouvent actuellement ruinés, sans ressources ; nous ne négligeons rien pour rétablir la confiance." C'est dans celte lettre que le général français informait le ministre qu'il était hors d'état de tenir la campagne, que vivres et munitions, tout manquait, que les batail- lons réguliers n'ayant plus assez d'officiers et de vieux soldats, ne composaient plus qu'environ 3,100 comlattans,y compris les 900 soldats de la colonie.

Le général de Levis alla inspecter lui-même la frontière du lac Champlain qu'il fit renforcer d'uu nouveau bataillon, et parcourut le pays en profitant de la confiance que lui témoignaient les habi- tans pour ranimer leur zèle et leur courage, calmer leurs alarmes

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Bur le papier du gouvernement, et pour les engager à fournir des vivres. Il n'y avait plus de poudre que pour un combat, et les Anglais étaient en campagne avec trois armées nombreuses marchant sur Montréal, l'une venant de Québec, la seconde du lac Champlain et la troisième d'Oswégo au pied du lac Ontario. La première qui s'était mise en mouvement était celle du général Murray. L'arrivée des trois vaisseaux anglais pendant que les Français faisaient le siège de leur capitale perdue, fut suivie le 18 mai de celle de la flotte de lord Colville, qui porta les forces navales anglaises devant cette ville à six vaisseaux de ligne et huit frégates ou sloops de guerre ; mais les renforts de soldats attendus ne parurent que dans le mois de juillet sous les ordres de lord RoUo. Le 14 de ce mois le général Murray, lais- sant des forces considérables à Québec, s'embarqua avec une partie de ses troupes sur une escadrille de trente-deux voiles, deux à trois cents berges et neuf batteries flottantes, pour remonter le St.-Laurent. 11 laissa derrière lui le fort Jacques Cartier, que défendait le marquis d'Albergotti avec 200 hommes, et qui se rendit dans le mois de septembre au colonel Fraser, venu pour l'attaquer avec 1000 hommes. A Sorel, Murray fut rejoint par lord Rollo et deux régimcns. Dans les derniers jours d'août il n'était encore rendu qu'à Varennes, où, plus circonspect que jamais depuis la journée du 28 avril, il résolut d'attendre l'arrivée du général Amherst et du chef de brigade Haviland. Il avait été informé que le général de Levis avait réuni les détachemens qui s'étaient repliés depuis Jacques-Cartier pour ne pas être débordé, et qu'il épiait l'occasion d'attaquer les Anglais séparé- ment s'il pouvait le faire avec avantage. St.-Laurent, Murray escarmouchant ça et mission de quelques paroisses, et en avait brûlé d'autres comme Sorel, il y avait un petit camp retranché qu'il n'avait pas jugé à propos d'attaquer. A Varennes, il fit publier qu'il brûlerait les villages qui ne rendraient pas les armes, et que les Canadiens qui étaient entrés dans les bataillons réguliers subiraier»' le sort des troupes françaises et seraient transportés en France. Les armées du général Amherst et du brigadier Haviland approchaient alors de Montréal. Cette menace eut l'effet désiré, et 400 hommes de la seule paroisse de Boucherville vinrent prêter le serment de

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fidélité. De toutes paris les milices voyant tout perdu déposaient les armes, et les réguliers, laissés sans pain, réduits au désespoir, désertaient en grand nombre. Le 7 septembre l'armée d'Havi- land parut, ce qui fut le signal pour le peu d'Indiens qui tenaient encore pour les Français de les abandonner tout-i-fait.

Haviland était parti le 11 août du fort St.-Frédéric, sur le lac Champlain, avec 3,500 hommes. Le colonel Bougainville s'était retiré devant lui, abandonnant successivement l'île aux Noix, St.-Jean, et les autres petits postes, de m'.nière que l'ennemi atteignit Longueuil sans coup férir et put donner la main aux troupes du général Murray.

La principale armée était celle d'Amherst. Ce général arriva de Schenectady à Oswégo le 9 juillet, avec une partie de ses forces, et fut rejoint bientôt après par son arrière-garde aux ordres du chef de brigade Gage. Cette armée, consistant en 11,000 hommes dont 700 Indiens, s'embarqua du 7 au 10 août pour descendre le St.-Laurent ; elle arriva devant le fort de Levis, qu'elle investit complètement le 20. Le commandant Pouchot abandonné des Sauvages, ne restait plus qu'avec 200 hommes, le gros des Français de ce côté étant aux Cèdres sous les ordres du chevalier de la Corne ; il soutint néanmoins un siège de six jours ; et ce n'est qu'après avoir repoussé un assaut^ vu ses retranchemens détruits, ses batteries ruinées, tous ses offi- ciers et le tiers de la garnison tués ou blessés, qu'il voulut bien se rendre, ayant eu l'honneur d'arrêter avec 200 hommes un« armée de 11,000 pendant 12 jours.

Le général Amherst se remit en route le 31 août. La des- cente des rapides était une opération dangereuse, mais cette voie avait été choisie pour couper toute issue aux Français, qui avaient parlé de retraiter, s'ils étaient forcés, de Montréal au Détroit et du Détroit à la Louisiane. Il perdit dans les rapides des Cèdres 64> berges et 88 hommes, et parvint, le chevalier de la Corne reculant toujours devant lui, sans autre accident le 6 sep- tembre à la Chine, il débarqua à quatre lieues de Montréal, dont il investit le côté du couchant le soir même. Il avait reçu on descendant la soumission des populations qui se trouvaient su^ son passage. Les deux autres armées qui l'attendaient, inves- tirent la ville du côté opposé le 8, et formèrent réunies à la

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première plus de 17,000 hommes munis d'une artillerie formi- dable.

Montréal, bâti sur le côté sud do l'île de ce nom, entre ime montagne et le St.-Laurent, était entourré d'un simple mur de deux à trois pieds d'épaisseur construit pour en imposer aux Indiens, et capable seulement de résister aux flèches «t aux petites armes. Ce mur, protégé par un fossé, était garni de six à sept petites pièces de canon. Une batterie d'un môme nom- bre de pièces rongées par la rouille, couronnait une petite émi- nence dans l'enceinte de la ville. Telles étaient les fortifications qui couvraient les divers débris de l'armée française réduite avec les habitans restés sous les drapeaux à 3,000 hommes environ, outre les 500 soldats placés dans l'île Ste.-Hélène vis-à-vis. On n'avait plus de vivres que pour quinze jours.

Dans la nuit du 6 au 7 septembre M. de Vaudreuil assembla im conseil de guerre. L'intendant Bigot y lut un mémoire sur l'état de la colonie et un projet de capitulation. Tout le monde fut d'avis qu'il convenait de préférer une capitulation avantageuse aux peuples et honorable aux troupes à une défense qui ne pou- vait retarder que de quelques jours la perte du pays ; et le matin le colonel Bougainville fut chargé d'aller proposer aux ennemis une suspension d'armes d'un mois. Cette demande ayant été refusée, il retourna offrir la capitulation dont l'on vient de parler et qui se composait de 55 articles. Le général Amherst accorda presque tout ce que l'on demandait, excepté la neutralité perpé- tuelle des Canadiens et les honneurs de la guerre pour les troupes. Ce dernier refus blessa profondément le général de Levis, qui voulut se retirer dans l'île Ste.-Hélène pour s'y défendre jusqu'à la dernière extrémité, et qui ne posa les armes que sur l'ordre formel du gouverneur. La capitulation fut signée le 8 sep- tembre.

Par cet acte célèbre, le Canada passa définitivement au pouvoir de l'Angleterre. Le libre exercice de la religion catho- lique fut garanti aux habitans. Les séminaires et les commu- nautés religieuses de femmes furent maintenus dans la possession de leurs biens, constitutions et privilèges ; mais le même avantage fut refusé aux Jésuites, aux Franciscains et aux Sulpiciens jusqu'à ce que roi d'Angleterre eût fait connaître ses intentions à leur

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égard. La môme réserve fut fuite pour les dîmes. Quant aux lois, usages et coutumes du pays, il fut répondu que les Canadiens seraient sujets du roi, paroles qui avaient un sens beaucoup plua étendu que ce peuple ne se l'imaginait alors, et que son ignorance des institutions représentatives lui fit négliger d'invoquer pour entrer en possession des droits dont il n'avait pas encore joui, à savoir : la votation des impôts, la participation à la confection des lois et le jugement par jury. 11 en fut de môme du 37e article de la capitulation inséré pour tranquilliser les fortunes particu< lières, mais dans lequel les seigneurs eurent l'adresse de faire confirmer la conservation de leurs droits féodaux, nobles et non nobles ; du moins ces droits paraissent sauvegardés par les termes dans lesquels l'article est couché.

Les Anglais prirent possession de Montréal le jour môme. Le gouverneur, M. de Vaudreuil, le général de Levis, les troupes, les officiers de l'administration civile et militaire s'embarquèrent pour la France, après qu'on eût expédié l'ordre à M. de Belestre, commandant du Détroit, trois ou quatre cents familles cana- diennes étaient établies, ainsi qu'aux chefs des autres postes qui se trouvaient dans ces contrées, de les remettre au major Rogers, fameux partisan, ou aux officiers députés par lui. Il repassa ainsi en Europe environ 185 officiers, 2,400 artilleurs ou soldats de terre et de la colonie y compris les blessés et les invalides, et un peu plus de 500 matelots, domestiques, femmes et enfans ; le reste, 5 à 600 soldats, canadiens ou français mariés dans le pays ou qui y avaient pria des terres, ayant abandonné les drapeaux pour ne pas quitter l'Amérique. Ces chiffires prouvent à la fois les cruels ravages de cette guerre, la faiblesse des secours envoyés par la métropole et l'immense supériorité numérique du vain- queur. Les citoyens les plus marquans abandonnèrent aussi le pays. L'on encouragea leur émigration, celle des officiers cana- diens surtout dont l'on désirait se débarrasser, et qui furent vivement sollicités de passer en France. Le Canada perdit par cet exil volontaire une population précieuse par l'expérience, par les lumières et par la connaissance des affaires publiques et commerciales.

Ainsi au commencement de 1761, la domination française avait cessé d'existsr dans toute l'étendue du Canada après avoir duré

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un siècle et demi. En quittant cette contrée, M. de Vaudreuil rendit cet hommage à ses habitans dans une lettre aux ministres de Louis XV : " Avec ce beau et vaste pays, la France perd 70,000 âmes dont l'espèce est d'autant plus rare que jamais peuples n'ont été aussi dociles, aussi braves et aussi attachés à leur prince. Les vexations qu'ils ont éprouvées depuis plusieurs années, et particulièrement depuis les cinq dernières avant la reddition de Québec, sans murmurer ni oser faire parvenir leurs justes plaintes au pied du trône, prouvent assez leur docilité."

Quant aux troupes, la simple exposition de leurs combats et de leurs travaux suffit pour faire leur éloge. Jamais la France n'a eu de soldats plus intrépides ni plus dévoués. Dix faibles batail- lons, obligés le plus souvent de se recruter dans le pays même faute de secours d'Europe, eurent à défendre un pays qui s'éten- dait depuis l'Acadie jusqu'au lac Erié, et à lutter contre le" troupes dix fois plus nombreuses que les Anglais amenèrent an combat. Bien peu de ces braves gens revirent leur patrie leur dernier général rendit pleine justice à leur mérite. " Ils ont fait des prodiges de valeur, écrivit-il au .ninistre, ils ont donné, comme les habitans eux-mêmes, des preuves réitérées, surtout le 28 avril, que la conservation du Canada ue pouvait dépendre ni de leur zèle ni de leur courage ; et c'est une puite des malheurs et de la fatalité auxquels depuis quelque temps ce pays était en butte, que les secouid envoyé? de France ne soient pas arrivés dans le moment critique. Quelques médiocres qu'ils fussent, joints au dernier succès, ils auraient déterminé la reprise de Québec." C'est dans cette dépêche qu'il observait que le gou- verneur avait mis en usage jusqu'au dernier moment, toutes les ressources dont la prudence et l'expérience humaines pouvaient être capables.

Ce général, en rentrant en France, passa à l'armée d'Alle- magne, où il assista à la bataille de Johannesberg, gagnée en 1762 par le prince de Condé sur le fameux Guillaume de Brunswick. Après la guerre, il fut nommé au gouvernement de la province d'Artois, créé maréchal de Freice en 1783, et duc l'année sui- vante. Il mourut trois ans aprè? à ArraS; il j'éiuit rendu pour tenir les états de cette province, qui lui décernèrent de

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magnifiques obsèques et lui firent ériger un monument dans la cathédrale de la ville.

Sa conduite en Canada, surtout après la mort de Montcalm, suffit pour nous donner l'idée la plus avantageuse de ses talens militaires. Sa présence au combat semblait assurer le succès. L'on gagna toutes les batailles il assista ; et nous osons pres- qu' assurer que s'il eût été à Québec le 13 septembre, le résultat de cette journée eut été bien différent ; il aurait eu assez d'influence sur Montcalm pour l'empêcher de combattre avant la réunion de toutes les troupes. Il était peut-être le seul homme capable de sauver le pays. Sa prudence du reste Pempêcha toujours d'entrer dans cjb malheureuses querelles qui désunirent Vaudreuil et Montcalm, et s'il n'avait pas la vivacité du dernier, il avait ce qui est beaucoup plus précieux pour commander une armée, le jugement, la fermeté, le coup-d'œil militaire et enfin le bonheur de la victoire.

M. de Bourlamarque mourut en 64, gouverneur de la Guade- loupe. Quant au colonel de Bougainville, chacun sait qu'il prit une part glorieuse, comme officier supérieur, aux campagnes de la marine française dans la guerre de la révolution américaine, et qu'il s'est surtout illustré par son voyage autour du monde et ses découvertes géographiques.

La nouvelle de la soumission totale du Canada fut accueillie en Angleterre avec les mêmes démonstrations de joie que celle de la reddition de Québec. Le roi uonna des gratifications aux offi- ciers qui apportèrent les dépêches confirmant cet heureux évé- nement. En France, le gouvernement s'attendait depuis long- temps à ce qui arrivait, puisqu'il avait envoyé des instructions pour obtenir les conditions les plus avantageuses en faveur des colons, premières victimes de ce grand désastre national. Maia la masse de la nation, qui ignorait à quel état de faiblesse était réduit tout le (système colonial, fut vivement émue de la perte de sa plus belle et de sa plus ancienne coL lie ; elle se sentit la rougeur au front et le remords au cœur en voyant passer sous le joug étranger 60,000 de ses enfans, parlant la même langue, vivant sous les mêmes lois qu'elle, et qui s'étaient .acrifiés inu- tilement depuis sept ans pour éviter une destinée qu'un meil- leur gouvernement eût conjurée ; elle se contînt néanmoins aux

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yeux de l'univers ; elle chercha un prétexte pour voile'" sa défaite, et le gouvernement, comme il faisait dans le même temps pour les Indes en sacrifiant M. de Lally, lui jeta encore pour la satisfaire de nouvelles victimes dans la personne de fonction- naires innocena ou d'obcurs prévaricateurs. La plupart des administrateurs du Canada, eu débarquant en France, furent livrés à la vindicte publique et traînés devant une commission judiciaire du Châtelet de Paris.

L'intendant Bigot, comme chef de l'administration des finances et des subsistances des armées, fut celui qui éprouva le premier la colère vraie ou simulée du ministère, mais qui était pourtant bien fondée. Un cri universel s'était élevé contre ce fonction- naire parmi ceux qui s'intéressaient aux possessions coloniales j tous les Canadiens, disait-on, sont prêts à déposer des malversa- tions qui s'étaient commises. Lorsque Bigot se présenta à Ver- sailles, M. Berryer l'accueillit par des paroles de disgrâces et de reproches. " C'est vous, lui dit-il, qui avez perdu la colonie. Vous y avez fait des dépenses énormes ; vous vous êtes permis le commerce ; votre fortune est immense votre adminis- tration a été infidèle, elle est coupable." L'intenriant essaya vainement de se justùer. Disgracié, il se retira à Bordeaux, où, ayant appris quelques mois après qu'il était question de l'arrêter, il revint à Paris pour tâcher de conjurer l'orage ; mais toutes les issues du pouvoir lui furent fernr.ées, et quatre jours après, le 17 novembre 1761, il fut jeté à la Bastille il resta onze mois entiers sans communiquer avec personne. En même temps, vingt autres prévenu, à titre de complices, subirent le môme sort, et plus de trente furent décrétés de prise de corps comme contumaces. Le conseil d'état ordonna au Châtelet d'instruire leur procès criminellement, à eux et à leurs adhérons.

Le gouverneur lui-même, M. de Vaudreuil, n'échappa pas à la disgrâce de la Bastille, qu'il dut peut-être autant aux insinua- tions des anciens partisans du général Montcalm qu'à cel'^s plus perfides encore de Bigot. La procédure de la part du mii.istère public fut conduite avec la plus grande activité, et dura depuis le mois de décembre 61 jusqu'à la fin de mars 63. Les accusés obtinrent en octobre 62 des conseils pour préparer leurs défenses. Le marquis de Vaudreuil avait gouverné le Canada durant l'épo-

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que la plus difficile de son histoire, et il avait mis en usage jus- qu'au dernier moment toutes les ressources dont la prudence et l'expérience humaines peuvent être capables comme le mandait l'évêque de Québec au gouvernement.* Il entrait pauvre en France après avoir servi le roi cinquante-six ans, dont une partie comme gouverneur des Trois-Rivières et de la Louisiane. Il avait acquis des plantations dans cette demlôre province, qu'il avait été obligé de vendre pour soutenir la dignité de son rang en Canada. Il avait même sacrifié, comme Montcalm et le général de Levis, ses appointemens pour subvenir aux besoins publics à la fin de la guerre. Ainsi toute sa fortune, comme il le disait lui-même, consistait dans l'espérance des bienfaits du roi. Aussi sa défense fut-elle pleine de dignité. Il ne fit que repousser les insinuations des vrais coupables, et dédaignant de se justifier lui- même, il éleva la voix en faveur des otficiers canadiens que Bigot avait accusés. " Elevé en Canada, il les connaissait, disait-il, et il soutenait qu'ils étaient presque tous d'une probité aussi éprouvée que leur valeur. En général, les Canadiens semblent être nés soldats ; une éducation mâle et toute militaire les endurcit de bonne heure à la fatigue et au 'langer. Le détail de leurs expé- ditions, de leurs voyages, de k urs entreprises, de leurs négocia- tions avec les naturels du pays, offre des miracles de courage, d'activité, de patience dans la disette, de sang-froid dans le péril, de docilité aux ordres des généraux, qui ont coûté la vie à plu- sieurs sans jamais ralentir le zèle des autres. Ces comraan- dans intrépides, avec une poignée de Canadiens et quelques guerriers Sauvages, ont souvent déconcerté les projets, ruiné les préparatifs, ravagé les provinces et battu les troupes des Anglais huit à dix fois pîus nombreuses que leurs détachemens. Ces talens, étaient précieux dans un pays dont les frontières étaient si vastes," e. il terminait en déclarant " qu'il manquerait à ce qu'il devait à ces généreux guerriers, à l'état et à lui-même, s'il ne publiait leurs services, leurs talens et Lur innocence." L'on peut dire aussi, en confirmation de ces paroles, que tous les officiers canadiens de l'ordre militaire qui restèrent dans le pays après la capitulation, se trouvèrent beaucoup plus pauvres qu'a- vant la guerre, et que dans ceux de l'ordre civil, on n'en remarqua * Lettre de l'évêque de Québec au ministre.

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point qui se fussent enrichis, à l'exception du contumace Desche- naux, secrétaire de l'intendant, et de quelques spéculateurs obs- curs qui lui servaient d'instrumens, et dont la fortune acquise au milieu des désastres et de la ruine publique, a attaché à leurs noms une flétrissure ineifaçable. Enfm, le président de la com- mission, assisté de vingt-cinq conseillers au Chàtelet, rendit, le 10 décembre 1763, son arrêt contre les accusés. Le marquis de Vaudreuil, qui mourut l'année suivante moins des suites de l'âge que des chagrins causés par l'ingratitude du gouvernement, fut déchargé de l'accusation avec cinq autres. Bigot fut banni à perpétuité du royaume, et ses biens furent confisqués. Le reste des accusés fut condamné à des bannissemens, à des confiscations ou à des restitutions plus ou moins considérables, qui s'élevèrent en totalité à 11 millions 400 mille francs, ou leur jugement fut remis jusqu'à plus ample informé.

Il est indubitable que de grandes dilapidations avaient eu lieu ; mais elles ont été beaucoup exagérées, comme on peut s'en con- vaincre en comparant les dépenses du Canada à celles des colo- nies anglaises dans cette guerre. La levée et l'entretien de 7,000 hommes coûtèrent en 1758 au Massachusetts, 180,000 louis sterling, outre 30,000 louis pour la défense de la frontière, en tout 5,250,000 francs. Dès la première année de la guerre, le Canada eut une armée aussi nombreuse à nourrir, sans compter une partie des Acadiens. Cette armée, sans augmenter beau- coup jusqu'en 1759, eut à faire face aux forces bien supérieures de l'ennemi, et à se transporter continuellement à de grandes distances pour les repousser sur différens points d'une frontière qui s'étendait du golfe St.-Laurent au Mississipi. Les frais de transport dans l'état étaient alors les communications, devaient être énormes. Bientôt aussi la disette des vivres et des mar- phandises, causée d'une part par la suprématie de l'ennemi sur les mers, qui interrompait les communications avec la France, et de l'autre par l'abandon dans lequel resta une partie des terres par suite de l'enlèvement des habitans pour le service militaire, vint décupler les dépenses en conséquence de la hausse exorbi- tante des prix de toutes choses. Aussi ces dépenses montèrent- elles fort rapidement. De 1,700,000 livres qu'elles étaient en 1749, elles s'élevèrent succesaivement d'année en année à

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2,100,000,2,700,000, 4,900,000, 5,300,000, 4,450,000, 6,]00,- 000, 11,300,000, 19,250,000, 27,900,000, 26,000,000 fr., et pour les huit premiers mois de 1760 à 13,500,000 ; en tout, à plus de 123 millions.

De cette somme il restait par l'état 80 millions, dont 41 millions aux Canadiens : 34 millions en ordonnances et 7 mil- lions en lettres de change. La créance des Canadiens, immense pour le pays, fut prcsqu'entièrement perdue. Des marchands et des officiers de l'armée anglaise achetèrent à vil prix une partie de ces papiers, en revendirent une portion à des facteurs français eur la place de Londres pour de l'argent comptant, et ayant ensuite, par leur influence auprès de leur gouvernement, fait stipuler au traité de 63 un dédommagement de 3 millions 600 mille francs pour la réduction opérée par la France de la moitié sur les lettres de change et des trois quarts sur les ordonnances, réduction qui avait eu l'eflet de faire perdre d'un seul coup 29 millions aux Canadiens sur leurs créances, ces marchands et ces officiers furent les seuls qui retirèrent quelque profit de ce dédom- magement. Le papier dont les Canadiens étaient encore nantis resta longtemps sans valeur ; enfin en 1765, ils furent invités à en faire la déclaration à des commissaires préposés à cet eflet et à en laisser des bordereaux entre leurs mains pour être envoyés en Angleterre.* 1,639 dépôts de bordereaux furent faits, se montant à une somme considérable ; mais, livrée à l'agiotage, cette somme fut pesque toute absorbée par des spéculateurs pour des valeurs nominales. En mars 1766, une nouvelle convention fut signée entre les agens de France et d'Angleterre pour liquider ce qui restait du papier du Canada. 11 fut arrêté qu'il serait soldé en reconnaissances ou contrats de rente à 4^ pour cent d'intérêt, lesquels suivraient, pour le remboursement, le sort des autres dettes de l'état. De tout cela l'on peut con- clure, premièrement, que la guerre du Canada n'occasionna pas cet épuisement de la France auquel ses ministres ont bien voulu attribuer la plupart de ses malheurs, comme moyen de justifica- tion sans doute, puisqu'une très petite partie de la dépense fut

* Récapitulation générale des bordereaux ; Registre déposé aux archives provinciales â Québec.

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soldée pendant qu'elle avait encore les armes à la main ; et en second lieu, que l'accusation portée contre les fonctionnaires de la colonie avait pour objet principalement de faire retomber sur eux et non sur les ministres, véritables auteurs des désastres, la responsabilité des événemens et la haine do la nation.

Depuis 58 surtout, la fortune semblait vouloir accabler la France. Elle n'éprouvait que des revers sur terre et sur mer dans toutes les parties du monde. Le trésor étant vide, des négo- ciations furent tentées inutilement avec l'Angleterre. Le duc de Choiseul, qui venait d'être nommé ministre de la guerre et qui exerçait réellement les pouvoirs de premier ministre, entraîna l'Espagne dans les hostilités par le traité de 61, connu sous le nom de pacte de famille ; mais les désastres militaires et les malheurs publics ne cessèrent point pour cela de s'accroître ; l'Espagne perdit Cuba, Manille, douze vaisseaux de ligne et cent millions de prises ; pour la France il lui restait à peine une colonie en Amérique ou ailleurs, et elle n'avait rien gagné en Europe. Grâce à la médiation de la Sardaigne, aux dispositions pacifiques de lord Bute qui était parvenu à éloigner Pitt d'un cabinet qu'il ne gouvernait plus, et peut-être aussi à la diversion sur le Portugal, allié de l'Angleterre, et que l'Espagne et la France attaquèrent dans la vue d'en faire un objet de compensation, les préliminaires de la paix furent signés à Fontainebleau le 3 novembre 62 entre les cours de France, d'Espagne et d'Angle- terre, et la paix définitive à Paris entre ces trois nations et le Portugal le 10 février suivant. La France céda entre autres territoires à la Grande-Bretagne le Canada et toutes les îles du golfe St.-Laurent, eauf les îles St.-Pierre et Miquelon réservées pour l'usage de ses pécheurs, et à l'Espagne la Louisiane en échange de la Floride et de la baie de Pensacola qu'elle aban- donnait aux Anglais, le Mississipi devant former la limite entre les deux nations. La seule autre stipulation qui regarde le Canada fut celle par laquelle l'Angleterre déclara que les Canadiens jouiraient du libre exercice de leur religion. Le silence fut gardé sur l'article de leurs lois, attendu probaHement qu'en devenant sujets anglais, ils devenaient participant du pouvoir législatif, tandis que le catholicisme, frappé alors de réprobation par la

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constitution de l'état, avait besoin d'une stipulation expresse pour devenir un droit.

La Louisiane, qui subissait le sort du Canada, n'avait pas ét6 conquise. Elle avait joui même d'assez de tranquillité pendant tout le temps de la guerre. Depuis 1731, nous avons laissé son histoire, cette contrée qui avait inspiré tant d'espérance, avait commencé à prospérer. La guerre avec les Natchés qui avait achevé d'épuiser la compagnie des Indes créée on 1723, l'avait forcée de remettre huit ans après la Louisiane au roi, qui y avait rendu le commerce libre,. Ce beau pays, jouissant de plus de liberté, vit la population, les établissem.ens, le commerce aug- menter d'abord lentement et ensuite avec plus de rapidité. C'est alors que l'esprit de changement vint encore planer sur cette terre à peine habitée, et qui avait déjà subi tant de révolutions dans son administration. Le gouvernement français voulut réa- liser le vieux projet formé dans le siècle précédent, d'unir ensemble le Canada et la Louisiane pour fermer aux Anglais les régions mystérieuses de l'Ouest, et les retenir sur les bords de la mer atlantique. Le manque d'habitans, les impossibilités physiques, les immenses contrées sauvages qui séparaient ces deux pays, rendirent ce projet inexécutable. Après la paix de 1748 la France sembla s'occuper encore une fois sérieusement de la colonisation de la Louisiane. Quoique ses mesures ne fussent pas toujours heureuses, et malgré les fausses notions de la plupart des administrateurs venus d'Europe pour la gouverner, malgré aussi les désordres qu'apportaient dans le commerce et les finances, des émissions imprudentes d'ordonnances et de papier-monnaie qui tombaient bientôt dans l'agiotage et le dis- crédit, cette colonie faisait des progrès assez rapides à la faveur de la paix qui y régnait. Mais le calme dont elle jouissait n'était qu'un repos trompeur. Au moment elle croyait avoir atteint le plus haut degré de prospérité auquel elle fut parvenue depuis sa fondation, elle se vit tout-à-coup frappée des plus grands mal- heurs qui puissent atteindre un peuple, la sujétion étrangère et le partage de son territoire entre différentes nations."

