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BINDINS LIST SEP 1 ^ 1922

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CC311

COLLECTION

un

CONTES ET DE CHANSONS POPULAIRES

VI

CONTES INDIENS

IMPRIMERIE HARCHESSOU FILS

CONTES INDIENS

Les Trente-deux Récits du Trône

(BATRIS-SINHASAN)

ou LES MERVEILLEUX

EXPLOITS DE VIKRAMAIMTYA

TRADUITS DU BENGALI ET AUGMENTÉS D'UNE ÉTUDE ET D'UN INDEX

1>AK LEON FEER

t7c4ôc

PARIS l«-S'2S.

ERNEST LEROUX, ÉDITEUR

LIBRAIHK DE LA SOCIÉTÉ ASIATIQUE Dt PAMIS

Ut l'école des langues orientales vivantes, etc.

38, aUE BONAPARTE, iS

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i4VIS ^4U LECTEV'Ii

' A traduction de contes indiens que nous offrons au lecteur se compose : i d'un Avertissement très court, en quelques lignes; a" d'une Introduction asse^ longue qui est un véritable conte; 3" des Trente-deux con- tes annoncés par le titre de l'ouvrage.

Ce travail n'est pas à proprement parler une œuvre d'érudition. Nous avons traduit ces contes pour le commun des lecteurs et non pas seulement pour les indianistes. Cepen- dant nous avons cru devoir les faire précéder et les faire suivre de deux morceaux qu'on pourrait croire inspirés par la préoccupation de complaire aux savants. Ce que nous avons

11 CONTES INDIENS

mis avant la traduction est une « Etude » sur les contes; nous aurions voulu éviter ce titre un peu ambitieux d' « Etude » et employer celui d' « Introduction », mais il fallait le ré- server pour le récit initial du recueil. Ce que nous avons mis à la suite de notre tra- duction est une table alphabétique des noms indiens, accompagnés de quelques indications et de renvois aux contes dans lesquels ils se trouvent. Nous avons réservé pour cette table certaines explications que nous n'avions pas cru devoir mettre en note dans le cours des récits. Le lecteur est prié de vouloir bien consulter cette table pour les éclaircissements qu'il pourrait désirer.

Le lecteur appréciera l'utilité de V « Etude » et de la « Table » ,• nous nous sommes pro- posé., en augmentant notre traduction de ces deux appendices., d'en rendre la lecture plus facile, plus agréable., plus intéressante et plus instructive., sans surcharger néanmoins notre travail d'une science qui n'est bonne que pour les savants de profession.

Il est impossible de faire un travail de ce genre sans reproduire beaucoup de mots hin- dous. Aussi en rencontrer a-t-on un bon nom- bre. Si nous les avions écrits en conservant à

AVIS AU LECTEUR III

nos lettres la valeur que nous leur donnons habituellement, notre volume serait hérissé de mots bien étranges; d'un autre côié^ nous ne pouvions, par bien des raisons, employer le système de transcription dont nous aurions fait usage si nous avions entrepris un travail d'érudition pure. Nous nous sommes donc arrêtés à un système mixte que nous n'avons pas à motiver autrement ni à défendre, et qu'il suffit de faire connaître en indiquant la valeur spéciale et contraire à l'usage donnée à certaines de nos lettres Tout ce que nous dirons pour justifier ces bizarreries, c'est que la valeur donnée à telle ou telle let- tre, contrairement à notre usage, se justifie par celui de tel ou tel peuple européen.

Voici donc les lettres qui se prononcent d'une façon particulière :

c et ch se prononcent tch (ch est censé ac- compagné d'une aspiration).

g est toujours dur comme dans guerre, guide, garde, etc.

h venant après une consonne représente une aspiration que nous ne savons pas ex- primer (bh, ch, dh, gh, kh, ph, th, sont b, c, d, g, k, p, t aspirés).

IV CONTES INDIENS

) se prononce dj.

s se prononce ç jamais z.

sh se prononce ch.

u se prononce ou.

au se prononce aou.

ai se prononce ay.

V après ç ou s se prononce géne'ralement ou. X se prononce kch.

D'après cela, Cîrajîva se prononce Tchîrad-

jîva ; Candramaulî se prononce Tchandramaoult; Çixâ se prononce Çikchâ; Jyeshtha se prononce Djyechtha ; Ghatakapurî se prononce Gatakapourî ; Guru, Svarga se prononcent Gourou, Souarga.

ETUDE

•UB

LES TRENTE-DEUX REÇUS

DU TRON E

I. - APERÇU GÉNÉRAL

§ I. LES CONTES RELATIFS A VlKRAMADtTYA

E nom du roi Vikramâditya ( Soleil d'héroïsme ») est un des plus illustres parmi ceux des souverains de l'Inde. Son règne marque l'époque la culture des let- tres et des sciences brilla du plus vif éclat. Les plus beaux génies se réunissaient à sa

VI ÉTUDE SUR LES TRENTE-DEUX RÉCITS

cour, et le siècle de Vikramâditya est pour l'Inde ce qu'est pour la Grèce le siècle de Pé- riclès, pour Rome le siècle d'Auguste, pour l'Italie le siècle de Léon X, pour la France le siècle de Louis XIV. Malheureusement, en dépit d'une si haute renommée, l'histoire de ce roi n'est pas, pour cela, plus certaine ni mieux connue; et il n'en existe pas une relation suivie qui mérite une entière con- fiance. Le sens historique manque aux Hin- dous, et ce qu'ils ont trouvé de mieux à faire pour célébrer la gloire d'un de leurs plus grands monarques, c'a été de composer des contes dont il est le héros. Deux séries de fictions se rattachent à son nom : l'une est intitulée « les trente-deux récits (des figures) du trône ' » ; l'autre a pour titre a les vingt- cinq contes du Vétâla ^ ». Le second recueil n'est qu'un épisode du premier et. a un lien moins étroit avec les actions réelles ou ima- ginaires de Vikramâditya ; c'est dans les trente-deux récits du trône qu'on le voit constamment mis en scène, il est l'unique héros de ces légendes destinées à faire res-

1. En sanscrit : Sinliàsana-dvàtrimçali.

2. En sanscrit : Vetdla-pancavimçati

DU TRONE TU

sortir ses vertus fet visiblement consacrées h sa louange.

Les « contes du Vetâla sont des histoires que l'on raconte au roi, et sur lesquelles il est appelé ou se croit appelé à porter un ju- gement, presque des én>^mes_dont il doit et sait^trouifit-Lc-mot. Ce recueil est donc prin- 1 cipalement destiné à mettre en relief la sa-^ gacitc, la justesse et la fînesse d'esprit du Sa* lomon indien. Rédigé primitivement en sanscrit comme les autres compilations du même genre, il a passé dans plusieurs des langues modernes de l'Inde; on l'a traduit de quelques-unes de ces langues en anglais. Il a même franchi la frontière de la péninsule et pénétré, par le Tibet, jusqu'en Mongolie, il existe encore, partie en kalmouk, par- tie en mongol. En 18G7 et 1868, M. le pro- fesseur JUlg, d'Innsbruck, en a donné le texte kalmouk-mongol avec une traduction alle- mande, savant travail dont le mérite est en- core rehaussé par l'initiative que l'auteur a prise dans un domaine presque inexploré. Les diverses versions des vingt-cinq contes du Vetâla différent notablement les unes des autres, elles nous occuperont peut-être un jour; pour le moment, nous les laisserons

VIII ETUDE SUR LES TRENTE-DEUX RECITS

de côté, les trente-deux récits du trône ré- clament seuls notre attention.

Voici, en deux mots, le cadre de ces récits : Le roi Vikramâditya possédait un trône mer- veilleux qui lui avait été donné par Indra, le roi des dieux, et sur lequel se voyaient, en- tre autres ornements, trente-deux figures sculptées. Après sa mort, ce trône fut enterré profondément, nul n'osant y prendre place. Quelques siècles plus tard, un roi appelé Bhoja vint à le découvrir et voulut s'y asseoir; mais, chaque fois qu'il en fit la tentative, une des trente-deux figures l'en détourna par le récit de quelqu'un des merveilleux exploits de Vikramâditya. Quand chacune eut fait son récit, ces trente-deux figures, qui étaient des divinités fixées dans ce trône et immobi- lisées par suite d'une malédiction, le prirent et l'emportèrent chez elles, probablement au ciel d'Indra.

J'ignore si les trente-deux récits se sont répandus autant que les vingt-cinq; je sais seulement que ce recueil a été traduit du sanscrit, qui est la langue originale, dans le dialecte moderne braj-bhâkhà par Sundar, sur l'ordre de Shàh-Jehân ; depuis, il a été traduit du braj-bâkhà en hindoustani-ourdou

DU TRONC IX

par Lallu. Je crois, du reste, qu'il a été tra- duit en plusieurs autres langues, et qu'il en existe un certain nombre de versions plus ou moins fidèles, plus ou moins concordantes et conformes à l'original. Mon intention n'est pas de les comparer entre elles ni de les rapprocher du texte sanscrit qui est le point de départ commun de ces compilations diverses, et que je ne connais pas. Ce serait un travail fort étendu, pour lequel les maté- riaux me font défaut, tout spécial d'ailleurs et très différent de celui que j'ai entrepris sans aucune prétention à l'érudition, dans le seul désir d'instruire et d'intéresser le com- mun des lecteurs.

Néanmoins il est une de ces versions dont je ne puis me dispenser de dire au moins un mot, parce qu'elle a passé dans notre lan- gue ; c'est la version persane traduite en français par Lescallier '. On y reconnaît bien nos trente-deux contes et leur Introduction ; mais la rédaction est tout a"fe et les (jliffé- rences de détail sont considérables. Je n'en

I. Le trône enchanté, conte indien traduit du persan, par M. le baron Lescallier. New- York, 1817, > volume» grand in-8<.

X ETUDE SUR LES TRENTE-DEUX RECITS

parle que par comparaison avec la seule ver- sion que je connaisse à fond, celle qui m'a servi pour le présent travail, et qu'il me reste à faire connaître '.

C'est une traduction bengalie intitulée Ba- tris piitalikâ sinhâsan, imprimée h Londres en i8i5 et réimprimée depuis; elle est l'œu- vre de Mrityunjama. Je ne saurais dire sur quel texte elle a été faite; mes conjectures sont en faveur d'une version fidèle de l'ori- ginal sanscrit ; toutefois, je ne saurais en donner d'autre preuve que la forme et la te- neur des récits auxquels je trouve un cachet d'authenticité très marqué.

Ces fictions me semblent de nature à pi- quer vivement la curiosité du lecteur euro- péen, et h trouver des amateurs en dehors de l'orientalisme. Mais elles sont particulière- ment propres à satisfaire quiconque éprouve-

i. M. Garcin de Tassy dit que cette version est un pur roman qui s'éloigne beaucoup de l'original. Il en parle sans doute par comparaison avec la version hindoustanie qi'il connaissait mieux que personne. Mais j'ai cru m'a- percevoir que la version iiindoustanie n'est pas en parfait accord avec la version bengalie, de sorte qu'on ne sait pas bien qui s'écarte plus ou moins de l'original. Il y a toute une question à étudier.

DU THONS XI

rait quelque désir de connaître l'Inde, et je crois qu'il serait impossible de trouver sous un petit volume une peinture plus fidèle et plus captivante de l'esprit indien. Les témé- rités les plus audacieuses de l'invention, les idées et les pratiques religieuses, la manière Sont on conçoit l'exercice du pouvoir, la conduite de la vie, la loi morale, quelques- unes des traditions essentielles et des croyan- ces fondamentales de l'Inde, tout cela est réuni, condensé en quelques pages ; et le langage du bon sens s'y trouve sans cesse mêlé aux plus grands écarts de l'imagination. Certes, la lecture du. Ràmàyana et du Mahâ« bhàrata apprend infiniment plus de choses que ce petit recueil n'en renferme ; et cepen- dant, même après avoir étudié ces deux im- menses amas de légendes, peut-être n'est-il pas mauvais de prendre connaissance de nos trente-deux contes. Quant aux personnes (et elles sont nombreuses) qui n'auraient pas le temps d'aborder ces gigantesques compila- tions, elles pourront, en lisant les trente- deux récits du trône , acquérir une no- tion exacte et très suffisante du génie in- dien. Ces récits, qui sont en prose, et ont ainsi

XII ÉTUDE SUR LES TRENTE-DEUX RÉCITS

quelque chose de plus popnlaire ', qui ne font point partie de la littérature officielle autorisée, ont une certaine saveur qui man- que aux monuments grandioses de la pensée brahmanique ; ils peignent davantage l'esprit des classes inférieures et la vie quotidienne. Non pas que ces contes représentent fidèle* ment l'état actuel ; ils doivent avoir une cer- taine antiquité, et se rapporter au temps l'Inde, non encore subjuguée, était sous la discipline du brahmanisme intact et floris- sant. Ils nous offrent donc, si je ne me trompe, un tableau de l'esprit indien, au temps du brahmanisme, mais en dehors du monde brahmanique officiel, quelque

I. Cette proposition semblera peut-être paradoxale, la poésie paraissant être le caractère propre des composi- tions primitives et populaires ; mais, dans la littérature indienne, le vers est la forme naturelle' des écrits officiels, des compositions faisant autorité. Les textes sacrés sont généralement en vers ; les explications et les commentaires sont en prose. Les recueils de fables, avec lesquels nos contes ont beaucoup d'analogie, sont en prose, mais en prose entremêlée d'une foule de vers qui sont, pour ainsi dire, la partie dogmatique de ces compilations. Nos con- tes n'ont pas même de vers, circonstance qui semble dé- noter un genre d écrits encore plus éloigné des textes of- ficiels, partant plus populaire.

DU TRONC Illl

chose de plus spontané, de plus libre, de plus populaire que la littérature savante, mais sans esprit de révolte contre l'état de choses établi ou même d'affranchissement de l'empire exercé sur les esprits par la caste dominante.

Pour aider le lecteur à mieux profiter de cette lecture, nous croyons devoir résumer ici les principaux enseignements fournis par les trente deux contes et l'introduction qui les précède.

II. HISTOIRE

§ 2. VIKRAMADITYA ET ÇALIVAHANA

Quand nous parlons « d'histoire », il est bien entendu qu'il ne peut être question de retracer la vie de Vikramàditya, ni même de faire la critique des faits cités dans le recueil pouvant avoir un caractère historique; il s'agit simplement de recueillir et résumer ces faits. Voici à quoi ils se réduisent :

Bartrihari ayant été sacré roi d'Avanlî, son jeune frère Vikramàditya, froissé par nous

XIV ETUDE SUR I,ES TRENTE-DEUX RECITS

ne savons quelle injure, prit le parti de s'ex- patrier. Cependant Bartrihari finit par pren- dre le monde et la royauté en dégoût; il quitta le trône et se fit ermite. Il ne laissait pas de fils, et on ne put lui trouver un succes- seur convenable. Vikramâditya sortit alors de sa retraite, se présenta comme candi- dat au trône, fut agréé, et régna glorieuse- ment jusqu'au jour il périt sur le champ de bataille en combattant Çâlivâhana. Sa première épouse était alors enceinte; elle attendit le moment de sa délivrance pour <( entrer dans le feu », c'est-à-dire, pour se brûler et suivre son mari dans la mort. Le fils qu'elle laissa fut élevé par les conseillers du feu roi et régna à son tour sous le nom de Vikramâsena.

La lutte de Vikramâditya et de Çâlivâhana est de nouveau décrite dans le conte vingt-troisième, mais d'une manière diffé- rente. Çâlivâhana, appelé Çâlavâhana, .y est représenté comme un enfant merveilleux qui triomphe de son adversaire; mais Vikramâ- ditya est sauvé grâce à sa piété. S'il fallait concilier les données de ce récit avec celles de l'introduction (ce qui n'est pas d'une ab- solue nécessité), il faudrait, sans doute, ad-

DU TRONE SV

mettre qu'il y eut plusieurs guerres entre les deux rois. Mais il y a une autre difficulté plus sérieuse. Çàlivâhana est le nom du roi auquel se rapporte l'Ere dite Çâka, qui cor- respond à 76 ou 78 de notre ère. Tandis que le règne et même, à ce qu'on dit, la mort de Vikramàditya sert de point de départ à l'ère dite Samvat qui commence à l'an 56 avant la nôtre. Il est donc bien difficile d'ad- mettre que ces deux personnages aient été contemporains, puisque les deux dates sont séparées par un intervalle de 71» + 44 f= 120 ans, à moins de supposer que l'ère Siimvitt commencerait à la naissance ou à l'avènement de Vikramàditya et l'ère Çâka à la mort de Çâlivûhana ou à des dates assez voisines de ces deux événements. Il est vrai qu'on a toujours la ressource d'admettre plu- sieurs rois du nom de Çàlivâhana, de même que l'on a imaginé plusieurs VikramâditN'a. Mon intention n'est pas de débrouiller la chronologie et l'histoire de l'Inde; j'ai voulu tout simplement signaler les faits qui f>euvent avoir une apparence historique et, dès lors, je ne pouvais me dispenser» de signaler en passant les difficultés qu'ils soulèvent. Je passe maintenant à d'autres considérations.

XVI ETUDE SUR F.ES TRENTE-DEUX RECITS

§ 3. JOURNÉE d'un roi INDIEN

Le conte vingt-deuxième semble avoir été fait pour initier à la connaissance de l'emploi du temps d'un roi indien. La des- cription qu'il nous donne de la journée de Vikramâditya absorbe presque tout le récit, et le reste est insignifiant. Voici donc com- ment un grand et puissant monarque de l'Inde distribue sa journée :

Matinée. Réveil au son des instruments et des louanges ; prières et méditations re- ligieuses. — Maniement des armes. Li- béralités et gratifications. Expédition des affaires.

Midi. Actes religieux.

Après-midi. Libéralités, distributions.

Repas. Mastication du bétel; onctions-

Sieste. Causerie avec les femmes; lec- ture et récit des antiques histoires. Exa- men des richesses royales de toute nature.

Soir. Actes religieux. Chants, dan- ses et musique. Visite à ses femmes. Sommeil.

Tels étaient les exercices qui se succé-

ou TRONE XVII

daient du matin au soir et du soir au matin pendant la vie du roi.

A cette description de la vie quotidienne, il faut joindre celle des promenades que le roi faisait dans son parc lorsque venait le printemps. Celte description revient fré- quemment dans les ouvrages indiens; notre cinquième re'cit nous la donne avec de grands détails. Le roi se rend à son parc ac- compagné de ses femmes, et se livre avec elles dans les bosquets à toutes sortes de jeux plus ou moins innocents.

III. - MORALE

§ 4. VERTUS MORALES DK VIKRAMADITYA

Si les contes du Vétâla sont destinés à montrer jusqu'où va .la sagacité du roi, les trente-deux récits du trône servent à faire éclater ses vertus, qui sont nombreuses; mais il en est une qui les domine et les ré- sume, la générosité, le sacrifice. Les trésors de Vikramàditya, son activité, sa vie sont à la disposition d'autrui. Pour soulager un

XVIII ÉTUDE SUR LES TRENTE-DEUX RÉCITS

homme dénué de tout, pour délivrer un in- dividu ou une population en proie à quelque fléau, pour obliger un ami, pour satisfaire un caprice, il renonce aux plus grands biens, à des sources inouïes de richesses, même à la vie. Bref, il pratique dans sa plus grande étendue le « don » (Di«<.7), cette vertu su- prême recommandée par le Brahmanisme, et plus encore par le Bouddhisme; il réalise ce grand idéal que les Orientaux se font d'un roi : donner beaucoup à tout le monde, ne prendre rien à personne.

En conséquence, onze fois mis en posses- sion d'un joyau, d'un talisman, il le donne presque immédiatement à un mendiant, ou à un besogneux quelconque, à tout individu qu'il rencontre et qu'il pense obliger de cette manière (2, 9, 12, i3, 17, 18, 19, 20, 23, 25, 29, 3o). Six fois, il ouvre ses trésors et fait de larges dons individuels (4, 5, i5, 28) ou collectifs (i, 22) pour reconnaître un service quelquefois douteux, ou pour obéir au de- voir, pour témoigner sa reconnaissance d'une instruction qu'on lui a donnée. Dix fois, il essaie de se tuer pour sauver une ou plu- sieurs personnes d'un grand péril (2, 6, 7, 10, 16, 21, 24, 26, 27, 28) ; cinq fois, il

ou TRÔNE XIX

s'expose à des dangers redoutables ou à de cruelles souffrances pour délivrer un ami ou une personne qui lui est e'trangère (8, ii, 14, i3, 3o). Deux fois, pour ne pas man- quer à sa parole, il s'expose à perdre son royaume (2 3) ou ses vertus |3i); une fois, il est prêt à abandonner, à livrer à un autre, la reine sa première épouse, en expiation d'un crime qu'il n'a pas commis, les appa- rences étant contre lui. Toutes ses actions, empreintes de merveilleux, ont pour motif l'amour de la sagesse et de la science, la compassion pour les autres.

Les vertus ou les qualités qu'on exalte en sa personne sont : la grandeur » (ntjhjtvj, I, 2, 3, 4, 9, II, 12, i3, 16, H»); la li- béralité » (Dânj, I et auddryj, 2, 5, 14, 17, 18, 19, 20, 21, 23, 23, a5, 3o, 3i); l'é- nergie » (sâhasii, 18, 3 5, 28, 3o); l'hé- roïsme » { Çaurya, a, 17, a 3, »5); l'obli- geance envers les autres » {paropakdraka, 6, 10, 21 ); la « fermeté » {Jkjiry-jy 2 3, 2 3); le désir d'être utile à toutes les créa- tures • {Sjrvjprdni-upjkârjkj 7) ; la protection des créatures » {prajâpratipâ- ïakci)\ la satisfaction des désirs d'au- trui » (paravanccipùrakci^ 6, 20, ai);

XX ÉTUDE SUR LES TRENTE-DEUX RECITS

« l'humanité » {puriishârtha^ if, 14); la reconnaissance {iipakâranatâ , 4); la « bienfaisance » [hitakarî^ 22),- « l'atta- chement à la vérité » {satyasandha^ 3i); la « majesté » (pratâpa^ i); la puissance (prabhâva, 18).— Quoique je n'écrive pas pour les philologues ou les indianistes, j'ai cru devoir ajouter les noms bengalis-sans- crits des vertus et qualités énumérées; plu- sieurs de ces termes sont synonymes, et il ar- rive assez souvent que plusieurs d'entre eux ont cités dans un même récit.

La morale héroïque de ce roi qui obtient un talisman, un préservatif contre la mala- die, la vieillesse et la mort, et s'empresse de l'abandonner au premier malade qu'il ren- contre, qui jette à pleines mains ses trésors pour secourir des mendiants qu'il ne con- naît pas, qui est prêt à se couper le cou pour donner de l'eau à ceux qui en man- quent, pour faire cesser des sacrifices hu- mains, etc., etc., est-elle bien saine? On ne peut nier qu'il y ait dans tous ces récits une belle idée du dévoùment et du sacrifice; mais il me semble qu'on n'y peut mécon- naître un air grimaçant et faux, bien en rapport avec les circonstances merveilleuses

DU TRONC XXI

qui servent de cadre à l'exercice de ces ver- tus. A présenter sous ces traits la pratique du bien, on la met en dehors de la conduite générale de la vie. Pour faire une impres- sion sérieuse, les modèles de vertu doivent être plus près de la nature humaine, et l'exa- gération poussée à ce degré n'a plus de prise sur nous : on assiste à une fantasmagorie, à des jeux de Mahâmâyû, la grande enchan- teuse >, qui ne sont pas de notre domaine ni de notre monde. Reconnaissons le souffle moral qui anime ces pages, mais ne lui ac- cordons pas notre admiration sans réserve ; souvenons-nous qu'il est des extravagances qui gâtent les meilleures choses, et n'ou- blions pas que l'héroïsme, si rare qu'il soit, n'est pas une vertu qui soit et doive être placée en dehors des conditions ordinaires de l'humanité.

Après cette espèce de revue générale, nous passons aux détails, et nous étudions, en les classant de notre mieux, les questions diver- ses traitées une ou plusieurs fois, avec plus ou moins de développement, dans nos récits.

XXII ÉTUDE SUR LES TRENTE-DEUX RÉCITS

§ D. SCIENCE

La science est ce qui distingue l'homme de la bête; car l'homme et la bête ac- complissent les mêmes fonctions vitales. Donc, l'homme qui réduit son activité à ces fonctions, sans s'élever par la science, est une bête dés cette vie, et il retournera à l'anima- lité dans les existences futures (8 et 20). La science peut aussi être assimilée à la vie ; vivre sans la science, c'est être mort; et un fils mort vaut mieux qu'un fils ignorant. Que mettre au-dessus de la science .'' elle est supé- rieure à tous les autres avantages : à la royauté, car le savant est aussi considéré à l'étranger que dans son propre pays ; aux richesses,xar on ne peut l'enlever à celui qui la possède; aux ornements qui ne brillent que sur les jeunes gens, car, à tout âge, la science reluit en l'homme qui en est doué (8).

Qu'est-ce que cette science si enviable? C'est celle qui est contenue dans les livres (Castra). Il faut donc lire ces livres et les étudier à fond pour en extraire le suc, la moelle, en un mot pour y puiser la science.

I

DU TRONE XXlll

Mais dans quel esprit convient-il de le faire? Le conte 12 nous offre, à ce sujet, une cu- rieuse discussion. Vikramâditya reproche à un groupe de pandits ou savants qui débat- taient entre eux le sens d'un texte, de dispu- ter non pour saisir la pensée du texte, pour en pénétrer le sens, mais pour y trouver la justification de leurs opinions personnelles. C'est donc avec un entier désintéressement, un pur et sincère amour de la vérité, qu'il convient d'aborder l'étude de ces Castras, qui sont le dépôt de la science.

Les Castras ' forment une masse considéra- ble de volumes : c'est toute la littérature in- dienne. Aussi ne songerions-nous pas à les classer et à les énumérer icj,si l'auteur de nos récits n'avait exécuté lui-même ce travail dont nous n'avons qu'à faire connaître le résultat.

Selon lui et selon d'autres aussi (car il ne s'agit pas ici d'une opinion individuelle, mais d'une donnée généralement admise), la science contenue dans les Castras se subdi- vise en 18 parties citées en bloc plusieurs fois et énumérées en détail dans le récit qua-

I. Çâstrd siguiâe proprement « instrument pour ap- prendre ».

XXIV ÉTUDE SUR LES TRENTE-DEUX RÉCITS

trième. Cette énumération n'est pas d'une clarté parfaite, parce qu'on y trouve plus de 18 intitulés et que, par conséquent, il faut comprendre sous un seul chef plusieurs noms. La portée de ces noms n'est pas tou- jours facile à saisir; les uns désignent certai- nement un recueil, un ouvrage déterminé, d'autres doivent s'appliquer à des séries tout entières de livres. Après avoir essayé sur cette nomenclature un petit travail de classe- ment, nous croyons pouvoir donner le ta- bleau des 18 sciences. Elles se divisent en deux catégories : les « sciences dont l'objet est invisible » (adrishthârtha) ^ au nombre de 14, et les « sciences dont l'objet est visible » (Drishthârtha)^ au nombre de 4.

SCIENCE DE L'INVISIBLE

LIVRES SACRÉS

Veda Vedanga

1 Rig Cixa.

2 Yajur Kalpa.

3 Sâma Vyâkarana. Atharvan Nirutka.

Jyotisha. Chanda.

UU TRONE

XXV

PHILOSOPHIC

M imam S a

5 Pûrva-M.

6 U«tta-M.

7 Rûpa-M.

8 Nyâya.

9 Rûpa-Nyijra.

10 Vaiçeskilu.

1 1 Sânkhya. la Fatânjala.

TKAOïnON

1 3 Smriti-Çâttra. 14 f^urftna.

SCIENCE DU VISIBLE

i5 Ayur (médecine).

16 Dhanur (arc et armes : sciences militaires).

17 Gâadharva (musique).

18 Çilpa (arts manuels).

Quelques ouvrages cités dans nos contes loivent se ranger sous l'une ou l'autre de ces |8 rubriques ; tels sont : le Râja>niti ou « la conduite des rois (Intr., i3, 19, 22), traité le politique, et le Danda-çâstra ou « Livre )e châtiments », le code pénal (17, 19, 23).

est probable qu'ils appartiennent aux sec- ions du tableau ci-dessus, numérotées i3 ef 14, qui doivent comprendre un nombre con-

XXVI éxUDE SUR LES TRENTE-DEUX RÉCITS

sidérable de légendes, d'histoires et de pré- ceptes moraux. Le Nîti-çâstra, cité égale- ment, ne doit pas différer du Râja-nîti ', de même que le Danda-çastra est aussi appelé Danda-niti. Le 24'' récit renferme une allu- sion au Jyotisha, l'un des Vedanga, qui ne porte pas de numéro dans le tableau ci-des- sus. Il y est question d'un signe céleste in- terprété comme annonçant la famine; c'est en effet un ouvrage d'astronomie et d'astro- logie. Nos récits parlent aussi deux fois (21 et 28) d'un livre, intitulé Sâmudraka-çâs- tra, qui énumère, décrit et explique 20 signes susceptibles de se trouver sur le corps d'une personne et servant à indiquer sa condition. Parmi ces signes on cite l'étendard, le dia- mant (ou la foudre) et l'aiguillon, sans en dire la valeur. La marque du lotus sous le pied droit annonce la royauté ; mais le signe du « pied du corbeau » à l'arrière du palais, détruit les effets de cet indice favorable. Le signe appelé « réseau du mantra d'or », au

1. On pourrait admettre que le Nîti-çâstra est un livre de morale à l'usage des particuliers, tandis que le Râja- nîti serait un livre de politique à l'usage des rois : mais le texte semble parler de ces deux ouvrages comme s'il n'y avait entre eux aucune différence.

DU TRÔNK XXVII

flanc droit, à l'intérieur du corps, est le signe de la royauté. C'est celui que possédait Vi- kiamàditya, car il ne portait sur son corps aucun signe extérieur qui décelât la royauté. Sous quelle rubrique ce livre doit-il être mis? Apparemment sous la quinzième, la pre- mière des sciences du visible, l'Ayur (méde- cine), la science de la vie.

§ 6. L\ VIE

Quel prix faut-il attacher à la vie? Au premier abord, il semble que la vie soit le plus précieux des biens. On peut perdre sa femme, ses enfants, ses biens, et les rempla- cer par d'autres ; la vie ne se remplace pas. Le Nîti-çâstra enseigne quelque part (peut- être y a-t-il quelque endroit il soutient le contraire) que toutes les préoccupations, tou-

Ies les méditations doivent tendre nécessai* emeni à la conservation du corps (19); la ie serait donc le plus précieux des biens, liais on a vu tout à l'heure que la science ui est supérieure. Sans la science, la vie est nuiile (201, et un père doit désirer de voir son fils privé de vie plutôt que de science

XXVIII ETUDE SUR LES TRENTE-DEUX RECITS

(8). Il y a encore une chose supérieure à la vie, c'est la mort pour le bien d'autrui : on a beau garder son corps avec soin, la mort viendra un jour; or, si l'on quitte cette vie pour rendre service à un de ses sembla- bles, c'est une mort excellente. Ainsi la vie a plus ou moins de prix, selon les choses auxquelles on la compare ; en tout cas, elle n'est point le premier des biens.

§ 7. LES PLAISIRS

Quelques-uns disent que, dans le monde, la chose essentielle est la science. D'au- tres disent : la chose essentielle, c'est une jeune et belle femme, et l'abondance de jouis- sances. — Ainsi voilà deux tendances oppo- sées : la science et le plaisir. Le plaisir n'est pas défini, ou plutôt il l'est par ce qui en est le point culminant, la possession d'une belle femme. C'est le premier des plaisirs, le principal ; mais il y en a d'autres ; nous ne les énumérerons pas ici, nous les trouverons indiqués dans les divers points que nous avons à considérer, en particulier dans le chapitre du vice; car, comme on le verra, le

^^WCi

nu TRONE XXIX

e n'est en grande partie que l'amour du

plaisir.

S 8. LES RJCHEi^SKS

Les richesses ne sont pas le plaisir ; mais, par le moyen qu'elles offrent de se pro- curer toutes les jouissances , elles se con- fondent presque avec lui. On peut, comme bien d'autres choses, les envisager diverse- ment, soit en bien, soit en mal.

C'est la richesse qui fait la grandeur de l'homme. La richesse vient de Laxmî ; tout est soumis à Laxmî. Vishnu n'est devenu le suprême seigneur qu'en subjuguant Laxmî. Remarquez l'identification de Laxmî, de'esse de la fortune, avec la richesse; nous nous rencontrons avec les Hindous en attribuant au mot « fortune » le sens de « richesse ». La richesse se confond avec Laxmî, la for- tune; il fiiut en prendre grand soin et ne pas la dissiper (i i). Ainsi raisonne l'ami des richesses.

Ne pas dissiper ses richesses, c'est fort bien ! Mais la richesse est essentiellement instable; elle vient, elle s'en va. Comment

XXX ETUDE SUR LES TUENTE-DEUX RECITS

et pourquoi? Nul ne le sait. On a beau faire, la richesse se dissipe et coule entre les mains. Ainsi parle l'homme qui n'a pas d'attache- ment pour la richesse, et surtout le prodigue qui ne sait pas la garder (3 et 1 1).

La privation de richesses est un grand malheur. Quand un riche a perdu ses biens, voisins et parents le délaissent; la vie la plus dure dans un affreux désert est préféra- ble pour un homme dans cette situation à la continuation de la résidence dans le lieu qu'il habitait (i i).

Que faut-il donc penser des richesses? On a vu plus haut que la science leur est supé- rieure ; on peut les perdre, tandis qu'elle, on la conserve toujours. Mais est-ce à dire que la science suffise et que les richesses soient inutiles ? L'auteur de nos récits ne se pro- nonce pas sur la question. Il semble admet- tre que la richesse est un avantage précieux et désirable, mais qu'il faut ne pas trop y tenir et savoir s'en détacher. Seulement dans quelle mesure doit-on le faire? Quelle con- duite tenir à l'égard des richesses ? est la difficulté.

La vie de Vikramâditya semble être don- née comme un exemple du détachement des

ou IHONC XXZl

richesses ; il distribue les siennes à tort et à travers; il est vrai qu'il en avait en abon* dance. 11 prend à pleines mains dans une mine inépuisable et jette comme au hasard ses trésors incessamment icnouvelés. Nous avons quelque peine à tirer de ce tïux de li- béralités un enseignement sérieux sur le bon emploi des richesses. Les fantaisies de l'ima- gination indienne, les exagérations extrava» gantes de ses fictions et de ses conceptions morales étouffent la voix du bon sens et al- térent l'idée du bien.

§ 9. tAlALiih, ACTIVITÉ

Nous avons vu tout à l'heure que les ri- chesses viennent et s'en vont en dépit des efforts de l'ho.mme aussi incapable de les attirer que de les retenir. Cet argument est mis dans la bouche de Vikramâditya et sur- tout d'un jeune prodigue. La question de l'instabilité des richesses et de la fortune se lie à une question plus vaste, celle de la fa- talité. Le bonheur et le malheur nous arri- vent-ils infailliblement, quoi que nous fas- sions ? Et n'avons-nous qu'à nous croiser les

XXXII ETUDE SUR LES TRENTE-DEUX RECITS

bras en attendant les arrêts du sort? La ques- tion est agite'e h propos d'un monarque dé- trôné par ses sujets, chassé de son pays, élu roi dans un autre sans aucun effort de sa part, attaqué par l'ennemi dans sa riouvelle capitale, jouant aux dés pendant qu'on tra- vaille à sa ruine, restant néanmoins maître de ses Etats, et conservant ainsi sans souci ce qu'il avait acquis sans travail. Vikramâ- ditya conclut de que rien ne peut arrêter le cours du destin, qu'il est donc bien inutile de faire des efforts en pure perte ; mais un docteur lui oppose le Nîti-çâstra qui fait à l'homme un devoir de lutter contre la for- tune, contre le destin, et de déployer cons- tamment toutes les énergies qu'il a en lui (i3).

§10. UN ROI PKUT-IL VOYAGER? DU DEVOIR QUI LUI INCOMBE

La question qui vient d'être examinée avait été posée à l'occasion des voyages du roi. "Vikramâditya voyage beaucoup : ses excursions, à la vérité, ne sont pas longues; il a des chaussures magiques qui lui font

1

DU TRONE XXXItl

faire en peu de temps bien du chemin, et il est si déterminé qu'il achève promptemeni ses entreprises. Mais ses voyages, s'ils ne sont pas longs, sont très fréquents; pour un a oui », ou pour un « non », il se met en route; et on le voit sans cesse hors des fron- tières de ses Etats, Deux fois on lui en fait un reproche; la première (i3), il répond en al- léguant la fatalité; c'est l'argument dont nous avons parlé tout à l'heure ; la seconde fois (21), il oppose à la négligence dont on l'accuse le respect de la loi. Un roi a beau être vigilant, s'il est injuste, sa puissance périra; mais, quand bien même un roi serait négligent, s'il est juste, ses Etats prosj>€re- ront. D'ailleurs, c'est l'amour de la loi qui pousse Vikramâditya à voyager. Tel est donc l'argument : la loi ou la justice est de force h compenser et annuler les mauvais etlets de la négligence. Inutile d'insister sur l'exagération manifeste de celte théorie. Il est beau d'avoir foi dans le triomp'ae de la justice. Mais tous les devoirs se tiennent, tous sont indispensables, et la négligence est un vice dont les conséquences désastreu- ses sont inévitables.

XXXIV ÉTUDE SUR LES TRENTE-DEUX RÉCITS

§11. LKS l 8 VICES

La négligence,' dont il vient d'être ques- tion, est un vice. Cependant je ne la trouve pas expressément citée dans la nomencla- ture des vices que nous offre le récit même se trouve l'argumentation dont nous par- lions tout à l'heure. Ces vices sont au nom- bre de i8, nombre choisi probablement pour faire opposition aux i8 sciences, quoiqu'on ne puisse songer à mettre les i8 vices et les i8 sciences en regard les uns des autres. Les 18 vices se classent aussi sous deux ca- tégories, l'amour et la colère; il y en a 10 de la première et 8 de la seconde. L'énumé- ration des dix vices procédant de l'amour revient à peu près à une énumération des diverses sortes de plaisirs. Voici la liste des 18 vices :

Amour.

1. Passion de la chasse.

2. Passion du jeu de dés. 3j Sommeil de jour.

4. Esprit de dL-nigr^meiit.

5. Amour des femmes

DU TRONE XIXV

6 HgoUme.

7. Paksion de voir les djiuses.

8. Patsioii d'entendre les cliantt

9. Passion d'entendre les instruments 10. Promcntde au hasard et sins but.

Colère.

II. Malignité.

13. Esprit d'hostilité non motivée eoven le» geat de biM. 1 3. Uésir de tuer des gens incffensifs. I (. Impatience de l'éloge d'autrui.

i5. Tendance à découvrir des défauts dans les qualités des gens supérieurs.

16. L'action d'enlever frauduleusement aux autres leur bien.

17. Le refus de faire les dons oéceasaires. *

18. Le blime d'autrui.

Il y aurait bien des remarques à faire sur cette énumération, je me borne à quelques- unes. Pourquoi le quatrième article et même le sixième n'ont-ils pas été placés dans la deuxième catégorie? Je suis étonné de ne pas. trouver dans cette énumération l'amour de la bonne chère et des liqueurs enivrantes, des liqueurs enivrantes surtout prohibées par tant de textes formels. Parmi tous ces vices, il en est un sur lequel je dois m'arrè-

XXXVI ETUDE SUR LES TKENTE-DEUX RECITS

ter un instant, la passion du jeu de de's. On sait quel rôk terrible il joue dans le Mahâ- bhârata ' : mais il en est plus d'une fois question dans nos re'cits : c'est même à l'oc- casion d'une série indéfinie de parties de dés que rénumération des i8 vices est faite à un roi qui perdait joyeusement son royaume. Le récit 26 est spécialement consacré au jeu. Un homme magnifiquement vêtu se livre à un bavardage désordonné- : le roi en conclut que c'est un méchant homme et un homme mal élevé. Notons à ce propos que le bavardage n'est pas compris dans les 18 vices ; il aurait pourtant bien pu prendre la place d'un des 10 vices nés de l'amour qui semblent n'être qu'un double ou une redite. Le bavard du récit 26 est un joueur qui se montre de nouveau le lendemain couvert de haillons : il avait perdu. Vikramâditya exprime un blâme énergique ; il met sur le même plan le joueur, le mendiant et l'ascète aussi misé- rables les uns que les autres. Le joueur cen- suré réclame en faveur du plaisir que cause

I. Le Mahâbhârata est le récit d'une guerre formidable par laquelle les fils de Pandu recouvrent leur empire perdu dans une partie de dés.

DU TRONE

XXXVIl

le jeu et que ne peuvent ressentir ceux qui ne s'y livrent pas. Le roi ne se laisse pas convaincre ; il n'en condamne pas moins le jeu dont les conséquences désastreuses sont visibles dans la personne même du joueur qu'il a sous les yeux et obtient de lui qu'il renonce à son vice. Mais ce succès n'est ni à l'éloquence du roi, ni à la force de ses raisons; elle résulte uniquement d'un ser- vice que le roi, grâce à sa puissance surna- turelle, a pu rendre au joueur.

12. VERTUS POPULAIRES. CASTES; MARIAGE ; VEUVAGE

Après les vices, étudions les vertus, non is les vertus royales, les vertus sublimes le Vikramâditya qui ont déjà été passées en îvue, mais les vertus vulgaires des simples |>articuliers, les vertus populaires. Nous ne ïouvons les détailler par le menu, car elles )ni seulement indiquées en gros, d'une ma- ïière un peu vague. Deux fois (G et 17) on nous trace le tableau d'un peuple bien gou- verné et vertueux à l'instar de son roi. Voici les énumérations de ces qualités morales que

XXXVni ÉTUDE SUR LES TRENTE-DEUX RÉCITS

nous pensons pouvoir appeler avec raison les vertus populaires :

Chacun pratique les devoirs de sa caste sans commet- tre de trangression.

On observe ponctuellement les préceptes des Castras.

On ne met pas sa satisfaction dans l'injustice.

On fait toujours des efforts pour s'entr'aider.

A la tiii de la vie, on ne tient pas des discours men- teurs, et on médite par la scienee sur l'âme suprême.

17

On se plaît dans la vertu.

Les femmes n'ont de rapports qu'avec un seul homme.

On se détourne du mal.

On s'attache à la loi.

On persévère dans l'observation des Castras.

On respecte les hôtes.

On se conforme aux ordres des père et mère, du roi, etc.

On suit une morale conforme à la science de l'âme suprême

Ces deux énumérations parallc-les peuvent se compléter par une énumération négative (récit 24) :

DU TRONE XXXIX

Nulle transgression du Nîti-çastra; nulle oppression des créatures, même en songe ; nul obstacle à l'accomplissement des actions vertueuses; point d'injures aux Brahmanes ; point de violences con- tre les créatures; point de châtiments in- justes; — nulle recherche de ce qui n'est pas bien ; point de mauvaise conduite ; point de brisement des images des divinités; point de cause d'inquiétude pour les gens de bien ; point de trangression des lois établies par les Castras.

