BINDINQ LIST SEP 1 5 1022

ton

COLLEC I !

CONTES ET DE CHANSONS POPULAIRES

IX

CONTES DE LA i W1BIE

LE TUV. IMIMUMLRIE UE MARCHESSOU KII.S

RECUEIL

1>K

ONTES POPULAIRES

SÉNÉGAMB1H

RECUtll-LI» f*k

I..-J.-B. BÉKENGEH- FERU D

PARI S

BR N ES r LE HOU X, EDI II

A MON AMI

PAUL FLAMJENQ

DE TOULON

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University of Ottawa

http://www.archive.org/details/collectiondechan09am

ITÇTltODUCTIO&C

:> on entreprend r les

production de l'esprit cke^ les .■ est disposé à penser tout d'a- bord qu'on ne trouvera rien d intéressant. Ils paraissent si imparfaits

d'intelligence, au premier examen, qu il semble impossible qu'on pi.. uvrir

en eux autre chose que ce qui est l'attri- but de la brute. On est persuadé qu'ils réfléchissent, tout juste asse\ seulement, pour satisfaire leurs besoins ma:, au jour le jour.

Cette idée préconçue est fausse cepen- dant, car il )■ a d'une peuplade nègre à

il Introduction

une autre, autant de distance, au moins, qu'on en observe entre tel et tel groupe de blancs. Et, de même que quand on parle des habitants de l'Europe, on est obligé de reconnaître que ceux-ci sont plus intelligents, que ceux-là sont plus forts corporellement, etc. ;de même quand on s'occupe des nègres, l'observation dé- montre que les choses de Vintelligence ne sunt pas lettre close, au même degré, pour toutes les peuplades.

Je ne veux pas envisager dans ce livre tous les nègres. Pareil travail serait, je crois, absolument impossible dans l'état actuel de nos connaissances . C'est qu'en effet si nous avons quelques renseigne- ments écrits sur un certain nombre de peuplades de l'Afrique, une trop grande quantité d'entre elles nous est tellement inconnue que nous ne saurions rien dire de suffisamment 'précis sur leur compte. Aussi je dois prévenir le lecteur, dès la première page, que je ne viserai ici que les nègres Sénégambiens.

Or, pour eux, quand on essaie de son- der les particularités de leur intelligence en partant de cette idée, fort naturelle du

INil.ODUCTJON III

reste, qu'il n'y a rien OU a peu près dans la cervelle Cet

tate avec quelque etonnement, je dirai même <m découvre avec quelque sa: tiotl, que, si grossiers qu'ils paraissent au début, ils sont plutôt comparables à l'enfant qu'à la bête.

Che-{ ces nègres Sénégambiens, À de manifestations anti - intelligentes , qu'on me passe le mot, c esta dire à côte de choses dans lesquelles le travail in- tellectuel fait entièrement défaut, leurs actions, bonnes OU mauva: ndent

plus souvent de la qualité enfantine de leur esprit que de toute autre cause.

Jls ont, à côte des appétits grossiers de

la bête y la ne ente, l'c-

goistne et l'ingratitude des enfants.

La comparaison est si juste qu'on cons- tate sans peine que, OOMMM ht enfants, ils ont une extrême propension à suivre la direction qu'on leur imprime, pour peu qu'on sache s y prendre pour les di- riger. Ils croient aveuglement celui dans lequel ils ont mis leur confiance, ou fer- ment obstinément les jeux à l évidence. Enfin, ils ont, au plus haut point, la

INTKODUCT10N

tendance à suivre, sans réflexion, l'im- pulsion d'un cœur naïf et d'un esprit aussifacilement inflammable pour le bien que pour le mal.

Cette constatation se fait, dois-je dire, pour tout ce qui appartient à la société nègre; mais elle est plus facile peut-être pour ce qui touche aux choses de l'esprit et, en particulier, pour ce qui peut être appelé leur littérature, qui donne la me- sure de leurs aptitudes intellectuelles. Aptitudes qui sont V honneur des races blanches et qui les placent au pre- mier rang de l'échelle anthropologi- que.

Quand on veut savoir quelque chose touchant les spéculations de l'esprit che\ les nègres Sénégambiens, il y a deux catégories d'hommes à consulter : les marabouts et les Griots. Les chefs militaires ou politiques, les individus riches sont aussi ignorants que le Vulgum pecus ; comme lui, en effet, ils se bornent à écouter les légendes, et tout au plus les répètent sans apprécier toute la por- tée de ce qu'ils entendent, si même ils ne comprennent pas de travers.

C'est donc à des gtlU t nom-

breux, et non au premier venu, qu'il faut s'adresser pour recueillir les cor:

les légendes du jm

uc tattraii surprendre personne : ronsnous, en effet, un individu qui vou- drait étudier nos connaissances intellec- tuelles, religieuses, etc. Se serait-il pas Obligé, dans nos villages et nos quartiers ruraux, de t' adresser seulement à quel' ques rares personnalités : au.\ aux hommes de loi, aux instituteur médecin S'il consultait les bonnes femmes, les

ms% sur le sujet qui a Servi de base au dernier sermon du cure ou au dernier

urs du préfet, du ^encrai, du de- pute, etc., il courrait prande chaiu n'avoir que des renseignements incom- plets, incompréhensibles trop souvent, sinon même entièrement défigUï

S'il en est ainsi encore de nos jours dans bien des localités cke\ nous. Il est certain que dans les premiers siècles du moyen

: devait en être ainsi dans plus d'en- droits encore; un couvent, un

intellectuel, consentant les riches-

VI INTUOOUC'I ION

ses littéraires de la société grecque ou romaine, n'existaient pas.

Les chefs militaires étaient, à cette époque, aussi ignorants dans mille con- trées de notre Europe qu'ils le sont au- jourd'hui dans maints pays de la Séné- gambie. Les prêtres isolés de la campa- gne ne savaient, comme la plupart des marabouts nègres de nos jours, que réciter quelques prières dont ils ne comprenaient pas le sens. Seuls quelques rares pèlerins, quelques bardes, quelques solitaires ra- contaient aux paysans ébahis des légen- des, des contes, des relations dans les- quelles la pensée morale, la portée intellectuelle disparaissaient plus d'une fois sous les imperfections de la forme ou la grossièreté des détails.

It y a bientôt trente cinq ans que je connais les nègres Sénégambiens pour être allé dans leur pays ; or, depuis le premier jour, plus je les étudie, plus je suis disposé à voir dans leur société, leurs habitudes, leurs connaissances, l'image de ce qui se passa che\ nous, il y a plus ou moins de siècles.

Et, de même que certains sauvages de

IN 1KODL. . VII

Li Polynésie nous donnent, de nos ;

l'exempte ce que lurent n>,

de régê de pierre; de n.énie que quel- ques-uns- en tont encore à . \e des

premiers métaux; de même ces nègres Sénégam biens me semblent fournir à l'observateur le rj de ce qui se

passait au début de l'ère t '. che\

les peuplades que les R MMIIM SthtC appelaient les barbai i

Ce qu'on vit dans quelques ut: provinces, de l'an .^oo à l an i -j <>u 1400, c'est-à-dire entre V invasion des Gotki et des Burgonées, et la grande époe/m due de la Renaissant mblable

qu'on voit aujourd'hui sur les rives du Sénégal et de la Gambie.

Les diverses peuplades du vaste pays Sénégambien étant plus ou moins intelli- gentes sont plus ou moins avaneees dans leur culture de l'esprit. Si elles étaient restées cantonnées chacune dans leur localité, sans communications avec les autres, elles nous montreraient, je crois, comme dans un imtnense musée, l'image de notre histoire, année par année pres- que. Mais les communications étant nom-

INTKODUCTIÛN

breuses, fréquentes, il en est résulté un mélange d'hommes et d'idées qui jette un peu de confusion dans le tableau, et rend l'observation plus difficile, sans cependant qu'il soit impossible de faire le triage, la classification entre les divers éléments disparates, de prime abord, qu'on a sous lesycux.

Quand on cherche à analyser les lé- gendes, histoires, etc., que racontent les nègres Sénégambiens, pour en saisir la portée morale ou intellectuelle, on voit qu'elles peuvent se ranger en quatre catégories :

I. Celles qui mettent en relief une qua- lité du cœur et ou de l'esprit.

II. Celles qui ont trait à un défaut, un ridicule, un vice ou une imperfection morale.

III. Celles qui ont pour but la glorifi- cation de l'Islamisme.

IV. Celles, enfin, qui se rapportent à un événement réel, plus ou moins altéré par la tradition orale, celles qu'inspirent l'amour du merveilleux, les croyances su-

:jon i\

perstitieuset ou le simple pUdsit

une question enip;matique à l'auditeur.

Il y aurait fort à reprendre, je le sais, sur cette classification si on entrepi de la critiquer ; mais, au fond, les clas- sifications n'étant qu'un mettre un peu d ordre dans l\ des laits, leur importai: minime, et e est asse\ le cas ici, —pour qu'on n'ait pas besoin de J . chercher une absolument irréprochable. Aussi le lecteur me permettra de la suivre sans la discu:

>o;

PREMIERE r.\u in:

LùNI l NDES QUI METTENT EN RI

UNE QUAUTJl 1>U CŒUR OU DE I.'eSIKIT

CONTES POPULAIRI

DE LA S EN EGA M B I E

PREMIÈRE PARTIE

ans cette première panie du pré- ît livre nous rapporterons huit contes, légendes ou ballades qui ont pour bal de mettre en relief une qualité du cœur ou de l'esprit.

Comme on pourra le voir, les sujets sont assez variés, la portée de chacun d'eux est assez différente pour qu'on puisse

4 CONTES POPULAIRES

envisager la manière d'être de l'intelli- gence sénégambienne à plusieurs points de vue dans cet ordre d'idées.

J'aurais pu, on le comprend, faire en- trer dans ma liste un beaucoup plus grand nombre de contes et de légendes de la même catégorie mais elles n'auraient fait qu'augmenter la longueur du travail sans y introduire aucun élément nouveau.

I. Comparaison entre l'amour paternel et l'ingratitude filiale.

II. La légende de Cothi-Barma, ou le triomphe de la sagesse du philosophe.

III. Les deux amis brouillés par une maîtresse.

IV. La légende des deux amis Peuls.

V. La ballade Kassonkaise de Diudi.

VI. La ballade Toucoulore de Samba- Foul.

VII. Le conte de la finesse du singe comparée à la naïveté du loup.

VIII. L'histoire du sage qui ne mentait jamais.

COMPARAISON KNTRR L AMOUR l\\ i

M l'|NGBA1 .IL M H1.U1.K

t-xans le ptyi du Dimar qui est voisin du *-J Cayor, il y avait jadis un Daniel du nom d'Amadi Gond qui gouvernail le paya

avec justice; il avait un fils du nom de Biroum Amadi qu'il avait eu bonté

et auquel il prodiguait tous ses soins et tou-

Biroutn Amadi n'était néanmoins pas con- tent de son sort, il avait hâte de régner et était impatient de voir mourir son père pour lui succéder, l.cs cho>e> n'allant pas asse^ vite à son gré, il m lia avec des mécontents et des ambitieux qui desiraient comme lui la chute du pouvoir d'Amadi Gone ,

0 CONTES POPULAIRES

et un jour ils prirent les armes résolument. Il fallut en venir aux mains; le père- plein de tristesse avait voulu dix fois ar- rêter l'émeute sans effusion de sang, il était désireux même de s'éloigner pour lais- ser à son indigne fils le vain plaisir de ré- gner, mais les principaux chefs secondaires lui avaient forcé la main et, plus pour se rendre à leur désir que pour le sien propre, il se mit en devoir de combattre les insurgés- La rencontre fut vive; les troupes du père rompues à la discipline et aux combats eu- rent raison des insurgés qui furent disper- sés; le fils même fut fait prisonnier et le conseil de guerre décida à l'unanimité qu'il devait mourir, étant convaincu de rébellion à main armée.

Le père ne voulut pas entendre parler de mort; il fit amener son fils dans sa case et commanda qu'on les laissât seuls. il lui reprocha amèrement son ingratitude, lui donna de l'or, puis le fit évader pendant la nuit, car il craignait que la raison d'Etat, paraissant plus puissante aux chefs secon- daires qu'à son cœur de père, ses lieute- nants ne l'obligeassent à sévir contre le plus coupable des insurgés.

im. i 7

um Amadi, muni d'une somn. ronde, se hâta de gagner les Etats limitro- »u l'autorité de son père ne s'étendait pas; mais dans son il tomba entre

les mains d'un parti de pillards; il fol heureux, de s'en tirer aux prix du trésor que son père lui avait dont) .'.icrté,

de sorte qu'il fut obligé de travailler de ses mains et de mener l'existence dea captifs.

Sou maître l'avait mis à cultiver un lou- gan aride; il souffrait de la faim, îi maltraite à chaque instant et il regrettait naturellement les beaux jours de sa jeu. Un Paul, qui l'avait connu aux temps de sa splendeur, vint à passer conduisant des bœufs qu'il allait vendre dans le pays d'A- madi Goné; connaissant sa malheureuse condition, il se hâta d'apprendre au père que son tils était réduit en esclavage.

Amadi Goné en fut au désespoir; il ra- B à la hâte tout l'argent de son trésor et part incognito pour délivrer son fils. Il le rachète en effet à son maître; puis une fois qu'il fut en possession de sa liberté, il la lui rendit, lui donna beaucoup d'argent en lui disant : Vis heureux et fais demander ton pardon de manière à ce que l'on discute la

S CONTES POPUl.AlKfcS

question d'une manière officielle dans ras- semblée des chefs. Je me hâterai de pronon- cer ta grâce, de telle sorte, que tu pourras rentrer sans crainte au pays et reprendre ta position auprès de moi.

Mais cela ne faisait pas l'affaire du fils dé- naturé; il laissa partir son père et se hâta d'aller voir un marabout qui connaissait l'avenir, lui demandant s'il avait quelques chances de monter bientôt sur le trône qu'il enviait. Le marabout consulta maints présages et il lui dit : Si tu peux avoir une armée de Bambaras, tu remporteras la vic- toire.

Biroum Amadi se mit en route pour le pays des Bambaras; il vit le roi de ces hom- mes et fit marché avec lui pour avoir de bonne troupes. L'argent que lui avait donné son père servit à payer les premières dépen- ses et aussitôt il marcha à fortes journées vers son pays.

Cette fois la victoire lui fut favorable ; tous les chefs de son père furent tués ; Amadi Goné lui-même fut obligé de fuir vers le Baol et le Saloum même. Comme il avait toujours été bon et juste, les habitants de cette contrée le laissèrent s'établir dans

M i a m:n£gÀMBII£

un village il comptait vivre en paix, loin du bruit, avec quelques serviteurs, du produit d4 son travail d'agriculture.

Mail If fils dénaturé envoya contre lui des hommes de confiance qui s'emparèrent du vieillard inofiensif, lui coupèrent le cou et en rapportèrent la tête qu'il se plut à bien examiner pour être sur que désormais il n'aurait plus à craindre de voir son père réclamer son droit au gouvernement de la cont:

Tout cela prouve que le père aime son fils jusqu'à la faiblesse tandis que le fils dé- tecte son père jusqu'au crime.

i v

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11

DE DK COTHI BAR MA

Cothi Bah m a, le philosophe ouolofqui vivait à une époque que personne ne peut déterminer, dans un pays qu'on ne dé- ligne pas d'une manière précise, et qui, par conséquent, est probablement un être de raison comme la plupart des héros des lé- gendes, disait souvent : « Suivez les con- seils de trois personnes : Le [-

La mère ; Le fils aine.

ihez pas les conseils des trois autres : La femme ;

L'escla\ Le griot.

Il CONTES POPULAIRES

Cothi disait : « On a parfois un ami, on n'en a jamais plusieurs; » et il donnait pour exemple la légende de Mafal, qui pas- sait pour avoir d'innombrables amis, et qui, pour les éprouver, alla un soir frapper suc- cessivement à la porte de chacun d'eux et leur dit : je viens de tuer le fils du roi. Chacun le repoussa avec horreur et l'aban- donna, excepté un qui lui répondit : fuyons ensemble, je t'aiderai à te sauver, et qui abandonna sa jeune femme pour se mettre en route aussitôt.

Cothi ayant eu un enfant, lui laissa croître quatre touffes de cheveux, au lieu de lui raser la tête comme cela se fait d'habitude chez les Ouolofs, et il disait à qui voulait l'entendre : « Chacune de ces touffes re- présente une vérité connue de moi seul et de ma femme. »

Le Daniel, son ami, avec qui il était au mieux, et auquel il avait rendu de grands services, lui demandait souvent quelles étaient ces vérités, mais Cothi restait muet. Le Damel eut alors recours à un subter- fuge; il fit venir la femme du philosophe et parvint à lui faire dévoiler son secret.

En effet, cette femme lui dit : mon mari

prétend que la première touffe lignifia roi n'est ni un protecteur ni un ami.

econde signifie : Un enfant du pre- mier lit n'est pas un fils, c'est une guerre intestine.

La troisième : Il faut aimer sa femme, mais ne pas lui dire son secret.

luatrième : Un vieillard est nécessaire dans un p

I.e Daniel lut trèl irrité contre Cothi de la première citation et ordonna qu'il fut arrête et conduit au supplice.

quand les t^ens du pays virent le phi- losophe prisonnier, un des vieillards des plus influents alla trouver le Damel et rit tant qu'il obtint fti m souvenir de

longs et bons servi.

Cette grâce n'arriva ce-pendant pas assez tôt pour empêcher Cothi d'arriver au lieu il devait être décapité, et déjà un Hls que sa femme avait eu d'un premier lit avait obtenu de l'exécuteur l'autorisation de le dépouiller de ses vêtements, disant qu'ils devaient lui revenir en héritage, et qu'il ne voulait pas les avoir tachés de sang.

Le grâce accordée, le Damel voulut faire des reproches publics à Cothi qui, apprenant

14 CONTAS POPULAIRES DE i.a senégami

ses griefs, lui dit : « Eh bien! c'est moi qui ai raison en tous points, et la preuve qu'un roi n'est ni un ami ni un protecteur, c'est que sur un simple moment d'humeur vous m'avez condamné à mort.

La preuve qu'un mari ne doit pas confier son secret à sa femme c'est que la mienne m'a trahi auprès de vous.

La preuve qu'un enfant du premier lit n'est pas un fils mais une guerre intestine, c'est qu'au lieu de me pleurer, mon fils m'a fait dépouiller de mes habits pour les avoir sans taches.

Enfin la preuve qu'un vieillard est néces- saire dans un pays, c'est que vous avez ac- cordé ma grâce à un vieillard quand vous l'aviez refusée a tant d'autres solliciteurs.

m

\ \MIS BROUILLKS PAR UNE MAÎTRESSE

Ure du nom de Cathi aimait à ■e l'aire adorer par plusieurs jeunes gens à la fuis, et distribuait tour à tour ses laveurs à l'un et à l'autre, se plaisant toujours à exciter la jalousie entre ses divers adorateurs. |jur, elle donna rendez-vous pour la luit suivante à deux pêcheurs qui étaient itimement lies d'amitié depuis longtemps qui l'aimaient chacun avec autant de ission qu'ils avaient d'amitié l'un pour autre.

Biram, l'un des deux, arrive le premier, couche sans savoir que Amadou-li, son ii, avait aussi un rendez-vous; et après noir folâtré avec Cathi, il se laissa aller au

lu CONTES rOPULAlKES

sommeil. L'exemple est contagieux, et voilà que Cathi s'endort elle aussi.

Amadou-li arrive au milieu de la nuit, et voyant les deux amants endormis il est pris d'une fureur très grande contre eux. Il ne sait quel supplice inventer pour assouvir sa colère, et tirant le couteau que Biram avait à sa ceinture il poignarde Cathi qui meurt sans pousser un cri ni faire un mouvement.

Retirant alors l'arme du sein de la jeune fille, il la met dans la main de son rival en- dormi, et se retire sans être vu par personne.

Le lendemain matin on découvre la mort de Cathi, et Biram trouvé endormi à ses côtés, son propre couteau sanglant à la main, ne put invoquer un alibi, fut condamné à mort sans aucune hésitation.

La sentence ne devait être exécutée que le lendemain, et Biram voulait aller dire adieu à sa mère avant de mourir, aussi demanda- t-il, comme dernière faveur, un jour de liberté.

On faisait naturellement de grandes diffi- cultés pour obtempérer à sa requête, et lui, ne se doutant pas que sa triste situation était le résultat de l'animadvcrsion de celui qu'il croyait être son meilleur ami, dit à ses

M. : MBIE 17

jugea : " Amadou-li va me servir de lion, il prendra ma place dans la prison et se portera garant de DU j'en suis

certain. »

Amadou-li, qui avait plus d'un remords déjà, accepte volontiers, et voilà que Biram

libre pendant quelques heures. Mais au moment Ixé pour l'exécution il n'est pas encore de retour, retenu qu'il a été plus qu'il ne le croyait par la longueur de la

I'oute à parcourir. On s'apprêtait à tuer Amadou-li qui, lui- îeme, ne s estimait pas trop malheureux, ourreié qu'il était par les remords 1 . îauvaise conduite vis à vis de son ami, quand Biram accourt en toute hâte.

11 veut reprendre sa place, mais Amadou-li ne veut pas la lui céder. Il y a entre les «.: amis une lutte ditlicile à comprendre, et le boureau ne savait lequel frapper.

Tout à coup Amadou-li dit aux juges : « C'est moi qui dois mourir et non Biram.

Iarce que je suis le vrai et le seul coupable. » it il raconte les détails de sa vengeance qui produit la mort de Cathi et la condamna- on de son ami.

jS C0N7ES POPULAIRES Dl (.A SÉNÉGAMB1K

ils ne savent quelle décision prendre, quand un vieux marabout leur dit : il faut faire grâce à tous les deux.

« Biram est, en effet, innocent, leur dit-il, et par conséquent hors de cause. Amadou- li vient de racheter son forfait par sa belle conduite; et, d'ailleurs, Cathi était, en dé- finitive, la première et la plus grande cou- pable. Or, elle a été punie comme elle le méritait; et il ne faut pas que sa mauvaise conduite fasse tuer un innocent, ou un cou- pable qui s'est repenti déjà d'une manière si loyale et si parfaite. »

L'avis du marabout fut suivi, et les deux jeunes hommes furent remis en liberté.

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LKS DKUX AMIS PEL'LS

Deux garçoni Peuli du Fouta-Djalor. dans le mime village et habitant deux cases voisines, étaient unis par la plus grande amitié; ils jouaient dans leur enfan<

. >te. gardèrent le même troupeau une fois devenus adolescent un mot, donnèrent le spectacle de la plus étroite liaison.

Un jour, un des deux s'éprit d'amour pour une jeune tille du villas, chercha en

mariage et l'épousa.

Cet événement) bien fait pour rompre l'intimité des deux amis, ou du moins pour la relâcher sensiblement, n'eut cependant pis ce fâcheux résultat. Les deux jeunes

i"

20 CONTES POPULAIRES

hommes restèrent aussi étroitement unis; le célibataire se bâtit une case qui touchait h celle du jeune ménage, et ils étaient trois au lieu de deux à passer la plupart des heures de leur vie ensemble.

L'ami avait toujours respecté la femme de son camarade; il n'avait jamais eu une pensée inavouable à son égard, quand un jour par hasard, et sans qu'il l'eût cherchée, il eut l'occasion de voir, à travers une fente de la tapade qui séparait les deux cases, la jeune femme faire ses ablutions, dans un état de nudité qu'elle ne cherchait pas à dissimuler, se croyant seule et à l'abri de tout regard indiscret.

Ce spectacle alluma dansles sens du jeune homme une flamme irrésistible; des désirs coupables assaillirent son esprit et son cœur, mais la force de son amitié les comprima et la jeune femme ne sut jamais qu'elle avait inspiré une telle passion.

Mais, malgré l'énergie de l'amitié qui com- battait la convoitise, l'amour qu'épi ouvait le jeune homme ne put être vaincu ; il tomba bientôt dans un état de tristesse maladive, dépérit et finit par être si malade que son ami en fut très inquiet.

Dt I MBIK

Tous les marabouts, toutes les mati

tous les étrangers turent consultes pour ra- mener la saute du pauvre amoureux. Per- sonne ne connaissant son secret ne put con- seiller le remède efficace et 1a raort menaçait

de survenir prochainement

-ir son ami dépérir ainsi de- jour en jour, le |eune marie se confondait en conjectures, demandait au malade ce qu'il pourrait faire pour lui rendre la santé,

protestant qu'il se tuerait si la mort lui ra- vissait sa plus chère atlection. Il fut si pres- sant un jour que l'amoureux lui con:. douloureux secret.

Ce fut pour le mari un coup terrible, car il aimait passionnément sa femme; il lutta péniblement contre deux sentiments t ment vifs.

Enfin l'amitié l'emporta, et. après un com- bat et des résistances dont le conteur peut, à son gré, détailler plus ou moins les péri- péties quand il tient son auditoire sous le charme de la parole, mais que nous pouvons ar ici, il fut convenu que la nuit d'a- près, le mari se lèverait sous le pr. d'aller entretenir le feu qui brûlait dans la cour et qui avait servi au repas du soir.

11 CONTES l'Ol'Ul MUES

L'ami devait entrer alors dans la case, tandis que le mari resterait au dehors, et la jeune femme, ignorant le subterfuge, devait servir à assouvir la passion de l'amant sans se douter de la substitution.

Ce qui fut dit fut fait, en partie au moins. Le mari céda la place à l'amoureux qui vint auprès de la jeune femme.

Mais, au moment de commettre un crime rendu d'autant plus facile que l'obscurité avait trompé la victime ; que le principal in- téressé était de connivence avec le malfaiteur ; et aussi, ajoutons-le, que la jeune femme, éveillée par le bruit, sollicitait les désirs de celui qu'elle croyait être son mari, l'amitié redevint plus forte que la passion déshon- nête.

L'amoureux s'échappa donc en toute hâte, au grand étonnementde la femme qui, igno- rant la fraude, était, à bon droit, étonnée de cette retraite inopinée. Cette retraite fut si rapide que grâce à l'obscurité la jeune femme ne soupçonna pas le forfait que sa conscience se serait reprochée toute la vie.

Quand l'amoureux fut sorti, le mari rentra, dit l'histoire, et, comme il avait grandement souffert de céder sa place tem-

DE i I MBIE

porairement à son ami, il se mit en devoir de prendre sa revanche.

> la jeune femme, qui s'était e ce que ses avances venaient d'être renom ette fois en lui di

A chacun son tour; il y a un instant moi qui demandais et vous refusu. moi tranquille maintenant.

L'infortune mari entendit M un

grand bonheur, ayant ainsi la preuve absolue que la continence de son ami avait éU hauteur de l'immense M .ni'il avait

fait lui-même à l'amitié.

L'épreuve tentée eut un résultat favorable sur le jeune amoureux qui, guéri inconti- nent de la passion qu'il avait ressentie pour la femme de son ami, se hâta d'épouser une autre jeune tille. Et, au lieu d'une liaison intime à trois, on vit désormais dans le vil- leux ménages extrêmement unis par les liens de l'amitié, sans que la vertu eût à souffrir de part et d'autre.

Cette légende l'amour est médecin et l'amitié fut si invraisemblablement géné- reuse des deux côtés, rappelle celle de Stra- tonice, fille de Demétrius Poliocerte, qui avait été épousée, vers 290 ans avant Jésus-

•24 CONTES POPULAIRES

Christ, par Séleucus Nicanor, un des géné- raux d'A'exandre, devenu roi de Syrie.

On sait que les attraits charmants de Stra- tonice inspirèrent au fils de ce prince une vive passion, qui, étant comprimée au fond du cœur de l'amoureux et cachée à tout le monde, mit celui qui fut plus tard roi de Syrie, sous le nom d'Antiochus Soter â la porte du tombeau.

On raconte qu'Erasistrate, son médecin, devina la cause d'une maladie que tout le monde cherchait en vain et que Séleucus Nicanor, aimant plus son fils que sa nou- velle femme, renonça en sa faveur à ses droits de mari.

Je ferai remarquer cependant qu'il y a de grandes divergences entre les deux légendes, puisque le jeune Antiochus Soter fut plus égoïste que l'ami de notre Peul.

On peut même dire que le sentiment qui a inspiré le récit africain est plus élevé que celui de l'anecdote Syrienne, de sorte, qu'en- tre les deux, c'est à l'imagination Foulane qu'échoit la meilleure place.

Cette légende des Peuls est-elle un reflet, une réminiscence, une variante de l'autre, il ne m'est pas possible de le décider; il serait

DE I I MBIE

même tout à bit téméraire, je crois, de se

prononcer pour ou contre leur parc:

a moins, dérivée d'elle ou parallèle, elle n'en prouve pas moins la supériorité intellectuelle des individus que nouséludions actuellement.

Elle est biea laite, à mon avis, pour mon- trer la distance intellectuelle con*idcrable qui sépare le l'eul de la plupai t proprement dits. Car le Ouolot lui-même, qui est un des plus élevés parmi les uU - niens, ne la comprend pas, le plus sou\. trouvant que le sacrifice du mari est aussi léger que le scrupule de l'amoureux ridicule.

Dans la plupart des pays littoraux lk frique tropicale, l'homm il bestia-

lement son appétit charnel, sans attache l'amour la délicatesse et l'élévation que nous lui prêtons dans la ru ique, on ne

trouve, en général, rien qui approche de cet ordre d'idées que nous voyons dans l'ima- gination de Peul. Ce n'est que chez les peu- plades les plus élevées sous le rapport de l'intelligence que . e actuelle a qui-

ttances d'être comprise.

ï?*;a y

BALLADI KASSONKAISK DE DlUDt

Les Kassonkés qui habitent le haut negaly aux environs de Médine, pos- sèdent, dans leur littérature, une ballade que ne désavoueraient pas les peuples les plus policés et les plus délicats en poésie : c'est la ballade de Diudi.

Homme on va le voir; c'est un humble guerrier qui aime et qui est aimé d'une prin- cesse. C'est un simple soldat dont l'amour fait un grand capitaine. Qui, après la vic- toire, demande la main de celle qu il aime, It qui meurt de désespoir quand il apprend ue celle qu'il aimait est morte. Cette ballade de Diudi est le chant de guerre utant que le chant d'amour des Kassonkés:

28 CONTES l'OI'Ul.AIRES

ce qui me porte à penser que peut-être la majorité de la peuplade ne sent pas, d'une manière bien exacte, maints détails de ce qu'elle dit. Mais, néanmoins, le fait seul de s'être répandue ainsi, au point de devenir presque un chant national, est un indice en faveur de la supériorité intellectuelle de ces Kassonkés.

Que l'idée ait germé dans le cerveau d'un des poètes du pays ou bien quelle ait été apportée soit par les Peuls, soit par les Mau- res dans la contrée, toujours est-il qu'elle a trouvé che^ les Kassonkés un terrain favora- ble à la conservation. Che\ les Sérères, peut- être même che^ les Ouolofs. elle aurait couru grand risque de tomber bien vite dans l'oubli et de disparaître, faute d'avoir été comprise; c'est-à-dire faute d'avoir fait vibrer une fibre dans le cœur ou dans l'esprit de la multitude.