* La Nouvelle-Orléans, quoique située sur la rive gauche du Mississipi, fut attachée jusqu'au lac Pontchartrain au territoire cédé à l'Espagne.

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Lorsque le gouverneur de cette contrée, M. irAbadle, reçut do Louis XV, en (M-, l'ordre do communiquer le traité de Paris aux colons, il en fut si alUigé qu'il mourut de chagrin. Son successeur, M. Aubry, chargé d'accomplir cette triste mission, laissa passer du temps. Les Louisianais consternés firent des représentations en France dans les termes les plus pressans et les plus pathéti- ques ; et lorsque les Espagnols se présentèrent, en GS, avec leur chef, Don Antonio d'Ulloa, homme sage et modéré, pour prendre possession du pays, ils les forcèrent de se rembaniuer, préfendant qu'on n'avait pas droit de les céder sans leur consentement, et que d'ailleurs ils n'avaient aucun titre de leur cour. Louis XV dut alors les faire informer que la cession était irrévocal)lc. L'année suivante le général espagni>i O'Reilly arriva avec 3,000 hommes. Ils voulurent s'opposer à son débarquement, mais les magistrats réussirent à les apaiser, et le procureur-général Lafreniere alla le recevoir et l'assurer de la soumission des habi- tans. O'Reilly montra d'abord beaucoup de bonté, maintint les anciennes lois et entraîna la multitude par sa conduite. JNIaiscea apparences de justice n'avaient pour but que de mieux cacher ses desseins ou les instructions de sa cour. Il fallut enfin lever le masque, changer les lois qu'il avait paru d'abord respecter, et bouleverser toute l'administration intérieure. Lafreniere et les tribunaux protestèrent contre ces changemens. O'Reilly profita de cette opposition pour commettre, dit Barbé-Marbois, des " actes de violence et de férocité qu'il confondait avec ceux d'une sage fermeté." Il convoqua douze députés du peuple pour fixer le code de lois. Ces délégués se réunirent chez lui, et l'atten- daient pour commencer leurs délibérations, lorsque les portes de la salle s'ouvrirent et O'Reilly parut à la tète d'ime troupe de sol- dats qui saisissant les députés, les chargèrent de chaînes et les jetèrent dans les cachots. Six d'entre eux furent fusillés par ordre de ce gouverneur sanguinaire. Lafreniere, avant de subir son supplice, protesta de son innocence, et encouragea ses com- patriotes à mourir avec fermeté. Il chargea Noyan d'envoyer son écharpe à sa femme pour la remettre à son fils quand il aurait vingt ans, et commanda lui-même le feu aux soldats, abandonnant à ses remords le perfide Espagnol qui leur avait tendu un piège

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pour lc3 perdre. Les six autres furent envoyés dans les donjons de Culia.

Tel est l'événement tragi(|ue qui marqua le passage de la Loui- siane sous une domination étrangère. Il ne resta plus rien à la France dans l'Amérique du nord (lue quelques rochers nuageux et stériles répandus sur les bords de la mer de Tcrrcncuve ; der- nier débris d\m empire écroulé, qui surnageaient sur les flots d'une mer déjà fatiguée du joug do l'Europe.

" Depuis le traité de Brctigny, dit Sismondi, la France n'avait point conclu de paix aussi humiliante que celle qu'elle venait de signer à Paris, pour terminer la guerre de Sept ans. Aujourd'hui que nous connaissons mieux les vastes et riches pays qu'elle venait d'abandonner en Amérique, que nous y voyons naître et grandir des nations puissantes, que ses enfans qui se sont mainte- nus et qui ont prospéré à Québec, à Montréal cl à la Nouvelle- Orléans, attestent l'importance des colonies auxquelles elle renon- çait, cet abandon d'un pays appelé à de si hautes destinées paraît plus désastreux encore. Toutefois ce n'est point une raison pour blâmer les ministres qui négocièrent ou qui signèrent la paix do 17G3. Elle était sage, elle était nécessaire, elle était aussi avan- tageuse que les circonstances pouvaient le permettre. Les Fran- çais n'avaient réussi dans rien de ce qu'ils s'étaient proposé par la guerre de Sept ans; ils avaient éprouvé les plus sanglantes défaites et s'ils s'obstinaient à la guerre, ils avaient tout lieu de s'attendre à dos revers plus accablans encore ; jamais leurs géné- raux n'avaient paru plus universellement dépourvus de talens ; jamais leurs soldats, toujours également braves, n'avaient été plus pauvres, plus mal tenus, plus soulTrans, n'avaient eu moins de confiance en leurs chefs, et, en raison de leur mauvaise disci- pline, moins de confiance en eux-mêmes ; jamais la France n'avait inspiré moins de crainte à ses ennemis. En implorant l'assistance de l'Espagne, elle n'avait fait que l'entraîner dans sa ruine et une campagne de plus pouvait faire perdre à son alliée ses plus importantes colonies.

" Quelque désastreuse que fut la paix, on n'entrevoit point dans les mémoires du temps, que la France se sentit huniiliée ; Bachau- mont semble n'y voir autre chose que le sujet qu'elle fournit aux

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poëtcs pour des vers do fôlicilation et des divcrtisscmenspour les théâtres. A chaque page on sent, en lisant ses mémoires, à quel point la France était devenue indiflërente à sa politi(iue, à sa puissance, à sa gloire. Ceux môme qui prenaient plus d'intérêt aux alTaires publiques, oubliaient les Français du Canada et de la Louisiane qui multipliaient en silence dans les bois, qui s'asso- ciaient avec les Sauvages, mais qui ne fournissaient ni impôt au fisc, ni soldats aux armées, ni marchandises coloniales au commerce. Les petits établisscmens pour la poche de la morue, à Saint- Pierre et à Miquelon, les petites îles de Grenade, de Saint- V^incent, de la Dominique, de Tabago, cédées à l'Angleterre, paraissaient aux yeux des armateurs de St.-Malo, de Nantes et de Bordeaux, beaucoup plus importantes que tout le Canada et toute l'Acadie.

" D'ailleurs, la nation s'était accoutumée à se séparer toujours de plus en plus de son gouvernement, en raison môme de ce que ses écrivains avaient commencé à aborder les études politiques. C'était l'époque ou la secte des économistes se donnait le plus de mouvement, depuis que le marquis de Mirabeau avait publié, en 1755, son Ami des Iwmmes; la secte des encyclopédistes se montrait plus puissante encore, et la publication de son immense ouvrage était devenue une affaire d'état ; enfin J. J. Rousseau, qui déjà, en 1753, avait touché aux bases mômes de la société humaine dans son Discours sur l'origine de Vinégalité parmi les hommes, publiait alors VEmilc et le Contrat social ; tous les esprits étaient en mouvement sur les plus hautes questions de l'organisation publique, mais les Français n'avaient pu s'en occu- per sans être frappés de la déraison^ de l'absurdité de leur propre administration dans toutes ses parties ; de l'exclusion donnée au tiers-état à tous les grades de l'armée, qui ôtait aux soldats toute émulation ; des fardeaux accablans de la taille et de la corvée qui ruinaient les campagnes et empêchaient tout progrès de l'agricul- ture j de la tyrannie des intendans et des subdélégués dans les provinces , de la cruauté de la justice criminelle, procédant par le secret et la torture, et se terminant par des supplices atroces, souvent non mérités ; du désordre enfin et de la confusion des finances, personne ne pouvait plus se reconnaître. C'est

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ainsi que tous les Français capables de réfléchir et de sentir, tous ceux qui formaient l'opinion publique s'étaient accoutumés à se nourrir de l'espérance d'une réforme fondamentale ; ils prenaient pour la France l'honneur de ses nobles inspirations, et ils laissaient à son gouvernement, ou plutôt au roi toute la honte de ses revers conséquence inévitable des fautes dont elle avait à gémir, des vices de l'homme insouciant, sans honneur et sans désir du bien qui ne régnait que pour satisfaire à ses appétits grossiers et ceux de ses maîtresses."*

Il y en eut qui ne virent dans la perte du Canada qu'un grand pas de lait vers la ruine de cette tyrannie inerte et sensuelle. La décadence de l'ancien régime monarchique était visible, mais elle pouvait se prolonger longtemps. Un événement comme celui qui venait d'arriver en Amérique devait la précipiter, et les penseurs qui voulaient une réformation complète dans l'organisa- tion sociale, et qui voulaient appuyer cette régénération sur la liberté, oublièrent le malheur présent de la nation et r-Tprirent la foule par des applaudissemens qui profanaient à leui o yeux le culte sacré de la patrie. Voltaire, retiré à Ferney, célébra le triomphe des Anglais à Québec par un banquet, non comme le triomphe de l'Angleterre sur la France, mais comme le triomphe de la liberté sur le despotisme. Il prévoyait que la perte du Canada serait la délivrance des colonies anglaises, et par suite ralTranchissement de toute l'Amérique. Après le banquet, la compagnie se retira dans une gallerie terminée par un théâtre élégant l'on joua le " Patriote insulaire," pièce remplie de sen- ttmens chaleureux pour la liberté. Voltaire parut lui-même dans le principal rôle. Après la pièce les fenêtres de la galerie s'ou- vrirent et l'on vit une cour spacieuse illuminée et ornée de trophées sauvages. On fit partir un magnifique feu d'artifice au bruit d'une musique guerrière. L'étoile de St.-George lançait des fusées au-dessous desquelles on voyait représentée la cataracte de Niagara, f

* " On ne peut qu'être frappé ici, écrivait !e 21 i'évrier 1765 le ministre anglais à Paris, du désordre visible des affaires publiques et du déclin de l'autorité royale." Raumer, Bertraye, etc.

Histoire des Français.

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Ce spectacle singulier donné par un Français a quelque chose de sinistre. C'est le rire effréné d'une haine plus forte que le malheur ; mais ce rire effrayant a reçu depuis son explication dans les bouleversemens et les vengeances à jamais mémorables de 93. La cause des Canadiens fut vengée dans des flots de sang. Mais hélas! la France ne pouvait plus rien pour des enfans abandonnés sur les bords du St.-Laurent ; et un peu plus tard elle en avait perdu le souvenir.

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LIVKE ONZIEME.

CHAPITRE I.

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DESPOTISME MILITAIRE.— ABOLITION ET RÉTA- BLISSEMENT DES ANCIENNES LOIS.

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Cessation des hostilités ; les Canadiens rentrent dans leurs foyers.— Régime militaire et loi martiale. Cession du Canada à l'Angleterre. Emigration de Canadiens en France. Les lois françaises sont abolies et la religion catholique est seulement toléi-ée. Le général Murray remplace le général Amherst. Etablissement d'un conseil exécutif, législatif et judiciaire. Division du Canada en deux districts, et introduction des lois anglaises. Murmure des habitans. Les colons anglais demandent une chambre élective dont les Canadiens seraient exclus, et accusent de tyran-

, nie le général Murray, qui repasse en Europe. Soulèvement des Indiens occidentaux. Le général Caileton gouverneur, Il change U conseil. Le peuple continue son opposition aux lois nouvelles. Remontrances. Rapports de MM. Yorke, de Grey, Marriott, Wedderburn et Thurlow, oiRciers de la couronne, sur les grieft des Canadiens. Rétablissement des lois françaises. Nouvelle demande d'un gouvernement représentatif avec l'exclusion des catholiques. Pétitions des Canadieus et des Anglais. .—Le conseil législatif de 74 est établi. , - , .,

Les Canadiens qui n'avaient pas quitté l'armée aprèa le siège de Québec, l'abandonnèrent tout à fait lors de la capitulation de Montréal, et la paix la plus profonde régna bientôt dans tout le pays. L'on ne se serait pas aperçu que l'on sortait d'une longue et sanglante guerre, si tant de dévastations n'avaient été commises, surtout dans le gouvernement de Québec, il ne restait plus que des ruines et des cendres. Ce district avait été occupé pen- dant deux ans par des armées hostiles ; la capitale avait été assiégée deux fois, bombardée et presqu'anéantie ; les environs qui avaient servi de théâtre à trois batailles portaient toutes les traces d'une lutte acharnée. Les habitans ruinés, décimés par le feu sur tant de champs de bataille, ne songèrent plus qu'à se ren- fermer dans leurs terres pour réparer leurs pertes ; et, s'isolant

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de leurs nouveaux maîtres, ils parurent vouloir à la faveur de leur régime paroissial, se livrer exclusivement à l'agriculture.

Les vainqueurs s'occupèrent des moyens de mettre en sûreté leur précieuse conquêit. Le général Amherst fit choix des trou- pes qui devaient rester pour en faire la garde, et renvoya le reste on Europe ou dans les autres colonies. Il traita le Canada en pays barbare sans gouvernement régulier et sans lois. Il le divisa en trois départemens correspondant aux trois divisions du régime français et le mit sous la loi martiale. Le général Mur- ray fut placé à Québec, le général Gage à Montréal et le colonel Burton aux Trois-Rivières. Le général Amherst revêtu du titre de gouverneur-général, après avoir laissé ses instructions à ces gouverneurs particuliers, partit pour New- York.

Murray établit un conseil militaire composé de sept officiers de l'armée, siégeant deux fois par semaine, pour la décision des afiaires civiles ou criminelles les plus importantes, se réservant les autres pour les juger lui-même sans appel, et laissant la connais- sance des afiaires de police dans les campagnes aux comman- dans des localités. Le général Gage adoucit un peu ce système. arbitraire dans les limites de sa juridiction. Il autorisa les capi- taines de paroisse à terminer les différends qui pourraient surve- nir entre leurs compatriotes, avec droit d'appel au commandant militaire du lieu ou à lui-même ; il s'adoucit encore plus tard et divisa son gouvernement en ^inq arrondissemens, dans chacun desquels il établit une cour de justice composée au plus de sept et au moins de cinq officiers de milice, tenant audience tous les quinze jours, et relevant selon la localité, de l'un des trois conseils de guerre établis à Montréal, à Varennes, à St.-Sulpice, et formés d'officiers de l'armée régulière. De toutes ces cours il y avait appel à lui-môme, par qui, du reste, les sentences en matières criminelles devaient être confirmées et pouvaient être changées ou remises totalement. Les Canadiens au moyen de leur; officiers de milice, se trouvèrent ainsi avoir part à l'administration de la jus- tice dans le gouvernement de Montréal. Dans celui de Québec, ils n'y participèrent que par deux hommes de loi tirés de leur sein, nommés procureurs-généraux ' t commissaires auprès du tribunal militaire établi dans la capitale, l'un pour la rive gauche,

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et l'autre pour la rive droite du St.-Laurent. Aux Trois-Rivièrea le même système à-peu-près fut adopté.

Ce régime purement militaire était une violation directe des capitulations, qui garantissaient aux Canadiens les droits de sujets anglais, droits par lesquels leurs lois ne pouvaient être changées, ni leurs personnes soustraites à leurs juges naturels sans leur con- sentement. Ainsi, lorsqu'ils comptaient jouir d'un gouvernement légal à l'ombre de la paix, ils virent leurs tribunaux abolis, leurs juges repoussés, leurs lois méconnues ou mises en oubli et toute leur organisation sociale entièrement bouleversée pour faire place à la plus abjecte tyrannie, celle de l'état de siège et des cours martiales. Rien ne contribua plus à isoler le gou- vernement de la population que cette conduite répudiée depuis longtemps du droit public et de l'usage des nations. Ne con- naissant ni la langue, ni les coutumes, ni le caractère du peuple conquérant, les Canadiens repoussèrent les juges éperonnés qui s'élevaient au milieu d'eux sans même offrir le gage de la science, et sans se plaindre, car ils étaient peu accoutumés à solliciter, ils arrangeaient leurs différends ensemble ou recouraient à l'aide du curé et des notables du lieu, dont l'influence augmenta par-là même dans chaque paroisse. Par un heureux effet des circons- tances le peuple et le clergé se trouvèrent complètement unis d'intérêt et de sentiment, et sous le règne de l'épée l'expression de la morale évangélique devint la loi de cette population ferme- ment unie par l'instinct de sa conservation. '

Cette organisation militaire qui témoigne de la crainte qu'avait inspirée la résistance du Canada, fut approuvée par l'Angleterre, à condition qu'elle^ ne subsisterait que jusqu'au rétablissement de la paix ; et qu'alors, si le pays lui restait, un gouvernement civil régulier serait établi. L'on demeura quatre ans sous la loi mar- tiale. Cette époque est connue dans nos annales sous le nom de Règne militaire.

Cependant les Canadiens persistaient à croire que la France ne les abandonnerait pas, et qu'elle se ferait rendre la colonie à la paix, en donnant, s'il était nécessaire, quelqu'équi valent. Le clergé qui n'avait pas toujours la même confiance, ne perdant point de vue ses intérêts dans toutes les éventualités qui pou- vf '.ent se présenter, rédigea un mémoire sur les affaires religieuses

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pour être adressé aux ducs de Bedford et de Nivernois pendant la discussion du traité de paix. Il réclamait la garantie de l'évêché titulaire et du chapitre de Québec ainsi que celle du séminaire. " L'évêque titulaire, disait-il, tient ses pouvoirs et sa juridiction de sa place même ; sitôt qu'il a été confirmé par le pape, il n'est plus revocable à sa volonté." Il suggérait de faire élire l'évêque par le chapitre sous le plaiaer du roi comme on faisait autrefois dans l'éghse et comme l'on fait encore en Allemagne. ., , ';. .

Le peuple garda le silence sur ses droits.

On ne sait quel fut l'effet de ces réclamations sur l'Angleterre. Mais après trois longues années passées entre la crainte et l'es- pérance, les habitans durent se détrompt^' toute-à-làit, et voir leur destinée fixée à celle de cette puissance par le traité de 63, qui lui assura la possession du Canada, et détermina une nou- velle émigration. Les marchands, les hommes de loi, les anciens fonctionnaires, enfin la plupart des notables qui pouvaient se trouver encore dans le pays, passèrent en France après avoir vendu ou même abandonné des biens qui ont été jusqu'à nos jours un objet de litige entre leurs descendans. Il ne resta dans les vil'es que quelques rares employés subalternes, quelques arti- sans, à peine un marchand, et les corps religieux. Cette émi- gration ne s'étendit point aux campagnes le sol attachait la population.

La France, en voyant débarquer sur ses bords ces émigrana qui ne pouvaient se séparer d'elle, fut touchée de leur dévoûment. Elle les favorisa, les accusillit dans les administrations, dans la marine, dans les années ; elle récompensa leur zèle et leur cou- rage par de hauts grades. Plusieurs furent nommés au gouver- nement de ses possessions lointaines. M. de Repentigny, 'a't marquis et plus tard brigadier des armées, fut gouverneur du Sénégal sur les côtes d'Afrique et de Mahé dans les Indes orien- tales, où il mourut en 1776. M. Dumas qui avait remplacé M. de Beaujeu dans le commandement des Canadiens à la bataille de la Monongahéla, eut le gouver ement des îles de France et de fiourbon. Un M. de Beaujeu qui s'était déjà distingué en plusieurs rencontres, accompagna Lapeyrouse comme aide-major- génértl à la conquête des établissemens de la baie d'Hudson en

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1782, et fut ensuite un des 80 gentilshommes qui défendirent si héroïquement la redoute de Bethune contre les républicains français en 1793. On peut mentionner aussi le marquis de Vil- leray, capitaine dans les gardes du corps, et M. Juchercau (Duchesnay), lieutenant-colonel d'artillerie et commandant de la place de Charleville, il fut tué dans une sédition populaire en 1792. D'autres servirent avec distinction dans la marine, comme M. Legardeur, comle de Tilly, MM. Pellegrin, de l'Echelle, La Corne compagnon d'armes et ami du fameux bailli de SufTren, qui tous commandèrent avec honneur des vaisseaux français e* acquirent un nom considéré dans la marine. Le comte de Vau- drsuil y obtint le grade d'amiral dans la guerre de la révolution américaine, pendant laquelle il détruisit les établissemens anglais du Sénégal et rendit cette colonie à sa patrie. Jacques Bedout, natif de Québec, parvint à celui de contre-amiral. Il était capi- taine de vaisseau quand, par le combat sous l'île de Croix en 1796, il mérita cet éloge de Fox dans la chambre des communes : " Le capitaine du Tigre, combattant pour l'honneur de sa patrie, a rivalisé en mépris pour la mort avec les héros de la Grèce et de Rome : il a été fait prisonnier, mais couvert de gloire et de blessures."* Le général (de) Léry, officier avant 1789, et qui a fait toutes les campagnes de la révolution et de l'empire, com- mandait en chef le génie à l'armée d'Espagne, il montra un talent consommé à la défense de Badajoz qu'il dirigea en per- tonne. Il gagna à la bataille d'Austerlitz le cordon de grand oiHcier de la Légion d'honneur, et Napoléon, qui l'avait déjà nommé baron, lui confia le commandement du génie dans la campagne de France en 1814. D'autres officiers qui formaient comme une petite colonie canadienne dans la Touraine, y vécu- rent d'une pension que leur fit le gouvernement.

Ceux qui restèrent en Canada durent, suivant la promesse de leur nouvelle métropole, espérer jouir enfin d'un gouvernement régulier. Quoique l'on eût fini, sous le régime militaire, par adopter la jurisprudence française et par jugei suivant les lois et dans la langue du pays, cela n'offrait aucune garantie durable. Pour faire connaître leurs vœux et prendre la défense de leurs intérêts, ils envoyèrent des agens à Londres. M. Etienne

* Tableau dea deux Canadas, par M. I. Lebrun.

II.

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Charrest chargé d'agir avec les grands vicaires de Québec au sujet de l'article du traité de paix qui concernait la religion, écri- vit plusieurs lettres au comte d'Halifax. Il réclama le maintien de l'organisation ecclésiastique, le rétablissement du droit français, se plaignit de la justice militaire, de ses délai?, recommanda le règlement des ordonnances et autres papiers dus par la France, la prolongation des délais pour les liquider, délais trop courts pour les détenteurs Canadiens qui étaient obligés de les vendre à leur ruine à des marchands qui n'en donnaient que ce qu'ils voulaient.*

Les agens religieux renouvelaient de leur côté la demande de la conservation de l'évêché. Ds offraient de loger l'évêque au séminaire dont il serait le supérieur, et dont les prêtres devenus chanoines formeraient son chapitre. " C'est un usage universelle- ment établi, disaient-ils, dans toute église, qu'il n'y a point d'évêque titulaire sans chapitre."

Le gouvernement tout en faisant ses objections et refusant de reconnaître l'évêque sans vouloir le troubler pourtant, ne paraissait pas disposé à montrer beaucoup de rigueur. Il s'occupait alors de l'organisation d'une administration régulière et permanente, qui loin d'alléger le fardeau qui pesait sur le pays, devait le rendre encore plus intolérable. Chaque jour les Canadiens sentaient davantage toute la grandeur des malheurs de la sujétion étrangère, et que les sacrifices qu'ils avaient faits n'étaient rien en compa- raison des souffrances et des humiliations qui se préparaient pour eux et pour leur postérité. D'abord l'Angleterre voulut répudier tout ce qui était français, et enlever même aux habitans les avan- tages naturels qu'offrait l'étendue de leur pays pour établir leurs enfans. Elle démembra leur territoire. Le Labrador, depuis la rivière St.-Jean jusqu'à la baie d'Hudson, l'île d'Anti- costi, l'île de la Magdeleine, furent annexés au gouvernement de Terreneuve ; les îles St.-Jean et du Cap-Breton, à la Nouvelle- Ecosse ; les terres des grands lacs aux colonies voisines. Bientôt encore le Nouveau-Brunswick fut distrait pour prendre le nom qu'il porte aujourd'hui et une administration particulière.

Du. territoire, l'on passa aux lois ; et le roi, de sa propre auto-

rJanuàcrits de l'Archevêché de Québec. Lettres du 16 et du 27 janvier 176^.

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rite, tout en déclarant qu'il serait convoqué des assemblées représentatives aussitôt que les circonstances le permettraient, abolit d'un seul coup toutes les lois anciennes si précises, si claires, si sages, j: jur y substituer les lois anglaises, amas conlua d'actes du parlement et de décisions judiciaires enveloppées dans des formes compliquées et barbares dont la justice n'a pu encore se débarrasser même en Angleterre, malgré les efforts de ses plus grands jurisconsultes ; et cette abolition était faite pour assurer la protection et le bénéfice des lois du royaume à ceux de ses sujets qui iraient s'établir dans la nouvelle conquête.* C'était renouve- ler l'attentat contre les Acadiens, s'il est vrai de dire que la patrie n'est pas dans l'enceinte d'une ville, dans les bornes d'une province, mais bien dans les affections et les liens de famille, dans les lois, dans les mœurs et les usages d'un peuple. Personne dans la Grande-Bretagne n'éleva la voix contre un pareil acte de tyran- nie, qui privait une population établie de ses lois et de sa pro- priété, pour une immigration qni n'avait pas encore commencé et qui n'arriverait peut-être jamais.f L'ordre avait été donné aussi dans les instructions royalesf d'exiger un serment de fidélité. M. Goldfrap, sécréta'. e du gouverneur, écrivait encore aux curés trois ans après, que s'ils refusaient de le prêter, ils devaient se préparer à sortir du Canada, que c'étaient les commandemens précis du roi ; les habitans qui négligeraient de souscrire la décla- ration d'abjuration subiraient le même sort. On voulait encore faire répudier aux Canadiens le prince de Galles qui se prétendait roi d'Angleterre sous le nom de Jacques trois, et qu'ils ne connais- saient pas plus sous un nom que sous l'autre. Murray avait été en même temps nommé gouverneur-général en remplacement de lord Amherst repassé en Europe l'année précédente, et qui quoi qu'absent peut être regardé comme le premier gouverneur anglais

" Inthis Court (the Superior Court) His Majesty'sChief Justice présides with power and authority to détermine ail criminal and civil cases agreeable to the laws of England, and to the ordiiances of this province." Ordon. du 17 sept. 1764.

■f C'est ce qu'un écrivain osa appeler plus tard un acte de bienfaisance et de politique : Political Annals of Lower-Canada, being a review ofthe Poli- tical and Législative History of that province, 4rc., bv a British Settler.— {M. Fleming, marchand de Montréal.)

t Du 7 décembre 1763.

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de ce pays, Gage, Murray, Burton et ensuite llaldimand qui remplaça celui-ci aux Troia-Rivières, promu an gouvernement de Montréal, n'ayant agi qu'en sous ordre sous lui. Le nouveau gouverneur, en obéissance à ses instructions, forma un nouveau conseil, investi conjointement avec lui, des pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire. Il ne lui manquait que le droit d'imposer des taxes. Ce corps devait être composé des lieutenans gouver- neurs de Montréal et des Trois-Rivières, du juge en chef, de l'inspecteur-général des douanes et de huit personnes choi- sies parmi les habitans les plus considérables. Il n'en prit qu'un seul du pays, homme obscur et sans influence choisi pour faire nombre. Une exclusion jalouse et haineuse avait dicté les instructions de la métropole, et c'est dans ce document funeste que prit naissance la profonde antipathie de race remarquée do nos jours par lord'Durham, et qui lui a servi de prétexte pour recommander le rappel de l'acte de 91, et la réunion de tout le Canada sous un môme gouvernement, pour noyer tout-à-fait les Canadiens dans une majorité anglaise.

Ce qui restait du pays subit une nouvelle division, et fut partagé en deux districts séparés par les rivières St.-Maurice et St.- François, afin que comme il n'y avait pas de pretestans aux Trois-Rivières pour faire des magistrats, ceux de Montréal et de Québec pussent tenir les sessioi.s trimestrielles de cette petite ville,* parceque malgré les traités, l'on cherchait tant que l'on pouvait à introduire en Canada la loi qui frappait les Catholiques d'interdiction politique. Toute l'ancienne administration judi- ciaire fut en même temps refondue. On érigea une cour supé- rieure, civile et criminelle, sous le nom de Cour du banc du roi, et une cour inférieure pour les petites causes dite Cour des plaidoyers communs, toutes deux calquées sur celles de l'Angle- terre, et tenues de rendre leurs décisions conformément aux lois anglaises, excepté seulement dans les causes pendantes entie Canadiens commencées avant le 1er octobre 17b4. Les juges devaient" être nommés par la majorité du Conseil et confirmés par l'Angleterre. Le conseil devait servir lui-même de cour d'appel sous la révision du Conseil Privé du roi.f

Procès-verbaux du Conseil Exécutif, t Proçès-verbaux du Conseil Exécutif.