J'ai souligné les prescriptions positives et précises de ces énumérations, nous pou- vons noter ; l'obéissance au roi, aux père et mère, mis sur le même rang ; le soin des hôtes; l'assistance mutuelle ; le res[>ect de la division des castes et le respect parti- culier dont les brahmanes sont l'objet; les relations sexuelles de chaque femme avec un seul homme ; enfin le respect des objets re- ligieux et, en particulier, des images des dieux. Tels sont les traits saillants de cette morale vulgaire ; il en est deux sur lesquels nous nous arrêterons un instant: le respect de la distinc- tion des castes et l'honneur rendu aux brah- manes; le devoir et la condition de la femme.

XL ETUDE SUR LES TRENTE-DEUX RECITS

Il n'est pas fort souvent question de la di- vision par castes dans ces récits ; et il est as- sez rare qu'on fasse connaître les castes res- pectives des personnages mis en scène, autres que le roi, ses conseillers et les individus qui l'approchent d'ordinaire. Néanmoins le res- pect dû aux brahmanes et les privilèges dont ils jouissent sont plusieurs fois notés (i-3-5). On les charge de l'accomplissement des céré- monies religieuses. L'un d'eux est, par erreur, déclaré coupable d'un crime qui entraîne la peine de mort : mais les conseillers du roi lui font observer que cette peine ne peut être exécutée à cause de la qualité de brah- mane du condamné; et elle est commuée en celle du banissement. Malgré cela, les brah- manes ne jouent pas dans ces contes, le rôle éminent et exclusif qui leur est dévolu dans les écrits officiels. Les subtilités et la con- duite intéressée de plusieurs d'entre eux sont hautement blâmées et les bienfaits du roi s'a- dressent souvent à d'autres qu'aux brahma- nes, quoique ceux-ci soient toujours mis au premier rang dans les manifestations officiel- les de la munificence royale.

La condition des femmes nous retiendra plus longtemps. Une femme, nous dit-on,

DU TRONB XLI

ne peut se donner qu'à un seul homme ; mais la réciproque n'est pas vraie : un homme peut fort bien prendre plusieurs femmes. Si le fait n'est pas énoncé comme un principe et un droit, il est démontre par plus d'un passage qui implique l'existence de la poly- gamie. Vikramâditya a, en effet, plusieurs femmes ; néanmoins, il y en a toujours une qui est la première épouse, quelquefois con- sidérée presque comme une épouse unique; et il ne manque pas de passages relatifs à l'union des sexes, le narrateur parle comme si la polygamie lui était inconnue. 11 y a plus ; on accorde aux femmes une cer- taine influence et parfois une sorte de su- périorité intellectuelle. L'énumération des 18 vices cités plus haut est faite par une femme qui moralise son mari et lui fait la leçon, tout en partageant son vice, par pas- sion ou par obéissance ; car tous deux jouent aux dés sans s'arrêter, pendant que l'ennemi assiège leur capitale. Il s'agit en effet , dans ce récit, d'un roi et d'une reine. La reine, tout en jouant, expose à son mari les inconvénients de sa conduite ; le mari n'en a cure, et continue de jouer : curieux exem- ple que celui de cette femme obéissant par

XLII ÉTUDE SUR LES TRENTE-DEUX RÉCITS

faiblesse ou par devoir à son mari vicieux, en même temps qu'elle se montre docte et docteur ! Le récit premier nous offre un exemple de l'influence exercée par la femme en raison de sa beauté, influence plus puis- sante que les raisonnements les plus solides; il s'agit d'un roi qui ne peut siéger dans son conseil sans avoir sa femme à ses côtés.

Quand il est dit que la femme ne peut se donner qu'à un seul homme, cette phrase doit être prise à la lettre et d'une manière absolue. Après la mort de celui à qui elle était unie, la femme doit lui rester fidèle et ne peut s'unir à un autre homme. On sait assez que les femmes indiennes, pour être plus sûres de ne pas trahir la foi conjugfle, accompagnaient leur mari dans la mort. Cette grave question se trouve posée et résolue dans nos textes; il vaut la peine d'y insister.

Dès l'introduction, nous voyons Vikramâ- ditya mourir laissant sa première épouse en- ceinte. Celle-ci laisse arriver le terme, puis, une fois délivrée, elle abandonne son enfant aux conseillers du roi qui relèveront, et « entre dans le feu », c'est-à-dire qu'elle se brûle pour partager avec son mari les jouis- sances du bonheur suprême. Ainsi la fidélité

DU TRONE XLIII

conjugale, comprise comme une immolation de la femme à l'époux décédé, passe avant les devoirs de la maternité.

Dans le récit 29, nous trouvons un cas analogue, mais non identique, qui donne lieu à une discussion en règle, qu'on pour- rail intituler le pour » et le « contre •. 11 s'agit d'une femme commise à la garde du roi Vikramâditya, laquelle, se crojrant veuve, entre aussi dans le feu par fidélité à son mari. Avant que le sacrifice soit consommé, le roi cherche à détourner la veuve de son projet; celle-ci répond. Et ainsi un débat sur le devoir des veuves s'engage entre ces deux personnages. Il est vrai que le roi déclare n'avoir eu d'autre but, en combattant le des- sein de celte veuve inconsolable, que de mieux faire éclater sa fidélité; il n'en plaide pas moins contre le suicide.

Voici l'argument du roi : C'est la vie qui fait le lien entre les époux; quand la vie cesse, le lien est rompu; rien ne rattache plus les époux l'un à l'autre : la femme res- tée seule peut, à son choix, garder le célibat ou choisir un nouveau mari.

L'argumentation de la veuve est plus dé- veloppée, mais repose sur un seul principe,

XLIV ÉTUDE SUR LES TRENTE-DEUX RÉCITS

l'indissolubilité du mariage. La femme ne doit pas abandonner son mari : l'union des e'poux est si étroite que la mort même ne peut la rompre. Le mari peut bien vivre sans la femme; mais la femme ne peut plus subsister sans le mari dont elle est devenue comme une sorte d'attribut. Elle n'a qu'un moyen de lui prouver son affection, c'est de le suivre quand il meurt. La femme pour- rait, à la rigueur, survivre à son mari, mais à la condition de ne pas se remarier : or les tentations sont si puissantes, on est si expo- sée à devenir infidèle en restant en vie que mieux vaut observer la loi du sacrifice or- donné ou conseillé par les Castras.

Après avoir reproduit les arguments pour, et contre le suicide des veuves, je reviens à l'épisode du récit 29. La femme se brûle, et le mari qu'on croyait mort reparaît, il ré-, clame sa femme. Le roi raconte ce qui est arrivé; mais le mari n'admet pas ses excuses. Il exige que le roi, s'il ne peut rendre la femme qui lui a été confiée et dont il est responsable, donne en échange la reine sa propre femme; et le roi s'exécute, il livre la reine. On ne nous dit pas comment cette rupture de l'union du roi et de sa femme se

DU TRÔNE XtV

concilie avec le principe de l'indissolubilité proclamé plus haut. Il faut conclure de que le mari a le droit de rejeter sa femme, mais que la femme ne peut se séparer de son mari que si elle a été rcjctée par lui, et si la situation nouvelle dans laquelle elle en- tre lui est imposée par son mari.

Si nous réunissons toutes ces données, nous pouvons poser pour la condition des femmes les principes suivants : un homme peut s'unir à plusieurs femmes; une femme ne peut s'unir qu'à un seul homme. En cas de pluralité d'épouses, il y en a générale- ment une qui est la première; une femme peut subjuguer son mari jusqu'à le dominer même en public; une femme peut avoir de l'instruction au point de morigéner son mari. Le mariage est indissoluble; la veuve qui se remarie est infidèle. Une veuve peut rester en vie après la mort de son mari, à la condition de ne pas se remarier; mais c'est bien dangereux. Le meilleur moyen pour une veuve de rester fidèle, c'est de se brûler. Un homme peut, dans certains cas, livrer sa femme à un autre.

Il y aurait bien des réflexions à faire sur ces divers points. Nous ne le pouvons : ce

XLV( ÉTUDE SUR LES TRENTE-DEUX RECITS

serait tout un traité à entreprendre. J'ajoute- rai seulement que l'infamie dont se couvre la veuve infidèle est corroborée par le récit 23«, nous voyons deux brahmanes, dont la sœur veuve est devenue enceinte des œuvres d'un génie souterrain, quitter la ville pour aller cacher au fond des déserts la honte qui re- jaillit sur eux du crime de leur sœur.

§ r3 LES NEUF RAS.V GOUT, SAVEUR »)

L'amour el la colère^ qui sont les deux ra- cines des 18 vices énumérés dans le 21® ré- cit, se trouvent incorporés dans une autre énumération avec d'autres passions ou sen- timents qui ne sont pas tous blâmables; je veux parler de l'énumération des neuf Rasa^ qui revient assez fréquemment dans les li- vres indiens, et semble être une tentative de dénombrement et de détermination des di- verses affections de l'àme. Ils deviennent, dans le 21® récit, le sujet d'une fiction bi- zarre : un personnage obtient la manifesta- tion, et, pour ainsi dire, la matérialisation de ces 9 Rasa qui sont : l'amour, l'héroïsme, la compassion, l'étonnement, la gaieté, l'épou-

DU TRONE XLVII

vante, l'aversion, la colère, le calme. Inu- tile d'insister ici sur cette classiticaiion psy- chologique qui ne joue dans notre recueil qu'un assez faible rôle.

IV. - MAGIE

§ 14. CHAUSSURES MAGIQUES ET TRANSFORMATIONS

De la morale nous passons à la religion. Mais nous rencontrons sur notre chemin des éléments spéciaux qui se rattachent à la reli- gion et ne sont pas étrangers à la morale, sans appartenir véritablement soit à l'une, soit à l'autre. Je veux parler du merveilleux et de la puissance magique qui est la récompense de la vertu et nous transporte dans un monde fantastique dont les héros et les scènes ima- ginaires se combinent d'une étrange manière avec les personnages et les événements du monde réel. Nous tâcherons d'énumérer en les groupant le mieux possible, mais sans prétendre ici plus qu'ailleurs à une classifi- cation irréprochable et complète, les maaifes-

XLVIII ÉTUDE SUR LES TRENTE-DEUX RÉCITS

tations magiques dont quelques-unes revien- nent fre'quemment.

Nous avons déjà parlé des chaussures ma- giques avec lequelles Vikramâditya fait ra- pidement des excursions lointaines : elles ont, sans doute, donné naissance à nos « bot- tes de sept lieues ». Les joyaux merveilleux sont un des procédés les plus usités de l'au- teur de nos contes. Dés l'introduction, un fruit magique qui affranchit de la maladie et de la mort fait son apparition. Le même fruit ou son analogue reparaît dans le neu- vième récit. Dans le troisième, nous voyons quatre joyaux donner respectivement des mets, des richesses, une armée, des or- nements. D'après le vingtième récit, huit autres joyaux donnent la réalisation de ce qu'on a dans l'esprit, des mets, une armée, la divinité, les chaussures magiques, la faculté de tout immobiliser, l'omniscience, le con- tentement parfait. L'objet appelé Mûlikâ (i2« récit) permet d'obtenir tout ce qu'on désire. Deux autres objets, Rasa et Rasâ- yana (récit 17), assurent également la posses- sion et la jouissance de tous les biens, Rasa, celles des biens extérieurs, Rasâyana celle des biens spirituels, des biens du monde

1>U TRÔNE XlAX

supérieur. Le 19' récit nous entretient de trois talismans, Kanthâ, Khandika, Danda; le premier procure des richesses et des orne- ments, le deuxième une armée, le troisième rend la vie à un corps mort. Dans les récits i3 et 33, il est question de l'incomparable joyau Cintamani. Nous pouvons ranger parmi les joyaux le Siddhi-mantra de Saras- vatî cité dans le récit, quoique les mantras soient non des joyaux, mais des paroles d'une vertu magique. Sarasvatî est la déesse de l'éloquence. Son Siddhi-Mantra (Mantra de la réussite) fait obtenir les 18 sciences. Ainsi l'acquisition de la science elle-même est l'objet d'opérations magiques ! Ce Siddhi* Mantra et Sarasvatî dont il émane nous rap- prochent des traditions classiques, comme deux autres talismans bien connus Kârna* dhenu (25) la vache du désir qu'il suf- fit de traire pour voir tous ses souhaits réa- lisés, et l'Amrita, le breuvage d'immortalité, employé comme une sorte de cordial pour faire reprendre connaissance à ceux qui sont à bout de forces et par lequel une armée en- tière tombée en léthargie recouvre sa vi- gueur (23). Nos récits décrivent des scènes fantasti-

L ÉTUDE SUR LES TRENTE-DEUX RÉCITS

ques dues à la puissance magique dont sont doués certains personnages : au récit 25, deux divinités, pour éprouver Vikramâditya, prennent l'une la forme d'une vache, l'autre la forme d'un tigre. Les scènes du récit 29 auxquelles nous avons fait allusion en par- lant du devoir des veuves : cette veuve qui se brûle croyant son mari mort, ce mari qui réclame sa femme, tout cela est imaginaire, et résulte d'une fantasmagorie produite à l'aide du talisman appelé la science du ré- seau d'Indra ». L'armée avec laquelle Çâli- vâhana soutient les efforts de Vikramâditya est aussi une apparition fantastique. La grotte Vikramâditya acquiert les talis- mans Rasa et Rasâyana (17), le palais tombe une pluie d'or (3o) semblent être, quoiqu'on ne le dise pas, des effets de la magie. Enfin notons, parmi les plus curieux effets de cette puissance si souvent mise en action, la matérialisation, l'apparition sous forme concrète de certaines abstractions, sa- voir : des neuf sentiments (21) dont il a été parlé ci-dessus et des vertus de Vikramâdi- tya qui l'abandonnent, puis reviennent h lui (3i).

DU TRONB II

§ l5. ÊTRES SURHUMAINi

A la magie se rattache, en partie, l'exis- tence de personnages qui nous sont décrits dans des conditions extraordinaires, par exemple : l'homme et la femme du 6* récit, décapités et rappelés à la vie ; l'homme blessé, soigné par Vikramâditya et qui expire en lui remettant un talisman |ia), la Rànî dont on acquiert la possession en sautant dans un bassin d'huile bouillante (14}. Ces détails conviennent bien à la physionomie popu- laire de nos récits; la nature des personna- ges est quelque peu ambiguë. Mais il en est d'autres qui rentrent dans la nomen- clature des êtres surhumains figurant d'or- dinaire dans les livres classiques de l'Inde ; tels sont les Nàgas, les Yaxas et les Raxasas.

Les Nàgas sont des serpents qui vivent sous terre dans les eaux, et ont le pouvoir de se transformer. Les huit jeunes tilles du ré- cit 20" qui sont autant de perfections, pas- sant la nuit en prières auprès d'un autel et le jour au fond d'un lac dans leur ville de Pâ- tàla, appartiennent à cette race. La même

I.It ÉTUDE SUR I-KS TURNTE-DEUX KÉCIIS

race reparaît au récit i'i°; Çàlivûhana, l'ad- versaire de Vikramâditya, est fils d'un Nâga; c'est par le pouvoir magique dont il est armé en cette qualité qu'il fait apparaître une armée imaginaire, et il se sert du venin qu'il tient de son père pour empoisonner l'armée de Vikramâditya; mais voici que le roi des Nâgas, Vâsuki, guérit les malades. Ce récit nous montre donc la guerre, ou, tout au moins, la rivalité dans la race des Nâgas.

Les Yaxas ne paraissent qu'une seule fois dans ce recueil, et ils ne sont pas dépeints avec leurs traits caractéristiques. Ceux dont il s'agit sont d'anciens poissons qui témoi- gnent leur reconnaissance à celui qui les avait jadis sauvés de la mort, en employant leur puissance surnaturelle pour le sauver d'une catastrophe.

Quant aux Râxasas, ils paraissent plu- sieurs fois dans nos récits, toujours avec leurs habitudes de violence, de brutalité et d'anthropophagie. Le premier, Durjaya, de Kànci, tient captive la jeune Naramohinî, et s'en sert pour amorcer les étrangers : tous ceux qui sont séduits par les charmes de la jeune fille tombent sous la dent du monstre (8); le deuxième mange chaque jour un

ou TRONE LUI

homme, le troisième, anonyme comme le précédent, opprime une femme qu'il bat à tour de bras.Vikramâditya tue le premier de ces monstres et le troisième; quant au deuxième, il l'adoucit en s'offrant à lui comme pâture, et le force ainsi de renoncer à ses habitudes perverses.

Les Nâgas, les Yaxas, les Râxasas sont familiers à la littérature classique de l'Inde; les Vetâlas le sont beaucoup moins. Il semble que ce qui se rapporte à eux appartienne davantage aux croyances populaires. Ils sont dépeints tantôt comme une race puissante et féroce, tantôt comme des génies qui han- tent les cimetières. Dès l'introduction, cette race se fait connaître par les exploiisduVetâla Agni, antropophage, glouton, qui sait tout, qui peut tout, et dont le roi, par son cou- rage et sa fermeté, a obtenu l'amitié. C'est lui qui est le héros ou plutôt le narrateur des vingt-cinq contes du Vetâla. Le Vetâla est donc, de ce chef, inséparable des Ja récits du trône. A cela près, il n'est pas très sou- vent question de Vetàlas; mais, chaque fois qu'on en parle, c'est pour donner l'idée de la plus grande atrocité ou du pouvoir mer- veilleux le plus étendu. C'est à eux qu'on

LIV ÉTUDE SUR LES TFENTE-DEUX RÉCITS

attribue les sacrifices humains; d'après le ré- cit 27, il existe une ville de Vetâlas de tels sacrifices se célèbrent; et Vikramâditya les fait cesser. La fantasmagorie du récit 29^ l'apparition de cet homme imaginaire qui meurt pour reparaître peu après et de cette femme, non moins imaginaire, qui se brûle, croyant être devenue veuve, est l'œu- vre d'un Vaitâlika, c'est-à-dire d'un homme de la race des Vetâla, ou d'un disciple des Ve- tâla, qui se présente devant le roi armé d'une canne (une baguette magique!) et ac- complit ce prodige dont l'unique résultat est de mettre en relief l'abnégation de Vikra- mâditya. Le narrateur semble avoir voulu montrer par l'intervention des Vetâla que la plus grande puissance magique comme la plus grande férocité sont employées à faire éclater les vertus du roi.

V. - RELIGION

Nous abordons maintenant la religion à laquelle l'étude des êtres surhumains ser- vait naturellement de préface. On peut dis-

DU TRONE LV

tinguer dans une religion diverses parties : les croyances qui la constituent, le principe qui lui sert de base, la morale qui en dé- coule, les pratiques qu'elle prescrit pour le culte. Nous n'avons pas l'intention d'étudier à fond ces différents points : nous voulons seulement toucher quelques-uns d'entre eux.

§ l6. CROYANCES VULGAIRRS

11 serait difficile de tirer de nos récits un corps complet de croyances. Mais il est aisé de voir qu'ils supposent partout l'adhésion non discutée aux croyances et aux enseigne- ments du brahmanisme. La guerre des dieux et des Dilnavas leurs adversaires, le baratte- ment de la mer, le triomphe de Vishnu sont rapportés et proclamés. Nàràyana (qui est Vishnu) est adoré une seule fois. Devî est in- voquée dans l'introduction par Bhoja qui a trouvé le fameux trône, et, dans le récit Sa, par N'ikramâditya qui obtient d'elle la cessa- tion de la famine. Cette Devî est identifiée à Paramcçvarî, qui suppose Parameçvara. l*ara- meçvara se confond avec Içvaradontla véné- ration est recommandée plusieurs fois Tous

l.Vl ETUDE SUR LES TRENTE-DEUX RECITS

ces noms se rapportent à Çiva. Nous trouve- rions donc dans nos contes Vishnu et Çiva, ce qui suppose une sorte de conciliation entre les deux divinités rivales. Mais les divinite's ne sont ni fréquemment, ni clairement citées; les récits du trône n'ont point un caractère bien accusé, soit dans le sens du çivaïsme, soit dans le sens du vishnuïsme. Ils s'occu- pent peu des grandes divinités du Panthéon brahmanique, ils aiment mieux s'attacher à de menues divinités qui peut-être ne sont guère plus réelles (je parle en me plaçant au point de vue hindou) que les noms de lieux et les autres particularités notées dans les diflFérents contes, mais qui du moins, nous paraissent représenter fidèlement les objets de l'adoration populaire. Car nous n'avons point à faire ici aux leçons officiel- les du brahmanisme; il s'agit de contes com- posés pour la foule. Or, elle doit y retrouver, sous une forme mythique qui semble la transporter dans un monde de fantaisie, l'i- mage de ses préoccupations habituelles. Peu importe que telle divinité citée dans les contes n'existe pas plus que le lieu son autel est censé établi, pourvu qu'elle res- semble à telle divinité dont le lecteur indi-

bU TRÔNB LVIl

gène a pu visiter la résidence. Or nous croyons que nos 32 récits nous dépeignent assez fidèlement ce culte populaire.

8 17. CULTB

Les actes du culte ne sont pas minutieuse- ment décrits, ni même énumérés méthodi- quement; mais ils sont assez fréquemment cités pour qu'on y reconnaisse les cérémo- nies habituelles du brahmanisme. Les priè- res, les invocations, les divers ordres de sa- crifices (yajna-homa-bali-pujâ), les visites aux étangs sacrés sont plusieurs fois mentionnés; la célébration des rites védiques est aussi rappelée dans certaines circonstances.

Ce qui est dit au récit 24, qu'on ne brise pas les images des divinités sous le régne de Vikramâditya, pourrait donner lieu de sup- poser qu'il aurait existé des sectes iconoclas- tes. Mais il est probable que cette affirma- tion est relative, non h des débats religieux, mais simplement à la bonne police entrete- nue par le roi. Les brisements d'images aux- quels il est fait allusion sont, sans doute, des profanations vulgaires, comme il peut s'en

LVIll ÉTUDE SUR LES TRENTE-DEUX RÉCITS

commettre partout, en dehors de toute pre'oc- cupation religieuse. Si la mention de ces ac- tes de destruction devait être rapportée à des faits de l'histoire religieuse, on ne pour- rait guère y voir qu'un souvenir des excès qui ont pu sign&ler les invasions musulma- nes ; mais rien ne nous autorise à donner à cette hypothèse un caractère précis.

Ce qui nous paraît le plus remarquable dans les assertions du narrateur, relative- ment au culte, c'est l'inutilité de tous les actes religieux constatée plusieurs fois, no- tamment dans le récit 24; ils sont impuis- sants à conjurer la flamme; le sacrifice seul de la vie est signalé comme ayant cette effi- cacité. Nous avons déjà noté la répétition fréquente de cet acte important dont Vikra- mâditya abuse évidemment, peut-être parce qu'il sait bien, par expérience ou autrement que, au bout du compte, son sacrifice ne lui coûtera pas bien cher et lui vaudra, dès cette vie, de belles récompenses. Il ne faut abuser de rien, et un homme qui tente vingt fois de se tuer ou qui se tue deux ou trois pour revivre aussitôt ne nous touche pas autant qu'un homme qui ferait une bonne fois et sérieusement le sacrifice de sa vie. Quoiqu'il

DU TRONE LU

en soit, la pensée qui paraît se dégager de ces récits, c'est que le sacrifice de la vie est l'acte religieux par excellence. Cet acte, par lequel un homme quitte volontairement la vie, ne doit pas être confondu avec celui qui consiste h immoler des hommes malgré eux. Il est question des sacrifices humains d^ns nos récits ; mais ces actes odieux sont attri- bués à la race abhorrée des Vetâlas, etVikra- mâditya y met fin; il est intéressant de re- trouver dans nos récits cette mention des sacrifices humains. On a agi^é la question de savoir si les Indiens avaient effectivement pratiqué cette horrible coutume, et le résul- tat des recherches a été affirmatif. Que les Indiens les aient ou non pratiqués eux-mê- mes, il c t certain qu'ils en ont conservé le souvenir, et ce trait de nos récits, comme beaucoup d'autres apparemment, doit se rat- tacher à de bien anciennes traditions. En ré- sumé, l'effusion du sang humain, d'un sang expiatoire revient sans cesse dans nos textes ; et nous comprenons ainsi comment l'inextin- guible m mie des immolations volontaires et des sacrifices humains (je prends ce terme dans le sens le plus large), s'est perpétuée chez les Hindous de t;énération en génération.

LX. ETUDE SUR LES TRENTE-DEUX RECITS

Parmi les pratiques, religieuses, il ne faut pas oublier celles qui sont spéciales à cer- tains individus visant à une grande supério- rité' morale, les Yogis, appelés aussi Sannyasi et Siddhi. Nos récits ne font pas de différence entre ces trois termes. On peut voir dans Manu ' la description du Sannyasi. Nous dirons seulement ici que le Yogi est celui qui, aspirant à la perfection, la cherche dans l'identification, l'union intime (Yoga), avec l'être suprême et renonce à toutes les satis- factions d'ici-bas. Le Yogisme éveille l'idée de la perfection. Or nos contes mettent en scène sept de ces yogis, sur lesquels il y en a quatre qui sont plus ou moins méprisables. Voyons d'abord les meilleurs. Celui du ré- cit 9^ réalisait vraiment l'idéal poursuivi; il re- fuse de se rendre à l'injonction du roi qui l'a mandé près de lui ; Vikramâditya, recon- naissant la correction de ce procédé qui pouvait paraître blessant à l'égard du souve- rain, va le trouver lui-même et reçoit un ta- lisman en don. Celui du i3« récit blâme l'humeur voyageuse de Vikramâditya, lui ra- conte h ce sujet une histoire instructive et

I, Livre VI.

[

DU TRONE tXj

combat ses idées sur la fatalité. Celui du 19', reconnaissant, à la seule vue de Vikramâ- ditya tous les mérites dont il est doué, lui ilunne trois talismans. Il y a incontestable- ment des Yogis recommandables et dignes de leur profession; mais tous ne sont pas a Lissi sages et aussi généreux que ceux dont nous venons déparier; et les Yogis de l'Inde comme les moines et les prêtres européens du moyen-âge, nous sont plus d'une fois dé- peints sous des traits peu favorables. Celui de l'introduction est un misérable prêt à commettre tous les crimes, pour gagner l'homme d'or; Vikramâditya lui tranche la tête. Celui du 2' récit s'est adonné à des mortifications pénibles pendant un grand nombre d'années, sans obtenir aucun suc* ,cès; il n'y apportait pas les dispositions d'es- prit convenables : il finit par être exaucé, mais ne le doit qu'à l'intervention de Vikra- mâditya Celui du 5* récit est dans un état analogue, mais plus caractérisé ; il ne croit pas à la vertu des actes qu'il accomplit, il re- grette ks jouissances auxquelles il a re- noncé : Vikramâditya, informé de son état, le prend en pitié, ne voit en lui qu'un mal- heureux, fait en sa faveur des prodiges de li-

4

LXII ETUDE SUR LES TRENTE-DEUX RECITS

béralité, et lui assure ces jouissances aux- quelles il avait dit adieu pour chercher un état supe'rieur qu'il n'avait pu trouver. Enfin, le Yogî du récit 32^ est un franc incrédule qui discute avec le roi et finit par se laisser convaincre, mais seulement après avoir vidé l'arsenal de l'incrédulité. Ces diverses pein- tures défavorables du Yogisme ont, sans doute, été faites pour glorifier le roi, plutôt que pour flétrir les solitaires voués à la contem- plation ; elles nous montrent cependant que les façons des Yogis n'en imposaient pas au peuple, qu'en Inde comme en Europe, l'habit ne fait pas le moine ; qu'il y avait de bons Yogis et qu'il y en avait de mauvais; qu'on savait fort bien les discerner, et que si les bons obtenaient des éloges mérités, les autres ne pouvaient pas se dérober au fouet vengeur de la satire.

§ 1(3. •— CROYANCES FONDAMENTALES

Au-dessus des pratiques du culte, au-des- sus des formes extérieures, et même des croyances secondaires qui forment le système mythologique, se place le sentiment reli-

DU TRONE LXIII

gieux, le sentiment du divin dans ce qu'il a de plus intime et de plus élevé. Recherchons dans nos contes la trace de cet élément

La première que nous rencontrons ou qui nous semble mériter l'attention est la sanction morale ou plutôt l'existence d'un étatfutur heureux ou malheureux, en rapport avec les actions bonnes ou mauvaises des hommes. Pâ- tâlaetNarakasontlcsnoms des lieux le mal est puni (Intr., i,io,î3|, Svarga celui du lieu le bien reçoit sa récompense (Intr , i, ao, 2 5). Ces noms sont bien connus; il est tout naturel de les retrouver dans ces contes qui sont ici tout à fait dans le courant de la pensée indienne. Mais le sort fait aux habi- tants du Pàtâla et du Naraka et à ceux du Svarga est-il déHnitif? La réponse à cette question est douteuse d'après la dogmatique indienne qui flotte entre le oui et le non. On conçoit donc que nos récits ne soient pas propres à nous donner sur ce point une solution précise. Nous voyons, dans l'intro- duction, Vikramdditya et sa rânî, qui le suit de près, aller droit dans le Svarga tout de suite après leur décès; nous ne savons pas s'ils y sont pour toujours. On nous dit ail- leurs que les méchants endurent des souf-

LXIV ÉTUDE SUR LES TRENTE-DEUX RÉCITS

frances pendant plus de mille naissances : mais qu'arrive-t-il après ces mille naissan- ces, ou ce nombre indéfini de naissances? Nous ne le savons pas; et rien ne nous le fait préjuger. Ce qui est certain, c'est que cette donnée se rapporte à la transmigration des âmes, à la théorie des existences successives. La transmigration des âmes est, en effet, le dogme fondamental des Hindous, et il est recueil de leur dogmatique parce qu'on ne sait par quel moyen mettre un terme à ce renouvellement constant de l'existence. Le grand problème religieux de l'Inde consiste précisément à trouver et déterminer ce terme. Ce n'est pas de nos contes que nousde- vons en attendre la solution. Tout ce que nous pouvons dire, c'est que, sans parler aussi fré- quemment de la transmigration des âmes qu'on eût pu l'attendre, ils la professent hautement et la supposent constamment. L'histoire des trois Yaxas qui témoignent leur reconnaissance à l'homme qui les avait sauvés de la mort pendant une sécheresse quand ils étaient poissons (i3), nous montre des animaux et des animaux d'une espèce inférieure passant, dans une existence ulté- rieure, à la condition humaine. L'éloge de

ou IRONS LXV

la science (8, 20) il est dit que l'ignorant est assimilé à la brute et renaîtra comme une brute, nous montre, sans Hgure, l'homme destiné à renaître dans l'animalité. EnHn, le cadre même de nos récits nous otfre un cas de transmigration étrange et rare, mais non sans exemple, celui d'êtres animés passés à l'état de matière brute, sans que leur indivi- dualité soit détruite. Les 32 figures du trône qui racontent les histoires de notre recueil sont des personnes réelles condamnées à l'immobilité et réduites à prendre la forme de statuettes pour expier une faute non ex- pliquée et peut-être bien légère.

La succession des naissances et des condi- tions diverses appartient à l'ordre changeant de ce que les Hindous appellent le samsara et qui est l'instabilité même ; il n'est pas sûr que le lieu des châtiments et celui des ré- compenses le Naraka (ou le Pâiâla) et le Svarga ne fassent pas partie de cette exis- tence mobile. Il est même fort probable qu'ils ne s'en distinguent pas et que tout, le monde des vivants et le monde des morts, est emporté par le mouvement incessant du changement perpétuel. Est-ce à dire que toute existence soit vouée sans remède à la mobilité.

LXVI ETUDE SUR LES TRENTE-DEUX RECITS

qu'il n'y ait rien, absolument | rien d'im- muable? Nos récits et une partie de la phi- losophie indienne avec eux, semblent admet- tre un principe de ce caractère. Ils l'appellent « l'âme suprême » ; la perfection, selon eux, consiste dans la « méditation de l'âme su- prême » (6) dans une « morale conforme a la science de l'âme suprême » (17).

§ 19. l'ame suprême

Quoique la cause première invisible, et saisissable seulement dans ses effets visibles, soit, au récit 28'', l'objet d'une mention claire et précise, mais incidente, introduite dans une comparaison, dans une simple phrase, et qui même peut-être pourrait faire soupçonner une influence musulmane nul- lement certaine d'ailleurs, c'est seulement dans le dernier récit, le 32'", que la question est traitée ex professa, dans un sens tout indien; il y est, en effet, parlé de l'âme su- prême, et très longuement, sous forme de discussion, ce qui ajoute peut-être un nou- veau charme à l'exposé et lui donne plus de saveur, mais lui prête en même temps un

ou TRÔNE LXVII

caractère spécial. Ce récit nous fait assister il un débat entre un Yogi incrédule et le roi Vikramàditya croyant : nous voyons la reli- gion discutée, contestée, niée par un des hommes qui l'ont embrassée spécialement et font profession de la connaître mieux que les autres, et défendue par un roi qui peut avoir à remplir envers elle des devoir géné- raux de protection, mais qui n'a point pré- cisément qualité pour plaider sa cause. L'é- tude de ce débat terminera notre étude sur les trente deux récits du trône.

Il s'engage à propos d'une des pratiques du bigotisme hindou, la visite aux étangs sacrés. Un sophiste incrédule et athée atteint de ce mal que le texte appelle a la négation des Piyâcas «> vient et tourne cette pratique en ridicule, il la déclare vaine et nie les mé- rites qu'on prétend en faire découler. Voici son argumentation :

Il n'y a dans un acte rien de plus que l'acte lui-même; l'acte n'entraîne donc rien après lui. La dissolution du corps entraîne

I . « Ndstikalâ piçJct. Les Piçâcas sont des monstres ies démons qui hantent les cimetières. On les regarde comme les patrons de l'incrcdulité, de l'esprit de négation : \âsli-ka ta état de celui qui nie, qui dit : cela n'est pas

I.XVIII ETUDE SUR I.ES TRENIE-DEUX KfcCiTS

la disparition du moi. Il ne peut donc y avoir ni Svarga ni Naraka ; il n'y a pas da- vantage de justice et d'injustice invisible, ni de dieu existant par lui-même, conservateur et destructeur; ce dieu est une simple ide'e dont on ne peut prouver l'objet. Il avait été' dit au récit zq" que Dieu est une cause qu'on ne peut pas apercevoir, mais que l'on connaît par ses effets.

Toutes les négations du sophiste se lient les unes aux autres, sans précisément s'engendrer les unes les autres. Sa première proposition que l'acte ne laisse rien après lui est la néga- tion d'une des idées les plus chères à l'esprit indien. Car on répète sans cesse que le fruit ou la conséquence d'un acte le suit comme l'ombre suit le corps. Or cette notion impli- que comme conséquence probable, sinon nécessaire, l'existence du Svarga et du Na- raka. Ces deux négations du sophiste vont donc directement à rencontre des notions les plus indestructibles de la pensée in- dienne ; les autres, et surtout la dernière, sont moins choquantes, mais ne laissent pas que de heurter les esprits religieux.

Voici maintenant par quels arguments le roi répond à ceux du sophiste :

DU TRONE LZIX

Un sourd ne s'entend pas parler : s'ensuit- il que sa parole n'existe pas ? Il se trouverait donc dans cette situation singulière de faire connaître aux autres sa pensée par la parole et d'être persuadé qu'il ne dit rien, s'il ne veut s'en rapporter qu'au témoignage de ses sens; car son sens de l'ouïe ne lui fait perce- voir aucun son. Un homme s'est vu cou- per la tête en songe, il se croit décapité et, par conséquent, mort : néanmoins il se con- sidère comme vivant. L'autorité des sens n'est donc pas la seule, ni la plus digne de foi. Si l'on veut ne s'en rapporter qu'à elle, il est des choses dont on ne peut se rendre compte, l'origine des êtres, par exemple. Nous n'al- lons pas nous imaginer que nous sommes tombés du ciel : il nous faut donc supposer des ancêtres que nous n'avons pas vus, mais dont l'existence ne saurait être douteuse. C'est par un raisonnement analogue qu'on arrive à conclure l'existence d'un être supé- rieur en qui et par qui tout existe. Tout a une borne, les choses matérielles comme les cho- ses morales : qui les maintient dans leurs bornes ? qui est la limite? C'est le Seigneur suprême, omniscient, maître absolu, se révé- lant par la série des effets, essence de toutes

LXX ÉTUDE SUR LES TRENTE-DEUX RÉCITS

choses, témoin de toutes choses, saisissant tout, voyant tout, entendant tout, bien qu'il n'ait ni mains, ni yeux, ni oreilles, qui con- naît tout et que nul ne peut connaître, qui est partout et que nul ne peut atteindre, qui n'a besoin de nul appui et sur qui tout re- pose, qui est toute bonté, intelligence, féli- cité.

Après ces définitions, qui sont correctes et dans lesquelles je ne vois aucun symptôme de panthéisme, il en vient d'autres qui sont de pures divagations panthéistiques. Ce Sei- gneur suprême, qui tout à l'heure était au- dessus de toutes les existences, se trouve avoir maintenant quelqu'un ou quelque chose au- dessus de lui. Il est l'œuvre, le produit de Mahâmayâ la grande magie ») la cause et l'effet, la racine et le produit. Ce monde, simple effet de sa puissance, n'est qu'un songe. Sa force vient du grand Sommeil (!). Voilà pourquoi n'ayant ni qualité (distinctivc), ni activité (déterminée), étant par sa nature toute bonté, intelligence, félicité, il possède l'omniscience et toutes les qualités.

Je ne suis pas parfaitement sûr, je l'avoue, de comprendre ce passage énigmatique; mais je ne crois pas qu'on puisse y trouver autre

DU TRONE LXXI

chose qu'une défînitioa panthéiste de l'Etre suprême, opposée à celle qui précède et qui me semble de nature à satisfaire les théistes les plus ombrageux.

Après avoir défini l'Etre suprême par ce double courant d'épiihétes et de propositions, le roi aborde la question de la délivrance ti» nale dont il fait la théorie à sa manière, en termes très brefs. Il se borne à dire qu'on arrive à la délivrance finale en rendaut au Seigneur suprême un hommage assidu. Ce genre de délivrance paraît être autre chose que le Svarga et quelque chose de mieux. Le Svarga est apparemment la plus belle récom- pense des bonnes actions qu'on puisse obte- nir dans le monde, non pas, sans doute, dans le monde terrestre, mais bien dans un monde supérieur qui n'en fait pas moins partie de ces évolutions et de ces transformations mul- tiples dont se composent les effets variés qui ont dans le Seigneur suprême leur point de départ et leur cause première. La délivrance finale proposée, vantée, mais non expliquée ^_ par le roi doit être une absorption d^.is le ^H Seigneur suprême considéré à la fois comme ^^B la cause de tous les effets et comme la sup- ^^P pression de toute participation aux eflTets dé-

w

LXXII ETUDE SUR LES TRENTE-DEUX RECITS

rivant de cette cause unique. Cette the'orie fait, en définitive, bon marché du Svarga, et le sophiste qui en avait nié l'existence a dû, en effet, se laisser convaincre assez facilement sur ce point par son adversaire.

Cette vue relative au Svarga, qu'elle soit vraiment celle du roi ou qu'elle se déduise de ses affirmations, est justifiée par la suite du discours. Revenant, en effet, à la morale, Vi- kramâditya compare les passions vicieuses à des maladies, les efforts vertueux nécessaires pour les surmonter à des remèdes, et le Svarga à des friandises qui servent à faire passer les remèdes dont ils dissimulent l'a- mertume. L'image est bien connue, et ce n'est pas la première fois que nous la rencontrons ; mais que penser de cette théorie qui fait sim- plement du Svarga un moyen de dorer la pi- lule? Le Svarga n'est pas seulement une ré- compense off"erte à celui qui aura le courage de faire les efforts requis ; c'est une sorte de leurre, un appât. On avoue que le fruit véri- table de tous ces efforts, c'est qu'on devient maître Je soi. Si nous interprétons bien la pensée du texte, et l'étude que nous en avons faite ne nous a pas permis d'arriver h une au- tre conclusion, l'empire sur soi-même, s'il

DU TRONE LXXlll

n'est pas la délivrance finale même et ne se conlond pas avec elle, en est du moins la source et la condition.

Ainsi toute cette discussion si savante et si religieuse, qui commence pur l'exaltation de l'Etre suprême, semble aboutir à la glorifica- tion de l'homme; la puissance supérieure est à peu près oubliée, et son concours ne sert qu'à assurer l'empire de l'homme sur soi- même. Quel usage l'homme doit-il Lire de cet empire? Se rendra-t-il indépendant, ou s'absorbera-t-il dans le Seigneur suprême? Le premier de ces deux états paraît mieux ré- pondre à la nature des efl"orts individuels ac- complis. La seconde paraît mieux répondre à la pensée générale de tout le débat. Aussi pa- raît-il à propos de réserver son jugeme:;!. Ne demandons pas à nos contes de nous donner une dogmatique complète et de toutes pièces; c'est assez qu'ils jettent, en passant, un grand nombre d'idées plus ou moins sérieuses et élevées qui méritent d'être notées et recueil- lies. C'est ce que nous avons tâché de faire. Nous n'avons pas la prétention d'avoir fait un exposé méthodique et complet, rien n'a été oublié, tout est parfaitement classé ; un recueil de contes ne mérite peut-

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LXXIV ÉTUDE SUR LES TRENTE-DEUX RÉCITS

être pas d'être pris tellement au sérieux. Ce- pendant nous croyons n'avoir rien omis d'important et avoir classé ces matériaux, qui ne laissent pas d'être assez nombreux, d'une façon au moins satisfaisante. Tout ce que nous nous sommes proposé, c'est d'introduire le sujet et d'appeler l'attention du lecteur sur une œuvre qui peut paraître légère, mais qui a son côté grave, peut-être même de lui faci- liter l'usage de ce livre en expliquant certains points et faisant ressortir les idées principales qui s'y trouvent éparses. Puisse-t-il trouver que le temps employé à ce travail n'a pas été perdu, et qu'il valait la peine de traduire et de soumettre à une modeste analyse l'histoire du trône de Vikramâditya et les trente-deux récits que la fantaisie indienne s'est plu à y rattacher!