Jeunes filles, dont le regard sait si bien faire battre le cœur des hommes les plus froids. Vous qui pouvez d'un coup d'oeil faire plus de mal que le fusil chargé jusqu'à

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la gueule, et plus de plaisir que la vue du fleuve, après une longue marche d..

< itez l'histoire >.ie Diudi qui e>t morte d'amour.

Guerriers, qui faites trembler l'ennemi et qui vous précipitez sur lui avec 1 impétuosité du fleuve iprés le premier orage. dont la valeur détend les jetU de la

servitude et des brutalités des envahisseurs

du p.i :outes l'histoire de Sége qui

est mort d'amour.

,ii était un grand roi qui commandait à tout le Bakounou. Son nom était \e- per les habitants de cent villages, et faisait l'effroi de >.es ennemis, parce qu'il avait un grand nombre de vaillants guerriers dont la bravoure était irrésistible.

Le tatl de Bakari était une grande forte* dens laquelle il avait un grand nombre ives; des armes, des tissus, des vivres, et de l'or en quantité. Car Bakan le chef le plus puissant de la con:

Bakari possédait toutes les richesses, mais ce qu'il avait de plus précieux c'était sa fille : la belle Diudi.

Guerrier ! toi qui n'as jamais tremblé devant la sagaie de ton ennemi, tu aurais

3o CONTES POPULAIRES

tremblé devant l'œil de Diudi. Tu aurais suivi son regard en tremblant. Tu aurais e'té le plus heureux des hommes si elle t'avait souri. Tu aurais voulu mourir si elle t'a- vait dédaigné.

C'est qu'elle était belle, Diudi. Toutes les filles de son village étaient belles, mais quand Diudi apparaissait personne ne les voyait plus. On ne regarde plus les étoiles quand le soleil s*est levé.

Tous les jeunes gens du pays, et même de très loin à la ronde, étaient épris de Diudi.

Chacun aurait voulu son amour. Mais Diudi est sévère; elle n'aimera que le plus beau, le plus brave et le plus aimant.

Allons, jeunes guerriers! quel est celui de vous qui sera aimé de Diudi? Diudi est belle comme le soleil levant.

Diudi est agile comme la gazelle. Diudi a un regard qui fait perdre la mémoire et qui fait trembler l'homme le plus résolu.

Quand Diudi chante chacun est dans le ravissement. Si Diudi parle tous les jeunes gens se taisent et ne savent plus parler. Allons, jeunes guerriers, qui de vous sera aimé de Diudi?

C'est Séga que Diudi aime ; elle qui fait

i<k i | mit ji

trembler d'émotion tous les jeunes gens, clic

est émue quand elle le rencontre. El

qui est le plus beau, le plus brave, le plus

aimant des guerriers s'attache a ses j

Sans que M voix lui dise rien ses yeux lui disent des choses qui les plongent tous deux dtOI l'extase.

Sega aime Diudi, Diudi aime Sega. Guerriers perdez l'espérance. Diudi sera i Diudi. Pendant la I k >i pendant la mort.

Diudi aime Sega. Séga aime Diudi. Ils ne se sont jamais parlé, mais ils se sont vus une fuis et ils savent tout ce qu'ils ont d'amour réciproque.

Personne ne les a vus, personne ne sait qu'ils se connaissent et pourtant Séga passe de longues heures auprès de Diudi.

Diudi aime Sega. Séga aime Diudi.

L'amour sait réunir les amants en même temps qu'il aveugle et rend sourds ceux qui gardent les jeunes tilles.

t aime Diudi, la fille du roi. lui est pauvre, il est de naissance obscure, il ne pourra pas prétendl on époux,

Qu'importe ! Sega et Diudi n'ont pas songé à cela pour s'aimer. Leur amour est

32 CONTES POPULAIRES

sans qu'ils le sachent. Ils ne l'ont connu que lorsqu'il était immense et les dominait entièrement.

Les amants ne songent pas à l'avenir, ils s'aiment et voilà tout. Quand ils sont en- semble ils ne désirent plus rien; tout le restant du monde leur est indifférent.

Séga aime Diudi. Diudi aime Séga.

Ils se voient chaque nuit. Ils sont heu- reux. Personne ne connaît leur liaison ; rien n'entrave leur passion; ils ne songent pas à l'avenir.

Mais hélas! hélas! le bonheur n'a qu'un jour, le malheur dure toute la vie.

Pleure Diudi. Pleure Séga. Voilà le malheur qui va fondre sur vous. Votre amour est si grand qu'il vous fera mourir.

La guerre est déclarée ; l'ennemi avance, brûlant les villages, tuant les hommes, em- portant les femmes en esclavage, enlevant les récoltes et les troupeaux. Les vautours les suivent parce qu'ils ont à manger abon- damment partout ils passent.

Les Bambaras envahissent le pays. Ba- kary prends garde! la mort est proche si tu ne sais te défendre.

Les Bambaras sont cruels. Ils tuent les

UK I WIB1E 33

guerriers. Ils réduisent les enfant en es- clavage. — Us violentent les femme Prends garde Bakary !

iry fait battre le tam-tam de guerre. Accourez jeunes guerriers. De tous les

. ous arrivez avec empressement, vous a\e/ vus grigris qui vous rendent invulnéra- bles. — Vo os fusils charges jusqu'à la gueule. Vous avez de la poudre en grande abondance.

>urez jeunes guerriers il faut défendre le pays. Prenez y garde!

Les Bambaras violentent les jeunes filles, BltU VOUS, qui êtes plus braves que les Bam- . vous saurei leur prendre leurs femmes et leur filles.

Bambarrai son riches, mais vous leur prendrez leurs troupeaux, leurs armes et leur or.

Les guerriers accourent et le premier de tous est Sega. Ségi n'est pas inconnaissa- ble. — 11 était doux, suppliant tremblant d'émotion devant Diudi. Mais quand il aimes à la main il est terrible.

i est un simple est obscur guerrier pour l'extraction ; mais il est si fort, il est si brave, il est si hardi que bientôt il est le

34 CONTES l'OIMJl.AlKES

chef. Il entraîne ses amis au combat. C'est le plus brave; c'est le plus hardi. Ses amis le suivent et lui obéissent. Sega est un grand chef.

Diudi pleure, Diudi tremble pour les jours de Séga, elle se désole et cependant cherche à cacher sa douleur. Mais Bakary s'aperçoit que Diudi est triste. Dis-moi, Diudi, quelles sont tes douleurs. Mais Diudi reste muette. Diudi ne dira à personne qu'elle aime Séga.

Le temps s'écoule ; la guerre dure et Diudi se désole. Elle tremble pour la vie de Séga, mais voilà que d'autres douleurs vont l'assaillir.

Diudi, mets ton bracelet à la cheville. Diudi, tu seras mère bientôt.

Diudi, tu as un enfant qui ressemblera à Séga. Prends garde, Diudi ! ton père le roi Bakary est courroucé. Bakary veut sa- voir quel est le téméraire qui a osé t'appro- cher.

Il mourra ce téméraire! La fille du roi ne peut être aimée que par un roi. Celui qui l'a séduite doit mourir.

Diudi, dis-moi, je te l'ordonne, quel est le ravisseur de ton cœur, je te jure qu'il mourra.

Je saurai l'atteindre partout Il . honoré ma fille, il mourra.

Diudi, «-lis-moi >un nom, dis-moi qui est cet homme.

Mon père, celui que beau

comme le soleil. Il etl bra\e comme le lion —H comme un vieillard.

Mais je ne vous dirai pas son nom. Il ne doit pas mourir; il doit être votre tils aime, en attendant d'être votre successeur.

Diudi, tu me diras son nom, je saurai t'y

Je reui le taire mourir. On va

l'enfermer; tu souffriras toutes les douleurs.

Je te priverai de nourriture. supporter toutes les tortures pour te forcer à me dire son nom, car je veux faire mou- rir celui qui a deshonore ma tille.

Diudi, dis-moi le nom de ton séduc- teur.

Mon père, celui que )'aime est beau comme le soleil. Il est brave comme le lion. Il est sage comme un vieillard. Mais je ne vous dirai pas son nom. Il ne doit pas mourir il doit être votre tils aimé en atten- dant d'être votre successeur.

Diudi, tu me diras son nom ; je saurai t'y forcer. Je te ferai mourir de privations

3*

36 CONTES POPULAIRES

tortures si tu ne me le de'signes pas pour que je le fasse mourir.

Mais Diudi ne dira pas son nom. Diudi répète chaque jour : Mon amant est beau comme le soleil, brave comme le lion, sage comme un vieillard.

Diudi souffre de la, faim. Diudi est en- fermée dans un lieu obscur. Diudi se dé- sespère. Diudi est morte en répétant : Mon amant est beau comme le soleil, brave comme un lion, sage comme un vieillard.

Mais Diudi n'a pas révélé le nom de celui qu'elle aime.

Séga fait des prodiges de valeur. Les Bambaras reculent; et il les poursuit avec ardeur.

Séga est un grand chef c'est lui qui com- mande à tous. Il est brave de sa personne. Il est prudent dans le conseil. Il surprend toujours l'ennemi, et ne se laisse jamais sur- prendre.

C'est Séga qui a vaincu les Bambaras. Séga est un grand chef.

La guerre est finie ; les guerriers revien- nent au pays chargés de butin. Tout le monde acclame Séga. Séga est un grand chef.

M I MBIl 3/

iry félicite Séga, c'est Sega qui i vaincu

iri est dans la joie, il embrasse S Dis-moi lu ier que veux-tu pour ta

récompense. Tu es un grand chef. Tu es mon e*£ftl. Dis-moi ce que tu désires; je te jure que je te rai

Grand roi, j'aime quelqu'un que je ne vois pas ici. Grand roi je suis prêt à retour- ner an combat s'il faut tuer d'autres ennemis, courir de nouveaux dangers remporter en- core des victoires pour ta grandeur.

Grand roi, si tu veux me rendre heureux, donne-moi Diudi en mari

Diudi que j'aime et qui e>l la plus belle, la plus douce, la plus aimante des tilles. Grand roi, j'aime Diudi.

Hélas! Hélasl Diudi est morte. Elle est morte d'amour sans vouloir révéler le nom de celui qu'elle aimait; de celui qui est beau comme le soleil, brave comme le lion, comme un vieillard.

i ! Diudi est morte, morte d'amour pendant que tu combattais les Bambaras, pendant que tu te couvrais de gloire, que tu remportais la victoire. Diudi est morte d'amour.

38 CONTES POPU;. AIRES DE LA SENEGAMlilE

Séga se désole. Se'ga s'est évanoui comme une femme en apprenant la funeste nouvelle. Séga ne veut plus rien, il ne demande plus rien, il ne songe plus à rien qu'à Diudi. Il jette ses armes, son butin reste sourd à toutes les félicitations; il n'en- tend plus les cris de joie. Il court sur la tombe de sa bien-aimée ; et il y meurt de douleur en appelant Diudi, sa chère Diudi qui est morte d'amour.

Jeunes filles dont le regard sait si bien faire battre le cœur des hommes les plus froids. —Vous qui pouvez d'un coup d'œil, faire plus de mal que le fusil chargé jusqu'à la gueule ; et plus de plaisir que la vue du fleuve après une longue marche dans le dé- sert. — Ecoutez l'histoire de Diudi qui est morte d'amour.

Guerriers qui faite trembler l'ennemi et qui vous précipitez sur lui avec l'impétuo- sité du fleuve après le premier orage. Vous dont la valeur défend les jeunes filles de la servitude et de la brutalité des envahisseurs du pays. Ecoutez l'histoire de Séga qui est mort d'amour.

VI

BALLADE T0UC0U1.0UE DK SAMBA- KOI' L

Il parti Samba! Samba était dfl race noble, il descendait M Koli Satignv qui était un saint homme en même temps qu'un grand guerrier et qui ait, à ^ause de sa ferveur religieuse, un talisman précieux qui le rendait invul- nérable. Ce talisman lui permettait de pren- dre toutes les formes d'animaux possibles pour surveiller les agissements de ses enne- mis, et le rendait invisible à son adversaire dans les moments dangereux.

Il est parti Samba !

Samba était noble et généreux il avait toutes les qualités pour régner; mais son père mourut pendant qu'il était enfant et

40 CONTES l'Ol'UI.Al.. ES

son oncle Abou Moussa lui ravit le com- mandement, Abou Moussa cherche même a le faire périr. Mais Samba s'e'chappe et marche jour et nuit pour se soustraire à ses embûches. Tout le monde l'a aban- donné, les partisans de son père sont décou- ragés, il n'a plus à sa suite que son griot et son chien qui lui sont restés fidèles.

Il est parti Samba !

Samba arrive chez le Tunka de Ouandé, dans le Fouta Damga; il se fait reconnaître et il est comblé de fêtes. Mais son oncle est puissant et le Tunka est faible, de sorte qu'il ne peut recevoir aucun secours d'hommes pour faire la guerre. Il confie au Tunka sa mère et ses sœurs qu'il a sauvés de l'ani- madversion de son oncle.

Il est parti Samba !

Samba ne se laisse pas décourager par l'adversité. Ne trouvant pas d'appui pour sa vengeance chez le Tunka de Ouandé il tra- verse le fleuve et va trouver El Kébir le grand chef des maures qui a mille guerriers toujours prêts à se battre. El Kébir est dans son camp entouré de ses femmes, de ses troupeaux et de ses chameaux.

Il est parti Samba !

M I 4BIB 41

Je suis Samba, lui dit-il, donne-moi une armée pour aller combattra mon oncle et

ir le pouvoir qu'il m'a dérobé. Tu au- ras défendu la justice en donnant aide au faible contre l'oppresseur, et tout le monde dira que tu es un grand cbef, sage bra\ équitable.

Il est parti Samba!

I Kébir lui dit sois le bienvenu; il lui donne l'hospitalité mais il ne veut pas tenter la lutte contre Abou Moussa qui est puissant ; et Samba veut cependant se v< mba mange le couscous del'hospitalité, mais l'eau du désert est infect* Samba dit à la captive du roi donne-moi de l'eau douce et fraîche comme celle de mon

II est parti Samba I

Je ie voudrais bien, lui répond la captive, mais je ne pourrais t'en donner qu'au prix de ma mort, car ia source d'eau douce | la possession du lion M Bardidalo qui la garde jalousement et qui n'en laisse puiser qu'a ceux qui consentent à lui donner une jeune fille en sacrifice chaque année. 1.. pauvres captives comme moi sont bien mal- heureuse; elle lui servent de pâture. Il est parti Samba!

42 CON'IES l'Ol'Ul.AlUKS

Samba prend l'outre de la captive et il va droit à la source ou se trouve M'Bardidalo. Le monstre veut le de'vorer mais Samba est un grand guerrier et la lutte s'engage entre eux deux. Les rugissements du lion jettent la terreur aux alentours. Chacun est terrifié pendant cette nuit noire. Seul, Samba a con- servé son courage et il tue le lion. Il plante sa lance dans le sable, y attache son chien et laisse sur son ennemi mort une de ses san- dales.

Il est parti Samba!

La nouvelle du combat terrible se répand dans le camp Tout le monde veut aller voir le monstre abattu et les jeunes filles sont ra- dieuses de la défaite de leur ennemi. El Kébir dit : « que celui qui a remporté la vic- toire se fasse connaître pour qu'on l'ad- mire. » Le griot de Samba lui répond : « Celui qui a tué le lion est celui qui saura détacher le chien, brandir la lance et chaus- ser la sandale. »

Il est parti Samba !

Tous les guerriers d'El Kébir viennent tour à tour pleins d'ardeur et de confiance pour détacher le chien mais le fidèle animal leur montre les dents avec fureur. Per-

M I 4J

sonne ne peut, non p-lus. arracher la lance qui reste plantée dans le sable comme un arbre inébranlable. Personne ne peut chausser lu sandale. Quel est donc le guerrier redouta- ble qui a vaincu le lion? aucun d'eux ne peut dire « c'est moi. »

Il est parti Samba!

Samba s'approche le dernier, le chien le nble de caresses, se laisse détacher par lui. Samba brandit la lance que personne n'avait pu arracher du sol. Samba met la sandale qui est semblable à celle qu'il a à l'autre pied. Tout le monde est rempli de joie. Les jeunes tilles le bénissent El ir lui dit : « Tu es un grand guerrier.

Il est parti Samba!

El Kébtr est ravi et dit à Samba, ma fille et mes richesses t'appartiennent désormais. Mais Samba n'a qu'une pensée c'est de se de son oncle, et il repond : donne- moi ure armée. El Kébir hésite encore; il ne la donnera que si Samba lui rend d'autres services. Le roi des Peuls a des Keuls blancs que jamais personne n'a pu surprendre, il faut que Samba les en:, pour les lui donner.

Il est parti Samba!

44 CONTES POI'UI-AIKES

Samba n'est pas un voleur il attaque les hommes comme les lions en les regardant en face. Les maures qui sont lâches, détour- nent par la ruse quelques misérables bœufs. Mais Samba le descendant de Koli Satigny, se bat corps à corps et en plein soleil contre ses ennemis. Il monte sur un cheval fringant au son du tam-tam de guerre et des chants des griots. Il fait dire au roi du Peuls. a Je vais te faire la guerre, dé- fends-toi. »

Il est parti Samba!

Le combat est terrible, Samba est victo- rieux. Biram Gourour le roi des Peuls noirs est son prisonnier ; ses richesses, ses trou- peaux sont à la merci de Samba. Mais le vainqueur est aussi généreux après la vic- toire qu'il est brave pendant le combat. Il ne prend que la moitié des bœufs blancs des Peuls et il rend à Biram ses richesses, empêchant que les maures qui n'ont pas combattu lui dérobent quoi que ce soit.

Il est parti Samba !

Les pillards maures qui étaient partis pour voler après la bataille , rentrent les mains vides et crient à la trahison. El Ké- bir qui est insatiable, n'est pas content d'à-

IiK I.A SKSÉGAMBIE 4?

voir seulement la moitié des bœufs blancs, quand il pourrait avoir le troupeau tout entier, et il dit mort à Samba, qui est un mitre, Sa tète roulera sur le sable et son corps servira Je pâture aux vautours . les du désert. 11 est parti Samba!

filles d'EI Kébir ne veulent pas que celui qui lésa délivrées du lion M'Bardidalo les sautent sur 1< , x du

camp qui paissent en libei : | vont

lui dire : « Nous restons avec toi. quitte le camps nous n'y reviendrons plus. I >ir de la nation part avec elles. Si

i ne revient pas lïl Kebir n'aura plus cendants. 11 est parti Samba!

I 1 Kebir en se voyant ainsi abandonné

spoir, il : qu'il a t'ait contre Samba. Reviens, lui dit-il. reviens avec les tilles du camp, l'es- poir de l'avenir; reviens sans retard ces impriui. |U| nous

donneraient tous, sans regret, pour te sui- vre. - Reviens, je te comblerai de riches- tu commanderas mes guerriers.

II est parti Samba!

-fb CONTES POPULAIRES

Samba qui est bon autant qu'il est géné- reux, revient au camp et dit à El Kébir : donne-moi une arme'e pour me venger de mon oncle barbare et pour reconquérir mon royaume. El Kébir ne résiste plus cette fois fait battre enfin le tam-tam de guerre, les guerriers se rassemblent, les voeux de ven- geance de Samba sont écoutés.

Il est parti Samba!

Les guerriers joyeux et brûlant de com- battre, se pressent aux côtés du brave qui est invincible et qui a déjà donné tant de preuves de sa valeur. Leurs armes reluisent au soleil, les cris des femmes les accompa- gnent; et Samba plein de joie de comman- der une grande armée veut d'abord aller à Guellé pour remercier le vieux Tunka des soins qu'il a donnés à sa mère et à ses sœurs.

Il est parti Samba !

Les guerriers sont en route, Samba ne se sent pas de contentement; il songe à sa mère et à ses soeurs. Une vieille men- diante s'approche de lui et lui dit de s'ar- rêter pour écouter sa plainte. Samba la repousse doucement en lui disant : laisse- moi et j'ai hâte d'aller revoir ma mère qui

UE I UNI 4-

sera bien heureuse de savoir que je vais re- conquérir ma souveraineté dérobée par un oncle barbare

Il est parti Samba I

Mais la vieille lui répond : Samba ! je suis ta mère. Pourquoi ne me reconnais-tu pas?

uis si pauvre si je suis si changé! que le Tunka de Ouandé n'a pai

il n'a pas tenu la promesse qu il t'a faite ; il a eu peur des menaces de ton oncle, il nous a cha*s< eurs sont captives et

moi je manque de tout.

11 est parti Samba !

Grand 1) possible! Mère tu seras

1 lerriers passent le Aeuv<

tata de Ouandé est pris d'assaut. Le Tunka est tué. Ses fils sont tues. Ses tilles sont captives. La mère de Samba qui a été la plus pauvre et la plus malheureuse du est désormais la souveraine de Ouandé.

Il est parti Samba!

I ( guerriers approchent des états de l'on. cle de Samba. Abou Moussa l'usurpateur, l'homme aux mauvais desseins est dans le palais qu'il a dérobé à son maître légitime. Il est plein d'orgueil et personne n'ose le 1er en face. Samba arrête son armée

4$ CONTfcS lOI'Ul.AlkES

sans que personne l'ait signalée à Abou- Moussa qui voit tout à coup un chien mai- gre apparaître devant lui.

Il est parti Samba !

Chien; dis-moi qui es-tu? Es-tu une simple béte ou bien es-tu un génie, hâte-toi de disparaître de devant mes yeux ou crains ma colère dit Abou-Moussa. Le chien disparaît, mais en faisant face à Samba qui apparaît avec la figure irritée. Il lui montre le talisman de Koli Satigny qui était en sa possession et dit à son oncle : « Je viens pour te punir de tes mauvaises actions. »

Il est parti Samba!

L'armée s'approche dans la nuit et prend la ville par surprise, le combat est terrible, les partisans d'Abou-Moussa sont nombreux, mais les guerriers de Samba sont vaillants, Samba, est un foudre de guerre, il tue autour de lui tout ce qui lui résiste, il met à mort le tyran, Abou-Moussa.

Il est parti Samba!

Samba victorieux se fait reconnaître ; on l'acclame avec amour comme le souverain du pays. Chacun dit : voilà le grand, voilà le noble, voilà le roi véritable. Samba va régner avec bonté. Samba fera le bonheur de

,AMBIE

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son peuple. Samba comblera ses griots de grandes richesses pour qu'ils chantent tous les juins et devant tous les guerriers les hauts faits de Samba et pour qu'ils gardent toujours le souvenir de ses prouesses.

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LA ! INI K DU SINGE ET LA NAÏVETÉ DU LOUP

i j n jour le lion se promenait dans la *-J broussaille comme un propriétaire dans sa maison. Il regardait à droite; il re- gardait ;i gauche; il faisait deux pas en avant; puis s'arrêtait puis marchait encore. Voilà que le singe l'aperçoit et se moque de lui eu le contrefaisant.

1 lion est mécontent et il lui dit : reste tranquillement à te gratter et noque pas de moi; sinon je te man- gerai, i Mais le singe qui est malin continue à prendre sur une branche les attitudes que le lion a l'habitude de prendre sur la terre et le lion entre dans une grande colère con- tre lui.

52 COS'TF.S l'OPL'l Atlll S

En faisant ses grimaces et ses gambades le singe perd l'e'quilibre et il tombe juste entre les pattes du lion qui se saisit de lui et a envie de le tuer d'un coup de dent. Mais il lui vient à l'ide'e qu'il vaut mieux manger le singe en compagnie de son ami; et alors il le met dans son trou dont il ferme la porte à l'aide d'une grosse pierre. Il part ensuite pour aller chercher son convive.

Une fois seul et revenu de sa grande frayeur, le singe se dit comment faire pour m'en aller? Il cherche à se sauver mais la pierre est trop grosse pour être poussée au dehors, de sorte que ses efforts sont impuis- sants; et il se désole.

Mais voilà que le loup vient à passer et l'entend pousser ses hurlements de désespoir. Le loup avait eu une querelle avec le singe et il lui en voulait un peu, aussi il est content de l'entendre pleurer et il lui dit ; « singe pourquoi pleures-tu ? »

Le singe, qui est très fin, sent très bien que s'il n'a pas la présence d'esprit de tromper le loup il est perdu; et alors il lui répond : « Je ne pleure pas, je chante. »

« Pourquoi chantes-tu? »

« Pour faire la digestion en attendant le

DI : . MBIE 33

lièvre qui est allé chercher encore de la viande. Ce matin nous avons fait botni en- semble et ce soir nous devons le faire encore. Nous allons manger tant que nous pourrons. Nous avons tant de \iande ici que \t puifl plus millger; mon ventre est trop petit; il v en I beaucoup de reste tout autour de moi. »

Le loup qui est gourmand lui dit alors : •ce que vous refuserez à moi votre ami e boLiï avec \ous autres? » Non, répond le sint;e, entre dans le trou du liè- vre; il y a beaucoup à manger pour toi. de peur que d'autres ne nous voient jpanger, déplace la pierre qui ferme l'entrée du trou avec précaution. w Le loup o! au moment ou il déplace la pierre en entrant dans le trou, le singe se glisse entre ses pat- et se sauve tandis que le loup reste pri- sonnier.

Le lion arrive avec son ami sur ses entre- faites; et il dit : Tiens ! nous voulions man- ger le singe. Ma foi tant pis, nous mangerons le loup. .

Or pendant que le pauvre prisonnier est déchire en morceaux, le singe qui est re- monté sur l'arbre fait des gambades en se

54 CONTES POPULAIRES

félicitant d'avoir trompe le lion et le loup. C'est q'en effet, en e'chappant à la colère de l'un il s'est délivré de l'animadversion de l'autre.

La Fontaine, dans ses fables, a mis, on le sait, en vers une idée tellement vois'.ne qu'on est frappé de son analogie (livre XIQ, fa- ble vic, le loup et le renard).

Un soir il (le renard) aperçut

La lune au fond d'un puits : l'orbiculaire image

Lui parut un ample fromage.

Deux seaux alternativement

Puisaient le liquide élément. Notre renard pressé par une faim canine S'accommode en celui qu'au haut de la machine

L'autre seau tenait suspendu;

Voilà l'animal descendu,

Tiré d'erreur, mais fort en peine

Et voyant sa perte prochaine; Car comment remonter si quelque autre affamé

De la même image charmé

Et succédant à sa misère, Par le même chemin ne le tirait d'affaire? [puits, Deux jours s'étaient passés sans qu'aucun vint au

Dl LA SfcNt<iAMBIK 55

Le temps qui toujours marche avait pendant Jeux Echancié, selon l'ordinaire, [nuits

istre au front d'argent la face circulaire ; Sire renard était dcsespi Compère loup, le gosier altéré, 1 par ; l'autre dit : camarade,

Je \eux vous régaler : Voyez- vous cet objet: C'est un fromage exquis Le Dieu Faune l'a fait, La vache lo donna le lait, Jupiter, s'il était malade, Reprendrait l'appétit en tàtant d'un tel mets; J'en ai mangé cette échancrure te vous sera suffisante pâture; iez dans un seau que j'ai mis exprès. 13ieu qu'au moins mal qu'il pût il ajusta l'his- Leloup lut un toi de le croire. [toire

end; et son poids emportant l'autre part, Reguinde en haut maître renard.

Certes il y .1. j'en conviens, une différence

de mise en scène bien différente, et toute à la faveur de notre immortel fabuliste; m. pendant l'idée qu'il a si bien enjolivée a la même portée que celle du conteur nègre. Et si on fait la part des conditions des animaux, des instruments qu'il faut mettre en action suivant tel ou tel pays, quand on veut captiver l'attention, on voit que la viande que promet

56 CONTES POPULAIRES DE LA SÉNÉGAMBIE

le singe au loup, est le produit du même sen- timent qui lui fit offrir le fromage par le re- nard.

JÊ5Ë&

. **>* . C*VX ^¥^X*V^ CW> ï***: C*¥*ï

VIII

I.i: SAGE QUI NE MENTAIT JAMAIS

Dans le pays Je Btkounou vivait jadis un homme qui avait une grande répu- tation de savoir et de vertu. Tout ce qu'il ■bail était marque au coin de la plus remar- quais comme de la plus exa^'. ■té. On racontait dans les contrées envi- ronnantes à plus de vingt journées de marche de son habitation qu'il n'était jamais sorti de sa bouche un mensonge, quelque petit qu'il lut.

L'AI ma m y qui en avait entendu parler et qui aimait fort à plaisanter, le fait appeler un jour et lui dit : Mamadi est-il vrai que tu es jamais menti?

ondit le s

58 CON'IES POPULAIRES

Est-tu certain que tu ne mentiras jamais?

J'en suis parfaitement sûr. Eh bien ! ajouta l'Almamy, continue à dire la vérité, mais prends garde, car souvent le mensonge, qui est très subtil, se glisse dans la bouche plus facilement que la vérité.

A quelques jours de là, l'Almamy fait ap- peler, le matin à la première heure, Mamadi. Quand le sage arriva, il trouva une foule de curieux et de courtisans devant la demeure du souverain qui allait partir pour la chasse.

L'Almamy était auprès de son cheval, te- nant une poignée de crinière à la main, un pied déjà passé dans l'étrier. Dès qu'il vit Mamadi il lui cria : Va, je te prie, de suite à ma roundé (maison de campagne) de tel quartier, qu'il désigna ; tu y trouveras ma femme à laquelle tu annonceras mon arrivée pour aujourd'hui midi. Dis-lui que nous al- lons forcer une biche et que quand nous ar- riverons chez elle, il faut que nous trouvions une .plantureuse calebasse de couscous. Pars de suite et marche sans t'arrêter un seul ins- tant. Tu attendras là-bas ma venue, et tu mangeras avec nous.

Mamadi s'inclina et partit sans plus tarder.

Deux minutes après, on le voyait dispa-

iei

nu

i.i. i

raître derrière les lougtni du voisinage sans qu'il eût une leule fois tourne la tête pour voir dans quelle direction la chasse parais- sait devoir s'effectuer.

ine ett-U parti que l'Almamv quittant ier et rentrant dans sa case dit en riant s courtisans : Amis, nous ne chassons aujourd'hui; nous resterons ici sans aller i roundé. Ce que j'ai dit a Mamadi était quement dans le but de le faire mentir ; il va annoncer notre arrivée pour midi ; il a ma femme de préparer le couscous, et demain matin nous rirons de sa confusion, quand nous pourrons lui démontrer, preuves en main, qu'il n'a pas dit vrai.