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Si les Canadiens accueillirent favorablement les lois criminelles de leur nouvelle métropole, qu'ils connaissaient déjà un peu, et son code de commerce calqué en grande partie sur celui de France, publié sous le grand Colbert, ils repoussèrent universellement les nouvelles lois civiles, qui n'ont servi qu'à favoriser la centralisa- lion de la propriété foncière en Angleterre, et il s'éloignèrent des tribunaux on les administrait.

Le conseil par qui l'on faisait décréter tous ces changemens, discuta et passa une fouis d'ordonnances pour régler le cour» monétaire, obliger les propriétaires à enregistrer les titres primi- tifs de leurs terres, régler les lettres de change, défendre de laisser le pays sans permission, fixer l'âge do majorité, statuer sur les crimes de trahison et félonie, et régler la police.

Il fut question aussi d'organiser une grande lotterie de 10,000 bil- lets formant en totalité je20,000 pour rebâtir la cathédrale incen- diée pendant le siège. Pour intéresser les lords de la trésorerie, rarchevôque de Cantorbery, l'évèque de Londres, la société bibli- que,* on proposait de leur envoyer une copie d'un projet qui annonçait assez clairement le dessein de s'emparer des biens religieux des Canadiens.

En môme temps le bureau du commerce nommait un agent, M. Kneller, pour administrer ceux des jésuites.

On ne cessait point de surveiller attentivement pendant ce temps la population, dont on paraissait redouter beaucoup les mouvemens. Au commencement de 65, sur la demande pré- sentée par MM. Amiot et Boisseau, de permettre à leurs com- patriotes de s'assembler, le conseil n'y consentit qu'à condition, que deux de ses membres seraient présens avec pouvoir do dis- soudre la réunion qui ne pourrait avoir lieu qu'à Québec. L'an- née suivante une pareille demande faite par M. Hertel de Rou- ville pour les seigneurs de Montréal, ne fut accordée qu'à la même condition. Le général Burton qui n'en était pas prévenu, en écrivit aussitôt aux magistrats, qui lui répondirent que tout était dans l'ordre. En tout cas répliqua le général inquiet, si vous avez besoin de secours je vous en enverrai immédiatement.f

Rien d'étonnant qu'avec un pareil système de tyrannie et de

Procés-verbaux du conseil exécutif. t Procès-verbaux du conseil exécutif.

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bouleversement, on ne tremblât de voir la victime abattue in- surger de désespoir. L'on aperçut en eiïbt do l'inquiétude dans les esprits ; des murmures, sourds d'abord, éclatèrent ensuite dana toutes Ijs classes. Ceux qui connaissaient les Canadiens de tout temps si soumis aux lois, commencèrent à craindre les suites de ce mécontentement profond, surtout lorsqu'ils les virent critiquer- tout haut les actes du gouvernement, et montrer une hardiesse qu'on ne leur avait jamais vue. Le général Murray, quoique sévère, était un homme honorable et qui avait un bon cœur. Il aimait ces Canadiens dociles à l'autorité comme de vieux soldats, dont la plus grande partie avai; contracté les habitudes dans les armées, ces habitans braves au feu et simples dans leurs mœurs, une sympathie née dans les horreurs de la guerre le portait à compatir à leur situation, tandis que les réminiscences do son propre pays, les malheurs de ces belliqueux enfans des montagnes d'Ecosse si fidèles à leurs anciens princes, augmentaient chez lui ces sentimens d'humanité qui honorent plus souvent le guerrier que le politique, réduit à exploiter, la plupart du temps, les préju- gés populaires les moiiis raisonnables. Le général Murray, pour tranquiUiser les esprits, rendit une ordonnance portant que dana les procès relatifs à la tenurc des terres et aux successions, l'on suivrait les lois et coutumes en usage dans le pays sous la domi- nation française. C'était revenir à la légalité, car si l'Angleterre avait le droit de changer les lois, sau? l'agrément des habitans, elle ne pouvait le faire que par un acte de son parlement ; ce qui fit dire plus tard à Mazères, en citant la conduite de Guillaume le conquérant et d'Edouard I relativement à l'Angleterre elle-même et au pays de Galles, que les lois anglaises n'avaient pas été légalement introduites en Canada, le roi et le parlement, et non le roi seul, étant la législature propre de cette colonie, et que par conséquent les lois françaises y étaient encore en vigueur.*

situation de cet administrateur était des plus difficiles. En face du peuple agreste et militaire qu'il était appelé à gouverner, < et qui avait plus de franchise que de souplesse dans l'expression

" A plan for settling the laws nnd Ihe administration of Justice in the province of Québec," précédé de •' A view of the civil government and administration of Justice in the^ province of Canada while it was subject to the crown of France," par Mazères, Manuscrit,

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de ses scntlmcns, il était obligé d'agir avec un entourage de fonc- tionnaires qui le faisait rougir chaque jour. Une nuée d'aventu- riers, d'intrigans, de valets, s'était abattue si r le Canada à la suite des trou])e.s anglaises et de la capitui ilion do Montréal.' Des marcliands d'une réputation suspecte, des cabaretiers com- posaient la classe lu plus nombreuse. Les hommes probes et honorables formaient l'exception. C'est avec ces instrumena qu'il était chargé de dénationaliser le pays, et d'établir des lois et des institutions nouvelles à la place des anciennes j de répéter enfin en Canada ce qu'on avait faii en Irlande, éloi- gner les natifs du gouvernement pour les remplacer par des hommes inconnus. Il s'était déjà aperçu que ce projet était impossible, et il avait s'en écarter. Pour se conformer néan- moins à ses instructions, il convoqua les représentans du peuple en ass-embléc législative pour la forme, car il savait que les mem- bres canadiens refuseraient de prêter le serment du test comme catholiques, et il était décidé à ne pas y admettre les protestans seuls, comme ils le demandaient ; la chambre ne siégea point. Tous les fonctionnaires publics, les juges, lesjurc^ étaient Anglais et protestans. Les protestans voulurent même (aire exécuter les lois qui avaient été décrétées contre les catholiques en Angle- terre. " Ils formulèrent, dit lord Thurlow, un acte d'accusation générale contre tous les habitans de la colonie parce qu'ils étaient papistes." Les capitulations et les traités garantissaient le libre exercice de la religion catholique. Les armes n'avaieiit été posées qu'à cette condition expresse ; et ils voulaient n'accorder aux Canadiens qu'une simple tolérance comme celle des catho- liques en Angleterre, tolérance dont ils auraient joui quand bien même il n'y aurait eu aucune stipulation ; et sous prétexte do religion, ils 'urent exclus des charges publiques.

Oii voulut aller encore plus loin. Une Université d'Angle- terre proposa le système suivant pour l'affaiblissement du culte romain : " Ne parler jamais contre le papisme en public, mais le miner sourdement ; engager les personnes du sexe à épouser des protestans ; ne point disputer avec Ips gens d'église et se défier des Jésuites et des Sulpiciens ; ne pas presser le serment d'al- légeance, appât auquel la lie seule du clergé mordait; réduire

Dépêches de Murray.

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l'évêquo à l'indigence ; fomenter la division entre lui et les prê- tres ; exclure les Eu/cpéens de l'épiscopat ainsi que les naturels du pays qui avaient du mérite et qui pourraient maintenir les anciennes idées ^ si on conservait un collège, en exclure les Jésuites et les Sulpiciens, les Européens et ceux qui auraient étudié sous eux, afin que sans secours étra.iger le papisme s'er^evelît sous ses propres ruines ; rendre les cérémonies reli- gieuses qui frappent le peuple ridicules ; empêcher les cathé- chismes ; faire grand cas de ceux qui ne feraient aucune instruc- tion au peuple; les entraîner au plaisir et les dégoûter d'entendre les confessions ; louer les curés luxueux, leur table, leurs équi- pages, leurs divertissemens, excuser leur intempérance, les porter à violer le célibat qui en imposait aux simples, tourner les pré- dicateurs en ridicule."

Le chapelain de la garnison qui était le ministre des protestang de Québec, parlant d'une manière plus précise qu'on ne l'avait fait jusque là, voulut engager formellement le conseil à prendre possession de l'évéché catholique pour l'évêque de Londres, avec toutes les propriétés qui en dépendaient, et de lui en donner la jouissance à lui et à ses successeurs. Quant aux biens des Bociétés religieuses, les lords de la trésorerie devant cet appât qui les tentait toujours, écrivaient au receveur-général Mills dans leurs instructions de 1765 : que vu que leurs terres particulière- ment celles des Jésuites faisaient ou allaient faire partie du revenu de la couronne, il tachât par arrangement conclu avec les personnes intéressées, d'en prendre possession en leur accordant telle pension viagère qu'il jugerait convenable, et qu'il eût soin que les terres n'échappassent point au roi par séquestration ou aliénation.

L'inauguration du nouveau système fit surgir une légion d'hommes de lois et de suppôts de cours comme de dessous terre. Inconnus des Canadiens, ils se plaçaient aux abords des tribu- naux pour attirer les regards des plaideurs. C'était le système préconisé comme propre à anglifier le pays et à le rendre britan- nique de fait comme de nom. Le général Murray, dégoûté de la tâche dont on l'avait chargé, ne put dissimuler sa mauvaise humeur au ministère. " Le gouvernement civil établi, dit-il, il fallut faire des magistrats et prendre des jurés parmi quatre cent

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cinquante commerçans, artisans et fermierg méprisables, princi- palement par leur ignorance. Il ne sérail pas raisonnable do supposer qu'ils résistèrent à l'enivrement du pouvoir mis entre leurs mains contre leur attente, et qu'ils ne s'empressèrent pas de faire voir combien ils étaient habiles à l'exercer. Ils haïs- saient la noblesse canadien ,ie, à cause dosa naissance, et parce qu'elle avait des titres à leur respect : ils détestaient les habitans, parce qu'ils les voyaient soustraits à l'oppression dont ils les avaient menacés." La représentation des grands jurés de Qué- bec, tous Anglais et protestans, que les catholiques étaient une nuisance à cause de leur religion, confirme pleinement la vérité de ces observations. Le mauvais choix des fonctionnaires envoyés d'Europe ne faisait qu'augmenter les inquétiidcs. C'étaient, comme on l'a dit, des gens sans mœurs et sans talens. Le juge en chef Gregory tiré du fond d'une prison pour être placé à la tôle de la justice, ignorait le droit civil et la langue française. Le procureur-général n'était guère mieux qualifié. Les places de secrétaire provincial, de greffier du conseil, de régistrateur, de prévôt-maréchal, furent données à des favoris, qui les louèrent aux plus ofTrans ! Enfin l'Angleterre semblait avoir pris plaisir à choisir ce qu'il y avait de plus vil ou de plus incapable pour inaugurer le système qui devait changer la face du Canada, ou ' peut-être ne l'avait-elle fait que parce qu'elle n'avait pu trouver d'hommes plus instruits et plus honorables qui voulussent se charger d'une pareille mission.

, Le gouverneur fut bientôt obligé de suspendre le juge en chef de ses fonctions, et de le renvoyer en Angleterre. Un chirurgien de la garnison et un capitaine en retraite étaient juges des plai- doyers communs, cumulant avec cela plusieurs autres charges qui portaient leurs appointemens à un chiffre considérable.

Malgré toutes les concessions faites à leurs prétentions, ces étrangers avides n'étaient pas encore satisfaits ; ils voulaient avoir un gouvernement représentatif, pour posséder dans toute leur plénitude ces droits qu'ils tenaient de leur naissance disaient-ils, et qu'ils portaient avec eux partout ils allaient. Mais tout en accusant le système existant de despotisme, ils ne voulaient pas laisser les Canadiens profiter des avantages qu'ils réclamaient avec tant d'impatience pour eux-mêmes. Ils voulaient être seuls

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ék leurs et seuls éligibles en vertu de la loi anglaise qui frappait les catholiques a'interdiction politique. Les plus modérés môme croyaient que cette loi était en force à Québec comme à Londres, regardant la reconnaissance du catholicisme dans le traité de Versailles comme une de ces conventions illusoires qu'on viole sans déshonneur. Ceux qui en savaient plus long voulaient profiter des préjugés do l'Angleterre pour faire mettre tout simplement les traités de coté et faire du Canada une nouvelle Irlande. Cette doctrine aurait beaucoup empiré la situation des Canadiens, déjà assez triste ; mais la dill'ércnce des temps, des lieux, des clr 'cons- tances ne permettait plus guère cette politique aventureuse et funeste. N'espérant donc \. at influencer assez le général Murray pour le porter à favoriser leurs vues exclusives, ils por- tèrent à Londres des accusations contre son administration, et excitèrent des disSentions dans la colonie, l'on vit tout-à-coup le? villes remplies de trouble et de confusion, et les gouvernans et leurs partisans se quereller entre eUx. Murray fut accusé de favoriser le parti miUtaire, et excités par ses ennemis, les mar- chands de Londres présentèrent une pétition au Bureau du Commerce contre son administration et en faveur d'une chambre élective. Les choses en vinrent au point qu'il fallut le rappeler en le sacrifiant plutôt à la sympathie qu'il semblait porter aux Canadiens qu'à des abus de pouvoir. Il repondit au conseil qui lui présenta une adresse à l'occasion de son départ ; " qu'il espé- rait que le gouvernement de son successeur ne serait pas troublé par les ressentimens contre les auteurs des injustes calomnies qu'on avait entassées contre lui-même." Repassé à Londres, il n'eut besoin que de mettre devant les ministres le recensement qu'il avait fait faire de la population en 65, pour démontrer l'ab- surdité d'exclure les catholiques du gouvernement, puisque d'après ce recensement il n'y avait que 500 protestans sur 69,275 habi- tans.* Le comité du conseil privé du roi, chargé de conduire l'investigation, lit rapport en 67 que les charges portées contre lui étaient mal fondées ; mais son acquittement ne le fit point revenir en Canada.

Il n'y avait que 36 familles protestantes dans les campagnes. En 1765, il n'y avait que 136 protestans dans le district de Montréal; Etat officiel dretsé sur les rapports des Juges de Paix déposé aux archives provinciales.

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C'est sous l'administration du général Murray que les Indiens occidentaux cherchèrent à se soulever. Les Français étaient à peine sortis de l'Amérique que ces peuplades barbares avaient senti toute la force de l'oh%!rvation qui leur avait été faite tant fois, qu'elles perdraient leur influence politique et leur indépen- dance du moment qu'une seule nation européenne dominerait dans ce continent. Ponthiac, chef outaouais, brave, expérimenté, et ennemi mortel des Anglais qu'il avait poursuivis avec acharne- ment durant toute la dernière guerre, forma le projet de les chasser des bords des lacs, et entraîna dans ' ' vaste complot les Hurons, les Outaouais, les Chippaouais, les Pouteouatamis et d'autres tribus que les Anglais avaient négligé de traiter avec la considération que les Français leur montraient, et que cette espèce de mépris avait choquées. Il tint le Détroit assiégé plusieurs mois sans pouvoir le prendre. Il se proposait d'y établir le siège de sa domination et de former le nœud d'uiae puissante confédération indienne, qui aurait contenu les blancs au Niagara et aux Apalaches. Ses alliés s'emparèrent de Michilimackinac par surprise et en massacrèrent la garnison. Sept à huit postes anglais, Sandusky, St.-Joseph, Miamis, Presqu'île, Venango, tom- bèrent entre les mains de ces barbaFcs, qui ravagèrent les frontières de la Pennsylvanie et de la Virginie, et repoussèrent un détache- ment de troupes à Bloody-Bridge ; deux mille personnes furent massacrées ou emmenées en captivité par ces barbares ; un aussi grand nombre furent obligés d'abandonner les frontières pour aller chercher un lieu de sûreté dans l'intérieur. Mais le projet de Ponthiac était trop vaste pour ses forces. Les confédérés, battus à Bushy-Run par le colonel Bouquet, éprouvèrent encore d'autres échecs qui les obligèrent à faire la paix à Osvvégo en 66, avant l'arrivée des 600 Canadiens que le général Murray envoyait au secours de leurs compatriotes du Détroit. Ponthiac se retira aveo sa famille dans l'intérieur. En 69 il vint aux Illinois. 11 régnait alors beaucoup d'agitation parmi les Indiens. Les Anglais soup- çonnant les intentions de ce chef célèbre, un de leurs coureurs de bois nommé Williamson le fit assassiner dans la forôt de Cahokia vis-à-vis de St.-Louis.*

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Historyof the ConspiracyofPontiac andthe war ol" the North Americaa tribes agaiast the English colonies after the conquest of Canada, by Francis Parkman, jr., Boston 1851.

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C'est 60U3 l'administration de Murray que fut introduite la première presse et que fut commencée la publication du premier journal qu'on ait vus en Canada. La Gazette de Quibec, qui subsiste encore, parut pour la premi#e fois en langue française et anglaise le 21 juin 1764, soutenue par 150 abonnés dont moitié canadiens. Timide à son berceau, cette feuille se permit rare- ment pendant longtemps des observations sur la politique du jour ; elle se bornait à recueillir les nouvelles étra igères, à noter les principaux événemens et à garder un silence de commande sur rout le reste, ce qui fait qu'on y cherche en vain un reflet de l'o- pinion publique dans tout le reste du dernier siècle.

Et pourtant il se passait alors dans le parlement de la Grande- Bretagne une loi qui devait avoir un immense retentissement et finir par armer toute l'Amérique septentrionale. Il s'agissait de taxer les colonies sans leur consentement. L'Angleterre, prétex- tant l'augmentation de la dette nationale par suite de la dernière guerre, voulut saisir cette occasion pour passer l'acte du timbre, et faire admettre le principe par ses sujets américains. Toutes les anciennes colonies protestèrent ; le Canada et la Nouvelle- Ecosse gardèrent seuls le silence ou ne firent qu'une résistance passive.

Le Canada était plus alors occupé de l'arrivée lu nouvel évêque, M. Jean Olivier Briand, que de la prétention i institutionnelle de la Grande-Bretagne. M. de Pontbriand, son prédécesseur, était mort à Montréal en 1760. Dans le bruit des armes cet événe- ment était passé inaperçu. Le chapitre de Québec voulut élire, pour le remplacer trois ans après, M. Montgolfier, frère du célèbre inventeur du balon, et supérieur du séminaire de St.-Sulpice de Montréal. Jlais le gouvernement ayant fait des objections à sa nomination, soit parcequ'il n'était pas en Canada ou parce- que ses scntimens étaient trop vifs pour la France, il renonça à cette charge par une déclaration qu'il donna à Québec l'année suivante, et indiqua M. Briand, chanoine et grand-vicaire du du diocèse, pour remplir le siège épiscopal, auquel d'ailleurs sem- blaient l'appeler ses lumière'9 et ses vertus. Cet ecclésiastique obtint l'agrément de George III en passant à Londres pour aller se faire sacrer évéque à Paris. Les difficultéa qui commençaient alors à naître avec lea autres

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colonies, détcrniinèrenl vers ce temps-ci l'Angleterre à suivre une politique un peu plus libérale. Inquiète de plus en plus de l'agi- talion qui se manifestait dans la plupart des provinces américaines et surtout de ce qui venait de se passer en Canada, elle crut devoir modifier le système qu'elle avait établi dans cette contrée. Elle changea les principaux fonctionnaires. Le général Carie- ton y arriva comme lieutenant-gouverneur en 66, avec un nou- veau juge en chef, M. Hay, et un nouveau procureur-général, ce dernier fils d'un réfugié français, M. Mazères, qui dut sa nomi- nation à un trait qu'un ami avait raconté de lui au ministre, lord Shelburne, et qui valut à cet avocat célèbre jes faveurs du gou- vernement le reste de ses jours.* Le nouveau gouverneur prit les rênes de l'administration des mains du conseiller Irving, qui les tenait depuis le départ du général Murray, quelques semaines auparavant ; et l'un de ses premiers actes fut de retrancher de son conseil le même Irving et im autre fonctionnaire, favori de son prcdécesseur.f II négligea pareillement plusieurs autres anciens membres, qui crurent devoir faire des représentations sans pouvoir le rendre pour cela moins dédaigneux dans ses paroles que dans sa conduite. Il leur répondit qu'il consulterait ceux qu'il croirait capable de lui donner les meilleurs avis ; qu'il prendrait l'opinion des amis de la vérité, de la franchise, de l'équité, du bons sens, bien qu'ils ne fussent pas du conseil, des hommes enfin qui préféraient le bien du roi et de ses sujets à des affections désordonnées, à des vues de parti, à des intérêts per- sonnels, serviles. Les conseillers auxquels s'adressaient ces insinuations indirectes, mais poignantes, jugèrent à propos de ployer la tête et de laisser passer l'orage en attendant un temps plus favorable pour la relever et faire valoir leurs prétentions, sachant bien que le gouverneur n'est qu'un chef passager dont le caractère change avec chaque titulaire, tandis que le conseil, avec un peu de prudence, peut, à la longue, maintenir sa position en ayant soin seulement de savoir saluer chaque astre nouveau qui apparaît dans le ciel politique et s'effacer momentanément devant sa volonté trop décidée.

Dumont.

f C'était Mabaiie. A peu près dans le même temps un nommé Kluck, greffier de la Cour des plaidoyers communs était destitué pour extorsion. Irving était un major. Mabaue un chirurgien de régiment.

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L'arrivée du général Carleton n'apporta pas immédiatenienl, comme on Pespérait, de remède à la confusion extrême qui régnait toujours par suite du régime extraordinaire qu'on laissait encore subsister. * ,

Tout faibles qu'ils étaient numériquement, les Canadiens res- taient calmes et fermes dr ^ant l'oppression que leurs ennemis voulaient toujours faire ^ieser sur eux. On leur avait donné les lois criminelles anglaises, cette arme défensive, mais puissante de la liberté ; mais on les administrait dans une langue qu'ils ne connaissaient pas, et on persistait à leur refuser le droit d'Être jurés et de remplir des charges publiques sous prétexte dt nationalité et de religion, n'admettant à cette règle que des excep- tions fort rares et prouvant au monde que les lois dont on était si fier devant l'étranger; étaient fondées non sur le sentiment de la fraternité, mais sur l'égoïsme sectaire et national. En présence de cet esprit d'exclusion, le peuple en masse continua son oppo- sition négative, tandis qu'une partie des citoyens les plus notables avait, dès avant le départ du général Murray, envoyé des repré- sentations très pressantes au gouvernement à Londres.* Les Canadiens espéraient que dans une cause aussi sainte qu'était la leur, ils ne resteraient pas absolument sans amis. En effet, il s'en présenta pour protester avec eux contre l'asserviesement auquel on voulait les soumettre. Des Anglais éclairés qui con- naissaient l'effet démoralisateur de toute violation des règles de la justice, se réunirent à eux. Leurs plaintes communes, sou- mises d'abord au Bureau des Plantations, furent ensuite renvoyées aux procureur et solliciteur-généraux, MM. Yorke et de Grey, et en attendant leur rapport, l'ordonnance de 64 fut désavouée et remplacée par une autre qui donnait aux Canadiens le droit d'être jurés dans les cas spécifiés, et les rendait admissibles au barreau sous certaines restrictions.

Le travail de MM. Yorke et de Grey fut présenté dans le mois d'avril 66. Ils reconnurent tous les défauts du système de 64, et attribuèrent les désordres qui en étaient résultés à deux causes

* Le détail de ces luttes, de ces remontrances, de ces pétitions et contre- pétitions peut paraître trop minutieux au commun des lecteurs ; mais on doit se rappeler que nos pères combattaient pour nous comme pour eux- mêmes, et que leurs efforts, pour améliorer notre destinée, ne doivent point eortir de notre mémoire.

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principales . 1 ). La tentative d'administrer la justice sans le concours des habitans, dans des formes nouvelles et une langue qui leur était étrangère, d'où il arrivait que les parties n'enten- daient rien à ce qui était plaidé et jugé, faute d'avocats pour conduire leurs causes, de jurés pour décider et de juges parlant le français pour déclarer qjelle était la loi et prononcer le juge- ment ; ce qui produisait les maux réels de l'oppression, de l'igno- rance et de la corruption ; ou, ce qui est presque la môme chose en matière de gouvernement, le soupçon et la croyance qu'ils existent. 2o. L'alarme causée par l'interprétation donnée à la proclamation de 63, que l'intention était d'abolir d'un seul coup au moyen des juges et autres officiers de justice nouvellement nommés, les lois et les coutumes du pays, et cela, non pas tant pour assurer l'avantage des lois anglaises aux nouveaux sujets, et de protéger d'une manière plus efficace leurs personnes, leurs biens et leur liberté, qufe pour leur imposer sans nécessité des règles arbitraires et nouvelles qui avaient l'effist de confondre et renverser leurs droits au lieu de les maintenir.

Ils approuvaient aussi, avec de légères modifications, le nouveau système de judicature proposé par les lords-commissaires, sauf sur un seid point dont nous parlerons tout-à-l'heure. Ce système consistait à diviser la province en trois départemens judiciaires, et à établir " une cour de chancellerie, composée du gouverneur et de son conseil q\^ servirait en même temps de cour d'appel, dont le conseil à Londres pourrait reviser les jugemens ; une cour supérieure composée d'un juge en chef et de trois juges puînés, sachant la langue française, l'un d'eux les lois du pays, et tous étant tenus de conférer, de temps à autre, avec les avocats canadiens les plus recommandables," pour se mettre au fait de l'ancienne jurisprudence.

Après avoir recommandé encoie de nommer quelques Cana- diens dans la magistrature, les rapporteurs voyant que l'on persis- tait à retenir les lois anglaises dans la nouvelle organisation, observèrent que c'était " une maxime reconnue de droit public, qu'un peuple conquis conserve ses lois jusqu'à ce que le vain- queur en proclame de nouvelles, et que c'était agir d'une manié 3 oppressive et violente que de changer soudainement les lois et les usages d'un pays établi : c'est pourquoi les conquérans qui agis-

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sent avec sagesse, après avoir pourvu à la sûreté de leur domina- tion, procèdent lentenient et laissent à leurs nouveaux sujets toutes les coutumes qui sont indifférentes de leur nature, surtout celles qui régissent la propriété et en assurent l'existence. Il est d'autant plus essentiel de suivre une pareille politique en Canada, que c'est, disaient-ils, une grande et ancienne colonie, établie depuis très long-temps, et améliorée par des Français. . . On ne pourrait y introduire tout-à-coup les lois anglaises de pro- priété, avec le mode anglais de transport et d'aliénation, le droit de succéder et la manière de contracter et d'interpréter les con- ventions sans une injustice manifeste et sans occasionner la plus grande confusion. Les Anglais qui achètent des biens dans cette pro/ince, peuvent et doivent se conformer aux lois qui les régis- sent comme on fait en certaines parties du royaume et en d'au- tres possessions de la couronne. Les juges anglais envoyés d'ici peuvent, à l'aide des gens de lois et des Canadiens éclairés, se mettre facilement au fait de ces lois, et juger d'après les coutumes du pays comme on juge d'après la coutume de Normandie les causes de Jersey et de Guertiesey." Les rapporteurs enfin finis- saient par suggérer de rétablir les lois civiles françaises en auto- risant les juges à faire des règles pour la conduite des procédures dans les différens tribunaux.