*V*

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TRADUCTION

DE LA VERSION BENGALIE OU

BATRIS SINHASAM

(les trentk-dkux récits du trône ~

DE VIKRAMADITYa)

PAt

LE ÇARMAN MRITYUNJAYA

RECUEIL (DES RÉCITS) DU TRONE

AUX TRENTE-DEUX FIGURES

L'AUGUSTE VIKRAMADITYA

EN LANGUE UU BËNGAL

Par Son Eicelleaee

LE ÇARMAN MRITYUNJAYA

I 'auguste Vikramâditya était un roi des rois également versé dans les choses divines et dans les choses humaines. Il avait reçu, par la faveur des dieux, un trône en pierreries et orné de trente-deux figures sur lequel il siégeait. Quand ce roi, l'auguste Vi- kramâditya, fut monté dans le Svarga, il n'y eut plus personne qui fût digne de s'asseoir

CONTES INDIENS

sur ce trône, lequel fut enfoui dans le sol. Quelque temps après, sous la domination de l'auguste roi Bhoja, ce trône fut retrouve'. Voici le re'cit de cette histoire :

LES

TRENTE-DEUX RÉCITS

DU TRONE

i:^(iTRODUCTIOO^

L y avait dans la région du MiJi une ville appelée Dhàrà. Non loin de cette ville, était situé un champ de grains appelé Sambandakar, dont le cultivateur avait nom Yajnadatta. Ce cultivateur, après avoir creusé

6 CONTES INDIENS

un fossé aux quatre côtés du champ de grains, y fit pousser des arbres de diverses nature, des Çâla, des Tâla, des Tamâla, des Piyâla, des Hintala, des Vakula, des Amra, des Am- râtaka, des Campaka, des Açoka, des Kim- çuka, des Vaka, des Guvâka, des Nârikela, des Nâyakeçar, des Mâdhavî, des Mâlatî, des Yuthî, des Jâtî, des Sevatî, des Kadalî, des Tagar, des Kunda, des Mallikâ, des Deva- dâru etc. ; il forma ainsi un parc et y fixa sa résidence.

Près de ce parc était une forêt épaisse et redoutable, d'où sortaient des éléphants, des tigres, des buffles, des rhinocéros, des sin- ges, des sangliers, des lièvres, des ours, des daims et bien d'autres animaux, qui détrui- saient chaque jour les plantations. Contra- rié au plus haut degré par cet état de cho- ses, Yajnadatta, pour garder ses plantations, établit un observatoire dans le champ et s'y installa de sa personne. Chaque fois qu'il était sur l'observatoire, pendant tout le temps qu'il y était, le cultivateur comman- dait, ordonnait, délibérait de la même façon qu'un roi des rois commande, ordonne, déli- bère. Une fois descendu de ce poste d'obser- vation, il était comme un simple particulier.

INrUODUCTION 7

Les voisins du cultivateur, ayant rennar- qué cette particularité, en furent étonnés et parlèrent ensemble de ce fait merveilleux. L'affaire s'ébruita par la conversation, telle- ment que Bhoja, le roi de la ville de Dhârâ, en entendit parler. Aussitôt, saisi de curio- sité, il se rendit à cet observatoire, accom- pagné de ses conseillers, de ses officiers, de son armée, de son général en chef : après avoir vu de ses yeux le cas de ce cultiva- teur, il fit monter sur l'observatoire un de ses conseillers, en qui il avait une confiance extrême. Ce conseiller, pendant tout le temps qu'il fut sur l'observatoire, commanda, ordonna et délibéra à la façon d'un roi des rois. A cette vue, le roi surpris fit la ré- flexion que cette vertu n'était propre ni à l'observatoire, ni au cultivateur, ni au con- seiller, mais qu'il y avait en ce lieu quel- que objet étonnant par la puissance duquel le cultivateur se comptait comme un roi. Cette détermination faite, le grand roi, pour trouver l'objet, donna l'ordre de creuser en ce lieu. Dés que l'ordre fut reçu, la troupe des gens de service se mit à creuser : de ces fouilles sortit un trône en pierreries, divin, plein d'éclat, resplendissant de 32 figures,

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8 CONTES INDIENS

orné d'une foule de pierreries, de corail, de perles, de rubis, de diamants, de cristal, de jaspe, de saphir, de rubis. Tel était l'éclat de ce trône que le roi et les gens de sa suite ne furent pas capables de le regarder.

Ensuite, le roi, ravi de cette trouvaille, eut le désir de faire porter le trône dans sa résidence royale, et donna des ordres en conséquence à la troupe de ses serviteurs. Les ordres donnés, les serviteurs firent plu- sieurs tentatives pour enlever le trône ;|mais le trône ne bougea pas de place. Une voix retentit alors dans les airs, disant : O Roi, donne diverses étoffes, des ornements et au- tres objets, rends un culte à ce trône, fais- lui des offrandes et des sacrifices; alorg le trône s'enlèvera. Le roi, ayant entendu ces paroles, agit ainsi, et le trône s'enleva sans difficulté.

Ayant donc fait porter le trône dans sa ville royale appelée Dhârâ, il l'établit dans la salle du conseil ornée de colonnes en or, en argent, en corail, en cristal. Puis le désir lui vint de siéger sur ce trône ; il appela des savants, fit choisir un moment de bon au- gure, et donna aux gens de service l'ordre de faire tous les préparatifs du sacre. Dès

INTRODUCTION 9

qu'ils eurent reçu l'ordre, les serviteurs ap- portèrent du lait caillé, du durba, du santal, des Heurs, de l'akuru, du safran, delà bouse de vache , des parasols , des ombrelles , diverses queues, des queues de vache, des queues de paon, des flèches, des armes, des miroirs et autres objets qui sont dans les mains des femmes ayant mari et enfants, tout l'appareil propre à une fête solennelle, avec une peau de tigre bigarrée pour figurer la terre aux sept continents, en un mot l'appareil prescrit dans les Castras pour le sacre des rois, puis en informèrent Sa Ma- jesté. Alors, quand le Guru, le Purohita, les Brahmanes, les savants, les conseillers, les chefs, les soldats, le général en chef fu- rent entrés, l'auguste roi Bhoja s'approcha du trône, afin d'être sacré quand il y serait nssis.

A ce moment, la première figure du trône s'adressa au roi en ces termes :

O roi, écoute! Le roi qui est doué de qua- lités, extrêmement riche, extrêmement libé- ral, extrêmement compatissant, éminent par son héroïsme et sa bonté, porté par sa nature à des efforts de moralité, plein de force et de majesté, c'est ce roi seul qui est digne de

10 CONTES INDIENS

s'asseoir sur ce trône; un autre, un roi ordi- naire, n'en est pas digne.

A ce discours, le roi répondit : O figure, il suffit qu'on me demande pour que, com- prenant le devoir de donner, j'accorde immé- diatement un lac et demi d'or : quel autre roi sur la terre m'est supérieur en libéralité ^ En entendant ces paroles, la figure sourit et dit : O roi, l'homme qui est grand ne fait pas lui-même l'éloge de ses propres qualités. Tu fais toi-même le commentaire de tes qua- lités; a cause de cela, dans ma pensée, tu es très petit. L'homme grand est celui dont les qualités sont vantées par autrui. Quand on vante soi-même ses propres qualités, il n'en résulte rien de bon ; mais les gens en parlent comme d'une chose inconvenante : comme lorsqu'une jeune femme presse elle-même ses seins, il n'en résulte aucun plaisir; mais les gens en parlent comme d'une chose inconve- nante.

En entendant ce discours de la figure, le roi fut extrêmement confus; il dit : O figure, ce trône, à qui était-il? à quoi servait-il? Ra- conte-moi cette histoire.

La figure reprit : O grand roi, écoute l'his- toire du trône :

INTRODUCTION I I

Dans une ville appelée Avantî était un roi nommé Bartrihari. A l'époque il fut sa- cré, son frère cadet, appelé l'auguste Vikra- mâditya, ayant reçu un affront, quitta son propre pays et passa à l'étranger. L'auguste Bartrihari, depuis son sacre, veillait sur les créatures comme sur ses enfants et répri- mait les méchants : voilà comment il gou- vernait la terre. La dame qui partageait le trône du roi, appelée Anangasenâ, s'assu- jettissait complètement le roi par sa beauté et ses qualités. Or, il y avait dans cette ville un brahmane qui rendait un culte à Devî, la divinité du pays. Devî, satisfaite de ce culte, se présenta à lui et lui dit : Brahmane, de- mande ce que tu désires. Le brahmane, après lui avoir adressé humblement ses louan- ges, dit : « O Devî, si tu es bien disposée pour moi, rends-moi exempt de la vieillesse et de la mort \ » A l'ouïe de ces paroles, Devî satisfaite donna un fruit au brahmane et lui dit : « Quand tu auras mangé ce fruit, tu seras affranchi de la vieillesse et de la mort. » Après lui avoir ainsi donné ce qu'il avait choisi, Devî disparut, et le brahmane s'en alla chez lui. Le lendemain, après avoir rempli tous ses devoirs, l'ablution, l'offrande.

12 CONTES INDIENS

etc., comme il était sur le point de manger le fruit, il fit en lui-même cette réflexion : « Je ne suis qu'un mendiant excessivement pauvre; à quoi bon prolonger la durée de ma vie? Le roi Bartrihari est souveraine- ment juste; la prolongation de ses jours sera un bienfait pour une multitude de gens. » Ces réflexions faites, il se rendit dans le conseil du roi, lui adressa ses salutations, lui fit pré- sent du fruit et lui en raconta en même temps l'histoire. Le roi, ayant reçu le fruit, fut rem- pli de joie, et accorda au brahmane plusieurs distinctions honorifiques ; puis ce brahmane s'en retourna chez soi. Le roi s'étant rendu dans l'appartement des femmes, donna à la Rânî des témoignages de son extrême bien- veillance et lui remit le fruit ; en même temps, il lui en raconta l'histoire. La Rânî avait des relations avec le premier conseiller, si bien qu'elle lui raconta cette histoire et lui donna le fruit. Le premier conseiller était l'amant d'une courtisane ; il raconta aussi l'histoire à cette courtisane et lui donna le fruit. La courtisane, ayant reçu le fruit, prit la détermination sui- vante : « Si je donne ce fruit au roi Bartri- hari, j'obtiendrai d'abondantes richesses.» Ayant pris ce parti, elle donna le fruit au roi.

INTRODUCTION l3

Le roi, en recevant ce fruit, fut excessive- ment étonné : « Ce fruit, se dit-il, je l'avais donné à la Hânî; d'où vient cette extrême atfection de la Rânî pour une courtisane? Il fit donc des recherches, et apprit toute l'histoire. Incontinent il fut détaché des cho- ses du monde et comprit tout ce qu'il y a de mauvais dans les biens extérieurs, tels que femmes, enfants, etc. « Cette femme que j'ai- mais plus que ma vie, pensa-t-il, je vois qu'elle n'avait pas d'attachement pour moi, elle était attachée à mon conseiller; ce conseiller, de son côté, n'avait pas d'attachement pour la Rânî, il n'en avait que pour une courtisane ; la courtisane non plus n'avait pas d'attache- ment pour le conseiller; la richesse était son unique passion. Ainsi l'atïeciion qu'on a pour une femme, des enfants et autres cho- ses de ce monde est une pure duperie. Après avoir fait toutes ces réflexions, le roi renonça à la royauté et s'en alla dans la fo- ret. L^ il mangea le fruit donné par le dieu, puis resta plongé dans une profonde médita- tion. Le roi Bartrihari n'avait pas de posté- rité ; le royaume était privé de roi, l'épou- vante causée par les voleurs et les malfaiteurs augmentait de jour en jour.

14 CONTES INDIENS

Un Vetâla nommé Agni faisait sa demeure en ce pays. Or, les conseillers, dans leur trouble extrême, avaient confié la garde du royaume à un enfant Xatrya doué de tous les signes de la royauté. Mais le jour ils l'avaient installé roi du pays, ce même jour, à la tombée de la nuit, le Vetâla Agni arriva, fit périr le roi, puis s'en alla. C'est de cette façon que, chaque fois que les conseillers se réunissaient pour faire un roi, chaque fois le Vetâla Agni le faisait périr. Ainsi nul ne pou- vait rester roi dans ce pays. Aussi la perver- sité des méchants devint telle que le pays dépérissait de jour en jour. Les conseillers se creusèrent la tête pour chercher les moyens de préserver le roi, mais ils ne réus- sirent pas à trouver un expédient pour le maintenir.

Un jour, les ministres assemblés étaient en séance occupés à délibérer quand l'auguste Vikramâditya, ayant pris un costume d'em- prunt, entra dans la salle du conseil et dit aux ministres : « Pourquoi ce royaume est-il sans roi? » Les ministres répondirent : « Le roi est allé dans la forêt; chaque fois que nous faisons un (nouveau) roi pour garder le royaume, le Vetâla Agni fait périr ce roi. »

J

INTRODUCTION l5

Vikramâditya, ayant entendu ces paroles, reprit : « Faites-moi roi aujourd'hui Les ministres, voyant que Vikramâditya était un sujet digne de la royauté, dirent : A partir d'aujourd'hui. Ton Excellence est roi du pays d'Avantî; c'est en nous conformant à tes or- dres que nous ferons nos propres affaires. Devenu de cette façon roi du pays d'Avantî, Vikramâditya passa tout le jour à s'occuper (des affaires) de la royauté, à goûter les jouis- sances du bien-être; à la nuit, il prépara, en vue du Vetâla Agni, diverses espèces de breu- vages enivrants, de la viande, du poisson, des douceurs, du pain, du riz bouilli avec du miel et du sucre, des mets, des sauces, du lait caillé, du lait, du beurre clarifié, du beurre frais, du sandal, des guirlandes, des fleurs, diverses espèces de substances odo- rantes, etc. ; il garda tout cela dans sa mai- son, et lui-même resta chez lui, se tenant éveillé sur son meilleur lit.

Alors le Vetâla Agni entra dans cette mai- son, un glaive à la main, et s'efforça de tuer l'auguste Vikramâditya. Le roi lui dit : Ve- tâla Agni, écoute! puisque Ton Excellence est venue pour me faire périr, il n'est pas douteux qu'elle y réussira; mais tous ces

l6 CONTES INDIENS

mets que voici ont été réunis ici à ton in- tention; mange tout, tu me feras périr en- suite. » Le Vetâla Agni, ayant entendu ces paroles, absorba tous les mets accumulés, et, satisfait du roi, lui dit : « je suis extrême- ment (content et) bien disposé pour toi, je te donne ce pays d'Avantî; sois au premier rang et goûte les jouissances; seulement, prépare-moi tous les jours un repas sem- blable. » A ces mots, le Vetâla Agni quitta ce lieu pour retourner dans sa demeure.

Le matin, le roi, après avoir rempli ses devoirs, se rendit au conseil. En le voyant, les conseillers et autres se dirent en eux- mêmes : « Puisqu'il a pu échapper au Ve- tâla Agni, ce sera assurément un grand homme. » Ayant donc fait cette réflexion dans leur esprit, ils témoignèrent au roi un grand respect, se montrèrent pleins d'atten- tion (pour lui), puis se livrèrent à leurs oc- cupations respectives.

Le roi, ayant, par crainte et par amour, rendu ses ministres et les autres dociles à ses ordres, accomplissait l'œuvre de la royauté conformément au code politique et pénal '.

i. NÎti-çâstra (livre de la politique ou de la morale) et Danda-çdstra (livre du châtiment).

INTRODUCTION I7

Chaque jour, à la nuit, il cHrait le repas comme précédemment au Vetâla Agni. Mais ensuite, il se rendit maître du Vetâla Agni par le moyen suivant :

Un jour, à la nuit, le Vetâla Agni, après avoir mangé, fut très satisfait et ne s'en alla pas. Le roi lui posa alors cette question : « O Vetâla, qu'est-ce que tu es capable de lire? que sais-tu? » Le Vetâla répondit : Ce que j'ai dans l'esprit, je suis capable de l'exécuter; je connais tout. Le roi re- prit : « Parle, regarde : Quelle est la durée de ma vie ? » Le Vetâla répondit : * Ton âge est d'une centaine d'années. Le roi reprit : Dans ma vie, il s'est rencontré deux lacunes ; .c qui n'est pas bien; en conséquence, ac- corde-moi une année en plus des cent ans, ou retranche des cent une année. Le Ve- tâla répondit : O roi, tu es au plus haut de- gré, bon, libéral, compatissant, juste, vain- queur de tes sens, honoré des dieux et des Brahmanes : (la mesure des) jouissances qui doivent remplir ta vie est comble; il n'est pas possible d'y ajouter ou d'en retran- cher quelque chose. » En entendant ces paroles, le roi fut satisfait ; et le Vetâla s'en retourna dans sa demeure.

l8 CONTES INDIENS

Après cela, le roi ne fit point, à la nuit, les pre'paratifs du festin pour le Vetâla, mais il se tint prêt pour le combat. Le Ve- tâla arriva, et, ne voyant rien de préparé pour le repas, voyant au contraire les dispo- sitions prises par le roi pour le combat, il se fâcha et dit : « Fi ! roi pervers, pourquoi ne m'as-tu rien préparé à manger aujour- d'hui ?» Le roi répondit : « Puisque tu n'es pas capablç d'ajouter à la durée de ma vie ou d'en retrancher, pourquoi te prépa- rerais-je un repas continuellement et sans profit ? » Le Vetâla repartit : « Oh ! oh ! c'est ainsi que tu parles! Viens maintenant; combats avec moi : c'est aujourd'hui que je te mangerai. » A ces mots, le roi en co- lère se leva pour combattre et engagea avec le Vetâla une lutte variée qui dura quelques instants. Le Vetâla, s'étant rendu compte de la force et de l'héroïsme du roi dans le com- bat, fut satisfait et dit ; « O roi, tu es très fort, je suis content de ton héroïsme dans le combat, choisis ce que tu veux me deman- der.»— Le roi répliqua : « Puisque tu es bien disposé envers moi, accorde-moi donc cette faveur que, dès que je t'appellerai, tu arrive- ras prés de moi. » Le Vetâla accorda ce

INTRODUCTION I9

don au roi et s'en alla dans sa demeure.

Le lendemain matin, les conseillers appri- rent cette histoire de la bouche du roi; puis, s'étant bien rendu compte de ce qu'il était, ils réunirent une grande assemblée so- lennelle et procédèrent au sacre du roi. Le monarque ainsi sacré goûtait les jouissances de la royauté sans (en sentir) les épines.

Sur ces entrefaites, un jour, un yogî vint et dit au roi : O grand roi, si tu veux bien ne pas repousser brutalement ma demande, j'ai une requête à te présenter. Le roi ré- pondit : O yogî, désires-tu toutes les riches- ses que je possède et même ma vie ? Que ton désir soit rempli; je ferai tout ce que tu veux. Le yogî reprit : J'ai certaines ^crémonies funèbres à accomplir ; sois mon assistant ! Le roi accepta. Alors le yogî, le prenant avec soi, se rendit au cimetière. Quand ils y furent arrivés, le yogî dit : O roi, à deux Kroça d'ici, il y a, dans un arbre Çinçapa, un mort attaché ; apporte-le-moi promptement. Après avoir ainsi chargé le roi dapporter le cadavre, il se tint à l'est >.lu cimetière sur le bord de la rivière Ghar- ghâ, murmurant des mantras à l'autel de l'auguste (déesse) Kàlikâ. Le roi, arrivé prés

20 CONTES INDIENS

du Çinçapa, monta sur l'arbre et coupa avec un glaive les liens du cadavre qui tonaba sur le sol. A peine le roi étail-il descendu que le cadavre, montant sur l'arbre, se retrouva dans la même position qu'auparavant. Le roi, quelque peu étonné, remonta sur l'ar- bre, prit le cadavre et descendit.

En cet instant, le Vetâla Agni, connaissant l'infortune du roi, se présenta devant lui et lui fit 25 récits qui dissipèrent sa fatigue. (Le détail de ces 2 5 récits se trouve dans le Ve- tâlapancavimçati). (Après quoi le Vetâla) dit : « O grand roi, ce yogî est un grand ma- gicien; il t'a amené parce qu'il sait que tu es un homme supérieur, dans l'espoir de t'ofFrir en sacrifice pour gagner l'homme d'or. Sois donc bien sur tes gardes. Lorsque ce yogî te dira de faire quelque chose, songe que, si tu aides les méchants, cela ne te tour- nera pas à bien. »

Ce discours étonna le roi et le porta à faire les réflexions suivantes : ce yogî a aban- donné femme, enfants, etc., et s'est fait er- mite; moi, roi du pays, je suis le protecteur déplus d'une personne; il a le dessein de m'offrir un sacrifice pour gagner l'homme d'or. La richesse est son but suprême, le

INTRODUCTION 2 1

reste, pour lui, n'est rien. Ce méchant yogî, pour réaliser son seul bien-être, est prêt à causer des maux infinis à une foule de gens et n'hésite pas à se lancer dans les mau- vaises actions. C'est ainsi que les fous, poussés par la convoitise, font le mal pen- dant toute une existence en vue d'un avan- tage quelconque; après quoi, recueillant le fruit du mal, ils endurent, pendant plus de milL- naissances , diverses espèces de douleurs. Les méchants auraient beau être plongés dans une mer de pureté, ils ne re- nonceraient pas à leur méchanceté; de même que les serpents qui boivent constamment du lait dans la mer de lait, ne vomissent ja- mais l'amrita et ne lancent que leur venin. Toutefois, comme le venin du serpent peut être dompté par des Mantras et de grandes Aushadhis, ainsi, en conformant leurconduite ,mx prescriptions des livres de morale (Nîti- yâstra), les méchants peuvent diminuer leur méchanceté. Mais ce yogî est d'une méchan- ceté extrême; le devoir d'un roi est de de le tuer. Cette détermination prise, il s'é- lança, le glaive à la main, et trancha la tète du yogî. A peine cette tète fut-elle coupée qu'un homme d'or apparut, loua la majesté

22 CONTES INDIENS

du roi et ne cessa depuis de manifester en- vers lui de bonnes dispositions.

Le roi radieux, transporté de joie, prit l'homme d'or et se rendit dans sa résidence royale; par la faveur de l'homme d'or, il de- vint aussi riche que Kuvera, et se livra à tou- tes sortes de jouissances et de plaisirs.

Dans ces circonstances, un brahmane ap- pelé Siddhasena, venu du pays de Kanya- kubja, se présenta devant le conseil du roi, et, après avoir salué sa majesté, dit : « O roi, la fortune est une femme. Si la haute fortune que tu possèdes vient de toi, alors c'est ta tille; si elle vient de ton père, alors c'est ta sœur; si tu la tiens de quelque autre, alors c'est la femme d'autrui. Réfléchis donc bien à ceci : songe que la haute fortune n'est ja- mais compatible avec les jouissances. Aussi les gens de bien, quand ils ont obtenu une haute fortune, font des libéralités. Tu es un homme de bien, il te convient de faire des dons. » Le roi, ayant entendu ces paroles de la bouche du brahmane, fit les réflexions suivantes : « Habiter un grand palais, monter des éléphants divins et d'excellents chevaux, bien plus, jouir de beautés comme on n'en a pas vu encore, cela n'est pas d'un grand

INTRODUCTION 13

homme. Ceux qui, considérant leurs propres richesses comme si elles n'étaient pas à eux, renoncent à l'égoïsme et font don de leurs richesses, ceux-là sont les grands hommes et obtiennent des éloges. » Cette idée s'étant bien fixée dans son esprit, il se mit à faire constamment des dons; sur toute la surface de la terre, il n'y avait plus de pauvres, et la bonne réputation du roi allait jusqu'au monde des diciK.

Le roi des dieux est Indra ; dans son con- seil, les divinités célébraient toujours la gloire de l'auguste Vikramàditya. Indra fut excessi- vement content et dit : Dans le monde des hommes, l'auguste Vikramàditya est la perle lies rois, comme je (le suis des dieux). En con- séquence, bien disposé comme je le suis pour Vikramàditya, je lui donne mon trône de pierreries auquel sont adaptées trente-deux figures. Hé! divinité du vent, va le lui don- ner. » Conformément à l'ordre d'Indra, la 1 déité du vent, avec la vitesse qui lui appar- tient, apporta le trône au milieu du conseil du roi et le lui ofi"rit. L'auguste Vikramàdi- tya, après avoir reçu le trône, fut sacré au milieu d'une grande assemblée et s'assit sur le trône. Lorsqu'il siégeait sur ce trône, alors

6

24 CONTES INDIENS

les attributs d'Indra, l'héroïsme, l'énergie, la fermeté, la profondeur, la sévérité, l'activité, l'intelligence, la science appartenaient à l'au- guste Viîcramâditya. Alors le roi se dit : « C'est en faisant des largesses par le conseil du brahmane Siddhasena que j'ai obtenu ce siège divin. » Cette réflexion le remplit de bienveillance à l'égard du brahmane Siddha- sena, et il en fit un membre de son conseil, le chef des Pandits.

Le roi, dans son conseil, recevait chaque jour des centaines d'hommes versés dans le Veda, des docteurs du Vedanta, du M imamsa, du Tarkiya, des partisans du système San- khya, de celui de Patanjali, du Vaiçeshika, des adhérents du Kalpavyâkarana, du Ni- rukta, du Jyotisha, de la Smriti, et avec eux des acteurs, des actrices, richement parés, des hommes qui connaissaient divers castras , le code politique, le code pénal, les livres de médecine, etc., l'auguste Kalidâça, Vararuci, Bhavabhûti, Xapanaka, Amarasimha, Çanku, Vetâlabhatta, Ghatakapûri, Varâha , Mihir, Dhanvantir, etc. En compagnie de ce cortège de savants, le roi goûtait les poèmes divers composés en conformité des divers Castras et savourait dans un bonheur parfait les dou- ceurs de la royauté.

INTRODUCTION l5

La première figure ajouta : Hé! roi Bhoja, n'as-tu pas été en doute pendant tout ce dis- cours? La terre féconde en joyaux n'est nul- lement dilTicile à acquérir pour un homme qui sait employer la force de la loi, savoir : les mortifications, le murmure des prières, le don, la science. Il y a plusieurs formes de récits sur la gloire et l'éclat de l'auguste Vi- kramâditya ; on n'en connaît pas le nombre. Voici comment s'acheva sa vie dont la durée fut de cent ans sans la moindre diminution : Se rappelant le discours du Vetâla, quand il vit venir le moment de sa mort, il fit la ré- tlexion suivante : Ce qui répond à la nais- sance du Xatrya, c'est la mort dans le com- bat; par elle, il obtient aisément le Svarga. » Là-dessus, il forma le désir de combattre avec le roi appelé Çûlivàhana de la ville de Pratishthâna, et donna à ses conseillers l'or- dre de préparer une armée. Les conseillers, ayant reçu l'ordre, rassemblèrent mille chars, dix mille éléphants, cent mille chevaux, un million de chameaux, dix millions de chevaux, cent millions d'archers, une multitude d'ar- chers, une multitude d'engins de feus un billion d'hommes armés d'épées et de cui- rasses, des centaines de fouets, carquois, flè-

20 CONTES INDIENS

ches, arcs, boucliers, épées, glaives, barshâ, dagues, haches, mousquets, canons et toutes sortes d'engins et d'armes. Il rassembla aussi des cordes, des bâtons, des tentes, des toiles, des abris, des couvertures, des pieux, des étendards ; il accumula des tambours, des tambours de victoire, de grands tambours, des tambours, des tambourins, des tambours, des flûtes, de grandes trompettes, des trom- pettes tûrî et naphirî, des cors guerriers, des cors de victoire, de petits tambours, des cym- bales et autres instruments de musique. Les conseillers, après avoir fait leur œuvre con- formément aux ordres du roi, en informè- mèrent le monarque.

Le roi Vikramâditya monta sur un char excellent, orné de pierreries et tout attelé : puis, entouré d'une armée à quatre corps, partit pour combattre avec le roi Çâlivâhana. Quand il fut arrivé sur le champ de bataille, il engagea une action des plus terribles, et, dans un combat face à face, frappé de la main du roi Çâlivâhana, le roi Vikramâditya quitta la vie et s'en alla dans le monde du Svarga. Le pays d'Avantî se trouva sans roi, la for- tune royale sans protecteur.

A la nouvelle de la mort du roi, la pre-

INTRODUCTION tj

mière épouse consola les conseillers et leur dit : 0 Ne soyez pas troublés; je suis enceinte, j'aurai nécessairement un fils qui sera roi et vous gardera. » En effet, peu de temps après, la reine donna naissance à un fils qu'elle confia aux conseillers; elle-même en- tra dans le feu et goûta avec le roi Vikramâ- ditya les jouissances du bonheur suprême.

» Vikramasena, fils du roi Vikramâditya, ayant été sacré dans la royauté, protégea les I créatures comme (avait fait son père;, mais [ne s'assit pas sur le trône donné par Indra '. Et depuis, roi Bhoja, sache-le bien, nul ne s'est assis sur le trône suprême. Car une voix aérienne se fit entendre, disant : « Sur

la surface de la terre, nul n'est digne de a s'asseoirsur le trône. Faites donc une exca-

« vation dans un lieu pur pour l'y enter- J

rer et l'y garder. » Les ministres, ayant V entendu ces paroles, enterrèrent le trône et

le gardèrent. »

La figure ajouta : « Ecoute, grand roi, ce trône-là, c'est celui que tu as découvert. »

I. La version bengalie met ici un litre : Récit Je la première figure ; nous avons cru devoir couper autre-

RÉCIT DE LA ir<= FIGURE

LA figure reprit : Ecoute (les preuves de) la grandeur de Vikramàditya. Un jour, le roi était dans la ville d'Avantî, assis sur le trône divin, au milieu de son conseil. Un homme pauvre arriva, s'appro- cha du roi et se tint devant lui sans rien dire. En le voyant, le roi se prit à penser en lui-même : L'homme qui vient faire une de- mande est comme celui qui est à l'article de la mort, dont le corps tremble, de la bouche duquel aucune parole ne peut sortir. Je compare les deux situations l'une à l'autre. Je conjecture donc que cet homme est venu

3o CONTES INDIENS

pour faire une demande et ne peut s'expri- mer. — Après ces réflexions, le roi fit don- ner mille pagodes ' à cet homme qui les re- çut sans quitter sa place ni prononcer une parole. Le roi lui dit alors : « Hé! sollici- teur, pourquoi ne parles-tu pas? » Le mendiant repartit : « C'est la honte qui re- tient ma langue. » En entendant ces pa- roles, le roi lui fit donner (encore) mille pa- godes, puis le questionna de nouveau : a Hé! solliciteur, voilà qui est étonnant! Si tu as quelque chose à dire, parle donc ! Le mendiant répondit : « Grand roi, la gloire de ton ennemi ne sort pas de chez lui, elle ne se répand pas au dehors ; les savants la déclarent mauvaise. La tienne peut faire er- rer constamment des mortels dans le Pâ- tâla ^ ; les poètes la déclarent bonne. Voilà ce qui est étonnant. » Le roi, à l'ouïe de ces paroles, lui fit donner cent mille pago- des. Alors le mendiant reprit : « O roi, je suis bien aise de t'apprendre que lorsque un roi, doué de qualités, garde son peuple de

1 . Hûna, pièce de monnaie valant 8 shillings, environ 10 francs.

2. Séjour infernal.

RÉCIT DE LA PIIEMIEKE FIGURE 3|

près, il ne court pus de mauvais discours sur son compte, et même il échappe à plus d'une difficulté. Ecoute l'histoire suivante : 11 y avait une ville appelée Viçâlà, dont le roi se nommait Nanda. Le jeune roi s'ap- pelait Vijayapâla, le conseiller Bahuçruta, le guru ' Çârdànanda, la Râni * Bhânumatî. Le roi, captivé par la beauté de la Rânl Bhânumatî, ne s'inquiétait point de la pros- périté ni de la détresse de ses Etats. Si par- fois il remplissait les fonctions royales, c'é- tait en compagnie de Bhânumatî que, assis sur son trône, il faisait acte de roi. Un jour son conseiller lui dit : Grand roi, j'ai un avis à te donner : il n'est pas convenable que la llànî vienne assister au conseil. Le roi ré- pondit : Conseiller, tu as raison, mais je ne puis rester sans la Rànî un seul instant. Le conseiller reprit : Fais faire sur une toile le portrait de Bhânumatî et garde-le prés de toi. Le roi fît voir à un peintre la beauté de Bhânumatî et lui ordonna de la fixer sur la toile. Le peintre fit le portrait et le présenta au roi qui le montra au guru Çàr-

1. Précepteur, guide spirituel.

2. Première épouse, reine.

32 CONTES INDIENS

dânanda et lui dit : Comment trouves-tu ce portrait? Çàrdanana répondit : C'est bien l'image de la Rânî. Mais Bhânumatî a sur la cuisse gauche un grain de beauté ' qui n'est point ici : c'est le seul défaut de ce por- trait. — En entendant ces paroles, le roi se dit en lui-même : Comment Çârdânanda con- naît-il le grain de beauté de la cuisse de Bhânumatî? Il y a quelque chose là-des- sous. — Le roi, furieux, dit à son conseiller : Fais périr Çârdânanda. Le conseiller em- mena Çârdânanda chez lui et fit ces ré- flexions : Le roi, sans préciser le crime de Çârdânanda, a donné l'ordre de le faire périr; il n'est pas convenable de tuer cet homme éminent sans un motif bien défini. Le mettre à mort serait faire commettre un crime au roi. Après avoir agité ces pen- sées en lui-même, il fit taire dans sa de- meure une cellule souterraine et y enferma Çârdânanda.

« Plus tard, un certain jour, le fils du roi, Vijayapâla, partit pour chasser dans la forêt. Quand il y fut arrivé, il aperçut un sanglier, se mit à sa poursuite pour le tuer et fut

I. Littér. : un grain de sésame.

RÉCIT DE LA PRCMIÈRE FIGURE 33

bientôt engagé dans un épais fourré : sa suite était dispersée dans toute la contrée. Le fils du roi, tourmenté par la soif, cher* chait de l'eau ; il ne tarda pas à trouver un étang et s'y arrêta pour boire. Sur ces en- trefaites, un tigre arriva au même endroit. A la vue du tigre, Vijayapâla monta sur un arbre se trouvait un singe qui lui dit : Hé! fils de roi, tu n'as rien à craindre, viens en haut! Ainsi invité par le singe, le roi monta au haut (de l'arbre).

» Quand vint le crépuscule, à la nuit, le singe, voyant la lassitude du prince royal, lui dit : Hé! fils de roi, le tigre est au pied de l'arbre, dors sur mon sein. Le fils du roi s'arrangea pour dormir de cette fa^on. Le tigre dit alors au singe : Fi! singo, ne mets pas ta confiance dans une créature hu- maine; livre-moi le fils du roi en le jetant en bas; ma nourriture dépend de ta bonne grâce, en vérité! Le singe répondit : li^coute, tigre ! le fils du roi a mis sa con- liance en moi , je ne le ferai pas périr. Après avoir entendu les paroles du sinje, le tigre garda le silence.

Quelque temps après le fils du roi se réveilla. Le singe posa sa tête sur la

34 CONTES INDIENS

cuisse du fils du roi et se mit à dormir. Le tigre, reprenant la parole, dit au fils du roi : O prince royal, pourquoi as-tu confiance dans la race des singes? Livre-moi le singe en le jetant en bas; il est ma nourriture, certes! N'aie pas peur de moi! Le prince, ayant entendu les paroles du tigre, jeta le singe en bas, pour le lui livrer. Mais le singe, en tombant, s'attacha aux branches, et resta au mi.ieu de l'arbre sans tomber sur le sol : Ce que voyant, le fils du roi fut extrême- ment confus. Le singe dit : Fils du roi, n'aie pas peur.

« Quand vint le matin, le tigre s'en alla, et le fils du roi, devenu fou, se mit à errer dans la forêt en re'pétant: Visemirâ,Visemirâ.

« Le cheval du prince était revenu (de lui- même) en ville à son écurie. Le roi, voyant le cheval et n'apercevant pas le prince, fut dans un trouble extrême. Accompagné de son entourage, il se mit à la recherche de son fils et entra dans la forêt ; il y trouva le prince qui errait en répétant : Visemirâ, Vi- semirâ. Le roi conduisit le prince dans sa demeure et lui administra divers mantras '

I. Paroles magiques.

RECIT OE LA PREMIERE FIGURE

et grandes Oshadhis ' ; mais aucun moyen ne l'ut salutaire. Le roi dit : Si le guru Çârdânanda était là, il saurait bien ce que veut dire mon fils ; mais j'ai moi-mtme fait pcrir Çârdânanda ! A ce moment, le conseiller lui dit : Grand roi, j'ai une proposition à te faire : Tous les remèdes sont inutiles, tu es dans le chagrin : qu'ad- viendra-t-il maintenant? Fais crier par toute la ville cette proclamation : Celui qui ren- dra la santé au prince, je lui donnerai la moitié de mon royaume. Le roi suivit le conseil, et fit faire cette proclamation dans la ville. Le conseiller rentra chez lui et ra- conta la chose à Çârdânanda. Çârdânanda parla ainsi au conseiller : Va dire au roi : j'ai une fille de sept ans qui, en regardant ton fils, lui rendra la santé. Le conseiller rapporta ce discours au roi qui, après l'a- voir entendu, prit aussitôt son fils et le con- duisit dans la maison du conseiller. Celui-ci avait fait séparer par un voile le lieu se tenait Çârdânanda; le roi avec son fils se îuait en dehors du voile. « Çârdânanda, se tenant derrière le voile,

I. Hordes médicinales

36 CONTES INDIENS

se mit h dire : Celui ' qui a repose' sur la cuisse de (l'ami) qui avait mis sa confiance en lui, puis l'a trompé, qu'a-t-il en lui d'hu- main ? Il a e'té fait un poème sur ce sujet. » A l'ouïe de ces paroles, le fils du roi, supprimant la syllabe V/ ^, se mit à dire Se- in ira.

« Çârdânanda reprit : Depuis Setuban- dha ^ jusqu'au Gange, le meurtre d'un brah- mane et les autres grands crimes peuvent s'effacer : le crime de celui qui tue son ami ne peut s'eff'acer en aucune manière. » A l'cuïe de ces paroles, le prince, supprimant la syllabe se % se mit à dire Mira.

« Çârdânanda reprit encore : Celui qui nuit à son ami "'. l'ingrat, le perfide, tous les gens de cette espèce auront en partage le Naraka tant que le soleil et la lune subsiste-

1. Viçvdsa.-..

2. Vi est la première syllabe de la phrase prononcée par Çârdânanda.

3. Srtibandha... le pont de Râma au sud de l'Inde, ou les îlots entre le continent de l'Inde et Ceyian.

4 On vient de voir que cette syllabe était la première de la deuxième phrase de Çârdànand.i. 5. M;trahimsaka....

RÉCIT DE LA l'REMlÈRE FIGURE h-J

ront. » A l'ouïe de ces paroles, le fils du roi retrancha mi et répéta râ.

M Çàrdânanda reprit : Roi ', si tu dési- res la prospérité du prince, donne aux brah- manes des objets de diverse nature. C'est en faisant des dons aux maîtres de maison que tu effaceras le péché. A l'ouïe de ces paroles, le fils du roi fut remis en santé '.

(I Quand tous apprirent l'histoire du fils du roi, du tigre et du singe, ils furent émer- veillés.

« Le roi, surpris, dit à la jeune fille : Hé! jeune fille, quand es-tu sortie de la maison? ou bien comment, restant à la maison, as-tu su ce qui s'est passé dans la forêt, entre ce tigre, ce singe et cet homme ? Çârdànanda, entendant ces paroles, dit : Par la faveur d'une divinité puissante, Sarasvatî 'est sur le bout de ma langue; je connais tout, de même

1. KA>a...

2. On voit que les quatre phrases dites par Çirdâ- iianda commencent successivement par les syllabes ri'-ie- mi-rà Apre» chaque phrase, le prince dit une syllabe de moins; et, quand lu quatrième phrase est tînie, jl n'en dit plus aucune et est guéri. Il est impossible de rendre cela par la traduction.

'i. l>éesse de l'éloquence.

38 CONTES INDIENS

que j'ai connu le grain de beauté qui est sur la cuisse de Bhânumatî. A ces mots, le roi se dit : « C'est le guru Çârdânanda »; et, soulevant le rideau, il offrit, de concert avec son fils, ses hommages au guru. Le roi, plein de joie, combla d'éloges le conseiller : n Conseiller, lui dit-il, tu es un grand homme. Je te dois la conservation de la vie de mon guru et même de mon fils. »

Quand le mendiant eut fait ce récit à Vi- kramâditya, il ajouta : « Roi, tu dois con- clure de que celui qui fréquente les gens de bien a beaucoup d'avantages. »

Le roi Vikramâditya, après avoir entendu ce discours de la bouche du brahmane, fut tout réjoui, il donna au brahmane dix millions de pagodes. Le mendiant les prit et s'en re- tourna chez lui.

Le roi dit à son trésorier : « Quand il vien- dra un pauvre, donne-lui mille pagodes; tu en donneras dix mille à celui qui fera une demande, cent mille à celui qui invoquera le Castra '. C'est seulement .sur mon ordre exprès que tu donneras dix millions. »

La première figure ajouta : Ecoute, roi

I. Livre faisant autorité.

RECIT DE LA PREMIERS FIGURC

39

Bhoja, je t'ai fait connaître la grandeur, la libéralité, la majesté du roi Vikramâditya. Si toutes ces qualités résident en toi, alors tu es digne de t'asseoir sur ce trône.

^S'^s

RECIT DE LA j" FIGURE

UN autre jour, l'auguste roi Bhoja prit la détermination de se faire sacrer et s'ap- [procha du trône avec sa suite. A ce moment, Ja deuxième figure du trône dit : Ecoute, ô F roi Bhoja! Celui-là seul peut siéger sur ce f trône dont la grandeur est égale à celle de IVikramàditya. Le roi lui dit : En quoi con- istait la grandeur de Vikramâditya ? La îgure répondit : « Ecoute, ô roi!