Mais l'Almamv avait compte sans la dé- fiante prudence de Mamadi; celui-ci était ar- n effet, d'un pas delibeie a la roundé et avait dit à la maîtresse du I I usfe-

riej peut-être bien de ne rien faire du /ou/, Comme peut-être aussi yous/eriej tien de faire er un couscous succulent pour l'Al- mamy qui peut-être sera ici, à midi, aujour- d'hui

La femme étonnée d'entendre ces paroles dubitatives pressa Mamadi de questions, et celui-ci lui raconta que l'Almamv, un pied

6o CONTES POPULAIRES DE LA SÉNKGAMIilE

déjà dans l'ctrier de son cheval, l'avait charge' de la commission ; mais il laissait à chaque mot percer un doute, si hien que la femme impatientée lui dit : Enfin, viendra-t-il ? oui ou non. Ma foi, je n'en sais rien, répondit Mamadi, car je ne sais si après mon départ le pied qui était par terre sera monté sur l'étrier, ou bien si le pied qui était sur l'étrier sera des- cendu par terre.

La commission était faite. Mamadi fit son salam, se coucha dans un coin et attendit. Le lendemain matin, l'Almamy arriva tout riant, et d'aussi loin qu'il vit sa femme il lui cria : Eh bien! le fameux diseur de vérités a donc dit un mensonge hier? Mais il ne fut pas peu confus quand elle lui répondit : Non, je n'ai jamais pu lui tirer rien de précis, et il n'a jamais voulu me dire si oui ou non vous viendriez. Les détails de la conversa- tion montrèrent que le sage était resté dans le doute le plus vague. Alamadi triomphait, et l'Almamy reconnut, comme tout le monde, que le sage et prudent compère avait soin de se tenir toujours dans une réserve assez grande pour ne pas se laisser tromper par les apparences.

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APPRECIATION

! ( huit contes, légendes ou ba! que nous venoni de rapporter présentent md intérêt pour celui qui veut se faire une opinion touchant la libre intellectuelle du nègre qui a trait aux sentiments éle\ . cœur. Et, en effet, quelle peuplade euro- péenne trouverait dans son cerveau quelque Je plus délicat que les sentiments de ce pauvre père qui, malgré la mauvaise con- duite de son rils, cherche, au détriment de sa sécurité, de son bonheur et même de sa vie, à lui épargner une punition méri: Cothi Barma est un sage qui, ayant une nde dose de philosophie, savait combien

f)2 CONTES POPULAIRES

l'amitié des grands est chose fragile et sou- vent dangereuse.

Les deux amis Peuls et ces autres qui sonl brouille's un instant pour une maîtresse cou- pable, sont la peinture d'un degré de puis- sance de l'amitié que bien des Européens ne pourraient pas atteindre, assurément.

De son côté, la ballade de Diudi est une poétisation de l'amour qui n'a rien à envier à Pyrame et Thisbé, à Roméo et Juliette ou à Damon et Henriette.

Celle de Samba-foul est l'histoire d'un héros qui ne le cédait pas aux paladins du moyen âge.

Le singe qui se tire de qualité au détri- ment du loup est un sujet que La Fontaine n'a pas dédaigné.

Enfin l'histoire du sage qui ne mentait ja- mais indique clairement le désir du narrateur de faire prévaloir cette idée : que l'intelligence prime l'orgueil et triomphe toujours de la sot_ tise.

Sans doute et il ne faut pas oublier de le constater tous les nègres sénégalais ne sont pas capables d'apprécier la portée entière de chacun des sentiments exprimés dans ces con- tes, légendes et ballades que nous venons de

IBIE

rapporter. C'est ainsi que le sacrifice de l'un des deux amis Petlll ne paraîtrait pas e\ à un Ouolof. Mais remarquons que pour ce Ouoloi la légende des deux amis brouill. une maîtresse donne la note ju qu'on

peut faire d'après lui pour son ami après le premier l'eu de la colère. Et Cette nute est a peine intérieure à celle du Peul.

Pu ailleurs il faut reconnaître aussi que lins chacune dei peupla.. .mbiennes,

Ouolofs, Peuls, Mandingues, Bambtra racolai s, etc., les sentiments expri-

ir ces contes et ces ballades ne sont pas appréciés avec la même précision et la même

par tous les individus. Mais en autrement en Europe ? Nos paysans senti- raient-ils mieux que beaucoup de nègres la portée philosophique de pareilles peintures du cœur ou de l'esprit humain ?

Aussi tout en admettant, si on veut, que la proportion des gens capables de comprendre le sens vrai et l'importance de ces cont. gendes, bail .., est infiniment plus

grand, toutes choses égales d'ailleurs, chez les peuples européens que dans les peuplades

grès de la - Sie, un fait capital sub-

siste : c'est que sur les rives du Sénégal et du

I

64 CONTES POPULAIRES DE IA SÉNhGAMBlE

haut Niger les sentiments que visent les con- tes et ballades que nous venons de rapporter ne sont pas lettre absolument morte.

Or, dès le moment que l'impression existe, cela dénote d'une part une certaine supério- rioté relative de l'intelligence et, d'autre part, comme toute impression est perfectible par l'éducation, on peut en inférer que le nègre des pays dont nout parlons ne sera pas réfrac- taire, infulunim, aux bénéfices du progrès.

DEUX II'.. Ml. PARTIE

JNTES ET LEGENDES QUI ONT TKA1T s DÉFAUT, UN RIDICULE, t'N VICE OU UNE IM- riON QUELCONQUE.

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DEUXIEME PARTIE

Dans cette seconde partie, nous ra; rons sept contes ou légendes qui ont trait à un défaut, un vice, un ridicule ou une imperfection morale pour en faire ressortir le mauvais côté et souvent pour signaler en même temps la supériorité de la vertu, de l'intelligence ou de la sagesse. En voici rénumération.

I. La légende des trois fils de Noé.

II. Histoire de celui qui se fit servir par le roi.

III. La chasse au lion des Baçnouns.

68 CONTES l'Ol'ULAIKES DE I.A SKN É< , \ M Uli:

IV. Le beau-frère coupable.

V. L'homme qui ayait beaucoup d'a- mis.

VI. L'ami indiscret.

VII. L'héritier qui avait le sommeil pour sa part.

O ro<^*/' û

il NOÉ

N. qui, après AJam, est le père de tous les hommes, avait trois fils. Le premier s'appelait Toubab; ii blanc de figure comme le sont les Euro- ; il avait une santé faible, mais son esprit était très subtil et très rusé. Aussi, HrâCQ aux ressources de son imagination, il avait toujours raison sur ses frères, soit par la parole, soit par les actes.

11 excellait dans l'art de se procurer les objets dont les autres avaient besoin et il savait, en les vendant, en retirer une rétribu- tion qui était toujours supérieure à leur prix

JO CONTKS POPULAJRES

Le second, dont le nom était Hassan, était si brun qu'on ne savait au jnste s'il était blanc ou noir; il e'tait maigre aussi, mais bien mieux portant que Toubab, ne crai- gnant ni le soleil ni la chaleur comme lui; n'ayant pas la fièvre à chaque instant, au contraire, agile et aimant la chasse, il mon- tait volontiers à cheval, gardait les trou- peaux de son père et les soignait avec beau- coup d'habileté.

Il était d'humeur batailleuse, d'un carac- tère irascible, et surtout il avait le très vi- lain défaut de dérober au voisin tout ce qu'il pouvait prendre et tout ce qui lui paraissait bon h quelque chose.

Maintes fois il avait volé Toubab, mais en définitive il était toujours sa dupe, car ce dernier se rattrappait bien vite en échan- geant quelque chose avec Hassan.

Le troisième, Samba, avait la couleur des Ouolofs. Plus grand et plus fort que ses frères, il traversait impunément les saisons fraîches et chaudes sans être malade, il sa- vait mieux cultiver la terre et faisait pro- duire au sol des graines, du coton et des herbages savoureux.

Mais ayant infiniment moins d'astuce que

I)E I A SKNÉGAUBIK 71

son frère Toubab, trop peu de méliance vis-;'i-\i> de son frère Hassan, sa récolte était toujours dépensée, avant qu'elle ne fût arri- vée lu grenier; ou bien quand il était par- venu après mille dangers d~ rapt à la mettre en tact, il était obligé de la donner tout entière à Toubab pour avoir un des menus objets de luxe ou de gourmandise que son tempérament lui taisait désirer avec une avi- dité irréfléchie.

Samba menait donc en somme une v . sogneuse, ayant plus de convoitise que d'ai- sance, condamne à beaucoup travailler pour avoir le moindre des plaisirs.

Le père Noé qui était très riche, puisqu'il s'était trouve seul possesseur du monde en- vait obligé pendant de longues années ses lils à vivre en bonne intelligence, en les mettant dans des conditions d'une just. lité.

Il donnait souvent en cachette à Samba ce que le pauvre noir n'avait pas su se procurer et que ses frères avaient bien su acquérir, il lui répétait chaque jour qu'il ferait bien d'oublier sa paresse et de mettre à ses occu- pations l'assiduité qui caractérisait Hassan; qu'il devrait être économe comme son frère

J2 CONTKS l'OPUI.AlHKS

Toubab. Mais autant en emportait le vent. Samba se hâtait d'assouvir sa gourmandise et son orgueil, les dons de son père n'étaient utiles qu'à sa paresse.

Noé, arrivé à la fin de ses jours, réunit ses trois fils, il leur recommanda de s'aimer, de vivre en bonne intelligence et il leur lé- gua tous les biens de la terre qui étaient en sa possession; leur disant qu'ils devaient se les partager bien également en trois por- tions. Puis, il mourut, et le premier senti- ment de douleur passé, ses fils se mirent en devoir de l'inhumer.

Quant les enfants eurent rendu les der- niers devoirs à leur père, ils parlèrent du partage de l'héritage. Chacun. d'eux fit son- ner bien fort le désir qu'il avait de ne pos- séder qu'un tiers de la fortune paternelle, et pour que le partage fût bien équitable, ils firent un inventaire très minutieux.

Toubab fit remarquer qu'il fallait mettre d'un côté les troupeaux, de l'autre les objets précieux, les tissus, les armes, la poudre, de peur que les animaux en se détachant ne vinssent à gâter ces objets d'un grand prix; et il commença sans affectation à empiler les caisses du côté de la case qui regardait ia mer.

Pendant que Toubab s'occupait à cette besogne, Hassan, lui, plaçait lei troupeaux, Ils chevaux, les dromadaires, du cote Je la irdait le désert et il les éloignait peu à peu de l'habitation sous le prêt les mettre a portée d'un meilleur pâturage, de même que Toubab rapprochait de plus en plus de la mer l'arche était mouillée et flottait comme un navire, ; de

provisions, de tissus, d'armes et de poudre, prétendant que le vent du tait con-

traire a leur bonne conservation.

lant que les deux frères travaillaient ainsi sans relâche, Samba lit la sieste; il joua un air de tam-tam, aida un peu par ci. par là, a chacun des deux autres et surtout ne perdait pas de vue la cuisine un plantu- reux couscous se préparait, promettant a son odorat sensuel des jouissances de gour- mandise qu'il savourait à I

avait d'inventaire . -ment fi-

nit avec le i >ur. Toubab l'avait évidemment prolongé à plaisir i -es dont

- n'avaient pas soupçonné la véra- cité, Hassan avait bien quelquefois jeté un coup d'oeil de méfiance sur son aîné, mais comme il avait eu soin de mettre -ot

74 contes rot'Ui.AïKKs

des bestiaux qu'il comptait avoir à sa part les meilleures têtes du troupeau, il laissait faire Toubah en se disant : Il ne faut pas l'indisposer contre moi, car je pourrai mieux ainsi m'entendre avec lui pour laisser à Samba le lot des bêtes maigres.

Lorsque la nuit fut près d'arriver, Toubab dit à ses frères : soupons, puis hàtons-nous de dormir, et demain matin au jour nous commencerons le partage; de cette manière, nous pourrons faire les lots bien égaux, et s'il y avait par hasard des contestations, nous aurions le temps de modifier ces lots et de tout finir avant la chute du jour.

D'ailleurs, ajouta-t-il, je suis souffrant, vous le savez, et je suis trop fatigué à cette heure pour faire quoi que ce soit.

La proposition de Toubab fut appuyée for- tement par Samba qui, à plusieurs reprises, avait dit à la cantonade : on devrait bien souper; le couscous se brûlera si on tarde de le manger! J'ai grand faim, je voudrais bien souper. Et comme Hassan avait deux ou trois fois dans l'après-midi senti avec plaisir les émanations de la cuisine, on décida à l'una- nimité qu'on dînerait sans plus de retard.

Toubab toucha à peine au couscous, il

M 1 «MBIE

avait toujours eu peu de sympathie pour ce il lui fallait de la viande grillée, des le petites graines, des choses qui n'e- taient ni dfl la viande, ni du poisson, et qu'il \ ait dans des boîtes en fer blanc; il ne mangeait habituellement que du pain de fa- rine de blé, au lieu de farine de mil, de sorte qu'il laissa beaucoup de sa part d'aliments.

1 1 .m mangea COmm« deux, mais Samba dévora comme quatre, et bien plus il laissa î s'abreuver avec du lait, Toubab avec du vin de France, et il ingurgita pour sa part toute l'eau-de-vie et le vin de palme qu'il trouva à sa po: :

Après le dinar même, il bourra sa pipe et fuma avec délices jusqu'à ce que le sommeil le surprit.

.tôt on se coucha ; Toubab qui se plai- gnait toujours de la chaleur se plaça du côté de la mer qui était aussi

isses d'objets précieux. in. sous le prétexte qu'il veillerait mieux sur les troupeaux, se mit du côté du I Quant à Samba, lui, bien repu et un peu ivre, ayant fini de fumer sa pipe, il se coucha carrément au milieu de la natt. ne tarda pas à ronfler comme un bienheu-

7<J CONTE» POI'UI.AIKES

rcux. Hassan s'était promis de surveiller les mouvements de Toubab, mais, comme il avait très bien dîné, le travail de la digestion le poussa irrésistiblement au sommeil.

Quant à Toubab, il n'avait pas fermé l'œil comme on le comprend bien; aussi, dès que ses frères furent endormis, il se leva sans bruit, chargea les caisses d'objets précieux sur l'arche et partit vers le nord dans des pays la chaleur est moins forte qu'au Sé- négal et il se trouva infiniment plus h l'aise, avec la fortune et les provisions qu'il possédait.

Aussitôt que la lune se fut levée, Hassan s'éveilla ; son premier regardfut pour voir ce que faisait Toubab, et il s'aperçut aussitôt de sa disparition. Il se leva précipitamment et courut à la plage il arriva juste à temps pour voir l'arche disparaître à l'horizon.

Il revint à la case assez dépité et voulant se concerter avec Samba; mais voyant celui- ci ronfler sans soucis et ne pas s'éveiller quand il l'appelait, il se dit : après tout, pour- quoi ne ferais-je pas de mon côté comme a fait Toubab? Incontinent il monte à cheval et pousse devant lui les troupeaux jusqu'au fond du désert.

M. LA I M ..AMI 11

l.e soleil était déjà haut quand Samba s'é- veilla; les fumées de l'eau-de-vie et du vin de palmes avaient un peu obscurci ses idées, de sorte qu'il fut un long moment avant de rien comprendre à ce qui était arrivé. Quand il entrevit la réalité, néanmoins, il eut un moment de désespoir; mais en jetant les yeux sur les restes du repas de la veille, il trouva encore une bouteille d'eau-de-vie, un peu de tabac et une pipe. Il fut consolé aussitôt à moitié; il but encore, fuma de nouveau, et toutes les pertesqu il avait subies furent ou- bliées.

Voilà pourquoi depuis de longues années les blancs naviguent sur la mer avec l'arche et les objets précieux en leur qualité d'en- fants de Toubab, gagnant beaucoup d'argent à faire du commei i

Voilà pourquoi les Maures ont de beaux troupeaux et s'enfoncent volontiers dans les profondeurs du désert.

Voilà enfin pourquoi les noirs qui sont les

ridants de Samba sont toujours dupes

par les blancs et par les Maures ne trouvant

isolation à leur triste condition que

dans le tabac et l'eau-de-vie.

•*ft*

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1

II

HISTOIKE DK CKI ! uviK

l'Ait LK ROI

ivait dans le Kamera un roi qui puissant et craint par ses voisins, mais qui s'enorgueillissait de sa haute situation et qui disait à chaque instant que tout le monde était à ses ordres, tandis que lui n'avait a obéir à personne.

Pas un de ses sujets n'aurait osé le contre- dire de peur de perdre la vie, car il était aussi violent qu'orgueilleux, et il triomphait ainsi facilement au milieu de tous ses cour: empresses à exécuter ses moindres volontcs.

Il y avait dans le pays un solitaire du nom de Boubakar, homme simple et religieux, faisant le bien et sachant beaucoup de choses.

80 CONTES POPULAIRES

Un jour que Boubakar était près du roi, celui-ci, revenant sur son thème favori, ré- péta avec ostentation que tout le monde lui obéissait et qu'il ne travaillerait, lui, jamais pour personne.

Chacun fit un signe de respectueux assen- timent pour flatter le monarque. Seul Bou- bakar resta immobile comme s'il n'avait pas entendu ce qui venait d'être dit.

Le roi choqué de cette indifférence qu'il sentait être affectée interpella directement le sage et lui demanda ce qu'il en pensait. Boubakar, mis ainsi en demeure de répon- dre, hocha la tète et dit : Personne au monde ne peut dire qu'il ne travaillera pas pour son prochain à un moment quelconque de sa vie, car ce serait avancer une inexacti- tude.

Le roi se récria, la conversation s'anima et Boubakar soutenant sans faiblir, le mo- narque lui dit « Eh bien! je parie que tu ne me feras pas travailler pour toi. »

J'accepte le pari, dit Boubakar; tu don- neras dix bœufs si d'ici à trois jours je l'ai gagné. Le marché est accepté.

On parle d'autre chose et le roi, mis de bonne humeur parce qu'il était persuadé d'à-

voir gain ik cause, voulut que Boi.1 lui pour déjeuner.

I.e sa-c s V:i défendait; il avait pris déjà son bâton et l'avait mis sous son bras pour pouvoir toucher la main au roi et aux divers personnages de l'assistance, quand on entend la voix d'un pauvre qui demandait l'aumône a la porte de la maison. Boubakar dit au roi : Permets-moi, ô souverain tout-puissant, de porter un peu de couscous à ce malheureux qui a faim. Oui, rebondit le roi, mais re- viens donc déjeuner a\ec moi. Eh bien! repond Boubakar, je ferai comme tu le dé- sires ; et il se baisse plongeant ses deux mains dans le plat pour en prendre une bonne portion.

En se relevant il parut embarrassé dans ses vêtements; le bout de son bâton p.. sous son coussabe et menaçait de le déchirer ; il était à craindre même qu'il ne gênât ses mouvements au point de le faire trébucher, au risque de faire tomber par terre une partie du couscous destiné au pauvre.

Chacun vit le mouvement, le roi comme les autres, et Boubakar lui dit sans aucune tation, mais a»sez vite pour ne laisser le temps à aucune réflexion incidente de se produire:

82 CONTES POPULAIRES DE LA SÉNÉGAMUIE

« Roi, prends, je te prie, mon bâton qui me gêne et dépose-le par terre je vais venir le reprendre. »

Le monarque obéit aussitôt sans songer à autre chose, et à peine le bâton était-il placé au lieu indiqué que Boubakar se mit à rire en regardant successivement tous les assistants ; il dit au roi :

« Donne les dix bœufs aux pauvres, car, tu le vois, tu viens de travailler pour moi à mon commandement.

Le roi confus voulut se récrier, mais le fait était patent, et il reconnut qu'il y a quelque chose de plus fort que la royauté, le pouvoir ou la richesse, c'est l'esprit.

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•E<*>3E<*>3 KM W 6<*>3 f4>5 Ê<4>3 £4>3WW **>î 64*»

I II

LA CHASSE AU LION DES BAGNOUNS

Un jour les Bagnouns ne se trou pas bien dans leur pays eurent l'idée d'abandonner les rives de la Gambie avaient vécu leurs ancêtres pour aller habi- ter une autre contrée. Les voilà partis ; ils marchèrent vers les localités plus décou- vertes et moins marécageuses qui se trou- vaient à quelque distance du lieu qu'ils avaient quitté. Ils trouvèrent bientôt un endroit marécageux qui leur convenait en tous points.

Cet endroit était inhabité jusque-là, de sorte qu'ils purent as rencon-

trer aucune opposition.

Ils eurent bientôt construit un petit vil-

84 CONTES POPUI.A'kKS

lage et ils vivaient heureux lorsqu'un lion attiré par leurs troupeaux vint h son tour s'e'tablir clans le voisinage.

Ce lion prit l'habitude de leur enlever toutes les nuits une tête de bétail, de sorte que la fortune des pauvres Bagnouns soumise à cet impôt allait diminuant de jour en jour au lieu de s'accroître.

On assembla un grand palabre pour traiter de cette grave affaire et chacun fut appelé à indiquer le moyen qu'il croyait le plus pro- pre à faire cesser un si fâcheux état de choses.

Il fut décidé à l'unanimité que le mieux serait de tuer ce lion incommode; proposi- tion d'autant mieux accueillie, que la dé- pouille de l'animal pourrait être vendue à un bon prix; la peau d'un lion ayant dans le pays une valeur très recherchée.

Mais si tout le monde était d'accord sur l'opportunité de la mort du lion, personne n'était d'humeur de tenter l'aventure pour son compte. Chacun savait bien qu'il suffi- rait d'un adroit coup de fusil pour jeter l'animal h terre, mais aussi tous les chas- seurs n'ignorent pas que si on manque la bête ou si on ne la tue pas sur le coup, elle

M i '-IBIK

■ne vous manque pas elle de so:; sorte que personne ne Btaît pour

aller combattre l'ennemi.

On discuta pendant plusieurs jour- aboutir à une resolution pratique, chacun tant pour sa vie et ne voulant pas er dans une expédition aventureuse. Enfin un \ le illard ouvrit une motion qui recueillit tous les suffrages. Il dit a ses com- pati i< « Mes amis, nous voudrions tous tuer le as?

Oui, oui répondit-on en chœur.

lui revanche, nous ne voudrions pas qu'il nous mangeât .-

Oui, oui, s écria-t-on de toutes parts.

Eh ! bien allons tous à la chasse bien

d'un fusil et i -.De plus, en-

la couverture d'une de nos maisons | que nous dépouillerons de son chaume et nous aurons ainsi une grande cage solide nue nous porterons sur nos épaules.

Vu moment nous verrons le lion

ons tomber la cage par terre et

nous voilà abrites, pouvant tirer à notre

ir si par hasard notre premier coup

de fusil ne tuait pas le monstre, nous n'au-

86 CONTES POPULAIRES

rions qu'à nous tenir au centre de l'édifice pour être à l'abri de ses griffes et de sa dent. Sans compter que. pendant qu'il s'acharne- rait au dehors de la cage à vouloir pénétrer jusqu'à nous, nous aurions tout le temps de recharger nos armes et de le tirer presque à bout portant ou bien de le sagayer tout à notre aise. »

La proposition parut si excellente, qu'elle fut accueillie avec des cris de joie et chacun voulut être de la partie qui promettait d'être d'autant plus intéressante que le danger en était écarté.

Incontinent on choisit une case, on en dépouille la carcasse de la toiture et voilà les chasseurs partis dans la direction ils pensaient trouver le lion.

Leurs vœux ne tardèrent pas à être ac- complis, ils rencontrent la bête et pour l'empêcher de fuir, ils lui crièrent toutes les injures qu'ils purent imaginer, quelques- uns même tirèrent un coup de fusil pour lui échauffer la bile, se proposant de laisser tomber la charpente protectrice au. momenl l'animal semblerait accepter le combat.

Le lion irrité des clameurs et des coups de fusil se décide au combat, le chef du

Dl I A SKNKGAUBIK 87

village ordonne alors de laisser tomber la charpente, mais ses ordres ne sont vite 0 : voilà que d'un bond l'ani-

mal saute au milieu des chasseurs qui se trouvèrent tous pris dans une véritabk et furent manges jusqu'au dernier.

iid les femmes virent le triste résultat de cette expédition, elles dirent en chœur décidément il valait mieux ne pas quitter pour tenir faire do pareilles ex- péditions de chasse dans celui-ci.

Elles retournèrent auprès de leurs com- patriotes, en conseillant désormais aux jeu- us de ne pas aller tenter la fortune lu loin de peur de pareils accidents.

-7

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IV

LE BKAU FKÈRE COl'PABLK

Dans les environs de Porekada il y avait une jeune tille du nom de Houri, qui quoi- que appartenant à une famille riche, avait depuis l'enfance écouté les paroles d'amour d'un pauvre jeune garçon de ses voisins nomme Bakary; ils s'aimaient, voulaient se marier ensemble, mais jamais les parents de Houri n'auraient consenti à une pareille union dans 1 état de denùment se trou- vait Bakary.

Que faire en pareil cas? la situation était embarrassante ; néanmoins l'Almam\ venu par hasard à annoncer qu'il comptait partir à la tète de ses sujets armés pour le haut Kabou afin, de rançonner et convertir

90 CONTES POrUt-AIKKS

les infidèles, Bakary se hâta d'aller s'enrôler, espérant que dans l'expédition il pourrait recueillir quelque butin qui lui permettrait de revenir s'e'tablir dans son pays.

Malheureusement, l'année ne fut pas favo- rable ; d'une part, les soldats firent des mar- ches et des contre-marches inutiles : les guides ne surent pas leur faire surprendre un seul village tant soit peu bien approvi- sionné ; et enfin, au moment l'armée de l'Almamy aurait pu atteindre une riche peu- plade, les blancs du littoral lui firent savoir que s'il voulait recevoir un honnête tribut d'argent et d'objets de traite, on allait les lui apporter à condition qu'il se retirerait aussi- tôt, tandis que s'il refusait cet arrangement, les troupes européennes l'attaqueraient et pendant trois ans ne permettraient plus la circulation des caravanes qui font la richesse de Fouta-Djalon.

L'Almamy, en homme prudent, accepta de si belles conditions ; mais comme on pense bien, il ne partagea pas son argent avec les soldats, de sorte que Bakary revint au pays fatigué de marches, de nuits passées sur la dure, de journées écoulés sans nourri- ture et ne rapportant rien pour sa part, pas

sKNÉuambie

9>

même an fusil pour faire la parade dans les

Pour comble de malheur, les parents de Houri l'avaient, bon gre, mal gré donnée en nariagfl à un vieux Marabout Mandin- gue qui ai quektt»e argent à écrire

de mediocre^aieur et qui, en- nuyeux, plein de prétentions, gonHé d'or- gueil parce qu'il savait tracer plus ou moins incompréhensibles sur du pa- pier blanc, avait voulu se passer la fantaisie de posséder une jeune et belle fille pour sa femme.

Bakary éprouva une grande douleur à la nouvelle du mariage de sa bonne amie ; il voulut lui en faire des reproches sanglants, mais la pauvre Houri lui rt:pondit bien fran- chement qu'elle ne s'était pas mariée par amour, que si elle pouvait quitter son mari elle ne demanderait pas mieux.

. de paroles en paroles, ils en arrivè- rent à un modus vivtiidi qui repondait aux

des deux jeunes cœurs et aux o: tious de l'existence.

Houri saisissait tous les prétextes pour al- ler dans un lieu retire de la campagne; elle y rencontrait Bakary. Quelques heures déli-

6-

02 CONTKS POPUI.AIHKS

cieuses s'écoulaient ainsi, puis elle revenait à la maison et le vieux Marabout ne savait rien de ce manège amoureux qui pouvait durer ainsi plus ou moins longtemps.

Malheureusement le vieux marabout avait un frère du nom de Mamadi. Ce frère, pres- que aussi vieux, assurément aussi laid et aussi orgueilleux, avait tout juste de quoi vivre et encore subsistait-il surtout des lar- gesses de son aîné : il n'avait pu faire la dot d'une femme; il n'avait pas l'argent néces- saire pour acheter une esclave et néanmoins, plein de désirs libidineux, il obsédait Houri de ses sollicitations.

La jeune femme avait le cœur trop plein de son cher Bakary ; on juge si elle le re- poussait avec horreur.

Un jour Mamadi étant parvenu à savoir son secret, lui dit que si elle résistait encore elle aurait à s'en repentir. Houri feignit d'en rire, mais elle prévint Bakary de cette par- ticularité.

Le mari mis au courant de tout com- mença à la rendre très malheureuse. Bien plus, Mamadi offrit à son frère de faire tom- ber Bakary dans un piège afin qu'il pût ren- voyer sa femme en réclamant sa dot et

M ! MBIK

avoir ainsi de quoi choisir une autre fille.

Le vieux Madiogue tecepu le mar, pour faciliter les cvcncnnn«, alla passer quelques semaines à la campagne, laissant Houri toute seule et par conséquent libre au village.

supplication de sa maîtresse, Bakary avait prié un de ses amis intimes, du nom d'Al assanc de l'accompagner pour faire le met quand il avait un rendez-vous : mais \ ne, persuadé qu'il n'y avait rien à

craindre de Mamadi, dormait au lieu de veiller l'ennemi.

Un jour il est brusquement réveilL un coup de fusil et des cris de femme : il se précipite à l'endroit étaient les amoureux et trouve Bakary baigné dans son sang, la tète fracassée par une balle.

Les cris de Houri continuant, il s'appro- che d'elle et que constate-t-il? L'ignoble Mamadi couchait la jeune femme en joue et lui disait :

« Si tu ne me cèdes pas. je te tue toi aussi, u

La pauvre tille plus morte que vive obéit, et, au moment elle était violée, intervient, se saisit du fusil qui était à deux

94 CONTES POPULAIRES

canons et dit au misérable que s'il faisait la moindre résistance il allait le tuer sans pitié. Mamadi interrompu dans ses exploits amou- reux trembla de tous ses membres et se laissa conduire jusqu'au tribunal sous la menace d'Alassane.

Quelle décision prirent les juges?

Eh bien! constatant que Mamadi n'a- vait pas tué Bakary pour venger l'honneur de son frère, ce qui eut été une action loua- ble, mais bien au contraire que ce meurtre n'avait été pour lui que le moyen d'assouvir une infâme passion, ils le condamnèrent à avoir le cou coupé, ce qui fut fait séance tenante.

De plus, comme la conduite de Houri était coupable aussi en ce qu'elle avait trompé son mari et causé la mort de deux hommes, elle eut la tête rasée et fut vendue comme captive.

Enfin, considérant qu'Alassane avait eu tort de prêter son concours à une expédition amoureuse, nuisible à l'honneur d'un habi- tant de la ville, il fut condamné à recevoir vingt-cinq coups de bâtons. Mais comme par ailleurs il n'avait pas hésité à livrer les coupables à la justice, même en s'exposant

LI LA ShNÉGAMBIK <p

a une punition, on lui adjugea le prix de la captive et même on lui permit de donner

L au bourreau le fusil dont il s'était em.