Malgré les raisons de haute politique, sans parler de celles de la justice plus lentement écoutées, qui avaient motivé leurs con- clusions, les recommandations de ces deux jurisconsultes éminens restèrent comme celles du Bureau des Plantations pour le moment sans effet. Les intrigues des gens intéressés au maintien du nouveau système, et les préjugés d'une grande portion du peuple anglais contre les habitans de cette colonie à cause de leur double qualité de Français et de cathodiques formaient des obstacles trop difficiles à vaincre. Mais la métropole ne pouvait laisser les choses dans l'état elles étaient, et elle chargea l'année suivante le gouverneur de s'enquérir avec l'aide de son conseil de l'adminis- tration de la justice afin d'indiquer les changemens que deman- dait vraiment le bien du pays. L'investigation fort longue qui eut lieu ne fit que signaler de nouveau les nombreux inconvé- niens du nouveau régime et l'extrême confusion qui continuait ^e règneri puisque les meilleurs jurisconsultes étaient partagés

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sur la question de savoir quelles lois étaient vraiment en force. Les recommandations par lesquelles il fallait conclure renouve- lèrent les embarras des investigateurs, tant la tyrannie qui veut se voiler du manteau de la justice, a d'obstacles à vaincre lors môme que sa victime est faible et qu'elle est elle-même suprême et toute- puissante. L'on revenait toujours à la division de la province en trois districts ; mais, aprô? avoir suggéré de donner à chacune de ces divisions un juge avec un assistant canadien pour expli- quer la loi, sans voix délibérative, un shérif et un procureur du roi, l'on proposait pour mettre fin à l'incertitude touchant les lois, quatre modes différens tout en déclarant que l'on était inca- pable de dire quel était celui qui devait avoir la préfère. :ce : lo Faire un code nouveau et abolir les lois françaises et anglaises. 2o Rétablir purement et simplement les anciennes lois, en y ajou- tant les parties du code criminel anglais les plus favorables à la liberté du sujet. Enfin 3o et Jo établir les lois anglaises seules avec des exceptions en faveur de quelques-unes des anciennes coutumes. Le gouverneur ne voulut point approuver ce rapport et en fit un autre plus conforme aux vœux des Canadiens, dans lequel il recommanda la conservation des lois criminelles anglaises, et le rétablissement pur et simple de toutes les lois civiles fran- çaises en vigueur avant la conquête. Le juge en chef Hey et le procureur-général Mazères ne partageant pas cette opinion, firent chacun un rapport à part suggérant de conserver des anciennes lois toutes celles qui regardaient la tennre, l'aliénation, le douaire, les successions et la distribution des biens des per- sonnes mortes sans testament. Ces divers rapports furent trans- mis en Angleterre avec toutes les pièces justificafives et ren- voyés en 70 par le conseil d'état à un comité spécial qui, après avoir délibéré sur ces documens, sur un autre rapport que lui avaient fait les lords-commissaires en 69, et sur les pétitions des Canadiens contre l'état de choses actuel, recommanda de donner tous ces papiers à l'avocat du roi et aux procureur et sol- liciteur généraux pour dresser un code civil et criminel conve- nable au paya, en profitant de la présence de son gouverneur en Angleterre. MM. Marriott, Thurlow et Wedderburne remplissaient alors ces ditTérentes charges, et passaient pour des hommes éminena dans la science du droit. Ils présentèrent leur travail

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en 72 et 73, mais ils dilTéraient les uns des autres sur plusieurs points, tout en concluant a-peu-près do la môme maniiirc, excepté Marriott qui en était venu à un résultat opposé. Marriott pensait que l'établissement d'une assemblée représentative était préma- turé chez un peuple illettré malgré son collège des Jésuites; qu'il fallait établir un conseil législatif nommé par la couronne et composé de protestans seuls, et non de protestans et de catholi- ques ou de Canadiens comme le recommandait le Bureau du Commerce; que l'on devait conserver aussi le code criminel anglais, mais permettre l'usage des langues française et anglais? indifféremment dans lesquelles seraient promulgués toutes les actes publics ; que par le 36e article de la capitulation de Montréal, l'xVngleterre s'était obligée de respecter la propriété et les lois sous la sauve-garde desquelles elle est placée, et que conséquemment sa tenure et toutes les lois qui la concernaient devaient être maintenues ; que le silence du traité de Versailles n'annulait point, suivant lui, la capitulation de Montréal aux yeux du droit des nations, parce que c'était un pacte national conclu person- nellement avec les habitans eux-mêmes en considération de la cessation de toute résistance ; puis tout en reconnaissant ainsi les titres sur lesquels le Canada s'appuyait, il ajoutait que néanmoins le parlement impérial avait le droit de changer ces lois, sophisme par lequel il détruisait tout ce qu'il venait de dire ; que si la coutume de Paris était maintenue, il fallait l'appeler coutume du Canada pour effacer de l'esprit des habitans jusqu'aux idées d'attachement qu'ils pourraient conserver pour la France ; et que pour celte raison il convenait peut-être d'en changer une partie afin de l'assimiler aux lois anglaises, tout devant tendre vers l'anglification et le protestantisme ; que s'il fallait admettre le culte catholique, on devait en bannir les doctrines et ne pas lui donner plus de privilèges en Canada qu'il n'en avait en Angleterre ; qu'il ne devait pas y avoir d'évôque ; que le diocèse pouvait être gouverné par un grand-vicaire élu par un chapitre et les curés de paroisses, ou un surintendant ecclésiastique nommé par le roi, et dont le pouvoir se bornerait à l'ordination des prêtres ; que toutes les communautés religieuses d'hommes et de femmes devaient être abolies après l'extinction des membres actuels, et leurs biens restitués à la couronne pour être employés

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ail soutien des cultea et à l'éducation de la jeunesse sans distinc- tion do croyances ; que les cures devaient ôtrc rendues fixes, maig que le chapitre de Québec devait être maintenu, contre l'opinion du Bureau de Commerce qui s'était prononcé pour son abolition, abolition qui eut lieu quelques années après, en 73, sous prétexte de manque do prêtres au siège de l'évoque, de difficulté d'en appeler les campagnes pour les assemblées capitulaires, et de pénurie de la caisse épiscopale privée de ses plus grands revenus par la conquête. Marriott pensait qu'il fallait conserver le cha- pitre afin que les canonicats fussent de petites douceurs entre les mains du gouvernement pour récompenser la fidélité des prêtres qui montreraient du zèle pourl'Angleterre, les motifs des hommes dans leurs actions étant l'intérêt et richesse, disait-il, et la consé- quence, leur dépendance ; que les processions et les autres pompes religieuses devaient être défendues dans les rues, les biens du séminaire St.-Sulpice réunis à ceux de la couronne, et les fêtes abolies, excepté celles de Noël et du Vendredi Saint ; que les dîmes devaient être payées au receveur-général pour être dis- tribuées en proportions égales entre les membres du clergé pro- testant et du clergé catholique qui se conformeraient aux doctrines de l'église anglicane ; enfin le système de Marriott, c'était le système de l'Irlande, car la iyrannie s'exerce aussi bien au nom de la religion que de la nécessité. Les lords-commissaires du Commerce avaient déjà fait la môme suggestion, en ajoutant que les églises devaient servir alternativement au culte protestant et au culte catholique, double emploi auquel Marriott était opposé, excepté pour les cures des villes à la collation desquelles le géné- ral Murray avait reçu ordre dans le temps d'admettre les ministres protestans et entre autres, M. Montmollin, à Québec, mais ordre que la politique l'avait empêché de mettre à exécution. Dans ce long rapport, Marriot ne laisse pas échapper un mot, pas une pensée d'adoucissement pour le sort des Canadiens : c'est un long cri de proscription contre leurs usages, leurs lois, et leur religion ; son hostilité n'est contenue en quelques points que par certaines règles d'expédience et certaines raisons de nécessité, qu'il ne peut s'empêcher de reconnaître pour le moment, en attendant toutefois que leur dispensation devienne chose possible et dès lors chose justifiable.

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Le Bolliciteur-général Wcddcrbume, depuis cl'-ncelior d'An- gleterre sous lo nom de lord Loughborough, guidé pnr des princi- pes d'un ordre plus élevé et plus philosophique, montra aus^i plus do modération et plus de justice dans ses suggestions. Il s'étendit Bur la forme du gouvernement et sur la religion des habitans, parce que l'une et l'autre devaient, nécessairement suivant lui, exercer une grande influence sur les lois civiles et criminelles qui seraient données, et tout en déclarant qu'il serait imprudent do conférer une constitution élective aux Canadiens, il reconnut qu'ils avaient des droits qu'il fallait respecter, ce qu'on n'avait pas fait encore, et qu'on devait leur donner un gouvernement équitable. " Le gouvernement établi après le traité de 63, dit-il, n'est ni militaire, ni civil ; et il est évident qu'il n'a pas été fait pour durer. Il faudrait créer un conseil revêtu du pouvoir de faire des ordon- nances pour le bon gouvernement du pays, mais privé du droit de taxer, droit que le parlement impérial pourrait se réserver à lui-même; permettre le libre exercice de la religion catholique en abolissant dans le temporel de l'Eg'.ise ce qui était incompati- ble avec la souveraineté et le gouvernement comme la juridiction ecclésiastique de Home ; rendre les cures fixes, et en donner la collation au roi ; séculariser les ordres monastiques des hommes et tolérer ceux des femmes ; conserver le code civil français et la loi criminelle anglaise avec des modifications ; établir un système do judicatureà-pcu-près semblable à celui que le conseil canadien avait recommandé ; enfin, sans négliger entièrement les préjugés des habitans ainsi que ceux des émigrans anglais, quoique la bonne politique obligeât de montrer plus d'attention aux premiers, qu'aux seconds, non seulement parce qu'ils étaient plus nombreux, mais parce qu'il fi'était pas de ^intérêt de la G-rande-Bretagne de voir établir beaucoup d'Anglais en Canada, reconnaître aux Canadiens le droit de jouir de toutes celles de leurs anciennes lois qui n'étaient pas incompatibles avec les principes du nouveau gouvernement, vu que leurs propriétés leur étant garanties, les lois qui les définissaient, les créaient, les modifiaient, devaient aussi leur être conservées, autrement leurs propriétés so rédui- raient à la simple possession de ce dont ils pouvaient jouir person- nellement.

Thurlovv, alors procureur-général et qui a été depuis l'un des

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chanceliers les plus émincns do l'Angleterre, et, malgré les diffô- rens reproches qu'on lui fail, l'un de se» juges los plus inilôpcndans, avait la réputation d'ôtrc en politicpio plutôt conservateur que libéral, et plutôt hostile (jue favorable aux libertés des colonies. Il se montra cependant l'ami lo plus gônéretix des Canadiens, qui n'avaient personne dans la métropole pour les défendre. Sans faire de recommandations spéciales en leur faveur, il invoqua des principes plus larges et plus humains qu'aucjn autre homme d'état anglais. S'appuyant sur cette sage philosophie qui a distingué les écrivains modernes les plus célèbres, sur cette philosophie qui a c ibattu le droit do la force et défendu celui de la raison et t* 'a justice, qui a appelé la sympathie des hommes sur les opprimés et a haine des générations sur lea •resseurs, il soutint tout ce qu'il y avait de juste, d'humain, de politique dans lea suggestions qui avaient été faites depuis 64, touchant la constitution qu'il convenait de donner au Canada.

Après avoir passé en revue les plans proposés pour le gou- vernement, la religion et les lois de ce pays, les changemens qu'on avait voulu introduire, et les opinions contraires qui exis- taient sur toutes ces questions fondamentales, il déclara qu'igno- rant de quelle manière le roi avait intention de les régler, il ne pouvait faire aucune suggestion spéciale ; mais que néanmoins il se permettrait d'indiquer les principes que l'on devait suivre si on voulait toucher à ses lois.

" D'après le droit des gens, dit-il, les Canadiens paraissent avoir celui de jouir de leurs propriétés comme ils en jouissaient lors de la capitulation et du traité de paix, avec tous les attributs et incidens de tenure, ainsi que de leur liberté personnelle, toutes choses pour lesquelles ils doivent s'attendre à la protection de la couronne.

" Par une conséquence qui semble nécessaire, toutes les lois qui concernent la création, la définition et la protection de cette propriété doivent être maintenues. En introduire d autres, ce serait, comme le disent très bien MM. Yorke et de Groy, tendre à confondre et renverser les droits au lieu de les maintenir.

" certaines formes de justice civile ont été établies depuis long temps, les hommes ont eu des occasions fréquentes de sentir eux-mêmes et d'observer chez les autres la puissance

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coercitive de la loi. La force de ces exemples va encore plus loin ; elle laisse une impression sur les opinions courantes des hommes, et les arrête dans leurs actions ; ceux qui n'ont jamais vu d'exemples ou connu les lois d'où ces exemples procèdent, acquièrent encore une sorte de connaissance traditionnelle des effets et des conséquences légales de leurs actes, suffisante et en même temps absolument nécessaire pour les affaires ordinaires de la vie. Il est facile de concevoir d'après cela quel trouble infini doit occasionner l'introduction de nouvelles mesures de jus- tice : le doute et l'incertitude dans les transactions, le désappointe- ment et les pertes dans le résultat.

" La même observation s'applique avec encore plus de force aux lois criminelles dans la proportion que l'exemple est plus frappant et que les conséquences sont plus importantes. La consternation générale qui résulte d'une sujétion soudaine à un nouveau système doit durer longtemps malgré le relâchement ou la douceur du code.

" De ces observations je conclus donc, que de nouveaux sujets acquis par droit de conquête doivent attendre de la bonté et de la justice de leur conquérant la conservation de toutes leurs anciennes ois ; et ils n'ont pas moins, ce semble, raison de l'attendre de sa sagesse. Il est de l'intérêt du conquérant de laisser ses nouveaux sujets dans le plus haut degré de tranquillité privée et de sécurité personnelle comme dans la plus grande persuasion de leur réalité, sans fournir inutilement des causes de plainte, de mécontentement et de manque de respect à la nouvelle souveraineté. Le meilleur moy^n d'assurer la paix et l'ordre, c'est de les laisser dans leurs habitudes d'obéissance aux lois aux quelles ils sont accoutumés, et non de les forcer à suivre des lois dont ils n'ont jamais entendu parler ; et si le vieux syst«ime se trouve plus parfait que tout ce que l'ingénuité humaine peut espérer d'y substituer, plors la balance l'emporte entièrement en sa faveur.

" L'on doit d'ailleurs se rappeler que le projet du gouvernement et des lois du Canada a été conçu par une cour sage, à une épo- que de calme, exempte de passions particulières et de préjugés publics. Des principes d'humanité et des vues d'éJat ont présidé au choix du plan le plus propre au développement d'une colonie florissante. Ce plan a été perfectionné de temps à autre par la

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sagesse et l'expérience des jours qui se succédaient, afin del'em- pôcher de tomber en décrépitude ou de devenir impropre à l'état progressif de la province." Cet homme d'état terminait en ajoutant que, quoique ses observations pussent être considérées comme justes en général, l'on pouvait néanmoins supposer des circonstances les exceptions et les restrictions devenaient nécessaires, mais les changemens imposés par ces circonstances ne devaient se faire que pour des raisons d'une nécessité positive et insurmc^nble que la véritable sagesse ne pouvait négliger ni mettre en ubli, et non do cette nécessité idéale que des spé- culateurs ingénieux pouvaient toujours créer par des suppositions possibles, des inférences incertaines et des argumens forcés; non de la nécessité d'assimiler un pays conquis, en fait de lois et de gouvernement, à la métropole ou à d'anciennes provinces que d'autres accidens ont attachées à l'empire, pour le plaisir de créer une harmonie, une uniformité dans ses différentes parties qu'il est, suivant moi, impossible d'atteindre, et qui, d'ailleurs, serait inutile si l'on y réussissait; non de la nécessité d'ôter à l'argumentation d'un avocat la faculté d'invoquer les savantes décisions du parlement de Paris, de peur d'entretenir chez les Canadiens le souvenir historique de l'origine de leurs lois ; non de la nécessité de satisfaire les espérances impossibles de cette poignée d'Anglais dépourvus de tout principe, que les acci- dens conduisent en Canada et qui croyent trouver les diffé- rentes lois des difTérens pays d'où ils viennent; non enfin, d'aucune de ces espèces de nécessité qu'il avait entendu alléguer pour abolir les lois et le gouvernement de cette colonie. La logique pressante et sarcastique de Thurlow aida puissamment la cause des Canadiens. .

Le conseil d'état fut en possession de tous ces rapports en 73. Depuis neuf ans l'Angleterre cherchait partout des motifs capables de justifier aux yeux des nations et de la conscience publique Tabolition des lois et peut-être de la religion d'un peuple auquel elle les avait garanties par les traités ; et l'on ne hasarde rien de trop en disant que la justice et la générosité de l'éloquent plai- doyer de Thurlow eussent été peine perdu, et que le Canada serait passé sous la domination d'une poignée d'étrangers, ayant une religion, une langue, des lois et des usages totalement diffërens

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de ceux de ses habitans, sans l'attitude hostile des autres colonies qui commençaient à faire craindre à l'Angleterre la perte de toute l'Amérique du nord.* Cette métropole différa de donner son dernier mot jusqu'en 74<, alors que la solution pacifique de ses difficultés avec ces colonies parut plus éloignée et plus probléma- tique que jararis. La révolution qui sauva les libertés améri- caines, força ainsi l'Angleterre à laisser aux Canadiens leurs institutions et leurs lois, en un mot à leur rendre justice, afin d'avoir au moins une province pour elle dans le Nouveau-Monde.

Depuis quelque temps la patience des Canadiens et la violence du parti anglais auquel aboutissait par contre coup le choc des agitations des autres provinces, formaient un contraste qui faisait réfléchir le cabinet de Londres. Les Anglais remplissaient la magistrature p les magistrats de Montréal non moins turbulens que le reste de leurs compatriotes, avaient été accusés dans lo temps devant le conseil qui les avait sommés de comparaître devant lui à Québec pour se justifier.

L'un d'eux, le nommé Walker, au lieu de se défendre, avait été jusqu'à protester contre les actes du gouverneur et de ce con- seil ; ce qui avait fait dire au procureur-général Suckling qu'une pareille audace était un crime ; que le protêt était un libelle faux, scandaleux, séditieux, et qui frappait à la base du gouvernement.

C'est alors que pour consoler un peu les Canadiens l'on sus- pendit l'exécution des instructions royales qui portaient de chas- ser du pays tous les habitans qui refuseraient de prêter le ser- ment d'abjuration. Trois ans plus tard, les ministres revenant peu à peu sur leurs pas, permirent de concéder des terres en sei- gneurie.

Le temps arrivait l'Angleterre mieux éclairée sur ses intérêts allait annoncer formellement son changement de politique et faire connaître la voie nouvelle qu'elle entendait suivre dans l'administration.

Le parti extrême de la proscription en était furieux et poussait de hautes clameurs. Mazères, de retour à Londres depuis trois ou quatre ans, était son homme de confiance et son agent. Cet

Le pamphlétaire Flemming dit : The government consultée! governor Carleton as to the means of cxciting the zealous coojjeration of ihe leaders of the French Canadians, when he suggested the restoration of french law."

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homme dont la famille avait tant souffert du fanatisme religieux dans son ancienne patrie, consentait à devenir comme Marriott lui-même l'avocat des prescripteurs canadiens dans sa patrie adoptive, et pour cela il marchait dans deux voies que l'histoire n'a pas bien éclaicies. D'une part, dans un rapport qu'il adres- sait en Angleterre il faisait une revue assez favorable des lois canadiennes, et dans ses tôte-à-tête avec les agens chargés de les défendre, il embrassait également leur cause avec chaleur selon Du Calvet ; de l'autre, les nombreux papiers imprimés sous sa direction et qui forment plusieurs volumes, nous le montrent sinon comme entièrement hostile à toutes leurs institutions civiles et religieuses, du moins -ne peu zélé pour la conservation de ces conditions essentiel i leur bonheur. Entre ces contra- dictions quelques personnes instruites cherchant une solution dans ses volumineux écrits, et surtout dans le Canadian Freelwldcr, pensent qu'il voulait plutôt amener les fanatiques qu'il servait, par une chaîne de raisonnemens dont ils ne voyaient pas bien la conséquence, mais dont ils ne pourraient ensuite se dégager, à un but souvent opposé à celui qu'ils voulaient atteindre; d'autres, ennemis de toutes ces circonlocutions, n'y veulent voir que les allées et venues d'un intrigant. Quoi qu'il en soit, Mazères informa ceux qu'il représentait de la décision probable du gou- vernement touchant le Canada. A cette nouvelle, voyant la tournure que prenaient les affaires, et le désir du roi de s'attacher les Canadiens pour la lutte qui se préparait en Amérique, les protestans crurent qu'il était temps de faire des démonstrations plus vigoureuses, et de demander enfin formellement l'accom- plissement des promesses de 63, c'est-à-dire l'octroi d'une cons- titution Hbre. Ils tinrent plusieurs assemblées pour adopter des pétitions au roi. La première n'était composée que d'une quarantaine de personnes. Ils nommèrent deux comités, l'un jiour Québec et l'autre pour Montréal, et invitèrent les Canadiens à se joindre à eux, ce que ceux-ci déclinèrent de faire pour de bonnes raisons. En effet, dans tous leurs procédés, ils ne cessaient point de dissimuler un point capital, la religion. La chambre que le général Murray avait convoquée en 64, n'avait pu rien faire parce que les membres canadiens avaient refusé de prêter le serment du test. Ils croyaient que si le parlement

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impérial en accordait une autre les protestana auraient toujours seuls le droit d'y siéger, attendu que l'inégibilité des catholiques était une des maximes fondamentales de la constitution anglaise ; et dans cette conviction la conclusion de leur requête qui gardait le silence sur cet article n'exposait rien de leurs prétensions. Mais les catholiques qui connainsaient parfaitement leur pensée secrète, exigèrent, avant toute chose, que le roi fût formellement prié d'y admettre sans distinction de religion, les catholiques comme les protestans. Alors forcés de s'expliquer, ils refusèrent cette demande, et c'est ce refus qui fut la véritable cause pour laquelle les Canadiens, qui auraient désiré avoir un gouverne- ment représentatif, ne voulurent pas les joindre. Quelques-uns se seraient rendus peut-être ; mais les autres refusèrent absolu- ment toute concession à cet égard, persuadés plus que jamais, que le but des pétitionnaires était de soutenir le principe de l'ex- clusion tout en se prévalant de leurs signatures, prévision que l'événement justifia, puisque Mazères, parlant ensuite en leur nom, s'opposa à ce qu'on admit les catholiques dans le conseil législa- tif établi par l'acte de 74. Après ce refus ils adressèrent leurs pétitions à M. Cramahé, lieutenant-gouverneur, pour le prier de convoquer une assemblée des représentans du peuple. Celui- ci répondit que c'était une question trop importante pour lui ou pour le conseil à résoudre ; que l'Angleterre allait s'occuper des affaires canadiennes et qu'il allait transmettre leurs demandes au ministère.* Les protestans, réduits à agir seuls, firent de nou- velles représentations qu'ils envoyèrent à leur agent, élevé depuis son retour à Londres à l'office de Cursitor, baron de l'échiquier, pour les présenter au roi. Par ces pétitions signées de 148 per- sonnes seulement, dont trois Canadiens protestans, ils demandaient en termes généraux la convocation d'une assemblée représenta- tive de telle forme et manière que le roi jugerait convenable ; mais en même temps ils en adressaient une autre au comte de Darmouth, l'un des secrétaires d'état, pour l'engager à s'intéresser en leur faveur, et l'informer que le conseil et le gouverneur pas- saient des ordonnances contraires aux lois anglaises ; que le paya manquait de ministres protestans, que le séminaire de Québec ouvrait des classes pour l'éducation de la jeunesse, ce qui était

Procès- verbaux du Conseil Exécutif, 1773.

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d'autant plus alarmant que les professeurs proteslans en étaient exclus. Ils écrivirent aussi aux. principaux marchands de Londres pour les prier de seconder leur démarche. Ils tenaient tant à leur système d'anglification que, même encore plusieurs années après en 82, le conseiller Finlay suggérait d'établir des écoles anglaises dans les paroisses et de défendre l'usage du fran- çais dans les cours de justice après un certain nombre d'années.

Mazères, sachant que les ministres ne voulaient pas donner d'assemblée représentative aux catholiques, et qu'ils allaient se borner pour le moment à un conseil législatif nommé par le roi, leur suggéra de le former de 31 membres inamovibles, de ne le faire assembler qu'après convocation publique, de donner aux membres le droit d'introduire des bills et de voter comme ils l'en- tendraient, mais non celui d'imposer des taxes, et enfin de n'y admettre toujours que les protestans.

Tandis que le parti protestant demandait ainsi le sceptre du pouvoir pour lui, et l'esclavage pour les catholiques, ceux-ci ne restaient pas oisifs. Ils ne cessaient point par ton les moyens qu'ils avaient à leur disposition de travailler à détruire les préju- gés de l'Angleterre contre eux, préjugés que leurs ennemis cherchaient continuellement à envenimer par leurs écrits et par leurs discours. Ils avaient aussi les yeux sur ce qui se passait dans les provinces voisines. Ils ne manquaient pas d'hommes capables de juger sainement de leur situation et de celle des intérêts métropolitains dans ce continent, comme le prouve le mémoire prophétique cité dans le discours placé en tête de cet ouvrage. Si on s'en rappelle, ce mémoire exposait avec une grande force de logique, qu'il était nécessaire pour l'Angleterre, si elle voulait se maintenir en Canada, d'accorder aux habitans de cette contrée tous les privilèges d'hommes libres ; qu'elle devait favoriser leur religion et non la détruire, par le moyen sourd, mais infaillible des exclusions ; et que ce ne serait pas avoir la liberté d'être catholique que de ne pouvoir l'être sans perdre tout ce qui pouvait attacher les hommes à la patrie. Ils tinrent des assemblées et signèrent, dans le mois de décembre 73, une péti- tion qui s'exprimait en ces termes : " Dans l'année 64, Votre Majesté daigna faire cesser le gouvernement militaire dans cette colonie pour y introduire le gouvernement civil. Et dès l'époquo

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de ce changement nous commençâmes à nous apercevoir des inconvéniens qui résultaient des lois britanniques, qui nous étaient jusqu'alors inconnues. Nos anciens citoyens, qui avaient réglé sans frais nos '"'cultes, lurent remerciés: cette milice qui se faisait une glo: porter ce beau nom sous votre empire, fut supprimée. Ou is accorda, à la vérité, le droit d'être jurés ; mais, en même temps, on nous fit éprouver qu'il y avait des obstacles pour nous à la possession des emplois. On parla d'in- troduire les lois d'Angleterre, infiniment sages et utiles pour la mère-patrie, mais qui ne pourraient s'allier avec nos coutumes sans renverser nos fortunes et détruire entièrement nos posses- sions V * . .

" Daignez, illustre et généreux monarque, ajoutaient les Cana- diens, dissiper ces craintes en nous accordant nos anciennes lois, privilèges et coutumes, avec les limites du Canada telles qu'elles étaient ci-devant. Daignez répandre également vos bontés sur

tous vos sujets sans distinction et nous accorder, en

commun avec les autres, les droits et privilèges de citoyens

anglais ; alojs nous serons toujours prêts à les sacrifier

pour la gloire de notre prince et le bien de notre patrie."

Cette requête qui passa pour l'expression de la généralité des Canadiens, ne fut signée cependant que par une très petite partie des seigneurs et de la classe bourgeoise des villes, qui pouvaient espérer d'être représentés dans le corps législatif qui serait donné au pays. Il y a lieu de croire aussi que le clergé partagea les sentimens des pétitionnaires, quoique, suivant son usage, s'il fit des représentations, il le fit secrètement. Le peuple ne sortit point de son immobilité, et la croyance que les remontrances qui se firent alors venaient de lui, n'a aucun fondement. Il ne fit aucune démonstration publique. Dans sa méfiance, il présumait avec raison qu'il n'obtiendrait aucune concession de l'Angleterre, puisque le parti whig ou libéral d'alors dans le parlement britan- nique, auquel il aurait pu s'adresser, était celui-là môme qui appelait avec le plus de force la proscription de tout ce qui était français en Canada, exceptant à peine la religion. Il laissa donc faire les seigneurs et leurs amis, qui demandaient du moins tout ce qu'il aurait demandé lui-même, s'ils ne demandaient pas autant, et qui avaient plus de chance de se faire écouter, en ce

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que leur cause devait exciter quelque sympathie parmi les torys anglais, qui possédaient le pouvoir et qui formaient les classes privilégiées de la métropole, dont ils étaient l'image dans la colonie.