L'auguste Vikramàditya régnait à Avant! ; m jour, poui* connaître ce qu'il y avait de lerveilleux, il envoya des troupes de servi- îurs en diverses contrées. Les serviteurs, iprès avoir parcouru les diverses contrées, 'revinrent près du roi et dirent : « O grand

42 CONTES INDIENS

roi, sache que, sur la montagne Citrakuta, il y a une pagode prés de laquelle est un par- terre de fleurs. Un fleuve coule devant la pa- gode : si des gens purs se baignent dans ce fleuve, l'eau paraît sur leur corps comme du lait; si ce sont des méchants, des gens souil- lés qui s'y baignent, alors l'eau paraît sur leur corps comme de l'encre '. demeure un Yogî ' qui fait continuellement des prié' res, des méditations, des off"randes ; mais la divinité ne lui est pas favorable. »

Le roi Vikramâditya, ayant entendu ce rap- port, se rendit dans ce lieu, se baigna dans le fleuve et reconnut qu'il était (pur et) sans tache. Puis, après avoir rendu son hommage à la divinité, il se dirigea vers le Yogî. Le roi posa alors cette question au Sannyasî 3. « Yogî, depuis combien de temps te livres-tu aux mortifications? » L'ascète reprit : « Ecoute, leVaiçakha*,leJyeshtha,rAshâdha, le Çrâvana, le Bhâdra, l'Açvina, le Kârttika,

1. Littéralement » de la suie ».

2. Yogî, solitaire absorbé dans la contemplation, dernier état des Brahmanes qui aispirent à la perfection.

3. Sannyasî est un synonyme de Yogî.

4. Ce terme et les suivants sont les noms des mois de l'année indienne.

RÉCIT DE LA DEUXIEME nCURE 43

l'Agrahïiyana, le Pausha, le Mâgha, le Phâl- guna, le Caitra, sont les mois dont la série forme l'année : voilà cent années sembla- bles à celle-là que je me livre à des mortifi- cations sans que la divinité me soit favora- ble. » A l'ouïe de ce discours, le roi fit la réflexion suivante : « J'ai beau veiller sur mon corps, la mort n'en est pas moins cer- taine : si je quittais la vie pour rendre ser- vice à mon semblable, ce serait, certes, une mort excellente ! » Après avoir délibéré de la sorte, le roi adressa dans son cœur une méditation à la divinité, et prit son épée •: il allait se trancher lu tète quand la divinité se montra soudain, saisit la main du roi et dit : « Ne te coupe pas la tète. Je suis contente de toi : fais-moi-une demande à ton choix. Le roi répondit : a Hé! bienheureuse, ce Yogî s'est livré pendant longtemps à des mortifications et tu ne lui as pas été favora- ble, tandis que pour moi tu t'es montrée fa- vorable immédiatement : d'où vient cela? » La déesse répondit : « Auguste Vikramàditya, telle qu'est la méditation à l'égard des man- tras, des étangs consacrés, de la divinité, du médecin, du guru, tel est l'accomplissement : je n'ai jamais été, de la part de ce Sannyàsi,

T

44 CONTES INDIENS

l'objet d'une forte et puissante mëditation. En entendant ce discours, le roi fit la réfle- xion suivante : D'un morceau de bois, d'un bloc de pierre, une divinité vient à l'exis- tence ; l'existence résulte donc de l'accom- plissement '. Inconlinent le roi, pour ren- dre service à son semblable, dit à la déesse : « Hé! déesse, si tu es contente de moi, puis- que ce Yogî s'est livré pendant longtemps à des mortifications et y a trouvé bien des mé- comptes, accorde à ce Yogî le choix que tu m'as laissé. » La déesse accorda alors ce choix au Sannyasî. Après avoir remis au Sannyasî le choix que la déesse lui avait accordé, l'au- guste Vikramàditya retourna dans sa de- meure. »

La deuxième figure ajouta : « Ecoute, roi Bhojal je t'ai dit la générosité, l'héroïsme, les qualités de grand homme du grand Vi- kramàditya : si ces qualités sont en toi, tu es digne de t'asseoir sur ce trône. »

I. Il y a un raisonnement subtil et obscur; on dis- tingue trois choses . la méditation fBlidvanâj, l'accom- plissement ou le succès fsiddliij, l'existence fbhdvaj; l'ac- complissement résulte do la méditation, et l'existence de l'accomplissement. Une chosu existe parce que la médita- tion se réalise. Il y a peut-être l'intention de jouer sur les mots bhdva et bhdvand.

^^^^^i^^^S^^iip'^pi

RÉCIT DE LA 3' FIGURE

L'augustk roi Bhoja prit un jour la dé- termination de se faire sacrer, et, comme lU approchait du trône, la troisième Hgure [lui dit : ! roi Bhoja, écoute-moi bien : |Celui-là seul peut s'asseoir sur ce trône dont [la grandeur est égale à celle du roi Vikra- rmâditya. Cette grandeur de Vikramàditya, lit le roi, en quoi consiste-t-elle ? La H- jure reprit : la persévérance, la sévérité, la [fermeté, la force, l'intelligence, l'héroïsme, [voilà six qualités qui rendent celui qui les [possède redoutable aux dieux mêmes. Ces [six (qualités), le roi Vikramàditya les possé- Idait.

Le roi ainsi doué fit un jour la réflexion

46 CONTES INDIENS

suivante : La richesse et les nuages, quand ils arrivent, d'où viennent-ils? Quand ils s'en vont, vont-ils? Je n'ai pas de re'ponse à ces questions. Maintenant j'ai plusieurs avantages, mais ensuite qu'adviendra-t-il ? Je ne saurais le dire.

Après avoir fait toutes ces méditations, le roi se mit, h partir de ce moment, h donner chaque jour le nécessaire aux brahmanes, aux pauvres, aux femmes, aux enfants, à tous ceux qui manquaient de protection, qui étaient faibles ; et il prenait h ses sujets aussi peu que possible '. Pour se rendre les divinités pro- pices, il avait institué des Brahmanes savants dans les Vedas, versés dans toutes sortes de pratiques, le sacrifice, la prière, le homa^, le bali-", le culte. Or, pour le service des divini- nités des eaux, il envoya un Brahmane au bord de la mer. Le brahmane s'y étant rendu fit Tanjali *, et adressa un hymne à la mer. L'hymne achevé, la divinité de la mer

1. L'idéal d'un roi, selon les Orientaux, consiste à don- ner beaucoup à tout le monde et à ne prendre rien à per- sonne .

2. Sacrifice aux divinités principales ou grand sacrifice.

3. Sacrifice aux divinités secondaires ou petit sacrifice.

4. Sorte de salutation (décrite page 58, 1. 6-7).

KÉCIT DE LA TROISIEME FIGURE 47

apparut et dit : « ! brahmane, je suis fa- vorable à Vikramâditya à cause de ses bonnes dispositions; quoiqu'il soit loin, il oi'est ex- cessivement cher. Donne ces quatre joyaux au roi Vikramâditya et dis-lui les qualités des joyaux. La puissance de l'un est telle que les mets auxquels on pense se présentent à l'instant même ; du deuxième joyau pro- viennent les richesses qu'on souhaite ' ; dans le troisième se trouve une armée complète comprenant chars, éléphants, cavaliers, fan- tassins * ; la propriété du quatrième est de fournir autant d'ornements qu'on en dé- sire ^. »

Le brahmane prit les quatre joyaux, re- tourna auprès du roi et les lui offrit; en même temps, il lui expliqua la vertu de ces joyaux. Le roi dit au brahmane d'emporter un de ces joyaux à titre de présent. J'ai une femme, un Hls, une belle-fiUe, répondit le brahmane, je veux les éprouver; la pierre qu'ils me diront de choisir est celle que je prendrai. Le brahmane, après avoir ainsi

I. Voir le 19» récit (Kanthi). 3. Voirie 19> récit (Khandika.) '. Voir le 19 récit ;Kanthà>.

48 CONTES INDIENS

parlé au roi, rentra chez lui et raconta toute l'histoire à sa femme, à son fils et à sa bru. Le joyau il y a des éléphants et des che- vaux est celui qu'il faut apporter, dit le fils. La pierrerie il y a des mets est celle que tu dois prendre, dit la femme. La pierrerie qui produit des ornements est ce qu'il y a de mieux, dit la bru. La pierrerie d'où pro- viennent les richesses est préférable, dit le brahmane. Ainsi ces quatre personnages ne purent s'entendre. Le brahmane revint prés du roi et lui raconta la chose. Après avoir entendu son récit, le roi, pour plaire à ces quatre personnes, donna les quatre joyaux au brahmane qui retourna chez lui bien con- tent.

La troisième figure reprit : « Ecoute, roi Bhoja, je t'ai dit la grandeur du roi des rois, Vikramâditya. Si tu as une grandeur sembla- ble, tu peux t'asseoir sur le trône. »

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RÉCIT DE LA 4' FIGURE

LE roi Bhoja prit de nouveau la résolution de se faire sacrer et s'approcha du siège fortuné. A ce moment, la quatrième Hgure du trône dit : u Roi Bhoja, écoute mes paro- les : ce trône est celui du roi Vikramâditya : celui-là seul qui a une grandeur semblable à la sienne est digne de s'asseoir sur ce trône. En quoi consistait la grandeur de Vikra- mâditya? » répondit le roi. La figure reprit : « Ecoute, roi Bhoja :

L'auguste Vikramâdityaexerçaitla royauté dans la ville d'Avantî. Dans cette ville de- meurait un brahmane, un pandit savant dans les quatorze sciences (comprenant) les quatre Veda, le Rig, le Yajur, le Samâ et l'Athar-

5o CONCES INDIENS

van accompagnés de ces six membres ', les Çixâ, Kalpa, Vyâkarana, Nirukta, Jyotisha, Chanda-Çâstra, les Pûrva-Uttara-Rûpa-Mi- mamsâ , le Vaiçeshika-Çâstra , le Nyâya , le Sânkhya, le système de Patanjali, le Rûpanyâya, le Vistara - Smriti - Castra , le Purâna-Çâstra et dans les Castras pratiques, savoir : le Veda de la médecine, le Veda de l'arc, le Castra de la musique, le Castra des arts manuels ^, quatre sciences relatives à ce qui est visible, tandis que les quatorze scien- ces sus-énoncées se rapportent à l'invisible, le tout formant dix-huit sciences.

« Ce pandit n'avait pas d'enfants; sa femme lui dit un jour : ! maître, fais des sup- plications aux dieux pour qu'un fils vienne dans mon sein. Brahmanî, répondit le brahmane, tu as bien parlé. Sans l'obéissance au guru, on n'obtient pas la science; sans les mérites religieux, on n'obtient pas de fils. Après avoir prononcé ces paroles, le brah- mane, pour complaire à sa femme, fit des

1. Ce sont les six ouvrages appelés d'un même nom Vc- dânga .

2. Les noms indiens sont : Ayur-Veda, Dhanur-Veda, Gândharva-Çàstra, Çîlpa-Çâstra.

RÉCIT DE l.A QUATRIÈME FIGURE 5l

supplications aux dieux de sa famille. La ré- compense de cet acte méritoire fut que le brahmane eut un tils de la brahmanî; on l'appela Devadatta. Le père de Devadatta lui Ht lire assidûment les Castras, le maria, puis, s'dppliquant à méditer sur le Samsara, il se mit de sa personne à parcourir les étangs consacrés, pendant que Devadatta, appliqué à la vie domestique, restait à la maison.

« Un jour que Devadatta était allé à la fo- rêt aHn d'en rapporter du bois pour le sacri- fice, le roi Vikramâditya, monté sur son che- val, vint dans cette même forêt pour chasser. Il allait de lieu en lieu à travers la forêt, avec toute son armée, à la poursuite du gibier. Le roi Vikramâditya, tourmenté par la soif, er- rait dans la forêt, quand il se trouva face à face avec le brahmane appelé Devadatta. Le roi, apercevant ce brahmane, lui témoigna du respect et lui dit : ! brahmane, j'ai bien soif; fais-moi boire de l'eau. A ces mots, le brahmane prit un fruit excellent, bien doux, bien mûr, de l'eau bien fraîche et offrit le tout au roi. Le roi mangea le fruit, but l'eau et fut complètement remis. .\près quoi le brahmane lui montra le che- min, et il retourna chez soi.

52 CONTES INDIENS

Un autre jour, le roi, étant en conversa- tion avec ses conseillers, raconta aux person- nes qui formaient la réunion comment le brahmane Devadatta Tavait secouru et tit longuement l'éloge du brahmane. Le brah- mane le sut et tit en lui-même ces réflexions : « J'ai rendu service à un personnage émi- nent; par ce service, cet éminent personnage est lié envers moi pour toute sa vie. Je veux voir jusqu'où ira la reconnaissance du roi. » Ayant fait ces réflexions, il trouva le moyen d'enlever le fils du roi, l'emmena chez lui et le garda. Dès que le roi se fut aperçu de la disparition de son fils, il envoya des trou- pes de messagers en divers lieux pour le chercher. Les troupes de messagers ne trou- vèrent nulle part la personne du fils du roi, et le roi, avec son entourage, fut excessive- ment troublé à cause de son fils.

« Sur ces entrefaites, le brahmane Deva- datta mit un jour un des ornements du fils du roi entre les mains de son serviteur en le chargeant d'aller le vendre au marché. Le serviteur s'arrêta devant la boutique d'un marchand et lui offrit cet objet Là-dessus, les gens du roi, ayant aperçu le serviteur du brahmane porteur de l'ornement (royal), se

RÉCIT DK LA QUATRIEME FIGURE 53

saisirent de lui et le conduisirent au roi. 1.^ roi, Hxant ses regards sur le serviteur, le questionna : Cet ornement est à mon Hls; l'as-tu pris? est mon fils? Cet orne- ment, grand rui, répondit l'homme, un brah* mane appelé Devadatta me l'a remis pour le vendre, et je suis allé le vendre; je ne sais rien de plus. Dès que le roi eut entendu cette réponse, il envoya un messager, fit ve- nir Devadatta en sa présence et questionna le brahmane : u Tu as remis cet ornement à l'homme que voici pour le vendre? Oui, répondit le brahmane, je le lui ai donné. Et as-tu pris cet ornement.-' reprit le roi.

Je l'ai pris sur ton tils, répondit le brah- mane. — Et est mon fils? demanda le roi.

Il est mort, dit le brahmane. E; com- ment est-il mort ? reprit le roi. Je lai tué, répondit le brahmane. Le roi reprit aussi- tôt : Toi, un brahmane, un pandit savant et juste, pourquoi, sans avoir reçu aucune of- fense, as-tu fait périr l'enfant du roi? C'est par cupidité que cette mauvaise pensée m'est venue.

« Aussitôt le roi interrogea du regard ses conseillers. Les conseillers dirent : Grand roi, l'homme qui a fait périr les gens du roi.

34 CONTES INDIENS

cet homme-là le roi le fait pe'rir à l'instant même. Celui-ci a fait périr le fils du roi; il est juste de le faire périr. Mais c'est un brah- mane; dégrade-le donc et bannis-le, avec son entourage, loin de sa demeure. Le roi, se souvenant du service que le brahmane lui avait autrefois rendu, ne tint pas compte de la parole de ses conseillers: il fit grâce au brahmane et donna l'ordre de le laisser libre. « Le brahmane, voyant l'excellence du roi, fut très content; il rentra chez lui, fit pren- dre un bain au fils du roi, le fit manger, lui fit mettre des parures et des ornements et l'amena en cet état dans le conseil du roi. A la vue de son fils, le roi éprouva la joie la plus vive; il pressa son fils sur sa poitrine et dit au brahmane : ! brahmane , dans quelle intention as-tu agi de la sorte? Je ne puis le comprendre. Je me suis demandé, répondit le brahmane, de quelle manière tu te sentais lié par le service que je t'ai rendu précédemment. C'est pour m'en rendre compte que j'ai fait cette action. Aussitôt le roi donna au brahmane beaucoup de ri- chesses et lui témoigna une vive satisfaction. Après quoi, le brahmane s'en retourna chez soi. "

RÉCIT OE LA QUATRIÈME FICURK 55

Après avoir fait ce récit, la quatrième fi- gure ajouta : « ! roi Bhoja, si ta recon- naissance est semblable à celle de l'auguste Vikramàditya, telle que tu l'as entendue de ma bouche, alors tu es digne de l'asseoir sur ce trône. » Le roi, comprenant qu'il n'y avait pas en lui une semblable gratitude, se désista pour ce jour-là.

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RÉCIT DE LA 5^ FIGURE

L'auguste roi Bho}a prit encore une fois une décision au sujet de son sacre ; il se dirigea vers le trône, accompagné de ses con- seillers. Quand il fut tout près, la cinquième figure ciit : Ecoute, roi Bhoja ! Celui-là seul peut siéger sur le trône de Vikramâdi- tya, qui a une générosité pareille à celle du roi Vikramâditya. Cette générosité du roi Vikramâditya, dit le roi, en quoi consiste- t-elle La cinquième figure reprit en ces termes : « Ecoute, roi Bhoja.

« Dan> la ville d'Avantî, le roi Vikramâdi- tya, assis sur son trône au milieu de ses con- seillers, expédiait les aftairesdu royaume. Sur ces entrefaites, le gardien du parc vint à la

58 CONTES INDIENS

porte du roi et dit au portier ; 11 faut que je me présente devant le roi, fais le savoir au grand roi. A ces mots, le portier se rendit près du roi, lui donna cet avis, puis intro- duisit le gardien du parc en présence du roi. Le gardien du parc porta ses deux mains à sa tête, s'inclina devant le roi et dit : Grand roi, j'ai une nouvelle à t'apprendre. Les manguiers, les cocotiers, les aréquiers, les citronniers, les orangers, les campaka, les açoka, les kimçuka, les jasmins, les palmiers, les tamâla, les çâla, les piyâla, les kadalî, les kakkola, les labanga, les cardamomes, les katakî, les kunda, les damanaka, en un, mot, tous les arbres et plantes qui sont dans ton jardin de plaisance ont de jeunes pousses, des fleurs et des fruits : c'est le moment de se divertir au bois.

« A l'ouïe de ce discours, le roi avec la troupe de ses rânîs, entouré d'esclaves et de danseuses, se rendit au jardin. Arrivé au jar- din de plaisance, le roi, versé dans lart des embrassements, des baisers, des rires et des danses raffinées, des coquetteries, des jeux, des agaceries, des gestes, en un mot dans les divertissements ingénieux, se mit, avec les charmantes et ravissantes beautés de son

KÉCIT DE LA CINQUIÈME FIGURE Sq

entourage, tantôt à cueillir des fleurs, tantôt il jouer avec de l'eau, tantôt à chanter, tan- tôt il s'exercer sur la balançoire, tantôt à entrer dans un bouquet de kadalî, tantôt à satisfaire les désirs de celles des femmes de sa troupe (qui en éprouvaient). Voilà com- ment, dans la saison du printemps, l'auguste \ ikramàditya goûtait de diverses manières les jouissances et les douceurs mondaines.

« Cependant un ascète qui, dans un coin de la forêt, avait passé beaucoup de temps à user son corps dans de rudes mortifications de tout genre, était venu visiter le parc du roi. Pendant qu'il le parcourait, ses idées furent changées, et il se mit à faire les ré- flexions suivantes : J'aurais pu porter des habits somptueux et me parer d'ornements divins, moindre de parfums divins, me nour- rir de mets succulents et inouïs, me coucher sur des lits magnifiques, respirer des odeurs agréables, mâcher du bétel mélangé de mus- cade, de girofle, de cardamome, de karpura, etc., entendre des chants et des instruments, voir danser des danseurs et des danseuses, lolàtrerct rire avec des femmes d'une beauté parfaite, me livrer au plaisir avec de jeunes femmes ; toutes ces jouissances qui s'oftVaient

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bO CONTES INDIENS

à moi, que j'avais à ma disposition, je n'en ai pas profité; je me suis livré aux mortifica- tions en vue du bonheur du Svarga. En m'a- donnant pendant si longtemps aux. mortifi- cations pour un bonheur d'une réalité douteuse, invisible, je n'ai fait que me trom- per moi-même. Tous ces gens qui, h cause de l'être suprême, renonçant à jouir du bien- être présent afin de s'assurer le bien-être futur, se rasent, saupoudrent de cendres tous leurs membres, ne se couvrent que de hail- lons, sont eux-mêmes les artisans de leur malheur. Je ne chercherai plus d'éclat que dans ce monde. Quelles preuves a-t-on d'un bonheur futur?

« Déchu de son yogisme par la concep- tion de ces pensées matérialistes, le yogî, qui ne songeait plus qu'à se procurer les jouissan- ces mondaines, alla se présenter devant le roi.

Le roi, voyant ce yogî, lui témoigna beau- coup de respect, s'inclina devant lui, et, dé- sireux de connaître le motif de sa visite, lui dit : ! vogî. pourquoi cs-tu venu prés de moi ? Grand roi, répondit le yogî, voilà bien du temps que je me livre aux mortifica- tions dans cette forêt. Aujourd'hui, la divi-

RÉCIT OE LA CINQUIÈME FIGURE 6l

nite que j'invoque (habiiuellementl s'est montrée bien favorable; elle m'a donné cet ordre : Va près de l'auguste roi Vikramâdi- tva ; il comblera tes désirs. C'est pour cela que je me suis rendu près de toi,

En entendant ces paroles du yogi, le roi . dit : Ce yoi;î, pour n'avoir pas bien saisi

sens des Castras, est déchu de son yogisme ; il s'est rendu malheureux par le désir des jouissances mondaines. Or, il faut satisfaire le désir des malheureux. En faisant ces ré- flexions, il prit une détermination. Voici la- quelle : au milieu d'une ville, il fit cons- truire une maison superbe et la donna au yogî. Il lui donna aussi cent jeunes femmes couvertes d'ornements variés, cent villages, une quantité de richesses, d'esclaves mâles et femelles, de vaches, de buffles, d'éléphants, de chevaux, etc. Après quoi, s'élevant au moyen de ses chaussures magiques, il rentra dans la ville royale par le chemin des airs avec la rapidité du vent. Quant au yogî, il goûta des jouissances et des délices supérieures il tout ce qu'il avait désiré.

La cinquième figure dit encore au roi Uhoja : Hé! roi Bhoja, si tu as une capacité

02 CONTES INDIENS

de générosité telle que celle-là , tu es digne de t'asseoir sur ce trône. »

Le roi Bhoja, ce jour-là, s'en alla (comme il était venu).

RECIT DE LA fj" FIGURE

L'auguste roi Bhoja prit encore une fois la détermination de monter sur le trône pour s'y faire sacrer. A ce moment, la sixième figure se mit à rire et dit : Ecoute, roi Bhoja, celui qui porte secours aux autres, comme le roiVikramâditya, est digne de s'asseoir sur ce trône. » A ces mots, le roi dit : « En quoi consistait cette qualité secourable du roi Vikramâditya La figure reprit : « Fais de la pratique de l'héroïsme l'objet de tes méditations :

« De la ville d'Avantî le roi Vikramâditya exerçait la domination sur tous les pays. Les habitants des contrées soumises à son em- pire pratiquaient chacun les devoirs de sa

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64 CONTES INDIENS

caste, sans jamais commettre de transgres- sions; ils observaient continuellement les préceptes des Castras, ne mettaient jamais leur satisfaction dans l'injustice, faisaient toujours des efforts pour s'entr'aider. A la fin de leur vie, ils ne tenaient pas des discours menteurs ', et, comprenant que leur corps n'e'tait pas destine' à durer, ils méditaient constamment par la science sur l'âme su- prême.

<! Il y avait dans cette ville un marchand nommé Dhanadatta. Ce Dhanadatta était si riche que lui-même ne connaissait pas le compte de ses richesses, et des catégories d'objets qui n'existaient dans aucune ville se trouvaient dans la maison de Dhanadatta. Un jour, Dhanadatta fit cette réflexion : Les bons offices servent pour l'autre monde. Si je n'acquiers pas cette sorte de mérites, quelle sera ma destinée? Cette idée s'étant bien fixée dans son esprit, il pratiqua large- ment et en diverses manières la loi du don, puis alla en pays étranger pour visiter les étangs sacrés. Après avoir passé par divers étangs, il arriva à une île de la mer. Il y

I. C'iist-j-dirc : niant la vie future.

À

RÉCIT OE LA SIXIÈME FIOURE 63

avait un autel dune divinité' ; près de l'au- tel était un lac et, au3c quatre côtés du lac, un quai enchâssé de pierreries et de cristaux. On voyait en ce lieu une femme supérieure- ment belle et un homme divinement beau :

culement leurs tètes avaient été coupées, el- les étaient h part; et, prés de ces tètes, quel- ques lignes gravées sur un rocher ' annon-

. lient que, si quelque excellent personnage >c coupait la tète pour la donner comme of- frande, cet homme et celte femme revien- draient à la vie. Instruit de cette merveille par tout ce qu'il avait vu, Dhanadatta, en quit- tant l'étang, retourna dans sa demeure.

« Un jour. Dhanadatta, dans une conversa- tion avec le roi, lui raconta cette aventure. A l'ouïe de ce récit, le roi fut bien étonné et dit: Dhanadatta, viens avec moi en ce lieu; je suis curieux de voir cela Cette dé- termination prise, le roi, emmenant Dhana- datta, se rendit en ce lieu et, une fois arrivé, vit de ses propres yeux que tout était comme

1. L'habitude décrire sur le roc est prouvée par ie» inscriptions de ce genre qui ont tité découvertes depuis une cinquantaine d'années. Elle n'e«t piis «péciak à l'Inde.

66 CONTES INDIENS

Dhanadatta le lui avait dit précédemment. Il fit alors cette réflexion ; Quiconque est un homme supérieur expose sa vie pour rendre service aux autres. Si je donne ma vie, les corps de ces deux individus, femme et homme, reprendront vie; c'est une action supérieu- re ; il faut de toute nécessité l'accomplir. On a beau veiller sur son corps, on ne peut éviter la mort. En rendant service aux autres, on meurt, mais aussi, dans l'autre monde, on a une destinée excellente.

« Pénétré de cette pensée, le roi Vikramâ- ditya se baigna dans le lac, puis se mit en de- voir de se couper lui-même la tête en pré- sence de la déesse. Là-dessus, la divinité, se montrant favorable, arrêta la main du roi et dit : O roi, tu es un homme supérieur; je suis contente de toi. Demande ce que tu dé- sires. — Le roi répondit : Hé! divinité, si tu m'es propice, rends la vie à ces deux person- nes, cet homme et cette femme, et accorde leur la royauté de ce lieu. La divinité, ayant entendu ces paroles, dit : Hé! Vikramâdi- tya, tu es un homme excellent; pour rendre service aux autres, tu es prêt à perdre la vie. A ces mots, la divinité rendit la vie à cette femme et à cet homme, leur donna la royauté

KÉCIT DE I.A SIXIÈME FIGURE 67

de ce lieu et disparut. Comme un homme en- dormi se dresse quand son sommeil est inter- rompu, ainsi cet homme et cette femme se relevèrent et, par la faveur de la divinité, de- vinrent roi et reine de ce lieu. Quant au roi VikramSditya, il rentra dans sa capitale.

l.a sixième figure ajouta : « Grand roi, ..ouïe! Voilà comment le grand roi Vikra- mûditya était secourable aux autres. Si cette même qualité d'être secourable aux autres est en toi, alors tu es digne de t'asseoir sur ce trône »

Le roi Bhoja, sachant bien que cette qua- lité d'être secourablie aux autres n'existait pas en lui, se retira encore ce jour-là.

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RÉCIT DE LA 7* FIGURE

UNE autre fois encore, le roi Bhoja, pour se faire sacrer, vint jusqu'auprès du trône. A peine y fut-il arrivé, que la septiènïe tiguredit : Ecoute, roi Bhoja, celui-là seul ^t capable de s'asseoir sur le trône qui rend service à tous les êtres comme le roi Vikramâ- ditya. » A ces mots, le roi, désireux de savoir, dit : <t ! figure, en quoi consistait cette qualité qu'avait le roi Vikramâditya de ren- dre service à tous les êtres vivants? » La fi- gure reprit : 0 Hé! roi Bhoja, écoute la con- duite héroïque de Vikramâditya :

« Dans la ville Avantî, le roi Vikramâditya exerçait la royauté suprême. Un jour, il donna cet ordre à ses suivants : Apprenez

yO CONTES INDIENS

ce qui se passe dans les divers pays, et venez (me le dire). Les serviteurs, conforme'ment à cet ordre, parcoururent divers pays et ar- rivèrent dans celui de Kâçmir. Un homme riche y avait fait creuser un lac extrêmement grand dans lequel il n'y avait pas d'eau. Par la suite, (on entendit) une voix aérienne (qui disait) : Si un homme supérieur livre son corps en offrande, alors il y aura de l'eau dans l'étang; autrement, il n'y aura pas d'eau. Après avoir entendu cette voix di- vine, ce riche personnage fit (faire) un homme en or et du poids de dix charges qu'il tint en garde près de l'étang, et fit graver à cet en- droit sur le roc la phrase suivante : Celui qui livrera son corps en offrande, je lui don- nerai cet homme en or. De tous ceux qui, venant de différents côtés, passèrent par là, nul ne consentit à livrer son corps en of- frande. N'étant pas de force à le faire, ils re- culaient.

« Les serviteurs du roi Vikramâditya, après avoir vu tout cela, rentrèrent dans la ville d'Avantî et en rendirent compte au roi. Quand le roi eut entendu toute cette histoire, sa curiosité fut éveillée ; il se rendit au pays de Kâçmir, alla un soir au bord du lac sous

RÉCIT DE LA SEPTIÈME FIGURE 71

un déguisement et fit ses dévotions mentales à sa divinité préférée. Après quoi, au milieu de la nuit, le roi Vikramâditya, faisant l'an- jali ', dit : Hé! divinité, après m'être humi- lié devant toi, je te le déclare : que celte di- vinité, qui ne se rassasie qu'en buvant le sang d'un sacrifice humain, boive mon sang et soit satisfaite! A ces mots, il se coupa la tète. Aussitôt la divinité remit la tète sur le corps et dit : Hé! roi, je suis propice envers toi; demande (moi) ce que tu désires. Le roi répondit : ! divinité, si tu es con- tente de moi, remplis donc ce lac d'eau pour rendre service à tous les êtres! La divinité reprit : O Vikramâditya, ta fidélité au de- voir est extrême ; je t'accorde cette faveur. A ces mots, elle disparut, et le roi retjurna dans son pays.

« Le (lendemain) matin, les gens du pays de Kàçmir furent bien surpris de voir le lac plein d'eau. »

La septième figure ajouta : « ! roi Bhoja,

lilà comment le roi Vikramâditya rendait

service à tous les êtres : si tu as une qualité

semblable, tu es digne de t'asseoir sur ce

1. Voir pages 46 (note 4) et 58 (I. 6 et 7).

72

CONTES INDIENS

trône. » En entendant ces mots, le roi Bhoja, comprenant qu'il n'y avait pas en lui un pareil principe d'action pour le bien de tous les êtres, fut tout de'concerté ce jour-là.

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RÉCIT DE LA H' FIGURE

APRÈS cela, l'auguste roi Bho'ia, prenant encore une fois tout son attirail de sacre, s'approcha du trône. Là-dessus, la huitième figure dit : Hé! roi Bhoja, celui qui rem- plit les désirs des autres comme le faisait l'auguste roi Vikramàditya, celui-là seul est digne de s'asseoir sur ce trône. » A ces mots, le roi dit ; Et comment le roi remplissait- il les désirs des autres.'* » La figure reprit : « Ecoute, roi :

« Dans la ville d'Avantî, le roi Vikramàdi- tya exerçait la royauté complète. Dans cette ville demeurait le purohita ' du roi nommé

1 . Le prftrc domestique -, k terme sanskrit purohita

74 CONTES INDIENS

Tripurâkâr, dont le fils appelé Kamâlakar était sot à l'excès. Voyant combien son fils était sot, il était sans cesse plongé dans ses réflexions. Un jour, il fit asseoir son fils près de lui et se mit à lui faire des admonitions : ! mon fils, écoute 1 lui disait-il. Dans le Samsara ', les êtres vivants n'arrivent à une naissance humaine qu'en récompense de beaucoup de mérites.

« L'être vivant qui a obtenu un corps d'homme, s'il amasse de la science, est encore propre à une naissance humaine ; autrement cet être à forme humaine qui a raisonné en bête, au point que, dans son esprit, dans sa manière de penser, dans toutes ses occupa- tions comme celles de se coucher, de s'asseoir, de manger, etc., on ne distingue pas l'homme de la bête, cet homme se rapproche insensi- blement de la bête. La science de la bête n'est pas la science de l'homme ; par conséquent, celui qui n'a pas la science de l'homme, com-

correspond à peu près (mutatis mutandis à « chape- lain ».

i. Samsara, « le monde de la transmigration >. On ne peut pas traduire simplement par ■< le monde », terme qui ne réveille pas pour nous la même idée que Samsara pour les Hindous.

RÉCIT DE LA HUITIÈME FIGURE 7S

ment ne serait-il pas une bête ? Vois combien l'instruction est préférable à la royauté : un roi n'est considéré que dans son propre pays ; l'homme instruit jouit d'une égale considé- ration dans son pays et dans les autres con- trées. Vois encore combien la richesse de la science est plus précieuse que toutes les ri- chesses du Samsara; ces richesses ont à re- douter les voleurs, le feu, le roi, etc. ; la ri- chesse de la science n'a aucune de ces frayeurs. Et encore : si on dépense toutes les richesses que l'on possède, elles sont perdues; on a beau dépenser toutes les richesses de la science, l'intelligence demeure. Semblable- ment, on ne trouve pas toujours d'autres ri- chesses (pour remplacer les anciennes); mais la richesse de la science se retrouve toujours. Songe encore que la science est un ornement supérieur à toutes les parures, car les autres ornements brillent bien sur les enfants et les ' jeunes gens, mais ne brillent pas sur les vieillards; la science a son éclat dans tous les âges. Hélas ! mon hls, tu n'as pas acquis la science ; aussi ta vie est-elle semblable à la mort. En pesant les résultats, je me dis que, entre ces trois choses : ou n'avoir pas de fils, ou en avoir un et le perdre, ou en avoir un

CONTES INDIENS

qui échappe à la mort et vive, mais soit in- sensé, mieux vaut n'en avoir pas, ou, si l'on en a un, le perdre. Ce n'est jamais une bonne chose qu'un (fils) insensé reste en vie. Aussi, quand un fils qui n'a pas médité sur sa des- tinée future est retiré de ce monde et meurt, le chagrin qu'on éprouve dure au plus un mois ou deux. Un fils insensé est pour son père et sa mère une cause perpétuelle de chagrins. C'est pour cela que je dis : la mort d'un fils insensé est un bien.

M Kamalâkar, ayant entendu toutes ces pa- roles de son père, partit pour les pays étran- gers, afin d'amasser de la science. Il se trouva un jour dans le pays de Kâçmîr. Dans ce pays . était un brahmane versé dans tous les Cas- I tras ; il s'appelait Candramaulî. Kamalâkar s'attacha à ce brahmane pour obtenir la science. Candramaulî le brahmane, très sa- tisfait de la docilité de Kamalâkar, lui donna le Siddhimantra ' de Sarasvatî ^. Par la puis- » sance du Siddhimantra, Kamalâkar devint habile dans les dix-huit sciences ■\

I. Talisman ou plutôt formule magique. 2 Voir le récit premier (page 37, note 3). 3. Voir le quatrième récit (pages 49-50J.

RECIT OE LA HUITIEME FIGURE 77

a Après cela, Kamalâkar se rendit dans la ville de Kâncl. Il y trouva une jeune fille nommée Naramohinî ' qui se tenait dans une maison nulle autre personne n'habitait. La porte en était toujours ouverte. L'archi- tecte de cette maison était un Râxasa nommé Durjaya; il y venait (chaque jour) à la tom- bée de la nuit. Si quelque étranger entrait dans cette maison et s'y arrêtait troublé par la vue de la jeune fille, le Râxasa, arrivant à la tombée de la nuit, le dévorait. Plusieurs passants moururent de cette manière.

a Kamalâkar avait entendu raconter toute cette histoire. De retour dans son pays, il la rapporta un jour au roi et ajouta : O grand roi, donne-moi cette femme si belle. Le roi y consentit ; il prit Kamalâkar avec lui et se rendit à Kàncîpurî près de la jeune fille Naramohinî. A la vue de cette jeune fille, le roi n'éprouva pas le moindre trouble; il était, au plus haut degré, ferme et maître de ses sens. Ensuite, à la nuit, le Râxasa tenta de manger le roi. Au premier cri, le roi porta la main à la garde de son épée et se mit en devoir de combattre; il engagea aus-

I. « C<tll« qui trojble les booinies *.

78 CONTES INDIENS

sitôt avec le Râxasa un combat varié et par- vint à le tuer.

La jeune fille Naramohinî fut bien con- tente du meurtre du Râxasa; elle adressa beaucoup d'éloges au roi et lui dit: O roi, tu m'as délivrée du Râxasa, tu m'as donné la vie ; aussi je me réfugie en toi. Le roi, en- tendant ces paroles de la jeune fille, répon- dit : O jeune fille, si vraiment tu te réfugies en moi, prodigue tes tendresses à celui que je vais te désigner : Kamalâkar que voici est très savant, et il m'est excessivement cher; prends-le pour époux ethonore-le(comme tel). La jeune fiUeaccepta la proposition du roi. « Après avoir donné de cette manière la belle jeune fille à Kalamâkar, l'auguste Vi- kramâditya rentra dans sa capitale ; Kamalâ- kar prit la belle jeune fille et retourna chez lui. »

La huitième figure ajouta : « O roi Bhoja, tu as entendu comment le roi Vikramâditya remplissait les désirs des autres. S'il y a en toi une telle aptitude à remplir les désirs des autres, alors tu es digne de t'asseoir sur ce trône, » Après avoir entendu ces paroles, le roi Bhoja s'en alla, ce jour-là encore, la tête basse.

I

RÉCIT DE LA g' FIGURE

UN autre jour, le roi Bhoja prit encore une fois la détermination de s'asseoir sur le trône pour se faire sacrer. Comme il s'y rendait, la neuvième figure lui dit : ! roi Bhoja, écoute ! Celui qui a une grandeur égale à celle de Vikramâditya, celui-là seu est capable de s'asseoir sur ce trône. » En entendant ces mots, le roi dit : « ! tigure, en quoi consistait cette grandeur de Vikra- màdiiya? » La figure reprit : « Ecoute, roi Bhoja.

« Dans la ville d'Avanti, l'auguste roi Vi- kramâditya exerçait la royauté. Un yogî arriva dans cette ville et se tint au milieu du parc. Ce yogî savait tout ; sa parole était

80 CONTES INDIENS

toute puissante ; il e'tait libre de désirs, com- plètement affranchi de tout attachement. Ce qu'il disait à qui que ce fût réussissait infail- liblement. Le roi apprit tout le cas de ce yogî par la rumeur publique, et lui dépêcha les pandits de son conseil avec l'ordre de le lui amener. Le yogî ne se rendit pas à l'in- vitation que les pandits lui firent de la part du roi, il leur répondit : L'homme qui est sans désirs considère comme un brin d'herbe une femme d'une beauté sans pareille : ce- lui qui est sans péché considère Yama ' comme un brin d'herbe ; celui qui n'a point de cupidité considère la royauté et la souve- raineté comme un brin d'herbe.

« Les pandits, revenus près du roi, lui re- dirent ce qu'ils avaient entendu de la bouche du yogî. A l'ouïe de leur rapport, le roi dit : Le yogî a bien parlé ; des gens sont venus lui demander de venir prés du roi ; c'est moi qui l'ai fait chercher, et il n'est pas venu. J'en conclus que ce yogî a parlé avec un dé- sintéressement extrême.

« A la suite de ce raisonnement, le roi se rendit lui-même auprès du yogî, qui, voyant

1. Le dieu des morts, l'Hadès et le Pluton des Indiens.

r

UÉCIT DE (,A NEUVIÈME FIGURE 8l

les insignes royaux et les signes du grand homme sur (la personne du) roi, fut extrê- mement satisfait et donna au roi un fruit di- vin. En même temps, il lui expliqua la vertu de ce fruit : celui qui mange ce fruit est à l'abri de la vieillesse, de la mort, de la mala- die '.

« Le roi prit le fruit et s'en retournait cher lui, lorsque, sur sa route, il apert^ut un indi- vidu extrêmement malade : ému de pitié, il lui donna le fruit. »

La neuvième figure (continuant) dit au roi Bhoja : Si tu as toutes ces qualités, alors tu es digne de t'asseoir sur ce trône. » Le roi Bhoja comprit qu'il n'avait pas ces qualités, et, ce jour-là encore, il tourna le dos et s'en alla.

I. Voir : Introduction (page ii).

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/îECyr i)£ LA ïo^ FIGURE

UNE autre fois encore, l'auguste roi Bhoja s'approcha du trône pour se faire sacrer. La dixième figure, en voyant le roi, se mit à sourire et dit : O roi Bhoja, tu n'es pas digne de t'asseoir sur ce trône . un roi tel que Vikramâditya peut seul y prendre place. Quel était donc le roi Vikramâditya? dit le roi. En entendant cette question, la dixième figure dit : « Ecoute, je vais te dire quelles étaient les qualités de Vikramâditya. Un jour, l'auguste Vikramâditya s'éleva au moyen de ses chaussures magiques pour explorer la terre, et parcourut ainsi diverses contrées. Il aperçut en un certain lieu, dans l'antre vaste et profond d'une montagne, un

84 CONTES INDIENS

arbre ravissant comme il n'en avait jamais vu, et vint au pied de cet arbre. Or c'était la résidence d'un oiseau appelé Longue-vie (cî- rajîva). La troupe qui formait le cortège de cet oiseau, après avoir été en divers lieux chercher de la nourriture, revint sur l'arbre, et les oiseaux se mirent à parler ensemble. « Sur ces entrefaites, un des oiseaux dit : J'éprouve aujourd'hui une grande douleur.

Tous les oiseaux lui firent alors cette question : Quelle douleur éprouves-tu ^ L'oiseau reprit : Ecoutez , pour la bien retenir, la circonstance qui me cause cette profonde douleur. Au milieu de l'Océan est une île ; le roi de cette île est un Râxasa, les habitants sont des hommes. Un jour, ce Râxasa entreprit de les manger tous. Les habitants, épouvantés, tinrent conseil et di- rent : « ! Râxasa, tu es notre roi à tous, nous sommes tes sujets : garder tes sujets est ton devoir de roi. Tu es roi et tu t'efforce- rais de manger tes sujets! Ce n'est pas con- venable. Nous te donnerons chaque jour, ré- gulièrement et successivement, un homme.

Depuis lors le Râxasa a, chaque jour, un homme pour sa nourriture, et se montre sa- tisfait; il ne fait pas de mal aux (autres)

KÉCIT DE I.A UIXiÈME FIGURK 85

créatures. Je suis allé aujourd'hui en prome« nade dans ce pays; j'y ai un ami qui a un fils. Or, c'est aujourd'hui le tour de mon ami de livrer un homme, en sorte que le fils de mon ami va être mangé par le Râxasa : c'est à cause de cela que j'éprouve une ex- trême douleur.

« Le roi Vikramâditya qui se tenait au pied de l'arbre entendit le discours de l'oi- seau ; il s'éleva au moyen de ses chaussures magiques et se rendit dans le pays ré- gnait le Ràxasa. Le fils de l'ami de l'oiseau, destiné à livrer son corps en pâture au Râxasa se tenait là, excessivement troublé par la crainte de la mort, dans le lieu le llâxasa prenait ses repas. Le roi Vikramâdi- tya arriva en ce lieu, et dit : Hé! mon en- fant, va-t-en chez toi, je prendrai ta place «.t je livrerai mon propre corps en pâ- ture au Râxasa. » L'enfant répondit : Qui es-tu, homme vertueux, qui me donnes, (l'occasion) de faire connaissance avec toi? Tu n'as pas besoin de faire connaissance avec moi, repartit le roi. L'enfant, ayant entendu les paroles de Vikramâditya, fut très réjoui et s'en retourna chez lui. Le roi Vikramâditya, sans crainte et le vi-

86 CONTES INDIENS

sage souriant, resta dans la salle à manger du Râxasa. A l'heure du repas, le Râxasa entra en ce lieu et, voyant l'homme e'minent, lui dit : O homme, l'heure de ta mort est arrivée, tu n'as point de peur et tu souris! Qui es-tu donc, toi qui m'accordes de faire connaissance avec toi? Vikramâditya répondit : Qu'est-il besoin de faire connais- sance? Mange-moi. Le Râxasa content dit : O homme excellent, tu es fort ver- tueux, je suis content de toi. Demande-moi ce que tu désires d'entre les choses qui sont dans mes états. Le roi lui répondit : Si tu es content de moi, ne fais plus de mal aux créatures à partir d'aujourd'hui. » Aussitôt le Râxasa donna son assentiment en disant : Qu'ainsi soit ! Le roi, s'éle- vant au moyen de ses chaussures magiques, retourna dans sa capitale ; et depuis, les sujets du Râxasa ne furent plus molestés. »

Après avoir raconté cette histoire, la di- xième figure ajouta : « Si tu as une telle ca- pacité de venir en aide aux autres, alors tu es digne de t'asseoir sur ce trône. » A l'ouïe de ces paroles, le roi Bhoja renonça (au sacre) encore ce jour-là.