^pour que les vingt-cinq coups de bâtons ne fussent pai un trop vigou-

reuse. Quant au vieux Mandiagnt, on lui dit de

s'estimer heureux d'en être quitte au prix de la perte de la dot de Houri pour avoir épouse à son âge et tTOC imperfections cor- porelles ou intellectuelles une femme jeune et belle qui ne pouvait pas l'aimer.

l'homme qui avait beaucoup d"amis

I avait jadis dans un village du Oualo, riverain du bas Sénégal, un jeune Ouo- lof du nom de Mafal qui semblait être le plus heureux du monde, car il paraissait être aime it le monde sans exception dans le pav-.

il appartenait à une famille de Diam- bours, c'est-à-dire d'hommes libres (ce qui équivaut à la noblesse pour les Kurop 11 était bien fait, beau même, spirituel et riche. Il se plaisait à obliger ses voisins et Offrait souvent à ses amis du tabac, de l'eau- de-vie.

En outre, Mafal prêtait sans se faire prier de l'argent a ceux qui lui en demandaient, et

98 CONTES l'OI'lK.AIPES

il ne réclamait plus ensuite. Aussi était-il au mieux avec tout le monde.

Chaque jour, à chaque pas Mafal rencon- trait quelqu'un qui le bénissait, qui faisan des vœux pour son bonheur, qui lui adres- sait des protestations d'amitié', de dévoue- ment.

Ce qui lui était offert à tout instant par ses admirateurs en fait d'argent, d'étoffes, d'objets de nourriture, etc., dépassait assuré- ment ce qu'il donnait lui-même dans son extrême libéralité.

Etait-il malade, toute la contrée était triste ; songeait-il à faire une course, une partie de chasse, un voyage, chacun lui offrait son cheval, son fusil, sa pirogue.

En lui offrant tout ce qu'il paraissait dé- sirer on lui disait : « Prends et uses-en comme si c'était ta propriété même, car je suis moi avec tout ce que je possède à ton entière dis- position; compte, je te prie, sur mon affec- tion comme sur mon dévouement et cela quoi qu'il puisse arriver, dans toutes les cir- constances possibles de la vie. »

Mafal avait donc lieu de se croire l'homme le plus aimé de ses compatriotes et doté du plus grand nombre d'amis. Il en était infini-

DE I.A Sf f)tj

ment heureux, et pendant longtemps il dans celle douce illusion.

Mais un jour cependant le doute tm\ son esprit. Qui sait, se dit-il, si n nombreux amis sont tous au- .s que

ce qu'ils le disent N as surtout parce

que je suis riche, considère et influent qu'ils me font tant de protestations de dévouement .' Si jetais malheureux quelque jour, h rais-je dans les mêmes dispositions de sym- pathie vis-à-vis de moi. ou bien m'abandon- neraient-ils dans le malheur? »

Ces idées revenant sans cesse dans son es- prit. Matai résolut de savoir par expérience à quoi s'en tenir.

Voilà donc qu'un soir.au moment cha- cun reposait, il sort de chez lui a . tements en désordre avec l'air très inquiet et il va frapper à la porte de la case de celui de impatriotes qu'il croyait son meilleur ami.

« Qui est là? crie l'ami réveillé en sur- saut.

» C'est moi, Mafal.

Aussitôt la porte s'ouvre et l'ami arrive

.mpressement lui disant : « Que veux-

tu, que puis je faire pour te rendre service ?

,00 CONTES rOPULAlRES

use et dispose de moi et de tout ce que j'ai, car nous t'appartenons moi et les miens a la

vie, à la mort. », . . , .

Mafal répondit : Merci, jamais je n ai eu plus besoin de mes amis, et voici pourquoi:

"'aimais une jeune fille que je Pourra» de mes assiduités; par malheur le fils du Brac

en était aussi amoureux; bien plus, il m était

P'f Dans mon dépit, je l'ai injurié tantôt en le rencontrant et, comme il s'est mis a rire de ma colère, je lui ai donné un coup qui 1 a

tué.

,' Le Brac apprenant l'événement a or- donné qu'on me tuât de suite et qu'on con- fisquât tous mes biens. Il faut donc que ,e

me sauve. Je suis alors venu vers toi pensan que ta bonne amitié ne me ferait pas défaut dans cette circonstance.

Tu m'accompagneras, j'espère, pour me guider et me protéger dans ma fuite »

« Impossible, lui répondit l'ami, , ai mal au pied et j'ai la fièvre ; je ne puis mar-

CTEh bien! reprit Mafal, prête-moi ton

cheval. »

«Je ne puis, il est lui-même blesse. »

DE I.A SKNKOAMBIE IOI

« Donne-moi ta pirogue, je fuirai par la voie du fleuve.

i J'en suis désolé, mais elle lait eau et a besoin d'urgentes réparations.

« Donne-moi au moins quelque argent qui me servira ;t me tirer d'embarras.

« Impossible, je n'ai pas le sou.

Mafal reprit : « J'ai besoin d'un fusil, tu ne me refuseras pas le tien, car il peut me sauver la vie. »

i Jamais je ne fournirai des armes à un rebelle, car tu es un rebelle* Tu aurais te mieux conduire. D'ailleurs, il y a longtemps que je pressentais que, par ton inconduite, tes ridicules prétentions, tes mauvaises ha- bitudes, tu marchais à ta perte. Et, ma foi, comme je condamnais ta manière de faire, comme je n'ai jamais eu pour toi qu'un sen- timent d'indifférence mélangé de mépris, je n'hésite pas à te dire : va-t-en au diable!

Là-dessus l'ami ferme sa porte, ne voulant

.\poser à quelque ennui de la part du

gouvernement à cause de ses relations avec

un homme mis hors la loi, poursuivi, et

dont les biens comme la vie étaient menaces.

« Mafal ht tout le tour du village, disant sivement la même chose à chacun de

102 CONTES POPULAIRES

ses amis et recevant la même réponse. On lui refusait tout; bien plus, on l'accablait d'in- jures.

Il allait rentrer chez lui découragé et désil- lusionné sur le compte de l'affection de ses amis quand il songea tout à coup qu'un de ses voisins du nom de Samba semblait avoir dans les temps quelque sympathie pour lui.

Il se dirige vers sa case, mais il s'arrête bientôt en se souvenant que Samba est le parent du Brak et en outre qu'il vient de se marier le jour même.

« Il est inutile de tenter une démarche de ce côté, se dit Mafal, d'autant que je ne sau- rais vraiment lui en vouloir du refus qu'il va me faire bien certainement. »

Néanmoins il se mit à frapper à la porte. On lui ouvre, et il répète ce qu'il a dit déjà à tant de gens.

Le jeune marié entendant le récit que lui faisait Mafal lui répond aussitôt : « Tiens, voilà ma bourse; prends mon fusil et mon sabre; je vais envoyer mon captif dans ma pirogue, afin qu'il soit au point du jour dans l'endroit du fleuve qui est propice pour le passage d'un fugitif. Monte sur mon cheval et, de peur que tu ne t'égares en route, je

I)K I A StNÉGAMhlK I03

vais le conduire par la bride. Je suis très at- triste d'apprendre le malheur qui vient d'ar- river au fils du Brak mon parent; mais tu es mon ami et je t'aime trop pour juger si dans cette circonstance tu as bien ou mal fait. Je me contente donc de mettre tout mon dévouement à ton service.

Ils partent; au point du jour, Mafal arrivé sur les bords du Meuve remercie son ami et exige qu'il retourne à sa case auprès de sa jeune femme maintenant que, grâce à sa pi- rogue, il est hors de danger.

Après bien des résistances Samba se décide à rentrer chez lui, et il ne tut pas peu étonné de retrouver Mafal sur la place du village;car, comme on le devine, toute l'aventure du meurtre et de la proscription n'était qu'une pure invention destinée à éprouver les nom- breux amis de l'homme influent.

Matai put donc dire à tout le monde désor- mais : « Quand on a cru que j'étais heureux, je comptais mes amis par centaines, et le jour on a pensé que j'étais malheureux je n'en ai trouvé qu'un; mais, ajoutait il, je ne me plains pas du sort, car beaucoup, en pareille circonstance, n'auraient rencontré plus per- sonne. »

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VI

L\VMI indiscki.i

IL n'y a pas très longtemps vivait dans le village de Malembélé sur la rive gauche du Sénégal à quelques kilomètres à peine de la pointe de Bafoulabé; c'est-à-dire de l'endroit le Baîing et le Bakou se réunissent pour former le Sénégal, un Sara- colais du nom de Ousman.

Cet homme qui appartenait à une pauvre famille des environs, avait obéi dès son ado- lescence à la passion dominante des Saraco- lais pour les voyages. Il était parti un beau matin pour les pays inconnus avec une cara- vane qui venait du Kaarta et qui se dirigeait vers Bakel.

Arrive là, Ousman s'était loué comme

IOO COMTES !OI'UI-AIKKS

homme de peine pour gagner quelque peu d'argent puis s'était remis en marche à la fin de la saison de la traite. Se laissant aller ainsi à la douhle humeur de voyage et de négoce, il avait parcouru peu à peu la hasse Sénégambie jusqu'aux rives de la Casamançe.

Pendant qu'il était à Sedhiou il fit la con- naissance d'un autre Saracolais qui était, lui, du village de Diorouné, dans le pays de Ba- kounou, et qui avait séjourné dans son en- fance pendant quelques mois dans les envi- rons de Malembelé.

Le sujet de leur conversation avait souvent roulé sur leur cher fleuve que Ousman avait toujours présent au cœur et à l'esprit bien qu'il fût éloigné de son pays depuis un temps très-long. Mais tous deux espéraient le revoir un jour quand ils auraient acquis un peu de bien-être pour vivre honnêtement dans leur pays natal.

Grâce à une économie de tous les jours, à un soin constant pour son négoce, Ousman arriva un beau matin à posséder quelques économies; c'était à peine ce qui aurait suffi à l'existence de tous les jours à sainte Marie Bathurst ou à saint Louis; mais c'était presque la richesse à Malembelé.

DE LA SKNKGAUBIE IO7

Aussi l'économe Saracolais se mit en me- sure de regagner son payi natal pour y jouir de ses revenus et passer doucement le restant des jours qu'il avait a \i

Des marchands Mandingues venaient d'ar- river du haut Kahou amenant des captif» qui leur portaient des dents d'ivoire et qu'ils vendaient jadis aux traitants français; ne pouvant plui vendre ce-- Ml même

temps que leur ivoire, ils étaient noifl géants sur les prix, aussi Ousman put-il, en leur donnant le fond de sa boutique dont il avait déjà vendu les meilleures portions acquérir un captif fort et vigoureux uiiw qu'une jeune tille à peine pubère dont il ht sa ménagère et qu'il se proposait de pren- dre régulièrement pour femme une fois quils seraient arrivés à Malembele.

Au moment de partir de Sedhiou, Ousman s'en alla voir Demba, lui rappela que Ma* lembelé était sur la route de Diorouné, et lui dit qu'il serait enchante de lui offrir l'hospi- talité le jour le hasard l'amènerait de ce côté.

Demba était bien égoïste et bien gourmand, il avait maintes fois donné des preuves de cœur grossier et de nature médiocre; mais

I08 CONTKS l'Ol'ULAIKES

cependant Ousman se dit que sa démarche était commandée par le devoir nous sommes tous de garder un bon souvenir de ceux avec lesquels nous avons été en rela- tions dans les pays éloignés de la maison pa- ternelle; aussi fit-il ses offres d'hospitalité de très-bon cœur.

Ousman arriva à Malembelé comme il le désirait, son captif ne s'était pas blessé en route, les Toucoulors ne l'avaient pas ran- çonné, il s'était débarrassé avantageusement de tout ce qu'il possédait de marchandises, de sorte que le sort lui souriait.

Il se mit à construire une case commode, vaste même; il fit défricher un lougan con- venable par son captif, et bien que la jeune fille qu"il avait achetée à Sedhiou, Aïssita, restât trop froide et indifférente vis-à-vis de lui à son gré, il la prit pour femme, l'aimant en attendant qu'elle le payât de retour.

Il se mit donc en devoir de jouir douce- ment de l'existence avec la tranquilité que possède celui qui a la conscience d'avoir honnêtement fait quelques économies dans le courant de son existence de jeune homme.

Tout, était pour le mieux. Ousman avait eu à la dernière saison une abondante récolte

M l.A SKNEGAMBIE 1 O9

de coton et de mil; au point qu'il avait fait le projet d'aller porter le surplus de sa pro- vision au marche de Médine dans le Khasso. Il allait menu- partir le lendemain matin ; tout était disposé pour le voyage, lorsque Demba, son ami de Sedhiou. arrive à Malembelé, ve- nant lui demander l'hospitalité.

Que taire en pareille occurence? Après ré- flexion Ousman dit au voyageur : repose-toi chez moi, ma femme et mon captif seront à tes ordres pendant que je ferai la course que que je ne puis plus me dispenser d'entre- prendre maintenant; dans une semaine quand ai de retour tu me feras l'amitié de res- ter encore quelques jours en notre compa- gnie. Nous parlerons du temps nous étions à Sedhiou et nous passerons de bonnes heu- res ensemble avant de nous séparer définiti- vement.

Ce qui fut dit fut fait; Demba resta maître de la maison d'Ousman et comme t. aussi curieux qu'une vieille femme il se mit à observer tout ce qui se passait autour de lui.

Or il faut dire qu'il ne tarda pas à s'aper- cevoir d'une chose que Ousman n'avait jamais vue : c'est que Aïssita qui était du

I 10 CONTES POPULAIRES

même pays que le captif avait pour lui un sentiment tendre qu'elle n'avait pas pour son mari.

Le laborieux Saracolais avait bien pu ga- gner une honnête aisance, il n'avait pas pu acheter une honnête fille; et bien que la chose fût très bien dissimulée il n'en était pas moins positif qu'il était un mari trompé.

Lorsque Ousman revint de Médine après une semaine d'absence, il fit son possible pour être aimable vis-à-vis de Demba; comme il savait son faible pour la gourmandise il redoubla les recommandations à sa femme; mais Demba au lieu de jouir en silence de l'hospitalité qu'il recevait, et surtout de ne pas faire de la peine à son ami ne put résis- ter à ses habitudes de bavardage.

Peu d'heures après que son ami était re- venu, il profita de ce qu'il lui demandait ce qu'il avait vu de curieux pendant son absence pour lui dévoiler le secret de sa maison dans les détails les plus pénibles pour un mari.

Ousman dont le cœur souffrait beaucoup de cette confidence cherchait une excuse pour atténuer sa douleur; il disait à Demba : Qui sait? tu te trompes peut-être; mais celui-ci était trop maladroit pour s'arrêter en chemin

DE I A SENEGAMBIE

dam ses sottises; croyant qu'il avait un inté- rêt capital à convaincre le malheureux mari il voulut, malgré lui, lui donner des preuves. i effet il lui montra triomphalement un trou ménagé' dans le mur, dissimulé sous des nattes et des sacs ; plus de doutes à avoir, le captif pénétrait la nuit chez sa femme alors qu'il reposait, lui tranquillement et sans

aucune méfiance.

Demba prolongea son séjour à Malembelé dans le malin plaisir de voir comment Ous- man prendrait son parti de ses ennuis do- mestiques, tous les jours il lui demandait ce qu'il allait taire; si bien que le pauvre mari trompe, poussé à bout, voulut en tinir avec l'importun.

I effet il appela un jour sa femme et lui dit sans lui laisser rien deviner de ses projets, a Vous préparerez pour demain midi le plus succulent couscous qui ait jamais été servi à un Saracolais vivant de ses rentes ; des que vous l'aurez servi à Demba et à moi vous partirez pour aller rejoindre notre cap- tit dans le Lougan; vous ne revendrez qu'après le coucher du soleil. »

Le lendemain à midi, au moment Demba entra à la maison venant de faire une

112 CONTES POPULAIRES

bonne promenade, il trouva Ousman assis et réfléchissant profondément; un demi-sourire triste et résigné éclairait sa figure, il flaira quelque disposition décisive ; mais au même instant son odorat fut saisi de l'odeur la plus délicieuse qui pût frapper un bon Saracolais : Le couscous d'Aïssita faisait son entrée ; le gourmand n'eut pour le moment plus d'au- tre pensée que celle du désir de faire un excellent repas.

A peine eut-elle déposé le plat de couscous devant le chef de la maison et son ami, Aïssita pris son pagne comme c'était con- venu et s'éloigna de la maison.

Demba avait hâte de commencer à manger, aussi, laissa-t-il. sans faire aucune observa- tion, Ousman sortir de la pièce ils al- laient déjeuner; au contraire, il profita de la très courte absence que faisait le propriétaire de la maison pour ingurgiter autant de cous- cous qu'il put.

Que fit Ousman en laissant son ami dévo- rer tout seul le couscous? il alla à la cuisine et plaça dans le pot qui avait servi à cuire le repas, certains résidus immondes de la di- gestion humaine qu'il avait eu soin de re- cueillir en cachette et qui souillèrent désor-

i k i.a t#rifttfiTtf*Tt

mais de la façon la plus dégoûtante, la vaisselle dans laquelle le couscous avait ete préparé.

Quand Ousman rentra, Demba lui de- manda par manière d'acquit d'où il venait, mais surtout il exalta l'excellence du couscous qui était devant lui, et qu'il dévorait glou- tonnement sans perdre une minute, comme s'il eût voulu tarir le plat à lui seul.

Le moment de boire arriva enfin et Demba repu au delà de la limite du possible, c dire ayant mangé plus de couscous qu'un maure ne peut en regarder, dit à son ami : « Comment donc a-t-on préparé ce délicieux mander auquel je trouve un goût savoureux que je ne connaissais pas et que je ne croyais pas possible jusqu'ici! Pourquoi n'en as-tu pas goûté .; fit-il en jetant un dernier coup d'icil de convoitise impuissante sur ce qui testait au fond du plat.

Ousman lui répondit alors : Ce couscous que tu as trouvé si délicieux est fait avec : telle Mbstance qu'il lui nomma, laquelle est con- venablement préparée par ma femme et pour cela que tu l'as trouvé si savoureux. Mais c'est aussi pour cela que je n'en ai pas mangé.

A cette révélation Demba remué jusqu'au

, ,4 CONTES POPULAIRES

fond des entrailles par le dégoût se dressa de son haut comme pour échapper par la fuite h l'impression pénible qu'il éprouvait; il ht un signe d'incrédulité sans rien répondre, cherchant ainsi à arrêter la confidence de son hôte dès le début.

Mais ce n'était pas le compte d'Ousman qui s'était dressé aussi, qui le suivit dans la cour, et qui, le prenant par le bras le mena jusqu'à la cuisine.

Là, saisissant un pot chaud encore du cous- cous qu'il avait contenu, il lui montra quel- que chose qui était aux yeux de Demba la preuve matérielle, indiscutable, de l'assertion, qui avait été émise sur l'origine de ce déli- cieux couscous.

Vaincu par l'évidence des faits, Demba sentit une nausée le prendre à la gorge, il se débattit, mais pas longtemps, sous l'étreinte de la vue d'une pareille horreur, et aussitôt l'aliment qui lui avait paru si savoureux prit convulsivement le chemin opposé à celui que le gourmand venait de lui faire prendre tantôt. Le malheureux mystifié ne pouvait écarter de son esprit le dégoût qui allait en augmentant à mesure qu'il y songeait d'à. vantage.

M I A StsicAMBlK I I 5

Le moment fut long et douloureux; les spasmes ne s'arrêtèrent que lorsque depuis longtemps tout le couscous avait quitté l'es* tomac du héros qui, jetant par hasard un coup d œil sur son ami, lui vit au lieu du demi-sourire triste et resigné un air nar- qois et satisfait qui lui alla au cœur.

Blessé ^e saisir chez Ousman un pareil sentiment, il lui dit d'un accent de repro- che : « Ah! pourquoi m'as tu dégoûté ainsi de ce que j'aimais le plus? pourquoi quand tu voyais que je ne croyais pas à l'horrible chose que tu me racontais, as-tu cruelle- ment tenu à me donner les preuves de ce que tu avais avance. Va; tu es bien coupa- ble, tu m'as dégoûté à jamais du couscous ; « Tu m'as bien dégoûté de ma femme sans prendre pitié du désir que j'avais de ne pas croire à ton assertion, lui répondit Ous- man ; eh bien! nous sommes quittes mainte- dont.

Nous avons besoin de demander pardon au lecteur des détails de l'histoire; la faute en est aux Saracolais qui ne sont pas trop scru- puleux sur la mise en scène des légendes. Mais pour être nauséabond, le conte n'en renferme pas moins Hne leçon de philoso-

I ib CON'IES POrUI.AlKKS DS I.A 5ÉNÉGAMBII

phie positive que d'autres gens que les noirs sénégambiens sauraient présenter d'une ma- nière différente, sans cependant la rendre plus instructive pour les indiscrets qui ne veulent pas garder pour eux les remarques qu'ils sa- vent devoir être désagréables aux autres.

vu

LEGENDE DK LHOMME QUI AVAIT LK SOMMEIL POUR SA PART

Il y avait jadis dans le pays des Man- dingues un homme qui avait une cer- taine aisance, des troupeaux, des marchandi- ses et même nombre d'objets de prix de caches dans la case. Il avait trois fils qui vi- vaient dans le même pays, mais loin de la maison paternelle, et qui n'avaient pas entre eux l'affection qui existe ordinairement entre MT6S.

lu jour le père tomba malade et bientôt succomba ; ses trois fils se réunirent pour lui donner des soins, puis pour l'inhumer. Lors- que le corps fut mis en terre, ils s'en allèrent chacun de leur côte, ayant convenu de se

, ,8 CONTES l'Ol'Ul-AlkKS

rendre le lendemain à midi; près de la case du défunt, pour partager entre eux la suc- cession paternelle.

Le plus jeune qui aimait beaucouq son père, était très profondément attristé; il passa la nuit en méditations pieuses, regret- tant l'homme qui lui avait donné le jour; il se sentait isolé désormais, car il savait que ses frères ne lui voulaient aucun bien et que, malgré les recommandations incessantes du vieillard, la bonne harmonie n'avait pas ré- gné entre les trois fils.

Il arriva le premier au rendez-vous, non pas qu'il fût plus rapace que les autres, bien au contraire c'était bien certainement un homme généreux à l'occasion et sans mau- vais sentiments ; mais ne pouvant penser à autre chose qu'à son père défunt, il avait été attiré dans les environs de la case par attrac- tion du cœur dès le matin.

Un peu avant midi, ne voyant pas venir ses frères, il s'assit à l'ombre d'un arbre qui avoisinait la case; sa paupière s'alourdit bientôt et, comme il avait veillé pendant toute la nuit précédente, il céda à un pro- fond sommeil.

Ses deux frères arrivèrent peu après ; ils se

DL LA bLNl'.CAMblK

détestaient profondément. Mais ils haïssaient encore davantage le plus jeune pour la rai- son qu'il avait quelques bonnes quai.: que les mauvaises gens ne peuvent pas souf- frir ceux qui ne leur ressemblent pas.

1 1 . chacun avait pris des détours oratoi- res pour proposer à l'autre de faire part à deux au lieu de trois, quand ils aperçoivent leur frère couché et profondément endormi au pied de l'arbre.

Cette posture fut l'excuse de récrimina- tions communes. Voyez dit l'un, com- bien il regrette son père, puisqu'il fait >a sieste dans un pareil moment. »

Bref, la proposition d'un partage injuste est laite, acceptée et mise en pratique in- continent.

Ce partage fut fait rapidement; chacun des deux intéressés étant moins chicaneur que de coutume à la pensée qu'il avait plus qu'il n'avait espère ; et, au moment le der- nier animal partait, la dernière charge de marchandises était emportée, le dormeur illa. tôt ses frères devant la case paternelle il se hâte d'aller vers eux. O stupéfaction, la case est vide, tout l'héritage a disparu; il

120 CONTES rOrULAIRES

manifeste son étonnement, mais l'aîné qui était le plus dur et qui l'avait toujours haï particulièrement, lui dit en ricanant :

« Tu n'as plus rien à demander ; nous avions fait trois parts de la fortune de notre père :

Première, le sommeil ;

Deuxième, les troupeaux;

Troisième, les marchandises.

Sans nous consulter tu as commencé par prendre le sommeil pour toi ; nous n'avons plus eu qu'à partager le reste et tout est fini maintenant; tu n'as plus rien à réclamer. »

Nombre de curieux, des désœuvrés, des voisins qui étaient venus peu à peu se grou- per dans les environs pour voir ce qui allait se passer à ce partage, car tout le village connaissait la mauvaise foi des deux fils aî- nés, entendirent ces paroles.

Un murmure de désapprobation avait par- couru la foule tout d'abord ; mais, comme on connaissait les intéressés violents et vin- dicatifs, chacun s'était dit : Au fond la chose ne me regarde pas ; et bien plus en enten- dant cette cruelle plaisanterie, surtout en voyant que le jeune frère restait comme con- fondu sans songer à la résistance, un sourire

DE 1 I IBIE 12 1

gênerai parcourut l'assemblée : Voilà, disait- on, un curieux partage d'héritage.

Le pauvre déshérité, songeant au scandale qui se passait, voyant que la mémoire de son père servait de prétexte à des faits qui allaient devenir le texte de toutes les con- versations et de toutes les médisances, fut profondément affligé1 et parut résigne. M.u> au fond de son Oflaur un sentiment de ven- geance venait de naître.

Un parti fut arrêté instantanément dans son esprit; il se tourna vers les voisins et leur dit :

a Eh bien; j'accepte, vous êtes tous té- moins et garants du marché ; » le partage est fait; à chacun son lot.

Mais souvenez-vous que la loi dit que le frère qui cherche à soustraire à son frère une partie de son héritage mérite la mort.

« Ma part est minime, néanmoins elle me sutlit et malheur à celui de vous deux, dit-il en se tournant vers ses frères, qui essaierai! de m'en ravir la moindre parcelle. »

Chacun se retira de son côté, nombre d'habitants révoltes de l'injustice auraient volontiers pris fait et cause pour le pouille; mais comme l'intéressé lui-même

122 CONTES POPULAIRES

paraissait s'être résigné et que les détenteurs de l'héritage étaient puissants autant que mauvais coucheurs, personne ne crut devoir prendre une initiative dans l'affaire.

Pendant plusieurs semaines ont vit le dé- possédé qui ne marchait plus qu'armé d'un bâton noueux sur lequel il s'appuyait pour demander l'aumône, errer de case en case, obtenant de la charité publique quelques bribes de couscous. Quand on lui parlait de l'injustice de ses frères il répondait.

« C'est fini, j'ai accepté le partage, mais qu'ils prennent bien garde; s'ils essayaient de me dépouiller de mon lot, il leur arrive- rait malheur. »

Les deux autres frères devenus plus riches, jouissaient de leur aisance sensiblement aug- mentée ; ils eurent bientôt de plus beaux ha- bits, et n'ayant plus besoin de travailler, ils passaient toute leur journée acroupis au pied des grands arbres plantés sur la place du village, se font les palabres et il y a le cercle des conteurs d'histoires et de nou- velles.

Un jour il faisait très chaud, on était à la fin de l'hivernage, la conversation lan- guissait; le frère aine qui probablement

DE I.A ShSfcGAMBlE I 2 j

avait copieusement déjeûne se laissa aller au sommeil après avoir pris une position com- mode et avoir plié avec soin un pagne pour s'en faire un oreiller*

A ce moment le déshérite vient à passer; il voit la situation d'un coup d'œil et s'appro» che du dormeur.

Avant que personne n'ait eu le temps de souiller mot, il brandit son bâton noueux et lui tracasse la tête du premier coup.

Uu cri d'horreur s'échappa de toutes les poitrines, mais lui. regardant l'assemblée le front haut, lui dit :

Je vous ai pris à témoins pour le partage, je vous somme de répondre dans ce mo- j ment; mes frères m'ont laissé le sommeil pour tout bien. Celui que vous voyez ne me le volait-il pas en dormant tout à l'heure? La loi punit de mort le frère qui cherche à dérober la part d'héritage de son frère, je l'ai surpris en flagrant délit de vol. »

Chacun s'écria sans hésiter : il a raison, et

personne ne songea à l'arrêter; l'Almany

! instruit Je la chose l'approuva et décida qu'il

'devait, en sa qualité de frère, hériter de la

moitié de ce que possédait le défunt.

L'autre frère comprit alors dans quelle

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124 CONTES POPULAIRES DE LA SÉNÉGAMBIE

voie il s'était engagé, et ramassant précipi- tamment tout ce qu'il possédait avant la mort de son père il s'expatria, laissant a ce- lui qui avait été déshérité primitivement sa part d'héritage et même sa part de la fortune de l'aîné.

Le deshérité devint ainsi l'unique posses- seur de toute la fortune paternelle, alors que ses frères avaient voulu lui enlever sa part légitime.

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Les coûtes ei les légendes que nous ve- nons de fournir, touchant les défauts, les travers un les vices des individus ne le cèdent en rien, comme on a pu le voir, à ceux que nous avons rapportés dans la pre- mière partie relativement aux qualités du cœur et de l'esprit. En effet, quel que soit le point de vue auquel on se place, on constate que l'esprit d'observation ne fait pas défaut. Sans compter que dans plus d'un de ces con- tes il y a une leçon de philosophie qui ne serait à dédaigner par aucune race d'hommes, même la plus élevée dans la hiérarchie ethnographique.

La légende des trois fils de Noë n'est très

I2Ô CONTES POPULAIRES

probablement et même certainement pas d'origine sénégambienne, car «lie implique une connaissance de l'Ancien Testament qui ne peut avoir été fournie que par des étran- gers au pays, - Européens ou Africains du N -E. Mais si elle n'a pas été imaginée par les nègres, elle a été si bien comprise par eux et a si bien répondu à un fait qu'ils ont apprécié, qu'elle s'est implantée dans leur es- prit et y a pris droit de cité.

Dans l'histoire de celui qui se fit servir par le roi, nous voyons la pointe plaisante du sage qui sourit de pitié en songeant à l'or- gueil des grands ; et qui amène à montrer la fragilité et l'inanité des choses humaines. Elle entre dans la grande catégorie de la pensée formulée si plaisamment par notre immortel chansonnier:

Il faut bien que l'esprit venge L'honnête homme qui n'a rien.. ..

La chasse au lion des Bagnouns souligne la naïveté, la maladresse, l'infériorité intel- lectuelle d'une peuplade ; et ressemble telle- ment aux histoires analogues de tous les pays, qu'on peut dire sans crainte de se

DE I.A SÉNÉGAMBIE 127

tromper que les nègres ne présentent sou* M rapport aucune infériorité de*

autres hommes.

Les contes et les légendes dont nous ve- nons de parler tout en ayant leur valeur incontestable dans l'ordre des choses de i put, et tout en démontrant que le ni négambien n'est pas aussi dépourvu de bon sei^. ^'esprit d'observation ligencc,

qu'on serait tenté de le croire Je prime abord, ne présentent par la portée philoso- phique de ceux dont ii nou^ parler. Ce sont des histoires pour rire, peut-on dire, à ce titre portant sur des sujets qui font moins réfléchir l'observateur.