Leur langage, du reste, empreint d'un profond respect pour le trône, contrastait avec celui de leurs adversaires. Ils ne cher- chaient point à dépouiller personne de ses droits tout en invo- quant le nom de la liberté ; ils ne demandaient point la proscrip- tion de toute une race parce que sa croyance religieuse différait de la leur ; ils voulaient seulement jouir en commun avec les autres des droits et des privilèges que la qualité d'Anglais leur donnait aux yeux du droit commun. Cette requête fut accom- pagnée d'un mémoire dans lequel les pétitionnaires réclamaient aussi le droit de participer aux emplois civils et militaires, droit contre lequel Mazères, parlant au nom de son parti, se prononça ensuite fortement. Ils observaient encore que la limite du Canada fixée à la parallèle 1-5, à quinze lieues seulement de Montréal, resserrait trop le pays de ce côté, et leur enlevait les meilleures terres ; que les pays d'en haut, embrassant le Détroit et Michilimakinac, devaient être restitués au Canada jusqu'au Mississipi, pour les besoins de la traite des pelleteries, de môme que la côte du Labrador pour ceux de la pêche. Ils ajoutaient que la colonie, par les fléaux, les calamités de la guerre et les fré- quens incendies qu'elle avait essuyés, n'était pas encore en état de payer ses dépenses, et conséquemment d'avoir une chambre d'assemblée ; qu'un conseil plus nombreux qu'il n'avait été jus- que là, composé d'anciens et de nouveaux sujets, serait beaucoup

plus à propos enfin, qu'ils espéraient d'autant plus cette

grâce que les nouveaux sujets possédaient plus des dix dou- zièmes des seigneuries et presque toutes les terres en roture.

La déclaration relative à la chambre d'assemblée, a été invo- quée depuis pour accuser les signataires canadiens de vues étroites et intéressées. Mais ceux-ci voyant qu'il était impos- sible d'obtenir une chambre élective où, contrairement à la constitution anglaise, les catholiques pussent être admis, préfé- rèrent sagement assurer la conservation de leur religion et de leurs lois en demandant un simple conseil législatif à la nomina- tion du roi, qu'une chambre élective dont ils auraient été exclus,

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et qui eût été composée d'ennemis déclarés de leur langue et de toutes leurs institutions sociales, d'hommes enfin qui, dans le moment même, voulaient les exclure des emplois publics, et qui auraient sans doute signalé l'existence du régime représentatif par la proscription de tout ce qu'il y a de plus cher et de plus vénérable parmi les hommes, la religion, les lois et la nationalité.

Les demandes des Canadiens furent accueillies comme elles devaient l'être dans les circonstances se trouvait l'Angleterre par rapport à l'Amérique, et servirent de base à l'acte de 74, qui formait, du reste, partie d'un plan beaucoup plus vaste puisqu'il embrassait toutes les colonies anglaises de ce continent. La puis- sance croissante de ces colonies effrayait de plus en plus l'Angle- terre, et leur attitude depuis la paix, exposée brièvement dans le chapitre suivant, fera connaître assez les vrais motifs de sa politique au sujet du Canada. En même temps pour consoler de son échec le parti de la proscription, Mazères lui écrivait " qu'il pensait que les habitans seraient plus heureux de à sept ou huit ans sous le gouvernement établi par l'acte de 74, que sous l'influence d'une assemblée les papistes auraient été admis," paroles qui le font mieux connaître que tout ce que l'on pourrait dire. De son côté le gouvernement transforma en 76 le collège des Jésuites en casernes pour les troupes. Cet ordre célèbre avait été obligé de renvoyer ses professeurs pendant le siège de Québec en 59. Il ne put reprendre que les écoles élé- mentaires après la guerre, écoles qu'il continua jusqu'au moment le gouvernement s'empara de ses biens. Deux ans après, le palais de l'évêchè passa aussi aux mains du pouvoir civil qui accorda une rémunération annuelle de JE150 à l'èvêque.

Ces actes n'annonçaient aucune disposition favorable pour l'avenir, quoique le catholicisme ne cessât point d'être toléré et que le gouvernement semblât manifester de plus en plus le désir d'entrer dans une voie plus libérale. Mais ce désir tenait à des circonstances extérieures qui portaient les ministres à se relâcher plus ou moins de la rigueur de leur système pour obtenir les bonnes grâces des Canadiens en présence de la révolte dea putres colonies, et non à leurs principes ou à leur libéralité.

CHAPITRIE IL

RÉVOLUTION AMÉRICAINE.

1775.

Difficultés entre l'Angleterre et ses anciennes colonies: leurs causes. Divi- sions dans le parlement impérial à ce sujet. Avènement de lord North au ministère. Troubles à Boston. Mesures coercitives de la métropole, qui cherche à s'attacher le Canada par des concessions. Pétitions opposées des Canadiens et des Anglais ; motifs des délais pour décider entre les deux partis. Acte de 74 dit de Québec ; débats dans la chambre des communes. Congrès de Philadelphie ; il met l'acte de Québec au nombre de ses griefs. Ses adresses à l'Angleterre et aux Canadiens. Le générai Carleton revient en Canada. Sentimens des Canadiens sur la lutte qui se prépare. Premières hostilités. Surprise de Carillon, St.-Frédéric et St.- Jean. Guerre civile. Bataille de Bunker's hill. Envahissement du Canada. Montgomery et Arnold marchent sur Québec au milieu des populations qui se joignent à eux ou restent neutres : Montréal et les Trois-Rivières tombent en leur pouvoir. Le gouverneur rentre en fugitif dans la capitale devant laquelle les insurgés mettent le siège.

Toùxes les colonies de l'Amérique septentrionale étaient en rupture ouverte avec l'Angleterre, et marchaient à grands pas vers la révolution qui devait assurer leur indépendance. Depuis celle de 1690, qui avait opéré de si grands changemens dans leurs constitutions, l'Angleterre n'avait pas cessé de chercher à res- treindre leurs privilèges, surtout ceux de leur commerce. Nous avons vu dans une autre partie de cet ouvrage la cause qui avait amené ces changemens, et le caractère des habitans de ces anciennes provinces, unis de sentimens et de principes au parti républicain des temps de Cromwell. Il ne sera donc pas éton- nant de les voir aujourd'hui repousser les prétentions d'une métropole devenue beaucoup plus monarchique qu'elle ne l'avait été autrefois. Après l'acte de navigation passé pour restreindre la marine des colonies, elle avait défendu en 1732 l'exportation des chapeaux et des tissus de laine d'une province à l'autre, l'importation l'année suivante du sucre, du rum et de la mélasse sans payer des droits exorbitans, et en 1750 l'établissement d'usines de laminage des métaux, et la coupe des bois de pin et sapin dans les forêts. Enfin elle voulait exercer une autorité incontestable et illimitée sur toutes ses colonies, et il fallait

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abuser élrangemont de son intelligenco pour refuser de reconnaî- tre ce droit, disait un membre du parlement, qui ajoutait que la trahison et la révolte étaient des fruits propres et particuliers au soi du Nouveau-Monde. Les opinions avaient varié en Améri- que sur ces grandes questions suivant les temps et les circons- tances. La Nouvelle-Angleterre, pour ne point paraître soumise à la Grande-Bretagne, lorsqu'elle acquiesçait à un acte du parle- ment impérial, imprimait à cet acte un caractère particulier en le promulguant comme s'il venait d'elle-même. Les autres provinces inspirées par les mômes scntimens avaient toujours vu avec répugnance les prétentions métropolitaines et si elles s'y étaient soumises quelquefois en silence, c'est parce qu'elles ne s'étaient pas crues assez fortes pour y résister ; mais leur jiuissance aug- mentait tous les jours. Leur population qui était de 262,000 âmes, vers 1700, s'élevait déjà en 1774, à 3 millions. Après le traité de 63 qui laissait l'Angleterre seule dominatrice dans l'A- mérique du nord, sa politique y devint encore plus restrictive et plus exigeante. Elle voulut y rendre son pouvoir presqu'absolu et en tirer un revenu direct pour l'aider à payer l'intérêt de la dette nationale qu'elle avait fort accrue par la guerre du Canada, qui avait coûté aussi deux millions et demi aux Américains. On avait déjà suggéré ce projet à Walpole, qui avait répondu : " J'ai contre moi toute la vieille Angleterre, voulez-vous encore que la jeune devienne mon ennemie 1" Le ministre Grenville qui tenait plus à garder sa place que son prédécesseur, proposa en parlement, contre son propre jugement et pour complaire à George III, les résolutions qui devaient servir de base à l'acte du timbre : elles furent adoptées sans opposition dans le mois de mars 64.

Toutes les colonies protestèrent contre la prétention de les taxer. Si, disaient les hommes austères du Massachusetts, si cette prétention d'imposer les colonies à son profit et à sa con- venance venait à réussir, il en résulterait un système d'oppres- sion qui bientôt deviendrait insupportable, car une fois établi il serait presque impossible de s'en délivrer, ni même de le modi- fier. Nous ne sommes pas représentés dans le parlement anglais : qui empêcherait la chambre des communes de chercher à se soulager à nos dépens du poids des impôts ? Et, du reste, en

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notre qualité de sujet» anglais nous soutenons que nous ne pou- vons être taxés que par nos propres rcpréseiitans.

Les Américains avaient d'ailleurs d'autres sujets de plainte. L'aspect d'une force militaire permanente dans leur pays lea gênait beaucoup ; l'augmentation des salaires accordés aux jugea leur paraissait un moyen adroit de diminuer leur indépendance ; les gouverneurs de provinces qui n'étaient plus nommés comme autrefois par les habitans, se montraient aussi toujours disposés i prendre des mesures arbitraires. Malgré l'opposition que sou- leva le projet de taxer lea colons, les résolutions de Grenville furent incorporées dans un acte que le parlement impérial passa l'année suivante pour établir au-delà des mers les mêmes droits de timbre que dans la Grande-lirctagne. Franklin, agent du Massachusetts à Londres, écrivit aux colonies : " Le soleil de la liberté est passé sous l'horison, il faut que vous allumiez les flam- beaux de l'industrie et de l'économie." Quoiqu'il reçût vers cette époque une vaste concession de terre avec quelques autres personnes, sur l'Ohio,* Franklin marchait toujours avec le parti le plus avancé des colonies. Les Américains résolurent de ne faire aucun usage des marchandises anglaises, ce qui efiraya lea les marchands de la métropole et les rallia aux partisans de la cause américaine. La Virginie, sous l'inspiration du célèbre patriote Patrick Henry, commença l'opposition à l'acte du timbre. Par les résolutions qu'il présenta à la chambre et qui passèrent après de longs débats, il fut déclaré que le peuple n'était pas tenu d'obéir aux lois d'impôt qui n'étaient pas votées par ses représentans, et que tout homme qui soutiendrait le con- traire était l'ennemi des colonies. Dans la chaleur de la discus- sion, il parla avec la plus grande hardiesse. Faisant allusion au sort des tyrans : "César, dit-il, a eu son Brutus, Charles I son

Cromwell, et George III Ici il s'arrêta au miheu des cris de

trahison ! trahison ! .... et George III, continua-t-il, pourra pro- fiter de leur exemple. Si c'est de la trahison, qu'on me le fasse voir." Il y eut des émeutes en plusieurs endroits et surtout à Boston, la population démolit le bureau du timbre. A Phila- delphie, lorsque le vaisseau qui apportait le papier timbré entra dans le port, les navires hissèrent leurs pavillons à mi-mât, et les

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cloches, enveloppées do crôpe noir, sonnèrent lugubrement jiisqu'aii soir. Enfin, un congrès composé des députés de la plus grande partie des provinces, s'assembla à New- York et vota une déclaration de droits et des pétitions au parlement impérial contre la prétention do la métropole. L'opposition devint si formidable que les préposés du timbre furent partout contraints de renoncer publiquement à leurs fonctions et de retourner en Europe. Les ofliciers de la justice, les avocats, etc., s'enga- gèrent à suspendre tout exercice de leurs charges plutôt que de se soumettre au nouvel impôt. La populace brûlait les marchan- dises estampillées sur le rivage au milieu des cris de joie. Les marchands cessèrent tout commerce avec l'Angleterre. En même temps que ces mesures donnait l'impulsion à l'industrie locale, le commerce de la métropole tombait dans une stagnation ruineuse, qui jettait le gouvernement impérial dans le plus grand embarras, quelques ministmo penchant pour la coercition, 'es autres pour les tempéramer.a.

Le parlement anglais s'ouvrit en 66 sous les auspicos les plus sombres. La misère et le mécontentement agitaient tout l'empire. Menacé d'ure révolution, le ministère proposa lui-même, appuyé par Pitt et Burke, de rapporter, en stipulant une réserve de droits, l'acte qui avait allumé la colère des colonies. Les débats les orateurs des deux partis se surpassèrent par la hauteur et la beauté de l'éloquence portée alors à son comble dans le sénat anglais, furent très longs ; mais ils se terminèrent à l'avantage des ministres. Pour se populariser davantage, ils firent passer plusieurs lois toutes favorables au commerce colonial, et obtinrent de la France la liquidation des papiers du Canada dûs depuis la cession.

Le rapport de la loi du timbre, reçu avec joie en Aftiérique, y suspendit quelque temps l'opposition hostile qui s'y était mani- festée ; mais bientôt d'autres difficultés s'élevèrent entre le gou- verneur et l'assemblée du Massachusetts. Le ministère Grenville était tombé, et Pitt, devenu lord Chatam, était remonté aux affaires. Par une de ces inconséquences qui ne s'expliquent que par l'ambition ou la faiblesse des hommes, les nouveaux ministres, dont plusieurs s'étaient exprimés avec tant de force contre le droit de taxer les colonies, surtout lord Chatam, proposèrent en

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67 d'imposer le verre, le thé, le papier, importés en Amé- rique. Leur proposition fut convertie en loi ; et afin d'effrayer les colons, le parlement impérial suspendit par le môme acte l'assemblée représentative de la Nouvelle- York, qui refusait de reconnaître sur ce point la juridiction de la (xrande-Bretagne ; preuve nouvelle que les prétendus amis des colonies dans les métropoles sont souvent mus moins par sentiment de justice en leur faveur, que par esprit d'ambition et d'opposition aux ministres du jour.

Bientôt après le ministère Graflon, composé, suivant Junius, de déserteurs de tous les partis, remplaça celui de lord Chaîam, qui conserva lui-môme cependant son poste dans ce remaniement, mais qui avait déjà perdu toute sa popularité. Le nouveau pro- jet de taxation éprouva encore plus d'opposition en Amérique que l'acte du timbre. Le Massachusetts donna le premier l'ex- emple de la résistance, et forma une convenlion générale. L'ar- rivée du général Gage avec quatre régifnens et un détachement d'artillerie fit suspendre un instant ces démonstrations ; mais le feu couvait sous la cendre, et était entretenu par les associations qui s'étaient formées dans toutes les provinces. Les nouvelles mesures de la métropole précipitaient tes événemens. Le parle- ment vota une adresse au roi pour l'autoriser à envoyer une commission spéciale à Boston, chargée de juger les opposans comme coupables de haute trahison. On croyait pouvoir les intimider et les amis du gouvernement pensaient ainsi. Sir William Johnson écrivait à lord" Hillsborough en 1769. " J'offre humblement mes obéissances les plus respectueuses pour le dis- cours du trône et les adresses que j'ai eu l'honneur de recevoir ; la fermeté de la première et l'unanimité des dernières me cau- sent une grande satisfaction et me donnent raison d'espérer que les malheureuses mésintelligences excitées par les fanatiques turbu- lens de ce pays se termineront promptement d'une manière com- patible avec l'honneur de la couronne 3t le vrai bonheur du peuple.* C'est ainsi que dans tous les temps on se trompe sur les événemens de l'avenir. Malgré les espérances de Johnson, les colons résolurent encore une fois de suspendre leurs relations com-

E. B. O'Callaghan's Documentary History of the state of New-York vol. II p. 933.

à

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merciales avec l'Angleterre, dont les exportations en Amérique diminuèrent cette seule année de 740,000 louis. Ce résultat alar- ma de nouveau les marchands anglais, et le ministère se vit con- traint d'annoncer qu'il allait proposer la révocation de la nouvelle loi d'impôt sur tous les articles qui y étaient mentionnés, excepté le thé conservé comme marque du droit de souveraineté. C'était à la fois annoncer sa faiblesse et laisser subsister le germe des discordes.

Sur ces entrefaites, en 70, lord North prit en main la direction des affaires. Il fit passer la proposition de son prédécesseur en loi. Dans le même temps des troubles sérieux avaient éclaté à Boston entre les citoyens et les soldats, et l'on n'avait pu les appaiser qu'en faisant sortir ceux-ci de la ville. L'alarme gagnait toutes les provinces et toutes les classes ; l'on jetait les yeux sur l'avenir avec inquiétude ; mais la grande majorité des colons était décidée à défendre leurs droits les armes à la main s'il était nécessaire. Ils organisaient partout leur résistance. Devenus plus modérés dans la forme, ils ne voulaient rien abandonner du fond, et ils étaient prêts à subir tous les sacrifices pour assurer le triomphe de leur cause. Le Massachusetts donnait l'exemple, dirigé par Otis, Adam et Hancock. Il fut aisé bientôt de prévoir que ni l'Angleterre, ni l'Amérique ne céderaient rien de leurs prétentions, et que de la plume il faudrait en appeler à l'épée. En 73 le parler.ient impérial passa un acte pour autoriser la com- pagnie des Indes orientales à porter du thé en Amérique à la charge de payer les droits imposés par l'acte de 67. Aussitôt dans plusieurs provinces on força les consignataires de cette denrée à renoncer à leurs entrepôts. A Boston l'on se saisit de la personne des entreposeurs, et on promena dans les rues les plus rebelles, le corps enduit de goudron et couvert de plumes ; on détruisit ou l'on jeta à l'eau trois cargaisons de thé. L'on commit les mêmes désordres en d'autres endroits. Lord North, impatienté de tant d'audace, voulut punir les Bostonais, et intro- duisit un bill dans la chambre des communes pour tenir leur ville rebelle en état de blocus. Il défendait de prendre terre dans le port, d'y charger ou décharger des navires, d'y recevoir ou apporter des marchandises : ce bill éprouva une vive opposi- tion, mais il passa. " Détruisez, détruisez, disait l'un de ses

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approbateurs, ce repaire d'insectes mallaisans." Deux autres lois de coercition, dirigées contre l'Amérique, lurent encore présen- tées par le ministère. Dans l'un on lestreignait les libertés du Massachusetts, et déclarait contraires a ax lois toutes les assem- blées publiques non spécialement autoiisées par le gouverneur ; dans l'autre, on mettait à l'abri de toutes recherches les officiers (jui se serviraient de la force jusqu'à tuer pour ihi'-e exécuter la loi ou apaisjcr les émeutes. C'était ce qu'on appelait en Canada, après les troubles de 1838, un. bill d'indemnité, ingénieuse fiction inventée pour légaliser la tyrannie. La passation de ces deux derniers bills n'éprouva pas moins d'opposition que le premier. Fox, le colonel Barré, Burke, Chatam s'élevèrent contre ces mesures. " Nous avons passé le Rubicon, dit-on, dans la chambre haute : le mot d'ordre autour de nous, c'est : Delenda Carthago. Eh bien ! prenez-y garde, s'écriait Barré. Les finances de la France sont aujourd'hui dans un état florissant; vous la verrez intervenir dans nos querelles avec l'Amérique, en laveur des Américains." En effet, Choiseul avait habilement préparé à sa patrie les moyens de tirer une vengeance éclatante de la perte du Canada. Un autre orateur mit encore plus de véhémence dans ses paroles: "J'espère, dit-il, que les Améri- cains résisteront de tout leur pouvoir à ces lois de destruction ; je le désire au moins. S'ils ne le fi>nt pas, je les regarderai comme les plus vils de tous les esclaves." Enfin, le ministère proposa un quatrième bill„l'acte de 74, pour réorganiser le gouvernement du Canada, nommé alors province de Québec. C'était le com- plément du grand plan d'administration imaginé pour l'Amérique. Ce bill qui imposait un gouvernement absolu à cette province, acheva de persuader les anciennes colonies des arrière-pensées de l'Angleterre contre leurs libertés, surtout lorsqu'elles portaient les yeux vers le passé et jugeaient sa politique rétrograde depuis 1690. La passation d'une pareille loi était un indice menaçant pour l'avenir. Aussi poussèrent-elles de hauts cris. Elles pro- testèrent surtout contre la reconnaissance du catholicisme comme religion établie en Canada, plus probablement par politique, con- naissant les vieux préjugés de l'Angleterre contre cette religionj que par motif de conscience, puisqu'elles admirent elles-mêmes

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peu (le temps après les catholiques au droit de citoyenneté dans leur révolution.

L'on connaît déjà tous les plans successivement proposés depuis 63 pour gouverner le Canada ; les tentatives avortées pour en mettre quelques-uns à exécution, les investigations et les nombreux rapports présentés par les principaux fonctionnaires de la colonie, le Bureau du Commerce et des Plantations et les officiers de la couronne ; les requêtes des colons eux-mêmes, français et anglais, pour demander un meilleur gouvernement, enfin la prétention mise en avant par ces derniers d'exclure les catholiques des emplois publics et des chambres, prétention qui a été, comme nous l'avons déjà dit, la cause première de l'anti- pathie de races existant en ce pays, et qui n'a fait que donner plus de vitalité à la nationalité franco-canadienne. Toutes ces pièces avaient été soumises aux délibérations du conseil d'état. Dès 67 la chambre des lords avait déclaré qu'il était nécessaire de renouveler le gouvernement canadien pour le rendre plus par- fait et plus propre au pays pour lequel il était destiné. Le Bureau du Commerce avait même appelé auprès do lui le gou- verneur Carleton pour s'aider de ses lumières et de son expé- rience dans cette tâche difficile. En 64 l'esprit du gouverne- ment anglais était complètement hostile aux Canadiens ; en 74, les choses avaient changé ; ses préjugés s'étaient tournés contre les Américains et les chambres d'assemblées coloniales. L'in- térêt triomphait de l'ignorance et de la passion. L'abolition per- manente des anciennes institutions devait avoir infailliblement l'effet de réunir les Canadiens aux mécontens des autres colonies; on le savait et on retarda en conséquence le règlement de leur question d'année en année jusqu'à ce qu'on se vît obligé de sévir contre le Massachusetts et les provinces du sud. Ainsi le réta- blissement des lois françaises dépendit long temps du résultat de la tentative de taxer les colonies. L'opposition invincible de celles-ci contribua à décider le ministère à écouter les remontrances des Canadiens. Et en se rendant à leurs vœux, il servait doublement sa politique ; il attachait le clergé et la noblesse à la cause de la métropole, et amenait le peuple à reconnaître sa suprématie en matière de taxation ; car dans l'opinion des Canadiens cette reconnaissance était un faible

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dédommagement pour leur conservation et leur participation au partage des droits politiques accordés aux autres sujets anglais, qui voulaient follement les en exclure.

Le comte de Dartmouth, secrétaire des colonies, introduisit donc l'acte de 74 dans la chambre des lords, qui l'adopta sans opposition. Ce bill reculait de toutes parts les limites de la pro- vince de Québec telles que fixées dix ans auparavant, de manière à les étendre d'un côté à la Nouvelle-Angleterre, à la Pennsylva- nie, à la Nouvelle-York, à l'Ohio et à la rive gauche du Mississipi, et de l'autre jusqu'au territoire de la Compagnie de la baie d'Hudson.* Il conservait aux catholiques les droits que leur avait assurés la capitulation, et les dispensait du serment du test ; il rétablissait les anciennes lois civiles avec la liberté de tester de tous ses biens, et confirmait les lois criminelles anglaises. Enfin il donnait à la province un conseil de 17 membres au m< ins et de 23 au plus catholiques ou protestan.., qui exercerait, au nom du prince et sous son veto, tous les droits d'une administration supérieure moins celui d'imposer des taxes, si ce n'est pour l'en- tretien des chemins et des édifices publics. Le roi se réservait le privilège d'instituer des cours de justice civiles, criminelles ou ecclésiastiques. Si ce projet de loi passa à l'unanimité dans la chambre des lords, il n'en fut pas ainsi dans celle des communes, il souleva une violente opposition. Les débats durèrent plusieurs jours. Les marchanda de Londres poussés par leurs compatriotes d'outre-mer, jettèrent de grandes clameurs, firent des remontrances pressantes et employèrent l'éloquence d'un avocat pour défendre leur cause à la barre des communes, qui voulurent entendre aussi des témoins. Le gouverneur Carleton qui rendit un excellent témoignage des Canadiens, le juge-en-chef Hey, MM. de Lotbinière, Mazères et Marriott furent interrogés. Ce dernier se trouva dans une situation singulière. Ne pouvant, à cause de sa charge d'avocat du roi, s'opposer au biil du ministère, il dut éluder toules les questions qu'on lui posa, pour ne pas con-

Eii 1775 un projet de pacification des colonies fut proposé par Franklin au ministère. Il y demandait que l'acte de Québec fut rapporté, et qu'un gouvernement libre fut établi en Canada. Les ministres répondirent que cet acte pourrait être amendé de manière à réduire la province à ses anciennes limites, c'est-à-dire à celles fixées par la proclamation de 1764.— (Ramsay, History ofthe American Révolution),

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tredirc son rapport au conseil d'état dont nous avons parlé ailleuis, et qui était sur plusieurs points contraire au projet do loi ; il se tira de ce mauvais pas avec une présence d'esprit admirable, mais en montrant que le sort d'un peuple colonial peut être le jouet d'un bon mot.

Parmi les membres qui s'opposèrent au bill, se trouvaient Townshend, Burke, Fox et le colonel Barré. La j)lupart s'éle- vèrent contre le rétablissement des lois françaises et le libre exercice delà religion catboliquc. Ils auraient voulu une cliambre représentative ; mais à la manière dont ils s'exprimaient et àleurt* réticences étudiées, on ne devait pas espérer d'y voir admettre de catholiques. C'était la liberté de tyranniser les Canadiens qu'ils voulaient donner à une poignée d'aventuriers. Telles sont les contradictions des hommes que les amis de la cause des libertés an;.io-américaines dans le parlement impérial, étaient précisémcn' ceux-là même qui demandaient avec le plus d'ardeur l'asservissement politique des Canadiens. Fox fut le seul dont la noble parole s'éleva au-dessus des préjugés vulgaires et natio- naux. " Je suis porté à croire, dit-il, d'après toutes les informa- tions que j'ai obtenues, qu'il convient de donner une chambre

représentative au Canada Je dois dire que les Canadiens

sont le premier objet de mon attention, et je maintiens que leur bonheur et leurs libertés sont les objets propres qui doivent former le premier principe du bill ; mais de quelle manière leur assurer

ces avantages sans une chambre, je l'ignore Jusqu'à

présent je n'ai pas entendu donner une seule raison contre l'éta- bhssement d'une assemblée. Nous avons ouï dire beaucoup de choses sur le danger qu'il y aurait de mettre une portion du pouvoir entre les mains des Canadiens ; mais comme des person- nes de la plus grande conséquence dans la colonie sont, dit-on attachées aux lois et aux coutumes françaises, en préférant un conseil législatif à une assemblée, ne mettons-nous pas le pouvoir dans les mains de ceux qui chérissent le plus le gouvernement français? Personne n'a dit que la religion des Canadiens put- être un obstacle à l'octroi d'une assemblée représentative, et j'espère ne jamais entendre faire une pareille objection ; car celui qui a conversé avec des catholiques, ne voudra jamais croire qu'il y a quelque chose dans leurs vues d'incompatible avec les priiï-

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cipes de la liberté politique. Les i)rincipes de la liberté politi- que, quoique inusités dausi les pays cat!u)lique.i, y sont aussi chéris et révérés par le peuple que dans les pays protestans. S'il y avait du danger, je le craindrais plutôt des hautes classes) que des classes intérieures." Le premier ministre, lord North, répliqua aussitôt : " Est-il sûr pour l'Angleterre, car c'est l'An- gleterre que nous devons considérer, de mettre le principal pouvoir entre les mains d'une assemblée de sujets catholiques 1 Je conviens avec l'iionorable monsieur que les catholiques peuvent être honnêtes, capables, dignes, intelligcns, avoir des idées très justes sur la liberté politi([ue; mais je dois dire qu'il y a quelque chose dans cette religion qui fait qu'il ne serait pas prudent pour un gouvernement protestant d'établir une assemblée composée entièrement de catholiques"'. Il est certain que la religion fut un des motifs ostensibles qui empochèrent le gouvernement de nous donner alors une chambre élective, comme la crainte de voir les Canadiens joindre leur cause à celle des Américains, l'engagea à leur restituer leurs lois.