RECIT DE LA ii' FIGURE

UN autre jour encore, le roi Bhoja, vou- lant se faire sacrer, s'approcha du trône pour s'y asseoir. Sur ces entrefaites, la on- zième figure dit : « Roi Bhoja, écoute. Celui- seul parviendra à s'asseoir sur ce trône, dont la grandeur est égale à celle de Vikra- niclditya. » Le roi dit : «Eh! figure, en quoi consiste la grandeur de Vikramâdi- I tya ? * La figure dit : « Eh ! roi Bhoja, écoute !

« Il y avait dans les Etats du roi Vikramâ- ditya un grand personnage appelé Bhadra-

Isena, qui mourut après avoir amassé et gardé avec soin des richesses considérables. Son fils appelé Purandara se mit à dissiper I

88 CONTES INDIENS

tous ces biens dans de folles dépenses. Les voisins ne songeant pas à l'en empêcher, un ami du père de Purandara, un savant brah- mane, vint trouver Purandara et lui dit : O fils de mon ami, ces richesses qu'il a conser- vées par des efforts si variés, car elles ne sont pas stables (de leur nature), ces richesses, tu les gaspilles aisément et à tort. La grandeur de l'homme consiste à garder la richesse. Cette richesse, Laxmî en a fait un enseigne- ment ' ; Vishnu s'est rendu par force le maître de Laxmî, et c'est lui qui est devenu par là) le seigneur du monde. Cette Laxmî est née de la mer; de vient que le nom de la mer est Ratnâkar (mine des joyaux). C'est au sein de Laxmî qu'est Kandarpa*; et c'est à cause de cela que Kandarpa l'a pris de haut, orgueilleusement avec Brahmâ et les autres dieux. Réfléchis donc et comprends que le peu de grandeur et d'orgueil de l'homme dépend tout entier de la faveur de Laxmî. Voilà pourquoi je dis : ces richesses

I. Ou un livre {Çdslraj. Laxmî est la déesse ds la féli- cité, la déesse Fortune, 2 Le dieu de l'amour.

I

RÉCIT DE LA ONZIEME FIGURE 89

qui (ne) sont (pas autres que) Laxtnî, il n'est pas convenable de les prodiguer ainsi.

« A ce discours du Brahmane Purandara re'pondit : Eh! brahmane, écoute : ce qui doit nécessairement arriver, arrive en dépit de tous les efforts, comme l'eau de la noix de coco De même les biens qui doivent infail- liblement disparaître s'en vont ; de quelle façon s'en vont-ils? Personne ne peut le préciser; c'est comme la graine du fruit du kapiltha mangée par un éléphant. Ainsi on a beau faire des efforts pour garder la ri- chesse, qu'en adviendra-t-il?

Après avoir ainsi repoussé le discours du brahmane, Purandara renouvela ses dépen- ses de jour en jour, et devint extrêmement pauvre ; aucun de ceux qu'il approchait ne faisait plus cas de lui. Devenu ainsi l'objet du dédain universel, Purandara fut extrême- ment troublé et ht en lui-même ces réfle- xions : Une forêt comme celles demeu- rent les tigres et les autres animaux féroces, ^une forêt l'on a pour demeure le pied les arbres, pour nourriture leurs feuilles et Jeurs fruits, pour vêtement leur écorce, et

)ur lit l'herbe, est assurément la résidence |ui convient le mieux à un homme privé de

go CONTES INDIENS

toutes les richesses qu'il possédait); il ne lui vaut rien d'habiter prés de parents que leur opulence enorgueillit. Après avoir roulé ces pensées dans son esprit en plusieurs ma- nières, Purandara partit pour les pays étran- gers.

« En errant par diverses contrées, il arriva près d'une ville voisine du Mont Malaya, et qui s'appelait Pîtapur. Dans cette ville, il entendit de nuit les pleurs d'une femme qui pousssait des cris lamentables. Dès que le matin fut arrivé, il s'informa auprès des gens de la ville : Hier, dit-il, pendant la nuit, j'ai entendu pleurer une femme. Les villageois lui répondirent : Nous aussi, cha- que jour, pendant la nuit, nous entendons ces mêmes lamentations de femme ; mais nous ne savons qui est cette femme qui pleure ainsi. En entendant ces plaintes con- tinuelles, nous redoutons quelque malheur et nous sommes dans des transes perpétuel- les.

« Quand Purandarafut rentré dans son pays quelques jours après son arrivée, il raconta cette histoire au roi Vikramâditya. Le roi, l'ayant entendu, eut l'esprit envahi par la curiosité, et, pour connaître les particula-

HéCIT OK LA ONZIÈME riGURE 9I

rites du chagrin de cette femme, il s'éleva à

l'aide de ses souliers magiques, accompagné

de Purandara, et se rendit à Pîtapur. Dés

qu'il y fut arrive, il se mil à chercher : non

loin de cette ville était une épaisse forêt,

il découvrit la femme en pleurs. Au moment

cette femme fit entendre ses plaintes,

à cet instant même, il s'avança à travers la

forêt, dans la direction de cette femme, le

glaive en main. Arrivé près d'elle, il vit un

Râxasa, à la figure épouvantable, sans pitié,

qui la battait à tour de bras. A ce specta-

icle, le roi Vikramâditya, ému de compassion,

[ftccabla le Ri}\asa de reproches et lui dit :

■"i ! fi! pervers Râxasa, qui bats une faible

Kemme, quelle humanité y a-t-il en toi .•' Viens,

[combats avec moi, si tu en es capable.

[En entendant ce défi du roi, le Ràxasa entra

[dans une colère excessive, il tenta de se bat-

re avec le roi : après avoir lutté quelque

Itemps avec le Râxasa, le roi le tua en lui

Uranchant la tîte avec son épée. Immédiate-

rment, la femme, aussi contente que pourrait

[l'être un mort qui aurait recouvré la vie,

[s'avança vers le roi, fit l'anjali ' et adressa au

I. Voir les récits 3 (p. 46, note 4) et 7 (p. 71, note).

92 CONTES INDIENS

roi des éloges : O grand roi des rois, comme Garuda, qui témoigne la bonté de sa nature en détruisant les serpents, a rendu la vie à la grenouille tombée de la bouche du serpent, ainsi, en exterminant mon Râxasa, tu m'as rendu la vie. Que ferai-je pour reconnaître ce bienfait? Je n'ai ni fils ni fille. Si j'avais un fils ou une fille, je te l'off'rirais pour te servir. Après avoir prononcé ces paroles de soummission, elle tomba aux pieds du roi. Se relevant aussitôt, elle lui dit : « A dater d'aujourd'hui, considère-moi comme ton es- clave ; j'ai neuf cents vases d'or tout remplis d'or; considère toutes ces richesses comme tiennes. » Le roi, ayant entendu les paro- les de soumission de cette femme, accepta tout ce qu'elle avait de richesses, mais pour le donner à cette femme même et à Puran- dara. Après avoir placé Purandara dans cette situation, il s'éleva à l'aide de ses souliers magiques et rentra dans sa demeure. »

La onzième figure, après avoir fait ce récit au roi Bhoja, ajouta : « Eh! roi Bhoja, tu as entendu (quelle était) l'humanité de Vi- kramâditya ; s'il y a en toi autant d'humanité, assieds-toi sur ce trône, restes-y. » Le roi Bhoja, ayant entendu ce discours, se désista encore ce jour-là.

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RÉCIT DE LA is^ FIGURE

UNE autre fois encore, l'auguste roi Bhoja s'approcha du trône pour s'y installer. Aussitôt, la douzième figure lui dit . a Eh ! roi Bhoja, pour être digne de s'asseoir sur ce trône, il faut être aussi libéral que l'était le roi Vikramâditya. » I-e roi Bhoja répondit : « De quelle sorte était donc la muniticence du roi Vikramâditya? » La figure reprit : « Eh ! roi Bhoja, écoute :

« Un jour, l'auguste Vikramâditya, pour visiter son royaume, s'éleva à l'aide de ses chaussures magiques, et parcourut ainsi di- vers pays. En un certain lieu, il vit sur le bord d'un fleuve, non loin d'un temple des dieux, des brahmanes pandits qui discutaient

94 CONTES INDIENS

sur le Castra. Vikramâditya s'approcha pour entendre leur discussion. Quand il fut tout près d'eux, il écouta. Dans la chaleur de la discussion, les pandits cherchaient surtout à soutenir respectivement leur propre thèse, et, pour cela, ils faisaient des distinctions mise'rables et de nature à détruire l'autorité du Castra. Après avoir prêté l'oreille, le roi dit : Eh! pandits, écoutez : la recherche du sens véritable du Castra est le fait d'un sa- vant : quand on repousse le sens véritable et qu'on cherche à établir sa propre thèse, on ne fait pas acte de savant. Celui qui, étant savant, fait de fausses interprétations pour établir sa propre thèse et rejette le sens na- turel du Castra, celui-là se perd lui-même et cause la perte des disciples groupés autour de lui. A l'ouïe de ces paroles du roi, les pandits se dirent en eux-mêmes : Le savant est celui qui est capable de démêler le vrai sens et la fausse interprétation du Castra; la fausse interprétation que nous en avons faite, celui-ci l'a comprise : d'où la conclusion qu'il est le premier des savants (pandits). Après s'être communiqué cette pensée, tous, rem- plis de honte, cessèrent la discussion.

B Sur ces entrefaites, un homme d'une

RI^.CIT DE LA DOUZIÈME FIGURE gS

beauté suprême arriva sur le bord du fleuve; il était mourant. Il tomba et dit à tous ceux qui se trouvaient : Venez vite, vous; voyez! Que m'est-il arrivé ? Mais il avait beau dire : aucune des personnes présentes ne s'approcha de lui.

» Voyant cela, le roi Vikramâditya eut l'es- prit pénétré de compassion; il s'approcha de cet homme, lui donna des soins comme si c'eût ctJ un de ses plus proches parents. L'homme en fut extrêmement satisfait et dit au roi : Homme de bien! tu es mon meil- leur parent; car il est véritablement un pa- rent celui qui vient en aide à l'heure de la calamité. Aussi il y a dans ma demeure un objet divin appelé Mûlikâ;je te le donne,

; prends-le : quelque chose que tu demandes à cet objet, tu la recevras à l'instant. Après avoir adressé ces paroles au roi et lui avoir remis la Mûlikà, cet homme expira. Aussitôt un pauvre mendiant s'approcha du roi et lui demanda l'aumône (en disanti : 1- h ! grand roi, tu es un grand faiseur de dons ; donne- moi l'aumône de manière que mon indigence prenne fin. Le mendiant n'eut pas plutôt formulé sa demande que le roi lui donna

ii cette Mùlikà; puis, s'élevant à l'aide de ses

q5 CONTES INDIENS

chaussures magiques, il retourna dans sa ca- pitale, n

La douzième figure dit au roi : « Eh ! roi Bhoja, si tu es ainsi compatissant et libéral, alors tu es digne de t'asseoir sur ce trône. »

Après avoir entendu ce discours, le roi Bhoja se désista cette fois encore.

^2'^,

DISCOURS DE LA i.l^ FIGURE

UN autre jour encore, le roi Bhoja s'appro- cha du trône pour se faire sacrer. Dans cette circonstance, la treizième figure lui dit en riant : « ! roi Bhoja, celui-là seul est digne de s'asseoir sur le trône, dont la gran- deur est comparable à celle de Vikramâdi- tya. » A l'ouïe de ces paroles, le roi Bhoja dit : O figure, en quoi consiste la grandeur de Vikramàditya La figure lui répondit : « 0 roi, écoute avec attention la munificence ^■ie Vikramàditya : ^H « Un jour, le roi, poussé par la curiosité, ^Héleva à l'aide de ses chaussures magiques, ^^R, après avoir parcouru plusieurs pays, ar- ' riva dans une forêt près d'une ville. Dans un

gS CONTES INDIENS

temple situé au milieu de cette forêt résidait un Siddha '. En voyant ce Siddha, le roi Vi- kramâditya lui fit la révérence avec foi. Le Siddha lui dit : Roi Vikramàditya, pourquoi es-tu venu? Le roi répondit : Eh! Yogi, je suis bien Vikramàditya lui-même; com- ment le sais-tu? Je t'ai vu auparavant dans la ville d'Avantî sur le trône royal, re- prit le Siddha; tu as quitté ton royaume poui courir les pays étrangers ; cela n'est pas bien,^ Quand un roi reste dans son pays, toujours occupé des soins de la royauté, la fortune lu^ demeure fidèle. Aussi ne convient-il pas ai roi de se promener dans les contrées étran- gères; car, s'il est hors de ses Etats, les ar'J mées ennemies s'efforceront de prendre U pays pour en jouir. Le roi Vikramàditya répondit à ce discours : Ce qui doit nécessai^ rement arriver est sans remède. S'il y avait un remède, le roi Nala et bien d'autres n'auJ raient pas tant souffert. Ainsi, tout est sou^ mis à la fatalité. De quoi donc ai-je à me préoccuper ? Aussi je veux te raconter un€ ancienne histoire :

I. Siddha qui a réussi ï>\ homme arrive à la perfec-j tion. Ce terme est synonyme de Yogi.

RECIT DE LA TREIZIEME FIGURB 99

« Il y avait une ville appelée Padtnanêshat, dont le roi avait nom Jayaçekhara. Au bout d'un certain temps, les confidents, les con- seillers, les parents et alliés de ce roi s'étant conjurés se débarrassèrent de lui et l'expul- sèrent du pays avec sa reine. Après avoir tra- versé à pied plusieurs contrées, les exilés cou- chèrent de nuit dans une ville au pied d'un arbre. Sur cet arbre étaient cinq Yaxas qui faisaient entre eux la conversation. Un des Yaxas dit ; Demain, le roi de cette ville ren- dra l'âme dès le matin; il n'a pas de fils : qui sera le roi de cette ville? Un autre Yaxa répondit : Celui qui a fait son lit au pied de l'arbre, c'est celui-là qui sera roi. Le roi, qui se tenait au pied de l'arbre, entendit toute cette conversation. Au matin, il prit sa femme avec lui, s'installa au milieu de la ville et resta là. Ce jour même, le roi de la ville ex- pira : pour assurer au royaume un protecteur, les conseillers prirent l'éléphant principal et se mirent en quête d'un homme digne d'être

I . Dieux ou génies qui forment le cortège de Kuvera et gardent ses trésors ; représentés d'ordinaire comme dan- gereux et nuisibles, quelquefois comme inoffensifs et mfme bienfaisants. Dans ce récit, ils sont bienfaisants pour les uns, nuisibles pour les autres.

100 CONTES INDIENS

roi. Sur ces entrefaites, l'éléphant principal fit monter sur son dos le roi Jayaçekhara et le conduisit jusqu'au tr^ne ; ensuite de quoi les conseillers le sacrèrent. Le roi Jayaçe- khara, sacré avec sa femme, exerça la royauté sans entraves.

« Quelques jours après, les rois voisins, s'é- tant tous réunis, bloquèrent la ville du roi Jayaçekara; pendant ce temps-là, le roi jouait aux dés avec la reine et ne s'occupait pas (des affaires) de son royaume. Sur ces entrefaites,! la reine dit : Eh ! grand roi, je pense à unej chose ; enserré comme tu l'es par le cercl< des rois ennemis, ce pays ne sera bientôt plus à toi. Aussi, cherchant ton bien, je tej rappelle que si un roi s'abandonne au vice,] sa royauté a beau être soutenue par la ri-J chesse, l'intelligence, la capacité, elle eslj destinée à périr. Ce vice peut être de dix-hui| espèces différentes, dont dix se rattachent a l'amour, et huit à la colère ; tel est l'ensem- ble des dix-huit espèces de vices. Aussi, ui roi doit-il toujours se garder de l'amour et del la colère.

« Voici rénumération des dix vices nés de l'amour : la passion de la chasse est le pre-J mier ; l'attachement au jeu de dés, le deu-|

RéClT DE LA TRKIZIÈMS FiGURB lOI

xiéme; le sommeil de jour, le troisième; l'es- prit de dénigrement, le quatrième ; la passion des femmes, le cinquième; l'égorsrae, le si- xième ; la passion de voir les danses, le sep- tième ; celle d'entendre les chants, le hui- tième; celle d'entendre les instruments de musique, le neuvième ; la promenade au ha- sard et sans but, le dixième : le roi qui s'a- .donne habituellement à ces dix espèces de |vices nés de l'amour perd tous les biens ex- lérieurs et tous les biens moraux. Voici maintenant l'énumération des huit vices nés ^de la colère : La malignité est le premier ; m esprit d'hostilité non motivée envers les jens de bien, le deuxième; le désir de tuer les gens inoffensifs, le troisième; l'impatience de l'éloge d'autrui, le quatrième; l'art de dé- couvrir ce qu'il y a de défectueux dans les qualités des gens supérieurs, le cinquième; l'action de prendre frauduleusement les ri- chesses d'autrui et de refuser les choses qu'il est indispensable de donner, le sixième; celle de blâmer autrui, le septième; celle de donner des coups ou de maltraiter autre- ment les gens le huitième. Le roi qui est at- taché à ces huit espèces de vices nés de la colère se perd lui-même, il perd son royaume

J02 CONTES INDIENS

et (est infidèle au) devoir. Toi-même, grand roi, toi qui es d'une grande famille, tu t'es livré au jeu de dés avec ta femme d'une manière excessive, tu as renoncé à t'occuper des affaires de la royauté. Aussi je pense que, avec une extrême rapidité, nous allons être enveloppés ensemble dans le malheur.

« En donnant au roi cet avertissement, la reine était profondément affligée. Inconti- nent, le roi lui répondit : Eh ! ma chère, bannis toute crainte. Quand nous eûmes perdu la royauté, ce grand arbre sous lequel j'ai fait mon lit, ce grand arbre s'est bien trouvé ; de même ces cinq individus Yaxas qui étaient sur ce grand arbre et par la fa- veur desquels j'ai obtenu cette royauté-ci, ces cinq individus Yaxax se sont bien trouvés là. Ainsi, ma chère, songe que tout ce qui doit arriver, arrivera infailliblement : viens donc et jouons aux dés. Et le roi, après avoir parlé, recommença de plus belle à jouer avec la reine.

(( Cependant les cinq individus Yaxas, ayant su que le malheur du roi était imminent, se mirent à délibérer entre eux : Nous avons donné un royaume à ce roi (dirent-ils) : mais ce roi est un homme excessivement mépri-

uéCIT DE I.A TREIZIÈMK FIGURE lo3

sable; il ne fait preuve d'aucune capacité, et va tomber entre les mains de ses ennemis; si, dans ces circonstances, nous ne lui donnons aucune aide, il périra, et ce sera pour nous une grande honte. Notre grandeur doit se développer dans le monde et ne soutfrir au- cune diminution : c'est à nous d'y veiller. Faisons nous donc combattants pour dé- truire les ennemis du roi. Cette décision prise, les cinq Yaxas firent la guerre et dé- truisirent les adversaires du roi.

Aussitôt la reine, en voyant cette multi- tude d'ennemis anéantie, comprit qu'il y avait quelque chose de tout à fait mer- veilleux, et dit au roi : Ehl gfand roi, que cela est merveilleux ! Comment cette troupe puissante d'ennemis a-t-elle été si facilement anéantie ? Ces paroles arrivèrent aux oreil- les des cinq Yaxas qui interpellèrent la reine en lui disant : Eh ! vertueuse, apprends par quelle cause la multitude des ennemis de ton roi a été ainsi détruite : Nous fûmes jadis cinq poissons ; l'étang dans lequel nous faisions notre demeure fut malheureusement, par suite de chaleurs brûlantes d'une certaine année, entièrement desséché et privé d'eau. Ce roi, de son côté, fut, dans ce temps passé,

104 CONTES INDIENS

un potier qui venait à l'étang pour en ex- traire de l'argile. Nous voyant excessivement trouble's, il fit dans cet étang un trou qu'il remplit d'eau et il nous garda : ce procédé nous sauva la vie. Quelque temps après, nous, les cinq poissons, nous devînmes cinq Yaxas et le potier devint le roi Jayaçekhara. Comme il nous avait rendu service dans une existence précédente, nous lui avons témoi- gné notre reconnaissance pour ses bons offi- ces en le faisant roi de ce pays. Qu'il jouisse avec toi de la royauté sans épines. Après avoir prononcé ces paroles, les cinq Yaxas retournèrent dans leur demeure. »

Le roi Vikramâditya ajouta : Eh 1 yogî, ce qui doit arriver nécessairement ne sera changé en aucune manière ; que peuvent les efforts de l'homme? Le yogî répondit : Eh! grand roi, ce que tu as dit est con- traire au Nîti-Çâstra. D'après le Nîti-Çastra, l'homme qui fait des efforts incessants est le meilleur. Dire : ce qui doit arriver arrivera, ce qui ne doit pas arriver n'arrivera pas, quelques efforts que l'on fasse, c'est parler en homme vil ; car aucun acte n'est en dehors du but que l'homme peut atteindre, et celui qui se vante d'être inactif est méprisable. Il

uéCir DK LA TREIZIÈME FIGURE lo3

faut donc déployer constamment son activité. Malgré tout, j'estime que tu es un grand sage; aussi, content de toi comme je le suis, je te donne ce joyau incomparable, le cin- tamani.

« Le roi reçut le cintamani, fut très satis- fait, adressa des éloges, fit des génuflexions au Siddha, puis reprit le chemin de sa ville. Un pauvre homme qui se rencontra sur la route lui demanda de l'argent. Le roi donna à ce pauvre homme le joyau cintamani, puis, s'élevant sur ses chaussures magiques, rentra chez lui.

La figure ajouta : Eh ! roi Bhoja, telle était la grandeur, de Vikramâditya; s'il y a en toi une telle grandeur, alors assieds-toi sur ce trône, et fais-toi sacrer. » En entendant ces paroles, le roi Bhoja se retira encore ce jour-là.

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RÉCIT DE î 4' FIGURE

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UNE autre fois encore, l'auguste roi Bhoja s'approcha du trône pour se faire sacrer. La quatorzième figure dit au roi Bhoja : « Eh ! roi Bhoja, écoute :

« L'auguste roi Vikramâditya exerait la royauté complète dans la ville d'Avantî. Il avait un ami appelé Sumitra, qui sortit de chez lui pour faire un voyage aux étangs sa- crés. Après avoir visité divers étangs, le pè- lerin s'approcha d'un étang appelé Çakrâva- tar et qui appartenait à une divinité appelée Yugâdideva. Après avoir fait son oftVande et adressé ses louanges à la divinité, il entra dans la ville ; là, il vit, près d'un temple des dieux, un chaudron plein d'huile brûlante

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I08 CONTES INDIENS

exposé à un feu ardent. Il questionna les gens qui se trouvaient et qui lui dirent : Il y a dans ce lieu une femme aux membres divins appele'e Madanasanjîvanî qui est la reine de ce pays; tout ceci lui appartient. L'homme qui entrera dans ce chaudron plein d'huile sans en mourir est celui qui devien- dra notre seigneur.

« Après avoir recueilli ce propos de la bou- che de ces gens, Sumitra vit Madanasanjî- vanî; il admira ses formes, sa prestance, sa beauté, ses charmes et devint fou d'amour. De retour dans la ville d'Avantî, il informa l'auguste Vikramâditya de toute cette aven- ture. Après avoir entendu le récit de Sumi- tra, le roi fut tout entier à la curiosité; il alla près du chaudron plein d'huile et sauta dans le liquide. A la nouvelle de cet événement, Madanasanjîvanî arriva; quand elle vit de- vant elle l'auguste Vikramâditya, elle oignit d'Amrita le corps brûlé (du roi) qui redevint tel qu'il était auparavant, sans brûlure et sans souffrance. La belle aux membres divins dit à Vikramâditya : Eh! grand roi, c'est une grande qualité chez un roi que (de savoir su- bir) de cruelles souffrances; or, quelle plus grande souffrance peut-on subir que celle qui

RÉCIT DE LA QUATORZIEME FIGURE lOÇ

consiste à entrer dans un chaudron d'huile bouillante? C'est pour éprouver l'humanité du roi que j'ai disposé cet appareil; j'estime que ton humanité est très grande. Aussi je suis contente de toi. Sois avec moi le maître de ce pays Ratnavatî.

* Après avoir imaginé de tels moyens de prendre le roi par diverses sortes de paroles aft'ectueuses , elle dit encore au roi : Eh! grand roi, tu es riche dans ce Samsara, puis- que tu as su garder ton cœur de toutes con- voitises pour une femme aussi belle que moi, aussi bien que pour une félicité royale telle que mienne.

« A ce moment, le roi, sur un signe de Su- BÙtra, fit son ami Sumitra roi de ce pays, et lui donna en même temps Madanasanjîvanî; après quoi, il retourna dans sa capitale, t

La quatorzième figure, après avoir fait ce récit à l'auguste roi Bhoja, ajouta : « S'il y a en toi une pareille munificence, alors tu es digne de t'asseoir sur ce trône. » En enten- dant ces paroles, le roi Bhoja se retira encore ce jour-là.

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RÉCIT DE LA i5' FIGURE

UNE autre fois encore, l'auguste roi Bhoja s'approcha du trône pour se faire sacrer. En le voyant venir, la quinzième figure dit : Eh ! roi Bhoja, écoute quelles conditions doit remplir celui qui est digne de s'asseoir sur ce trône. Dis en quoi consistent ces conditions, » repartit le roi. La figure reprit en ces termes : ^K « L'auguste Vikramâditya , après avoir ^Hréuni une armée formée de quatre corps bien ^Bomptés, celui des éléphants, celui des che- ^H^aux, celui des chars, celui des fantassins, ^Hlvait conquis toutes les contrées, réduit tous ^Bes rois sous sa puissance. Il siégeait un jour ^Kiu milieu de son conseil avec ses législateurs.

1 12 CONTES INDIENS

ses agents exécuteurs de ses ordres, les sa- vants de son conseil et d'autres personnages. Sur ces entrefaites, les gardiens du jardin de plaisance vinrent en présence du roi ', firent l'anjali et dirent : Eh ! grand roi, le roi de toutes les saisons, le printemps, a fait son en- trée dans la multitude des bosquets, théâtres de ses jeux. Les bosquets et les allées, les arbres couverts de jeunes pousses, chargés de grappes de fleurs et de fruits brillent d'un éclat superbe. Tous les étangs resplendissent de plantes aquatiques; les guirlandes d'abeil- les, ivres de miel, font entendre des sons agréables; le kokila pousse les doux cris de l'accouplement.

« A l'ouïe de ces paroles des gardiens du parc, le roi, avec son entourage, se rendit à son jardin de plaisance, se livra en divers lieux à plusieurs genres de divertissement, puis, au milieu du bois, parmi divers autels (de dieux), il s'assit sur un trône d'or orné de pierreries, et, en compagnie de ses pan- dits, se mit à étudier les Castras. Sur ces en- trefaites, un pandit qui était juge, s'attachant à un point du Castra de la connaissance (Jnâ-

I. Voir récit cinquième (p. 58).

RÉCIT OE LA QUINZlàUB riGURK I I 3

na-Çâstra), dit : Eh! grand roi, écoute : la félicité royale, en quelque temps, en quelque lieu que ce soit, n'est pas stable ; ce corps, composé de sang, de chair, d'ordures, d'u- rine, sujet à diverses infirmités, n'est pas sta- ble ; de même les tils, les amis, les épouses, rien de tout cela n'est durable. Ainsi l'affec- tion poussée à l'excès ne convient pas au sage : de même que l'affection procure une (grande) jouissance, quand vient la sépara- tion, elle cause une douleur encore plus grande. Par conséquent, le sage doit appli- quer son esprit à (la méditation de) l'exis- tence éternelle. Or, il n'y a pas d'existence éternelle en dehors de l'homme suprême', qui est la forme de l'être par excellence *. Si l'esprit est terme sur ce point, il sera affran- chi de la geôle du Samsara.

« Quand le juge eut fini de parler, le roi resta quelque temps pensif, puis il dit : Eh !

I. Parama-puruska. Peut-être taudrait-il traduire : f ^uruiAd iiuprêmâ » et conserverie terme indien /urtuAtf ai signifie * homme », mais qui, ici, a une acception bilosophique toute s{>éciale.

i. SaccUdnanJa, nom du principe de l'existence, de Inintelligence, de la félicité. On le retrouvera dans le der- •^^nier récit.

I 14 CONTES INDIENS

juge, tout ce que tu as exposé est fort juste. Tant que le souffle de la respiration persiste dans ce corps perce' d'une multitude d'ouver- tures, c'est la vie du vivant ; une fois que le souffle de la respiration s'échappe du corps, c'est la mort du vivant. Par conséquent, la vie est une grande merveille. Tout ce qui est du Samsara est mortel et dure autant que les éléments grossiers, autant que la vie. Après la mort, le lien (qui retenait le tout) n'existe absolument plus. Celui qui sait tou- tes ces choses comme s'il les avait devant les yeux et qui néanmoins est enivré par les ob- jets sensibles, celui-là est dans la même situa- tion que s'il était dans une complète igno- rance ; car, bien que cette connaissance n'ait pas péri pour lui, il n'a pas l'attachement inébranlable pour l'homme suprême. Celui-là est bon au suprême degré qui s'applique constamment à détruire l'ignorance; tu es donc bon au suprême degré, certes !

« Après avoir eu plusieurs conversations sur la connaissance, Vikramâditya, enchanté du juge, lui donna huit lacks d'or. »

Après avoir entendu ce discours de la bou- che de la quinzième figure, l'auguste roi Bhoja se désista ce jour-là.

RÉCIT DE LA 16* FIGURE

UN autre jour encore, comme le roi Bhoia s'approchait du trône, la seizième figure lui dit : « Eh! roi Bhoja, je te ferai l'exposé des qualités qui rendaient Vikramâditya di- gne de s'asseoir sur ce trône; écoute :

Il y avait un roi appelé Candraçekhara. Un jour, comme il siégeait dans son conseil, un étranger, un ménestrel, vint se présenter devant lui et célébra en plusieurs manières la gloire (de Vikramâditya) en disant : Il est doué de toutes les qualités, aussi tous se ré- fugient en lui ; lui-même est l'asile de toutes les qualités; car c'est un homme qui a l'in- telligence de toutes les qualités, un homme comme il n'y en a pas.

If

I |6 CONTES INDIENS

« Après avoir entendu le langage du mé- nestrel, le roi Candraçekhara lui dit : Eh! ménestrel, tu ai parcouru différents pays ; as- tu vu quelque part de pareilles gens, oui ou non? Le ménestrel répondit : O grand roi, je n'ai vu que le roi Vikramâditya qui soit doué d'autant de qualités. Le roi Can- draçekhara, après avoir entendu de la bouche du savant l'exposé de la conduite de Vikra- mâditya, éprouva le désir de lui devenir semblable et invoqua la divinité. La divinité, satisfaite des invocations du roi Candraçe- khara, lui accorda le don de l'immortalité et lui dit : Eh ! roi, chaque jour tu livreras ton corps en sacrifice dans une source de feu, et ton corps brûlé redeviendra un corps d'une nature supérieure. Après avoir prononcé ces paroles, la divinité devint invisible. Le roi fit donc de son corps un sacrifice quoti- dien, et son corps devint aussitôt divin. Ayant ainsi obtenu le privilège de l'immor- talité, il accumula divers mérites.

« Le ménestrel raconta au roi Vikramâditya toute cette histoire du roi Candraçekhara. Le roi, après avoir entendu ce récit, fit dans son esprit cette série de réflexions : Celui-là seul est grand qui sait rendre semblables à lui les

KECIT DU LA SEIZIEME flGURE I I7

gens placés autour de lui. Pour moi, j'ai été

grand, et (maintenant) je ne suis pas grand. C'estainsiquelemontMalayarendsenjblables à lui, en leur communiquant une agréable odeur, les arbres de son voisinage ; c'est ce qui fait la supériorité du mont Malaya. (Au contraire) le mont Sumeru est fait lui>mème de pierreries; mais il ne communique pas aux montagnes qui l'entourent le privilège d'être faites en pierreries, de sorte que le privilège qu'il a d'être fait de pierreries se trouve inutile. Cet exemple prouve que le devoir de l'homme qui ne relève de personne est de travailler à ce que ceux qui vont en refuge prés de lui soient dans le bien-être. Le roi Candraçekhara est heureux de tous points dans son existence; mais il faut que, chaque jour, il entre dans l'huile bouillante '. C'est une grande douleur; cette douleur, il faut absolument que je fasse ce qui est né- cessaire pour la briser.

» Après avoir fait ces raisonnements dans json esprit, le roi Vikramâditya se rendit de

I. Ce qu'on appelle ici huik bouillante eUit appelé 'plus haut « source de feu . . Pour l'huile bouillante, voir T^it 14.

I l8 CONTES INDIENS

sa personne dans la capitale du roi Candra- çekhara, et, au moment il entrait dans la source de feu, la divinité apparut et lui dit : O joyau de vertu, quel besoin avais-tu d'en- trer dans la source de feu ? Le roi Gandraçe- khara, pour devenir semblable à toi, a ac- cepté cette dure et pénible épreuve ; il s'assujettit à subir la douleur d'un corps constamment brûlé. Il m'a adressé bien des supplications et obtenu par l'immortalité ; pourquoi as-tu rendu cet héroïsme inutile ? Maintenant, demande ce que tu désires.

« Vikramâditya répondit : Eh ! déesse, si tu es propice envers moi, je demande que le roi Candraçekhara n'ait pas à subir la dou- leur de brûler son corps chaque jour en en- trant dans la source de feu ; accorde-moi ce don! La déesse (Devî) reprit : Eh! roi, tu es un généreux donateur, compatissant, dé- vot : contente-toi de ce zèle, j'accorde au roi Candraçekhara le don que tu as choisi. A ces mots, la déesse disparut. L'auguste Vi- kramâditya, après avoir délivré Candraçe- khara de sa grande douleur, retourna dans sa demeure. »

La figure ajouta : « Eh ! roi Bhoja, écoute : le roi Vikramâditya est entré dans le feu pour

KECIT DK LA SBIZIEUE riGURC

119

délivrer un autre de la douleur. Qui est ca- pable d'en faire autant? S'il y a en toi une grandeur (d'âme) semblable à celle-là, alors tu peux t'asseoir sur ce trône.

Après avoirentendu ces parolesde la figure, le roi Bhoja s'en alla la tête basse.

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RÉCIT DE LA 17' FIGURE

UNE autre fois encore, comme le roi Bhoja se tenait près du trône afin de se faire sacrer, la dix-septième figure lui dit : «Eh! roi, écoute quelle était la munificence de l'auguste Vikramâditya :

« Dans le temps l'auguste Vikramâditya exerçait la royauté complète de la ville d'A- vantî, en ce temps-là, par la force de la jus- tice du roi, tout le monde se plaisait com- munément dans la vertu. Les femmes ne connaissaient qu'un seul homme ; tous grains poussaient en toutes terres; on se détachait du mal, on s'attachait à la loi, on persistait dans des résolutions conformes au sens des Castras, on respectait les hôtes, on se con-

1 22 CONTES INDIENS

formait au commandement de son père, de sa mère, du roi, etc., on suivait une morale conforme à la science de l'âme suprême ; en un mot, tout le pays brillait d'un éclat in- comparable par son incomparable fidélité à la loi. Et l'auguste Vikramâditya, gardant les créatures, réprimant les méchants selon les prescriptions du Dandanîti ' et du Râjanîti % jouissait de la royauté dans un bien-être par- fait.

« Un jour, le gardien du parc vint trouver le roi et, après avoir fait l'anjali, lui donna cette nouvelle : Eh ! grand roi, un sanglier terrible, dont le corps est comme une mon- tagne, semblable à Yama le messager de mort, est venu; il a pénétré dans le bosquet des jeux. Il nous a tellement effrayés que nous avons déserté le jardin et nous sommes réfugiés jusqu'ici. Avise promptement aux moyens de repousser ce sanglier.

« Quand il eut entendu ce discours du gar- dien du parc, le roi, passionné pour la chasse, monta sur son éléphant et partit seul avec l'intention de repousser le sanglier. L'au-

1. Code pénal.

2. Code politique.

HÉCIT DE (.A DIToSEPTICMK riGURC 123

guste Vikramâditya ne fut pas plus tôt entré dans le bois que le sanglier, en proie à une épouvante extrême, prit la fuite. Le roi $c mit h sa poursuite. Après avoir ainsi franchi plusieurs bois, l'animal pénétra dans une fo- rêt impraticable. Le roi l'y suivit et était près de l'atteindre quand le sanglier, ne voyant pas le moyen de se sauver, arrêté par la porte qui fermait la grotte d'une monta- gne élevée située dans la forêt, abattit cette porte d'un coup de boutoir et se lança en dedans. L'auguste roi Vikramâditya descen- dit de dessus son éléphant, s'arma de son glaive et de sa cuirasse et, avec son héroïsme sans égal, pénétra seul dans la grotte. Cette grotte était fort vaste; c'était, pour ainsi dire, un pays (tout entier). Le roi fit toutes sortes de recherches sans pouvoir découvrir le san- glier. Il errait donc dans celte grotte, lors- qu'une ville dont il n'avait jamais entendu parler s'offrit à ses regards. Il y entra ; quand il fut dans cette ville, il aperçut une image le Nârâyana qui se tenait dans l'attitude du jardien de l'offrande. L'auguste Vikramâdi- ^a lui adressa divers éloges et révérences, li fit le pradaxina et resta debout faisant l'anjali

124 CONTES JNDIENS

« Nârâyana, content de la foi avec laquelle le roi lui rendait un culte, communiqua à l'auguste Vikramâditya deux choses divines appelées Rasa et Rasâyana dont il lui expli- qua les vertus : Eh! grand roi, lui dit-il, pour ce qui est de cette chose appelée Rasa, toutes les choses auxquelles tu pourras penser et qui procurent les jouissances du Samsara, tu les obtiendras par elle ; elles en sortiront. Quant à cette chose excellente dont le nom est Rasâyana, il en sortira tout ce que tu pourras penser qui soit d'une nature supé- rieure (aux choses du monde) ; tu l'obtien- dras.

« L'auguste Vikramâditya, ayant ainsi ob- tenu ces deux choses dues à la gracieuseté de Nârâyana, sortit de la grotte. La porte de la grotte offrit la même résistance que précé- demment; il l'ouvrit d'un coup de poing et rentra dans sa capitale. Sur le chemin, il ren- contra deux brahmanes, le père et le fils, savants dans tous les Castras, en proie à une extrême douleur. Après avoir entendu leur histoire, il souffrit excessivement de leur ex- trême douleur et donna à ces deux brahma- nes, le père et le fils, les deux choses (qu'il avait reçues) Rasa et Rasâyana. »

RÉCIT DE LA DIX-SEPTIÈME FIGURE 133

La dix-septième figure ajouta : « Eh! roi Bhoja, voilà quels étaient l'héroïsme, la mu- nificence de l'auguste Vikramâditya. Si tu es tel que lui, alors tu es 'capable de t'asseoir sur ce trône.

A la suite de ce discours, l'auguste roi Bhoja se désista encore ce jour-là.

^

RÉCIT DE LA i8' FIGURE

UN autre jour encore, l'auguste roi Bhoia étant venu jusqu'auprès du trône pour se faire sacrer, la dix-huitiéme figure lui dit : » Pour être digne de siéger sur ce trône, un roi doit avoir des qualités royales telles que la force, la générosité, etc.; je vais te les dire. Ecoute :

« Un jour, comme le grand roi l'auguste Vikramâditya était assis sur son trône, son portier se présenta devant lui en faisant l'anjali et lui apporta cette nouvelle : Eh! grand roi, j'ai entendu aujourd'hui un ré- cit merveilleux. Sur la cime du mont Udaya se trouve l'autel d'une divinité, devant le- quel s'étend un lac qu'on n'a pas encore

128 CONTES tNDrENS

VU, et l'on descend de quatre côte's par des escaliers en or et resplendissants, ornés de pierreries, de perles et de corail. Au mi- lieu de ce lac est une colonne en or, et sur cette colonne un trône, également en or, eprichi de divers joyaux. Depuis le lever du soleil jusqu'à midi, la colonne s'élève par degrés, portant le trône, et finit par toucher le disque du soleil ; depuis midi jusqu'au coucher du soleil, elle s'abaisse par degrés jusqu'à se retrouver au milieu du lac comme elle y était d'abord. Il en est ainsi chaque jour.

« Après avoir entendu ce récit de la bouche du portier, le roi, dont la curiosité était éveillée au plus haut point, s'éleva à l'aide de ses chaussures magiques, vint près du lac et se tint sur le bord. Au lever du soleil, la colonne sortit de l'eau grandissant tou- jours. A ce moment, l'auguste Vikramâdi- tya monta sur le trône que supportait la colonne et s'y installa. La colonne grandis- sait progressivement; à midi, elle s'était élevée jusqu'au disque du soleil. Sur le trône que supportait la colonne, l'auguste Vikramâditya, grillé par la chaleur insup- portable du soleil, perdit connaissance. Aus-

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RÉCIT DE I.A DlX-HUITlèUE FIGURK I 2«)

sitôt l'auguste divinité du soleil, témoin de l'héroïsme de l'auguste Vikramâditya, fut extrêmement satisfaite; elfe fit pleuvoir l'Amrita sur le corps de l'auguste Vikramâ- ditya et lui fit reprendre ses sens. Dés qu'il eut repris connaissance, l'auguste Vikramâ- ditya fit d'abord un acte d'adoration et de foi, puis adressa plusieurs hymnes à l'au- :^uste divinité du soleil. L'auguste divinité du soleil, toute satisfaite des hymnes du roi, lui donna chaque jour une paire de boucles d'oreilles en or pesant un Bhâra. Nanti de la paire de boucles d'oreilles qu'il devait à la faveur de l'illustre soleil, le roi s'éleva à l'aide de ses chaussures magiques et re- tourna le soir dans sa capitale. Pendant le trajet, un homme extrêmement pauvre s'é-

lat trouvé sur son chemin, il fut ému de compassion et donna à ce pauvre sa paire de boucles d'oreilles. »

Après avoir fait ce récit à l'auguste roi Bhoja, la dix-huitième figure ajouta : « Eh! roi Bhoja, si tu as une puissance semblable, lu parviendras à t'asseoir sur ce trône. »

Comprenant que sa puissance n'allait pas jusque-là, l'auguste roi Bhoja se désista en- core ce jour-là.