Mais les légendes du beau-frère coupable, de l'homme qui avait beaucoup d'amis, de l'ami indiscret, de celui qui avait le sommeil pour sa part, ont une portée philo- sophique bien autrement étendue et remar- quable.

En effet, dans l'histoire du beau-frère

mpable, nous y voyons la peinture de si- tuations dignes d'inspirer quelque chose Alexandre Dumas fils dans l'étude qu'il a entreprise de ce qu'on pourrait appeler les maladies de l'amour. C'est ainsi que, tout

128 CONTES rOI'Ul.AIUES

d'abord, elle souligne ce fait: que les jeunes gens qui s'aiment ne peuvent pas écouter toujours le cri de leur cœur à cause des exi- geances sociales qui imposent à l'amour des barrières que la raison re'prouve, mais que la force des choses maintient obstiné- ment.

D'autre part, on voit que sur les rives du Sénégal, comme sur celles de la Seine, l'ar- gent est une puissance considérable. Avec de l'argent la vieillesse, la sottise, la bêtise, la santé ruinée, la laideur repoussante, triom- phent de l'amour et foulent aux pieds les ré- pulsions du cœur de la jeunesse.

Dans cette légende, nous voyons aussi la peinture saisissante de vérité du libidineux gredin stigmatisé par Molière sous le nom de Tartuffe. Coquin qui tout en ayant hypocri- tement l'air de rendre service à un ami ou un parent, de travailler pour la morale et le bon droit, ne cherche en réalité qu'à assou- vir ses ignobles appétits.

Enfin, il n'est pas jusqu'à la sentence des sages qui est pleine d'imprévu et de détails bien faits pour en faire ressortir les idées multiples devant lesquelles l'esprit se prend à dire que celui qui a imaginé cela était vrai-

DK LA SÉNÉUAMBIE IÎQ

ment un profond connaisseur du cœur hu- patio.

La légende de Matai qui avait beaucoup d'amis nous prouve que l'idée fondamentale du proverbe latin : Donec Jelix eris multos mtmerabis amicos, se rencontre dans la pen- sée des oégrei léoégambititl aussi bien que

chez les Kuropéens.

L aventure de l'indiscret ami toute difficile à raconter quelle soit dans notre pays le langage et les idées ont moins de liberté d'allures que sur les bords du Sénégal, con- tient une leçon de philosophie si vigouseuse- ment indiquée qu'on ne songe pas aux gros- sièretés de la mise en scène quand l'esprit est lance dans cette direction : Tu m'as bien oégoûtéde ma femme! dit par lemari trompé qui avait vécu tranquille jusque ne se trouverait pas déplacé en tant qu'idée de philosophie naturaliste chez les peuples euro- péens qui ont la prétention d'occuper le premier rang anthropologique.

Enfin la morale qui se dégage de l'histoire de l'homme qui avait le sommeil pour sa part, tout en étant horriblement cruelle, montre un fond d'amour de la justice allant jusqu'à la férocité et une révolte de l'esprit

I 30 CONTES POPUt.AIKES DE I.A SÉSÉGAMBIE

contre l'injustice et le vol qui fait paraître le crime moins épouvantable, quand on ne songe qu'à la partie philosophique de ce qu'a voulu faire ressortir le narrateur.

TROISIÈME PARTIE

CONTES ET LEGENDES QUI ONT TOUR BUT

LA GLORIFICATION DE L ISLAMISME

TROISIEME PARI II

p^v \ n s cette partie de notre livre nous «k— * avons rapporté un certain nombre de la catégorie la plus nombreuse des lé- gendes sénégambiennes. En erïet, c'est surtout les contes, histoires, légendes, ayant pour but la glorification de l'isla- misme qu'on entend raconter quand on demande à un nègre de dire quelque chose d'intéressant. Et si je n'avais été retenu par la crainte de donner à ce recueil une trop grande longueur c'est par douzaines que j'aurais pu procéder dans mon énu- nération.

]34 CONTES TOPULAIRES DE LA SÉNÉGAMME

Cependant ces légendes sont moins in- téressantes pour nous que les autres, parce qu'elles sont évidemment d'origine étran- gère au pays et n'ont eu qu'un mérite à nosyeux, celui de s'implanter dans l'esprit des nègres aussi solidement pour y pren- dre racine. Cetts raison de iextraénité de ces légendes fait qu'au lieu d'en rap- porter un nombre aussi grand que lors- qu'il s'est agi des qualités ou des travers de l'esprit et du cœur, je me bornerai aux suivantes :

I. La légende du croyant qui priait sou- vent.

II. La légende du bracelet rapporté par un poisson.

III. La légende de Koli bentan.

IV. La légende des faveurs accordées aux nouveaux convertis.

$♦$♦$♦$

LKGKNDK DU CROYANT QUI l'Htm SOI | I M I.hM ^:'^.K \ll JxMAlS UK l. V : DIVINK.

Ii v avait jadis dans les plaines qui bor- dent le Sénégal, aux environs de M.i- tam, un homme du nom de Osman qui vivait simplement, craignant Dieu et accomplissant depuis son enfance tous les devoirs de la re- ligion sans jamais y avoir manqué ni même s 'être ralenti un seul instant dans son zélé fer\ent.

Il avait acquis quelques biens par un tra- vail incessant ; il avait eu de nombreux en- fants qu'il avait élevés dans la crainte du Tout-Puissant et la sévère observation des lois du Coran; et par une grâce spéciale il

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] 36 contes rorui. AIRES

était arrivé à un âge avancé sans avoir jamais éprouvé un malheur quel qu'il fût.

Dans maintes circonstances, ses voisins frappés de ce que tout lui réussissait, l'avaient félicité de son heureuse chance, mais lui, qui ne s'était pas laissé aveugler par le bonheur, leur répondait que tout cela n'arrivait que par la permission de celui qui commande à toutes choses et que ceux qui ne sont pas heureux en ce monde sont souvent plus cou- pables qu'ils ne croient, car c'est à leur im- piété qu'ils doivent leur malheur.

Il disait aussi que, même lorsque les épreu- ves les plus dures sont imposées à un homme par les décrets de la Providence, il y a béné- fice à prier et s'incliner sans murmurer, car le croyant finit toujours par être récompensé de sa vertu.

Un de ses voisins, d'ailleurs aisé et heureux, presque autant que lui, bien qu'il n'eût ja- mais prié avec ferveur, qu'il ne se fût pas privé de liqueurs fortes quand il allaita l'es- cale et qu'il eût plus d'une fois rompu le jeûne imposé par la religion à certaines épo- ques, plaisantait souvent la pusillanimité du croyant; lui disant; que toutes les prières ne servaient a rien en définitive; que Dieu

M LA SKNÉCAMBIE

n'existait peut-être pas et que s'il réellement, il était dans tous les cas si loin et si occupé d'autres affaires qu'il ne songeait assurément pas à tenir compte de quelque chose d'aussi peu important qu'une prière lite à l'heure, qu'un jeûne ou telle autre pratique religieuse. Une nuit, tout le monde était couché tran- îillement, jouissant d'un repos gagné par le chaude journée, quand un bruit inso- lite, des coups de fusil, des cris, viennent brusquement jeter la terreur dans toutes les habitations ; une bande de pillard» armes était tombée inopinément sur la tribu pour s'emparer des troupeaux, des provisions et en réduire les habitants en esclavage.

Osman saute hors de l'habitation armé de son fusil pour défendre son bien contre les malfaiteurs; mais avant d'avoir eu le temps de se mettre en défense, il est terrassé, saisi, garrotté et entraîné au loin. Il marcha ainsi pendant plusieurs jours, conduit par ses ra- visseurs, manquant de tout et souffrant tou- tes les douleurs physiques et morales, car il I qu'étaient devenus ceux qu'il

aimait tant. 11 était assurément le plus mal- heureux des hommes; mais néanmoins,

I 3S CONTES POPULAIRES

malgré les privations, les mauvais traitements il ne murmurait pas contre les décrets de la Providence et répétait à chaque instant : que la volonté de Dieu se fasse!

Osman fut mené à un marché éloigné vendu comme captif et, chose étrange, son nouveau maître venait d'acheter son voisin l'irréligieux qui, comme lui, avait été pris, garrotté et enlevé par les pillards.

Ils furent attachés à une même chaîne pour faire le chemin qui les séparait du pays de leur acquéreur et c'était vraiment chose curieuse que d'entendre les deux captifs; à chaque pas Osman disait une parole de rési- gnation ou de prière, tandis que son cama- rade proférait une plainte, un blasphème ou une malédiction.

Un soir qu'ils s'étaient arrêtés dans un en- droit assez couvert de broussailles, la sur- veillance des maîtres se relâche un peu ; une occasion de fuite se présente aux deux mal- heureux captifs. Sans qu'ils eussent besoin de se consulter longtemps ils s'échappent, s'enfoncent dans les fourrés et sont bientôt à l'abri de toute poursuite.

Le pays était désert, de sorte qu'après quelques heures de marche ils purent se con-

M LA SKSfcGAMlilE

sidérer comme entièrement delivres; mais leur condition n'était guère brillante, et en effet ils étaient au milieu des champs n'ayant plus à craindre des hommes, il est vrai, mais ils étaient attachés aux deux bouts d'une même chaîne rivée à leurs pieds et n'avaient aucun instrument capable de rompis anneaux de malheur qui les meurtrissaient, en leur enlevant la meilleure partie de leur force et de leur agilité.

Ils cherchèrent par mille moyens à briser cette chaîne, et n'y parvenant pas chacun des deux hommes exhala son chagrin à sa ma- nière ; Osman par une prière fervente et ré- résignée, l'autre par des jurons et des malé- dictions capables de faire trembler les plus hardis et de provoquer les plus grands mal- heurs.

La punition d'une pareille impiété ne se ht pas longtemps attendre; un lion attiré par les éclats de voix du blasphémateur arrive sur les lieux en deux bonds et trouvant la proie à son gré, il brise la poitrine du pri- sonnier d'un coup de griffe tandis que d'un coup de dent il fait deux morceaux de son corps.

Osman terrifié, comme on le pense bien.

I4O CONTES POPULAIRES

crut que sa dernière heure était sonnée, d'autant plus que le lion en dévorant son ca- marade lui jetait des regards qui signifiaient clairement que son tour arriverait bien- tôt.

Tout à coup un second lion accourt pour prendre part à la curée, et la jalousie aidant, au lieu de se saisir d'Osman, il veut disputer au premier les lambeaux de chair qu'il dévo- rait.

Voilà les deux bêtes féroces qui se battent avec une ardeur inouïe, poussant des rugisse- ments épouvantables, oubliant tout ce qui ce passait autour d'eux, de sorte que le malheu- reux Osman qui n'avait pas cessé de recom- mander son âme à Dieu peut s'éloigner de ses affreux animaux, et traînant une jambe de son malheureux compagnon au bout de la chaîne fixée à son pied, il se glisse dans les herbes et arrive bientôt sur la berge du fleuve.

Les lions voyant tout à coup que leur proie leur échappait bondirent jusqu'à lui, mais pas assez tôt cependant pour l'empêcher de se jeter à l'eau, de sorte qu'il put se dérober à leur voracité, et se croyant sauvé, il se hâta d'adresser une prière de remerciement

DK I.A SÉNÉGAMBIE 141

;iu Tout-Puissant avant même d'avoir atteint l'autre rive Je la rivière.

Il n'était pu au bout de ses peines ; en effet,

une énorme caïman survient, saisit la jambe

du blasphémateur restée attachée à la chaîne

11 d'Osman et gagne le fond se dirigeant vers

sa tanière.

Le malheureux croyant se sentant en- traîné crut que sa dernière heure était bien I arrivée, et il adressa encore une fervente | prière au Tout-Puissant, puis avec la rapidité de la pensée et mille fois plus vite qu'il ne faut pour le dire, il passa sa vie en revue pour Mt souvenir du nom de tel ennemi qu'il avait pu avoir, car on sait sur le bord du Sé- négal, de la Gambie et de la Casama nce que le caïman qui vous saisit n'est que l'âme d'un ennemi dont on a désiré la mort.

On sait surtout qu'en l'appelant par son nom et en lui disant sévèrement, au nom de

Dieu Tout-Puissant, de s'en aller sans plus

us inquiéter, l'ennemi confus de se voir ainsi découvert vous abandonne.

Mais Osman avait toujours vécu sainte- ment, il ne connaissait personne qui lui vou- lût du mal, il n'avait jamais désiré le malheur de son semblable; aussi ne put-il pas donner

142 CONTKS l'Ol'UI- AIRES

un nom au caïman et il se laissa entraîner, ne pouvant d'ailleurs résister en aucune ma- nière.

Le monstre emporta sa proie vivante et morte dans son trou qui, comme on le sait, est au fond du fleuve disposé de telle sorte qu'il forme une vaste chambre dont une partie est à sec. Comme il était à la saison de ses amours il se hâta de croquer la jambe du blasphémateur, brisant la chaîne d'un coup de dent, et poussa Osman dans le trou sans lui faire le moindre mal, pensant le garder en provision pour le partager avec sa femelle quand elle viendrait au gîte; il se mit même en campagne pour aller la cher- cher.

Osman à peine jeté hors de l'eau à demi mort se mit à genoux pour remercier Dieu tout-puissant de l'avoir préservé cette fois encore; mais comment sortir du trou? Sa situation était, on le comprend, terriblement précaire. Sans se décourager il fait la prière de midi pensant qu'il devait être celte heure- sur la surface de la terre.

O prodige, en frappant du front sur le sol, il voit à travers le monceau d'os demi-ron- gés qui jonchaient la caverne; une mince

OE LA &EMÉGAMBIE 143

lueur; c'était une fissure du sol qui commu- niquait avec le fond de la grotte. Il s'avance aussitôt et peu d'instants après il pouvait sans beaucoup d'efforts sortir de cet antre terrible tous avant lui avaient trouve la mort.

l'.u le fait d'un hasard prodigieux il se trouva que la grotte du caïman était voisine du lieu il habitait lorsqu'il avait été en- lew par les pillards, et même il faut dire que ces pillards dérangés par une résistance énergique n'avaient pu faire aucun mal au village, avaient été repoussés n'emportant pour tout butin que le blasphémateur et Osman, de sorte qu'il se trouva au milieu des siens qui se portaient bien, n'avaient rien perdu de leurs richesses et dont le bon- heur fut sans mélange dès qu'ils virent re- venir sain et sauf le saint homme dont cha- cun déplorait la perte et que tous croyaient mort.

On comprend sans peine qu'il dut rendre îles lettons de grâce au souverain maître de toutes choses, et pendant de longues années encore il vécut heureux, exemple vivant du proverbe : « Qui compte sur Dieu sans de- sesycrer jamais ne craint aucun malheur. .

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NOK DU BRACKLKT HAl'l'OKIK l'AK LK l'OISSON

Ii v av. lit au temps jadis un marabout du nom de Hadj-Omar qui était un saint homme répétant chaque jour : 11 n'y a de Dieu que Dieu et celui qui ne craint pas de le proclamer même au péril de sa vie re- çoit toujours sa récompense. 11 vivait dans les plaines du Tagant au milieu des Musul- mans les plus fervents, qui, lorsqu'ils sont attaque* a 1 heure du Salam M laisse massa- crer plutôt que d'interrompre leur prière; disant qu'il vaut mieux mourir que de ne pas rendre grâce à Dieu de tous les biens dont il comble les vrais croyants. Sentant en lui le besoin de convertir les

146 CONTES POPULAIKES

infidèles il partit un jour marchant droit devant lui avec le projet de s'arrêter seu- ment il aurait fait reconnaître par tous d'une manière éclatante la Majesté divine. Hadj-Omar n'était pas riche, il possédait à peine de quoi vivre et encore était-il obligé de subvenir aux besoins de sa vieille mère; mais cependant il ne s'inquiétait jamais du lendemain, chaque jour jusque-là avait suffi à sa peine.

Le voilà donc allant à travers le pays de village en village; quand il avait prêché pendant quelques jours, ramené au devoir et à la religion quelques indifférents, il re- prenait sa route pour atteindre la contrée il convertirait les infidèles.

Il arriva ainsi sur les bords du Niger et s'arrêta quelque temps dans la ville de Sé- gou qui était commandée à cette époque par un roi puissant, Modi-Mamadi, homme violent, orgueilleux, ne craignant pas la justice divine parce qu'il se croyait fort de- vant les hommes et que jusque-là il avait terrassé tous ceux qui lui avaient résisté.

Hadj-Omar allait quitter encore ce pays pour poursuivre son voyage quand un jour Modi-Mamadi qui venait de remporter de

DE t.A SÉNÉGAMBIE I ;"

brillantes victoires dans le Bouré, et qui avait trouve chtfl les vaincus des richesses si immenses qu'il en était entièrement aveuglé, écouta complaisamment la voix de griots Bal inspires et irréligieux.

Allole par son OrgUCtl <- 1 v( puttUSCt, »i l'étlil dit : Je suis le plus puissant, plus puissant que Dieu même, et reunissant dans une plaine au\ portes de la ville toute la po- pulation de la ville il lui tint ce langage : Habitants, sachez que je suis le plus puis- sant; personne ne peut résister à ma vo- lonté. Ainsi désormais, je ne veux plus qu'il soit parle de puissance comparable mienne; je serai le Dieu du pays, par consé- quent au lieu de |urer par Allah et par Mahomet vous ne jurerez plus que par Modi-Mamadi ; au lieu de vous tourner vers louent pour faire votre prière, vous vous tournerez désormais vers mon palais et vous m'invoquerez à toute heure du jour. Celui qui n'obéira pas à cet ordre sera mis immédiatement à mort.

La population de Ségou composée de ti- mides Saracolais, craignant surtout la mort et la souffrance, écouta cette étrange procla- mation en silence; elle était musulmane, il

148 CONTES POPULAIRES

est vrai, bien plus elle était foncièrement religieuse, mais ayant l'habitude d'obéir à la voix du commandement elle n'osait faire résistance à la volonté de Modi-Ma- madi.

Quelques vieilards, quelques sérims, quel- ques talibas était bien révoltés au fond du cœur contre une pareille prétention inique autant qu'absurde, mai chacun craignait pour sa vie, et tous courbaient la tête sans oser dire au roi qu'il avait tort

Seul Hadj-Omar eut plus de courage que tous les autres habitants réunis; il fend la foule et arrive d'un pas délibéré jusqu'au pied du trône royal.

d'une voix ferme et digne il dit à celui qui voulait recevoir désormais les honneurs divins :

« Il n'y a de Dieu que Dieu et Mahomet est son prophète; le roi d'un pays est le pre- mier serviteur du Tout-Puissant, son auto- rité, quelque grande qu'elle soit, ne peut empêcher les croyants de reconnaître le sou- verain maître de toutes choses comme supé- rieur à tous.

« Tu veux que je t'adore comme mon Dieu, eh bien! tiens, voilà du sable que je

M I A SKNÉGAMBIK I 4.)

M par terre, fais en de toutes pièces du semblable du haut de ton trône.

Voilà un bâton de bois mort, fais-le re- verdir et couvrir de feuilles, comme Dieu le fait tous les printemps.

Regarde le ciel est sans nuages, com- mande au soleil de se cacher et à la pluie de tomber,

Je te promets si tu me donnes de pareils

de ta puissance d'être désormais ton plus fidèle adorateur, il ne se passera pas de jour sans que j'invoque ton nom à chaque taire. Mais au contraire, si tu ne peux faire tout cela je dirai que quelque puissant que tu sois tu n'es qu'un homme; si lu es fort, si tu es heureux, c'est a Dieu, à Dieu seul que tu le dois, car je le répète : il n'y de Dieu que Dieu et Mahomet est son pro- phète. •

lui entendant ces paroles, Modi-Mamadi, qui était aussi dissimule que cruel, aussi ha- bile qu'orgueilleux, vit qu'il ne fallait pas persister pour le moment dans sa prétention; la foule avait écouté avec un silence recueilli les paroles si digne d'Hadj-Omar et un mur- mure d'approbation s'élevait, grossissant, pouvant même devenir le point de départ

I 30 CONTES l'OPULAIKES

d'une émeute, qui sait? d'une révolution.

Sa figure qui était sévère prend tout à coup un air souriant, et se tournant vers la population, il dit aux habitants de Ségou :

« Personne n'est plus humble que moi, le plus fort des hommes, devant Dieu qui est le Tout-Puissant : jamais je n'ai eu la pensée de vouloir être autant que lui, et ce que je viens de dire tantôt était uneruse pour savoir lequel d'entre vous est le meilleur croyant, le plus sage et le plus fervent serviteur de Dieu.

Approche, Hadj-Omar : c'est toi qui as le premier rang, aussi désormais tu seras mon premier ministre. C'est toi qui transmettras mes ordres, qui veilleras à la sécurité de l'Etat et qui prendras soin que tous mes sujets vivent selon les préceptes de la reli- gion.

« Ta puissance sera égale à la mienne, et pour que personne n'hésite à exécuter tes ordres, voici un bracelet que je te donne, il est semblable absolument à cet autre que je porte au poignet; tous deux sont d'un tra- vail si admirable et si compliqué qu'ils ne sauraient être contrefaits, par conséquent en le montrant, ton autorité sera incontestable

M LA SÉNÉGAMBIE I 5 !

comme la mienne propre. Veille pour la grande gloire de Dieu à ne pas le perdre, Car il t'arriverait malheur dans ce cas.

Hadj-Omar s'inclina respectueusement et prit le bracelet; il aurait bien voulut refuser les honneurs que lui octroyait Modi-Ma- madi, mais il sentait qu'il manquerait à sa promesse de faire tout pour la propagation de le religion s'il n'acceptait pas la charge de veiller à l'exacte observation de la loi, dans un pays elle était observée tout juste et la foi était chancelante autant que souvent menacée.

11 ne pouvait croire cependant que Modi- Mamadi fût de bonne foi vis-à-vis de lui : la dernière recommandation du monarque lui parut suspecte, aussi rentra-t-il chez lui et donna-t-il ce précieux bracelet à sa mère en lui disant : Garde-le à l'abri de tout larcin, car notre vie dépend désormais de sa pos- session.

La vieille mère qui était une femme de prudence pensa que les voleurs fouilleraient partout, et pour les dérouter le cas échéant, elle Ht un trou dans le sable de la case, y enterra le bracelet qu'elle avait eu soin l'entourer de linges pour qu'il ne se ternit

I 52 CONTES POPULAIRES

pas. Elle remit tout en place après avoir comblé le trou, si bien que personne au monde ne pouvait savoir se trouverait le talisman royal.

Modi-Mamadi à peine rentré chez lui fit venir son griot et lui dit : « Il faut à tout prix que tu dérobes le bracelet de Hadj-Omar; ta fortune est assurée à jamais si tu réussis.» Ce griot était si habile que toute la case d'Hadj-Omar fut visitée, fouillée mille fois en quelques semaines; ne sachant plus com- ment faire pour découvrir le bijou, il eut l'idée de creuser une galerie sous terre, es- pérant entendre quelque jour le fils et la mère parler de l'endroit on l'avait caché; et chacun juge de sa joie quand il trouva ainsi sur la route le bracelet tant désiré.

Il le porta aussitôt à Modi qui ne tenant plus de joie le jeta lui-même au fond du fleuve; on était au mois de juillet et la crue des eaux commençant, il se dit avec satis- faction : il n'y a pas de puissance au monde capable de le retrouver avant le mois de dé- cembre, et d'ici Aadj-Omar sera mort de- puis longtemps.

Le lendemain Modi fait rassembler le peu- ple comme la première fois à la porte de la

M SRNEGAMBIK | 53

ville et il envoie chercher Hadj-Omar qui n'eut garde de manquer au rendez-vous.

Alors le roi fit un long discours; il dit aux anciens du pays : « Que mérite celui qui ayant reçu mission de sauvegarder la reli- gion et qui ayant en sa possession un talis- man capahle de lui obtenir toute obéi- méprise assez les ordres du roi et les inteiêt*» de Dieu pour perdre ce talisman ? »

Unanimement l'assemblée repondit . la mort.

« Eh bien! répliqua Modi-Mamadi : Had|- Omar, est le bracelet que je t'ai conhe - .

Tout le monde trembla, pressentant une terrible catastrophe, car on devinait bien que le roi ne jouait cette partie qu'à coup sûr. Seul Hadj-Omar sans perdre conte- nance l'avança du trône, et sortant de la poche de son boubou le bracelet demande, répondit : « Roi, le voilà. »

Modi ne revenait pas de son étonnement, quand Hadj-Omarajouta : « Roi, incline-toi enfin devant la souveraine puissance de Dieu; tu as cru que tu allais me perdre et te ven- ger ainsi de ce que j'ai dit que tu es moins fort que Dieu? Eh! bien! une fois encore, tu es vainc..!.

I D4 CONTES POPUÎ. AIRES DE LA SÉNEGAMBIE

« Ce bracelet que tu m'as fait dérober et que tu as jeté dans la rivière a été avalé par un poisson, or, tantôt quand ton émis- saire est venu me commander de venir de suite auprès de toi, c'était l'heure de la prière et je me suis dit : Prions d'abord, nous obéirons au roi ensuite. J'étais au bord de la rivière, et pendant que j'achevais ma prière un poisson a sauté sur la berge, je l'ai saisi pour le donner à ma mère afin qu'elle le préparât pour notre dîner de ce soir; en l'ouvrant elle a trouvé dans son estomac ce bracelet que Dieu m'envoyait ainsi pour confondre les méchants et faire proclamer sa puissance. »

Modi constata que le bracelet était bien celui qu'il demandait, croyant l'avoir jeté dans un endroit nulle puissance humaine ne pouvait le reprendre. Frappé enfin de crainte par cette manifestation de la vo- lonté divine, il se prosterna, adora Dieu sans arriére-pensée et fut dès ce même jour un croyant accompli ; faisant le bien et ne vivant que pour le bonheur de ses sujets, avec Hadj-Omar pour chef de la religion et de la justice.

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i l'iil-NDK DK KOLI BKM \N

a dis le pays de Brassou dans le voisi- nage de Casamame était gouverné par un roi du nom de^Koly. Ce roi, Mandingue de naissance, puissant autant que féroce; ivro- gne autant que puissant, était idolâtre et avait une aversion marquée pour les Musul- mans qu'il taisait souffrir en toute occasion et dont il tournait les prières et les cérémo- nies religieuses en ridicule.

Venant à passer un jour dans le village qui porte aujourd'hui le nom de Kolibentan, et qui avait alors une autre dénomination, il aperçut une jeune Saracolaise qui sortait à peine de l'enfance et dont la grande beauté le frappa vivement.

I 56 CONTES POPUl.AMM S

Koli eut aussitôt de grossiers désirs qu'il voulut assouvir brutalement, mais il avait compté sans l'islamisme; en effet, le père et la mère de la jeune fille étaient de fervents musulmans qui avaient élevé leur enfant dans la crainte du vrai Dieu et du prophète. Bien plus un marabout. du voisinage avait offert son cœur à la belle Saracolaise et at- tendait l'expiration du rhamadam pour l'é- pouser, de sorte que le roi Koli trouva une résistance absolue et bien déterminée à ses désisrs.

Que faire en pareil cas, son griot le lui suggéra aussitôt; faire enterrer vivants le père et la mère qui avaient osé s'opposer à ses royaux désirs. Puis faire amener la jolie Sa- racolaise et prendre de force le cœur qu'elle ne voulait pas donner de bon gré. La pre- mière partie du programe fut exécutée aus- sitôt, seulement lorsqu'il se trouva seul avec la jeune fille il était tellement ivre que celle- ci put se défendre victorieusement.

Le lendemain Koli raconta a son griot qu'il avait fini par s'endormir sans triom- pher de sa victime; il en fut gourmande et se promit bien de ne pas rester en chemin quand la nuit serait venue. Mars lorsque le

ser s'éc les ex

DE I.A SÉNÉGAMBIE J $7

soleil M toucha il avait bu sans retenue de sorte, qu'il était aussi ivre, sinon plus que la veille. Il fit néanmoins de nouveau des tentatives auprès de la pauvre enfant qui, rée de trop près à un moment donné, chappa de la case et se mit à courir dans champs poursuivie par Koli. Une racine

ubérante d'un bentanier gigantesque qu'on voit aujourd'hui encore à peu de distance du vil lug« la fit tomber elle perdit ainsi l'a- vance qu'elle avait sur son ravisseur. File allait succomber quand elle s'écria : Dieu de Mahomet ne permet pas qu'un Kéffir dé- shonore une sage musulmane. Les griots de Koli n'entendirent plus rien, ils rentrèrent chez eux en attendant le lendemain pour féliciter leur roi; mais aux premières lueurs de l'aurore grand fut leur étonnement sinon leur terreur. Le corps de Koli se balançait pendu à une des branches du bentanier par le pagne de la belle Saracolaise.

Que s'etait-il p^ssé? Ici les versions sont différentes; les uns disent que la jeune fille fut enlevée au ciel et que Koli furieux de voir qu'elle lui échappait s'était pendu de colère avec le pagne qu'il avait déjà saisi. D'autres disent que l'amant de la jolie Sara-

I 58 CONTES POPULAIRES DE I.A SKNKGAMP.IE

colaise était précisément arrivé à ce moment et apprenant tout d'un coup d'oeil avait étranglé l'ivrogne; puis avait jugé prudent aussitôt de mettre du pays entre sa fiancée et les soldats de Koli. Les fervents mu- sulmans préfèrent la première version.

Ai-je besoin de faire remarquer au lecteur l'analogie qu'il y a entre la légende de la mort de Koli-Bentan et celle de la fin tra- gique d'Attila ?

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IV

LAOCNM DM KAVKUKS AC0ORHKKS AIX NOUVKAUX CONVKH IIS

Dans le pays de Bounoun, il y avait jadis, un nommé Aliou qui était idolâtre, buvait des liqueurs fermentées, mangeait du lorc, n'observait aucun jeûne et croyait aux hris-grù fétichistes. Il avait pour les musul- mans une violente haine; aussi toutes les fois qu'il rencontrait un marabout isolé, il lui coupait le cou. La vue d'un individu fai- sant son salam avait la propriété de le ren- rtndre furieux, et quand il entendait appe- ler à la prière, il se mettait à l 'art ù t de telle sorte que bientôt celui qui convoquait les croyants était tué, comme une pièce de gi- bier, d'un coup de fusil.

ibO CONTES POPULAIRES

Ses actes de barbarie étaient si borribles, si nombreux, duraient depuis si longtemps que les musulmans du Toro résolurent un jour de se débarrasser d'un aussi cruel en- nemi.

L'Almamy Mahamet, à la sollicitation réitérée de ses sujets, se mit à la tête d'une véritable armée pour aller le capturer et le tuer. C'est en vain que la troupe sonda les moindres broussailles des environs, jamais Aliou ne tomba entre les mains des soldats de Mahamet; on disait même qu'il était en relations avec les esprits infernaux qui lui permettaint de se rendre invisible dans les moments critiques. Bref, les vrais croyants étaient décimés à chaque instant quand ils étaient isolés, et malgré les plus actives recherches Aliou restait introuvable.