La restitution de ces lois et le libre exercice de leur religion étaient deux choses si justes et si naturelles en elles-mêmes que l'opposition ne pouvait guère les attaquer de front : " Quoi, disait lord Thurlow, ce que vous prétendez, ce serait Pextrême misère. Pour rendre l'acquisition profitable et sure, voici la conduite qu'il faut suivre. L'on doit changer les lois qui ont rapport à la sou- veraineté française, et les remplacer par celles qu'exige la nou- velle souveraineté ; mais pour toutes les autres lois, toutes les autres coutumes ou institutions qui sont indifférentes aux rapports qui doivent exister entre le sujet et le souverain, l'humanité, la justice, la sagesse, tout conspire à vous engager à les laisser aux habitans comme auparavant Maison dit que les Anglais por- tent avec eux leur constitution poUtique partout ils vont, et que

c'est les opprimer que de les priver d'aucune de leurs lois

moi j'affirme que si un Anglais va dans un pays conquis par sa patrie, il n'y porte pas les diverses idées des lois qui doivent y prévaloir du moment qu'il y met le pied, car soutenir une pareille prétention serait aussi raisonnable que de soutenir celle que cpiand un Anglais va à Guernesay, les lois de la ville de Londres

* Cavcndii<k''s Debatcs.

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mSTOlUK UL' CANADA.

l'y SU vent." L'opposition fit une guerre de chicanes. Quant à rétablissement d'un conseil à la nomination du roi au lieu d'une chambre représentative, elle avait un champ superbe devant elle. Fox sut en profiter ; mais la plupart des membres de l'opposi- tion parlèrent avec un embarras évident, gênés sans doute par leurs préjugés religieux ; et après que lord North eut donné son opinion sur le danger d'une chambre catholique, l'un d'eux, M. Pulteney, s'écria maladroitement : '* Mais parce que l'on ne peut pas donner la meilleure espèce d'assemblée possible, à cause de la supériorité des catholiques, il ne s'en suit pas que l'on ne puisse pas en donner du tout." Il voulait mettre ceux-ci sur un pied d'infériorité relativement à leur nombre, et rompre l'égalité des droits. C'était demander des privilèges spéciaux pour les protestans ; dès lors la justice était violée et l'opposition perdit sa force dans le débat sur ce point, car elle ne pouvait plus en appeler à la fidélité des colons anglais, puisque ces mêmes colons s'armaient alors de toutes parts contre leur métropole ; et quant à l'assertion que l'on voulait répandre le culte catholique en Amérique et ruiner la religion de l'état, elle ne méritait pas d'être repoussée.

Le bill fut donc adopté après avoir subi quelques amendemens, que la chambre des lords approuva malgré l'éloquence de Cha- tam, qui qualifia le projet de cruel, oppressif et odieux, et qui en appela vainement aux évêques d'Angleterre pour qu'ils s'éle- vassent avec lui contre un acte qui tendait à établir une religion ennemie dans un pays plus étendu que la Grande-Bretagne. Ainsi, notre langue et nos lois finissaient par se relever de leur chute, comme la môme chose s'était vue autrefois en Angleterre même, la langue légale fut, après la conquête normande, fran- çaise puis latine, et enfin celle du peuple vaincu, l'anglaise, *' grande et salutaire innovation sans doute, dit lord Brougham, très critiquée et très redoutée de son temps."

La vil! de Londres n'eut pas plutôt appris la passation de l'acte de 74, qu'elle s'assembla et présenta une adresse au roi pour le prier d'y refuser sa sanction. Elle disait que ce bill renversait les grands principes fondamentaux de la constitution britannique ; que les lois françaises ne donnaient aucune sécurité pour les per- sonnes et les biens ; que le bill violait la promesse faite par la

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proclamation de 63, d'établir les lois anglaises j que la religion -holique était idolâtre et sanguinaire, et que Sa Majesté et sa famille avaient été appelées, comme protestans, sur le trône de l'Angleterre pour remplacer les Stuart catholiques ; que le pou- voir législatif était placé entre les mains de conseillers amovibles nommés par la couronne, etc. Le lord-maire, accompagné do plusieurs aldermen et de plus de 150 conseillers de la cité, se présenta au palais St.-James avec son adresse. Le grand Cham- bellan parut et l'informa que le roi ne pouvait prendre connais- sance d'un projet de loi passé par les deux chambres avant qu'il eût été soumis à son assentiment, et qu'il ne devait pas par con- séquent attendre d'autre réponse. George III partait dans le moment même pour aller proroger le parlement à Westminster. Il sanctionna le bill en observant " qu'il était fondé sur les prin- cipes de justice et d'humanité les plus manifestes, et qu'il ne doutait pas qu'il n'eut le meilleur effet pour calmer l'inquiétude et accroître le bonheur de ses sujets canadiens." Cette lemarque adoucit dans l'esprit de ceux-ci l'amertume des sentimens expri- més par l'opposition à leur égard. Une autre loi fut passée pour abolir les anciens droits de douane, qui constituaient les seuls impôts établis par les Français en ce pays, et pour en substituer d'autres sur les boissons, afin de faire face aux dépenses portées au budjet pour l'administration civile et judiciaire.

Mazères écrivit aussitôt aux protestans du Canada pour les informer de tout ce q^ii s'était passé. On s'assembla et l'on résolut de présenter des adresses aux trois branches du parle- ment impérial, pour demander la révocation immédiate de la nouvelle loi organique. Dans celle à la chambre des communes, les pétitionnaires cherchèrent à accroître leur importance et à déprécier celle de leurs adversaires, qu'ils voulaient dominer à toute force, et prétendirent, sans même trop voiler leur but, que les 75,000 Canadiens devaient se soumettre aux lois, qu'eux, qui n'étaient que 3,000, voudraient bien trouver bonnes et convena- bles. Les Canadiens s'apercevaient tous les jours qu'ils avaient eu grande raison de refuser une chambre représentative compo- sée exclusivement de protestans.

L'agitation de ce parti pour faire rapporter l'acte en question, se communiqua aux Canadiens, qui se réunirent et se pronon-

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curent dans le sens contraire. Il parut, à la fin de décembre, une lettre anonyme qui renfermait en peu de mots leurs senti- mens sur le débat du jour, et qui fit assez de sensation pour que Mazéres crût devoir la réfuter longuement devant l'Angleterre dans les deux volumes qu'il publia en 75, à l'appui des préten- tions du parti qu'il représentait. Cette lettre, écrite sans art, mais avec sincérité, et qui circula parmi la population canadienne, fit une grande impression : " Quelques Anglais, disait-elle, tra- vaillent à nous indisposer contre les derniers actes du parlement qui règlent le gouvernement de cette province. Ils déclament surfout contre l'introduction de la loi française, qu'ils vous repré- sentent comme favorisant la tyrannie. Leurs émissaires répan- dent parmi les personnes peu instruites, que nous allons voir revivre les lettres de cachet ; qu'on nous enlèvera nos biens malgré nous ; qu'on nous traînera à la guerre et dans les prisons; qu'on nous accablera d'impôts ; que la justice sera administrée d'une manière arbitraire ; que nos gouverneurs seront despoti- ques; que la loi anglaise nous eût été plus avantageuse ; mais la fausseté de ces imputations ne saute-t-elle pas aux yeuxî Y a-t-il quelque connexion entre les lois françaises et les lettres de cachet, les prisons, la guerre, les impôts, le despotisme des gouverneurs? Sous cette loi, à la vérité, nos procès ne seront plus décidés par un corps de jurés, président souvent l'ignorance et la par- tialité. Mais sera-ce un mal 1 La justice anglaise est-elle moins coûteuse 1 Aimeriez-vous que vos enfans héritassent à l'anglaise, tout à l'aîné, rien aux cadets? Seriez-vous bien aise qu'on vous concédât vos terres aux taux de l'Angleterre? Voudriez-vous payer la dîme à dixième gerbe, comme en Angle- terre?— La loi française n'est-elle pas écrite dans une langue que vous entendez 1 La loi française a donc pour vous toutes sortes d'avantages : et les Anglais judicieux, tels qu'il s'en trouve un «rrand nombre dans \? iOnie, conviennent qu'on ne pourra nous la refuser avec équiti>.

" Aussi n'est-ce pas le point qui choque davantage ces citoyens envieux dans les actes du parlement, dont ils voudraient obtenir la révocation. Le voici ce point qu'ils vous cachent, mais qui se révèle malgré eux. L'un de ces actes non seulement vous permet le libre exercice de la religion catholique, mais il

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vous dispense ilo sonncns qui y sont contraires ; et, par là, il vous ouvre une porte aux emplois et nux charges de la province. Voilà ce (pii les révolte ! voilà ce qui les fait dire dans les papiers publics : " Que c'est un acte détestciMc, abominable, qui autorise une religion sanguinaire, qui répand imrtoiit Vim/piété, les meurtres, la rébellion.''^ Ces exi)ressions violentes nous mar- quent leur caractère, et lo chagrin qu'ils ont de n'avoir point une assemblée, dont ils se proposaient de vous exclure en exigeant de vous des sermens que votre religion ne vous aurait pas permis de prêter, comme ils ont fait à la Crrenade.

'* Par ce moyen ils se seraient vus seuls maîtres de régler tous vos intérêts, civils, politiques et religieux. Vous pouvez vous instruire de leurs desseins en lisant les adresses qu'ils ont envoyées à Londres. Ils y représentent au ro'i : " Que les sujets protestans sont en assez grand nombre en cette province pour y établir une nssemblée." Ce mot nous les démasque. Une poignée d'hommes, que le commerce avantageux qu'ils ont fait avec nous vient, pour la plupart, de tirer de la poussière, veulent devenir nos maîtres et vous réduire à l'esclavage le plus dur. Je le répèle. Je ne parle que des Anglais du comité de Montréal et de quelques marchands de Québec, qui demandent la ^évocation de cet acte. 11 faut que ces gens-là nous croient bien simples et bien aveugles sur nos propres intérêts, pour nous proposer de nous opposer à

un acte que nous avions demandé On parle de la levée

d'un régiment canadien. On se sert de cette circonstance pour vous dire qu'on vous forcera à vous enrôler et à aller faire la guerre au loin : et, d'un bienfait qu'on a sollicité pour vous, on vous en fait un objet de terreur. Serait-ce donc un malheur pr-.ur la colonie s'il y avait un régiment canadien de quatre à cinq cents hommes, dont tous les officiers seraient Canadiens ? Cela ne rendrait-il pas à quantité de familles respectables un lustre qui rejaillirait sur toute la colonie ? On augure mal de votre courage puisqu'on cherche à vous eflrayer par-là." Cette logique pressée était sans réplique.

Cependant lord Cambden présenta à ia chambre haute dans le mois de mai 75, la pétition des protestans et introduisit un projet de loi pour révoquer l'acte de l'année précédente. Mais ce pro- jet fut rejeté sur motion du comte de Darlmoutli, ufmistre des

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colonieH. La inùme tentative laite dans la cliainbre des com- munes par sir George Savile, éprouva le môme sort.

Tandis que l'acte de Québec tendait ainsi à concilier les Canadiens à l'Angleterre, l'acte qui ordonnait la fermeture du port de Boston, portait jusqu'à leur dernier degré la colère et l'indignation des autres colonies. L'assemblée de Boston nomma un comité pour convoquer un congrus général, et un autre pour tracer au peuple des règles de conduite sous forme de recom- mandation. On invitait en même temps les hahitans à discon- tinuer l'usage du thé et des autres articles de la Grande-Bretagne, jusqu'à ce qu'on eût obtenu justice. Le congrès s'assembla dans le mois de septembre à Philadelphie, et siégea j'isqu'au 26 oc- tobre ; douze provinces contenant près de trois millions d'hommes, y étaient représentées par leurs députés ; il n'y manquait que ceux du Canada et c' ' la Géorgie pour embrasser toutes les colo- nies anglaises du continent. Le congrès commença par faire une déclaration des droits de l'homme, préface obligée de toutes les révolutions. Il adopta ensuite diverses résolutions, dans les- quelles il exposa avec détail les griefs des colons, au nombre desquels fut placé l'acte du Canada que venait de passer le par- lement impérial; acte, disait-on, avec un sérieux affecté, qui reconnaît la religion catholique, abolit le système équitable des lois anglaises, et proclame, vu la différence de religion, de lois et de gouvernement, la tyrannie en Canada au grand danger des colonies voisines, ces colonies qui ont contribué de leur sang et de leur argent à sa conquête. " Nous ne pouvions, disait-il encore insensément, nous empêcher d'être étonné qu'un parle- ment britannique ait jamais consenti à permettre une religion qui a inondé l'Angleterre de sang, et qui a répandu l'impiété, l'hypo- crisie, la persécution, le meurtre et la révolte dans toutes les par- ties du monde." Ce langage n'aurait été que fanatique si ceux qui le tenaient eussent été sérieux ; il était insensé et puérile dans la bouche d'hommes qui songeaient déjà à inviter les Cana- diens à embrasser leur cause pour conquérir avec eux l'indépen- dance de l'Amérique. Cette déclaration relative à l'acte de 14> était donc fort inconsidérée ; elle ne produisit aucun bien en Angleterre, et fit perdre peut-être le Canada à la cause de la confédération. Si le congrès s'en fût tenu à une protestation

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coiili'c ce (jii il y avait d'inconstitutionnel dans col acte, contre l'établissement, par exemple, d'une législature nommée exclusi- vement par la couronne, il aurait atteint son but ; mais en se déclarant contre les lois françaises et contre le catholicisme, il armait nécessairement contre lui la population canadienne, et violait lui-môme ces règles de justice éternelle sur lesquelles il voulait asseoir sa déclaration des droits de l'homme.

Le congrès résolut aussi de cesser toute relation commerciale avec l'Angleterre. Il procéda ensuite à la rédaction de trois adresses, l'une au roi, l'autre au peuple de la Grande-Bretagne pour justifier l'attitude qu'il avait prise, et 'a troisième aux Cana- diens dans laquelle il exprima des sentimens tout contraires à ceux qu'il venait de mettre au jour dans les résolutions dont nous venons de parler. Il cherchait à leur démontrer tous les avan- tages d'une constitution libre, à les préjuger contre la forme du gouvernement qu'on venait de leur donner, en disant qu'il y avait une grande différence entre la constitution que le parlement leur avait imposée et celle qu'ils devaient avoir.

Il invoquait le témoignage de Montesquieu, homme de leur race, pour condamner cette nouvelle constitution, et les exhortait à se joindre aux autres colonies pour la défense de leurs droits com- muns, en entrant dans le pacte social formé sur le grand principe d'une égale liberté, et en envoyant des délégués pour les repré- senter au congrès qui devait s'assembler prochainement. " Sai- sissez, disait-il, saisissez l'occasion que la Providence elle-même vous présente ; si vous agissez de façon à conserver votre hberté, vous serez effectivement libres. Nous connaissons trop la géné- rosité des sentimens qui distinguent votre nation pour présumer que la différence de religion puisse préjudicier à votre amitié pour nous. Vous n'ignorez pas qu'il est de la nature de la liberté d'élever au-dessus de toute faiblesse ceux que son amour unit pour la même cause. Les cantons suisses fournissent une preuve mémorable de cette vérité : ils sont composés de catholiques et de protestans, et cependant ils jouissent d'une paix parfaite, et par cette concorde qui constitue et maintient leur liberté, ils sont en état de défier et môme de détruire tout tyran qui voudrait la leur ravir."

Le langage du congrès était l'ien changé à l'égard de? Cana-

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HtSTOlRË OU CANADA.

tliens. Mai8 quoique son ailrcHPO contint probablemcnl sa vérita- ble pensée, elle ne put détruiio ciitiùrement l'cflct de la léBolution dont on a parlé i)lus haut. No sachant à quelle version ajouter foi, la plupart dea meilleurs amis de la cause de la liberté restè- rent indifférens ou refuseront do prendre part à la lutte qui commençait. Beaucoup d'autres, regagnés par l'acte de 74-, promirent de rester fidùles à l'Angleterre et tinrent parole. Ainsi une seule pensée de proscription, mise au jour avec légèreté, fut cause que la confédération américaine perdit le Canada, et qu'elle vit la dangereuse puissance de son ancienne métropole se consolider dans le nord pour peser sur elle de tout son poids, et la menacer sans cesse de ses guerrières légions.

Le général Carlcton revint en Canada pour reprrndre les rênes de son gouvernement dans le mois d'octobre 74-. Il inau- gura la nouvelle constitution, et forma un conseil législatif con- forme à ses dispositions. Il le composa de vingt-trois membres, dont deux tiers de proteslans et un tiers de catholiques, qui furent assermentés le 17 août de l'année suivante, siégèrent deux ou trois fois et furent ajournés. Plusieurs Canadiens furent élevés aussi aux charges publiques jusqu'alors remplies exclusivement par des Anglais ou des Suisses, excepté celles de grand-voyer et de secrétaire français, parce qu'il fallait des hommes versés dans la langue et les usages du pays pour les remplir et que d'ailleurs, étant presque nominales elles donnaient peu de chose. Mais le pays dut s'apercevoir que ce n'était que par politique que l'on faisait partager ainsi aux Canadiens quelques-unes des faveurs du gouvernement ; que malgré le changement de constitution, ils seraient toujours exclus des principaux emplois, et que pour le petit nombre de ceux qu'on leur abandonnerait, l'on aurait soin de choisir des instrumr ^'""iles, dont la conduite ferait assez voir à quelles condit' acquisition avait été faite. Cela

parut surtout da»- ... des personnes qui devaient remplir

des fonctions jui j. Mais à peine le gouverneur avait-il eu

le temps de prenuic connaissance de l'état du pays, dont il était absent depuis plusieurs années, et de compléter les arrangemens rendus nécessaires par l'acte de 74, que son attention fut appelée Bur les frontières et la propagande que les Américains cherchaient à faire en Canada, l'adresse du congrès avait pénétré par plusieurs voies à la fuis.

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Les grands noms de liberté et d'indépendance nationale ont toujours trouvé du retentissement dans les âmes nolilcs et géné- reuses ; un cœur haut placé ne les entend jamais prononcer sans une émotion profonde, car c'est un sentiment naturel et vrai. Le citoyen policé do Rome, le pâtre grossier do la Suisse sentent do la même manière à cet égard. L'adresse du congrès, malgré l'imprévoyance d'une partie de sa rédaction, fit la plus grande sensation parmi les Canadiens, surtout de la campagne, et parmi les Anglais des villes, lesquels n'espérant plus dominer exclusive- ment, songèrent pour la plupart à devenir révolutionnaires. La situation du général Cnrleton devint excessivement diflicile. Heureusement pour lui, le clergé et la noblesse avaient été invio- lablement attachés à l'Angleterre par la confirmation de la tenure seigneuriale et de la dîme, deux institutions qu'ils n'espéraient pas conserver dans le mouvement niveleur d'une révolution, et avec ces deux classes marchait la bourgeoisie des villes peu riche et peu nombreuse.

Le catholicisme a toujours eu une répugnance extrême pour les républiques. Persécuté par le peuple juif il est et qui a crucifié l'homme Dieu son auteur, il fut dans la suite protégé par les empereurs romains et revêtît dans son organisation les formes absolues de l'empire sans perdre le prestige des mystères orientaux. Les traditions de l'ordre du clergé, dit M. Augustin Thierry dans les considérations sur l'histoire de France placées à la tète de ses récits des temps mérovingiens, étaient demeurées purement romains ; le droit romain revivait dans les canons des conciles et réglait toute la procédure des tribunaux ecclésiasti- ques. Quant à la nature primitive du gouvernement et à sa constitution essentielle, le clergé supérieur ou inférieur, sauf de rares exceptions, n'avait qu'une doctrine, celle de l'autorité royale universelle et absolue, de la protection de tous par le roi et par la loi, de l'égalité civile dérivant de la fraternité chrétienne. 11 avait conservé sous des formes religieuses l'idée impériale de l'unité de puissance publique." A ces motifs purement politiques le clergé et le peuple canadien en avaient joint un autre aussi puissant, c'était la crainte d'exposer leur religion et leur nationa- lité en entrant dans une confédération républicaine à la fois anglaise et protestante, crainte qui n'était pas chimérique puis-

li

4.Î6

HISTOIRE DU CANADA.

qu'elle achève de les noyer à la Louisiane. Ils résolurent donc de s'opposer à toutes ses attaques et de défendre leur pays pour le conserver à l'Angleterre, à l'Angleterre, monarchique située à mille lieues d'eux, et par cela môme moins menaçante pour leur existence.

Une partie des Canadiens dégoûtée donc par la déclaration intempestive du congrès contre la religion catholique et les lois françaises, conservant encore dans son cœur cette haine contre les Anglais quels qu'ils fussent qu'elle avait contractée dans nos longues guerres et confondant dans sa pensée ceux du Canada avec ceux des pays vo' Ins, ne voyait chez les uns et les autres qu'une même race d'u,.i7resseurs turbulens et ambitieux. Infor- mé de ces sentimens, le gouverneur dut croire que la majorité de la population, mue ainsi par des motifs diffcrens et par l'estime personnelle qu'elle lui portait, serait opposée aux colonies amé- ricaines, ou du moins désirerait conserver la neutralité dans une querelle de frères, à la pacification de laquelle elle pouvait penser que l'on finirait peut-être par le sacrifier comme nous venons de le voir après les troupes de 1837.

On avait donné, du reste, les plus grandes espérances au géné- ral Carleton. Plusieurs seigneurs lui avaient promis de marcher contre les rebelles à la tête de leurs censitaires ; mais ils avaient promis plus qu'ils ne pouvaient tenir. Lorsqu'ils voulurent les assembler pour leur expliquer l'état des colonies anglaises et ce qu'on attendait d'eux, ils virent bien que le peuple n'avait pas encore oublié sitôt la conduite tenue à son égard depuis la con- quête, et qu'il n'était pas disposé, malgré ses motifs de méfiance, à prendre les armes contre ceux qui combattaient pour la liberté de leur pays, ni à défendre avec le même dévoûment le drapeau britan- nique que le drapeau des nôtres comme ils désignaient le drapeau français dans leur simple mais (' nergique langage. Quelques-uns seulement répondirent à l'appel et montraient de la bonne volonté ; le plus grand nombre déclara nettement qu'il ne se croyait pas tenu d'être de l'opinion des seigneurs, et qu'il ne porterait pas les armes contre les provinciaux. " Nous ne connaissons, dirent- ils, ni la cause, ni le résultat de leur difiérend : nous nous mon- trerons loyaux et fidèles sujets par une conduite paisible et par notre soumission au gouvernement sous lequel nous nous trouvons ;

HISTOIRE DU CANADA.

4.27

mais il est incompatible dans notre état et notre condition de prendre parti dans la lutte actuelle." Quelques jeunes seigneurs plus indiscrets qu'éclairés, voulurent les menacer dans quelques endroits ; on leur fit comprendre que cette conduite avait des dangers pour eux, et ils furent obligés de s'enfuir précipitam- ment.

Cependant les événemens prenaient tous les jours de la gra- vité ; et loin de songer à aller attaquer les Américains dans leur pays comme il avait intention de le faire avec les troupes et les Canadiens s'ils avaient montré de la bonne volonté, le gouver- neur se vit tout-à-coup menacé d'une invasion par l'une des armées rebelles. Le sang avait déjà coulé dans im conflit à Lexington et à Concord dans le mois d'avril 75, et les troupes avaient perdu près de 300 hommes. Les populations des pro- vinces couraient partout aux armes, et s'emparaient des forts, des vivres et des arr^enaux. Le colonel Ethon Allen, aidé du colo- nel Arnold, surprit ainsi le fort Carillon gardé par une cinquan- taine d'hommes, et y trouva plus de 118 pièces de canon ; c'était une acquisition précieuse. Le colonel Warner s'empara à son tour du fort St.-Frédéric de la même manière et acheva de rendre les insurgés maîtres du lac Champlain dès le début des hostilités sans avoir essuyé de pertes. Le fort St.-Jean tomba aussi entre leurs mains; mais il fut repris le surlendemain par M. Picoté de Belleslre à la tête de 80 volontaires canadiens. Le congrès s'était réuni à Philadelphie le 10 de juin et voyant que la mère- patrie, loin de revenir sur ses pas, était décidée à faire triompher sa politique par la force des armes, il prit sur-le-champ, encouragé par les premiers succès obtenus, les mesures les plus énergiques pour résister à ses prétentions. IjC ministère anglais pour avoir l'opinion du peuple de la métropole sur cette grande question, avait dissous le parlement. Les nouvelles chambres répondirent au discours d'ouverture qu'elles soutiendraient le roi dans ses elTorts pour maintenir la suprématie de la législature impériale. Des remarques outrageantes furent faites en même temps sur la bravoure des Américaii ■! dans les débats qui eurent lieu à l'oc- casion d'une demande de soldats pour porter l'armée du général Gage, à Boston, à 10 mille hom les, armée suffisante, dit un ministre, pour faire rentrer dans le devoir de lâches colons.

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4:28

HISTOIRE DU CANADA.

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Franklin, après avoir fait de vains cITorts pour ramener l'Angle- terre à (les sentimens plus pacifiques, rentra clans sa patrie, il prêta encore le secours de ses luuiières à ses concitoyens dans une lutte qu'il avait inutilement travaillé à prévenir. Peu de temps après les généraux Howe, Burgoyne et Clinton arrivèrent d'Europe avec des renforts.

Le congrès ordonna de mettre toutes les provinces en état de défense, de bloquer l'armée anglaise qui était à Boston et de for- mer une armée continentale, dont le commandement en chef fut donné au général Washington. Et afin de dissuader les Cana- diens de coopérer avec les Anglais, il leur transmit une nouvelle adresse pour leur démontrer la tendance pernicieuse de l'acte de Québec, et pour excuser la prise de Carillon et de St'-Frédéric devenue nécessaire pour le salut de la cause commune.

Pendant qu'il siégeait encore se livra, le 16 juin, la bataille de Bunkers Hill, le général Gage n'emporta les retranchemens des insurgés, moitié moins forts que lui en nombre, qu'au troi- sième assaut, et après avoir fait des pertes considérables. Cette affaire fut la plus sanglante et la mieux disputée de toute la guerre et remplit les Américains de confiance en eux-mêmes. Elle les vengea aussi des insultes du parlement impérial, et apprit aux troupes anglaises à respecter leur courage. Le colonel Arnold qui avait assisté à la prise de Carillon, proposa aussitôt au congrès d'envahir le Canada et promit avec 2,000 hommes, de s'emparer du pays. Le congrès, croyant qu'il allait être atta- qué de ce côté par le général Carleton, jugea que le meilleur moyen de prévenir une invasion était d'en faire une lui-même, et de marcher sur Québec dont le chemin était ouvert à ses armes par la suprématie qu'il avait acquise sur le lac Cham- plain. Cette audacieuse entreprise devait changer la guerre de défensive qu'elle était en guerre offensive. Il était du reste d'au- tant plus porté à embrasser ce parti qu'il était informé que les Canadiens, excepté la noblesse et le clergé, étaient aussi mécon- . tens du nouvel ordre de chose que les colons anglais eux-mêmes, et que les soldats du congrès seraient reçus plutôt en libérateurs qu'en ennemis. Le général Schuyler avait été nommé au com- mandement de la division du Nord. Le congrès lui ordonna de s'emparer de St.-Jean, Montréal et d'autres parties du Canada,

HISTOIRE DU CANADA.