T%

RÉCIT DE LA j gc FIGURE

I

L'auguste roi Bhoja étant venu une fois encore pour se faire sacrer, la dix-neu- viéme figure lui dit; « Hé! roi Bhoja, tu n'es pas digne de t'asseoir sur ce trône. Le roi qui_ avait qualité pour y prendre place était Vikramàditya. Ecoute en quoi consistait sa grandeur : Un iour, l'auguste Vikramàditya voulut ivoir à quelles occupations se livraient ses jets. Sous une forme d'emprunt, seul, s'é- levant à l'aide de ses chaussures magiques, il voya -.ea à travers le pays et arriva dans la ville appelée Padmâlaya. Là, il arriva prés d'un autel comme il n'en avait jamais vu. Des Brahmacaris s'v faisaient mutuellement

l32 CONTES INDIENS

des récits. Un des Brahmacaris dit : En al- lant aux étangs, j'ai vu des fleuves et des montagnes résident les divinités de plu- sieurs pays. Et il y a une montagne appelée Kanakakrita sur laquelle un Yogî, appelé Trilokanâtha, fait sa résidence ; je n'ai pas pu y arriver, mais j'ai appris de la bouche des gens qui habitent le voisinage que la montagne Kanakakrita est d'un accès extrê- mement difficile et que, si on passe par là, il est difficile de conserver la vie. Aussi me suis-je détourné de cette région; car, avec des efforts, les femmes, les enfants, les ri- chesses et tous les autres biens peuvent se remplacer, si l'on vient à les perdre ; mais, que le corps périsse, mille efforts ne le ren- dront pas. C'est dans la conservation du corps que consiste la perfection, le succès. Aussi , d'après le Nîti-Çâstra, toutes les préoccupations, toutes les méditations doi- vent tendre exclusivement à la conservation du corps.

« Le roi, ayant saisi ces paroles d'un Yogî dans l'entretien et parmi les propos de ces Yogîs, se dit : Pour un homme qui a une énergie supérieure, il n'y a point d'actes trop difficiles à accomplir; pour un homme qui,

KÉCIT UE UA DIX-NEUVIÈME FIGURE , I 33

dans sa conduite , s'eftbrce de réaliser les prescriptions du Nîti-Çàstra, rien n'est difti- cile à obtenir; pour le pandit, il n'y a ni pa- trie, ni pays étranger; l'homme qui ne dit que de bonnes paroles et des choses affec- tueuses n'a pas d'ennemis. Après avoir prononcé ces paroles, le roi s'éleva sur ses chaussures magiques , se rendit auprès du Yogî du mont Kanakakrita et s'y arrêta.

« En voyant le roi, le Yogî lui dit : Eh! grand roi Vikramâditya, pourquoi es-tu venu ici? Uniquement pour te voir. A l'ins- tant même, le Yogî, reconnaissant que l'au- guste roi Vikramâditya était pourvu des si> gnes supérieurs d'un roi et avait une bonté suprême, lui communiqua trois objets divins

pelés Kanthà, Khandikâ, Danda, et lui dit les vertus de ces trois choses '.

Il Eh! grand roi, voici la vertu de l'objet Kanthà : si tu penses dans ton esprit à des richesses, des ornements, des habits, etc., tu n'as qu'à toucher ce Kanthà de la main gau- che pour que, aussitôt, tous les objets pen- sés sortent de ce Kanthà *. De ce Khandikà,

I \ ou les troisième et di\->cptièine récits.

i. Comparer avec le deuxième et le qualhcme joyau du

oisièine récit ip. 471.

l34 CONTES INDIENS

il sortira le nombre d'éle'phants, de chevaux, de chars, de fantassins, etc., que tu seras ca- pable d'écrire. Quant au Danda, il suffit de le toucher avec la main droite pour que, si l'on touche en même temps un corps mort, ce corps reprenne vie. Ces trois objets, que j'ai acquis par la force de mon yoga, je te les donne, parce que je t'ai reconnu pour un vase digne.

« Incontinent, l'auguste Vikramâditya, muni des trois objets qu'il devait à la faveur du yogî, fit le salut du pradaxina, puis, s'ele- vant sur ses chaussures magiques, reprit le chemin de sa capitale.

« Dans le trajet, il aperçut un homme supé- rieur qui errait dans la forêt, en proie à d'ex- cessives douleurs. Il lui fit cette question : Eh ! homme, pourquoi erres-tu dans la fo- rêt? — Je suis le roi d'un pays, répondit l'individu; les troupes de mon ennemi se sont trouvées de beaucoup les plus fortes, elles ont détruit les miennes dans le combat; puis elles sont venues et m'ont pris tout, mon royaume, mes épouses, etc. Telle est la cause de ma douleur; je souffre tant par crainte de l'ennemi; je n'ose résider dans aucune ville, j'erre seul dans la forêt. Mon affliction est

RÉCIT DE LA OIX-NEUVICME riGURB I 35

profonde ; quand on entend le récit de mes douleurs, c'est comme une pierre qui tombe (sur celui qui m'écoute). Après avoir en- tendu ces paroles et d'autres propos inspirés à cet homme par la douleur, l'auguste Vi- kramâditya lui donna Kanthâ et les deux autres objets qu'il devait à la faveur du Yogi, puis rentra dans sa capitale et y demeura.

a Quant à l'homme, par la puissance des trois objets divins que l'auguste Vikramâdi- tya lui avait communiqués, il recouvra son royaume, ses femmes et tout le reste de son entourage. »

La dix-neuvième Bgure ajouta : « Eh ! roi Bhoja, je t'ai dit la munificence du roi qui a siégé sur ce trône. Si tu possèdes une telle majesté, tu es en droit de t'y^ asseoir à ton tour. .

L'auguste roi Vikramâditya , ayant en- tendu ces paroles, tourna le dos encore ce |Our-lh.

iTc

RÉCIT DE LA ao* FIGURE

UN jour, la vingtième figure, voyant l'au- guste roi Bhoja s'approcher du trône, lui dit incontinent : « Si tu es semblable à l'auguste roi Vikramâditya, tu peux arriver à siéger sur ce trône et à être sacré. Ap- prends ce qu'était l'auguste Vikramâditya :

Un jour, un conseiller de l'auguste Vi- kramâditya , appelé Buddhisâgara , voyant que son tils, nommé Buddhiçekhara, était d'une sottise achevée, que ses facultés men- tales étaient affaiblies au plus haut degré, lui dit ' : Eh ! mon fils, tu es issu d'un con- seiller royal et tu n'es qu'un sot! Tu vis avec

I. Comparer avec U récil huitième (p 74

l38 CONTES INDIENS

des gens savants, et tu ne te conduis pas se- lon les préceptes des Castras! L'homme dont l'intelligence n'est pas éclairée par la lecture des Castras, perfectionnée par tout ce qui peut la rendre parfaite, cet homme-là n'a que la figure humaine ; en réalité, il raisonne comme la brute, sache-le bien. Oui, l'homme qui s'attache a développer toujours plus en soi l'intelligence des Castras, se distingue de la brute par sa manière de vivre. Au con- traire, l'homme dont l'intelligence n'a d'au- tre souci que la nourriture, le sommeil, la crainte, l'amour, etc., est identique à la bête, il n'y a entre lui et elle aucune diffé- rence. Or, cette intelligence des Castras, tu ne l'as pas ; en sorte que ta vie est inutile.

u Après avoir entendu les paroles de son père, paroles de blâme dites pour son ins- truction, Buddhiçekhara prit la résolution de lire les Castras, passa à l'étranger, s'attacha à la personne d'un bon guru , s'instruisit dans tous les Castras et retourna dans son pays.

« Pendant le trajet, il aperçut dans une ville l'autel d'une divinité, se rendit en ce lieu pour voir le dieu, et y passa la journée; le soir, huit jeunes filles sortirent d'un lac

RéClT DE LA VINGTIÈME FIGURE I ig

tel qu'il n'en avait jamais vu et qui se trou- vait prés de l'autel de cette divinité; elles ^'approchérent de l'autel et passèrent toute la nuit à y faire des hommages, y dire des prières, y réciter des louanges. Au matin, ces jeunes filles rentrèrent dans le lac.

« De retour dans sa ville, après avoir vu cette grande merveille, Buddhiçekhara, le Hls du conseiller, parla, au bout de quelques jours, à l'auguste roi Vikramâditya. A l'ouïe de ce récit, le roi, jugeant qu'il y avait quel- que chose de tout à fait extraordinaire et merveilleux, se rendit auprès de cet autel de la divinité. A la nuit, il vit que tout se pas- sait comme le fils du conseiller le lui avait rapporté. Au matin, les huit jeunes filles, sautant au milieu de l'étang, plongèrent dans l'eau ; le roi, au même instant, sauta et plon- gea dans l'eau comme elles.

« En voyant l'action du roi, les jeunes fil- les lui dirent tout aussitôt : Eh ! Vikramâ- ditya, grand roi des rois, aujourd'hui, fasciné par la splendeur que tu as vue, tu t'es mani- festé à nous, tu t'es affilié à nous. Et, après lui avoir adressé ces paroles, elles le conduisirent dans leur ville faite de pierre- ries (située) dans le monde Pâtâla, et lui di-

140 CONTES INDIENS

rent : Eh ! grand roi, prends possession de cette ville royale. J'ai ma ville royale, répondit le roi, qu'ai-je besoin de celle-ci? Mais j'ai une question à vous faire : qu'est- ce que cette ville? Les jeunes filles lui re'- pondirent : Nous sommes huit jeunes fil- les, huit perfections; cette ville est notre maison de jeux. Nous sommes ravies de te voir, et, pour te te'moigner notre satisfac- tion, nous t'offrons huit joyaux ', prends! Voici les qualités de ces huit joyaux : Par l'un, on a la perfection de l'esprit ; par le deuxième, on obtient tous les aliments qu'on a pu souhaiter =*; par le troisième, une armée à quatre corps ^; par le quatrième, la réali- sation de la destinée divine ■* ; par le cin- quième, les chaussures magiques ; par le sixième, la faculté de tout imij-iobiliser ; par le septième, l'omniscience; par le huitième, le contentement parfait. Elles donnèrent les huit joyaux au roi après lui en avoir ré-

1. Comparer avec les troisième, dix - septième et dix- neuvième récits.

2. Premier joyau du troisième récit (p. 47).

3. Troisième joyau du quatrième rccit (p. 4.71.

4. C'est-à-dire que l'on devient dieu ideva).

RÉCIT DE I.A VINGTIÈME FIGURE 141

vélé les qualités. Le roi les reçut et reprit le

chemin de sa capitale.

« Dans le trajet, un brahmane pauvre, re- ; connaissant le roi Vikramâditya, le salua |et lui demanda l'aumône. Eh! grand roi, I je suis un Brahmane qui souffre exirême- 'ment, tu es un excellent roi : donne-moi

une aumône afin que je ne sois plus en dé- flresse pour un besoin quelconque, mais que Hc sois toujours dans le bien-être. En

«tendant ces paroles du Brahmane, le roi,

■|ns délibérer, lui donna ces huit joyaux et

Itou ma dans sa ville. . La vingtième figure ajouta : « Eh ! roi

îhoja, si tu as une telle munificence, alors avance pour siéger sur ce trône; sinon, pourquoi t'avancerais-tu en vain (ou pour n'avoir que du chagrin? »

Là-dessus l'auguste roi Bhoja, tout hon- teux, se désista.

mm

RÉCIT DE LA 21' FIGVRE

UN jour la vingt et unième figure, voyant l'auguste roi Bhoja s'approcher du trône, lui dit incontinent : « Roi Bhoia, écoute la munificence du roi qui était digne de s'asseoir sur ce trône :

« Un jour, pour voir les choses merveil- leuses qui se passaient dans un certain

I pays, l'auguste roi Vikramàditya, s'élevant à jt l'aide de ses chaussures magiques, parcourut

ce pays. Dans une ville, il s'arrêta devant l'autel d'une divinité. Il était installé là, s'inclinant, lui faisant le pradaxina, lui

II adressant des louanges, quand un étran- r, ger arriva à l'autel de cette divinité, et, |Toyant l'auguste Vikramàditya, lui dit :

' i3

144 CONTES INDIENS

Eh ! homme de bien, je te vois pourvu des signes du roi parfait ' ; aussi je m'imagine que tu es un roi. Or, si un roi cesse de pen- ser à son royaume et se promène en pays étranger, le royaume ne subsistera pas. Le devoir d'un roi est donc de renoncer à toute autre affaire pour songer à (ce qui peut fairei la prospérité' ou la calamité du royaume. A l'ouïe de ces paroles, le roi répondit : O homme, sans la loi, un roi a beau penser à (ce qui peut faire) la prospérité ou la ca- lamité des provinces de son royaume, le royaume ne subsistera pas davantage. Si un roi est étranger à la loi, ni sa puissance, ni son royaume ne subsisteront, quand bien même il songerait à (ce qui peut faire) la prospérité ou le malheur de ses Etats. Par contre, si un roi est attaché à la loi au plus haut degré, il peut bien ne pas se préoccu- per de (ce qui serait de nature à amener) la prospérité ou le malheur des provinces du royaume, le royaume subsistera par la force de la loi. Aussi, pour assurer les fon- dements et la solidité du royaume, c'est à la loi qu'un roi doit s'appliquer, c'est la

I. Voir récit dix-neuvième, p. i33.

r£cit de la vingt-unième figure 14$

loi qu'il doit mettre en pratique. Quant à moi, si je voyage, c'est seulement à cause de la loi, et je conjecture que tu es venu i>.i pour quelque acte que tu dois accomplir.

•> En entendant ces paroles du roi, l'étran- ger dit : Eh! grand roi, tu es attaché à la loi au plus haut degré; c'est bien! Tu as conjecturé que je suis venu ici pour un acte

accomplir, tu as parfaitement rencontré ; . est bien ! Le roi reprit : Parle ! que liut-il faire? O roi, répondit l'homme,

>ute : Sur le mont Nîla réside une di- vinité appelée Kâmilkhyâ : voilà douze ans que, pour obtenir la réalisation de l'amour et des autres sentiments, je murmure des mantras à la déesse Kâmâkhyâ : mais je n'ai encore vu aucun fruit (de mes etfortsj : aussi je suis complètement troublé.

A l'ouïe de ces paroles, le roi se mit à ii-réfléchir en lui-même : il a murmuré beau- coup de mantras (se dit-il) et n'a rien ob- tenu ; il faut qu'il y ait à cela quelque cause. Après avoir tait ces réflexions, l'auguste Vikramâditya prit cet homme avec lui, se rendit sur le mont Nîla près de l'autel de la Jéesse Kâmâkhyâ et s'y arrêta. A la nuit, à

îieure du sommeil, la déesse Kâmâkhyâ dit

I!

146 CONTES INDIENS

au roi en songe : Eh ! grand roi Vikramâ ditya, pourquoi es-tu venu ici? Si c'est ; cause des sentiments dont cet hommi souhaite d'acquérir la réalisation que tu e venu, que tu te trouves ici, alors offre-mo en sacrifice un homme pourvu de l'éten dard, du diamant, de l'aiguillon, etc., ei un mot des vingt signes expliqués dans 1( Sâmudraka-Çâstra ; et la réalisation des sea timents se manifestera pour lui.

« Après avoir eu ce songe, l'auguste Vi kramâditya s'éveilla, se leva, s'habilla, pui fit en lui-même ces réflexions : Excepté moi on n'a pas vu d'homme pourvu des ving signes qui caractérisent le chef suprême c'est donc à moi de m'off"rir moi-même ei sacrifice pour rendre service à cet homme Ces réflexions faites, le matin étant ar- rivé, il se baigna, accomplit tous les autre: actes prescrits, et, le glaive en main, il s( préparait à s'offrir en victime à la déesse quand celle-ci, se manifestant à l'instan même, lui prit les deux mains et lui dit Eh! grand roi des rois, tu es un homme exceptionnel, ton attachement à la loi es: sans égal : c'est pour savoir jusqu'où irait ton dévouement que je t'ai suggéré en songe

RÉCIT DE I.A VINGT-UNIÈME FIGURE 147

l'idée de te donner en offrande ; j'ai vu de mes yeux (ce qui en est). Qu'as-tu besoin de I immoler? Je suis bien disposée pour toi; .Icmande ce que tu désires. Eh ! déesse, icpondii le roi, si tu as été contente de moi, iiccorde à cet homme la réalisation des sen- timents à laquelle il aspire. A la demande 'iii roi, la de'esse accorda à l'homme la réa« ition des sentiments, puis disparut. Par la taveur de la déesse, ces neuf sentiments ; l'amour, l'héroïsme, la pitié, l'étonnement, la joie, l'épouvante, l'aversion, la colère, le calme, se montrèrent pour exister désormais corporeîlement auprès de cet homme et ne plus le quitter. Quant au roi, il retourna dans sa capitale. »

La vingt-et-unième figure ajouta : Eh! roi Bhoja, si tu es aussi enclin îi rendre ser- vice aux autres, alors tu arriveras à siéger sur ce trône. »

A ces mots, l'auguste roi Bhoja se désista encore ce jour-là.

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RÉCIT DE LA 22' FIGURE

LA vingt -deuxième tigure dit : « Eh ! roi Bho)a, renonce à l'espoir vain que Itu nourris de monter sur ce trône pour y [être sacré. Tu ne seras jamais un bienfaiteur (semblable à Vikramâditya, et capable de kiéger sur ce trône. Ecoute (pour apprendre) [quel bienfaiteur c'était que l'auguste Vikra- mâditya :

<■ A l'âge de seize ans, ayant vaincu par la [force de son bras tout autant de rois qu'il y en avait dans les régions principales et in- termédiaires, soleil de tous les rois, coiffé du diadème orné de pierreries, ayant sur (la >lante des) pieds l'empreinte du lotus, il fexerçait la royauté universelle.

l5o CONTES INDIENS

« A l'heure de Brahmâ ', c'est au son de la vînâ douce et mélodieuse et des autres instruments, à la voix des ménestrels, descom- plimenteurs, en un mot de la foule de ceux qui chantaient ses louanges, qu'il sortait du sommeil. Après avoir invoqué le bien- heureux Nârâyana en se remémorant la mé- ditation appelée Caranâravinda, avoir rempli tous ses devoirs, et fait aux dieux toutes les salutations matinales, il se munissait de di- verses armes pour les manier et s'exerçait dans la salle des combattants. Ensuite, pare de tous les insignes royaux, il faisait des dons de mille et mille suvarnas, puis entrait dans le cercle des ministres conseillers, des ministres d'exécution et autres savants. Là, conformément aux prescriptions du code pé- nal et du code politique ', il expédiait les affaires du royaume. A midi, après avoir ac- compli tous les actes prescrits par le Veda pour l'heure du milieu du jour, il donnait aux malades, aux pauvres, etc., toutes sortes de dons, offrait à la multitude de ses parents, alliés et amis un repas composé de quatre

1. C'est-à-dire, sans doute, à la premicrc heure.

2. Danda-niti et Râja-iiiti.

RÉCIT DE LA VINGT-DCUXIEME FIGURE l5l

espèces de mets, ceux qu'on mâchct qu'on suce, qu'on lèche, qu'on boit, pourvus des six saveurs, l'astringente, la douce, la salée, la forte, la piquante, l'acide. Ensuite, après avoir mâché son bétel mêle à des substances odorantes préparées de diverses manières, muscade, girofle, etc., il se frottait les mem- bres de substances odorantes telles que le ludal, se chargeait de guirlandes de fleurs du diverses espèces, donnait congé à ses pa- rents et amis, et se couchait pendant quel- que temps sur un lit comme on n'en avait pas encore vu. Puis, après avoir entendu les sons agréables de la troupe des oiseaux par- leurs, le perroquet, la çârikâ, avoir ri sur les quatre tons avec la troupe de ses jeunes fem- mes, les plus belles qu'on eût encore vues,

|i et passé le reste de l'après-midi à entendre les histoires, les purânas, etc., il examinait ses troupes, ses richesses, son mobilier, avec les inspecteurs préposés à ces divers objets. Le soir venu, il accomplissait les cérémonies prescrites par les Vedas ; après avoir, avec les Pandits, accompli tout ce qui est conforme

I aux Castras, il se réunissait h des gens de plaisir et s'amusait à voir danser, à entendre chanter et à faire de la musique, jouissait du

i3»

I 52 CONTES INDIENS

plaisir des unions permises, puis goûtait jus- qu'à l'aurore un sommeil paisible. C'est ainsi qu'il passa son temps tous les jours de sa vie.

« Or il arriva un jour que, à la tombe'e de la nuit, à l'heure du sommeil, il eut un cau- chemar, indice de quelque malheur. Le ma- tin, il en informa les Pandits qui lui dirent : Grand roi, ce cauchemar n'annonce rien de bon ; nous conjecturons qu'il surviendra quelque malheur. Ces paroles lui firent faire les réflexions suivantes : la mort est inévita- ble; les femmes, les enfants, les richesses et tous les autres objets du samsara sont pas- sagers comme des bulles d'eau ; à la mort, il ne reste plus rien à personne : la loi est la seule chose qui puisse servir dans l'autre monde. Donc, après avoir reconnu le peu de valeur du samsara, un homme de bien doit amasser des mérites, et faire en sorte que les misérables amassent des richesses.

« Ce raisqiinement fait, l'auguste Vikra- mâditya, ouvrant les portes des pièces qui renfermaient tout ce qu'il avait de richesses et de biens meubles, fit publier partout (cet or- dre) : que quiconque le désire vienne puiser au mobilier du roi. A la suite de celte pro-

RÉCIT DE LA VINGT-DEUXIÈME FIOURB |53

clamation, beaucoup de gta$ pauvre* du pays arrivèrent, et chacun s'en retourna après avoir pris ce qui lui af;réait.

La vingt-deuxième figure ajouta : Eh ! roi Bhoja, telle était la munificence de l'au- guste Vikramâditya : c'est pour cela qu'il siégeait sur ce trône. Aujourd'hui, il n'y a pas de roi semblable à lui ; toi-même, tu ne l'es pas. »

C'est de cette manière que, ce jour-là encore, l'auguste roi Bhoja se désista.

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DISCOURS DE LA jJe FIGURE

UN autre jour encore, l'auguste roi Bhoja s'approcha du trône pour se faire sacrer. En le voyant, la vingt-troisième figure dit : « Eh ! roi Bhoja, celui dont la vaillance, la fermeté, la munificence égalent celles de l'auguste Vikramàditya est le seul qui puisse siéger sur ce trône. » Le roi répondit : « En quoi consistaient la vaillance et les autres qualités de Vikramàditya? » L'image répon- dit : « Eh ! roi Bhoja, écoule.

« L'auguste Vikramàditya exerçaitla royauté suprême dans la ville d'Avantî. Il y avait dans cette ville un marchand appelé Dhana- pati, qui possédait trente kotis '. Il avait

1 Le koii vaut lo milliuns.

l56 CONTES INDIENS

quatre fils. Au moment de sa mort, ce mar- chand dit à ses quatre fils : Eh 1 mes fils, après ma mort, restez unis, ne vous se'parez pas. Les avantages de l'habitation en com- mun sont considérables : en s'aidant les uns les autres, des gens même peu nombreux peuvent mener à bien des entreprises irréa- lisables, de même que les herbes réunies et arrangées ensemble peuvent arrêter la pluie du ciel, tandis que ces mêmes herbes disper- sées sont incapables d'arrêter la pluie ; au contraire, l'eau de cette pluie les détruit elles- mêmes. Restez donc en bon accord. Si le destin s'oppose à ce que vous demeuriez ensemble, j'ai enterré dans ma chambre à coucher quatre vases portant l'étiquette de vos noms ; vous les y trouverez et vous prendrez chacun celui qui est à son nom. Après avoir donné ces instructions à ses fils, Dhanapati abandonna son corps.

« Au bout de quelque temps, les fils du marchand eurent entre eux une querelle ; ils se séparèrent et tirèrent du sol chacun le vase qui portait son nom. Ils regardèrent ; le vase de l'aîné renfermait de la terre ; dans la cruche du second, il y avait du charbon ; dans le vaisseau du troisième, des os ; dans

KéCir DE LA yiNGT^TROISlÈME riGURB iSj

le vase du quatrième, de la paille. Ne comprenant pas l'intention, ils s'adressèrent à plusieurs savants : aucun ne réussit à la leur expliquer. Pendant plusieurs jours, les quatre frères restèrent ainsi divisés et passa* rent le temps à s'affliger.

Un jour, les quatre tils du marchand se rendirent au conseil de l'auguste Vikramâ<> ditya et questionnèrent les gens du conseil ; mais, même ainsi, ils n'obtinrent pas l'expli- cation de ce que signifiaient les vases. Or, dans la ville de Pratisthâna, il y avait deux brahmanes, dont la sœur était une veuve d'une beauté supérieure avec laquelle un fils de Nàga, sorti du Pâtâla, avait eu commerce ; en suite de quoi elle était devenue enceinte. Les deux frères, voyant la grossesse de la veuve leur sœur, eurent des soupçons et se retirèrent au fond du pays. Quelques jours après, cette veuve Brahmanî mit au monde un fils appelé Çâlavâhana. Ce Çâlavâhana de- meurait avec sa mère chez un potier. Il en- tendit parler de l'histoire des quatre vases, se rendit au conseil du roi qui résidait dans la ville de Pratisthâna : Eh ! Messieifrs du conseil, je donnerai l'explication du sens des quatre vases. A ces mots, tous les mem-

l58 CONTES INDIENS

bres du conseil fixèrent leurs regards sur les traits de ce fils de Nâga. L'enfant dit : Celui au nom de qui est la cruche pleine de terre a en partage tous les biens-fonds. Celui au nom de qui est la corbeille pleine de charbon a les huit espèces de métaux, l'or, l'argent, le laiton, le bronze, le cuivre, l'étain, le fer. Celui dont le nom est sur l'étiquette du vase rempli d'os a les éléphants, les che- vaux, les vaches, les buffles, les boucs, les béliers, les esclaves mâles et femelles ; en un mot, toutes les richesses en bipèdes et qua- drupèdes sont à lui. Celui au nom duquel est la cruche pleirte de paille a toutes les richesses en grains, telles que le riz, l'orge, le froment, la vesce, les haricots, les pois chiches, le sésame, la moutarde. En ap- prenant cette solution du fils de Nâga, les quatre frères furent bien satisfaits; ils prirent chacun sa portion conformément au partage fait par leur père et passèrent leur temps dans un bonheur parfait.

« L'auguste Vikramâditya, informé par la rumeur publique de la solution trouvée par le fils du Nàga, le manda par des messagers qu'il envoya dans la ville de Pratisthâna. Mais Çàlavâhana n'y alla pas ; il dit : Qu'est-

uéciT DE LA VINGT-TROISIÈME FIGURE I 59

il besoin d'aller trouver l'auguste Vikramâ- liitya? S'il a besoin de moi, pourquoi ne viendrait-il pas lui-même me trouver? Les envoyés, revenus en présence de l'auguste Vikramâditya, lui rapportèrent ces paroles. Lf roi, étonne de ce langage d'un enfant et même quelque peu piqué, s'approcha en ^personne, lui, l'auguste Vikramâditya, en- touré d'une armée à quatre corps, de la [ville de Pratisthàna. Même alors, Çilavâ- hann ne se rendit pas auprès de l'auguste Vikramâditya pour s'aboucher avec le roi. L'auguste Vikramâditya, en colère, dépêcha ses gens pour intercepter la ville et la maison de Çàlavàhana. En voyant sa maison bloquée, Çàlavâhana communiqua, par la puissance de son père, la vie à des éléphants, des che- vaux, des fantassins faits en argile, puis leur donna le signal du combat. Pendant plu- sieurs jours, les forces de Çàlavàhana et celles de l'auguste Virkamàditya combati- rent de diverses manières; malgré cela, la puissance de l'auguste Vikramâditya ne put briser l'adversaire.

Un jour, le père de Çàlavâhana, le fils de Nàga qui résidait dans la ville de Pàtàla, vint à la tombée de la nuit, mordit toute

l6o CONTES INDIENS

l'armée de l'auguste Vikramâditya, la rendit stupide par un poison ardent, puis s'en alla. L'auguste Vikramâditya, voyant toute son armée hébétée, murmura les mantras du roi des Nâgas Vasukî, afin de ranimer les gens de son armée par l'aspersion de l'amrita. Vasukî, satisfait, donna l'amrita au roi et se retira. Le roi, muni de cet amrita, allait pour sauver son armée, lorsque, sur le che- min, il rencontra deux hommes envoyés par Çâlavâhana, qui lui demandèrent cet amrita. L'auguste Vikramâdtya avait pris l'engage- ment de donner à qui que ce fût ce qu'on lui demanderait. En conséquence, pour ne pas violer l'engagement pris, il donna l'am- rita à ces deux hommes. La véritable grandeur consiste à ne jamais agir contraire- ment à la parole donnée. Ainsi pensait l'au- guste Vikramâditya, quand il était seul, sur le chemin. C'est quand l'homme traverse l'océan du malheur difficile à traverser et le franchit par la force de la vertu déployée pour l'accomplissement des œuvres vertueu- ses, qu'éclate l'autorité du Castra. Telles étaient les méditations du roi.

« Sur ces entrefaites, Vasukî, venant lui- même de la ville de Pâtâla, fit pleuvoir

RÉCIT DE LA VINGT-TROISIEME FIGURE l6l

l'amrita, rendit le sentiment à toute l'armée de l'augusttf Vikramâditya, puis s'en alla. Les gens de cette armée, semblables à des gens réveillés de leur sommeil, commencè- rent à faire entendre leur murmure habituel. Le roi Vikramâditya, extrêmement satisfait de ce que les gens de son armée avaient recouvré le sentiment, s'en retourna dans sa ville avec ses troupes.

Dis maintenant, eh! roi Bhoja! Si tu as une munificence semblable à celle de l'au- guste Vikramâditya, alors tu peux t'asseoir sur ce trône.

Après avoir entendu ce récit de la vingt- troisième figure, l'auguste roi Bhoja, ce jour-là encore, préféra s'abstenir.

«I»- Tiff,

^1-

»»»

RÉCIT DE LA 24' FIGURE

UN autre jour encore, la vingt-quatrième figure dit à l'auguste roi Bhoja pour l'empêcher de monter sur le trône : Eh ! roi Bhoja, le roi qui protège les créatures comme savait le faire l'auguste Vikramâdi- tya est le seul qui puisse siéger sur ce trône. Et comment Vikramàditya protégeait-il les créatures? » répondit le roi. La figure reprit : Ecoute.

« Un jour l'auguste Vikramàditya était en séance dans la salle du conseil, entouré de la troupe de ses ministres. Un pandit du pays de Kerala, qui savait parler sur le Jyoti-çàstra, étant survenu, adressa au roi ses bons souhaits dans une suite de discours

104 CONTES INDIENS

variés en prose et en vers, puis s'assit sur le siège que le roi lui offrit.

« Le roi adressa au pandit cette question : O pandit, dans quel Castra es-tu particulière- ment versé ? Dans le Jyoti-çâstra, répondit le pandit. Parle, reprit le roi, qu'arrivera- t-il cette année dans mon royaume ? Cette année, grand roi, répondit le pandit, il y aura une grande famine. Dans mes états, reprit le roi, il n'y aucune transgression du Nîti-çâstra, il n'y a pas même l'apparence de l'injustice : les créatures ne sont pas oppri- mées, même en songe ; il n'y a aucune espèce d'opposition à l'accomplissement des actions vertueuses; il n'y a ni injures aux brahmanes, ni violences contre les créatures, ni châti- ments injustes, ni recherche de ce qui n'est pas bien, ni conduite mauvaise, ni brisement des images des divinités, ni cause d'inquié- tude pour les gens de bien, ni transgression des lois établies par les Castras ; rien de tout cela n'existe dans mes états : pourquoi donc y aurait-il une famine? Le pandit répondit : Celui qui donne tous les ordres est la suprême autorité. Or, voici ce que dé- clare le Jyoti-çâstra : si la planète Saturne, ayant brisé le char de Rohinî, vient dans le

RÉCIT DE I.A VIHCT-QUATWÈIIÏ FIGURE l65

champ de Vénus ou dans celui de Mars, alors il y aura nécessairement famine. Je le dis conformément à l'autorité de ce Castra.

A l'uuïe du discours de ce pandit, le roi, pour protéger ses sujets et conjurer la fa- mine, s'appliqua à faire toutes sortes d'actes de prospérité, des sacrifices, des prières, des offrandes, des dons, etc., en recourant au mi- nistère des brahmanes. Malgré cela, la pluie ne tomba pas, aucun grain ne germa dans le pays ; les créatures, la population entière furent dans un trouble extrême, et le roi fut préoccupé au plus haut degré.

A ce moment, une voix céleste se fit en- tendre : Eh ! Vikramâditya, si tu es de force à donner en offrande un homme doué de tous les signes de la royauté, alors il y aura de la pluie. En entendant cette divine voix céleste, le roi tira son glaive et se disposait à se livrer lui-même en offrande pour sauver les créatures, quand, à l'instant même, la di- vinité qui se tenait dans les nuages, se mon- trant favorable, retint les deux mains du roi et lui dit : Grand roi des rois, tu es un grand protecteur des créatures, en vérité! je te suis favorable ; fais une demande à ton choix. Le roi répondit : ce que je choisis, c'est qu'il

i66

CONTES INDIENS

n'y ait pas de famine dans ce pays ; accorde- le-moi ! La déesse répondit : Qu'ainsi soit ! et disparut. »

Depuis lors jusques aujourd'hui, il n'y pas eu de famine dans le pays des brahma- nes.

Après avoir entendu ce récit de la vingt- quatrième figure, l'auguste roi Bhoja fut dé- couragé.

RÉCIT DE LA 25' FIGURE

UN autre jour encore le roi Bhoja s'effor- t^ait de monter sur le trône, quand la

vingt-cinquième figure, pour l'en détourner, ^ hii dit : « Eh ! roi Bhoja, nul n'est capable de monter sur ce trône, s'il ne ressemble à l'auguste VikramAditya. Comment donc était l'auguste Vikramâditya? répondit le roi. La ligure reprit : « Ecoute.

«I Le bruit de l'héroïsme, de la fermeté, de la profondeur (d'espriti, de la magnifi- cence, de la vigueur de l'auguste Vikramâdi- tya et de la prospérité dont tous ces avanta- -;es étaient accompagnés, était allé jusqu'au londe des dieux ; et les divinités du Svarga, aas leurs entretiens et leurs récits, celé-

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14

l68 CONTES INDIENS

braient ordinairement la gloire de Vikramâ- ditya. Un jour, le roi suprême de tous les dieux, le dieu Indra, entouré de félicité, assis, au milieu du cercle des dieux, sur son trône fait de diverses pierres précieuses, ré- clama l'attention des divinités, et dit : Au-- jourd'hui, sur la surface de la terre, nul n'est comparable à Vikramâditya pour l'aspiration au bien de toutes les créatures, pour le zèle à pratiquer constamment la vertu, pour le mépris de sa propre vie, pour le soin de pro- téger les autres êtres, pour la fidélité à une bonne conduite, pour les dispositions d'un esprit tout imprégné de pitié. A l'ouïe de ce discours d'Indra, parmi toutes les divini- tés présentes dans l'assemblée, il y en eut deux dont l'esprit ne put s'en rendre bien compte. Afin de déterminer ce qu'il y avait d'exact et d'inexact dans l'éloge de l'auguste Vikramâditya, ces deux divinités se rendi- rent dans la ville d'Avantî.

« L'auguste Vikramâditya, monté sur le meilleur des chevaux habile dans les cinq manières d'aller, la marche, le trot, l'amble, le galop, le saut, se promenait solitairement dans le jardin de plaisance qui était à l'ex- trémité de la ville. Sur ces entrefaites, l'une

RECIT I)K LA VlNGT-aNQUIEME FIGURE 169

des deux divinités prit la forme d'une vieille vache, l'autre celle d'un tigre puissant et ter- rible. En voyant le tigre, la vieille vache eut peur de la mort et prit la fuite; le tigre courut après elle. La vache, arrivée au bord d'un étang, y sauta et resta empêtrée dans la vase.

<< A cet instant, l'auguste Vikramâditya, taisant sa promenade, arriva en ce lieu. La vache tombée dans la vase, voyant le tigre non loin d'elle, fut excessivement troublée et se mit à pousser des cris de détresse ; elle at- tira l'attention de l'auguste Vikramâditya par ses hauts cris et ses mugissements redou- blés. Le roi, voyant la position et l'embarras de cette vache, sauta promptement en bas de son cheval, saisit son glaive de la main droite, tandis que de la gauche il saisissait la vache, puis resta debout dans le lac. 11 se mit alors h examiner en lui-même cette alternative : si je tire cette vache de la vase et que je m'en aille, se disait-il, cette vieille vache ne sera pas -en état de s'échapper ; le tigre la saisira sans peine et la mangera : si j'abandonne la vache et que je m'en aille après avoir tué le tigre, cette vache, par suite de sa chute dans la vase, n'aura plus la force

lyO CONTES INDIENS

de marcher; et, si quelque être nuisible sur- vient, il la fera périr. Dans cette per- plexité, le roi tenant toujours la vache, le glaive en main, passa toute la nuit exposé au froid, au vent, à l'humidité, seul et plongé dans l'eau.

« Quand le matin fut venu, les deux divi- nités abandonnant les formes magiques qu'el- les avaient prises, (l'une) la forme de vache, (l'autre) la forme de tigre, reprirent leur forme propre et dirent à l'auguste Vikramâditya : Eh ! Vikramâditya, grand rois des rois, nous sommes des divinités qui, pour savoir jus- qu'où va ta fidélité à la loi, doublée de pitié, avons pris ces formes au moyen de la magie; nous sommes éclairées. De même que les dieux, barattant la mer de lait, ont créé le disque de la lune avec une portion du suc de (celait), ainsi le créateur, en barattant la mer qui a la forme de la pitié, a créé ton cœur avec une portion du suc de cette (pitié) '. Quel éloge ferons-nous de toi? Notre roi. le dieu Indra, fait habituellement ton éloge

I Le barattenient de la mer de lait avec les nombreux incidents auxquels il a donné naissance est un des plus célèbres épisodes de la mythologie liindouc.

RKCIT DE LA VINGT>C1NQUIEME FIGURE I7I

dans l'assemblée des dieux ; mais, en ce jour, nous avons constaté l'exactitude de ses dires. Fais une demande à ton choix. Le roi répondit : Je n'ai rien à demander à votre faveur; j'ai obtenu toutes les félicités; pour- quoi les altérer par une demande faite à la k'gère? Les divinités reprirent : Ce n'est pas en vain que nous nous montrons. Aussi, nous te donnons cette kâmadhenu (vache du désir), sans que tu l'aies demandée. Chaque fois qu'il te viendra envie de quelque chose, tu n'auras qu'à en faire la demande à cette kâmadhenu.

Après avoir ainsi donné kâmadhenu au roi, les divinités disparurent.

" Le roi, ayant reçu kâmadhenu, s'en re- tournait, quand, sur le chemin, un pauvre s'approcha de lui et demanda l'aumône. Le roi lui donna cette kâmadhenu et s'en re- tourna dans sa capitale.

L'auguste roi Bhoja, après avoir entendu le récit de la vingt-cinquième figure, s'en alla tout bouleversé.

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RÉCIT DE LA a6* FIGURE

A un autre moment, comme l'auguste roi Bhoja se tenait près du trône, la vingt- sixième figure dit : « O roi Bhoja ! c'est le roi Vikramâditya qui siégeait sur ce trône. Ecoute un récit de ses qualités.

« Un jour, l'auguste Vikramâditya, se pro- menant çà et pour voir le monde, arriva à un autel de divinité tel qu'il n'en avait pas encore vu d'aussi agréable, et s'y arrêta. Sur ces entrefaites, un homme vint à son tour, s'installa près du roi, et se mit à répandre un grand flux de paroles. Le roi, en l'enten- dant, fit un raisonnement dans sonfor inté- rieur : Cet homme, se dit-il, doit être bien méchant ; autrement, pourquoi un tel flux

174 CONTES INDIENS

de paroles? Il n'est pas dans la nature d'un homme de bien de répandre sans raison un tel flux de paroles. Cet homme répand un flux de paroles inutiles ; il faut donc de toute nécessité que ce soit un homme excessive- ment méchant. Jamais un homme de bonne caste ne ferait un bruit tel que celui d'une cloche il n'y a pas plus de sens que dans le bavardage de cet homme : d'où je con- clus que celui qui xlit beaucoup de paroles est sans valeur. Le roi, ayant fait ce rai- sonnement, en lui-même, n'adressa pas même un mot à cet homme qui, après être resté quelque temps, s'en retourna chez lui.

« Le lendemain, ce même homme à peine vêtu, le visage contracté, vint se présenter à l'auguste Vikramâditya. Le roi, en le voyant, lui dit : Parle, qu'est-ce que cela ? Hier, tu étais venu ici revêtu d'habits magnifiques; aujourd'hui, tu viens à peine vêtu, ne por- tant que de sales haillons. Eh! grand roi, répondit l'homme, je suis un joueur : au- jourd'hui, j'ai perdu au jeu tout mon bien, et il ne m'est resté que de quoi couvrir ma nudité. A ces mots, le roi sourit douce- ment et dit : C'est bon ! telle est la voie des joueurs! L'individu qui désire acquérir des

KECIT DE I.A VINGT-SIXIEME FIGURE i7:>

richesses par le jeu, celui qui cherche à ob- tenir 1.1 considération en se mettant au ser- vice d'autrui, celui qui poursuit les jouissan- ces au moyen de la mendicité, tous ces gens sont des tètes dépourvues d'intelligence ; ils sont voués à une destinée misérable. En entendant ces paroles du roi, le joueur ne put supporter le blâme du jeu et répondit : C'est fort bien fait à toi de critiquer! Tu n'as donc jamais éprouvé le bonheur qu'on res- sent à jouer aux dés ? Tu es comme un eu- nuque qui blâmerait le plaisir qu'on goûte avec une femme jeune et belle. Aux pa- roles du joueur le roi répondit : Eh ! joueur, tu as été extrêmement artligé par le seigneur (Içvara) ; aussi t'avons-nous adressé une bonne parole, uniquement pour te venir en aide, comme eût fait un ami. Tu es dans l'erreur la plus complète. Or, c'est une forte douleur, quand on est revêtu d'un corps d'homme, de n'avoir point de bonnes pen- Uées, de ne point faire de bons raisonne- lents, de ne point songer à de bons pro- îédés, de ne faire ni de bons efforts, ni de >onnes actions, et de se livrer, pour un bon- heur vain, au jeu de dés qui est une source de maux. L'homme dissipe ainsi sa vie en

176 CONTES INDIENS

pure perte. A ces paroles du roi, le joueur reprit : Eh 1 grand roi, si tu ne l'es proposé que me venir en aide, si tel est ton des- sein, fais pour moi une chose que je dois accomplir; promets-le-moi! Si, à partir d'aujourd'hui, répondit le roi, tu renonces au jeu, j'accomplirai pour toi ce que tu as à faire ; je l'accomplirai, j'en donne ma pa- role.