Une nuit cependant, l'ennemi de la vraie croyance eut une vision; ses yeux se dessil- lèrent, il comprit qu'il faisait mal en tortu- rant les musulmans et il prit la résolution de se convertir à l'islamisme. Sa décision une fois prise, il se débarrasse de ses armes et va d'un pas délibéré au milieu de l'armée de Mahamet.

Les sentinelles voyant venir à elles un

DE LA SÉNÉCAMRIK

l6l

homme qui paraissait inoffensif lui deman- dent ce qu'il veut. Je veux parler à l'Al- mamy Mahamet dit-il, et on le condui- sit auprès du chef qui dans ce moment était entouré de tous ses lieutenants et qui \enait de failt une fervente prière au Tout-Puis- sant pour la capture d'Aliou, car il y avait trop longtemps que l'armée était ainsi im- mobilisée par un seul homme; alors qu'il avait l'ardent désir de mettre à exécution un projet caressé depuis longtemps : l'in- vasion du pays de Sénoukouya, repaire de Kiédos, intempérants, idolâtres et brutaux.

Mahamet voyant approcher l'étranger lui lit : « Qui es-tu » ? Celui-ci lui répondit issurance : Je suis Aliou, l'ennemi des croyants, celui contre lequel ton armée a été impuissante jusqu'ici.

\ m mots un frémissement d'horeur et de colère passa dans l'assemblée ; dix lieute- nants se levèrent spontanément, portant la main à leur sabre pour venger les trop nombreuses victimes faites par Aliou; mais Mahamet qui était un homme juste sen- tit que non-seulement ce serait une ven-

aïKe stérile, mais qu'il y aurait iniquité a jassacrer sans l'entendre un individu, quel-

IÔ2 CONTES POPULAIRES

que ennemi qu'il fût, quand cet individu venait sans armes pour parler avec lui; par conséquent il arrêta le mouvement d'un si- gne, car il était respectueusement obéi dans tous ses commandements. « Que veux-tu, pourquoi es-tu venu jusqu'ici? » lui dit-il; Aliou répondit : « J'ai jeté mes armes pour montrer que je viens ici en ami et non en adversaire; je suis venu parce que je veux me convertir à l'islamisme. »

On juge de la stupéfaction de tous. Seul Mahamet ne perdant pas son sang-froid lui dit: «Sais-tu bien que pour être croyant, il faut se faire raser la tête au lieu de por- ter la chevelure abondante et tressée comme tu l'as fait jusqu'ici. » Aliou répondit : « Qu'on me rase la tête. » « Sais-tu , dit Mahamet, qu'il faut jeter les gris-gris que t'ont donné les griots idolâtre pour ne se parer que de gris -gris musulmans compo- sés d'un verset du coran. » Aliou jeta loin de lui tous ses gris-gris sans plus répondre. « Sais-tu qu'il ne faudra plus boire de sangara, plus manger de porc, observer le jeûne, faire ton salam tous les jours aux heures com- mandées par le prophète. » Aliou répondit « C'est ma formelle intention. »

.ÉGAMBIE 1 63

Enfin sais-tu, lui dit Mahatnet, qu'il fau- dra désirer la conversion des tiens restés dans l'idolâtrie et même porter les armes contie la nation pour l'initier à la loi musul- mane. Aliuu lepondit, je suis prêt à mettre mon père dans l'alternative de croire en Dieu tout-puissant et à Mahomet son pro- phète ou bien de mourir. »

En présence d'une pareille résolution, Aliou fut instruit dans la religion musulmane et accepte comme vrai croyant. Mahamct plein de joie annonça qu il allait maintenant mettre en route pour combattre les infidèles.

Toute l'armée accueillit la nouvelle des transports de joie et au moment elle acclamait son Almamy, un sabre tombe du ciel, au milieu du camp, aux pieds du chet et de ses lieutenants, sabre terriblement affilé et capable de faire les plus sanglantes blessures.

Un soldat cupide en présence de cet arme magnifique se précipite sur elle pour s'en emparer ; mais ô prodige! le sabre était si lourd, si lourd qu'il ne pût le soulever; il lui eût été plus facile d'arracher un bao- bab séculaire avec une seule main que de faire remuer cette arme enchantée.

164 CONTES POPULAIRES

Toute l'armée essaya tour à tour de s'em- parer de l'arme, mais, peine superflue, son poids était tel que pas un ne réussit. Il ne restait plus que deux hommes n'ayant pas porté la main sur le sabre : c'étaient Aliou et Mahamet. Mahamet lui dit : saisis-t'en et tu marcheras ainsi armé contre les infidèles.

Une clameur d'incrédulité s'éleva parmi les guerriers. « Comment, s'écrièrent-ils tous ? Gomment voulez-vous, Almamy, qu'un croyant de quelques minutes de date soit plus habile que nous, musulmans de nais- sance ? Non, la chose n'est pas possible, et Aliou ne pourra pas plus que nous se saisir de ce sabre.» Aliou s'approcha et au moment de tendre la main il dit : « Ceci est pour la plus grande gloire de Dieu et de Mahomet son prophète ; le souverain maître de toute chose permettra à son serviteur fidèle de faire des prodiges pour la glorification de son nom. » Puis il prit le sabre sans aucune difficulté et le brandit avec l'aisance d'un guerrier consommé.

On comprend l'émotion générale; l'armée transportée d'admiration s'élança dans la direction des infidèles brûlant de les com- battre et les Kiédos idolâtres qui étaient pré-

tance les attendirent de pied ferme tvec une telle vigueur que bientôt les

croyants huent décimés.

L'ardeur de l'attaque avait été telle que Mahamet et Aliou avaient été dtWSSCe* et au moment ils arrivèrent sur le champ de bataille ils trouvèrent l'armée musulmane en- tièrement détruite.

Les Kiédos triomphaient et les entou- rèrent pour les faire prisonniers dans le désir de les immoler ensuite. C'est alors que les Jeux seuls survivants de la troupe musulmane, Mahamet et Aliou, tirèrent leurs sabres.

Mahamet avait une arme bénie qui lui avait été envoyée de la Mecque et qui tuait dix infidèle» à chaque coup ; il se mit donc en mesure de lutter vigoureuse- ment; mais le sabre d' Aliou abattait cent tètes à chaque tour de bras de sorte qu'en quelques minutes les Kiedos furent exter- mines

Mahamet et Aliou rentrèrent triomphants et victorieux au pays, emmenant un grand nombre d'esclaves qui furent convertis à 1 islamisme, et pour reconnaître les exploits I* Aliou, l'Almamy, qui n'avait qu'une fille.

l66 CONTES POPULAIRES DE L\ SÉNÉGAMBIE

Fathima Benta, la lui donna en mariage, ce qui lui assura la succession du pouvoir.

L'almamy Aliou eut un règne plus glo- rieux que tous les autres et vérifia ainsi le dicton : Que le dernier converti quand il est ferme vaut mieux que cent musulmans de naissance qui pratiquent une religion avec tiédeur.

Cette légende rappelle le dicton qui a cours dans la religion chrétienne : Il y a plus de place au paradis pour un nouveau converti que pour dix justes. A ce titre nous pouvons penser que si les Toucouleurs la racontent volontiers, elle n'a cependant pas pris naissance dans leur cerveau.

A PPRECIATION

Comme nous le disions tantôt c'est dans cette catégorie que nous pouvons ranger la très grande majorité des légendes que racontent les griots et les marabouts dans les peuplades nègres, qui ont assez profon- dement subi l'influence religieuse de l'Islam. Chez les Peuls du haut Sénégal par exem- ple, chez les Toucoulors et les Mandingues du bassin du Niger ou du Fouta Sénégalais. I Remarquons que ces peuplades sont limitro- phes des Maures touaregs etc., tous gens qui ( sont de fervents musulmans, de sorte que i l'action de voisinage s'est fait sentir chez eux d'une manière plus intime et plus com- 1 plète que partout ailleurs.

1 68 CONTES POPULAIKES

A mesure que l'islamisme se répand de proche en proche plus avant dans le Sud. On voit les légendes religieuses s'infiltrer peu à peu dans les peuplades nègres méridiona- les et nous devons dire même que c'est un puissant moyen de prosélytisme mis en œu- vres par les Mahométans isolés.

En effet, un pèlerin, un de ces voyageurs qui viennent on ne sait d'où et qui vont droit devant eux sans trop savoir eux-mêmes vers quel but ils se dirigent, arrive dans un pays quelconque. Il demande l'aumône de quelques aliments ; on le regarde naturelle- ment avec quelque curiosité et on le ques- tionne volontiers. Il raconte alors des choses intéressantes qui ébahissent bien des esprits simples et au milieu du récit de ses aventu- res il vous parle, comme s'il l'avait vu. de ce croyant qui priait toujours par exemple et qui fut sauvé miraculeusement des griffes du lion et de la dent du Caïman alors qu'un de ses compagnons athée fut dévoré précisé- ment au moment il blasphémait. Un au- tre parlera à ses auditeurs du bracelet rap- porté par un poisson. Un troisième racon- tera la légende du nouveau converti plus puissant que les anciens croyants.

DE LA SÉNÉGAMBIE

Mille autres légendes de la même poi I dans lesquelles le cadre peut changer .< fini, vins que le but final soit diflèrcn: ainsi colportés du Nord et de l'Est, I rant 1 imbie de proche en proche

comme les assiégeant ensserrent peu à peu uii pays qu'ils veulent conquérir.

D'ailleurs ce qui facilite l'œuvre, c'est que dans ces peuplades naïves et émerveillées, ■Stties ds l'extraordinaire, crovant volontiers au surnaturel, neuf auditeurs sur dix croient a l.i réalité du récit, là, s'ils n'en compren- nent pas la portée morale ou religieuse du premier coup, sont très disposés à considérer le héros de l'aventure avec une sympathie marquée qui déteint sur le narrateur lui- même.

D'où viennent les légendes musulmannes? Nous avons à peine besoin de nous pour cette question elles viennent du Nord-Est c'est-à-dire des pays qui ont été les premiers foyers du mahométisme. Elles datent par- lois de dix ou douze siècle déjà repétées plus ou moins inconsciemment de bouche en bouche à travers les âges. Elles sont colpor- tées de proche en proche d'un pays à l'autre si bien et si exactement que plus d'une se

I70 CONTKS l'OPU [.AIRES DE I.A SENKG A M l'.l F.

raconte également ou avec des variantes insi- gnifiantes sur les rives du Se'négal comme dans la vallée du Niger, sur les plages du lac de Tchad, comme sur les côtes du lac Victoria.

Sans compter qu'en Algérie, à Tunis, en Egypte, à Constantinople même, on peut les entendre de la bouche de ces voyageurs moitié griots moitié marabouts qui passent leur vie à parcourir le monde de l'islam en vivant d'aumônes sans jamais songer au len- demain jusqu'au jour la maladie, un ac- cient, une erreur de route ou telle circons- tance fortuite les fait mourir sur le bord d'un chemin les chacals et les vautours en font leur pâture.

Ce qui caractérise les légendes de cette catégorie c'est une grande unité de but et le plus souvent même une grande analogie de canevas. C'est, on le comprend, la consé- quence de l'origine étrangère. En effet cette sorte de légende peut bien se plier à telle ou telle particularité locale spéciale au pays se trouve le conteur par de petits artifices de mise en scène destinés à frapper plus vivement les auditeurs suivant le pays; mais cette variation ne porte en somme que sur un infime détail le plus souvent.

QUATRIEME PARTIE

CONTES ET LÉGENDES QUI ONT TRAIT A UN ÉVÉNEMENT RÉEL PLUS OU MOINS ALTÉRÉ l>AR LA TRADITION ORALE, INSPIRÉE PAR I \- MOUR DU MERVEILLEUX, LES CROYANCES SUPERSTITIEUSES, OU LE SIMPLE PLAISIR DE POSER UNE QUESTION ÉN1GMAT1QUE A I.'aU- DITEUR.

QUATRIEME PARTIE

Dans cette partie de mon livre il entre comme on va le voir, des sujets as- sez différents comme idée et comme por- tée philosophique ou morale. Je les ai rapprochés pour ne pas subdiviser mon sujet en un grand nombre de portions distinctes, ce qui eut donné à mon étude une étendue que son cadre ne comporte pas; mais le lecteur constatera que ces histoires, ces contes, légendes, proverbes, etc., sont nombreux autant que variés.

Voici l'énumération des sujets que con« tien cette quatrième partie :

174 CONTES POPULA1KES DE LA SÉNEGAMBIE

I. Légende de Matik-si.

II. Légende du serpent du Bambouk.

III. Légende de la création de l'empire

Djolof.

IV. Le cavalier qui soignait mal son

cheval.

V. Le trafic à la muette entre gens qui ne se voient pas.

VI. Légende de Koli-Satigny,

VIL Légende sur l'origine des laobés et des griots.

VIII. Légende de Peuda balou.

IX. Croyance aux sorciers chez les nè- gres sénégambiens.

X. Énigmes et proberbes.

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LEGKNDK DE MAL1K SI

Il y a quelques siècles, le pays de Bon- dou, qui est placé sur la rive gauche du Haut-Sénégal entre le pays de Gov et de Den- tilia, dans le voisinage de la Falemé, était inhabité.

Ses collines étaient couvertes de bois dans lesquels la hache n'avait jamais passé; ses plaines produisaient à chaque hivernage une verdure luxuriante qui se desséchait à l'é- poque des vents d'est sans bénéfice pour per- sonne ; ses marigots regorgeaient de pois- sons que le filet ni la sagaie n'avaient jamais poursuivis.

Bref, Dieu n'avait pas encore donne ce

J JtJ CONTES POPULAIRES

pays en possession effective à ses enfants noirs de la Sénégambie.

Les Saracolais du Goy, du Kame'ra, du Natiaga allaient bien établir de temps en temps un lougan sur les bords de la Falemé ou des marigots qui y aboutissent.

Il leur suffisait de débarraser le sol de quelques mauvaises herbes pour recueillir d'énormes quantités d'arachides venues sans culture ; ils n'avaient qu'à jeter un peu de semence sur les parties que l'eau laissait à découvert dès que le fleuve baissait pour avoir une magnifique récolte de mil qui don- nait l'abondance pour l'année entière ; mais ils n'occupaient pas le sol d'une manière dé- finitive et permanente.

Le Bondou était seulement pour plusieurs d'entre eux le but d'un de ces voyages que les Soninkés aiment tant à faire, ou bien le lieu ils allaient y passer en villégiature quelques mois de la saison chaude.

Le Tunka (roi) du Goy aimait depuis un temps immémorial à venir habiter pen- dant quelques mois de l'année dans cer- tains points découverts du pays la brise d'ouest rafraîchissait mieux l'atmosphère et les Maringouins étaient en moins

DE LA SÉNÉ0AMB1E I 77

grande quantité que sur les bords du Séné- |tl.

11 avait élevé dans un endroit appeléTuabo une habitation d'été très bien disposée et il y passait des moments agréables pour lui, uti- les pour ses sujets, au bonheur desquels il pensait volontiers, enfin profitable aux étran- gers parce que ses captifs récoltaient par un travail facile dans les lougans impn les grains nécessaires pour exercer la charité d'une manière très libérale.

Grâce à cette aisance, le Tunka du Goy, qui était un homme sage quoiqu'il fût idolâ- tre, avait une réputation méritée de bonté et de justice qui s'étendait bien au delà des li- mites de son autorité.

Cette réputation alla jusqu'aux oreilles d'un célèbre marabout Mandingue qui avait nom Malik-si et qui avait fait dans tout le Fouta Damga, le Gangaran et jusqu'à Ségou même des conversions admirables à l'isla- misme, rien que par ses saintes paroles et sa grande habileté à fabriquer des gris-gris ex- cellents contre tous les dangers quels qu'ils soient qui peuvent assaillir un homme.

On parlait notamment d'un talisman qu'il avait donné à un pauvre colporteur Saraco-

I78 CONTES POPULAIKES

lais assez charitable pour avoir partagé un peu d'eau avec lui un jour qu'ils voyageaient ensemble dans les plaines arides du Kaarta.

Ce gri-gri avait une puissance si merveil- leuse qu'il lui sauva la vie d'une manière éclatante un jour qu'il était tombé dans un parti de Maures; en effet, un des pillards voulant tuer le malheureux Saracolais pour qu'il ne pût se plaindre à personne, lui asséna un grand coup de sabre, mais la lame ayant rencontré le talisman se rompit en deux sans faire la moindre entaille à la peau du pro- tégé de Malik-si.

Quand le grand marabout Mandingue avait pris soin de laver dans l'eau d'un marigot sa planche d'écriture sur laquelle il avait au préalable inscrit un verset du Coran, ses élèves pouvaient s'y baigner sans crainte des caïmans et des hippopotames, car ces ani- maux restaient dévotement dans le fond, ou bien les regardaient avec respect sans rien tenter contre leur existence.

Bref, dans un grand nombre d'occasions Malik-si avait donné des preuves de sa puis- sance surnaturelle de manière à commander le respect pour sa personne et l'amour pour sa religion.

DE I.A siNÉGAMDIK

Malik-si qui vivait pour le triomphe de lis- ïamisme se dit : il est juste qu'un homme aussi sage que le Tunka du Goy ne reste pas Kefir (idolâtre) jusqu'à la mort; il faut que ses sujets ne végètent pas perpétuellement dans les obscurités et la pratique du féti- chisme.

Roi et sujets méritent de devenir musul- mans s'ils sont aussi charitables que leur réputation le prétend. Et il se mit en route vers Tuabo ou le Tunka était établi depuis quelques semaines.

Il arriva suivi des nombreux jeunes talibas qui écoutaient ses leçons avec empressement, et pour savoir tout d'abord à quoi s'en tenir au juste sur la charité du Tunka, il leur commanda d'aller quêter à la porte de la case royale les uns après les autres, sans avoir l\iir de se connaître.

Le premier avait à peine entonné le chant de Bissimillaï Rahmat Mai', etc., etc., à l'aide desquels les talibas demandent habituelle- ment leur nourriture et celle de leur maître quand ils sont en voyage, qu'on lui donna une calebasse de couscous assez grande pour rassasier quatre Maures, et qu'on remplit la poche de son boubou, qui cependant était

ii«

l8o CONTES POPULAIRES

grande comme celle d'un Toucoulor, de pistaches grillées.

Il fut fait successivement de même à l'é- gard de tous les talibas sans que les derniers fussent moins bien partagés; aussi la pre- mière impression de Malik-si fut-elle très favorable.

Voilà, se dit-il, un idolâtre qui pratique la charité d'une manière qui ferait rougir bien des croyants.

Il vint demander alors l'hospitalité au Tunka qui écouta ses prédications avec le respect à la parole sacrée, tandis qu'il ordonnait que le marabout et ses élèves fus- sent traités avec la distinction qu'ils méri- taient. Ses captives préparaient chaque jour une abondante ration de couscous. Les vo- lailles, le poisson, la viande de bœuf et de mouton étaient toujours en abondance dans la part qu'elles avaient l'ordre de réserver aux étrangers.

Malik-si fut si content de cette bonne ré- ception, il fut si touché de la bonté, de la justice du Tunka qu'il lui dit, un jour qu'il avait longuement causé avec lui de la politi- que du pays, qu'il était disposé à lui donner telle grâce spirituelle qu'il lui demanderait,

DE LA SÉNÉGAMBIE |8l

qu'il userait de la puissance de sainteté qu'on Considérait avec juste raison comme surna- turelle pour satisfaire le vœu qu'il formu- lait.

Le bon Tunka avait beaucoup de vertus et de qualités comme son peuple, mais il n'avait pas le courage militaire et les aptitu- des guerrières de plusieurs de ses voisins Toucoulors, Maures , Peuls même. Aussi depuis son enfance, lui comme les siens avait-il souvent tremblé devant des exigeants coureurs d'aventures, avait-il plié sans com- battre de peur d'être vaincu et d'avoir à payer davantage après l'action, sans compter les chances de mort et de blessure qu'il aurait eues à redouter.

Aussi voyant qu'il pouvait formuler un vœu avec l'assurance d'être satisfait, il se hâta de demander à Malik-si un gri-griqui le ren- drait toujours victorieux dans les luttes à main armée contre ses ennemis.

Le gri-gri fut fabriqué aussitôt en cons- cience, et octroyé. Désormais le Tunka étant rassuré sur l'issue des combats qu'il pouvait avoir à livrer, se considéra comme l'homme le plus heureux du monde. Malik-si était un trop malin compère pour

l82 CONTES POPULAIRES

ne pas s'apercevoir que le Tunka se considé- rait comme son grand obligé ; aussi résolut- il de tirer un très bon bénéfice en retour de son gri-gri. C'est pourquoi peu de temps après il dit à son ami qu'il serait très dési- reux de posséder en toute propriété un petit coin de terre dans ce pays plantureux ou le baobab et le tamarinier poussaient avec une vigueur qui lui rappelait son pays natal.

Le Tunka tout à sa reconnaissance et dé- sireux de montrer au marabout Mandingue qu'il était aussi bienveillant que confiant, lui dit :

« Va coucher ce soir au lieu tu désires élever ton habitation, et demain matin au lever du soleil, dirige-toi vers mon village, moi, de mon côté, je me dirigerai vers toi; et le point nous nous rencontrerons sera la limite de tes possessious. »

Ce qui fut dit fut fait ; Malik-si qui avait exploré le terrain avec soin depuis longtemps ne fut pas hésitant a choisir son emplace- ment et le lendemain matin aux premières heures du jour il éjait en marche de son pas le plus rapide.

Le Tunka, au contraire , se leva tard comme de coutume, passa une partie de la

DK I.A SÉNÉGAMBIK l83

matinée à faire nonchalament les préparatifs de sa course, il voulut même déjeuner

mettre en route. Bref, il tarda tant que lorsqu'il se décida à partir il était près de midi.

Il avait a peine fait cinq cents pas qu'il rencontra Malik-si qui arrivait en courant et en faisant des enjambées doubles de ce quelles sont habituellement.

Grande fut la surprise du Tunka et lors- que les explications eurent été données il comprit qu'il avait eu grand tort de laisser ainsi imprudemment Malik-si faire sa part à sa guise. Mais il avait donné sa parole et il la tint, au prix même de la perte d'une par- tie riche et étendue de ses états.

Malik-si fit du pays qui lui avait été oc- troyé par le Tunka un lieu de refuge ; aussi en peu de temps eût-il un peuple nombreux formé de gens de tous pays se trouvant be- sogneux et souvent sans aveu ou bieD ayant commis des crimes.

Les Saracolais eurent maintes fois à se plaindre de leurs obligés dont le roi ne leur Ht jamais la guerre parce que le gri-gri donné par Malik-si aurait assuré la victoire aux descendants du Tunka. Mais les procédés du

184 CONTES POPULAIRES DE LA SÉNF.GAMBIE

fondateur de l'état continuèrent à être em- ployés par eux et ce qu'ils n'obtenaient pas par la force ils savaient l'extorquer par la ruse.

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II

LEGENDE DU SERPENT DE UlMBOL'K

Il y a de longues années, le Bambouk était habité seulement par des Sara- colais. Le pays produisait en abondance, du mil et autres plantes alimentaires qui sont en usage chez les noirs.

Le gibier était facile à chasser, les trou- peaux prospéraient et donnaient de grands bénéfices à leurs maîtres ; en un mot tous les biens de la terre se trouvaient à profusion dans la contrée dont les habitants auraient pu se dire spécialement heureux, si par une loi dont on ne pourrait retrouver l'origine ni la raison, ils n'avaient été obligés toutes les années de faire un sacrifice humain qui était la source d'une immense douleur pour

J 86 CONTES POPULAIRES

la famille atteinte et qui terrifiait la popu- lation entière.

En effet on savait dans tout le Bambouk que la prospe'rité si grande dont on jouissait n'était assurée qu'à la condition expresse que toutes les années, une jeune fille, choisie par le sort parmi les plus jolies et les plus sages, serait amenée en grande pompe à un endroit déterminé près d'un marigot ; elle devenait là, la proie d'un serpent gigantesque qui s'en emparait et l'entraînait au fond de l'eau, sans qu'on la revît jamais.

Mille fois les Saracolais Bamboukains avaient essayé de se soustraire à cet horrible impôt; ils avaient fait offrir de l'or en quan- tité suffisante pour acheter cent captives; du mil et des bœufs qui auraient pu nourrir mille guerriers.

Le monstre avait été inexorable ; il voulait une seule jeune fille, mais il fallait qu'elle fût choisie dans les conditions que nous ve- nons d'indiquer et qu'elle fût conduite au sacrifice en présence de la population entière.

Chaque case Bamboukaine avait désappris la joie, malgré la richesse qu'elle recelait; les enfants ne faisaient aucun plaisir à leurs mères ; les jeunes gens tremblaient que celle

DE I.A SÉNÉGAMBIK I 87

qu'ils aimaient ne leur fut ravie; en un mot tout le monde était malheureux.

Seuls, un jeune homme et une jeune fille voisins de case, s'étant élevés ensemble et s'aimant tendrement, n'attendant que la ré- colte prochaine pour se marier, n'avaient pas ir oppressé par la crainte du serpent.

Ils vivaient heureux, trouvaient toujours une excuse pour se rencontrer dans les champs, et chaque soir quand ils arrivaient au rendez-vous, la jeune fille avait un mot doux à dire à son fiancé, le jeune Saracolais avait quelque pièce magnifique de gibier ou quelque dépouille de bète féroce à montrer comme trophée de sa hardiesse ou de son habileté.

Un soir Coumba, c'était le nom de la jeune fille, arrive en pleurs au lieu convenu ; le jeune homme qui avait été spécialement fa- vorisé par le sort ce jour-là, allait lui faire admirer les produits de son adresse quand il s'aperçoit de la douleur de sa bien-aimée et il la presse de lui en dire la raison.

Après une explosion de pleurs, elle lui ap- prend la terrible nouvelle ; et pendant quel- ques instants les deux pauvres jeunes amou- eux furent au désespoir.

I 88 CONTES l'OPUI.AlKKS

Mais bientôt le chasseur dit à la jeune fille de rentrer au village et de sécher ses pleurs.

« Serais-tu au moment de mourir, » lui dit-il, « qu'il ne faudrait pas perdre courage et confiance en moi, car, sois tranquille, tu seras ma femme et non la proie de cet hor- rible monstre dix fois maudit. »

La pauvre enfant rentra en sanglotant chez ses parents qui étaient au désespoir, comme on le pense bien.

Quant au jeune homme, il alla prendre ce qu'il possédait de plus précieux dans sa case et alla voir successivement tous les Griots, tous les Marabouts, tous les vieillards in- fluents en leur disant de l'aider à faire agréer au serpent une autre proie que sa Coumba bien-aimée.

La crainte de déplaire au monstre était telle, que chacun le repoussa dès le premier mot; aussi le soleil se levant vit tous les pré- paratifs de l'horrible fête qui se faisaient avec une grande solennité chaque année.

La population entière vint se ranger à une distance respectueuse de l'endroit le serpent sortait du Marigot et la pauvre Coumba amenée plus morte que vive au

lih LA StNH.AMBlE

pied d'un arbre y fut attachée comme la coutume le voulait.

Les griots faisaient entendre le tamtam; les femmes poussaient de temps en temps des cris cadencés comme cela se fait dans les têtes ; les habitants de tout âge et de tout sexe attendaient avec une douloureuse an- goisse le moment du sacrifice annuel qui semblait devoir être prochain, car l'eau du Marigot bouillonnait et la tète du serpent apparaissait déjà près de la plage.

L'horrible monstre sort après mille hési- tations et mille feintes qui faisaient trembler les plus énergiques; ii s'approche de Coumba et la considère avec une satisfaction à peine contenue; il allait la saisir quand le jeune amoureux fend la foule monté sur un cheval fougueux et armé d'un sabre dégaine.

La population entière poussa un cri d'et- froi, car il était certain qu'il y aurait deux victimes cette année-là et comme tout le monde était persuadé que ce serait le jeune homme, chacun se dit : Le serpent voudra désormais un garçon en même temps que la jeune tille qu'on lui offre chaque année de- puis des siècles.

Mais le jeune chasseur ne se laisse pas

IQO CONTES POPULAIRES DE LA SENEGAMB1E

émouvoir par le bruit et le danger; plus ra- pide que la pense'e, il court au serpent qui avait déjà saisi la jeune fille pour l'emporter et d'un revers de son arme il le coupe en deux.

Prenant aussitôt Coumba en croupe il mit son cheval au triple galop et disparut sans que les habitants eussent pu le rejoindre, car il était à craindre que pour essayer de faire pardonner le meurtre du serpent sou- verain du pays, les anciens ne sacrifiassent ce couple amoureux.

Dès le lendemain, le pays fut couvert de peuplades ennemies qui vinrent mettre à feu et à sang tous les villages qui faisaient mine de résister.

Des hommes de races différentes vinrent s'emparer de gré ou de force des meilleures terres, des troupeaux les plus gras du Bam- bouk. Et les Saracolais ne formèrent plus que de petits villages au lieu de grandes agglomérations ; ils vécurent désormais comme de pauvres paysans sur les portions de leur pays dédaignées par leurs envahis- seurs.

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NDE DR LA CHEATION DE L fcMPlKE DE DJOLOF

Au temps jadis, le Cayor, le Ouaio, le Djiolof, le Baol, le Sine et le Saloum formaient une sorte de république sans chef suprême, et dans laquelle, chaque village éttH absolument indépendant des voisins. Il y avait souvent, on le comprend, des alterca- tions et des batailles de village à village, de sorte que la tranquillité du pays était per- pétuellement troublée.

Un jour une dispute naquit au sujet d'un tas de bois recueilli en commun par des ha- bitants de plusieurs villages et que chacun convoitait au détriment de son voisin.

Quelques conteurs disent qu'au lieu de

I92 CONI ES POPULAIRES

bois il s'agissait du produit de la pêche qui se faisait dans un marigot des environs de Saint-Louis par les gens des villages voisins.

Quoi qu'il en soit, sous le prétexte du bois ou du poisson ine'galement partagé, le sang allait couler comme cela arrivait tous les jours, quand un vieillard vénérable sortit tout à coup des eaux d'un marigot voisin, et sans dire mot partagea instantanément la chose en lots si égaux que toute dispute cessa. Cette apparition mystérieuse frappa tout le monde, chacun se sentit saisi de res- pect et désira obéir désormais à cet homme surnaturel. Mais le vieillard avait déjà dis- paru.

Les habitants employèrent alors la ruse pour se saisir de ce chef tant désiré et le mettre à leur tête. Ils simulèrent une autre querelle pendant laquelle le vieillard se montra de nouveau pour apaiser la dispute par un partage équitable, et il tomba ainsi entre leurs mains.