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b1 la chose était possible et ne niéconlentait pas les habitans. L'on prévoyait qu'à cette nouvelle le général Carleton sortirait de Québec avec ses troupes pour défendre les frontières du lac CliampUiin, et que Québec, qui était la clef du pays, deviendrait dès lors une conquête facile à faire puisqu'il n'était pas probable qu'on pût envoyer de renforts d'Angleterre avant l'hiver et l'in- terruption du fleuve St.-Laurent par les glaces. Si ces prévi- sions so réalisaient, même en partie, l'on devait faire une tentative sur cette ville, en détachant un corps qui pénétrerait par les rivières Kénéhec et Chaudière pour surprendre cette ville. Si l'entre- prise ne réussissait pas, l'on comptait toujours forcer le général Carleton à revenir sur ses pas pour protéger sa capitale, ce qui laisserait sans défense les frontières méridionales canadiennes, et les exposerait aux courses des troupes américaines comman- dées par ies généraux Schuyler et Montgomery.* En effet ceux-ci débarquèrent sous le fort St.-Jean, dans le mois de septembre, à la tête d'environ 1000 hommes ; après avoir reconnu la force de la place qu'ils trouvèrent bien gardée, et reçu plusieurs petits échecs de la part d'une bande de Sauvages com- mandée par les frères de Lorimier, ils se retirèrent à l'île aux Noix. En entrant dans le pays ils avaient adressé aux Cana- diens une proclamation pour les informer qu'ils venaient de la part du congrès leur faire restituer comme sujets britanniques les droits dont ils avaient été injustement dépouillés, et dont ils devaient jouir quelle que fut leur religion, et que leur armée uniquement destinée à agir contre les troupes royales, respecte- rait leurs personnes, leurs biens, leur liberté, leurs autels. Cette proclamation fut répandue partout dans les campagnes.

Le gouverneur Carleton cependant, aux premières nouvelles de l'invasion, avait acheminé des troupes vers le lac Champlain. Il n'y avait dans le pays que les deux régimens dont l'on vient de parler, qui formaient environ 800 hommes. Les habitans du

* Ce dernier était le même Montgomery qui servait dans l'armée du géné- ral WoUe en 1750, et qui commandait le détachement anglais envoyé pour brûler St.-Joachim. Après la guerre, il s'était établi dans la Nouvelle- York, il avait épousé une Américaine. Dans les difficultés qui survin- rent entre les colonies et l'Angleterre, il embrassa le parti des premières, et comme ancien oJIicier, il l'ut élevé aux plus hauts grades de l'armée révolu- tionnaire.

'fiiA

430

HISTOIRE DU CANADA.

bas de la province, indifférens à tout ce qui se passait, restaient tranquilles; ceux du haut, plus rapproclus du théâtre des évé- nemens, chancellaient et paraissaient pencher du côté delà révo- lution ; mais pour les motifs que nous avons exposés plus haut, ils désiraient garder également la neutralité. Quant aux Anglais que l'on mettait dans la balance avec les Canadiens lorsqu'il s'agissait des laveurs de la métropole, ils ne comptaient point dans la lutte actuelle, à cause de la petitesse de leur nombre ; d'ailleurs, la plupart tenaient ouvertement ou secrètement i)our le congrès,* et l'on n'ignorait pas leurs conciliabules à Québec et à Montréal. Tel était l'état des esprits lorsque le gouverneur proclama, le 9 juin, la loi martiale et appela la milice sous les armes pour repousser l'invasion et maintenir la paix intérieure. Cette mesure inattendue et sans exemple encore en Canada, eut le plus mauvais effet. M. de la Corne ayant menacé quelques paroisses de coercition, elles se mirent en défense au passage de Lachenaye. En préjugeant les opinions, en proférant des menaces on alarma les indifférens, et l'on forçait ceux qui pouvaient s'être compromis, à se déclarer. On invoqua aussi le secours du sacer- doce. L'évêque de Québec, qui venait de recevoir une pension de £200 du gouvernement, adressa une circulaire aux catho- liques de son diocèse pour les exhorter à soutenir la cause de l'Angleterre, menaçant d'excommunication tous ceux qui se mon- treraient rébelles. Ni la proclamation, ni la circulaire ne purent laire sortir les habitans de leur indifférence. La vérité est que le gouvernement qui avait leur sympathie, n'était plus en Amé- rique : la seule vue d'un drapeau fleurdelisé eut profondément agité tous ces cœurs en apparence si apathiques.

La population restant sourde à ses appels, le gouverneur pro- posa de lever des corps de volontaires pour servir jusqu'à la fin de la guerre. 11 ofi'rit les conditions les plus avantageuses ; on promettait à chaque soldat 200 arpens de terre ; cinquante de plus, s'il était marié, et cinquante pour chacun de ses enfans ; son engagement durerait jusqu'à la fin des hostilités, et les terres ainsi données seraient exemptes de toutes charges pendant vingt

•Manuscrit de Sanguinet, avocat de Montréal. Tournais of Ihe Provin- cial Congress, provincial convention, committee of safety, &c., of the state of New-York, vol. II,

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ans. Ces offres firent peu de prosélytes, et Carleton se vit forcé de chercher ailleurs des secours. Il envoya des émissaires chez les Sauvages ; il s'adressa particuliùreinent aux cantons Iroquois. Quinze années de paix avaient fortifié cette confédération qui reprenait sou ascendant sur les autres tribus indigènes ; son exemple pouvait les entraîner et procurer à la Grande-Bretagne d'autres auxiliaires. Mais il fallait de l'adresse et de puissans moyens de séduction pour déterminer les Iroquois à prendre part à une guerre ils n'avaient aucun intérêt direct, aucun motif de préférence pour l'un ou l'autre parti. Les vieillards regar- daient ces débats et les combats sanglans qui devaient s'en suivre comme une expiation des maux que les Européens leur avaient faits. " Voilà, disaient-ils, la guerre allumée entre les hommes de la même nation : ils se disputent les champs qu'ils nous ont ravis. Pourquoi embrasserions-nous leurs querelles, et quel ami, quel ennemi aurions-nous à choisir? Quand les hommes rouges se font la guerre, les hommes blancs viennent-ils se joindre à l'un des partis ? Non ; ils laissent nos tribus s'affaiblir et se détruire l'une par l'autre : ils attendent que la terre, baignée de notre sang, ait perdu ses habitans pour la saisir. Laissons-les, à leur tour, épuiser leurs forces et s'anéantir ; nous recouvrerons quand ils ne seront plus, les forêts, les montagnes et les lacs qui appar- tinrent à nos ancêtres."

C'était ainsi que M. Cazeau, partisan actif du congrès, leur parlait, ou leur faisait dire par ses émissaires : " C'est une guerre de frères ; après la réconciliation, vous resteriez ennemis des uns et des autres." Mais le '.hevali<^'- Johnson, un nommé Campbell et M. de Saint-Luc les travaillaient dans un sens con- traire, et ils se firent surtout écouter des jeunes gens. Campbell leur prodigua les présens ; l'or fit son effet, et Johnson détermina la plupart des chefs de guerre à descendre à Montréal prendre la hache. Ils s'obligèrent à entrer en campagne aux premières feuilles de l'année suivante lorsque les Anglais auraient terminé les préparatifs de guerre qu'ils avaient commencés ; et c'est pen- dant que le gouverneur était à Montréal, en juillet, que le colonel Guy Johnson y arriva avec un corps d'iroquois pour lui repré- senter la nécessité de mettre les Sauvages en mouvement, parce que ces peuples n'étaient pas accoutumés à rester longtemps

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inactifa en temps d'hostilités. Il répondit que ses forces régu- lières étaient très faibles, que le pays dépendait de la milice cana- dienne pour sa défense, qu'il espérait être capable d'en réunir bientôt un corps assez considérable, et qu'il fallait en attendant amuser les Sauvages, ne jugeant pas qu'il fut prudent de sortir encore de la province.*

Dans le mois de septembre il eut intention d'aller au secours de St.-Jean s'il pouvait réunir assez d'habitans des dis*""cts <^es Trois-Rivières et de Montréal ; mais on a déjà pu voir qu'il ne devait pas espérer de les trouver disposés pour cela. Les paroisses de la rivière Chambly allant plus loin qu'elles n'avaient d'abord pensé, étaient déjà emportées par le torrent, et s'étaient déclarées pour les Américains ; elles avaient même envoyé des émissaires dans toutes les autres paroisstts pour les engager à en faire autant, et les presser de ne point s'opposer à ceux qui venaient pour renverser l'oppression britannique. Presque tout le district des Trois-Rivières refusa de marcher à l'ordre du gou- verneur. Les royalistes, au nombre de quelques centaines, répondirent à son appel en se rendant à Montréal ; mais s'étant aperçus ensuite que le gouverneur paraissait douter de leur fidé- lité, la plupart s'en retournèrent dans leurs foyers. Les habitans de Chambly se réunirent aux insurgés américains commandés par les majors Brown et Levingston, détachés par le général Montgomery pour prendre le fort qu'il y avait au milieu d'eux ; on se présenta devant la place, qui fut lâchement livrée après un jour et demi de siège, par le major Stopford, quoique les murailles n'eussent pas été endommagées, que la garnison, nombreuse com- parativement, n'eût pas perdu un seul homme, et que ce poste fût abondamment pourvu de tout.f II livra ses armes et ses drapeaux aux vainqueurs, qui trouvèrent dans le fort 17 bouches à feu et une grande quantité de poudre, dont le général Montgomery man- quait presque totalement. Cette conquête inattendue mit ce géné- ral en état de continuer plus vigoureusement le siège de St.-Jean, que, sans cela, il aurait été peut-être obligé de lever. Après la

Extracts from the Records of Indian Transactions under thesuperinten- dency of Colonel Guy Carleton, during the year 1775.

t Journal tenu pendant le siège du fort St. -Jean par un de ses défenseurs, M. Antoine Foucher. v >

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prise de Chambly, les habitans de ce lieu allèrent renforcer son armée. Ainsi cette guerre, par la division des Canadiens, pre- nait le caractère d'une guerre civile. La majorité des Anglais tenait dans l'automne, ouvertement ou secrètement, pour la cause américaine. Une partie nombreuse des habitans des campagne^; l'avait embrassée ou faisait des vœux pour son succès ; les autres, en plus petit nombre, voulaient rester neutres. Seuls le clergé et les seigneurs avec une portion de la bourgeoisie des villes demeurèrent franchement attachés à l'Angleterre, et l'influence cléricale réussit à maintenir la majorité des Canadiens dans la neutralité. Aussi peut-on dire que c'est le clergé qui fut, à cette époque, le véritable sauveur des intérêts métropolitains dans la colonie.

Le gouverneur voulait secourir à tout prix St.-Jean, misérable bicoque une partie de la garnison n'avait que des barraques en planches pour se mettre à l'abri, mais qui était cependant Ja clef de la froniière de ce côté ; il ordonna au colonel McLean, qui commandait à Québec, de lever des milices et de monter à Sorel, il irait le joindre. Cet officier arriva au lieu fixé avec environ 300 hommes, la plupart Canadiens, qui commencèrent aussi- tôt à déserter. Le gouverneur avait réuni de son côté 800 hommes près de lui, sous les ordres de M. de Beaujeu ; mais au lieu de descendre à Sorel, il voulut traverser à Longueuil sur la rive droite du St.-Laurent, en présence d'un petit corps améri- cain avantageusement placé ; puis craignant ensuite la défection de ses gens, il se retira après avoir reçu quelques coups de fusils et de canon en passant près du rivage, laissant aux mains de l'en- nemi les Canadiens et les Sauvages qui avaient sauté téméraire- ment à terre sans être sûrs d'être soutenus. Le colonel McLean qui avait reçu ordre en même temps de marcher vers St.-Jean s'avança jusqu'à St,-Denis ; trouvant les ponts rompus et les paroisses soulevées, il jugea à propos de rétrograder jusqu'au point d'où il était parti, et ses gens, gagnés par les émissaires de Chambly, l'abandonnèrent presque tous ; ce qui l'obligea de se retirer au plus vite à Québec, après avoir fait enlever les armes et les poudres qu'il y avait à Sorel et aux Trois-Rivières. Le fort St.-Jean n'ayant plus d'espoir d'être secouru, s'était rendu le 3, après 45 jours de siège. La garnison au nombre de 500

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hommes, sortie avec les honneurs de la guerre, 6tait demeurée prisonnière, le vainqueur permettant aux oiriciers des troupes et aux volontaires canadiens de garder leurs armes comme un témoignage honorable de leur courage.

Les succès inespérés qui couronnaient ainsi la cause des Américains dès son début, leur coûtèrent à peine quelques soldats, en comptant môme ceux qu'ils perdirent à la Longue-Pointe près de Montréal, lorsque le colonel Allen et le major Brovvn voulurent surprendre cette ville à la tète de 300 hommes, en l'attaquant des deux côtés à la fois et en profitant des intelligences qu'ils avaient dans ses murs. Cette entreprise hardie manqua faute de pouvoir coordonner les mouvemens. Allen seul put traverser dans l'île à la tète de 110 hommes. Rencontré par le major Carden, sorti de Montréal avec 300 volontaires canadiens et une soixantaine de soldats et de miliciens anglais,* il fut cerné, battu et fait prisonnier avec une partie de ses gens, et lui-môme envoyé en Angleterre chargé de chaînes. Pendant le combat les géné- raux Carluton et Prescott se tenaient dans la cour des casernes de la ville avec le reste des troupes, le sac sur le dos, prêts à s'embarquer pour Québec si les royalistes étaient battus. Cette victoire ne retarda néanmoins la retraite du gouverneur que de quelques jours ; car le général Motitgoraery n'avait pas été plutôt maître de St.-Jean qu'il avait poussé ses troupes en avant vers Montréal, Sorel et les Trois-Rivières, et ces troupes avaient marché avec tant de rapidité qu'elles avaient failli le surprendre sur plusieurs points de sa route. La défection des habitani^-^ et la retraite du colonel McLean l'avaient laissé presque sans défen- seurs au milieu de cette ville. Se voyant abandonné, il s'était jeté sur quelques petits bâtimens dans le port avec une centaine d'officiers et soldats et quelques habitans pour descendre à Québec lorsque des vents contraires l'arrêtèrent à La Valtrie, à quelques lieues de Montréal, et le danger augmentant, l'obligèrent à se déguiser en villageois et à monter sur la berge à rames d'un

Metnoir of colonel Ethan Allen. Une trentaine de marchands anglais Beulement voulurent marcher, les autres refusèrent : Mémoires de Sanguinet.

" C'est là, dit ce royaliste, l'on reconnut le plus ouvertement les

traîtres."— (iMcnuscriO- , -;

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cabottcur, le capitaine liouchette, pour continuer rapidement sa route au milieu de la nuit. Il ne s'arrêta que quelques heures en passant aux Trois-Riviùres,où il parut en fugitif comme le colonel McLean quelques jours auparavant, et seulement accompagné du chevalier de Niverville et de M. de Lanaudière, et en repartit au moment les Amé''icains allaient y entrer.*

Pendant que le gouverneur était en fuite, Montréal avait ouvert ses portes au général Montgomery, à qui les faubourgs protestè- rent de leur sympathie pour la cause de la révolution.

La ville des Trois-Rivières, dépourvue de soldats, suivit l'ex- emple de Montréal. Les citoyens envoyèrent des députés demander au général américain de les traiter comme il avait traité ceux de Montréal. Montgomery répondit par écrit qu'il était mortifié qu'ils eussent des craintes pour leurs propriétés ; qu'il était persuadé que les troupes continentales ne se rendraient jamais coupables même d'une imputation d'oppression ; qu'il était venu pour conserver non pour détruire, et que si la Provi- dence continuait à favoriser ses armes, il espérait que cette pro- vince heureuse jouirait bientôt d'un gouvernement libre. Une partie de la population anglaise se joignit alors aux insurgés, et les Canadiens, ralliés à la révolution, désarmèrent les royalistes de cette petite ville. Les Américains qui descendaient à Qué- bec dans la flotille qui avait descendu le gouverneur à la Valtric, et qu'ils avaient enlevée sans coup-férir, rencontrèrent le corps du général Arnold à la Pointe-aux-Trembles. Le colonel Arnold qui trahit ensuite la cause de sa patrie, avait été marchand de chevaux. Il tenait de la nature un corps robuste, un esprit ardent, un cœur inaccessible à la crainte. Dans les circons- tances fâcheuses il s'était souvent trouvé, il avait acquis une assez jçrandc connaissance des hommes, qualité qui compensait chez lui le défaut d'éducation. Une grande réputation ''e cou- rage et de talens militaires le fit choisir par Washingion pour commander le coi'ps qui devait se détacher de son armée devant Boston, et pénétrer par la rivière Kénébec et la rivière Chau- dière jusqu'à Québec, suivant le plan dont on a parlé plus haut. Ses instructions comme celles du général Montgomery, étaient

* Journal tenu aux Trois-Rivières en 1775-6 par M. Badeaux, notaire et royaliste. {Manuscrit.)

533

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mSTOlUE DU CANADA.

politiques, pércmptoirea et pleines d'humanité. On lui défen- dait do troubler eous aucun prétexte la tranquillité des Canadiens ni de blesser leurs préjugés. On lui ordonnait de respecter leurs observances religieuses, de payer libéralement toutes les choses dont il pourrait avoir besoin, et de punir avec rigueur les soldats qui commettraient des désordres. Il devait poursuivre et harce- ler les troupes anglaises et prendre garde de faire quelque chose qui pût rendre le peuple hostile à la cause américaine. Il mit six semaines à traverser la chaîne des Alléghanys et à se rendre de Cambridge à Québec. Il traversa le fleuve audessus de cette ville, au Foulon,eti)arut le 13 novembre, dans les plaines d'Abraham avec 650 hommes seulement sur plus de 1000, infanterie, artillerie et carabiniers, avec lesquels il s'était mis en route. Obligé de traverser un pays complètement sauvage et de suivre des rivières remplies de rapides et de dangers, il n'avait pu surmonter tous ces obstacles qu'en sacrifiant la plus grande partie de ses munitions et de son bagage, et en se réduisant à vivre de fruits sauvages et de feuilles d'arbres. Arrivé à la source de la rivière Kéuébec, il renvoya les malades et tous ceux qui ne se sentaient pas la force ou le courage de le suivre plus loin. Tiop faible pour attaquer Québec seul, il remonta la rive gauche du St.-Laurent jusqu'à la Pointe-aux-Trembles pour opé- rer sa jonction avec le général Montgomery qui descendait suivi do quelques cf^ntaines d'hommes seulement. Les deux corps réunis ne formant encore, qu'environ 1000 à 1200 soldats, se rap- prochèrent aussitôt de la capitale canadienne, qu'ils investirent dana les premiers jours de décembre.

Le gouverneur y était rentré le 13 du mois précédent, après avoir manqué une troisième fois d'être pris à la Pointe-aux- Trembles, il avait voulu mettre pied à terre, et n'avait eu que le temps de se sauver pour échapper aux troupes du colonel Arnold qui pé>nétraient dans ce village. Il trouva la population de la ville partagée en deux camps, et fort indécise sur le parti qu'elle devait embrasser. Il y avait eu déjà plusieurs assem- blées. Le 12 novembre il s'en était tenu une dans la chapelle du palais épisoopal, pour discuter la question de savoir si l'on devait défendre la ville. Le colonel McLean qui arrivait, apprit en débarquant qu'elle délilx^rait ; il entra dans la chapelle et

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IIIHTOIHE DU CANADA.

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trouva un nommo Williams, le premier signataire de la pétition des marchands anglais de Tli au roi, qui tâchait, du haut de la chaire il était monté, de persuader aux habitans de livrer la ville aux armes du congrès ; le colonel McLcan le fit descendre, dissuada l'assemblée de suivre un aussi lâche conseil et la con- gédia. Le bruit courait alors qu>? les citoyens anglais avaient préparé une capitulation pour l'offri.* au colonel Arnold. Aussitôt que le gouverneur fut rentré dans Québec il fit tout ce qu'il put pour mettre cette ville en état de défense, et pour encourager les citoyens à faire leur devoir en restant fidèles au gouvernement. Il assembla la milice bourgeoise et en parcourut les rangs en com- mençant par les Canadiens qui occupaient la droite, et auxquels il demanda s'ils étaient résolus de se défendre en bons et loyaux sujets ; tous répondirent affirmativement par des acclamations ; les miliciens anglais en firent ensuite autant. Mais comme il restait encore quantité de gens mal affectionnés qui désiraient le succès de la révolution, le gouverneur ordonna, le 22 novembre, à tous ceux qui ne voulaient pas prendre les armes de sortir de la ville, voulant se mettre à l'abri de la trahison et se débarrasser des bouches inutiles. Quantité de marchands anglais, Adam Lymburner à leur tête, se retirèrent alors à l'île d'Orléans, à Charlebourg et dans d'autres campagnes en attendant, pour crier vive le roi ou vive la ligue, le résultat de la lutte.

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APPENDICE.

Page 104.— Etat Asar ,t du contenu au Rolle dea familles de la colonie de la Nouvelle*Fraace.

1666.

Québec 655

Beaupré 678

Beauport 173 /

Isle d'Orléans : 471 .

St.-Jean,St.-Fran(oiset.St.-MicheL...... 156

Sillery 217

NostieDame-des-Anges, et Rivière de St.-Charles 118

Coste de Lauzon 6

Montréal 584

Trois-Rivières 461

, ,• Total 3,418 >

Etat du nombre des hommes capables de porter les Jii. »o c

armes, depuis 16 ans jusques à 60.„t.. 1,344

Il y a sans doute quelques omissions dans le rolle des familles, qui seront

réformées durant l'hiver de la présente année 1666. ..... H„id

(Signé)

■r -f-^ TALON.

RKCINBEMElfT FAIT EN LA NOUVELLE FRANCE EN

1734.

Eglises 102

Curés et Missionnaires 83 '

Presbytères 76

Prêtres et Chanoines... 32

Jésuites 18

Récollets 27

Religieuses de l'Hôtel-Dieu 97

Ursulines 80

Religieuses de l'Hôpital-Général, et Frères )

Charrons )

Soeurs de la Congrégation 96

1^

i i*l

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HO

APPENDICE.

Moulins à blé 118

" à scie , 52

Familles 6,422

Hommes au-dessus de 50 ans 1,718'

" au-dessous de 50 " 4,588

« abseus 430

Femmes et veuves 6,593

Garçons au-dessus de 15 ans..... 3,805

" au-dessous de 15 " 8,342

Filles au-dessus de 15 " 3,654

" au-dessous de 15 " 8,122_

Terres en valeur, arpens ^ 163,111

Prairies 17,657

Blé français, minots 737,892

" d'Inde 5,223

Pois

.37,252

63,549

Avoine 163,988

Orge 3,462

Tabac, livres 166,054

Lin " 92,246 '

Chanvre " 2,221

Chevaux , 5,056

Bestesà cornes, 33,179

Moutons 19,815

Cochons 23,646

Armes à feu ,, 6,619

Epées 784

N. B. Ce recensement a été fait avec toute l'exactitude possible ,' et on le croit le plus exact qui ait été envoyé jusques ici.

(B)

P. 150. Etat du montant des importations et des exportations annuelle» du Canada entre les années 1749 et 1755 inclusivement.

ANNEES. LITRES.

1749 Importations 5,682,090

Exportation*. 1,414,900

Différence 4,267,190

1750 Importations 5,154,861

Exportations 1^337,000

Différence 3,817,861

mm

441

APPENDICE.

1851 Importations 4 439 4^^

Exportations I,515i932

Différence 2 923 558

1752 Importations 6,047,820 ' '

Exportations 1,554,400

,Y^, , , ,. Différence 4,493,420

1753 Importations 5,195,733

Exportations 1,706,130

,-.,, , ,. Différence 3,489,603

1754 Importations 5 147 621

Exportations..... Zï.ZZ'. l',576',616

, . ,, . Différence ^571 ,005

Arrivages Vaisseaux venant de France 32

" des Iles 10

" de Louisbourg et de )

l'Acadie! } 11

53

1755 Importations 5,203,272

Exportations 1,515,730

3,687,542

1 i

1

CHAPITRE IL

TRAITÉ d'utrecht. 1701-1713.

Une colonie canadienne s'établit au Détroit malgré les Anglais et une partie des Indigènes. Paix de quatre ans.— Guerre de la succession d'Espagne.

SOMMAIRES.

LIVRE SIXIEME.

CHAPITRE I.

ÉTABLISSEMENT DE LA LOUISIANE. 1683-1712.

De la Louisiane. Louis XIV met plusieurs vaisseaux à la disposition de la Salle pour aller y fonder un établissement. Départ de ce voyageur ; ses difficultés avec le commandant de la flotille, M. de Beaujeu. L'on passe devant les bouches du Mississipi sans les apercevoir et l'on parvient jus- qu'à la baie de Matagorda (ou St.-Bernard) dans le pays que l'on nomme aujourd'hui le Texas. La Salle y débarque sa colonie et y bâtit le fort St. Louis. Conséquences désastreuses de ses divisions avec M. de Beau- jeu, qui s'en retourne en Europe. ^La Salle entreprend plusieurs expédi- tions inutiles pour trouver le Mississipi. Grand nombre de ses compa- gnons y périssent Il part avec une partie de ceux qui lui restent pour les Illinois, afin de faire demander des secours en France. Il est assassiné. Sanglans démêlés entre ses meurtriers ; horreur profonde que ces scènes causent aux Sauvages. Joutel et six de ses compagnons parviennent aux Illinois. Les colons laissés au Texas sont surpris par les Indigènes et tués ou emmenés en captivité. Guerre de 1689 et paix de Riswick, D'Iberville reprend l'entreprise de la Salle en 1698, et porte une première colonie canadienne à la Louisiane l'année suivante; établissement de Biloxi (1698.) Apparition des Anglais dans le Mississipi. Les Hugue- nots demandent a s'y établir et sont refusés. Services rendus par eux à l'Union américaine. M. de Sauvole lieutenant-gouverneur. Sages re- commandations du fondateur de la Louisiane touchant le commerce de cette contrée. Mines d'or et d'argent ; illusions dont on se berce à ce sujet. Transplantation des colons de Biloxi dans la baie de la Mobile (1701.) M. de Bienville remplace M. de Sauvole. La Mobile fait des progrès. Mort de d'Iberville ; caractère et exploits de ce guerrier. M. Diron d'Artaguette commissaire-ordonnateur (1708.) La colonie languit. —La Louisiane est cédée à M. Crozat en 1712, pour 16 ans p. 3.

Il I

I

444.

SOMMAIRES.

La Franco inalheurense en Europe l'est moins en Amérique. Importance du traité de Montréal ; ses suites heureuses pour le Canada. Neutralité de l'ouest; les hostilités se renferment dans les provinces maritimes. Faiblesse [de l'Acadie. Affaires des sauvages occidentaux ; M. de Vau- dreuil réussit à maintenir la paix parmi les tribus de ces contrées. Ravage commis dans la Nouvelle- Angleterre par les Français et les Abé- naquis.— Destruction de Deerlield et d'Haverhill (1708). Remontrances de M. Schuyler à M. de Vaudreuil au sujet des cruautés commises par nos bandes ; réponse de ce dernier.— Le colonel CLurch ravage l'Acadie (1704). Le colonel March assiège deux fois Port-Royal et est repoussé (1707). Terreneuve : premières hostilités ; M. de Subercase échoue devant le fort de St.-Jean (1705). M. de St.-Ovide surprend avec 170 hommes en 1609 la ville de St.-Jean défendue par près de 1000 hom- mes et 48 bouches à feu et s'en empare. Continuation des hostilités à Terreneuve. Instances des colonies anglaises auprès de leur métropole pour l'engager à s'emparer du Canada. Celle-ci promet une ilotte en 1709 et 1710, et la flotte ne vient pas. Le colonel Nicholson prend Port- Royal ; diverses interprétations données à l'acte de capitulation ; la guerre continue en Acadie ; elle cesse. Attachement des Acadiens pour

la France Troisième projet contre Québec; plus de 16 mille hommes

vont attaquer le Canada par le St. Laurent et par le lac Champlain ; les Iroquois reprennent les armes. Désastre de la flotte de l'aminal Walker aux Sept-Iles ; les ennemis se retirent, Consternation dans les colonies anglaises. Massacre des Outagamis qui avaient conspiré contre les Fran- çais.— Rétablissement de Michilimackinac. Suspension des hostilités dans les deux mondes. Traité d'Utrecht ; la France cède l'Acadie, Ter- reneuve et la baie d'Hudson à la Grande-Bretagne. Grandeur et humi- liation de Louis XIV ; décadence de la monarchie. Le système colonial français p. 19.

CHAPITRE m.

COLONISATION DU CAP-BRETON. 1713-1744.