« Quand le roi eut fait cette déclaration, le joueur dit : Ehl Vikramâditya, homme parfait, écoute : Sur le sommet du mont Su- méru est l'autel d'une divinité appelée Ma- nassiddhi. A la partie supérieure de cet autel est un vase d'or rempli avec de l'eau du Gange céleste. Celui qui prendra de l'eau de ce vase d'or, qui rendra hommage à la divi- nité et lui fera le sacrifice de sa tête, celui-là obtiendra la faveur de la divinité ; elle réali- sera ses vœux et lui accordera sa demande. Mais c'est un acte fort difficile- à accomplir. Si tu réussis à le p.arfaire et que tu demandes pour moi le don que tu obtiendras de la di- vinité en raison de ce succès, je renoncerai au jeu.

« Quand le joueur eut prononcé ces paro- les, le roi s'éleva à l'aide de ses chaussures

RéCIT DK LA VINGT-SIXIÈME F1CT7RE (77

magiques, atteignit le sommet du mont Meru, rendit son hommage à la divinité Manas- siddhi, et, le glaive en main, se prépara à lui faire le don et l'offrande de sa tête. A l'instant même, la divinité, se montrant fa- vorable, accorda en don au roi la réalisation de son désir. Le roi accepta ce don pour le joueur, auprès duquel il retourna ; il le Ht renoncer au jeu, lui remit ce qu'il avait reçu de la faveur de la divinité, et puis rentra dans sa capitale. »

La vingt-sixième figure ajouta : Eh! roi Bhoja, si tu te juges tel, assieds>toi sur ce trône; sinon, il ne sera pas bon pour toi de t'y asseoir. »

A ces mots, l'auguste roi Bhoja hésita, et, ce jour-là encore, il s'en alla tout triste.

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RÉCIT DE LA jj' FIGURE

LA vingt - septième figure empêcha l'au- guste roi Bhoju de monter sur le trône en lui disant : Eh ! roi Bhoja, ce trône était à Vikramâditya ; écoute les qualités de ce roi :

« Un jour, l'auguste Vikramâditya se pro- menait dans le pays. Sur le chemin, un voyageur l'apercevant lui dit : Eh ! grand roi, il y a à l'Orient une ville appelée Vetâ- lapura, dans laquelle se trouve une divinité qui a nom Çonitapriyâ : chaque jour, sur l'autel de cette divinité, se fait l'offrande d'un homme. En suivant toujours ce chemin, nous atteignîmes cette localité. Les gens du ioi de ce pays s'emparèrent de nous et nous

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l8o CONTES INDIENS

mirent en prison dans l'intention de nous sacrifier : mais nous sommes dans la force de l'âge ; nous trouvâmes le moyen de nous échapper et de sauver notre vie.

« A l'ouïe de ce discours, la curiosité du roi fut éveillée ; il se rendit à Vetâlapura, se proposant de voir cette divinité. Quand il fut en présence des gens du roi de ce pays, il leur fit une instruction sur la loi : Messieurs, leur dit-il, j'ignore en vertu de quelle loi vous offrez pour votre bien-être à la divinité le sacrifice d'une grande créature, d'un homme. Pendant combien de jours le bien-être résultant de cette fête et de cette offrande vous procurera-t-il des jouissances dans le Samsara ? Vous ne savez pas quelles souffrances vous attendent pour longtemps dans le Naraka k cause du péché de cette fête Ton fait du mal à une grande créa- ture. Quant à cette déité, quelque don qu'elle vous fasse pour vous témoigner son conten- tement du mal que vous avez fait à un homme, malheur à la divinité de cette déité qui accepte un sacrifice humain !

« Après avoir ainsi blâmé les gens du pays pour les corriger, il s'avança vers l'autel de cette divinité, et il vit qu'un prédicateur.

RÉCIT DE I.A VINGT'SCPTièME FIGURE l8l

après avoir baigné un homme, l'avoir orné d'habits rouges, de sandales rouges, de guir- landes rouges, l'amenait comme pour le sa- crifier. En voyant ces gens, l'auguste Vikra- mâditya s'écria: Fi! méchants et pervers que vous êtes, lâchez cet homme à l'instant; il est anéanti par la crainte de la mort. S'il ous faut absolument une victime humaine .1 sacrifier, je m'offre librement moi-même en victime ; mais jamais il ne pourra arriver que, en ma présence, un homme éperdu par la crainte de la mort soit livré comme vic- time pour le Naraka.

En entendant parler le roi. ces gens furent extrêmement surpris et dirent : O grand être, tu es un homme fidèle au devoir jusqu'à l'excès ; on ne voit pas d'homme comme toi, qui, pour sauyer la vie d'un in- dividu avec lequel tu n'as aucun lien de parenté, t'efforces de renoncer à la tienne et n'en fais pas plus de compte que d'un brin d'herbe. Quand la maison brûle, le riche |,)^i possède divers biens acquis au prix de [j> beaucoup d'eflbrts douloureux, la femme ^Itelle et fidèle à son mari, le pandit, l'homme ilidu devoir abandonnent leurs enfants et tout qu'ils ont de plus cher; ils prennent la

1^

IS2 CONTES INDIENS

fuite pour garantir leur propre vie. Toi, pour sauver un étranger dont tu ne connais ni le pays, ni les moeurs, ni la famille, tu es prêt à renoncer à la vie à laquelle on tient (géné- ralement) à l'excès ! il est difficile de trouver un homme semblable à toi pour l'empresse- ment à secourir les autres.

Après avoir adressé au roi ces paroles, ils coupèrent les liens de l'homme amené pour le sacrifice et le lui remirent. Constam- ment préoccupé de la pensée de faire ce qu'il fallait, l'auguste Vikramâditya saisit son glaive et se préparait à s'immoler, quand, à l'instant, la déesse apaisée dit au roi : ! grand roi, je suis contente ; demande ce que tu veux choisir. Le roi répondit : Hé! déesse, si tu es satisfaite, accorde-moi ce don de mon choix : exauce le désir qui fait venir ces gens ici pour un sacrifice, et, à partir d'aujourd'hui, n'accepte plus aucun sacrifice humain. Accorde-moi ces deux choses. Qu'ainsi soit, répondit la déesse ; et, à dater de ce jour, aucun sacrifice humain ne lui fut plus oflert. »

L'auguste roi Bhoja, ayant entendu ce discours de la vingt-septième figure, renonça ce jour-là encore.

RÉCIT DE LA 3«* FIGURE

I

LA vingt-huitième figure, pour empêcher l'auguste roi Bhoja de monter sur le trône, lui tit un récit des qualités de l'au- guste roi Vikramâditya en ces termes : Hé! dit-elle, roi Bhoja, écoute :

« Un jour, un pandit qui connaissait à fond le Çâstra des signes étant sur le chemin^ bien fatigué, s'assit au pied d'un arbre, à l'entrée de la ville, pour se reposer. Ce pandit, en examinant les marques sur les parties du corps des hommes et des femmes, pouvait, grâce à sa profonde connaissance du sens du Çâstra des signes, deviner ce qui leur arri- verait d'heureux ou de malheureux. Pendant qu'il était là, il remarqua sur la poussière la

184 CONTES INDIENS

trace du pied d'un homme remarquable par des signes en forme de lotus, et se dit en lui-même : L'homme dont le pied a la mar- que du lotus est nécessairement un grand roi ; il faut donc bien que l'individu de qui proviennent ces traces, soit un grand roi : c'est évident ! Et cependant, si c'est un grand roi, comment donc viendrait-il à pied à l'en- trée de la ville ? Ce doute, troublant sa pensée, le préoccupait vivement.

« Sur ces entrefaites, un homme bien pauvre, portant sur sa tête une charge de bois, vint à passer. Le pandit remarqua que les deux traces de pieds, celles de ce pau- vre et celles qu'il avait vues précédemment, étaient exactement pareilles, et il en tira la conclusion suivante : C'est à cet homme qu'appartiennent ces deux traces de pieds ; il n'y a pas de doute à cela ; mais quelle mer- veille n'est-ce pas que celui dont les pieds fournissent de telles empreintes soit un homme aussi pauvre ! Ce problème le préoccupant, le pandit restait l'air abattu.

« Sur ces entrefaites, l'auguste Vikramâ- ditya s'approcha du pandit et, voyant son air abattu, lui fit cette question : ! Brahmane, qui es-tu ? Pourquoi restes-tu assis ici?

RÉCIT DE LA VINGT-HUITlim FIGURK l8S

Le pandit répondit : Je suis un pandit qui juge d'après le livre des signes; je me repo- lis des fatigues du chemin quand j'ai vu un homme extrêmement pauvre, dont le pied droit avait la marque du lotus ; et je médite sur cette circonstance qui est en désaccord .ivec le sens du Castra.

" Après avoir entendu ces paroles du pan- dit, le roi ne répondit rien, rentra chez lui t rassembla ses pandits. Une fois que le ^nseil fut réuni, il dépêcha un messager au pandit pour le faire venir et lui posa cette question : Hé! pandit! cet homme pauvre dont tu as vu les pieds marqués du lotus, qui est-il ? Cet homme, qui portait une charge de bois, répondit le pandit, est entré dans la ville; je présume qu'il y demeure. Quel est son nom ? reprit le roi. Son nom ? répondit le pandit, je ne le connais pas ;

(mais sa mine et son maintien sont de telle kt telle façon. I « A l'ouïe de ces paroles du pandit, le roi pt faire des recherches par un messairer qui i ïimena cet homme en sa présence. Après l' avoir constaté de ses yeux que c'était bien l'homme décrit par le pandit,, le roi dit : ! pandit, sans l'examen comparatif ^es

l86 CONTES INDIENS

signes réguliers et des signes exceptionnels, il est impossible de se rendre compte du sens du Castra; fais donc la recherche du sens du Castra d'après les signes diflfe'rents et forme ainsi tes inductions. Il faut que cet homme ait quelque signe fâcheux et prédominant dont l'influence empêche le bon signe de porter son fruit.

« Quand le roi lui eut parlé de la sorte, le pandit fit la recherche du sens du Castra et dit : Hé! grand roi, le sujet a-t-il le signe du lotus, etc. ; c'est certainement un roi, voilà la règle générale. Mais si, sur la plante du pied ou la racine du palais, il a le si- gne « du pied du corbeau ' », ce signe annule tous les signes royaux, quels qu'ils soient, et fait du sujet un homme pauvre; voilà l'exception.

« Le roi, ayant entendu cette parole du pandit, découvrit par quelque expédient et vit de ses yeux le signe « pied de corbeau » sur la partie postérieure du palais de cet homme, dont il reconnut ainsi la vraie nature. Il dit alors au pandit : 1 pandit, je reconnais que tu es versé dans l'essence du Castra des

I. Signe en forme de croix appelé Kdkapâda.

RÉCIT DE LA VINGT^HUITlèME FICURK 187

signes ; c'est bon ! Dis-moi donc quels sont mes signes de royauté et sur quelles parties de mon corps ils se trouvent. Le pandit examina, à plusieurs reprises^ les membres du roi et dit : O grand roi, je ne vois sur ton corps aucun signe royal '. Hé! pandit, reprit le roi, analyse le sens du Çâstra et conjecture quelle peut bien être l'exception. Le pandit répondit : Héî grand roi. si quelque homme n'a pas sur son corps des signes heureux bien distincts, ou s'il a des signes malheureux bien distincts, mais qu'il ait au côté gauche, à l'intérieur du corps, la marque appelée réseau du mantra d'or », alors la conséquence des signes fâcheux ou de l'absence des signes heureux désignés par le Çâstra n'apparaît pas, tandis que la consé- quence de tous les signes favorables se ma- nifeste. Je conjecture donc qu'à l'intérieur

I II a été dit plusiears fois dans les récits précédents (19 et 3i)que la royauté de Vikramiditya se reconnaissait aux signes qu'il avait sur lui, et même qu'il était pourvu de vingt signes. A moins qu'on ne fasse allusion aux in- signes royaux extérieurs (ce qui ne paraît pas probable^, il y a contradiction entre ces récits et le présent récit. Je signale ce désaccord sans y attacher une bien grande importance.

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l88 CONTES INDIENS

de ton corps se trouve la marque appelée « réseau du mantra d'or. »

« A l'ouïe de ce discours, le roi, pour ren- dre manifeste le sens du Castra, prit en main un rasoir et se prépara à s'ouvrir le flanc gauche. Mais aussitôt le pandit retint la main du roi et dit : ! grand roi, il ne convient pas d'y mettre tant d'énergie; car il s'agit d'une chose qui dépasse les sens, et dont l'existence ne se manifeste que par ses effets, de même que Içvara, l'être unique et invisible, dont l'existence est démontrée et rendue comme visible à tous par les phéno- mènes qui apparaissent sous la forme du Samsara. Puisque, de la même manière, les fruits de tes signes favorables se manifestent tous et arrivent à bonne fin, c'est fort bien! Cela prouve qu'il y a évidemment dans ton côté gauche la marque appelée « Réseau du mantra d'or » ; qu'est-il besoin de la rendre visible en t'ouvrant le corps? Après ces paroles du pandit, il n'y avait plus de doute à avoir sur le sens du Castra ; le roi le com- prit, il ne s'ouvrit point le corps avec un ra- soir, fit don au pandit d'un grand nombre d'objets divers qui témoignaient de son ex- trême satisfaction, puis le congédia. »

RKCIT DE LA VINGT-HUITIKMB FIGURE 1 8<>

l.a vingt-huitième Hgure ajouta : ! roi Bhoja, le roi qui a une telle énergie est di^ne de s'asseoir sur ce trône.

£n entendant ce discours, le roi Bhoja se

iLsista encore ce jour-là.

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RÉCIT DE LA 2()f FIGURE

UN autre jour, l'auguste roi Bhoja s'appro- cha du trône pour se faire sacrer. En le voyant, la vingt-neuvième figure lui dit : « ! roi Bhoja, c'était l'auguste roi Vikra- màditya qui s'asseyait sur ce trône ; je vais te raconter une histoire de lui. Ecoute :

« Un jour, un Vaitâlika se présenta à la^ porte (du palais) du roi Vikramâditya et dit au portier : ! portier, j'ai entendu par- ler de la gloire du grand roi des rois, l'au- guste Vikramâditya ; je suis venu de plusieurs pays éloignés pour me trouver en sa pré- sence, fais-le lui savoir. A ces mots du Vaitâlika, le portier informa le messager du roi qui communiqua la nouvelle à Sa Ma-

192 CONTES INDIENS

resté et, avec sa permission, donna l'ordre au portier d'introduire le Vaitâlika auprès du roi. Ce Vaitâlika était muni d'une canne qui valait deux cents pièces d'or. Son atten- tion fut éveillée ; il se présenta sur le seuil du conseil du roi, et regarda la disposition, l'ordre et l'éclat du conseil. Après avoir con- templé le grand roi des rois, l'auguste Vikra- mâditya entouré de centaines de conseillers et de ministres habiles et prudents, de troupes de savants tels que Kalidâsa et autres renom- més par leurs sciences diverses, entouré de chasse-mouches blancs et d'éventails, portant un sceptre d'or incrusté de diverses pierre- ries, placé sous un baldaquin blanc, il fit l'anjali et tint au roi ce langage ; ! grand roi des rois, en considérant attenti- vement ces conseillers et toutes ces autres personnes, j'assiste à une fête comme je n'en avais pas encore vu. Quand le Vaitâlika eut prononcé ces paroles, le roi "donna un ordre à son sujet. A l'instant même le roi formulait cet ordre relativement au Vaitâ- lika, un homme tenant d'une main un glaive et, de l'autre, la main d'une jeune femme d'une beauté sans égale, se présenta soudain devant le roi et dit : O grand roi des rois,

RÉCIT DE LA VINGT-NEUVIEME FIGURE igS

quelques-uns ont prétendu que, dans le Sam- sara, la science est la chose essentielle : tel n'est pas mon point de vue. Mon idée à moi, c'est qu'une jeune femme d'une beauté sans < gale et la multiplicité des plaisirs sont les deux choses essentielles. Ces deux choses-là, grand roi, jamais je ne les abandonnerais à d'autres. Mais aujourd'hui, il y aura, dans la région des nuages, un combat des dieux et des Dânavas. Il me faut aller à ce combat pour prêter main forte à Indra. Or, voici ma femme qui m'est plus chère que la vie : ce n'est pas en compagnie d'une femme que je puis me rendre sur le champ de bataille. Je n'irais pas au combat avec confiance si je la mettais sous la garde d'un autre ; mais je sais que le grand roi des rois est au suprême de- gré fidèle à la loi, qu'il étend sa protection sur les gens d'autrui comme sur ceux qui sont à lui, qu'il est vainqueur de ses sens, d'une bonté suprême ; c'est donc après avoir placé moi-même cette femme entre ses mains que je partirai pour le lieu du combat. Tel est mon désir ; je rends service aux autres en diverses manières : rends-moi celui de garder cette femme avec le plus grand soin jusqu'à mon retour.

194 CONTES INDIENS

« Le roi acccepta la proposition de cet homme, qui mit aussitôt sa femme en garde auprès du roi, prit congé de lui, et, sortant de l'assemblée en présence de tous, s'en alla par la voie des airs. Le grand roi et tout ce qu'il y avait de gens dans son conseil, tout émerveillés de cette aventure, restèrent à regarder en haut, jusqu'à ce qu'il eût dis- paru.

« Quelque temps après qu'il fût devenu invisible à tous les regards, la région céleste fut remplie du tumulte d'un combat. En en- tendant ce bruit, le roi et tout ce qu'il y avait de gens dans son conseil, les figures mêmes, furent étonnés. Sur ces entrefaites, les deux mains coupées de cet homme tom- bèrent sur le seuil du conseil du roi; aussi- tôt après, ses deux pieds coupés tombèrent également; après un court intervalle, la tête coupée de cet homme tomba à son tour. La femme de cet individu, voyant la tête de son mari coupée, se lamenta de diverses maniè- res et fit au roi cette déclaration : Comme le clair de lune réside avec la lune, comme l'é- clair brille et disparaît dans le nuage, ainsi le devoir suprême d'une femme qui vit avec son mari est de ne jamais l'abandonner : Je

RÉCIT OE LA VINGT-NEUVICMC FIGURE I95

n'abandonnerai donc pas mari. Fais faire un bûcher, un amas de matières combustibles, et donne ordre qu'on le mette à ma disposi> tion.

« A ces mots, le roi fut ému d'une compas- sion extrême et lui dit : ! épouse ftdèle, les vivants sont liés entre eux aussi long» temps que dure la vie. Tant que ton époux était en vie, il était ton mari, il y avait un lien entre toi et lui. Mais pourquoi vouloir quitter ton corps à cause d'un homme qui ne te touche plus (en aucune manière) ? quelle loi (t'y oblige) ? Voici donc ce que tu as à faire maintenant. Si tu n'as point de goût pour les objets extérieurs, réfugie-toi dans la loi du brahmacarya (chastetéf et rends un culte constant à Içvara. Si tu as du goût pour les jouissances, prends pour mari un homme de bien qui te plaise, et goûte ainsi les jouissances, le bien-être et le contente- ment parfait. Je te donnerai d'abondantes ri- chesses, afin que tu n'éprouves de la douleur en aucune manière.

« L'épouse fidèle, ayant entendu les paro- les du roi, répondit : ! grand roi, je suis l'incarnation du devoir manifesté ; aussi mon œuvre propre n'est-elle que l'affermis-

196 CONTES INDIENS

. sèment du devoir : je dois l'accomplir. Sans doute je puis, en vertu de ma nature, pra- tiquer le brahmacarya qui a pour principe le renoncement aux actes de l'amour, et j'observerais ainsi mon devoir en gardant la fidélité à mon mari. Cependant ces désirs (qui régnent) dans le corps de l'homme, la vue claire (que j'ai) d'un ennemi puissant, l'appli- cation à la science du bien, toutes ces cho- ses et bien d'autres exigent des efforts ; je puis faiblir. L'observation de la loi du veu- vage fixée par les Castras est trop rigoureuse. La condition du veuvage entraîne presque fatalement la faute. De même que l'épouse a sa part aux biens acquis par le mari, de même la.mort de l'épouse résulte de la mort du mari. Ainsi, grand roi, au moment du mariage, quand le feu a été allumé après qu'on a prononcé les mantras du Veda, alors commence l'union indissoluble du mari et de la femme ; c'est dans cette promesse mu- tuelle que consiste l'accomplissement du mariage. Ainsi la femme est la forme exté- rieure de l'énergie de l'homme. L'homme peut subsister sans l'énergie ; mais, sans l'homme, l'énergie ne pourrait jamais subsis- ter. Il en est comme d'un feu qu'on aurait

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RECIT DE LA VINGT-NEOVJEME riGURE 197

allumé avec de grands ausadhis et des man» tras précieux : le feu peut exister sans sa puissance de brûler, mais la puissance de brûler ne saurait exister sans le feu. Enfin, grand roi. il est parfaitement connu dans le monde que l'objet pour lequel on abandonne la vie suppose un amour extrême pour cet objet, de la part de celui qui se sacrifie. Donc, grand roi, par l'opinion du monde, par le Çâstra, par la logique, il faut de toute né- cessité accomplir l'acte. A quoi bon raison- ner pour y mettre obstacle ? Quand l'esprit d'une personne s'est fixé sur un objet, les autres hommes tentent vainement de l'em- pêcher. Ainsi, quand un courant d'eau se précipite vers les régions basses, c'est faire un travail intile que de vouloir l'arrêter.

Le roi, comprenant, par ce langage, que cette femme était décidée à mourir avec son mari, dit : bien ! épouse fidèle, les pa- roles que tu as dites sont valables ; c'est fort bien ! Celles que j'ai proférées n'avaient aucune valeur ; elles étaient uniquement destinées à mettre en évidence ta fermeté.

Après avoir adressé ces paroles à l'épouse fidèle, il donna ordre d'élever un bûcher. Quand vint le moment de se brûler, comme

198 CONTES INDIENS

les gens consumés par la chaleur entrent dans l'eau froide, ainsi cette femme, tour- mentée par l'amour qu'elle avait voué à son mari, entra dans la source de feu du bûcher. Immédiatement le roi et tout ce qu'il y avait des gens formant son conseil louèrent la vertu de cette épouse fidèle.

« Sur ces entrefaites, le mari de cette femme, l'homme dont les membres avaient été coupés et meurtris dans le combat parut couvert de sang au milieu de l'assemblée. Le roi et les gens de son conseil, en voyant cet homme, furent étonnés au plus haut degré, et commencèrent à se regarder les uns les autres. L'homme dit au roi : ! grand roi, j'ai fait l'oeuvre pour laquelle j'étais parti, je l'ai accomplie et achevée. Donne maintenant l'ordre qu'on me rende ma femme, et je retourne dans mon pays.

« En entendant ces paroles, le roi cher- chait quelle réponse il pourrait faire et n'en trouvait pas de satisfaisante. Dans son em- barras, il se mit à regarder en face les con- seillers. Ceux-ci comprirent l'intention du roi et dirent à l'homme : 1 le meilleur des héros, quelque temps après que tu fus parti d'ici, une tête semblable à la tienne

RÉCIT DE I.A VINGT-NEUVIÈME FIGURE I99

est tombée devant nous. A la vue de cette lète coupée, ta femme se lamenta en plusieurs manières, et, sans écouter ce que le roi lui disait pour la retenir, elle subit la mort simultanée (c.-à-d. la mort avec son mari).

a Quand les conseillers lui eurent dit ces paroles, l'homme garda quelque temps le silence, puis il poussa un long soupir et dit au roi : n ! grand roi, les gens du monde font l'éloge de ta fidélité dans l'accomplisse- ment du devoir et de toutes tes autres quali> tés si nombreuses. D'où vient qu'elles sont nulles et non avenues pour moi, sans qu'il y ait de ma part aucune faute ? Grand roi, si, tout en sachant à quel point je chéris ma femme, tu as eu pour elle une passion, tu ne dois pas céder à cette passion. J'ai été quel- que temps sans voir ma bien-aimée, et j'en ai l'esprit troublé. Le roi, ayant entendu ces paroles, répondit : Il n'y a point de passion, je l'affirme hautement. Grand roi, reprit l'homme, je sais jusqu'où va ta fidélité au devoir. Maintenant , il faut me rendre ma femme : donne-la moi donc, ou livre- moi la tienne.

« En entendant ces paroles, le roi, par crainte de violer le devoir, alla de sa per-

200 CONTES INDIÇNS

sonne à l'instant même dans l'Antapura ', prit par la main sa propre femme, la reine, s'avança dans la salle du conseil et regarda : l'homme n'y était plus.

<i Sur ces entrefaites, le Vaitâlika se pré- senta devant le roi, fit l'anjali et fit cette déclaration : ! grand roi, par la puissance de la science Indrajâla, j'ai fait une mani- festation de la science magique =* : de tout ce que tu viens de voir rien n'est réel. Grand roi, cesse d'être chagrin, et porte-toi bien.

« En entendant ces paroles du Vaitâlika, le roi, bien content, ramena sa Runi dans l'Antapura et revint siéger dans le conseil. Sur ces entrefaites, un amas de richesses de tout genre, des centaines d'éléphants et de chevaux, tout un ensemble de présents parut devant le roi venant de la part du roi du pays de Pândya. L'auguste Vikramâditya oftrit tout cet appareil au Vaitâlika, et le congédia satisfait.

La vingt-neuvième figure ajouta : « ! roi Bhoja, le roi qui est aussi terrible (que

1. Appartement intérieur, appartement de femmes, gynécd-e.

2. Ou la science de Mâyù (.Màyâvidyâ).

RECIT DE LA VINGT-NEUVIEME FIGURE lOI

Vikramâditya) dans raccomplissement du devoir est digne de s'asseoir sur ce trône.*

Après ce récit, le roi Bhoja se désista en- core ce jour-là.

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N autre jour encore , la trentième figure dit à l'auguste roi Bhoja : « Hé! roi Bhoja, c'est l'auguste Vikramâditya qui sié- i^eait sur ce trône; écoute le récit de sa mu- nificence.

« Dans la ville d'Avant! était un grand l>ersonnage nommé Çrîdatta; il était si riche que lui-même ne savait pas le nombre de ses richesses. Ce grand personnage avait un fils nommé Somadatta qui eut un jour le désir de faire un palais et entretint son père de ce dessein. Le père ayant donné son consentement, il commença le palais lors de la conjonction de l'astérisme Pushya et du soleil.

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204 CONTES INDIENS

« Ce fut le jour de la conjonction du Pu- shya et du soleil qu'il forma le projet d'édi- fier ce palais, et, dès le lendemain, le travail de la construction était achevé. Ainsi, en très peu de temps, le palais fut prêt. Aus- sitôt, choisissant un instant heureux, Soma- datta le fils vertueux fit son entrée dans le palais; et, quand vint la nuit, le fils ver- tueux se coucha dans le palais sur un pa- lanquin. Sur ces entrefaites, la parole padi padi je tombe, je tombe »), prononcée à haute voix, sortit de ce palais. En entendant ce son, Somadatta fut surpris et épouvanté; il passa la nuit comme il put.

« Le lendemain, étant fort perplexe, il se présenta devant l'auguste Vikramâditya et lui raconta tout au long, depuis le com- mencement, l'histoire du palais.

« Le roi, après avoir entendu toute cette explication, lui donna deux fois autant d'ar- gent que Sodamatta en avait dépensé, acheta ainsi le palais, et, quand vint la nuit, fit son lit au milieu du palais. Sur ces entrefaites, la voix qui disait : padi padi ^ sortit du palais. En entendant cette parole, le roi répondit au plus vite : pada tombe ! »). A l'instant, une pluie d'or tomba dans ce palais, elle

RÉCIT DE LA tRENTiÈMC FIGURE Jo5

tomba toute la nuit. A l'endroit était le roi, ce fut une pluie de fleurs qui tomba. « Au matin, le roi donna à Somadatta, avec le palais, tout l'or qui était tombé en pluie, et lui-même s'en alla dans sa salle d'au- dience. »

La trentième figure ajouta : . Oroi Bhoja, si tu possèdes une force et une munificence semblables, siège sur ce trône; sinon, tu n'y siégeras pas sans qu'il t'arrive malheur. . A ces mots, ce jour-là encore, l'auguste roi Bhoja revint sur ses pas.

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RÉCIT DE LA 3i' FIGURE

UN autre jour encore, l'auguste roi Bhoja se tenait prés du trône pour se faire sa- brer, quand la trente-et-unième figure lui dit : « Hé! roi Bhoja, écoute un peu le récit de la munificence du roi Vikramâditya à qui appartenait ce trône.

« Un jour, le fils d'un marchand vint d'un village à la ville d'Avantî pour y vendre des marchandises; il s'y rendit compte des procédés des habitants de la ville, et de ceux du grand roi Vikramâditya. De retour dans son village, il raconta son voyage à son père : ! père, dit-il, j'ai vu, dans la ville d'Avantî, une chose merveil- leuse. Tant que les objets à vendre sont

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208 CONTES INDIENS

exposés dans les boutiques, les acheteurs font l'acquisition (de ceux qui leur plaisent) et les emportent : mais tout ce qui reste après la vente, le grand roi Vikramâditya, de peur de laisser prendre à la ville une mauvaise renomme'e, l'achète lui-même pour le prix qu'on en a offert.

« Ce marchand pervers, ayant appris ces nouvelles de la bouche de son fils, emporta une image en fer nomme'e Dâridra et prit place à la foire d'Avantî, en vue de la ven- dre. Les acheteurs s'approchèrent de ce marchand pervers et lui demandèrent le prix de cet objet. A leurs questions le marchand re'pondit : Le nom de cette image est Dâri- dra, le prix est de 10,000 mûdrâ. .Celui qui fait l'acquisition de cette figure, Laxmî ' l'a- bandonne à l'instant même il en prend possession. En entendant ces paroles, les acheteurs disaient : Nous la laissons à nos ennemis, et tous s'en de'tournaient. Il en fut ainsi toute la journée ; le soir arriva. Les messagers royaux venus en présence du roi, lui firent savoir toute l'affaire. Le roi, pour observer sa parole, donna le prix de-

I. La déesse de la Fortune, la Fortune elle-même.

RéCIT OE LA TRENTE-UNIÈME FIGURE 309

mandé, 10,000 mûdrâ, prit l'image en fer Dâridra et la garda dans son trésor.

« Aussitôt, ce même jour, quand la nuit fut venue, la Laxmî royale prit une forme, et demanda congé au roi. Le roi, faisant l'anjali, prononça plusieurs paroles à la louange de Laxmî et lui fit cette déclara- tion : ! mère, Laxmî royale, quelle of- fense ai-je commise? Je n'ai point eu de torts. Pourquoi me quittes-tu ? 11 n'y a point eu d'oHense de ta part, répondit Laxmî ; mais je ne puis rester dans le lieu est Dâridra. Telle est la cause de mon départ. A ces mots, le roi répondit : Si tu dois t'en aller pour ce motif, eh bien! va* t-en ; jamais je ne me déciderai à violer les engagements pris par moi. Quand il eut prononcé ces paroles, la Laxmî royale par- tit, et, à l'instant, le discernement, le'calme, la patience, la pitié, la prudence et toutes les autres bonnes qualités abandonnèrent le roi, qui, néanmoins, ne voulut pas se dépar- tir de sa parole.

« Ensuite la qualité de Vérité prit un corps ; elle se manifesta, elle aussi, et de- manda congé au roi. Le roi refusa, et, dans des entretiens sur la discipline, la pria de

3IO CONTES INDIENS

ne pas le laisser tout à fait seul. Pour toi, dit-il, Laxmî royale, discernement, etc., j'ai tout perdu. Pour quelle raison m'abandon- nes-tu? — La qualité de Vérité répondit : Je viens à la suite du discernement (du calme), etc. Si donc, grand roi, tu tiens à ce que nous ne nous séparions pas, renonce à l'engagement en vertu duquel tu as pris le bonhomme Dâridra, ou bien, détruisant ton corps de ta propre main, abondonne-le, ce corps! je t'assisterai dans la transmigration.

« A l'ouïe de ces paroles, le roi, craignant de rompre son vœu d'engagement pris avec Vérité, et ne pouvant se résoudre à violer sa parole, prit son glaive et se disposait à se trancher la tète quand la qualité de Vérité retint aussitôt la main du roi et dit ; ! grand roi, c'est pour voir jusqu'où irait ta fidélité à la loi que j'ai parlé ainsi. Je com- prends ; tu es très attaché à la loi. C'est le cœur de l'homme qui est le lieu de mon ha- bitation ; aussi je ne t'abandonnerai pas. je resterai près de toi. Peu de jours après, la Laxmî royale, à laquelle cette qualité de Vé- rité était liée, le discernement et les autres qualités revinrent (près du roi). »

La trente-et-uniéme figure ajouta : « Hé!

RECIT DE LA TRENTE-UNIEMB FIGURE 3 I I

roi Bhoja, un homme uni comme celui-là à l'essence de la Vérité est seul digne de s'as- seoir sur ce trône.

A la suite de ce discours, l'auguste roi Bhoja tourna le dos encore ce iour-là.

à^

RÉCIT DE LA 3-2' FIGURE

UN autre jour, comme l'auguste roi Bhoja essayait de monter sur le trône, la trente- deuxième figure dit: « Hé! roi Bhoja, c'était l'auguste Vikramâditya qui, par sa moralité, était digne de se mettre sur le trône. Ecoute un récit de ses qualités :

« Un jour il fut mis dans l'embarras, lors- que, les grains étant venus à manquer dans plusieurs contrées, les habitants de ces pays tourmentés par la famine née de la cherté de vivres firent ce raisonnement : Le grand loi des rois, l'auguste Vikramâditya est par- taitement fidèle à la loi. 11 n'y a pas de tamine dans son pays : allons-y donc pour sauver notre vie. Après avoir raisonné de

2 14 CONTES INDIENS

la sorte, ils passèrent du pays de tel et tel au-

tre roi dans celui de l'auguste Vikramâditya.

« Informé de cette circonstance par les rapports de ses messagers, l'auguste roi Vi- kramâditya fit publier partout dans ses états l'ordre suivant : Que les étrangers venus pour avoir des aliments puissent manger en toute liberté ce qu'ils trouveront et ils le trouveront sans qu'on y mette nul empê- chement. Quant aux pertes en argent qu'on pourrait faire à cette occasion, on en sera indemnisé par mon trésor jusqu'à concur- rence de la somme dépensée. Quand cette proclamation fut faite, tous agirent suivant les ordres du roi.

« Sur ces entrefaites, de riches habitants de la ville qui n'avaient pas pris la précau- tion d'acheter des denrées alimentaires vin- rent faire au roi cette déclaration : ! grand roi, nous, habitants de la ville, per- sonnages distingués, qui ne nous occupons pas de labourage et sommes obligés d'acheter les aliments qui servent à notre nourriture, nous ne pouvons plus avoir maintenant pour cent mudrâs ce qui n'en vaut qu'un seul ; il en résulte que nous n'avons plus le moyen de vivre et d'entretenir nos gens.

RÉCIT DE LA TRENTK-DEUXiillK FIGURE 2l5

« Quand l'auguste Vikramâditya eut en- tendu ces paroles des gens distingués, il fut extrêmement perplexe ; et il fit dans sa pen- sée ce dilemme : Si je repousse ces étrangers affamés, alors ma parole devient sans efll'et ; si j'empêche les vendeurs de profiter du prix élevé des subsistances, alors c'est mon vœu de protection universelle qui est brisé. Dans cette perplexité, il adressa une re^-jucte à Parameçvarî qui se montra h lui et lui donna cet ordre : Hé! grand roi, fais une -demande à ton choix ! Le roi, faisant l'an- jali, prononça un éloge suivi et varié de Devî tant en vers qu'en prose, et lui adressa cette demande : Hé! Devî, si tu es contente de moi, accorde-moi ce don : que, dans mes états» chaque maison soit fournie de denrées alimentaires inépuisables. Qu'il en soit ainsi, dit la déesse et, extrêmement satisfaite de la fidélité du roi à son devoir de proté- ger les autres, elle lui donna un joyau ap- pelé cintamani, puis disparut,

Le roi, rempli de bonnes dispositions pour le bien-être de toutes les créatures, prit place sur son trône, et, après avoir délibéré avec tous ses conseillers, ses chefs de district, ses ministres, etc., il décida qu'il fallait faire

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2l6 CONTES INDIENS

un pèlerinage aux étangs sacrés. En consé- quence, il donna des ordres pour qu'on fît tous les préparatifs et approvisionnements nécessaires, et continua de siéger.

« Sur ces entrefaites, un Sannyasî fourbe et trompeur, qui était matérialiste et prétendait qu'on ne devait s'en rapporter qu'au témoi- gnage des yeux, arriva dans le conseil et s'approcha (du trône) ; il était vêtu d'une peau d'antilope noire. Il dit au roi : ! grand roi, pourquoi fait-on tous ces préparatifs ? Je vais faire un pèlerinage aux étangs, ré- pondit le roi; c'est pour cela qu'on fait tous ces préparatifs. Le matérialiste reprit : Qu'est-ce que les étangs? Et pourquoi faire un pèlerinage aux étangs? Les étangs, répondit le roi, ce sont le Gange et tous les autres (amas d'eau). Quand on s'y baigne, et qu'on y fait d'autres cérémonies, on ac- quiert des mérites. Le Svarga appartient à quiconque aspire au fruit de ces mérites. Celui qui n'atteint pas à ce fruit obtient (du moins) la purification de l'esprit, et progres- sivement, par l'accoutumance, la connais- sance de la vérité et, par suite, la délivrance.

« Le sophiste, après avoir entendu ces pa- roles, poussa un immense éclat de rire et

RÉCIT DE LA TRENTI-DEUXIRMK FIGURE 217

dit : Périssent les ignorants trompeurs dont les preuves sont vaines et factices! Mais toi, grand roi, tu es savant, tu saisis l'essence des choses ; ce langage n'est pas digne de toi. Ecoute les discours des sages qui aspirent au but suprême. Les hommes ignorants qui font des actes en vue du Svarga sont dans un grand égarement d'esprit. Voir un acte disparaître sous ses yeux, et oser prétendre que cet acte qui a cessé d'exister est, grâce à la transmigration, le générateur d'un fruit tel que le Svarga! Mais un acte qui a cessé d'exister ne peut être le générateur d'une opération nouvelle, pas plus qu'un ril brûlé ne peut être le générateur d'un habit. Donc le Svarga n'est pas réel et, par conséquent, le Naraka n'existe pas davantage. Cette existence postérieure à la destruction du corps actuel, cette attache du moi à la trans- migration, ce sont de vrais discours d'a- veugles, comme les traditions que les Sid- dhas se transmettent les uns aux autres. Il est donc faux que le moi revête de nouveaux corps. Par conséquent, le Svarga et le Na- raka ne sont pas réels. De même la justice et l'injustice absolues n'existent pas. a Le niQi survit au corps », dit-on. Ce sont

2 I 8 CONTES INDIENS

paroles en l'air, comme (ce qu'on dit) des fleurs célestes, des arbres et autres plantes de la Grande Forêt. Cet être qui existe et se soutient par lui-même, qui produit la fin de toutes choses, créateur, conservateur et des- tructeur du Samsara, Içvara (le seigneur) n'est qu'une fiction, une pure fiction. Ainsi toute conception qui s'appuie sur des dé- monstrations dépassant l'ordre des choses visibles manque de preuves solides et n'est, pour les gens aveuglés par l'ignorance comme un golângula ' aveugle qu'une cause de trou- ble (et d'égarement), une mauvaise con- seillère.

L'auguste Vikramâditya, après avoir en- tendu les divers discours par lesquels le sophiste s'efforçait de détruire l'autorité des Vedas, fut quelque peu en colère et dit : Fi ! incrédule ! si, d'après tout ce que tu as dit, à savoir qu'il n'y a pas de preuves supérieures au témoignage des yeux, t'appuyant sur ce principe, tu récuses l'autorité de l'induction, et des autres raisonnements analogues pour accepter seulement les preuves fournies par le témoignage des yeux ; comment alors le

I . Espèce de singe (Babouin ?)

RÉCIT DE LA TRENTE-OKUXIÈMB FIGURE IIQ

pandit qui serait le meilleur des précepteurs, s'il lui arrivait malheureusement d'être ex« cessivement sourd, pourrait-il saisir l'auto- rite de sa propre parole ? Or, s'il ne la saisit pas, il ne pourra mener à bonne fin aucune affaire, et sera obligé de chercher dans le monde un pandit capable d'exécuter les ins- tructions d'autrui ; c'est le seul moyen qu'il puisse avoir d'achever ses propres affaires. Et si tu vois en songe qu'on te coupe la tète, comment te comporteras-tu après ton réveil, sera-ce en mort, ou en vivant ? Si tu te comportes comme un mort, on pourra dire que tu es habile à changer de rôle; si tu te comportes comme un vivant, alors tu mé- connais l'autorité des choses visibles. Par conséquent, il faut nécessairement que tu admettes l'autorité de l'induction établie par tous les Castras traitant de ce qui est supé- rieur au témoignage des yeux.