Le vieillard ne se souciait pas de l*hon- neur qui lui était réservé, il resta même plusieurs jours sans manger. Les habitants craignant qu'il ne se laissât mourir, entrepri- rent de le divertir.

M LA SÉNEGAMBIE Iq3

Pour cela faire, les filles et les femmes de la contrée se mirent à jouer, à danser, à fu- mer devant lui en prenant les poses les plus lascives, pensant bien que le vieux Djiaian ou Sam-Sam, comme on l'appelle, finirait par en distinguer une entre toutes, voudrait la posséder et arriverait une fois de plus à vérifier le proverbe de tous les temps et de tous les pays : ubi amor, ibi patria.

1 qui avait été prévu arriva. Bay Sam-Sam jeta son dévolu sur une charmante jeune fille qui fumait et qui, voyant qu'elle était regardée avec persistance par lui, lui offrit la pipe.

Le génie commençait à s'humaniser; en effet, au lieu de rester indifférent à tout, il avait des regards bienveillants pour la jeune fille; bientôt il se montra sensible à l'odeur d'un succulent couscous qui cuisait devant la case, le nègre reprenait décidément le dessus chez lui.

Or il faut savoir qu'à cette époque les Eu- ropéens n'apportaient pas encores ces mar- mites de fonte munies de trois pieds qui servent actuellement à la cuisson des ali- ments, la cuisine se faisait dans des canaris en terre qu'on plaçait sur des boules d'ar-

194 CONTES POPULAIRES

gile, et par une étrange coutume on n'em- ployait que deux boules; de sorte que le ca- naris étant en état d'équilibre instable, le dîner était exposé à de fréquents accidents; deux fois déjà la marmite s'était renversée, le couscous était tombé en partie dans les cendres.

Sam-Sam était menacé de se passer de dîner, aussi regardant la cuisinière il lui dit : boss gnet (boules, trois).

Ce fut un trait de lumière, désormais les femmes ouoloves mirent trois boules au lieu de deux, sous leur marmite, un grand pro- grès était consacré.

Ce ne fut pas le seul; Sam-Sam était décidément vaincu par la belle enfant à la pipe, et par l'excellent couscous non ren- versé ; il épousa les deux négresses auxquelles il avait eu affaire ainsi, et il régna pendant un grand nombre d'années, sous le nom de Bay Sam-Sam : père Sam-Sam.

Son fils Mam Pâté lui succéda, étendit son pouvoir de plus en plus, soutint des guerres heureuses contre les Maures et ses descendants finirent par avoir une autorité extrêmement étendue. Ils avaient constitué le grand empire en une série de petits États

M 1 A i SÉCAUBII 195

comme le Cayor, le Sine, le Oualo, etc., etc., commandés chacun par un chef.

Un descendant de Bay Sam-Sam oublia les saines traditions qui avaient valu à ses ancêtres le titre de Bour-Ba-Djiolof (empe- reur du Djiolof ; il e'tait altier, cruel etc., il lit appeler un jour le chef du Cayor auprès de lui et lui rit subir plusieurs ava- nies qui exaspérèrent les chefs secondaires du pays et provoquèrent une révolte.

Amadi-N'goné, le même qui avait passé •huit jours exposé au soleil et au serein de la nuit pour attendre le bon plaisir de Bour-Ba-Djiolof, se rendit indépendant d'a- bord et prit le nom de Damel, puis les autres se délivrèrert peu à peu de leur vas- selage, et l'empire du Djiolof fut ainsi dé- membré.

Si nous comparons cette légende avec bien d'autres, si nous songeons surtout à ce qui se passe dans la pratique, cher les noirs, nous y voyons le récit imagé d'une série d'événements habituels en Sénégambie, le pouvoir naît, s'éteint et se perd toujours pour la même raison, et d'une manière sem- blable.

Le vieux Sarq-Sam, que la légende fait

196 CONTES POPULAIRES DE LA SÉNÉGAMUIE

sortir miraculeusement du marigot, était un ambitieux qui, comme tant d'autres, eut le désir de régner sur ses semblables; pour cela il s'attacha à avoir une réputation de sainteté, d'équité, de sagesse, qui finit par lui con- quérir l'affection d'un certain nombre de petits villages qui se placèrent spontanément sous sa direction morale d'abord, puis effec- tive, militaire, politique, etc., etc.

Son fils qui n'était pas encore un grand chef chercha à s'étendre, se fortifier. Puis, dans les générations futures l'orgueil méla- nien, les habitudes d'intempérance que le nègre prend si volontiers, et le désir d'en imposer à ses subordonnés, firent qu'un roi prit plaisir à humilier les chefs secondaires qui, de leur côté, manœuvraient, complo- taient pour se rendre indépendants, dans le but d'opprimer à leur tour les faibles et d'avoir assez de richesses pour assouvir leurs nombreux et méchants besoins. C'est tou- jours la même chose en Sénégambie.

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IV

1 l . . lYALIKK QUI SOIGNAIT MAL SON CHEVAL

IL y avait dans le Fouta Damga un homme qui avait un excellent cheval. Avec ce cheval il dépassait tous les autres cavaliers à la course; il pouvait voyager de nuit comme de jour sans jamais craindre que son cheval ne tombât, ne se blessât ou même, tût le moins du monde fatigué.

Mais cet homme était insouciant de sa bête; jamais il ne s'occupait d'elle, jamais il ne lui donnait une bonne ration de mil. M la baignait. Quand il avait besoin de monter à cheval il se contentait de mettre selle et bride en place, quand il avait fini sa course il laissait ie pauvre animal chercher sa nourriture comme il pouvait.

198 CONTES POPULAIRES

Or, un jour, la guerre se déclara ; notre cavalier partit avec les guerriers de son vil- lage contre une peuplade ennemie et voilà que les combattants se rencontrent. Les hommes du Fouta-Damga étaient les plus faibles; ils s'étaient laissé aller à entrer en hostilités contre des gens beaucoup plus nombreux et bien mieux armés ; de sorte qu'après le premier choc ce fut une grande déroute, chacun dut chercher son salut dans la fuite.

Notre cavalier essaya de se sauver comme les autres. Le voilà éperonnant son cheval avec ardeur, mais la bête ne courait guère vite, et bientôt il fut entouré par les ennemis qui poursuivaient les fuyards.

On le jeta par terre, on fut sur le point de le tuer même; mais, en fin de compte, on le fit prisonnier et on le vendit comme captif.

Or, par un hasard très grand, voilà que celui qui l'avait acheté avait aussi acheté son cheval, frappé qu'il avait été des formes vigoureuses et délicates de la bête. Et ce maître chargea notre homme de soigner le cheval.

Ce maître était aussi dur pour ses captifs qu'il était plein d'attention pour ses bêtes, de

DE LA SÉSÉGAMBIK !•)•)

sorte qu'il veilla de très près à ce que le che- val fut soigné autrement qu'il ne l'avait été jusque là. Notre palefrenier de fraîche date est obligé de faire comme domestique ce qu'il avait négligé d'accomplir quand il était libre, sous peine d'être roué de coups.

Je laisse à penser les tristes réflexions qu'il faisait ; mais toujours est-il qu'il ht contre mauvaise fortune bon cœur, et qu'il se mit à soigner le cheval d'une manière extrême- ment attentionnée.

11 vannait son grain avant de le mettre dans la mangeoire, de manière à ce qu'il n'y eut ni poussière ni mauvaises choses avec lui. Il choisissait le fourrage avec une attention minutieuse, il changeait la litière chaque jour, étrillait, baignait, faisait boire le che- val avec une exactitude admirable.

Le cheval était si bon qu'il se prit de reconnaissance pour son ancien maître, et un jour, pendant qu'il le pansait, il lui dit à brûle pourpoint : Veux-tu être libre?

» Oui, répondit le captif stupéfait, mais comment le deviendrai-je?

« Monte sur mon dos et ne crains rien, ajouta le cheval, tu vas voir.

200 CONTES POPULAIRES DE LA SENEGAMBIE

Ce qui est dit est fait; le cheval part au triple galop, et, quoique poursuivi par une nuée de cavaliers, il arriva bientôt au delà de la frontière ; son maître fut ainsi rendu à la liberté.

Il retrouva sa case, ses femmes et ses ri- chesses; et au moment il mit pied à terre, son cheval, lui dit, « maître, que ceci te serve de leçon, si tu m'avais bien soigné dans le principe, jamais tu n'aurais été pi isonnier. Et si tu m'avais aussi mal soigné quand tu étais en captivité que quand tu étais libre, jamais tu n'aurais pu échapper à l'esclavage.

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LK TRAFIC A LA MUKTTK ENTRE GENS QUI NE SE VOIENT PAS

Valkenakr, dans sa Collection de voyages, (tome ItM, p. S09 , nous apprend que Ça-da-Mosto, noble Vénitien qui naviguait, on le sait, en 1455, pour le compte du Por- tugal, sur la côte occidentale d'Afrique, et qui est considéré par quelques auteurs comme le premier Européen qui a découvert le Sé- négal, avait entendu raconter la fable du trafic à la muette, qui a été inventée par quelque ignorant doué d'une grande imagi- nation, pour expliquer l'empressement des traitants à venir chaque année dans certains

202 CONTES POPULAIKES

endroits déterminés pour y faire le com- merce.

» Ça-da-Mosto, ayant demandé aux nègres quel usage les marchands de Melli font du sel ; ils répondirent qu'il s'en consommait d'abord une petite quantité dans le pays, se- cours si nécessaire à des peuples situés près de la ligne, les jours et les nuits sont d'une égale longueur, que sans un tel préservatif contre l'effet de la chaleur leur sang se corrompt bientôt. Ils emploient peu d'art à le préparer. Chaque jour ils en prennent un morceau qu'ils font dissoudre dans un vase d'eau ; et l'avalant avec avidité, ils croient lui être redevables de leur santé et de leurs for- ces. Le reste du sel est porté à Melli en grosses pièces, deux desquelles suffisent pour la charge d'un chameau. Là, les habitants du pays le brisent en d'autres pièces dont le poids ne dépasse pas les forces d'un homme. On assemble quantité de gens robustes qui le chargent sur leur tête et qui portent à la main une longue fourche, sur laquelle ils s'appuient lorsqu'ils sont fatigués. Dans cet état, ils se rendent sur le bord d'une grande eau sans que l'auteur ait pu savoir si c'est la mer ou quelque fleuve, mais il penche

DE LA SÉNÉGAMBIK »o3

à croire que c'est de l'eau douce, parce que dans un climat si chaud il ne sertit pas aire d'y porter du sel si c'était la mer.

Lorsqu'ils sont arrivés au bord de l'eau, les maitres du sel font (MchMgtf la mar- chandise Bt placent chaque morceau sur une même ligM, en y mettant leur marque. En- suite la caravane se retire à la distance d'une demi-journée. Alors d'autres nègres, avec lesquels ceux de Melli sont en commerce, mais qui ne veulent pas être vus et qui sont apparemment les habitants de quelques îles, s'approchent du rivage dans de grandes barques, examinent le sel, mettent une somme d'or sur chaque morceau, et se reti- rent avec autant de discrétion qu'ils sont ve- nus. Les marchands de Melli retournent au bord de l'eau, considèrent si l'or qu'on a laissé leur paraît un prix suffisant, s'ils en sont satisfaits ils le prennent et laissent leur sel, s'ils trouvent la somme trop petite, ils se retirent encore en laissant l'or et le sel, et ses autres, revenant à leur tour, mettent plus d'or ou laissent absolument le sel. Leur commerce se fait ainsi sans se parler et sans se voir; usa^e ancien qu'aucune infidélité ne

U04 CONTES POPULAIRES

leur donne jamais occasion de changer. Quoique l'auteur trouve peu de vraisem- blance dans ce récit, il assure qu'il le tient de plusieurs Arabes, des marchands Azanaghis et de quantité d'autres personnes dont il vante le témoignage.

<- Il demanda aux mêmes marchands pour- quoi l'empereur de Melli, quiestun souverain si puissant, n'avait point entrepris par force ou par adresse de découvrir la nation qui ne veut ni parler ni se laisser voir. Ils racontè- rent que peu d'années auparavant, ce prince ayant résolu d'enlever quelques-uns de ces négociants invisibles, avait fait assembler son conseil, dans lequel on avait résolu qu'à la première caravane quelques nègres de Melli creuseraient des puits au long de la rivière près de l'endroit l'on plaçait le sel, et que s'y cachant jusqu'à l'arrivée des étrangers, ils en sortiraient tout d'un coup pour faire quelques prisonniers. Ce projet avait été exécuté. On en avait pris quatre, et tous les autres s'étaient échappés par la fuite. Comme un seul avait paru suffire pour satisfaire l'empereur, on en avait renvoyé trois en les assurant que le quatrième ne serait pas plus maltraité. Mais l'entreprise n'eut pas plus de

succès. Le prisonnier refusa de parler. En vain, linterrogea-t-on dans plusieurs lan- gues, il garda le silence avec tant d'obstina- tion, que rejetant d'un autre côté toute sorte de nourriture, il mourut dans l'espace de quatre jours. Cet événement a fait croire aux nègres de Melli que leurs négociants étrangers sont muets. Quelques-uns néan- moins pensant, avec plus de raison, que le prisonnier, étant revêtu de la forme hu- maine, ne pouvait pas être privé de l'usage de la parole, mais que dans d'indignation de se voir trahi il avait pris la résolution de se taire jusqu'à la mort. Ceux qui l'avaient en- lapportérent à leur empereur qu'il était fort noir, de belle taille et plus haut qu'eux d'un demi pied, que la lèvre infé- rieure était plus épaisse que le poing et pen- dante jusqu'au dessous du menton; qu'elle était fort rouge et qu'il en tombait même quelques gouttes de sang, mais que sa lè- vre supérieure était de grandeur ordinaire, qu'on voyait entre les deux ses dents et ses gencives, et qu'aux deux coins de la bouche il avait quelques dents d'une grandeur extraor- dinaire. Que ses yeux étaient noirs et fort ou-

20Ô CONTES POPULAIRES

verts. Enfin que toute sa figure e'tait terri- ble.

« Cet accident fit perdre la pensée de renou- veler la même entreprise, d'autant plus que les étrangers irrités apparemment de l'insulte qu'ils avaient reçue, laissèrent passer trois ans sans reparaître au bord de l'eau. On était persuadé, à Melli, que leurs grosses lèvres s'étaient corrompues par l'excès de la chaleur et que n'ayant pu supporter plus longtemps la privation du sel qui est leur unique re- mède ; ils avaient été forcés de recommencer leur commerce. La nécessité du sel en est établie mieux que jamais dans l'opinion des nègres de Melli, ce qui est assez indifférent à l'empereur, pourvu qu'il en tire beaucoup d'or. C'est tout ce que l'auteur (Ça-da-Mosto) a pu se procurer de lumière sur des faits si difficiles à vérifier. Mais en les reconnaissant fort étranges, il ajoute qu'on ne doit pas les traiter de fabuleux après les divers témoigna- ges sur lesquels ils sont appuyés, et lui- même dit qu'il a vu dans le monde et entendu tant de choses merveilleuses qu'il ne fait pas difficulté de les croire. »

Ça-da-Mosto n'est pas le premier qui ait

M I mB;E

entendu raconter cette (able du trafic m

pli sans que les habitants se voient el d«bal- tent [le prix des inaidiandises. car <. . d. | i citée par Hérodote, livre IV (Mclpo- mene, cv»:vi, édition de M lot-Fii min-Didot, t. 1, ^ i > q 1 1 i dit que les Carthaginois imploraient ce moyen quand ils allaient ua-

tiquer sur la .oie (X cidentale d'Alrique. « Ces mêmes Carthaginois affirment qu'au delà du territoire de la l.ybie et en dehors des colojV nes d'Hercule il existe des pays habit ajoutent qu'ils y abordent avec de* raû de commerça et que, lorsqu'ils sont a ils déposent sur le rivage leurs marchandi- ses; ils remontent ensuite dans leurs a et l'ont paraître de la famée. Les habitants du pays, avertis par ce lignai, accourent \ers la mer, placent à côte des marchandises la quantité d'or qu'ils offrent en echang. retirent dans l'intérieur. Les Carthaginois reviennent et si l'or qui leur est offert leur parait payer la valeur de la marchandise, ils la laissent et emportent l'or. Si le prix ne leur paraît pas convenable, ils remontent dans leurs vaisseaux et attendent tranquillement de nouvelles offres. Les naturels du pays re- viennent et ajoutent une certaine quantité

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208 CON1ES POl'Ul.AlHES

d'or jusqu'à ce que l'on soit satisfait de part et d'autre. Dans tous les cas, on ne se fait aucun tort réciproque; les uns ne touchent point à l'or tant que la quantité offerte n'est point estimée égale à la valeur de la mar- chandise, et les autres ne touchent point aux marchandises tant que leur or n'a point été enlevé. »

On voit que cette absurde fable du trafic à la muette, entre gens qui ne se voient pas, ne date pas d'hier, puisqu'elle était racontée déjà quatre cents ans avant notre ère. Elle s'est transmise ainsi pendant quarante-cinq siècles de bouche en bouche en Sénégambie, car Jobson l'a entendue sur les rives de la Gambie en 1620. Mouette, en 1671, l'a re- cueillie sur les côtes du Maroc, et moi-même je l'ai retrouvée le long du Sénégal en i852 et en 1872.

Il est vrai que de notre temps, tantôt le conteur dit que c'est dans l'intérieur de l'A- frique que les choses se passent, et alors ce sont les Bambaras ou les Mandingues qui vont au pays de ces êtres surnaturels, tan- tôt, au contraire, c'est sur le compte des Européens que la fable est mise; et le nar- rateur ajoute alors le détail suivant qui est

DE I A SÉNÉGAMBIK IÔÇ

aussi fantastique que l'histoire elle-même : « Les Européens cherchent avec une grande ardeur à acheter des arachides et au- tres graines oléagineuses ou de l'huile de palme même, dit-il, parce que l'huile leur est d'un grand secours pour la conservation de leur existence lors de leur voyage de re- tour. En effet, pendant qu'ils reviennent du Sénégal vers l'Europe sur leurs navires, ils sont assaillis par des troupeaux de monstres marins qui les manderaient tous sans pitié si par un subterfuge adroit l'équipage ne sa- vait pas échapper h leurs attaques.

Voici le subterfuge : au moment le na- vire est serré de trop près, on jette à la mer une certaine quantité d'huile dont les mons- tres sont très friands Or pendant que ces monstres s'attardent à boire cette huile jus- qu'à la dernière goutte, le navire fait force de voiles et parvient ainsi à se sauver de l'im- mense danger qu'il courrait s'il ne savait dé- tourner par la ruse les attaques d'un en- nemi qu'il ne peut repousser par la force.

1 e lecteur trouvera comme moi que l'ex- plication nègre de notre commerce de grai- nes oléagineuses avec la côte occidentale d'Afrique est très remarquable, car on sait

2 10 CONTES POPULAIRES DE I.A SENEGAMBIK

qu'Aristote racontait déjà dans l'antiquité que les matelots ont un moyen assuré de calmer les vagues agitées de la mer en jetant par dessus le bord des tonneaux d'huile.

Or n'est-ce pas le vestige de cette croyance qui, se mêlant à la notion des vents alises, qui contrarientle retour des naviresversl'Europe et se mêlant ainsi aux péripéties de la pèche à la baleine, etc., toutes ces choses racontées par les Européens aux nègres sénégalais ont été défigurées par ces intelligencesenfantines.

C'est qu'en effet les nègres sont le plus souvent incapables de croire à autre chose qu'aux légendes dans lesquelles le surnaturel précise les faits de la vie ordinaire, et quand on leur raconte quelque chose, leur imagi- nation donne volontiers aux événements les plus simples une tournure fantastique qui est bien faite pour exciter le sourire des gens sensés, tandis qu'elle est accueillie comme argent comptant par la multitude mélanienne.

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KOLI- SATICNY

Dans les lempi (\isscs, les Torodos habi- taient dans la Fouladougou qui est, on le sait, placé dans le haut pays de la S gambie entre les derniers contre-forts du Fouta-Djalun. les rives du Batïng et celles du Niger.

Dam M payti la terre est maigre, les hi- vernages sont capricieux, de telle sorte que tantôt l'année entière s'écoule sans pluie suffisante, tantôt il y en a trop. 11 arrive souvent que les graines mises en terre ne lèvent pas a cause de la sécheresse, tandis que d'autrefois une tornade projette inopi- nément une énorme quantité d'eau sur le sol en quelques heures et noie les semences

212 CONTES l'Ol'Ul. AIRES

ou bien les entraîne par le ravinement de la terre labourée.

L'Armathan de son côté souffle parfois d'une manière prématurée, d'autrefois il est persistant au point de rôtir toutes les her- bes, de dessécher tous les marigots et de faire tarir les sources; de sorte que les bestiaux manquant de nourriture ou de boisson sont sujets à des maladies plus souvent que dans les autres contrées.

Le pays qu'habitaient les Torodos était donc bien inférieur à beaucoup d'autres; mais néanmoins les habitants quoique souf- frant souvent, car aux moments même ils étaient le plus favorisés ils se trouvaient relativement dans une condition précaire, ne songeaient pas à le quitter.

Ils vivaient donc au jour le jour plus sou- vent malheureux qu'à l'aise, et ils n'avaient ni richesse, ni puissance, ni même grande considération vis à vis de leurs voisins. C'est qu'en effet ne possédant pas des provisions de graines ou de nombreux troupeaux de bestiaux pour changer leur avoir contre des armes et de la poudre ils avaient toujours le dessous quand il fallait combattre les enne- mis.

l'K I * M NF.GAUBIE 2 l3

Ces habitants du Foulahdougou étaient, il faut le dire, idolàtie* >• cette e'poque. Or on sait que, dans cette situation morale, ils ne pouvaient compter ni sur la force, ni sur le dévouement des particuliers, ni surtout sur la protection divine, Dieu ne favorise pas les kjfers (infidèles* tandis, au contraire, qu'il Ml plein de bontés pour les gens religieux.. Tout le monde sait cela.

M us il faut dire à la louange de ces hom- me-, que peu à peu la religion du prophète s'introduisit dans le pays, et chassa devant elle les erreurs de l'idolâtrie. D'abord cette religion fut prèchee par quelques saints pèlerins isolés et souvent combattus; puis peu à peu les marabouts trouvèrent moins istance et moins d'incrédulité. Enfin il arriva un jour que l'islamisme fut la reli- gion générale de toute la population ; reli- gion observée même avec le soin scrupu- leux qui est agréable à Dieu.

Les choses étaient à ce point lorsqu'une série de mauvaises années commença pour l'agriculture et les troupeaux. Bientôt toutes les provisions furent épuisées, la plupart des bètes tombèrent malades et moururent, bref une immense misère et une cruelle famine pesèrent sur le pavs

214 CON I ES rOl'Ul.A'KKS

Les enfants à leur tour se mirent à mou- rir de maladie; les femmes et les vieillards succombaient faute de nourriture ; on pou- vait prévoir le moment la population entière disparaîtrait du sol, quand un chet plein de sainteté et de savoir, protégé visi- blement par Dieu, se révéla pour le bon- heur de ses compatriotes. C'était Koli Sa- tigny.

Koli Satigny était un fervent religieux ; il avait appris dans les prières des formules pleines de puissance. Sa piété lui avait valu des connaissances qui manquent à la plu- part des autres hommes.

Grâce à la protection divine qu'il avait méritée il prévoyait l'avenir comme les au- tres voient le présent. Il savait étaient les choses cachées et il possédait un talisman qui non-seulement le rendait invulnérable, mais encore lui permettait de franchir les distances sans qu'on le vit changer de place.

Ce précieux talisman lui faisait distinguer le bon du mauvais. Et plus encore, le déro- bait à la vue des gens qui lui voulaient du mal, de sorte que lorsqu'il était en danger, entouré d'ennemis il leur devenait invisible et par conséquent pouvait leur nuire et dé- jouer leurs efforts sans avoir aucune mau-

DE I.A SFNKCAMBIE n5

vaise chance à redouter de leur animadver- sion.

Koli Satigny ému des souffrances de ses compatriotes, et voyant que leur pieté tl leur ferveur religieuse méritaient cependant un sort meilleur, releva le courage public qui l'affaiblissait.

Il prêcha d'abord la patience, demanda à chacun de redoubler de prières; et enfin un jour comme les choses n'allaient pas mieux il leur dit : L'heure est venue de ne plus être malheureux. Dieu vous commande par ma voix de quitter ces contrées qui doivent rester désolées et Stérilet. Je suis charge par lui de vous conduire dans des régions plus fortunées. »

Aussitôt chacun se mit en mesure d'obéir à cette injonction; les mesures de départ fu- rent prise et bientôt chacun fut prêt pour l'émigration. Ce fut une émigration raie, à laquelle on se décida d'autant plus facilement que le pays qu'on allait quitter était triste, stérile et ruiné de fond en com- ble.

On se mit en loute péniblement, car on avait des chemins très difficiles et des con- trées absolument arides à traverser; mais

i3-

2i6 contes rorui. AIRES

Koli Satigny soutenait le courage des défail- lants par de bonnes paroles. Il montrait tou- jours de la main un certain point de l'hori- zon vers le nord-ouest en disant : « Croyez- moi, fidèles serviteurs de Dieu ; c'est que nous devons aller. C'est que nous trouve- rons une terre féconde et le bien-être qui nous fera oublier la misère présente. »

Le voyage dura longtemps ; il devenait surtout de plus en plus pénible, de sorte que peu à peu le découragement commença à gagner la masse. Beaucoup crurent ferme- ment que leur dernier moment était arrivé, tant leurs souffrances étaient grandes.

Enfin un jour toutes les provisions se trouvèrent épuisées. Il n'y avait plus rien ni pour boire ni pour manger; le pays était si aride que chacun pensa qu'on allait mourir de faim sans rémission. Il y eut alors des murmures, des cris de désespoir, de douleur et même de révolte.

« Le sol vers lequel nous allons est plus infertile que celui que nous avons quitté, » dirent les dissidents. » t Non, » répondit Koli Satigny, « je vous jure qu'il est fécond, riche, et qu'il va nous faire vivre dans l'a- bondance.

DE l-A SÉNKGAMBie 217

Ce n'est pas vrai, répondirent-ils , « nous allons tous mourir de faim.

Mais Koli Satigny lit une courte et fer- vente prière, et aussitôt après, étendant la main vers un palmier ronier qui était dan* le voisinage, il leur dit . Regardez, gens de peu de foi, si Dieu laisse mourir de faim sa créature, quand celle-ci met sa confiance en lui. »

Or sur le ronier, chacun put voir uik ruche qui tenait dons son bec un épi de mil et qui avait l'air de se mettre en mesure de le manger tranquillement.

Comme on le comprend, chacun cria au miracle; et soudain les plus faibles eurent de nouvelles forces pour marcher dans la direction que Koli Satigny indiquait. On se remit donc de nouveau en chemin; et aussi- tôt la perruche se mit à voler au devant du peuple migrateur, s'arrètant de temps en temps sur un arbre pour bien montrer l'épi de mil qu'elle tenait a son bec.

C'est ainsi que le peuple de Koli Sal arriva dans le Fouta sénégalais, sur les bords du fleuve Sénégal, dans un pays règne l'abondance. Et c'est bénissant Dieu et obéissant aux commandements de leur chef

2i8 CONTES POPULAIRES DE I.A sÉNÉGAMBIE

religieux qu'ils s'établirent définitivement.

Koli Satigny leur dit alors que leur nou- velle patrie resterait fertile tant qu'ils se- raient pieux et fervents. C'est pour cela que les Torodos sont des hommes religieux. Ils obéissent ainsi au commandement de celui qui les a tirés de la misère. Koli Satigny obtiendra pour eux les faveurs divines par son intercession tant qu'ils s'en rendront di- gnes par leur piété.

Je demande au lecteur s'il ne voit pas dans la légende de Koli Satigny quelque chose de très analogue à celle de Noé, à celle de Moïse, à celle de mille autres législateurs religieux? Quant à moi, j'y trouve de telles analogies, disons plus, de tels points d'iden- tité, que je ne puis me défendre de la pen- sée qu'elles sont toutes de même origine.

? 1 V

VII

l'ûKIGINF. DKS I.AOBl's ET DKS GRIOTS

Da n s les temps passés, les populations du liant p.i\s irfnégMibiM étaient toutes idolâtres ; elles adoraient des fétiches et ne connaissaient pas la religion de Dieu, rece- lée par son prophète Mahomet.

Un jour il arriva dans le pays un grand marabout étranger, qui s'appelait llouba- Foul, et qui venait de bien loin pour con- vertir les habitants de la Senegambie.

Houba-Foi.il savait tout, il prédisait l'ave- nu, et avait toujours raison en tout; aussi il réussît bientôt à faire disparaître la fausse religion des ietiches ; l'islamisme se repan- dit dans tout le paj

220 CONTES POPUI. AIRES

Mais il ne faut pas oublier de dire qu'il rencontra d'abord de grandes résistances. Les Kafers essayèrent même d'opposer leurs armes au prédicateur de la vraie religion ; de sorte que pendant plusieurs années il fallut se battre. Donc Houba-Foul eut be- soin de soutenir ou de porter la guerre dans divers endroits.

Il y eut beaucoupMe gens tués avant que la victoire restât définitivement aux vrais croyants.

Houba-Foul qui s'était marié dans le pays eut deux enfants : Hamet et Samba; lesquels devinrent à leur tour les chefs d'une peuplade différente Les deux peupla- des vécurent côte à côte cultivant également quelque peu la terre et élevant également des troupeaux qui étaient leur principal moyen d'existence; mais ce qui vaut mieux, obéissant aux lois du Prophète et adorant le vrai Dieu.

Le pays du haut Sénégal est aride et peu fertile, on le sait, aussi les deux peu- plades étaient obligées de beaucoup travail- ler pour vivre. Le travail de la terre est aléatoire dans ces contrées les années stériles sont fréquentes, de sorte que c'est

DE IA SÉNF.GAMBIF. 211

surtout l'élevage des troupeaux qui consti- tuait leur moyen d'existence.

Mais on sait que le métier de pasteur tout noble qu'il soit est dur, il expose souvent à la misère parce que souvent il faut changei de résidence pour trouver de bons pâtura- ges et que souvent aussi dans ces incessantes migrations il arrive : ou bien que les trou- peaux meurent de fatigue; ou bien une ma- ladie epideniique les frappe; ou bien encore on trouve après une longue marche un pays BBCOrt pUi> itérili que celui qu'on vient de quitter.

Or un jour il arriva une grande famine; les bètes et les gens moururent en grand nombre, la misera fut générale, on se trouva très malheureux.

Dans c^s conjonctures Samba fut plus re- signé; il continua à vivre dans le désert, cherchant ça et quelques maigres pâtura- ges sans se décourager soignant ses trou- peaux du mieux qu'il pouvait et invoquant pieusement le secours de Dieu par de fré- quentes prières.