Motifs qui engagent le gouvernement à établir le Cap- Breton. Description de cette île, à laquelle on donne le nom d'Ile-Royjde. La nouvelle colonie excite la jalousie des Anglais. Projet de l'intendant, M. Raudot, et de son flis pour en faire l'entrepôt général de la Nouvelle-France, en 1706. Fondation de Louisbourg par M. de Costa Bella. Comment la France se propose de peupler l'île. La principale industrie des habilans est la pêche. Commerce qu'ils font. M. de St.-Ovide remplace M. de Costa Bella. Les habitans de l'Acadie, maltraités par leurs gouverneurs et tra- vaillés par les intrigues des Français, menacent d'émigrer à l'Ilo-Royalo. Le comte de St. -Pierre forme une compagnie li Paris en 1719, pour éta-

SOMMAIPES

445

lilir I lie Si.-Jtiin, Vi)i.-5iiic lin Cup-Iiictnii ; li; roi concnile eu outre à celle ••ompagiiio les îles ATiscou et de la Magdcleiiu^. L'entreprise échoue pur les divisions (les associés p. 61,

MVUK SKP'PIKMK.

(-"HArriKK I.

SYSTÈME 1)K l.AW. CONSPIRATION DES NATCHfiS. ^17l'2-1731.

J-a Louisiane, Ses liabitun.s et ses limites. M. Crnzat en prend possi'ssiou en vertu de la (cession du roi. M. de la Mottf; Cadillac, {gouverneur ; M. Duclos, coniujissaire-nrdonnateur. Conseil supérieiu' établi ; introduction de la coutunfc de Paris. AL ('rozal veut ouvrir d(!s relations commer- ciales avec le M(!.\ii(ue; voyai^es de M. JnchereaudeSt.-Denisàcesujet ; il érlioMc. Ou l'ail la traite des pelleteries avot les Indigènes, dont une jiortifrti enibrassi; lo iiartides Any;lais de la Virj!:inie. Les Natchés cons- pirent contre les Français et sont punis. Uésenchantement de M. Crozat louchant la Louisiane ; cette province décline rapidement sous son mono- pole ; il la rend (I7I7) au roi, <|ui la concède à la compagnie d'Occi<lent létablie i)ar Law. Système de ce l'ameux linancier, M. de l'Esiiinay succède à M. de la Motte Cadillac, et j\L Hubert à M. Uuclos. M. de Hieuville lenipiacr bientôt après RI. de riCsjtinay. La Nouvelle-Orléans est l'ondée par Al. de Bienviile (1717.) Nouvelle organisation de la colo- nie ; moyen ([ue l'on prend pour la peupler, Terrible lamine parmi les ■olons accnuiulés à iiiloxi. Divers-établissenu'us des Français. Guerre avec i'Rsiiagne. Hostilités en Aniéri(|ue: l'ensacola, île Dauphine. l'aix.— Louis XV récompense les olticiers de la Louisiane. Traité avec les Cbicachas i;t les Natchés. Ouragan du 12 septembre (1722.) Mis- .sionnaires. Chute du système de Law. La Louisiane passe à la com- pagnie des Indes. Mauvaise direction de cette compagnie. M. Perrier, gouverneur. Les Indiens forment le projet de détruire les Français; nias.sacri' aux Natchés; le coiniiiol n'est exécuté (pie partiellement. <i'uene à nujrt laile aux Natchés ; ils sont anéantis, 1731 p. 73.

CHAPITRE il.

LIMITES— 1713-1744.

Klat du Caïuida : couunerce, linaïu'cs, justice, éducation, divisions parois siales, population, défenses. Plan de M. de Vaudreuil pour l'accroiss(;

,, •#

'.*»V— ***

446

SOMMAIRES.

itiL'nt du pays. Délimitation des Irontiùrrs entre les colonies i'rançriiscs et les colonies anglaises. Perversion du droit publie dans le Nouveau- Monde au sujet du territoire. Rivalité de la Franco et de la Girandc- Jîretagne. Différends relatifs aux limites de leurs possessions. Frontière de l'Est ou de l'Acadie. Territoire des Al)éna(iuis. Les Américains veideiit s'en emparer. Assassinat du 1'. Ilaslo. Le P. Aubry propose luie lii^ne tirée de Bcaubassin à la source de l'ITudson. Frontière de l'Ouest. Principes diflerens invoqués par les deux nations ; elles établis- sent des forts sur les territoires réclamés par chacune d'elles réciproque- ment.— Luttes d'empiétemens ; prétentions des colonies anglaises ; elles veulent accaparer la traite des Indiens. Plan de M . Burnet. Le commerce est défendu avec le Canada. Etablissemens de Niagara par les Français et d'Eswégo par les Anglais. Plaintes mutuelles qu'ils s'adressent. Fort St.-Frédéric élevé par M. de la Corne sur le lac Champlain ; la contestation dure jusqu'à la guerre de 1744. Progrès du Canada. Emi- gration ; perte du vaisseau le Chameau. Mort de M. de Vaudreuil (1725); qualités de ce gouverneur. M. de Beauharnois lui succède. M. Dupuy, intendant. Son caractère. M. de St. Vallier second évoque de Québec meurt ; dffficultés qui s'élèvent relativement à son siège,

portées devant le Conseil supérieur Le clergé récuse le pouvoir civil.

Le gouverneur se rallie au parti clérical. Il veut interdire le conseil, qui repousse ses prétentions. Il donne des lettres de cachet pour exiler deux membres. L'intendant fait défense d'obéir à ces lettres. Décision du roi. Le cardinal de Fleury premier ministre. M. Dupuy est rappelé. Conduite humiliante du Conseil. Mutations diverses du siège épiscopal jusqu'à l'élévation de M. de Pontbriant. Soulèvement des Outagamis (1728) ; expédition des Canadiens ; les Sauvages se soumettent. Voyages de découverte vers la mer Pacifique ; celui de M. de la Vérandrye en 1738 ; celui de MM. Legardeur de St. -Pierre et Marin quelques années après ; peu de succès de ces entreprises. Apparences de guerre ; M. dt- Beauharnois se prépare aux hostilités p. 101.

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LIVRE HUITIEME.

CHAPITRE I.

COMMERCE 1608-17M.

De l'Amérique et de ses destinées. But des colonies cpii y ont été éta- blies.— Le génie commerçant est le grand trait caractéristiciuedes popula- tions du Nouveau-Monde. Commerce canaiiien : effe'. destructeur des guerres sur lui. Il s'accroît cependant avec l'augmentation de la popula- tion.—Son origine : pêche de la morue. Traite des pelleteries de tout

SUiMMAlRU:;.

•147

temps principale Itranche du commerce de la Nouvelle- Franco. Elle est abandonnée au monopole des particuliers onde compagnies jus(iii'en 1731 , qu'elle lonibe entre les mains du roi pour passer en celles des fermiers. Nature, profits, grandeur, conséquences de ce négoce; son utilité politi- t[uo. Rivalité des colonies anglaises; moyens que prend M. Burnet, gouverneur de la Nouvelle-York, pour enlever la traite aux Français. Lois de 1720 et de 1727. Autres branches de commerce : pêcheries, com- bien elles sont négligées, Bois d'exportation. Construction des vais- seaux.— Agriculture ; céréales et autres produits agricoles. Jin-seng. Exploitation des mines. Chiffre des exportations et des importations. Québec, entrepôt général. Manufactures : introduction des métiers pour la fabrication des toiles et des draps destinés à la consommation intérieure.— Salines. Etal)lissement des postes et messageries (1745). Transport maritime. Taxation : droits de douane imposés fort tard et très modé- rés.— Systèmes monétaires introduits dans le pays ; changemens fréquens qu'ils subissent et perturbations qu'ils causent. Numéraire, papier-mon- naie : cartes, ordonnances ; leur dépréciation. Faillite du trésor, papier est liquidé avec perte de 3[8 pour les colons en 1720. Observations générales, Le Canadien plus militaire que marchand. Le trafic est. permis aux fonctionnaires publics ; alTreux abus qui en résultent. Lois di! commerce. Etablissement du siège de l'Amirauté en 1717 ; et d'une bourse à Québec et à Montréal. Syndic des marchands. Le gouverne- ment défavorable à l'introduction de l'es>clavage au Canada.... p. 133.

CHAPITRE IL

I

LOUIS30UUG. m^-mS. ''

Coalition en Europe contre Marie-Thérèse pour lui ôter l'empire (1740.) Le Maréchal de Belle-Isie y fait entrer la France. L'Angleterre se déchire pour l'impératrice en 1744. Hostilités en Amérique. Ombrage (pie Louisbourg cause aux colonies américaines. Théâtre de lu guerre dans ce continent. Les deux métropoles, trop engagées en Europe, laissent les colons à leurs propres forces. Population du Cap-Breton ; torlifications et garnison de Louisbourg. Expédition du commandant Duvivier à Canseau et vers Port-Royal. Déprédations des corsaires. Insurrection de la garnison de Louisbourg. La Nouvelle- Angleterre, sur la proi)osition de M. Shirley en profite pour attaquer cette forteresse.—- Le Colonel Pep[)errell s'embarque avec 4,000 hommes, et va y mettre le siège pur terre tandis que le commodore Warren en bloque le port. Le commandant français rend la place. Joie générale dans les colonies anglaises; sensation que fait cette conquête. La populalionde Louisbourg esf transportée en Fiance. Projet d'invasion du Canada qui se prépare à

\ I

ys

SOMJMAtKKS.

tenir tète à l'orage. Escadre du iliic d'Anville pour reprendre Loiiisbourg et attaquer lus colonies anglaises, (lilfi) ; elle est disjjcrsoe par une tempête. Une partie atteint Cliibrtiiclou (Halifax) avec une épidémie à hord.— Mortalité effrayante paimi les soldats et les matelot».— Mort du duc d'Anville. M. d'Estournclle qui lui succède se perce de son épée. M. de la Jonquière persiste à attacpu.'r Port-Royal ; tnie nouvelle tcmjjcle disperse les débris de la Hotte. Frayeur et armement des colonies amé- ricaines.— M. de Ramsay assiège Port-Royal. Les Canadiens dél'onl lo colonel Noble au Grand-Pré, Mines. Ils retournent dans leur [wys. Les frontières anglaises sont attaquées, les forts Massachusetts et Bridgman surpris et Saratoga brûlé ; fuite de la population. Nouveaux armemens de la France ; elle perd les combats navals du Cap-Finistère et de Ik'll»- Isle. Marine anglaise et française. Faute du cardinal Fleury d'avoir laissé dépérir la marine en Fnuice. Le comte de la («alissonniére gou- verneur du Canada. Cessation ili's hnslilités ; traité d'Aix-la-ClmpelIn (17 If*). Suppression de Pinsurrect ion des \liâmis, Paix générale, p. IH.l,

CHAPITRK m.

COMMISSION DES FRONTIÈRES. I7i8-I7f);').

iiii paix d'Aix-la-Chapelle n'est q'une trêve. L'Angleterre profile de lu. ruine de la marine française pour étendre les frontières île ces possessions en Amérique. M. de la (Jalisi-i)nnière,gouverneur(lu Canada. Ses i)lan« pour empêcher les Anglais de s'élendi(\ adoptés par la mur. PrélentiouM <le ces derniers. Droit de «lécouverle et de possession des Français. Politique de M. de laGalissonnicre, la meilleure quant aux limites. émi- gration des Acadiens : part qu'y prend ce gouverneur. Il ordoinie de l)âtir ou relever plusieurs forts dans l'Ouest ; garnison au Détroit ; fon- dation d'Ogdensburgh (1719).— Le marquis de la Jonquière remplace M. de la Galissonnière. Projet que ce dornier propose à la cour pour peupler le Canada. Appréciations de la politique de son prédécesseur par M. di- la Jonquière ; le ministre lui enjoint de la suivre. Le chevalier de la Corne et le major Lawrence s'avancent vers l'isthme de l'Acadie et s'y fortifient ; forts Beauséjour et Gaspareaux, Lawrence et des Mines. (iord Albemarle, ambassadeur britamiiciue à Paris, se plaint des enipiéte- mens des Français (17.'')0) ; réponse de M. de Puyzieulx. La France se plaint à son tour des hostilités des Anglais sur mer. Ktablisseirient des Acadiens dans l'ile St.-Jean ; lem- triste situation. Fondation d'Halifa.s (1749). Une commission est nommée pour régler la question des limites : MM. de la Gallisonnière et de Silhouette pour la France ; ]MM. Shirley et Mildmay pour la Grande-Bretagne, Convention préliminaire : tout doit rester dans le Stalu quo jusqu'au jugement définitif. Conférences à

(•OMMAIKKS.

449

P.iris; l'AiiKlotciTc lôc.laitic toute la rive moiidioiiiilc «lu St.-Laiirciit flopuis le tçnll'e jusqu'il QuébiT ; ' i France muiiitu'Ut (iiic TAciulie suivant SOS anciennes limites, se home au territoire ([ui esta l'est d'une ligne tirée dans la péninsule de l'entrée de la baie de Foiuly au Ca[) Canseau.— Notes raisonuées à l'aiipui de ces prétentions diverses. Les deux jjarties ne se cèdent rien. Affaire! de l'Ohio ; intrigues {\es Anglais parmi les naturels de cette contrée, et des Français dans les cin(| cantons. Traitans de la Virfçinie arrêtés et envoyés en France. Les deux nations envoyent des iroupes siu- l'Ohio et s'y Cortilieut. Le j^ouverneur l'uit délense aux Demoiselles Desauniers de faire la traite du castor au Sault-St.-Louis ; ditflcidté que cela lui suscite avec les Jésuites, qui se ])lai!^nent de sa con- duite à la cour, de la part ([u'il prend lui et son secrélaiie an commerce et de sou népotisme. FI dédaigne de se justilier. Il tombe malade et meurt à Québec en 17.'J2. Son origine, sa vie, sou caractère. Le manjuis de l)n(|uesne lui succède. Atl'aire <le l'Ohio contijnié(!. Le colonel Wash- ington marche iiour attaquer le fort Duquesne, Mort de .lumonville. Déliiile lie Washington i)ar AT.de Villiers au fort de la Nécessité (I7.t1) Plan des Anglais poiu' l'invasion du CUuiada ; assend)lée des gouverneurs coloniaux à Albany. J^e général Uraddock est envoyé par la Grande- Bretagne eu Améri<|iie avec des Iroupes. \jO baron Dieskau débarque il (Québec avec 4 bataillons [ l^nf).] Négociations d(!s deux cours au sujet de l'Ohio. Note i\u duc de? Mirepoix du IT) janvier 17;'),^; réponse du cabinet de Londres. Nouvelles propositions des ministres iraii(;ais; l'An- gleterre élève ses demimdes. Prise (hi Lys et de l'Alcitle par l'iimiral Boscaweii. La France déclare la guérie il l'Angleterre p. JS!).

/

r.rVKE NKUVIEMK.

CliAl'ITKM I.

GUliKUK DE SliTT ANS.^ 17r);V17r)().

Situation des esprits en France et en Angleterre à l'époque la guerre de Sept ans. La France chiingo sa politique extérieure en s'alliant il l'Au- triche qui Hatte madame de l'ompadoiir, maîtresse de Louis XV. Popn- liirité de la guerre dans la (irande-Bretaj^ne et dans ses colonies; ses im- menses arméniens. Extrême faiblesse numériiiue des forces du Ca- nada.— riiui d'attaque et de défense de ce jmys ; zèle des habitans. l'remièr(!s opérations de la campagne. Un corps de troupes, parti de lîoston, s'emi)ari' do Beauséjour et de toute la péninsule aciidieiine ; exil et dispersion des Acadiens. Le général Braddock marche sur le Ibrt Duquesne du côté du lac Erié ; M. de Beaujeu va au-devant de i'ii ; bataille de la Monongahéla; défaite complète des Anglais et mort de leur général. L'épouvante se ré^iand dans leurs colonies, que le? bandes c;inadi':.iuei?

480

SOMMAIRES.

rt U'3 Sauvages attaqneiil sur divers jioints en comniettiuU de grands rava^jea et faisiuit beaucoup de prisonniers. Arnnées anglaises destinées à atta- quer Niagara au pied du lae Erié et St. Frédéric sur le lac Champlain. Le colonel Johnson se retranche it la tête du lac St.-Sacrenient ((/eorge). —Le général Dicskau attaque les retrancheniens du colonel Johnson ; il est repoussé et lui-même tombe blessé entre les mains de l'ennemi. Le peuple des colonies anglaises murmure contre l'inactivité de Johnson après cette bataille ; réponse de ce commandant. Le général Siiirley aban- donne le dessein d'assiéger Niagara. Résultat do la campagne. Mau- vaises récoltes en Canada; commencement de la discite. Préparatifs de l'Angleterre pour la prochaine campagne. Exposition de l'état du Ca- tiada; demande de secours à la France. Le général IMontcalm arrive à Québec dans le ])rintemps de 1756 avec des renforts, Plan d'opérations de la prochaine campagne. Disproportion des forces des deux parties belligérantes; projets d'invasion des Anglais p. 211.

CHAPITKE n.

PRISE d'oSWÉGO et de WILLIAM-HENRY. 17r)()-1757.

Alliances indiennes ; les cantons iroquois protestent de leur neutralité. Préparatifs militaires. Bandes canadiennes en campagne tout l'hiver (17ij5-.')tJ) ; ilestiiiction du Ibrt Bull et disi)ersIon d'un convoi de 400 ba- teaux ennemis. Conjmi.'ucement de désunion entre If gouverneur et le général Montcalm au sujet de l'entreprise siu- Osvvégo.— Siège de cette place.-— La garnison abandonnée du général Webb cajiitule. Bulin qut; l'on l'ait. Les Sauvages tuent un grand nombre de prisonniers ; on ne parvient à les arroler qu'avec beaucoup de peine. Les fortifications d'Os- wégo sont rasées. Joie que celte victoire répand en Canada. Les Anglais suspendent toutes leurs opérations pour le reste de la campagne. Les Indiens ravagent leurs provinces. Les Canadiens enlèvent Grenville à 20 lieues de Philadelphie. Disette en Canada. Arrivée des Acadiens qui mouraient de faim. Ils se disjjcrbcnt dans le pays. Denian<le de secours en France. Augmentation rapide des dépenses. Montcalm sug- gère d'attaquer l'Acadie au lieu des forts Edouard et Wibiam-Henry. Pitt monte au timon des affaires en Angleterre ; nouveaux efforts de cette puissance en 1757. Elle forme et on abandonne en chemin le dessein de prendre Louisbourg, protégé par la flotte de l'amiral Dubois de la Motthe. Des bandes canadiennes tiennent la campagne pendant l'hiver ; INf. de Uigaud, à la tête de 1,500 hommes, détruit les environs du fort William- Henry. Les tribus indiennes restent fidèles à la France,» qui envoie des secours. Prise de William-Henry après un siège de 6 jours. La garnison forte de 2,400 hommes, met bas les armes.— Les prisonniers sont encore attaqués à l'improviste par les Sauvages, qui en massacrent plusieurs, les

SOMMA ITIES.

451

pillenf t't les dispersent.— Lo i'oil Williiim-Henry est aussi ruF«. Lu Disi.'tto va en miKmentant en Canadii. Miiinmres des troupes.— Les dis- sentions deviennent plus visibles entre les chefs de la colonie. Sucées variés île la France dans les autres jiarties du Monde. Elle ne peut envoyer rpie quelcjucs recrues en Arn«jri(iiip. L'Anj;;Ieterre y porte soi» armée à .^)0,00() hommes dont 22,(){J0 réj,'uliers, poin- la «anipasçne de

1758.

p. ',M;i.

CHAPITRE III.

BATAILLE Dlî CARILLON. 1758.

Lo Canada abandonné de la France, résout de combattre jusqu'à la dernière i!Xtri'-rnité. Plan de campai^ne do l'Angleleire : elle se propose d'alla<iuer simultanément Louisbourg, Carillon et le fort Duquesne. Prisedo f^ouis- boury après un siège mémorable, et invasion de l'île St. -Jean ; les vain- ([ueiirs ravagent les établissemens de (îaspé et de Mont-Louis. Mesures défensives du Canada. iMarche du général Abercrondjy avec unn armée de 16,()()() hommes sur Carillon défendu par moins de 3,r)00 Français. lîiitaiUe de Carillon livrée le 8 juillet. Uél'aite d'Abercromby et sa fuite précipitée. Le colonel Bradstreet surprend et brûle le fort Fiontenac. Le général Forbes s'avance contre le fort Duquesne. Défaite du major Orant. Les Français brûlent le fort Duquesne et se refirent. Vicissitudes de la guerre dans toutes les parties du monde. Changement de ministres en France. Brouille entre le général Montcalm et le goiiverneur.- Observatioiis des ministres sur les dilapidations du Canada et reproclic-i sévères à l'intendant Bigot. Intrigues pour faire rappeler M. de Vau- dreuil et nommer Montcalm gouverneur. Les ministres décident de faire rentrer ce dernier en France ; le roi s'y oppose. Déjiêches conciliatrices envoyées avec des récompenses et des avancemcns. On n'expédie point de renforts. Défection des nations indiennes, qui embrassent la cause de l'Angleterre par le traité de Easton. Cette dernière juiissance décide d'attaquer Québec avec trois armées qui se réuniront sous les murs de «•ette capitale. Forces du Canada et moyens défensifs adoptés jwur résis- ter à cette triple invasion p. 269,

/l

LIVRE DIXIEME.

CHAPITRE. I.

VICTOIRE DE MONTMORENCY ET PREMIÈRE BATAILLE d'aBRA-

HAM. REDDITION DE QUÉBEC. 1759.

Invasion du Canada. Moyens défensifs qu'on adopte. L'armée française se retranche à Beauport, en face de Québec. Arrivée de la Hotte enne- mie.— Les troupes anglaises débarquent à l'île d'Orléans. Manifeste du général Wolfe aux Canadiens. Ce général, jugeant trop hasardeux d'at-

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SOMMAIUKS.

lii(lU(M'l(' piimj) tViiii(;iiis, docidc ilc lioniN^mlcr la i'a|iitiil(,' cl de i'uvai!;ei- les l'unipau^nes. La ville est. iiicciidiôc. Altaiiufî des lignes l'iuiiçaiscs ti Montmorency. WolCe repoussé, rentre accablé dans son camp et tonilx- malade. Il tente vainement de se inettre en coiimiunicatioii avec le général Amherst sur le lac (Jhamplain. Les autres fjénéraux lui «n>;;;è- lent (le s'emparer des hauteurs d'Abraliam par surprise u/in de forcer les {'"liiiiçais à sortir de leur camp. f.i' tié\\6rii\ Monicalm envoie des Iroupes |Hinr j^arder la rive j^auclie du St.-Liiuient ilepuis (Québec juscpi'à Jac(|ucs Cartier.— !<îrand nombre de Canadiens, croyant le danfçer passé, ipiitlt^nl l'armé ; jwur aller vatpier aux travaux des champs. Du colé du lac Clianiplain AL de IJourlamarque lait sauter les loris Carillou et !St.-Fré- déric, et se replie à l'île aux Noi.x devant lejçénéral Amherst (jui s'avance avec I2,()()() honuMcs. L(! corps du ijéiuMal anglais l'rideaux, o[)éraut vers le lac F.rié, prend le Ibrt Nia:{ara et force les Français à se retirti- à \a présentation au-dessous du lac Ontario. Les Ani;lais sur|)rennent les hauteurs d'Abraliam le l'.i .septembre, Première bataille ipii s'y livre et délaite des Français. Mort de .Montcalm : capitulation de Québec. Le général de Levis prend le commandement do l'armée et veut livrer une seconde bataille; mais eu apprenant la reddition de la ville il se retire li .lacqurs Cartier et s'y iorlilie. L'armée anglaise, renlermée dans (Qué- bec, l'ait ses préparatifs pour y pa'sser l'hiver. Demande de secours en France pour reprendre cette ville j). 2W.

(UL\1'ITUE il

SECONDE BATAILLE d'aBRAIIAM ET DKRNIERK VICTOIRE DES FRANÇAIS. CESSION DU CANADA A L'aNGLETERRÈ KT DR

LA LOUISIANE A l'espagne. 1760-17G3.

Sentimens divers que la prise de Québec cause en Angleterre et en France. Les ministres do Louis XV abandonnent le Canada à lui-même. La (jîrande-Bretagne organise trois armées pouj- achever sa conquête. Mesures que l'on adopte pour résister à cette triple invasion. Forc(-s re- latives des Français et des Anglais. Le général de Levis marche sur Québec. Seconde hataille d'Abraham. Défaite complète de l'armée anglaise, qui se renferme dans la ville et que les Français assiègent en attendant les secours <]u'ils avaient demandés de France. Persuasion l'on est dans les deux armées que le Canada restera à celle qui recevra les premiers renforts. Arrivée d'une flotte anglaise. Le général de Levis lève le siège et commence sa retraite sur Montréal ; le défaut de vivres l'oblige de renvoyer les milices et de disperser les troupes régulières. Etat des frontières du côté des lacs Champlain et Ontario, Les ennemis se mettent en mouvement pour attaquer Montréal,— Le général Murray

soMM.\mi:s.

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M'avance du Québec avec 1,000 hommes ; le chel' de brigade Havilaïul ovcc un corps presqu'aussi nombreux descend lo lao Champlain et le f^énésal Amherst part du lac Ontario avec 1 1 ,000 soldats et Indiens. Les Français se retirent et se concentrent sur Montréal au nombre de 3,500 soldats. Impossibilité d'une plus longue résistance et capitulation géné- rale.— Triomphe et réjouissances de l'Angleterre. Procès et condamna- tion des dilapidateurs du Canada à Paris. Situation des Canadiens. Pertes immenses qu'ils font sur les ordonnances et lettres do chaniçe du gouvernement déchu.— Continuation de la guerre dans les autres parties du momie; paix de 1763, par laquelle le Canada est cédé à l'Angleterre et la Louisiane à l'Espagne. Tableau de la France au temps de ce traité trop fameux, par Sismondi p. 335.

LIVRE ONZIEME.

CHAPITRE I.

DESPOTISME MILITAIRE. ABOLITION ET RÉTABLISSEMENT DES ANCIENNES LOIS. 1760-1774.

Cessation des hostilités ; les Canadiens rentrent dans leurs foyers.— Régime militaire et loi martiale. Cession du Canada à l'Angleterre. Emigration de Canadiens en France. Les lois françaises sont abolies et la religion catholique est seulement tolérée. Le général Murray remplace le général Amherst. Etablissement d'un conseil exécutif, législatif et judiciaire. Division du Canada en deux districts, et introduction des lois anglaises. Murmure des habitans. Les colons anglais demandent une chambre élective dont les Canadiens seraient exclus, et accusent de tyran- nie le général Murray, qui repasse en Europe. Soulèvement des Indiens occidentaux. Le général Carleton gouverneur. Il change le conseil. Le peuple continue son opposition aux lois nouvelles. Remontrances. Rapports de MM. Yorke, de Grey, Marriott, Wedderburn et Thurlovif, oITiciers de la couronne, sur les griefs des Canadiens. Rétablissement des lois françaises. Nouvelle demande d'un gouvernement représentatif avec l'exclusion des catholiciues. Pétitions des Canadiens et des Anglais. Le conseil législatif de 71 est établi p. 373.

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CHAPITRE II.

llliVOÏ.UTION AMERICAINE. 1770.

Di(li<'ultés entre l'Angleterre et ses anciennes colonies : leurs causes. Divi- sions dans le parlement impéiialà ce sujet. Avènement de lordNorth au ministère. Troubles à Boston. Mesures coercitives de la métropole, qui

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454.

SOMMAIHES.

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cherche ù s'attacher le Canada par des concessions. Pétitions opposées des Canadiens et des Anglais ; motifs des délais pour décider entre les deux partis. Acte de 74 dit de Québec ; débats dans la chambre des communes. Congrès de Philadelphie ; il met l'acte de Québsc au nombre de ses griefs. —Ses adresses à l'Angleterre et aux Canadiens. Le général Carleton revient en Canada. Sentimens des Canadiens sur la lutte qui se prépare. Premières hostilités. Surprise de Carillon, St.-Frédéric et St.- Jean. Guerre civile. Bataille de Bunker's hill, Envahitsement du Canada. Montgomery et Arnold marchent sur Québec au milieu des populations qui se joignent à eux ou restent neutres : Montréal et les Trois-Rivières tombent en leur pouvoir. Le gouverneur rentre en fugitif dans la capitale devant laquelle Its insurgée mettent le siège... p. 407.

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