Et maintenant je te questionnerai sur un point. Sommes-nous venus ici tombés du ciel, ou bien descendons-nous de quelque famille? Si tu dis que nous sommes tom- bés du ciel, tu es fou ; si tu dis que nous sommes nés d'une certaine famille, tu ad- mets par cela même la preuve de l'origine

320 CONTES INDIENS

de cette famille. Or, que diras-tu à ceci? Les hommes qui nous ont précédés sont nés d'une certaine famille, eux aussi. Voilà ce que j'ai entendu dire aux gens qui admet- tent l'autorité des preuves par le raisonne- ment. Par conséquent, tu admets, bien mal- gré toi, comme prouvée l'autorité du son qui est la forme d'une parole d'autorité. Si cette forme est l'induction, l'induction étant valable, l'autorité du son est valable aussi, et tu es bien forcé d'admettre l'objet. Or, selon la logique, il n'est pas permis de n'ad- mettre une chose qu'à moitié. Tu seras donc bien forcé d'admettre entièrement, tel qu'il est défini, celui que l'on affirme exister continuellement, être l'espace, le temps, la cause (première), la jouissance et la souf- france même correspondant aux actes ver- tueux et vicieux qui se produisent, l'indus- trieux par excellence, qu'on ne peut se figurer (même) en songe, qui est l'ordre en personne, la cause du Samsara, le Seigneur suprême. Fais dans ton esprit ce raisonne- ment, et dis-toi bien ; Toutes les choses susceptibles d'augmentation ou de diminu- tion ont nécessairement une borne. De même que dans les étangs, Meuves, etc., i'eau

RÉCIT DE LA TRBNTC-DBUXIÈMK FIGURE 321

qui est de nature à diminuer ou augmenter a une borne contre laquelle elle vient se briser; ainsi la souveraineté, l'héroïsme, la gloire, l'éclat, la science, l'exemption de passion étant de nature à diminuer ou à augmenter dans la masse des êtres vivants, il faut reconnaître à cette souveraineté et aux autres qualités supérieures, tout autant qu'il y en a, une certaine limite. Or celle qu'on lui reconnaîtra, c'est nécessairement cet unique Seigneur suprême dont voici U nature : il est omniscient, seigneur de tout, se révélant comme la série de tous les effets permanents, aussi bien que comme la cause de toutes choses, témoin de tout ce qui remplit l'espace. Sans pieds, mais allant partout, sans mains, mais saisissant tout, sans yeux, mais voyant tout, sans oreilles, mais entendant tout; il connaît tout, il est partout et néanmoins nul ne peut le saisir; il n'a besoin d'aucun appui, il est l'appui de toutes choses; il est, par sa nature, bonté, intelligence, félicité ; sa force lutte contre les difficultés et en triomphe par l'habileté. Aussi Mahâmâyâ, après l'avoir fait, a dit dans le Castra : Sa propre nature est d'être la cause et la racine du monde entier; de

222 CONTES INDIENS

vient qu'on l'appelle Nature-racine. Ceux qui connaissent l'essence du Seigneur savent que ce monde, simple effet de la puissance du Seigneur, est semblable à un songe. Aussi le grand sommeil ', après avoir fait la force du Seigneur, dit .: Par la coopération d'une telle force, le Seigneur suprême sans qualités, sans activité, n'étant par sa na- ture que pure bonté, intelligence, félicité, aura en propre la science de toutes choses et toutes les autres qualités. Si l'on offre des hommages non-interrompus à un Seigneur suprême tel que celui-là et si l'on cultive ainsi la science pendant longtemps, c'est une cause de délivrance finale.

« L'auguste Vikramâditya , après avoir parlé de la sorte au sophiste, reprit ainsi : Hé! sophiste, je te dirai le sens intime de tout le Castra; écoute : De même qu'une mère, au moment où, pour faire cesser la maladie de son fils, elle lui donne à boire du jus d'herbes médicinales, astrin- gentes, piquantes, acres, l'encourage par ces paroles : ! mon enfant, quand tu auras bu ce jus d'herbes, je te donnerai des confi- tures et d'autres douceurs; de la même ma- nière que, eu lui montrant la récompense,

RÉCIT DE LA TRtNTE-DBUXièMK FIGURE 3»3

elle lui fait boire le jus d'herbes ; ainsi, pour faire cesser la maladie qui se présente sous la forme du désir, de la colère, de la cu- pidité, de l'orgueil, de l'égoïsme, la doc- trine, sous forme de mère, montrant le fruit sous forme de svarga, etc., pousse à l'accomplissement d'une foule d'actes qui exigent des efforts. Comme le fruit de la cessation de la maladie est la santé, ainsi le fruit de la cessation du désir et des autres passions est l'état moral qui consiste dans l'empire de soi-même. Le fruit suprême de la masse de tous les actes est donc l'empire sur soi-même. Les actes de celui qui est maître de soi-même ont de la valeur; les actes de celui qui n'est pas maître de soi- même sont vains et sans fruit. Toi donc qui n'as point l'empire sur toi-même, pourquoi perds-tu ton temps avec ta science super- ficielle ?

c Quand le sophiste eut entendu tout ce dis- cours sur le breuvage (extrait) du grand Au- shadhi (herbe médicinale), l'athéisme de Piçâca qui s'était fixé dans son esprit fut dis- sipé. Le sophiste considéra l'auguste Vikra- màditya comme son guru et accueillit toutes

»7*

224

CONTES INDIENS

ses paroles. Là-dessus le roi satisfait rendit le sophiste content en le comblant de toutes sortes de richesses. »

EPILOGUE

A peine la trente-deuxième figure eut- elle fini ce récit que les trente-deux figures dirent ensemble : Hé! roi Bhoja, en nous appuyant sur le récit des qualités de l'auguste roi des rois Vikramâditya, nous t'avons longuement exposé toutes les qua- lités supérieures des rois. Celui en qui elles se rencontrent toutes est supérieur et digne de s'asseoir sur ce trône; tout autre n'y trouverait qu'un amas d'infortunes. Voilà pourquoi, désirant ton bien, nous t'avons détourné d'y siéger. Ce n'était pas que nous fussions mécontentes de toi; tu nous as rendu un grand service. Nous te sommes re- devables d'être délivrées d'une condition

22b CONTES INDIENS

d'immobilité à laquelle nous étions con- damnées par la malédiction d'un Muni ; nous avons recouvré la faculté de nous mouvoir. Sois heureux, exerce la royauté dans une suprême félicité : nous prenons le trône et retournons chez nous. »

Après avoir adressé ces paroles à l'auguste roi Bhoja, les figures prirent le trône et se mirent en route pour retourner chez elles. L'auguste roi Bhoja, de son côté, prit le chemin de sa demeure.

FIN

TABLE ALPHABÉTIQUE

DES NOMS PROPRES

TABLE ALPHABETIQUE DES NOMS PROPRES

ACCOMPAGNÉS DEXPLICATIONS

Nota. Le« chiffres qui suivent ces explication» indi- quent les numéros des récits se trouvent les noms expliqués. L'abréviation Intr. indique qu'ils m trouvent

dans l'introduction.

Açvina. Le sixième mois de l'année indienne, 2.

Adrishtârttia L'objet invisible »). Nom gé- nérique des quatorze sciences dont l'objet est invisible et qui forment la première section des scioQces, 4. (Voir Drishiârtha.)

Agiti. Nom d'un Vetâla qui tue tous les rois créés à A vantîdepuis l'abdication de Bhartrihari. Ses relations avec Vikramâditya qui le nourrit

23o CONTES INDIENS

et, à la suite d'un différend, lutte avec lui ; il

promet de l'assister en toutes ses difficultés, lui fait vingt-cinq récits, et le prémunit contre les pijèges d'un yogî. Intr.

Agrahdyana. Le huitième mois de l'année indienne, 2,

Akdça-Gangà. Gange céleste dont Manassid- dhi a de l'eau dans un vase d'or, 26.

Amarasinha. Un des beaux esprits de la cour de Vikramâditya. Intr.

Amrita Breuvage d'immortalité »). Mada- nasanjivanî oint d'amrita le corps de Vikra- mâditya qui avait été plongé dans l'huile bouil- lante, 14. La divinité du soleil fait pleuvoir l'amrita sur Vikramâditya brûlé par les rayons de l'astre et lui fait ainsi reprendre ses sens, 18. Vikramâditya, ayant obtenu de Vâsûki de l'amrita pour ranimer son armée plongée dans la stupeur, en fait don à deux hommes qu'il ne connaît pas ; Vâsûki fait alors pleuvoir l'amrita sur l'armée de Vikramâditya et la réveille de sa torpeur, 23.

Anangasend. Reine d'Avantî, première épouse (Rânî) deBhartrihari, dominait son mari; il lui donne un fruit merveilleux qu'elle passe aus- sitôt au premier conseiller, son amant. Intr.

Anjali. Salutation consistant en une inclinai- son du corps pendant que les mains, réunies comme pour recevoir quelque chose, sont éle- vées à la hauteur du front, 3, 11, i5, 17, 29,

TABLE ALPHABÉTIQUE l3l

* Ashddha. Le troisième mois de l'année in- dienne, 3.

Atharvan-veda . La quatrième des dix-huit sciences et des quatorze de l'Adrithtârtha, 4.

AusIiaJhi ou Oshadhi {gnnd ); Herbe médi- cinale, 1 ; à laquelle est comparée la science salutaire qui assure la délivrance finale, 3i.

Avanti. Nom de ville. Bhartribâri, qui y ré- gnait, abdique et, après un interrègne, est rem- placé par son frère Çrî-Vikramâditya. Intr. (citée dans presque tous les récits.)

Ayurveda La science de la vie. médecine ■). La première des quatre sciences du Drishtartha, Intr. 4.

Bahuçruta. Nom du premier conseiller de Nandà, roi de Viçâlâ, i.

Bhartrihari.— Roi d'Avantf, frère aîné de Vikra- mâditya, oiTre un fruit merveilleux à sa femme qui le donne à un amant. Bhartrihari, dégoûté de la vie, quitte le trône et se retire dans la furet. 11 n'avait pas d'héritier direct. Intr.

Bhadva. Cinquième mois de l'année in- dienne, 1.

Bhadrasena. Grand personnage du royaume de Vikramâditya, meurt en laissant une grande fortune, père de Purandara, 11.

Bhânumatî. Reine de Viçâlâ, première épouse du roi Nanda, avait un grain de beauté sur la

2 32 CONTES INDIENS

cuisse : le roi ne pouvait siéger au conseil sans elle. On fait son portrait ; ce qui en résulte, i.

Bhavabhûti. Un des beaux esprits de la cour de Vikramâditya. Intr.

Brahma. Le premier des dieux ; insolence de Kandarpa envers lui, ii.

Brahmacari Jeunes brahmanes faisant leur no- viciat »). Réunions et entretiens des Brahma- caris de Padmâlaya. Récit de l'un d'eux en- tendu par Vikramâditya, 19.

Brahmacarya. Célibat et chasteté. Le Brahma- carya « a pour principe l'abandon des actes de l'amour»; appliqué à la situation d'une veuve qui ne se remarie ni ne se brûle, mais reste en vie fidèle à son époux décédé, 29.

Buddhi çekhara.{<.<G\xïT\znàe d'intelligence »). Fils d'un conseiller de Vikramâditya, com- mença par abhorrer l'instruction ; éclairé par les remontrances de son père, il acquiert de l'instruction en pays étranger et, de retour chez lui, raconte ce qu'il a vu, 20.

Buddhisâgara. « Océan d'intelligence ». Con- seiller de Vikramâditya désolé de l'ignorance de son fils; remontrances qu'il lui adresse, 20.

Caitra. Douzième mois de l'année indienne, 2. Çakrdvatdr La descente de Çakra »). Etang

sacré appartenant à la divinité Yugâdideva

dans le pays de Ratnavatî, 14. Çalavdhana. dans la viile de Pratishthâna,

TABLE ALPHABETIQUE 3 33

d'une Brahmanî veuve et d'un Nâga, donne l'explication d'une énignne. Mandé pour ce motif, par Vikramâditya, refu&e de %e rendre prè» du roi, résiste à ses armées par des moyens magiques, et quand Vikramâditya a reçu l'am- rita de Vâsuki pour réveiller son armée en- gourdie, envoie deux de ses gens demander cet amrita au roi qui le livre sans diâicullé, 33. Sans doute le même que le suivant :

Çdlivâhana. Roi de Pratishthflna, doit être le même que le précédent; est en guerre avec le roi d'Avantî, Vikramâditya qui périt dans la bataille. Intr.

Çanaiçcara Qui va lentement »). La planète Saturne. Quand elle brise le char de Rohinî et vient dans le champ de Vénus ou de Mvrs, alors il y aura famine inévitablement. 34.

Candra-çekhara Guirlande de la lune »). Roi d'un pays non désigné, obtient le don de l'immortalité à la condition d'être brûlé chaque jour pour revêtir un nouveau corps, afin de devenir semblable à Vikramâditya. Vikramâ- ditya l'affranchit de cette nécessité après s'être soumis à la même épreuve, 16.

Candramauli (u Qui a la lune pour diadème ». Savant brahmane du Kaçmir, instituteur de Kamalakar, 8.

Çanku. Un des beaux esprits de la cour de Vikramâditya. Intr.

2 34 CONTES INDIENS

Çarâddnanda. Guru de Nanda, roi de Vi- çâlâ, I.

Caranâravindadhydna (Çriman Narâyana ). Première invocation de Vikraraâditya à son ré- veil, 22.

Castra, 4, 12, i5, 17 28, 29, 32 La méditation des Castras distingue rhomme de la bête, 20, 2 3, 24.

Chanda. Le sixième Vedanga qui se rattache aux quatre sciences védiques, 4.

Çilpa-çdstra Le livre des arts manuels »). La dernière des dix-huit sciences, la quatrième des sciences dont l'objet est visible.

Cintamani. Joyau, appelé incomparable, dont les effets ne sont pas indiqués; offert par un yogî à Vikramâditya qui le donne à un pauvre, i3. Donné par Devî ou Parameçvarî à Vi- kramâditya qui l'avait invoquée pour conjurer la famine, 32.

Citrakuta Aux sommets variés »). Nom d'une montagne sur laquelle est une pagode et au pied de laquelle coule un fleuve dont l'eau est comme du lait sur le corps des innocents et comme de l'encre sur celui des coupables qui s'y baignent, 2.

Ctrajîva Longue vie »). Nom d'un oiseau résidant avec plusieurs autres sur un arbre dans un pays non désigné, 10.

Çixd. Le premier des Vedanga, 4.

Çonitapriyd Qui chérit le sang »). Divinité

TABLE ALPHABéTlQUE a 35

de Vetfilapura, à laquelle on offrait det ucriAces humains que Vikramâditya fait cesser, 37.

Çrdvana, Quatrième mois d^l'aonée in- dienne, 2.

Çrîdatta (* Donné par Çrî »). Riche person- nage d'Avantî, qui ne savait même pas le compte de ses richesses, père de Somadatta, 3o.

Çitkra. La planète Vénus ; si la planète Sa- turne vient dans son champ, il y aura fa- mine, 24.

Ddnavas. Génies, adversaires des dieux; leur lutte contre les dieux, 29.

Danda (• Châtiment, bâton •»). Talisman au moyen duquel on ressuscite les morts, 19.

Dandaçàstra Livre du châtiment »). -^ Code pénal observé par Vikramâditya. Intr.

Dandaniti {a Conduite du châtiment »). Code pénal observé par Vikramâditya, 17^2.

Dâridra. Figure qui a le privilège de mettre en fuite la Laxmî et toutes les vertus de Vi- kramâditya, 3i.

Deva. Les dieux, ennemis des Oânavas, 29. Ont baratté la mer de lait, 25.

Devadatla Donné par les dieux »). Nom d'un Brahmane d'Avantî qui, après avoir sauvé la vie au roi dans le désert, cache le 61s du roi pour l'éprouver; le roi refuse de le pu- nir, et, après avoir recouvré son fils, comble de biens Devadatta, 4.

236 CONTES INDIENS

Devî. Divinité principale d'Avantî, capitale

du roi Bhartriharî, donne à un brahmane un

fruit merveilleux. Intr. La même que Para-

meçvarî; Vikramâditya l'invoque pour conjurer

la famine, 32. Dhanadatta Donné par la richesse »).

Marchand d'Avantî, extraordinairement riche ;

ses libéralités, ses visites aux étangs sacrés, et

ce qui en résulte, 6. Dhanurveda Science de l'arc »). La deuxième

science de la section Dristârtha, 4. Dhanvantir. Un des beaux esprits de la cour

de Vikramâditya. Intr. Dhdrâ. Ville du Midi ; capitale du roi

Bhoja. Intr. Dristhdrtha. Deuxième catégorie des sciences

(au nombre de quatre), celles dont l'objet est

visible, 4. Durjaya Difficile à vaincre »). Râxasa de

Kanci, oppresseur de Naramohinî, tué par

Vikramâditya, 8.

Gandharva-çdstra Livre des musiciens »}.

La troisième des quatre sciences dont l'objet

est visible. Gangd. Fleuve du Gange; limite extrême au

Nord, I. Etang, c'est-à-dire lieu de pèlerinage

et d'ablutions sacrées, 32. Gangd (Akdça —) . Le Gange céleste; eau de ce

fleuve divin, 26.

TABLK ALPHABériQUB 3)7

Garuda. Type de bonté, a Muvé la grenouille

lie la gueule du serpent, 11. Gharghâ. Fleuve qui coule prè» du cimeiière

Vikraraâditya trouva l'homme d*or. Intr. Ghatakapùri. Un des beaux esprits de la

cour de Vikramâditya. Intr. Golangula. Singe; l'ignorant lui est assimilé. 33. Ciuru. C'est en le respectant qu'on acquiert la

science, 4. Précepteur spirituel.

Içvara. Est une chimère, 3». Est invisible et ne se manifeste que par ses œuvres, 28. Une veuve qui ne se remarie pas doit lui ren- dre un culte constant, -19.

Indra. ~~ Roi des dieux, donne un trdne divin à Vikramâditya. Intr. Fait l'éloge de Vikramâ- ditya devant tous les dieux, zS. ~ A besoin d'être secouru dans sa lutte contre les Dina- vas, 29.

Indrajàla-vidyâ (a Science du Réseau d'Indra »). Science au moyen de laquelle on réalise une manifestation magique, 29.

Jayaçekhara. Roi de Padmanishat. détrôné, établi roi dans un autre pays, et sauvé d'une redoutable attaque par l'influence de cinq yaxa auxquels il avait sauvé la vie, lorsqu'ils étaient poissons, dans une existence antérieure, l'j.

Jndm-çdstra « Çâstra de la connaissance ». Un pandit versé dans ce Çâstra t'ait une leçon au roi, i5.

3 38 CONTES INDIENS -

Jyeshtha. ~- Deuxième mois de l'année in- dienne, 2.

Jyotiçcdstra « Livre des clartés » astronomie ; fait connaître les signes précurseurs d'une famine, 24.

Jyotisha. Le cinquième Vedanga, 4.

Kaçmira. Nom d'un pays. Vikramâditya y fait remplir d'eau un bassin demeuré vide, 7. Kamâlakar y reçoit de l'instruction, 8.

Kdkapâda « Pied de corbeau ». Signe du corps dont l'existence sur la partie postérieure du palais détruit l'effet du signe de lotus sur la plante du pied, lequel annonce la royauté, 28.

Kdliddsa. Un des beaux esprits de la cour de Vikramâditya, cité avec plusieurs autres. Intr. Cité seul avec un etc., 29. (Personnage fort illustre, auteur de poèmes dramatiques célè- bres, entre autres du Çakuntalâ).

Kdlikd. Divinité qui avait un autel sur le bord de la rivière Gharghâ, non loin du cime- tière où un yogî avait entraîné Vikramâditya. Intr.

Kalpa. Le deuxième Vedanga, 4.

Kalpavydkarana. Le deuxième et le troisi èm Vedanga, cités ensemble. Intr, (p. 24.)

Kdmadhenu Vache du désir »). Talisman duquel on peut obtenir tout ce qu'on souhaite,

25.

Kdmdkhyd Celle qui porte le nom de l'a-

TABLB ALPHABÉTIQUE sSç

mour »). Divinité qui a un autel tur le mont Nlla, 2 1.

Kamûlakar. FiU de Tripurâkftr, purohita de Vikramâditya. Son père lui ayant fait honte de son ignorance, il voyage pour s'instruire et rencontre Naramoliinl qu'il épouse avec l'aide de Vikramâditya, 8.

Kanakakrita (u Fait d'or »). Montagne très dangereuse, résidait le yogî Trilokanfitha qui donne trois talismans à Vikramâditya, 19.

Kanct et Kancipuri. Ville demeurait Na- ramohinî délivrée par Vikramâditya, 8.

Kandarpa. au sein de Laxmî, l'a pris de haut avec Brahmâ et tous les dieux, 11. (Nom du dieu de l'Amour).

Kanthd. Talisman qu'il suffit de toucher pour obtenir les richesses auxquelles on pense, donné par le yogi Trilokanatha à Vikramâditya qui le donne à un roi détrôné et mendiant, lui permettant ainsi de recouvrer ce qu'il a perdu, 19.

Kanyakubjâ.— Pays, patrie de Siddhasena. Intr.

Karbura-mantrajala («c Réseau du mantra d'or >). Signe du corps qui, placé dans l'intérieur au côté gauche, détruit l'effet de tous les si- gnes défavorables, supplée à tous les signes favorables, et assure à celui qui le possède l'aptitude royale. Vikramâditya était pourvu de ce seul signe, 28.

Zârtika. Septième mois de l'année indienne, 2.

18

240 CONTES INDIENS

Kerala. Nom de pays. Un pandit de ce pays éclaire Vikramâditya sur les causes de la fa- mine, 24.

Khandika. Talisman qu'il suffit de toucher pour en faire sortir toute une armée, ig.

Kuvera. Vikramâditya devient aussi riche que lui au moyen de l'homme d'or. Intr. C'est le dieu des richesses.

Laxmî. Née de la mer, a donné naissance à Kandarpa, a fait le Castra des richesses, s'iden. tifie avec la richesse; est la maîtresse suprême; Vishnu n'a conquis l'empire du monde qu'en maîtrisant Laxmî, 11. La Laxmî de Vikra- mâditya l'abandonne, puis revient à lui à cause de sa fidélité à la parole donnée, 3 1.

Madanasanjivanî. Reine de Ratnavatî, cher- che à séduire Vikramâditya qui résiste et lui fait épouser son ami Sumitra, 14.

Mdgha. Le dixième mois de l'année in- dienne, 1.

Mahdmâyd. A fait le seigneur suprême et l'a défini dans le Castra, 32.

Mahanidrd (u Le grand sommeil »). A fait la force du seigneur suprême, 32.

Malaya. Nom d'une montagne près de la- quelle est située la ville de Pîtapur, 11.

Manassiddhi Succès de l'esprit »). - Divinité dont l'autel est au sommet du Sumeru.

TABLE ALPHABéTIQUE 241

Mattfiala (a Bénédiction »). La planète Mars; l'invasion de son champ par Saturne est un signe infaillible de famine, 34.

Mdydvidyd (a Science magique •). Au moyen de laquelle on peut faire apparaître des scènea qui n'ont rien de réel, 39. Apparition due à la Mâyâ, 2 3.

Maitlras.— Paroles magiques. Intr.1,8, 38. 19. Bz.

Alihir. Un des beaux esprits de la cour de Vikramâditya. Intr.

Alimamsaka. Système philosophique dont les sectateurs, avec bien d'autres, fréquentaient la cour de Vikramâditya. Intr.

Mùlikci. Talisman au moyen duquel on peut obtenir tout ce qu'on veut : donné à Vikra- mâditya par un malheureux qu'il avait secouru, et par Vikramâditya à un mendiant, 11,

Muni {* Solitaire »). Un muni avait, par une malédiction, condamné trente-deux divinités à orner comme iîgures le trône de Vikramâditya. (Epilogue).

Nciga (u Serpent aquatique »). Habitant du Pâtâla, père de Çàlavâliana, 23.

Nala. A subi une destinée qu'il ne pouvait empêcher; cité par Vikramâditya, i3. (L'his- toire de Nala et de Damayanit est un des plus célèbres épisodes de l'épopée indienne; il en a été fait des traductions ou des rédactions spé* ciales en plusieurs langues de l'Inde).

242 CONTES INDIENS

Nanda Joie »). Roi de Viçâlâ perd son fils et le retrouve, i.

Naramohint (Qui trouble les hommes »). Jeune fille de Kanci opprimée par un Râxasa, délivrée par Vikramâditya,8.

Naraka (Enfer). L'ami perfide y séjournera aussi longtemps que dureront le soleil et la lune I. L'existence du Naraka niée par un so- phiste athée, 32. Ceux qui font des sacri- fices humains y seront punis, 27.

Ndrdyana. Vikramâditya adore l'image de Nârâyana, etNârâyana lui donne deux talismans Rasa et Rasâyana, 17.— Un des noms de Vishnu.

Nàrâyana-carandravinda-dhydna (Crîman-). Méditation à laquelle se livrait Vikramâditya au commencement de la journée, 22.

Nîla. Montagne se trouve l'autel de la déesse Kâmâkhyâ, 21.

Nirukta. Les hommes versés dans le Nirukta fréquentaient la cour de Vikramâditya. Intr.

Niti-Çdstra Livre de la bonne conduite »). Donne la supériorité à l'homme qui fait le plus d'efforts, i3. Dit que tout doit tendre à la conservatiou du corps, 19. Respecté par tous les sujets de Vikramâditya, 24. Vikra- mâditya gouvernait conformément au Niti- Çâstra. Les méchants peuvent s'amender par le Niti-Çâstra. Intr.

Nydya. La huitième des dix-huit sciences et des quatorze de la première catégorie.

TABLE ALPHABÉTIQUE 343

Pada. Parole qui fait tomber une pluie d'or,

3o. Padi-padi. Paroles royttéheuses, 3o.

Padmalaya Demeure du lotus »). Nom d'une ville se trouvait un autel près duquel se réunissaient les Brahmacaris du lieu, 19.

Padmaniihat. Nom d'une ville régnait Jayaçekhara qui tut détrôné et expulsé, i3.

Padmanka Signe du lotus »). Un des signes du corps dont la présence sous la plante du pied annonce la royauté, 28. Voir Kâkapâda.

Pandya. Nom d'un pays dont le roi envoie des présents à Vikraniâdiiya, 2g.

Parameçvara Le seigneur suprême •). 11 faut en admettre l'existence, 33.

Parameçvari.— Invoquée par Vikramâditya pour conjurer la famine, lui accorde sa demande et lui donne le cintamani, 32. Voir Devi.

PàUila. Les mortels y errent (pour expier leurs fautes). I. Monde souterrain se trouve la ville en pierreries des jeunes tilles d'un lac, 20. Ville résidait le Nâga, père de Çâlavâhana.

Ptitanjali. Les adhérents de la doctrine de Patanjali fréquentaient la cour de Vikramâditya. Intr. Sa doctrine est la onzième des dix-huit sciences et des quatorze de la première série, 4.

Phalguna. Onzième mois de l'année in- dienne, i.

Piçaca. Génies impurs. Sont athées, ou l'athéisrae est une qualité de Piçâca. Intr., 32.

iS*

244

CONTES INDIENS

Pîtapur. Ville voisine du mont Malaya, près de laquelle était une femme opprimée, délivrée par Vikramâditya et donnée par lui à Puran- dara.

Pradaxina. Salut qui se fait en tournant au- tour de l'objet vénéré de manière à l'avoir toujours à droite, jg.

Pratishthdna.~V\\\e. régnait Çâlivâhana, intr. Résidence de Çâlavâhana, assiégée vainement par Vikramâditya, 23.

Piirâna-Çdstra. Quatorzième des dix-huit sciences, dernière de la première catégorie, 4.

Purandara. Fils de Bhadrasena, dissipe folle- ment les richesses accumulées par son père Bhadrasena ; ruiné, il passe à l'étranger et fait la découverte d'une femme opprimée que Vi- kramâditya lui donne après l'avoir délivrée, II.

Pûrvamîmamsa. La cinquième des dix-huit sciences et de la première catégorie, 4.

Pusya. Astérisme. Le jour de sa conjonction avec le soleil est favorable à la construction d'un palais, 3o.

Râja(niti) Çâstra. Traité de la politique.

Servait de règle à Vikramâditya, 17, 22. Rasa. Talisman qui procure tous les biens du

Samsara, donné à Vikramâditya par Nârâyana,

17- Rasa.— Neuf sentiments, 21.

TABLE ALPHABÉTIQUE «45

Rasasiddhi. Réalisation corporelle de ces neuf sentiments, 2 1 .

Rasayana.— Talisman qui procure tous les biens spirituels, donné à Vikramâditya par Ni- râyana, 17.

Ratnakar Mine de joyaux •). Nom de la mer appelée ainsi parce que Laxmî en est sor- tie, 14.

Ralnavatî « La (terre) qui possède des joyaux ■>. Nom du pays se trouvait l'étang de Çakra- vâtar, 14.

Ràxasa. Mauvais génie anthropophage. Durjaya.râxasa de Kânci, persécuteur de Nara- mohinf, tué par Vikramâditya, 8. Raxasa anonyme d'une île non désignée, mange un homme par jour; Vikramâditya obtient de lui qu'il mette lin à ce procédé, 10. Râxasa, op- presseur d'une femme, de Pitapur. vaincu et tué par Vikramâditya, 1 1 .

Rigveda. La première des dix-huit sciences et des quatorze sciences de l'Adrishtârtha, 4.

Rohinî. La lune. Si son char est brisé par Ça- naiçcara et que Çanaiçcara envahisse alors le champ de Vénus ou de Mars, il y aura famine,

Rûpa-Mîmamsa. La septième des dix-huit sciences et des quatorze de l'Adrishtârtha, 4.

Rûpa-Nj'âya. La douzième des dix-huit sciences et des quatorze de l'Adrishtârtha, 4.

246 CONTES INDIENS

Sacciddnanda. Nom de l'Etre suprême, i3, 32.

Sdmaveda. La troisième des dix-huit sciences et des quatorze de l'Adrishtârtha, 4.

Sambandhakdr. Nom du champ fut trouvé le trône de Vikramâditya. Intr.

Samsara. Le monde changeant, dans lequel les êtres roulent incessamment d'existence en existence sous les formes les plus diverses.

Sdmudraka-Çdstra Livre des signes »).— (Eten- dard, diamant, aiguillon, etc.), sont décrites et expliquées les vingt lignes du corps qui an- noncent les aptitudes et les destinées des indi- vidus, 28, 3i.

Sankhya. Système'philosophique ; les docteurs du Sankhya paraissaient à la cour de Vikramâ- ditya. Intr. Dixième des dix-huit sciences et des quatorze de l'Adrishtârtha, 4.

Sannyast, (Synonyme de Yogi). Malheureux dans ses exercices, 2. Fourbe et incrédule,

32.

Sarasvatî. Déesse de la persuasion. Est sur le bout de la langue de Çaradânanda, i. Le Siddhimantra de Sarasvatî donne la science, 8.

Setubanda Le pont de Râma. Extrémité méri- dionale du monde pour les Indiens, i .

Siddha. Synonyme de Yogî. Instruction d'un Siddha à Vikramâditya sur la vertu, i3. Les Siddhas se transmettent les traditions religieu- ses, 32.

Siddhasena. Brahmane de Kanyakubja, donne

TABLE ALPHABÉTIQUE 347

à Vikramâditya des conseils vertueux, et devient membre du conseil, chef des Pandits. Intr.

SidJhimantra. Le Siddhimantra du SarasvatI donne la science, 8. (a Mantra de succès h.)

Smriti (u Traditions »). Les docteurs de la tradition fréquentaient la cour de Vikramâ- ditya. Intr.

SomaJalla ^u Donné par la lune u). Fils de Çrîdatta d'Avant!, se construit un palais il se produit des faits merveilleux. Vikramâditya le lui achète et le lui rend gratuitement, rem- pli du produit d'une pluie d'or, 3o.

Sumeru. Montagne célèbre, au sommet de laquelle se trouve l'autel de la divinité Manas- siddhi ; appelée aussi Meru, 26.

Sumitra ^u Bon ami »). Ami de Vikramâditya qui lui donne la Rânî Madanasanjivani avec le pays de Ratnavatî, 14.

Sûrya Le soleil »). La divinité du soleil verse l'Amrîta sur Vikramâditya pour le rani- mer lors de sa défaillance dans une ascension merveilleuse et lui donne ensuite des pendants d'oreille, 18. Conjonction de l'astérisme Pushya et du soleil, 3o.

Svarga Séjour de la félicité »). La mort sur le champ de bataille y fait aller les Xatryas. Vikramâditya y arrive. Intr. Les mérites acquis par les pèlerinages aux étangs sacrés font obtenir le Svarga. C'est une folie d'agir en vue du Svarga ; il n'existe pas, 32.

248 CONTES INDIENS

Tarkika. Les partisans de la philosophie tafkya fréquentaient la cour de Vikramàditya.

TrilokancUha. Nom d'un yogî qui résidait sur la montagne de Kanakakrita; visité par Vikra- màditya auquel il donne trois talismans, 19.

Trivurakar. Purohiia de Vikramàditya, père de Kamâlakâr, 8.

Udaya Lever »). Nom d'une montagne au sommet de laquelle se trouve un autel et un lac duquel sort une colonne surmontée d'un trône qui s'élève progressivement jusqu'à midi, de manière à atteindre le soleil, 18.

Uttara-Mimamsd. Sixième des dix-huit scien- ces et des quatorze de l'Adrishiâriha, 14.

Vdsuki. Imploré par Vikramàditya, lui donne de ramrita pour ranimer son armée paralysée; Vikramàditya ayant abandonné cet amrita à des adversaires déguisés, Vâsuki fait lui-même pleuvoir l'amrita sur les troupes du roi, 23.

Vaiçdkha. Premier mois de l'année indienne.

Vaiçeshika. Partisans de la philosophie vaiçesha fréquentant la cour de Vikramàditya. Intr. Celte philosophie est la neuvième des dix-huit sciences et des quatorze de l'Adrishtârtha.

Vaitdlika. Personnage qui se présente au conseil du roi Vikramàditya et fait apparaître une scène sans réalité, 29.

TABLE ALPHABETIQUE 349

Vaidha. Un des beaux esprits de la cour de VikramAditya. intr.

Vararuci. Un des beaux esprits de la cour de Vikramâditya. Inlr.

Veda. Les docteurs du Veda fréquentaient la cour de Vikraroâditya. Intr. —Les Vedas, les quatre premières des dix-huit sciences, des quatorze de l'Adrishtâriha, 4. Le Veda pres- crit certains actes pour le milieu du jour. ai. Dans le mariage^ on prononce des maniras du Veda, 29.

Vedanga. Les six membres du Veda sont désignés à la suite des quatre Vedas comme faisant partiedes quatre premières des dix-huit sciences, des quatorze de l'Adristârtha (ou de l'invisible;, 4.

Vedanta. Les sectateurs du Vedanta fré]uen- taient la cour de Vikramâditya. Intr.

Vetùla. Nom d'un génie dangereux qui hante les cimetières et produit des eft'ets redoutables. Intr. Le Vetdla Agni. Intr.

Vetàlabhatta. Un des beaux esprits que fré- quentaient la cour de Vikramâditya. Intr.

Vetdlapura. Ville ou réside la divinité Çoni- tapriyâ à laquelle on offre des sacritices bu^ mains. Vikramâditya les lait cesser, 27.

Vetalika. Voir Vaitalika.

Viçàld Large »). Ville régnait Nanda, i.

Vijayafâla. Fils de Nanda, roi de Viçâla,

25o CONTES INDIENS

perdu dans la forê»^, trahit son protecteur, de- vient fou, est retrouvé, i .

Vikramàditya. Frère cadet de Bhartrihari, s'ex- patrie, est nommé roi après l'abdication de son père, triomphe d'Agni, gagne l'homme d'or, suit les conseils de Siddhasena, obtient le trône aux trente-deux figures, fait la guerre à Çali- vahana, meurt dans le combat et s'en va dans le Svarga. Introduction.

Ses trente-deux aventures. . Ses libéralités envers un mendiant qui lui raconte une histoire ins- tructive et son système de gratifications, i. Obtient de la divinité du Citrakuta pour un yogî des faveurs que celui-ci n'avait pu con- quérir, 2. Obtient delà mer quatre talis- mans qu'il donne à un brahmane et à sa fa- mille, 3. Sauvé par un brahmane qui ensuite lui dclourne son fils, il refuse de punir ce brahmane et montre ainsi sa gratitude, 4. Le roi, étant au parc, rencontre un ascète qui renonce à l'ascétisme pour aspirer aux biens du monde; le roi comble cet ascète de biens, 5. Prêt à se couper la tête pour rendre la vie à un couple mort, il obtient le retour à la vie de ces deux personnes sans se décapiter, b. Prêta se couper la tête pour faire remplir d'eau un bassin vide, il obtient que ce bassin soit rempli, 7. Délivre Naramohinî opprimée par le Raxasa Durjaya et la donne à Kamalâkar, fils de son Purohita, 8. Va trouver un yogî venu

TABLE ALPHAB^TIQUC S5l

dans son parc et reçoit de lui un talisman, q.

S'oftre en pftture à un Raxasa à la place d'un enfant et obtient de lui qu'il renonce à «.c nourrir de chair humaine, lo. Tue le R3xasa de Pîtapur qui opprimait une femme et la donne à Purandara, ii. Disciple avec de« Pandits, secourt un malheureux blessé et ob- tient de lui un talisman, is. Soutient le fa- talisme contre un yogî qui soutient la liberté et, après lui avoir raconté une histoire, lui donne un joyau, le cintamani, i3.— Entre dans l'huile bouillante pour conquérir Sanjîvani, est guéri de ses brûlures et la donne à Sumitra. 14.

A des entretiens savants avec un juge et lui Jonnâ huit lacks d'or, i3.— Veut se soumettre par substitution au supplice que Candraçekhara endurait pour devenir semblable à Vikramâditya et réussit à affranchir Candra-çekara de ce sup- plice, 16. Etant à la poursuite d'un sanglier, entre dans une vaste grotte et obtient de Nâ- râyana deux talismans qu'il donne à deux brahmanes, 17. S'élève jusqu'au soleil sur le

4rône merveilleux du mont UJaya, est ranimé par lui, et reçoit des boucles d'oreilles, 18. Va voir le yogî Trilokanâtha qui lui donne trois talismans; il les remet à un roidétiôné qui re- monte sur son trône, 19. Plonge dans le lac des huit jeunes hlles qui lui donnent huit joyaux-, il les passe à un Brahmane pauvre, 20. Jusiitie ses voyages et obtient de la déesse

2i)2 CONTES INDIENS

Kâmakhyâ du mont Nila la manifestation cor- porelle des huit rasas en faveur d'un étranger; il était prêt pour cela à s'immoler, ai. A un cauchemar, à la suite duquel il entreprend de grandes libéralités, 22. Fait la guerre à Çâlavâhana qui n'avait pas voulu se rendre près de lui et n'est sauvé que par l'amrita de Vasuki, 2 3. Est prêt à s'immoler pour conjurer la famine qu'un Pandit lui a prédite; obtient qu'il n'y ait pas de famine dans ses Ktats, 24. Se dévoue pour sauver une vache menacée par un tigre et reçoit de la vache et du tigre qui ne sont que des dieux déguisés, la vache kâma- dhenu, 25. Enlève l'eau du Gange céleste sur l'autel de Manassiddhi et obtient ainsi d'un joueur qu'il ne jouera plus, 26. S'offre en victime à la divinité Conitapriya et fait cesser les sacrifices humains dans Vetâlapura, 27. Veut s'ouvrir le corps pour constater dans son flanc droit l'existence de Karburamantrajâla, est dissuadé de le faire et n'a pas de doute sur l'existence de ce signe, 28. Un Vaitâlika pro- duit une scène non réelle qui met en lumière la sagesse et la fidélité de Vikramâditya, qui reçoit de grands présents du roi de Pandya, 29. Achète le palais de Somadatta et lui en faitdon après qu'une pluie d'or y est tombée toute la nuit, 3o. Observe la parole donnée en ache- tant l'image Dâridra, et se voit abandonné par toutes ses qualités qui finissent par revenir pour

TABLE ALPHABÉTIQUE 353

le récompenser de sa tidélité, 3i. —• Vient en aide aux atTamés et est obligé de recourir à Devf qui l'exauce en détruisant les effets de la famine, discute avec un sophiste athée et ma- térialiste qu'il finit par convaincre, 32.

Vikramasena. Fils posthume et successeur de Vikramâditya. Intr.

Vi-se-mi-rd. Syllabes prononcées par Vijaya- pâla pendant sa folie; il abandonne chaque syllabe à mesure que la raison lui revient, i .

Vishnu. Dieu célèbre ; est devenu le mattre du monde par la possession de Laxmt, 1 1 .

Vydkarana, Les docteurs du Vyikarana fré- quentaient la cour de Vikramâditya. Intr. Troisième Vedanga, se rattachant aux quatre premières des dix-huit sciences, 4.

Xapanaka. Un des beaux esprits de la cour de Vikramâditya. Intr.

Yajnddatta. Cultivateur du champ était enfoui le trône de Vikramâditya. Intr.

Yajur, Troisième des dix-huit sciences et des quatorze de l'Adrishtârtha. Intr.

Yama. Dieu de la mort. L'homme sans pé- ché le considère comme un brin d'herbe, 9; sanglier qui lui ressemble, 17.

Yaxa. Génie. Cinq Yaxa font obtenir et con- servent la royauté à Jayaçekhara qui, dans une

254 CONTES INDIENS

autre existence, lorsqu'ils étaient poissons, leur avait sauvé la vie, i3.

Yogî. Yogî perfide tué par Vikramâdiiya. Inlr. Yogî de la pagode de Citrakuta, malheureux dans ses macérations, obtient d'ctre exaucé par l'intermédiaire de Vikramâditya, 2. Yogî qui renonce à ses macérations et que le roi comble de présents, 5. Yogî venu à Avanti et visité par Vikramâditya auquel il donne un talisman, 9. Yogî disputant avec Vikramâ- ditya sur la fatalité, i3. Le Yogî Trilbka- nâtha fait don à Vikramâditya de trois talis- mans, 19. Yogî sophiste incrédule, 32.

Yugâdideva. Divinité à qui appartenait l'étang Çakrâvatar, 14.

TABLE DES MATIÈRES

Avis al' lecteur

EtUDB su» les THENTt-DEtX RÉCITS DU TRONE :

I. Aperçu général.

jl I. - Les contes relatifs à Vikra-

mâditya

T

II. Histoire.

g i. ~ Vikramâditya et Çàlivâhana. . xiii i 3. _ Journée d'un roi indien ^yi

m. Morale. 2 4- - Vertus morales de Vikramadi-

256 CONTES INDIENS

tya XVII

{15. La science xxii

g b. La vie xxvit

g 7. Les plaisirs xxviii

g 8. Les richesses xxix

g g. ~ Fatalité, activité xxxi

g 10. Un roi peut-il voyager r

Du devoir qui lui incombe xxxii

g II. Les dix-huit vices xxxiv

g 12. Vertus populaires; castes;

mariage; veuvage xxxvn

g i3. Les neufs rasa ( « goût, sa- veur ») XLVI

IV. Magie.

g 14. Chaussures magiques et trans- formations XI.VII

g i5. Etres surhumains li

V. Religion ttv

g 16. Croyances vulgaires. lv

g 17. —Culte Lvu

g 18. Croyances fondamentales .. LXir

g 19. L'âme suprême lxvi

>

TABLE DKS MATIÈRRS ibj

Avis i>i; traducteur rknoali 3

Introduction -

Récit de la première tigure ao

deuxième 41

troisième 4^

quatrième 49

cinquième >7

sixième 65

septième 69

huitième 7'

neuvième 79

dixième 83

onzième ^7

douxièroe 9^

treizième 97

quatorzième 107

~> quinzième lit

seizième Ii5

dix-septième m

dix-huitième 1*7

dix-neuvième. i3i

vingtième iSj

vjngt-et-unième t^'i

vingt-deuxième 149

vingt-troisième i3S

vingt-quatrième >63

Se

2 58 * CONTES INDIENS

Récit de la vingt-cinquième.. ....; . ... i6tj

vingt-sixième 17?

vingt-sepiièmc 179

- vingt-huitième i83

vingt-neuvième 191

trentième 2o3

trente-et-unième 207

. trente-deuxième 2i3

Epilogue... 222

Table alphabétique des noms indiens 229

Le Puy. (mpiiiTierîe de Marchcssou fils.

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