Grèca a la protection divine, de meilleures années succédèrent à l'époque de la disette ; les troupeaux prospérèrent de nouveau ; et

222 CONTFS POPULAIRES

il arriva un jour la peuplade de Samba forte, vigoureuse, pieuse, se trouva puis- sante dans le pays. Ce qui veut dire qu elle était respectée de tous.

Mais pendant que Samba s'était roidi ainsi contre le mauvais sort, en mettant toute sa confiance en Dieu, et en continuant la vie pastorale que lui avait léguée son père. C'est- à-dire se contentant du lait de ses vaches de la viande de ses bœufs et du peu de mil qu'il trouvait çà et le temps de semer dans de maigres terrains entre deux migra- tions ; Hamet agit autrement.

En effet, au lieu de rester dans le désert, il se dirigea, avec son peuple, vers les rives du fleuve il trouva des terrains plus plantureux et les graines poussent plus facilement, donnant de plus fortes récoltes pour moins de travail. En un mot il s'habi- tua à ce bien être qu'il ne connaissait pas avant ; en même temps il devint moins re- ligieux; sans cesser de se dire musulman il redevint presque fétichiste.

Le bon rendement des récoltes l'engagea à cultiver davantage encore le terrain; il varia ses semences et arriva à créer des lou- gans dans lesquels il y avait un grand nom-

M-XiAMBIE 2l3

brc de plantes comestibles ou industrielles ■tnsi que des fruits savoureux. Il rëu^ d'autant mieux dans ce nouveau métier que son impiété le poussa à faire souvent des pactes inavouables avec des sorciers. A em- ployer des moyens magiques pour conserver les récoltes au lieu de s'en remettre aveu- clément à lu seule volonté du tout-puissant, donnant uussi son temps à l'agricul- ture il ne pouvait ainsi soigner ses bestiaux convenablement de sorte que ceux-ci com- mencèrent à péricliter. On sait que sur les bords du lleuve il y a des mouches et des moustiques qui nuisent aux bêtes pendant l'hivernage. C'est pour garantir les trou- peaux que les pasteurs nomades s'éloi- gnent de ces rives dès que les pluies arri- vent. Or Hamet se trouva dans l'alternative d'abandonner ses champs plantureux ou bien de laisser souffrir ses troupeaux et comme la vie de cultivateur était plus douce, i tait moins de soins et de fatigues que celle de pasteur, il laissa ses trouvpeaux souffrir et il arriva à ne posséder plus que quelques bêtes qui étaient d'ailleurs moins belles et moins vigoureuses que celles qui \ i\ enl dans le désert.

224 CONTES POPULAIKKS

Hamet devint donc un cultivateur et la peuplade fit comme lui ; il oublia de prier, il ne fut plus un croyant rigoureux, il prit de l'embonpoint, ses guerriers s'amol- lirent et négligèrent la religion, en même temps qu'ils s'enrichissaient. Aussi au bout de quelques années sa transformation fut com- plète. Ils avaient perdu les caractères de no- blesse et de ferveur religieuse qui appartien- nent aux pasteurs pour prendre la grossièreté vulgaire et les faiblesses de volonté et de courage, l'incrédulité vis à vis des croyances saintes qui sont le lot des cultivateurs tou- jours tremblants pour leurs récoltes.

Un jour il arriva cependant qu'Hamet eut envie d'aller revoir son frère. Le voilà donc en route avec les siens, menant devant lui quelques très médiocres troupeaux qui lui restaient, montant des cheveaux grossiers et incapables de fournir une course brillante, ne priant jamais et ayant besoin pour vivre de mille douceurs qui sont inconnues et méprisées par le noble pasteur.

Quand Samba qui avait conservé intactes et pures toutes les traditions de piété, de force, de courage, de résignation contre le malheur, etc., que lui avait léguées leur père,

U M %i nAoamwi

vit arriver son frère, impie, efféminé, pares- seux, pusillanime, lâche ; possédant en un mot tous les défauts de ceux qui ont été amollis par une aisance trop grande et trop prolongée il eut honte de lui. U se mit en colère, le méprisa et le chassa ignominieu- sement après lui avoir enlevé pour le punir tout ce qui constituait sa ricin

Hamet s'en retourna honteux et miséra- ble vers les bords du Sénégal il avait w4ai plantureusement. Mail il y rencontra cette fois des peuplades qui s'étaient établies sur ses terres et qui étaient trop belliqueu- ses et trop pieuses pour se laisser déposséder par lui et ses hommes efféminés.

û >orte que lui et les siens furent obligés de se séparer par petits groupes de miséra- bles afin de ne pas mourir de faim.

Les uns d'entre eux apprient la musique et se mirent à chanter pour gagner leur vie aux dépens de la bonté et de la générosité des hommes. Ils devinrent les griots.

Les autres se mirent à travailler le bois pour faire des baganes,des mortiers, des pi- lons à mil, etc. Ils devinrent les laobés.

Voilà pourquoi les griots jouissent de si peu de considération vis à vis de la popu-

22b CONltS POPULAIRES DK I.A SENEGAMBII

lation de la Sénégambie. Ce sont des indi- vidus déchus; frappées par une réprobation séculaire. Et c'est pour cela qu'ils ont tant de défauts.

Mais d'autre part comme ils sont les des- cendants de Houba-Foul, ils conservent, tout dégénérés qu'ils soient, certains privi- lèges spéciaux. C'est pour cela qu'il est dé- fendu de faire du mal aux hommes de cette catégorie.

Quant à leurs femmes... Il ne faut pas oublier que celui qui obtient éventuellement leurs faveurs est assuré d'être désormais heureux, plein de force, de vigueur, de santé, et qui plus est, est certain de réus- sir désormais dans toutes ses entreprises. C'est pour cela que les hommes de toute condition jeunes et vieux recherchent tou- jours, avec tant d'empressement, les fem- mes et les filles des griots et des laboés pour nouer avec elles des liaisons éphé- mères.

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I.ÉGK.NDK DK l'KNln B*I.«>L"

Près du village de lidlou se trouvent, sur le cours de la Kalemé, assez près de l'en- droit où cette rivière se jette dans le Scru- tai, des ruches qui forment des rapides pen- dant lu saison sèche, et que l'eau de la rivière couvre presque complètement au mo- ment de l'hivernage.

Ces rochers noirs et arrondis constituent à certaines époques de l'année un véritable danger nautique pour les pêcheurs dont les barques peuvent être brisées ou endomma- gées par un choc imprévu; aussi ont-ils leur légende qui M manque pas d'une certaine poésie, comme on va le voir.

Le village do Balou était, dans les temps,

228 CON IËS POPUI.AlKfcS

gouverné par un homme de bien qui n'avait que le de'faut d'être faible et de laisser com- mander sa femme et sa fille plus qu'il ne fallait.

Par le fait de cette faiblesse, sa femme avait pris une influence considérable sur la marche des affaires du pays, et sa fille, la jeune Penda, admirable créature, plus belle que toutes les négresses des environs à plus de dix journées de marche, était capricieuse, sans trouver jamais, soit chez son père, soit chez sa mère, un obstacle sérieux à ses vo- lontés.

Grâce à cette indépendance de caractère, Penda, qui était une beauté accomplie, avons-nous dit, qui était la seule descen- dante du chef et qui, par conséquent, devait conférer à son mari une haute position dès les premiers jours du mariage ; et même le commandement du village à la mort de ses parents.

Penda, dis-je, sachant que tous, autour d'elle, avait grand désir de lui voir choisir un époux, s'obstinait à rester fille. C'est en vain que tous les jeunes hommes de Balou lui avaient fait des avances, elle les avait dé- daignés tous sans exception.

I>K i ' ll'.lt 229

Nombre de jeunes gens des environs, beaux, bien faits, guerriers renommé* 6b de rois puissants, s'étaient épris d'elle, au- cun n'avait obtenu de réponse satisfaisante; Il hère jeune fille éconduisait d'un mot ou d'un regard les plus langoureux comme

les plus hardis prétendants.

l'eiula jouissait d'une grande liberté dans sa maison, elle allait seule ou avec quelques jeunes amies se promener sur les bords du Btuve, se baigner en eau profonde; elle fai- sait en un mot ce qu'elle voulait sans con- trôle.

Un observateur eût pu remarquer que si le matin elle aimait à jouer avec ses compa- rus, quand le soleil baissait elle se du 1 volontiers seule du côté de la Falemé.

Les pêcheurs la voyaient souvent assise au moment de la nuit tombante sur les rochers dont nous avons parlé ; et bien que plus d'un lui eût dit en passant : Penda ! prends garde à Goloksalah; l'entêtée jeune fille s'obsti- nait à rester ainsi jusqu'à une heure a\an- cee de la nuit, regardant couler l'eau dans cet endroit les génies se montrent quel- quefois, et les mortels n'ont rien de bon uer.

23û C0N7KS POPUI.AII'I l8

Que faisait Penda pendant ces longues heures, assise sur les roches de Balou?

Elle écoutait les paroles d'amour d'un ad- mirahle jeune homme qui venait tous les soirs, invisible pour les autres, visible seu- lement pour elle, se mettre à ses genoux et lui parler de ses beaux yeux, de son esprit charmant, en un mot, de tout ce dont les amoureux parlent.

Les choses duraient ainsi depuis long- temps, lorsque la mère de Penda prit un jour sa fille à part et lui dit : « Ton père se fait vieux, il faut un chef plus jeune au vil- lage ; par conséquent, il serait nécessaire de faire sans tarder un choix parmi les nom- breux jeunes gens qui recherchent ta main. »

La jeune fille essaya d'abord de se dégager par des réponses aléatoires; mais sa mère in- sistant, elle s'émut peu à peu et finit par avouer enfin que son choix était fait.

Seulement au lieu d'un jeune guerrier du pays ou des environs, il s'agissait d'un admi- rable prince plus beau, plus galant, plus no- ble que personne. Penda lui avait donné son cœur sans savoir son nom, sans connaître sa famille et elle lui avait promis de le suivre dans ses États lointains; renonçant ainsi de

I>1 [ A .1 sÉoAUBIE > 3 I

U manière la plus légère aux projet timement caresses par sa lamille, par le vil- lage entier, Je lui voir épouser un homme qui viendrait prendre la succession du roi de l'.alou.

On juge du desespoir de la mère, de ses supplications, de ses colères; elle voulut re- prendre tout d'un coup une autorite qu'elle avait laisse échapper et signitia a :>a tille que dès le lendemain elle serait ti.u jeune homme qu'elle lui désigna et qui de- \ ut assurément faire un mari accompli.

La nuit venue, l'enda désolée court aux rocket ; elle y trouveson adorateur ordinaire ; elle lui raconte tout. Les deux amants sont aux abois, les projets les plus insensés sont dîaCUte*. Knhn la pauvre Penda, dans sa candeur de pure jeune tille, accepte de sui- vre son beau jeune homme et d'abandonner ainsi pays, lamille, amis, tout enfin, ne craignant pas de desobéir aux ordres les plus

sacres.

Kl le se jette à l'eau pour traverser la ri- vière, car les prétendus États du séducteur étaient de l'autre côté de la Faleme et a peine a-t-elle fait ainsi le premier pas dans la voie de la désobéissance et de la faute

'4

232 CONTES POPULAIRES

qu'elle est saisie sans pouvoir opposer de résistance, entraînée au fond de l'eau et con- duite dans un palais sous-marin merveilleux de beauté et de grandiose.

Pleine d'effroi, elle se sentait mourir, mais elle est admirablement accueillie par des captives sans nombre, des serviteurs em- pressés qui exécutaient ses moindres volon- tés, qui lui obéissaient comme à une souve- raine.

A peine revenue de sa surprise, elle entend la voix de son amoureux qui lui disait: « Ma Penda adorée! j'accours près de toi; tu vas être ma femme et nous vivrons éternelle- ment ensemble d'un bonheur sans mé- lange. »

Elle se retourne pour se jeter dans ses bras, et horreur!!! au lieu du beau et admi- rable jeune homme qu'elle était habituée à voir, elle aperçoit un épouvantable caïman, aux yeux glauques, à la gueule dégoûtante, au dos écailleux, aux pattes crochues, à la queue monstrueuse et au ventre vert.

On devine facilement l'effroi, la répulsion, les regrets de. la pauvre enfant; elle avait imprudemment écouté les suggestions de Goloksalah, le génie redouté qui s'était cou-

M I.A SÉNÉOAMBIE 2 33

vert des apparences d'un beau jeune homme pour la faire succomber, mais qui reprenait sa lorme hideuse de caïman une fois rentre dans ses États.

Penda, plus morte que vive, résiste à l'hor- ribk animal de toutes ses forces, et, près de succomber, implore le génie protecteur de H famille, lui demandant la mort plutôt que le déshonneur.

Ce génie qui avait une puissance assez £i iode pour lutter à armes égales contre Go- loksalah, mais qui cependant n'était pas as- sez fort pour l'emporter sans peine, prit acte de la facilite que lui donnait le désir de mourir exprimé par la jeune hlle, et il la transforma en une grosse pierre noire, la préservant ainsi des atteintes de son mons- trueux amoureux.

C'est donc le corps de Penda que l'on voit aux basses eaux. Toutes les nuits Goloksalah vient la supplier de reprendre sa forme pri- mitive , pour satisfaire son amour. Et ces bruits sinistres que l'on entend parfois dans les environs sont les supplications, les priè- res, les colères de Goloksalah, les cris d'ef- froi et de résistance de Penda.

Malheur à celui qui s'attarde dans les en-

234 CONTES POPULAIRES DE I.A SÉNEGAMHIE

virons, il court grand risque de payer son imprudence de sa vie. Plus d'une fois la co- lère de Goloksalah a brisé une pirogue qui avait eu la hardiesse de passer trop près du corps de sa bien-aimée pe'trifiée.

IX

LA Cl(OY\NCK .AUX SOBCII'KS CHEZ !

SKNÉGVMUII S>

Lks nègres sénegambiens croient ferme- nient à l'existence des sorciers, et par quent il court dans le pa\s dei «.ontes plus ou moins fantastiques dans lesquels un ou plusieurs de ces sorciers sont mis en cause.

Ces nègres ont trouve1, ou plutôt ont ac- cepte, une singulière explication de 1 exis- tence et de l'origine des sorciers; car cette explication leur vient évidemment du dehors comme on va le voir.

Au moment de la confusion des langues dans la tour de Babel, le jour tombait et chacun était fat

2 36 CONTES POPULAIRES

Comme il fallait gagner au plus vite les campements, les hommes se mirent à mar- cher dans divers sens; ils commencèrent inopinément un voyage pénible, ayant pour la plupart une grande soif.

Après avoir souffert longtemps du besoin de boire, chacun d'eux se trouva devant un ruisseau de sang; beaucoup ne s'arrêtèrent paset continuèrent jusqu'à un ruisseau d'eau pure il se désaltérèrent. Ceux-là, qui étaient le plus grand nombre, ont été la souche des hommes ordinaires.

Quelques-uns, trop pressés, s'abreuvèrent au ruisseau de sang et ont fourni les sorciers qui peuvent quitter leur corps, voler comme des oiseaux ou se transformer de mille ma- nières ; ils font toutes sortes de niches et de mal à l'espèce humaine et ne peuvent être tenus en respect que par les gris-gris.

Il est des nègres qu'on ne ferait jamais sortir de leur case la nuit pour rien au monde et qui attribuent aux sorciers tous les bruits nocturnes qu'ils entendent.

Il y a un excellent moyen de se garantir des maléfices des sorciers d'après les bonnes femmes du pays. C'est de crier : « Nous mangeons du sel «quand on entend le moin-

* SF.NKCAHBIC 1 37

die brait nocturne ; le sorcier effrayé alors se hâte de s'enfuir.

t, qu'en effet, d'après les mêmes auto- rités, le sel est une arme puissante contre celle engMOOi satanesque. Et quand on veut découvrir un sorcier parmi les gens qui vous entourent il suffit de s'en aller nuitam- ment, armé d'un bon paquet de sel, risfol ceux qui sont soupçonnés de sorcellerie.

Celui qui est réellement en relation avec le diable n'est pas dans la case alors, et on trouve sur son tagal ou sa natte sa peau qu'il a laissée la pendant qu'il s'est transforme en animal.

Or, le malin a soin de saupoudrer la faee interne de cette peau avec du gros sel et le lendemain matin quand en revenant du Sabbat le sorcier cherche à rentrer dans cette peau il est piqué en mille endroits, ce qui l'oblige à venir vous supplier de lui enlever les grains de sel qui le blessent cruellement.

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Un des amusements très prisés par |tl gréa est de poser des énigmes que cha- cun s'efforce de deviner de son mieux et dont les explications plus ou moins baroques fournie* par celui qui est sur la selette font rire toute l'assemblée jusqu'à ce le mot juste donné par quelqu'un provoque une explo- sion de bissimiLii ! étonnes et approbatils.

Voici quelques-unes de ces enivres; la première a les proportions d'une véritable légende; les autres sont de simples questions posées et auxquelles il faut que chaque nè- gre de l'assistance réponde d'un mot.

240 CONTES rOrUI.AlKKS

l'homme a la poule

Il arrive parfois qu'un loustic de l'as- semblée raconte la légende suivante qui ne manque pas, on va le voir, d'une cer- taine originalité.

Il y avait un homme dans les environs de Kahone dans le Saloum qui pouvait se flat- ter d'être très favorisé du Ciel ; en effet, quoique déjà âgé, il avait encore sa mère bien portante; et cette vieille femme avait une étrange qualité : elle prenait un peu de sable devant sa case tous les matins et, le mettant dans un plat, elle le transformait en excellent couscous.

Cet homme avait aussi un fils qui, tous les jours au moment du repas, lançait uue flè- che en l'air et en rapportait une volaille toute cuite, ou bien un morceau de viande tout apprêté.

Il avait aussi un coq qui en grattant la terre lui trouvait tous les jours dix gros d'or qu'il lui portait; une vache qui lui faisait un

H I I tàlti '.AMBIK ^4 1

veau tous les matins; une chèvre qui au lieu de hut lui donnait du vin de pain, abondance; enlin un cotonnier qui avait tous les matins dix pagnes très beaux en guise de gousses à coton sur ses brandies.

Cet homme était heureux. : il était un jour couché dans son loilgtfl II faisait H après dîner quand il est éveille par un urand bruit :

Un malfaiteur insultait sa mère et cher- chait à l'enlever pour aller la vendre comme Captive. Son entant ctlraye était tombe dans le puits et était près de se noyer.

Un lion l'impartit de sa vache pour la

manger.

Un chacal qui suivait le lion allait cro- quer le coq.

la chèvre effrayée s'était embarrassée dans sa corde et s'étranglait.

Enfin le feu prenait à un tas de paille placé sous le cotonnier et l'aurait bientôt rôti.

Que devait faire le pauvre homme?

Chaque assistant est tenu de donner son opinion à la grande hilarité de la galerie qui lui dit aussitôt que c'est parce que tel défaut prédomine chez lui.

2-p CONTES l'OPUI. AIRES

Qu'est-ce qui enseigne «ans parler? dit d'un ton sentencieux celui qui propose l'é- nigme. S'il n'y a pas dans la réunion un homme qui ait l'habitude de ces sortes de divertissements intellectuels personne ne sait répondre. Ce qui lui permet d'ajouter quand tout le monde a avoué son impuis- sance : Ce qui enseigne sans parler c'est le livre.

Qu'est-ce qui vole sans jamais se poser.

On comprend que chacun des ignorants qui entend cette question soni^e à un corps matériel. Un parle de l'hirondelle, l'autre de la feuille sèche et jusqu'au moment ou il est répondu ce qui vole sans jamais se poser. C'est le vent.

Qu'est-ce qui a une queue et ne la remue

pas

Le cuiller.

Qu'est-ce qui bat des ailes et ne vole pas? Le tamis.

Qu'est-ce qui durcit au lieu de se ramollir en cuisant? L'œuf.

M LA V.IBIE 243

Quelles sont les trois choses qui donnent la fortune et n'ont pas de poils?

La PLANT! DU PIED, LA PAUME DE LA MAIN, LA LANGUE.

Quelles sont les trois choses qui sont irré- sistibles quand elles se mettent d'accord ?

L>A KEMMK, LE KOI, LE DIABLE.

D'autres fois le conteur qui veut frapper l'esprit de ses auditeurs formule des prover- bes, des sentences, des aphorismes qui quoi- qu'ils ne soient pas toujours parfaitement compris par le vulgum pecus sont toujours accueillis avec une respectueuse et sympa- thique faveur. Voici quelques-uns de ces proverbes :

Celui qui est fier de sa nudité, sera insolent une fois habillé.

Celui qui prend tous les chemins, manque celui de la maison.

Une lingue insolente est une mauvaise arme.

Le pauvre qui craint le soleil, craint un protecteur.

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(DO)

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APPRECIAI' ION

Comme je l'ai dit plus haut, la partie des contes, légendes, proverbes, etc.. de cette qua- trième partie est très varice. J'ai a peine be- soin de le répéter pour le faire admettre ; il serait dans tous les cas facile de le démontrer en peu de mots.

Les légendes de Malik-si, du serpent, du bambouk, de la création de l'empire Djolof, de Koii Satigny, de l'origine des laobés etc., sont évidemment des récits, altér. la pensée religieuse, l'amour du merveilleux ou simplement le désir d'intéresser les audi- teurs, de faits réels : conquêtes, invasions, épidémies, fondation de dynasiH

Celle du cavalier qui soignait mal son che-

246 CONTES I»OPULA!KES

val procède de pensées complexe et porte en elle plus d'un enseignement. Il est possible que ce soit l'explication image'e de quelque événement réel au fond, comme il peut se faire aussi que ce soit une leçon de zèle et de travail donnée aux paresseux et aux inconscients des pays le cheval a une importance de premier ordre : comme le dé- sert, le Kaarta, le Fouta sénégalais, le Sé- gou, etc.

Le trafic à la muette est bien assurément l'explication fantastisque donnée par des ignorants des choses qui n'ont pas été com- prises dans le monde des nègres, quand les peuplades du pays se sont trouvées en rela- tion pour la première fois avec les Euro- péens et les Carthaginois.

La légende de Penda-Balou et de Golok- salah a certainement d'étroits liens de pa- renté avec des contes des Ondines et Ondins, des Nixes, des Dracs qui ont eu tant de suc- cès pendant le moyen âge et qui n'étaient certainement eux-mêmes que des réminis- cences, des fables de la mythologie.

Cette idée de la légende de Goloksalah ne Je cède en rien comme poésie et comme mo- rale à celle des récits de la France, de la

i.k : .mit

Norwége, de l'Allemagne, car le .. nie qui se transforme en beau jeune homme pour mener à mal la pauvre Penda. reclame plus en frais d'invention que le Drac qui ^ntre deux eaux dans le Rhône au- dessous d'une coupe contenant un anneau d'or, et qui va passer à portée des laveuses pour tenter la cupidité d'une imprudente qui devient sa victime par amour de la coquet- terie.

Enfin les énigmes, les pro\. chent, on le voit, chez k égalais

comme chez les autres peuples, une p< philosophique, morale, un conseil ou une information utile sous une forme plaisante, imagée OU excentrique choisie évidemment pour mieux la graver dans l'esprit des audi- teurs.

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CINQUIEME PARTIE

coup-d'œil d'ensemble sur la portée intel- lectuelle DES CONTES, LÉGENDES ET BAL- LADES CONTENUS DANS CE LIVRE.

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CINQUIÈME PARTIE

Lk lecteur qui a eu la patience de lire avec attention la longue série de contes et de légendes que je viens de rapporter m'ac- cordera j'espère que les nègres sénéganbiens

ne sont, en somme, pas aussi refractaircs aux choses de l'intelligence que ce qu'on pourrait le penser de prime abord.

Pour ne pas tomber dans un excès con- traire à la première pensée qu'il avait, et à la réalité, je l'engage à se bien pénétrer de cette e : que bien peu de nègres, relative- ment, sont capables d'apprécier à sa juste valeur, la portée philosophique, la leçon de bon sens, de critique, de bienveillance, etc..

232 CONTES POPULAIRES

que plus d'une de ces légendes contient. Le nombre de ceux qui les comprennent comme il faut est très restreint, je ne saurais trop le re'péter.

D'autre part, je ne saurais aussi oublier, de faire remarquer que parmi les contes et les légendes il en est un grand nombre qui sont d'origine étrangère. Il est incontesta- ble que tout ce qui a trait, par exemple, à l'islamisme, a l'histoire des fils de Noé, etc., est venu du dehors et a été colporté chez les nègres par des hommes qui en avaient puisé le sujet primitif au contact des populations plus élevées dans la série ethnographique.

.Mais toutes ces restrictions étant faites, il n'en reste pas moins un double fait constant c'est que : si elles ne sont pas toutes nées sur place, ces légendes ont trouvé dans les pays sénégambiens un terrain suffisamment fertile pour ne pas y disparaître aussitôt après quelles y ont été semées par des intelligences étrangères ; c'est que ce terrain intellec- tuel, quelque limité qu'il soit, existe puisque nous en constatons les produits dans le fait de la perpétuation de ces légendes à travers les âges.

Or, quelque restreint que' soit ce terrain

I>E LA SKSÉGAMBIE

intellectuel, serait-il même infinitésimal, il suffit qu'il existe pour que je sois autorisé à soutenir cette première proposition que sur les rives du Sénégal, de la Gambie ou du Niger, il y a à l'heure présente cer- tains nègres capables d'apprécicier les leçons de morale, de sagesse ou de bon sens qui ont inspiré les contes et les légendes dont nous parlons.

Donc la libre existe; toute rudime. qu'elle soit ; elle peut vibrer quand on sait s'y prendre pour la toucher. Et c'est un point capital, on en conviendra, car entre l'absence absolue et cette existence même rudimen- taire, il y a une distance infinie, une diffé- rence immense, sous le rapport des consé- quences.

Dans l'introduction de ce livre j'ai formulé une opinion sur laquelle j'appelle toute l'at- tention du lecteur, car elle me paraît digne d'être commentée par ceux qui auraient à réfléchir. J'ai dit que les nègres sénégam- biens d'aujourd'hui sont assez comparables aux habitants de notre pays à l'époque qu'on appelle le moyen âge. Ou bien si l'on veut qui va. de l'invasion des barbares au temps de la découverte de l'Amérique. Je ne saurais trop insister sur ce fait.

2 5.J CONTES POPULAIRES

Les limites, la nature, la porte'e de ce li- vre ne me permettent pas d'insister plus longuement sur cette idée; mais je ne sau- rais cependant manquer de la souligner de toute mon insistance. Et, en effet, je dirai entre mille autres choses pour le faire cons- tater : qu'il n'est pas même jusqu'à la reli- gion actuelle l'islamisme chez ces nè- gres qui ne soit à remarquer. Cet islamisme joue en Séne'gambie aujourd'hui le rôle que joua chez nous le christianisme dans les pre- miers siècles de notre ère, au moment, et après la chute de l'empire romain.

En re'sumé donc les nègres d'aujourd'hui représentent les Européens de douze ou quinze cents ans avant notre époque. C'est une chose importante qui mérite de préoc- cuper tous ceux qui aiment à s'occuper non- seulement de littérature, de philosophie mais même de tout ce qui touche à l'his- toire de la civilisation.

Si cette opinion que je formule se trouve démontrée par d'autres observateurs, on comprend que d'une part l'historien de nos pays, de notre peuple pourra désormais re- garder maints détails de ce qui se passe au- jourd'hui chez les nègres, comme le natu- raliste va dans un musée comparer une

plante, un minorai, un animal, etc., qu'il étudie avec les types déjà cla<

D'autre part, le philosophe , l'e'conomiste, •te., pourront prévoir ce que les nègres seront capables de luire dans l'avenir ; ce qu'on peut espérer d'eux pour la civilisation, pour les progrès du genre humain, pour les acqui- sitions de l'esprit et de l'intelligence des hommes ; en tenant compte de leur deyre de •ti\ ite et de la persistance des eîlorts du progrés que les Européens peuvent tenter \ i-.i-vi> d'eux.

On le voit, l'horizon est vaste, le sujet | intéressant ; aussi et on ne m'en voudra pas d'insister encore sur son compte en terminant cette étude, quelque minime que soit port.

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TABLE DES MATIERES

Introduction i

PREMIÈRE PARTIE

CONTES ET LÉGENDES QUI METTENT EN RKL1EK UNE QUALITÉ DU CŒUR OU DE L'ESPRIT

l. Comparaison entre l'amour pater- nel cl l'ingratitude filiale b

11. Légende de Cothi Bar ma

III. Les deux amis brouillés par une n

maîtresse 1 5

IV. Les deux amis Peuls 19

V. Ballade de Diudi 27

VI, Ballade de Samba Foui .' 3o,

258 TABLE DES MATlÈKKS

VII. La finesse du singe et la naïveté du

loup Si

VIII. Le sage qui ne mentait jamais 57

Appréciation 0 1

DEUXIEME PARTIE

CONTES ET LÉGENDES QUI ONT TRAIT A UN

DÉFAUT, UN RIDICULE, UN VICE OU UNE IM- PERFECTION MORALE.

I. Les trois fils de Noé 6q

II. L'histoire de celui qui se fit servir

par le roi 79

III. La chasse au lion de Bagnouns 83

IV. Le beau-frère coupable 89

V. L'homme qui avait beaucoup d'a- mis ()7

VI. L'ami indiscret . io5

VU. L'héritier qui avait le sommeil pour

sa part 117

Apprécia. ion 124

TABLE LES MATll MM

TROISIÈME PARTIE

CONTES KT LÉGENDES QUI ONT POUR BUT I A GLORIFICATION DE L'iSLAMISME

I. Lt croytnt qui priait souvent iiy

II. Le bracelet rapporté par un poisson. 145

111. Koli-oeiwan 135

l\ Lm MV« lt ICCOrdéet »ux nouveau*

con\ ci us 1S9

Appiéciaiion

QUATRIÈME PARTIE

CONTES ET II a Ml S QUI ONT TRAIT

HIMVIAT RÉEL PLUS OU MOINS ALTÉRÉ l'AK IV TRADITION ORALE*, QL'iNSPIRENT I.'AMOIK DU MEHVEILLI CROYANCES

Il l'I KMI IILI SES OU LE MMPi.E PLAISIR DE

( UNI QUESTION ÉSICMATIQl DITEUR.

I. Légende de Ma'.ik->i 175

11. Le serpent du Bambouck i83

111. La création de l'empire Djolof 1.1

2ÔO TAlii.K DES MATIERES

I\'. Le cavalier qui soignait mai son

cheval 197

V. Le tiafic à la muette toi

VI. Koli Satigny 211

VIL Origine des Laobés et des Griots. . 1 rg

VIII. Penda-Balou 227

IX. Croyance aux sorciers 234

X. Enigmes et proberbes, 2'3<_»

Appréciation 2_)3

CINQUIEME PARTIE

coup-d'œil d'ensemble sur i.a portée in- tellectuelle DES CONTES ET LÉGENDES DES 23 I

NEGRES SENEGAMB1ENS.

Le l'uy. Imprimerie de Marcheasou lils.

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